(1901) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 14]
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(1901) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 14]

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

TOME XIV

Avec 6 1 figures intercalées dans le texte et LXXIV planches hors texte

1901 1

CONDITIONS DE LA PUBLICATION

La NOUVELLE ICONOGRAPHIE de la SALPÊTRIÈRE

paraît en six fascicules annuels

PRIX DE L'ABONNEMENT ANNUEL :

PARIS .. 25 fr. 1 DÉPARTEMENTS.. 27 fr. UNION POSTALE. 28 fr.

PRIX DU fascicule : 4 fr. 50

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA ,

SALPÊTRIÈRE

FONDÉE par J. M. CHARCOT

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

F. RAYMOND A. JOFFROY A. FOURNIER

PROFESSEUR DE CLINIQUE PROFESSEUR DE CLINIQUE PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES DES MALADIES MENTALES DES MALADIES CUTANÉES ET

DU SYSTÈME NERVEUX . SYPHILITIQUES

PAR '

PAUL RICHER GILLES DE la TOURETTE

MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ

DIRECTEUR HONre DU LABORATOIRE DE DE MÉDECINE

LA CLINIQUE MÉDECIN DES HÔPITAUX

ALBERT LONDE-

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

Avec la. collaboration de MM.

ACHARD, BOGROFF (Odessr.), BOIX, P. BONNIER, BOTTEY, BRISSAUD, CABANNES (Bordeaux),

C ATH ELI N E AU, CEST A N.J.-B. CHARCOT, CHIP AU T,DEJER 1 NE,DELPRAT (Amsterdam),DENY,

DUFOUR,E.DUPRÉ,DURANTE, DURET, DUTIL(Nice), EM 1 RZÉ (Smyrne),ESTEVEs(Buenos-Ayres),

ÉTIENNE (Nancy), FEINDEL, FÉRÉ, E. FOURNIER, GASNE, GRASSET (Montpellier), G.GUINON,

HALLION,HAUSHALTER(Nancy), HERTOGHE (Anvers), HUET, P.JANET, KATICHEFF (St-Péters-

bourg),LADAME (Genève), H·LAMY,LANNELONGUE,LANNOIS (Lyon),LAUFENAUER (Buda-Pesth),

LAUNOIS, LE DENTU, M. LEMOS (Porto), L. LÉVI, P. LONDE, LUCO ORREGO (Santiago, Chili),

P.MARIE,MARINESCO (Bucharest), DE MASSARY, H. MEUNIER, MICHAILOWSKI (Sofia), MOC-

ZUTKOVSKY(St-Pétersbourg), VON MONAKOW (Zurich), NOGUÈS (Toulonse), PARINAUD, PAR-

MENTIER, PITRES (Bordeaux), RAMADIER, A. RICHE, RÉVILLIOD (Genève), A. ROBIN, ROSSO-

LIMO (Moscou), SABRAZÈS (Bordeaux),SAINTON, T. D. SAVILL(Londres), SCHAFFER (Bnda-Pesth),

SÉGLAS, SÉRIEUX, SIKORSKY (Kiew), SPILLMANN (Nancy), SOCA (Montevideo), SOLOVTZOFF

(Moscou), SOUQUES, SURMONT, TARGOWLA, THOMAS, TRÉNEL, TUFFIER, WEIL, etc.

Rédaction

Dr HENRY MEIGE

PARIS

MASSON ET Clé, ÉDITEURS

libraires DE l'académie DE MÉDECINE

120, Boulevard Saint-Germain (8e)

- 19°1

NOUVELLE

ICONOGRAPHIL

DE LA SALPÊTRIÈRE

HOSPICE DE BICÊTRE

(LABORATOIRE DE M. LE Der PIERRE MARIE)

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE

DE

L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE DE L'HÉMIANOPSIE,

D'ORIGINE INTRA-CÉRÉBRALE

EXAMEN IIISTOLOGIQUE DU CERVEAU DANS DEUX CAS DE RAMOLLISSEMENT

DE LA RÉGION DU CENTRE CORTICAL VISUEL,

PAR

JOUKOWSKY.

Dans les travaux très importants de Henschen (1), Von Monakow (2),

Vialet (3), Seguin (4), Schirmer (5), Sachs (6) on trouve une étude pres-

que complète de l'anatomie pathologique de l'hémianopsie d'origine intra-

cérébrale. Si je me décide à reprendre ces recherches c'est parce que cette'

question présente un grand intérêt au point de vue clinique et anatomo-

pathologique et parce que ce genre de recherches, surtout l'examen his-

(1) Henschen, Jaïn. und anal. Beitulige zur Pathologie des Gehirns. Upsala, 1890.

(2) VON Monakow, Arch. f. Psych., vol. XVI, XVII, XX et XXIII.

(3) Vialet, Les centres cérébraux de la vision et l'appareil visuel intra-cérébral,

Thèse de Paris, 1893.

(4) Seguin, Contribution à l'étude de l'hémianopsie d'origine centrale. Arch. de Neu-

rologie, 1886.

(5) Pu. SCIIIRMEB, Subjective Zichtempfindung bei totalem Treolustedes Sehvei- ? i2ôgeiis

durch Zerstârung der Rinde beider IIinle¡'hauplslappen. l\1arbourg, 1895.

(G) Sachs, Das Gehirn desFôrsler'schen Rindenblindenn. Arbeiten aus der psychiatri-

chen Klinik in Breslau. IIerausgegeben von Carl Wernicke. Leipzig, 1895.

xiv 1

2 JOUKOWSKY

tologique du cerveau dans les cas d'hémianopsie, ne se rencontre pas

souvent.

Dans cette communication il s'agit de deux cas d'hémianopsie déter-

minés par la destruction de la région cortico-visuelle. Ces cas ont été mis

à ma disposition par mon maître, M. Pierre Marie. Ce travail a été fait à

son laboratoire et c'est sous sa direction, que je faisais l'examen histolo-

gique des cerveaux.

l°r Cas. - Un vieillard, qui pendant son séjour à l'hospice présentait le

phénomène de l'hémianopsie gauche homonyme latérale. Il n'avait ni paralysie,

ni aphasie sensorielle, ni troubles de la parole, excepté un léger bégaiement.

On pouvait observer encore qu'il marchait à petits pas.

Les réflexes rotuliens des membres inférieurs étaient affaiblis des deux côtés.

11 n'avait ni déviation de la bouche, ni de la langue. Le réflexe pharyngien était

diminué.

L'autopsie nous a montré dans l'hémisphère droit un ramollissement dans le

domaine de l'artère cérébrale postérieure, qui avait détruit la région de la scis-

sure calcarine et la partie voisine du pôle occipital ; en outre un petit ramollis-

sement existait dans la région des circonvolutions 01 et 0.

Dans l'hémisphère gauche, un kyste avait détruit la partie antérieure du

coin. Les circonvolutions occipitales étaient atrophiées. Les ventricules étaient

dilatés, surtout dans l'hémisphère droit (Fig. 1 et 1 bis).

L'examen microscopique de l'hémisphère droit fut fait sur des coupes

frontales, traitées par les méthodes de Pal, de Weigert et de Pal avec la colora-

tion supplémentaire par la cochenille.

Cet examen présenta les résultats suivants :

1° Sur les coupes, faites deux ou trois centimètres en avant du pôle occi-

pital, on voit :

La lésion occupe principalement le lobe lingual et le lobe fusiforme. Ce der-

nier est presque complètement détruit. L'écorce de la partie supérieure du lobe

lingual, qui borne la lèvre inférieure de la scissure calcarine est sclérosée, la

Fig. 1. Hémisphère droit, face externe.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE DE L'HÉMIANOPSIE D'ORIGINE INTRA-CÉRÉBRALE 3

substance blanche sous-jacente du lobe lingual est aussi partiellement rempla-

cée par le tissu conjonctif.

L'écorce de la partie inférieure et interne du lobe lingual est détruite, la plus

grande partie de la substance blanche dece lobule est conservée. Le lobe fusiforme

est presque complètement détruit, excepté une petite partie qui se trouve sous la

paroi inférieure de la corne postérieure. La lèvre supérieure de la scissure

calcarine est atteinte très faiblement, surtout dans le coin antéro-supérieur, où

la lésion s'étend sur la substance blanche, qui se trouve près du bord supérieur

de la corue postérieure Les fibres strati calcarini, qui réunissent la lèvre su-

périeure à la lèvre inférieure de la scissure calcarine, sont complètement dé-

truites par le ramollissement. La lésion

s'étend jusqu'à la paroi interne de la

corne postérieure. Les fibres de la couche

sagittale, qui entourent la paroi externe

de la corne postérieure, sont sclérosées

dans leur partie supérieure et dans la par-

tie qui se trouve sous la paroi inférieure

de la corne postérieure près de la lésion.

Dans la partie intermédiaire de la couche

sagittale, les fibres sont atrophiées. Le

ramollissement dans le domaine de la scis-

sure calcarine est assez ancien ; on peut

voir ici une petite quantité des corps gra-

nuleux et beaucoup de tissu conjonctif.

Les vaisseaux sont sclérosés. On voit la

dilatation du ventricule (fig. 2).

2° Sur les coupes faites plus en avant,

en s'éloignant à 5 centimètres du pôle oc-

cipital, on voit :

Le lobe lingual est presque tout à fait

détruit par le ramollissement, de même

que ia parue interne au lobe lusitorme et la partie intérieure de la circonvolu-

tion limbique. La région du ramollissement ne se sépare que par une mince

Fig. 1 bIS. Hémisphère droit, face interne.

Fig. 2. Cas I. P, pariétale. 0,

occipitale. Fus, fusiforme. - lg,

linguale. - K, calcarine. - Vc, ven-

tricule. - (La partie blanche indique

le siège de la sclérose.)

4 JOUKOWSKY

couche de la substance nerveuse de la paroi interne de la corne postérieure.

Une partie de la couche sagittale et des fibres du tapetum, qui se trouvent

près de la lésion immédiatement sous la paroi inférieure de la corne postérieure,

sont sclérosés. Dans l'autre partie de la couche sagittale interne les fibres sont

atrophiées.

3° Sur les coupes, faites plus en avant, qui passent à peu près à 7 centimè-

tres du pôle occipal et à 10 centimètres du pôle frontal, on peut voir :

La circonvolution de l'hippocampe est principalement détruite dans sa partie

interne : la corne d'Ammon est aussi détruite. Dans la couche des radiations

de Gratiolet,qui entoure la paroi externe de la corne postérieure, on voit sous le

microscope une petite lésion, dans laquelle on distingue de nombreux corps

granuleux. Autour de cette lésion on observe la formation de tissu conjonctif

(Fig. 3).

4° Sur les coupes, qui passent en avant du splenium corporis callosi à

7 cent. 1/2 du pôle occipital et à 9 cent. 1/2 du pôle frontal, on voit que la

partie interne de la circonvolution de l'hippocampe est détruite par le ramol-

lissement, de même que la corne d'Ammon.

Dans la couche des radiations de Gratiolet on remarque une petite lésion, où

on distingue de nombreux corps granuleux.

A l'entour de cette lésion, ainsi que dans le reste de cette couche, on voit la

sclérose des libres.

Cette sclérose se continue sur la partie inférieure de la capsule interne ré-

trolenticulaire et sur la partie inféro-postérieure des couches systiques (Fig. 4).

Fig. 3 et 4. - Cas I. - P, pariétale ascendante. - 0, occipitale. Fus, fusiforme.

- L, linguale. - K, calcarine, - T, temporale. Th, couche optique. (La partie

en blanc indique le siège de la sclérose.)

ANATOMIE PATHOLOGIQUE DE L'HÉMIANOPSIE D'ORIGINE INTRA-CÉRÉBRALË 5

5° Sur les coupes, qui passent en avant à 9 centimètres du pôle occipital et

à 8 centimètres du pôle frontal- et qui traversent la partie postérieure du

noyau lenticulaire :

La corne d'Ammon est détruite presque complètement par le ramollissement.

Dans le noyau lenticulaire on remarque des petites lacunes, qui touchent à la

capsule externe et déterminent la disparition des fibres dans cette région, sur-

tout dans la région qui se trouve vis-à-vis l'insula de Reil. Dans la capsule

interne et dans les couches optiques on ne voit aucune lésion.

Sur les coupes faites plus en avant, on n'observe rien de pathologique.

L'examen microscopique du pédoncule cérébral et de la moelle donna des

résultats négatifs.

L'étude histologique de ces cas nous a montré, que la lésion était loca-

lisée dans le domaine de la scissure calcarine,en détruisant principalement

le lobe lingual et le lobe fusiforme et que cette lésion pénélrait dans la

substance blanche sous-jacente jusqu'à la paroi interne de la corne posté-

rieure. Cette lésion était suivie de la sclérose des fibres des radiations

de Gratiolet, de la sclérose de la partie inférieure de la capsule interne rétro-

lenticulaire et de la partie inféro-postérieure des couches optiques. Cette

sclérose ne présentait pas la dégénérescence secondaire proprement dite.

On voit partout sur les parties sclérosées des petits foyers de ramollisse-

ment autour desquels on remarque la formation de tissu conjonctif. Ainsi

dans ce cas nous avons eu une lésion exclusivement de l'appareil visuel

intracérébral, qui a déterminé le phénomène de l'hémianopsie d'origine

centrale non compliqué d'autres symptômes.

Le 2e cas est aussi celui d'un vieillard, qui n'avait pas d'antécédents héré-

ditaires dans sa famille, excepté un oncle atteint de paralysie. Le malade lui-

même n'était pas alcoolique, il n'avait ni syphilis, ni maladies internes. Le

23 janvier 1895, il eut un ictus avec perte de connaissance. La parole était trou-

blée autant qu'à son entrée à l'hospice. Le malade avait en outre des troubles

cérébraux. L'examen du malade, pratiqué le 2 février 1897,montra ce qui suit :

1° Un tic non douloureux du côté gauche de la face, qui détermine l'occlu-

sion de l'oeil et le tiraillement de la bouche.

2° Des traces d'hémiplégie droite : la force musculaire du membre supé-

rieur droit est affaiblie. Les réflexes rotuliens des membres inférieurs sont

exagérés. Les réflexes des membres supérieur et inférieur du côté droit sont

plus forts que ceux du côté gauche. Sur les membres inférieurs on observe

le réflexe contralatéral des deux côtés.

3° Le phénomène de l'aphasie sensorielle :

a) Le malade ne peut pas nommer les objets dont il connaît l'emploi (la

plupart du temps. Il emploie très couvent un mot à la place d'un autre (para-

phasie). Il ne peut lire ni mots ni syllabes, ni chiffres, présentant le phéno-

mène de l'alexie totale (cécité verbale).

6 - JOUKOVS'SIi1'

b) Il comprend très bien tout ce qu'on lui dit (pas de surdité verbale).

La parole spontanée n'est pas changée. La prononciation des mots est

bonne.

c) La parole répétée est un peu troublée, le malade répète des phrases avec

des fautes.

d) Il chante des airs sans mots et quand on les lui dit, il ne peut pas les adap-

ter à la musique.

e) L'écriture spontanée, dictée et copiée est impossible (agraphie totale).

f) Pas de cécité psychique.

4° Du côté de l'appareil visuel il existe une hémianopsie double avec con-

servation d'une partie centrale du champ visuel.

5) Quant à la sensibilité, on trouve les troubles du sens musculaire du côté

droit tandis que du côté gauche ce sens reste intact.

Pendant le séjour du malade à l'hospice, les symptômes étaient les mêmes.

Il succomba le 2 janvier 1898.

A l'autopsie, on pouvait constater : l'hémisphère droit présente un ancien ra-

mollissement sur sa surface inférieure. La circonvolution de l'hippocampe est

atteinte de ramollissement surtout dans sa moitié extéro-postérieure. La circon-

volution du crochet semble ne pas être touchée. Le pli rétrolimbique est tout à

fait modifié, ainsi que le lobe lingual, le lobe fusiforme et la troisième tempo-

rale, qui est modifiée sur toute son étendue, sauf peut-être dans sa partie ex-

trême antérieure. Plus en arrière la lésion ne touchepas le pôle occipital. Sur la

surface interne de l'hémisphère la scissure calcarine est altérée sur toute son"

étendue (Fig. 5).

Dans l'hémisphère gauche on ne peut rien remarquer sur la surface. Cepen-

dant à la palpation on constate au niveau du lobe pariétal une mollesse, qui

indique un ramollissement dans la profondeur.

En effet sur une coupe frontale on constate, qu'à partir du sillon, qui sépare

Pj de P2 jusqu'au sillon, qui sépare Ti de T2, la substance blanche est com-

plètement détruite, présentant l'aspect d'une éponge, la substance grise étant

conservée et diminuée de volume. La dimension du foyer est celle d'une grosse

noix. La substance blanche du gyrus marginalis est complètement détruite.

Fig. 5. Cas II. - Hémisphère droit, face interne.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE DE L'HÉMIANOPSIE D'ORIGINE INTRA-CÉRÉBRALE 7

On a fait l'examen histologique des deux hémisphères sur des coupes fron-

tales, colorées par les mêmes méthodes que dans le premier cas. Je vais dé-

crire d'abord les altérations microscopiques dans l'hémisphère droit ; ces alté-

rations étaient les suivantes :

1° Sur les coupes frontales, faites en avant à deux centimètres du pôle occi-

nital. on Deut remarquer :

La substance blanche du coin, du lobe

lingual et du lobe fusiforme (dans la partie

interne de ce dernier) est complètement

détruite par le ramollissement ; il reste

seulement une mince couche de l'écorce

cérébrale, qui limite l'endroit du ramollis-

sement sur la surface interne de l'hémi-

sphère.

La substance blanche qui se trouve

près de la lésion est parfaitement intacte

(Fig. 6).

2° Sur des coupes, qui passent à peu

près à quatre centimètres du pôle occi-

pital, on trouve :

Toute la partie de la substance blanche

du coin, qui aboutit à la lèvre supérieure

de la scissure calcarine, est détruite par

le ramollissement ; la partie supérieure

de la substance blanche du coin est con-

servée. Le foyer du ramollissement du

com Luncnc lil parui tULciu-ùuucucmc uu 'il uutiic puoLCifcutc uc fctuucnc Il

se sépare par une mince couche de substance nerveuse. L'écorce du coin, u

se sépare par une mince couche de substance nerveuse. L'écorce du coin,

qui borne la lèvre supérieure de la scissure calcarine est conservée, ainsi

que la partie de l'écorce du lobe lingual qui constitue la lèvre inférieure

de la scissure calcarine. La substance blanche du lobe lingual est tout à fait

détruite par le ramollissement ; le foyer de la destruction ne se sépare que par

une mince couche de la substance nerveuse de la corne postérieure.

L'écorce de la partie intéro-supérieure de ce lobe est conservée ; sur la par-

tie interne et inférieure de ce lobe, il ne reste qu'une très mince couche de l'é-

corce cérébrale, qui limite la lésion. La partie interne du lobe fusiforme est

aussi détruite. On peut voir sur les coupes dans la substance blanche, qui

se trouve plus haut que la paroi supérieure de la corne postérieure, des

lacunes, autour desquelles on remarque la raréfaction des fibres à myéline.

Le ramollissement dans le domaine de la scissure calcarine est assez récent ;

ici on rencontre de nombreux corps granuleux. Les vaisseaux (branches de

l'artère cérébrale postérieure) sont athéromateux.

3° Sur les coupes, qui traversent le splenium du corps calleux, la lésion

occupe la circonvolution limbique, le lobe lingual et le lobe fusiforme, dont la

substance blanche est détruite presque complètement.

Fig. 6. Cas II. - C, cunéus. - K,

fissure calcarine. lg, lobe lingual.

- (La lésion est indiquée en blanc.)

8 JOUKOWSKY

L'écorce cérébrale de la circonvolution limbique et du lobe lingual est con-

servée avec une mince couche de substance blanche.

Dans le lobe fusiforme reste seulement une couche très mince de l'écorce

cérébrale.

Le foyer du ramollissement arrive jusqu'à la paroi interne de la corne pos-

térieure, de laquelle il se sépare par une mince couche de la substance ner-

veuse.

La partie interne du corps calleux, qui se trouve près de la paroi intéro-

supérieure de la corne postérieure, est aussi détruite par le ramollissement.

4° Sur les coupes, qui passent en avant du splénium du corps calleux, on

remarque :

La lésion occupe toute la partie qui se trouve sous la paroi inférieure de

la corne postérieure, la circonvolution de l'hippocampe, le lobe lingual, le lobe

fusiforme et la partie interne de la troisième temporale. Le foyer du ramol-

lissement ne se sépare que par une

mince couche de la substance nerveuse

de la corne postérieure. Une partie de

l'écorce du lobe fusiforme est conser-

vée. En outre on voit un ramollisse-

ment dans la région des fibres de la

couche sagittale, qui passe près de la

paroi externe de la corne postérieure.

La partie de la couche sagittale, qui

se trouve dans la paroi inférieure de

la corne postérieure est détruite.

5° Sur les coupes situées plus en

avant, qui passent par la partie posté-

rieure des couches optiques, on voit de

nombreuses lacunes dans la région de la

capsule interne rétro-lenticulaire et dans

la couche des radiations de Gratiolet.

Autour de ces lacunes on remarque la

désintégration des fibres à myéline et

la formation de tissu conjonctif. En

outre on voit la destruction de la cir-

convolution de l'hippocampe et de la

corne d'Ammon (Fig. 7).

Sur les coupes, qui passent plus en

uvaw, ou lit remarque lieu ue piitiiulugillut.

Dans l'hémisphère gauche les coupes frontales furent faites dans la région

du ramollissement et en outre on fit des coupes horizontales passant par les

ganglions centraux.

1° Sur les coupes frontales, qui passent par la région du pli courbe, on voit :

La substance blanche de la deuxième circonvolution temporale,de la deuxième

Fig. 7. Cas H ? P, pariétale. - T, tem-

porale. - Fus, fusiforme.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE DE L'HÉMIANOPSIE D'ORIGINE INTRA-CÉRÉBRALE 9

pariétale et d'une partie de la troisième temporale, est détruite par le ramollis-

sement.

Le foyer de .la destruction pénètre dans la profondeur et atteint la paroi ex-

terne de la corne postérieure, en détruisant les fibres des radiations de Gratiolet,

du faisceau longitudinal inférieur et celles du tapetum, surtout dans leur partie

inféro-externe.

Une partie des radiations de Gratiolet qui se trouve immédiatement sous la pa-

roi inférieure de la corne postérieure est sclérosée. Une partie du faisceau longi-

tudinal inférieur, qui se trouve dans la même région, est conservée, mais sclé-

rosée dans la partie qui se trouve près du foyer du ramollissement.

2. Sur les coupes, laites en avani

à un centimètre, on peut voir que le

ramollissement occupe la région de la

deuxième pariétale, envahissant en ou-

tre la substance blanche de la pre-

mière pariétale et de la troisième tem-

porale. Le foyer de ramollissement

pénètre jusqu'à la paroi externe de la

corne postérieure, en détruisant le

faisceau de Gratiolet et lefaisceau longi-

tudinal inférieur, ainsi que les fibres

du tapetum dans leur partie externe

(Fig.8). .

3° Sur les coupes horizontales, qui

passent par la région des ganglions

centraux, on voit près du foyer de ra-

mollissement la sclérose des fibres des

radiations de Gratiolet et de celles du

faisceau longitudinal inférieur, ainsi

que la sclérose du pulvinar des couches

optiques. En outre, on remarque que

la partie postérieure de la capsule in-

terne est plus blanche que ses autres

parues, sous le microscope on distingue dans cette région la rareiaction des

fibres à myéline et une légère sclérose.

Dans ce second cas, ainsi que nous l'avons vu, il s'agissait d'une part

d'un ramollissement, qui a détruit dans l'hémisphère droit la région du

centre visuel cortical, d'autre part d'un foyer de ramollissement qui était

localisé dans l'hémisphère gauche et qui occupait la substance blanche du

pli courbe et des parties voisines du lobe temporal et du lobe pariétal.

Ce foyer pénétrait dans la profondeur, arrivant jusqu'à la paroi externe de la

corne postérieure et déterminait l'interruption de la couche des radiations

deGratiolet et des fibresdu faisceau longitudinal inférieur,surtout dans leur

Fig. 8. - Cas II. - P, pariétale. - T,

temporale. - Fus, fusiforme. - CC,

corps calleux. - Vc, ventricule. L,

limbique.

10 , JOUKOWSKY

partie inféro-externe. Cette lésion était accompagnée de sclérose des

fibres de la couche sagittale, du pulvinar et de la partie postérieure de

la,capsule interne. L'hémianopsie double, que nous avons observée dans

ce cas, était déterminée, par conséquent, par la destruction du centre visuel

cortical dans l'hémisphère droit et par l'interruption du faisceau visuel

de Gratiolet sur son trajet dans l'hémisphère gauche d'autre part.

Le phénomène de la cécité verbale avec agraphie totale, qui accompa-

gnait dans ce cas l'hémianopsie, doit être attribué au ramollissement en

foyer dans l'hémisphère gauche, qui a détruit la substance blanche sous-

jacente du pli courbe, où, d'après les opinions de Charcot (1), Sé-

rieux (2), Dejerine (3), se trouve le centre de la vision des mots, dont la

lésion détermine le phénomène de la cécité verbale.

L'étude de ces deux cas confirme les résultats des recherches d'autres

observateurs quant aux conditions de l'origine de l'hémianopsie intra-cé-

rébrale.

Au point de vue anatomo-pathologique il faut noter un fait intéres-

sant : malgré la grande étendue de la lésion du lobe occipital dans les deux

cas, nous n'avons observé ni dans le faisceau de Gratiolet, ni dans les fibres

du corps calleux, une dégénérescence proprement dite, bien que la lésion

dans le premier cas fût très ancienne. On pouvait observer seulement une

certaine atrophie des fibres du bourrelet du corps calleux et du faisceau de

Gratiolet. La sclérose de ce dernier, ainsi que nous l'avons dit plus haut,

dépendait d'un ramollissement en petits foyers localisés sur toute sa lon-

gueur. Ce ramollissement provoqua la formation de tissu conjonctif dans

les foyers mêmes, ainsi que dans leur voisinage immédiat.

Par conséquent, il s'agissait dans ces cas d'une lésion surplace de ce

faisceau et non pas de dégénérescence proprement dite (4.).

(1) CHARCOT, Progrès médical, 1883.

(2) SCiueux, Société de biologie, 21 nov. 1891.

(3) Dejerine, Société de biologie, 21 mars 1891 et 27 février 1892.

(4) En terminant, je m'empresse d'exprimer ma profonde reconnaissance à mon

maître, M. Pierre Marie, pour m'avoir permis de travailler dans son laboratoire et

pour ses précieux conseils.

CLINIQUE MÉDICALE DE BUDAPEST

(CLINIQUE DE nI. LE Pr JENDRASSIK).

UN CAS

DE

PARALYSIE BULBAIRE AIGUË CHEZ UNE ENFANT

PAR z

le Dr J. KOLLARITS

OBSERVATION.

B. F..., âgée de 17 ans,a été admise dans le service du professeur Jendràssik

à la 9e clinique médicale le 12 mai 1899. On ne relève rien de particulier ni

chez ses parents, ni chez ses trois soeurs, ni chez son frère au point de vue de

l'hérédité neuropathologique. '"

La jeune fille, toujours bien portante jusqu'à l'âge de cinq ans, fut alitée à

cette époque par suite d'une maladie grave aiguë ; nous remarquons, sans y

donner grande importance, qu'il y avait à cette époque une épidémie de dipthé-

rie dans le village. D'après ce que le père raconte, elle avait une fièvre intense,

elle resta même sans connaissance pendant deux semaines. Reprenant ses sens

on s'aperçut que sa parole était difficile à comprendre, que la déglutition était

troublée : l'eau qu'elle voulait boire repassait par le nez. On confia la malade

aux soins du docteur Kaufer, médecin de l'hôpital de Pécs, qui a eu l'obli-

geance de nous communiquer ses notes sur la maladie de la petite B... ; grâce

à ces notes il nous est possible de comparer l'état actuel de notre malade à ce-

lui qu'elle présentait à cette époque.

D'après ces renseignements la motilité de la langue était alors diminuée, on

n'obtenait que des réponses incompréhensibles aux questions posées, la saliva-

tion était abondante, la déglutition difficile, on constata également la paralysie

de la langue, du voile du palais et celle du pharynx. Un traitement électrique,

et la médication iodurée, suivis pendant six semaines restèrent sans résultat

bien appréciable. ,

Depuis, l'état de la malade ne subit presque aucun changement. Il est vrai,

que la déglutition s'améliora un peu dans la suite, sa parole semblait même

devenir plus nette, mais on devait attribuer ces améliorations plutôt à ce fait,

qu'elle acquiert une certaine adresse à se servir des muscles indemnes en

mangeant et en buvant ; quant à la prétendue amélioration de la parole, il est

évident qu'elle était due exclusivement à' ce que ses parents apprirent à mieux

12 KOLLARITS

comprendre ses gestes et les sons inarticulés, qu'elle pouvait encore émettre.

Cependant la nutrition et le développement physique de la malade ne furent

aucunement influencés, aussi n'eut-elle depuis lors qu'une bronchite de courte

durée. Elle est bien réglée depuis six mois.

Etal actuel le 12 mai 1899.

Rien à noter au point de vue des organes internes. Les urines ne contien-

nent ni sucre, ni albumine, la quantité varie entre 1200-1400 grammes par

24 heures. L'intelligence est intacte, la malade s'est accoutumée à son mal

chronique.

Les principaux troubles se trouvent sur la partie inférieure de la face ; le

voisinage de la bouche semble être plat et raide, la peau y est rouge, eczéma-

teuse. La malade tient continuellement son mouchoir devant sa bouche pour

empocher la salive, qu'elle ne peut ni avaler, ni retenir, de salir ses vêtements.

Les lèvres sont continuellement entr'ouvertes ; lorsqu'elle sent sa bouche

pleine de salive, elle essaye de rapprocher ses lèvres, mais elle n'y réussit qu'à

l'aide des muscles du menton qui relèvent en quelque sorte la lèvre inférieure

sans la coopération des muscles orbiculaires de la bouche; cet effort donne à

la partie inférieure de la face un aspect pleurard (Fig. 1).

Sa lèvre inférieure est assez épaisse, elle contraste ainsi avec la supérieure,

dont la partie gauche surtout est mince. Le muscle orbiculaire de la bouche

semble être complètement paralysé, cette paralysie se traduit cliniquement dans

ses symptômes classiques : la malade ne peut pas siffler, elle ne peut pas gon-

Fig. 1.

UN CAS DE PARALYSIE BULBAIRE AIGUË CHEZ UNE ENFANT 13

fier les joues; pour souffler une bougie, elle exhale l'air très faiblement et la la

fois par bouche et nez. En repos, l'on ne remarque pas de différence entre les

deux côtés de la face, mais pendant que la malade parle et lorsqu'elle essaye de

montrer les dents, l'angle gauche de la bouche se dévie beaucoup moins que le

droit.

Les ailes du nez sont minces, celle de droite est plus haute que celle de

gauche.

Nous ne comprenons guère la parole de la malade; sa voix est nasillarde, en

outre elle ne peut prononcer qu'avec une grande difficulté la plus grande par-

tie des lettres on diphtongues (ou, b, m, p, ch, v, f), il y en a même qu'elle

ne peut pas prononcer du tout (l, v, g, k, n, d, t), d'autres sont impossibles à

reconnaître (e, i; ou remplacées par un son voisin (o pour ou). Néanmoins le

timbre de la voix et de la toux est assez fort. Les cordes vocales ainsi que leur

mouvement, sont normales. La difficulté de la prononciation est due à la para-

lysie de la langue qu'elle ne peut pas du tout remuer, quoique les muscles de

cet organe ne soient pas atrophiés. On n'y remarque pas de contractions libril-

laires. 1

La luette est déviée à gauche. Le voile du palais est plus large à droite qu'à

gauche. Les mouvements du voile du palais sont très peu prononcés pendant

la phonation. Une autre conséquence de la paralysie de la langue, c'est que bien

que les mouvements de la mâchoire inférieure soient bons, et que les muscles

masétériens et temporaux fonctionnent bien, la malade ne peut ni tourner aisé-

ment les aliments dans sa bouche, ni les,porter en arrière. Pour atteindre ce

but, elle refoule les aliments avec ses doigts et, pour boire, elle prend une quan-

Fig. 2.

14 KOLLARITS

tité considérable de liquide à la fois dans sa bouche, et renverse là tête en ar-

rière. Pendant cette manoeuvre, on voit la difficulté avec laquelle elle essaye

d'avaler les liquides. Pourtant assez souvent, une partie des aliments tombe de

sa bouche et encore presque toujours une partie des liquides passe par le nez,

ou tombe dans le larynx provoquant une toux.

L'examen électrique ne démontre pas de changement dans les réactions fa-

radiques et galvaniques. ,

La sensibilité est troublée (Fig. 2). On trouve notamment à la lèvre inférieure

gauche à 0,5 centimètres de la ligne médiane, une petite place d'environ un cen-

timètre et demi de diamètre où l'attouchement léger du pinceau n'est pas perçu.

Cette hypoesthésie s'étend- dans la [même largeur vers la partie interne delà

lèvre et de la gencive jusqu'aux dents. Une hypoesthésie moins étendue se

trouve environ à la même hauteur sur la partie gauche de la lèvre et de la

gencive supérieures. On constate ensuite une hypoesthésie légère de la luette

et de la partie antérieure du voile du palais, tandis que la partie postérieure de

celui-ci et le pharynx ne sont sensibles qu'à une pression assez forte. La langue

est complètement insensible aux impressions tactiles sauf à quelques petites

places de la partie antérieure surtout du côté droit. La sensibilité à la douleur

est bien conservée, la thermo-esthésie présente bien des difficultés à l'examen,

elle ne semble pas être troublée. '

La malade nous affirme qu'elle ne distingue pas le goût des substances

qu'elle ingère et en effet on peut toucher toute sa langue avec une solution

concentrée de sucre, de sel, de sulfate de quinine ou avec du vinaigre, sans

qu'elle puisse en distinguer le goût. Cet examen a été pratiqué également en

lui faisant prendre dans la bouche une quantité assez considérable de ces solu-

tions, elle distinguait parfois un goût aigre ou doux, mais elle ne reconnais-

sait pas les liquides amers ou salés.

Le contact de la luette ne produit pas le mouvement réflexe du voile du pa-

lais, il faut une excitation forte de la partie postérieure de la langue pour obte-

nir la déglutition. Le sens tactile de la muqueuse du nez est normal, mais

l'odorat est totalement aboli.

Pas de trouble du côté de l'ouïe. Les réflexes rotuliens et cutanés sont nor-

maux, il n'y a pas de trouble de la sensibilité, ni de la motilité dans les autres

parties du corps.

Pendant les deux mois, qu'elle a passés dans le service, le courant faradique

et les exercices méthodiques de langue et de prononciation des syllabes n'ame-

nèrent qu'une légère amélioration.

En résumant et en analysant les troubles que nous avons décrits, nous trou-

vons que la jeune fille était atteinte à l'âge de 5 ans d'une maladie fébrile, qui

dura trois semaines et fut accompagnée de perte de connaissance. Pendant ce

temps s'est développé un syndrome bulbaire, qui resta ensuite stable et dont le

symptôme le plus remarquable est la difficulté de la déglutition et de la phona-

nation. '

La participation des nerfs crâniens dans ce cas est la suivante :

L'abaissement de la paupière gauche supérieure, c'est-à-dire la faiblesse de

UN CAS DE PARALYSIE BULBAIRE AIGUË CHEZ UNE ENFANT 15

l'élévateur de la paupière démontre que l'oculo-moteur commun gauche est en

partie touché.

L'hypoesthésie de la partie gauche de la lèvre et de la gencive supérieures

doit être mise sur le compte d'une lésion de la deuxième branche du trijumeau

gauche, celle de la partie gauche de la gencive inférieure est la conséquence

d'une lésion de la troisième branche gauche du trijumeau, la perte du goût

' de la partie antérieure de la langue est en correspondance avec la lésion de la

1 troisième branche du trijumeau gauche et droit.

L'abaissement de la paupière inférieure -gauche, la parésie des lèvres et

' de l'angle gauche de la bouche prouve que le facial est touché à droite et à

gauche.

La perte des sens tactile et gustatif du fond de la langue provient d'un trou-

ble dans le domaine du glosso-pharyngien.

L'anesthésie de la gorge et du voile du palais dépend d'un trouble des fonc-

tions du glosso-pharyngien et du nerf vague.

Le nerf accessoire également touché contribue en partie à la difficulté de la

déglutition.

Le nerf hypoglosse est complètement paralysé, la langue est aplatie, elle reste

inerte sur le plancher de la bouche.

Les nerfs optique, trochléaires, oculomoteurs externes et acoustiques ne sont

pas intéressés dans ce processus morbide.

Après avoir résumé et analysé l'histoire de notre malade, il nous reste

à chercher le diagnostic et l'explication de la maladie.

D'abord on pourrait penser à une paralysie bulbaire classique, mais ce

diagnostic de paralysie bulbaire de Duchenne (de Boulogne) est facile à

écarter, l'âge de la malade, l'évolution brusque, l'arrêt du développement

de la maladie, le manque d'atrophie musculaire, de contractions fibril-

laires et de réaction de dégénérescence ne nous permet pas de penser à

cette espèce morbide.

; Le diagnostic d'une paralysie pseudo-bulbaire doit être réfuté de même.

Celle-ci évolue en plusieurs attaques apoplectiformes à la suite desquelles

les membres eux-mêmes sont atteints, en outre les fonctions psychiques

sont troublées. La gêne de la parole, la paralysie de la langue, la diffi-

culté de la déglutition sans atrophie, ni réaction de dégénérescence, la

participation des nerfs crâniens rapprochent notre cas de ce syndrome,

mais la différence de l'évolution et de l'étiologie les sépare ; nous ne pour-

rions donc le ranger dans ce cadre nosographique, qu'on connait généra-

lement comme paralysies pseudo-bulbaires.

Nous n'insistons pas longuement sur ce fait, que ni une embolie, ni

même une névrite périphérique ne pourraient être mises en cause. De

16 KOLLARITS

même l'épidémie de diphtérie, qui régnait à l'époque de l'évolution de la

maladie dans le village ne pourrait être sérieusement mise en rapport avec

notre cas ; malgré les renseignements insuffisants, l'on ne saurait confon-

dre les symptômes décrits avec une paralysie postdiphtérique. Ces cas

s'améliorent rapidement et celui de Alaignault, qui eut une durée de vingt

mois est cité comme exceptionnel. "

Il nous faut mentionner encore la paralysie bulbaire asthénique. Cette

maladie d'une symptomatologie énigmatique n'a pas encore trouvé sa

solution étiologique. Selon 1\'1. Jendràssik (1), qui a observé trois cas de

ce genre, une certaine dégénérescence héréditaire semble en être la vraie

cause. On pourrait encore discuter la possibilité d'une auto-intoxication

de l'organisme. Mais les signes cliniques de cette maladie diffèrent tota-

lement de ceux que nous avons vus chez notre malade. Dans ce cas il ne

s'agit pas d'accès d'épuisement variable, mais bien d'une paralysie à

l'état chronique invariable, datant de douze ans.

Les symptômes inaccoutumés, qui rendent difficile la classification de

notre cas, et lui donnent quelque intérêt sont les suivants : .

1° L'évolution brusque ;

2° Le développement dans l'enfance ;

3° Un état stationnaire absolu depuis douze ans ;

4° Troubles du sens tactile à côté des paralysies du mouvement.

Voici des symptômes qui ne peuvent être bien expliqués qu'en suppo-

sant que le début de la maladie correspondait à une inflammation, laquelle

ne dura que peu de jours et occasionna une destruction dans une partie

des éléments moteurs, et sensoriels du système nerveux. Ce n'est qu'en

admettant un processus anatomique arrêté dans son évolution après avoir

détruit certaines régions, qu'on peut comprendre l'arrêt complet d'un dé-

veloppement ultérieur des symptômes de la maladie. La circonstance re-,

latée, que la maladie débuta par un état fébrile, somnolent, plaide égale-

ment en faveur de cette opinion. Comme la^ localisation des symptômes

donne l'aspect plutôt de la paralysiepseudo-bulhaire (absence d'atrophie,

réaction électrique normale), le siège de l'inflammation doit être supposé

supra-nucléaire. Malgré cette symptomatologie, nous n'hésitons pas à re-

jeter l'idée d'une origine corticale des troubles nerveux, cette supposition

serait en effet très invraisemblable à cause de l'absence totale des sympa6-

mes de la part des membres. Ces circonstances mettent hors de doute, que 1

le foyer primordial de la maladie ne doit être recherché dans les noyau :

bulbaires eux-mêmes, mais très près de ceux-ci dans les voies conduis : ) ! ) ! ,

aux centres supérieurs.. ,

(1) A belgyogyaszat kézikoenyve, Vol. 6.

UN CAS DE PARALYSIE BULBAIRE AIGUË CHEZ UNE ENFANT 17

Quant à la nature du processus morbide déjà l'âge du début nous fait

penser la polyencéphalite analogue à la poliomyélite des enfants, et

nous avons à tenir compte aussi de la méningite, laquelle s'étend quel-

quefois sur le bulbe. ,

Parmi les cas de poliomyélite, avec symptômes bulbaires, on n'en

trouve pas de semblable à notre cas. Les observations de Medin (1) à l'oc-

casion d'une épidémie de poliomyélite en 1887 à Stockholm contiennent

17 cas, dans lesquels se trouve signalée une complication de la part du

nerf facial, de l'oculomoteur externe, de l'hypoglosse, ou du vague ; l'au-

topsie a démontré que les noyaux de ces nerfs étaient affectés. Ensuite il

faut noter les cas semblables rapportés par Lamy et par Ganghoffner, ce

dernier a fait l'autopsie ; Dauber (2) a aussi fait une communication rela-

tive au cas d'un enfant de 8 mois et demi dont la maladie commença par

des troubles viscéraux et par la fièvre, le son de la voix s'affaiblissait de

plus en plus et il se produisit ensuite une paralysie des membres, des

muscles du cou et vers la fin de la vie une paralysie] du facial gauche.

La mort a été amenée par la paralysie des muscles respiratoires. Le tra-

vail de Redlich (3) contient une observation concernant un enfant de cinq

mois, cet enfant perdit la voix pendant un accès fébrile, le quatrième

jour ses membres inférieurs, le cinquième, les membres supérieurs n'exé-

cutèrent plus aucun mouvement. La mort fut causée par la paralysie des

muscles respiratoires. L'autopsie démontra outre le tableau connu de la

poliomyélite, que l'inflammation avait atteint la substance grise de bulbe ;

on trouva autour des artères de petits foyers d'inflammation. Le même

travail, fait mention d'un cas de Roger, dans lequel la poliomyélite s'é-

tendit sur le noyau du trijumeau et d'un autre cas de Drexler, qui cons-

tata un processus inflammatoire dans le cerveau d'un chien à côté d'une

poliomyélite. Mais dans aucun de ces cas il n'est pas question de trouble

de la sensibilité.

Les cas qui nous semblent plus rapprochés du nôtre sont les suivants :

La jeune fille de 14 ans dont l'observation est publiée par Hoppe-

Seyler (4), tomba malade à l'âge de 3-4 ans. Elle eut des crampes pendant

8 jours, après lesquelles sa langue perdit sa motilité. Une salivation cons-

tante fut observée. La partie antérieure de la langue s'atrophia, le voile

du palais était aminci, les muscles de la face étaient paralysés, une partie

des aliments passait par le nez. L'excitabilité électrique un peu diminuée

(1) Schmid's Jahrbucher, p. 230, p. 245.

(2) Deutsche Zeitschrift f. Nervenheilkunde. 1893.

(3) Wiener Klin. Wochenschrift, 1894, 287.

(4) Deutsche Zeitschrift sur Nervenheilk., V, II, p. 1S8.

xiv 2

18 KOLLARITS

au début, devint normale plus tard. Outre ces troubles le sens tactile de la

langue était un peu affaibli. Pendant 12 ans aucun changement ne se pro-

duisit. L'auteur conclut à une myélite bulbaire, il cite son cas. comme

une localisation anormale de la poliomyélite aiguë' des enfants. '

Quincke a présenté dans son cours le même cas comme une poliomyé-

lite des noyaux bulbaires, cependant ce diagnostic n'est pas accepté par

Oppenheim (1) à cause de la réaction électrique restée normale.

Brauer (2) mentionne un cas semblable d'un enfant de 11 mois, dont

la maladie débuta par un accès de fièvre et des crampes dans le bras droit.

Après une certaine amélioration des symptômes initiais, il lui resta défi-

nitivement une paralysie symétrique de la langue et des lèvres, avec anar-

thrie et dysphagie, ensuite une hémiparésie droite sans atrophie, sans

contractions fibrillaires et sans réaction de dégénérescence. Le développe-

ment du bras droit fut arrêté. Il n'y avait pas de trouble de la sensibilité.

Cet état persiste pendant 14 ans. L'auteur considère ces symptômes comme

les restes d'une encéphalite aiguë d'une localisation supra-nucléaire.

Les cas de Hoppe-Se) le ! ' et Brauer sont très analogues au mien. Il s'a-

git dans tous ces trois cas des restes d'une inflammation guérie avec perte

de substance. Le manque d'atrophie et de réaction de dégénérescence

prouve, que les noyaux des nerfs crâniens n'étaient pas atteints. Le fait,

que les lèvres et les ailes du nez dans notre cas, la langue et le voile du

palais dans celui de Hoppe-Seyler étaient amincis, ne peut être attribué

à une atrophie dégénéralive à cause de l'absence d'une réaction de dégé-

nérescence. Il s'agit au contraire tout simplement d'un arrêt de dévelop-

pement, c'est une aphasie, comme on la rencontre souvent après l'encé-

phalite des enfants. En outre les troubles de la sensibilité dans notre cas

et dans celui de Hoppe-Seyler prouvent, que le processus morbide avait

dépassé la substance grise et atteint les voix centripètes, soit périphéri-

ques, soit centrales.

Donc, d'une part, l'absence de l'atrophie dégénérative et d'autre part

l'existence des troubles sensitifs prouvent que dans ces cas il ne peut être

question d'un processus analogue à la poliomyélite aiguè des enfants, au

contraire il nous semble très vraisemblable, que dans les cas appartenant

à cette catégorie il s'agit d'une méningite bulbaire aiguë qui ne dure pas

plus de quelques jours, mais provoque des destructions permanentes sur-

tout dans le voisinage des éléments blancs autour des noyaux du bulbe.

()) Kcep/tah'<t ! t ? t Vot/tttae ! spec. Pa/t. M 77wa/)tg.

(1) lincephalilis in Nothnagel spec. Palh, u Thérapie.

(2) Deutche Zeitschrift fùr Nervenheilk., V; 2, p. 416.

HOPITAL SAINT-ANTOINE

(SERVICE DE M. LE Dol GILLES DE LA TOURETTE)

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE

DES

KYSTES PARASITAIRES DU CERVEAU

CAUSÉS PAR LE CYSTIQUE DU TENIA ECHINOCOCCUS

par MM.

MONSSEAUX, de GOTHARD et RICHE.

Lorsque l'on constate chez un malade les divers symptômes qui décèlent

d'ordinaire l'existence d'une tumeur de l'encéphale, les hypothèses de

syphilis, de tuberculose, de cancer s'offrent immédiatement à l'esprit du

clinicien qui cherche à apprécier la nature de la lésion. Il est bien plus

rare que lemédecin pense, au même degré, à la possibilité d'une tumeur de

nature parasitaire et dans les divers ouvrages qui traitent des tumeurs cé-'

rébrales la discussion de ces productions semble loin d'être menée paral-

lèlement à celle des autres causes étiologiques considérées généralement

comme beaucoup plus importantes.

Les tumeurs d'origine parasitaire ne sont cependant pas excep-

tionnelles, ainsi que nous le verrons plus loin, mais leur étude dans les

centres nerveux n'a pas été spécialisée ; leur aspect et leur évolution ana-

tomiques n'ont pas jusqu'à ce jour été précisés d'une façon satisfaisante.

Nous avons eu l'occasion d'observer un cas de kyste parasitaire du cer-

veau, causé par le ténia echinococcus dans le service de M. leur Gilles de

la Tourette, à l'hôpital Saint-Antoine, et nous apportons à ce propos, avec

l'observation anatomique du parasite lui-même et de la substance nerveuse

où il s'est développé, quelques considérations étiologiques et symptoma-

tiques qui semblent pouvoir être utiles au diagnostic, au pronostic et au

traitement de ces localisations larvaires du ténia echinocoque.

Observation.

R.... (Antoine), 69 ans, journalier, reçu salle Axenfeld,n° 24,tue 5 mars 1899.

Le malade est apporté dans le coma pendant la soirée, et c'est dans cet état

qu'on le trouve au moment de la visite du lendemain, la face est congestionnée,

violacée, la respiration stertoreuse; il n'y a pas d'hémiplégie apparente, la tem-

20 MONSSEAUX, DE GOTIIARD ET RICIIE

pérature est à 39°5 quelques heures après son entrée, le malade succombe sans

avoir repris connaissance.... 1

Un de ses camarades d'atelier, raconte, dans l'après-midi, que depuis quel-

ques années, R.... était sujet à des attaques convulsives suivies de coma que

l'on attribuait à des excès de boisson; plusieurs fois il aurait été apporté à

l'hôpital dans ces conditions, il en sortait rétabli quelques jours après ; c'est là

que ses camarades venaient le chercher directement lorsqu'ils ne le voyaient

pas à son travail.

A l'autopsie, la calotte crânienne enlevée, le cerveau ne présente pas de dé-

formation apparente, mais au moment de l'incision de la dure-mère, une po-

che se rompt faisant éclater la coque de substance cérébrale qui l'entoure et

laissant échapper un liquide clair ; on constate alors qu'il s'agit d'une vésicule

hydatique totalement incluse dans l'hémisphère droit présentant la consistance

et la couleur ordinaires; la paroi de la loge que s'était creusée le parasite est

entièrement lisse et unie. Le volume de la tumeur est environ celle d'un oeuf

de poule. La cavité s'étend dans le sens antéro-postérieur depuis la circonvo-

lution frontale ascendante jusqu'à la 2* circonvolution pariétale et y compris

celle-ci jusqu'au commencement du pli courbe ; dans le sens vertical la poche

va depuis le gyrus supra-marginalis presque jusqu'à la première temporale.

En avant et en bas au niveau de la première pariétale, la substance grise est

refoulée et n'a plus qu'une épaisseur de 3 millimètres. La deuxième pariétale

est très réduite de volume. La tumeur s'avance en bas vers la scissure de Syl-

vius dont elle n'est plus séparée que par un centimètre. En arrière la scissure

est à 1/2 centimètre de la cavité. La face profonde du kyste confine au ven-

tricule latéral et n'en est séparée en haut que par 3 millimètres, en bas par un

centimètre.

L'examen microscopique a permis de constater la présence de parasites.lldhé-

rents à la cavité du kyste ; et, collés aux parois de la loge creusée dans le cer-

veau, nous avons trouvé plusieurs échinocoques (1) dans les débris d'une vési-

cule proligère rompue. Des coupes passant en différents points de ces organismes

ont permis d'étudier leur structure. Un des parasites coupé longitudinalement

peut être considéré dans son entier : il est compris dans une membrane homogène

adhérente par un pédicule à ce qui reste de la vésicule proligère ; cette mem-

brane limite une masse de substance granuleuse,-ovoïde, longue de 111 l., large

de 77 li., dans laquelle se trouve invaginée la tête du parasite présentant une

couronne de crochets ; celle-ci est située près du pédicule d'implantation sur

la vésicule proligère ; un canal par lequel doit se faire l'évagination de la tête

s'étend de celle-ci jusqu'au pôle opposé (PI. I).

A côté du premier animal, des coupes transversales d'autres parasites mon-

trent la substance granuleuse disposée autour d'une cavité en forme de V ; une

troisième forme de parasite présente seulement la tête de forme sphérique avec

une seule ventouse et des restes de la double couronne de crochets.

(1) M. le Dr Blanchard a bien voulu examiner les parasites et nous aider pour leur dé-

termination. Il a mis à notre disposition les importants renseignements bibliographi-

ques réunis dans son laboratoire.

Nouv. Iconographie DE la SALl'ÊTRILRE T. 11 . hI. 1

KYSTES PARASITAIRES DU CERVEAU

causes par le cystique du Ténia cchinococcus.

( ? 1111\\1'1111'- Ill' r ? )¡]Jdv¡1 pt '\> ? )

KYSTES parasitaires DU cerveau 2t 1

L'examen microscopique de la substance cérébrale au voisinage du kyste ne

nous a pas montré d'altération appréciable des tubes nerveux colorés par la

méthode de Weigert-Pal.

Au point de vue cellulaire, on trouve dans les cellules pyramidales deux

types pathologiques très tranchés et qui dans leur disposition se montrent net-

tement séparés l'un de l'autre. Le premier type est celui que Nissl attribue aux

cellules altérées par un processus prolongé chronique ; le corps cellulaire et les

prolongements sont atrophiés. Ces derniers sont courbés ou contournés sur eux-

mêmes en forme de tire-bouchon ; la coloration au bleu de méthylène est dif-

fuse, le noyau a perdu sa forme ovale ou ronde. Très fortement coloré, il est

rétracté, triangulaire ou polyédrique. Le plus souvent, on ne distingue pas le

nucléole, et lorsqu'il est visible il est petit et fortement teinté (Pl. I).

Il existe une légère prolifération des noyaux névrogliques et on trouve ceux-

ci souvent tuméfiés, ce qui est signalé par Nissl comme un caractère de l'état

pathologique.

Le deuxième type de cellules est celui qui, pour le même auteur, correspond

à une évolution pathologique récente ou aiguë : le corps de l'élément est gros,

de forme sphérique, globuleuse et l'on ne peut distinguer les substances chro-

matiques ou achromatiques ; les prolongements sont pâles, mais on peut les

distinguer ; le noyau est tuméfié, sphérique et peu coloré.

En résumé, on remarque dans ces cas, deux aspects différents des cellules

pyramidales : aspects rapportés généralement à une évolution pathologique

aiguë ou récente ou à un processus ancien ou chronique qui peut-être se succè-

dent l'un il l'autre. Il est logique de penser que les cellules altérées chronique-

ment siègent au point où la compression a été la plus forte.

Quant aux différentes régions de la moelle épinière, nous n'y avons rien

trouvé d'anormal.

Si les cas de kystes à échinocoques du cerveau rapportés dans la science

ne sont pas rares, les observations complètes dans lesquelles le diagnostic

est affirmé par la présence du parasite sont en minorité. Lorsqu'on re-

cherche dans les premiers auteurs qui ont décrit ces productions parasi-

taires, il est difficile souvent de démêler s'il s'agit de kystes dus au ténia

solium ou au ténia echinococcus ; bien plus, beaucoup de statistiques em-

ploient simplement le mot kystes, sans préciser si ces kystes sont d'origine

parasitaire ou consécutifs à d'anciens foyers de nécrobiose comme on en

rencontre assez souvent chez les vieillards.

En 1G54, Panoroli décrit des vésicules remplies de liquide siégeant

dans le cerveau et dont la nature parasitaire ne lui semble pas douteuse ;

après lui, Théodore Kerckring, Wepfer et Guérineau et d'autres auteurs

signalent des hydatides siégeant autour des artères temporales. Lancisi

(1709) rapporte des cas de kystes du cerveau ; Bianchi (1749) signale dans

l'encéphale des vers semblables à ceux du fromage; Rendtor (1822) cite

22 MONSSEAUX, DE GOTHARD ET RICHE

encore des observations de tumeurs kystiques, et depuis cette époque les

observations se multiplient.

Le degré de fréquence des tumeurs parasitaires du cerveau par rapport

à celles de même nature des autres organes n'est pas encore nettement

établi. D. Thomas, sur 2.000 cas de kystes hydatiques de différentes ré-

gions, admet qu'on trouve dans le cerveau une proportion de 4 0/0. Da-

vaine sur 376 cas n'en rencontre que 22 dans le cerveau, Cobbold 16 fois

sur 136 cas, Neisser 68 fois dans 900 cas, Madelung 1 fois sur 196, Fin-

sen d'Islande 4 fois sur 255 cas. Quant à leur fréquence par rapport aux

autres tumeurs cérébrales,-la statistique de Haie White sur 100 cas de

tumeur encéphalique, mentionne 4 kystes (sans préciser leur nature),

celle de Bernhardt 30 kystes hydatiques sur 480 tumeurs, celle d'Allen

Starr 30 kystes sur 300 cas chez des enfants au-dessous de 19 ans, enfin

Park sur 63 interventions intra-crâniennes rencontre 12 kystes.

Mais la plupart du temps, le diagnostic ne semble reposer que sur l'as-

pect macroscopique, et les observations où la présence du parasite lui-

même est signalée sont exceptionnelles.

Sevestre, en 1875, sous le titre de cysticerque de l'encéphale, rapporte

une observation dont nous extrayons le passage suivant : « Cette poche

présente une paroi assez dense, fibreuse, épaisse d'un millimètre environ,

et se trouve remplie par un liquide opalescent, légèrement purulent ; de

plus, cette poche est tapissée à sa face interne par une membrane blan-

che, offrant à l'oeil nu et au microscope tous les caractères des membranes

hydatiques. On trouve en outre dans cette membrane un épaississement

qui, disséqué et examiné au microscope, est reconnu pour un cysticerque

avec ses quatre oscules et sa cour.onne de crochets. »

Dans un autre cas, Grasset trouve 9 petits kystes gélatineux dans cha-

cun desquels on aperçoit par transparence un petit corps blanc mobile,

un peu allongé, inséré par une de ses extrémités sur l'enveloppe exté-

rieure ; à la loupe, on distingue à l'extrémité libre convexe des saillies

latérales un peu bombées (ventouses); au-dessous de cette extrémité est

une partie fortement plissée transversalement, même en dilacérant cette

tête, la comprimant et en augmentant le grossissement pour apercevoir

les crochets, on ne trouve ceux-ci que difficilement ; dans un kyste, ce

sont quelques crochets isolés, complètement détachés; ils ont la garde peu

développée et les deux branches sont à angle très aigu l'une sur l'autre;

sur un autre quelques crochets sortent d'une gangue granuleuse ; enfin

sur un dernier, on trouve une extrémité céphalique entière avec les cou-

ronnes de crochets; seulement ces crochets émergent d'une gangue de

pigment noir. Davaine avait déjà remarqué que les cysticerques cérébraux

étaient souvent le siège d'altérations variées, notamment la pigmentation

KYSTES PARASITAIRES DU CERVEAU 23

du rostre et Grasset insiste aussi sur la difficulté de mettre en évidence

les caractères saillants du parasite, difficulté beaucoup plus grande que

pour les kystes des autres régions.

En 1891, Pierre Janet trouve au microscope sur une hydatide du cer-

veau une petite cupule entourée d'une membrane d'enveloppe, munie

d'un protoplasma granuleux de couleur jaunâtre, et analogue aux oeufs

de certains helminthes. Ducamp, rapportant un cas observé par lui,

écrit : « La poche examinée au microscope présente en deux points de

petits amas opaques granuleux sans crochets. » Metter, d'après une ob-

servation rapportée dans la thèse de Flammarion, a rencontré des cro-

chets. Rabot a trouvé dans un cas une tête d'échinocoque.

Remarquons de suite que,dans plusieurs descriptions, notamment dans

celle de Sevestre, et surtout dans les diverses observations publiées par

les auteurs, il semble exister des confusions entre les différents termes

admis par les naturalistes, entre les diverses dénominations appliquées

aux formes parasitaires. Il nous faut donc, avant tout, préciser quelques

points de ce diagnostic anatomique.

Disons d'abord que pour Davaine, Hahn et Lefèvre et d'autres helmin-

thologistes, le mot échinocoque a un sens restreint : il ne désignerait que

la tête du ténia née par bourgeonnement et le mot hydatide serait le vers

vésiculaire entier analogue au cysticerque. Au contraire pour Blanchard,

la dénomination d'hydatide comprend tout à la fois la vésicule mère et les

têtes de ténia nées par bourgeonnement dans la cavité des vésicules proli-

gères qui dérivent de celles-ci, ainsi hydatide est exactement synonyme de

échinocoque.

Au point de vue de la confusion fréquente des mots cystique et cysti-

cerques, il faut savoir d'autre part que l'on trouve dans, le cerveau tant de

l'hommequedes animaux, en dehors de cas debotriocépbaleadmis par Kûhn

de Saint-Pétersbourg, et d'une observation de ténia inerme publiée par

MM. Dubreuilh et de Nabias (de Bordeaux), discuté d'ailleurs par M. Blan-

chard, des représentants des larves de trois espèces de ténia du 1er groupe

de Villot : Cystiques dont la vésicule procède d1¿ proscolex, c'est-à-dire de

l'embryon hexacanthe qui a subi des phénomènes de mue après sa migration,

et sans qu'il y ait proprement parier de production nouvelle. Ce groupe est

opposé par Villot, à un deuxième dans lequel la vésicule procède d'un bour-

geonnement du pivscolex, c'est-à-dire de l'adjonction d'une partie nouvelle.

Le mot cystique désigne d'une façon générale pour les helminthologistes

des vers vésiculaires, formes de transition des ténias qui s'en distinguent

par l'absence constante d'organes génitaux.

Les trois cystiques que nous trouvons dans l'encéphale portent des

noms différents, le le larve du ténia solium, s'appelle cysticercus ; le

24 MONSSEAUX, DE GOTHARD ET RICHE

2e larve du tenia coenurus, s'appelle coenurus ; le 3e larve du tenia échi-

nococcus, s'appelle échinococcus.

Ce qui caractérise l'état larvaire du tenia échinococcus, est le fait que

de la face interne de la paroi de la vésicule formée à la suite de la transfor-

mation de l'embryon hexacanthe, naissent des vésicules proligères qui

donnent elles-mêmes naissance par bourgeonnement à des têtes multiples..

Ce caractère permet de différencier l'échinocoque du cysticerque (tenia

solium), dans le développement duquel il ne se forme jamais qu'une tête

qui prend naissance à la face externe de la vésicule. La même particularité

permet de distinguer l'échinocoque du coenure qui vit dans le cerveau du

mouton (1) ; ici le bourgeonnement se produit encore à la face externe

de la vésicule mais par plusieurs points à la fois. Cette dernière larve se

rapproche donc de l'échinocoque par la pluralité des têtes et du cysti-

cerque par le lieu où chaque tête prend naissance et l'absence de vésicules

proligères.

L'analogie entre ces états larvaires ne saurait cependant être méconnue,

et si, par son mode de développement, l'échinocoque semble différer tota-

lement des autres cestodes, dans le cerveau, réduit à l'état de vésicule

unique, il se rapproche morphologiquement du cysticerque. L'hydatide

se constitue en effet de la même façon que la vésicule caudale de celui-ci,

par suite de l'hydropisie de l'embryon hexacanthe et si cette hydropisie

chez le cysticerque ne se montre jamais au même degré que chez l'échi-

nocoque, elle ne constitue pas toutefois, à notre avis, une dénomination

distinctive parfaite. Il est donc toujours préférable de citer dans les obser-

vations, le nom de l'animal qui a donné lieu à la formation parasitaire.

L'hydatide que nous avons examinée est comprise dans la substance cé-

rébrale, alors que d'après la majorité des auteurs, ces productions siègent

plus souvent à la surface que dans la profondeur. Morgan, a cependant

relevé sur 40 observations complètes, 10 cas de kystes de cette nature dans

les lobes cérébraux, 8 dans le cervelet, 4 dans les ventricules, 2 dans le

corps calleux, 1 dans la protubérance.

La vésicule était unique dans notre observation, or les cas de vésicules

multiples et pluriloculaires sont en effet plus rares dans le cerveau. Lan-

douzy en a cependant rapporté un exemple : il s'agit ordinairement de

plusieurs parasites qui se sont développés à côté l'un de l'autre. Dans un

cerveau d'enfant Rabot a trouvé 4 kystes dont le plus volumineux pesait

510 grammes. La partie supérieure et postérieure du lobe droit, s'étant

rompue avait laissé échapper 3 vésicules , près de l'aqueduc de Sylvius

il en existait une 4" grosse comme une noix.

(1) Il existe dans la science trois observations de coenure cérébral chez l'homme. La

ira appartient à Zéser, la 2° à Louis, le 3° à Clémenceau. L'exactitude de ces observa-

tions est niée par la plupart des helminthologistes.

KYSTES PARASITAIRES DU CERVEAU 25

Nous pensons que le fait admis parles auteurs qu'il est rare de trouver

dans l'encéphale des hydatides secondaires, pourrait être dû à la gène que

cause au parasite la nécessité de se développer dans une cavité inextensi-

ble comme la boîte crânienne. On sait d'ailleurs que les vésicules filles

étroitement serrées dans un kyste adventif se forment difficilement, ou

même une fois formées se détruisent ; dans ces cas l'échinocoque au lieu

de donner naissance à des vésicules secondaires demeure à l'état d'une

vésicule unique. Dans ces conditions on pensait que le kyste demeurait

stérile et l'absence des têtes constatée par Laennec, lui avait fait donner

par cet auteur le nom d'acéphalocyste ; il croyait que cette forme du pa-

rasite était particulière à l'homme et il la considérait comme constituant

un genre distinct de l'hydatide du boeuf et du mouton dans lesquelles il

avait toujours reconnu La présence de têtes. Son opinion fut généralement

acceptée. Cependant en 1809, IIimly, s'efforça de prouver que l'acéphalo-

cyste est un animal et peut-être, disait-il, le plus simple des animaux. En

1830, KÜhn, de Niederbroon, le rangea parmi les Psychodiaires de Bory

de Saint-Vincent ; dès 1821 Bremser avait cependant montré que les

hydatides de l'homme ne sont pas plus dépourvues de têtes que celles des

animaux ; la preuve de ce fait fut définitivement donnée par les recherches

de Livois. Ainsi le genre acéphalocyste est rentré dans le genre échinococ-

cus comme l'avait établi Rudolphi. L'existence admise d'hydatides stériles

peut d'ailleurs être la conséquence soit du fait qu'à l'ouverture du kyste,

les vésicules proligères et les têtes ont échappé à l'examen, soit de l'évo-

lution encore inachevée du parasite, l'hydatide pouvant croître très lente-

ment et devant attendre une taille assez considérable avant que toute for-

mation céphalique apparaisse.

D'après les auteurs, il est fréquent que des kystes même volumineux

logés dans l'encéphale ne donnent lieu à aucun symptôme. Notre obser-

vationestune nouvellepreuve. Lorsque l'échinocoque manifeste sa présence

il emprunte un ou plusieurs des modes de réaction par lesquels le cerveau

peut manifester sa souffrance, céphalée, vertiges, vomissements, troubles

oculaires, épilepsie Bravais-Jacksonienne, paralysies. Les phénomènes

moteurs, sensitifs, intellectuels se montrent selon la localisation du para-

site.

Odile a divisé l'évolution de ces tumeurs en deux périodes : la première,

est caractérisée par la céphalalgie qui précéderait toujours pour lui les

phénomènes paralytiques ; la deuxième par les paralysies ; d'après cet au-

teur, la céphalée se montre sans localisation précise, s'étendant à toute

la tête. Dans deux observations cependant il vit la douleur siéger principa-

lement à la région occipitale. La durée en est variable ; dans un cas d'Odile,

elle aurait été de trois ans, d'autres fois au contraire les accidents se suc-

26 MONSSEAUX, DE GOTHARD ET RICHE

cèdent rapidement. Dans une observation de estphal, la céphalalgie

n'aurait précédé la paralysie que de deux mois. Les phénomènes para-

lytiques qui caractérisent la 2e période d'évolution du kyste seraient pré-

cédés quelquefois d'une autre période plus ou moins longue d'excitation

dans le domaine des nerfs qui vont être frappés. -

La marche des accidents est ordinairement assez rapide et la durée dé-

passe rarement deux années d'après Guérineau. Cependant si l'on a pas,

comme dans les autres régions, trouvé des observations analogues à celles

de Fiusen (kyste de 16 à 18 ans) ; de Courty (kyste de 35 ans dans la ré-

gion iliaque) ; de Regnard et Budd rapportés par Ililton Fagge (environ

40 ans) ; on a vu des cas d'hydatides du cerveau évoluant en 10 ans (Har-

rington). On observe souvent aussi des rémissions suivies de rechutes,

mais l'affection à une évolution nettement et continuellement progressive.

La mort subite est. fréquente et Szczypiorski cite deux cas de terminai-

son de ce genre de kystes hydatiques du cervelet. La mort doit être attri-

buée soit à la compression occasionnée par le développement de la poche

kystique, soit à la rupture de l'hydatide, ce qui, d'après Brouardel, serait

rare étant donnée la protection que la boîte crânienne oppose aux trau-

matismes.

Cette rupture peut occasionner des symptômes spéciaux d'intoxication

causés par l'absorption du liquide de la poche et analogues à ceux décrits

lors de la rupture des kystes des autres organes. C'est ainsi que Szczy-

piorski parle d'une éruption dans un cas d'hydatide du cerveau. Gries-

nard signale une éruption qu'il rattache à la scarlatine pendant l'évolution

d'un kyste du crâne. Rabot relatant un cas de kyste du cerveau parle d'une

éruption indéterminée, son malade avait eu déjà la rougeole. On sait que

l'intoxication par le liquide hyda tique se manifeste par une simple érup-

tion ortiée, une syncope, des accidents choréiformes, quelquefois la mort

subite. L'urticaire qui suit les ponctions apparaît quelques minutes après

l'opération (Debove), rarement après deux ou trois jours. L'éruption peut t

être localisée à un côté du corps (Dieulafoy), à une région, face, cou, bras,

hypochondres (Thomas et Graham) ou généralisée. Elle est franchement

ortiée ou revêt les caractères d'un érythème diffus ou scarlatiniforme,

(Durham), sans démangeaisons, du pytiriasis (Thompson), d'une roséole

(James). Achard rapporte plusieurs cas où la mort suivit une ponction,

ou un traumatisme ayant occasionné la rupture du kyste. L'éruption

n'apparaîtrait qu'après la première ponction et ne se montrerait plus après

les autres, il se produirait ainsi une sorte d'immunité temporaire. Doyen

et Besnier insistent sur le fait que l'apparition de l'urticaire indique la

résorption d'une certaine quantité de liquide et doit mettre le médecin en

éveil pour parer à une intoxication éventuelle plus grave.

KYSTES PARASITAIRES DU CERVEAU 27

Clémenceau a cité un cas unique dans la science de guérison spontanée

par ouverture du kyste au dehors après usure de la paroi osseuse du crâne.

On a vu aussi des hydatiques se vider par l'orbite et par les fosses na-

sales.

Il paraît exceptionnel que les hydatides cérébrales puissent se manifes-

ter par des symptômes physiques. Cependant en dehors de ceux qui peu-

vent accompagner la perforation des parois du crâne, Ribot se rappelle que

la main appliquée pendant la vie sur la paroi-crânienne d'un enfant mort

de kvste hydatique du cerveau percevait, lorsqu'on faisait parler le malade,

une augmentation des vibrations céphaliques. Ce signe pourrait, d'après

lui, servir pour établir le diagnostic de cas analogues, il propose d'aus-

culter la tête et espère que l'oreille appliquée contre la paroi osseuse per-

cevra une sensation analogue au frémissement que l'hydatide provoque

quelqu efois

Parmi les tumeurs cérébrales, il n'en est pas dont le diagnostic positif f

soit plus difficile que celui des kystes parasitaires. Il n'est pas rare, avons-

nous dit, d'en observer d'assez volumineux, logés dans la substance même

du cerveau laissant celui-ci intact et ne donnant lieu à aucun symptôme

morbide ; à plus forte raison dans les cas plus fréquents de parasites res-

tant de taille exiguë. Aussi est-ce souvent sur des individus morts d'affec-

tions complètement étrangères à ces tumeurs qu'on a constaté des hydatides

même volumineuses ou multiples. Letulle, chez un malade mort de fiè-

vre typhoïde, a trouvé un kyste du volume d'une petite noix logé dans

l'épaisseur de la substance sous-jacente à la circonvolution pariétale infé-

rieure, et n'ayant donné lieu à aucun phénomène important. Piazza Mar-

tini a rencontré 7 vésicules hydatides du volume d ! un pois, 4 dans l'hé-

misphère droit et 3 dans le gauche n'ayant amené pendant la vie aucun

phénomène morbide. Grasset, cite un cas analogue. Sur 56 cas d'hydati-

des du cerveau signalés dans la thèse de Clémenceau, 20 fois les parasites

ont été constatés sur des individus qui ont succombé à des lésions très di-

verses. C'est dans 36 cas seulement que la mort a été réellement due à

l'existence de la tumeur parasitaire ; tout porte à croire, il estvrai, que ces

20 individus en question auraient succombé probablement plus tard con-

sécutivement à la marche progressive des tumeurs logées dans la boîte

crânienne.

Le diagnostic différentiel ne peut d'autre part s'appuyer le plus sou-

vent sur la constatation de lésions de même nature, en d'autres points de

l'organisme; d'après les observations il serait en effet rare de trouver, con-

jointement avec des hydatides de cerveau, des hydatides dans d'autres or-

ganes et Kuchenmeister sur 88 cas d'hydatides du cerveau n'en a trouvé

que 11 fois dans d'autres régions du corps.

28 MONSSEAUX, DE GOTIIARD ET RICHE

La difficulté qu'apporte à l'établissement d'un diagnostic l'absence de

symptôme ou tout au moins le manque de signes caractéristiques, donne

une importance toute spéciale à la connaissance des notions étiologiques

que nous possédons sur la répartition géographique, le mode de transmis-

sion et les conditions les plus favorables au développement et à la dissé-

mination du parasite. -

En France, les hydatides chez l'homme sont assez fréquentes et d'après

Leudet il y en aurait plus de cas à Rouen qu'à Paris (46 fois sur 280 au-

topsies). Plus rares en Belgique et en Suisse, l'échinocoque semble au

contraire plus commun en Allemagne. D'après les statistiques de quel-

ques médecins Mecklembourgeois, c'est dans cette province que la maladie

hydatique serait le plus fréquemment observée. Le nord de l'Allemagne

est plus infesté que le reste de l'empire. Les kystes à échinocoque sont

rares en Autriche, plus rares encore en Norvège. En Angleterre, Cobbold

prétend que chaque année plus de 400 personnes meurent d'hydatide.

La maladie serait moins fréquente en Amérique et dans l'Inde. C'est en

Islande et en Australie que les cas de kyste de cette nature développés

dans les divers organes de l'homme ont été le plus fréquemment rappor-

tés par les auteurs, la mortalité de ce fait serait de 6 p. 100 en Islande,

et plus élevée encore en Australie.

L'influence de l'age et du sexe sur le développement du parasite n'est

pas bien déterminée ; cependant l'infestation serait rare chez les enfants.

Il peut néanmoins exister des échinocoques dès la naissance, car d'après

Boherie, l'embryon peut passer à travers le placenta et l'utérus. Pour

Finsen, c'est de 28 à 45 ans ; et pour Halle White de 19 à 27 ans qu'il est

le plus commun de trouver le parasite chez l'homme.

D'après les statistiques allemandes, le développement de l'échinocoque

serait plus fréquent chez la femme. Krummacher sur 86 malades l'a ob- i

servé 41 fois chez l'homme et 45 fois chez la femme. Finsen sur 255 cas,

l'a trouvé 74 fois chez l'homme et 181 fois chez la femme. Neisser sur

358 observations en a 148 chez l'homme et 210 chez la femme. D'après

Thomas, en Australie, la femme serait moins atteinte que l'homme, mais

il ajoute que ce sont les hommes qui sont employés aux soins des ani- !

maux et dans les mines où l'eau est rare et fréquemment injectée. D'après

lui les femmes qui vivent plus renfermées chez elles sont plus sujettes à

l'infestation. 1

L'influence d'un milieu favorable à la contamination s'affirme en Is-

lande et d'après Budd, les marins sont moins exposés que les aricul-;

leurs; les individus pauvres et mal soignés sont plus fréquemment infes-

tés. L'échinocoque étant la larve d'un ténia du chien, il est évident qu'il

se développera surtout chez les individus qui -vivent le plus en contai

KYSTES PARASITAIRES DU CERVEAU 29

avec cet animal. D'autre part la migration du ténia se faisant du mouton

au chien, la maladie sera plus fréquente chez ceux qui vivent dans la

compagnie des chiens de berger et d'abattoirs ; plus commune dans la cam-

pagne que dans la ville et plus répandue dans les pays d'élevage. C'est

ainsi qu'en Islande il y a un chien par 4 habitants et le ténia existe sur

28 chiens pour 100, d'après Krabbe. En Australie, 43 chiens pour 100

sont atteints du ténia. En France le parasite est plus rare chez cet animal

et Blanchard qui a fait de nombreuses autopsies de chien ne l'a jamais

rencontré. En Danemark Krabbe ne l'a vu que deux fois sur 500 chiens.

La transmission a lieu du chien à l'homme par l'absorption des oeufs

fécondés qui pénètrent par l'alimentation avec les boissons ou les légumes

absorbés crus ou mal cuits; les poussières peuvent enfin en contenir.

Danlos et Kirmisson pensent qu'une hyperémie et un épanchement

traumatique contribuent à fixer l'embryon hexacanthe et créent un milieu

propice à son développement, de même, pour Cachereau, toute congestion

locale quelle qu'en soit la cause, amènerait ce résultat. Les états hémor-

rhoïdaires, le flux se supprimant, peuvent contribuer à augmenter l'état

congestif de la région déjà irritée par la présence du parasite qui agit lui-

même comme corps étranger. Graham cite un cas de ce genre. Les trau-

matismes de la tête peuvent logiquement favoriser le développement du

ténia par la production de stases. Danlos et Livois rapportent un certain

nombre de kystes hydatiques du cerveau dont l'évolution semble consé-

cutive à un traumatisme ; Babinski et Vulpian ont pour des cas d'hydati-

des cérébrales observé des faits analogues.

D'après ce que nous savons de la transmission du parasite de certains

animaux à l'homme et des conditions particulières qui entretiennent la

multiplication (le cette espèce de ténia, il faut conclure à l'utilité de quel-

ques soins à prendre par les personnes en contact journalier avec les

chiens ; les bergers par exemple. Ces moyens prophylactiques consistent

d'abord dans les lavages minutieux des salades et des légumes consommés

verts ou peu cuits, puis dans certaines précautions dans les rapports ha-

bituels avec les animaux et la tenue des chenils. D'après Cobbold il suffi-

rait de l'addition d'une petite quantité d'alcool à l'eau souillée pour ren-

dre le parasite inoffensif.

Comme traitement curateur on administre plusieurs substances médi-

camenteuses. Lebert donnait du calomel ; Desnos de l'iodure de potassium

avec lequel on a constaté souvent une certaine amélioration. On a em-

ployé de même le Cousso et la teinture de Kamala.

Les kystes hydatiques rentrant d'une part dans le groupe des tumeurs

bien limitées et facilement énucléables, n'amenant d'autre part que tar-

divement des lésions du tissu cérébral sont justiciables de la trépanation

30 . MONSSEAUX, DE GOTHARD ET RICHE

curative. Auvray, dans sa thèse,rapporte 16 cas d'ouverture du crâne pour

kyste hydatique du cerveau, il y eut 9 morts et 7 guérisons ou amende-

ment notable des symptômes. D'après Flammarion, la trépanation explo-

ratrice est indiquée dans les cas diagnostiqués : méningite tuberculeuse,

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V. CIPOIIALI. Echinococco de cervello gan, degli hospitali, II, 1881.

Issekuiy. - Echinococcus retrobulbaris Szenzés : ,et, ne 2, 1890.

llOPlT,1 L AN DlI¿IL

(SERVICE DE M. LE D' MATHIEU).

UN CAS DE LADRERIE CÉRÉBRALE

PAR MM.

LÉOPOLD LÉVI ET LOUIS LEMAIRE

Ancien interne lauréat des hôpitaux Externe des hôpitaux

Les cas de ladrerie cérébrale, tout en n'étant pas exceptionnels, ne sont

pas si fréquents qu'une nouvelle observation ne puisse fournir à cette

question quelques renseignements particuliers. C'est à ce titre que nous

publions le cas suivant observé dans le service de notre excellent maître,

le D' Mathieu, à l'hôpital Andral.

Il s'agit d'une jeune fille de 17 ans, originaire de la Savoie, où elle travaillait

la terre, qui vint à Paris en 1899 pour se placer comme domestique. L'année

précédente elle avait été gravement malade, elle avait failli mourir, mais ne

peut fournir d'autre renseignement à ce sujet. ,

A son arrivée à Paris, elle souffrait de la tête. Elle prit une place de domes-

tique, mais ne la garda point, étant trop mal nourrie. Elle vint alors demeurer 1

chez sa tante, et se plaignit de céphalée violente. A cause de ce symptôme, sa 1

tante la fit entrer à l'hôpital Andral, dans le courant de décembre 1899.

A notre premier examen, la violence de la céphalée est telle que nous por-

tons d'emblée le diagnostic de néoplasme cérébral. Elle est cependant nomenta-

nément soulagée par unstypage au chlorure de méthyle et un lavement d'an- 1

tipyrine et de bromure de potassium, à la dose de 5 grammes par médicament.

La céphalée réapparait diurne et nocturne, opiniâtre, sans localisation formelle. l,

C'est le seul signe qui existe. Bientôt s'y joint la somnolence. La malade se I

trouve constamment endormie au moment de la visite. Jamais elle n'éprouve

d'autre phénomène, elle n'a ni vomissements, ni épilepsie jacksonienne, ni

trouble de la vue. Une cure de frictions mercurielles et d'iodure de potassium 1 :

est tentée sans résultat. Les douleurs de tête deviennent si violentes qu'elles nous (

conduisent il employer la morphine, en ingestion, par petites doses. Dans les'

premiers jours de février, la malade est prise pendant la nuit de délire avec,. r

hallucinations visuelles qui se prolonge le jour suivant.Elle voit des serpents.)

Il nous semble qu'il existe une légère parésie du droit supérieur droit, ce J

symptôme n'est d'ailleurs pas persistant. Il fut, d'ailleurs, suffisamment léger ? '.

pour que nous puissions mettre en doute son existence. r

UN CAS DE LADRERIE CÉRÉBRALE 33

Dans la pensée que les phénomènes délirants se rapportaient peut-être à

l'intoxication morphinique, nous suspendons le médicament.

Le lendemain de la crise délirante, la maladie entre dans une phase d

rémission : la somnolence semble disparue, la céphalée n'existe plus. La tant

de la malade, que nous avions prévenue, dès le début, de la gravité du cas

croyant l'enfant guérie, voulut lui faire regagner la Savoie. Nous la décidon

à la laisser encore en traitement.

Le 13 février, vers 6 heures du matin, la céphalée reparaît ; elle pousse de»

cris. Nous sommes amenés de nouveau à lui donner du chlorhydrate de mor-

phine (2 à 4 centigrammes par jour) par ingestion.

Le 15, elle se plaint de douleurs à la nuque, elle est prise d'un vomissement

s'accompagnant d'effort.

Le 16, elle meurt subitement pendant la visite.

L'autopsie révèle une congestion intense, violacée des poumons, sans tuber-

cule, ni production néoplasique.

Le coeur n'est le siège d'aucune lésion valvulaire. Les cavités droites ne

renferment pas de caillot.

Les reins, le foie, la rate sont le siège d'une vive congestion. Dans l'intestin

on compte 46 ascarides.

Le cerveau présente disséminées au niveau des deux hémisphères, sans pré-

dominance en un lobe, des petites masses jaunâtres du volume d'un grain de

mil à celui d'un petit pois, dures au toucher, saillantes, arrondies, allongées

ou de forme irrégulière, kystiques à la coupe, ou formant de petites masses

simulant de petits tubercules ca-

séeux. La pie-mère n'est épaissie en

aucun endroit.

Le cerveau est mis à durcir dans

une solution de formol à 10 pour

100. Au bout de quelques jours,

nous étudions le cerveau de plus

près et pratiquons quelques coupes.

Les néoplasies sont très nom-

breuses dans toute l'étendue de

l'hémisphère gauche. Elles siègent

presque exclusivement dans la sub-

stance grise où elles viennent af-

fleurer la pie-mère,ou dans l'inter-

valle de deux circonvolutions. Elles

sont généralement isolées, entou-

rées d'une paroi limitée. Les kystes

forment une légère saillie appré-

ciable au doigt et an toucher

(Fig. 1). Z)

sur les t5 coupes transversales pratiquées au niveau de l'hémisphère gauche,

nous comptons 138 kystes. En partageant en deux une des premières tranches,

, 3

Fig. 1. - Répartition des kystes sur une

coupe du lobe frontal.

34 LÉVI ET LEMAIRE

nous comptons 12 nouveaux kystes. Il eu résulte qu'en doublant toutes les

coupes, nous pourrions compter un nombre bien plus considérable de tumeurs.

Nous croyons donc être au-dessous de la vérité, en estimant à 400 environ le

nombre de cysticerques contenus dans l'encéphale.

Comme localisations particulières, signalons des kystes disséminés, au ni-

veau des noyaux gris centraux, dans l'hémisphère droit, tant dans le putamen

qu'au niveau du noyau caudé et de la couche optique. Il en existe trois dans la

protubérance, et deux au niveau du pédoncule cérébral gauche (Fig. 2).

Les aspects sous lesquels se présentent les néoplasies peuvent se ramènera

deux. -

Le moins fréquemment, elles prennent l'apparence d'une masse caséeuse,

de coloration blanc jaunâtre, se distinguant nettement des tissus environnants

par son opacité. L'énucléation de ces masses est beaucoup plus difficile, elles

ne se laissent pas enlever, sans déchirer une partie du tissu voisin. Il s'agit de

cysticerque mort, dégénéré. a

Aucun kyste n'est diffluent, ni purulent.

Le deuxième aspect est le plus habituel. Les tumeurs sont faciles à énucléer, 1

appendues chacune à une artériole. Parfois la même artériole en présente plu-

sieurs, insérées en des points très voisins (Fig. 3). On trouve la forme en hal- i

tère (Bitot et Sabrazès) caractérisée par des vésicules appendues Tune en face ;

de l'autre le long d'une branche artérielle. Les vésicules sont transparentes à la 1

surface du cerveau et sur une coupe qui leur est tangentielle où elles se lais-

sent deviner par une légère teinte bleuâtre opalescente. Si on pratique une

coupe d'une de ces tumeurs on trouve une coque fibreuse, contre laquelle se

trouve accolée une seconde membraue, paroi vésiculaire, qui renferme un

liquide clair contenu sous une certaine tension (vésicule hydropique). A l'oeil

nu, on aperçoit un petit embryon piriforme, ombiliqué, qui se continue avec la

membrane qui tapisse l'intérieur du kyste. On peut séparer à la pince l'em-

bryon avec sa membrane propre et le kyste adventice.

Quand on examine à la loupe, on retrouve la forme piriforme de l'embryon. 1

C'est la tête d'un futur toenia,le scolex, qui est invaginé dans un « recessus ses- ¡

lecis ». Le sommet seul dépasse, et un petit point noir indique la couronne de 1

crochets. Il mesure environ un demi-millimètre de long. III.

Fig. 2. Kystes de la protu-

bérance.

Fig. 3. - Deux cysticerques

appendus à une artériole.

UN CAS DE LADRERIE CÉRÉBRALE 35

En le comprimant entre deux lames, on fait sortir le scolex, qui se présente

alors sous son aspect caractéristique : une couronne de 28 à 30 crochets, grands

et petits, simulant une disposition sur deux rangs, de 150 pde longueur, et

quatre ventouses symétriquement disposées.

A cette tête fait suite une partie rétrécie, le cou qui l'unit au reste de la vé-

sicule. Il s'agit du cysticercus cellulosce, de la forme larvée du oetu'a solium.

M. le Professeur Blanchard, à qui nous avons soumis coupes et préparations,

a confirmé formellement notre opinion. Les coupes montrent de même l'em-

bryon se continuant avec la membrane propre vésiculaire par la tête invaginée

dans le recessus scolecis, en un mot l'aspect classique décrit par Moniez dans sa

monographie sur les cysticerques.

La membrane propre est enkystée, à mailles larges (Fig. 4).

La paroi du kyste est fibreuse, plus jeune à la périphérie, dans le voisinage

du cerveau où elle est très riche en cellules et renferme de nombreux vaisseaux

capillaires. Elle devient ensuite plus âgée, renferme surtout des fibres. De nom-

breuses cellules conjonctives et des vaisseaux embryonnaires se retrouvent de

nouveau au voisinage de la membrane propre.

En résumé, notre cas concerne une jeune fille de 17 ans chez qui a évo-

lué une ladrerie du cerveau caractérisée par de la céphalée, de la somno-

lence et qui a occasionné la mort subite. L'encéphale contenait environ

quatre cents cysticerques de toenia solium.

Fig. 4. - Coupe d'un kysle : 1. Cavité du kyste ; - 2. Tète du toenia; 3. Ventou-

ses coupées obliquement ; - 4. Coupe de quelques crochets : - 5. Recessus scole-

cis ; - fi. Membrane propre du toenia; 1. Tissu cérébral organisé autour du

toenia ; - 8. Vaisseaux.

36 LÉVI ET LEMAIRE

II

La connaissance de la cysticercose cérébrale est très ancienne. Déjà en

1558, Rummler, puis Panarolus (1650) trouvèrent des cysticerques dans

les méninges d'épileptiques. Maisce ne fut qu'au milieu de ce siècle que,

grâce aux travaux de Leuckart, on admit l'identité du toenia solium et

du cysticercus cellulosse (ainsi appelé par Rudolphi). Le cysticerque est

la forme enkystée de l'embryon du toenia.

Notre observation est conforme à la règle, en ce qui concerne le siège

des cysticerques dans les centres nerveux. C'est là qu'on les rencon-

tre le plus souvent. Dans les statistiques des hôpitaux d'Erlangen et de

Dresde, sur 34 cas, 21 fois ils se rencontraient dans le cerveau. Sur 72 ob-

servations réunies par Dressel, 66 fois le cysticerque existait dans le cer-

veau à l'exclusion de tout autre organe (1866). Plus tard Kuchenmeister

réunit 88 cas de cysticerques cérébraux. Bastrocchi, Clémenceau (th.Paris,

1870),Joire, Fredet, Bonhomme réunirent de nouveaux faits. Gabory dans

sa thèse (Paris, 1897) a donné 17 observations nouvelles (Troisier, Lance-

reaux, Bitot et Sabrazès, etc.). 1

Si l'on étudie ces observations, on voit que les cysticerques sont géné- 1

ralement en petit nombre dans le cerveau : 15 dans l'observation de Troi-

sier. Par contre, dans l'observation de Bonhomme, il y avait 111 parasi-

tes, dont 22 dans les méninges et 89 dans les centres. Dans le cas qui

s'est offert à notre étude, le nombre des cysticerques est bien plus consi- ,

dérable, puisque,sur un seul hémisphère, en ne pratiquant que 8 coupes z

parallèles, nous avons pu en compter 138 et que l'encéphale en contenait

400 approximativement.

Nous les avons trouvés répartis dans l'encéphale. Mais conformément ;

à la remarque de Moniez, dans sa monographie (Th. 1880) que le siège

de prédilection des cysticerques est la partie périphérique des hémisphè-

res du cerveau, nos kystes, à de très rares exceptions près, étaient i

disséminés dans la substance grise du cerveau. C'est là un fai qu'on trouve ¡

absolument concordant dans toutes les statistiques et qu'on peut opposer

à ce qui se produit pour les échinocoques. Ceux-ci se développent toujours,

dans les parties centrales du cerveau.

Quant aux rapports,avec les vaisseaux, de ces kystes, ils peuvent se trou- (

ver groupés deux par deux sur les artères sylviennes à la façon des l'

haltères ; nous avons de même signalé dans notre cas que les kystes étaient

appendus soit par unité, soit par deux ou davantage aux parois vascit-

laires.

En dehors du cerveau, quelques parasites se sont trouvés chez notre

malade dans la protubérance, et dans le pédoncule. i

UN CAS DE LADRERIE CÉRÉBRALE 37

Une question fort intéressante qui se pose à propos de tous les cas, et

qui mériterait d'être tranchée dans l'espèce, est le mode d'infestation de

l'organisme et de la pénétration des parasites dans le cerveau.

Il est des notions établies. Il faut que les oeufs du tænia pénètrent par

le tube digestif, et dans ce cas il y a, soit auto-infestation de la part d'un

sujet porteur d'un toenia, soit pénétration, par l'intermédiaire de l'eau,

des poussières, des aliments (végétaux qui ont été au contact de fumier,

cohabitation avec un sujet porteur de ténia). Les oeufs qui pénètrent dans

la cavité stomacale, sont entourés d'une coque chitine *Use qui ne peut être

dissoute que dans le suc gastrique. Si la coque se dissout, l'oeuf se déve-

loppeen un embryon sphérique armé de six crochets (embryon hexacante).

Grâce à leurs crochets, les hexacantes s'insinuent, dit Laboulbène, à la

manière d'un nageur ou d'une personne qui pousse des coudes pour tra-

verser une foule, et arrivent en les perforant dans les petits vaisseaux où

ils sont charriés jusqu'aux organes des diverses parties du corps.

Dans notre observation, nous sommes frappés de la quantité considéra-

ble de kystes qui sont tous venus se constituer dans la substance cérébrale.

Comment expliquer que c'est la substance grise qui est seule le siège de

la cysticercose ? Il nous semble que les cysticerques sont tous arrivés au

cerveau par voie embolique. Un anneau venu de dehors a été sans doute

digéré au niveau de l'estomac, les oeufs du toenia ont été mis en liberté,

leur coque attaquée. Les hexacantes ont pénétré au niveau de la circu-

lation veineuse générale, soit après absorption au niveau de l'intestin,

soit par passage direct dans les chylifères. Une fois dans la circulation gé-

nérale, ils ont suivi la voie ^habituelle des embolies, passé de la petite

circulation dans la grande, et enfin ont été projetés dans le cerveau parla

carotide. Il y a donc eu pénétration par la voiesanguine et formation d'em-

bolies parasitaires. Remarquons qu'habituellement les foyers emboliques

sont, comme ici, corticaux. Ce fait paraît être en rapport avec une dis-

position anatomique. On peut cependant objecter que les échinocoques,

qui arrivent par la même voie, ne se logent que dans les parties centrales

du cerveau. Peut-être l'embryon hexacante du toenia, une fois arrivé dans

le cerveau se meut-il, grâce à ses crochets, et chemine-t-il jusqu'au niveau

de la substance grise, où il trouve un milieu beaucoup plus favorable à

son développement.

Nous n'avons pas à entrer ici dans le détail de l'évolution habituelle des

cysticerques dans le cerveau. '

Constitué d'abord par une simple vésicule à crochets, l'embryon se

fixe, perd ses crochets et commence à s'accroître. Notons que vers le 3e mois

la jeune larve se creuse, devient hydropique, comme nous l'observons ici

dans la plupart des kystes.

38 LÉVI ET LEMAIRE

Le cysticerque constitué est formé alors d'une vésicule remplie d'un

liquide aqueux, dans laquelle s'abrite la tête du futur toenia.

Bientôt l'encéphale réagit et tend à entourer la vésicule d'une barrière

de tissu fibreux qui empêche le futur toenia de se développer. Il mourra

sur place, laissant la capsule rétractée avec un contenu graisseux. Il subit

la dégénérescence granulo-graisseuse (Lancereaux, Grasset) manifeste

dans quelques-uns de nos kystes.

En ce qui concerne la symptomatologie,nous devons insister sur quelques i

faits particuliers. -

Dans notre cas tout d'abord le nombre des symptômes fut très limité.

Tout se résume en somme en céphalée et somnolence.

Il est juste de remarquer qu'il est des exemples assez fréquents où rien

n'avait fait soupçonner pendant la vie l'existence de cysticerques du cerveau

constatés à l'autopsie. Il n'y aurait pas de symptômes dans les 2/3 des cas

de parasitisme cérébral (Clémenceau). ,

Il est néanmoins certains signes qu'on rencontre dans les observations t

d'habitude et qui manquent ici : c'est le vertige, quelquefois même gyratoire

quand des cysticerques siègent au niveau du cervelet ; ce sont les crises

d'accès épileptiforme, d'épilepsie jacksonienne qui ont fait complètement

défaut dans notre observation : il n'y[avait d'ailleurs pas la moindre irri-

tation méningée.

La mort subite qui a mis fin à l'histoire de notre malade, et qui esten

rapport sans doute avec la présence de kystes protubérantiels, se retrouve

dans l'observation de Fredet (1875) où n'existait qu'un cysticerque au ni-

veau de la protubérance. !

Au point de vue de l'évolution,deux remarques sont à faire : Un an avant

son entrée à l'hôpital, A... fit une maladie grave qui faillit l'emporter. Elle

n'a pas fourni de renseignements à cet égard. Est-ce justement en rapport

avec l'invasion des centres par les parasites ?

Il s'est produit en second lieu une période de rémission qui a pu donner

à l'entourage de la malade l'impression de la guérison.Ces rémissions per-

mettent de comprendre la latence absolue dans d'autres cas analogues.

Il y a lieu de signaler encore l'absence de toenia de l'intestin, et la

coexistence d'ascaris lombricoïde, ce qui montre que les conditions dans

lesquelles vivait la malade la prédisposaient au parasitisme de l'appareil !

gastro-intestinal. i

ASILE DE VILLE-EVRARD

(SERVICE DE M. LE Dr SÉRIEUX)

SURDITÉ CORTICALE

AVEC PARALEXIE ET HALLUCINATIONS DE L'OUIE,

DUE A DES

KYSTES HYDATIQUES DU CERVEAU

PAR MM.

PAUL SÉRIEUX ET ROGER MIGNOT,

médecin des asiles d'aliénés de la Seine. interne des asiles d'aliénés de la Seine.

Il s'agit d'un homme de 75 ans qui, frappé pour la première fois, il y

a huit ans, d'une attaque épileptiforme, était depuis deux années sujet à

des crises convulsives périodiques suivies, dans les derniers temps, de

troubles psychiques durant 3 ou 4 jours. Le 30 novembre 1900, survient

un accès épileptiforme à la suite duquel apparaissent les symptômes sui-

vants : surdité totale, excitation maniaque, hallucinations de l'ouïe et de

la vue. Le malade ne présente ni aphasie motrice, ni cécité verbale, ni

paraphasie dans la parole spontanée : la surdité, d'origine corticale, s'ac-

compagne de paralexie, de perte de la compréhension des mots lus et de

troubles de l'écriture.

L'excitation maniaque et les troubles hallucinatoires s'amendent assez

rapidement, mais la surdité corticale persiste sans modification jusqu'à la

mort qui survient trois semaines après la dernière crise. L'autopsie fait

constater la présence dans les hémisphères cérébraux (à l'exclusion de

toute autre région du corps) de plus de vingt hydatides,' dont six dans les

deux lobes temporaux.

Observation (1)

Aum..., 75 ans, ancien garde forestier, entre le 6 décembre 1900 à Ville-

Evrard où son fils était mort quelques années auparavant épileptique.

Bien portantjusqu'en 1892, Aum... a eu à cette date une crise épileptiforme

sans suite fâcheuse. En 1898 une nouvelle crise survint suivie de plusieurs

autres constituées par une perte subite de connaissance, des mouvements con-

vulsifs généralisés, du stertor avec écume aux lèvres et parfois avec relâche-

ment des sphincters. Consécutivement à ces accès qui se reproduisent toutes

(1) Observation communiquée à la Société de neurologie de Paris, séance du 10 jan-

vier 1901.

40 SÉRIEUX ET MIGNOT

les trois ou quatre semaines, on constate de la diminution de la mémoire, de

l'affaiblissement intellectuel et - depuis quelques mois des troubles déli-

rants post-convulsifs, durant deux ou trois jours et caractérisés par des hallu-

cinations terrifiantes de l'ouïe et de la vue, de l'instabilité motrice, de la lo-

quacité, de l'insomnie.

Le 30 novembre 1900 à la suite d'une crise épileptiforme analogue aux pré-

cédentes, le délire éclate, plus bruyant que jamais, mais en outre, apparaît

un nouveau symptôme : le malade est subitement devenu sourd. Quelques

jours après, à son entrée dans le service, nous constatons la surdité et l'exis-

tence d'un état d'excitation maniaque très caractérisé.

Dès le premier examen nous écartons l'hypothèse d'un cas de surdité verbale,

ou de surdité due à l'inattention d'un sujet en proie à un trouble assez accen-

tué des idées. Non seulement le malade ne répond à aucune question, mais il ne

réagit à aucun bruit. La parole spontanée porte l'empreinte de l'excitation ma-

niaque, mais ne permet pas de constater de troubles paraphasiques : « Ce sont

des travaux de huit jours, répète plusieurs fois le malade... c'est pour se défaire

des gens gênants... on m'a tout enlevé... je n'ai plus rien, plus rien, plus

rien... Il faut ensemencer pour récolter... pour récolter, il faut ensemencer

(répété trois fois). Quelle saison sommes-nous ? C'est la fin de l'année, faut

ensemencer... etc. Mon pied est malade, malade, mon pied... Nous sommes

comme le ciel tout n'est plus le même, la terre n'est plus la même chose ; le

temps est changé, nous n'avons plus de saisons, le ciel est dérangé. Aujour-

d'hui tout le monde est malade, moi je suis vieux, mais je tiens encore debout

pour le bien, etc. »

Pendant quelques jours l'excitation persiste : le malade va et vient continuel-

lement, il est turbulent, loquace, gesticule, se livre à une mimique exagérée,

fait des tentatives fréquentes de. danse, manifeste des préoccupations profes-

sionnelles et politiques, des idées de persécution entretenues par des halluci-

nations de l'ouïe : il se croit poursuivi par les Allemands, enfermé en prison et

pense qu'on veut lui extorquer sa signature. Il dort mal et gâte au lit.

Le 12 décembre, l'excitation se calme et un examen plus complet peut être

pratiqué. Nous constatons les symptômes suivants :

Il Surdité corticale : le malade est complètement sourd, pour le son comme

pour les paroles. Il n'obéit à aucun ordre, ne comprend aucune injure bien qu'il

prête attention et approche l'oreille. Il déclare lui-même qu'il est sourd « qu'il

n'entend plus clair ». Après avoir par un geste, par un attouchement, mis son

attention en suspens, on peut derrière ses oreilles frapper un verre de cristal,

battre des mains, sonner d'une cloche à toute volée, approcher un diapason sans

obtenir la moindre réaction prouvant que la sensation est perçue. La perception

osseuse recherchée par le diapason est également abolie, et si on applique la

montre sur les apophyses mastoïdes, sur le vertex, le front, après la lui avoir

montrée, le malade déclare : « Je suis sourd, je n'entends pas ».

2" Absence de paraphasie. - La parole spontanée est à peu près normale. Il

existe seulement de la logorrhée, des répétitions qu'on doit attribuer à l'état

SURDITÉ CORTICALE AVEC PARALEXIE ET HALLUCINATIONS DE L'OUÏE 41

d'excitation mais il n'y a point de symptômes paraphasiques essentiels déno-

tant l'altération du langage intérieur.

Nous avons donné plus haut un spécimen de la parole spontanée. En voici

un autre : « Pauvre France... il n'y en a plus de bons français et dire que

toutes les autres puissances vont se partager la belle France qu'elles regardent

tomber en ruine de jour en jour. »

La dénomination des objets usuels est moins correcte que la parole spontanée,

sans être sérieusement intéressée.

OBJETS montrés au malade. Désignation par LE malade.

un bouton 1/n bouton perdu.

un crayon un crayon pour moi, je ne peux rien faire ! /

une bague Vous voulez me donner une bague ?

un chien caniche un lion... le petit chien niniche.

un cheval un cheval anglais.

un hanneton un oiseau, un cerf.

un chapeau c'est pas une bêle, c'est un poisson.

des fourchettes et des cuillers de la vessellerie.

une montre une montre anglaise.

une bottine une chaussure, une bottine.

une carafe carafe, grande carafe.

l'image d'un enfant habillé en le monsieur a un coucou... chapeau... cas-

soldat guette... on dirait un soldat du génie.

une bicyclette un vélocipède.

une suspension il y a des bêches, il y en a de tout, des choux

choux, celui-là c'est un grand tiou

un violon et son archet. c'est là encore des fleurs avec la bêche, la

faucille.

3° Hallucinations de l'ouïe. Le malade est habituellement - et plusieurs

fois devant nous - sujet à des hallucinations de l'ouïe. Tout d'un coup, par

exemple, il se retourne et dit d'un ton interrogatif « salop ? », puis continuant

avec un accent irrité « salop tant que vous voudrez, etc. ». Ou bien encore

avec les mêmes intonations « une bourse ? ... pas d'argent, je n'en veux pas ».

A diverses reprises il s'interrompt dans ses discours pour déclarer « qu'il y a

quelqu'un qui cause en bas ». Quelques jours plus tard il accusera un certain

malade de le poursuivre d'injures et de menaces.

4° Absence de cécité verbale, mais paralexie avec perle de la compréhen-

sion des mots lus. Aum. ne présente pas de cécité psychique. Il reconnaît bien

ses parents. Présentée à l'envers, l'écriture est mise eu place et le malade

cherche à lire, mais un certain nombre de mots sont déformés : il y a de la

paraphasie à la lecture. De plus les ordres donnés par écrit ne sont pas exé-

cutés : il ne comprend pas les phrases qu'on lui donne à lire, même celles

qu'il lit à peu près correctement. Voici quelques exemples permettant de juger

des troubles de la lecture.

42 sérieux ET MIGNOT

Questions ÉCRITES Lecture A haute voix

Sortez la langue. Sortez la langue, c'était la langue. Quel-

ques instants plus tard il lit : sortir de la

langue, de la langure (l'ordre n'est pas exé-

cuté).

Donnez la main. Donnez la langue, de la langure, de

t temps... (on suspend l'examen, le malade

étant intoxiqué par le mot langue)... Plus

tard il dit : Barello, coupeo.

Aum... est un brave homme. Rouegage, un boa, bave, brouette, une au-

tre fois Aum. est un bon Dieu.

Aum. est un voleur....est un vo... leur (une autre fois) Aum.

est un...

Etes - vous complètement Etes-vous com... men... cour... si...

sourd ? 2 rouette... brouette.

Vincennes (Imprimé). (Le mot n'est pas lu).

Mairie ( id. ). Meunier.

Les lettres sont bien lues, mais si on les entoure d'un cartouche pour for-

mer un symbole, comme « R. F. » et s. v. p. il ne comprend pas.

Les chiffres sont correctement lus mais de la façon suivante :

' 8 ........... 82 centimètres.

342........... 3 mètres 42 centimètres.

5 X 6 ........... 5 mètres G centimètres.

z,40.......... il lit les nombres correctement et

ajoute : « je ne vois plus et la boussole n'est plus bonne ». j

L'heure est lue correctement à l'horloge. ,

5° Il existe des troubles de l'écriture, mais le malade ne se prête pas à cet 1

examen, il prend le crayon mais déclare : « Je ne peux pas écrire... je ne peux

tenir de plume... je ne veux pas signer... je ne vois pas clair... je suis malade,

je tremble, je ne peux pas ». Après bien des instances, il trace spontanément

d'une écriture informe un mot qui semble être son nom : Vleunie... our ? iL g ?

M... Ileniieit ne f....lleungtie... Omette. Prié de copier le mot imprimé,

« Chevalier » il écrit Onmy manuscrit.

6° Si l'excitation est en décroissance, il persiste, encore des idées de pe ? 'K'

cution étroitement liées aux hallucinations de l'ouïe. Le malade se croit en !

prison : « la France est en guerre... il ne faut pas causer, parce que tout est}

répété... il y a quelqu'un en dessous qui entend tout ».

Ces divers troubles auditifs et paraphasiques furent constatés à maintes ic-

prises et ne subirent aucune modification tant que nous pûmes observer le

malade. , 1

7° Symptômes physiques. Pas de paralysie. Diminution des réflexes rotuliens,

Pupilles dilatées, inégales (pupille gauche plus large) réagissant incomplète-1

ment à la lumière.

Le 16, l'amélioration de l'état mental est très notable, le malade a conscienci,

SURDITÉ CORTICALE AVEC PARALEXIE ET HALLUCINATIONS DE L'OUÏE 43

du milieu, et il déclare « j'ai eu un moment la tête perdue, je me figurais un

tas de choses, je croyais que la France était en guerre avec l'Allemagne et que

l'on m'avait mis ici comme prisonnier et puis on m'a placé comme aliéné;

mon pauvre cerveau travaillait tant que j'ai été fou, maintenant je le vois

bien ». En causant ainsi le malade rit et pleure en même temps. Mais il est

toujours impossible de communiquer avec lui de quelque façon que ce soit,

excepté par gestes.

Les hallucinations continuent à se produire : dans la nuit du 18 il a des

hallucinations de la vue, appelle à grands cris le veilleur parce qu'il y a « un

ruisseau d'eau dans sa chambre qui coule à grands flots » : à diverses reprises

on constate aussi des hallucinations de l'ouïe.

Le 23 décembre, mort à la suite d'accidents infectieux.

Autopsie. La dure-mère adhère aux parois de la calotte crânienne qui est

dure et très épaisse.

Les artères de la base sont très athéromateuses. En décorticant un hémis-

phère nous apercevons de nombreux kystes hydatiques reconnaissables à leur

paroi blanche ou demi-transparente, formée de feuillets superposés, et à leur

contenu liquide, clair comme de l'eau, où nous décelons des crochets. Quelques-

uns de ces kystes contiennent des vésicules filles ; d'autres ont subi la dégé-

nérescence stéatomateuse.

Dans l'hémisphère droit nous trouvons (Fig. 1) :

1° Au fond du premier sillon frontal, à sa partie antérieure, à un centimè-

tre en avant d'une coupe intermédiaire à la coupe préfrontale et au pôle frontal,

un kyste développé dans la substance grise de Fi et de la grosseur d'une

lentille ;

2° Sur la coupe préfrontale, nous voyons au fond d'un sillon et à la partie

supérieure de F3, dont il intéresse la substance blanche et la substance grise,

un kyste à contenu solide, du volume d'un pois ; .

3° Sur le repli inférieur de F2 visible à l'extérieur, mais n'intéressant

que la substance grise (sur une coupe intermédiaire à la préfrontale et à la pé-

diculo-frontale), un kyste à contenu solide, gros comme un pois ;

4° A la partie supérieure du pied de F2 au fond d'un sillon, et intéres-

Fig. 1. - Face externe. Hémisphère droit.

44 SÉRIEUX ET MIGNOT

sant substance blanche et substance grise, un kyste, également solidifié, gros

comme une petite noisette. ,

5° A la partie inférieure du sillon séparant P A. de la deuxième pariétale,

immédiatement au-dessus de la scissure de Sylvius, dont il n'est séparé que par

l'opercule pariétal, un kyste gros comme une noisette, à parois translucides

n'ayant pas contracté d'adhérences, mais ayant, par compression, creusé une

fossette dans chacune des circonvolutions voisines.

6° Visible au fond du sillon parallèle dans le 1/3 postérieur, et se développant

au dépens de Ti dont il intéressé la substance grise, un kyste gros comme un

petitjpois (coutenu solide). -

7° Dans la partie antérieure du sillon calloso-marginal, kyste gros comme

une noisette.

8° La tête du noyeau caudé est le siège d'un kyste du volume d'un gros

pois.

Hémisphère gauche. Nous constatons les kystes suivants :

1° Sur une coupe située à 1 cent.5 en avant de la coupe préfrontale, on trouve 1

dans la substance grise de F2 deux kystes du volume d'un pois séparés par un '

sillon de 3° ordre; les kystes ne sont pas visibles de l'extérieur ; ils ont subi

la dégénérescence stéatomateuse

2° Dans le premier sillon frontal, mais se développant au dépens de la subs-

tance grise de F, un kyste du volume d'un pois (bien visible sur la coupe

préfrontale). 1

3° Sur la coupe pédiculo-frontale, développé surtout au dépens de la subs-

tance blanche de F2, un kyste du volume d'une noisette.

4° Sur la coupe frontale, à la hauteur du pied de F2' développé à la fois dans

la substance grise et la substance blanche de FA, un kyste dégénéré du vo-

lume d'un pois, visible au fond d'un sillon ;

5° Sur la coupe pédiculo-pariétale à peu près à l'endroit où le sillon interpa-

riétal se coude pour de vertical devenir horizontal, aux dépens de la pariétale

inférieure, petit kyste superficiel du volume d'un pois ;

6° Egalement dans le sillon interpariétal, mais à la hauteur de la scissure pa-

riéto-occipitale, à la partie postérieure du pli courbe, kyste gros comme une

Fig. 2. - Face externe. Hémisphère gauche. 1

SURDITÉ CORTICALE AVEC PARALEXIE ET HALLUCINATIONS DE L'OUÏE 45

lentille, n'intéressant que la substance grise, bien visible sur la coupe occipi-

tale ;

7° A la partie antérieure de FI interne, kyste gros comme un pois n'intéres-

sant que la substance grise (bien visible sur la coupe supplémentaire pratiquée

en avant de la coupe préfrontale).

8° A l'union du 1/3 antérieur et des 2/3 postérieurs de Ti, ayant profondé-

ment creusé la circonvolution, kyste du volume d'un gros pois.

Au fond du sillon parallèle où ils font saillie, mais se développant dans T2

dont ils creusent la substance grise, nous constatons ;

9° Un premier kyste de la grosseur d'un pois situé au même niveau que le

précédent ;

100 Un deuxième kyste situé quelques millimètres en arrière, du volume

d'un gros pois.

11° Dans T3 à l'union de son 1/3 antérieur et de ses 2/3 postérienrs, il y

a aussi un kyste, du volume d'un gros pois, visible seulement sur une coupe,

et intéressant substance blanche et substance grise.

12° A la partie antérieure du 3" sillon temporal, kyste dégénéré gros comme

une noisette ; .

13° Au niveau de la tête du noyau caudé petit kyste dégénéré, de la gros-

Fig. 3. - Face interne. Hémisphère droit.

Fig. 4. - Face interne. Hémisphère gauche.

46 SÉRIEUX ET MIGNOT

seur d'une lentille, faisant saillie dans le ventricule comme un champignon.

Signalons en dernier lieu un foyer de ramollissement jaune situé au niveau 1

de la scissure calcarine, intéressant l'extrémité antérieure du lobule lin-

gual. ¡i

Aucune altération macroscopique dans la protubérance, le bulbe et le cerve- I

let. Des grappes de kystes sont appendues aux plexus choroïdes des ventri- t

cules latéraux. - '

L'encéphale, après décortication pesait :

SURDITÉ CORTICALE AVEC PAHALEXIE ET HALLUCINATIONS DE L'OUÏE 47

poral. Il existe peu d'observations de surdité corticale par lésion bilaté-

rale de T1; dans celle de Wernicke et Friedlander il y avait coexistence

d'aphasie sensorielle.

Absence de paraphasie dans la parole spontanée . - Pour montrer l'inté-

grité du langage spontané, nous rappellerons cette phrase du malade :

« J'ai eu un moment la tête perdue ; je me figurais un tas de choses qui

n'existaient pas, etc.. » Et nous citerons encore celle-ci : « Nous som-

mes bien peu de chose sur la terre ! Pendant que nous sommes là, nous

devrions songer au bien, pas au mal. Nous sommes ici avec notre sacré

viande pour cinquante ou soixante ans... etc. »

L'absence de paraphasie devait faire supposer qu'il n'y avait pas des-

truction du centre de l'audition verbale, mais seulement isolement de

ce centre d'avec les voies acoustiques, les connexions avec le centre de

Broca étant intactes. Et, ce qui vient bien à l'appui de cette hypothèse de

la conservation du centre des images auditives des mots, c'est l'existence

d'hallucinations de l'ouïe très actives, qui dénotaient un état d'excitation

de ce même centre. Ces hallucinations se sont produites à diverses reprises

en notre présence. Par exemple, tout d'un coup au milieu d'un discours,

il s'arrête, se retourne et dit d'un ton interrogalif : « Un couteau ? » puis

continue : « salop tant qu'on voudra ! pour quinze jours que j'ai encore à

vivre, etc... » ; à diverses reprises il accuse un malade de l'insulter et

prétend qu'il y a des gens en dessous qui répètent ses paroles.

Ajoutons que l'intégrité du tiers postérieur de la première temporale

- où l'on' tend à localiser l'audition verbale - concorde bien avec les

symptômes exposés ci-dessus.

Paralexie et perte de la compréhension des mots lus. - Il n'existait pas

de cécité verbale, mais souvent, quand le malade lisait à haute voix, les

mots étaient déformés ou même méconnaissables (paralexie). Soit par

exemple la question écrite : Etes-vous complètement sourd ? Le malade

lit : Etes-vous coin... men... cour... si... î-oitette... brouette... Ques-

tion écrite : Aumen... est un brave homme. - Lecture : ... Rouegage

un boa... bave... brouette. I .. '

De plus le sens des mots écrits n'était pas compris, car aucun ordre

n'était exécuté et il n'y avait aucune réaction aux injures, alors qu'elles

étaient manifestes aux hallucinations désagréables.

' Les symptômes paraphasiques accessoires qui viennent d'être signalés

(paralexie et perle de la compréhension des mots lus) paraissent devoir

relever de l'interruption des voies d'association qui relient les divers

centres corticaux (aphasies internucléaires de Pitres). Ils trouvent leur

explication dans l'existence de kystes assez volumineux au niveau des

1", 2° et 3c temporales gauches.

48 SÉRIEUX ET MIGNOT .

Troubles de l'écriture. - Plusieurs fois nous avons essayé d'étudier

l'écriture chez notre malade, mais il se prêtait très mal à l'expérience

(par' suite peut-être de ses idées de persécution) et tout en acceptant la

plume déclarait : « Je ne peux pas écrire... je ne veux pas signer... je

ne vois pas clair... je suis malade... je tremble, je ne peux pas ». Après

plusieurs tentatives, il écrivit très mal quelques lettres qui semblent vou-

loir représenter son nom. Nous ne pouvons donc nous prononcer sur

l'existence de troubles agraphiques ; en tout cas signalons ce fait qu'il exis-

tait un kyste dans le pied F2 gauche.

Troubles de la vue. - Nous n'avons pu rechercher l'hémiopie. Rappe-

lons que le sujet était porteur d'une lésion du cunéus gauche. Il recon-

naissait d'ailleurs les personnes et les objets ; il a présenté en outre des

hallucinations de la vue.

Accès épileptifonnes. - La première crise épileptiforme s'est produite

en 1892 ; la seconde n'est survenue qu'en 1898 et dès lors les crises se suc-

cédèrent toutes les trois ou quatre semaines. La fréquence des phénomènes

d'excitation corticale dans le cas d'hydatides du cerveau a été signalée

par Griesinger, Leubuscher, Friedrich. Rapprochons des crises épilepti-

formes les hallucinations de la vue et de l'ouïe observées. Les kystes trou-

vés dans la zone rolandique des deux hémisphères expliquent l'épilepsie

motrice.

Troubles délirants. - Sans insister sur ces symptômes, rappelons qu'à

la suite de ses crises, le malade présentait un délire hallucinatoire (sur-

tout d'origine auditive) avec excitation maniaque, assez analogue au délire

post-paroxystique des épileptiques ou des paralytiques généraux frappés

d'un ictus, et, comme lui, passager.

Nature des lésions. - Il s'agissait de kytes hydatiques reconnaissables

à leur contenu et à leur paroi, et placés la plupart superficiellement,

ainsi qu'on le constate habituellement dans les kystes du cerveau.

Leur localisation dans chaque hémisphère, sans être superposable, pré-

sentait une certaine symétrie ; c'est ainsi qu'à droite et à gauche il existait

des kystes dans le lobe temporal, dans la zone rolandique et au pôle frontal.

Leur volume était peu considérable : le plus gros ne l'était pas plus 1

qu'une noisette, la plupart avait la grosseur d'un pois. A peu près le quart 1

de ces parasites était mort. Comme on l'a souvent remarqué ils ont pu res-

ter longtemps sans entraîner d'accident grave et la mort ne leur est pas im-

putable. Le cerveau, ainsi que dans plusieurs cas de Kuchenmeister, était

le seul organe atteint par l'échinocoque.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

(CLINIQUE DE ! Il, Le Professeur RAYMOND)

LE GENU RECURVATUM

DANS LA COXALGIE.

PAR

GEORGES GASNE et V. COURTELLEMONT.

Legenurecurvatum est une affection caractérisée par une hyperextension

de la jambe sur la cuisse. Signalée pour la première fois chez les nou-

veau-nés en 1821 par un médecin suisse, Châtelain (1), cette difformité

fut observée depuis par un certain nombre d'auteurs qui la désignèrent

par des termes divers : opisthogonyaucou (Siebenhaûer), luxation congé-

nitale, luxation en avant, subluxation antérieure, renversement de la

jambe en avant (Lannelongue), contracture de la jambe avec extension,

stiff-kull, genou tendu (Tamplin), back-kull genou en arrière (Hansphry),

genu retarsum (Battle). C'est à Albert (2) que semble revenir le mérite

d'avoir introduit l'expression : genu recurvatum. Longtemps cette dévia-

tion fut considérée comme étant toujours d'origine congénitale. Tam-

plin (3) montra qu'elle pouvait apparaître pendant la vie extra-utérine, et

la décrivit comme complication de la paralysie infantile. Malgré plusieurs

travaux, qui ont mis en lumière l'influence de quelques autres causes dans

le développement de la forme acquise, celle-ci manque encore de caractè

res précis; aussi nous a-t-il paru intéressant de faire connaître l'observa-

tion de notre malade.

+

* *

Observation. - C'est un homme (C... Victor), âgé de 54 ans, charcu-

tier, entré dans le service de M. le professeur Raymond, salle Prüss, n° 6.

Antécédents héréditaires. Son père est mort à 78 aus, après 10 ans de

paralysie ; sa mère est morte à 34 ans, probablement de tuberculose pulmo-

naire.

Antécédents collatéraux. - Le malade a un frère et une soeur, bien por-

tants et sans antécédents pathologiques personnels.

Antécédents personnels. - Né à terme, spontanément, il n'a pas eu de con-

vulsion pendant l'enfance. C'est à l'âge de 10 mois qu'il a commencé à mar-

(1) Châtelain, Bib. méd., t. LXXV, p. 103.

(2) Albert, Wiener medicinische Presse, 1815, p. 369, 416, 411.

(3) Tamplin, London médical gazette, 1845.

xiv 4

50 GASNE ET COURTELLEMONT

cher, et jusqu'à sa coxalgie il n'a cessé de marcher normalement. Aucune

maladie jusqu'à 12 ans et demi.

A cet âge, début d'une coxalgie droite, qui bientôt maintient le malade au

lit pendant 8 mois; plusieurs abcès se forment autour de la jointure et s'ouvrent.

Le traitement consista dans l'immobilisation du membre inférieur droit tout

entier à l'aide d'une gouttière en bois étendue de la hanche au talon ; pas de

traction continue. A la suite de ce séjour au lit, le malade put se lever et

marcher, mais avec le secours de béquilles, dont l'emploi dut être prolongé

pendant environ 4 ans, jusque vers 17 ans.

Vers l'age de 19 ans, a commencé à apparaître une déformation du genou

gauche, caractérisée par l'hyperexteusion de la jambe sur la cuisse ; cette

attitude anormale s'est produite insidieusement sans aucune douleur, aucun

gonflement, aucune modification cutanée, et sans avoir été précédée de trau-

matisme local ou rachidien. D'abord peu marquée, elle n'a fait que s'accroître

insensiblement et progressivement, jusqu'à l'âge de 34 ans environ, où elle a

atteint le degré qu'elle présente aujourd'hui ; elle ne s'est, en eu'et, pas modi-

fiée d'une façon appréciable, dans le cours de ces vingt dernières années.

Depuis sa coxalgie, le malade déclare n'avoir jamais eu d'affection autre que

les troubles suivants : à quatre reprises (trois fois en 1899, une fois en 1900),

douleur dans la région lombaire droite, que notre homme attribue au refroidis-

sement, mais qui paraît plutôt être en rapport avec l'attitude vicieuse du mem-

bre inférieur droit ; la douleur durait deux ou trois jours, et cédait à l'applica-

tion de ventouses scarifiées.

Aucune autre maladie (pas de syphilis, etc.).

Etat actuel.

Aspect extérieur.

Debout. - Examiné debout et nu, le malade présente deux déformations

qui fixent l'attention. Les photographies reproduites ici, permettront d'en

étudier les moindres détails (PI. II et III).

Le membre inférieur droit est raccourci; le pied est dans la position du

pied-bot équin; il repose sur le sol par l'extrémité antérieure du métatarse et

les cinq orteils ; la plante a une légère tendance à regarder en dedans ; la cuisse

est en légère flexion sur le bassin, la jambe légèrement fléchie sur la cuisse;

la hanche porte des cicatrices, au nombre de six, vestiges des anciennes suppu-

rations.

Le membre inférieur gauche est remarquable surtout par l'aspect du genou,

type de genu recurvatum ; vu de profil (P. III), il affecte une forme arquée à

concavité antérieure très prononcée, le fémur formant avec le tibia un angle ob-

tus ouvert en avant. Dans la position ordinaire, le membre tout entier, y com-

pris le pied, se trouve placé sur un plan notablement postérieur au plan occupé

par le membre inférieur droit.

L'examine-t-on de face, on constate que l'axe de la cuisse et de la jambe

décrit une légère concavité tournée en dedans ; le genu recurvatum est donc 1

compliqué d'un certain degré de genu varum (PI. 11). ,

Enfin, en arrière, la face postérieure du genou forme une saillie très mar- !

Nouv. Iconographie DE la SALI'L1RILRE , I. OI\ . Pl. Il

LE GENU RECURVATUM

dans la Coxalgie.

(G. Gasnc ct Corrrlellcnronl).

Masson & CI, EditclI1 ?

l'IlOtu\)I'h IIt'IIII.IIUI, 1'1111"

Nom. Iconographie UL la SALI'LTRJLRF T. XI\'. PI. III

LE GENU RECURVATUM

dans I.t Coxalgie.

(G. GWIIC et Cour/l'iloilo/Ji).

Masson & C ? Editctii,

LE GENU RECURVATUM DANS LA COXALGIE 51

quée qui remplace le creux poplité ; de chaque côté les muscles qui limitent

latéralement le creux poplité font un relief tout à fait anormal.

Sur le membre inférieur gauche se voit encore une autre particularité : c'est

une tumeur située à la face antéro-externe de la cuisse : nous la décrivons ulté-

rieurement.

Enfin le thorax et le bassin de notre malade ont subi le retentissement de

toutes ces déformations. On observe une ensellure lombaire, et une scoliose

à convexité principale dorsale gauche, avec légères courbures de compensation

cervicale droite et lombaire droite. L'épine iliaque antérieure et supérieure du

côté droit est située à un niveau notablement plus élevé que son homologue du

côté gauche (disposition conforme, comme on sait, à la loi générale, dans le cas

d'ankylose à la troisième période de la coxalgie).

Positions variées. Commande-t-on au malade de mettre son membre infé-

rieur gauche en rectitude et de corriger ainsi momentanément son genu recur-

vatum ? La position est possible, mais pénible et très instable ; car le membre

opposé (membre droit) ne repose plus sur le sol que par l'extrémité antérieure

du gros orteil.

La position debout et le genou fléchi est possible, très stable et s'obtient

sans fatigue ; mais elle n'est pas l'attitude habituellement adoptée.

L'examen pendant la marche permet de constater l'ankylose de la hanche

droite, les mouvements compensateurs du bassin, et naturellement une boiterie

très marquée en rapport surtout avec le raccourcissement du membre inférieur

droit.

Couché. Membre inférieur droit. Son raccourcissement est de 9 centimètres,

La distance de l'épine iliaque antérieure et supérieure à la rotule est droite

de 37 centimètres et demi, à gauche de 41 centimètres ; celle de l'épine iliaque

antéro-supérieure à la malléole externe est, du côté droit de 76 centimètres, du

côté gauche de 83 centimètres.

L'atrophie des muscles est très marquée, à la cuisse du moins ; la circonfé-

rence prise à 5 centimètres au-dessus de la rotule, est de 4 centimètres et demi

plus petite sur la cuisse droite que sur la cuisse gauche (32 et demi pour l'une,

37 pour l'autre). Au niveau du mollet, elle est de 33 à droite et de 34 et demi

à gauche.

Enfin la température paraît un peu abaissée de ce côté ; et le pied droit t

présente une rougeur habituelle qui n'existe pas sur le pied opposé.

La recherche de la mobilité montre que celle-ci est normale pour toutes les

jointures, sauf pour la hanche qui présente une ankylose absolue, avec flexion

modérée de la cuisse sur le bassin : la rectitude du membre entraîne en effet

une ensellure lombaire permettant l'introduction facile des deux mains, entre

la table d'examen et la colonne vertébrale ; cette ensellure n'est corrigée que

si l'on met la cuisse en flexion.

Par la palpation de l'articulation coxo-fémorale, on reconnaît immédiatement

l'ascension du grand trochanter, la disparition de la ligne de Nélaton, Roser, en

un mot, les signes d'une luxation de la hanehe.

Membre inférieur gauche. Si l'on examine ensuite le membre inférieur gau

52 GASNE ET COURTELLEMONT

che,,on y constate deux choses intéressantes : une tumeur crurale et la dé-

formation du genou.

La tumeur siège à la face antéro-externe de la cuisse, au niveau de l'extré-

mité supérieure de celle-ci : c'est une masse assez volumineuse, paraissant

sous-cutanée; elle est mollasse et légèrement mobile quand le membre est au

repos. Mais vient-on à faire contracter celui-ci en commandant au malade de

raidir sa jambe et de la soulever ainsi au-dessus du plan du lit, on sent

aussitôt la masse augmenter de volume, remonter légèrement et durcir en de-

venant immobile : ses limites sont alors très nettes, en bas surtout. Unè

ponction exploratrice a donné un résultat négatif. Le malade assure que cette

tumeur s'est développée peu à peu, insidieusement, sans aucune douleur et sans

traumastisme antérieur ; elle apparut vers l'âge de 39 ans, et augmenta pro-

gressivement de volume. Malgré les caractères de ce début, il est très vraisem-

blable qu'il s'agit ici d'une pseudo-hernie musculaire, développée sans doute

aux dépens du muscle tenseur du fascia lata.

Le genou gauche, observé quand le membre repose sur le lit, ne présente'

rien d'anormal : pas de déformation apparente, les extrémités osseuses parais-

sent normales ; aucune douleur, pas de modification cutanée, pas d'oedème.

La recherche des mouvements décèle quelques craquements articulaires, mais

elle montre surtout la possibilité d'une hyperextension considérable de la

jambe sur la cuisse. Le malade étant étendu sur une table d'examen (rigou-

reusement plane), on constate pendant l'hyperextension maximum, obtenue

par la main d'un aide, que le talon est éloigné du plan de la table d'une dis-

tance de 13 centimètres. ·

Il existe, de plus, un léger mouvement de latéralité de la jambe en dedans,

vers la ligne médiane.

L'état des muscles du membre est excellent ; en particulier les muscles de la

partie postérieure de la cuisse et de la jambe sont bien développés. En aucun

point, il n'existe d'hypotonie ou de faiblesse musculaire; pas de mobilité

anormale des autres articulations : résistance vigoureuse aux efforts tentés

pour s'opposer aux mouvements des divers segments des membres.

Il n'y a pas de déplacement cunéen de la rotule. La longueur du ligament

rotulien est de 3 centimètres sur le membre inférieur droit, de 5 centimètres

sur le membre gauche.

Les autres jointures (membre supérieur, etc.) et le système musculaire du

reste de l'organisme paraissent absolument sains (pas de craquement, pas de

déformations, pas de mobilité anormale, pas d'hypotonie).

L'examen radiographique du genou gauche (PI. IV) confirme les résultats

du palper en montrant l'intégrité des extrémités osseuses.

Malgré tous ces accidents pathologiques dont les membres inférieurs de

notre sujet sont le siège, les fonctions de ceux-ci sont excellentes, réserve faite

naturellement, au point de vue esthétique, pour le caractère disgracieux de

l'attitude : il n'y a jamais de douleur ; la marche, la station debout et tous les 1

exercices ordinaires de la vie courante s'exécutent dans des conditions tout à '

fait bonnes. Notre homme assure qu'il marche eu moyenne à une allure de

N'OU\', ICOSOIiRAI'III £ 1) £ LA SALI'¡'¡HILR , I. lIV. Pl. 1'

LE GENU RECURVATUM

dans la Coxalgie

(G. Gauie et Coiirlelkmoiilj.

Radiographie du genou gauche.

LE GENU RECURVATUM DANS LA COXALGIE 53

5 kilomètres à l'heure, et qu'il peut faire jusqu'à 7 ou 8 lieues à pied par

jour.

L'examen des viscères pratiqué avec le plus grand soin, est resté absolument

négatif. En particulier la recherche des signes des affections' médullaires

et du tabès surtout n'a pu fournir un seul signe douteux. Il n'y a pas de stig-

mate de syphilis héréditaire. Les urines ne contiennent ni sucre ni albumine.

Le diagnostic de la déformation présentée par notre malade ne paraît

pas devoir prêter à une longue discussion. Il s'agit ici d'un genu recurva-

tum acquis, et dont le développement ne peut s'expliquer par les causes

assignées d'ordinaire à la production de cette attitude vicieuse. Ni rachi-

tisme, ni paralysie infantile, ni traumatisme; pas d'opération pratiquée

sur le genou (1), pas de lésion de l'extrémité inférieure du membre (2) ;

d'autre part, aucune manifestation même fruste d'une affection médullaire

ou névritique. On a pu incriminer dans quelques cas une arthrite, tuber-

culeuse par exemple; cette interprétation ne s'applique nullement à notre

malade, dont la déformation n'a jamais été douloureuse, n'a jamais en-

traîné d'impotence fonctionnelle, ne présente pas trace d'ankylose, et est

constituée par des os que la radiographie et l'examen clinique ordinaire

révèlent absolument sains. Quant au genu recurvatum par contracture du

quadriceps fémoral (cas de Gérard Marchand) (3), il ne ressemble en rien

à celui de notre sujet qui ne présente ni gêne de la flexion de la jambe, ni

sensation de bride, de corde résistante tendue au-dessus de la rotule au

niveau de l'extrémité inférieure du muscle. Enfin reste le genu recurvatum

osseux, genu recurvatum vrai, nom sous lequel Faussié (4) range les faits,

décrits par Sonnenbourg (5), de flexion dans l'épiphyse supérieure du

tibia : on observe une modification dans l'ossification de cette extrémité

osseuse, aboutissant à la coudure de celle-ci : notre cas s'en distingue fa-

cilement par l'absence de toute déformation du squelette. Nous ne parle-

rons pas ici des attitudes anormales rencontrées exceptionnellement par

Frenkel et Faure (6) chez des neurasthéniques, des hystériques ou des

cachectiques : car non seulement notre malade ne rentre dans aucune de

ces classes pathologiques, mais encore les faits auxquels nous faisons allu-

sion ne ressemblent en rien, à notre avis, au genu recurvatum : ce sont

(1) Tuwvsenn, Genu recurvatum consécutif à la réseclion du genou. New-York med.

Journ., 1 ? avril 1899.

(2) Pnocas, Congrès de chirurgie, 1895.

(3) Gérard Marchand, Revue d'orthopédie, 1898, p. 46.

(4) Faussié, Le genu recurvatum, Th. Paris, 1898.

(5) Sonnenbourg, Deutsche Zeitschrit3t sur Chirurg., IV, 1876.

(6) Frenkel et Faure, Nouvelle Iconographie de Salpêtrière, 1896 ; Des attitudes anor-

males chez les tabétiques.

54 GASNE ET COURTELLEMONT

des positions vicieuses (d'ailleurs peu accentuées chez ces malades) obte-

nues artificiellement, par exemple au moyen de pressions exercées par

le médecin pour produire l'hyperextension du genou. Le genu recurvatum

véritable est au contraire une attitude anormale habituelle se produisant

spontanément sous l'influence de la station debout. Une observation rap-

portée récemment par Spillmann (1) montre bien la différence qui sépare ces

deux groupes de faits : elle concernait un sujet qui présentait à la fois une

subluxation volontaire du pouce et une subluxation volontaire du genou :

il s'agissait donc là d'une mobilité articulaire exagérée, aussi distincte de

la déformation qui fait le sujet de cet exposé que de la subluxation trau-

matique ou pathologique du pouce.

En somme, il semble qu'on ne puisse invoquer chez notre malade d'au-

tre cause que la coexistence de la coxalgie droite. Le genu recurvatum a

été signalé dans la coxalgie pour la première fois en 1895 par M. Campe-

non (2). En 1899, M. Potel en faisait le sujet d'un article publié dans la

Presse médicale (3) : tels sont, d'après nos recherches, les seuls travaux

publiés sur la question.

. Dans tous les cas étudiés par ces auteurs, la déformation siégeait sur le

membre atteint de coxalgie. L'observation que nous rapportons prouve que

cette attitude vicieuse peut s'observer du côté opposé à la hanche malade,

sur le membre sain. Marty, dans sa thèse (4), mentionne un fait sembla-

ble, mais il se contente de le citer en deux lignes, sans en rapporter l'his-

toire et sans insister sur cette anomalie.

Indépendamment de cette notion de localisation sur un membre ou sur

l'autre, l'étude de tous les cas connus actuellement, permet encore de dé-

gager quelques particularités étiologiques, cliniques et pathogéniques.

Les exemples de genu recurvatum survenus du côté sain paraissent être

très rares, puisque nous n'avons pu en relever qu'un seul. En revanche,

les coxalgies, qui s'accompagnent d'une déviation de ce genre sur le genou

correspondant à la hanche malade, semblent être un peu plus nombreu-

ses ; mars le degré de leur fréquence est différemment interprété. M. Potel

considère cette complication comme relativement rare ; M. Campenon au

contraire estime qu'elle se rencontre très souvent : ses statistiques donnent

une proportion de 43 genu recurvatum sur 60 coxalgiques examinés.

Peut-être n'y a-t-il dans cette divergence d'opinion qu'une simple ques-

tion de mots. La déformation caractéristique, constituée par un angle ma-

(1) SPILLMANN, Revue médicale de l'Est, 1900, p. 183.

(2) Campenon, Congrès de chirurgie, 1895, p. 148.

(3) PoTEL, Presse médicale, 1899, II, p. 149.

(4) MARTY, Th. Paris, 1899. Des résultats éloignés de la coxalgie au point de vue or-

thopédique.

LE GENU RECURVATUM DANS LA COXALGIE 55

nifeste que forme le fémur avec le tibia dans la station debout, cette dé-

formation qui s'impose à la vue dès le premier examen, paraît être, on ne

peut le nier, d'une rareté extrême dans la coxalgie. En revanche, on con-

çoit que la mobilité de l'articulation du genou soit fréquemment exagérée,

par suite du repos au lit et des troubles trophiques (ligamenteux, etc.)

dont tout le membre est souvent le siège. Or, il semble bien que la majo-

rité des faits rapportés par M. Campenon rentre dans ce dernier groupe ;

la plupart, en effet, ont trait à des malades couchés, examinés au lit, et

chez lesquels l'affection était « décelée » soit à l'aide de pressions desti-

nées à élever le talon au-dessus du plan du lit, soit en faisant contracter le

quadriceps fémoral ; aussi doivent-ils, selon nous et conformément d'ail-

leurs à l'opinion de M. Potel, être rejetés de la classe des genu recurva-

tum vrais, constitués, et rangés parmi les attitudes anormales produites

artificiellement. Ils prennent donc place à côté des phénomènes observés

par Faure et Frenkel, auxquels nous avons fait allusion tout à l'heure, et

dont ils se rapprochent beaucoup, puisqu'ils surviennent chez des mala-

des débiles et sur des membres frappés de troubles trophiques. On peut

comparer tous ces exemples de simple laxité articulaire dont l'origine est

pathologique à ceux où l'exagération de la mobilité relève d'un entraîne-

ment professionnel (danseuses, acrobates), ou d'une disposition naturelle,

propre à certains individus : mouvements des doigts, subluxation volon-

taire du pouce, du coude, du genou (Albert Spillmann).

Nul doute d'ailleurs qu'aux faits de cet ordre, ne se soit jointe, chez

certains malades observés par M. Campenon, une faible modification de

l'attitude normale, constituée par une très légère hyperextension du ge-

nou, accompagnée d'effacement du creux poplité : cette déviation, dans

les cas auxquels nous faisons allusion, est toujours très discrète, nécessi-

tant pour être reconnue, un examen attentif ; aussi convient-il de la con-

sidérer comme une simple exagération de la position normale et de l'élimi-

ner du gro.upe des genu recurvatum vrais. Pareille disposition est d'ailleurs

loin d'être rare : tout le monde en a rencontré des exemples, et les pho-

tographies de coxalgiques publiées çà et là en représentent quelques-uns ;

nous signalerons en particulier la thèse de Coville (1), et la Revue ortho-

pédique en divers endroits (2). : sur les figures reproduites dans ces ouvra-

ges, le phénomène est localisé sur le membre opposé à celui de la hanche

malade.

Mais à côté des faits dont nous venons de parler, la statistique de

(1) Co VILLE, thèse Paris, février, Contribution au traitement des ankyloses vicieuses

de la hanche.

(2) Revue d'orthopédie, t899, p. 432, fig. V (Judson) ; - 1898, p. 384, fig. 4 (Pho-

cas) ; 1895, p. 195, fig. 4 (Calot).

56 GASNE ET COURTELLEMONT

M. Campenon contient certainement des types indiscutables de genu re-

curvatum, puisque cinq de ses malades ont dû porter un appareil orthopé-

dique.

L'âge auquel a apparu la déformation n'est pas indifférent. Les obser-

vations tendent à prouver, selon la remarque de M. Campenon, qu'elle

débute toujours avant 15 ans. Notre malade fait exception à cette règle,

puisqu'il avait atteint l'âge de 19 ans quand son genou a commencé à

prendre la position vicieuse.

II n'est pas aisé de déterminer d'une façon rigoureuse la période de la

coxalgie au cours de laquelle cette complication s'est montrée. Dans le fait

de M. Potel et dans le nôtre, la déviation est survenue un certain temps,

des années après la guérison de l'affection coxo-fémorale,alors que celle-ci

n'avait laissé comme trace qu'une ankylose de la hanche. Chez les mala-

des de M. Campenon, au contraire, elle apparaissait au cours même de la

tuberculose articulaire, pendant la durée du traitement au lit. La raison

de cette discordance paraît résider surtout dans la nature différente des

faits observés, un grand nombre des cas de M. Campenon relevant, comme

nous l'avons montré, d'une' interprétation toute spéciale.

L'étude clinique, de son côté, met en lumière des données importantes.

Tout d'abord, il résulte des discussions précédentes, que la déviation

de la jambe en avant peut affecter trois modalités diverses, qui s'obser-

vent, toutes trois, chez les coxalgiques : d'une part, deux phénomènes qui

ne rentrent pas dans le cadre du genu recurvatum ; mais appartiennent

l'un aux attitudes bizarres provoquées artificiellement et non accompa-

gnées de modification pendant la station debout, l'autre à une simple exa-

gération de la position normale, insuffisante et trop fréquente pour être

assimilée à une difformité aussi nette et aussi rare que celle dont nous

nous occupons : ces deux manifestations se rencontrent souvent chez les

coxalgiques, et apparaissent de bonne heure, au cours même de la mala-

die en général, et surtout pendant le séjour au lit (dans les 3 premiers

mois, Campenon).

D'autre part, on peut voir, mais rarement, un genu recurvatum vrai,

qui débute en général tardivement, après la guérison : c'est cette forme

seule que nous avons en vue dans le cours de cet article. Qu'elle occupe

le membre sain ou le membre correspondant à la hanche malade, cette

déformation présente quelques particularités intéressantes.

Jusqu'ici, elle s'est montrée indépendante de toute lésion osseuse du

genou. Chez notre malade, l'épreuve de la radiographie, qui vient com-

pléter l'examen clinique, concorde avec celui-ci sur ce point.

- Tous les cas connus se rapportent à un genu recurvatum fiasque, c'est-

à-dire non accompagné de contracture du quadriceps fémoral.

LE GENU RECURVATUM DANS LA COXALGIE 57

Le genou atteint présente, en outre de sa déviation angulaire antérieure,

quelques mouvements de latéralité que la palpation décèle facilement (cas

de Campenon, Potel, le nôtre).

Enfin l'intégrité relative des fonctions des membres inférieurs est une

particularité fréquente et tout à fait inattendue; elle étonne surtout si

l'on songe que ces malades cumulent et leur déviation du genou et une

ankylose coxo-fémorale, Or, un malade de M. Campenon a pu faire la

guerre de 1870 dans le corps des francs-tireurs ; le sujet de M. Potel res-

tait debout pendant la plus grande partie de la journée et faisait de plus

au moins 3 kilomètres par jour ; nous avons vu que le nôtre est doué d'une

résistance à la marche et à la fatigue vraiment peu commune.

Mais il ne faut pas oublier que dans cinq des cas rapportés par M. Cam-

penon, l'emploi d'un appareil orthopédique a été rendu nécessaire; il

s'agissait d'enfants, et M. Campenon fait remarquer que plus le malade

chez qui débute cette déformation est jeune, moins le pronostic est favo-

rable.

Signalons aussi la possibilité d'observer un phénomène qui n'a été ren-

contré dans ces circonstances que sur le sujet de M. Potel : pendant la

flexion de la jambe, la rotule s'enfonçait profondément dans l'interligne

articulaire (déplacement cunéen de la rotule).

Eclairés par les notions étiologiques et cliniques précédentes, nous pou-

vons aborder l'étude du mécanisme pathologique qui préside à la forma-

tion de cette déviation chez les coxalgiques. Des trois grandes théories

(osseuse, musculaire, ligamenteuse), que l'on pourrait concevoir, les deux

premières nous paraissent insoutenables. La théorie osseuse a contre elle

l'absence de lésion du squelette. La théorie musculaire ne pourrait être

défendue avec succès, puisqu'il n'y a au début et au cours de l'affection

ni paralysie vraie, ni contracture; on pourrait sans doute invoquer la fai-

blesse et l'atrophie musculaires constatées pendant la coxalgie, en les con-

sidérant comme la cause déterminante, celle qui permet la déviation (in-

terprétation analogue en somme à l'hypothèse de l'hypotonie musculaire,

à laquelle Faure et Frenkel rattachent la possibilité des attitudes anor-

males constatées chez les tabétiques) ; mais en supposant qu'un tel état

puisse constituer une prédisposition la formation du genu recurvatum

ce qui est loin d'être prouvé), il n'en est pas moins vrai qu'il est insuffi-

sant pour en produire le développement complet et surtout incapable d'en

expliquer la persistance. Car, une fois la coxalgie guérie, les muscles ten-

dent à reprendre leur volume et leur puissance, et cependant la déviation

du genou, loin de disparaître, continue d'exister et s'exagère. Bien plus,

dans le cas de notre malade,.où la lésion siège sur le membre sain, il

n'existe sur celui-ci ni faiblesse, ni atrophie du système musculaire. On

58 1 GASNE ET COURTELLEMONT

pourrait néanmoins discuter, sur notre sujet, le rôle joué par celui-ci,

puisqu'il existe à la partie supérieure de la cuisse gauche une pseudo-

hernie musculaire; la rupture du tenseur du fascia lata pourrait être con-

sidérée comme un facteur étiologique de la déviation du genou, par la

suppression d'un des moyens qui assurent la fixité de l'articulation ; mais

cette hypothèse tombe devant la date d'apparition des deux lésions : la

tumeur est survenue 11 ans après le genu recurvatum. Aussi serait-il plus

logique de se demander si la tumeur n'est pas secondaire à la déformation

tibio-fémorale ; elle serait alors le résultat de la contraction exagérée du

tenseur du fascia lata, destinée à s'opposer à la déviation du genou en

maintenant tendue la partie antéro-externe de l'aponévrose fémorale.

La seule théorie qui puisse fournir une explication satisfaisante est

celle de l'allongement ligamenteux ; elle est d'ailleurs confirmée par les

données de la physiologie normale, qui fait jouer le principal rôle, sinon

l'unique, dans la limitation des mouvements articulaires, à la tension des

ligaments et de la capsule. Le côté obscur de la question est relatif aux

causes qui ont amené ce relâchement ligamenteux. Pour M. Campenon, le

jeune âge du sujet et le mauvais état général qu'on observe au cours de la

coxalgie créent une prédisposition à ces accidents. Mais, d'après cet auteur,

le principal rôle reviendrait à l'une des conditions suivantes : exception-

nellement application d'un appareil à traction mal placé et tirant sur le

tibia; d'ordinaire atrophie inégale des muscles de la cuisse, plus marquée

sur la face postérieure, laissant au contraire une action prépondérante au

muscle quadriceps ; enfin et surtout position rectiligne du membre, qui

ne repose franchement sur le lit qu'en haut au niveau de la fesse, et en

bas au niveau du mollet, tandis que le creux poplité porte à faux. On com-

prend que plus le séjour au lit sera long, plus la déformation aura ten-

dance à se manifester. Toutes ces causes peuvent exercer une influence

néfaste, mais en général, celle-ci doit être faible, et d'ailleurs en suppo-

sant qu'elle soit suffisante pour expliquer elle seule quelques-uns des

faits signalés, elle est incapable de s'appliquer à tous les cas. Ainsi, chez

notre malade, aucune, des explications précédentes ne peut être adoptée :

en effet, cet homme avait 19 ans, il marchait sans béquille, depuis six ans

il se levait et marchait : le jeune âge, l'état général défectueux pendant la

maladie, le séjour prolongé au lit et la position i,ectiligne du membre sont

donc des éléments étiologiques qu'il faut écarter; enfin il n'existe pas trace

d'atrophie musculaire, ni sur le groupe postérieur, ni sur le groupe an-

térieur ; quant à l'influence d'un appareil quelconque, il n'en saurait être

question, puisque la déviation occupe le membre sain.

En face de ces hypothèses qui font jouer au séjour au lit le principal

rôle, s'en est élevée une autre : d'après laquelle la raison principale de

LE GENU RECURVATUM DANS LA COXALGIE 59

cette difformité doit être cherchée dans le mécanisme même de la marche

et de la station debout. M. Potel, qui pour la première fois a mis ce rôle

en lumière, a bien expliqué de cette façon la tendance au genu recurvatum

qu'on voit survenir sur le membre atteint de coxalgie : c'est une consé-

quence de l'ankylose de la hanche avec extension de la cuisse sur le bas-

sin. On conçoit en effet, qu'en raison du raccourcissement du membre et

de l'équinisme consécutif le point d'appui du pied sur le sol se trouve

placé non plus au niveau du talon où il est ordinairement, mais beaucoup

plus en avant, répondant aux tètes des métatarsiens et aux orteils : par

suite, l'axe du membre se trouve en arrière de l'axe mécanique, fictif :

aussi la station debout a-t-elle pour résultat d'exagérer sans cesse l'hyper-

extension du membre inférieur (schéma 1).

Au contraire, y a-t-il ankylose avec flexion de la cuisse sur le bassin ?

la cuisse est légèrement fléchie pendant la marche, et l'axe mécanique passe

en arrière du genou (schéma 2). Eh ! bien, à notre avis, il n'y a qu'à com-

pléter cette deuxième formule de M. Potel, en la corrigeant un peu, pour

trouver l'explication de l'attitude vicieuse présentée par notre malade. Dans

l'ankylose avec flexion de la cuisse sur le bassin, il n'y a pas tendance à la

production d'un genu recurvatum sur le membre atteint de coxalgie, mais

prédisposition à cette déformation sur le membre opposé. C'est en effet

une notion courante que tout coxalgique ankylose avec flexion redresse plus

ou moins son fémur pendant la station debout, de façon à diminuer cette

flexion dans la mesure possible ;-ce mouvement ne peut s'obtenir que par

la bascule du bassin ; celui-ci s'incline en avant, se met, qu'on nous per-

mette l'expression, en antéversion (on sait que l'ensellure lombaire ne

reconnaît pas d'autre cause). Par suite de cette bascule du bassin, l'autre

membre inférieur, le membre sain se trouve modifié dans sa direction : son

Schéma 1.

Ankylose en extension.

Schéma 2.

Ankylose en flexion.

60 GASNE ET COURTELLEMONT

axe anatomique est reporté en arrière (l'extrémité inférieure du fémur

s'incline en arrière) ; aussi l'axe mécanique, fictif, vient-il tomber en avant

de l'axe réel de ce membre; d'où tendance à l'hyperextension, au genu

recurvatum de ce côté. Les schémas ci-joints 3 et 4 permettront de com-

prendre des diverses positions.

Les interprétations précédentes ont été inspirées par l'étude attentive

des faits cliniques, et concordent rigoureusement avec tous ceux chez les-

quels on a pu déterminer d'une façon précise l'attitude de la hanche. Les

deux seuls cas que nous connaissions (celui de Marty et le nôtre) de genu

recurvatum localisé au membre opposé à la hanche atteinte ont coïncidé

avec une ankylose en flexion. Quant au genu recurvatum occupant le

membre affecté de coxalgie, deux. observations seulement indiquent avec

netteté la variété d'ankylose coxo-fémorale présentée par le malade : celle

de M. Potel, et une, rapportée incidemment par M. Campenon dans son

mémoire, concernant un franc-tireur qui était porteur d'une « ankylose

presque rectiligne ». Pour tous les autres faits, mentionnés par cet auteur,

la position de la cuisse n'est pas précisée; mais si l'on songe qu'il s'agit

de malades traités et si l'on se rappelle le rôle que M. Campenon fait

jouer à l'hyperextension du membre dans la pathogénie de l'affection, on

inclinera à penser que ces déviations du genou coïncidaient avec une bonne

attitude du membre inférieur, c'est-à-dire une extension du fémur sur le

bassin. ,

Enfin le long intervalle qui s'est écoulé chez notre sujet et chez celui

de M. Potel, entre la guérison de la coxalgie, la reprise de la marche d'une

part, et l'apparition du genu recurvatum d'autre part, plaide en faveur du

mécanisme exposé plus haut.

« Schéma 3.

Correction de la flexion par la bascule

du bassin; en a, direction du membre

sain.

. Schéma 4.

Genu recurvatum sur le membre sain

ramenant le pied vers l'axe (fictif) mé-

canique.

LE GENU RECURVATUM DANS LA COXALGIE 61

Malheureusement, les faits que nous étudions ne sont pas assez nom-

breux et certains d'entre eux ne sont pas assez précis pour nous permet-

tre de poser des conclusions fermes ; aussi devons-nous considérer les

explications précédentes comme n'étant que les hypothèses qui fournis-

sent l'explication la plus satisfaisante des faits connus jusqu'à ce jour.

Cette réserve faite, on pourrait résumer notre interprétation par la for-

mule suivante : dans la coxalgie guérie, l'ankylose avec extension de la

cuisse entraine une tendance au genu recurvatum du côté de la coxalgie ;

l'ankylose avec flexion, une prédisposition au genu recurvatum du côté

opposé.

Mais il est clair que tous les malades qui guérissent avec une ankylose

en flexion ou en extension ne font pas tous un genu recurvatum (puisque

fort heureusement cet accident est rare). Pour que cette déformation se

produise, il faut donc encore quelque chose de plus, et cette dernière no-

tion nous est inconnue.

On pourrait cependant attribuer un rôle, à titre de cause adjuvante, à

certaines dispositions acquises ou congénitales. Il est en effet très logique

dépenser que les phénomènes de laxité articulaire, constatés si fréquem-

ment par M. Campenon au cours de la coxalgie, favoriseront au plus haut

degré l'influence néfaste de la marche'et de la station debout, le jour où

les malades seront en état de se lever. Peut-être aussi pourrait-on faire in-

tervenir une autre donnée, relative à la prédisposition individuelle; on

sait que les exemples de laxité articulaire naturelle ne sont pas rares.

Il semblerait moins juste d'invoquer le degré du raccourcissement dont

le membre est frappé ; puisque le genu recurvatum peut siéger sur le

membre le plus long ou sur le membre le plus court. Si cette disposition

anatomique exerce une action, celle-ci doit donc être faible et secondaire.

Qu'il nous soit permis en terminant, d'attirer l'attention, à un autre

point de vue, sur ses déviations articulaires (certains genu valgum, genu

varum, genu recurvatum) survenues sans lésion osseuse, sans trouble

musculaire (faiblesse, hypotonie, atrophie), et en dehors de toute lésion

médullaire ; notre malade en est un exemple remarquable. Nous avons

vu qu'en pareil cas, la cause de la déformation ne peut être qu'un allon-

gement des ligaments de la jointure. Les faits de ce genre constituent une

objection sérieure à la théorie de l'hypotonie musculaire, émise par Fren-

kel et Faure pour expliquer la possibilité des attitudes anormales chez les

tabétiques ; ils montrent en effet qu'on peut observer, sans qu'il y ait tabes

ou trouble musculaire quelconque, une mobilité articulaire beaucoup plus

exagérée encore que dans les cas de Faure et Frenkel, ils fournissent donc

un appoint nouveau à l'hypothèse de la distension ligamenteuse, à laquelle

Leclerc (1) rattache ces phénomènes observés chez les tabétiques.

(1) LMLEC, Th. Paris, 1899, Les traitements actuels du tabès.

ESSAI SUR LA LONGÉVITÉ HUMAINE.

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIRE

- LA GÉROCOMIQUE

PAR

le D' A. BEAUVOIS.

Le problème de la longévité humaine a passionné les philosophes, les

savants et les médecins dès les premiers âges du monde ; « chez les Egyp-

tiens, chez les Grecs et les Romains, ce fut là un sujet favori de méditation

pour les philosophes, une source intarissable de rêveries pour les vision-

naires et un appât offert à la crédulité par les charlatans, qui n'ont pas

trouvé de meilleur moyen pour en imposer à la multitude que de se vanter

d'entretenir commerce avec les esprits, déposséder la pierre philosophale

ou d'avoir le secret de prolonger la vie » (Hufeland) (1). Outre les précep-

tes naturels capables de conserver la santé, et de préserver des maladies,

les hommes eurent recours aux moyens offerts par l'art. C'est ainsi qu'on

croyait avoir trouvé le secret de prolonger la vie dans des moyens propres

à exciter le vomissement et la sueur, de sorte qu'il était généralement reçu,

dit Hufeland, de prendre au moins deux vomitifs par mois et qu'au lieu de

se demander : Comment vous portez-vous ? on s'abordait en disant : Com-

ment suez-vous ?

Le moyen âge fut une époque fertile en idées nouvelles et extravagantes

sur l'art de prolonger la vie : ensorcellement, sympathie des corps, pierre

philosophale, vertus occultes, cabale, chiromancie, pouvoir des astres.

Les moyens naturels : tempérance, air pur, bains, frictions, gymnastique,

enseignés par Hippocrate, et que les Grecs portèrent à une si haute per-

fection, furent peu à peu abandonnés.

On eut recours à des transmutations chimiques par le secours de la ma-

tière première, de l'ens primum qu'on s'imaginait avoir concentrée.

Les astres furent invoqués dans le même but; et ce fut l'âge d'or des

(1) HUFELAND, La macrobiotique, Paris, 1838.

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 63

astrologues. Le peuple, les grands, les rois les consultaient, et les univer-

sités favorisèrent ce courant d'idées en ouvrant des cours publics sur cette

prétenduescience 11faJ'sileFicin dans son traité sur l'art de prolonger la vie,

ne conseillait-il pas aux personnes prudentes de consulter tous les sept

ans un astrologue, afin de savoir quels dangers elles avaient à courir du-

rant les sept années suivantes ? ?

Il y aurait une longue et curieuse étude à faire sur toutes ces mé-

thodes plus bizarres les unes que les autres. Les documents sont nombreux

et nos bibliothèques recèlent de véritables richesses sur toutes cessupers-

titions. Qu'on parcoure, entre autres,le catalogue des sciences* médicales de

la Bibliothèque nationale, et on sera surpris de voir la quantité de livres

écrits dans le cours des siècles sur cette question de la longévité et sur

les moyens d'arriver à une extrême vieillesse.

Les recherches que nous avons faites sur J. H. Cohausen, médecin des

princes-évêques de Munster, nous ont révélé de cet auteur, une étude des

plus intéressantes, véritable compendium (1) de toutes les crédulités du

moyen àge sur la prolongation de la vie humaine. Nous en avons donné

un résumé sommaire dans notre thèse inaugurale, et nous nous réservons

d'en parler un peu plus longuement (2).

Mais le même médecin allemand est l'auteur d'un livre beaucoup plus

intéressant qui eut à son temps un certain retentissement et qui fut traduit

en allemand, en anglais et en français. Nous voulons parler de l'Hernzip-

pus redivivus. -

Ce curieux traité ressuscite une doctrine très ancienne de la prolonga-

tion de la vie humaine. Cette méthode appelée e ? 'ocoHM</M6par Hufeland

dans sa macrobiotique, consiste à rajeunir, ou du moins à conserver un

corps usé par l'âge en le plongeant au milieu de l'atmosphère d'un autre

corps qui soit dans toute la vigueur de la première jeunesse. -

C'est dans la Bible, croyons-nous, qu'on trouve pour la première fois

mention d'un pareil procédé.

Voici ce qu'on rencontre en effet au chapitre premier du livre troisième

des rois :

« Le roi David était vieux et dans un âge fort avancé (70 ans, ajoute le

commentateur) et quoiqu'on le couvrît beaucoup, il ne pouvait échauffer.

Ses serviteurs (3) lui dirent donc : Nous chercherons, si vous l'agréez,

(1) Tentaminurn physico-medicorum Curiosa decas de vita ¡¡¡¿mana theoretice et

praticeper pharmacie prolonganda, etc. Cosfeld, 1699.

(2) « Les Archives de Médecine » publieront prochainement notre étude sur ce livre

et sur les théories anciennes à propos de la longévité.

( : I) « Ses médecins », traduit largement Cohausen qui commenta à sa façon le même

passage.

64 BEAUVOIS

une jeune fille vierge pour le roi Notre Seigneur, afin qu'elle se tienne de-

vant le roi, qu'elle l'échauffé et que dormant auprès de lui, elle remédie

à ce grand froid du roi Notre Seigneur.

Ils cherchèrent donc dans toutes les terres d'Israël une fille qui fût jeune

et belle ; et ayant trouvé Abisag de Sunam, ils l'amenèrent au roi.

C'était une fille d'une grande beauté; elle dormait auprès du roi et

elle le servait et le roi la laissa toujours vierge. »

Les commentateurs se sont exercés sur ce passage.

Quelques-uns disent qu'Abisag fut véritablement femme de David et

saint Jérôme paraît être de ce sentiment, d'autres, qu'elle ne fut destinée

qu'à remédier au grand froid que causaient à ce prince, sa vieillesse et les

grandes fatigues. Ce qu'il y a de certain par l'autorité de l'Ecriture, c'est

qu'elle demeura vierge tant qu'elle vécut avec lui.

Bayle (1) dans son article « David », marquant quelques fautes qui

peuvent être reprochées à ce prince, dit au sujet d'Abisag :

« Lorsque David à cause de sa vieillesse ne pouvait être échauffé par

tous les habits dont on le couvrait, on s'avisa de lui chercher une jeune

fille qui le gouvernât, et qui couchât avec lui. U soulTrit qu'on lui amenât

pour cet usage la plus belle fille qu'on pût trouver. Peut-on dire que ce

soit l'action d'un homme chaste ? »

Plus loin, Bayle ajoute encore en réponse à un Dictionnaire de la Bible

composé par un prêtre de Lyon (1693), qui soutenait que David épousa la

jeune fille qu'on lui avait amenée :

« Je pourrais, dit-il, lui passer cela, sans faire tort à ce que j'ai dit

touchant cette belle méthode de faire revivre la chaleur naturelle, je ne

pense pas que nos casuistes modernes les pl us relâchés consentissent qu'un

vieillard entièrement incapable de consommer le mariage, épousât une

jeune fille dans la seule vue de se réchauffer les pieds et les mains auprès

d'elle. Ils croiraient sans doute qu'il pécherait et qu'il serait cause quesa i

compagne pécherait aussi. » I

Celte méthode, si l'on peut appeler méthode une idée aussi bizarre, fut

très probablement reprise par les médecins hermétistes et les astrologues 1

du moyen âge. Elle s'accordait d'ailleurs merveilleusement avec leurs , i

idées de sympathie, d'influence des corps les uns sur les autres. Dans la 1

suite, des nombreux écrivains qui se sont exercés sur la médecine occulte,

et ont appliqué leur intelligence à pénétrer les arcanes de la nature, on en

trouve dont les doctrines se rapprochent quelque peu de celle d'Hennip-

pus.

' Le fameux moine anglais Roger Bacon qui fut surnommé « le docteur

admirable » a laissé dans ses écrits quelques traces de cette méthode. ,

(1) Dictionnaire historique et critique, Amsterdam, 1734. i

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 65

« Qu'il soit possible, dit-il, de prolonger la durée de la vie, est une vé-

rité qu'il est aisé de rendre évidente; l'homme par sa nature est immortel

c'est-à-dire qu'originairement il a été formé de façon à se garantir de la

mort et que même après avoir péché il peut vivre encore 100 années, mais

par la progression des temps la vie s'est sensiblement vue abrégée. D'où

il faut conclure que cette abréviation n'eut rien en soi que d'accidentel et

peut par conséquent être en partie ou totalement réparée. »

Et devançant nos connaissances modernes sur l'hérédité « le docteur

admirable » ajoute :

« Car si nous pouvions nous résoudre à faire les recherches nécessaires

pour nous instruire des vraies causes accidentelles de cette espèce de cor-

ruption (la maladie) nous trouverions sans doute que loin de pouvoir être

imputée au ciel elle ne doit l'être en effet qu'aux changements successifs

du régime propre à la santé dont avaient usé nos premiers pères. Car

plus leurs successeurs ont été corrompus pins ceux qui sont nés d'eux ont dû

s'en ressentir et plus encore leurs descendants, de sorte que cette corruption

en passant successivement de père en fils et de là n'ayant fait que s'ac-

croître, la vie des hommes s'est trouvée graduellement abrégée presqu'au

point où nous la voyons aujourd'hui.

« Si un homme voulait s'assujettir à un régime aussi sain qu'excellent dès

son enfance, il pourrait vivre aussi longtemps que la constitution qu'il

tiendrait de ses parents pourrait permettre, et même au dernier degré ou

dernier terme qui semble aujourd'hui rigoureusement fixé par la nature,

lequel terme il ne pourrait passer, parce que son régime, quel qu'il fut,

ne pourrait en rien, servir contre l'ancien germe de corruption des pa-

rents. »

Voilà-t-il pas, merveilleusement tracées, les théories modernes sur l'hé-

rédité et sur les limites de l'action thérapeutique.

Mais Roger Bacon touche de plus près encore au problème qui nous oc-

cupe. Durey, dans sa thèse toute récente (1900) sur Paracelse et quelques

médecins hermétistes, cite les passages suivants d'une lettre que Bacon

adressa au pape Nicolas III « sur la nullité de la magie ».

« La vérité ne devant jamais être altérée, nous établirons d'abord soi-

gneusement que tout agent manifeste sa force et sa nature sur une matière

extérieure. Non seulement des substances, mais encore des accidents actifs

de la troisième espèce, deviennent des puissances sensibles ou insensibles

tirées de ces choses. C'est pourquoi, l'homme peut projeter sa puissance

et sa force hors de lui, d'autant qu'il est le plus noble de la création et

surtout à cause de la dignité de son âme raisonnable. Il s'échappe de lui

de la chaleur et des esprits, tout aussi bien que des autres animaux. Au

contraire, les hommes sains et de bonne complexion, surtout les jeunes gens,

66 BEAUVOIS

réconfortent et revivifient les hommes par leur seule présence, cela il cause

de leurs émanations suaves, de leurs vapeurs saines et délectables, de leur

bonne couleur naturelle, à cause des qualités et des puissances qui s' exhalent

d'eux, comme l'enseigne Galien dans son art. »

Il n'est pas nécessaire, croyons-nous, de faire remarquer, que ce pouvoir

particulier attribué à l'homme par Bacon s'adapte merveilleusement à la

théorie de la gérocomique, telle que J. IL Cohausen l'a décrite dans son

Hermippus redivivus.

Notre grand philosophe Descartes lui-même s'était occupé de ce pro-

blème de la longévité. Beaucoup de ses amis-confiant dans sa prodigieuse

intelligence pensaient même qu'il avait découvert ce secret, au point que

l'un d'eux, l'abbé Picot, ne voulut point croire à sa mort.

' Dans une de ses lettres à M. Quylichem (Voir Lettres de Desclartes, t. II,

p. 74) Descartes s'exprime ainsi :

« Je ne me suis jamais tant occupé, dit-il, du soin de conserver ma vie

que je le fais maintenant, et quoique ci-devant je crusse que la mort pût

me l'abréger de 30 à 40 ans, elle ne peut maintenant me surprendre sans

me priver tout à coup de l'espérance de la pousser au delà de cent ans. De là

il me paraît évident que si nous nous tenons seulement en garde contre

certaines erreurs que nous avions coutume de commettre eu égard à nos

climats, nous pourrions, sans aucune autre attention,atteindre jusqu'à un

âge beaucoup plus long et plus heureux que nous ne pouvons maintenant

l'espérer. Mais attendu que j'ai besoin d'un temps considérable pour l'ex-

périence et le profond examen propre à ce sujet, je m'occupe maintenant

d'un petit système de médecine, au moyen duquel je me flatte, tandis que

j'y travaille, d'obtenir quelque répit de la nature et dès lors de me trouver

plus capable de poursuivre ci-après la réussite de mon objet. »

En quoi consistait ce système de médecine dont parle Descartes ? Bien

certainement il s'agissait d'un régime hygiénique spécial et non d'un de

ces moyens bizarres vantés par les alchimistes etles médecins hermétistes.

Cependant ne voyons-nous pas un autre grand philosophe de la même

époque à peu près, le créateur de la philosophie expérimentale, François

Bacon ajouter foi à des préjugés et à des croyances qui nous font sourire

aujourd'hui. D'après Bacon (1560 à 1626) la médecine s'occupe de conser-

ver la santé, de guérir la maladie ou de prolonger la vie. Il faut nécessai-

rement séparer des autres ce dernier art auquel il n'est paspermis d'atta-

cher une importance médiocre.

Il prescrit les règles qu'on doit suivre pour reculer le terme de l'exis-

tence et dans un autre endroit (1) il propose afin de parvenir à ce but

(1) llis,tor. vilae et morlis, p. 521.

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 67

l'usage de l'or potable et de plusieurs autres préparations du même métal.

Malgré les grands services qu'il a rendus à la science Bacon n'était pas

tout à fait exempt de préjugés de son temps, car il croyait qu'on peut faire

de l'or avec de l'argent ou du mercure.

D'ailleurs, il mettait la médecine au nombre des sciences conjecturales

parce que l'objet dont elle s'occupe est extrêmement compliqué, et sujet

à un nombre infini de variations. ,

Quelques médecins modernes ont dans quelques cas employé le même

procédé qu'Hermippus.

Le grand Boerhaave (1) fit coucher un vieux bourgmestre d'Amsterdam

entre deux jeunes filles et assure que ce moyen augmenta sensiblement

les forces et la vivacité du vieillard.

On a cru pendant longtemps que cette vertu était spéciale au sexe fémi-

nin, dit Millot, dans sa Gérocomie (Paris, 1807). Nous croyons devoir

combattre cette erreur, en observant que le principe vital qui nous anime

et nous vivifie, que ce feu, cette matière électrique abonde tellement dans

la jeunesse et spécialement au moment de la puberté, tend sans cesse à s'ef-

fluer et à se mettre en équilibre avec tout ce qui l'entoure, que conséquem-

ment par le contact d'un sexe comme d'un autre il doit passer dans les

veines de la vieillesse qui en est ordinairement privée.

Et l'auteur ajoute : « Nous croyons pouvoir attribuer les bonnes et

promptes digestions des nourrices à la fréquente application de leurs

nourrissons sur leur estomac. »

Hufeland qui consacre une courte notice à cette méthode ajoute ce com-

mentaire : « Quand on considère,dit-il,quels effets produit sur un membre

paralysé la vapeur qui s'élève du corps d'un animal qu'on vient de mettre

à mort, et combien l'application d'un animal vivant est puissante pour

calmer les douleurs causées par un mal violent, on doit convenir que cette

méthode n'est point tout à fait à dédaigner. »

D'autre part les croyances populaires ont conservé cette notion d'un

pouvoir particulier que posséderaient les organismes jeunes et sains, de

réconforter la vieillesse. L'haleine des vieillards est malsaine, et les tra-

ditions de nombreuses provinces de France sont d'accord avec Cohausen

pour affirmer que le voisinage des personnes âgées, a une influence né-

faste sur les jeunes enfants. Nous nous souvenons que dans certaines ré-

gions du Berry, les parents ont soin de ne pas coucher les enfants dans

la même pièce que les grands-parents,. Dans les familles nombreuses, c'est

au moins là une excellente mesure hygiénique.

La Fontaine qui fut un patient et sagace observateur et qui nota dans ses

(1) De simpl. medicam. facult., lib. V, cap. 6.

68 BEAUVOIS

merveilleux drames si courts et si remplis, une foule de proverbes et d'a-

necdotes, ne raconte-t-il pas que maître renard conseillait au lion vieilli

de se réchauffer : en s'appliquant la peau du loup, son rival, frais écor-

ché : « D'un loup frais écorché, appliquez-vous la peau».

Ne pourrait-on voir dans cette parole un vestige de l'antique tradition

de l'influence salutaire des organismes vivants sur les corps vieillis ?

Quoi qu'il en soit, abordons J'oeuvre de J. H. Cohausen si curieuse et si

intéressante (1) :

Voici quelle fut l'occasion de l'ouvrage ; ces détails nous sont donnés

par Sal. Ernest. Eug. Cohausen, élève et neveu de l'auteur, professeur à

l'Université de Trêves,' membre de l'académie des curieux de la Nature.

Cohausen conversait un jour avec deux amis, comme lui, grands ama-

teurs d'antiquités. L'entretien roulait sur une série d'inscriptions trouvées

à Rome sur des pierres tombales. L'une d'entre elles avait frappé les amis

' du praticien. Elle était ainsi conçue :

OEsculapio et sanitati,

L. Clodius Hermippus, '

Qui vivit annos CXV. Dies V,

puellarum anhelitu,

Quod etiam post mortem ejus,

Non parum mirantur physici. *

Jam posteri sic vitam,

Ducite.

On trouvera cette épitaphe dans un ouvrage du célèbre érudit allemand

Reinesius : Syntagma Inscriptionum antiquarum, supplément à l'ouvrage

de Gruter, publié à Leipsick en 1682 :

Le commentateur la fait suivre de cette courte notice Jocltla1'1'a est, et

indigna cujus quam cura sapitque seculum semibarbarum. C'est aussi notre

avis, mais il ne convient point d'être trop sévère en cette circonstance et

la plaisanterie ne peut être considérée comme un crime. Quelles furent les

réflexions des amis de Cohausen sur cette épitaphe. Nous les imaginons

volontiers, et chaque lecteur pourra se procurer semblable divertissement.

Néanmoins, Cohausen dut beaucoup réfléchir sur cette bizarre méthode

d'arriver à la plus extrême vieillesse. Le sujet lui était familier puisque

déjà il avait rappelé dans sa Decas tentaminU1n curiosa, toutes les métho-

des préconisées par les anciens. Seule, la gérocomie. pour employer la

dénomination dellufefand, lui avait échappé.

(1) L'oeuvre de Cohausen, longtemps demeurée dans l'oubli, a été commentée pour

la première fois de nos jours par ;,\1. le PBrissaud,dans plusieurs leçons professées à la

Faculté de Médecine sur la Longévité, au mois de janvier 1900. Ces leçons ont été le

point de départ de la présente étude, et de nos autres travaux sur le même auteur.

Nous profitons de cette occasion pour remercier publiquement le maître éminent qui

a bien voulu nous honorer de ses conseils et nous guider de son expérience.

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 69

Le sujet était curieux et les amis deJ. H. Cohausen qui connaissaient sa

prodigieuse érudition et sa connaissance des littératures anciennes durent

attendre avec impatience le résultat des travaux du praticien de Vreden.

N'oublions pas que Cohausen avait alors soixante-quinze ans, et qu'il est

vraiment remarquable que dans un âge aussi avancé, un esprit ait con-

servé assez de lucidité et d'entrain pour traiter d'une façon aussi spirituelle

et aussi sérieuse un semblable paradoxe. Les espérances des amis du mé-

decin ne furent pas trompées en effet, et la critique de tous les pays a été

unanime à louer la composition élégante et riche de l'Hermipus redivi-

vus.

L'ouvrage parut en 1742 à Francfort-sur-le-Mein (4). En voici le titre

exact :

Hermippus redivivus sive Exercitatio phsico-ntedica curiosa de methodo

rara ad CXV annos ]J1'orogandoe senectutis per anhelitum puellarum ex ve-

teri monwnento romana deprompta nunc artis naedicce fundamentis stabili-

ta et rationibus atque exemplis nec non singulari chimioe pltilosophioe para-

doxo, illustrata et confirmata.

Authore Io Henr. Cohausen. M. D. Francofurti ad Moenum. Apud Ioh.

Benj. Audrese et Henr. Hort. Anno 1742.

La dissertation est divisée en deux parties d'inégale étendue ; elle est

précédée d'unè lettre écrite à son ami par le chanoine Nunning et d'une

épître de Salent. E. E. Cohausen, neveu de l'auteur.

Nous ferons l'analyse de l'ouvrage en insistant çà et là sur les passages

qui nous ont paru dignes d'être mis en relief.

Cohausen nous donne d'abord les variantes de la fameuse inscription

rapportée plus haut.

Un commentateur l'a rendue ainsi :

L. Clodius Hirpanus,

vixit annos CLV. Dies V,

Puerorum anhelitu refocillatus,

et educatus.

Cujas la modifie de la façon suivante :

L. Clodius Hirpanus,

Vixit annos CXV. Dies V,

Alitus puerorum anhelitu.

Le problème que se pose Cohausen est donc de savoir si l'haleine des

(1) Des exemplaires se trouvent à nos principales bibliothèques. En voici les cotes :

Bibliothèque nationale. Tc. 31/10.

Bibliothèque de la Faculté de médecine, 3144.

Bibliothèque de l'Arsenal (Sciences et arts), 5988.

70 BEAUVOIS

jeunes filles peut contribuer à soutenir une longue vie en écartant les in-

commodités qui sont les suites du vieil âge.

Il étudie pour cela l'inscription latine, fait la critique de tous les

termes, et dès les premières pages du livre, apparaît l'érudit allemand.

Lesmoindres mots de l'épitaphe lui sont matière à développement. Une

semblable méthode nous paraît aujourd'hui fastidieuse. Nous préférons

une critique plus large, plus générale, plus dégagée de la servitude de

la phrase. Elle devait être très goûtée en Allemagne au temps de J. H. Co-

hausen. C'est ainsi qu'après avoir fait l'histoire d'Esculape, grâce aux

écrits d'Ovide, de Sénèque etc., il nous donne l'étymologie de son nom :

Aesch, chèvre et Kéleph, chien, en allemand Geiss hundt. C'est Lactance

qui nous indique la raison de cette dénomination. Le père de la médecine

guérit en effet plusieurs malades avec du lait de chèvre, ou en veillant

sur eux avec la fidélité du chien. C'est pour cela que les Grecs plaçaient

un chien sur les statues d'Esculape.

Qui était Hermippus ? Cohausen l'ignore et ci te cependant divers IIer-

mippus dont parle Scaliger, Stoboeus, etc. Peu importe d'ailleurs la pro-

fession, la manière de vivre et même l'existence de cet homme. Le pro-

blème est posé, il s'agit de le résoudre. Ce premier chapitre se termine par

une allégorie qui met en pleine lumière la façon d'écrire du médecin alle-

mand. -

J'ai passé plus de 70 annés, dit-il, en compagnie de neuf soeurs vierges

qui ont charmé toute ma vie et réchauffé ma vieillesse. Ce sont les Muses,

les divines soeurs du Parnasse qui nourrissent la vieillesse, charment l'a-

dolescence, sont un ornement dans les jours heureux, une consolation

dans l'adversité. Elles réjouissent l'homme à son foyer, l'accompagnent au

dehors, et ne le quittent même pas la nuit.

Cet éloge des charmes de la littérature est écrit dans un latin très élégant

et ne déparerait pas les plus beaux endroits du De senectute ou du De

Aaieitia de Cicéron. Quelle que soit la solution du problème auquel s'atta-

che Cohausen, nous trouverons à chaque page de son livre, de telles maxi-

mes et de tels préceptes. La poésie, l'érudition, la science s'y mélangent et

se prêtent un mutuel appui. L'ensemble est des plus agréables et mérite le

succès qui accueillit l'ouvrage.

Cohausen examine ensuite cette question : de savoir si la durée de la vie

de l'homme est une chose fixe ou indéterminée.

Les anciens, les auteurs sacrés, les sages de la Chaldée, les stoïques vien-

nent fournir à notre auteur Fappui de leur témoignage.

Il réfute l'opinion des Astrologues qui prétendent que tout est gouverné

par le mouvement et l'aspect des astres.

Les infirmités qui atteignent l'homme dans sa vieillesse ne sont pas né-

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 71

cessaires, elles proviennent le plus souvent des dérèglements et des vices.

Il n'y a certes pas d'espoir d'immortalité pour l'homme, ni même de pro-

longation de la vie jusqu'à 300 ou 500 ans, mais il n'y a aucune période

fixée par.la nature pour attacher la vieillesse et les infirmités à un certain

nombre d'années. Il est donc très possible qu'un homme puisse allonger

sa carrière au dela de la date commune et même sans se ressentir des in-

commodités de l'âge. '

C'est ce point que notre auteur va s'attacher à prouver par la raison et

l'expérience.

L'histoire, dit-il, nous enseigne que les premiers hommes vivaient plus

longtemps que nous : les auteurs chaldéens, les Chinois, les auteurs sacrés

Xénophon, Pline, et d'autres en donnent des exemples.

Citons, d'après Cohausen les noms suivants : Attila mourut à 124 ans ( ? ).

Prastus, roi de Pologne à 128. Marcus-Valerius Corvinus à 100 ans, Hip-

pocrate à 104 ans, Asclépiade à zou ans, Galien à 104 ans, Sophocle à

130 ans, etc., etc.

Certains climats d'après notre auteur sont plus favorables que d'autres,

et il cite entre autres la Floride, et l'île Céa, une des Cyclades comme jouis-

sant de ce privilège.

Si donc il est vrai que l'homme peut atteindre un âge aussi avancé, il

convient de nous adonner à la recherche de ce problème « tandis que nous

avons encore les facultés suffisantes pour découvrir quelles peuvent être

les règles de conduite nécessaires pour la prolongation de la vie et encore

assez de force pour nous assujettir à ces mêmes règles seules capables d'é-

carter les infirmités sous le cruel empire desquelles la vie n'est plus en effet

qu'un douloureux fardeau ». '

Parce que le problème n'a pas été résolu jusqu'ici, il ne faut pas déses-

pérer, et continuer au contraire des recherches qui bien que difficiles ne

sont pas en dehors de la puissance de l'homme. '

Après une explication du souffle humain en général, où l'auteur établit

sa théorie de la respiration selon les idées de son temps, il s'occupe plus

spécialement de l'haleine des jeunes filles. C'est là en somme la partie sé-

rieuse de son livre, la base scientifique ( ? ) sur laquelle il s'appuie. Ecou-

tons-le : .

L'air qui sort des poumons emporte avec lui les qualités bonnes ou mau-

vaises du lieu d'où il vient. La nature de l'air est en effet d'absorber les

effluves et de les emporter avec lui. C'est ainsi qu'un air inspiré sec par

un individu, est expiré chargé de particules d'humidité. L'expérience ap-

prend aussi que l'haleine des phtisiques peut communiquer la terrible ma-

ladie.

Pourquoi ne pas admettre dès lors qu'un air sorti d'une poitrine jeune

72 BEAUVOIS

et robuste soit capable de communiquer la santé et la vie à un organisme

épuisé, soit en renouvelant la masse du sang, soitpar sa force balsamique

vitale d'après les théories des Philosophes, soit d'après les principes mé-

caniques en augmentant la force élastique du sang.

Les jeunes filles qui possèdent du sang vif et généreux, qui sont rem-

plies d'esprits vitaux, parce qu'elles sont plus près de leur origine, et que

cette vertu diminue avec les années, doivent donc émettre des effluves bal-

samiques, agiles, élastiques capables d'exciter un sang lent et paresseux.

Leur souffle absorbé par un vieillard communique à celui-ci la santé et la

jeunesse, et lui permet d'éviter les maladies si communes à cet âge.

N'allez pas croire toutefois, dit Cohausen, que notre Hermippus se soit

nourri uniquement du souffle des jeunes filles. Pline raconte bien dans

son histoire naturelle qu'on trouve au fond de l'Inde une nation, race d'in-

dividus sans bouche, les Astomes qui vivent non de nourriture ou de breu-

vage, mais de l'haleine et des odeurs des plantes et des fleurs et des exha-

laisons des fruits, mais ici il n'y a rien de semblable.

IIermolaus Barbarus a écrit qu'à Rome un homme vécut 40 ans par la

seule inspiration de l'air. Les évaporations des jeunes filles ne peuvent

remplacer les aliments, ni se transformer en la substance des vieillards,

elles servent seulement à exciter leurs esprits languissants. C'est de cette

façon que Démocrite le célèbre philosophe rieur recula sa mort de quel-

ques jours en approchant des pains chauds de ses narines.

Cohausen cherchant des arguments en faveur de sa théorie n'avait garde

d'oublier l'exemple des fleurs, dont l'odeur recrée et ranime. Marcus Fici-

nus ne prétend-il pas que leur parfum est un véritable aliment.

Si donc, des exhalations de végétaux peuvent ranimer les vieillards,

combien l'haleine d'un corps vivant et jeune ne doit-elle pas être plus

efficace et plus salubre. N'est-ce pas pour cette raison que Salomon s'écrie

dans le cantique des cantiques. Ton haleine est une essence des fruits par-

fumés, du nard et du Chypre, de crocus et de nard, de cinnamome, de

tous les bois du Liban, de Myrrhe, d'Aloes et de toutes les huiles essen-

tielles. »

Cette vertu du souffle humain paraîtra moins étrange quand on saura

qu'il est capable de plus grands miracles, comme de ranimer les mourants

et même les cadavres. Les médecins ont observé de nombreux cas de ée

genre ; Borelli, Tackius racontent des résurrections obtenues en soufflant

dans la bouche d'individus qui venaient de mourir. Il est fréquent de voir

les sages-femmes ranimer de cette façon les enfants qui naissent morts

en apparence. Le même procédé a été employé avec succès dans les synco-

pes et les suffocations des hystériques.

A propos de cette vertu du souffle humain, Cohausen rapporte plusieurs

fables.

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 73

Il parle de médecins qui vivent dans les Indes et qui, par leur souffle

seul guérissent presque toutes les maladies.

En Espagne, il est une race particulière ou comme le disent certains

écrivains un ordre de chevalerie dont les membres appelés salutatores,

prétendent guérir les blessures en soufflant sur le malade ou en pronon-

çant certaines paroles qu'ils affirment avoir été enseignées par Saintl;lme.

Mais ce sont, dit l'auteur, des superstitions que beaucoup d'écrivains ont

réfutées.

Voici, dit Cohausen, comment on pourrait écrire l'histoire d'Hermippus,

à la manière de Platon.

« Lorsque Thysbé, dans la naissante fleur de l'âge, parée par les grâces,

instruite par les Muses, converse avec le vieil IIermippus, sa jeunesse ra-

nime son âge, et la vive flamme dont son jeune coeur est échauffé, com-

munique sa chaleur à celle du vieillard.

Chaque fois que l'aimable vierge respire,la douce vapeur qui s'échappe

de son sein est pleine d'esprits vivifiants qui nagent dans ses veines de

pourpre. De même que les esprits attirent les esprits, ces mêmes vapeurs

se mêlent à l'instant même avec le sang du vieil Hermippus. De là passant

à travers son coeur, elles corroborent ce même sang, de façon que nous

pourrions dire presque sans métaphore, que les esprits de Thysbé rendent

la vie à ce vieillard.

Car enfin, est-il rien de plus facile à concevoir que cette transmission,

aussi vivifiante que physiquement naturelle, ajoute une nouvelle chaleur

aux sens glacés de son vieil ami ? de sorte qu'Hermippus possédant à la

fois le reste de force qu'il tient encore de la Nature, et empruntant les vi-

ves et fraîches vapeurs spiritueuses de sa jeune et charmante Thysbé ;

trouvera-t-on trop merveilleux, dis-je, que celui qui réunit deux sortes de

vie, peut vivre peut-être deux fois aussi longtemps qu'un autre homme. »

Hermippus vivait donc au milieu des jeunes filles qui jouaient encore à

la poupée, et dont la conversation était innocente, et la vie chaste. Causer,

rire, plaisanter avec elles, n'excite pas la débauche, n'abat pas la vigueur,

ni ne trouble le sommeil. Assurément, Hermippus n'était' pas un prince

qui passait sa vie au milieu des femmes de son harem.

Cohausen suppose qu'il était régent ou directeur d'un collège de jeunes

vierges qu'il conçoit comme uniquement fondé en faveur de leur éduca-

tion, et dès lors susceptible d'avoir été composé d'une constante succes-

sion de jeunes filles, depuis l'âge de cinq ou six ans jusqu'à celui de treize

ou quatorze.

L'histoire nous apprend d'ailleurs que les précepteurs et les maîtres

d'école sont parvenus jusqu'à un grand âge. Gorgias de Léontinum vécut

jusqu'à cent-huit ans. Protagaras l'Abdéritain atteignit quatre-vingt-dix

74 BEAUV01S

ans. Isocrates l'Athénien éloigné du forum ouvrit une école dans sa mai-

son, à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans. Orbilius, Zenon, Théophraste

et Carnéade sont d'autres exemples connus de longévité.

Le célèbre Louis Cornaro. si généralement apprécié pour son excellent

ouvrage sur l'utilité d'une vie réglée et sobre, dit en parlant de lui-même :

« Que lorsqu'il commença son régime, il prit chez lui onze jeunes neveux,

tous enfants du même père et de la même mère, tous de figure aimable et

d'une bonne constitution, qu'il prit la peine d'élever lui-même, et ajoute

que lorsqu'il revenait du sénat, il jouissait de la joie innocente et des jeux

également innocents , ainsi que des propos de cette aimable jeunesse.

Quelques-uns des moins jeunes (dit-il) m'entretenaient fort agréablement;

ils savaiept la musique, jouaient du luth, s'accompagnaient de leurs voix,

et très souvent j'y joignais la mienne, qui est aussi claire, aussi forte et

aussi douce qu'elle le fut jamais, j'ai même composé pour eux une co-

médie dont les scènes sont aussi variées qu'inoffensives, quoique aussi

pleines de railleries que de gaieté. La comédie, comme on sait, est l'en-

fant de la jeunesse, comme la tragédie est celui de l'âge mûr ; la dernière,

eu égard à sa gravité, lui convient beaucoup mieux ; au lieu que l'autre,

par son caractère aussi gai qu'agréable, a plus droit de plaire à la jeu-

nesse. »

Mais les jeunes filles pour être aptes à remplir un tel rôle auprès d'un

vieillard doivent posséder les qualités suivantes : elles doivent être encore

toutes petites, innocentes, chastes et saines. Lorsque le roi David accablé

de vieillesse sentait la chaleur abandonner son corps, que les vêtements

mêmes ne suffisaient à protéger, ses médecins parlèrent ainsi : Qu'on cherche

dirent-ils, une jeune vierge qui soit toujours auprès du vieux Monarque,

qui le chérisse et couche dans son sein pour qu'il puisse acquérir de la

chaleur.

On lui amena la jeune Sunamite Abisag dont la beauté incomparable,

la douceur des entretiens et les chastes embrassements ranimèrent son

âme. Cohausen fait remarquer qu'on ne choisit pas une des épouses du roi

Prophète, et pourtant elles étaient en grand nombre. Les médecins ne les

jugeaient point aptes à un tel rôle parce que la première condition exigée

est une parfaite santé.

La seconde est la beauté que la jeune Sunamite possédait au plus haut

degré.

Enfin une dernière condition était nécessaire, la chasteté, et sur ce point

la Bible est formelle : Abisag ne fut que la compagne de David.

Cohausen examine ensuite deux objections faites à sa théorie par son

ami Nunning.

1° Pourquoi Salomon qui eut des légions de femmes ne vécut-il pas jus-

qu'à un âge avancé ?

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 75

2° Pourquoi aussi les Sultans qui possèdent tant de femmes dans leur

harem n'arrivent-ils pas à la vieillesse ?

La réponse est identique ; cesprinces abusent des plaisirs des sens, vivent

au milieu des intrigues, des querelles, des jalousies de leurs femmes d'ori-

gines et de races si diverses.

La luxure tua Salomon comme elle cause la mort d'un grand nombre

de princes de l'Asie.

La première partie du livre se termine par la description d'une des jour-

nées d'Hermippus et de ses jeunes écoliers.

Supposons donc, dit l'auteur, qu'il existait à cette époque à Rome un

magnifique gymnase pour les jeunes filles ou pour les orphelines comme

ceux qu'ont bâtis depuis les papes Innocent III et Sixte IV.

C'était un immense palais ou chaque enfant avait sa chambre et son lit.

L'air y était saturé des exhalations s'échappant de tous ces jeunes corps,

et imprégnait en les nourrissant les poumons du vieillard. Hermippus

passait dans ce lieu, la plus grande partie du jour, racontant aux enfants

des histoires agréables ou plaisantes, leur faisant une instruclion morale,

leur enseignant les règles de vie, et aussi jouant et badinant avec elles.

De grand matin, Hermippus était réveillé par le joyeux bavardage de

ses écolières. Les servantes préparaient dans la chambre commune, un

grand feu qui entretenait un degré de chaleur convenable A peine levé le

vieillard était entouré de la foule des fillettes, comme un père est envi-

ronné de ses enfants, et à l'envi toutes s'informaient delà façon dont il

avait passé la nuit. Parfois il leur racontait des songes agréables qu'il avait

eus et en faisait d'habiles applications morales. Quelques-unes un peu plus

grandes et sachant déjà la flatterie, peignaient ses cheveux blancs, d'autres

rétablissaient l'ordonnance de sa barbe, d'autres enfin caressaient de leurs

mains si douces son cou et ses bras. Sans aucun doute elles lui auraient

offert du thé, si cette mode avaient été connue à ce moment-là, ajoute

Cohausen.

Après le travail venait l'heure de la récréation, les jeunes filles se li-

vraient à leurs divertissements favoris, jouaient à la poupée, dansaient,

chantaient sous lui paternel d'Hermippus. De tous temps les philosophes

et les médecins ont vanté l'efficacité et la vertu des chansons et des choeurs

pour la conservation de la santé.

Une affaire urgente appelait-elle au dehors notre Hermippus, vous au-

riez vu les enfants retarder son départ par leurs embrassements, et le re-

tenir jusque sur le seuil. A son retour, il était fêté et chacune lui prodi-

guait ses plus tendres caresses.

A l'envi, elles sautaient sur ses genoux, le frappaient de leurs petites

mains en riant aux éclats, grimpaient sur ses épaules et réclamaient toutes

leur part de baisers.

76 BEAUVOIS

Autour du gymnase s'étendait un jardin splendide, plein de fleurs et

d'herbes dont les parfums sont eux-mêmes des secours pour la prolonga-

tion de la vie. Les enfants le soignaient de leurs propres mains et l'enri-

chissaient de leur industrie. Chaque jour Hermippus se retirait dans ce

lieu avec son troupeau de jeunes filles, et chacune d'elles n'avait garde

d'oublier sa poupée qu'elle entourait de soins constants. Là, notre vieil-

lard jouait, bavardait, dansait, chantait, débitait mille sottises pour char-

mer ses chères enfants.

La seconde partie de l'ouvrage a pour but de montrer que la vieillesse

est prolongée non seulement par l'haleine des jeunes filles mais aussi par

la transpiration de leur corps.

C'est en réalité une application de la médecine statique de Sanctorius,

, et de sa théorie de la perspiration au problème de la longévité.

Après avoir établi l'existence de cette transpiration d'après Hippocrate

et les autresmédecins,Cohausen fait remarquer qu'étant due à la circulation

dusang,il s'ensuitque les parties rejetées parle'sang, doivent participer de

la matière et de la nature dece même fluide. Or le sang des jeunes personnes

est doux, onctueux, balsamique et il laisse échapper des effluves saines

et volatiles. Le corps humain est aussi inspirable, c'est-à-dire qu'il possède

des pores et des bouches absorbantes qui s'emparent des exhalations des

corps animés ou inanimés.

Le corps humain est une machine pneumatico-hydraulique composée de

fluides et de solides ; une bonne et saine constitution partant des

mouvements dispos des uns et de la libre circulation des autres il n'est pas

moins certain que cette libre disposition des mouvements, ainsi que celle

de la circulation dépendent réciproquement l'une de l'autre. Car, de même

que la circulation se trouve obstruée, affaiblie, et jusqu'à un certain point

arrêtée par le défaut de la motion convenable des solides,occasionnée par

la perte du vrai ton, ou texture qu'ils avaient coutume d'avoir, de même,

cette perte, de l'autre côté provient de ne pas recevoir, à point nommé,

ce supplément de la nutrition nécessaire des sens naturels. De là, cette sé-

cheresse, cette rigidité, cette roideur des fibres d'où naît cette maladie

appelée vieil âge, et pour le prévenir d'une façon aussi raisonnable que

physique, la seule vraie méthode est de se pourvoir,d'un constant, égal et

effectif supplément de ces deux balsamiques,et vivifiantes effluves émanées

de la circulation des fluides.

Les plus sages d'entre les Anciens l'ont pensé, et les méthodes prati-

quées et prescrites pour y réussir sont toutes fondées sur ces principes. Ils

ont fait un fréquent usage des bains, des frictions, des onguents balsami-

ques qui seraient trouvés très insuffisants pour leur objet, s'ils n'eussent

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 77

pas conçu la possibilité de charger par leur moyen les fluides, avec des

particules propres à réparer les pertes des solides.

Revenant sur les qualités physiques que doivent posséder les jeunes filles,

Cohausen énumère de nouveau : la première jeunesse, la santé, la chas-

teté, les digestions faciles, la respiration, saine et agréable, etc.

Mais il est une autre catégorie de preuves d'ordre tout négatif qui peu-

vent être invoquées. Est-il rien de plus commun que de voir une femme sur

l'âge redevenir non seulement plus leste et plus vivace, mais plus forte et

mieux portante, après avoir épousé un jeune homme ? Elle boit pour ainsi

dire sa respiration, attire à elle ses esprits, son humide radical, et s'en

restaure elle-même tandis que le pauvre et jeune époux souffrant de la

contagion de son haleine et de ses autres émanations et victime d'une union

si mal assortie, tombe bientôt dans la plus visible faiblesse qu'on appelle

une galoppante consomption. Cohausen s'attache à peindre les ravages que

peut exercer une vieille femme sur un organisme jeune. Il n'a pas d'image

assez forte, pas d'épithète assez vigoureuse pour critiquer ces « monstres ».

Le jeune homme qui va épouser une vieille femme, à moins qu'il n'at-

tende une riche dot, s'applique ces paroles de Martial, 1. 10, ép. 8.

Nubere Paula cupit nobis, ego ducere Paulam

Nolo, anus est, vellem si magis esset anus.

Au contraire on a vu des vieillards qui avaient épousé des jeunes filles

arriver à une extrême vieillesse ; et Cohausen en raconte deux exemples.

Voici le premier. Peter Lotichius (1) rapporte ce qui suit : Un homme de

80 ans, après avoir perdu sa première femme, en épousa une seconde

qui n'en avait que vingt-cinq. Après la première année de second mariage,

il tomba dans une si grande maladie que l'excès de son épuisement fit

absolument désespérer qu'il pût n'y pas succomber. Cependant il vint dans

un meilleur état et les progrès de cette convalescence furent si rapides que

ses cheveux et sa barbe étant successivement tombés, et que sa peau même

s'étant desséchée et pelée, on vit bientôt après avec la plus grande sur-

prise, une hlonde, belle et forte chevelure croître pour ainsi dire à vue

d'oeil, sa barbe reparaître, de même son visage redevenir frais et rajeuni ;

on vil en un mot renaître en lui non seulement les grâces, mais au dire

de sa femme, toute la vigueur d'un homme de trente ans, ce dont la suite

prouva la vérité par la naissance de plusieurs enfants qu'il eut d'elle.

Un autre exemple non moins remarquable est raconté par l'illustre ana-

tomiste Bartholin (Hist. Anal., Cent V, Hist 28, pages 47 et 48).

Thomas Parr naquit à Winnington dans le comté de Salop en 1488 sous

le règne d'Edouard IV, et y passa sa jeunesse dans les travaux les plus

(1) Observation méd., 1. 4, observ. 3.

78 BEAUVOIS

laborieux et dans la tempérance et la chasteté la plus rare.' A 40 ans il

épousa sa première femme connue sous le nom de Jeanne dont il eu deux

enfants desquels- le premier ne vécut qu'un mois et l'autre peu d'années.

A cent-deux ans, étant devenu fort amoureux de Catherine Milton, qu'il

parvint à séduire, il se soumit à la pénitence publique dans l'église de sa

paroisse. Il eut plusieurs enfants, mais bientôt las de celle-ci, il prit une

autre femme et vécut jusqu'à l'année 1635, robuste et plein de forces (1).

Cohausen apporte encore un autre exemple qui lui est personnel.

Un marchand sexagénaire, qui jusque-là était resté célibataire, épousa

une jeune fille belle et robuste; il la rendit mère la même année, mais il

fut en même temps atteint d'une fièvre aiguë. Je fus mandé par la femme

auprès du malade que je trouvai dans un état assez grave et se refusant à

prendre toute nourriture ou boisson. Je le quittai donc sans avoir prescrit *

aucun médicament et ne lui laissant que peu d'espoir, je le voyais de

temps en temps, et je constatai que son état s'améliorait, et qu'il revenait

à la santé, non débilité et émacié, mais plus robuste et plus florissant

encore qu'avant sa fièvre. Un pareil événement renversait toutes mes pré-

visions, quand un jour l'épouse m'apprit en riant, que durant toute sa

maladie, elle avait plusieurs fois par jour nourri son mari de son lait, et

qu'il y avait trouvé non seulement une nourriture et un breuvage, mais

encore un médicament aux effets merveilleux.

Je la félicitai de l'heureuse issue de ses soins, n'ignorant pas toutefois

que les meilleurs médecins défendent le lait pendant les fièvres.

De tels effets du lait ont cependant été rapportés parles anciens : Cor-

nélius Agrippa et lllarsilius Ficinus. Gui Patin aussi relate trois exemples.

Cohausen émet ici l'hypothèse que cet Hermippus n'était peut-être, ni

un directeur de collège, ni un institueur, mais un grand philosophe

hermétique. Il possédait peut-être le secret dont l'illustre Jean Pierre

Faber de Montpellier vante les effets; c'est-à-dire le moyen de concen-

trer, de coaguler par des procédés chymiques, l'haleine des jeunes filles et

d'en tirer cet esprit subtil et ce fondement de vie dont parlent les Adeptes.

Après avoir émis cette opinion,notre auteur se garde de toute affirmation

absolue. Il laisse les fils d'Hermès libres d'admettre Hermippus pour un

des leurs. On sent ici percer quelque raillerie dans la façon dont Cohausen

parle des secrets des philosophes hermétiques. Certaines de ses phrases ne

laissent pas que d'être même très malicieuses quand, très sérieusement

il affirme qu'on pourrait condenser de la même façon les crépi tus ani.

.Dans le dernier chapitre de son livre, Cohausen nous dévoile très nette-

ment sa pensée. Une vie comme celle d'Hermippus ne convient ni à un

(1) Le célèbre Harvey disséqua son corps et le trouva si admirablement conservé

qu'il le jugea capable de subsister encore un grand nombre d'années.

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 79

médecin, ni à un jurisconsulte, ni à un prêtre, ni à un jeune homme et

pas même à un vieillard vigoureux. Ne croyez pas, dit-il, que j'ai jamais

cru que c'était là un moyen de conserver la vie. Elle est impossible à pra-

tiquer et l'Hermippus n'est en somme qu'une récréation littéraire, arran-

gée avec beaucoup d'art et remplie de tous les agréments que peut y mettre

un esprit fin et délicat.

Le livre de J. H. Cohausen composé ou achevé vers 1740, comme nous

l'apprennent les lettres de son ami le chanoine Nunning que le neveu de

notre auteur a réunies à celles de son oncle sous le titre de Commercizsnm

litterarizzm, fut imprimé à Francfort-sur-le-Mein en 1742. Il fut accueilli

par un vif sentiment de curiosité ; l'auteur était connu déjà pour ses écrits

satiriques et le public lettré dut se récréer à cette lecture d'un paradoxe

soutenu avec un rare bonheur, et un talent indiscutable. S. J. H. Cohau-

sen qui venait d'entrer à l'Académie des curieux de la Nature sous le

nom de Cléombrotus II présenta le livre de son oncle à la Société (Acta

erud. Leipzig, 1741). Deux ans après, dans une autre séance, il en fit

l'analyse complète que les Nova Acta Curiosorum de 1745 insérèrent

dans leurs colonnes en la faisant suivre des réflexions suivantes.

« L'auteur n'a pas cru indigne de son âge ni de sa personne de s'a-

donner à cette récréation littéraire et de l'illustrer avec beaucoup d'art

et d'ornements. il écrit ce livre non dans un but médical, mais pour

montrer qu'il n'est pas dans l'antiquité de fiction insensée qui ne puisse

être éclairée de quelque apparence de vérité. »

Cependant, le livre de Cohausen se répandait par l'Europe. Le Journal

des savants de 1747 en signala l'apparition. Mais déjà il était connu en

Angleterre. Un historien écossais célèbre, John Campbell, que son érudi-

tion et ses connaissances faisaient le digne continuateur et adoptateur du

praticien allemand, en fit paraitre une traduction à Londres sous ce titre :

Hermippus redivivus ou le triomphe du sage sur la vieillesse et le tombeau.

Nous n'avons pu découvrir l'original anglais, mais nos bibliothèques en

possèdent une traduction française faite en 1789 par M. de la Place. C'est

cette traduction qui a beaucoup contribué à vulgariser en France l'oeuvre

du médecin humoriste allemand ; mais elle diffère notablement de l'oeu-

vre primitive. L'historien anglais y a recueilli une foule d'anecdotes et

d'histoires plus ou moins merveilleuses, tirées de récits de voyages ou

des compilations des auteurs du moyen âge.

Plus encore que Cohausen, John Campbell se complaît à rappeler les

recherches des philosophes hermétiques, et sur ce point son ouvrage peut

être regardé comme un précieux document. Après nous avoir promené à

travers les théories de ces illuminés dont le rêve était la découverte des

trois secrets cardinaux : le mouvement perpétuel, la transmutation des

80 BEAUVOIS

métaux, la médecine universelle, il se perd en longs récits sur les aven-

tures de Ed. Dickenson, du signor Géraldi de Vienne, de Eugenius Phila-

lelhès (Th. Vaughan), d'Artéphuis et de Raymond Lulle. L'histoire du

fameux Nicolas Flamel et dé sa femme Pernelle, racontée plus longue-

ment encore n'est pas pour nous déplaire, mais elle ne gagne guère à être

rendue un peu plus mystérieuse par l'imagination ou l'érudition de

Campbell. Au moins nous attire-t-elle par les souvenirs qu'elle a laissés

dans notre histoire de Paris.

Malgré la prodigieuse quantité défaits légendaires et mystérieux que

contient le livre de Cohausen, il est hors dedoute que sa lecture en est

des plus agréables et que l'auteur a soutenu avec beaucoup de talent sa

paradoxale théorie.

C'était aussi l'avis des éditeurs anglais qui insérèrent ce qui suit en tête

de leur préface :

« On aperçoit dans l'auteur du livre, un homme d'un grand savoir, d'une

littérature peu commune et un penseur aussi réfléchi qu'ami du genre hu-

main. Les livres qu'il cite'sont tous aussi curieux que rares et on a peine

à concevoir, à moins que d'avoir lu cet ouvrage, comment il fut possible à

son auteur de tirer d'une matière aussi sèche que morne un aussi brillant

parti que celui qu'il a eu le talent d'en tirer. »

« Quant au but principal auquel notre auteur s'est proposé d'atteindre

en fondant son système sur l'ancienne inscription citée au commencement

de son ouvrage, on ne pourra probablement disconvenir qu'il n'ait traité

cette matière avec tant de ménagements, d'érudition et d'ingéniosité, que

dût le'lecteur rejeter ses conjectures comme peu probables, il ne pourra

du moins se dispenser d'avouer que l'auteur n'a pas absolument perdu sa

peine, puisqu'en partant des recherches aussi curieuses que singulières

qu'il a faites, des vues aussi savantes qu'utiles s'y trouvent abondamment

répandues.

« On trouve dans cette singulière dissertation un mélange de sérieux et

d'ironique, vraiment fait pour plaire, surtout aux personnes faites pour

porter un jugement fondé sur les matières de ce genre, et curieuses de

voir jusqu'où la force de l'entendement humain peut s'étendre lorsqu'il

s'agit de traiter philosophiquement des vérités contraires aux opinions

reçues, sans choquer même le vulgaire. »

Il n'est pas possible pour qui connaît le livre en question de ne pas sous-

crire pleinement à ce jugement. Ajoutons seulement queJ. IL Cohausen

ne vil dans cette matière qu'un jeu d'esprit et qu'il soutint la gageure

portée par ses amis (il avait à ce moment 75 ans) avec beaucoup d'es-

prit et d'érudition. '

V Hermippus reclivivus a été réimprimé à Stuttgart en 1847 par un

UN CURIEUX MOYEN DE PROLONGER LA VIE 81

érudit allemand J. Scheible, dans sa collection : Trésor des étrangetés et

raretés littéraires et artistiques du moyen âge allemand. »

Il est accompagné d'une gravure qui représente une des scènes princi-

pales du livre : Hermippus au milieu de ses pupilles, et que nous repro-

duisons ici. Au premier plan des jeunes filles dirigées par une maîtresse

chantent un choeur destiné à charmer les oreilles du vénérable maître.

Celui-ci tient sur ses genoux un petit garçon dont le visage sérieux est

fixé sur un livre que sa main attentive tient grand ouvert, cependant

qu'une fillette grimpée dans le fauteuil d'IIermippus agace le vieillard

d'une main espiègle et lisse ses longs cheveux blanchis.

xiv G

Hermippus au milieu DE SES ÉLÈVES.

(Gravure tirée de ['Hermippus redivivus de J. H. Cohausen (1742) ; réimprimé à

Stuttgart, en 1847, dans la collection de Von J. Scheilbe.)

82 C-) BEAUVOIS

A ses pieds autour de lui d'autres fillettes, d'autres petits garçons sont

rangés et, leurs livres ouverts, sont attentifs aux paroles du maître. Nous

sommes dans une salle de collège, dans l'orphelinat décrit par J. H. Co-

hausen.

Tel est le livre bizarre que nous avons tenu à présenter au monde mé-

dical. Nous doutons fort que les chercheurs modernes puissent en tirer

quelque formule capable de prolonger la vie humaine.

Il ne constitue qu'un document que l'érudition pourra quelque jour

mettre à profit quand un patient et un savant voudra établir le bilan des

superstitions et des rêves plus ou moins insensés que le cerveau de l'homme

a produits dans le cours des siècles. Soyons aussi sceptiques que J. H. Co-

hausen, et laissons les adeptes continuer la recherche d'un problème

qui, à titres divers, nous poursuit sans relâche.

Aussi bien, ce document sur la longévité humaine vient-il à son heure e

nous semble-t-il. De tous côtés on s'agite autour de cette question.M. J. Fi-

not fait paraître son livre si intéressant La philosophie de la longévité dans

lequel il résume tous les travaux de ces dernières années. Les démogra-

phes, les physiologistes prennent place dans le débat et apportent les

uns les résultats de leurs statistiques, les autres les données de la chimie

moderne (1). La gérocomique en un mot est en voie d'édification. Nous ne

doutons pas que, dans un avenir assez rapproché, il existe un chapitre spé-

cial de l'hygiène indiquant les moyens plus ou moins propres à prolonger

la vie. Sans doute ils ne ressembleront guère à ceux que préconise J. H.

Cohausen, et leur rigueur scientifique ne sera rien moins qu'établie, puis-

qu'il leur faudra lutter souvent contre l'hérédité, mais ils existeront.

De plus, la bactériologie vient de donner un nouvel essor à toutes ces

idées.

M. Metchnikoff dans plusieurs travaux publiés dans les Annales de

l'Institut Pasteur et dans l'Année biologique a traité celle question de la

longévité. Il a montré que dans la lutte incessante dont notre organisme

est le théâtre, il nous était possible d'intervenir, et que par des moyens

appropriés, nous pourrions fortifier nos cellules contre les macrophages

nos ennemis. Le sérum qui pourrait ainsi conserver à nos éléments nobles

une vitalité sans cesse attaquée par des ennemis, n'a pas donné tous les

résultats qu'on pouvait en attendre. S'il n'est pas permis de combattre les

macrophages sans détruire en même temps les leucocytes, nos défenseurs,

peut-être nous sera-t-il possible de trouver un sérum capable de fortifier

ces derniers. Ne préjugeons pas du résultat. Laissons nos savants expéri-

(1) En ce moment même enfin, de très curieuses expériences ont lieu en Amérique

concernant la prolongation de la vie au moyen d'injections sous-cutanées de glycéro-

phosphate de sodium.

UN CURIEUX MOYEN DE .PROLONGER LA VIE 83

menter et chercher dans le calme des laboratoires, et ne devançons pas

leurs résultats par des itnprétations faciles quoique audacieuses. Faisons

remarquer toutefois que cette question de la longévité envisagée à ce point

de vue, ferait tressaillir d'aise les chercheurs du moyen âge. C'est du la-

boratoire que sortira la solution du problème, et à plusieurs siècles d'in-

tervalle, les idées profondément modifiées, se retrouvent à peu près dans

la même sphère d'activité.

Disons pour terminer que ce n'est pas à une époque où l'hygiène a ac-

quis une aussi grande place dans la vie scientifique et matérielle des peuples

qu'il appartient de se désintéresser de cette question de la longévité. Sans

doute la vie humaine est limitée, mais il n'est pas douteux que sa prolon-

gation dépend de plusieurs facteurs que la science moderne n'a pas encore

suffisamment déterminés.

Le régime, les soins plus éclairés, les précautions de toutes sortes que

les hygiénistes nous enseignent, nous feront éviter les maladies,

Nous ne vieillirons pas comme Hermippus quoique les centenaires ne

soient point aussi rares qu'on le croit généralement, mais nous atteindrons

sûrement une moyenne de vie plus élevée dont bénéficiera la société et

l'humanité.

La médecine n'enseigne pas seulement la guérison des maladies, elle

apprend aussi à ses adeptes, la prophylaxie. C'est dans cette voie que les

esprits chercheurs doivent s'exercer. La microbiologie y a déjà fait quelque

pas ; espérons qu'elle n'est qu'à son début et qu'elle n'a pas dit son der-

nier mot.

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES

DANS L'ART BYZANTIN

PAR

- JEAN HEITZ,

Interne des hôpitaux.

Dans leurs belles recherches sur les malades et les possédés dans les

oeuvres d'art, Charcot et P. Richer (1) se sont occupés surtout de l'école

italienne, et des écoles du nord, flamande, hollandaise, germanique. Ils

ont presque complètement négligé l'art byzantin ; et cependant cet art,

pendant dix siècles, a été celui de toutes les populations de l'Europe orien-

tale. Premier art chrétien, c'est lui qui, le premier, a fixé en oeuvres figu-

rées les pensées chrétiennes. C'est lui, qui, ayant recueilli la lumière

défaillante de l'art antique, devait la transmettre, modifiée par son origina-

lité propre, à l'art occidental renaissant. Nous croyons qu'il n'est pas sans

intérêt d'y poursuivre ces études qui ont été si riches en résultats dans

les écoles plus modernes.

Or, ces résultats ont été de deux sortes. D'abord, il n'est pas douteux

qu'au point de vue de l'histoire de la médecine, Charcot et P. Richer, et

depuis Henry Meige, ont ajouté aux sources que nous possédions au-

paravant, c'est-à-dire aux textes anciens, aux manuscrits grecs et de la

renaissance, une seconde série de sources, de beaucoup plus précises,

les documents figurés. Certains nous reportent à l'histoire de l'instrument

(la pince d'Enée dans la peinture de Pompéï), d'autres à l'histoire des

grandes épidémies (lèpre, peste, etc.), d'autres encore au charlatanisme

(les pierres de tête, etc.).

Mais un second point sur lequel je tiens à insister particulièrement,

est l'importance toute spéciale de ces études pour la critique artistique.

Ces études, qui ne peuvent être faites que par l'oeil exercé du clinicien,

(1) CHARCOT et P. Richer, Les démoniaques dans l'art, 1881 ; Les difformes et les ma-

lades dans l'art, 1889. 1

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 85

ont apporté aux historiens d'art, des éléments décisifs pour certains ju-

gements.

Les premières recherches de ce genre venaient à peine de paraître que

certains critiques avaient déjà compris tout le parti qu'ils en pouvaient

tirer. Breughel, Rubens, le Dominiquin, ont vu, de ce fait, leur mérite

d'observateur établi définitivement, scientifiquement. On peut voir la

confirmation de ce que j'avance dans l'étude de M. Michel sur les Breu-

ghel, et plus récemment dans son livre sur Rubens. Il est en effet certain

que l'artiste qui a su tracer, il y a trois cents ans, une figuration exacte,

facilement diagnosticable d'unedéformation pathologique et spécialement

d'une crise hystérique, cet artiste était hors de pair. Savoir, dans ces

mouvements complexes, non connus et non décomposés, savoir dégager

de cas multiples l'attitude caractéristique et toujours la même, c'est là

une opération d'esprit dont seuls sont capables, des cerveaux spéciale-

ment doués. Ce que la science moderne ne devait arriver'qu'a analyser

lentement, avec des années d'étude et toute une organisation de tra-

vailleurs, ces artistes l'ont synthétisé par une seule opération simultanée

de l'oeil et de la main, en une oeuvre d'art. Comme le dit Taine (1) :

« Nous autres, hommes moyens, nous décomposons les objets pièce par

pièce, nous marchons par degrés et filiations. Eux, voient plus vite; les

objets entrent déjà organisés dans leurs esprits ; ils pensent par blocs et

non par morceaux ; ils n'ont pas besoin d'avoir appris, ils devinent; ils

construisent comme par inspiration. C'est pourquoi, ils. atteignent la

vie. »

En résumé, la représentation exacte dans une oeuvre d'art, d'une ma-

ladie, d'une déformation pathologique, prouve chez l'artiste deux quali-

tés qui vont d'ailleurs de pair, une grande profondeur d'observation, une

habilité particulière de l'exécution. Or ce sont ces qualités qu'il est inté-

ressant de rechercher dans les différentes époques de la civilisation by-

zantine.

Né dans la décadence romaine, J'art byzantin s'est élevé peu à peu

jusqu'au Xe siècle, époque où il s'est épanoui avec ses plus belles qua-

lités; puis il n'a plus fait que décliner. Une des particularités les plus'

curieuses de sa longue décadence est l'immobilisation à peu près complète

dans laquelle il a pu se conserver jusqu'à nos jours. Les mêmes types

immuablement fixés se copiaient d'âge en âge, et les artistes trouvaient

dans des manuels comme celui que Didron a rapporté du Mont-Athos, la

composition, l'attitude des personnages, la couleur même pour chaque

sujet donné. Il est bien entendu que tout cela se peignait de chic, sans

(i) 1'.vvE, Histoire de la littérature anglaise, t. 2, Shakespeare.

86 HEITZ

modèle. Mais à quelle époque remonte cette singulière manière de com-

prendre l'art, c'est ce qui n'est pas absolument fixé. Le livre de Didron est

du XVe siècle, mais sa lecture en suppose d'autres, bien antérieurs.

Par contre, dans bien des oeuvres du XIIe, du XIV, siècle même, on

rencontre une fraîcheur de style, une aisance de gestes qui étonne et

laisse soupçonner quelque étude de la nature. Au milieu de toutes ces

incertitudes, il n'est pas douteux que l'appréciation par le clinicien, des

attitudes et des déformations pathologiques qui pourraient se rencontrer

dans les oeuvres de telle ou telle époque, il n'est pas douteux, dis-je, que

cette appréciation seraitrpour le critique d'art un élément de jugement

d'une grande valeur. Elle permettra d'affirmer ou de nier, pour cetteépo-

que, l'étude directe de la nature.

Or les représentations de miracles, et par suite, de maladies de toutes

espèces sont fréquentes dans les ouvrages byzantins, et cela, dès les pre-

miers siècles.' Les miracles constituaient, en effet, une des gloires du

christianisme triomphant, et on leur faisait parmi les représentations des

scènes évangéliques, sur les murs des églises, une place importante. Dès

le ne siècle, on trouve des scènes miraculeuses peintes dans les catacom-

bes de Rome. M. Henry Meige y a rencontré* la guérison du paralyti-

que. Les basiliques byzantines de Ravenne ont déjà un certain nombre de

scènes de guérison, en grande partie conventionnelles. Plus tard, avec

les progrès de l'esprit et de la civilisation, elles tendront à se rapprocher

de la réalité observée.

Malheureusement les monuments byzantins ont souffert terriblement t

de la main des hommes, plus encore que de l'action du temps. Il n'en

reste que des ruines, quelques fresques effacées ou disparues sous le ba-

digeon turc, quelques mosaïques, ou bien des débris d'ivoire, des manus- .

crits disséminés dans les musées et les bibliothèques. En Italie, quelques

monuments de l'époque byzantine se sont suffisamment conservés. J'ai eu,

à plusieurs reprises, l'occasion de visiter ces derniers. M. Gabriel Millet,

que je ne saurais trop remercier de son obligeance, a bien voulu entrouvrir

pour moi les collections de dessins et de photographies qu'il a rapportées

de ses missions d'Orient. Je possède actuellement un nombre suffisant de

documents intéressant l'époque byzantine pour pouvoir en faire une étude

générale au point de vue de la représentation des scènes démoniaques et

des maladies. Il ne faudrait pas nous attendre à trouver ici des représen-

tations comparables comme vérité à celles de Rubens, ou du Dominiquin.

La civilisation byzantine n'était ni assez sincère, ni assez élevée pour pro-

duire des artistes aussi consciencieux et aussi puissants, mais à certaines

époques nous pourrons constater des efforts heureux, des tendances vers

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LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN

( [eau Heitz)

Mosaïques de l'Eglise S. Apollinare Muov^ Ravenne (VIe siècle). '-

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 87

l'observation et la vérité exacte, qui trancheront sur la négligence et la

convention des époques de décadence.

I. - Epoque DE RAVENNE (VI" SIÈCLE).

Les monuments élevés au VIe siècle par Théodoric pendant la domina-

tion gothique en Italie, forment les documents les plus anciens que nous

puissions rattacher à l'art byzantin. Cette première tentative de restaura-

tion des arts sur la terre italienne ne put se faire qu'avec l'aide des artistes

de Constantinople, où la tradition subsistait encore, alors que les invasions

l'avaient éteinte autour de Rome. Aussi les églises deRavenne, la capitale

de Théodoric, et les mosaïques qui les décorent doivent-elles être considé-

rées comme des oeuvres grecques, nous donnant une idée complète de ce

que pouvait être l'art du VIe siècle à Constantinople même.

Or nous trouvons dans l'église St-Apollinare Nuovo de Ravenne,

toute une série de représentations de miracles et de guérisons, sous forme

de petites mosaïques, assez bien conservées, malheureusement très haut

placées, et difficilement visibles. Parmi ces mosaïques, il en est une qui a

été signalée par Charcot et Richer (1). Elle représente la guérison du pos-

sédé (Pl. V, A).

Il s'agit évidemment de la guérison qui eut lieu sur les bords du lac de

Génésareth. A la voix du Sauveur, les démons, sortis du corps du jeune

homme, entrèrent dans des porcs qui paissaient en troupeau non loin de

là, et qui, se précipitant dans le lac, s'y noyèrent. Charcot a bien montré

la faiblesse de cette représentation. L'artiste n'a fait aucun effort pour

rendre la crise démoniaque. Le possédé est à genoux devant le Christ, les

bras étendus en avant, les mains ouvertes, la tète légèrement inclinée vers

le sol. Nous sommes sûrs cependant qu'il s'agit d'un possédé, car derrière

lui, nous voyons trois animaux à demi-plongés dans l'eau, et qui ne peu-

vent être autre chose que les pourceaux de l'Evangile.

La figure (Pi. V, B) qui reproduit la mosaïque voisine, nous montre Jésus,

debout, assisté d'un de ses disciples, se préparant à guérir le paralytique.

Celui-ci est couché sur un grabat. Deux hommes soulèvent ce grabat avec

des cordes pour le faire passer par le toit. Dans la mosaïque de la figure

suivante (Pl. V, C) nous voyons le paralytique guéri, représenté cette fois

à côté du Christ, et s'en allant, portant son lit sur ses épaules. Ici, non

plus, aucun effort n'a été tenté pour reproduire les déformations de la

paralysie. La maladie n'est représentée que par ses signes tout fait ex-

térieurs. Il en est de même dans la guérison de l'aveugle, où seul le

(1) Charcot et P. Richer, Les démoniaques dans l'art, p. 5.

88 HEITZ

doigt du Christ, touchant l'oeil du vieillard, nous indique l'affection dont

souffre ce dernier. Rien dans son attitude ni dans son maintien ne le

distingue du Christ ou du disciple. Je n'ai malheureusement pas pu me

procurer la photographie de ce document.

Par contre, nous pouvons constater dans la mosaïque (l'1. V, D), que

cette fois, l'artiste a fait un effort, un effort même très remarquable pour

figurer la maladie elle-même. Le Christ toujours accompagné de son disci-

ple, fait le geste consacré, sur une femme qui lui présente sa main droite.

Un oeil exercé aux diagnostics médicaux ne pourra s'empêcher de remar-

quer combien cette main ressemble à une main de paralysie radiale. Certes,

l'exécution est maladroite, mais nous verrons ultérieurement des repré-

sentations de paralysie radiale conçues de la même manière, et qu'une

exécution plus précise, plus savante permettra d'affirmer d'une façon cer-

taine. On peut donc, sans trop s'avancer, admettre qu'il s'agit bien ici

d'une paralysie radiale. Ce document nous montre, pour la première fois,

une certaine tendance à l'imitation de la nature.

En dehors de cette série de mosaïques, nous avons de cette époque un

ivoire, fragment de couverture d'évangéliaire, que Charcot a trouvé dans

la bibliothèque de Ravenne (1). Il s'agit encore ici d'un démoniaque exor-

cisé par le Christ. Celui-ci tient une croix de la main gauche, de la droite z

il fait le geste consacré. Le possédé est peu intéressant : debout, le poids

du corps reposant sur la jambe gauche, il a le genou droit fléchi, comme

s'il cherchait à fuir. Les deux pieds et les deux poignets sont entravés.

Au-dessus de lui, un petit démon volant nous permet de fixer le sens de

la scène.

En récapitulant, nous voyons qu'au VIe siècle, toutes les représenta-

tions sont faibles, mais dénotent un effort. Ce sont bien les oeuvres d'un

art au berceau. La tradition n'existe pas encore, tout est à inventer. Sans

doute, les scènes de possession sont encore très au-dessus des moyens de

ces artistes sans expérience et sans instruction technique ; ils n'essayent

de les rendre que par des signes conventionnels (chaînes, démon volti-

geant,'troupeau de porcs). Dans un cas cependant, nous avons trouvé un

effort, vers la réalité ; cette représentation de la paralysie radiale, tout

imparfaite qu'elle soit, nous prouve que l'art est en train de s'orienter vers

la bonne voie.

II. L'AGE d'or (Xe ET XIe siècles).

De l'art de Ravenne nous sautons brusquement à la période la plus

brillante de l'histoire byzantine. Elle suit immédiatement la période des

(1) CHARCOT et P. Richer (loc. cit., p. 6).

Nouv. Iconographie DE la SALPÈTRILRF.

T, XIV, Pl. \'1

1.

F

G

11

I

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN

(Jean lleili)

E, F, G. Fragment d'un devant d'autel en ivoire de la Cathédrale de Salerne (\I, siècle).

H. Fragment d'une porte en bronze de l'Eglise de S. Zeno, à Vérone (XI* siècle).

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 89

iconoclastes, et sous la domination intelligente et énergique des princes

de la maison macédonienne, l'état politique et l'art atteignent, leur point

culminant. 1

Les oeuvres de cette période (mosaïques, bronzes, ivoires) sont certai-

nement celles qui témoignent du goût le plus pur ; celles où la recherche

de la grâce et de la vie sont le plus apparentes, et d'où l'étiquette, la con-

vention semblent le plus écartée. La prospérité universelle du pays ex-

plique cet éclat des beaux-arts. Constantinople semblait être la capitale

de l'univers. Ses bijoux, ses oeuvres d'art, ses étoffes se répandaient dans

tout l'Occident, en Russie, et jusqu'en Scandinavie.

Les monuments de cette époque sont malheureusement rares à Cons-

tantinople, ce qui s'explique par les désastres qui ont fondu sur cette ville

après sa prise par les croisés. C'est en Italie, en Italie méridionale surtout,

que nous retrouverons le plus facilement l'art byzantin de la belle époque.

Alors, en effet, Venise a son aurore, Amalfi et déjà Pise étaient en trafic

constant avec l'Orient et Byzance. Toute la péninsule et surtout la région

de Naples et de Salerne était dans sa dépendance, sinon politique, du

moins intellectuelle et artistique.

Voici quelques monuments de cette période, ivoires, bronzes, manus-

crits, qui se rapportent au sujet de notre étude.

a) Devant d'autel en ivoire de la cathédrale de Salerne.

Ce devant d'autel se divise en deux parties, chacune formée de trente'com-

partiments. Il se trouve.placé sur un autel de la sacristie de la cathédrale.

M. Bertaux qui a fait une étude approfondie des oeuvres d'art de l'Italie

méridionale le considère comme datant du XIe siècle. Ce serait un vestige

de la première période normande, succédant immédiatement à la domina-

tion grecque. On peut se rendre compte par les figures ( f'l. VI) que

ces ivoires sont dignes de compter parmi les plus belles productions de la

sculpture byzantine. Le style en est caractéristique. Il ne serait pas im-

possible qu'ils fussent l'osuvre d'artistes locaux, ayant travaillé sur des

modèles byzantins.

Dans cet ensemble si précieux, un certain nombre de compositions re-

présentent des scènes de guérison. Elles n'ont jamais été signalées, à ma

connaissance.

Le compartiment reproduit PI. VI,E, a pour sujet la guérison du jeune

homme aveugle. Jésus, debout devant l'aveugle, touche son oeil gauche de

la main droite. Le Christ tient un bâton de la main gauche, il est accom-

pagné d'un de ses disciples. Tous deux sont auréolés, drapés d'étoffes

qui tombent élégamment. L'aveugle est aussi debout, leur faisant face. Il

90 HEITZ

s'appuie sur un long bâton, terminé par une crosse horizontale, en

forme de T.

Toute sa démarche a un caractère hésitant et tâtonnant, ses genoux sont

très légèrement fléchis, et l'ensemble est assez caractéristique pour qu'il

soit facile de reconnaître son mal du premier coup d'oeil, quand même le

geste du Christ ne le soulignerait pas. On peut remarquer que le malade

a la face légèrement inclinée vers le sol. En effet, il y a dans les oeuvres

d'art deux manières différentes de représenter les aveugles. Tantôt ils sont

représentés le front élevé, les yeux dirigés vers le ciel comme s'ils y cher-

chaient la lumière. C'est l'attitude des gens devenus aveugles depuis très

longtemps. Nous trouvons souvent ce type dans l'art italien. Un des plus

beaux est l'aveugle de Beato Angelico, à la chapelle de Nicolas V, au Va-

tican. Mais ordinairement les byzantins nous montrent les aveugles

fuyant la lumière. Ils baissent les yeux vers le sol, comme pour éviter la

sensation douloureuse que leur causent les rayons lumineux. Cette attitude

sera encore plus nette dans un exemple que nous retrouverons un peu plus

loin. Notons seulement qu'ici, l'attitude est très juste et dénote une cer-

taine observation. Il n'y a pas de comparaison possible avec l'aveugle des

mosaïques ravennaises du VIe siècle, où nous nous rappelons que l'alti-

tude ne rappelait en rien celle d'un homme frappé de cécité.

Le personnage qui se lave à une fontaine à droite de la composition est

l'aveugle lui-même, représenté une seconde fois comme guéri. C'est là un

procédé tout à fait byzantin, que l'art de Ravenne ne connaissait pas,

mais que nous retrouverons fréquemment.

Ainsi, le paralytique dont la guérison est reproduite Pl. VI, F,

est également figuré deux fois. D'abord accroupi devant le Christ, on

le voit un peu plus à droite s'en allant allègrement, son lit sur l'épaule et

regardant négligemment en arrière. La représentation du paralytique en

question n'a d'ailleurs rien de spécial au point de vue médical.Le membre

supérieur gauche repose sur le genou, le bras droit est maintenu par

une écharpe et la main s'élève suppliante vers le Sauveur.

Par contre l'individu que le Christ relève présente au bras droit une

déformation qui ressemble trop à une paralysie radiale pour n'être que le

résultat d'une maladresse de l'artiste ; cette maladresse ne concorderait

pas trop avec ce que nous avons vu et verrons. Il n'en est pas moins vrai

que le sens général de la composition est difficile à expliquer, mais cotte

déformation, déjà vue à Ravenne, nous la retrouvons encore plus nette dans

des mosaïques du XIIe siècle. Je crois donc que cette main pendante, aux

doigts retombant à peine fléchis, est une main de paralysie radiale.

Dans le compartiment reproduit PI. VI, G, nous trouvons deux types de

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 91

malade très intéressants. Au premier plan du groupe, devant le Christ, et

béni par lui, un homme barbu, dont le gros ventre, étalé, retombant sur

les cuisses, est la représentation exacte du ventre de batracien des asciti-

ques. Il s'agit de la guérison de l'hydropique. Nous pouvons même noter

un épaississement oedémateux notable des membres inférieurs. Tout à fait

à droite, derrière l'hydropique, un mendiant s'appuie de la main droite

sur une béquille. Celle-ci se termine à hauteur de poitrine par une barre

horizontale ; à sa partie moyenne, se trouve une sorte d'anneau où repose

le genou. C'est là un document très intéressant pour l'histoire de la pro-

thèse chirurgicale à ces époques lointaines. Quant au mendiant lui-même,

il a le bras droit en adduction forcée, collé au corps.

L'avant-bras est fléchi ; la main semble normale, mais l'ensemble du

bras donne l'impression d'un membre contracturé. Du même côté à droite,

il a le genou en demi-flexion, et cette flexion doit être constante puisque

la béquille présente un anneau qui indique bien que le malade peut poser

son pied à terre. Le pied est d'ailleurs en flexion forcée sur la jambe. En

regardant avec soin, on peut voir que la béquille ne pose pas par terre, et

que le malade est en train de la soulever, sans doute pour faire un pas en

avant ?

Du côté gauche, la jambe est en extension, le poids du corps repose sur

elle. Le pied présente encore de ce côté cette singulière contracture en

flexion. En présence de ces déformations, il semble vraisemblable que

l'infirme présentait du côté droit une hémiplégie avec contracture en

flexion des deux membres ; quant à la contracture en flexion du pied gau-

che, je suis obligé d'avouer que je ne me l'explique pas trop.

Sans doute on pourrait chicaner l'artiste sur ce point, ainsi que sur l'ab-

sence de contracture de la main droite, mais, en dehors de ces points de

détail, l'hémiplégie avec contracture et la béquille du mendiant, le ven-

tre de batracien, de l'hydropique, la paralysie radiale, l'attitude si carac-

téristique de l'aveugle nous montrent que celui qui a produit cette oeuvre

considérable savait copier les modèles qui passaient devant ses yeux. En

plusieurs endroits il a fait preuve, d'un esprit d'observation vraiment

remarquable. On peut voir d'ailleurs que les gestes sont, en général, na-

turels et justes, les têtes très expressives, les modèles des nus suffisants.

Tout cela coïncide très exactement avec ce que nous savions déjà de

l'état des arts au Xe et au XIe siècle.

b) Porte de bronze de Sem-Zeno d Vérone.

Les portes de bronze comptaient comme un des principaux articles d'ex-

portation de Constantinople. Presque toutes les villes d'Italie, surtout dans

le royaume de Naples, possédaient aux XIe et XII" siècles, des portes à deux

92 HEITZ

battants venant de Grèce ou exécutées sur place par des artistes grecs. On

en retrouve à Monreale, à St-Paul de Rome, au Mont-Cassin, etc.

Une des plus belles est certainement celle de San-Zeno, à Vérone. pile

date probablement du XIe siècle. Un de ses compartiments représente la

guérison par S. Zeno, de la fille de l'empereur possédée du démon (voir

Pl. VI, H). Charcot et P. Richer (1) ont signalé toute la valeur de ce docu-

ment. La femme a une attitude en arc de cercle, très caractéristique. Vê-

tue d'une longue robe, elle se débat dans des convulsions que suffit à peine

à maîtriser l'homme qui, par derrière, lui soutient l'épaule gauche, tout

en maintenant la main droite. La tête est renversée en arrière, et le bras

droit est certainement contracture. Le ventre est saillant, tympanisé, chose

fréquente chez les hystériques (Charcot). Devant elle, S. Zeno mitré, la

saisit par le bras gauche et la bénit. Un petit diable s'échappe de la bou-

che de la possédée. et voltige au haut de la scène.

Ce document est certainement d'une valeur inestimable. De toutes les

figurations byzantines se rapportant à l'histoire des possédés, aucune n'a

atteint ni n'atteindra ce degré de perfection. L'artiste qui a fait ce chef-

d'oeuvre, peut être égalé aux plus grands, et il faudra arriver aux plus

belles époques de la renaissance italienne ou du XVII, siècle flamand pour

trouver une observation aussi fine et aussi pénétrante.

k

c) Miniatures des manuscrits d'Aix-la-Chapelle.

Ces miniatures se trouvent également signalées dans le livre de Char-

cot et P. Richer (2). Sur l'une d'elles, le possédé est debout, pieds et

poings liés. Le Christ le bénit. Non loin de là, on voit quelques diables et

des pourceaux.

Sur une autre, Charcot a noté une tendance remarquable à la figuration

de l'arc de cercle. Des scènes semblables se trouveraient dans des évangé-

liaires de Trèves, Gotha, Brème, Hildesheim. Toutes ces oeuvres doivent

être rattachées à l'art byzantin. En effet, vers la fin du Xe siècle, le fils

d'Otton I, le futur Otton II, épousa une princesse grecque, Théophano.

Celle-ci amena en Germanie de nombreux artistes de son pays, et leur in-

fluence se conserva pendant tout le XIe siècle. C'est ainsi qu'on peut ex-

pliquer très facilement la présence dans une de ces miniatures d'un arc de

cercle hystérique, et par suite, d'un effort d'observation qui ne se retrou-

vera plus dans ces contrées avant de longs siècles.

(1) Gnnncor et P. Richer (loc. cit., p. 9).

(2) Charcot et P. RICIIEII (loc, cil., p. 11).

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 93

' III. - LE DOUZIÈME SIÈCLE.

Après les derniers documents du XIe siècle, nous n'avons plus trouvé

signalé dans les études de ce genre aucun document byzantin. Pour les

époques ultérieures, toutes les figurations sur lesquelles je vais m'ap-

puyer, sont encore inédites. Dans le courant du XII" siècle, deux portes

de bronze; les mosaïques de la cathédrale de Monreale en Sicile ; des mi-

niatures d'un monastère du Mont-Athos, vont faire passer sous nos yeux à

peu près tous les types des malades connus à cette époque.

a) Porte de bronze de la cathédrale de l3enévent (royaume de Naples).

Cette porte date de 1250. Elle est extrêmement belle pour la disposi-

tion générale et pour l'ornement. Un de ses nombreux compartiments

(l'1. VI. I) a pour sujet la guérison de l'aveugle,et il est très intéressant de

la comparer à l'ivoire de Salerne, antérieur d'environ un siècle. La com-

position générale de la scène est semblable ; l'aveugle est représenté deux

fois, la seconde se lavant à la fontaine. Mais le niveau artistique est nota-

blement inférieur. Les figures sont trop petites dans le cadre, mal dis-

posées.

L'attitude de l'aveugle nous suggère des réflexions du même ordre. Elle

n'a rien de caractéristique. C'est un personnage ramassé sur lui-même,

presque accroupi ; nous reconnaissons l'exagération maladroite et inintel-

ligente des tendances de l'ouvrier de Salerne. Ce sont déjà les défauts de

la décadence. On copie les oeuvres antérieures, sans se rendre compte des

intentions qui ont présidé à leur exécution, et on copie mal.

b) Porte de bronze du dôme de Gnesen (Pologne prussienne).

Le dôme de Gnesen a été fondé à la fin du XIe siècle, sous l'invocation

de S. Adalbert, l'apôtre de la Prusse et de la Pologne. Une des portes du

bas-côté sud date du XII* siècle. Les dix-huit panneaux racontent l'his-

toire de S. Adalbert, et l'un d'eux le représente guérissant un possédé.

Celui-ci est debout devant le saint, enchaîné et immobile. Son attitude

est celle de tout homme enchaîné. Seul un démon voltigeant nous permet

de penser qu'il s'agit d'un exorcisme.

C'est là certainement une oeuvre byzantine. Presque toutes les portes

de bronze de cette époque se fabriquaient à Constantinople, ou étaient

faites sur place par des ouvriers grecs. Mais nous sommes déjà loin de la

porte de San-Zeno.

c) Mosaïques de la cathédrale de Monreale, .près Païenne (Sicile).

La cathédrale de Monreale s'élève sur une hauteur à quelques kilomè-

94 HEITZ

très de Palerme. De son abside, on distingue la Méditerranée. A son

côté, s'élève un cloître merveilleux mille chapiteaux tous uniques ; lors-

qu'on pénètre sous le toit doré de l'église, c'est un véritable éblouissement

d'ors et de marbres. Des centaines de mosaïques couvrent les murs, les

bas-côtés, les arceaux, les absides ; c'est St-Marc de Venise, agrandi deux

fois. L'ensemble date du XII" siècle, tant pour l'architecture qui est ogi-

vale, normande, que pour les mosaïques qui, elles, sont purement byzan-

tines. Seuls les artistes grecs, dans ce pays à peine sorti du joug sarrasin,

étaient capables d'un tel travail, et d'ailleurs les noms des figures de

saints, presque tous grecs,lèvent tout doute sur ce point. On a pu représen-

ter sur ces murs toute l'histoire sainte, tous les évangiles, en entrant dans

beaucoup d'épisodes qui n'ont jamais été repris en d'autres endroits. C'est

ainsi que ni à la chapelle Palatine, ni à Cefalu, on ne trouve ces scènes de

guérison, si nombreuses à Monreale. Aussi ces mosaïques de Monreale

sont-elles précieuses pour nous. N'ayant pu, à mon grand regret, m'en

procurer des photographies, je tâcherai de rendre mes descriptions très

exactes pour donner toute la valeur documentaire possible, même au prix

de quelques longueurs.

Nous trouvons les figurations des -miracles sur les murs des deux bas-

côtés. Du côté est, à droite en entrant, la première guérison, la plus pro-

che du choeur est celle d'un paralytique. Le malade est debout devant le

Christ qui le bénit. Il tend vers lui son avant bras paralysé lequel nous offre

le tableau d'une paralysie radiale typique. L'avant-bras est maintenu ho-

rizontalement. La main est pendante, en pronation, les doigts relâchés en

légère flexion. On peut remarquer que le Christ ne touche pas le membre

malade. Il n'y a, par suite,aucune espèce de doute possible au sujet de la

réalité de cette paralysie radiale, sur laquelle se concentre tout l'intérêt

de la composition.

Une autre mosaïque se reconnaît facilement pour la guérison du lé-

preux. C'est là une scène que nous retrouverons fréquemment. La lèpre

est indiquée d'une manière bien convenlionnelle par un semis de petites

taches rondes, bien rouges, qui s'étendent uniformément sur toutes les

parties découvertes. Il semble manquer un ou deux doigts à la main gau-

che. Le diagnostic n'est pas douteux. Seule à celle époque, la lèpre pou-

vait produire des accidents semblables. La syphilis n'existait pas, ou du

moins ses ravages étaient discrets.

Un peu plus loin, nous voyons un individu assis, les pieds croisés.

Peut-être s'agit-il d'un possédé, mais rien ne nous permet de l'affirmer ;

la face est calme, les bras écartés, les mains ouvertes. Il n'y a pas de

démon. Les pieds sont cependant enchaînés.

NOU4'. ICONOGRAPHIE de la SALPÊTRIÈRE

J

T. XIV. Pl. VII

K

I.

- - ? M

LES MALADES ET LES POSSÉDÉS DANS L'ART BYZANTIN

(J"t111 Hcit'Z)

.n.r ? 111 ? II\f ! : ( ? rI 1 : C ? , . 1 ? U w ? AI1 ?

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 95

Sur le mur du bas-côté ouest, nous trouvons représentés, successive-

ment placés devant une figure de Christ qui les bénit :

Un hydropique, qui avec son ventre volumineux, étalé. rappelle beau-

coup celui de Salerne. 0

Les dix lépreux de l'Evangile (ici, le nombre dix est un certificat de

diagnostic). Ils sont représentés à peu près comme celui que nous avons

vu tout à l'heure.

Puis deux infirmes, dont l'un a subi autrefois l'amputation de la jambe

gauche au lieu d'élection. Il ne porte malheureusement aucune espèce de

pilon, ce qui nous prive d'un renseignement qui serait précieux pour l'his-

toire de la prothèse.

Enfin à gauche de la grande porte de la nef, une mosaïque représente

S. Castrensis exorcisant un démoniaque. Un petit démon s'échappe dans

le haut. Le possédé est représenté debout devant le saint, les genoux légè-

rementlléchis, les bras écartés et les mains ouvertes. L'expression est

celle du ravissement. Cette figure est tout à fait semblable à celle de la

porte en bronze de Gnesen, elle n'a d'ailleurs pas beaucoup plus de valeur

aux yeux du clinicien.

d) Miniatures de l'évangéliaire ni du couvent des Ibériens (Mont-

Athos).

Ces miniatures, qui sont reproduites PI. Vil, ont été photographiées au

Mont-AttiosparM. Gabriel Millet, qui a bien voulu m'autoriser à les re-

produire ici.

Elles datent du XIIe -siècle, comme les mosaïques de Monreale, avec

lesquelles elles ont de nombreuses ressemblances, et nous représentent les

productions de la Grèce elle-même, dans un siècle que nous n'avons étudié

jusqu'à présent que par ses productions provinciales.

La figure J nous montre la guérison du lépreux. Il est ici presque

entièrement habillé, alors qu'à Monreale, nous l'avions trouvé à peu près

nu. Les parties découvertes, c'est-à-dire les jambes, la face et le cou. sont

parsemées de petites taches rougeâtres. Il n'y a pas de contractures ni de

mutilations.

Dans la figure K, nous reconnaissons notre femme hydropique. Le

ventre est très volumineux, mais il n'a pas la forme étalée, comme à Sa-

lerne et à Monreale ; au contraire il semble pointer en avant, comme un

ventre de kyste de l'ovaire. Pour garder son équilibre, la malade se re-

jette en arrière, et un vieillard la soutient sous les bras.'

Deux autres miniatures nous montrent la guérison de l'aveugle et du

paralytique. L'aveugle a sensiblement la même attitude que dans l'ivoire

de Salerne. Il est très expressif, et la face ici aussi, est inclinée vers le

96 HEITZ 1

sol. Ses genoux sont hésitants. Le paralytique est assis sur son lit, ses

membres ne présentent rien de particulier (voir figure L). Dans les deux

cas, le malade est, comme toujours, reproduit une seconde fois. L'aveugle

se lave à une fontaine, et le paralytique emporte son lit.

La figure M représente un personnage renversé, et s'appuyant sur le

sol du bras gauche. Les membres inférieurs sont couverts de taches sem-

blables à celles que nous voyons sur les membres des lépreux. Mais il

n'est pas douteux qu'il se trouve en pleine période de convulsions. Le

bras droit est en extension, légèrement écarté du corps, le poing forte-

ment contracturé en demi-pronation. Les membres inférieurs semblent

s'agiter un peu au.hasard. -

Peut-être s'agit-il d'un lépreux atteint d'une crise démoniaque. La

contracture de la main droite ne ressemble guère à une contracture lé-

preuse, mais beaucoup à une contracture hystérique. Cependant, vu l'ab-

sence du petit démon qu'on trouve ordinairement dans les scènes de ce

genre, nous sommes forcés de rester sur une hypothèse.

En somme, dans un nombre relativement considérable de représenta-

tions pathologiques au XII siècle, nous ne trouvons que des traces mini-

mes d'observation de la nature. Sauf la paralysie radiale de Monreale, tout

le reste est bien conventionnel. Le type du lépreux, le type de l'hydropi-

que sont fixés, et nous les trouverons toujours dorénavant représentés à

peu près de même. Dans les scènes de possession, plus aucune trace des

tendances brillantes, si remarquables que nous avions constatées au XIe siè-

cle. D'ailleurs les mouvements deviennent raides, la figure humaine est

souvent exécutée maladroitement, le corps s'amincit.

Sans doute, on trouve encore souvent de belles oeuvres au X11` siècle,

mais la décadence a commencé. L'état politique marche vers sa ruine. En

1204, Constantinople sera prise par les croisés, et à moitié détruite dans

le pillage.

(A suivre.)

LES TAPISSERIES DE REIMS

PAR

HENRY MEIGE

Les tapisseries de Reims sont justement célèbres. Presque toutes sont

en bon état de conservation ; outre leur ancienneté et leur valeur artisti-

que, elles se font remarquer par de curieux détails iconographiques que les

historiens apprécient hautement .

Je ne veux parler ici que de l'intérêt tout spécial que plusieurs d'entre

elles ont encore pour le médecin, ce dontj'ai pu me convaincre au cours

d'un récent voyage.

Voyons d'abord les tapisseries de la Cathédrale. Elles sont de trois sor-

tes : Les tapisseries de Pepersack données en 1633 par l'archevêque Henri

de Lorraine, et consacrées à des épisodes de la vie du Christ; les tapis-

series du fort roi Clovis qui furent données en 1570 par le cardinal de

Lorraine; enfin les tapisseries du XVIe siècle données en 1530 par l'ar-

chevêque Robert de Lenoncourt.

Ces dernières seulement nous arrêteront. Ce sont d'ailleurs assuré-

ment les plus belles et les mieux conservées. La richesse des costumes,

la délicatesse des couleurs, l'élégance des encadrements, la finesse des

fleurs et de tous les molifs décoratifs, retiennent également l'attention.

Elles sont au nombre de 14, consacrées à la Vie de la Vierge. Deux d'en-

tre elles nous intéressent spécialement.

Le Mariage de la Vierge est une grande composition au milieu de la-

quelle Marie et Joseph se tiennent de part et d'autre du grand-prêtre en-

touré de nombreux assistants. Une architecture du plus pur style de la

Renaissance encadre cette scène principale.

En bas, à gauche, assis sur le fût d'une colonne, on voit un pauvre

infirme, dont la jambe droite est entourée d'un bandage ; il tient de la

main droite un bâton et salue de la main gauche.

En dehors de l'encadrement architectural, plusieurs scènes moins im-

xiv 7

98 HENRY MEIGE

portantes sont représentées. Dans l'une d'elles, au milieu et à droite, on

voit un mendiant qui, d'une main tient une sébille, et de l'autre retire

son couvre-chef. Son crâne demeure cependant recouvert d'une sorte de

serre-tête attaché par des brides sous le menton. Ce détail semble indiquer

que le mendiant est atteint de quelque affection du cuir chevelu : le même

serre-tête se retrouve dans quelques figurations de teigneux. En outre, ce

pauvre diable est bossu (Pl. VIII, A).

Deux personnages sont en face de lui : un homme richement vêtu qui

dépose une aumône dans la sébille, tout en faisant du bras gauche un

geste de répulsion ; et une femme qui couvre sa bouche et son nez avec

son manteau, comme.pour se garer d'une odeur répugnante.

Ce malade est sans doute affligé de quelque affection cutanée malodo-

rante. Serait-ce un lépreux ? Peut-être; mais il n'a pas de stigmates carac-

téristiques.

Une autre tapisserie représente la Présentation au Temple. Le disposi-

tif général est le même : au milieu, la scène principale encadrée d'une

architecture Renaissance.

Sur le seuil du temple, un infirme est assis, la jambe droite enveloppée

de linges, le pied nu, peut-être déformé. Sa tête est entourée d'un linge ;

mais il est chevelu et'barbu. Dans sa main gauche il tient une sébille ;

une béquille est près de lui.

Dans le compartiment de droite, on voit encore un petit personnage

assis sur le sol, avec un chien à ses côtés.

Plus bas, une femme s'avance péniblement sur deux longues béquilles,

ses jambes trop faibles à demi fléchies, les pieds nus. Son costume est à

remarquer (Pl. VIII, B).

Ce sont là les types classiques des infirmes et des éclopés qui viennent,

à la porte des sanctuaires, implorer la charité des fervents.

L'église de Saint-Rémi possède également dix tapisseries du XVIe siècle,

don de l'archevêque Robert de Lenoncourt, qui sont il peu près con-

temporaines des précédentes et méritent les mêmes éloges. Elles sont con-

sacrées à la Vie de Saint Rémi.

L'une d'elles (n° 2) représente, d'une part Saint Rémi entouré d'évê-

ques et de gentilshommes qui lui apportent des présents, d'autre part un

miracle de Saint Rémi : la Guérison d'un Possédé (1) (Pl. IX).

(1) On a pu la voir l'an dernier à Paris, dans l'Exposition rétrospective des tapisse-

ries, au 1er étage d'une des classes des Invalides.

Nous. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

T. XIV. Pl. Vil)

A

B

( :

LES TAPISSERIES DE REIMS

(Henry Meige) .

A et B Infirmes. Fragments des tapisseries de la Cathédrale siècle). - C. Vesposien atteint de lèpre.

Fragment d'une toile peinte des Hospices de Reims (X v. siècle).

Masson & CI", Edtei ?

^ ('lIull.h 1'10> tkl (hantl, l'aile t

Nouv. Iconographie DE la SALPÈTRILRF,

T. XI\'. Pl. IX

LES TAPISSERIES DE REIMS

(Hel/J')' Meige)

Guéri ? on tl'lIl1 pos ? Jé par S.lint Rémi. Fragment ll'unc J" tap¡"scncs d 1'Eglbe Saint-H..émi, .i HeÎms.

(XVIe siècle).

Masson & C ? EdnclIl"

f'h(,)tut}I'1t Ut Ilh.lUII, l'arns

LES TAPISSERIES DE REIMS 99

Ce possédé, vêtu d'un long manteau, le front ceint d'une bande d'é-

toffe blanche, se tient, un genou en terre devant le Saint Evêque. Rien

dans son attitude ne permet de reconnaître le mal dont il est atteint : au-

cun geste désordonné, aucune grimace. L'artiste n'a pas voulu nous mon-

trer la grande attaque de possession, - disons : la grande crise d'hysté-

rie, - avec ses attitudes convulsées et ses gestes violents. Le possédé est

guéri par la seule force de l'exorcisme que vient de pratiquer Saint Rémi ;

nous en avons la preuve en voyant s'envoler au-dessus de sa tête deux

diablotins à figures de singes qui semblent fort vexés d'avoir été obligés de

quitter leur habitat humain. Deux diables pour un seul homme, c'est

beaucoup, dira-t-on ! Ce n'est rien en comparaison de tous les milliers

de démons que les exorcistes de l'époque prétendaient faire sortir du corps

de leurs « sujets ». Et même, s'il faut en croire leurs écrits, il en restait

toujours quelques-uns, plus récalcitrants, qui nécessitaient des conjura-

tions supplémentaires.

Le possédé de Saint Rémi devait être un dangereux récidiviste. On

remarquera qu'il porte à la main gauche des menottes d'un modèle vrai-

ment redoutable : deux solides bracelets de fer fixés à une tige du même

métal. C'était l'usage de ligotter les malheureux atteints de grandes

crises hystériques ; on croyait ainsi « enchaîner le démon », ou en tous

cas lui faire subir une géhenne humiliante et pénible. En réalité, on ne

faisait qu'ajouter un supplice déplus aux souffrances des malheureux soi-

disant possédés. ,

Nous avons déjà trouvé une figuration de ces fers à ligotter le diable

sur un panneau de l'Ecole flamande du XVIe siècle,dans l'église de Saint-

Rombaut, à Malines (1). Là, le démon était mieux enchaîné encore, car

le possédé de Saint-Rombaut avait les deux jambes enserrées dans des fers

semblables.

Dans ce même tableau de la cathédrale de Malines, figure un personnage

que l'on retrouve sur la tapisserie de Reims : c'est un serviteur zélé armé

d'un faisceau de verges. Encore un témoignage de la coutume barbare

employée communément à cette époque pour favoriser l'expulsion des

démons : on fustigeait les possédés jusqu'à ce qu'ils se tinssent tranquilles.

Rien n'était, paraît-il, plus désagréable au diable que de recevoir le fouet.

Le possédé n'y éprouvait apparemment qu'un douteux plaisir ; mais de

cela on ne se préoccupait guère. Pourvu que le diable, ou l'homme,

- cessât de s'agiter, peu importait le choix des moyens mis en oeuvre.

La tapisserie de Saint-Rémi est donc un document iconographique fort

(1) Voy. PAUL RICHER et Henry MEME, Documents inédits sur les Démoniaques dans

l'Art. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière. N 2. 1896.

100 HENRY MEIGE

intéressant pour l'histoire de la possession et des procédés usités pour la

conjurer au XVIe siècle.

Une autre tapisserie de la Vie de Saint Rémi relative à un exorcisme,

fut signalée autrefois par M. Philippe Burty. Charcot et Paul Richer l'ont

commentée et reproduite dans les Démoniaques dans l'Art (p. 20).

La légende qui l'accompagne raconte ceci :

Une pucelle avoit le diable au corps

Qui au sortir à dure morl la livre.

Sainct Rémy faict que par divins records

La rescussite et de mal la délivre.

Lascène représente lapucellesur son lit, les mains jointes : un diable

s'envole au-dessus de sa tête, tandis que Saint Rémi fait le geste consacré.

Une femme émerveillée assiste à l'exorcisme.

On peut admettre, avec Charcot et Paul Richer, qu'il s'agit d'une crise

de léthargie guérie par le Saint Evêque.

Il existe encore, à Reims, au musée archéologique, des toiles peintes qui

remontent au XVL sicèle et dont plusieurs ont servi de cartons pour les

tapisseries de la cathédrale. D'autres, qui appartenaient aux Hospices de

la ville, furent utilisées, dit-on, pour la mise en scène des Mystères.

On y voit retracées des scènes de la Passion, de la Vie des Apôtres, l'his-

toire de Judith, d'Esther, de Suzanne, etc.

L'un de ces cartons représente Vespasien malade de la Lèpre (Pl. VIII,

C), puis guéri par la Sainte Véronique.

Titus Flavius Vespasianus (7-79 après J.-C.), proconsul d'Afrique,

avait été chargé, sous les règnes de Néron et de Galba, de réprimer une

révolte en Judée. C'est là que les légions d'Orient le proclamèrent empe-

reur.

C'est là aussi, sans doule, qu'il fut atteint d'une affection cutanée à la-

quelle l'histoire a consacré le nom de Lèpre. Mais n'oublions pas qu'il

s'agit là d'un terme générique communément employé pour désigner

toute espèce de maladie rebelle de la peau.

Le compartiment de gauche de la toile peinte de Reims nous montre

Vespasien couché dans son lit, le haut du corps et les bras nus couverts

de taches rouges, rondes, réparties uniformément, suivant le dispositif

conventionnel adopté par les artistes de l'époque pour représenter les ta-

LES TAPISSERIES DE REIMS 101

ches lépreuses. Une légende en caractères gothiques qui se trouve au-des-

sus de ce compartiment, dit :

« Vespasien estant dans son lit, malade, tout défiguré de maélerie, se

desconcertoit et despéroit que ny ait de médecine; guérison trouver ne

pouvoit. » ,

Défiguré ? Vespasien le fut sans doute, car il ne ressemble guère au

portrait que Suétone nous a laissé de lui :

« Il avait la taille carrée, les membres forts et compacts, la figure

comme celle d'un homme qui fait un effort. » Et Suétone précise la na-

ture de cet effort en rappelant la réponse rabelaisienne que fit un bouffon

auquel Vespasien demandait de dire un bon mot contre lui : « J'en dirai,

reprit le bouffon, quand tu auras fini de faire tes besoins ». Il est pi-

quant de constater, par parenthèse, que cet empereur au facies constipé

s'est rendu précisément célèbre en inventant, entre tant d'autres, un im-

pôt sur les urinoirs, dont le souvenir se perpétue avec le nom de nos mo-

dernes « vespasiennes ».

Sur la toile peinte de Reims, Vespasien n'a guère le facies d'un lé-

preux ; il possède toute sa barbe, et son visage ne présente pas trace de

déformations caractéristiques. Mais il y a lieu de noter un détail assez

significatif : c'est la position contournée de la main gauche qui repose sur

le lit, et surtout la rétraction des doigts auriculaire et annulaire. Peut-

être l'artiste a-t-il songé réellement à représenter une ébauche de griffe

lépreuse.

Autour du malade des médecins se pressent en foule, chacun préconi-

sant sans doute un remède décisif. La légende nous apprend qu'ils restè-

rent impuissants.

Par contre, le second compartiment nous fait voir Vespasien déjà dé-

barrassé de toute trace d'éruption ; ses deux mains jointes dans un geste

d e prière reconnaissante ne sont nullement déformées. Il se soulève sur

son lit devant la Sainte Véronique.

On sait que ce nom hybride de Véronique (de vents, vrai, et stxoy,

image) fut donné au linge avec lequel une femme de Jérusalem essuya,

dit-on, la figure du Christ durant le trajet du palais de Caïphe au Golgo-

tha. Les traits du Christ seraient demeurés fixés sur l'étoffe, qui aurait

conservé un pouvoir miraculeux. Tous les chemins de croix et nombre

d'oeuvres d'art retracent l'épisode du Calvaire.

On donne souvent à tort le nom de Sainte Véronique à la femme qui

recueillit ainsi l'image de Jésus-Christ. C'est seulement à la fin du 1VI

siècle que mourut une religieuse milanaise, célèbre par ses austérités,

qui plus tard fut béatifiée sous le nom de Sainte Véronique.

102 HENRY- MEIGE

Une autre toile peinte de grande dimension, représente la Piscine

probatique (1) (Pl. X).

» ... Il y avait dans Jérusalem une piscine, appelée la piscine des brebis et

surnommée en hébreu Bethsaïda, qui avait cinq galeries,

Dans lesquelles étaient couchés un grand nombre de malades, d'aveugles,

de boiteux et de ceux qui avaient les membres desséchés; et tous attendaient

que l'eau fût remuée.

Car l'ange du Seigneur descendait à certains temps dans la piscine, et l'eau

s'agitait, et le premier.qui y descendait après l'agitation de l'eau était guéri,

quelle que fût sa maladie. »

Evangiles. Saint-Jean. V. 2, 3, 4.

C'est de ce passage des Evangiles, que l'auteur de la toile peinte s'est

inspiré.

Au milieu, apparaît la piscine vue en perspective, entourée d'un mur

percé de plusieurs portes élégamment ornées. Deux hommes nus y sont

plongés.

Par les portes on aperçoit deux personnages tenant chacun un agneau

blanc qu'ils s'apprêtent à immerger pour le purifier avant le sacrifice.

Tout autour, arrivent en foule les infirmes et les éclopés.

En haut à gauche, un fort cheval traine une voiture recouverte d'une

bâche, sous laquelle on aperçoit la figure d'un malade ; un autre pèlerin

est assis, les jambes pendantes, à l'arrière de la voiture. A côté, sur le

chemin, une femme cul-de-jatte est accroupie appuyant ses mains sur de

petits chevalets.

Au-dessous, toujours du même côté, deux malades sont couchés tête

bêche sur un lit. L'un est entièrement nu, l'autre vêtu d'une longue houp-

pelande.

Près de là s'avance une femme tenant dans ses bras un enfant.

Puis, un homme qui pousse une brouette sur laquelle un paralytique

à demi nu est assis les bras croisés.

Tout près de la piscine sont accroupis ou couchés sur le dos ou à plat

ventre des malades de toutes sortes. L'un d'eux a la figure déformée et

comme couverte de pustules ; devant lui, un homme et une femme gisent

élendus côte à côte sur un matelas avec une couverture. Plus près, un

pauvre diable est effondré sur le sol, ayant à côté de lui une sébille et

une béquille.

A droite, viennent par le haut une longue théorie d'éclopés.

(1) Signalée par Charcot et P. Richer, Difformes et Malades dans l'Art, p. 67.

Nouv. Iconographie DE la SALPLTT17L`HE

T. XIV. PI. X

LA PISCINE PROBATIQUE

(Henry Meige)

Fragment supérieur il'une toile peinte des HoniccsdeReims(Y ? siècle)..

LES TAPISSERIES DE REIMS 103

Près de la piscine un homme est renversé sur le dos,élevant le moignon

de sa jambe droite amputée nettement par un trait circulaire à mi-hau-

teur : les os apparaissent au milieu des muscles sectionnés.

Un béquillard le regarde ; un autre lui tourne le dos, les deux genoux

reposant sur deux pilons, la jambe gauche pliée à angle droit,la droite

relevée par un lien qui enserre le pied et vient se fixer à la ceinture.

Derrière eux, deux éclopés se font leurs confidences; ils ont l'un et

l'autre béquilles et pilons sous les genoux. L'un d'eux, qui porte un

petit enfant sur son dos, a la jambe droite complètement disloquée au ni-

veau du genou. '

Enfin, plus en arrière, un homme barbu, rampe sur les genoux et sur

les mains armées de chevalets.

Une femme le suit, s'aidant de deux béquilles avec un pilon sous le

genou droit.

Le dernier est encore armé de béquilles et s'avance sur un seul pied ;

sa jambe et sa cuisse gauches repliées en flexion ne peuvent plus s'allon-

ger. De plus, le pied est absent. Et cette mutilation rappelle bien un des

méfaits ordinaires de la Lèpre. C'est un de ces malheureux « aux membres

desséchés » dont parle Saint Jean dans son Evangile, victime des atro-

phies, des rétractions et des mutilations lépreuses.

Au-dessous de ce cortège lamentable deux aveugles s'avancent, dirigés

à l'aide d'un bâton par un jeune garçon ; le second, qui porte une vielle,

s'appuyant sur l'épaule du premier.

Enfin, plus bas encore, se voit un dernier groupe de malades qui cau-

sent entre eux.

De larges banderolles en caractères gothiques sont intercalées çà et là

dans la composition. On y lit des inscriptions de ce genre, qui paraboli-

sent l'épisode évangélique :

Les malades et les languissons

Sont les pauvres pesclteurs affolez

/ Qui jamais ne seront guéris sans

En la piscine estre jectez.

Les aveugles par ignorance

Qui o/fence le Rédempteur

Par sotye et faulce science

'Sont tomber en tregrant erreur.

Tout en haut, l'ange descend du ciel armé d'un bâton . '

L'ange qui descend pour mouvoir .

L'eaue, nous baille signifiance

Du Sainct Esprit que esmOltVoÍ1'

Nous veult et faire pénitence.

104 . HENRY MEIGE

Dans le bas .delacomposition ? que : nous n'avons'pas fait reproduire,

le Christ"ento,uré : de ses-Apôtres; s'approche d'un 'misérable couché sur

un I'abat... ? E1' ? r' u : r .O 1 : 0 1 ; 'f " Z't ' ' -

C'est le;l;arlytique de l'Evan'gileJ ? I : 1 j : ' 1 3· ·

..\ f l' ( . .' t ? (' , (1 ' 1 . '1 "" t' l" . 1 ?

« ? |1 y avait là un homme qu était tl3aladë.depuis trente-huit ans. 7

Jès'ris 'Iit'voyànt étendu par terre, et'sachant qu'il languissait depuis long-

temps, lui dit : Voulez-vous être'guéri ? , .; . , ,

1 'Le 'malade lui répondit : Seigneur, je n'ai personne qui m'aide à descendre

dans' ^'la- piscine' dès que ['eau est agI tee ;'et : pendant le temps que je mets à y

aller, un autre descend avant moi.. . '

'Jésus lui dit, : I.evez-vons;'enipôi'tez'vôtrê lit et marchez/ ' '

Aussitôt cet homme fut guéri, et prenant solï-lit; il marchait ? 1 * ii ''

' , ? ii ? ? 1 ùS 1 ¡ ? , 1 ; -Evangiles- Saint ! Jean.1'V. SJ '&, 7, 8, 9.

yDerrière.le,Christetses'Apôtres; un groupe decuriéûx-°semblellésiter

à s'approcher.' : n u : : , 1" - ' \ "' ''-'' "

- 'Cé'sdnt ? ... , tu; 3 .. E 3., . , ... ? · · , ...

; ? Les .arides; cezelx `gzei'o3t les' cueter ' ' " ' ' -

- ,; ? ..... Endll1'Y par ce¡.tain ' ? nalicë ,1 ' ' ! ii 1 (

1)e bien faire leur est,deshonneur, ? 1

z - 1 ? - Car- tout leur -^Dieu est avarice'. ' J '"'is>> ? ?

Ils représentent les' Juifs présents il cette scène miraculeuse'qui regar-

daient Jésus d'un mauvais oeil parce que c'était jour de sabbat et qu'il

avait dit' au paralytique d'emporter son lit,"chose défendue ce jour-là.

, Cette grande< composition est, comme on, voit, fort riche en détails pa-

thologiques. Le Lépreux au pied 'mutilé, l'hoIII1e),)ajnbeJdisloquée,

les culs-de-jatte et les aveugles sont les plus intéressants.

Le sujet d'ailleurs a été 'fi'é(Íu'elÍÍ1 ! èn ? prottspr les peintres de

scènes religieuses. " . , . . - ..., . 'f

scènes religieuses. ',1, <, , Il ? ? 1 .. \ : \\

De tout temps, en effet, aussi bien dans l'antiquité païenne que dans

la chrétienté, il y eut des fontaines et'des piscines où les déshérités de

la nature accouraient en foule, les'uns'da'ns l'espoir' d'y trouver la gué-

rison ; les autres pour implorer la charité des pèlerins. Rien n'est changé

aujourd'hui même, et tes" sanctuaires en vogue de nos jours voient défiler

les mêmes cortèges d'infirmités ou de douleurs; ils servent de centre

de' ralliement aux.'mêmes mendiants,' qui 'quêtent les aumônes « des

malades ' et des 1anguis'sans»; · ? ... ? . -. Le gérant : Bouchez.

Irnp, J. Thevenot. - Saint-Dizier (Haute-Marne).

14e Année N° 2. Mars- Avril

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE L'INSTITUT PATHOLOGIQUE DE GENÈVE.

SUR L'ÉTAT ATROPIIIQUE DE LA MOELLE ÉPIN1ÈRE

DANS LA SYPHILIS SPINALE CHRONIQUE

PAR

E. LONG et B. WIKI (de Genève).

(Dessins du D1' A. Roettmca).

On peut reconnaître, au point de vue clinique, deux formes principales

à la paralysie spinale syphilitique : une forme à début brusque et une

forme chronique d'emblée et à marche généralement progressive. Cette

distinction mérite d'être conservée à cause de son importance pour le pro-

nostic et la thérapeutique de cette affection.

L'anatomie pathologique fournit des résultats précis surtout pour l'é-

tude de la forme aigué qui a pu être analysée jusque dans ses premiers

stades, grâce aux cas où les eschares ou l'infection urinaire ont provoqué

une terminaison rapidement fatale. On s'accorde à y donner la première

place aux lésions spécifiques, vasculaires oupérivasculaires, dont l'impor-

tance a été démontrée par les travaux de Wilks, Heubner, Lancereaux,

Déjerine et Sottas etc. Les divergences d'opinion se manifestent seulement

lorsqu'il s'agit d'interpréter les lésions secondaires de myélomalacie : les

uns admettent que le ramollissement ischémique est la seule cause de né-

crose ; les autres attribuent encore une part d'exactitude à la théorie de

la myélite syphilitique et d'après eux les éléments de la moelle seraient

soumis à deux causes de destruction, l'arrêt de la circulation et la com-

pression par la prolifération cellulaire spécifique (Lamy), théorie que Na-

geotte a défendue dans l'Iconographie de la Salpêtrière (1895, p. 347) en

distinguant le ramollissement ischémique et le ramollissement inflamma-

toire. Dans l'une comme dans l'autre de ces théories on admet d'ailleurs

que les lésions ultimes de sclérose ne sont que le résultat de l'organisation

des lésions initiales, inflammatoires ou nécrotiques.

L'interprétation des lésions scléreuses est moins aisée dans la forme

xiv ' 8

106 LONG ET WIKI

lente de la paralysie spinale syphilitique. On peut cependant les consi-

dérer comme le résultat de processus analogues à ceux de la forme rapide,

mais moins étendus et moins intenses. Si l'on veut bien admettre que les

, altérations vasculaires restent dans l'espèce les plus importantes, on peut

supposer avec Sottas que le ralentissement progressif de la circulation ne

crée pas les mêmes lésions que la suppression brusque ou rapide de l'ap-

port sanguin ; les éléments nerveux subissent des modifications moins

profondes et plus diffuses, et la substitution réactionnelle des éléments

interstitiels ne se fait pas avec la même régularité que dans les formes

aiguës ou subaiguës. -

En résumé, les travaux récents semblent démontrer que la moelle épi-

niére, lorsqu'elle est frappée par la syphilis, présente dans les formes à

évolution rapide des lésions nécrotiques, dans la genèse desquelles l'arrêt

de la circulation a probablement le premier rôle, tandis que dans les for-

mes à évolution lente les lésions en foyer prennentmoins d'importance et

c'est alors un état de dystrophie lente qui amène la déchéance fonction-

nelle et anatomique des éléments nerveux.

C'est de cette façon du moins qu'il nous semble nécessaire d'interpréter

l'observation que nous publions ici. Entre autres particularités intéres-

santes de'ce cas, la diminution remarquable du volume de la moelle a attiré

notre attention. Il ne nous a pas paru possible de l'expliquer uniquement

par les lésions en foyer dont nous avons cependant déterminé aussi exac-

tement que possible le siège et l'étendue, et comme nous le dirons en ter-

minant, elle parait devoir être mise en parallèle avec les lésions vascu-

laires dont l'importance est des plus évidentes.

Observation clinique.

P. Alfred, horloger, 57 ans, entre le 14 février 1898 à l'Hôpital Cantonal de

Genève, dans le service de M. le professeur Revilliad.

Antécédents héréditaires : rien de particulier. Antécédents personnels : blen-

norrhagie à l'âge de 15 ans, syphilis à l'âge de 18 ans. Pas d'autres maladies

infectieuses, P. s'est marié à l'âge de 23 ans, sa femme est restée bien portante.

De ce mariage sont nés : un premier enfant qui est toujours resté chétif, un

second enfant mort de méningite à l'âge de 7 ans et un troisième enfant mort

de péritonite à l'âge de f5 ans.

Maladie actuelle. - En août 1897, P., alors âgé de 56 ans, ressentit un soir

des douleurs lombaires, suivies de contracture des membres inférieurs pendant

plusieurs jours. Il reprit cependant ses occupations, mais ses jambes restaient

raides et lourdes, et il se plaignait d'avoir des fourmis dans les mollets. Son

état resta stationnaire pendant 2 mois, puis en novembre il commença à avoir

de l'incontinence des matières fécales et des alternatives de rétention et d'in-

continence d'urine. Ensuite la marche devint de plus en plus pénible, ses

SUR l'état TROPHIQUE DE la MOELLE GPINI7;liE 107

membres inférieurs étaient raides, il ne sentait pas ses pieds, et quand il était

au lit il perdait la notion de position de ses jambes.

Il entre à l'hôpital le 14 février 1898. Dans l'observation clinique prise quel-

que temps après son entrée dans le service adjoint on trouve notés les symp-

tômes suivants : démarche spasmodique, les jambes sont en extension, le pied

en varus équin, le gros orteil relevé. Le malade marche avec peine et chan-

celle si on lui ferme les yeux. -

Réflexes rotuliens exagérés, trépidation spinale du pied. ,

Incontinence vésicale et rectale.

Sensibilité tactile fortement émoussée aux deux membres inférieurs, surtout

depuis la cheville jusqu'au genou. Aux mêmes régions analgésie presque com-

plète, allant en diminuant de bas en haut. Défauts de localisation du contact

simple ou douloureux.

Les membres supérieurs et la face sont indemnes de troubles moteurs ou

sensitifs.

Pas de troubles des sens spéciaux. Troubles psychiques : loquacité, incohé-

rence dans les idées.

Evolution. - Le traitement spécifique (iodure de potassium et frictions

mercurielles) produit au mois d'octobre 1898 seulement une amélioration évi-

dente ; la contracture spasmodique est moins intense, les mouvements des

membres inférieurs sont plus étendus. Mais les troubles de la sensibilité per-

sistent ainsi que l'exagération des réflexes et les troubles sphipctériens. Puis

de nouveau l'état du malade s'aggrave, il est complètement alité et gâteux.

Une cystite se déclare, les urines sont purulentes. Enfin on constate des symp-

tômes de tuberculose pulmonaire. Mort le 20 octobre 1899 par pyélonéphrite

ascendante. ' '

L'autopsie est faite par M. le professeur Zahn : cystite purulente, pyéloné-

phrite bilatérale, tuberculose localisée à la plèvre gauche et au péritoine pa-

riétal gauche.

Le cerveau ne montre pas d'autres lésions qu'un peu d'oedème sous-arachnoï-

dien.

La moelle est diminuée de volume dans la région dorsale.

Examen microscopique de la moelle épinière.

Après durcissement dans le liquide de Millier, la moelle est divisée en seg-

ments correspondant aux racines rachidiennes. Sur chaque segment, on pré-

lève un ou plusieurs fragments suivant l'importance de la région. Les uns sont

inclus à la celloïdine et les coupes sont colorées par la méthode de Weigert-

Pal, par l'hématoxyline de Friedlànder, par la méthode de van Gieson ou par

le carmin. Les autres sont imprégnés en masse par le carmin (méthode de Fo-

rel) et débités en coupes fines après inclusion dans la paraffine.

L'étude de ce cas comprend :

1° Le relevé topographique des lésions d'après des coupes dessinées a la

chambre claire avec un faible grossissement et comparées avec des coupes pro-

108 LONG ET WIKI

venant d'une moelle normale durcie et préparée de la même manière ; 2- l'exa-

men histologique des lésions des. tissus (méninges, vaisseaux, substance ner-

veuse).

I. - ETUDE topographique DES LÉSIONS (coupes colorées par

, la méthode de Pal).

Dans la moelle cervicale et le renflement cervical (4°r segment dorsal inclu-

sivement), on trouve des dégénérescences ascendantes qui portent de chaque

côté sur le cordon de Goll, le faisceau cérébelleux direct et le faisceau de Go-

wers, les deux premiers étant atteints dans de plus fortes proportions dans la

moitié gauche que dans la moitié droite de la moelle. On remarque en outre,

à mesure qu'on avance dans le renflement cervical, que la moelle se déforme

par la diminution du diamètre antéro-postérieur et l'augmentation du diamètre

transversal. disposition qui devient très manifeste au niveau du leur segment

dorsal (fig. 1). On voit aussi apparaître des lésions vasculaires, visibles avec

un faible grossissement; un certain nombre de vaisseaux intramédullaires ont

des parois épaisses et une lumière rétrécie. Ces lésions se retrouvent même

dans les parties des cordons latéraux qui ne sont pas atteintes par les dégéné-

rescences secondaires. Les vaisseaux extra-médullaires sont d'apparence nor-

male,et la pie-mère'ne présente il considérer qu'un léger degré d'épaississement,

également réparti sur toute la périphérie.

Dans les 2e et 3c segments dorsaux, on retrouve les mêmes dégénérescences

secondaires ascendantes, et on voit en outre une raréfaction des fibres à myé-

line dans la zone des faisceaux pyramidaux directs et croisés (fig. 3). Les lé-

sions vasculaires sont déjà plus intenses surtout dans l'intérieur de la moelle,

où elles prennent les formes les plus variables ; nous aurons à re\enir tout il

l'heure sur ce point.

4" segment dorsal. - En plus des lésions qui viennent d'être mentionnées

on trouve il la hase de la corne antérieure droite un foyer scléreux qui se tra-

Fig. 1. -1er segment dorsal.

Fig. 2. Moelle normale, même niveau.

SUR l'état ATROPRIQUE DE la moelle épinière 109

duit, sur les coupes colorées par la méthode de Pal, par une disparition du

réseau des fibrilles myélinisées (fig. 5) ; ce foyer est localisé dans ce segment

de la moelle, on ne le retrouve pas dans le segment suivant.

Partie supérieure du 5° segment dorsal. Ici on voit reparaître dans le

cordon de Goll droit un grand nombre de fibres a myéline (fig. 6) tandis que

le cordon de Goll gauche reste aussi fortement dégénéré que dans les segments

sus-jacents. Dans la zone des faisceaux pyramidaux croisés la disposition des lé-

, sions est inverse et c'est du côté droit que les fibres sont atteintes en plus

grand nombre. De même au lieu de trouver des lésions avancées de la subs-

tance grise à droite, comme dans le 4" segment dorsal, on voit dans la base de

la corne postérieure gauche un éclaircissement du réseau fibrillaire et une no-

table diminution de volume de la colonne de Clarke. Les lésions vasculaires

sont, comme plus haut, disséminées. La pie-mère reste légèrement épaissie.

Partie inférieure du, 5e segment dorsal. - Le cordon de Goll droit contient

encore plus de fibres saines que dans la partie supérieure de ce segment. Le

cordon de Goll gauche reste au contraire presque entièrement dégénéré (fig. 7).

Dans les cordons latéraux c'est à gauche qu'on trouve le maximum de lésions

(comparez figures 6 et 7), et la colonne de Clarke manque également de ce côté.

6° segment dorsal. La pie-mère reste légèrement épaissie, mais les lésions

vasculaires deviennent très manifestes, en particulier dans les cordons laté-

Fig. 3. - 2° segment dorsal.

Fig. 4. - Moelle normale, même niveau.

Fig. 5. - 48 segment dorsal.

Fig. 6. - Partie supérieure du

5» segment dorsal.

110 LONG ET WIKI

raux, où les vaisseaux se montrent par places en état de dégénérescence hya-

line. Le cordon de Goll droit est presque intact ; dans le cordon de Goll gau-

che les fibres normales reparaissent en grand nombre, surtout dans la région

sulco-marginale. Par contre les cordons antéro-latéraux présentent à ce niveau

(fig. 9) le maximum des lésions. Dans la substance grise, la base de la corne

postérieure gauche est altérée et la colonne de Clarke y est presque complète-

ment détruite.

Fig. 7. - Partie inférieure du

5° segment dorsal.

Fig. 8. - Moelle normale, même niveau.

Fig. 9. - 6e segment dorsal.

Fig. 10. - 7e segment dorsal.

Fig. 11.-Moelfenormale,mme niveau.

SUR l'état ATROP111QUE DE la MOELLE épinière 111

7° segment dorsal (fig. 10). Les lésions en foyer commencent il disparaî-

tre. Les deux cordons de Goll ont repris leur aspect normal sauf à la périphé-

rie. La zone marginale des cordons antéro-latéraux montre encore un léger

degré de raréfaction des fibres. Les faisceaux pyramidaux croisés sont en état

de dégénérescence secondaire descendante. Les lésions vasculaires sont beau-

coup moins intenses que dans le 6° segment dorsal.

9e Segment dorsal (fig. 12). - Dans la région dorsale inférieure, bien qu'il

y ait encore une diminution de volume appréciable, la forme de la moelle tend

- it redevenir normale. Les faisceaux pyramidaux croisés seuls sont dégénérés,

mais les autres faisceaux blancs sont encore traversés par des septa conjonc-

tivo-vasculaires anormalement épaissis. Par contre la pie-mère a repris son

aspect normal.

Renflement lombaire (rit,. 14). - La dégénérescence descendante des fais-

ceaux pyramidaux croisés est la seule lésion qui subsiste ; elle va en diminuant

progressivement.

Fig. 12. - 9' segment dorsal.

Fig. 13. - Moelle normale, même niveau.

Fig. 14. - Renflement lombaire.

Fis. 15. - Moelle normale,même niveau.

112 LONG ET WIKI

Il. - ETUDE histologique DES lésions.

1. Méninges. La dure-mère, dans ce cas, est absolument indemne, et il

n'y a en aucun point d'adhérences entre les deux feuillets de l'arachnoïde La

pie-mère ne contient pas de lésions nodulaires qui puissent faire penser à l'exis-

tence de gommes, grosses ou petites. La seule modification qu'elle présente

est un léger degré d'épaississement, d'aspect uniforme sur toute la longueur des

régions supérieure et moyenne de la moelle dorsale. On remarque en outre que

les racines postérieures, pendant leur passage à travers la pie-mère, subissent

fréquemment un léger étranglement, au niveau duquel la coloration par la

méthode de Pal montre moins de myéline qu'à l'état normal. Mais au delà les

fibres ne sont pas en état de dégénérescence secondaire, et il est d'ailleurs fa-

cile de constater que les lésions des cordons postérieurs ne sont pas d'origine

radiculaire.

2. Vaisseaux extmmédullaÏ1'es. Ce qui frappe de prime abord dans l'exa-

men des coupes histologiques, c'est l'état de quasi-intégrité des vaisseaux

extra-médullaires. Ceux qui sont représentés sur la figure 16 et sur la figure 19

(rangée supérieure) montrent l'aspect normal que nous avons rencontré presque

constamment du haut en bas de cette moelle. Ce n'est qu'en examinant un

assez grand nombre de coupes que nous avons pu trouver quelques vaisseaux

extramédullaires plus ou moins épaissis et oblitérés (fig. 18 et 19) ; il faut

aussi noter que ces lésions vasculaires ne sont pas réparties par foyers et que

constamment on peut retrouver à côté d'un vaisseau de structure anormale un

ou plusieurs vaisseaux en état d'intégrité complète.

Ces lésions, ainsi qu'on le voit sur les figures 16, 18 et 19, consistent en un-

épaississement des parois qui rétrécit la lumière centrale, et qui frappe tantôt

toutes les membranes vasculaires, tantôt la tunique externe seulement. C'est

surtout de la dégénérescence fibreuse que l'on observe, rarement de la dégéné-

rescence hyaline.

3. Vaisseaux intramédullaires. - Ils présentent des lésions beaucoup plus

avancées et plus diffuses que celles des vaisseaux extramédullaires. Ces lésions

Fig. 16. - Pie-mère et vaisseaux. 2e segment dorsal.

SUR l'état ATROPIIIQUE DE la MOELLE épinière 113

s'observent déjà dans le renflement cervical, s'étendent dans les régions supé-

rieure et moyenne de la moelle dorsale, prennent une grande intensité au

niveau des 5° et 6e segments dorsaux et diminuent ensuite progressivement

ponr s'éteindre lorsqu'on arrive au renflement lombaire.

La répartition topographique de ces lésions vasculaires n'obéit à aucune

règle : dans un même segment de la moelle on peut voir, sur une coupe trans-

versale, des vaisseaux altérés à divers degrés, et à côté d'eux des vaisseaux

normaux, et ceci aussi bien dans la substance blanche que dans la substance

grise. Il en est de même dans le sens vertical : les vaisseaux para-épendymai-

res, par exemple, se montrent alternativement sains ou partiellement oblitérés,

suivant que l'on examine un segment ou un autre de la moelle.

Lorsqu'elles sont peu intenses, ces lésions des vaisseaux intramédullaires se

présentent sous la forme d'un simple épaississement de la tunique externe,

qui tantôt produit une diminution concentrique de la lumière du vaisseau, et

tantôt transforme ce dernier en un conduit rigide rempli de globules sanguins.

Avec des lésions plus intenses, les parois subissent en totalité la dégénéres-

cence fibreuse ou hyaline, et les vaisseaux, s'ils se montrent en coupe longi-

tudinale, sont tordus et bosselés, tandis que sur une coupe transversale on voit

une oblitération partielle ou complète de leur cavité. Ces divers types de lé

sions (figures 17 et 20) se retrouvent dans tous les segments supérieurs et

moyens de la moelle dorsale, avec prédominance au niveau des 5e et 6° seg-

ments dorsaux, où la dégénérescence fibro-hyaline des parois vasculaires s'ob-

serve plus souvent que la simple périartérite. C'est également dans le 6° seg-

ment dorsal, et pas ailleurs, que l'ou voit fréquemment à la périphérie des

Fig. 17. Vaisseaux intramédullaires.

2e segment dorsal.

Fig. 18.-Vaisseaux extramédullaires.

5e segment dorsal.

Fig. 19. - Vaisseaux extramédullaires. Gaz segment dorsal.

114 LONG ET WIKI

petits vaisseaux de la substance blanche des corps globuleux, remplis de pig-

ment ocreux, vestiges de petites hémorrhagies capillaires, dues à une plus

grande friabilité des conduits sanguins.

4. Substance nerveuse (axe gris et faisceaux blancs). - Le relevé topographi-

que des lésions que nous avons fait plus haut dispense de faire la nomencla-

ture complète des lésions en foyers de la substance nerveuse. Il montre bien

que les dégénérescences secondaires prennent naissance dans des segments

différents de la moelle dorsale moyenne. C'est ainsi que pour le cordon de Goll

droit, on trouve le maximum des lésions dans la partie supérieure du 5° seg-

ment dorsal, d'où est partie la dégénérescence secondaire de ce faisceau, tandis

que pour le cordon de Goll gauche le point de départ est placé plus bas, entre

les 5e et 6e segments dorsaux.

Un retrouve des différences analogues pour 1 origine des autres dégénéres-

cences secondaires. La dégénérescence du faisceau pyramidal croisé gauche

est au maximum dans la partie inférieure du 5° segment dorsal (fig. 7) et

celle du faisceau pyramidal croisé droit dans le 6e segment dorsal (fig. 9). Au-

dessus de ces régions les faisceaux pyramidaux croisés sont éclaircis par une

dégénérescence rétrograde qui s'arrête au niveau de la 2° racine dorsale ; an-

dessous leur dégénérescence cellulifune se prolonge jusqu'au cône terminal.

Fig. 20. - Vaisseaux intra-médullaires. 6e segment dorsal.

Fig. 21. - Substance grise du côté gauche. 6e segment dorsal.

SUR l'état ATROPIIIQUE DE la moelle épinière 115

Cette diffusion des lésions en foyer de la substance blanche se retrouve

quand on passe à l'examen de la substance grise. Au niveau du 3° segment

dorsal, cette dernière est déformée dans sa moitié droite, les cellules ganglion-

naires de la corne antérieure et de la colonne de Clarke s'y montrent en plus

petit nombre que du côté gauche ; cette modification s'accentue dans le 4°

segment dorsal. Ici la tête de la corne antérieure droite paraît comme décapi-

tée (fig. 5) par suite de la disparition du réseau fibrillaire. Dans les 5e et 6°

segments dorsaux, c'est à gauche qu'on retrouve des lésions analogues dans la

substance grise : raréfaction du réseau fibrillaire, amaigrissement de la colonne

de Clarke (fig. 21). L'apparition de ces foyers de lésions destructives dans la

substance nerveuse - faisceaux blancs et substance grise - coïncide toujours

avec une augmentation des lésions vasculaires. Il est noter que ces foyers ne

se montrent pas, comme on l'observe fréquemment dans la syphilis spinale,

sous l'aspect de la myélomalacie ; ce ne sont pas en effet de véritables pertes

de substance. Tous les éléments histologiques normaux de la moelle ne dispa-

raissent pas en totalité de ces foyers, ils sont simplement remplacés dans des

proportions variables par des éléments de ^nature conjonctive proliférés à la

périphérie des vaisseaux. On n'y voit pas d'amas de cellules embryonnaires;

c'est un tissu de réaction arrivé à un stade avancé d'organisation.

RÉSUMÉ DE l'observation clinique. - Paralysie spinale à marche lente et

progressive, survenue chez un sujet ayant contracté la syphilis 38 ans au-

paravant. Pendant les trois premiers mois de la maladie, état de lourdeur et

de raideur des membres inférieurs ; au quatrième mois apparition de trou-

bles sphinctériens et aggravation de l'état paréto-spasmodique ; on constate

des troubles de la sensibilité accompagnant les troubles moteurs. A la fin de

la première année amélioration passagère sous l'influence d'un traitement

énergique ; puis rechute, paraplégie complète quatorze mois après début

de la maladie. Mort par infection urinaire.

Résumé DE l'examen histologique. - On constate trois catégories de lé-

sions :

1° des lésions vasculaires et péri-vasculaires diffuses et en grande majorité

intra-médullaires ;

2° des lésions scléreuses en foyers multiples qui constituent le point de

départ des dégénérescences secondaires systématisées ;

3o une diminution de volume de la moelle dans les deux tiers supérieurs

de la région dorsale.

Remarques. - i° Les lésions vasculaires se manifestent ici avec le ca-

ractère de diffusion qui est habituel dans la syphilis spinale. 11 est à noter

cependant qu'elles se sont localisées surtout dans l'intérieur de la moelle

et que la pie-mère et les vaisceaux pie-mériens sont presque indemnes.

2" Les lésions destructives de la moelle sont en foyers multiples et ne

prennent pas l'aspect de la myélite transverse.

116 LONG ET WIKI

En effet quoiqu'elles soient presque toutes localisées dans les 4% 5e et

6° segments dorsaux, elles restent indépendantes les unes des autres et on

voit en particulier que les dégénérescences secondaires des cordons de Goll

et des faisceaux pyramidaux croisés ne débutent pas à la même hauteur à

gauche et à droite. Il en est de même des taches scléreuses trouvées dans

la substance grise et qui ne constituent pas un foyer unique.

Ces lésions limitées des faisceaux blancs et de la substance grise sont-

elles le reliquat de petits foyers de ramollissement ischémique, ou seule-

ment d'un ramollissement inflammatoire produit par les lésions péri-vas-

culaires ? Le cas actuel-ne se prête guère à cette recherche qui ne peut être

profitable que si elle s'adresse à des cas récents. Ici au contraire la maladie

a duré près de deux ans, un traitement spécifique énergique a été suivi

pendant plusieurs mois, et les tissus pathologiques sont arrivés à un stade

avancé d'organisation scléreuse.

3° La diminution de volume de la moelle est surtout manifeste depuis

le ter segment jusqu'au 7" segment de la région dorsale; au-dessus et au-

dessous elle s'atténue rapidement. Voici quelques-unes des mensurations

qui ont été prises en comparant les diamètres de cette moelle avec ceux

d'une moelle normale (Voir fig. 1 à 15).

SUR L'ÉTAT ATHOPUIQUE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 117

chose près, normales. On ne peut pas non plus mettre en cause les dégé-

nérescences secondaires, car on sait que dans ces dernières le tissu normal

cède la place à une sclérose névroglique, qui est un tissu de remplacement

dans le sens complet du mot. Les lésions destructives en foyer ont pu

jouer un rôle, mais cette explication serait insuffisante car le ratatine-

ment de la moelle s'étend uniformément sur une grande hauteur, tandis

que les lésions en foyer occupent surtout les li ? 5°, 6e segments dorsaux,

et ceux-ci ne sont d'ailleurs pas notablement plus amaigris que les autres.

Il ne reste plus comme cause possible que les lésions vasculaires ; on

remarque que leur distribution est parallèle à celle de l'état dystrophique

de la moelle (maximum dans les deux tiers supérieurs de la région dorsale,

atténuation progressive au-dessus et au-dessous de cette zone). ,

Il est donc logique d'admettre que la diffusion des altérations vascu-

laires a èu comme résultat une insuffisance de l'activité circulatoire dans

l'intérieur de la moelle et que cette dernière a subi de ce fait une diminu-

tion de volume lotius snústal1tiae, soit par la dégénérescence de fibres ou

d'éléments cellulaires trop isolés pour être retrouvés par l'examen histo-

logique, soit par une dystrophie généralisée de la substance nerveuse

(tissu parenchymateux et tissus interstitiels).

Cette conclusion s'accorde bien avec ce qui a été dit maintes fois sur

les formes cliniques de la paralysie spinale syphilitique. ,

La forme rapide est due à des lésions inflammatoires, vasculaires et

périvasculaires, qui provoquent en peu de temps la formation de foyers

de nécrose. Dans la forme lente les phénomènes paralytiques du début

sont variables, et cela pendant un temps souvent assez long, et on sait

quels succès thérapeutiques on a pu enregistrer dans un certain nombre

de cas. Il est vraisemblable qu'il existe à cette période surtout des lésions

vasculaires qui créent .un état d'insuffisance fonctionnelle variable suivant

le moment physiologique (claudication intermittente spinale de Charcot).

Il n'est pas nécessaire en effet, pour expliquer les phénomènes spasmodi-

ques de cette période, de supposer la présence de lésions destructives, et

on peut comparer ces faits à certaines paraplégies pottiques, qui s'atté-

nuent rapidement après la formation ou l'évacuation d'un abcès par con-

° gestion. A une période plus avancée de la forme chronique, si les locali-

sations vasculaires de la syphilis ne régressent pas, il peut se former, sui-

vant le degré d'oblitération des vaisseaux, soit des lésions en foyer, soit un

état dystrophique étendu à un plus ou moins grand nombre de segments.

Il est donc possible que, dans quelques cas, la syphilis spinale n'agisse

que par une diminution de l'apport sanguin, qui a comme conséquence

physiologique une insuffisance fonctionnelle, variable puis permanente,

et comme résultat anatomique une atrophie partielle de la moelle.

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

DANS LE

SPINA BIFIDA.

HYDROPISIE DU QUATRIÈME VENTRICULE (1).

DEDIE A LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR SERGE KORS.1VOFF

PAR R

NICOLAS SOLOVTZOFF '

Prosecteur de la Maison des Enfants trouvés

et de la Maternité à Moscou.

Après la publication de mes premières recherches sur les difformités du

système nerveux central dans le spina bifida, j'ai eu l'occasion d'observer

quelques nouveaux cas qui encore une fois me confirment que les diffor-

mités de la moelle allongée et du cervelet se rencontrent presque toujours

sous une même forme. D'ailleurs avec des matériaux nouveaux nous pou-

vons éclaircir le mécanisme même de cette difformité.

Cas I. - Sur la photographie n° 1 (Pl XI) est représentée par derrière la

vue des hémisphères cérébraux, du cervelet, de la région cervicale de la

moelle et de la partie du bulbe rachidien dans un cas d'ouverture de la

colonne vertébrale dans sa partie inférieure. Le cerveau est bien déve-

loppé, mais le cervelet est changé considérablement : sa partie moyenne

est absente et les deux hémisphères se rapprochent. Par suite de l'absence

du lobe médian le cervelet est diminué transversalement; ses sillons ont

une direction non horizontale, mais inclinée, sont disposés de haut en

bas par rapport à la ligne médiane. En bas le cervelet prend une forme

conique et son volume diminue peu à peu ; plus bas les membranes épais-

sies et riches en vaisseaux recouvrent la moelle allongée. Si nous soûle-

vons un peu le prolongement partant du bord inférieur du cervelet, alors

nous aurons devant nous le tableau représenté par la phot. n°2 (PI. XI).

Toutes les parties du tronc cérébral se trouvant devant le cervelet sont

(1) Rapport fait à la Société des Neurologistes et des Aliénistes de Moscou le 17/30 no'

vembre 1900. Voy. Nouvelle Iconographie de la Salpêlrière, t. XII.

Nouv. Iconographie DE la SALP61'RICRE.

T. XIV. PI. XI

1

2

3

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DIFFORMITES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LA SPINA BIFIDA

(N. Solovloff.)

\I1 ? c : ("\n x ri.. F,htf'l1r

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA BIFIDA 119

séparées des hémisphères cérébraux ; dans les ventricules latéraux se

trouvait une accumulation de liquide peu considérable. Le cervelet est

privé de vermis. De la partie inférieure du cervelet part un prolongement

en forme de cône, diminuant peu à peu vers le bas.Sous ce prolongement,

lequel avant sa séparation était soudé avec la dure-mère,est placée la moelle

allongée, aplatie d'arrière en avant, abaissée et saillante sur la partie cer-

vicale de la moelle épinière; cette dernière passe sous la moelle allon-

gée. La surface supérieure de la moelle allongée est lisse et sert de plan-

cher au 4° ventricule. Ainsi le 4e ventricule descendait dans la partie

cervicale du canal vertébral et les membranes épaissies, le couvrant sur

une longueur considérable dans sa partie inférieure, correspondent à la

valvule de Tarin.

Cas II. - Sur la photographie n° 3 est donnée la vue postérieure du

cervelet, de la moelle allongée et de la moelle épinière, qui est coupée

immédiatement au niveau de l'ouverture de la colonne vertébrale. Tableau

analogue à celui du cas I. Le cervelet est mal développé dans sa partie

médiane ; à sa partie inférieure se joint la valvule de Tarin,coupée de côté;

grâce à cela le fond du ventricule est visible ; il s'est abaissé considérable-

ment et a la forme de triangle, un angle tourné vers le bas. Des côtés du

4e ventricule s'élèvent les bords de la moelle allongée, laquelle en bas du

4° ventricule prend une forme de cylindre aplati d'avant en arrière, ar-

rondi à la fin et suspendu au-dessus de la région cervicale de la moelle épi-

fière ; c'est seulement la partie antérieure de cette dernière qui passe

directement dans la moelle allongée. -

Dans ces deux cas nous observons : 1° le prolongement extraordinaire

dans la direction inférieure du 4e ventricule. Le 4e ventricule dans une

moelle normale s'aperçoit seulement, quand nous soulevons un peu le

cervelet ; dans nos cas il est tellement abaissé, qu'on l'aperçoit dans la

partie cervicale du canal rachidien. Avec l'allongement du 4e ventricule

on observe : 2°, la dislocation de la moelle allongée. De ce fait la partie

cervicale de la moelle est épaissie ; voilà pourquoi le canal rachidien dans

sa partie cervicale est trop élargi. 3° Dans la moelle normale le 4 ven-

tricule est couvert en haut par le cervelet dans toute son étendue et dans

nos deux cas la partie abaissée du 4° ventricule est couverte seulement

' d'une membrane contenant la valvule de Tarin. 4° Enfin dans ces deux cas

nous remarquons le manque de développement du lobe médian du cervelet.

Cas III. - Même tableau (Phot. 4 PI. XI) : le vermis est absent; aussi

le cervelet'estaminci dans la direction transversale. A la partie inférieure

du cervelet on voit un prolongement de forme conique, comprimé d'arrière

en avant et correspondant à la partie inférieure de la moelle allongée, la-

120 SOLOVTZOFF

quelle, comme dans les deux cas précédents, se dirige vers la moelle épi-

nière, mais moins symétriquement; elle s'incline plus sur le côté, surtout

sur le côté droit de la moelle épinière. En haut la moelle allongée est cou-

verte par les membranes épaissies qui recouvrent le 4e ventricule.

Cas IV. - Ici la moelle allongée n'est pas suspendue au-dessus de la

moelle épinière, il existe seulement un fort épaississement de la moelle

dans la région cervicale, dans sa partie postérieure. Pareil épaississement

de la moelle, dans ce cas, comme dans les précédents, se produisait aux

dépens delà dislocation en bas de la partie postérieure de la moelle allon-

gée, laquelle pourtant ne se sépare pas de la moelle épinière, mais reste

directement liée avec elle.

CAS V. - Dans ce cas non seulement nous ne voyons pas, que sur la

moelle épinière la moelle allongée prenne l'aspect d'une formation sup-

plémentaire, mais nous ne trouvons même pas la simple dislocation de la

partie postérieure de la moelle allongée, comme dans le cas précédent, et

pourtant la moelle dans la région cervicale est très épaissie, ce qui saute

aux yeux surtout en la comparant avec la moelle normale. Dans la partie

cervicale (Phot. 5 Pl. XI) la moelle s'épaissit et atteint au moins 1 1/2 ou

2 fois la dimension normale. Le vermis est absent. En éloignant les mem-

branes qui couvrent la moelle allongée et correspondent à la valvule de

Tarin, nous trouvons le z' ventricule, lequel est considérablement étendu

en bas. Ce dernier fait a provoqué la dislocation de la moelle allongée,

mais une dislocation qui ne dépend pas seulement delà partie postérieure

comme dans les cas précédents. Ce déplacement de toute la moelle allongée

explique le grossissement de la moelle dans la partie cervicale, de sorte

que dans la région cervicale on ne trouve pas la moelle épinière, mais la

partie inférieure de la moelle allongée.

Après cette courte description du tableau macroscopique passons à un

examen microscopique.

CAS 1.

Planche XII

Phot. 6. - Plus haut qu'à la place où existe l'ouverture do la colonne

vertébrale, la moelle épinière a les particularités suivantes : le faisceau pyra-

midal se trouve seulement dans les cordons antérieurs, des deux côtés de la

fissure longitudinale antérieure, ayant l'aspect de deux pâles bandes assez

larges. Dans les cordons latéraux plus près en arrière existe une fissure s'en-

fonçant vers la profondeur de la périphérie, couverte dans sa périphérie par les

fibres myéliniques très nettement marquées (le faisceau cérébelleux du cordon

Nouvelle Iconographie de la SA[,YI : rRII : RF, T. 11\', l'L Xll 11

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DIFFORMITES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LA SPINA BIFIDA

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LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA 1SIFIDA 121

latéral). Les cordons postérieurs sont bien développés. La configuration de la

coupe est normale, mais bientôt la moelle est comprimée d'avant en arrière ;

en conséquence le faisceau pyramidal, commençant à la commissure blan-

che antérieure, n'a pas une direction droite en avant et se dirige dans les

parties latérales, entourant en avant les cordons latéraux. Les cordons posté-

rieurs diminuent dans la direction d'avant en arrière, mais en même temps

s'élargissent dans la partie dorsale. Après, dans une coupe à la distance de

deux millimètres en arrière de la moelle épinière, on commence à rencontrer

des parties abaissées de la moelle allongée, n'ayant pas au commencement de

structure définie. Avec cela la moelle épinière est comprimée encore davantage

d'avant en arrière et diminuée de volume. Les cordons postérieurs diminuent

dans la direction d'avant en arrière et sont étendus de côté dans la partie

postérieure ; leur subdivision en faisceaux de Goll et de Burdach est indiquée.

mais pas très nettement.

La moelle allongée est quelque peu augmentée de volume et sur la Phot. 6

est déjà plus grande que la moelle épinière. La moelle épinière s'aplatit

d'avant en arrière. Les cordons postérieurs dans leur partie dorsale sont mal

développés, pâles et étendus de côté. Le faisceau pyramidal existe seulement

sous forme d'un faisceau de Turck, disposé à la périphérie du faisceau fonda-

mental du cordon antéro-latéral. Le faisceau cérébello-spinal, grâce à la com-

pression de la moelle, se trouve dans la partie postérieure de la moelle épinière

et entoure les fissures qui s'enfoncent de la périphérie vers la profondeur. La

moelle allongée a une forme ovale. En arrière existe une fissure large et pro-

fonde, correspondant au plancher du 4a ventricule. En avant et en dehors la

moelle allongée est recouverte à la périphérie par les fibres myéliniques, mais

le plancher du 4e ventricule est tout a fait pâle.

Phot. 7. De chaque côté de la fissure médiane, près l'une de l'autre, dans

la direction de la moelle épinière, on voit partir de minces fibres myéliniques,

qui ne vont pas jusqu'à la moelle épinière et se séparent d'elle à la dure-mère ;

ces fibres entourent dans la périphérie toute la partie antérieure et les côtés de

la moelle allongée en vue des fibres myéliniques, nettement indiquées, lesquelles

dans la direction en arrière deviennent plus minces. Ces fibres avant d'arriver

au plancher du 4e ventricule se dirigent en dedans. La partie restante de la

moelle allongée, à l'exception du bord dorsal qui se joint au plancher du 4e

ventricule, contient également un réseau de fines fibres myéliniques. La moelle

épinière n'est pas changée si on la compare avec la coupe précédente.

Phot. 8. - La structure de la moelle épinière est modifiée seulement en ce

sens, qu'une partie des fibres myéliniques des cordons postérieurs est passée

dans la moelle allongée. En conséquence, ils ont dû se courber et prendre une

position horizontale et non pas verticale. Voilà pourquoi ils se remarquent

plus nettement ici que dans la moelle épinière. Plus loin, par cette raison

que la moelle allongée est placée à quelque distance de la moelle épinière,

les cordons postérieurs passant dans la moelle allongée constituent un isthme.

La partie médiane de cet isthme plus pâle, contient les fibres myéliniques, les-

quelles provenant de la moelle épinière se dirigent directement vers le plan-

xiv . 9

122 - SOLOVTZOFF

cher du quatrième ventricule et les fibres myéliniques, placées de chaque côté

de l'isthme, se dirigent en dehors et contournent ainsi le bord antérieur et la-

téral de la moelle allongée, c'est-à-dire absolument comme dans la coupe pré-

cédente, seulement le faisceau de ces. fibres est généralement plus large.

Phot. 9. - L'isthme, réunissant la moelle épinière avec la moelle allongée

devient considérablement plus large; correspondant à cet élargissement, le nom-

bre de fibres partant de la moelle épinière est augmenté. Les fibres verticales

sont conservées dans les cordons postérieurs, seulement dans la partie anté-

rieure, elles sont séparées des fibres horizontales par une zone pâle. Les fibres

myéliniques allant dans la moelle allongée comme dans la coupe précédente, pas-

sent dans deux directions. Les fibres disposées au milieu de l'isthme se dirigent

directement vers le plancher du 4" ventricule et celles disposées latéralement

entourent au-devant et en dehors la moelle allongée sous forme d'une lame

qui en arrière, peu à peu devient mince ; ces fibres myéliniques de la direction

horizontale prennent la direction verticale. Des deux côtés de la moelle allongée

sur le bord antérieur, un peu en dehors de l'isthme, sont disposées les parties

pâles et fusiformes.

Phot. 10. La moelle allongée surpasse comme avant en volume la moelle

épinière. L'isthme qui la réunit avec la moelle épinière est devenu encore plus

large et contient des fibres myéliniques bien colorées et seulement horizon-

tales ; la partie qui se trouve au milieu, se dirige directement en arrière, mais

une grande partie, placée sur les côtés, va vers le bord antérieur même. De

plus, à la place où les fibres myéliniques retournent en arrière, au-devant se

rencontrent des deux côtés des zones pâles et fusiformes (partie de la substance

gélatineuse de Rolando) ; de ce fait, et par comparaison avec les coupes précé-

dentes la quantité de fibres myéliniques couvrant la partie antérieure de la

moelle allongée est un peu amincie ; les fibres myéliniques se continuant en

arrière, bordent la moelle allongée latéralement ; en même temps de la direc-

tion horizontale elles prennent la direction verticale. Dans la moelle épinière

les cordons postérieurs ont passé dans l'isthme ; en conséquence la distance

entre la commissure antérieure et la surface antérieure des cordons posté-

rieurs est augmentée. La substance gélatineuse de Rolando occupe le bord

extrême de la face postérieure de la moelle épinière et passe en partie dans

l'isthme, déplaçant lés fibres myéliniques vers l'intérieur. Dans la fissure qui

existe entre la moelle épinière et la moelle allongée on voit la racine posté-

rieure, marquée sur les coupes précédentes.

PHOT. 11. - L'isthme, réunissant la moelle épinière et allongée, est devenu

plus court, mais en même temps plus large. Déjà dans les coupes précédentes

nous avons vu les cordons postérieurs déplacés de la commissure antérieure,

maintenant ils sont passés encore plus en arrière. La quantité de fibres myé-

liniques est diminuée et elles sont conservées seulement au milieu de l'isthme.'

Sous forme de faisceau large de fibres horizontales elles se dirigent en arrière

et dans une moitié finissent subitement, dans l'autre elles viennent se placer

de côté, passant dans les fibres verticales placées sur le bord de la moelle al-

longée. La substance gélatineuse de Rolando, couvrant la partie dorsale de la

(null)

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA BIFIDA 123

moelle épinière dans la coupe précédente, a passé en partie dans l'isthme,

déplaçant les cordons postérieurs en dedans. En outre, la substance gélati-

neuse de Rolando ne passe pas seulement dans l'isthme, mais aussi dans la

moelle allongée dans son bord antérieur, étant entourée à la surface de minces

fibres myéliniques, lesquelles vont dans la périphérie de la moelle en arrière

et passent dans le faisceau de fibres, placées sur les bords de la moelle allon-

gée. Dans la moelle épinière les parties antérieures et latérales sont restées

sans changements, les cordons postérieurs sont restés en arrière et situés dans

la moelle allongée. Toute la substance entre la partie antérieure des cordons

postérieurs et entre les faisceaux fondamentaux du cordon antéro-latéral con-

tient un réseau assez bien développé de fibres myéliniques. Reste pâle la

substance gélatineuse de Rolando et le triangle autour du canal central.

La base du triangle suit la commissure antérieure et le sommet l'extrémité

antérieure de la fissure entre les cordons postérieurs. En dedans de la sub-

stance gélatineuse de Rolando on voit partir des fibres nerveuses arciformes,

correspondant au nerf accessoire de Willis.

Planche XII

Phot. 12. La quantité de fibres myéliniques passantdescordous postérieurs

dans la moelle allongée s'amincit subitement ; celles-ci sont conservées seule-

ment dans la moelle allongée et de chaque côté en forme d'une lamelle assez

étroite et foncée, se trouvent en arrière de la substance gélatineuse de Ro-

lando ; maintenant elle ne va pas jusqu'au bord latéral de la moelle allongée et

finit bientôt après son apparition. Des deux côtés de la moelle allongée, dans la

partie dorsale, et à la périphérie, sont placées des lamelles semi-lunaires de

libres myéliniques, correspondant aux cordons postérieurs et prenant la direc-

tion verticale. En avant de la substance gélatineuse de Rolando nous trouvons

la racine descendante du nerf trijumeau, entourée à la périphérie de minces

fibres myéliniques, prenant naissance dans le faisceau cérébello-spinal et cou-

tribuant à la constitution du pédoncule cérébelleux inférieur.

Phot. 13. Les fibres myéliniques, allant de la moelle épinière dans l'al-

longée en forme de faisceau horizontal, ont maintenant complètement disparu.

Le plancher du 4e ventricule bordé d'une zone pâle et étroite est privé de

myéline. Du milieu du plancher, s'enfonçant en forme de coin, part une la-

melle très mince et pâle, tout droit en avant jusqu'à la commissure antérieure.

Cette lamelle blanche sépare la moelle allongée en deux moitiés. Au bord de

cette lamelle en est une autre, foncée, qui résulte de ce fait que les fibres myé-

liniques sont marquées plus fortement, surtout dans la partie dorsale, c'est-à-

dire près du plancher du 4° ventricule. De chaque côté de la moelle allongée

nous trouvons une lamelle en forme d'une demi-lune de fibres verticales, con-

tinuation de cordons postérieurs, en avant la substance gélatineuse de Ro-

lando, recouverte par la racine spinale du nerf trijumeau et séparée de la

périphérie de la moelle allongée par de fines fibres myéliniques, qu'on voit

partir du faisceau cérébelleux du cordon latéral de la moelle épinière et se

124 SOLOVTZOFF

diriger en arrière jusqu'aux cordons postérieurs. Un peu en dedans de la

substance gélatineuse de Rolando, des deux côtés sont situées des fibres ner-

veuses qui traversent horizontalement la substance blanche du cordon latéral

de la moelle épinière sous forme d'un arc contournant la substance gélatineuse

de Rolando dans l'isthme et dans la moelle allongée : c'est le nerf accessoire de

Willis. Dans les autres parties de la moelle, il faut remarquer que les fibres

myéliniques, situées dans une moitié, ne passent pas dans l'autre et, séparées

par une blanche et étroite lamelle, sont réunies seulement dans la région de

la commissure antérieure, dans laquelle la quantité des fibres myéliniques a

quelque peu augmenté. Le canal central de la moelle épinière est étendu un

peu en arrière. -

Phot. 14. La coupe de cette photographie montre des modifications

importantes. La moelle allongée a encore augmenté de volume et s'avance

des deux côtés. L'isthme qui unit la moelle épinière avec la moelle allongée

est devenu à ce niveau plus large et en même temps plus court que sur la

coupe précédente. Le canal central s'est ouvert en arrière et s'est transformé

en 4e ventricule. Une lamelle étroite qui est située près du plancher du 40 ven-

tricule reste tout à fait pâle. Le long de cette lamelle passent les fibres

myéliniques pour s'entrecroiser sur la ligne médiane dans l'espace compris

entre le fond de la fissure médiane antérieure et l'enfoncement du 4e ventri-

cule. Des deux côtés de la moelle allongée nous trouvons les fibres myélini-

ques qui constituent la continuation des cordons postérieurs et le commence-

ment du pédoncule cérébelleux inférieur. En avant, existe la racine spinale du

nerf trijumeau, en dedans la substance gélatineuse de Rolando qui est dispo-

sée seulement dans la moelle allongée sur son bord antérieur et limitée à

la périphérie par les fibres myéliniques qui, quittant le cordon latéral, se diri-

gent en arrière et en dehors et vont prendre part à la constitution du pédon-

cule cérébelleux inférieur. La moelle épinière présente de grandes modifica-

tions dans sa structure. Les cordons latéraux ont diminué de volume. Les

fibres du faisceau fondamental du cordon antérieur dans sa partie postérieure

se sont rapprochées et contiennent entre elles le commencement de la couche

des fibres sensitives. Grâce à ce rapprochement les pyramides sont situées

un peu en avant et disposées plus en dedans du faisceau fondamental du cordon

latéral. Le canal central de la moelle épinière est réuni avec le 4e ventricule.

Dans la fissure située entre la moelle épinière et allongée on trouve de chaque

côté la racine postérieure.

Phot. 15. - Ce qui frappe sur cette coupe, c'est que la moelle épinière a

perdu tout à fait sa configuration.

Les cordons latéraux ont presque disparu et en conséquence l'isthme, sé-

parant la moelle allongée de l'épinière, a perdu son importance et en largeur

égale presque la moelle épinière. Le faisceau fondamental du cordon antérieur

a considérablement reculé, le 4" ventricule n'est déjà plus si enfoncé en avant,

comme dans la coupe précédente, quand il lui fallait se fusionner avec le canal

central de la moelle épinière. Les fibres sensitives, indiquées assez nettement,

se dirigent un peu en avant du plancher du 4e ventricule et s'entrecroisent

(JJtiip.oios 'N)

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LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA B1FIDA 125

entre le faisceau fondamental du cordon antérieur, lequel est considérablement

déplacé en arrière. Sur les côtés de la moelle allongée se trouvent^des fibres

myéliniques du faisceau cérébelleux ; devant elles la racine spinale du nerf triju-

meau ; en dedans de ce faisceau on aperçoit la substance gélatineuse de Ro-

lando, moins nettement indiquée que dans les coupes précédentes. En dehors

de la racine spinale du nerf trijumeau nous trouvons de petites fibres arcifor-

mes, passant dans le faisceau cérébelleux.

Les pyramides, en vue de deux lames blanches, sont placées devant le fais-

ceau fondamental du cordon latéral, n'allant pas jusqu'à la fissure médiane

longitudinale antérieure, comme dans les coupes précédentes, où elles étaient

partagées au-devant des faisceaux fondamentaux du cordon antérieur et au-

devant des faisceaux fondamentaux du cordon latéral ; de cette manière elles

avaient ou bien la forme d'un arc, ou bien elles étaient placées à angle droit.

Les autres changements consistent en ceci, que les cordons latéraux de la

moelle épinière disparaissent complètement et avec eux aussi l'isthme, séparant

la moelle épinière de l'allongée ; il se produit une fusion complète de la moelle

allongée et de l'épinière et rien ne démontre plus que la moelle allongée est

formée de deux moitiés. Toutes ces modifications sont analogues à celles qui se

produisent dans une moelle normale ; en même temps change la forme de cou-

pes ; seulement en comparaison de la moelle normale, la moelle est considéra-

.blement aplatie, ce qui provient de l'élargissement démesuré du 4e ventricule.

Phot. 16. - L'entrecroisement des fibres sensitives est fini et ses fibres

viennent se placer devant les faisceaux fondamentaux des cordons antérieurs,

qui ont formé la substance réticulaire blanche. Sur les côtés de la substance

réticulaire blanche, à la place de la corne antérieure, apparaît l'olive accessoire

interne et à la place de la corne latérale et du faisceau fondamental du cordon

latéral, l'olive inférieure.

Planche XIV

PIIOT. 17. A ce niveau, où l'olive inférieure est déjà bien développée, nous

trouvons le 4" ventricule élargi au plus haut degré; son plancher se pré-

sente en ligne droite. Les changements correspondent à la moelle normale. Les

pédoncules cérébelleux inférieurs sont augmentés de volume, de même que la

racine spinale du nerf trijumeau. L'olive inférieure est à la hauteur de sou

développement. Les pyramides sont quelque peu agrandies dans leur diamètre.

La fusion de la moelle épinière avec l'allongée est tout à fait terminée ; de la

moelle épinière il ne reste pas de trace et maintenant rien ne démontre que la

moelle est formée de deux moitiés.

Avant de continuer la description de ce cas, essayons de nous orienter dans

le tableau que nous avons observé jusqu'à présent.

Déjà à l'examen macroscopique (Phot. 2) l'allongement du 4° ventricule est

clairement visible en bas, ainsi que l'abaissement de la moelle allongée, laquelle

est suspendue au-dessus de la moelle épinière. L'examen microscopique

démontre que cette partie suspendue dans sa région inférieure possède la struc-

ture des cordons postérieurs de la moelle allongée ; à son bord postérieur se

126 SOLOVTZOFF

trouve un sillon, servant de plancher au zu ventricule (Phot. 6). La moelle

épinière avec son canal central se trouve devant l'allongée, et au même niveau

se trouvent deux canaux : le 4e ventricule et le canal central de la moelle épi-

nière. Et la moelle épinière et l'allongée, séparées d'abord l'une de l'autre, ne

se fusionnent pas, mais après cela se joignent de manière à former l'isthme entre

les cordons postérieurs de la moelle allongée et ceux de Pépinière. La fusion se

produit peu à peu (Phot. 7, 8) et voilà pourquoi l'isthme d'abord est assez étroit ;

là passe seulement la partie postérieure des cordons de Goll ; mais après il

devient de plus en plus large, et bientôt passent en lui aussi les cordons de

Burdach et la partie antérieure des cordons postérieurs de la moelle épinière

(Phot. 9, 10).

Comme dans la moelle épinière, les fibres des cordons postérieurs ont une

direction verticale et comme la partie dorsale de la moelle allongée est placée

dans ce cas en arrière des cordons postérieurs de la moelle épinière, il est

logique que les fibres des cordons postérieurs de la moelle épinière, pour passer

dans l'allongée, doivent se courber et changer leur direction de la verticale

vers l'horizontale ; cela explique comment à la coupe transversale de la moelle

dans l'isthme, les fibres des cordons postérieurs sont coupées dans une direc-

tion longitudinale et non pas transversalement (Phot. 9-12).

Grâce à la dislocation en bas de la moelle allongée les cordons postérieurs

de la moelle épinière ont dû sortir trop tôt de la moelle épinière qui se par-

tage en deux moitiés, antérieure et postérieure, et chacune se développe indé-

pendamment de l'autre ; du reste, la partie antérieure de la moelle épinière reste

longtemps sans aucun changement; cependant les cordons postérieurs passant

par l'isthme dans la moelle allongée restent dans l'isthme seulement peu de

temps, passant bientôt dans les fibres verticales, lesquelles, en forme de crois-

sant, sont placées des deux côtés de la moelle allongée ; les fibres horizontales

dans l'isthme ont disparu (Phot. 13) et il est absolument pâle. Après cela le

tableau change subitement : le canal central de la moelle épinière se fusionne

avec le 4e ventricule (Phot. 14) et ceci entraîne le commencement de la fusion

complète de la moelle épinière avec la moelle allongée. Des noyaux des cordons

postérieurs doivent partir les fibres sensitives, lesquelles se placent entre les

fibres du faisceau fondamental du cordon antérieur. De cette manière la configu-

ration de la moelle épinière change : en effet (Phot. 15) les faisceaux fondamen-

taux des cordons antérieurs, déplacés en arrière, s'approchent du plancher du

4e ventricule ; avec eux viennent les libres du faisceau fondamental du cordon

latéral, grâce à quoi la moelle épinière diminue dans le sens transversal et le

4," ventricule (lequel en bas dû s'eufoncer en avant pour s'unir avec le canal

central (Phot. 14) de la moelle épinière), après sa fusion s'aplatit et il la fin prend

l'aspect de ligne droite (Phot. 17).

Ainsi, par l'allongement extraordinaire vers le bas du 4" ventricule se

produit la dislocation de la moelle allongée, surtout de sa partie postérieure. Et

sur toute la distance de la moelle cervicale jusqu'à l'extrémité inférieure de

l'olive, la moelle se compose de deux moitiés : de la partie antérieure de la

moelle épinière et de la partie postérieure de la moelle allongée.

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA BIFIDA 127

L'intérêt de ce cas, entre autres, consiste en ceci, qu'ici les moitiés su-

périeure et inférieure delà moelle allongée sont séparées l'une de l'autre

subitement et on peut remarquer séparément, comment passent dans la

moelle allongée et comment se forment les cordons postérieurs, la sub-

stance gélatineuse de Rolando, faisceau cérébelleux etc., enfin comment

change la partie antérieure de la moelle épinière, les faisceaux fonda-

mentaux du cordon antéro-latéral. Oulre cela, il faut remarquer que les

pyramides dans ce cas se réduisent à un faisceau pyramidal antérieur ;

l'entrecroisement'des pyramides n'existe pas.

Après cette courte digression passons à la suite de l'examen de ce

cas.

Planche XIV

Phot. 18. - L'olive inférieure disparaît ; ici commence la formation du pont

de Varole. Des côtés du tronc cérébro-spinal on trouve le pédoncule cérébelleux

inférieur, en dedans duquel on aperçoit la racine descendante du nerf triju-

meau, entourée en dehors par la substance gélatineuse de Rolando. Sur les

côtés de la ligne médiane, plus en avant, apparaît une partie triangulaire,

correspondant à la couche des fibres sensitives. Sur le plancher du 4° ventri-

cule sont placés les noyaux du nerf acoustique.

Mais l'intérêt principal ne se trouve pas maintenant dans l'axe cérébro-

spinal, lequel, après l'apparition de l'olive inférieure, ne présente plus d'a-

nomalie, mais dans le cervelet.

Le cervelet est composé de deux moitiés, séparées l'une de l'autre par une

fissure profonde, laquelle atteint presque le plancher du 4e ventricule et c'est

seulement une lame étroite, placée dans le fond même de la fissure, qui joint

les deux hémisphères du cervelet. Déjà à l'examen macroscopique du cervelet

(Phot. 1) on peut remarquer que le lobe médian n'est pas représenté et mainte-

nant il n'y a pas de doute que le vermis est absent.De plus, le cervelet des deux

côtés descend sur les corps restiformes et les entoure. A ce niveau le cer-

velet se voit encore seul, quoique dans la moelle normale, encore plus bas, au

niveau des olives inférieures, on tombe déjà sur la coupe des noyaux dentelés.

Cela s'explique : dans notre cas, à cause de l'allongement du 4e ventricule, la

moelle allongée -s'éloigne du cervelet et se place en bas. Les noyaux dentelés

se trouvent plus haut ; ils n'ont pas leur plein développement, mais une forme

irrégulière (Phot. 19). Le lobe médian est absent et les deux hémisphères sont

réunis l'un à l'autre seulement par un petit isthme, placé sur le plancher du

4e ventricule. Le cervelet, comme sur la coupe précédente, s'étale sur les côtés

du pont de Varole. Le tronc cérébro-spinal ne présente pas d'anomalie.

(A suivre.)

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE LA CLINIQUE

DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX.

(Hospice de la SALI'ÊTnItBE).

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN H1MIMÈLE

AVEC

QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR L'HÉMIMÉLIE

- PAR

E. HUET, et Ch. INFROIT,

Chef du service d'Electro thérapie Chef adjoint du laboratoire

de la Clinique de radiographie

des maladies nerveuses de la Salpêtrière

Les malformations qui peuvent atteindre dans son développement le

corps de l'homme ou des animaux ont depuis longtemps attiré l'attention

des observateurs. Considérées d'abord comme de simples curiosités, comme

des erreurs ou des jeux de la nature, ou encore comme l'effet d'une inter-

vention surnaturelle, elles ont été dans le dernier siècle étudiées avec toute

la rigueur de la méthode scientifique moderne. E. et I. Geoffroy Saint-

Hilaire, Davaine, Dareste, Larcher ont, parmi beaucoup d'autres, contri-

bué surtout à établir les bases de leur étude et de leur classification. Tan-

tôt elles constituent de simples et de légères anomalies, tantôt elles sont

plus complexes et constituent de véritables monstruosités. Entre ces deux

termes la transition est souvent insensible, comme l'a fait remarquer déjà

Isidore Geoffroy Saint-Hilaire à propos de la première tribu de sa classifica-

tion des monstres. C'est un cas de ce genre que nous avons eu l'occasion

d'observer récemment. Il peut être rangé, parmi la famille des ectromé-

liens de Geoffroy Saint-Hilaire, dans le genre des hémimèles, Il nous a

paru intéressant et digne d'être décrit ici non seulement en raison des par-

ticularités curieuses qu'il présente, mais encore par les affinités qu'il per-

met de saisir entre diverses anomalies de développement des membres.

Observation

G..., âgé de 24 ans, est de taille moyenne. La tête, la face, le tronc et les

membres inférieurs paraissent bien constitués et ne présentent pas d'anomalies

apparentes. Mais l'attention est de suite attirée sur la malformation des deux

membres supérieurs, dont on peut se rendre compte sur les photographies 1 et 2

(PI. XV) représentant deux attitudes qui sont familières à ce sujet.

Les épaules et les bras dans leur partie supérieure sont bien conformés; les

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA Sm.W rmtxr-. T. 1l\'. l'1. \N'

1

2

8

4

UN ECTROMELIEN HEMIMÈLE

(Huet et Infroit).

Masson & Ci, Editeurs z

Pholot\illl tbilltauil, Paru

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN nÉMIMÈLE 129

muscles pectoraux, deltoïdes, et biceps forment des reliefs bien développés,

comme chez un homme assez fortement musclé. Sur le dos on constate aussi

un développement normal des muscles qui recouvrent les omoplates et des au-

tres muscles du tronc ; la colonne vertébrale ne présente pas de déviations anor-

males. Les bras, proprement dits, ont il peu de chose près leur longueur habi-

tuelle ; on compte de l'acromion à la pointe du coude 29 cm. 1/2 à droite, et 28

centimètres à gauche. Mais les avant-bras et les mains ont subi un arrêt de dé-

veloppement et présentent des malformations qui donnent aux membres supé-

rieurs une ressemblance grossière avec les ailes de certains oiseaux, d'où le

nom de pléromélie que l'on pourrait appliquer dans ce cas d'hémimélie.

Les avant-bras paraissent d'autant plus courts qu'ils restent fléchis à angle

assez aigu sur le bras et qu'au pli du coude les parties molles du bras se réflé-

chissent sur l'avant-bras, en le recouvrant dans plus de la moitié de son éten-

due. En effet, tandis que sur leur face postérieure les avant-bras mesurent de la

pointe du coude à l'articulation du poignet 18 cm. 1/2 il droite et 17 centimètres

à gauche, sur la face antérieure la partie libre de l'avant-bras ne mesure jus-

qu'au poignet que 7 centimètres à droite et 4 centimètres à gauche. La ré-

flexion des parties molles du bras sur l'avant-bras se fait donc à une distance

de la pointe du coude correspondant à 11 cm. 1/2 à droite, à 13 centimètres à

gauche. En épaisseur l'avant-bras se trouve beaucoup plus réduit encore qu'en

longueur ; dans sa partie libre il atteint à peine le volume de l'avant-bras d'un

jeune enfant; il est d'ailleurs notablement plus petit à gauche qu'à droite ; m

circonférence mesure 11 centimètres à droite et 9 cm. 1/2 à gauche. Des deux

côtés les mouvements de l'avant-bras sur le bras sont très limités, comme nous^

le verrons plus loin, après avoir étudié le squelette.

Le poignet et la main sont un peu différents d'un côté à l'autre. A gauche la

main n'est représentée que par un seul doigt, le pouce, et par le métacarpien

correspondant. Au niveau du métacarpien, sur sa face palmaire et sur ses cô-

tés, on voit des saillies musculaires bien développées qui paraissent correspon

dre comme forme et comme disposition aux muscles de l'éminence thénar. Nous

verrons sur les radiographies comment se comporte le carpe. Cette main, mo-

nodactyle, est placée sur le prolongement de l'axe de l'avant-bras. Sa longueur

totale est d'environ 12 centimètres, dont 6 centimètres pour le carpe et le mé-

tacarpe et 6 centimètres pour le doigt. Les phalanges paraissent sensiblement

normales comme forme et comme volume ; les parties molles qui les recouvrent,

ainsi que l'ongle, sont bien conformés.

A droite la main n'est pas sur le prolongement de l'axe de l'avant-bras ; elle

dévie et s'incline d'abord sur le côté interne, puis au niveau des doigts en sens

opposé sur le côté externe, de sorte que l'avant-bras, la main et les doigts for-

ment comme un Z allongé. Les doigts, d'ailleurs, se limitent à deux, et parais-

sent en partie fusionnés. Ils n'ont que de faibles dimensions ; les deux ongles

qui les recouvrent sont égalements petits. Malgré cette mauvaise conformation,

cette main est la plus forte et la plus habile. Sur la face palmaire du métacarpe

se trouvent des muscles assez volumineux, plus étalés qu'à gauche, et parais-

sant formés pour la plus grande partie par les muscles de l'éminence thénar.

130 HUET ET INFRO1T

Elle mesure du poignet à l'extrémité des doigts 10 cm. 1/2; dans ces dimen-

sions 6 cm. 1/2 correspondent au carpe et au métacarpe et 4 centimètres aux

doigts.

Radiographies. - Maintenant, grâce aux rayons de Roentgen, on peut se

rendre compte à travers les parties molles et sur le vivant de l'état du squelette

osseux. C'est ce que nous avons pu faire chez ce sujet à l'aide de diverses ra-

diographies des membres supérieurs.

· Membre supérieur droit. Une première radiographie nous représente l'en-

semble du membre supérieur du côté droit (PI. XVI) . Elle a été prise, le sujet

couché sur le dos, la plaque photographique placée derrière l'épaule et le mem-

bre ; l'humérus est dans la rotation en dehors, l'avant-bras fléchi sur le bras,

et placé, ainsi que la main, en pronation, de telle sorte que le bord externe de

la main regarde en dedans, le bord interne en dehors, et la face palmaire en

avant. (En regardant la planche, reproduction positive de la photographie, on

peut se figurer que l'on voit l'image du squelette osseux dans une glace, la face

du sujet tournée vers la glace, dans une situation se rapprochant de celle re-

présentée sur la figure 1, planche XV.)

On constate que le squelette du thorax, la clavicule, l'omoplate dans ses di-

verses parties, notamment l'acromion, sont bien conformés. L'humérus, dans

sa plus grande étendue, est bien conformé également; il mesure une longueur

totale d'environ 30 centimètres sur la radiographie. La tète numérale paraît

normale comme forme et comme volume ; la diaphyse parait sensiblement nor-

male aussi jusqu'à l'extrémité inférieure, mais celle-ci est modifiée comme nous

le verrons plus loin en étudiant l'articulation du coude.

Le squelette de l'avant-bras est profondément modifié : sur diverses radio-

graphies, prises dans des positions et des incidences différentes, on ne constate,

comme dans la radiographie de la planche XVI, que la présence d'un seul os. Sa

longueur totale, sur la radiographie, est d'environ 18 centimètres. Il ressem-

ble plutôt au radius qu'au cubitus, bien qu'il ait subi quelques modifications ;

ainsi il est à peu près aussi épais, sinon plus épais, à sa partie supérieure qu'à

sa partie inférieure; mais dans sa partie supérieure il présente une tubérosité

qui Correspond à la tubérosité bicipitale du radius (le biceps, comme nous l'a-

vons vu, est fortement développé). L'extrémité inférieure est moins large dans

le sens transversal que celle d'un radius normal, mais elle en représente assez

bien la configuration ; sa section est celle d'uue pyramide triangulaire dont le

sommet correspond au bord externe du poignet et la base au bord interne.

D'ailleurs une palpation minutieuse, pratiquée suivant toute la longueur de

l'avant-bras, ne permet pas plus que la radiographie de reconnaître des traces

de cubitus, comme il en existait dans le cas rapporté par 111dI. llloucbet et Vail-

lant (1). Par son extrémité supérieure, cependant, l'unique os de l'avant-bras

présente quelques caractères qui le rapprochent du cubitus ; il est plus gros à

ce niveau qu'un radius normal ; il ne se termine pas en cupule comme un ra-

dius, mais présente une forme qui lui donne une ressemblance éloignée avec

(1) A. VIOUCIIET et Vaillant, Un cas d'hémimélie avec radiographie. Bull. de la Soc.

anatomique de Paris, 1899, p. 937.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÈrRIÈRE. T, XIV, PI, XVI

UN ECTROMÉLIEN HÉMIMÈLE

(Huet et Infroit).

Radiographie du membre supérieur droit.

Masson & Cie, Editeurs

, - ' - l'IIot'II\I'11 Ut 1 111 : ! UcJ, l'ulis

NOUVFTLE Iconographie DE la Salpêtriére, T, XI\', PI, XVII

1

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3

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UN ECTROMÉLIEN HÉMIMÈLE

HCt7))/)-0 ?

1. Membre supérieur droit. 2. Radiographie du coude droit dans l'extension maxima de

l'avant-bras. 3. Radiographie de l'extrémité du membre supérieur droit. 4. Radio-

graphie du coude droit dans la flexion forcée de l'avant-bras.

Masson & Clc, Editeurs

1'11111"1\1'<1 Il. Ithnlili 1'(UI ! .

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN HÉMIMÈLE 131

l'olécrâne. D'ailleurs il s'articule à l'humérus en se juxtaposant au bord in-

terne de l'extrémité humérale, comme on peut s'en assurer dans les mouve-

ments de l'avant-bras sur le bras.

L'articulation du coude se trouve ainsi profondément modifiée ; elle ne se

fait ni par un condyle, ni par une trochlée, mais par une sorte de juxtaposition

latérale des deux os. L'extrémité inférieure de l'humérus a l'aspect d'un pilon ;

on n'y distingue rien qui rappelle l'épicondyle, le condyle, la trochlée et l'épi-

trochlée. L'extrémité supérieure de l'os de l'avant-bras a un aspect semblable ;

elle est d'un volume plus petit, elle s'articule avec la partie interne de l'extré-

mité humérale en se mettant en contact avec elle par sa partie externe. Dans

les divers mouvements du coude elle glisse sur cette partie interne de l'humé-

rus, en conservant avec elle des rapports plus ou moins étendus, comme on

peut le voir sur les radiographies (Pl. XVI et PI. XVII, Nos 2 et 4).

La figure 4, Pl. II, représente la radiographie du coude, prise lç sujet assis,

la face postérieure de l'humérus appliquée sur la plaque, l'avant-bras fléchi au

maximum sur le bras. (Pour se rendre compte di ce que représente cette ra-

diographie on peut se figurer voir dans une glace l'image du squelette du coude,

le sujet regardant la glace et lui présentant verticalement l'avant-bras fléchi au

maximum sur le bras.)

La ligure 2, Pl. XVII, représente la radiographie du coude, l'humérus dans la

rotation en dedans, l'avant-bras moyennement fléchi sur le bras, la main dans

la pronation. (C'est en somme l'image dans une glace du squelette du coude dans

la position occupée par le sujet sur la photographie voisine - PI.XVII, N° 1).

La figure 3, Pl. XVII, représente la radiographie du poignet, de la main et

des doigts du côté droit; elle a été prise la main en pronation, la face palmaire

appliquée sur la plaque photographique. (On peut se la représenter en se figu-

rant voir dans une glace l'image du squelette, la main en pronation pendant

devant la glace et lui présentant sa face dorsale.) Le squelette du carpe, comme

le montre cette radiographie, et toutes les autres prises dans diverses posi-

tions (voir aussi PI. XVI), est réduit à un seul os qui ne ressemble à aucun des

os normaux du carpe. Comme il s'articule en haut avec l'extrémité inférieure

du radius et en bas avec l'os du métacarpe, il paraît correspondre à la fois au

scaphoïde et au trapèze. L'os unique qui forme le métacarpe est assez bien

conformé et présente une assez grande ressemblance avec un métacarpien

normal. Il paraît correspondre au premier métacarpien, bien qu'il soit un peu

plus long ; il mesure 4 cm. 1/2. Son extrémité inférieure est d'ailleurs bien con-

formée et rappelle assez bien la forme de la tète d'un métacarpien. A son ni-

veau on constate la présence d'un os sésamoïde, indiquant bien que le doigt

existant est un pouce ; mais cet os sésamoïde paraît unique et il est notablement

plus gros que dans l'état normal. L'extrémité supérieure du métacarpien estun

peu modifiée et, en examinant attentivement les diverses radiographies qui en

ont été prises, on peut se demander si elle n'est pas formée par la soudure du

premier métacarpien avec le trapèze modifié. Dans ce cas l'os du carpe corres-

pondrait seulement au scapboide.

Les doigts sont au nombre de deux, mais ils sont en partie soudés et mon-

132 IIUET ET INFROIT

trent une disposition intéressante, qui rappelle celle que l'on rencontre dans

des cas de doigts surnuméraires. L'os qui s'articule avec la tête du métacarpien

paraît formé par la fusion de la première phalange du pouce avec la première

phalange de l'autre doigt. En dehors il se continue avec la deuxième phalange

ou phalange unguéale du pouce, qui est assez bien formée, mais qui lui est

soudée. En dedans s'en détache à angle droit une apophyse qui représenterait

une partie de la première phalange de l'autre doigt, notablement atrophiée. La

deuxième phalange de ce doigt est notablement atrophiée aussi. Elle s'articule

à angle droit sur le côté externe de la partie libre de la première phalange, de

sorte que son axe longitudinal est parallèle à l'axe de la deuxième phalange du

pouce. La troisième phalange, ou phalange unguéale, est mieux conservée

comme forme et comme volume ; elle s'articule avec la deuxième phalange, en

suivant une direction obliquement dirigée en bas et en dedans par rapport à

l'axe de cette deuxième phalange. Les dimensions de ces deux doigts sont nota-

blement réduites ; les deux phalanges du pouce réunies ne mesurent pas plus

de 3 cm. 1/2.

Membre supérieur gauche. Dans son ensemble le squelette du membre

supérieur gauche présente de grandes analogies avec celui du membre supé-

rieur droit; aussi nous étendrons-nous moins sur sa description, nous conten-

tant de signaler surtout les différences.

Les diverses radiographies qui le représentent (PI. XVIII et XIX), ont.'été

faites sensiblement dans les mêmes conditions que celles du côté droit. Sur la

planche XVIII, toutefois, la main est davantage dans la pronation, de telle

sorte que sa face palmaire regarde en dehors.

Le squelette de l'épaule est normalement conformé; l'humérus également

paraît normal à son extrémité supérieure et dans une grande partie de sa dia-

physe. A son extrémité inférieure il a, comme à droite, l'aspect d'un pilon,

mais il est un peu moins épais. Sa longueur, sur la radiographie, est de 27 cen-

timètres.

Le squelette de l'avant-bras est également formé par un seul os, qui ressem-

ble au radius par son extrémité inférieure et par la présence de la tubérosité

bicipitale. Son extrémité supérieure a l'aspect d'une baguette; elle s'articule

aussi avec l'humérus en se juxtaposant au bord interne de celui-ci. L'os de

l'avant-bras gauche est moins long qu'à droite et ne mesure que 16 cent. 1/2.

, Le coude, dans sa conformation, présente les plus grandes analogies avec le

coude droit ; il n'en diffère guère que par une épaisseur un peu moindre des os.

Le carpe, comme à droite, n'est représenté que par un seul os. Le métacarpe

ne comprend également qu'un métacarpien, correspondant à celui du pouce et

en rapport à son extrémité inférieure avec deux os sésamoïdes. Le squelette de

l'unique doigt qui lui fait suite continue la direction du métacarpe et doit repré-

senter le squelette du pouce, bien qu'il se compose de trois os ; mais, tandis

que la première phalange et la phalange unguéale ont une conformation et des

dimensions assez voisines de la normale, l'os intermédiaire est extrêmement

réduit et n'a que les dimensions d'un petit pois ; il paraît formé par l'épiphyse

de la première phalange séparée de sa diaphyse.

Nouvelle Iconographie de la SAI.PIÔTRltRR. T. XIV, PI. XVIII

UN ECTROMÉLIEN HÉMIMÈLE

;ti'<et7) ? ro.

Radiographie du membre supérieur gauche.

MSSOn & CI, l : diteurc

1111Otut\I ? ¡I"llltallll,l'aI'IS

DESCRIPnON D'UN ECTROMÉLIEN HÉMIMÈLE 133

Mouvements, muscles ET NERFS.- Si maintenant nous étudions les mouve-

ments des divers segments des membres supérieurs, voici ce que nous cons-

tatons :

Membre supérieur droit. -- Les mouvements du bras sur l'épaule se font

très bien dans les divers sens et avec grande force, comme on pouvait le prévoir

d'après la conformation du squelette et le bon développement des muscles.

Ainsi, on constate une grande liberté et une grande facilité des mouvements

de projection du bras en avant, en dehors et en arrière, de ses mouvements

d'élévation verticale et de ses mouvements de rotation en dedans ou en de-

hors. Ces derniers, la rotation en dehors surtout, sont même plus étendus

que dans l'état normal.

Les mouvements de l'avant-bras sur le bras sont au contraire modifiés et

assez restreints mais d'une façon inégale suivant leur sens. L'avant-bras

d'ailleurs reste plus ou moins fermé sur le bras avec lequel il forme toujours

un angle aigu. La flexion de l'avant-bras est le mouvement le mieux conservé

et le plus étendu ; l'avant-bras peut être en effet amené presqu'au contact avec

le bras. Ce mouvement se fait avec une force assez grande, 'grâce au bon dé-

veloppement du biceps ; G... nous a montré qu'il pouvait ainsi lever des poids

assez lourds ; il a levé notamment devant nous un seau plein de charbon de

terre. Le mouvement d'extension actif ou passif est beaucoup plus restreint

que celui de flexion et n'arrive pas jusqu'à placer l'avant-bras à angle droit

sur le bras ; il paraît moins limité par le mode d'articulation du coude que

par la présence des parties molles que nous avons vu se réfléchir du bras sur

l'avant-bras en empiétant largement sur celui-ci. L'extension active est nota-

blement plus faible que la flexion ; d'ailleurs le triceps est moins développé

que le biceps surtout dans ses deux parties inférieures, interne et externe. Les

mouvements passifs de rotation de l'avant-bras en dehors et eu dedans, c'est-

à-dire les mouvements qui correspondent à la supination et à la pronation,

sont possibles mais assez limités, la pronation étant plus étendue que la supi-

nation. Actifs ces mouvements sont beaucoup plus restreints que passifs.

Les mouvements de la main sur l'avant-bras sont aussi très limités, plus

dans le sens latéral que dans le sens de la flexion et de l'extension. Les mou-

vements du pouce et du doigt, qui lui est accolé, sur la main sont également

très limités dans le sens de la flexion et de l'extension et dans le sens de l'in-

clinaison en dedans ; ils sont au contraire très étendus dans le sens de l'incli-

naison sur le bord externe ou radial de la main, et c'est dans l'angle ainsi

formé que G... saisit les objets de petit volume, cigarette, crayon, plume, etc.

Dans la pince formée par l'écartement l'extrémité du pouce et du second

doigt, G... peut aussi saisir ces objets, mais avec beaucoup moins de force.

Malgré ce développement si imparfait de la main droite, G.... est arrivé à

une habileté assez grande ; il a pu apprendre à écrire et à dessiner et il dessine

très bien, comme nous avons pu le constater soit en le faisant dessiner devant

nous, soit en lui demandant de nous apporter des dessins qu'il a faits. On

pourra s'en rendre compte par cette reproduction d'un dessin qu'il a fait à l'1;=

cole des Arts décoratifs (Fig. 1). Son écriture aussi est bien formée (Voir la re-

134 HUET ET INFROIT

production d'écriture faite devant nous dans des conditions assez mauvaises

cependant : plume défectueuse et table trop haute (Fig. 2).

Pour écrire ou dessiner il peut tenir la plume ou le crayon dans la pince

formée par le pouce et le second doigt, mais depuis longtemps il emploie un

autre procédé. Il entoure la base des doigts d'un lien formé par une corde ou

un lacet et passe le crayon dans cet anneau ; il en assure la fixité en le serrant

Fig. 1.

NOUVEU1 ! Iconographie DE la SALPtTP.1t.RF ? T. XIV, P. XIX

1

2

..

'i

UN ECTROMELIEN HÉMIMÈLE

7 ? et7 ? o.

1. Membre supérieur gauche. 2. Radiographie du coude gauche d.tns l'extension maxima

de l'avant-bras. 3. Radiographie de l'extrémité du membre supérieur gauche.

4. Radiographie du coude gauche dans la flexion forcée de l'avant-bras.

Masson & Ctt, I : di : euic

1 h"lul\I'h Il,>1111 : 11141 PmI : >

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN HÉMIMÈLE 135

entre le bord externe du pouce et le bord- externe de la main, en même temps

qu'il en appuie la tige contre la paume de la main en lui donnant une inclinai-

son plus ou moins grande suivant ce qu'il veut faire (Voir PI. XV, no' 3 et 4).

Pour placer les objets dans cette main rudimentaire et leur donner la position

qu'il désire, il se sert beaucoup soit de la bouche, soit de l'autre main de la fa-

çon que nous verrons.

Nous avons tenté d'examiner les muscles de l'avant-bras et de la main au

moyen de l'excitation électrique, pour rechercher leurs analogies avec les mus-

cles de l'état normal. Mais G... s'est montré très timoré pour des courants très

facilement supportables cependant; nous n'avons pu procéder à cet examen

qu'une seule fois, d'une façon très superficielle et très incomplète, aussi n'en

avons-nous pas pu retirer de résultats précis. Un muscle dont plusieurs fais-

ceaux sont assez développés s'étend en sautoir de l'extrémité inférieure de l'hu-

mérus à la partie supérieure et externe de l'os de l'avant-bras ; il paraît corres-

pondre soit au court supinateur, soit plutôt à l'anconé ou à une partie du

vaste externe ; il se contracte surtout à l'occasion de l'extension de l'avant-

bras sur le bras. Un autre muscle étalé est situé à la partie interne du pli du

coude dans le sens de la flexion et il est étendu de l'extrémité inférieure de

l'humérus à la partie supérieure de l'os de l'avant-bras ; il correspond soit

au brachial antérieur, soit au rond pronateur; il est assez fréquemment le

siège, depuis quelque temps, de petites secousses cloniques, limitées le plus

souvent il quelques-uns seulement de ses faisceaux. Sur le bord externe de

l'avant-bras on suit nettement un muscle étendu longitudinalement de l'extré-

mité inférieure de l'humérus à la partie externe du poignet ; il paraît bien

correspondre au long supinateur ; il se contracte surtout à l'occasion de la

flexion de l'avant-bras sur le bras ; il entre également en contraction à l'oc-

casion des mouvements du poignet. Sur le bord interne de l'avant-bras on

constate la présence d'un muscle analogue, qui parait correspondre au grand

palmaire. Les autres muscles de l'avant-bras, extenseurs et fléchisseurs des

doigts (ou du pouce) paraissent très peu développés ; les cubitaux antérieur et

postérieur, semblent faire défaut.

De même l'examen des muscles de la main n'a pu être que très superficiel ;

sur la face palmaire du métacarpe se trouvent des muscles assez développés

Fis. 2. ,

136 HUET ET INFROIT

dont on constate facilement les contractions volontaires ou les contractions pro-

voquées électriquement ; ce sont les muscles de l'éminence thénar ; parmi eux

le court abducteur du pouce parait notamment bien représenté.

Nous avons cherché aussi à explorer par l'excitation électrique la distribu-

tion des nerfs médian, radial et cubital au point do vue sensitif, mais G...

s'étant mal prêté à cet examen les résultats ont été peu nets. L'excitation por-

tée sur le trajet habituel du nerf cubital au bras n'a pas paru éveiller de sen-

sations dans l'extrémité du membre; au contraire, quand l'excitation était

portée sur le trajet du nerf médian ou du nerf radial G... accusait des sensa-

tions dans le pouce, mais nous n'avons pu lui faire préciser davantage leur to-

pographie. - -

Membre supérieur gauche. - Comme à droite la musculature de l'épaule

gauche paraît normale. Les mouvements de l'articulation scapulo-humérale

sont très étendus et se comportent sensiblement de la même façon que de l'au-

tre côté. La musculature du bras est aussi assez bien développée ; le biceps

cependant, et le triceps, sont un peu moins gros qu'à droite, et G... ne peut sou-

lever de ce côté des fardeaux aussi lourds.

Les mouvements de l'avant-bras sur le bras se comportent aussi à peu près

comme à droite ; le plus étendu de ces mouvements est la flexion ; l'extension

est au contraire très limitée ; les mouvements volontaires de pronation et de

supination sont presque nuls, tandis que ces mouvements passivement commu-

niqués peuvent être produits.

Les divers mouvements actifs de la main sur l'avant-bras sont presque nuls ;

la flexion cependant se fait un peu mieux que l'extension ou que les mouve-

ments de latéralité. Passifs ces mouvements peuvent être beaucoup plus éten-

dus. Il en est de même pour les mouvements de la première phalange sur le

métacarpien ; tandis que les mouvements passifs de flexion, d'extension et de

latéralité sont assez étendus, les mouvements actifs de latéralité-se font seuls

assez bien, ceux de flexion et d'extension sont à peu près nuls. La dernière pha-

lange, dans sa situation de repos, reste en partie fléchie sur la première pha-

lange ; cette flexion peut être volontairement très augmentée de façon à per-

mettre de saisir de petits objets dans l'angle formé par les deux phalanges ;

l'extension active au contraire est très faible et n'arrive pas à mettre complète-

ment la deuxième phalange dans l'axe longitudinal du doigt.

Autour du coude la disposition des muscles est sensiblement la même qu'à

droite.

A l'avant-bras on reconnaît facilement à la partie externe le long supinateur,

et on trouve à la partie interne un muscle qui doit correspondre au grand pal-

maire. De ce côté un autre muscle de l'avant-bras, le long fléchisseur du pouce,

doit aussi être bien développé, en raison' des mouvements de la dernière pha-

lange du doigt. Les autres muscles de l'avant-bras paraissent soit faire défaut,

soit être très rudimentaires.

A la main les muscles de l'éminence thénar paraissent bien développés, leur

action se manifeste surtout par les mouvements de latéralité imprimés a la pre-

mière phalange du doigt unique.

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN DÉMIMÈLE '137

Vaisseaux. - Le système vasculaire, artères et veines, semble assez peu

développé dans le segment périphérique des deux membres supérieurs ; nous

n'avons pas réussi à percevoir les pulsations de l'artère radiale au poignet, ni

à droite, ni à gauche. Autour du coude, également, la circulation paraît assez

peu active ; pendant les derniers froids du mois de février G... a eu des ge-

lures au niveau des deux coudes, avec ulcérations superficielles plus accentuées

à gauche qu'à droite.

Examen du RESTE du corps. - Nous n'avons pas constaté sur le reste du

corps d'anomalies notables. Les membres inférieurs sont bien conformés dans

tous leurs segments. Les organes génitaux, à l'examen rapide et superficiel

que nous avons pu en faire, nous ont paru bien conformés, assez petits cepen-

dant. La barbe d'ailleurs est peu développée pour un homme de cet âge ; elle

n'est représentée que par une moustache naissante et par un duvet assez peu

abondant au menton et sur les joues. Les oreilles sont bien faites. Les dents,

les arcades alvéolaires et la voûte palatine sont bien conformées. Le coeur, le

foie et les autres viscères occupent leur situation normale.

Antécédents héréditaires ET PERSONNELS. - G... est l'aîné de 7 enfants,

dont 6 sont encore vivants. Sa mère, âgée de 47 ans, est bien portante ; elle

a eu 6 grossesses, dont la cinquième gémellaire. Voici, d'ailleurs, l'énuméra-

tion des enfants nés de ces grossesses : 1 le sujet de cette observation, âgé de

24 ans ; 2° une fille, âgée de 21 ans ; 3o une fille âgée de 19 ans (un peu ner-

veuse ; a souffert pendant plusieurs mois, l'année dernière, de chloro-anémie,

lorsqu'elle était en service à Reims; a dû revenir à la campagne) ; 4° un garçon,

âgé de 17 ans ; 5- deux jumeaux, dont l'un est mort à 5 ans de bronchite, et

l'autre est bien portant, âgé actuellement de 15 ans ; 60 un garçon, 12ans,bien

portant.

G... ne connaît aucune anomalie de conformation chez ses frères et soeurs,

ni chez d'autres parents. Il n'a jamais entendu dire que sa mère ait fait des

fausses couches. Souvent on a interrogé celle-ci pour savoir si elle n'aurait rien

éprouvé de particulier pendant sa grossesse ; il lui a toujours entendu répondre

qu'elle ne connaissait rien qui ait pu être cause des malformatious dont il est

atteint.

Son père a été bien portant jusqu'à l'année dernière ; depuis il a été atteint

d'une maladie de foie, qui l'a forcé à interrompre son travail dans ces derniers

mois et s'est terminée par la mort en février dernier ; il était âgé de 50 ans.

Lui-même ne se connaît pas d'autres maladies que la fièvre typhoïde en 1888.

Elevé par ses parents, il a commencé à suivre, à 6 ans, l'école de sa com-

mune dans le département de la Marne, et a appris rapidement à lire; quel-

ques mois après il a voulu imiter ses camarades et a commencé à écrire. A

l'âge de 12 ans il est allé chez une tante à Reims et y est resté un an ; c'est là

qu'il a commencé à dessiner pour son plaisir. Rentré chez ses parents à 13 ans,

il a gagné sa vie en gardant les moutons pendant le jour, et il continuait à

suivre le soir les cours de l'école, où son maître l'a encouragé et guidé dans

son étude du dessin. A 18 ans il a pu obtenir le certificat d'études primaires.

A partir de ce moment il a travaillé dans une ferme à soigner et garder les

xiv 10

138 llUET 1;'f INrROIT .

animaux, nettoyer les étables, faire les litières, etc. Mais fatigué de cette exis-

tence, il a songé à venir à Paris et a mis son projet à exécution en avril 1899.

Depuis cette époque il a gagné sa vie en dessinant sur la voie publique. A

Pâques de l'année dernière il est entré à l'Ecole de dessin des Arts décoratifs

et continue à en suivre les cours le matin, réservant l'après-midi à se chercher

les moyens de vivre. C'est en le voyant dessiner sur la voie publique que l'un

de nous a pu le décider iL venir à la Salpêtrière, où nous avons pris les photo-

graphies et les radiographies reproduites ici, et où nous avons obtenu de lui les

renseignements qui précèdent.

Malgré les vices de conformation des coudes, des avant-bras et des mains,

G... a acquis une assez grande dextérité avec les membres supérieurs. Comme

nous l'avons vu, il a pu être occupé dans une ferme comme aide berger; de

plus il est arrivé il faire des travaux beaucoup plus délicats ; il écrit et dessine

bien; il taille lui-même ses crayons, fait seul ses cigarettes. Il peut s'habiller

et se déshabiller à peu près seul, ne recourant à l'aide d'une personne étran-

gère que pour un petit nombre seulement d'opérations de toilette ; mettre ses

boutons quand les boutonnières sont étroites, nouer les cordons de ses souliers,

faire le noeud de sa cravate ; et encore réussit-il il faire souvent seul diverses de

ces opérations à l'aide d'artifices ingénieux. Pour boutonner ses vêtements, par

exemple, il appuie sur la queue du bouton avec une tige métallique et pousse

le bouton dans la boutonnière. Il peut prendre de petits objets soit dans le pli

de flexion de la phalange unguéale et de la première phalange du pouce gauche,

soit dans la pince formée par les deux doigts du côté droit, soit dans l'angle

formé par l'inclinaison latérale du pouce droit. Souvent aussi il prend les objets

en portant les deux mains rudimentaires il la rencontre l'une de l'autre. Il

se sert encore pour maintenir les objets (maintenir par exemple son crayon afin

de le tailler) de l'angle formé au pli du coude par la flexion de l'avant-bras

sur le bras. Enfin il se sert souvent des dents ou encore du menton, qu'il vient

appuyer contre la partie supérieure du sternum.

Ainsi, dans le cas que nous venons de rapporter, il n'existe de malfor-

mations qu'aux deux membres supérieurs, et seulement dans leur segment

périphérique, main, avant-bras -et coude. Ces malformations sont symé-

triques, et, dans leur ensemble, elles sont semblables des deux côtés. Leur

caractéristique principale est l'absence du cubitus. Au niveau du coude,

il est vrai, l'os unique qui forme le squelette de l'avant-bras correspond

à la partie interne de l'humérus, et, à cette hauteur, sa forme ne rappelle

guère celle du radius ; mais il n'en est plus de même pour le reste de sa

diaphyse et pour son extrémité inférieure qui présentent au contraire de

grandes ressemblances avec les parties similaires d'un radius normal. De

plus, les parties de la main qui se sont développées, premier métacarpien

et pouce, sont celles qui se trouvent sur le prolongement du radius.

Pour expliquer la situation de l'extrémité supérieure de l'os de l'avant-

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN HÉMIMÈLE 139

bras à la partie interne du coude peut-on admettre qu'il y a eu coales-

cence du cuhitus avec le radius ? C'est là une hypothèse qui ne nous pa-

raît guère vraisemblable en raison de la configuration générale de l'os de

l'avant-bras et de l'état de la main. Il nous paraît bien plus vraisemblable

d'admettre que le radius s'est trouvé luxé en dedans, soit par refoulement,

soit par suite de la disposition et de l'action des muscles; d'ailleurs la

conformation que nous avons signalée à l'extrémité inférieure de l'humé-

rus se trouve être très favorable pour la production d'une pareille luxa-

tion.

Dans un important travail de Ivümlnel sur les malformations des mem-

bres (1), nous avons trouvé un cas (cas XI, p. 18), qui présente les plus

grandes ressemblances avec le nôtre. En considérant les figures publiées

par cet auteur (PI. II, figures 10, A, B, et C, de l'ouvrage cité) et repré-

sentant les membres supérieurs d'un sujet de 9 ans, on pourrait croire

être en présence des membres de notre sujet, si le doigt unique ne se

trouvait pas à droite, tandis que du côté gauche se trouve une main avec

deux doigts rappelant à s'y méprendre la configuration de la main droite,

de notre ectromélien. Kummel donne cette observation comme un cas

atypique d'absence du radius ; il la palpation l'extrémité supérieure de l'os

unique de l'avant-bras paraissait ressembler à l'olécrane ; mais, comme

ni l'examen anatomique, ni l'examen radiographique n'ont pu être faits

et qu'aux deux mains les doigts existant paraissaient être des pouces, il

nous semble bien plus probable que le cas correspond ainsi que le nôtre à

l'absence du cubitus.

Dans les difformités congénitales des membres supérieurs l'absence du

cubitus est beaucoup plus rare que l'absence du radius ; Kummel, en effet,

n'a pu réunir que 13 cas de la première contre 67 de la seconde. Voici

résumées, d'après lui, les altérations accompagnant dans ces cas l'absence

du cubitus et l'indication des autres malformations rencontrées simulta-

nément.

I. - GOELLER, 1698 (2). - Foetus de 7 mois, du sexe féminin, mort. A

droite et à gauche absence totale du cubitus. - Des deux côtés le radius est

court ; les quatre derniers doigts manquent. Aux membres inférieurs, des

deux côtés, absence du péroné et des 4 derniers orteils. - A gauche la clavi-

cule est membraneuse. - Yeux et nez rudimentaires. Arcade alvéolaire fendue

- Pavillons des oreilles rudimentaires. Cou extrêmement court. La cloison

(1) W. KurmorT" Die illissbilduiiqe7z der Ext2,enitaeten durci Defekt, Verwczchsurz7

und Ueúel'za/¡l, Bibliolheca medica, 1895, Cassel.

(2) GoeLLr.n, il, bliscellan. c ! t1'Ïosa, sive ephemerid. medico-physic. germanicorum,

Academ. naturse curiosorum, dec. III, Obs. 143 ; histor. anatom. p. 311, Norimbr-

gae, 1G98 ; cité dans J. GUÉRI,t, OE'¡¿vl'es complèles, tome I, p. 234.

140 HUET ET INFROIT

du coeur manque. Anomalies des artères. - Les poumons manquent. - Le

cordon ombilical manque ; vaisseaux ombilicaux très courts ; le placenta adhé-

rent à la peau. Vessie anormale. Imperforation de l'anus. - Absence de

.1'estomac, de la rate et du foie,

IL STRICIiER, 1878 (1). - Nouveau-né. Absence totale des deux cubi-

tus. - Des deux côtés contractures au niveau de l'articulation du coude ;

absence des 3 derniers doigts et de leurs métacarpiens ; absence du pyramidal,

du pisiforme. de l'os crochu, du grand os ( ? ).

III. - PRInGLE, 1893 (2). - Homme, 31 ans. - Absence totale des deux

cubitus. - Des deux côtés coudes ankylosés sous un angle de 1su". - A droite

absence du pouce et du 4° doigt ( ? ). A gauche, absence du 4° et du 5° doigts

et de leurs métacarpiens ; pouce rudimentaire. Scoliose droite.

IV. - Hohl, 1852 (3). - Enfant màle de 20 semaines ; mort. ' Le cubi-

tus manque totalement à droite. - Du même côté humérus mince; ahsence

des métacarpiens et des phalanges du pouce , du 4° et du 5e doigts. Torti-

colis à droite. Perforation de la cloison ventriculaire du coeur. L'aorte naît

des deux ventricules. A droite poumon trilobé ; à gauche première côte ru-

dimentaire ; à droite ire et 2e côtes en partie unies. Rein en fer à cheval.

Hypospadias. Vésicule biliaire rudimentaire. Au membre inférieur, du

même côté, tibia très mince ; absence de la rotule, du péroné et de 3 orteils.

Au membre inférieur, du côté opposé, tibia très mince ; absence de la ro-

tule, du péroné et d'un orteil.

V. - PRIESTLEY, 1856 (4). - Nouveau-né du sexe féminin, mort. Le cubi-

tus droit fait complètement défaut. Du même côté, les 3°, lie et 5° ( ? ) doigts

manquent. *

VI. - STEFFAL, 1875 (5). Enfant mort, pas complètement à terme. A

droite, absence totale du cubitus. De ce côté le pouce manque; le radms

ankylose avec l'humérus sous un angle de 120°; l'extrémité inférieure de ]'hu-

mérus aplatie, l'épiphyse supérieure décollée, avec conformation anormale.

- De l'autre côté le radius et la partie supérieure du cubitus sont unis l'un à

l'autre et à l'humérus ; absence du trapèze et du pouce. - Absence du palais

et de la partie antérieure de l'arcade zygomatique ; à droite le condyle du maxil-

laire inférieur manque ; des deux côtés le masséter fait défaut. Le pavillon

de l'oreille est rudimentaire des deux côtés ; atrésie du méat auditif; à droite

la trompe d'Eustache manque.

(1) Sxmcnsn G., Grossarliger Defelcl azz úeiden V01'de¡'a¡'men undHanden eines Neu-

geborenezz. Virchow's Arch., Bd. 12, 4878, p. 144.

(2) PRINGLE J. II., Notes of a case of congenilal absence of bolh ulnae. The journal

of anat. and physiology, vol. 27, 1893, p. 239.

(3) IIOIIL, Zll1',I'a ! hotogie des 13eckeus. 1 Das sch1'Úg verengle Becken, p. 28, Leip-

zig, 1852.

(4) PIS.ESTLI3Y, Dissection of curious malformation of the fo¡-eal m8. Med. Times

and Gazette, 485G, n° 13.

(5) STEFFAL, Ein Fall von sellener 3lissbilduîzU. Oesterr. Jahrb. f. Poediatrik, Bd.

II, 187, p. 33.

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN UÉMIMÈLE 141

VII. - Roberts, 1886 (1). - Homme de 73 ans. Le cubitus droit man-

que presqu'en entier ; absence du pisiforme, du pyramidal, de l'os crochu et

des 3 derniers doigts ; coude à angle droit et peu mobile. - De l'autre côté

absence du 3° métacarpien, du 3° et du se doigts ; pouce double et syndactyle.

VIII. - Birnbacher, II, 1891 (2). Enfant mâle de 4 mois. - A gauche

absence totale du cubitus. - De ce côté coude ankylose ; le 1° doigt contrac-

turé en adduction ; le 3" contracture en flexion ; le 4° et le 5° doigts presqu'en-

tièrement réunis, le 3e et le 4e partiellement.

IX. - BRODQURST, II, 1860 (3). - Enfant. La moitié inférieure du cubi-

tus manque des deux côtés. - A droite absence du 4° et du 5e doigts ; union

totale des 3 premiers doigts. - A gauche absence du pouce, des 4° et 5° doigts

avec les métacarpiens et les os du carpe correspondants. - Aux membres in-

férieurs, des deux côtés, absence de la moitié inférieure du péroné et du

5° orteil ; tibia incurvé ; pied-bot varus.

X. - KUMMEL, cas V, 1895 (4). - Enfant mâle de 6 mois. - La moitié

inférieure du cubitus manque seulement à droite. - De ce côté absence des

3°, 4° et 5° ( ? ) doigts. - De l'autre côté absence du 5e doigt ( ? ). Au mem-

bre inférieur du côté opposé raccourcissement du fémur. '

XI. - DEVILLE, 1849 (5). Vieillard, mort. - D'un seul côté, à droite,

absence de la partie moyenne du cubitus ; il n'existe que son extrémité supé-

rieure et un rudiment de son extrémité inférieure ; le radius est fortement in-

curvé ; la main est normale ; les muscles entièrement normaux.

XII. - SENFTLEBEN, 1869 (6). Homme de 21 ans. - D'un seul côté, à

gauche, la partie moyenne du cubitus manque ; la main est normale.

XIII. - RcEDINCER, 1889 (7). Jeune fille de 13 ans. - La diaphyse du

cubitus manque d'un seul côté, à gauche. Le radius est luxé snr la partie pos-

térieure et externe de l'humérus ; le condyle interne de l'humérus est petit; la

main normale. - Au membre inférieur, du même côté, absence partielle du

péroné.

A ces 13 cas nous pourrions en ajouter deux autres publiés depuis le travail

de Kümmel et étudiés à l'aide de la radiographie. L'un a été publié par

MM. Mouchet et Vaillant (8), et concerne un garçon de 15 ans. La difformité

(1) Roberts A. S., A case of deformity of the forearnt and hands, witTt a unusnal

hislory of hereditary congénital deficiency. Annals of Surgery, vol. III, 1886,

p. 135.

(2) BIRNRACUER G., Drei Beobachtungen ¡¿bel' Verkilmmerung der oberen Exlremi-

Mie ? : . In Diss. ICcenigsberg, 1891.

(3) BRODUURST, Cases of intra-uterizze fractures. lledico-Chirurôical Transactions,

vol. 43, 1860.

(4) It1\I\IEL, loc. cit., p. 11.

(5) Deville A., Bulletins de la Soc. anat. de Paris, XXIV, 1849.

(6) SENFTLEBEN H., Notiz übereine angeb. Luxation des Radius mit Defekl dea mit-

tlerect Theils der Ulna. Virchow's Arch., Bd. 45, 1869, p. 503.

(1) R1EDINGEn, Ueber Gelenkmissbildungen. Sitzungsbericht der deutschen Ges. sur

Chir. XVIIIO Congr., 1889, I, p. 76.

(8) Mouchet A. et Vaillant Cn., Un cas d'hémimélie avec radiographie. Bull. de la

Soc. anat. de Paris, LXXIV, 1899, p. 937.

142 HUET ET INFROIT

ne porte que sur le côté gauche ; le radius est incurvé et plus court que le

radius normal ; il s'articule avec un carpe réduit à deux os, auxquels font suite

deux métacarpiens et deux doigts, dont l'un est le pouce. Ces deux doigts

étaient réunis aussi par syndactylie, ils ont été séparés quelques années aupa-

ravant par une opération. Le cubitus ne fait pas complètement défaut; il est

représenté par une tige fibreuse renfermant quelques noyaux osseux.

L'autre cas a été publié par Pagenstecher (1) ; il concerne une jeune fille de

17 ans ; les deux membres supérieurs présentent des difformités. A droite les

deux os de l'avant-bras paraissent faire complètement défaut et la main s'ar-

ticule immédiatement avec le coude ; le carpe ne serait composé que d'un seul

os, au-dessus duquel se trouve uu autre noyau osseux considéré par Pagenste-

cher comme un rudiment du cubitus (à moins que ce ne soit un second os du

carpe ? ). Avec le carpe s'articulent deux métacarpiens, auxquels font suite deux

doigts réunis par syndactylie ; ils sont composés chacun de trois phalanges. A

gauche l'avant-bras existe, mais ne contient qu'un seul os, qui se continue di-

rectement en haut avec l'humérus sans l'intermédiaire d'une articulation ; à la

hauteur que devrait occuper le coude existe latéralement une saillie osseuse

très développée en forme d'apophyse (une apophyse semblable existe aussi au

même niveau sur le membre supérieur de l'autre côté). L'os de l'avant-bras a

l'apparence du radius surtout par son extrémité inférieure ; il s'articule avec

un carpe composé de deux os pour la première rangée et d'un seul os pour la

seconde; celui-ci s'articule avec trois métacarpiens, auxquels font suite trois

doigts ; les deux doigts internes se composent de trois phalanges, le troisième

externe n'a que deux phalanges, il paraît correspondre au pouce. Le cubitus

semble faire défaut.

Les difformités qui résultent de l'absence du cubitus, ou qui l'accompa-

gnent, présentent d'assez grandes variétés, comme le montrent les indica-

tions sommaires des cas précédents. Du côté de la main on remarque le

plus souvent la présence du pouce et de son* métacarpien tandis que les

autres doigts manquent en totalité ou en partie; plus rarement le pouce

manque, tandis que tous les autres doigts, ou quelques-uns d'entre eux

seulement, sont conservés ; plus rarement encore la main existe avec tous

ses doigts et avec les différents os du métacarpe et du carpe. Générale-

ment, surtout dans les deux premières variétés, le carpe est assez profon-

dément modifié et le nombre de ses os est plus ou moins restreint. Assez

souvent on observe de la syndactylie, à des degrés divers comme nombre

et comme étendue, entre les doigts conservés.

L'observation que nous avons rapportée nous semble pouvoir être con-

sidérée comme un exemple de la variété la plus typique des difformités

de la main accompagnant l'absence du cubitus. D'un côté le pouce seul

(1) PnnErtsTECnen F., Beitrâge zu den .E;Kh'eMMe ? ! mMsMMM ? teH. Defecle an der

oberen Extremital. Deutsche Zeitschr. für Chirurgie, Bd L, 1899, p. 427.

Nouv. Iconographie DE la SAufl RIÈRE. T. XIV, PI. XX

RADIOGRAPHIE D'UNE MAIN BOTE PAR ABSENCE DU RADIUS

(Huet et Infroit). ,

Masson & Ci°, Editeurs

f1wIUIIIJl B( ? lw.ud, Pans

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN HÉMIMÈLE 143

existe avec son métacarpien et avec un seul os du carpe ; le reste de ce-

lui-ci, les quatre derniers métacarpiens et les quatre derniers doigts font

complètement défaut. De l'autre côté on ne trouve également qu'un seul os

du carpe, un seul métacarpien et un pouce réuni par syndactylie avec un

autre doigt rudimentaire. Ce dernier, d'ailleurs, par son squelette res-

semble tellement à un doigt surnuméraire que nous sommes portés à con-

sidérer comme absents les quatre derniers doigts.

Il est intéressant de comparer les malformations précédentes avec les

difformités qui résultent de l'absence du radius. Dans le travail de Kûm-

mel on peut voir figurés quelques cas de ces dernières. Un cas aussi est

figuré, d'après une pièce du musée Dupuytren, dans un article de Bou-

vier sur la main-bote (1). Personnellement nous avons vu deux cas sem-

blables, l'un chez une jeune fille de 19 ans, avec main-bote d'un côté,

composée seulement par les quatre derniers doigts ; nous ne pouvons dis-

poser de ce cas qui a été adressé de la consultation de chirurgie de l'hô-

pital Tenon au laboratoire de radiographie de la Salpêtrière, mais il doit

être prochainement publié. Nous reproduisons ici la radiographie de

l'autre cas que nous avons vu chez une enfant de 9 ans présentant aussi

d'un seul côté, à droite, une main-bote à laquelle manque le pouce. Cette

radiographie (PI. XX) a été prise l'humérus dans la rotation en dehors,

l'avant-hras et la main en supination reposant par la face dorsale sur la

plaque photographique. On y peut voir, ainsi que sur d'autres radiogra-

phies prises dans des positions différentes, que le squelette de l'avant-

bras ne se compose que d'un seul os, le cubitus, plus court de moitié

environ que celui du côté opposé. Le carpe est réduit à quatre os, pyrami-

dal, pisiforme, os crochu et grand os ; le métacarpe ne se compose que

des quatre derniers métacarpiens, elles quatre derniers doigts, seuls exis-

tant, présentent des phalanges normalement conformées. On y peut voir

aussi la disposition de la main par rapport à l'avant-bras. Ce cas répond

bien au type des, déformations accompagnant l'absence du radius.

Kummel, avonsrnous vu, a réuni dans son travail G7 cas d'absence du

radius. On y pourrait ajouter quelques-uns des cas rapportés par Bouvier

dans l'article que nous avons déjà cité sur la main-bote. Les difformités

du membre supérieur, observées dans ces cas, présentent beaucoup moins

de variétés que les difformités observées dansles cas d'absence du cubitus ;

elles diffèrent beaucoup moins entre elles et elles se rapprochent, pour

la plupart, d'un type beaucoup plus régulier. A la main, le plus généra-

lement, le pouce fait défaut tandis que les autres doigts existent. Quel-

quefois, cependant, on constate la présence du pouce, mais assez souvent

(1) Bouvier, Article Main-bote du Dictionnaire encycl. des se. médicales, 2e série

t. IV, 1876, p. 17G,

144 HUET ET INFROIT

il est plus ou moins rudimentaire, ou souvent son métacarpien manque.

Un autre caractère important de ces difformités esl qu'elles donnent lieu

à des variétés particulières de main-bote. Au point de vue de la pathogénie

il n'est pas sans intérêt, également, de constater que les difformités ob-

servées en même temps dans d'autres régions du corps, pour un certain

nombre de ces cas, se ressemblent davantage entre elles que ne le font les

difformités analogues, accompagnent aussi ,dans certains cas, les malforma-

tions par absence du cubitus.

Bien qu'on ait pu dire avec certaine raison que « en fait de monstres

il n'y a point de genres, ni d'espèces, il n'y a que des individus » (1), il

est avantageux pour l'étude et pour la compréhension des faits de réunir

les cas plus ou moins semblables en groupes dans lesquels on est amené

à faire des divisions et des subdivisions. A ce point de vue la classifica-

tion d'I. G. Saint-Hilaire, bien qu'ancienne déjà, peut servir d'un pré-

cieux guide. Suivant cette classification le cas dont nous avons rapporté

l'observation rentrerait dans la première tribu de l'ordre des monstres

autosites et ferait partie de la première famille, celle des ectroméliens.

I. G. Saint-Hilaire (1) a subdivisé cette famille en trois genres : ectromèles,

phocomèles et hémimèles. Chez les ectromèles, un ou plusieurs membres,

les quatre membres parfois, font complètement ou à peu près complète-

ment défaut, ou ne sont représentés que par un court moignon, sur le-

quel on peut voir des rudiments de doigts plus ou moins accusés. Chez

les phocomèles la main ou le pied se sont assez bien développés mais pa-

raissent directement attachés au tronc, les parties intermédiaires, avant-

bras et bras, ou jambe et cuisse, étant- avortées. Chez les hémimèles, au

contraire, le segment basal du membre, bras ou cuisse, est plus ou moins

bien développé, mais les parties périphériques, avant-bras et main, ou

jambe et pied, font défaut en totalité ou en grande partie. C'est dans cette

division que l'on peut faire rentrer le cas de notre sujet.

Pour plus de clarté dans le groupement des cas d'hémimélie il nous

semble que l'on pourrait encore distinguer parmi eux trois groupes prin-

cipaux : les hémimèles proprement dits, les hémimèles par absence de la

tige cubitale et les hémimèles par absence de la tige radiale. Une divi-

sion analogue peut être établie pour le membre inférieur, mais nous

aurons plus spécialement en vue ici les cas d'hémimélie du membre supé-

rieur.

Dans le premier groupe, hémimèles proprement dits, l'avant-bras manque

en totalité ou en partie, la main peut manquer également ou bien n'être

représentée que par une partie des doigts ou par des vestiges plus ou moins

(1) P. BEIIT, Soc, d'anthropologie, 1873.

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN nÉMIMÈLE 145

rudimentaires de ceux-ci. Un exemple de ce genre est donné par le cas

rapporté par M. Gasne dans cette Iconographie (1).

Dans le second groupe, hémimèles par absence de la tige ou rayon cubi-

tal, rentrent les cas semblables au sujet de notre observation et les diverses

variétés dont nous avons parlé précédemment. Dans la variété type la

partie radiale de la main, premier métacarpien et pouce existent, mais les

quatre autres doigts ou plusieurs d'entre eux manquent en môme temps

que le cubitus et une grande partie du carpe et du métacarpe.

Dans le troisième groupe, hémimèles par absence de la tige ou rayon

radial, l'avant-bras et la main paraissent mieux représentés dans leur

ensemble ; généralement, cependant, les derniers doigls seuls existent, le

pouce et son métacarpien font le plus souvent défaut ou ne sont qu'im-

parfaitement développés ; le carpe aussi est habituellement incomplet; de

plus ces malformations entraînent l'existence de certaines variétés de

main-bote congénitale.

Ces trois groupes de l'hémimélie,les deux dernières surtout,et plus spé-

cialement la troisième, forment comme une transition entre les difformi-

tés congénitales groupées par I.G. Saint-Hilaire dans la classe des monstres

et les anomalies de développement plus simples réunies par cet auteur dans

la classe des hémitéries.Pour la main ces dernières anomalies comprennent

les anomalies de développement des doigts par défaut ou ectrodactylies, les

anomaliespar excès de nombre ou polydactylies,les doigts surnuméraires, la

main en pince de homard, la syndactylie, etc. D'ailleurs au point de vue de

]apathogéniecesbémitéi'iespeuvent,pourbeaucoup,reconnaître uneorigine

analogue à celle des difformités de l'ectromélie ; comme celles-ci, aussi,

elles peuvent accompagner d'autres difformités dans le développement du

corps.

Nous avons vu que le sujet de notre observation avait acquis, malgré le

développement si imparfait des membres supérieurs, une assez grande

habileté lui permettant notamment d'écrire et de dessiner. Nous ne nous

arrêterons guère sur ce point connu depuis longtemps. Nombre d'ectro-

méliens ont une intelligence bien développée et sont arrivés à suppléer

par des artifices divers aux défauts de leurs membres. Comme exemples

nous pourrions citer les cas rappelés par I. G. Saint-Hilaire dans son

traité de tératologie : le cas du phocomèle observé par Duméril ; celui

observé par Dumas : le cas d'un ectromèle, dont l'adresse a été plusieurs

fois célébrée par les poètes latins et allemands du dix-septième siècle, qui

suppléait ses mains absentes par ses pieds; celui d'un autre ectromèle,

vu par G. Saint-Hilaire lui-même, qui, suivant les expressions de cet

(1) G. GASNE, Un cas d'hémimélie chez un fils de syphilitique. Nouv. Iconogr. de la

Salpêtrière, 1897, n 4, p. 31.

146 HUET ET INFROIT

auteur, avait exécuté avec un vrai et remarquable talent une vaste compo-

sition de peinture, suppléant les membres supérieurs absents par l'emploi

des membres inférieurs eux-mômes mal conformés. Nous avons vu, il y

a une quinzaine d'années, un ectromélien qui, privé de la plus grande

partie des quatre membres, était montré dans les foires sous la désigna-

tion de l'homme tronc; il écrivait, dessinait, tirait au pistolet, etc. Ré-

cemment encore on a pu voir au Nouveau Cirque de la rue Saint-Honoré

un ectromélien privé des deux membres supérieurs qui nageait et faisait

des exercices variés (1). -

Il nous reste à rechercher quelle a pu être la cause des difformités pré-

sentées par le sujet de notre observation. Comme nous l'avons dit, nous

n'avons trouvé aucune condition particulière qui puisse être incriminée :

ses parents paraissaient jouir d'une bonne santé; sa mère est restée bien

portante pendant sa grossesse et ne se rappelle avoir rien éprouvé qui ait

pu provoquer ces difformités; ses autres frères et soeurs n'ont présenté

aucune malformation ; deux seulement ont été jumeaux, circonstance qui

dans le cas présent ne nous paraît pas avoir grande importance; parmi

ses autres parents il n'existerait également pas de malformations congéni-

tales.

En l'absence de données plus précises nous ne pouvons que conjectu-

rer les conditions pathogéniques qui ont pu provoquer les difformités pré-

sentes en nous basant sur les 'connaissances actuellement acquises en té-

ratogénie (2).

Un certain nombre d'anomalies et de malformations congénitales pa-

raissent tirer leur origine de conditions antérieures à la fécondation ; en

faveur de cette opinion on peut faire valoir les cas où ces anomalies et

malformations ont été transmises par hérédité; on en a cité des exemples

pour quelques cas d'ectromélie et d'ectrodactylie. Pour quelques autres

anomalies des membres on a pu invoquer aussi une régression atavique.

Au premier abord l'aspect des membres supérieurs de notre sujet rappelle

celui des membres antérieurs de certains oiseaux ; mais on reconnaît fa-

cilement que cette ressemblance n'est que très grossière puisque le sque-

lette de l'avant-bras ne se compose que d'un seul os ; il ne peut pas être

plus question de régression atavique dans ce cas d'absence du cubitus que

dans des cas d'absence du radius où l'aspect est complètement différent.

Nous ne nous arrêterons pas aux anomalies de développement qui ont

leur origine dans la fécondation même ou dans la segmentation de l'ovule.

Les difformités comme celles que nous avons en vue, c'est-à-dire les

(1) La Nature, 12 janvier 1901.

(2) Voir : Matiuas DUVAL, Palhogénie générale de l'embryon. Tératogénie, in Traité

de Pathologie générale de Ch. Bouchard, t. I.

DESCRIPTION D'UN ECTROMÉLIEN nÉMIMÈLE 147

diverses variétés de l'ectromélie et plus spécialement celles de l'hémimélie

ne paraissent pas devoir reconnaître une pareille origine ; elles semblent

plutôt devoir prendre naissance pendant la période embryonnaire, à une

époque assez avancée de celle-ci correspondant à la formation et au pre-

mier développement des membres. Le mécanisme de leur production n'est

sans doute pas univoque. Il est vraisemblable que quelques-unes sont

dues à des causes agissant directement sur l'embryon lui-même, elles

seraient d'origine endogène ; d'autres reconnaîtraient des causes siégeant

en dehors du corps de l'embryon soit dans les annexes (amnios, allan-

toïde, cordon ombilical), soit plus extérieurement encore (organes mater-

nels), elles seraient d'origine exogène. Dans quelques cas d'ectrodactylie,

d'hémimélie et même d'ectromélie proprement dite, cette origine exogène

semble bien démontrée ; elle peut être attribuée, par exemple, à des com-

pressions ou à des constrictions soit par le cordon ombilical soit par des

brides ou des adhérences amniotiques produisant de véritables amputa-

tions congénitales. La présence de doigts rudimentaires, comme il en

existe souvent en pareils cas, peut s'expliquer par un nouveau bourgeon-

nement et une régénération incomplète de ces organes (Mathias-Duval).

Cette régénération qui ne se produirait chez les vertébrés supérieurs que

dans la période de l'état embryonnaire est observée beaucoup plus com-

plète chez certaines espèces de vertébrés à sang froid soit seulement pen-

dant les premières périodes de l'existence, soit même encore pour quel-

ques espèces après complet développement.

On a toutefois opposé à cette opinion des cas où les parties existantes

étaient assez complètement formées pour rendre peu admissible ou dou-

teuse l'hypothèse d'une régénération (1). Mais nous ne croyons pas que

cette objection permette de repousser dans ces cas l'action d'une compres-

sion ou d'une constriction intra-utérine. Celles-ci, sans être suffisantes

pour produire l'amputation congénitale, ont pu être capables d'entraîner

la mort ou d'entraver le développement des bourgeons embryonnaires qui

devaient produire les parties avortées,tandis quedes parties voisines,échap-

pant il l'action de la compression, ont continué leur développement plus

ou moins complet. Roux et Chabry, en détruisant expérimentalement par

des traumatismes des parties de l'ovule au moment de sa segmentation ont

produit des arrêts de développement et des monstruosités dont le méca-

nisme parait être de même nature que celui que nous invoquons. Ces com-

pressions peuvent d'ailleurs avoir une autre origine que les annexes de

l'embryon ; elles peuvent être produites notamment par des parties de

l'embryon serrées les unes contre les autres ; dans ces Conditions on a pu

(1) BunN F., et CII.IILLOUS M., Un cas d'hémimélie. La Presse médicale, 19 août

1896, p. Il 3.

148 nUET ET INFROIT

faire jouer un rôle à des contractions vives ou prolongées de l'utérus, à

des constrictions extérieures, à des traumatismes subis par la mère pendant

celte période embryonnaire.

Une objection que l'on peut faire encore contre l'origine exogène de

ces difformités congénitales serait la multiplicité et la symétrie observées

assez souvent dans ces cas de malformations ; cette symétrie existait no-

tamment chez notre sujet. On peut facilement concevoir cependant que les

causes de compression portent leur action à la fois sur plusieurs points de

l'embryon, d'où la multiplicité des malformations. Quant à' leur symétrie

elle se conçoit également si l'action de la compression se fait sentir sur

des régions similaires de l'embryon. La multiplicité des lésions et une

symétrie assez grande on* d'ailleurs été signalées dans des cas bien établis

d'amputations congénitales.

Pour quelques-unes des difformités congénitales analogues à celles qui

nous occupent on a voulu voir une influence du système nerveux central

sur le développement des parties malformées. Mais, comme on l'a fait re-

marquer, ces malformations doivent être antérieures à la vie foetale et

remonter pour la plupart à la période embryonnaire, à une époque où le

système nerveux central est en pleine période de développement, où ses

fonctions paraissent nulles encore et où il ne se trouve pas en connexion

avec les parties périphériques. Aussi lorsqu'à l'autopsie de sujets porteurs

de difformités congénitales on trouve des lésions du système nerveux dans

les parties correspondant aux régions de la périphérie malformée, est-il

vraisemblable d'admettre qu'elles ont été moins la cause que la conséquence

des malformations; elles reconnaîtraient un mécanisme analogue à celui

qui après la naissance entraîne des lésions spinales à la suite des amputa-

tions des membres.

Nous avons vu que chez notre ectromélien il existait d'un côté un pouce

et un autre doigt ; celui-ci est en partie réuni par syndactylie avec le pouce,

il a plutôt les apparences d'un doigt surnuméraire que de l'index. A côté

de malformations pardéfautil existerait donc, aussi dans ce cas, des mal-

formations analogues à celles dites par excès; elles peuvent d'ailleurs

s'interpréter de la même façon. Une même cause a dû produire non seu-

lement l'arrêt de développement du cubitus et des parties correspondan-

tes de la main, mais encore une déviation dans le développement donnant

naissance à ces deux doigts en partie syndacti les et fusionnés. Quelle est

la nature de cette cause ? D'après ce qui précède nous ne nous croyons pas

autorisés à répondre d'une façon précise. Pour les malformations con-

génitales du sujet dont nous avons rapporté l'observation, une origine en-

dogène est possible, mais une origine exogène nous paraît plus probable.

DE LA CRAMPE DES ÉCRIVAINS

ET DES AUTRES

AFFECTIONS NERVEUSES PROFESSIONNELLES

OBSERVATIONS DE PARALYSIE CHEZ UN MARCHAND DE NOUVEAUTÉS,

DE CRAMPE DES PIANISTES, DE TREMBLEMENT DES BRODEURS A LA MACHINE

ET DE CRAMPE DES TÉLÉGRAPHISTES

Par le

Dr THOMAS D. SAVILL

(de Londres) (1)

A une malade se plaignant de douleurs aiguës, chaque fois qu'elle levait

le bras au-dessus de l'épaule, John Abernethy aurait, dit-on, répondu :

« Quel besoin avez-vous alors, Madame, de lever ainsi votre bras ».

Véridique ou non, une pareille réponse ne saurait certainement satisfaire

les malades qui viennent nous consulter, et plus particulièrement ceux

qui présentent les troubles nerveux que nous allons étudier. Il est, certes,

assez facile de guérir ou tout au moins d'arrêter dans leur marche les

affections nerveuses professionnelles par la suppression complète des mou-

vements qui leur ont donné naissance. Mais si les malades viennent nous

consulter, c'est justement pour que nous leur permettions, par notre trai-

tement, de continuer ces mêmes mouvements qui assurent le pain quotidien

de la plupart d'entre eux : c'est là que résident tout l'intérêt de notre sujet

et toute la difficulté du traitement. Ces troubles nerveux sont très fréquents

dans la pratique journalière, et comme actuellement nous avons l'occasion

d'en observer plusieurs cas, nous pensons faire oeuvre utile en étudiant

ici quelques-uns d'entre eux.

Sous ce nom affections nerveuses professionnelles, nous comprenons tous

les troubles fonctionnels, nerveux ou musculaires, survenant à la suite de

l'usage excessif et maladroit des muscles mis normalement en action par

(1) An adress an writers cramp and other « occupation neurosis » (illustrated by

cases of Draper's Palsy, Pianist's cramp, machinist's Trelllorand Telegraphist's cramp)

Delivered before the North West Uranch of the Britisch médical Association by Thomas

D. Savill M. B., M. R. C. P. I'hysician to the West End Ilospital for Diseases of the

nerwous system.

150 THOMAS D. SAVILL

l'exercice de certains métiers. Nous appelons particulièrement l'attention

sur cet usage maladroit, car c'est lui qui joue un rôle prépondérant dans

l'étiologie et le traitement.

La crampe et la paralysie des écrivains sont les plus connues de ces

affections ; mais celles-ci se rencontrent aussi fréquemment chez les télé-

graphistes, les dactylographes, les pianistes, les violonistes, les tambours,

les mécaniciens, les marchands de nouveautés, les forgerons, les rouleurs

de cigares et de cigarettes, les faiseuses de crochet, et, en un mot, chez

tous ceux dont la profession nécessite la répétition continuelle du même

mouvement. Après avoirétudié quelques cas typiques de ces affections,

nous en discuterons la pathogénie, l'étiologie, le pronostic et le traitement.

Comme les cas de crampes et de paralysies des écrivains sont très connus, .

il est mieux d'étudier ici quelques autres types des affections nerveuses

professionnelles.

OBSERVATION ! .

Le premier malade est un marchand de nouveautés, âgé de 74 ans. Il m'a

été amené par le Dr Woodfort. Depuis 2 ans 1/2, il se plaignait de faiblesse

et d'engourdissement dans la main droite. On peut se rendre compte que cette

faiblesse est seulement localisée au pouce. De plus, par comparaison avec l'au-

tre main, on note une réelle diminution de l'éminence thénar droite ; elle est

légère, il est vrai, mais on ne peut avoir aucun doute sur son existence. Cette

atrophie, assez rare, est particulièrement intéressante, car elle dénote sûre-

ment, dans ce cas, des lésions dégénératives des nerfs moteurs de ce groupe

musculaire. Il y a aussi une légère anesthésie de la partie dorsale du pouce.

L'engourdissement est particulièrement cligne d'intérêt au point de vue du

diagnostic. La première idée qui vient, en effet, à l'esprit, c'est qu'il s'agit ici

d'un début d'atrophie musculaire progressive, qui commence, comme on le sait,

par le pouce. Mais dans aucun cas, cette dernière affection ne s'accompagne de

trouble de la sensibilité et, depuis presqu'un an que ce malade est en. obser-

vation, nous n'avons jamais pu retrouver les autres symptômes de l'atrophie

musculaire progressive ; sa main gauche, en particulier, est parfaitement nor-

male.

L'anesthésie n'accompagne pas habituellement les affections nerveuses pro-

fessionnelles. Dans le cas présent, on peut facilement l'expliquer par la pression

des ciseaux sur la branche digitale du nerf radial.

Une paralysie flaccide et atrophique, comme celle que nous observons ici,

dénote infailliblement une lésion du nerf périphérique ou de ses cellules d'ori-

gine. La recherche des réactions électriques nous a montré qu'il existe une lé-

gère diminution de la contractilité faradique des muscles du pouce ; par le cou-

rant galvanique, nous trouvons A presque égale à K. Cet examen confirme

notre hypothèse au sujet de la localisation de la lésion.

DE LA CRAMPE DES ÉCRIVAINS 151

Chez ce malade, on ne retrouve aucune trace de syphilis, et, sans entrer

dans tous les détails, on peut exclure toutes les causes de névrite. Il s'agit donc,

sans aucun doute, d'une paralysie des ciseaux. Très souvent, en effet, il était

obligé de se servir de ciseaux courts et fort incommodes. Dans la genèse de

l'affection, la difficulté du mouvement, et la force employée (celle-ci étant sou-

vent très faible) 'sont moins importantes que la répétition, et, si l'on peut

s'exprimer ainsi, la maladresse du mouvement. La principale cause est la

prolongation dans une fausse position du travail musculaire.

A l'appui de cette remarque, nous publierons l'observation d'une jeune femme

atteinte de la crampe des télégraphistes. Cette crampe n'a été provoquée chez

elle que par la pression répétée du petit bouton de l'appareil transmetteur, mou-

vement par lui-même tellement léger et tellement insignifiant, qu'on peut à

peine l'évaluer, pour toute la journée, à 30 kilogrammètres.

Notre premier malade a été amélioré par le repos ; il a complètement cessé

les mouvements spéciaux, cause première de son affection : il se sert exclusi-

vement de la main gauche. En outre, il a été soumis, tous les 2 jours, aux

courants galvaniques, et a pris, à l'intérieur, du malt et de l'huile de foie de

morue. Cette dernière est, pour moi, un aliment parfaitement tonique et parti-

culièrement électif du système nerveux. Grâce à cette médication, le malade

est sûrement amélioré, mais nous ne pouvons garantir la disparition complète

' de son affection.

, Observation II.

Notre second cas concerne une jeune femme de 28 ans, brodeuse à la

machine. Pour effectuer ce travail, elle est obligée de tourner tantôt dans un

sens, tantôt dans un autre, une roue fixée sous la table. Pendant toute la

durée de son travail, la main et le bras restent dans une fausse position. C'est

cette fausse position qui est un facteur de la plus grande importance dans

l'étiologie de son affection. Quand elle est venue nous trouver, il y a quelques

semaines, elle se plaignait, depuis 14 mois, de faiblesse dans la main droite.

A l'examen, on note à droite une diminution notable du côté cubital de

l'avant-bras et de la masse musculaire des fléchisseurs du pouce, une grande

diminution dans la force d'étreinte de la main, et enfin, un tremblement mar-

qué de l'index, du médius et du pouce. Ce tremblement, petit et rythmé,

apparaît au moindre mouvement de la main. De temps en temps, la malade

ressent une contraction douloureuse, mais il n'y a aucun trouble objectif de la

sensibilité, ni de contractions toniques, autant qu'on peut s'en assurer. L'étude

des réactions électriques dénote seulement une légère diminution de la con-

tractilité par les courants faradiques, c'est-à-dire que cette malade ne présente

qu'un des symptômes de la réaction de dégénérescence. Il s'agit, comme on le

voit, d'une paralysie flaccide et atrophique des muscles du côté cubital de

l'avant-bras -et de quelques-uns des muscles du pouce, c'est-à-dire du groupe

musculaire physiologique employé pour effectuer son travail à la machine.

Elle a été soumise aux courants galvaniques, mais depuis trop peu de

152 THOMAS D. SAVILL

temps pour en noter l'action. La meilleure façon d'utiliser l'électricité dans

ces cas est l'emploi du bain électrique. Dans le fond d'un large récipient,

rempli d'eau où plonge le bras, se trouve le pôle négatif. On évite tout contact

entre le bras et le conducteur électrique ; le pôle positif est placé derrière le

cou. Le bain est journalier, sa durée est tout d'abord de 10 minutes, puis

graduellement jusqu'à 30 minutes. Nous lui avons prescrit également de

l'huile de foie de morue et du malt.

Chez elle, nous devons noter une prédisposition nerveuse : céphalalgie,

boule et autres symptômes hystériques.

Le pronostic des affections nerveuses professionnelles est en général bon, et

l'on peut beaucoup par un traitement approprié.-Cependant, il faut avouer

qu'aucun des deux cas précédents ne nous laisse grand espoir de complète

guérison. L'histoire clinique de ces malades est d'autant plus intéressante,

que ceux-ci présentent tous les deux de ['atrophie, ce qui assombrit le pro-

nostic. Cette atrophie n'est pas signalée, autant que nous avons pu nous en

assurer par les auteurs classiques, en tant que symptôme des affections ner-

veuses professionnelles. On peut cependant l'y rencontrer, et nous croyons

que, si nos moyens d'investigation étaient plus parfaits, on pourrait la noter

dans tous les cas où la paralysie est flaccide. En tout cas, son apparition jette

un jour nouveau sur la localisation et la pathogénie de ces affections.

Observation III.

Une femme de 32 ans, professeur de piano, est envoyée à l'hôpital par un

médecin de Douvres. Elle jouait ordinairement du piano pendant 4 ou 5 heures

par jour, c'était là son seul moyen d'existence; aussi sa situation, depuis

15 mois, est-elle des plus précaires. On doit noter la position particulière que

preunent ses doigts sous l'influence d'un spasme, survenant dès qu'elle joue

du piano pendant un peu de temps. L'index et le médius se fléchissent et se

contractent, ce qui l'empêche complètement de continuer de jouer. Cette posi-

tion est très particulière, et pendant longtemps nous nous sommes demandé

comment il se faisait que chez une pianiste qui, d'habitude, se sert également

de ses deux mains et de tous ses doigts, 2 doigts seulement d'une seule main

étaient affectés par le spasme. Depuis, l'interrogatoire a appris qu'elle jouait

beaucoup du violon et que pendant le spasme ces deux doigts affectent la

position qu'ils prennent quand elle se sert de cet instrument. En un mot, c'est

une « crampe des violonistes », mais déterminée seulement par l'usage du

piano, tout au moins au début, car maintenant elle apparaît aussi à l'occasion

de tous les autres mouvements : la faiblesse de la main gauche est perma-

nente.

Pendant de longues années, elle a souffert de troubles gastriques (atonie-

gastroptose), ce qui explique sa dénutrition générale. Autant qu'on peut s'en

assurer, il n'y a pas d'atrophie de son bras ou de sa main gauche. 11 est plus

que certain que les toxines, résultat de ses mauvaises digestions, ont con-

tribué pour beauconp à la production de cette crampe professionnelle. Elle est

DE LA CRAMPE DES ÉCRIVAINS 153

à l'hôpital depuis le mois de janvier ; les troubles gastriques ont été soignés le

mieux possible, elle a été soumise aux courants galvaniques.

Observation IV.

Il s'agit d'une malade atteinte de la « crampe des télégraphistes ». C'est une

jeune femme de 27 ans, vigoureuse, employée au « Post office ». Elle se plaint

de faiblesse nerveuse, dit-elle, presque subitement, il y a 2 ans. A vrai dire,

ce n'est pas de la faiblesse, mais elle est incapable d'actionner avec sa main

droite le transmetteur télégraphique ; ce mouvement détermine une douleur

aiguë. Généralement cette douleur débute par l'épaule, et gagne quelquefois le

bras et le cou. Chez elle la contracture occupe spécialement les muscles de l'é-

paule et principalement ces élévateurs : le trapèze et le deltoïde. Nous ne

pouvons nous rendre compte de cette localisation que par le siège exact de la

douleur, car ces muscles ne subissent aucun changement apparent. En plus

de cette douleur spéciale, la malade ressent dans la même région une douleur

névralgique, plus ou moins constante, mais nettement aggravée par l'hu-

midité atmosphérique.

Tous les télégrammes des différents quartiers de Londres, passant par le

« Gênera ! Post office ». les employés y sont obligés de transmettre environ 25

mots à la minute. Le mouvement effectué consiste à presser simplement, mais

très rapidement un bouton (appareil Morse) ; le bras reste étendu tout le temps.

C'est principalement cette extension continue, amenant une fausse position

des muscles de l'épaule, qui est la cause des troubles nerveux.

Devenant incapable d'assurer, dès lors, la transmission des télégrammes, elle

fut, il y a 2 ans, employée dans un autre service. Cependant cela ne devait

pas voir cesser son affection, car, un mois plus tard, il lui fut impossible d'é-

crire sans qu'immédiatement, ne survienne une sorte de crampe très doulou-

reuse. La douleur ressemblait beaucoup à celle ressentie précédemment, alors

qu'elle était employée à la transmission des télégrammes. Comme, entre temps,

elle avait appris à manoeuvrer le transmetteur de la main gauche, elle fut ver-

sée, à nouveau, dans son ancien bureau. Elle n'y était pas depuis 6 mois, que

les mêmes symptômes apparaissent dans le bras]et le poignet gauches. Nullement

découragée, elle apprend alors à écrire de la main gauche, mais, malheureuse-

ment, le spasme commence à se produire dans cette main, de sorte qu'actuelle-

ment elle est atteinte, des deux côtés, de la crampe des écrivains et de la crampe

des télégraphistes. Nulle part, on ne peut découvrir d'atrophie ; elle peut se ser-

vir de ses deux membres pour tous les mouvements, sauf pour ceux spécifiés

plus haut. Cependant elle ressent une grande faiblesse dans ses membres ; sa

santé générale est excellente.

Nous avons pu noter quelque amélioration sous l'influence des courants

galvaniques et d'une potion contenant du salicylate de soude, de la teinture de

noix vomique et de gelsémium ainsi que du bromure d'ammonium. Ce traite-

ment n'est suivi que depuis peu de temps, mais la rapide apparition des mêmes

symptômes dans différentes régions ne présage rien de bon.Cela semble indiquer

xiv 11

154 THOMAS D. SAVII.L

chez elle, une prédisposition particulière qu'il sera difficile de combattre.

Ces quatre cas sont des exemples typiques de ces affections nerveuses

professionnelles que nous rencontrons journellement dans notre pratique.

Comme on peut le voir, le travail continu et prolongé d'un groupe mus-

culaire peut donner lieu à cinq symptômes morbides. D'abord nettement

localisés, ceux-ci tendent, à la longue, à s'étendre aux autres groupes

musculaires, et à empêcher ainsi tout mouvement. Par ordre de fréquence

et d'apparition, ces symptômes sont :

a) La raideur (crampe ou spasme tonique) ; B) La douleur ; c) La fai-

blesse musculaire] D) Le tremblement ; F) L'atrophie ou quelquefois l' /typer-

atrophie. z

A. La raideur, les crampes, ou les spasmes cloniques, s'accompagnent

quelquefois de douleurs (B). C'est la présence de ces deux symptômes qui

occasionne la gêne des mouvements. La douleur est probablement due à

la contraction excessive de la totalité ou seulement d'une partie du mus-

cle ; c'est, en un mot, une crampe. Sans crampe la douleur est rare, mais

il ne s'ensuit pas que le spasme soit toujours douloureux.

C. La faiblesse musculaire est due rarement à de la paralysie complète,

mais cela peut s'observer, comme dans nos observations I et II. Souvent

les malades se servent du terme faiblesse pour désigner toutes les difficul-

tés qu'ils éprouvent dans l'accomplissement de leurs mouvements : mais

au point de vue du traitement, il est de toute nécessité de distinguer la

paralysie du spasme car le traitement diffère complètement.

D. Le tremblement peut survenir (obs. II) ; ce n'est, parfois, qu'un

spasme clonique ou plus souvent encore, de l'incertitude dans les mouve-

ments, de la difficulté à diriger le membre.

E. Dans les débuts, et au cours du plus grand nombre des cas, on n'ob-

serve aucune altération apparente de la nutrition musculaire. Cependant

la paralysie peut s'accompagner (['atrophie et le spasme d'hypertrophie.

Le plus beau cas d'hypertrophie qu'il nous a été donné d'observer, était

présenté par un employé de bureau âgé de 31 ans. Sauf une ou deux at-

teintes d'influenza, sa santé avait été parfaite jusqu'en 1897. A cette épo-

que, il commença à ressentir un spasme, ou une crampe dans son bras

droit, dès qu'il écrivait pendant une heure environ. Les années suivantes,

le spasme augmenta tellement qu'il fut obligé de faire usage d'une ma-

chine à écrire, mais il arrivait fréquemment, qu'au bout d'une heure ou

deux, l'usage de cette machine amenait la même crampe dans le bras

droit. Un mois ou deux avant que nous le voyions, le spasme devint plus

ou moins continu au point de ne permettre que difficilement au malade

de se servir d'une cuillère ou d'allumer sa pipe ; tout mouvement délicat,

en un mot, augmentait ou provoquait le spasme. Lorsqu'il vint nous trou-

DE LA CRAMPE DES ÉCRIVAINS 155

ver, au mois de juillet 1899, tous les muscles de son avant-bras deve-

naient, dès qu'il écrivait, aussi durs que du fer, et se dessinaient sous la

peau comme des barres rigides. Il pouvait cependant continuer à écrire

pendant cinq ou dix minutes, en maintenant son bras avec sa main gau-

che ; mais au bout de ce temps survenaient des soubresauts. La mensu-

ration donnait une différence de presque un centimètre en faveur de l'a-

vant-bras droit, nous trouvions 0 m. 25 pour l'avant-bras gauche et

0 m. 26 pour le droit; le dynamomètre marquait 76 adroite et 66 à gau-

che ; l'étreinte de la main droite était évidemment beaucoup plus forte. I !

prit du bromure et il lui fut défendu d'écrire pendant six mois; il lui

était permis toutefois d'apprendre à écrire de la main gauche. Lorsqu'il

recommença à écrire, il lui fut particulièrement recommandé de tenir sa

plume moins serréo et plus librement. Chez lui, en effet, l'origine du

spasme était plutôt dans une mauvaise habitude que dans l'excès des mou-

vements nécessaires pour écrire.

C'est là un exemple d'hypertrophie. Nos observations I et II sont au

contraire des exemples d'atrophie. Dans ces derniers cas, existent aussi

quelques modifications des réactions électriques. Elles manqueraient tou-

jours, dit-on dans les traités classiques ; rarement, en effet, elles sont

assez marquées pour être démontrées. Mais on sait combien il est difficile

de déceler les légères modifications des réactions électriques, qui dépen-

dent de tant de circonstances variables. A notre avis, il y a toujours dans

les cas de paralysie, un léger degré de réaction de dégénérescence, bien

qu'il soit difficile de le démontrer.

Le plus souvent les cinq symptômes apparaissent successivement dans

l'ordre que nous avons établi, marquant, pour ainsi dire, les diverses

étapes de la maladie. L'une ou l'autre de ces étapes peut, du reste,

demeurer peu marquée. Si le spasme et la douleur sont intenses, il est

probable que la maladie en restera là, le malade ne pouvant continuer

ses occupations ; mais s'ils sont peu prononcés, la paralysie et l'atrophie

peuvent survenir avant, que le malade ait conscience de la gravité de son

affection.

Le diagnostic est en général facile pour les affections nerveuses profes-

sionnelles, qui sont toujours occasionnées par l'exercice de la profession.

A leur début, on peut les confondre avec beaucoup d'autres affections .

organiques ou fonctionnelles, névrites périphériques, hémiplégie à début

lent, sclérose en plaque. Mais dans tous ces cas on peut se convaincre par

un examen attentif que les premières manifestations de l'affection ne se

montraient pas exclusivement à l'occasion de certains mouvements spé-

ciaux, nécessités par l'exercice de la profession du malade. '

. On peut penser que certaines personnes qui écrivent beaucoup ont une

156 THOMAS D. SAVILL

sorte de crampe des écrivains, occasionnée par de la raideur survenant

quand elles ont écrit très longtemps; mais ces cas ne rentrent pas dans

notre cadre.

La pathogénie des affections nerveuses professionnelles est encore très

obscure ; les cas que nous venons d'étudier peuvent nous aider, nous

l'espérons, à l'approfondir. Jusqu'à présent, on n'a pas encore décrit de

grosses lésions, ce qui ne saurait être surprenant étant donnée la rareté

des examens microscopiques. Qu'il y ait quelquefois, ou qu'il puisse y

avoir des modifications de structure, cela n'est pas douteux comme le

prouvent t'atrophie et les modifications de-la contractilité électrique,

observées dans nos cas I et IL Théoriquement la lésion ne peut être loca-

lisée que dans deux points différents ; soit dans le muscle lui : même, soit

dans cette partie du système nerveux qui comprend la cellule multipolaire

des cornes antérieures de la moelle, le nerf moteur et sa terminaison

nerveuse intra-musculaire. On peut rejeter, je crois, la première de ces

localisations. Bien que la répétition de la contraction musculaire puisse,

comme on l'a dit, produire certains des symptômes que nous avons étudiés,

elle ne saurait, cependant, les expliquer lous, comme peut le faire l'hy-

pothèse que nous allons défendre.

L'on sait, sans entrer ici dans les détails, qu'une lésion irrilative de la

substance grise cérébrale donne lieu à du spasme, qu'une destruction in-

complète et partielle de cette substance donne lieu au tremblement mus-

culaire, et qu'enfin, sa destruction complète amène fatalement la paraly-

sie. C'est justement là l'ordre dans lequel nous observons les différents

symptômes des affections nerveuses professionnel les. Enpremierlieu, nous

rencontrons le spasme ou la crampe (irritation), qui, en général, empêche-

le malade de continuer ses occupations ; aussi, dans la pluralité des cas,

la maladie en reste-t-elle à ce stade (stade d'irritation). Si le malade con-

tinue ses occupations, nous voyons survenir le tremblement (destruction

partielle), s'il continue encore, la paralysie placide survient (destruction

complète). L'on sait, du reste, que la dégénérescence du nerf moteur oc-

casionne une paralysie flaccide et atrophique que nous ne constatons que

dans deux des cas précités. Pourquoi ne pas alors raisonner par analogie

et ne pas localiser la lésion dans les cellules motrices delà corne anté-

rieure, qui, en somme, jouent vis-à-vis du nerf périphérique le même rôle

que les cellules du cortex vis-à-vis les fibres des pyramides ? Il n'est pas

toutefois facile d'expliquer comment la simple prolongation d'un mouve-

ment peut causer des lésions cellulaires ; on pourrait cependant se deman-

der si les cellules ne sont pas impressionnées par les toxines, résultat de

leur propre fonctionnement ? : '

C'est possible mais on ne peut l'affirmer. ,

DE LA CRAMPE DES ÉCRIVAINS 157

Il y a en outre deux lois, l'une physiologique, l'autre pathologique,

auxquelles nous pourrons avoir recours ici. La première veut que la répé-

tition d'un acte donne lieu, dans une certaine mesure, à de l'hypertrophie.

C'est ce qui s'est produit dans le cas de la crampe des écrivains rapporté

plus haut. L'autre loi est quelquefois appelée loi d'Edinger, bien qu'elle

ait été connue avant que cet auteur lui ait donné son nom. Elle nous en-

seigne que le fonctionnement répété et forcé d'un élément nerveux amène

avec le temps son atrophie, puis sa destruction avec hypertrophie des

éléments adjacents, c'est-à-dire du tissu conjonctif. C'est, sans doute, ce

qui s'est produit dans les cellules antérieures de la moelle de nos malades I

et Il : elles sont probablement irrévocablement détruites. Les cas de gué-

rison peuvent néanmoins facilement s'expliquer par la suppléance fonc-

tionnelle des autres cellules. Nous voyons une application de cette même

loi (loi d'Edinger) dans le tabes dorsualis. Il peut sembler étrange, à pre-

mière vue, que cette affection, 'due à une lésion destructive, soit plus fré-

quente chez les hommes que chez les femmes et cela précisément au mo-

ment de la plus grande vigueur et de la plus grande activité de la vie,

c'est-à-dire entre 20 et 50 ans, et pourquoi l'observons-nous, en outre,

plus particulièrement chez les sujets qui, par leurs fonctions, marchent

beaucoup, comme les militaires elles commis voyageurs. La raison peut en

être donnée par ce fait, que ces sujets fatiguent spécialement les nerfs qui

président au sens musculaire (ces derniers étant, en effet, dégénérés dans

le tabes).

On peut penser que ce fonctionnement prolongé, forcé, les prédispose

à la dégénérescence, occasionnée par le poison syphilitique et qu'ainsi ils

s'atrophient lentement pendant que la sclérose envahit les éléments adja-

cents.

Avant d'aller plus loin, il est nécessaire de remarquer que si l'on peut

adopter la succession des différents stades que nous avons établie dans la

marche de l'affection (crampe avec ou sans hypertrophie, tremblement,

paralysie et atrophie), il peut arriver que l'un de ces stades soit assez peu

marqué pour passer inaperçu. C'est ainsi que, dans certains cas, l'affec-

tion peut arriver rapidement à la paralysie et même à l'atrophie sans

passer parle spasme initial. Ces différentes modalités semblent dépendre

de causes prédisposantes variables. Un individu prédisposé, par exemple,

à la dégénérescence des éléments nerveux arrivera probablement à la pa-

ralysie, tandis que les dialhèses goutteuse et arthritique, les toxémies

persistantes, amèneront une crampe tellement forte que tout travail est

rendu impossible. Dans ce dernier cas, l'affection en restera à ce stade, à

moins que le malade continue ses occupations habituelles.

Parmi les facteurs étiologiques, le plus important est le travail prolongé

158 THOMAS D. SAVILL

et répété d'un même groupe musculaire. C'est une question de moindre

importance que de rechercher le tempsnécessité par les diverses profes-

sions, pour produire l'affection nerveuse professionnelle. Notre premier

malade s'est servi de ses ciseaux pendant plusieurs années ; notre seconde

malade a travaillé à la machine seulement pendant deux ans et demi ;

notre troisième malade jouait chaque jour du violon pendant deux heures

et du piano pendant trois heures, et cela pendant deux ou trois ans ; notre

quatrième malade, enfin, n'avait été employée à transmettre les dépêches

que durant la demi-journée pendant cinq ou six ans. Généralement la

mauvaise méthode est plus importante que la durée du travail. Dans cer-

tains cas, on rencontre une prédisposition nerveuse héréditaire ou acquise;

qui peut jouer un grand rôle dans l'étiologie. Celle-ci est très marquée

dans nos quatre cas. Parmi les prédispositions héréditaires, il faut mettre,

en première ligne, l'alcoolisme des parents. Quelquefois on trouve une

histoire familiale de crises nerveuses, de troubles mentaux, de paralysie,

etc. Le nervosisme et l'arthritisme étaient très marqués chez noire télé-

graphiste aussi bien chez elle que chez ses ascendants. Les mauvaises con-

ditions hygiéniques aussi bien que la dénutrition générale peuvent comp-

ter parmi les causes prédisposantes. Il ne faut pas cependant attacher une

trop grande importance à ce fait que la crampe des écrivains survient

principalement chez les employés de bureau, qui restent enfermés tout le

temps. Ce mode d'existence peut contribuer à la genèse de leur affection,

mais leur occupation spéciale en est la cause déterminante. Comme causes

prédisposantes, nous signalerons encore l'anémie et ses complications, la

syphilis, et, dans beaucoup de cas, )'inf ! uenza.Une<o.renn'6,provenantdes

troubles digestifs, ne se rencontre qu'accidentellement comme chez notre

pianiste.

Le pronostic dépend de plusieurs facteurs. En première ligne, on doit

tenir compte du temps pendant lequel le malade a été livré à lui-môme

sans suivre de traitement. Dans nos quatre cas, la maladie durait depuis

longtemps, aussi le pronostic est-il plus sombre. S'il est possible d'inter-

venir dès le début et d'obtenir le repos musculaire complet, on peut pro-

duire une grande amélioration. Un autre point, cependant moins impor-

tant que les autres, tout étrange que cela paraisse, est le stade auquel se

trouve la maladie. Le simple spasme et même le tremblement sont cepen-

dant plus faciles à traiter que la paralysie et l'atrophie. Cette dernière est

la plus difficile à guérir, bien que, par un traitement approprié, nous

puissions en arrêter les progrès. Nous permettons ainsi au malade de ré-

cupérer tous ses mouvements par la suppléance fonctionnelle des autres

cellules motrices. Lorsque la crampe ou la faiblesse musculaire n'apparaît

uniquement qu'à l'occasion d'une seule action, comme celle d'écrire, le

DE LA CRAMPE DES ÉCRIVAINS 159

pronostic est plus favorable que quand elle se manifeste sous l'influence

de tous les mouvements du membre. Les cas les plus graves sont ceux qui

s'accompagnent de modifications des réactions électriques, ce qui indique

toujours une lésion définitive du nerf. Des cas que nous avons étudiés

ici, le moins avancé est celui relatif à notre professeur de piano. Mais,

chez elle, la dyspepsie engendre une mauvaise nutrition générale, par le

grand nombre de toxines qu'elle provoque, c'est ce qui aggrave le pro-

nostic de son affection. Il faut aussi tenir compte de la situation sociale

du malade, de ses moyens d'existence dont dépend la possibilité de l'ap-

plication du traitement. On ne peut, toutefois, jamais se prononcer sur

les chances de guérison, avant d'avoir été à même de juger les effets du

traitement.

Celui-ci, dont nous avons déjà parlé incidemment, diffère dans ses

grandes lignes, suivant le stade auquel est arrivée l'affection.

S'il y a du spasme (avec ou sans hypertrophie), de la douleur et du trem-

blement, il faut employer le repos et la médication antispasmodique. Par

repos, il ne faut pas entendre l'interdiction de tout mouvement, mais

seulement de celui qui a donné naissance au spasme. On pourra se, mon-

trer moins rigoureux dans les premiers temps de l'affection. Lorsqu'on

autorisera de nouveau le mouvement interdit, on tirera un très bon béné-

fice de la recommandation expresse de changer de méthode. Dans la

crampe des écrivains, par exemple, on recommandera spécialement au

malade de tenir son porte-plume moins serré, plus librement, et de façon

à ne pas exiger de contractions musculaires. Il est aussi de très bonne

pratique de lui ordonner de faire plusieurs fois par jours une page de

longs bâtons obliques ; ainsi il s'habituera à se servir de sa plume de ma-

nière à ne pas réveiller le spasme. Il est à remarquer que dans tous les

cas de crampes des écrivains soumis à noire observation (une vingtaine

environ), les malades tenaient leur porte-plume d'une façon impropre et

gauche. Si l'affection a duré trop longtemps, le malade devra se servir

d'une machine à écrire ou apprendre à écrire de l'autre main. Mais il

devra ne se servir de la machine qu'avec modération pour ne pas provo-

quer la « crampe des machinistes ».

La difficulté du traitement réside dans ce fait que les muscles atteints

sont presque toujours ceux dont l'action assure la vie matérielle du ma-

lade. C'est là un noeud gordien que ne saurait trancher le conseil donné

par Abernithy. Grâce à un stratagème facile et ingénieux, on peut éviter

les grands efforts de certains groupes musculaires. Ainsi le malade, atteint

de la crampe des écrivains, emploie avec succès un petit support spécial,

sur lequel repose son poignet droit. La gymnastique raisonnée qui fait

travailler chaque muscle individuellement, successivement et également

160 THOMAS D. SAVILL

pendant un laps de temps fort court, mais plusieurs fois par jour, donne

de bons résultats, lorsqu'elle est bien dirigée. Ce traitement semble

surtout réussir dans les cas où la crampe des écrivains semble principale-

ment provenir d'un défaut de synergie dans la force musculaire : certains

groupes de muscles étant plus faibles que les autres.

En fait de médicaments internes, nous aurons recours aux anti-spasmo-

diques, aux préparations bromurées,à l'hyosciamine contre le tremblement

et quelquefois au chloral dans les cas graves.

Lorsqu'on est appelé à traiter la paralysie et l'atrophie, on doit quelque

peu modifier ses prescriptions. Les courants galvaniques et le massage

sont les remèdes par excellence. Les courants électriques sont plus effica-

ces, lorsqu'ils sont suivis du massage. Ce que nous avons dit au sujet de

la nécessité du changement de méthode dans la perpétration de certains

mouvements combinés, trouve aussi ici son application.

Le régime alimentaire sera abondant et tonique. Nous avons grande

confiance dans l'huile de foie de morue et dans le malt, qui nous semblent

avoir une action élective sur la nutrition du système nerveux.

On doit aussi rechercher et traiter toules les causes prédisposantes.

L'amélioration dans notre cas de crampe des télégraphistes semhle due en

partie au salicylate de soude, car les progrès étaient moins rapides quand

on n'en faisait pas usage.

En somme, il s'agit d'une affection parfaitement curable.

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES

DANS L ART BYZANTIN

[Suite et fin).

PAR

JEAN HEITZ,

Interne des hôpitaux.

IV. - LE QUATORZIÈME SIÈCLE.

Contrairement à ce que l'on croit généralement, le XIVe siècle n'estpas

un siècle de décadence, on tout au moins il représente une sorte d'arrêt

dans la décadence commencée an XIIe siècle. En effet, après la restaura-

tion de Michel Paléologue en 1261, restauration qui mit fin à l'empire

franc, il y eut-une lentative de renaissance des beaux-arts, et c'est de cette

renaissance que datent la plupart des monuments byzantins parvenus jus-

qu'à nos jours.

C'est encore à l'obligeance de M. Gabriel Millet que je dois la plupart

des documents qui vont suivre. Je ne saurais trop le remercier d'avoir

bien voulu me communiquer une suite de dessins pris par lui à Mistra

(Péloponèse) sur des fresques du début du XIV siècle. Ces fresques

sont restées longtemps dissimulées sous le badigeon, jusqu'en décembre

1896, époque où M. Millet les en a dégagées au prix des plus grandes diffi-

cultés.

Parmi ces nombreuses compositions, trois nous intéressent spéciale-

ment. Elles représentent une série de guérisons de démoniaques, et nous

pourrons les comparer avec les démoniaques des siècles précédents.

a) Fresques de l'église de Mistra.

Dans la première fresque, le Christ guérit trois démoniaques. Ils sont

tous trois alignés devant lui. De leurs trois bouches ouvertes s'échappent

trois démons. Aucune trace de convulsions dans leurs membres. Un d'en-

tre eux cependant a le bras droit écarté du tronc, l'avant-bras à demi flé-

- chai, la main largement ouverte.

Le possédé de la seconde fresque est assis, les pieds tranquillement

162 HEITZ

croisés. De sa bouche ouverte s'échappe un petit diable, sans que d'ail-

leurs le calme de sa physionomie en soit en rien troublé. Un de ses bras

est effacé, l'autre est représenté absolument comme dans la fresque pré-

cédente.

La troisième fresque est reproduite ici. Ce document est caractéris-

tique, car l'attitude du possédé, en tout semblable à celle de la mosaï-

que de Monreale, se retrouvera dans toutes les compositions ultérieures.

Devant la façade d'une sorte de temple, nous voyons le Christ suivi

de toute une troupe de disciples. Ils tiennent tous un rouleau de parche-

min à la main, et leurs draperies les l'ont ressembler à des philosophes

antiques. Le possédé a les yeux dirigés vers le ciel et une certaine ten-

dance à porter la tête en arrière. Il est debout, les deux pieds écartés. Il

n'y a pas de tendance à l'arc de cercle. Les membres supérieurs sont écar-

tés, les avant-bras à demi-fléchis, les mains largement ouvertes. Un petit

démon s'échappe de sa bouche. Il est certain que celte attitude ne rappelle

que de très loin celle des hystériques convulsionnaires. Elle se rappro-

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XIV. PI. XXI

A

B

LES DEMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN

Cf. HcilZ)

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LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 163

cherait davantage de celle des hystériques en extase, et dans la mosaïque

de Monreale l'expression des traits était absolument celle des extatiques.

Nous pouvons donc constater dans le cours de la décadence byzantine,

une tendance, toute conventionnelle, à rendre la crise démoniaque par

une altitude, en somme rare, mais facile à exécuter. L'effort si remarqua-

ble du XIe siècle avait été de chercher à rendre le symptôme essentiel de

la crise, c'est-à-dire la convulsion, mais nous sommes loin du niveau

intellectuel de cette époque, en art comme en politique.

Derrière notre possédé, nous trouvons figurés les porcs tombés de la

montagne, se noyant dans le lac. En général le style est relativement aisé;

on peut constater dans les nombreux dessins de M. Millet des efforts vers

l'élégance et la noblesse des gestes, mais ces efforts étaient frappés de sté-

rilité d'avance, puisque les artistes ne comprenaient pas le danger des

représentations conventionnelles, et la nécessité de l'étude précise, minu-

tieuse, de la réalité.

b) Mosaïque de Kall1'ié-Djami ri Constantinople.

Ces mosaïques datent à peu près de la même époque. L'église construite

en 1321, a été transformée en mosquée après la conquête turque et les

mosaïques disparurent alors sous le badigeon, où on les a retrouvées ré-

cemment.

Parmi les nombreuses compositions, nous trouvons toute une série de

représentations pathologiques inégalement réussies, dont nous étudierons

les principales.

D'abord la guérison de deux jeunes aveugles (PI. XXI, A). Ils sontfigu-

rés tranquillement assis. L'inscription nous indique la nature de leur

affection. Une fois prévenu, on remarque leurs yeux fermés, une certaine

tendance à porter la face en avant, tendance encore soulignée par le long

bâton que tient l'un d'entre eux à la main. Un point un peu spécial, est

le type romain très accentué de ces personnages, type qui tendrait à faire

croire qu'ils ont été copiés sur une mosaïque antique.

Dans la mosaïque de la figure B, PL XXI, nous voyons une femme para-

lytique, apportée devant le Christ sur un grabat. Jésus la prend par le

poignet, et nous retrouvons encore ici, la main pendante, relâchée de la

paralysie radiale. Il est cependant plus vraisemblable qu'il y a paralysie

flasque du membre entier, et nous pouvons remarquer à l'appui de cette

opinion que le membre supérieur gauche repose inerte et très atrophié sur

le genou correspondant. Nous avions déjà constaté quelque chose de sem-

blable chez un précédent paralytique.

D'une troisième mosaïque, à demi effacée, il ne reste qu'une figui e

d'homme, presqu'entièrement nu, couvert d'un grand nombre de taches

164 UEITZ

qui sont rouges sur l'original. Nous reconnaissons le schéma convention-

nel de la lèpre, reproduit ici comme à Monreale, comme dans les minia-

tures du Mont-Athos. On peut constater sur la figure ci-jointe qu'il n'y a

aucune espèce de déformations (mutilations, contractures, etc.). Je le

répète, la représentation est entièrement conventionnelle..

Par contre, une dernière mosaïque, beaucoup plus intéressante à nos

yeux, semble sortir de la banalité courante (PI. XXII). Elle représente la

guérison du jeune homme à la main sèche. Toute la scène se concentre

autour du membre malade que l'infirme tend en suppliant vers le Christ.

Ici, la figuration a des caractères suffisamment réalistes pour que nous

puissions admettreque l'artiste a copié une infirmité vue par lui. Peut-être

pouvons-nous même essayer de faire le diagnostic de la maladie qu'il a

voulu reproduire. L'avant-bras droit du jeune homme est entièrement

atrophié, il n'a littéralement que la peau et les os, sans aucun relief mus-

culaire. L'avant-bras gauche présente au contraire les coutours normaux.

Il s'agit d'une affection unilatérale.

Or la sclérodermie est ordinairement bilatérale, elle s'accompagne d'un

masque spécial, qui manque chez notre sujet. Enfin on peut remarquer

que la main n'a plus que trois doigts. Sans doute on voit, dans la scléro-

dermie, des résorptions osseuses des phalanges, mais elles portent à peu

près spécialement sur tous les doigts et ne vont jamais jusqu'à la dispari-

tion totale de deux d'entre eux. Seules la lèpre et la syringomyélie nous

donnent des aspects semblables. Il faut certainement nous arrêter à la lè-

pre, vu sa grande fréquence au XIV siècle. C'est là une main de lèpre à

forme mutilante et sclérodermique. C'est dans ces formes-là que l'on

voit ces atrophies musculaires, ces mains réduites à des moignons. Sans

doute, en dehors de cette déformation, le sujet ne présente aucun stig-

mate de lèpre, il n'a ni taches ni ulcérations sur les parties découvertes,

mais l'individu que l'artiste a copié plus ou moins fidèlement était atteint

de lèpre nerveuse. Cette forme de lèpre, sans doute fréquente alors, n'était

probablement pas reconnue comme telle, et voilà pourquoi sans doute, ce

malade ne présente pas le semis de taches rouges que nous sommes habi-

tués à trouver uniformément sur tous les lépreux dans les oeuvres d'art

byzantines.

Avec le XIVE siècle, nous sommes arrivés à la dernière période de l'art

byzantin proprement dit. Il nous reste à le suivre dans ses influences, en

Occident, et surtout dans l'Orient slave.

NO UV 1-11 1. ICONO(-,R A LIIIF DE r ? SALYL1'RTl.It1 . ? T. XIV. PI. XXII

LES DEMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN

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LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 165

V. - LES INFLUENCES OCCIDENTALES.

Nous avons déjà vu l'importance de l'influence byzantine en Germanie

aux XI" et XIIe siècles.'

En France, l'art roman, pourtant profondément imprégné de l'art grec,

n'a pas beaucoup aimé à représenter les miracles. J'ai cependant trouvé,

dans l'art gothique du XIIP siècle, quelques scènes de possession. Une

d'entre elles se trouve dans le tympan du portail de Saint-Sixte à la ca-

thédrate de Reims, mais le démoniaque est très conventionnel, et sans

valeur clinique.

En Italie,au contraire, dès la fin de ce même XIIIe siècle, Nicolas Pisano

savait faire des possédés où les caractères de la crise hystérique sont fort

bien représentés (tombeau de S. Dominique à Bologne (1), tombeau de

l'église Ste-IVIarguerite à Cortone) (2).Cette simple constatation nous per-

met d'affirmer que l'art italien s'est définitivement dégagé de l'influence

byzantine. A la convention et aux traditions, il a substitué l'étude précise

du modèle, l'observalion de la vie. Sur ces bases, il s'embarque vers les

destinées que l'on sait.

VI. - LES INFLUENCES ORIENTALES.

Par contre, l'influence grecque ne cessait de régner en Orient, dans les

royaumes d'Arménie, de Géorgie, en Russie principalement. Depuis la

conversion de Vladimir, l'art russe n'a été jusqu'à nos jours qu'une bran-

che de l'art byzantin. Maintenant encore, il a pris de la sève russe une

nouvelle vie, et peut-être la peinture byzantine est-elle, dans ce pays, des-

tinée à de nouveaux avenirs.

Sainte-Sophie de Kiew, bâtie au Xle siècle, sous laroslav, par des ar-

tistes grecs, a encore ses murailles couvertes de fresques et de mosaïques

de cette époque. Mais je n'y ai rien trouvé qui se rapportât au sujet de

cette étude.

Rien non plus, dans les cathédrales du Kremlin à Moscou. Par contre, le

hasard m'a fait tomber sur des documents très intéressants, au célèbre

couvent deSt-Serge Troitzka, au nord de Moscou. Ce couvent (lavra) est

un vaste assemblage d'édifices de toutes sortes, protégés par une haute en-

ceinle munie de tours, et qui a soutenu de longs sièges. La plus grande de

ces cathédrales, la cathédrale de l'Assomption, a été bâtie en 1585 par

(t) Paul HICIICII et Henry Meige, Nouvelle iconographie de la Salpêtrière (189G, n° 2).

(2) Curucor et P. RICHER, Nouvelle iconographie de la Salpêtrière (1890, p. 134).

1G6 HEITZ

Ivan le Terrible. Elle fut entièrement revêtue de fresques un peu plus

tard, et d'après le costume des marchands hollandais ou anglais qui figu-

rent dans le jugement dernier, on peul leur fixer comme date d'exécution

le commencement du XVIIe siècle. Cette date semble relativement récente,

et bien éloignée des dernières oeuvres byzantines que nous avons étudiées

.au XIV" siècle, mais il ne faut pas oublier que l'art byzantin, une fois in-

troduit en Russie, n'a plus évolué. LesRussesontreproduitfidèlementles

représentations byzantines, sans y mêler d'innovations qui leur auraient

semblé hérétiques. Aussi la composition des différentes scènes est-elle à

peu près celle des fresques du Mont-Atbos^ ce qui n'a rien de surprenant

si nous nous rappelons le manuel de peinture byzantine trouvé par Didon

entre les mains de peintres religieux modernes. Il est probable que les

peintres russes ont dû user de quelque chose de semblable.

J'ai pu noter dans cette cathédrale de l'Assomption, toute une série de

guérisons. Il m'a été malheureusement, impossible d'en trouver des pho-

tographies.

Au milieu des scènes de l'Évangile, on trouve : la guérison de l'aveu-

gle, l'attitude de celui-ci rappelant les miniatures de l'Athos (xne siècle) ;

la guérison du lépreux, représenté les parties nues couvertes de taches

rouges. Ici non plus, aucune espèce de contracture ou mutilation. Un peu

plus loin, Jésus bénit un homme dont les mouvements bizarres pourraient

être ceux d'un possédé. Il n'y a pas de démon.

La dernière fresque est plus intéressante. Au permier plan, Jésus guérit

deux démoniaques, et dans le lointain, on voit un troupeau de porcs se

précipiter dans un lac. L'un des possédés est debout, les bras levés au ciel,

les mains ouvertes, et un petit diable noir s'accole étroitement à sa jambe

gauche. Le second est couché sur le sol. L'artiste a essayé de le représenter

en pleines convulsions. L'effort est louable, mais il n'a pas été très heu-

reux, car ces convulsions sont dénuées de tout caractère réaliste. La face

est calme, il n'y a aucune tendance à l'arc de cercle. Un des bras est levé

vers le ciel la main ouverte. De l'autre, le malade semble chercher à se

relever.

Une de ses jambes est repliée sous lui, l'autre est levée dans la direction

du Christ.

Il est bien certain ici que si l'artiste a essayé de représenter une crise

démoniaque vue par lui,il n'a pas su,dans les mouvements compliqués de

cette crise, saisir le mouvement caractéristique, toujours identique dans

toutes les crises du même mal. Il a passé à côté, n'ayant pas une éducation

suffisante de l'oeil, et surtout de l'esprit. L.

Enfin il existe encore, à ma connaissance, dans l'art russe, une autre

figuration de démoniaque, qui présente d'ailleurs, des caractères tout à fait

LES DÉMONIAQUES ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 167

spéciaux. Elle se trouve dans une fresque de l'église St-Basile à Moscou.

St-Basile est cette église étrange et fantastique, bâtie au XVIe siècle par

Ivan le Terrible sur la place rouge, en face du Kremlin. Les fresques ont

été refaites plusieurs fois, et en dernier lieu, en partie, après la dévasta-

tion française de 1812.

Or le possédé que guérit saint Basile présente de très sérieuses qualités.

Son corps forme l'arc de cercle. Il a les yeux convulsés vers le haut, la

bouche grimaçante, les bras ouverts et pendants en arrière. En un mot,

il rappelle d'une façon frappante le jeune enfant guéri par saint Nil, du

Dominiquin, à Grotta Ferrata, près de Rome (1).

Il est bien certain que l'artiste qui a peint cette fresque avait connu

celle du Dominiquin. La fresque a l'air d'ailleurs relativement récenle,

il est très possible qu'elle date de la restauration générale entreprise après

1812. Or à cette époque l'attention des artistes avait déjà été attirée,

même avant les remarques de Charles Bell, sur la figure du jeune possédé

de Grotta Ferrata. Il existe au musée de Kensington, à Londres, une

aquarelle de W. Dyce, qui est la copie de la figure isolée du jeune possédé

avec tous ses détails caractéristiques. Cette aquarelle a sans doute été

exécutée vers la fin du XVIII- siècle, le peintre étant mort en 1804.

En second lieu, ne faudraitpas croire queles artistes dela décadenceby-

zantine soient restés entièrement confinés dans leurs manuels moyen-àgeux,

entièrement soustraits aux influences artistiques modernes. M. Bayet a

bien montré qu'au cours du XIXe et même du XVIIIe siècle, ils n'ont pas tou-

jours craint de mêler des nouveautés italiennes à la tradition sacrée. Cet

auteur a retrouvé au Mont-Athos des imitations de la descente de croix de

Rubens, du portement de croix de Raphaël, datées de 1814. Des exemples

de ce genre se retrouvent à Corfou, à Salonique. Cette figure de possédé à

St-Basile de Moscou, me semble constituer un fait du même ordre, et tout

à fait caractéristique des tendances et des procédés de l'art byzantin expi-

rant.

Nous venons de passer en revue les périodes successives de l'art byzan-

tin. Nous avons vu naître les types conventionnels des maladies, dans les

scènes de guérisons de Ravenne. Après avoir étudié les plus belles pro-

ductions de l'âge d'or du XIe siècle, nous avons descendu les échelons de

cette longue décadence byzantine, interrompue çà et là par des tentatives

individuelles de renaissance, jusqu'au jour où les influences étrangères

sont venues lui faire perdre sa dernière originalité.

Un des ivoires de Salerne nous donne une indication curieuse sur la

(1) CIIAIICOT et P. Richer, Les démoniaques dans l'arl, p. 49. '

H HEITZ

prothèse chirurgicale d'autrefois. A un autre point de vue, en continuant

dans l'école byzantine, les études inaugurées par Charcot et P. Richer,

nous avons pu suivre l'évolution générale de cet art pendant plus de dix

siècles.

Nos appréciations concordent assez bien avec les vues des historiens

d'art. Nous avons pu reconnaître la cause essentielle de la supériorité du

XI' siècle sur les autres époques byzantines. A aucune autre époque, les

artistes n'ont fait d'efforts aussi considérables pour serrer de près la na-

ture, et la placer, encore vivante, dans leurs oeuvres. Plus tard, dès le

XIIe siècle, la convention et l'imitation non raisonnée des oeuvres anté-

rieures envahissent l'art, et malgré, çà et là, des efforts de relour dans la

bonne voie, l'esprit d'initiative se perd de plus en plus, chez les derniers

peintres religieux.

Par les exemples que nous avons pu réunir, nous traçons en quelque

sorte la courbe de l'esprit d'observation chez les artistes grecs pendant

les dix siècles où ils ont suivi la même impulsion. Ceci fait, nous laissons

la place aux critiques et aux historiens d'art. En pareille matière, la

seule ambition du clinicien doit être, selon nous, de poser des faits, faits

qui pourront fournir une base solide, scientifique, à l'étude critique, en-

core si incomplète, de l'art byzantin.

LA SAIGNÉE EN IMAGES

PAR

HENRY MEIGE.

Il était une fois un roi de Carie, lequel avait une fille qu'il adorait.

Celle-ci étant montée un jour sur la terrasse de son palais, se pencha si fort

qu'elle en tomba. De cette chute elle allait mourir et les meilleurs méde-

cins du pays désespéraient de la sauver. Or, un pâtre, ayant appris la

triste nouvelle, fit savoir au roi qu'il venait de recueillir, à la suite d'un

récent naufrage, un jeune étranger se disant expert en l'art de guérir tous

les maux. « Qu'il vienne ! dit le père, et s'il sauve ma fille, je lui don-

nerai la récompense qu'il me demandera. »

Le jeune étranger fut donc conduit devant la moribonde ; là, s'armant

d'un couteau, il la saigna aux deux bras.Et soudain la princesse reprenant

connaissance, fut guérie comme par enchantement.

Fidèle à sa promesse, le roi de Carie pria le jeune étranger de désigner

lui-même le montant de ses honoraires. Celui-ci se contenta de la princesse

pour femme et de la Chersonèse pour dot.

L'heureux confrère qui pratiquait d'aussi lucratives saignées s'appelait

Podalyre. Il appartenait à une célèbre famille médicale ; son père avait nom

Esculape, dieu de la médecine.

Telle est la première saignée mémorable dont l'histoire fasse mention ;

elle remonte à une douzaine de siècles avant notre ère. Depuis lors, cette

opération a été pratiquée un nombre de fois incalculable. Elle a fait couler

des Ilots de sang et des fleuves d'encre. Elle a probablement soulagé plus

d'un malade. Elle a certainement enrichi bien des médecins, infiniment

moins exigeants d'ailleurs que Podalyre.

Et cependant Podalyre n'avait pas le mérite de l'invention. Son père

Esculape, lui-même, avait appris, dit-on, la saignée des Egyptiens, aux-

quels, si l'on en croit Pline, elle avait été révélée par les hippopotames,

de même que les ibis leur avaient enseigné l'usage du clystère ! .....

Gardons-nous de suspecter ces origines préhistoriques.

Ce qui est certain c'est que la saignée fut employée dans les âges les plus

lointains. Hippocrate l'appliquait couramment et avec succès. De son temps

xiv ' 12

17U HENRY MEIGE

même elle avait déjà ses partisans et ses adversaires ; parmi ces derniers

Chrysippe et Erasistrate ne furent pas les moindres.

Avec Celse, avec Galien surtout, la saignée devint de pratique de plus

en plus courante.

A partir du XVI, siècle, elle prit une extension merveilleuse, pour attein-

dre son apogée au XVIIe et au XVIIIe siècles. Elle fut alors l'universelle

panacée, le dogme tout puissant en quoi se résuma bientôt toute la méde-

cine. Elle eut des fervents par milliers, des fanatiques par centaines»

jusqu'à des énergumènes, - les laématoaaazes, tels que Guy Patin.

Pas une guérison qui ne lui fût imputée. « Il ne se passait pas de jour

à Paris qu'on ne fit saigner plusieurs enfants à la mamelle et plusieurs

sexagénaires, qui singuli féliciter inde convalescunt. »

Combien fit-elle de victimes ? Le martyrologe de la saignée, les

médecins ne l'ont pas écrit.

Une opération chirurgicale, remontant à une aussi haute antiquité et

qui a joui d'une faveur aussi exceptionnelle, ne pouvait manquer d'avoir

été célébrée de mille façons.

Effectivement, on a écrit sur la saignée de quoi remplir des bibliothè-

ques ; on l'a vantée, on l'a prônée, on l'a aussi bafouée et critiquée, sur

tous les tons, dans toutes les langues, en prose et même en vers.

Enfin, l'image ne l'a pas oubliée.

Les oeuvres d'art consacrées à la saignée ne sont cependant pas très

nombreuses. Elles se composent surtout de gravures dont la valeur artisti-

que est généralement secondaire, mais qui offrent de l'intérêt au point de

vue documentaire.

Quant aux peintures, elles sont encore plus rares. La majorité ont été

inspirées par le souvenir d'un épisode dramatique où la saignée n'inter-

vient que comme un mode de suicide usité sous l'empire romain, - je

veux parler de la mort de Sénèque, sujet maintes fois reproduit et sur

lequel nous reviendrons bientôt.

Les peintres flamands et hollandais qui nous ont laissé, parmi leurs

petits tableaux de genre, tant de scènes de Médecine et de Chirurgie, ont

prodigué les pédicures, les dentistes, les urologues et les charlatans ; mais

ils semblent avoir répugné à nous montrer les saigneurs. Peut-être ont-ils

redouté l'effet désagréable produit par la vue du sang épanché. Ils n'é-

taient cependant pas ennemis du réalisme et n'hésitaient à peindre ni les

difformités ni les maladies. Il est vrai que, dans la plupart de leurs

tableaux d'intérieurs, ils ont plutôt cherché à éveiller des émotions pai-

sibles ou joyeuses.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T. XIV. PL. XXIII.

LA SAIGNÉE EN IMAGES

(Henry Meige)

D'après un tableau de Dw m TENIERs le Jeune

(Au Musée de Draguignan)

Dessin de Mr WEISSER, d'après une photographie.

MASSON et CI-, Editeurs

LA SAIGNÉE EN IMAGES 1ÎI

° La saignée s'y prêtait médiocrement.

Si les peintures qui lui furent consacrées sont en fort petit nombre, du

moins celles qui nous ont été conservées se font-elles remarquer par leur

exceptionnelle valeur. Aussi tenons-nous à les faire connaître dès à pré-

sent.

C'est en France, dans le petit musée de Draguignan, que se cache l'une

des plus intéressantes peintures inspirées par la Saignée, oeuvre d'une

haute valeur artistique et d'une vérité qui ne saurait échapper au méde-

cin. Elle est de David TENDERS LE JEUNE (1). (PI. XXIII.)

La scène se passe dans un de ces intérieurs rustiques qu'affectionnait

Teniers, logis délabré transformé pour l'instant en officine fort pauvre-

ment achalandée. Une cloison de planches vermoulues, un fauteuil bran-

lant.,un escabeau, un vieux tonneau, quelques flacons sur une tablette, des

paquets de graines et un portrait grotesque accrochés aux murs, deux pots

d'onguent et un plat à barbe : voilà pour le mobilier et la décoration. Ils

sont caractéristiques. Téniers ne connaît pas d'autres intérieurs où loger

ses barbiers de village. Dentistes, pédicures, petits chirurgiens ou empiri-

ques urologues, habitent tous dans ce même taudis, meublé de la même

façon rudimentaire, orné des mêmes accessoires professionnels.

Ici, les personnages se.réduisent au malade et au médecin, plus une

femme à demi perdue dans l'ombre,qui regarde timidement les préliminai-

res de l'opération.

Le malade, amaigri, voûté, assis dans le fauteuil décrépit, un bonnet

blanc sur le crâne, s'installe de son mieux pour supporter l'opération et

fait appel à tout son courage.

Debout près de lui, le médecin aux cheveux bouclés, béret sur l'oreille,

vêtu d'un long manteau, reconnaît, avant d'y porter le fer, le champ opé-

ratoire en le palpant des deux mains.

Beaucoup de naturel dans les attitudes, dans celle du patient surtout'

dont l'expression attentive et anxieuse donne à la scène une réelle émotion.

Mais remarquons surtout l'exactitude de la pose et des gestes eu égard

à l'opération projetée.

Le malade a le bras droit tendu, nu, la manche relevée. Pour le main-

tenir ainsi il a saisi l'extrémité d'un bâton qu'il serre à pleine main. Voilà

bien le rituel classique de la saignée. Le bâton est d'abord un soutien ; de

(1) Je dois à l'amabilité de M. Octave Tessier, conservateur du Musée de Draguignan,

et à l'obligeante entremise de mon ami M. Alfred Bauer, interne des hôpitaux, la pho-

tographie de cet intéressant tableau d'après laquelle M. Weisser a pu reconstituer le

dessin reproduit Pl. XXIII.

172 HENRY MEIGE

plus, en le serrant fort, le patient fait gonfler les veines de son avant-bras.

A défaut de bâton, on faisait souvent serrer entre les doigts une bande

roulée, ou simplement le pouce replié sur la paume de la main. Au bras,

une ligature sera faite pour empêcher le sang de refluer par les veines

superficielles. Mais, en attendant, le chirurgien se contente de comprimer

ces veines de la main gauche, tandis qu'avec sa main droite, il pratique

sur l'avant-bras de légères frictions dirigées de bas en haut, cherchant à

placer son pouce sur la veine à ouvrir.

Ce sont là les propres conseils enseignés par les chirurgiens de l'époque.

La position dii,iiialade, la manoeuvre du médecin, tous les détails de

cette technique sont rendus avec une scrupuleuse exactitude. Il est bien

probable que Teniers lui-même a dû subir la saignée ; en tous cas, on peut

affirmer qu'il l'a vu pratiquer selon les règles de l'art. Son tableau pour-

rait servir d'illustration à quelque Traité de la saignée contemporain.

Sans doute, il manque un certain nombre d'accessoires que les fervents

phlébotomistes n'avaient garde d'oublier : des compresses, des bandes, un

rat-de-cave pour éclairer le champ opératoire, et des palettes ou poilettes

pour mesurer' le volume de sang extrait. Nous ne voyons pas non plus les

lancettes ni le lancettier. Mais nous sommes chez un pauvre barbier dont

l'arsenal est certainement rudimentaire. D'ailleurs son plat à barbe est là

pour recueillir le sang ; il en connaît la capacité, à quelques onces près.

Ce qui est vraiment digne de remarque dans ce tableau, c'est que Teniers

ait choisi, parmi les différents temps de l'opération, non pas celui qui

prêtait le plus aisément à l'effet, l'ouverture de la veine et le jaillissement

du sang, mais bien cette manoeuvre préparatoire, assez délicate et relative-

ment compliquée, qui précède l'incision. Le réalisme discret de cette scène

témoigne à la fois d'un observateur consciencieux et d'un judicieux ordon-

nateur. L'intérêt s'accroît à la vue de ces préparatifs. Les soins que prend

le chirurgien avant d'opérer laissent entrevoir la difficulté de son opé-

ration et ajoutent à l'anxiété du patient. L'attente du coup de lancette

n'est pas moins troublante que la piqûre de la veine.

Le spectateur participe à cette inquiétude.

Aussi faut-il regretter que cette peinture de Teniers n'ait pas encore la

notoriété qu'elle mérite au point de vue artistique. Dans l'histoire icono-

graphique de la Saignée, il était de toute justice de lui réserver la pre-

mière place.

(A suivre.)

Le gérant : Bouchez.

Imp. J. Thovenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).

14e Année N° 3. ' MAI-JUIN

TUMEUR CÉRÉBRALE

(Etude histologique et pathogénique)

PAR

ERNEST DUPRÉ et ALBERT DEVA

A propos de l'histoire clinique et nécroptique d'un cas d'endothéliome

méningé, dont nous avons déjà communiqué l'observation résumée à la

Société de Neurologie (1), nous désirons présenter ici quelques considé-

rations sur l'histopathologie des tumeurs endothéliales du cerveau, et

proposer, pour expliquer la physiologie pathologique des symptômes des

tumeurs cérébrales, une hypothèse nouvelle, destinée, non pas à rempla-

cer, mais à prendre rang parmi les autres théories pathogéniques (con-

gestion, irritation, troubles circulatoires de l'encéphale, etc.).

Voici tout d'abord l'observation de notre malade, que nous faisons

suivre de quelques commentaires cliniques. Nous avons joint au protocole

nécroptique la reproduction, sur les deux aquarelles de la planche XXIV,

de l'ensemble du néoplasme, dont les coupes microscopiques figurent,

avec les coupes de l'Ecorce, des nerfs optiques, 'et la représentation de

certains types de lésions cellulaires corticales, sur la planche XXV.

Observation.

SOMMAIRE. Clinique : Syndrome des tumeurs cérébrales : d'abord cépha-

lée, quelques vertiges et vomissements : troubles de la mémoire et torpeur

psychique, amblyopie progressive et amaurose par atrophie papillaire ;

ensuite épilepsie, légères parésies localisées; enfin, démence, gâtisme,coma,

mort. - Nécropsie : Volumineuse tumeur sphéroïdale, circonscrite, grosse

comme une orange, à la base de l'hémisphère gauche, refoulant le lobule

orbitaire, l'insula et le pôle temporal. - Histologie : Endolhélioma arach-

noidien, à globes concentriques, avec lacunes vasculaires et formations an-

(1) E. Dupn et A. Devaux, Endolhéliome cérébral. Soc. de Neurologie, 18 avril

1901.

xiv 13

174 DUPRÉ ET DEVAUX

giomateuses, sans calcification. Sclérose névroglique intense des nerfs

optiques ; lésions cellulaires corticales légères, diffuses.

G..., 34 ans, marchand de tonneaux, sans antécédents héréditaires notables

et sans autre antécédent personnel que de l'incontinence nocturne d'urine jus-

qu'à l'âge de sept ans, avait toujours été en bonne santé jusqu'à'l'âge de 23 ans.

Au retour du service militaire, il contracta, dit-il, la syphilis et suivit alors un

traitement régulier, dont il ne peut préciser exactement la durée, mais assez

prolongé. Depuis, le malade, buvant régulièrement chaque jour, litres de vin,

2 apéritifs, 2 petits verres et quelques bocks, a commis des excès alcooliques,

qu'aucun symptôme d'ailleurs ne trahit.

Vers le début de l'année 1898, G.... remarqua que sa vue commençait à

baisser et-à se troubler, d'abord à droite, puis à gauche ; à partir de ce mo-

ment, l'amblyopie fit d'assez notables progrès, et, en 6 à 8 mois, devint très

prononcée. En novembre 1898, survint un accident de voiture : assis dans une

voiture découverte qui roulait rapidement, le malade fut, par un brusque arrêt

du véhicule, violemment projeté contre le siège du cocher, et contusionné au

visage contre la barre d'appui : il reçut ainsi un fort traumatisme de la région

naso-orbitaire. A la suite de cet accident, brusquement, à l'amblyopie succéda

l'amaurose.

Le malade, aveugle, entra alors aux Quinze-Vingts, où lui fut appliqué un

traitement mercuriel qui resta inefficace. Il passa ensuite à l'Hôtel-Dieu, dans

le service du professeur Panas, où une série d'injections intra-fessières d'huile

biiodurée ne produisit aucune amélioration. Plusieurs examens ophtalmoscopi-

ques furent, il cette époque, pratiqués, notamment par M. Druault, qui constata

une atrophie papillaire bilatérale, avec dilatation variqueuse des veines, stase

oedémateuse, etc. De la clinique ophtalmologique, G... passa dans le service du

professeur Proust, alors suppléé par l'un de nous.

A ce moment, l'examen complet du malade décelait : d'abord, la cécité abso-

lue, sans myosis, ni mydriase, ni inégalité papillaire, avec conservation du ré-

flexe irien à la lumière et à l'accommodation psychique : ensuite, de la céphalée

gravative, continue, sans localisation nette, avec sensation de serrement de

tête; puis des troubles psychiques consistant en un affaiblissement intellec-

tuel notable, une diminution marquée de la mémoire, un état à' indifférence

torpide, entrecoupé de moments d'un rire puéril, un peu niais, ou d'accès

d'émotivité anxieuse, se manifestant passagèrement, à la visite, par l'attitude,

la mimique, le tondu malade dans la conversation, les alternatives de colora-

tion du visage, etc.

1 L'obtusion intellectuelle et surtout l'amnésie ne permettaient déjà plus de

reconstituer fidèlement les détails de l'anamnèse. Les vertiges et les vomisse-

ments, qui avaient déjà disparu, s'étaient montrés au début, à de rares inter-

valles, avec les premières atteintes de la céphalée et de l'amblyopie.

L'examen somatique ne révèle, du côté des grands appareils, aucune lésion,

aucun trouble fonctionnel. Le second temps aortique est un peu exagéré. Ni

sucre, ni albumine : pas de polyurie. Du côté du système nerveux, on note

EXPLICATION DE LA PLANCHE XXIV

Fw. 1. - Hémisphère gauche, vu par sa

face externe. Endothéliome ayant re-

foulé le lobe temporosphéooïdal.

Fie. 2. - Hémisphère gauche vu par sa

face inférieure ,1'endothéliome est con-

tenu dans une loge formée par le tas-

sement des lobes orbitaires et tempo-

rosphénoidal. Le chiasma des nerfs

optiques est refoulé par le néo-

plasme.

NOUY. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE T. XIV. PL. XXIV

Eig.1 i

Fig. 2.

TUMEUR CÉRÉBRALE (Ernest Dupré et Albert Devait.

TUMEUR CÉRÉBRALE 175

quelques troubles de caractère hystérique : hyperesthésie mammaire et verté-

brale ; abolition du réflexe pharyngien : tremblement fibrillaire de la langue ;

tremblement irrégulier, saccadé, intermittent, exagéré par les mouvements vo-

lontaires, dans le membre supérieur droit, qui se montre aussi un peu affaibli

dans son énergie motrice. Le malade affirme que ces tremblements datent des

dernières injections mercurielles, pratiquées sur lui chez le professeur Panas;

et il paraît assez vraisemblable de songer, en l'occurrence, à des phénomènes

légers d'hystriemercurielle, provoqués par le traitement spécifique intensif,

institué à deux reprises, aux Quinze-Vingts et à ! 'Hôte ! -Dieu chez ce sujet, al-

coolisé et profondément atteint dans sa résistance psychique, par le trauma-

tisme crânien antérieur, l'apparition de sa cécité et le développement de sa lé-

sion cérébrale.

Aucun trouble des sphincters. Sommeil bon et régulier. Du côté des appa-

reils sensoriels, la vue exceptée, pas de manifestation morbide appréciable : -.

légères secousses nystagmiformes, en position externe, du globe oculaire. Du

côté du langage, légers troubles paraphasiques intermittents, a propos desquels

le malade marque d'ailleurs quelque impatience : il dit un mot pour un autre et

se reprend, ou parfois ne s'en aperçoit pas.

Le 15 novembre 1899, le malade passe à Laënnec, aux Chroniques, dans le

service du Dr Rénon, qui, après examen, conclut à la probabilité d'une tumeur

cérébrale. Sur la demande de Rénon, le Dr Sauvineau examine, à Lariboisière,

le malade et formule le diagnostic suivant : « Atrophie postnévritiquedes deux

nerfs optiques, en rapport avec une compression intracérébrale, sans qu'on

puisse en localiser le siège. S'il y avait encore un peu de vision, la trépanation

serait indiquée, actuellement (23 mars 1900) rien à faire. »

En avril 1900, G... passe à Laënnec, dans le service de Chroniques de l'un

de nous, qui l'ayant déjà observé à l'Hôtel-Dieu, le retrouve et constate l'état

stationuaire de certains symptômes, le progrès de certains autres et l'apparition

successive de nouveaux signes. L'état général s'est aggravé : le malade a mai-

gri. La cécité est toujours absolue et l'affaiblissement démentiel a fait de no-

tables progrès. Le malade, calme et inactif, passe ses journées dans une atti-

tude d'indifférence, de torpeur et d'hébétude, dont on le tire par l'appel de son

nom, par l'invitation aux repas, par des questions sur sa santé, etc. Il répond

alors avec lenteur, sur un ton uniforme, en quelques mots adaptés à la ques-

tion, mais auxquels succède aussitôt un silence, pendant lequel le facies anxieux

et désorienté du malade semble interroger l'interlocuteur, ou chercher le fil de

son discours, qui s'achève, suivant les cas, en quelques soupirs sonores ou dans

un sourire d'expression à la fois béate et tristement résignée. Le malade, en-

tièrement perdu dans la nuit de son cerveau visuel et psychique, semble, lors-

qu'on l'appelle, s'éveiller, prêter l'oreille à une voix connue et faire effort pour

saisir le sens de paroles lointaines. La mémoire semble avoir lJ1'esque 'entiè

rement disparu ; cependant, G... reconnaît fort bien la voix et le nom de celui

d'entre nous qui fut, à l'Hôtel-Dieu, son chef de service ; et, par ses réactions

émotives, il manifeste, à chaque fois que nous 1 approchons. un mouvement

sentimental évident. Ces manifestations psychiques n'ont d'ailleurs pas de du-

17G . DUPRÉ ET DEVAUX

rée ; et on peut facilement s'assurer que toute activité spontanée de l'intelli-

gence et de la volonté fait défaut. Seule, persiste l'activité automatique : le

malade mange et dort bien ; il passe une grande partie de son temps à fumer :

à d'autres moments, il se promène dans salle, les corridors, les escaliers,

les jardins de l'hôpital, va et vient seul, sans trébucher, sans heurter jamais

personne. La plupart de ceux qui le rencontrent, dans les couloirs ou les cours,

marchant seul, les yeux grands ouverts, sans hésitation ni embarras, ne se

doutent pas qu'ils croisent un aveugle. G... avait donc conservé remarquable-

ment le sens de l'équilibre et de l'orientation. Il évoque, à ce point de vue,

l'image du somnambule qui évolue avec tant d'aisance et de sûreté dans un

milieu auquel il ne prête aucune attention sensorielle consciente, et dont ce-

pendant les moindres détails lui semblent familiers.

Sur la fin d'avril éclatent, à quatre ou cinq reprises irrégulières, des crises

convulsives épileptiques généralisées. A partir de ce moment, la mine s'altère,

l'état général décline et le malade s'alite. On observe dès lors du gâtisme, d'a-

bord intermittent, puis continu, un état de démence à peu près complète : le

malade ne répond plus qu'à l'appel réitéré de son nom : on l'alimente comme

un dément : la mastication et la déglutition restent incomplètes, la bouche est

encombrée de débris alimentaires à demeure. A ce moment, dans les derniers

jours, on remarque une légère hémiparésie faciale inférieure et du strabisme

externe à gauche. Enfin, le coma s'établit et, le 10 juin 1900, le malade suc-

combe.

Nécropsie. - Tout l'intérêt de l'autopsie porte sur l'encéphale : aucune lé-

sion ne peut être relevée dans les autres viscères (Pl. XXIV).

A l'ouverture du crâne, la dure-mère apparaît intacte ; et la convexité des

hémisphères, après l'incision de l'enveloppe méningée, ne présente rien de par-

ticulier. A l'ablation du cerveau, se révèle, à la base de la partie antérieure de

l'hémisphère gauche, la lésion, sous la forme d'une volumineuse tumeur sphé-

noidnle grosse comme une orange, d'une consistance demi-molle, analogue à

celle de la substance cérébrale, d'une couleur gris-rosé, et nettement circons-

criteà sa périphérie, qui déborde en bas et en dehors les limites du cerveau.

La masse néoplasique est encastrée dans une profonde excavation de la face

inférieure du lobe frontal et du lobe temporo sphénoïdal, refoulés en haut; et,

en bas, elle repose, par l'intermédiaire de la dure-mère, très épaissie et enflam-

mée it ce niveau, dans la fosse cérébrale antérieure gauche. Eu dedans, elle

refoule vers le chiasma une languette de deux centimètres environ de large de

la substance du lobe frontal ; en longueur, la tumeur s'étend depuis Une ligne

correspondant au grand diamètre transversal du cerveau, jusqu'à un point si-

tué en avant, à trois centimètres de l'extrémité antérieure du lobe frontal.

Toute la face orbitaire de ce lobe coiffe la tumeur suivant une courbe régulière,

dont l'extrémité interne aboutit à deux centimètres environ de la scissure de

Sylvius.

L'extrémité antérieure du lobe temporal n'est plus visible : refoulée et tas-

sée en haut et en arrière, elle est remplacée, dans le profil du cerveau, par la

saillie irrégulièrement sphéroldale de la tumeur, qui déborde en dehors l'hé-

EXPLICATION DE LA PLANCHE XXV

FiG. 1. - Coupé de la tumeur, hn haut, à

gauche, cavités angiomateuses dont les

parois enkystées renferment quelques

rares noyaux. En- bas, fentes vascu-

laires contenant des hématies. Le reste

de la préparation est formé par des

amas de cellules longues orientées en

tourbillon; les globes plus fortement

teints par la fuchsine acide occupent

plus volontiers le centre des amas.

(Col. Van Guson, obj. AA; oc. 2 Zeiss.)

FiG. 2. Vaisseaux dont les parois, formées

par des cellules accolées parallèle-

ment, renferment de nombreux globes.

Le vaisseau inférieur envoie dans le

parenchyme environnant une pointe.

autour de laquelle les cellules com-

mencent à s'orienter concentrique-

ment. (Obj. DD oc. 4 Zeiss).

Fio. 3. - Globes ou corps concentriques à

différentes périodes de leur développe-

ment. (Obj. DD; oc. 4 Zeiss.)

Fic. 4. Cellule nerveuse de l'écorce en

chromatolyse périphérique. Gonfle-

ment et vacuolisation du noyau. Un

leucocyte intra-protoplasmiqne. (Obj.

immers 1/12; oc. 4 Zeiss.)

Fic.. 5. - Cellule nerveuse de l'écorce en

chromatolyse périphérique avec gon-

flement du corps cellulaire. Neurono-

phage intra ou extra-protoplasmique.

(Obj. immers i/12; oc. i, Zeiss.)

Fig. 6. Cellule nerveuse dont le noyau,

refoulé à une extrémité, est encore

entouré par une zone formée de petits

grains plus fortement teintés, tandis

que l'autre extrémité ne preud le colo-

rant que très légèrement. (Obj. immers

1/12; oc. 4, Zeiss'.)

FIG. 7. Cellule nerveuse de l'écorce, en-

vahie par le heuronophage. Le noyau,

à peine visible, ne contient plus de

nucléose. (Obj. immers 1/12; oc. 4,

Zeiss.)

Fic.. S. Cellule nerveuse de l'écorce,

presque complètement disparue sous

un amas de neuronophages. (Obj.

immers 1/12; oc. 4, Zeiss.)

Fin. 9. - Cellule nerveuse de l'écorce dont

le protoplasma, en partie détruit, ren-

ferme un noyau contenant un leuco-

cyte. (Obj. immers 1/12; oc. 4 Zeiss.)

FIG. 10. - Cellule nerveuse de l'écorce en

achromatose. (Obj. immers 1/12; oc.

4 Zeiss.)

Fis. 11. Cellule nerveuse de l'écorce

dont le noyau est à peine indiqué par

une zone plus claire et dont le proto-

toplasma est divisé par des striées pa-

rallèles. (Obj. immers 1/12; oc. 4 Zeiss.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIÈRE T. XIV PL. XXV.

1

3

Ernest Dupré et Albert Devaux.

.A 13essJn, Del-loll> E Marchl'ze, Imp 9,rueChampoll'on

TUMEUR CÉRÉBRALE 177

misphère et en augmente beaucoup les dimensions, le volume et le poids. Vu

par sa convexité, le cerveau présente, en effet, une asymétrie manifeste au

profit du côté gauche. Un écartant la scissure iuterliémicylnrilun, on voit que

la face interne du lobe frontal gauche tdist.t'ndue el refoulée à droite. La

figure 1 donne une idée exacte du siège, du volume, de la forme et des rela-

tions de voisinage de la tumeur.

Examinée de plus près, cette tumeur apparaît comme un gros bloc sphérique,

de structure assez homogène, granuleuse, aux contours nettement circonscrits

et formés par les méninges molles, épaissies, qui l'isolent de la substance céré-

brale et lui forment une capsule d'enveloppe dure et stratifiée, dont les tractus

fibreux irradiés cloisonnent la masse néoplasique en dedans, et s'insèrent en

dehors sur la pie-mère épaissie et vascularisée de la région fronto-temporale

inférieure. Au niveau de la partie externe de la fosse cérébrale antérieure, une

zone assez étendue de pachyméningite adhésive unissait la face inféro-externe

de la capsule d'enveloppe du néoplasme en squelette frontal : les adhérences

ostéo-fibreuses durent être rompues pour énucléer le lobe frontal et sa tumeur

de la fosse cérébrale, et de petits fragments du néoplasme restèrent attachés à

la plaque de symphyse ostéo-méningée locale créée à ce niveau.

Après l'exécution des aquarelles de la planche I, destinées à montrer l'aspect

d'ensemble de la lésion sur la table d'amphithéâtre, on détache, par des trac-

tions multiples et des sections au ciseau, la tumeur de ses adhérences cérébra-

les, on l'énuclée de la loge qu'elle s'est creusée dans le cerveau, et on constate

ainsi qu'elle est reliée à la circulation vasculaire de l'encéphale par de nom-

breuses artérioles et veinules, du domaine de la sylvienne, dont le tronc, re-

foulé et sinueux, rampe entre la face postéro-iiiteriie de la tumeur et le lobule

de l'insula aplati et repoussé en dedans et en haut.

De l'artère sylvienne se détache, vers le néoplasme, deux à trois artérioles

qui vont distribuer leurs ramifications à l'enveloppe et à l'intérieur de la masse

morbide : de grosses veinules méningées se détachent de la périphérie du bloc

néoplasique et vont confondre leur réseau avec celui de la pie-mère adjacente.

Il faut, pour isoler et énucléer la tumeur, rompre on sectionner tous ces trac-

tus fibro-vasculaires qui l'attachent, par l'intermédiaire de la pie-mère et de

ses vaisseaux, à la substance cérébrale.

Le résultat des pesées est le suivant :

Poids de l'encéphale : 1440 grammes.

Poids du cerveau (avec la tumeur) : 1380 grammes.

Poids de l'hémisphère gauche (avec la tumeur) : 780 grammes.

Poids de la tumeur : 210 grammes.

L'examen macroscopique ne révèle rien d'anormal dans les pédoncules,^ bul-

be, le protubérance, ,1e cervelet et la moelle.

Les nerfs optiques paraissent relativement libres, mais réduits de volume ;

le chiasma est affleuré à gauche, par le bord interne de la tumeur, et la ban-

delette, du même côté, est légèrement refoulée à droite.

A l'incision du cerveau, sur des coupes sagittales, dilatation des cavités

178 DUPRÉ ET DEVAUX

ventriculaires, légère à droite, assez forte à gauche.. Pas de lésions apparentes

dans les masses centrales, grises et blanches, des hémisphères.

Histologie. Réservant l'étude détaillée de l'histologie et de l'histogénie de

la tumeur pour la seconde partie de ce mémoire, nous donnons ici seulement

le résumé de l'examen microscopique. '

Le néoplasme est un spécimen typique d'endotlaélioma arachnoïdien , sem-

blable à ceux qui ont été étudiés et figurés par Charcot, Cornil et Ranvier,Lan-

cereaux, Robm, Lebert,Virchow,etc. La coupe est remarquable par l'abondance

des globes à structure concentrique, résultant du tassement régulier des cellu-

les fusiformes constitutives de la tumeur; par l'ordination en tourbillons de

celles-ci, qui représente le début probable de cette curieuse disposition globu-

laire, rappelant l'aspect des globes épidermiques de certains épithéliomas, enfin

par l'existence d'espaces angiomateux lacunaires, de fentes à contenu hémati-

que et de processus vaso-formatifs, dont les relations avec le parenchyme néo-

plasique et les globes concentriques sont des plus intéressantes.On n'y observe

pas de processus angiolithique, ni de calcification. Pas trace d'élément nerveux

dans le néoplasme.

L'examen histologique de l'écorce cérébrale sur des fragments prélevés loin de

la tumeur (lobe occipital et région paracentrale) et au voisinage médiat(pôle fron-

tal) et immédiat (lobule orbitaire, pôle sphénoïdal) du néoplasme, nous a permis

de constater la conservation relative des éléments cellulaires, notamment des

cellules pyramidales dont nous décrivons les lésions (état fissuraire, éclatement,

gonflement et excentricité du noyau, chromatolyse, etc.).De plus, nous avons

observé un semis extrêmement riche, dans les différentes couches de l'écorce,

d'éléments cellulaires ronds, prenant énergiquement les colorants, de dimen-

sions variées, mais en général petites, et dont nous discutons la nature leucocy-

taire ou névroglique.

L'examen des nerfs optiques a montré l'existence d'une sclérose névroglique

intense, proliférante, étouffant les fibres nerveuses tout le long du tractus op-

tique. '

L'examen de la moelle est négatif

L'ensemble des lésions microscopiques de l'écorce, des nerfs optiques, et de

de la tumeur s'appréciera aisément sur les différentes figures de la Planche IL

ÉTUDE CLINIQUE.

Tout a déjà été dit sur l'histoire clinique des tumeurs cérébrales : et

pourtant il ne sera pas sans intérêt de revenir sur quelques particularités

de cette observation.

11 faut tout d'abord, si l'on excepte les phénomènes parétiques des tout

derniers jours, noter l'absence de tout symptôme de localisation. Ce fait

semble paradoxal, lorsqu'on réfléchit : d'abord, à l'énorme volume de la

tumeur; ensuite, à l'action de refoulement, de compression et de défor-

mation extrêmes qu'elle exerçait sur le pôle temporal, le lobule de l'in-

TUMEUR CÉRÉBRALE 179

sula, et les régions inféro-externes du lobe frontal, notamment la circon-

volution de Broca et la région operculaire. Mais il s'explique par trois

raisons : d'abord, le mode lent, progressif et régulier d'accroissement du

néoplasme, qui a ménagé, dans son évolution, la tolérance du tissu céré-

bral ; ensuite, le siège de la tumeur, qui, placée n la base du lobe frontal,

occupait une des régions de relative indifférence de l'encéphale ; enfin et

surtout, les rapports du néoplasme avec l'écorce cérébrale. Celle-ci n'était

que refoulée et comprimée, et non détruite par celui-là ; la tumeur était,

dans un accolement étroit, juxtaposée à la substance grise corticale, et

non substituée à elle dans une invasion absorbante et destructive. Ainsi

s'explique l'absence, au cours d'une longue évolution clinique, de toute

paralysie localisée et notamment d'aphasie.

L'étude des troubles mentaux présente aussi, dans cette observation,

quelque intérêt. On sait que, pour la plupart des auteurs, le lobe frontal

représente le lieu probable de l'élaboration des processus intellectuels les

plus élevés : c'est le lobe psychique par excellence. Et, en effet, il semble

bien résulter de la statistique comparée des troubles mentaux, au cours

des lésions encéphaliques, que c'est l'atteinte des lobes frontaux qui porte

le préjudice le plus grave aux fonctions intellectuelles. `

Chez notre malade, les troubles intellectuels n'ont pas fait défaut. Ils

ont consisté uniquement en dépression, en obnubilation et en diminution

psychiques. A aucun moment, G... n'a présenté d'excitation ni de dévia-

tion intellectuelles : à aucun moment, il n'a eu de perversions senso-

rielles : il n'a jamais eu, en effet, ni hallucinations ni délire. Pour avoir

ainsi rapidement descendu tous les degrés d'une évolution démentielle

continue et progressive, sans jamais offrir ni réaction éréthique, ni pro-

cessus hallucinatoire, ni conception délirante, il faut bien admettre que

notre malade n'était, par son hérédité, ni un déséquilibré mental, ni un

prédisposé aux réactions psychopathiques. L'atteinte des fonctions men-

tales s'est révélée par l'affaiblissement démentiel progressif, portant d'abord

et principalement sur la mémoire, puis et tardivement sur l'intellectualité

spontanée et l'activité volontaire. Cette déchéance mentale s'est lentement

affirmée au milieu d'un état général de dépression simple, légère, sans

phénomène de mélancolie, ni de stupeur, ni d'anxiété. Mais, en dehors de

ces symptômes, la véritable caractéristique de l'altération mentale, chez

notre malade, a été un état que l'on rencontre souvent, en pareil cas, et

qui est, pour ainsi dire, la note psychopatltique dominante du tableau clini-

que des tumeurs cérébrales : c'est un état qui, associé à un degré plus ou

moins prononcé de dépression et de diminution intellectuelles, n'est

cependant ni l'une ni l'autre de ces altérations, peut s'exprimer par les

termes de torpeur, d'engourdissement psychique, d'obnubilation intellec-

i 180 DUPRÉ ET DEVAUX

t2celle, et se traduit objectivement par : l'immobilité relative du sujet avec

persistance des mouvements d'habitude, l'inertie du masque facial, une

attitude et une expression mimique d'absolue indifférence ou de concen-

tration méditative prolongée, sans processus actifs d'idéation correspon-

dante. On tire aisément le malade de cet état d'engourdissement psychique,

mais pour un temps seulement : abandonné à lui-même il y retombe

aussitôt; et il semble bien que le mécanisme psychologique de cet état

soit l'inhibition des centres supérieurs de la conscience intellectuelle et de

l'activité volontaire, et la seule persistance de l'activité automatique,

réglée surtout par les besoins intérieurs, d'ordre végétatif.

L'apport sensoriel semble très diminué, les opérations associatives très

restreintes et très lentes, et, par suite, l'activité psychique spontanée

presque nulle. Cependant, l'intelligence obnubilée n'est pas détruite : elle

répond aux incitations vives, aux injonctions impérieuses; elle est voilée

mais encore présente, et ce n'est qu'aux phases dernières de l'évolution

morbide qu'elle décline et disparaît.

Cet état d'ohtusion intellectuelle, de torpeur affective et d'inertie

volontaire s'associe, ainsi que nous l'avons dit, à un degré plus ou moins

accusé de diminution psychique : mais il diffère profondément de cette

diminution elle-même : ces malades sont des affaiblis, mais ils ne ressem-

bilent pas à des déments. Ce n'est qu'à la période terminale de l'affection

que leur état mental ne peut plus être distingué de celui de la démence.

Une autre caractéristique de la pathologie mentale des tumeurs encé-

phaliques, qui ne faisait pas non plus défaut chez notre malade,-c'est.le

caractère enfantin, puéril des réactions psychiques, marqué dans les répon-

ses, dans l'intonation, dans la mimique, autant et peut-être plus encore

que dans l'objet des préoccupations et la nalure des désirs, exprimés par

les malades. Ce puérilisme psychique, que Brissaud semble avoir bien

remarqué aussi, dans la symptomatologie des tumeurs cérébrales, lorsqu'il

écrit : « c'est un simple retour à l'enfance, moins la vivacité des impres-

suions et la curiosité de l'enfant (I) », nous l'avons noté plus caractéristi-

que chez d'autres malades, mais notre sujet en offrait un exemple évident.

Il se manifestait, à propos des faits courants de la vie quotidienne, par

des réactions d'impatience et d'entêtement, futiles dans leur motif, naïves

dans leur expression, et disproportionnées dans leur intensité : par l'em-

ploi de locutions et de formules enfantines, dans le langage : par le genre

simple, monotone, comme impersonnel et récitatif du débit ; par l'expres-

sion un peu niaise, d'une gaucherie qu'on dirait affectée, de la mimique

et de l'attitude; par la suggestibilité extrême dans la conversation, la

(1) E. Brissaud, Art. Tumeurs cérébrales, Traité de médecine, t. VI.

TUMEUR CÉRÉBRALE 181

nature puérile des désirs, des occupations, etc. On dirait, à de certains

moments, que, suivant une expression familière, mais vraiment juste, le

malade bêtifie. Au premier abord, en effet, on peut croire, qu'en partie au

moins, l'altitude et le ton sont simulés, tant est frappant le contraste qui

existe entre t'age et les allures du malade.

Enfin, la conservation parfaite du sens de l'orientation et l'intégrité de

l'activité automatique, permettant au malade d'exécuter facilement, malgré

sa cécité et son obtusion mentale, tous les actes de la vie ordinaire, les al-

lées et venues dans la salle, les promenades dans les couloirs et les jar-

dins, l'ascension et la descente des escaliers, ont longlemps constitué chez

notre sujet un état particulier, plus ou moins analogue à une sorte de

somnambulisme, dans lequel le sujet, hanté par son rêve, évolue avec ai-

sance dans un milieu qui paraît à la fois complètement étranger à son

attention consciente et volontaire, et tout à fait familier à ses habitudes

inconscientes et automatiques.

Ainsi, on peut résumer l'ensemble des troubles psychiques présentés

par notre malade dans l'énumération suivante : affaiblissement démentiel

très lentement progressif; mais surtout : obnubilation intellectuelle, torpeur

et engourdissement des sphères affective et volontaire; diminution extrême

et précoce de l'intellectualité spontanée, de l'attention et de l'activité

volontaire ; puérilisme mental ; intégrité remarquable du sens de l'orien-

tation et de l'activité automatique. Aucun autre trouble psychique :

notamment ni hallucination, ni délire, et aucun signe de cette moria,

signalée avec tant de complaisance, comme symptôme caractéristique des

lésions néoplasiques du lobe frontal, par Bruns (1) et surtout Jastro-

witz (2). Par quelques côtés, notre observation se rapproche de celles qui

figurent dans les intéressantes études de Brault et Loeper (3) et de Devic

et Gauthier (4).

Le symptôme qui, par sa précocité, sa permanence et son intensité, a

dominé tous les autres, est l'atteinte de la fonction visuelle. Progressive et

bilatérale, l'amblyopie s'est manifestée comme le premier signe de l'affec-

tion ; et, huit mois après le début des accidents, la cécité absolue était

définitive. Une particularité intéressante de l'histoire des troubles visuels,

a été l'influence, brusque et décisive, du traumatisme, sur l'évolution

d'une amblyopie, dont les progrès s'accentuaient lentement : immédiate-

ment après le coup reçu sur la région orbito-nasale, le malade, jusqu'alors

(1) Bruns, Die Geschwülsle des Ne,vensysle ? iis, Berlin, 1897.

(2) JASTHOVITZ et LEYREK, Beilr. z. Lehre von de,- Localisation im Gehirn,Berlin,1888.

(3) BRAULT et LOEPER, Tumeurs cérébrales il forme psycho-paralytique. Archiv. de

Médecine, mars 1900.

(4) DEVIC et GAUTHIER, Tumeurs cérébrales à forme ysycleo paralylique, Id., dé-

cembre 1900.

182 DUPRÉ ET DEVAUX

amblyope, est devenu aveugle. Il y a eu là sommation de deux facteurs étio- z

logiques classiques des amauroses : la stase papillaire parnéoplasieintra-

crânienne et le traumatisme orhitaire : ce dernier n'a d'ailleurs fait que

précipiter l'évolution des choses. L'inefficacité du traitement spécifique

intensif doit faire rejeter l'influence, même à titre accessoire, de la syphi-

lis, dans cette névrite optique, dont l'histoire étiologique, particulièrement

chargée et intéressante, méritait d'être rappelée.

L'examen ophtalmoscopique a démontré, aux différentes phases de

l'évolution de cette amblyopie double et progressive, l'existence d'une

stase oedémateuse et variqueuse, et d'une atrophie névritique secondaire

de la papille. L'étude histologique des nerfs optiques a mis en évidence

une altération profonde et diffuse des deux tractus, caractérisée par une

sclérose névroglique intense étouffant les fibres nerveuses, ainsi que le

démontre la figure de la planche IL L'aspect de cette sclérose névro-

glique rappelle de près l'apparence des lésions névritiques d'origine toxi-

infectieuse ou toxique. Nous devons ici déclarer que M. Gombault, auquel

nous avons soumis nos préparations, a insisté sur cette analogie. Nous

reviendrons plus loin sur l'interprétation pathogénique que peut suggérer

la constatation de ces lésions névritiques.

Dans les derniers jours, le malade a présenté, comme seuls symptômes

de localisation, de l'hémiparésie faciale inférieure, avec un léger degré de

strabisme externe, à gauche. Ces troubles semblent pouvoir être rapportés

à l'action de voisinage exercée par le néoplasme sur le centre cortical de

la VIle paire, en raison du type cérébral de la paralysie faciale ; et sur le

tronc de l'oculo-moteur, en déterminant une paralysie dissociée de la

IIP paire, intéressant le droit interne gauche.

C'est sur ces entrefaites, que, après avoir présenté quelques accès épi-

leptiques convulsifs généralisés, du gâtisme, et de l'aggravation notable

de son état démentiel, le malade a fini par succomber aux progrès d'un

état comateux qui a duré au moins deux jours.

L'évolution d'un tel syndrome avait permis de porter le diagnostic de

néoplasme izatra-crâziieia, siégeant à la base, du côté gauche, et de nature

sarcomateuse probable. Mais si le diagnostic de tumeur avait été depuis

longtemps formulé, la notion du siège était restée indécise jusqu'aux

derniers jours, jusqu'à l'apparition des paralysies du côté gauche, qui

permirent de localiser la lésion dans l'hémisphère gauche. A ce moment,

l'état du malade était trop grave pour pouvoir songer à une intervention

chirurgicale.

ETUDE IIISTOLOGIQUE.

Dans la première partie de ce travail, nous n'avons fait que signalerle

côté histologique de notre observation. L'étude clinique et pathogénique

TUMEUR CÉRÉBRALE 183

demande cependant à être éclairée par une connaissance plus précise des

lésions anatomiques, et nous comptons, dans cette seconde partie, exposer

tout au long, les différentes constatations qu'il nous a été donné de pra-

tiquer.

Cette étude, il est vrai, est assez délicate, et les points litigieux, les la-

cunes n'y manquent pas. Le nombre relativement restreint des travaux

parus sur cette question, l'insuffisance documentaire de la plupart d'entre

eux. les modifications que chaque jour apporte dans la technique du sys-

tème nerveux, les divergences de vues émises par les auteurs qui ont

abordé ce problème ; telles sont les principales difficultés auxquelles on

se heurte dans l'étude technique et la discussion critique de notre obser-

vation.

Après une description histologique détaillée, d'abord de la tumeur, en-

suite de l'écorce cérébrale dans des zones plus ou moins rapprochées du

néoplasme, puis des nerfs optiques, nous aborderons l'interprétation des

faits, en essayant de déterminer, au milieu de multiples controverses que

ce problème a déjà soulevées, la place qui convient aux tumeurs de cette

nature.

Description histologique de la tumeur. Technique employée. Fixation

au formol ; inclusion à la paraffine ; coloration à l'hématoxyline-éosine,

mélange de Van Gieson, bleu polychrome. Ces deux derniers mettent

eu relief certains détails moins évidents avec la première méthode. Les résul-

tats, que nous rapportons ici, ont été obtenus par l'examen comparatif de pré-

parations colorées par ces trois procédés.

Il nous a été facile, étant donné le volume de la tumeur, de pratiquer des

coupes en différents points. Tantôt nos coupes ont porté au centre, tantôt à la

périphérie, tantôt sur une partie intermédiaire.

Le premier fait qui nous ait frappé, c'est que toutes ces coupes, où qu'elles

aient été prises, présentaient un aspect identique, et il était impossible de re-

connaître à quelle portion du néoplasme elles appartenaient.

Toutefois sur une série de coupes portant à la fois sur la périphérie et sur

la portion de la substance cérébrale adjacente à la tumeur, la présence d'une

membrane d'enveloppe fine, nettement visible, permettait de voir qu'on était

sur les bords de la néoformation. A la face inférieure, on. ne voyait pas

macroscopiquement cette membrane d'enveloppe restée adhérente aux parois

de la fosse cérébrale antérieure ; à la face supérieure on la distinguait difficile-

ment a cause de sa minceur., Tous ses caractères sont pleinement mis en évi-

dence par l'histologie : elle est mince, constituée par des cellules plates, allon-

gées, à noyau petit, prenant facilement la coloration. Elle n'adhère pas au tissu

propre du néoplasme ; cependant, elle envoie des cloisons qui pénètrent dans

l'intérieur de la masse sous-jacente, y formant des septa entre lesquels se

trouve le tissu proliféré. Cette membrane n'est autre que le feuillet viscéral'de

l'arachnoïde repoussé par le développement même de la tumeur.

184 li. DU PRÉ ET DEVAUX

L'examen d'une coupe montre la présence de trois éléments bien distincts.

Ce qui frappe tout d'abord, c'est que les loges limitées par les cloisons, sont

remplies par des amas cellulaires volumineux assez espacés et présentant tous

comme caractère commun une ordination toute spéciale des cellules.

Entre ces amas qui dessinent de véritables lobes, l'oeil est attiré par la pré-

sence d'un nombre considérable de petits corps ayant tous une forme arrondie,

de volume variable et prenant énergiquement les divers colorants. On les saisit

à plusieurs moments de leur évolution, comme le montre leur diversité d'as-

pect. Ces corps rappellent les globes épidermiques, bien que l'analogie'soit

purement morphologique. On les trouve au milieu des amas cellulaires, mais

c'est auprès des points où le processus vasculaire atteint son maximum d'iu-

tensité, qu'est leur siège de prédilection. ,

L'élément vasculaire tient une grande place dans cette tumeur. Il est repré-

senté par des figures variées. Tantôt ce sont de véritables canaux qui font

songer il des vaisseaux normaux, tantôt des fentes allongées sans parois diffé-

renciées, creusées entre les cellules, tantôt enfin de vastes lacunes, bordées

par des masses anhystes, semblables aux cavités angiomateuses.

Tel est l'aspect général de la préparation à un faible grossissement ; à un plus

fort, d'autres détails apparaissent.

Les amas cellulaires sont constitués par des éléments qui se présentent avec

des caractères particuliers : ce sont des cellules allongées, assez volumineuses

et fusiformes. Leur noyau,situé au centre,est de grande dimension et possède

un nucléole nettement visible, accompagné de petits filaments irréguliers ; la

membrane nucléaire n'offre rien de spécial ; quant au protoplasma, il occupe

le restant de la cellule, sans qu'il contienne de formation intracellulaire appré-

ciable (graisse, glycogène, etc.). L'éosine le colore avec énergie d'une façon

uniforme.

Ces cellules sont accolées, tassées les unes contre les autres et dessinent des

figures assez variables. Si certaines d'entre elles forment des rangées sinueu-

ses, surtout au voisinage des vaisseaux, d'autres au contraire, et c'est la ma-

jorité, s'orientent en un tourbillon dont le centre est souvent représenté par un

globe. Ces formations en tourbillon ne se font pas suivant un type, régulier et

les cellules ne sont pas agencées, comme on le voit dans les globes en cercles

concentriques, mais elles s'imbriquent, s'enroulent, se confondent, pour ar-

river à constituer plusieurs centres dans un seul lobe.

La présence d'un vaisseau modifie cette ordination. Ces derniers cheminent

en général le long des septa. L'on voit alors les cellules s'incliner pour ramper

parallèlement au vaisseau, quelques-unes mêmes se détachent et s'accollent par

une de leurs extrémités au canal vasculaire. Près des lacunes angiomateuses,

les cellules sont plus serrées les unes contre les autres, les limites moins

nettes, et dans certains points on ne distingue plus' qu'une masse amorphe.

Tous ces aspects semblent du reste représenter les différents stades d'évolution

d'un même processus, et les cellules subir une évolution marquée par toute

une série d'étapes, dont la disposition périlacunaire semble représenter le der-

nier terme.

TUMEUR CÉRÉBRALE 185

S'agit-il là d'un mécanisme analogue à celui qui règle la transformation des

cellules de l'épidémie ? Nous ne pouvons nous empêcher de signaler le rappro-

chement, bien qu'il ne soit pas complet. Jamais, en effet, nous n'avons vu de

formation intracellulaire ressemblant à la kératine ou en donnant les réactions.

Il nous est seulement permis de dire qu'il existe un ciment, maintenant les

cellules accolées les unes aux autres.

Ce sont les globes qui forment l'élément capital de la préparation et lui

donnent son allure caractéristique. Leur nombre est considérable et le champ

du microscope en est parsemé. Leur grosseur est très variable; lorsqu'ils sont

petits, ils se rapprochent les uns des autres ; sont-ils gros au contraire, ils sont

plus espacés. D'une façon générale, une loge interseptaire en contient une di-

zaine de petits et deux ou trois plus gros. Dans les tourbillons, ils occupent

souvent le point central ; mais ce n'est pas une règle absolue, et l'on voit fré-

quemment les cellules s'écarter pour laisser la place à un globe. Dans d'autres

cas on les retrouve contre les cloisons. Mais c'est surtout auprès des vaisseaux,

comme l'a bien décrit Cornil, qu'ils sont plus nombreux. Sur une coupe prise à

la périphérie de la tumeur où les vaisseaux étaient très abondants, il n'y avait

que quelques amas cellulaires épars, et les globes, par contre, y affluaient, s'a-

lignant en étages le long des canaux vasculaires, quelques-uns même absolu-

ment inclus dans la paroi de ces derniers. Par opposition, dans les parois des

angiomes, il est curieux de noter qu'on ne trouve qu'exceptionnellement une

figure rappelant un de ces globes, et le contraste nous paraît assez important t

pour le noter au passage. Du reste, l'aspect des parois angiomateuses est iden-

tique à celui des globes ; leur coloration est la même, et ils s'en rapprochent

encore par leur homogénéité.

La structure des globes peut se ramener à trois types successifs, faciles il

constater et répartis d'une manière uniforme dans toute la tumeur.

Tout d'abord, au milieu d'un amas, les cellules s'écartent laissant un espace

où l'on distingue aisément quelques globules sanguins. Cette période est la

plus délicate à apprécier, car bientôt, les cellules périphériques s'orientent

concentriquement de façon à donner l'impression d'un bulbe coupé transversa-

lement ou d'un diagramme de fleur. Au milieu on retrouve toujours une cavité

remplie d'éléments sanguins. Les cellules périphériques ont changé d'aspect :

elles sont ici détachées, leur forme rappelle un croissant, et le noyau est moins

visible. La caractéristique de ce premier stade, c'est l'existence d'une cavité

centrale contenant des hématies.

Cette cavité tend à se fermer dans les deux étapes suivantes, et, à un troi-

sième stade, on la voit se combler par des masses amorphes qui paraissent pro-

venir du gonflement des cellules les plus voisines. Ce bourgeonnement aug-

mente de volume et arrive à ne laisser qu'une légère fente étoilée où un examen

attentif peut seul déceler de petits points, qui rappellent des globules sanguins.

L'ensemble du globe forme donc une masse amorphe centrale entourée par une

ou deux rangées de cellules en croissant qui lui constituent une enveloppe.

Dans la quatrième période le bourgeonnement est complet ; l'absence totale

de cavité la différencie de la phase précédente. Il faut ajouter que les cellules

186 DUPRÉ ET DEVAUX

périphériques ne forment plus qu'une rangée ; le globe est devenu compact et

a terminé son évolution.

C'est là un processus qui tranche bien sur les cellules ambiantes, et aboutit

à la formation d'un élément très spécial, individualisé et sans attache, le plus

souvent avec la périphérie. Quelquefois, et c'est là un point très important,

on distingue un pédicule qui rattache le globe à un vaisseau voisin. D'autres

fois, on voit un vaisseau coupé longitudinalement se terminer par une pointe

effilée, qui se renne brusquement en massue, donnant ainsi l'image de ce que

doit être un de ces globes non atteint par la coupe. Dans certains cas enfin, on

trouve, au milieu des lobes, des espaces lacunaires dont le dessin et l'aspect ^

général ne peuvent être dus qu'au vide laissé par le départ d'un ou de plusieurs

de ces globes évacués -

Les différentes étapes de la formation des globes ne sont pas respectivement

représentées par les divers degrés de volume de ces globes. C'est ainsi qu'on

en voit de petits tout il fait comblés, c'est-à-dire arrivés au dernier terme de

leur évolution, et de volumineux encore perméables, c'est-à-dire encore relati-

vement jeunes.»

Nous avons cherché si ces corps concentriques présentaient une réaction

histochimique particulière. Les acides sont sans action, il n'y a donc pas d'élé-

ments crétacés ; la fuchsine acide les colore énergiquement, principalement les

cellules périphériques ; enfin le bleu de Unna leur donne une teinte générale

rose. Ce dernier mode de coloration est d'autant plus important que les parois

des angiomes ont la même affinité colorante élective.

Les formations vasculaires tiennent une grande place dans la constitution de

cette tumeur.Comme nous l'avons déjà dit, elles se présentent sous trois formes

distinctes : des fentes vasculaires, des vaisseaux proprement dits, et des an-

giomes.

Les fentes sont les moins nombreuses. Elles ont l'aspect de petites cavités

creusées au milieu des éléments cellulaires ; leur forme est irrégulière, soit

arrondie, soit plus ou moins allongée. Le caractère principal est l'absence de

limites nettes, c'est-à-dire que les éléments cellulaires semblent écartés, comme

dissociés, sans que toutefois ils aient subi de modifications. Cette absence de

paroi véritable les distingue des vaisseaux. Cependant leur nature vasculaire

ne paraît pas douteuse, puisqu'elles sont remplies de globules sanguins. Ces

fentes sont disséminées dans tout le champ du microscope et leur présence se

constate sur toutes les coupes, mais sans localisation (fig. 3).

A côté de ces fentes, il y a des vaisseaux franchement caractérisés. Ils che-

minent presque tous aux environs des cloisons et sont peut-être un peu plus

nombreux vers les zones périphériques de la tumeur, ce sont des vaisseaux de

petit calibre. Ils se distinguent des fentes par une paroi propre qui les isole des

tissus ambiants, dont certains éléments les bordent parallèlement comme le

ferait une véritable gaine. Ceux-ci renferment des globes en grande quantité et

de toute dimension. Nous avons déjà montré qu'ils peuvent être séparés des

parois vasculaires par un petit espace, ou bien leur adhérer par un mince pé-

dicule, ou enfin être contenus dans la paroi même. Cette dernière a uuestruc-

TUMEUR CÉRÉBRALE 187

ture très particulière. Elle est formée par uue série de cellules allongées, pa-

rallèles, dont les limites se confondent et sont difficiles à percevoir. Elles

renferment quelques rares noyaux plus petits que ceux des cellules de la tu-

meur. A l'intérieur, il n'y a pas de revêtement endothélial. En un mot, la paroi

tout entière a une structure hyaline rappelant beaucoup celle des globes con-

centriques.

Quelques-uns de ces vaisseaux vont aboutir aux formations angiomateuses.

Celles-ci sont assez abondantes, et leur volume est plus grand que celui des

lobes cellulaires. Les lacunes qu'elles forment sont très irrégulières et affectent

une très grande variabilité. Le point principal dans l'étude de ces angiomes,

c'est leur structure. Les parois, très épaisses, sont constituées par un tissu

dense, prenant fortement les colorants, sans qu'on puisse y différencier d'élé-

ments cellulaires ; c'est une masse anhyste. Elle se teint aussi fortement que les

globes et, point à noter, elle a les mêmes réactions colorantes. Du côté de la

cavité, contrairement à ce qui se passe pour les vaisseaux, on remarque une

zone, mince en comparaison de la paroi, se teintant beaucoup plus fortement,

surtout par le mélange de Van Gieson. Cette zone, qui semble jouer le rôle de

membrane endothéliale, forme des petits festons faisant saillie dans la cavité.

Dans l'intérieur même de la paroi sont disséminés de petits orifices sans con-

tours réguliers. Ce sont ou des embouchures de vaisseaux ou des formations

lacunaires plus petites. En résumé, l'examen détaillé des coupes nous montre

comme lésion élémentaire, caractéristique dans toutes les préparations : au

milieu d'une masse cellulaire dense à ordination tourbillonnante générale, des

figures globulaires, à structure concentrique, tout à fait spéciales, et des for-

mations vasculaires qui montrent les différents stades du processus angioma-

teux (fentes, vaisseaux, lacunes angiomateuses).

Discussion. -- Les coupes du tissu néoplasique mettent trois éléments

en relief : l'existence de cellules longues, fusiformes, avec un noyau

unique et volumineux occupant la partie médiane de la cellule ; ordonnées

en tourbillons concentriques et séparées en amas par 'des cloisons de tissu

conjonctif; la présence de ces globes ou corps concentriques d'un aspect si

particulier existant dans toute la tumeuretconfluant au voisinage des vais-

seaux ; enfin l'abondance des formations vasculaires représentées par des

fenles intercellulaires sans parois différenciées, par des vaisseaux à struc-

ture hyaline et enfin par de vastes lacunes d'aspect angiomateux.

Ces caractères histologiques se retrouvent dans bon nombre de néoplas-

mes, et les auteurs ont rapporté maintes observations analogues à la nôtre.

Nous avons constaté, par la lecture d'un grand nombre de ces dernières,

la similitude macroscopique offerte par ces néoplasmes et notre tumeur.

Ce sont des tumeurs de grosseur très variable, pouvant parfois attein-

dre jusqu'aux dimensions d'un oeuf de poule, parfois moins volumineu-

188 DUPRÉ ET DEVAUX

ses, et alors mamelonnées, comme formées par la conglomération de néo-

plasmes plus petits. Lisses extérieurement, à la coupe au contraire, elles

ont, un aspect graniteux ; deconsistance demi-molle, elles ne laissent pas

suinter de suc. La dure-mère adhère toujours à ces néoplasmes, tantôt par

une zone assez étendue comme dans notre cas, tantôt par un pédicule

plus ou moins volumineux. Qu'elles se développent dans le crâne ou dans

le canal rachidien, elles ne s'insinuent jamais au milieu des éléments

nerveux, elles les refoulent, les tassent ; quelquefois même leur évolution

les éloigne du tissu nerveux, puisqu'elles peuvent se développera la sur-

face externe de la dure-mère, et tendre vers les parois osseuses qu'elles

perforent pour faire saillie à l'extérieur. Les vaisseaux de l'encéphale

et de la moelle sont déviés de leur voie naturelle et serpentent à la pé-

riphérie de la tumeur.

Celle description macroscopique, résumé de l'observation de tous les

auteurs, montre qu'il s'agit non pas d'une tumeur cérébrale proprement

dite, mais bien d'une tumeur ayant pris naissance aux dépens des méninges

et particulièrement dans le feuillet pariétal de l'arachnoïde. Or on sait,

que dans le groupe des tumeurs mésodermiques, une place spéciale doit

être réservée aux tumeurs des séreuses.

L'histoire de ces tumeurs est riche d'observations et de discussions.

Lebert (1845) (1) rapporte 22 observations, 16 personnelles et 6 em-

pruntées il Heidenreich. Il les désigne sous le nom de luiiieiii-8 fibroplasli-

ques « parce que, dit-il, nous avons affaire à un tissu qui n'est autre chose

que du tissu cellulaire en voie de formation accidentelle ». Il désigne en

effet sous le nom de corps fibro-plastiques des éléments allongés, ayant

un noyau volumineux au centre du protoplasma. Ces corps peuvent dans

certains cas présenter plusieurs noyaux à leur intérieur ; ce sont alors

les cellules mères fibroplastiques qui peuvent adhérer entre elles lâche-

ment ou au contraire être intimement liées les unes aux autres,

s'envelopper d'une capsule commune et constituer ainsi des globes

fibroplastiques. Cet auteur insiste sur la différence qui les sépare des tu-

meurs cancéreuses : leurs caractères histologiques, et l'absence de greffes

secondaires. Celle description est illustrée d'une série de fort belles plan-

ches très explicites.

Cruveilhier (1856) (2) s'étend sur la situation de ces tumeurs par rap-

port à la dure-mère et les désigne sous le nom de tumeurs fongueuses, qu'il

faut diagnostiquer de celles qui se développent aux dépens du diploé.

(1) LsuenT, Physiologie pathologique (1845), t. II, Traité des maladies cancéreuses

(1851), Traité d'analomie pathologique (1861) et atlas.

(2) Cruveimiier, Analomie pathologique générale, 1855, t. ]Il.

TUMEUR CÉRÉBRALE 189

Bouchard (18û'l) (-1), à propos d'une présentation de Lacrousille (2) à

la Société anatomique, fait un rapport très détaillé sur celle variété de tu-

meurs. A l'encontre de Lebert, Bouchard n'aclmet pas que les corps fibro-

plastiques entrent dans la constitution de ces tumeurs. Suivant en cela la

description de Robin, il constate la présence de cellules plates, subissant'

dans leur protoplasma des modifications diverses. On voit se dessiner des

cavités remplies de liquides; ces cavités augmentent de plus en plus,

refoulent le protoplasma, font éclater les corps cellulaires et mettent ainsi

en liberté des masses, qui vont se conglomérer pour constituer des globes

avec les détritus cellulaires. Ce sont des formations liétél'otopiq1les et Bou-

chard les compare à cette variété de cancroïdes sous-dermiques qui se

développent dans la couche sous-épithélialè en soulevant l'épilhélinm

sus-jacent. Au point de vue clinique, elles diffèrent des épithéliomes par

la lenteur de leur évolution, et l'absence d'envahissements et de greffes

secondaires.

Robin (1869) (3) consacre tout un article à la question des endolhé-

liomes des méninges. Il montre d'abord que ces endothéliomes sont for-

més de cellules plates et de globes. Nous avons dit comment cet auteur

décrit la cellule constitutive à propos de l'observation de Bouchard. Ces tu-

meurs n'ont pas de vaisseaux proprement dits, mais des capillaires, qui,

venus des vaisseaux cheminant à leur surface, pénètrent dans la profon-

deur en suivant des cloisons de tissu lamineux issu lui-même de l'en-

veloppe externe de la tumeur.Cette ordination des vaisseaux les rapproche,

dit-il, des épithéliomes de la peau, de la langue et du col de l'utérus. Ro-

bin insiste sur la fréquence de ces tumeurs,décrites par nombre d'auteurs

sous le nom de sarcome, tandis que la forme des cellules et les caractères

des vaisseaux les en éloignent. Pour lui, il faut donc en faire une classe à

part, qu'il désigne sous le nom d'épithélioilte des séreuses.

En/ somme, deux opinions consacrées sont en présence (Sabatié,

1873) (4) : l'une, représentée par Lebert,qui range ces néoplasmes dans le

groupe des sarcomes, à cause de la présence de ce qu'il appelle les corps

fibre-plastiques ; et l'autre, soutenue par Robin, Bouchard, Ilayem (5),

Potain (6), Charcot (7), qui nient que ces tumeurs soient formées par

des corps fibre-plastiques, mais admettent que ces corps sont des cel-

(1) Bouchard, Bulletin de la Société anat¿mique, 1864.

(2) Lacrousille, Bulletin de la Société anatomique, 1S6't.

(3) Robin, Journal d'anatomie et de physiologie, 1869. Anatomie cellulaire, 1873.

(4) Sabatié, Elude sur les lugeurs des méninges, Thèse Paris, 1813.

(5) HAYEM. Bulletin de la Société anatomique, 1865.

(6) Potain, Bulletin de la Société al1at()l)tique, 1861.

(1) CHARCOT, Archives de physiologie, 1869. ,

XIV 11,

190 DUPRÉ ET DEVAUX 1

Iules plates modifiées. Ils les font par suite entrer dans le groupe des

épilhéliomes.

Déjà en 1863, Virchow (1) se refuse à considérer ces tumeurs comme

des sarcomes véritables, et parle de ces « soi-disant sarcomes » qui con-

tiennent souvent des grains de sable (psammomes) sur la formation des-

quels il s'étend longuement.

Avec Lancereaux () une nouvelle opinion se fait jour,et la néoforma-

tion prend place parmi les endothéliomes. Pour lui les cellules plates de

Robin viennent de l'endothélium vasculaire de la séreuse; et, avec Cham-

bard, il les compare aux tumeurs développées aux dépens de la tunique

interne des vaisseaux lymphatiques et des ganglions.

Cornil et Ranvier (3), dans leur première édition, en font,àl'inverse de

Robin, une variété de sarcomes très spéciale qui ne se retrouve que dans

la dure-mère, et l'appellent sarcomeangiolithique. Cène sontpas des épi-

théliomes, disent-ils, parce que les cellules ne sont pas soudées entre elles

et parce que les vaisseaux sont directement en rapport avec les cellules.

Toutefois, dans une communication à la Société anatomique en 1889 (4),

Cornil montre bien qu'on ne saurait assimiler ces tumeurs aux sarcomes

vrais, parce qu'ils ne contiennent ni petites cellules fusiformes, ni cellules

embryonnaires. Il conserve dans ce cas le nom d'épithéliome, à cause de

l'absence de grains calcaires, constatés dans différentes observations comme

celle de Pouchet (5) et Spillmann (6).

Brault (7) enfin distingue le sarcome angiolithique, tel que l'ont décrit

Cornil et Ranvier, et, dans un autre chapitre, il insiste sur les curieuses

tumeurs des séreuses qu'il appelle endothéliomes.

Le terme endothéliome est en effet le plus généralement adopté. Il re-

présente une tumeur bien spéciale, placée entre l'épithéliome et le sar-

come. Des sarcomes, elle prend les relations des cellules entre elles, c'est-

à-dire que ses éléments sont accolés englobe par un ciment probable,

mais n'ayant de charpente en aucun cas; elle se rapproche surtout des

sarcomes par l'aspect des vaisseaux. Comme chez ceux-ci, le sang traverse

des espaces que dessinent les cellules sans interposition aucune de parois

conjonctives ; comme dans les sarcomes, le sang circule au milieu des élé-

ments cellulaires, et si parfois l'on croit trouver un semblant de paroi

(1) Virchow,; Archives d'anatomie pathologique, de physiologie et de clinique (1851,

vol. lit). - Virchow, Pathologie des tumeurs (traduct. franc.) (1863), t. II.

(2)LANC'REAUX, Analomie pathologique, t. 1.

(3) Cornil et Ranvur, Histologie pathologique, 1881.

(4 Cornil, Bulletin de la Société anatomique, 1889.

(5) POl'CIIET, Thèse Paris, 1888.

(6) Spillmann, Archives de médecine, 1887.

(7) BRAULT, in Cornil et Ranvier, Histologie pathologique.

TUMEUR CÉRÉBRALE 191

vasculaire c'est' que les cellules voisines ont été envahies par un proces-

sus dégénératif, mais dans aucun cas, on ne peut constater la présence de

paroi véritable.D'autre part l'absence de cellules jeunesd'aspect embryon-

naire éloigne ces endothéliomes des néoplasmes sarcomateux. Les cel-

lules plates au contraire offrent un point de similitude entre les endo-

théliomes et certains épithéliomes.

Ce sont là des caractères généraux, de nature morphologique et n'inté-

ressant que la texture du néoplasme, qui ne s'appliquent pas seulement

aux endothéliomes des méninges, mais à ceux de toutes les séreuses.

En lotit cas si l'endothéliome a une individualité hien spéciale, il n'en

est pas moins vrai qu'une parenté très proche l'unitau sarcome, à tel point

que Monod et Artaud ont pu dire que le sarcome est un endothéliome

avancé et modifié, et que d'autre part Brault (1) écrit « qu'il n'y a pas de

différence entre l'endolhéllome et le sarcome, et qu'il est impossible de

fixer la limite à partir de laquelle une tumeur cesse endothéliale

pour devenir sarcomateuse ».

Néanmoins le terme endolhéliome peut prêter à confusion, parce qu'il

ne s'applique pas seulement aux tumeurs des séreuses. Il existe en effet

toute une série d'observations où ce terme s'adresse à des néoplasmes ayant

leur origine dans d'autres organes (capillaires sanguins, vaisseaux lym-

phatiques, ganglions, enfin glandes elles-mêmes, parotide, testicule, ma-

melles). Récemment même Auché et Vitrac ont décrit sous ce nom une

tumeur totalement différente, tant au point de vue macroscopique que

microscopique.

. Ce qui est certain c'est que le mot endothéliome éveille dans l'esprit

l'idée d'une origine vasculaire, c'est-à-dire, la prolifération de l'endothé-

lium des vaisseaux. Mais il peut paraître exclusif de ne pas tenir compte,

dans le développement de ces tumeurs,du périthélium ou de la gaine lym-

phatique des vaisseaux de l'encéphale. L'étude de ces faits est encore peu

avancée, nous nous réservons d'y revenir plus loin. '

L'expression d' « endothéliome » quoi qu'il en soit, nous apparaît

comme un terme générique qui ne se suffit pas à soi-même, car l'aspect

de l'endothéliome varie avec l'organe qui lui a donné naissance. Aussi

doit-on dire : endothéliome des méninges, du testicule, de la plèvre;

la tumeur varie dans chacun de ces cas, contrairement à ce qui se passe

pour les sarcomes et les épithéliomes, néoplasmes toujours sensiblement

identiques à eux-mêmes.

Il est d'ailleurs tout naturel que les tissus d'origine mésodermique, si

nombreux et si variés, fournissent à l'état pathologique, en vertu même

(1) BRAULT, Loc. cit.

(2) Auché et VITIHC, En1.othéliQme intl'a1JasculaÙ'e. Presse médicale, 1901.

192 DtJI'IiC ET IWV.vUï

des lois de la formation du cancer, des néoplasies variées, hautement diffé-

renciées, souvent très spéciales et notamment distinctes des autres formes

du sarcome, qui est le cancer du mésoderme. « D'ailleurs l'endothélium (1)

cnjtomatique donne naissance, d'après lesembryologisles les plus autorisés

(Waldeyer) Itertwig. Ma th ias-Du val) à desépithéiiumsaussi hautementdif-

férenciés que ceux de l'ovaire et du testicule. Des aptitudes formatives

physiologiques aussi larges, laissent supposer dans cet endothélium une

capacité histo-patbogénique très grande et très variée. »

On comprend par suite que les endothéliomes empruntent aux ménin-

ges des caractères évolutifs et morphologiques tout particuliers.

La présence de ces globes ou corps concentriques donne à ces tumeurs

un aspect caractéristique.

Virchow (2) les coinparait aux globes épidermiques. Toutefois Cornil

a montré que ce sont là deux formations d'ordre différent. En effet, les

globes épidermiques sont des amas cellulaires disséminés d'une façon

irrégulière, sans ordination, par opposition aux globes ou corps concen-

triques, qui eux sont en rapport constant avec les vaisseaux. Pour Cornil

et Ranvier (3), les vaisseaux de nouvelle formation envoient des pointes

vasculaires dans le tissu environnant. Les cellules entre lesquelles ces

poi ntes pénètren t,s'orien ten t concentriquemen t,s'infil trent de sels calcai l'es

et ainsi le globe se forme petit à petit, appendu au vaisseau par un petit

pédicule ; il peut arriver que la coupe passe au-dessus du pédicule ou que

le pédicule se brise, auquel cas, le globe ne semble pas dépendre d'un vais-

seau. C'est en se fondant sur l'absence apparente de relations de ces corps

avec les vaisseaux que Virchow a pu les assimiler aux globes épidermiques.

Ces tumeurs méningées subissent des dégénérescences de divers ordres

qui ne sont pas tant liées à la nature de la tumeur, qu'au terrain sur le-

quel elles évoluent.

Une des plus fréquentes, est cette infiltration spéciale, déjà vue depuis

longtemps par Virchow, qui consiste en l'existence de sable (m7a ? oc) dans

leur intérieur. Ce dernier, formé de carbonate de chaux, faci ! e à mettre

en évidence par l'action des acides, se présente sous deux formes : soit des

cristaux, comme ceux figurés par Lancereaux, soit des masses arrondies,

quelquefois sans structure, d'autres fois formées de couches stratifiées

concentriquement emboîtées.

Virchow hésite à dire si ce sable procède des cellules ou de la substance

intercellulaire. Pour Meyer (4), la transformation crétacée se fait aux dé-

(1) DLPIIÉ, Traité de médecine, IV, p. 848.

(2) VmCUOw, loc. cil.

(3) Cornil et Ranvier, lac, cit.

(4) lrevcn, Virchow arch. (18 : i9), t. XVII. ? ,

TUMEUR CÉRÉBRALE 193

pens de l'épithélium de l'arachnoïde. Rokitansky (1) émet deux opinions

tout à fait inadmissibles. Dans une première, ce sable serait dû à l'ossifi-

cation de la substance nerveuse ; el dans une autre, il accuse la myéline

épanchée. Enfin, pour Virchow, les grains de sable n'appartiennent au-

cune formation organique, au sens restreint du mot. Ils doivent être rangés

dans la série des concrétions. Ils augmentent ultérieurement par les dépôts

de nouvelles couches molles, et par la juxtaposition et la conglomération,

sous une enveloppe commune, de plusieurs de ces couches. On ne trouve

nulle part de noyaux cellulaires, et l'on peut conclure que ces corps sont

de nature inorganique.

A côté de ce processus : 1ngiolithique que Cornil a bien décrit, il existe

une autre dégénérescence, la dégénérescence hyaline, dont notre observa-

tion offre un bel exemple et qui est surtout très marquée dans le voisinage

des diverses formations vasculaires. '

Tout d'abord l'absence de sels calcaires est prouvée par l'action des aci-

des qui ne modifie pas l'aspect des globes. D'autre part, les colorations

plusintenses,l'aspect rosé que donne le bleu de Unna, prouvent que ces élé-

ments ont subi une transformation spéciale.

Robertson (2),dans son ouvrage très documenté, donne une description

identique à la nôtre. Ses constatations se rapportent, il est vrai, aux fausses

membranes des méninges, mais, comme il le dit, on les retrouve dans les

endothéliomes, dans les plexus choroïdes et les granulations de Pacchioni.

Etudiant les modifications que peut subir l'endothéliumc1e la dure-mère,

cet auteur a vu très fréquemment les cellules endothéliales devenir plus

nombreuses, proliférer, et former ainsi des traînées qui cheminent paral-

lèlement aux vaisseaux. C'est en effet autour de ces derniers que se trou-

vent le plus souvent ces proliférations. Cet auteur pense que ce sont sur-

tout les cellules des canaux péri-vasculaires qui se multiplient. Ces masses

'de nouvelle formation peuvent être envahies par des dégénérescences

d'ordre variable. A côté de la dégénérescence graisseuse, il est toute une

série de cas où le noyau présente des vacuoles, tandis que le prolo-

plasma devient très homogène, compact, se colore plus fortement, en un

mot devient hyalin.

Par modification hyaline, il faut donc -entendre, d'après Robertson,

l'envahissement des corps cellulaires, par une substance d'apparence ho-

mogène et vitrée, nedonnantpas la réaction graisseuse ou amyloïde, et

ayant une affinité toute particulière pour l'éosine.

Celte apparence hyaline se retrouve très fréquemment. Elle se montre

Soit à la surface de la dure-mère, soit sous forme de couches concentriques,

(1) Rokitansky, Anatomie pathologique, 1856, t. Il.

(2) Rorertson, l'alhology of mental diseases, Edinburg, 1900.

194 DUPRÉ ET DEVAUX

enveloppant les vaisseaux dure-mériens et, comme nous l'avons dit plus

haut, dans ce cas il s'agit de modifications d'abord prolifératives puis dé-

génératives atteignant les tissus péri et paravaseulaires. Enfin on la ren- -

contre aussi dans les corps concentriques.

La substance qui envahit la cellule peut, dans quelques cas, se conglo-

mérer sous forme de grains, sortir du corps cellulaire et venir obstruer les

canaux péri-vasculaires. Mais le plus souvent, ces grains, émis hors de la

cellule, s'unissent et il en résulte de petits amas entourés de cellules plus

légèrement atteintes.

Cette dégénérescence hyaline peut envahir aussi les capillaires de nou-

velle formation, développés dans les fausses membranes ou dans les néo-

plasmes.

Ce processus permet de comprendre l'aspect spécial que prennent les

corps concentriques. Robertson, dans le même chapitre, les décrit et fait

intervenir cette dégénérescence par laquelle il explique les réactions elles

caractères de ces corps.

Nous avons retrouvé les deux variétés de corps concentriques qu'il fi-

gure. Les uns ont un volume dépassant deux ou trois fois le diamètre d'un

capillaire. Ils ont d'après lui une capsule fermée. Les autres possèdent aussi

cette capsule, mais leur intérieur est comblé par de petites masses ovales

semblables à des grains d'amidon. La seule différence qui les sépare, c'est

la nature du contenu : les premiers renferment du liquide, les seconds des

grains.

Ces corps, toujours d'après le savant anglais, ont des réactions coloran-

tes très particulières. Ils prennent fortement l'éosine-hématoxyline, et

petit à petit perdent leur affinité pour l'hématoxyline, pour ne garder

que l'éosine. Ils se colorent facilement par le carmin et les différentes cou-

leurs d'aniline. L'acide osmique les obscurcit sans les noircir, enfin les

sels d'argent les teintent en brun foncé, comme les cellules plates endo-

théliales.

Il arrive, surtout lorsque ces corps se développent dans les plexus cho-

roïdes, qu'ils sont incrustés par des sels calcaires, et que, sous l'action des

acides, l'acide carbonique se dégage. Ce processus,classique depuis Virchow,

diffère de la dégénérescence .hyaline, avec laquelle il peut coexister.

On peut accepter, dit Robertson, que les deux sortes de corps se dé-

veloppent de la même façon, et proviennent lotis deux des cellules de la

surface endothéliale ou des canaux périvasculaires.

Les bandes hyalines seraient l'analogue des corps concentriques, mais

n'en différeraient que par la juxtaposition et l'ordination des éléments.

Dans les premières, le trajet se fait parallèlement au vaisseau, dans les se-

condes, le rôle primordial revient à la dégénérescence des parois vasculaires

TUMEUR CÉRÉBRALE 195

dont la rétraction tasse, resserre et oriente concentriquement les éléments.

Le rôle des vaisseaux est donc capital dans la genèse des corps con-

centriques pour Robertson, comme pour Cornil et Ranvier; mais ils ne le

conçoivent pas de la même manière. Dans notre cas, nous nous rattachons

à l'opinion des auteurs français : les vaisseaux envoient des pointes vascu-

laires, aux dépens desquelles se forment les corps concentriques. Le seul

point sur lequel nous insistons, c'est l'intervention de la dégénérescence

hyaline avoisinante. Quantaux « grains d'amidon » décrits par Robertson,

ce sont des produits excrétés par les cellules.

En résumé, il existe, dans les cellules situées autour des vaisseaux, un

processus dégénératif spécial, que Robertson désigne sous le nom de dé-

générescence hyaline. Il a pour résultat de rendre les cellules homo-

gènes et de faire disparaître les noyaux. Des vaisseaux de nouvelle for-

mation partent des pointes vasculaires qui pénètrent dans les tissus

voisins. Ceux-ci sont envahis secondairement par la dégénérescence hya-

line ; sur les coupes, on voit alors une cavité centrale remplie de sang,

entourée par des cellules déjà compactes, mais ayant encore leur noyau

(Période de coloration par l'hématoxyline). Un peu plus tard, ces cellules

présentent des grains de substance hyaline, puis les rejettent au dehors,

en même temps que le noyau disparaît (période de coloration par l'héma-

toxyline et la fuchsine acide). Ces débris cellulaires tombent dans la ca-

vité qu'ils rétrécissent ; un degré de plus, les cellules avoisinantes se res-

serrent, la partie centrale ne forme plus qu'une masse homogène, tandis

qu'à la périphérie se retrouvent des corps cellulaires allongés qui figurent

une sorte de capsule ; mais cette dernière n'est pas une capsule au sens

propre du mot, elle est formée de cellules accolées et superposées. Cette

explication nous semble d'autant plus légitime, qu'il est facile d'en suivre

les différentes phases dans la description histologique que nous avons

donnée plus haut.

Il est probable que la dégénérescence hyaline intervient dans la genèse

des cavités angiomateuses et dans la structure spéciale que présentent les

parois des vaisseaux. Les formations angiomateuses diffèrent des angio-

mes vrais. En effet la théorie la plus communément admise est celle qui

fait provenir ces derniers d'une coalescence des parois des vaisseaux

voisins dont les lumières arrivent à se confondre. Il nous semble impos-

sible d'invoquer ce processus dans notre observation, puisque,méme dans

les petites cavités angiomateuses, nous n'avons jamais trouvé de forma-

tions vasculaires explicables par cette origine.

Etude de l'écorce. - Sur les grandes coupes du cerveau, à l'oeil nu, il est

déjà très facile de constater une modification pathologique ; c'est une diminu-

tion d'épaisseur de la substance grise; elle paraît tassée et comprimée par le

196 DUPRÉ ET DEVAUX

rapprochement des circonvolutions, qui se touchent l'une l'autre et sont diffi-

ciles à séparer; on a l'impression que les sillons sont effacés et réduits à une

fente linéaire.

Cet aspect se retrouve sur toute la surface du cerveau, tant du côté de la

tumeur que du côté opposé. Mais cette apparence qui atteint son maximum à la

base de l'encéphale est notablement plus marquée sur le lobe temporo-sphé-

noïdal gauche, dans la région juxta-néoplasillue. A cet endroit, l'extrémité an-

térieure du lobe est amincie et ses limites sont formées par une étroite languette

qui s'applique sur la néoformation elle-même. -

La gradation de ces lésions se retrouve à l'examen histologique et les altéra-

tions sont d'autant moins marquées qu'on s'écarte de la tumeur. Nous avons donc

prélevé de la substance corticale sur différents points et nous avons recherché

l'état des cellules nerveuses.

Technique employée. Durcissement au formol, coloration au bleu de

Unna, réduction au Glycerinaetermischung.

L'examendes cellules de l'écorce présentait un grand intérêt -d'abord cause

de la nature des troubles psychiques observés et ensuite à cause de la nature

de ces troubles qui n'étaient pas, au moins pendant longtemps, de la démence

simple, mais témoignaient d'une inhibition fonctionnelle diffuse de tout le cor-

tex. ,

L'ensemble des lésions que nous allons décrire peut s'apprécier à l'inspection

des figures de la planche XXV où sont représentés les aspects les plus intéres-

sants de nos préparations.

Dans la zone périnéoplasique,les lésions sont d'autant plus évidentes qu'on

est plus près de la tumeur ; sur certaines coupes où l'on trouve à la fois et de la

substance néoplasique et de l'écorce, celles-ci sont telles qu'on ne reconnaît

que difficilement les éléments nerveux. En effet les cellules sont ratatinées,

aplaties, les prolongements invisibles, et le noyau très atrophié se colore à

peine. Les coupes sont-elles au contraire pratiquées en deçà de la tumeur (lobe

temporo-sphénoïdal) on constate des lésions moins avancées.

Les petites cellules ont à peu près gardé leur forme,mais il y a absence com-

plète de corps chromatiques, le corps cellulaire se colore d'une façon diffuse et

sur certaines d'entre elles on distingue des vacuoles.

Les altérations les plus importantes siègent sur les cellules pyramidales.

Très peu de ces dernières ont gardé leur forme normale. Elles sont gonflées,

les angles d'où se détachaient les prolongements sont à peine accusés. Beau-

coup de ces cellules n'ont plus de noyau et elles ont l'aspect d'une masse

amorphe, irrégulière, uniformément colorée en bleu très clair. Quelquefois

l'un des côtés du corps cellulaire est déchiqueté, interrompu, laissant sortir au

dehors de petites masses très finement granuleuses. A côté de ces éléments très

altérés il en est d'autres moins atteints. Le noyau est seulement gonflé, rejeté il

la périphérie, prenant la couleur d'une façon diffuse, le nucléole seul reste bien

visible. Le déplacement excentrique du noyau est appréciable sur presque

toutes les cellules et coïncide toujours avec des modifications du protoplasma.

Dans ce dernier, les corps chromatopliiles ont l'aspect de fine poussière et sont

TUMEUR CÉRÉBRALE 197

beaucoup moins abondants. Cette chromatolyse existe constamment et à des

degrés variables. La zone périnucléaire est ordinairement atteinte en dernier.

Il en résulte des figures différentes, liées au déplacement plus ou moins accen-

tué du noyau ; si ce dernier, tout en n'étant plus central, est encore assez éloi-

gné d'un bord de la cellule, il y a un cercle clair, périphérique, qui contraste

avec une zone centrale plus foncée; au contraire le noyau est-il tangent à une

extrémité ou à un bord de la cellule, celle-ci est divisée en deux parties, l'une

claire et lisse, l'autre foncée et finement grenue. La déformation de l'élément

cellulaire marche de pair avec la chromatolyse ; plus cette dernière est avan-

cée, plus la cellule est gonflée.

On trouve,à côté des cellules nerveuses,un nombre considérable d'éléments

plus petits qui gardent les réactifs et qui se présentent sous trois aspects dif-

férents. Ils sont répartis sur toute la préparation mais deviennent confluents

autour des cellules. Les uns, les plus gros, sont arrondis ou elliptiques; ils

contiennent un point qui se colore très vivement, entouré de granulations plus

claires, s'orientant quelquefois de façon à former un réseau. Il en est d'autres

un peu moins volumineux, absolument semblables aux précédents, et n'en dif-

férant que parleur dimension : même corps central, mêmes granulations autour

de ce dernier. Les troisièmes enfin, beaucoup plus petits,fixent énergiquement

les matières colorantes et sont homogènes ; ce caractère les différencie des deux

autres variétés.

Tous ces corps abondent autour des cellules, et les rapports qu'ils affectent

avec elles sont très particuliers ; quelques-uns de ces éléments sont groupés et

accolés à la périphérie de la cellule, tandis que d'autres en restent éloignés.

Mais on peut en rencontrer un certain nombre qui commencent à pénétrer dans

le corps protoplasmique, et d'autres qui y sont complètement inclus. Il y en

a ordinairement plusieurs pour une même cellule, et il est des figures très

curieuses où la cellule n'apparaît plus que par une de ses extrémités, tout le

reste de son étendue étant englobé par ces formations.

Les corps moyens et petits sont les plus rapprochés et ce sont eux qui se

rencontrent le plus souvent dans l'intérieur de la cellule. Au contraire, les

plus volumineux sont ordinairement au dehors.

Dans la zone paracentrale, les mêmes lésions se retrouvent à un degré moin-

dre. H y a moins de cellules sans noyau, toutefois la zone de décoloration péri-

phérique, l'absence de grains chromatiques normaux, le rejet du noyau vers un

bord ainsi que son gonflement se retrouvent encore, et il existe toute une caté-

gorie de cellules assez volumineuses où le corps cellulaire est craquelé et où des

fentes parallèles partagent le protoplasma en bandes. Les petits éléments sont

aussi moins nombreux et se retrouvent avec tous leurs caractères, cependant

nous avons pu constater dans cette région l'abondance de la troisième variété

dans l'intérieur et autour des vaisseaux.

Dans la zone occipitale nous observons le minimum des lésions. Certaines

.cellules offrent des altérations analogues à celles de la zone paracentale, d'au-

tres au contraire paraissent normales, quant aux trois variétés de corps leur

quantité diminue, mais ils se présentent toujours de la même façon. '

198 DUPRÉ ET DEVAUX

En résumé, la méthode de Nissl nous a montré des lésions cellulaires dissé-

minées consistant : 1° en une chromatolyse périphérique, ou plutôt n'atteignant

la zone périnucléaire qu'en dernier lieu ; 2° diminution de volume des corps

chromatophiles, et teinte diffuse du protoplasma ; 3° excentricité du noyau, et

quelquefois sa disparition ; 4° présence en quantité considérable de petits

corps revêtant trois aspects et ayant une tendance à entourer les cellules et

même à les envahir.

Nerf optique. - L'examen histologique des deux nerfs optiques a porté sur

la partie avoisinant le chiasma. Quoique n'ayant pas été comprimés directe-

ment par la tumeur ils n'en présentent pas moins tous deux des lésions indis-

cutables et identiques.

. Le premier point qui frappe sur les coupes longitudinales c'est l'absence du

cylindre axe. Par la méthode de Van Gieson on ne voit qu'un ensemble de fila-

ments très fins entrelacés, laissant certains endroits des espaces comblés par

un noyau volumineux, très fortement coloré, appartenant il des cellules en

fuseau dont les extrémités donnent parfois naissance à des filaments. En outre

et nous y insistons, les coupes sont parsemées d'un nombre considérable des

trois variétés petits de corps, décrits dans l'écorce, avec prédominance des for-

mes volumineuses. La méthode de Nissl n'a fait que contrôler ces diverses

données et a mis plus en lumière la présence des petits éléments.

Sur les coupes transversales, on retrouve tous ces détails, et de plus on voit

autour du nerf une gaine épaisse, et quelques artérioles dont les parois sont

légèrement sclérosées.

Discussion. - L'étude histologique des cellules de l'écorce pratiquée à

l'aide de la méthode de Nissl nous a permis de constater différentes par-

ticularités. Les lésions sont étendues à toute la surface du cerveau, et si

quelques cellules ont gardé leur aspect normal la grande majorité sont le

siège de lésions atteignant à la fois et le protoplasma et le noyau et les

prolongements.

Les altérations duprotoplasma attirent de suite l'attention par le gonfle-

ment qu'elles impriment aux cellules, et par les modifications de la subs-

tance chromatique.

Les cellules sont augmentées de volume, leursbordsdéformés, etquelque-

fois le gonflement ne porte que sur une partie de la cellule. Il est d'au-

tant plus accusé que la chromatolyse est plus avancée.

Les grains chromatophiies sont tous très diminués de volume. Ils sont

réduits en une fine poussière qui se teinte encore énergiquement et cons-

titue autour du noyau une zone plus foncée. Plus en dehors, on trouve

une coloration beaucoup plus claire et diffuse : elle est homogène et on y

décèle aucun grain rappelant les corps chromatiques. Cette chromatolyse

périphérique est assez fréquente, elle coïncide avec la conservation relative

de la forme cellulaire normale :

TUMEUR CÉRÉBRALE 199

Souvent aussi la cellule apparaît divisée en deux parties : d'un côté des

grains chromatiques toujours petits encadrant-le noyau rejeté dans un coin

de la cellule, de l'autre l'aspect chromatolylique précédemment décrit.

A côté de cette chromatolyse partielle, on peut voir dans d'autres cel-

lules le processus se généraliser, envahir tout le protoplasma, qui n'offre

plus alors qu'une teinte uniforme beaucoup plus pâle, et réalise alors cet

état que Marinesco (1) qualifie du nom « d'achromatose ». La cellule peut

en outre être craquelée, présenter des fissures et être complètement dé-

truite par une de ses parties, le noyau de son côté a complètement disparu.

La lésion rappelle alors celles qu'ont décrites Nageotte et Eltlinger (2).

L'absence du noyau ne se note que sur quelques cellules seulement.

Tout au contraire, dès qu'il y a chromatolyse, il quitte sa place habituelle

et se rapproche de la périphérie. Dans son mouvement de translation il

peut aller occuper ou une extrémité de la cellule, ou s'accoler sur un de

ses bords, ou même être rejeté hors la cellule. Il conserve longlemps son

aspect normal et n'est que légèrement gonflé. Mais dans d'autres cas, son

nucléole n'existe plus, tout le noyau se teinte de la même manière et de-

vient ainsi difficilement visible.

Les prolongements sont encore très nets lorsque la cellule a sa forme

normale, et ils s'estompent de plus en plus,au sur et à mesure que la cel-

lules'altère davantage pour arriver à n'être plus perceptibles dans les cellu-

les en achromatose. Ces lésions de l'écorce n'ont donc pas toutes un aspect

identique.

Celle diversité d'aspect tient-elle à la coexistence d'altérations multi-

ples et différentes, ou au contraire résulte-t-ellede l'observation des

étapes successives d'un même processus, étudié à différentes périodes de

son évolution ? Il est plus logique d'admettre cette dernière hypothèse;

bien que les variétés et même la contradiction des interprétations données

d'une même lésion par les divers auteurs, rendent malaisé d'établir la

chronologie des faits et de fixer la synthèse du processus.

Pour nous la chromatolyse est la première en date, et en cela nous ne

faisons que suivre l'opinion généralement admise. « C'est la première

révélation, dit Ballet (3), d'un trouble de la nutrition dans les cellules, et

elle constitue ainsi une méthode qui permet de reconnaître que la cellule

est en voie de désorganisation, alors que les autres procédés n'ont rien

donné. » z

(1) Marinesco, Recherches sur quelques lésions peu connues des cellules corticales,

Revue de neurologie, 1899.

(2) NAGEOTTE et L ? fTLI\G6lt, Lésions des cellules nerveuses dans les intoxications et

les infections. Presse médicale, 1891.

(3) Ballet, Lésions de l'écorce et de la moelle dans un cas de démence, Presse médi-

cale, 1897.

200 DUPRÉ ET DEVAUX

Mais les observateurs diffèrent d'avis, quand il s'agit de déterminer le

mécanisme de cette lésion. '

Pour Nissl (1). la chromatolyse consiste dans le relâchement, le drainage

en quelque sorte des éléments préexistants.

' Lugaro (2) au contraire la considère comme une désagrégation, une frag-

mentation progressive des blocs chromatiques.

Marinesco (3) écrit que la chromatolyse est une véritable dissolution de

la substance chromatique au sein du protoplasma. D'autre part, revenant

sur ce sujet, il dit que c'est une « désagrégation », une désintégration des

éléments chromatophiles.

.' Van Gehuchten (4) rapportant les idées des auteurs précédents remar-

que que Marinesco « n'indique pas d'une façon bien nette en quoi con-

siste le phénomène » et il l'explique par un mécanisme auquel nous nous

rallions pleinement. « La chromatolyse, dit-il, consiste en une dissolution

de la substance chromatique au sein du protop ! asma. Cette dissolution

n'atteint pas tout l'élément chromatophile, mais simplement la substance

chromatique qui imprègne à ce niveau les trabécules et les points no-

daux du réseau protoplasmique. Il s'ensuit que, quand la substance chro-

matique est dissoute, persiste la partie du réseau protoplasmique qui

constituait la charpente de l'élément chromatophile. Ce qui prouve bien

que la chromatolyse ne consiste pas seulement dans la désagrégation

des éléments chromatophiles, maisbien dansja dissolution de leur subs-

tance chromatique dans l'enchyléme du protoplasma cellulaire, c'est qu'à

partir du troisième jour (il s'agissait de lésions expérimentales) le bleu de

méthylène commence à colorer la partie achromatique dans la cellule. Cette

sensibilité de la partie achromatique vis-à-vis du bleu de méthylène aug-

mente au sur et à mesure que les éléments cliromatophiles disparaissent.

C'est elle qui est la cause de l'état chromatophilique que présentent pen-

dant un certain temps les cellules du nerf lésé ».

Le gonflement du corps cellulaire accompagne presque toujours la

chromatolyse et tous les auteurs décrivent ces deux processus associés.

(t) NISSL, Ueber eine neue Untersuchungsmethode des Cenlralorgans speciell zu Fest-

stellung der Localisation der Nervenzellen, Centralblatt sur Nervenheilkunde und Psy-

chiatrie (1894).

(2) LrG"'l1o, Nuovi clati nuovi problemi nella patologia della cellule nervose, Rivista

di pathologia nervosa e mentale, 1896.

(3) MAnE&co, Des ! ons p)'tM ! < : ! )es e< fës e : om eco<tti ? 'M e cete KefueuM,

(3) lIIAI11l\EbCO, Des lésions primitives et des lésions secondaires de la cellule nerveuse,

Société de biologie, 1896. Dps polynévrites en rapport avec les lésions secondaires et

les lésions primitives des cellules nerveuses, Revue de Neurologie, 1896. Pathologie gé-

némle' de la cellule nerveuse, Presse médicale, 1897. Hiblopal1wlogie de la cellule ner-

veuse, Revue générale des sciences pures et appliquées, 1897. 1

-(4) VAN Gehuchten, Chromalolyse centrale et périphérique, Bibliographie anatomique,

1897. " ,

TUMEUR CÉHÉBT1ALE 20 t

Nissl (1) insiste sur cette modification morphologique qui débute en

même temps que l'altération des coips chromatophiies et Van Gehucli-

ten l'explique par la dissolution des corps cbromatophiles dans le proto-

plasma.

Marinesco (2) se place si un autre point de vue. Pour lui le gonflement

appartient à la phase de réparation des cellules. Si ces dernières doivent

guérir, il y a du gonflement, si au contraire elles sont destinées à mourir,

la phase de chromatolyse poursuit son évolution. Ce qui nous empêche

d'accepter cette théorie, c'est qu'il existe des cellules encore gonflées dont

le noyau est en train de disparaître ; d'autre part, rarement il est vrai, on

trouve des cellules en achromatose également gonflées. Ces deux faits nous

paraissent plaider contre l'idée qui fait du gonflement un mode de répa-

ration cellulaire. Marinesco lui-même ne dit-il pas « que l'achromatose

est l'aboutissant d'une foule d'altérations variables, qui toutes ont pour

conséquence l'atrophie de la cellule et sa disparition complète ».

Dans notre cas, comme dans l'immense majorité des observations où la

méthode de Nissl a mis en lumière les altérations de la cellule corticale,

on trouve deux éléments : le gonflement de la cellule qui se déforme et

la chromatolyse. Ces deux éléments sont presque toujours associés, l'un

ne va pas sans l'autre; il est fort difficile de préciser quel est celui des

deux processus qui précède l'autre. Dans les termes où le problème se pose,

il nous semble qu'au lieu de chercher à subordonner l'un de ces deux

processus à l'autre, et de s'efforcer d'expliquer l'un par l'autre, on peut les

considérer comme deux effets contemporains, ou à peu près, d'un trouble de

l'équilibre physico-chimique du système cellulaire et de modifications ap-

portées aux forces de tension en présence dans la constitution delà cellule. *-

Il doit se produire des troubles dans l'équilibre osmotique de la cellule,

vis-à-vis du milieu dans lequel elle se nourrit, qui aboutissent à des modi-

fications morphologiques el à des processus physico-chimiques qui expli-

quent, d'une part le gonflement et la déformation de la cellule, d'autre

part la chromatolyse et les modifications d'aspect, de transparence du proto-

plasma, et même la dislocation progressive des éléments constitutifs de la

cellule les uns par rapport aux autres. Ces processus pathologiques sont

susceptibles de grandes variations d'intensité, de rapidité, et aussi de na-

ture. Il nous semble qu'en dehors de ces considérations très générales, et

en partie hypothétiques, il n'est pas possible actuellement d'essayer de

(1) Nissl, Ueber die l'el'{lndel'Ufi ! 7en der Ganglienzellen am Faciali,kel'l ! des Kanin-

chen nach Ausreissung der Nerven, Allgemeine Zeitschrift sur Psychiatrie, 1892.

(2) Marinesco, loc. cil. et Elude sur l'évolution et l'involulion de la cellule nerveuse,

Revue de neurologie, 1899. Les phénomènes de réparation dans les centres nerveux

après les sections des nerfs périphériques. Presse médicale. 1899,

202 DUPRÉ ET DEVAUX

pousser plus loin le détail explicatif des choses, et notamment d'établir

entre chacun des éléments en présence du problème histopathologique un

lien de causalité directe et un rapport de dépendance pathologique réci-

proque.

De ces différentes constatations on est en droit de conclure à la cause

réelle des lésions. Dans notre cas,le cerveau était soumis à une forte com-

pression, mais l'action de celle-ci était en réalité moindre,nous semble-t-il,

que le volume de la tumeur permettait de le supposer. Neumayer(1) en

effet a expérimentalement établi que la compression en masse surtout pro-

longée amène un ratatinement et plus tard une atrophie extrême des corps

cellulaires. Pareilles lésions n'ont été retrouvées dans notre observation que

dans la zone tout à fait voisine du néoplasme. Le reste de l'écorce au con-

traire renfermait des cellules pour la plupart augmentées de volume. 11 est

légitime par suite de conclure à l'intervention d'un autre fadeur.

Les lésions de l'écorce du reste nous y autorisent volontiers. Leur prin-

cipal caractère consiste en un gonflement cellulaire accompagné de chro-

matolyse revêtant surtout le type périphérique. D'après Marinesco (3) il

s'agit alors d'une lésion primitive de la cellule. Les agents capables de

l'engendrer atteignent celle-ci par sa périphérie. Cet auteur a retrouvé

des altérations identiques dans toute une série d'affections d'ordre toxi-

infectieux : rage, botulisme, tétanos. Acquisitoet Pusaleri (4)lesontvues

dans l'urémie expérimentale. Ossipoff (5)'les a confirmées dans l'intoxica-

tion botulinique;et nous-mêmes avons rencontré des lésions tout à fait sem-

blables chez un malade mort de coma diabétique. Toutes ces observations

cliniques concordent avec les faits expérimentaux de Mouratofl'(6) qui,

injectant différentes toxines à des cobayes, décèle dans la moelle des altéra-

tions de même nature, qu'il regarde comme spécifiques.

La valeur de cette chromatolyse périphérique prête encore à discussion

et la question est toujours en litige.

Marinesco y attache une grande importance et y voit l'expression d'une

lésion primitive de la cellule, par opposition aux altérations consécutives

à une atteinte du cylindre axe. Van Gehuchten (7) s'élève contre le carac-

(1) NRncAVeR, Lésions histologiques de l'écorce dans la compression du cerveau,

Deutsche Zeitsch. sur Nervenheilkunde, 1896.

(2) CHARCOT, lOC. Cil.

(3) MARINESco, Loc. cit., et Congrès de Moscou, 1897.

(4) ACQUISITO et PUSATERI, Lésions des cellules dans l'urémie expérimentale, Riv. di

pathologia nervosa e mentale, 1896.

(5) Ossipopp, Influence de l'intoxication bolulinique sur le système nerveux central,

Annales de l'Institut Pasteur, 1900.

(6) MOLIIIITOFP, De l'action des toxines sur le système nerveux, Société de Neurologie

et de Psychiatrie de Moscou, 1897.

(7) VA ? GEHUCHTEN, Loc. cit., et Congrès de Moscou, 1897.

TUMEUR CÉRÉBRALE 203

tère trop absolu de ces conclusions, sans les rejeter complètement. Ballet

et Dutil (1) se rangent à l'avis de Van Gehuchten.

Dans notre observation il est d'autant plus certain que nous avons à faire

à des lésions primitives, que le névraxe examiné à plusieurs étages était ab-

solument normal. Les lésions du cerveau ressemblent d'une façon indénia-

ble à celles que créent les toxi-infections cliniques et expérimentales et nous

ne pouvons nous empêcher de les attribuer à l'action de produits toxiques

sur les cellules de l'écorce. A côté de la zone péri-néoplasique, où nous

avons retrouvé les altérations cellulaires dues à compression telles que les

a décrites Neumayer; dans toute l'étendue de l'écorce cérébrale, les cellules

présentaient l'aspect d'éléments frappés par une toxi-infection ; comme le

malade n'offrait aucune affection organique capable de donner naissance

à des produits toxiques, nous sommes conduits à incriminer l'action de

toxines sécrétées par le tissu néoplasique.

A côté des lésions cellulaires de l'écorce, nous avons insisté sur la pré-

sence de petits'corps très abondants, et confluant autour des cellules. Ils

se présentent sous trois formes. Les uns, volumineux, sont ovales et allon-

gés ; ils contiennent quelques grains, prenant fortement le bleu de Unna,

disséminés d'une façon irrégulière, et quelquefois disposés sous forme de

réseau souvent localisé à la périphérie de l'élément. La deuxième variété

diffère de la précédente seulement par le volume ; la troisième enfin plus

petite encore, se distingue des deux autres par l'opacité de son contenu

qui garde le bleu d'une façon énergique.

Autour des cellules en chromalolyse. tous ces corps augmentent de quan-

tité ; mais la localisation est spéciale à chaque forme. Entre la cellule et

les plus gros, existe un certain espace ; les moyens sontplus rapprochés,

quelquefois même commencent à entrer dans le corps cellulaire ; mais ce

sont surtout les plus petits qui se retrouvent dans le protoplasma, allant

même jusque dans le noyau. Lorsque les cellules sont très atteintes, l'en-

vahissement par ces corps est tel qu'on ne distingue plus que des débris

cellulaires.

On retrouve ces éléments sur toutes les coupes de l'écorce, où qu'elles

aient été pratiquées, et dans le nerf optique. Ils sont en général péri-cel-

lulaires, les petits plutôt situés autour des vaisseaux.

Le rôle de ces éléments nous semble ressortir de leur situation, de leur

distribution,de leurs rapports avec les vaisseaux et les cellules. Ils semblent

appelés à détruire les cellules nerveuses qui ont perdu toute valeur fonc-

tionnelle et toute résistance vitale.

Ce processus est commun à tous les organes de l'économie, et les in-

(1) Ballet et I)UTIL, Sur quelques lésions expérimentales de la cellule nerveuse-

Semaine médicale, 1891.

204 DUPRÉ ET DEVAUX

flammatiolls de tous les tissus aboutissent à cette réaction phagocytaire. De-

puis longtemps déjÙ,Cohnbeim a montré la di<1pédèse des globules blancs

sous l'influence de l'irritation; etMetchnikof1'(1) a établi qu'ils absorbent

les produits nuisibles ou les détritus cellulaires, annihilent leurs effets et

en débarrassent l'organisme. Mais à côté des leucocytes, les éléments fixes

des tissus semblent posséder, d'après les travaux de Virchow et de Ranvier,

des aptitudes analogues ; ils se mobilisent, englobent les éléments étrangers

et deviennent macrophages. On a d'abord attribué cette propriété aux seu-

les cellules endothéliales, puis au tissu conjonctif périvasculaire, et enfin

on s'accorde aujourd'hui à la généraliser à tous les éléments mésodermi-

ques. -

Dans la substance nerveuse, le même phénomène phagocytaire se cons-

tate dans toute une série d'affections où la cellule nerveuse est atteinte de

façons différentes; cependant les avis sont partagés lorsqu'il s'agit despé-

cifier l'élément,cellules névrogliques ou leucocytes, qui ce rôle est dévolu.

Valenza (2) est le premier qui ait vu la pénétration des leucocytes dans

l'intérieur de la cellule nerveuse. Dans le lobe électrique de la torpille,

après cautérisation, il constata l'issue hors des vaisseaux des leucocytes,

qui grâce à leurs mouvements amiboïdes pénétraient dans les cellules

nerveuses pour les détruire. Ce sont donc bien les globules blancs qui en-

trent en jeu, et il défend à nouveau cette opinion contre KraHSS (3) qui

attribue ce rôle destructeur aux cellules névrogliques.

Van Gehuchten et Nelis, étudiant les ganglions nerveux dans l'infec-

tion rabique, ont signalé la présence de leucocytes en très grande abondance

autour des cellules nerveuses;et, d'autre part, la prolifération des cellules

de la capsule de ces ganglions. Ici donc, on trouve la réaction de deux élé-

ments différents, l'un d'origine mésodermique, l'autre d'origine ectoder-

mique.

Le terme deneuronophagie est appliqué par Marinesco (4) à l'englobe-

ment des cellules nerveuses par la névroglie. Cet auteur, qui fait la part la

plus grande à l'action destructive des cellules névroglique, a signalé sans

y insister la présence de nombreux leucocytes autour des cellules en chro-

(1) Metchnikoff, L'Inflammation, Paris, 1891.

(2) VALENZrI, I combiamenli microscopi delle cellule nervose nella loro allivila %un-

zionale. Atti della H.Acad. delle se. fis. et ual. di Napoli, Vol. VIII, 1894. Sur le rôle

joué par les leucocytes et les noyaux de névroglie dans la destruction des cellules ner-

verses. Compt. rend. Soc. Biologie, 1896.

(3) Krauss, The nerve éléments in lzealllz. an diseuses.. Journal ol'nervous an mental

diseases, 1896.

(4) Marinesco, Compt. rénd.Soc. Biologie, 1896; Du rôle de la névroglie dans l'évo-

lution des inflammations et des tumeurs. Congrès 1900, Sect. anat. path. Nature et

traitement de la myélite aiguë. Congrès 1900, Sect. neurol. ·

TUMEUR CÉRÉBRALE 205

matolyse, et conclut que la neuronophagie est fonction des cellules névro-

gliques.

Pareille opinion est aussi celle de Nissl (1) qui rapporte à la névroglie

la présence de noyaux entourant les cellules nerveuses dans des cas de

méningites et d'encéphalites. De même Lugaro (2) ne croit pas qu'il. faille

considérer comme des leucocytes des cellules névrogliques qui normale-

ment sont groupées autour des neurones, comme Cajal (3) l'a montré. An-

glade et Rispal (4) enfin confirment ces données en étudiant les écorces

d'épileptiques et de divers déments.

Tout au contraire Pugnat (S), examinant des ganglions d'animaux, fait

intervenir les leucocytes seuls, dans la destruction des cellules nerveuses.

Franca et Athias (6) reprennent la question chez les paralytiques géné-

raux. Après coloration au bleu polychrome, ils distinguent les noyaux de

névroglie par leur réseau de chromatine périphérique, tandis que le cen-

tre est occupé par un réseau à larges mailles avec un ou deux grains no-

daux au centre du protoplasma. Les leucocytes sont plus petits, et la subs-

tance nucléaire colorée plus énergiquement. A côté de ces différences

morphologiques ils en signalent d'autres dans la localisation. Les cellules

névrogliques se groupent autour du cône d'origine de l'axone, restent assez

éloignés des cellules nerveuses ou, si elles s'en rapprochent, ne pénétrent

jamais dans l'intérieur même de celles-ci. Par contre les leucocytes sont

capables de s'introduire dans le corps cellulaire et d'atteindre le noyau

dont on peut voir la résorption partielle. Le degré de cette leucocytose est

en rapport avec celui de la chromatolyse.

Ossipoff (7), plus éclectique, attribue aux leucocytes l'action la plus

importante, sans dénier aux cellules névrogliques un rôle adjuvant éven-

tuel, mais secondaire.

Dans un article récent, de Buck et deMoor(8) font appel aux deux pro-

cessus mais avec une signification différente. Les leucocytes auraient sur-

tout le rôle phagocytaire, tandis que simultanément la névroglie prolifère

pour combler la place que les éléments nerveux laissent après leur dis-

parition. Cette manière de voir est conforme,nous semble-t-il, à l'opinion

(1) NISSL, Dliltlzeilzzzgezz sur patholo,gisclaen Anatomie der Dementia paralytica.

Archiv. sur Psych., XXVIII, 1899. Ueber einige Beziehungen zwischen Nervenzellen-

erhrankungen und gliceseu Erscheinungen bei verchiedenen Psychosen. Archiv. für

Psych., XXXVI, 1899.

(2) Lugaro, Nuovi dali e nuovi problenz i nella palologia délia cellula nervosa. Rivista

di patologia nervosa e mentale, 1896.

(3) Canal, Revue trimestrielle de micrographie, 1896.

(4) ANGLADE et Rispal, ]Xe Congrès des aliénistes et neurologistes, Angers, 1898.

(5) Pugnat, La destruction des cellules nerveuses par les leucocytes. Compt. rend.

Soc. Biologie, 1898.

(6) Franca, Thèse Lisbonne,1858 ; Franca et àtiiias, Sur le râle joué par les leuco-

cytes dans la destruction des cellules nerveuses . Compt. rend. Soc. Biologie, 1890.

(1) Ossipoff, Loc. cit.

(8) DE Boch et de Mon, La Neuronophagie. Soc. de Neurol. belge, 1900.

xiv 15

206 DUPRÉ ET DEVAUX

de Babès (1), pour qui la névroglie est surtout destinée à donner naissance

à un tissu cicatriciel. Les deux savants belges rapprochent la phagocytose

nerveuse de la phagocytose musculaire. Le tissu interstitiel nerveux est

comparable au myoblaste qui renouvelle le muscle après l'avoir phago-

cyté, avec cette différence que le neurone est définitivement perdu.

Crocq (2) incline pour une intervention plus énergique des leucocytes.

De cette rapide revue ressortent, en somme, deux opinions distinctes :

pour les uns, les détritus cellulaires sont absorbés par les leucocytes;

pour les autres, ce rôle revient aux cellules névrogliques. Il paraît pos-

sible, d'après ce que nous venons d'exposer, que ces deux notions ne

soient pas en contradiction, et que les deux processus puissent évoluer

parallèlement.

C'est à cette manière de voir que nous nous rattachons. Il est légitime

d'admettre en effet qu'une même cause pathologique puisse à la fois reten-

tir et sur les éléments nobles, et sur les éléments de soutien ; et que sous

l'effet d'une inflammation plus ou moins prolongée, les cellules nerveu-

ses soient touchées en même temps que l'élément névroglique. Mais très

probablement, les cellules nerveuses sont d'autant moins résistantes

qu'elles sont plus différenciées, et on comprend que le processus qui les

détruit n'ait pas une action aussi puissante sur la névroglie et ne provoque

chez cette dernière qu'une réaction proliférative. Cette conception nous

parait d'autant plus légitime, que Marinesco (3) nous a fait connaître la sen-

sibilité de la névroglie aux irritations.

D'autre part il est prouvé aujourd'hui que la moindre irritation s'ac-

compagne d'une diapédèse leucocytaire. Les leucocytes se précipitent donc

vers les cellules nerveuses, peut-être, suivant une hypothèse de Ranvier,

pour les soutenir dans leur lutte. Accumulés en grand nombre autour des

cellules nerveuses malades ou mortes, ils jouent peut-être un rôle dans

leur absorption. Ce n'est que plus tard que la névroglie, déjà proliférée

pour combler les vides, peut achever le travail en majeure partie exécuté

par les leucocytes et devenir macrophage. Cette intervention seconde de la

névroglie est d'autant plus explicable que les leucocytes, par leur origine

mésodermique même, sont appelés à remplir plus facilement le rôle de

phagocytes, tandis que ces fonctions ne sont en général pas dévolues à

des éléments d'origine ectodermique comme la névroglie.

En conclusion, la première place revient aux leucocytes; la névroglie

n'intervient qu'accessoirement dans la phagocytose; son action n'est pas

spécifique ; c'est en comblant les vides produits par l'action destructive

et absorbante des leucocytes, qu'elle est peut-être amenée à devenir neu-

ronophage. (A suivre.) i

(1) BABÈS, Anatomie pathologique delà névroglie, Congrès 1900. sect. d'Anat. path.

(2) CRocQ, Discussion à la Soc. de Neurol. belge, 1900.

(3) MARINESCO, loc. cit.

DERMOGRAPHISME CHEZ DES ÉPILEPTIQUES

ATTEINTS D'HELMINTHIASE INTESTINALE,

PAR LE

D M. LANNOIS

Professeur-agrégé à la Faculté de Médecine de Lyon.

Les manifestations cutanées de l'épilepsie ne sont pas très rares, mais

ne présentent souvent qu'un intérêt secondaire à côté des autres symptô-

mes à grand fracas de la névrose. Le plus souvent elles sont secondaires à

l'imprégnation médicamenteuse et l'éruption bromique est la plus com-

mune. Dans d'autres cas plus rares on trouvera des troubles cutanés plus

sérieux à allure de malformation comme les noevi, ou des modifications de

la pigmentation cutanée, la nigritie, le lentigo, la mélanodermie relevée

par Féré, par moi-même, par Crespin. Ce sont les troubles vaso-moteurs

les plus divers qui sont en somme les plus communs.

Parmi ceux-ci il importe de faire une place à part au dermographisme, .

qui ne me paraît pas être très rare si on prend la peine de le rechercher.

J'ai en ce moment dans mon service une jeune femme épileptique à crises

d'ailleurs peu fréquentes qui est assez nettement dermographique pour

que nous ayons pu obtenir de bonnes photographies des lettres que nous

écrivions sur son dos et si je ne les fais pas reproduire c'est seulement

parce que celles de la malade dont je publie l'observation ci-dessous sont

plus typiques encore. Il est très possible au reste que chez cette malade le

dermographisme soit plutôt d'origine hystérique qu'épileptique, car, sans

présenter de stigmates, cette malade a pris récemment une chorée par imi-

tation ayant tous les caractères de la chorée hystérique. La coïncidence

des deux névroses chez le même sujet est d'ailleurs fréquente.

M. Féré, dont on retrouve toujours le nom lorsqu'on recherche les petits

signes de l'épilepsie, a signalé ici même, dans une étude faite avec

M. Lamy (9) sur la démographie, la possibilité de son apparition dans

le mal comitial. La photographie qu'il publie est précisément celle d'un

homme épileptique.

Voici maintenant l'observation qui est le point de départ de celte note.

(1) Féré et LAmy, La dermographie. Nouv. Icon. de la Salpêtrière, t. VII.

208 LANNOIS

Observation I.

Oxyures depuis l'enfance.- Urticaire et grand dermographisme depuis

' l'âge de treize ans. - Début de l'épilepsie à vingt-quatre ans.

La nommée A. D., 33 ans, domestique, a fait plusieurs séjours à Ste-Clo-

tilde pour des crises épileptiques.

Les renseignements très suffisamment précis qu'elle nous donne sur toute sa

famille, ne nous permettent pas de rien relever d'intéressant dans ses antécé-

dents héréditaires. Il n'y a ni crises ni maladies nerveuses dans sa famille.

En dehors d'un point sur lequel nous insisterons plus loin, ses antécédents

personnels sont peu importants. Rien pendant la grossesse, pas d'asphyxie à la

naissance. Comme maladies : rougeole et coqueluche dans l'enfance, fièvre inter-

mittente pendant un an de 7 à 8 ans, grippe sérieuse à 16 ans. Elle est habi-

tuellement bien portante.

Réglée à 12 ans, l'a toujours été régulièrement. Elle n'a jamais eu de gros-

sesse ; elle nie l'alcoolisme et la syphilis.

Le début des crises comitiales remonte à huit ans, c'est-à-dire à l'âge de

24 ans. La première crise a été nocturne ; puis elle resta un an sans en avoir

de nouvelles, n'éprouvant que quelques malaises tous les 2 à 3 mois. Elle eut

alors deux nouvelles crises espacées encore d'un an, puis celles-ci se rappro-

chèrent et après en avoir eu deux en cinq mois il y a un an, elle en a eu pres-

que tous les mois ces temps derniers.

Les crises sont précédées le plus souvent d'une sensation d'ennui et de lassi-

tude : elle songe à ses parents, regrette de ne pas être auprès d'eux, etc. La

crise elle-même est annoncée par une sensation de constriction au creux épi-

gastrique ; elle pousse un cri et tombe violemment sur la face ; elle se blesse

presque toujours dans ces chutes et chaque fois que nous l'avons vue après une

crise elle avait la figure tuméfiée et ecchymosée. La crise se développe alors

avec les caractères habituels, sans morsure de la langue et sans miction invo-

lontaire. Après la crise, la malade qui a conscience de ce qui vient de lui arri-

ver, notamment par le traumatisme facial, peut reprendre son travail, sans

fatigue ni faiblesse, au bout d'un quart d'heure. En dehors de la première crise,

toutes les autres ont été diurnes.

Assez rarement d'ailleurs, elle a de petites crises, sans perte de connaissance,

qui durent de 1 il 2 minutes et sont uniquement constituées par la sensation

de constriction abdominale. Elle n'a ni vertiges, ni absences, ni impulsions, ni

vertige ambulatoire, etc.

Dans l'intervalle des crises elle ne présente aucun phénomène anormal, ni

paralysie, ni trouble de la parole, etc. Un examen somatique très complet de la

musculature est resté totalement négatif. C'est une femme de taille moyenne,

d'apparence vigoureuse, un peu grasse, donnant 30 au dynamomètre à droite,

et 35 à gauche.

Elle n'a aucun trouble sensoriel (ouïe, vue, goût et odorat). Pas de troubles

sensitifs, pas de zones hyperesthésiques ou hystérogènes.

NOUVELLE ICONOGRAI'iiir, DE LA SALPf.TRlbtOE, I. 11 ? PI. AYII

DERMOGRAPHISME CHEZ LES ÉPILEPTIQUES

(M. J ? 0t ? ).

Masson & Ci, Editeurs

DERMOGRAPHISME CHEZ LES ÉPILEPTIQUES 209

Le réflexe rotulien est normal, ainsi que les réflexes : plantaire de Babinski,

abdominal,radial, etc. Le réflexe tricipital est un peu faible, le pharyngien peu

marqué, le conjonctival et le cornéen abolis. Pas de troubles trophiques.

Pas de troubles psychiques.

L'indice céphalique est de 84.9, brachycéphalie marquée que l'on rencontre

fréquemment dans notre région. Comme stigmates dits de dégénérescence, on

note que la bosse frontale gauche est moins marquée que la droite, et que le

crâne est un peu aplati à gauche. Il n'y a pas d'asymétrie faciale, pas de voûte

ogivale. Les oreilles sont en léger Wildermuth I et les incisives de la mâchoire

inférieure taillées en biseau. Aucun stigmate de spécificité. Les viscères sont

tous normaux : il n'y a ni sucre ni albumine.

Du côté de la peau on note un phénomène intéressant. Outre un certain nom-

bre de petits fibromes cutanés de la grosseur d'une tète d'épingle et d'une

éruption bromique acnéiforme, on constate que le moindre attouchement déter-

mine un soulèvement d'apparence ortiée. Chaque piqûre faite pour rechercher

la sensibilité a donné naissance à une papule et la pression du compas sur le

front, dans la mensuration céphalique, a déterminé deux grosses plaques larges

comme une pièce de 1 franc.

Comme on peut s'en convaincre sur les photographies PI. XXVI, le dermo-

graphisme est des plus marqués chez cette malade ; on peut avec un corps dur

quelconque et de préférence avec une épingle, écrire ce qu'on veut sur la peau

de cette femme. Il se produit tout d'abord au point touché une rougeur vive

qui se diffuse, de sorte que si l'on a écrit quelques lettres on a un large placard

rouge qui englobe tout ce qu'on a tracé. En moins de 30 secondes il se produit

une élevure d'abord rouge, puis rose et de plus en plus pâle, pour aboutir à

un soulèvement blanc, oedémateux,à contour net et précis. A mesure que ce

soulèvement ortié se produit et se dessine on voit la rougeur s'atténuer et dis-

paraître à la fois à la périphérie et au centre, dans l'espace laissé libre par les

caractères écrits. Au bout de 15 minutes environ toute la rougeur a disparu

et il ne reste plus que l'éruption ortiée aux points touchés,éruption qui parait

avoir son maximum de hauteur à ce moment, soit de 3 à 4 millimètres.

Les caractères tracés sont encore visibles douze heures après, et le lende-

main ils se dessinent comme des égratignures très superficielles. L'intensité et

la durée de l'éruption nous ont d'ailleurs paru en rapport avec l'intensité de l'ex-

citation.

L'éruption provoquée s'accompagne d'une démangeaison assez vive, comme

dans l'urticaire, et il faut à la malade un effort de volonté pour ne pas se grat-

ter pendant toute la période d'augmentation de la rougeur.

La malade se connaît cette particularité depuis l'âge de 13 ans, époque où

elle entra comme domestique dans une ferme et où elle crut d'abord à la pré-

sence de parasites dans son nouveau logement. Elle put se convaincre rapide-

ment que les démangeaisons étaient spontanées et que le moindre attouchement

déterminait chez elle les phénomènes que nous venons de décrire.

La malade nous apprend en même temps que depuis une époque qu'elle ne

210 O LANNOIS

peut préciser, mais qui remonte au moins à la deuxième enfance, elle a des

démangeaisons anales très violentes : elle sait que celles-ci sont liées à la pré-

sence de petits vers. Du reste il nous fut facile de nous assurer qu'elle avait des

oxyures en très grande quantité.

Tout en continuant à donner du bromure à cette malade, le traitement fut

surtout dirigé contre les oxyures de l'intestin. On prescrivit à la malade de la

santonine à la dose de 0 gr. 10 centigr. pendant 5 à 6 jours de suite, en re-

commençant après huit jours de repos, pour atteindre les oxyures habitant le

duodénum. Pendant la même période on donnait un lavement de 80 à 100 gram-

mes de pétrole rectifié, pour la débarrasser des oxyures de l'ampoule rectale

et du gros intestin.

Ce traitement fut très bien toléré ; il amenait la disparition des oxyures au

niveau de l'anus, mais ne parvint jamais à les faire disparaître complètement.

Il nous parut avoir aussi une influence sur le dermographisme qui s'atté-

nuait légèrement pendant le traitement. Enfin la malade qui prenait une crise

par mois depuis 7 mois, resta 4 mois à Ste-Clotilde sans rien présenter et n'eut t

une nouvelle crise qu'un mois après sa sortie.

Elle revint alors avec la figure meurtrie comme la première fois et un nou-

veau traitement suspendit encore les crises pendant 4 mois, l'attaque étant re-

venue moins de huit jours après sa sortie. Un troisième séjour et un troisième

traitement eurent les mêmes résultats et cette fois plus de huit mois se sont

passés sans nouvelle crise.

En résumé, il s'agit ici d'une malade ayant des oxyures depuis l'enfance,

se sachant atteinte d'urticaire mécanique (et par suite de dermographisme)

depuis l'âge de 13 ans, et présentant une épilepsie relativement tardive

puisqu'elle avait débuté à 24 ans.

La question se posait chez elle d'une pseudo-épilepsie vermineuse. On

sait en effet que les taenias, les ascarides lombricoïdes, les oxyures, peu-

vent déterminer un certain nombre de phénomènes à distance, troubles

intellectuels, pseudo-méningites, mouvements choréi formes, convulsions,

attaques hystériformes ou épileptiformes, etc. Bien qu'ils aient été exagérés

par les anciennes idées médicales et par les croyances populaires, les faits

de cet ordre sont indéniables et la preuve en est dans les résultats extraor-

dinaires qu'a souvent donnés le traitement antlieimintique (1).

Il est d'ailleurs assez difficile de les expliquer. Pour les anciens auteurs

il s'agissait uniquement d'irritation intestinale d'ordre mécanique déter-

minant des réflexes pathologiques plus ou moins complexes. Pour M. Chauf-

fard, la lombricose est une véritable infection dans laquelle interviennent

l'irritation des parois intestinales,l'exaltation de la virulence des microbes

(1) lIIARTIIA, Attaques épileptiformes dues à la présence du 1--nia. Archives géné-

rales de Médecine, nov. et déc. 1891.

DERMOGRAPHISME CHEZ LES ÉPILEPTIQUES 211

et les produits excrémentitiels du lombric. En ce qui concerne spécialement t

les lombrics, Huber, Chanson, Tauchon, admettent la virulence propre du

ver intestinal, et Chanson a même essayé sur les cobayes une série d'ex-

périences avec le suc ascaridien (1). On peut raisonner de même pour les

taenias et les oxyures.

Cette notion d'une auto-intoxication est celle qui cadre le mieux avec

nos idées actuelles à la fois sur la production des crises comitiales et sur

celle de l'urticaire. On ne peut d'ailleurs s'empêcher, en voyant l'épidémie

se soulever si brusquement chez notré malade, de faire un rapprochement t

entre la plaque d'urticaire et la possibilité de troubles vaso-moteurs ana-

logues se produisant brusquement du côté des méninges ou de l'écorce et

donnant naissance à la crise. Il est bien évident que les vaso-moteurs sont

chez cette femme dans un état particulier qui autorise la supposition. Et

il me paraît bien que c'est à la présence des oxyures qu'il faut attribuer

la facilité de la vaso-dilatation cutanée.

Au total, nous avions au maximum dans ce cas les conditions qui ont

été indiquées par Barthélémy (2) comme les plus favorables au développe-

ment du dermographisme : d'une part, un système nerveux spécialement

susceptible, d'autre part, un toxique agissant sur les vaso-moteurs, soit à

la périphérie, soit au niveau des centres médullaires.

Mais je ne crois pas pour cela qu'il faille accepter l'idée d'une épilepsie

vermineuse simple. On a donné comme caractères de celle-ci l'ictus moins

brusque, les chutes moins graves, les blessures exceptionnelles, la durée

très longue des périodes convulsives, tous caractères que nous n'avons pas

retrouvés chez notre malade. Le critérium eût été la guérison par la dis-

parition des vers intestinaux : nous avons vu que nous n'avions pu l'obte-

nir d'une façon complète et que notre traitement ne nous avait donné que

des rémissions passagères. Il est donc vraisemblable que nous avons bien

eu affaire à une épileptique vraie et que les oxyures favorisaient seulement

une auto-intoxication qui eût aussi bien pu se produire par les divers mé-

canismes connus, troubles généraux de la nutrition, dépuration urinaire

insuffisante, etc. (3).

Au reste nous avions à la même époque dans le service une malade qui

(1) Voir pour plus de détails l'article de Courtois-Suffit : Helminthiase intestinale,

dans le Traité de médecine,Charcot-Bouchard-Brissaud, t. IV, et le travail de TAUCHON,

Thèse de Paris, 1896-97.

(2) Barthélémy, Etude sur le dermographisme, Paris, .1893. - Voir aussi F. ALLARII

et II. IEICE, Archives générales de médecine, juillet 1898.

(3) Peut-être est-ce à des cas de ce genre qu'a eu affaire le Dr LvosTON qui prétend

avoir obtenu de bons résultats de la santonine chez des épileptiques non améliorés

par le bromure (Théoap. Gaz., fév. 1900).

212 LANNOIS

était atteinte de taenia et pour laquelle nous invoquions la même patho-

génie des crises comitiales sans songer à l'épilepsie par helminthiase in-

testinale. Il s'agissait en effet d'une épilepsie avec hérédité similaire et

apparition des crises bien avant le développement du tænia. Voici cette

observation résumée.

Observation II. ·

Epilepsie ayant débuté à l'âge de 11 ans. Hérédité paternelle similaire.

- J'ænia à 20 ans.- Réapparition des crises à 21 ans. Grand dermo-

graphisme. 1

La nommée G., femme M., âgée de 23 ans, entre pour la première fois à

Ste-Clotilde le 13 septembre 1899. Son père était un alcoolique qui devint

épileptique à 27 ans et fit un assez long séjour il l'hospice du Perron dans le

service de M. Carrier ; nous avons l'observation prise à cette époque (1892) et

avons pu constater qu'il avait eu avant son entrée une crise tous les huit jours en

moyenne et parfois 3 ou 4 par jonr. Au Perron, probablement sous l'influence

de la suppression de l'alcool, les crises disparureut et le malade put être renvoyé

chez lui. Depuis, au dire de sa femme et de sa fille, les crises n'auraient pas

reparu. - Pas d'autres maladies nerveuses dans la famille.

Il n'y a rien à noter dans ses antécédents personnels au début de l'existence.

Mais à 11 ans, elle prit une crise que la mère décrit comme épileptique. A

12 ans, il en survint une deuxième après une fièvre typhoïde. Puis les crises

disparurent.

A 17 ans 1/2, elle se maria et n'eut d'enfaut qu'il y a 3 mois ; peut-être

eut-elle plusieurs fausses couches. L'accouchement fut difficile, nécessita l'em-

ploi des fers et l'enfant mourut au bout de 3 heures. S'il faut en croire la mère

de la malade, elle aurait contracté une syphilis conjugale un an après le ma-

riage, assertion corroborée par le traitement que lui fit suivre le Dr Cordier.

Entre 18 et 20 ans, elle s'aperçut qu'elle avait le tmnia et fit une tentative

infructueuse pour s'en débarrasser. A 21 ans, les crises ont reparu avec une

grande fréquence, d'abord tous les 8 jours, puis tous les 3 ou 4 jours pendant

la grossesse : à la fin de celle-ci elle resta cependant 40 jours sans en avoir.

Actuellement elle en a habituellement tous les 5 ou 6 jours. Elles sont tout à

fait caractéristiques.

C'est seulement après deux mois de séjour et après une amélioration nette du

nombre des crises sous l'influence du bromure que la malade nous parla de son

taenia. On lui donna 100 grammes de graines de courge qui amenèrent l'expul-

sion de plusieurs mètres de ver (sans doute deux individus), mais pas de tête.

Ses crises parurent moins nombreuses et la malade sortit le 23 décembre 1899.

Mais elle revint au mois de février 1900 et nous dit avoir eu dix crises en

janvier. C'est à ce moment qu'on constata qu'elle était fortement dermogra-

phique : les piqûres d'épingle donnaient une large plaque d'urticaire et nous

lui écrivions facilement son nom sur la poitrine, le dos ou les avant-bras.

DERMOGRAPHISME CHEZ LES ÉPILEPTIQUES 213

L'écriture persistait chez elle pendant plusieurs heures et s'accompagnait des

phénomènes habituels. - Bien qu'elle ne rendit pas de cucurbitins à cette épo-

que, on lui administra une nouvelle dose de graines de courge sans résultat.

Elle fit un nouveau séjour dans le service au mois de septembre 1900, pré-

sentant toujours le même nombre de crises et rendant à nouveau des fragments

de taenia. Deux doses de tannate et de sulfate de pellétiérine amenèrent encore

l'expulsion de quatre mètres de taenia environ, sans la tête. La malade n'a

pas été revue depuis.

(

Ici encore je pense que le taenia a pu jouer le rôle de cause occasion-

nelle dans la réapparition des crises à 21 ans et dans la production du

dermographisme par le mécanisme indiqué pour le cas précédent. Mais je

crois superflu d'insister sur le diagnostic d'épilepsie non vermineuse en

raison de l'hérédité paternelle similaire et du début des crises huit à neuf

ans avant la constatation du taenia.

NOEVUS VEINEUX ET HYSTÉRIE

PARttM.

CHARLES BINET-SANGLÉ et LÉON VANNIER

(d'Angers)

I

Observation.

R... Yves Marie, 21 ans, maçon.

I. Ascendants ET collatéraux.

I. Grand'mère paternelle. - La grand'mère paternelle avait dés crises ana-

logues à celles que nous retrouverons chez le père, crises assez fréquentes

pour qu'on fût obligé de la faire accompagner par un enfant partout où elle

allait. Morte subitement au milieu de son travail, à 59 ans environ.

II. Frères et soeur du père. - 1 Frère du père. Bien portant. A deux

enfants dont l'un à la suite d'une affection de la jambe gauche, subit, vers

26 ans, une opération qui fut suivie de guérison.

2° Frère du père. - Mort au service militaire, étant sergent-fourrier, à la

suite d'un accident (chute dans un escalier).

3o S'ceur du père. - Morte à 30 ans. Elle était, au dire du malade, livide

au moment de sa mort.

IIf. Père. - Le père du malade a 68 ans. Il n'a jamais fait, il la connaissance

du fils, de maladies aiguës graves. Mais il est sujet à de fréquentes attaques

d'épilepsie.

En effet, environ deux ou trois fois par an, il tombe subitement sans con-

naissance au milieu de son travail, et reste étendu, rigide, le visage blême, le

corps agité de tremblements rapides. Il écume, se mord la langue et demeure

dans le stertor environ trois heures. Dès qu'il reprend ses sens, il se plaint de

courbature générale et de céphalalgie, et rejette 'les aliments ingérés aupara-

vant. Après l'accès, il est obligé de s'aliter pendant vingt-quatre heures.

Cet homme présente en outre un trouble vaso-moteur que nous allons re-

trouver chez le fils. C'est une coloration rouge, mais moins prononcée que chez

ce dernier, de tout le membre supérieur gauche, coloration qui s'accentue au

cours des crises. Après chacune d'elles, ce membre reste parésié pendant un ou

deux jours.

NOUV1 : LLj ! ICONOGRAPHIE DE LA SALPGTR;1RG.

T. XIV, PI. XXVII

NOEVUS VEINEUX, DERMOGRAPHISME ET HYSTÉRIE

(Cb. Bitui- Sangle et L. Vannier).

Masson & CI°, I ? dlccors

l'lwlnl\I ? 111'lthatHI, Pan"

NOEVUS VEINEUX ET HYSTÉRIE 215

Cet homme est d'ailleurs alcoolique. Depuis son passage à la caserne, il

s'enivre deux fois par semaine, le dimanche et le lundi, avec de l'eau-de-vie.

IV. Mère. - Vivante. 57 ans. Mariée à 22 ou 23 ans. A 17 ans, dothié-

nentérie très grave. Depuis six ans, elle est atteinte d'une affection de

la hanche droite. Le membre inférieur droit est plus court que l'autre.

Le pied est porté en dehors. La hanche et le genou sont douloureux. La

malade boite. Elle a beaucoup maigri depuis six ans. Depuis deux ans elle

tousse et crache jour et nuit, et se plaint de douleurs thoraciques. Anorexie.

Troubles gastro-intestinaux. Vomissements. Les vomissements surviennent

presque toujours après un accès de toux. Pas d'éthylisme.

V. Frères et sceicrs de la mère. Rien de particulier à signaler.

VI. Frères et soeur du malade. - Une soeur, 23 ans. Le malade, 21 ans.

Un frère, 18 ans, Un frère, 16 ans. Un frère, 14 ans.

Aucun des frères ou soeur ne présente d'accidents semblables à ceux que

nous allons décrire. Tous ont eu dernièrement la dothiénentérie.

II. Antécédents PERSONNELS.

Le malade a uriné au lit jusqu'à 14 ans. A 15 ans, il a commencé à travailler

(maçon). En juin 1900, dothiénentérie grave. Durée 2 mois. Délire. Aurait eu

jusqu'à 41° et 42°. Convalescence : six semaines. Pendant la convalescence,

le docteur Jégu, de Saint-Pol-de-Léon, a constaté une hémiparésie gauche.

III. Etat actuel.

Taille : 1 m. 69. Périmètre thoracique : 0 m. 99. Poids : 75 kilogs.

Le malade présente quelques signes de dégénérescence : front légèrement bob-

sué, lobule de l'oeil adhérent, voûte du palais ogivale, malformation den-

taire, légère asymétrie faciale. Pas d'éthylisme marqué, d'après lui. Il déclare

en effet ne boire que deux sous d'eau-de-vie par semaine.

I. Coloration DE la peau. Il présente une coloration rouge vineux de la

peau, limitée au côté gauche pour les membres supérieurs et le tronc. Cette

coloration est répartie de la façon suivante : (PI. XXVII).

Tronc. - Côté gauche. - Large tache rouge vineux, à laquelle des par-

celles de peau ayant conservé leur coloration normale donnent un aspect mar-

bré. Les limites de cette tache sont : à droite, une ligne allant du bord supérieur

de la fourchette sternale à l'appendice xyphoïde et suivant exactement la ligne

médiane; en bas une ligne horizontale passant à un centimètre au-dessous du

mamelon. En haut et à gauche il n'y a pas de limites précises. -

A l'angle supéro-interne de la plaque, c'est-à-dire dans l'angle formé par

l'extrémité interne de la clavicule et le sternum, la peau est rosée et présente

l'aspect de la couperose. On y distingue à l'oeil nu de petits vaisseaux sinueux,

tandis qu'ailleurs la coloration violacée est produite par de petits lacs san-

guins.

A gauche la coloration devient diffuse et disparaît graduellement vers le mi-

lieu de la paroi interne du creux axillaire.

216 BINET-SANGLÉ ET vannier

Epaule gauche. - Même coloration. Les taches qui recouvrent l'épaule se

continuent avec la précédente. Face antérieure : plaque irrégulière de peau

saine. Face externe : quelques taches couvrant la région deltoïdienne. Face pos-

térieure : tache s'arrêtant à la ligne médiane et allant de l'angle supéro-in-

terne de l'omoplate à l'angle inférieur du même os. Cette tache est moins colorée

que les précédentes, et interrompue par des plaques depeau saine.

Dons. - Même coloration. Tache occupant l'espace compris entre le bord spi-

nal de l'omoplate et le rachis, s'arrêtant à la ligne médiane, et se continuant en

haut avec la tache précédente (dimensions : 9 X 7).

Bras gauche. - Coloration identique occupant tout le bras, à l'exception

d'une région de peau saine située à la face antérieure et s'étendant depuis l'a-

cromion (bord antérieur) jusqu'à deux centimètres au-dessus du pli du coude.

Tout le reste du bras est uniformément violacé sans interposition de peau saine.

La coloration est plus accusée dans la région postéro-externe.

Avant-bras gauche. - Coloration bien plus accusée (lie de vin), surtout sur

les faces postérieure et interne, et uniforme, sauf à la face antérieure, où l'on

constate un semis de taches violacées sur un fond rougeâtre donnant à la peau

un aspect marbré. '

Poignet gauche. - Coloration rouge très foncé, plus accusée à la face pos-

térieure. A la partie antéro-externe, au niveau de l'apophyse styloide du radius,

petite portion de peau presque saine.

Main gauche. - Coloration uniforme, très peu accusée à la face palmaire,

où la racine du pouce et l'éminence thénar sont presque normales. Mais la face

dorsale est livide, presque noire. Les doigts présentent, surtout à la face dorsale,

la même coloration. On constate en outre quatre verrues, trois à la racine de

l'index, une à l'auriculaire.

Main droite. - Coloration rougeâtre, plus accusée à la face dorsale.

Membres inférieurs. - Les membres inférieurs présentent également une

coloration anormale, plus foncée à gauche. Les cuisses, les mollets et les pieds

sont parsemés à leur face interne de taches violacées. Aux genoux la coloration

est uniforme. Aux pieds elle est peu marquée, surtout à droite.

Caractères des taches. - Dans toutes les régions la coloration anormale

disparaît à la pression du doigt pour reparaître immédiatement après. De même

si l'on étire la peau avec deux doigts de chaque main.

Les taches deviennent plus foncées sans d'ailleurs augmenter d'étendue

quand le malade se baigne. Lorsqu'on lui fait soulever un fardeau, elles devien

nent ardoisées. En même temps on voit apparaître une légère marbrure sur les

régions indemnes du tronc, en avant il droite, et en arrière au niveau des

deux fosses sus-épineuses et de la sixième vertèbre cervicale. Lorsque le ma-

lade a marché pendant environ une heure, ou lorsqu'il a couru pendant une quin-

zaine de minutes, il survient toujours au même endroit un changement dans la

coloration des cuisses, phénomène remarqué par le sujet lui-même. On voit

alors apparaître aux faces antéro-internes des cuisses de larges plaques roses à

bords déchiquetés, et qui semblent produites par un afflux de sang artériel.

Elles se produisent aussi sous l'influence de la chaleur. Si l'on percute ou si

NOEVUS VEINEUX ET nYSTÉRIE 217

l'on flagelle le tronc, on obtient assez rapidement des taches semblables surtout

dans le dos. Elles se montrent plus rapidement et sont plus foncées du côté

gauche que du côté droit.

Bien plus le malade présente un certain degré de dermographisme. On peut

facilement tracer un nom sur sa peau avec le doigt ou avec le manche d'un

porte-plume et sur l'une de nos photographies celui de Jules Soury apparaît

assez nettement.

Si l'on applique sur la peau deux poids de 50 grammes, l'nn chaud, l'autre

froid, la vaso-dilatation n'est provoquée que par le poids chaud ; ou bien elle

est plus rapide et plus marquée avec ce poids.

Température de la peau. - Il existe une différence dans la température de

la peau entre le côté gauche et le côté droit. A la main les régions thoracique

et scapulo-humérale paraissent plus chaudes à gauche qu'à droite. Mais c'est le

contraire pour le coude, l'avant-bras, le poignet et surtout la main.

lle, série d'observations.

Températures prises avec le thermomètre à température locale (cuvette en

spirale).

1. Températures prises à 6 centimètres de la ligne médio-sternale, un

peu au-dessous du mamelon.

A gauche : 29° 6. Temps employé : Il' 10". Température de la salle : au

début : Il- 5 ; à la fin : Ho 5.

A droite : 29° 8. Temps employé : 11' 10".Température de la salle : au début :

15° 5 ; à la fin : 16° 5.

Ici le thermomètre donne des résultats inverses à ceux que fournit la palpa-

tion. A la main cette région semble plus chaude à gauche qu'à droite.

| 2. Températures prises au-dessus du coude.

A gauche : 30° ` ? â. Temps employé : 12' 40". Température de la salle : au

début : 15° 5 ; à la fin : 15° 5.

A droite : 300 6. Temps employé : 12' 40". Température de la salle : au

début : 15° 5 ; à la un : 16°.

3. Températures prises dans l'aisselle.

A gauche : 37° 12. Temps employé : 12'. Température de la salle : au début :

15° 5 ; il la fin : 15° 5.

A droite : 37° 2. Temps employé : 12. Température de la salle : au début :

16° ; à la fin : 16°.

§ 4. Températures prises à la région thoracique.

A gauche : 31° 3. Temps employé : 10. Température de salle : au début :

21° ; à la fin : 21°.

A droite : 32°. Temps employé : 10-. Température de la salle : au début :

21° ; à la fin : 21°.

2e Série d'observations (28 déc. 1900).

4. - Températures prises à 6 centimètres de la ligne médio-sternale un peu

au-dessus du mamelon.

218 BINET-SANGLÉ ET vannier

A gauche : 30°. Temps employé : 10'. Température de la salle : au début : 14°;

à la fin : 1411.

A droite : 29°. Temps employé : 10'. Température de la salle : au début : 14°;

it la fin : Ho.

| 2. Températures prises à quatre travers de doigt de chaque côté de

l'ombilic.

A gauche : 30° 6. Temps employé : 10'. Température de la salle : au début :

14» ; à la fin : 14°. ,

Adroite : 31°4.Temps employé : 10'. Température de la salle : au début : 14° ;

à la fin : 14°.

3. Température prise à la région thoracique gauche.

Au niveau de la tache : 30°. Temps employé : 10'. Température de la salle : au

début : 1 ? ; à la fin : 44°.

Au-dessous de la tache : 31°9. Temps employé : 10'. Température de la salle :

au début : 14o ; à la fin : 14°.

Epaisseur de la peau., - La peau et le tissu cellulaire sous-cutané sont

épaissis à gauche pour le membre supérieur et le tronc. De là les résultats sui-

vants :

Demi-périmètre thoracique pris au-dessous de l'angle inférieur de l'omoplate :

A gauche : 50 cm. 5 sans contraction, 48 centimètres avec contraction.

A droite : 48 cm. 5 et 47 cm. 5.

Périmètres des membres supérieurs.

Bras, à 12 centimètres au-dessus de l'olécrane : droit, 30 cm. 5, sans con-

tractions,33 centimètres sans contractions : gauche, 31 cm. 5 et 33 cm. 5.

Avant-bras, à 9 centimètres au-dessous de l'olécrane : droit, 29'centimètres

et 29 cm. 75 : gauche, 29 cm. 5 et 31 centimètres.

D'ailleurs nous avons trouvé pour l'épaisseur des plis cutanés prise au com-

pas d'épaisseur :

Bras gauche, face antéro-externe : 11 millimètres. Bras droit, face antéro-

externe : 9 millimètres.

Avant-bras gauche, face antéro-externe : 7 millimètres. Avant-bras droit,

face antéro-externe : 7 millimètres.

Cuisse gauche, face antéro-externe : 12 millimètres. Cuisse droite, face an-

téro-externe : 7 millimètres.

Jambe gauche, face antéro-externe : 11 millimètres. Jambe droite, face an-

téro-externe : 9 millimètres.

I. Système pileux. Les poils sont plus développés à droite qu'à gauche.Cette

différence est très sensible aux mamelons, à l'ombilic et au pubis.

II. Appareil digestif. - Rien à signaler.

III. Appareil respiratoire. Rythme.- Au repos, debout : 24 ; couché, 211.

Après une course : 48.

IV. Appareil circulatoire. - Coeur. Choc de la pointe à peine sensible.

Surface du coeur : 9 X 14 x0,83 = 104,58, indiquant une légère hypertro-

phie. Légère accentuation du deuxième bruit dans la région du troisième es-

pace intercostal droit.

NOEVUS VEINEUX ET HYSTÉRIE 219

Vaisseaux. - Artères facilement dépressibles, non indurées, ni sinueuses.

Pouls à l'artère radiale : dicrote, lent. Nombre de pulsations : malade cou-

ché : 56 : immédiatement après une course de dix minutes : 76 ; quelques mi-

nutes après : 64.

Pression artérielle. A droite avec le sphygmog. à cadran de Btoch : 750 ;

sphygmog. de Chardon : 600 : avec le sphygmog. de Marey modifié par Po-

tain : 17,5.

A gauche : 950, 750, 19,5.

Ces différences dans les résultats obtenus sont dues uniquement à l'hypertro-

phie de la peau et du tissu cellulaire sous-cutané à gauche, et à la compression

qu'il faut exercer de ce côté pour atteindre l'artère.

Très légères varices aux membres inférieurs. -

V. Système NERVEUX. - L'intelligence semble ordinaire. Le malade sait lire,

écrire et compter. Sommeil bon, pas de rêves ni de cauchemars.

A. - Sensibilité générale. 1° Douleurs. Le malade n'accuse des dou-

leurs dans les régions anormalement colorées que lorsqu'il est fatigué. Il

éprouve alors un point de côté assez violent, au niveau des 3e, 4e, 8''eûtes et

espaces intercostaux correspoudants, à 6 centimètres en dehors du mamelon et

suivant une ligne verticale occupant la paroi interne du creux axillaire. De

plus il souffre de l'onglée au moindre froid.

` ? ° Sensibilité à la douleur. - Le malade accuse une douleur plus intense

et réagit plus, lorsqu'on pique le côté gauche avec une épingle que lorsqu'on

pique le côté droit. '

Les piqûres d'ailleurs légères du côté gauche provoquent même le pleurer

spasmodique.

B. - Sensibilités spéciales. - I. - Sensibilité à la pression el sensibilité

musculaire. - Objets employés, deux poids de 100 grammes et deux de

2 grammes.

i° Région thoracique antérieure. Poids de 100 grammes : même impression

des deux côtés. Poids de 2 grammes : id.

2" Main face palmaire avec soupèsement. Poids de 100 grammes : perçu

plus lourd du côté droit. Poids de 2 grammes : id.

II. - Sensibilité thermique. Première série d'observations (12 déc. 1900).

1. - Sensibilité au froid. - Il existe plusieurs plaques d'hyperesthésie pour

le froid. Un objet perçu chaud par les observateurs, est perçu froid par le

malade :

1° A gauche. - Dans une région occupant la partie postérieure de la tête et

limitée : en haut par une ligne transversale passant près de la suture pariéto-

occipitale, en bas par une ligne horizontale passant vers le milieu du cou, en

arrière par la ligne médiane. En avant cette plaque n'a pas de limites pré-

cises. Elle envoie un promontoire jusqu'à la queue du sourcil gauche.

2° A droite. 1° Dans une région de la face limitée : en haut par une ligne

horizontale passant vers le milieu du front, en bas par une ligne horizontale

aboutissant à la narine droite, en avant par la ligne médiane, en arrière par

le bord postérieur du pavillon de l'oreille. De plus une bande partant de .cette

220 BINET-SANGLE ET vannier

plaque au-dessous du lobule de l'oreille va aboutir la sixième vertèbre cer-

vicale.

2° Dans une région du tronc limitée : en haut par une ligne à peu près horizon-

tale passant au-dessous du mamelon, en bas par une ligne oblique passant à

25 centimètres au-dessus de la base de la rotule et à 5 centimètres au-dessous

du pli fessier,en avant par la ligne médiane ,en arrière par la ligne médiane.

3° A la main, face dorsale et face palmaire.

4° A la jambe dans toute l'étendue d'une molletière ayant pour limites : en

haut une ligne passant en avant à 19 centimètres au-dessous du sommet de la

rotule, en dehors à 8 centimètres au-dessous de l'extrémité supérieure du

péroné, en arrière à 19 centimètres au-dessous du pli du genou, en dedans à

11 centimètres au-dessous du bord supérieur du tibia ; en bas par une ligne

passant en avant à 11 centimètres, en dehors à 14 centimètres, en arrière à

6 centimètres au-dessus de la pointe de la malléole externe, et en dedans à

8 centimètres au-dessus de la pointe de la malléole interne. Dans toutes ces

régions, quand on élève suffisamment la température de l'objet, le malade finit

par percevoir normalement, mais avec une légère douleur.

2. - Sensibilité au chaud. Il existe également un certain nombre de points

hyperesthésiques pour le chaud. Un objet perçu froid par les observateurs est

perçu chaud par le malade.

1° A gauche. - 1° Au poignet et a la main.

2° A la jambe dans toute l'étendue d'un bas ayant pour limite supérieure une

Régions hyperesthésiques pour le froid ou anesthésiques pour le chaud.

NOEVUS VEINEUX ET HYSTÉRIE 221 t

ligne passant en avant à 14 centimètres au-dessous du sommet de la rotule, en

dehors à 3 centimètres au-dessous de l'extrémité supérieure-du péroné, en

arrière à 12 centimètres au-dessous du pli du genou, et en dedans à 12 centi-

mètres au-dessous du bord supérieur du tibia.

2° A droite. - Au pied dans toute l'étendue d'une bottine ayant pour li-

mite supérieure une ligne passant, en dehors à 15 centimètres au-dessus de lu

pointe de la malléole externe, en arrière à 8 centimètres et en dedans à 4 cen-

timètres au-dessus de la pointe de la malléole interne.

Deuxième série d'observations (15 février 1901), -10 Sensibilité au froid.

Toutes les plaques d'hyperesthésie pour le froid ont disparu.

2" Sensibilité au chaud. Un objet froid est perçu chaud à la face palmaire

des deux mains, principalement à l'éminence thénar. Toutes les autres plaques

d'hyperesthésie pour le chaud ont disparu.

Troisième série d'observations (23 février 1901).- 1° Sensibilité au froid.-

Un objet chaud est senti froid à la face palmaire de la main gauche, sauf à l'é-

minence thénar.

2° Sensibilité au chaud-. - Normale.

Si dans les deux dernières observations nous n'avons pu retrouver les pla-

ques d'hyperesthésie thermique de la première, nous avons remarqué toutefois

que, lorsque nous explorions les régions occupées auparavant par ces plaques,

le malade n'accusait la sensation chaude ou froide qu'après un moment d'hési-

xiv ' 16

Régions hyperesthésiques pour le chaud ou anesthésiques pour le fro

222 BINET-SANGLÉ ET VANNIER

tation. Cette hésitation s'accentuait lorsqu'on appliquait successivement au

même endroit le poids chaud puis le poids froid.

Nous avons remarqué en outre une légère persistance de la sensation de cha-

leur.

III. Sensibilité tactile. La mesure de la sensibilité tactile avec l'esthésio-

mètre à coulisse nous a donné les résultats suivants :

NOEVUS VEINEUX ET llYSTÉRIE 223 3

224 BINET-SANGLÉ ET VANNIER

présentaient un calibre un peu plus grand et étaient un peu plus sinueuses à

gauche qu'à droite. La conjonctive gauche est plus vascularisée que la droite.

La pupille gauche plus dilatée que la droite. La tonicité de l'oeil paraît plus

élevée à gauche.

Si l'on présente au malade des échantillons de laine de couleur, il distingue

difficilement ceux teintés en bleu, en vert et en gris clair. Il présente d'ailleurs

un rétrécissement des champs des couleurs, les cercles du bleu et du vert étant

beaucoup plus petits que le cercle du rouge.

Le champ visuel fut repris le 14 février par le Dr Paul Bernard.

Le rétrécissement avait augmenté pourrie blanc et le rouge surtout dans

le diamètre vertical, et un peu diminué pour le bleu et le vert.

Un troisième examen de l'oeil fait par nous le 19 février nous a donné les

résultats suivants : Punctum proximum d'accommodation. 0. G. = 21 centimè-

tres, 0. D. = 25 cent.

Lorsque le malade lit,il éprouve bientôt des sensations de piqûres et de brû-

lure dans les yeux, puis des douleurs de tête assez intenses. En même temps

les lettres se brouillent et chaque ligne n'apparaît plus que comme une barre

indistincte.

Si l'on place verticalement un porte-plume à 10 centimètres de son front

et qu'on lui dise de le regarder alternativement avec l'oeil gauche et avec l'oeil

droit, l'objet lui paraît plus éloigné et situé à deux centimètres plus à droite

lorsqu'il regarde avee l'oeil gauche que lorsqu'il regarde avec l'oeil droit.

VIII. Intelligence. - L'intelligence semble ordinaire. Le malade sait lire,

écrire et compter. Sommeil bon. Pas de rêves ni de cauchemars.

IX. Motilité. Le réflexe crémastérien est exagéré, surtout à gauche. Par

les temps froids le malade fléchit difficilement les doigts de la main gauche, sur-

tout le médius et l'annulaire, qui sont « comme morts » dit-il, et plus livides

encore qu'à l'ordinaire. -

La force musculaire est notablemeut diminuée à gauche, du moins pour les

membres supérieurs. En effet alors qu'à droite le malade amène l'aiguille du

dynamomètre Mathieu à 41 kilog. 5, à gauche il ne peut atteindre que 26 kilog. 5

(moyenne de quatre observations). Déplus, selon lui, les membres supérieurs

seraient souvent le siège d'un tremblement qui s'accentuerait après une marche,

une course, une fatigue quelconque. Nous n'avons point constaté ce tremble-

ment.

II

Diagnostic ET interprétation (l31aet-Satglé).

La lésion cutanée que présente notre malade peut éveiller l'idée des

affections suivantes :

1° La maladie de Raynaud ; 2° l'érythromélalgie; 3° l'aedéme bleu des

hystériques ; 4° les troubles vaso-moteurs consécutifs aux lésions trau-

matiques, toxiques ou infectieuses des nerfs.

NOEVUS VEINEUX ET UYSTÉKIE 225

1° Il existe bien chez notre malade de « l'asphyxie des extrémités ». Les

doigts présentent en effet une coloration bleuâtre, violacée, livide, sur

laquelle la pression de l'index fait apparaître une tache pâle. De plus,

' par les temps froids, ils sont le siège de douleurs aiguës. Mais cette asphyxie

locale n'a rien à voir avec la maladie de Raynaud. Il ne s'agit pas de

contracture artérielle, mais de paralysie veineuse. L'affection neprocèdepas

par accès et ne s'associe pas avec la syncope locale. Elle est congénitale

et constante. Enfin cette asphyxie, loin d'être localisée aux extrémités,

occupe de larges surfaces.

2° Nous constatons chez notre malade, comme chez les érythromélalgi-

ques,une coloration rose, rouge ou pourpre de certaines régions de la peau

(face dorsale des mains et du poignet gauche) et, sous certaines influences

(flagellation, froid ou chaud), des membres inférieurs. Mais, au rebours de ce

qui a lieu dans l'érythromélalgie, cette rougeur ne survient pas par accès-

Elle ne s'accompagne pas de douleurs, si ce n'est par les temps froids.

Elle est congénitale et constante, du moins à la face dorsale du poignet

gauche et des mains.

3° Comme il existe un épaississement de la peau du côté cyanosé, on

pourrait songer à l'oedème bleu des hystériques ; d'autant plus que l'oedème

bleu a de la prédilection pour la main, qu'il est le plus souvent unilatéral,

qu'il siège dans une région anesthésique (or ici la sensibilité tactile est

diminuée à gauche), et qu'il peut être superposé à une paralysie (or ici

il y a une notable diminution de la force musculaire à gauche). Mais ce

n'est pas de l'oedème que présente R... C'est un épaississement lardacé

sans infiltration séreuse. De plus la coloration ne varie pas comme dans

l'oedème bleu ; elle est congénitale et constante.

4.0 Certaines régions, surtout les doigts, ont l'aspect qu'on observe à la

suite de lésions traumatiques, toxiques ou infectieuses des nerfs au stade

chronique de la paralysie vaso-motrice, c'est-à-dire une hyperémie passive

de la peau se manifestant par de la cyanose, un abaissement de la tempé-

rature et une hypertrophie du tissu cellulaire sous-cutané.

Ici le diagnostic devient difficile à faire. Aussi bien ne le ferai-je pas

et voici pourquoi. Les lésions de la peau qui résultent des lésions trau-

matiques des nerfs sont consécutives à la dégénérescence des filets vaso-

constricteurs. Or cette dégénérescence existe chez notre malade. Elle est

due à des intoxications ancestrales. Seulement, au lieu d'être localisée à

la région innervée par un nerf déterminé, elle est systématisée. Elle in-

téresse une portion notable' du système vaso-moteur.

En un mot, R... est atteint d'un na;v2zs veineux, ou, pour être plus

précis, d'une vaso-paralysie cutanée congénitale localisée au côté gauche

226 BINET-SANGLÉ ET VANNIER

pour les membres et le tronc, et, pour le tronc, s'arrêtant en avant et en

arrière exactement à la ligne médiane.

Mais de plus, et bien qu'il ne s'agisse pas d'oedème bleu (affection qui

rélève aussi d'ailleurs d'une lésion des. neurones vaso-constricteurs, mais

qui implique une simple régression et non d'une destruction de ces neuro-

nes), notre malade est hystérique.

Il présente en effet le groupement sémiologique suivant : 1° Des placards

oscillants d'hyperesthésie pour le froid et pour le chaud. 2° Une hypoes-

thésie gauche variant sensiblement sous l'influence des changements de

température et des applications métalliques. 3° Un rétrécissement oscil-

lant des champs chromatiques (1), les champs du bleu et du vert étant

plus petits que celui de rouge. 4° De l'asthénopie accommodative. il Du

dermographisme, et des troubles vaso-moteurs analogues survenant sous

l'influence de la flagellation et des changements de température; sans

compter une diminution de l'acuité auditive et de la force musculaire à

gauche et un léger défaut de convergence des yeux.

Toutefois j'appuie moins le diagnostic d'hystérie sur ce groupement

sémiologique que sur l'oscillation des cinq premiers symptômes, l'hys-

térie consistant, selon moi, dans t'hyperamiboïsme des neurones (2).

En résumé, l'affection de notre malade résulte d'une absence de déve-

loppement d'un certain nombre de neurones vaso-constricteurs, et d'un

arrêt de développement d'un certain nombre d'autres appartenant aux

systèmes de la sensibilité thermique, de la sensibilité tactile, de la sensi-

bilité.visuelle, de l'accommodation, de la miction et de la vaso-constriction,

tous cas neurones étant restés à un état assez voisin de l'état embryonnaire,

de l'état des plastides primitifs (spermatozoïde et ovule) et, dans la' série

phylogénique, de l'état de l'amibe.

Mais j'estime qu'on n'a pas tout fait lorsqu'une observation ayant été

prise avec soin, on a posé un diagnostic. Il reste encore à interpréter l'ob-

servation. Cetle interprétation doit être faite : 1° en s'appuyant sur les

faits; 2° en imaginant des hypothèses basées sur les faits.

Je ne suis pas de ceux qui font si des hypothèses. La science ne saurait t

progresser sans elles, car, si l'observation et les expériences sont la con-

dition de son progrès, ce sont les hypothèses qui guident les observations

et les expériences.

La grand'mère paternelle de notre malade semble avoir eu des attaques

d'épilepsie et est morte de mort subite.

(1) Le champ visuel étant le champ du blanc, il n'y a pas lieu de le séparer des

autres champs chromatiques.

(2);h. BINET-SAN6LÉ, Théorie physiologique de l'hystérie (in Revue de l'hypnotisme

et de la physiologie pathologique, février 1901 et suiv.). Voir aussi : Ch. BINFT-S,%NoLf,

Action dit haschich sur les neurones (in Revue scientifique, 2 mars 1901).

NOEVUS VEINEUX ET HYSTÉRIE 227

J'ai essayé de démontrer que toutes les secousses pathologiques et en

particulier les attaques d'épilepsie étaient dues à la formation de neuro-

diélectriques dans l'intérieur des conducteurs nerveux, et aux décharges

consécutives à la tension nerveuse en amont de ces neuro-diélectri-

ques (1).

Le fils de cette femme (le père de notre malade) a hérité de ces neuro-

diélectriques (monstruosités anatomiques, acquises par intoxication micro-

bienne ou non microbienne), et il a échappé d'autant moins au fatum

héréditaire qu'il est d'une province où l'alcoolisme fait des ravages, et qu'il

s'intoxique deux fois par semaine avec l'eau-de-vie des cabarets bretons.

Les neuro-diélectriques qui interceptent les ondulations nerveuses

se manifestent chez lui : 1° par une paralysie des vaisseaux de la peau du

bras gauche ; 2° par des décharges épileptiques.

De plus les neurones moteurs du bras, héréditairement lésés, sont par-

ticulièrement sensibles au choc épileptique, et ce membre reste parésié

pendant un ou deux jours après l'attaque.

Notre malade a hérité lui aussi des tares paternelles, par l'intermédiaire

d'un spermatozoïde altéré, et peut-être intoxiqué par l'alcool au moment,

de la conception. De plus, il a subi de nombreuses infections (gourme,

écoulements d'oreilles, rougeole, oreillons, dothiénentérie avec haute

température et délire).

Il présente de ces signes physiques de ^dégénérescence qui ne sont que

des arrêts de développement, car les causes pathogéniques n'ajoutent rien

à l'architecture fonctionnelle de l'organisme : elles ne font que lui retran-

cher. Il a ce front bossué, qui a été signalé dans l'épilepsie héréditaire

et qu'on retrouve chez l'embryon humain. Il a le lobule de l'oreille adhé-

rent de l'embryon humain et des anthropopithèques, cette partie du pa-

villon de l'oreille était d'ailleurs celle qui se développe la dernière. Il a la

profonde voûte du palais du foetus, et un léger arrêt du développement

du squelette de la tête, arrêt qui détermine une malformation dentaire et

une asymétrie faciale.

Mais le principal arrêt de développement porté sur les neurones ; et il

suffit, comme on va le voir, à expliquer tous les symptômes nerveux de

notre malade.

Pour la facilité de l'interprétation, je les étudierai dans l'ordre suivant.

Symptômes relevant d'une altération : 1° des neurones de la douleur;

2° des neurones de la sensibilité tactile ; 3° des neurones de la sensibilité

musculaire ; 4° des neurones de la sensibilité thermique; 5° des neurones

(1) Ch. BINET-SANGLÉ,DtG tremblement à la paralysie (in Archives médicales d'Angers,

1898,1899,1900). Théorie des np1l1'o-diéleclnqlles (in Archives de neurologie, sept.

1900).

228 BINET-SANGLÉ ET VANNIER

de la sensibilité auditive ; 6° des neurones de la sensibilité visuelle ; 7° des

neurones des mouvements de la vie de relation ; 8° des neurones de la mic-

tion ; 9° des neurones de la vaso-constriction.

4° Neurones des sensations pathiqnes.

La douleur est due, soit à une sommation de vibrations dans un nerf

quelconque, soit à l'ébranlement de cylindraxes aboutissant à des neuro-

nes spéciaux et qui existeraient dans tous les nerfs. Les dissociations de la

syringomyélie, de l'hématomyélie, des compressions delà moelle épinière,

de la myélomalacie par artérite syphilitique, du tabes, de la maladie de

Morvan, de certaines névrites et de l'hystérie, ainsi que l'anesthésie dou-

loureuse et aussi Je cas de notre malade, qui présente de l'hyperalgésie et

de l'hypoesthésie du même côté, sont en faveur de cette dernière interpré-

tation.D'ailleurs on n'a pas oublié la magistrale étude oaVanGehuchten (1)

concluait à l'existence des neurones de la douleur. On conçoit d'ailleurs

que la douleur sera d'autant plus intense que la pression nerveuse sera

plus élevée dans ces neurones.

Je suis ainsi conduit à penser que ]'hyperalgésie gauche de R... est due

à l'existence dans l'hémisphère droit, en aval des neurones où la dou-

leur est perçue, de neuro-diélectriques qui les empêchent, dans une cer-

taine mesure, de se décharger sur les neurones voisins. Il en résulte que

les ondulations nerveuses, après avoir déterminé l'élévation de la pression

dans ces neurones, sont en grande partie réfléchies sur les conducteurs cen-

trifuges, d'où exagération à gauche des réflexes provoqués par les impres-

sions douloureuses, et tendance plus marquée qu'à l'état normal au pleu-

rer spasmodique.

Et comme on sait depuis les travaux de Nothnagel, de Bechterew et de

Brissaud (2) que le centre de coordination du rire et du pleurer spasmo-

dique est situé dans la couche optique, les neuro-diélectriques qui déter-

minent chez notre malade les troubles en question se trouvent situés au-

dessus du diencéphale et, selon toute vraisemblance, dans l'écorce de

l'hémisphère droit.

2° Neurones des sensations tactiles.

Que l'hémisphère droit soit lésé chez noire malade, c'est ce qui semble

résulter encore de l'étude de la sensibilité tactile. En effet, la sensibilité

tactile est, pour la plupart des régions, diminuée à gauche; mais c'est là

une hypoesthésie oscillante variant sous l'influence de la température et

(1) VAN GEIIUCHTFN, La dissociation syringomyélique de la sensibilité, etc... (in

Semaine médicale, 1899, p. 113).

(2) E. IBussnon, Leçons sur les maladies nerveuses (Salpêtrière, 1893-1894),XXI" leçon.

NOEVUS VEINEUX ET HYSTÉRIE 229

des applications métalliques, et vraisemblablement modifiable par sugges-

tion, bien que nous n'ayons pas, pour des raisons particulières, employé

ce procédé expérimental.

Cette hypoesthésie oscillante me paraît due à l'hyperamiboïsme des

neurones de sensation tactile de l'hémisphère droit, hyperamiboïsme ré

sultant de leur arrêt de développement. Ces neurones seraient restés,

dans un état assez voisin de celui des leucocytes, des cellules embryon-

naires et des amibes, et, comme ces cellules, ils.se rétracteraient sous

l'influence des excitations suffisantes. J'ai montré en effet, dans un tra-

vail qui doit bientôt paraître, qu'il existe pour les êtres monoplastidaires

et pour les cellules végétales et animales, un optimum de veille par

rapport à tous les mouvements (mécaniques, physiques el chimiques) qui

peuvent les impressionner, optimum au delà duquel la somnolence c'est-

à-dire la rétraction commence, pour aboutir au sommeil, c'est-à-dire à

la rétraction complète.

Lorsque les neurones des sensations tactiles se rétractent, des neuro-

diélectriques se forment,' soit dans leurs prolongements par suite de mo-

difications dans la densité de ces prolongements, soit entre ces prolon-

gements et ceux des neurones des conducteurs centripètes avec lesquels

ils ne sont qu'en rapport de contiguïté et dont ils pourraient se séparer

momentanément. De là, suivant la résistance et l'étendue de ces neuro-

diélectriques, un arrêt partiel ou complet des ondulations centripètes,

c'est-à-dire l'hypoesthésie ou l'anesthésie.

L'application de la lame de zinc et de la lame de laiton, en ramenant

les neurones rétractés vers un optimum (thermique ou électrique) de

veille, ont provoqué la réextension des prolongements et l'amélioration

de la sensibilité.

Ce qui prouve d'ailleurs que les neurones rétractés sont bien les neu-

rones où la sensation tactile a lieu, et non les neurones de leurs conduc-

teurs centripètes, c'est que, lors des applications métalliques, l'"™*i ? >

tion de la sensibilité tactile se produisit à la fois dans la région

cation fut faite et dans la région symétrique. Cela montre de pi

neurones de sensations tactiles des deux hémisphères sont e :

étroite.

Reste à expliquer la coïncidence de l'hyperalgésie et de l'hy

du même côté. Cela paraît être dû à ce que les neurones des sensations

tactiles sont situés plus en aval que les neurones des sensations doulou-

reuses. Des neuro-diélectriques situés entre ceux-ci et ceux-là rendraient

compte à la fois de ces deux sortes de troubles.

L'étal' de la sensibilité tactile chez notre malade n'est pas dépourvu

d'intérêt pour les physiologistes. Voici en effet les diverses régions de sa

230 BINET-SANGLÉ ET VANNIER

peau rangées par ordre décroissant, quant au diamètre des cercles de

Weber, c'est-à-dire par ordre ascendant de finesse tactile : face externe

du bras ; face externe de la jambe ; dos ; face antéro-externe de la cuisse ;

thorax (parties supérieures de la face antérieure) ; paroi abdominale an-

térieure ; face postérieure du cou ; pourtour du mamelon : cuir chevelu ;

face antéro-externe de l'avant-bras ; plante du pied ; face antéro-interne

du bras ; éminence thénar; joues; éminence hypothénar; front; pom-

mettes ; index (face palmaire).

Je ne crois pas que ces différences soient sous la dépendance unique

de l'éducation motrice des diverses régions considérées, et j'estime que la

fréquence des heurts, qui finissent par émousser la sensibilité tactile, est

l'une des raisons de la grandeur des cercles de sensation à la face externe

des membres, au dos, aux fesses, etc.

La sensibilité musculaire qui n'est qu'une forme de la sensibilité tac-

tile, et dont les neurones doivent être situés au voisinage des neurones de

celle-ci, est également diminuée à gauche.

3° Neurones des sensations de froid et des sensations de chaud.

J'ai essayé de démontrer que les hypoesthésies hystériques résultaient

de la rétraction en masse d'un groupe de neurones de sensation, qui, tout

en restant en relation avec ses conducteurs centripètes, ne communiquait

plus qu'incomplètement avec le reste de la colonne neuronienne (1). Se

chargeant ainsi sans pouvoir se décharger, ce groupe resterait, selon moi,

dans un état de vibration constante, que porterait au maximum le moin-

dre apport d'ondulations. C'est donc par cette hypothèse que j'expliquerai

les plaques oscillantes d'hyperesthésie pour le chaud et pour le froid, que

nous avons constatées chez notre malade.

Tout objet appliqué sur la peau impressionne à la fois les nerfs du froid

et les nerfs du chaud, et la sensation perçue est la somme algébrique de

ces deux impressions.

Or, chez notre malade, par suite de la formation dans L'écorce de grou-

pes hyperesthésiques parmi les neurones du froid, l'impression de froid

l'emportait, dans les régions de la peau correspondantes à ces groupes, sur

l'impression de chaud, à moins qu'on n'augmentât considérablement la

température de l'objet.

De même, par suite de la formation de groupes hyperesthésiques parmi

les neurones du chaud, l'impression de chaud l'emportait, dans les régions

de la peau correspondantes à ces groupes, sur l'impression de froid.

On pourrait encore, il est vrai, expliquer ces phénomènes par la rétrac-

(1) CH. Binet-Sanglé, Théorie physiologique de l'hystérie (in Revue de l'hypnotisme,

1901).

NOEVUS VEINEUX ET UYSTÉRIE 231

lion des neurones des sensations de chaud dans les régions de l'écorce cor-

respondant aux régions de la peau hyperesthésiques pour le froid, et par

la rétraction des neurones des sensations de froid dans les régions de l'é-

corce correspondant aux régions de la peau hyperesthésiques pour le

chaud.

Toutefois, bien que d'ordinaire l'accumulation du sang veineux dans la

peau diminue la sensibilité thermique, les plaques d'hyperesthésie, pour

le chaud ou le froid, c'est-à-dire anesthésiques pour la sensation inverse,

ne se superposent pas au naevus. Elles accusent seulement une tendance à

persister à la main gauche. Cela tend encore à prouver que ces plaques

sont bien d'origine centrale.

On remarquera également que les plaques d'hyperesthésie pour le froid

se sont montrées pour la plupart à droite, les plaques d'hyperesthésie pour

le chaud, pour la plupart à gauche, et qu'elles ne se chevauchent pas,

c'est-à-dire que là où un objet froid était perçu chaud, un objet chaud n'é-

tait pas perçu froid.

4° Neurones des sensations auditives.

La diminution de la sensibilité auditive à gauche me paraît due égale-

ment à une lésion, peut-être purement fonctionnelle (hyperamiboïsme et

rétraction) des neurones des sensations auditives de l'écorce de l'hémi

sphère droit. t.

5° Neurones des sensations visuelles.

Les rétrécissements oscillants des champs chromatiques que présente

notre malade me paraissent dus à l'hyperamiboïsme des neurones des sen-

sations de couleur.

J'ai déjà soutenu qu'il existait pour chaque couleur un système parti-

culier de cellules nerveuses et que ces diverses cellules se trouvaient in-

tercalées les unes dans les autres comme les cubes d'une mosaïque. Aussi

bien, je ne puis m'expliquer autrement qu'il existe un champ visuel pour

chaque couleur, et que ces champs soient homocentriques.

Acceptant d'autre part l'hypothèse, d'ailleurs appuyée sur de nombreux

faits, que le centre visuel de la scissure calcarine n'est qu'une projection

de la rétine oculaire, j'ai été conduit à attribuer les rétrécissements des

champs chromatiques chez les hystériques à la rétraction des neurones

centraux qui correspondent aux cellules neuro-épithéliales du pourtour

de la rétine, et qui, pour cette raison, doivent être peu excités, peu en-

traînés à l'extension, et dès lors prédisposés à la rétraction chronique.

GO Neurones de l'accommodation.

Il parait exister chez notre malade une contracture oscillante des mus-

232 BINET-SANGLÉ ET VANNIER

cles ciliaires, plus prononcée à gauche. Cette contracture expliquerait,

d'une part les modifications observées à deux mois d'intervalle dans les

distances proximales des deux yeux, d'autre part la différence qui existe

entre celle de l'oeil gauche et celle de l'oeil droit en faveur de celle-ci. La

légère hypermétropie de l'oeil droit (0,5 D) ne saurait en effet expliquer

cette différence.

Le défaut de convergence des yeux semble indiquer qu'il existe en outre

une légère contracture du droit interne à gauche. Ces deux troubles mus-

culaires jouant d'ailleurs le principal rôle dans l'asthénopie accommoda-

tive de notre malade, laquelle a tous les caractères de l'asthénopie hysté-

rique. -

A quoi sont dus ces troubles musculaires ? Tout d'abord je ferai remar-

quer que les cylindraxes qui innervent le muscle ciliaire et le droit interne

émanent du même groupe nucléaire (moteur oculaire commun) et même

de deux noyaux contigus de ce groupe.

La pathogénie générale de la contracture me paraît assez simple. Des

ondulations nerveuses qui résultent de la transformation des mouvements

de toutes sortes (mécaniques, physiques ou chimiques) qui impression-

nent les conducteurs centripètes des diverses parties du corps, les unes

vont fixer leur énergie dans les centres (transformation d'une certaine

substance instable .r en une autre substance .r'), les autres se réfléchissent

immédiatement sur les muscles, d'où le tonus musculaire. (A celles-ci

s'ajoutent du reste celles qui résultent de la retransformation de la subs-

tance x' en substance x). Or s'il arrive que les neuro-diélectriques empê-

chent les ondulations qui vont fixer leur énergie dans les centres d'y par-

venir, ces ondulations se réfléchiront aussi sur les muscles ; d'où hyperto-

nus, contracture.

La contracture du muscle ciliaire et du droit interne me paraît donc

due à l'existence de neuro-diélectriques au-dessus de l'arc réflexe qui

préside à l'accommodation et à la convergence. Ces neuro-diélectriques

résulteraient de la rétraction des neurones de l'écorce en relation avec les

noyaux sus-indiqués. On conçoit d'ailleurs que cette contracture varieavec

la résistance des neuro-diélectriques, c'est-à-dire avec la rétraction des neu-

rones.

Si un objet vu par R... avec l'oeil gauche parait plus éloigné que le

même objet vu avec l'oeil droit, cela peut être dû à ce que l'effort qu'il est

obligé de faire pour inhiber ses muscles ciliaires contracturés, est plus

considérable pour l'oeil gauche que pour l'oeil droit ; et l'on sait quel rôle

jouent les efforts d'accommodation dans l'appréciation des distances.

Je n'insiste pas sur les autres symptômes que nous avons cru remarquer

chez notre malade du côté de l'appareil de la vision parce qu'il s'agit de

NOEVUS VEINEUX ET IIYSTÉRIE 233

modifications très légères et qui n'ont pas été exactement mesurées.

7° Neurones des mouvements complexes (dits volontaires).

Nous n'avons pas lieu d'être surpris de la différence considérable qui

existe chez R... entre la force du bras droit et celle du bras gauche, au

désavantage de celle-ci, car nous savons que les neurones de sensation et

les neurones de mouvement qui commandent une même région du corps,

sont situés dans les mêmes centres (centres sensitivo-moteurs), et qu'ils

sont souvent lésés à la fois chez un même malade.

L'exagération de certains réflexes n'est que le corollaire de la lésion des

neurones des mouvements volontaires, et l'interprétation que j'ai donnée

de la contracture leur est applicable.

C'est en effet à la présence des neuro-diélectriques entre les neurones

des mouvements volontaires et les neurones des mouvements réflexes situés

sous la dépendance de ceux-ci qu'est due la réflexion immédiate, et plus

considérable qu'à l'état normal, des ondulations nerveuses vers les ré-

gions mêmes qui sont excitées. C'est à ces neuro-diéléctriques qu'est due

l'exagération des réflexes douloureux (à gauche), et du réflexe crémasté-

rien (plus marqué à gauche). Mais ici,- au rebours de ce qui a lieu dans la

contracture, la réflexion exagérée des ondulations n'est pas constante, et

l'hypercontraclion des muscles ne se produit, que lorsqu'on fait naître,

par une excitation, un nombre considérable d'ondulations nerveuses.

Un autre réflexe fut exagéré chez notre malade pendant une période

antérieure de sa vie, celui de la miction. Jusqu'à 14 ans, sa vessie se vi-

dait pendant le sommeil sans que les métamères supérieurs fussent aver-

tis de la réplétion de ce réservoir, et pussent inhiber l'arc diastaltique qui

le commande ou agir sur le sphincter.

L'énurésie nocturne des hystériques me parait due non pas, par rêves,

ce qui n'est pas une explication, mais à la rétraction complète des neu-

rones inhibiteurs de l'arc diastaltique vésical ou de ceux qui innervent

le sphincter. Par le fait de cette rétraction, le système vésical constitue

un être à part. Il fonctionne de lui-même, et la miction se produit auto-

matiquement comme chez le nouveau-né.

D'ailleurs l'hyperamiboïsme des neurones est d'autant plus prononcé

qu'ils sont plus voisins de l'état embryonnaire, de l'état de l'amibe, c'est-

à-dire que le sujet est plus jeune. A mesure que celui-ci avance en âge,

cet hyperamiboïsme diminue, et les neurones supérieurs se rétractent de

moins en moins pendant le sommeil, jusqu'à ce qu'enfin ils parviennent

à conserver leurs relations avec le système nerveux vésical. Alors, la ré-

plétion de la vessie entraîne le réveil, ou bien la miction est enrayée

jusqu'au réveil par l'action inconsciente de ces neurones. Ainsi disparait

234 BINET-SANGLÉ ET VANNIER

l'énurésie infantile par le seul fait du développement des cellules- ner-

veuses.

' 8° Neurones de laztlso-coaastrictioat.

J'arrive à la plus apparente des lésions nerveuses que présente notre

malade, à la paralysie des vaisseaux de la peau. Il n'est pas possible en

effet de douter de l'origine nerveuse de ce naevus dont les taches s'arrê-

tent sur le tronc, en avant et en arrière, exactement à la ligne médiane.

Cette vaso-paralysie cutanée congénitale résulte de ce qu'une partie

des neurones qui président au tonus vaso-constricteur des régions attein-

tes ne se sont pas développés. -

On n'a pas oublié qu'un naevus gauche existe aussi chez le père, et

qu'il est moins étendu que celui du fils. A quoi tient cette différence ?

Appelons N la colonie neuronienne du père, Mies neurones qui man-

quent congénitalement chez lui, et n' les neurones qui ont été altérés par

l'alcool. Le remplacement des neurones manquants par l'appoint de la

mère n'ayant pas eu lieu, le fils a hérité d'abord de N - n. Mais de plus

les neurones n' ne sont pas reproduits par suite de leur altération. Le

fils a donc hérité en définitive de N- (n X n'), d'où une vaso-paralysie plus

étendue.

Où siège la lésion nerveuse qui donne lieu à ce naevus ?

Ce qu'on peut dire, c'est que les taches ne correspondent ni au champ

de distribution d'un ou plusieurs nerfs ni à celui d'une ou plusieurs ra-

cines nerveuses.

Cette lésion, qui est une lésion diffuse, siège donc dans la moelle du

côté des taches ou dans l'encéphale du côté opposé. Les recherches d'Ar-

pad Bokay (i), de Bechterew (2), d'Hitzig, d'Eulenburg et Landois,

d'Otto Hebold (3), de Stricker de Bechterew et Mislawski (4), d'Isaac Oit (5),

(1) ARPAD Bokay, Der Einfluss des Centralnervensystems auf die Würmeregulierung

des thierischen Kdrpers (Neurol. Centalbl., 1882, 367-8).

(2) W. BECHTEREW, Ueber den Zustand der KOl'pe1'tempe,'otur bei einigen F01'men von

Geistes/c1'ankhe¡ten (in Ve¡'bindung mit der Wàrme-Kegul irung). Arch. f. Psych. 1882,

483-sn. Cf. Der Einfluss der Hirnrinde auf die Kô ? pertenipe,ali4, St-Petersburg med.

Wochensch., 1881. Einige Fdlle von Verletzun,'1 der G,'osehirm'inde. Ibid., 1879.

(3) OTTO IIEBOLD, Subnormale Temperaturen bei geisteskranken. Arch. f. Psych.,

XIII, 685-740.

il) BECnTEREW et lfIISLAWSICI, Ueber den Einfluss der grosshirnrizzde auf der Blut-

druckunddie Herzlhdtigkeil. Neurol. Centralbl., 1886, 193-5.

(5) ISAAC OTT, Ein Wâ>-izece ? ttt,2tm im Ce¡'eb1'ltm Med. Centralbl., 1889, 155 The

healcentre in the brain. Journ. of. nerv. and mental disease, 1887. The thermo-

izzlzibilory, Apparatus by I. Ott and ch. Collmar. Ibid., 1887. The the1'1no-polypnoiec

contre and thermdtaxis, Ibid., 1889. Ileal centres in man, Brain, 1889. The funetiqn

o/'luber cinereum. Journ. of. nerv. and. mental, dis. 1861. Vaso-tonic centres in the

thalami. Ibid., 1891. The inlerbrain : ils relations to thermotaxis polypnoea, vaso dtla-

tation and convulsive action . Ibid., 1891.

NOEVUS VEINEUX ET HYSTÉRIE 235

.

de Sherrington (1), de Kaiser (2), de W. Hale White (3), de Hors-

ley (4), de Bartolomio Baculo (5), de Sakowitsch (6), de Budje, de

Owsjanikow, deTscheschichin, de Dittmar, de IIeIveg (7), de Schüller (8),

nous permettent en effet de penser que les conducteurs vaso-constricteurs

sont intercalés dans les conducteurs des mouvements volontaires depuis

l'écorce cérébrale jusqu'aux muscles.

Il n'est pas douteux que les neurones vaso-constricteurs périphériques

ne se sont pas développés chez notre malade. Reste à savoir si les neuro-

nes vaso-constricteurs centraux, qui tiennent les premiers sous leur dé-

pendance, ne manquent pas également. J'ai tendance à le croire après les

conclusions que j'ai déjà eu à tirer quant à des lésions de l'écorce de

l'hémisphère droit.

D'autres neurones vaso-constricteurs n'ont subi qu'un arrêt de dévelop-

pement. Doués dès lors d'un amiboïsme prononcé, ils se rétractent à la

moindre influence, d'où vaso-dilatation, dermographisme, etc.

Le non-développement d'un certain nombre de neurones vaso-constric-

teurs a entraîné le non-développement ou tout au moins l'altération des

fibres musculaires vaso-constrictrices dans toute la région occupée par le

noevus. Les artérioles (angle sterno-claviculaire gauche), les veinules et à

plus forle raison les capillaires se sont laissées distendre par le sang. Il en

est résulté la formation d'un réseau de saccules sanguins, réseau qui donne

à la peau sa coloration spéciale. Cette coloration se fonce naturellement

dans tous les cas où le sang afflue à la peau (effort, froid, chaud, etc...).

Mais ce n'est pas tout. La diminution ou la disparition du tonus vascu-

laire sur de larges surfaces, tonus qui joue dans la circulation le rôle

que l'on sait, a entraîné chez notre malade une augmentation de travail

(1) C. S. Sherrisgton and C. S. Roy, On the régulation, of tlae blood supply of the

brain. Journ. of. Physiol., 1891, XI.

(2) Kaiser, Ueber enta halbseilige vasoll1olol'ische Slôrung cerebralen Usprungs,l&95,

Neurol. Centralbl.

(3) W. Hale Frite, Report on the influence on the bodyly température of lesions

of the corpus striatum and optic thalamus. The Brit. med. Journ.,1889. Cf. Lancet,

1889.

(4) IIORSLEY, Clinical observations during thé past seven years on the value of diffé-

rences observed in the température of the body as snaptomatio of cérébral lésions.

The Brit. med. Journ., 1889, p. 1406.

z) Bartolomio BACULO; I ceaalri lermici. Istituto di pathologia gen. dell'Univ. Na-

poli, 1890.

(6) Sakowitsch, Ueber den Einfluss des Tuber cinerei au die Temperatur der Thiere.

Neurol. Centralbl., 1897, 520-1.

(7) HELWEG, Studien über den cenlralen Verlauf der vasomoloi,isclieil Nervenbah-

nen. Arch. f. Psych., 1888.

(8) SCIIULLEH, Ueber 1'emperaturdi/ferenaen beideo Kij¡'pel'hiÛften in Folge von be

timmsen Verlezuugen des Gehii-7as. Aerztl. Centralanzeiger, Wien, 1894.

236 BLNET-SANGLÉ ET VANNIER

de la part du coeur. De là l'hypertrophie de cet organe et peut-être aussi

son ralentissement; à moins que ce dernier phénomène ne soit dû à une

altération des neurones du sympathique qui président aux contractions

cardiaques (1), neurones qui appartiennent au même système que les neu-

rones vaso-constricteurs.

On sait du reste qu'il existe un rapport fréquent entre les troubles vaso-

moteurs, la lenteur du pouls et les attaques, d'épilepsie. Chez notre malade

ce rapport n'est que paterno-filial.

Il y a lieu de rapprocher du ralentissement du coeur l'accélération des

mouvements respiratoires, due évidemment à l'hypooxygénie des tissus,

et particulièrement du centre respiratoire bulbaire, consécutive à ce ra-

lentissement. La présence de légères varices auxmembres inférieurs peut

être attribuée aussi bien à ce ralentissement qu'à la diminution du tonus

vasculaire.

Le dicrotisme du pouls, surtout appréciable au doigt, est dû au non-dé-

veloppement ou à la paralysie des muscles vaso-constricteurs, l'action

élastique des parois prédominant dès lors sur leur action musculaire. Ce

dicrotisme a donc la même pathogénie que celui de la lièvre dothiénen-

térique. 1

C'est sans doute à la congestion passive de la peau due au naevus et à

l'hyperamiboïsme des autres neurones vaso-constricteurs qu'il faut attri-

buer l'hypertrophisme de la peau du côté gauche, l'hypertrophisme qui

se traduit par une élévation delà température et un épaississement de ce

tissu. Recklinghausen avait déjà remarqué que les troubles neuro-paraly-

tiques de la peau déterminaient une hypertrophie des papilles. Lebert et

Broca ont vu de leur côté que dans les naevi cet épaississement était dû à

l'infiltration du stroma des taches par des granulations graisseuses.

RÉSUMÉ

En résumé, R..., petit-fils d'une épileptique et fils d'un alcoolique at-

teint d'épilepsie et de naevus, présente lui-même, entre autres signes de

dégénérescence, une diminution du nombre et une altération (hyperami-

boïsme) des neurones, qui se sont traduits ou se traduisent :

. 10 Par une hyperalgésie gauche.

2° Par une hypoesthésie oscillante gauche.

3° Par une hypokynesthésie gauche.

40 Par ces plaques oscillantes d'hyperesthésie pour le froid (ou d'anes-

thésie pour le chaud) siégeant surtout à droite.

(1) SiBitA, Des névroses cardiaques, VIII0 Congrès italien de médecine, 1891.

z

NOEVUS VEINEUX ET UYSTÉRIE 237

5° Par des plaques oscillantes d'hyperesthésie pour le chaud (ou d'anes-

thésie pour le froid) siégeant surtout à gauche.

6° Par une diminution de l'acuité auditive à gauche.

7° Par des rétrécissements oscillants des champs chromatiques portant ;

surtout sur le bleu et le vert.

8° Par une contracture oscillante des muscles ciliaires, contracture plus

prononcée à gauche.

9° Par une diminution de la force musculaire à gauche.

10° Par une exagération du réflexe de la miction.

91° Par une exagération du réflexe crémastérien et des réflexes de la

douleur, plus prononcée à gauche.

12° Par une vaso-paralysie cutanée oscillante généralisée. #-

13° Par une vaso-paralysie constante du côté gauche, celle-ci entraînant

l'hypertrophie et le ralentissement du coeur, ainsi que l'élévation de la

température et l'épaississement de la peau du même côté.

La lésion initiale parait siéger dans les zones sensitivo-motrices de

l'hémisphère droit.

1

XIV 17

DELIRE PAR INTROSPECTION MENTALE

PAR

N. VASCHIDE ET Cl. VURPAS

I

Dans une série de recherches et d'observations que nous avons faites

sur le mécanisme psycho-physiologique des idées délirantes nous nous

sommes proposé d'élucider une première question : le rôle de l'intro-

spection dans la genèse et la structure psychique du délire. A ce propos

nous avons pu différencier trois catégories d'espèces pathologiques dis-

tinctes ; la genèse du délire est caractérisée dans les unes par une intro-

spection somatique que nous avons indiquée sous le nom de délire par

introspection somatique, dans les autres par une introspection purement

mentale, enfin dans la dernière catégorie par l'analyse du monde exté-

rieur ; ici l'introspection a fait place à l'extrospection si l'on peut s'expri-

mer ainsi. Nous nous proposons d'étudier aujourd'hui un cas de la deu-

xième catégorie. Dans la description et l'analyse de l'histoire clinique

et de l'état mental de la malade nous chercherons à définir le sens et la

valeur psycliologique du mécanisme de l'introspection mentale.

II

Résumé DE l'observation. Depuis la jeunesse : doute, scrupules, émotivité

exagérée, tendance à l'analyse. - Scrutant dans leurs moindres détails

ses états de conscience, la malade s'interroge sur la valeur morale de ses

actions et de ses pensées et arrive ainsi à douter de leur honnêteté. Elle

s'accuse de fautes imaginaires. Incapable de comprendre les conditions

d'association et les causes de production des différents actes mentaux, qui

s'imposent contre son gré à sa conscience, elle se demande si elle est le

jouet de son imagination et de ses hypothèses ou si une force étrangère

dirige sa pensée. Tantôt « on l'hypnotise », tantôt « elle s'hypnotise ».

Par suite, idées d'auloaccusation. Hallucinations probables.

(1) Cette observation a été prise dans le service de M. le Dr Briand à l'asile de Vil-

lejuif. Nous sommes heureux de renouveler aujourd'hui tous nos remerciements à

M. Briand qui nous a toujours accueillis et pour ses conseils de clinicien éclairé, dont

nous lui sommes reconnaissants.

DÉLIRE par introspection mentale 239

Observation.

L... Maria, 43 ans. - Le père est mort d'une attaque d'apoplexie à 69 ans.

Il était alcoolique. La mère est morte tuberculeuse à 32 ans. Un frère et deux

soeurs de la malade ont succombé à des affections indéterminées. Deux soeurs

sont actuellement vivantes. L... est la plus jeune des trois. L'aînée se porte

bien, la seconde se plaint d'être atteinte depuis plusieurs années d'une bron-

chite. Cette soeur a des cauchemars la nuit, elle présente des hallucinations de

la vue, de l'ouïe, de la sensibilité générale, on la chatouille la nuit sous les

pieds, elle voit des morts. Elle prétend que depuis qu'elle a lu « les mémoires

de Monsieur Claude » on lui fait ce qu'elle a lu.

Dans la jeunesse et l'adolescence L... avait fréquemment des maux de tête

violents, avec irradiations dans le cou, qui l'obligeaient à garder le repos au lit

un ou deux jours. La douleur était parfois telle que la malade ne pouvait faire

aucun mouvement avec la tête. Depuis l'âge de 17 ou 18 ans les céphalées de-

vinrent plus rares.

Les règles apparurent à 17 ans, époque à laquelle notre sujet commença à

se mieux porter. Les menstrues furent d'abord régulières, puis elles devinrent

plus fréquentes ; elles avaient lieu, au dire de L..., tous les dix jours environ.

Voici quelques années qu'elles n'apparaissent -qu'à des intervalles plus

éloignés.

Notre malade se mettait, à son dire, facilement en colère, mais elle n'a ja-

mais présenté de crises, dans lesquelles elle serait tombée et aurait perdu

connaissance.

L... se maria à 33 ans. Elle n'eut jamais d'enfant. Quelques mois après son

mariage elle eut une perte de sang abondante qu'elle avait considérée comme

une fausse couche. Son mari mourut de phtisie galopante à 29 ans, sept mois

après son mariage.

L'examen physique de notre sujet nous permet de constater de l'asymétrie

faciale. Au niveau de la partie gauche du front nous relevons l'existence d'une

cicatrice longue de 5 centimètres environ, qui s'étend à la partie antérieure du

cuir chevelu et qui est la marque d'une tentative de suicide faite il y a 5 mois

dans le service. Les cheveux sont un peu implantés sur le front. Les lobules

des oreilles portent la trace d'anciennes cicatrices laissées par des boucles

d'oreille. A droite le lobule est adhérent. Les dents sont mal plantées ; à la

mâchoire inférieure, elles chevauchent les unes sur les autres. La voûte pala-

tine est nettement ogivale. Aux mains les ongles sont courts, fendillés, recou-

verts par de la peau à leur partie supérieure. Du côté de la poitrine nous re-

marquons que le sternum est bombé dans ses deux tiers supérieurs, aplati

dans son tiers inférieur.

A l'auscultation des poumons et du coeur nous ne relevons rien d'anormal.

La langue est bonne, l'appétit est conservé, les digestions sont faciles; il n'y a

pas de constipation. L'examen des urines ne révèle rien d'anormal. Depuis

que la malade est dans le service, il y a environ 8 mois, les règles ont disparu.

L... actuellement n'a plus de céphalées. L'examen de la sensibilité nous a

240 ' VASCIIIDE ET VURPAS

donné les résultats suivants : les sensibilités au tact, à la douleur, à la cha-

leur semblent conservées. Leur recherche est difficile en raison de la distrac-

tion de la malade qui est tourmentée par la crainte de ses fautes imaginaires,

et absorbée par les raisonnements qu'elle se fait à elle-même pour se persua-

der qu'elle n'est pas coupable. Pendant que nous l'examinons elle essaye de

nous convaincre avec de nombreux arguments à l'appui, qu'elle n'a jamais fait

ce que dans son idée elle se reproche. L... se met à genoux pour demander

pardon des fautes qu'elle s'imagine avoir commises et qu'elle sait n'avoir pas

faites réellement. Il est très difficile de fixer l'attention du sujet qui réagit à

peine par un mouvement de défense à une piqûre même énergique, tant ses

craintes imaginaires le préoccupent. Toutefois lorsque l'on parvient à fixer son

attention on voit nettement que ses diverses sensibilités sont normales. L... a

été soigneusement examinée dans nos recherches sur sa sensibilité; et si nous

ne traduisons pas nos résultats par des chiffres, c'est simplement pour ne pas

encombrer ce travail.

L'examen du système moteur nous montre que les réflexes patellaire, mas-

sétérin, ainsi que ceux du poignet, sont exagérés. Nous ne relevons pas de

tremblement des doigts, ni de la langue ; il n'y a pas de tremblement (ihril-

laire. Il nous a été impossible d'observer, fait d'ailleurs assez normal, le réflexe

idio-musculaire. Les réflexes vaso-moteurs paraissent normaux. L... a toujours

été émotive et peureuse. Un rien l'effrayait. Elle n'osait pas se coucher quand

elle était seule à la maison. Lorsque son père rentrait ivre elle tremblait et per-

dait la voix. Voyait-elle une chute dans la rue, une dispute ou un accident :

« Çà lui faisait un drôle d'effet, çà la saisissait, elle commençait à trembler, elle

pâlissait, et parfois la voix lui manquait ». Une personne de son entourage ne

rentrait-elle pas à l'heure convenue, elle s'inquiétait et s'imaginait toujours

qu'il lui était arrivé quelque accident. Mettait-elle une lettre à la poste elle était

hantée par la crainte de ne l'avoir pas ou de l'avoir mal affranchie, elle revenait

à plusieurs fois pour la cacheter.

Cet état d'inquiétude ainsi qu'une tendance marquée il l'analyse introspec-

tive se manifestèrent de bonne heure. L... prétend qu'en jouant à l'école elle

avala, à l'âge de cinq ans, une épingle. Cet accident provoqua de la toux et gêna

les mouvements de la poitrine. Cet état obligea notre malade à rester à la mai-

son pendant un an jusqu'au moment où ce corps étranger fut expulsé pendant

un repas. L... avala-t-elle réellement une épingle, ou crut-elle en avaler une

que plus tard elle se figura rejeter, les troubles fonctionnels observés étant pu-

rement dus à de la suggestion ? .. Il est probable que la seconde hypothèse est

la vérité. A la suite de ce rejet, un mieux se produisit, et la malade put recom-

mencer ses classes interrompues. L... était également très impressionnable et

très suggestive. Elle nous raconte que, lorsqu'elle allait au théâtre, elle se com-

parait les jours suivants aux héros de la pièce ; elle se figurait être dans leur

situation et ressentait les émotions qu'ils avaient selon elle dû éprouver. Notre

sujet avait également des scrupules exagérés. Ainsi, lorsque son père ou son

mari lui demandaient quelque service et qu'elle ne leur obéissait pas immédiate-

DÉLIRE PAR INTROSPECTION MENTALE 241

ment, elle regrettait plus tard pendant longtemps de n'avoir pas fait de suite

ce qu'on lui avait demandé.

Etant bien portante il venait à tout propos à l'esprit de notre sujet des idées

étranges, mais ces pensées duraient peu. La malade parvenait assez vite à

les chasser. « Que je suis bête, disait-elle, de me faire des idées semblables ! »

Ces pensées bizarres lui venaient brusquement « sans réflexion » à son dire.

Voyait-elle un prêtre et une religieuse, elle se disait de suite malgré elle :

« Voilà deux amoureux ; » mais elle chassait rapidement et avec succès cette

idée à laquelle elle ne donnait pas son consentement. Depuis quelque temps

toutes ces idées baroques lui reviennent à la pensée, l'inquiètent et même l'ab-

sorbent : « elle restait tellement plongée dans ses réflexions qu'elle ne pouvait

plus parler ».

Lorsqu'elle fut internée, il y avait environ 8 jours qu'elle était tellement

préoccupée qu'elle ne se souvenait plus il quelle époque de l'année se passait

cet événement : « J'étais tellement dans mes réflexions, dans mes idées ; je res-

tais dans mes réflexions, je n'avais plus d'autres idées en tête. Je restais con-

tinuellement dans ces pensées.... »

III

Actuellement L... est tourmentée par la pensée de mal agir depuis longtemps.

Divers événements de sa vie lui reviennent à l'esprit et elle se demande si en

ces circonstances elle a fait ce qu'elle a dû et n'a pas été coupable. Ainsi elle

regrette amèremeut aujourd'hui d'avoir volé deux petits pains ainsi que quel-

ques sous. Elle se considère désormais comme une grande coupable. Elle se

reproche maintenant d'avoir eu des rapports sexuels avec son mari 2 ans avant

son mariage. Elle a eu également, dit-elle, des rapports avec un autre jeune

homme, longtemps avant de se marier ; elle avait alors 17 à 18 ans. Elle s'ac-

cuse d'avoir, étant mariée, refusé à son mari d'avoir des rapports avec lui, parce

qu'il y avait eu querelle entre eux. Elle regrette maintenant d'avoir agi de la

sorte et se demande si elle a bien fait son devoir. L... regrette d'avoir causé

à des jeunes gens il l'âge de 17 ou 18 ans. Elle regrette également d'a-

voir eu des « rêveries » pour des jeunes gens à qui elle ne causait même pas.

Elle s'accuse d'avoir à peu près à la même époque mis sa langue dans la bou-

che d'une de ses amies. Aujourd'hui elle craint d'avoir commis une mauvaise

action. Mais, dit-elle, ne faut pas blâmer son amie, elle seule a été coupable en

cette circonstance.

L... nous raconte l'histoire suivante. Elle entendit raconter qu'une femme

traversant une écurie vit venir à elle un cheval animé de « mauvaises inten-

tions ». Cette idée la frappa. Et elle-même se promenant sur un quai vit par

hasard un cheval qui la regardait ; elle crut immédiatement que ce cheval avait'

« un caprice » pour elle. Cette idée lui traversa simplement l'esprit et elle ne

s'y arrêta pas davantage. Mais depuis qu'elle est malade cette pensée la pour-

suit et la tourmente. La plupart des actes ou des pensées de sa vie antérieure

lui reviennent à la mémoire et elle est hantée par la crainte d'avoir mal agi.

242 ' VASCHIDE ET VURPAS

Au moment où l'acte ava t été fait, où la pensée était venue à l'esprit, une idée

bizarre avait surgi dans le champ de la conscience, mais L... en avait ri et n'y

avait plus songé. Voici quelque temps, dit-elle, toutes ces idées fugaces au

moment de leur apparition, s'imposent actuellement à l'esprit et deviennent

un véritable tourment; elles font naître des craintes hypothétiques mais très

vives sur ce que la malade regarde comme des fautes graves. .

Très perplexe, L... interroge sa conscience, repasse les divers événements

de sa vie et les juge ; et pour les juger convenablement elle est amenée à faire

des hypothèses plus ou moins compliquées, en tout cas toujours très nom-

breuses, qui cadrent d'ailleurs très bien avec son caractère habituel. Cette in-

trospection mentale l'abstrait et lui fait oublier le monde extérieur. « J'ai un

esprit imaginaire, j'imagine des choses et j'ai pris l'habitude de rester sans

parler, je reste dans mes imaginations. Si j'avais parlé tout cela n'aurait peut;

être pas été dans mon idée. Je m'entête trop à rester comme ça. » « Si j'avais

fait une confession générale, j'aurais été pardonnée, je n'aurais plus toutes ces

choses-là à dire. Cependant s'il fallait que je dise tout, je n'en finirais pas. »

L... étudie alors et scrute scrupuleusement les diverses actions de sa vie,

ainsi que ses diverses pensées. Les idées les plus bizarres qui lui ont traversé

l'esprit reviennent à sa mémoire et elle examine attentivement son état men-

tal ; des craintes de culpabilité engendrent des idées qui lui font supposer

qu'elle est coupable. En un mot L... cherche à analyser et à expliquer son

état mental. Elle cherche à distinguer des actes ou des pensées réellement cou-

pables ce qui n'est qu'une simple hypothèse, une simple « imagination ». Et

avec assez de discernement elle juge les idées à qui elle refuse son consente-

ment et celles à qui elle l'accorde, de même que les actes qu'elle a réellement

faits, de ceux qu'elle ne fait que supposer. Voyant que son neveu ne travaillait

pas et étant peinée de sa paresse,elle s'était imaginée qu'il allait être guillotiné,

parce qu'il ne devait pas faire un.bon sujet. Cette idée lui avait traversé l'es-

prit. Mais celle-ci revient actuellement à la conscience : « ce sont des idées,

dit-elle, que je me fais moi-même. Pourtant ce n'est pas vrai, ce sont des cho-

ses qui ne sont pas vraies. » « Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas tout

à fait réelles. » Elle avait eu également l'idée de sauter au cou de sa soeur qui

avait toujours été bonne pour elle. Cette pensée était pour elle un véritable

remords. Toutes ces idées à sou dire, « sont en elle, ainsi que des imaginations

qu'elle a eues. » Elle regrette en ce moment toutes ses conversations.

Parfois à propos d'une pensée en apparence banale, une idée plus ou moins

étrange lui vient l'esprit et s'associe d'une façon étroite à cette pensée. De. z

sorte que plus tard lorsque cette pensée arrive dans le champ de la conscience,

elle fait naître l'hypothèse qui lui est définitivement liée. Ainsi L... songe à

Mme R... (personne chez qui elle prenait son repas de midi, lorsqu'elle était dans

son village) ; l'idée lui vint qu'elle lui doit la somme de 6 francs. « Cependant,

dit-elle, je ne me souviens pas lui devoir quelque chose,. me semble que je

l'ai toujours payée. » Néanmoins elle reste hantée par la crainte de lui devoir

6 francs. Et chaque fois que l'idée de Mme R... lui vient il l'esprit, elle est

tourmentée par la pensée de cette dette. Elle se figure également qu'elle a pris

DÉLIRE PAR INTROSPECTION MENTALE 243

500 francs à sa soeur, puis elle se demande si c'est bien la somme qu'elle lui

doit. L... la croit moindre ; elle ne sait pas, dit-elle, ce qu'elle lui doit. Cepen-

dant elle a dans l'idée qu'elle lui a pris 500 francs. Elle se figure qu'elle a pris

aussi de l'argent à une autre personne, mais elle ne sait pas combien, elle croit

que c'est 2 francs.

IV

L... prétend qu'il y a peu de temps elle dit dans sa prière : mes pieds et

mes mains sont cloués. Elle s'imagina immédiatement que par ces paroles elle

avait voulu dire qu'elle remplaçait Dieu sur la terre. Depuis lors elle est tour-

mentée par le souvenir de cette pensée qu'elle considère comme sacrilège.

Ces craintes réitérées l'amènent jusqu'à faire des excuses aux personnes

qu'elle croit avoir offensées. Voici un fragment de lettre écrite par notre sujet

et qui indique bien cette tendance de l'esprit. « Monsieur : je demande des ex-

cuses à mon directeur d'avoir rêvé être sa maîtresse, rêve d'imagination, mais

je peux jurer que je n'ai jamais mis mon chef dans les trépas et quand j'ai été

le trouver avec une amie et si j'avais promis 2 sous, c'était pour qu'il retire

cette punition à cette ouvrière, elle était punie injustement, et c'est la pensée

de son mari qui vient dans mon idée croyant qu'il m'expérimente contre mes

parents et moi-même et..pourtant ce n'est pas vrai. Je demande des excuses à

cet homme qui était un de mes amis en manière honnête. » Voici encore un

passage d'une autre lettre. « Je demande des excuses à deux de mes grands

chefs. Quand j'ai été les trouver, j'affirme si j'ai mis quelques sous dans les

trépassés c'était pour moi-même et non pour eux. Ils n'ont pas de reproches à me

faire et pourtant j'ai des excuses à demander à un de ces messieurs pour l'a-

voir cru l'expérimentateur d'un complot contre moi. Et ce n'est pas vrai. Ce

sont mes pensées et pas autrement, je demande des excuses à M. d'avoir fait

cette mauvaise pensée qu'il empochait de l'argent au sujet des centimes, faisait

des gratifications et ce n'est pas vrai, je demande des excuses sincèrement. »

Et encore ces lignes : « Je demande des excuses à M. T... d'avoir prié les tré-

passés contre lui et de l'avoir insulté de voleur et d'autres chefs intérieurement

et dont je repoussais de suite l'idée et je demande sincèrement pardon de ne pas

avoir agi énergiquement ; car je n'ai pas de reproche à leur faire. » Enfin un

dernier passage entre tant d'autres : « J'ai eu tort envers lui d'avoir mis deux ou

trois sous aux trépassés pour qu'il me parle quand il était fâché. Je l'estimais

parce qu'il était bon et juste pour les ouvrières. Mais s'il a perdu sa place ce

n'est pas de ma faute pourtant, car du temps que je ne lui parlais pas, il se

dérangeait ; je lui demande des excuses de l'avoir traité de complot contre moi,

etc. » L... voit son esprit envahi par des pensées qui l'indignent, auxquelles

elle n'accorde pas son consentement et qui l'assaillent malgré elle, elle se de-

mande d'où peuvent venir ces idées. Nous venons de voir dans les quelques

fragments de lettres écrites par notre sujet, qu'il se rend compte que ces idées

prennent naissance en lui, qu'elles viennent de son propre fond. L... se rend

parfaitement compte que c'est en elle que naissent toutes ces idées. Parfois

elle se dit que « c'est elle-même qui s'hypnotise, qui se fait des idées impossi-

244 VASCUIDE ET VURPAS

Lies ». Puis elle s'empresse d'ajouter : « Pourtant ce n'est pas vrai, ce sont des

choses qui ne sont pas vraies. » Ce dont elle s'accuse elle sait, « que c'est elle

qui a fait ces choses soit en réalité, soit en rêve, soit en cauchemar. Elle ne

sait pas comment est sa tête. » Parfois voyant qu'elle n'accorde pas son consen-

tement à certaines pensées qui semblent surgira sa conscience, malgré elle

et contre son gré, elle arrive à se demander si quelque puissance extérieure

n'est pas la cause de ses pensées qui sont contraires à sa volonté. Ne sachant

comment expliquer ces associations d'idées troublantes pour sa conscience,

qu'elle constate et qu'elle ne comprend pas, elle se croit sous la domination

d'une puissance étrangère indéterminée qui engendre et dirige ses pensées.

Elle dit alors qu'on l'expérimente, qu'on l'hypnotise, qu'on parle en elle. Elle

s'imaginait que toutes les personnes dont elle pensait mal, connaissaient ses

pensées, que tout le monde savait ses vilaines idées, qu'elle-même savait être

fausses. C'est parce qu'on aurait su qu'elle avait dans l'idée de telles pensées

et qu'en réalité ces pensées étaient fausses, qu'elle était tant tracassée. Elle dit

qu'elle entend « en elle » les personnes, dont elle pense mal, qui lui disent des

sottises. Elle fait la demande et eux font en elle la réponse. Quand elle leur dit

des sottises (ce sont des idées qui lui viennent en elle parfois, elle remue les

lèvres et parle ses idées), ceux-ci lui répondent. Elle se cause à elle-même et

se ligure que tous ceux qui passent à côté d'elle ou qui rentrent dans sa cham-

bre, savent ce qu'elle se dit à elle-même. Maintenant elle se dit parfois : « que

je suis bête de croire cela, ce sont des superstitions : j'ai tort d'insulter tout le

monde en moi-même. » Voici encore une autre phrase d'elle qui précise bien

son trouble mental et sa manière intellectuelle de réagir. « Je suis à m'écoti-

ter. Je m'imagine que l'on me dit certaines choses que peut-être on ne me dit

pas. Dans mon idée je m'imagine qu'on me blâme de beaucoup de choses que

je n'ai jamais faites, et que je n'ai jamais dites ni pensées. Si d'avoir entendu

des conversations, ça me revient dans l'idée, je n'en suis pas la cause. »

La malade repasse dans sa mémoire les divers moments de sa vie. Les moin-

dres événements de son existence lui reviennent à l'esprit; elle les analyse et

avec un doute méthodique, faisant pour chacun un examen de conscience mi-

nutieux, elle se demande si elle s'est comportée comme elle le devait en ces

diverses circonstances. Le soupçon d'avoir mal agi ou mal pensé, cette condi-

tion primordiale d'une conduite irréprochable lui vient à l'esprit et lui fait dé-

couvrir au fond de sa conscience un détail insignifiant, répréhensible, un désir

moins pur et moins louable qu'elle le désirerait. Notre sujet regrette ce qu'elle

considère comme une faute et s'absorbe dans son remords. La simple hypothèse

actuelle, qu'elle est nécessairement entraînée à faire pour étayer son jugement

et se rendre compte de la pureté de ses intentions et de ses actes, devient pour

elle une pensée coupable. Bientôt cette hypothèse coupable s'associe à toutes

ses pensées. Se convient-elle d'une pensée, d'une action, immédiatement elle

s'imagine que cette pensée, que cet acte ont été coupables.Cette idée de culpa-

bilité est liée, attachée il toutes ces pensées comme une parcelle de fer est atti-

rée par un aimant qui passe dans son voisinage et y adhère. Parfois une hypo-

thèse de culpabilité n'ayant qu'un rapport très éloigné avec l'objet actuel de la

DÉLIRE PAR INTROSPECTION MENTALE 243

pensée s'y attache. Et à chaque réminiscence de ce souvenir l'hypothèse revient

à la mémoire. Elle ne s'effacera que lorsque la pensée primitive aura disparu

du champ de la conscience.

L.... s'émeut de ces idées coupables qui lui reviennent à l'esprit. Elle les

analyse, cherche à se prouver à elle-même qu'elles sont fausses, que ce ne sont t

que des « rêveries, des imaginations, des bêtises ». « Je suis bête et je suis

folle d'avoir de pareilles idées. » « On m'a souvent dit qu'il fallait repousser de

pareilles idées qui sont fausses. » Ces craintes, ces soupçons provoquent une

analyse minutieuse de tous les actes de sa vie qui sont autant de sujets de re-

gret pour elle. Elle reprend et ressasse avec un doute méthodique les moindres

événements de sa vie, elle les passe au crible de ses critiques. Toujours quel-

ques doutes sur sa culpabilité hypothétique touchant certains détails plus ou

moins insignifiants de ses actes surgissent à sa pensée. Après ses actes, ce sont

ses pensées qu'elle analyse, elles n'ont pas toujours été d'une pureté parfaite ;

le soupçon d'une faute se présente aussitôt son esprit au sujet d'un souvenir

déterminé. L... se croit coupable, elle demande pardon des idées qui surgissent

en dehors d'elle et malgré elle à sa pensée.

Elle veut faire des excuses à ceux de qui elle a mal pensé. Ces pensées qui

lui viennent à l'esprit la révoltent et l'indignent, elle ne leur donne pas son

consentement. Ignorante elle est incapable de comprendre l'apparition de ces

'idées dans le champ de la conscience. Après une analyse minutieuse de son

état mental, elle leur trouve une origine en dehors de sa volonté, d'où elle con-

clut en dehors d'elle. Une seule explication est plausible. On la fait penser « on

l'expérimente, on l'hypnotise ». Cette origine exogène est exprimée par la ma-

lade qui prétend qu'on parle dans elle : « J'ai entendu quelque chose, ajoute-t-

elle, souvent comme si ç'avait été en moi que l'on me parle. »

Parfois elle discute en elle la valeur de ses idées de culpabilité; son doute mé-

thodique est analysé scrupuleusement. L... constate alors qu'elle donne son

consentement à certaines pensées, qu'elle le refuse à d'autres. Cette constata-

tion l'amène à croire que les pensées qui sont conformes à sa manière de voir

viennent de son propre fond ; que celles qui sont contraires à ses sentiments

viennent d'autrui ; les unes sont donc endogènes et les autres exogènes. La

malade regarde son propre doute comme une discussion entre sa personnalité et

d'autres personnes.

Mais tout se passe en elle dans son for intérieur. Pour que dans de telles

conditions on puisse discuter avec elle, il faut donc connaître sa pensée qu'elle

considérait jusqu'ici comme sa propriété exclusive, comme un domaine invio-

lable et sacré dans lequel personne ne pénétrait et dont elle ne donnait au monde,

que ce qu'elle voulait bien lui donner. Cette propriété privée est donc mainte-

nant publique. « On me parle en moi-même, dit-elle ; on connaît ma pensée ;

ce que je pense n'est plus secret, tout le monde le sait. Me vient-il une mauvaise

idée à la pensée, l'idée d'insulter quelqu'un, cette personne en est immédiate-

ment informée. » Elle veut écrire à ces personnes, leur faire des excuses, leur

dire qu'elle n'est pas coupable, que toutes ces idées contradictoires se passent

en dehors d'elle.

246 * VASCHIDE ET VURPAS

Elle est hypnotisée,dit-elle, on doit savoir tout ce qu'elle dit puisque « elle est

la seule coupable et que ce qu'elle raconte, elle l'a fait elle-même, mais que dans

tout cela il y a beaucoup de choses qui sont des rêveries, des imaginations ».

V

L... nous dit parfois qu'elle entend causer son père ou son mari morts depuis

plusieurs années. Elle semble présenter de nombreuses hallucinations audi-

tives. La soeur de L... nous dit que l'entourage de notre sujet s'est aperçu de

sa maladie à ses hallucinations auditives, on lui disait qu'il fallait partir. Il

était donc logique de penser que les hallucinations avaient joué un rôle im-

portant dans le délire de la malade. -

C'est parce que L... entend des voix qui lui disent qu'elle est coupable,

qu'elle s'imagine l'être réellement. Elle construit de la sorte sur ce thème et

avec cette idée directrice tout un délire. L'examen minutieux des faits nous

conduit à une opinion différente. En effet un interrogatoire détaillé sur les

caractères spéciaux des voix qu'elle entend nous montre que notre malade

croit qu'on lui parle en elle-même. Lorsque nous insistons pour savoir si les

voix qui lui parlent ressemblent à la nôtre ou à celle de ses compagnes, elle

prétend qu'il y a une différence marquée. Ce sont à son dire des idées qui lui

viennent à l'esprit et qui s'imposent il sa conscience. Comme de telles pen-

sées surgissent en dehors de sa volonté et contre son gré, elle leur attribue

une origine exogène. Dans son langage métaphorique elle fait appel à une

image auditive pour expliquer qu'une personne étrangère lui suggère ses idées

actuelles. Elle dit qu'on lui parle. Après une tentative de suicide, L... expli-

quait son action en disant qu'on le lui avait commandé. Nous avions cru alors

à des hallucinations auditives ; mais plus tard elle nous expliquait dans une

lettre qu'elle nous adressait spontanément sous quelle influence elle avait

voulu se suicider : « Ce qui est cause, dit-elle, que je me suis jetée à terre,

c'étaient toutes ces idées que je me faisais intérieurement. » Il s'agissait donc

ici d'un langage purement intérieur et le terme de voix employé par la malade

semble être une simple métaphore indiquant l'origine exogène que notre sujet

attache aux pensées qui envahissent malgré sa volonté le champ de sa cons-

cience. Il semble donc que ces pseudo-hallucinations ne jouent qu'un rôle se-

condaire dans la genèse du délire de notre sujet. Elles ne sont pas la cause du

délire, elles lui sont simplement consécutives. Telle est l'interprétation à la-

quelle nous a conduits une analyse scrupuleuse des faits. Cependant il semble

que parfois la malade a des hallucinations véritables. Elle entendit, nous dit-

elle, marcher au-dessus de sa tète. Parfois il lui sembla qu'on lui parlait à voix

basse. Aujourd'hui encore elle se retourne brusquement vers nous à certains

moments et sans que nous causions, elle nous demande si les paroles qu'elle

entend sont prononcées par nous. Il s'agit vraisemblablement ici d'hallucina-

tions auditives véritables.

En tous cas s'il y a de réelles hallucinations, celles-ci sont rares en compa-

raison des idées intérieures- qui semblent commander les actions du sujet et

DÉLIRE PAR INTROSPECTION MENTALE 247

que L... rapporte à une personnalité plus ou moins déterminée. Elle nous dit

également qu'elle voit des personnes absentes, mais elle se rend très bien

compte que cette vision se passe « dans son imagination ». Après un examen

scrupuleux de notre malade il semble qu'il s'agit le plus souvent d'images vi-

suelles mentales ; si dans certains cas, la malade présente ce qu'il semble, des

hallucinations visuelles véritables, il n'est pas moins vrai que les représenta-

tions mentales visuelles existent concurremment et c'est d'elles surtout que le

sujet parle lorsqu'il raconte qu'il a vu les personnes absentes qu'il désigne.

Il semble aussi que la sensibilité générale ait donné lieu à des hallucinations

vraies au moins au début de l'affection. ' .

Lorsque les premiers troubles psychiques apparurent L... sentait que des

bras et des mains venaient l'enserrer énergiquement. Elle voulut en prendre

une connaissance plus exacte par un toucher méthodique, elle eut la sensation

de doigts froids longs et aplatis ; les ongles étaient également froids et aplatis.

Notre sujet en conclut que c'étaient les morts qu'elle avait priés qui venaient

l'étreindre. Aussi n'osait-elle pas s'endormir lorsqu'elle couchait seule dans sa

chambre. Depuis que L... est dans le service, ces hallucinations de la sensi-

bilité générale ont complètement disparu ; de sorte qu'en dépit des apparen-

ces nous sommes portés à croire qu'il y a moins d'hallucinations à proprement

parler qu'on serait tenté de le supposer, trompé que l'on est par le terme d'hal-

lucinations qn'il semble naturel d'appliquer à ce qui n'est en réalité que repré-

sentations mentales toutes intérieures à peine extériorisées pour la plupart.

En résumé, il semble que la genèse de ce délire doive s'expliquer de la façon

suivante : L... s'imagine qu'elle a commis quelques actions répréhensibles, ou

qu'elle a eu quelque mauvaise pensée. Pour s'en rendre compte et juger équi-

tablement de la valeur morale de ses pensées ou de ses actes, elle est amenée à

analyser scrupuleusement son moi moral. De simples hypothèses lui semblent

des pensées ou des désirs coupables. Cette introduction mentale l'amène à dé-

couvrir des associations d'idées qu'elle ne peut pas s'expliquer. Une solution

s'offre néanmoins à ce problème : une puissance extérieure dirige ses pensées,

ses idées, lui parle comme elle le dit elle-même dans son langage métaphori-

que, on l'expérimente, on l'hypnotise. Et comme tout se passe dans son for

intérieur, on connaît sa pensée. Elle ne peut plus avoir de secrets. Est-elle

dans une rue, dans un salon ? tous les voisins savent ce qu'elle pense. « Un

complot s'est formé contre moi pour connaître ma pensée ». mais elle ne tarde

pas à ajouter qu'elle est la seule coupable. Il n'y a pas chez cette malade d'i-

dées de persécution, il n'y a en réalité que des idées d'auto-accusation.

1 reste encore à préciser la question du rapport de l'introspection mentale

avec l'existence probable, tantôt d'idées de persécution, tantôt d'idées d'auto-

accusation. Notre malade ressemble de prime abord à une persécutée, mais ses

pseudo-persécutions dérivent d'idées d'auto-accusation qui en sont la genèse. En

vérité il ne s'agit là que d'une instabilité mentale, timidement dirigée par une

introspection psychique minutieuse. En fouillant au hasard chaque état psy-

chique L... est frappé par toutes ses pensées, dues à des associations d'idées

automatiques ou conscientes. "

248 VASCHIDE ET VURPAS

VI

Bref, notre cas présente une histoire clinique assez claire pour consti-

tuer d'après le mécanisme intime psychologique un état morbide dont la

pathogénie n'a pas jusqu'ici été développée,nous semble-t-il,suffisamment

au moins d'après nos connaissances.

A la suite d'un trouble intellectuel quelconque, probablement puissant,

dont nous ignorons les conditions de productions, L... portée par son ca-

ractère à s'analyser et à, se préoccuper attentivement de tout ce qui lui

passe dans l'esprit, a été surprise et frappée par ses constatations et s'est

mise à la suite à étudier et à suivre la genèse de ses actes et de ses pen-

sées. Tout ce qui l'occupa et qui l'occupe encore, c'est son activité men-

tale.Une pensée est poursuivie dans toute son élaboration et son évolution

capricieuse. Absorbée par son idée et poursuivant sa pensée, L... ou-

blie le point de départ qui se trouve à chaque instant comme perdu dans

une foule de raisonnements, d'associations, d'idées, de pensées disparates.

Notre malade tente un effort pour se ressaisir,mais d'autres états purement

intellectuels miroitent devant son moi immobile et l'obligent malgré elle

à suivre leur .évolution d'autant plus étrange que le sujet ignore la

valeur, le sens et la portée d'une pensée, d'un acte intellectuel et no-

tamment d'une association d'idées. Quand notre malade revient à elle,

elle arrive par instant à ébaucher certains jugements qu'on pourrait com-

parer à des syllogismes dont les prémisses sont presque toujours néces-

sairement fausses. Alors, à son grand étonnement, l'acte et le jugement

intellectuel qui l'accompagnent étant dépourvus d'une signification pré-

cise, elle doute, puis systématise son doute et commence à délirer. Elle

s'accuse elle-même et critique ses propres forces intellectuelles et parallè-

lement ses actes et sa conduite. Il faut remarquer encore que sa conduite

morale et sociale n'est jugée qu'en tant qu'acte et activité intellectuelle ;

ce sont des images mentales, leur combinaison ainsi que le jeu fantasti-

que de l'imagination créatrice qui l'occupent presque exclusivement. Dans

sa pensée les idées et les perceptions chevauchent comme dans tout cer-

veau normal. Mais ce qui fait l'état pathologique et qui donne un carac-

tère morbide à cette introspection, c'est l'émotion qui accompagne chaque

analyse et surtout la manière de diriger l'introspection à seule fin de pren-

dre connaissance de la nature qualitative des images mentales et du pour-

quoi de leurs combinaisons.

Nous pourrions dire, pour mieux exprimer notre pensée, que L... est

consciente de sa pensée, mais qu'en même temps elle s'étonne de la consta-

ter ; cet étonnement provoque des états d'inertie psychique. L'association

des idées l'occupe particulièrement dans ses incursions inlrospectives et

DÉLIRE PAR INTROSPECTION MENTALE 249

constitue à vrai dire la genèse morbide de son introspection mentale. Car

elle l'alimente sans cesse, lui fournit des thèmes pour broder un délire.

Ignorante du sens de ces associations d'idées, elle est déroutée à chaque

pas et plus elle s'acharne à la poursuite d'un système d'images, plus elle

délire activement. N'ayant aucune idée directrice, et tourmentée par cette

constante préoccupation de ce qui se passe en elle-même, notre malade

jouit d'une activité mentale qui ressemble par certains côtés au doute'

méthodique des penseurs avec la seule différence qu'elle ne peut rattacher

ce doute à aucune idée directrice. Ce doute n'engendre qu'une auto-

accusation délirante que L... brise et reconstruit chaque fois que le ca-

price de son introspection l'exige.

Il est vraiment curieux d'observer cette malade et de l'étudier dans ses

faits et gestes et surtout d'analyser sa logique. Le monde extérieur et le

milieu social dont elle se rend facilement et parfaitement compte ne sont

jugés que d'après le coefficient d'émotion laissé par les impressions psy-

chiques qu'ils ont provoquées dans sa vie mentale la seule qui l'occupe et

la captive. On essaye vainement de l'intéresser à quoi que ce soit, la ma-

lade ne répond aux questions qu'en raison des émotions que les paroles

peuvent évoquer dans son état mental, toujours absorbé par une intro-

spection continuelle. Tout en réagissant à peu près normalement aux évé-

nements habituels de la vie courante notre malade éprouve la nécessité

d'analyser ses divers états d'âme ou plutôt ses états de conscience (qu'il

nous soit permis d'employer ici cette figure littéraire qui évoque pourtant

un état mental sur lequel on s'entend clairement). L... regarde dans tou-

tes ses phases son activité mentale non seulement parce que cette activité

constitue le phénomène psychologique prépondérant, mais encore et surtout

parce que notre sujet est amené à l'étudier par étonnement, par peur, par

curiosité, par besoin de se rechercher et de se connaître. Celle observation

d'une haute importance en psychologie pathologique pose à notre avis plu-

sieurs problèmes au sujel du mécanisme psychologique en général. Elle

montre encore une fois la valeur considérable que joue, dans notre synthèse

mentale, l'introspection.

Grâce à l'introspection nous arrivons à certaines connaissances et nous

verrons peut-être ces connaissances augmenter pourvu qu'une activité

intellectuelle assez bien dirigée l'oriente et la contrôle; différemment elle

peut être l'origine de phénomènes pathologiques spéciaux dont notre cas

est un exemple. Un délire par introspection peut, il est vrai, survenir

chez des intelligences réellement supérieures. L'élite des littérateurs et

des artistes nous fournil des exemples de semblables délires systématisés.

Mais ici, comme nous l'avons déjà dit, il y a une différence dans la ri-

chesse des images, dans le bon équilibre, dans l'envergure des conceptions ;

250 VASCHIDE ET VURPAS

ce qui les différencie surtout c'est une conscience bien nette du point de

départ et de la fin.

Dans un délire par introspection mentale morbide le sujet, bien que

dirigeant toute son activité sur son for intérieur, ne met aucun jalon à

ses analyses et ne garde que rarement une conscience précise de sa syn-

thèse mentale et des modalités de sa pensée ; son moi se confond même.

avec le caprice des associations d'idées et de l'activité mentale en elle-même.

La malade en somme se substitue à sa pensée et se confond avec elle.

Cette confusion entre le sujet pensant et l'objet de sa pensée constitue

ainsi une source importante et continue du délire introspectif. Il y a là

dans cette question de dédoublement de nombreux problèmes qui sont

en relation tant avec l'imagination créatrice qu'avec le mécanisme du

raisonnement et de la psychologie de l'induction.

Notre cas (et en parlant de lui nous pensons à un grand nombre d'au-

tres) nous semble prouver qu'une introspection exagérée ne convient

pas à toute activité mentale.

Lorsque cette dernière manque de ressources, son usage constitue un

syndrome pathologique dans lequel il y aurait beaucoup de classifications

à faire. L'organisme psychique semble donc être en désaccord dans son

propre fonctionnement avec la préoccupation exagérée d'analyse, qu'elle

se rapporte au corps, à l'esprit ou au monde extérieur.

L'histoire clinique de cette malade qui analysait d'une façon morbide

une grande partie de ses états subjectifs, nous conduit à supposer d'un

côté, que « vivre sans s'étudier est normal » et de l'autre, que les fouilles

de l'activité mentale, l'introspection en un mot sont inutiles et souvent

nuisibles au bon fonctionnement de l'organisme.

NOUVLUE ICONOGRAPHIE DE LA SALPi.TRILI<E. T. RI ? PI. XXVII !

' 20

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27 /

DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LA SPINA BIFIDA

(N. Solnvtzo).

M : 1 ? on & 0< : . fditenl"

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

DA\5 LR

SPINA BIFIDA.

HYDROPISIE DU QUATRIÈME VENTRICULE.

(Suite et fin).

DEDIE A LA MEMOIRE DU PROFESSEUR SERGE KORSAIiOFF

PAR

NICOLAS SOLOVTZOFF

Prosecteur de la Maison des Enfants trouvés

et de la Maternité à Moscou.

Cas II (PI. XXVIII).

Immédiatement au niveau de l'ouverture de la colonne vertébrale, la moelle

épinière a la structure suivante : le canal central est dilaté et s'allonge eu ar-

rière. Dans sa partie dorsale il est couvert d'une épaisse couche de fibres myé-

liniques qui forment les cordons postérieurs. Les cordons antérieurs d'un

côté sont pâles à périphérie,du côté opposé ils sont colorés uniformément.

Les cordons latéraux ont une couche de fibres myéliniques seulement aux

bords .

Plus haut, le canal central est moins dilaté et la moelle a déjà une confi-

guration normale. Les cordons postérieurs sont bien développés et on voit leur

subdivision en faisceaux de Goll et de Burdach. En avant de ces faisceaux est

placée la substance gélatineuse de Rolando. Encore plus en avant se trouve le

faisceau pyramidal du cordon latéral, limité en dehors et en dedans par les

fibres pâles myéliniques. De chaque côté du sillon médian longitudinal anté-

rieur se trouve le faisceau fondamental du cordon antéro-latéral, en dedans de

ce faisceau un pâle faisceau deTurck. ,

Plus loin la moelle a augmenté de volume, quoique sa structure diffère peu

des coupes precédentes. Les cordons postérieurs ont augmenté encore plus

dans la direction transversale et antéro-postérieure (Phot. 20). En avant du

cordon postérieur est placée la substance gélatineuse de Rolando et dans l'es-

pace compris entre elle et le cordon postérieur passent les cordons postérieurs.

Encore plus en avant est placé le faisceau pyramidal limité à la périphérie par

le faisceau cérébello-spinal. En dedans du faisceau fondamental du cordon an-

térieur se trouve le faisceau de Turck, absolument pâle.

252 SOLOVTZOFF

La Phot. 21 représente la moelle épinière non loin du niveau où el e

confine à la moelle allongée. La moelle est un peu aplatie dans la direction d'avant

en arrière, et dans cette direction sont diminués de volume les cordons pos-

térieur, qui dans leur centre, des deux côtés contiennent une zone sans myé-

line, avec une petite hémorrhagie. A part cela la structure de la moelle reste

sans changements. Au devant des cordons postérieurs on trouve : la substance

gélatineuse de Rolando, entre laquelle et les cordons postérieurs passent les

racines postérieures. Dans la partie antérieure de la moelle épiniere existe le

faisceau fondamental du cordon antérieur, limité à la périphérie par une lame

pâle, correspondant au faisceau pyramidal. Les cordons latéraux sont couverts

sur le bord d'une couche très fine de fibres myéliniques, qui diminue en épais-

seur en arrière ; en dedans existe le faisceau pyramidal du cordon latéral,

privé de myéline. La pie-mère, à la place où elle recouvre les cordons pos-

térieurs, est épaissie et elle présente un grand nombre de vaisseaux.

Les changements ultérieurs consistent en ce que les cordons postérieurs

diminuent peu à peu ; puis à une petite distance de la moelle épinière, au milieu

des membranes,se montre la partie abaissée de la moelle allongée, qui augmente

constamment de volume ; à mesure qu'elle s'agrandit, la moelle épinière

diminue, jusqu'au moment où les deux parties s'unissent entre elles.

PHOT. 22. Les cordons postérieurs sont encore diminués davantage. Des

fibres myéliniques il n'en reste, comparativement, pas beaucoup ; dans la par-

tie antérieure il y en a cependant davantage que dans la partie postérieure. Les

cordons postérieurs sont diminués surtout dans la direction d'avant en arrière,

au moins de 2 à 3 fois. Dans le reste la moelle épinière n'est pas changée. A la

distance d'un 1/2 millimètre de sa surface postérieure est placée la partie

abaissée de la moelle allongée ayant la forme de croissant. La surface convexe

du croissant est tournée en arrière ; en travers du milieu du croissant dans la

direction d'avant en arrière passent des fibres myéliniques horizontales formant

trois faisceaux : l'un d'eux très mince et les deux autres plus larges.

Phot. 3.- Le croissant est augmenté de volume ; on y voit des fibres myé-

liniques disposées en deux larges faisceaux, suivant les deux côtés de la ligne

médiane ; sur le devant ils diminuent subitement et passent en formant un

isthme étroit, dans le reste des cordons postérieurs de la moelle épinière ; en

comparaison avec la coupe précédente il reste encore moins de libres myélini-

ques des cordons postérieurs. A part cela la moelle épinière est restée sans

changements.

Phot. 24. - Le croissant a encore augmenté, l'isthme est devenu un peu

plus large. Les cordons postérieurs de la moelle épinière ont passé dans la

moelle allongée, présentant des faisceaux myéliniques larges et horizontaux,

mais à la périphériemême de la moelleallongée se changeant en fibres' verticales.

Des deux côtés de la moelle allongée, à leurs extrémités, sont placées de pâles

fibres myéliniques, correspondant au commencement de la racine spinale du

nerf trijumeau.

PHOT. ? 5. -La quantité de fibres myéliniques horizontales, passant de la

moelle épinière à l'allongée commence à s'amoindrir, surtout dans sa partie au-

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA BIFIDA 233

térieure et davantage d'un côté que de l'autre, de sorte que l'isthme, réunis-

sant la moelle épinière avec l'allongée, est devenu pâle. Ces fibres myéliniques,

dans la partie postérieure et près de la périphérie, changent leur direction

horizontale en verticale. Des deux côtés des fibres horizontales myéliniques,

dans la partie abaissée de la moelle allongée, est placée la substance gélatineuse

de Rolando, limitée par la périphérie à de pâles fibres myéliniques, correspon-

dant à la racine spinale du nerf trijumeau. La moelle épinière apparaît en-

core plus comprimée d'avant en arrière. Le canal central est dilaté dans la di-

rection arrière. Les cordons postérieurs de la moelle épinière ont complètement

disparu. La substance gélatineuse de Rolando a en grande partie passé dans

la moelle allongée.

Phot. 26. Sur cette photographie nous voyons que la moelle allongée

dépasse déjà considérablement la moelle épinière en grandeur. Les fibres myéli-

niques horizontales, venant des cordons postérieurs de la moelle épinière ont

déjà disparu, mais les libres verticales, représentant dans les coupes précédentes

les horizontales, sont à présent parfaitement conservées. Elles sont disposées

dans la partie postérieure de la moelle allongée et à sa périphérie, en forme de

deux croissants, sur les côtés de la ligne médiane. A côté de la moelle allongée

se trouve la substance gélatineuse de Rolando, limitée en dehors par les fibres

myéliniques, correspondant a la racine spinale du nerf trijumeau, et dans la

périphérie même de la moelle sont placées des fibres myéliniques arciformes,

allant par l'isthme à la moelle épinière. Cette dernière a diminué subitement

dans la direction d'avant en arrière. Les cordons latéraux ont diminué. Le canal

central est considérablement dilaté en arrière et a passé dans l'isthme. L'espace

entre la commissure antérieure et le canal central est agrandi. Dans les fis-

sures latérales, séparant la moelle épinière de l'allongée, se sont placées les

racines postérieures, avec cela il faut remarquer que les fissures latérales ont

beaucoup diminué.

Phot. 27. - La fusion de la moelle épinière avec l'allongée est devenue en-

core plus complète, mais les fissures existent comme avant, quoique faiblement

indiquées, et on peut remarquer que la moelle a été formée de deux parties.

La partie dorsale de la moelle allongée est restée sans grands changements :

les cordons postérieurs, la racine spinale du nerf trijumeau, la substance géla-

tineuse de Rolando, le faisceau cérébelleux sont faiblement indiqués. Le canal

central est allongé encore plus et nous trouvons son ouverture presque com-

plète. La moelle épinière est beaucoup modifiée : les faisceaux fondamentaux

des cordons antérieurs se dirigent en arrière et entre eux, dans sa partie dor-

sale, apparaît l'entrecroisement sur la ligne médiane des fibres du ruban de

Reil, partant des cordons postérieurs et au devant l'entrecroisement des py-

ramides. En dehors des faisceaux fondamentaux du cordon antérieur, des deux

côtés on trouve des cellules appartenant aux groupes des corne^ antérieures ;

ici prennent naissance une grande quantité de fibres myéliniques, allant dans

la direction d'avant en arrière et passant dans les racines antérieures. La quan-

tité de fibres myéliniques dans le cordon latéral a diminué. Sur les côtés, à la

xiv ' 18

254 SOLOVTZOFF

périphérie même de la moelle passent des fibres myéliniques, correspondant t

au faisceau cérébelleux.

D'autres modifications sont à comparer à celles qu'on remarque dans la moelle

normale. Le canal central esta tel point élargi en arrière, qu'on aperçoit son

ouverture complète. La quantité de fibres myéliniques dans les cordons posté-

rieurs a quelque peu diminué. La racine spinale du nerf trijumeau s'agrandit,

de même que le faisceau cérébelleux qui est placé en dehors. Le faisceau fonda-

mental du cordon antérieur passe dans le faisceau longitudinal postérieur. En

dehors passent les fibres radiculaires de l'hypoglosse. A la place des cornes

latérales se montrent les olives et entre elles est disposée la couche interoli-

vaire.

' Là où les olives inférieures ont disparu, nous trouvons le 4e ventricule

excessivement élargi, des deux côtés les pédoncules cérébelleux inférieurs,

contenant des fibres myéliniques seulement dans leur partie médiane en forme

de croissant ; ce sont surtout ceux qui ont passé des cordons postérieurs. En

avant d'eux nous trouvons les pyramides et derrière elles la couche du ruban

de Reil.

Comparant ce cas avec le précédent, nous voyons que la grande diffé-

rence entre eux consiste en ce que dans le premier cas le 4e ventricule

s'est abaissé beaucoup plus que dans le second cas. Encore tout au com-

mencement, quand seulement commençait à se montrer sur la moelle épi-

nière, dans le le' cas, la partie abaissée du bulbe, à son bord supérieur

existait déjà une profonde fissure, correspondant au plancher du 4e ven-

tricule (Phot. 6). Dans le second cas le 4c ventricule est bien moins élargi

et seulement dans la région supérieure, mais dans celui-ci comme dans

l'autre cas, la partie postérieure de la moelle allongée s'est abaissée ; de

là provient ce tableau microscopique tellement original, montrant les dif-

formités dans la partie postérieure de la moelle épinière et de l'allongée,

tandis que la parlie antérieure reste sans changement jusqu'au moment

où la couche inter-olivaire paraîtra. Les cordonspostérieurs se séparent de

la moelle épinière, et d'autres changements se produisent à côté d'eux

(Phot. 23). Au commencement les cordons postérieurs se séparent de la

moelle épinière par un petit faisceau ; après cela la partie antérieure des

cordons postérieurs passe dans la partie abaissée de la moelle allongée; de

cette manière se forme un isthme assez large entre les deux parties, isthme

contenant des fibres horizontales. Après cela les fibres horizontales des

cordons postérieurs commencent à disparaître et à la fin nous avons la

moelle épinière complètement privée des cordons postérieurs (Phot. 24

et 23) ; les fibres horizontales deviennent verticales, et se placent aux côtés

de la moelle allongée, en formant deux croissants (Phot. 26). Plus en

haut ces fibres passent dans les pédoncules cérébelleux inférieurs et se

Nouvelle Iconographie DL la Salpêtrière. T. XIV, Pl. XXIX

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2 ! J

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DIFFORMITES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LA SPINA BIFIDA

(N. snvzad).

Masson & Ci1 Editeurs

l'hutot) /,11 Heilliauil, Paris

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CEITRAL DANS LE SPINA BIFIDA 255

placent dans sa partie médiane. Avant que les cordons postérieurs de la

moelle épinière ne se terminent dans les noyaux, la partie antérieure de

la moelle reste sans modifications, mais au moment où apparaissent les

fibres sensitives, alors les parties antérieures et postérieures de la moelle

commencent se fusionner, et les cordons antérieurs se placent plus en

arrière, suivis par les cordons latéraux (Phot. 27) ; en arrière, entre les

cordons antérieurs et les latéraux se forme la coupe du ruban de Reil, et

en avant d'elle, dans le second cas, l'entrecroisement des pyramides ; dans

le premier cas, par la raison que les pyramides sont disposées seulement

dans les cordons antérieurs, les pyramides cheminent en formant deux

faisceaux et leur entrecroisement n'existe pas (Phot. 25).

Dans le premier cas, ainsi que dans le second, outre la dislocation de

la partie postérieure de la moelle allongée, abaissée sur la moelle épinière,

existe la dislocation en bas de tout le bulbe rachidien. de telle sorte que

dans la partie dorsale de la colonne vertébrale nous trouvons déjà les oli-

ves inférieures. Dans la moelle normale, au niveau des olives le cervelet

se trouve déjà à son plein développement et dans nos deux cas, par suite de

l'allongement vers le bas du 4e ventricule, et de l'abaissement de la moelle

allongée, le 4e ventricule dans sa partie inférieure est couvert seulement

par les seules enveloppes.

Cas III (PI. XXIX).

Phot. 28. A ce niveau commence seulement à se montrer dans les cou-

pes la partie abaissée de la moelle allongée. On remarque les particularités

suivantes dans la moelle épinière : Les cordons antérieurs sont encore cou-

verts de myéline en forme d'une étroite lame. Les cordons latéraux sont visi-

blement plus larges d'un côté que de l'autre. A la périphérie ils sont cou-

verts dans les parties postérieures d'un mince faisceau, correspondant au

faisceau cérébelleux; ce dernier entoure des deux côtés les fissures, allant de

la périphérie vers la profondeur. En avant du faisceau cérébelleux, du côté où

les cordons latéraux sont plus larges, on remarque à la périphérie, une zone

pâle, correspondant aux pyramides. Au côté opposé les pyramides n'existent

pas. Les cordons postérieurs sont mal développés, pressés un peu sur uu côté,

celui où dans les cordons latéraux sont placées les pyramides ; dans leur par-

tie dorsale ils sont pâles ; sur le côté opposé les cordons postérieurs sont bien

développés. En avant des cordons postérieurs se trouve la substance gélati-

neuse de Rolando, entourée postérieurement par les racines postérieures. A

la distance de 1 millimètre de la moelle épinière, du côté où les cordons pos-

térieurs sont mal développés, se trouve une formation ovale, couverte aux

extrémités de minces fibres myéliniques.

Phot. 29. Les cordons postérieurs de la moelle épinière d'un côté sonl

dans la partie dorsale complètement pâles ; de l'autre côté aussi les cordons de

Goll sont colorés un peu plus faiblement que sur la coupe précédente. A par !

25G SOLOVTZOFF

cela, en général les cordons postérieurs sont diminués dans la direction anté-

ro-postérieure. Du côté où les cordons postérieurs sont plus mal développés,

'la substance gélatineuse de Rolando a diminué de volume comparativement

avec le côté opposé. Dans le reste la moelle épinière n'a pas subi de change-

ments. La formation supplémentaire, laquelle était disposée en arrière de la

moelle épinière, a un peu augmenté de volume. De l'un de ses côtés, et du bord

même, part un faisceau assez large de fibres myéliniques horizontales. Indé-

pendamment de celui-ci d'un autre côté s'y joint un faisceau incomparablement

plus mince, venant aussi de l'extrémité de la moelle et limité il la périphérie

par de minces fibres myéliniques nettement indiquées ; c'est le commence-

ment de la racine spinale du nerf trijumeau et des fibres arciformes externes.

Le long du bord antérieur est placée la substance gélatineuse de Rolando, in-

diquée très faiblement.

Phot. 30. -Les cordons postérieurs sont encore plus diminués dans la di-

rection antéro-postérieure ; celle 'des moitiés des cordons postérieurs, qui

dans la coupe précédente était bien colorée, commence à pâlir dans la partie

à laquelle appartient le sillon médian postérieur. Dans la moitié voisine les

fibres myéliniques se sont conservées seulement dans la partie antérieure,

en forme d'un angle assez petit. En échange la quantité des fibres myéliniques

horizontales dans la partie abaissée de la moelle a nettement augmenté. Sous

la forme d'une bande large qui occupe plus du 1/3 de toute la formation sup-

plémentaire, elles entourent en dehors la partie abaissée de la moelle allongée.

Immédiatement à ces fibres myéliniques horizontales correspondant aux cor-

dons postérieurs, se joint un faisceau myélinique mince coupé dans sa direc-

tion transversale, la racine spinale du nerf trijumeau. En dehors, elle est en-

tourée par les fibres arciformes externes. Le long du bord antérieur, en arrière

des fibres arciformes, apparaît la substance gélatineuse de Rolando, sous forme

d'un corps allongé touchant d'un côté aux cordons postérieurs. En même temps

que la diminution des fibres myéliniques dans les cordons postérieurs, il faut

encore remarquer dans la moelle épinière le non développement de la substance

gélatineuse de Rolando du côté auquel touche la partie abaissée de la moelle

allongée.

Phot. 31. - La formation supérieure a un peu augmenté de volume.Comme

dans la coupe précédente, une partie des fibres myéliniques horizontales passe

sur un des côtés tout à son bord ; indépendamment de cela, à travers le mi-

lieu de la moelle, des fibres se dirigent, réunissant le commencement et

l'extrémité de ce faisceau. Le long du bord antérieur se trouve la substance

gélatineuse de Rolando, limitée d'un côté par les cordons postérieurs et la

périphérie par un faisceau étroit nettement coloré de fibres myéliniques, les-

quelles vont jusqu'aux cordons postérieurs. En dedans de ces fibres arciformes

dans la partie postérieure se trouve la racine spinale du nerf trijumeau. Dans

la moelle épinière les cordons postérieurs ne sont pas développés à un plus

haut degré que dans la coupe précédente. La substance gélatineuse de Rolando,

est d'un côté suffisamment développée ; de l'autre côté, c'est-à-dire de celui

auquel touche la partie abaissée de la moelle allongée, elle n'est presque pas

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA B1FIDA 257

indiquée, mais par contre elle est bien indiquée dans la formation supérieure.

Phot. z Au devant nous avons la moelle épinière ; en arrière d'elle d'un

côté est placée une formation supplémentaire, fusionnée déjà avec la moelle

épinière.

La partie antérieure de la moelle épinière qui est restée sans changements,

présente : le faisceau fondamental du cordon antérieur, le faisceau de Gowers, le

cordon latéral, élargi outre mesure d'un côté parce que s'y sont placés tous les

faisceaux pyramidaux, et le canal central quelque peu élargi dans la direction

arrière. Les cordons postérieurs d'un côté, notamment du côté où se trouvent

les pyramides et où la partie abaissée du bulbe est suspendue sur les cordons

latéraux, passent dans la moelle allongée, par des libres horizontales ; une

partie de celles-ci bientôt après leur apparition disparait et l'autre partie, en

formant un faisceau horizontal, entoure du côté de la périphérie la moelle

allongée ; dans la partie postérieure les fibres myéliniques prennent de la

direction horizontale la verticale. Là où les fibres verticales des cordons pos-

térieurs finissent, à leur extrémité postérieure touche la racine spinale du

nerf trijumeau, entourée à la périphérie de minces fibres myéliniques, cor-

respondant au faisceau cérébelleux venant de la moelle épinière. Par le sillon

médian longitudinal postérieur, ayant une position penchée, les cordons pos-

térieurs se séparent de la moitié voisine. En avant des cordons postérieurs,

dans cette dernière moitié de la moelle épinière, à son extrémité même, se

trouve la substance gélatineuse de Rolando ; encore plus en avant du bord

même de la moelle est placé le faisceau cérébelleux. Sur le côté opposé dans

la moelle épinière, la substance gélatineuse de Rolando est absente, mais par

contre elle est bien marquée dans la moelle allongée et placée le long de son

bord antérieur.

Phot. 33. La configuration de la coupe est subitement changée. Jusqu'à

présent nous avons vu que la partie abaissée de la moelle allongée, disposée

d'un côté de la moelle épinière et fusionnée déjà avec elle, était séparée des

cordons postérieurs du côté voisin par le sillon médian longitudinal posté-

rieur. Cette coupe nous montre, que du côté opposé les cordons postérieurs ont

considérablement augmenté de volume et contiennent des fibres myéliniques

horizontales, entre lesquelles, plus rapprochées de la ligne médiane, se mon-

trent des masses grises. Du côté opposé, les fibres myéliniques horizontales,

passant des cordons postérieurs de la moelle épinière dans l'allongée, ont com-

plètement disparu ; mais les libres verticules, dans lesquelles ils ont passé,

se sont conservées et se sont placées dans la périphérie des parties postérieu-

res de la moelle allongée, raréfiée, grâce à l'accumulation de masses grises,

correspondant aux noyaux des cordons postérieurs. En avant des fibres

myéliniques, correspondant aux cordons postérieurs et à leurs noyaux au bord

de la moelle, se trouve la racine spinale du nerf trijumeau, située à la péri-

phérie du faisceau cérébelleux, lequel va de la moelle épinière au bord an-

térieur du bulbe rachidien, suspendu de côté sur la moelle épinière. Lapartie

antérieure de la moelle épinière a aussi un peu changé : la fissure médiane

longitudinale antérieure s'est allongée postérieurement, le canal central s'est

258 SOLOVTZOFF

aussi quelque peu étendu en arrière. Le faisceau cérébelleux, dans la moitié,

où sont placées les pyramides, s'éloigne en arrière et passe directement par

le fond de la fissure latérale, séparant la moelle allongée de l'épinière. Dans

cette fissure sont placées les racines postérieures.

L'asymétrie énorme qui existait dans les coupes précédentes, et qui tenait à

la partie abaissée de la moelle, est disposée d'un côté, et maintenant considé-

rablement diminuée.

Phot. 34. - Le canal central de la moelle épinière est tellement élargi

dans la direction postérieure. qu'il s'ouvre déjà presque au dehors. La moelle

allongée, disposée des deux côtés du canal central, se compose de deux moitiés

presque égales, et celle qui s'était formée en premier est plus grande que la

voisine et s'en distingue par sa structure. Au bord postérieur du bulbe de la

moitié premièrement formée se trouvent des fibres myéliniques verticales,

des cordons postérieurs. Dans la périphérie elles sont entourées d'un faisceau

assez mince de fibres myéliniques, allant au faisceau cérébelleux ; ce dernier

est placé à l'extrémité antérieure de la partie suspendue de la moelle allongée.

En son intérieur se trouve la racine spinale du nerf trijumeau.

Par la raison que la moelle allongée est suspendue au-dessus de la moelle

épinière, entre la partie latérale de la moelle épinière et de l'allongée, une fis-

sure assez profonde s'est formée ; la racine postérieure y est placée.

Dans la partie voisine de la moelle allongée, à son extrémité postérieure

même, sont placées, en forme de demi-cercle, des fibres myéliniques verti-

cales, représentant les fibres horizontales qui étaient visibles dans la coupe

précédente et on peut distinguer les parties correspondant aux faisceaux de

Goll et de Burdach.

En avant de ces fibres myéliniques, au bord de la moelle, nous apercevons

la substance gélatineuse de Rolando, beaucoup mieux indiquée que sur le côté

opposé.

A leur extérieur est placée la racine spinale du nerf trijumeau. Eu avant

de la substance gélatineuse de Rolando est placé le faisceau cérébelleux. En

conséquence de sa situation vers l'extérieur de ce côté en arrière du faisceau

cérébelleux, il existe une fissure, mais elle est plus petite que du côté opposé

et la racine postérieure y est aussi placée.

Au devant du canal central se réunissent des fibres myéliniques, commen-

çant aux noyaux des cordons postérieurs et s'entrecroisant sur la ligne mé-

diane. Elles se réunissent entre les faisceaux fondamentaux des cordons anté-

rieurs, lesquels ont en grande partie passé en arrière. Les cordons latéraux

sont amincis. Comme dans les coupes précédentes, à la périphérie même de

la moelle et seulement du côté qui correspond à la moitié mieux dévelop-

pée du bulbe rachidien, est placé le faisceau correspondant aux pyramides. A

l'extérieur des faisceaux fondamentaux des cordons antérieurs, des deux côtés

passent des fibres myéliniques nettement dessinées, ce sont les racines anté-

rieures.

Ainsi à ce niveau s'est accomplie une fusion assez complète entre la moelle

épinière et l'allongée. Mais la fissure, disposée des deux côtés de la moelle et

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA BIFIDA 2a9

contenant les racines postérieures, prouve encore ceci, que les parties anté-

rieures de la moelle allongée se sont formées séparément. Plus loin, la struc-

ture différente des moitiés gauche et droite de la moelle allongée démontre

que les deux moitiés sont déplacées entre elles.

Cette asymétrie dans la structure des moitiés droite et gauche s'observe

aussi plus haut. Ainsi sur la photographie 35 nous trouvons que la partie

dorsale de la moelle n'a pas changé et une moitié du bulbe, comme dans la

coupe précédente, se distingue de l'autre. D'un côté du canal central qui est

déjà ouvert on trouve les noyaux de Goll et de Burdach, entourés à l'extérieur

de fibres myéliniques en forme de deux croissants, de l'autre côté du canal

central les fibres myéliniques ont une autre structure, et leur disposition n'a

pas la même forme, et leur 'quantité est plus petite. Plus loin la substance gé-

latineuse de Rolando est bien mieux développée dans la première moitié que

dans la seconde ; par contre, la racine spinale du nerf trijumeau est ici bien

moins développée que du côté opposé. Il faut dire la même chose du dévelop-

pement non identique du faisceau cérébelleux dans les deux moitiés. Le reste

des changements répond à la moelle normale et dépend du niveau de la coupe.

Ainsi à la place de la corne antérieure et latérale apparaissent les olives. Les

cordons latéraux disparaissent et à leur place apparaît la substance réticu-

laire. Les pyramides sont très en évidence de l'un des côtés, à la périphérie

même de la moelle. Les sillons des deux côtés existent encore et les racines

postérieures y sont situées. ,

Phot. 36. Le canal central dans sa partie postérieure est élargi et trans-

formé en quatrième ventricule; en son intérieur est placé un tissu, riche

en vaisseaux. Des deux côtés de la moelle allongée nous trouvons les fibres

myéliniques, appartenant au reste des cordons postérieurs ; ils n'ont pas la

même structure, et d'un côté il y en a plus que de l'autre. Au devant des cor-

dons postérieurs on trouve la racine spinale du nerf trijumeau qui est plus dé-

veloppé d'un côté que de l'autre, et de ce même côté les olives inférieures sont

indiquées beaucoup plus nettement. A l'extérieur des olives inférieures, toujours

du même côté, existe un faisceau, très nettement distingué, appartenant aux

fibres de la voie pyramidale. La fissure dans les parties latérales a presque dis-

paru. Les racines postérieures sont presque invisibles.

Plus haut, où les olives inférieures ont déjà disparu, nons ne trouvons pas

l'asymétrie. Comme dans les cas précédents, grâce au déplacement de la moelle

allongée en bas, le cervelet, au niveau des olives, n'apparaît pas encore dans

la coupe ; cependant, dans une moelle normale, à ce niveau le cervelet de-

vrait déjà se trouver. En ce qui concerne la structure du cervelet, comme

dans les cas précédents, les deux hémisphères se rapprochent et au commen-

cement le cervelet apparaît sous la forme d'une petite lame, couvrant le 4e ven-

tricule ; après cela il s'agrandit progressivement et se compose de deux moi-

tiés, correspondant aux hémisphères du cervelet, son lobe médian n'étant pas

développé.

Ce cas se distingue des cas précédents. Déjà à l'oeil nu (Phot. 4) on

260 SOLOVTZOFF

pouvait remarquer que la partie abaissée de la moelle allongée est pen-

chée sur un côté de la moelle épinière, et à l'examen microscopique on

voit que les changements dans la moelle épinière et dans la moelle al-

longée ne sont pas produits symétriquement dans les deux moitiés,

bien que le caractère en soit analogue, comme dans les deux cas pré-

cédents.Les cordons postérieurs de la moelle épinière passent dans la par-

tie abaissée du bulbe rachidien, mais d'abord seulement dans l'une de

ses moitiés, précisément dans celle sur laquelle est suspendue la moelle

allongée (Phot. 32). Ensemble avec les cordons postérieurs dans la partie

abaissée du bulbe rachidien nous trouvons aussi la substance gélatineuse

de Rolando, la racine spinale du nerf trijumeau, les fibres arciformes ex-

ternes ; du côté opposé nous rencontrons toutes ces parties (les cordons

postérieurs, la substance gélatineuse de Rolando, etc.) dans la moelle épi-

nière, comme dans la moelle normale. Ensuite, plus haut et dans la

moitié opposée (Phot. 33) les cordons postérieurs sont un peu déplacés en

arrière et prennent une direction horizontale, mais bientôt ils se termi-

nent dans les noyaux, alors disparaît l'asymétrie de la moelle. Une fis-

sure profonde, située des deux côtés de la moelle et contenant les raci-

nes postérieures, sépare la partie dorsale du bulbe rachidien de la partie

antérieure, et les deux parties se développent indépendamment l'une de

l'autre; avec cela la moitié antérieure reste sans changements jusqu'à l'ap-

parition de la couche des fibres sensitives, qui portent des noyaux des cor-

dons postérieurs et se placent entre les faisceaux fondamentaux du cordon

antérieur. Ce cas est encore intéressant parce que les pyramides sont

placées seulement dans un des cordons latéraux.

Cas IV (PI. XXX).

Contrairement il ce qu'on a vu dans les trois cas précédents nous ne trouvons

pas ici que sur la moelle épinière se trouve la partie abaissée de la moelle al-

longée comme une formation supplémentaire. Les changements dans la partie

supérieure de la moelle épinière etde l'allongée sont analogues à ceux des trois

cas précédents, mais ils sont plus faiblement indiqués.

Phot. 37. - Coupe transversale de la moelle cervicale avant le commence-

ment du bulbe rachidien. Les cordons antérieurs et latéraux sont bien déve-

loppés. Le canal central est élargi. Les cordons postérieurs dans leur partie dor-

sale sont mal développés, pâles et ne contiennent pas de fibres myéliniques. Des

deux côtés des cordons postérieurs nous trouvons la substance gélatineuse de

Rolando, qui est limitée en arrière par une partie des cordons postérieurs et

par les racines postérieures.

PnoT. 38. - La partie antérieure de la moelle est restée sans changements,

seulement le canal central est plus étroit, les cordons postérieurs sont déplacés en

arrière, et en raison de ce que les cordons latéraux avancent latéralement des

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XIV, PI. XXX

37

3t)

38

Il i)

lit

DIFFORMITES DU SYSTEME NERVEUX CENTRAL DANS LA SPINA BIFIDA

(N. Snlovlzojf).

Masson & Cie, Editeurs

I limtullpr IlcnhauJ,

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA BIFIDA 261

deux côtés, par suite en arrière des cordons latéraux, il s'est formé des fis-

sures, dans lesquelles nous trouvons les racines postérieures ; avec les cordons

postérieurs est reculée la substance gélatineuse de Rolando. Les côtés des

cordons postérieurs forment la lettre S dont le bord antérieur limite la partie

dorsale des cordons latéraux.

Ainsi, comme dans les cas précédents, la moelle est partagée en deux moi-

tiés : 1° antérieure, où nous retrouvons les cordons antérieurs et latéraux avec

les cornes antérieures et postérieures, et 2° postérieure, où nous voyons les

cordons postérieurs, limités aux côtés par la substance gélatineuse de Rolando.

Le tableau est tout il fait analogue à la Phot. 24,seulement ici l'isthme est plus

large et la dislocation de la moelle allongée pas si fortement indiquée que dans

le cas IL

Phot. 39. La moelle est formée de deux moitiés, qui sont assez nettement

séparées l'une de l'autre par une fissure latérale, où sont placées les racines

postérieures. La moitié supérieure de la moelle est augmentée de volume com-

parativement avec la coupe précédente. Les fibres myéliniques, appartenant aux

cordons postérieurs, sont disposées aux deux côtés de la ligne médiane à l'ex-

trémité de la moelle, limitant les noyaux de Goll et de Burdach, placés en

avant d'eux. Des deux côtés des cordons postérieurs on aperçoit nettement la

substance gélatineuse de Rolando limitée des côtés du commencement de la ra-

cine spinale du nerf trijumeau. La moitié antérieure de la moelle est restée

presque sans changements. Il faut seulement remarquer, que le canal central

est déplacé dans la direction arrière et aussi la substance gélatineuse de Ro-

lando, placée dans les coupes précédentes au fond des fissures latérales, est ici

reculée en arrière et se trouve seulement dans la formation postérieure. Ce ta-

bleau rappelle la photographie 26 dans le cas IL

Phot. 40.- Entre les deux parties de la moelle la fusion est achevée. Com-

me dans les cas précédents, la fusion s'est accomplie au niveau où apparaît

l'entrecroisement des fibres sensitives, et ici nous voyons que les faisceaux

fondamentaux des cordons antérieurs sont reculés, entre eux est placée la

couche du ruban de Reil. Des deux côtés des faisceaux fondamentaux marchent

les racines antérieures, les cordons latéraux sont diminués de volume et à

leur place est située la substance réticulaire. A cause de la diminution des

cordons latéraux, les fissures, placées sur les côtés de la moelle et séparant la

partie antérieure de la moelle de la partie postérieure, ont complètement dis-

paru. Dans la partie postérieure de la moelle nous rencontrons les noyaux de

Goll et de Burdach, en dehors la substance gélatineuse de Rolando, considé-

rablement diminuée de volume et limitée à sa périphérie par des fibres myélini-

ques correspondant à la racine spinale du nerf trijumeau.

D'autres changements correspondent à la moelle normale et tout à fait comme

dans les cas précédents, à cause de l'allongement du 4e ventricule et à cause

de l'abaissement de toute la moelle allongée dans cette même direction ; le cer-

velet dans ce cas apparaît dans la coupe seulement au niveau où disparaissent

les noyaux des olives inférieures

262 SOLOVTZOFF

La différence principale de ce cas avec les précédents consiste en ce

que la partie abaissée de la moelle allongée n'est pas suspendue sur la

moelle épinière comme une formation supplémentaire, mais se réunit

directement avec elle. Au restant, les changements s'ont très analogues

avec les cas précédents, et comme là les principaux concernent les cordons

postérieurs. Au commencement la quantité défibres myéliniques a dimi-

nué (Phot. 37), ensuite les cordons postérieurs reculent (Phot. 38) et en-

tre la partie antérieure et postérieure se forme un isthme (Phot. 39) ; mais

dans ce dernier cas l'isthme est large. Ensuite la partie postérieure a

augmenté de volume et surpasse la partie antérieure (Phot. 39) ; enfin les

deux parties se réunissent et les fissures,placées des deux côtés de l'isthme,

se lissent ; ceci se produit au niveau de la formation de la couche du ruban

de Reil (Phot. 40).

Cas V.

Ici nous ne trouvons pas que sur la moelle épinière se soit placée la forma-

tion supplémentaire de la partie abaissée du bulbe rachidien; ici nous ne trou-

vons pas non plus un tel abaissement de la partie postérieure de la moelle al-

longée, que dans le cas précédent. La moelle épinière et l'allongée ont une

structure normale dans leurs parties inférieures, mais dans les parties supé-

rieures, immédiatement au-dessus des olives inférieures, nous rencontrons le

même tableau, comme dans les cas précédents, seulement encore plus nettement

exprimé.

Phot. 41. Nous avons ici déjà le commencement des nerfs faciaux et le cer-

velet ne tombe pas encore sous la coupe. Les pédoncules cérébelleux inférieurs

sont bien développés et sont placés des deux côtés de la moelle.

En avant les pyramides, en arrière d'elles de suite la couche du ruban

de Reil. Les fibres ponta-cérébelleuses n'existent pas. Par conséquent ici nous

voyons, comme nous l'avons vu à l'examen extérieur, que le 4" ventricule est

tellement allongé dans la direction en bas et déplacé du cervelet, qu'encore au

niveau du nerf facial la protubérance annulaire n'est pas arrivée jusqu'au

cervelet et est placée plus bas.

Résumant tout ce que nous avons dit jusqu'à présent, nous voyons que

les difformités du système nerveux central dans le spina bifida concernent

surtout le 4e ventricule qui est tellement étendu en bas, que nous ren-

controns son extrémité inférieure dans la région dorsale; la valvule de

Tarin, couvrant en haut le 4e ventricule, s'est aussi abaissée considéra-

blement, entraînant avec soi une partie du cervelet et se soudant avec les

enveloppes qui couvrent la moelle épinière.

- Quelle est la raison de l'allongement du 4e ventricule ? Avec cela on

remarque aussi l'ouverture de la colonne vertébrale, provoquée par

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA BIFIDA 263

l'accumulation surplace de liquide dans la moelle ou sous les enveloppes.

Elle est tellement considérable qu'elle entraine avec soi la disparition des

arcs postérieurs. Comme le spina bifida est accompagné de l'hydropisie

des ventricules latéraux, cela naturellement explique que la même rai-

son est aussi la cause des changements du 4e ventricule, entraînant son

élargissement en bas. Cet élargissement du 4° ventriculepar en bas n'est

pas une apparition très ordinaire, il est vrai ; nous-même avons décrit

un cas, où pendant l'accumulation trop grande de liquide dans le 4°ven-.

tricule se produisait son élargissement dans la direction en haut et si

considérablement que le cervelet ne se développait pas ; mais d'un autre

côté il n'est pas improbable que par l'hydropisie du 4e ventricule il se

soit étendu en bas; il se peut qu'il existe des conditions par lesquelles

quelquefois le 4e ventricule est étendu vers le haut et quelquefois étiré

vers le bas ; parmi ces conditions la première place revient à l'existence

simultanée de l'hydropisie dans d'autres ventricules ; ainsi dans ce cas

où le cervelet était absent, à côté de l'hydropisie colossale du 4° ven-

tricule existait également l'hydropisie dans les ventricules latéraux, dans

le 3° ventricule, dans l'aqueduc de Sylvius. Mais dans le spina bifida se

trouve en évidence au premier plan l'hydropisie du 4° ventricule ; c'est

peut-être de là que provient l'allongement du 4e ventricule non pas vers le

haut, mais vers le bas ; et comme dans le spina bifida l'hydropisie du

fil ventricule est indiquée assez faiblement, alors par elle rien ne périt,

et il se produit seulement la dislocation de la partie postérieure de la

moelle allongée dans la direction vers le bas. Comme par l'accumulation

excessive de liquide dans le canal central de la moelle épinière, sont frappés

avant tout les cordons postérieurs et que le canal central se déplace dans

la direction en arrière, ainsi dans l'hydropisie du 4" ventricule les parties

de la moelle allongée, qui constituent le triangle inférieur du 4' ventri-

cule et présentent un petit tubercule, doivent se déplacer et ils se dépla-

cent dans la direction vers le bas, rencontrent la moelle épinière et se sus-

pendentsurelle (Phot. 1-3). Pareillement, comme dans la moelle épinière

le canal central peut s'étendre non uniformément, mais d'un côté prin-

cipalement, ainsi dans le 3e cas nous voyons que le 4° ventricule et la

moelle allongée se déplacent sur l'un des côtés (Phot. 4). Grâce à l'a-

baissement de la moelle allongée, la partie dorsale du canal vertébral dans

sa partie supérieure doit s'élargir, et effectivement dans tous nos cas nous

remarquons son élargissement.

Par la dislocation mécanique des cordons postérieurs de la moelle al-

longée à cause de l'hydropisie du quatrième ventricule il faut expliquer

tout le tableau original que nous avons remarqué à l'examen micros-

copique de nos cas. A raison de ce que la moelle allongée s'est abaissée

264 SOLOVTZOFF

et de ce que sa partie dorsale est placée derrière la moelle épinière, les

cordons postérieurs de la moelle épinière ont dû complètement changer

leur direction. Au lieu d'aller dans la direction verticale jusqu'aux noyaux

des cordons postérieurs,- ils doivent prendre la direction horizontale ;

nous voyons dans tous les cas les cordons postérieurs dans la moelle épi-

nière disparaître graduellement ; à la place des fibres verticales appa-

raissent les horizontales, d'abord en petite quantité, puis de plus en plus,

et ces fibres passent dans la partie postérieure de la moelle allongée, pla-

cée derrière la moelle épinière, en formant une sorte d'isthme étroit.

Comme dans le troisième cas la moelle allongée s'abaisse sur un côté de

la moelle épinière, nous voyons que les cordons postérieurs d'une moitié

seulement de la moelle épinière passent dans l'allongée, pendant que

l'autre moitié reste sans changements ; mais bientôt après cela. et de

l'autre moitié de la moelle épinière les cordons postérieurs passent dans

la moelle allongée. La moitié antérieure de la moelle épinière et de l'allon-

gée reste sans changements ; dans tous les cas ils ne se déplacent dans

aucune direction et conservent leur aspect primitif, jusqu'au moment où

apparaît entre les faisceaux fondamentaux des cordons antérieurs la couche

du ruban de Reil.L'apparitiondecesfibres sensitives aide aucommencement

à la fusion des parties antérieures et postérieures du bulbe : le canal central

de la moelle épinière s'allonge dans la direction en arrière et passe dans le

quatrième ventricule,ainsi se forme un canal. Les fibres myéliniques hori-

zontales, partantde la moelle épinière et placées dans l'isthme,finissent dans

les noyaux des cordons postérieurs et disparaissent ; sur le plancher du

quatrième ventricule passent des fibres de système nouveau correspon-

dant aux fibres sensitives. L'isthme, réunissant les deux moitiés de la

moelle allongée devient de plus en plus large, à la fin disparait, les fissu-

res disparaissent aussi, placées aux côtés de la moelle, qui par la structure

se rapproche déjà parfaitement de la moelle normale. Grâce à l'abaisse-

ment de la moelle allongée, ces parties, lesquelles dans la moelle nor-

male sont couvertes du cervelet, dans tous nos cas sont couvertes seulement

de la valvule de Tarin et des enveloppes; ainsi par exemple au niveau des

olives, le cervelet ne tombe pas du tout sous la coupe, et même plus haut,

où les olives ont disparu, nous rencontrons ou bien seulement le com-

mencement du cervelet, ou bien nous ne le rencontrons pas du tout.

Pourtant, là comme dans la moelle normale, doivent se trouver les noyaux

dentelés du cervelet.Toutes ces difformités s'expliquent par cela, que grâce

à l'hydropisie du quatrième ventricule toute la moelle allongée s'abaisse

et le cervelet reste à sa place et seulement une petite partie en forme

de lame, ensemble avec la valvule de Tarin, couvre le quatrième ven-

tricule, étendu en bas.

LES DIFFORMITÉS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL DANS LE SPINA BIFIDA 265

Ainsi, comme la cause des difformités du bulbe est l'hydropisie du 4e

ventricule, alors les grands ou petits changements de la moelle allongée

se trouventsous la dépendance de l'état du développement de l'hydropisie

et de là les différences remarquées dans le tableau pendant l'hydropisie

du 40 ventricule ; d'un autre côté l'hydropisie du 4° ventricule ne dépend

pas directement du spina-bifida. Comme en général l'hydromyélie peut

exister dans deux régions différentes, par exemple dans la région cervicale

et la région lombaire et en même temps, elle peut se trouver dans la région

dorsale, en même temps que l'hydropisie dans la région lombaire. Pour

cela l'ouverture de la colonne vertébrale peut tenir à l'hydropisie du

4" ventricule, mais en même temps il se peut qu'elle n'y existe pas,

alors dans le spina-bifida quelquefois nous n'observons pas seulement le

non-abaissement delà moelle allongée, mais aussi que le 4- ventricule

reste absolument normal.

CONCLUSIONS

1) Le spina-bifida est quelquefois accompagné de l'hydropisie du

4 ? ventricule, laquelle entraine l'allongement outre mesure du i.e ven-

tricule dans la direction vers le bas.

2) L'hydropisie du 4" ventricule peut provoquer la dislocation de toute

la moelle allongée dans la direction vers le bas.

3) Quelquefois par l'hydropisie du 48 ventricule se déplace surtout la

partie postérieure de la moelle allongée, laquelle est suspendue sur la

moelle épinière.

4) Grâce à la dislocation de la partie postérieure de la moelle allongée,

cette dernière se partage en deux moitiés : antérieure et postérieure et

chacune de ces moitiés se développe séparément jusqu'à ce qu'elles se fu-

sionnent au niveau de l'entrecroisement des fibres sensitives (1).

(1) J'ai eu l'honneur de soumettre toutes mes préparations à M. le professeur A.

Kojevnikoff, qui les a examinées avec un grand intérêt et je crois de mon devoir de lui

exprimer ma profonde reconnaissance pour les conseils qu'il a bien voulu me donner.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE

DE

L'HYPERTRICHOSE LOMBO-SACRLI :

ENVISAGÉE COMME STIGMATE ANATOMIQUE DE LA DÉGÉNÉRESCENCE

PAR R

LUCIEN MAYET

Interne des Hôpitaux de Lyon

La dégénérescence -- qui peut être définie : un état de moindre perfec-

tion physique et morale tendant à la stérilité, à l'extinction rapide de

l'individu dégénéré et de ses descendants, et qui occupe une si grande

place dans le domaine de la pathologie générale el de la neuropattologie-

se traduit par un certain nombre de signes révélateurs, nous n'osons dire

pathognomoniques,qui indiquent la déchéance corporelle et intellectuelle

du dégénéré : ce sont les stigmates de la dégénérescence (44).

Les uns traduisent la tare corporelle, ou cachée, et le défaut d'adapta-

tion au milieu extérieur : ce sont les stigmates anatomiques et physiologi-

ques de la dégénérescence. D'autres, qui sont un objet d'études surtout

pour les aliénistes, révèlent l'anomalie de l'esprit, l'inadaptation au mi-

lieu psychique, aux idées admises comme normales : ce sont les stigmates

psychologiques de la dégénérescence. D'autres enfin, qui ont provoqué des

discussions passionnées dans les divers congrès d'anthropologie criminelle,

indiquent l'inadaptation au milieu social, c'est-à-dire l'affaiblissement ou

la perte des qualités nécessaires à la vie collective : ce sont les stigmates

sociologiques de la dégénérescence. ,

La production des stigmates anatomiques est le fait du développement

défectueux de l'embryon, développement que vient entraver, en pareil cas

et par divers mécanismes encore incertains et très discutés, l'action des fac-

teurs habituels de la dégénérescence : l'alcoolisme, la syphilis, la tuber-

culose, le paludisme, l'infection goitrigène, la pellagre, etc....

La nature tératologique des stigmates anatomiques de la dégénérescence

est aujourd'hui bien établie.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IIYPERTRICIIOSE LOMBO-SACRÉE 267

Leur nombre est considérable. Les uns sont connus de tout le monde :

asymétrie cranio-faciale, malformations de l'oreille, anomalies dentaires.

difformités des membres,...... par exemple; d'autres sont plus rares et

c'est sur un de ces stigmates anatomiques de la dégénérescence qu'il n'est

pas habituel de rencontrer sur l'hypertrichose lombo-sacrée que nous

désirons attirer l'attention.

Le terme d'hypertrichose lombo-sacrée [hypertrichose lombaire ;hyper-

tricbie localisée dorsale, lombaire, sacrée; hypertrichosis lumbalis; hy-

pertrichosis lumbo-sacralis, etc.] désigne une touffe de poils implantés

sur une plus ou moins grande étendue du tégument de la région dorsale,

lombaire, sacrée. L'analogie de cette touffe est grande avec la mèche plus

ou m'oins allongée par laquelle les peintres et les sculpteurs figurent habi-

taellement la queue des faunes. C'est du reste frappé par cette ressem-

blance que M. Féré rapportait en 1890 le cas d'un dégénéré qui présen-

tait cette anomalie. « La plaque velue, disait-il, ne présente aucune alté-

ration visible de la peau qui conserve sa coloration, son épaisseur et sa

consistance normales. A la périphérie les poils se raréfient graduellement

et la peau reprend sans ligne de démarcation brusque son aspect gla-

bre » (15).

C'est là une anomalie intéressante qui cependant a été un objet, de

préoccupations moins pour les anatomistes et les neurologistes que pour

les chirurgiens.

L'hypertrichose lombo-sacrée, en effet, coexiste fréquemment avec un

spina-bifida caché. Elle acquiert ainsi une réelle valeur pour le diagnostic

de la lésion rachidienne sous-jacente et a été jusqu'ici envisagée exclusi-

vement à ce point de vue spécial. La presque totalité des observations exis-

tant dans la littérature médicale se rapportent à des cas où l'hypertri-

chose localisée révélait un spina-bifida latent ou tout au moins peu appa-

rent. t.

Nous pensons que l'anomalie représentée par l'hypertrichose lombo-

sacrée a une signification quelque peu différente et plus étendue.

En effet, si nous relevons les cas publiés, nous constatons que le plus

grand nombre d'entre eux se trouvent désignés : spina bifida avec hyper-

trichose lombaire. Par exemple ceux de Virchow, de Recklinghausen, de

Brunner, de Joachimsthal, de Jaeger, de Hoche, etc... [V. Notice bihlio-

graphique n°s 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 14, 16, 17, 18, 20, 21,22,23,

24, 25, 20, 27, 28, 30 et 31].

Mais il n'en est pas toujours ainsi. Le spina bifida peut exister sans hy-

pertrichose localisée sus-jacente. Il est probable que beaucoup de ces cas

passent inaperçus. Comme observations nous pouvons citer celles deKir-

misson, de Sainton, de Marchand, d'Ardouin, de Bohnstedt, de Joachims-

268 MAYET

thaï, de Dalziel, de Jacobson, etc... [V.Notice bibliographique nos 20,32,

33, 37 bis, 38, 39, 40 et 42] et le cas d'une fillette de H ans qu'il nous

a été donné de voir il y a quelques années à l'hospice de la Charité, à

Lyon, dans le service du regretté Dr Levrat.

Enfin, dans d'autres cas, l'hypertrichose lombo-sacrée existe sans qu'il

y ait trace d'aucune fissure rachidienne. Ce sont les faits rapportés par

notre éminent collègue de la Société d'Anthropologie de Berlin, le DrBar-

tels, ceux de Olimann-Dumesnil. de Féré, de Voisin... etc. [V. Notice bi-

blionraphiquen°5 1, 3, 13, 15, 19, 29]. A ces cas nous pouvons joindre

celui que nous avons pu observer récemment à l'Hôtel-Dieu de Lyon dans

le service de notre maître, M. le professeur Renaut, et dont nous rappor-

tons plus loin l'observation résumée. '

Qu'il y ait malformation de la colonne vertébrale sous-jacente ou non,

l'hypertrichose lombo-sacrée garde toute sa valeur comme stigmate ana-

tomique de dégénérescence, l'existence du spina bifida étant elle-même le

résultat d'une puissante action dystrophique s'étant exercée sur l'embryon.

Il est regrettahle que la plupart des cas d'hypertrichose lombaire n'aient

pas été envisagés à ce point de vue, car un examen attentif des sujets au-

rait certainement révélé d'autres tares organiques ou psychiques concomi-

tantes. Elles ont toutefois été signalées par quelques auteurs. Fischer cons-

tate la polydactylie chez un jeune malade; Sonnenburg note la polymas-

tie ; Joachimsthal èt d'autres auteurs indiquent des déviations de la colonne

vertébrale - scoliose, lordose... et la luxation congénitale de la han-

che ; M. Voisin, l'idiotie ; M. Féré, diverses tares dégénératives. Quant à

notre malade, elle était une dégénérée stigmatisée à un hautdegré.

Voici son observation brièvement résumée.

Joséphine D... est admise à l'Hôtel-Dieu de Lyon dans le service de M. le

professeur Renaut (Salle Montazet) en janvier 1901.

Elle est atteinte de tuberculose pulmonaire avec infiltration de tout le pou-

mon droit et excavations au sommet gauche. Elle souffre aussi de troubles diges-

tifs liés à de l'insuffisance gastrique de cause incertaine.

Au commencement de mars 1901, la malade meurt des progrès de la phti-

sie pulmonaire dont elle était atteinte. Sa famille s'oppose formellement à l'au-

topsie.

L'intérêt que présentait la malade résidait surtout dans la présence de poils

implantés au niveau de la région lombo-sacrée de façon à former une touffe

assez épaisse (PI. XXXI).

Les poils les plus longs mesurent vingt-huit centimètres.

En hauteur, cette hypertrichose localisée commence au niveau de la 3e ver-

tèbre lombaire et descend jusqu'aux vertèbres sacrées.En largeur elle s'étend,

sur la droite, à 5 centimètres de la ligne médiane ; à gauche, les premiers

poils s'implantent à une plus grande distance du rachis : ils commencent au

HOUEZ ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XIV. PL, XXXI.

HYPERTRICHOSE LOMBO-SACRÉE

CHEZ UNE FEMME DE 5 ANS

(Lucien Mayet)

Masson et Ci@, Editeurs z

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'HYPERTRICHOSE LOMBO-SACRÉE 269

voisinage de la crête iliaque. A mesure qne l'on s'approche de la ligne des

apophyses épineuses, ils deviennent plus drus et plus longs.

L'extrême amaigrissement de la malade rendait très facile l'examen du ra-

chis. Celui-ci pouvait être exploré à travers les téguments avec la même faci-

lité que si les vertèbres avaient été disséquées. Or, l'examen le plus minutieux

ne révélait absolument aucune anomalie sous-jacente. De plus aucun trouble

sensitif, aucun trouble trophique, troubles qui sont si fréquents dans les cas

de spina bifida occulta, n'était à constater chez notre malade. On peut affirmer

que la colonne vertébrale était indemne de toute malformation autre qu'une

scoliose marquée de la région dorsale.

Mais s'il n'y avait pas de spina bifida occulta, on constatait l'existence de

multiples stigmates de dégénérescence de divers ordres. Nous n'insisterons

que sur les stigmates anatomiques dont la coexistence avec l'hypertrichose

lombo-sacrée offre un réel intérêt.

On notait : , pla-iocéplialie avec prédominance de l'asymétrie du côté droit;

front bas, fuyant ; implantation des cheveux atteignant presque les sourcils;

asymétrie faciale ; déviation de la cloison des fosses nasales ; prognatisme exa-

géré ; oreille non ourlée et presque totalement privée de lobule ; dentition dé-

fectueuse avec implantation irrégulière des dents, surtout à gauche pour la

mâchoire inférieure et à droite pour le maxillaire supérieur ; brachydactylie ;

scoliose...

La malade, dont l'histoire pathologique vient d'être retracée en quel-

ques mots, était incontestablement une dégénérée. A côté des autres tares

dégénératives qu'elle présentait et qui caractérisaient son état, se place

l'hypertrichose lombo-sacrée; celle-ci peut être regardée comme un stig-

mate anatomique de dégénérescence.

Pareille interprétation peut s'appliquer d'ailleurs et d'une façon plus

générale, aux diverses hypertrichose localisées ou généralisées. Il n'est

pas exceptionnel d'en rencontrer des exemples et la coexistence presque

constante de multiples autres stigmates anatomiques de dégénérescence,

de troubles mentaux spéciaux aux dégénérés, vient justifier cette in-

terprétation à l'appui de laquelle nous pourrions encore citer une des

conclusions auxquelles arrive 111. Poumayrac dans son intéressante thèse

inaugurale sur les hypertriclloses (34), les cas cités par M. Voisin (1) dans

son livre sur l'idiotie, le sujet présenté en 1899 à la Société de méde-

cine de Nancy par M. Spillmann (2), les constatations que nous avons pu

(1) J. Voisin, L'idiotie, Paris, Alcan, 1893. Fille idiote ayant au niveau du sacrum

une touffe de poils assez longs, véritable petite queue rudimentaire, et présentant en

outre des poils assez longs et nombreux le long de la colonne vertébrale.

(2) Spillmann, Hypertrichose généralisée et anomalie de développement chez un

idiot. Homme de 40 ans atteint d'idiotie et présentant une hypertrichose généralisée,

s'accompagnant d'atrophie du testicule droit,de bec-de-lièvre et de malformations den-

;uv 19

270 ' MAYET

faire personnellement chez plusieurs épileptiques et autres dégénérés.. etc.

Quant à la pathogénie ou plus exactement au mécanisme de produc-

tion de l'hypertrichose dorsale, lombaire ou sacrée nous n'avons pas à

l'envisager ici. Nous remarquerons seulement que cette anomalie n'est

que l'exagération de la répartition habituelle des poils qui chez les sujets

les plus normaux s'implantent plus nombreux et acquièrent un dévelop-

pement plus marqué le long de la colonne vertébrale et plus particulière-

ment au niveau des vertèbres lombaires et du sacrum.

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

I. - Cas d'hypertrichose localisée dorsale, lombaire,

sacrée, publiés antérieurement à 1901.

1. Ornstein. Zeitschrift sur Ethnologie (¡'el'ltandlll1 ! gen der Berliner Gesell-

schaft sur Anthropologie u, s. w.), 1815, VU, p. 91 et 279 : teinre ungewohnliche

13thaarung der Saçralgegen eines Menschen n.- id. 1876, V111, p. 247 : neuer Fall von

sacraler Behaarung. - id. 1877, IX, p. 485 : sacral T1'Îcltose bei Ilellenen (mémoire

avec figures). - id. 1880, XII : ein Fall von Trichosis sacro-lumbalis als Varielat der

Sacrallrichose.

Dans une communication adressée en 1875 à la Société d'anthropologie de Berlin,

Ornstein, médecin de l'armée grecque, altire l'attention sur le cas d'un soldat hel-

lène présentant une épaisse touffe de poils au niveau de la région lombaire. Ces

poils s'implantaient sur une zone assez limitée. Ils étaient si drus et poussaient si

rapidement que le soldat en question était obligé de les couper assez fréquemment

pour n'être pas gêné par leur présence.

Ultérieurement, Ornstein signale à la même Compagnie, plusieurs autres cas ana-

logues.

2. Virchow. Zeitschrift sur Ethnologie, 1875, VIl : ein Fall von Ilypertrichosis cir-

cutnscripta mediana, combinirt mit spina bifida.

Deutsche med. vVochenscltl'" 1884.

- Verhandlungen der Berlin. nted. Gesellschafl, 1891, 1, p. 78. -

3. M. Bartels. - Zeitschrift fia- Ethnologie, 1877, VII, p. 110. - id. 1879, XI, p.

445. - id. 1880, XIII, p. 213.

- Archiu. {Ii" Anthropologie, I, XIII.

- Berliner klin. Woclrenschr., 1892, no 33, p. 833.

4. F. Tourneux et E. Martin. - Journal de l'anatomie et de la physiologie, 1881,

p. 7.

Hypertrichose représentée par de longs poils recouvrant chez un nouveau-né un

spina bifida apparent et formant une tumeur dure, résistante.

5. F. Fischer. - Deutsche Zeitschrift sur Chirurgie, 1885, XVIII, n i. Ein Fall von

chronischer Ostilis des llletatarsallcnoclzen und lumbaler Trichome. '

Fille âgée de 9 ans 1/2. Dès la naissance, hypertrichose au niveau des 2-4 vertè-

bres lombaires. Malformation rachidienne sous-jacente. Syndactylie.

6. Sonnenburg. - Berliner klin. 1Vochensclt¡." 1884, nov., p. 756.

Spina bifida, scoliose... chez une fille âgée de 16 ans qui présentait implantés sur

la peau de la région lombaire de longs poils lisses et noirs.

taires caractérisées par l'existence de deux rangées de dents 'à la mâchoire inférieure

(Revue médicale de l'Est, ter juillet \899),

CONTRIBUTfON A L'ÉTUDE DE L'UYPERTRICUOSE LOMBO-SACRÉE 271

7. Lücke. - Tageblatt der 58 Versammlung deulscher Naturforscher und Anle in

Strassburg, 1885, septembre, p. 276. Ueber sogenannte cartgenilaler Huftgelenluxa-

. tion.

Fille âgée de 9 ans présentant une remarquable hypertrichose de la région lom-

baire et une petite fissure rachidienne au niveau de la dernière vertèbre lombaire.

Luxation congénitale de la hanche.

8. F. v. Recklinghausen. - Virchow' s Archiv sur pallzol. Anatomie... u. s. w.,

1886, CV, p. 243. Untersuchungen uber die spina bifida : Spina bifida occulta mit

sacro-lumbaler Hypertrichose .

9. J. Bland Sutton. - The Lancet, 1887, II, p. 4. Abslract o(a clinicallectu1'e on

spina bifida occulta.

Revue de quelques cas antérieurs d'hypertrichose lombaire. Deux cas nouveaux.

Plusieurs figures.

10. Conrad Brunner. Virchow's Archiv sur pathologische Anatomie... u. s. w.,

1887, CVII, p. 494. Ein Pall von spina bifida occulta mit cangenilaler lumbaler Hy-

pel'l1'ichose.

Ce cas est celui d'un homme âgé de 20 ans, atteint de spina bifida occulta et pré-

sentant une hypertrichose lombaire apparue dès la naissance et développée surtout

depuis l'âge de 9 ans.

- Virchow's Archiv fil), pathologische Anatomie. u. s. w., CXXIX, p. 216. fit weilerer

Beitrag sur Casuistih der spina bifida occulta mit 7V)/pe)'<)' ! cAostS lumbalis.

Deux autres cas de spina bifida avec hypertrichose lombaire.

11. A. Dood. -The Lance ! , ils81, II, p. 1063. - caeo ? um6a)'/)ype)'<t' : cyto4' ! S.

12. Thornburn. - Brain, 1888.- On the injuries of the cauda equina.

13. Ohmann Dumesnil. -.lournal of cutaneous and genito-urinary diseases, 1888,

p. 97.

Homme âgé de 30 ans, hypertrichose apparue à l'âge de 16 ans un peu au-dessus

du sillon interfessier. Aucune cause apparente (Cf. Ann.de dermatologie et de syphi-

digraphie, 1888, p. 661.

14. Bergmann. - Verhandlnrzgen der Berlin, med. Gesellschaft, 1890, XXI, p. 117.

15. Féré. - Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, 1890, p. 45,48. La queue des

satyres et la queue des faunes.

16. Jones. - Brilish med. journal, 1891, 21 janv., p. 173.

Spina bifida sacrée et légère hypertrichose chez un homme de 22 ans.

17. G. Joachimsthal. - Berliner klin. Wochenscl¡¡-" 1891, n 22, p. 536.Ueber Spina

bifida occulta mit Hyperlrichosis lumbalis. Cf. aussi : Ve1'handlungen del, Berliner

med. Gesellschaft, XXII, 1, p. 78,2, p. 55.

Fille âgée de cinq ans. Hypertrichose localisée représentée par une touffe de poils

implantée au niveau de la IV vertèbre lombaire.

Spina bifida latent.

Double luxation congénitale de la hanche.

18. Curtius. Langenbecli's Archiv sur klinische Cltirurgie,1893, XLV, p.194. Beitrag

zur Pathologie der spina bifida lllmbo-sacralis.

19. J. Voisin. L'idiotie. Paris. Alcan, 1895.

Fille idiote ayant au niveau du sacrum une touffe de poils assez longs, véritable

petite queue rudimentaire.

20. G. Joachimsthal. Virchow's Archiv sur palh. Anatomie ... u. s. tU" 1893,

CXXXI,p.488. Ein weilerer Betlrag zur Casuistik der spina bifida occulta mit locales,

Hypertrichose. .

Cinq cas.

Fille âgée de 7 ans. Fissure vertébrale siégeant vers la cinquième vertèbre lom-

baire. Pas de pilosité anormale.

« Dame avec crinière de cheval » présentée à la Société d'anthropologie de Berlin.

Les poils atteignent jusqu'à 27 centimètres de longueur. Spina bifida dorsal et

272 MAYET

lombaire. Photographie. (Cf. Zeitschrift ftir Ethonologie, 1892, XX11V : ' Vel'hand-

lun,gen der Berliner ant1u'. Gesellschaft, p. 313), etc. etc.

21. H. Ribbert. - Virchow's Archiv sur palh. Analomieu.s.1O" 1893. CXXXII, p.

381. BeitrazJzur Spina bifida occulta lumbo-sacralis.

Plusieurs cas.

22. E. Saalfeld. Virchow's Archiv sur palh. Anatomie u.s.w. 1894, CXXXVII,

p. 384. Ueber Spina bifida occulta miel hypel'I¡'ichonis lumbalis.

1° Fille âgée de 13 ans. Hypertrichose lombaire. Spina bifida latent. Scoliose.

2° Fille âgée de 29 ans, hypertrichose avec poils de 0,15 centimètres de long, spina

bifida (Dessin).

23. Jens Schou. Berliner klinische Wochensclzrifl, 1894, n° 5, ne 113. Ein Fall von

spina bifida occulta mil Hyperlrichosis lumbalis.

Fille âgée de 13 ans.

Hypertrichose lombaire représentée par des poils longs de trois centimètres en

moyenne, spina bifida occulta.

Stigmates de dégénérescence incontestables : prognathisme exagéré, scoliose, asy-

métries diverses, etc.

24. G. Muscatello. - Langenheck's Archiv f1ÏI' klinische Chirurgie, 1894, XLVII,

p. 384. Ueber die angeborenen Spalter der Schtidels und der Wirbelsizule.

25. Taruffi. - Cité par Muscatello.

26. Furst. Deue/te medecin. Wochenschrifl, 1895, no 15, p. 103. Ein Fall von

Spina bifida occulta mit Ilgpertriclrosis lumbalis.

Garçon de 7 ans présenté en 'septembre 1894 au IV- Congrès médical de Ham-

bourg.

Sujet frêle, délicat, présentant divers autres stigmates de dégénérescence : oreille

de More), anomalies de l'appareil visuel, etc.

Hypertrichose lombaire. La plus grande longueur des poils atteint 17 centimètres.

Spina bifida occulta. (Photographie).

27. Fürst. - Sl-1'etersburg met, Wochensch1'i{l, XXI, ne 23. Spina bifida mit Typer-

lrichosis lumbalis.

28. J. Rotgans. - Deux cas rapportes in « geneeskundige kring te Amsterdam,

vergadernig von 22 avril 1845 » (CilépaoJoachimsthal).

29. Geyl. - Hypertrichose lombaire chez trois membres d'une même famille : grand-

père, père, fils. Cité par Juger.

30. Juger, - Dissert. Strassburg, 1899. Ein weilerer Beitnag zur Casuistik der Spina

bifida occulta mit locale,' Hypertrichosis.

Homme, 18 ans.

Mère aliénée (mélancolie). ,

Hypertrichose lombaire dès la naissance. Poils blonds mesurant de six à dix centi-

mètres de longueur.

Spina bifida occulta (Photographie accompagne le mémoire).

31. Hoche. - Société de médecine de Nancy, 25 janvier 1899, in Revue médicale de

l'Est, 15 mars 1899, p. 186. Un cas de spina bifida.

Femme de 45 ans, présentant au niveau de la région lombo-sacrée une zone de

15 centimètres de diamètre couverte de poils fins, longs de dix centimètres.

Spina bifida latent (rachischisis partiel).

Il ? Indications bibliographiques complémentaires.

32. Kirmisson. - Bulletin médical, 1887, n" 53. , 4

Homme de 26 ans, spina bifida latent révélé par divers troubles nerveux et trophi-

ques.

Pas d'hypertrichose dorsale lombaire ou sacrée. ,

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'HYPERTRICHOSE LOMBO-SACRÉE 273

33. Sainton. - Revue d'orthopédie, II, 1891, p. 455. Note sur un cas de spina bifida

occulta.

33 bis. Shield. - Transactions med. soc. Lond., 1891-1892, XV, p. 467. Case of spina

bifida occulta necrosis of foot and talipes.

34. Foumayrac. - Etude sur les hyperlrichoses. Thèse de Bordeaux, 1892-1893,

n° 46.

35. Ecker. Archiv sur Anthropologie, XII, p. 129.

36. Michelson.- Ziemssen's s Ilandbuclz der < ! M<&<'a ? tA/iee) ! . Virchow's Archiv füi,

path. Anat.... u. s. va., C., p. 74.

37. W. Wanjura.- Von der genetischen Bèziehung der ¡¡bel' Wirbesaille gelegencir-

cumscriptezz Hypertrichose für Spina bifida occulta. Dissert. Berlin, 1892.

37 bis. Marchand.- Cf. art. « Spina bifida » in EulenbU1'g's Encycl. der gesammten

Ileillcunde.

38. Bohnstedt. - Vi1'C/IOW'S 's Archiv für palh. Anatomie... u. s. w. 1895, CLX, p. 47.

Beilrag zur Casuistilc der Spina bifida occulta.

38 bis. F. Regnault. Médecine moderne, 1895.

39. Ardouin. Revue d'orthopédie, VII, 1896, p. 470.

40. Dalziel. - The Lancet, S fév. 1896, p. 360 in C. R. de la « Glascoxo med. clair.

Society ».

41. Fére. - La famille zzévropathique, p. 272, Paris, Alcan, 1894.

42. Jacobson. - Revue d'orthopédie, VIII, 1897, p. 130.

43. L. Battistelli. Il sistema pilifero nei normali e nei degenerati.

Arch. di psichiat1'ia,... 1900, I, p. 1 et Atti della soc. romana di antropologia,

1900, p. 161.

44. L. Mayet. Gazelle des hôpitaux, 5 et 12 janvier 1901. Les stigmates anato-

miques de la dégénérescence.

UN POSSÉDÉ DE HUBENS

LA « TRANSFIGURATION » DU MUSÉE DE NANCY

PAR R

JEAN HEITZ,

interne des hôpitaux.

Tout semble avoir été dit, au sujet de la perfection du dessin et de

l'observation dans les figures des démoniaques qui figurent à plusieurs

reprises dans les tableaux de Ruhens. Charcot et P. Richer ont fait res-

sortir toute leur valeur documentaire, et les épreuves instantanées de nos

appareils photographiques ne nous donnent pas mieux l'hystérie que le

pinceau de Rubens ne la traçait il y a trois siècles.

Or, dans le tableau du musée de Nancy, il est intéressant de voir le

jeune peintre flamand,alors dans sa vingt-septième année, s'attaquer pour la

première fois à une figure de démoniaque ; il est surtout intéressant de le

voir, dans un tableau imité de la célèbre Transfiguration de Raphaël

(maintenant au Vatican), s'écarter de son modèle en ce qui concerne cette

ligure et la rendre, d'une manière originale, tout à fait différente de la

conception du grand maître du siècle précédent.

Le tableau de Nancy, relativement peu connu, est d'une authenticité qui

ne prête à aucun soupçon. Enlevé en 1797 de l'église de la Trinité à

Mantoue, lors de l'occupation française, il fut donné en 1801 au musée

de Nancy. Une vieille chronique, trouvée par M. Michel à la bibliothèque

de Mantoue. nous apprend que ce tableau fut commandé à Rubens en

1604, avec deux autres, à l'occasion de la mort d'Eléonore d'Autriche,

mère du duc Gonzague, et qui venait d'être enterrée dans ladite église de

la Trinité. La chronique ajoute que le tableau de la transfiguration fut très

remarqué, et qu'on venait l'admirer de toutes parts.

Actuellement, au musée de Nancy, l'oeuvre, un peu dégradée, frappe

par ses grandes dimensions, par ses brusques oppositions d'ombre opaque

et de lumière. Par ce dernier caractère, il rappelle la manière du Cara-

vage, dont l'influence, grande à cette époque, devait se faire sentir sur

toutes les premières oeuvres de Rubens.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. XIV.

de la

SALPÊTRIÈRE

UN JEUNE POSSÉDÉ

D'après le tableau de P.-P. RUBENS

La Transfiguration

(Musée de Nancy.)

Gravure extraite de l'ouvrage de EMILE MICHEL

Rubens, son OEuvre, sa Vie et son Temps

(L¡hrall'le HACHETtE et Cie, Paris.)

MASSON et Ci-, Éditeurs.

UN POSSÉDÉ nE RUBENS 275 ma

Les emprunts à la composition de Raphaël, sont extrêmement frap-

pants. Trois ans auparavant, lors de son séjour à Rome, Rubens avait

étudié de très près le tableau du Vatican, comme nous le prouvent les

dessins de fragments de la Transfiguration que nous possédons au Louvre,

et qui sont de la main du jeune peintre. Ici, non seulement, il a pris à

Raphael le sujet, la manière de comprendre la scène, mais encore maints

personnages, par exemple le Christ, quelques-uns des apôtres, la femme

qui se renverse au premier plan. M. Michel (I), qui a étudié avec

tant de soins toute l'oeuvre de Rubens, note encore des réminiscences du

Titien, des Bolonais ; mais déjà, il accuse dans cette oeuvre de jeunesse

plusieurs caractères profondément flamands, le type des hommes, avec

des débordements de chairs, des caractères énergiques, des visages bar-

bouillés de vermillon. Il trouve à l'ensemble du souffle, de la vie, et un

sentiment très énergique du mouvement. Nous allons en donner tout à

l'heure la preuve scientifique. Par l'étude, au point de vue médical, de

la figure du possédé, entièrement différente de la même figure dans la

Transfiguration de Raphaël, nous pouvons apprécier d'une façon rigou-

reuse les qualités si remarquables d'observation qui donnent et donneront

à toute production de Rubens et de son école une vie si admirable, si

profonde.

Le jeune démoniaque delà Transfiguration de Haphaël a été très criti-

qué, et à juste titre. Sir Charles Bell, le trouvait peu naturel ; selon lui,

le jeune homme semblait feindre des convulsions qu'il n'avait pas. Char-

cot et P. Richer (2) en ont fait une étude très détaillée; ils ont bien mis

en évidence l'invraisemblance de cette bouche ouverte d'où s'échappent

des cris en opposition avec le spasme des yeux convulsés vers le haut. Ils

nous ont montré la bizarrerie de ce bras droit élevé verticalement, dans

une pose académique, de cette main gauche contracturée en extension. Il

est en effet habituel de voir dans les crises hystériques la main fermée et

en pronation, et le geste représenté par Raphaël nese voitpas en clinique.

Enfin, le calme, l'aplomb des membres inférieurs jurent avec la contrac-

ture de la partie supérieure du corps.

Et cependant cette figure a été très étudiée : Charcot et P. Richer rap-

portent deux dessins de la maison du maître, l'un à l'Albertine, l'autre

à la bibliothèque Ambroisienne, qui prouvent bien que le jeune possédé

avait été, comme les autres personnages de la scène, l'objet d'un travail

préparatoire très sérieux. Or il n'est pas admissible que Raphaël n'ait

jamais assisté à une crise démoniaque. D'autre part, nous savons qu'il étu-

(1) RUBENS, Sa vie, son ouvre et son temps par Emile Michel (Hachette).

(2) C(IAICOT et P. R(ciiEit, Les démoniaques dans l'art, p. 30.

276 - HEITZ

diait de près la nature, et l'on se demande avec quelle intention il a ainsi

modifié la réalité, à quel idéal conventionnel de beauté il a sacrifié les

principes qui avaient dirigé,jusqu'alors les écoles italiennes.

,Rubens., lui, n'a pas hésité à suivre la voie qui lui semblait la plus

droite, la plus franche. Dans l'exécution de son démoniaque, il a simple-

ment copié, sans omettre aucun trait, ce qui se passait sous ses yeux,

sans autre préoccupation que celle d'être vraie. L'enfant, soulevé de terre,

porté par un homme vigoureux éprouve certainement une crise d'une vio-

lence'extraordinaire. Aussi nous expliquons-nous facilement la terreur qui

se peint sur le visage de tous les assistants. Les membres inférieurs qui

ne supportent pas le poids du corps, sont saisis en pleines convulsions.

La jambe droite est raidie en extension, le pied rétracté en flexion, la

jambe gauche, au contraire, se relâche légèrement, comme de juste. La

face est divisée à droite, rejetée en arrière, les yeux convulsés en haut, la

bouche est légèrement entr'ouverte, le cou gros, gonflé. Le bras droit,

seul visible, est légèrement écarté du tronc, le coude en extension forcée,

et nous retrouvons au poignet l'attitude clinique ordinaire, le poing fermé,

en pronation forcée. Ici, commeplus tard, dans les miracles de saint Ignace,

que Rubens peindra en pleine possession de son génie, ici déjà il a réalisé

du premier coup, sans effort, la perfection dans la représentation de la

crise démoniaque. Non seulement, il a pu la voir, la retracer, mais, fait

qui n'avait pas été signalé, il a pu la voir et la retracer, malgré l'exemple

illustre qui devait l'éblouir, lui fermer les yeux.

Dans une oeuvre imitée, oeuvre d'écolier où il se laissait guider par un

maître que tous admiraient et copiaient de confiance, il a su s'arrêter au

point précis où le maître avait faibli. C'est ce point précis que notre mé-

thode nous a permis de constater avec une certitude scientifique. Grâce à

elle,nous pouvons apercevoir, éclatantes dans cette oeuvre de jeunesse, les

qualités déjà entières du grand artiste flamand : la sûreté de l'observation,

la réalisation passionnée de la vie.

1

Le Gérant : BOUClIEZ.

Imp. J. Thevenot, Semt-Umer (Haute-Marne).

14e Année N° 4. Juillet-Août

HOSPICE DE LA SALPTÈRIÉIOE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NEI/VEU,

A PROPOS

D'UN CAS D'ACHONDROPLASIE (1)

R. CESTAN,

Chef de clinique à la Salpêtrière.

« Les cas d'achondroplasie chez les adolescents ou les adultes ayant

fait l'objet de publication, sont jusqu'à présent assez peu nombreux. Les

raisons de cette pénurie sont diverses. La première, la plus topique, c'est

qu'en effet cette affection se montre relativement assez rare; la seconde,

c'est que sa description n'a pas encore suffisamment diffusé dans le grand

public médical ; si on ne reconnaît pas l'achondroplasie, c'est qu'on ne la

connaît pas » et dans la Presse médicale du 14 juillet 1900,M. Pierre Marie

donnait une si parfaite analyse des signes distinctifs de celle maladie,

qu'il nous est aussi facile maintenant de reconnaître le nanisme achon-

droplasique que le gigantisme acromégalique, que l'on sait d'ailleurs s'ap-

peler 1 ! 'ussi « maladie de Marie ». Nous avons trouvé à la clinique nerveuse

de la Salpêtrière un nouvel exemple d'achondroplasie, celui d'une petite

fille de 9 ans 1/2, que nous avons pu étudier plusieurs mois et essayé en

vain d'améliorer par le traitement thyroïdien; nous croyons utile d'en

rapporter l'observation, d'autant plus qu'avec une extrême obligeance,

[(1) M. R. CESTAN avait bien voulu nous confier pour le précédent fascicule la pu-

blication d'une étude d'ensemble sur l'achondroplasie, où se trouvaient réunis les

documents les plus détaillés et les plus récents sur l'historique et la bibliographie de

la question. Le manuscrit de cet important travail a été égaré par le service des

postes, et malgré les recherches les plus minutieuses, il a été impossible de le re-

trouver.

L'auteur a eu l'extrême obligeance de prendre la peine de reconstituer dans le pré-

sent article une partie de cette étude. La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière

tient à lui exprimer ici publiquement son profond regret pour la perte du travail

primitif, et ses remerciements les plus vifs pour la nouvelle étude publiée aujour-

d'hui. N. D. L. R.] 1

xiv 20

278 CESTAN

M. P. Marie nous a communiqué de nombreux documents photographiques

et permis de reproduire les plus typiques.

Eugénie X... est âgée de 9 ans 1/2. Son père et sa mère sont d'une

excellente santé ; le père nie toute intoxication syphilitique ou alcoolique.

La malade a une soeur de 12 ans, parfaitement bien constituée. Elle est

née à terme, dans de bonnes conditions, après une grossesse tout à fait

normale. La mère, femme de haute stature, n'a eu en effet pendant sa

grossesse ni émotion, ni accident, ni fièvre. Elle a remarqué que, dès la

naissance, sa fille ne ressemblait pas aux autres enfants et avait des bras

très courts. Cette difformité s'est peu à peu exagérée à mesure que l'en-

fant a grandi, et cependant celle-ci a parlé et marché à l'âge de 16 mois,

et n'a jamais présenté des troubles digestifs. On peut donc affirmer que

l'affection est congénitale.

Dès le premier aspect, on est frappé par la brièveté de la taille, la mi-

cromélie et la macrocéphalie qui contrastent ainsi singulièrement avec

l'apparence à peu près normale du tronc. Mais avant toute analyse détail-

lée de ces signes, il est nécessaire d'établir le canon des proportions de

l'enfant de 9 ans. M. Richer fait remarquer en effet que les proportions

de l'enfant diffèrent sensiblement de celles de l'adulte, que l'enfant a la

tête grosse et les membres trop courts; cette disproportion disparaît peu

à peu, mais il faudra se souvenir de celte notion pour l'interprétation de

certaines oeuvres d'art considérées comme des exemples par les uns d'achon-

droplasie, par les autres de simples types infantiles. Nous avons donc

pris les dimensions de plusieurs fillettes ayant t'age de notre malade. et

nous croyons pouvoir dire que, chez l'enfant normal de 8 à 10 ans, la

hauteur du corps vaut 6 têtes, la hauteur du tronc 2 tètes 1/4, la distance

qui sépare la crête iliaque du talon 3 têtes 1/4, dont 1 tête 3/4 pour la

cuisse et 1 tête 1/2 pour la jambe, la distance qui sépare l'acromion de

l'extrémité des doigts, 2 têtes 1/2 dont environ 1 tête de l'acromion au

pli du coude. Aussi, le milieu du corps est-il situé un pen au-dessus du

pubis, et l'extrémité des doigts atteint-elle le milieu de la face interne de

la cuisse. Ces proportions sont tout à fait modifiées chez notre petite

malade (PI. XXXIII, A, A', A").

Sa taille atteint 0 m.93. La hauteur de la tète est de 21 centimètres, sa

largeur au niveau des bosses pariétales de 17 centimètres. La taille vaut

par suite 4 têtes 1/2 au lieu de 6 tètes, chiffre normal ; le milieu du corps

se trouve vers l'ombilic au lieu du pubis. Le tronc mesure 2 tètes (chiffre

normal), mais la distance qui sépare la crête iliaque du talon vaut 2 tê-

tes 1/2 au lieu de 3 têtes 1/4, dont partie égale pour la cuisse et la jambe,

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÜRILRL T. XIV. PI. XXXIII

A

A'

A"

B

13,

B"

ACHONDROPLASIE ET MYXOEDEME

A, A', A" Un cas d'achondroplasie chez une fillette de 9 ans (Eug, X.).

B, B', B" Un cas de nanisme myaedematcux, femme de n2 ans f Mart.1.

A PROPOS D'UN CAS D'ACHONDROPLASIE 279 9

au lieu de 1 tète 3/4 pour la cuisse et i tête 1/2 pour la jambe (chiffre

normal). Le bras mesure 13 centimètres, l'avant-bras et la main 22 cen-

timètres, de telle sorte que l'extrémité des doigts arrive à peine à la nais-

sance de la cuisse, au lieu d'atteindre son milieu (situation normale). Ce

nanisme est donc très particulier et on peut le définir avec M. Marie, na-

nisme par micromélie surtout rhizomélique, c'est-à-dire portant surtout

sur la racine des membres, s'atténuant au contraire vers l'extrémité dis-

tale. Au surplus, cette perturbation des proportions du corps humain est

due à deux facteurs : d'une part la macrocéphalie, la tête étant trop grosse

aussi bien pour les membres que pour le tronc ; d'autre part, la micromé-

lie, les membres étant trop courts par rapport à la longueur du tronc;

ces deux facteurs se réunissent pour créer un type de nanisme tout à fait

caractéristique.

Pour le dire immédiatement, la peau et ses annexes, ongles et poils, ne

présentent rien d'anormal. La peau est souple, sans icthyose ; les ongles

non cassants et non striés, les cheveux longs et dépourvus de cette séche-

resse si fréquente dans l'insuffisance thyroïdienne. Le corps thyroïde a

d'ailleurs son volume et sa consistance habituelles.

Dans son ensemble, le tronc est à peu près normal ; les côtes régulières,

sans chapelet, saus incurvation, la colonne vertébrale sans scoliose ou lor-

dose ; mais le sternum présente une gouttière très prononcée analogue à

celle de certains enfants racbitiques.Le dos est plat, les fesses au contraire

saillantes et ainsi se produit une ensellure dorso-lombaire tout à fait ca-

ractéristique de la maladie. Les omoplates sont légèrement saillantes, non

déviées, mais cependant de dimensions réduites et le défaut de dévelop-

pement est manifeste surtout au niveau de la cavité glénoïde qui est

ainsi trop petite pour recevoir la tête humérale et que l'on sait d'ailleurs

formée par des points complémentaires d'ossification ; celte exiguïté de la

cavité glénoïde,est très visible sur la radiographiede l'épaule(l'1.111VIII).

Le bassin présente semblablement un arrêt de développement, avec

diminution de tous ses diamètres transverse et antéro-postérieur, créant

ainsi un bassin rétréci bien différent du bassin rachitique et dont les

accoucheurs ont donné une parfaite description. Sa cavité cotyloïde est

arrêtée dans son développement.

La tète est volumineuse, le nez large, épaté. Mais la macrocéphalie est

due ici, non au développement exagéré de toutes les parties du crâne

comme dans l'acromégalie, mais bien au développement excessif des os de

la voûte du crâne, donnant ainsi aux malades l'aspect d'hydrocéphale,

détail très visible chez le Inalade anatale Re ïVI.111arie (Pl. XXXV, P). Par

la palpation, en eu'et, on voit que les bosses pariétales et frontales sont

très saillantes et la radiographie nous a montré un épaississement très net

280 CESTAN

des ospariétaux et frontaux. Les os de la face ont conservé au contraire

leurs proportions normales. Les maxillaires et la dentition ne présentent

pas de modificalion.

Les membres sont courts et cette micromélie est surtout rhizomélique;

au maximum, au niveau de l'humérus et du fémur, elle s'atténue à me-

sure que l'on atteint l'extrémité distale. Les membres paraissent comme

tassés sur eux-mêmes et le parfait développement des masses musculaires

donne ainsi à notre malade l'aspect d'un petit athlète, selon la remarque

de M. Marie.

Chez notre malade, la déformation de la « main en trident » est très

manifeste (Pl. XXXIV, C,C'). -

« Au lieu de présenter entre eux des différences de longueur d'un à

deux centimètres ou davantage, les doigts d'une même main sont de di-

mensions presque égales... Enfin les mains des achondroplasiques se dis-

tinguent encore par une autre déformation que je proposerai d'appeler la

main en trident et qui consiste en ce que les doigts d'une main étant jux-

taposés par leur base, ils s'écartent les uns des autres par leurs extrémités

simulant ou bien la divergence des dents d'un trident (PI. XXXIV, D

et E) (P. Marie) » et cette forme est d'autant plus nette chez notre petite

malade que ses doigts ont un aspect fusiforme très particulier.

La palpation vient nous révéler aussitôt des modifications diverses : dia-

physes à peu près normales, épiphyses très hypertrophiées. Les tibias

présentent une incurvation à concavité intense; cette courbure se produit

en grande partie comme le fait remarquer M. Marie à la jonction de la dia-

physe et de l'épiphyse, cependant elle se fait aussi aux dépens de la dia-

physe elle-même, détail qui est d'ailleurs visible sur certains squelettes

d'achondroplasiques. Cette hypertrophie des épiphyses crée diverses mal-

formations.

La tête humérale est trop grosse pour la cavité glénoïde et ainsi les bras

sont toujours légèrement écartés du thorax. Mais on constate surtout que

l'extrémité du cubitus ne peut venir se loger dans la cavité olécrànienne,

que la tête radiale elle-même est très hypertopbiée, d'où une impossibilité

de l'extension complète de l'avant-bras sur le bras et de la supination de

la main (Pl. XXXVI, S et T).

M. Marie avait remarqué chez ses deux malades que la tête du péroné

était située plus haut que normalement ; non seulement nous retrouvons

ce détail sur notre petite fille, mais nous constatons un fait analogue au

niveau du coude en ce qui concerne l'extrémité supérieure du radius.

La radiographie met en parfaite évidence tous ces détails (1) (PI.XXXVII

(1) En collaboration avec M. Infroit, chef du laboratoire de radiographie à la Salpê-

Nouvelle Iconographie DE la SALPhTRIÜ(c.

T, SI\', PI. XXXl\'

1)

E

C

C' 1

MAINS D'ACHONDROPLASIQUES

C C lYlaia7 e la fillette acliondro lasi uc Pl. Y1\III face dorsale et face palmaire (supination complète impossible).

EXPLICATION DE LA PLANCHE XXXV

F, Fui, Cas de BOECKII. (Arch. f. Gynsekolo-

gie, 1893, t. XLIII, p. 263.)

G, Cas de JoacumsraeL. (Deuts. med.

IVochenschriff, 1899, p. 288.)

H, II', Cas de Charpentier (In Porak, Nouv.

Arch. d'Obst., 1890, p. 25.)

I, J, Cas de Porak. (Nouv. Arch. Obst.

et Gynec., 1890, p. 21.)

K, Cas de .I0.ICIlIIISTHAL (loc. cil.)

, M, Cas de Thomson. (Edinburgla med.

Journ., 1893, t. XXXVIII, par. 2.)

N, Cas de BALL\VY\. (Med, News., 1890,

p. 138.)

0', Cas de Pierre Marie, Claud. [Presse

méd., 14 juillet 1900.)

P, Cas de Pierre Marie, Auat. (Ibid.)

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.

T. XIV, PI. XXXV

F

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TYPES D'ACHONDROPLASIQUES

EXPLICATION DE LA PLANCHE XXXVI

Q, Foetus achondroplasique. Cas de PoRAK.

(Nouv. Arch. d'Obst. et de Gynécol.,

1890.)

R. Nouveau-né achondroplasique.(Ziegler's

Haudbucn, Pathologie Anatomie, t. 11.)

S, Os normaux et os d'achondroplasiques.

(Thèse de Spillsiann. Le Rachitisme.

Nancy, 1900.) Les os achondropla-

siques sont placés à la droite des os

normaux correspondants.

T, Chondrodystrophia hypertrophica de

KAUFFHANX. (Ziegler's Handb. Palh. u.

Anat., t. II, p. 170, fig. 1t4.)

U, Le dieu égyptieu Phtah, statuette du

musée du Louvre. (CHARCOT et P. Ri-

cher. Les Difformes et Malades dans

l'art.)

V, Le dieu Bès. (Ibid.)

X, Statuette de Caracalla. (.Musée d'Avi-

gnon.)

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE la Salpêtrilre.

T. XIV. PI. XXXVI 1

SUR l'achondroplasie

(R. Cestan).

Masson & CIe, Editeurs

l'h(llolrlc 11\'1111«1111, Par

NOUVELLE Iconographie UE la SALPÈrRltRE- T. ŸIV, PI. XXXVII

Radiographie totale d'une fillette de 9 ans Radiographie totale d'une fillette de 9 ans

NORMALE ACHONDROPLASIQUE

(R. ! 'cslrrn).

Masson & CIC, Editeurs 1 httlt.I)lIIt' Ucl1h.uuJ, l'IU"15

I lit>Ui'j|iie Ik'tllianii. l'uris

NOUVIU¡¡ Iconographie DE la Snr.r·i.rajar ? . T. XIV, 1'1. XXXVIII

RADIOGRAPHIES COMPARÉES DE L'ÉPAULE ET DU BRAS

chez une fillette normale (A droite) et chez une ,1 ? plJsique (à gauche). -- - ?

A PROPOS D'UN cas d'achondroplasie 281

et XXXVIII). Pour nous placer dans de rigoureuses conditions scientifi-

ques, nousavons radiographié côte à côte, sur la même plaque, c'est-à-dire

par suite avec la môme durée de pose et le même développateur, l'épaule

et le coude d'une fille normale et de notre achondroplasique. La radiogra-

phie vient confirmer les résultas fournis par la palpation. Les côtes et la

colonne vertébrale sont normales sans exostose, sans déviation. Les os de

la voûte crânienne sont très épaissis; au contraire, ainsi que le faisait re-

marquer Parrot, les os de la base crânienne et de la face ont conservé leur

structure normale. Les omoplates sont réduits de volume et surtout au ni-

veau de leurs points complémentaires d'ossification, c'est-à-dire au niveau

de la cavité glénoïde, devenue ainsi trop petite pour recevoir une tête fé-

morale très hypertrophiée. Ces détails se retrouvent au niveau du bassin.

La diaphyse des os longs est normale,mais leurs épiphyses très hypertro-

phiées et même assez irrégulières; les os longs sont ainsi comme tassés sur

eux-mêmes. Si la diaphyse présente une transparence normale, l'épiphyse

au contraire nous a paru plus opaque et surtout on ne voit pas cette ligne

normale de démarcation très claire et rectiligne formée par le cartilage

de conjugaison entre l'épiphyse et la diaphyse.

La radiographie parait montrer que d'une part ce cartilage est déjà os-

sifié, d'autre part que cette ossification est très irrégulière ; elle confirme

ainsi ce que nous apprend l'anatomie pathologique.

La santé générale de notre malade est excellente. Son coeur, ses pou-

mons, son tube digestif, son système nerveux sont de constitution nor-

male. Son intelligence, bien qu'un peu au-dessous de la moyenne, est ce-

pendant suffisante.

Macrocéphalie particulière, micromélie surtout rhizomélique, main en

trident, Ihorax normal, hypertrophie considérable des épiphyses des os

longs avec état normal de la diaphyse, caractérisent l'achondroplasie. Ses

caractères appartiennent-ils en propre à celte maladie, en d'autres termes

l'achondroplasie constitue-t-elle au point de vue clinique une entité mor-

bide et dans ce dernier cas quelle place lui assigner dans la famille des

nains' ? Nous allons étudier successivement ces différents problèmes.

Il est d'abord certain que l'achondroplasie se reproduit chez tous les

malades avec les caractères cités plus haut, voire même avec la main en

trident ainsi que le montre la collection de figures mise à notre disposition.

par M. Marie et dont il nous a très gracieusement permis de reproduire

quelques exemples (Voy.l'I. XXXV et XXXVI).On la rencontre d'ailleurs

aussi bien dans le nouveau que dans l'ancien continent. ,

trière, nous avons déjà donné à la Société de Neurologie, le 18 avril 1901, les résultats

de l'examen radiographique de notre malade. '

282 CESTAN

Comment dès lors une maladie aussi singulière n'aurait-elle pas attiré

l'attention des caricaturistes. Depuis longtemps, en effet, on a cru reconnaît-

tre dans certaines oeuvres de l'antiquité des exemples d'achondroplasie.

C'estainsi que Parrotconsidérait commetel lastatue dudieu égyptien Phtah ;

c'est ainsi qu'on a pu considérer comme tels les statues du dieu Bés et des

Pygmées (Pl. XXXVI, U et V).

- Cependant on ne saurait oublier que deux écueils sont à éviter dans

l'interprétation de semblables oeuvres d'art. D'une part, il peut être dif-

ficile, sinon même impossible, ainsi que le fait remarquer M. Henry

Meige dans son bel article « Nains el Bossus dans l'Art » (Nouv. Icono-

graphie de la Salpêtrière, 1896),de porter un diagnostic rétrospectif alors

qu'il est déjà délicat de se prononcer du vivant du malade, surtout avec

ce nouvel obstacle que le peintre habille ses personnages et que lesculp-

teur peu expérimenté ne fait pas toujours une copie parfaite du modèle.

D'autre part, MM. Charcot et Richer dans leur ouvrage sur les Malades et

les difformes dans l'art, soulignent ce fait essentiel, que l'enfant se rap-

proche dans ses proportions de l'achondroplasie avec des membres trop

courts et une tête trop grosse pour un tronc normal, et qu'en somme le

dieu Phtah peut très bien représenter un type infantile normal. Cepen-

dant, il est hors de doute que certaines statuettes se rapprochent très sin-

gulièrement de l'achondroplasie. M. P. Richer nous a confié un Caracalla

du Musée d'Avignon. Les organes génitaux bien développés et la'tête cas-

quée nous prouvent qu'on a voulu représenter un adulte (PI. XXXVI, X).

Or, ce Caracalla a le dos et les fesses saillantes, les membres courts, bien

musclés avec micromélie surtout rhizomélique, de telle sorte que nous

n'hésitons pas à le considérer comme une statuette d'achondroplasique.

Pourrait-on retrouver des achondroplasiques parmi les nombreux portraits

de nains du XVII" et du XVIIIe siècle ? Les vêtements dont sont habillés

ces personnages rendent la réponse tout à fait incertaine.

Ce point de diagnostic rétrospectif de l'achondroplasie dans l'art doit

être par suite laissé de côté.

On peut cependant donner une réponse affirmative à la première ques-

tion : l'achondroplasie se reproduit toujours avec les mêmes caractères cli-

niques. *

.. *

Avant d'aborder l'exposé du diagnostic de l'achondroplasie avec les au-

tres variétés de nanisme et de voir ainsi la place qu'on peut lui assigner, il

est indispensable de définir le nanisme.

Le véritable nain doit être un homme de taille très réduite par rapport

aux individus de la même race, mais cependant avec une juste proportion

des différentes parties du corps, c'est l'homuncul us, c'est l'homme vu par

A PROPOS d'un cas d'achondroplasie 283

le gros bout de la lorgnette selon l'heureuse expression de M. Henry Meige.

le légendaire Pygmée d'Homére,l'hahitaut de Lilliput Or l'existence de pa-

reils nains, se reproduisant comme tels et capables par suite de former

une race naine, n'est rien moins que certaine. On a bien cité comme tels

les Lapons, les Obbongos, les Akkas. mais ces races atteignent environ

1 m. 34 et on ne saurait par suite les considérer comme des types de na-

nisme vrai. Au surplus des exemples semblables existent chez les animaux;

ne voyons-nous pas en effet une différence de proportions considérable sé-

parer les molosses par exemple des chiens carlins et cependant nous con-

sidérons ces derniers comme une race à part qui ne saurait être la race

naine de la race des molosses. Cette distinction s'applique aux races hu-

maines ; les Obongos constituent une race à part qui n'est point une espèce

naine d'une autre race et pour parler de faits cliniques plus accessibles à

la discussion, il n'existe pas une race naine de la race blanche; tous

les nains de race blanche qu'on a observés en Europe ont été ou sont en

réalité des êtres pathologiques. On a bien voulu comparer l'achondropla-

sie aux chiens bassets, aux boeufs Natos, etc. Les raisons développées plus

haut nous empêchent d'accepter cette assimilation car les boeufs Natos, les .

chiens bassets constituent de véritables races particulières capables de

transmettre leurs défauts et qualités à leurs descendants.

En est-il de même des nains ? La réponse est négative. L'histoire nous

montre en effet que les mariages de nains ont été stériles ou ont donné

naissance à des enfants normaux. Catherine de Médicis,l'Eleclrice de Bran-

debourg, Natalie, soeur du czar Pierre le', ont essayé en vain de faire

reproduire les nains entre eux. D'autre part, l'histoire nous dit que Joseph

Bowflasky, qui vivait vers le milieu du XVIIIe siècle et mesurait 0 m. 77

de haut, « se maria et eut plusieurs enfants, bien constitués, sur la pro-

venance desquels on le plaisantait ; mais il ne s'en fàchait point (Mo-

reau, Fous et Bouffons).

Les nains ne peuvent donc se reproduire. Et en effet, cette impossibilité

tient à deux espèces de causes tout à fait différentes. A ce point de vue,

on peut diviser les nains en deux groupes dans le 1`° groupe, le nanisme

est créé par un trouble local du squelette ; dans le Il, groupe par un trou-

ble général de la nutrition.

Au premier groupe, nous rattachons les nanismes rachitique et achon-

droplasique. Ces nains peuvent donner naissance à des enfants nor-

maux ; les exemples en sont nombreux ; ce qui arrête chez eux la survi-

vance de la race,et d'ailleurs uniquement par la femme,ce sont les lésions

du bassin. « Certains auteurs ont bien signalé des cas d'achondroplasie

héréditaire. Nous avons trouvé, chez les auteurs, trois cas dans lesquels

l'influence héréditaire aurait été observée,mais les renseignements donnés

284 CESTAN

dans ces trois cas sont insuffisants et ne permettent aucune critique... :

D'après ces faits, on devrait donc admettre que l'achondroplasie peut être

une affection héréditaire. Nous avons donné plus haut les raisons'pour les-

quelles on est autorisé à formuler loutes réserves à cet égard » (P. Marie,

loc. cit.).

Au 2e groupe de nanisme nous rattachons le myxoedème, l'hérédo-sy-

philis : or ici le même trouble général de la nutrition crée et le nanismeet

la stérilité. Nous pouvons donc conclure que le nain de race blanche est un

être pathologique qui ne peut transmettre ses caractères obéissant ainsi

d'aillèurs à la loi qui dirige l'évolution des espèces.

Quelle place dès lors il assigner à l'achondroplasie parmi les diverses

variétés de nanisme ? Nous ne citerons d'abord que pour mémoire ce na-

nisme créé par des anomalies des membres, absence complète ou mauvais

développement total ou partiel d'un seul ou plusieurs membres, consti-

tuant la famille des Ectroméliens de Geoffroy St-Hilaire avec ses variétés

de phocomélie ou d'hémimélie suivant que l'anomalie atteint l'extrémité

proximale ou distale du membre.

On reconnaîtra aussi sans peine les enfants atteints de diplégies céré-

brales, êtres rabougris, idiots, gâteux, affectés de paraplégie spasmodique ;

cependant nous rappellerons que la macrocéphalie des achondroplasiques

prête à l'erreur et a fait porter le diagnostic erroné d'hydrocéphalie.

Quelques nains sont, à n'en pas douter, des hérédo-syphilitiques ; ainsi

le nain Bébé, Nicolas Ferri, bel exemple d'hérédo-syphilis, comme le dé-

montre M. E. Fournier dans sa remarquable thèse sur les stigmates dystro-

phiques de l'hérédo-syphilis. Front olympien, exostoses, fractures juxta-

épiphysaires, syphilides cutanées, lésions spécifiques des autres organes,

testicule, foie, système nerveux, sont des signes différentiels suffisants.

D'ailleurs, le nanisme ne s'y rencontre pas avec cette micromélie surtout

rhizomélique, qui appartient en propre à l'achondroplasie.

Dans le myxoedème, on trouvera la bouffissure du visage, l'oedème si

particulier de la peau, l'état somnolent, la sécheresse des poils, l'infanti-

lisme des organes génitaux (PI.11111, B,B',B"). Au surplus, les mem-

bres ont gardé leur proportion, la radiographie montre que les épiphyses

sont restées à l'état d'ébauche cartilagineuse et que cet état peut s'amé-

liorer par le traitement thyroïdien. Nous reviendrons plus loin sur ces

différences essentielles.

Mais est-il possible de différencier aussi facilement l'achondroplasie du

rachitisme Ce problème comprend deux points de vue, l'un pratique,

l'autre théorique. C'est en 1860, que VIüller reconnaît un rachitisme

A PROPOS d'un cas d'achondroplasie 285

spécial qu'il dénomme rachitisme foetal, il en donne une excellente des-

cription anatomique. Cette description est reprise en 1571 par Winkler

qui distingue lui aussi un rachitisme foetal ordinaire, non éteint à la

naissance, avec des os mous, ramollis, fracturés, avec des localisations

variées de ces lésions sur tous les os longs et courts, et un rachitisme spé-

cial, éteint à la naissance avec des os durs, compacts, avec des localisa-

tions symétriques sur les épiphyses des os longs et qu'il dénomme rachitis

micomelicra. Enfin, tandis que les auteurs précédents avaient fait oeuvre

d'histologistes, Parrot fait oeuvre de clinicien, différencie nettement le

rachitisme vrai du rachitis micromelica de Winkler auquel il donne le nom

(\ ! achondroplasie, indiquant ainsi que la cause en réside dans une lésion

du cartilage (à, privatif, xovopo;, cartilage, x),doo¡;t1l, former). Depuis, on

n'a rien modifié aux travaux de Winkler qui a nettement décrit les diffé-

rences qui séparent le rachitisme vrai de l'achondroplasie. Le rachitisme

évolue après la naissance ; il atteint indistinctement les os longs et les

os courts, les membres et le thorax, les épiphyses et les diaphyses créant

ainsi des déformations très variées. Nous n'insisterons pas sur cette varia-

bilité des lésions, car on trouvera dans ce même numéro l'histoire très

démonstrative à ce point de vue d'un rachitisme familial observé à la cli-

nique Charcot, par M. Zimmern. Nous ajouterons cependant que, dans

le nanisme rachitique, on n'observe ni une micromélie surtout rhizomé-

lique, ni une intégrité du thorax, ni la main en trident, que le nanisme

est créé surtout par des courbures de la diaphyse des fémurs et des tibias,

et, comme les membres supérieurs ont conservé leur longueur, l'extrémité

des mains n'atteint pas le grand trochanter comme chez l'achondroplasi-

que, mais bien au contraire l'articulation du genou, de telle sorte qu'à

l'inverse del'achondroplasique qui a les bras trop courts, le rachitique a

des bras trop longs pour sa taille. Ce sont là autant de signes qui permet-

tent de distinguer facilement le rachitisme de l'achondroplasie qui a

pour elle et pour elle seule la symétrie des lésions, leur localisation à

l'épiphyse des os longs, la micromélie surtout rhizomélique, la macrocé-

phalie, la main en trident, l'intégrité du thorax.

Si la description des lésions macroscopiques et microscopiques de l'achon-

droplasie ne peut trouver place dans cet article, du moins, avant d'exposer

les diverses théories sur la pathogénie de cette affection, devons-nous in-

diquer les caractères principaux histologiques de l'os achondroplasique.

Nous emprunterons ces notions non seulement aux travaux anciens de

Winkler, de Müller, de Kauffman etc. mais aux examens histologiques

récents de Spillmann (thèse sur le rachitisme, Nancy,'1900) et de Durante

286 CESTAN

(Société anatomique, 1900).On sait que les os longs présentent deux systè-

mes d'ossification car la diaphyse s'accroit d'une part en épaisseur par l'os-

sification périostée, d'autre part en longueur par l'ossification enchondrale

du cartilage de conjugaison. Seule, cette dernière est modifiée dans l'achon-

droplasie ; des conséquences immédiates seront que les os à ébauche carti-

lagineuse sont seuls atteints, tandis que les os non précédés d'une ébauche

cartilagineuse tels que les pariétaux et le frontal sont épargnés ; que les

os longs ont une épaisseur normale tandis que leur longueur est très ré-

duite. La radiographie a confirmé tous ces détails chez notre petite malade.

Les travaux de Broca onl élucidé le mécanisme de l'ossification du carti-

lage de conjugaison. Les cellules cartilagineuses se multiplient, s'ordon-

nent en séries rectilignes (cartilage sérié), s'ouvrent les unes dans les

autres constituant ainsi des cavités séparées par des colonnes de substance

intercellulaire (rivulation), bientôt, les vaisseaux venus de la diaphyse pé-

nètrent et effondrent les cavités renfermant les cellules cartilagineuses (li-

gned'érosion),ilsapportentavec eux des ostéoblastes etpeuà peu lecartilage

sera ainsi transformé en tissu osseux. Toutes ces transformations du carti-

lage de conjugaison se passent dans des zones nettement séparées entre

elles, se succédant régulièrement et n'empiétant pas les unes sur les au-

tres. Au contraire-dans l'achondroplasie, le cartilage de conjugaison est

bouleversé ; les cellules cartilagineuses sont disposées sans ordre, ne for-

mant jamais une zone sériée. Le cartilage s'ossifie par calcification de la

substance fondamentale, de telle sorte que l'on trouve soit des amas de

cellules cartilagineuses entourées d'une gangue calcifiée, soit des amas de

Fig. 1. - Schéma de l'ossilication

normale.

1. Cartilage épiphysaire.

2. Cartilage séné.

3. Capillaire.

4. Espace médullaire avec ostéo-

blastes.

5. Os récent.

Fig. 2. - Schéma d'un cartilage épiphysaire dans

l'achondroplasie (d'après Spillmann).

1. Cartilage articulaire.

2. Ilots de cartilage ossifiés.

3. Lamelles osseuses.

4. Espaces médullaires.

A PROPOS D'UN cas d'achondroplasie 287

cellules rondes, cavités médullaires de tissu spongieux venant au contact

du cartilage. « Au point de vue histologique, dit M. Durante, les lésions

'de ces deux enfants achondroplasiques se rapprochent beaucoup de celles

du rachitisme dont elles représenteraient une forme précoce et incom-

plète » (Soc. anat., 1900, p. 785).

En effet dans le rachitisme nous trouvons aussi les travées de cartilage

déchiquetées, formant ainsi des blocs de cartilage calcifié, entourés soit

d'espaces médullaires soit de lamelles osseuses, aspect qui ressemble singu-

lièrement à celui de l'os achondroplasique. La remarquable thèse de

M. Spillmann, qui nous a permis.de reproduire ici les photographies du

squelette d'un enfant achondroplasique, renferme à ce point de vue des

renseignements précieux (pli. XXXVI, S).

Ces notions histologiques exposées, nous pouvons aborder les diverses

théories sur l'étiologie de l'achondroplasie. Pour certains auteurs, l'achon-

droplasie peut être le résultat d'une dystrophie du cartilage primordial.

Et en effet, nous connaissons déjà deux maladies du système osseux cau-

sées par des altérations glandulaires. L'acromégalie s'accompagne presque

toujours d'une altération du corps pituitaire et serait le résultat pour les

uns d'une hyperfonction, pour les autres d'une hypofonction de cette

glande. Le nanisme myxoedémateux, d'autre part, s'accompagne toujours

d'une altération de la glande thyroïde, que cette altération présente ou

non une transformation goitreuse, car les auteurs attribuent maintenant

la même pathogénie à l'idiotie myxoedémateuse, au myxoedème, au cré-

tinisme. Peut-on assimiler le nanisme achondroplasique au nanisme

myxoedémateux ? Certains auteurs ont vu dans l'achondroplasie le résultat

d'une dystrophie du corps thyroïde (P. Masoin, in Rev. Neurol., p. 549,

1901). Nous ne le croyons pas pour plusieurs raisons. L'anatomie patho-

logique du myxoedème nous montre en effet avec tIofmeister,Dolega, Lan-

ghàns, etc., que dans cette maladie le cartilage épiphysaire est dans une

sorte d'état de torpeur, que les cellules cartilagineuses ne se divisent pas,

que l'os reste à l'état d'ébauche cartilagineuse, mais si l'on supplée à l'in-

suffisance du corps thyroïde, le cartilage de conjugaison va s'ossifier sui-

vant la loi normale d'ossification et l'os s'accroîtra en longueur. La radio-

graphie permet en effet de suivre cet accroissement en quelque sorte jour

par jour. Or cet état du cartilage est tout à fait différent de celui de l'os

achondroplasique. La lésion achondroplasique est une lésion éteinte à la

naissance, comme l'a dit 141üller et Kassovitz ; elle se produit da.ns les

premiers mois du foetus, alors que peut-être la fonction thyroïdienne

n'existe pas encore. Au surplus, M. P. Marie a donné inutilement du corps

thyroïde à ces deux malades ; on pourra objecter que ses malades étaient

trop âgés pour bénéficier du traitement thyroïdien. Mais notre malade est

288 CESTAN

âgée seulement de neuf ans ; nous avons établi avec grand soin le traite-

ment thyroïdien par des glandes fraîches de mouton pendant huit mois ;

notre petite fille n'a grandi que de 3 centimètres et la radiographie n'a

pas montré la moindre modification au niveau des épiphyses. D'ailleurs,

ce résultat était à craindre puisque à l'inverse du myxoedème, l'achondro-

plasie se caractérise par une ossification précoce et anormale du cartilage

de conjugaison. Aussi, à notre avis, cette affection n'est-elle donc pas créée

par une dystrophie du corps thyroïde. On peut, il est vrai, supposer qu'elle

est sous la dépendance d'une dystrophie glandulaire encore inconnue;

mais on n'oubliera pas cependant que la lésion s'établit peut-être chez les

foetus avant l'apparition d'une fonction glandulaire bien définie.

On peut supposer aussi que l'insuffisance chondroplasique réside dans

une dystrophie primitive du germe cartilagineux et peut-être même héré-

ditaire. « Pour nous, dit de Brick, tout comme il existe un nain infantile

par anangioplasie, il existe un nain micromélique par chondrodystrophie e

congénitale. Cette chondrodystrophie pour nous représente une insuffi-

sance chondroplasique résidant dans le germe cartilagineux même de na-

ture dégénérative primitive et non d'origine dysthyroïdienne... Une preuve

en faveur de la nature dégénérative de l'achondroplasie me semble résider

dans la coexistence presque régulière de stigmates profonds de dégénéres-

cence et dans la propriété de se transmettre par hérédité, à tel point qu'elle

pourrait devenir un caractère de race, comparable à la race des chiens

bassets » (Belgique méd., 1900, p. 737). Ces raisons ne nous paraissent

pas péremptoires, nous avons même essayé de démontrer plus haut que

l'achondroplasie n'était vraisemblablement pas héréditaire et qu'il était en

tout cas très exagéré de comparer les achondroplasiques aux chiens bas-

sets.

Mais, à côté de ces diverses théories dystrophiques, éclairées d'une part

par les résultats anatomo-pathologiques, d'autre part, par les notions étio-

logiques plusprécises sur la pathogénie du rachitisme, naît une hypothèse

qui établit des liens de parenté étroits entre le rachitisme et l'achondro-

plasie. Il est certain que les caractères différentiels entre ces deux affec-

tions signalées par Muiter, Winkler, Parrot, etc., les distinguent clini-

quement. Le rachitisme vrai évolue après la naissance et pendant une du-

rée assez longue, souvent de plusieurs années ; il est très irrégulier et très

variable comme siège, intensité et durée des lésions. L'achondroplasie au

contraire est une lésion éteinte à la naissance, symétrique, atteignant sur-

tout les épiphyses. Kassowitz fait justement remarquer que si l'on assimile

ces deux maladies, il faut admettre que dans le rachitisme micromélica, la

lésion rachitique est arrivée à un état très avancé en quelques semaines chez

le foetus, alors qu'il lui fau' des mois et des années pour y parvenir chez l'a-

A PROPOS d'un cas d'achondroplasie 289

dulte. Cette objection de durée et de symétrie des lésions ne nous parait pas

avoir une valeur absolue ; nous ignorons encore la date d'apparition exacte

des noyaux d'ossification chez le foetus. On peut donc supposer qu'une in-

toxication du foetus, d'une durée et d'une intensité déterminée,se produisant

à un certain moment de son existence, puisse créer des lésions rachitiques

localisées aux noyaux cartilagineux, symétriques, et évoluant très rapide-

ment.On appliquerait ainsi à l'achondroplasie la théorie actuelle toxique du

rachitisme. Nous voyons en effet que les deux foetus achondroplasiques de

MM. Porak et Durante étaient l'un d'une mère syphilitique, l'autre d'une

mère ayant présenté à l'autopsie une dégénérescence aiguë du foie et des

lésions rénales de nature toxique (Porak et Durante, Congrès internatio-

nal, il, section d'obstétrique). Ces auteurs ont constaté aussi des lé-

sions du système nerveux, mais ne mettent point les lésions osseuses sous

la dépendance des lésions médullaires.

En résumé, on peut appuyer sur de bonnes raisons la parenté du rachi-

tisme et de l'achondroplasie. Peut-on choisir entre la première théorie

dystrophique et la deuxième théorie toxique ? A ce point de vue, nous nous

rallions complètement à l'opinion de MM. Porak et Durante. « Toutefois,

il n'était pas sans intérêt, disent-ils, de rechercher et de mettre en évi-

dence ces lésions nerveuses qui, par leur nature, tendent à démontrer

l'origine infectieuse ou, plus probablement, toxique de l'achondroplasie.

Si dans les deux' observations précédentes, la substance toxique semble

provenir de l'organisme maternel, il serait imprudent d'y voir une loi

générale et de nier absolument l'existence d'une achondroplasie par in-

suffisance glandulaire foetale et c'est à de nouveaux faits à nous dire si, à

côté d'une achondroplasie par hérédo-intoxication, il en existe également

par auto-intoxication. »

QUELQUES REMARQUES SUR L'ACHONDROPLASIE

(Deux observations nouvelles d'achondroplases adultes) ,

PAR R

E. APERT,

Chef de clinique de la Faculté.

(Travail de la Clinique médicale de 1'llôtel-Dieu.)

Jusqu'au mémoire de Parrot en 1876, on a confondu avec le rachitisme,

la maladie, ou plutôt la malformation congénitale que nous allons étudier.

Elle en diffère cependant à tous les points de vue (1).

Les photographies ci-jointes représentent deux achrondroplases âgés

l'un de 37 ans (PI. XXXIX, A), l'autre de 32 ans (Pl. XXXIX, B). La

particularité qui frappe tout d'abord, c'est la petitesse de la taille, ces

sujets sont des nains ; le premier, Sicard, mesure 1 m. 29, le second,

Tourolf, 1 m. 32. Leur taille est donc notablement au-dessous de la

moyenne. Cependant les dimensions du tronc semblent normales ; il y a

57 et 58 centimètres du pubis à la fourchette sternale, comme chez un

homme de taille plutôt grande. Chez l'adulte normal, la symphyse pu-

bienne se trouve à peu près à égrle distance du sol et du vertex. Chez

(1) Le nombre de ces observations se multipliera sans doute rapidement, mainte-

nant que l'article de M. Marie a attiré l'attention sur l'achondroplasie.

Voy. Pierre Marie. - L'achondroplasie dans l'adolescence et l'âge adulte. -

Presse médicale, 14 juillet 1900. (On trouve dans cet article la bibliographie complète

des cas d'achondroplasie observés sur des individus âgés de plus de 10 ans. Je me

borne à relater les cas publiés depuis lors.^

LEY Er de l3nc. - Société de médecine d'Anvers, 8 février 1901.

FLUX REGNAULr. Société anatomique, le, mars 1901, pages ti8-192. Présentation

de plusieurs squelettes d'achondroplases adultes.

Pour ma part, depuis l'année 1895, époque à laquelle j'ai appris à connaître l'achon-

droplasie, il ne s'est pas passé d'année sans que j'aie rencontré dans les rues de Paris

un ou deux sujets achondroplases. Le D' Henry Lacaille m'a communiqué obligeam-

ment une photographie qu'il a prise en Espagne d'un nain rencontré par lui dans les

rues de Grenade. Bien que le sujet soit habillé, la proportion minime de ses membres

laisse supposer qu'il s'agit d'un achondroplase. Le nombre des achondroplases adultes

est donc vraisemblablement plus considérable que ne le laisse supposer le chiffre

assez restreint des observations publiées jusqu'ici, qui ne dépasse guère une vingtaine.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÈFRÏÈRE. T. XIV. Pl. XXXIX

DEUX ACHONDROPLASIQUES

CE. 9pcrt).

Masson & C ? Editeurs

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NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XIV, PI. IL

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D FOETUS ACHONDROPLASIQUE

C MAIN D'ACHONDROPLASIQUE

QUELQUES REMARQUES SUR L'ACnONDROPLASIE zizi

nos sujets, la distance du pubis au vertex est de 85 et de 88 centimètres,

ce qui répondrait à une taille de 1 m. 70 et 1 m. 76. La distance du

pubis au sol est seulement de 44 centimètres, moitié moindre qu'elle ne

devrait.

C'est donc à la brièveté des membres inférieurs et uniquement à cette

brièveté qu'est due la petitesse de la taille. Les membres supérieurs par-

ticipent à cette brièveté. Tandis que, chez l'homme adulte, l'extrémité du

médius atteint le tiers inférieur de la cuisse, ici elle dépasse à peine l'é-

pine iliaque antéro-supérieure. Tous les segments des membres semblent

participer à cette réduction, mais surtout les segments occupés par les os

longs, bras, avant-bras, cuisses et jambes; au contraire, les mains et les

pieds sont moins atteints, tout en étant beaucoup plus courts qu'ils ne

devraient. Le bras (de l'acromion à l'olécrâne), l'avant-bras (de l'olécrane

à l'interligne radio-carpien), le métacarpe (de l'interligne à l'articulation

mélacarpo-phalangiennedu médius), enfin le médius lui-même mesurant

chez Sicard 18, 14, 6 et 9 centimètres ; chez un adulte de 1 m. 70, 27,

24. 8 el 12 centimètres. Les doigts et la main sont donc diminués d'un

quart ; le bras d'un tiers ; l'avant-bras de plus du tiers. Une disposition

souvent notée chez ces sujets est l'écartement des doigts et l'égalité pres-

que complète de leur longueur. Elle existe sur la photographie ci-jointe de

la main de Sicard (Pl. XL, C). '

Au membre inférieur, la cuisse (de l'épine iliaque antéro-supérieure à

l'interligne du genou) et la jambe (de cet interligne au sol) mesurent 28 et

29 centimètres, au lieu de 47 et 50, et le pied (du talon à l'extrémité du

gros orteil) 18 au lieu de 25. Là encore les segments longs du membre

sont diminués de plus du tiers, tandis que le pied est diminué seulement

du quart.

En somme, on peut dire que l'achondroplasie est une affection congéni-

tale caractérisée par une diminution considérable de la longueur des os

longs des membres, les proportions du tronc et de tète, constitués par des

os plats ou courts restant à peu près normales. L'affection est congénitale.

A la naissance de ces sujets, ils sont déjà tels qu'ils seront plus tard. La

brièveté relative des membres que l'on constate chez l'enfant nouveau-né

comparé à l'adulte est encore plus accentuée chez le nouveau-né achon-

droplase ; aussi elle frappe à première vue. La photographie ci-jointe d'un

foetus achondroplase, né à 8 mois de vie intra-utérine et mort immédiate-

ment, en est la preuve (Pl. XL, D).

Il est facile de voir maintenant ce qui distingue l'achondroplasie du

rachitisme. Dans le rachitisme, si les membres sont diminués de longueur,

ce n'est pas du fait d'un manque de développement en longueur des os

longs, c'est parce que ceux-ci s'incurvent, se ramollissent, se nouent. Les

292 APERT

rachitiques peuvent être microméliques comme les achondroplases, mais

chez eux la brièveté des membres est acquise par des déformations de leur

axe osseux et non pas simplement due à la réduction de la longueur de cet

axe. Enfin, chez le rachitique, l'affection n'est pas limitée aux membres ;

on constate des déformations de la cage thoracique et du bassin, des in-

curvations costales et vertébrales, le chapelet costal, l'évasement des faus-

ses côtes, toutes choses qui n'existent pas dans l'achondroplasie. Il est ex-

ceptionnel de noter une déviation de la colonne vertébrale que nous

notons cependant chez Sicard où elle est du reste légère et ne ressemblant

nullement à la scoliose ou à la xyphose rachitique.

On ne voit pas non plus dans l'achondroplasie les déformations crânien-

nes habituelles au rachitisme, le front bombé olympien, la dépression na-

tiforme, la saillie occipitale, pas plus que le craniotabes. Cependant la 1

tête de l'achondroplase peut être volumineuse, non seulement relativement

à la taille, mais même d'une façon absolue ; si Sicard a une tête simple-

ment volumineuse (57 centimètres de circonférence maxima), celle de '

Touroff est véritablement énorme. Son chapeau, fait exprès pour lui, est

un véritable boisseau dans lequel on entre jusqu'aux épaules, si on veut

l'essayer. Sa circonférence qui se rapproche du cercle parfait est en effet

de 66 centimètres. L'exagération de ces dimensions est des plus visibles

sur les figures ci-jointes qui représentent les contours des crânes osseux

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÈIRIÈRE. T. XIV. PI. XLI

RADIOGRAPHIES D'ACHONDROPLASIQUES

Avant-bras et poignet. - Jambe et genou.

(E. -4pe-1).

==^ Masc;;ol1 & C ? Editeurs

QUELQUES REMARQUES SUR L'ACRONDROPLASIE 293

de nos sujets, calqués sur des radiographies que nous devons au talent de

M. Lacaille, chargé du service électrothérapique et radiologique à la clini-

que de l'Hôtel Dieu.

De la personne de Touroff et surtout de Sicard se dégage malgré leur

petite taille un aspect de vigueur extraordinaire. Ils sont très fortement

musclés. Voici quelques chiffres pris sur Sicard. Tour de taille sous les

bras 85 centimètres, à la ceinture 74, au niveau du grand trochanter 95,

Lourde cuisse à la racine 53, tour du mollet 32.

Ces chiffres sont peu inférieurs à ceux qu'on pourrait trouver chez un

homme de taille moyenne. Ce qui montre, encore plus que les mensura-

tions, la vigueur'et l'adresse de ces deux sujets, c'est la profession qu'ils

ont adoptée. Ils sont clowns dans les cirques; ils s'intitulent « artistes

comiques excentriques ». Ils jouent « les Augustes » et rien n'est plus

curieux que de les voir en grand habit noir à queue traînante, les cheveux,

qu'ils portent longs en avant, relevés sur le vertex en toupet pointu, la

face enluminée de fard, simulant au milieu du cirque une querelle, et se

dressant l'un vers l'autre, de toute leur petite stature, comme des coqs en co-

lère. Mais où l'étonnement du public esta son comble, c'est quand il voit

tout d'un coup ces grotesques exécuter des sauts périlleux de tout genre ;

il est en effet vraiment extraordinaire qu'ils puissent les exécuter avec

leurs petites jambes et cela témoigne d'une vigueur peu ordinaire. Une

telle vigueur est rare chez les rachitiques qui sont le plus souvent des

malingres; elle est la règle au contraire dans l'achondroplasie.

L'intelligence des achondroplases est au moins égale à celle des sujets

normaux. Sicard est des plus amusants, non seulement comme grotesque

au cirque, mais même comme conversation ; il a le mot pour rire, est vo-

lontiers gouailleur, a la compréhension vive et de l'initiative. Il a une

instruction primaire plutôt au-dessus de la moyenne des gens du peuple,

écrit d'une écriture bien tracée et très courante et ne fait pas de fautes

d'orthographe. Touroff est plus gauche et plus timide.

II

L'étude du squelette des achondroplases accentue encore la différence

qui sépare celte affection du rachitisme. Sur les radiographies (PI. XLI)

ci-jointes de nos sujets, que nous devons également à l'obligeance du

Dr Lacaille, chargé du service électrothérapique et radiographique de 1'allô-

tel-Dieu, on peut étudier leur squelette. On constate des déformations

identiques à celles des squelettes conservés au Musée Broca (squelettes

n" 2 et. 3).

Les os d'achondroplases frappent par leur aspect massif; ils ne sont ni

courbés ni arrondis ou tuméfiés comme les os rachitiques ; ils sont courts

xiv 1 21

294 APERT

et épais relativement à leur longueur ; les saillies d'insertions musculaires

sont très marquées ; les arêtes et les angles normaux de l'os sont exagérés;

les extrémités osseuses et articulaires sont épaissies et élargies, non seu-

lement relativement à la longueur restreinte de l'os, mais même d'une

façon absolue. Cet élargissement des extrémités articulaires se voit déjà

chez le foetus achondroplase. Il existait chez le foetus de huit mois dont

nous avons donné la photographie; les épiphyses, cartilagineuses encore,

étaient remarquablement volumineuses.

Les caractères que nous venons de décrire sont remarquablement cons-

tants dans les différents cas jusqu'ici publiés. La diminution considérable

de longueur des diaphyses des os longs, l'élargissement de leurs extrémi-

tés, les dimensions au contraire à peu près normales du tronc et de la tête,

l'absence de déviations ou de déformations rachitiques, l'excellent état de

la santé générale et de l'intelligence se retrouvent chez tous les sujets.

Il n'est pas jusqu'à certains détails en apparence accidentels qui ne se

retrouvent avec constance : telslabrachycéphalie, l'égalité du médius avec

les autres doigts, la participation de la tête du péroné à l'articulation du

genou, l'obliquité en bas et en dedans des plis de flexion du membre su-

périeur, signalés par M. Marie.

Il n'y a donc aucun doute que nous nous trouvions là en présence d'un

type de malformation osseuse bien caractérisé, et nosologiquement tout à

fait distincte.

Les quelques recherches histologiques que nous possédons sur les os

achondroplasiques confirment cette opinion. Elles ont toutes trait à des os

de nouveau-nés achondroplases et sont dues à M. Durante (Société ana-

tomique, juillet 1900, p. 785) et à M. Louis Spillmann, de Nancy (So-

ciélé d'obstétrique, gynécologie et pédiatrie, 2 février 1900).

Ce dernier, si compétent dans l'étude histologique du rachitisme à la-

quelle il a consacré sa thèse de doctorat, est des plus nets : il n'existe dans

les os achondroplasiques aucunes lésions semblables à celles du rachitisme;

on ne trouve en particulier rien qui ressemble au tissu spongoïde ou au

tissu chondroïde. La lésion caractéristique de l'achondroplasie est tout

autre : c'est l'absence presque absolue du cartilage de conjugaison ; à sa

place on voit du tissu conjonctif fibrillaire très délicat, sous lequel il existe

soit des amas de cellules cartilagineuses, soit des ilots de tissu osseux très

dense, soit des amas fibroïdes. « Ce qui frappe surtout, dit Spillmann,

c'est l'absence de la zone d'ossification cartilagineuse, qui empêche l'ac-

croissement de l'os en longueur, tandis que le volume normal des épi-

physes et la largeur de la diaphyse font supposer que l'ossification pé-

riostée ne fait pas défaut comme l'ossification cartilagineuse. »

MALFORMATION FOETALE PAR ARRÊT DE DÉVELOPPEMENT DE L'AMNIOS 1

(Soc. méd. des Hôpitaux, 26 mai 1899) - (E. Apcrt). Masson LT Cl^, Éditeurs.

i

QUELQUES REMAHQUES SUR L'ACUONDROPLASIE 295

On le voit, le processus est tout autre et d'une tout autre nature que le

processus rachitique. 1

III

La différence est encore plus grande si au lieu de se placer simplement

au point de vue des constatations objectives macroscopiques ou microsco-

piques, on envisage l'idée nosologique que nous devons nous faire de '

cette malformation. Le rachitisme est une maladie acquise, une ossification

vicieuse relevant d'un trouble de nutrition sous l'influence d'intoxications

et d'auto-intoxications. En règle, il ne débute pas avant six mois. On cite

bien, il est vrai, des cas de rachitisme congénital ; ce sont des raretés ; il

faut extraire des observations publiées sous ce nom, d'abord celles qui jus-

tement concernent des nouveau-nés achondroplasiques, ensuite celles qui

ont trait à des déformations par compression intra-utérine due à l'oligam-

nios,comme les cas que j'ai publiés(l) et dont l'un est représenté (P1.1LII),

puis celles qui relèvent du myxoedème congénital ; enfin celles de syphi-

lis osseuse congénitale, de fractures multiples intra-utérines, d'ostéopsa-

thyrosis ou fragilité constitutionnelledesos et d'ostéoporose congénitale.

Les quelques observations (2) qui restent après ce tri sont des plus discu-

tables. En fait, le rachitisme est toujours une maladie acquise.

L'achondroplasie au contraire est une affection toujours congénitale ; la

malformation est constituée dès la naissance; le développement ultérieur

de l'organisme ne modifiera rien à la direction déterminée dés la vie intra-

utérine ; l'enfant, né achondroplase, le restera toujours. Le rachitisme

guérit quand les malformations nesontpas par trop accentuées. L'évolution

du squelette achondroplasique est au contraire fatale. On naît et on reste

achondroplase,; on devient rachitique et on peut cesser de l'être. En un

mot l'achondroplasie ne se comporte pas à la manière d'un trouble mor-

bide de la nutrition comme le rachitisme. C'est autre chose.

Devons-nous la rapprocher de certaines autres malformations intra-uté-

(1) APEIIT, Société anatomique, 1893, p. 761 ; Société médicale des Hôpitaux, 26 mai

1899 et in thèse de DELPEUT, Malformations par arrêt de développement de l'amnios,

Paris, 1899.

Voici quelques nouvelles observations du même genre :

MACË, Un cas d'oligamnios. Société d'obstétrique de Paris, 21 février 1901.

LON\AIIiE, Un cas de malformations plastiques du fcettt.s, eod. loc., 9 mai 1901.

SCIIIFFCH, Contractures congénitales par insuffisance de liquide amniotique. Société

de neurologie de. Berlin, 14 janvier 1901.

HopFA, Un cas de contractures multiples congénitales. Société médicale de Wurz-

bourg, 20 janvier 1898.

liIASIlliB\IEIt, Malformation produite par un amnios insuffisant. Société obstétricale,

12 mai 1898. *

(2) Conav, Traité de rachitisme, 1901, p. 25.

296 . APERT -

rines ? Peut-on l'expliquer,comme Dareste l'a fait pour un grand nombre

de malformations et de monstruosités, par une cause mécanique ? S'agit-il

de compression de l'embryon, ou de traumatisme, ou de striction funicu-

laire ou amniotique, en un mot d'un accident quelconque entravant à un

moment donné le développement du foetus ? Non, car les malformations

par accident ne sont jamais héréditaires; la micromélie par amputation

congénitale, -ou par constriction funiculaire ne se transmet pas plus aux

descendants, que la non-oblitération du trou de Botal consécutive à une

endocardite futaie, ou le pied-bot congénital relevant d'un vice déposition

ou d'une lésion médullaire. Il n'en est pas de même pour l'achondropla-

sie ; elle ne relève ni d'un accident arrivé à l'embryon, ni d'une maladie

intra-utérine. Elle tient à des causes bien plus profondes, car elle se trans-

met de génération en génération comme le sexdigitisme ou la dysostose

cléido-cranienne héréditaire.

L'achondroplasie peut se transmettre de génération en génération, car

les achondroplases possèdent toutes leurs facultés génésiques. Les photo-

graphies ci-dessus montrent chez Sicard et'TourofT' une conformation des

organes génitaux des plus satisfaisantes ; cela est la règle chez les aclion-

droplases, et s'il faut en croire les confidences reçues par les auteurs qui

ont eu la curiosité d'interroger leurs sujets à cet égard, la physiologie chez

eux ne dément pas les promesses de l'anatomie.

Ce sont surtout les femmes qui sont intéressantes à ce point de-vue ; les

grossesses chez elles ne sont pas rares ; elles ont le plus souventun bassin

considérablement rétréci ; leurs parturitions sont non seulement laborieu-

ses, mais dangereuses ; à chaque accouchement, elles risquent leur vie, ce

qui ne les empêche pas de récidiver. Ou bien l'enfant est normal comme

le père, ou bien il ressemble absolument à la mère, il est achondroplase

comme elle; c'était le.cas pour la malade de MM. Porak et Ribemont-

Dessaignes, que j'ai pu voir, avec son enfant alors âgé d'un an, à la Ma-

ternité de Paris ; ayant subi à une première grossesse une embryotomie,

à la deuxième une opération césarienne, elle revenait parce qu'elle était

enceinte pour la troisième fois ! Breckh amême rapporté l'histoire d'une

famille où le trisaïeul, le père et deux filles auraient été tous quatre

achondroplases. -

L'achondroplasie a donc une tendance indéniable à se transmettre par

hérédité. S'il ne se forme pas de véritables races d'achondroplases, c'est

que d'une part, leur dissemblance trop considérable avec les sujets nor-

maux, les met vis-à-vis de ceux-ci, dans un monde fait pour et par ceux-

ci, en état d'infériorité marquée; c'est surtout les difficultés de l'accou-

chement chez la femme achondroplase, qui ne peut faire souche que grâce

au secours de l'art.

QUELQUES REMARQUES SUR L'ACHONDROPLASIE 297

Chez les animaux, l'achondroplasie ne déforme pas suffisamment le bas-

sin pour que le même obstacle existe. La sélection artificielle des éleveurs

est en outre intervenue parfois dans un sens favorable. Aussi il a existé et

il existe encore des races d'animaux achondroplases (chiens bassets à jam-

bes torses, boeufs natos de l'Argentine, chèvres do Guinée,moutons ancons).

On ne signale pas la même affection chez les oiseaux ; le mode d'ossifica-

tion particulier à ces animaux ne permettrait pas de comprendre chez eux

une telle malformation ; ils n'ont en effet ni épiphyse, ni ligne régulière

d'ossification, et l'os cartilagineux est chez eux extrêmement réduit (4 .

Il faut donc admettre que l'achondroplasie n'est ni le fait d'un accident

intra-utérin, ni le résultat d'une maladie foetale; on peut se demander

avec M. P. Marie « si ce n'est pas du côté d'une affection, d'un trouble de

la fonction ou du développement de quelque organe glandulaire qu'il faut

chercher la raison d'être de l'achondroplasie ». Pour ma part (et cette opi-

nion n'est pas inconciliable avec l'hypothèse proposée par M. Marie), le

fait que l'achondroplasie est héréditaire et se présente comme une affection

toujours semblable à elle-même ou ne présentant du moins que des varia-

tions insignifiantes, m'engage à la considérer comme un type spécial, j'ai

presque envie de dire une variété spéciale de l'espèce humaine, ou tout au

moins une variation bien caractérisée et héréditaire du type humain.

On peut la mettre en parallèle avec la dysostose cléido-crànienne héré-

ditaire de MM. Marie et Sainton. Héréditaire comme elle, celle-ci frappe

les os à développement membraneux, le crâne et la clavicule, que respecte

précisément l'achondroplasie. Elle complète l'achondroplasie pour ainsi

dire.

L'achondroplasie; à l'inverse de la dysostose cléido-crânienne, ne frappe

que les os à développement cartilagineux. Dans ces os, même elle limite

son action à unecertainepartiedel'os. Voici en effet l'interprétation qu'il

faut donner au raccourcissement des os longs, des-os à diaphyse et à épi-

physes. L'ossification de ces os par le périoste s'est faite normalement ;

c'est en effet cette ossification qui développe l'os en épaisseur et cette

épaisseur n'est pas diminuée, loin de là, chez l'achondroplasique. L'ossi-

fication par le cartilage interdiaphyso-épiphysaire a été au contraire

troublée et ralentie ; c'est en effet par ce cartilage que se fait l'accroisse-

ment de l'os en longueur.

On peut donc conclure que la cause des déformations achondroplasi-

ques, c'est l'insuffisance du processus formateur de l'os aux dépens du

cartilage interdiaphyso-épiphysaire. On explique ainsi, et la localisation

de la maladie sur les os longs seuls, et le raccourcissement sans amincis-

(1) RENAUT, Histologie, I, p. 444.

2U8 APERT

sement de ces os. C'est du reste ce mécanisme qu'admettait Parrot et

qu'il traduisait par le terme achondroplasie, qui veut dire « défaut de

développement cartilagineux ». Les examens histologiques de Spillmann

ont démontré que les faits se passaient bien ainsi que l'avait pensé Parrot.

Achondroplasie et dysostose cléido-crânienne sont donc des processus

de même ordre; mais l'un frappe l'ossification d'origine membraneuse,

l'autre l'ossification d'origine cartilagineuse. L'achondroplasie et la dy-

sostose cléido-crdnienne sont deux types opposés d'un même groupe morbide

les dysostose congénitales héréditaires.

NOUVELLE Iconographie de la SALPLIRILRh. T. XIV, PI. XLIII

And. Gust. Bcr. \'irg, Vict.

RACHITISME FAMILIAL

lZinrnrer-n). \

Masson & C'e, Editeurs

j'hotol}PIC Belthalld, Paris.

SUR UN CAS DE RACHITISME FAMILIAL

PAR R

Le D' A. ZIMMERN

Ancien interne des hôpitaux.

Nous avons eu l'occasion d'observer dans le service de notre maître, le

Professeur Raymond, une petite famille dont presque tous les membres

présentent des stigmates de rachitisme. Sur huit enfants, cinq ont été at-

teints par la dystrophie osseuse, et, ainsi que le montre les PI. XLIII

et XLIV, on observe chez eux des déformations squelettiques fort mar-

quées. Trois autres enfants nous ont paru à peu près indemnes. Leur

mère, bien qu'elle ne figure pas dans le groupe, présente également cer-

taines déformations osseuses qui ne laissent aucun doute sur 'l'existence'

de l'affection pendant son jeune âge. Au surplus, dans sa génération,

cette femme n'a pas été seule louchée, et d'après les renseignements que

nous avons pu obtenir, il paraîtrait que, sur trois enfants, une soeur

échappa seule à la dystrophie : un frère aîné, rachitique, donna naissance

à deux enfants, rachitiques comme lui.

Voici du reste les observations :

La mère V..., 37 ans, ouvrière, travaille à la journée.

Antécédents : Les parents ne paraissent pas, d'après les renseignements que

nous avons pu obtenir, avoir présenté de déformations osseuses.

Le père serait mort bacillaire.

Un frère et une soeur. - Le frère est décédé à l'âge de 38 ans de tubercu-

lose pulmonaire, laissant deux enfants. Au dire de la femme V..., tous trois

ont présenté des déformations rachitiques.

La soeur de V... est actuellement bien portante.

Elle-même est venue à terme, n'a jamais eu aucune maladie sérieuse (vari-

celle seulement).

Elle n'a marché qu'à cinq ans et demi. Elle se rappelle avonreu, dans son

enfance, la poitrine bombée et les jambes arquées, mais ces stigmates se seraient

amendés vers l'âge de quinze ans, lors de l'établissement de la menstruation.

Actuellement, il n'est pas possible de découvrir une déformation quelconque

du sternum, mais, en revanche, la face interne du tibia est nettement incurvée

300 ZIMMERN

et aplatie en lame de sabre. En outre, on constate une exagération marquée de

la courbure claviculaire.

N. B. Le mari de la femme V... est un alcoolique, et serait sujet à des bron-

chites, particulièrement au retour de l'hiver.

Enfants DES époux V...

1. Victorine, 17 ans, taille actuelle : 1 m. 20

Née à terme. (La mère était âgée de 21 ans, et n'a contracté aucune mala-

die pendant la gestation.)

Accouchement difficile : durée du travail : 49 heures; application de forceps.

L'enfant est venu en état de mort apparente.

Nourrie au sein pendant six mois, au bout desquels le lait de la mère étant

devenu insuffisant on institue l'alimentation mixte (biberon et potages au ta-

pioca). \

L'enfant n'a marché qu'à l'âge de. ans.

A l'âge de 9 ans, elle aurait subi une opération qui aurait consisté dans

un redressement de la jambe droite ( ? ). On aurait également constaté à cette

époque une légère gibbosité dorsale. Actuellement elle n'est pas encore réglée.

La face est aplatie, le maxillaire supérieur est élargi, le front assez proémi-

nent. La voûte palatine est bien conformée. 1

Le thorax ne présente pas de déformations primitives. La moitié droite forme

une saillie assez prononcée, mais qui se trouve liée à une cyphose dont la con-

' vexité est tournée à droite.

La courbure vertébrale est en outre modifiée dans la section lombaire où

l'on constate une ensellure très marquée.

Membres supérieurs : Epiphyses claviculaires et humérales particulièrement

volumineuses. Les humérus sont incurvés et se regardent par leur concavité.

Membres inférieurs : Fémur et tibia sont déformés.

Le fémur droit semble avoir subi une sorte de mouvement de rotation en ar-

rière autour de son axe. La convexité de sa courbure regarde presque en de-

hors. Le fémur gauche est aplati dans la région trochantérienne. A priori, on

pourrait croire à une luxation de la hanche de ce côté, mais la ligne de Néla-

ton est conservée.

Les tibias se regardent par leur face concave, le gauche est plus arqué que

le droit et présente davantage l'aplatissement en lame de sabre de la face in-

terne.

2. Virginie, 14 ans 1/2 : Taille 1 m. 30.

Née à terme (accouchement facile).

Nourrie au sein pendant 17 mois (les 3 derniers mois, alimentation mixte).

N'a marché qu'à l'âge de 6 ans. Sa mère affirme qu'elle n'a presque pas

grandi jusqu'à 12 ans. ,

Vers l'âge de six ans, elle est tombée d'une fenêtre de rez-de-chaussée et

cette chute aurait été suivie d'une perte complète de connaissance, d'une hé-

morrhagie auriculaire et d'une fracture de la jambe droite.

A l'âge de 12 ans, pendant qu'elle jouait avec des enfants de son âge, elle

: -JOUI ? LI tCOXOGRAfHIE DE LA SALPLTRII`·.RE.

T. XIV, m. XLIV

Pliotuispie Bcrthaud, Pari

RACHITISME FAMILIAL

(Zinrmerr).

Masson & Cu : , Editeurs

SUR UN CAS DE RACHITISME FAMILIAL 301

tombe brusquement dans une attaque d'épilepsie franche, avec aura, cri initial,

écume, morsure de la langue, miction involontaire, etc.

Ces attaques se sont renouvelées depuis lors à intervalles variables, mais

depuis l'établissement de la menstruation, il y a trois mois environ, les crises

coïncident avec la période menstruelle, apparaissant à son déclin.

A l'examen du squelette on constate des déformations assez accentuées :

1° Tète. - La face est asymétrique, la moitié gauche est moins développée.

La racine j] nez est aplatie, le front est plat, le maxillaire élargi.

On ne constate aucun stigmate ni du côté des dents ni du côté de la voûte

palatine.

2° Thorax. - Le sternum, projeté en avant, est creusé en gouttière et ses

bords font une légère saillie latérale. L'angle chondro-costal est très proémi-

nent mais ne donne pas l'impression du chapelet classique.

Un léger degré de lordose vertébrale amène un peu d'ensellure vers la partie

supérieure de la région lombaire.

3° Du côté des membres supérieurs, peu de modifications sauf que l'épaule

gauche tout entière est légèrement surélevée et que les courbures clavicullires

sont très accusées en raison de la projection du sternum en avant. ,.

Les mains lorsqu'elles tombent dans le rang descendent au niveau du troi-

sième tiers de la cuisse, l'extrémité des doigts restant à deux centimètres en-

viron du condyle.

Les mains sont aplaties « en battoir ». L'annulaire présente la même lon-

gueur que l'index.

4° Du côté des membres inférieurs, le squelette a subi des altérations nota-

bles. Les deux membres paraissent s'entrecroiser comme les branches d'un X.

A donner cette illusion concourent, et l'écartement anormal des cotyloïdes par

aplatissement antéro-postérieur du bassin, et l'augmentation de volume du

grand trochanter, et l'incurvation à concavité externe très accentuée des deux

tibias.

Les fémurs sont fortement arqués et leur déformation dessine une courbe

à concavité interne très accentuée. Le fémur droit s'incline davantage sur l'ho-

rizontale et paraît du reste un peu plus long que le gauche (26 cent. 1 ? au lieu

23, de l'épine iliaque antéro-supérieure à l'épicondyle). En outre de leur

courbure, et de l'aplatissement très prononcé de leur face interne, les tibias

présentent une extrémité supérieure anormalement développée qui contraste

avec les faibles dimensions du condyle fémoral.

La tête du péroné participe à l'épaississement épiphysaire.

Comme le bassin paraît s'enfoncer entre les deux fémurs, il en résulte

que les mensurations prises depuis l'os iliaque donnent des proportions seg-

mentaires absolument anormales (Segment fémoral : 25 cent.; segment jam-

bier : 32 cm. 1/2).

La démarche est particulière et rappelle beaucoup la démarche « en canard ».

3. Berthe, 13 ans 1/2. Taille 1 m. 27.

Venue à terme après un accouchement facile.

302 ZIMMERN

Sevrée à 15 mois. Broncho-pneumonie à cet âge.

Premiers pas à l'âge de 4 ans.

Le rachitisme, chez Berthe, n'offre pas de nombreux stigmates et l'atteinte

paraît avoir été légère.

On n'observe guère que des bosses frontales proéminentes, une voûte pala-

tine légèrement ogivale.

Les membres inférieurs sont un peu en parenthèse, et, en 'outre de leur

courbure à concavité interne, les tibias présentent une courbure à convexité

antérieure assez marquée.

Du côté des os du bassin, l'enfant accuse des déformations beaucoup plus

accentuées. La hanche droite est saillante, volumineuse; l'épine iliaque antéro-

supérieure est remontée, et se trouve sur un plan supérieur à l'épine iliaque

du côté opposé.

La colonne lombaire et la partie inférieure de la colonne dorsale offrent une

courbure compensatrice. Mais ces déformations paraissent tenir à une luxation

en haut de la tête fémorale droite ainsi qu'à un certain degré de déplacement

de l'os iliaque sur le sacrum.

4. Gustave, 11 ans 1/2. Taille 1 m. 21.

Venu à terme, accouchement difficile (forceps).

Sevré à 15 mois.

Premiers pas à l'âge de trois ans.

L'enfant présente actuellement des clavicules fortement arquées, un mem-

bre supérieur gauche fortement incurvé regardant le thorax par sa concavité.

Le sternum est projeté en avant et fait une forte saillie ; il en est de même des

côtes, où l'on constate une ébauche du « chapelet » classique.

Du côté des membres inférieurs, on note un épaississement marqué du grand

trochanter, une incurvation des fémurs à convexité interne, surtout du côté

droit, et une incurvation des tibias dans le sens antéro-postérieur à concavité

postérieure surtout prononcée au niveau du tibia gauche.

La face interne des deux tibias est extrêmement aplatie et élargie.

Note. - a) Gustave présente les signes d'une bacillose péritonéale au début

probable : le ventre est bombé, douloureux, ballonné après le repas. Il y a des al-

ternatives de diarrhée et de constipation ; un peu d'amaigrissement depuis quel-

ques semaines.

b) Les testicules ne sont pas descendus dans les bourses, le scrotum est fort

peu développé. '

5. Louis, 9 ans, non rachitique.

Venu à terme, a marché il l'âge de 20 mois. Sevré à la même époque.

L'enfant ne paraît présenter aucun signe de rachitisme.

On remarque toutefois que la main droite est légèrement en trident rappelant

ainsi la main de l'achondroplasie.

6. André, 6 ans 1/2. Taille 1 m. 17.

Né à terme, a marché à l'âge de 16 mois.

SUR UN CAS DE RACHITISME FAMILIAL 303

Vers l'âge de 3 ans, un coup de pied reçu dans l'abdomen aurait déterminé

une péritonite, laquelle aurait nécessité une laparotomie.

On ne trouve actuellement chez lui que des manifestations insignifiantes de

rachitisme.

Le [fémur droit est un peu plus convexe en avant que normalement ; l'axe-

du tibia droit s'écarte un peu de la ligne médiane et présente une légère con-

cavité antérieure.

7. Marguerite, 4 ans. Taille 0 m. 92.

Venue à terme. Sevrée à 15 mois, a marché à 14 mois.

Présente une hernie ombilicale congénitale.

A l'âge de 3 ans, on aurait diagnostiqué chez elle un début de rachitisme,

mais actuellement on ne trouve que des stigmates peu marqués (clavi-

cules et fémurs incurvés davantage que normalement, tibias en parenthèse).

8. Marie, 1 an.

Venue à terme après un accouchement très difficile, ne marche pas encore,

soumise depuis peu de temps à l'alimentation mixte.

Il n'est pas possible de découvrir encore chez elle des signes de rachitisme.

Le rachitisme frappe bien parfois de la sorte plusieurs individus de sou-

che commune et on le voit alors se développer parallèlement chez plusieurs

enfants d'une même lignée; parfois encore il s'observe dans des généra-

tions successives, mais plus rares sont les cas où, sévissant comme une

véritable épidémie, il semble avoir pris racine dans la famille, s'attaquant

à ses membres avec une fréquence surprenante.

A considérer des faits de cet ordre, il semble qu'on puisse invoquer en

faveur du rachitisme une influence marquée de l'hérédité et l'envisager

comme une véritable maladie familiale. On a pu ainsi, se fondant sur des

apparences, accorder au facteur étiologique «hérédité » une importance

qu'il ne possède pas et édifier la théorie héréditaire du rachitisme, théorie

qui, dans l'observation ci-dessus, paraît entièrement justifiée.

La répétition du rachitisme chez les descendants n'est cependant pas la

règle : aussi, pour expliquer son existence chez des sujets nés de parents

indemnes, les défenseurs de la théorie héréditaire durent-ils appeler à

leur aide l'hérédité indirecte, et ils attribuèrent la production de la dys-

trophie à des affections telles que la tuberculose, la scrofule, la syphilis (1),

qu'on pouvait en effet retrouver assez souvent chez les ascendants.

Ajoutons que cette théorie de l'hérédité (directe ou indirecte) paraissait

trouver une réelle confirmation dans les faits de rachitisme précoce appelés

rachitisme congénital et rachitisme inlra-utérin.

(1) On sait que Parrot fut de ce nombre, et qu'induit sans doute en erreur par des

coïncidences fréquentes il rattacha le rachitisme à l'hérédo-syphilis.

304 ZIMMERN

La théorie a cependant été entièrement abandonnée et les notions pa-

thogéniques actuelles que nous possédons sur la question démontrent

surabondamment que c'est dans des conditions d'hygiène alimentaire dé-

fectueuse qu'il faut chercher la raison véritable des accidents rachitiques.

Il est à peu près certain que l'insuffisance nutritive, la mauvaise direction

de l'alimentation pendant les premiers mois, l'usage immodéré du biberon,

le sevrage prématuré jouent le principal rôle dans la genèse de la dystro-

phie et sont la cause véritable des désordres gastro-intestinaux qui se

montrent pour ainsi dire toujours à l'origine de la maladie.

La production des accidents au sein d'une même famille n'est donc liée

à l'hérédité qu'en apparence et elle ne peut être considérée que comme

purement accidentelle. Que l'alimentation ait été mal dirigée pour chaque

enfant, aux mêmes causes répondront les mêmes effets, et le rachitisme

pourra se développer chez chacun d'eux.

Pourtant l'affection n'atteindra pas fatalement chaque enfant, et tel

nourrisson dont l'alimentation aura été mal comprise ne sera pas infailli-

blement voué au rachitisme.

La question de terrain est en effet à prendre également en considération

et ici le facteur hérédité peut trouver sa place, mais titre de cause pré-

disposante uniquement. C'est ainsi que la tuberculose, la syphilis, tout

comme les mauvaises conditions hygiéniques, les privations, la misère

physiologique de la mère exposent plus facilement à l'éclosiôn de l'affec-

tion ; mais cette prédisposition n'offre rien de spécial au rachitisme

et s'applique aussi bien à toute affection du jeune âge, l'athrepsie par

exemple.

Resterait à expliquer la pathogénie du rachitisme intra-utérin qui paraît

se trouver en contradiction avec la théorie alimentaire. Mais ici la contradic-

tion n'est encore qu'une apparence. L'existence du rachitisme intra-utérin

vrai est en effet une question bien discutée et déjà nous savons qu'un

bon nombre de faits décrits à tort sous ce nom appartiennent à l'achon-

droplasie.

Nous n'y insisterons pas car l'histoire des rapports de cette dernière

affection avec le rachitisme a été faite dans un même numéro par notre col-

lègue et ami Cestan à l'article duquel nous renvoyons le lecteur (Voir

page 277).

MACRODACTYLIE ET MICRODACTYLIE

PAR MM.

P. BÉGOUIN et J. SABRAZÈS

(de Bordeaux)

Il a été publié de nombreux travaux sur les malformations des doigts.

Nous citerons parmi les plus récents, ceux de Leboucq (1), Ferd. Iilauss-

ner (2), G. Joachimsthal (3), Rieder (4). La dissection attentive et la ra-

- diographie ont contribué à élucider l'étude de ces malformations que l'on

considérait naguère comme de simple curiosités tératoiogiques. Cette étude

esl cependant encore inachevée et il n'est pas indifférent de publier dans

tous leurs détails, les cas qui se présentent à l'observation.

Voici les trois faits qu'il nous a été donné de recueillir :

Observation I.

P. L..., âgé de 31 mois, natif de Lerm (Gironde), est présenté le 3 novembre

1898 à M. Bégouin pour une difformité de la main gauche.

NLdans la famille du père, ni dans celle de la mère on ne trouve traces de

difformités quelconques.

. Le père, cultivateur, est bien portant (ni alcoolisme, ni syphilis).

L'enfanta un frère parfaitement constitué.

Le petit malade est né à terme, il la suite d'une grossesse et d'un accouche-

ment tout il fait normaux.

Aussitôt après sa naissance, on a constaté que l'index et le médius de la main

gauche étaient soudés, et présentaient un volume très exagéré.

. A mesure que l'enfant a avancé en âge, la disproportion entre les deux doigts

soudés et les autres s'est encore accrue et c'est à cause de cette difformité crois-

(1) LEBOfiCQ, De la Brachydactylie et de l'hyperphalangie chez l'homme. Bulletin de

l'Académie royale de Médecine de Belgique, 1896.

(2) Fenn. KLAUSSNLH, Die Ofissbzlduzzpen der menschlichen Gliedmassen und ihre

Entstehuzzgsweise, Wiesbaden,Bc1'gll1ann, 1900.

(3) G..TOACfII\15'rllAl,, Die ar2gebonerzeu Yerbildmzgen der oberezz Extremiliztezz. Ham-

burg, Grafe und Sillem, 1900.

(4) RIEDCR, Ueber gleiclz : ,eitiges Vorkommen von l3racly-icud llypezplzalangie an

der Haud. Deutsches Archiv sur klin. Med., 66 Bd (Festschrift Ziemssen).

306 BÉGOUIN ET SARRAZÈS

santé que les parents se sont décidés à venir nous consulter. La santé de l'en-

fant a toujours été excellente, et de fait, il est de

taille moyenne, respire la santé, ne présente au-

cune malformation autre que celle de la main

gauche.

Sur cette main, on voit tout d'abord que le

pouce, l'annulaire et l'auriculaire sont bien con-

formés et de même volume que ceux de la main

droite. La déformationn'atteint que l'index et le

médius qui sont soudés, très volumineux et en

hyperextension.

Si on les examine par leur face antérieure ou palmaire on soupçonne à peine

le sillon vertical qui, à l'état normal, sépare les deux doigts et qui est réduit

ici à une légère dépression. Les plis transversaux de flexion sont au contraire

bien marqués. Le pli de flexion de la première phalange est, comparativement,

un peu plus abaissé sur ces deux doigts que sur les doigts sains correspondants.

Le pli de flexion de la phalangine sur la phalange, nettement accusé, est à

peine à une distance plus longue du pli précédent que sur les doigts sains de

l'autre côté, tandis que le pli de flexion de la phalangette sur la phalangine

est à une distance du pli situé au-dessus, triple de ce qu'elle est sur l'autre main.

On dirait donc que la phalange a peu participé à l'accroissement des doigts

tandis que la phalangine y a contribué pour beaucoup. Enfin le pli de la pha-

langette est une fois plus éloigné de l'extrémité du doigt qu'il n'est sur les

doigts sains. Par conséquent, la phalangette aurait, elle aussi, contribué notable-

ment à l'accroissement de longueur de ces deux doigts.

Ceux-ci sont en hyperextension comme si les tendons extenseurs étaient trop

courts pour des os trop longs.

Si l'on regarde la main malade par sa face dorsale on voit nettement que la

masse pathologique est formée par la réunion des deux doigts déformés et sur-

tout très volumineux. Les ongles persistent sur chacun d'eux, très étalés,

comme tiraillés en tous sens par les tissus sous-jacents. Entre les deux doigts

existe, dans la partie moyenne de leur longueur seulement, un sillon de 3 à

4 millimètres de profondeur.

De plus, la main gauche vue par sa face dorsale paraît plus large que la droite

et de fait, la mensuration donne les résultats suivants :

Circonférence de la main malade 0 m. 145.

Circonférence de la main droite : 0 m. 125.

Circonférence prise au milieu des 2 doigts soudés : 0 m. 12.

Circonférence prise au milieu des 2 mêmes doigts sains : 0 m. 065.

Longueur des doigts prise par la face palmaire et en suivant la convexité due

à l'hyperextension, à partir de l'interligne articulaire métacarpo-phatangien :

Côté malade : 0 m. 10.

Côté sain : 0 m. 05.

Longueur des doigts malades déterminée par une perpendiculaire partant de

l'interligne métacarpo-phalangien et rencontrant un plan horizontal (la main

Fig. 1.

MACRODACTYLIE ET MICRODACTVL1E 307

étant pendante) mené par l'extrémité digitale : 0 m. 09, soit un centimètre de

moins que dans la façon de procéder précédente.

La circonférence du poignet est égale à droite et à gauche. De même la lon-

gueur des 2° et 3 métacarpiens droits et gauches.

La mensuration montre encore que le pouce et les doigts sains du côté gau-

che ont une longueur et un volume égaux à ceux du pouce et des doigts cor-

respondants de la main droite. Peut-être y a-t-il une différence de 1 millimètre

en moins pour le pouce du côté malade.

La peau est de coloration normale, la consistance des parties molles, élasti-

que ; au-dessous d'elles, on sent les phalanges notablement hypertrophiées.

Pas de frémissement, pas de ré'ductibilité, pas de souffle. Les mouvements

spontanés sont très limités. L'enfant ne peut dans ses essais de flexion qu'a-

mener ses deux doigts accolés dans le prolongement des métacarpiens corres-

pondants. A l'état de repos, c'est l'extension forcée. Il ne se sert d'ailleurs pas

de ces deux doigts. S'il veut saisir un objet il le saisit avec les autres doigts

et l'appuie seulement sur la tête des 2" et 3e métacarpiens. Eu somme, ces

deux doigts ne font que le gêner. Jamais il n'en a souffert. Dernièrement,

l'enfant s'est fait une petite coupure superficielle au niveau de la partie antéro-

externe du pli de flexion de l'index : elle a saigné, et la cicatrisation a été nor-

male.

La sensibilité est difficile à apprécier, étant donné l'âge du petit malade.

Elle est manifeste à la piqûre comme partout ailleurs. Au froid, la peau ne de-

vient pas violacée. Pas de sécrétion sudorale anormale. Les poils manquent,

mais comme sur la main opposée.

Température locale prise le soir 3 ? 6. Dans la paume de la main, sur toute

la surface antérieure des 2', 3° métacarpiens, et même en haut, sur celle du 4°,

il existe une tuméfaction molle, diffuse, qui se prolonge jusqu'au poignet ; sous

la pression elle se réduit un peu, pour se reproduire aussitôt. La peau, à son

niveau est normale. Cette tuméfaction semble le prolongement sous-cutané,

vers le canal carpien, des tissus hypertrophiés qui entrent dans la constitution

des doigts anormaux. Elle ne serait pas congénitale, comme la malformation

des doigts ; elle n'existe, paraît-il, que depuis un an et demi.

Les artères radiales droite et gauche battent de même.

En somme : augmentation de volume et de longueur portant sur les parties

molles et sur le squelette de deux doigts accolés par malformation congénitale,

augmentation qui s'accentue de plus en plus (Voir fig. t, Radiographie).

Aucun traitement autre que l'ablation de ces deux doigts gênants et disgra-

cieux ne pouvait être proposé. M. Bégouin fit la désarticulation métacarpo-

phalangienne, le 9 novembre 1898, sous chloroforme et, après l'application de

la bande d'Esmarch. Il fut obligé de couper un peu plus haut pour ne pas

prendre de lambeau en tissu malade et pour déjeter cependant la cicatrice sur

la face dorsale, de façon à lui éviter les chocs qu'elle eût reçus, si elle était

restée à la face palmaire, et réséqua 0 m. 01 environ chaque tête métacar-

pienne (elles étaient absolument saines). Ou fit sur la paume de la main et

jusqu'au talon de celle-ci, une incision verticale médiane pour poursuivre le

308 . BÉGOUIN ET SABRAZÈS

prolongement carpien. Ce prolongement était constitué par une masse ayant

l'aspect d'un lipome encapsulé. L'arcade palmaire superficielle sectionnée était

de volume normal ; aucune -vascularisation spéciale.

La bande d'Esmarch enlevée, le sang s'écoula, comme d'une main normale,

par les artères collatérales. Six ou sept ligatures au catgut. Suture de la peau

aux crins de Florence.

Les suites opératoires furent normales, à part une accumulation séro-san-

guine qui s'écoula, lorsque, le 8'jour, les points de suture furent enlevés. Le

15e jour, l'enfant partait guéri. Depuis cette époque, la main est restée indo-

lente ; l'enfant s'en sert aussi bien que de l'autre ; elle est seulement un peu

plus épaisse au niveau de la paume et jusqu'au poignet, comme s'il y avait

encore un excès de tissu adipeux.'

Dissection des doigts enlevés :

Une tranche palmaire, coupée perpendiculairement à l'axe des doigts jus-

qu'à l'os, apparaît comme formée de tissu graisseux finement lobule. Sur le

bord confinant à l'os, on voit la coupe des deux tendons fléchisseurs situés dans

leur gaine à la face externe de laquelle le tissu graisseux est adhérent.

La moitié de la face interne du médius est disséquée suivant une ligne qui

doit conduire sur la collatérale de ce doigt. On ne peut trouver cette artère,

pas plus que le filet nerveux qui l'accompagne. On ne voit que du tissu adipeux

qui semble homogène. Cependant, en disséquant la face palmaire, on voit

une cloison feutrée verticale et antéro-postérieure qui, des bords interne de

l'index et externe du médius, va à la face profonde de la peau, cloison plus

tendue vers l'extrémité inférieure. A égale distance de la peau et de l'os, tou-

jours sur la face palmaire, ou trouve deux tout petits vaisseaux du volume

d'un fil blanc, à peine visibles, et, au devant du squelette du médius, un autre

vaisseau, plus-gros et très net. C'est tout, et à part quelques tractus fibreux,

plus denses vers la pulpe, il n'y a qu'un tissu graisseux homogène. En somme,

comme vaisseaux, on rencontre une collatérale externe palmaire et deux autres

torit;petits vaisseaux au milieu de la graisse : la vascularisation est donc plutôt

faible. , -,

Les tendons extenseurs sont très courts, tendus ; aussi, quand on a enlevé

la graisse, voit-on saillir les articulations phalango-pllalanginiennes et pha-

langino-phalangettiennes du côté de la face palmaire.

Entre les deux cloisons feutrées, on trouve un peu de tissu adipeux qui con-

duit sur la peau dorsale, faisant le fond du sillon interdigital anormal.

Quant aux nerfs, on n'a pu les disséquer au milieu de la gangue graisseuse.

La face dorsale ne présente rien de particulier si ce n'est, sur le côté dorso-

externe du médius, la présence d'un prolongement d'une masse adipeuse pal-

maire ; ailleurs rien d'anormal. Les tendons sont normaux, comme ceux de

la face palmaire, seulement plus courts.

L'incision longitudinale des phalanges montre qu'elles sont formées de tissu

compact et de tissu spongieux normaux.

De même, les cartilages paraissent sains. Les articulations sont saines aussi,

mais un peu déformées par l'hyperextension.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T ? 1'I ? III. 1LV

MACRODACTYLIE ET SYNDACTYLIE

de l'index et du médius gauchos

Ons. I

('Bjouirr eI Snln'r : xès).

MACRODACTYLIE ET MICRODACTYLIE 309

En somme : adipose et hypertrophie osseuse proportionnelles au volume du

doigt.

Mensurations du squelette des doigts d'après les dissections et les radiogra-

phies (PL XLV).

Longueur :

310 BÉGOUIN ET SABRAZÈS

comme étant atteinte d'une affection du coeur s'accompagnant de dyspnée et

d'une tendance à la cyanose. '

Antécédents héréditaires . Sa mère, très nerveuse, est morte, à 68 ans,

d'une maladie du coeur qui était de date récente ; sa grand'mère a eu aussi une

maladie du coeur ; une de ses tantes également ; son père est mort paralysé à

73 ans ; un frère est mort de diphtérie.

Antécédents personnels. - Jusqu'à 12 ans, elle était restée très petite ; puis

elle s'est rapidement développée; à 15 ans, elle pesait 51 kilogs, on a re-

marqué que les extrémités digitales de la main gauche étaient moins dévelop-

pées que du côté droit, et cela depuis sa naissance. Elle n'a jamais entendu dire

qu'il y ait eu, dans sa famille, des vices de conformation des doigts, jamais de

maladies fébriles malgré une certaine susceptibilité de l'appareil broncho-pul-

monaire. Emotivité exagérée.

Etal actuel (15 mars 1898). - Taille un peu au-dessous de la moyenne

(1 m. 49). Rien de particulier à l'examen de la face et du crâne, sauf une colo-

ration violacée des lèvres.

On ne sent pas battre la pointe du coeur ; on perçoit, dans les 2e et 3e espa-

ces intercostaux gauches, une zone de battements. La région du coeur est en-

dolorie (sensation subjective). Au foyer d'auscultation de l'orifice mitral, on

entend un souffle intense, présystolique et systolique, un dédoublement du se-

cond bruit, un roulement diastolique ; ces signes sont particulièrement mar-

qués dans les 3e et fil espaces intercostaux gauches. Le pouls est très petit,

égal, régulier; il bat 88 fois à la minute. Pression sphygmomanométrique, 14.

La malade n'accuse pas d'autre trouble. que de la dyspnée d'effort et un peu

de ballonnement de l'estomac. On n'observe rien d'anormal à l'examen des

autres viscères.

La main droite est tout à fait normale ; les doigts ne présentent pas de défor-

mations.

Lorsqu'on découvre les avant-bras et les bras, on constate entre eux une cer-

taine différence ; l'avant-bras gauche est moins développé que le droit. Longueur

de la pointe de l'olécrane à la tète du cubitus = 22 cm. 5 à droile, 21 cm.

à gauche ; circonférence 1/2 centimètre en faveur du côté droit. Epaule gauche

un peu plus haute que la droite. Pas de différences dans la longueur des humé-

rus. Circonférence des bras : 23 cl. 5 à droite, 21 cm. 5 à gauche.

Lorsqu'on examine la main gauche, on voit que le poignet, les régions dor-

sale et palmaire de la main sont normaux, de même le pouce. Les articulations

phalangienues sont ankylosées ; l'index (à un faible degré), l'auriculaire, l'annu-

laire, le médius présentent des malformations (Fig. 2). Ces doigts, sans

présenter de stigmates de sclérodactylie, vont se rapetissant et s'effilant de la

racine à l'extrémité libre ; ils se terminent par un ongle atrophié et incurvé.

La première phalange de l'auriculaire et de l'annulaire est un peu diminuée de

longueur et de volume ; la deuxième et la troisième phalange des quatre der-

niers doigts présentent des modifications profondes. La longueur des doigts

malformés par rapport à leurs symétriques, est comme 4 est à 5 ; l'auriculaire

est même proportionnellement un peu plus court. Leur épaisseur, à leur ex-

MACRODACTYLIE ET MICRODACTYLIE 311

trémité libre, est diminuée de moitié. Sur les épreuves radiographiques, on voit

que les espaces interarticulaires des doigts sont beaucoups plus marqués du côté

droit; à gauche, ces espaces sont inappréciables. Les mensurations du sque-

lette des doigts, suivant leur longueur, donne les résultats suivants (PI. XLVI).

312 BÉGOUIN ET SABRAZÈS

Corps .de la première phalange :

NOUVI'Ll.fi If.O\OGItAYHIS 17E f.A SALPLTRfIRÜ, T. \I\l, l'1. L\'I

BRACHYDACTYLIE ET SCLERODACTYLIE E BRACHYDACTYLIE

ans, Il oBq. III

(Bédouin et Sabrâmes).

Masson & C ? EditeUlc, l'botur)lHt.' ! lCllhuu¡J, num

MACRODACTYLIE ET MICRODACTYLIE 313

tion, l'abaissement, l'adduction s'effectuent d'une façon normale. Du côté

gauche, tous les mouvements du globe sont abolis sauf l'élévation. Lorsqu'on

fait porter l'oeil en haut, il se produit un léger nystagmus vertical. Le malade

ne se sert pas de cet oeil pour la vision.

Les deux yeux sont atteints d'astigmatisme myopique qui est surtout mar-

qué à gauche. Des deux côtés la pupille réagit à la lumière quoique faiblement,

mais ne réagit pas notablement à l'accommodation. La malade accommode ce-

pendant assez pour pouvoir lire couramment de l'oeil droit quand son vice de

réfraction est corrigé.

On constate une asymétrie faciale très marquée : le nez est dévié vers la

droite ; tout le côté gauche de la face est paralysé : l'orbiculaire n'arrive pas

à déterminer l'occlusion des paupières ; il existe un larmoiement constant. Le

malade ne peut pas siffler; il souffle difficilement. Les mouvements de la lan-

gue sont limités, surtout la projection en avant et à gauche ; le bout dépasse à

peine l'arcade dentaire ; la langue ne peut être mise en gouttière ; les mouve-

ments de latéralité de cet organe sont difficiles et le malade ne peut aller cher-

cher derrière les arcades dentaires les aliments qui y sont tombés. Les papilles

linguales sont extrêmement accusées.

La paralysie faciale est totale. Si on dit au malade de faire la moue il arrive à

peine à produire quelques secousses du côté gauche. La luette n'est pas déviée,

le voile du palais se contracte. X... se plaint d'une salivation très marquée. Les

temporaux et les masséters fonctionnent également des deux côtés; pas de

modifications de la peau du côté paralysé ; pas de différences de la température

entre les deux côtés de la face. Les os ne semblent pas participer à l'atropliie.

La voûte palatine est très creuse. Les dents sont très longues, surtout à la

mâchoire inférieure. Prognathisme supérieur.

La sensibilité sous ses divers modes est partout normale.

Dès sa naissance X... a eu deux doigts atrophiés, l'auriculaire et l'annu-

laire gauches et l'annulaire droit un peu rapetissé. L'atrophie intéresse la 2° et

la 3° phalange, surtout cette dernière. Ces deux doigts sont non seulement

atrophiés mais déformés ; ils sont considérablement effilés ; toutefois, à son

extrémité libre, l'annulaire est un peu renflé en baguette de tambour. La

3° phalange est infléchie et l'articulation de la phalangine avec la phalangette

est immobilisée dans une ankylose incomplète pour l'anriculaire, complète pour

l'annulaire. L'ongle hippocratique est pour l'annulaire réduit il un tronçon

informe épais de 2 à 3 millimètres, ayant l'aspect d'une corne ; il y a cepen-

dant une ébauche de repli sous-unguéal.

Longueur de l'auriculaire gauche, 6 centimètres.

droit, 7

L'annulaire gauche est également milforiné au niveau de la dernière pha-

lange ; l'articulation de la phalangine avec la phalangette est peu mobile ; ce

doigt est effilé à son extrémité libre.

La radiographie (Pl. XLVI) de la main gauche montre que l'atrophie porte

sur le squelette de la phalangine et de la phalangette de l'auriculaire et de

l'annulaire. Les dernières phalanges des autres doigts sont aussi moins déve-

314 BÉGOUIN ET SABRAZÈS

loppées que normalement. Les articulations phalangetto-phalanginiennes de

l'annulaire gauche sont ankylosées.

Dans le premier cas, il s'agit d'une macrodactylie chez un enfant âgé

de 31 mois.

La difformité, localisée à la main gauche, est caractérisée par la sou-

dure des parties molles de l'index du médius et par le volume et lon-

gueur démesurés de ces doigts qui ont conservé leur forme. Cette diffor-

mité est congénitale, mais non héréditaire, ni familiale. A mesure que

l'enfant avance en âge, la disproportion entre ces deux doigts soudés et les

autres s'accroît. Les doigts malformés sont en extension forcée à l'état de

repos et ne peuvent être fléchis ; à leur base, ils sont engainés dans un étui

adipeux. La dissection de la pièce enlevée chirurgicalement ne décèle pas

de vascularisation anormale. Le squelette montre une hypertrophie os-

seuse proportionnelle au volume démesuré des doigts. L'existence d'un

cartilage épiphysaire très développé à l'extrémité supérieure de la 2e pha-

lange de ces doigts malformés explique leur accroissement progressif.

En somme, on se trouve en présence d'une véritable anomalie par excès.

L'association de la syndactylie constatée dans notre observation peut

s'observer aussi dans la microdactylie.

Rieder (1) a rapporté le cas d'un père et de sa fille ; chez le premier, il

y avait seulement formation rudimentaire d'une seule phalange ou d'un

métacarpien ; chez la fille, la malformation était étendue à toutes les ex-

trémités ; on notait une absence d'orteils ou de doigts, des réductions nu-

mériques de phalanges, de la syndactylie.

Quant à nos deux observations de microdactylie, elles appartiennent à

deux variétés différentes.

Dans la première, relative à une femme atteinte d'un rétrécissement

mitral pur congénital, la brachydactylie est due non seulement à un rac-

courcissement de certaines phalanges, mais encore à l'absence de quelques-

unes. Ainsi sont rapetissées, à gauche : la deuxième phalange du pouce,

la deuxième et la troisième plia langes de l'index, la première et la deuxième

phalanges de l'auriculaire. Manquent complètement la deuxième phalange

du médius et de l'annulaire gauches. En revanche, par une sorte de com-

pensation, les troisièmes phalanges du médius, de l'annulaire et de l'au-

riculaire sont plus longues que du côté sain.

La disparition totale d'une phalange peut être l'aboutissant de la réduc-

tion de longueur d'un des segments.

A l'état normal « pour le cinquième orteil, par exemple, le processus

(1) RIEDER, loc. cit.

MACRODACTYLIE ET MICRODACTYLIE ' 315

est en pleine évolution : cet orteil est en train de perdre sa phalange in-

termédiaire par réduction de celle-ci et soudure avec la base de la pha-

lange distale. Sur trois cent et un pieds, Pfitzner (1) a rencontré cette

soudure cent dix-sept fois. Si le cinquième orteil est déjà très avancé

dans la voie de la réduction, cette influence se fait aussi sentir, mais beau-

coup moins fréquemment, aux trois orteils médians, la fréquence dimi-

nuant du quatrième au deuxième » (Leboucq). Pfitzner a vu aussi que lors-

que la phalange intermédiaire est réduite, la phalange distale est au con-

traire allongée.

Aux doigts des mains, cette réduction et surtout cette absence de pha-

langes n'ont été que très rarement notées. Dans notre cas se vérifie aussi

l'allongement compensateur de la phalange distale au cas de disparition

de la phalange intermédiaire.

Notre second fait de brachydactylie est dû à la petitesse de la phalan-

gine et de la phalangette des doigts malformés. '

On le voit, notre premier malade nous a permis d'étudier une anomalie

très rare par excès : les deux autres présentent une anomalie par défaut.

Dans ces trois cas, il nous a été impossible de remonter à la cause de ces

malformations et d'en élucider le mécanisme intime.

(1) PFITZHER, Die kleine Zehe. Arch. f. Anat. und Entwickel, 1890.

MYOCLONIE DU TYPE BERGERON

CHEZ UN DÉGÉNÉRÉ HYSTÉRIQUE

PAR

M. R. BERNARD,

Répétiteur à l'Ecole du service de Santé de Lyon.

) Observation.

Ethylisme paternel. Stigmates physiques el psychiques de dégénérescence.

Absence des stigmates hystériques vulgaires. Tremblements, aslasie-

abasie, chorée simple, chorée électrique el chorée fibrillaire, dérobement

des jambes, par suite d'une frayeur éprouvée à 7 ans. - Emploi du tar-

tre slibié : guérison des spasmes, persistance du tremblement.

W... né à Marseille, cavalier de 2° classe au 2' régiment de dragons, anté-

rieurement charretier; entre à l'hôpital Desgenettes le 30 décembre 1900 avec

le diagnostic « tremblement hystérique ».

Antécédents héréditaires. - Père, grand buveur. Des amis ont dit à W...

qu'il était « renommé pour cette qualité » déjà quand il était soldat. Il a fait

15 ans de service au 2e chasseurs d'Afrique, et la campagne de 1870 tout en-

tièrePrisonnier en Allemagne il s'est échappé, a repris du service, a été libéré

vers 1874, s'est marié peu après et n'a jamais perdu ses habitudes alcooliques.

W· ? se rappelle l'avoir vu souvent rentrer ivre avec des colères « il tout cas-

.séf dans la maison ». Depuis 2 ans il est un peu maintenu par son fils ; d'ail-

leurs il sort moins, sa vue s'étant affaiblie.

Mère sourde depuis longtemps et rhumatisante. Elle a été alitée pendant une

longue maladie (six mois) sans fièvre, que 1V... ne peut définir autrement.

Elle n'a pas fait de fausses couches; W... est venu au monde sans incidents

après une grossesse tout à fait normale. Les grands-parents, oncles paternels

et maternels sont inconnus. W... est fils unique.

Antécédents personnels. W... n'a jamais eu de convulsions, il a été pro-

pre et il a marché de bonne heure.

A 7 ans W... a eu une grande frayeur. Un soir il avait entendu raconter

chez lui qu'un passant venait d'être attaqué il la tombée de la nuit par des

malfaiteurs embusqués dans des broussailles, derrière un pan de mur auprès

duquel il passait tous les jours. Le lendemain justement en rentrant à la nuit,

comme il arrivait à. cet endroit, il entendit quelque chose remuer dans ces

MYOCLONIE DU TYPE BERGERON 317 7

broussailles. Affolé il courut sans s'arrêter l'espace de 800 mètres et se laissa

tomber sur une chaise, ne pouvant plus remuer ni bras ni jambes, mais trem-

blant de tous ses membres. Il ne mangea pas, on dut le porter au lit ; après

une nuit agitée, il tremblait encore au réveil. C'était un tremblement violent

à grandes et rapides oscillations, que W... représente par le geste d'agiter vi-

goureusement une sonnette.

Durant six ou sept mois le tremblement ne s'est pas arrêté, il persistait pen-

dant le sommeil avec des exacerbations et ou des rémissions, d'abord peu mar-

quées. Il n'était pas accru par les mouvements volontaires, mais il était assez

vif dans les membres supérieurs pour empêcher une cuillère d'arriver à la

bouche avec son contenu. Cette incommodité, du reste, ne dépendait pas du

seul tremblement.

CAfM'ee.Le médecin,au dire de W ? aurait parlé de « Danse de Saint-Guy ».

W ? en effet,avait gardé son appétit et n'avait pas de fièvre, et il était moins im-

portuné par ses tremblements, que par « une grande maladresse qui l'empêchait

de faire ce qu'il voulait et qui lui faisait faire ce qu'il ne voulait pas » : il lui

est arrivé de heurter sa cuillère contre sa joue et même de répandre dans son

cou la soupe qu'il portait à sa bouche ; il a cassé souvent ce qu'il tenait à la

main, il se heurtait au mur pendant la nuit, et se rappelle encore les mouve-

ments désordonnés des bras et des jambes qui se produisaient spontanément

et troublaient ses mouvements volontaires.

Aslasie-abasip. Il n'avait aucune paralysie et dans sou lit, à part la gêne

causée par l'ataxie choréique, il remuait comme il voulait, mais il ne pouvait

marcher, ni même se tenir debout. Pendant huit mois on l'a porté tous les jours

sur une chaise où il se tenait assis toute la journée. On essaya de le faire mar-

cher, sans succès ; il se laissait tomber dès qu'il était debout. Enfin après trois

ou quatre mois, sur les instances du médecin, il s'exerça régulièrement. fit des.,

progrès assez lents ; il réussit d'abord à traverser une peti te terrasse sur laquelle

il passait ses journées, il précipitait sa course par crainte de tomber avant d'fi ?

voir atteint le mur d'appui dont il ne s'éloignait guère et près duquel il s'as-%

sayait quand il était fatigué : parfois, avant qu'il put s'asseoir, ses jambes se* <

dérobaient, il s'affaissait et devait se traîner à quatre pattes, même ainsi il '"

tombait encore quelquefois et devait ramper sur le ventre, parfois aussi il se

retrouvait incapable de marcher et renonçait à faire ces quelques pas.

Par la suite, ces chutes devinrent moins fréquentes, les tremblements moins

intenses ne se manifestaient guère que sous l'influence de la fatigue, ils dispa-

rurent même aux membres inférieurs par intervalles. W... a remarqué qu'une

accalmie d'au moins une semaine, surtout d'une quinzaine, d'un mois au plus

aboutissait toujours à une grande crise de tremblement telle que celle qu'il

présente actuellement.

Jamais pendant ces crises ou pendant ces chutes il n'a perdu connaissance.

Emolivité. - Les émotions rappellent très facilement les tremblements, et

W... est très émotif. Il conduisait un jour une charrette, qu'un écart du che-

val jeta dans un fossé ; il resta les bras battants, tout tremblant et incapable

de rien faire, même de parler, pendant que deux camarades relevaient le che-

318 BERNARD

val et la charrette, et le menaient lui-même à l'auberge voisine pour le « re-

mettre » avec un verre de vin chaud.

Phobies. zu... a redouté longtemps de sortir le soir; jusqu'à 13 ans il

craignait « l'homme blanc » dont il avait entendu parler dans les histoires de

revenants. Il a horreur du sang ; du sang des autres, et non du sien. A six

ans il est tombé dans la mer; ne sachant pas nager, il faillit se noyer; il s'était

fendu la tête sur des rochers et il rentrait chez lui la figure en sang, sa mère

était très effrayée, lui point, et il la consolait. Mais quelques années plus tard,

à 14 ans, un garçon jardinier comme lui s'étant coupé la main, W... ne put lui

donner aucun secours ; la vue de ce sang lui faisait tourner le coeur. Il ne peut

voir appliquer des ventouses scarifiées. Cependant il n'est pas poltron. Il n'a

pas peur de conduire un cheval rétif, il en a conduit souvent. Bien qu'il ait un

caractère calme, il n'a pas peur non plus de se disputer ou de se battre à l'oc-

casion. Il est monté souvent dans des clochers sans avoir le vertige.

Il voulait être jardinier, mais le tremblement l'a détourné, à son regret, de

cette profession qui exige de l'adresse manuelle. Devenu charretier il n'a jamais

eu d'ennuis provenant de sa maladresse ou de sa négligence. C'est un bon

ouvrier.

A l'école, il n'a pas fait de progrès sensibles, dit-il, depuis sa maladie. Le

tremblement l'en empêchait moins, semble-t-il, par la gêne physique que par

une sorte de découragement qui en résultait. Cependant il a appris de son

mieux.

W... ne boit jamais dans sa journée plus d'un litre et demi de vin et une

absinthe. Il ne s'est grisé que le jour du tirage au sort : et encore n'a-t-il pas

cessé de savoir ce qu'il faisait.

Au point de vue sexuel, il s'est développé tard (17 ans), mais rapidement

(en moins de six mois). Pas d'habitude de masturbation ; pas de maladie

vénérienne. ,

Pas de maladie infectieuse.

Maladie actuelle. - W... a fait son service très correctement pendant six

semaines. Il supportait vaillamment les premiers ennuis de sa nouvelle existence,

et ne se présentait pas à la visite pour les nombreux furoncles dont il souf-

frait. Vers le 10 décembre, survint une crise de tremblement dont il ne se

serait pas occupé, si l'infirmier, qui. le connaissait et qui pansait officieusement

ses furoncles, ne l'avait signalée au médecin-major qui fit entrer W... à l'infir-

merie. Il trembla pendant trois jours.

Peu après,d'autres furoncles apparaissent qui n'empêchent pas W... de faire

son service. Le 28 décembre nouvelle crise de tremblement, W... nettoyait ses

basanes dans sa chambre après la soupe du soir; subitement il est tombé sur

les genoux, puis couché, il s'est mis à trembler de tous ses membres. Il avait

toute sa connaissance, il se rappelle même qu'il avait gardé sa brosse à la main.

Ses camarades présents s'empressent autour de lui ; il voulut se relever seul,

il réussit à s'appuyer sur les coudes et sur les genoux, mais il ne put malgré

ses efforts, ni se lever, ni se redresser et même, à plusieurs reprises, il tomba

. MY0CLONIK DU TYPE BERGERON 319

étendu de tout son long, capable seulement de se traîner à plat ventre. On le

porta à l'infirmerie, puis à l'hôpital.

Le tremblement des jambes a cessé de lui-même le 28, 'le tremblement des

bras persiste jusqu'au 2 janvier, ce jour-là il s'interrompt pendant une heure,

puis il reprend jusqu'au 8 janvier toujours limité aux bras. Le 8, il s'arrête pen-

dant la visite et reprend le matin du 9, il persiste ainsi mais avec un amoin-

drissement notable de l'amplitude des oscillations jusqu'au 12 janvier. Ce jour-

là il cesse brusquement au moment où l'élève qui prend des observations est

occupé à l'étudier.

Etat actuel. - Le 12 janvier 1901 tous les troubles présentés par W... se

réduisent à un mouvement spasmodique rythmé et symétrique des membres

supérieurs. Ce spasme était, les jours précédents, dissimulé par le tremblement,

mais, d'après W... il existait pourtant : il ne cesse jamais, il ne se rappelle pas,

depuis sa « danse de Saint-Guy » qu'il l'ait abaudonné une seule minute.

Mouvements spasmodiques. W... présentant ses deux mains en pronation

on voit à intervalles réguliers une secousse les projeter en avant, puis les retirer

brusquement, comme sous l'effet d'une excitation électrique rythmée, et juste

suffisante, des extenseurs de l'avant-bras ou du bras. Ce mouvement très brus-

que mais immédiatement retenu n'amène pas un déplacement de plus de deux

centimètres, quand il est très accentué. C'est le soubresaut d'une personne qui

subirait, en essayant de s'y opposer, une poussée du coude.

Il est facile de reconnaître que le biceps brachial franchement durci à cha-

que secousse en est l'agent principal, mais que ses antagonistes, le biceps en

particulier, ne sont pas inactifs.

Les deux mains se déplacent parallèlement et simultanément à intervalles à

peu près réguliers 6 à 3 fois par minutes ; l'amplitude de ces secousses n'est

pas toujours égale, il y en a de plus courtes et de plus amples. Parfois deux

secousses arrivent coup sur coup comme subintrantes et le synchronisme per-

siste entre les deux mains. Par contre la symétrie est très imparfaite, ordi-

nairement le déplacement est plus marqué à droite, quelquefois au contraire

c'est à gauche qu'il s'accentue le mieux, surtout au cours d'une émotion.

Les émotions, en effet, si légères qu'elles soient (être appelé au laboratoire,

présenté aux élèves, à un médecin etc.), exagèrent ce spasme,en précipitant les

oscillations jusqu'à 50 fois par minute, ou en amplifiant un peu les secousses ;

dans ce cas il arrive que le synchronisme est moins absolu, exceptionnellement

même, la main gauche a eu des retards, peut-être des secousses avortées, qui

n'ont pas pu être enregistrées : devant le tambour enregistreur les périodes

ont toujours paru régulières et synchrones et ces irrégularités ont été si rares

en somme qu'on peut les noyer dans la continuité du rythme habituel.

La volonté ne peut rien sur ces secousses. W... prié de les réfréner s'en est

toujours déclaré incapable parce que, prétend-il, il ne les sent pas venir.

Même s'il fait un effort persistant pour raidir ses bras ce spasme se manifeste

« comme si, dit-il, quelqu'un lui poussait les coudes ». Cette particularité

donne à ce spasme, insignifiant en apparence, une importance inattendue.W...

ne pouvant réussir un mouvement un peu minutieux et un peu soutenu a dû

320 BERNARD ,

renoncer à diverses professions et d'abord à celle de jardinier pour laquelle il

se sentait du goût. Il met plusieurs minutes à enfiler une aiguille; calant sa

main droite sur sa 'main gauche et comptant sur un heureux hasard il profite

d'un intervalle pour lancer le bout de fil qu'il retire quelquefois malgré lui au

moment même où il croit avoir abouti. Le rythme semble constant. L'at-

tention qu'il y porte ne le modifie pas. Quand il cause assez longtemps pour

être distrait de ces mouvements, - ce qui est facile, car il ne s'en préoccupe

guère, - on les voit se poursuivre indéfiniment avez la même périodicité, et il

n'y a pas de changement si on l'oblige à reporter brusquement sa pensée.

. as... a été observé quatre ou cinq fois dans son sommeil à plusieurs se-

maines d'intervalle, on l'a toujours trouvé sans spasme et sans tremblement.

Chorée fibrillaire. - Quand W ? est déshabillé on voit s'ajouter aux con-

tractions rythmées du triceps brachial des contractions fasciculaires et (ibril-

laires de tous les muscles de la ceinture scapulaire. Ces contractions n'entraî-

nent aucun déplacement des épaules ou des membres supérieurs, on ne les

soupçonne pas si une serviette est jetée sur les épaules. Elles paraissent

continues d'abord et sans relation avec le spasme rythmé ; mais en y regar-

dant de près,on peut observer de légers paroxysmes qui coïncident avec les

spasmes. Dans les intervalles, les contractions fibrillaires sont moins diffuses

et moins nombreuses. C'est une trémulation discrète irrégulière et multiple

des muscles sus et sous-épineux, trapèze, des muscles de la nuque du grand

dorsal, du grand pectoral qu'on dirait excités par une électrode -de faradisation.

Ces contractions ne gênent en aucune façon le malade qui ne les soupçonnait

même pas. Elles ne sont pas modifiées par le tremblement.

Tremblement. Ce tremblement est très irrégulier dans ses allures et dans

sa forme. Il est indépendant des contractions rythmées et des contractions

fibrillaires auxquelles il se juxtapose ou se superpose sans les troubler.

En temps ordinaire il manque, et si W... étend ses mains et ses doigts on

les voit, spasme à part, aussi immobiles que chez tout sujet.normal, faisant le

même effort. ·

Mais ce tremblement existe en permanence à l'état latent, il suffit à W...

d'écrire pour le mettre en évidence plus nettement que sur les tracés de l'ap-

pareil enregistreur. C'est un tremblement vibratoire assez rapide (8 ou 9 oscil-

lations par seconde) dont les caractères ont toujours été identiques quand on

a fait écrire W... C'est en somme une sorte de tremblement intentionnel que,

seul, l'acte d'écrire a la propriété de rappeler. W... croit qu'il tremble à cause

de son effort pour neutraliser les spasmes. Ces spasmes « comme si on lui

poussait le coude » projettent la plume par de brusques échappées qu'il essaye

de contenir ou de détourner du papier.

W... prié d'écrire sans s'occuper de son tremblement donne un deuxième

échantillon dans lequel on peut voir inscrites toutes les « échappées », mais

dont le tremblement n'est pas exclus. Si les oscillations paraissent moins fré-

quentes c'est que W... écrivait plus vite, autrement dit le mouvement de l'ap-

pareil enregistreur était plus rapide.

MYOCLONIE DU TYPE BERGERON 321

Dès que le malade cesse d'écrire le tremblement disparaît ou se réduit à de

très insignifiantes oscillations.

Quand il a un accès de tremblement, W... ne peut absolument pas se servir

d'une plume.

11 n'est pas possible de préciser quels muscles interviennent dans ce tremble-

ment, on constate seulement d'une manière générale que les muscles de l'épaule

agitent le membre supérieur dans sa totalité : à la main le tremblement est

communiqué. La tête ne tremble pas, ni les membres inférieurs si ce n'est pen-

dant les grandes crises de tremblement général. Ces accès se manifestent, à

intervalles irréguliers et durent de quelques heures à deux ou trois jours. Si

au sortir d'un accès le spasme myoclonique prend un rythme plus lent huit ou

dix jours passent sans tremblement.

Le froid, les émotions augmentent le tremblement ; une fois W... s'est mis

à trembler parce qu'on l'appelait au laboratoire à une heure inaccoutumée.

Dans ce cas le tremblement s'installe sans autre trouble. Rarement l'accès dé-

bute par un dérobement des jambes avec astasie,abasie, Ce dérobement des jana-

bes survient quelquefois isolément et sans raison appréciable, il va rarement

jusqu'à la chute complète. Il ne s'accompagne pas de vertige, mais des vertiges

peuvent se produire d'une manière indépendante, ils sont assez forts pour que

le malade se sente menacé d'une chute, mais il a toujours le temps de s'ap-

puyer ou de s'asseoir et il n'est jamais tombé.

\V... présente encore un tic de la face. 11 est peu apparent du reste. C'est,

par moment surtout quand il parle, un mouvement de distorsion des lèvres

vers la droite, une sorte de moue de travers dont il ne s'aperçoit pas et qu'on

ne lui avait jamais fait remarquer.

W... ne se préoccupe guère de ces diverses incommodités mais il est très

impressionné par une autre sorte de spasme qu'il ne consent à décrire qu'avec

des réticences. De loin en loin il est subitement ébranlé comme par une dé-

charge électrique, qui le raidit s'il est debout et lui fait faire un brusque saut

en hauteur, c'est un éclair et c'est fini. S'il est couché, il a un simple sursaut,

mais ce spasme insignifiant suscite un trouble mental très particulier. W...

trouve il ce phénomène un caractère quasi-surnaturel que n'ont pas les autres.

Pendant deux ou trois jours il ne cesse d'y penser. Ses réflexions se résument t

Fig. 1.

322 BERNARD

à ceci : « Mais enfin qu'est-ce qui peut t'arriver ? avec une affaire comme celle-

là qui vient on ne sait pas comment, tu peux y rester » et il a peur de mourir

dans un de ces soubresauts.

Il n'a « d'idées noires » qu'à cette occasion, on a vu qu'il accepte sa maladie

avec résignation sinon avec indifférence. Il n'a pas de cauchemar (il en avait

dans son enfance). Son caractère est calme, son jugement droit, sa mémoire

sûre. Il comprend bien et sait s'intéresser ce qu'il voit, il peut s'appliquer

à ce qu'il fait. Les seules tares mentales à rapprocher de celle-ci sont l'hémo-

phobie déjà signalée et une onychophagie acharnée.

Il est très émotif, il n'est pas colère, il a des sentiments affectueux pour ses

parents.

L'examen méthodique du système nerveux n'ajoute rien il ce qui vient d'être

décrit. W... n'éprouve aucune gêne dans son bras droit qui cependant accuse

au dynamomètre une infériorité assez nette (main droite 30, main gauche 40,

mais on a noté une fois : main droite 70, main gauche 40) ; le malade est droi-

tier. Tous les mouvements sont aisés et précis.

Les réflexes tendineux (soléaire, rotulien, olécranieu) sont de forme et d'in-

tensité normales.

Les réflexes cutanés aussi. Les orteils se fléchissent quand on pique la plante

du pied.

La sensibilité est partout conservée sous tous ses modes (contact, douleur,

froid et chaud, sens musculaire). On a constaté plusieurs fois une sensibilité,

assez vive des zones pseudo-ovariennes. Pas de zones hystéogènes vraies.

Organes des sens. Champ visuel non rétréci, habituellement. Il a été examiné

trois fois, une fois on a constaté un rétrécissement concentrique peu marqué.

Pas de dyschromatopsie. Acuité visuelle normale. Olfaction et gustation nor-

males. Acuité auditive affaiblie, la montre entendue à 20 centimètres au lieu

de 60.

Stigmates physiques de dégénérescence. - La physionomie paraît il la fois in-

dolente, inquiète et distraite. Pas de déformation crânienne appréciable à l'ceil.

Oreilles ourlées, sans lobule. La face est un peu asymétrique, la fente palpé-

brale un peu rétrécie à gauche, le maxillaire inférieur plus saillant de ce côté

avec une apophyse lémurienne peu accentuée mais plus proéminente que celle

de droite. Rares naevi : un à la queue du sourcil gauche, une demi-douzaine sur

le tronc. Cypho-scoliose à concavité droite manifeste, non expliquée par la

profession de jardinier que W... a exercée très peu de temps.

Les divers appareils fonctionnent régulièrement, surtout l'appareil digestif.

W... n'a jamais eu de maladie organique il n'est porteur d'aucune tare. La

température a toujours oscillé régulièrement entre 36° 5 et 36° 9.

Appareil génito-urinaire. - Développement des caractères sexuels essen-

tiels et accessoires tardif mais rapide (en six mois entre 17 ans et demi et 18 ans).

Polyurie constante. Le bocal de W... contient tous les jours 2500 à 3000 c.

d'urine d'aspect normai. L'analyse due à l'obligeance de M. le pharmacien prin-

cipal de 4e classe Roman porte :

MYOCLOINIE DU TYPE BEl1GE110X 323

324 BERNARD

Lyon. Ce matin il prend 5 centigrammes d'émétique, l'effet en est lent,

après une demi-heure il a seulement « l'estomac barbouillé », après une heure

il vomit une seule fois, néanmoins le spasme rythmé cesse aussitôt et ne re-

paraît pas de la journée, mais il y a du tremblement par intervalles.

22. - W... s'est plaint d'être fatigué dans la journée et demande à ne pren-

dre que le lendemain les 10 centigrammes d'émétique, jugés nécessaires pour

assurer la guérison. Les secousses sont totalement supprimées, le trem-

blement semble persister l'état latent : quand il raidit la main tendue ou

quand il veut écrire, l'immobilité n'est pas parfaite, l'écriture est pourtant

bien meilleure.

23. Émétique, 10 centigrammes, trois vomissements bilieux. Le trem-

blement n'a pas reparu.

24. - Hier vers deux heures après-midi, le tremblement reparu très fort

pendant dix minutes dans tous les membres et deux heures environ dans les

bras. Ce matin l'on n'aperçoit ni tremblement ni spasme, les contractions

fibrillaires du trapèze et des muscles sus et sous-épineux ont disparu depuis

l'administration de l'émétique.

27.- Hier court accès de tremblement ; ce tremblement au dire de W...aurait

été plus menu que précédemment. Essai d'hypnotisation par la fixation du re-

gard, après trois minutes W... ferme les yeux : il reste immobile les yeux fermés

avec un frémissement très marqué et continu des paupières : les globes sont

divisés en haut. Aucun malaise au réveil. L'expérience n'a pas été renouvelée.

28. - W... a été présenté de nouveau à la Société des sciences médicales

hier. Il n'y a plus trace de myoclonie.

29 - W... quitte l'hôpital avec un congé de convalescence de deux mois.

Dans cette histoire de myoclonie classique par ses caractères essentiels

deux points méritent une discussion spéciale :

10 Les effets du traitement ;

2° La pathogénie des accidents.

Sur les secousses myocloniques rythmées et fibrillaires l'effet du tartre

stibié administré selon la formule de Bergeron a été immédiat et radical :

tout a disparu. Il serait naïf sans doute de conclure' que ce médicament

Fig. 2.

MYOCLONIE DU TYPE BERGERON 325

excellent dans l'espèce a une action spécifique. Il agit plutôt, semble-t-il,

comme un puissant renfort de la suggestion. Ce dernier moyen n'a, du

reste, pas été négligé. A plusieurs reprises les mérites de la médication

stibiée ont été vantés devant W..., on a apprécié son efficacité immédiate

et le caractère définitif de la guérison, tandis que, sous des prétextes di-'

vers, on en retardait l'administration au point d'exciter l'impatience du

malade. Surtout on l'avait averti de la violente perturbation exercée sur

l'organisme et de la nécessité de ménager les doses. L'effort suggestif s'est

prolongé pendant plusieurs semaines, et l'effet nauséeux en démontrant

au malade la vérité de tout ce qu'il avait appris ne pouvait qu'accroître

l'influence de cette suggestion qui seule eût peut-être été insuffisante.

Mais comme Bernhenn (1) a guéri des myoclonies par la suggestion seule,

il faut lui concéder l'efficacité; le rôle de l'émétique est celui d'un exci-

pient commode pour la suggestion. 1

La pathogénie de ces accidents myocloniques a été assez mal étudiée.On

sait le plus important sur leurs causes depuis qu'on lésa fait rentrer dans

la série des syndromes hystériques, mais le mécanisme même ne semble

pas avoir été approfondi. Il aurait fallu pour W.... une série assez longue'

d'investigations hypnotiques, pour découvrir l'idée fixe subconsciente

d'où dépendaient tous ces troubles. Le temps ayant manqué et l'intérêt

direct du malade n'imposant pas ces manoeuvres, puisqu'il était guéri,

on s'en est abstenu. Toutefois l'intervention de l'idée fixe est très plausi-

ble : on peut au moins l'imaginer et l'entourer des symptômes qui en de-

viennent les signes extérieurs : le soubresaut des bras, le sursaut du

corps, le dérobement des jambes, le tremblement, la polyurie même sont

les manifestations somatiques de l'émotion éprouvée dans l'accès primitif

de terreur et perpétuée à l'état subconscient.

Sans doute, une action thérapeutique portant sur cette idée aurait mieux

assuré la guérison. Seul, en effet, le spasme myoclonique a cédé, l'hystérie

reste, manifestée encore par la polyurie, ]'amyosthénie et le tremblement

même qui risque de persister si l'effet de la suggestion ne se poursuit pas

au cours de la convalescence.

Cette dissociation thérapeutique des troubles n'implique certainement

pas une différence de nature ; comment admettre que cet homme ayant été

myoclonique demeure hystérique, qu'il souffrait de deux névroses et qu'il

en garde une. Il garde de l'hystérie les manifestations les plus tenaces,

celles qui rentrent plutôt dans la classe des stigmates que dans celle des

paroxysmes.

(1) Congrès des médecins aliénistes et neurologistes, Nancy, 1896, anal. Bull. méd.,

1896, p. 745. ''

xiv 2.3

326 BERNARD

Il est intéressant de noter à côté de ces troubles permanents, stigmates

ou non, que les stigmates habituels, vulgaires, de la névrose sont absents.

C'est bien ici le cas de se demander si le terrain spécial sur lequel la né-

vrose a été cultivée n'a pas eu l'influence modificatrice qui nous explique-

rait ses anomalies. Avant d'être un hystérique W... était déjà un dégénéré,

puisque fils d'alcoolique, puisque porteur de stigmates évidents, il faut

donc croire que ce trouble fonctionnel qu'est l'hystérie n'a pas dérangé

chez lui le jeu d'organes normaux.

S'il est vrai que chacun fasse sa pathologie selon son anatomie, la fati-

gue, le surmenage, l'épuisement ou l'inhibition d'où vient l'hystérie se

manifesteront sur des individus normalement conformés (ou à peu près)

en un syndrome moyen, celui qui est devenu classique ; les mêmes causes

portant sur un système nerveux à texture plus ou moins atypique créeront

un hystérie adéquate ; dans cette hystérie atypique des symptômes nou-

veaux se superposent ou se substituent au tableau classique banal.

L'hystérie moins tyrannique que l'épilepsie par exemple, ne supprime

pas toute spontanéité dans la réaction qu'elle provoque. Elle épouse,

comme un voile très souple, les irrégularités du sujet qu'elle revêt. Même

dans des conditions étiologiques en apparence uniformes d'intoxication,

de traumatisme etc. elle n'efface pas le polymorphisme de son substratum

« ondoyant et divers ». C'est un état de conscience qui peut laisser trans-

paraître les singularités patentes et latentes de chaque caractère.

RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA FATIGUE

PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT,

PAR

CH. FÉRÉ,

Médecin de Bicêtre. *

Des expériences antérieures (1), relatives à l'influence des excitations

sensorielles sur le travail ont montré qu'en général toutes les excitations

recherchées comme agréables déterminent une augmentation de la capacité

de répéter un effort déterminé. Cette exaltation de la motilité volontaire

se manifeste très rapidement et peut persister un temps variable suivant

la qualité, l'intensité et la durée de l'excitation. Les mêmes expériences

répétées avec des excitations pénibles ont montré un effet immédiat tout

différent : une diminution d'emblée du pouvoir d'exécuter le même mou-

vement volontaire. '

Les effets des excitations sensorielles se montrent du reste très diffé-

rents suivant l'état du sujet au moment où elles agissent. Dans la dépres-

sion une excitation généralement pénible et déprimante peut avoir un

effet excitant. On pouvait se demander si sur un sujet préalablement ex-

cité, une excitation ordinairement tonique devenait dépressive. L'étude

des excitations prolongées était propre à la solution du problème. C'est

à elle que nous avons eu recours.

Comme dans ses recherches précédentes, sur la question du travail,

c'est l'auteur qui est le sujet des expériences. On se sert de l'ergographe

deMosso : le médius soulève chaque seconde un poids de 3 kilogs, jusqu'à

l'impossibilité d'exécuter la traction si limitée que ce soit dans le temps

déterminé. On fait chaque jour à la même heure une expérience qui est

(1) Etudes expérimentales sur le travail chez l'homme et sur quelques conditions qui

influent sur sa valeur (Journ. de l'anatomie et de la phys., 1901, p. 1). - Les variations

de l'excitabilité dans la fatigue (L'année psychologique, 1901, p. 69). -Elude expéri-

mentale sur l'influence des excitations agréables et des excitations désagréables sur

le travail (ibid., p. 88). Note sur le travail alternatif des deux mains (ibid., p. 130).-

L'e.< : c : <aM : M comjoat'e'e dM deK ? ie'mtsp/)e ! 'ece')'e'&)'a ! t. eAM ? )o ? K)Kc(t& ! d.,p.l43).

L'excitabilité comparée des deux hémisphères cérébraux chez l'homme (ibid., p. 143).

- De l'influence de réchauffement artificiel de la tête sur le travail (Journ. de l'anat.

et de la phys., 1901, p. 291).

328 féré

constituée par une ou plusieurs séries de reprises erâoâraphiques, les

séries d'ergogrammes sont séparées par des repos de cinq minutes, et les

4 ergogrammes de chaque série ne sont séparées que par des repos de

une minute.

Dans la série de recherches qui ont précédé immédiatement celles-ci,

douze séries de 4 ergogrammes exécutant un repos, ont 'donné en moyenne

pour la main droite 22 kilogr. 53, pour la main gauche, 15 kil. 77 (1).

C'est de ces moyennes que nous nous sommes servis pour établir la com-

paraison avec le travail fourni dans les expériences actuelles.

Toutes les excitations sensorielles peuvent être utilisées (2).

On s'est servi dans cette série un peu longue d'excitations de l'odorat

qui ont paru les plus inoffensives. On peut reprocher aux substances

odorantes de posséder en même temps que leurs propriétés organolepti-

ques, des propriétés chimiques, mais les excitants des autres sens joignent

à leurs propriétés organoleptiques d'autres propriétés chimiques ou des

propriétés physiques dont les effets sont tout aussi difficiles à dissocier.

Dans les expériences précédentes on avait empiriquement fait agir les

excitants sensoriels deux minutes avant le commencement du travail. Ce

n'est pas constamment au moins la meilleure condition de l'excitation.

Dans les expériences actuelles, on a fait commencer l'excitation avec le

travail, puis on a augmenté progressivement la durée de l'excitation préa-

lable. Dans toutes les expériences on a fait durer l'excitation pendant

toute la durée de la première série de quatre ergogrammes et pendant les

repos de une minute qui les séparent. Les résultats des expériences se

lisent facilement dans les tableaux suivants où sont indiqués en mètres

la hauteur totale de soulèvement et en centimètres leur hauteur moyenne ;

le travail est indiqué en kilogrammètres. La dernière colonne indique le

rapport du travail total des quatre ergogrammes de la série moyenne au

repos 22 kil. 53= 100.

..Dans un premier groupe d'expériences l'excitation a été faite avec une

essence de cannelle de Chine, tenue sous les narines dans un flacon,

et d'une façon uniforme.

(1) De l'influence de réchauffement artificiel de la télé, etc.

(2) Note sur la fatigue par les excitations visuelles (C. R. de la Sou. de Biologie,

1901, p. 668). Note sur la fatigue par les excitations du goût (ibid., p. 722). -

Note sur la fatigue par les excitations auditives (ibid., p. 749). - Note sur la fatigue

par les excitations cutanées (ibid., p. 753).

RECRIERCIIES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 329

Exp. I. - Excitation commençant avec le travail.' «

1re Série : Odeur d'essence de cannelle.

330 FÉRÉ

Exp. IV. Excitation commençant huit minutes avant le travail.

Odeur d'essence de cannelle.

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 331

3e Série : Sans excitation,

332 FÉRÉ

repos insuffisant pour la réparation, donne un travail supérieur à celui de

la première : Dans l'expérience V, la seconde série faite dans les mêmes

conditions, montre une excitation secondaire analogue à celle que nous

avons signalée à la suite des excitations pénibles. Cette excitation secon-

daire on la retrouve dans les 2e, 3e et 4e séries de l'expérience VI. Cette

exaltation secondaire de la capacité de travail n'est que passagère : le tra-

vail est devenu très faibledans la série S de l'expérience VI ; mais il. re-

monte d'une manière remarquable à la série suivante sous l'influence d'une

excitation réputée pénible, produite par l'ammoniaque.

Ce qui ressort de ces expériences c'est qu'une excitation agréable qui

a pour effet d'exalter la capacité de travail peut,si elle est prolongée, avoir

un effet déprimant immédiat. Il était intéressant d'étudier de plus près

les effets secondaires de l'excitation prolongée pour constater si elle dé-

termine un déficit définitif. Nous avons entrepris dans ce but une autre

série d'expériences avec une autre essence aussi réputée pour son action

tonique, l'essence d'absinthe. Cette série a été précédée et suivie d'une

expérience de contrôle, où le travail ergographique n'a été précédé ni

accompagné d'aucune excitation. "

C'est le médius droit qui travaille :

Exp. VII. - Sans excitation.

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 333

334 FÉRÉ

Exp. VIII. - L'excitation commence en même temps que le travail.

po Série : Odeur d'essence d'absinthe.

RECHERCLIES SUR LA FATIGUE PAIt LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 335

7e Série : Sans excitation.

336 . FÉRÉ

4e Série : Sans excitation.

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 337

Exp. X. - Excitation commençant 4 minutes avant le travail

Hauteur Nombre Travail Hauteur Rapport du

totale des en moyenne e travail au tra-

soulèvements kilogrammètres vail normal

ire Série : Odeur d'essence d'absinthe.

IOEClfEIIcm;s SUR LA FATIGUE PAII LES EXCITATIONS DE L ODORAT 33 ! J'

4. Série : Sans excitation.

340 FÉRÉ

Exp. XII. Excitation commençant 12 minutes avant le travail.

Hauteur totale Nombre. Travail 1 Hauteur Rapport

des soulève- en kilogram- moyenne du travail au

ments mètres travail normal

1 r. Série : Odeur d'essence d'absinthe.

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 3 li 1

7° Série : Sans excitation.

342 FÉRÉ

3e Série : Sans excitation.

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 343

9e Série : Sans excitation.

0

ta.

a-

Fio. 1. I. Série d'ergogrammes pris au repos sans excitation donnant un travail total de 22 kilogrammètres 14

(première série de l'expérience XIV).

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 34 ?

31 Série.

zig FÉRÉ -

9° Série.

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT , . 347

Fig. 2. zizi. Série d'ergogrammes pris au repos et une heure après 2 minutes d'excitation de l'odorat

par l'essence d'absinthe, donnant un travail total de 15 1. 21 (Exp. XV).

- III. Série d'ergogrammes pris au repos une heure après 4 minutes d'excitation de l'odorat par l'essence

d'absinthe, donnant un travail de 14 k. 31 (Exp. XVI).

348 - '' FÉRÉ

Cc. 3. - IV. Série d'ergogrammes pris au repos, et une heure après 8 minutes

d'excitation de l'odorat par l'essence d'absinthe, donnant un travail total de i r h. 16

(Exp. XVII).

V. Série d'ergogrammes pris au repos et une heure après 12 minutes d'excitation

de l'odorat par l'essence d'absinthe, donnant un travail de 9 k. 69 (Exp. XVIII).

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 349

Exp. XVII. - Excitation de 8 minutes précédant le travail de 1 heure.

Odeur d'essence d'absinthe.

350 FÉRÉ

les unes réputées désagréables et les autres agréables et on peut juger par

le travail obtenu de leur action déprimante persistante. Dans ces expé-

riences la durée de l'excitation a été uniformément de 8 minutes et le

travail n'a commencé qu'une heure après la fin de l'excitation.

Exp. XX. - Excitation de 8 minutes (odeur d'asa /oe< : ft)

précédant le travail de 1 heure

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 351

Exp. XXII. Excitation de 8 minutes (odeur de musc) précédant le travail

, de 1 heure.

352 -) FÉRÉ

Après 45 minutes de repos, on a fait une nouvelle série d'ergogrammes

qui a donné les résultats suivants :

RECHERCHES SUR LA FATIGUE PAR LES EXCITATIONS DE L'ODORAT 353

malaises qui peuvent aller jusqu'à la syncope (1). D'autres fois les odeurs

produisent des troubles durables ; des pypotomies, des paralysies qui se

manifestent de préférence sur les muscles les plus délicats comme ceux de

la phonation. On a cité un certain nombre de faits d'aphonie provoquée

par des parfums, le musc (Odier),les roses, les tubéreuses, les fleurs d'oran-

ger (Debay), les violettes de Parme (Fauvel),ou par les mauvaises odeurs

comme la friture (Joal). On a cité des accidents parétiques du côté des

membres (2) ou même des accidents plus graves : d'après Tissié les cour-

tiers en musc seraient sujets à une sorte de démence précoce (3).

En dehors de ces troubles qui paraissent liés à une susceptibilité parti-

culière, l'abus des odeurs, qui provoque sûrement la fatigue, comme

l'expérience l'a montré, peut, lorsqu'il devient habituel, provoquer un

état de torpeur ou un épuisement nerveux durable qui constitue un état

neurasthénique. Les parfums pourraient bien avoir contribué autant que

les narcotiques à assoupir l'Orient.

La difficulté qu'on éprouve à opérer le sevrage des parfums montre

bien qu'ils sont devenus des excitants nécessaires au même titre que les

poisons excitants et narcotisants.

Quand on a vu les effets fatigants des odeurs on ne peut guère douter

qu'elles soient capables de produire tous les accidents du surmenage et

qu'elles concourent dans un certain nombre de cas à la genèse de la neuras-

thénie acquise au même titre que l'abus des boissons alcooliques ou du

tabac. La part des parfums n'est pas facile à établir parce que leur action

est rarement isolée. Ceux qui ont recours aux parfums pour s'exciter sont

des besoigneux d'excitation générale : ils ne se bornent pas à exciter leur

odorat. Cependant il est possible dans quelques cas de constater la valeur

de l'appoint apporté par l'abus des odeurs à la pathogénie de la neuras-

thénie : c'est lorsqu'au cours d'un traitement resté jusque-là inefficace,

ou peu s'en faut, on voit une amélioration rapide se produire après la sup-

pression de l'usage des parfums. J'ai observé plusieurs faits de ce genre

qui ne me laissent aucun doute. Chez une neurasthénique de 38 ans qui

depuis plusieurs années subissait les approches de son mari sans aucun

plaisir, le premier changement qui suivit la suppression de l'usage d'un

parfum employé à hautes doses et dont l'essence d'héliotrope paraissait

constituer l'élément principal, fut justement le retour des sensations

spéciales. C'est un fait qui pourra surprendre au premier abord, mais

qu'on admettra facilement si on considère les manifestations différentes de

l'effet immédiat d'une excitation de courte durée d'une odeur et l'effet

d'une excitation prolongée.

(1) Cii. Féré, La pathologie des émotions, 1892, p. 483, 484.

(2) B. DEBOURGES, Accidents déterminés par les émanations des tubéreuses (J. de

chimie méd., 1843, 2= série. T. IX, p. 294).

(3) P. TISSU ? La fatigue et l'entraînement physique, 1897, p. 291.

TUMEUR CÉRÉBRALE

(Etude histologique et pathogénique)

PAR

ERNEST DUPRÉ - et ALBERT DEVAUX

(Suite et fin).

ÉTUDE PATHOGENIQUE.

Il est évident qu'un mécanisme pathogénique fort complexe doit prési-

der à la détermination des accidents si variés et si nombreux du syndrome

des tumeurs cérébrales. Pour fixer un peu les idées et restreindre, dans

une certaine mesure, les conditions d'un si vaste problème, si nous con-

sidérons le cas de notre tumeur, et si nous essayons de nous rendre

compte du déterminisme probable des symptômes diffus qu'elle a engen-

drés (céphalée, vertiges, stase papillaire et amaurose, crises épileptiques,

syndrome psychique) nous pouvons essayer d'en rapporter l'origine à la

compression de l'encéphale, et aux troubles circulatoires intracrdniens

provoqués par la tumeur. Il est bien probable que ces deux éléments

entrent pour une certaine part dans le déterminisme des accidents ; et,

sans vouloir discuter ici le mécanisme de leur action, nous admettrons

la réalité de leur rô)e pathogénique.

Mais, à côté de ces facteurs d'ordre, surtout mécanique, nous voudrions

insister sur le rôle pathogénique que doit jouer, dans la symptomatologie

des tumeurs cérébrales, un autre facteur d'ordre toxique ; c'est l'impré-

gnation de la masse cérébrale, par les produits de désassimilation, les

toxines cellulaires provenant du néoplasme, et rejetés par lui dans la cir-

culation veineuse et lymphatique de l'encéphale : c'est l'intoxication de la

substance cérébrale par les poisons cellulaires d'origine néoplasique. En fa-

veur d'une telle hypothèse militent un certain nombre d'arguments

cliniques, physiologiques et anatomo-patllologiques.

Les arguments cliniques sont tirés de la frappante analogie des tableaux

symptomatiques des grandes encéphalopathies toxiques de l'urémie, du

diabète, du saturnisme, et du syndrome des tumeurs cérébrales.

Or, il est certain que le tableau clinique des accidents présentés par

TUMEUR CÉRÉBRALE 355

notre malade rappelle, dans ses grands traits et son évolution progressive,

celui de l'urémie cérébrale, ou encore, quoique de plus loin, et dans ses

dernières phases seulement, celui du coma diabétique. Amblyopie, cé-

phalée, vertiges, vomissements, obnubilation psychique, torpeur, affai-

blissement démentiel, crises épileptiques, parésies localisées, coma,

mort : constituent les éléments essentiels communs aux grands syndro-

mes, d'origine autotoxique, de l'urémie cérébrale et du diabète sucré, et

au syndrome des tumeurs cérébrales.

Cette analogie générale des deux séries cliniques a été indiquée par

Babinski (1). Cet auteur, à propos d'une malade, guérie par la trépa-

nation d'accidents de céphalée et d'amblyopie progressive, consécutifs à

un traumatisme crânien, et imputés par lui à l'hypertension du liquide

céphalo-rachidien, fait remarquer la ressemblance des deux tableaux cli-

niques de l'urémie et de la tumeur cérébrale, et se demande si beaucoup

des symptômes de l'urémie cérébrale ne reconnaissent pas pour cause

l'hypertension du liquide céphalo-rachidien, causant l'oedème cérébral et

l'hydropisie ventriculaire. A propos d'une communication de Marie et

Guillain (2) sur le traitement de la céphalée brightique par la ponction

lombaire, Babinski (3) est revenu sur la même hypothèse, développée par

P. Marie et Guillain, dans les termes suivants : : < Ne peut-on supposer

que chez les brigh tiques il ne puisse exister parfois une certaine hydro-

pisie de la cavité arachnoïdienne ? Les théories modernes considèrent les

phénomènes de l'urémie nerveuse comme étant sous la dépendance pres-

que unique de l'intoxication... Il nous semble qu'à côté du facteur in-

toxication, il faut aussi viser dans la pathogénie de l'urémie nerveuse le

facteur hypertension. L'hydropisie ventriculaire de Leindot et Odick, les

oedèmes cérébraux décrits par Franck en rapport avec l'hypertension du

ventricule gauche, sont des phénomènes dont il ne faut pas faire totale-

ment abstraction. Il nous paraît certain que certains troubles visuels, les

amauroses transitoires des urémiques, leur céphalalgie, ont de multiples

analogies avec le syndrome bien connu en pathologie nerveuse de l'hyper-

tension du liquide céphalo-rachidien tel qu'on le constate dans les tu-

meurs cérébrales par exemple. Il y aurait donc lieu de différencier, dans

l'urémie nerveuse, les symptômes fonction d'intoxication et les symptômes

fonction d'hypertension. »

M. Le Gendre (4), s'inspirant de l'hypothèse émise par Babinski, a

(1) Babinski, Société de neurologie, avril 1901.

(2) P. Marie et Guillain, La ponction lombaire contre la céphalée persistante des

brightiques, Soc. méd. des hôpitaux, 3 mai 1901.

(3) BABINSICf, Soc. méd. des hôpitaux, 10 mai 1901.

(4) LE Gendre, Soc. méd. des hôpitaux, 3 mai 1901.

356 DUPRÉ ET DEVAUX

dit avoir, en vertu de la même idée théorique de décompression céphalo-

rachidienne, guéri une céphalée rebelle chez un brightique saturnin

artério-scléreux, par la ponction lombaire, en évacuant chez son malade

13 à 14 centimètres cubes de liquide.

Divers auteurs allemands, cités par P. Marie (1), ont rapporté des cas

d'encéphalopathie urémique chez des saturnins, remarquablement amendés

par la ponction lombaire, et l'issue d'une certaine quantité de liquide

céphalo-rachidien. Ces cas sont ceux de Seegelken (Mûnch. med. Wo-

chensch., 1896), de Brasch (Zeitschr. f. klin. Med., 1898) etdeNoelke

(Deutsche med. Wochensch., 1897). Mais une série d'autres cas d'urémie

cérébrale a fourni des résultats défavorables à la méthode de la ponction

lombaire(casdeQuincke,Fûrbringer,Lichtheim,vonLeyden,Stadelmann,

Braun, Lenhartz, Chantemesse). Et P. Marie formule judicieusement la

conclusion qui se dégage actuellement de la critique des observations

connues : c'est que l'issue d'une certaine quantité de liquide céphalora-

chidien (de 6 à 30 centimètres cubes environ) semble amender, au moins

temporairement, les accidents encéphaliques de l'urémie récente et d'in-

tensité moyenne : et que l'urémie ancienne et profonde résiste, au con-

traire, à cette tentative thérapeutique.

L'analogie clinique, entre les deux encéphalopathies urémique et néo-

plasique, est telle, qu'elle a souvent donné lieu à des erreurs de diagnostic.

Lugaro (2) en a récemment publié un exemple probant, que nous citons,

parce qu'il a trait précisément à un syndrome urémique qui a simulé une

tumeur du lobe frontal gauche. L'auteur avait fondé son diagnostic de

néoplasme frontal gauche sur tout un ensemble de symptômes diffus :

céphalée, vertiges, vomissements, troubles psychiques, troubles de l'équi-

libre ; et de signes de localisation (troubles de la parole et inégalité des

pupilles, la gauche plus large que la droite). Or l'autopsie démontra l'in-

tégrité macroscopique absolue de l'encéphale et l'existence d'une néphrite

scléreuse atrophique avancée. L'examen microscopique mit en évidence

des lésions pigmentaires et chromatolytiques diffuses de la totalité des

éléments de l'écorce.

L'erreur inverse a aussi été maintes fois commise : le diagnostic d'uré-

mie cérébrale a été posé, dans des cas où la nécropsie a démontré l'exis-

tence d'une tumeur de l'encéphale. Sans insister sur ces faits, passons à

l'interprétation proposée par les auteurs pour rendre compte d'une telle

analogie symptomatique.

(1) P. Marie, Sur la ponction lombaire contre la céphalée des brighliques. Soc. méd.

des hôpitaux, limai 1901.

(2) E. Lugaro, Sindrome uremica simulante un lumore de lobo frontale sinislro.

Rivista di Patologia nervosa e mentale, mars 1900.

TUMEUR CÉRÉBRALE 357 7

Après avoir insisté sur l'analogie des tableaux cliniques des deux encé-

phalopathies, urémique et néoplasique, Babinski, P. Marie et Guillain

essayent de l'expliquer par un mécanisme pathogénique commun, qui

présiderait à l'apparition, dans les deux séries, de symptômes analogues :

et ils tentent de rapporter tous ces accidents à l'hypertension du liquide

céphalorachidien. -

Or, la constance de cette hypertension, dans l'urémie nerveuse, n'est

pas encore démontrée : et, d'ailleurs, les auteurs que nous venons de citer

expriment le voeu que l'on institue une enquête à ce sujet. Arriverait-on

à démontrer la constance de l'hypertension céphalo-rachidienne chez les

urémiques cérébraux, qu'il resterait à discuter le mode d'action de cette

hypertension sur le fonctionnement cérébral. Il est logique de supposer

que l'hypertension chronique du liquide périencéphalo-médullaire aurait

pour première conséquence des troubles dans les échanges osmotiques et

la circulation capillaire de l'écorce, que ces troubles compromettraient la

nutrition des cellules et produiraient finalement, par un mécanisme indi-

rect, l'intoxication des éléments anatomiques.

Au contraire, ce qui semble bien prouvé dans la doctrine de l'urémie,

en général, et de l'urémie nerveuse en particulier, c'est l'origine toxique

des accidents. La nature toxique des troubles cérébraux de l'urémie est

bien plus démontrée que ne l'est la réalité de l'hypertension intracrâ-

nienne dans les tumeurs cérébrales : et il nous semble plus logique de

trouver une explication univoque, des symptômes communs aux tumeurs

et à l'urémie cérébrales, dans l'intoxication cérébrale, facteur pathogénique

classique, démontré, que d'aller la chercher dans l'hypertension céphalo-

rachidienne, facteur pathogénique discutable, non prouvé, et dont le mode

d'action se réduit d'ailleurs probablement à un mécanisme indirect d'in-

toxication.

D'accord avec Babinski, P. Marie et Guillain, pour constater les nom-

breuses et frappantes analogies cliniques des deux syndromes des tumeurs

et de l'urémie cérébrales, d'accord avec eux pour chercher une cause

pathogénique commune à des accidents communs, nous préférons invoquer,

comme agent pathogénique général des symptômes communs aux deux

encéphalopathies : l'intoxication. Cette intoxication est, dans les deux cas,

d'origine cellulaire, intrinsèque : c'est une auto-intoxication, dont les

agents, portés au contact de la cellule corticale, c'est-à-dire du réactif le

plus sensible de l'organisme, vont déterminer les symptômes si variés, si

nombreux, et souvent si caractéristiques, des encéphalopathies toxiques

chroniques d'origine interne, dont la lente évolution, entrecoupée de

crises paroxystiques aiguës, de rémissions, de longues périodes d'accalmie

xiv 25

358 DUPRÉ ET DEVAUX

et de latence, aboutit enfin à un dénouement fatal qui s'achève dans le coma

terminal.' ,

L'hypothèse de la compression cérébrale, invoquée comme cause des

accidents diffus des tumeurs cérébrales, est passive d'objections capitales,

d'ordre clinique et expérimentale. Nombreuses sont les observations faites

par les chirurgiens de traumatismes du crâne, avec enfoncement d'une por-

tion de la voûte sur le cerveau, guérissant malgré une forte compression évi-

dente de l'encéphale, sans avoir présenté d'accidents cliniques durables

dus à cette compression : les cas classiques de Thomson, rapportés par

Jaccoud(4), de J.-L. Petit que nous rapportons plus loin, sont de beaux

exemples anciens de ces cas de guérison, que l'antisepsie moderne a mul-

tipliés entre les mains des chirurgiens. D'un autre côté, des nombreuses et

intéressantes expériences instituées pour élucider le mécanisme et les effets

de la compression cérébrale, une conclusion générale nous semble se dé-

gager : c'est que les effets de la compression cérébrale, en général continus

et proportionnels à l'intensité delà pression exercée, ne se produisent que

momentanément, durant une certaine période, dont la brève évolution, à

travers des phases successives de latence, d'excitation, de convulsion, de

coma, etc., aboutit la mort. C'est ce qui résulte des recherches des ex-

périmentateurs, qui, depuis Magendie et Longel (2), ont travaillé cette

question (Leyden, Pagenstechen, François Franck, Adamkiewicz, Bonnot,

Solkenheim, Nonnyn, Vulpian, Becllefontaine, Schulten, etc.). En résumé,

l'évolution clinique des phénomènes expérimentalement provoqués par ! a

compression cérébrale, et l'évolution clinique des symptômes dus aux tu-

meurs cérébrales, et attribués par hypothèse à la compression de l'en-

céphale, ne sont comparables, ni dans le caractère, ni dans l'ordre de

succession, ni dans la marche et la durée des accidents observés.

II ne semble d'ailleurs pas logique de chercher dans la compression

cérébrale par une tumeur, c'est-à-dire dans un processus discutable dans

son existence et son action, en tout cas graduel et lent dans ses progrès,

d'ailleurs variable dans son intensité, parfois même impossible à admettre

anatomiquement, la cause de cette riche série d'accidents qui composent

le syndrome diffus des tumeurs cérébrales ces accidents témoignent au

contraire de l'atteinte inégale, intermittente, irrégulière, de l'ensemble

des territoires encéphaliques, par des influences tantôt paralysantes, tantôt

convulsivantes, tantôt passagères et comme dynamiques, tantôt continues

et destructives, dont les effets présentent avec ceux de certaines intoxica-

tions cérébrales chroniques des analogies indiscutables.

. (1) JACCOUD, Art. Encéphale, Dict. de méd. et de chir. pratiques, t. 15, p. 19.

(2) Cu. RICIIET, Art. Cerveau, chapitre Compression, p. 719. Dictionnaire de physio-

logie, t. II.

TUMEUR CÉRÉBRALE 359

- La'similitude de l'expression clinique est telle, qu'on ne peut distinguer

les unes des autres des encéphalopathies aussi diverses d'origine (urémie,

diabète, saturnisme, tumeurs cérébrales).

A l'appui de cette thèse de l'influence toxique exercée sur le cerveau

par les tumeurs cérébrales, on peut invoquer certains arguments d'ordre

physiologique.

Tout d'abord, il est maintenant bien établi que toute masse néoplasi-

que, cancéreuse ou inflammatoire, sécrète des substances toxiques. Cette

sécrétion toxique, étant le résultat naturel de la vie même du néoplasme,

est nécessaire et continue : elle est d'origine cellulaire,assimilable aux toxi-

nes rejetées dans le dernier acte de la désassimilation, par les tissus nor-

maux de l'organisme : elle varie donc beaucoup suivant le volume, l'âge

et la nature de la tumeur, dans son abondance et ses propriétés. Toutes

ces considérations ont été développées, avec le grand intérêt qu'elles com-

portent, par le Professeur Bard (1) ; et cet auteur a fondé sur elles sa théo-

rie toxique de la cachexie cancéreuse, qui représente l'empoisonnement de

l'économie par les produits excrémentitiels des cellules néoplasiques.

Les produits toxiques d'origine néoplasique sont éliminés pas les vais-

seaux veineux et lymphatiques qui émanent de la tumeur : ceux-ci, comme

pour les glandes vasculaires sanguines, représentent le canal excréteur de

la masse cellulaire morbide, dont les produits de désassimilation sont

ainsi directement déversés dans la circulation sanguine. Et ici, nous abor-

dons le second argument physiologique, qui s'offre à l'appui de notre

thèse.

Lorsqu'on examine le régime circulatoire de notre tumeur, et, en géné-

ral, de tous les sarcomes méningés, on est frappé de la richesse vasculaire

du bloc néoplasique et de l'abondance des réseaux artério-veineux qui

l'entourent. Le développement des vaisseaux est surtout marqué à la pé-

' riphérie de la tumeur, au niveau de la capsule d'enveloppe : il varie en-

suite, suivant l'espèce néoplasique, à l'intérieur de la tumeur, souvent il

en constitue presque à lui seul, par l'activité des processus vaso-formatifs,

le caractère histologique particulier, puisqu'il spécifie le groupe des sar-

comes angiomateux avec ou sans dégénérescence angiolithiclue.

Dans le cas particulier de notre endolhélioma, la circulation artérielle

du néoplasme était assurée par trois branches détachées du tronc de la

sylvienne, qui étalaient, sur la périphérie de la capsule d'enveloppe, leurs

ramifications et leurs anastomoses, pénétraient au travers, et se distri-

buaient le long des septa conjonctifs, dans l'intérieur de la tumeur. La

circulation veineuse s'elfectuait par un riche et tortueux réseau de veinu-

(1) Bard, Précis d'anatomie pathologique, 20 édition, p. 35.

360 DUPRÉ ET DEVAUX

les capsulaires, communiquant directement avec celui des veines ménin-

gées d'alentour, dont le lacis périnéoplasique ne représentait d'ailleurs

qu'un département considérablement amplifié et dilaté. Artérioles et vei-

nules communiquaient dans l'intimité du tissu néoplasique, par ces fen-

tes, ces espaces angiomateux, et ces capillaires que nous avons décrits, et

qui témoignent de l'activité circulatoire de la tumeur. Le réseau lympha-

tique du néoplasme était évidemment en intime connexion avec celui de

l'appareil méningé et les milieux sous-arachnoïdiens : cette anastomose

lymphatique ne peut être mise en doute, dans une tumeur développée aux

dépens de l'arachnoïde. "-

Par ses connexions conjonctives et vasculaires avec l'appareil méningé

et la circulation cérébrale, par son régime biologique, étroitement associé

à celui de l'encéphale, ce gros bloc endothéliomateux représente donc une

espèce d'organisme supplémentaire, une sorte de parasite, greffé sur le

cerveau. Intimement reliés l'un à l'autre par la communauté d'un même

appareil circulatoire, qui leur constitue une seule matrice, baignés des

mêmes sucs lymphatiques et céphalo-rachidien,qui leur composent la même

atmosphère nutritive, assujettis enfin aux mêmes conditions locales demi-

lieu, le cerveau et la tumeur, l'organisme normal et l'organisme patholo-

gique, mêlent,dans le même courant humoral, les produits excrémentitiels

de leur dénutrition, et vivent ainsi côte à côte, dans une association mons-

trueuse, où, nécessairement, la masse parasitaire sans cesse grandissante

du néoplasme doit tuer la substance cérébrale. Ces considérations s'appli-

quent littéralement à notre observation, dans laquelle la tumeur atteignait

le poids de 210 grammes : c'est-à-dire un poids supérieur à celui du cer-

velet, du bulbe et de la protubérance réunis, ou presque égal à celui d'un

lobe frontal, un poids équivalant au septième, environ, du poids total de

l'encéphale. Sans vouloir accorder à ces proportions numériques une va-

leur décisive, car le coefficient de toxicité d'une sécrétion cellulaire ne se

mesure pas au volume de l'organe, il est cependant difficile de leur dé-

nier toute importance, et quoique, dans l'échelle de toxicité des produits

de sécrétion des tissus néoplasiques, les sarcomes soient inférieurs aux

épithéliomes, une masse sarcomateuse de celte importance ne pouvait vi-

vre dans le crâne, sans que le passage de ses produits d'excrétion à tra-

vers les réseaux lymphatiques et veineux du cerveau n'eût quelque reten-

tissement sur la nutrition de cet organe.

On sait d'ailleurs que le cerveau, et la substance grise, en particulier,

représente le milieu organique le plus sensible à l'action des poisons.

L'observation clinique et la médecine expérimentale y ont, depuis long-

temps, localisé toutes deux le terrain électif par excellence des réactions

les plus délicates et les plus précoces aux imprégnations toxiques. C'est

TUMEUR CÉRÉBRALE 361

sur cette notion générale que sont fondées les méthodes, expérimentales

ou thérapeutiques, des injections toxiques sous-dure-mériennes après

trépanation, pour l'étude des poisons, et des injections intra-rachidiennes

de cocaïne pour l'analgésie chirurgicale.

Ces notions sont tellement classiques que l'on peut déclarer que, vis-à-

vis des poisons faibles, la réaction de la substance grise est une véritable

pierre de touche de l'action des toxines.

Or, si l'action nocive générale des sécrétions cancéreuses (1) ne fait

plus de doute, l'électivité particulière des poisons cancéreux pour le sys-

tème nerveux est également démontrée (2).

Klippel distingue judicieusement les accidents de la tumeur et ceux de

la cachexie, dans le cancer étudié au point de vue de son action générale

sur le système nerveux. « Comme cachexie, la maladie s'accompagne d'une

intoxication par diffusion des toxines résorbées au niveau de la tumeur,

et de troubles profonds de la nutrition, atteignant tous les organes, le

système nerveux y compris. »

Appliquant cette notion générale à l'interprétation des accidents céré-

braux présentés par notre malade, nous constatons que, par son siège et

ses rapports, le néoplasme remplit, vis-à-vis du cerveau, les conditions

anatomiques les meilleures pour exercer sur lui l'influence la plus rapide,

la plus continue et la plus immédiate : par l'anastomose directe et à plein

canal qui unit les réseaux vasculaires des deux tissus néoplasique et cé-

rébral, l'échange des toxines est libre entre les deux territoires, et la si-

tuation anatomique de la tumeur réalise les conditions idéales d'un dis-

positif expérimental, destiné à injecter à petites doses, incessamment

répétées, dans la circulation cérébrale, des toxines vivantes, empruntées

à un néoplasme appartenant au sujet en expérience. Au point de vue de

l'influence toxique exercée sur la totalité d'un parenchyme organique par

un foyer localisé en un point circonscrit de l'organe, l'encéphale repré-

sente un viscère bien spécial, à cause des conditions particulières de sa

circulation et surtout à cause de la présence et de la distribution du li-

quide céphalo-rachidien; celui, vaste milieu humoral, commun aux ca-

vités périphériques et centrales de l'axe encéphalo-médullaire, représente

au point de vue pathologique, une large voie de communication et de

diffusion, par laquelle peuvent s'étendre de proche en proche' et se géné-

raliser, ainsi que l'ont bien montré les expériences de Pérou et de Sicard,

les processus infectieux et toxiques à tous les réseaux lymphatiques de

(1) Travaux de MOYEN, Toxicitiit des Urins und des .1lilexkl'acks bei Cef)'c : ! t0 ! )t, Zeit-

schr. f. Klin. Nedizin, B. 33.1897 ; de Klemperer, llommclaire, Jaccoud, Albarran.

(2) Klippel, Les accidents nerveux du cancer. Archives générales de médecine, 1899.

362 DUPRÉ ET DEVAUX

l'encéphale. Les recherches de G. Guillain (1), sur la circulation lympha-

tique de la moelle, tendent également à montrer dans le canal épendymaire

un organe assimilable à un canal lymphatique : et, d'une façon plus gé-

nérale, on peut, suivant l'idée de P. Marie et de G. Guillain, penser que

« peut-être, à côté des systématisations des faisceaux nerveux, il y a une

systématisation de la circulation lymphatique qui éluciderait l'origine

première et l'évolution de certaines affections du système nerveux ». En

appliquant ces idées théoriques et ces données expérimentales à l'inter-

prétation du mécanisme de la diffusion» dans les milieux lymphatiques de

l'encéphale, des toxines issues des néoplasmes ou des abcès cérébraux, on

éclaire le problème pathogénique de l'action à distance et du retentisse-

ment général de ces lésions circonscrites et localisées sur tout l'appareil

encéphalique : on essaie ainsi de rapporter à une action diffuse, l'impré-

gnation toxique de l'encéphale, le syndrome diffus des tumeurs ou des

abcès cérébraux : une telle hypothèse vaut bien celle de la compression

cérébrale, ou celle de l'irritation réflexe à distance. Dans l'observation si

intéressante de Joffrov et Gombault (2), que nous rapportons plus loin,

de même que dans plusieurs autres d'ailleurs, il est impossible, de l'aveu

des auteurs, d'invoquer la compression comme cause des accidents diffus

et à distance imputables à la tumeur. Les auteurs se demandent si la mé-

ningite chronique diffuse constatée dans leur cas s'est développée « en con-

séquence de la seule présence de la tumeur faisant office d'une épine enfon-

cée dans l'encéphale et devenant l'occasion d'une infection lente d'origine

banale, en quelque sorte. S'il en était ainsi, les lésions devraient être loca-

lisées, ou très prédominantes au pourtour de la tumeur, et on a vu que,

tout au contraire, les régions antérieures du cerveau étaient peut-être plus

profondément touchées que toutes les autres. » En invoquant, pour expli-

quer la méningite chronique diffuse, non plus un travail inflammatoire

subaigu propagé par contiguïté, il partir de la tumeur et rayonnant autour

d'elle dans une zone plus ou moins étendue, mais, au contraire, une lente

imprégnation diffuse des milieux lymphatiques et sanguins de l'encéphale

par des toxines issues de ce foyer à la fois néoplasique et inflammatoire,

implanté dans le cervelet depuis trente ans, on peut concevoir la méningite

diffuse chronique comme une réaction naturelle à cette imprégnation mor-

bifique, surtout chez un sujet prédisposé par l'alcoolisme à ce mode de lé-

sions méningées. Dans notre cas, la brièveté relative de l'évolution du néo-

(1) G. GUILL.41N, La circulation de la lymphe dans la moelle épinière. Société de

neurologie de Paris, 9 nov. 1899.

(2) JOFFI\OY el Gombault, Loc. cit., Congrès international de.1900 ; Société de neuro-

logie.

TUMEUR CEREBRALE 363

plasme n'a pas permis l'organisation d'un tel processus : et c'est d'ailleurs

la règle générale dans ces affections, 1

Cette hypothèse de l'intoxication du cortex par les produits émanés des

tumeurs cérébrales a été formulée en termes' explicites par P. Marie, à

propos d'une observation de Sérieux et Mignot (1). Il s'agissait de kystes

hydatiques multiples disséminés de l'écorce, ayant entraîné des accidents

aphasiques sensoriels, hallucinatoires, épileptiques et délirants. Dans la

discussion relative à la pathogénie des accidents diffus présentés par le

malade, P. Marie proposa de rattacher les troubles psychiques non pas

seulement à la localisation des lésions, mais aussi à l'action sur le cerveau

des toxines sécrétées par les kystes hydatiques. La littérature médicale des

kystes hydatiques de l'encéphale est riche d'observations confirmatives de

l'hypothèse de P. Marie. Souvent, on saisit la liaison anafomo-clinique

qui existe entre tel ou tel symptôme de localisation et la lésion en foyer

représentée par le kyste : et, presque toujours, dans ces cas, on observe

des lésions inflammatoires chroniques ou subaiguës, parakystiques, qui

traduisent la réaction locale de la méninge à l'épine irritative représentée

par le kyste. Mais il faut toujours, pour expliquer les symptômes diffus

de l'affection kystique, recourir à l'hypothèse d'une action toxique exer-

cée sur le cerveau par les produits issus des kystes. La longue pé-

riode.parfois indéfinie, de latence des symptômes, l'intermittence, la sou-

daineté, la foudroyante gravité des accidents engendrés par les kystes

- hydatiques du cerveau ne peuvent guère s'accorder avec l'action pathogé-

nique continue de la compression que ces tumeurs devaient exercer sur

le cerveau : au contraire, l'histoire clinique de ces kystes cadre fort bien

avec l'hypothèse de la pathogénie toxique des accidents : ceux-ci étant

déterminés par des phénomènes- irréguliers, intermittents, précoces ou

même indéfiniment retardés, de filtration exosmotique de toxines, va-

riables dans leurs doses et leur toxicité : on conçoit facilement la com-

plexité et la délicatesse des influences qui règlent un tel déterminisme.

Quelques considérations anatomopathotogiques peuvent être invoquées à

l'appui de la théorie toxique du syndrome diffus des tumeurs cérébrales.

Les documents sont rares, parce que l'examen histologique de l'écorce cé-

Tébrate n'a été pratiqué que très exceptionnellement sur des fragments

corticaux prélevés à distance des néoplasmes.

. Dans notre observation, en dehors des lésions constatées dans la zone

juxtanéoplasique, et sur la nature desquelles on peut discuter, à cause de

la multiplicité des facteurs pathogéniques en présence (compression, trou-

- btes vasculaires, intoxications, etc.), nous avons étudié les modifications

' '(1) Sérieux et MIGNON, Surdité corticale, avec paralysie et hallucinations de Vouïe,

due à des kysles hydatiques du cerveau. -Soc. de neurologie de Paris, 10 janvier 1901.

364 DUPRÉ ET DEVAUX

de l'écorce dans des régions soustraites à toute action directe de la tu-

meur, et nous avons observé des lésions cellulaires et péricellulaires,

très analogues à celles qui caractérisent l'histopatholoaie du cerveau toxi-

infectieux. Sans revenir sur la description de ces lésions, que nous avons

longuement exposée, nous ferons remarquer la grande analogie qu'elles

présentent avec les lésions corticales du botulisme, telles qu'elles sont dé-

crites et figurées par Ossipoff (1).

L'infiltration de l'écorce par ces corpuscules ronds, de dimensions va-

riées, de nature névroglique ou leucocytaire qui semblent jouer, vis-à-vis

des cellules nerveuses, un rôle neuronophagique sur lequel nous avons in-

sisté, se retrouve dans le processus histologique cortical de la psychose poly-

névritique quelle que soit l'origine du syndrome ; cette infiltration se cons-

tate', avec l'ensemble desaltérations cellulaires chromatolytiques, telles que

nous les avons retrouvées, à différen ts degrés d'évolution, sur l'écorce de no-

tre sujet : dans un cas de coma diabétique, nous avons constaté un ensemble

delésions corticales très analogues.Dans une thèse récente,L. Chancellay (2)

donne diverses observations cliniques et histopathologiqués assez complètes

de psychose polynévritiqne,où Trénel et Ci-été ont constaté les mêmes lésions

{chromatolyse et infiltration péricellulaire par des cellules rondes) dans

les intoxications les plus variées ; et il consacre un chapitre au syndrome

de Korsakoffdans les tumeurs cérébrales. La constatation de ce syndrome,

d'ordre essentiellement toxique, au cours des tumeurs cérébrales, a déjà

été faite par Meyer, par 111nlcemller et Kaplan (3), et Chancellay en rap-

porte lui-même une observation : l'examen microscopique de l'écorce n'a

pas été pratiqué dans le cas des derniers auteurs; mais il est intéressant,

à notre point de vue, de rapprocher les analogies cliniques des analogies

histopathologiques, dans les réactions de l'écorce cérébrale aux différentes

intoxications générales exogènes et endogènes, et à l'intoxication locale

d'origine néoplasique. Dans le cas de MM. Joffroy et Gombault, l'examen

histologique de l'écorce ne leur a montré qu'un minimum de lésions cellu-

laires et fibrillaires, avec un maximum de lésions méningitiques diffuses,

chroniques et subaiguës : les vaisseaux présentaient des altérations inflam-

matoires étendues.

En résumé, la fréquence de ces petits corpuscules dans l'écorce, lésion de

fréquence assez banale au cours de bien des encéphalopathies, a été jus-

qu'ici peu recherchée dans les régions corticales éloignées des tumeurs

(1) Ossipoff, loc. cil. Annales de l'Institut Pasteur.

(2) Léon Chancellay, Contribution à l'élude de la psychose polynévritique. Th. Paris,

1901.

, (3) Monkemoller et KAPLAN, Syndrome de Korsakoff et lésions médullaires dans un

cas de tumeur cérébrale. AUgem. Zeitsch. f. Psych., octobre 1899.

TUMEUR CÉRÉBRALE 365

cérébrales. Nous croyons qu'elle offre un indéniable intérêt, parce qu'elle

témoigne d'une réaction diffuse des couches corticales à des influences in-

flammatoires ou toxiques, d'origine néoplasique, qu'on ne peut rattacher à

une action directe ou mécanique exercée par la tumeur.

' Enfin, la nature et la diffusion des lésions névritiques, constatées dans

les tractus optiques de notre sujet, plaident en faveur d'une action toxique

lente et continue, exercée sur le pédoncule optique, par l'adultération du

milieu lymphatique et céphalo-rachidien commun à ce pédoncule et à l'en-

céphale : la fréquence et la profondeur des lésions de névrite optique cons-

tatées dans les tumeurs intra-crâniennes peuvent s'expliquer peut-être en

partie par les influences d'ordre mécanique de la compression, de l'hyper-

tension céphalo-rachidienne; mais elles peuvent aussi relever d'influen-

ces toxiques, multipliées au niveau du nerf optique par la stase lympha-

tique et veineuse, constatées par les ophtalmologistes. On connaît d'ailleurs

la vulnérabilité toute spéciale du pédoncule optique et delà rétine vis-à-

vis de certains poisons (urémie, diabète, tabac, oxyde de carbone, qui-

nine, etc.). ,

Nous croyons donc qu'à la suite déconsidérations cliniques anatomiques

et histopatholoâiques que nous avons présentées, et dont presque toutes les

observations de tumeurs cérébrales représentent, chacune à leur manière,

un intéressant commentaire, il est logique d'invoquer, à côté des autres

causes jusqu'ici admises, un facteur pathogénique d'une haute impor-

tance, capable d'expliquer beaucoup des éléments du syndrome des tu-

meurs cérébrales ; ce facteur pathogénique est l'intoxication de fence-

phale, et principalement de la substance grise et des nerfs optiques, par les

toxines issues des néoplasmes (sarcomes, kystes hydatiques, abcès, gom-

mes, etc.).

Observations

Observations de J. Louis Petit où la compression existait sans manifes-

tations cliniques (Traité des maladies chirurgicales et des opérations qui leur

conviennent, 4774.).

OBs. I. Un couvreur, tombé du haut d'un toit, est regardé comme mort

pendant 1/4 d'heure ; on le porte chez lui ; on le saigne ; il revient de l'affais-

sement universel dans lequel il était. On examine tout son corps et l'on ne

trouve ni plaie, ni contusion, ni luxation, ni fractures, excepté une bosse assez

légère sur le muscle crotaphite : on y applique une compresse trempée dans

l'eau-de-vie ; le soir on veut réitérer la saignée ; la femme s'y oppose : le lende-

main, le malade ne se sentant de rien, veut se lever et sortir ; on obtient de lui

qu'il restera dans sa chambre ce jour-là ; mais, ayant bien passé le reste de la

journée, et la nuit suivante, il va à son travail ; sur le soir il sent quelques dou-

366 DUPRÉ ET DEVAUX

leurs de tête, mais si légères qu'il ne cesse point de travailler ; au bout de huit

jours, cette douleur est entièrement dissipée, et l'homme jouit d'une bonne

santé pendant plusieurs années, au bout desquelles il meurt d'une fièvre mali-

gne. N'ayant jamais oublié les circonstances de sa blessure,je me trouvai à por-

tée d'ouvrir son cadavre ; je trouvai au même endroit du temporal sur lequel

il était tombé, les vestiges d'une fracture considérable ; les os avaient été en-

foncés par la chute et ne s'étaient pas relevés ; les parties contenues dans le

crâne s'étaient habituées à la compression qu'avait causée cette enfonçure, et

l'on distinguait un endroit où l'os temporal enfoncé, avait été brisé en plusieurs

pièces.

Obs. II. Un homme de soixante ans mourut d'une fluxion de poitrine ;

dix ans auparavant, il avait été blessé à la tête par un éclat de grenade, qui fit

une plaie, en apparence assez petite pour ne pas engager M. Saget, chirurgien

major de son régiment, à ouvrir l'endroit frappé ; le malade guérit heureuse-

ment de cette blessure, et jouit d'une fort bonne santé jusqu'à sa mort qui

arriva, comme je l'ai dit, dix ans après.

- Le même M. Saget fut présent à l'ouverture de son cadavre ; je trouvai la

partie moyenne de son pariétal droit enfoncée, et la table interne de cet os éclatée

'de manière qu'une portion de dix lignes de diamètre, tenant encore par quel-

ques points de sa circonférence, s'écartait de trois ou quatre lignes de la sur-

face interne de l'os, et pressait la dure-mère, à laquelle elle était fortement at-

tachée ; l'espace que formait l'écartement de cette pièce était rempli par une

chair cartilagineuse, qui semblait être une végétation du diploë. Si on eût fait

l'opération du trépan à cet homme peut-être eût-il vécu dix ans de moins.

- Observation de M. Joffroy et Gombault, Congrès 1900.

Méningite chronique progressive ou adhésive avec symptômes psychiques et

amaurose complète chez un sujet ayant depuis trente ans une tumeur du cer-

velet.

(Résumé)

. Le nommé X..., âgé de 36 ans, sans antécédents héréditaires,fut atteint vers

.1'âge de 8 ans d'une paraplégie complète, survenue brusquement avec perte

de connaissance et convulsions généralisées. Ces accidents disparurent petit à

petit au bout de deux ans, et il vécut jusqu'à l'âge de 36 ans jouissant d'une

.'santé parfaite, exerçant le métier fatigant de postier ambulant. A cette époque,

c'est-à-dire en 1897, il se plaint d'affaiblissement de la vue en même temps que

surviennent,par accès,des phénomènes nouveaux consistant en engourdissement

du bras gauche, parfois des deux bras,avec ou sans difficulté dans l'articulation

des mots, mais saus perte de connaissance et sans vertige bien accusé.

- En 1899, à la suite d'un traumatisme de la région occipitale suivie de perte de

connaissance, les troubles de la vue augmentent à un tel point qu'il ne peut

`sortir sans être accompagné. 5

Vers la fin de la même année de nouveaux symptômes sont observés : X...,

TUMEUR cérébrale 367

devenu très irritable, s'emporte pour des motifs futiles, et, dans ses accès de

colère, il va jusqu'à briser les meubles. En 1900 surviennent des troubles de

la marche, des hallucinations de la vue, de l'ouïe et un affaiblissement très mar-

qué de l'intelligence. La cécité est complète.

Au mois d'avril, le malade entre à Ste-Anne dans un état d'inconscience com-

plète, ayant des hallucinations terrifiantes de l'ouïe et de la vue, un langage

absolument incohérent, se plaignant de céphalalgie continue et très vive avec

recrudescences fréquentes.

La marche est possible avec un aide, le malade avance à petit pas, lentement,

ayant de la rétropulsion tous les 5 ou 6 pas.

Réflexes rotuliens légèrement exagérés à droite. Pas de phénomènes hémiplé-

giques nets, conservation de la force musculaire. -

Eschare superficielle sur la fesse droite ; gâtisme ; urines albumineuses et

mort en avril 1900.

L'examen des yeux pratiqué par M. Schramech a montré : nystagmus laté-

ral, s'accentuant dès qu'on éveille l'attention du malade. Pas de strabisme ni

de paralysie externe. Inégalité pupillaire, la pupille gauche est plus dilatée,

abolition du réflexe à la lumière. Les papilles sont entièrement décolorées sans

trace appréciable d'ancienne névrite éveillant l'idée d'une atrophie simple.

AUTOPSIE ? Epaississement et oedème de la pie-mère généralisés, ni plus

prononcés ni plus anciens au voisinage de la tumeur ; mêmes lésions sur les

méninges médullaires. Le lobe cérébelleux droit renferme une petite tumeur

adhérente à la dure-mère par une large surface. Dure et difficile à sectionner,

cette tumeur est formée par une coque épaisse d'un demi-millimètre environ,

adhérant en partie au tissu cérébelleux qui l'entoure, et renfermant des loges

remplies de liquide citrin, et une masse caséeuse très consistante et dure.

. Il n'y a aucune déformation indiquant que la tumeur exerçait une compres-

sion sur les parties voisines. Les ventricules du cerveau présentent une dilata-

tion très marquée. '

Les nerfs optiques ont subi l'atrophie grise, encore très visible au niveau

du chiasma, mais qui disparaît rapidement à la partie antérieure des bande-

lettes optiques ; aucune autre altération ni dans les viscères, ni dans les autres

parties du système nerveux.

Examen histologique. - Tumeur. Après décalcification l'enveloppe épaisse

est formée d'un tissu très dense se colorant fortement par l'éosine. Entre les

faisceaux fibreux, on distingue des cellules allongées dont les noyaux ne pren-

nent pas l'hématoxyline,èt quelques placards fortement teintés en bleu, contenant

des grains ou des corpuscules concentriques incomplètement décalcifiés. En

dehors de l'enveloppe fibreuse,existe une zone épaisse fortement colorée par l'hé-

matoxyline, renfermant de nombreux grains et corpuscules à corps concentri-

ques et quelques plaques de tissus osseux. En dedans de ces diverses couches, la

masse de la tumeur est formée par deux espèces de placards : les uns sont cons-

titués par des travées contenant de nombreux vaisseaux,délimitant des alvéoles,

renfermant de grosses cellules rondes ou un réseau de fibrilles délicates. Sur

les autres placards, la substance a l'aspect de matière caséeuse. Enfin, on trouve

des formations rappelant les cellules géantes.

368 DUPRÉ ET DEVAUX

- Pie-mère. - Épaissie sur toutes les circonvolutions, elle est constituée par

trois couches ; l'une, mince et dense, renferme des fibres à direction parallèle

à la surface, une autre moyenne est composée de fines fibrilles denses, enfin la

dernière, plus épaisse, contient un feutrage serré de fines fibrilles, infiltré de

nombreuses cellules rondes. Les vaisseaux de calibre sont peu altérés et con-

tiennent quelques éléments polynucléaires, les petits vaisseaux, au contraire,

ont leur paroi épaissie et sont entourés par un manchon de cellules rondes.

Circonvolutions.- Dans les couches superficielles de l'écorce grise, le réseau

de libres fines est abondant, les fibres tangentielles sont peut-être raréfiées.

Les cellules nerveuses des diverses couches sont normales comme nombre,

comme volume et comme forme, seulement, leurs prolongements sont peu

abondants, le noyau est normal, l'amas pigmentaire peu considérable, les grains

chromatiques sont rares, même dans les grandes cellules géantes.

La congestion très marquée dans la substance grise atteint son maximum

dans les couches ,de cellules moyennes. Dans les couches superficielles les

vaisseaux sont peut-être moins abondants, mais leur paroi est épaisse, leur

cavité rétrécie et il existe autour d'eux un manchon leucocytique épais. Légère

sclérose névroglique.

Observation de M. Touche, Société anatomique, 1899.

[Résumé).

Tumeur cérébrale :

Le malade, âgé de 45 ans, présente un état de torpeur cérébrale très accusé ;

continuellement somnolent, il répond à peine aux questions. La parole est lente

mais il n'y a pas de trouble du langage : pas de surdité verbale, pas de parapha-

sie, pas de dysarthrie. La face a une expression stnpide; de temps en temps

surviennent des crises d'émotivité avec une expression navrée et larmoyante.

Pas de ptosis, ni de strabisme, ni de myosis. Par instants, on note de petites

contractions dans les muscles de la face, prédominant du côté gauche. Du côté

droit, hémiplégie avec contracture et exagération des réflexes. Du côté gauche

exagération des réflexes mais sans impotence fonctionnelle. Dans les membres

supérieurs, en relevant brusquement la paume de la main on provoque une

série de petites secousses successives absolument analogues au clonus du pied.

Pas de vomissement ni de céphalée. Mort dans le coma avec forte élévation de

température.

Autopsie. Cerveau. - La dure-mère est adhérente au niveau du lobe pa-

riétal droit sur une circonférence de 4 centimètres de diamètre environ. Cette

adhérence était due à la présence d'une tumeur grosse comme une mandarine,

encastrée dans l'épaisseur du lobe pariétal. ·

La loge de cette tumeur est constituée par les circonvolutions du lobe tem-

poral qui, refoulées et aplaties, tapissent, sous forme de petites lamelles, imbri-

quées, mais encore parfaitement isolables, le pourtour de la loge.

1 Les circonvolutions ont subi les modifications suivantes : la frontale ascen-

dante,intacte dans sa partie inférieure, est.dans sa moitié supérieure,comprimée

d'avant en arrière et de dehors en dedans, prenant en ces points une disposition

TUMEUR CÉRÉBRALE 369

lamelleuse. La face profonde de la portion lamelleuse de la frontale ascendante

est tapissée par une seconde lamelle, beaucoup plus petite, qui se continue in-

férieurement avec un vestige de la pariétale ascendante, correspondant au tiers

inférieur de cette circonvolution ; cette lamelle qui double la frontale ascen-

dante, mais qui peut en être isolée, est évidemment un reste de la partie supé-

rieure de la pariétale ascendante. La première circonvolution pariétale est

comprimée de dehors en dedans. La portion qui correspond à la face interne

de l'hémisphère est aussi lisse et aplatie que celle qui forme le fond de la loge ;

la partie postérieure du lobule paracentral est également comprimée, quoique

à un moindre degré. On trouve, à ce niveau, de l'aplatissement des circonvolu-

tions qui n'existe pas au niveau de la face interne du lobe frontal. La circonvo-

lution du corps calleux est, au niveau de la tumeur, réduite à une mince la-

melle. De même, la 2e circonvolution pariétale et le pli courbe sont réduits à

l'état de minces lames, tassées au fond de la loge. Le lobe temporal et le lobe

occipital ne sont pas directement comprimés par la tumeur, qui, ainsi qu'on le

voit, est bien nettement limitée au lobe pariétal.

La tumeur, des dimensions et de la forme d'une mandarine, présente un apla-

tissement de sa partie externe, correspondant à l'adhérence de la dure-mère. A

l'état frais, elle présente une coloration rouge foncé sur sa face externe. A la

face interne, il existait, en outre, un semis de taches jaunâtres irrégulières. Sur

cette partie ainsi tachetée, on voyait un lacis vasculaire très riche, ressemblant

beaucoup à celui de la pie-mère. De consistance générale ferme dans sa partie

interne, elle donne une sensation plus élastique, sur une coupe transversale de

néoplasme, on voit que les deux tiers externes sont constitués par une subs-

tance spongieuse rougeâtre; que sur le tiers externe il existe de petits foyers

hémorrhagiques anciens et récents dus à la rupture des vaisseaux.

L'adhérence de la dure-mère à la tumeur est très intime. Cependant en aucun

point il n'y a confusion des deux tissus. Il nous semble que l'adhérence à la

dure-mère est secondaire et que cette membrane n'est pas le point de départ de

la tumeur. D'autre part, il est bien évident que la tumeur est indépendante du

tissu cérébral. C'est dans la pie-mère, croyons-nous, qu'il faudrait rechercher le

point de départ de la néoformation.

Au point de vue histologique, la tumeur, d'après l'examen de M. Lefas,appar-

tient aux sarcomes fuso-cellulaires. Elle renferme un grand nombre de vais-

seaux et de capillaires sanguins pleins de globules rouges. Dans certains de

ces vaisseaux, il existe une prolifération endothéliale très nette ; ce qui frappe

également c'est la présence de faisceaux de cellules fusiformes à protoplasma

peu abondant, à noyau volumineux, disposées concentriquement autour des

vaisseaux, possédant une paroi propre et paraissant infiltrer l'adventice de ces

derniers ; on voit également de ces faisceaux formant des nappes irrégulières,

dans lesquelles sont disposés des capillaires nombreux et dilatés.

Ce sarcome a subi un certain degré de dégénérescence. En effet, en certains

points, les noyaux cellulaires ne se colorent plus et les faisceaux n'apparaissent

plus que d'uue façon très vague. La tunique interne et moyenne des vaisseaux,

épaissie, paraît macérée en beaucoup de points. La tumeur est donc en voie de

370, DUPRÉ ET DEVAUX

nécrose caséeuse ; on ne distingue pas de gouttelettes graisseuses, la recherche'

de la dégénérescence hyaline par le procédé de Kûhne est négative; la solution,

iodo-iodurée teint en acajou les faisceaux cellulaires du sarcome mais nullement

les parois vasculaires (1). -

CONCLUSIONS

I. - Les malades porteurs de tumeurs cérébrales, présentent à côté

de la dépression et de la diminution intellectuelles un état mental par-

ticulier, qui constitue leur notepsychopathique dominante : c'est un état

de torpeur \d 'engourdissement psychique, d' obnubilation intellectuelle auquel,

peut s'ajouter du puérilisme mental. ,

1 II. - Les endothéliomes des méninges peuvent subir, outre la dégé-

nérescence calcaire, un autre processus dégénératif, consistant, en l'infil-

tration des cellules par une matière prenant fortement l'éosine et abou-

tissant à la rétraction de la cellule : c'est la dégénérescence hyaline. Elle-

n'est pas particulière aux endothéliomes des méninges, mais se retrouve

dans les granulations dePacchioni et dans les fausses membranes ménin-

gées, ayant toujours comme siège de prédilection les zones péri et pava-

vasculaires.

III. - Les lésions des cellules corticales sont les suivantes : dans les

circonvolutions directement comprimées, atrophie cellulaire ; dans les cir-

convolutions indirectement comprimées, gonflement cellulaire avec chro-

11lotalyse périphérique et excentricité du noyau.

IV. -Dans la pathogénie des tumeurs cérébrales, à côté de la com-

pression de l'encéphale qui joue un rôle peut-être non négligeable, il faut

faire une place à l'action des produits toxiques sécrétés par la néororll¿ati01

sur les éléments nerveux. Militent en faveur de cette hypothèse certains

arguments laistopatlcologi j2ces (altérations des cellules corticales et des nerfs

optiques comparables aux lésions toxi-inrectieuses),anato11liques (large com-

munication sanguine et lymphatique du néoplasme et de l'encéphale

permettant l'imprégnation du tissu cérébral par les toxines issues du foyer

pathologique ; extrême sensibilité aux toxines de l'écorce grise), cliniques

(analogie des tableaux cliniques des encéphalopathies toxiques, de l'urémie,

du diabète, du saturnisme et de l'encéphalopathie néoplasique).

L'intoxication de l'encéphale doit donc prendre place parmi les facteurs

pathogéniques (compression, irritation, phénomènes vasculaires) invoqués

pour expliquer les symptômes des tumeurs cérébrales.

(1) Il nous semble, d'après la description histologique, qu'il s'agit d'un endothéliome

des méninges ayant subi la dégénérescence hyaline telle que la décrit Robertson.

Quant aux lésions des cellules corticales, nous n'avons pu encore pratiquer l'examen

des pièces que M. Touche a bien voulu mettre à notre disposition. '

REMARQUES COMPLÉMENTAIRES

SUR LES : NAINS DANS L'AIIT

PAR

HENRY MEIGE.

Dans une étude qui remonte à 1896, intitulée Les Nains et les Bossus

dans l'art (1), j'ai eu l'occasion de rappeler les nombreuses figurations

de nains dans les oeuvres d'art, parmi lesquelles les plus importantes ont

été signalées et interprétées par Charcot et Paul Bicher (Voy. Les mala-

des et les difformes dans l'art, p. 12 et s.).

Tout en reconnaissant le peu de solidité d'un diagnostic rétrospectif r

fait ex picturasur des personnages généralement revêtus d'habits fantai-

sistes, j'ai essayé à mon tour de montrer, à propos d'un certain nombre

de documents figurés inédits, qu'il était parfois possible de reconnaître'

Quelle variété de nanisme le' peintre ou le sculpteur avaient eue sous les

yeux. Les caractères morphologiques du rachitisme et du myxoedème sont t

assez saisissants pour qu'on puisse les diagnostiquer chez les nains, même

en images.

, Il en est de même de l'achondroplasie. '.

Les récentes études de M. Pierre Marie, l'intéressant article cleVLCest,n

publié dans ce fascicule, ont permis de rattacher à l'achondroplasie cer-

taines figurations de nains, conformément à l'opinion déjà émise par

Parrot, en particulier pour les statuettes des dieux égyptiens Bes et

Phtah.

. Il est fort probable que c'est encore de l'achondroplasie que relève le

nanisme de plusieurs des nains de la Cour d'Espagne, illustrés parle

pinceau de Velasquez (le nain El Primo, le nain Sébastien de 7o;Ta). Il

en est peut-être de même pour beaucoup d'autres dont le costume dissi-

mule les anomalies corporelles, mais dont les membres supérieurs sont'

.d'une brièveté que l'achondroplasie arrive seule à réaliser.

L'exagération des saillies musculaires et osseuses donne aux achondro-

plasiques, malgré leur petite taille, un aspect de robustesse-que l'on re-

(1) V. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1896, Ko 3, mai-juin. 4

372 HENRY MEIGE

trouve encore chez les nains du type herculéen (les pygmées antiques, cer-

tains nains de Julio Romano, de P. Véronèse, etc.).

La PI. XLVII reproduit la partie centrale d'une gravure hollandaise du

début du XVIIe siècle. Elle est probablement de la main de Cornelius

Galle, le Vieux, représentant le plus ancien d'une famille de graveurs

qui s'installa à Anvers vers 1599. Cornelius Gall avait fait un assez long

séjour en Italie et gravé plusieurs tableaux de maîtres. La gravure en ques-

tion représente le sacre de Cosme de Médicis. Elle porte en légende :

Finito sacro, illustrissimes Dux D. Cosinus Medices Magni Ducis co-

rona insignitus magna pompa ad pallatium red2ccit7tr, clangentibus variais

musices artis instrmnentis ueenon tympanis et tubarlt1/t clangoribus.

Devant le Grand Duc marchent deux nains en habits de gala.

Le premier, barbu, est il demi caché par un soldat. Le second, au

premier plan, 'apparaît dans toute la splendeur de sa difformité. Il est

trapu, les jambes fortes, arquées ; mais surtout on remarque l'exiguïté de

ses bras. Peut-être fut-il achondroplasique (1).

(1) J'ai eu l'occasion de voir quelques nouveaux documents artistiques relatifs aux

nains parmi lesquels je signalerai principalement :

Au musée de Vienne, une peinture de l'ECOLE Hollandaise (XVI6 siècle) (N 4097)

intitulée Ein Leiermarzn, représente un affreux vieillard qui chante en s'accompagnant

d'un instrument.Près de lui, un avorton joue du triangle ; son facies lunaire et bouffi

a toutes les apparences du myxoedème.

Même musée (N 123) dans une Architecture de H. V. DE Vaccs (Holl. 1527-1604),

un nain, à grosse tête, est accoudé sur une vasque.

Ibid. (N° 818) Un nain du type herculéen, peut-être un achondroplasique, figure

près d'une colonne avec un singe sur l'épaule dans les Noces d'Ahasverus d'après Ru-

bens.

A Brescia, Palais Martinengo, deux petits tableaux de Fausto Boccnr, représentent

des nains à grosses têtes, jambes et bras minuscules, mis en déroute par des poussins

et des écrevisses ; parmi eux, un nain cul-de-jatte.

A Mantoue, où l'on voit encore les minuscules appartements réservés aux nains

dans le palais ducal, la célèbre naine de Barbe de Brandebourg, peinte par Mantegna

sur les murs de la caméra dei sposi, est un vrai type de myxoedémateuse.

A Vérone, dans l'Eglise Sancta-Anastasia, un bénitier en marbre et supporté par un

nain bossu, est attribué au père de P. Véronèse.

A Vicenze, museo civico, le portrait d'une charmante naine élégamment vêtue qui

tient des fruits dans son tablier, avec cette légende : cum essem parvula placui altis-

simo.

A l'Académie de Venise, deux tableaux de J. CALLOT, Le Pont Neuf à Paris, et la

Foire de 1'lnp ? ,uizette, fourmillent de nains et d'estropiés (Nos 136 et 139).

A Turin, Pinacothèque, deux tableaux de P. Véronèse (N°s 575 et 572), Moïse sauvé

des eaux, et la Reine de Saba avec des nains, le dernier avec un nez enfoncé (défor-

mation en lorgnette des syphilitiques).

Le Gérant : BOUCHEZ.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE,

Ir. XIV, T. XLVII.

UN NAIN ACHONDROPLASIQUE

Sur un fragment d'une gravure hollandaise du début du XVII" siècle,

représentant le Sacre de Cosme de Médicis.

Masson ET C", Éditeurs

14e Année NI 5. Septembre-Octobre

HOSPICE DE BICÈTRE

LABORATOIRE DE M. PIERRE MARIE

SUR L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE ?

y,

DE '' S »'

L'HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE

PAR

SWITALSKI

(de Lemberg).

C'est à M. Pierre Marie, que revient l'honneur d'avoir trouvé dans les

cas de Fraser, Nonne, Menzel, Klippel et Durante, publiés sous différents

noms, les traits communs et de les avoir distingués comme appartenant au

même groupe nosographique.

M. Marie a appelé cette affection hérédo-ataxie cérébelleuse, pour la dis-

tinguer de l'hérédo-ataxie de Friedreich (maladie de Friedreich) avec

laquelle la maladie décrite par M. P. Marie présente beaucoup de traits

communs.

Bientôt après la leçon de M : P. Marie sur ce sujet publiée dans la Se-

maine médicale en 1892, différents auteurs français et étrangers ont rap-

porté les observations de nouveaux cas d'hérédo-ataxie cérébelleuse grâce

auxquels le tableau clinique de cette maladie a été complété.

L'anatomie pathologique de cette affection est beaucoup moins connue

que le syndrome clinique. Jusqu'à ces derniers temps, les cas de Menzel,

Fraser et Nonne étaient les seuls sur lesquels se basaient nos notions ana-

tomo-pathologiques.

Le cas de Menzel qui présente des différences considérables à l'égard

des lésions avec ceux de Fraser et Nonne a été considéré par M. Paul

Londe comme n'appartenant pas à t'hérédo-ataxie cérébelleuse, mais

comme un cas intermédiaire entre celle-ci et la maladie de Friedreich.

Le premier cas avec autopsie où le diagnostic d'hérédo-ataxie cérébel-

leuse fut fait avant la mort du malade est le cas de M. Miura.

xiv 20

374 SWITALSKI

Jusqu'à présent, il n'a pas été publié d'autres autopsies en dehors de

celles qui viennent d'être citées.

Dans le service de M. Pierre Marie j'ai eu l'occasion d'examiner deux

cas d'hérédo-ataxie cérébelleuse el dans un de ces cas de pratiquer l'exa-

men du système nerveux. L'observation clinique du malade dont j'ai exa-

miné le système nerveux a été déjà le sujet de plusieurs publications.

Nous la trouvons dans un mémoire de Klippel etDurante, dans la thèse de

1\'1. P .Londeetdanscelle delLVincelet. C'est une observation pour ainsi dire

fondamentale, car c'est une de celles sur lesquelless'appuyaitM. P. Marie

en donnant la description de Phérédo-ataxie cérébelleuse. Je me permets

encore une fois de la reproduire après les auteurs indiqués.

Observation.

Haudeb... François, 41 ans, maçon.

Antécédents héréditaires. Père, éthylique. Mère bien portante jusqu'à

37 ans. A cette époque, crises gastriques, douleurs irradiées dans les membres

inférieurs, térébrantes ; puis titubation, secousses nystagmiformes, signe de

Romberg.

Aia fin, probablement, contractures ; forte flexion des doigts dans la paume.

Morte à 50 ans, 13 ans après le début. Mort précédée d'oedème des membres

inférieurs. Une tante maternelle a été atteinte de la même maladie.

5 enfants : 3 atteints, deux fils et une fille, un autre fils a le caractère em-

porté (25 ans), une autre fille de 37 ans, a des maux d'estomac, de la migraine ;

elle est mère de 2 enfants bien portants.

Antécédents personnels. - Pas de syphilis. Dysenterie en 1870. Pneumonie

en 1872. D'ailleurs excellente sauté.

Histoire de la maladie. Début en 1883, à l'âge de 33 ans, insidieusement

par troubles de la motilité : buttait à chaque instant, se sentait moins solide sur

ses jambes. Puis il titube comme un homme ivre. La parole devient sourde et

hésitante, scandée. Affaiblissement général. Puis,douleurs vagues, engourdisse-

ments des extrémités, éblouissements subits et passagers. Séjour à la Salpê-

trière en 1888, où on élimine successivement ataxie, sclérose en plaques,

maladie de Friedreich ; entré à Laënnec fin 1888, il avait 38 ans.

Examen (novembre 1888). Facies immobile, étonné, démarche titubante,

difficulté pour se mettre en marche; impossibilité de s'arrêter brusquement.

Pendant la progression, les membres inférieurs, surtout il gauche, décri-

vent un demi-cercle en dehors. Signe de Romberg. Réflexes très faibles, parti-

culièrement à gauche, mais non abolis. Soubresauts des tendons, crampes

musculaires, secousses fibrillaires, sens musculaire intact. Pas d'anesthésie

tactile, mais retard de la perception des sensations. Sensation d'endolorisse-

ment le long de la colonne vertébrale, surtout dans la région lombaire ; douleur

constrictive abdominale, mais peu intense.

Odorat intact, légères aberrations du goût. Acuité auditive diminuée. La

HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 375

pupille réagit bien à la lumière et à l'accommodation. Secousses nystagmifor-

mes. Pas d'amblyopie, ni diplopie, ni achromatopsie. Véritable ataxie verbale.

Troubles trophiques des ongles des orteils; ils sont friables et s'en vont par

fragments. Rien du côté des viscères. Intelligence intacte. Mémoire parfaite.

Février 1892. Aggravation progressive.

En marchant cambre les reins. Il semble que les objets dansent devant lui.

Chutes fréquentes par manque d'équilibre et éblouissement.

Réflexe plantaire affaibli à droite, nul à gauche. Oscillations latérales des

doigts ; oscillations légères des membres supérieurs ; écriture difficile, fatigue

à la suite du moindre effort, secousses fibrillaires à l'éminence thénar, à la

face externe des cuisses. Rien d'anormal à l'examen électrique. Sensibilité au

contact très diminuée aux membres inférieurs et abolie au-dessous du genou,

sensibilité à la piqûre conservée partout.

Sensibilité au froid abolie aux membres inférieurs à partir du genou. Cram-

pes. Pupille réagit très mal à l'accommodation et pas du tout à la lumière,

aucune altération du fond de l'oeil. Secousses fibrillaires à la langue. Pas

d'atrophie musculaire.

Examen de llT. P. Londe, 894. - Les réflexes rotuliens sont maintenant

absolument abolis. Les réactions pupillaires, tant à l'accommodation qu'à la

lumière, sont diminuées, mais non abolies.

Scoliose dorsale légère à grande courbe convexe à gauche.

Aujourd'hui, la démarche serait titubante si le malade pouvait marcher seul.

Mais quoique la force musculaire soit conservée, il traîne la pointe des pieds

sur le sol comme un paraplégique avec paralysie des extenseurs en particulier.

Dynamomètre : 56 à droite, 45 à gauche. Il dit que sa force a diminué ; il

aurait fait le tour du cadran avec le dynamomètre.

Dans l'exploration de la force du triceps crural, on trouve qu'il cède difficile-

ment dans l'extension à gauche, pas à droite.

Pas de troubles de la sensibilité.

Ouïe et goût intacts. -

Relèvement du gros orteil.

Réflexion : François H... est un exemple d'hérédo-ataxie devenant du fait

même de l'évolution de la maladie une maladie de Friedreich.

Note prise par 11. P. Marie, le 31 mai 1897. François H... a une fille de

18 ans, née 11 jours avant terme, mais ne présentant pas la même maladie.

L'aspect du malade est un peu spécial, qui tient surtout à un degré marqué

de fixité des yeux quand il regarde devant lui et à une absence complète de

clignements, mais en revanche assez fréquemment il y a des élévations spas-

modiques du sourcil droit. Les axes oculaires ne sont pas,à proprement parler,

asymétriques, cependant le regard est un peu vague.

Quelques petits mouvements fibrillaires dans la paupière inférieure gauche,

la commissure labiale gauche est un peu tirée en haut. La parole, d'une façon

générale est à peu près normale, quelquefois cependant la prononciation est un

peu « bafouillée », comme le dit le malade, mais il peut à peu près dire tous

les mots ; jamais cette parole n'est scandée ni spasmodique, ni empâtée comme

376 SWITALSKI

on le voit dans la sclérose en plaques ou dans la maladie de Friedreich. Le

malade dit n'avoir jamais perdu la mémoire et en réalité il répond bien aux

questions qu'on lui pose. Il a bon caractère. Il s'attriste un peu de son état ;

il dit que sans sa fille il se serait tué.

Note prise par il]. Villcelet, le 28 février 1900. -Le malade entre à l'in-

firmerie de Bicêtre pour un paraphimosis. Il est atteint en même temps d'une

dyspnée que l'examen ne peut expliquer. L'auscultation ne permet de recon-

naître aucune lésion soit dans les poumons, soit au coeur. Le malade, dans

un état d'affaiblissement extrême, est très amaigri ; il existe aux extrémités des

membres une atrophie que nous exposons plus bas. Le malade ne répond

qu'avec une grande difficulté aux questions qui lui sont posées.

Facies. - Il est le même que celui décrit dans l'observation de Klippel et

Durante, c'est toujours le même facies amaigri, interrogatif, étonné, les yeux

grands ouverts semblant présenter il première vue du strabisme, mais ce n'est

là qu'une apparence, car il n'y a pas de strabisme.

Appareil oculaire. L'acuité visuelle est conservée, mais le signe d'Ar-

gill-Robertson n'existe plus. Pas de nystagmus.

Secousses fibrillaires. - Les secousses fibrillaires signalées dans les précé-

dentes observations n'existent plus.

Sensibilité normale. Ouïe et goût intacts. Déglutition normale. Relèvement du

gros orteil. Tous les réflexes sans exception sont abolis.

Parole. La gêne de la phonation paraît surtout provenir de la dyspnée :

la parole est sourde, un peu scandée, mais très nettement compréhensible, le

malade n'omet aucune syllabe.

A partir du leur mars,elle devient extrêmement basse et seulement compréhen-

sible pour les personnes qui le soignent. La langue est très mince.

Pied. - On n'avait encore rien signalé pour le pied. Actuellement, il y a un

léger degré de pied-bot varus.

Atrophie. - Il existe enfin une modification dont il n'a pas été fait mention

dans les examens antérieurs, c'est une atrophie musculaire des extrémités.

Malheureusement il est impossible d'avoir des renseignements au sujet du dé-

but, le malade prétendant que ses mains ont toujours été dans le même état, ce

qui n'est pas admissible. Les lésions existent des deux côtés, mais sont plus

accentuées à droite. Les muscles de l'éminence thénar sont atrophiés ; la la

place du court abducteur du pouce existe une dépression. L'éminence thénar

est complètement aplatie. L'opposition du pouce est impossible, le premier

métacarpien est attiré en dehors et en arrière.

Les muscles interosseux sont atrophiés ; il y a une excavation très pronon-

cée des gouttières inter-métacarpienues.

Il y a de l'atrophie moins marquée dans la région antéro-externe des jambes.

2 mars. - Mort du malade à li. 1/2 du soir.

Autopsie

Cerveau : la dure-mère ne présente rien d'auormal. Le cerveau est d'une di-

HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 377

mension normale, les circonvolutions en sont bien développées. Sur les coupes

de Flechsig on ne voit pas de lésions.

Le cervelet est petit, sans lésions macroscopiques; ses méninges sont épais-

sies.

Les pédoncules, la protubérance et le bulbe sont petits et correspondent

comme grandeur il ceux d'un enfant. '

Moelle : la dure-mère rachidienne ne présente rien d'anormal, la pie-mère

est épaissie surtout sur la face postérieure de la moelle. La moelle elle-même

a 45 centimètres de longueur. Les dimensions sont considérablement dimi-

nuées dans tous les sens, mais c'est surtout son aplatissement qui est le plus

marqué.

Les mensurations de la moelle donnent le résultat suivant :

378 SWITALSKI

rieurs. Dans les cordons antéro-latéraux on voit une sclérose du faisceau céré-

belleux direct et du faisceau de Gowers. La sclérose est plus marquée dans le

faisceau de Flechsig que dans celui de Gowers.

Région dorsale moyenne. La zone de sclérose du cordon postérieur est plus

petite, mais la disparition des fibres y est plus prononcée. La lésion du faisceau

cérébelleux direct et du faisceau de Gowers est pareille celles que nous avons

signalées plus haut. De ces deux derniers systèmes de fibres, c'est le premier

qui est le plus atteint ; par endroits ces fibres ont disparu complètement (Fig. 1).

Région dorsale supérieure et cervicale inférieure. Dans les cordons pos-

térieurs,les faisceaux de Goll sont le siège d'une sclérose. Dans les parties pos-

térieures des cordons antéro-latéraux à la périphérie de la moelle il existe une

bande mince de sclérose très nette laquelle conflue en avant avec la sclérose du

faisceau cérébelleux direct. Le faisceau de Gowers est toujours le siège d'une

sclérose comme le reste du faisceau antéro-Iatéral jusque dans le voisinage du

faisceau de Turck (Fig. 2).

Dans les régions cervicales supérieures la zone de sclérose occupe dans les

cordons postérieurs seulement les 2/3 de la partie postérieure des cordons de

Goll, elle est large à la périphérie de la moelle et devient de plus en plus mince

vers le centre. Cette zone de sclérose a la forme d'un cône. Les faisceaux céré-

belleux directs, ceux de Gowers, présentent toujours une dégénérescence ainsi

que tout le reste du cordon antéro-Iatéral, comme nous l'avons signalé plus haut.

La sclérose des faisceaux indiqués n'est pas complète, toutes les fibres n'y sont

pas dégénérées ; il en existe au contraire encore beaucoup de saines. Le tissu

conjonctif dans les faisceaux sclérosés est épais. La sclérose la plus prononcée

est celle du faisceau cérébelleux où, par place, les fibres ont disparu complète-

ment.

Substance grise de la moelle. Elle aussi est altérée profondément.

Ce qui frappe déjà à l'oeil nu sur les préparations c'est que les cornes anté-

rieures ont subi une modification de leur forme, surtout dans tous les seg-

ments de la région dorsale. Tandis que dans une moelle normale, le diamètre

antéro-postérieur de la corne antérieure est plus grand que le diamètre trans-

versal, ici c'est le contraire. La forme la moins altérée des cornes antérieures

est encore celle des régions sacrée et lombaire de la moelle.

Au microscope on constate dans toute la substance grise une diminution

énorme du nombre des cellules nerveuses.

Les cellules qui existent encore sont tantôt normales tantôt atrophiées. Les

cellules atrophiées sont petites, elles se colorent très intensivement au carmin,

Fig. 1.

Fig. 2.

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière.

T. Xl V, Pl. XL Vil !

si

1

c

u

F

E

HERÉDO-ATAXIE CEREBELLEUSE

('6'Wt'M.

LEGENDE DE LA PLANCHE XLVIII

Hérédo-Ataxie CÉRÉBELLEUSE

(Swilalski)

A. Coupe du bulbe au-dessus de l'entre-

croisement du faisceau pyramidal. Le

noyau du faisceau de Goll et le faisceau

cérébelleux direct sont dégénérés.

13. Coupe du bulbe. Les fibres du pédon-

cule cérébelleux inférieur sont en par-

tie dégénérées. Le tissu sous-épendy-

maire du quatrième ventricule est

épaissi.

C. D. Coupe de la protubérance. Les fibres

du pédoncule cérébelleux moyen sont

réduites en nombre.

E. Coupe du nerf optique gauche qui ne

présente rien d'anormal.

F. Coupe du nerf optique droit. Les fas-

cicules des fibres nerveuses sont plus

minces que ceux du nerf gauche; ils

ont perdu leur forme polygonale, ils

sont plus arrondis, le tissu conjonctif

est proliféré.

ICONOOII. Dli LA. SALPÊ'l'IIIÈIIE,

HÉRÉDO-ATAX ! E CÉRÉBELLEUSE 379

le noyau n'en est pas visible. Les colonnes de Clarke sont profondément lé-

sées. Elles ne se détachent presque pas du reste de la corne postérieure. Les

fibres y ont en grande partie disparu ainsi que les cellules.

Dans beaucoup de préparations on ne trouve pas de cellules du tout, sur d'au-

tres leur nombre est diminué (3, 5, 8). Toutes sont petites.

Le canal central est large et double dans les régions inférieures de la moelle,

ses parois sont revêtues de plusieurs couches des cellules rondes. Dans ses par-

ties supérieures il est obturé.

Les vaisseaux delà moelle dans toutes les régions sont altérés. Leurs pa-

rois sont épaissies et leurs gaines péri-vasculaires sont très larges.

Bulbe : les dimensions du bulbe sont très réduites au-dessus de l'entrecroise-

ment des faisceaux pyramidaux. Diamètre sagittal : 7 mm. 1/2; frontal : 10

millimètres. A la hauteur du plus grand développement des olives, diamètre

frontal : 15 ; sagittal : 12 millimètres.

Au microscope, on constate sur les coupes du bulbe une dégénérescence des

fibres dans les noyaux des cordons de Goll. Le nombre des cellules est dimi-

nué ; on trouve seulement par ci par là une cellule. *

La sclérose du faisceau cérébelleux direct se laisse poursuivre dans le

bulbe jusqu'à la hauteur où sortent les racines du pneumogastrique et de la

Xlle paire des nerfs crâniens. A partir de cette hauteur on constate seulement

que le corps restiforme est un peu moins coloré que les autres endroits de la

coupe, mais on n'y voit pas de dégénérescence. Le reste du bulbe ne présente

pas de lésions. Les noyaux olivaires sont petits, comme du reste tout le bulbe,

mais leur structure est intacte, tant au point de vue des cellules que des fibres

(PI. XLVIII, A et B).

Dans la protubérance les fibres du pédoncule cérébelleux moyen sont en

grande partie disparues. Cette disparition des fibres est surtout prononcée

dans les couches superficielles et moyennes de la protubérance. Cette alté-

ration se poursuit jusque dans l'endroit où se forment les pédoncules cérébraux

(PI. XLVIII, C et D). ,

Les cellules de la substance grise de la protubérance paraissent être en nom-

bre normal et intactes. Le ruban de Reil est petit, mais ses fibres sont bien

colorées. Les pédoncules cérébelleux supérieurs sont sains dans toute leur

étendue. Dans les pédoncules cérébraux on ne constate pas de lésion.

Sous l'épendyme du plancher du Il ventricule et de l'aqueduc on trouve une

couche épaisse formée par les fibres névrogliques. Dans le lumen de l'aqueduc

on trouve beaucoup de cellules blanches accolées à ses parois.

Cervelet plus petit qu'un cervelet normal. Déjà à l'oeil nu on aperçoit sur

les coupes qu'il y a beaucoup moins de circonvolutions qu'à l'état normal. Les

proportions entre le nombre des circonvolutions d'un cervelet normal et ce-

lui de Ilaud... montrent les chiffres suivants :

380 SWITALSKI

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE la Salpêtrière.

T. I ? PI. XLIX

G

H

HEREDO-ATAXIE CEREBELLEUSE

')M/;7 ? .

H Cervelet normal , coupe faite a la même hauteur que dans la figure G.

G Cervelet de Handeb. Le nombre des circonvolutions est diminué ; les

sillons sont plus larges et plus profonds. On voit une zone non

colorée entre les couches granuleuse et moléculaire. Les méninges

sont épaissies ; la substance blanche est plus mince.

11ÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 381

leur forme polygonale, ils sont plus arrondis ; le tissu conjonctif est proli-

féré (PI. XLVIIf, E et F).

Des nerfs périphériques ont été examinés. Les deux sciatiques, le nerf crural

droit.les deux nerfs radiaux, le nerf médian droit, le cubital gauche. Sur les pré-

parations au Weigert on constate que le nombre des fibres de gros calibre est

extrêmement diminué et que les fibres fines prédominent en nombre. On

trouve aussi beaucoup de fibres dans lesquelles la myéline ne se colore pas à

l'hématoxyline tandis que la coloration du cylindraxe au carmin est parfaite.

Plusieurs racines antérieures et postérieures ont été examinées sans qu'on

ait marqué leur hauteur. On constate ici aussi la prédominance des fibres fines.

En résumé, notre examen montre les lésions suivantes :

Dans la moelle, dégénérescence des fibres dans les cordons de Goll, dans

les faisceaux cérébelleux directs, dans les faisceaux de Gowers. Atrophie

de la substance grise de la moelle avec disparition des cellules.

Dans le bulbe, une dégénérescence du faisceau cérébelleux direct et du

faisceau de Goll.

Dans la protubérance, une atrophie considérable des fibres du pédon-

cule cérébelleux direct, prolifération du tissu conjonctif sous-épendy-

maire du IVe ventricule et de l'aqueduc de Sylvius.

Dans le cervelet, diminution du nombre des circonvolutions, les sillons

sont très larges. Dans l'écorce, existence d'une zone non colorée entre la

couche granuleuse et la couche moléculaire. Réduction de volume de la

substance blanche.

Atrophie du nerf optique droit.

Dans les nerfs périphériques et dans les racines, disparition des fibres

à grand calibre et augmentation considérable des fibres minces.

Hypoplasie et altérations de la structure des vaisseaux sanguins.

Comparons d'abord le résultat de notre examen anatomique avec ceux

de Fraser, Nonne, Menzel et Miura, qui sont, comme nous l'avons -déjà dit,

les seuls jusqu'à présent.

Dans le cas de Nonne, le cerveau était diminué de volume et son poids

était 1020 grammes.

Le cervelet était aussi plus petit que normalement. L'hémisphère droit

avait 8 centimètres de largeur, 3 cent. de longueur, et 4 cent. de hauteur.

Le plus grand diamèlre du vermis d'avant en arrière était de 3 centi-

mètres et 3 cent. 4 de bas en haut. Les mêmes dimensions sur un cerve-

let normal sont respeclivement 11,5 12,5 5,25 7,25, 6 4

- - , - 3 - IL

382 SWITALSKI

Le cervelet avait une configuration normale et, comme l'auteur le dit,

c'était « un cervelet en miniature ».

La moelle et le bulbe étaient petits.

Région cervicale 15 -- 9 millimètres. Région dorsale 11 - 8 millimè-

très. Région lombaire 11 - 8, 5 millimètres.

Au microscope on ne constatait pas de lésions dans la moelle. Dans les

racines antérieures le nombre des fibres fines prédominait. Dans les raci-

nes postérieures et dans plusieurs nerfs périphériques cette lésion était t

moins prononcée. '

Dans le cas de Menzel l'examen a révélé que la moelle, le bulbe, la pro-

tubérance et le cervelet étaient petits. Les dimensions de la moelle dans la

région lombaire étaient de 87 65 millimètres dorsale, inférieure 77

- 6 millimètres, région du renflement cervical 12,2, région cervicale

supérieure 10 - 77 millimètres.

Au microscope on constatait une dégénérescence des fibres des cordons

postérieurs des faisceaux pyramidaux croisés et des faisceaux cérébelleux

directs. Les cellules des cornes antérieures de la moelle étaient atrophiées,

celles des colonnes de Clarke se trouvaient en état de dégénérescence grais-

seuse. Dans le bulbe existait une atrophie des noyaux des cordons de

Goll, de Burdach et des noyaux des cordons latéraux, atrophie du faisceau

cérébelleux, des nerfs hypoglosse et des noyaux moteurs du trijumeau.

La protubérance à la hauteur où sortent les racines des nerfs trijumeaux

était très étroite. Cette diminution de largeur portait surtout sur la portion

centrale. Il y avait réduction des pédoncules cérébelleux moyens et ab-

sence presque totale des ganglions protubérantiels.

Le cervelet était atrophié, ses lames étroites et mollasses. Les cellules

du noyau dentelé étaient en partie ratatinées. La couche de substance

blanche entourant le corps dentelé était pauvre en fibres. La couche gra-

nuleuse de l'écorce étaitétroite etpauvre en corps granuleux, la couche mo-

léculaire étroite, le nombre des cellules de Purkinje considérablement

diminué. On trouvait des endroits où il n'y avait plus de cellules. Les cel-

lules persistantes étaient sans lésions. Les parties supérieures du cervelet

étaientplus atrophiées que les inférieures. Les lésions du vermis beaucoup

moins prononcées que celles des lobes.

Fraser dans son cas relève des lésions dont nous empruntons la descrip-

tion à la thèse de M. P. Londe :

Rien de particulier dans la moelle. Le cervelet très petit n'offre que la

moitié du poids normal : 87 grammes au lieu de ho environ. Sur la coupe

tandis que la substance blanche ne semble pas réduite, la substance grise au

contraire est manifestement diminuée d'épaisseur. Lacunes profondes dans

HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 383

les sillons représentant de petits kystes de la pie-mère. Ils sont peu nom-

breux et probablement peu importants.

Les cellules de Purkinje sont diminuées en nombre ; elles s'étendent

moins en profondeur. Elles ont perdu leur forme pyramidale et le réseau

épais qui les entoure habituellement manque ici ou est contourné. On ne

peut plus orienter la coupe d'après leur direction. Pas de noyau visible.

En somme, atrophie et diminution de nombre des cellules de Purkinje.

L'examen de la protubérance et du bulbe n'est pas mentionné.

Miura dans son cas remarque que le cerveau était plus petit. Le cervelet

petit et aplati, ses méninges épaissies. Poids du cervelet 80 grammes. Le

bulbe, la protubérance et le pédoncule étaient petits.

La longueur de la moelle 35,5 centimètres, l'épaisseur dans la région

cervicale (IVe racine) 12 - 7 m/m

dorsale (VIe « ) 8 5 m/m

lombaire (IIe « ) 8,5 5 m/m

sacrée (Ire « ) 5,5 - 4,5 m/m

La structure de la moelle était normale. Dans les racines le nombre des

fibres fines était plus grand que celui des larges.

Dans le bulbe pas de lésions. Dans la protubérance disparition d'un

grand nombre de fibres du pédoncule cérébelleux moyen.

Dans le cervelet les sillons entre les circonvolutions étaient plus larges.

La structure du cervelet n'était pas altérée.

Si nous comparons les résultats d'examen microscopique obtenus par les

auteurs et celui obtenu dans notre cas, on verra qu'à beaucoup de points

de vue les lésions sont semblables, mais pourtant il existe des différences.

En ce qui concerne la moelle, elle est remarquablement petite dans tous

les cas comme l'indiquent les chiffres cités plus haut. Dans les cas de Fraser,

Nonne el Miura on ne constate pas de sclérose dans la moelle tandis que

Menzel et nous, nous trouvons des lésions de la substance blanche et grise.

Dans les deux cas les lésions ont beaucoup de ressemblance, quoique dans

le nôtre les lésions de la substance blanche occupent plus les parties anté-

rieures de la moelle que dans le cas de Menzel et que dans ce dernier le

faisceau pyramidal croisé soit atteint.

Au point de vue de l'intensité de la sclérose, les deux cas sont conformes.

Ni dans le cas de Menzel ni dans le noire la sclérose des faisceaux indiqués

n'est complète puisqu'on Irouve dans les endroits sclérosés un nombre

considérable de fibres bien conservées. Nous trouvons dans les deux cas

des lésions de la substance grise.

Les lésions du bulbe dans le cas de Menzel et dans le nôtre se ressem-

blent aussi.

384 SWITALSKI

Chez Haut nous trouvons des lésions des faisceaux cérébelleux di-

rects, des noyaux des faisceaux de Goll ; dans le cas de Menzel, en outre de

ces lésions, on constatait des altérations desnoyaux de sfaisceaux de Burdach,

des cordons latéraux, celle des noyaux des nerfs glossopharyngiens et de la

partie motrice du trijumeau, enfin une lésion des olives. Les lésions qui

ont été trouvées dans tous les cas examinés sont l'atrophie des fibres du

pédoncule cérébelleux moyen et l'atrophie (agénésie) du cervelet.

Dans le cervelet examiné par Fraser il manque le réseau épais qui en-

toure les cellules de Purkinje ; cette altération parait correspondre à celle

que nous constatons chez Haud....

Dans tous les cas où les racines et les nerfs périphériques ont été exa-

minés, la lésion trouvée est la même, à savoir disparition des grosses fi-

bres.

Si nous nous demandons à présent comment expliquer les différences

qui existent entre les résultats obtenus dans les 5 cas, la première pensée

est celle qu'il s'agissait de maladies différentes. Nous croyons cependant

pouvoir démontrerqu'elles ne l'étaient pas.

Nousne voulons pas insister ici sur la symptomatologie des cas de Fraser,

Nonne, puisque cet examen critique a été fait dans la leçon de M. Pierre

Marie et dans la remarquable thèse de M. Londe. Le résultat de l'examen

du système nerveux de ces deux cas, excepté des petites différences, est

le même, comme nous l'avons vu. De ces deux cas se rapproche celui de

Miura : pas de sclérose de la moelle, atrophie du cervelet et atrophie du

pédoncule cérébelleux moyen.

En présence de ces deux cas qui ont tous les traits communs au point de

vue clinique et au point de vue anatomique il est difficile d'interpréter le

cas de Menzel. Le syndrome clinique correspondait à celui de l'hérédo-

ataxie cérébelleuse, excepté les troubles du côté de la vision qui n'existaient

pas dans ce dernier cas, mais le résultat obtenu par l'examen du système

nerveux est différent. C'est pourquoi P. Londe considère le cas de Menzel

comme étant un cas intermédiaire entre la maladie de Friedreich et l'hé-

rédo-ataxie cérébelleuse.

Cette manière de voir ne nous parait pas juste et au contraire nous con-

sidérons ce cas comme conforme à ceux des auteurs précités et au nôtre

en nous appuyant pour cela sur le résultat de notre autopsie. Justement

le tableau anatomique de notre cas se rapproche de celui deMenzet,etnotre

malade était pourtant un de ceux dont ¡'observation a servi pour établir

le nouveau type clinique comme les cas de Fraser et Nonne. Il est vrai

que, dans les derniers temps, le tableau clinique que présentait Haud...

pouvait créer certaines difficultés pour faire le diagnostic d'hérédo-ataxie

HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 385

cérébelleuse, mais les symptômes qu'il présentait, il y a quelques années,

étaient très caractéristiques. Notre diagnostic devient encore plus cer-

tain si nous examinons son frère qui se trouve actuellement à Bicétre et

que j'ai eu l'honneur de présenter à la Société de Neurologie de Paris.

Nous ne voulons pas ici citer son observation il ! extenso (nous ren-

voyons les lecteurs au mémoire de MM. Klippel et Durante et à la thèse de

M. Londe), mais nous signalerons seulement en quelques mots les symp-

tômes qu'il présente.

Louis Haud... est nn homme de 39 ans. La maladie actuelle a débuté à l'âge

de 26 ans par des troubles de la marche. Actuellement sa marche est très difficile,

ataxique (possible seulement avec des béquilles). La réaction des pupilles est

parfaite, pas de nystagmus. Les papilles des nerfs optiques sont pâles. La

parole est explosive, considérablement altérée. Les réflexes tendineux et cuta-

nés conservés, plutôt exagérés. Troubles de la sensibilité.

Chez ce malade le diagnostic d'hérédo-ataxie cérébelleuse est certain, et

la soeur de Haud... Mme H. H. (observation loc. citât.), malade depuis

l'âge de 35 ans, présentait le tableau classique de l'hérédo-ataxie cérébel-

leuse.

Il nous parait difficile d'admettre qu'étant donnés deux frères et une

soeur atteints d'une maladie essentiellement héréditaire, familiale, ne

s'agisse pas dans les trois cas de la même affection, surtout avec des

symptômes aussi semblables. Nous pensons alors que le diagnostic d'hé-

rédo-ataxie cérébelleuse chez notre malade Haud... François est bien jus-

tifié, et pourtant nous trouvons dans la moelle, dans le bulbe et la protu-

bérance, des lésions plus profondes que dans les mêmes cas de Nonne,

Fraser et Miura.

Quelle peut être la cause de ces différences dans les lésions anatomi-

ques d'une même maladie. Nous pensons pouvoir l'expliquer par la pa-

thogénie de l'hérédo-ataxie cérébelleuse, qui, d'après noire manière de

voir, serait la suivante :

L'individu atteint d'hérédo-ataxie vient au monde avec un système ner-

veux et un système vasculaire débiles. La débilité du système nerveux ne

l'intéresse pas tout entier mais porte seulement sur le cervelet et ses

voies. Jusqu'à un certain âge il n'existe pas de troubles du côté du système

nerveux, du moins pas de troubles appréciables, caries vaisseaux, quoique

débiles, suffisent encore à la nutrition. Au moment où les faisceaux déjà

débiles deviennent plus rigides par suite de l'alge ou d'une cause quelcon-

que, ils ne peuvent plus suffisamment nourrir le système nerveux.

Les parties résistantes ne réagissent pas sous l'influence de cette diminu-

386 SWITALSKI

tion de nutrition, mais naturellement les parties débiles commencent à réa-

gir. Dès le début les troubles sont peu significatifs, des vertiges,étourdisse-

ments, etc., premiers indices des troubles cérébelleux. Plus Lard, le système

nerveux commence à se ressentir de la diminution de la nutrition et s'atro-

phie. L'atrophie se manifeste au commencement par une diminution de

volume des fibres, ce qui produit un rapetissement du volume de la moelle,

du bulbe, etc. Dans ce stade de lésions les fonctions du système ner-

veux sont déjà altérées et nous avons le tableau classique delà maladie. Si

à ce moment survient la mort nous trouvons le système nerveux atrophié

comme il l'est dans les cas de Fraser, Nonne. Si la survie dure plus long-

temps, ou peut-être si dans certains cas les lésions du système vasculaire

sont plus profondes, ou la prédisposition du système nerveux plus grande,

le processus d'atrophie va plus loin et se manifestera par une dégénéres-

cence des fibres nerveuses. La dégénérescence se produira en premier lieu

dans tout lesystème cérébelleux, qui, comme nous l'avons admis, esta priori

débile, mais elle peut atteindre aussi d'autres parties du système nerveux

par suite des lésions des vaisseaux,comme les voies motrices (cas de Menzel)

et certains nerfs crâniens.

C'est là une théorie, dira-t-on. - Mais ce qui l'autorise, c'est que nous

trouvons des lésions chroniques de vaisseaux. Cette lésion seule ne pouvait

pas produire une atrophie d'une certaine partie du système nerveux. La

partie atteinte doit avoir une certaine prédisposition, une certaine fai-

blesse. Cette prédisposition est produite probablement par un arrêt de

développement dans les derniers mois de la vie foetale ou dans les pre-

miers temps après la naissance. Menzel, qui a comparé les préparations

du cervelet de son cas d'hérédo-ataxie cérébelleuse avec celui d'un foetus, a

pu constater que les parties les plus respectées étaient celles qui se déve-

loppent le plus tôt, et qui s'enveloppent le plus tôt de myéline.

Par suite des lésions de vaisseaux, comme nous l'avons dit, se produit

au commencement une atrophie, ensuite une dégénérescence dans les

parties moins résistantes du système nerveux. Ce processus pathologique

peut aussi se produire dans les parties non prédisposées, mais qui sont

moins bien nourries, et qui finissent par présenter des lésions.

De cette façon les lésions du système nerveux dans l'hérédo-ataxie céré-

belleuse auront toujours les mêmes signes communs, tels que l'atrophie

de la moelle, du bulbe, du cervelet, etc., etc., mais elles peuvent avoir

aussi des différences, lesquelles seront dépendantes de la durée de la

maladie, de l'intensité des lésions vasculaires et d'un, plus ou moins

grand arrêt de développement du système nerveux (1).

(1) Je ne puis mieux terminer qu'en exprimant à mon maître, M. Pierre Marie,mes

UÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 387

BIBLIOGRAPHIE.

Pierre Marie, Sur l'hénédo-ataxie cérébelleuse, Semaine médicale, 1893.

KLIPPEL ET DubANiE, Contribution à l'élude des affections nerveuses familiales et héré-

ditaires, Revue de Médecine, octobre 1892.

Menzel, Arch. sur Psych. und Nervenh., 1891.

Nonne, Arch. sur Psych. und Nervenh., 1891. 1.

Londe, Hérédo-ataxie cérébelleuse, Th. Paris, 1895.

Fraser

f¡UI1A, Mittheilungen aus der Universilât zu Tokio, 1898.

meilleurs remerciements pour la bienveillance qu'il a eu la bonté de me témoigner

pendant tout le temps que j'ai travaillé dans son laboratoire.

LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE.

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES.

RECHERCHES SUR LA STRUCTURE ANATOMIQUE

DU SYSTÈME NERVEUX CHEZ UN ANENCÉPHALE

EN RAPPORT AVEC LE MÉCANISME FONCTIONNEL,

PAR

N. VASCI31DE et Claude VURPAS

Chef des travaux Interne

à l'Ecole des Hautes-Etudes. des Asiles de la Seine.

I

Dans deux travaux précédents (1), nous avons analysé et étudié la vie

biologique d'un anencéphale. Aujourd'hui nous décrirons et étudierons la

structure anatomique intime de son névraxe. Disons d'abord que dans notre

travail nous ne voulons pas entamer de discussion, notre but étant tout

autre. Nous désirons apporter des fails et quelques conclusions qui décou-

lent naturellement des conditions expérimentales fournies par l'observa-

tion de ce cas. Nous laisserons de côté toute construction hypothétique,

ainsi que les inévitables rappels des nombreuses polémiques et discus-

sions scientifiques dont la plupart sont encore à l'ordre du jour, malgré

ou plutôt peut-être depuis l'emploi des méthodes de coloration qui ont

facilité l'étude scientifique et l'examen minutieux du tissu nerveux. Pour

toute la partie historique nous renvoyons le lecteur aux magistrales études

de M. Jules Soury (2). On trouvera dans plusieurs chapitres la mise au

point de toutes les questions que notre observation peut soulever.

D'ailleurs une étude critique des nombreuses théories qui se rappor-

(1) Vasciiide et VunpAs, Contribution à l'étude psycho-physiologique des actes vitaux

en l'absence totale du cerveau chez un enfant. Comptes rendus des séances de l'Aca-

démie des sciences de Paris, 11 mars 1901.- VASCFIIDE et VURI'AS, La vie biologique d'un

anencéphale. Revue générale des sciences, n' 8, 30 avril 1901, p. 313-381, avec S figu-

res. - VASCnIDE et Vurpas, De la constitution histologique de la rétine en l'absence

congénitale du cerveau. Comptes rendus, 29 juillet 1901.

(2) Jules SOURY, Le système nerveux central. Structure et fonction. Histoire criti-

que des théories et doctrines. Paris, Georges Carré et Naud, 1899, 2 vol., 1863 pp. ;

voir particulièrement, t. II, p. 1120 et 1139 et passim.- Voir aussi A. Van GEIIUCIITEN,

Anatomie du système nerveux de l'homme, 3° édit., 2 vol. 527; 579 ; t. II, passim.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÉrRIÈRr.. T. XIV. PI. L

A

A'

C

SYSTEME NERVEUX D'UN ANENCEPHALE

(Vaschide et Vurpas)

A, A', Sujet anencéphale (face et profil)

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XIV, PI. LI

D

E

F

G

SYSTEME NERVEUX D'UN ANENCEPHALE

(Vaschide et Vurpas)

1), Coupe de la région cervicale. E, Coupe de la légion dorsale.

P, Coupe de la région lombaire - G. Coupe d'un ganglion rachidien (lombaire).

Masson & Ctr, Editeurs

l'h"tnllplI' 111,¡h.tU. ! "<Ir...

DU SYSTÈME NERVEUX CUEZ UN ANE11CÉPIlALE 383

tent à notre sujet ne serait pas compatible avec une bonne méthodologie

scientifique ; car elle soulèverait de nombreux problèmes dans tout le

champ de l'anatomie et de la physiologie du névraxe.

II

Les méthodes employées pour l'examen histologique ont été les suivantes :

coloration au picro-carmin, à l'hématoxyline de Deiafietd; méthodes électives

de Nissl, de Weigert-Pal, de Marchi, la double coloration de Weigert avec le

picro-carmin.

Cellules nerveuses. - Les cellules nerveuses ont été colorées par la méthode

de Nissl et le picro-carmin.

Les différentes coupes qui ont servi à l'examen portent au niveau des ré-

gions suivantes. La première intéresse les tubercules quadrijumeaux. On y

voit des cellules à contours flous, mal délimités, indécis. Elles prennent diver-

sement la couleur. Certaines sont très faiblement colorées, à peine estompées;

d'autres sont teintées assez vivement, mais toujours la coloration est uniforme.

Le noyau se détache mal sur le fond de la cellule. Sa position n'est parfois

indiquée que par la situation du nucléole qui prend bien la couleur. Lorsque

la cellule se teint vivement, on ne distingue parfois même plus le nucléole

dans le corps cellulaire, qui alors présente une teinte absolument uniforme sur

toute sa surface. On voit ainsi que le noyau est tantôt central, tantôt tout à

fait périphérique. Certaines cellules offrent un aspect nettement vacuolaire.

Leur forme est variable. Elles sont tantôt plus ou moins régulièrement ar-

rondies, tantôt échancrées plus ou moins profondément sur un ou plusieurs

de leurs bords, recroquevillées sur elles-mêmes, et considérablement réduites.

Le plus souvent les cellules ne présentent aucun prolongement, lorsque l'on en

voit dans quelques rares cellules disséminées, ils dépassent très rarement le

nombre de deux ou trois. Ces cellules sont réunies sous forme de deux noyaux

symétriques ; il semble qu'il s'agisse ici des cellules motrices.

La seconde coupe porte au niveau de la région moyenne du bulbe (Pl. L, B, C).

Les cellules, à part quelques rares exceptions, ne présentent ni noyau, ni

nucléole, elles sont recroquevillées sur elles-mêmes, considérablement atro-

phiées. Le corps de la cellule semble avoir complètement disparu. Deux ou trois

minces lames de substance uniformément colorée venant se souder en un point

légèrement renflé, tel est l'aspect présenté par les cellules nerveuses. Dans

quelques-unes on remarque les vestiges d'anciennes vacuoles qui ont comme

rongé le corps cellulaire. Leur aspect général rappelle celui des cellules ob-

servées dans la paralysie infantile aiguë arrivée à la période de cicatrisation

définitive.

La troisième coupe intéresse la région cervicale (PI. LI, D). Quoique très

dégénérées les cellules ne présentent pas ici de lésions aussi avancées que

dans les descriptions précédentes. Elles sont très nettement atrophiées, leur

coloration est à peu près diffuse et uniforme. Certaines néanmoins présentent t

xiv 27

390 VASCUIDE ET VURPAS

quelques fines granulations à leur intérieur. Le noyau est plus ou moins teinté,

le plus souvent il a la même teinte que le corps cellulaire au point de n'en pas

pouvoir être distingué. Seul le nucléole est plus vivement coloré. Le corps

cellulaire est nettement diminué de volume. Les contours en sont mal délimi-

tés. Certaines cellules présentent des bords crénelés et échancrés, d'autres des

vacuoles à leur intérieur. Les prolongements sont moins nombreux qu'à l'état

normal, ils ont partiellement tout à fait disparu.

Les troisième et quatrième coupes portent au niveau de la région dorsale et

de la région lombaire. Les lésions sont peu près les mêmes en ces deux

points de la moelle, aussi n'en donnerons-nous qu'une seule description. Les

cellules sont considérablement atrophiées, le noyau ne se distingue pas du

reste du corps cellulaire (Pl. LI, E, F). Certaines cellules présentent des bords

très échancrés et ont un nombre de prolongements très réduit. Quelques-unes

revêtent un aspect régulièrement arrondi et globuleux sans aucun prolonge-

ment. D'autres présentent à leur intérieur des vacuoles plus ou moins abon-

dantes qui parfois occupent la plus grande partie de la cellule. Dans ces con-

ditions le protoplasma. est réduit à un minime volume et rejeté en un point

périphérique du corps cellulaire. Certaines cellules prennent à peine la cou-

leur, d'autres sont vivement colorées, mais la coloration est toujours uni-

forme. Le nucléole qui le plus souvent indique seul la position du noyau

montre que ce dernier est très fréquemment périphérique.

La méthode au picro-carmin a surtout montré une absence de coloration des

éléments nerveux qui se détachaient très mal sur le reste de la préparation. Le

noyau ne pouvait pas être distingué. Fréquemment rien ne révélait l'existence

du nucléole. Beaucoup de détails observés par la méthode de Nissl n'étaient

pas décelables sur des préparations colorées au picro-carmin.

Racines et 1w'fs. - Les racines ont été examinées à leur émergence de la

moelle par les méthodes de Weigert-Pal et de la double coloration de la mé-

thode de Weigert avec le picro-carmin. Les résultats sont les suivants : Les

racines antérieures semblent diminuées de volume. Les coupes transversales

et longitudinales ne montrent pas de lésions appréciables des fibres nerveuses.

Le processus inflammatoire qui touche la moelle s'étend aux racines dont les

éléments sont séparés par place par des corps embryonnaires ; les vaisseaux

sont très dilatés et gorgés de sang. Quelques fibres semblent avoir disparu,

celles qui restent, en nombre assez grand, ne présentent pas d'altérations pa-

thologiques manifestes.

III

Tel est l'état du neurone moteur périphérique et de la partie extra-

médullaire du neurone sensitif. Regardons maintenant ce que deviennent

la partie intra-médullaire du neurone sensitif et des neurones centraux

DU SYSTÈME NERVEUX CHEZ UN ANENCÉPHALE H91

moteurs et sensitif. Cette dernière étude se confond avec la description

du manteau blanc du névraxe.

Nous le suivrons depuis la partie supérieure du système nerveux, qui

correspond aux tubercules quadrijumeaux, jusqu'à la partie inférieure de

la moelle.

Les méthodes employées pour l'examen histologique ont été le picrocarmin,

la méthode élective de Weigert-Pal, de Marchi et la double coloration de Wei-

gert et du picro-carmin. Nous avons étudié dans chaque préparation, les fais-

ceaux sensitifs et moteurs. D'une façon générale les premiers nous ont paru

assez bien conservés, alors que nous constations une disparition complète des

seconds (nous voulons parler ici des voies longues et non des fibres courtes

d'association).

La première coupe porte au niveau de la région prolubéranlielle supérieure.

Nous remarquons le faisceau sensitif bien conservé situé latéralement. Des fi-

bres partent de la partie latérale et viennent s'entrecroiser au niveau de la partie

médiane (Fig. 1). Nous ne constatons l'existence d'aucun faisceau qui rappelle

Fig. 1. - Region bulbo-protubérantielle.

A. Faisceau sensitif.

B. Entrecroisement des fibres nerveuses.

Fig. 2. - Région moyenne du bulbe.

A. Faisceau sensitif. Racine descendante en V.

B. Entrecroisement des fibres sensitives.

C. Ruban de Reil.

D. Noyau moteur.

E. Fibres motrices émergentes.

392 Vaschide et VURPAS

en rien le faisceau moteur ; nous n'en voyons aucun vestige. La place qu'il

occupe ordinairement a disparu.

La seconde coupe intéresse la parlie moyenne de la région bulbo-prolubé-

rantielle (Fig. 2). Nous remarquons le ruban de Reil médian à la partie supé-

rieure duquel des fibres fines et grêles semblent s'entrecroiser. Ce faisceau est

traversé de haut en bas et de dedans en dehors sa partie externe par des

fibres plus grosses qui correspondent aux fibres d'émergence de l'oculomoteur

externe ou de l'extrémité supérieure de l'hypoglosse, dont lesnoyaux paraissent

sous le plancher ventriculaire et rapprochés de la ligne médiane.

Sur le côté supéro-externe nous voyons une zone oblongue dont les fibres

sont bien colorées par la méthode de Weigert. Cette masse n'est très proba-

blernent autre que la racine descendante du trijumeau.

Comme au niveau de la coupe précédente rien ici n'indique la place du fais-

ceau pyramidal. Aucune zone amyélinique, aucune sclérose n'indiquent la po-

sition qu'il occupe normalement. Il n'existe pas.

La troisième coupe porte à la partie inférieure de l'entrecroisement sensitif.

Ici les faisceaux de Goll et de Burdach sont relativement bien conservés. Nous

disons relativement, car il y a bien quelques fibres dégénérées surtout à la partie

postéro-interne. Mais le plus grand nombre de fibres est conservé et le faisceau

peut être considéré comme relativement sain et permettant la transmission des

impressions ou incitations nerveuses. Puis on voit les fibres se diriger d'abord

en dedans puis en dehors, décrivant ainsi un chemin sinueux pour venir s'en-

trecroiser à la partie antérieure immédiatement en arrière du sillon anté-

rieur (Fig. 3). ,

Une zone de fibres fines forme la bordure antérieure et antéro-interne de

cette région bulbaire. Elle constitue le ruban de Reil médian. Ici les fibres

sensitives forment (la bordure antérieure de la région bulbaire. Ce qui semble

Fig. 3. - Région inférieure du bulbe.

A. Faisceau sensitif.

B. Fibres sensitives s'entrecroisant à la région médiane.

F. Faisceau de Burdach.

G. Faisceau de Goll.

O. Canal de l'épendyme.

DU SYSTÈME NERVEUX CIIEZ UN ANENCÉPHALE 393

donner raison à cette manière de voir, c'est d'abord la constatation directe qui

permet de suivre dans leur trajet les libres depuis la partie externe du faisceau

de Burdach et de Goll jusqu'à leur entrecroisement très manifeste immédia-

tement en arrière du sillon antérieur, et de les voir se jeter dans cette zone qui

forme la bordure antérieure etantéro-interne du bulbe et s'y continuer avec les

fibres situées à ce niveau. C'est d'autre part cette constatation que le canal

de l'épendyme est situé immédiatement en arrière de l'entrecroisement an-

térieur des libres sensitives. Ici, l'épendyme qui occupe ordinairement le

centre de la région est situé à la partie antérieure à très peu de distance du

sillon antérieur.

Les pyramides qui à l'oeil nu ne sont pas visibles et qui microscopiquement

sont à peine ébauchées sont donc formées uniquement par des fibres sensitives.

De faisceau moteur il n'en est pas question, ce dernier semble avoir été ex-

tirpé ou plutôt cette région s'être formée et achevée en son absence complète.

La quatrième coupe a été pratiquée au niveau de la région cervicale (I'iâ.4).

Ce qui frappe ici c'est la disproportion entre les substances grises et blan-

ches. La première semble avoir acquis un développement insolite en compa-

raison de la seconde ou plutôt la substance blanche semble réduite en certains

endroits à des dimensions remarquablement petites. Les cordons postérieurs

et les cordons antérieurs peuvent être considérés comme à peu près normale-

ment développés, mais les cordons latéraux sont réduits à une mince bande-

lette qui diminue de volume à mesure que l'on se rapproche des cornes pos-

térieures.

Si nous reprenons chacun de ces cordons en particulier, voici ce que nous

Fig. 4. - Région cervicale.

D. Racine postérieure.

E. Entrecroisement moteur.

F. Faisceau de Burdach.

G. Faisceau de Goll.

N. Faisceau fondamental antérieur.

O. Canal de l'épendyme.

P. Fibres courtes d'association motrices et sensitives.

S. Arborisalions cylindraxiles des fibres des racines antérieures.

V. Racine antérieure.

394 VASCHIDE ET VURPAS

observons : Les cordons postérieurs ont un volume inégal en raison d'une hé-

morrhagie voisine qui semble avoir provoqué une légère diminution d'un côté.

Néanmoins le développement semble à peu près normal. On note l'absence et

la dégénérescence d'un certain nombre de fibres à la partie postérieure, sur-

tout postéro-interne. Sur une certaine étendue des cordons de Goll et de Bur-

dach la dégénérescence s'étend davantage au niveau du cordon de Goll.

Le faisceau antérieur qui correspond au faisceau fondamental antérieur sem-

ble à peu près normalement développé.

Quant au faisceau latéral à part une mince bande qui présente à son inté-

rieur bon nombre de fibres dégénérées et où l'absence de fibres est à peu près

totale dans le tiers postérieur, le reste semble avoir également disparu. Rien

ne marque la place du faisceau de Gowers et du faisceau pyramidal.

Immédiatement en arrière du sillon antérieur on observe un entrecroisement

très manifeste de fibres qui passent d'une corne antérieure à l'autre.

L'émergence des racines antérieures et postérieures est normale.

La cinquième coupe intéresse la région dorsale. A ce niveau les cordons

postérieurs semblent normalement développés. On remarque quelques rares

fibres non myélinisées répandues çà et là, surtout à la partie postérieure et

postéro-interne. Les cordons antérieurs sont à peu près normalement dévelop-

pés, les cordons latéraux sont plus développés et mieux conservés qu'au

niveau de la région cervicale. La bandelette qui les constitue va en diminuant

d'épaisseur, d'avant en arrière (Fig. 5).

Elle s'amincit et présente une myélinisation d'autant moindre qu'on se rap-

proche davantage de la corne postérieure.

Ici encore on voit que non seulement le faisceau pyramidal n'est pas myéli-

nisé mais encore que d'une façon très nette et très évidente il n'existe pas.

Fig. 5. - Région dorsale.

E. Entrecroisement moteur.

F. Faisceau de Burdach.

G. Faisceau de Goll.

M. Faisceau fondamental antérieur.

0. Canal de l'épendyme.

P. Fibres courtes d'association sensitives et motrices.

DU SYSTÈME NERVEUX CHEZ UN ANENCÉPHALE 395

La sixième coupe porte au niveau de la région lombaire. Ici les cordons

postérieurs sont de volume égal et normalement développés ; à la partie pos-

téro-externe surtout en arrière du point d'émergence des racines postérieu-

res on remarque que beaucoup de fibres n'ont pas de myéline (Fig. 6).

Le cordon antérieur semble normalement développé; cependant un certain

nombre de fibres ne sont pas myélinisées à ce niveau.

Le cordon latéral est réduit à une courte bandelette qui présente bon nombre

de fibres non myélinisées. Cet aspect est d'autant plus accusé que l'on est plus

près de la corne postérieure.

Comme au niveau de la coupe précédente les faisceaux moteurs semblent

avoir totalement disparu ou plutôt ne pas exister.

En arrière du sillon antérieur, on observe un entrecroisement de fibres qui

vont d'une corne antérieure à l'autre.

Dans leur court trajet intramédullaire ainsi que dans leurs arborisations

médullaires dans les cornes, les racines antérieures et postérieures semblent

tout à fait normales.

IV

Dans la description que nous avons donnée du bulbe rachidien, nous

n'avons parlé que des faisceaux sensitifs et moteurs pour ne pas scinder

l'étude que nous en faisons dans tout leur trajet. Il nous faut maintenant

remonter le névraxe, revenir à la région bulbaire pour signaler certains

détails de morphologie d'une haute importance anatomiqne et physio-

logique.

Certaines parties propres au bulbe normalement font ici complètement dé-

Fig. 6. - Région lombaire.

E. Entrecroisement moteur.

F. Faisceau de Burdach.

G. Faisceau de Goll.

M. Faisceau fondamental antérieur.

O. Canal de l'épendyme.

P. Fibres courtes d'association sensitives et motrices.

S. Arborisations cylindraxiles des fibres des racines antérieures.

396 VASCHIDE ET VURPAS

faut. Nous voulons parler des formations qui constituent l'olive inférieure,

les noyaux accessoires de l'olive ou parolives, les corps restiformes et les

fibres arciformes. Nous avons déjà signalé dans l'examen macroscopique l'ab-

sence de pont ou de protubérance constituée par les fibres arciformes, de sorte

que si le lieu topographique de la protubérance existe, la formation qui lui a

valu son nom fait complètement défaut.

L'absence des corps restiformes est naturelle en raison de l'absence du cer-

velet. Cette constatation n'a pas de portée physiologique puisqu'il est bien

connu que les corps restiformes se continuent par les pédoncules cérébelleux

inférieurs pour se porter au cervelet. Il n'en est plus de même de l'olive infé-

rieure, ni des noyaux accessoires de l'olive ou parolive. L'absence complète de

ces formations semble prouver l'étroite relation de ces parties bulbaires avec

le cerveau ou le cervelet. Car elles n'ont pas été détruites après coup par des

hémorrhagies, qui d'abord n'auraient pas amené leur disparition complète et

symétrique et ensuite en auraient laissé au moins la place et la situation, sinon

quelques vestiges à peu près certains ; ce qui n'a pas eu lieu. Ces formations

n'ont donc pas existé. Comme d'autre part les parties propres à la moelle et en

dehors de la dépendance des centres supérieurs étaient à peu près intactes,

ainsi les fibres courtes d'association, nous sommes conduits à supposer

que, dans notre cas, si ces parties propres au bulbe n'existent pas c'est que

leur formation et leur développement sont sous la dépendance du cerveau ou

du cervelet. Les rapprochements que l'on peut établir avec les connaissances

anatomiques et physiologiques actuelles parlent en faveur d'une corrélation

étroite de ces parties, principalement avec le cervelet.

V

Les préparations qui intéressent la partie supérieure du système nerveux

montrent qu'à ce niveau les formations ventriculaires et épendymaires s'éta-

lent largement sur la face dorsale puisqu'arrivées au niveau de la région supéro-

latérale, ces formations semblent se diriger en haut et sont interrompues, dé-

chirées semble-t-il ; n'est-ce pas là un vestige de la continuation de ces par-

ties, avec les formations supérieures (hémisphères surtout représentés par la

tumeur vasculaire dont il a été question dans un précédent travail) ? (1). Dans

ces conditions la substance nerveuse aurait été détruite par une néoformation

vasculaire intense et aurait engendré consécutivement une tumeur vasculaire

dans l'intérieur de laquelle une poche contenait un liquide citrin, peut-être

ancien résidu inflammatoire, c'est là une question que nous ne faisons qu'in-

diquer, et effleurer, nous proposant d'y revenir dans un travail ultérieur avec

examen de la tumeur vasculaire lorsque nous étudierons le mécanisme et la

cause de semblables malformations et monstruosités. Qu'il nous suffise de rap-

peler qu'en certaines régions supérieures du névraxe de cet anencéphale les

formations ventriculaires et épeudymaires sont dilatées et agrandies et que

(1) VASCIIIOE et C. VUAPAS, op. cil.

DU SYSTÈME NERVEUX CUEZ UN ANENCÉPHALE 397

l'épendyme semble interrompu de chaque côté, comme s'il se continuait avec

le tissu adjacent qui est la tumeur vasculaire, dont nous venons de parler, for-

mation qui aurait succédé à une inflammation trop vive des masses nerveuses

encéphaliques.

VI

Nous n'en aurions pas fini avec l'examen de la moelle si nous ne donnions

maintenant une description de ganglions rachidiens qui peuvent être considé-

rés comme une portion extériorisée de la moelle. L'examen a porté sur des

ganglions cervicaux, dorsaux et lombaires droits et gauches ; ils ont tous pré-

senté un aspect à peu près analogue. Donner une description de l'un d'eux sera

donc les décrire tous. Les méthodes employées pour la coloration ont été le

picro-carmin, les méthodes électives de Nissl,de Weigert-Pal,la double colora-

tion de Weigert avec le picro-carmin (Voy. Pl. Ll. Fig. 6).

D'une façon générale les ganglions ne présentent aucune atrophie, analogue

à ce que l'on observe par exemple pour la moelle. Ils sont gros et normalement

développés. Les cellules qui les composent ont un volume normal, elles pren-

nent bien la couleur, et ne présentent pas de pigment à leur intérieur. Néan-

moins elles semblent présenter des troubles à des degrés divers. Chez certaines

le noyau prend la couleur, et la cellule est teintée d'une façon diffuse. Cer-

taines, rares, il est vrai, présentent des contours flous et indécis ; les granula-

tions sont réduites à une fine poussière qui infiltre le corps cellulaire et le

noyau. Ce dernier se détache alors mal sur le fond cellulaire uniformément co-

loré. Certaines cellules même prennent mal la couleur. En un mot ce que l'on

constate ce sont des phénomènes de chromatolyse généralisés et touchant à des

degrés divers la plupart des cellules. Quelques rares présentent de l'excentri-

. cité du noyau, mais cette disposition est peu fréquente.

Les fibres qui arrivent à leur niveau ou en partent et qui se ramifient à leur

intérieur sont tout à fait normales et bien myélinisées, elles ne présentent au-

cune trace de dégénérescence.

Le processus inflammatoire médullaire et périmédullaire semble avoir gagné

les ganglions. Les vaisseaux qui les entourent et les pénètrent sont très dila-

tés, présentent des lésions de périartérite. Des éléments embryonnaires leur

forment un manchon, envahissent la substance du ganglion et s'étendent dans

les interstices laissés entre les cellules.

Des hémorrhagies abondantes occupent l'intérieur du ganglion ; et par place

les éléments anatomiques baignent au milieu des globules sanguius.

Vil

Névroglie. - La névroglie a été étudiée dans toute la hauteur des centres

nerveux par l'ancienne méthode du picro-carmin. Les éléments névrogliques

ont toujours été rencontrés, notablement augmentés de nombre et de volume.

Vaisseaux et méninges. Nous venons d'étudier l'état du neurone et de la

névroglie, examinons maintenant l'état des vaisseaux et des méninges.

398 VASCHIDE ET VURPAS

Les vaisseaux sont le siège de particularités remarquables. Ce qui frappe

d'abord c'est la néoformation vasculaire extrêmement abondante qui s'étend

sur toute l'étendue du névraxe. En certains points les vaisseaux sont tellement

abondants qu'ils forment un véritable collier engainant par places les régions

bulbo-protubérantielle ou médullaire. Cette abondance n'est pas moindre au sein

du tissu nerveux.

Outre la néoformation, on constate une dilatation et une distension à peu près

constantes par le liquide sanguin. Les parois vasculaires sont très épaissies et

enflammées. La périartérite et la périphlébite ont atteint la plupart des vais-

seaux, tant ceux qui entourent le tissu nerveux que ceux qui le pénètrent. Il

en est résulté des hémorrhagies considérables sur toute la hauteur du né-

vraxe, aussi bien dans les méninges que dans la substance nerveuse. Il semble

cependant d'une façon générale que les épanchements de sang vont en dimi-

nuant d'abondance de haut en bas du système nerveux. Le bulbe et la moelle

sont parsemés d'ilots sanguins qui baignent les éléments anatomiques et pro-

voquent leur destruction.

Ces ilots sont extrêmement nombreux au niveau de la région bulbo-protubé-

rantielle. Les régions supérieures du névraxe semblent de la sorte détruites sur

la plus grande partie de leur surface par ces nombreuses et abondantes hémor-

rhagies produites au sein du tissu nerveux. Le nombre de ces dernières semble

aller en décroissant, lorsque l'on avance vers la moelle ; elles semblent égale-

ment moins nombreuses à la région lombaire qu'à la région dorsale, et moins

nombreuses à la région dorsale qu'à la région cervicale.

Les méninges sont également infiltrées de liquide sanguin par ilots ainsi que

d'une façon diffuse sur la presque totalité de leur étendue.

Dans l'intérieur des vaisseaux sanguins gorgés de sang on observe soit dis-

séminés soit réunis sous forme d'amas un grand nombre de globules blancs.

Mais c'est surtout les interstices laissés entre les vaisseaux qui sont bourrés de

globules blancs. Les méninges sont épaissies, l'espace sous-méningé est large-

ment distendu par une épaisse couche d'éléments embryonnaires. Ces mêmes

éléments forment autour des vaisseaux de larges manchons qui les entourent

et leur forment une gaine dans tout leur trajet iutra-médullaire ou intra bul-

baire. Dans l'intérieur du tissu nerveux ils forment de larges couronnes péri-

vasculaires.

Lorsqu'il s'agit de vaisseaux de petit calibre ils dessinent seuls leur trajet.

La préparation est de la sorte sillonnée par de nombreuses traînées de globules

blancs vivement colorés, qui tantôt forment un manchon aux vaisseaux sanguins

tantôt indiquent seuls leur direction.

Le tissu nerveux présente également par place des amas d'éléments embryon-

naires. Mais ce que l'on observe surtout, c'est une dissémination dans toute la

préparation de nombreux globules blancs, qui infiltrent d'une façon générale

tout le tissu nerveux. Les phénomènes de diapédèse semblent très actifs.

En un mot ce que nous voyons ce sont les signes d'une inflammation parti-

culièrement intense, qui a porté à la fois sur les vaisseaux, les méninges et tout

DU SYSTÈME NERVEUX CHEZ UN ANENCÉPHALE 399

le névraxe, inflammation d'autant plus vive que l'on s'élève davantage du côté

des centres nerveux supérieurs.

VIII

Dans l'examen psycho-physiologique des actes vitaux de notre anen-

céphale nous avons remarqué (1) l'existence de réflexes soit simples

soit associés, la coordination des mouvements même compliqués (flexion

des jambes, retrait du corps pour fuir une sensation désagréable,succion,

déglutition). L'enfant présenta vingt heures après sa naissance des accès

convulsifs à début jacksonien commençant par le membre supérieur gau-

che et se généralisant rapidement pour revêtir bientôt le type épileploïde

avec miction à la fin de la crise. Les membres inférieurs étaient raides,

les réflexes palellaires étaient de la sorte difficiles à étudier, les réflexes de

l'avant-bras étaient exagérés. On relevait aussi l'existence de mouve-

ments spontanés. Les sensibilités tactiles, musculaires thermiques, la sen-

sibilité à la douleur,-saisies par les réactions de défense - étaient con-

servées. Le sujet a vécu trente-neuf heures, présentant en même temps un

abaissement notable à la température, une rapidité concomitante du pouls,

une respiration remarquablement ralentie et revêtant le type de Cheyne-

Stokes (Voy. l. L, fig. A et A').

IX

Une étude parallèle et concomitante de cette vie biologique et de la

structure de ce névraxe que nous venons de décrire nous conduit à

émettre les quelques considéralions anatomiques et physiologiques sui-

vantes que nous résumons et donnons comme une induction pour ainsi

dire dictée par les faits.

I. - Il semble qu'il puisse y avoir des mouvements spontanés ou as-

sociés malgré une absence totale de faisceau pyramidal. Certains auteurs

accordent une influence dynamogène à peu près exclusive dans le méca-

nisme fonctionnel des mouvements au faisceau pyramidal.D'autres au con-

traire prétendent que son action est purement inhibitrice. Notons dans

notre cas l'intégrité relative du faisceau sensitif.

Quels seraient alors l'origine et le mécanisme des mouvements spontanés

ou associés observés chez notre sujet ? °

Il semble qu'ici le faisceau pyramidal ait eu un rôle manifestement

inhibiteur et nullement dynamogène.

II. - La cellule nerveuse est profondément dégénérée sur toute la hau-

teur du névraxe et nous constatons parallèlement des réactions sensitivo-

motrices. D'après les données histologiques habituelles, des cellules ner-

(1) Vaschide ET Vonevs, op. cit.

400 VASCHIDE ET VURPAS

veuses ainsi lésées marchent ordinairement de pair avec l'absence des

mouvements.

A quoi faut-il attribuer la genèse du mécanisme de l'irritabilité biolo-

gique de notre anencéphale ? Nous l'ignorons, et tout en pensant à l'opi-

nion de quelques auteurs qui voient dans la cellule un centre n'ayant

qu'une fonction trophique et nullement motrice (1), nous nous conten-

tons de poser le problème et de rapprocher ces données disparates.

III. ? Malgré les lésions avancées de l'élément cellulaire, les racines

nerveuses ne présentent pas de dégénérescence, ni de lésions manifestes.

Ces résultats sont conformes à ceux de MM. Joffroy et Achard (2) qui dans

la paralysie infantile n'ont pas trouvé d'altérations appréciables des racines

antérieures. Remarquons aussi que sur toule la bailleur du névraxe la

substance grise est sillonnée par des ramifications fines et délicates de fibril-

les richement arborisées, ne s'agit-il pas là de filaments cylindraxiles non

altérés, capables peul-être d'un fonctionnement normal ? ?

IV. - Notons que malgré l'état du système nerveux et de la cellule en

particulier les muscles étaient sensiblement normaux. avaient conservé la

persistance de leurs mouvements et ne présentaient aucune atrophie appré-

ciable, autant qu'un examen minutieux nous a permis de nous en rendre

compte sur le vivant. '

V. Nous avons constaté au niveau des tubercules quadrijumeaux la

présence de deux noyaux symétriques et composés de cellules motrices.

En l'absence constatée anatomiquement des 11F etlVpaires, ne pourrait-

on pas penser ici à une localisation du noyau du facial supérieur ?

VI. - Dans la moelle nous avons remarqué en arrière du sillon an-

térieur des fibres qui s'entrecroisaient passant d'une corne antérieure à

l'autre. Ces fibres nettement observées expliqueraient, croyons-nous, la

synergie des mouvements rencontrés dans notre cas en particulier, malgré

l'absence de toutes les fibres motrices centrales à long trajet.

VII. - L'absence de certaines parties propres au bulbe comme les corps

restiformes ou les fibres arciformes est naturelle avec la disparition du

cervelet. L'absence de l'olive inférieure, ainsi que de la paroi ive prouve

la corrélation intime de ces formations avec le cerveau et le cervelet. Nos

connaissances analomo-physiologiques actuelles rapprochées de cette cons-

(1) Mort, Ganglions et centres nerveux. Archives de physiologie, 1895, n 1, p. 200-

205.

Morat, Qu'est-ce que c'est qu'un centre nerveux. Revue scientifique, 24 novembre

1894, p. 642.

BlOnnT, Centres nerveux fonctionnels et centres nerveux trophiques. Revue scienti-

fique, 1er déc. 1894; p. 619.

(2) JOFFROY et Achard, Contrib. à l'anat. pathol. de la paralysie spinale aiguë de

l'enfance. Arch. de médecine expérim., 1er janvier 1889, p. 5î. 1.

DU SYSTÈME NERVEUX CHEZ UN ANENCÉPHALE 401

tatation semblent placer ces parties bulbaires surtout sous la dépendance

du cervelet.

VIII. - La dilatation des formations ventriculaires, la continuation

probable sur chaque côté des éléments épendymaires avec les tissus adja-

cents semblent indiquer l'existence à une certaine période embryologique

des régions hémisphériques qui auraient disparu, transformées par une

néo-vascularisation intense en tissu fibro-vasculaire ayant détruit tous les

éléments nerveux et jusqu'à l'apparence du tissu nerveux.

IX. - Signalons sur toute la hauteur du névraxe l'existence decellules

névrogliques augmentées de nombre et de volume.

X. - Nous avons noté au niveau de toutes les coupes l'existence d'un

processus inflammatoire très actif et très intense touchant le tissu nerveux,

les méninges et les vaisseaux.

Les considérations auxquelles donnerait lieu cette étude nous entraîne-

raient trop loin.

Nous ne parlerons donc pas aujourd'hui de ce point intéressant, nous

proposant d'y revenir dans un travail ultérieur.

En résumé notre cas peut être considéré comme une expérience de

physiologie naturelle, qui prouverait d'une part l'existence d'une vie bio-

logique rudimentaire indépendamment du fonctionnement des centres

nerveux supérieurs et d'autre part l'incompatibilité notoire qu'il y a entre

l'explication ordinaire que l'on donne du fonctionnement et du mécanis-

me du système nerveux et les constatations que nos recherches histologiques

nous ont amenés à faire sur la structure du névraxe dans ce cas particu-

lier.

Posons donc bien la question. Ces phénomènes biologiques nous les

avons vus, nous avons constaté leurs manifestations réelles durant les

trente-neuf heures qu'a vécu le sujet, et nos considérations biologiques

étaient formulées avant que nous ayons connaissance de la structure et de

la topographie du névraxe.

L'enfant en raison de l'aspect du kyste qui remplaçait la boîte crânienne

ne nous a pas paru de prime abord et avant l'autopsie complètement dé-

pourvu de cerveau, précisément à cause de l'existence de cette vie bio-

logique rudimentaire qui nous a encore bien plus embarrassés lorsque nous

avons voulu tenter l'explication de son mécanisme et de sa genèse après

examen macroscopique d'abord et maintenant microscopique de la topo-

graphie et de la structure du névraxe.

Comme nous l'avons dit, nous nous contentons de rapprocher certaines

prémisses appuyées sur des faits sans insister sur toutes les conclusions

possibles d'hypothèses qui à ce point de vue sont assurément aventureuses.

Voilà pourquoi nous nous sommes bornés à esquisser simplement quel-

ques considérations scientifiquement probables.

UNE OBSERVATION DE SEIN HYSTÉRIQUE

PAR

le Der M. LANNOIS,

Agrégé, Médecin des hôpitaux de Lyon. 1

Rien n'est plus commun que les stigmates du côté des seins chez les hys-

tériques (zones hyperesthésiques et hystérogènes, zones frénatrices, etc.).

Mais il est relativement exceptionnel de voir ces manifestations banales

acquérir une importance prédominante et passer au rang de ces « hysté-

ries locales » qui intéressent à la fois le neurologiste et le chirurgien.

C'est un fait de ce genre que j'ai pu observer depuis plusieurs mois et

dont je rapporterai tout d'abord l'observation.

La nommée Marie V., femme B., âgée de 47 ans, garde-malade, suit la con-

sultation des maladies nerveuses depuis trois mois.

Son père est mort à 69 ans de l'influenza : il était très nerveux. Sa mère

est morte à 53 ans d'une entérite et était également très' nerveuse. D'ailleurs

la malade, sans donner de détails plus précis, dit que tous ses parents du

côté paternel comme du côté maternel étaient exceptionnellement nerveux.

Elle était fille unique et ne parait avoir rien présenté de particulier en ce

qui concerne la naissance, le début de la marche, de la parole, etc. Elle a eu la

rougeole, la varicelle et le faux croup dans la première enfance, une pneumonie

à 40 ans. Elle a présenté de fréquentes périodes d'anémie ; elle nie la syphilis

et l'alcoolisme.

Réglée à 11 ans, avec une fréquence excessive (les règles reviennent sou-

vent deux fois par mois), elle se maria à 18 ans et eut deux filles actuellement

âgées de 26 et 23 ans, bien portantes, mais très sujettes à des douleurs névral-

giques très diverses (céphalalgie, odontalgies, etc.).

C'est également pour des douleurs qu'elle vient nous consulter : elle a des

douleurs violentes dans la tête revenant par accès, elle a eu des douleurs den-

taires. Son sein droit est douloureux par moments, etc. -

Elle raconte que, dès l'âge de 11 ans, elle avait la sensation d'une boule qui

remontait du côté gauche de l'abdomen et venait lui donner une sensation

d'étranglement au niveau du cou. Cette sensation s'est reproduite par périodes

plus ou moins longues et notamment au moment de la pneumonie qu'elle eut

à 40 ans. Elle avait remarqué dès le début qu'une friction ou une pression

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XIV, PI. LU 1

Cliché Aubert Photot) pie Berthnud

SEIN HYSTERIQUE

(Lannoïs)

Masson & Cie, Editeurs

UNE OBSERVATION DE SEIN HYSTÉRIQUE 403

exercée sur l'abdomen au point où la boule semblait prendre naissance suffisait

pour faire disparaître la sensation d'étranglement.

Elle ne paraît pas avoir jamais pris de grandes crises, mais lorsque les dou-

leurs de tête sont très violentes elle a des crises d'agitation et de pleurs, sans

perte de connaissance, avec crispation des mains, contractures, etc.

Elle se plaint d'un état nerveux tout à fait particulier : elle est très excitable

et d'humeur très variable ; elle passe sans cause de la gallé la plus grande à la

tristesse la plus sombre. Dans tous ses examens elle a fait preuve d'une grande

loquacité, interprétant son cas au point de vue médical et se servant d'expres-

sions médicales estropiées et risibles... Elle ne paraît pas avoir de troubles

psychiques.

Elle a des fringales subites et mange parfois un pain de deux livres. Elle a

aussi de la polyurie avec pollakiurie tant diurne que nocturne, mais ses urines

ne renferment ni sucre ni albumine.

Rien au coeur ni aux poumons.

L'examen ne révèle rien de particulier du côté de la force et de la résistance

musculaire. La sensibilité superficielle est normale dans tous ses modes, mais

elle a de l'hémianestllésie profonde à droite. Les réflexes tendineux (rotulien,

bras et avant-bras) sont exagérés, mais il n'y a ni trépidation ni phénomène

du genou. Les réflexes conjonctival et pharyngien sont diminués, le réflexe

cornéen est conservé.

Zones hyperesthésiques et hystérogènes au niveau des deux ovaires et des

régions sus et sous-mammaires. Clou hystérique.

Les pupilles sont égales et réagissent normalement : le champ visuel est par-

fois un peu rétréci des deux côtés. Il n'y a ni diplopie ni dyschromatopsie.

La particularité la plus curieuse présentée par cette malade est l'existence

d'une énorme hypertrophie du sein droit qu'il est facile de constater sur la

photographie ci-jointe. Tandis que le sein gauche est relativement petit et

flasque, en rapport avec ses grossesses antérieures et son habitus extérieur,

car elle est plutôt maigre, le sein droit est très volumineux, piriforme et tendu.

La peau a l'aspect normal.

Lacirconférencedu sein passant parle mamelon est de 22 centimètres adroite

et de 16 centimètres à gauche.

L'aréole est fortement pigmentée et nettement plus large qu'à gauche. La

mensuration prise alors que les muscles lisses étaient un peu contractés nous a

donné :

404 ' LANNOIS

la peau de l'aréole ou le bout du sein : le pincement de la peau du sein lui-même

reste sans effet.

A la partie supérieure et un peu interne du sein on sent une masse dure et

arrondie, un peu aplatie sous la peau, ayant le volume d'une petite manda-

rine.

Elle raconte à ce sujet que l'an passé (juin 1900), elle fit un séjour de 3 se-

maines dans le service du professeur 01 lier . Un mois avant, elle avait com-

mencé à ressentir surtout en marchant, une sensation de roulement et de cuis-

son dans le sein droit, et cela sans raison appréciable. En même temps le sein

augmenta considérablement de volume, double de ce qu'il est aujourd'hui, dit-

elle, et prit une teinte violacée.

Les douleurs avaient augmenté : elle sentait comme une brûlure continue et

avait à chaque instant des lancées qui traversaient le sein comme une flèche.

Le plus souvent ces crises correspondaient avec une douleur analogue siégeant

dans la région ovarienne et tout le côté gauche ; elle avait aussi une sensation

de brûlure au niveau des reins et du dos, comme si on l'avait écorchée. Elle

dit qu'à cette époque plusieurs chirurgiens ont parlé de carcinome et lui ont

proposé l'ablation du sein. Mais M. Ollier s'y opposa et fit pratiquer seulement

de la compression avec des bandes de flanelle qui déterminèrent une diminu-

tion sensible de la glande.

Actuellement le volume du sein la gêne encore un peu, mais elle n'y éprouve

qu'une sensation de douleur et de légère cuisson. Si elle a des ennuis, une con-

trariété quelconque, elle dit qu'elle sent aussitôt son sein lourd comme une

pierre.

En résumé, il s'agit ici d'une femme que ses petites crises, la sensation

de boule, les douleurs variées, la fringale venant par accès, la polyurie

avec pollakiurie, les stigmates permanents comme l'anesthésie profonde

du côté droit, les zones hyperesthésiques des ovaires et des seins, le clou

hystérique etc., classent nettement dans l'hystérie bien qu'elle n'ait jamais

eu de grandes crises. Depuis 15 mois, sans cause appréciable, son sein

est devenu le siège de sensations pénibles, cuisson, brûlure, douleurs lan-

cinantes très violentes, en même temps qu'il augmentait considérable-

ment de volume de telle sorte que se croyant atteinte de cancer elle entra

dans un service de chirurgie pour se faire opérer. L'intervention fut en

effet discutée mais refusée par le professeur Ollier.

Je ne veux pas refaire ici l'historique de cette question du sein hystéri-

que.On la trouvera dans la thèse de Connard (1), dans un article de Bour-

(t) Connaud, Du sein hystérique, étude sur le gonflement douloureux du sein chez

les hystériques. Thèse de Paris, 1816.

UNE OBSERVATION DE SEIN HYSTÉRIQUE 405

neville et Regnard (1), dans Gilles de la Tourette (2),etc. Qu'il me suffise

de rappeler que les manifestations hystériques de la mamelle signalées

incidemment dès la fin du XVIIe siècle par Willis, puis par IIof1'mann,

par Pomme, ont été surtout mises en lumière par Astley Cooper. Celui-

ci a bien vu les ecchymoses spontanées et la plupart de ses observations

de « tumeur irritable delà mamelle «appartiennent sans conteste à l'hys-

térie. La description que Brodie a donnée du sein hystérique est encore

aujourd'hui parfaite et Gilles de la Tourette a pu la reproduire dans son

entier : toutefois il rejette les cas dans lesquels il existe des tumeurs dans

la mamelle.

Depuis le travail de Gilles de la Tourette qui cite des observations de

Landouzy, de Liouville (dont le cas a été le point de départ de la thèse de

Connard), de Wever, de Féré, de Fowler, je ne vois guère à citer qu'une

très intéressante observation de Chipault (3) d'hémorrhagie profuse par

le mamelon et une autre de P. Sainton (4) communiquée à la Société mé-

dicale des hôpitaux,

Le sein hystérique neseprésente pas toujours avec des manifestations

univoques.La forme la plus banale est celle de la névralgie, de la mastodynie :

le plus souvent à la suite d'un traumatisme léger, certaines femmes nerveu-

ses sont prises de la phobie du cancer.Elles éprouvent des douleurs plus ou

moins violentes avec irradiation, etc. ; l'attention fixée exclusivement sur

l'organe y détermine des phénomènes fluxionnaires et la palpation répétée a

vile fait de découvrir dans la glande quelques nodules quel'obsession trans-

forme en noyaux cancéreux. Tous les chirurgiens connaissent ces cas.

Si un traitement suggestif bien dirigé ne les guérit pas rapidement, ces

malheureuses malades deviennent une proie facile pour les guérisseurs

et les charlatans.

La contagion nerveuse est ici particulièrement à redouter. Brodie a bien

insisté sur ce fait et montré que fréquemment la malade a « parmi ses con-

naissances ou amies, une malheureuse qui a été atteinte de cancer du sein ».

Dans mon cas, je n'ai pu retrouver ni cette étiologie par suggestion ni

traumatisme d'aucune sorte,mais il est bon de faire remarquer qu'il s'agit

d'une garde-malade qui avait eu antérieurement l'occasion de voir des cas

de cancer du sein, qui fait volontiers montre de ses bribes de connais-

sances médicales et chez laquelle par conséquent l'auto-suggestion incons-

ciente est très possible.

(1) Bourneville et REGNARO, Iconographie phot. de la Salpêtrière, 1817-1818.

(2) GILLES' de. la Tolrette, Septième congrès de Chirurgie, 1893. Traité de l'hysté-

rie,t.lI, et Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, t. VIII, 1895.

(3) Chipault, Un cas d'hémorrhagie hystérique du sein. Presse Médicale, 1896.

(4) P. Sainton, Un cas d'hemorrhagies multiples d'origine hystérique avec Aemor-

rhagiesdu sein se faisant par le mamelon, Soc. méd. des hôpitaux de Paris, avril 1901.

xiv 28

406 LANNOIS

Après la mastodynie, c'est la forme présentée par ma malade qui est la

plus commune : l'hypertrophie simple de la glande. Celle-ci est habituel-

lement unilatérale. Toutefois dans un des cas d'Hoffmann où il y avait en

même temps des sueurs de sang et de l'angine de poitrine hystérique, les

deux seins étaient le siège d'un gonflement douloureux coïncidant avec les

crises; sa deuxième malade était également atteinte des deux côtés. Il en

était encore ainsi dans le fait de Liouville et Gilles de la Tourelle dit aussi

avoir observé un cas analogue avec prédominance très marquée cependant

du côté gauche. Peut-être serait-il bon d'examiner à ce point de vue les

observations publiées sous le nom d'hypertrophie essentielle des seins

par les chirurgiens ; à côté des cas vrais, quelques-uns pourraient ressortir

à l'hystérie, car on en a vu guérir spontanément (1).

Le gonflement du sein est passager ou permanent. Dans le cas de Féré

par exemple, il suffisait d'une émotion pour qu'on vit, en moins d'une mi-

nute, le sein se marbrer de lâches rouges, le mamelon s'ériger et la glande

devenir turgide. Le plus souvent l'augmentation de volume n'est pas très

considérable, d'un tiers environ, dit Liouville. Dans mon observation, l'aug-

mentation dépasse les t'huiles habituelles, car le volume du sein est pres-

que triple de celui du côté sain.

Les phénomènes douloureux s'associent à l'hypertrophie. Outre les dou-

leurs spontanées, sensation delourdeur, de roulement intérieur, de cuisson,

de brûlure, de lancées fulgurantes, ma malade présente manifestement

une zone hétérogène profonde et une zone superficielle sur l'aréole : la

pression ou le pincement détermine du grincement de dents, de la con-

tracture des poignets,etc.Une malade de Brodie avait des mouvements res-

semblant à la chorée. La superposition de zones hyslérogènes au gonfle-

ment de la glande est en somme la règle générale.

Bien que j'aie classé ma malade dans les cas d'hypertrophie simple, je

dois rappeler ici qu'elle présente à la partie interne et supérieure du sein

une petite tumeur, un peu aplatie, atteignant à peine le volume d'une

mandarine. Cette simple constatation va à l'encontre de l'opinion de Bro-

die qui refusait le caractère hystérique à tous les cas dans lesquels il y

avait des tumeurs. Nous avons déjà dit que « la tumeur irritable ou névrose

des mamelles » d'Asiley Cooper se rattachait à l'hystérie. Gilles de la Tou-

retle analyse avec soin un mémoire de Fowler portant sur sept cas de tu-

meurs du sein pour lesquelles des chirurgiens connus avaient conseillé des

opérations et qui guérirent par un traitement psychique. Il n'est donc pas

douteux qu'il existe une forme de tumeur hystérique du sein.

(1) P. DELDET, Traité de Chirurgie, 2° édition, t. V, cite deux cas chez des jeunes

filles ayant guéri sans opération.

UNE OBSERVATION DE SEIN HYSTÉRIQUE 407

Il va de soi que ces formes n'existent que par la prédominance d'un

symptôme et qu'elles peuvent se combiner et se confondre.

La galaclorrhée est notée dans un cas de Briquet et dura sept ans, en-

tretenue par des grossesses successives. La malade n'avait que le sein

droit atteint : il était très volumineux, chaud et douloureux, et pouvait

sécréter jusqu'à six litres de lait dans les vingt-quatre heures.

Les ecchymoses spontanées du sein ont été signalées par Astley Cooper

(Delbet) et enfin on a pu voir un écoulement spontané de sang se faire par

le mamelon, soit que celui-ci vînt des conduits galactophores, soit qu'il fût

produit par un suintement cutané. Le fait est déjà signalé dans Hippocrate,

comme le remarque Chipault en rapportant le cas indiqué plus haut et où

le sang était assez abondant pour traverser plusieurs serviettes pliées ;

cette malade avait en même temps de la surdi-mutité, des gastrorrhagie

et des hémorrhagies auriculaires. La malade de P. Sainton avait égale-

ment des hémorrhagies multiples.

Chipault dit n'avoir trouvé que cinq observations d'hémorrhagie du

sein attribuables sans conteste à l'hystérie, mais il en cite une dizaine

d'autres ayant très vraisemblablement la même origine

Dans quelques cas rares, c'est l'ulcération du mamelon et de la peau du

sein que l'on a rencontrée. A vrai dire les deux seules observations qu'en

cite Gilles de la Tourelle tiennent un peu du miracle puisqu'elles sont

dues à Carré de Iontgeron et rapportées par lui comme des exemples des

prodiges accomplis par le diacre Pàris. Gilles de la Tourette a reproduit

dans la Nouvelle Iconographie une gravure représentant la demoiselle Coirin

s'apprêtant à mettre sur son sein de la terre recueillie à St-Médard près

du tombeau du diacre thaumaturge; dans un coin on voit un tableau repré-

sentant un sein dont le bout est tombé et une jambe en contracture. « Le

trou profond d'où sortait depuis douze ans un pus corrompu et infecté,

se sécha sur le champ et commença à se refermer et à guérir. » Le lende-

main aussi la paralysie et la contracture disparaissaient. De même

Anne Augier, paraplégique depuis 21 ans, atteinte depuis 7 ans d'un can-

cer qui depuis 4 ans avait donné une fistute sous l'aisselle, est guérie su-

bitement sur le tombeau de M. Rousse

Enfin il n'est pas jusqu'à la simple conservation du volume normal des

seins qui ne doive être considérée comme un phénomène hystérique dans

la curieuse observation d'anorexie publiée par Gasne (1). Chez sa jeune

malade les seins, qui subissaient d'ailleurs des alternatives de grossisse-

ment et de diminution rapides, tranchaient par leur volume sur la mai-

greur générale, car il ne lui restait littéralement plus que la peau et lesos .

(1) G. Gasne, Un cas d'anorexie hystérique- Nouv. Icon. delà Salpêtrière, t. XIII,

1900.

408 LANNOIS

Chez ma malade l'aspect de la peau était normale : ceci ne se rencon-

tre guère que dans les cas anciens. Il semble bien d'ailleurs qu'au début

du gonflement la peau était violacée. Le plus souvent la peau est rouge et

chaude, ou violacée, parfois même presque noire. Aussi Fabre a-t-il pu

assimiler cet état au phénomène de l'oedème hystérique que l'on peut

trouver blanc, rouge ou violet et c'est à cette manière devoir qu'il me paraît

légitime de se ranger avec Gilles de la Tourette. Plaque hyperesthésique

ou hystérogène de la peau de la mamelle avec oedème sous-jacent de la

glande et de son tissu conjonctif, c'est à cela que se réduit le plus souvent

l'hystérie locale dont nous venons de passer en revue les plus frappantes

manifestations.

Il me paraît superflu d'insister sur l'intérêt que présente le diagnostic

de ces diverses formes au point de vue du traitement. Les malades n'ont

pas toujours la chance de la mienne qu'Ollier refusa d'opérer. Souvent

des malades ont guéri spontanément auxquelles des chirurgiens avaient

proposé des interventions et Connard rapporte plusieurs observations d'a-

blations du sein qui ne firent pas toujours disparaître les manifestations

douloureuses. Le sein hystérique, comme toutes les manifestations de la

névrose, ne dépend que du traitement psychique et suggestif.

PARALYSIE DU NERF CUBITAL ET CONTRACTURE CONSÉCUTIVE

MAIN EN PINCE,

PAR

le Dr DE LÉON, de Montevideo.

La contracture consécutive à la paralysie du nerf facial, dont parlent

Duchenne dans la paralysie dite par compression ou a frigore (1), et De-

jerine dans la névrite faciale infectieuse (2), est bien connue des neu-

ropathoiogues : c'est aussi la seule contracture postparalytique des nerfs

périphériques indiquée par les auteurs.

J'ai cependant observé deux cas de contracture consécutive à la paraly-

sie du nerf cubital, que je considère comme dignes de mention et représen-

tant un phénomène qui n'a pas encore été décrit. Dans les deux il s'est

produit une attitude semblable à celle qu'indique Dupuytren dans la

rétraction de l'aponévrose palmaire, attitude très caractéristique que j'ap-

pellerai main en pince.

Je dois rappeler, toutefois, que Bernhardt (3) fait allusion à une

observation de Cénas sur une contracture bilatérale des deux derniers

doigts de la main chez une pianiste, nerveuse et fille de mère nerveuse,

avec douleurs dans la région du cubital depuis la main jusqu'à l'aisselle.

Seulement, dans ce cas, il n'y eut pas de paralysie antérieure.

L'histoire du premier cas qui m'a éclairé pour le diagnostic du second

est très instructive.

Observation I.

Elvire L. de A..., âgée de 28 ans, mariée, sans enfants, fille unique de pa-

rents sains, le père étautbeaucoup plus vieux que la mère, occupée aux travaux

domestiques, a eu alternativement des manifestations hystériques multiples et

toujours tenaces : de la toux durant six mois, sans symptômes physiques pul-

monaires, qui disparut brusquement; de l'hémichorée, de la céphalée, etc.,

accompagnées d'hémi-anesthésie et d'étroitesse du champ visuel.

Le 3 septembre 1900, elle fut chloroformisée dans le but de lui faire une

laparotomie, sous la direction du I)1' B..., pour une cause que j'ignore, et,

après qu'elle se fut réveillée tout à fait,elle se sentit le bras gauche très lourd et

l'avant-bras et la main correspondants presque immobiles et endoloris. Deux

jours après, elle aperçut une ecchymose intense sur le bord interne du même

(1) Duchenne, L'électrisation localisée, p. 672.

(2) Dejeiune, Séméiologie du système nerveux, p. 756.

(3) BEHNHARDT, A Notunagel, Lahmung des N. ulnaris.

410 DEMON

bras, à huit ou dix centimètres au-dessus de l'épi trochlée, qui disparut assez tôt.

Le 20 octobre de la même année, elle me consulta sur cet accident, et j'ob-

servai les symptômes suivants :

Main gauche en forme de griffe (fig. 1) ; premières phalanges en extension

forcée, secondes et troisièmes phalanges en. légère flexion, l'extension et la

flexion étant plus accentuées dans les 4° et 51 doigts ; doigts en abduction;

tendons des longs extenseurs très visibles sur la face dorsale; mouvements

d'adduction et d'abduction abolis; flexion volontaire des doigts très faible;

force dynamométrique réduite à 0 ; adduction de la main abolie ; impossibilité

de joindre les bouts des doigts, par manque de mouvement, spécialement dans

l'annulaire et le petit doigt. Douleur spontanée et par pression à la partie

inférieure du bord interne du bras, à la partie interne de l'avant-bras, très in-

tense au petit doigt.

L'investigation de la sensibilité objective révèle une hypoesthésie dans la moi-

tié interne de la face palmaire de la main, du petit doigt et de la moitié interne de

l'annulaire ; hypoesthésie électro-musculaire dans les muscles cubital antérieur,

le faisceau interne du fléchisseur profond, l'éminence hypothénar et les in-

terosseux ; à la face dorsale,au contraire, la sensibilité parait être normale et l'on

observe même de l'hyperesthésie en pinçant le petit doigt.

L'étude des réactions électriques a donné le résultat suivant. Réaction fara-

dique : nerf médian, normale; nerf cubital,dans le canal épitrochléen et le poi-

gnet, abolie; muscle cubital antérieur, abolie; faisceau interne du fléchisseur

profond, diminuée ; adducteur du petit doigt, diminuée ; court fléchisseur du

petit doigt, court adducteur, pouce et tous les interosseux, abolie. Réaction

galvanique : nerf médian, normale ; nerf cubital, conservée, CcN > CcP, len-

tes et augmentées ; muscles cubital antérieur et faisceau interne du fléchisseur

profond, CcN < CcP ; adducteur, opposant et court fléchisseur du petit

doigt, CcN < CcP, lentes et augmentées ; interosseux des premiers espaces,

idem; derniers interosseux, entre l'annulaire et le petit doigt, CcN CcP,

et également lentes et augmentées.

. 3 novembre 4900.- Les mêmes troubles fonctionnels persistent et,en outre,

les espaces interosseux devinrent très sensibles, spécialement le premier ;

l'éminence hypothénar et la partie antérieure du thénar perdirent leur relief, se

montrant mous et compressibles à l'attouchement, ce qui accusait clairement

une atrophie des muscles de ces régions ; sur l'éminence hypothénar on remar-

quait aussi des contractions fibrillaires.

Les réactions électriques donnèrent : muscle cubital antérieur, faisceau in-

terne du fléchisseur profond, adducteur, court fléchisseur et opposant du petit

doigt, tous les interosseux, les deux derniers lombricaux et adducteur du pouce,

excitabilité faradique abolie, et galvanique augmentée avec CcN = ou < CcP ;

c'est-à-dire, réaction de dégénérescence dans tous les muscles innervés par le

cubital.

Dans les deux premiers lombricaux et les deux muscles de l'éminence thé-

nar, les réactions électriques étaient normales.

Par conséquent, le diagnostic de paralysie organique du nerf cubital s'im-

posait : l'impuissance motrice et l'hypoesthésie électrique de tous les muscles

NOUVELLE Iconographie DE la SALPtfRltRE.

T. XIV, PI. LIII

A

B Phototypie Bertliaud

B

PARALYSIE DU NERF CUBITAL ET CONTRACTURES CONSÉCUTIVES

(Jaciuto de Léon) .

Masson & C·, Editeurs

MAIN EN PINCE 411

qui en reçoivent l'innervation, leur atrophie consécutive avec des contractions

fibrillaires et réaction de dégénérescence, les douleurs le long de son trajet et

les désordres objectifs de la sensibilité sur une partie de sa zone cutanée,

voilà des données plus que suffisantes pour établir ce diagnostic.

Quelle â pu être la cause de cette paralysie ? ' ?

Duchenne décrit cinq cas par contusion ou blessures du nerf ; Erb,dans

Ziemssen, en cite un dépendant d'un névrome produit par de fré-

quents chocs traumatiques, et un autre dans son Traité d'électrothérapie,

sans en indiquer la cause; Seeligmitller.dans Eichhorst, en donne un par

décubitus supinus prolongé ; Gowers, trois par flexion du coude durant le

sommeil ; Decroly, un par brûlure électrique du nerf; Grosz, observ. VI

de Cestan,unpar syphilis; Ballet, deux cas par compression habituelle

du nerf chez des alcooliques; Huet, par compression; Gaucher, Dejerine

et Thomas, par syphilis ; Bernhardt et Pitres, par fièvre typhoïde ; Deje-

rine, par grippe; d'autres par lèpre; et, enfin, Braun. dans Nothnagel,

par chloroformisation, comme dans le cas que je décris. On a décrit des

paralysies d'autres nerfs et même des paralysies centrales, consécutives

à la narcose (Raymond, Phocas, Ozenne et Bastit et Mortet).

Les deux derniers auteurs incriminent, dans les paralysies post-opéra-

toires centrales, la chloroformisation ; les périphériques proviendraient

toujours de l'action d'une compression.

Dans mon cas, la compression du nerf se révéla par l'ecchymose intense

que j'ai décrite; mais en outre, et en dehors de la chloroformisation ou

de l'éthérisation, il convient de tenir compte du tempérament névropa-

thique de la malade. ,

En mai 1901, c'est-à-dire cinq mois après le dernier examen, la patiente eut

à subir une médication très douloureuse dans sa blessure du ventre, non en-

core cicatrisée; il en résulta une violente crise convulsive. Depuis lors sa

main gauche prit l'attitude de poing fermé, ainsi que l'on observe chez les

hystériques.

Etant venue me consulter sur ce nouveau phénomène, je pus lui étendre

facilement le pouce et l'index, avec quelque difficulté le doigt du milieu, et avec

pas mal de difficulté et beaucoup de douleur les deux derniers doigts. Les ten-

dons fléchisseurs de l'annulaire et du petit doigt se faisaient remarquer par leur

relief sur la paume de la main. En laissant les doigts en liberté, les trois der-

niers se fléchissaient lentement et intensément jusqu'à enfoncer les ongles dans

la paume de la main ; la flexion du grand doigt n'était pas aussi énergique que

celle des deux autres ; aucun de ces trois doigts ne pouvait s'étendre volontai-

rement, tandis que l'index et le pouce obéirent dès lors à la volonté.

La restitution fonctionnelle du pouce et de l'index s'obtint par suggestion,

ou du moins en convainquant la malade qu'ils obéissaient à sa volonté.

412 DEMON

On découvre de nouveau une hémi-hypoesthésie du côté gauche, bien que

beaucoup plus considérable à la partie interne de la main.

L'examen électrique me démontra alors que le nerf cubital réagissait, à l'é-

lectricité faradique et galvanique, approximativement comme à l'état normal ; le

muscle cubital antérieur réagissait bien à la galvanique et pas à la faradique;

la réaction était très difficile à prendre dans le faisceau interne du fléchisseur

profond ; il y avait réaction faradique dans les espaces interosseux 1er et ?

plus faible dans le 3° et nulle dans le 4e ; il n'y en avait pas non plus dans l'ad-

ducteur du pouce; mais la réaction était visible dans les muscles hypo-

thénars, bien que lente (réaction de dégénération faradique de Remak). Dans

tous ces muscles la CcN = < CcP. Cet ensemble de réactions démontrait l'a-

mélioration du nerf et de presque tous les muscles.

Cette amélioration a permis le fonctionnement de l'index et du pouce,

c'est-à-dire leur flexion et leur extension volontaire, mais non l'adduction

du pouce parce que son adducteur reste encore assez paralysé ; peut-être

cette amélioration a-t-elle permis aussi la flexion des premières phalanges

des trois derniers doigts, faisant équilibre à l'action des longs extenseurs,

mais elle ne peut être la cause de leur flexion intense, parce que les in-

terosseux ne sont pas capables de la produire et de plus que ce sont des

extenseurs des deux dernières phalanges.

Cette flexion intense est due à la contracture du faisceau interne du

fléchisseur profond, parce que c'est la troisième phalange qui est la plus

fléchie et parce que le fléchisseur superficiel n'a présenté aucune altéra-

tion ; et elle s'est arrêtée au faisceau interne parce qu'elle est d'origine

névritique, consécutive à la paralysie du cubital, qui n'innerve que celte

partie du muscle.

Il resterait à expliquer pourquoi se contracte le médius, qui ne reçoit

pas d'innervation du cubital.

Je me l'explique de cette manière : à l'état physiologique, quand l'an-

nulaire et le petit doigt fléchissent, la première phalange du médius

fléchit aussi, ce qui est dû probablement à ce que le 3° lombrical s'insérant

dans les tendons fléchisseurs profonds du 3° et du 4° doigt, la contraction

de celle-ci fait contracter le 3° lombrical qui, à son tour, entraîne le tendon

du 3° doigt et avec lui le zu lombrical qui détermine la flexion de sa pre-

mière phalange, mettant le doigt en un équilibre instable assez incom-

mode, incommodité qui disparaît par la flexion complète du doigt. Main-

tenant, dans le cas que je décris, pour peu que la puissance nerveuse

anormale, produite par la contracture des deux derniers doigts, y ait

contribué, elle aura déterminé la contracture du médius, qui n'est pas

aussi énergique que celle des deux autres.

Je crois avoir ainsi démontré que la malade souffre actuellement d'une

MAIN EN PINCE 413

contracture consécutive à la paralysie du nerf cubital, analogue aux con-

tractures post-paralytiques du facial, déterminant une attitude de la main

très caractéristique (fig. 2), que par analogie je désigne sous le nom de

main en pince.

Cette contracture ne serait-elle pas de nature hystérique ?

Plusieurs motifs viennent à l'appui de cette hypothèse : 1° la malade

a été une hystérique invétérée; 2° elle continue à l'être, ainsi que le

démontrent sa crise convulsive provoquée par la cure douloureuse et

l'hémi-hypoesthésie du côté gauche qu'elle conserve encore comme un stig-

mate permanent; 3° l'apparition brusque de cette contracture ; et 4° enfin,

la disparition rapide de la flexion du pouce et de l'index, tout ceci prou-

vant, au moins, que la grande névrose est associée à une lésion organique.

Mais les cas de contracture de la main, de nature hystérique, qui ontété

décrits, ne sont pas identiques au mien : tantôt l'altitude de la main est

celle de poing fermé, tantôt celle d'adduction des doigts avec flexion des

premières phalanges. Dans un autre cas de Charcot, le plus semblable à

celui que je décris, il y avait flexion exagérée des trois derniers doigts et

semi-flexion de l'index et du pouce, l'ongle de celui-ci s'enfonçant sur le

bord externe de la seconde phalange de l'index (1). Dans tous ces cas, et

ceci est leur caractéristique, l'attitude est fixe, ni modifiable par les ten-

tatives du médecin, ni par la volonté du malade, le spasme étant aussi

intense dans les muscles fléchisseurs que dans les extenseurs. Je considère

ces observations comme fondamentales. Dans mon cas, on obtient même

presque l'extension complète avec de légères tractions, comme dans les

contractures organiques des hémiplégiques ; d'un autre côté, l'hypoes-

thésie est plus apparente dans la zone innervée par le cubital.

Observation II.

Le 2e cas corrobore ce diagnostic ; c'est un homme de 78 ans, dont vous

pouvez observer la photographie (lïg. 3), qui a les trois derniers doigts de la

main droite en flexion forcée, la troisième phalange sur la seconde, la seconde

sur la première, et les trois sur la paume de la main, avec tant d'intensité

que leurs ongles s'enfonceraient dans la peau, si l'on n'avait le soin de les cou-

per souvent. La volonté du patient n'a aucune influence sur cette attitude, et

les doigts ne se laissent pas non plus étendre par la traction médicale, qui n'ob-

tient qu'une légère séparation de contact, si l'on étend en même temps la main ;

c'est une véritable rétraction (ib1'o-tendineuse.

Le pouce et l'index fonctionnent normalement au moins pour la flexion et

l'extension ; le malade a l'attitude de main en pince, avec laquelle il soutient

la canne.

Il n'a aucun stigmate hystérique.

t) CUARCOT, Leçons sur les maladies du système nerveux, t. 8.

414 DE LÉON

En recherchant la cause de cette attitude, le patient raconte qu'il y a trente

ans il reçut une balle dans la partie interne et inférieure du bras, qui lui pro-

duisit une paralysie douloureuse de la main correspondante pendant longtemps,

et que finalement les doigts prirent cette position.

Il n'est pas difficile de faire ici un diagnostic rétrospectif : paralysie du nerf

cubital par blessure de balle, contracture consécutive, rétraction fibro-tendi-

neuse après, qui ont déterminé l'attitude de main en pince.

BIBLIOGRAPIIIS.

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la.partie interne du coude droit. Infirmier.

- Obs. XIV, par blessure de la partie interne de l'avant-bras droit, par instrument

tranchant à bords obtus d'une machine, à 4 ou 5 centimètres au-dessus du poignet.

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- Obs. XV, par blessure d'arme à feu, main droite, la balle entrant par la face pal-

maire de la main et s'arrêtant à la face dorsale, à 6 ou 8 centimètres au-dessus du

carpe. Etudiant en médecine. Contusion du nerf et non section, car il put mouvoir

immédiatement les doigts.

- Obs. XVI, par choc, dans une chute, en portant un lourd fardeau sur les épaules,

au quart inférieur du bras droit, contre un corps solide. Mécanicien.

Obs. CXCVI, par blessure à la partie interne et inférieure dé l'avant-bras.

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d'électrobiologie, t. IV, p. 37.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE M. LE pr DÉJERINE.

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET,

AVEC MÉLANODERMIE.

AUTOPSIE.

PAR

Lucien HUDELO et Jean HEITZ

Médecin des hôpitaux Interne des hôpitaux

Le cas d'ostéite déformante de Paget que nous rapportons ici, n'est pas

tant une observation clinique qu'un examen nécroscopique du squelette,

des viscères, du système nerveux central. Nous n'avons guère eu que

vingt-quatre heures*pour étudier notre malade, et nous n'avons pu que

constater la mélanodermie intense qu'elle présentait sans pouvoir en ap-

profondir l'histoire.

Quant aux examens histologiques, nous les avons étendus autant que

possible, dans l'espérance de faits qui auraient pu jeter une lumière sur

la question si obscure de la pathogénie de la maladie de Pagel. Comme

on le verra, les lésions du système nerveux central ne nous ont pas paru

assez spéciales et assez localisées pour que nous ayons pu leur attacher la

valeur que leur avaient attribuée plusieurs observateurs précédents.

OBSERVATION CLINIQUE.

Augustine C..., âgée de 75 ans, sans profession, hospitalisée depuis environ

un mois à la Salpêtrière. entre à l'infirmerie, dans les salles de M. le profes-

seur Déjerine, le 5 avril 1901.

Le 6, au matin, à la visite, nous la trouvons dyspnéique, la langue sèche,

avec un pouls à 124. Elle ne répond pas aux questions et semble divaguer.

Température 38°5. A l'auscultation, les battements cardiaques sont normaux

et réguliers ; le poumon gauche présente à la base une plaque de matité, avec

des râles fins, sans souffle.

Mais en découvrant la malade, nous remarquons, an niveau de ses jambes,

les déformations caractéristiques de la maladie de Paget.

Vu l'état de la malade, il nous a été impossible d'obtenir aucun renseigne-

ment sur la date du début de l'affection, ainsi que sur les symptômes subjec-

tifs que la malade a pu éprouver. A son entrée à la Salpêtrière, un mois

416 nUDELO ET llEITZ

auparavant, la surveillante de son dortoir avait remarqué ses jambes torses,

elle l'avait vue rester d'habitude couchée, ne se levant que rarement pour se

traîner péniblement d'un lit l'autre.

Elle paraissait fort affaissée, et ne prononçait que de rares paroles. Personne

ne l'avait accompagnée. Elle ne recevait jamais de visites.

Il nous fallut donc nous contenter d'un examen purement objectif. Ce qui frap-

pait au premier abord chez cette malade était une mélanodermie extrêmement

accusée, étendue uniformément sur le tronc, les bras et les membres inférieurs.

La peau était dans ces régions d'un brun foncé, presque noir.Seules, les parties

habituellement découvertes, face, pieds, mains et partie inférieure des avant-

bras présentaient une coloration un peu plus pâle, se rapprochant de celle des

races jaunes. Nous n'avons pas constaté de taches noires sur les muqueuses.

Le système fibreux était très développé, surtout à la face.

Il y avait des masses ganglionnaires qui soulevaient la peau aux aines, de

chaque côté, et dans l'aisselle droite. Rien de semblable à la région cervicale,

ni dans l'aisselle gauche.

Le crâne ne paraissait pas déformé, c'est à peine si les bosses frontales étaient

un peu saillantes. Il n'y avait aucune trace de cette hypertrophie générale qui

se rencontre dans la plupart des observations. Cependant les os malaires et lès

arcades zygomatiques étaient certainement le siège d'une hypertrophie anor-

male. De même, le maxillaire inférieur, très pointu, avançait fortement, avec

deux bosselures au niveau des canines, maintenant absentes.

Le nez était de dimensions normales, la langue de même. Le corps thyroïde

n'était pas sensible à la palpation. -

Le dos était plat, sans déviations du rachis, mais le sacrum présentait une

arête médiane, épaisse, saillante, très forte, an point d'empêcher la malade de

rester étendue sur le dos, et de la forcer à se coucher sur un des côtés, où un

début d'eschare commençait à se voir.

Cette lésion du sacrum, était avec l'épaississement des crêtes iliaques, la lé-

sion la plus marquée en dehors des altérations des os des membres. Les côtes

ne semblaient pas prises, et la cage thoracique avait gardé sa forme ordinaire.

Membres supérieurs. Les deux clavicules ont leurs courbures fortement

prononcées. L'épine de l'omoplate et l'acromion sont hypertrophiés des deux

côtés.

Les humérus semblent normaux, sauf la tête, un peu accrue de volume.

Les os de l'avant-bras sont lésés des deux côtés, mais surtout à droite

(PI. LIV). Les mains sont normales.

Il n'y a pas d'atrophie musculaire aux différents segments et les réflexes ten-

dineux sont normaux.

Membres inférieurs. - La courbure des fémurs est légèrement exagérée, les

rotules sont normales. Les os des jambes sont extrêmement déformés, tant t

tibias que péronés (PI. LV). Ils forment, de chaque côté, une courbe à conca-

vité externe et postérieure, qui, rapprochant les genoux, écarte les deux ta-

lons. Les épiphyses inférieures des os des deux jambes sont d'ailleurs parfaite-

ment conservées, de forme et de volume. Les pieds ne présentent ni déforma-

NOUVELLE Iconographie DE la SALPt'RIRH,

T. XIV, Pl. LIV

MALADIE DE PAGET

(Hudelo et Heitz)

Cubitus, radius et péroné.

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 417 7

tions osseuses,ni troubles trophiques d'aucune espèce de la peau ou des ongles.

Les muscles de la cuisse et des jambes ont subi une atropliie extrêmement

marquée.

Les réflexes rotuliens sont entièrement abolis. Les réflexes achilléens sont

impossibles à obtenir. Le réflexe plantaire existe, mais il est difficile de dire

s'il se produit en flexion ou extension.

Nous n'avons malheureusement aucun renseignement au sujet des troubles

sensitifs, tant objectifs que subjectifs, qu'a pu présenter la malade.

La musculature externe des yeux semble parfaite. Pas de nystagmus. Les

pupilles sont égales et réagissent nettement a la lumière.

Le foie n'est pas gros, mais la rate dépasse fortement les fausses côtes.

Il n'y a ni sucre, ni albumine, dans les urines prélevées à la sonde.

Le lendemain, 7 avril, la malade meurt à 11 heures du matin.

Autopsie. L'autopsie a été faite le 8 avril, à onze heures, exactement

vingt-quatre heures après la mort.

Nous avons pu constater à ce moment la grande fragilité des os, que le

tranchant du couteau entamait facilement. Comme l'examen de la veille sem-

blait le démontrer, le crâne était indemne, et l'épaisseur de la calotte n'était

en rien augmentée. Les vertèbres étaient de même entièrement saines, et sans

soudures. Par contre, le promontoire était très saillant dans le petit bassin, et

très rapproché de la face postérieure du pubis.

Du côté des viscères, les poumons présentent les lésions étendues de la

broncllOpneumonie qui a entraîné la mort. 11 n'y a pas trace de tuberculose

aux sommets.

Le coeur présente des lésions de péricardite aiguë sans épanchement liquide.

Tous les orifices valvulaires sont normaux, les valves remarquablement sou-

ples. Il en est de même de l'aorte dans toute sa portion ascendante. Poids du

coeur, 190 grammes.

Au niveau de la crosse, quelques plaques d'athérome, qui disparaissent dans

l'aorte thoracique descendante. Par contre, la portion abdominale présente des

lésions extrêmement marquées, une dilatation fusiforme irrégulière, des pla-

ques calcaires multiples pavent sa paroi, depuis le diaphragme jusqu'à sa bi-

furcation et au delà. En effet, les fémorales, les artères des jambes des deux

côtés sont indurées, inégales et fortement incrustées de sels calcairès. '

Nous n'avons pas examiné les artères des membres supérieurs, mais il est

probable qu'elles présentaient les mêmes lésions.

Le foie pèse 1110 grammes et présente quelques taches blanches sous-cap-

sulaires.

La rate pèse 2M grammes. On note un infarctus ancien.

Les reins sont très altérés. Le rein droit pèse 80 grammes. Son pôle supé-

rieur est occupé par un gros kyste urinaire. Il y a une atrophie considérable

de la substance corticale, et la capsule ne se décortique pas. Le rein gauche

pèse 90 grammes ; il contient un kyste urinaire semblable, mais plus petit.

Ses altérations semblent un peu moins prononcées.

Le thymus n'a pas persisté.

418 HUDELO ET HEITZ

Le corps thyroïde, extrêmement atrophié, ne pèse que 10 grammes.

Les capsules surrénales, ainsi que le corps pituitaire, paraissent normales à

l'examen macroscopique.

Les organes pelviens sont le siège d'une atrophie sénile extrêmement accu-

sée. Les ovaires ne pèsent que 2 grammes ensemble.

Le cerveau, le cervelet, la protubérance et le bulbe ne présentent rien de

particulier. Les artères de la base sont relativement souples. La moelle ne

présente, non plus, rien à signaler. Elle est enlevée ainsi que le cerveau.

Nous prélevons aussi le nerf tibial antérieur droit et un fragment du muscle

jambier antérieur du même côté.

Le corps n'ayant pas été réclamé, nous avons pu, deux jours après, enlever

les parties du squelette les plus atteintes, c'est-à-dire les os des deux jambes,

et ceux de l'avant-bras droit.

Examen des os pathologiques-

Morphologie. Les os enlevés ont été photographiés. Ces photographies

sont reproduites aux planches LIV et LV.

Le cubitus droit est long de 22 centimètres, soit 3 centimètres de moins que

la longueur normale. Le cinquième inférieur est seul normal, il présente à ce

niveau 4 centimètres de circonférence. Dans ses 4/5 supérieurs, il offre une

courbure à concavité antérieure et surtout interne. La diaphyse, immédiate-

ment au-dessous de l'épiphyse supérieure a environ 8 centimètres de tour, un

aspect rugueux et poreux. Elle est fortement hypertrophiée.

Les surfaces d'insertion du brachial antérieur et du triceps sont hypertro-

phiées et saillantes.

Des trois bords : 1° le bord postérieur, très épais, rend la face postérieure

excavée et gonflée ;

2° Le bord interne est mousse dans sa partie supérieure. A ce niveau des

couches d'os néoformé le recouvrent, au niveau des insertions du fléchisseur

commun profond ;

3° Le bord interosseux touche directement le radius, et l'espace interosseux

est comme absent.

Le radius droit est également un peu plus court que la normale (20 cent.

au lieu de 23), la partie supérieure est normale (4 cent. de tour), la partie in-

férieure très poreuse ; l'excavation de la face antérieure est fortement exagérée.

A sa partie moyenne, il forme en dehors une convexité marquée (qui se sentait

extrêmement accusée sur le vivant). A ce niveau, des ostéophytes marquent t

l'insertion du rond pronateur. Le bord interosseux est également rngueux et

déformé, au point où il touchait au cubitus.

Les os de la jambe droite sont fusionnés complètement dans leurs 2/3 infé-

rieurs. L'os commun formé par le tibia et le péroné a 32 centimètres de lon-

gueur, 16 de circonférence au tiers inférieur, 20 à la partie moyenne. Le tibia

seul, à son tiers supérieur a 15 centimètres de tour. Le tout décrit une forte

courbe à concavité postéro-externe.

Si nous examinons les détails de la surface du tibia nous constatons que l'épi-

Nouvelle Iconographie de la SALPfirRIÈRt.

T. XIV, Pl. 1.\'

MALADIE DE PAGET

(Hndeln et Heit1)

Squelette de \.\ jambe.

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 419

physe supérieure, friable, poreuse, a gardé sensiblement sa forme. Le tuber-

cule antérieur est très hypertrophié, comme pour une musculature d'athlète,

alors que le quadriceps était extrêmement atrophié. Il en est de même du tu-

bercule de Gerdy et des marques d'insertion des muscles de la patte d'oie. La

gouttière du demi-membraneux est effacée et presque comblée d'ostéophytes.

La diaphyse, à peu près normale en haut, devient à sa partie moyenne irré-

gulière, poreuse, creusée de trous. Le bord antérieur est émoussé et arrondi ;

la face interne, qui répondait à la peau, est convexe ; sur la face externe se

creuse vers le bas une profonde gouttière produite par les extenseurs ; quanta il

la face postérieure, elle a disparu en partie derrière le péroné, soudé à elle.

Le péroné est normal à son extrémité supérieure, l'articulation péronéotibia le

n'étant pas soudée, il est indemne sur une largeur de 9 centimètres, puis il se

soude au tibia. C'est alors une lame aplatie d'avant en arrière. La face anté-

rieure forme avec la face externe du tibia un angle ouvert en avant, au fond

duquel de gros trous, çà et là, dont 2 ou 3 sont seuls entièrement percés, re-

présentent les restes de l'espace interosseux. La face postérieure mesure 4 cen-

timètres à sa partie moyenne, elle est très irrégulière et sans aucune trace des

insertions normales.

Les deux épiphyses inférieures sont soudées, la face antérieure de la mor-

taise ainsi constituée est lisse, mais sur la face postérieure, il subsiste un sil-

lon de séparation des deux os, peu profond d'ailleurs, et au fond de la mortaise,

on distingue des traces de l'interligne péronéotibial inférier .

Le tibiagauche n'est pas fusionné au péroné, il est normal dans son tiers

inférieur, fortement courbé dans ses deux tiers inférieurs, mais en somme

beaucoup moins altéré que le tibia droit.

Le péroné droit est normal quant à son épiphyse. A son extrémité supé-

rieure, il est soudé au tibia par fusion osseuse des surfaces articulaires, à sa

partie moyenne, il est aplati d'avant en arrière. Sa face antérieure, large de

de 3 centimètres, présente deux crêtes très marquées, limitant les deux surfa-

ces d'insertion des péroniers, et une longue bande interne, pour le ligament

interosseux. Sa surface postérieure est séparée par une crête rugueuse en deux

surfaces pour le jambier postérieur et le fléchisseur des orteils. Le bord in-

terne est en contact immédiat avec le tibia, comme à l'avant-bras droit, l'es-

pace interosseux n'existe plus, mais les deux os sont encore libres l'un de

l'autre.

En somme, nous pouvons constater que les déformations osseuses sont en

grande partie sous la dépendance des insertions musculaires. On savait déjà que

les muscles modelaient les os, que les rugosités d'insertion étaient en rapport

direct avec la force du muscle qui y attachait ses tendons. Il semble que l'os,

ramolli (comme l'expliquera l'examen de la composition chimique), exerce une

moins grande résistance aux forces qui agissent sur lui. Sa surface d'insertion

du quadriceps droit sur le tibia est extrêmement saillante parce que le tibia est

extrêmement altéré, et cette déformation doit dater de l'époque où le quadriceps

n'était pas encore atrophié. Cette disposition se perd dès que les déformations

atteignent un certain degré, et alors la nutrition viciée produit ici des ostéo-

420 UUDELO ET IIEITZ

phytes compacts exubérants, là de l'ostéoporose, sans cause apparente, et

comme par hasard. Notons seulement cette tendance à la fusion des os juxta-

posés, fusion réalisée à la jambe droite. Cette particularité n'existe pas dans la

plupart des observations publiées et que nous avons pu consulter.

Composition chimique. -- Un fragment de la portion moyenne du tibia

gauche, a été prélevé aussitôt après l'autopsie pour l'analyse chimique. M. Hé-

ritier, interne en pharmacie du service, a bien voulu pratiquer cette analyse et

nous a remis les résultats suivants :

Matières organiques.. 39,2 0/0 (proportion normale, 33,30).

Matières minérales .. 60,8 0/0 (proportion normale, 66,70).

Il y a donc une augmentation notable de la proportion des matières organi-

ques, ce résultat correspond bien à l'état de mollesse que nous avons constaté

à plusieurs reprises pendant l'autopsie, et il explique suffisamment la déforma-

tion d'origine musculaire qui se voit sur les os, au début du processus pa-

thologique. L'observation de Gilles de la Tourette et Magdelaine (1) comprend

une analyse chimique d'os de Paget, et on voit noté 21 0/0 de matières organi-

ques, contre 79 0/0 de substances minérales, soit une perturbation toute diffé-

rente. Par contre A. Robin (2) note une augmentation des matières organiques

et une diminution des sels. '

Quant aux proportions des différents sels, nous avons trouvé :

NOUVELLE Iconographie de la SALPÊrKlERL T. XIV. PI. LVI

Cliché Infroit Phototypie Berthaud

MALADIE DE PAGET

(Hudelo rl Heitz)

Radiographies des os péroné, cubitus et radius.

Masson & Cie, Editeurs

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. r. XIV. PI. 1.\'11 II

Cliché Infroit Illiototypie Berthaud

MALADIE DE PAGET

(Hudelo et Heilz)

Radiographies des tibiis ; au milieu, un tibia normal.

o

Masson & Ch, Editeurs

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 421

sur un plan horizontal, qui les font communiquer entre eux et avec les lacunes.

En d'autres endroits, les canaux de Havers sont au contraire très rétrécis. Il y

a des zones compactes où ils ont entièrement disparu. En somme mélange

d'ostéite raréfiante et d'ostéite condensante. Mais il y a plus : Le trait le plus

caractéristique de cette coupe d'os est certainement le bouleversement complet

de toute l'organisation des systèmes lamellaires, la perte de l'ordonnance cir-

culaire des travées osseuses autour des canaux de Havers, de l'ordonnance

architecturale de l'os tout entier.

Dans l'observation de Gilles de la Tourette et Marinesco (1), on trouve un

examen d'os pratiqué par M. Gombault, qui a noté une raréfaction du tissu

osseux, par élargissement progressif des canaux de Havers, dont la fusion

donne lieu à la formation des lacunes. Mais pas de néoformation osseuse. Moi-

zard et Bourges (2), après décalcification, notent également un certain degré de

raréfaction. Par contre, M. Thibierge (3), sur quatre examens histologiques, a

trouvé chaque fois, à côté des zones raréfiées, des zones d'ostéite néoformatrice

caractérisées par le rétrécissement des canaux de Havers, et la présence de

systèmes lamellaires ayant perdu leur direction concentrique.

Examen 1'adiog1'alJ/¡ique. - Nous avons fait reproduire, planches LVI et

Lllt, les radiographies des os enlevés à l'autopsie, et pour comparaison, la

radiographie d'un tibia normal. Nous devons ces radiographies à l'obligeance et

à la grande habileté de M. Infroit (4). Le tibia gauche a été soumis aux

rayons X aussitôt après l'autopsie, les autres os après ébullition et dessiccation.

On peut facilement constater que cette opération n'a en rien modifié les résul-

tats de la radiographie.

L'os sain offre une image relativement sombre, opaque surtout aux bords,où

une ligne plus ombrée limite la cavité médullaire. Les travées osseuses se trou-

vent figurées dans la diaphyse par de longues lignes noires parallèles ou très

légèrement obliques, formant entre elles des mailles allongées, très régulières.

Au niveau des épiphyses, les travées s'épanouissent pour se porter vers les

surfaces articulaires pour les atteindre perpendiculairement. Ace niveau, elles

sont croisées transversalement par d'autres travées, qui forment avec les pre-

mières le tissu spongieux. Ces travées transversales n'apparaissent pas dans

la diaphyse.

Prenons maintenant les os pathologiques. Le tibia gauche présente très net-

tement un aspect général plus clair que le tibia normal. Au lieu d'un réseau

régulier, les travées osseuses sont irrégulièrement emmêlées comme les fils

d'un écheveau. L'épiphyse inférieure a gardé seule sa structure (on sait que

(1) Gilles DE la TOUIIET'rE et MAIiINESCo, Nouv. Icon. de la Salp., 1896.

(2) Moizard et BOURGES, Arch. méd. expérim., 1892.

(3) Thibierge, Arch. gén. méd., 1870, f. 32.

(4) Ces radiographies ont été présentées à la Société de neurologie (Séance du 4 juil-

let 1901). Il n'avait été publié auparavant qu'une seule radiographie d'ostéite de Paget,

par L. Lévi et A. Londe (Nouv. Icon. de la Salp., 4897, f. 198). Depuis, le 19 juillet

dernier, M. Béclère a présenté à la Société médicale des hôpitaux les radiographies

d'un malade du service de M. Gailliard.

422 HUDELO ET nEITZ

souvent les épiphyses inférieures des os de la jambe sont normales dans la

maladie de Paget). Une série de coupes la scie pratiquées sur ce même tibia

gauche nous ont permis de constater le parallélisme très exact entre la figure

radiographique et l'état objectif de l'os. Aux taches sombres correspond l'os-

téite condensante, aux teintes claires, l'ostéoporose. Ainsi, au niveau de l'union

du tiers inférieur avec les 2/3 supérieurs', l'ombre opaque du bord externe

correspond à une couche compacte épaisse de plus de 15 millimètres, tandis

qu'en dedans, au même niveau, cette épaisseur est réduite à un ou deux mil-

limètres. '

De même les condyles interne et externe, l'un noir, l'autre clair, sont le

siège d'ostéite condensante pour le premier, raréfiante pour le second.

Les radiographies des autres os nous donnent des résultats comparables. Sur

le péroné gauche, on voit que le cylindre diaphysaire, épaissi en dehors, est

mince en dedans. On peut remarquer un nombre considérable de travées

transversales, surtout à la partie moyenne.

Quant aux tibia el péroné droits, ils sont lésés dans toute leur hauteur et

fusionnés dans toute la moitié inférieure, comme nous l'avons vu. La radiogra-

phie montre qu'il y a eu un travail de néoformation osseuse, constitué de

minces lamelles à la région moyenne, mais au niveau des épiphyses inférieures

on voit deux épais trousseaux osseux passer en se croisant d'un os sur l'autre.

Dans le tibia on note aussi de nombreuses travées horizontales dont quelques-

unes se prolongent jusque dans la diaphyse péronéale. Toute structure normale

a disparu, l'incohérence a entièrement remplacé l'architecture régulière et sim-

ple où les travées se disposent toujours parallèlement aux pressions, perpen-

diculairement aux surfaces d'articulation.

Le cubitus droit n'est altéré que dans ses deux tiers supérieurs. L'épiphyse

supérieure forme une sorte de géode dans le tissu spongieux. Ce tissu ne s'é-

paissit que dans l'épaisseur des becs olécrânien et coronoïdien. La diaphyse est

raréfiée sauf au niveau de la torsion qu'elle subit à son milieu. Là, le tissu,

plus compact, forme une tache sombre. Quant au radius correspondant, il pré-

sente un minimum de lésions. Ce qui frappe le plus, dans sa radiographie, c'est

une dislocation des travées osseuses au niveau du tiers supérieur de la dia-

physe.

Nous pouvons considérer cet aspect irrégulièrement réticulé, comme le dé-

but du processus d'ostéite, dans la maladie de Paget. Mais il ne faut pas oublier

que les radiographies ci-jointes ont été prises sur des os dépouillés des parties

molles. Il serait très important de savoir si, sur le vivant, on pourrait obtenir

les mêmes détails, qui seraient alors d'un grand secours pour le diagnostic, au

début de l'affection. Dans sa communication à la Société médicale des hôpitaux,

M. Béclère constatait que les os atteints étaient devenus opaques, et aux rayons

X, avaient perdu toute transparence, toute structure. Il en tire des conclusions

au point vue de la lésion du début qui ne concordent pas avec les résultats de

nos examens tant radiographiques qu'histologiques.

La lésion ne nous a pas paru sous-périostée, comme le pense M. Béclère, mais

intéressant toute l'épaisseur de la diaphyse. Il ne se fait pas de couches super-

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 423

ficielles d'os nouveau, mais il y a un bouleversement général de tous les systè-

mes de Havers. Nous pensons que, même sur le vivant, les os de notre malade

auraient donné des épreuves riches en détails. M. Infroit nous a obtenu à plu-

sieurs reprises, chez des acromégaliques, rachitiques, etc., des clichés oü appa-

raissaient les plus fins détails de structure de ces os pathologiques enveloppés

des parties molles. Que conclure, sinon que l'ostéite déformante de Paget est

une affection qui n'est pas toujours semblable ci elle-même, et que de nouveaux

examens sont nécessaires sur ce point.

Examens histologiques.

Le foie présentait les lésions du foie artérioscléreux. Epaississement des pa-

rois des artères, pas d'épaississement des veines. Renforcement de la capsule

de Glisson, d'où par endroits se détachaient des bandes de sclérose enfoncées

dans le tissu glandulaire. Légère prolifération fibreuse au niveau de l'espace

porte, mais bien moins marquée que sur les foies de vieillards ayant succombé

à la stase cardiaque. Peu de chose en somme.

La rate a également sa capsule légèrement épaissie. Les corpuscules de Mal-

pighi ont disparu en grande partie, et les cloisons conjonctives ainsi que les

artérioles sont manifestement scléreuses.

Les reins présentent des lésions histologiques importantes, mais assez diffé-

rentes de degré selon les points. Presque tous les glomérules sont atteints plus

ou moins d'un certain degré d'atrophie. Beaucoup ont autour d'eux un anneau

de périglomérulite. Peu cependant sont complètement oblitérés. Les tubuli et

les anses de Henle sont assez bien conservés, les cellules ne sont pas déformées

et le noyau se colore bien. Seule la membrane est un peu épaissie. Ce qui

frappe le plus,c'est un épaississement général du stroma conjonctif.Les artères

s'y dessinent par des anneaux très renforcés et autour d'elles le tissu fibreux

s'étoile dans les interstices des éléments nobles, étouffant çà et là quelques

tubes et quelques glomérules. Au voisinage des kystes, on voit les vaisseaux, les

cavités glomérulaires s'aplatir, les tubes contournés s'orienter parallèlement

à la paroi du kyste, le tissu conjonctif devenir plus abondant, jusqu'à former

un anneau fibreux épais, qui refoule et rétracte à la fois les tissus voisins. En

somme, il semble que la formation kystique est, plutôt que l'atrophie scléreuse,

l'origine et la cause de la diminution considérable du poids des deux reins.

Le corps pituitaire a sa structure normale. Le. stroma ne présente pas de

traces d'épaississement, les cellules sont bien colorées, les artérioles même ne

semblent pas atteintes par le processus artérioscléreux et ont une paroi rela-

tivement mince.

Le corps thyroïde, par contre, nous montre une sclérose intense de tout l'or-

gane. Sa capsule, très épaissie et adhérente aux organes voisins, contient par

endroits du tissu musculaire et graisseux. De larges bandes de tissu fibreux,

parsemées de rares noyaux, et creusées de volumineux sinus sanguins, par-

courent le champ du microscope. Presque toutes les artérioles sont oblité-

424 HUDELO ET HEITZ

rées. Les alvéoles comprises entre ces bandes sont remplies de tissu thyroï-

dien profondément altéré. Les vésicules sont séparées les unes des autres

par des bandes fibreuses plus étroites et qui se rattachent aux grandes bandes

que nous venons de décrire. Certaines de ces vésicules, il peu près normales,

contiennent encore la matière colloïde. Beaucoup se sont atrophiées, et à leur

place s'est formée une vésicule géante, unique. D'autres sont remplies de cel-

lules épithéliales proliférées et serrées les unes contre les autres, comme dans

un adénome au début. Enfin en certains points on ne retrouve qu'une infil-

tration diffuse des cellules rondes, disposées sans ordonnance et où on ne

distingue plus les cellules thyroïdiennes des leucocytes migrateurs diapédésés.

-On ne voit pas de matière colloïde éparse dans le tissu.

Les capsules surrénales ont été examinées en plusieurs points des deux orga-

nes, et nous avons trouvé uniformément sur chacune des préparations, les si-

gnes manifestes d'une sclérose très avancée. La membrane conjonctive d'enve-

loppe, sur toute la périphérie, est transformée en une coque très épaisse, qui

en certains points pénètre profondément en coin dans le tissu glandulaire. Le

tissu adipeux voisin est traversé d'épais tractus fibreux émanant d'artérioles très z

altérées. De cette coque fibreuse émanent çà et là des bandes de tissu con-

jonctif adulte qui, pénétrant dans la substance corticale, lui donnent un aspect

lobulé en isolant entièrement des quartiers de la glande.

Les expansions conjonctives qui accompagnent les vaisseaux, traversent

tout l'organe et pénètrent jusque dans la substance médullaire, s'y terminant par

un épanouissement de tissu scléreux qui remplace le stroma normalement très

fin de cette substance médullaire. Cette gangue épaisse étouffe en certains en-

droits complètement les cellules glandulaires, et on ne trouve plus alors qu'une

large nappe de tissu conjonctif creusée de petits lacs sanguins. Ces ilots de

sclérose centrale sont réunis à la coque par des colonnes de tissu conjonctif

disposées en sens radiaires, et où se placent les boyaux épithéliaux de la subs-

tance corticale, formés de cellules normales, à gros noyaux, présentant fort peu

de granulations graisseuses (contrairement à ce que l'on trouve d'habitude chez

les vieillards) et qui à certains points, s'hypertrophient, refoulent le tissu

fibreux, et semblent évoluer vers le processus adénomateux. Nous avons vu

quelque chose de semblable du côté du corps thyroïde.

Système nerveux. - Les circonvolutions cérébrales, après durcissement

dans le lllüller, ont été examinées par fragments inclus à la celloidine et colo-

rés au carmin. Ici, là pie-mère est d'épaisseur normale, les vaisseaux situés à sa

face profonde sont normaux. Dans la' substance grise, les cellules ont le nom-

bre et le volume normaux, les vaisseaux sont sains, il n'y a pas trace de sclérose

névroglique.

La moelle a été également durcie dans le Mùller, mais auparavant des frag-

ments ont été prélevés au niveau des renflements cervical et lombaire, durcis

dans l'alcool et examinés par la méthode de Nissl. Les résultats ont été compa-

rables aux deux régions.

Les cellules radiculaires des cornes antérieures apparaissent en nombre nor-

mal, sans qu'aucun des groupements paraisse atrophié. Un bon nombre de ces

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET ' 425 5

cellules sont absolument saines, les éléments chromatophyles très nets unifor-

mément répandus dans tout le protoplasma et jusque dans les prolongements,

la substance fondamentale légèrement bleuie, le noyau central. Certaines pré-

sentent une pigmentation excessive, les 2/3 du protoplasma étant occupés par

une masse jaunâtre, ambrée, formée de granulations très fines et très serrées.

D'autres sont très petites, ou ont jusqu'à un certain degré l'état poussiéreux

des cbromatophyles, d'autres enfin ont subi la migration du noyau. Mais nous

n'avons trouvé ni cellules gonflées, ni cellules surcolorées, couvertes d'une

teinte bleue générale, et ces anomalies, qui d'ailleurs n'atteignent qu'un nom-

bre restreint de cellules radiculaires, ne sont que les lésions de la vieillesse.

Nous savons d'ailleurs qu'il est constant de les trouver ci l'état normal, et qu'à

ce degré, elles ne sont susceptibles d'aucune interprétation spéciale.

Les renflements cervical et lombaire ont été coupés et colorés,partie au Pal,

partie au carmin. Les différentes coupes présentent sur toute la hauteur des

lésions manifestes de sclérose d'origine vasculaire. La pie-mère est épaissie

sur toute la circonférence, le canal épendymaire est oblitéré, dans toutes les

coupes, par une prolifération épithéliale. Partout la névroglie est épaissie par

travées le long des vaisseaux, et ceux-ci sont entourés d'une zone étoilée

de sclérose, surtout dans la substance blanche. Nous n'avons pas trouvé de

corps amyloïdes, ni dans la substance grise, ni dans la substance blanche. Les

artères sont épaissies considérablement sous la pin-mère et dans les sillons. La

lumière de beaucoup d'entre elles est rétrécie par la prolifération endothéliale,

et une zone de sclérose périartérielle se continue avec la sclérose névroglique.

Mais les lésions s'arrêtent là, il n'y a ni dilatations vasculaires, ni hérnot'rl13-

gies, ni foyers de ramollissements.

A la région cervicale, les coupes au Pal ne montrent pas de zones pâles dans

la substance blanche. Au carmin, on note çà et là quelques gaines étouffées

par la sclérose sur le bord du cordon latéral et dans le cordon postérieur. A la

région lombaire, on retrouve exactement le même aspect. Ou note cependant,

à partir de la portion inférieure de la région dorsale, et jusqu'aux dernières sa-

crées.une légère raréfaction des fibres de la zone de Lissauer, entre le bord ex-

terne du cordon postérieur, la zone spongieuse de la substance gélatineuse

la corne postérieure et le cordon latéral. Cette raréfaction se prolonge légère-

ment dans l'angle postéro-interne de ce cordon latéral. Au carmin, on peut

constater une sclérose plus marquée à ce point que dans les deux cordons voi-

sins. Cette zone, on le sait, formée de fibres très fines provenant des racines

postérieures, est une des premières prises dans le tabès; on se rappelle d'autre

part que la malade avait les réflexes rotuliens abolis. En tout cas, il ne s'agit

là que d'une lésion légère. Les zones radiculaires internes sont d'ailleurs abso-

lument indemnes, et d'autre part les racines examinées ont été trouvées intac-

tes. Il ne semble donc pas qu'il faille attribuer une importance spéciale ci cette

lésion, peu importante au surplus. En somme, les lésions de la moelle (très

marquées lorsqu'on la compare à l'état du cerveau) sont purement d'ordre vas-

culaire. C'est une moelle sénile, artérioscléreuse, lésée par ses artères, tandis

426 ' HUDELO ET HEITZ

que, les artères du cerveau étant restées saines, celui-ci se trouve absolument

indemne, et en parlait état.

Nerfs périphériques. - Le nerf tibial antérieur droit ayant été seul prélevé

à l'autopsie, nos examens à notre grand regret, n'ont pu, porter que sur lui

seul. Dans le tronc principal, les petits vaisseaux du tissu conjonctif d'enve-

loppe, et ceux contenus dans l'intérieur du faisceau nerveux sont tous notable-

ment épaissis, certains imperméables. La gaine lamelleuse est légèrement

épaissie, le tissu conjonctif interstitiel ne semble pas pris. Quelques gaines de

myéline çà et là paraissent vides. Sur un petit filet détaché, ou note, très

nettement que les tubes nerveux sont très clairsemés, que la gaine de Schwann,

sur chaque tube nerveux, est double ou triple d'épaisseur, et la gaine de myé-

line légèrement amincie. Ici, les artérioles sont très altérées, et il y a un peu

de sclérose conjonctive. C'est à un degré peu avancé, ce que Joffroy et

Achard (1), Dutil et Lamy (2), ont décrit comme névrite d'origine vasculaire.

Quant aux muscles, ils ne paraissent pas très atteints. Il n'y a pas de pro-

lifération conjonctive et la fibre striée semble avoir conservé sa structure nor-

male. ·

Le tableau clinique que nous avons donné de notre malade se distin-

gue, au point de vue de la répartition des lésions par quelques points un

peu spéciaux : L'intégrité des os du crâne semble enlèvera l'ensemble un

des [raids les plus caractéristiques de la maladie de Paget. Il a pu être

constaté à l'autopsie, dans le cas présent, que le crâne n'avait absolument

rien, mais un certain nombre d'observations notent également l'absence

de lésions osseuses du côté du crâne [Voyez les observations d'ostéite de

Paget, de Thibierge (3),Martel (4), Moizard et Bourges (5), A. Robin (6)].

L'intégrité des humérus et des fémurs se retrouve également dans plu-

sieurs observations. Il semble bien que les lésions soient toujours plus ou

moins irrégulièrement distribuées. Les tibias, qui sont ordinairement

très atteints, étaient normaux chez le malade de L. Lévi (7). Une des parti-

cularités de notre observation réside dans la fusion partielle du tibia et du

péroné droit, fusion qui semble être l'aboutissant du trouble profond de

la nutrition de ces os.

Nous pouvons encore faire une remarque importante. Il s'agit de l'état

d'artériosclérose très avancé dans lequel se trouvait la malade. Encore

cet état était-il inégal selon les points. Ainsi le coeur était normal, les

(1) Joffroy et Achard, Arch. méd. expér., 1889, p. 229.

(2) DUTJL et LAMY, Arch. méd. expér., 1892, p. 102.

(3) Thibierge, loc. cit.

(4) Martel, Gaz. méd., Paris, 1886, p. 251.

(5) Moizard et Bourges, loc. cil.

(6) A. Robin, loc. cit.

(1) L. Lévi, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1897, f. 113.

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 427 7

valvules auriculo-ventriculaires et artérielles souples, comme chez une

jeune femme. La portion ascendante de l'aorte, sa crosse, sa portion

thoracique étaient également très peu atteintes par l'athérome. Par contre,

l'aorte abdominale était extrêmement lésée, ainsi que les artères des

membres. Les vaisseaux de l'encéphale, des os du crâne, du cerveau, du

corps pituitaire étaient sains ; par contre, ceux du corps thyroïde, du foie,

de la rate, des capsules surrénales, des reins étaient extrêmement épaissis,

indurés, parfois même oblitérés, dans l'intimité des tissus de ces organes.

Il est bien évident que les lésions de tous ces viscères doivent être expli-

quées par l'athérome de leurs artères. Cela est, surtout évident pour les

reins, si l'on rapproche de leur état histologique l'absence d'albuminurie,

d'oedème, d'hypertrophie cardiaque.

Cette conclusion peut vraisemblablement s'appliquer de même au corps

thyroïde et aux capsules surrénales, à la moelle et aux nerfs. On peut

expliquer ainsi facilement l'intégrité du corps pituitaire et du cerveau.

Avant d'aller plus loin, voyons si les observations antérieures corres-

pondent sur ce point à la nôtre. Presque toutes, à commencer par celles

de Paget, notent de grosses lésions cardiaques. Le malade de Thibierge (1)

avait le 2e bruit aortique exagéré, les artères dures, le pouls brusque.

Marie (2) note chez sa malade une artériosclérose généralisée et rapporte à

Redman (3) la priorité de cette observation chez les ostéites de Paget.

Dans Moizard et Bourges (4), nous trouvons : « quelques plaques d'allié-

rome dans la portion ascendante de la crosse et aux valvules aortiques

sur la valve gauche de la mitrale; une vessie à colonne, à parois très

épaissies, de l'hypertrophie des lobes latéraux de la prostate ».

Dans Gilles de la Tourette et Magdelaine (), dans A. Robin (6), dans

Meunier (7), l'aorte est chaque fois signalée athéromateuse. L. Lévi (8)

nous décrit : « la valvule mitrale épaissie et rugueuse; mêmes lésions

moins marquées à la tricuspide ; les valvules aortiques calcifiées ; l'aorte

dilatée à son origine athéromateuse dans tout son trajet, mais surtout à la

portion abdominale; les artères des membres épaissies, tortueuses, irré-

gulières ; les reins kystiques ; les artères encéphaliques épaissies, la pie-

mère du cerveau et de la moelle épaissie et semée de plaques calcaires.

Enfin chez le malade de Gaillard, Béclère (9), par la radiographie,

(1) Thibierge, loc. cil.

(2) Marie, Soc. méd. hôpit., 10 juin 1892.

(3) Redman, Illustrated médical news.

(4) Moizard et Courges, 10C. cil.

(5) GILLES DE la Tourette et MAGDELAI/OE, IOC. cit.

(6) A. Robin, loc. cit.

(1) Meunier, Nouv. Icon. Salp., 1894, f. 11.

(8) L. Lévi, loc. cit.

(9) Béclère, Soc. méd. hôp., 19 juillet 1901.

428 HUDELO ET HEITZ

met en évidence toutes les artères des membres, jusqu'aux arcades plan-

taires et palmaires, restées blanches sur les clichés, non traversées,

flexueuses, annelées ; c'est la démonstration la plus évidente de leur in-

crustation calcaire. L'observation nécroscopique de Guinon (1) semble

seule faire exception. Il est noté que le coeur est normal, que l'aorte est

saine, mais il n'y a pas d'examen histologique des viscères, et il est bien

possible que, comme chez notre malade, les lésions artérielles se soient lo-

calisées dans les petits rameaux.

En tout cas, ces constatations presqu'unanimes nous paraissent être

d'imporlance capitale,.si nous nous plaçons au point de vue de la patho-

génie de l'affection qui nous occupe. Nous le verrons bien en examinant

les différentes théories qui ont été mises en avant ces dernières années.

1° Hypothèse de la. lésion médullaire. - Gilles de la Tourette et Mari-

nesco (2), dans leur article intitulé la lésion médullaire de la maladie de

Paget, avaient décrit comme telle les altérations des cordons postérieurs

qu'ils avaient rencontrées dans deux autopsies successives. Au niveau de la

région dorsale inférieure et moins prononcée dans la région lombaire, ils

ont noté une raréfaction notable des fibres nerveuses, dans la partie

moyenne des cordons postérieurs et dans la zone radiculaire postérieure.

Les zones radiculaires moyennes étaient partout conservées. Ils faisaient re-

marquer que cette localisation était très différente de celle du tabes, que

d'ailleurs les racines, les cellules radiculaires antérieures et la colonne de

Clarke étaient normales. Ilistologiquement, il n'y avait qu'un peu d'épais-

sissement du tissu de soutènement, sans sclérose véritable. Ils terminaient

en réclamant de nouveaux faits avant de pouvoir affirmer que là était bien

la cause de l'ostéite déformante.

Cliniquement, Pic (3) présentant un cas de maladie de Paget, à une

société lyonnaise, faisait remarquer chez son malade de l'exagération des

réflexes et de la contracture des adducteurs, et en usait pour conclure à une

lésion médullaire.

Mais les nouveaux faits ne semblent pas très favorables à cette manière

de voir. L. Lévi (4), après avoir longuement décrit les altérations médul-

]aires de son sujet, déclare n'y voir que des lésions séniles, d'ordre vascu-

laire. Selon lui, la coïncidence de ces lésions avec l'ostéite déformante

tient vraisemblablement à ce que toutes deux dépendent de la même cause.

Nous avons, dans la moelle de notre malade, trouvé exactement les mê-

(1) GUINO, Soc. anat., 1885, f. 344.

(2) Gilles de la TOURETfE et Marinesco, loc. cil,

(3) Pic, Lyon médical, 1897, p. 425.

(4) L. LÉVI, loc. cit.

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 429

mes lésions de moelle sénile que L. Lévi, et elles ne nous ont pas paru,

non plus qu'à cet auteur, pouvoir expliquer les lésions osseuses.

Quant aux vues théoriques basées sur l'état des réflexes, elles tombent

si l'on parcourt l'ensemble des observations cliniques. Quelques-unes ne

notent que des douleurs fulgurantes, dans plusieurs, les réflexes sont

portéscomme normaux (Gilles de la Tourelle, Meunier, L. Lévi). Chez

notre malade, ils étaient abolis. Les modifications des réflexes, dans la

maladie de Paget, nous paraissent dépendre de la localisation des lésions

vasculaires. Prédominent-elles sur les cordons latéraux, les réflexes seront

exagérés, sur les cordons postérieurs, ils seront abolis.

Récemment, Curcio (1) a décrit dans la moelle un centre trophique

des os, qu'il a déterminé expérimentalement, en soustrayant des os après

en avoir provoqué artificiellement la nécrose. Il a obtenu dans tous les cas

la chromatolyse d'un seul groupe cellulaire du côté correspondant, au

voisinage du canal central. La lésion de ce groupe cellulaire tiendrait

sous sa dépendance les altérations trophiques des os, la proximité du canal

central expliquant la fréquence de ces altérations osseuses dans la syrin-

gomyélie, par exemple. On a pu voir, que, par la méthode de Nissl, nous

n'avons pu mettre en évidence aucune altération localisée à un groupe

cellulaire.

2° Hypothèse de la lésion d'une glande vasculaire sanguine. - Depuis

que la lésion du corps pituitaire semble unanimement reconnue comme

la cause probable de l'acromégalie, on devait en arriver à admettre une

lésion du même ordre pour expliquer l'ostéite déformante de Paget. Il est

à remarquer que la plupart des relevés d'autopsie soient muets sur l'état

des glandes à sécrétion interne. On peut admettre en tout cas, qu'il n'y

avait en aucun cas de grosses lésions du corps pituitaire. Nous l'avons

d'ailleurs trouvé normal.

Le corps thyroïde est signalé très petit dans l'observation de Thibierge.

D'autre part, L. Lévi, histologiquement, a trouvé une sclérose très accu-

sée avec de grosses lésions vasculaires et parenchymateuses. On a vu que,

dans notre cas, les lésions étaient encore plus avancées. On ne peut tirer

aucune conclusion de faits aussi restreints en nombre. Mais il serait bon

que les examens nécroscopiques tinssent compte dorénavant de l'état du

corps thyroïde.

L'état des capsules surrénales n'est noté non plus dans aucune obser-

vation. Nous les avons trouvées extrêmement lésées, mais chez notre ma-

lade il existait un symptôme qui semble à première vue devoir être rat-

taché à cette lésion : la mélanodermie.

(1) Cuncio, Annali di medicina navale, novembre 1898, analysi in R. N. 1899, p.252.

430 HUDELO ET HEITZ

La mélanodermie n'est notée dans aucune des observations d'ostéite de

Pajet que nous avons pu consulter. Cependant, M. P. Marie (1) a présenté

à la Société médicale des hôpitaux, une jeune femme de 29 ans, atteinte

de déformations osseuses diaphysaires des tibias, fémurs, radius et cubitus,

et qui était mélanodermique. Il ne la considérait pas comme atteinte de

la maladie de Pajet, vu l'absence d'altérations crâniennes, l'âge et la forme

des tibias, qui étaient tuméfiés, mais non recourbés en yatagan. Cette

jeune femme était cachectique et présentait des signes de tuberculose au

début. Il n'y eut pas d'autopsie. Mais la maladie d'Addison était présu-

mable. Dans notre cas également, il semble y avoir simplement une coïn-

cidence.

La sclérose de la capsule surrénale est une lésion très rare ; Pilliet (2)

rapporte un cas de cancer du pancréas, où la capsule surrénale présentait

des altérations très semblables à celles que nous avons décrites un peu

plus haut. Il déclare n'avoir pas encore rencontré cet état qu'il n'hésita

pas à qualifier de cirrhose. Le texte ne dit pas si la malade avait la peau

bronzée, mais vu le mal qui avait amené la mort, la coloration ictérique

devait prédominer.

Lefas (3) rapporte également deux cas de sclérose plus ou moins com-

plète de la capsule. Il n'y avait pas de pigmentation. Par contre, nous

trouvons dans le traité de Lancereaux (t. III, f. 792), un cas de sclérose

des capsules chez une femme de 30 ans, observé par Iladden (4), et où la

malade avait présenté une mélanodermie extrêmement accusée.

Nous croyons donc que l'état bronzé de la peau de notre sujet s'explique

très simplement et très suffisamment par l'extension du processus artério-

scléreux aux capsules surrénales, organes qui, pour une raison que nous

ignorons restent ordinairement indemnes, même lorsque la plupart des

autres viscères sont profondément touchés.

3° Hypothèse de l'état athéromateux de l'artère nourricière de l'os.

M. Béclère (5), après avoir montré à la Société médicale des hôpitaux les

différentes artères des membres sur les radiographies du malade de Gail-

liard, et avoir fait remarquer qu'on distinguait, sinueuses, annelées, jus-

qu'aux arcades plantaire et palmaire, a émis l'hypothèse que les altéra-

tions osseuses tenaient sans doute simplement à une mauvaise nutrition de

l'os, sous la dépendance de l'état athéromateux de son artère nourricière.

Par là s'expliquait très facilement ce fait, que tous les cas de maladie de

(t) Marie, Soc. méd. hôp., 15 janvier 1892.

(2) PiLLieT, Soc. anat., 1893, p. 508.

(3) LEFAS, Soc. anat., 1896, p. 917.

(4) HADDIN, Transact. of the path. soc. of London, 1885, t. 36, p. 436.

(5) Béclère, loc.. cil.

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 431

Paget s'étaient rencontrés chez des sujets atteints d'artériosclérose généra-

lisée. On peut expliquer de même facilement l'irrégulière distribution des

lésions qui atteignent un os et épargnent l'os voisin, une phalange, un

métacarpien, au milieu des autres restés sains. Il est frappant pour l'es-

prit, de constater, dans le cas qui nous est personnel, l'intégrité des ar-

tères du corps pituitaire, du cerveau et des os du crâne, si l'on se rappelle e

que ce dernier était intact. Mais d'autre part, si les cas d'artériosclérose

généralisée sont fréquents, les cas de maladie de Paget sont très rares, et

une autre explication est peut-être encore possible. '

Lors de la deuxième autopsie de Gilles de la Tourette (1), les troncs ner-

veux des membres inférieurs ont été examinés. On y a trouvé un processus

de névrite interstitiel d'origine vasculaire (hyperplasie de la gaine lamel-

leuse, augmentation du tissu conjonctif intra-fasciculaire, état légère-

ment clairsemé des fibres nerveuses. L. Lévi (2) a également trouvé dans

le tronc du sciatique, de l'endopériartérite prononcée et une raréfaction

diffuse assez accentuée des gaines de myéline. Nous avons pu noter dans

le tronc du nerf tibiai antérieur des altérations de même ordre, plus pro-

noncées sur un petit filet, où la gaine de Schwann de chaque tube ner-

veux était d'une épaisseur anormale. Il est donc un fait certain, que dans

les trois cas où des nerfs des membres inférieurs ont été examinés, ils

ont été trouvés, comme presque tous les tissus de l'organisme, atteints

plus ou moins de sclérose d'origine vasculaire.

La névrite interstitielle du nerf nourricier de l'os expliquerait le trou-

ble profond de la nutrition et de l'évolution du tissu osseux. En effet, si

l'état athéromateux de l'artère nourricière, rend parfaitement compte de

l'ostéoporose sénile, de tout processus de raréfaction, un trouble de l'in-

nervation explique peut-être mieux le travail de néoformation et le bou-

leversement complet de l'architecture qui nous a paru le trait dominant

des lésions osseuses. Pour trancher cette question, que nous ne pouvons

résoudre actuellement, il faudrait, dans les autopsies de maladie de Paget,

prélever pour chacun des grands os l'artère et le nerf, et étudier ce der-

nier, tant sur coupes que sur des dissociations. Pour le moment, nous

sommes toujours obligés d'avouer que nous ne connaissons pas la lésion

initiale, le point de départ des malformations osseuses de la maladie de

Paget.

(1) Gilles de la Tourette MAMNESCO, loc. cit.

(2) L. Lévi, loc. cil.

L'INFLUENCE SUR LE TRAVAIL VOLONTAIRE D'UN MUSCLE

DE L'ACTIVITÉ D'AUTRES MUSCLES

PAR

CH. FÉRÉ,

Médecin de Bicêtre.

H. F. Weber et Fechner ont signalé l'influence et l'éducation des mou-

vements d'un membre sur les adaptations motrices de son congénère.

Vollcmann a relevé des faits analogues relativement à la sensibilité, et

depuis, un grand nombre de faits ont mis en lumière l'influence croisée

de l'éducation (1).

Mais l'influence des mouvements d'un membre sur ceux de son congé-

nère n'est pas seulement l'effet d'un entraînement plus ou moins pro-

longé, elle peut se montrer immédiatement ; l'influence des mouvements

d'une autre partie du corps n'est pas moins évidente. Les faits que j'avais

observés autrefois avec le dynamomètre de Régnier (2), je les ai étudiés

de nouveau depuis avec t'ergographe de Mosso (3) ; j'ai vu que le travail

du médius droit se relève s'il a été précédé par des mouvements du médius

gauche; qu'un relèvement analogue peut être produit par des mouve-

ments préalables du membre inférieur gauche, par des mouvements d'arli-

culation avec ou sans émission de sons. J'avais relevé l'influence des

mouvements du membre supérieur droit sur les mouvements d'articulation

et la fonction verbale. M. Kronecker a observé les heureux effets de la

marche sur l'accommodation. J'ai montré que les mouvements des yeux

agissent sur le travail de la main (4). Le travail intellectuel (5) n'est pas

non plus sans influence sur la motilité volontaire.

(1) SCRIPTURE, SlITf1 and BROwN, On the éducation of the muscular control and potuer,

Sludies of Yale psych. Laboi,aio7-y, 1894, 11, p. 115; WATER W. DAvis, Reseurches

on cross education (ibid., 1898, VI, p. 6).

(2) Contribution à la physiologie des mouvements volontaires, etc.(C.R. de la Soc. de

biologie, 1885, p. 223, 242, 253, etc.). Sensation et mouvement, Etudes expérimentales

de psycho-mécanique, 2e édit., 1900, p. 9.

(3) Noie sur l'ivresse motrice (C. R. de la Soc. de biologie, 1900, p. 742) ; Etudes

expérimentales sur le travail chez l'homme et sur quelques conditions qui influent sur

la valeur (Journ. de l'anat. et de la physiologie, 1901, p. 1). Note sur le travail

alternatif des deux mains (L'année psychologique, 1901, p. 130).

(4) Le plaisir de la vue du mouvement (C. R. de la Soc. de biologie, 1901, p. 930).

(5) Sensation et mouvement, p. 6. Note sur l'influence réciproque du travail physique

et du travail intellectuel (Journ. de l'anat. et de la phys., 1901, p. 625).

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE L'ACTIVITÉ D'AUTHES MUSCLES 433

Une nouvelle étude de l'influence des activités locales volontaires les

unes sur les autres m'a permis de confirmer les observations antérieures

et de mettre en lumière quelques faits nouveaux.

Je me suis servi de l'ergographe de Mosso. On procède par séries de

quatre ergogrammes : les séries sont séparées par des repos de 5 minutes

et les ergogrammes de chaque série par des repos de une minute. C'est le

médius qui travaille en soulevant chaque seconde un poids de 3 kilogr.

Des expériences antérieures ont montré que la neuvième série donne un

travail égal ou un peu inférieur il 50 0/0 du travail de la première. Dans

les expériences récentes le travail de la première série oscille, en général,

pour le médius droit entre 22 et 23 kilogrammètres. pour le médius gau-

che entre 15 et 16. Le travail total des 9 séries varie pour le médius droit

de 143 à 150 kilogrammètres, pour le médius gauche de 90 à 95.

Du reste nous avons refait avec le médius droit et le médius gauche,

deux expériences qui serviront de terme de comparaison avec les expé-

riences suivantes. Les rapports du travail des séries sont établis relative-

ment au travail de la première série à 100, pour le médius droit et pour le

médius gauche respectivement.

Exp. I. --Médius droit. - Sans excitation ni activité associées.

FÉRÉ

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE L'ACTIVITÉ D'AUTRES MUSCLES 435

Exp. IL - Médius gauche. - Sans excitation, ni activité associées.

436 FÉRÉ

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE l'activité d'autres MUSCLES 437 7

gue s'est montrée de nouveau à la série suivante malgré l'association des

mêmes mouvements.

Lauder Brunton admet que la mastication comme la succion s'accom-

pagne d'une augmentation considérable de la circulation dans la carotide

et d'une stimulation du cerveau. C'est un fait qui ne surprendra pas, car

le travail de la mastication est loin d'être un travail insignifiant au point

de vue mécanique, la pression intermaxillaire dépasse souvent 60 et

même 80 kilogrammes chez des hommes normaux (1).

Exp. III. - Médius droit. - Pendant toutes les reprises du travail, on

associe aux mouvements de flexion du médius des mouvements de mastication

sur un tube de caoutchouc tenu entre les arcades dentaires du côté droit.

438 féré .

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE l'activité d'autres MUSCLES 439

440 FÉRÉ

l'influence SUR UN MUSCLE DE l'activité d'autres MUSCLES 441

Exp. V. - Médius gauche. Pendant toutes les reprises du travail, on

associe aux mouvements de flexion du médius des mouvements de masti-

cation sur un tube de caoutchouc tenu entre les arcades dentaires du

côté gauche.

442 FÉRÉ

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE l'activité d'autres muscles 443

444 ri ' féré

. TABLEAU II

Représentation proportionnelle du travail de 9 séries de 4 ergogrammes

dans des conditions diverses. - Médius gauche.

Fig. 1 b Fig. 2 6 Fig. 3 b ' Fig. 4 b Fig. 5 b Fig. 6 b

Fic.. 1 b. - Travail du médius gauche après un repos complet, sans excitation. 91 ki-

logrammètres, 79 = 100. - Décroissance lente ; la dernière série donne un travail de

46,37 0/0 du travail normal.

Fic. 2 b. - Travail du médius gauche avec association de mouvements de mastica-

tion du côté gauche : 88 k. 23. - Décroissance plus rapide qu'à l'état normal : la

dernière série ne donne qu'un travail de 25,01 0/0 du travail normal.

FiG. 3 A. - Travail du médius gauche avec association de mouvements de mastica-

tion du côté droit : 96 k. 72. - Décroissance irrégulière et moins rapide qu'à l'état

normal : la dernière série donne un travail de 50,93 0/0 du travail normal.

FiG. 4 b. - Travail du médius gauche, avec association de mouvements de flexion

des doigts de la main droite : 128 k.94.- Accroissance lente du travail : la dernière

série donne un travail de 69,66 0/0 du travail normal.

FiG. 5 b. - Travail du médius gauche avec association de mouvements de flexion

et d'extension de la jambe gauche, 122 k. 82. - Décroissance lente du travail ; la

dernière série donne 61 0/0 du travail normal.

FIG. 6 b. - Travail du médius gauche avec association de mouvements de flexion de

la jambe droite : 98 k. 22. La dernière série donne encore 36,17 0/0 du travail

normal.

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE L'ACTIVITÉ D'AUTRES MUSCLES' 445

446 féré

Les chiffres sont très significatifs mais on peut se rendre compte d'un seul

coup d'oeil du résultat des expériences si on compare les diagrammes 1 a

(Exp. I) qui représente le travail du médius droit dans les 9 séries norma-

les et 1 b (Exp. II) qui représente le travail du médius gauche aux dia-

grammes 2 a (Exp. III) et 2 b (Exp. V) qui représentent le travail du mé-

dius droit et du gauche coïncidant avec la mastication du côté correspon-

dant au médius qui travaille et aux diagrammes 3 a (Exp. IV) et 3 L

(Exp. VI) qui représentent le travail correspondant à la mastication du

côté opposé. Dans les quatre expériences où il y a association d'un mou-

vement de mastication-la courbe de la fatigue est modifiée, c'est-à-dire

qu'il y a à un moment quelconque une augmentation de travail ; l'augmen-

tation est très marquée pour le médius droit. En général à l'augmentation

momentanée du travail succède une précipitation de la fatigue. On voit

que lorsque la fatigue est arrivée avec l'association- des mouvements de

mastication, l'association de mouvements du membre inférieur du côté

correspondant au médius qui travaille produit une recrudescence d'autant

plus marquée que le travail était devenu moindre.

Dans les deux expériences suivantes on a associé aux mouvements du

médius des mouvements de flexion sans poids des doigts de la main du

côté opposé. Les diagrammes 4 a (Exp. VII) et 4 b (Exp. VIII) montrent

une excitation durable du travail. Et on voit que quand la fatigue est

venue avec les mouvements associés de l'autre main, la mastication du côté

correspondant donne un relèvement du travail, relativement plus consi-

dérable quand il était descendu plus bas.

1 Exp. VII. Médius droit. - Pendant toutes les reprises du travail on

associe aux mouvement de flexion du médius droit des mouvements de

flexion des doigts de la main gauche.

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE L'ACTIVITÉ D'AUTRES MUSCLES 447

448 FÉRÉ

Dans les deux séries suivantes, on associe aux mouvements de flexion

du médius droit des mouvements de mastication sur un tube de caout-

chouc tenu entre les arcades dentaires du côté droit.

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE L'ACTIVITÉ D'AUTRES MUSCLES 449

450 FÉRÉ

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE L'ACTIVITÉ D'AUTRES MUSCLES 451

l'influence SUR un MUSCLE DE l'activité d'autres MUSCLES 453

454 FÉRÉ

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE L'ACTIVITÉ D'AUTRES MUSCLES 458

456 FÉRÉ

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE L'ACTIVITÉ D'AUTRES MUSCLES i : >7

458 FÉRÉ

La fatigue ne se manifeste pas de la même manière quand c'est une

jambe ou l'autre qui agit. Dans le cas d'association des mouvements de la

jambe droite, quand la fatigue arrive, ce sont d'abord les mouvements du

médius qui deviennent pénibles et impossibles tandis que la jambe peut

encore se mouvoir ; dans le cas d'association des mouvements de la jambe

gauche,c'estla fatigue de la jambe qui se manifeste la première. Quand le

travail s'est arrêté, la jambe est dans l'impossibilité de s'étendre, et pour

un moment la représentation de ce mouvement est impossible. Quand il

redevient possible, il entraîne le pied en le faisant glisser sur le sol, mais

sans le soulever. C'est une véritable paralysie par épuisement avec son

accompagnement psychique, l'incapacité de la représentation (4). Cette

paralysie ne s'observe pas dans le médius qui travaille, lorsqu'il cesse de

pouvoir travailler ; c'est qu'il s'arrête parce qu'il est devenu incapable de

soulever le poids de 3 kil. dans le temps voulu, mais non parce qu'il est

incapable de se mouvoir.

Les diagrammes 5 (exp. IX) et 5 b (exp. XI) qui représentent le tra-

vail exécuté en même temps que des mouvements de la jambe du même

côté montrent une excitation plus forte ; mais les diagrammes 6 a(exp.X)

et 6 b (exp.XII) montrent aussi un changement de courbe de la fatigue et

par conséquent une excitation momentanée. L'intervention ultérieure des

mouvements de mastication provoque encore dans ces quatre expériences

une excitation relative d'autantplus forte que la dépression avait été plus

considérable.

En résumé ces expériences montrent que :

1° Les mouvements associés et synchrones de la mâchoire, des fléchis-

seurs des doigts du côté opposé, des muscles de la jambe du côté cor-

respondant ou du côté opposé si fatigants soient-ils en eux-mêmes, mo-

difient la courbe de la fatigue du médius et produisent une augmentation

au moins momentanée du travail.

2° En général plus l'exaltation du travail a été faible au débutplus la

dépression est rapide. Comme les excitations sensorielles, l'excitation

autochtone par l'activité volontaire permet de mobiliser des forces dispo

nibles, elle ne crée pas de forces.

3° Le côté gauche et le côté droit réagissent d'une manière très diffé-

rente. Le côté droit réagit plus rapidement et s'épuise plus vite, le côté

gauche réagit plus lentement et s'épuise aussi plus lentement.

Cette asymétrie réactionnelle correspond à une asymétrie motrice et

(1) CH. Féré, La pathologie des émotions, 1892, p. 143.

l'influence SUR UN MUSCLE de l'activité d'autres MUSCLES 459

sensorielle bien connue (1) et je l'ai déjà observé dans des expériences

variées (2).

(1) J.-J. VAN BI&OLIET,L'Ït07n)nC droit et l'homme gauche (Revue Philosophique,1899,

XLVII, p. 113, 276, 371) ; R. S. WOOWAR111, The accuracy of voloutary movement

(l'he psychological review, 1899, Vol. III, n^ 2).

(2) L'excitabilité comparée des deux hémisphères cérébraux chez l'homme (L'an-

née psychologique, 1901, p. 143), De l'influence de l'échauffement artificiel de la tête

sur le travail (Journ. de l'anat. et de la phys., 1901, p. 291).

Fie. 1. - Travail du médius droit sous l'influence de l'odeur d'essence d'absinthe,

121 k. 38. Comme dans tous les faits suivants relatifs aux excitations sensorielles et

aux poisons nerveux, la décroissance est rapide, et les séries terminales sont tou-

jours au-dessous de la normale.

FiG. 8. Travail du médius droit sous l'influence de la lumière rouge : 90 k. 78.

Fio. 9. - Travail du médius droit sous l'influence du bruit d'une sonnerie électrique :

129 k. 54.

Fia. 10. - Travail du médius droit, sous l'influence du goût d'essence de cannelle :

in k. 01.

Fio. 11. - Travail du médius droit, sous l'influence d'un sinapisme : 90 k.15.

Fia. 12. - Travail du médius droit sous l'influence de la saveur de l'alcool : 98 k.6 .

Fio. 13. Travail du médius droit sous l'influence du haschisch : 119 k. 37.

Fio. 14. - Travail du médius droit sous l'influence de l'opium : 122 k. 21.

Fla. 15. - Travail du médius droit sous l'influence de la théobromine : l09,7S.

460 FÉRÉ

TABLEAU V

Fio. 16. - Travail du médius droit sous l'influence de la mastication du café torréfié :

123 k. 19.

Fio. l7. - Travail du médius droit sous l'influence de la dégustation de l'infusion de

café : 147 k. 93.

Fio. 18. - Travail du médius droit sous l'influence de l'ingestion de l'infusion de

café : 131 k. 46.

FiG. 19. - Travail du médius droit sous l'influence de la caféine .(0, 25) : 128 k. 13.

Fio. 20. - Travail du médius droit sous l'influence de la caféine à doses fractionnées

138k. 90.

Si on compare le travail fourni par le même procédé d'exploration sous

l'influence de l'excitation par une activité volontaire, et le travail fourni

sous l'influence d'excitations sensorielles diverses et par les poisons ner-

veux,on est frappé par une différence qui me parait digne de remarque.

Si nous considérons, en le représentant par des diagrammes, le travail

fourni par le médius droit dans nos expériences récentes le plus favora-

bles sous l'influence des excitations sensorielles ou toxiques diverses nous

voyons que ce travail est constamment inférieur au travail fourni sous

l'influence d'une activité volontaire associée. Il n'y a qu'une exception,

c'est dans le cas où le travail associé est le mouvement du membre infé-

rieur gauche qui constitue un travail additionné assez pénible en lui-

même.

Le travail total pour les neuf séries d'ergogrammes du médius droit sous

l'influence de mouvements associés de mastication est de 148 k. 68, et de

182, 87 ; sous l'influence de mouvements associés de la main gauche,

183, 99; sous l'inlluencedes mouvement associés du membre inférieur droit

161, 99, sous l'influence de mouvements associés du membre inférieur

gauche, 133, 86, soit en moyenne 162, 67.

Les excitations les plus favorables avec les excitations sensorielles don-

nent : odorat (1), essence d'absinthe, 121,38 (Fig. 7); vue (2), lumière

(1) Recherches expérimentales sur la fatigue par les excitations de l'odorat (Nouv.

Icon. de la Salp., 1901, p. 334)..

(2) Note sur la fatigue par les excitations visuelles (C. R. Soc. de Di-1., 1901, p.

671). ' '

L'INFLUENCE SUR UN MUSCLE DE l'activité d'autres MUSCLES 461

rouge (Fig. 8), 90,78 ; l'ouïe (1), sonnerie électrique (Fig. 9), 129,54 ;

goût (2), essence de cannelle, 117,07 (Fig. 10) ; toucher (3), sinapisme,

90,15 (Fig. 11); soit en moyenne 109,78.

L'excitation la plus favorable produite par l'alcool (dégustation) (Fig.12)

a donné 98,61 (4) ; par le haschisch (5), 119,37 (Fig.13) ; par l'opium (6),

122,27 (Fig. 14); par la théobromine (7), 109,73 (Fig. 11`i) ; par le

café (8), mastication du grain torréfié (Fig. 16), 123,19, dégustation de

l'infusion, 147,93 (Fig. 17), ingestion de l'infusion, 131, 46 (Fig. 18),

caféine (0,25) (Fig. 19),18,3, caféine,0, ? : i à doses fractionnées, 138,90

(Fig. 20) ; soit en moyenne 125,91.

Cette comparaison entre les effets des divers excitants artificiels ou na-

turels et les effets de l'activité volontaire impose une conclusion aussi

intéressante au point de vue de la morale qu'au point de vue de l'hygiène :

c'est dans sa propre activité qu'on trouve l'excitation la plus efficace.

Elle est aussi la plus inoffensive puisque la fatigue constitue un avertis-

sement, un moyen de défense (9). .

(1) Note sur la fatigue par les excitations auditives (ibid., p. 750).

(2) Note sur la fatigue par les excitations du goût (ibid., p. 723).

(3) Note sur la fatigue parles excitations cutanées (ibid., p. 153).

(4) L'influence de l'alcool et du tabac sur le travail (Arch, de neurologie, 1901, 2°

série, t. XII, p. 378).

(5) Note sur l'influence du haschisch sur le travail (C. R. Soc. de Biol., 1901,p.697).

(6) Note sur l'influence de l'opium sur le travail (ibid., p. 125).

(7) Note sur l'influence de la théobromine sur le travail (ibid., p. 593).

(8) Note sur l'influence du café sur le travail (ibid., p. 621).

(9) Cn. Féré, Mahtiie Fiuncillon et En. PAPIN, Note sur les modifications de la pres-

sion artérielle sous l'influence des conditions capables d'interrompre la manifestation

de la fatigue (C. R. Soc. de Biol., 1901, p. 823).

LA SAIGNÉE EN IMAGES

PAR R

HENRY MEIGE

- (Suite)

A propos du Mal d'Amour (1), j'ai eu l'occasion de signaler plusieurs

peintures de l'Ecole Hollandaise où l'attirail de la saignée figure parmi

les accessoires. Il suffira de les rappeler ici brièvement. '

Dans la Consultation de FRANS VAN MIEIUS le vieux (1635-1681), au

musée de Vienne[(Pl. LV111), une gracieuse jeune femme, coiffée de blanc,

vêtue d'un casaquin de velours rouge bordé de cygne, est assise, la main

gauche appuyée sur sa poitrine, abandonnant son bras droit au médecin

qui lui tâte le pouls ; sur ses genoux un livre est ouvert : c'est l'Ancien

Testament.

Le docteur, élégant et solennel, a délicatement saisi le poignet de sa

cliente. De la main droite il fait un geste profond. Son sourcil froncé, son

regard sévère font entrevoir toute la gravité du cas.

Sur une table, il côté d'une fiole bouchée de papier, on voit un bassin

de cuivre avec un linge et une éponge : préparatifs de la saignée mena-

çante, dont la perspective ne contribue pas peu sans doute à accroître la

tristesse et les angoisses de la patiente.

Les « pâlies couleurs » du Mal d'Amour n'étaient pas une contre-indica-

tion.

« On saignait pour l'excès de sang; mais on saignait aussi pour l'in-

suffisance. Une saignée appelait une autre saignée, celle-ci une troisième,

et indéfiniment. Ne pas saigner, c'était ne pas soigner. Pourquoi faire une

exception en faveur du Mal d'Amour ? ? ..... »

(1) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1899.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XIV, PL. LVIII.

Photographie Loew y (Vienne).

1 hotogr.iv urc La : m).

LA CONSULTATION

Tableau de FpANs VAN MIERIS le Vieux

Musée de Vienne.

Masson i : t CI., Editeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XiV. FL. LIX.

Cliché Hausstaengl.

LA DAME ÉVANOUIE

Tableau de EGLON van DER NEER (16H-170¡).

A l'ancienne Pinacothèque de Munich.

MASSON ET Ci°, Éditeurs.

LA SAIGN ÉE EN IMAGES 463

La Dame évanouie de VAN DER NEER (1643-1703) à la Pinacothèque de

Munich (PI. LIX), est encore une victime de la saignée. Si jamais saignée

fut criminelle, ce fut bien celle qui s'attaqua à cette magnifique moribonde.

L'opération vient d'avoir lieu.

Par terre, dans une palette de cuivre, le sang tiré fait une tache ruti-

lante ; à côté git l'éponge qui l'étancha.

Le résultat ne s'est pas fait attendre : la dame est tombée en pâmoison.

La saignée a-t-elle été trop copieuse, ou bien la vue du sang a-t-elle suffi

pour faire perdre ses sens à la belle phlébotomisée ? ...Toujours est-il queses

jambes se dérobent sous elle et que sans la prompte assistance d'une aide

et du médecin elle tomberait'à la renverse au risque de heurter durement

sa jolie tête aux yeux mourants.

Evidemment, le docteur de cette majestueuse personne appartient à la

confrérie du premier médecin de M. de Pourceugnac. « Pour remédier à

cette cacochymie luxuriante par tout le corps,... il est d'avis qu'il soit

pbtébotomisé libéralement, c'est-à-dire que les saignées soient fréquentes

et plantureuses » .

Est-ce à la céplialique qu'il s'est attaqué, ou bien à la basilique ? ....

Ce qui est certain c'est qu'on voit au pli du coude droit,que soutient

une gracieuse suivante, le linge qui bande la plaie de la lancette, détail

discrètement réaliste que le consciencieux et correct van der Neer n'a eu

garde d'oublier. -

Voilà bien la saignée des gens de qualité, celle qu'il eût été malséant de

refuser sous peine de manquer aux convenances. Utile ou superflue, voire

même périlleuse, elle était de bon ton. Les têtes couronnées prêchaient

d'exemple. Louis XIV, dit-on, fut saigné trente-huit fois dans sa vie, et

Louis XIII jusqu'à quarante-sept fois en une seule année.

La défaillance consécutive, pour n'être pas obligatoire, complétait

galamment l'opération..

Un document iconographique d'un caractère bien différent, est fourni

par l'Ecole Italienne. Le naturalisme cher aux maîtres flamands et liolian-

dais cède ici la place à une composition plus ample el plus solennelle. Le

malade n'est plus un personnage quelconque, reproduisant un type de la

vie journalière : c'est le symbole de la maladie. Le médecin n'est pas un

confrère d'antan : il représente toute la médecine. L'artiste a fait oeuvre de

généralisation et d'abstraction. La scène y gagne en grandeur ; mais elle

464 HENRY MEIGE

y perd en réalisme. Au demeurant, cette oeuvre d'art ne laisse pas d'im-

pressionner.

C'est un Dessin à la sanguine du GUERCIIIN (1591-1666), conservé au

musée des Offices, à Florence (n° 808) (PI. LX). -

Un homme à demi-nu qui semble en pâmoison est couché sur le dos, la

tête et les épaules reposant sur les genoux d'un jeune homme coiffé d'un

béret.

Un vieillard à longue barbe, barrette sur la tôle, saisit le bras droit du

malade de la main gauche. De la main droite il tient un instrument, pro-

bablement une lancette, avec lequel il opère sur l'avant-bras.

Le mauvais état de ce dessin ne permet pas d'affirmer absolument

qu'il s'agisse d'une saignée. Cependant la façon dont l'opérateur tient son

instrument, la position de la main gauche dont le pouce semble tendre la

peau de la région cubitale, peuvent être interprétées dans ce sens.

La figure attentive et réfléchie du vieux docteur, le regard curieux et

un peu inquiet de l'aide, l'anéantissement du corps de l'opéré sont rendus

avec une sincérité parfaite.

Toute la scène est noble, émouvante. Ce n'est pas une saignée quelcon-

que. C'est la Saignée, toute puissante auxiliaire de la médecine, qui

vient pour disputer un moribond à la Mort. ,

Le Gérant : BOUCHEZ

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XIV. PL. LX.

LA SAIGNÉE

D'après un dessin à la sanguine attribué au GUERCHIN (Musée des Offices, à Florence).

Reproduit par M. WEISSER.

Masson m1 C ? Éditeurs.

14« Année N° 6. Novembre-Décembre

SUR LE TROPHOEDÈME

PAR

HENRY MEIGE.

[Dans le dernier fascicule de l'année 1901, la Nouvelle Iconograp

la Salpêtrière a eu la bonne fortune de pouvoir grouper des éludes origi-

nales et des documents figurés relatifs à une catégorie encore peu connue

d'oedèmes dystrophiques.

Deux des auteurs de ces intéressantes études, M. Rapin (de Genève) et

M. Hertoghe (d'Anvers), m'ayant auparavant procuré le plaisir de présen-

ter leurs travaux à la Société de Neurologie de Paris (Séances des 7 no-

vembre et 9 décembre 1901), j'ai cru pouvoir me permettre de revenir (1)

il cette occasion sur la question du trophoedème dont il a déjà été parlé dans s

ce recueil (2).

Une autre observation récente de M. H. Mabille est venue fort à propos

compléter le dossier nosographique et iconographique du Trophoedème.

Enfin l'un des cas rapportés par M. A. Thomas mérite à plus d'un titre

d'êlre rapproché des précédents.

Les réflexions suggérées par ces observations nouvelles ne sauraient

déflorer l'originalité de ces dernières ni altérer la valeur des interpréta-

tions qui les accompagnent. Elles ont pour but de signaler l'intérêt qu'on

peut y attacher en vue d'éclaircir et de compléter nos connaissances sur

les oedèmes dystrophiques.]

*

..

Sous le nom de Dystrophie oedématense, ou sous la dénomination plus

brève de T7'ophoedème, nous avons proposé, il y a quatre ans, de grouper

un certain nombre d'observations d'oedème blanc, dur, indolore, à répar-

tition segmentaire sur les membres (3).

« Le terme de trophoedème sans épithète, disions-nous, pourrait être

employé d'une façon générale pour désigner tous les oedèmes dystrophi-

(1) Société de Neurologie de Paris, ¡novembre 1901.

(2) Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, n" 6, 1899, n° 6,1900.

(3) Communication au IX, congrès des médecins neurologistes et aliénistes, Angers,

4 août 1898; Presse médicale, 14 décembre 1898.

xiv 37

466 . - urvor- MEIGE -

ques, de cause encore inconnue, mais vraisemblablement d'origine ner-

veuse. Il n'aurait d'autre mérite que sa brièveté. »

On aurait pu donner le nom de t1'ophoedèmes aigus, ci tous les oedèmes

qualifiés de név1'opathiques. circonscrits, angio-1teU1'otiques, névro-va.cC2G-

laires, intermittents, etc. affections oedémateuses transitoires, accompa-

gnées parfois de phénomènes thermiques, de troubles de la sensibilité,

de douleurs, de changements de couleur de la peau, et souvent aussi

d'autres troubles trophiques cutanés, éruptions, ulcéralions, etc.

Ce groupe est connu en Allemagne sous le nom de Maladie de Quincke.

Cassirer, dans sa remarquable monographie sur les « Névroses trophi-

ques et vaso-molrices » (1), consacre un long chapitre il sa description.

A côté du véritable oedème aigu circonscrit de Quincke, et en outre des

formes atypiques qu'on y rattache, il existe bien réellement une variété

d'arme blanc, indolore, à répartition segmentaire, dont la chronicité est un

caractère diagnostique capital.

Des fails déjà nombreux permettent d'affirmer la réalité de ce groupe

nosographique (cas de Mathieu, Follet, Lourier, Debove, Iligier, Duck-

worth, Vigouroux, etc.). C'est à ces cas qu'il convient de réserver le nom

de trophoedème chronique.

* · .

.. x

Le trophoedème chronique peut exister comme manifestation isolée, frap-

pant un seul sujet dans une famille. Tels sont les cas récents de Vigou-

roux, Prothon, Rapin, Herto;he. Mabille.

Dans cette catégorie rentrent aussi les observations publiées anté-

rieurement sous les noms d'cedèane rhumatismal chronique (Desnos),

pseudo-éléphantiasis neuro-arthritique (Mathieu), oedème segmentaire (De-

bove), mY,1Joedème localisé, éléphantiasis nostras, etc.

Le trophoedème chronique se présente aussi comme une dystrophie héré-

ditaire et familiale. C'est de cette forme que nous avons eu l'occasion de

nous occuper antérieurement, rapprochant des cas de mitron (22 dans une

même famille sur 6 générations) les faits signalés par Desnos, Iligier, etc.,

et nos observations personnelles (8 cas sur 4 générations). M. Lannois en

a rapporté un nouvel exemple au Congrès de Paris de 1900 (4 cas sur

3 générations). Les caractères de l'oedème sont les mêmes dans ces diffé-

rents cas, et semblables d'ailleurs à ceux décrits dans les cas isolés (2).

On peut admettre également l'existence d'un trophoedème congénital

lequel peut être aussi héréditaire. Ce sont des observations étiquetées

éléphantiasis congénital. Nonne en a décrit plusieurs cas. Dans l'un d'eux

(1) R. Cassireii, Dievasomotoriseh-lrophischen Neurosen, 1901.

(2) On a aussi décrit des héréditaires d'oedème aigu circonscrit (Ricochon. Osier,

etc.). ).

SUR LE TItOPll(IEDIsMG 467 7-

7 individus, sur 3 générations, naquirent avec cette affection portant

tantôt sur un membre inférieur, tantôt sur les deux ; un des enfants pré-

sentait un oedème généralisé et était en outre acéphale.

Le Dr Tobiesen (de Copenhague) a eu l'obligeance de nous communi-

quer un intéressant travail dans lequel il relaie l'histoire de 4 individus

d'une même famille, échelonnés sur 3 générations el ayant présenté à leur

naissance un oedème des membres inférieurs qui ne disparut pas avec

)'age. La description de la maladie et les photographies qui accompagnent

le mémoire permettent d'entrevoir pi us d'une analogie avec le trophoedème

héréditaire à début juvénile.

*

En somme, si l'on rapproche les uns des autres ces faits jusqu'alors

disséminés, décrits sous des dénominations différentes, mais présenta ni,

à de très faibles variantes près, le même aspect clinique,on peut concevoir

l'existence d'une dystrophie spéciale : le troltlacedèrrte chronique, caracté-

risé par un oedème blanc, du ? indolore, occupant un ou plusieurs seg-

ments de l'un ou des deux membres inférieurs et persistant la rie entière

sans préjudice notable pour la santé.

La tropltoedème est parfois un accident isolé. D'antres fois, il est hérédi-

taire et familial. Il semble rlte'il puisse être aussi congénital.

* .

Quelle est la nature de celle affection ? Le terme même de tl'ophoedème

donne à entendre qu'il s'agit d'un accident dystrophique.

La participation du tissu conjonctif aux troubles trophiques est un fait

avéré. On l'observe conjointement avec l'atrophie musculaire, ou avec les

déformations osseuses (réfactions fibreuses dans les amyotrophies, épais-

sissements cellulo-culanés el surproductions graisseuses dans les myopa-

thies, etc.).

Ainsi les dyslrophies conjonctive, musculaire et osseuse sont souvent

coexistanles; cependant chacune d'elles peut s'observer isolément. Le pro-

cessus dystrophique peut n'être que musculaire ; il peut n'être que con-

jonctif. r..

La dystrophie musculaire se manifeste généralement sous la forme

atrophique, mais on sait qu'elle revêt parfois la forme hypcrlropllique.

La dystrophie conjonctive semble affecter au contraire de préférence la

forme hypertrophique ; elle présente alors l'apparence extérieure d'un

oedème : d'où le nom de trophccdèt7te.

(1) FR. Toums[, Ueber Elephanliasis congeuila hereditaria, Jahrbuch. f. Kiàderheil-

kunde, N. F. XLIX, 4" Ileft.

(2) L. Guinon a présenté tout récemment à la Société de Pédiatrie (28 dé ? 1901) un

cas d'Eléphanliasis congénital des jambes et des pieds, qui a peu peu disparu.

468 UENRY MEIGE

Quelle est l'origine du trophoedème ? On peut la chercher dans une al-

tération des centres trophiques du tissu cellulaire sous-cutané.

Mais où siègent ces centres ? Vraisemblablement dans la moelle, dans la

substance grise, au voisinage des centres trophiques des muscles.

Bien que les constatations histologiques n'aient pas permis d'isoler les

uns des autres les centres de ces différents systèmes, la coexistence de

troubles trophiques osseux, musculaires et conjonctifs, à la suite de lésions

des cornes antérieures ou de leur voisinage immédiat, plaide en faveur de

cette localisation.

D'autre part, le fait que l'on peut observer isolément des troubles tro-

phiques du système osseux, musculaire ou conjonctif, autorise à admettre

l'existence de centres autonomes pour chacun de ces systèmes.

La toute récente observation de M. II. Mabille fait connaître un cas de

trophoedème des deux membres inférieurs, coexistant avec une affection

nerveuse organique, hémiplégie gauche. L'affection s'est développée len-

tement, chez une femme, qui, dès l'aiâe de huit ans, fut atteinte de mou-

vements clloréiformes, encore persistants (à 49 ans) et qni présente en

outre des troubles psychiques.

L'enflure a aujourd'hui tous les caractères du trophoelème; mais elle

semble avoir débuté assez tardivement et avoir été précédée de poussées

aiguës d'oedème rouge. Ce fait a été constaté dans plusieurs observations,

ce qui permet de croire que dans certains cas le trophoedème chronique

peul être la résultante d'une série d'oedèmes aigus circonscrits.

La malade de M. Mabille présente en ontre de l'anesthésie des régions

oedématiées (sauf pour les agents thermiques). Nous avions noté également

des troubles sensitifs des membres inférieurs chez une de nos malades.

La coexistence du trophoedème avec une affection choréiforme, chez un

'sujet hémiplégique n'est assurément pas fortuite. On ne saurait invoquer

une localisation unique pour tous ces accidenls, mais c'est encore un

nouvel argument en faveur de l'origine nerveuse du trophoedème et une

preuve de sa parenté anatomo-pathologique avec les oedèmes qui accom-

pagnent les affections organiques du système nerveux (oedèmes des hémi-

plégiques, main succulente des syringomyéliques, etc.).

En définitive, il y tout lieu de croire que la lésion du trophoedème est

une lésion médullaire intéressant l'axe gris (1).

La répartition segmentaire de l'oedème, - et des troubles sensitifs qui

s'y superposent dans quelques cas, - vient à l'appui de celte localisation.

On ne peut manquer de saisir l'analogie avec les accidents trophiques et

sensitifs de la syringomyélie. Les divisions métamériques de la moelle

(1) Des lésions du système sympathique pourraient exister également, soit primi-

tives, soit secondaires aux lésions médullaires.

SUR LE TROPROEDÈME 469

s'accordent avec ce mode de distribution périphérique. Nous en avons

suffisamment parlé antérieurement pour qu'il soit superflu d'y revenir.

En faveur de l'existence d'une lésion médullaire, M. Rapin apporte

une observation de grand intérêt dans laquelle la dystrophie oedémateuse

serait survenue à la suite d'une affection fébrile, évolution que l'auteur

rapproche judicieusement de celle de la paralysie infantile. De nouvelles

observations sont nécessaires pour confirmer cette assimilation. S'il en

était ainsi cependant, on pourrait, comme le fait M. Rapin, décrire une

dystrophie oedémateuse d'origine télopctltiq2te, - comparable à la pa-

ralysie infantile, - les autres formes a début insidieux, les formes

familiales surtout, demeurant parallèles à la dystrophie musculaire pro-

gressive.

Le trophoedème chronique, dystrophie oedémateuse, offre en effet, plus

d'une analogie avec la dystrophie musculaire. Nous y avons longuement

insisté autrefois.

Le caractère familial se retrouve dans plusieurs cas; souvent, l'affection

suit une marche progressive; les cas qui débutent à l'époque de la puberté

sont à rapprocher des myopathies juvéniles. Enfin, comme dans la dystro-

phie musculaire, aucun traitement n'est capable de modifier les progrès

de l'affection.

Si l'on admet, comme les faits tendent à le démontrer, que la dystro-

phie musculaire est commandée par une altération des centres trophiques

des muscles, on doit considérer le trophoedème chronique comme la consé-

quence d'une altération des centres trophiques du tissu cellulaire.

Dans le trophoedème congénital, on incriminera une anomalie congé-

nitale des centres trophiques conjonctifs. Pour le trophcedème acquis, il

faut admettre une fragilité congénitale de ces mêmes centres qui les rend

plus facilement altérables sous l'influence des causes extérieures.

Quelles sont donc les causes du trophoedème non congénital ?

Il semble bien que les maladies infectieuses jouent un rôle important

dans son apparition.

On a depuis longtemps parlé du rhumatisme. La fièvre typhoïde avait

été accusée chez les deux jeunes filles dont nous avons rapporté l'histoire.

Lannois a incriminé la scarlatine; Rapin, la variole; IIertoghe, la rou-

geole.

Ces indications méritent d'être attentivement retenues et l'origine infec-

tieuse du ti-oplioedème offre une réelle vraisemblance.

Mais il ne faut pas oublier qu'il existe des cas familiaux et des cas con-

470 ' llGi\121 MEIGE

génitaux. Il faut par conséquent faire très large la part de la prédisposition

héréditaire.

Le Trophoedème peut se trouver associé à d'autres troubles trophiques,

osseux, comme dans un cas de Vidal (de Lyon), ou musculaires.

D'ailleurs, le trophoedème chronique peut être rapproché, sans perdre

pour cela ses caractères diagnostiques, d'autres anomalies du tissu cellulo-

cutané, la lipomatose en particulier ; on peut trouver entre ces deux modes

de déviation d'un même tissu tous les intermédiaires. faut aussi rappeler

la sclérodermie, mode de réaction du tissu cellulo-cutané diamétralement

opposé à celui du troplieedéme, mais qui relève, elle aussi, d'une altéra-

tion des centres trophiques.

Les observations de M. Hertoghe mettent en évidence la parenté du

trophoedème avec d'autres anomalies du développement du tissu cellulaire

et cutané. C'est ainsi que coexistent avec le trophoedème, ou se retrouvent

dans les familles des trophoedemateux, les malformations dentaires, les

troubles trophiques des cheveux, les naevi, les verrues, etc. (1).

Tous ces faits tendent confirmer l'hypothèse de l'existence d'une im-

perfection congénitale des centres qui président au développement et

à la nutrition du tissu cellulo-cutané.

Le lropltoedt;me chronique frappe-t-il uniquement les membres infé-

rieurs ?

Telle semble être sa localisation préférée. Les observations nous signa-

lent sa présence sur un seul pied, les deux pieds, une jambe, les deux

jambes, un membre inférieur tout entier, ou les deux à la fois

Aux cas déjà publiés, j'ajouterai le document figuré ci-joint (PI. LXI).

C'est la la photographie d'une malade que j'ai observée en 1890 dans le

service de M. le professeur Brouardel, à la Pitié, avec mon ami, M. Ernest

Dupré. L'aspect éléphantiasique du membre inférieur gauche conduisit

M. E. Dupré à rechercher dans le sang la filaire de Wucherer, Des

piqûres furent répétées à la cuisse et au doigt ; mais dans lotis les examens

le résultat fut négatif. Aucunecamemécaniqueoudyscrasique ne pouvait L

'expliquer l'existence de cet oedème, blanc, dur, indolore, localisé au

seul membre inférieur gauche, ne s'accompagnant d'aucun autre trouble

(1) JI. 11r.I\I'UúIlE a également signalé la possibilité d'une parenté du trophoedème

avec lïnfanllhsme, et d'une laçnn plus générale avec l'hypothyroidie. Le fait mérite

d être enregistré, sans qu'on puisse en déduire quant à présent des indications patho-

géniques suffisamment probantes, étant donnée l'inefficacité du traitement thyroïdien

dans le trophoedème. '

NOUVELLE Iconographie de la SALPi.1 KILK.

@r. XIV, 1'l. Lez

TROPHCEDEME CHRONIQUE

DU MEMBRE INFERIEUR GAUCHE

(Hm,.\, 5\Crige).

Masson & C ? Éditeurs

SUR LE TROPUOEDÈME - 471

sensitif, moteur ou trophique. Il est donc tout à. fait comparable aux cas

de Vigoureux, Lannois; etc. C'est bien encore un exemple de trophoedème

localisé à l'un des membres inférieurs. ' ?

Mais voici que deux observations de M. Rapin nous permettent d'entre-

voir une localisation sur les membres supérieurs.

Chez sa première malade, l'affection semble même croisée (bras droit et

jambe gauche).

Chez la dernière, les deux membres supérieurs sont atteints simultané-

ment. Bien plus, ce cas se rapproche des exemples d'eedémede Nonne et

de Tobiesen, car l'affection ici est congénitale, et depuis sa naissance, celle

femme est atteinte d'un oedème blanc, dur et indolore des deux membres

supérieurs, ayant présenté pendant 30 ans les mêmes caractères cliniques

que le trophoedème. Cependant, une réserve s'impose : depuis peu, une

.tumeur maligne est apparue sur une main. S"agit-il seulement d'une

coïncidence ? ?

Au demeurant, la localisation du trophoedème sur les membres supé-

rieurs n'a rien que de très vraisemblable.

- Enfin existerait-il un tro]Jhoedèllle racial ? -

M. IIertoghe se montre 'partisan de cette hypothèse, et la belle observa-

tion qu'il apporte est d'un grand intérêt (1).

Des exemples analogues ont été publiés sous le nom d'hémihyperlrophie

faciale. MM. Sabrazès et Cabannes ont consacré à cette question une étude

très documentée dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière (1898,

p. 343-367). Ils ont recueilli un nombre déjà grand d'observations dans

lesquelles l'accroissement de volume de la face, tantôt congénital, tantôt

acquis, tantôt isolé, tantôt accompagné d'hypertrophie des membres, est

produit le plus souvent par une hypertrophie du squelette et des parties

molles. Dans quelques cas plus rares la prolifération du tissu cellulo-cutané

constitue à elle seule presque toute la difformité.

Faut-il voir dans ces derniers cas une localisation du trophoedème sur

une moitié de la face ? ' !

Quelque tenté que je sois d'admettre la possibilité de cette localisation,

je ne voudrais pas me laisser entraîner à élargir trop vite le domaine du

trophoedème.

Il ne me parait pas impossible que la dystrophie oedémateuse puisse se

manifester sur le visage aussi bien que sur les membres. Cependant dans

les cas bien étudiés jusqu'alors, y compris celui de M. Ilertoghe, il éxiste

toujours quelques anomalies squelettiques qui participent à l'hypertrophie.

(1) Voy. observation Il. - L'observation III de M. Ilertoôhe se rapproche plutôt du

« myxoedème fruste » que du trophoedème.

472 HENRY MEIGE

Dans ces conditions, .le trophoedème, si l'on veut donner ce nom à l'ac-

croissement de volume du tissu cellulo-cutané d'une moitié de la face ne

représente qu'un des éléments constitutifs d'une dystrophie hyperplasique,

comme dans les cas où il est associé à l'hypertrophie squelettique d'un

membre.

J'ai déjà trop insisté sur les liens de parenté du trophoedéme avec

les autres accidents dystrophiques pour pouvoir méconnaître sa parti-

cipation à un grand nombre de dystrophies, quelles que soient leurs lo-

calisations.

Mais, jusqu'à plus ample informé, pour conserver à l'affection ses carac-

tères cliniques distinctifs, je crois qu'il convient de réserver le nom de

trophoedème à l'hypertrophie oedémateuse telle qu'on la voit frapper avec

une préférence digne de remarque les membres inférieurs : oedème claro-

nique, blanc, dur, indolore, à répartition segmentaire, unilatéral ou bilaté-

ral, isolé ou familial et héréditaire, parfois aussi peut-être congénital.

¥ .

Si, comme il est permis de le souhaiter, les observations de ce genre

viennent à se multiplier et si surtout des constatations anatomiques peu-

vent confirmer la nature et l'origine attribuée à cette affection, l'existence

du groupe nosographique que nous avons tenté d'isoler sous le nom de

Trophoedème sera définitivement établie.

SUR UNE FORME D'HYPERTROPHIE DES MEMBRES

(DYSTROPHIE CONJONCTIVE MI'ÉLUPATH1QUE

PAR n

le Dr E. RAPIN (de Genève),

Membre correspondant de la Société de Neurologie de Paris.

Sous les dénominations d'éléphantiasis, d'hypertrophie unilatérale dit

corps, d'adipose sous-cutanée, d'orme segmentaire, de trophoedème, etc.,

l'on a décrit un cet tain nombre d'états concernant une infirmité caracté-

risée par l'augmentation de volume d'un ou de plusieurs membres. Bien

que ces singularités pathologiques se rapprochent les unes des autres par

analogie morphologique, leur pathogénie a donné lieu à des interpréta-

tions variées et parfois contradictoires. Cette diversité dans les jugements,

qui laisse dans l'esprit une certaine confusion, tient, avant tout, à l'in-

suffisance de nos connaissances en physiologie et en pathologie nerveuse.

La question du trophisme, entre autres, est de celles qui embarrassent

particulièrement en raison de l'obscurité du mécanisme qui préside à

cette fonction. Existe-t-il des centres trophiques distincts, ou bien l'action

trophique est-elle intimement liée aux propriétés motrices et sensitives

du système nerveux ? Questions qui divisent encore physiologistes et pa-

thologistes, les premiers ayant de la tendance à nier l'existence de centres

trophiques, les seconds, encouragés par les nombreuses acquisitions que

la physiologie doit à la pathologie, s'obstinant à la recherche deces mêmes

centres tant discutés.

Le fait que nous présentons ici, nous offre un exemple de troubles de

nutrition indépendants de tout désordre moteur ou sensitif. Il se signale,

en outre, à notre attention par un phénomène révélateur qui nous indi-

querait la place de l'affection dans le cadre nosologique, tout en parais-

sant jeter quelque clarté dans la discussion dont les centres et nerfs tro-

phiques peuvent être l'objet. Notre prétention dût-elle sembler exagérée,

nous livrons quand même notre observation à la publicité, sa rareté nous

en faisant un devoir.

4.74. E. RAPIN

Observation 1.

Alice F., née le 11 juin 1894, est le troisième enfant d'une famille qui en

compte six - trois garçons et trois filles - tous très vigoureux, n'ayant jamais

été atteints de convulsions ou autres troubles nerveux. Accouchement facile à

terme. Père et mère jeunes, 33 et 23 ans, le mari de 10 ans plus âgé. Leur

santé, ainsi que celle de leurs ascendants et collatéraux ne laisse rien il

désirer. La famille habite à la campagne dans les environs de Genève. L'enfant

fut élevée au sein jusqu'à l'âge de 4 mois, mais la nourrice mercenaire qu'on

lui avait donnée étant devenue grosse, Alice fut confiée aux soins d'un ménage

voisin et nourrie au biberon.

Le 1er mars 1896 - l'enfant avait 20 mois nous sommes appelé auprès

d'elle. Sans rien présenter de bien caractérisé, la petite est plaintive; elle a

de la fièvre, quelques rares plaques d'urticaire sur le tronc; agitation et mou-

vement fébrile plus prononcé la nuit. Cet état se prolonge une dizaine de

jours sans changement notable. Somnolence et calme relatif pendant la journée,

mais on nous fait un tableau assez lamentable des nuits qui nécessitent l'as-

sistance d'une garde. Pas de convulsions, pas de vomissements, ni diarrhée.

La situation ne semblait pas s'aggraver lorsque, le 10 de grand matin, l'on

nous téléphone d'accourir : la nuit a été très mauvaise et il est survenu tout

à coup une enflure considérable d'un bras, à tel point que l'on dut s'empresser

de couper la chemisette. Nous constatons, en effet, que le membre supérieur

droit est tuméfié dans toute sa longueur, y compris la main ; les tissus sont

enflés, tendus; la peau bleuâtre, violacée. L'enfant pleure et paraît souffrir.

En dehors de ces symptômes, aucun signe accompagnant ou expliquant ce

gonflement du membre : pas d'adénopathie, nulle cause apparente de compres-

sion, pas de traînées rouges vasculaires.

Rendu inquiet par la brusque invasion de cette enflure cyanosée et doulou-

reuse, nous revoyons la malade dans l'après-midi en consultation avec le

Dr E. Revilliod. Surpris comme nous à l'aspect du membre, notre distingué

confrère se demande également s'il n'y aurait pas lieu de craindre quelque obli-

tération vasculaire et, sans apporter une grande précision dans le diagnostic,

nous ne cachons pas notre inquiétude.

11. - Bien qu'elle ait éprouvé plusieurs crises douloureuses dans la nuit,

l'enfant paraît être un peu mieux ; les téguments sont moins tendus. Alice

grignotait une croûte de pain, au moment de notre arrivée.

12. -- Etat général meilleur ; a bien dormi ; membre moins enflé. Le bord

cubital donne encore l'impression d'un oedème dur. Des su ! fusions sanguines

s'étendent en nappe jusque dans l'aisselle, et l'on remarque autour de l'épaule

droite, au-dessus de la clavicule en particulier, un réseau veineux superficiel

nettement dessiné. L'enfant peut remuer son bras et saisir des objets de la

main droite. Elle commence à s'alimenter.

13. Nous trouvons Alice occupée à manger sa soupe, se servant de la main

du côté malade. L'amélioration s'accentue rapidement ; le bras continue à dimi-

A

C

B

D

1-

DYSTROPHIE CONJONCTIVE MYELOPATHIQUE

. SUR UNE FORME ¡>'¡HPER1ROPllIE DES MEMBRES 475

nuer de volume ; il est moins violacé et ne parait plus guère douloureux lors-

qu'on le manipule. Retour du sommeil et de l'appétit.

16. Nuit un peu agitée par des démangeaisons dont le bras droit est le

siège. L'on y remarque une légère desquamation par places et quelques papules

blanchâtres. Rares plaques d'urticaire aux jambes. A part cela, tout va bien.

18. Convalescence franche; le bras paraît avoir repris son volume nor-

mal.

Depuis ces quelques jours de maladie, la santé d'Alice n'a rien offert de par-

ticulier jusqu'en juin 1897. A cette époque-là - l'enfant avait 3 ans -la mère

remarqua que le membre inférieur gauche, la cuisse surtout, paraissait plus

volumineux que le droit. Ce fut l'inégalité de développement qui la frappa tout

d'abord; jusqu'alors elle n'avait constaté chez son enfant que des formes avan-

tageuses : Vois comme notre Alice a de belles cuisses, avait-elle dit plus d'une

fois à son mari Mais l'augmentation de volume s'accentua progressivement

au point de présenter une grande différence dans les proportions des deux

jambes.

Nous ne vîmes la fillette que le 13 septembre de la même année. La photo-

graphie (PI. LXII) représente Alice à cette date. La cuisse du membre affecté

mesure circulairement 10 centimètres de plus que celle du côté sain; le

genou 3 centimètres; le mollet 7 centimètres ; le pied, sur le cou-de-pied,

25 millimètres en plus. En haut, l'augmentation de volume ne dépasse pas la

cuisse ; elle s'arrête net, en avant, au pli de l'aine, laissaut à la grande lèvre sa

forme normale ; en arrière, au pli fessier, sans participation de la fesse à l'hy-

pertrophie.

La peau est de couleur naturelle, douce au toucher, et donne à la palpation

l'impression d'un membre grassouillet, d'élasticité partout égale. La pression

digitale n'y laisse pas de cupule, bien que la piqûre d'aiguille fasse perler une

gouttelette de sérosité transparente. Le membre, de température peut-être légè-

rement abaissée, n'a jamais été douloureux ; les mouvements sont faciles et

l'enfant, florissante de santé, n'éprouve pas la moindre gêne dans la marche ;

elle court et gambade avec une parfaite aisance. Nulle part l'on ne constate de

causes de compression : ventre souple ; pas de ganglions engorgés ; foie et rate

de volume normal. Les os n'offrent rien de particulier dans leurs dimensions

respectives. Corps thyroïde très petit. Pas d'albumine dans l'urine.

Le bras droit, dont l'enflure nous avait si fort inquiété l'année précédente,

nous paraît être tout d'abord dans des conditions physiologiques. Nous remar-

quons cependant que sa face antérieure est sillonnée par un réseau veineux

très apparent ; dans la région cervico-pectorale existe une grosse veine super-

ficielle allant du sommet du sternum à l'épaule droite. La mère d'Alice pré-

tend, en outre, que depuis l'enflure dont il a été le siège, le bras droit est de-

meuré un peu plus gros que le gauche. Nous constatons, en effet, une différence

de volume de 2 centimètres soit actif. Lorsqu'on saisit la peau du liras à pleine

main, l'on tient un pli plus épais à droite qu'à gauche, comme s'il était doublé

d'un pannicule graisseux plus charnu.

476 E. RAPIN

Traitement. - Deux cuillerées à café par jour d'une solution d'iodure de

potassium au centième.

11 décembre. - Même état. Légère diminution de l'enflure à la cuisse, le

matin, en raison d'un peu d'oedème qui s'accumule dans le bas de la jambe

pendant la station debout. Nous avons dit que, en général, l'enfant marchait

avec facilité; elle traîne cependant quelque peu la jambe et il arrive que le

poids du membre cause parfois des chutes ; aussi le soulier gauche s'use-t-il

davantage à la pointe. Alice va à l'école.

Dans ces quatre dernières années, nous avons suivi l'enfant de loin en loin,

sans constater de changement dans son état, malgré les divers traitements em-

ployés : tablettes de thyroïodine, électricité, etc. (1). Le corps se développe nor-

malement ; l'allure est aisée, l'intelligence vive, mais l'hypertrophie des mem-

bres demeure dans les mêmes proportions. Deux fois, une maladie aiguë a

troublé momentanément la santé d'Alice : la coqueluche et la varicelle. Cette

dernière, dans son évolution, a offert à l'observation une particularité intéres-

sante. Elle a débuté par un rash scarlatiniforme, d'un beau rose framboisé, de

coloration partout égale, qui n'a occupé exactement que le membre abdominal

hypertrophié, s'arrêtant au pli de l'aine et au pli fessier, sans se montrer nulle

part ailleurs. Il fut suivi d'une fine desquamation (2). La pustulation fut très

discrète, et, fait à noter, ne se développa aucun bouton sur le membre hyper-

trophié qui avait été envahi par le rash.

La photographie (PI. LXII) représente Alice, âgée de 7 ans, dans l'état actuel

(juin 1901). Ainsi que l'on en peut juger, en dehors de l'infirmité qui nous

occupe, nous sommes en présence d'nne fillette bien conformée. Taille

108 centimètres ; colonne vertébrale sans incurvation pathologique. Rien d'a-

normal dans la conformation du crâne, de la cavité buccale, des dents, des

oreilles. Chevelure abondante et fine, châtain-clair. Ongles tous bien conformés.

Vaccinée à 13 mois, présente deux cicatrices à chaque bras. La peau est partout

d'égale coloration ; elle est assez tendue au membre inférieur pour ne causer

par pression digitale qu'une dépression fugitive et peu marquée, encore ne

l'obtient-on qu'au-dessous du genou, en raison d'un certain degré d'infiltration

oedémateuse surajoutée. L'on ne remarque pas en bas ces plis indurés de la

peau, tombant sur le pied comme dans l'éléphantiasis vrai. Pas de naevus, ni

de taches naeviformes. La piqûre des téguments donne du sang. Le système

pileux semble un peu plus apparent sur le membre inférieur hypertrophié, les

poils légèrement plus gros et longs.

La sensibilité cutanée est intacte, les réflexes normaux ; le réflexe plantaire

se fait en flexion. Il ne semble pas exister de sensibilité particulière au froid.

(1) La compression conseillée par nous n'a pas été essayée.

(2) L'on prétend que le rash se résout sans desquamation. S'il n'y a pas eu ici pul-

vérulence manifeste de la peau, l'épiderme n'en a pas moins été rugueux et fendillé,

au bas de la jambe en particulier. Nous nous rappelons d'autant mieux le fait, qu'il

avait attiré l'attention de l'un des quelques confrères auxquels nous avons montré

l'enfant.

SUR UNE FORME D'nYPEnTROPniE DES MEMBRES 477

La température dé la peau parait être légèrement plus basse à la jambe hyper-

trophiée.

Les deux membres inférieurs n'ont pas conservé leur différence de volume

proportionnellement au développement général ; l'hypertrophie est encore plus

accusée, ainsi qu'en témoignent les mesures circulaires suivantes :

478 E. RAPIN

Si nous récapitulons les faits qui constituent le passé pathologique de

notre malade, nous constaterons qu'ils sont représentés par deux traits

principaux, distincts et sans lien commun apparent : à t'age de 20 mois,

au milieu d'une parfaite santé, période fébrile d'une dizaine de jours,

compliquée d'une enflure douloureuse du bras droit. Tout rentre dans

l'ordre, le bras demeurant un peu plus volumineux que celui du côté

opposé. Quinze mois plus tard, découverte du développement exagéré du

membre inférieur gauche, sans fièvre ni douleur. Pouvons-nous prétendre

à l'existence de quelque relation entre eux, et nous est-il permis de les

considérer comme deux termes d'un même problème dont nous aurions à

chercher la solution ?

Et d'abord une réflexion concernant l'hypertrophie du memhre abdo-

minal : Il est à présumer que lorsque la mère d'Alice remarqua pour la

première fois la difformité que présentait son enfant, l'hypertrophie n'é-

tait pas de date récente. Selon toute vraisemblance, elle s'est constituée

progressivement, et ce n'est qu'arrivée à un certain degré de développe-

ment qu'elle a attiré l'attention. L'on ne saurait concevoir, en effet,

qu'une masse aussi considérable, évoluant sans bruit, se fût formée en

quelques jours; il est évident que, pour atteindre pareil volume, le tra-

vail d'hypercroissance auquel le membre était livré a dû y mettre du

temps. Une durée de quinze mois pour la création de cet état n'a rien qui

choque la logique. Il n'y aurait donc aucune exagération à faire remonter

à la période fébrile initiale, le débutdu mouvement bypertrophique dont

la jambe est le siège ; en un mot, à le rendre contemporain de l'enflure

douloureuse du bras. En clinique, nous ne manquons pas d'exemples de

troubles trophiques dont la première apparition n'est devenue évidente

qu'à une époque fort éloignée de leur cause première.

Si maintenant nous passons en revue les affections plus particulières à

l'enfance et que nous les comparions à l'état présenté par notre fillette, il

en-est une que nous serons enclin à retenir comme susceptible d'éveiller

l'attention, en raison d'un léger indice constitué par deux syndro-

mes communs avec l'état que nous étudions : même début fébrile, même

variété dans la distribution dans les membres. C'est peu pour entraîner

la conviction, dira-t-on ; surtout s'il s'agit on l'a peut-être deviné

de la poliomyélite antérieure. Quoi ! vouloir comprendre dans la paralysie

atrophique de l'enfance une affection qui a l'hypertrophie pour caractéris-

tique et qui n'offre pas trace de paralysie ! La comparaison n'est-elle pas

bien audacieuse ? Nous nous attendions à l'objection, et c'est à la com-

battre que nous allons nous appliquer, car nous pensons, malgré les

apparences contraires, que dans la pathogénie des deux états, celui

que présente notre jeune sujet et la paralysie infantile, existe une étroite

SUR UNE FORME D'IIYPEIITROPHIE DES MEMBRES 479

parenté et que, sans trop .d'efforts, l'on pourra être conduit à voir dans

les deux affections deux modalités de la même entité morbide ? \i0 ?

A l'appui de la thèse que nous nous proposons de soutenir, lloS : '6;"sN e- "

rons de démontrer que la paralysie atrophique spinale de rellraÂêe"À>nÙ11Bi',é.¡'

ses symptômes caractéristiques, ne se présente pas toujours il l'observation '

avec la physionomie univoque que d'habitude nous lui attribuons. EÙ1'uf¡

chercherons à prouver que, dans cette maladie, où l'atrophie semble ré- "'

gner en maîtresse exclusive, l'hypertrophie peut se rencontrer aussi et

constituer une manifestation rare peut-être, mais légitime - de la pa-

ralysie infantile, appelée même, dans certains cas, à représenter, à elle

seule, toute la symptomalologie de l'affection.

Au nombre des effets bien connus de la poliomyélite antérieure, nous

croyons donc pouvoir ajouter un phénomène auquel, jusqu'à présent, l'on

ne parait pas avoir prêté suffisante attention. Nous faisons allusion à la

production cellulo-graisseuse, qui, en plus ou moins grande abondance,

se fait parfois dans les membres, à la suite du coup porté sur la moelle par

l'agent infectieux. Parmi les désordres de nutrition auxquels l'altération

du névraxe peut donner lieu, il n'est pas très rare, en effet, de constater,

conjointement avec l'atrophie, mais pouvant aussi se montrer sans elle,

la formation d'un pannicule graisseux plus épais que celui qui enveloppe

les membres sains, Dans quelques cas exceptionnels, le tissu cellulaire

sous-cutané et interstitiel prolifère, au point que la prédominance des

tissus conjonctif et adipeux pourra, non seulement compenser la perte de

volume causée par l'atrophie, mais rendre le membre malade plus volu-

mineux encore que celui du côté sain. Grâce à quelques recherches biblio-

graphiques, nous tenterons de démontrer que la production de tissu

cellulo-graisseux, à la suite du trouble apporté dans les fonctions médul-

laires, n'est pas un élément aussi étranger qu'on le suppose généralement.

Dans son travail inaugural inspiré par Gubler, Collette (1), l'un des

premiers, remarque l'épaississement du tissu cellulo-adipeux qui se pro-

duit autour des muscles atrophiés dans certaines phlegmasies mono.arti-

culaires, El, bien que son observation ne porte pas spécialement sur les

reliquats d'affections myélopathiques, l'auteur se préoccupe beaucoup de

cette singulière combinaison symptomatique : atrophie musculaire, poly-

sarcie sous-cutanée. -

Duchenne de Boulogne (2), ce précurseur trop longtemps méconnu,

avait noté l'accumulation des tissus conjonctif et graisseux dans certaines

affections médullaires avec amyotrophie. C'est ainsi que dans la paralysie

atrophique de l'enfance, le degré d'atrophie ou de texture des muscles

(1) Collette, Sur une forme d'arthropathie, Thèse de Paris, 1812.

(2) DUCIIENNC de Boulogne, De l'électricité localisée. 1872.

480 E. RAPIN

peut être appréciée, selon lui, par l'épaisseur du tissu cellulo-graisseux,

qui, à ce niveau, devient d'une abondance considérable (p. 399). Fernet

rapporte à ce propos, d'après Landouzy, que Duchenne avait coutume de

faire des plis à la peau, pour dépister l'atrophie musculaire, alors que,

de prime abord, elle n'apparaissait pas évidente. A l'occasion de l'atro-

phie progressive de l'adulte, Duchenne dit encore : « l'abondance du tissu

adipeux sous-cutané peut masquer l'atrophie musculaire (p. 488) ». Il

répète plus loin la même observation : « L'atrophie d'un grand nombre de

muscles est quelquefois masquée par l'obésité ou par un embonpoint

considérable». ». -

La surcharge graisseuse accompagnant l'atrophie musculaire sympto-

matique d'affections de la moelle est un sujet qui a été l'objet d'un tra-

vail spécial du Dr Landouzy (1). « En dehors de la thèse de Collette, dit

l'auteur, ni dans les travaux parus récemment, soit sur les atrophies mus-

culaires, soit sur la physiologie du système nerveux, ni dans les études

sur la nutrition et les troubles trophiques des tissus, on ne trouve de ren-

seignements sur les modifications que peut subir le tissu cellulaire sous-

cutané. Son émaciation ou son engraissement, ses déviations partielles

ou générales paraissent avoir aussi peu préoccupé les physiologistes que

les anatomo-pathologistes : et pourtant l'adipose sous-cutanée, beaucoup

plus commune que le silence des auteurs ne le ferait supposer, présente

un intérêt considérable,. »

La première observation du mémoire de Landouzy a pour sujet un

homme de 65 ans, mort à la suite d'une hémiplégie droite, avec sclérose

médullaire descendante chez lequel, dans l'espace de cinq mois et demi,

le tissu cellulo-adipeux sous-cutané avait doublé d'épaisseur. « L'hyper-

trophie tégumentaire (que nous avons vu constituée exclusivement par une

adipose du tissu conjonctif sous-cutané) devra nous arrêter longuement,

ajoute l'auteur, car, d'une part, c'est le poinl saillant de notre mémoire ;

d'autre part, le fait que nous venons de rapporter n'est qu'un des types

dans lesquels on la rencontre, comme en témoignent nombre d'observa-

tions dans lesquelles nous l'avons notée. » Nous reviendrons plus loin sur

les idées professées par Landouzy dans ce mémoire.

Dans une thèse écrite sous l'inspiration de Landouzy, Vergnes (2)

donne plusieurs observations d'adipose sous-cutanée dans la paralysie

infantile avec atrophie musculaire : « Les conclusions à tirer de mes re

cherches, dit-il, sont analogues à celles de M. Landouzy. L'adipose sous-

cutanée existe : 1° Habituellement dans les amyotrophies dues aux mala-

dies articulaires, aux fractures, aux névralgies, aux lésions cérébrales,

(1) LANnouzv, Revue mens. de méd. et chir., 1878.

(2) J. VERGNES, De l'adipose sous-cutanée, thèse de Paris, 1818.

- SUR UNE FORME D'HYPERTROPHIE DES MEMBRES 481

aux compressions médullaires, aux méninao-myélites, en un mot dans

toutes les atrophies musculaires qu'on décrit sous le nom d'amyolrophies

deutéropathiques, secondaires ou symptomatiques ; 2° d'une façon variable

dans la paralysie spinale ; 3° rarement (si tant est qu'elle existe) dans l'a-

trophie musculaire progressive. Evidemment, conclut Vergnes, il faut

admettre dans tous ces cas une liaison entre t'épaississement du tissu

cellulaire et les troubles nerveux, une subordination du premier aux se-

conds ),.

Byrom-Bramwell (1), au chapitre consacré à la poliomyélite antérieure,

se borne à une mention laconique : « Dans des cas exceptionnels, le tissu

cellulo-adipeux domine ».

Selon Vulpian (2), « le tissu cellulo-adipeux sous-cutané des membres

ou des segments de membre frappés d'atrophie est d'ordinaire plus épais

que dans l'état normal. C'est là une particularité sur laquelle, il y a long-

temps déjà, Duchenne de Boulogne a appelé l'attention des médecins,et qui

a été signalée aussi, dès 1860, par Bonnefin dans sa thèse inaugurale... Je

n'ai pas manqué de la signaler maintes fois, soif à l'hôpital, soit dans mes

cours. Cet épaississement adipeux du tissu cellulaire sous-cutané s'ob-

. serve souvent même dans les régions où l'interposition du tissu adipeux

ne s'est faite qu'à un très faible degré dans les muscles atrophiés. »

Au nombre des troubles trophiques de la paralysie infantile, P. Ma-

rie (3) ne manque pas de compter l'adipose sous-cutanée (obésité locale

de Landouzy) qui acquiert quelquefois au niveau des muscles atrophiés,

un degré très prononcé, au point de masquer entièrement l'atrophie ou

même de simuler l'hypertrophie du membre. Cette adipose, ajoute-t-il,

est loin d'être constante (p. 432).

Si nous ne nous abusons, nous croyons avoir démontré, par un nombre

suffisant de preuves, que l'hypertrophie du tissu cellulo-graisseux accom-

pagne parfois l'atrophie musculaire et qu'elle posséderait même quelque

droit à figurer aussi dans le tableau symptomatique de la paralysie infan-

tile. Bien qu'on la rencontre le plus souvent marchant de pair avec l'atro-

phie musculaire, elle n'en est pas le corollaire obligé et peut se montrer

sans elle, en vertu de l'indépendance dont témoignent les troubles tro-

phiques les uns vis-à-vis des autres. Parfois même, nous voyons l'appareil

conjonctif être pris isolément d'une suractivité nutritive, comme si l'har-

monie qui préside au développement du corps, désorganisée par l'anar-

chie gouvernementale, avait cessé de régner pour les systèmes conjonctif

et adipeux et les abandonnait à la seule contention de l'enveloppe cuta-

(1) BynOM-BHA'IWLL, blalad. de la moelle épin" trad. 1883, p. 214. ,

(2) VULI'IAX, dlalad. du sysi. nerv., 1886, t. II, p. 295.

(3) P. Marie, Leçons sur les mal, de la moelle, 1892.

xiv 38

482 E, HAPIN

née. Telle serait, à notre sens, la situation du jeune sujet, objet de cette

présentation. Dans le cas particulier, nous serions donc en présence de

troubles trophiques consécutifs à des lésions encore mal déterminées du

département nerveux chargé de diriger la nutrition et de la tenir en hride,

lésions qui permettraient au tissu cellulo-adipeux de se dérober à sa su-

jétion physiologique et de prendre une exubérance incompatible avec l'é-

quilibre normal de l'économie.

Bien que les symptômes habituels de la paralysie infantile - début

fébrile, paralysie motrice d'un ou de plusieurs membres, atrophie muscu-

laire graisseuse avec les déformations qu'elle entraine, atrophie osseuse

impriment généralement à la maladie dont ils relèvent un caractère

de précision propre à affirmer le diagnostic, ils ne se présentent pas tou-

jours sous la forme classique que nous connaissons; leur aspect peut être

des plus variés, soit que les uns ou les autres fassent défaut, soit que leur

présence s'accuse par des différences notables d'expression. C'est ainsi que

la fièvre initiale manque parfois. La paralysie peut être très fugace, pas-

ser même inaperçue, et l'atrophie musculaire n'en être pas moins très

prononcée. Il pourra résulter de cette diversité dans les phénomènes, se-

lon l'absence de tel ou tel d'entre eux, des formes frustes, susceptibles en

raison de leur physionomie ébauchée, de dérouter le diagnostic et d'em-

barrasser grandement l'observateur. L'on ne remarque pas de compensa-

tions adéquates entre ces troubles de nutrition ; les uns ou les autres,

nous le répétons, peuvent être peu prononcés, manquer même, ou s'af-

firmer, si nous admettons l'adipose dans la symptomatologie, par une exa-

gération nutritive capable de défigurer le tableau habituel et d'égarer le

médecin (1).

La fièvre initiale, avons-nous dit, peut faire défaut ou être assez peu

accentuée pour passer inaperçue : « Il importe de rappeler, dit Duchenne,

que la paralysie atrophique de l'enfance, quels que soient son étendue et

son degré, n'est quelquefois précédée, nj accompagnée d'aucune fièvre à

son début ». Lorsqu'elle n'est pas compliquée de convulsions, la période

fébrile ne sort pas de la banalité d'un mouvement pyrétique ordinaire,

aussi le souvenir pourrait-il en être perdu, dans le cas où les phénomènes

(1) La paralysie pseudo-hypertrophique pourrait être confondue avec la paralysie

infantile, en raison de la lipomatose que prennent quelquefois les membres infé-

rieurs, nous disait le professur Raymond dans une de ses leçons orales. Elle peut en-

core survenir à titre de complication dans la même maladie. Il se pourrait que, en

vertu de l'hyperplasie considérable du tissu conjonctif interstitiel qui la caractérise

et qui constitue chez elle le trouble primordial, la pseudo-hypertrophie fût moins

étrangère dans son essence à la paralysie infantile qu'on ne le supposerait, bien que,

jusqu'à présent, l'examen de la moelle n'ait rien révélé et que l'affection revête le

type familial.

SUR UNE FORME D'IIYPEIITROP111E DES MEMBRES 483

consécutifs tarderaient trop à se démasquer. Remarquons, à ce propos,

combien il a été heureux pour le diagnostic que ce début fébrile, chez

Alice, ait été marqué par l'endure du bras. Sans celle particularité, vé-

ritable symptôme providentiel qui a imprimé un trait caractéristique à la

maladie, le souvenir de ces quelques jours de fièvre se fût perdu sans

doute et il ne fût venu à personne l'idée de les faire figurer comme le point

de départ de l'hypertrophie du membre inférieur.

La paralysie également affecte tous les degrés d'intensité. Elle peut

n'être que transitoire et de celle façon échapper a l'attention. Aticeaurait-

elle été touchée par la paralysie ? Rien ne le prouve d'une manière cer-

taine. La mère prétend bien qu'à la suite de ces quelques jours de fièvre

l'enfant fut mise en retard pour marcher, tandis que la personne prépo-

sée à sa garde conserve, au contraire, le souvenir d'une courte convales-

cence.

Le peu d'intensité et de durée de la paralysie n'implique pas forcément

des suites en corrélation avec la bénignité du début ou inversement. Nous

venons d'entendre Vulpian parler de cas où l'épaississement adipeux s'ob-

serve souvent, même dans les régions où la transformation graisseuse des

muscles ne s'est faite qu'à un faible degré. Celle-ci, en effet, peut être

peu marquée au milieu d'une gangue conjonctive très épaisse. Voll,-

mann (1) dit avoir vu 4 ou 5 fois une paralysie infantile tout à fait tem-

poraire et aboutissant en peu de jours à un retour complet des fonctions

musculaires, être suivie cependant de lésions trophiques osseuses qui per-

sistaient toute la vie. « Le degré d'atrophie osseuse, dit encore Du-

chenne (2), n'est pas toujours en rapport avec le degré et l'étendue de la

paralysie. Ainsi un membre pourra avoir perdu la plupart de ses muscles,

alors qu'il sera plus court que celui du côté opposé de 2 ou 3 centimètres

seulement, tandis que la diminution de longueur d'un autre membre ira

jusqu'à 5 ou 6 centimètres, quoique la lésion musculaire y soit restée

localisée dans un ou deux muscles. »

« Dans quelques cas, dit Boulloche (3), la paralysie infantile n'aboutit

à aucune atrophie musculaire : les muscles ont conservé leur force et

leur dimension normale ; seul, le squelette du membre atteint a subi un

arrêt de développement. D'autre part, il n'y a parfois aucune proportion

entre l'atrophie des muscles et celle des os dans le membre paralysé. »

L'on voit par ces quelques citations combien parfois est grande l'indé-

pendance entre les diverses manifestations delà poliomyélite antérieure

et combien, relativement aux conséquences fonctionnelles, l'on risquerait

(1) Voir Charcot, Leçons sur les mal. dusyst. nerv., isil, t. II, p. 156.

(2) Ducuevas de Boulogne, loc. cit., p. 400.

(3) Voir Debove et Aciiahd, Manuel de méd., t. III; p. 668.

484 E. IiAPI1

d'exprimer au début un pronostic prématuré en se basant sur l'existence,

la forme ou l'absence de tel ou tel phénomène. La variété des symptômes

qui caractérisent cette affection médullaire et l'inégalité de leur expres-

sion, invitent déjà à penser que les éléments nerveux, atteints par l'agent

infectieux, réagissent à des degrés très divers.

L'interprétation des faits plaiderait donc en faveur de l'existence de

centres trophiques distincts et indépendants. Malheureusement, l'anatomie

pathologique ne nous apporte pas encore grand secours dans ce sens. Malgré

les progrès réalisés par elle depuis l'époque où la poliomyélite antérieure

était considérée comme une paralysie essentielle, l'aspect seul des lésions

des cornes antérieures ne nous permet pas de préjuger d'une façon cer-

taine de la diversité et du degré d'intensité des troubles fonctionnels qui

en ont été la suite fatale. Tout ce qu'il nous est permis de certifier, c'est

que la même altération apparente des grandes cellules motrices n'a pas

toujours les mêmes conséquences ; aussi les effels variés qui en résultent t

pourraient-ils être regardés comme l'indice de la réunion de fonctions di-

verses dans les cornes antérieures. En attendant les révélations que nous

livrera, un jour, l'histologie pathologique, c'est à l'observation clinique

que nous devons nous adresser pour élucider la question, fort discutée

encore, des centres trophiques.

En raison de leur variété, de leur indépendance, de l'absence de paral-

lélisme, de solidarité et de corrélation entre leurs manifestations, les trou-

bles trophiques, dans la paralysie infantile, ne semblent pas résulter de

lésions médullaires massives, comprenant une certaine étendue en bloc

de la substance grise. Ils paraissent être plutôt l'expression de lésions

éparses, frappant des centres fonctionnels distincts. Ainsi que le dit Bris-

saud (1) : « La lésion spinale, qui est le point de départ nécessaire des

troubles nutritifs à la périphérie, résulte d'une action pathogène, toxique

ou infectieuse, qui, d'avance a fait son choix ; elle s'attaque à tels éléments

et épargne les autres ; elle ressort tout particulièrement de l'immunité des

sphincters. Comment, en effet, pourrait-on nier l'étrange sélection des

éléments nerveux médullaires réalisée par tous ces processus destructifs,

aigus, subaigus ou chroniques, qui donnent lieu à autant de variétés clini-

ques de paralysie spinale ? Dire que l'agent pathogène fait son choix, n'est

qu'une forme de langage. Il serait plus conforme à la vérité de dire que,

parmi les éléments moteurs du névraxe, il est une catégorie qui, par pri-

vilège spécial, reste insensible au poison, indifférent au bacille. »

« Si l'on admet, poursuit Brissaud, l'action des substances toxiques sur

certains éléments nerveux, à l'exclusion de certains autres, encore faut-il

(1) Brissaud, Atrophies musculaires tardives consécutives à la paralysie infantile,

Presse méd., 1896.

SUR UNE FORME D'IIYPERTITOPIIIE DES MEMBRES .485

que ces éléments soient des centres - au sens qu'on attribue à ce mot -

c'est-à-dire des groupes de cellules, bien moins différenciées par leurs rap-

ports anatomiques que par leurs propriétés fonctionnelles et leurs réac-

tions respectives vis-à-vis des causes pathogènes. » Si la pathogénie de la

paralysie infantile ne comportait pas ce caractère électif sur les éléments

nerveux que nous supposons exister, nous comprendrions difficilement,

en effet, que les centres de la vessie et du rectum fussent toujours respec-

tés, alors que les centres moteurs pelviens très voisins sont souvent tou-

chés.

L'idée que l'hypertrophie des membres, dont on a décrit des types divers,

pouvait relever dans un certain nombre de cas, de lésions médullaires

ayant affecté des centres trophiques spéciaux, a été formulée d'ailleurs

par quelques observateurs. Landouzy voit dans l'adipose sous-cutanée le

résultat d'une déviation dans la nutrition du tissu conjonctif, c'est-à-dire

le résultat d'un trouble trophique : « L'on chercherait en vain cette adi-

pose sur les membres des hystériques qu'une hémiplégie ou une paraplé-

gie condamne à l'immobilité pendant des mois ou des années. La raison

de formation et de répartition de l'adipose n'étant trouvée ni dans une

nutrition que l'on voudrait équitablement compensative, ni dans l'activité

fonctionnelle, cette raison doit être cherchée ailleurs. Pourquoi cette adi-

pose ne relèverait-elle pas d'un trouble d'innervation centrale ou périphé-

rique au même titre que l'amyotrophie ? ... En somme, c'est bien d'une

perturbation qu'il s'agit dans les obésités locales dont nous citons des

exemples. Cette perturbation nerveuse qu'il faut démontrer en ce qui con-

cerne le tissu conjonctif sous-cutané, est admise sans conteste en ce qui

concerne l'atrophie musculaire qu'elle a suivie. A vrai dire, l'intérêt des

obésités partielles git précisément tout entier dans ce fait qu'elles pour-

raient bien naître comme les altérations musculaires et cutanées dites tro-

phiques, qu'elles pourraient bien relever comme celles-ci de perturbations

spinales ou périphériques, qu'elles semblent enfin, comme celles-ci, dans

leur localisation et dans leurextension, étroitement liées aux modifications

mêmes subies par les lésions nerveuses.

Landouzy fait ressortir les liens qui unissent les modifications du tissu

cellulaire aux lésions nerveuses, non seulement dans ses propres obser-

vations, mais dans celles aussi d'un certain nombre d'ailleurs. L'analyse

de ces différents cas lui parait propre à fortifier la doctrine des centres

trophiques. Et selon la présence ou l'absence de l'adipose dans la diversité

des troubles de nutrition, il est disposé à admettre que « les actions tro-

phiques du tissu conjonctif sous-cutané n'ont ni mêmes centres, ni mêmes

conducteurs que les muscles et la peau .. Ce qui revient à dire que l'adi-

pose, pas plus que les lésions cutanées, ne se trouve sous la dépendance

486 E. RAPIN

de la macilence musculaire, mais bien sous la dépendance d'une lésion

coexistante ou consécutive des agents d'innervation du tissu conjonctif. »

Landouzy termine son intéressant mémoire par ces mots qui pourraient

témoigner, cllez leur auteur, d'une prévision remarquable : « Ce qu'on

doit retenir surtout des considérations cliniques, c'est que la constatation

de l'obésité partielle, de l'adipose sous-cutanée, l'étude des conditions

dans lesquelles elle se produit, les limites dans lesquelles elle s'étend,

constituent une véritable dissociation pathologique qui permettra peut-être

par la réunion d'observations attentives et de nécropsies minutieuses, de

reconnaître, de distinguer et de localiser les centres et les conducteurs

d'innervation du tissu conjonctif sous-cutané. Ici encore, comme le disait,

il y a vingt ans, M. Gubler, à propos du ramollissement cérébral atrophi-

que, « la pathologie fournira des lumières à l'anatomie et à la physiolo-

gie », en les aidant à découvrir les voies par lesquelles l'influence tro-

phique est conduite d'une part aux muscles, d'autre part à la peau, d'autre

part enfin au tissu cellulaire sous-cutané », et aux os, aurait pu ajouter

Landouzy.

L'existence de centres trophiques spéciaux dont serait pourvu le sys-

tème nerveux central ne tire pas sa vraisemblance de la seule observation

des faits; elle trouvera une confirmation de sa réalité dans l'analogie

que semble présenter la distrilmtion des rôles dans le domaine de la sen-

sibilité. L'étude des fondions nerveuses à la périphérie nous apprend, en

effet, que toutes les parties de l'appareil chargé de recueillir les impres-

sions extérieures ne sont pas égales dans leurs attributions fonctionnelles;

celles-ci seraient réparties selon le principe de la division du travail. L'on

y reconnaîtrait une spécialisation d'emploi dévolue à tels de ses éléments

constitutifs en vue de telles excitations venues du dehors. Les éléments

nerveux pél iphériques ne percevraient donc pas tous également les mêmes

sensations ; ils semblent se partager les rôles d'avertisseurs sans exercer de

cumul.

C'est ainsi que la sensibilité tactile et la sensibilité douloureuse ne

seraient pas perçues par les mêmes récepteurs, et, si l'on en croit les re-

cherches de Goldscheider, les nerfs qui nous renseignent sur la therma-

lité seraient de deux sortes : « Les nerfs destinés à la'perception des bas-

ses températures ne sont pas ceux qui recueillent les impressions calorifi-

ques. Les premiers sont insensibles à la chaleur; les seconds échappent

à l'action des corps réfrigérants. À défaut de ceux-ci, nul de nous ne sau-

rait ce que c'est que le froid, et nous n'aurions jamais chaud, si nous

étions privés de ceux-là (9). » Etudiant ce principe de la réceptivité spé-

(I) D1' C. Vanlair, Les mystères de la douleur, Revue des deux-Mondes, Il, août 190

Les impressions subjectives si pénibles de chaleur dans certaines affections nerveuses

SUR UNE FORME D'HYPERTROPHIE DES MEMBRES 487

cifique, M. Vanlair fait valoir de bonnes raisons pour proposer aussi

comme distincts les nerfs de la sensibilité normale et les nerfs dolorifi-

ques (1).

Les motifs invoqués par les auteurs susnommés en faveur d'une subor-

dination de l'hypertrophie des membres à une lésion médullaire, leurs lé-

gitimes soupçons à l'endroit de la moelle en présence de troubles trophi-

ques de cette nature, ne pouvaient que corroborer l'idée qui la première

s'est imposée à nous, celle de considérer les phénomènes offerts par l'en-

fant dont nous venons de rapporter l'histoire, comme appartenant de droit

à la symptomatologie de la poliomyélite antérieure, malgré l'absence de

toule paralysie. L'expérience ne nous révèle-t-elle pas combien notre

courte vue, nos habitudes d'esprit en nosologie, souvent trop restrictives,

nous empêchent de reconnaître de prime abord que les cadres des entités

morbides ont en réalité plus d'ampleur que ceux que nous leur attri-

buons.

Nous sommes trop enclins, par exemple, à associer la notion d'atrophie

au tableau clinique de la paralysie infantile, pour lui substituer, sans

hésitation celle tout opposée d'hypertrophie; comme si la même cause,

selon la profondeur de son action sur les centres nerveux, n'était pas sus-

ceptible d'effets consécutifs très différents. Quoi de paradoxal à supposer

que le même principe nocif, suivant qu'il aura détruit ou seulement ef-

fleuré certaines cellules, puisse déterminer une paralysie atrophique ir-

rémédiable, oususciterune excitation capable de provoquer, aucontraire,

une exubérance de nutrition !

¥ ¥

Nous avons cherché par quelques preuves directes, à établir l'étroite

parenté qui nous paraissait exister entre le cas que nous avons observé et

la paralysie infantile. Nous croyons pouvoir les compléter en faisant in-

tervenir quelques considérations propres, selon nous, à appuyer notre

manière de voir. Remarquons d'abord le cantonnement de l'hypertrophie;

ses limites à la cuisse semblent dictées d'une façon systématique. Son ar-

rêt net aux plis de l'aine et de la fesse ne met-il pas en évidence une bar-

rière anatomique que seule la théorie de la métamérie spinale est capable

d'expliquer ? Puis, l'ordre dans lequel les accidents se sont succédé, ré-

péterons-nous encore, n'invite-t-il pas aussi à un rapprochement avec les

(maladies de Parkinson, de Basedow, etc.) trouveraient peut-être leur explication

dans une altération des nerfs thermiques.

(1) Il va sans dire que l'expression de nerfs n'est employée ici que pour la com-

modité du langage, ainsi que le fait observer M. Vanlair dans une étude écrite pour

un public non médical : « Les nerfs sont des conducteurs indifférents, des voies ba-

nales ouvertes à tous les genres d'excitation et totalement incapables d'en opérer le

triage. Aux cellules cérébrales seules incombe le soin de cette délicate sélection. »

488 E. RAPIN

manifestations de la paralysie infantile ? Nous le rappelons : Etat fébrile

sans cause appréciable ; seules quelques plaques d'urticaire trahissent une

infection ; puis, tout à coup détermination sur un bras, suivie plus tard

d'un phénomène analogue au membre inférieur. Ces quelques données,

en leur énoncé sommaire, ne sont-elles pas propres par elles-mêmes à

suggérer à l'observateur l'idée d'une affection médullaire, comparable à

celle que nous connaissons sous le nom de poliomyélite antérieure ? S'il

n'y avait là qu'une illusion de notre part, nous avouerions qu'elle a hanté

notre esprit en obsession très tenace !

Mais poursuivons, car nous croyons pouvoir compléter l'assimilation

des deux états morbides en tenant compte ici de quelques signes négatifs

qui ne sont pas absolument sans importance dans la question : Entre les

manifestations communes à la généralité des myélopathies organiques, il

en est que l'on ne rencontre pas dans la paralysie infantile et qui, en vertu

de leur défaut, contribuent à lui créer une place à part parmi les mala-

dies de la moelle. Or, ces mêmes manifestations manquant également dans

notre cas, nous donnent là une preuve de plus en faveur du rapproche-

ment que nous cherchons. Nous avons parlé déjà de l'immunité dont jouis-

sent les réservoirs. A ce caractère particulier, nous ajouterons l'absence

d'eschare au sacrum ou de toute autre altération profonde de la nutrition

cutanée; l'absence encore de contracture et de troubles de la sensibilité.

Ces divers symptômes étrangers à la poliomyélite antérieure n'ont pas

été observés davantage chez notre malade. Nous ferons remarquer, en ou-

tre, que lorsque la paralysie infantile est unilatérale, elle est souvent asy-

métrique. Il en est de même chez Alice, le bras droit et la jambe gauche

sont seuls intéressés. Enfin, dernier argument à l'appui de nos préten-

tions, nous le trouvons dans le fait que, au cours de la varicelle dont

l'enfant a été atteinte, aucune éruption pustuleuse ne s'est montrée sur

le côté malade (1).

(1) A la Société médicale des hôpitaux (Séancedu 22 janvier 1897), Thibierge présenta,

un malade atteint d'une paralysie infantile ayant déterminé une atrophie du bras

droit. Ce malade ayant contracté la syphilis a vu survenir des syphilides malignes

précoces partout excepté sur le membre atrophié. JoLLY a observé un cas semblable

pour le membre inférieur. Lannois rappelle à ce propos l'absence d'éruption au cours

des fièvres éruptives au niveau des membres atrophiés consécutivement à une para-

lysie infantile. Marie, dans ses leçons orales à la Faculté de Paris (1897), rappelle

que, en cas d'éruption générale à la peau, rien ne se montre dans les régions para-

lysées. Il présente, par projection, un homme atteint d'une éruption syphilitique

qui avait respecté le membre inférieur droit atrophié. L'on pourrait objecter à cet en-

droit que dans les fièvres éruptives, l'éruption caractéristique manque parfois dans les

rjgions qui ont été le siège d'un rash. L'observation n'est pas sans valeur. Hais si,

d'autre part, l'on considère le rash comme une hyperémie liée à des troubles nerveux,

selon l'opinion de quelques auteurs, l'on ne sera pas surpris de son apparition dans

notre cas. L'on pourrait se demander, il est vrai, pourquoi le bras où la vaso-motri-

SUR UNE FORME D'BYPERTROPQ1E DES MEMBRES 489

Chacun des éléments que nous venons d'invoquer dans un but d'iden-

tification porte en lui une valeur qui, bien que légère en apparence,

n'est pas à dédaigner. Il est certain que si nous avions eu à constater l'un

ou l'autre des signes que nous venons d'énumérer, notre foi dans le dia-

gnostic que nous.proposons en eût été fort ébranlée.

Avant de terminer, nous ferons une dernière observation concernant le

sujet qui est l'objet de ce travail. Nous remarquerons d'abord que dans

les cas d'hypertrophie unilatérale des membres qui ont élé publiés, l'on

note cette particularité, offerte également par noire malade, que l'hyper-

trophie du bras existe rarement seule, et quand celle de la jambe l'accom-

pagne, elle est généralement moins développée au bras. Puis, nous ferons

encore observer que les deux localisations de l'hypertrophie, chez Alice,

ne revêtent pas toutes deux la même apparence ; elles diffèrent sensible-

ment dans leur physionomie et leur évolution, comme si elles apparte-

naient à deux formes distinctes. Les troubles trophiques du bras ont

débuté brusquement, avons-nous dit, par une enflure douloureuse accom-

pagnée de cyanose et de chaleur à la peau. Il s'est produit là un état d'acuité

que l'on ne saurait attribuer qu'à des désordres circulatoires, désordres

dont témoigne encore aujourd'hui l'existence des réseaux veineux très

apparents du bras et de la région cervico-peclorale. L'épaississement du

pannicule graisseux sous-cutané s'est fait d'une manière consécutive. Le

mécanisme de l'enflure du bras trouverait son explication, semble-t-il,

dans un trouble vaso-moteur qui rapprocherait cette forme des hypertro-

phies décrites par Trélat et Monod (1), Klippel et Trenaunay (2), avec

cette différence cependant que dans notre cas le squelette est demeuré

indemne. L'on pourrait voir dans le rapport que nous signalons, un de

ces points de contact, un pont permettant le passage d'une forme à une

autre et laissant supposer un lien de parenté entre diverses catégories

d'hypertrophie des membres. Au membre inférieur, par contre, les trou-

bles trophiques se sont installés lentement, sans désordres circulatoires

apparents, sans chaleur à la peau, donnant aux tissus une consistance

ferme, compacte, qui dénoterait la prédominance excessive du tissu con-

jonctif. Nous aurions donc là l'exemple typique d'un trouble de nutrition

cité paraît avoir été plus particulièrement altérée aurait échappé au rash ? Voir Au-

DEOUD, Les rash dans la varicelle, Archiv. de méd. des enfants, septembre 1898,

p. 520, 521).

(1) Trélat et Monod, De l'hypertrophie unilatérale partielle ou totale du corps, Arch.

gén. de méd., 1869.

(2) KLIPPEL et Trenaunay, Du nsevus variqueux osléo-hyperlrophique, Arch. gén. de

méd., juin 1900.

490 ' E. RAPIN

consécutif à une altération - irritation, excitation - du centre trophi-

que conjonctif du membre abdominal gauche.

Dans le domaine quelque peu ardu où nous nous sommes aventuré,

nous avons cherché à démontrer que l'hypertrophie des membres, telle

qu'elle se présente chez notre jeune sujet, pouvait, au même titre que les

autres symptômes de la paralysie infantile, être envisagée comme l'une

des conséquences légitimes des lésions médullaires qui font de la polio-

myélite antérieure une entité morbide nettement définie. Faute de vérifi-

cation anatomique, nous ne nous flattons pas d'avoir entièrement con-

vaincu le lecteur de la justesse de nos arguments. Quoi qu'il en soit, ce

n'est pas sans une certaine confiance en l'avenir, que nous émettons le

diagnostic d'attente que nous avons cru pouvoir formuler.

*

h x

Si l'adipose sous-cutanée, telle que nous en avons un exemple dans le

bras de l'enfant dont nous venons d'exposer l'histoire, constitue un fait

relativement fréquent pour qui veut bien la chercher, une augmentation

de volume pareille à celle que présente le membre inférieur chez le même

sujet, est une curiosité pathologique infiniment plus rare. Ce n'est pas

toutefois qu'on n'en puisse par ci par là découvrir quelque cas analogue.

M. Prothon a présenté à la séance d'avril 1897 de la Société des sciences

médicales de Lyon (1), un garçon de Mans, atteint depuis j'age de 10 ans

d'une hypertrophie du membre inférieur droit absolument comparable à

celle qui fait l'objet de celte étude. En voici l'observation résumée par le

chef du service, le D' Nové-Josserand : Augmentation de volume du mem-

bre inférieur droit, qui s'est développée lentement, sans réaction et parait

s'accroître encore actuellement. La cuisse, la jambe et le pied sont atteints

au même degré et l'affection s'arrête d'une façon très nette aux limites de

la cuisse. L'augmentation de volume parait due surtout à l'épaississement

avec sclérose du tissu conjonctif sous-cutané. Elle se distingue de l'oedème

par sa consistance ferme, élastique et l'absence de godet sous la pression

du doigt. Il faut admettre cependant l'existence d'un peu d'cedème qui se

surajoute à la lésion principale au bas de la jambe et sur le pied, après la

station debout. La peau adhérente aux tissus sous-jacents est lisse et d'ail-

leurs normale. Les muscles ne paraissent pas hypertrophiés ; les os de

longueur normale ne sont pas épaissis. On ne trouve aucun signe d'une

altération vasculaire, sanguine ou lymphatique. La fosse iliaque est libre

de tumeurs pouvant exercer une compression ; il n'y a pas d'angiomes,

ni de malformation quelconque en aucun point du corps. La mobilité pas-

(1) Lyon médical, 1897, no 21.

SUR UNE FORME D'HYPERTROPHIE DES MEMBRES 491

sive et active du membre est normale, la force conservée, la sensibilité

intacte. On note seulement que le membre donne à la main une sensation

de fraîcheur d'ailleurs peu importante.

Nous avons relevé avec un intérêt d'autant plus vif l'observation dont

on vient de lire le résumé, qu'elle parait entièrement calquée sur la nô-

tre, jusque dans les moindres détails. Il est regrettable que l'on n'ait pas

songé à fouiller les antécédents de ce jeune garçon dans le but d'y chercher

la période initiale provocatrice de l'hypertrophie. On l'eût peut-être trou-

vée, soit sous la forme d'une simple fièvre, soit sous celle de quelque ma-

ladie infectieuse.

Le cas d'cedènae seg1J ! entail'e, présenté à la Société médicale des hôpitaux

par le professeur Debove (1), a également avec le nôtre les plus grandes

analogies.

Il s'agit d'une fille de 22 ans qui aurait eu une fièvre de quelques jour

de durée, 3 ans et 3 mois avant qu'elle eût remarqué l'enflure de ses jam-

bes. L'interrogatoire n'a pas été serré d'assez près, à ce point de vue,

pour nous permettre d'incriminer ces quelques jours de fièvre et de les

considérer comme le point de départ de l'hypertrophie. Toutefois, il est

inléressant de remarquer qu'une affection fébrile a été notée par le pro-

fesseur Debove, parmi les antécédents de la malade.

Dans un travail paru ici même (2), M. Henry Meige décrit une affec-

tion des plus rares, dont le caractère familial suffit à la distinguer d'un

certain nombre de manifestations oedémateuses analogues- L'auteur s'ap-

plique avec grand soin à établir le diagnostic différentiel qui la sépare ou

la rapproche des cas très divers qu'il a pu recueillir, y compris « les oedè-

mes qui apparaissent comme épiphénomènes au cours d'une maladie dé-

finie du système nerveux (hémiplégie, paralysie infantile, etc.) ».

En réunissant les faits qu'il a observés sous le nom de T/'ophoedèll ! /J

chronique héréditaire, dénomination qui ne préjuge rien au point de vue

de leur pathogénie, M. Meige revient à maintes leprises sur la part qu'une

lésion des centres pourrait avoir dans le mécanisme nutritif de nos diffé-

rents systèmes : « On ne peut guère qu'émettre des conjectures sur la pa-

thogénie de ces troubles de nutrition ? Existe-t-il une lésion ? Siège-t-elle

sur les centres ou les conducteurs trophiques ? Frappe-t-elle le système

sympathique ou l'axe cérébro-spinal ? »... «En l'absence de constatation

anatomique et dans l'attente des renseignements que pourra fournir la

physiologie, il est sage de ne pas trop s'aventurer dans ces théories pa-

(1) Médecine moderne, 1891, p. 6;i7, et Follet, l'alhogénie de quelques états éléphan-

liasiques, thèse de Paris, 1896.

2) Henry MEME, Le ll'Ophoedème chron. héréd., Nouv. Icon. de la Salpêtrière, nov.-

déc. 1899.

492 E. RAPIN

Lhogéniques. Constatons seulement que le trophoedème offre plus d'une

ressemblance avec les manifestations oedémateuses que l'on observe, soit

expérimentalement à la suite de lésions nerveuses, soit d'iniquement au

cours d'affections névropathiques anatomiquement définies. Et de ces

analogies contentons-nous d'inférer, sous forme hypothétique, qu'il n'est

pas impossible.qu'une altération du système nerveux soit la cause de la

maladie. » M. Meige place même la lésion, si lésion il y a, dans la subs-

tance grise du névraxe. Malgré les prudentes réserves que l'auteur croit

devoir formuler, l'on comprend que, dans le trophoedème, notre distingué

confrère incline incriminer la moelle. Entre autres arguments, il recon-

naît que la mélamérie s'accorde bien ici avec les faits.

A l'occasion d'un cas observé par Joffroy, concernant une malade at-

teinte de paralysie infantile avec oedème considérable du membre infé-

rieur droit, M. Meige admet que le diagnostic de troubles trophiques

consécutifs à une ancienne lésion nerveuse pourrait être soutenue avec

vraisemblance.

Dernièrement, nous avons rencontré un fait qui, à l'exception du côté

héréditaire, nous parait tout à fait appartenir au trophoedème de M. Meige.

Nous le rapportons ici brièvement avec le regret qu'il ne nous ait pas été

permis de le reproduire par la photographie, la malade s'étant refusée à

nous satisfaire sous ce rapport :

Observation II.

Mme G..., 52 ans, polisseuse de boîtes de montre, à part de fréquentes mi-

graines, a joui d'une assez bonne santé. A t'age de 9 ans, n'étant pas vaccinée,

elle fut atteinte de la petite vérole, en même temps qu'une sceur qui en mourut.

Réglée à 14 ans, elle s'aperçut à cette époque que sa jambe gauche prenait du

développement par enflure.Cet état alla lentement en progressant, car ce ne fut

qn'iL 18 ans que la différence entre les deux membres devint très marquée.

Mariée il 2t ans, Mme G. eut quatre enfants, tous bien portants, qu'elle a nour-

ris, et quatre fausses couches Elle n'a connu personne dans sa famille avec sem-

blable infirmité.

L'enflure ne commence qu'au-dessous du genou et comprend la jambe sous

la forme d'un volumineux ovoïde qui se termine en bas par un épais repli

circulaiie causé par la chaussure. Ce bourrelet disparaît lorsque le pied est nu,

l'absence de bottine permettant alors à l'endure d'envahir le pied. Au dire de

Mme G.la jambe, le matin, serait fort diminuée de volume. Le caractère cédé-

mateux est donc prédominant, surtout dans le haut où l'on obtient facilement

un godet, tandis qu'en descendant, la consistance des téguments allant crois-

sant, l'on ne réussit pas aussi aisément à créer une dépression digitale.

Le mollet, dans sa plus grande circonférence, mesure 51 centimètres contre

NOUVELLE IC04'OGHAPHfE de la Salpêtrière. T. XIV, PI. LXIII

DYSTROPHIE CONJONCTIVE CONGÉNITALE.

OEDÈME CONGENITAL

des membres supérieurs et de la moitié droite delà face.

(Rapin, de Genève.)

Masson & Cie, Éditeurs

SUR UNE FORME D·II1P);ItTR01'llIL DES MEMBRES 493

3't : i la jambe droite. La peau est blanche, saine, sans varices, ni vaisseaux

apparents. Nulle part on n'observe de taches sanguines. Il n'y a jamais eu de

phénomènes douloureux, ni de troubles dans la locomotion.

Mme G... ne peut supporter aucune constriction de ce membre. Les tenta-

tives de compression faites autrefois amenaient bientôt un malaise qui s'éten-

dait à tout le côté gauche du corps, y compris même le bras. Mme G.. prétend

que son bras gauche est aussi plus volumineux, mais, bien que la main semble

un peu plus potelée, la mensuration n'indique pas de différence sensible entre

les deux membres supérieurs. Mme G. travaille debout et fait aller un tour avec

le pied gauche, disposition qui lui convient, dit-elle, car elle a de la peine il ob

server l'immobilité, son état maladif l'incitant à changer constamment d'atti-

tude. Ajoutons que la nature de son travail n'est pour rien dans son infirmité,

celle-ci étant fort antérieure à son métier de polisseuse. L'auscultation du coeur

ne révèle rien de particulier.

Les antécédents du sujet comptent donc une maladie infectieuse, la variole.

Faut-il voir là la cause lointaine de l'hypertrophie du membre ? Sans en avoir

la certitude absolue, nous nous permettons d'attirer l'attention sur ce rappro-

chement.

L'hypertrophie des membres peut être aussi d'origine congénitale.

Avons-nous il en chercher-la cause dans une lésion de la moelle pendant

la vie embryonnaire ? C'est ce qu'il est permis de supposer sans risquer

d'être accusé de trop de témérité.

Nous avons rencontré un curieux exemple de cette forme d'hypertrophie

et nous sommes heureux de pouvoir le faire figurer ici.

Observation 111.

La jeune femme que la photographie représente avec des mains volumineu-

ses, comme si elles étaient revêtues de gants d'escrime (PI. LXIII) est née il

terme avec celte difformité, en 1872. La grossesse, non plus que l'accouchement

n'ont offert de particularité digne d'être notée. L'on ne constate aucune mal-

formation dans la famille. Fanny cu. a eu cinq frères plus âgés qu'elle dont trois

vivent encore et sont bien portants. Des deux décédés, l'un est mort de la pe-

tite vérole et l'autre par suite d'accident. Une soeur plus jeune est en bonne

santé. Fanny avait 7 ans lorsque, frappé de la singularité de cet état, nous

avons jugé intéressant de présenter l'enfant à la Société médicale de Ge-

nève.

Les deux membres supérieurs sont fort augmentés de volume. L'hypertro-

phie commence vers le milieu du bras, mais c'est aux mains qu'elle a acquis

le plus grand développement. La peau est blanche, douce au toucher et partout

paraît normale. L'on ne remarque aucun vaisseau sa surface. Le froid la cya-

nose légèrement et provoque de la sensibilité. Sous son action, les téguments

494 E. RAPIN

deviennent plus fermes ; les mains, l'hiver, ne peuvent être fermées aussi faci-

lement qu'en été. L'immersion prolongée dans l'eau chaude, pendant un savon-

nage, par exemple, durcit également la peau. La palpation donne l'impression

d'un tissu adipeux modérément tendu, sans que la pression digitale cependant

détermine la production d'un godet.

Le bras droit est plus volumineux que le gauche ; il mesure 0 m. 31 de tour,

le.gauche 0 m. 29 seulement. C'est à l'avant-bras que la différence entre les

deux membres est le plus considérable : 0 m. 37 et 0 m. 27 ; au poignet 0 m. 19

des deux côtés. Mains d'égal volume, à peu près : 0 m. 30 et 0 m. 2 ! jeu, le pouce

non compris. Les doigts gros à la base vont en s'effilant. Le médius droit au

niveau de la première phalange mesure 0 m. 10 de tour. La piqûre d'aiguille

fait sourdre de la sérosité transparente. Ongles bien conformés. La sensibilité

cutanée parait normale.

Le dos de la main gauche porte quelques cicatrices superficielles consécutives

à des engelures ulcérées dont elle a souffert à plusieurs reprises ; les pieds on

ont toujours été exempts. Par deux fois, les mains auraient été le siège d'un

érysipèle : la main droite en 1884 et la gauche en 1893. L'enflure aurait été

énorme avec formation de bulles. Après une vingtaine de jours de durée, tout

serait rentré dans l'ordre sans laisser de traces. '

Malgré les dimensions considérables de ses extrémités supérieures, Fanny

C., qui est lingère de son état, n'en est pas moins habile à manier l'aiguille.

Rien d'anormal dans le reste du corps, à l'exception de la joue et de l'oreille

du côté droit. La joue plus volumineuse qu'à gauche est un peu tombante.

L'oreille oedémateuse également, compte un centimètre de plus que celle du côté

gauche dans tous ses diamètres. L'os maxillaire ne paraît pas épaissi ; les dents

sont généralement mauvaises. Nulle part on ne constate de nævus ou de taches

sanguines.

La santé de Fanny C. a toujours été bonne. Réglée à 15 ans, mariée à 23 ans,

elle a eu une couche à terme. L'enfant qu'elle a nourri 6 mois, est une petite

fille en bonne santé.

Dans le courant de l'an dernier (1900), Fanny nous a consulté pour une

induration très douloureuse au toucher, occupant le milieu du dos de la main

droite, sous la forme d'une plaque indurée rougeâtre de la dimension d'une

pièce de 2 francs. Une incision pratiquée par le médecin de son village n'apporta

aucun soulagement. La plaie resta béante et se remplit de fongosités suspectes

de néoplasie maligne.

Nous avons adressé la malade à la Policlinique de l'Université. M. le profes-

seur Auguste Reverdin, après s'être assuré par la radiographie de l'intégrité du

squelette, fit l'ablation de la région malade, sans se dissimuler le mauvais

état du terrain sur lequel il avait à opérer. Ainsi que cela était à prévoir, le

mal récidiva : un gros marron squirrheux a poussé dans la plaie.

J'ai revu dernièrement cette pauvre femme (octobre 1901). La tumeur qui ve-

nait de tomber par sphacèle, a laissé une large plaie béante, à bords déchique-

tés, qui ne tardera pas il mettre à nu le quatrième métacarpien. La malade avait

SUR UNE FORME D'HYPERTROPHIE DES MEMBRES 493

beaucoup maigri. Elle s'est refusée, m'a-t-elle dit, il une amputation par-

tielle (1).

(1) Il semblerait que l'hypertrophie des membres place les porteurs de cette infir-

mité dans un état d'infériorité marquée au point de vue de la résistance aux mala-

dies. Au moment d'envoyer ce travail à l'impression, le sujet de notre première obser-

vation, Alice F..., a été atteinte d'une lymphangite (ou d'un érysipèle) de son membre

inférieur hypertrophié qui, pendant quelques jours, a mis la petite malade à deux

doigts de la mort : fièvre intense, T. 40 degrés, pouls incomptable en raison de sa fai-

blesse et de sa rapidité, délire, carphologie, évacuations involontaires, vomissements.

La porte d'entrée fut une excoriation au deuxième orteil. Le membre était enflé, dou-

loureux et de coloration rosée. Chose interessante, la soeur cadette, tombée malade

3 jours auparavant, soutirait également d'une lymphangite à la jambe à la suite d'un

impétigo. Les deux soeurs partageaient le même lit.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE

. DU

THOPHOEDÈl\1E CHRONIQUE,

PAR R

M. HERTOGHE (d'Anvers).

Des travaux récents (1) ont attiré l'attention sur le tropluedème chro-

nique. M. Henry Meige a nettement différencié cette affection, en la sé-

parant de plusieurs états oedémateux mal caractérisés : oedèmes nerveux,

segmentaires, hystériques, l'oedème neuro-arthritique, l'éléphantiasis nos-

tras, avec lesquels le trophoedème était pratiquement confondu. Il a par-

ticulièrement insisté sur la forme héréditaire du mal.

Nous publions aujourd'hui trois cas de trophoedème chronique.

Fidèle à la règle que nous nous sommes imposée lorsque nous avons

étudié le myxoedème fruste, nous avons noté avec la plus minutieuse at-

tention les symptômes variés et nombreux de dégénérescence que présen-

tent les sujets et les membres de leur famille.

Observation I (PI. LXIV).

Louis V... avait neuf ans et six mois lorsqu'en novembre 1900 il nous fut

présenté pour la première fois.

La jambe droite est considérablement hypertrophiée. Le mollet a 0 m. 428

de tour et la cuisse 0 m. 415.

Le membre inférieur sain est d'une maigreur extrême et rappelle les mem-

bres grêles des infantiles du type Lorain.

Le thorax est élancé, maigre. Les bras sont très allongés et débiles.

La figure peu intelligente. Les yeux font saillie. Les lèvres sont grosses et

fendillées. La face est couverte de taches vineuses irrégulières.

Les bras, le membre hypertrophié sont marbrés de ces mêmes taches, sans

élevures de la peau.

Le système dentaire est digne d'attention. Les dents sont très espacées sur

la ligne des incisives. Quelques chicots de dents de lait persistent encore. Il

manque une canine.

(1) Henuy MEME, Le t>·opletedènae chronique héréditaire (Congrès des méd. neurol.

et alién. franc., Angers, 4 août 1898). - Presse méd., 14 déc. 1898 ; Nouvelle Ico-

nogr. de la Salpêtrière, 1899, n" 6. - Vicounoux, Ibid., 1899, n° G. LANOts, Une

observation de t¡'ophoedème chronique héJ'ditail'e. Ibid., 1900, n 6.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XIV. PL. LXIV.

L. V. (Novembre 1901)

L. V. (Novemble 1900).

L. Y. (Novembre 1901).

TROPtIOEDËMI-; CHRONIQUE

Ilertoghe (Observation ! ). I).

Massox ET Cie, Éditeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XIV PL. LXV.

M. R. (1896).

ni. ! {, (1901).

M. R. (1901),

M. R. (1901).

TROPIIOED¡'J\IE DE LA FACE

Hertoghe (Observation II).

Masson I.T Ciel Editeurs.

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière. T. XIV. Pl i,XIX

RADIOGRAPHIE

Hypertrophie de la main gauche

(Ohs 11.)

(A. Thomas )

Masson & Cie, Editeurs

TROPIIOEDÈME chronique 497

Les testicules sont fortement rétractés.

Il y a cinq ans, l'enfant a fait une rougeole grave. Pendant la convalescence,

le mollet a commencé à gonfler, puis la cuisse. La tuméfaction s'est ensuite

étendue au pied. En même temps paraissaient les taches vineuses.

Depuis lors, le mal a progressivement augmenté.

Tel était son état il y a un an. La médication thyroïdienne fut infructueuse-

ment tentée. La direction médicale de l'enfant me fut enlevée et je le perdis

de vue.

En novembre 1901, donc une année après, je me mis à la recherche du

petit malade.

Le mal a empiré. La cuisse mesure maintenant 0 m. 49, au lieu de 0 m.ld,

le mollet 0 m. 49 au lieu de 0 m. 42. Le thorax a maigri.

L'enfant a grandi de 6 centimètres, ce qui est un progrès normal. Normal

aussi l'accroissement de son poids. Les taches vineuses ont foncé de couleur.

Les cheveux sont décolorés par zones, et de blond foncé sont devenus d'un

blond plus doux.

De temps en temps, le membre inférieur subit une poussée d'accroissement.

La peau s'éràille ; il se fait un écoulement abondant de lymphe, pendant plu-

sieurs jours. Cette issue de sérosité semble arrêter le progrès du mal. 1.

Cet enfant a une soeur de quatorze ans qui présente, en fait de manifesta-

tions d'hypothyroïdie, une blépharite intense. Une autre soeur de sept ans est

fort petite pour son âge. Son système dentaire est défectueux et incomplet.

Le père présente un certain degré d'exophtalmie. Il a le pouls régulièrement

à 100.11 a des angoisses nocturnes, des accès d'asthme et des palpitations car-

diaques. Pas de tremblement des extrémités, ni de gonflement du corps thy-

roide.

La mère se prête mal à des investigations et répond de mauvaise grâce à mes

questions.

En somme, il s'agit bien d'un oedème blanc, dur, indolore, localisé au

membre inférieur droit, présentant tous les caractères du trophoedème.

Le caractère héréditaire n'existe pas dans ce cas.

Le début du mal, au dire des parents, est très nettement attribué à la

rougeole, et remonte ainsi à l'âge de cinq ans.

La malade de Vigouroux avait eu aussi une rougeole à l'âge de huit

ans, mais le gonflement trophoedémateux n'avait débuté qu'à la puberté.

Il faut noter en outre que chez notre malade l'affection s'accompagne

d'autres troubles trophiques : la décoloration en zone des cheveux, les

taches pigmentaires vineuses de la peau.

A remarquer enfin que le traitement thyroïdien n'a rien produit.

Observation Il (PI. LXV).

Marie R.... vint chez moi en novembre 1896. Vingt et un ans. Taille nor-

male. Poids avec vêtements : 60 kilog.

xiv 39

498 M. HERTOGHE

Je fus absolument déconcerté. La tumeur de la joue n'était-ni un sarcome,

ni un cancer. Elle n'était ni bosselée, ni irrégulière, ni ulcérée. Elle était ab-

solument indolore. Au dire des parents, l'enfant avait la joue grosse en nais-

sant et depuis lors la tuméfaction avait toujours augmenté.

Il n'y avait pas d'engorgement ganglionnaire sous la mâchoire, ni au devant

de l'oreille. Le cou, dont la chaîne ganglionnaire si sensible n'aurait pas man-

qué de se prendre si l'on avait eu affaire à un lymphome, était intact et bien n

dégagé. Il n'y avait jamais eu d'érysipèle. Ce n'était ni un anévrysme, ni un

lipome. En désespoir de cause, je renvoyai la jeune fille chez elle, en lui re-

commandant de prendre de la thyroïdine. On verra tout à l'heure pourquoi.

Ce remède ne produisit aucun résultat heureux, et la patiente ne revint

plus.

Plus tard, les travaux de Henry Meige, Vigouroux, Lannois, sur le trophoe-

.dème, me donnèrent à réfléchir. Je me demandai s'il ne pouvait pas exister

un trophoedème de la face.

Je fis revenir la jeune fille. Cinq ans s'étaient écoulés. Le temps ne l'avait

pas améliorée.

La tumeur a augmenté de volume. Cependant, la santé générale est bonne.

Le regard est clair et franc, l'embonpoint est normal. Marie, habituée dès

l'enfance, a pris son mal en patience. Elle semble ne pas s'en inquiéter. Elle

travaille régulièrement. Son caractère est doux et tranquille. Elle semble par-

faitement heureuse. Les règles viennent sans douleur, normales en durée et en

abondance.

La consistance de la joue a plutôt augmenté. Elle est uniformément ferme,

sans être dure. L'oedème n'est ni douloureux, ni dépressible. Lorsqu'on intro-

duit dans le sillon génien une petite lampe électrique, la chambre étant noire,

on s'aperçoit que la joue est transparente, limpide, ne révélant aucune ombre,

aucune nodosité.

A l'examen rhinologique, le cornet moyen du côté malade est un peu hyper-

trophié, par comparaison avec le côté sain. Cependant les fosses nasales sont

perméables à l'air et la patiente respire très bien, la bouche fermée.

La langue n'est pas hypertrophiée ; au contraire, elle paraît plutôt mince

et allongée. Sur le bord correspondant à la tumeur les papilles sont hypertro-

phiées, ce qui donne à l'organe un aspect framboisé, rouge vif. L'autre bord

est pâle et les papilles y sont normales.

Une petite verrue est visible sur la muqueuse labiale dans le sillon menton-

nier. Pas d'engorgement ganglionnaire sous-maxillaire, ni pré-auriculaire.

Les os de la face ne participent pas à l'hypertrophie. Le cadre orbitaire

de droite n'est pas plus massif que celui de gauche.

Le système dentaire mérite une mention. J'ai fait mouler les maxillaires.

Les molaires du côté malade sont plus fortes. La dent de sagesse a percé et

s'est franchement installée. Du côté sain, elle est à peine ébauchée. -

La voûte palatine du côté malade est plus large et plus étalée. Les rugosités

de la muqueuse sont plus accusées. Si l'on pointille en rouge le raphé palatin,

on s'aperçoit que les deux moitiés sont inégales. '

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XIV, PI. I-XN-1 I

. INFANTILISME

(flerfoohe).

Observation II

C. R..., 15 ans (1896). Taille : 1 m20. Poids : 28 1;. k.

soeur de M. R... (voy. planche LXV)

TROPUQËDÈME CHRONIQUE 499

Les poils de la joue sont plus forts sur le côté hypertrophié. Il n'est pas

étonnant que les dents, qui sont aussi des produits épidermiques aussi bien

que les papilles linguales, soient plus développées. Le support dentaire parti-

cipe naturellement à cette hypertrophie et elle en est la conséquence.

Marie a eu la rougeole à l'âge de huit ans. Cependant le mal préexistait.

Elle ne présente aucune hyperesthésie, ni anesthésie en aucun point du

corps.

La malade a trois frères qui n'offrent rien d'anormal. Une soeur est tuber-

culeuse. , .

Une autre soeur, Clarisse, présente quelques particularités remarquables

que nous allons signaler (PI. LXVI).

Clarisse me fut présentée en même temps que Marie en 1896. Elle avait

alors quinze ans. C'était une naine. Taille : 1 ni. 204, au lieu de 1 m. 52. Poids :

28 kilo-. Les membres inférieurs sont uniformément gros, cylindriques, en

colonnes (Charcot). Les jambes sont grosses, oedémaliées, aussi grosses que les

cuisses. Le haut du corps, surtout, est atrophié. C'est une infantile, de la

forme transitoire entre l'infantilisme Lorain et le myxoedème franc. Je lui

donnai la thyroïdine et en un mois elle poussa d'un centimètre. Puis elle

abandonna le traitement et je ne la revis plus.

On conçoit maintenant pourquoi j'imposai le traitement thyroïdien à Marie.

En novembre 1901, donc cinq ans après, Clarisse me revint, accompagnant

sa soeur à la grosse joue. Je pus la mesurer à nouveau. En tout et pour tout,

elle avait gagné 10 centimètres en cinq ans, soit 2 centimètres par an. Elle

n'est pas encore réglée.

Son facies est intéressant. L'expression dominante est la fatigue. C'est bien

vraiment la vieillesse prématurée de l'hypothyroïdie. Les yeux sont battus. La

bouche entr'ouverte indique la gêne respiratoire du nez. La face est couverte

de verrues, de taches vineuses, de nxvi pileux. La couleur est d'un fond jaune

laiton, plaqué de pommettes rouge bleuâtre.

Cette jeune fille est atteinte d'infantilisme et cet infantilisme est d'origine

dysthyroïdienne.

Le père est mort jeune, de pneumonie. La mère, d'après quelques renseigne-

ments sommaires, serait scrofuleuse. Elle a été opérée d'un lipome volumineux

du bras. Elle a souffert d'anthrax. Je me promets de la voir et de faire une

enquête plus approfondie sur cette famille.

Observation III.

Mme C..., 52 ans, multipare, a vu se développer et grossir le membre infé-

rieur gauche depuis 3 ans. A cette époque, elle s'était extraordinairement fa-

tiguée en soignant sa mère malade. Une chute sur le siège, ayant amené une

ecchymose très étendue de la région fessière, a coïncidé avec le début du mal.

Actuellement, le mollet a 40 centimètres de tour. L'oedème remonte jusqu'à la

hanche, indolore, assez dépressible au doigt, plus dépressible que les trophoedè-

mes précédents. -

500 M. UERTOGHE

Le passé utérin n'est pas facile à débrouiller. La menstruation s'est installée

tard (16 ans) et s'est suspendue de bonne heure (46 ans).

La perte menstruelle a toujours été excessive. Au début du mariage, le

ventre a été souvent douloureux, dans la région des ovaires, sensible à la

moindre pression. La patiente ne pouvait se coucher, ni sur le flanc droit, ni

sur le flanc gauche. Je suppose qu'il doit y avoir eu là des procès inflamma-

toires des trompes, des ovaires, et ils sont peut-être responsables de la stérilité.

. Je ne retiens de tout ceci que l'aLondance du flux sanguin.

Au cours de sa vie sexuelle, Mme C... a constamment souffert de migraines.

La douleur hémicrânienne a disparu en même temps que les règles, comme

c'est presque toujours le cas chez les femmes atteintes d'hypothyroïdie bénigne

v chronique. Actuellement les oreilles bourdonnent, des corps noirs se dépla- , : cent dans le champ visuel (symptôme que Georges Murray tient pour patho-

. gnomoniquo de l'appauvrissement thyroïdien). Les vertiges sont fréquents. La

femme a toujours froid. Elle est triste, impressionnable, portée aux idées

noires.

Les palpitations de coeur sont fréquentes.

La région du foie est douloureuse, surtout la nuit, dans la position couchée.

Au palper, la vésicule biliaire est sensible. Les mains sont le siège de gonfle-

, ments fugaces et passagers. Pendant un jour ou deux, les bagues étranglent t

les doigts et les paumes deviennent douloureuses. La face, vue de près pré-

sente un oedème léger. La peau est lisse, luisante sur le dos du nez. L'exces-

sive, maigreur dissimule ce gonflement dont on ne se rend compte que par un

examen attentif.

Les urines sont normales, sans sucre, ni albumine. Un abondant dépôt de

cellules pavimenteuses de la vessie nous fait penser à la desquamation vési-

cale intense que l'on rencontre dans le myxoedèmè frauc, chez les infantiles

incontinents urinaires nocturnes, et chez toutes les personnes à thyroïde

faible.

Le traitement thyroïdien a été institué, sans produire d'effet appréciable.

Nous n'avons pu obtenir de photographie.

. Voici les dimensions :

TROPHDEDÈ11ME CHRONIQUE 501

trière. La maigreur, la forme du membre sain, la conformation du thorax,

les anomalies du système dentaire, les altérations de la peau, des cheveux

sont des phénomènes que l'on retrouve invariablement chez les infantiles.

'A propos de la rougeole, cause du mal, le Dr Marcel Garnier dans un ou-

vrage remarquable signale l'influence du virus rubéolique sur la vitalité

'des cellules sécrétantes du corps thyroïde.

Les lésions sont moins fréquentes que dans la scarlatine. Elles ont

'cependant été observées dans la moitié des cas.

Le facies basedowien et les particularités dysthyroïdiennes de la soeur

doivent aussi être prises en considération.

' Nous avons, à propos du trophoedème de la joue, insisté sur l'état physi-

que de la soeur de notre malade, naine, infantile. Elle présente un oedème

appréciable des membres inférieurs. En 1896, nous avons donné la thy-

roïdine à cette naine, certain de pouvoir la faire grandir. L'examen radio-

'graphique de la main, fait à cette époque, ne laissait aucun doute au sujet

de la possibilité d'une reprise de croissance... La persistance du cartilage

d'accroissement éliminait le diagnostic de rachitisme. Malheureusement,

l'enfant abandonna ses pastilles au bout d'un mois.

La face de cette naine de 20 ans, si vieille, si fatiguée, si précocement

sénile, démontre de la manière la plus évidente, pour quiconque s'est

occupé de pathologie thyroïdienne, qu'il y a ici déficience, inanition thy-

roïdienne.

Enfin, la troisième observation est, à la lettre, l'image type du myxoe-

dème fruste, dont j'ai donné plusieurs observations ici même (1899,

p. 261).

Mentionnons l'abaissement de température subjectivement perçue, la

menstruation tardive, les pertes sanguines excessives, la migraine cessant

à la ménopause, la constipation chronique, la douleur hépatique, les dé-

sordres urinaires et vésicaux, le bourdonnement des oreilles, le symptôme

oculaire de Murray, les vertiges, les palpitations cardiaques.

Ces trois observations établissent une parenté entre l'appauvrissement

thyroïdien et le trophoedème. Je constate simplement les faits.

On m'objectera l'inefficacité du traitement thyroïdien. J'en tiens compte.

N'oublions pas que l'administration de la thyroïdine desséchée, morte,

provenant de la race ovine est un procédé primitif, presque dérisoire. La

stimulation directe de la glande vivante, humaine, doit dans un avenir plus

(1) La glande thyroïde dans les maladies infectieuses, par le Dr larcel Garnier, 1899.

Georges Carré et C. Naud, édit., Paris.

502 M. HERTOGHE

ou moins rapproché détrôner les moyens dont nous disposons aujourd'hui

pour ravitailler les organismes en état d'hypothyroïdie. Certes, les résul-

tats de l'opothérapie thyroïdienne dans le grand myxoedème, les arrêts

de croissance et les diverses formes d'insuffisance thyroïdienne sont bril-

lants. Ils pourraient l'être davantage. L'administration delà glande ovine

desséchée, de l'iodothyrine chimiquement pure ne guérit pas l'hypothy-

roïdie dans tous ses modes. Elle n'atteint que ses formes les plus gros-

sières. Elle n'arrive qu'à dégrossir et non ci ciseler le bloc informe du my-

.xcedème. Aussi les échecs de celle méthode primitive ne doivent pas altérer

la foi que nous avons en la nature t ? OÏf/ ! 6KHe de certains états patio-

logiques.

La sécrétion thyroïdienne est complexe. Indépendamment des nucléines

phosphorées, iodées (Baumann), arsenicales (A. Gautier),elle contiendrait

d'après des recherches faites en Italie, des albumines bromées. -

Certaines /ormes d'inanition thyroïdiennes portent sur l'un ou l'autre

de ces minéraux. La chlorose n'est-elle pas le retentissement de l'inanition

ferrique du sang ?

Il y a certainement des inanitions thyroïdiennes arsenicales, la migraine

est de ce nombre. D'autres relèvent de la privation d'iode, l'incontinence

nocturne des urines, par exemple. Je reviendrai sur ce sujet dans un tra-

vail ultérieur.

Je désire simplement établir que si les préparations thyroïdiennes ac-

truelles sont impuissantes à combattre et à guérir le trophoedème, il ne s'en

suit pas fatalement que cette affection ne puisse être due primitivement à

un affaiblissement de la vitalité thyroïdienne.

10UV ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XIV. I'L. lXVl1

T1OPIID1 : 1111 : DES MEMBRES INFERIEURS

(Mabille.)

llnss0\ s2 C ? l : ldcurs

OBSERVATION DE TROPlJOEDÈME (1)

PAR

H. MABILLE

Directeur-médecin en chef de l'asile de Lafond.

La malade qui fait l'objet de cette observation est actuellement âgée de

18 ans (Pl. LXVII).

A l'âge de huit ans, elle fut mordue par un cheval à la région fronto-

pariétale droite.

A la suite de ce traumatisme et de la frayeur ressentie,dit-et)e,X...fut

atteinte de chorée contre laquelle divers traitements échouèrent si bien

qu'à diverses reprises ses parents, dans le but de la guérir, la jetèrent

par surprise dans la Seine. ,

Après un séjour assez prolongé dans les asiles du département de la

Seine, elle fut transférée à l'asile de Lafond o1 elle réside depuis le 8 no-

vembre 1883.

A son arrivée, je notai l'existence d'une chorée chronique avec incapa-

cité de se tenir debout, émotivité extrême et affaissement général des fa-

cultés.

La malade se tenait généralement étendue, ayant souvent les jambes

enflées.

Renseignements recueillis : le père de ? était olaunacctismat et son frère

et sa soeur sont boiteux ( ? ) de naissance. X... a la tête petite avec

dépression frontale large de deux centimètres au niveau de la suture

fronto-pariétale droite : c'est le siège du traumatisme ancien. Le côté

gauche de la face est tombant, les rides étant abolies de ce côté; la langue

est déviée à droite ; la parole est scandée et quand la malade parle, le côté

droit de la face grimace. ,

La force musculaire est diminée droite et à gauche pour le membre.

supérieur, sans qu'il y ait de paralysie véritable.

Cependant l'attitude de la malade montre bien la tendance à la semi-

contracture du bras gauche, l'annulaire reste seul cependanl en demi-

flexion. Les secousses choréiques s'étendent à tout le corps, mais cepeti

(1) Bulletin de la Société de médecine et de chirurgie de la Rochelle, 9 janvier 190K

504 H. MABILLE

dant prédominent du côté droit ; la face est souvent grimaçante. Pas de

troubles oculaires, ni de zones hystérogénes.

L'état de X... a peu varié au point de vue mental depuis son entrée à

l'asile de Lafond; elle cause assez raisonnablement, souvent d'une façon

enfantine ; elle est généralement calme, mais continue à avoir des frayeurs

et reste très émotive.

Elle vit continuellement alitée, et dans l'impossibilité de se mouvoir

elle-même dans son lit.

Toutefois elle ne présente aucun trouble du côté de la miction ; elle est

restée propre. -

Les urines ne contiennent ni albumine,ni sucre et le corps thyroïde est

normal.

Les modifications subies depuis quelques années par X... portent prin-

cipalement, ainsi que l'indique la photographie, sur les phénomènes de

la paralysie affectant la face gauche avec contracture du hras gauche, qui

est devenue plus manifeste, mais qui est loin d'être complète.

Mais l'objet principal de cette relation est la constatation d'un phèno-

mène que nous avons vu évoluer progressivement sous nos yeux.

Je rappelle que lors de son entrée àLafond, X... avait souvent les jam-

bes enflées. On ne notait cependant chez elle ni affection cardiaque, ni

troubles rénaux.

X... indique elle-même que ses jambes ont grossi progressivement.

De temps en temps, elle sentait ses jambes plus tendues, devenir plus

rouges, luisantes, et ces troubles l'obligeaient ai rester alitée pendant des

mois entiers. C'est surtout depuis cinq ans que l'évolution de la maladie

qui a engendré le développement exagéré des membres inférieurs s'est

accentuée.

Actuellement les iambes de X... présentent les dimensions suivantes :

OBSERVATION DE TROP11OEDÈME 505

Quand on pique la malade avec une aiguille sur les membres inférieurs,

on trouve que la sensibilité à la douleur est complètement abolie. L'anes-

tbésie s'arrête à la partie supérieure de la cuisse, vers le tiers supérieur.

Cependant, dès qu'on atteint les couches musculaires profondes, la

malade accuse une réaction qui démontre que l'anesthésie est surtout

périphérique.

De même, la sensibilité au contact paraît émoussée; mais, fait particu-

lier, la sensibilité thermique subsiste dans son intégralité.

Je n'ai noté aucun trouble de la sensibilité dans les autres parties du

corps.

Les réflexes rotuliens n'ont pu être provoqués et les explorations élec-

triques ont été impossibles à pratiquer en raison de l'épaisseur des tissus.

J'ajouterai que les membres inférieurs ne sont pas atteints de paralysie

complète et que les mouvements, s'ils sont difficiles, sont possibles. Ainsi

X... lève, bien que très difficilement, ses jambes, lorsqu'elle est couchée,

à la hauteur de quelques centimètres.

Quant à la station debout, elle est impossible et en soutenant la malade

sous les bras, on voit que les mouvements de locomotion des deux jambes

sont à peu près nuls.

Comme la photographie l'indique, les membres supérieurs n'ont pas

participé au développement exagéré constaté sur les membres inférieurs ;

ce développement s'arrête, comme je l'ai dit plus haut, comme l'anestlié-

sie, au tiers supérieur de la cuisse. ;

Telle est, brièvement relatée, l'observation deX...

Je la résumerai en quelques mots :

Traumatisme crânien droit et émotion dans la jeunesse; chorée consé-

cutive affectant tout le corps; hémiplégie gauche incomplète, flasque, se

développant peu à peu et affectant principalement la face avec tendance à

la contraction, en griffe, de la main gauche, impotence fonctionnelle du

segment inférieur avec conservation des mouvements dans la position

étendue et suppression presque absolue des mouvements dans la station

debout. t. -

De plus, symptômes nerveux, tels que boule hystérique et phobies hal-

lucinatoires, comme on en rencontre chez les hystériques.

Puis, phénomènes qui font surtout l'objet de cette relation, dystrophie

des membres inférieurs, avec développement considérable du train posté-

rieur, développement progressif avec anesthésie périphérique et conserva-

tion de la sensibilité thermique, phénomènes paralytiques affectant les

membres inférieurs comme on les rencontre dans l'hémiplégie ou la para-

plégie, avec cette différence toutefois qu'au lieu d'aboutir à une atrophie

506 H. MABILLE

limitée à certains groupes musculaires, nous notons au contraire une hy-

pertrophie énorme des jambes, des pieds et de la cuisse, à consistance dure

et tendance très légèrement oedémateuse.

. Comme on le voit, le cas de X... est fort complexe, mais le phénomène

sur lequel nous voudrions appeler l'attention a trait à l'accroissement in-

solite du membre inférieur.

, Les troubles de cette nature ont fait l'objet de travaux récents. Je cite-

rai en particulier l'étude d'Henry Meige (in Iconographie delà Salpê-

trière, novembre 1899) qui étudie l'affection qui nous occupe sous le

nom de « Trophoedème chronique héréditaire ». Cet auteur relate diver-

ses observations de même nature et note l'hérédité similaire chez divers

membres de la même famille. Il en est de même des cas de Lannois Un

Iconographie delà Salpêtrière, 1900).

Dans notre observation, il s'agit bien d'un « Trophoedème chronique»,

avec cette différence toutefois qu'on ne le rencontre pas chez les mem-

bres de la famille.

. Mais nous rappellerons que les renseignements que nous avons pu re-

cueillir indiquent que le père était « rhumatisant-chronique ».

Et l'on se souvient que Desnos et Mathieu ont décrit des cas de ce genre

sous le nom d'oedème rhumatismal ou arthritique. '

Et nous relevons ce fait particulier que l'accroissement signalé chez

notre malade affecte les deux membres intérieurs d'une façon symétrique

et qu'il en est en quelque sorte « segmenlaire », pour employer le terme

indiqué par Debove pour caractériser la répartition de l'enflure.

Il s'agit en somme d'un oedème chronique blanc, dur, indolore, à ré-

partition segmentaire.

Cette répartition plaide évidemment en faveur d'un trouble trophique

analogue à celui que l'on rencontre dans certaines affections de la moelle.

C'est la théorie de la « métamérie » indiquée par Brissaud. A chaque

étage médullaire correspond un segment de l'individu, la lésion du méta-

mère spinal retentissant sur le segment périphérique correspondant.

Dans notre observation, il y aurait donc deux sortes de lésions, lésions

centrales d'une part, caractérisées par de l'hémiparésie, et lésions mé-

dullaires, affectant le segment inférieur dans sa totalité.

Or, bien qu'il devienne difficile de faire la part exacte de ce qui revient

dans la genèse de l'affection au système cérébral d'un côté ou au système

spinal de l'autre, et bien que la distribution périphérique des centres

corticaux soit segmentaire (Charcot, Déjerine) comme la distribution des

centres médullaires, on s'accordeà admettre que l'anesthésie comprend

toute la partie inférieure des membres pelviens et est limitée en haut par

une ligne circulaire au tiers inférieur de la cuisse (dens notre cas, au

OBSERVATION DE TROPHOEDÈME 507

tiers supérieur), on ne peut plus admettre uniquement la distribution

nerveuse ou radiculaire ; il faut admettre de plus la distribution métamé-

rique (Grasset) : le siège de la lésion est dans ce cas dans une tranche de

la moelle lombo-sacrée d'autant plus élevée que le segment de membre

atteint est lui-même plus haut.

Dans notre observation, les troubles trophiques observés semblent donc

sous la dépendance d'un trouble « cum materia » du système cérébro-

spinal, affectant sans doute la moelle d'une façon prédominante, ainsi que

l'indique la répartition segmentaire de la dystrophie.

Je rappellerai en terminant que IL Meige considère le trophoedème

comme une dystrophie conjonctive, au même titre que les dystrophies

musculaires, relevant d'une altération des centres nerveux, qui président

au développement et à la nutrition du tissu cellulaire.

La répartition segmentaire de l'oedème s'accorderait avec l'hypothèse

d'une altération métamérique des centres médullaires.

Il y aurait alors une dystrophie conjonclive, un trophaedème qui, se-

lon les cas, serait une affection héréditaire, familiale, aiguë ou chronique.

DEUX CAS

D'HÉMJl-JYPERTHOPHOE CONGÉNITALE DU CORPS

PAR

ANDRÉ THOMAS.

Les observations d'hémihypertrophie congénitale ne sont pas très com-

munes : en ce qui concerne les hémihypertrophies faciales congénitales,

Sabrazès et Cabannes (1) n'en ont relevé que 18, y compris une obser-

vation personnelle.

L'hypertrophie faciale peut exister seule, ou bien les membres du

même côté sont également hypertrophiés ; dans d'autres observations plus

rares (Lewen) l'hémihypertrophie est croisée. La face et le membre supé-

rieur sont hypertrophiés d'un côté, le membre inférieur du côté opposé,

il est sans doute exceptionnel que la face soit prise d'un côté, les membres

et le tissu du côté opposé : dans leur travail, Sabrazès et Cabannes n'en

rapportent aucun cas démonstratif; il s'agit alors en quelque sorte d'une

hémihypertrophie alterne : la première observation que nous rapportons

est un exemple de ce syndrome. Nous avons eu l'occasion de revoir la

petite malade qui en est le sujet à un intervalle assez considérable, ce

qui nous a permis de faire quelques constatations .intéressantes sur l'évo-

lution de cette anomalie.

Notre deuxième observation a trait à une fillette de 12 ans atteinte

d'hémihypertrophie du corps et des membres (la face est respectée), très

marquée surtout pour le membre supérieur et plus particulièrement

encore pour la main. Elle se présente avec des caractères assez différents

du premier cas.

Bien que l'examen de ces deux malades ne nous ait suggéré aucune idée

nouvelle sur la pathogénie de ces singulières anomalies, nous nous

sommes décidé néanmoins à les reproduire, en raison de leur rareté et

de l'intérêt de curiosité qui s'y rattache.

(1) Sabrazès et Cabannes, Hémihypertrophie faciale, Nouvelle Iconographie de la Sal-

pêtrière, n^5, 1898.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPËrRttR'E1

T. XIV. PI. LXVIII

B

A

C

DEUX CAS D'HEMIHYPERTROPHIE

A et B, Hémihypenrophle ,tlteme, (Ol1s, 1.)

C. Hypertlophie de la m.tin gauche. (Obs. IL)

- (A. Thomas).

DEUX CAS D'UÈMIHYPERTROPniE CONGÉNITALE DU CORPS 509

Observation I (PI. LXVIII, A et B).

Adrienne B... âgée de 4 mois est amenée par sa mère à la consultation du

De Dejerine à l'hospice de la Salpêtrière le 19 juin 1896.

Dès les premiers jours qui suivirent sa naissance, ses parents furent frappés

par l'asymétrie de la face et du corps et c'est pour cette raison qu'ils viennent

consulter.

Les parents sont bien portants, il n'existe aucune tare nerveuse dans la

famille, soit dans les ascendants, soit dans les collatéraux. Les six enfants

qu'ils ont eus ensemble jouissent d'une bonne santé; l'avant-dernière,celle qui

a précédé immédiatement notre petite malade, est cependant plus délicate que

les autres et porte une hernie crurale. L'aînée est âgée de 18 ans. Il y a eu

en outre une fausse couche de six semaines.

Sans accidents particuliers, la grossesse a été relativement pénible et la

mère dit qu'elle s'est sentie plus fatiguée pendant les derniers mois qu'elle ne

l'avait été pour ses autres enfants. L'accouchement à terme s'est bien passé,

la durée du travail a été normale.

Interrogés plusieurs fois, les parents ont toujours répété que ce n'était

qu'au bout de cinq ou six jours qu'ils s'étaient aperçu de l'asymétrie de la

tête et du corps ; ils prétendent que les deux jambes étaient tout d'abord aussi

fortes l'une que l'autre, mais il semble bien qu'il y a eu là un manque d'atten-

tion de leur part. '

Cette enfant est robuste, bien constituée, mais dès qu'on la regarde, l'atten-

tion est attirée par le plus grand développement de la face à droite, tandis

qu'après l'avoir déshabillée, c'est la moitié gauche du corps et les membres

gauches qui l'emportent par le volume sur ceux du côté droit (PI. LXVIII, A).

Le crâne est bien conformé et symétrique ; la joue droite est charnue, plus

grosse que la joue gauche, la peau y paraît plus épaisse, mais il n'existe aucune

différence entre les deux côtés dans la coloration et le degré thermique des

téguments.

La fente palpébrale est un peu plus ouverte à droite; il n'existe aucune

anomalie de développement du côté des yeux, les pupilles sont égales, les iris

pareillement colorés, les cornées de surface égale.

Il n'existe pas de différence dans les dimensions et la conformation des

oreilles. Aucune asymétrie dans le nez ni dans l'orifice buccal.

Quand on ouvre la bouche on constate une asymétrie très nette de la langue ;

toute la moitié droite est plus large et plus épaisse que la moitié gauche,

l'ogive palatine et le voile du palais sont normaux.

A la palpation les os du crâne et le maxillaire inférieur ne paraissent pas plus

développés d'un côté que de l'autre.

Lorsque l'enfant est nue, l'asymétrie du tronc est très manifeste : la diffé-

rence entre les deux côtes est beaucoup plus grande pour les membres infé-

rieurs que pour les membres supérieurs.

La peau est plus épaisse sur tout le côté gauche, mais principalement au

510 ANDRÉ THOMAS

membre inférieur, où elle semble trop grande pour la surface à recouvrir. Elle

a une consistance molle, plutôt gélatineuse qu'adipeuse. La température et la

coloration des téguments sont égales des deux côtés. La différence de volume

des membres inférieurs n'est pas uniquement imputable à un développement

exagéré des téguments ; car, à la palpation profonde, les os des membres infé-

rieurs (fémur, tibia et péroné) paraissent réellement plus volumineux du côté

gauche et il en est de même pour les muscles. D'ailleurs le membre inférieur

gauche est plus long que le droit. L'hypertrophie est plus accentuée sur la

cuisse que sur la jambe et sur le pied.

Autant qu'on peut s'en assurer sur un enfant aussi jeune la sensibilité est

aussi forte à gauche qu'à droite. A ce premier examen, les mouvements des

membres droits nous ont paru avoir une amplitude un peu plus grande que

ceux des membres gauches : d'autre part l'examen électrique a donné comme

résultats : une diminution de la contractilité faradique pour les nerfs et les

muscles du membre inférieur gauche. Les réflexes rotuliens sont perceptibles

et même un peu exagérés.

L'enfant prend bien le sein et profite.

Voyons maintenant les mensurations.

Longueur du corps 59 centimètres.

DEUX CAS D'nÉMIHyrERTHOPUIt ! CONGÉNITALE DU CORPS 511

L'enfant a fait ses premiers pas à 15 mois et elle a toujours bien marché, elle

n'a jamais boité; la parole est normale, l'intelligence vive. Elle est en retard

pour la dentition, elle n'a que seize dents.

La force musculaire est égale des deux côtes; il en est de même pour la

sensibilité, la température et la coloration des téguments.

L'enfant se sert bien de ses deux mains, mais elle est plutôt droitière.

Les réflexes tendineux sont normaux et égaux.

Bien que la différence de volume des deux côtés du corps nous ait semblé

moins appréciable qu'au premier examen, nous avons cru préférable de ne pas

nous en rapporter il une appréciation toute subjective et nous avons repris

des mensurations.

Longueur du corps 78 centimètres. - - - .-

512 ANDRÉ THOMAS

DEUX CAS D'11É1111nYPEIiTROPIIIE CONGÉNITALE DU CORPS 513

des souvenirs vagues, elle fut poursuivie par un croque-mort, mais elle ne se

rappelle rien de ce qu'il lui a dit ; elle a toujours été peureuse.

Il y a uu peu plus d'un an, au mois de février 1897, elle fut prise d'une

crise nerveuse, elle se jeta dans les bras de son père, puis elle se raidit, la

crise dura en tout deux minutes ; il n'y eut ni émission d'urines, ni morsure il

la langue. Au début les crises revenaient tous les mois, mais dans les derniers

temps, leur fréquence augmenta et elles se reproduisirent jusqu'à 3 ou 4 fois

par mois. Lorsqu'on demande à l'enfant ce qui se passe au début de la crise,

elle dit qu'elle voit trouble, qu'elle voit drôle, ou bien qu'elle ne voit plus rien

de ce qui l'entoure, ou bien encore que ce sont les nerfs qui se croisent sur

l'estomac. Une fois ou deux elle a écumé, mais elle ne s'est jamais mordu la

langue, elle ne s'est pas débattue, jamais non plus elle n'a perdu les urines. Pas

de cauchemars ni de terreurs nocturnes.

Elle n'est pas encore réglée.

Nous avons eu l'occasion d'assister à une de ces crises, au cours de l'examen

auquel nous avons soumis ces enfants et voici comment les choses se sont pas-

sées :

Elle était assise auprès de son père; tout d'un coup, le regard prend une

expression étrange, qui est surtout celle de la crainte et de la terreur ; elle crie

papa, papa, puis elle va se jeter dans ses bras; alors les yeux roulent dans

leur orbite, le corps se raidit, elle ne paraît pas entendre les questions qu'on

lui pose : elle revient à elle au bout d'une minute, elle a l'air de sortir d'un

rêve, cette fois comme les autres, il n'y a pas eu d'émission d'urines, pas de

salivation abondante.

Il est assez difficile de se prononcer sur la nature exacte de ces accidents :

à cause du début lent, de l'absence de morsure de la langue et d'émission d'u-

riues, on est porté à penser à une manifestation de la grande névrose. Mais

cette sorte d'aura intellectuelle qui précède immédiatement la crise et l'ohnu-

bilation de la conscience, font incliner d'autre part vers l'épilepsie lassée.

Ce qui frappe le plus à l'examen de cette enfant, c'est l'hypertrophie consi-

dérable du membre supérieur gauche, hypertrophie plus accentuée à la péri-

phérie qu'à la racine du membre (PI. L1'III, C).

La main gauche n'est pas seulement hypertrophiée, mais elle est encore dif-

forme, elle est large, étalée, en battoir.La différence avec la main droite porte

bien plus sur la main elle-même que sur les doigts ; elle est beaucoup plus mar-

quée pour la largeur que pour la longueur. Comme le montre la photographie

ci-jointe, les espaces interdigitaux sont beaucoup plus ouverts du côté gauche

que du côté droit, et au repos les doigts restent à gauche naturellement écartés.

La peau présente le même aspect sur les deux mains, elle n'est pas épaissie :

il n'existe aucune différence sous le rapport de la coloration et de la tempéra-

ture.

Sur la même photographie, l'avant-bras gauche se présente plus volumineux

que l'avant-bras droit, et de même pour le bras, mais à mesure qu'on remonte

vers la racine du membre, les différences sont de moins en moins sensibles.

xiv 40

514 ' ANDRÉ THOMAS

Les muscles de l'épaule et du cou sont aussi plus développés à gauche : l'é-

paule gauche est plus large, l'omoplate plus basse et plus détachée comme si

elle était entraînée par le poids du corps. Mais en dehors de leur volume anor-

mal, leur aspect extérieur n'est nullement modifié et la peau se présente avec

les mêmes qualités des deux côtés.

DEUX CAS D'nÉMI11YPERTROPIlIE CONGÉNITALE DU CORPS 815'

rence gauche qui mesure 30 centimètres, que dans la droite qui n'en mesure

que 28 ; de même il existe une petite différence dans les membres inférieurs,

non pas dans la longueur mais dans la circonférence, elle ne s'appliqued'ailleurs'

qu'à la racine du membre et la circonférence de la cuisse est à gauche de 38

centimètres et à droite de 37.

Aux membres inférieurs comme aux supérieurs, il n'existe aucune anomalie,

de la peau, de la sensibilité, de la température, de la force musculaire. Les ré-

flexes patellaires sont égaux et non exagérés.

° Il n'existe pas d'asymétrie faciale et aucune autre malformation congénitale.

L'examen des organes ne révèle aucune maladie.

L'observation I est remarquable par la distribution de l'hypertrophie

qui siège à droite sur la face et sur la langue, et à gauche sur les membres

et sur le tronc. J

A la face l'hypertrophie est surtout marquée pour les parties molles, ' l

pour la joue et pour la langue ; pour les autres parties il n'y a pas de dif- '

férence appréciable. '

Sur le tronc et sur les membres, plus particulièrement pour le membre

inférieur, la différence entre les deux côtés est plus sensible et ici

il n'existe aucun doute que l'hémihypertrophie ne tienne à la fois au déve-

loppement exagéré des parties molles et aux plus grandes dimensions des

os. L'hypertrophie des parties molles est néanmoins beaucoup ptns accen-

tuée que celle du tissu osseux.

La diminution de l'excitabilité faradique des muscles et des nerfs du

côté hypertrophié mérite encore d'être retenue. Enfin dans l'espace de 18

mois qui s'est écoulé entre les deux examens que nous avons faits sur cette

enfant, les différences entre les deux côtés de la face ou du corps se sont.

atténuées très notablement, et pour certaines parties elles ont complète-

ment disparu. Comment interpréter ce phénomène ? Les parties qui étaient

normales à la naissance ont-elles rattrapé, par un développement plus ra-

pide, les parties hypertrophiées, ou bien chez celles-ci le développement'

s'est-il au contraire ralenti ? Il semble que c'est dans ce dernier sens que

la question doit être tranchée, mais la rétrocession de l'hypertrophie est

due encore à d'autres causes ; ainsi, à notre deuxième examen,la peau nous'

a paru beaucoup moins épaisse que la première fois, aussi bien à la face

qu'au membre inférieur où la différence était le plus sensible, de sorte

que si le côté gauche était réellement moins volumineux à notre deuxième

examen, il faut peut-être l'attribuer moins à un ralentissement dans son

développement qu'à un retour à l'état normal des tissus primitivement

déviés de leur conformation normale.

Dans l'observation II, l'hémihypertrophie est beaucoup plus appa-

rente pour la main que pour les autres parties la face est d'ailleurs

516 ANDRÉ THOMAS

indemne. La main gauche est non seulement remarquable par l'exagéra-

tion de ses dimensions, mais encore par sa difformité : l'hypertrophie de

ses parties molles et du squelette est beaucoup plus sensible pour la lar-

geur que pour la longueur. -

Chez cette malade l'examen électrique a donné des résultats différents

pour les deux côtés ; du côté hypertrophié, il y a une diminution de moi-

tié de la contractilité faradique des muscles de l'avant-bras gauche et

de la main gauche, par rapport aux muscles correspondants du côté droit.

En outre la contraction est plus lente à apparaître et l'amplitude de la

courbe est moindre sur les parties hypertrophiées.

Si pour notre première malade, en raison de l'épaississement considé-

rable de la peau, on peut invoquer l'augmentation de résistance des tissus

comme cause de l'anomalie des réactions électriques, une telle interpré-

tation n'est plus valable pour notre deuxième malade, puisque la peau et

ses dépendances ne sont pas épaissies.

Cette anomalie dans la contractilité électrique des muscles tient sinon à

une-anomalie histologique, du moins à une constitution un peu spéciale du

tissu musculaire dans les parties hypertrophiées, de sorte que,suivant la re-

marque faite à propos de notre première malade,ces hypertrophies congéni-

tales ne tiennent pas seulement à un développement exagéré ou plus rapide

des parties malades,mais encore à une modification dans la constitution des

tissus.

Nous nous garderons de discuter la pathogénie des hypertrophies con-

génitales à propos de ces deux observations, cette question ayant été déjà

traitée dans le mémoire de Sabrazès et Cabannes ; dans les antécédents de

nos malades, nous n'avons pu relever d'ailleurs aucune particularité

intéressante à ce sujet : mais en terminant nous rappellerons la rétrocession

qui s'est très nettement manifestée chez notre première malade dans le cou-

rant des deux premières années,phénomène qui rend le pronostic de cette

singulière difformité moins sombre qu'il ne le paraît tout d'abord.

Nou\ l'LI ICONOGHAPH1E DE LA SALPtTHltHE,

T. XIV. PI. LXX

l'iiuto^i'i, Heilhdiid, Pans

ANKYLOSES GENERALISEES

de la colonne vertébralc et de la totalité des membres

CLINIQUE MÉDICALE DE L'IIOTEL-DIEU DE PARIS

(SERVICE DE 31. LE PROFESSEUR DIEUL1F07)

ANKYLOSES GÉNÉRALISÉES

DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DE LA TOTALITÉ DES MEMBRES

PAR

E. APERT,

chef de clinique de la Faculté.

Le malade dont les photographies sont représentées (pl. LXX) frappe au

premier coup d'oeil par la conformation bizarre de toute sa personne, par

la saillie de son thorax, par son ensellure prononcée, par la position en

demi-flexion de ses membres, avec saillie exagérée des attaches des mus-

cles fléchisseurs. Ce que l'on ne peut pas voir sur les photographies, c'est

la limitation extrême des mouvements de toutes les articulations de cet

homme, telle qu'il se meut presque tout d'une pièce. Ses articulations

ne sont pourtant pas totalement ankylosées ; il ne s'agit certainement pas

d'ankylose osseuse complète^ à ce point de vue comme à bien d'autres, il

diffère complètement des malades atteintsdel'affection que M.P. Marie a ap-

pelée spondylose rhizomélique (1). Il s'agit surtout chez lui de disposition

des surfaces osseuses entravant fortement les mouvements des articula-

tions, et les limitant à une excursion très peu étendue, mais ne les

immobilisant pas complètement.

Voici du reste la descriplion du malade :

C'est un homme âgé de 30 ans qui est entré à la Clinique médicale de l'Hôtel-

Dieu le 11 juin 1901 pour se faire soigner d'une tuberculose pulmonaire qui

évoluait depuis peu, et qui a pris depuis lors une extension rapide.

Il est tout petit de taille (1 m. 30) et est très bizarrement conformé, comme

on peut le voir sur les photographies ci-jointes ; la colonne vertébrale a la forme

(1) Pour exprimer néanmoins dans une dénomination purement symptomatique

l'état de ce malade, j'avais qualifié son affection de spondylose olonéligue (Société de

Neurologie, 7 novembre 1901). M. Marie a bien voulu me faire remarquer l'utilité de

réserver le terme de spondylose aux seules ankyloses osseuses de la colonne vertébrale,

avec soudure des surfaces articulaires. Je me rends bien volontiers a ses raisons. '

518 . E. APERT

d'un C à concavité postérieure, dont le sommet répond à la douzième dorsale ;

par suite les extrémités inférieures des omoplates sont très saillantes en arrière

et le grand axe du thorax, de vertical,est devenu oblique en avant et en bas; la

partie inférieure de la cage thoracique fait une forte saillie en avant ; le ventre,

au contraire, est en retrait, et ce retrait est d'autant plus accusé que les cuisses

restent constamment en demi-flexion ;

En outre la cuisse gauche est déviée fortement en dedans, tandis que la

cuisse droite se dévie un peu en dehors. Inversement la jambe gauche se dirige

en bas et,en dehors et la jambe droite un peu en dedans. ,

Les membres supérieurs semblent démesurés, et quoiqu'à demi immobilisés

en demi-flexion, ils descendent jusqu'à l'extrémité inférieure de la cuisse.

Tel est le sujet dans la position debout. Lorsqu'on le fait marcher, il ne peut

avancer qu'à tout petits pas, très menus. Cette démarche bizarre tient à ce

que les articulations des membres inférieurs sont atteintes d'ankylose presque

complète; il en est de même du reste des articulations du tronc, du cou et des

membres supérieurs. ,

- La tête est presque totalement immobilisée ; le malade ne peut ébaucheraucun

'mouvement d'extension au delà de la verticale ni aucun mouvement de rota-

tion ; il a conservé seulement le mouvement de flexion, assez étendu pour que

.son menton vienne toucher son sternum. , : La mâchoire inférieure se meut à peu près normalement.

Les"mouvements de flexion, d'extension, de torsion du tronc sont impossi-

bles ; la colonne vertébrale semble complètement ankylosée ; le soulèvement

inspiratoire des côtes et du sternum ne se fait plus, la respiration est entière-

ment diaphragmatique.

Les .mouvements spontanés de la racine des bras sont très limités, et le ma-

lade a la plus grande peine à passer ses vêtements; dans les mouvements pro-

voqués, le bras, latéralement, ne peut pas être porté plus haut que l'horizon-

tale, mais l'excursion en arrière est très limitée. Ces mouvements du reste ne

-se font que grâce à un déplacement en bascule de l'omoplate, qui suit constam-

ment les mouvements de l'humérus, en sorte que l'ankylose scapulo-humérale

parait presque complète ; les mouvements de rotation de l'humérus sont impos-

sibles.

Les mouvements de flexion et.d'extension des coudes sont très limités. L'an-

gle maximum que peuvent faire le bras et l'avant-bras est de 110°, l'angle mi-

nimum de 50°.

" -Les mouvements du carpe sont plus limités encore. L'extension au-delà de

l'axe de l'avant-bras est impossible, la flexion est très limitée; l'excursion an-

gulaire totale ne dépasse pas 30°.

L'excursion des premières phalanges sur le métacarpe est encore plus limi-

tée que celle du carpe ; le pouce, a ce point de vue, ne jouit plus d'aucune

supériorité sur les autres doigts.

Les articulations phalango-phalanginiennes, et I)halangi ? zo-p ha lange 11 ieiz-

MM sont beaucoup plus libres, leur extension complète jusqu'à l'axe du doigt

est impossible en sorte que phalangines et phalangettes sont toujours plus ou

ANKYLOSES GÉNÉRALISÉES 519

moins en flexion, mais cette flexion peut aller jusqu'à l'angle droit. Le malade

se sert assez bien de ses doigts pour de petits ouvrages, et en particulier il

écrit assez bien pour avoir pu faire quelque temps les écritures du service.

Le' bassin paraît complètement ankylosé et sans mouvement possible sur le

tronc ; les cuisses sont également tout d'une pièce avec le bassin et immobili-

sées absolument dans la position que nous avons décrite. Les hanches semblent

donc complètement soudées.

Au contraire les genoux ont conservé une assez grande mobilité relative;

l'extension, il est vrai, n'est pas complète ; la jambe ne peut faire avec la cuisse

un angle maximum de plus de 450 à droite et 160° à gauche ; mais la flexion

est assez étendue et l'angle minimum descend aux environs de dos.

Les mouvements du pied sur la jambe et des orteils sur le pied sont aussi

très limités.

Nulle part les mouvements provoqués ne causent aucune sensibilité anor-

male, non plus que la pression sur les articulations, jamais le malade n'a

souffert; on ne sent ni empâtement articulaire, ni froissements ou crépitations

tendineuses ou synoviales ; à la limite d'extension, les muscles font saillie

comme des cordages tendus, mais c'est une rétraction secondaire, la muscula-

ture est intacte : s'il y a un certain degré d'amaigrissement musculaire, il est

général et dû à la tuberculose; l'examen électrique pratiqué par M. Lacaille

n'a révélé aucune altération de la contractilité. Les petites articulations des

doigts, les plns mobiles, sont les seules qui soient un peu déformées ; elles pré-

sentent .très développées les nodosités de Bouchard et celles d'Heberden.

M. Marie a signalé la même particularité chez ses malades.

Quant aux largeurs des différents segments des membres, les mensuratious

suivantes mises en regard de celles d'un adulte de taille comparable permettent

de se rendre compte de leurs altérations. u , .. , , . " .

520 E. AfERT

portionné, mais qu'en revanche la jambe et surtout la cuisse sont très diminuées

de longueur. La petite taille du sujet s'explique, non seulement par la courbure

de sa colonne vertébrale qui lui fait perdre au plus cinq centimètres, non seu-

lement par la position semi-fléchie de ses membres inférieurs qui ne lui en

fait pas perdre beaucoup plus, mais encore par un raccourcissement notable de

la colonne vertébrale, de la cuisse et de la jambe. Aussi, sur les photogra-

phies, les membres supérieurs semblent de dimension exagérée et donnent au

malade l'allure d'un anthropoïde. Si l'extension du membre supérieur était

'possible, l'extrémité du médius descendrait bien au-dessous du genou.

Il n'existe aucun trouble de la sensibilité, ni des sens spéciaux, ni des réflexes.

A part les lésipns banales de la tuberculose pulmonaire, il n'y a rien à signaler

du côté des viscères. L'intelligence et l'état psychique sont parfaits. La tête est

volumineuse (55 centimètres de circonférence) et très brachycéphale (86).

- Histoire de la maladie. - Le malade dit qu'il s'est toujours connu tel

qu'il est aujourd'hui ; mais on lui a raconté l'histoire suivante : nourri au sein

par sa mère, il s'est développé tout à fait normalement jusqu'à t'age de trois

ans, et il marchait et courait très bieu à cette époque ; à l'âge de trois ans, il

fut confiné au lit pendant trois ans, par des convulsions, pense-t-il. Il ne sait

pas s'il a eu à ce moment là des arthropathies, de la paralysie ou des contrac-

'tures ; il sait seulement qu'on a commencé à pouvoir le lever à l'âge de six

'ans ; qu'il n'a d'abord marché que très difficilement avec des béquilles ou des

bâtons, puis qu'il s'est peu à peu amélioré jusqu'à arriver au point où il est

maintenant. Il peut actuellement faire de son petit pas menu,sans béquilles et

à l'aide d'une simple canne, trois à quatre kilomètres sans fatigue, mais il met

des heures à faire ce trajet.

J'ajoute que le malade n'a pas souvenir d'avoir jamais eu de maladies infec-

tieuses, ni fièvre typhoïde, ni scarlatine, ni blennorrhagie. Il n'a pas de stig-

mates d'hérédo-syphilis, ni de tuberculose infantile. Il ne tousse que depuis

quelques mois.

En résumé, ce malade présente des ankyloses sinon complètes, du

moins assez serrées de la plupart de ses articulations. Il ne s'agit pourtant

pas de rhumatisme déformant, la physionomie des déformations ankylo-

santes est dans ce cas tout autre; il ne s'agit pas non plus d'ankyloses

congénitales par oligamnios comme j'en ai rapporté quelques cas (1), l'o-

ligamnios ne peut causer d'ankylose vertébrale dans cette posilion et en

outre l'affection ne paraît pas congénitale chez notre malade. Je ne vois

pas non plus qu'une lésion acquise des centres nerveux, méningée, céré-

brale, ou spinale, puisse se traduire par un tel ensemble symptomatique

frappant les articulations seulement, et laissant intactes la musculature,

la sensibilité, les réflexes. La généralisation de l'affection à la totalité des

(1) Apert, Société anatomique, 1895, p. 167 ; Société médicale des hôpitaux, 26 mai

1899; Iconographie de la Salpêtrière, 1901, XIV, planche XLII,

Nouvel ! ICONOGRAPHIE de la SALPÊIRIÛRF.. T. XIV, PI. LXXI

ANKYLOSES GENERALISEES

de la colonne vertébrale et de la totalité des membres

(E. Ae-t.j

Photographies ltU squelette

ANKYLOSES GÉNÉRALISÉES 521

membres, l'absence de soudure osseuse, l'existence d'une lordose au lieu

d'une xyphose, le début brusque dans le jeune âge, la marche plutôt ré-

gressive que progressive créent avec la spondylose, au sens de M. Marie,

même en la supposant étendue par exception aux extrémités des membres,

une différence de nature empêchant tout rapprochement.

Il ne s'agit pas non plus de la cyphose hérédot1'a1l1natique du même

auteur. Sans invoquer d'autres différences, le fait qu'il y a dans notre cas

une lordose et non une cyphose suffit à éloigner cette idée.

De tous les faits analogues que nous avons trouvés dans la littérature

médicale, un seul nous a paru pouvoir être rapproché du nôtre. C'est

celui qui fait l'objet de la thèse de Mme Kritchevsky-Gochbaum (1),

inspirée par le professeur Raymond. Une jeune fille étai atteinte d'ankylo-

ses articulaires généralisées, qui l'immobilisaient en position vicieuse. Les

diverses articulations avaient été successivement et progressivement at-

teintes pendant l'enfance. La photographie jointe à cette thèse montre que

les déformations consécutives à ces ankyloses n'étaient pas identiques à

celles de notre malade. Néanmoins, au point de vue du processus morbide,

c'est encore à cette observation que notre cas ressemble le plus.

Bref ce malade ne me parait pas rentrer dans un cadre nosologique ac-

tuellement tracé. C'est pourquoi j'ai cru utile de publier son histoire et

ses photographies.

AUTOPSIE

Notre travail était à l'impression, quand le malade a succombé le 6 dé-

cembre aux progrès de sa tuberculose pulmonaire.

L'autopsie a montré dans les viscères les lésions habituelles de la tuber-

culose pulmonaire chronique, sans qu'il y ait de ce côté rien à noter de

particulier. z

Les parties les plus intéressantes à examiner étaient le squelette et les

articulations. Il nous a été permis d'enlever, de conserver et d'étudier à

loisir la colonne vertébrale, et le membre inférieur droit. Afin d'avoir

entière l'articulation de la hanche nous avons enlevé avec le membre infé-

rieur la plus grande portion de l'os coxal, en désarticulant le pubis et en

portant un trait de scie sur l'iléon au-dessus de la cavité cotyloïde. De

même, avec la colonne vertébrale, nous avons enlevé la partie postérieure

des côtes et la partie postéro-inférieure du crâne, comprenant l'occipi-

tal, les mastoïdes et les rochers (Pl. LXXI).

Voici les lésions que nous avons constatées : .

(1) 11RITCIIEV561-GOC1113AUI, Sur un cas d'ankylose articulaire progressive et géné-

ralisée ; synarthroplayse, thèse de Paris, 1900. '

522 E. APERT

Muscles et tendons. - Tous les muscles nous ont paru sains, il n'y avait

nulle part d'altération, ni de la chair musculaire, ni des tendons ; les gaines

synoviales tendineuses étaient partout intactes.

Articulations. - Les tissus péri-articulaires étaient sains complètement;

les capsules articulaires, tant à la hanche, qu'au genou et au pied avaient leur

aspect brillant, nacré, normal, de même que les ligaments péri-articulaires. Ce

n'est qu'à la face antérieure du genou autour du cul-de-sac sous-tricipital que

nous avons trouvé un tissu graisseux ferme, ayant tendance à devenir lardacé,

au lieu de la graisse molle qui existe à ce niveau à l'état normal. Mais partout

les ligaments et les faisceaux fibreux interarticulaires avaient leur aspect

normal. 1. `

Au contraire, l'intérieur de l'articulation, dans toutes les articulations qu'il

nous a été permis d'examiner, a présenté des lésions profondes. Il en a du

moins été ainsi dans toutes les articulations diarthrodiales, tandis qu'au con-

traire les amphiarthroses, c'est-à-dire les articulations dépourvues de synovia-

les comme les articulations des corps vertébraux entre eux et la symphyse

pubienne ne présentaient rien de particulier.

Dans toutes les articulations à synoviale et à cartilages articulaires (diar-

throses), les cartilages articulaires étaient profondément altérés ; au lieu de

la surface lisse et dure normale, ils étaient irréguliers comme épaisseur et

comme consistance ; en appuyant le doigt sur le cartilage, il y pénétrait un peu

Jet en le retirant, la synovie gluante qui s'étirait entre le doigt et le cartilage

était colorée en blanc par une sorte de mélange avec le tissu cartilagineux ra-

molli.

Par places, la surface du cartilage se présentait creusée de petites dépres-

sions arrondies ou ovalaires, certaines assez profondes pour laisser voir l'os ce

niveau ; en d'autres points le cartilage avait par petites taches disséminées une

coloration blanc laiteux opaque tranchant sur le blanc bleuâtre transparent du

reste du cartilage. Enfin la périphérie du cartilage au lieu de se limiter par

'une ligne régulière de démarcation avec le périoste, était dans presque toutes

les articulations irrégulière, découpée en dents de scie. Ces lésions se sont

retrouvées dans toutes articulations du membre inférieur, tant à la hanche,au

genou et au cou-de-pied que dans les petites articulations du pied et des orteils.

Mais les lésions les plus importantes et les plus curieuses sont les déforma-

tions considérables des extrémités articulaires des os longs. Nulle part elles ne

sont plus marquées qu'à la hanche. ,

Extrémité supérieure du fémur. - Comme on peut le voir sur la photo-

graphie reproduite dans la planche LXXI, et sur les figures ci-jointes (fig. 1 et

2), l'extrémité supérieure du fémur est considérablement déformée.

La tète fémorale a perdu complètement sa forme sphérique et le col n'existe

pour ainsi dire plus. En arrière il n'est plus représenté que par une gouttière

profonde de un centimètre dé large entre les trochanters et la masse volumi-

neuse qui remplace la tête fémorale. En avant cette masse volumineuse arrive

à se continuer par une surface rugueuse avec le bord antérieur du grand tro-

chanter.

ANKYLOSES GÉNÉRALISÉES

523

L'axe de cette masse osseuse qui remplace à la fois la tête et le col du fémur

n'a pas du tout la direction normale de ces parties.

Au lieu d'être dirigé de bas en haut et de dehors en dedans, il est dirigé

de haut en bas et de dehors en dedans. '

La forme en est très irrégulière, toutefois on peut la comparer grossière-

. ment à un cône tronqué dont la base se confondrait avec la face interne des

trochanters, et qui porterait en arrière, en dedans et en bas une profonde

échancrure. Le sommet de ce cône, tronqué, est remplacé par une surface

plane, dont le contour rappelle assez la forme d'une oreille. Dans la concavité

de celte oreille, au point qui correspondrait au conduit auditif, une profonde

rainure marque l'insertion du ligament rond intraarticulaire. -

Cette surface plane en forme d'oreille est dépourvue de cartilage; tout le

reste de la volumineuse masse que nous avons décrite est au contraire cartila-

vineuse, en sorte que la portion articulaire de la tête du fémur est beaucoup

plus étendue que normalement.

Cavité cotyloïde. Elle est très large et très profonde, de forme conique

plutôt que sphérique, de façon à s'adapter à la forme analogue de la tête fé-

morale. Elle a vraiment la forme d'une cuvette, et non celle d'un bol qui se

rapproche plus de sa forme'normale.

L'arrière-fond de la cavité cotyloïde est très profond et plan ; l'os iliaque

est réduit à ce niveau à une mince lame transparente de tissu compact ; cet

arrière-fond plan répondait à la surface plane qui limite en dedans la tête fé-

morale. '

Fig. 1. Face interne de la tète fémorale.

Fig. 2. - Face postérieure de la tête fémorale.

524 E. APERT

Le sourcil cotyloïdien est très saillant et très tranchant, il se prolonge en

bas par deux masses saillantes qui transforment l'échancrure ischio-pubienne

de la cavité cotyloïde en une gouttière profonde.

Le reste de l'os iliaque n'a rien de particulier; la diaphyse du fémur est

mince et grêle, mais sans déformation.

Extrémité inférieure du fémur. - Beaucoup moins déformée que l'extré-

mité supérieure, elle présente néanmoins des saillies irrégulières en dent de

scie sur tout le pourtour de la surface articulaire de la trochlée et des condyles.

Il semble que ces surfaces articulaires aient été aplaties et que le contour ait

été rehaussé. En particulier, il existe une crête saillante et aiguë sur le bord

externe du condyle externe, débordant de beaucoup la tubérosité externe sus-

jacente.

Rotule. - Elle ne présente de particulier que l'irrégularité du pourtour de

son cartilage d'encroûtement.

Extrémité supérieure du tibia. Là aussi, les bords des surfaces articu-

laires sont saillants, aigus, rehaussés, et présentant çà et là des pointes aiguës

en dent de scie ; il en résulte que le contour de la partie encroûtée de cartilage

est très irrégulier.

Cependant les fibrocartilages interarticulaires sont absolument normaux.

Leur surface lisse et brillante contraste avec les altérations du cartilage d'en-

croûtement des extrémités osseuses.

Extrémité supérieure du péroné. - Elargie et comme évasée par aplatis-

sement de haut en bas.

Extrémité inférieure du tibia et du péroné. C'est là que la sorte de

rehaussement du rebord articulaire de l'os prend les plus grandes oronortions.

Une sorte de crête osseuse mince et dé-

chiquetée règne sur tout le bord anté-

rieur de la partie antérieure du tibia et

des deux malléoles. Sur la malléole pé-

ronière, une lamelle osseuse mince se pro-

longe d'un centimètre eii avant et en de-

dans, à la rencontre d'une lamelle sem-

blable venue du tibia. La figure 3 en dit

du reste plus que toutes les descriptions.

Os du pied. Les os courts du pied :

calcanéum, astragale, cuboïde, scaphoïde,

cunéiformes n'ont à signaler qu'une cer-

taine dentelure saillante des bords de

leurs facettes articulaires. Mais les os

longs du pied, métacarpiens et phalanges,

présentent des lésions épiphysaires abso-

lument analogues à celles du tibia et du

péroné, c'est-à-dire une sorte de rebrous-

lu cartilage articulaire, formant une crête

Fig.3. - Extrémités inférieures du

'tibia et du péroné (face antérieure).

sement du rebord osseux autour (

osseuse aiguë et crenelée.

ANKYLOSES GÉNÉRALISÉES 525

L'extrémité antérieure du premier métatarsien présente une disposition'

spéciale ; la crête osseuse forme ici deux larges expansions à la face inférieure

de l'os, qui forment comme deux ailes, et qui tiennent à la prolongation de

cette crête osseuse autour des facettes articulaires qui répondent aux deux os

sésamoïdes (Fig. 4). .

Enfin au niveau de l'articulation phalango-phalanginienne du gros orteil,

nous relevons, outre les altérations qu'offrent toutes les extrémités articulai-

res, la présence anormale dans le tendon du long fléchisseur propre, d'un os

sésamoïde, gros comme un pois et en forme de tétraèdre.

Colonne vertébrale . - La colonne vertébrale présente, d'une part, des dé-

formations d'ensemble lui imprimant des courbures anormales, d'autre part,

des déformations de certaines vertèbres en particulier. La colonne cervicale a

sa direction normale, mais la colonne dorsale présente plusieurs inflexions ;

tout d'abord elle s'infléchit en bas et à gauche, et forme une première cour-

bure à convexité gauche dont le sommet est à la 3e dorsale, puis une seconde

courbure à convexité droite dont le sommet est au disque intermédiaire aux

6e et 7° dorsales ; une troisième courbe à convexité gauche dont le sommet est

à la 9° dorsale ; enfin une quatrième courbure à convexité droite dont le som-

met est à la 12° dorsale, en sorte que la colonne lombaire est oblique en bas et

à gauche.

Les vertèbres sont très inégales comme épaisseur. Quelques-unes sont

aplaties comme si elles avaient été écrasées par une double pression verticale ;

parfois l'aplatissement est plus prononcé d'un côté que de l'autre, et la vertè-

bre a la forme d'un coin triangulaire.

Les quatre premières vertèbres cervicales semblent normales ; mais la 5° et

la 6° sont fortement aplaties . Elles mesurent 6 et 8 millimètres de hauteur,

tandis que la 4° en mesure 10 et la 70, ainsi que la première dorsale 11. La

2° dorsale n'a que 7 millimètres de haut. La 3° est triangulaire, elle a 6 milli-

mètres sur sa face droite et 12 sur sa face gauche. La 4° mesure 9 à droite et

13 à gauche. Cette diminution de hauteur de la face droite tient à ce que

Fig. 4. Squelette du gros orteil et du métacarpien correspondant (face interne). -

Au-dessous, tête du même métacarpien (face inférieure).

526 E'. APERT

cette face est fortement repliée sur elle-même, en sorte qu'un profond sillon

semi-circulaire horizontal existe sur cette face, et se perd sur la face antérieure.

La 5° dorsale a une forme très irrégulière. Elle est comme formée de deux

coins triangulaires unis par leur sommet; elle mesure;en hauteur 9 millimè-

tres sur la face droite, 3 millimètres seulement sur la ligne médiane et 9 mil-

limètres sur la face gauche. La 6° dorsale, en forme de coin mesure 12 milli-

mètres sur sa face droite, 8 sur sa face antérieure et 3 sur sa face gauche. Les

dernières vertèbres dorsales, et les vertèbres lombaires sont beaucoup moins

déformées, et les inflexions de la colonne dans ces régions tiennent à ce que

l'axe de la vertèbre est oblique par rapport aux bases au lieu d'être perpendi-

culaire. -

Si l'on sépare les corps vertébraux les uns des autres, on se rend compte

que les disques intervertébraux ont leur structure absolument normale.

En arrière de la colonne les apophyses épineuses et les lames vertébrales

s'imbriquent étroitement les unes sur les autres ; les déviations de la ligne des

apophyses épineuses sont moins marquées que celles des corps vertébraux, ce

qui explique que, pendant la vie, la lordose seule avait été notée, et que les

déviations latérales, multiples et se contrebalançant, avaient échappé. Les

articulations des côtes avec les corps vertébraux et avec les apophyses trans-

verses, ainsi que les articulations des apophyses articulaires des vertèbres en-

tre elles n'offrent rien de particulier.

En résumé ce qui est surtout frappant dans l'examen des os de ce ma-

lade, c'est du côté des os longs des membres, une sorte d'aplatissement

des extrémités articulaires, avec un rebroussement osseux au pourtour du

cartilage. Il en est ainsi toutes les fois que la tête articulaire fait directe-

ment suite à l'axe de l'os. Quand cette tête articulaire est oblique, comme

à l'extrémité supérieure du fémur, la déformation est beaucoup plus grande

et la tête semble écrasée et fortement déviée dans le sens de la pression

qu'elle a à supporter le plus habituellement. Les os courts des membres

sont peu altérés. En revanche, un certain nombre de vertèbres ont subi

un aplatissement comparable à celui de la tète du fémur (1).

*

" "

De quoi peut-il s'agir, et de quel diagnostic étiqueter ce cas ? Il ne s'agit

certainement, ni de rachitisme, ni d'ostéomalacie. Si l'on n'examinait que

les os des membres on pourrait à la rigueur considérer qu'il s'agit d'une

variété d'arthrites déformantes généralisées. Mais aux vertèbres, les défor-

mations portent sur le corps même des vertèbres et nullement sur les dis-

ques intervertébraux. L'extrémité osseuse articulaire semble au reste at-

teinte par elle-même.indépendamment de l'articulation, car la synoviale

ne parait pas atteinte et des parties intra-articulaires, comme les fibro-

cartilagineuses du genou, tranchent par leur intégrité avec les lésions des

(1) Le cerveau et la moelle ont été recueillis et seront l'objet d'un examen ultérieur.

ANKYLOSES GÉNÉRALISÉES 527

extrémités osseuses. C'est donc, semble-t-il, l'os qui est pris pour son pro-

pre compte. Mais l'os compact échappe partout à la lésion ; partout où l'os

est déformé, c'est de tissu spongieux qu'il s'agit.

Nous sommes donc en présence d'une affection osseuse systématisée,

épargnant le tissu compact, et frappant certaines parties bien spécifiées

du système osseux, à savoir les épiphyses des os longs et les corps verté-

braux.

Si l'on veut donner à cette affection un nom caractéristique, il faudra

s'attacher à rappeler ces caractères dans la dénomination ; le nom de SPON-

GIOPATHIE SPONDYLOI;PIPHYSA1RE pourrait servir, semble-t-il, à dénommer

cette forme morbide.

NOTE SUR UN VASE GREC DE L'ERMITAGE

OU SONT FIGURÉES

DES OPÉRATIONS CHIRURGICALES

PAR

JEAN HEITZ,

Interne des hôpitaux.

Les photographies reproduites planche LXXII sont celles d'un petit vase

en électon (alliage de quatre parties d'or pour une d'argent) qui se trouve

exposé dans la salle des bijoux grecs, au musée de l'Ermitage, à St-Pé-

tersbourg. Ce vase a été découvert en 1831,avec les objets qui l'accompa-

gnent (armés, bijoux, miroirs, etc.), dans les fouilles du tumulus de

KovI-Oba, près de la ville de Kertch, en Crimée.

Kertch est bâtie sur l'emplacement de l'ancienne Panticapée, une des

villes grecques les plus riches et les plus florissantes qui s'élevèrent sur

les rivages du Pont-Euxin. Le tumulus de Kovl-Oba, si l'on en juge par

sa disposition intérieure et son mobilier, a dû servir de sépulture, non à

un grec, mais à un prince barbare, un scyte à demi grécisé, qui s'y est

fait enterrer, selon la coutume, avec sa femme, quelques personnes de

son entourage, ses objets préférés.

Parmi les objets qui ont été trouvés près des squelettes,certains présen-

tent un caractère à demi-barbare; d'autres, au contraire, sont d'un travail

achevé, et nous reportent à l'époque la plus florissante de l'art grec, au

IV" siècle avant Jésus-Christ. Les vases principalement nous donnent de

nombreux détails sur la manière de vivre des peuplades scyles. Nous les

y voyons à cheval, tirant de l'arc, domptant les chevaux sauvages. Sur

l'un d'eux, on voit deux scytes embrassés, tenant chacun d'une main la

poignée d'une seule et même coupe, attitude que le texte d'Hérodote nous

a appris depuis longtemps être un symbole d'amitié. Mais le vase qui fait

le sujet de cette note, représente des scènes très spéciales qui en aug-

mentent à nos yeux l'intérêt. Parmi les quatre sujets qui se déroulent sur

ses flancs bombés, deux seulement sont reproduits planche LXXII. Les deux

autres représentent l'un, un scyte assis, tendant son arc, l'autre un roi

Nouvelle IcooG"PHIE UF la SALPÈrK,tR", T ? I ? PI LXXII

OPERATIONS CHIRURGICALES

figurées sur un vase grec du Musée de 1'l-i-iiiit.ige, a St-Pétersbourg.

(ffI/il Hril .)

Masson , CI,, Utictitç

NOTE SUR UN VASE GREC DE L'ERMITAGE 529

couronné, assis sur un petit tertre,appuyant son front sur sa lance, et écou-

tant un messager armé, accroupi devant lui.

Les deux autres scènes reproduites ici, constituent deux des représen-

tations les plus reculées que l'on connaisse, d'opérations chirurgicales.

Nous n'avons trouvé signalées, en effet, dans que la peinture de Pompéi,

étudiée par H. Meige : Vénus pansant la blessure (I'Eizée (1) et quelques

dessins de vases étrusques, relevés par Daremberg dans son mémoire : La

Médecine dans Homère (2).

Dans le premier groupe (planche LXXII,A)on voit un grand barbare,de

forte structure, à longue chevelure et à barbe puissante, le front peu élevé,

le nez droit et un peu long. Il a posé la main gauche sur la tète du patient,

et de l'index droit, il examine délicatement et avec une attention soute-

nue la mâchoire de ce dernier. S'agit-il d'une blessure reçue à la chasse

ou à. la guerre, ou simplement d'un vulgaire mal de dents ? Question diffi-

cile ! Mais il faut admirer le réalisme de la scène, l'expression de visage

du malade, si expressive de douleur, le geste de la main gauche qui s'ap-

puie nerveusement sur son genou, et le mouvement involontaire de dé-

fense par lequel il arrête la main qui, tout en cherchant à le guérir, ravive

atrocement sa douleur.

En B encore, les mêmes types, mêmes costumes. Ici, comme là, les deux

scytes sont vêtus d'un caftan en peau, en fourrure, et dont le poil est vrai-

semblablement tourné en dedans. Leur ceinture est une courroie revêtue

d'ornements métalliques. Ils ont des chaussures souples, sans semelles,

des chaussures de cavaliers.

L'un des deux scytes de la scène B, agenouillé, porte sur la tête une

sorte de capuchon. C'est le chirurgien. De la main gauche, il soulève le

talon du membre blessé. De son côté, le malade soutient le mollet qui re-

pose dans sa main large ouverte. La bande a été roulée déjà deux ou trois

tours sur le bas de la jambe, et le chef libre reste plié plusieurs fois dans

la main du panseur qui, peu ingénieux, n'a pas songé préalablement à la

rouler en sens inverse (3). Cette bande qu'il va enrouler, il la maintient

légèrement tendue, et cette tension qui se transmet aux tours déjà formés,

est sans doute pénible à supporter, car ici encore, nous voyons le malade,

essayer d'un geste de lui retenir la main.

(1) H. MEME, La blesstere-d'Enée, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1896, p.

36.

(2) Daremberg, La médecine dans Homère, Revue archéologique, 1865.

(3) Il est intéressant de retrouver le même procédé dans la coupe de Sosias, au

IVe siècle également, trouvée dans la tombe de Voici, en Etrurie, et maintenant au

Musée de Berlin. Achille, pansant le coude blessé de Patrocle, se sert d'une bande non

roulée qu'il prend par le milieu (Daremberg, loc. cit.),

xiv 41

530 -JEAN HEITZ- ^ -

Il est curieux de retrouver ce détail deux fois de suite. Il semble pour-

tant que' le'peuple des steppes devait être patient et dur à la douleur.

Il faudrait donc mettre en cause le peu de légèreté de main des chirur-

giens scytes. C'est peut être la pensée railleuse qu'a voulu nous suggérer

l'artiste grec inconnu qui; travaillait d'une façon si finie il y a plus de

2.000 ans, et dont l'oeuvre nous donne, à travers les siècles, des détails

si curieux et si précis sur les moeurs, sur la chirurgie rudimentaire des

scytes du IVe siècle.

LA SAIGNÉE EN IMAGES

(Suite et fin)

' PAR

HENRY MEIGE

A côté des oeuvres d'art dont nous venons de parler, le dossier icono-

graphique de la saignée compte un grand nombre de documents figurés

de valeurs différentes, dont quelques-uns remontent à une date assez re-

culée.

Charcot et Paul Richer ont décrit et reproduit une des plus anciennes

figurations de saignée ; c'est une curieuse miniature extraite du bréviaire

Grimani, conservé à la Bibliothèque de Saint-Marc, à Venise. « C'est, di-

sent-ils, une scène de petite chirurgie très finement interprétée. Elle se

passe dans la boutique du chirurgien ou mieux du barbier. L'opérateur,

qui porte sa trousse à sa ceinture, s'apprête, la lancette à la main, à pra-

tiquer la saignée. Il s'y prend de la bonne façon, et l'attention qu'il y

apporte nous assure la réussite de l'opération. Le patient d'ailleurs parait

peu inquiet; il lui abandonne son bras droit pendant que de la main

gauche il tient lui-même le bassin destiné à recevoir le sang. On voit au-

dessus du pli du coude le lien destiné à interrompre le cours du sang, et

le gros bâton que l'opéré serre de la main droite a un double but : il sert

de point d'appui pour le soutien du membre tout entier, en même temps

que par la pression dont il est l'objet, il fait refluer le sang des parties

profondes vers la veine ouverte (1). »

Dans une récente et fort belle publication italienne du Catalogite rai-

sonné de l'exposition d'Histoire de la Médecine tenue à Milan en 1898,

M. Piero Giacosa a réuni de fort curieux documents sous le nom de Magis-

tri Salernitani nondum editi (2).

On y voit en particulier une superbe édition des oeuvres d'Avicenne,

de la Bibliothèque de Bologne, enrichie de miniatures représentant toute

une série d'opérations chirurgicales.

(1) Voy. Difformes et malades dans l'art, p. 113.

(2) Chez Bocca, édit. Turin.

532 HENRY MEIGE

La Planche 13 de ce beau recueil nous montre, avec un curieux inté-

rieur de pharmacie, différentes scènes de petite chirurgie, l'application

des ventouses, des cautères, et une saignée.

Le patient est assis sur un tabouret, soutenu en arrière parle docteur.

Il serre dans la main droite un long bâton dont un aide tient l'autre bout.

Du pli du coude jaillit un filet de sang qui tombe dans une écuelle que

présente l'aide.

Nous voyons ici encore ce fameux bâton que n'a pas oublié Teniers

dans son tableau du musée de Draguignan.

Il faisait partie du rituel de toute saignée orthodoxe.

« Le baston qu'on met à la main du malade (tant pour luy soustenir le

bras que pour aider le roulement du sang en le contournant et en serrant)

doit estre rond, de moyenne grosseur, et aussi long qu'il sera besoin pour

supporter le bras, selon les diverses situations que l'on fera tenir au ma-

lade (1). »

Plus tard, le bâton a été remplacé par une bande roulée, ou le lancet-

tier du médecin. Ou bien on se contenta de dire au malade de serrer son

pouce entre ses autres doigts. Le but était le même et l'effet également.

Hermann Peters, dans son récent ouvrage Der Arzt und die Heilkunst

in der deutschen Vergangenheit (2), parmi tant d'intéressantes reproduc-

tions de gravures allemandes concernant la médecine, a réuni plusieurs

figurations de saignées.

La Saignée d'un homme, gravure sur bois extraite de Liber pestilienta-

lis, de H. Bnurrscnms (Strasbourg, Grûninger, 1500). On 'y voit encore

le bâton traditionnel, le lac de compression et une large palette que le

patient à demi pâmé tient sur ses genoux.

La Saignée d'une femme, gravure sur bois (Lubeck, 1319).

Et une autre Saignée d'une femme, gravure sur bois, tirée de A. Sytz

(Traité de la saignée, 1S20).

Enfin la Saignée d'un goutteux, gravure de H. BURGUIAIER, tirée de

AVILA, Régime de la santé (Augsburg, Steyner, 1536). Le patient tient

encore à la main le bâton de saignée, tandis que l'opérateur, un barbier

au costume martial, s'apprête à donner le coup de lancette. Pendant ce

temps, le médecin, qui ne saurait déchoir jusqu'à cette opération infime,

disserte et ratiocine copieusement sur la nature de la maladie.

On trouve dans la Chirurgie française de Jacques Guillemeau (1394),

une gravure (3) représentant une saignée avec tout son attirail tradition-

nel.

(1) Pierre HEURTAULT, Traité de la phlébotomie, 1622 ; cité par A. FRANCKLIN, Varié-

tés chirurgicales, p. 27.

(2) Leipsig, 1900.

13) Reproduite in Franklin, Variétés chirurgicales.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XIV. PL. LXXIII.

LA SAIGNÉE

Gravure de A. Bosse (1605-1678).

MASSON ET CIC, Editeurs.

la saignée EN images 533

Le patient est assis sur un grand fauteuil, tendant son bras droit au

barbier qui palpe avec soin la région du pli du coude avant d'opérer; un

lac enserre le biceps. Près de lui, un jeune aide tient une palette et le

bâton. Derrière, le médecin, solennel, barrette en tête, surveille d'un oeil

sévère le barbier-chirurgien. Une lancette et des palettes complètent la dé-

coration de cette vignette.

Les Calendriers de saignée ont aussi fourni matière à l'imagerie.

Il y avait en effet des jours propices pour la saignée, et d'autres jours

où elle était néfaste. A Paris, le 1er mai passait pour la date la plus favo-

ble ; les barbiers ce jour-là faisaient couler des tonneaux de sang.

Bien fin qui pourrait trouver les lois de ces préférences journalières.

« Ainsi, du 20 mars au 20 avril, les saignées étaient mauvaises les 1, 2,

8, 10, 16, 17, 3, 4., 26, 30 et 31° jours ; elles étaient bonnes les 4, 5, 6,

9, 11, 13, )4, 15, 18, 20, 22, 25, 27 et 28e jours (1). »

Quant aux 3, z, 19, 21 et 29° jours, on pouvait tenter la chance,

mais sans garantie de succès.

Dans les couvents, la saignée faisait rage. Périodiquement, tous les re-

ligieux passaient par la lancette, aux jours malades on jours de la muni-

tion de sang.

. « Ce n'était pas là une mortification, dit dom Calmet, puisqu'au con-

traire c'était une sorte de délassement, et que l'habitude prise on ne

pouvait plus s'en passer (2). »

« Le minutor chargé de l'opération comptait aussi des laïcs parmi ses

clients (3) ».

IL Peters a reproduit un curieux calendrier de saignée, une gravure

sur bois d'environ 1480 du cabinet des estampes de Munich.

On y voit, sur un schéma humain, l'indication des veines où les sai-

gnées doivent être faites suivantles signesdu zodiaque, età quelles affec-

tions elles seront favorables.

Au XVIIe et au XVIIIe siècle, à l'époque où régnait en souveraine la

« bonne, saincte, divine saignée u les images ne sont pas rares (4).

Une gravure d' : IBB.ucAit Bosse que nous reproduisons Pl. LXX III est

bien connue. C'est la saignée d'une grande dame, saignée pompeuse et

solennelle comme il convenait au temps du grand roi.

(1) D'après l'E22îpi ? -ic charitable, de La Martinière cité par LE MAGRET, in Le monde

médical parisien sous le grand roi, p. 282.

(2) Cité par Variétés chirurgicales, p. 4.

(3) Ibid., p,5.

(4) ALFRED FHANKLIN, dans ses Variétés chirurgicales (Plon-Nourrit,1894), a consacré

un chapitre plein de citations curieuses à l'histoire de la saignée.

Voyez aussi Le MAOUET, dans son bel ouvrage sur le Monde médical parisien sous le

grand roi, suivi du Portefeuille de Vaillant (malouine, 1899).

534 HENRY MEIGE

A. de Bosse semble y avoir fait le portrait véritable de l' « habile phlé-

hotomiste » dont parle Dionis :

« Il faut qu'il soit bien fait pour ne point déplaire au malade, qu'il ait

de l'esprit pour persuader ce qu'il dit, qu'il ait la vue nette et perçante

pour distinguer les moindres objets, de sorte qu'il n'ait point de faiblesse

dans les yeux, ou qu'il ne soit point obligé de regarder de trop près ;

qu'il n'ait point aussi la main trop grosse parce qu'elle serait pesante,

qu'il ait les doigts longs et grêles et que la peau soit blanche et fine, parce

que le tact en est plus délicat ; il ne faut point qu'il soit sujet à boire de

crainte qu'étant appelé la tête pleine de vin, il fut obligé de faire une de

ces saignées difficiles ; il ne doit point pareillement arracher les dents,

coigner les clouds, hacher du bois, jouer à la paume, au mail et à la boule,

parce que tous ces exercices peuvent lui ébranler la main ; enfin il doit

avoir son attention sérieuse pour la conservation de sa main, s'il veut

bien saigner de long tems. »

On reconnaît là le même portrait du médecin petit maître que nous a

laissé Mme de Sévigné et dont nous avons vu plus d'un exemple en pein-

ture à propos du « Mal d'amour », - le docteur de P. van Sliegelant tout

spécialement.

Sur la table on voit les « poilettes » ou « poêlettes » (1) de métal « ayant

une petite oreille pour les tenir en cas de nécessité»; il en fallait au moins

deux ou trois « de trois onces » chacune. Tout cet attirail est soigneuse-

ment placé derrière la patiente.

Une servante apporte « l'eau de la reine de Hongrie, en cas que la ma-

lade appréhende de tomber en faiblesse ».

Il ne faut pas qu'elle soit'effrayée par la vue du sang, de même qu'il

faut se garder d'en laisser tomber sur ses vêtements la moindre goutte.

« C'est une circonstance, dit Dionis, qu'il ne faut pas oublier aux Da-

mes de la première qualité dans les saignées de grossesse ou de précau-

tion, car elles se parent ces jours-là pour recevoir leurs visites, et même

avant la saignée, et si par hazard quelques gouttes de sang allaient salir

et déranger leur parure, elles ne pardonneraient point au chirurgien. »

On se faisait en effet volontiers saigner devant une compagnie.

« Toutes les fois que j'ai saigné Mme la Dauphine, ajoute Dionis, ou

quelqu'un des princes, la chambre était pleine de monde, et les princesses

se mettaient sous le rideau du lit sans que cela m'embarrassât. »

Dans une saignée faite avec élégance le sang devait jaillir en arcade.

Une belle parabole rutilante : c'était le comble de la distinction pour l'o-

pérée, et de l'adresse pour l'opérateur.

(t) Petites poêles.

LA SAIGNÉE EN IMAGES 535

J'ai dans mes collections, une assez médiocre gravure du XVIIO siècle,

atrocement peinturlurée, où une grande dame en costume d'apparat et en

grand décolleté tend son joli bras à un jeune docteur musqué qui la sou-

tient de la plus galante manière Du pli du coude jaillit en arcade un in-

terminable filet sanglant qu'un petit amour joufflu recueille pieusement

dans un bassin d'argent. Sur la table où s'accoude la gracieuse phtébotor

misée, l'eau de la reine de Hongrie voisine avec la trousse à lancettes, un

flacon de sel et un citron.

« Certaines Dames, dit Dionis, faisaient apporter dans leur chambre

un seau plein d'eau de puits bien fraîche et faisoient jeter leur sang

dans cette eau aussitôt qu'il était sorti ; elles prétendoient que par l'aven-

ture de la sympathie le sang qu'il leur restoit en était rafraîchi. »

Après l'opération, l'issue du sang était arrêtée par un bandage. Et ce

bandage avait un nom spécial suivant le siège de la saignée : le royal pour

la veine du pouls, le chevestre pour les veines des tempes, le oaouoczcle

pour la veine du grand coin de l'oeil, la fronde pour la veine du nez.. -

Nous n'en finirions pas si nous voulions passer en revue toutes les

images décoratives, allégoriques ou symboliques inspirées par la saignée.

Leur intérêt médical est d'ailleurs fort minime.

La fureur phlébotomiste des siècles précédents explique leur abondance.

« Plus on lire de l'eau d'un puits, disait Botal, plus il en revient de

bonne, plus la nourrice est tétée par l'enfant, plus elle a de lait ; le sem-

blable estdu sang et de la saignée » ,

La majorité des documents iconographiques ont trait à la saignée du bras,

de beaucoup la plus fréquente.

On saignait cependant en bien d'autres endroits, car on ne comptait pas

moins de 45 veines saignables : 15 à la tête, 10 au bras, 6 aux mains,

2 au ventre, 2 au siège, 10 aux pieds, - et chaque saignée avait sa vertu

particulière.

J'ai signalé, à propos des Pierres de tête (1), un certain nombre de do-

cuments où il semble qu'il s'agisse de la saignée « des veines qui sont

derrière les oreilles », usitée contre les vertiges, les migraines, la « res-

verie, l'assoupissement et semblables dispositions de la tête qui provien-

nent de pléthore » (Paul d'Egine, A. Paré, Fabrice d'Aquapendente).

(1) Voy. Nouv. Icononr. de la Salpêtrière, nos 4 et 5, 1895.

536 LtENRY MEIGE

Il reste un mot à dire d'une saignée historique, celle de Sénèque le

philosophe.

La mort de Sénèque nous a été racontée en détail par Tacite.

Sur l'ordre de Néron, qui soupçonnait Sénèque de conspirer contre lui

et qui surtout ne lui pardonnait pas d'avoir critiqué son talent de poète et

d'acteur, un centurion se présenta chez le philosophe qui vivait depuis

quelques années avec Pauline, sa femme, et quelques disciples dans la

retraite aux environs de Rome. Il lui fut ordonné de s'apprêter à mourir.

Pauline voulut partager le sort de son époux. Sénèque s'y refusa d'a-

bord ; puis consentit.

« Je ne puis te priver, lui dit-il, de l'honneur d'un tel exemple. »

Après quoi, ils tendirent l'un et l'autre leurs bras, le genre de mort

usité en pareil cas étant l'ouverture des veines.

Pour Sénèque, vieilli, affaibli par un régime très sobre, le sang ne s'é-

coulait qu'avec lenteur. Seneca,quoniam sentie corpus est parco victu tenua-

tum lentaetfugiasanguini prebebat.Aussi, outre la saignée du bras, dut-on

lui ouvrir les veines des cuisses et des genoux, cruritnt quo que et popli-

' tum venus aúntmpit (1).

Mais bientôt il ressentit d'atroces douleurs, et pour éviter à sa femme

le cruel spectacle de sa mort, il la pria de passer dans une autre pièce,

restant seul avec ses disciples auxquels il tint des discours demeurés cé-

lèbres.

Cependant, la mort était lente à venir. Alors, le philosophe demanda à

l'un de ses fidèles, Statius Annoeus, versé dans l'art de la médecine, de

lui donner le poison de Socrate, la cigué. Il le but; mais en vain, car

déjà ses membres étaient glacés. On admettait en effet que l'action de la

ciguë n'était efficace que si le corps avait conservé sa chaleur naturelle et

à Athènes on recommandait aux condamnés de se promener un certain

temps après l'absorption du poison.

C'est pourquoi Sénèque, afin de se réchauffer, résolut de se plonger dans

l'eau chaude. Stagt2tnt calidæ aquæ introiit.

Il mourut peu de temps après.

Quant à Pauline, sa femme, Néron ne voulant pas qu'on l'accusât d'un

meurtre inutile, ordonna qu'on arrêtât 1'li éiiioi-i,lii crie. Servi liúertique obli-

\

gant brachia, premunt srl1lguinem.

La mort de Sénèque a inspiré un grand nombre d'oeuvres d'art. Nous

nous contenterons de rappeler l'une des plus célèbres (Pl. LXXIV).

(1) Tacite, Livre XV, ch. LVIII.

NOUVELLE Iconographie DE LA SALPÊrRJLRI

T. \1\', l'l.l.»1\'

LA SAIGNÉE EN IMAGE

La mort de Sénèque

Tableau de Il. Il. Ruums, Pinacothèque de Munich

Masson & CIl, Editeurs

LA SAIGNÉE EN IMAGES 537

C'est un tableau de PP. RUBENS z77-3640), conservé à l'ancienne pi-

nacothèque de Munich (n° 724. B. 1 m. 81 X 1 m. 52).

Sénèque, presque entièrement nu, est représenté au moment où, s'étant

fait ouvrir les veines, et ayant par surcroit absorbé la ciguë, il vient,

pour hâter la mort, de se plonger les jambes dans un bassin d'eau chaude.

On voit, sur son bras gauche, au lieu d'élection, l'ouverture de la veine,

d'où le sang jaillit.

Un des disciples, Statius Annoeus, soutient ce bras, et à l'aide d'une

ligature empêche le sang de refluer par les veines humérales superficielles.

Un autre disciple accroupi recueille fiévreusement les dernières pa-

roles du philosophe.

'Deux soldats, étonnés d'un tel stoïcisme, assistent à ce trépas solennel.

La composition de Rubens ne s'écarte guère de la tradition léguée par

Tacite. Son Sénèque est cependant plus vigoureux qu'on n'imagine un

homme affaibli par de longues privations, et le sang s'échappe en un jet

suffisamment fort. '

Nous ne voyons pas non'plus que les veines saphènes aient été ouvertes

aux membres inférieurs.

A cette scène majestueuse, manque un personnage important, Pauline,

la femme de Sénèque. Mais ici, Rubens est demeuré fidèle à l'histoire,

car vers la fin de son supplice, le philosophe la pria de se retirer à l'écart.

Cette scène, encore qu'elle soit condensée dans un cadre trop étroit, ne

laisse pas d'être impressionnante.

Sénèque est une étude morphologique d'un réalisme admirable; la

sénilité des formes corporelles ne saurait être mieux rendue ; la maigreur

d'un corps autrefois athlétique, la flétrissure de la peau, ses plis, ses glis-

sements, sont d'une parfaite exactitude anatomique. «

Quant à la tête, elle est d'une expression vraiment supérieure ; ce qui

reste de vie dans ce corps exsangue est concentré dans les yeux, qui sem-

blent illuminés par l'éclat des vérités éternelles de l'au-delà. Ce sont ces

visions ultimes que Sénèque s'efforce de traduire en des propos dont son

disciple attentif ne veut omettre aucun.

Quant la saignée du bras en elle-même, elle est parfaitement con-

forme à la réalité : la plaie de la lancette siège à la meilleure place, les

veines.de l'avanl-bras sont turgescentes comme il convient sous la pres-

sion exercée à l'extrémité inférieure du bras.

Rubens vivait au temps où la saignée était omnipotente. Il en avait vu

faire certainement plus d'une dans son entourage, s'il n'en avait été lui-

même plus d'une fois la victime.

538 HENRY MEIGE

D'autres oeuvres d'art ont été inspirées par la Mort de Sénèque, parmi

lesquelles on peut signaler : , .

Un tableau de SANDRAN'f, au Musée de Berlin, représentant le philosophe

assis, une jambe dans le bain, l'autre tendue vers le médecin qui s'apprête

- à lui ouvrir les veines. Ici l'artiste s'est encore conformé à la tradition

de Tacite.

Une autre peinture de Vaillant (Jacob) (1628-1691), à Prague, Gale-

rie Nostitz (n° 134), nousmontre Sénèque couché sur un lit d'apparat, en-

- touré de ses disciples vêtus de costumes romains fantaisistes et préten-

tieux. Un médecin armé d'un'bistouri fait sur le pied droit une incision

à la naissance du gros orteil. Le sang coule dans un grand bassin doré.

o Signalons encore un tableau de RIBERA (Joseph dit IL SPAGNOLETTO, Es-

pagnol, 1588-1656), à Munich, Pinacothèque (n° 1281, t. 259, 241)

(daté de 1645).

Un tableau de IL GUERClNO, gravé à l'eau forte par Ludovico Lana.

Deux de GiORDANO (Luca), Musée du Louvre (coll. La Caze), et Musée

de Dresde.

Un autre de PITTONI, au Musée de Dresde.

Un de Pieter NEEFS, au Musée des Offices.

Un de PETERS (Anton, de) (allemand, 1723-1795), Musée de Cologne

(n° 495).

Enfin il existe une mort de Sénèque de DELACROIX à la bibliothèque de

la Chambre des Députés ; une autre de J. C. N. PERRIN (17h-1831), peint

en 1780, actuellement au Musée de Dijon (n° 425), où l'on voit également

Pauline, femme du philosophe, s'ouvrir les veines.

DAVID, en 1774, fut refusé au concours du prix de Rome, pour une

Mort de Sénèque ; on dit même que, de chagrin, il voulut se suicider.

TABLE DES MATIÈRES

Achondroplasie (Quelques remarques sur

l'), par A. APERT (3 pl. en photocollogr.

et 1 photograv.), 290.

Achondroplasie (A propos d'un cas d'), par

R. CESTAN (6 pl. en photocollogr.), 217.

Ankylose généralisée de la colonne verté-

brale et de la totalité des membres, par

A. APERT (2 pl. en photocollogr.), 517.

Crampe des écrivains (De la) et autres af-

fections nerveuses professionnelles, par

TH. SAVILL, 149.

Délire par introspection mentale, par

VASCIIIDE et Vurpas, 238.

Démoniaques (Les) et les malades dans

l'art byzantin, par Jean IIEITI, (5 pi. en

photocollogr., 1 fig.), 84 et 61.

Dermographisme chez les épilepliques at-

teints d'helminthiase, par Lannois (1 pl.

en photocollographie), 201.

Difformités du système nerveux central

dans la spina bifida, par N. SOLOVTzoFF

(6 pl.en photocollogr., 18 photograv.),

118 et 251.

Ectromélien hémimèle (Description d'un)

avec quelques considérations sur l'hémi-

mélie, par E. HUET et CII. INFROIT

(2 fig., 6 pl. en photocollogr.), 128.

Fatigue par les excitations de l'odorat (Re-

cherches expérimentales sur la), par Cn.

Féré, 327.

Genu recurvatum (Le) dans la coxalgie,

par G. GASNE et COURTELLEMONT (3 pl.

en photocollogr.), 49.

Géroeomique (La), un curieux moyen de

prolonger la vie , par A. BEAUVOIS

(1 fig.), 62.

Hémianopsie d'origine intra - cérébrale

(Anatomie pathologique de l'), par Jou-

IWWSKY (8 fui ? ), 1.

Hémihypertrophie (Deux cas d'), par A.

Thomas (2 pl. en photocollogr.), 508.

Hérédo-ataxie cérébelleuse (Sur l'anatomie

pathologique de l'), par SWITALSKI (2

. fig., 2 pl. en photocollogr.), 373.

Hypertrichose (L') envisagée comme stig-

mate anatomique de dégénérescence, par

Lucien Mayet (1 pl. en photograv.), 266.

Hypertrophie des membres (Sur une forme

d'), par E. Rapin (2 pl. eu photocollogr.),

413.

Kystes parasitaires du cerveau causés par

le cystique du tmnza echinococcus, par

MOUSSEAUX, DE GOTHARD et RICHE (1 pl.

en photocollogr.), 19.

Ladrerie cérébrale (Un cas de), par Lùo-

pOLD-Lnvi et Louis LEMAIRE (4 fig.), 32.

Macrodactylie et microdactylie, par P.

Bégouin et J. Sabrazès (2 pl. en pho-

tocollogr.), 305.

Myoclonie du type Ber,qeron chez un dé-

généré hystérique, par Il. Bernard,316.

Nains (Les) dans l'art, Remarques complé-

menlaires, par Henri Meige (1 pl. en

photograv.), 311.

Noevus ve%neztx et hystérie, par Ce. Binet

Sanglé et LÉON Vannier pl, en pho-

tocollogr.), 213.

Ostéite déformante de Pagel (Un cas d')

avec mélanodermie. Autopsie, par Lu-

cien HUDELO et Jean HEIn (4 pl. en

photocollogr.), 415.

Paralysie bulbaire aigué (Un cas de) chez

un enfant, par KOLLARITS (2 fig.), H.

Paralysie du nerf cubital et contracture

consécutive. Main en pince, par JACINTO

de Léon (1 pl. en photocollogr.), 409.

Possédé {Un) de Rubens. La transfigura-

tion du Musée de Nancy, par J. IIIOITZ

(1 pl. en photograv. 21274. .

Rachitisme familial (Sur un cas de), par

A. Zimmern (2 pl. en photocollogr.), 299.

Saignée (la) en images, par Henry Meige

(6 pl.l, 169, 462 et 53t.

Sein hystérique (Une observation de), par

Lannois (1 pl. en photocollogr.), 402.

Structure anatomique du système nerveux

chez un anencéphale, par V ASCII IDE et

Vuarws (6 fig., 2 pl. en photocollogr.),

388.

Surdité corticale avec paralexie et hallu-

cinations de l'ouïe, due à des kysles

hydatiques du cerveau, par PAUL SE-

RIçUX et ROGER Mignot (4 fig.), 39.

Syphilis spinale (Atrophie de la moelle

dans la), par E. Long et `Vzx1 (21 fig.),

105.

Tapisseries de Reims (Les), par Henry

Meige (3 pl. en photocollogr.), 97.

Travail d'un muscle {Influence sur le) de

l'activité d'autres muscles, par Cil. Féré

(5 Bg.), 432.

Trophoedème (Sur le), par Henry Meige

(1 pl. en photocollogr.), 465.

Trophoedème chronique (Contribution à l'é-

tude du), par IlERTOGHn (3 pl. en photo-

collogr.), 496.

Troplzccdème (Observation de), par MABILLE

(1 pl. en photograv.), 503.

Tumeur cérébrale, par E. Dupré et A. De-

vaux (2 pl. en couleur), 113 et 354.

Vase grec (Noie sur un) de l'Ermitage

où sont figurées des opérations chirurgie-

cales, par Jean IILITZ (1 pl. en photo-

collogr.), 528. '

TABLE DES AUTEURS

APERT A. Quelques remarques sur l'achon-

droplasie (3 pi. en' photocollogr. et 1

phot.), 290.

ARBRE A. Ankylose généralisée de la co-

lonne vertébrale et de la totalité des

membres (2 pl. en photocollogr.), 517.

BEAUVOIS A. La gérocomique, un curieux

moyen de prolonger la vie (1 fig.), 62.

Bégouin P. et J. Sabrazès. Macrodactylie

et microdactylie (2 pl. en photocollogr.),

305.

Bernard R. Myoclonie du type Bergeron

chez un dégénéré hystérique, 315.

Binet-Sanglé CH, et Léon Vannier. Noe-

vus veineux et hystérie (2 pl, en photo-

collogr.), 213.

CESTAN R. A propos d'un cas d'achon-

droplasie (6 pl. en photocollogr.), 277.

Courtellemont et G. Gasne. Le genu

recurvatum dans la coxalgie (3 pl. en

photocollogr.), 49.

Devaux A. et Ernest Dupré. Tumeur cé-

rébrale, étude histologique et pathogé-

nique (2 pl. en couleur), 173 et 354.

Dupré Ernest et A. Devaux. Tumeur

cérébrale (2 pl. en couleur), 113 et 354.

Féré CH. Recherches expérimentales sur

la fatigue par les excitations de l'odorat,

321.

Féré CrI. L'influence sur le travail d'un

muscle de l'activité d'autres muscles

(5 fig.), 432.

GASNE G. et Courtellemont. Le genu

recurvatum dans la coxalgie (3 pl. en

photocollogr.), 49.

GOTIIARD (de), MOUSSEAUX et Riche. Kystes

parasitaires du cerveau (1 pl. en photo-

collogr.), 19.

Heitz (Jean). Les démoniaques et les ma-

lades dans l'art byzantin (5 pl. en pho-

tocollogr., 1 fig.), 84 et 161.

Heitz J. Un possédé de Rubens. La

transfiguration du Musée de Nancy

(1 pl. en photograv.), 214.

IlcITZ (Jean). Noie sur un vase grec de

l'Ermitage où sont figurées des opéra-

tions chirurgicales (1 pl. en photocol-

logr.), 528.

HEITZ (Jean) et (Lucien) HuDrLO. Un cas

d'ostéite déformante de Paget avec mé-

lanodermie. Autopsie (4 pl. en photo-

collogr.), 415.

Hertoghe. Contribution à l'étude du tro-

phoedème (3 pl. en photocollogr.), 496.

HUDELO (Lucien) et (Jean) IIEITR. Un cas

d'ostéite déformante de Paget avec mé-

lanodermie. Autopsie (4 pl. en photo-

collogr.), 415.

HUET E. et Cti, Infroit. Description d'un

ectromélien hémimèle avec quelques

considérations sur l'hémimélie (2 fig.,

6 pl. en photocollogr.), 128.

Infroit Cu. et E. HUET, Description d'un

ectromélienhémimèle avecquelques con-

sidérations sur l'hémimélie (2 tig" 6 pl.

en photocollogr.), 128.

Jacinto de Léon. Paralysie du nerf cubital

et contracture consécutive. Main en

pince (1 pl. en photocollogr.), 409.

JoukowsKY. Anatomie pathologique de

l'hémianopsie d'origine intracérébrale

(8 fig.), 4.

KOLLARITS, Un cas de paralysie bulbaire

aiguë chez un enfant (2 fig.), 11.

Lannois. Dermographisme chez les épi-

leptiques atteints d'helminthiase (1 pl.

en photocollogr.), 207.

Lannois. Une observation de sein hystéri-

que (1 pl. en photocollogr.), 402.

LEMAIRE (Louis) et Léopold-Lévi. Un cas

de ladrerie cérébrale (4 fig.), 32.

LÉOPOLD-LÉVI et Louis LEMAIRE. Un, cas de

ladrerie cérébrale (4 fig.), 32. '

LONG E. et Wiki. Sur l'état atiophique

de la moelle épinière de la syphilis spi-

nale chronique (21 fig.), 105.

MAntLLE. Observation de trophoedème

(1 pl. en photograv.), 503.

MAYEN (LUCIEN). L'hypertrichose envisa-

gée comme stigmate anatomique de dé-

TABLE DES AUTEURS

541

générescence (1 pi. en photogravure),266.

Meige (Henry-). Remarques complémen-

taires sur les nains dans l'art (1 pl. en

photograv.), 311.

Meige (Henry). La saignée en images

(6 pl. en photograv.), 169, 462 et 531.

MEIGE (Henry). Les tapisseries de Reims

(3 pl. en photocollogr.), 97.

Meige (Henry). Sur le trophoedème (1 pi.

en photocollogr.), 465.

MIGNOT ROGER et PAUL Sérieux. Surdité

corticale avec paralexie et hallucinations

de l'ouïe due à des kystes hydatiques

du cerveau (4 fig.), 39.

MOUSSEAUX, DE GOTHARD et Riche. Kys-

tes parasitaires du cerveau (1 pl. en

photocollogr.), 19.

Rapin E. Sur une forme d'hypertrophie des

membres (2 pl. en photocollogr.), 473.

Riche, mousseux et DE GOTHARD. Kystes

parasitaires du cerveau (1 pl. en photo-

collogr.), 19.

Sabrazès J. et P. Bégouin. Macrodactylie et

microdactylie (2pl. en photocollogr.),305.

SAVILL TH. De la crampe des écrivains et

des autres affections nerveuses profes-

sionnelles, 149.

Sérieux (PAUL) et ROGER Mignot. Surdité

corticale avec paralexie et hallucina-

tions de l'ouïe due à des kystes hydati-

ques du cerveau (4 fig.), 39.

SoLovTzoFF.Les difformités du systèmener-

veux central dans la spina bifida (6 pi. en

photocollogr., 18 photograv.), 118 et 251.

SWITALSKY. Sur l'anatomie pathologique

de l'hérédo-ataxie cérébelleuse (2 tig.,

2 pl. en photocollogr.), 373.

Thomas (André). Deux cas d'hémihyper-

trophie (2 pl. en photocollogr.), 508.

Vannier (Léon) et CH. BI\GT-SA\GLI3.

Noevus veineux et hystérie (2 pl. en

photocollogr.), 213.

Vaschide et Vurpas. Délire par introspec-

tion mentale, 238.

Vaschide N. et CLAUDE VURPAS. Structure

anatomique du système nerveux chez un

anencéphale (6 fig., 2 pl. en photocol-

logr.), 388.

Vuaras et VAsciiiDE. Délire par introspec-

tion mentale, 238.

VURPAS et V ASCHIDE, Structure anatomique

du système nerveux chez un anencé-

phale (6 fig., 2 pl. en photocollogr.), 388.

Wiki et E. Long. Sur l'état atrophique

de la moelle épinière dans la syphilis

spinale chronique (21 fig.), 105.

Zmamn.r A. Sur un cas de rachitisme fa-

milial (2 pl. en photocollogr.), 299.

TABLE DES PLANCHES

Achondroplasie (Quelques remarques sur

l') (A. APERT),$XXiX à XLII. -

Achondroplasie (A propos d'un cas) (R.

CESTAN), XXXIII à XXXVIII.

Ankylose généralisée de la colonne verté-

. braie et de la totalité des membres (A.

APERT), LXX et LXXI.

Démoniaques (Les) et les malades dans

l'art byzantin (J. IIEITZ),V,V1,VII et XXI,

XXII.

Dermographisme chez les épileptiques at-

teints d'helminthiase (LANNOis), XXVI.

Difformités du système nerveux central

dans la spina bifida (N. Solovtzoff),XI

à XIV et XXVIII XXX.

Ectromélien hémimèle (Description d'un)

avec quelques considérations sur l'hé-

mimélie (E. HUEZ et Cn. INFROIT), XV à

XIX.

Genu (Le) recurvatum dans la coxalgie (G.

Gasne et CounTELLEMONT), Il à IV.

Hémihypertrophie (Deux cas d') (André

Thomas), LXVIII et LXIX.

Hérédo-ataxie cérébelleuse, anatomie pa-

thologique (SwiTAi.SKY),XLVIHet XLIX.

Hypertrichose (L') stigmate anatomique de

dégénérescence (L. Mayet), XXXI.

Hypertrophie des membres (E.BApiri),XLII

et XLIII.

Kystes parasitaires du cerveau (vousseaux,

de Gothard et Riche), I..

Macrodactylie et microdactylie (P. Bégouin

et J. SABHAZÈS), XLV et XLVI.

Nains dans l'art (Remarques complémen-

taires sur les) (Henry MEME), XLVII.

Ncevus veineux et hystérie (Cn. BINET-'

Sanglé et Léon Vannier), XXVII.

Ostéite déformante de Paget. Mélanoder-

mie. Autopsie (Lucien HUDELO et Jean

IIEITZ), LIV à LVII.

Paralysie du cubital, main en pince (JACINTO

de LÉON), LUI.

Possédé (Un) de Rubens, la transfiguration

du Musée de Nancy (Jean HEITZ), XIV.

Rachitisme familial (A. ZIUM6HN), XLIII et

XLIV.

Saignée (La) en images (HENRY Meioe),

XXIII, LVIII à LX, LXX111 et LXXIV.

Sein hystérique lLANNOIS), LII.

Système nerveux d'un anencéphale (vars-

cHmE et VuRpAs), L et LI.

Tapisseries (Les) de Reims (Henry MEME),

VIII à X.

Trophoedème (Sur le) (Henry MEIGE), LXI.

Trophoedème chronique (Contribution à

l'étude du) lHRRTOGUE), LXIV à LXVI.

Trophoedème (observation de) (MABILLE),

LXVII.

Tumeur cérébrale (E. DupRÉ et A. DEVAUx),

XXIV et XXV.

Vase grec de l'Ermitage (Note sur un)

où sont représentées des opérations chi-

rurgicales (JEw IImrz), LXXII.

Le gérant : P. Bouchez.

lmp. J. Thevenot, Saint-Dizter (Haute-Marne).