NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA.
SALPETRIERE
Fondée par J. M. CHARCOT
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
F. RAYMOND
PROFESSEUR DE CLINIQUE
DES MALADIES
DU SYSTÈME NERVEUX
A. JOFFROY
PROFESSEUR DE CLINIQUE
DES MALADIES MENTALES
A. FOURNIER
PROFESSEUR DE CLINIQUE
DES MALADIES CUTANÉES ET
SYPHILITIQUES
PAR
PAUL RICHER
DIRECTEUR Honte DU LABORATOIRE DE
LA CLINIQUE
GILLES DE la TOURETTE
PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE
DE PARIS
MÉDECIN DES HÔPITAUX
- - ALBERT LONDE
DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE
Secrétaire de la Rédaction : HENRY MEICE
AVEC LA COLLABORATION DE MM.
ACHARD, BOGROFF (Odessa), BOIX, BOTTEY, BRISSAUD, CABANNES (Bordeaux), CATHELI-
.\EAU, CESTAN, J.-B. CHARCOT, CHIP AU LT, DELPRAT (Amsterdam), DENY, DUFOUR, DURET,
DUTIL, EMIRZÉ(Smyrne), ESTEVES (Buenos-Ayres),ÉTIENNE (Nancy), FEINDEL, FÉRÉ, GASNE,
GRASSET (Montpellier), G. GUINON, HALLION, HUET, P. JANET. KATICHEFF (St-Pétersbourg),
H. LAMY, LANNELONGUE, LAUFENAUER (Buda-Pesth), LAUNOIS, LE DENTU, L. LÉVI,
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deaux), T. D. SAVILL (Londres), SCHAFFER (Buda-Pesth), SÉGLAS, SÉRIEUX, SIKORSKY (Kiew),
SOCA (Montevideo), SOUQUES, SURMONT, TARGOWLA, TUFFIER, WEIL, etc,
TOME DIXIÈME
Avec 151 figures intercalées dans le texte et 52 planches
- ?
PARIS
MASSON ET Cie, ÉDITEURS
LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
120, Boulevard Saint-Germain
1897
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
CLINIQUE DES MALADIES DU srSTtMEEREU.
(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE).
SUR UN CAS D'HEMISECTION TRAUMAT1QUE
DE LA MOELLE
1 (SYNDROME DE BROWN-SÉQUARD)
par
F. RAYMOND
Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux
à la Salpêtrière (1). .
MESSIEURS,
Je vais consacrer ma première leçon du Vendredi de la présente année
scolaire, l'étude d'un cas pathologique qui offre de l'intérêt à un triple point
de vue : au point de vue de la physiologie, au point de vue de la médecine
légale, et au point de vue de la clinique pure. Pour ne pas laisser votre
curiosité en suspens, je vous dirai de suite qu'il s'agit d'un homme qui a
reçu, il y a quelques mois, un coup de couteau dans la région dorsale, au
voisinage du rachis ; à la suite de cet attentat, il a présenté et il présente
encore l'ensemble des manifestations qu'on a coutume de désigner sous le
nom de Syndrome de 73roioo-.Séyicard. Il y a donc lieu de supposer que
l'attentat dont a été victime cet homme a eu pour conséquence une hémi-
section de la moelle.
Sans doute vos études antérieures de physiologie vous ont laissé le sou-
venir de ce que produit, en fait de désordres sensitivo-moteurs, une
hémisection du névraxe, pratiquée chez un animal, dans un but d'expéri-
mentation. Les premières expériences de ce genre remontent à un passé
(t) Leçon du 20 novembre 1896, recueillie et publiée par le D Rich.m.
x , 1
2 1·'. 1S.11n10N11
déjà lointain, au temps de Galien ; je n'ai pas à vous en retracer l'his-
toire; vous la trouverez du reste exposée d'une façon très complète, dans
le remarquable article que mon maître Vulpian a écrit jadis sur la physio-
logie de la moelle (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, ar-
ticle : moelle). Je vous rappellerai seulement, comme une notion classique,
qu'à Brown-Séquard revient ce double mérite :
D'avoir précisé l'ensemble des troubles sensitivo-moteurs qui se déve-
loppent à la suite d'une hémisection-de la moelle, chez les mammifères;
D'avoir montré que chez l'homme, les lésions, traumatiques ou autres,
qui aboutissent à une solution de continuité d'une moitié de la moelle,
donnent lieu à ces mêmes troubles sensitivo-moteurs (1).
Dès 1846, Brown-Séquard avait démontré que chez les animaux tels que
le cobaye, le lapin, le chien, une hémisection de la moelle entraine une
paralysie croisée du sentiment et du mouvement; en d'autres termes, il
avait démontré que dans les régions qui tirent leur innervation du segment
de moelle, situé au-dessous de la section, on observe :
Une paralysie motrice accompagnée d'hyperesthésie, dit, côté où siège la
lésion.
Une anesthésie du côté opposé à la lésion.
Tels sont les éléments fondamentaux du syndrome de Brown-Séquard ;
ils se résument dans ces quelques mots : hémi-paralysie motrice (avec hy-
peresthésie) et hémi-anestlasie croisées.
A côté de ces éléments fondamentaux, il en est qui, pour occuper une
place secondaire, n'en doivent pas moins être pris en considération. Vous
saurez donc que dans son expression intégrale, le syndrome de Brow-
Séquard comprend en outre :
a) Une étroite zone d'azestlzesie placée à la limite supérieure de la zone
d'hyperesthésie du côté de la lésion (111. I. B). Quelquefois, cette zone
d'anesthésie est elle-même surmontée d'une étroite bande d'hyperesthésie.
Inversement, il arrive que, du côté opposé, une étroite zone d'hyperes-
thésie confine à la limite supérieure de l'anesthésie.
b) Du côté de la lésion, coïncidant avec l'hyperesthésie cutanée, un
(1) Bkown-Siïquaud, Recherches et expériences sur la physiologie de let moelle épi-
nier. Thèse inaugurale, Paris, 1846. - De la transmission des impressions sensilives
dans la moelle épinière. Comptes-rendus de la Société de biologie, 1849, p. 192 et Ga-
zette médicale de Paris, 1850, p. 159. Explication de l'hémiplégie croisée du senti-
ment. Comples-rendus de la Société de biologie, 1850, p. 10 et Gazette médicale, 1850,
p. 556. - Cas de perle de la sensibilité d'un côté du corps et de perte du mouvement
de Vautre côté. lIéd. Exp., 1853, p. 288. - Recherches sur la transmission des im-
pressions de tact, de chatouillement, de douleur, etc. Journal de physiologie de
l'homme et des animaux, 1863, t. 6, p. 124, 232 et 581. .Hec/jere/te sur le traient des
diverses espèces de conducteurs d'impressions sensitives dans la moelle. Archives de
physiologie, 1868, t. 1, p. 160 et 116 et 1869, t. 2, p. 236 et M3.
SUR UN CAS D'UÈMISt'CTIOX 'lli1U1111TIQUE DE LA MOELLE 3
émoussement de la sensibilité profonde, musculaire, qui peut aller jusqu'à
l'abolition complète, et qui fait défaut du côté où siège l'anesthésie cuta-
née.
c) Une exagération des réflexes tendineux, des deux côtés ou seulement
du côté où siège la paralysie motrice. On a aussi observé l'exagération
des réflexes cutanés, mais cela n'est pas constant.
d) Une paralysie vaso-motrice du côté de la lésion, superposée par con-
séquent à la paralysie motrice ; elle se traduit, du moins au début, par
une élévation de la température locale, dont la valeur peut dépasser 1°.
e) Enfin on observe des troubles viscéraux qui varient éI' cc le siège, avec
le niveau plus ou moins élevé de l'hémisection, à savoir :
De l'incontinence cl'zcricte et des matières fécales, en rapport avec une
paralysie de la vessie et du rectum ; elle est à peu près constante, du moins
au début.
Quand l'hémisection intéresse la moelle cervicale, on peut observer des
troubles respiratoires d'ordre paralytique, la dilatation de la pupille du côlé
de la lésion, le rétrécissement de la fente palpébrale. Ces deux derniers
phénomènes traduisent une paralysie du grand sympathique.
Je viens de vous rappeler tout ce qui rentre dans les cadres du syndrome
de Brown-Séquard. Je v iens de vous rappeler tout ce qu'on peut voir sur-
venir chez un animal auquel on pratique une hémisection delà moelle, ai
dès niveaux variables. Celle expérience est devenue d'exécution courante
dans les cours de physiologie expérimentale ; je m'étonnerais que la plu-
part d'entre vous n'en eussent pas été témoins.
Ces mêmes désordres, qui constituent un tout si caractéristique, vous les
observez chez l'homme, lorsqu'une moitié de la moelle est interrompue
dans sa continuité, soit par une tumeur - cela se voit notamment dans
les cas de gliomatose et de syringomyélie- soit par un forer de myélite,
par un foyer d'ltémorrhagie (hématomyélie), soit par un foyer de compres-
sion extra-spinal, soit surtout par une lésion traumatique.
Il y a deux ans, j'ai consacré une de mes leçons à J'étude d'un cas où le
syndrome de Brown-Séquard était vraisemblablement en rapport avec une
gliomatose de la moelle.
Dans le courant de l'année dernière, je vous ai-longuement entretenus
des rapports de 1 'hémalom.\'úl ie avec le syndrome de Brown-Séquard.
Chez le malade que je vais vous présenter,le syndrome de l3rown-Séduard
est apparu, je 'vous le répète, a la suite d'une lésion traumatique de la
moelle. Je vais vous narrer son histoire, puis je tâcherai de faire ressortir
l'intérêt qu'offre son cas au triple point de vue déjà mentionné.
4 F. RAYMOND
Messieurs, l'homme que vous voyez couché sur ce lit, est âgé de 28 ans.
Son père et sa mère vivent encore et leur santé ne laisse rien à désirer. Le
malade a cinq frères ou soeurs, tous bien portants. Il ne se rappelle pas
avoir fait une maladie dans son enfance et durant son adolescence. Il n'a
jamais présenté de manifestations du nervosisme.
A l'âge de 16 ans il est tombé d'un arbre, et il s'est démis le coude droit.
A la suite de cette chute, il n'a plus été à même de se servir de son bras.
C'est seulement une année plus tard qu'on a essayé de lui réduire sa luxa-
tion. Il ne semble pas que cette tentative ait complètement abouti. Sans
doute le malade est redevenu à même de se servir de son membre supérieur
fracturé. Mais peu à peu, un gonflement énorme, très douloureux, a envahi
ce membre. Le malade prétend qu'à ce moment-là, il a été question de lui
couper le bras. Finalement, les choses ont été laissées en leur état ; le
gonflement s'est dissipé, et le bras droit est devenu ce qu'il est encore.
Nous constatons actuellement la persistance d'une ankylose complète du
coude ; l'avant-bras est immobilisé en très légère flexion sur le bras, c'est-
à-dire en extension presque complète.
Dans les articulations de l'épaule, du poignet et des doigts, tous les
mouvements physiologiques sont possibles, aussi bien les mouvements
provoqués que les mouvements spontanés; ces derniers s'exécutent avec
vigueur. -
Arrivons au début de la maladie actuelle.
X..., au sortir d'un hal, en Auvergne où il résidait à cette époque-là,
reçut deux coups de couteau dans la région dorsale. D'après le dire du
médecin qui l'a soigné, la lame du couteau, très effilée, de forme catalane,
aurait pénétré dans les chairs, à une profondeur de S centimètres. Quoi
qu'il en soit, la blessure a laissé à sa suite des cicatrices très apparentes
(Pl. I, A') ; il nous est donc possible de préciser d'une façon très exacte
les points de pénétration de la lame. Ainsi que vous pouvez vous en
assurer, l'une des cicatrices est située immédiatement à droite de la
ligne médiane du dos, au niveau de la 7e vertèbre cervicale ; elle a
une direction légèrement oblique de haut en has, et de dehors en
dedans. L'autre cicatrice est située à gauche de la ligne médiane ; son
extrémité supérieure se trouve à 2 centimètres de l'intervalle qui sépare
les apophyses épineuses de la 7° vertèbre cervicale et de la 1 vertèbre
dorsale; son extrémité inférieure descend jusqu'à 3 centimètres de l'es-
pace qui sépare la Ire de la 2e vertèbre dorsale. Il y tout lieu de croire
que le poumon a été entamé, car immédiatement après l'accident, le ma-
SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 5
lade a eu une hémoptysie. Voici du reste quelles ont été les suites immé-
diates du traumatisme.
Le malade a eu la sensation d'un coup de bâton sec, qu'on lui aurait
porté sur le dos ; à l'instant, il est tombé en arrière ; il lui était devenu
impossible de faire le moindre mouvement. Il n'a pas positivement perdu
connaissance; toutefois, il ne s'est pas rendu compte de ce que ses agres-
seurs s'acharnaient sur lui, à coups de pied et de bâton. Les personnes
accourues à son secours l'ont transporté dans une pharmacie voisine. Au
bout d'une heure, un médecin militaire est venu lui donner les premiers
soins.
Le malade était couvert de sang. Il se rappelle qu'à ce moment, il souf-
frait dans tout le corps, sauf dans la tête et dans les membres supérieurs.
Quand on se fui mis à le déshabiller, ses souffrances augmentèrent au point
de lui faire pousser des hurlements. Le malade insiste aussi sur ce que
son ventre était énormément gonflé, surtout à droite. Pour calmer ses
douleurs, il promenait ses mains sur l'abdomen, preuve que la motilité
était intacte aux membres supérieurs. Par contre, les membres inférieurs
étaient inertes.
Le lendemain matin, il fallut sonder le malade, qui n'avait pas uriné
depuis son accident. Celle rétention d'urine a persisté pendant 15 jours.
En outre, le malade a souffert d'une constipation opiniâtre pendant une
vingtaine de jours; pour libérer son intestin, il a fallu lui administrer
des lavements. ,
X... ne peut nous dire si, à ce moment, on a exploré sa sensibilité. Ses
douleurs spontanées duraient toujours; les attouchements ne les inlluen-
çaient pas ; au contraire, le moindre mouvement spontané ou provoqué les
exaspérait. Aussi, pendant deux mois, le malade a maintenu le tronc et
les membres inférieurs dans une complète immobilité.
Dès le lendemain de l'accident, X... était de nouveau en état de remuer
les orteils du pied droit; peu à peu la motilité s'est rétablie dans les diffé-
rents segments du membre inférieur ; au bout de 4 à jours, il ne subsis-
tait plus qu'un peu de raideur de ce côté. Au contraire, à gauche, la para-
lysie du membre inférieur se maintenait complète.
D'autre part, le malade s'était aperçu d'une perte complète du senti-
ment, dans la moitié du tronc et dans le membre inférieur droit. De ce
même côté, le pied était froid, comme glacé, tandis que le pied gauche,
le pied du côté paralysé, était brûlant. X... éprouvait toujours de violen-
tes douleurs dans les membres inférieurs,' dans la moitié gauche du ventre
et de la portion inférieure du thorax. Quand on le sondait, il avait parfai-
tement conscience du passage de la sonde dans l'urèthre ; par contre il n'a-
vait pas conscience des évacuations de matières fécales.
C I'\ RAYMOND D .
Quatre jours après l'accident, un médecin commis par le parquet d'Es-
palion, est venu examiner le malade. Celui-ci se rappelle parfaitement
qu'entre autres constatations, on fil celle d'une anesthésie complète de la
jambe droite et d'une hyperesthésie de la jambe gauche ; ces désordres de
la sensibilité remontaient jusqu'à la 2e côte ; X... se rappelle aussi que le
médecin porta le diagnostic d'hémisection de la moelle.
Voici brièvement ce qui s'est passé dans la suite :
Au bout de quinze jours environ, la rétention d'urine a fait place à
l'incontinence ; le malade s'est mis à perdre ses urines, sans en avoir cons-
cience. Actuellement, il conserve encore des traces de cette-incontinence;
il est dans l'impossibilité de retenir longtemps ses urines; toutefois il ne
pisse plus au lit.
Au bout d'une vingtaine de jours, la constipation, tout en persistant,
est devenue moins opiniâtre : tous les cinq ou six jours, le malade a-\ait
une débâcle spontanée mais involontaire; bref, la rétention et l'inconti-
nence des matières fécales alternaient.
Au bout de quatre semaines, le malade, à son grand étonnement, s'est
aperçu que sa jambe paralysée était de temps autre agitée par des tressau-
tements ; puis il est redevenu à même d'exécuter quelques légers mouve-
ments volontaires, avec son membre inférieur gauche.
Au bout de deux mois, environ, il a commencé à se lever. En s'ap-
puyant sur deux cannes, il parvenait a se traîner un peu, mais très péni-
blement ; il lui était impossible de se livrer à un travail quelconque.
C'est dans ces conditions qu'il s'est décidé à venir à Paris, vers la fin
de l'année 189o, pour se faire admettre en traitement à la Salpêtrière.
Je vais rapidement vous mettre au courant de l'état dans lequel se trou-
vait le malade, au mois de mars 1896, époque où il a fait l'objet d'un
examen très minutieux.- .
L'état général de X... ne laissait rien il désirer ; la station debout et la
marche étaient possibles, mais elles exigeaient de grands efforts : l'inca-
pacité de travail était absolue.
Une fois redressé, le malade, les yeux ouverts, pouvait se tenir d'a-
plomb, sans appui ; il pouvait rapprocher et écarter les pieds. Sitôt qu'on
lui faisait fermer les yeux, son corps se mettait à décrire de légères oscil-
lations.
Sa démarche était empreinte d'incertitude; il n'avançait pas en ligne
droite; il décrivait une ligne légèrement festonnée. Il avait de la peine il
SUR UN CAS D'il ÉMIS ECT10N TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 7
tourner sur lui-même. Venait-il à fermer les yeux, il se mettait aussitôt il
osciller, et il serait immanquablement tombé, si on ne l'avait pas soutenu.
Pendant la déambulation, les différents segments du membre inférieur
droit se comportaient d'une façon absolument normale. Au contraire, la
jambe gauche se maintenait en extension sur la cuisse ; par suite, le ma-
lade était obligé d'imprimer un mouvement- en arc de cercle à son mem-
bre inférieur gauche, pour le faire avancer d'un pas. Pendant ce mouve-
ment en arc de cercle, la pointe du pied gauche se détachait bien du sol,mais
elle accrochait de temps en temps. Enfin de ce même côté gauche se ma-
nifestait une boiterie très sensible.
Couché sur le dos, il pouvait exécuter avec son membre inférieur droit
tous les mouvements physiologiques. De même, il soulevait facilement son
talon gauche au-dessus du plan du lit, mais il lui était impossible de
maintenir la jambe élevée et fixe. Celle-ci exécutait des mouvements os-
cillatoires et ne tardait pas à retomber sur le lit. Puis, les mouvements de
flexion de la jambe sur la cuisse étaient très limités, à gauche ; ainsi de ce
côté, le malade ne parvenait pas à porter le talon au contact de la fesse.
De même encore, les mouvements de flexion et d'extension du pied gau-
che étaient très limités. Par contre, les mouvements d'abduction et d'ad-
duction étaient conservés. En somme, les traces de la paralysie motrice
antécédente subsistaient dans un grand nombre de muscles du membre in-
férieur gauche.
Avec cela le malade se plaignait d'éprouver dans les deux jambes, mais
dans celle de gauche principalement, des secousses et des crampes de plus
en plus fréquentes.
Des deux côtés, les réflexes rotuliens étaient exagérés ; des deux côtés,
on provoquait avec la plus grande facilité le phénomène de la trépidation
spinale.
Le réflexe plantaire, aboli à droite, ne se produisait que très faible-
ment à gauche. De même, le réflexe crémastérien était aboli à droite, mais
il était conservé à gauche.
Je vous ai déjà dit comment se comportaient les fonctions de la vessie
et du rectum. Le malade était en état de frigidité complète; il n'avait que
très rarement des érections.
De troubles trophiques, il ne paraissait pas' en exister; en fait de trou-
bles vaso-moteurs, on constatait que dans l'altitude des jambes pendan-
tes, le pied gauche devenait plus rapidement violacé que le pied droit ;
c'était le contraire de ce que le malade avait observé dans les premiers
temps qui ont suivi sou accident.
L'état de la sensibilité, cela va de soi, a fait l'objet d'un examen parti-
culièrement attentif. D'une manière générale, la sensibilité cutanée était
8, F. RAYMOND
. <
abolie dans toute l'étendue du membre inférieur droit et de la moitié cor-
respondante du thorax, jusqu'au niveau de la 3e côte en avant, jusqu'au
niveau des cicatrices en arrière. Cette anesthésie intéressait à la fois les
diverses manières d'être de la sensibilité. Dans la zone susdite, le malade
était à la fois insensible aux simples impressions tactiles, aux impressions
développées par le pinceau faradique, aux piqûres, aux applications de
chaud et de froid. Toutefois, vers les parties les plus périphériques de la
zone d'anesthésie, il y avait seulement hypoesthésie au chaud, au froid et
à la. piqûre, tandis que partout, l'anesthésie faradique et l'anesthésie tac-
tile étaient absolues. D'autre part,la moindre pression exercée sur les mus-
cles, dans la zone d'anesthésie superficielle, était très bien perçue par le
malade, preuve que l'anesthésie ne s'étendait pas en profondeur, qu'elle
était limitée.aux téguments
Du côté gauche, du côté de la lésion, on constatait de l'hyperesthésie
du pied et de la jambe, remontant jusqu'au-dessus du genou.
Au memhre supérieur droit, la sensibilité n'était pas indemne partout ;
à la face postéro-eaterhe du bras, on notait de l'liypoestliésie dans une zone
élroile,triangulaire,qui correspondait la la zone d'innervation deramuscules
provenant des 3e et lie intercostaux (Fig. 1).
Le membre inférieur du côté gauche était le siège d'une hypereslhésie
très manifeste; celle-ci, au dire du malade, avait été beaucoup plus ac-
cusée.
Fig. 1. - La partie ombrée correspond au territoire d'hypoesthésie.
SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE
Enfin le sens articulaire paraissait être aboli dans les articulations
tatarso-plialangiennes et interphalangiennes, à gauche.
L'examen des yeux, pratiqué par M. Sauvineau, a donné des résultats il
peu près normaux. Les pupilles également dilatées réagissaient bien.'Il n'y
avait pas de rétrécissement palpébral, ni d'un côté ni de l'autre. Le fond
de l'oeil était normandes deux côtés ; de même l'acuité visuelle. Seulement,
les mouvements d'élévation et les mouvements'de latéralité à gauche des
globes oculaires s'accompagnaient de secousses nystagmiformes.
Actuellement l'état de la sensibilité est à peu de chose près le même
que lors de notre précédent examen (Pl. I, A et A').
L'exploration de la motilité fait constater qu'au membre inférieur droit t
la force musculaire est intacte et puissante. Elle est notablement affaiblie
au membre inférieur gauche. En outre,les mouvements de ce membre s'exé-
cutent lentement, entravés qu'ils sont par une rigidité spasmodique. C'est
la flexion de la jambe sur la cuisse qui est la moins gênée. L'exaltation
des réflexes rotuliens et la trépidation épileptoïde persistent des deuxcôtés ;
ces phénomènes sont beaucoup plus accentués à gauche.
Dans la station debout, le malade reporte fout le poids du corps sur le
membre inférieur droit maintenu en extension forcée; le membre infé-'
rieur gauche est porté, en avant, en légère flexion.
Je vais commander au malade de rapprocher ses deux pieds,et de se
tenir debout en s'appuyant également sur l'un et sur l'autre. Vous voyez
qu'il n'y parvient pas sans difficulté, et que son équilibre est très instable.
Sitôt qu'il ferme les yeux, il se met à osciller, et il lui devient impossible
de se tenir d'aplomb. Vous remarquerez encore que dans la station debout,
la pointe du pied gauche est dirigée plus en dehors que la pointe du pied
droit. t.
La station sur la pointe des pieds est possible, bien qu'au prix de cer-
taines difficultés pour le pied gauche.
La station sur les talons est impossible en raison de l'impuissance du
pied gauche. Dans la flexion dorsale, l'axe de ce pied ne peut se rappro-
cher de l'axe de la jambe, au delà de l'angle droit.
Je vais faire marcher le malade. Vous voyez qu'il avance en ligne droite,
sans difficulté. N'empêche que le malade soulève et transporte son mem-
bre inférieur gauche tout d'une pièce, grâce il un mouvement de bascule
de bas en haut,qu'il imprime au bassin, de ce même côté; pendant la phase
de suspension, le membre est agité par un léger tremblement. Vous
voyez que le malade ramène son pied gauche à terre, d'un mouvement
10 l'. RAYMOND
brusque, et que la plante vient dans toute son étendue en contact avec
le sol.
J"ai fait relever la démarche du malade, d'après la méthode des emprein-
tes. Dans le tracé ohtenu parM. Paul Richer, on retrouve tous les caractères
de la démarche spasmodique : la longueur du pas est diminuée (36 cent.
au lieu de 63); l'écartement des pieds est augmenté (31 cent. au lieu de
1-1). De même il y a augmentation de l'angle formé par l'axe des pieds
avec la ligne directrice : cet angle est d'environ 36° chez notre malade, au
lieu de 32° qui est sa valeur normale.
J'ajoute que les mesures prises à différentes hauteurs des deux membres
inférieurs dénotent un certain degré d'émaciation de la cuisse et de la jambe
gauche.
Vous voilà au courant de toutes les circonstances cliniques du cas.
N'avez-vous pas été frappés, messieurs, de la parfaite ressemblance qui
éclate entre le syndrome présenté par cet homme, et le syndrome, dont je
vous énumérais tout à l'heure les éléments, qu'on voit survenir il la suite
d'une hémisection de la moelle pratiquée sur un chien, un cobaye ? N'est-
ce pas le cas de dire que l'attentat dont a été victime cet homme équivaut
à une véritable expérience de physiologie ? 9
Nous retrouvons chez lui, du côté de la cicatrice, il gauche, c'est-à-dire
du côté où selon toute probabilité la moelle a subi une hémisection :
Une hémiplégie motrice ;
De l'hyperesthésie cutanée ;
De l'anesthésie profonde ;
La paralysie vaso-motrice ; .
L'exagération des réflexes tendineux.
Du côté opposé, nous constatons :
Une anesthésie superficielle, mais complète, qui affecte toutes les ma-
nières d'être de la sensibilité cutanée.
La conservation de la sensibilité profonde.
Enfin le malade a eu de la paralysie de la vessie et du rectum.
Des deux côtés le malade présente de l'exagération des réflexes tendineux,
ce qui est la règle dans le cas d'une section incomplète de la moelle, d'une
section (ou d'une lésion destructive) qui ne tranche pas toute l'épaisseur
de l'organe.
Je me réserve (t examine)', a la lin de cette leçon, jusqu quel point des
faits de cette nature peuvent contribuer à faire la lumière sur la structure
fine et la physiologie de la moelle, et notamment sur la question de l'en-
trecroisement des conducteurs qui cheminent dans le névraxe. Dès main-
HEMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE. (
Répartition des troubles moteurs et sensitifs {Syndrome de Brown-Sequard).
SUR UN CAS D'llÉMISEC'rION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE il [
tenant, je puis vous certifier que le cas de notre malade constitue en
quelque sorte un document d'une valeur exceptionnelle pour servir à
l'élucidation de ces questions d'anatomie et de physiologie. Rarement, en
effet, on a vu le syndrome de Brown-Séquard se constituer avec une telle
netteté, il la suite d'une hémisection traumatique de la moelle chez
l'homme.
A ce propos, laissez-moi vous signaler une erreur, répandue par les
chirurgiens.
Elle consiste à représenter l'hémisection de la moelle comme étant
rare, à la suite d'une blessure par instrument tranchant de la colonne
vertébrale. Parcourez vos traités et vos manuels de chirurgie, et vous serez
étonnés de la parcimonie avec laquelle est étudiée cette question, lors-
qu'elle n'est pas passée sous silence.
La vérité est que les faits où le syndrome de Brown-Séquard a été ob-
servé, avec plus ou moins de netteté à la suite d'une plaie par
instrument tranchant du rachis, sont loin d'être rares.
Or, je vous le répète, des conclusions intéressantes à la fois pour le
clinicien, pour le médecin légiste et pour l'anatomo-physiologiste se
dégagent de l'étude de ces faits. C'est là ce que je vais m'efforcer de faire
ressortir à vos y eux.
(A suivre.)
DES RAPPORTS DE LA STATION HANCHÉE
AVEC.
LA SCOLIOSE DORSALE PRIMITIVE DES ADOLESCENTS
. par
PAUL RICHER
Directeur honoraire du Laboratoire
de la Clinique des Maladies du Système nerveux, à la Salpêtrière.
La station hanchée est une attitude de repos. Elle assure l'équilibre en
accentuant les conditions mécaniques qui, dans la station droite, ménagent
les muscles en faisant porter sur les ligaments tout l'effort qui doit s'op-
poser à l'action de la pesanteur. Mais elle ne s'obtient qu'à la condition
de rompre la symétrie du corps humain. Une jambe se fléchit, le bassin
s'incline latéralement, une hanche proémine pendant que l'autre s'efface,
la colonne s'incurve, le thorax lui-même se déprime d'un côté pendant
qu'il se développe de l'autre et les deux épaules ne sont plus situées au
même niveau. Ces variétés dans la forme, ces changements d'aspect des
parties symétriques, ce remplacement de la roideur uniforme des lignes
de la station droite par des courbes qui alternent et se balancent, ont dès
longtemps séduit les artistes, et depuis Polyclète auquel Pline attribue
l'introduction du hanchement dans la représentation de la figure humaine,
cette forme spéciale de la station est devenue monnaie courante dans les
arts. Nous pourrions même ajouter qu'il en a été fait un véritable abus.
Elle a été reproduite à tout propos et même hors de propos. Elle s'est
introduite jusque dans la figuration des mouvements, et en particulier de
la marche, qu'elle a étrangement altérée. Mais, en art, cet abus n'a d'autre
inconvénient que celui d'être une erreur contre le goût et la vérité sans
autres conséquences pratiques. Il n'en est pas de même dans la réalité.
Comme l'a très bien dit M. le Dr Just Lucas-Championnière, à propos
des déformations provoquées par les exercices physiques, ce ne sont point
les mouvements qui déforment, mais bien les attitudes. La station hanchée
n'échappe point à la loi. Trop fréquemment répétée en même temps que
longtemps gardée dans la jeunesse, elle est susceptible, pensons-nous, de
STATION HANCHÉE ET SCOLIOSE DORSALE PRIMITIVE DES ADOLESCENTS -t3
provoquer une incurvation latérale permanente de la colonne verté-
brale, c'est-à-dire une véritable scoliose. C'est ce qui ressortira de ce qui
va suivre.
Si l'on veut bien se reporter à notre article sur la station publié dans
le septième volume de ce journal (année 1894, p. 65) on trouvera sur le
mécanisme et la morphologie de la station hanchée, les détails les plus
complets. Je me contenterai de les résumer ici.
Dans ce mode de station, le poids du corps au lieu d'être supporté
également par les deux jambes comme dans la station droite, se trouve
presque complètement reporté sur une seule ; cette jambe demeure dans
l'extension comme une colonne rigide, pendant que l'autre, fléchie dans
l'articulation du genou, est portée uu peu en avant et ne sert plus qu'à
affermir l'équilibre.
Le bassin s'incline latéralement du côté de la jambe fléchie, pendant
que la colonne vertébrale subit une inflexion latérale dont la convexité est
tournée du côté où penche le bassin. Cette courbure siège généralement
au niveau de la jonction de la région lombaire et de la région dorsale.
Elle empiète sur les deux régions.
Elle a pour effet de rapprocher les côtes du côté de la concavité et, au
contraire, du côté opposé, de les écarter les unes des autres ; il s'ensuit que
le thorax comprimé et comme tassé d'un côté subit, de l'autre côté, une
véritable ampliation; une des conséquences dé cette déformation du thorax
est une différence de niveau dans la hauteur des épaules. L'épaule est
abaissée du côté où le thorax est déprimé, pendant que la hanche du même
côté est élevée; l'autre épaule est, au contraire, située à un niveau plus
élevé, soulevée pour ainsi dire par l'ampliation thoracique, au-dessus de
la hanche qui par contre est abaissée.
Il faut signaler, en outre, un mouvement de rotation dans le plan hori-
zontal des deux axes transversaux, l'axe des épaules, et l'axe des hanches,
l'un en sens inverse de l'autre. Au lieu d'être parfaitement parallèles
comme dans la station droite, ils sont obliques tous deux, se rapprochant
du côté de la jambe fléchie et s'éloignant du côté de la jambe portante.
Il résulte de ce qui précède qu'il se produit lors de la station hanchée
une véritable scoliose physiologique absolument comparable à la scoliose
pathologique dont elle a presque tous les signes.
En effet, dans le type classique de la scoliose dorsale primitive droite,
nous retrouvons, comme sur un sujet normal qui hancherait à gauche,
une voussure thoracique postérieure à droite, avec élévation de l'épaule
correspondante, et un enfoncement du flanc gauche avec saillie delà hanche
du même côté.
Sans conclure à l'identité et en faisant la part de l'exagération de la
il, PAUL HICIIER
déformation dans les cas pathologiques, il y a lieu néanmoins d'attirer
l'attention sur les analogies que nous signalons ici, et qui nous conduisent
à considérer la station hanchée comme provoquant une scoliose tempo-
raire, cessant avec elle, et se produisant aussi bien à droite qu'à gauche,
suivant que le sujet hanche de l'un ou de l'autre côté.
Il s'ensuit que l'attitude hanchée peut influencer dans un sens ou dans
l'autre une déformation scoliotique donnée, soit en l'accentuant, soit en la
corrigeant dans une certaine mesure suivant que le hanchement se produit
d'un côté ou de l'autre. C'est ce que nous avons observé très clairement
sur une jeune malade, ainsi qu'en témoignent les photographies ci-contre
(psi. II). Celte scoliose dorsale droite se trouvait corrigée partiellement
quand la malade hanchait à gauche, tandis qu'elle s'accentuait notable-
ment si le hanchement se produisait à droite.
On comprend qu'il y a là une indication précieuse pour le traitement, et
qu'autant une attitude peut être conseillée autant l'autre doit être sévère-
ment proscrite. On peut également se faire une idée de l'influence fâcheuse
qui peut résulter, chez les jeunes enfants, d'une attitude hanchée trop sou-
vent répétée du même côté.
Chez les jeunes sujets qui ont un membre inférieur plus court que l'au-
tre de quelques centimètres, par suite d'une irrégularité dans le dévelop-
pement du système osseux, le bassin, dans la station droite, est incliné la-
téralement du côté du membre le plus court.
Cette obliquité du bassin réagit par l'intermédiaire de la colonne sur
tout le tronc et lui imprime à l'état permanent les caractères de la sta-
tion hanchée, caractères accrus encore par la facilité avec laquelle ces en-
fants prennent l'habitude de hancher sur le membre le plus long, accen-
tuant ainsi les déformations primitives. Il y a certainement un certain
nombre de scolioses qui n'ont pas d'autre origine. Si le mal est observé à
son début, une talonnette qui exhausse le membre trop court de la hauteur
juste nécessaire pour ramener l'horizontalité du bassin fait disparaître la
déformation et suffit pour assurer la guérison (1).
.' .
(Li J'ai attiré l'attention il y a deux ans sur l'existence fréquente chez l'homme
sain d'une inflexion latérale droite de la colonne dorso-lombaire, inflexion signalée
par M. le' Dr Clozier de Beauvais. Ce dernier pense que cette déformation, avec une
série d'autres, reconnaît pour cause la verticalité ou la dilatation de l'estomac. Nous
serions disposé, quant à nous, à croire que la répétition, à l'époque de la croissance,
de la station hanchée sur la jambe droite, n'est point étrangère à la genèse de celle
déformation (Voy. Note sur une déviation de la colonne vertébrale se rencontrant
chez un grand nombre de si/jets bien portants. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière,
189j, p. 158. Asymétrie acquise entre les deux moitiés latérales du corps humain.
Note lue à l'Académie de médecine, nov. 1893).
NoUV.IcO\'0(,RAI'HH : DELASAL['LrRItK". T. X. PL. II
"Phototype 1/ég. A. Londe.
Station hanchée à droite.
Station droite.
'tentocou. 'tscrwaan
Station hanchée à gauche.
SCOLIOSE DORSALE PRIMITIVE. '
MASSON & (ie, Éditeurs.
AMÉLIE.
DESCRIPTION DU TYPE ET CONSIDÉRATIONS PATHOGÉNIQUES
AU SUJET D'UN CAS NOUVEAU
par z
HENRI MEUNIER
Chef de laboratoire à l'Hospice des Enfants-Assistés.
Les monstruosités n'ont plus aujourd'hui l'attrait dont elles jouissaient
jadis : le temps est loin où ces difformités contraires aux lois de la nature
étaient considérées, même par les savants et les philosophes, comme des
avertissements mystérieux, comme des « signes de quelque malheur à ad-
venir (Ambr. Paré). Dépouillée de ses attributs superstitieux, la térato-
logie a pris dans les sciences d'observation un rang plus modeste, justifié
le plus souvent par l'inanité de ses conséquences pratiques et de ses appli-
cations médicales.
Est-ce à dire que les monstres ont perdu tout intérêt scientifique ? Évi-
demment non : car à leur étude se rattache un problème des plus capti-
vants, le problème qui met en question la raison d'être de ces phénomènes
et auquel se rattache, pour chaque espèce, l'étude des conditions embryo-
logiques qui l'ont déterminée.
Des résultais remarquables ont déjà été obtenus dans ce domaine obscur
de la biologie, grâce à l'application qu'ont faite certains esprits ingénieux
de la méthode expérimentale à la tératologie (Dareste). L'observation pure
et simple des cas spontanés doit également apporter son contingent de
renseignements; mais ici, une remarque est à faire : loin de se contenter
d'une description plus ou moins pittoresque des formes extérieures du
monstre, de sa morphologie générale qui n'est en somme que la résultante
de causes primordiales inconnues, l'observateur doit pousser plus loin
son analyse et se rendre compte de l'état des appareils généraux qui ré-
gissent le développement de l'être vivant, en particulier de l'appareil cir-
culatoire et du système nerveux central. Ainsi comprise, l'étude d'un cas
tératologique est susceptible de recouvrer de l'attrait; et même si, pour un
cas particulier, l'examen complet du sujet et de ses appareils ne permet
16 HENRI MEUNIER
pas d'arriver il une conception pathogénique qui explique sa malforma-
tion, il n'en restera pas moins d'une observation ainsi prise un fait ana-
lysé, documenté, pouvant à l'avenir servir à des recherches comparatives.
Avant d'aborder description de notre cas personnel, qu'il nous soit
permis de rappeler les 'caractères de la famille tératologique à laquelle il
se rattache : cette famille est celle des Ecttoxttélietts, première division des
monstres unit tires ccxttosites (classification d'I. Geoffroy Saint-Hilaire).
Les Ectroméliens (de sxrpMM, je fais avorter ; Ne),o5, membre) comp'ren-
nent tous les individus dont les membres ont subi un avortement plus ou
moins complet, la tête et le tronc étant normaux ; ils se subdivisent en
trois genres : les Phocomèles, les Hémimèles et les Ectromèles proprement t
dits :
Chez le Phocomèle, le membre difforme est réduit à une main ou à un
pied, plus ou moins normal, attaché directement à l'épaule ou à la hanche.
La phocomélie peut être unique, double (scapulaire ou pelvienne), triple,
ou quadruple (1).
Chez l'Héxttimèlc, le membre difforme est privé de son extrémité, main
ou pied, et se trouve réduit à son segment sus-jacent : soit le bras avec
l'avant-bras, soit la cuisse avec la jambe, soit le bras seul ou la cuisse seule.
L'hémimélie peut être unique, double, triple ou quadruple.
Chez l'Ectroxrtèle, le membre difforme n'est plus représenté que par un
moignon rudimentaire avec ossature réduite et informe, ou bien il fait
complètement défaut. Comme dans les genres précédents, l'ectromélie peut
intéresser un, deux,«trois (2) ou les quatremembres : dans ce dernier cas,
elle constitue ce qu'on appelle l'Ange.
L'Amélie est donc une difformité ectromélienne dans laquelle les quatre
membres ont avorté au point d'être réduits Ù un court moignon squelette; ou
même font totalement défaut.
Autant que nous le permettaient les ressources de la bibliothèque de la
Faculté, nous avons essayé de réunir tous les cas'd'llaélie décrits jusqu'ici
par les auteurs ; il est permis de croire qu'en rassemblant les documents
bibliographiques concernant un pareil sujet, on n'est pas loin d'être édifié
sur tous les cas observés, tant il est vrai que les monstruosités ont toujours
eu la faveur de la curiosité publique, et par conséquent le don d'exciter,
(1) Un cas célèbre de phocomélie quadruple est celui de CAZOTTE, dit Pépin, étudié
par DuMKniL et conservé au musée Dupuytren.
(2) Tel le fameux LFDGEWOOD, qui ne possédait qu'un membre, le membre inférieur
droit, dont il se servait avec une adresse remarquable.
nnsFLm 17
chez ceux qui les observaient, le désir d'en vulgariser la description : il fut
même un temps où ces «jeux de la nature » constituaient l'alimentleplus
important des publications médicales : il suffit pour s'en convaincre de
feuilleter quelques-uns de ces recueils mi-scientifiques, mi-fantaisistes, des
siècles précédents, où l'auteur fait défiler devant les yeux du lecteur émer-
veillé les plus étranges figures de la tératologie humaine ou animale.
Il à sans dire que nous avons négligé ces recueils trop anciens, dans
lesquels la part d'imagination semble tenir une place excessive et que nous
nous sommes contenté des documents fournis par la littérature scientifi-
que des deux derniers siècles.
L'Amélie est, en somme, une monstruosité très rare : la bibliographie
médicale n'en mentionne qu'une trentaine de cas (1), dont nous avons pu
analyser 22 dans leurs, mémoires originaux. Les différents cas d'amèles
décrits par les auteurs ne se rapportent pas tous à un type uniforme. On
conçoit en effet, d'après la définition que nous avons rappelée plus haut,
que les variétés de l'amélie peuvent être multiples, puisque cette mons-
truosité est caractérisée par la quadruple combinaison de deux particula-
rités distinctes : remplacement du membre par un moignon rudimentaire,
ou absence totale de ce membre. D'où la possibilité de distinguer deux va-
riétés d'amèles.
(1) Nous avons dû laisser de côté cinq observations dont le titre insuffisamment
précis n'a pu nous renseigner exactement sur le genre tératologique observé et dont la
publication originale faisait défaut dans les collections de la Faculté (Voir à l'Index ? 1blio[jI ? Senr.o, Ldtz et JACKSON).
x 2
Fig. 1. Amèle parfail (cas de Uuck) :
Fille de quatorze ans, dont les quatre
membres sont remplacés par des
moignons charnus, mammiformes,
sans squelette.
Fig. 2. - Amèle imparfait (musée de
GoeUingen) : Homme privé de mem-
bres ; les deux inférieurs sont repré-
sentés par deux appendices minces,
tortueux, munis de pièces osseuses
et terminés par des orteils.
18 HENRY MEUNIER
Dans un premier groupe nous rangerons les sujets chez lesquels la dif-
formité est, si l'on peut dire, parfaite dans son imperfection, c'est-à-dire
ceux dont les ceintures scapulaire et pelvienne ne portent pas le moindre
vestige de membre ; ce seront les Amèles parfaits. Le second groupe com-
prendra les Amèles imparfaits, monstres privés en vérité de bras et de
jambes, mais présentant dans une ou plusieurs des quatre régions soit un
moignon rudimentaire avec axe osseux, soit un appendice atypique, sque-
letté, articulé et ongle.
I. AMÈLES PARFAITS. - L'amélie parfaite a été observée par les
dix auteurs suivants :
1. RLAAW, 1688. Fille âgée de deux mois, totalement privée de mem-
bres ; les deux membres inférieurs sont remplacés par deux rotondités
mammiformes portant à leur centre une sorte de mamelon saillant; pas
d'autopsie.
2. IsEnHLanInI, 1800. - Garçon mort-né, privé de bras et de jambes ;
à la place des membres inférieurs se trouvent deux moignons charnus,
digitiformes, sans os et sans ongles.
3. RunoI,rHI, 1804. Fille ayant vécu deux mois, montrée à Paris,
au Palais-Royal, dans un bocal d'alcool ; sans bras ni jambes ; le bas du
tronc présentant une ressemblance avec « une poitrine de femme ».
4. HÜCK, 1838. -Fille de 14 ans : ceintures scapulaire et pelvienne
normales, pas de membres ; deux masses charnues inférieures, ressem-
blant à des « mamelles », avec mamelon saillant ; organes génitaux nor-
maux ; intelligence moyenne. (Fig. 1.)
5. OTTO, 1841. Foetus mort-né ; aucun vestige de membres; leur
siège est seulement marqué par une petite cicatrice ombiliquée ; clavicu-
les, omoplates, bassin normaux. (Fig. 7.)
6. RANKE, 1880. Fille robuste, 3950 grammes ; sans vestiges de
membres ; moignons charnus inférieurs, ressemblant à des « mamelles » ;
morte d'affection vulgaire ; pas d'autopsie. (Fig. 3.)
7. Cholmogoropf, 1888. Garçon né à terme, pesant 2700 grammes ;
tête, tronc, ceintures scapulaire et pelvienne, organes génitaux normaux ;
absence totale de membres. (Fig. 4.) L'auteur signale à ce propos deux
exemples d'amélie, existant au musée de l'Université de Moscou ; autant
que l'on en peut juger d'après sa description Sommaire, il s'agirait d'a-
mèles imparfaits, portant des moignons pourvus d'un squelette rudi-
mentaire.
8. CoES,R, 1889. - Garçon mort-né; tête et tronc bien développés,
mais volumineuse hernie ombilicale ; membres absents ; d'après l'auteur,
AMÉLIE 19
les omoplates, les clavicules et les cav ités cotyloïdes faisaient également dé-
faut, ce qui rend ce cas particulièrement extraordinaire. (Fig. 6.)
9. GRAVELY, 1889. Fille née à terme, ayant vécu un mois; privée
de membres. Simple cicatrice cutanée il la place des extrémités supérieu-
res ; petites masses charnues, pourvues d'un mamelon, il la place des ex-
trémités inférieures. (Fig. 5.)
10. SCIInGCIC, 1892. Fille née à terme, morte immédiatement, pe-
sant 3500 grammes, corps normal ; extrémités supérieures totalement
absentes, extrémités inférieures remplacées par deux prolubérences char-
nues, longues d'un demi-pouce et sans squelette.
Fi ? 3 (IIANKE).
Fig. 4 (CnoLSOCOOOrF).
Fig. 5 (Gn.\ \'ELY).
Fig. 6 (COESAR).
AMÉLIE PARFAITE.
Fig. 7 (Otto).
20 HENRI MEUNIER
II. AMÈLES IMPARFAITS. Les exemples d'amélie imparfaite
ne sont pas plus fréquents que ceux d'amélie parfaite ; nous en avons re-
cueilli dix observations, y compris la nôtre.
Dans celle variété, nous savons que le monstre, privé de membres,
présente cependant un ou plusieurs moignons informes pourvus d'os ru-
dimentaires. Or ces appendices présentenl une structure qui les rapproche
soit du segment supérieur du membre absent (ébauche d'humérus et de
fémur), soit au contraire du segment inférieur, du pied ou de la main
(appendices digitiformes, articulés, ongles) ; dans le premier cas nous di-
rons qu'il s'agit d'une amélie à tendance hémimélique, dans le second d'une
amélie M tendance phocomélique.
'1° Amèles imparfaits à tendance hémimélique.
Cinq exemples :
1. Duputtren, 18m. - Enfant ayant vécu trois jours; privé des ex-
trémités inférieures et du bras gauche ; à la place du bras droit, moignon
court renfermant le quart supérieur d'un humérus, articulé normalement.
2. MILLER, 18.. ? (citéparCholmogoroff). - Enfant nouveau-né, n'ayant
aucun vestige de bras; extrémités inférieures remplacées par deux moi-
gnons renfermant chacun un os de 3 centimètres, articulé.
3. IfIACL1UGIILIN, '18D4.. - Garçon nouveau-né, sans membres ; extré-
mités inférieures remplacées par deux masses charnues avec appendice
non digiti forme ; extrémités supérieures représentées par deux moignons
renfermant l'extrémité supérieure de l'humérus, pourvue de ses insertions
musculaires. (Fig. 9).
4. JosE Parada Y S : 1\TIN, 1881. Garçon, mort d'entérite aiguë il
deux mois ; pas de membres inférieurs ; deux moignons supérieurs, mo-
biles, squelettes et terminés par un mamelon, que l'enfant portait sou-
vent à sa bouche ; pas d'autopsie.
5. BRANDT, 1882. Garçon ayant vécu trois jours, pesant 2750 gram-
mes ; extrémités inférieures, remplacées par deux masses charnues pour-
vues de mamelon (poitrine de femme) ; rudiments de bras, contenant un
segment d'humérus. (Fig. 8). '"
2o Amèles imparfaits à tendance phocomélique.
Cinq exemples :
1. Musée de GorTTINCrN, 1791. Ce cas, mentionné par Forster,
se rapporte à une estampe remarquable conservée au Musée de Gocttin-
gen : Ainsi que le montre la figure 2, dessinée d'après une planche de
Forster, il s'agit d'un homme d'un certain âge, privé totalement de bras
mais pourvu inférieurement de deux appendices étranges, minces et assez
AMÉLIE 21
longs, terminés par deux orteils qui indiquent la tendance phocoméli-
que.
2. LASTINGS, 1826. Fille, morte il Page de 6 mois, d'une broncho-
pneumonie ; absence totale des membres supérieurs et du membre infé-
rieur droit; ceintures scapulaire et pelvienne normales ; à la place du
membre inférieur gauche, petit appendice formé de deux segments arti-
culés et pourvu d'un ongle terminal.
3. LIS5AUEIt, 1871. - Enfant nouveau-né; pas d'extrémités supérieu-
res ; membre inférieur gauche totalement absent; membre inférieur droit
représenté par un pied mal conformé, directement articulé avec le pelvis.
5. SOUZA FONTES, 1877. Garçon de trois ans, bien portant, intelli-
gent. Tronc normal ; amélie parfaite du côté droit ; à gauche, moignon de
bras renfermant un os et petit membre inférieur, composé de segments
articulés et terminé par un gros orteil. (Fig. 10.)
5. Le cinquième exemple concerne notre propre cas; nous allons en
donner la courte histoire :
Observation personnelle. Le 3 mars 1896, une sage-femme venait
déposer il rtiospicc des Enfants-Assistés un enfant nouveau-né du sexe
féminin, dont la conformation extraordinaire avait déjà été signalée dans
les journaux : et certes celle merveille était bien digne d'inspirer un re-
porter de faits divers. L'enfant nous avait été confiée sans renseigne-
Fjg. 8 (Buwu'r).
Fig. 9 (MACLAunuLix)
Fig. 10 (Souza Fontes).
Fig. 8 et 9 : à tendance hé ? ? zii2éliqzie.
Fig. 10 : à tendance phocomélique.
22 HENRI MEUNIER
ments : nous avions simplement appris qu'elle était née depuis 3 jours et
que sa mère, âgée de 30 ans, avait eu une grossesse et des couches nor-
males.
L'enfant pesait 2250 grammes et paraissait en excellente santé : figure
éveillée, corpulence satisfaisante, chairs fermes, fonctions digestives par-
faites, toutes qualités qui contrastaient singulièrement avec son étrange
monstruosité : elle était privée de bras et de jambes !
Les trois phototypies de la Planche III représentent le sujet en question :
les deux premières donnent l'aspect de face et de profit d'un moulage fait
après la mort; le troisième est la reproduction d'une photographie de
l'enfant vivant.
La tète est parfaitement conformée ; ses différents diamètres égalent à
quelques millimètres près ceux d'une tête d'enfant à terme. La face ne
présente aucune anomalie. ,
Le cou et le tronc sont également bien constitués : le thorax ne présente
aucune nodosité rachitique, le ventre est ferme, le bassin et les organes
génitaux externes normaux. La taille, mesurée des ischions au sommet de
la tête, est de 36 centimètres.
Des extrémités nous ne pouvons décrire... que l'absence. Les épaules
existent, soutenues par une ceinture scapulaire qui, dans sa disposition gé-
nérale, est semblable à celle d'un enfant normal : la clavicule s'unit régu-
lièrement par l'acromion à une omoplate qui occupe sa place habituelle;
l'ensemble, garni de muscles, forme de chaque côté un moignon sessile
légèrement acuminé : sur la face postérieure de ce moignon, près de son
sommet, on note une petite dépression ombiliquée, plus marquée du côté
gauche. La palpation ne révèle la présence d'aucun os mobile ni articulé
dans le moignon ; on sent seulement une extrémité sphérique à la place de
la cavité glénoïde. .
A la place des extrémités inférieures, il existe entre les deux côtés une
différence qui classe notre monstre parmi les amèles imparfaits : en effet,
tandis qu'à gauche le membre manque totalement et n'est remplacé que
par un large moignon musculaire,mammiforme, portant à son sommet une
sorte de mamelon rétracté, à droite il existe un appendice très court
(4 cent.) formé de deux segments articulés, qui sont fléchis et appliqués
contre le moignon musculaire pelvien; cet appendice digitiforme se ter-
mine en pointe bifurquée dont chaque division, presque sessile, porte un
ongle à sa face antéro-supérieure ; c'est sur cette ébauche rudimentaire
d'orteils que nous nous appuyons pour ranger le cas parmi les amèles im-
parfaits à tendance phocomélique.
L'enfant fut confié à une nourrice et son développement s'opéra dans
d'excellentes conditions : son poids augmenta régulièrement et au bout de
AMÉLIE 23
deux mois, il avait gagné près d'un l;ilo. A ce moment survint brusque-
ment une infection bronchique avec fièvre intense (4.1°)et menace de bron-
cho-pneumonie. En deux jours l'enfant était terrassé : il succomba le 3°
jour.
L'autopsie complète, dissection comprise, eût été des plus intéressantes :
la mère, après s'y être tout d'abord opposée, consentit cependant à ce qu'un
examen fût fait, à condition qu'on lui permit d'inhumer le corps (1). Dans
ces conditions nous fîmes les constatations suivantes :
Les viscères abdominaux ne présentent ni anomalies, ni lésions patho-
logiques ; le coeur et les gros vaisseaux sont normaux ; dans les poumons
s'étale une bronchopneumonie diffuse.
(t) A cette occasion, nous avons eu un entretien avec la mère, à laquelle nous avons
demandé quelques renseignements sur ses antécédents et sur ceux de son enfant : âgée
de 30 ans, c'est une femme robuste, bien constituée, n'ayant aucune anomalie et n'en
connaissant aucune dans sa famille; elle eut à 19 ans un premier enfant qui mourut'
à l'age de 2 ans d'une pneumonie; à 23 ans, une fausse couche; à 24 ans une fièvre
typhoïde. Le père de l'enfant actuel a 56 ans, il est bien portant et ne connaît aucune
anomalie parmi les siens ; ni syphilitique, ni alcoolique. La grossesse n'a présenté
aucun incident ; la mère déclare seulement qu'à l'époque de la conception, elle avait
de très grands ennuis. Interrogée sur ce qu'elle suppose avoir été la cause de la mons-
truosité de son enfant, elle n'hésite pas à raconter « qu'au début de sa grossesse elle
avait rencontré un marchand ambulant qui vendait des grandes poupées de carton n
sans bras ni jambes, et que cette rencontre l'avait beaucoup impressionnée >,.
Fig. 1 i. - Epaule gauche de notre amèle : clavicule et omoplate ; T. G : tête glénoïde.
Fig. 12. Masses musculaires : D, deltoïde; G P, grand pectoral; C B, coraco-bra-
chial; GR, et grand rond, convergeant vers uu noeud apovrénotique ; So. E, sous-
épineux.
24 HENRI MEUNIER
Le cerveau, le bulbe et la moelle n'offrent rien de particulier ni dans
leur conformation extérieure, ni dans'leur texture macroscopique ; nous
analyserons plus loin les résultats de l'examen microscopique de la
moelle.
Il nous fut possible d'extraire pour la dissection une épaule et une han-
che.
L'épaule, ou plutôt la ceinture scapulo-claviculaire, a une conformation
peu différente de ce qu'elle est normalement : les deux os ont leurs con-
nexions habituelles ; quant aux muscles, aux vaisseaux et aux nerfs ils se
sont adaptes de la façon suivante : tous les muscles il insertion humérale
convergent vers le sommet du moignon, là ils s'unissent entre eux, apo-
névrotiquement, au-dessus d'une tubérosité osseuse qui tient la place de
la tète humérale et qui est formée par la déformation globulaire, sphé-
rique de la cavité glénoïde. (Fig. 11.) Les muscles sous-scapulaire, sus-
épineux et sous-épineux forment un premier système qui ahoutit à une
calotte fibreuse dont la tête glénoïde est coiffée avec interposition de syno-
viale ; les muscles grand pectoral, deltoïde, grand rond et coraco-brachial
constituent un second système dont la convergence s'opère au-dessus de
la calotte fibreuse précédente, séparée d'elle par une couche de tissu cel-
, lulaire lâche. (Fig. 12.) .
Fig. 13. - Dissection de l'épaule gauche (creux axillaire) : D, deltoïde; C B, coraco-
brachial ; G P, grand pectoral; G Il, grand rond; GD, grand dentelé; S S, sous-
scapulaire; PP, petit pectoral; SC\i, sterno-cléido-mastoïdien; V, N, vaisseaux et
nerfs; TG, tête glénoïde.
AMÉLIE 25
Les vaisseaux et nerfs axillaires, très réduits de volume, s'épuisent in-
sensiblement en se distribuant aux muscles précédents (Fig. 13.)
La hanche choisie pour la dissection fut celle qui portait l'appendice di-
gné, c'est-à-dire la hanche droite.
L'os iliaque est normal, sauf au niveau de Pacétabutum ; la cavité co-
tyloïde manque en effet presque complètement; elle est représentée par
une très petite excavation anfrac-
tueuse à bords épais et irréguliers.
En face d'elle, et reliée à sa cavité
par un faisceau ligamenteux, se
trouve un noyau dur, arrondi, de la
grosseur d'un pois, que la dissec-
tion permettait de prendre pour un
os ; puis un second segment ossi-
forme, allongé, à grosse extrémité
supérieure, à diaphyse tortueuse,
mesurant 4 cent. 1/2 ; ensuite une
petite pièce osseuse, phalangiforme,
une seconde plus courte, enfin les
deux petits orteils.
Ne pouvant par la dissection nous
rendre exactement compte de la na-
ture de ces pièces successives, nous
eûmes l'idée de soumettre la hanche
tout entière à l'épreuve de la radio-
graphie. Grâce à cet examen, la
structure de l'appendice se présente
sous un aspect tout à fait inattendu.
(Fig. 14.) Les trois segments consti-
tutifs de l'os iliaque sont en état
normal d'ossification ; quant aux
cinq segments atypiques qui, par
leur articulation successive, consti-
tuent l'appendice, on voit que les
3 dernières rangées sont seules ossi-
fiées, ainsi que le prouve l'action
d arrêt qu'elles ont produite sur les rayons X, tandis que les deux pièces
sus-jacentes, la longue et la nodulaire, ne renferment pas de substances
minérales, ne sont pas des os faits : ce sont des pièces fibreuses très denses,
qui devaient peut-ètre subir l'ossification, mais qui, dans ce cas, étaient
très en retard sur les pièces terminales.
Fig. 14. - Radiographie de la hanche
droite et de l'appendice : les os constitu-
tifs du pelvis sont en voie d'ossification
(opacité pour les rayons X) ; il en est de
même des pièces phalangiformes des
trois derniers segments ; les deux pièces
intermédiaires ne sont pas minéralisées.
26 HENRI MEUNIER
.
..
La description des monstres, avons-nous dit, n'est excusable au point
de vue scientifique, que si un examen minutieux de leurs appareils géné-
raux, vaisseaux et système nerveux, apporte quelque notion nouvelle, si
faible soit-elle, dans le problème obscur du déterminisme tératologique.
En ce qui concerne l'ectromélie cette question pathogénique n'a jus-
qu'ici reçu aucune solution satisfaisante et les théories qui ont été timide-
ment proposées ne sont en somme que de pures hypothèses : nous devons
néanmoins les signaler. -
La plus ancienne, la plus banale en tératologie, la plus indéracinable
dans l'esprit du public et la moins facile à expliquer, est celle qui repose
sur l'impression maternelle : . Au cours de nos recherches bibliographiques,
nous en avons trouvé maintes fois la mention explicite, avec toutes réser-
ves, naturellement, de la part des auteurs. Coesar. Gravely et Schneck,
entre autres, la signalent, en précisant les circonstances souvent très dra-
matiques dans lesquelles elle s'est produite : dans un de ces cas,la mère du
monstre avait eu, quinze mois auparavant, un accouchement très laborieux
qui avait nécessité la section des membres du foetus, et la vue de son en-
fant amputé des quatre membres l'avait tellement impressionnée qu'elle
en était restée longtemps obsédée. Le plus souvent l'impression maternelle
est signalée comme s'étant produite pendant la grossesse qui doit aboutir
à la naissance du monstre, presque toujours aux premier et deuxième mois
(tel notre cas) ; nous n'insisterons pas davantage sur cette théorie.
Trois théories scientifiques ont été proposées par les tératologistes pour
expliquer l'ectromélie en général, l'amélie en particulier.
- 1° On a pensé que l'arrêt de développement, total ou partiel, d'un mem-
bre pouvait être attribué à la compression locale du moignon par une mem-
brane ou une bride amniotique.
2° Pour d'autres, il ne s'agirait pas d'arrêt de développement, mais
d'amputation congénitale; ainsi s'expliqueraient les cicatrices cutanées que
l'on observe souvent à l'extrémité des moignons ou à la place des membres
absents. Cette théorie est plausible pour les cas où les moignons renfer-
ment des os dont la diaphyse est brusquement interrompue, mais elle pa-
raît difficilement applicable aux cas d'amélie que nous avons rapportés et
au nôtre en particulier, étant donné l'absence totale des quatre membres,
la déformation des cavités glénoïde el cotyloïde et l'adaptation régulière
et non cicatricielle des muscles de la région. Quant à la cicatrice cutanée,
elle ressemble beaucoup plus souvent à un appendice saillant, àun « mame-
lon », qu'à une cicatrice vraie.
Une dernière théorie enfin suppose que l'absence d'un membre est la
conséquence d'un arrêt de développement du système nerveux central, du
centre trophique du membre. Cette théorie invoquée par Brandt pour son
cas d'amélie, n'a été jusqu'ici éclairée d'un examen anatomique que pour
des cas d'ectromélie partielle. Sur deux embryons humains et sur deux
chats atteints d'ectromélie abdominale, Serres a remarqué que le renfle-
ment lombaire n'existait pas ; la même constatation fut faite, d'après Gui-
nard, sur la moelle cervicale d'un autre foetus humain et sur un veau nou-
veau-né, atteints tous deux d'ectromélie thoracique; Troisier, examinant
la moelle d'un enfant présentant une hémimélie thoracique, a noté que la
substance grise du côté correspondant à la malformation, était moins déve-
loppée que du côté opposé et que cette diminution de volume tenait à la
réduction du nombre des cellules et des tubes nerveux; enfin Variot a
remarqué dans la moelle de deux hémimèles une atrophie très nette de la
substance grise cervicale, du côté du membre avorté.
Ces résultats assez comparables nous ont engagé à vérifier s'il existait
chez notre sujet une atrophie analogue de ses centres médullaires. En vé-
rité, celte recherche n'était nullement facilitée dans notre cas, du fait de
l'anomalie quadruple; au contraire. Il
est, en effet, plus aisé de juger par
comparaison deux moitiés de moelle,
dont l'une correspond à une eclromélie
unilatérale et l'autre il des membres
normaux, que d'apprécier d'une façon
absolue le degré d'atrophie d'un axe
gris qui est atteint dans sa totalité.
Aussi nous fut-il nécessaire de prendre
comme critérium une moelle saine, ap-
partenant à un enfant do même âge et
examinée dans les mêmes conditions
Notre examen a porté, d'une part, sur
les dimensions générales des différents
étages de la moelle et sur les dimen-
sions en tous sens de l'axe gris (1), chez
un enfant normal âgé de 2 mois éga-
lement ; d'autre part, sur les mêmes
dimensions (largeur, épaisseur de la moelle ; aire de l'axe gris) chez notre
amèle.
(1) Ces mensurations ont été faites sur un très grand nombre de coupes, prises à des
niveaux homologues ; les deux moelles avaient été traitées par les mêmes liquides fixa-
teurs et les mêmes inclusions ; les coupes par les mêmes bains colorants (picrocarmin,
hématoxyline, Weigert et Pal).
Fig. 15. - Surface comparée de l'axe
gris chez notre amèle et chez un en-
fant normal de même âge : le con-
tour linéaire représente l'axe gris de
l'enfant normal (A) et le contour
pointillé celui du monstre (B).
2S HENRI MEUNIER
1° Au point de vue des dimensions générales du cordon médullaire, la
différence entre les deux moelles variait suivant l'étage considéré : au ni-
veau du renllement cenical et de la moelle dorsale, les dimensions étaient
en faveur de l'amèle (largeur : z 0 mm. 4 ; épaisseur : + 0 mm. 35),
tandis qu'au niveau du renflement lombaire, les dimensions de la moelle
amélique étaient inférieures à celles de la moelle normale (largeur :
0 mm. 85 ; épaisseur : 1 mm. 12).
2° Au point de vue du volume de l'axe gris, la comparaison des deux
moelles nous a donné au niveau des deux renflements, mais non au niveau
de la moelle dorsale, des chiffres plus faibles pour la moelle du monstre :
les différences, du reste, étaient peu sensibles.
Voici, en chiffres moyens, le résultat de nos mensurations :
AMÉLIE 29
membre avorté implique un centre médullaire préalablement atrophié ?
Ne peut-on soutenir inversement que le centre est atrophié parce qu'il
correspond à un membre avorté ? Ce dilemme nous paraît difficile à ré-
soudre, à moins qu'un examen de moelle chez un amputé congénital, vienne
nous apprendre que malgré l'absence d'un membre, le centre gris corres-
pondant n'en a pas moins suivi son développement normal. Ce résultat
acquis, il sera dès lors possible de voir dans l'atrophie de l'axe gris des
amèles, des hémimèles et des phocomèles, la cause primitive de leur dif-
formité : et la tératologie sera satisfaite..., à moins qu'une légitime curio-
sité ne la rende de nouveau perplexe devant cause inexpliquée de ]'1))'-
potrophie médullaire.
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30 HENRI MEUNIER
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et- thér. inf., 35.
Voir aussi les articles des Dictionnaires Jaccoud (Monstres) et Dechambre (Ec-
troméliens et Péromèles).
AMÈLE.
Face et profil d'après un moulage en plâtre.
La 3e photographie d'après nature.
UN CAS D'HËMIMËL1L
CHEZ UN FILS DE SYPHILITIQUE
par
G. GASNE
Interne de la Clinique des Maladies du Système Nerveux,
. il la Salpêtrière.
On désigne sous le nom général d'Ectl'omélie une malformation carac-
térisée par le développement incomplet ou môme l'absence d'un ou de
plusieurs membres; le terme plus particulier A'Hémimélie est réservé pour
les cas où le segment basilaire d'un membre existant et ayant acquis tout
son développement, la jambe ou l'avant-bras et mieux encore le pied ou la
main font défaut ou sont restés dans un étal rudimentaire, remplacés par
une sorte de moignon plus ou moins court, terminé le plus souvent par
des doigts imparfaits (1).
Ces cas d'ectromélie sont assez rares, pour qu'il y ait toujours quelque
intérêt il les publier, mais l'observation suivante, qui est un exemple par-
fait d'hémimélie, nous paraît encore digne d'attention par cetle particula-
rité que le père du jeune enfant qui en est l'objet, était au moment de la
conception en pleine évolution de syphilis secondaire, et de syphilis grave
touchant avec une insistance remarquable le système nerveux.
Observation : Le jeune Thér... Ernest, âgé de quatre ans, est né à ter-
me, la grossesse a été normale, l'accouchement facile. Dès la naissance on
s'aperçoit que la main droite n'existe pas ou qu'elle est du moins absolu-
ment rudimentaire.
Thér... s'est élevé facilement, il a été propre de bonne heure, a marché
à un an. Il va à l'école et se montre très intelligent.
C'est un enfant pàle, d'aspect chétif mais sa conformation générale, à
part le membre supérieur droit, est parfaite. Quelques ganglions au cou
(1) Voir LAncusn, Dict. Declambre, article Ecll'oméliens.
.32 G. GASNE
et aux aisselles. Aucune cicatrice sur la peau. Dents cariées : presque tou-
tes celles de la mâchoire supérieure ont disparu, celles du bas sont très
malades, elles sont petites, mais régulières et bien plantées. La première
dent serait venue remarquablement de bonne heure, à l'âge de trois mois.
Les organes viscéraux paraissent normaux, le ventre est développé, le
foie déborde légèrement les fausses côtes, la rate est également grosse.
Le bras du côté droit est normal, semblable au bras gauche, le coude
est également bien conformé, mais l'avant-bras extrêmement raccourci ne
porte qu'un rudiment de main.
La longueur de l'avant-bras et de la main qui du côté sain est de vingt-
trois centimètres (du bord supérieur de l'olécrane à l'extrémité du petit
doigt) est de sept centimètres seulement à droite, de sorte que cette partie
du membre prend la forme d'un cône dont la base'serait le pli du coude
et le sommet le moignon qui représente la main.
Celle-ci séparée de l'avant-bras par un sillon circulaire très net, esquisse
du poignet, est globuleuse, ses dimensions sont d'environ un centimètre
dans tous les sens, elle se termine par cinq petits bourgeons représentant
manifestement les doigts, un peu plus volumineux sur la partie la plus ex-
terne est le pouce, les parents affirment qu'a la naissance il portait un
ongle, qui est tombé au bout de deux ou trois jours. Ce moignon est ahso-
lument mou et flasque, il ne semble pas qu'il y ait le moindre squelette.
La palpation de l'avant-bras montre que le squelette du coude est nor-
mal, on sent très bien l'olécrane et la tête radiale ; le cubitus et le radius
nettement distincts semblent ensuite vers la partie médiane de ce rudiment
d'avant-bras se fusionner en un os unique, et le squelette se termine du
côté de ce qu'on peut appeler le poignet par une extrémité arrondie, vrai-
semblablement l'extrémité inférieure du radius.
Les mouvements de flexion et d'extension du coude se font facilement.
Il n'y a pas de mouvements de pronation ou de supination. Le moignon
qui représente la main est immobile, inerte.
La sensibilité objective est conservée dans tous ses modes, dans toutes
les parties; l'enfant dit souffrir quelquefois dans « sa main», il accuse
en tous cas une sensation constante de froid, qui se constate du reste ob-
jectivement, l'extrémité malformée est rougeâtre, violacée et froide au
toucher.
L'enfant a deux frères, l'un plus âgé a huit ans, il est très bien portant,
l'autre n'a que dix-huit mois, il commence à marcher et à causer, il a eu.
à Ilàye de sept mois, de fortes crises convulsives qui ont duré trois; i
quatre jours, mais qui ne se sont pas renouvelées,et dont il ne reste rien
La mère n'a pas fait de fausses couches, elle parait saine, on ne relève
sur elle aucune trace, ni aucun commémoratif de lésions spécifiques.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE
LA SALPÊTRIÈRE
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
X
UN CAS D'HÉMIMÉLIE CHEZ UN FILS DE SYPHILITIQUE 33
Le père a eu il vingt ans deux chancres indurés, il s'était marié il 17 ans
et le premier enfant est né avant la contamination. Presque aussitôt après
les chancres, céphalées nocturnes violentes, puis étourdissements, bientôt
vertiges suivis de chutes, sans perte de connaissance cependant.
En 1891 apparaît sur le thorax,l'avant-bras droit, les jambes un psoria-
sis syphilitique qui persiste encore en partie.
En mars 1894, amblyopie qui s'aggrave au point que le 'malade ne pou-
vait,.^ conduire seul, la vue est revenue depuis presque normale.
En août 1894, hémiplégie gauche complète, la face est prise : depuis
les céphalées apparaissent de nouveau, horriblement douloureuses, à ca-
ractère nettement nocturne empêchant tout sommeil. A plusieurs reprises
le malade a suivi un traitement spécifique qui a loujours amélioré les
symptômes.
Actuellement persiste une hémiplégie gauche incomplète, spasmodi-
que, avec de temps en temps des crises convulsives localisées dans ce côté,
des troubles oculaires surtout marqués du côté gauche (pupille immobile,
parésie du droit externe) et des céphalées nocturnes.
Rien n'est encore aussi obscur que l'origine de ces vices de développe-
ment. On a incriminé la pression exercée par l'amnios, il est peu facile
de comprendre qu'une telle compression s'exerce sur une partie seulement
de l'individu, encore moins que cette pression , toute hypothétique
d'ailleurs, puisse empêcher la formation ou le développement d'un seg-
ment de membre.
, Une doctrine plus récente attribue l'ectromélie à une amputation spon-
tanée des membre in ntéro, elle s'applique, non seulement aux cas où le
segment terminal du membre est absent, mais aussi aux cas où persiste,
comme dans l'observation qu'on Aient de lire, un rudiment quelque im-
parfait qu'il soit de toutes les parties du membre atteint. Il faut alors ad-
mettre que le moignon qui subsiste après l'amputation spontanée ( ? ), est
devenu le siège d'une régénération partielle, et que des appendices digiti-
formes se sont produits sur son extrémité libre. M. le professeur Mathias-
Duval admet cette hypothèse. Pour lui (1), l'état décrit sur le nom d'hémi-
mélie ne correspond à aucune phase embryologique, à aucun stade de
développement. L'embryon des animaux à sang chaud est assimilable il un
animal à sang froid, or qui ne sait que la propriété de repousser est nor-
male chez le salamandre par exemple, ou encore dans le premier état des
batraciens anoures avant leur métamorphose, chez le têtard de grenouille
(1) Voir Traité de pathologie générale de Ch. Bouchard, t. I, p. 218 et suivantes.
x 3
Si G. GASNE
où la queue enlevée repousse ? La régénération serait une propriété par-
ticulière des organes embryonnaires. A l'appui de cette thèse, M. Ma-
thias-Duval fait valoir que dans les rares cas où l'on a communiqué le
résultat de la dissection du moignon, on n'a trouvé dans les bourgeons
digitaux ni os, ni cartilage.
MM. Chaillous et Brun viennent récemment de s'élever contre cette opi-
nion, ils ont eu l'occasion de disséquer l'ébauche du pied- représentant le
segment terminal inférieur droit d'une petite fille de trois ans hémimé-
lienne, ils ont trouvé un squelette comprenant le squelette normal du pied
moins le cuboïde, le 2e et 3e cunéiforme, le 2% 3e et 4e métatarsien et les
, ..
phalanges des 2% 31 et 4°orteils, les pièces osseuses restantes, représen-
tant le tarse et'les deux orteils extrêmes avec leurs métatarsiens, étaient
unies par des capsules articulaires et terminées par des surfaces munies de
cartilage, en outre il existait, enveloppés dans du tissu cellulo-adipeux,
un muscle, un nerf, des vaisseaux.
Il était dès lors difficile en présence d'organes aussi nettement différen-
ciés de penser à un simple bourgeonnement consécutif à la cicatrisation
d'une amputation congénitale.
Enfin Larcher fait remarquer qu'il faudrait un étrange concours d'évé-
nements accidentels pour qu'on put admettre celle théorie dans les cas où
l'ectromélie porte sur plusieurs membres en même temps.
Reste une troisième explication.
Si la régénération n'est qu'une hypothèse, la coïncidence entre certain
cas d'ectromélie, une altération des filets nerveux et une atrophie des
renflements de la moelle épinière est un fait. Depuis longtemps Serres,
Tiedemann, Gurlt l'ont signalée, plus récemment Troisier, Edinger etc.
Larcher qui cite ces auteurs, remarquant que la section des nerfs d'un
membre est généralement suivie de l'atrophie de la région de la moelle qui
leur donne origine, se demande où est la cause, où est l'effet, si la
lésion médullaire dans le cas d'ectromélie est consécutive à l'anomalie
des membres, ou si l'avortement des membres est subordonné, selon la
remarque de Lancereaux, à l'agénésie ou à une modification des cellules
de la moelle, pendant la durée de la vie foetale.
Pour nous c'est cette dernière explication que nous aurions tendance à
admettre, la moelle chez les foetus est loin d'être à l'abri des processus
morbides qui l'altèrent et la modifient. Il résulte de recherches personnelles
que nous avons publiées ici même que, chez les foetus et en particulier
chez les foetus issus de parents syphilitiques les lésions de la moelle ne
sont pas rares, la syphilis héréditaire agit, avant la naissance, comme
(1) Voir Presse médicale. 1896, 19 août.
UN CAS DE HEMIMELIE
Chez un enfant heredo-syphilitique.
MASSON & Cie, Editeurs.
UN CAS D'III : 1111111ÉL1)J CHEZ UN FILS DE SYPHILITIQUE 35
fait la syphilis acquise chez les adultes. Et voilà pourquoi nous avons
insisté dans notre observation sur les antécédents spécifiques que présente
le père du jeune malade, pourquoi nous faisons remarquer que sa syphilis
est une syphilis nerveuse et qu'elle était en pleine période d'acuité lors de
la conception.
Enfin, nous appellerons l'attention sur ce fait que la syphilis est cou-
tumière de ces malformations congénitales; les exemples en abondent :
spinabifida, division de la voûte palatine,pieds-bots, luxations congénitales
de la hanche, etc., etc.
Quelle est la pathogénie de ces vices de développement ? Leur origine
nerveuse a été soutenue par bien des auteurs, ce que nous savons de la
tendance qu'a la syphilis congénitale à frapper le système nerveux ne
fait que confirmer leur opinion.
M. le professeur Lannelongue a récemment constaté dans la moelle
d'une enfant atteinte de luxation congénitale de la hanche des lésions con-
sidérables. '
J'ai eu l'occasion d'examiner la moelle d'un foetus portant deux pieds-
bots ; les altérations sont telles, bien que l'examen histologique seul ait
permis de les constater, qu'il est impossible de ne pas leur rattacher la
malformation des membres inférieurs.
Aussi nous croyons-nous autorisés à admettre dans le cas d'hémimélie
que nous présentons, l'hypothèse d'une lésion médullaire, due à la syphilis
héréditaire, et ayant évolué pendant la vie foetale.
APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE
DE ROENTGEN
f. UN NOUVEL INTERRUPTEUR A MERCURE POUR BOBINES D'INDUCTION.
IL RADIOGRAPHIES DES EXTRÉMITÉS D'UN SEXDIGITAIRE.
par
ALBERT LONDE
Directeur du service photographique
de la Clinique des Maladies du Système Nerveux, à la Salpêtrière
ET
HENRY MEIGE. «
Un an s'est à peine écoulé depuis la mémorable expérience du profes-
seur Roentgen et déjà les applications de la Radiographie deviennent plus
nombreuses, les résultais plus précis et plus parfaits. Tout n'est pas dit
malgré cela sur cette découverte qui sera considérée comme une des plus
belles de ce siècle; mais, dès à présent, on peut affirmer qu'elle a conquis
une place définitive dans les sciences médicales.
Nous n'avons pas à nous étendre sur l'importance des résultats que l'on
peut légitimement espérer au point de vue chirurgical, clinique et même
thérapeutique ; qu'il nous suffise d'insister aujourd'hui sur certaines con-
ditions spéciales d'application de cette méthode qui ont été suggérées à
l'un de nous par l'expérience.
Nous montrerons ensuite les résultats obtenus dans un cas d'anomalies
digitales..
Lorsqu'il s'agit d'opérer sur un modèle inanimé ou encore sur le cada-
vre, les résultats peuvent atteindre une grande précision et une extrême
finesse; il est en effet loisible de mettre l'ampoule produisant les Rayons X
à grande distance et de poser tout le temps nécessaire pour obtenir sur
la plaque photographique une impression suffisante. Si l'on a affaire à un
malade, il n'en est plus demême, et tous les efforts de l'opérateur devront
APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE DE ROENGTEN 37
tendre à réduire autant que possible la durée d'exposition. Pour atteindre»
ce résultat, trois points.sont considérer : l° la nature de l'ampoule ; 2° la-
distance qui la sépare du modèle à reproduire; 3° l'énergie du courant
électrique et sa fréquence.
Les ampoules primitives en forme de poire sont maintenant abandon-
nées et on leur préfère, d'une manière générale, celles, dites focus, à une
ou deux anodes.
'En les prenant de grande capacité, leur durée de fonctionnement est
de beaucoup prolongée, la finesse est peut-être un peu moins grande;
mais elles ont l'avantage incontestable en l'espèce d'être beaucoup plus
puissantes.
On admet généralement que l'intensité des Rayons X diminue comme le '...
carré de la distance, par suite il sera tout indiqué de placer l'ampoule
aussi près que possible du modèle. Par contre, la projection des silhouet-
tes radiographiques augmentant de dimension au sur et à mesure que
l'ampoule est rapprochée et le cône d'éclairement s'étendant au contraire
d'autant plus que l'on s'éloigne davantage, il faudra faire en quelque sorte
la moyenne de ces trois facteurs : de cette manière on obtiendra des ima-
ges correctes de dimensions sensiblement égales à celles de l'original ; le
champ d'éclairement sera uniforme sur toute l'étendue de l'objet à re-
produire et enfin l'ampoule étant à la distance la plus rapprochée, en tenant
compte des considérations qui précèdent, on obtiendra la pose la plus ré-
duite dans les conditions de l'expérience.
En ce qui concerne l'appareil producteur d'électricité -et tant qu'on
n'aura pas établi des transformateurs spéciaux susceptibles de produire
dans les ampoules les rayons en quantité suffisante, -il sera nécessaire
d'employer des bobines d'induction puissantes. Celle dont nous nous ser-
vons dans le service de M. le Professeur Raymond est le n° 8 de MM. Du-
cretet et Lejeune, et elle est susceptible de donner des étincelles de 20 cen-
timètres avec un courant de 16 volts environ.
I
UN NOUVEL INTERRUPTEUR A MERCURE POUR BOBINES D'INDUCTION.
Il nous a paru intéressant de faire connaître un modèle spécial d'inter-
rupteur que l'un de nous a fait construire par MM. Bazin et Leroy. Cet
appareil est une modification de l'interrupteur classique de Foucault. t.
Ce dernier doit sa supériorité au mode particulier de rupture de courant
qui se fait dans le sein d'une couche d'alcool recouvrant le mercure : ce-
pendant son régime de fonctionnement, variable il est vrai dans une cer-
taine mesure, est plutôt lent ; de plus, par suite de sa construction même,
38 A. LONDE ET HENRY MEIGE
les durées de passage et de rupture du courant sont sensiblement égales.
L'expérience nous a montré que dans la pratique de la Radiographie il y
avait intérêt à multiplier le nombre de périodes pendant l'unité de temps
et d'autre part il augmenter pendant chacune d'elles le passage du courant
dans l'inducteur, la durée de la rupture étant au contraire aussi courte
que possible. Sans insister sur la théorie de ces conclusions, il ressort d'une
façon évidente que nous obtiendrons une sérieuse économie de temps dans
la durée d'exposition si nous multiplions la fréquence de l'interrupteur
pendant l'unité de temps, et si pendant chaque période nous réglons auto-
matiquement le rapport des périodes de passage et de rupture du courant t
pour obtenir le maximum d'effet.
L'interrupteur que nous allons décrire nous a servi déjà à faire de très
nombreuses expériences et les résultats que nous espérons se sont trouvés
complètement confirmés. Il se compose d'un moteur électrique rotatif ac-
tionné par une pile au bichromate ou un accumulateur (Fig.1) ; l'axe du
moteur porte une came de forme spéciale destinée a soulever à chaque tour
un bras de levier qui porte une lige mé-
talliqueplongeant dans le godet, rempli de
mercure. Le passage du courant a lieu
chaque fois que cette tige atteint le mer-
cure : il est coupé chaque fois qu'elle en
sort. Grâce à la forme de la came, l'im-
mersion dans le mercure dure les 3/4 de la
rotation, le courant a donc tout le temps
nécessaire pour s'établir : la période de
rupture n'est au contraire que de '1/4 de
la rotation. Grâce à ce dispositif très sim-
ple, le rapport des deux périodes que l'ex-
périence nous a démontré comme étant le
plus convenable, se trouve réalisé.
Le bras de levier, fixe à une de ses extrémités, est muni d'un ressort an-
tagoniste qui assure le contact dans le mercure et peut se tendre plus ou
moins s'il est nécessaire. Une vis spéciale limite la course inférieure du
levier et permet en cours d'opération de régler très exactement la plongée
de la tige. Le moteur électrique permet d'atteindre facilement de grandes
fréquences et, avec la même bobine actionnée par le même courant, on
constate immédiatement des différences très grandes avec les résultats que
l'on obtient soit avec le trembleur ordinaireà marteau ou avec l'interrupteur
Foucault. L'éclat de l'ampoule est bien plus vif, et à cause de l'accélération
du régime la durée de pose est notablement réduite. N'ayant pas à notre
disposition les appareils nécessaires il ne nous a pas encore été possible
APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE DE ROENGTEN 39
de faire des mesures précises, mais si l'on contrôle l'effet produit par la
longueur de l'étincelle obtenue, on constate qu'avec l'interrupteur ci-des-
sus elle est presque le double de celle que donne la même bobine avec le
trembleur à marteau.
Si l'on se guide sur la durée d'exposition, bien que l'état essentiellement
variable des ampoules entraîne quelquefois des différences très notables,
on arrive à obtenir couramment des photographies de crâne en 30 mi-
nutes, alors qu'avec le trembleur à marteau il fallait au moins deux heures.
. Le progrès est donc sensible, mais il faut aller plus loin ; des poses de
cette durée sont encore beaucoup trop longues quand il s'agit de malades
qu'il est nécessaire d'immobiliser par des attaches, ce qui rend encore l'o-
pération plus pénible et désagréable pour ceux-ci. Les recherches devront
donc être continuées avec 'persévérance pour réduire par tous les moyens
possibles la durée d'exposition; il s'agit là, on peut le dire, d'une question
d'humanité pour les malheureux qui ont recours à laRadiographie, d'autre
part la brièveté de la pose intéresse également l'opérateur au point de vue
économique et au point de vue du succès final, car plus la pose est longue
plus les chances d'insuccès augmentent.
II
RADIOGRAPHIE DES EXTRÉMITÉS D'UN SEXDIGITAIRE
Un sujet, porteur de doigts surnuméraires, nous a permis de faire, à
l'aide du dispositif que nous venons de décrire, une intéressante applica-
tion de la Radiographie.
L'emploi des radiations de Roentgen pour reconnaître la structure sque-
lettique des anomalies de développement est en effet appelée à rendre de
réels services.On arrive ainsi à préciser, sur le vivant, le siège, le nombre,
le volume et la forme des segments osseux, avec une exactitude que les
procédés ordinaires d'investigation clinique ne permettent pas d'obtenir.
Et, s'il y a lieu d'intervenir, le chirurgien est en mesure d'opérer avec toute
, la certitude désirable.
Or, dans plusieurs variétés de vices de conformation des doigts (syn-
dactylie, polydactylie, macrodactylie), une opération chirurgicale peut
corriger l'anomalie, parfois même la faire totalement disparaître; le patient,
débarrassé d'une infirmité gênante, y trouve en outre un avantage esthé-
tique.
Enfin, on a prétendu qu' « en détruisant les syndactylies, en sup-
primant les doigts surnuméraires, non seulement on améliore l'état du
patient, mais encore on a chance de préserver sa descendance de difl'or-
40 A. LONDE ET HENRY MEIGE
mités semblables à celles qu'il portait lui-même. Les opérations, dans ce
cas, ne sont donc pas des opérations de complaisance, comme quelques
chirurgiens se plaisent à les appeler, mais des opérations utiles pour le
présent et pour l'avenir » (1).
Mais, parfois, l'opérateur se trouve arrêté par la difficulté de reconnaître
la conformation exacte des parties osseuses, leurs limites et leurs points
d'adhérence. Les renseignements fournis par la radiographie suffisent à
lever tous les doutes.
Dans le cas que nous avons examiné, la chirurgie n'était pas en cause.
Elle eut pu trouver, en cette occasion', d'utiles renseignements dans les
données fort précises de la radiographie qui révèle l'exacte conformation
squelettique des anomalies digitales.
Il s'agit d'un homme de 31 ans, employé à ]'Hospice de la Salpêtrière,
grand, vigoureusement musclé, d'une santé parfaite, et même d'une force
au-dessus de la moyenne.
Son père et sa mère sont morts à un âge avancé. Ni l'un ni l'autre,
affirme-t-il, ne présentaient de difformités des doigts, non plus que ses
deux soeurs et un frère, actuellement vivants et bien portants. t
Quant à lui, il offre un bel exemple de polydactylie symétrique :
Aux deux mains et aux deux pieds, il est pourvu de six doigts. C'est le
tpe du sexdigitaire accompli.
Cette légère infirmité ne l'incommode aucunement. Il fait fort correcte-
ment oeuvre de ses douze doigts et marche sur ses douze orteils sans la moin-
dre gêne.
D'ailleurs, la symétrie est si parfaite que cet homme semble normal dans
son anomalie, et, si l'on n'est prévenu, cet excès dignitaire passe aisément
inaperçu.
Aux mains, les cinq doigts réglementaires sont régulièrement confor-
més. Le surnuméraire est représenté par un petit doigt qui se détache à
45°, dans le plan de la main, sur le bord cubital, et un peu au-dessus de
l'attache palmaire de l'auriculaire. Sa longueur est d'environ les deux tiers
decedernier; il est plus court, mais aussi gros, et pourvu d'un onglecom-
plet.
On apprécie malaisément au palper le nombre des phalanges, au moins
deux, peut-être trois...
Quand la main est ouverte, tous les doigts étant allongés, le doigt su-
perflu semble faire pendant au pouce. Il peut se fléchir, se plier en cro-
(I) Voy. Polaillon, art. Doigt, in Dit. ente. des Sc. 1¡I/ ! d.
APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE DE ROENGTEN 41
chet, et inversement s'allonger et s'étendre; cependant ses mouvements
sont toujours commandés par ceux du cinquième doigt et ne s'effectuent
pas isolément.
Vraisemblablement, il est pourvu d'expansions tendineuses émanées des
tendons de l'auriculaire dont il suit la flexion et l'extension. Mais, -selon
la règle dans les cas de polydactylie cubitale, le doigt surnuméraire ne
peut exécuter les mouvements d'adduction et d'abduction, le rapprochant
ou l'écartant deson voisin, car les muscles interosseux font presque toujours
défaut.
A chaque pied, un petit orteil surnuméraire est accolé au cinquième,
également pourvu d'un ongle bien développé. Ici surtout, il est difficile
d'apprécier par la palpation le nombre des phalanges, o
Les radiographies vont à cet égard nous édifier complètement ; en outre,
elles nous feront connaître le mode d'articulation des doigts et des orteils
supplémentaires avec le métacarpe et le métatarse, indications qui, jus-
qu'alors, ne pouvaient être vérifiées que par les examens nécroscopiques.
Mains. A droite comme à gauche, le squelette des doigts surnumé-
raires se compose de trois phalanges. Les phalanges et les phalangettes,
plus petites que celles des auriculaires, ont cependant la même confor-
mation, renflées aux extrémités, étranglées dans leur partie moyenne.
Les phalangines au contraire sont de longueur notablement réduite :
Du côté gauche, la phalangine est à peu près cylindrique et intimement
accolée à l'extrémité inférieure de la phalange; ainsi s'explique la diffi-
culté qu'on éprouve à préciser par la simple palpation le nombre des seg-
ments squelettiques. Cependant la radiographie montre nettement l'exis-
tence des surfaces cartilagineuses qui appartiennent en propre à chacun de
ces os.
A droite, la forme de la phalangine se rapproche davantage de la nor-
male ; elle est plus longue que la symétrique, et légèrement étranglée en
son milieu. De ce fait, déjà le doigt surnuméraire droit est un peu plus
long que le gauche. L'articulation de la phalangine avec la phalange se
fait du côté externe sur une tubérosité plus développée que celle du côté
opposé.
Le point leplus intéressant de la disposition squelettiquedela main est
le mode d'articulation des doigts surnuméraires avec les métacarpiens.
Il diffère complètement d'une main à l'autre :
Du côté droit, le cinquième métacarpien est i-ectiligiiél,7 aminci en son
milieu, mais beaucoup plus gros que normalement. L'augmentation de o-
lume qui porte sur l'os entier, s'accuse surtout au niveau de la tète digi-
tale. Cet os semble formé par l'accolement de deux métacarpiens, intime-
42 A. LONDE ET HENRY MEIGE
ment soudés du côté du carpe, s'écartant en forme de fourche au voisinage
des doigts. Là, se voient nettement deux têtes arrondies pourvues de sur-
faces articulaires dont l'une est destinée à la phalange de l'auriculaire,
l'autre à celle du doigt surnuméraire.
Du côté gauche, la conformation du cinquième métacarpien est toute
différente. L'os est de forme irrégulière, incurvé, concave du côté du
quatrième métacarpien, convexe du côté opposé, et sur le sommet de cetle
convexité se trouve une grosse tubérosité pourvue d'une surface cartila-
gineuse : c'est là que vient s'articuler le doigt surnuméraire.
Ainsi, tandis que dans la main droite le cinquième métacarpien semble
constitué par deux métacarpiens de forme régulière et de longueur presque
égale, intimement accolés et. fusionnés côte à côte, dans la main gauche,
au cinquième métacarpien incurvé et difforme, est soudé un métacarpien
supplémentaire, beaucoup plus court, dont l'extrémité digitale s'arrête
vers la moitié du premier os,formant sur son bord convexe une saillie vo-
lumineuse.
Les radiographies permettent d'apprécier très exactement cette différence
de configuration extérieure. Bien plus, elles nous font entrevoir la structure
intérieure de ces métacarpiens anormaux et la direction des travées osseuses
délimite clairement la portion d'os qui appartient à chacun des métacar-
piens fusionnés.
A droite, une bande claire longitudinale, partant de l'encoche qui sépare
les deux têtes digitales, est l'indice d'un épaississement du tissu osseux,
vestige des contours osseux de chacun des métacarpiens actuellement fu-
sionnés. A gauche, on peut encore faire la même constatation et reconnaître
dans l'os informe la limite qui sépare le cinquième métacarpien du méta-
carpien rudimentaire soudé il lui.
Avant que l'ossification ne fut terminée, on peut supposer que la sou-
dure n'était pas complète ; on aurait pu sans doute faire aisément l'ablation
des métacarpiens surnuméraires, ou tout au moins la résection de leur
extrémité digitale, car du côté du carpe la fusion des deux os est si intime
qu'ils forment une seule épiphyse, d'ailleurs notablement hypertrophiée.
La différence de longueur des deux métacarpiens surnuméraires est la
principale raison de la différence apparente qu'on remarque entre les deux
petits doigts qui leur sont attachés. Le gauche est d'un tiers moins long
que le droit. L.
Pieds. La polydactylie des mains se répète intégralement aux pieds.
Ici, la conformation squelettique diffère peu d'un côté à l'autre.
Au pied droit, l'orteil surnuméraire part du bord externe, en dehors du
APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE DE R.(H3NG'CEN 43
cinquième orteil. Il est presque de même longueur que ce dernier et semble
même plus allongé, n'étant pas replié en crochet.
On y voiL trois phalanges bien distinctes, régulièrement conformées, el
un ongle.
L'articulation se fait sur la tête du cinquième métatarsien sur une sur-
face contiguc à celle où s'articule le cinquième orteil, en dehors et en
arrière. -
Le métatarsien est volumineux dans toute son étendue, mais de forme
régulière ; il ne paraît pas avoir été formé par la fusion de deux os con-
tiges. '
Au pied gauche, l'apparence extérieure est .la même. Le métatarsien est
construit de la même façon. Mais, comme nous l'avons vu à la main gau-
che, la phalangine de volume moindre, semble soudée à la phalange, en
sorte que l'orteil surnuméraire paraît n'avoir que deux segments osseux.
Les cas de polydactylie ne sont pas très rares. Polaillon dit qu'à Paris
on pourrait en trouver un sur mille individus.
Dans les exemples publiés, on a signalé plusieurs particularités qui se
retrouvent dans notre observation.
D'abord, il est fréquent que les anomalies digitales de ce genre soient
symétriques aux deux mains ; on les a vu aussi se répéter aux deux pieds.
Cependant les doigts surnuméraires cubitaux avec attache osseuse sont
assez rares. On les rencontre le plus souvent sous forme de petites tumeurs
arrondies, séniles ou pédiculées, contenant tantôt▶ des débris de tissu os-
seux informe, ◀tantôt▶ une phalange, parfois deux.
L'existence de trois phalanges est au contraire une rareté et, à cet égard,
notre cas méritait d'être signalé.
Quant au mode d'articulation des doigts surnuméraires, il se rapproche
beaucoup de l'observation classique publiée par Morand en 1770 (1 ).
Dans une main, le doigt s'articulait avec une apophyse du cinquième mé-
tacarpien, dirigée obliquement de bas en haut; dans l'autre, l'articulation
se faisait directement sur le bord interne du métacarpien.
Telle est bien la disposition que présente notre sujet. Mais dans le cas
de Morand les doigts supplémentaires n'avaient que deux phalanges.. '.
La palpation, il est vrai, fournit parfois des renseignements erronés
sur le nombre des segments squelettiques ; ceux-ci, en effet, sont de petite
dimension, difficilement perceptibles sous les parties charnues, et peuvent,
(1) (OR \ ? 0, Recherches sur quelques conformations monstrueuses des doigts de
l'homme, C. n. de l'Acad. des sciences, p. 13î, 1770.
44 A. LONDE ET HENRY MEIGE
chez les sujets d'un certain âge, être reliés pas d'épaisses lames fibreuses,
ou même se souder complètement entre eux.
.. Dans notre cas, l'accolement des phalanges et des phalangines rendait
malaisé le dénombrement des pièces osseuses. L'épreuve radiographique
fait comprendre la raison de cette difficulté et ne laisse prise à aucune
ambiguïté sur l'existence de trois phalanges.
1
--En terminant, nous ferons remarquer que la transmission héréditaire,
plus fréquente, dit-on, chez les polydactyles que dans les autres variétés
digitales, fait défaut dans notre observation. 1 . 1 1
Il est vrai que les ancêtres des sexdigitaire se perdent dans la nuit des
temps. f 1
. Pour ne parler que de ceux dont l'histoire a conservé la mémoire, on
raconte qu'Anne de Boleyn, déjà célèbre par une mamelle surnuméraire',
avait, en outre, six doigts à la main droite. Pline parle de deux soeurs
pourvues de six doigts à chaque main. ' '
Enfin, en des siècles plus lointains encore, apparaît le prototype du
sexdigitaire en la personne d'un Philistin gigantesque, qui cumulait les
vices de développement par excès, car, outre sa taille colossale, cet émule
de Goliath était polydactyle. j
Ainsi en témoigne un passage du Livre des Rois :
. « Il se fit une quatrième guerre à Geth, où il se trouva un homme d'une
taille' extraordinaire qui avait six doigts aux pieds et aux mains, c'est-à-
dire vingt'-quatre doigts, et qui était de la race d'Arapha (1). i
Notre homme de la Salpêtrière pourrait, à la stature près, rivaliser avec
ce sexdigitaire de l'époque biblique.. ,
(1) -Ane. Testam., Rois, livre II, ch. XXI, 20, 21..
RADIOGRAPHIE DE LA MAIN DROITE D'UN SIXDIGITAIRE.
MASSON & C'e, Éditeurs.
RADIOGRAPHIE DES MAINS ET DES PIEDS D'UN SIXDIGITAIRE.
MASSON \ Cie, lidrtems.
LES PEINTRES DE LA MEDECINE.
(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE).
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE
par
HENRY MEIGE.
L'histoire des Pédicures est peu documentée. Au temps passé, ces hum-
bles praticiens ont opéré dans l'ombre, blottis dans les étuves et les éta-
blissements de bains, dédaigneusement tenus à l'écart par les chirurgiens
diplômés.
Cependant, depuis la première sandale jusqu'au dernir soulier moderne,
des légions de malheureux ont souffert d'ampoules, d'écorchures, de
durillons, de cors aux pieds, et il s'est trouvé des gens pour entreprendre
de les soulager. L'utilité de cette profession n'a jamais paru contestable :
le nombre de ses adeptes, aujourd'hui comme autrefois, et l'abondance de
leurs clients, en sont la meilleure preuve.
Mais, guérisseurs inconstants, mêlés à la foule des empiriques ignorants
ou des charlatans vagabonds, les Pédicures ont mené l'existence irrégu-
lière des opérateurs de contrebande, fatalement condamnée à l'oubli.
Discrédités dans le passé, peut-être ont-ils un brillant avenir devant
eux..... « Si quelqu'un employait toute sa vie à découvrir un spécifique
contre les cors, il mériterait bien de la postérité et aurait suffisamment
servi le genre humain ». Ce desideratum de tout Pédicure, attribué à tort
ou à raison à Sydenham (1) ne semble pas suranné aujourd'hui, car le
remède est encore à trouver. /
En attendant sa découverte, il nous a paru curieux de jeter un regard
en arrière, sur les Pédicures d'antan, sur les plus obscurs, les plus hum-
bles, les Pédicures populaires du XVIe au XVIIIe siècle.
(1) Le mot est rapporté, sous réserves par A. Fn.aahtm. Variétés chirurgicales, Paris
Pion., 1894, p. 223. Il est tiré de l'ouvrage : Toilette des pieds, ou traité de la guéri-
son des cors, verrues et autres maladies de la peau, par le D ROUSSELOT, chirurgien
' de Mgr le Dauphin, des Princes et de Mesdames, en cette partie, ancien chirurgien
de M. le prince de Wirlemberg, 1762 ; réédité en 1769.
! g IIENRY MEIGE
*
..
La chirurgie populaire fut, de longue date, l'apanage des Barbiers, et
c'est parmi ces derniers qu'il faut chercher les premiers Pédicures.
Au Moyen-Age, les seuls Barbiers pouvaient faire oeuvre de chirurgien,
car, parmi ceux qui se targuaient de connaissances médicales, nul n'aurait
consenti à faire une opération sur son semblable, encore moins sur le corps
d'un manant. -
Les prêtres, tout en s'efforçant d'accaparer l'exercice de la médecine, se
contentaient, pour toute prescription, d'indiquer les remèdes empiriques
traditionnels, mais à aucun prix ils n'eussent osé la plus légère interven-
tion, surtout sanglante : Eccfesia abhorret a sanguine !
Les médecins, égarés dans les dissertations scholastiques et imbus des
préjugés nobiliaires du temps, auraient rougi de s'abaisser à un métier
manuel qu'ils regardaient comme avilissant.
Cependant, pour ne parler que des maux les moins graves, mais non
pas des moins douloureux, en ce temps là comme au nôtre, on avait des
plaies, des abcès, des furoncles, on souffrait des dents, de la tête, voire
même des cors aux pieds
A qui s'adresser pour obtenir le pansement ou l'incision bienfaisante,
seuls capables de calmer une douleur intolérable, sinon au Barbier dont
les mains expertes savaient conduire avec sécurité les instruments tran-
chants et que n'arrêtaient point les préjugés de caste ? » ?
Chez lui, du moins, on était certain de trouver une lame bien affilée,
soulagement plus efficace qu'une citation aristotélique, qu'un emplâtre
anodin ou un breuvage nauséabond.
' Le rasoir, élément essentiel de la trousse du Barbier, fut ainsi l'origine
de sa fortune chirurgicale.
Ne sait-on pas que, dans les premiers examens de cadavres humains qui
se firent en public, ce fut un garçon-barbier qu'on chargea de la dissec-
tion ; et celui-ci s'en acquitta avec un rasoir. D'ailleurs, au XIV° siècle,
Mondini de Luzzi n'employait pas d'autre instrument pour faire la para-
centèse.
Plus tard, le rasoir devint bistouri et les pots d'onguents prirent place
à côté des cosmétiques.
Aux maigres profits qu'ils retiraient du maniement de leurs rasoirs sur
le poil ou sur la chair, les Barbiers ajoutèrent de bonne heure une autre
source de revenus : nombre d'entre eux se firent Etuveurs (1) et leurs
officines n'en furent que mieux achalandées.
(t) On disait aussi Estuviers, Etuvistes.
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 47
On venait chez eux pour les cheveux et pour la barbe, on y venait pour
un "furoncle ou pour un abcès, on y vint aussi pour les affections cutanées,
prendre des bains d'eau tiède ou de vapeur. Et comme, dans les soins du
corps, ceux des pieds ne sont pas moins urgents que ceux de la tête, les
Barbiers-Etuveurs s'improvisèrent Pédicures, cumulant ainsi l'art de tail-
ler les cheveux, de raser la barbe, d'inciser ou de racler la peau, de cou-
per les cors et les durillons.
En un mot, ils tiraient tous les partis possibles des instruments tran-
chants qu'ils avaient à leur disposition.
Au XIIIe siècle, les EstllCeU1'S formaient, à Paris, une véritable corpo-
ration. Le Livre des métiers (-1) d'Etienne Boileau, Prévost de Paris, nous
apprend qu' « ils étaient sous la surveillance de trois Jurés, élus par les
maîtres du métier : La surveillance était principalement exercée sur la
tenue et l'ordre des maisons, pour y conserver autant que possible la dé-
cence et les bonnes moeurs; malheureusement l'occasion favorable et la
cupidité des Etuveurs transformaient souvent leurs établissements en
maisons de débauche. On défendait d'entretenir dans les Etuves des hom-
mes et des femmes sans aveu et sans domicile, des lépreux et autres gens
malades et diffamés (2). Ici, comme dans les autres règlements, l'inter-
diction prouve sûrement l'existence des faits interdits.
« On distinguait les Etuves, ou bains de vapeur,des bains tiède. L'étuve
coûtait deux deniers, les bains quatre deniers. Ces prix pouvaient être
élevés par le Prévost de Paris, lors du renchérissement des bois et des
charbons.
« Un dernier détail de moeurs : il était défendu de faire « crier » ses
Etuves avant le jour, parce que les personnes qui se rendaient à ce cri
étaient exposées à de nombreux dangers. Il était donc d'usage d'aller se
baigner de grand matin, en sortant du lit. ,
« En 1292, Paris comptait vingt-six Etuveurs, inscrits sur le livre de
la taille ».
Une gravure de Hans Burgkmair, contemporain et ami d'Albert Durer,
nous montre un intérieur d'Etuve au XVIe siècle (3).
« Dans une salle de bain, un homme nu, couvert d'ulcères et d'emplâ-
(1) Voy. Hist. génér, de Paris. Les métiers et corporations, de la ville de Paris.
XI IIe siècle. Le Livre des métiers d'ETID;i'OE BOILE.\U, publié par René de Lespinasse et
François BortrewnoT. Paris, Imprim. nat., )IDCCCLXXIX.
(2) III Item. « Que nuls ne nule du dit mestier ne soustiengne en leurs mesons ou
estuves, bordiaus de jour ne de nuit, mosiaus ne meseles rêveurs, ne autres genz
diffamez de nuit ». Extrait du registre des Estuveurs.
(3) Ce document a été signalé et reproduit dans ce recueil. Voy : CttAncoT et PAUL
Richer, Quatre gravures d'Hans BU1'gkmaÏ1', Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1891,
p. 409, PI. XXXIX.
48 HENRY MEIGE
tres est assis sur un banc, les pieds posés sur le rebord d'un baquet. Il re-
çoit les soins d'un aide placé derrière lui. On voit, à la cantonade, Job sur
son fumier; près de lui,le chien qui lèche ses plaies,et sa femme qui vomit
des injures : la bêle compatissante et la femme sans pitié ».
Une inscription humoristique en allemand, destinée à consoler le ma-
lade sert de légende : « Ton corps est couvert d'ulcères, aimerais-tu mieux
une femme méchante ? L'ulcère te ronge la peau, une mauvaise femme te
salera trop ton souper ». -
Il est certain que les Etuves étaient surtout fréquentées par des indi-
vidus atteints d'affections cutanées, et l'on comprend la sagesse des pré-
cautions recommandées par Etienne Boileau.
En outre, il n'est pas douteux que certains établissements de bains pu-
blics se transformèrent en lieux de débauche. Aussi la profession de Bar-
bier ou d'Etuveur n'était-elle pas tenue en grande estime.
En Allemagne, jusqu'au XVII° siècle, aucun artisan ne prenait un jeune
homme en apprentissage sans une attestation portant qu'il était né de pa-
rents honnêtes, fruit d'un mariage légitime, et issu d'une famille dans la-
quelle il ne se trouvait « ni barbiers, ni baigneurs, ni bergers, ni écor-
cheurs » (1).
Cependant on aurait tort d'accuser tous les Barbiers-Etuveurs des mêmes
délits, car beaucoup exercèrent honorablement leurprofession et rendirent
de réels services. Ils furent mêmejusqu'au milieu du XVe siècle, les seuls
médecins dans la plupart des villes d'Allemagne (2).
En France, les Barbiers trouvèrent en Charles V un protecteur qui re-
connut leur utilité et sanctionna leurs privilèges. Dès la seconde moitié
du XIVe siècle, un édit royal confirmait aux Barbiers le droit de « prati-
quer la saignée, bailler et administrer emplastres, ongnemen ts, et autres
médecines convenables pour boces, apostumes et toutes plaies ouver-
tes «.Mais il y eut bientôt des abus de chirurgie, car, en 1425, un arrêt du
Parlement de Paris interdisait aux Barbiers et aux Etuveurs de pratiquer
les opérations. Il leur fut seulement permis de panser les plaies et d'arra-
cher les cors. .
C'est à cette chirurgie sommaire que se limiteront les Barbiers de village
pendant plus de trois siècles. Nous les verrons bientôt à l'oeuvre dans leurs
modestes officines, rasant la ba,rbe de l'un, taillant les cheveux de l'autre,
appliquant un emplâtre à celui-ci, coupant un cor à celui-là.
(1) Moehsen, 292, cité par KUHT. SPITFNOEL, IIISI. de D9ért., t. lui, p. 496.
(2) DItEYIIAUPT, p. 561. Ibid. L'Empereur Wenceslas aurait été le premier à relever
leur triste condition et même à leur permettre d'avoir des armoires, en souvenir de
la fille d'un baigneur qui avait favorisé son évasion du château de Wittberg, en Au-
triche, et qui devint plus tard sa concubine. (Sprengel, loc, cit.).
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 49
Cependant, dans les grandes villes, à partir du XVIe siècle, le rasoir est
souvent relégué au second rang. ·
Les tonsures chirurgici sont plus Chirurgiens que Barbiers. Ils deman-
dent même qu'on leur permette d'étudier l'anatomie, car ils veulent in-
tervenir dans d'autres circonstances que pour la saignée et 1)i-o fitj-ïtiieîllis,
boschiis et apostematibus. Ils n'ont pas tort : Ambroise Paré ne faisait-il
pas partie de leur corporation ?
Et, parmi eux, les Itzciseurs entreprennent des opérations plus
audacieuses : la pierre, la hernie, la cataracte, etc. Aussi entend-on
bientôt la Faculté crier au scandale : les Médecins vont livrer bataille
aux Barbiers.
La lutte s'engagera et durera plus de deux siècles, les Barbiers ne se
décourageant pas. « La chirurgie est un art manuel,diront-ils ? -Soit. Nous
revendiquons hautement le droit de l'exercer. Nous n'administrerons au-
cune médecine « laxative, altérative ni confortative ». Ceci est affaire aux
médecins. Mais c'est nous qui pratiquerons « la diérèse, la synthèse et
l'exérèse ».
On connaît l'histoire de ces dissensions orageuses qui eurent au XVII"
siècle un grand retentissement et qui se continuèrent encore au XVIIP.
A Paris, la Faculté, d'une part, les Chirurgiens et les Barbiers de l'autre,
◀tantôt▶ alliés, ◀tantôt▶ ennemis, ne cessèrent de se quereller jusqu'à la Révo-
luti ? ôur la plus belle joie des humoristes, mais sans grand profit pour
les.progrès de la médecine et de la chirurgie (1).
Or, tandis que les plus audacieux et les plus instruits des Barbiers
bataillaient pour accroître leurs prérogatives et mettaient parfois en échec
les Médecins et les Chirurgiens de robe longue, les plus humbles conti-
nuaient dans leurs modestes officines à manier à tour de rôle le rasoir et
le bistouri, les pâtes capillaires et les onguents.
Successeurs des physiciens, des mires et des mèges du Moyen Age, pra-
ticiens improvisés, n'appartenant à aucune école, ignorants des plus
élémentaires notions de médecine et d'anatomie, bornant leurs soins à
des incisions simples ou à des pansements grossiers, ils étaient les seuls
guérisseurs des pauvres diables en quête d'un soulagement à leurs maux.
Leur chirurgie rudimentaire était quelquefois bienfaisante. A défaut de
savoir, ils mettaient, pour un salaire problématique, leur bonne volonté
et leur adresse au service des malheureux. Beaucoup de leurs confrères
en haut bonnet n'eussent pu se vanter de cures plus efficaces ni plus dignes.-
(1) Voy. à ce sujet : Maurice Raynaud, Les médecins au temps de 31olièi,e, Paris,
Didier et Cie, 1863. A. Fnwxtm, La vie privée d'autrefois. Les Chirurgiens, Paris,
Pion et Cie, 1893.
x 4
50 UEKXY MEIGE
De ces Barbiers obscurs aucun nom n'est venu jusqu'à nous. Nom-
bre d'entre eux d'ailleurs auraient été dans l'impossibilité de l'écrire.
Mais une compensation leur était réservée. Car il s'est trouvé que les
officines et les pratiques des opérateurs de village ont tenté le pinceau des
peintres contemporains. Des artistes, des maîtres, - nous ont laissé
une histoire en peinture plus vivante et non moins documentée que des
textes écrits. C'est dans ces pages colorées, dont plusieurs sont de réels
chefs-d'oeuvre, que nous allons essayer de lire la vie des Barbiers-Pédi-
cures, au temps d'Adriaen Brouwer et de David Teniers.
Dans une chambre mal éclairée, aux murs enfumés et décrépits, sous un
plafond il solives apparentes, au milieu d'un entassement désordonné de
sièges et d'accessoires professionnels, où la lumière des fenêtres basses
vient déposer çà et là quelques reflets d'or et d'argent, le Barbier-Pédi-
cure opère, courbé sur le pied d'un client.
Vieillard cassé au visage labouré de rides, ou jeune homme à longs che-
veux bouclés, il porte toujours son costume distinctif, sans éclat, parfois
même déplorablement négligé.
Sa tête est coiffée d'une barrette informe, ou tout simplement d'un béret ;
d'autres ont un petit bonnet entouré de fourrures.
Autour de la taille, les Barbiers-Pédicures ceignent un court tablier
blanc qui sert à essuyer bistouris et rasoirs : c'est, pour leurs instruments,
le seul soin de propreté qu'ils connaissent.
Parfois, un étui contenant des lancettes, des pinces et des sondes pend à
leur côté, comme une gaine de maître-queux.
Tels sont les attributs qui distinguent ces opérateurs rustiques, travail-
lant à tour de rôle sur la tête et sur les pieds.
Plus d'apparat serait superflu pour la clientèle miséreuse qui fréquente
leurs officines : paysans, ouvriers, chemineaux, gens de mine piteuse et de
bourse plate, meurtris par le travail et les souffrances, trop heureux de
trouver, pour une maigre obole, quelques soins grossiers à des maux
exaspérants.
Ils entrent en clopinant, appuyés sur un bâton, jettent sur le sol leur
panier ou leur besace, accrochent leur chapeau au dossier d'une chaise,
s'assoient, retirent leur soulier, et, soutenant leur jambe avec leurs mains
croisées sous le jarret, posent avec précaution leur pied nu sur un tabou-
ret, sur un billot, ou sur le bord d'une table.
LeBarbier vient, m et un genou en terre, saisit d'une main le pied dou-
loureux et se penche pour regarder de plus près le siège du mal. '
Alors, selon qu'il s'agit d'une excoriation, d'une ampoule, ou bien d'un
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 51
cor, d'un durillon, il prépare un emplâtre adhésif, va chercher un topi-
que liquide ou un bistouri bien tranchant.
◀Tantôt▶ on le voit, armé d'un petit couteau pointu, grattant patiemment
1'épiderme durci, cherchant à extirper un cor jusqu'à la racine. ◀Tantôt▶ il
verse sur la plaie un baume calmant, ou sur un durillon quelque caus-
tique. ◀Tantôt▶ enfin, il applique loco dolenti un onguent étalé sur un carré
d'étoffe.
L'art du Pédicure ne va pas plus loin.
Cependant, le malheureux patient souffre le martyre et, suivant sa com-
plexion, traduit sa douleur par une affreuse grimace accompagnée de cris
lamentables, ou par un énergique pincement des lèvres et la crispation de
ses poings.
Le Barbier n'en a cure et poursuit flegmatiquement sa besogne, ayant
parfois au coin des lèvres un sourire malicieux, jamais méchant. La dou-
leur n'a-t-elle pas son comique, surtout, lorsque la cause étant sans gravité,
ses manifestations se montrent excessives ? Les peintres humoristes des
Flandres ont bien compris cette antithèse et l'ont mise souvent à profit
dans leurs scènes de médecine et de chirurgie.
L'opérateur et le patient ne sont pas les seuls personnages qui animent
ces officines populaires. Il était de tradition d'y faire figurer une vieille
femme et un jeune garçon.
La vieille n'est souvent qu'une commèro de passage, venue là pour can-
caner un brin, ou pour chercher quelque médecine. C'est parfois la femme
du client qui se penche timidement pour regarder, inquiète et attendrie,
les péripéties de l'opération. Toutes se ressemblent, avec leurs coiffes blan-
ches, leurs fichus croisés autour du cou, leurs mains cachées sous leurs
tabliers et leurs paniers au bras. Et toutes ont la même figure apitoyée,
la même moue à la vue d'nne blessure ou d'un bistouri, se reculant effa-
rouchées, et cependant tournant la tête, pour regarder quand même, tant
sur la répugnance l'emporte la curiosité.
D'autres fois, cette vieille femme est la propre épouse du Barbier. Elle
prend alors une part active à l'opération, soit qu'elle prépare les onguents
ou les emplâtres, soit qu'elle aide à maintenir l'immobilité du patient.'
Son assistance est précieuse : elle économise l'entretien d'un apprenti.
Ce n'est pas d'ailleurs la seule occasion où l'on voit les femmes prêter
leur concours à la médecine et à la chirurgie.
Leur intervention dans les soins à donner aux malades et aux blessés
remonte à une époque fort ancienne.
Au Moyen Age, et longtemps encore après, les nonnes, les dames et
52 HENRY MEIGE,
jeunes filles de qualité préparaient des breuvages bienfaisants et pansaient
les blessures de leurs proches. On peut les voir a l'oeuvre dans un tableau
de Van lIemessen, au musée du Prado, dont nous avons donné la des-
cription (1).
L'Ecole de Salerne avait ses médeciennes ou lIÛ1'esses. Et l'on connaît les
ventrières ou ventières, ancêtres de nos sages-femmes acluelles. Les femmes
des Barbiers remplissaient peut-être aussi ce rôle de matrones.
Enfin, Jan Sleen fait voir dans son Charlatan du musée d'Amsterdam,
et dans son Opérateur du musée de Rotterdam, que les femmes partici-
paient à la jonglerie des « Pierres de tête Il (2), et ne reculaient pas
devant une incision.
Les Barbiers-Etuveurs posaient aussi les ventouses, et leurs femmes les
aidaient encore en cetle occasion, opérant à demeure, ou même allant en
ville, faisant au besoin les scarifications.
Cette médication était usitée de longue date. N'a-t-on pas retrouvé à
Pompeï (3) des ventouses en bronze de forme identique à celles dont nous
nous servons encore aujourd'hui ? Dans les couvents du Moyen Age où se
trouvaient des salles de bains, les moines savaient appliquer les ventouses.
Les Barbiers-Etuveurs n'auraient pas négligé cette nouvelle source de
profil. Nous en verrons plus loin la preuve iconographique.
Le jeune garçon qui complète le personnel ordinaire des officines rus-
tiques est l'apprenti indispensable au Barbier célibataire pour le seconder
dans ses manipulations. C'est une figure chère à D. Teniers qui nous le
montre dans toutes ses scènes chirurgicales, gamin frisé toujours occupé à
chauffer un emplâtre au-dessus d'un réchaud, toujours distrait de sa beso-
gne, regardant à droite ou à gauche, mais jamais sa préparation.
Le mobilier des Barbiers-Pédicures mérite un instant d'attention.
Il était d'ailleurs fort simple et se limitait, en général, à une chaise, une
table, un banc, et un escabeau.
Beaucoup même n'avaient pas ces richesses. L'ingéniosité du proprié-
taire suppléait alors à l'insuffisance du matériel.
Brouwer nous montre, à Munich, un barbier qui, voulant avoir un se-
cond siège, utilise un vieux tonneau.
La chaise, chaière, ou le fauteuil, étaient professionnels et servaient à la
(1) Henry MEME, Les Opérations sur la tête. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, nos 4
et 5, 489,i,
(2) Ibid.
' (3) Voy. Henry MEME, Enee Blessé. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, no 1, 1896,
pl. VIII, fig. I. '
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 53
fois pour la barbe et pour les opérations. Etienne Boileau fait figurer ce
meuble, au même titre que les bassins et les rasoirs, parmi les objets
devant être confisqués au profit du Roi chez les Barbiers-Etuveurs con-
damnés pour contravention à l'ordonnance de la prévôté.
Chaises de bois ou chaises de paille, elles n'avaient rien de caractéristi-
que chez les Barbiers de village, qui parfois même n'en possédaient pas.
Celles qui sont figurées dans les tableaux ayant trait aux « Pierres de
tête » donnent plus exactement l'idée de ces meubles spéciaux.
Les ciseaux, les rasoirs, les plats à barbe et les palettes à saignée cons-
tituaient, avec un assortiment variable de pots de pharmacie, cruches,
bocaux, fioles, etc., tous les accessoires des officines des Pédicures.
Les instruments étaient accrochés à des râteliers ou à des clous ; les ré-
cipients, disposés sur des rayons fixés aux murs et bouchés avec du papier
ou du parchemin.-
L'arsenal chirurgical, très modeste, se composait de bistouris, droits ou
courbes, pointus ou boutonnés, et de quelques instruments spéciaux que
nous décrirons à leur place. C'est plus qu'il n'en fallait pour d'aussi lé-
gères interventions ; mais la propreté douteuse de ces instruments, oubliés
sur les tables, sur les chaises, et même sur le sol, passant du cor de l'un
à l'ampoule de l'autre, sans le moindre nettoyage, devait engendrer plus
d'une complication. Il est vrai que les opérateurs de haute volée ne pre-
naient pas des précautions plus sévères. Les humbles Barbiers de village
étaient alors bien excusables.
Parmi les instruments figurés dans les officines rustiques se trouvent
aussi de fortes pinces ayant l'apparence de daviers pour l'extraction des
dents. Peut-être servaient-elles pour un procédé brutal d'extraction des-
cors. Mais n'oublions pas que les Barbiers, tout pédicures qu'ils fussent, sa-
vaient aussi se faire dentistes à l'occasion. Les peintres des Flandres nous
en ont laissé plus d'un témoignage.
D'ailleurs, mêmeà la fin du XVIIIe siècle, on pouvait, dit-on, lire, au Pa-
lais-Royal, cette enseigne significative : « M. Roblot, dentiste et pédicure,
coupe les cors avec beaucoup de dextérité » (1).
Les Barbiers faisaient presque toutes les opérations de petite chirurgie.
Ils ouvraient les furoncles et les abcès, pansaient les blessures et les con-
tusions sur tous les points du corps. Nous avons déjà reproduit plusieurs
documents figurés relatifs à des interventions sur la tête, sur l'épaule et le
dos (2).
(1) Cité par A. IRANRLIn, Var. chir., p. 225.
(2) Voy. Nouv. Iconogr. de la Salpêtriùre, n" 4 et 5, 1895, 1l0S 5 et 6, 1896.
54 UENK 11EIGE
Pour ne parler que des interventions sur le pied, l'iconographie nous
apprend qu'elles reconnaissaient deux causes : les plaies et les cors.
Les plaies étaient les excoriations de toutes sortes produites par les chaus-
sures grossières et les marches exagérées, lésions peu. graves, mais très
douloureuses, que les artistes font siéger de préférence sur la face dorsale
du pied, et pour lesquelles n'existait qu'un mode de traitement : l'emplâ-
tre. /
En revanche, la composition des emplâtres variait à l'infini. Les meil-
leurs, croyait-on, étaient ceux qui nécessitaient l'emploi des substances les
plus disparates et les plus fantaisistes, et surtout la plus fastidieuse pré-
paration.
Emplâtres de frai de grenouille, de graisse de vipère, de vers de terre,
d'araignées, etc., etc., sans oublier la momie oumumie, la salive, l'urine,
le sang, la graisse de l'homme, et jusqu'à ses excréments !
On imagine aisément les déplorables effets que produisaient ces mix-
tures infectes sur des plaies ouvertes, et les inflammations, les ulcérations,
les suppurations interminables qu'elles pouvaient engendrer.
Les Pédicures soignaient aussi les ampoules et les engelures. Ils avaient
pour ces dernières des moutardes fort vantées.
Les cors et les durillons nécessitent plusieurs sortes d'interventions que
nous retrouvons figurées dans les documents artistiques, et nous devons
reconnaître que les mêmes procédés de traitement sont encore en usage
aujourd'hui.
C'est d'abord le grattage, à l'aide d'un instrument tranchant, bistouri
ou scalpel, méthode palliative qui n'atteint pas la racine du mal et ne
met pas à l'abri des récidives.
Puis l'excision et l'extirpation, opération délicate, souvent douloureuse,
qui a pour but de rechercher la pointe profonde du cône épidermique et
de la déraciner, comme on ferait d'une dent. Des instruments spéciaux ont
été fabriqués dans ce but. Nous les verrons parmi les accessoires des Pédi-
cures du XVII° siècle, presque identiques à ceux dont se servent de nos
jours leurs descendants.
La cautérisation est une autre méthode. Gui de Chauliac donnait le
conseil suivant pour détruire la « corne qui est aux pieds » :
« Rase-là, tant qu'il sera possible, puis qu'on mette dessus une platine
de fer ou de cuir, à laquelle y est un trou selon la grandeur de la corne,
et lors, en ce trou soit mise une goutte de soufre ardent, et qu'on le
laisse esteindre sur le lieu (1). »
Ce procédé, comme d'ailleurs l'emploi de tous les caustiques, n'est pas
(1) Edit. i\'icaise, cité par A. Franklin, l. c., p. 221.
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 55
toujours exempt de gravité. L'action mortifiante dépasse souvent son but
ci détruit il la fois la tumeur et les parties saines environnantes. De pa-
reils accidents ne devaient pas être rares avec les liquides impurs et les
graisses malpropres dont se servaient les Barbiers de Village. De fâcheu-
ses eschares étaient à redouter, aggravées encore par toutes les causes
d'infection résultant de la malpropreté de l'opérateur et de l'opéré.
Enfin, les Emplâtres ont toujours joué un rôle capital dans le traite-
ment des cors aux pieds. w
La composition de ces emplâtres était infiniment variée. AmbroiseParé
conseillait les aulx pilés. Sans remonter aux préparations bizarres qui
jouissaient de la faveur générale (1), on conseille encore aujourd'hui les
(1) Voici un exemple de ces cuisines pharmaceutiques. Je l'extrais d'un curieux
volume manuscrit contenant toutes sortes de « divins secrets tant de médecine qu'au-
tres » recueillis par Anthoine Paris, escholicr en chirurgie, à Mons, en 1660. - J'ai
modifié l'orthographe de l'époque et surtout celle, trop fantaisiste, de l'auteur.
" Recette admirable, c'est d'une toile propre à guérir toutes sortes de plaies vieilles
et nouvelles, ulcères, écrouelle, cancer, noli me langere, maux des mamelles, chancre,
-morsures de chiens enragés, douleurs de tête, goutte et autres douleurs.
Prendre : céruse, une once ; gomme de sérapin, oponax et ammoniac (faut faire
tremper et dissoudre en un verre de bon vinaigre trois jours durant) ; litliarge, momie,
de chacun un demy once ; staphysaigre, bdelium, orpiment, de chacun trois drag-
mes ; mirrhe, encens, mastic, colophane, de chacun cinq dragmes ; camphre, une
dragme ; térébenthine, une once et demie ; suif de cerf, deux onces ; huile de lys,
environ une chopine (mesure de Paris).
Tout ce qui se doit et peut mettre en poudre des choses ci-dessus, vous le ferez
mettre, et placerez chacune à part, bien enveloppée de peur qu'elle ne s'évente. Vous
prendrez une petite poêle ou un chaudron d'airain et mettrez dedans votre litharge et
céruse que dissoudrez avec un peu d'eau commune. ,.
Votre décoction, ou plutôt baume, fait avec la composition ci-dessus, mettrez votre
chaudron sur un feu de charbon assez lent, en mouvant toujours avec une spatule de
bois, large de deux ou trois doigts, qui soit fort coupante des deux côtés, afin que
plus aisément vous vous en puissiez servir ; puis, vous mettrez votre huile en petite
quantité.
Et mettez quant et quant voire suif de cerf, mouvant sans cesse : est à noter que
vous mettrez votre huile et décoction dont avons déjà parlé pour rafraichir peu à peu
votre onguent de peur qu'il ne se brûle, iL quoy il est fort subjet, principalement votre
litharge. Il faut que cela cuise fort à la longue, lentement et à petit feu. Il faut bien
un jour entier pour la confection de vostre toile. De point en point et à chaque fois
que vous y remettrez du rafraîchissement, il ne faut pas que ce soit plus que plein la
coquille d'un oeuf à la fois, et si n'avez de la dite décoction vous vous servirez ◀tantôt▶
d'huile, ◀tantôt▶ d'eau commune, pour le rafraichissement de votre onguent.
Parce qu'il est à considérer que si vous allez trop mettre d'huile ou d'eau du com-
mencement et qu'ainsi vous noierez voire onguent, il vous sérail par après impossible
de plus rien faire qui valut, car votre onguent ne prendrait jamais corps, et lorsque
vous verrez le tout presque cuit -et comme en forme d'onguent fort, ce qui ne sera pas
volontiers en quatre heures, vous y mettrez par après votre colophane, mouvant tou-
jours sur votre petit feu lent..., etc. etc. ».
Les conseils continuent sur ce ton pendant des pages et des pages. Cet aperçu est
plus que suffisant pour donner une idée de la pharmacopée emplastique usitée au
XVI 1= siècle.
56 HENRY MEIGE
emplâtres de savon, de gomme ammoniaque, de mucilage, de galbanum,
de minium, etc., qui ont du moins l'avantage d'être simplement anodins.
Dans les officines où nous allons pénétrer, les fioles et les pots de phar-
macie où se joue si heureusement la lumière, dans la transparence du verre
et des liquides colorés, ou sur l'émail des faïences ornées de bleu, ne nous
révèlent malheureusement pas le nom de leur contenu.
La thérapeutique n'y perd pas beaucoup. On fait aujourd'hui bon
marché de la longue liste des topiques alors en usage.
Tenons cependant pour certain que les Barbiers-Pédicures étaient fort
versés dans l'art de ces compositions, car ils passaient pour posséder, au
commencement du XVIIe siècle, « la connaissance des remèdes et médica-
ments tant simples que composés, comme onguents, emplâtres, cérats,
pultes, poudres, liniments, huiles, ceroûannes, et toutes espèces de piré-
tiques, tant actuels que potentiels (1) ».
Deux peintres'du XVIIe siècle ont témoigné pour les Barbiers-Pédi-
cures une prédilection singulière.
L'un, riche Anversois, allié ou ami des plus grands artistes des Flan-
dres, menant grand train, ayant château et valetaille, recevant les princes
et reçu par les rois, cependant peignant sans relâche, « de quoi remplir
une galerie de deux lieues de long » ! ...
L'autre, gueux de Hollande, bohème sans sou ni maille, quittant l'es-
taminet pour la prison, fréquentant les plus misérables bouges, jouant,
buvant, s'enivrant, et, seulement pour payer ses dettes, ayant recours à
son pinceau.
Le premier fut DAVID TENIERS LE Jeune, le second ADRIAEN BROUWER.
L'un et l'autre, de moeurs si dissemblables, ont emprunté les mêmes su-
jetsaux scènes de la vie populaire et les ont traités, pardes procédés diffé-
rents, avec un talent sans égal.
Se connurent-ils ? On peut le croire, car ils étaient contemporains, et
Brouwer, emprisonné à Anvers, dut à Rubens sa délivrance; or Rubens
fréquentait chez Teniers.
Se copièrent-ils ? - La chose n'est pas impossible; mais lequel des
deux fut l'imitateur de l'antre ? -Voilà ce qu'on décideplus difficilement.
Le Flamand fortuné a pu, pendant un temps, donner asile au Hollan-
dais nécessiteux dans sa florissante fabrique .de peinture, et ce dernier
s'y est peut-être inspiré des créations du maître. Ou bien, au contraire,
devant le succès des tableaux de Brouwer car ses oeuvres étaient déjà
(t) Statuts de 1611.
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 57
fort appréciées, Teniers, qui, malgré sa situation prospère, ne dédai-
gnait pas les ventes fructueuses, voulut peut-être rivaliser avec cet échappé
de l'atelier de Franz Hais, miséreux si habile à peindre les miséreux.
Ces questions se posent nécessairement lorsqu'on compare les oeuvres
des deux artistes où se rencontrent de surprenantes analogies, non seule-
ment dans le choix des sujets, mais dans l'agencement de la scène, le
groupement des personnages, et jusque dans les moindres accessoires.
Que Brouwer et Teniers se soient inspirés ou non l'un de l'autre, cela
n'enlève rien à leur mérite réciproque. Chacun d'eux conserve sa facture
et sa palette, partant son originalité.
Celui-ci, léger, délicat, effleurant son panneau de touches fines et fer-
mes, d'un coloris doux et recherché, car, même avec ses paysans, Teniers
se montre toujours quelque peu gentilhomme.
Celui-là, primesautier, fougueux, peignant largement et d'un jet brus-
que, mais avec une sûreté de main et une franchise dans la nuance qui
dénotent une aisance vraiment supérieure.
Tous les deux sont d'incomparables virtuoses dans la peinture des
scènes réalistes, et ce naturalisme sincère, toujours plaisant, parfois tri-
vial, n'est jamais malsain. Ils savent mettre à profit tous les épisodes de
la vie joyrnaliére,entrevoyant le pittoresque des moindres événements.
Un boutiquier avec ses pratiques, un musicien entouré de badauds, une
ménagère dans sa cuisine, un corps de garde, un peseur d'or, un men-
diant, un fumeur, un buveur, etc..., sont des prétextes suffisants à des
oeuvres d'art, d'une observation fine et consciencieuse, d'un réalisme spon-
tané et sans apprêt.
Par- dessus tout, ils se complaisent à nous faire savourer les joies naïves
et simples : plaisirs du vin, du jeu, de la table et de la danse, ribotes, ri-
pailles, propos salés et grasses plaisanteries. La vie, s'il faut les croire,
est une éternelle kermesse où chacun n'a souci que de rire et festoyer.
Cependant, ils n'ignorent pas les misères humaines, non plus que le
secret de les représenter. Leur art, fait de franchise et de simplicité, s'ins-
pire aussi bien des chagrins que des liesses. Les maux du corps ne les
laissent pas indifférents.
Plus de vingt tableaux de Teniers, et un nombre presque égal de la main
de Brouwer, ont pour sujet des scènes de chirurgie populaire, véritables
chefs-d'oeuvre de réalisme humoristique.
Car, jusque dans la douleur sachant introduire le comique, ils veulent,
en la figurant, nous arracher quand même un sourire. Pourtant, leur
compassion reste grande au malheur d'autrui. En nous divertissant, ils
savent encore nous apitoyer, tant leur raillerie est tempérée d'indulgence.
58 UENHY MEIGE
Ainsi, chez eux, la bonne humeur, le bon sens et la bonté s'allient à
la plus sincère observation de la nature.
Avec de tels guides, on est certain de trouver plaisir et. profil à péné-
trer dans les officines primitives qui ont si souvent tenté leur verve spi-
rituelle et leur pinceau naturaliste.
Les recherches que j'ai entreprises, pour recueillir les figurations rela-
tives aux Barbiers-Pédicures, ont porté sur les principaux musées de
France et de l'étranger (1). Il en existe peut-être d'autres dans les. coflec-
tions particulières ou dans certaines galeries sur lesquelles je n'ai pu
obtenir les renseignements demandés.
Les documents qui suivent, au nombre de seize, suffiront, je l'espère, à
justifier la présente étude.
En voici la liste :
I. DAVID ÏEXIEHS LE vieux (1582-1649).
Le Docteur de village. Musée de Picardie, Amiens.
II. DAVID TENIERS LE JEUNE (1610-1690).
1" L'Etuve. Musée de Casse).
2° Le Pédicure. Musée de Buda-Pest.
3° L'Opération chirurgicale. Musée du Prado, Madrid.
4° Le Chirurgien de campagne. Gravure d'après D. Teniers le Jeune
(collection de M. le Dr Paul Riclier).
III. Adriaen V.1\ Ostade (1gaz).
Le Chirurgien de village. Académie des Beaux-Arts, Vienne.
IV. PIETER J. QUAST (1606-1647). -
Un Opérateur, musée de l'Ermitage, St-Pétersbourg.
V. Adriaen Brouwer (1603-6-16'il).
1° L'Etuve de village. Pinacothèque, Munich.
2° Le Pédicure, dessin (Collection de M. le Pr Charcot).
3° Citez le Chirurgien. Musée Suermondt, Aix-la-Chapelle.
4° L'Etuve de village. Galerie Scllcr;uborn, Vienne.
(1) Je tiens à remercier ici MM. les Directeurs des Galeries de peinture qui m'ont
fort obligeamment communiqué des renseignements et des photographies concernant
ces oeuvres d'art, et en particulier, M. Delambre, conservateur du musée d'Amiens,
M. Eisenmann, directeur du musée de Cassel;11f. E.V. Kallllllerer,directeul' de la galerie
de peinture de Buda-Pest; M. A. Schael1'er, directeur de la galerie de peinture de Vienne;
M. Fritz Berndt, directeur du musée Suermondt,, à .lix-la-Chapelle ; M. Weizsaeker,
directeur de l'Institut Staedel, à Frankfort-sur-Main; M. A. Somof, directeur de la ga-
lerie de peinture de l'Ermitage, à St-Pétersbourg; M. Van cler Uellcn, directeur de la
Collection des Estampes au lîijks-Muscum d'Amsterdam, ainsi que la Direction du
Musée de merlin,
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE . 59
5 L'Opération sur le pied. Institut Staedel, Frankfort-sur-Main.
6° Le Pédicure, dessin, musée des Offices, Florence.
VI. CORNELIS Dusart (1660-1704).
1° La Ventouseuse, eau forte de 1693.
` ? ° Le Pédicure ambulant, gravure. Collection des Estampes, Rijks Muséum,
Amsterdam.
VII. ECOLE flamande DU XVIIe siècle.
Les singes Barbiers-Pédicures, musée d'Ypres.
I
DAVID ÏEKIERS LE Vieux
Peintre flamand (1582-1649).
Le Docteur de village.
(Musée de Picardie. Amiens.)
Le plus ancien document figuré qui, à ma connaissance, se rapporte aux
Barbiers-Pédicures est signé du nom de Teniers. Mais il ne serait pas de la
main du célèbre maître Anversois. On l'attribue à son père, David Teniers
le Vieux (1582-16lui-9).
Le vieux Teniers, dont les oeuvres sont assez rares, a laissé cependant un
certain nombre de paysanneries et de compositions religieuses ou allégo-
riques. Les scènes de médecine populaire l'ont aussi tenté, témoin son
Médecin, empirique examinant des urines, au musée des Offices, sujet si
souvent reproduit par D. Teniers le Jeune.
Ce dernier 'qui, pour premier maître, eut le vieux Teniers, s'inspira
souvent des peintures paternelles, pour des tableaux généralement beau-
coup mieux traités.
. Il en fut sans doute ainsi pour ses Pédicures dont nous verrons bientôt t
la collection. Le tableau de Teniers le Vieux, outre sa valeur artistique, a
donc cet intérêt qu'il a peut-être été l'origine de toute une série de com-
positions similaires.
C'est au musée de Picardie, à Amiens, que se trouve ce prototype des
Pédicures de l'Ecole flamande (1).
(1) N 138 du Catal. de 1S7S. - T. - II, 47. L. (51. - Acheté par l'ancienne commis-
sion du musée. Il a été gravé comme étant de D. Teniers le Jeune.
J'ai examiné tout récemment cette intéressante peinture qui semble bien traitée dans
la manière et la couleur des oeuvres du vieux Teniers et qui est peinte sur toile,
comme la plupart des tableaux de ce dernier. ill. Delambre, conservateur du musée
de Picardie, a bien voulu m'autoriscr d en faire faire une photographie ; mais le
60 . HENRY MEIGE
Les quatre personnages que nous retrouverons dans toutes les scènes du
même genre y figurent selon le groupement et avec les attitudes qu'adop-
teront plus tard tous les peintres de Pédicures dans les Flandres et les
Pays-Bas.
L'opérateur a mis genou en terre. De la main gauche il tient le bout du u
pied de son client, de la droite il détache un emplàtre posé sur la face
dorsale du.pied.
Le patient, assis sur une grossière chaise de bois, se penche en avant
pour soutenir sa jambe droite à l'aide de ses deux mains croisées sous le
jarret; son pied nu repose sur un escabeau.
Derrière eux, une femme debout, les mains cachées sous son tablier, un
panier au bras, se penche pour regarder l'opération.
Adroite, un jeune garçon fait chauffer un emplâtre au-dessus d'un
réchaud posé sur une table chargée de fioles et de pots de pharmacie.
Telle est bien la disposition schématique de toute opération sur le pied
dans une officine populaire.
mauvais état de la toile, craquelée et enfumée, ne permet pas d'en donner une repro-
duction suffisamment nette. J'en ai fait un croquis sommaire (Fig. 1). - Le tableau
est signé en bas et à droite : I. D. TENIERS.
Fig. 1. - Le Docteur de village.
Croquis d'après un tableau attribué à D. TENIEns le Vieux, musée de Picardie (Amiens).
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 61
Mais le tableau du musée d'Amiens mérite un examen -plus approfondi.
Nous verrons, en étudiant les Pédicures de Teniers le Jeune, les nom-
breux emprunts qu'il a dû faire à la peinture attribuée à son père.
Pour le moment, ne retenons que les détails originaux de ce document.
Le Barbier est un homme encore jeune, à cheveux noirs, longs et bou-
clés ; un bonnet rouge entouré de fourrures couvre sa tête ; il est vêtu
d'une casaque bleue et de chausses brunes, un tablier blanc autour de la
taille. En opérant, il s'interrompt pour regarder son client et l'encourager
par de bonnes paroles. Nous le retrouverons à Cassel dans une Étuve de
village, fort bien achalandée.
Le patient, vieillard à cheveux gris et à barbe inculte, rappelle assez
bien les mendiants que le vieux Teniersfait figurer dans ses OEuvres de
miséricorde, à l'église St-Paul d'Anvers. Son chapeau est accroché au dos-
sier de la chaise, son bâton et son soulier déposés près de lui.
La femme est vêtue de brun avec un tablier bleu. Elle a sur la tête un
chapeau noir pointu,à larges bords. L'apprenti, aux cheveux frisés, porte un
costume gris avec un rabat blanc et un noeud de rubans rouges sur l'é-
paule. Il y a, en outre, dans ce tableau un cinquième personnage. A
droite, en haut, par une petite lucarne qui donne sur une autre pièce
éclairée d'une fenêtre à vitraux, un curieux à béret rouge regarde le qua-
tuor du'bas. Il ne semble d'ailleurs venu là que pour remplir un coin
trop nu dans le haut de la toile (1).
Le décor, limité à gauche par une cloison de planches, est égayé par
une foule de vases, cruches, bouteilles, pots d'onguents et bocaux, dispo-
sés çà et là sur des tablettes ou sur le sol. On voit à gauche, sur un banc
un broc de cuivre et un plat à barbe; aux murs sont accrochés des ci-
seaux, des rasoirs et des boîtes à médicaments. A droite, sur la table, des
pots, des fioles, ouverts ou bouchés avec du papier, des verres ouvragés,
un coffret et des coquillages.
Un hibou sur un perchoir, un lézard exotique empaillé, pendu par une
ficelle au plafond, un crâne de cerf avec ses cornes, flanqué de deux crânes
de chiens, viennent rompre la monotonie du fond. Ce sont là des accessoires
familiers aux Teniers.
Les instruments professibnnels sont en plus grand nombre dans ce do-
cument que dans aucun autre.
Plusieurs gisent sur le sol, à côté du Barbier : un bistouri à lame courbe
et à pointe arrondie pour le grattage des cors et des durillons, deux petits
instruments très fins, l'un pointu, l'autre en forme de curette, pour les
(1) Le même personnage figure à la même fenêtre dans plusieurs oeuvres de D. Te-
niers le Jeune.
62 11L\Il5' MEIGE
excisions profondes, et un dernier en forme de clef, probablement destiné
au même usage.
Ce n'est pas tout. Dans une petite armoire ai compartimenls inégaux fixée
au mur du fond, est exposé tout un arsenal chirurgical. Le marnais élat
de la peinture, l'exiguïlé du dessin et peut-être aussi l'impéritie de l'ar-
tiste,ne permettent pas de préciser exactement la nature de ces accessoires;
on y distingue cependant des pinces, des scies, une sorte de vilebrequin
qui n'est pas sans analogie avec les appareils usités alors pour l'opération
du trépan. Et l'on devine tout un assortiment de forceps, de curettes, de
crochets, de tarières, etc., etc., dont les livres de chirurgie de l'époque
contiennent d'abondantes figurations.
Le Barbier-Pédicure de Teniers le Vieux est certainement le mieux ou-
tillé de tous ses confrères. Mais actuellement cet attirail n'est là que pour
l'apparat. L'opération se borne à renouveler un sniplàtre posé sur le pied
d'un vieux paysan.
II .
DAVID Teniers le Jeune
Peintre flamand (1610-1690).
- t L'Etuve.
(Musée de Cassel.)
Le musée de Cassel possède un tableau de D. Teniers le Jeune, L'Etuve,
qui est à la fois le plus détaillé des documents figurés relatifs aux Barbiers-
Pédicures et l'une des oeuvres les plus délicates du maître flamand. L'ha-
bile disposition 'du décor, l'heureux agencement des personnages, la pré-
cision des accessoires, la sincérité des figures et des moindres détails d'ha-
billement sont de la meilleure manière de Teniers. Parmi les nombreuses
scènes médicales qu'il nous a laissées, nulle ne saurait mieux donner la
mesure des qualités d'observation de l'artiste et de son talent d'exécu-
tion.
Le titre L'Etuve (Baderstùbe) s'explique si l'on se souvient que les
Barbiers tenaient souvent des établissements de bains publics. A vrai dire,
il n'y a pas d'indice certain que le maître du- logis fût en même temps
Étuveur. Il est Chirurgien et il est Barbier, selon la règle. Pour l'instant,
il est Pédicure. C'est tout ce que l'on est en droit d'affirmer; à moins que
derrière une cloison de planches coupant un coin de l'appartement, on ne
soupçonne la salle de bains. Un linge mis à sécher sur celte cloison peut
donner crédit à cette conjecture.
- D'ailleurs, si les documents écrits attestent la fréquence du cumul des
trois professions, Barbier-Chirurgien-Étuveur, les représentations figurées
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 63
ne nous montrent jamais que des Barbiers rasant ou pratiquant des opéra-
tions de petite chirurgie. La mauvaise réputation des établissements de
bains publics obligea peut-être les artistes à laisser dans l'ombre des
scènes où ils auraient pu cependant trouver matière à de pittoresques
compositions.
Au surplus, qu'une salle de bains soit annexée ou non à l'officine du
musée de Cassel, l'intérieur que nous montre Teniers forme un ensemble
plus que suffisant pour donner une idée des moeurs des Barbiers de
campagne au XVIIe siècle.
Au premier plan, en pleine lumière, la scène médicale : '
Le patient, pauvre hère vêtu de pauvres habits, front ridé, barbe et
cheveux blanchis par l'âge et les souffrances, assis sur une chaise boi-
teuse, les mains croisées sous le jarret, soutient sa jambe droite dont le pied
nu repose par le talon sur un escabeau. Son chapeau défoncé est accroché
au dossier du siège, et, par terre, gil son soulier béant.
L'opérateur est plus cossu : casaque à-créneaux, béret sur l'oreille,
court tablier blanc autour de la ceinture; jeune encore, de longs cheveux
bouclés tombant sur les épaules. Un genou en terre, il retient de la main
gauche le pied de son client et, de la droite, s'apprête à verser le contenu
d'une petite fiole dont il vante pour l'instant la souveraine efficacité. Car,
pour obtenir d'un remède tous les bienfaits désirables, il est bon que
l'intéressé en connaisse les vertus, attestées par les succès des cures anté-
rieures. Le chirurgien sait son métier et fait précéder l'application de
son topique du boniment préparatoire qui ne manque jamais son effet.
Remarquons en passant combien il ressemble de figure et d'attitude au
Pédicure de Teniers le Vieux.
Derrière,debout,une femmedu peuple,les mainscachées sous son tablier,
un panier au bras, se penche de côté et regarde timidement, curieuse et
impressionnée.
Pour compléter le quatuor réglementaire, il nous faut l'apprenti bar-
bier, jeune garçon à la mine éveillée, plus attentif à la mouche qui vole
ou aux propos des assistants qu'à l'emplâtre chauffé par lui au-dessus
d'un réchaud. Il est là, près d'une table chargée de flacons et de pots,
oublieux de sa besogne, tournant sa tète gamine vers l'objet de sa distrac-
tion, sans souci de la taloche que lui vaudra tout à l'heure cet onguent
mal fondu.
Les accessoires restent conformes à la tradition. Bocaux de pharmacie,
fioles de verre aux formes singulières, soigneusement bouchées de parche-
min, plat à barbe servant aussi de palette à saignée, pots d'onguent, sacs
de graines, chapelets de racines desséchées, terrines, cruches, creusets,
bouilloles, etc., épars sur le sol, sur les tables, sur les bancs ou sur des'
64 HENRY MEIGE
rayons, dans un désordre voulu où s'entremêlent harmonieusement les
raies de lumière et les touches d'ombre, l'or des cuivres, le blanc des
linges, le bleu des faïences, le brun des grès, le rouge du feu et du sang.
Un ou deux bistouris, une spatule, un sablier complètent l'arsenal du
chirurgien rustique. -
Ce soin minutieux des bibelots significatifs et cet art de répartition ju-
dicieuse suivant les exigences de la ligne et de la couleur, constituent une
des qualités maîtresses des peintres flamands et hollandais.
Nulle part elle ne s'affirme avec plus de virtuosité que dans les oeuvres
de Teniers, où chaque détail apparaît en bonne place, prestement indiqué,
sans jamais nuire à l'effet de l'ensemble, ni sans jamais trahir la recherche,
la combinaison, l'apprêté.
Réduit à la scène de médecine villageoise qui occupe le premier plan,
le tableau du Musée de Cassel formerait déjà un ensemble parfaitement
harmonieux. Mais, par un artifice qui lui est familier, Teniers a ménagé, sur
la droite de son panneau, une place destinée à augmenter sa profondeur
et à lui permettre de faire valoir son art dans la peinture des demi-
jours. ,
Dans un retrait de la pièce, à angle droit, faiblement éclairé par une
petite fenêtre, cinq personnages sont groupés. Ici l'on rase et l'on taille
barbe ou cheveux.
Un homme assis, le haut du corps entouré d'une serviette, maintient un
plat à barbe sous son menton, tandis qu'un jeune barbier, debout, fort soi-
gné dans sa mise, rectifie des deux mains la position de la tête broussail-
leuse.
Un autre, encore assis, a déjà consulté le Barbier en chef qui vient de
lui faire à la main gauche un pansement sérieux ; une écharpe passée au-
tour du cou soutient le membre malade. L'homme attend son tour de barbe :
sa visite était à deux fins.
Deux autres clients tournent le dos, l'un, au fond, prêt à sortir, l'autre,
tout à fait à droite, un bâton à la main, assis sur un tabouret, dans un ha-
bile contre-jour.
Le tableau est signé, en bas, adroite, sous deux morceaux de bois fendu
appuyés contre un tonneau. Il porte en outre plusieurs estampilles que
Teniers aimait à poser sur ses oeuvres, par amour de la tradition autant
que pour remplir un vide ou éclairer quelque coin obscur.
Tel le poisson desséché suspendu au plafond par une corde, ici effilé
comme une aiguille, ailleurs rond comme une citrouille,hérisséde piquants,
roulant de gros yeux, parfois lézard, caméléon ou crocodile, destiné à rom-
pre l'uniformité de la muraille sombre par les reflets luisants de ses écailles
LES PÉDICURES AU XVII1 ! SIÈCLE 65
cuivrées. Monstres échappés du troupeau des bêtes infernales qui four-
millent dans les Tentations de Saint-Antoine, petit-fils des monstres éclos
sous le pinceau de l'apocalyptique van Bosch, reproduits par son disciple
Bruegel le Vieux,-le grand-père de la propre femme de Teniers,-ces
dépouilles naturalistes semblent faire partie du blason de la famille et se
retrouvent dans tous les tableaux, de père en fils.
Tel aussi le hibou, dont brillent, dans l'ombre, les- yeux de feu et la
gorge argentée, oiseau cher à Minerve, gardien des mystères de l'officine.
Telle enfin la bouteille à col étroit, bouchée d'un tortillon de papier, en
faction dans la niche ronde où son ventre rebondi accroche un rayon lumi-
neux.
Il est bien rare que l'un ou l'autre de ces détails manque dans les inté-
rieurs où Teniers fait agir ses médecins de village, comme aussi le poêle
à pieds de chien, la table ronde ornée de dauphins, le portrait grotesque
accroché au mur, et maints autres objets familiers que le peintre avait
sans doute sous la main dans l'attirail de ses accessoires d'atelier.
En dehors des qualités de composition et d'exécution qui font de l'Etuve
de Cassel une des oeuvres maîtresses du peintre flamand, l'ampleur de la
scène et l'accumulation des détails professionnels donnent à ce document
un intérêt indiscutable au point de vue de la reconstitution des moeurs
médicales de l'époque. Nul écrit ne peut nous renseigner plus exacte-
ment.
L'intervention en elle-même parait simple et banale. Quelque cor causé
par un soulier grossier a nécessité un léger grattage au moyen du bistouri
que le barbier a posé négligemment par terre, ignorant comme ses
confrères d'alors, voire les plus huppés les précautions de la plus
élémentaire antisepsie. Le durillon coupé, une mixture savante, caustique
probablement, achèvera l'oeuvre du grattoir. L'emplâtre adhésif que chauffe
l'apprenti à tête frivole protégera la surface cautérisée contre les frotte-
ments de la chaussure.
.Heureux le vieux paysan ridé si pour lui le remède n'est pas plus dou-
loureux ni même plus dangereux que le mal !
Ne cherchons pas à connaître le caustique employé par le Pédicure de
Teniers. Qu'il se soit servi d'eau forte, ou d'huile de vitriol, comme le con-
seillait Ambroise Paré, de muriate d'antimoine, de nitrate d'argent, ou de
soufre ardent, qu'il ait fait usage de tiges de bois incandescentes, d'aiguilles
rougies au feu, ou même de toile d'araignée enflammée sur place, son pro-
cédé thérapeutique est condamnable. Il peut être l'origine de sérieux ac-
cidents.
x 5
66 IIENRY MEIGE '
Mais rien n'affirme que ce Pédicure fait usage d'une substance cor-
rosive ? La fiole qu'il tient à la main renferme peut-être un remède ano-
din, prôné par les apothicaires d'alors, cette huile qu'on retire des fruits
de l'anacardier et « qui est un bon remède pour guérir les cors aux pieds
et pour ôter les taches de rousseur du visage » (1).
2° Le Pédicure, ,
(Musée de Buda-Pest.)
Un autre Pédicure de D. Teniers le Jeune se trouve dans le musée de
l'Académie de Buda-Pest.
M. E. von Kammerer, commissaire directeur de la Galerie nationale de
Peinture, a bien voulu me communiquer les renseignements suivants
sur ce tableau (2) :
« Il faisait partie de la collection du prince Nicoliiis Esterhazy, et figu-
rait dans le catalogue de cette collection depuis l'année 1835, époque
probable de son acquisition. Actuellement, il figure dans la Galerie Na-
tionale de l'Académie de Buda-Pest sous le n° 505. »
La scène est jouée par les quatre personnages qui, dans l'Etuve de
Cassel, sont groupés aux premiers plans.
Le malade, assis sur une chaise, de profil, le haut du corps penché
en avant, soutient sa jambe droite avec ses deux mains croisées sous le
jarret. Son pied nu repose par le talon sur un billot de bois, près duquel
est déposé son soulier.
A droite, un genou en terre, le chirurgien, jeune, la barbe rare, coiffé
d'un bonnet de fourrure, un tablier autour des reins, tient dans la main
gauche les orteils du patient, tandis que de la droite, il décolle un emplâ-
tre posé sur la face dorsale du pied. Très attentif à sa besogne, il opère
avec précaution.
Par terre, auprès de lui, sont des ciseaux, une bouteille, et de solides
pinces à manche recourbé dont l'utilité semble bien problématique pour
le cas actuel ; mais leur présence a paru nécessaire il Teniers,désireux d'ac-
centuer la note réaliste et de jeter un reflet brillant sur l'uniformité du
sol.
En arrière et à droite, une femme dans le costume et l'attitude classi-
ques, coiffée d'un chapeau à larges bords, un panier au bras, les mains
(1) P. Poacsr, Ilisl. ! léta. des drogues, édit. 1894, L. Vif, p. 209 cité par A. Fihnklin,
Variétés chirurgicales, p. 222.
(2) Je tiens à remercier spécialement M. E. von Kammerer, qui, de plus, a eu l'ex-
trime obligeance de faire photographier cette peinture 1\ mon intention, par M. A.
\\'einwùl'l11. ,
LES PÉDICURES AU XVII" SIÈCLE 67
cachées sous son tablier, regarde l'opération. Elle rappelle beaucoup la
femme du tableau de Teniers le Vieux.
Un jeune apprenti fait chauffer un emplâtre au-dessus d'un réchaud
posé sur une table où se trouvent encore des ciseaux, 'des bouteilles et des
pots d'onguent.
Au mur du fond s'alignent sur une tablette des bocaux, des fioles et
des cruches, avec une palette à saignée suspendue au-dessous, un râtelier
où sont accrochés des ciseaux et des rasoirs. A côté, un portrait-charge
avec la date du tableau : 1636. Teniers avait alors 26 ans.
Plus à droite, deux sortes de guitares suspendues à la muraille nous
laissent entendre que le Barbier est musicien à ses heures, quand la clien-
tèle se fait rare. Nous trouvons à côté le hibou en vedette sur son perchoir.
Au-dessus, par une petite lucarne, un homme passe la tête et regarde
curieusement. C'est un souvenir de famille, car le même indiscret se voit
dans le Docteur de Village de Teniers le Vieux, au musée d'Amiens.
Une cloison de planches limite la pièce à gauche. Adroite, une porte
entr'ouverte nous laisse voir l'intérieur d'une arrière-boutique où un
homme, tournant le dos, semble occupé à piler des drogues dans un mor-
tier. 1
Des fioles, des pots, des cruches bouchées avec du papier, un plat à
barbe en métal, et un poêle garnissent les deux coins inférieurs du ta-
bleau. Une grosse boule de verre suspendue au plafond remplace ici le
poisson traditionnel.
-La scène est toute simple et l'intervention se comprend à première vue :
Le Barbier retire un vieil emplâtre posé sur une pluie,du pied, probable-
ment occasionnée par le frottement d'une chaussure grossière. Son jeune
aide l'ait ramollir un nouvel emplâtre qui sera mis à la place de l'ancien.
L'arrachement de l'emplâtre semble se faire ici sans grande douleur. II
n'en sera pas de même dans toutes les officines. Les patients que nous
montrera A. Brouwer feront tous une horrible grimace en subissant la
même opération.
D. Teniers a d'ailleurs utilisé cette donnée pour symboliser la douleur.
Dans l'un de ses tableaux qui représentent les Cinq sens, à l'Académie des
Beaux-Arts de Vienne, dans Le Toucher, il nous montre un jeune paysan,
assis sur une chaise, retirant un emplâtre de son poignet droit. Son visage
et son attitude expriment la plus vive souffrance (1 ).
L'intérêt du Pédicure de Buda-Pest est surtout grand par les analogies
(1) N° 824, B. II. 27, L. 22, 5. Derrière une table il droite uue femme prépare un
autre emplàtre.-A. van Ostade a symbolisé de la même façon le Toucher dans un ta-
bleau qui se trouve au musée de l'Ermitage, il Saint-Pétersbourg. N° 956. '
63 HENRY MEIGE
qu'il présente, non seulement avec d'autres peintures de D. Teniers, mais
encore avec certaines scènes du même genre qui ne sont pas signées de lui.
D'abord, le malade, vieillard ridé cheveux courts, il moustache et à
barbiche grisonnantes, est un modèle que nous retrouvons avec le même
visage et portant les mêmes habits dans un tableau de Teniers, au musée
du Louvre, le Joueur de Cornemuse. La ressemblance est parfaite.
Dans le Pédicure de Cassel nous avons vu le même hibou, le même plat
à barbe, et maints autres objets figurés presque sans changements.
Sur une gravure, d'après un tableau de Teniers, que nous reproduisons
plus loin, les analogies ne sont pas moins frappantes, tant dans l'agence-
ment des personnages que dans la figuration des détails mobiliers.
Ces ressemblances n'ont rien de surprenant si l'on songe à la profusion
des oeuvres du maître flamand. Il avait à sa disposition un certain nom-
bre de modèles et d'accessoires qu'il aimait à représenter en variant sur-
tout les éclairages, dans l'espoir d'obtenir chaque fois un effet plus heu-
reux.
Mais on a lieu d'être plus étonné lorsqu'on retrouve les mêmes simili-
tudes dans certaines peintures d'Adriaen Brouwer.
Le Pédicure de A. Brouwer, au musée de Vienne (voy. plus loin), est
en effet le portrait fidèle du Pédicure de Teniers, au musée de Buda-Pest :
même visage, mêmes lèvres fines, même nez pointu, mêmes vêtements,
même coiffure, et enfin même attitude, bien que tourné du côté opposé.
La boule de verre dans le Teniers de Buda-Pest se retrouve chez le
Pédicure de Brouwer, à Vienne, et l'homme, vu de dos, qui pile des
médicaments dans l'arrière-boutique, est indiqué dans un tableau de
Brouwer, à Aix-la-Chapelle.
Il n'est pas hors de propos de faire ressortir ici ces répétitions. Elles
confirment l'opinion que les deux artistes ont dû s'inspirer l'un de
l'autre. Du moins, semble-t-il vraisemblable qu'ils ont eu, à certaine
époque de leur vie, les mêmes modèles et le même matériel à leur dispo-
sition.
3° L'Opération chirurgicale.
(Musée du l'rado, à Madrid.)
Au musée du Prado, à Madrid,faisant pendant à Y Opération sur la tête (1)
dont nous avons déjà donné la description et la reproduction, se trouve un
tableau de D. Teniers le Jeune représentant un Pédicure (2).
(1) Voy. IIemiy MEME, Les opérations sur la tête. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,
no 5, 1893. l'1. L.
(2) NI 1736 du Catal. B. II. 33. L.25. Collect. de Carlos II, col. de dona Isabel Farne-
sio. Pal. de San Ildelf.
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 69
« Un chirurgien de village fait une opération sur le pied d'un homme
âgé. Une vieille femme et un jeune garçon regardent la scène. Intérieur et
accessoires des officines villageoises. »
Telle est la note très sommaire que j'ai prise sur cette peinture, dans un
examen trop hâtif, en 1895. La photographie et les renseignements que
j'ai demandés sur elle à diverses reprises ne me sont jamais parvenus. Je
tiens cependant à signaler son existence, car le document qui vient à la
suite s'y rattache intimement.
4° Le Chirurgien de campagne.
Gravure d'après un tableau de D. Teniers le Jeune.
(Collection de M. le Dr Paul nicher.)
M. le Dr Paul Richer a eu l'obligeance de me communiquer une gravure
de sa collection, qui me parait être une reproduction, soit du tableau de
Teniers du musée de Madrid représentant une Opération sur le pied, soit
d'une réplique très analogue à ce dernier.
Cette gravure, de Tho. Major, porte la date de 1747 (1).
Le décor et la scène rappellent beaucoup les tableaux des musées de Cas-
sel et de Buda-Pest décrits précédemment; il y manque cependant l'ar-
rière-boutique réservée au barbier proprement dit ou au pileur de drogues.
Les quatre personnages du premier plan constituent toute la figuration.
Le patient, assis sur une chaise à dossier droit où son chapeau est ac-
croché, pose son pied nu sur un cube de bois, tient sa jambe entre ses
mains croisées et se penche en avant. C'est un homme âgé, rasé de frais,
la figure creusée de rides, simplement, mais proprement vêtu.
Le chirurgien, un genou en terre, courbé en deux, tient d'une main les
orteils et de l'autre détache un emplâtre appliqué sur la face dorsale du
pied. Jeune, le nez crochu, les lèvres minces, les cheveux mal frisés, il'est t
coiffé de l'inévitable bonnet entouré de fourrures et ceint du court tablier
professionnel, une clef pendue à son côlé. Il porte une casaque assez élé-
gante avec des créneaux, des crevés, et des manchettes plissées.
La femme au panier et au tablier se tient derrière lui, plus vieille ici et
s'apitoyant davantage, mais avec le même geste penché de la tête et du
corps pour regarder la plaie du client.
L'apprenti, gamin frisé, debout derrière sa table,chauffe sur un réchaud
l'emplâtre qui remplacera tout à l'heure celui que détache son patron.
Lui aussi regarde l'opéré et semble négliger sa préparation.
( (1) Elle est dédiée iL Monseigneur d'Argenson, Ministre et secrétaire d'État. a A Paris,
chez l'Auteur, rue St-Jacques, vis-à-vis les Charniers de St-Benoist, et chez J. Pli. Le
Bas, Graveur du Cabinet du Roy, au bas de la rue de la Harpe. A.P. D.H. danien-
sions II. 33. L.47. C. ,
70 HENRY MEIGE
La même cloison de planchas, servant de séchoir à un linge, nous sépare
d'une pièce contiguë, éclairée par une fenêtre à vitraux, l'étuve, peut-
être ? ...
Le mur du fond est creusé de la niche qu'habite la bouteille à bouchon
de papier. Des fioles, des bocaux s'alignent sur une tablette au-dessus de
rasoirs et bistouris. Les cruches, les pots d'onguent, les bouteilles, le plat
à barbe, le banc, le poêle à pieds de chien, la table à otes de dauphins
et le portrait-charge sortent bien de la même fabrique que les accessoires
identiques des Barbiers de Cassel et de Buda-Pest.
Le hibou renfrogné ne manque pas à la fête. Mais le poisson pendu est
devenu iguane. Enfin, un nouvel animal vient égayer la scène : un singe,
perché sur la cloison de bois, retenu par une chaîne, jouant avec une
pomme, en belle lumière, et dans une amusante posture. C'est le singe de
Teniers, un familier de sa maison qu'il introduisit souvent dans ses
parodies, rhabillant en homme, le faisant peindre ou jouer du violon. Nous
retrouverons bientôt ses congénères faisant aussi la charge des Barbiers-
Chirurgiens.
Par terre, le Pédicure a déposé ses instruments :
Un bistouri à petit manche, à lame courbe et à pointe mousse, pour le
grattage superficiel des cors et des durillons.
Une longue tige métallique, avec un manche en T, terminée par un pe-
tit crochet, et qui sert, sans doute, maniée comme une vrille, il fouiller
dans la profondeur du cône épidermique qui constitue le cor.
A côté, une petite curette à gros manche semble avoir même destina-
tion. Une forte pince est aussi là, pour l'extirpation définitive de la ra-
cine du cor.
Tous instruments dont l'application est loin d'être indolore, mais dont
la forme et l'emploi se sont perpétués, à quelques variantes près, chez les
pédicures de notre temps, sous les noms de furets, navettes, quadrilles, etc.
Deux petites fioles, il long col et à ventre sphérique, trouvent aussi leur
utilisation dans cette chirurgie locale. Lorsqu'elles ne contenaient pas quel-
que précieux topique, elles étaient simplement remplies d'eau, et, faisant
l'office de loupes, servaient à concentrer les rayons lumineux sur le siège
du mal. Nous les retrouverons dans presque tous les tableaux repré-
sentant des Pédicures, sans que cependant les opérateurs aient l'air de les
employer dans ce but.
Dans le cas présent, tout cet attirail professionnel n'est là que pour la
forme.
Il s'agit simplement de remplacer un vieil emplâtre par un nouveau
comme dans le tableau de Buda-Pest, et, ici encore, cette substitution ne
paraît pas trop douloureuse; le patient serre bien un peu les dents, mais
LES PÉDICURES AU XVII" SIÈCLE 71
il ne nous montre ni les grimaces ni les contorsions causées par les exci-
sions qui faisaient partie du manuel opératoire des Barbiers-Pédicures et
dont nous verrons dans J'oeuvre de Brouwer de si vivantes représen-.
talions.
III
ADRIAEN VAN Stade
Peintre hollandais (Haarlem, 1610-1685)
Le Chirurgien de village.
Académie des Beaux- Arts, Vienne (1).
La peinture dont il s'agit est considérée comme une copie ou une imi-
talion d'A. van Ostade. Il est fort possible d'ailleurs que le maître hollan-
dais ait choisi une scène de ce genre pour sujet d'un de ses tableaux. Nous
avons de lui plusieurs Médecins, Charlatans, Dentistes, traités dans le
même esprit que ceux de Teniers et de Brouwer.
Je ne connais ce document que par la description du catalogue :
« Dans une chambre ornée d'images grotesques et de récipients de tou-
tes sortes, un chirurgien, assis il droite sur un escabeau, fait une opération
sanglante sur l'orteil d'un paysan.
En arrière se tient un autre paysan appuyé sur une béquille.
Au fond, à gauche, un jeune homme prépare un emplâtre. »
Le sang qui jaillit de l'incision semble indiquer que l'opération est
assez sérieuse ou que l'opérateur n'est pas très adroit.
IV
.1 PIETER JANS,- QUAST.
Peintre hollandais (Amsterdam, 1606-1647)
Un Opérateur.
Musée de l'Ermitage. St-Pétersbourg.
Le riche musée de l'Ermitage, à St-Pétersbourg, possède un curieux
Pédicure, attribué il PIETER JANSZ QUAST, contemporain et imitateur d'A.
Brouwer ou d'A. van Ostade (2).
S'inspirant de ces maîtres, Pieter Quast devait peindre des scènes de
chirurgie rustique, des Pédicures en particulier.
(1) N° 906 du Cat. - B. II., 24. L. 34, 5.
(2) W. l3uncr.n signale en 1860 un Chirurgien de village de Pieter Quast, au musée
de Rotterdam. a Le chirurgien opère une vieille femme en présence d'un vieillard
qui tient une tête de mort (Voy. W. Burges, Musées de Hollande, t.II, p. 267). Ce ta-
bleau, qui ne figure plus dans le Catal. IIaverhorn van Rijsewijk de 1892, a peut-être
été brûlé en 1864, avec tant d'autres oeuvres de plus haute valeur.
72 HENRY MEIGE
Celui du musée de l'Ermitage est digne d'intérêt (1). Il en a été donné
une excellente description par M. A. Somof; je la reproduis inté-
gralement :
« Un chirurgien, vêtu de satin blanc, portant un haut-de-chausses cra-
moisi, des bas blancs et des souliers jaunes, et coiffé d'un chapeau mou,
gris, orné d'une plume et d'un noeud rouge, est debout devant un paysan
assis sur une banquette à droite de lui. Il rit, en tenant dans la main droite
le cor qu'il vient de couper du pied droit du paysan.
Un autre paysan soutient le patient dont le visage est contorsionné par
la douleur.
Entre ce groupe et le chirurgien, au second plan, un' vieillard et une
vieille femme regardent avec curiosité le cor extirpé.
Plus loin derrière l'opérateur, son domestique, une lanterne à la main,
debout près d'une table, éclaire les objets qui y sont rangés : une cruche,
un gobelet à anse, et un essuie-mains.
A droite, au premier plan, une corbeille pleine d'effets du patient,ainsi
que son bâton, et au fond, une porte par laquelle un paysan fait entrer
une vieille femme malade assise dans une brouette.
En même temps que ce groupe, pénètre dans la salle la Mort, sous la
forme d'un squelette qui sonne de la trompette.
En haut, au-dessus du groupe principal on voit voler un hibou (2). »
· Vraisemblablement, il s'agit de l'extirpation complète d'un cor du
pied droit, et l'on s'explique aisément les contorsions douloureuses de
l'opéré, si l'opérateur a poussé son extraction jusqu'à la racine même du
cor.
Les personnages accessoires sont conformes à la tradition.
Mais la vieille femme malade introduite sur une brouette est une inno-
vation.
Quant au squelette qui l'accompagne, en sonnant de la trompette, il
jette une note funèbre dont Teniers et Brouwer se sont toujours abstenus.
Leur satire n'est jamais macabre ; elle n'en a que plus d'effet.
(A suivre.)
(1) N 4775 du Catal. Somof, 1895, p. 268. B. - 0,34.'J X 0,ho ; provient de la ga-
lerie du prince Galitzine.
(2) a A gauche, dans le coin inférieur du tableau, on voit une fausse signature : A.V.O.
(ces trois lettres entrelacées en forme de monogramme), faite à l'endroit où se trouvait
la véritable signature ou le monogramme du peintre qu'on a eu soin d'effacer. C'est ce
qui explique que ce tableau, pendant qu'il se trouvait dans la galerie du prince Galit-
zine, était considéré comme une oeuvre d'A. Van Ostade. " .
Le gérant : P. Bouchez
Imp. G. Si-Aubin Tiievenot. - J. Thevenot, successeur, SI-Di71er (Ille-Marne),
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.
T. X, PL. VII.
L'ÉTUVE DE VILLAGE
d'après un tableau de DAVID TENIERS LE JEUNE
peintre flamand (i61o-i6qo)
(Musée de Cassel.)
Mvsson 1.r Çh', éditeurs.
LE PÉDICURE
Zdl7W de DAVID rE\1PR5 LE JEUNE, peintre fLul1and IIO-l6go).
Musée de Buda-Pesth.
106 Année N° 2 Mars-Avril 1891
DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE
SANS LOCALISATION POSSIBLE
PAR
E. BRISSAUD et E. DE MASSARY
professeur agrégé, ancien interne des
médecin de l'Hôpital St-Antoine. Hôpitaux.
La chirurgie des tumeurs cérébrales est une triste chirurgie. Elle n'a son
excuse que dans le soulagement temporaire qu'elle procure; car elle n'est
guère que palliative. Mais cela seul est déjà pour elle une raison d'être, et
ses trop nombreux insuccès ne la condamnent pas d'avance. Et puis quel-
ques succès merveilleux justifient toutes ses audaces.
Le cas dont nous voulons parler aujourd'hui est un cas malheureux ; non
pas qu'il doive grossir le chiffre de la mortalité post-opératoire, attendu
que le malade dont il va être question n'a pas été opéré, mais il aurait pu
l'être. Qui plus est, il aurait très probablement bénéficié de l'opéra-
tion, au moins pour un temps. Nous n'avons pas diagnostiqué la tumeur,
et cependant cette tumeur était superficielle, bien limitée, facilement
énuctéabte : il n'y avait, littéralement, qit'à la cueillir. Les faits de ce genre
n'étant pas communs, nous n'en avons que plus de regrets de nous être
abstenu. On ne croira donc pas que nous veuillons l'aire oublier une er-
reur de diagnostic en commençant par accuser la chirurgie cérébrale.
Néanmoins nous déclarons que la tumeur en question ne pouvait pas être
diagnostiquée ; et comme, après tout, l'erreur de diagnostic a été commise,
nous désirons simplement discuter les résultats probables de l'opération,
qu'il eût fallu faire, en admettant que nous eussions été en mesure d'affir-
mer l'existence de cette tumeur, d'en préciser le siège et d'en déterminer
la nature.
Toutes les statistiques démontrent surabondamment que les tumeurs
cérébrales sont en majeure partie de nature maligne. Voici d'ailleurs ce
que nous apprend la statistique d'Allen Starr, une des dernières publiées.
Depuis 1893 jusqu'en 18S)G, ce chirurgien a opéré : 6
x 6
1j4 E. BRISSAUD ET E. DE MASSARY
15 sarcomes ;
8 kystes ;
6 tubercules ;
4 gliomes;
3 gommes ; .
2 gliosarcomes ; .
1 fibrome ;
1 angiome ;
'7 tumeurs de nature indéterminée.
Ainsi donc, c'est le sarcome qu'on trouve le plus fréquemment. Est-il
nécessairedefaire remarquer combien les résultats opératoires doivent être
misérables, lorsque cette production siège dans un organe où les larges exé-
rèses sont impossibles ? Le pronostic est plus sombre encore que pour le
sarcome des membres ; et c'est tout dire. Cependant Allen Starr ne dé-
plore pas la prédominance numérique du sarcome sur les kystes, les
tumeurs et les gommes ; ce serait, d'après cet auteur, la tumeur qui com-
porte le meilleur pronostic ! « Il y a en effet peu de difficultés dans l'abla-
tion des kystes, mais les résultats sont moins favorables, il ne suffit pas
d'évacuer le contenu de ces kystes, qui repullulent alors, mais il faut dis-
séquer et énucléer leurs poches, ce qui ne peut se faire sans de graves
traumatismes suivis souvent d'hémorrhagies ou d'abcès (1). » Quant aux
gommes et aux tubercules, ils relèvent moins de la chirurgie que de la
médecine.
Est-ce à dire que pour les autres tumeurs cérébrales l'intervention chi-
rurgicale doive être abandonnée ? Loin de là. La chirurgie seule peut
donner une lueur d'espoir dans ces cas désespérés; et les indications
d'opérer sont formelles, lors toutefois qu'on peut établir le diagnostic du
siège de la lésion. Ce diagnostic de la localisation est basé dans l'immense
majorité des cas sur le syndrome de l'épilepsie jacksonnienne; il est
soumis par conséquent aux erreurs qu'entraîne la variabilité des crises.
La cause prochaine et unique de l'épilepsie jacksonnienne est une irrita-
tion de la substance grise corticale de la zone motrice, et particulièrement
de la couche des grandes cellules de cette zone. Si donc le syndrome est
fréquent dans les méningites, les méningo-encéphalites, bref dans les
lésions intéressant les zones les plus superficielles de l'écorce, il manque
fréquemment dans les tumeurs qui n'intéressent pas directement les cel-
lules motrices, ou lorsque ces tumeurs absorbent les dites cellules dans un
processus rapide de transformation néoplasique. De plus, les tumeurs
situées en dehors de la zone rolandidueaccusentsurtout leur présence par
(1) Médical Record, February, I, 1896.
DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 75
des troubles variés de la tension intra-crânienne; ce sont des lésions à ma-
nifestations diffuses. On ne peut attendre d'elles un syndrome clinique
aussi remarquablemenlprécisque celui qui décèle une plaque de méningite
irritant un département du territoire rolandique.
Donc, de deux choses l'une : ou la tumeur trahit sa présence par le syn-
drome classique de l'épilepsie jacksonnienne, et le signal-sgmptome en
indique la localisation ; ou bien elle ne se laisse reconnaître que par les
signes auxquels on devine une surtension intra-crânienne, et alors le
syndrome de l'épilepsie franche sans signal-symptôme est un fait banal
sans valeur diagnostique, simplement surajouté à ceux de la lésion diffuse.
C'est à un cas de ce genre que nous avions affaire.
Il est juste aussi de remarquer que le dilemme n'est pas rigoureusement
vrai. Les tumeurs cérébrales ont une symptomatologie essentiellement ca-
pricieuse, et leurs variétés cliniques ne restent pas cantonnées dans l'un
ou l'autre de ces deux termes : épilepsie jacksonnienne avec localisation,
épilepsie franche sans localisation. En effet, une épilepsie jacksonnienne
fournira un signal-symptôme qui ne correspondra pas à la tumeur prévue
mais bien à une lésion de voisinage, irritative ou vasculaire ; par cela
seul le diagnostic de localisation sera faussé. Une autre fois le néoplasme
évoluera lentement, sourdement, ne donnant lieu qu'à un affaiblissement
'intellectuel progressif... Pendant qu'on hésite le malade meurt,et l'autop-
sie met a jour une tumeur facilement énucléable, c'est-à-dire une rare occa-
sion de satisfaction opératoire. ,
Voici l'histoire du cas :
M... était un homme robuste de 28 ans, exerçant facilement son métier
d'ajusteur. Aucune maladie ne l'avait encore forcé de prendre du repos,
lorsque, le 10 juillet 1894, à 5 heures du soir, tandis qu'il était à son
travail, il tomha terrassé par une violente attaque d'épilepsie. Ce ne fut ni
lofait d'une émotion, ni la conséquence d'une fatigue exagérée, ni d'un
excès alcoolique... Aucune cause apparente ou connue ne la créa, aucun
symptôme ne la prévint.
M... resta un quart d'heure sans connaissance, puis se releva et reprit
son travail. Que fit-il pendant cette crise ? -Il était incapable de le dire. Il
ne savait s'il s'était débattu, mais il affirmait ne pas s'être mordu la langue
et ne pas avoir perdu ses urines.
Les quatre jours suivants, M... travailla comme d'habitude sans acci-
dent aucun.
Dans la nuit du 13 au 14 juillet le mal reparut : sept attaques consécu-
tives. Cette fois chaque attaque fut mieux définie. M... les sentait venir;
76 E. BRISSAUD ET E. DE MASSARY
les muscles de son visage se crispaient, ses mâchoires se serraient, ses
tempes battaient; il restait ainsi quelques secondes pendant lesquelles il
comprenait encore ce qui se passait autour de lui, mais il ne pouvait parler.
Puis il perdait connaissance et se débattait : les convulsions étaient géné-
ralisées, mais elles avaient été, parait-il, plus fortes du côté gauche et
particulièrement dans le bras gauche (le fait est affirmé par plusieurs
personnes qui ont vu M... en état de mal). Enfin, ce joui--là, M... se mordit t
plusieurs fois la langue, mais il ne perdit pas ses urines. Un médecin con-
seilla le bromure de potassium et les douches.
Jusqu'en janvier 1895, M... n'eut plus de crises complètes mais sim-
plement et à plusieurs reprises des crises avortées. Ces dernières consis-
taient en « crispations des muscles du visage, avec une grimace de rire
forcé sans perte de connaissance ». A l'en croire, il restait toujours présent,
comprenait ce qu'on lui disait, mais était incapable de répondre.
En janvier 1895, les crises complètes recommencèrent, et cette fois
encore on aurait remarqué que les mouvements convulsifs étaient plus
prononcés dans les membres du côté gauche. -
Pendant ce mois, les crises complètes alternèrent avec les crises avor-
tées et IVL.. quittant son travail vint se faire soigner à St-Antoine, où il
resta en observation pendant cinq semaines.
A l'hôpital le nombre des crises diminua. Les premiers jours elles
avaient été quotidiennes, se répétant, même jusqu'à 13 fois dans les vingt-
quatre heures; puis elles s'espacèrent. Elles se présentaient toujours sous
deux types différents, c'est-à-dire qu'elles étaient ◀tantôt▶ complètes, ◀tantôt▶
incomplètes. Les crises complètes s'annonçaient par la crispation du visage,
le grincement des dents, l'impossibilité de parler, les battements tempo-
raux ; après quelques secondes, perte de connaissance, convulsions géné-
ralisées mais prédominantes à gauche, puis résolution, sommeil profond
durant le plus souvent une heure entière. Jamais de miction involontaire.
Outre ces grandes attaques, on vit d'autres crises incomplètes, ébau-
chant en quelque sorte les premières : môme début ; crispation de la face,
grincement des dents, impossibilité de parler, mais pas de perte de con-
naissance, pas de convulsions, en cinq ou six secondes tout était fini.
Dans l'intervalle des crises, M... n'était pas complètement en bonne
santé. Il souffrait d'une constante et violente céphalée ; il disait ressentir
continuellement une sorte de battement dans la région frontale et dans la
région occipitale : c'était une douleur profonde mais diffuse, sans prédo-
minance à droite ou à gauche. On lui demandait avec instance s'il n'avait
pas d'engourdissements, de fourmillements dans le côté gauche, et it répon-
dait que, parfois en effet, il sentait comme de petits élancements dans le
bras gauche, mais très légers et très fugitifs. Le bras ne fut d'ailleurs
DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 77
jamais ni affaibli, ni maladroit, et ses dimensions diamétrales restèrent
sensiblement égales à celles du membre opposé. Telle était la situation en
février 189fS, sept mois après la première crise.
M... n'était certainement pas un hystérique. Il n'avait pas eu la syphi-
lis. Il n'était pas alcoolique; il était même d'une absolue sobriété. Son
métier ne l'exposait à aucune intoxication professionnelle. Rien ne faisait
supposer une lésion secondaire à un traumatisme ancien. Il n'avait jamais
été malade. Ses bruits cardiaques étaient irréprochables, ses urines étaient
normales. 11 était de grande taille, vigoureux, d'une conformation physi-
que parfaite, intelligent et laborieux. C'était un beau type de l'espèce.
Marié depuis quatre ans à une femme jeune et saine, il avait deux enfants
venus à terme et très bien portants.
. Dans ces conditions, pourquoi l'épilepsie ?
L'épilepsie tardive, épilepsie essentielle, nous cache encore ses causes.
Les travaux qu'elle a suscités depuis quelques années ne nous renseignent
que sur la fréquence relative des affections cardiaques auxquelles on a cru
pouvoir l'attribuer. Nous ne trouvions ici nul motif d'incriminer la fonction
du coeur. Les artères étaient souples ; une lésion méningitique de nature
tuberculeuse n'était guère vraisemblable. Il ne pouvait être question d'une
épilepsie réflexe d'origine intestinale. Bref, nous ne savions trop quelle
étiologieinvoquer... et cependantnous voulions diagnostiquer une tumeur
cérébrale... quelque kyste peut-être ? .
La céphalée persistante dont cet homme se plaignait n'est guère le fait
de l'épilepsie essentielle, précoce ou tardive. On l'observe parfois chez les
épileptiques âgés et allléromateux. Ce n'était pas le cas. D'autre part, la
coïncidence de la céphalée et de l'épilepsie constitue une présomption au
moinsprovisoireen faveur d'unecompression intra-crânienne. Mais le malade
n'avait jamais présenté les signes irrécusables de la compression,qui s'an-
noncent par des troubles visuels, et que l'ophtalmoscope révèle fatalement
un jour ou l'autre. Les tumeurs cérébrales, lorsqu'elles donnent lieu à
des symptômes de compression diffuse - et il ne s'agissait encore que de
cela ne tardent guère à traduire leur présence par ces phénomènes ré-
tiniens qui ont une signification invariable et qui, dans le cas particulier,
faisaient défaut. Bref l'association de l'épilepsie et de la céphalée ne per-
mettant de présumer l'existence d'un néoplasme qu'en vertu d'une cer-
taine logique clinique toujours sujette à caution, nous n'arrivions pas à
établir un diagnostic sur des éléments de certitude ; et comme, au demeu-
rant, l'épilepsie essentielle tardive peut admettre, ci titre exceptionnel,
l'adjonction de la céphalée, c'est encore à l'hypothèse de l'épilepsie essen-
tielle que nous étions invinciblement ramenés.
Le traitement sembla apporter une sanction à ce diagnostic, car sous
78 E. BRISSAUD ET E. DE MASSARY
l'influence du bromure de potassium, les crises s'espacèrent et M... put
quitter le service cinq semaines après son entrée.
En mai 1895, les crises réapparurent, toujours sous les mêmes formes,
mais deplusen plus nombreuses. M... interrompit de nouveau son travail
et revint à l'hôpital. Il avait abandonné l'usage du bromure, quoiqu'il eût
été repris de céphalée. La douleur était frontale et occipitale, bilatérale,
sans localisation. Elle était si tenace et si pénible, que le malade ne ré-
pondait à nos questions qu'avec la plus grande difficulté. Il nous sembla
même qu'il avait un certain embarras de la parole et, comme nous le lui
faisions remarquer, il nous répondait que cela tenait à la violente dou-
leur de tête qui l'absorbait. Il resta quelques jours sans avoir de crises,
mais le 30 mai elles éclatèrent de nouveau subintrantes; le malade tomha
du premier coup en un véritable état de mal permanent. C'étaient de
grands accès épileptiques au cours desquels la tête était inclinée à droite.
Dans l'intervalle- très court des reprises le visage était grimaçant, des con-
vulsions toniques, des muscles soulevaient les plis naso-géniens des deux
côtés et provoquaient un rictus invariable ; les pupilles étaient immobiles.
De temps à autre on remarquait un léger strabisme divergent. Les mem-
bres se raidissaient mais sans s'élever au-dessus du plan du lit.
Cet état dura deux jours, et la température pendant ce temps ne descen-
dit pas au-dessous de 39°. Puis les crises s'espacèrent de nouveau, M...
reprit connaissance et sortit de son état de mal, brisé, abattu; mais cette
fois encore guéri, en apparence du moins ; car le seul symptôme perma-
nent qu'il accusait auparavant, la céphalée, se trouva considérablement at-
ténué et disparut même fréquemment par intervalle.
A la fin du mois, M... quitta l'hôpital n'ayant pas eu d'autres crises.
Il reprit de nouveau son métier et l'exerça pendant les mois d'hiver. Il
croyait être définitivement débarrassé. Mais peu à peu sa céphalée repa-
rut, par accès d'abord, puis d'une façon continue, si bien qu'en janvier
1896, il vint plusieurs fois à la consultation nous demander un soulage-
ment ; il prenait toujours du bromure. On lui prescrivit de plus de l'an-
tipyrine à la dose de deux et trois grammes par jour.
Ce traitement fut sans résultat. La céphalée redoubla d'intensité, tou-
jours sans localisation, sans rémission, avec une obsédante ténacité.
Entre temps les crises reparurent et augmentèrent rapidement de fré-
quence. M... se vit encore forcé d'entrer a Si-Antoine. Il souffrait cruelle-
ment, nuit et jour, ne connaissant plus le repos. Aussitôt admis, il se
coucha; mais il ne pouvait rester étendu : il se levait à tout moment,
cherchant vainement à oublier ses douleurs en se livrant à une agitation
factice. Au bout.de quelques heures les crises épileptiques éclatèrent avec
DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 79
une violence inouïe, et le malade succomba en état de mal dans le courant
de la nuit, sans avoir recouvré une seule fois connaissance.
Tout l'intérêt de l'autopsie se concentrait sur l'examen du cerveau. On
ne pouvait suspecter aucune altération thoracique ou pulmonaire chez cet
homme robuste et sain. Et de fait, les viscères étaient absolument normaux.
La calotte crânienne une fois enlevée, on vit la dure-mère fortement
vascularisée et dans sa partie droite soulevée par une tumeur molle presque
fluctuante, qui fit facilement hernie à travers quelques éraillures. Lors-
qu'il fallut rabattre la dure-mère pour mettre à découvert les hémisphères
sous-jacents on constata que sur une certaine étendue, limitée, il est vrai,
cette méninge adhérait à la tumeur d'une façon intime. Cette partie adhé-
rente fut laissée en place et séparée du reste de la dure-mère. Puis l'extrac-
tion de l'encéphale put être faite sans difficulté.
La tumeur siège sur la première circonvolution frontale à un centimètre
du pôle frontal, à trois centimètres du lobule paracentral. Elle mesure
environ six centimètres dans le sens antéro-postérieur et trois centimètres
dans le sens transversal (Pl. X).
Sa consistance est molle, presque diffluente, sa couleur rougeâtre; sa
forme simule assez fidèlement celle d'un bait posé sur le bord supérieur
de l'hémisphère. Elle présente, par conséquent, deux masses, l'une sur la
face externe, l'autre sur la face interne, reliées entre elles par un large
pont de substance néoplasique.
A la face externe, la tumeur s'étend sur les deux premières circonvolu-
tions frontales et laisse intacte la troisième.
A la face interne du lobe frontal elle comprime et aplatit la circonvolu-
tion frontale supérieure dans laquelle elle semble se creuser un lit.
Toute cette masse n'adhère à la dure-mère qu'en un seul point, mais les
adhérences de sa face profonde sont telles que la tumeur et la substance
cérébrale semblent ne faire qu'un seul bloc ; c'est à peine en effet si les
bords de la tumeur se décollent du cerveau et à quelques millimètres du
bord la fusion est intime. Quant aux bords libres, ils se continuent avec
la pie-mère. Nous reviendrons d'ailleurs sur ce point.
Sur une coupe verticale et transversale, passant par la partie médiane
de la tumeur et intéressant la totalité du lobe frontal, il est difficile de
distinguer une séparation tranchée entre le tissu morbide et la substance
cérébrale. La différenciation ne repose que sur un léger changement de
coloration : la tumeur est plus rouge.-
Quant à distinguer, dans le cerveau lui-même, entre la substance grise
et la substance blanche, cela est totalement impossible. A l'oeil nu, le
80 E. BRISSAUD ET E. DE MASSARY
tissu néoplasique semble remplacer la substance grise absente et en occuper
exactement la place.
Tels sont en résumé les caractères objectifs et les rapports de cette
tumeur.
Sa nature se révèle après une simple dissociation; la partie fondamen-
tale du néoplasme est formée de petites cellules rondes avec noyau volu-
mineux ; ce sont des cellules sarcomateuses typiques.
Restait à déterminer le point de départ de ce sarcome. Nous avons dit
que les bords de la tumeur se continuaient directement avec la pie-mètre
ceci déjà permet de conclure à l'origine du néoplasme.
Un examen microscopique plus minutieux confirme cette hypothèse..
Des parties de la pie-mère étant détachées au voisinage et sur les bords
mêmes de la tumeur, il fut facile de constater que cette méninge, saine à
la périphérie quoique fortement vascularisée, s'infiltrait peu à peu, à sa
face profonde, de cellules embryonnaires et ne tardait pas à faire corps
avec la tumeur elle-même.
Enfin les coupes démontrèrent d'une façon certaine la nature sarcoma-
teuse de la tumeur dont l'origine pie-mérienne ne semblait plus guère
douteuse.
Sur une coupe transversale intéressant la totalité du bord supérieur de
l'hémisphère, le nouveau tissu a la forme d'une bande d'un centimètre
d'épaisseur environ ;.la substance cérébrale est refoulée, atrophiée ; une
limite nette sépare les deux tissus.
Le tissu de la tumeur est formé de petites cellules rondes, chacune de
ces cellules possède un noyau relativement volumineux et une mince cou-
che de protoplasma. Bref, il s'agit d'un sarcome globo-cellulaire.
Ce sarcome est très largement irrigué, parcouru par des vaisseaux à si-
nuosités nombreuses, uniquement constitués par un endothélium adossé
à une membrane anhiste ; en dehors de cette membrane et immédiate-
ment contre, se trouvent les cellules sarcomateuses. Dans quelques en-
droits, toute trace de paroi vasculaire a même disparu, et le sang chemine
entre les cellules s'accumulant par places en petits foyers d'hémorrhagies
interstitielles.
La face supérieure de ce sarcome est appliquée à la dure-mère, en un
espace large d'un centimètre carré. Les coupes pratiquées à ce niveau mon-
trent la dure-mère saine passant au-dessus des cellules embryonnaires,
et non dissociée par elles. '
A sa face inférieure, la tumeur est étroitement juxtaposée à la substance
cérébrale, mais la limite commune aux deux tissus est très nette. Les cou-
ches les plus superficielles de la substance cérébrale sont formées par des
bandes de névroglie aplaties. D'ailleurs les parties sous-jacentes elles-
DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 81
mêmes sont également plus denses, plus compactes ; et les cellules ner-
veuses, disséminées dans la gangue névroglique, sont arrondies et semblent
avoir perdu leurs prolongements protoplasmiques. En somme, compres-
sion et atrophie de la couche grise corticale, mais sans réaction inflamma-
toire, voilà tout ce qui constitue la lésion cérébrale proprement dite. C'est
une lésion mécanique. Les vaisseaux qui circulent dans cette partie de la
substance cérébrale sont cependant profondément modifiés. On les voit en
très grand nombre entourés d'une couche plus ou moins épaisse de cellules
embryonnaires en tout semblables aux cellules globuleuses du sarcome.
Cette multiplication d'éléments,qui se retrouve sur de nombreux vaisseaux
de la surface de l'écorce, n'est-elle pas une preuve de plus de l'origine
pie-mérienne du sarcome dont les voies de propagation seraient alors les
gaines conjonctivo-lymphatiques des artérioles nourricières ?
On peut donc formuler d'une façon très précise le diagnostic histolo-
gique de la tumeur : sarcome à cellules globo-cellulaires, siégeant primi-
, tivement sur la pie-mère et ayant refoulé les parties adjacentes de l'écorce
cérébrale par propagation envahissante le long des artérioles nourricières
issues de la méninge.
Tel est le cas.
Le résultat de l'autopsie ne nous a nullement surpris. Nous avions
admis d'abord la probabilité d'une tumeur, puis nous avions abandonné
cette hypothèse et finalement nous nous attendions à tout. Mais ce qui nous
a réellement confondus, c'est la possibilité évidente d'une intervention
chirurgicale qui eût été, selon toutes vraisemblances, d'une grande sim-
plicité opératoire et à laquelle cependant nous n'avions jamais eu l'idée
de recourir. Pas un seul symptôme de localisation unilatérale ne nous
indiquait auquel des deux hémisphères il eût fallu s'attaquer.
La chirurgie exploratrice ne convient guère aux maladies de l'encé-
phale. La crâniectomie bilatérale, en tout cas, ne saurait être conseillée
comme un procédé de diagnostic. On a, jusqu'à ce jour, le droit de
douter de son innocuité ; et lorsqu'une épilepsie non jacksonnienne
paraît résulter d'une lésion encéphalique accessible aux moyens chirur-
gicaux, encore faut-il qu'on ait quelque chance de rencontrer cette lésion
à la surface. Si le mal est profond, la crâniectomie est inutile et les
risques de l'intervention ne sont pas suffisamment compensés par les
chances de guérison.
Si l'épilepsie est justiciable de la trépanation, c'est seulement dans les
cas où elle est un élément de diagnostic accessoire, c'est-à-dire lorsqu'elle
ne constitue pas à elle toute seule toute la maladie. D'autre part, la
82 E. BRISSAUD ET E. DE lItASSARy y
valeur curative de la trépanation dans l'épilepsie essentielle a été peut-être
trop dénigrée. Mais il y a loin de la trépanation décompressive à la crâ-
niectomie.exploratrice. ?
.Dans l'observation qu'on vient de lire, la céphalée nous avait «fait
douter de l'épilepsie essentielle; et cependant l'épilepsie avait précédé
la céphalée. Les rémissions étaient complètes et longues; et comme on
ne pouvait songer ni à un tubercule ni à un syphilome du cerveau, la
seule hypothèse rationnelle sur laquelle il fallait se rabattre, était t
celle d'une lésion telle qu'un kyste parasitaire, capable d'irritations, in-
termittentes. Celte idée même, en 'dépit de la logique, n'était pas satis-
faisante ; car, pour produire une céphalée si terrible et- si diffuse,' la
tumeur devait être de dimensions notables. Or, les papilles étaient intac-
tes, et on sait qu'en l'absence de la stase papillaire, le diagnostic des tu-
meurs ne comporte- jamais de certitude absolue.
L'épitepsie n'avait présenté aucun des caractères des convulsions d'ori-
giiie'cortic,ile; nous ne pouvions donc localiser la lésion dans la sphère .
motrice. L'intégrité-parfaite des fonctions visuelle et auditive nous inter-
disait de la placer dans'la sphère sensorielle. La persistance des facultés
intellectuelle et affective, la conservation de la mémoire et la régularité
déboutes les- opérations\lu'langage'-i1Üérieur'écartaient ërifiÎ1Tidée d'une
localisation frontale. Et ainsi nous étions invinciblement ramenés au dia-
gnostic d'épilepsie essentielle; qui était' le plus indécis de tous;puisque nous
appelons « essentielle » toute épilepsie dont la cause nous échappe. 1
L'histologie cependant nous renseigne assez exactement sur le méca-
nisme des symptômes. La tumeur était déjà constituée lorsque le premier
accès (l'épilepsie eut'lieu ; mais elle était trop-loin-de la sphère' motrice
pour provoquer une crise jacksonnienne. Aussi les çrises généralisées
d'emblée. 'semblent-elles devoir être attribuées rétrospectivement à une
coirpe 6'lQn en masse de la totalité de l'encéphale ! 'j j
L'infiltration de la méninge par les cellules du sarcome au voisinage de
la sphère 'motrice déterminait sans doute la prédominance des mouvements
conv'ulsifs'du côté gauche. Peut-être aussi faut-il supposer que les convul-
sions bilatérales étaient plus prononcées à gauche parce que la' tumeur,
quoique située en dehors de la sphère motrice, avait rendu l'hémisphère
droit plus susceptible... La lenteur de l'évolution et les rémissions com-
plètes des symptômes s'expliquent par la nature du néoplasme, qui ne se
développait que par poussées successives et assez longuement espacées.
CeL[F-E&iistàtàtidii-d&-rnë'7aiôn encore allez" Stan; lorsqu'il soutient
que de toutes les tumeurs cérébrales, c'est le sarcome qui comporte le pro-
nostic le moins défavorable.
Une tumeur qui ne se traduit que par une épilepsie essentielle et une
TUMEUR CEREBRALE.
Sarcome de la pic mcrc, lobe frontal droit.
MASSON & cie, Éditeurs. 5.
DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 83
céphalée diffuse peut-elle être diagnostiquée assez sûrement pour qu'on
tire d'une symptomatologie si restreinte une conclusion thérapeutique ra-
tionnelle ? - Assurément non. '
Lorsque les convulsions sont généralisées, nous ne savons, non seu-
lement sur quelle région de l'hémisphère, mais encore sur quel hémis-
phère l'opération peut bien être directement efficace. Mais il nous semble
que la céphalée, quoique diffuse, constitue à elle seule un motif d'inter-
venir lorsqu'elle est continue et intense, et surtout lorsqu'elle survient
et s'exaspère dans des périodes de paroxysmes épileptiques. Car l'épi-
lepsie prétendue essentielle exclut la céphalée; et il suffit d'une trépa-
nation simplement décoa ? iiaa7te pour faire disparaître les douleurs
comme pour prévenir un état de mal d'où peut résulter la mort. Cette
conclusion - si l'on considère la bénignité de la trépanation simple -
ne saurait passer pour radicale, même aux yeux des plus « conserva-
teurs ».
DE LA MAIN « SUCCULENTE »
PAR
G. MARINESCO
I
Les troubles trophiques de la syringomyélie sont si variables dans leur
expression, si originaux dans leur cortège symptomatique qu'ils en ont
imposé parfois pour des affections différentes, c'est ainsi qu'on a créé la
main typeMorvan, la main chiromégalique qui a été confondue par cer-
tains auteurs avec l'acromégalie. Mais ce n'est pas tout, il existe encore
des troubles trophiques vaso-moteurs qui, pour être plus rares, n'en sont
pas moins intéressants. Je me propose dans ce travail de montrer qu'il
existe au cours de la syringomyélie des troubles trophiques vaso-moteurs
particuliers qui, associés à l'atrophie musculaire qu'on rencontre souvent
dans cette affection, assurent à la main un cachet si spécial qu'on peu !
faire aisément le diagnostic de la syringomyélie sans avoir procédé à un
examen complet du malade. Aussi jusqu'à plus ample informé, je consi-
dère que celle main appartient en propre à la syringomyélie, et pour carac-
tériser ce type, j'adopte le nom qui m'a été suggéré par mon cher maître,
M. Marie, celui de main succulente. Ce n'est pas à dire que les troubles
vaso-moteurs dont j'aurai à parler n'aient pas été rencontrés par d'autres
observateurs, mais ceux qui m'ont précédé n'ont pas prêté une attention
suffisante aux caractères de cette main pour y donner une description com-
plète et lâcher de la dégager des types voisins.
Les troubles vaso-moteurs dans la syringomyélie ont été signalés par
Fiirstner et Zacher (1) qui ont rapporté, en 1883, un cas des mieux étudiés
de syringomyélie avec autopsie. Leur cas est intéressant en ceci, c'est que
les troubles vaso-moteurs pouvaient être provoqués à volonté. Une exci-
tation cutanée avec le doigt ou avec une épingle produisait au début de la
pâleur, puis une lâche rosée suivie de vésicule et devenue confluenle. Ce
phénomène'vaso-moleur ne se produisait pas seulement sur une région
donnée, mais sur tout le corps. La nécropsie a montré qu'il s'agissait bien
(1) Fuhstner et ZACn¡;n, Archiv. sur Psychiatrie, t. XIV, 1883.
DE LA MAIN SUCCULENTE 85
d'un cas de syringomyélie qui avait envahi surtout la commissure de la
corne postérieure. Dans le travail de Roth, publié dans les Archives de
neurologie, il est question à plusieurs reprises de troubles vaso-moteurs.
Aussi dans l'observation II de cet auteur (extrait des Archives de neuro-
logie, nos 42, 44, 47 et 48, année 1888), il est question d'un gonflement
indolent du dos de la main droite qui a été passager. Le gonflement a duré
un jour et a ensuite disparu. Dans les observations IX et X du même au-
teur on trouve notés des troubles vaso-moteurs consistant en une cyanose
légère des mains.
Une observation qui présente beaucoup plus d'intérêt au point de vue
du sujet qui nous occupe,c'est le travail de Remack, paru dans je berlines
klinische Wocltettschrift, 1889, n°3, et intitulé : oedème des extrémités supé-
rieures d'origine spinale (syringomyélie). Il s'agit d'un ouvrier de 38 ans
chez lequel l'oedème s'est développé pour ainsi dire sous les yeux de l'au-
teur. Présenté au mois d'octobre 1889 aux élèves, une tuméfaction indo-
lore s'est développée quelques jours après sur la main gauche, tuméfaction
qui au bout de dix jours avait atteint également la main droite. La parti-
cularité intéressante^ c'est que du côté du membre supérieur droit il n'y
a ni atrophie ni paralysie, tandis que le memhre supérieur gauche pré-
sente de l'atrophie musculaire. Les extrémités des membres supérieurs
sont libres dans leurs mouvements et non tuméfiées, la main est surtout
tuméfiée du côté de la face dorsale, mais du côté de la face palmaire il
n'y a pas de changement de coloration de la peau. L'impression digitale
. laisse une fossette légère qui disparaît rapidement. La tuméfaction est
uniforme.
La main est chaude, mais sa température varie avec celle du milieu am-
biant.
Le pouls'est normal, nulle part de degré de thrombose ou de dilatation
veineuse.
Rien au coeur, pas d'albuminurie dans l'urine. Ni les extrémités infé-
rieures ni la face ne présentent la moindre trace d'oedème. L'atrophie
musculaire de la main gauche affectait particulièrement le premier inter-
osseux, moins les autres et encore moins l'éminence thénar, l'auteur a
constaté de la dissociation de la sensibilité et posé le diagnostic de syrin-
gomyélie.
Massius (1) a vu dans un cas de syringomyélie que le dos des mains était t
tuméfié, cyanosé et donnait une sensation de froid intense. Ces troubles
de la circulation persistent, en partie même après la position élevée que
l'on donne aux membres supérieurs.
(1) Massius, Un cas de syringomyélie. Annales de la société médico-chirurgicale de
Liège, 1890, p. 153.
8G G. MARINESCO
Hoffmann (1) dans son remarquable travail sur la syringomyélie a noté à
plusieurs reprises la présence de troubles vaso-moteurs, mais je n'ai
trouvé dans son article qu'une seule observation de troubles trophiques
cutanés, qui pouvaient être comparables à ceux que je vais décrire. C'est
un cas d'oedème et avec cyanose des mains, des pieds et des jambes
(observ. XVI) au cours de la syringomyélie confirmée par l'autopsie.
Deux auteurs anglais, Colemann et Joseph 0'Caroll (2), ont publié une
observation de syringomyélie dans laquelle ils ont noté que la main droite
du malade était tuméfiée, tuméfaction due à une espèce d'oedème solide.
La peau de la face dorsale a un aspect pourpré et elle est froide et luisante.
Plus récemment encore Louazell (3) dans une thèse sur la maladie deMor-
van a consigné une observation due au docteur Dayot de Rennes qui a re-
marqué que la main gauche de sa malade (il s'agissait bien entendu d'un
cas de syringomyélie), très large, très épaissie, était le siège d'un oedème
dur qui donnait au doigt un aspect particulier (doigt en forme de saucis-
son). La main se cyanose quand le membre reste pendant. Dans le travail
d'Oppenheim sur la syringomyélie je n'ai trouvé aucune donnée se rap-
portant à notre sujet, mais cet auteur a bien indiqué un état sclérodermique
des doigts.
Ce sont là presque tous les documents que j'ai pu recueillir au point
de vue des troubles trophiques cutanés et vaso-moteurs dans la syringo-
myélie.
Observation I.
Le nommé Gav..., ciseleur, âgé de 72 ans, admis dans le service de M. Marie
à Bicêtre.
Antécédents héréditaires insignifiants.
Antécédents personnels. Pas d'affections syphilitiques ou vénériennes, pas
d'alcoolisme. Les symptômes de la maladie actuelle ont débuté d'une façon
insidieuse. Il paraît cependant que les troubles de motilité ont débuté presque
en même temps que les troubles de sensibilité. Déjà en 1848 il avait éprouvé de la
faiblesse et la même année en portant des gamelles il s'était brûlé sans ressentir
aucune douleur. En 1850 il présentait des mains en grille, symptôme qui dispa-
rut en 1853. En 1870 il se rappelle qu'il ne pouvait plus mettre la main sur la tête.
Une particularité intéressante à noter dans ses antécédents : c'est qu'il avait
remarqué en 1848, alors qu'il travaillait la terre, que son bras droit s'était tu-
méfié brusquement, tuméfaction peu douloureuse qui disparut après 3 ou 4 se-
maines. Mais il fut étonné en constatant à ce moment une tumeur dure ayant
à peu près le volume qu'elle présente actuellement, elle occupait la partie ex-
(1) Hoffmann, Zur Leh,'e VOl) des Sy¡'illgomyélie. SonderabdruckDeutsche Zeilschrift
sur Nervenheilkunde.
(2) Colemann AND O'CAPULL, A case of syringomyélie. The Lancet, 1893, 12 août.
(3) Louazell, Contribution à l'étude de la maladie de Morvan. Thèse de Paris, 1890.
DE LA MAIN SUCCULENTE 87
terne de l'avant-bras et siégeait plus exactement dans la moitié supérieure du
cubitus. A cause de cette liyperostose il a été traité ; Troyes en Champagne
par l'onguent mercuriel. Lisfranc que le malade a vu à la Pitié a affirmé
qu'elle était de nature spécifique. Le même diagnostic a été porté par un autre
chirurgien de l'Hôtel-Dieu dont le malade a oublié le nom. Toutefois Ricord,
qui a eu occasion de voir ce malade, a affirmé qu'il s'agit )a d'une lésion os-
seuse, rhumatismale ou scrofuleuse. Le malade se souvient que Ricord a été
à ce point de vue très affirmatif.
Si j'ai assez longuement insisté sur l'histoire de cette affection osseuse,que le
malade porte encore actuellement, c'est parce qu'elle présente, ainsi que nous
le verrous plus loin, une certaine importance au point de vue de sa nature.
Etat actuel. Quand on regarde de près les mains de ce malade (PI. XIV,
fig. A), on est surpris de l'aspect tout spécial et de l'attitude qu'offrent ses extré-
mités. Les mains sont en extension sur le poignet, déjetées vers le bord cubital,
surtout la droite qui est très relevée et simule la main de prédicateur; le
pouce est plutôt en extension. La première phalange de l'index est en extension
taudis que les deux autres sont en llexion. Cette attitude est beaucoup moins
caractéristique pour les trois autres doigts de la main droite, mais on peut dire
qu'à mesure que l'on se rapproche du petit doigt, les doigts ont tendance il se
redresser et à se placer dans l'extension. Si par l'attitude la main droite se
rapproche de celle du prédicateur l'attitude du pouce et de l'index permet de
comparer cette main à celle d'une personne qui prise du tabac (PI. XIV, A).
L'attitude de la main gauche est moins caractéristique. La main et les doigts
sont en extension,mais elle est moins déviée vers le bord cubital et l'extension
de la main sur le poignet n'est pas aussi accusée qu'à droite. L'extension du
pouce est plus manifeste que celle des autres doigts. Les pouces des deux côtés
présentent une conformation qui mérite d'être relevée. Les bords interne et ex-
terne ne sont plus symétriques ; tandis que le bord externe du pouce est plus
uniforme et moins concave, le bord interne présente une excavation assez ma-
nifeste. On peut dire d'une manière générale que les pouces sont dirigés vers
l'axe de la main.
La conformation delà main offre aussi quelques particularités importantes.
Le bord cubital de la main est privé de sa musculature ; la ligne que dessine
ce bord,au lieu d'être convexe comme l'état normal,est rectiligne oUll1ême lé-
gèrement concave. Le premier espace interosseux est aplati et par suite de
l'atrophie des parties molles qui remplissent cet espace, il en résulte une dimi-
nution du diamètre transverse de la main. Ainsi elle mesure du bord cubital
au 1e1' espace interdigital 10 centimètres pour la face dorsale des deux côtés.
Pour la face palmaire on a 9 centimètres à gauche et 8 centimètres à droite. Les
téguments de la face dorsale sont tuméfiés d'une façon modérée, tuméfaction qui
fait disparaître les dépressions occupées par les espaces interosseux. Elle fait
presque défaut au niveau des deux derniers métacarpiens. La saillie des tendons
des extenseurs est presque invisible. La couleur de la peau est changée ; très
souvent elle est rouge avec une nnance de violet. Quand il fait froid on voit sur
cette face de petites taches de couleur variable qui donnent à la main un aspect
88 G. MARINESCO
marbré. En examinant de plus près ou y voit un léger réseau veineux. La
pression du doigt sur la face dorsale de la main ne laisse pas de godet.
' La tuméfaction des téguments se prolonge un peu vers les doigts et leur
donne une apparence très caractéristique, ainsi les index par suite de cette tu-
méfaction ressemblent ;i des fuseaux, renflés à leur base. Si on n'examinait
pas avec attention, on pourrait penser que cette tuméfaction est due unique-
ment à des lésions osseuses de l'articulation métacarpo-phalangienne. Mais si
on pince la peau la racine des doigts, on s'aperçoit que cette tuméfaction
dépend également des téguments et de l'articulation métacarpo-phalangienne.
Par suite même de cette tuméfaction l'insertion des doigts ne se fait pas comme
l'état normal. Le contour de la ligne d'insertion n'est pas souple. Les doigts
pris dans leur ensemble sont boudinés, manquent de détails.
La tuméfaction de la main empêche de voir l'aspect des muscles interosseux,
mais l'examen électrique et l'état fonctionnel de ces muscles nous montrent
qu'ils sont complètement atrophiés.
L'écartement et le rapprochement des doigts de la main gauche sont impossi-
bles, mais ils sont fixés dans leur situation habituelle par des rétractions
tendineuses. On peut les rapprocher et les écarter facilement. Les mouvements
d'extension ou de flexion des doigts sont très limités, mais il y a à ce point de
vue quelques différences à faire. Les mouvements du pouce ont tous disparu,
excepté une légère extension. Les mouvements de flexion des doigts ne sont
guère possibles que pour l'index et le doigt du milieu du côté droit. A gauche,
tout mouvement de flexion des doigts a disparu.
L'extension et la flexion du poignet sont limitées, mais l'extension est mieux
conservée que la flexion. Atrophie manifeste des muscles de l'avant-bras. Les
muscles de la face postérieure sont mieux conservés. Atrophie assez marquée
du biceps et du triceps : mais ce dernier fonctionne encore très bien il gau-
che. Légère atrophie du deltoïde.
L'état du grand pectoral est un peu plus difficile à apprécier par suite de
l'adipose de la paroi antérieure thoracique, surtout au niveau du mamelon, ce
qui donne l'apparence d'une atrophie marquée de ces muscles. Cependant par
l'examen des mouvements dus à ce muscle et l'excitation électrique on se
rend compte que cette atrophie musculaire n'est pas très considérable. A la
partie supérieure de la face antérieure du thorax, il existe sur la ligne médiane
une excavation qui se relève sur le côté et à laquelle MM. Marie et Astier ont
donné le nom de thorax en bateau.
Sur le bord cubital, il existe un peu au-dessus du point de jonction de la
moitié supérieure avec la moitié inférieure, une tumeur dure, incompressible,
immobile, fixe sur l'os sous-jacent.
C'est cette tumeur qui a été diagnostiquée par un certain nombre de chirur-
giens comme étant de nature syphilitique, diagnostic qui n'a pas été accepté
par Ricord. En examinant, à l'aide des rayons de Roentgen, grâce il l'obligeant
concours de M. Londe, on s'aperçoit que le cubitus présente il ce niveau un
aspect tout spécial (PI. XII). Tout d'abord, on voit sur la continuité de l'os, au
niveau de la tumeur, un changement de densité de la substance osseuse qui
DE LA MAIN SUCCULENTE 89
donne l'impression d'une ancienne fracture consolidée. L'os est comme étiré ;i
ce niveau et les deux bouts sont séparés par la substance osseuse de nouvelle
formation ; ils ne sont pas tout à fait sur le même axe. Sur le bord interne du
cubitus, il existe au-dessus et au-dessous de la région indiquée une néoforma-
lion osseuse à contour très régulier ayant la forme d'un grand segment d'élip-
soide (1).
Sur le bord interne du cubitus, il existe une autre formation osseuse, de
forme pyramidale, dont le sommet dirigé transversalement occupe un point de
l'espace interosseux plus rapproché du radius que du cubitus.
Sa4fJ3se est implantée sur le bord interne du cubitus. .
Cette liyperoslose osseuse, a laquelle on peut assigner la forme d'un fuseau
irrégulier, n'est autre chose, a mon avis, ainsi que le montre d'une façon nette
la radiographie, qu'un cal suite d'une fracture spontanée qui a passé inaperçue.
Ce qui vient à l'appui de ma manière de voir, ce n'est pas seulement la pho-
tographie au moyen des rayons de Roentgen, mais aussi le fait que cette frac-
ture a été accompagnée, ainsi qu'il résulte de. l'aveu du malade, d'un oedème
assez étendu du bras et qui a duré environ trois semaines.
Je rappellerai à ce propos que les fractures spontanées ne constituent pas
une rareté au cours de la syringomyélie. Elles ont déjà été notées par plusieurs
observateurs,notamment par Schultz, l3ernliardt,etc. L'observation de 13eruhardt
présente beaucoup de ressemblance avec la nôtre. Dans son cas, qui a trait à
un malade âgé de 20 ans, l'extrémité supérieure du cubitus droit est légère-
ment hypertrophiée, et dans les mouvements on perçoit de la crépitation et
quelques craquements : cette hyperostose est due à un cal, suite d'une fracture,
qui fut absolument indolore et qui survint la suite d'un effort que fit le ma-
lade ; elle guérit d'ailleurs en quelques semaines, après application d'un appa-
reil plâtré.
On pourrait m'objecter cependant que le malade ne s'est pas du tout rendu
compte de l'existence de la fracture; c'est précisément ce qui arrive habituel-
lement dans les fractures spontanées de la syringomyélie. Ce fait a été déjà
noté dans une observation de Schultze. La même remarque a été faite par Roth
propos d'une fracture de la clavicule qui avait déterminé un gonflement con-
sidérable de l'épaule et l'attention du malade a été attirée par ce dernier symp-
tôme et non par la fracture qui n'avait pas même été remarquée.
Gav... présente la dissociation syringomyélique la plus nette, elle occupe les
membres supérieurs dans leur totalité, le cou, la moitié droite de la face, le
thorax en avant et en arrière, jusqu'au niveau de la Se dorsale. La topographie
de la thermoauesthésie est indiquée sur le schéma suivant (Fig. 1 et 2).
Pas de troubles sensoriels d'aucune sorte. La vue, l'ouïe et le goût sont nor-
maux ; les pupilles réagissent bien à la lumière et l'accommodation. Les réflexes
des membres inférieurs sont exagérés ; les réflexes tendineux aux membres
supérieurs diminués. Le malade marche facilement, mais à petits pas ; il n'y a
pas de signe de Romberg. Du côté des grands appareils on ne constate pas de
(1) A mon grand regret, ce cliché devant être réduit à cause du format de la Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière, les détails de la fracture ne sont pas aussi visibles que
sur les épreuves faites sur le papier à l'albumine.
x 7
90 G. MARINESCO
désordres morbides ; il n'existe pas notamment de bruits anormaux du coeur,
ni d'albumine.
L'examen des muscles fait par le Dr Huet, avec le courant faradique (grand
chariot de Tripier, bobine fil moyen, interruptions fréquentes. Méthode de Du-
chenne), en vue de la topographie de l'atrophie musculaire, a donné le résultat
suivant :
Membre supérieur droit.
Courant faradique.
DE LA MAIN SUCCULENTE 91
évidente sous l'influence de cette ex-
citation sont les suivants : extenseur
commun cubital-postérieur-long et
court extenseur du pouce, elle existe
mais plus faible pour les autres mus-
cles.
p2 ? ? -G. MAHINBSCO
8 à 10 jours. Après, cet accident, il ne pouvait plus travailler, les bras et les
mains ayant perdu leur souplesse. Mais la faiblesse et l'atrophie des memhres
supérieurs seraient survenues progressivement. L'atrophie, et le malade est très
affirmntif ce point de vue, n'a pas commencé par un segment du memhre su-
périeur, mais dès le début, elle avait gagné toutes les parties du membre su-
périeur. Presque en même temps, avec la faiblesse et l'atrophie, la main gau-
che a commencé a se tuméfier, sans cause apparente. Mais la tuméfaction était
plus prononcée pendant l'hiver. De temps en temps, quand il se trouvait près
d'un poêle, il voyait se développer sur ses doigts des cloques à la suite de
brûlures sans éprouver de douleur. La main droite a commencé à se fermer ;
elle est devenue raide depuis une quinzaine d'années. Il y a plus de 8 ans que
sa colonne vertébrale a commencé il se dévier. La marche qui était devenue
.difficile est complètement abolie depuis iou 5 ans.
Etat actuels Ce qui frappe tout d'abord en regardant le membre supérieur,
c'est 1,'aspect dissemblable des mains ; leur attitude et leurs gestes sont tout dif-
férents (Pl. Xi, fig. B). En effet, la main gauche est étendue sur le poignet et les
doigts sont aussi en extension. En outre, elle est rejeté.e vers le bord cubital en
sorte que les axes de l'avant-bras et de la main ne forment plus une ligne droite,
mais un angle obtus et celui de la main repose sur une surface plane, le petit
doigt se relève de 1 à 2 centimètres au-dessus du plan dorsal ; il en est de
même de l'annulaire quoique à un degré moindre. La conformation extérieure
de la main est tout à fait caractéristique : le bord cubital est concave, concavité
qui se voit aussi à l'origine du premier espace interosseux à cause de la dispa-
rition des parties molles.- La main, réduite'ainsi'a sa forme squelettique, est
comme resserrée à sa racine. Il existe en outre un relâchement des ligaments
des articulations mélaearpo-phalaugiennes et particulièrement des ligaments
latéraux de l'index, ce qui permet d'imprimer au doigt des mouvements anor-
maux. Atrophie considérable des émiuences thénar et hypothénar.
Ce qui donne un cachet tout il fait original il cette main ne résulte pas seu-
lement de l'attitude imprimée à la main par l'atrophie musculaire et l'action
tonique de certains muscles, mais de l'état des téguments de la face dorsale de la
main gauche et des doigts. La couleur de la peau a la face dorsale est celle
d'une main gelée. Elle est tuméfiée, lisse et luisante et on y voit comme par
transparence un réseau veineux peu apparent ; la tuméfaction s'arrête au niveau
du pli du poignet. Il n'y a pas d'empreinte manifeste par la pression de la peau
et cette pression ne laisse qu'une pâleur passagère ; la coloration reparait rapi-
dement. Cette tuméfaction de la peau cache presque complètement le relief des
tendons dé l'extenseur commun. La peau est fine, mollasse. La température de la
main très basse.. -
Les doigts du malade sont fusiformes, mais très allongés. La peau qui les
recouvre'est tendue, unie et lissé dans toute leur étendue. Comme chez les
autres malades, le légnmeut des doigts offre l'aspect lisse (Glossy Skin) de sorte
que les sillons- CL les plis articulaires sont effacés. Les ongles,' allongés, sont
nettement striés longitudinalemenl. , .'
L'aspect, la forme et l'altitude de la main droite sont tout dil1'Úrùuts. Sans
doute, il existe encore ici un certain degré de cyanose et de tuméfaction, celle-ci
MAIN SUCCULENTE
FRACTURE SPONTANÉE SIMULANT UNE HYPÉROSTOSE
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.
T, X, PL, XIV.
MAINS SUCCULENTES
. Fig A. - SU.11,T DJ la l'REV11Î'R1 : OBJERVAI'10\.
Les mains représentent les caractères décrits D1t11l-
nution du diamètre transversal de l.l main. Lice dorsale
tuméfiée, effacement des détails qu'on y voit ù l'état
normal. Doigts boudinés fOlm.l1lt des fuseaux courts.
Les mains sont en extension sur le poignet, surtout la
droite qui rappelle le geste du prédicateur.
FIg. 13. - SUJET nr la ·rnolsli.nr observation.
Mains dissemblables; la main droite présente les pre-
niières phalanges en extension, les deux dernières en
lle\ion, grille des inteiosseux; main gauche succulente
présente une diminution considérable du diamètre trans-
%ers.il, son bord cubital est evcavé,la ligne de la racine
de l'index est rentrante, les doigts comme la main sont dé-
jetés vers le bord cubital ; ils forment des fuseaux allongés.
Masson et Cie, Editeurs.
DE LA MAIN SUCCULENTE 93
moins prononcée du reste à la face dorsale de la main, mais le relief des ten-
dons s'accuse fortement. Les espaces interosseux sont profonds. La forme de
la main se rapproche beaucoup plus de celle de la main normale. Le contour
du premier espace interosseux est moins rentrant la main gauche. Le bord
cubital est moins concave. Au poiut de vue de son attitude, elle diffère encore
de la main gauche. Si elle est déjetée vers le bord cubital et en extension, ce-
pendant la deuxième phalange est fléchie sur la première et la troisième sur la
deuxième. La première phalange, surtout celle de l'index, est en extension sur
la main ; en d'autres termes, le type de la main est celui de la grille des inter-
osseux. Il n'y a que le pouce de la main droite qui se trouve en extension et
écarté de son axe médian. Vues par leur face palmaire, les mains présentent
une plus grande analogie. Il existe des deux côtés une atrophie considérable des
éminences thénar et hypothénar. Les éminences thénar sont non seulement
aplaties mais excavées.
L'atrophie musculaire est distribuée d'une manière inégale aux membres su-
périeurs, l'avant-bras gauche étant plus pris que l'avant-bras droit et le bras
droit un peu plus atrophié que le bras gauche. Voici du reste le résultat des
mensurations de ses serments :
94 G. MARINESCO
bras, mais le triceps se contracte avec force quand on essaie d'opérer cette
flexion.
Cette conservation relative des muscles extenseurs de l'avant-bras et du
bras a son importance au point de vue de la localisation des noyaux muscu-
laires dans la moelle. Je reviendrai sur ce sujet dans la seconde partie de ce
travail.
Le deltoïde droit est plus atrophié que le gauche, par contre le pectoral gau-
che ne l'est pas davantage que le droit. Les sus et sous-épineux sont atrophiés
des deux côtés.
Les mouvements d'élévation du bras dépassent l'horizontale, mais le malade
ne peut porter la main sur sa tête, l'écartement du tronc se fait avec facilité,
la musculature de la face est normale.
Jacq présente de la scoliose dont la convexité est tournée il gauche,
les réflexes-rotuliens sont' très exagérés. Il ne présente pas de troubles de
miction ni d'albumine dans l'urine, ni de bruits anormaux au coeur.
La sensibilité tactile est conservée sur toute l'étendue du corps. La sensibi-
lité douloureuse est abolie dans les régions suivantes : membres supérieurs,
face antérieure du tronc et de l'abdomen, face antérieure de la cuisse gauche.
Dans ces régions il existe également de la </Mnno/M/jooM</tMt6, il lui arrive
quelquefois qu'il ne peut pas distinguer le chaud du froid.
Observation III.
Gass..., employé au chemin de fer, âgé de 60 ans.
Antécédents héréditaires sans intérêt ; rien également à noter dans les anté-
cédents personnels ; pas de syphilis, ni d'alcoolisme. La maladie actuelle a dé-
buté il y a 23 ans par la main droite. Ce qui a 'attiré son attention en première
ligne, c'est une parésie dans les mouvements du pouce, parésie qui ne lui per-
mettait pas de tenir un crayon pour écrire : aussi était-il obligé de se servir de
ses deux mains, lorsqu'il voulait tracer des caractères. La main gauche n'a été
prise que deux ou trois ans après. En 1878, il ne pouvait plus se servir de ses
bras pour s'habiller, se boutonner, etc. Presqu'à la même époque, il a constaté
des troubles caractéristiques de sensibilité. Il s'était brûlé à plusieurs reprises
et même des vésicules s'étaient formées sans qu'il éprouvât la moindre douleur.
En 1889, il a remarqué des troubles de la marche plus ou moins intermittents.
Il lui est arrivé parfois de ne plus pouvoir marcher ; ses jambes se ployaient.
Pendant l'hiver ses mains se tuméfiaient, mais il ne saurait préciser à quelle
gpoque ce phénomène a commencé.
Le malade, entré en 1876 à Bicêtre, se trouve actuellement dans le service
de M. Marie.
Etat actuel. -L'attitude des membres supérieurs du malade est très caracté-
ristique. Les membres sont pendants le long du trouc et présentent une atrophie
considérable. Ainsi l'épaule on peut voir à cause de l'atrophie très marquée de
toutes les portions du deltoide surtout il gauche, le contour de l'articulation
scapulo-humérale. L'épaule droite est abaissée. Atrophie en masse du grand
pectoral (portion claviculaire), du biceps, du coraco-brachial et du triceps.
DE LA MAIN SUCCULENTE 95
Les sus et sous-épineux sont atrophiés, peut-être à un degré plus marqué à gau-
che. La musculature de la face antérieure.du bras est non seulement très atro-
phiée, mais elle est également complètement paralysée. Aussi tout mouvement
de flexion du bras est impossible ; par contre le triceps atrophié oppose une
grande résistance à la flexion du bras.
A l'avant-bras, l'atrophie occupe les muscles des faces antérieure et posté-
rieure, mais ces derniers le sont a un degré moindre. Les mains sont en exten-
sion sur le poignet. La main droite est en outre en pronation forcée.
Le petit doigt, surtout à gauche, est écarté de l'axe de la main ; les trois doigts
du milieu. sont rapprochés. Les pouces des deux côtés sont tournés vers l'axe
de main. L'état des mouvements des membres supérieurs est le suivant : le
malade ne peut porter un objet à sa bouche. Pour manger, il a recours il l'arti-
fice suivant : il prend la cuiller entre le 3e et le 4e doigt et porte ses lèvres à la
rencontre de celle-ci. Il ne peut soulever ses-»bras : leur flexion est impossible.
Quand on veut lui écarter les bras du tronc, il n'oppose qu'une faible résistance.
Fig. 3.- Main « succulente potelée » chez le nommé Gass..... (d'après une photographie).
9û G. MARINESCO
Tous les mouvements de l'épaule sont abolis; on peut imprimer à celle-ci des.
mouvements passifs dans toutes les directions ; on ne trouve nulle part d'anky-
lose. Grâce à cette laxité spéciale des articulations de l'épaule et du bras, on
retrouve ici le type du bras de polichinelle. Les mouvements qui persistent à
l'avant-bras consistent en un certain degré d'extension du poignet et des doigts,
due surtout au cubital postérieur et aux radiaux qui fonctionnent bien qu'ils pré-
sentent un certain degré d'atrophie. C'est par la persistance de l'action volon-
taire de ce muscle et de l'extenseur du petit doigt que s'explique l'attitude très
caractéristique de la main du malade, ce qui la rapproche du type de la main
de prédicateur. Chez lui, comme chez Jacq... ? toute tentative de mouvement
dans le membre supérieur s'accompagne de l'exagération de cette attitude per-
manente des extrémités. La main se déjette encore plus vers le bord cubital.
La face dorsale de la main présente à un haut degré, les particularités que
j'ai décrites chez les autres malades. Les détails qui existent à l'état normal
sur cette face ont disparu. Les grosses veines dorsales, et les divisions tendi-
neuses ne se dessinent plus. La tuméfaction qui occupe cette face dorsale lui
donne un aspect uniforme (fig. 3) ; elle comble les excavations et les vides qui
existent normalement. Elle élève le niveau du pli postérieur du poignet et efface
la saillie si manifeste de la tête du cubitus. Quand la main est en extension, il
existe au niveau de la tête des trois métacarpiens du milieu des fossettes très
manifestes qui par leur présence sur cette surface pleine de la face dorsale
donnent à la main l'aspect potelé, ce qui est plus nettement accusé à gauche
qu'à droite.
Les doigts sont en forme de fuseau, ce qui résulte du gonflement des tégu-
ments au niveau de l'extrémité de la première phalange, gonflement qui simule
jusclu'à uu certain point de vue une tuméfaction de l'articulation phalango-
phalanginienne. Il s'agit bien, cependant, d'une tuméfaction des téguments,
parce que si on pince ce' tégument on s'aperçoit que l'articulation est normale.
Par contre au niveau de l'articulation de la 2° avec la 3e phalange, il existe un
léger étranglement et la phalangette est en extension sur la phalangine à cause
de la distension des ligaments (PI. XIV. B).
Les pouces sont raides, en extension et adduction. Ils ne peuvent exécuter
le moindre mouvement. La peau est lisse et luisante, et comme collée à l'os au
niveau de la dernière phalange. Les plis articulaires sont effacés. Comme chez
les autres malades, le bord cubital' de la main et le premier espace interosseux
sont décharnés. Le diamètre compris entre le 1 ? espace interosseux et le bord
cubital est de 10 centimètres à la face dorsale ; de 9 centimètres à la face pal-
maire. Ces mensurations s'appliquent aux mains des deux côtés
Les troubles delà sensibilité, chez Gass., sont ceux qu'on constate dans des
cas semblables ; le malade présente la dissociation syringomyélique aux mem-
bres supérieurs, à la face antérieure et postérieure du cou et du tronc, la li-
mite inférieure de la thermo-anesthésie se trouvant au-dessous du mamelon.
Il existe cependant une particularité intéressante comme topographie de la
thermo-anesthésie ; en effet au niveau de la face interne du bras, il n'y a pas
de troubles de sensibilité, la topographie de cette bande normale de sensibilité
est, ainsi qu'on le voit d'après le schéma suivant, celle de la deuxième dorsale
DE LA MAIN SUCCULENTE
97
(fig. 4, 5) ; toutefois, en la comparant aux schémas de Thorhurn, on s'aperçoit
qu'elle occupe une surface plus étendue. Gass... se plaint continuellement de
sensations de froid aux mains.
Les réflexes tendineux des membres supérieurs sont abolis, les réflexes patel-
laires exagérés. Le malade marche sans difficulté, pas de signe de Romberg.
Il n'y a pas de troubles sensoriels. L'acuité visuelle est intacte et le champ
visuel normal. Le goût ne présente pas de modifications. La percussion et
cultation du coeur ne font pas voir de modifications dans la matité précordiale,
Observation 1`l.
Corr..., âgée de 25 ans, domestique, est entrée au mois d'octobre à la Salpê-
trière, service du professeur Raymond. Dans les antécédents héréditaires et
personnels, ou ne trouve aucun accident morbide qui puisse avoir de l'intérêt
pour son état actuel. La maladie actuelle a débuté il y a environ trois ans par
des sensations de froid et par de l'affaiblissement dans la main gauche ; la force
musculaire de cette main diminua progressivement, ce qui fait que la malade
laissait tomber involontairement les objets qu'elle saisissait. Peu à peu les mus-
cles de la main ont diminué de volume. Quelque temps après, la main droite a
Fig. 4 et 5. - Topographie de la thermoanalgésie chez le malade de l'observation III.
ou dans les bruits du coeur. Il n'existe pas de troubles qui feraient penser a
une affection anale ; pas d'albumine dans l'urine; le sphincter vésical fonc-
tionne normalement.
98 G. MARINESCO
commencé aussi à s'atrophier principalement au niveau de l'éminence hypo-
thénar, En sa qualité de domestique la malade a fait une remarque digne d'in-
térêt : à plusieurs reprises, en saisissant, par mégarde, des casseroles très
chaudes elle s'est brûlée sans ressentir aucune douleur. Plus tard, un gonfle-
ment a envahi la main gauche et s'est même propagé il la partie inférieure de
l'avant-bras ; la même tuméfaction n'a pas tardé à s'étendre il la main droite.
Ce gonflement n'a provoqué aucune douleur. Les mains sont d'autre part très
sensibles au froid et pendant l'hiver la malade dit avoir souffert d'engelures.
Etat actuel. - Malade, en apparence, bien portante. La musculature et la
force dans l'épaule et dans l'avant-bras sont parfaitement conservées. Il n'existe
pas la moindre modification dans le relief et le contour du membre dans les
mêmes régions. Les avant-bras sont bien conformés et ne présentent pas d'a-
trophie musculaire très marquée si ce n'est une légère réduction de volume à
la partie inférieure de l'avant-bras et qui est due à ce quoje cubital antérieur
est atrophié. Mais le segment terminal du membre supérieur présente une
atrophie très marquée, surtout à la face palmaire de la main gauche. Les trois
derniers doigts de la main gauche sont légèrement rétractés ; il s'ensuit une
flexion permanente des deux dernières phalanges de ces doigts. La rétraction
est presque symétrique parce qu'elle existe, et encore plus marquée, à la main
droite. L'atrophie à la face palmaire de la main gauche intéresse l'éminence
thénar et particulièrement l'adducteur, le court fléchisseur et le court abduc-
teur du pouce. L'opposant est aussi atrophié, mais à un degré moindre. Cette
atrophie qui efface complètement le relief de l'éminence thénar produit une
excavation qui est très accentuée, vers la partie médiane de l'éminence thénar.
Par suite de cette atrophie, les mouvements de flexion du pouce, d'abduction
et d'opposition sont limités. Ainsi la malade ne peut pas faire le mouvement
d'opposition du pouce avec le petit doigt. Elle parvient cependant à accomplir
ce mouvement avec le médius, un peu moins nettement avec l'annulaire. L'ex-
tension des doigts et de la main s'accomplit d'une façon normale, mais la rétrac-
tion légère s'oppose à une extension complète.
Les muscles de l'éminence hypothénar sont aussi atrophiés, surtout l'ab-
ducteur ; cette atrophie des deux saillies musculaires donne à la main l'aspect
simien. Il existe en outre une atrophie des interosseux de la main gauche, cons-
tatable surtout par le défaut des mouvements d'abduction et d'adduction des
doigts. La face dorsale de la main gauche sera décrite en même temps que celle
de la main droite. Les muscles de l'éminence thénar de ce côté sont en appa-
rence intacts, car ni leur relief, ni leurs fonctions ne sont modifiés. Par contre,
les muscles de l'éminence hypothénar et surtout les interosseux sont touchés.
En effet, les muscles, dans cette région, sont aplatis. Les trois derniers doigts
sont légèrement rétractés en flexion et leurs mouvements d'adduction et d'ab-
duction sont très limités. La face dorsale des deux mains offre une conforma-
tion toute particulière qui, associée il l'atrophie musculaire de la face palmaire,
contribue il donner il cette extrémité un aspect si caractéristique qu'en voyant
cette main on pense immédiatement la syringomyélie. Tout d'abord, la con-
formation est modifiée ; l'atrophie des muscles du petit doigt et de l'adducteur
du pouce fait que le bord cubital de la main et le bord externe de la masse
DE LA MAIN SUCCULENTE 99
charnue intermédiaire au pouce et il l'index sont rapprochés de l'axe de la
main ; il s'ensuit une diminution du diamètre transverse il ce niveau.
La face dorsale de la main (PI. XI), surtout dans la moitié inférieure, est tu-
méfiée. On ne voit plus, quand la main est en extension, le relief des tendons de
l'extenseur commun et la saillie des veines superficielles. Les dépressions limi-
tées par ces derniers tendons sont effacées. Ce qu'il faut encore noter, c'est que
la main offre un aspect potelé; mais les fossettes, au lieu de siéger clans les dé-
pressions intertendineuses, répondent au trajet même des tendons au niveau
des articulations métacarpo-phalangiennes. La fossette correspondant au 2e mé-
tacarpien n'existe pas. Quand, la malade ferme le poing, les dépressions situées
normalement entre les articulations métacarpo-phalangiennes du côté dorsal
ont complètement disparu. La couleur de la main, prise dans sa totalité, est
plutôt rouge violacé, mais elle présente, en outre, une foule de détails que
l'on constate en examinant la main de près. Ces détails varient avec le moment
où l'on examine la malade. Par un temps froid, la main est rouge violacé avec
une nuance de cyanose, surtout au niveau de la région de l'articulation du pre-
mier métacarpien avec la première phalange de l'index. En examinant de plus
près, onvoit un réseau veineux assez fort, à larges mailles contenant des taches
rosées ou même rouge saturne. A la partie inférieure de la face dorsale de l'a-
vant-hras,il existe aussi de petites taches rosées disséminées sans ordre.(PI.XI.)
Par moment la dilatation des veines superficielles est très considérable ; et
elle donne naissance à des grandes taches d'un bleu grisâtre, constituant ainsi
de véritables crises locales de cyanose.
Mais cet aspect est transitoire ; il se modifie très vite surtout si la tempéra-
ture ambiante tend s'élever. Une particularité sur laquelle je tiens à insister,
c'est que ces troubles vaso-moteurs et surtout les petites taches rouges et les
plaques de cyanose disparaissent et reviennent régulièrement. Un léger frot-
tement de la main fait disparaître l'hyperhémie locale et capillaire dont nous
venons de parler ; elle revient cependant après un intervalle plus ou moins
long. Parfois on assiste à do véritables crises de cyanose de la face dorsale.
J'ai parlé plus haut de la tuméfaction de la main, j'ajouterai qu'il ne s'agit
pas d'un oedème banal parce que la pression de la peau détermine une pâleur
transitoire sans godet. En palpant la peau de la face dorsale on a la sensation
d'une surface mollasse et unie. Toutefois chez cette malade contrairement ce
qui s'observe dans les autres cas, la peau de la face dorsale est un peu calleuse
tout en restant très luisante. Au niveau de l'articulation de la dernière pha-
lange, elle est tendue, lisse et luisante, comme collée sur les os.
Il n'y a pas de troubles sensoriels. Les pupilles réagissent bien à la lumière
et à l'accommodation ; elles sont inégales. L'acuité visuelle est intacte et le
champ visuel normal ; pas de scoliose.
La percussion et l'auscultation du coeur ne font pas voir de modifications dans
la matité précordiale, ou dans les bruits du coeur.
Il n'existe pas de troubles qui feraient penser une affection rénale; pas
d'albumine dans l'urine.
L'examen électrique des muscles des membres supérieurs, pratiqué par
M. Muet avec le courant faradique, a donné les résultats suivants :
'100 '6. MAIIINESCO
Côté gauche.
Eminence thénar.
Court abducteur du pouce .. 65
Fléchisseur et opposant ... 85
Abducteur du pouce à 40, contraction
faible; contraction dans le linter-
dorsal et le court fléchisseur et l'op-
posant du pouce.
Adducteur du petit doigt -Il zéro, pas de
contraction ; mais contraction dans
le I interosseux dorsal, court fléchis-
seur et opposant du pouce.
DE LA MAIN SUCCULENT" 101
d'abord, chez eux, c'est la configuration et l'aspect de la main qui sont. modi-
fiés. Le changement qui porte sur lecontour de la ligne cubitale de la main
et sur celui du bord interne de la racine de l'index. A l'état normal les
lignes qui partenl de la 2e et de la 5c articulations métacarpo-phalangiennes
se dirigent obliquement en haut en s'écartant de l'axe de la main. Chez nos
malades au contraire la ligne cubitale, au lieu d'être convexe est excavée
el se rapproche de l'axe médian parsuile de l'atrophie des muscles de
l'éminence hypothénar et surtout de l'abducteur du petit doigt. La môme
particularité existe pour le contour du bord externe de l'index dont la
ligne de profil est rentrante. C'est une particularité qui existe depuis le
commencement de la maladie, comme cela se voit chez Corr... doit[ la
maladie a débuté il y a ` ? ans. ,
La face dorsale de la main est très caractéristique et constitue a elle-
même un élément principal de diagnostic. Tous les détails qu'on constate
à l'étal normal sur celte face sont effacés ou ont disparu, et remplacés par
d'autres symptômes d'ordre pathologique. On peut dire d'une façon géné-
rale que cette face est tuméfiée. Mais il ne s'agit pas ia d'un véritable
oedème bien que certains auteurs qui s'en sont occupés l'appellent oedème
dur, car la pression digitale ne laisse pas de godet, comme cela arme clans
les oedèmes. La tuméfaction peut occuper une partie seulement de la face
dorsale de la main, la moitié inférieure de la face dorsale du poignet,
comme c'est le cas pour Corr.... ou bien s'étendre sur toute la face dorsale
delà main, ce qui arrive pour Gass.... Cette tuméfaction présente une
gamme variable. Elle peut aller de la tuméfaction légère de la main jus-
qu'à l'empalement qui donne à la main un aspect lourd (main de Gass...).
Celle tuméfaction fait disparaître les détails de structure de la face dorsale
de la main. Les cordes tendineuses des extenseurs ne font plus de relief
comme l'état normal : elles sont plus ou moins Les moines dor-
sales sont comme voilées. Cette rondeur de la face dorsale do la main lui
donne un aspect potelé et certainement la main de Corr...et Gass... laisse
celle impression. Je liens cependant il dire que la main de Corr... est
un t) pe plutôt fruste, effacé de majn succulente. En effet, la tuméfac-
tion est surtout marquée au niveau de la partie inférieure de la face dor-
sale de la main, mais chez elle, on remarque très bien celle tuméfaction
au niveau de la tète des métacarpiens. Les figures de la planche 111 ]tous
montrent celle particularité de la façon la plus évidente. La moitié su-
périeure de la face dorsale de la main est aplatie à cause de l'atrophie très
marquée des interosseux, mais il existe toutefois un processus d'byper-
plasie du tissu sous-cutané, car cette face très atrophiée ne laisse pas voir
les espaces interosseux comme cela sevoil dans un cas d'atrophie vulgaire.
Mais celle main potelée esl faible, car le vide des muscles traduit par l'a-
102 G. MARINESCO
trophie des éminences hypothénar et de l'adducteur du pouce lui donne
le cachet d'une main sans force. Si on dit au malade de fermer la main,
quand ce mouvement est possible, possibilité qui n'existait que chez
Corr..., on s'aperçoit que les vallées qui existent entre les têtes de méta-
carpiens sont remplies et la peau forme des espèces de ponts.
La couleur de la peau de la face dorsale contribue aussi à lui donner ce
cachet spécial, mais il faut le reconnaître, cette couleur dépend beaucoup
de la température du milieu ambiant. Pendant l'hiver la couleur de la
main lui donne l'aspect d'une main gelée. Il suffit que ces malades sortent
dehors pour que leur main prenne un aspect rouge violet dû à des mar-
brures de différentes couleurs. Chez Corr...,il se produit de véritables cri-
ses de cyanose consistant en ce que le réseau veineux de la face dorsale se
dilate excessivement et donne naissance à des plaques gris violet. Aussitôt
que la main s'est un peu réchauffée, la couleur violacée disparaît et les
mains sont plutôt rouges. Les doigts ne sont pas moins caractéristiques.
Leur forme est modifiée; ils sont fusiformes chez tous ces malades mais
avec des nuances. Aussi chez Gass... et Gav...ce sont des fuseaux courts ;
les doigts sont plus ou moins boudinés à leur base, tandis que chez Jacq...
ils sont en fuseau allongé. La longueur des doigts chez ce dernier,
unie à la gracilité de la main lui donne une vague ressemblance avec la
main que certains maîtres italiens ont représentée dans leur peinture.L'at-
tache des doigts manque de souplesse au lieu que leur ligne d'insertion se
continue légèrement sur la partie dorsale ; elle s'arrondit brusquement il
cause de la boursouflure de la peau interdigitale. La tuméfaction delà main
peut s'arrêter aux doigts ou bien se continuer sur les téguments de la 1 ?
phalange (Gav...).Mais chez tous ces malades le tégument (1) qui recouvre
la dernière phalange est brisé, luisant et comme collé aux os (Glossy Skin).
La striation longitudinale des ongles est exagérée. L'état de la face palmaire
achève le tableau que nous venons de tracer. Toujours les muscles de l'émi-
nence hypothénar et presque toujours ceux de l'éminence thénar sont atro-
phiés. La main révèle l'aspect simien. Cette atrophie musculaire peut aller
jusqu'à l'aplatissement des éminences et même jusqu'à leur excavation.
Chez trois de nos malades la main àiïecte l'attitude de la main de prédi-
cateur.
Le squelette ne présente pas de modifications apparentes. Dans un cas
que j'ai pu étudier il l'aide des rayons de Roentgen, je n'ai pas constaté de
lésions bien nettes des os; toutefois il y avait une légère hypertrophie de
la tète des 2e et 3e métacarpiens ; mais une particulari té qu'on constate de la
manière la plus évidente,c'est la distension elle relâchement des ligaments
des articulations métacarpo-phalangiennes et de l'articulation du poignet
qui nous expliquent la déviation assez considérable de la main etdes doigts
(1) M. Oppenheim a bien noté la sclérodactylie dans un cas de syringomyélie.
DE LA MAIN SUCCULENTE 103
qui sont entraînés vers le bord cubital. Nous avons vu du reste que dans
l'observation de trois de nos malades, on peut constater facilement ce re-
lâchement de ligament, grâce auquel on peut imprimer des mouvements
anormaux à leurs doigts ; c'est également ce relâchement des ligaments
associé à la tonicité de certains muscles qui imprime à la main l'attitude
dont nous avons parlé. Enfin pour finir avec ce qui a trait la description
de la main de nos 4 malades j'ajouterai que c'est une main froide et tou-
jours sèche. Il n'y a pas de troubles des glandes sudoripares.
Il s'agit en somme d'une main tuméfiée, froide et faible avec des doigts
fuselés ne présentant pas de crises de douleurs. Quelle étiquette- lui appli-
quer ? Il est bien difficile de trouver un terme capable d'exprimer à lui seul
toutes les particularités de la main en question. M. Marie m'a suggéré fadé-
nomination de main succulente (1) qui certainement traduit le trait le plus
saillant : la tuméfaction.
J'ai négligé à dessein, de dire que l'on constate souvent, dans la main
succulente, la dissociation syringomyélique, car en effet, la présence de
ce seul symptôme, permet dans un grand nombre de cas, de poser le dia-
gnostic de syringomyélie.
Dans l'histoire des malades qui a été rapportée par Remak, Roth, Hoff-
mann, Collemannel Joseph 0'CarroI,iVIassius,etc., on emploie pour désigner
les troubles trophiques cutanés dont nous avons parlé, le terme d'oedème
dur. Je me suis demandé si cette dénomination au point de vue. du tra-
vail pathologique qui se produit dans la main succulente correspond à la
réalité. Bien entendu qu'on ne peut faire que des suppositions à ce sujet.
Mais si par oedème, il faut entendre l'accumulation de substances liquides
dans le tissu sous-cutané et qu'on peut refouler mécaniquement par la
pression digitale, il est évident que ce terme n'est pas approprié aux lé-
sions des téguments qui caractérisent la main succulente. En effet chez
tous ces'malades, il ne se produit pas de godet par la pression digitale.
Aussi ai-je été conduit à admettre qu'il se produit dans la main deux
processus un peu différents, mais dont l'association détermine cette tumé-
faction, cet empâtement dans la main succulente. C'est d'une part un pro-
cessus plastique, siégeant principalement dans le tissu sous-cutané et grâce
auquel il se forme des éléments nouveaux de tissu conjonctif qui remplis-
sent les dépressions naturelles qui existent sur la face dorsale de la main ;
d'autre part, un processus vaso-moteur proprement dit qui apparaît et
disparaît à de certains moments et qui favorise J'hyperplasie du tissu
sous-cutané. Ce processus vaso-moteur consiste dans la dilatation des
petites artérioles des capillaires et des veines et c'est leur combinaison en
(1) Il nous semble que ce terme peint avec d'autant plus d'exactitude l'apparence de
la face dorsale de la main, que les botanistes pour désigner les fruits gorgés de sucs,
les désignent du nom de succulents.C'est exactement l'avis de mon cher ami le Dr Meige.
qpl G. MARINESCO
des proportions variables qui nous explique l'aspect toujours changeant
de la couleur des mains de nos malades.
Diagnostic La main-succulente est un mélange original de deux
symptômes différents ; c'est d'une part, une tuméfaction spéciale de la face
dorsale de la main il laquelle s'associe d'autre part une atrophie musculaire
du type Aran-Duchenne. C'est une main amyotrophique doublée de gon-
flement. 11 suffit d'avoir vu et palpé cette main pour en l'aire le diagnostic
de syringomyélie même avec grande facilité et pour ne pas la confondre
avec d'autres états en apparence similaires. Ce sont les affections nerveu-
ses trophiques atteignant les extrémités qui pourraient, dans certains cas,
donner lieu il une confusion. Et tout d'abord, comme pour tout autre
trouble nerveux, il faut se délier de l'hystérie, la grande simulatrice. Or
il est connu, depuis Sydenham, Charcot et Gilles de la Tourette, que
l'hystérie peut déterminer du côté de la main des variétés d'oedème :
oedème blanc, oedème bleu des hystériques. Mais l'attitude et surtout la
forme delà main dans l'oedème hystérique sont toutes différentes; en effet,
dans celui-ci le poignet et les doigts sont en flexion plus ou moins accen-
tuée. La main n'est pas déjetée sur le bord cubital ; la face dorsale de la
main est distendue par un oedème le plus souvent très considérable.
D'autre part, le diamètre en épaisseur de la main est considérablement
augmenté alors que le diamètre transversal reste normal et que dans la
main succulente, il subit une réduction assez marquée. En outre la con-
tracture du poignet et de la main s'associe souvent il l'oedème bleu hysté-
rique. La température locale est abaissée dans les deux cas et dans lous
les deux il peut exister, ainsi que Charcot l'a montré, la dissociation syrin-
gomyélique. Aussi ces deux derniers symptômes ne servent en aucune ma-
nière au diagnostic différentiel. Il est évident que la difficulté pourrai l être
assez grande quand le hasard mettra le clinicien en présence d'un cas
d'oedème hystérique avec atrophie musculaire. Même alors si la main suc-
culente présente l'attitude que nous lui avons décrite, celle-ci suffira à la
distinguer de la main hystérique. Dans les polynévrites ou dans les trau-
matismes des nerfs, il arrive parfois que les muscles de la main soient
atrophiés et que la face dorsale présente un oedème très prononcé. Ainsi,
j'ai eu récemment l'occasion d'ohserver un ouvrier chez lequel une luxation
avait déterminé une contusion du plexus brachial avec paralysie et atrophie
du membre supérieur et oedème très prononcé de la face dorsale de la
main. Malgré cela, rien de semblable entre celle main amyotrophique et
oedématiée et la main succulente. Les doigts et le poignet étaient légère-
ment fléchis ; l'oedème très développé à la face dorsale montrait une em-
preinte par la pression digitale, pas de changement dans la conformation
de la main. Pas de déviation vers le bord cubital. Dans un autre cas
de névrite dite ascendante, survenue à la suite d'un traumatisme de la
« DE LA MAIN SUCCULENTE 105
main, j'ai vu également la main violacée très oedématiée avec atrophie,mais
par l'attitude seule de la main et par les caractères de l'oedème, j'ai pu
exclure le diagnostic de syringomyélie. Il est inutile, je pense, de faire le
diagnostic entre le phlegmon de la main et la main succulente, car on re-
trouve dans le premier tous les signes de l'inflammation locale, tumor,
dolor, rubor, calor.
Le diagnostic avec 1'6rythromélalgie mérite quelque attention parce que
certains auteurs ont parlé de l'apparition possible de l'érythromélalgie au
cours de la syringomyélie. J'avoue que pour mon compte, je n'admets
point cette opinion et l'existence de l'érythromélalgie au cours de la sy-
ringomyélie reste à démontrer, car l'oedème syringomyélitique môme quand
il est rouge ne présente pas du tout les mêmes caractères. Dans l'érythro-
mélalgie en outre la main est moite et il existe habituellement des crises
douloureuses. La peau n'est pas souple comme dans la main succulente. Les
ongles présentent dans certains cas des bandes pigmentées et les extrémités
des premières phalanges sont tuméfiées.
Une autre affection à laquelle on pourrait penser à cause de l'aspect
luisant que présentent les doigts des malades, c'est la sclérodermie dacly-
lique. Dans cette affection, la face dorsale de la main est lisse comme la
peau des doigts ; ceux-ci sont coiffés par une petite masse cornée qui repré-
sente le dernier vestige de l'ongle atrophié et déformé. Par le palper, on
se rend compte de l'induration de la peau ; enfin dans quelques cas, si on
dirige le regard vers la figure du malade on rencontre cette expression si
spéciale connue sous le nnm de masque sclérodermique. J'ai omis avec
intention certaines affections amyotrophiques des extrémités et d'origine
centrale comme la paralysie infantile, la poliomyélite antérieure et l'hé-
matomyél ie. En effet, si on retrouve quelquefois chez ces malades des mains
atrophiées, cyrnotiques et freioes, on ne rencontre pas cependant cet état
de succulence de la face dorsale de la main et surtout cette attitude si ca-
ractéristique de la main qui appartient presque en propre à la syringomyé-
lie. Ce n'est que dans un cas d'hématomyélie qui a été puplié par noire
maître, M. le professeur Raymond que j'ai vu un oedème très prononcé
avec cyanose de la face dorsale de la main. Même dans ce cas,' la main
affecte une attitude différente. C'est là, du reste, une question que je dis-
cuterai à propos de la palhogénie de la main succulente. Les facteurs étio-
logiques qui favorisent l'apparition des troubles trophiques de la main
succulente nous sont peu connus, toutefois, il est possible que l'âge des
malades, la durée de l'affection, contribuent dans une certaine mesure à
l'apparition de ces troubles. Ainsi les 3 premiers malades présentant la
main succulente sont âgés respectivement de 72, 65 et 60 ans, leur ma-
ladie remonte à 45, 39 et 23 ans, il n'en est pas de môme du 4 sujet, âgé
de 25 ans, dont la maladie a eu son début il y a 3 ans ; comme on le voit
x s
106 G. MARINESCO .
sur 4 malades, 3 sont àgés en moyenne de 65 ans. Au point de vue
de la fréquence de ce type de main, je ne saurais produire des chiffres
précis. J'ajoute cependant que j'ai trouvé 4 cas de main succulente sur
25 malades atteints de syringomyélie examinés par moi à Bicêtre (service
de M. Marq) ou à la Salpêtrière (service de M. Raymond).
Pathogénie. - Il est difficile de se faire une idée exacte du mécanisme
de troubles trophiques cutanés et vaso-moteurs dans la syringomyélie,
toutefois on peut poser quelques principes en harmonie avec nos connais-
sances. Tout d'abord, il ne s'agit pas là d'un oedème de cause mécanique.
La cause immédiate ne réside ni dans la paralysie, ni dans l'atrophie des
muscles dont la contraction favorise la circulation. Ce n'est pas un oedème
mécanique. Ce n'est pas non plus un oedème dyscrasique dû à une alTec-'
tion rénale, car non seulement les malades que j'ai étudiés ne présentent
pas d'albumine dans l'urine, mais ils sont indemnes de tout autre signe
d'insuffisance rénale ; il s'agit donc d'un oedème d'origine nerveuse. Mais
quelle est la partie du système nerveux qui, dans l'espèce, détermine cet
oedème ?
Que les lésions de nerfs périphériques puissent déterminer de l'oedème,
c'est un fait prouvé et par l'expérience et par les faits pathologiques.
Ainsi Jankovski et Ranvier ont montré que la ligature de la veine fémo-
rale suivie de section sciatique détermine de l'aedène ; c'est sans doute,
dans ce cas que la paralysie des vaso-constricteurs joue le rôle principal
dans la production de l'oedème. On a rencontré également,et,j'en ai observé
deux cas, l'oedème de la face dorsale des mains consécutif à des traumatis-
mes des nerfs des membres supérieurs. Du reste, on a observé de l'oedème
dans des cas de polynévrite. L'oedème d'origine spinale est beaucoup plus
rare et moins bien connu. Expérimentalement, on connaît a cet égard, les
expériences de Gergens, lequel après la section de la moelle épinière,
excitait l'un de ses bouts et produisait des réactions vaso-motrices.
Les faits cliniques d'oedème des mains au décours des affections spinales
sont rares. J'ai cité les auteurs qui ont mentionné l'oedème dans la sy-
ringomyélie. La plupart d'entre eux ont négligé volontairement ou in-
volontairement la question du mécanisme par lequel la moelle détermine
cet oedème. REMAK est le seul qui s'est préoccupé de préciser quelle est la
région de la moelle qui entraîne l'oedème dans la syringomyélie.
Etant donné, dit cet auteur, que dans les affections de la substance grise
antérieure, comme dans les poliomyélites, on ne trouve pas d'oedème, il y a
lieu de penser que s'il existe dans la syringomyélie c'est à la lésion de la
substance grise postérieure qui, comme on le sait, est altérée, dans la sy-
ringoméylie, qu'il faut rattacher cet oedème. Ceci nous conduit à dire quel-
ques mots sur l'origine centrale des vaso-moteurs.
La question de l'origine des vaso-moteurs dans la moelle épinière est
DE LA MAIN SUCCULENTE 107
en Louréed'unegrande obscuri Lé. Les recherches def;physiologistes etdes histo-
logistes n'ontpas encore abouti à des résultats précis. Il est admis par plu-
part des physiologistes que les centres vaso-moteurs sont disséminés dans la
moelle et qu'en outre un centre vaso-moteur principal siège dans le bulbe.
Quant au siège exact des centres d'origine dans la moelle, on manque
presque complètement de document. En effet, on ne peut plus admettre
aujourd'hui l'opinion dePierret qui avait considéré les colonnes de Clarke
comme un centre vaso-moteur(1). Les faits anatomo-pathologiques de sy-
ringomyélie seraient peut-être de nature à jeter quelque lumière sur cette
question de vaso-moteurs. Déjà Remak avait tiré de ses observations la
conclusion que c'est dans la substance grise postérieure qu'il faut chercher
l'explication des troubles moteurs de la syringomyélie.
L'histologie fine du système nerveux, entre les mains de Cajal, Len-
hosék et Van Gebucbten, a montré qu'il existe dans la substance grise, un
certain nombre de neurones qui envoient leur cylindre-axe dans les racines
postérieures, fait qui concorderait avec l'opinion de certains physiologistes
(Dastre, Morat, Steinach) qui font sortir les vaso-moteurs par les racines
postérieures. Ces données constitueraient des preuves présomptives en
faveur del'opinion quenous soutenons, à savoir qu'il existe dans les cornes
postérieures, des centres vaso-moteurs el des centres régulateurs pour la
nulrition des téguments et du tissu des os. Les divers troubles trophiques
de la main dans la syringomyélie, comme cela arrive dans la main type
Morvan, dans la cbiromégalie et dans la main succulente ne sont que des
équivalents des diverses lésions de la substance grise médiane el postérieure.
Je ne veux pas dire, par là, pour les besoins de l'explication qu'on doit
efl'acer les différences qui existent entre des types cliniques nettement
caractérisés; mais au point de vue pathogénique, il faut voir, dans les trou-
hles osseux de la maladie de Morvan et de la chiromégalie par exemple,
des modalités différentes de la lésion de la substance grise, modalités qui
dépendent du siège de la lésion, de la nature différente du processus et
d'autres facteurs que nous ne connaissons pas.
Ces divers troubles trophiques seraient de nature à prouver que pour
une région donnée des membres supérieurs et inférieurs, il existe dans la
moelle des centres sensitifs, moteurs el vaso-moteurs' qui occupent sensi-
blement le même segment de la moelle : en d'autres termes, ces centres sont
juxtaposés ou superposés. Bien entendu qu'ici comme pour toute autre
localisation, il ne s'agit pas d'une topographie strictement localisée, car
ainsi que'je l'ai montré (2) les collatérales réllexes d'une racine ne se dis-
tribuent pas seulement au segment dont cette région fait partie, mais elle
se met en rapport avec les cellules motrices etprobablementvaso-molrices
(1) Je renvoie le lecteur qui désire approfondir cette question des vaso-moteurs au
travail du professeur Grasset, de Montpellier, sur le syndrome bulbo-médullaire.
(2) Atlas der pathologischen. Histologie des Nervensyslems. Berlin, 1896. Livre V, p. il 4
- 108 G. MARINESCO
de plusieurs segments. Cependant, on peut admettre, sans être dans l'er-
reur qu'un segment sensitif est principalement en rapport avec un segment
moteur et vaso-moteur.
Chez nos malades les troubles vaso-moteurs sont localisés principale-
ment à la main et chez Corr..., l'atrophie musculaire est cantonnée au
domaine de la main. Or, il résulte de mes recherches que la syringomyélie
débute au niveau de la 8° cervicale et de la ire dorsale, région que je consi-
dère comme siège principal des centres moteurs, vaso-moteurs et sensitifs
des extrémités des membres supérieurs.
Je pourrais invoquer comme preuve en faveur de cetle relation étroite
entre la topographie des membres moteurs, vaso-moteurs et sensitifs des
recherches de Ross, d'Allen Starr, de Ilead, de Mackensie qui ont fait
des travaux remarquables soit sur la douleur réflexe, soit sur les réflexes
vaso-moteurs et trophiques cutanés, comme le zona zoste.
Il m'est donc permis, je pense, de conclure de cette discussion sur la
pathogénie des troubles trophiques et vaso-moteurs qu'on rencontre dans
la main succulente, que celle-ci relève de l'altération de la substance grise
médiane et postérieure. Mais par quel mécanisme ? S'agit-il d'une exci-
tation de centre ou bien d'une paralysie. Si on veut bien tenir compte du
caractère rythmique des troubles vaso-moteurs chez Corr..., qui se
traduit par la présence de taches rouges et la dilatation cyanotique des
veines, troubles qui apparaissent et disparaissent, on est obligé d'admettre
qu'il y a un double mécanisme qui intervient, c'est-à-dire l'excitation des
centres suivie de leur paralysie. Les études de la gliose médullaire consti-
tuent encore une preuve en faveur de ce mécanisme. En effet l'hyperplasie
de la névroglie détermine, comme tout corps étranger dans les cellules de
la substance grise, de l'excitation, laquelle quand elle atteint un certain
degré, se traduit par la paralysie fonctionnelle.
J'ai pu constater à l'aide de la méthode de Nissi, que les cellules nerveuses
sont atrophiées non seulement au voisinage de la gliose, mais encore il une
certaine distance.
Une particularité que je voudrais mettre en évidence avant d'abandon-
ner ce sujet, c'est ce fait paradoxal que les malades qui sont insensibles
lorsqu'on les met en contact avec un corps froid, souffrent des variations
delà température ambiante. Ainsi un fragment de glace appliqué sur la
peau où il existe de la thermoanesthésie ne provoque aucune sensation de
froid, tandis que si le malade s'expose au dehors, il souffre du froid, et
alors môme que la température ambiante estsupportabie pour un individu
sain. Cette particularité s'explique facilement à mon avis par ce fait que
la perte de calorique que subissent les malades il cause des troubles vaso-
moteurs, produisent une sensation de froid presque continuelle et qui se
réveille à chaque instant par suite des variations de la température du
'milieu ambiant. (A suivre.)
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
UN CAS DE CONTRACTURE HISTRO-TRAU1VIATIQUL.
DES MUSCLES DU TRONC
PAUL RICHER
Directeur honoraire du Laboratoire
de la clinique.
ET
A. SOUQUES
Chef du Laboratoire
de la clinique.
La contracture hystérique des muscles du tronc est un'fait assez rare.
Dans ce même journal, M. Duret en a publié un fort curieux exemple, il y a
quelques années (1). La contracture siégeait dans les muscles de la paroi
postérieure de l'abdomen, la carré des lombes et le psoas-iliaque. Depuis
lors Vic (2) a fait une étude d'ensemble de la scoliose hystérique. Enfin
récemment noire ami, M. Pierre Janet (3), a publié huit observations de
spasmes des muscles du tronc chez les hystériques. Il s'est particulièrement
attaché il mettre en relief l'origine émotionnelle de la plupart de ces con-
tractures, et l'influence d'une idée fixe consciente ou subconsciente dans
la persistance des troubles morbides.
Il nous a été donné d'observer récemment dans le service de M. le pro-
fesseur Raymond, la Salpètrière, un cas de contracture hystérique survenue
à la suite d'un traumatisme, chez un homme fort et vigoureux, jusque-là
bien portant,et siégeant à la fois dans les muscles extenseurs et dans les mus-
cles fléchisseurs du tronc. On sait qu'il est de règle, dans les contractures
hystériques, de voir les groupes musculaires antagonistes également pris.
Il nous a paru intéressant de publier cette observation.
Observation. - Delr..., 28 ans, employé dans une raffinerie, vient
1.. consulter au mois de mars 1895, à la Salpêtrière, pour des accidents con-
sécutifs à un traumatisme.
(1) Année 1888, p. 191.
(2) Vit, De la scoliose hystérique. Th. de Paris, 1892.
(3) P. Janet, Note sur quelques spasmes des muscles du tronc chez les hystériques.
France médicale, G décembre 1895.
110 PAUL RICHER ET A. SOUQUES
Dans ses antécédents héréditaires, il n'existe aucune lare névropa-
thique.
Dans ses antécédents personnels, nous ne trouvons à signaler que ce
qui suit. Il a été un enfant assez indiscipliné, faisant souvent l'école buis-
sonnière, de telle sorte qu'à l'âge de 14 ans, il savait à peine lire et écrire.
A partir de cette époque, il a appris successivement les métiers de menui-
sier, de cordonnier et de maréchal-ferrant. 1.
Après une année de service militaire, il s'est marié. Deux enfants lui
sont nés qui se portent bien.
En somme, en dehors d'un certain esprit d'indiscipline et de mobilité
nous n'avons relevé aucun détail intéressant. Cet homme n'a jamais été
malade. Il n'a jamais eu de maladies vénériennes. 11 est relativement
sobre.
Il y a un an, il a quitté le Lot, son pays natal, et est venu chercher for-
tune à Paris. Il est entré dans une raffinerie, comme manoeuvre.
C'est là que le 2 juillet 1894, il y a huit mois environ, il est victime
d'un accident. 'Il descendait un escalier avec un seau de sirop, lorsqu'il
rencontre un chariot. Il veut éviter ce chariot, manque la marche, tombe
et roule jusqu'au bas de l'escalier (une vingtaine de marches environ). Il
ne perdit pas connaissance complètement, mais il resta pendant une
dizaine de minutes dans un état subconscient. Deux camarades l'aidèrent à
se relever. Et il put marcher seul pour se rendre auprès du contre-maître
qui verbalisa. On lui fit un pansement sommaire, séance tenante.
Puis il se rendit seul jusqu'à la station prochaine pour prendre l'omni-
bus et rentrer chez lui. Il est à remarquer qu'il marchait facilement et le
corps droit, tout en éprouvant des douleurs dans le dos, le long du rachis.
Dans sa chute, il s'était fait quelques contusions, en particulier deux
petites plaies, situées l'une au niveau du coude, l'autre au-dessous de
l'omoplate gauche.
Arrivé chez lui, il prit le lit pendant quatre jours. Il se levait toutefois
dans l'après-midi. C'est à ce moment qu'il commença à courbe ? le tronc en
avant, pour atténuer la douleur qu'il ressentait dans la région de l'omo-
plate gauche. Cette douleur était ◀tantôt▶ sourde et tolérable, ◀tantôt▶ assez
vive pour troubler son. sommeil. Elle était à peu près continuelle. Elle a,
en outre, persisté depuis lors. Pour l'éviter, le malade penchait son tronc
en avant. Il essayait de temps en temps de se redresser, mais ce redresse-
ment réveillait les douleurs et restait incomplet. De plus il provoquait une
sensation de pression à l'épigastre et de la dyspnée.
Durant le premier mois qui suivit l'accident, cet homme éprouva un
peu de gène dans la marche. Cette gène disparut vite. D'ailleurs il n'a
jamais éprouvé de douleurs d'aucune espèce dans les membres inférieurs
UN CAS DE CONTRACTURE UYSTÉRO-TRAUiIfATIQUE DES MUSCLES DU TRONC LU
ni dans les membres supérieurs. Ses viscères et ses sphincters sont restés
toujours intacts. Tout s'est borné, somme toute, à la douleur dorsale et a
l'attitude vicieuse du tronc.
Lorsque cet homme vient, en mars 1895, consulter à la Salpêtrière, on
constate qu'il s'agit d'un homme vigoureux, bien musclé, ayant toutes les
apparences d'une santé parfaite.
Il se tient, le haut du torse très fortement incliné en avant ainsi que le
représente la planche XV. Le dos est arrondi en voûte. La cambrure lom-
baire a disparu.
On constate, dans la station droite, que les muscles fessiers et spinaux
d'ordinaire relâchés sont manifestement tendus et raidis.
Les muscles abdominaux qui, chez un homme normal, dans l'attitude du
malade seraient dans un complet relâchement, sont contractés d'une façon
permanente.
. Ils dessinent sous la peau de l'abdomen leurs saillies quadrilatères fort
nettes.
Les membres inférieurs sont légèrement fléchis.
Dans la station assise, la courbure du dos ne disparaît pas. Les spinaux
restent toujours tendus et les muscles abdominaux ne sont point relâchés.
Il lui est impossible de se relever sans appui.
La station debout est très fatigante. Le malade ressent une pesanteur
énorme sur le dos qu'il compare un poids de 200 kilogs. Le poids est
encore plus lourd dans la station assise qu'il ne peut garder longtemps.
S'il essaie de se redresser il éprouve aussitôt une sensation de pression
rétro-sternale qui lui coupe, dit-il, la respiration. Cette tentative exaspère
en même temps la douleur dorsale et le redressement est rendu totale-
ment impossible par la contracture des muscles de l'abdomen.
Mais si le redressement du torse est impossible, la flexion plus pronon-
cée en avant l'est également. De telle sorte que le tronc se trouve fixé dans
l'attitude vicieuse décrite par la contracture simultanée des muscles anta-
gonistes fléchisseurs et extenseurs.
En examinant la face postérieure du tronc, on trouve la cicatrice de la
plaie ancienne. C'est une cicatrice d'environ 4 centimètres de largeur sur
2 centimètres de hauteur, située à quatre travers de doigt au-dessous de
l'omoplate gauche. On voit, en outre, la trace d'une petite éraflure super-
ficielle au niveau de la fosse sus-épineuse correspondante.
Le malade se plaint d'éprouver au niveau et au-dessus de cette région
cicatricielle une sensation de froid et de douleur assez vive. Cette zone de
douleurs subjectives occupe la cicatrice, la région de l'omoplate gauche,
112 PAUL RICHER ET A. SOUQUES
atteint et dépasse même un peu la ligne des apophyses épineuses corres-
pondantes. La douleur y est telle que, depuis huit mois, la malade se cou-
che exclusivement sur le côté droit du corps. Il lui est tout à fait impossi-
ble de se coucher sur le côté gauche et sur le dos.
Dans cette zone le frôlement léger de la peau n'est pas douloureux, sauf
en un point très circonscrit, situé au milieu de la région dorsale. Le frô-
lement sur ce point, grand comme une pièce de quarante sous, réveille
une hyperesthésie extrême, accompagnée de conslriction thoracique et de
troubles respiratoires.. Le malade ne peut y supporter le moindre contact
et s'écrie .aussitôt : « Vous m'étouffez, vous m'étoufferiez si vous conti-
nuiez. » 1
La pression profonde et même un simple pli fait à la peau réveillent les
mêmes phénomènes. Mais ici la zone d'hyperesthésie est beaucoup plus
étendue et correspond à peu près à la zone des douleurs spontanées.
Si on pratique, dans cette région hyperesthésique, une pression même
légère le malade est pris d'angoisse. « Si vous continuez, dit-il, je vais
me trouver mal. » Et effectivement il s'agit là d'une véritable zone hysté-
rogène, capable de provoquer une crise.
En dehors de cette zone hyperesthésique, la sensibilité générale et spé
ciale est normale dans tous ses modes, dans toute l'étendue du corps.
Le malade n'a jamais de crises convulsives. Il est simplement loquace,
vif, très expressif en paroles et en gestes.
Il ne présente aucun trouble moteur, ni trophique, ni vaso-moteur. Ses
réflexes tendineux sont peut-être un peu forts, mais égaux des deux côtés,
sans trépidation spinale. -
En résumé, tout se borne chez lui à une attitude vicieuse du tronc,
déterminée par une hyperesthésie dorsale. Cette hyperesthésie est la con-
séquence de cicatrices anciennes consécutives à un traumatisme. Elle oc-
cupe la région cicatricielle et son pourtour. Elle est assez exquise pour
que la pression légère amène une véritable crise nerveuse.
A n'en pas douter, il s'agit ici d'hystérie mâle, consécutive à un trau-
matisme, d'hystérie pour ainsi dire monosymptomatique. Le diagnostic
nous semble ressortir incontestablement des détails de l'observation. Le
rôle de l'émotion et de l'idée fixe qui s'est installée vraisemblablement ;i
l'occasion et la faveur de cette émotion, nous semble également hors
de contestation. z
CùN1'HACTUIU : : HVSTL : : fO'TiAUMATIQU¡'; DES MUSCLES DU TRONC.
TRAVAIL DU LABORATOIRE DE LA CLINIQUE DES MALADIES
DU SYSTÈME NERVEUX
UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET.
INTERPRÉTATION DES LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
PAR
LÉOPOLD LÉVI
Ancien interne lauréat des hôpitaux.
L'ostéite déformante de Paget est une affection rare. Tout document re-
latif à cette affection mérite d'être utilisé, surtout s'il comporte un examen
nécroscopique et histologique. Les recherches récentes dues à MM. Gilles
de la Tourette et Marinesco (1) ont attiré, d'autre part, l'attention sur les
lésions de la moelle épinière dans ce type morbide. Nous avons de même
constaté des altérations médullaires dans notre cas, mais nous verrons l'in-
terprétation qu'il convient, à notre point de vue, de leur donner. Enfin,
l'emploi des rayons de Roenlgen à l'étude de la texture des os nous a paru
digne d'intérêt. Ce dernier point fera l'objet d'une note spéciale.
Observation. Ostéite déformante de Paget. - Altérations cardio-vasculaires
généralisées . Tuberculose pleuro-pulmonaire et péritonéale. - Lésions de la
moelle épinière (Sclérose pseudo-systématique, d'origine vasculaire).
Jeanne Sacc., âgée de 62 ans, entre le 31 janvier 1894 salle La Rochefou-
cauld, lit n° 2, dans le service de M. le professeur Raymond, la Salpêtrière.
Antécédents héréditaires. - Les renseignements obtenus sont incomplets.
Sa grand'mère maternelle a succombé à de 96 ans. Son père est mort à
85 ans. Sa mère a vécu jusqu'à 75 ans. Une soeur a été frappée d'apoplexie à
do 45 ans. On ne relève chez les ascendants ou collatéraux ni rhumatisme
chronique ni affection cardiaque ou cancéreuse.
Antécédents personnels. - La santé a été très bonne jusqu'à la maladie
actuelle. Elle n'a point eu d'enfant, n'a pas fait de fausse couche. On ne cons-
tate pas par l'anamnèse ni par l'examen de sypliilis. L'éthylisme fait défaut.
A l'âge de 20 ans, la malade a eu une entorse du pied gauche (peut-être
s'est-il produit un arrachement de la malléole externe gauche).
Début de la maladie. - Le premier symptôme de la maladie actuelle remonte
(1) Gilles liE la Touhette ET Marinesco, Nouvelle iconographie de la Salpêtrière,
p. 205, 1896.
114 LÉOPOLD LÉVI
à 12 années. Elle éprouva à cette époque l'accident suivant. Elle était blanchis-
seuse à ce moment, et depuis l'enfance. Alors qu'elle venait d'introduire un
fer à repasser dans l'un des casiers d'un fourneau tournant, une camarade
d'atelier imprima un violent mouvement de rotation au fourneau. Sa main fut
entraînée dans le mouvement giratoire. Il en résulta une déformation du radius
droit, en même temps que des douleurs constrictives apparurent le long des
2/3 inférieurs de cet os.
Au mois de janvier 1894 elle s'aperçut de la déformation des membres infé-
rieurs. Atteinte d'une bronchite intense, d'essoufflement, de palpitations, d'oe-
dème des membres inférieurs, et d'ascite, elle entra dans le service de 1l.Rendu,
à l'hôpital Necker. Pendant son séjour à l'hôpital, le fémur droit était devenu
le siège de douleurs intolérables. La déformation, l'hypertrophie furent alors
notées. Des remarques analogues furent faites à propos des os du crâne, Inter-
rogée à ce sujet, la malade disait que ses bonnets depuis un certain temps lui
' devenaient trop petits. Améliorée de ses phénomènes cardio-pulmonaires, elle
entre à la Salpêtrière.
Examen des membres. - La main droite est en pronation forcée. On peut à
peine lui faire parcourir le 1/3 du trajet nécessaire pour la ramener il la supina-
tion complète. Le radius droit est fortement incurvé dans ses 2/3 inférieurs. Sa
courbure antérieure est exagérée. De plus, à trois travers de doigt au-dessus de
l'interligne articulaire du poignet il est tordu de telle façon que sa face antérieure
devient interne. A cette torsion s'ajoute une courbure à concavité dirigée en
dedans qui fait que le bord interne du radius repose sur la face antérieure du
cubitus. Dans la région déformée, le radius est considérablement élargi et forme
une saillie considérable sur la face postérieure- de l'avant-bras. Sur tout ce trajet
de l'os, la palpation modérée éveille des douleurs assez intenses. Le poignet
droit est presque complètement ankylosé. Au contraire les articulations méta-
carpiennes et des phalanges ont conservé toute leur étendue et leur mouve-
ment.
Du côté gauche c'est surtout au niveau du coude que porte la déformation,
L'avant-bras est fléchi sur le bras et ne peut s'étendre au delà de l'angle droit.
Les mouvements sont douloureux, ainsi que la pression au niveau de l'extré-
mité inférieure de l'humérus. Cette épiphyse est comme triplée de volume. De
l'épicondyle à l'épi trochlée on note 10 centimètres. L'humérus gauche très dé-
formé est incurvé dans son 1/3 inférieur et forme une saillie très appréciable à
la vue et au toucher, sensible à la palpation.
Par suite de l'amaigrissement généralisé, les épines de l'omoplate et les acro-
mions font une saillie notable. Les clavicules facilement explorées ne sont pas
le siège d'hypertrophie.
Aux membres inférieurs, le fémur droit est le siège de modifications. Il est
fortement incurvé dans ses 2/3 inférieurs, décrit une courbure à convexité
antérieure surtout accusée un peu au-dessous de la moitié inférieure de l'os. De
cette incurvation résulte un raccourcissement du fémur. La distance qui sépare
le tubercule du jamhier antérieur de l'épine iliaque antéro-supérieure est à gau-
che de 44 centimètres, tandis droite elle n'est que de 40 centimètres.
UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 115
A 12 centimètres de la base de la rotule, la diapbyse attemt sa dimension
transversale maxima (10 cm.) alors du ? gauche le fémur ne mesure à ce même
niveau que 7 centimètres.
Le genou droit est très élargi du fait de l'hypertrophie des condyles, prédo-
minante au niveau du condyle interne.
La rotule droite est augmentée. Elle mesure 7 centimètres contre 5 cm. 1/2
pour la rotule gauche.
La flexion du genou ne peut guère être portée au delà de l'angle droit. Les
mouvements de l'articulation s'accompagnent de craquements.
Les tibias ne sont pas le siège de déformation.
Au niveau des péronés, c'est à gauche qu'existent hypertrophie et déforma-
tion. La malléole externe gauche et la partie attenante du péroné sont le siège des
altérations. La malléole se présente sous tonne d'un ovoïde à grand axe dirigé
de haut en bas et d'avant en arrière, à grosse extrémité dirigée en bas et en
arrière. Le grand axe mesure 5 cm. 5, le petit axe 4 cm. 5.
On ne constate pas de déformation appréciable du tarse, du métatarse, ni des
autres os du pied.
La station debout est impossible. Lorsqu'on maintient la malade par les épau-
les, les cuisses sont écartées, légèrement fléchies sur les jambes. Elle est dans
l'impossibilité de les rapprocher l'une de l'autre.
La malade se sert au contraire de ses membres supérieurs pour manger,
mais elle ne peut mettre sa camisole, ni procéder elle-même aux soins de sa
toilette.
Les os du bassin semblent peu modifiés. Les crêtes iliaques sont déformées,
mousses, comme boursouflées. ,
Il existe une cyphose assez accusée de la colonne dorsale.
Au crâne, les deux bosses pariétales sont augmentées de volume, ainsi
que la bosse frontale droite. Ou ne note aucune particularité au niveau des
maxillaires, des os malaires, des apophyses zygomatiques.
La malade a perdu un grand nombre de dents.
Il existe un amaigrissement généralisé à tout le corps. La peau est ridée,
avec tendance à l'escharification au niveau du sacrum. On constate encore des
traces d'oerJ.l1le au pourtour des malléoles.
La malade perd ses urines et ses matières depuis son entrée à l'hôpital. Elle
répond difficilement aux questions qu'on lui pose, pleure facilement. Les globes
oculaires sont le siège d'un nystagmus transversal à grandes oscillations. Les
réflexes rotuliens sont normaux.
On trouve a l'auscultation du cceur un souille d'insuffisance mi traie. Les ar-
tères sont dures : 104 pulsations à la minute. ' "
La malade tousse, expectore. A l'auscultation on note des râles de bronchite
disséminés. existe une diminution du murmure vésiculaire dans les fosses sus-
épineuses. 24 rospi rations la miuute.
La langue est humide. Il existe de l'appétit. La malade accuse de la douleur
au niveau de l'abdomen qui est ballonné.
Elle succombe au mois de mai 1895 avec des phénomènes de cachexie.
116 LÉOPOLD LÉVI
L'autopsie est pratiquée 30 heures après la mort.
Les poumons pèsent 1080 grammes. Il existe un épaississement chronique de
la plèvre. On constate au niveau des parenchymes une tuberculose disséminée
sous forme d'ilots broncho-pneumoniclues, surtout marquée au niveau de la
base du côté droit. Les poumons sont le siège en outre d'emphysème et d'oe-
dème.
Le coeur est. volumineux. Il pèse 50 grammes. Il ne peut être séparé du
péricarde fibreux, à cause d'une symphyse des feuillets de la séreuse, symphyse
complète, ancienne, sans calcification. Le ventricule gauche est hypertrophié
(hypertrophie concentrique). L'épaisseur de la paroi égale deux centimètres.
La valvule mitrale est épaissie, rétractée, avec rugosités au niveau du bord
libre. Épaississement léger des piliers.
Les valvules sigmoïdes de l'aorte sont épaissies, calcifiées par places.
On note également un épaississement moins accentué de la valvule tricuspide.
Pas de lésions apparentes de l'artère pulmonaire.
L'aorte est dilatée à son origine et offre sur tout son trajet des lésions d'a-
thérome accentué. L'aorte abdominale très dilatée d'une façon assez irrégulière
a perdu d'autre part son élasticité. Les artères des membres sont épaisses, tor-
tueuses, irrégulières.
Toute la séreuse péri tO]1("nle est parsemée de granulations tuberculeuses,
prédominantes au niveau du mésentère et des épiploons. La trompe et l'ovaire
droits sont atteints de tuberculose granulo-caséeuse.
Le foie est légèrement gras et d'apparence muscade. Il pèse 1100 grammes.
On note quelques tubercules il la surface.
Les reins pèsent 280 grammes. Leur volume est sensiblement normal. La
capsule se décortique mal. Par places, existent des kystes. La substance corti-
cale offre en certaines régions une apparence jaunâtre. On ne note pas de tu-
bercules macroscopiques.
La rate pèse 150 grammes. Elle présente des scissures plus ou moins pro-
fondes. La capsule est épaissie. Sur la coupe on note l'existence de foyers
hémorrhagiques.
En ce qui concerne les os, ainsi que le montrent les photographies annexées
il l'observation, on constate qu'il y en a quatre essentiellement malades : l'hu-
mérus gauche, le radius droit, le fémur droit, le péroné gauche. Les tibias ne
sont point déformés ni hypertrophiés (PI. XVI).
Le fémur droit est considérablement augmenté de volume dans sa diaphyse
et surtout dans son extrémité inférieure. L'hypertrophie commence à 14 cen-
timètres de la partie supérieure de la fossette d'insertion du ligament rond.
A 22 centimètres du bord supérieur du grand trochanter, l'hypertrophie se
traduit par une différence de 2 cm. 1/2 avec le fémur opposé (fémur droit,
12 centimètres de circonférence, gauche 9 cm. 1/2), et de 4 cm. 1/2 au niveau
de l'extrémité inférieure (27 centimètres il droite, 22 cm. 1/2 il gauche). En
outre, la convexité de la face antérieure se trouve augmentée de telle façon que
SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET U7
le fémur droit placé sur un plan horizontal est distant de 7 centimètres de ce
plan (3 centimètres du côté opposé) et que l'os est comme raccourci. La dis-
tance de la partie supérieure de la fossette d'insertion du ligament rond il la
partie la plus inférieure de la face latérale du condyle interne, mesure 35 cen-
timètres sur le fémur malade, 47 centimètres sur le fémur sain.
Notons encore que le fémur droit présente des rugosités plus accentuées
que son congénère.
Le péroné gaucho déformé prend une forme de massue (déformation clavi-
forme). L'hypertrophie commence à 15 centimètres de la tète du péroné et
augmente progressivement jusqu'à l'extrémité inférieure. Les mensurations
pratiquées au niveau de cette extrémité donnent à gauche 11 cm. 1/2 de cir-
conférence, 7 centimètres il droite.
Il faut ajouter que le calcanéum droit est épaissi en masse par rapport au
calcanéum opposé, que le 2° métatarsien est également hypertrophié dans son
ensemble, que 7 vertèbres dorsales ont leur corps vertébral soudé.
Aux membres supérieurs l'humérus gauche s'hypertrophie progressivement
de haut en bas dans une direction pour aiusi dire centrifuge, depuis 7 centi-
mètres de la partie la plus saillante de la tête.
L'empreinte deltoïdienne se trouve très accentuée. La déformation atteint
son maximum au niveau de l'extrémité inférieure.
Tandis qu'au-dessus de l'extrémité inférieure, il y a une différence de 3 cen-
timètres dans la circonférence des deux humérus (humérus gauche 10 centi-
mètres, humérus droit 7 centimètres), au niveau de cette extrémité on note
4 cm. 1/2 de différence en faveur de l'humérus gauche qui mesure 18 centi-
mètres au lieu de 13 cm. 1/2 pour l'os opposé. La forme générale de l'extré-
mité est conservée. A ne considérer que toute la partie inférieure de l'os, on
croirait se trouver en présence d'un os d'athlète.
Le radius droit offre des altérations qui partent de la diaphyse il 7 centimè-
tres do la cupule de la tète radiale et augmentent progressivement de haut en
bas. A 13 centimètres décolle même cupule la circonférence du radius droit
mesure 8 cm. 1/2, celle du radius gauche 7 cm. 1/2. Il existe sur la face
postérieure deux gouttières parallèles l'une à l'autre, l'inférieure plus accen-
tuée que la supérieure, dirigées obliquement de haut en bas et de dehors en
dedans comme si l'os avait subi sur lui-même un mouvement de torsion. L'ex-
trémité inférieure très hypertrophiée mesure 13 centimètres de circonférence
à droite, 9 centimètres au niveau du radius sain.
Les clavicules, les omuplates et les autres os du membre supérieur ne sont
pas le siège d'altérations.
Le système nerveux ne présente aucune lésion macroscopique importante.
Les circonvolutions cérébrales ne sont point le siège de foyer de ramollisse-
ment. Il n'existe pas d'hémorrhagie au niveau des noyaux gris centraux. Le
cervelet n'est porteur d'aucune altération grossière. Les artères de l'encéphale
sont épaisses, sinueuses, à lumière étroite. Les veines restent béantes après la
coupe. 'La pie-mère médullaire offre de place en .place au niveau de sa face
118 LÉOPOLD LÉVI
postérieure des plaques calcaires plus ou moins volumineuses. La pie-mère est
un peu épaissie dans toute son étendue.
Examen histologiques. - Des coupes ont été pratiquées au niveau des viscè-
res : foie, rate, rein, corps thyroïde, au niveau d'une artère moyenne d'un mem-
bre, d'un muscle du mollet. Le cerveau a été examiné sur des coupes histolo-
giques. Une étude particulièrement attentive a été faite de la moelle épinière.
Enfin le nerf sciatique a été étudié.
L'organe hépatique présente à la fois des lésions du tissu conjonctif, du
parenchyme et des vaisseaux. On note une sclérose légère, a point de départ
périportal, d'autre part une sclérose embryonnaire au niveau de l'espace porte.
Il existe une nécrose cellulaire avec perte de coloration des noyaux un peu
diffuse, mais par territoires assez limités. On constate d'autre part une dégé-
nérescence graisseuse peu accentuée sans prédominance très nette. Par places,
des hémorrhagies se sont faites au niveau du parenchyme. Ce qui est particu-
lièrement marqué, c'est un épaississement considérable des parois des veines
sus-hépatiques avec périphlébite embryonnaire.
L'a rate a sa capsule épaissie. Il existe des hémorrhagies dans la substance.
Le rein offre des lésions diffuses : altérations diffuses des cellules des tubes
contournés qui se colorent mal en général. Les glomérules sont peu atteints.
L'endartérite des petits vaisseaux est accentuée.
Le corps thyroïde est le siège d'une sclérose intertrabéculaire très accentuée
par places. D'autre part les vésicules sont élargies. Certaines peuvent acquérir
jusqu'à 10 fois leurs dimensions habituelles. Les capillaires sont le siège d'une
distension considérable. Il existe une endophlébite oblitérante très marquée.
Les coupes du cerveau ne font pas reconnaître de lésions notables des cel-
lules ou des fibres à myéline. Les artères sont le siège d'altérations portant
surtout sur la tunique externe.
L'examen de la moelle épinière étudiée suivant les procédés en usage donne
surtoutdes résultats sur les coupes pratiquées d'après la méthode de Forel (picro-
carmin en masse), considérées à un moyen on a un fort grossissement.
Sur les coupes, l'aeil nu ou à un faible grossissement, on reconnaît des
lésions prédominantes au niveau des cordons postérieurs et des faisceaux
latéraux.
D'une façon générale, qu'il s'agisse de coupes pratiquées au niveau do la
région cervicale, dorsale ou lombaire, la pie-mère est légèrement mais nette-
ment épaissie surtout il sa face postérieure. Les vaisseaux, artères particuliè-
rement sont le siège de périartérite et d'eudartérite variable, et dont l'accen-
tuation change d'une façon irrégulière suivant les coupes. Les vaisseaux sont
congestionnés.
En ce qui concerne la moelle elle-même on note que les lésions des faisceaux
blancs laissent intacts les cordons antérieurs et une partie des cordons laté-
raux. Elles sont prédominantes dans les faisceaux postéro-iatéraux.
Pour ce qui est de la substance grise, les cellules des cornes antérieures
sont intactes au niveau des rendements cervical et lombaire. Les colonnes de
clarke ne sont pas atteintes.
SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 119
A noter encore que le canal de l'épendyme est obstrué dans toute son éten-
due, que les veines périépendymaires sont le siège de périphlébite et sont con-
tenues dans des espaces élargis.
Au niveau de la région cervicale, les lésions sont diffuses, à peine accentuées
au niveau du cordon antérieur (sauf dans la zone limitante) et du faisceau de
Gowers. Le faisceau pyramidal direct n'est pas atteint. Elles sont accentuées au
niveau des cordons de Golf. La lésion plus étroite contre la commissure posté-
rieure va en s'élargissant, à mesure qu'elle s'approche de la périphérie de la
moelle et prend la forme d'une bouteille il goulot allongé.
. Suivant les hauteurs la zone radiculaire postéro-interne est ou non inté-
ressée.
Dans les cordons latéraux, la lésion est prédominante au niveau des faisceaux
pyramidaux, surtout d'un côté, mais elle n'est pas limitée à ce faisceau pyra-
midal. Elle le dépasse surtout en dehors. Le faisceau cérébelleux direct est éga-
lement le siège d'altération.
Les cellules des cornes antérieures semblent présenter leur nombre, leur
volume, leur forme, ainsi que leurs prolongements normaux.
Dans la région dorsale, les lésions sont diffuses aux cordons postérieurs mais
avec prédominance sur les cordons de Goll, elles sont accentuées dans les fais-
ceaux pyramidaux, les faisceaux cérébelleux directs. La méninge est épaissie.
Enfin dans la région lombaire, c'est encore de part et d'autre de la zone
médiane que les lésions sont prédominantes dans les cordons postérieurs, plus
marquées dans les ! i/4 postérieurs et contre la corne postérieure. Les faisceaux
pyramidaux sont altérés dans toute leur étendue.
Sur les coupes examinées à un grossissement moyen (obj. 4, oc. 1), on voit
l'épaississement de la pie-mère et en particulier de celle qui pénètre au niveau
du sillon antérieur et postérieur. Tout le tissu de soutènement de la moelle,
les septa conjonctifs sont épaissis (Fig. 1).Ce qui devient très manifeste, c'est que
la sclérose a toujours pour point de départ les vaisseaux. C'est autour des vais-
seaux qu'elle débute, restant parfois localisée à ce niveau ; d'autres fois la sclé-
rose à point de départ vasculaire circonscrit et étouffe les gaines de myéline
avoisinante. Les épaississements conjonctifs parallèles aux vaisseaux coupés en
long représentent des travées fibreuses qui parfois se rejoignent limitant des
territoires d'étendue variée, mais le plus souvent restent isolées. Ils forment
des couches concentriques aux vaisseaux coupés transversalement. Les cylin-
dres-axes, même dans les régions où les tubes de myéline disparaissent du fait
de la sclérose, sont conservés.
Par la méthode de Pal, on note la disparition diffuse des fibres à myéline dans
les régions que nous avons signalées.
Les racines rachidiennes ont leurs tractus conjonctifs épaissis d'une façon
irrégulière. Les artères qu'elles contiennent sont le siège d'une périartérite
très accentuée.
Le nerf sciatique, traité par la méthode cl'Azoulay (acide osmique et tannin),
montre une raréfaction diffuse assez accentuée des gaines de myéline. Ses artè-
res sont le siège d'endartérite prononcée.
120 LÉOPOLD LÉVI
Il s'agit en résumé d'une femme de G` ? ans, sans hérédité manifeste, à
santé toujours bonne, chez qui s'est développée progressivement une os-
téite déformante de Paget qui a évolué avec lenteur.
La malade succomba à une affection cardiaque associée à une tubercu-
lose pulmonaire et péritonéale, ce qui, en passant, montre encore une
fois le peu de fondé de l'antagonisme supposé entre les affections cardia-
ques et la tuberculose. '
L'existence d'une cardiopathie, pour ainsi dire de règle au cours de
l'ostéite de Paget, mérite d'être relevée. Nous désirons insister essentiel-
lement sur les lésions de la moelle épinière et l'étal des os.
I. L'examen histologique de la moelle a fait constater des lésions qui
peuvent se résumer sous le titre de sclérose pseudo-systématique d'origine
vasculaire, à prédominance sur les faisceaux de Goll et les faisceaux pyra-
midaux (Fig. 1).
La sclérose est pseudo-systématique. On peut invoquer en effet ici la
plupart des raisons mises en avant par MM. Ballet et Minor (1) dans leur
mémoire classique. Si le faisceau pyramidal croisé est atteint de lésions,
le faisceau pyramidal direct est intact. Ce n'est pas au faisceau pyramidal
(1) Ballet et Minor, Arcli. neurol., VII, janv. 1884.
Fig. 1. - Sclérose pseudo-systématique de la moelle d'origine vasculaire dans un cas
d'ostéite déformante de Paget ; prepar. au I)ict-ocarLiiiii ; ocul. 1 ; ob. 1 variable
(Verick).
SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 121
croisé que les lésions sont localisées, mais elles le dépassent, gagnent la
partie externe, le faisceau cérébelleux direct. Les cylindres-axes ne sont
pas altérés au niveau des parties envahies par la sclérose.
La sclérose est d'origine vasculaire. Les faisceaux sont ici atteints de
lésions très accusées, et ce sont eux qui sont très nettement le point de
départ de la sclérose. Parfois localisée à leur niveau, la sclérose a toujours
son maximum autour des vaisseaux.
Quelle est la signification de ces lésions ? La question mérite d'être dis-
cutée après les recherches histologiques intéressantes de MM. Gilles de la
Tourette et Marinesco. Dans deux autopsies, l'une relative à un malade
de 49 ans, l'autre concernant une femme de 59 ans, ils ont étudié les lé-
sions médullaires « qui permettent peut-être, disent ces auteurs, d'établir
des rapprochements entre la maladie de Paget et certaines affections spina-
les à détermination osseuse (exemple de tabes), dans lesquelles on observe
des troubles trophiques du côté des os ». Depuis, M. Pic (1) de Lyon, au
point de vue clinique, a pensé que l'ostéite de Paget était une dystrophie
d'origine nerveuse, et fait valoir, en faveur de cette hypothèse, que son ma-
lade âgé de 58 ans présentait des réflexes exagérés, de la contracture des
adducteurs, des envies fréquentes d'uriner.
Revenons sur le travail de MM. Gilles de la Tourette et Marinesco (2).
. Le titre en est : La lésion médullaire de l'ostéite déformante de Paget. Les
conclusions sont réservées. Il est dit : « Les lésions semblent bien apparte-
nir à la maladie osseuse de Paget. » Entrons dans les détails des examens
microscopiques. A propos du premier cas il est noté à propos des cordons
postérieurs : « Le picrocarmin ne fait voir dans la partie des cordons
postérieurs que nous avons trouvée altérée macroscopiquement qu'une ra-
réfaction légère des fibres nerveuses avec un peu d'épaississement du tissu
de soutènement. On ne constate pas de véritable sclérose des cordons pos-
térieurs. Pour les cordons latéraux, microscopiquement on trouve dans la
partie postérieure du cordon latéral une diminution des fibres à myéline. »
Dans le deuxième cas les lésions sont plus accentuées. Elles portent sur-
tout sur la partie médiane des cordons postérieurs et la zone radiculaire
postérieure. Elles sont d'ailleurs, d'après les planches, diffuses aux fais-
ceaux antéro-latéraux (faisceaux pyramidaux, cérébelleux directs, zone li-
mitante de la moelle en général). Les auteurs ont été en outre frappés des
lésions des nerfs qu'ils interprètent comme névrite interstitielle très proba-
blement d'origine vasculaire.
Dans notre cas, il s'agit, nous l'avons démontré, d'une sclérose pseudo-
(1) Pic, Présentation d'un malade. Soc. des se. méd. de Lyon, in Lyon médical
1897, p. 425.
(2) Loc. cil.
x 9
122 LÉOPOLD LÉVI
systématique d'origine vasculaire, que nous avons tendance à rapprocher
de la moelle sénile bien étudiée par Demange (1) et dont il est facile d'ob-
server des exemples.
Nous ne pensons pas qu'il y ait lieu d'établir de relation entre les lé-
sions de la moelle épinière et l'ostéite déformante de Paget. Nous croyons
que troubles médullaires et osseux coïncident chez un même sujet.
On peut se demander seulement le rôle que les lésions vasculaires géné-
ralisées [aux gros troncs comme aux artérioles viscérales] jouent dans
l'évolution des lésions osseuses, et d'autre part si lésions vasculaires et os-
seuses ne sont pas sous la dépendance du même trouble dystrophique, d'o-
rigine inconnue. Les lésions artérielles et cardiaques sont de règle en effet
(comme d'ailleurs dans l'acromégalie) au cours de la maladie de Paget.
Reste à remarquer l'absence de symptômes cliniques d'ordre nerveux
(hormis les douleurs localisées au niveau des os atteints) chez les malades
de MM. Gilles de la Tourette et Marinesco, et chez notre malade. Cepen-
dant chez celle-ci nous avons noté une diminution de l'intelligence, des
pleurs faciles, un nystagmus binoculaire et enfin de la perte des urines et
des matières. Sauf ce dernier symptôme, à substratum anatomique peut-
être médullaire ou cérébral, les autres signes ne trouvent pas'leur expli-
cation dans l'état de l'axe médullaire. Et d'autre part les réflexes sont
normaux, il n'existe ni contracture, ni troubles de la sensibilité. Ce fait né-
gatif peut s'interpréter : Les lésions sont à la fois diffuses et incomplètes.
Elles n'intéressent pas de systèmes en particulier. Elles se sont établies
avec lenteur, suivant toute apparence. D'autre part les fibres à myéline
touchées conservent leurs cylindres-axes intacts. -
II. - A propos des lésions osseuses, quelques particularités méritent
d'être signalées (2) : L'asymétrie croisée des lésions (humérus gauche,
radius droit, fémur droit, péroné gauche) ; l'intégrité des tibias qui d'ha-
bitude sont atteints et souvent les premiers, ainsi que' celle des clavi-
cules ; la participation aux altérations des épiphyses. Le processus n'en reste
pas moins essentiellement osseux; l'épiphyse est prise secondairement à la
diaphyse. La marche de l'hypertrophie est centrifuge. Remarquons néan-
moins que dans le cas actuel l'épiphyse est plus atteinte que la diaphyse
et contrairement aux cas où l'épiphyse est intéressée c'est ici l'épiphyse
inférieure qui est le siège de la déformation. Indiquons enfin la régularité
de l'hypertrophie qui ne modifie pas la forme générale de l'os.
(1) Démange, Étude clinique et ttnatomo-palhologique sur la vieillesse. Paris, 1886.
(2) LÉOPOLD Lévi, Déformations osseuses de la maladie de Paget. Bull. de la Soc. anat.,
juin 1896, p. 439.
OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET.
Les os des membres sont mis en regard des os normaux correspondants.
MASSON & C ? Editeurs
L'APOPHYSALGIE POTTIQUE
PAR R
A. CHIPAULT
Assistant de consultation chirurgicale à la Salpêtrière.
Susceptible de douleurs à distance du foyer, par compression radicu-
laire, et de douleurs au niveau du foyer, par progression du foyer tuber-
culeux, le mal de Pott est encore susceptible de provoquer une seconde
variété de douleurs localisées, sur lesquelles l'attention n'a pas été jusqu'à
présent suffisamment attirée.
Je désignerai cette douleur spéciale du nom d'apophysalgie.
L'apophysalgie pottique est peu commune ; je ne l'ai rencontrée, bien
évidente, que dans deux cas, où elle était du reste tout à fait nette, et
jouait, dans la symptomatologie présentée par le malade, un rôle impor-
tant. -
Voici tout d'abord mes deux observations.
OBs. I. Annette L..., de Clamart, m'est amenée de temps en temps,
depuis environ une année, pour un mal de Pott dorsal moyen en voie
d'ankylose.
Ce mal de Pott a débuté à l'âge de 7 ans 1/2. Il parait avoir été mé-
connu au début ou pris pour une cyphose rachitique car il a été traité par
la gymnastique et le massage. Je n'ai pas besoin de dire quel fâcheux effet
eut cette thérapeutique malencontreuse sur l'affection vertébrale : la gib-
bosité ne larda pas à s'accentuer et devint très marquée, peu près aussi
volumineuse qu'elle est encore aujourd'hui. Les parents menèrent alors
la fillette, notre très distingué confrère, le D1' Redard, qui la traita, bien
entendu par l'immobilisation : il y a de cela deux ans, à peu près. Au
bout de huit mois de ce traitement nouveau et rationnel, l'enfant me
fut amenée à la consultation de la Salpêtrière, sur les conseils de la
124 A. CHIPAULT
mère d'un autre de mes petits malades à qui j'avais pu considérablement
atténuer, par l'abrasion des apophyses épineuses, une gihbosité dorso-lom-
baire à peu près de même volume que celle présentée par la fillette. Mal-
heureusement, le même procédé ne lui étaitpasapplicable, les apophyses,
bicuspides et étalées, ne jouant chez elle qu'un rôle tout à fait restreint
dans la saillie de la gibbosité. Je n'avais donc qu'à continuer le traite-
ment immobilisateur institué par M. Redard. A plusieurs reprises je revis
la fillette, sans que son état se modifiât, lorsqu'environ trois mois après
mon premier examen, elle se plaignit de douleurs au niveau de la gibbo-
sité, si pénibles que les parents, malgré le soin avec lequel ils mainte-
naient d'ordinaire le décubitus dorsal exigé, placèrent la malade sur le
côté; le soulagement fut réel, mais dura seulement quarante-huit heures.
Les douleurs avaient repris leur intensité première lorsque je revis la ma-
lade. Croyant que leur cause était la cause banale des douleurs au niveau
des foyers pottiques, c'est-à-dire une position défectueuse prise dans l'ap-
pareil par la malade, je la replaçai dans le décubitus dorsal, avec les plus
grandes précautions. Le résultat fut nul. Aussi, très surpris de cette insis-
tance d'un symptôme qui cède d'ordinaire à l'immobilisation soigneuse-
ment faite, fis-je trois jours plus tard l'examen le plus attentif delà ré-
gion gibbeuse. Il me fut facile de constater que les douleurs, nullement
exaspérées par la pression sur la tête de la malade ou sur les apophyses
transverses, en somme n'ayant pas pour siège les corps vertébraux, étaient
localisées aux apophyses épineuses, qu'à cause de leur disposition bifide,
il' était facile de saisir entre les doigts, en constatant leur extrême sen-
sibilité, et l'absence à leur niveau de lésion tuberculeuse appréciable.
Pensant dès lors qu'il s'agissait d'une simple congestion de voisinage ana-
logue à celle que l'on rencontre souvent à plus ou moins grande distance
des arthrites tuberculeuses, congestion contre laquelle des injections
sous-périostées de quelques gouttes d'une solution phéniquée forte n'a-
vaient dans plusieurs circonstances donné des résultats très satisfaisants,
je résolus d'employer ici le même petit moyen. Après avoir désinfecté la
peau de la région, je fis, après en avoir raccourci la pointe, pénétrer l'ai-
guille d'une seringue de Pravaz remplie de solution phéniquée à 1/5, jus-
qu'au contact de la plus sensible des apophyses explorées, et la fis glisser,
au ras de cette apophyse, d'environ un centimètre, puis, cette profondeur,
et ensuite en retirant l'aiguille, j'injectai une vingtaine de gouttes de la
solution. La même manoeuvre fut répétée au niveau de trois autres apo-
physes, une couche de coton hydrophile étendue sur la région et la malade
replacée dans le décubitus dorsal. Tout d'abord les souffrances ne paru-
rent pas s'atténuer, mais trois heures environ après les injections cette
atténuation commença à se manifester ; le soir elle était parfaite, et pour
l'apophysalgie POTTIQUE 125
la première fois depuis plus de huit jours, l'enfant put dormir toute la
nuit, sans être réveillée par ses soulTrances. Celles-ci reparurent, du reste,
après quatre jours de répit; une nouvelle séance d'injections en eut rai-
son de nouveau, après les mêmes péripéties. Il en fut ainsi de nouveau
une troisième^, puis une quatrième fois ; enfin le soulagement fut durable;
depuis sept mois, la fillette, que l'on m'amène de temps en temps à la
consultation de la Salpêtrière, garde à nouveau sans souffrir le décubitus
dorsal nécessité par son affection.
OBs. II. -Le second cas de mal de Pott dans lequel j'ai constaté l'exis-
tence indiscutable d'une apophysalgie m'a été montré il y a environ qua-
tre mois par mon distingué confrère le Dr V...
Il s'agissait d'une jeune femme, de vingt-cinq ans environ, hystéri-
que, et atteinte de mal de Pott dorsal moyen avec gibbosité et crises
d'angine de poitrine ; l'immobilisation dans un appareil était impossible
à cause de l'existence, au niveau de la gibbosité, de douleurs très vives
. qu'un examen direct me démontra n'avoir leur siège ni dans les corps
vertébraux, ni dans la peau que l'on pouvait serrer entre les doigts sans
, provoquer de protestations, mais au niveau de l'apophyse épineuse la plus
saillante, apophyse dont le volume paraissait du reste tout à fait normal.
Je fis, séance tenante, par la technique indiquée dans l'observation précé-
dente, une injection phéniquée le long de cette apophyse ; le résultat fut
le même : disparition de ces douleurs au bout de deux ou trois heures..
Ces mêmes injections ont été refaites à plusieurs reprises, chez cette ma-
lade, avec un résultat analogue : je ne sais s'il a fini par être définitif.
En somme, l'apophysalgie portique, symptôme peu connu et peu fré-
quent de la tuberculose vertébrale, consiste dans une douleur localisée,
continue, exacerbée par le palper, palper qui démontre qu'elle a son
siège au niveau d'une ou plusieurs des apophyses correspondant à la
gibbosité, et qu'elle ne coïncide avec aucune modification de leur con-
sistance ou de leur volume.
. La douleur de l'apophysalgie se distingue des douleurs ayant pour
cause la propagation de la tuberculose aux parties postérieures des vertè-
bres par l'intégrité manifeste de celles-ci, et ces douleurs ayant pour siège
les autres éléments de la gibbosité par sa localisation précise : les dou-
leurs ayant pour point de départ le foyer siégeant dans les corps verté-
braux sont en effet exaspérées par les pressions suivant l'axe du rachis et
126 A. CHIPAULT
par les pressions sur les apophyses transverses, et les douleurs dues à
de l'hyperesthésie hystérique surajoutée par ce simple frôlement ou par
le pincement de la peau : tous modes de recherches qui n'exercent aucune
influence sur les douleurs de l'apophysalgie.
L'apophysalgie est très probablement due à de la congestion osseuse,
analogue à-celle qui se produit au voisinage de la plupart des foyers de
tuberculose osseuse ou articulaire.
Lorsqu'elle survient dans le cours d'un mal de Pott, elle peut exercer
une influence fâcheuse sur son évolution en débilitant le malade, et sur-
tout en rendant très difficile l'immobilisation dans le décubitus dorsal,
immobilisation qui joue un.rôle de premier ordre dans la thérapeutique
rationnelle de cette affection.
Dans ces conditions, il est utile de chercher un remède à l'apophysal-
gie.
Dans nos deux cas, nous avons réussi à la faire disparaître par l'injec-
tion sous le périoste de l'apophyse ou des apophyses douloureuses
d'une vingtaine de gouttes d'une solution d'acide phénique à 1/5
déposées le long de leur axe à l'aide d'une seringue de Pravaz, pénétrée
d'abord à fond puis retirée lentement ; l'injection ne calme les douleurs
qu'au bout de deux ou trois heures ; elles reviennent quatre il cinq jours
après chacune des premières injections pour disparaître définitivement
après la troisième ou la quatrième injection.
Disons du reste que Noble Smith a obtenu, il y a deux ou trois ans, de
très heureux effets sur les douleurs locales de gibbosités pottiques soit en
ponctionnant les apophyses à l'aide d'un ténotomesoit en les vrillant avec
une vrille d'un huitième de pouce de diamètre : il est fâcheux qu'il ne
nous ait pas donné le détail de ses observations, car il est fort possible,
étant donné les résultats ainsi obtenus, qu'il se soit agi, dans une ou plu-
sieurs d'entre elles, de la variété de douleur gibbosilaire non décrite sur
laquelle nous avons jugé nécessaire d'attirer quelques instants l'attention.
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE
(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE)
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE
. (Suite et fin)
par
HENRY MEIGE
V
ADRIAEN BROUWER
Peintre hollandais (1605-6 ( ? ) + 1638).
Avec Adriaen Brouwer, nous pénétrons dans des officines de plus bas
étage, sombres, étroites, enfumées ; le mobilier tombe en morceaux ; pro-
priétaires et clients, de mise sordide, sont les plus infimes adeptes du
rasoir et du bistouri.
Ces bouges et leurs habitants étaient bien connus de Brouwer que son
existence désordonnée conduisait dans les plus misérables demeures. Plus
grand seigneur était Teniers qui menait une vie aisée et fréquentait dans
la noblesse. Bien qu'il se soit complu à représenter des rustres et qu'il ait
eu souci de les peindre tels qu'ils étaient réellement, le maître flamand
conserve dans sa manière une délicatesse de touche, une distinction de
coloris qui révèle raffinement de son goût et ses tendances aristocra-
tiques.
Brouwer, bohème toujours miséreux, peignait entre deux griseries, plus
vivement, plus largement, ayant passé, dit-on, de dures années dans l'ate-
lier de Frans Hals dont il imita la facture simple et aisée.
Par ce faire hâtif, aux touches larges,sûres, et de premier jet, Brouwer
reste un des plus curieux représentants de l'école du maître de Haarlem
dont il sut appliquer la méthode aux sujets de petite dimension.
Il excelle dans les joyeusetés entrevues par la porte des cabarets borgnes;
les chants, les pipes, les beuveries, les jeux de cartes et de dés, les lourdes
danses et les disputes après boire.
128 HENRY MEIGE
Mais il connaît aussi les tristes revers de cette vie déréglée : les réveils
désastreux aux lendemains d'orgie, l'escarcelle vide, les créanciers rapa-
ces, les fuites, les maladies, la prison, l'hôpital enfin, où il devait finir
prématurément ses jours, dans le plus complet dénuement (1).
Pouvait-il ignorer les chirurgiens grossiers de tous les pauvres diables
qui, aujourd'hui, braillent, fument, s'enivrent, se querellent, et qui,
demain, auront plus que leur part de souffrance ici-bas.
A Munich, il nous montre une Opération sur le bras, au Louvre, une
Opération sur l'épaule, à Anvers, un Arracheur de dents etc. (2).
Cependant le pinceau de Brouwer fut surtout tenté par les Barbiers-Pé-
dicures. Nous connaissons de lui six peintures dont ils ont fourni le
sujet (3).
L'Etuve de village.
(Pinacothèque de Munich.)
...
Par la disposition du décor et par l'agencement' des personnages, le
Brouwer du musée de Munich (4) rappelle assez bien le Teniers de Cassel.
Il comprend deux scènes contiguës : à gauche, au premier plan, l'opé-
ration chirurgicale, à droite, dans un enfoncement, la taille de barbe.
Mais nous sommes ici dans un intérieur plus vulgaire.
Le client, au crâne dénudé, peut se passer des ciseaux du coiffeur, son
menton rasé de frais témoigne cependant qu'il a dû commencer par avoir
affaire au barbier. Maintenant, celui-ci est devenu Pédicure, et cette se-
conde opération se fait moins paisiblement que la première.
Assis sur un billot, le patient maintient d'une main son talon et de
l'autre sa jambe gauche appuyée sur son genou droit : pauvre chemineau
dont le bâton, le béret, la besace et la chaussure informe, disent assez la
misère, les marches douloureuses et leurs cuisantes blessures.
(1) Ce serait au retour d'un voyage à Paris, où il mena la même existence désordon-
née, que A. Brouwer, âgé de 32 ou 33 ans, aurait échoué à l'hôpital d'Anvers. Il y
serait mort deux jours après son entrée. On dit aussi que RuBi : Ns, l'ayant appris, en
témoigna une vive douleur, et fit déposer son corps dans l'église des Carmélites.
(2) Voy. Les opérations sur l'épaule, sur le dos. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,
noS 5 et 6, 1896,
D'autres scènes chirurgicales d'A. Baoawsn se voient dans les musées de Vienne,'
Cassel, Carlsruhe, etc.
Il existe aussi au musée de Cologne une Opération sur la tête d'ADRiAEN BROU\VEa,
dont je n'ai eu connaissance que dernièrement.
(3) Un tableau de BROUwER, intitulé Le Chirurgien, a figuré au musée de Lyon, dans
la collection Bernard. Au musée des Beaux-Arts de Stuttgart se trouve un Paysan au-
quel on fait une opération, également de BRouwER. Je n'ai pas pu obtenir de rensei-
gnements sur ces peintures.
(4) Signalé par Cll%lICOT et P. Iicuen, Malades et difformes dans l'art, p. 114.
Voy. Gilles de la Tourette, Un dessin inédit d'Adriaen Brouwer, Nouv. Iconogr. de
la Salpêtrière, N° 2, 1890, p. 14.
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 129
Devant lui, le chirurgien, genou en terre, courbé en deux, empoigne
solidement les orteils dans sa main gauche, et de la droite promène une
lancette sur le bord externe du pied. Ce n'est pas sans douleur, car le
patient fronce le sourcil, cligne des yeux et gémit piteusement.
Nul doute qu'il s'agisse d'un cor, et d'un cor de l'espèce gemursa, la
plus douloureuse, d'où son nom, de gemere, gémir.
Mais peu importe au vieux barbier, qui, le nez sur son bistouri, pince
les lèvres et continue froidement son entaille. Gemursa cuisante, ou cla-
vus profondément enfoncé dans les chairs, il en extraira la racine. Vieil-
lard sec, aux jambes maigres, au visage anguleux, coiffé d'un béret à
oreilles qui descend jusque sur ses yeux, ceint d'une écharpe bariolée,
chaussé de souliers disparates, ses os pointant sous de trop larges habits,
il n'entend pas les cris, et, têtu, tenace, il s'obstine à trancher dans, le
mort, et dans le vif, - jusqu'à l'os, s'il le faut !
Non moins sèche et parcheminée, sauf le nez qu'elle a bourgeonnant,
se tient au second plan la mégère qui seconde cet opérateur ratatiné. Au-
dessus d'une chaufferette perchée sur le bras d'un fauteuil, elle fait ramol-
lir un emplâtre et serre un couteau effilé entre ses doigts noueux. La tête
couverte d'un linge blanc, elle se détourne à demi pour lancer un regard
oblique vers la porte qu'entrouvre brusquement un grand gaillard à tro-
gne enluminée.
Au plafond, un poisson mystérieux pendu par une ficelle, sur une ta-
blette une tête de mort, une fiole aux reflets étranges, deux grimoires pous-
siéreux et surtout l'oeil maléficieux de la commère, donnent à ce coin de la
pièce l'apparence d'un laboratoire de sortilèges.
De l'autre côté, dans l'enfoncement qu' éclaire une basse fenêtre à vitraux,
sous les tourbillons de fumée qui s'échappent d'une haute cheminée de
pierre, la scène est moins sanglante, et plus banale aussi. Le rasoir en fait
les frais. Un chanteur ambulant, dont la viole et le chapeau défoncé repo-
sent côte à côte sur une table, tend sa gorge au barbier en second, qui
barbifie selon les règles, renversant la tête en arrière pour tendre la peau
du cou. Un tonneau défoncé sert de siège au client. Sur une étagère s'en-
tasse un pêle-mêle de drogues et de cosmétiques.
Une chaise à trois pieds, un banc, une cruche, un chandelier, un balai,
complètent l'ameublement de cette officine un peu louche.
La médecine qu'on y fait est fort primitive. Nous assistons au premier
temps de l'opération dont le Teniers de Cassel nous montre le second, et
celui de Buda-Pesth le troisième.
Grattage, cautérisation, pansement : en cela se résume tout l'art du
pédicure.
Un bistouri, un caustique, un emplâtre : voilà pour les cors aux pieds
130 HENRY MEIGE
les trois engins thérapeutiques nécessaires, mais non toujours suffi-
sants.
2° Chez le Chirurgien.
(Musée Suermondt. Aix-la-Chapelle.)
Dans la galerie Suermondt, à Aix-la-Chapelle, se trouve un Pédicure
de Brouwer traité un peu différemment.
Un homme à cheveux rouges, assis sur une chaise boiteuse, pose son
pied droit sur un escabeau, se penche en avant pour regarder son mal et
soutient sa jambe sur ses mains croisées.
. Devant lui, un vieux barbier, un genou en terre, détache un emplâtre
collé sur le dos du pied.
Derrière eux, se trouve une table sur laquelle une vieille femme fait
chauffer un nouvel emplâtre au-dessus d'un réchaud, tout en regardant
l'opéré.
Au fond, à droite, par une porte entr'ouverte, on voit un laboratoire
où un homme, gros et court, tournant le dos, prépare des drogues.
Par une fenêtre ouverte, à gauche, on aperçoit un paysage. Au plafond
pend une boule de verre. Par terre, à gauche, deux grosses cruches.
L'intérêt médical de cette scène est d'ordre secondaire. C'est encore une
réplique des pansements emplasticlues si souvent répétés par Teniers.
Notons à ce propos que l'arrière-boutique et le personnage qui fait l'of-
fice de préparateur se retrouvent intégralement dans le Teniers de Buda-
Pest.
30 Le Pédicure.
(Dessin. Collection du Il Charcot.)
Ce document a été l'objet d'une critique de Gilles de la Tourette (2),qui
le considère comme une étude pour le tableau de Brouwer, conservé au
musée de Vienne,et représentant le même sujet, à quelques variantes près.
« Dans l'échoppe d'un rebouteur, barbier, chirurgien quelconque, un
pauvre diable, tâcheron ou paysan, est assis sur une chaise dont l'un des
montants supporte son chapeau de feutre. Le pied gauche repose sur un
billot carré, les deux mains se rejoignent en anse sous le creux du jarret.
La figure exprime l'attention, sinon l'anxiété ; peut-être une pointe de dou-
leur perce-t-elle dans la physionomie (Fig. 2).
« C'est que le maître du lieu,-le chirurgien de campagne, est occupé à
(1) N 168 du Catal., B. Il, 24. L, 37. - Prov. de la coll. Remy van Ilaanen.
Vienne, 1883.
(2) Gilles DE la Tourette, Un dessin inédit d'Adrien Brouwer. Nouv. Iconogr. de la
Salpêtrière, n° 2, 1890, p. 94. La pl. XV de cet intéressant article reproduit en pho-
totypie le dessin original dont notre croquis donne seulement la silhouette.
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 131
pratiquer sur le pied du patient une opération, bien simple d'ailleurs, et
qui semble n'être autre qu'un pansement, l'enlèvement d'un emplâtre par
exemple. Au premier plan gît le soulier du voyageur, soulier commun,
encore en usage dans certaines congrégations religieuses; sur le même plan
et par terre une paire de ciseaux. A droite deux vases, deux dames-jeanne,
probablement remplies de quelque liquide bienfaisant. Sur l'une d'elle se
lit, assez mal d'ailleurs, le mot Rose ou Rosat. Nous n'insistons pas.
« Au deuxième plan, la maîtresse de céans assise devant un comptoir
contemple la scène avec beaucoup plus d'intérêt que d'émotion. Sa main
droite plonge dans une petite boîte de forme assez singulière, qui ren-
ferme peut-être des objets de pansement.
« Au fond et à gauche, dans une officine, un homme vu de dos pile des
drogues dans un mortier. »
Les Pédicures de Brouwer ont entre eux tant de ressemblances que cette
esquisse, - si elle est authentique, - peut avoir servi pour plusieurs
de ces tableaux. Cependant, de tous ceux que nous avons examinés, c'est
celui d'Aix-la-Chapelle qui s'en rapproche le plus. Le tableau de Vienne,
dont parle M. Gilles de la Tourelle (voy. plus loin) et qui se trouve dans
la galerie Schoenborn, contient un quatrième personnage, à côté du groupe
principal, et le laboratoire du fond n'y est pas figuré. On peut donc ad-
mettre avec plus de vraisemblance que l'esquisse en question est celle
du tableau de la galerie Suermondt. '
Iig. 2. - Le Pédicure, d'après un dessin attribué à Brouwer.
' Collection du professeur Charcol.
132 HENRY MEIGE
Il y a lieu, en outre, de se demander si cette dernière est bien de la
main de Brouwer. En effet, le dessin est complètement retourné par rap-
port au tableau. Et nous savons d'autre part que la peinture de Brouwer
a été gravée par son contemporain C. Vischer (1).
4° L'Etuve de Village.
(Galerie Schunborn, Vienne.)
C'est pour ce tableau (2) que, d'après M. Gilles de la Tourette, Brouwer
aurait fait l'étude au crayon que possédait le Professeur Charcot.
Dans une pièce rustique, aux murs nus, qu'ornent pauvrement trois
pots de pharmacie et quelques instruments ébréchés, le barbier de village
enlève un emplâtre du pied de son client; l'un agenouillé, attentif à sa
besogne, l'autre assis, le pied sur un billot de bois, soutenant sa cuisse
gauche entre ses mains croisées (Fig. 3).
Les accessoires n'ont guère varié : fauteuil mal équarri auquel est ac-
croché le chapeau du malade, son soulier déformé gisant sur le sol, table
grossière sur laquelle une vieille femme il coiffe blanche étale des on-
guents, et les deux dames-jeanne ventrues, à col étroit, casquées de par-
chemin, leurs étiquettes en bandouillère (3).
Mais l'artiste a transposé sa source de lumière.
Dans le dessin le jour éclaire le dos du patient. Il importe davantage
que nous voyons sa figure où ses impressions doivent se refléter. Brouwer
a donc placé une fenêtre en face de l'opéré et a relevé sa tête pour nous
permettre de contempler la grimace et les hurlements de douleur qui
contractent tous ses traits. Cette tache claire au centre de la composition
attire nécessairement le premier regard. Elle est la note dominante du
tableau, évoquant l'idée principale : la souffrance de l'opéré.
Cette souffrance qui se manifeste si bruyamment a sa cause et ses effets,
rendus par les détails de la scène.
La cause en est le pansement fait par le chirurgien sur quelque plaie
de la face dorsale du pied. Le mauvais soulier que l'on voit tout proche
est sans doute l'auteur de ce traumatisme, moins grave que douloureux.
Les effets produits par les cris lamentables du patient se traduisent par
les expressions des physionomies des assistants. Ils sont divers :
(1) M. Fritz Berndt, Directeur de la galerie Suermondt, m'a confirmé récemment
cette remarque. Le dessin, m'a-t-il dit, reproduit le tableau en miroir.
(2) N° 69 du Catal., B. II, 41. L, 38.- Signalé par Charcot et P. HICIIEH, Les malades
et difformes dans l'art, p. 114. - Voy. surtout Gilles de la Tourette, Sur un dessin
inédit d'Adrien Brouwer, Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1890, n- 2, p. 94, t. III,
Cet article contient une planche phototypique (l'l. XV) d'après le tableau de Brouwer.
(3) On y lit le mot a ERITOM ».
" LES PÉDICURES AU X\7llc SIÈCLE 133
Chez l'opérateur, qui en a vu bien d'autres, c'est un sourire railleur et
malicieux. On peut être assuré qu'il ne s'arrêtera pas pour si peu dans sa
besogne. C'est un homme entendu, portant le petit bonnet bordé de four-
rure, et le court tablier blanc qu'on retrouve sur ses confrères dans les
tableaux de Teniers et de J. Steen. Son profil n'est pas sans finesse. A
défaut de savoir, il doit être malin. '
Tout autrement semble impressionné un personnage qui se tient de-
bout, derrière lui, appuyé sur un bàlon. De piètre mine, misérablement
vêtu, coiffé plus mal encore d'un feutre gris déformé, ce n'est pas pour
Fig. 3. - L'Etuve de Village d'après un tableau d' Adriaen Brouwer.
. Galerie Schünbol'1l, il Vicnne.
134 HENRY MEIGE
faire nombre que l'artiste l'a introduit. Il vient jeter une note de commi-
sération et d'inquiétude qui s'ajoute aux émotions produites par la douleur
du patient. Ami de ce dernier, sensible à la vue des plaies vives, ou client
attendant son tour, ému à la pensée qu'il souffrira bientôt le même mal, sa
vilaine moue exprime bien la répugnance aux douloureuses opérations.
Par contre, la vieille commère qui, derrière sa table, étale tranquille-
ment le contenu de ses pots d'onguents, reste entièrement indifférente à la
scène qu'elle a sous les yeux. S'il lui fallait plaindre tous ceux qui souf-
frent et s'émouvoir de leurs cris assourdissants, la vie ne seraitpas tenable
et les affaires n'en marcheraient pas mieux...
Le contraste est bien choisi entre les effets produits sur ces deux per-
sonnages par les cris de douleurs de l'opéré.
Le pileur de drogues qu'on entrevoit au dernier plan de l'esquisse est
remplacé dans le fond du tableau par un jeune farceur qui ouvre brus-
quement une porte, et semble faire chorus avec le malheureux patient.
C'est la note comique qui éclate avec un rayon de lumière destiné à éclai-
rer un coin obscur de la composition.
L'influence de Frans liais se fait sentir dans la manière dont est traitée
la figure du patient L'éclairage hardi de son masque expressif, encadré de
cheveux en broussailles, rappelle plus d'un portrait du maître hollandais.
Il n'y a pas lieu d'insister sur l'opération qui ne diffère pas des précé-
dentes.
Rappelons en terminant que le poisson desséché est remplacé au plafond
par une boule de verre où se reflètent les différentes sources de lumière,
et que la même boule existe dans le Teniers de Buda-Pesth. Enfin, nous
avons déjà signalé la frappante ressemblance des chirurgiens dans ces deux
tableaux.
L'Opération sur le pied. ,
Institut Staedel, Frankfort-sur-Main (1).
A Frankfort, Brouwer nous montre encore un Barbier-Pédicure, bien
misérable et d'une laideur insigne, avec sa toque déchirée, sa veste à l'a-
venant, ses petits yeux bridés, son gros nez épaté et sa mâchoire sans
dents (Fig. 4).
Son client au contraire n'a pas trop mauvaise apparence : sa culotte a
des boutons et il porte des bas. Son pourpoint est long, avec des crevés aux
manche; une collerette blanche fait le tour de son cou.
Mais la face est vulgaire et la barbe mal soignée.
(1) N° 141 du Catal., B. H., 38, L. 27. Provient de la vente de la galerie Schoen-
born, à Paris, en 1867.
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 135
Un large feutre relevé par devant donne à ce personnage l'allure d'un
reître ou d'un matamore baladin.
Pourfendeur de tréteaux ou batailleur de grands chemins,il n'a, pour le
moment, qu'un souci : la guérison de son pied malade.
Assis sur une caisse, le talon posé sur le coin d'une table, tenant ferme
sa jambe entre ses deux mains, il geint douloureusement pendant le pan-
sement que lui fait le vieux barbier à mine piteuse. Et sa souffrance ne se
traduit plus par des hurlements accompagnés de grimaces et de contorsions
Fig. 4.- L'Opération sur le Pied, d'après un tableau d'ADRIAEN BROUWER.
Institut Staedel, Frankfort-sur-Main.
136 UENHY MEIGE
violentes comme celles de l'opéré du musée de Vienne, mais par un gé-
missement plaintif, une expression dolente et découragée qui contraste
avec l'allure martiale ou théâtrale de son costume. Brouwer sait varier à
l'infini les modulations de la douleur.
Le tableau ne serait pas complet s'il y manquait une vieille femme.
Nous la retrouvons en effet, derrière le groupe principal, plus affreuse que
jamais, louchant, brèche-dent, revêche et grognon, furieuse qu'on ne
s'occupe pas d'elle. Car celle-ci n'est pas venue en commère curieuse ni
ne fait pas partie de la maison. C'est une cliente qui soutient sa main ma-
lade à l'aide d'un lien passé autour du cou.
Pédicure et manicure, le pauvre Barbier n'est pas difficile sur le choix
de ses clients.
Il se hâte d'appliquer sur le pied de son malade un topique contenu
dans un petit pot. Deux bistouris et deux fioles sur la table, voilà ses seuls
gagne-pain.
5° Le Pédicure.
Dessin à la plume rehaussé de lavis
(Musée des Offices, Florence) (1).
Voici encore un dessin d'Adriaen Brouwer représentant un Pédicure
que j'ai relevé l'an dernier dans la collection du musée des Offices, à Flo-
rence (Fig. 5).
Il est traité dans la manière habituelle au maître hollandais.
. « On voit dans les dessins de Brouwer, dit d'Argenville, un contour
arrêté à la plume, aidé d'un petit lavis d'encre de la Chine et de quelques
touches hardies et de hachures à la plume qui font tout l'effet qu'on en
peut attendre. Des figures courtes, ramassées, leurs grimaces, le caractère
des têtes garnies de cheveux tout droits, vods disent sans hésiter le nom
de leur auteur (2). » . .
Il s'agit d'une opération sur le pied, et, plus exactement, du grattage
d'un cor, d'un durillon, ou d'un oignon, au'niveau de la racine du gros
orteil.
Le malade est un homme entre deux âges, solide et vigoureux, de mise
simple, mais dénotant une certaine aisance, et portant à la ceinture, une
sacoche bien remplie, quelque fermier cossu venu pour le marché du
village.
Mieux avisé que Silius Italicus, poète latin qui vivait au ler siècle de
(1) N 1067 du Catal.
(2) Cité par CH. Blanc, Hist. des peintres. - Le croquis que j'ai fait (fig. 5) ne donne
qu'une silhouette des personnages et ne saurait prétendre à reproduire la facture si
personnelle de l'artiste hollandais.
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 137
notre ère el qui, dit-on, se laissa mourir de faim pour ne pas endurer les
douleurs d'un cor, notre villageois a profité- de la circonstance pour faire
soigner son pied chez le chirurgien de l'endroit.
Il a posé par terre son bâton, son panier, son soulier, et s'est assis
dans un fauteuil à dossier incliné, sur un coussin garni de glands et de
franges, siège luxueux qui remplace avantageusement le misérable esca-
beau du Pédicure de Munich.
Le corps renverse en arrière, les liras repliés et collés a la pOlll'lI1e
les poings fermés, les doigts crispés, le rude villageois se raidit contre la
douleur, fronçant les sourcils, fermant les yeux, pinçant les lèvres pour
ne point crier. Sa mimique n'a rien de grotesque, car elle traduit un vio-
lent effort de volonté.
x ' 10
Fig. 5. - Le Pédicure, d'après un dessin d'AoRiAEN Brouwer.
Musée des Offices, Florence. ,
138 HENRY MEIGE
La jambe droite se cache sous le fauteuil, mais la gauche demi-nue et à
demi allongée, est solidement maintenue au-dessus de la cheville par une
vieille femme à la figure apitoyée.
A droite est l'opérateur, assis sur un escabeau, tenant entre ses genoux,
dans sa main gauche, le bout du pied malade, et, de la droite, faisant avec
un court bistouri le grattage douloureux. Son pouce est appliqué sur la
pointe de la lame pour en bien diriger les incisions.
Mieux outillé que ceux de Munich et de Vienne, ce chirurgien porte à
la ceinture une trousse d'instruments. Il est vieux, sans dents, tout couvert
de rides et d'énormes lunettes ajoutent encore à sa gravi lé comique. C'est
un praticien vénérable qui, s'il n'est pas plus lettré que ses confrères, a
su du moins se donner des allures de vieux savant.
Son costume et l'ameublement de l'officine sont aussi moins précaires.
Dans le fond de la pièce quelques degrés conduisent à une petite loge,
éclairée par une fenêtre cintrée et garnie de rayons surchargés de bocaux,
pots de pharmacie, fioles, creusets, palettes de saignée, plats à barbe etc.
Peut-être ne sont-ils là que pour le décor ; mais ils ne peuvent manquer
d'en imposer aux passants et d'attirer un certain crédit à leur possesseur.
Ce Barbier-chirurgien, qui semble mâtiné d'alchimiste, représente une
variante des praticiens populaires. Mais, malgré son apparence plus rele-
vée, il ne dédaigne pas les soins vulgaires de sa profession. Il oublie volon-
tiers la recherche de la pierre philosophale pour se faire Pédicure à l'oc-
casion.
VI
CORNÉLIS DUSART,
peintre graveur hollandais (IGGO-1 10'r).
Un aimable peintre, graveur plus jovial encore, fut Cornelis Dusart,
élève d'Adriaen van Ostade, dont il adopta les paysanneries, en accentuant t
la noie malicieuse et gaie.
Comme son maître, il n'eut garde d'oublier la peinture des charlatans
populaires, arracheurs de dents et diseurs de bonne aventure, prétextes à
scènes humoristiques et pittoresques.
Son Chirurgien et Sa Ventouseuse sont des oeuvres oii la fantaisie ne dé-
truit pas la justesse de l'observation. Charcot et Paul Richer ont déjà si-
hâlé ces deux eaux-fortes (1).
Le chirurgien opère sur le bras, mais la ventouseuse sur le pied. C'est
elle qui nous intéresse actuellement. Nous avons aussi un Pédicure ambu-
lant de Cornelis Dusart.
(1) Voy. Ciierrr et l',wr, Hrcllcn, Les malades el difformes dans l'art, p. 117-118.
LES PÉDICURES AU XVII0 SIÈCLE 139
10 La Ventouseuse.
1
Eau-forte de 1693.
Cette scène diffère notablement de celles que nous venons de voir.
Une grosse commère débraillée, la gorge débordante, les manches
retroussées, est assise sur une chaise, la jambe droite sortant toute nue de
ses cottes relevées. Elle a posé son pied sur le hord d'un baquet et se ren-
verse en arrière, grimaçante, levant la main droite avec un geste de dou-
leur comique (Fig. (i). ,
Fig. 6. La Ventouseuse d'après une eau-forle de Cornelis Dusart.
140 HENRY MEIGE
La Ventouseuse qu'on prendrait volontiers pour un Ventouseur, tant
elle est dépourvue d'attributs féminins, à genoux, coiffée d'un enton-
noir, munie de bésicles énormes, la poitrine ornée de colliers de molai-
res, mal éclairée par une petite lampe fumeuse, applique sur le dos du
pied une des ventouses qu'elle puise dans un panier posé par terre.
Derrière, debout, un personnage à face lunaire, ventru au point que sa
casaque en éclate, un étrange panier posé de côté sur sa tête, ayant à la
ceinture une seringue en manière de poignard, aiguise une lancette sur
une pierre et regarde l'opération d'un air goguenard.
Au fond, une cheminée avec un plat à barbe, des pots et un parchemin
muni d'un sceau. C'est le décor des Teniers et des Brouwer.
Les coiffures grotesques des maitres du logis sont inspirées des fantai-
sies de J. van Bosch et de P. Bruegel le Vieux (1).
Quant il l'opération, elle est nettement précisée : pose d'une ventouse
et bientôt scarification.
Les femmes surtout avaient le privilège de cette médication. Un tableau
de QuiiiiiN BHlOEELENKAM (1GU.8-1G68) au musée de la IIaye (2), nous
montre une Ventouseuse (/focr en hollandais) appliquant sur le bras
d'une jeune femme une ventouse, évidemment scarifiée, puisque le sang
coule dans un bassin que soutient la malade. ·
2° Le Pédicure ambulant.
Gravure de la collection des Estampes.
Ilijcks Muséum, Amsterdam. ;
« J'ai vu autrefois, écrivait Dionis vers 1707, un homme, à Paris, qui, se
promenant toute la journée dans les rues, disoit sans cesse : « Je tire les
cors des pieds sans mal ni douleur. » Je ne sçais s'il exécutoit sa promesse ;
mais s'il le faisoit, on le payoit fort mal, car il étoit très mal vêtu et pa-
roissoit fort gueux. S'il avait eu le talent ou l'adresse d'ôter les cors sans
douleur, comme il le disoit, il auroit du aller en carrosse (3). » e
Ce Pédicure ambulant avait plus d'un confrère. Cornelis Dusart nous a
laissé le portrait de l'un d'eux (Pl. XVIII).
C'est au regretté M. Obreen, l'érudit directeur général du Rijks Mu-
seum d'Amsterdam, que je dois la communication de ce document, signalé
par M. Van der Kellen, directeur du cabinet des Estampes. La gravure,
éditée par J. Gole, porte en légende quatre vers hollandais dont voici la
traduction, d'après M. Obreen :
(1) Voy. LesPiel'1'es de Têtes, loc. cit.
(2) Coll. Bredius, n, 442 du Cat. - Voy. Charcot et PAUL Iliciiga. La Ventouseuse,
Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1892, p. 200.
(3) Dioms, Opération de chirurgie, p. 6511, cité par FR,\;I¡KL1N, VU ? '. clciricrg., p. 222.
LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 141
Voici l'art véritable de l'homme
Qui peut extraire les cors aux pieds et les durillons.
Ne m'entends-tu pas, ne me vois-tu pas, cor au pied ?
Ne m'entends-tu pas, cor au pied ? cor, oh ! cor !
Il ne s'agit plus ici de Barbier-Etuveur ni d'opération. C'est le portrait
d'un charlatan qui colporte de village en village un topique merveilleux
pour la guérison des cors aux pieds.
Joyeux drille il face bien nourrie, moins gueux que son confrère de
Paris, coiffé d'un tricorne emplumé, il parcourt les rues en dansant, mon-
trant d'une main un échantillon de ses produits, brandissant de l'autre
une longue canne enguirlandée de tresses et de pompons. Et, chantant à
tue-tète sa réclame rimée, il attire aux portes les habitants étonnés et
rieurs, tandis que les gamins accourent à toutes jambes, délaissant leurs
jeux pour l'escorter et faire chorus avec lui : ,
Ne m'entends-tu pas cor au pied ! cor, oh ! cor ! ...
Les tireurs de cors étaient une variété des charlatans fort nombreux au
XVIIe siècle. Turlupin, dans sa Harangue, les classe à côté des vendeurs
de thériaque et joueurs de gobelets (1).
Colporteurs de drogues et de recettes mirifiques, ils soignent sans ins-
truments, guérissent sans douleur. Pas d'incisions sanglantes, pas de
pansements compliqués, une simple pâte corricide, dont l'effet sera sou-
verain. Et pour attirer le client, nulle estrade, nulle parade, mais une
gambade, une chanson et quelques oripeaux fantaisistes. L'aimable gros
garçon que nous montre C. Dusart ne pouvait manquer de faire un com-
merce prospère.
A ce guérisseur réjoui, dont les jambes se trémoussent avec tant d'ai-
sance, qui n'achèterait le secret de ne plus souffrir d'un cor ? ...
Les Pédicures ambulants faisaient une sérieuse concurrence aux Barbiers
établis au village dans des officines à plusieurs fins. Ils avaient sur eux
l'avantage d'employer une médication indolore et ils savaient merveilleu-
sement mettre il profil la crédulité populaire, en prônant, pour des maux
souvent intolérables, un remède facile et à bon marché.
D'ailleurs, visages nouveaux, aujourd'hui venus, disparus demain, n'a-
vaient-ils pas aussi pour eux le proverbe : « A beau mentir qui vient de
loin » ? ...' `
(1) Franklin, l. c.
142 HENRY MEIGE
VII
Ecole flamande du XVIIe siècle.
Les Singes Barbiers-Pédicures.
(Musée il'Ypres).
Un petit panneau fortement vermoulu, que j'ai remarqué dans le musée
de la ville d'Ypres, représente une parodie des scènes de médecine popu-
laire où clients et opérateurs sont remplacés par des animaux, singes et
chats (1).
Cetle composition fantaisiste est, d'ailleurs, d'une valeur secondaire. Je
tiens à la signaler cependant comme un document satirique dirigé contre
les Barbiers-Pédicures. Au surplus, l'intérieur, les accessoires, l'agence-
ment et les costumes des personnages sont copiés sut' la réalité, mais ici
l'animal a supplanté l'homme.
A gauche, au premier plan, un singe, vêtu de rouge, assis sur un esca-
beau, confie sa patte de derrière il un second singe vêtu de vert, qui entaille
largement la peau; le sang coule abondamment. Le singe opérateur porte
le costume des chirurgiens de village : toque brune, petit tablier blanc,
trousse d'instruments pendue ai la ceinture.
Un troisième singe, habillé de jaune, verse le contenu d'une fiole sur la
plaie. Derrière, un quatrième, debout, grave et doctoral, coiffé d'un bonnet
de fourrures, présente une boite il médicaments. Un cinquième, tout petit,
accroupi par terre, faisant l'office d'apprenti barbier, chauffe un emplâtre
au-dessus d'un réchaud. C'est beaucoup de médecins pour un malade et
celle officine simiesque semble montée sur un grand pied.
Mais les clients affluent, et les chirurgiens devront bientôt se partager
la besogne, car, dans le fond, entre un blessé, le crâne fendu, soutenu
par deux aides, l'un vêtu de rouge, l'autre de blanc.
A droite opère le barbier, coiffé d'une belle toque à plumes. Il fait la
barbe à un chat assis sur une grande chaise et enveloppé d'une large
serviette. Un autre chat, assis sur une banquette, attend patiemment son
tour de barbe.
Les accessoires traditionnels abondent par terre ou sur les murs : plats
à barbe, bocaux, pots et fioles variés.
Un bassin plein de sang témoigne que la saignée est ici en honneur.
Une sorte de brancard complète le mobilier chirurgical.
L'idée de faire parodier les occupations humaines par des animaux est
(1) Je n'affirmerais pas qu'il n'y eût quelques chiens dans le nombre, les malades en
particulier ; mais il est des singes cynocéphales et l'auteur n'était pas fort animalier.
LES PÉDICURES AU XVII, SIÈCLE 143
un mode comique dont l'effet manque rarement. Les singes, en particulier,
par leur ressemblance avec l'homme, se prêtent merveilleusement à ces fan-
taisies dont tes meilleurs artistes ont utilisé la portée satirique et humoris-
tique. D. Teniers a excellé dans ce genre.
On a de lui, à la Pinacothèque de Munich, Un Concert de chats et de sin-
c/es, et Des singes faisant {a cuisine. Au musée du Prado, il n'y a pas moins
de six tableaux attribués à Teniers (1) et dont les personnages sont encore
des singes.
Singes peintres et singes sculpteurs, singes fumeurs,joueurs et buveurs,
singes élèves et singes professeurs, etc. ce troupeau de quadrumanes
pourrait donner raison à Louis XIV qui regardait Teniers comme un
peintre de magots.
Le petit panneau du musée d'Ypres est d'une facture bien lourde pour
être de la main du maître flamand, mais on conçoit aisément que le sujet
en ait été' choisi par l'un de ses imitateurs, désireux d'appliquer à une scène
de chirurgie rustique le procédé caricatural employé par Teniers en tant
d'occasions.
Peut-être faut-il l'attribuer Jan vaN IirssEC,, neveu de Jean Brueghel le
Jeune (Anvers, 1 626-1678),qu asouvent reproduit ces parodiessimiesqucs.
La galerie de Schwerin possède de lui un petit tableau (2) qui repré-
sente encore un intérieur de Barhier-Etuveur où des singes opèrent sur des
chats, savonnant ou rasant. Un des singes fait chauffer des pinces ou des
ciseaux sur un réchaud.
Sur la muraille se voit une affiche où sont figurés un hibou,des lunettes
et une chandelle, avec deux lignes d'écriture illisible au-dessous.
Les mêmes emblèmes ont été reproduits par J. Steen dans son tableau
L'Orgie de la collection van der Hoop à Amsterdam. Là les deux lignes écri-
tes sont lisibles :
A quoi servent chandelles et lunettes
Puisque le hibou ne veut pas voir ? ...
Cette critique facétieuse était souvent adressée aux médecins (3).
FERDINAND VAN KESSEL (Anvers 1648 Bréda 1696 ? ), fils de Jean van
Kessel, a peint aussi des singes, rasant et frisant des chats. On les voit au
musée de Vienne (4).
(1) No 1738 IL 1743 du Calai. On trouve aussi des singes de Teniers le J. à la gale
rie de Brunswick, N 581 (signé) ; au musée de l'Ermitage à St-Pétersbourg, N G99,etc.
(2) Cuivre. Il, 0,1Gj. L, 0,22 : ). Nez H59 du Catal. de Fr. Schlie, 1889. Le No 560 Brelts-
piel représente aussi des singes. - Le premier de ces tableaux a été attribué à TEMMa
par Groth.
(3) Voy. Les Pierres de tête, Jean Steen, loc. cit.
(1) Vienne, Galerie impér. art. et histor.,N° 1183.
Il existe encore d'autres parodies simiesques de la main des maitres flamands :
144 HENRY MEIGE
Du médiocre tableau du musée d'Ypres, je ne pourrais donner qu'un
plus médiocre croquis; la gravure italienne, reproduite Pl. XVII, fera
mieux connaître ces officines simiesques, composées il ['instar des intérieurs
humains. '
Au premier plan sont les Barbiers, au second les Chirurgiens.
Une guenon savonne la face d'un singe assis sur une grande chaière et
tenant un plat à barbe sous son menton.
Le singe-coiffeur, debout, au milieu, armé de longs ciseaux, pratique
une taille savante sur la tête d'un autre client, et celui-ci surveille les
progrès de la coupe en se mirant dans une petite glace que lui présente un
apprenti.
A droite, entre en clopinant, un singe qui s'appuie sur deux béquilles.
Il va passer au second plan où opère le singe-chirurgien.
Ce dernier est en train d'appliquer un large emplâtre sur le genou d'un
patient, assis, le bras droit en écharpe.
On ne chôme pas dans cette officine, car il gauche, entre un groupe de
singes soutenant un autre blessé.
A droite, un aide aiguise les instruments. Dans le fond, par une porte
ouverte, on aperçoit une autre pièce où une guenon surveille unemarmite
suspendue au-dessus d'un grand feu.
Les murs sont garnis de rayons et d'étagères avec des récipients de phar-
macie.
De petits singes non vêtus jouent dans les coins et grimpent sur les
meubles.
S'il ne s'agit pas d'une opération sur le pied, le singe-opérateur figuré
sur celle gravure est cependant de la même famille que celui que nous
avons vu au musée d'Ypres, et qui se montre un Pédicure consommé.
Au singe qui peint, au singe qui fume, au singe magister ou cuisinier,
à toutes les singeries de la vie journalière, les peintres humoristes du
XVII° siècle ne pouvaient manquer d'ajouter la singerie de la médecine,
le Singe-Barbier et le Singe-Pédicure.
AnnAnAM Teniers, Galerie IIarrach., Vienne, ? ' 145 et 146 (signé) ; Van Helmont, Gale-
rie de l'Université, Würlzhourg, N 179 ; N. V. VEMXDAEL, Galerie roy. de Dresde,
N 11G1 (signé 1G86). Voy. Calai. FniEnMEcn SCnLIE, Gemàlde-Gallerie von Schwerin,
p. 313.
Le gérant : P. Bouchez
Imp. G. St-Auhin Thevcnol. - J. Thevenol, successeur, Sl-Dizior (lIte-Marne). -
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
T, X, PL, Xlll,
L'ÉTUVE DE VILLAGE
d'après un tableau d'ADRIAEN BROUWER
peintre hollandais (iGo-iG;3)
(Pinacothèque de Munich )
',NI vssov rr CIe, éditeurs.
SINGES BARBIERS ET SINGES CHIRURGIENS
Masson et CIC, Éditeurs.
Le Pédicure ambulant
D'après une gr.ivure de COROELIS DUSART.
(Collection des Estampes, Rijks Muséum d'Amsterdam.)
llasson et C ? éditeurs.
10° Année ? 3 MAI-JUIN 1897
LE TRAITEMENT DE L'ATAXIE
. PAR
L'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
PAR
GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT
Professeur agrégé à la Faculté. Consultant de Chirurgie à la Salpêtrière
Au cours de recherches sur l'anatomie topographique du rachis et de la
moelle épinière, nous avons été frappés de ce que l'on pouvait, à l'aide de
certaines manoeuvres bien définies, faire subir à la moelle une élongation
manifeste, et nous avons cru devoir transporter cette donnée dans le do-
maine thérapeutique : ce sont nos investigations à ce sujet, poursuivies
depuis bientôt quatre ans, que nous désirons faire connaître aujourd'hui.
I. - DONNÉES d'anatomie expérimentale.
La suspension, remarquons-le tout d'abord, ne produit pas d'allongement
appréciable de la moelle : si l'on suspend un cadavre non autopsié à l'aide
d'un appareil de Sayre dépourvu de soutiens axillaires, on constate, le ca-
nal vertébral ayant été préalablement ouvert sur toute sa longueur, qu'il
ne se produit aucune modification appréciable de son contenu; cette ma-
noeuvre augmentant la longueur du rachis de près de 1 centimètre, est tou-
tefois probable qu'elle exerce une action réelle sur la moelle et sur les
paires radiculaires : mais c'est une action minime, évidemment moindre
encore lorsque la suspension est faite sur un sujet vivant, chez lequel les
muscles périvertébraux augmentent la résistance qu'oppose le rachis au
poids des membres inférieurs, seul facteur possible de son allongement
dans le cas particulier. ,
Au contraire, la flexion du rachis produit unallongement vrai, mesurable
avec un centimètre souple ordinaire, de la moelle épinière et des racines.
Nos premières expériences dans ce sens, exécutées sur des rachis vidés
de leur contenu, nous avaient montré que la flexion du rachis faisait su-
bir à la paroi antérieure de son canal un allongement considérable, por-
x 11
146 GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT
tant principalement sur les vertèbres dorso-lombaires. Cet allongement,
sur les sujets où nous l'avions mesuré, avait été considérable : 3 cent. 1.
3 cent. 5 et 4 cent. 3, soit près du vingtième de la longueur totale de la
colonne vertébrale au repos qui était respectivement de 52 centimètres,
60 cent. 3 et 72 cent. 8. Chez notre premier sujet, sur 3 cent. 1 d'allon-
gement, 8 millimètres étaient revenus aux vertèbres cervicales, 4 aux
10 premières dorsales, 12 aux 3 vertèbres suivantes, 7 aux 4 dernières ;
chez notre second sujet, sur 3 cent. 5,1'allongement avait été respective-
ment de 6.6, 14 et 15 millimètres; chez notre troisième sujet sur si cent. 3,
de 10.6, 15 et 12 millimètres.
Nous devions dès lors nous demander comment s'accommodait à de
telles modifications le contenu du canal, relié à sa paroi antérieure par de
multiples attaches.
Un essai fut fait tout d'abord sur un cadavre dont le canal rachidien
renfermait intact le fourreau durai mis à nu sur toute son étendue ; pen-
danl la flexion, celui-ci se tendit, s'aplatit, se rida longitudinalement et
s'allongea de 1 cent. 7, passant de 51 cent. 1 à 52 cent. 8, au niveau de
sa face postérieure seule mensurable.
Malgré l'importance de cette constatation, il nous sembla préférable de
faire porter ultérieurement nos mensurations, non plus sur le fourreau
durai, mais sur les organes nerveux intra-duraux eux-mêmes; ce que nous
fîmes, alors, sur trois sujets et, depuis, sur deux autres ; soit, en totalité,
cinq expériences, qui nous ont donné les résultats suivants :
a) La flexion du rachis produit un allongement constant de l'ensemble
des organes nerveux intra-duraux : il a été, sur nos 5 cadavres, respecti-
vement de 1 cent. 3, 1 cent. 2, 1 cent. 6, 2 cent. et 1 cent. 1.
b) Cet allongement total se partage entre la moelle et la queue de che-
val. La part qui revient à la moelle ne varie que fort peu d'un sujet à l'au-
tre. Au contraire la part qui revient à la queue de cheval varie très nota-
blement : c'est à elle que sont dues presque exclusivement les variations
individuelles du total.
En effet, nous avons obtenu les résultais suivants :
TRAITEMENT DE L'ATAXIE PAR 1,'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE 147
pendant la flexion du rachis : ascension bien réelle, connue depuis long-
temps, et dont les conséquences chirurgicales ne sont pas sans intérêt;
nous tenions à faire constater que son existence ne contredit en rien la
notion de rallongement vrai de la moelle pendant le même mouvement.
c) Il résulte encore de nos mensurations que l'allongement proprement
dit de la moelle ne porte pas avec une égale intensité sur les divers seg-
ments de cet organe. Dans le sens longitudinal, il se localise au-dessous
de la deuxième paire radiculaire dorsale, avec maximum à la hauteur des
premières paires lombaires : nous renonçons à donner à ce sujet nos me-
sures millimétriques, qui, par suite de la variabilité, avec les régions, de
l'intervalle entre deux paires radiculaires consécutives, ne pourraient
offrir de ce résultat très net qu'une idée tout ci fait inexacte. Dans le sens
antéro-postérieur d'autre part, l'allongement porte nécessairement davan-
tage sur les parties postérieures de la moelle que sur ses parties antérieu-
res, puisque l'axe de flexion du rachis passe en avant de cet organe : çette
différence [d'action est évidente; nous n'avons pas réussi à la mesurer
d'une manière précise.
Telles ont été nos expériences : disons en terminant leur description
que toutes furent exécutées, le cadavre étant assis sur la table d'amphi-
théâtre, les membres inférieurs étendus et fixés il plat sur cette table, les
pieds se joignant et se touchant par leur bord interne.
En somme, tandis que la suspension du rachis ne produit qu'une élonga-
lion insignifiante de la moelle, sa flexion sur un sujet assis les jambes éten-
dues produit une élongation de cet organe de près de 1 centimètre, portant
presque toute son action sur ses parties postérieures, au niveau des jJ1'emiè-
res paires lombaires.
II. Applications thérapeutiques.
Ces faits constatés, nous pensâmes à les appliquer à la thérapeutique de
l'ataxie locomotrice.
Nous y étions encouragés par ce fait que, pendant ces vingt dernières
années, le traitement de cette affection a été dominé presque complète-
tement par cet objectif : agir mécaniquement sur les organes nerveux ma-
lades.
Dans une première période, qui dura de 1878 à 1883, nombre d'au-
teurs, tant en France qu'à l'étranger, cherchèrent à y réussir par l'élon-
gation des nerfs : aujourd'hui condamnée comme méthode de traitement
général du tabes, cetle technique reste, appliquée non plus aux gros troncs
nerveux, mais aux petites branches périphériques, le seul procédé thérapeu.
148 GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT
tique efficace contre ses accidents trophiques (maux perforants, etc.), ainsi
que l'un de nous l'a récemment démontré (1).
On saura à l'occasion l'associer, sous cette forme particulière, au traite-
ment principal de l'affection médullaire.
Celui-ci, du reste, chercha presque immédiatement à devenir tout à fait
direct; l'élongation de la moelle elle-même devint le but des efforts de la
thérapeutique.
Dès 1883,Moczutkowski d'Odessa, publiait les bons effets qu'il avait, en
cherchant ce résultat, obtenus chez 15 tabétiques l'aide de la suspension
avec l'appareil de Sayre. Ses essais restèrent presque ignorés jusqu'au
jour où M. Raymond de retour d'un voyage en Russie, fit part à notre
regretté maître Charcot des bénéfices obtenus par cette technique. En 1888,
celui-ci confiait à l'un de nous, alors son chef de clinique, le soin d'expé-
rimenter dans son service le nouveau procédé de traitement ; le 19 janvier
1889, nous publiions nos premiers résultats (2), obtenus sur 18 tabéti-
ques ; le 25 février (3), nous y revenions, en nous basant sur l'étude de
40 malades ; enfin, en mai 1890 (4), tablant sur une statistique de 100 cas
nous disions : « 100 ataxiques à la période moyenne de leur affection
soumis à la suspension peuvent, après 30 à 40 séances, être divisés ainsi
qu'il suit : 20 à 25 sont améliorés suivant la totalité des symptômes de la
maladie, particulièrement les douleurs fulgurantes, l'incoordination mo-
trice, les troubles génito-urinaires, sans qu'il y ait de changements dans
les troubles oculaires et le signe de Westphall, 30 à 35 ressentent à des
degrés divers une amélioration d'un ou de plusieurs, mais non de la to-
talité des symptômes. Les autres, 35 à 40 pour 100 environ, ne retirent
aucun bénéfice de la suspension ou du moins n'en retirent que des béné-
fices trop passagers pour entrer en ligne de compte dans les résultats fa-
vorables. »
L'enthousiasme même qui accueillit la suspension lui fut des plus préju-
diciables : il n'y eut bientôt plus en France un établissement hydrothéra-
(1) A. CIIIP.1ULT. De la cure radicale du mal perforant par l'élongation des nerfs
plantaires (Académie de médecine, G avril 1891), publié in extenso dans la Médecine
moderne, numéro du 7 avril 1897.
(2) J.-111. Charcot. De la suspension dans le traitement de l'alaxie locomotrice et de
quelques autres maladies du système nerveux. Leç. recueillie par Gilles de la Tuu-
nETTE. Progrès médical, 19 janvier 1889.
(3) Gilles DE la TounETTE. De la technique à suivre dans le traitement de l'alaxie
locomotrice progressive et de quelques autres maladies du système nerveux. Progrès
médical, 23 février 1889.
(4) Gilles de la TounETTE. Modifications apportées à la technique de la suspension
dans le traitement de l'ataxie locomotrice el de quelques autres maladies dît système
nerveux. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, ne 3, 1890.
TRAITEMENT DE L'ATAXIE PAR L'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE 149
pique, voire une salle de gymnastique, où elle ne fut appliquée, laissée le
plus souvent aux mains de garçons de bains, de gens complètement igno-
rants des choses de la médecine ; on y soumit à tort et à travers tous les
ataxiques, si bien qu'il se produisit des accidents graves, même des cas de
morl subite qui jetèrent sur elle le discrédit. L.
Aussi, en 1891-92, sous l'influence de Brown-Sequard, les injections
de suc testitulaire se substituèrent-elles sans effort à la thérapeutique mé-
canique : leur vogue fut du l'este -brève, car elles ne tinrent en rien les
promesses dont on les avaitcru susceptibles.
Et, dans ces dernières années, on en revint peu à peu à la suspension.
Erh (1) la préconise à nouveau comme donnant d'excellents résultats, sur-
tout marqués chez les sujets qui ont des douleurs, de l'anesthésie, de la
faiblesse musculaire, des troubles vésicaux. Vorotensky (2) arrive de son
côté à des conclusions à peu près analogues. Dans une Revue critique,
M. Belugou (3), médecin de Lamalou, les appuie de son expérience. Tout
récemment, le professeur Raymond (4) déclare que la méthode deMoczut-
kowski reste pour lui la méthode de choix dans le traitement du tabes.
D'autre part, on essaie de supprimer les accidenls de la suspension en fai-
sant fléchir les jambes sur le tronc, soit directement (Bonuzzi) (5), soit à
l'aide de courroies (Blondel) (6) ; ces deux tentatives sont demeurées sans
écho.
Quant il nous, restés constamment fidèles au principe de l'élongation
médullaire, nos idées sur la meilleure manière de l'obtenir en pratique se
sont transformées, à la suite des recherches anatomiques que nous avons
tout à l'heure rapportées : elles nous prouvaient, en effet, la nécessité,
pour les produire réellement, non plus de suspendre, mais de fléchir le
rachis de nos malades.
(1) ERB. Die Thérapie der Tabès. Sammlung hlinisclier Vorlrage, n, 150, avril 1890.
(2) VOROTEXSKY. Ueber die Suspension als eine Belzandlung méthode bei Nervenlcranlc-
keiten. Deutsche Zeitschrift sur Nervenheilkunde, vol. VIII, liv. 1 et 2, 1895.
(3) ! 3¡;LUOOU. Traitement mécanique de l'ataxie. Nouv. i\lontpe\11er méd ? supplément
ni-mensuel, 1er janvier 1896, p. 17.
(4) F. Raymond. Le traitement de l'incoordination motrice du tabes par la rééducation
des muscles. Revue intern. de thérapeutique, no, 5, 6, 7, 1896.
(5) 130¡ : 7ZI. Atti della reale Accademia di Roma, 1890-1891, p. 251. A ce propos BE-
NEDtKr (die Méthode Bonuzzi der l3elzaidluzg der Tabes, Wiener med. Presse, 1892,
p. 4), se faisant l'apologiste de la méthode de Bonuzzi, dit que cet auteur a expert-'
mente sur le cadavre l'action mécanique de la flexion rachidienne sur la moelle et ob-
tenu des résultats trois fois plus considérables que par la suspension : nous n'avons
pas trouvé le détail de ces expériences dans les journaux italiens contemporains.
(6) Blondel. Revue de thérapeutique wédico-chirurgicale, 1er avril 1895. »
150 GILLES DE LA TOURETTE ET A. CIIIPAULT
L'appareil que nous avons fait construire dans ce but (Fig. 1) se compose
essentiellement d'une table basse, portative, longue de 1 m. 50, large de
45 centimètres, portant à sa partie postérieure un petit dossier auquel est
fixée une courroie ou sangle. Sur la ligne médiane à l'union du tiers pos-
térieur et des deux tiers antérieurs de la table, est adaptée une poulie sous
laquelle passe une corde de traction reliée à une moufle fixée au niveau du
bord libre. Le patient s'assied bien d'aplomb sur la table, les jambes
étendues, la poulie située dans leur intervalle (Fig. 2) : le tronc est fixé
par la sangle du dossier, afin d'éviter le glissement du corps en avant ; les
jambes sont maintenues dans la rectitude, les pieds reposant sur la table
par les talons et leur bord interne se touchant, par une sangle passée au-
tour de la table et fixée au-dessus des genoux. On dispose alors la partie
essentielle de l'appareil, qui consiste en une sangle à quatre branches af-
fectant la forme d'un X. Ses deux branches supérieures sont munies d'an-
neaux situés à diverses hauteurs ; leur face antérieure porte cette indica-
tion destinée àéviter deserreurs d'application : face, côté droit, côté gauche.
Des deux branches inférieures, la plus petite qui doit être placée du côté
gauche du sujet, est pourvue d'une boucle ; la plus grande passe autour du
bassin puis sous la table et va se fixer à la boucle de la précédente. Les deux
branches supérieures passent sous les bras. Au niveau de la région dorsale
on les entre-croise à la façon d'une croix de St-André, de manière que la
branche droite passelgauche, et réciproquement, et que leur extrémité 1 ibre
munie d'anneaux vienne de chaque côté se poser sur les épaules à la façon de
deux bretelles. A ces anneaux, un peu plus haut, un peu plus bas, suivant
la taille des sujets, se fixent les deux extrémités terminées en crochet d'une
petite barre de fer disposée en forme de cintre et muuie à sa partie mé-
diane dun anneau dans lequel s'engage la corde de traction : celle-ci se
Fig. 1.
TRAITEMENT DE L'ATAXIE PAR L'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE 151
réfléchissant sur la poulie située entre les jambes du sujet, la traction
d'horizontale devient verticale, ce qui force le malade, l'appareil étant en
place et manoeuvré, à se courber, à fléchir le rachis (Fig. 3).
Il est des sujets chez lesquels les disques inverlébraux sont assez
élastiques pour que la flexion maximum soit dépassée immédiatement; ils
se plient en deux comme une charnière à la façon de certains acrobates :
ces sujets sont rares ; la flexion forcée du rachis, on le comprend, ne leur
est pas .applicable. Il en est d'autres chez lesquels le développement
exagéré du tissu adipeux qui double les parois abdominales met obstacle
à la flexion en avant : ceux-là sont peut-être dans l'espèce encore plus
rares que les précédents, les alaxiques, loin d'être adipeux, étant presque
toujours émaciés.
En dehors de ces deux conditions exceptionnelles, la flexion est tou-.
jours et facilement applicable.
Dans la majorité des cas la force à déployer, mesurable à l'aide d'un
dynamomètre qu'on peut interposer entre le crochet de la moufle et la
corde de traction, varie entre 60 et 80 kilos, soit une moyenne de 70 kilos
fournie par 10 ataxiques.
Fic. 2 et 3.
152 . GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT
. Ce maximum n'est pas obtenu dès la première séance. Le sujet, forcé
de se courber en avant, éprouve en effet, dans la région dorso-lombaire,
une sensation qui devient vite douloureuse : la tolérance augmente géné-
ralement dans les 5 ou 6 premières séances pour devenir ensuite station-
naire. D'autre part, lorsque la traction est exagérée, le sujet seul une
tension dans les sciatiques des deux côtés, ce qui est la meilleure preuve
qu'il se produit une élongation de la moelle et des gros troncs nerveux
qui se rendent aux membres inférieurs : nous insistons toutefois sur ce
fait que pendant la durée de l'opération les membres inférieurs doivent
rester étendus à plat, de façon à ne pas permettre le relâchement des sciati-
ques. La tête sera libre, moyennement fléchie sur le thorax, les bras
seront pendants ou repliés le long du tronc.
Dans ces conditions, aucun accident n'est à redouter, la respiration se
fait librement, la circulation n'est en aucune façon gênée, à l'inverse de ce
qui se produit généralement dans la suspension.
De même qu'au début de toute séance la traction doit être progressive,
à la fin de l'opération on ne produira pas, en lâchant brusquement la
corde de traction, une déflexion subite du rachis ; on filera peu à peu,
puis le malade sera rapidement démuni de son appareil et pendant
quelques instants se placera sur un canapé ou un lit de repos. Il pourra
ensuite, s'il est encore valide, se livrer immédiatement à ses occupations
habituelles.
La durée moyenne d'une séance oscille entre 8 et 12 minutes, temps
maximum.
Nos recherches, à l'aide de l'appareil que nous venons de décrire, ont
porté sur deux groupes de sujets.
Nous avons d'abord expérimenté sur 10 individus valides, qui ont bien
voulu se prêter à nos investigations, de façon à nous permettre de nous
rendre un compte exact des sensations éprouvées et de préciser ainsi la
technique de l'intervention.
Nous avons ensuite opéré sur l17 ataxiques : 39 hommes et 8 femmes.
Disons, tout d'abord, que nous n'avons pas soumis indistinctement tous
les ataxiques qui se présentaient à la flexion rachidienne : le discrédit qui,
à un moment donné, a atteint la suspension, est venu certainement, pour
une part au moins, de ce qu'aucune sélection n'était faite parmi les mala-
des traités. Il faut savoir respecter certains cas de tabes. Tous les méde-
cins ont observé des tabétiques chez lesquels l'affection, nettement déter-
minée, se jugeait uniquement, après une durée de dix ans et plus, par
l'abolition du réflexe lumineux et patellaire, le signe de Romberg, quel-
ques douleurs fulgurantes et un peu de parésie vésicale : il est évidemment
TRAITEMENT DE L'ATAXIE PAR L'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE. ! 53
inutile d'intervenir par les moyens mécaniques dans ces cas dont l'évolu-
tion modifie fort peu les conditions de l'existence. De même, l'intervention
mécanique n'est guère indiquée à la troisième période du tabes, lorsque
l'incoordination est très accentuée, que les malades sont dans ce que l'on
a appelé, avec juste raison, la cachexie tabétique. Enfin il existe des tabes
à marche aiguë qui semblent, à quelque époque que ce soit, défier tous les
efforts de la thérapeutique : l'intervention mécanique y est nettement con-
tre-indiquée. Restent les ataxiques parvenus à la deuxième période de leur
mal, en voie d'incoordination, chez lesquels l'affection se révèle par son
luxe habituel de symptômes : crises de douleurs fulgurantes dans les mem-
bres, crises viscérales, anesthésies variées, troubles génitaux et vésicaux ;
si l'on n'intervient pas, les sujets de cette catégorie sont fatalement voués à
une évolution progressive et assez rapide de leur mal : chez ces ataxiques,
de tous les plus nombreux, la flexion du rachis constitue, rt n'en pas douter,
la méthode thérapeutique la meilleure, bien supérieure, en particulier, à
toutes les autres méthodes mécaniques.
Nos observations le démontrent péremptoirement.
En effet, 22 de nos malades, soit près de la moitié, ont été améliorés sui-
vant la presque totalité des symptômes de leur maladie. Cette amélioration
a porté, en premier lieu et surtout, sur l'ensemble des phénomènes dou-
loureux : crises à caractère fulgurant, troubles de la sensibilité. En second
lieu, nos malades ont retiré un grand bénéfice de la méthode par rapport
aux troubles urinaires, la rétention en particulier : l'incontinence a été
moins favorablement influencée sans que nous puissions en donner une
interprétation suffisante. Enfin la flexion a eu une action presque cons-
tamment favorable sur l'impuissance. Sur nos 22 malades, 12 présentaient
une incoordination motrice assez marquée : chez 10 la marche a pu se ré-
tablir dans des conditions satisfaisantes. Dans tous les cas les symptômes
oculaires ou bulbaires n'ont été que très médiocrement modifiés. Ces ré-
sultats cadrent curieusement, notons-le en passant, avec les résultats de
nos recherches anatomiques ; la flexion, nous l'avons vu, a une action
surtout marquée sur la moitié inférieure de la moelle dorsale, la moelle
lombaire et les nerfs de la queue de cheval ; or, cliniquement, c'est in-
contestablement d'une façon prédominante, sur les symptômes imputables
aux lésions de ces régions, par lesquelles débute du reste presque toujours
le tabes, qu'a porté l'amélioration : douleurs en ceinture, crises gastri-
ques, douleurs dans les membres inférieurs, parésie vésicale et incoordi-
nation motrice.
A côté de ces 22 cas où le résultat a porté d'une façon générale sur la
totalité des symptômes de l'affection, 15 autres en ont retiré des bénéfices
154 GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT
analogues, mais plus restreints et limités à quelques-uns seulement de ces
symptômes.
10 de nos malades seulement n'ont retiré de la flexion rachidienne. aucune
amélioration. Cette proportion est d'un quart à peine, au lieu du pourcen-
tage de 35 à 40 insucccès pour 100 établi dans notre première statistique
portant sur 100 cas de tabes traités par la suspension dans le service du
professeur Charcot à la Salpêtrière.
Aucun de-nos malades n'a subi moins de 15 à 20 séances de flexion,
terme moyen auquel nous nous sommes bornés lorsque la méthode ne
semblait pas devoir donner de résultats satisfaisants. L;amélioration s'est
montrée généralement vers la dixième ou quinzième séance à dater du
moment où la traction maximum avait été tolérée. La pratique nous a
conduits à conseiller une séance tous les 2 jours; la séance quotidienne
n'est efficacement tolérée qu'à la condition de ne pas excéder 5 1 8 minu-
tes de durée ; elle peut être utile dans les cas où les phénomènes doulou-
reux sont prédominants. D'une façon générale il nous a semblé inutile
d'appliquer la méthode pendant plus de 3 il 4 mois conséculifs, soit 40 à
50 séances. Il arrive en effet presque toujours une période où, dans un
traitement de longue durée tel que celui du tabes par l'élongation de la
moelle, les bénéfices obtenus semblent au moins momentanément ne pou-
voir être dépassés. Il faut alors interrompre les séances et profiter de ces
interruptions pour instituer un traitement médicamenteux, prescrire une
saison thermale, car l'élongation n'est pas exclusive des autres méthodes
thérapeutiques et se combine heureusement avec elles. Bien entendu,
après 1 mois et demi ou 2 d'interruption, on devra reprendre, pour une
nouvelle période de durée variable, les séances de flexion redevenues uti-
lisables.
Nous conclurons donc en disant que, forts d'une expérience de plus de
quatre ans, nous considérons la flexion rachidienne, seul moyen d'obtenir
l'élongation vraie de la moelle, comme exempte des dangers de la suspension
et comme permettant d' obtenir chez les ataxiques un bénéfice thérapeutique
que l'on peut estimer au double de celui, déjà satisfaisant, que procurait
cette importante technique.
TRAVAIL DU LABORATOIRE DES CLINIQUES DE LA FACULTÉ
DE BORDEAUX.
NOTE
- SUR
LES LÉSIONS DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE
DANS LA RAGE HUMAINE
PAR
J. SABRAZÈS et C. CABANNES
Agrégé de médecine Chef de clinique
à la Faculté de Bordeaux.
On pensait autrefois que la rage n'avait pas de substratum anatomo-pa-
thologique. Cette opinion provenait de ce que les méthodes mises en usage
étaient insuffisantes pour montrer les fins détails de structure. A la lu-
mière des procédés techniques actuels, des lésions ont été constatées par
divers observateurs et entre autres par Golgi.
La rage expérimentale du lapin, inoculé par trépanation, a été l'objet
des investigations de Golgi (1). Il décrit trois phases dans le processus des
altérations nerveuses.
Au début, on observe, dans la moelle et le bulbe, des phénomènes de
congestion, de diapédèse et de réaction de la part des cellules endothélia-
les, de l'épithélium épendymaire et des cellules névrogliques qui se mul-
tiplient par karyokinèse. A un second stade, les cellules nerveuses se creu-
sent de vacuoles, les cellules névrogliques contiennent des granulations
graisseuses. A une 3e période, les cellules nerveuses deviennent vésicu-
leuses et elles perdent leurs prolongements protoplasmiques, subissant,
surtout dans le bulbe et la moelle, un processus régressif de dégénéres-
cence granulo-graisseuse ; le noyau est déplacé vers le prolongement cylin-
dre-axile devenu moniliforme. Les ganglions rachidiens sont particulière-
ment altérés.
D'après M. Letinois (2), dont la thèse a été inspirée par M. le profes-
(1) Golgi. Berl. klin. Woch., 1894, n" 14, p. 325.
(2) LETINOIS, Th. de Bordeaux, 1895,
156 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES
seur Ferré, les lésions de la rage paralytique du lapin consistent en une
encéphalo-myélite aiguë. Les cellules de Purkinje du cervelet et les cel-
lules motrices des noyaux bulbaires sont particulièrement sensibles à l'ac-
tion du virus rabique. '
MM. Germano et Capobiancô (1), de Naples, ont examiné des chiens et
des lapins morts de la rage des rues. Ils insistent sur l'ectasie des vais-
seaux de la substance grise de la moelle et sur la présence de petites hé-
morrhagies diffuses dans les gaines qui subissent la dégénérescence hya-
line, tandis que l'endothélium prolifère. Ils notent une infiltration leuco-
cytairedesespaces lymphatiques autour etjusque dans les cellules nerveuses
qui s'atrophient, deviennent vacuolaires, le noyau étant repoussé à la pé-
riphérie et se transformant en des résidus informes. Les cordons antérieurs
et latéraux sont intéressés. La névroglie interposée aux fibres et aux cellules-
nerveuses est hyperplasiée, les cellules en araignée se multiplient par
karyokinèse. L'hyperplasie névroglique favorise la régression des cellules
et des fibres'nerveuses dont la myéline est fragmentée et granuleuse.
M. Marinesco (2) a étudié chez le lapin les altérations des cellules ner-
veuses à l'aide de la méthode de Nissl. Dans la rage, on voit la substance
chromatique, à la périphérie du corps cellulaire, transformée en un fin ré-
seau d'aspect particulier; plus rarement la zone de dégénérescence péri-
phérique est granuleuse et même quelquefois presque incolore. Très rare-
ment, on voit une couche mince de corpuscules chromatiques de Nissl, à
la périphérie de la cellule, ensuite une couche très dense, et, entre les
deux couches, une partie intermédiaire sans corpuscules. Il est à remar-
quer que, dans beaucoup de cellules, les éléments chromatiques très den-
ses.'changés de forme et de volume, sont accumulés autour du noyau qui
se colore d'une façon très vive.
Nous avons borné nos recherches à l'étude des cellules nerveuses de la
moelle cervicale d'un rabique qui a succombé à l'hôpital St-André de Bor-
deaux dans le service de M. le Dr Rondo ! .
" Cet homme, âgé de 37 ans, mordu le 22 février 1896, traité à l'Institut
Pasteur du 25 février au 16 mars, a présentéles premiers symptômes de la
maladie le 22 mai (spasmes, hydrophobie, etc.). Il a succombé le 28 mai
aux phénomènes paral3 tiques de la rage ; le bulbe, inoculé par trépana-
tion à des lapins, les a rendus rabiques, après une incubation de 15 jours.
La moelle cervicale de cet homme a fait l'objet de nos recherches.
Après fixation par l'alcool absolu, les segments de moelle, de unà deux
millimètres d'épaisseur, ont été imprégnés de chloroforme et montés dans
la paraffine fusible à 55. ,
(1) Germano et CAPODiANco. Annales de l'Institut Pasteur, 1895.
(2) MAIIINESCO. Presse médicale, no 8, 1897. , ,
DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE HUMAINE 157
Sur des coupes fines colorées par la thionine en solution aqueuse con-
centrée, déshydratées et éclaircies par l'alcool absolu, l'essence de berga-
mote, le xylol et montées dans le baume, nous avons fait quelques obser-
vations qu'il nous a paru intéressant de rapprocher de celles de M. Mari-
nesco qui a exclusivement examiné des moelles de lapins rabiques ayant
vécu 12 jours. Nous avons employé la méthode à la thionine parce qu'on
tend à la substituer à la méthode initiale de Nissl et parce qu'elle permet
de mieux étudier le noyau. Préconisée par van Lenhossek, elle vient d'ê-
tre recommandée tout particulièrement par D. S. Ramon y Cajal.
Mais avant d'exposernos résultats, nous tenons à rappeler succinctement
quel est l'aspect des cellules nerveuses de la moelle après l'action de la
thionine et de l'alcool. Nous emprunterons cette description à D. S. Ramon
y Cajal (1) qui vient de publier sur ce sujet un travail des pJus remarqua-
bles.
Les cellules nerveuses de la moelle appartiennent toutes au type multi-
polaire. La thionine permet de bien voir tous les caractères morphologi-
ques mis en évidence par les autres réactifs, mais de plus elle facilite l'é-
tude des deux particularités suivantes du protoplasma : substance chroma-
tique, réseau achromatique ou spongioplasma. Dans les cellules motrices
de la corne antérieure, la substance chromatique est disposée sous forme
de grumeaux qui s'étalent à la périphérie de la cellule et s'allongent en
fuseaux dans les expansions protoplasmiques (Fig. 1 empruntée à D. S. Ra-
mon y Cajal). Au niveau des points où ces expansions se bifurquent, la
substance chromatique a l'aspect d'un cône à base périphérique. Ces dé-
pôts chromatiques, orientés parallèlement aux contours cellulaires, concen-
(1) D. S. RAMON Y Cajal. Exl1'uctul'a del protoplasma neroioso (Anales de la Socie-
das depanola de historia natural), tomo XXV, cuaderno 1°.
Fig. 1.
158 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES
triquement au noyau, font absolument défaut dans le cylindre-axe ; ils sont
englobés dans un réseau alvéolaire dont la trame répond la substance
achromatique ou spongioplasma. Les diverses stratifications de matière
chromatique sont sillonnées par des espaces linéaires qui parcourent toute
la cellule et convergent vers le cylindraxe, établissant ainsi un système de
communications entre le spongioplasma des dendrites ou prolongements
protoplasmiques et celui de la région périnucléaire et du cylindre-axe.
Ces espaces clairs de la cellule sont ménagés entre les dépôts chroma-
tiques, dans leurs interstices. Le cylindre-axe est exclusivement constitué
par du spongioplasma. -
Les dépôts chromatiques ont,dans les grandes cellules et les moyennes,
l'apparence soit de gros grumeaux polygonaux, étalés, d'où semblent s'ir-
radier de nombreuses travées des spongioplasmas, soit de'granulations
arrondies ou irrégulières, situées aux noeuds d'entrecroisement du réseau
achromatique. Les grumeaux volumineux sont entrecoupés il leur surface
de lacunes sphériques qui représentent autant de petites mailles vides du
spongioplasma.
Les dépôts chromatiques sont donc réunis entre eux par des filaments'
réticulés, pâles, n'ayant aucune affinité pour les couleurs basiques d'ani-
line, limitant des mailles polygonales de faible étendue ; quand ces dépôts
chromatiques sont très rapprochés, les travées incolores les relient les uns
aux autres sans qu'il existe un réseau intermédiaire, mais habituellement,
entre deux dépôts voisins, existent deux ou trois mailles complètes duré-
ticulum. Dans l'intimité des dendrites, les filaments du réseau achromati-
que s'amincissent, leurs mailles se rétrécissent, et, à une certaine distance
du corps cellulaire, la trame du spongioplasma devient extrêmement ser-
rée et difficile à résoudre même avec les objectifs les plus puissants.
Au niveau du point d'origine du cylindre-axe, les grumeaux et grains
chromophiles disparaissent pour ainsi dire brusquement et les filaments
du spongioplasma se disposent en un réseau très fin et pâle qui se con-
tinue avec la trame fibrillaire de l'expansion cylindre-axile.
Enfin le réseau achromatique qui constitue en quelque sorte la char-
pente de la cellule nerveuse se termine à la périphérie en s'insérant il une
condensation protoplasmique qui forme la membrane cellulaire. La ques-
tion de savoir si ces particularités du protoplasma ne seraient pas des
modifications artificielles dues à l'action des réactifs a été tranchée par la
négative : elles correspondent à des différenciations morphologiques in-
discutables.
Quant au noyau, il occupe le centre de la cellule; la chroma tille y est
condensée en un seul nucléole homogène, sphérique, plus ou moins cen-
tral ; le suc nucléaire est traversé par un réseau irrégulier de linine dans
DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE HUMAINE 159
les noeuds d'entrecroisement de laquelle on ne peut voir de grains chro-
matiques. Le nucléole volumineux est parfaitement sphérique et double
dans quelques cas ; l'une des sphères chromatiques est alors plus grande
que l'autre. La thionine donne au réseau de linine une légère teinte bleu
clair, le nucléole est violacé.
Tels sont les caractères des cellules motrices radiculaires de la corne an-
térieure à l'état normal. La plupart des cellules des cornes antérieures
et par conséquent un bon nombre des cellules de cordon ont exactement
les caractères décrits.
Dans la moelle existent d'autres types cellulaires ; c'est ainsi que dans
les cellules nerveuses de la substance gélatineuse de Rolando, les granu-
lations chromatophiles du protoplasma, de petit volume, sont ◀tantôt▶ dispo-
sées en bordure périphérique en contact immédiat avec la memhrane cel-
lulaire et limitant entre elle et le noyau un espace purement achromati-
que, ◀tantôt▶ au contraire ces grains sont relativement développés, d'aspect
triangulaire ou semi-lunaire, situés autour du noyau, constituant une
sorte d'éperon en face de la zone d'émission des expansions protoplasmi-
ques principales (1). Dans le noyau de ces dernières cellules, la chroma-
tine est agglomérée en une série de granulations centrales, les unes assez
grosses, les autres très fines. La cavité nucléaire est traversée par un réseau
de linine exlrêmement délicat, dont les lrabécules convergent en grande
partie vers les nucléoles ; le long des filaments pâles de ce réseau ou à
leurs noeuds d'entrecroisement, on remarque quelques grains chromati-
ques très fins. Les nucléoles, qui représentent la plus grande partie de la
chromatine de ce noyau, sont au nombre de deux ou trois ; îls peuvent
être plus nombreux encore; ils sont irréguliers, sans orientation déter-
minée, parfois l'un d'eux est plus grand que les autres. Immédiatement
au-dessous de la membrane nucléaire on n'observe aucune trace de chro-
matine. Ce type nucléaire peut se rencontrer aussi dans quelques cel-
lules dites de cordon.
Après avoir montré comment se présentent les cellules de la moelle à
l'état normal, il nous sera relativement facile d'établir en quoi consistent
les modifications anatomo-pathologiques imprimées à ces cellules par le
virus rabique.
On est d'abord frappé par la topographie des lésions (Fig. 2). Les cor-
nes postérieures, les groupes cellulaires postéro-internes des cornes anté-
rieures sont altérés au premier chef. Les cellules postéro-externes et an-
térieures de ces mêmes cornes présentent aussi des altérations évidentes
(1) D. S. Ramon Y Cajal. Loc. cit.
160 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES
mais plus diffuses et moins accentuées. La plupart des cellules de la subs-'
tance de Rolando et des cornes postérieures etdes cellules situées à l'union
des cornes antérieures et postérieures sont non seulement dépourvues de
prolongements, de granulations chromatophiles, mais encore de noyau.
Le corps cellulaire n'est plus qu'un globe anhiste; tandis que, plus en
avant, dans; les cornes antérieures, on aperçoit des degrés divers d'altéra-
tions que nous allons passer en revue en établissant une échelle de gra-
dation (1). ,. - - ' '
A. Les cellules mesurent de 37 à 40 N sur 24 à 25 ? elles ont con-
s81vé'leur forme, multipolaire (Fig, 3, planche XIX, D), leur nojau, leurs
dépôts chromatiques ;assez régulièrement distribués en stries parallèles,
mais les prolongements sont plus courts, comme interrompus, et par-
fois coupés d'un espace clair oblique. Dans chaque préparation, on
compte 7 à 8 cellules répondant à ce type,
B. La cellule nerveuse encore polygonale a perdu en grande partie
(1) Les dessins ont été faits à un grossissement de 600 D. par M. Rivière, prépara-
teur du laboratoire.
' Fio. 2.
Fin. 3.
A. - Cellule nerveuse dépourvue de prolongements et dont le noyau est reporté vers la périphérie (partie posté-
rieure de la corne antérieure).
B - Cellules nerveuses transformées en globes réfringents (corne postérieure).
C. Chromatolysc périphérique et centrale (corne antérieure). Disparition du noyau.
D Cellule nerveuse au début de l'altération.
COUPES DE MOELLE RABIQUE.
Microphotographies des lésions. (Région car vie île de la miellé. Méthode de \ ? 1. = f un 1))
MASSON & cte, éditeurs
DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE RIUMAINE 161
ses prolongements ; le noyau est parfois reporté vers la périphérie (Fig. 4
et planche XIX, A).
Des phénomènes de chromatolyse plus ou moins accusés modifient pro-
fondément l'aspect de l'élément : ◀tantôt▶ la disparition de la substance
chromatique s'observe à la périphérie,en regard de la membrane cellulaire
dont les contours deviennent vagues ; les grumeaux chromatiques sont
pour ainsi dire pulvérisés et leur dissémination dans le spongioplasma
donne lieu à l'apparence d'un réseau (Fig. 5) ; ◀tantôt▶ la chromatolyse
s'exerce dans l'espace qui sépare le noyau de la membrane (Fig. 6) et la
substance chromophile ne persiste qu'excentriquement, en bordure irré-
gulière, sous forme de grains et de blocs inégalement colorés.
Dans d'autres cas, la chromatolyse ne respecte plus qu'un segment li-
mité de la cellule, parfois à l'extrémité opposée du cylindre-axe encore
reconnaissable. Enfin on voit, dans un môme corps protoplasmique, des
régions vacuolaires (Fig. 7) ou non, totalement dépourvues de granulations
chromatiques, à côté d'autres où la chromatolyse s'est effectuée avec plus
ou moins d'intensité. On trouve à peu près 3 à 4 cellules ainsi altérées par
coupe.
C. La cellule ovalaire ou globuleuse, parfois encore polyédrique, ra-
t
FIG. 4, 5, s, 7. 1.
Fra. 8, 9, 10, 11,12.
162 J. SADIlAZÈS ET C. CABANNES
petissée, mesurant de 18 à 24 sur 15 {1- est ou non munie de son noyau.
Le protoplasma est parsemé d'une fine poussière chromatique, raréfiée par
places et d'aspect jaunâtre. Le spongioplasma n'est plus visible (Fig. 8, 9,
10, 11, 12, 13,14, 15, 16).
D. A un stade encore plus avancé, non seulement les résidus de la
chromatolyse mais encore le spongioplasma et le noyau ont disparu. Le
nucléole se fragmente et se réduit à une série de granulations d'inégal vo-
lume (Planche XIX, C); la membrane nucléaire s'efface et disparaît. Il ne
reste plus de la cellule qu'une sorte de globe à contours assez marqués
doué d'une réfringence anormale (Fig. 17 et 18, planche XIX, B).Dans la
tête de la corne antérieure, on note 2 ou 3 cellules à ce degré de dégéné-
rescence. Dans les autres territoires de substance grise, le nombre de ces
éléments mortifiés excède 15 à 20 par préparation.
Au début, le noyau apparaît légèrement tuméfié, le nucléole mesure 4 p. 6
environ; le réseau de linine cesse d'être visible. Puis le nucléole se ré-
duit, et on remarque au milieu du suc nucléaire des filaments chromati-
ques légèrement onduleux et entrecroisés, soit groupés, soit distribués
sans ordre.
Ces filaments, bien arrêtés dans leur forme,pourraient donner à première
vue l'impression des bactéries filamenteuses incluses dans le noyau (Fig. 19,
20, 21,22,23).
On ne rencontre jamais dans le protoplasma de filaments analogues. Les
1<'w. 13, 14, 15, 1G.
Fio. 17, 18.
DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE HUMAINE 163
cellules présentant de semblables figures nucléaires sont relativement très
nombreuses, surtout dans les cornes antérieures ; leur volume, leur situa-
tion, leurs prolongements, leurs autres caractères morphologiques rendent
impossible toute confusion entre ces cellules nerveuses et les corpuscules
névrogliques ainsi que les éléments conjonctifs et endothéliaux ; leur pro-
toplasma est généralement en voie de chromatolyse.
Exceptionnellement, la membrane nucléaire, le réseau de linine, le
nucléole ont disparu ; au noyau primitif s'est substitué un véritable pe-
loton chromatique reporté à la périphérie de la cellule (Fig. ? 4. et 25).
En dehors de cet état du noyau bien digne de fixer l'altention, on ne relève
dans les cellules nerveuses aucune phase karyokinétique régulière, ni
centrosômes, ni fuseau, ni formation d'aster, ni trace de segmentation.
Si nous comparons nos résultais à ceux de M. Marinesco, nous voyons
qu'ils concordent dans leurs grandes lignes, surtout en ce qui concerne
les cellules de la corne antérieure; il semble cependant que les lésions
soient beaucoup plus accentuées dans la moelle de l'homme que dans
celle des animaux. Dans notre cas, la plupart des cellules des cornes pos-
térieures et de la région intermédiaire aux deux cornes sont pour ainsi
dire cadavérisées.
Les dépôts chromatiques de la cellule subissent les premières altéra-
Fia. 19, 20, 21, 22, 23.
I'c. 24, 25.
164 J. SABBAZÈS ET C. CABANNES
tions au niveau des prolongements protoplasmiques. Cette désorganisation
de la substance chromophile se poursuit le plus souvent de la périphé-
rie au centre et correspond il un changement profond dans la texture
du noyau, dont le nucléole se rapetisse, dont la chromatine tend à se
disposer en hâtonnets et même en pelotons après disparition de la mem-
brane nucléaire.
Une double tendance s'accuse au début dans la cellule nerveuse dont le
protoplasma'perd ses granulations chromophiles et dégénère, tandis que
le noyau témoigne de phénomènes réactionnels dans le sens de la karyo-
kynèse.
Mais les lésions dégénératives deviennent prédominantes et la cellule
est atteinte non seulement dans ses réserves nutritives, source d'énergie,
mais encore dans son spongioplasma et dans son noyau.
En tenant compte des données les plus récentes sur la physiologie
générale des cellules nerveuses, on est conduit il tenter une interprétation
du processus analomo-pathologique que nous avons observé.
S'agit-il de lésions cellulaires primitives ou secondaires à l'altération
des nerfs de la région mordue ?
M. Nissl et M. Marinesco ont montré qu'une lésion d'un nerf périphé-
rique retentit sur ses cellules d'origine en provoquant une désagrégation
de la substance chromophile au voisinage du cylindre-axe. Dans la rage,
sans doute, le v irus s'est propagé le long des nerfs jusqu'aux centres,
mais les désordres qu'il a entraînés dans les cellules nerveuses ne ressem-
blent en rien aux phénomènes de réaction à distance auxquels nous venons
de faire allusion ; on doit les considérer comme des lésions autochtones
causées par le virus et cette conclusion, déduite du tableau anatomo-
pathologique, est affirmée par les inoculations.
A la période d'excitation de la rage correspond un hyperfonctionnemen t
des cellules nerveuses qui consomment, sans les réparer, les matières de
réserve, substances génératrices de tension nerveuse (1), accumulées dans
leur protoplasma : ce stade est représenté par la chromatolyse périphéri-
que. La stimulation de la cellule par le virus rabique se traduit aussi par
un changement dans le noyau qui tend sans y aboutir vers la karyokinèse.
On se demande actuellement si les cellules nerveuses sont susceptibles de
manifester des propriétés prolifératives sous l'influence de certaines exci-
tations ; M. Giuscppe Lévi (2) a montré que les cellules nerveuses de l'é-
corce cérébrale,au voisinage de lésions cxpérimenfales,présentent (les (igu-
(1) llnnmcsco. Recherches sur l'histol. de la cellule nerveuse avec quelques considé-
rations physiologiques. Acad. des sciences, avril 1897.
(2) GlUSEppE Liivi. Recherches sur les propriétés prolifératives de la cellule nerveuse
(Rivista di Pathologia nerv. e mentale, oct. 1896).
DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE HUMAINE 165
res karyokinétiques évidentes; cependant ce fait n'est pas généralement
admis et demande à être vérifié.
Dans la moelle rabique, rien n'autorise à penser qu'il existe, comme l'a
prétendu M. Babés (1), une multiplication des cellules nerveuses, maison
est obligé'd'admettre,avec cet auteur,que le noyau de ces cellules ne reste
pas absolument inerte : il réagit sous l'influence de l'incitation morbide,
mais les tendances prolifératives qu'il manifeste avortent prématurément.
Il semble du reste, ainsi qu'il ressort des recherches de D. S. Ramon Y Ca-
jal (2) que dans les cellules nerveuses, et dans celles des cornes antérieu-
res en particulier, la concentration de la chromatine du noyau en un seul
nucléole, associée à une différenciation élevée du protoplasma, implique
l'absence de fonctions reproductrices. Le noyau aurait perdu ses qualités
d'organe reproducteur pour jouer presque exclusivement un rôle de nu-
trition.
(1) l3AUès, Annales de l'Institut Pasteur, 1892.
(2) D. S. Ramon y Cajal. Loc. cit.
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX.
(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE).
SUR UN CAS D'MÉM)SECT ! ON TRAUMATIQUE i
. DE LA MOELLE ,
(SYNDROME DE BROWN-SEQUARD)
(Suite) .
PAR
F. RAYMOND
Professeur de clinique des maladies' du système nerveux.
II
Messieurs,
Les questions que soulève le côté clinique de cette étude sont multi-
ples. La première, dont vous allez bien vite saisir l'intérêt est relative
à l'expression clinique : chez l'homme, victime d'un attentat, comme
chez l'animal utilisé pour une expérience, les troubles sensitivo-moteurs,
consécutifs à une hémisection de la moelle, devront présenter une exten-
sion variable, suivant que la moelle se trouvera entamée à un niveau plus
ou moins élevé. En outre, quand l'hémisection siège à certains niveaux,
des manifestations surajoutées troubles des fonctions vésico-rectales,
mydriase, dilatation de la fente palpébrale, troubles locaux de la sudori-
fication et de la calorification dont je vous ai déjà entretenus, pourront
se superposer aux éléments du syndrome classique.
Voyons donc comment les choses se présentent chez l'homme. Pour vous
édifier à cet égard, je vais passer en revue, aussi succinctement que pos-
sible, un certain nombre d'exemples d'hémisection traumatique de la
moelle, empruntés à la pathologie humaine. Je vais grouper ces faits, de
façon à dresser une sorte d'échelle hiérarchique, en partant de ceux où la
moelle était entamée à un niveau très bas, pour passer successivement à
ceux où l'hémisection occupait un niveau de plus en plus élevé.
A. Dans un premier groupe, je vais ranger les cas d'hémisection de la
SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 167
moelle où les troubles sensitivo-moteurs, en rapport avec la lésion spinale
ne dépassaient pas, comme limite supérieure, les plis inguinaux.
Voici par exemple une observation de Reinhold (1). De tous les cas
d'hémisection de la moelle, dont j'ai pu prendre connaissance, c'est
celui où la lésion occupait le niveau le plus bas. Le fait concerne un
homme qui avait reçu un coup de couteau dans le dos à un travers de doigt
et à droite de l'apophyse épineuse de la 12° vertèbre dorsale. Immédiate-
ment après l'attentat, il présentait de l'anesthésie superficielle au membre
inférieur gauche,et une paralysie motrice totale du membre inférieur droit,
avec de l'hyperesthésie cutanée de ce même côté. Un peu plus tard, on a
constaté de la paralysie vaso-motrice à droite, et de l'exagération des ré-
flexes rotuliens des deux côtés. Les troubles de la sensibilité, hyperesthésie
à droite, anesthésie à gauche, ne remontaient pas au-dessus du milieu des
cuisses.
Au bout de trois mois, le malade pouvait de nouveau marcher, sans
avoir besoin de s'appuyer sur une canne. Cependant la force déployée par
la contraction des muscles primitivement paralysés était encore minime.
Les jointures du membre inférieur droit étaient rigides. A gauche la sen-
sibilité n'était pas encore normale. L'exagération des réflexes subsistait
surtout à gauche ; de ce côté on pouvait provoquer le clonus du pied, le
phénomène de la trépidation spinale.
Dans une observation déjà ancienne de Viguès (2) l'hémisection de la
moelle, siégeait à un niveau un peu plus élevé. Le sujet de cette obser-
vation avait reçu un coup d'épée à droite de la colonne vertébrale, entre
la 9e et la 10e dorsales. Immédiatement après, il s'est trouvé dans l'impossi-
bililé de se tenir sur ses jambes et de marcher. Le lendemain, on-a constaté
le retour de la motilité et l'abolition du sentiment, dans le membre infé-
rieur droit. A gauche, il y avait de l'hyperesthésie cutanée; l'abolition du
mouvement subsistait encore en grande partie. Les troubles de la sensibi-
lité remontaient jusque vers le bassin ; le malade avait de la rétention d'u-
rine. Au bout de quatre mois et demi, il pouvait de nouveau marcher en
s'appuyant sur une canne. L'anesthésie n'avait pas encore complètement
disparu à droite. Enfin au bout de quatre ans, le sujet était de nouveau en
état de travailler, comme avant son accident. Sa démarche ne trahissait
rien d'anormal.
Une des observations contenues dans le mémoire de Brown-Sequard (3)
(1) Reinhold. Ein Fall von t1'Ull1natischel' B¡'own-SequU1'dscher Liihmung. Inaugural-
Dissertation, Berne, 1889.
(2) Viguès. Plaie de la moelle épinière dans la région dorsale. Moniteur des hôpitaux,
1855, no 105, p. 838.
(3) 13ROWN-SEQUAIID.
168 F. RAYIIioND
peut être mise en parallèle avec la précédente. Elle se rapporte à un homme
qui avai été atteint d'un coup de sabre, entre les 9e et 10e vertèbres dorsales,
il 3 centimètres environ de la ligne des apophyses épineuses et à droite.
D'abord, la victime a eu les deux jambes paralysées, ainsi que de la réten-
tion d'urine. Le lendemain, on a constaté de l'hyperesthésie cutanée à gau-
che, qui remontait de la plante du pied jusqu'à la crête iliaque ; de ce
même côté, la paralysie du membre inférieur subsistait, mais moins com-
plète. A droite, la sensibilité à la douleur et aux impressions thermiques
était abolie; l'état de la motilité s'était notablement amélioré.
Enfin, une observation de Charcot (1) nous montre également le syn-
drome de Brown-Sequard s'établissant à la suite d'un coup d'épée qui a
pénétré dans la région dorsale entre les 9e et 10e dorsales, à 3 centimè-
tres à droite de la ligne médiane ; seulement le trajet de pénétration était
dirigé de droite à gauche et de bas en haut, de telle sorte que, suivant tou-
tes les apparences, c'est la moitié gauche de la moelle qui a été entamée.
Toujours est-il qu'après une première phase de paralysie complète des deux
membres inférieurs, de paralysie de la vessie et du rectum, le blessé a pré-
senté de l'hyperesthésie et gauche et de l'anesthésie à droite. Les troubles
de la sensibilité remontaient presque.
La paralysie motrice s'est dissipée très rapidement à droite, beaucoup
plus tardivement à gauche. Déplus, le sujet a présenté des arthropathies.
B. Dans un second groupe, nous allons rencontrer des faits qui nous fe-
ront assister à l'envahissement du tronc par les troubles sensitivo-moteurs
à disposition croisée, sans participation des membres supérieurs à ces mê-
mes troubles. Les faits du précédent groupe nous avaient fait remonter
jusqu'à un niveau compris entre les 10e et 98 dorsales. Cette fois le trau-
matisme rachidien va se mouvoir entre les limites marquées parles espa-
ces intervertébraux suivants : 8° et 0° vertèbres dorsales, en bas ; 6e et 7°
Cervicales en* haut.
Une observation deWerner (2), va ouvrir la marche aux faits de 6 grou-
pes. Il est vrai que dans ce cas l'expression clinique s'est notablement
écartée du schéma du syndrome de Brown-Sequard. Le sujet avait été
blessé d'un coup de couteau à 2 centimètres ci droite de la ligne médiane
du dos, entre les 8° et 9° vertèbres dorsales. La blessure avait déterminé
une paralysie du membre inférieur droit ; la peau de ce membre conser-
vait sa sensibilité intacte. Avec cela, lemaladeeracontaitdu'à droite il avait t
(1) Charcot. Arthropathies par lésions de la moelle. Arch. de phys. normale et pa-
thologique, 1868, t. I, p. 176.
(2) Wemev. Messerstich in das Ruclcenmarlc, etc., Memorabilirn, 1890.
SUR UN CAS D'RÉ1111nECTlo\ TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 169
la peau du ventre engourdie et dure comme la pierre. Huit années après
l'accident, il conservait encore une certaine faiblesse du membre inférieur
droit et un excès de sensibilité dans le côté correspondant du ventre. Je
vous ai cité cette observation dans l'unique but de vous montrer que lors-
que la moelle est entamée au niveau susdit, les troubles de la sensibilité
envahissent la paroi abdominale, ils ne restent plus cantonnés dans les
membres inférieurs.
Dans une observation relatée par un auteur danois Kjaer (1), l'instru-
ment tranchant a pénétré dans la région des 6e et 7e apophyses épineuses
dorsales à gauche de la ligne médiane. Une année après l'accidenl, on
constatait de l'atrophie et de la parésie du membre inférieur gauche, ainsi
que l'exagération des réflexes cutanés; à droite il avait de l'hypoesthésie,
dans une étendue correspondante, sans compter une zone d'anesthésie
contiguë au rebord des fausses côtes, d'une largeur de 3 travers de doigt.
Dans un cas relaté par Schultz (2), l'instrument tranchant a pénétré un
peu à droite de la ligne médiane du dos, entre les 5e et 6e vertèbres dorsa-
les. Les premiers symptômes ont consisté dans une anesthésie cutanée à
gauche, dans une hyperesthésie avec légère parésie motrice à droite, le
tout accompagné de rétention d'urine et d'évacuations involontaires de
matières fécales. Le sujet a été examiné, dix-huit mois après l'accident :
son membre inférieur droit était un peu amaigri ; les mouvements de ce
membre étaient incoordonnés et sans force ; le sens musculaire était t
émoussé; en outre il y avait de l'hyperesthésie qui remontait jusqu'à une
ligne horizontale passant par la 7e vertèbre dorsale ; à sa limite supérieure
cette zone d'hyperesthésie était bordée par une étroite bande d'anesthésie.
A gauche, et remontant au même niveau que l'hyperesthésie du côté droit,
il existait une zone d'anesthésie, bordée en haut par une étroite bande
d'hyperesthésie. Les réflexes tendineux étaient exagérés. Les fonctions de
la vessie et du rectum étaient redevenues normales.
Une observation de W. Mûtter (3) nous montre une hémisection gauche
de la moelle, au niveau de la 4e vertèbre dorsale, donnant lieu aux phé-
nomènes suivants :
Troubles sensitivo-moteurs, remontant jusqu'au niveau du lie espace in-
tercostal et représentés, adroite, par de l'anesthésie superficielle, à gauche,
par de l'hyperesthésie et par une paralysie motrice. Le malade a suc-
combé 43 jours après l'attentat; le fait qu'un fragment de la lame était
(t) KJAEII. Et Pilfaelde of Brown-Sequard Sahmed. Hospital Pidende, sept. 1890.
(2) SCIIUTZ. Halbseitenlasion des Ituckerzznaokes. Centralblatt für nervenheilkunde,
1880, n° 15.
(3) W. 111uLLEIl. Beitrahe ZIl1' pathologischen. Anatomie und Physiologie des mense-
blichen Ritclcerznzarks. Leipzig, 1871 (Festschrift).
n0 F. RAYMOND
resté enclavé dans la plaie a dû avoir de l'influence sur le dénouement.
A l'autopsie, on a trouvé une hémisection gauche de la moelle, située il
1/2 millimètre au-dessus de l'émergence des racines postérieures de la
12e paire.
Voici une observation du D'' G. d'Ail Armi (1) à mettre en parallèle
avec la précédente : Elle concerne un homme qui avait reçu un coup de
couteau 4 4 centimètres à gauche de l'apophyse épineuse de la 4° vertèbre-
dorsale. Immédiatement après l'attentat, le malade avait présenté une
paralysie complète des membres inférieurs et une paralysie partielle des
membres supérieurs. Pendant trois jours, il a eu de la rétention d'urine
et des matières fécales. Au bout de 15 jours, le blessé était de nouveau
en état de mouvoir ses membres inférieurs et sa jambe droite. La para-
lysie motrice subsistait à gauche dans le membre inférieur, sans anesthé-
sie. A droite il y avait de l'anesthésie dans toute l'étendue du membre
inférieur et de la moitié correspondante du tronc, jusqu'à la hauteur
occupée pur la cicatrice. Dix-huit mois environ après l'accident, l'anes-
thésie persistait dans le côté droit, le sujet pouvait faire d'assez longues
courses, mais il boitait; sa jambe gauche, atrophiée, était pendante.
Dans un cas publié par Albrecbt (2), de Vienne, un coup de couteau
porté un peu à gauche de la colonne vertébrale, à la hauteur de la 3"ver-
pègre dorsale a eu pour suites ;
A gauche, une paralysie motrice de tout le membre inférieur et un peu
d'hyperesthésie, la conservation du sens musculaire était intacte et une
large zone d'anesthésie au tronc s'étendant de la 40e il la 5e côte ; ri droite,
une anesthésie relative dans toute l'étendue du membre inférieur. Le
malade urinait difficilement. Cette dysurie s'est dissipée très vite.
Une observation publiée par Joffroy, et Salmon (3) se rapporte
également à un cas d'hémisection de la moelle au niveau de la 3e vertèbre
dorsale, à 5 centimètres il gauche de la ligne des apophyses épineuses. In-
dépendamment du syndrome classique - paralysie complète du membre
inférieur gauche avec hyperesthésie, élévation notable de la température
locale ; hyperesthésie prononcée à droite, intéressant les différents modes
de la sensibilité et remontant jusqu'au mamelon le sujet a présenté
peu de temps après l'attentat une athropathie dans le genou du membre
paralysé, ainsi qu'une eschare fessière il gauche.
(1) G. D'ALL Aaw. llalbseitige Verletzung des RückenizaiIces. Bayerisches aerztiches
IntelligenzLlatt, 1875, n 48.
(2) ALDlOECIIT. Klinische Beil1'ae.'le zur Nel'venchirU1'[Jie. Deutsche Zeitschrift für Chi-
rurgie, 1887, t. 26, p. 473.
(3) Joffroy et Salmon. Plaie de la moelle épinière, etc. Gazette médicale de Paris, 1872,
nos 6, 7 et 8.
SUR UN CAS D'RÉ11'(ISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE ni
Au bout de quatre semaines, la paralysie motrice, à droite, s'était can-
tonnée dans le pied. Les troubles de la sensibilité subsistaient encore,
quatre années après l'attentat.
Le Dr Enderlen (1), dans un très remarquable mémoire sur lequel
j'aurai à revenir, a publié une observation de syndrome de Brown-Sequard
survenu à la suite d'un coup de couteau porté il la hauteur de la 2e vertèbre
dorsale. II y a eu d'abord paralysie du membre inférieur du côté droit et
anesthésie du côté gauche avec incontinence d'urine et constipation opi-
niâtre. Au bout de 48 heures, la paralysie motrice était déjà en voie de
rétrocession et 23 jours après l'attentat, le malade était en état de marcher
sans appui; les mouvements de la jambe droite étaient un peu incoordon-
liés au bout de neuf semaines, l'état de la motilité s'était encore amélioré.
A gauche, l'anesthésie persistait en grande partie; en avant, elle remontait
jzcsqic'èr, une largeur de main au-dessus de l'ombilic, en arrière, jusqu'à la
hauteur de la seconde vertèbre lombaire. L'état des réflexes est à noter :
les réflexes plantaire, crémastérien et abdominal étaient beaucoup plus
prononcés qu'à droite où le réflexe addominal était même aholi, le réflexe
rotulien était exagéré à droite, affaibli à gauche, la température locale
était moins élevée à la jambe droite qu'à la jambe gauche (2).
Charcot (3), dans ses leçons du mardi, a raconté en termes très pitto-
resques le cas d'un sujet qui avait reçu un coup de couteau au voisinage des
2e et 3e vertèbres dorsales, à un ou deux centimètres à droite des apophyses
épineuses. Aussitôt après l'attentat, il avait eu le membre inférieur gauche
paralysé et de l'insensibilité dans le membre du côté opposé, ainsi que de
la rétention d'urine. Lorsque le sujet fut examiné par Charcot, huit an-
nées s'étaient écoulées depuis l'attentai, il ne subsistait plus de trace de
la paralysie motrice du membre inférieur gauche ; à l'élévation de la tem-
pérature locale qu'on avait constatée au début de ce même côté, s'était
substitué le phénomène inverse. Le membre était fortement atrophié. Le
réflexe rotulien était exagéré de ce même côté gauche. A droite les réflexes
tendineux était normaux; la sensibilité superficielle était profondément
troublée (dyserthésie). Détail important à noter cette perversion de la
sensibilité ne remontant pas au-dessus du pli de l'aine, en avant; en ar-
rière elle n'arrivait même pas jusque-là.
En somme, cette observation de Charcot, à l'instar de celle d'Enderlen,
non fournit des enseignements précieux sur le degré d'alimentation dont
sont susceptibles, chez l'homme, les troubles sensitivo-moteurs consécutifs
à une hémisection de la moelle.
(1) Enderlen. Ueber Stichveî,letzeii2gen des .R : 7ceKma)'A. Deutsche Zeitschrift sur chi-
rurgie, 4895, t. XL, p. 201.
(2) CH1RCOT Leçons du mardi, t. Il, p. 53.
172 F. RAYMOND
- Dans une observation de Vorster (1), sur laquelle j'aurai à revenir, ]'lié-
misection de la moelle siégeait à ce même niveau. L'expression clinique
différait du syndrome de Brown-Sequard en ce que, pendant plusieurs
mois, le membre inférieur du côté opposé a l'hémisection est resté frappé
d'une paralysie motrice partielle. Je vous dirai l'explication que l'auteur
a donnée de cette anomalie.
Une observation deM. Gilbert (2) va nous renseigner sur les suites d'un
coup de couteau qui a pénétré entre les 1'" et 2e vertèbres dorsales, un
peu à droite de la ligne médiane. Le lendemain de l'accident on a constate
chez la victime : ci droite, une paralysie motrice complète du membre in-
férieur, un peu d'exagération des réllexes tendineux, de l'hyperesthésie
qui occupait le membre inférieur, le côté correspondant du ventre et du
thorax, et qui remontait jusqu'au mamelon; - ci gauche, de l'anesthésie
remontant jusqu'à cette même limite, l'abolition complète des réllexes ten-
dineux, un peu d'élévation de la température locale. De plus, à sa limite
supérieure, la zone d'anesthésie était bordée par une étroite bande d'hy-
peresthésie. De ce même côté gauche le sens musculaire était émoussé.
Dès le second jour s'est dessinée une amélioration qui est allée en s'accen-
tuant.
Eu égard au siège de l'hémisection, cette observation est il mettre en
parallèle avec celle de notre malade. Vous vous rappelez que chez ce der-
nier également la lame tranchante a pénétré au niveau des -1 re et 2° dor-
sales.
Je passe très rapidement sur une observation publiée par un auteur ita-
lien Burresi (3), qui nous montre un syndrome sensiblement différent de
celui de Brown-Sequard, se développer à la suite d'un coup de couteau
qui avait pénétré entre la Ire dorsale et la 7° cervicale. Je noie seulement
que le sujet de l'observation de Bmresi a présenté, indépendamment d'une
paraplégie des membres inférieurs, une paralysie du membre supérieur
gauche sans compter de l'hypoesthésie à droite et de l'hyperesthésie du
côté opposé. Sept mois après l'accident, la motilité était en voie de réta-
blissement dans le membre inférieur gauche.
En regard de cette observation, j'en placerai une aulre, publiée par
Fischer (4). Ici, l'instrument tranchant avait fait deux entailles il un ni-
(1) Vonsrsrs, fleilung einer li-ciuincilischeiz l1Ûckenm(lI'ksflslel. Deutsche Zeitschrift
sur Chirurgie, t. XXIX, p. 421. -
(2) Gilbert. Un cas d' hémilésion de la moelle épinière. Archives de Neurologie,
1882, no 9.
(3) P. BUIIRESI. Emisezione a sinistra del midollo spinale. Lo-sperimentale, 1895,
fasc. II.
(4) G. FISCIIEII, Eine halbseitige SItCItirP.YL2lZLln9 des Rückenll1Cl1'ks. Deutsche Zeits-
chrift für Chirurgie, 1881, t. XX, fasc. 5.
SUR UN CAS D'UÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 113
veau un peu plus élevé que chez le sujet de l'observation précédente,
c'est-à-dire à gauche de la colonne vertébrale entre les 6e et 7e vertèbres
cervicales. Il en était résulté une paralysie motrice complète du membre
inférieur droit, avec hyperesthésie de ce même côté et de l'anesthésie du
côté gauche, qui s'arrêtait exactement à la ligne médiane du corps, et qui
remontait jusqu'au niveau du mamelon. Au début, le patient a eu égale-
ment une paralysie motrice incomplète du membre inférieur gauche.
Les troubles de la motilité et de la sensibilité se sont dissipés relativement
très vite. Au bout de sept mois cet homme était complètement rétabli, à
cela près qu'il traînait encore le pied droit. -
En somme vous retiendrez surtout ce détail, que les membres supé-
rieurs n'ont pas été envahis parles troubles sensitivo-moteurs qui, chez
cet homme, se sont montrés à la suite de deux entailles qui avaient péné-
tré entre les Ge et 7° vertèbres cervicales. Erb, qui a été appelé à se pro-
noncer sur ce cas, a diagnostiqué une hémisection droite de la moelle ; la
parésie motrice du membre inférieur gauche pouvait être attribuée à un
foyer de myélite traumatique, ou aune insulte mécanique des faisceaux
pyramidaux gauches.
Les deux observations dont je viens de vous entretenir se placent à la
limite commune de noire deuxième el de notre troisième groupes. Elles
montrent qu'une lésion traumatique qui intéresse la moelle au niveau des
deux dernières vertèbres cervicales peut occasionner des troubles sensi-
tivo-moteurs du côté des membres supérieurs, mais qu'il n'en est pas for-
cément ainsi. Il peut se faire encore qu'à la suite du traumatisme médul-
laire les membres supérieurs présentent dcs troubles du mouvement et du
sentiment, mais à titre purement transitoire. Témoin une observation pu-
bliée par lIerhold (1) : Le sujet avait reçu un coup de couteau un peu à
droite de la Ge vertèbre cervicale, à 1 centimètre de l'apophyse épineuse.
Il a eu d'abord les quatre membres et la vessie paralysés; mais déjà au
bout d'une quinzaine de jours il avait récupéré l'usage de ses membres su-
périeurs, en même temps que s'était dissipée la paralysie de la vessie.
Vingt-cinq ans après l'attentat cet homme a fait l'objet d'un examen mé-
dical minutieux : II subsistait encore un certain degré de parésie motrice
dans le membre inférieur droit; à cette parésie motrice étaient associées
de l'incoordination motrice, de l'exagération des réflexes tendineux, l'a-
bolition du sens musculaire et une suractivité de la sudorification. A
droite on constatait une anesthésie superficielle, qui remontait depuis la
plante des pieds jusqu'au niveau de la 3'côte. Même limite supérieure
(1) Ilr,noo,o. Ueber einen Fall von Brown-Sequard Ocher Halbseilenverlelzung des
RÜcken111al'ks. Deutsche medicin. Wochenschrift, 1894, no 1, p. 9.
ni r F. RAYMOND
pour l'anesthésie adroite. Aux membres supérieurs tout se réduisait à
une certaine exagération des réflexes tendineux à droite.
A cette observation on peut opposer celle d'un auteur allemand Gaschl,
qui nous montre qu'une hémisection de la moelle siégeant au même niveau
(6e vertèbre cervicale, à gauche), peut occasionner des troubles sensitivo-
moteurs aux quatre membres, également durables aux'membres supérieurs
et aux membres inférieurs ; hyperesthésie et paralysie motrice, à gauche ;
hyperesthésie à droite, sans compter une paralysie de la vessie,el des érec-
tions intermittentes. Circonstance à noter : au membre supérieur gauche,
les muscles du groupe Erú (deltoïde, biceps, brachial interne, long supi-
nateur) avaient conservé en partie ou en totalité, leurs fonctions. Enfin
dix-huit mois après l'attentat, le malade était de nouveau en état de mar-
cher sans trop de peine ; il traînait un peu la jambe gauche. La main gau-
che serrait avec moins de force que la droite et l'abduction du pouce était
impossible. L'lyperesthésie persistait à droite.
C. Un troisième groupe comprend les cas, où, du fait du niveau auquel
la moelle se trouve entamée, l'envahissement des membres supérieurs
par les troubles du mouvement et du sentiment est un fait obligatoire. Il
en est ainsi chaque fois que l'hémisection siège au-dessus du niveau de
la 6° cervicale. Les observations qu'il me reste à passer en revue vont vous
édifier à cet égard.
En voici d'abord une, publiée il) a près de trente ans, par un auteur
allemand, Richter. Le sujet avait reçu un coup de couteau dans nuque,
entre les 5e et 6° vertèbres cervicales, à 1 centimètre à droite des apophy-
ses épineuses. Deux jours après l'attentai, le syndrome de Brown-Sequard
existait en plein : ri droite, paralysie motrice complète du membre infé-
rieur, parésie du membre supérieur, rétablissement de la motilité dans les
muscles du thorax et de la paroi abdominale, qui participaient à la para-
lysie tout au début, enfin hyperesthésie. A gauche, anesthésie des deux
membres et du tronc, qui remontait jusqu'au cou et dont l'intensité allait
en décroissant de bas en haut. Avec cela, la vessie était paralysée.
Je crois devoir souligner l'amélioration rapide qu'on a observée dans ce
cas; au bout de six semaines,les troubles sensitivo-moteurs ne subsistaient
plus qu'à l'état de traces.
Nous retrouvons la même expression symptomatique et la même évolu-
tion, dans une observation de Brown-Sequard, qui concerne également un
cas d'hémisection de la moelle, consécutive à un coup de tranchant porté à
(1) GASCIIL. Aerzllicher Localvel'ein, Nürnberg, 6 avril 1893.
SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE nus
droite des 5e et 6" vertèbres cervicales. Immédiatement après l'attentai,
le membre inférieur a été frappé d'une paralysie totale et. le membre su-
périeur d'une paralysie partielle ; les muscles du côté droit de l'abdomen
et du thorax participaient il la paralysie, de même que la vessie et le rec-
tum. De ce même côté droit peau était le le siège d'une hyperesthésie très
manifeste, tandis qu'à gauche, on constatait une anesthésie superficielle
qui remontait jusqu'au cou. Au bout de 18 mois la régression des troubles
sensitivo-moteurs était très avancée.
Une observation de Beck nous fait remonter un peu plus haut, en même*
temps qu'elle va nous faire assister à l'entrée en scène des manifestations
symptomatiques d'une paralysie du grand sympathique cervical. Le sujet
avait reçu un coup de couteau dans la nuque, à la hauteur de l'apophyse
épineuse de la 4e vertèbre cervicale. Il s'était affaissé incontinent. A vrai
dire, chez lui le syndrome de Brown-Sequard ne s'est pas montré avec sa
netteté habituelle ; au tronc et aux membres on a simplement constaté de
l'hypoesthésie dans le côté gauche; à droite la sensibilité était normale
aussi bien que la motilité. Le côté intéressant de cette observation, c'est la
constatation d'un rétrécissement de la fente palpébrale, à gauche, avec chute
de la paupière supérieure et rétrécissement de la pupille. En outre on a
constaté du ralentissement du pouls (au-dessous de 40°), de la gène respi-
et une élévation de la température superficielle du côté paralysé.
Le sujet est mort le 4e jour ; l'autopsie a démontré l'existence d'une hé-
misection gauche qui intéressait la presque totalité des cordons antérieur
et postérieur ; le cordon latéral était à peine touché.
N'allez pas croire qu'une hémisection de la moelle, lorsqu'elle siège au
niveau indiqué ou plus haut, se traduira forcément par des symptômes de
paralysie du sympathique cervical. Voici par exemple une observation de
M. Delmas (2), qui nous met en présence des mêmes circonstances de siège
que la précédente : plaie pénétrante par instrument tranchant, à la hauteur
et au niveau de la lu.' vertèbre cervicale. Or, dans ce cas, les troubles con-
sécutifs se sont réduits à une paralysie motrice du côté gauche, paralysie
transitoire. M. Delmas a conclu que l'hémiseclion médullaire intéressait
uniquement le cordon latéral du côté gauche.
Voici deux observations qui nous font rentrer dans le schéma classique
du syndrome de Brown-Sequard. Dans l'une et l'autre, les symptômes dé-
notant la paralysie du sympathique cervical ont fait défaut, à peu de chose
près, malgré que t'instrument tranchant eut atteint la moelle à un niveau
(1) BECK. Ueber Verlelzungen der Wirbelsàule und des Rilckenmarkcs. Virchow's
Archiv.,1819, t. î;i, fasc. 2, p. 207.
(2) Delmas. Contribution à l'étude des localisations spinales. Archives générales de
médecine, 1881, T, p. 653.
116 F. RAYMOND
compris entre les 3e et 4" vertèbres cervicales. La première a été publiée
par un médecin autrichien Vuceti (1). Deux jours après l'attentat, les suites
du traumatisme consistaient dans une paralysie incomplète des membres
et dans un émoussement de la sensibilité musculaire, du côté gauche, le
tout juxtaposé à une anesthésie superficielle du côté droit. Circonstance à
noter, la vessie et le rectum fonctionnaient normalement.
L'autre observation a été publiée par un assistant du professeur Erb, le
D'' Hoffmann, de Heidelberg (2) ; elle~concerne un homme de 50 ans chez
lequel, jours après l'attentat, on a constaté une paralysie motrice des
memhres du côté droit, à laquelle participait la moitié correspondante du
diaphragme ; le membre inférieur gauche était le siège d'une anesthésie
qui s'étendait au membre supérieur droit, enfin il y avait également para-
lysie de la vessie, sans compter que l'oreille droite était'plus chaude et
plus rouge que la gauche. ' ,
Dans une observation publiée par Bornlnr-ger (3), les troubles sensi-
tivo-moteurs, survenus à la suite de deux coups de couteau qui ayant
pénélré, l'un entre les 2° et 3° cervicales, l'autre entre la 3e et la 4e, in-
téressaient exclusivement le côté droit. En cela le cas s'écarte donc du
schéma classique. Je ne vous mentionne cette observation que parce que
la paralysie motrice s'est doublée d'une atrophie qui intéressait les mus-
cles des membres, de la moitié correspondante du thorax et de l'abdomen,
et surtout,parce qu'aux troubles sensitivo-moteurs s'associaient une éléva-
tion delà température locale, il la face, et du rétrécissement pupillaire.
Dans une observation de Nolte (4), la moelle a été touchée au même ni-
veau, c'est-à-dire entre les apophyses épineuses des 2e et 3e vertèbres cer-
t'<ca. Quinze jours après l'attentat, on a constaté une paralysie et une
atrophie du membre inférieur gauche, laquelle étaient superposés de
l'hyperesthésie superficielle et un émoussement delà sensibilité musculaire.
À droite, on constatait une anesthésie qui remontait jusqu'au cou. Dans la
suite les troubles moteurs se sont notablement amendés. Je note qu'au dé-
hut le malade avait eu delà rétention d'urine.
D. Enfin dans un quatrième el dernier groupe, je vais ranger les faits où
l'hémisection médullaire intéressait la partie lout il fait supérieure du
(1) YL'CETi. Beilrag : 1l1' zmilatel'alen spinalen Læsion mit Bl'own-Sequm'd'sche1' K1'Cln-
kheil. Allgemeine Wiener medicin. Zeitung, 4892, no 10.
(2) Hoffmann. 3 l'wlle von Bl'own-Sequ(l1'd'schel' Laehmung. Deutsches Archiv sur
klin. Medicin, 188G, t. 38, fasc 6, p. S8 (obs. III).
(3) llOn,Tn £ GEIl. llalbseitenlxsion des Rilckenmarks. Deutsche medicin. Wochens-
chrift, 1890, n° 4, p. 1016.
(4) NOL1'E, Brown-Sequard'sche a6 : <e ? ? 0t : . Inaugural-Dissertation, 1887.
SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 177
névraxe. Nous connaissons aujourd'hui un nombre relativement considé-
rable de faits de ce genre.
Voici par exemple une observation publiée il y a plus de vingt ans, par
Riegel (1), de BerHn ; elle peut se résumer dans ces quelques mots : à la
suite d'un coup de couteau qui avait pénétré dans le côté droit de la nuque,
à 6 centimètres au-dessous de la protubérance occipitale externe, on avait
constaté chez la victime, il droite la paralysie de tous les muscles, cou et
tête exceptés, une hyperesthésie qui remontait jusqu'à la hauteur de la
2° côte, de l'exagération des réflexes, une élévation de la température lo-
cale, appréciable dans le creux axillaire; à gauche, de l'anesthésie super-
ficielle, dont la limite supérieure correspondait à celle de l'hyperesthésie
du côté opposé, un peu de rétrécissement de la pupille, une faiblesse re-
lative du pouls radial. Je note encore que le sujet de cette observation se
plaignait beaucoup d'un tremblement qui agitait ses membres paralysés,
sous l'influence de la moindre excitation superficielle; par moments, ce
tremblement se généralisait à tout le corps.
Dans une observation déjà ancienne de Brown-Sequard, une paralysie
complète du membre supérieur droit avec paresthésie du membre infé-
rieur correspondant et une anesthésie de tout le côté gauche se sont mon-
trées à la suite d'une blessure par instrument tranchant, qui siégeait à
la partie postérieure et latérale de la nuque, immédiatement au-dessous de
l'occiput. Détail à noter, dès le quatrième jour, la parésie du membre in-
férieur droit s'était dissipée.
Dans une observation de Rûhl (2), l'amélioration subséquente a porté sur
les troubles sensitifs et sur les troubles moteurs. A vrai dire l'expression
clinique, dans son ensemble, différait assez notablement du syndrome de
Brown-Sequard : à la suite d'une blessure par un instrument tranchant
qui avait pénétré entre l'occipital et l'atlas, à droite de la ligne médiane,
on avait constaté : une paralysie motrice et une anesthésie de tout le côté
gauche ; une paralysie motrice du côté droit et une anesthésie de la main
de ce même côté, sans compter de la strangurie et une constipation opi-
nicitre. Déjà au bout de quatre semaines, la sensibilité était rétablie dans
le côté gauche, et la motilité était en voie de rétablissement, aux doigts
de la main gauche et au membre supérieur droit. Au bout de quelques
mois, l'anesthésie, à gauche, avait fait place à de l'hyperesthésie; de ce
même côté on constatait de l'exagération des réflexes, de la parésie motrice,
(1) Riegkl. Ein Fall von halbseitiger Vel'letzul1g des RÜcke11111a1'llS, Berliner klin.
Wochenschrift, 1813, no 18, p. 208.
(2) HUIIL, Ueber halbseitige Vel'letzung des Rückenmarkes. Inaugural-Dissertation,
Vurzbourg, 1873. '
x t3
f
178 F. RAYMOND
un certain degré d'affaiblissement de la contractilité faradique et un abais-
sement de la température locale.
Dans une observation de Vix (1), on relève encore les deux mêmes par-
ticularités : amélioration considérable des troubles sensitivo-moteurs sur-
venus à la suite d'un coup de couteau qui avait pénétré à 3 centimètres
au-dessous et à 2 centimètres en dedans et à gauche de la protubérance
occipitale externe; expression clinique probablement différente du syn-
drome de Brown-Sequard. En effet le lendemain de l'attentat on avait
constaté, dans le côté droit, une abolition partielle du sentiment, superpo-
sée à une paralysie motrice des membres ; les troubles du sentiment con-
sistaient dans un engourdissement de tout le côté paralysé, et dans une
hyperesthésie très prononcée au membre inférieur et aux doigts de la
main. En fait d'autres manifestations on notait un certain degré de ptosis
et de myosis, à droite, une sudorificalion exagérée dans le côté gauche de
la face, sans compter la rétention d'urine. Ainsi que je vous le disais à
l'instant, une amélioration très franche est survenue dans l'état du
malade. Effectivement la sensibilité est redevenue normale; les muscles
du bras et de la cuisse ont récupéré leur intégrité fonctionnelle. Il est vrai
que cinq années après l'attentat, le sujet avait le membre supérieur droit
atrophié, de même que les muscles de l'épaule, du dos, de la hanche. Il
ne marchait qu'à grand'peine, en traînant le pied droit. Il avait de la dif-
ficulté à se servir de son bras droit, et il ne pouvait faire mouvoir les doigts
de la main droite.
Pour en finir, avec cette énumération de faits, voici deux observations
où l'existence d'une hémisection de l'extrémité supérieure de la moelle a
été confirmée par l'autopsie.
La première de ces deux observations a été publiée par Weiss (2).
L'instrument tranchant, un couteau de poche, avait pénétré entre l'atlas
et l'occipital. Immédiatement après l'attentat, la victime avait eu tout
le côté droit, y compris la nuque, paralysé; cette paralysie du mouve-
ment'se doublait d'une hyperesthésie superficielle, d'une anesthésie pro-
fonde et d'une élévation de la température locale. Les muscles du côté
droit de la face étaient contracturés, la pupille, rétrécie, ne réagissait
plus. A gauche, tout se réduisait à de l'anesthésie cutanée. La mort est
survenue le 5° jour, du fait d'une pneumonie hypostatique. L'autopsie a
démontré qu'il y avait eu section de la moitié droite de la moelle.
L'autre observation, publiée par Albanese (2), concerne un homme de
(1) Vix. Correspondenzblatt der oel'zllichen Vereine im Rheinland,A8~l4, n 14.
(2) ÂLBANESE. Grave ferita di coltello del midollo spinale. Gazetta chir, di Palermo,
1879, nos 1 et 2.
SUR UN CAS D'U111TSECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 179
26 ans, qui ayant reçu un coup de tranchant dans la région massétérine
du côté gauche, était tombé comme une masse inerte, sans connaissance.
Lorsqu'on eut réussi à arrêter l'hémorrhagie artérielle qui se faisait par la
plaie, on constata l'existence d'une paralysie du côté gauche ; seule la
moitié droite du thorax participait aux excursions respiratoires. De ce
même côté gauche, il y avait de l'hyperesthésie cutanée; Ú droite il y avait
de l'anesthésie superficielle, qui ne respectait que la moitié correspon-
dante de la tête et de la partie supérieure du cou. En outre le malade a
eu de la rétention d'urine..
Je note que le 27e jour après l'attentat, la paralysie motrice était en
voie de rétrocession dans le membre inférieur gauche. Un peu plus tard
le malade a succombé au tétanos. L'hémisection, qui siégeait à 3 centi-
mètres au-dessous du bec du calamus scriptorius, intéressait toute la
moitié gauche de la moelle, à l'exception de la moitié interne du cordon
antérieur ; elle empiétait sur la moitié gauche, dont le cordon postérieur
et une moitié du cordon latéral étaient divisés.
. (A suivre.)
DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT
ET INSUFFISANCE DE L'APONÉVROSE PALMAIRE
- 7- D'ORIGINE CONGÉNITALE.
PAR
EMILE BOIX,
Ancien interne, médaille d'or des hôpitaux.
Monsieur S..., âgé de 50, habitant la province, est venu récemment à
Paris pour soigner un rétrécissement uréthral très prononcé. Ayant confié
à de plus compétents cette cure dont la réussite a d'ailleurs été complète,
j'ai réservé mon attention aux mains du malade à qui je fis, la première
fois que je le vis, des condoléances pour les déformations gênantes que je
constatais et que j'attribuai sans hésiter au rhumatisme chronique. « Mais
nullement ! me dit M. S..., j'ai cela de naissance et je me sers de mes
mains à peu de chose près comme tout le monde. J'ai bien eu à 37 ans une
attaque, une seule, de rhumatisme articulaire aigu généralisé, mais cela
n'a rien changé à l'état de mes mains que je me suis toujours connues
telles que vous les voyez. »
Il n'en fallait pas davantage pour exciter ma curiosité, et si je publie
aujourd'hui cette observation, c'est parce que je la crois de nature à pro-
voquer une étude palhogénique intéressante.
Observation. Homme de 50 ans, de bonne et robuste constitution,
habitant la campagne.
Antécédents héréditaires. - Souche neuro-artliritique.
Les grands-parents, cultivateurs, sont morts à un âge avancé. Tant du
côté paternel que du côté maternel, les renseignements manquent.
Du côté paternel, peu de chose. Le père, viticulteur, très vigoureux,
d'une grande sobriété, est mort relativement jeune d'une maladie-aiguë.
Un de ses frères est mort à 75 ans. Un autre, à 72 ans, d'une hernie étran-
glée ; celui-ci était grand migraineux.
Le côté maternel est plus intéressant.
déviation DES DOIGTS EN COUP DE VENT 181
182 EMILE B01X
déterminant un double rétrécissement uréthral avec poche purulente dans
la portion membraneuse, fièvre et altération inquiétante de l'état géné-
ral. Par une dilatation patiente et progressive, le De Arrou, chirurgien
des hôpitaux, a rétabli à la fois le calibre du canal, la santé générale et le
moral très affecté du malade.
J'en viens maintenant à la description des mains malformées qui sont
absolument symétriques. -
Comme on peut le voir sur la photographie ci-joinle(Fig. 1),Ia main pro-
prement dite n'est pas déviée ; l'axe général du carpe et du métacarpe con-
tinue en ligne droite celui de l'avant-bras. L'articulation radio-carpienne
est tout à fait normale et tous les mouvements en sont parfaitement libres.
Les doigts seuls présentent à la fois la déviation en masse vers le bord
cubital que M. Brissaud appelle si heureusement déviation en coup de vent,
et une flexion sur la paume de la main à 60° environ. Le pouce lui-même
participe à cette attitude générale, quoique d'une façon moins marquée
que les autres doigts.
La déviation cubitale est;irréductible, car on ne peut, passivement, ni
ramener les doigts dans l'axe métacarpien, ni exagérer leur inclinaison,
sur le bord cubital. Quant à l'attitude fléchie des doigts, elle est irréduc-
tible dans le sens de l'extension, le malade pouvant fermer complètement
les mains; mais quelque effort que l'on fasse pour ramener les doigts dans
le plan du métacarpe, on n'arrive pas à dépasser 45°.
De sorte que la main placée sur une table par sa face palmaire forme
comme un pont et ne repose sur le plan que par le talon de la paume et
par l'extrémité des phalangettes. On peut appuyer alors sur la tête des
Fig. 4. - Déviation des doigts en coup de vent.
DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 183
métacarpiens, on ne parvient pas, quelque pression que l'on exerce, à
diminuer la flèche de l'arc ainsi formé.
Etudions maintenant les éléments de cette déformation :
Rien à dire de plus pour la déviation cubitale. Les doigts présentent
les particularités suivantes : quelques-uns, surtout l'annulaire des deux
mains, ont une tendance à l'extension de la deuxième sur la première pha-
lange et il la flexion, surtout marquée à l'index, de la troisième sur la
seconde. On a ainsi pour le médius et surtout pour l'annulaire un doigt
en Z ; pour l'index au contraire un doigt en C.
On peut voir sur la photographie que la deuxième phalange du médius
présente, sur les deux mains, une excavation courbe à concavité cubitale.
Celle excavation est creusée aux dépens de la face interdigitale mais aussi
de la face palmaire. Elle sert à loger l'articulation phalango-phalangi-
nienne de l'annulaire. On ne peut pas le comprendre en regardant la pho-
tographie ci-jointe parce que les mains ont été photographiées dans l'atti-
tude du maximum de correction. Mais dans la position de repos de la main
du malade, cette articulation phalango-phalanginienne vient exactement se
loger dans cette excavation qui n'est que son propre moule, grâce à la
flexion plus prononcée des doigts et au retrait de cette articulation en
arrière du plan de la 2e phalange du médius qui elle, au contraire, ressort.
Sur la photographie, les deux articulations phalango-phalanginiennes du
médius et de l'annulaire sont sensiblement à la même hauteur ; dans la
position de repos de la main, celle de l'annulaire descend au niveau de la
partie moyenne de la deuxième phalange du médius. Je regrette que la
photographie ait été faite hors de ma surveillance; j'aurais fait faire des
clichés de la main au repos qui auraient parfaitement montré cette dispo-
sition. Je m'empresse de dire que cette échancrure se produit surtout aux
dépens des parties molles comme on peut s'en convaincre sur la radio-
graphie.
Encore une particularité : si un sujet normal ferme complètement la
main, on peut constater, à la face dorsale des premières phalanges, que
l'espace interdigital occupe les deux tiers de l'étendue comprise entre la
tête des métacarpiens et celle des premières phalanges. Chez M. S.. l'es-
pace interdigital n'en occupe plus que la moitié en raison de l'empiéte-
ment de la partie qu'on pourrait appeler membraneuse de l'espace inter-
phalangien. C'esl ce qu'on voit très bien sur la photographie malgré la
position en demi-extension, en particulier entre le médius et l'annulaire
de la main droite et entre l'annulaire et le petit doigt de la main gauche.
Le jeu de toutes les articulations métacarpo-phalangiennes et des pha-
langes entre elles est plus ou moins limité ; aux deux annulaires l'articu-
lation phalangetto-phalanginienne est ank,) losée.
184 EMILE BOIX
Le pouce peut sans difficulté être opposé pulpe à pulpe à l'index et au
médius ; mais il nepeut toucher que la deuxième phalange del'annulaire
et n'atteint aucun des segments du petit doigt. Le malade peut faire claquer
ses doigts.
Il ne semble pas, au palper, que les extrémités osseuses soient aug-
mentées de volume. On ne sent pas non plus d'inégalités ou de produc-
tions ostéophytiques à leur niveau.
La flexion permanente des doigts sur la paume de la main est manifes-
tement due à l'insuffisance de longueur des parties molles de la région
palmaire, et en particulier de la peau et de l'aponévrose sous-jacente.
Cette insuffisance est plus marquée dans le tiers cubital de la paume, de
même que, dans la maladie de Dupuytren, c'est ordinairement en ce point
que s'observe le maximum de rétraction. L'insuffisance est un peu plus
prononcée à droite qu'à gauche. -
Si on donne aux doigts leur maximum d'extension, les téguments de la
paume, dont l'aspect général est celui de la main que creuse volontaire-
ment un homme qui veut y recueillir un liquide, sont tendus et lisses;
à peine sont dessinées les lignes normales des plis de flexion, la flexion
cependant s'exerçant sans obstacle. On ne remarque aucune bride, aucune
nodosité, aucun point plus saillant; les bourrelets graisseux qui séparent
les doigts au niveau de la tête des métacarpiens n'existent pas. La coupe
formée par la paume est régulière et uniforme et comme le moule d'un
segment de sphère ou plutôt d'ellipsoïde. La peau ne semblepas amincie
ni différente en quoi que ce soit de celle d'une paume saine.
Il n'existe aucun trouble de la sensibilité, aucun trouble trophique.
Quant aux troubles fonctionnels, il est certain que ces mains malformées
sont moins commodes que des mains normales. Cependant le malade s'en
sert très habilement et déclare qu'il en fait à peu près ce qu'il veut. Il
écrit sans difficulté et son écriture est parfaitement courante et formée.
J'ai sous les yeux une lettre de lui et je n'y vois aucune particularité qui
mérite une mention et par conséquent une reproduction.
J'ajoute enfin que les pieds sont tout à fait bien conformés et qu'il
n'existe aucune malformation sur d'autres parties du corps.
L'examen des différents viscères ne révèle rien d'anormal.
M. Albert Londe, que je tiens à remercier ici de son obligeance, a bien
voulu radiographier ces mains. On peut voir sur les épreuves ci-jointes
(Pl. XX) qu'à part l'inclinaison des premières phalanges sur les métacar-
piens,elles ne présentent qu'une seule anomalie : les têtes des métacarpiens
on[ porté le sommet de leur convexité du côté cubital, leur axe suivant
celui des phalanges et non celui des métacarpiens. Les métacarpiens sont en
DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 185
quelque sorte coiffés de travers ou mieux à l'envers. A l'état normal, en effet,
ainsi que j'ai pu m'en rendre compte sur toutes les radiographies de mains
que j'ai examinées, la surface articulaire coiffe l'extrémité métacarpienne
du côté radial, c'est-à-dire sur l'oreille droite pour la main droite, sur l'o-
reille gauche pour la main gauche. C'est le contraire ici. Ce changement
de position résulte de l'adaptation des surfaces glissantes entre elles par
suite de la direction insolite des phalanges.
On peut constater qu'il n'y a qu'une légère augmentation de volume,
sans déformation des têtes osseuses, ni production ostéophytique.
Il est difficile de qualifier une pareille déformation. Tout au plus
pourrait-on dire qu'il s'agit de doigts-bots ; mais je ne sache pas que cette
expression ait droit de cité dans la langue médicale.
Voici maintenant ce que raconte M. S.... Il serait né avec les mains
complètement fermées. Deux ou trois mois après seulement on se serait t
inquiété de ce que les mains ne s'ouvraient pas, et on serait intervenu
d'abord en coupant les adhérences ( ? ) qui unissaient la pulpe des doigts à
la paume de la main, puis en intercalant entre la paume et les doigts des
bouchons de calibre de plus en plus gros. Sans doute le traitement n'a pas
été bien méthodique ni surtout longtemps prolongé, car on aurait pu,
semble-t-il, obtenir un meilleur résultat avec un appareil orthopédique.
Je n'ai pas retrouvé trace sur la peau soit de la pulpe des doigts, soit de la
paume de la main, des cicatrices qu'auraient laissées les incisions faites
pour séparer les deux parties.
Pour expliquer l'origine de cette déformation, on se serait arrêté à l'hy-
pothèse suivante : la mère tenait un café dans un village et les rangées de
tables étant très serrées, elle ne pouvait, pendant les derniers mois de sa
grossesse, passer entre elles, pour servir les consommateurs, sans que son
ventre fut comprimé et plus ou moins traumatisé. Inutile d'insister sur
l'insuffisance d'un pareil mécanisme.
On a vu plus haut que M. S... avait eu un fils porteur, dès sa naissance,
d'une malformation analogue, mais moins complète. L'enfant n'est pas né
les mains fermées, mais seulement les doigts déviés en masse vers le bord
cubital et légèrement fléchis sur la paume, mais avec extension possible ;
la main pouvait être mise à plat sur une table. Ce fils est mort à deux ans,
athrepsique.
Telle est l'observation quej'ai tenu à consigner. Il esl évident que nous
sommes en présence d'un processus éteint, d'un résultat acquis, d'une ci-
catrice. La difficulté commence avec le choix d'une interprétation à lui
donner.
186 EMILE BOIX
Cette déformation simule en même temps la rétraction de l'aponévrose
palmaire et le rhumatisme chronique. Elle ne relève cependant, à n'en
pas douter, ni de l'une, ni de l'autre.
Elle n'affecte avec la maladie de Dupuytren qu'une ressemblance gros-
sière. Qu'on me permette d'invoquer la description de Dupuytren lui-
même :
« La maladie commence ordinairement par le doigt annulaire ; elle s'é-
- tend de là aux doigts voisins, et particulièrement au doigt auriculaire;
elle augmente, par degrés, insensiblement. Les malades éprouvent d'abord
un peu de roideur dans la paume de la main et de la difficulté à étendre
le doigt ; bientôt ces doigts restent fléchis au quart, au tiers ou à la moitié ;
la flexion est quelquefois portée beaucoup plus loin, et l'extrémité libre
des doigts vient alors s'appliquer à la paume de la main. Dès le principe,
une corde se fait sentir sur la face palmaire des doigts et de la main ;
cette corde est plus tendue quand on fait effort pour redresser les doigts,
et elle disparaît presque entièrement quand ils sont tout à fait fléchis.
Elle est de forme arrondie ; sa partie la plus saillante se trouve à la hau-
teur de l'articulation des doigts avec le métacarpe qui lui sert de soutien.
Elle forme là une espèce de pont. Les extrémités se terminent insensible-
ment du côté du doigt, à la hauteur de la seconde phalange, et du côté de
la main, vers le milieu de la paume, et quelquefois seulement vers la par-
tie supérieure.
« La peau située dans la direction du doigt forme des plicatures en arc
de cercle, dont la concavité est placée en bas, dont la convexité est en
haut, et dont le premier emboite en quelque sorte la base du doigt, et est
lui-même emboîté dans-les arcs de cercle plus élevés ; ceux-ci diminuent
insensiblement, et atteignent ordinairement le milieu de la paume de la
main. Ces symptômes se bornent, pendant quelque temps, au doigt pri-
mitivement affecté, mais plus tard, ils s'étendent aux doigts voisins, dans
lesquels cependant ils sont toujours beaucoup moins prononcés.
« Malgré toutes ces apparences d'une lésion profonde, les articulations
des doigts affectés ne présentent aucune trace d'ankylose, et sans excepter
celle de la première phalange, elles sont très mobiles dans le sens de la
flexion ; mais elles ne sauraient être étendues au delà d'un certain point,
quels que soient les efforts que l'on fasse ; et, en effet, nous avons vu plus
- d'une fois que des poids de cent, et même de cent cinquante livres, pou-
vaient être appendus à l'espèce de crochet que forme le doigt, sans que
pour cela son angle de flexion fût ouvert d'une ligne. Il semble que le
doigt soit empêché de se redresser par un arc-boutant inflexible, placé
dans le sens de l'extension. Il n'y a pourtant d'autre obstacle à ce mouve-
ment que la corde située sur la face palmaire des doigts et de la main,
DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT q$'7
corde dont la saillie et la tension sont, en général, proportionnées aux
efforts tentés pour redresser le doigt.
« La maladie commence, se développe et atteint son plus haut degré
sans que les malades éprouvent aucune douleur. Les efforts même dont
nous venons de parler n'en causent presque aucune; il semble que la
maladie dépende d'un obstacle tout à fait mécanique, et que cet obstacle
soit formé par des parties qui ne jouissent presque d'aucune des propriétés
qui rendent les autres parties sensibles à l'action des violences exté-
rieures » (1).
Comme on le voit, rien de comparable dans le cas présent. Même en
laissant de côté la déviation en masse des doigts sur le bord cubital à la-
quelle Dupuytren non plus que les auteurs qui, après lui, ont étudié
cette maladie ne fait aucune allusion, il n'y a ici ni saillie tendineuse
ou aponé, l'otique, ni plicatures de la peau, ni participation de la deuxième
phalange à la flexion forcée. D'ailleurs le début n'est pas le même ; ce-
pendant Dupuytren rapporte un cas congénital, par certains points com-
parables au mien, et qu'à ce titre je transcris :
« Il s'agitdansce cas d'un jeune homme âgé de vingt et quelques années,
étudiant en droit, ayant une rétraction des quatre derniers doigts de cha-
que main. Ces doigts étaient à demi-fléchis, et il était impossible de les
redresser, quelque force que l'on employât. Quatre cordes dures et sail-
lantes existaient à la paume de la main, depuis la partie moyenne de cette
paume jusqu'à la hase des doigts. Le pouce était parfaitement libre.
« Ce jeune homme attribuait celte maladie à l'oubli que sa nourrice
avait commis de ne pas lui redresser, dans sa première enfance, les qua-
tre derniers doigts de ses mains, comme elle l'avait fait pour le pouce,
qui n'était point rétracté comme les autres. Cette absurde opinion prouve
au moins que la maladie était très ancienne : ne pouvait-elle pas être
congénitale ? L'aponévrose palmaire ne pouvait-elle pas être naturellement
trop étroite pour les fonctions qu'elle a à remplir, et donner naissance
ainsi à cette rétraction des doigts ? » (2).
Voici une seconde observation de Dupuytren relative à la rétraction de
l'aponévrose plantaire :
« La maladie qui vient d'être décrite ne s'observe pas seulement à la
main, elle se montre également à la plante du pied. Nous connaissons
une famille composée de trois personnes où elle existe à un haut degré.
Les deux soeurs, âgées d'aujourd'hui de trente-six ans, présentent cette infir-
(1) Leçons orales de clinique chirurgicale, faites à l'Hôtel-Dieu de Paris par le baron
Duronraev, chirurgien en chef. 28 édition par les docteurs Brierre de Boismont et
Marx, t. 4, p. 415, Bruxelles, 1839.
(` ? ) IGid., p, 496.
188 EMILE BOIX
mité au pied droit. Chez la première de ces dames, le siège du mal est à'
l'indicateur. La conformation angulaire de ce doigt frappe d'abord les
yeux. La première et la seconde phalanges sont relevées il angle aigu, la
dernière phalange est légèrement étendue. Lorsqu'on examine le pied par
sa face plantaire, on aperçoit la corde qui maintient rapprochées les deux
phalanges. Cette dame appuie sur l'extrémité du doigt, qui s'est élargie,
allongée, ce qui tient à l'inclinaison de la dernière phalange. L'ongle ne
présente rien de remarquable. La corde est superficielle, augmente par la
tension, diminue beaucoup par la flexion. En la saisissant avec les doigts,
on l'isole très bien des tendons. Les articulations sont parfaitement mo-
biles. La marche ne détermine aucune fatigue ; jamais cette dame n'a res-
senti de douleur.
« L'autre ¡;oeur, également âgée de 36 ans (elles sont toutes deux jumel-
les), offre les mêmes phénomènes; elle ne souffre aucunement de cette
déformation. On ne remarque chez elle aucune tendance des autres doigts
à être affectés du même vice de conformation.
« Le frère, âgé de 43 ans, a, comme ses deux soeurs, une rétraction de
l'aponévrose plantaire ; mais chez lui, le second doigt de chaque pied offre
cette disposition : l'angle formé par le rapprochement des deux premières
phalanges est plus aigu. La corde est très nettement tracée et représente
une espèce de pont. Dans l'origine, M. M... marchait sur l'extrémité de
ses doigts ; aussi a-t-il été exempté de la conscription à cause de celle in-
firmité. Depuis plusieurs années la phalange s'est inclinée, et il appuie
maintenant sur une base large et étendue.
« Ces trois personnes font des promenades assez longues sans éprouver
de lassitude, mais elles ont dans la démarche quelque chose d'embarrassé,
d'un peu disgracieux. Ce vice de conformation existe de naissance » (1).
Quelque analogie qu'on puisse trouver entre ces deux observations et la
mienne, il reste toujours ces deux points de dissemblance : 1° les cordes
dures et saillantes formées par l'aponévrose; 2° la flexion forcée de la z
ne phalange sur la Ire. Il faut retenir cependant cette hérédité si manifeste
dans la seconde observation de Dupuytren. Le fils de M. S... présentait la
moitié, en quelque sorte, de la malformation de son père et s'il eût vécu
et eu des enfants, ceux-ci auraient pu présenter des malformations se rap-
prochant plus encore de celle de leur grand-père. On verra plus loin que
j'invoque dans le cas particulier non la rétraction, mais l'insuffisance de
l'aponévrose palmaire, d'une façon toute secondaire pourtant.
La ressemblance de la déformation que j'étudie avec celle du rhuma-
(1) Ibid., p. 500.
DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 189
tisme chronique est trop frappante pour qu'elle ne m'invite pas à y insis-
ter. C'est seulement la forme fibreuse que j'aurai en vue, puisque les ar-
ticulations ne présentent aucune altération appréciable.
D'abord y a-t-il, dans la phase foetale, possibilité d'une poussée de
rhumatisme chronique ? Je n'en connais pas d'exemple, mais ce ne serait
pas là une raison ; on admet bien l'endocardite foetale. La mère de M. S...,
ai-je dit, était rhumatisante et se plaignait souvent de douleurs articulai-
res ou para-articulaires vagues. Il se pourrait qu'elle ait eu, pendant sa
grossesse, une crise de ce genre ; et si l'on admet que ces arlhralgies rhu-
matoïdes aient pour cause une adultération sanguine (infectieuse ou dys-
crasique, ce qui est fort possible), on comprendrait que le foetus ait eu sa
'part de l'auto-intoxication ou de la toxi-infection et que chez lui elle ait
eu des effets beaucoup plus marqués que chez la mère. Une telle influence
agissant sur des tissus fibreux en voie d'accroissement les aurait pour ainsi
dire immobilisés, d'où l'attitude constatée à la naissance et que les artifices
n'ont pu vaincre qu'imparfaitement.
Une autre circonstance nous montre ce qu'on a appelé la « prédisposi-
tion rhumatismale » de M. S... C'est son attaque aiguë de rhumatisme arti-
culaire généralisé coïncidant avec un écoulement uréthral chronique à exa-
cerbatiou. Elle n'est pas si fausse la théorie de Peter qui considère le
rhumatisme blennorrhagique comme l'apanage exclusif des sujets à ten-
dance rhumatismale, la blennorrhagie ne faisant que « réveiller la dia-
thèse ». En mettant les choses au point aujourd'hui, nous disons que la
blennorrhagie demande, pour déterminer des arthropathies, un terrain
favorable. '
Mais deux raisons m'éloignenl de cette idée. En premier lieu, c'est la
transmission de la difformité de M. S... à son fils. Qu'il ait transmis la
prédisposition rhumatismale soit; les exemples sont nombreux de rhuma-
tisme chronique héréditaire, plusieurs générations en subissant les attein-
tes à partir d'un certain âge. Mais transmettre une difformité toute faite,
cela rail penser à autre chose; nous y viendrons tout à l'heure.
La seconde raison, c'est que la description du rhumatisme chronique
fibreux telle que l'a donnée M. Jaccoud (1), diffère sensiblement de celle des
mains de notre malade. « L'obstacle réside entièrement dans les brides
fibreuses qui se tendent sous la peau el la soulèvent lorsqu'on exerce une
fraction sur les ors. »
Il faut donc renoncer, comme par trop invraisemblable, à cette hypo-
thèse d'une atteinte intra-utérine de rhumatisme chronique, quelque sé-
duisante qu'elle paraisse à première vue.
(1) JACCOUD, Leçons de Clinique médicale faites à l'hôpital de la Ckct·ité,1867.
190 EMILE BOIX
On sait quel chaos a longtemps été le groupe du rhumatisme chronique
et quels types disparates on réunit encore aujourd'hui sous ce nom, sous
cette rubrique pour mieux dire. D'où la diversité des explications patho-
géniques. '
Parmi celles-ci la théorie musculaire et par conséquent nerveuse con-
vient heureusement à bon nombre de cas qui n'ont du rhumatisme chro-
nique que l'apparence, cas de tous points comparables à la présente ob-
servation.' ^
Elle me semble applicable en l'espèce.
Mais dans quel sens : contracture ou paralysie ?
Charcot invoquait pour les déformations du rhumatisme chronique des
« contractions musculaires spasmodiques et pour ainsi dire convulsives .
Elles se produisent par une sorte d'action réflexe dont le point de départ
est dans les jointures affectées ».
Pas plus que Charcot je n'insisterai sur celle palhogénie. Pourrait-on
supposer que la contracture des mains s'est produite sous l'influence d'une
maladie convulsive intra-utérine analogue à celle que Delplanque(l) sup-
pose présider à la difformité congénitale des iertu.x licttas d'Amérique ?
Cette contracture aurait, après résolution, laissé l'altitude constatée à la
naissance, les mains « ayant oublié de s'ouvrir » ; ou bien elle aurait
permis, pendant le temps qu'elle a duré, le développement vicieux de la
main. Aucune raison ne plaide en faveur de cette hypothèse.
Reste le champ de la paralysie assez vaste encore pour permettre de
choisir une explication plausihle.
Ce n'est pas à l'altération des nerfs périphériques que j'accorderai cré-
ance et cela pour deux motifs : le premier c'est que la déformation est sy-
métrique et que je n'ai pas encore pu concevoir l'altération symétrique
des nerfs (sauf cause extérieure bilatérale) sans intervention d'un trouble
au moins dynamique des centres nerveux. Je ne veux pas rééditer ici les
arguments de cette vieille querelle et je reste jusqu'à nouvel ordre élève de
Charcot sur ce point. Le second, de plus grande valeur, est que la para-
lysie, si paralysie il y a eu, ne se rattache à aucuu territoire nerveux péri-
phérique déterminé. L'aspect des mains de M. S... ne répond à aucune grille
connue pas plus que la déviation absolument superposable du rhumatisme
chronique déformant. Enfin, il supposer qu'il se soit agi d'une névrite, je
ne saurais en saisir la cause dans l'histoire du malade.
Une observation publiée l'an dernier par M, Feindel (2) est intilu-
(1) P. Delplanque. Etude té1'atologique, difformités congénitales produites sur le
foetus par la contraction musculaire : les veaux nialas. Paris, 1885.
(2) Revue Neurologique, 30 sept. 1896, n 18, p. 531.
DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 191
lée : « Névrite traumatique du cubital, déviation des doigts en coup de
vent, rétraction de l'aponévrose palmaire. » Le cas est au moins singulier
et se rapproche beaucoup de celui qui m'occupe. Il est noté que « l'apo-
névrose palmaire est rétractée ; des cordons durs vont du poignet à la ra-
cine des doigts » d'ailleurs il ne s'agit que d'une main. M. Feindel n'ad-
met pas non plus que la névrite du cubital ait pu, par la paralysie des
muscles du territoire nerveux malade, déterminer pareille attitude. « Cette
attitude des doigts en coup de vent, dit-il, au point où elle est accentuée
ici, non seulement il est impossible de la réaliser volontairement, mais
l'on ne parvient pas généralementà l'obtenir d'une façon passive, même en
déployant une grande force. » Il invoque simplement pour l'expliquer,
une déformation légère de la tête des métacarpiens jointe à la laxité des
ligaments mélacarpo-phalangiens, modifications d'origine Irophique et qu'il
trouve suffisantes pour faciliter le glissement des premières phalanges
vers le bord cubital ; il fait en outre remarquer que la déviation cubitale
s'accompagne dans la règle d'une flexion des premières phalanges sur le
métacarpe, flexion qui, dans l'espèce, a été plus complètement réalisée par
la rétraction de l'aponévrose palmaire, elle aussi trouble trophique.
Est-ce bien là l'explication qui convient au cas de M. Feindel ? Je l'i-
gnore. Je me demande simplement si elle pourrait convenir au mien. J'ai
dit que la surface articulaire coiffait les métacarpiens de travers et en sens
inverse de l'état normal. On peut donc voir là un élément suffisant de dé-
viation. Mais il ne me semble pas que cette transposition puisse amener
la flexion de la phalange sur le métacarpien. Et même en acceptant cette
façon de voir, on a le droit de se demander si, chez M. S..., le change-
ment de direction des surfaces articulaires n'a pas été secondaire à la di-
rection anormale des doigts. Comment résoudre cette alternative ? En
cherchant une hypothèse qui explique la priorité de la déviation et de la
flexion des doigts ; et voici celle que je propose :
Les données très précises que l'anatomie pathologique d'une part, d'au-
tre part la physiologie expérimentale, ont fourni sur les localisations cor-
ticales, nous ont montré les cenlres correspondant non point à un terri-
toire nerveux anatomique, mais à telle' ou telle fonction dans laquelle
entrent en jeu des muscles dépendant de troncs nerveux très différents.
C'est ainsi que pour le membre supérieur, on a pu distinguer le centre de
commandement de la flexion, de l'extension, de la pronation et de la su-
pination, etc. (Ferrier, Beevor et IIorsley, etc.).
Les cenlres des mouvements de la main n'ont pu encore être suffisam-
ment dissociés. Cependant David Ferrier a isolé chez le singe le centre de
la préhension (mouvements individuels combinés des doigts et du poignet
aboutissant à la fermeture du poing). On peut donc concevoir, sans grande
192 EMILE BOIX
témérité, l'existence du centre du mouvement opposé, c'est-à-dire du
mouvement d'extension de la main, mouvement réalisé au maximum dans
le geste du magnétiseur projetant son fluide.
C'est ce centre que chez M. S..., pour une cause que j'ignore con-
naît-on le déterminisme exact des arrêts de développement ? - je sup-
pose s'être développé tardivement par rapport à celui de la préhension.
Il en est résulté une prédominance de ce dernier et l'enfant a pu naître les
mains fermées par défaut d'action'de l'ensemble des muscles extenseurs
des doigts. '
Or tout, dans la main de M. S... s'est adapté à celte position anormale
dès le commencement de la période foetale : les fléchisseurs sont restés pré-
dominants et ont dévié les doigts vers le bord cubital ; les têtes osseuses
métacarpiennes et leurs cartilages se sont développés face aux cavités ar-
ticulaires des phalanges ; les articulations des doigts se sont plus ou moins
ankylosées par défaut de fonctionnement ; et toutes les parties molles de
la paume de la main, téguments, tissu sous-cutané, aponévrose, ne se sont
développés que selon le besoin, c'est-à-dire au minimum, et se sont trou-
vés trop courts lorsqu'on a voulu redresser les doigts de l'enfant. On voit
pourquoi la paume de la main ne présentait pas débrides fibreuses ; il n'y
a pas eu rétraction, mais bien insuffisance de l'aponévrose palmaire.
Ce même phénomène, quoique atténué, s'est montré chez le fils de M. S...
qui est né avec une déviation des doigts en coup de vent et une légère
flexion, mais celle-ci réductible. Le retard de développement du centre
d'extension a dû être moindre elles choses ont été plus facilement répa-
rables.
Quelques réflexions sont nécessaires pour étayer mon hypothèse qui, à
tout prendre, en vaut une autre. Je n'ai pas la prétention d'aborder ici la
pathogénie du rhumatisme chronique et de ses déviations. Je veux seule-
ment constater que personne n'a encore donné de cette « déviation des
doigts en coup de vent » la moindre explication physiologique. En effet
aucun groupe musculaire ne saurait, par sa contraction, déterminer cette
inclinaison en masse vers le bord cubital. Celle-ci serait-elle l'effet de la
paralysie de quelque autre groupe ? Nous croyons, mon ami le D'Il. Meige
et moi, qu'elle pourrait dépendre mécaniquement de l'action prédomi-
nante des fléchisseurs sur les extenseurs, rien qu'à considérer le point d'ap-
plication de la forco fléchissante sur chaque doigt et la direction de la ré-
sultante de cette force. L'étroit espace où viennent aboutir les tendons des
fléchisseurs des doigts, c'est-à-dire la gouttière radio-carpienne, ne se
trouve pas dans l'axe général de la main qui passe par le médius ou tout
DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 193
au plus le long du bord interne du médius ; cette gouttière est plus près du
bord cubital,de la main de sorte que, il considérer l'action absolument iso-
lée des fléchisseurs, on comprend qu'elle ait tendance à dévier les doigts
du côté cubital. Cela est si vrai que la nature a compris - si j'ose em-
ployer ce langage téléologique - la défectuosité de ce mécanisme et qu'elle
a voulu le corriger : 1° par la fixation des tendons dans des coulisses fibreu-
ses qui, véritables poulies de renvoi, changent la direction de leur action ;
2° encore et surtout par l'addition des muscles lombricaux dont l'inser-
tion se fait sur le bord radial de l'extrémité supérieure de la première
phalange et qui se contractant en même temps que les fléchisseurs, maintien-
nent la verticalité, pour ainsi dire, des doigts pendant la flexion.
C'est d'ailleurs une loi générale que cette tendance des fléchisseurs à
amener la partie qu'ils fléchissent en même temps vers l'axe du corps;
et toujours quelque muscle, antagoniste ou correctif, intervient pour con-
server la rectitude de la flexion.
Ce sont là des considérations que nous espérons prochainement déve-
lopper. Je n'ai voulu ici qu'en donner l'intuition nécessaire à l'accepta-
tion de mon hypothèse.
Une autre loi générale, celle-ci reconnue de tous si elle n'est pas
clairement exprimée dans quelque livre, c'est la prédominance de force et
d'étendue des mouvements de flexion sur les mouvements d'extension.
La flexion est la position naturelle, la position de repos du corps en
général. C'est la position du foetus dans l'oeuf'; c'est la position de l'homme
fatigué, courbé sous le poids d'un fardeau, d'une peine morale. Le corps
revient en quelque sorte sur lui-même, se rassemble comme pour se dé-
fendre contre l'ambiance, contre la menace, contre le froid. C'est la posi-
tion de la faiblesse et de la crainte ; et tandis que tout mouvement de
flexion n'exige qu'un effort minime, et le plus souvent nul, tout mouve-
ment d'extension nécessite un effort plus grand, une vigilance plus soute-
nue. L'extension est plus fatigante, et plus vite fatigante, que la flexion.
Celle-ci est l'expression de la passivité, celle-là de l'activité.
On conçoit donc que, puisque l'extension est la fonction la plus fragile,
comme une sorte de perfection plus grande, les centres qui la commandent
soient encore une loi générale plus tardifs à apparaître, plus
prompts à disparaître, plus difficiles mettre enjeu, plus faciles il fatiguer.
Nous ne savons pas ce qu'est la maladie de Parkinson. Mais, toute cons-
tatation anatomique à part, au point de ne philosophique presque, elle
nous apparaît comme une déchéance fonctionnelle générale du système
nerveux moteur. Et nous voyons, sauf de très exceptionnelles circonstan-
ces, le corps se plier, la tête tomber en avant, les membres se fléchir, se
x 14
194 EMILE BOIX
ratatiner, les mains se fermer, les doigts se dévier en masse vers le bord
cubital; et tout cela se soude, les forces d'extension capitulant peu à peu,
les forces de flexion restant prédominantes pour commander le système
musculaire. Peu à peu leur passivité elle-même se lasse, car leur activité
n'avait de raison d'être que dans celle des extenseurs, et le malade ne se
tient debout qu'en équilibre instable et grâce peut-être à la raideur arti-
culaire générale qui l'envahit peu à peu. ,
. Bien qu'un peu lointaines, ces considérations renforcent mon hypo-
thèse : le centre d'extension de la main s'est développé plus tardivement
que de coutume et les' fléchisseurs ayant seuls agi pendant toute la période
de développement de la main,' l'attitude s'est faite presque irrémédiable.
DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT
et insuffisance de l'aponévrose palmaire congénitale.
(Radiographie.)
MASSON & cle, Editeurs
LE DÉDOUBLEMENT DU TOURBILLON DES CHEVEUX
ET DE L'INFUNDIBULUM SACRO-COCCYGIEN.
PAR
CH. FÉRÉ,
Médecin de Bicêtre.
Les cheveux forment vers le verte-, un tourbillon convergent qui, dans
le sens de l'axe antéro-postérieur de la tête, répond dans près de la moitié
des cas à la région de l'obélion, région remarquable par le développement
tardif des fibrilles osseuses, par la soudure précoce de la suture sagittale,
par des anomalies d'ossification (fontanelle de Gerdy, perforations sponta-
nées de Larrey, etc.),par des manifestations pathologiques (céphaloemato-
me), ou d'involution (atrophie sénile symétrique des pariétaux). L'histoire
de la région de l'obélion semble indiquer une évolution tardive (1).
La correspondance fréquente du tourbillon des cheveux avec cette région
permettait de supposer un rapport d'évolution, d'autant plus qu'on voit
se produire, au pourtour du tourbillon des cheveux, un phénomène.d'in-
volution qui n'est pas sans analogie avec ceux qu'on observe sur l'os au
voisinage de l'obélion : je veux parler de l'alopécie dite spontanée qui
apparaît d'abord et prédomine au vertex dans les races inférieures, et
même dans les races supérieures chez les sujets qui n'ont point surchauffé
leurs régions temporales par le travail intellectuel. Eschricht a relevé
depuis longtemps que les points de convergence des poils paraissent avoir
quelque rapport avec les parties qui, dans le développement de l'embryon,
se forment les dernières, mais sans en donner de bonnes raisons (2).
Ces différents faits pouvaient conduire à admettre que l'obélion et le
tourbillon des cheveux coïncident à une certaine période du développe-
ment et correspondent à l'extrémité antérieure du sillon dorsal, où il forme
une sorte d'ombilic dorsal antérieur, non sans analogie avec la fossette ou
(1) Cii. Fi : ni : . Atrophie sénile symétrique des pariétaux (Bull. Soc. Anat., 1876, p. 488),
- Conti,ib. à l'él. de la pathogénie et de l'anatomie pathologique du cépltcelanzolome
(Revue mensuelle de méd. et de chir., 1880, p. 112).
(2) Eschricht. Ueber die Richtung der Ilaare aus menschlichen Korper (lliüller's Arch,
sur Anat. u. Phys., 1837, p. 37).
196 CH. FÉRÉ
le tourbillon de poils qu'on trouve souvent à la région sacro-coccygienne
et qu'on peut considérer comme le point de fermeture de la partie posté-
rieure de ce même sillon (1).
Si les rapports de la fossette sacro-coccygienne avec la fermeture pos-
térieure de la gouttière rachidienne ont pu paraître démontrés par la per-
sistance des connexions, il n'en, est pas de même pour le tourbillon cé-
phalique, qui présente plus souvent des anomalies de position. Il est
rarement médian et présente souvent des déviations latérales de 20 à
30 millimètres et même plus : on le voit quelquefois dévié dans la région
pariétale vers l'oreille (Pl. XXII). Le tourbillon des cheveux paraît plus
souvent dévié à droite,du côté où sont plus fréquentes les anomalies d'os-
sification du pariétal dans la région de l'obélion (2).
Le tourbillon des cheveux est quelquefois double (Pl. XXI); cette
disposition qui peut être héréditaire paraît assez fréquente dans plusieurs
catégories de dégénérés (3). Elle peut s'expliquer par le fait que la ferme-
ture de la gouttière ne commence pas exactement par l'extrémité antérieure :
chez lepoulet,il reste souvent une encoche à l'extrémité (Foster et Balfour).
Dans le deuxième embryon humain de Thomson (4), la gouttière se ré-
trécit d'abord dans la partie moyenne; Minot admet aussi (5) que la gout-
tière commence à se fermer par la région cervicale. La persistance d'une
lacune à l'extrémité de la gouttière permet de'comprendre l'irrégularité
de la fermeture qui suivant la prédominance latérale ou distale du bour-
geonnement peut être déviée à droite ou à gauche ou dédoublée. Les tour-
billons erratiques situés plus ou moins loin du vertex, dans la région fron-
tale par exemple peuvent s'expliquer par un même mécanisme.
La trace de la fermeture de l'extrémité postérieure de la gouttière peut
présenterdes anomalies analogues; quelquefois elle est déviée latéralement,
plus rarement elle est dédoublée (PI. XXII).
Je n'ai encore rencontré ce dédoublement que trois fois : j'ai pu obtenir
une photographie de l'un de ces cas; on voit de chaque côté de la ligne
médiane une petite dépression en cul de poule un peu au-dessus de la nais-
(1) Cii. FtRÉ. Cloisonnement de la cavité pelvienne; utérus et vagin doubles; infun-
dibulum cutané de la région sacro-coccygienne (Bull. Soc. Anat., 1878, p. 309). -
Ibid., p. j32. -
(2) Cii. Féré. Nouv. recherches stir la topographie crânio-cérébrale (Revue d'Anthro-
pologie, 1881, 2e série, t. IV, p. 486).
(3) Cii. Féré. les stigmates lér'alologique de la dégénérescence chez les sourds-muets
(Journ. de l'anat. et de la phys., 1896, pu ,
(4) KOOLLIKER, Embryologie, 1882, p.' 317. '. , '
( : i) Cn. S. Minot, Iluman einbi,yology,'1892, p. 177, <
DÉDOUBLEMENT DU TOURBILLON DES CHEVEUX.
MASSON & cie, Editeurs.
DEVIATION DU TOURBILLON DES CHEVEUX
dans la région pariétale gauche.
DEDOUBLEMENT DE LA FOSSETTE SnCRO-COCCYGIENNE.
· LE DÉDOUBLEMENT DU TOURBILLON DES CHEVEUX 197
sance du pli fessier. L'infundibulum du côté droit est sur un plan plus
élevé que le gauche et un peu moins profond : ce défaut de coïncidence
sur le plan transversal se retrouve dans la plupart des cas de dédoublement t
du tourbillon des cheveux. Vers chaque infundibulum on voit converger
un tourbillon de poils.
La ressemblance des anomalies qui se montrent aux deux extrémités de
la gouttière rachidienne est propre à établir l'origine"commune des traces
qu'on y rencontre à l'état normal.
Si ces anomalies peuvent être rattachées à bon droit à des accidents de
l'évolution de la gouttière rachidienne, on comprend bien la valeur
qu'elles acquièrent parmi les stigmates tératologiques.
TRAVAIL DU LABORATOIRE DE LA CLINIQUE DES MALADIES
1 DU SYSTÈME NERVEUX.
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE.
APPLICATION DES HAYONS DE ROENTGEN
A L'ÉTUDE DE LA TEXTURE D'OS PATHOLOGIQUES
(OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET).
. PAR
L>rOPOLD-L$VI A. LONDE
Ancien interne lauréat des Hôpitaux Directeur du service photographique
de la Clinique des Maladies du
Système Nerveux.
A propos d'un cas de maladie de Paget publié par l'un de nous (1),
nous avons appliqué les rayons de Roentgen à l'étude de la texture des
os. L'application a été faite aux divers os malades (humérus, radius, fé-
mur, péroné) et aux os sains symétriques. Les radiographies ont été obte-
nues avec une bobine de MM. Ducretet et Lejeune (n° 8) donnant 20 cen-
timètres d'étincelle- L'interrupteur à mercure employé est celui décrit
par l'un de nous dans un des numéros précédents de la Nouvelle Icono-
graphie de la Salpêtrière (2). L'ampoule bianodique était distante des os
de 20 centimètres. Le temps de pose a été de 10 minutes. Le développe-
ment s'est fait à l'acide pyrogallique.
Avant d'étudier les renseignements d'ordre pathologique fournis par
les images photographiques, deux questions se posent :
1° Quelle est la portion d'os révélée par la radiographie ?
2° Le résultat est-il différent de celui qu'on obtiendrait par une section
de l'os, photographiée suivant les procédés habituels ?
I. En ce qui concerne la première question, la pratique courante a
montré qu'en général ce sont les plans les plus voisins du châssis sur le-
quel ils s'appliquent qui sont les plus visibles.
(1) Léopold-Lévi. Un cas d'ostéite déformante de Paget. Nouv. Icon. de la Salp.,
mars-avril 1897.
(2) Henry MEME et ALBERT LONDE. Applications médicales des rayons de Roentgen.
Nouv. Icon. de la Salp., janvier 1897.
APPLICATION DES RAYONS DE ROENGTEN 199
Pour vérifier expérimentalement ce fait, nous avons enfoncé sur une
main de cadavre trois aiguilles, une profondément au niveau du premier
espace interosseux dorsal, la seconde superficiellement au niveau du
2e espace interosseux dorsal, la troisième superficiellement au niveau du
3e espace interosseux palmaire. La main était appliquée sur le châssis
par la face palmaire. C'est l'aiguille palmaire qui est la plus nette (1).
Les autres sont visibles.
Faut-il en conclure que ce sont les couches de l'os les plus voisines du
châssis qui seront uniquement représentées ? Cependant quand on radio-
graphie une médaille d'aluminium portant sur une de ses faces seule un
dessin en relief, quel que soit le côté de la médaille appliqué, le dessin
sera toujours visible, droit ou renversé. Pour résoudre la question, nous
nous sommes servis soit d'un pied de squelette monté, soit de la main de
cadavre et avons disposé successivement ces extrémités sur leurs deux fa-
ces. Les résultats obtenus étaient sensiblement identiques. Il en a'été de
même avec l'extrémité du membre antérieur d'un solipède. En particulier
les deux grands sésamoïdes sont aussi visibles, que l'extrémité ait été
appliquée par sa face antérieure ou postérieure. Les os provenant de la
maladie de Paget ont également montré des détails analogues, qu'ils fussent
disposés suivant le plan antérieur ou postérieur.
Toutes ces expériences montrent que la photographie, par les rayons de
Roentgen, d'un os isolé des parties molles, donne lieu une image synthéti-
que représentant une superposition des différents plans de cet os. C'est
donc une image composée qu'on peut rapprocher dans une certaine me-
sure de l'image de la photographie composite. Dans cette méthode parti-
culière, en effet, inspirée des travaux de Herbert Spencer et de Francis
Gallon, par la superposition de plusieurs photographies, en obtient l'ad-
dition des traits communs, la disparition des traits accessoires, en somme
une résultante d'images voisines mais différentes. En prenant encore
comme exemple une médaille d'aluminium de 3 millimètres d'épaisseur
portant cette fois des reliefs sur ses deux faces : d'un côté les armes de la
ville de Paris avec l'inscription : Ville de Paris ; de l'autre, une couronne
(1) Il en est au moins ainsi quand la distance de l'ampoule par rapport à l'objet est
petite. A une grande distance, la difl'érence signalée ne sera plus aussi marquée. Il
est donc nécessaire, si l'on recherche la situation d'une aiguille par rapport aux plans
d'une main, par exemple, de la radiographier à petite distance.
Remarquons, en passant, que nous avons radiographié, dans les mêmes conditions de
pose de distance et simultanément, la main d'un sujet mort depuis 30 heures environ
et une main d'individu vivant pour étudier les variations de transparence des tissus.
Nous n'avons pas noie de modification notable. Il n'en avait pas été de même dans
une autre expérience où nous avons appliqué simultanément les rayons X à deux la-
pins, l'un mort depuis 1 minutes, l'autre depuis 4S heures. La transparence des par-
ties molles élait manifestement plus nette chez le lapin encore chaud.
200 LÉOPOLD LÉVI ET A. LONDE
et comme inscription : Usine métallurgique française de Proges, .alumi-
n iumpur, on voit sur les photographies annexées, à ce travail, que, quel
qu'ait été le côté appliqué, le résultat synthétise les inscriptions et les
dessins de la médaille. Et de, même,' quand nous avons associé à cette
première médaille, une seconde.médaille en aluminium, de même épais-
eur,. portant des dessins en relief de chaque.côté. , .. ..
La photographie après chacune des quatre dispositions des médailles
manifeste les détails de-chaque face (PI. XXIV).
Fait analogue : Nous radiographions l'hémisphère gauche d'un cerveau
durci par le procédé de l'acide azotique. Qu'on le place sur le châssis par
la face externe ou la face interne, ce sont toujours, les circonvolutions.de
la face externe qui sont représentées, et superposée à elle' la couche opti-
que. On a ainsi une projection de ce noyau géométrique sur la face externe
du cerveau.. '
De l'ensemble de ces faits on peut donc déduire que sur des os volu-
mineux la radiographie donne lieu à la formation d'une image des couches
composantes de l'os, qui synthétise par conséquent sa texture.
i ; II. L'image qui résulte de l'emploi des rayons X est-elle différente de
celle qu'on obtient en pratiquant la coupe macroscopique de l'os et en la
photographiant ? A priori il devait en être ainsi. En réalité, nous avons
sciéja diaphyse d'un fémur d'acromégalique que nous avions à notre dis-
position, puis avons radiographié successivement la moitié sciée, la tota-
lité'de 1'osreconstitué, puis photographié par les procédés. habituels et
comparativement une moitié de l'os scié vu par les deux faces. Nous met-
tons les résultats sous les yeux. La. question est résolue de cette façon. En
ce. qui concerne les radiographies, celles qui sont représentées sont des
-radiographies positives. Par'cette expression nous entendons l'épreuve
tirée d'après le cliché original. Au contraire les radiographies négatives
seront les fac-simile.du cliché original.Les médailles vues plus haut sont
des radiographies négatives. La planche qui représente les fémurs de la
maladie de Paget'représente également des radiographies négatives.
III. Reste à étudier les altérations des os de la maladie de Paget. Cha-
que os pathologique ayant son symétrique sain, la comparaison s'est éta-
blie facilement.
C'est l'extrémité inférieure du fémur, reproduite (PL XXII, radiogra-
phies négatives) qui a donné les résultats les plus importants. ,
Sur .le- fémur normal représenté longituclinalement,.les systèmes la-
mellaires de Haveras d'épaisseur égale sont parallèles' les uns aux autres.
Ils s'envoient des anastomoses perpendiculaires ou légèrement obliques,
représentant des espaces plus ou moins régulièrement- rectangulaires ou
ovalaires. Au contraire sur le fémur hypertrophié on constate que les
RADIOGRAPHIES D'OS LONGS
A. Radiographie d'une moitié de fémur d'acromégalique appliquée sur le châssis par sa face externe.
B. Radiographie d'une moitié de fémur d'acromégatique appliquée sur le châssis par sa face de section.
C. Radiographie des deux portions accolées du même fémur.
D. Photographie du même fémur vu par sa face externe.
H. Photographie d'une moitié de fémur, vue par la face de section.
RADIOGRAPHIES NÉGATIVES DE DEUX MÉDAILLES D'ALUMINIUM SUPERPOSEES
donnant lieu à unc image syntitiquc.
APPLICATION DES RAYONS DE ROENGTEN 201
systèmes osseux sont très épaissis par places, amincis en d'autres endroits,
que leur disposition est loin d'être parallèle, qu'ils sont placés en situa-
tion irrégulière les uns par rapport aux autres, se coupant sous des angles
différents, et que par conséquent les espaces qu'ils circonscrivent ne sont
plus réguliers. En outre, d'une façon générale, ces espaces sont élargis
et représentent de véritables cavités creusées dans l'os. Il y a donc avec
condensation du tissu osseux par places, une raréfaction générale de ce tissu,
l'os est devenu poreux. Il y a association d'ostéite condensante et raré-
fiante.
Des lésions comparables se montrent au niveau de la partie inférieure
de la diaphyse de l'humérus, véritables cavités profondes séparées par
des travées osseuses irrégulières, condensées par places. L'épiphyse infé-
rieure présente elle aussi des cavités nombreuses. A ce niveau le tissu
spongieux est extrêmement poreux. Au niveau de l'extrémité inférieure
du péroné, on trouve le même nombre d'espaces vides, avec irrégularité et
épaississement des systèmes lamellaires, aspect très différent du péroné
normal.
Quant au radius qui avait subi une véritable torsion de son corps, il
offre une vaste anfractuosité au niveau de la région de la torsion.
En résumé la radiographie des os détachés des parties molles offre des
détails de texture qu'on peut obtenir sans détériorer l'os. Ce procédé est
donc applicable et vient s'ajouter à l'examen histologique. Elle se trouve
d'accord en ce qui concerne l'ostéite déformante de Paget avec les résul-
tats obtenus par les coupes microscopiques de l'os sec.
MAIN « SUCCULENTE »
- ET
ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES
PAR
G. MARINESCO
(suite et fin)
1
Les efforts communs des physiologistes et des cliniciens ont montré qu'il
y a dans le cerveau, des régions en rapport avec l'innervation des divers
segmenls du corps. Une tentative analogue a été faite pour déterminer des
localisations motrices dans la moelle épinière et à ce point de vue, les re-
cherches des auteurs anglais Ferrier, Thorburn, Allen Starr, Sherring-
ton, Russell, etc., tiennent la première place. J'ai résumé la plupart des tra-
vaux de ces savants dans des lettres écrites pour la Semaine médicale de
1896. Ferrier avait posé en principe que chaque segment de la moelle
épinière, au niveau du renflement cervical, paraît contenir les noyaux
de tous les muscles sous la dépendance de la racine motrice correspon-
dante. Il en résulte qu'on peut s'attendre à observer autant, de types d'a-
trophie musculaire progressive qu'il y a de types dans la composition du
plexus brachial.
Beevor à son tour partant des résultats expérimentaux de Ferrier et
Yeo s'est appliqué à montrer que le groupement des muscles paralysés
dans la paralysie infantile et dans d'autres atrophies musculaires est en
concordance avec les résultats expérimentaux de ces derniers auteurs. Mais
les cliniciens comme Thorburn, .111en Starr ont fait faire à la question
des localisations motrices dans la moelle de vrais progrès et ils ont dressé
des tableaux qui représentent l'innervation de chaque muscle dans les
racines et la moelle épinière. Il est à remarquer qu'il ne s'agit pas de loca-
lisations fixes qui représentent le dernier mot de la science sur ce sujet,
mais de localisations dont le siège peut varier dans certaines limites. Ainsi
s'expliquent les divergences qui ne sont pas, du reste, essentielles entre
les tableaux dressés par Thorburn et Allen Starr. Je commence par don-
MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 203
ner celui de Thorburn qui s'est basé surtout sur des cas de fractures cons-
tatées chez l'homme et ayant été suivies de paralysies. Dans le tableau sui--
vant de Thorburn, le lecteur trouvera les localisations des muscles du mem-
bre supérieur :
204 G. MARINESCO
MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 205
l'orientation de ce processus que dépend l'atrophie musculaire de la
syringomyélie.
Il n'y a plus de doute aujourd'hui que la gliose de la syringomyélie ne
débute,' ainsi que M. Hoffmann (1) el moi-même (2) l'avons montré, par
la prolifération de l'épithélium et de la névroglie du canal épendymaire.
M. Brissaud (3) a défendu avec son talent bien connu la même manière
de voir.
Les différents troubles trophiques que l'on constate dans la syringomyé-
lie dépendent de la localisation et de l'orientation du processus de gliose.
C'est au niveau de la prêtre dorsale et de la 8° cervicale que la prolifé-
ration névroglique fait souvent son apparition et suivant qu'elle aura une'
marche ascendante ou descendante, l'atrophie musculaire dans le mem-
bre supérieur sera plus ou moins prononcée aux membres supérieurs ou
fera complètement défaut. Si dans la plupart des cas de maladie de Mor-
van, l'atrophie musculaire est très atténuée ou manque complètement,
c'est parce que la gliose descend vers la région dorsale et laisse intacts ou
presque intacts les divers segments de la région cervicale. Mais pour un
même segment de la moelle épinière, l'orientation du processus de gliose
obéit à certaines lois de mécanique qui ont été peu étudiées, mais n'en
existent pas moins. En effet la cavité syringomyélitique envahit tout
d'abord la commissure postérieure et se dirige ensuite vers la corne pos-
térieure parce que la résistance mécanique qu'elle rencontre dans la corne
et dans la commissure est peu considérable. En effet la corne postérieure
possède peu de névroglie et surtout la substance gélatineuse qui a une con-
sistance faible s'oppose à peine au processus de gliose. Ainsi ceci nous
explique pourquoi dans un grand nombre de cas de syringomyélie la maladie
débute par la thermoanesthésie et l'analgésie. Le même fait nous explique
pourquoi dans la maladie de Morvan, il y a surtout des troubles trophiques
et un peu de parésie de la main. Ce n'est qu'en seconde ligne que la corne
antérieure est touchée et comme dans la plupart de ces cas la cavité sy-
ringomyélitique se développe suivant son diamètre transversal, ce seront
surtout les cellules de la base de la corne antérieure et celles du groupe
moyen qui seront tout d'abord endommagées tandis que les cellules du
groupe anléro-externe et antéro-interne resteront plus ou moins intactes,
et cela parce que les recherches récentes m'ont montré que les cellules
situées loin du foyer de gliose présentent des 'lésions très manifestes. Une
autre voie d'orientation du processus de gliose, mais beaucoup plus rare,
(1) Hoffmann, loco cit.
(2) Marinesco. Société de biologie in Semaine médicale, 1893, et Scléroses de la moelle.
Roumanie médicale, nos 3 et 5, p. 88 et 139, 1893.
(3) BIIISSAUO. Leçons sur les maladies nerveuses, Paris, 1895, p. 201. :
206 G. MARINESCO
s'établit par l'intermédiaire de septum des cordons postérieurs el alors la
gliose envahit ces cordons et donne naissance à des phénomènes tabé-
tiques. Quelquefois il est difficile de voir si c'est un septum qui sert de
travée d'orientation à l'hyperplasie névroglique; mais quoi qu'il en soit et
c'est la un point essentiel, on peut distinguer facilement les bandes du pro-
cessus de gliose de dégénérescence secondaire. En effet les travées d'orien-
tation de la gliose communiquent avec la cavité syringomyélitique et
d'autre part leur structure histologique est toute différente; il s'agit d'un
41ssu analogue à celui de la gliose péri-épendymaire. Il arrive même qu'il
se forme dans les cordons postérieurs de véritables cavités tapissées d'un
épithélium cylindrique.
Les considérations que nous venons d'exposer sur l'orientation du pro-
cessus de gliose dans la syringomyélie nous rendent compte jusqu'à un
certain point de vue de la répartition de l'atrophie musculaire dans la sy-
ringomyélie. En effet, si nous supposons, par exemple, que les noyaux des
petits muscles de la main, qui pour la plupart sont innervés par le nerf
cubital, sont situés au voisinage du canal épendymaire, nous comprendrons
facilement que le processus de gliose et la cavité syringomyélitique vont 1
atteindre et détruire tout d'abord les muscles innervés par le cubital. Cette
supposition correspond à la réalité des choses elle cas de Corr.... (obs. IV),
en particulier sa main droite, en est la preuve la plus démonstrative. En
effet, l'atrophie musculaire est localisée ici presque exclusivement aux
petits muscles innervés par le cubital. Si la lésion progresse et envahit des
régions sus-jacentes, les muscles de la main innervés par le médian, les
muscles de l'éminence thénar sont pris à leur tour, c'est précisément ce
qui s'observe chez Corr... La main gauche présente de l'atrophie dans le
domaine du cubital et du médian, tandis que l'atrophie de la main droite
est circonscrite plus particulièrement au domaine du cubital. A l'atrophie
de la main succède celle de l'avant-bras, mais ici elle affecte aussi de pré-
férence ceux qui sont innervés par le cubital, comme c'est le cas pour le
cubital antérieur qui est pris à l'avant-hras gauche de Corr... On pour-
rait donc affirmer que l'atrophie musculaire dans la syringomyélie est, seg-
mentaire, c'est-à-dire que certains segments de la moelle épinière qui ap-
portent l'innervation à certains segments des membres sont touchés.
La notion de métamérie qui a été appliquée par Brissaud CI) et Ballel(2)
aux troubles de la sensibilité dans lasyringomyélieestapplicable également
à l'atrophie musculaire dans cette maladie. On sait combien est étroite la
relation entre les neurones sensitifs et les neurones moteurs. Un métamère,
du reste, est l'ensemble d'une série de neurones moteurs et sensitifs qui
(1) Brissaud. Leçons sur les maladies nerveuses. Paris, 1895, p. 22;i.
(2) Gilbert Ballet. Leçons de clinique médicale. Paris, 1897, p. 404.
MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 201
fonctionnent synergiquement, ce qui arrive dans les actes réflexes élémen-
taires. Il ne faut pas, cependant, penser qu'il s'agit, dans la syringomyélie
d'une atrophie segmentaire complète, car, ainsi, que je l'ai dit plus haut,
le processus de gliose laisse relativement intactes certaines cellules de la
corne antérieure.
Des tentatives de localisation médullaire dans la gliosepét,i-épen(ly-
maire, oiit été déjà faites avant nous. Blocq, dans son travail sur la syringo-
myélie, a admis au point de vue des déformations du membre supérieur,
par l'atrophie musculaire, trois types principaux. Voici du reste com-
ment il s'exprime à ce sujet.
Dans l'un, dit Blocq (1), le début se faisait par une atrophie portant
sur les muscles innervés par le nerf cubital, l'autre commence par l'atro-
phie des muscles de la sphère radiale. La première s'accompagne de phé-
nomènes spasmodiques du côté des membres inférieurs, la seconde des
signes tabétiques des mêmes extrémités. Or, dans le renflement cervical,
qui, on l'a vu, est le siège ordinairement primitif de la gliomatose, le
centre de la tlexion des membres supérieurs serait périphérique par
rapport à celui de l'extension. Dès lors, si la zone spinale cubitale est
envahie, la lésion retentira sur les faisceaux blancs les plus proches, c'est-
à-dire sur les cordons latéraux, de même que si, au contraire, la région
spinale radiale est prise, la substance blanche voisine des cordons posté-
rieurs sera sclérosée secondairement. Ainsi pourrait-il exister trois types-
principaux, du moins au début : le premier que nous avons décrit, carac-
térisé par l'envahissement des muscles de la main-griffe Aran-Duchenne,
et des troubles variables des membres inférieurs, quelquefois exagération
des réflexes rotuliens et diminution de l'autre, le second, cubito-spasmo-
dique, caractérisé par l'atrophie des muscles de l'éminence hypothénar,
griffe d'extension, et comportant l'exagération des réflexes rotuliens; le
troisième, radio-tabétique, caractérisé par l'atrophie des muscles de la zone
radiale, griffe de flexion, et s'accompagnant de la diminution ou de la perte
des réflexes patellaires.
M. BRISS1UD à son tour, dans son travail publié dans la Semaine médi-
cale de 1896, n" 17, semble disposé à admettre, dans cette affection, des
paralysies du type radiculaire, seulement son cas était d'un diagnostic
difficile et cet auteur incline volontiers vers la syringomyélie compliquée
de pachyméningite.
J'arrive maintenant à l'étude clinique de l'atrophie musculaire telle
qu'elle résulte d'observa lions personnelles el de la lecture des publications
sur la syringomyélie. On a vu plus haut que la syringomyélie débute souvent
(1) BLOCQ. De la syringomyélie. Gazette des hôpitaux, 1889.
208 G. MARINESCO
dans la région cervicale inférieure et dorsale supérieure. Or, comme dans
sa marche, elle détruit la corne antérieure, il est facile de comprendre
qu'il en résultera une atrophie musculaire localisée principalement aux
petits muscles de la main qui sont représentés dans ce segment du membre.
Ce processus atrophique réalisera ainsi le type Aran-Duchenne. Les atro-
phies de ce type, au cours de la syringomyélie sont trop nombreuses pour
être citées ici. On en trouvera de nombreux exemples dans toutes les mo-
nographies sur ce sujet, notamment dans le travail de Hoffmann, dans la
thèse de l3rühl. -
Cette analyse peut être poussée encore plus loin. En interrogeant atlen-
tivement les malades, je suis arrivé à la conclusion que cette atrophie
peut débuter ◀tantôt▶ par l'éminence hypothénar, éventualité très fréquente,
◀tantôt▶ par l'éminence thénar et plus rarement par les interosseux.
En ce qui concerne les muscles de l'éminence hypothénar, c'est l'abduc-
teur du petit doigt qui semble être atteint en première ligne, d'atrophie
musculaire. En tout cas, et cela est très net chez Corr..., si l'atrophie dé-
bute par l'éminence hypothénar,elle diminue à mesure qu'on se rapproche
des muscles de l'éminence thénar.
Ainsi chez cette dernière, les muscles de l'éminence hypothénar gauche
ne se contractent plus à zéro. La contraction est faible pour les trois der-
niers interosseux, tandis que le premier se contracte déjà à 90°. La même
particularité s'observe à la main droite où l'atrophie musculaire est encore
moins accentuée. Ceci prouve, il mon avis, qu'au niveau de la 1'° dorsale
les muscles de la main sont étages dans un certain ordre, ceux de l'émi-
nence hypothénar occupant un étage sous-jacent celui des muscles de l'é-
minence thénar, tandis que les muscles interosseux ou tout au moins pal-
maires occupent une position intermédiaire.
La plupart des auteurs n'ont pas accordé assez d'importance à la marche
ultérieure de l'atrophie musculaire : tout au moins on ne trouve pas de
détails assez précis dans les observations que j'ai parcourues. Quelques-uns
cependant ont noté que les muscles antérieurs de l'avant-bras sont plus
pris que les muscles postérieurs.
Je crois pouvoir affirmer que dans un bon nombre de cas de syringo-
myélie l'atrophie musculaire se propage des petits muscles de la face pal-
maire de la main à la face antérieure de l'avant-bras, et en première ligne,
c'est le cubital antérieur qui serait pris. Il m'a été difficile d'établir si ce
sont les fléchisseurs superficiels ou les fléchisseurs profonds qui sont enva-
his ensuite.
Il est important de remarquer que l'atrophie peut se cantonner pour
quelque temps aux muscles de la face antérieure et n'envahir que plus
tard ceux de la face postérieure et quand ces derniers sont pris, ils sont
MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 209
relativement beaucoup moins atrophiés que ceux de la face antérieure.
Cette conservation relative des extenseurs qui a sa signification au point
de vue de la topographie des noyaux musculaires dans la moelle a été ob-
servée au plusieurs reprises par Hoffmann et on trouve dînent notée cette
particularité dans les 11% III°, IVO et vue observations'de cetauteur. Dans
quelques cas, comme dans les Iro, Ile et IIP observations de ce travail, le
cubital postérieur, moins atteint par le processus atrophique que le le, et
le 2e radial exerce une action tonique manifeste en vertu de laquelle la
main est en extension sur le poignet et déjetée sur le bord cubital. Quant à
l'altitude dite de la main de prédicateur qu'on rencontre également chez
ces malades, j'en parlerai plus loin. Chez les trois malades dont j'ai exposé
l'observation dans la première partie de ce travail j'ai remarqué une par-
ticularité semblable pour les extenseurs du bras. Tandis que les fléchis-
seurs sont très atrophiés et paralysés, les extenseurs conservent assez bien
leur relief et déploient une certaine force dans les mouvements passifs.
Les muscles de la ceinture scapulo-humérale sont pris en même temps ou
plus lard que ceux de l'avant-bras et du bras, mais suivant un ordre que
je n'ai pas encore pu déterminer. La conclusion qui se dégage de l'exposi-
tion de ces faits, c'est qu'il existe chez les syringomyéliques une atrophie
du type Aran-Duchenne à marche ascendante qui envahit dans un certain
ordre les muscles des trois segments du membre supérieur en laissant in-
tacts pour un certain temps les extenseurs, lesquels seront moins pris. Je
ne prétends pas affirmer par là que dans celte marche ascendante les exten-
seurs se comporteront toujours de la même façon, car il existe des cas et
j'en ai observé moi-même, où l'atrophie musculaire affecte d'une façon très
notable les extenseurs, tandis que les fléchisseurs le sont moins.
En opposition avec cette marche ascendante de l'atrophie musculaire il
existe des cas où celle-ci suit une marche inverse. Elle débute au niveau
de l'épaule et envahit progressivement les segments sous-jacents, bras,
avant-bras et main. Dans cette forme scapulo-humérale les muscles de la
.main conservent pendant un certain temps leurs fonctions. Enfin dans des
as plus rares l'atrophie a une marche diffuse et frappe indistinctement,
ies muscles des membres supérieurs. Dans ces trois formes ascendante,
descendante et diffuse, l'atrophie musculaire tout en étant bilatérale est
.presque toujours asymétrique, les mains elles-mêmes présentant un as-
pect dissemblable.
En appliquant à la clinique les données de l'anatomie pathologique qui
m'ont été fournies par l'étude anatomo-pathologique de cinq cas de syrin-
gomyélie, je crois pouvoir conclure que les noyaux des muscles extenseurs
'sont situés au-dessus des noyaux des muscles fléchisseurs. En effet, dans ce
'que j'appellerai la marche normale de la gliose péri-épendymaire, elle se
x 15
210 G. MARINESCO
dirige de bas en haut et de proche en proche des étages inférieurs vers les
étages supérieurs de la moelle, c'est-à-dire de la région cervico-dorsale
vers la région cervicale supérieure. Les premiers noyaux atteints seront
ceux qui sont situés au niveau du premier segment dorsal et représentent
les muscles des éminences hypothénar et thénar. Un fait qui mérite d'être
relevé,c'est que la gliose péri-épendymaire qui se dirige dans le sens ver-
tical et touche en première ligne les noyaux les plus rapprochés du canal
épendymaire, acquiert une certaine extension dans le sens transversal,
mais laisse plus ou moins intacts les noyaux situés tout à fait en avant et
en dehors de la direction du canal épendymaire. C'est l'intégrité relative
de ces derniers qui nous explique aussi l'intégrité de certains muscles ex-
tenseurs de l'avant-bras et du bras et nous rend particulièrement compte
d'une attitude toute spéciale dont nous allons nous occuper dans un ins-
tant, la main de prédicateur. J'ai dit intégrité relative, parce que les
faits cliniques nous montrent que ces muscles quoique atrophiés conser-
vent une énergie relative et d'autre part, l'histologie fine m'a montré que
les cellules situées loin du foyer de gliose ne restent pas absolument intactes
comme on l'avait admis jusqu'à présent. J'ai constaté, en effet, des lé-
sions des plus nettes dans ces cellules.
II
- Nous avons vu que trois des malades qui figurent dans la première partie
de ce travail présentent la main de prédicateur d'un ou des deux côtés.
Ce ne sont pas du reste là les premiers cas de syringomyélie où cette atti-
tude spéciale de la main a été notée. Elle est indiquée dans une observation
de syringomyélie de Gilles de la Tourette CI). Elle se trouve aussi dans une
autre observation de Charcot, publiée dans la thèse de Briilil (2), observa-
tion dont je transcris les passages principaux. Il s'agit d'une femme âgée de
n8 ans, dont la maladie a débuté en 1879 par une sensation de courbature
et de fatigue générale. En même temps, elle s'est aperçue de l'amaigris-
sement de ses mains. Elle remarqua qu'il existait à leur niveau, surtout
à l'éminence thénar, des secousses assez fortes pour lui faire croire que
c'étaient les battements du pouls. En 1882, elle est entrée à la Salpêtrière
avec une atrophie manifeste des membres supérieurs et une ankylose pro-
gressive des articulations scapulo-humérales. Examinée par Charcot en
- (t) Gilles ni, la Tourette. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, t. II, 1889.
(2) BnunL. Contribution à l'élude de la syringomyélie. Thèse de Paris, 1890. Dans la
thèse de l3non. figure également (p. 130) une observation inédite de P. l3oc ayant
trait à une femme atteinte de syringomyélie, dont les deux mains représentaient un
type de main de prédicateur.
MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 2H
1888, elle présentait l'état suivant : membre supérieur droit, amaigrisse-
ment général des muscles de la main, de l'avant-bras et du bras. Le bras
pend le long du corps, fixé dans cette situation par l'ankylose de l'épaule
et peut-être aussi du pouce. Les seuls mouvements possibles sont l'exten-
sion du médius et de l'index. Le deltoïde est très atrophié. Membre supé-
rieur gauche : même situation que le bras droit. Il y a ankylose de l'arti-
culation scapulo-humérale. L'avant-bras et la main sont en pronation
forcée. Le mouvement d'extension de la main sur l'avant-bras est possible ;
mais les mouvements des doigts pris individuellement sont impossibles.
Le relèvement ordinaire en extension de la main lui donne l'aspect de la
main de prédicateur . On peut la considérer comme un prototype de pré-
dominance d'action du radial. Pas d'atrophie aux membres inférieurs.
Dissociation syringomyélique aux membres supérieurs, à la face antérieure
et postérieure du tronc.
C'est Charcot, comme on le sait, qui pour la première fois a décrit celte *
attitude spéciale : la main de prédicateur. Deux ans après, Joffroy, dans s
un travail remarquable, s'est occupé de la pachyméningile hypertrophique
et il décrit de nouveau cette main. A propos de ce type de main (1) Char-
cot s'exprime de la façon suivante :
Une particularité intéressante de cette paralysie atrophique, c'est qu'elle
porte surtout sur les membres innervés par le.médian elle cubital, tandis
que ceux qui sont soumis à l'innervation du radial sont relativement
épargnés. De la prédominance d'action de ces derniers résulte une défor-
mation spéciale de la main, une griffe radiale que nous désignons sous le
nom de main de prédicateur. A. quoi tient-elle ? les tubes nerveux qui consti-
tuent le radial naissent-ils plus haut ou plus bas que ceux qui se rendent
au cubital et au médian, et sont-ils compris au même degré dans l'allé-
ration ?
Quant à la valeur séméiologique de la main de prédicateur, Charcot avait 1
déjà fait une sage réserve dans ses Leçons publiées en 1880 (Tome II), car
voici ce qu'il dit à la page 231 : « Cette griffe n'est pas l'apanage exclusif
de la pachyméningite cervicale dans laquelle, du reste, elle ne se rencontre
pas d'une manière constante; mais comme elle ne s'observe pas dans les
autres formes d'atrophie musculaire, elle n'en fournit pas moins un élé-
ment intéressant pour le diagnostic et vous savez du'il ce point de vue
rien n'est à négliger. »
Il faut avouer que les neurologistes, excepté M. Brissaud, ont prêté peu
d'attention à la valeur séméiologique et au mécanisme de la main de prédi-
cateur. Comme il s'agit d'une localisation médullaire excessivement inté-
(1) J. M. CIIAIiCOT. OEuvres complètes. Leçons sur les maladies du système nerveux,
1889, p. 147.
212- : - - -' G. MARINESCO -
pressante, qu'il me soit permis d'insister quelque peu sur l'importance de
ces deux derniers caractères. Et tout d'abord, est-ce que cette forme spé-
ciale d'atrophie musculaire que réalise la main en question dépend bien
de la pachyméningite cervicale ou bien serait-olle due une lésion conco-
mitante ? A ce point de vue on n'aura qu'à interroger la méthode anatomo-
clinique. Depuis les premiers travaux de Charcot et Joffroy, on peut dire-
que cette main n'a été presque jamais rencontrée dans les observations de
pachyméningite avec nécropsie. Dans le mémoire de Rosenblalt (1) et
dans le-travail de Wieting (2) il est noté expressément que ce type de main
faisait défaut. D'autre part, M. Brissaud, un adepte fervent de l'existence
du type nosologique créé par Charcot el Joffroy, n'a pas rencontré non plus
la main de prédicateur. Il me souvient même d'avoir pratiqué à la Sal-
pétriëre avec mon ami, M. Paul Londe, la nécropsie d'un malade qui avait
présenté pendant sa vie des atrophies musculaires avec troubles de la
sensibilité ; le diagnostic n'a pas été posé et nous avons trouvé une pachy-
méningite très nette avec cavités dans les cornes postérieure et antérieure,
sans qu'on ait observé la main de prédicateur.
On voit donc que les faits cliniques et l'anatomie pathologique ne sont pas
très favorables à la pachyméningite en tant que lésion méningitique qui
produirait la griffe dont nous venons de parler. Si la pachyméningite pou-
vait réaliser cette griffe spéciale par l'intermédiaire de la compression des.
racines antérieures on devait naturellement s'attendre à la rencontrer un
peu plus fréquemment que dans les cas déjà connus. Aussi se croit-on obligé
d'admettre que l'atrophie musculaire qui a produit le geste de prédicateur
relève de la lésion de la corne antérieure concomitante ou succédant à la
pach) méningite. A l'appui de cette manière de voir, je pourrais invoquer
plusieurs arguments. J'ai vu, dans le service de M. Marie à Bicêtre, un
malade que Vulpian avait considéré comme atteint de pachyméningite à
cause de l'existence de la main de prédicateur. Le malade présentait entre
autres signes la dissociation de la sensibilité. La nécropsie montra qu'il
s'agissait bien d'une syringomyélie indépendante de toute lésion de pachy-
méningite. Une autre autopsie publiée par Blocq, dans la thèse de Brülhl,
a montré à cet auteur la présence de cavités typiques de syringomyélie
chez une femme qui, pendant la vie, avait présenté le type de la main de
prédicateur. Même dans l'observation première de Charcot et Joffroy, il
existait « des canaux de néoformations creusés dans la substance grise ».
L'enseignement qui nous semble découler de cette courte exposition,
c'est que la main de prédicateur peut : 'la se présenter dans des cas de pa-
chyméningite compliqués de cavités dans la substance grise; 2° que cetle
(1) Deutsch. Arch. f. Klin. Med., 1893, Bd 51, p. 210.
(2) Ziegler's Beitraege La. path. An., 1893, XIII.
MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 213
déformation spéciale peut exister en dehors de toute pachyméningite,ainsi
que l'autopsie l'a démontré; 3° elle peut exister chez des malades atteints
de syringomyélie qui présentent le complexus symptomatique de la syrin-
gomyélie sans symptômes de réaction douloureuse dus à la pachyménin-
gite. Aussi est-on porté à admettre que le geste de prédicateur est une com-
plication qui appartient en propre à la syringomyélie qui réalise les con-
ditions d'atrophie musculaire capable de produire la main de prédicateur.
Actuellement, tout au moins, nous ne connaissons pas d'affection qui
puisse déterminer une atrophie complète dans le domaine des nerfs mé-
dian et cubital en laissant presque intacts certains muscles innervés par le
radial. Quels sont ces muscles ? Naturellement il s'agit là des extenseurs du
poignet, c'est-à-dire le cubital postérieur et les radiaux. Or,' chez la plupart
de mes malades, le muscle qui agit particulièrement dans ces circonstan-
ces, c'est le cubital postérieur qui est moins touché que les radiaux, ce
qui nous explique que la main est non seulement en extension sur le poi-
gnet, mais aussi en abduction si on la regarde par sa face dorsale. Un autre
muscle qui conserve pendant longtemps sa fonction, c'est l'extenseur du
petit doigt. Aussi voit-on, chez ces malades, le petit doigt en extension sur
la main, relevé et fortement écarté de l'axe de celle-ci.
En somme, il résulte des observations précédentes que l'atrophie mus-
culaire présente, au moins dans quelques cas de syringomyélie, un cachet
spécial qui permet jusqu'à un certain point de distinguer cette atrophie de
celle due à d'autres altérations du système nerveux. En effet, il s'agit
d'une atrophie musculaire segmentaire, tout au moins quand elle dé-
bute par les extrémités des memhres supérieurs. Toutefois, il faut s'en-
tendre sur le mot segmentaire, car je n'entends pas par là qu'un seg-
ment de membre soit pris dans sa totalité à l'exclusion des autres segments
du membre supérieur, car, dans ce cas, le mot d'atrophie segmentaire serait
incorrect : je veux simplement dire que l'atrophie est prédominante dans
le segment de la main, tandis que l'avant-bras est beaucoup moins touché :
ce quiestarrivépour Corr... Celte atrophie,limitée aux muscles delà main, on
la rencontre quelquefois dans la maladie de Morvan. Il va encore une autre
raison qui me fait admettre qu'on pourrait appeler l'atrophie musculaire
dans ces cas de syringomyélie, atrophie segmentaire,c'est que la gliose mé-
dullaire débutant habituellement au niveau de la région cervicale inférieure
ou au nivcau de la lre dorsale, envahit la moelle dans un certain nombre
de cas, segment par segment et détermine à son tour des atrophies muscu-
laires localisées et en rapport avec la topographie des cavités syringomyé-
liques.
En étudiant la marche progressivement envahissante de l'atrophie'mus-
culaire surtout dans les cas de syringomyélie au. début, .je crois pouvoir
214 G. MARINESCO
construire le schéma suivant, qui diffère de ceux de Thorburn et de Starr,
par le fait que la localisation des petits muscles de la main est plus pré-
cise.
MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 215
ne présentent pas la même situation relative et divers segments de la moelle,
mais ils subissent un mouvement en vertu duquel ils abandonnent leur
position primitive et un autre noyau vient prendre leur place ?
CONCLUSIONS
Après ce que je viens d'exposer, je me crois autorisé à tirer les conclu-
sions suivantes :
. 1. - Il existe dans quelques cas de syringomyélie, au début de l'affec-
tion comme dans les stades tardifs, des troubles trophiques cutanés et
vaso-moteurs qui associés à l'atrophie .ran-Ducllenne qu'on rencontre
chez les malades, donnent à la main un aspect et une forme toute spéciale,
ce qui permet de la désigner sous le nom de main succulente.
IL - Les troubles trophiques cutanés qui sont permanents, consistent
dans la tuméfaction de la face dorsale de la main, tuméfaction ayant pro-
bablement pour substratum anatomique une hyperplasie des éléments du
tissu conjonctif sous-cutané. La peau elle-même ne paraît pas épaissie.
Elle est lisse, luisante et unie. A ces troubles cutanés permanents s'ajou-
tent des troubles vaso-moteurs variables qui dépendent surtout de la tem-
pérature du milieu ambiant.
III. La main succulente a une valeur séméiologique analogue à celle
des autres types (main type Morvan) chiromégalique, etc.) que l'on rencon-
tre dans la syringomyélie. Elle permet, dans la plupart des cas, de diagnos-
tiquer la gliose péri-épendymaire. -
IV. Dans la production du type de la main succulente, la lésion des
trois neurones médullaires entre en jeu. Le neurone moteur situé à la par-
tie antérieure, le neurone vaso-moteur siégeant dans la partie moyenne de
la substance grise, le neurone sensitif indirect siégeant surtout dans la
corne postérieure.
V. C'est de l'intégrité anatomique de ces trois neurones que résulte
la conservation normale des tissus qui composent la main. Leur associa-
tion fonctionnelle et anatomique constitue un métamère.
VI. L'affection des neurones moteurs donne naissance à l'atrophie
musculaire. Or comme dans la syringomyélie, la lésion débute au niveau
de la 8e racine cervicale et de la 1° dorsale et se dirige vers les régions
supérieures, il s'ensuit que cette atrophie musculaire présente une topo-
graphie commandée par la marche de la gliose. Celte marche de la lésion
nous permet de résoudre quelques problèmes de localisation médullaire.
VII. Le type le plus fréquent d'atrophie musculaire qu'on rencon-
tre dans la syringomyélie, tout au moins au début, c'est le lype Aran-
D uchenne.
21G G -' ' - - - G. MARINESCO ' " - .. - ..
..VIII. ' Pour,'un segment donné du membre supérieur, les muscles
les plus petits sont représentés par les étages les plus inférieurs de la région
cervico-dorale et les' muscles fléchisseurs sont sous-jacents aux muscles
extenseurs.
IX. Il en résulte que les muscles fléchisseurs subiront la première
atteinte et même seront plus atrophiés que les extenseurs. La conservation
relative dès extenseurs du poignet donne à la main une attitude spéciale
à laquelle Charcot a donné le nom de main de prédicateur, Cette griffe se
rencontre presque exclusivement dans la s ringomyélie qui offre les condi-
tions les plus favorables à sa production.
X. Les centres des muscles extenseurs du poignet ont leur siège
principal dans le groupe antéro-exlerne de la corne antérieure.
XI. Il existe chez beaucoup de syringomyéli tiques un relâchement et
une distension des articulations de la main, constatables non seulement
par les attitudes vicieuses et les mouvements anormaux qu'on peut impri-
mer aux doigts, mais aussi par la radiographie.
Le gérant : P. Bouchez
Imp. G. Saint-Aubin et Thevenot. J. Thevenot, successeur, St-Dizier (Haute-Marne).
Nouv. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
r.v : / ? ' '^r : i ff * * * '/ ? I,V ? -/V ? *'/ . 1'^ ! ^ ?
V ? 1- {"¥ 'S ? ï '* ' '" * " î "J'~*- "j ? ? # J V ? " 'J ."
'1 ? ,¿uliogmpbie A. LOllde. 'Pholocoll. 'Bei thaiid.
RADIOGRAPHIES NÉGATIVES DES EXTRÉMITÉS INFÉRIEURES DE DEUX FÉMURS.
Maladie de Paget. Squelette normal.
N. n. Cette planche correspond au renvoi (PI. XXII, radiographies négatives) du mémoire de MM. Léopold Lé\i et A. Londe dans le précèdent fascicule, page 200.
10° Année N 4 Juillet-Août 1897
CLINIQUE MEDICALE DE L'HOPITAL SAINT-ÉLOI DE 110NTPELLIE1.
TIC DU COLPORTEUR
(SPASME polygonal POST-PROFESSIONNEL)
PAR
Le Pr GRASSET
Leçons cliniques recueillies et publiées (1)
PAR LE
D' VEDEL, chef de clinique.
Messieurs,
Au n° 32 de notre salle Fouquet est un malade de 40 ans que notre ex-
cellent confrère le docteur Hermantier, de Gagnères, nous a envoyé le
15 mars 1897 et qui paraît bien curieux et bizarre dès le premier exa-
men.
Quand il se promène dans le jardin de l'hôpital vous pouvez le voir avec
un bâton entre les dents, tenant son doigt sur une des extrémités de ce
bàlon et maintenant ainsi sa tète. Ou bien encore quand il s'approche de
vous à la visite il maintient sa tôle, un doigt dans son bonnet, ainsi que
le représente la première de ces photographies qu'a bien voulu nous faire
un de nos élèves, M. Gairaud (PI. XXVI, A).
Souvent sa ligure exprime un certain effort. On voil qu'il est obligé de
maintenir artificiellement sa tète dans la position recliligne.
Sans cela, dès qu'il l'abandonne elle s'en va ers l'épaule gauche, se
rapproche de cette épaule qui se soulève ; en môme temps le bras gauche
s'applique fortement contre le tronc (PI. XXVI, 13) ; enfin le bras droit
est fortement rejeté en arrière (PI. XXVI, C). Le malade se trouve ainsi
dans la posture, assez bizarre, d'un homme qui fait effort pour soutenir
et soulever un fardeau un peu lourd qui serait posé sur l'épaule gauche.
C'est là un spasme du cou, à forme spéciale, dont l'analyse clinique est
déjà intéressante et dont l'observation prise avec soin par M. Jacques, élève
du service, vous a élé lue ces jours derniers.
(1) Leçons faites en avril 1891.
x 16
218 GRASSET
Nous aurons à l'étudier d'abord dans sa sgmptomatologie. Nous verrons
en quoi il diffère du type banal, de l'hyperkinésie du spinal de Jaccoud,
de la plupart des spasmes fonctionnels du cou de Féré. Nous aurons à étu-
dier ses rapports avec le tic et la maladie des tics de Gilles de la Tourette,
avee.le paramyoclonus de Friedreich et. les myoclonies, avec les' diverses
chorées...
En second lieu, et ce sera'au moins aussi intéressant, nous devrons l'é-
tudier au point de vue de sa. physiologie pathologique. Nous verrons en quoi
il se rapproche du torticolis mental dé Brissaud et peut-éti'e serons-nous
amenés à discuter certains points de la théorie ingénieuse de cet auteur et
à proposer plutôt le nom de ,spasme polygonal .
Enfin, restera le côté' étiologique qui méritera aussi de nous arrêter et
permettra.de faire de notre cas un type de spasme professionnel ou plutôt
post-professionnel encore peu, sinon, pas décrit : le tic du colporteur.
Analysons d'abord le sujet et tâchons de le classer au point de vue symp-
tomatique.
Prenant le, malade en crise (Pl. XXVI, et C) nous le voyons tout d'a-
bord atteint de torticolis : « inclinaison du cou et de la tête sur le tronc, '
disent les classiques (1)), presque toujours accompagnée de rotation de la
tête ? - : .
- On peut -diviser (2) les torticolis en quatre catégories : 4) torticolis ré-
sultant de la présence de tumeurs diverses du cou ; 2) torticolis par lésion
des articulations de la colonne vertébrale; 3) torticolis par cicatrice vicieu-
se^ 4) torticolis par contraction musculaire passagère ou permanente.
Point n'est besoin de discussion pour établir que notre malade appar-
tient à la quatrième catégorie : c'est un torticolis spasmodique.
C'est ce que Jaccoud (3) décrit sous le nom de tic convulsif ou rotatoire
du cou et de la tête, ou d'hyperkinésie de l'accessoire de Willis. Il en dé-
crit deux formes : une forme tonique plus fréquente, et une forme clonique
plus rare à laquelle paraît appartenir notre cas, du moins à première vue.
A une analyse plus serrée, on voit qu'on ne peut pas en faire une « hy-
perkinésie du spinal o. z - . ,
\ Le nerf de la XI° paire (spinal du accessoire de Willis) innerve par sa
branche externe le sternomastoïdien et le trapèze. Que produira l'l3yperki=
nésie de ce nerf ? Pour vous en rendre compte vous'n'avez qu'à vous rap-
, ? . ' L
I (I) Deciummie, Matiiias DUVAL et Leur : noom.eT. Diçt. usuel des scienc. nxéd. Paris,
1885, p. 1C32.
Il) 13oar.na. Du torticolis mental. Thèse de Paris, 189'f, n° 2.'il, p. 10.
(3) Jaccoud. Traité de Pathologie interne, 71 édit., t. I, 1883, p. 817.
TIC DU COLPORTEUR
(Spasme polygonal post-professionnel).
TIC DU COLPORTEUR ' 219
peler notre ancien malade, dont je vous présente la photographie (1), et
dont mon interne d'alors, le Dr Guihert. a publié (2) l'observation. Le ster-
nomastoïdien et le trapèze du même côté se contractent simultanément, et
alors la tète s'incline de ce côté (trapèze) mais regarde de l'autre (sterno-
mastoïdien). C'est à ce type qu'apparliennent la plupart des cas publiés
par les auteurs, notamment par Gauliez (3) clans sa thèse de 1884 sur les
spasmes du cou et par Féré (4) dans son travail de 1883 sur la crampe
fonctionnelle du cou ou dans son mémoire (5) plus important de 1894 sur
les spasmes fonctionnels du cou.
Une différence capitale sépare complètement notre cas de ceux-là.
Chez ces malades la tête s'incline d'un côté et regarde de l'autre. Au
contraire,, chez notre malade actuel, la tête est inclinée sur l'épaule gau-
che et regarde à gauche c'est-à-dire du même côté. Donc, chez lui, le tra-
pèze gauche se contracte, puisque la tête s'incline sur l'épaule gauche,
mais c'est le stemo1nastoïdien droit (et non le gauche) qui se contracte,
puisque la tète regarde à gauche. Et, de fait, pendant les crises, on sent
très nettement gonflés, durs, contracturés sous le doigt le trapèze gauche
et le sternomastoïdien droit.
On ne peut appeler cela une hyperkinésie de l'accessoire de Willis;
car il faudrait admettre une hyperkinésie d'une branche du spinal gauche
et d'une autre branche du spinal droit.
Il se passe là quelque chose d'analogue à ce que vous voyez dans la dé-
viation conjuguée de la tête et des yeux. Quand ce symptôme est d'ordre
c911nvulsif ou spasmodique, vous ne pouvez pas l'appeler une hyperkinésie
de l'oculo-moteur externe ni une hyperkinésie de l'oculo-moteur commun.
C'est un spasme synergique, associé, d'une partie d'un nerf d'un côté et
d'une autre partie de l'autre. '
Chez notre malade le spasme est du reste tout à fait complexe à ce point
de vue, puisque, à son maximum, le bras gauche se colle en même temps
contre le tronc, et le bras droit est projeté en arrière.
Donc, on ne peut le définir symptomatiquement qu'en le décrivant
ainsi : Convulsion clonique du trapèze et du grand pectoral à gauche, du
sternomastoïdien et du grand dorsal ci droite.
Cette combinaison bizarre ne parait pas avoir frappé les auteurs; je
1
(1) Planche XXIX du 2e vol. de la 4" édit. de notre Traité des maladies du syst. ner-
veux (en collaboration avec R.uru : n).
(2) Guwrnr. Crampe fonctionnelle du cou. Revue de médecine, 1892, t. XII, n° 4,
p. 317.
(3) Gauliez. Cont,'ib. à l'élude des spasmes du cou. Thèse de Paris, 1884, n° 95.
(4) Feue. Crampe fonctionnelle du cou. Rev. de méd., 9953, t. III, p. 7G9.
(5) FÉIIÉ, Contrib. à la pathol. des spasmes fonctionnels du cott. Itev. de Illéd., 1894,
t. XIV, p. 755. ,
220 GRASSET
n'en ai pas trouvé de description à part. On décrit la convulsion du sterno-
mastoïdien et du trapèze d'un côté, des sternomasloïdiens ou des trapèzes
des deux côtés, d'un seul sternomastoïdien ou d'un seul trapèze; mais on
ne décrit pas en général cette convulsion croisée ou alterne du sterno-
mastoïdien d'un côté et du trapèze de l'autre, je dis : alterne, par analogie
avec la paralysie de Gubler qui frappe le facial d'un côté et les membres
de l'autre.
On a cependant observé, mais sans y insister, des cas de convulsion
conjuguée du sternomastoïdien d'un côté et du trapèze de l'autre. J'en ai
trouvé notamment un exemple dans la VIF observation de Gauliez prise
dans le service de Charcot (1) : spasme tonique du sternomastoïdien droit
et du trapèze gauche.
Cela dit sur les caractères symptomatiques de ce spasme clonique, quels
rapports a-t-il avec les chorées, les myoclonies et les tics ? ' !
Au début de cet exposé et pour le rendre moins obscur, une remarqua
préliminaire est indispensable. Chacun de ces noms : chorée, myoclonie,
tic, a été donné à la fois à un symptôme, commun il bien des maladies,
et à une maladie spéciale du système nerveux. Ainsi il y a les chorées-
symptômes et la chorée de Sydenham, les myoclonies et le paramyoclo-
nus multiple de Friedreich, les tics et la maladie des tics de Gilles de la
Tourette.
Cette observation indispensable faite, il est assez facile d'établir que
notre sujet n'appartient il aucune des trois maladies que je viens de nom-
mer : il n'est atteint ni de chorée de Sydenham, ni de paramyoclonus
multiple, ni de maladie des tics.
D'abord il n'a pas une chorée de Sydenham.
La névrose de Sydenham est caractérisée par des mouvements incoor-
donnés, irréguliers, au repos, se produisant dans diverses parties du
corps. Notre malade ne présente rien de ce tableau bien stigmatisé clans
la phrase souvent citée de Ziemssen (2) : « la spontanéité du passage des
contractions d'un groupe musculaire il un autre, l'inépuisable activité des
muscles, la rapidité avec laquelle certaines convulsions apparaissent et
disparaissent, la lenteur et la gaucherie des mouvements volontaires, les
contrastes que présente le facies, grimaçant par instants, inerte et comme
hébété dans l'intervalle des spasmes, tout, en un mot, forme un tableau
caractéristique qu'il n'est guère possible de méconnaître ».
(1) Gautiez. Loc. cil., p. 37, obs. VU.
(2) Citation de Raymond, article Danse de Saint-Guy in Dict. eneyel. des se. mie-
die.
TIC DU COLPORTEUR 221
Rien de ce tableau caractéristique n'existe chez notre malade, qui ne
présente à aucun degré des gesticulations illogiques, contradictoires et
bizarres.
Il y a bien une chorée rythmée qui se rapprocherait un peu plus de
notre cas. Mais d'abord la chorée rythmée n'est pas la chorée de Syden-
ham et appartient plutôt aux chorées symptômes dont nous reparlerons.
Ensuite, il y a dans la chorée rythmée une succession régulière et fré-
quente du même mouvement que nous ne retrouvons pas ici. -
A-t-il un paramyoclonus multiplex' !
Je vous ai déjà parlé de cette maladie à diverses reprises (1). Je vous ai
cité notamment cete phrase de Homen (2) qui résume bien la caractéristi-
que de cette maladie décrite par Friedreich (3) en 1881 : « secousses sin-
gulières, souvent symétriques, ordinairement non rythmiques, dans des
muscles déterminés symétriquement des deux côtés, souvent très distants
les uns des autres et qui ne sont pas toujours innervés par le même nerf,
par conséquent tout à fait indépendants par la situation et l'innervation.
Ces secousses, qui s'étendent sur toute la masse du muscle, sont quelquefois
isolées, quelquefois agglomérées, avec des intervalles irréguliers ; elles
se produisent ◀tantôt▶ dans un seul muscle, ◀tantôt▶ dans plusieurs à la fois
ou alternativement... »
Ajoutez avec Raymond (4) que la fréquence de ces secousses varie de
10 à 50 par minute, que quelquefois leur succession est tellement rapide
qu'il en résulte une sorte de tétanisation du muscle agité, que leur rythme
n'a rien de régulier et qu'elles ne produisent qu'exceptionnellement le
déplacement d'un segment de membre, comme un léger mouvement de
l'avant-bras, un léger mouvement de supination du pouce... et vous ver-
rez que ce tableau ne s'applique en rien à notre malade.
Il s'appliquerait plutôt à la femme qui est au n° 23 de la salle Espé-
ronnier dont M. Cauvy, élève du service, a récemment donné l'observation
et dont nous reparlerons pent-être quelque jour, ou à la femme du n° 15
de la même salle qui, avant-hier pendant qu'on l'interrogeait, présentait
de curieuses secousses ayant quelque rapport avec les myoclonies, niais
notre malade n'a rieli de cela : il n'est pas atteint de para-myoclonus mul-
tiplex.
(1) Leçons de Cliaiq, méd,ic., 1 série, 1891, p. 138 et 471. Voir aussi la 40 édition du
Traité prat. desmalad. du syst. nerv. (en collaborat. avec Rauzier), t. II,, p. 563.
(2) Homen. Archives de neurologie, 1887, t. XIII, p. 200.
(3) FIUEDREICII. Arch. f. pathol. Anat. u. Physiol. u. klin. Med., t. LXXXVI, p. 421,
citât. Raymond).
(4) RAYMOND. Des myoclonies in Clin, des mal. du syst. nerv., Paris, 1896, p. 556.
222 GRASSET
A-t-il cette maladie bizarre que Gilles de la Tourelle (1) en 1885 et
Guinon (2) en 1886 ont décrite dans le service de Charcot sous le nom do
maladie des tics ou de névrose tiqueuse ?
Nous en avons étudié ensemble un cas (3) il y a quelques années; il
différait profondément de notre malade actuel.
Nous verrons que la convulsion de noire malade actuel peut être appelée
un tic; mais il ne suffit pas d'avoir un tic pour être atteint de « maladie
des tics ». -
Le mémoire de Gilles de la Tourelle est intitulé : Étude sur une affection
nerveuse caractérisée par de l'incoordination motrice accompagnée d'écholalie
et de coprolalie. C'est dire que la maladie nécessite pour être caractérisée
la présence d'autre chose que d'un simple tic. Comme le dit Raymond (4),
cette maladie est caractérisée dans sa forme bénigne par des tics propre-
ment dits (grimaces de la face, mouvements brusques et involontaires des
membres), « tandis que, dans la forme grave, ces mouvements involon-
taires s'accompagnent des phénomènes connus sous les noms d'écholalie,
d'échokinésie, de coprolalie ou de troubles psychiques qui consistent le
plus souvent dans des idées fixes ».
Or, notre malade non seulement ne présente aucun de ces symptômes
essentiels de la forme grave, mais il ne présente pas même la superposition
ou la succession de divers tics nécessaire à caractériser la forme bénigne
de la névrose tiqueuse.
Donc, notre homme n'est atteint ni de chorée de Sydenham, ni depara-
myoclonus multiplex, ni de maladie des tics.
Cela ne veut pas dire qu'il ne présente pas le symptôme chorée, le symp-
tôme myoclonie ou le symptôme tic. D'après la distinction établie plus
haut, il faut bien distinguer, pour chacun de ces trois mots, le sens
symptomatologique et le sensnosologique. Un sujet peut très bien présen-
ter un des trois symptômes sans avoir la maladie correspondante. On peut 1
présenter des mouvements choréiques sans avoir la chorée de Sydenham,
des myoclonies sans avoir le para-myoclonus multiplex, des tics sans avoir
la maladie des tics.
Donc, il n'est pas oiseux de se poser maintenant la question de savoir
si, au point de vue de l'analyse symptomatique, le mouvement anormal
(1) Gilles DE la TOURETTE. Arch. de neurol., nos 25 et 26.
(2) Guinon. Revue de méd., 1886 et art. du Dict. encycl. des sc. médic., 1887.
(3) Un cas de maladie des tics et un cas de tremblement singulier de la tête et des
membres gauches, in Leç. de clin, médic., Ire série, 1S91, p. 466. Voir aussi notre
Traité, t. II, p. 584.
(4) Raymond. Leçon citée sur les myoclonies, p. 559.
- TIC DU COLPORTEUR 223
présenté par notre sujet est de la famille des chorées, des myoclonies ou
des tics.
Si vous adoptez le classement que je propose habituellement des contrac-
tions anormales et involontaires, c'est d'abord clans le groupe des chorées
que se placera le mouvement pathologique de notre sujet.
Ce classement (1) est résumé dans le tableau suivant :
224 GRASSET
il n'est pas caractéristique ou du moins il n'est caractéristique qu'à con-
dition de donner au mot myoclonie un sens tellement étendu et général
qu'il se confond avec le mot chorée et devient inutile. En effet, non seu-
lement les myoclonies, mais les tics, les chorées d'adultes sont aussi des
symptômes de dégénérescence. Les rapports avec la disposition névropa-
thique générale, héréditaire ou acquise, sont trop fréquents dans toutes
les branches de la neuropalhologie pour pouvoir faire la caractéristique
d'une quelconque de ses parlies.-
Les seuls caractères symptomatiques que l'on puisse assigner aux myo-
clonies sont ceux que nous avons indiqués pour le paramyoclonusmulti-
plex, notamment celui-ci sur lequel insiste Raymond : les secousses couvul-
sives agitent la masse entière du muscle sans aboutir à un effet locomoteur,
et ceux-ci que signalent plutôt Lemoine et Lemaire (1) : 1° l'instantanéité
des spasmes ; 2° leur incoordination absolue et leur ressemblance avec
des secousses électriques ; 3° l'influence exercée sur eux par la position du
malade (maximum de mouvements quand le malade est couché).-
Notre malade ne présente aucun de ces caractères. De plus, les myoclo-
nies n'affectent aucune apparence de coordination, ils sont quelconques
et ne simulent pas des mouvements volontaires.
Donc, la convulsion de notre malade est bien de la grande famille des
chorées; mais elle n'appartient pas ci la subdivision des myoclonies.
Elle appartient plutôt à la branche des tics qui est bien distincte de la
branche des myoclonies et forme une autre subdivision spéciale des cho-
rées. 1
Guinon (2) définit le tic : « un mouvement convulsif, habituel et cons-
cient, résultant de la contraction involontaire d'un ou de plusieurs mus-
cles du corps, et reproduisant le plus souvent, mais d'une façon intempes-
tive, quelque geste réflexe ou automatique de la vie ordinaire. »
C'était l'enseignement de Charcot (3) que Brissaud (4) rappelle et dé-
veloppe clans le passage suivant : « ce qui caractérise les mouvements .des
tics, c'est que, malgré leur complexité et leur bizarrerie, ils ne sont pas
toujours, comme on le croit trop souvent, déréglés, incoordonnés, contra-
dictoires au premier chef. Ils sont en général, au contraire, systématisés,
en ce sens qu'ils reparaissent toujours les mêmes chez le même sujet; et,
de plus (ceci est de Charcot), fort souvent du moins, en les exagérant ce-
(1) Lejioine et Lemaire. Revue de médecine, 1889-90.
(2) Guinon. Art. cité du Dict. encycl., p. 555.
(3) CUAIICOT. Leçons du mardi, 1888-89, p. 14.
(4) Brissaud. Tics et spasmes cloniques de la langue, in Leçons sur les malad. nerv.,
Paris, 1895, p. 503.
TIC DU COLPORTEUR 225
pendant, ils reproduisent certains actes automatiques, d'ordrephysiologi-
que appliqués à un but. Parmi les tiqueurs, les uns semblent vouloir ex-
pulser par une brusque expiration nasale un corps étranger engagé dans
le nez ; les autres, par un mouvement d'occlusion rapide des paupières,
semblent vouloir protéger leurs yeux contre la pénétration d'un corps
étranger ; un autre encore se gratte comme pour combattre la sensation
d'une démangeaison intense, etc., etc. »
L'histoire suivante, rappelée par Brissaud (1) fixera ces caractères du
tic dans votre mémoire.
« Vous savez qu'en 1717 vint à Paris un marin russe célèbre dont Saint-
Simon nous a laissé un très intéressant portrait; j'en extrais ces lignes :
ce regard majestueux et gracieux quand il y prenait garde, sinon sévère
et farouche, avec un tic qui ne revenait pas souvent, mais qui lui démon-
tait les yeux et toute la physionomie et qui donnait de la frayeur. Cela
durait un moment avec un regard égaré et terrible et se remettait aussi-
tôt. Ce marin, reprend Brissaud, était Pierre le Grand dont Frédéric de
Prusse disait qu'il était un des deux hommes les plus singuliers de son
siècle. »
Le mouvement anormal de notre malade présente tous ces caractères de
systématisation et de coordination : il associe toujours les mêmes contrac-
tions musculaires, et ce sont des contractions musculaires que physiologi-
quement on associe dans certaines circonstances « en les exagérant cepen-
dant », comme dit Charcot.
Donc, sans être atteint ni de chorée de Sydenham, ni de maladie des
tics, notre homme présente cette variété de mouvements choréiques que l'on
appelle un tic.
Cette première conclusion est purement symptomatique. Il faut chercher
à serrer le sujet de plus près en étudiant maintenant et en discutant la
physiologie pathologique de ce symptôme.
On peut dire que jusqu'à Charcot et Brissaud, il n'y a pas eu grand
chose de fait sur cette physiologie pathologique des spasmes du cou.
La thèse de Gauliez établit bien la question à ses débuts,enl884. L'au-
teur réunit dix-huit observations, de valeurs du reste diverses ; mais il est
à peu près muet sur la question de physiologie pathologique, sur le siège
de l'altération.
« Doit-on, dit-il, regarder le spasme fonctionnel des muscles du cou
comme une affection périphérique limitée aux muscles atteints, ou comme
l'expression d'une lésion portant sur un point des centres nerveux ? En
(1) Brissaud. Loc. cit., p. 512.
226 GRASSET
d'autres termes, la maladie est-elle périphérique ou centrale ? Malgré les
nombreuses discussions auxquelles a donné lieu la palhogénie de la crampe
des écrivains (dont il rapproche ces spasmes fonctionnels dn cou), la ques-
tion est encore bien obscure. » Il rappelle que Poore a défendu la doc-
trine périphérique, tandis que Duclienne de Boulogne penche pour l'hy-
pothèse qui fait dépendre ces troubles fonctionnels d'un élal morbide
quelconque d'un point des centres nerveux. Et Gauliez conclut simple-
ment : « celte interprétation (théorie centrale de Duchenne) s'accorde
d'ailleurs avec les recherches contemporaines qui tendent à établir que
chacun des mouvements associés a pour origine un centre dans les masses
encéphaliques. »
Dans son premier mémoire (le seul antérieur à Brissaud), Féré n'en dit
pas plus. Aussi Brissaud, après avoir passé en revue les diverses opinions
des classiques, depuis Romberg (1851) jusqu'à Erb, Rosenthal et Gowers,
peut-il dire : « Vous le voyez, la question ne perd pas de son obscurité à
celte revue des opinions classiques. » Et c'est avec raison qu'il commen-
çait ainsi sa leçon sur les tics et les spasmes cloniques de la face : « je
vous entretiendrai aujourd'hui d'un sujet sur lequel nos pathologies sont
presque muettes. »
Donc, comme je vous le disais tout à l'heure, il n'y avait pas eu grand
chose de fait sur la physiologie pathologique des spasmes du cou avant la
leçon de Brissaud qui parut le 25 janvier 1894 dans le Journal de méde-
cine et de chirurgie pratiques, et la thèse de Bompaire qui, le 9 mai de la
même année, développe il son tour les idées de Brissaud.
Voyons comment Brissaud expose et déduit ses idées avant de les dis-
cuter et de les appliquer à notre malade.
Brissaud accentue bien la différence, que nous avons faite après lui,
entre le spasme clonique simple et le tic. Dans le spasme simple, il y a
uniquement un réflexe. Dans le tic « an lieu d'un centre réflexe muscu-
culaire, on voit agir un centre fonctionnel ».
Nous retrouvons bien à notre cas les caractères du tic nerveux « c'est-à-
dire un ensemble d'actes musculaires qui relèvent de l'excitation de cen-
tres connexes, mais bien indépendants les uns par rapport aux autres,
n'agissant que par une forme de synergie spéciale et dans un but fonc-
tionnel ». Nous connaissons bien ces cenlres physiologiques et leurs allé-
rations dans ces syndromes qui conslituenl l'aphasie, l'astasie-abasie, la
crampe des écrivains...
Jusque-là rien déplus inattaquable. Mais rapidement Brissaud conclut
que : « le spasme est un phénomène simple, exclusivement et par
conséquent d'origine spinale, tandis que le tic est un acte automatique,
coordonné et par conséquent d'origine corticale. »
' TIC DU COLPORTEUR 221
Ici, je demande à faire des réserves. Tout acte automatique coordonné
n'est pas nécessairement d'origine corticale. La déviation conjuguée de la
tête et des yeux, que je vous ai déjà rapprochée du spasme actuel, peut
être d'origine corticale, mais elle peut être aussi d'origine bulbaire. II y a
incontestablement des actes bulbaires coordonnés et automatiques.
Il y a même des actes spinaux qui sont coordonnés et automatiques.
On peut marcher avec sa moelle ou tout au moins avec ses centres bulbo-
médullaires, la corticalité étant distraite, c'est-à-dire occupée à toute
autre espèce de clioses. Quand le canard récemment décapité fait encore
le tour de la cour, il accomplit des actes parfaitement coordonnés et auto-
matiques, dans la production desquels la substance corticale ne peutplus
intervenir.
Donc, notez-le bien : je ne dis pas que le tic de notre malade ne soit
pas cortical, mais je dis qu'on ne peut pas conclure à son origine corticale
par ce seul fait que c'est un acte automatique et coordonné.
Brissaud continue dans un passage important : « rien ne peut empêcher
le spasme, acte réflexe. Peut-on arrêter le bol alimentaire à son entrée
dans le pharynx ? Non, ou du moins c'est au prix de tels efforts, qu'on
bouleverse tout le fonctionnement de la déglutition. Dans le tic au
contraire, acte cérébral cortical, la volonté intervient ou peut intervenir.
Il y a un état de conscience ou de subconscience tel, que le sujet, averti,
peut se maîtriser. L'inhibition est donc possible, et c'est parce que le phé-
nomène est cortical, que les troubles qui le constituent sont fonctionnels.
Or, il n'y a guère de tiqueurs qui ne puissent, par instants, s'empêcher
de tiquer, pourvu que leur volonté soit momentanément assez puissante.
Ici, l'état mental a toujours une large participation. »
Ici encore, des réserves me semblent nécessaires. Il y a bien des réflexes
vrais bulbo-médullaires, sur lesquels la volonté a une action inhibitrice
ou dynamisante, et qui cependant ne sont pas des actes corticaux; il en
est ainsi de la marche des réflexes défensifs... L'inhibition est possible
parce que les voies centrifuges transmettent les ordres de la volonté : c'est
ce qui arrive dans les actes de la miction et de la défécation. En dehors de
la vie physiologique courante, celte intervention possible de la conscience
et de la volonté sera 'mise en évidence, notamment dans l'hypnotisme : en
agissant sur l'écorce, on peut purger, faire uriner, provoquer des règles...
Donc, le fait que la conscience est, dans certains cas, prévenue des tics
(du reste les déplacements matériels suffisaient pour cela), et que la vo-
lonté peut exercer sur eux une action inhibitrice, ne prouve nullement la
nature corticale et mentale du tic.
Brissaud cite ensuite ce remarquable passage de Charcot : « Le tic est
une maladie psychique ; il y a des tics de la pensée qui se traduisent par
228 GRASSET
des tics du corps. La pensée d'un fait, selon Herbert Spencer et Bain,
c'est déjà ce fait qui s'accomplit. Lorsque nous pensons au mouvement de
l'extension de la main, nous esquissons déjà ce mouvement, et si l'idée
est trop forte, nous l'exécutons. »
Ce n'est certes pas nous, méridionaux, qui contesterons cette proposi-
tion. Vous savez que dans le midi on réussit toujours la petite expérience
suivante : demandez dans un salon à dix personnes successivement, ce que
c'est qu'une crécelle ou quelque chose de compact, toutes vous répondront
en faisant le geste expressif de quelque chose qui tourne ou de quelque
chose de tassé. Donc, sous notre latitude, plus que partout ailleurs, on
peut dire que la pensée d'un fait, c'est déjà ce fait qui s'accomplit ; la
pensée et le geste sont à peu près inséparables. Mais cela ne prouve pas
que tous les tics sont psychiques et mentaux par ce seul fait qu'ils sont
coordonné» et que la volonté les gouverne dans une certaine mesure.
Il y a des tics psychiques vraiment mentaux, c'est-à-dire des cas dans
lesquels la volonté faible d'un aboulique ne peut pas empêcher une pensée
plus ou moins saugrenue de se manifester par un acte. Je vous ai souvent
cité plusieurs exemples (1) de cet ordre, notamment ce passage de Malot
qui fixera bien la chose dans votre mémoire :
Le héros du roman, Victorien, attend son tour dans l'antichambre d'un
médecin aliéniste renommé, le Dr Soubyranne.
« A midi et demi, Victorien, le bras en écharpe, entrait dans le salon
de Soubyranne. Il s'y trouvait, arrivés avant lui, deux pingouins, comme
disent les médecins en parlant des clients qui, dans des poses ennuyées,
attendaient le moment d'être reçus, et il prenait place à côté d'eux,
n'ayant pour toute distraction que de les examiner comme eux-mêmes de
leur côté l'examinaient, discrètement des yeux, mais avec toutes sortes de
curiosités et d'interrogations muettes.
« Est-il fou, celui-là, ou raisonnable ? Qu'a-t-il de détraqué ?
« Au moins était-ce ainsi que Victorien traduisait leurs regards.
« Au bout d'un certain temps, celui qui l'examinait avec l'attention la
plus manifeste, personnage grave, correctement habillé, de tournure
distinguée, l'air d'un diplomate ou d'un magistral, quitta son fauteuil et
vint à lui avec toutes les marques d'une extrême politesse à laquelle se
mêlait un certain embarras.
« Pardonnez-moi, monsieur, de vous adresser une question, sans avoir
l'honneur d'être connu de vous.
« Victorien le regarda interloqué.
« Combien avez-vous au juste de boutons à votre gilet ? Ma foi,
(1) Un cas de maladie des lies et un cas de tremblement singulier de la tête et des
membres gauches, in Leç. de clin. rnéd., 1re série. 1891, p. 466 et 483.
TIC DU COLPORTEUR 229
monsieur, je n'en sais rien du tout. Permettez-moi de les compter, je
vous prie. Volontiers. Un, deux, trois .... huit; vous en avez huit.
Je vous remercie. - C'est moi, monsieur, qui vous adresse tous mes
remerciements; je ne pouvais arriver faire mon compte, votre écharpe
me gênait ; c'était cruellement douloureux ; quand le besoin de compter
me prend, il faut que je compte. Je vous suis fort obligé. C'est moi,
monsieur, qui suis heureux d'avoir pu vous être agréable ».
Evidemment ces tiqueurs-la sont des abouliques, des cérébraux, des
psychiques ; leur tic a bien son point de départ dans l'écorce. Mais, je le
répète une fois de plus, cela ne prouve nullement que tous les tics sont
' mentaux pour cette seule raison qu'ils sont coordonnés et que la volonté
les inhibe. La nécessité même, reconnue par tous les' cliniciens, de distin-
guer les tics psychiques des autres prouve qu'ils ne le sont pas tous.
Quelle est donc l'idée générale que l'on peut se faire des tics au point
de vue de la physiologie pathologique ?
Le tic est un acte complexe ou associé (c'est ce qui le différencie du
réflexe pur). Mais il y a plusieurs grands groupes de centres où s'élabo-
rent les actes complexes, associés, et notamment : l'axe bulbomédullaire
et ce que nous avons appelé le polygone cérébral.
L'axe bulbomédullaire sert de centre non seulement aux réflexes sim-
ples (mouvements simples succédant à une impression centripète simple),
mais aussi à de vrais mouvements associés : telles, la déviation conjuguée
de la tète et des yeux, la marche chez le canard décapité, etc.
On conçoit dont un premier groupe de tics non mentaux c'est-à-dire de
tics reproduisant des mouvements associés d'origine bulbomédullaire. Mais
ce groupe s'étendra beaucoup plus si l'on tient compte de notre polygone
formé par les divers centres de l'automatisme psychologique (1).
Les actes qui ont leur centre dans le polygone, dont je rappelle à vos
yeux le schéma, sont beaucoup plus compliqués que les actes réflexes sim-
ples, et même que les actes associés d'origine bulbomédullaire : c'est par
exemple la parole, l'écriture...
Ce sont des actes ayant toutes les apparences de la spontanéité, tradui-
sant un certain degré d'intellectualité et de mémoire, mais distincts des
actes supérieurs, qui ont leur centre en 0 : les actes polygonaux ne sont ni
libres, ni conscients.
En 0 est le siège du moi personnel, conscient, libre et responsable. De
là partent les actes qui ont tous ces caractères : parole volontaire, écri-
(1) Leçons de clinique médit, 3e série, 1er rase., 1896. Des diverses variétés cliniques
de l'aphasie, p. 5 et De l'automatisme psychologique (psychisme inférieur ; polygone
cortical), p. 3S.
230 GRASSET
ture volontaire, marche volontaire, etc., en un mot toute la vie libre.
Au-dessous, est le polygone des centres automatiques. D'un côté sont les
centres sensoriels de réception (audition, vision, sensibilité générale) ; de
l'autre, les centres moteurs de transmission (parole, écriture, divers mou-
vements du corps).
Ces divers centres sont reliés entre eux, au centre 0, et à la périphérie.
Par ces communications du polygone avec O,on peut agir volontairement,
modifier volontairement les actes automatiques, avoir conscience de ces
actes automatiques.
Dans certains cas au contraire, il y a une sorte de dissociation entre 0
et le pohgone ; alors l'activité propre de ce polygone éclate. Les exemples
ne manquent pas : cette activité propre du polygone se voit dans le som-
meil (on rêve avec son polygone), dans la distraction (quand Xavier de
Maistre, sorti pour aller à la Cour, se trouve à la porte de Mme de IIaut-
castel, il y est allé avec son polygone, 0 s'étant oublié à s'occuper de toute
autre chose que de la direction de ses jambes). D'autre part, la parole est
souvent automatique.
Dans les états intermédiaires entre l'état physiologique et l'étal patho-
logique, cette activité polygonale propre et indépendante, peut éclater
d'une manière remarquable : cauchemars, baguette divinatoire, tables
tournantes et parlantes, cumberlandisme, écriture des médiums. '
Enfin, il y a une pathologie vraie du polygone : aphasies, agraphies,
somnambulisme, automatisme ambulatoire, catalepsie, certains symptô-
mes hystériques, hypnotisme et état de suggestibilité.
Je vous rappelle simplement tout cela, que nous avons étudié en détail
l'an dernier.
Ce qui caractérise cette activité polygonale (physiologique et pathologi-
que) c'est d'être psychique c'est-à-dire compliquée, coordonnée, intelli-
gente, et de n'être pas libre et consciente, de n'être pas mentale : toute la
mentalité est en 0.
Psychisme n'est donc plus synonyme de mental : le mental ou psychisme
supérieur « son centre en 0, C automatisme ou psychisme inférieur a son
centre dans le polygone.
C'est en me basant sur cette distinction, que je me refuse à classer dé-
finitivement dans les maladies mentales les maladies comme l'hystérie
dont beaucoup de manifestations élevées sont purement polygonales :
l'hystérie devient mentale dans certains cas ; elle ne l'est pas dans certai-
nes manifestations psychiques inférieures, qui sont purement polygonales.
Cela dit, vous pouvez concevoir une seconde catégorie de tics, corres-
pondant ces mouvements associés polygonaux : ce sont les tics polygonaux.
TIC DU COLPORTEUR . 231
Ces tics sont associés, coordonnés, psychiques..., ils ont tous les carac-
tères du torticolis mental de Brissaud ; mais ils ne sont pas mentaux. Ils
appartiennent au psychisme inférieur, polygonal, automatique, et non au
psychisme supérieur libre et conscient qui est en 0.
Donc, en définitive, on peut admettre trois espèces de tics : le tic bulbo-
médullaire, le tic polygonal, le tic psychique proprement dit.
Les caractères différentiels en sont faciles à établir : le tic psychique est
celui qui dépend directement et étroitement d'une idée actuelle, qui ré-
side enO, dans l'intellectualité vraie et supérieure ; - le tic bulhomédul-
laire (à l'autre bout de l'échelle), n'a aucun des caractères du psychisme ;
entre les deux, le tic polygonal a les caractères du psychisme, mais du
psychisme inférieur, automatique.
Appliquons ces données à notre cas particulier et tâchons de classer le
tic de notre homme.
Ce n'est pas un simple tic bulbomédullaire, car il présente tous les
caractères que Brissaud décrit au tic mental, c'est-à-dire qu'il a des carac-
tères de psychisme.
Brissaud a finement analysé ces caractères que nous trouvons chez notre
sujet. Ainsi il a nettement montré chez ses malades combien l'influence de
leur volonté était remarquable à certains moments pour modifier ces tics.
Nous avons bien mis la chose en évidence chez notre malade.
Quand cet homme veut supprimer son tic, il y arrive dans beaucoup de
cas : directement, en produisant un mouvement inverse, ou bien en rete-
nant sa tête avec un doigt placé dans son bonnet (photo 1 et 2) ou derrière
le bâton qu'il met dans sa bouche. Et dans ces cas il déploie très peu de
force.
Quand au contraire l'un de nous a voulu s'opposer par force à son mou-
veinent pathologique, il a fallu déployer une grande force.
Nous avons réussi même à mettre la chose encore plus en évidence, et
à la mesurer en quelque sorte avec cette sorte de dynamomètre à traction
que constitue une romaine illégale dont on se sert dans les ménages. Ce
dynamomètre à traction a été placé entre le doigt qui s'oppose au mou-
vement et le bonnet placé sur la tète du malade. Quand c'est le malade
qui lutte lui-même volontairement contre son tic, il n'a à déployer qu'une
force représentée par un demi-kilo. Quand au contraire l'un de nous s'est
opposé de la même manière, il a fallu une force représentée par sept à.
huit kilos sur le même dynamomètre.
Volontairement, notre homme maintient sa tète avec une force de un
demi-kilo pendant deux minutes et demie. Sans sa volonté, le crochet étant
232 . GRASSET
fixé au mur, il doit développer cinq kilos pendant la première minute,
puis sept kilos pendant la première moitié de la deuxième minute, et enfin
neuf kilos pendant fin de cette deuxième minute qu'il ne peut même pas
achever, tant il est fatigué.
L'intervention de la volonté du sujet est représentée là par la différence
notée de sept à huit kilogrammes sur le dynamomètre.
Donc, notre homme a bien un tic que Brissaud qualifierait de mental.
Je préfère l'appeler polygonal : je n'y vois pas l'intervention prouvée de
l'intellectualité supérieure, de l'idée présente. Il peut y avoir une idée
suhconsciente, une habitude; nous lâcherons de l'établir. Mais ces idées
subconscientes, ces habitudes ont plutôt leur siège dans le polygone patho-
logiquement séparé du centre 0, lequel centre 0, reprend par moments
son autorité et produit alors les expériences relatées ci-dessus.
Si le point de départ du tic était dans la défaillance de la volonté de 0,
si 0 était malade, et si c'était là l'origine du tic, il ne suffirait pas d'atti-
rer l'attention du malade et de lui dire de vouloir retenir sa tête pour qu'il
puisse le faire ; il ne lui suffirait pas de mettre son doigt dans son bonnet;
il ne lui suffirait pas de cette force insignifiante de un demi-kilo pour
réussir. Il devrait déployer au moins autant de force que nous et encore
n'arriverait-il pas, si 0 était réellement malade.
Le sujet atteint de vrai tic psychique ne peut pas, par le seul effort de
la volonté, s'y soustraire, parce que sa volonté est vraiment malade.
Je ne souscris donc pas à cette phrase de Brissaud : « ici, sans aucun
doute, l'état morbide n'est pas dans les muscles ni dans les nerfs, il est
dans l'esprit même ». Oui, il n'est ni dans les muscles ni dans les nerfs,
mais il n'est pas non plus, pour cela, dans l'esprit môme.
L'esprit de notre sujet, 0, n'est pas malade, puisqu'il lui suffit de vou-
loir pour reprendre ses droits; l'esprit est seulement distrait. Les commu-
nications entre 0 et le polygone sont affaiblies. Certaines parties du poly-
gone sont hyperexcitées : c'est là le point de départ du tic.
Avec notre distinction du tic polygonal et du tic mental nous évitons
les objections comme celles que de Quervain (I), assistant du professeur
Kocher, a faites au torticolis mental : « Jamais, dit-il, elà aucun moment
de sa maladie, un seul de nos patients n'a présenté de symptômes d'alié-
nation mentale. » Brissaud (2) répond justement. « personne n'a sou-
tenu, à notre connaissance, que le torticolis mental appartint en propre il
(1) DF Qtjt;nvA)x. Le traitement chirurgical du torticolis spasmodique d'après la mé-
thode de Kocher in Sem. méd., 1896, p. 405. ,
(2) Bwssntt. Contre le traitement chirurgical du torticolis mental in Rev. neurol.,
f 897, p. 34.
TIC DU COLPORTEUR 233
la folie. » C'est très vrai. Mais on comprend qu'on ait pu faire la confusion
avec ce mot mental qui est le même pour caractériser ce torticolis et l'a-
liénation. ·
Ceux qui ont un tic vraiment mental ne sont certes pas des aliénés, mais
ils ont un peu de diminution, au moins momentanée de la volonté, du
psychisme supérieur, de 0 ; ils ont quelque chose de mental. Nos polygo-
naux n'ont que du polygonal et n'ont rien de mental.
Donc, le tic de notre malade n'est ni bulbo-médullaire ni mental ; il est
polygonal, tout en présentant les caractères du tic mental de Brissaud. Dès
lors, dans le tic mental de Brissaud, il faut établir une subclirisionet mettre
d'oat côté le tic polygonal et de l'autre le tic psychique supérieur.
Ne voyez pas dans cette dictinction une simple querelle de mots. Il y a
une idée derrière, idée qui se rattache à une querelle plus générale et
assez importante.
C'est la question du rôle de l'idée, du processus mental vrai dans la
pathogénie des accidents névrosiques. Je crois que ce rôle a été parfois
exagéré dans cette grande école de la Salpêtrière, de laquelle tous les
neurologistes français de ce temps sont fiers de procéder, et avec laquelle
on ne peut jamais avoir à discuter que des points de détail.
J'ai d'abord rencontré cette théorie dans l'histoire de l'hystérie trauma-
tique : j'ai cru devoir combattre (1) le rôle constant et exagéré que l'on
veut faire jouer au processus mental vrai dans la production de l'hystéro-
traumatisme et n'ai pas pu accepter la théorie que Berbez résumait dans
ces mots : « Le traumatisme a peu d'importance ; l'idée erronée à laquelle
il donne naissance est tout », théorie qui de l'hystérie traumatique a été
peu à peu étendue à l'hystérie toxique et à l'hystérie infectieuse (2), c'est-
à-dire en somme à toute l'étiologie de l'hystérie.
Puis après celte théorie étiologique de )'hystérie,j'ai rencontré la théorie
complète qui veut faire de l'hystérie une « maladie mentale », un « état
maladif de l'esprit » ; j'ai également essayé de la combattre (3) et avec
Rauzier nous avons tâché d'établir que l'hystérie ne devient mentale que
quand elle se complique, que dans la grande majorité des cas s'il y a des
phénomènes psychiques, ce sont des phénomènes de psychisme inférieur,
que l'hystérie est souvent une maladie polygonale, non mentale.
Vous voyez aujourd'hui comment nous retrouvons encore la même que-
relle à propos du tic de notre sujet. Brissaud veut en faire un tic mental,
(1) Leçons de cliniq. médit, 1" série, 1891 : l'hystéJ'o-tl'a/l1nalisme, p. 101 ; deux cas
d'hystérie provoquée par une maladie aiguë (fièvre typhoïde et grippe), p. 436.
(2) Leçons de cliniq. médit, 2° série, 1896 : Etiologie infectieuse de l'hystérie, p. 563.
(3) Leçons de cliniq. »tédic., 3 série, terfaseic, 1896 : L'automatisme psychologique,
p. 137. x 17
234 GRASSET
une maladie de l'esprit. J'essaie de montrer que c'est bien un phénomène
psychique, mais de psychisme inférieur, que c'est un tic non mental, mais
polygonal.
Ceci dit pour excuser les développements que j'ai donnés à cette ques-
tion,en apparence peu importante, en réalité assez grosse de conséquences.
Vous voyez qu'en tous cas ce n'est pas une question qui se présente pour
la première fois à nos discussions et que nos idées sur ce point ont, à dé-
faut d'autre qualité, le mérite d'une certaine suite et d'une certaine unité.
Après avoir analysé symptomatiquement le cas de notre malade, essayé
d'en préciser la physiologie pathologique, il nous reste à en rechercher
l'étiologie qui en complétera la caractéristique.
Brissaud. rappelle, à propos de ses malades, que Ehrlich a, avec raison,
appelé le tic une « chorée de l'habitude » et que les Allemands l'appellent
aussi d'un mot « pas mal choisi » une maladie de l'habitude (Gewolm-
heitskrankheit). '
Comment notre homme a-t-il pu prendre l'habitude de faire le mouve-
ment bizarre que vous lui avez vu faire et que représentent les photogra-
phies ?
Nous avons passé un certain temps sans trouver, nous en rapportant à la
profession portée sur le billet de l'hôpital et déclarée par lui à tous nos in-
terrogatoires : mineur. Rien ne justifiait ce tic dans les divers mouvements
du mineur dans la mine et encore moins dans le travail hors la mine que
notre malade faisait surtout, en roulant des wagonnets. Mais en prenant
soigneusement son observation M. Jacques apprit qu'il ne faisait ce tra-
vail que depuis peu de temps quand le spasme avait commencé, tandis
que pendant neuf ans (de 30 à 39 ans) il a été colporteur, faisant en
moyenne un trajet de dix kilomètres par jour avec une charge habituelle
de cinquante kilos sur l'épaule gauche. Il ne cessa ce métier pour devenir
manouvrier aux mines que deux ou trois mois avant l'apparition du tic.
Ceci nous a tout de suite paru un renseignement important.
Vous savez en effet qu'un mouvement répété, une fonction longtemps
remplie, une profession, entraînent souvent des spasmes de cette fonction
même.
La crampe des écrivains est le prototype de ce spasme fonctionnel et
Duchenne (1) a étudié avec soin ce groupe sous le nom de « spasme et
impotence musculaire fonctionnels ».
Les troubles pathologiques sont variés, mais ils sont souvent des spas-
mes et ils ont pour caractères communs de se manifester seulement pen-
dant l'exercice de certains mouvements volontaires ou instinctifs, et de se
(1) Chapitre XVII de son Électrisation localisée.
TIC DU COLPORTEUR 235
localiser dans quelques-uns des muscles entrant alors synergiquement en
action (Duchenne).
Après la crampe des écrivains, on en a décrit une série d'autres types :
dans le chapitre que nous avons consacré à cette question dans notre Traité
avec Rauzier, vous trouverez une longue énumération de ces spasmes chez
les tailleurs, maîtres d'armes, ferblantiers, tourneurs, fleuristes, télégra-
phistes, jusqu'aux laitières et aux équarrisseurs.
C'est là aujourd'hui un gros chapitre bien établi, bien connu. Notre cas
rentre-t-il dans ce groupe ? Evidemment non.
Le caractère capital de ce spasme fonctionnel est de ne se produire qu'à
l'occasion de cette fonction : l'écrivain ne l'a que quand il écrit, la dan-
seuse quand elle danse, le télégraphiste quand il manoeuvre le morse....
Or, rien de semblable chez notre sujet. Il n'a nullement son spasme il
l'occasion de l'exercice d'une fonction. Son spasme aurait été fonctionnel
ou professionnel s'il s'était développé autrefois, quand il exerçait sa pro-
fession de colporteur, et s'il ne s'était produit que quand il voulait char
ger son balTot sur l'épaule. Il n'en est rien. Ce n'est pas un spasme pro-
fessionnel.
Le mot de spasme fonctionnel employé par plusieurs auteurs, Féré
entre autres, pour désigner ces spasmes du cou n'est donc pas bon : il faut
le réserver pour les spasmes se produisant à l'occasion d'une fonction. Or,
ici le mouvement est spontané : c'est un tic.
C'est là à mon sens la différence entre le spasme fonctionnel et le tic :
le premier ne se produit qu'à l'occasion de l'exercice d'une fonction ; le
deuxième se produit sans cause occasionnelle, spontanément.
Cette distinction une fois faite, il y a cependant quelque chose à retenir
du rapprochement entre le tic et le spasme fonctionnel.
L'exercice répété de la fonction, de la profession n'est pas indifférent à
la forme du tic. rc 1
Il est en effet curieux que notre homme réalise précisément dans son
tic le mouvement qu'il devait faire pour soulever et porter son ballot sur
l'épaule gauche.
Ceci n'est pas fortuit : ce colporteur réalise son tic sous une forme dif-
férente de celle que réaliserait une danseuse ou un ferblantier.
Ce tic est ainsi dans un certain sens fonctionnel, en ce qu'il rappelle,
anormalement et sans cause, une fonction longtemps exercée : il est post-
professionnel.
Il faudrait donc, si on voulait conserver au mot spasme fonctionnel son
sens général de spasme troublant ou réalisant une fonction, en admettre
deux variétés : les spasmes professionnels se développant à l'occasion de la
fonction et en troublant l'exercice (crampe des écrivains par exemple) et
236. GRASSET
les spasmes post-professionnels se développant en dehors de l'exercice de la
fonction et la reproduisant à contre-temps.
C'est dans ce second groupe que se .classera hotre sujet et c'est pour
cela que nous avons intitulé cette leçon : tic du colporteur, spasme poly-
gonal post-professionnel. 1
Que fait la fonction physiologique professionnelle dans la pathogénie de
ces spasmes ? elle crée l'habitude que nous avons vue être derrière les tics.
L'habitude professionnelle, bonne et physiologique d'abord, devient une
mauvaise habitude, une habitude pathologique, qui se réalise par la
fonction à contre-temps.
En serrant les choses de plus près, on voit même qu'alors il y a non
seulement une différence, mais il certains points de vue opposition entre ..
les deux espèces de spasmes fonctionnels.
Dans la variété intraprofessionnelle, la fonction normale du polygone
est troublée, ne s'exécute plus normalement (c'est le cas de -l'écrivain, du
pianiste...). Dans la variété professionnelle, il y a crise spontanée d'hy-
perkinésie de ce même centre polygonal.
Supposons un spasme intraprofessionnel chez un colporteur : celui-ci ne
fera rien de ce que fait notre sujet ; il ne pourra pas au contraire réaliser
ce mouvement complexe, quand il voudra le faire, pour soulever son far-
deau, tandis que notre homme qui présente un spasme post-professionnel,
fait à tout bout de champ sans motif et à contre-coeur ce même mouvement
de colporteur.
Donc, dans le spasme intraprofessionnel on NE peut plus faire le moule-
ment professionnel voulu; dans le spasme post-professionnel on fait trop le
même mouvement professionnel non voulu.
Vous voyez que notre cas particulier peut être l'objet d'observations
assez générales et nous permet de classer tous ces spasmes fonctionnels
dont la notion est un peu obscure dans les classiques.
D'après cela, vous voyez qu'ici la profession antérieure de colporteur
ne sert à expliquer que la forme du tic. Il faut la collaboration d'autres
causes pour sa production.
Déjà pour le spasme intraprofessionnel, le rôle étiologique de la pro-
fession quoique très considérable n'est pas exclusif; il y aurait il tenir
compte du rôle de l'arthritisme, de l'état nénopathique... dans la pro-
duction de la crampe des écrivains, des télégraphistes, pianistes, etc.
A plus forte raison, cette collaboration de causes autres sera-t-elle né-
cessaire pour produire un spasme post-proféssionnel. Si l'exercice même
de la profession, la fatigue en résultant, etc., avaient été la cause exclusive
ou seulement principale du tic de notre homme, il se serait développé au
TIC DU COLPORTEUR 237
moment même où il remplissait encore cette fonction et où la fatigue était
au maximum, et non deux ou trois mois après, comme cela a eu lieu.
Donc, la profession n'explique que la forme du tic; il faut qu'il y ait
d'autres causes.
Que sont-elles dans le cas particulier ?
Nous n'avons rien à noter dans l'hérédité : le père est mort de pleurésie
la mère est morte de suites de couches.
Personnellement, s'il n'a pas eu la syphilis et s'il n'accuse que la diph-
térie à l'âge de trois ans comme seule maladie infectieuse, il avoue l'al-
coolisme et des excès nombreux de 17 à 25 ans : voilà une prédisposition
de terrain. '
Puis il n'abandonne son métier de colporteur que parce qu'il n'y gagne
plus rien et devient alors manouvrier aux mines après avoir exercé un
métier indépendant durant près de dix ans : voilà des préoccupations mo-
rales.
Bientôt il éprouve comme un bourdonnement dans l'oreille gauche
« comme une mouche qui entre dans l'oreille » ; l'ouïe fut diminuée. Puis
ces phénomènes disparaissent et le spasme apparaît.
Il me semble que tout cela se tient et constitue maintenant un diagnos-
tic satisfaisant et une histoire complète.
Des causes de dépression du système nerveux (alcoolisme, excès, préoccu-
pations morales) entraînent un état névrotique. A ce moment, son polygone
est tout imprégné du souvenir inconscient de sa vie de colporteur qu'il a
abandonnée à regret, à laquelle il pense inconsciemment. Cette idée polygo-
nale passe dans l'acte, il fait automatiquement le geste compliqué de soulever
son ballot sur l'épaule gauche. L'habitude pathologique se constitue. Il a un
tic polygonal : le tic du colporteur.
Dans son mémoire déjà cité, de Quervain cite des faits à pathogénie
analogue : la cause de la forme du torticolis spasmodique semble bien être
un acte répété, une habitude, comme dans notre cas.
Ainsi un de ses malades fut « atteint du tic après l'apparition d'un fu-
roncle à la nuque. Nous avons tout lieu d'admettre que cette affection
douloureuse obligeait notre patient à tourner la tête pour diminuer la ten-
sion et atténuer les douleurs. Le centre cortical de la rotation de la tête fut
donc mis en action pendant un certain temps et à un degré plus accusé
qu'à l'état normal. Cet accident qui, chez un individu sain, n'aurait eu
aucune conséquence fâcheuse, n'a pas manqué de produire chez notre ma-
lade, névropathe avéré, une irritation anormale et persistante du centre
de rotation de la tète et cette irritation s'est manifestée dans la suite sous
la forme d'un tic rotatoire ».
238 GRASSET
De Quervain rapproche de ce cas celui de Francis dans lequel « la posi-
tion de la tête pendant le jeu du trombone donna lieu à un tic rotatoire ».
Nous pouvons y joindre le cas de « tic de l'horloger » que Toby Colin (1)
vient d'observer à la policlinique du professeur Mendel.
Notre cas n'est donc pas isolé. Son intérêt principal est de vous montrer
qu'il y a trois espèces de tic : le tic bulbomédullaire (spasme réflexe), le tic
psychique (ou mental vrai) et le tic polygonal (faux tic mental). Beaucoup
de cas étudiés par Brissaud sous le nom de torticolis mental me paraissent t
rentrer dans ce dernier groupe de tics polygonaux.
Tout en soulignant devant vous la finesse d'observation qui caractérise
toujours les travaux de Brissaud, j'ai eu, dans cette leçon, le déplaisir de
me séparer de lui sur certaines interprétations. En terminant, par quel-
ques mots sur le traitement, je vais avoir au contraire la satisfaction de
penser entièrement comme lui et d'adhérer entièrement à ses propositions
thérapeutiques. C'est à propos du traitement chirurgical de ces malades
qui a été très étudié dans ces derniers temps.
De Quervain a résumé la question au point de vue chirurgical dans un
travail récent de la Semaine médicale.
Il étudie d'abord le torticolis spasmodique au point de vue symptoma-
tique. Notons dans ce paragraphe la constatation d'association de muscles
des deux côtés : ainsi le sternomastoïdien d'un côté avec les cervicaux du
côté opposé.
Il combat, à cause de cela, la théorie de l'origine musculaire par atro-
phie de certains muscles, adopte la théorie nerveuse, mais rejette la théo-
rie nerveuse périphérique de Jaccoud.
Dans la théorie centrale qu'il adopte, il élimine la théorie bulbomédul-
laire et arrive à l'écorce.
Là, il rencontre la théorie du torticolis mental de Brissaud, la combat.
Notons certains arguments qui ressemblent bien aux nôtres : « n'existe-t-il
pas, dit-il, de nombreux troubles fonctionnels de l'écorce cérébrale qui ne
peuvent être rangés danslaclasse des maladies mentales ? » Il écarte donc le
mot mental, mais fait du torticolis spasmodique « un trouble des fonc-
tions du centre cortical de la rotation de la tête ».
C'est une idée bien analogue à la nôtre : ce centre cortical de la rota-
tion qui n'est pas un centre mental est notre centre polygonal.
Abordant ensuite la question du traitement, de Quervain montre que
le traitement médical échoue trop souvent, passe alors en revue les divers
(1) Tony Coiin. Facialis tic des l3eschifligunsgneurose (Ulermacher tic), in Neurol.
centralbl., 1897, p. 21.
TIC DU COLPORTEUR 239
traitements chirurgicaux : section, résection, élongation du spinal ; myo-
tomie, résection des premiers nerfs rachidiens, etc., tous procédés qui ne
sont pas sans inconvénient et dont l'insuccès est fréquent.
Il préconise alors le procédé. de Kocher des myotomies multiples (sec-
tion du sterno-cléido-mastoïdien, puis des muscles cervicaux) et cite
sept cas guéris, trois améliorés et deux non améliorés.
Le côté le plus curieux du travail est celui de la théorie de cette inter-
vention iliérapetitipue. L'auteur n'oublie pas sa théorie centrale et corti-
cale du torticolis et alors il admet que ces myotomies exercent une action
sur le cerveau. « Nous ne saurions mieux exprimer notre pensée, dit-il,
qu'en disant qu'il s'agit là d'une sorte de suggestion puissante du centre
cortical de la rotation. »
Cette théorie ne me paraît pas fort encourageante. Je reconnais la sug-
gestion puissante, mais je l'aimerais mieux moins sanglante. J'aimerais
autant arriver d'emblée aux procédés médicaux qui constituent du reste
pour de Quervain le traitement post-opératoire nécessaire.
« Il est, dit-il, de la plus grande importance que le malade commence,
dès la guérison de la plaie, à se livrer à des exercices gymnastiques" com-
prenant tous les mouvements de l'extrémité céphalique. Cette gymnastique
surveillée d'abord par le médecin, doit être continuée d'une manière ré-
gulière et journalière pendant de longs mois. Il est de nos malades qui la
pratiquent des années encore après l'intervention, et une opérée nous écrit
qu'elle éprouve des sensations douloureuses dans la nuque dès qu'elle né-
glige ces exercices. »
J'aimerais autant, je le répète, faire cette gymnastique médicale et ra-
tionnelle avant qu'après l'opération. C'est l'avis de Brissaud qui l'a déve-
loppée dans l'article cité de la Revue neurologique.
« Le seul procédé efficace, dit-il, est celui que le chirurgien recom-
mande après l'opération et que nous recommandons avant. Ici, patience
et longueur de temps font plus que force interventions ni rage opératoire. »
En somme quel est le traitement ?
C'est la rééducation. Il faut réapprendre à la volonté du sujet, à son
0, à reprendre la direction de son polygone. Pour cela il faut beaucoup
de patience de la part de l'éducateur, et la collaboration active de l'éduqué.
Cette méthode est à rapprocher de celle de Frenkel pour le tabès.
Enfin on aura recours comme adjuvants à l'électrothérapie (bien appli-
quée), au massage, aux tonique^ généraux, à l'hydrothérapie.
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX (1>
PAR
E, BRISSAUD
Professeur agrégé
Médecin de l'hôpital Saint-Antoine. ,
Messieurs, '
La question de l'Infantilisme en général est parmi celles dont on s'oc-
cupe avec le plus d'intérêt depuis quelque temps, non pas qu'elle soit
nouvelle, mais parce que ses relations étiologiques avec le myxoedème lui
fournissent un gros regain d'actualité. Lorsqu'il fut question pour la pre-
mière fois d'infantilisme dans quelques publications éparses dont la pre-
mière remonte à une trentaine d'années, le myxoedème qui existait de
fait, n'existait pas encore de nom et le point de vue le plus curieux de
leur commune histoire devait forcément passer inaperçu. C'est qu'en effet
l'infantilisme se présente à nous sous des aspects très variés, assez mal dé-
finis et le plus souvent mal décrits.
Le problème est actuellement beaucoup moins simple qu'au premier
jour. Le myxoedème joue un rôle pathogénique de premier ordre dans un
certain nombre de cas d'infantilisme, mais non pas dans tous. Par consé-
quent si vous vouliez vous faire une idée de l'infantilisme d'après ce qu'en
ont ditLasègue et Lorain, qui ne connaissaient rien du myxoedème, vous
ne pourriez certainement pas vous en tenir là. Les faits d'observation
clinique eux-mêmes qui dominent les doctrines et leur survivent vous
paraîtraient, à la lecture de ces auteurs, former un groupe par trop com-
préhensif et par trop arbitrairement circonscrit. Mon intention est de
vous faire voir que tous les cas d'infantilisme ne répondent pas à un type
uniforme et immuable. Les adultes ont bien des manières de rester en-
fants : ceux-ci par certains côtés et ceux-là par d'autres. Cela dépend de
mille circonstances. On peut cependant rester enfant totalement, corps et
(1) Leçon clinique faite à l'Hôpital Saint-Antoine.
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 241
âme, absolument et pour toujours. Tel est le cas de l'idiotie myxoedéma-
teuse si parfaitement décrite par Bourneville. Or il s'agit ici d'une chose
toute spéciale,celle-là remarquablement limitée.C'est l'infantilisme idéal et,
c'est précisément celui que Lasègue et Lorain avaient le moins soupçonné.
En quoi donc consistait l'infantilisme tel que l'avait conçu Lasègue ?
En un état caractérisé par la persistance de certains caractères physiques
et psychiques de l'enfance. Voilà qui est bien vague et cependant il n'y
a rien de plus ni de moins à dire. Lasègue est bien authentiquement le
père de l'infantilisme et il en est aussi le parrain. Ce nom d'infantilisme
créé par lui et aujourd'hui adopté unanimement dans toutes les langues,
ne figure encore dans aucun de nos dictionnaires, dans aucune de nos
encyclopédies. En toute justice il faut donc lui attribuer la signification
que lui a donnée Lasègue; et c'est bien cette signification que lui ont con-
servée Lorain et Brouardel à qui il doit d'avoir fait son chemin dans le
m onde .
Les sujets infantiles décrits par Lorain, par Brouardel et par les élèves
de ces deux maîtres sont des êtres mal venus, retardataires à tous égards,
de petit esprit, de petite taille, et le plus souvent de petite santé. Et tout
de suite une question se pose. Sont-ils de petite santé si souvent parce
qu'ils ont, dès l'origine, moins de résistance vitale, moins de force de dé-
veloppement ? Ou bien restent-ils enfants parce que leur santé s'est trou-
vée accidentellement compromise il tel ou tel moment deleur croissance ?
En d'autres termes, l'infantilismc est-il cause ou effet ? - Ne doutez pas,
Messieurs, que suivant les cas, il soit l'un et l'autre. Ainsi, je pourrais
vous citer des observations où l'infantilisme a été le point de départ de
dystrophies générales et d'autres où il a été consécutif à des maladies con-
génitales ou acquises. Ces derniers faits sont de beaucoup les plus com-
muns, et ils ont attiré l'attention tout d'abord. Dès 1871, un élève de
Lorain, M. Faneau de la Cour étudiait les rapports de l'infantilisme et de
la tuberculose; il y a trois ans, M. Gérard dans sa thèse inaugurale (1),
avançait que l'infantilisme acquis se rencontre non seulement dans la tu-
berculose, mais encore dans trois autres états morbides très distincts : 1° la
sténose artérielle congénitale (chloroses aorlica et chlorosis mitrales) ; 2° le e
rétrécissement mitral pur; 3° les végétations adénoïdes du pharynx.
Toutes ces conditions pathologiques engendrent un vice général de nu-
trition qui survenant chez un enfant se traduit par le retard de l'évolution
vers l'adolescence, c'est-à-dire par la persistance de l'état infantile actuel.
Et comme le grand fait de l'évolution est l'apparition de la fonction
(t) GhnAwD. L'oreillette gauche dans le rétrécissement mitral, thèse Paris, 1891.
242 E. BRISSAUD
sexuelle, il résulte de ce retard une sorte de neutralité de l'individu,
quelque chose d'indécis avec certains attributs féminins qui frappent sur-
tout chez les sujets mâles, bref ce que Lorain appelait le féminisme.
, Remarquez encore que l'infantilisme et le féminisme parfois associés
constituent un type mixte déjà entrevu par Faneau de la Cour, mais en
somme beaucoup moins répandu que l'infantilisme pur. Les anthropologis-
tes italiens qui se sont attaqués dernièrementà cette question tendent à con-
fondre l'infantilisme et le féminisme ; la confusion apparaît dans la plupart
de leurs descriptions beaucoup plus clairement que dans la nature. L'in-
fantilisme vrai se reconnaît à des traits précis et constants, tandis que le
féminisme à part certains faits exceptionnels est le plus souvent discuta-
ble. A ses rares caractères authentiques et spontanés se mêle toujours
une forte proportion de ce qui fait l'efféminé, c'est-à-dire quelque chose
d'artificiel. La monstruosité consiste en une déviation des tendances psy-
chiques normales au moins autant qu'en une malformation organique. Et
puis le féminisme ne peut évidemment constituer une dystrophie à l'égal de
l'infantilisme. Il ne saurait, par définition, exister chez la femme à titre de
disposition morbide. De même, le masculisme et l'anclrocnisnae que
M. Féré a distingués chez certains infantiles sont des apparences mais non
des choses. L'infantilisme est au contraire un état dystrophique bien dé-
fini ne tenant pas compte des sexes ; et si les anomalies morphologiques
qu'il comporte ont permis d'imaginer un masculisme et un féminisme c'est
parce que, après tout, les infantiles comme les enfants ne sont ni hom-
mes ni femmes avant la puberté, mais simplement des garçons et des
filles, c'est-à-dire des êtres ayant juste assez de sexe pour qu'on puisse les
habiller différemment. -
Une neutralité qui n'est ni le féminisme ni le masculisme s'observe quel-
quefois chez les sujets restés enfants ou devenus infantiles à la suite de
l'atrophie des ovaires ou testicules. Cette neutralité est surtout le fait des
garçons, car les filles sont mieux protégées contre les traumatismes.
encore, à ce propos, il faut absolument établir une distinction parmi des
faits très disparates et qu'on a indûment rapprochés. L'infantilisme est
signalé par quelques auteurs comme une conséquence possible de la cas-
tration ou de l'atrophie spontanée des testicules. Rien n'est plus inexact.
Chez les eunuques les conditions physiologiques de la croissance et du
développement intellectuel ne sont nullement compromises. Non seule-
ment la taille ne reste pas au-dessous de la moyenne, mais elle la dépasse
quelquefois notablement. On a même été jusqu'à prétendre que les eunu-
ques sont plus grands que les hommes entiers. Voilà une pure fantaisie.
Ceux qui l'ont avancée n'ont sans doute pensé qu'aux eunuques du sérail,
choisis entre beaucoup d'autres pour leur stature imposante. Dans leurs
DE L'INFANTILISME MYXCEDÉMATEUX 243
fonctions tout n'est pas sinécure. C'est donc bien à tort que les eunuques
de belle prestance tels qu'en doit entretenir un harem qui se respecte ont
été considérés comme des spécimens d'infantilisme et de gigantisme com-
binés. L'infantilisme se complique de gigantisme même chez des sujets
dont le développement sexuel ne laisse rien à désirer ; l'anorchidie ne
prédispose en somme ni au gigantisme ni à l'infantilisme, et l'atrophie tes-
tiçulaire acquise observée chez un certain nombre d'infantiles n'est pas
la cause de l'infantilisme mais une conséquence des circonstances qui ont
créé l'infantilisme.
La question, vous le voyez, devient fort complexe et vous pouvez vous
demander si on ne l'a pas embrouillée en multipliant les types. N'aurais-
je pas moi-même contribué à l'embrouiller davantage lorsque j'ai soutenu
qu'un certain degré de myxoedème atténué créait l'infantilisme ? A vrai
dire, je ne le crois pas et je suppose même tout le contraire. Il me semble
qu'en ajoutant aux types d'infantilisme déjà décrits celui de l'infantilisme
myxoedémateux, j'ai notablement simplifié le problème. Tout à l'heure,
je vous disais que l'infantilisme idéal c'était l'idiotie myxoedémateuse
décrite par Bourneville. C'est qu'en effet un idiot myxoedémateux, lors-
qu'il a 20 ou 30 ans, est encore un enfant et rien qu'un enfant avec un
teint flétri et quelques rides au visage. Or comme il y a des degrés dans
le myxoedème il y en a aussi dans l'infantilisme myxoedémateux ; de telle
sorte que beaucoup de sujets moyennement myxoedémateux ne sont par là
même que moyennement infantiles. Ils ont quelque chose d'enfant, mais
ce ne sont plus des enfants au sens réel de ce mot, c'est-à-dire de vérita-
bles idiots myxoedémateux.
Quels sont donc les caractères de l'infantilisme ? Il y a longtemps que
j'aurais dû vous les signaler peut-être ? -Si je ne vous les ai pas énumé-
rés plus tôt, c'est que, voulant passer en revue d'abord la nomenclature
des variétés de l'infantilisme, je me suis conformé à l'exemple des auteurs
qui ont trouvé plus simple de laisser cette question sans réponse. J'em-
prunterai la définition et la description de l'infantilisme à mon élève et
ami, M. Henry Meige qui a récemment étudié dans des publications d'un
très grand intérêt (1) les caractères morphologiques de l'infantilisme, déjà
indiqués incidemment par M. Paul Richer (2) :
« Le nom d'Infantilisme sert à désigner un état physique et mental
(1) IlE : 'i11\Y iNIEI(3r. L'iiifantilisrne, le le féminisme et les hermaphrodites antiques. L'An-
thropologie, t. IV, 1895.
(2) PAUL Richer. Les Hermaphrodites dans l'Art. Nouv. Iconographie de la Salpê-
trière, n 6, 1892.
244 E. BRISSAUD
qui s'observe chez des individus dont l'appareil sexuel a subi, congéni-
talement ou accidentellement, un arrêt dans son évolution.
- « Les caractères extérieurs de l'infantilisme sont, à l'accroissement delà
taille près ceux qui appartiennent il l'enfance jusqu'à l'époque de la pu-
berté.
« Le signalement de l'infantile sera donc ainsi conçu :
« Face arrondie,joufflue, lèvres saillantes et charnues,nez peu développé,
visage glabre, peau fine et de couleur claire, cheveux fins, sourcils et cils
peu fournis.
« Torse allongé, cylindrique. Ventre un peu proéminent.
« Membres potelés, effilés de la racine aux extrémités, une couche adi-
peuse d'une assez grande épaisseur enveloppant tout le corps et masquant
les reliefs osseux et musculaires.
« Organes génitaux rudimentaires.
« Absence de poils au pubis et aux aisselles.
« Voix grêle et aigre. Larynx peu saillant. ·
« Corps thyroïde généralement petit.
« Tel est le syndrome morphologique qui appartient en propre aux in-
fantiles. C'est l'infantilisme pur et simple.
« Un état mental infantile accompagne toujours la malformation corpo-
relle. Il concorde en général avec celui de l'âge que paraît conserver le
corps : légèreté, naïveté, pusillanimité, pleurs et rires faciles, irascibilité
prompte, mais fugace, tendresses excessives ou répulsions irraisonnées.
« En outre, les facultés morales, affectives et intellectuelles subissent
des altérations en rapport avec les accidents psychopathiques qui relè-
vent de l'hystérie dont les sujets sont fréquemment atteints. »
Cette description que j'ai tenu à citer textuellement me semble irré-
prochable. Elle peut se résumer encore dans des termes que j'emprunterai
également à M. II. Meige.
« L'infantilisme est un syndrome morphologique caractérisé par la con-
servation chez l'adulte, des formes extérieures de l'enfance, et la non-
apparition des caractères sexuels secondaires (1). » Et l'auteur ajoute :
« Mais si l'infantilisme peut se manifester isolément, il n'est pas rare de
le voir associé à d'autres dystrophies congénitales (nanisme, gigantisme,
rachitisme, obésité, atrophie musculaire). La plus fréquente de ces asso-
ciations est le my.1Joedème infantile qui participe ai la fois des caractères de
l'infantilisme et de ceux du myxoedème. »
(1) IIen'uy MEME. Deux cas d' hermaphrodisme antique. Nouvelle Iconographie de la
Salpêtrière, n°.4, 1893.
DE L'INFANTILISME i\IYXOEDÉMATEUX 245
Laissez-moi, Messieurs, vous faire remarquer que la description de
l'infantilisme telle que je viens de la reproduire, s'applique admirahle-
ment à l'infantilisme myxoedémateux, mais à celui-là exclusivement. Et
puisque c'est à propos de l'infantilisme myxoedémateux que la question de
l'infantilisme tout entière est inopinément revenue à l'ordre du jour,
permettez-moi aussi de vous répéter ce que je disais il y a quatre ans du
myxoedèmeet del'infantilisme : « Tout esteiifaiitiît chez les l1lyoedéma leux.
Tout reste enfant à un degré qui correspond à l'âge où la maladie a com-
mencé. On peut même dire que, lorsqu'il débute tardivement, le myxoe-
dème refait à ceux qu'il frappe, une pitoyable première enfance, quelque
chose comme la torpeur foetale du nouveau-né. Tout ce qui fait la vie de
relation est annulé. L'intelligence retourne dans les limbes, les tissus re-
prennent leur constitution colloïde, les poils tombent, il n'est pas jusqu'au
sexe qui ne soit fonctionnellement du moins - ramené à cet état neu-
tre auquel l'embryon seul se résigne en attendant mieux. Les règles s'ar-
rêtent, les appétits vénériens s'émoussent. C'est véritablement l'in{anti-
lisme dans toute l'acception du mot. »
Vous rencontrerez très souvent des arriérés myxoedémateux, dont. l'in-
telligence est simplement bornée et dont le myxoedème se réduit au mini-
mum. Je connais, pour ma part, plusieurs types de ce genre, au visage
légèrement bouffi, au teint blafard, aux poils rares, chez lesquels je n'ai
pu résister au désir d'explorer la région thyroïdienne. Ce sont, je n'en
doute pas un seul instant, des idiots myxoedémateux, mais des idiots, pas-
sez-moi le mot, très supérieurs. Ils ont de tout petits lobules thyroïdes,
juste assez pour que la fonction trophique générale ne soit pas gravement
endommagée, juste assez pour que leur intelligence suffise il de certains
emplois. '.
A cette époque, je vous montrais un beau spécimen d'infantilisme
myxoedémateux et je signalais « les singulières accointances de cet arrêt
de développement avec ce qu'on peut taxer de my.roedème fruste » (Fig. 1).
Il s'agissait d'un garçon de 18 ans et qui paraissait n'en avoir pas plus de
douze (Fig. 2). L'aspect du visage, le faciès lunaire, les yeux bouffis, les
lèvres épaisses, les grosses joues rondes, tout simulait le myxoedème. Les
formes extérieures n'étaient pas même celles d'un adolescent. Les mem-
bres étaient gras et potelés, les organes génitaux, rudimentaires, la verge
toute petite, les testicules bien conformés et descendus dans les bourses
étaient ceux d'un pelit garçon et il n'y avait pas un poil au pubis. Le corps
thyroïde était à peine perceptible. La dale de la maladie paraissait même
assez précise : le père racontait que, vers l'âge de 10 ans, des écrou-
246 E. BRISSAUD
elles cervicales avaient mis en danger la vie de son fils ; le gonflement
du cou était énorme, on crut que l'enfant allait étouffer ; il fallut lui faire
des incisions nombreuses. Aux cicatrices qu'on voyait, il était facile de
supposer que toute la région cervicale avait été le siège d'une poussée
scrofuleuse exceptionnellement grave et il était admissible que le corps
thyroïde en eût subi les conséquences. Au sujet de ce malade, je disais
que les variétés de myxoedème correspondant aux variétés de l'infanti-
lisme sont subordonnées à l'intensité des lésions thyroïdiennes. « Il
n'existe pas, dans cette catégorie de faits, de démarcations suffisamment
tranchées pour que nous soyons en mesure
de les classer nosographiquement. C'est
une chaîne ininterrompue à chaînons in-
nombrables. »
Aujourd'hui plus encore qu'il y a quatre
ans, j'ai la conviction que toutes les varié-
tés de myxaedéme - et comme elles ne se
comptent pas, il vaudrait mieux dire tou-
tes les variantes du myxadéme - sont
subordonnées à l'importance de la lésion
thyroïdienne et à l'âge auquel la maladie
débute. J'ai eu la grande satisfaction de
constater que cette manière de voir a été
unanimement adoptée. Dans un travail ré-
cent, M. A. Combe, de Lausanne, a pensé
pouvoir diviser en trois catégories tous les
faits de myxoedème infantile, suivant l'âge
auquel survient l'atrophie thyroïdienne.
Cette classification est à la fois par trop
simple et par trop arbitraire, puisque; je
vous le répète, la transformation du type
de l'idiotie myxoedémateuse en celui del'in-
fantilisme myxoedémateux se fait comme
par une dégradation insensible de nuances.
J'en retiendrai simplement une chose, à savoir : que c'est bien à l'infan-
tilisme myxoedémateux, que M. Combe conserve ma désignation de forme
fruste du myxoedème de, l'enfant : « Si, dit M. Combe, il n'y a pas dispa-
rition, mais simple insuffisance thyroïdienne, l'empoisonnement myxoedé-
mateux sera incomplet et nous observerons un tableau symptomatique
incomplet; certains symptômes du m) xoedèmc se montreront à l'exclu-
sion des autres : le nanisme, la bouffissure des téguments, la cyanose et le
refroidissement des extrémités seront prédominantes, mais la motilité sera
Fig. i.- Infantilisme myxoe-
démateux. Sujet de 18 ans.
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 241
conservée, l'intelligence sera presque normale, la cachexie presque nulle.,
Nous aurons affaire' cette variété du myxoedème que nous appellerons
la forme fruste du myxoedème de l'enfant » (1).
Voilà donc une fois encore
le myxoedème fruste de l'en-
fant identifié à l'infantilisme
myxoedémateux. Vous remar-
querez que le nanisme figure
dans cette description parmi
les principaux attributs de l'in-
fantilisme. Cela s'explique en
somme, puisqu'un sujet adulte
et resté infantile peut conser-
ver sa taille d'enfant. Mais la
petitesse de la taille n'est pas
un caractère fondamental de
l'infantilisme myxoedémateux,
car il y a, comme on dit, de
« grands'enfants » ; et d'autre
part est évident qu'un infan-
tile de petite taille se rappro-
chera toujours davantage, à
première vue, du type parfait
de l'infantilisme, qui est l'i-
diotie myxoedémateuse.
Lorsque je signalai il y a quatre ans une variété d'infantilisme équiva-
lant à une forme fruste du myxoedème, je m'efforçai de démontrer qu'il
existe des degrés dans l'infantilisme comme dans le myxoedème lui-même,
et actuellement je ne compte plus les faits qui confirment mon opinion
première. Il me serait facile de vous en présenter un très grand nombre,
tous copiés d'après le même modèle. Leurs différences individuelles ne
suffiraient pas à rompre la monotonie de l'ensemble. Il me paraît cepen-
dant nécessaire de vous en montrer quelques-uns; après quoi vous ne
pourrez mettre en doute l'authenticité du type. Et, une fois ce type re-
connu, vous serez en mesure de le différencier des autres que j'examine-
rai ensuite et dont l'étude sera beaucoup plus simple.
' Voici d'abord une jeune femme Savoisienne (Fig. 3), âgée de 25 ans,
(1) Revue médicale de la Suisse romande, 1 897.
Fig. 2. - Infantilisme m3yoedémateux, t8 ans
(même sujet que celui de la figure précédente).
Faciès lunaire, bouffissure, lèvres lippues.
248 E. BRISSAUD
toute petite, pâle, bouffie, au facies lunaire; elle a été réglée, niais elle
ne l'est plus. Est-ce parce qu'elle esl devenue tuvérculeuse ? Ou bien
parce que l'infantilisme se présente chez elle sous les allures d'un myx-
oedème tardif et progressif ? ' ?
La première de ces deux suppositions est la plus vraisemblable, car
tout infantile qu'elle soit, cette femme a été réglée, et cependant elle a les
aisselles et le pubis complètement glabres, et elle n'a aucun développe-
ment mammaire. La définition de M. Henry Meiee lui convient de tout
point : c'est la conservation des formes extérieures de l'enfance et la non-
apparition des caractères sexuels secondaires. J'ajoute que le corps thyroïde
n'est reconnaissable ici, ni au palper ni à la vue. Deux jeunes hommes
l'un de vingt-deux ans (Fig. 4), l'autre de dix-neuf (Fig. 5) et tous les
Fig. 3. - Infantilisme myxoedémateux. Femme de 25 ans.
Fig. 4. -Infantilisme myxoellé-
mateux ; sujet de vingt-deux
ans.
Fig. 5. Infantilisme mycede-
malcux , sujet de dix-neuf
ans.
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 249
deux aussi dépourvus de corps thyroïde vous rappelleront notre premier
malade. Ils ont la face ronde, bouffie, les paupières un peu gonflées, le
teint blafard. C'est toujours au visage que
ce myxoedème rudimentaire apparaît le
plus nettement. Il attire l'attention et alors
recherche les autres attributs de l'infanti-
lisme. Ils sont plus ou moins accentués,
mais il est rare que la première impression
soit trompeuse. Dans ces deux derniers
cas les caractères sexuels secondaires ne
faisaient pas complètement défaut; néan-
moins il n'était pas douteux que nous
eussions affaire à des infantiles.
Un malade dont l'histoire a été recueil-
lie par Henry Meige dans le service du
professeur Brouardel (Fig. G et 7) appar-
tient également à ce type de l'infantilisme
myxoedél}laLeux où Ion remarque « le torse arrondi, le ventre un peu
gros, les membres potelés, enveloppés de graisse, la peau fine et rosée, le
visage, le pubis, les aisselles vierges de tout poil,
la voix grêle, la verge minuscule ». Malheureuse-
ment il l'époque où fut observé ce fait remarquable,
les rapports de l'infantilisme avec le myxoedème
n'étant pas encore soupçonnés, nous ignorons si le
corps thyroïde avait conservé des proportions nor-
males ; mais tout fait croire qu'il était atrophié
comme dans les cas précédents (1).
L'examen impartial de ces 'faits ne démonlrc-l-il
pas que l'infantilisme n'est, au total, qu'un myxoe-
dème atténué Cela n'est plus discutable. Seul le
mot de myxeedémc pourrait, à la rigueur, pris au
pied de la lettre, laisser place à quelques malen-
tendus. Tout dernièrement mon collègue M. Thi-
bierge communiquait à la Société médicale des hô-
pitaux une étude sur les rapports de l'infantilisme
avec le myxoedème et il l'appui de ses conclusions,
conformes aux miennes, présentait un sujet infan-
tile atteint d'atrophie thyroïdienne et originaire de
pays à endémie goitreuse. Or chez ce malade le
(1) IluNity Meige. Loc. cit. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière. ? 4. 1891.
x 18
Fig. G.- Infantilisme myxoedé-
mateux (cas de lJeiâe re-
cueilli dans le service du pro-
fesseur Brouardel).
rig. j. iniummsuic
myxoedémateux
(cas de Meige).
250 E. BRISSAUD
myxoedème n'était pas complet, et l'on pouvait objecter qu'il ne s'agissait
que d'un « infantilisme congénital » sans myxoedème. A quoi M. Thi-
bierge répondait par avance : « Le sujet, à la vérité, n'a du myxoedéma-
teux ni le visage en pleine lune, ni les mains en battoir, ni les pseudo-
lipomes sus-claviculaires ; mais il en a le teint pâle, quelque peu cireux ;
son visage ridé, d'aspect vieillot, atteste que le tégument de la face a perdu
son élasticité ; il rappelle assez par cette comparaison je ne veux pas
forcer, je traduis simplement une analogie celui d'un myxoedémateux
démyxoedémalisé par la médication thyroïdienne. Ce visage vieillot est
glabre comme celui cl un myxeeaemateux par agénésie thyroïdienne, lin
somme tous les grands caractères du syndrome myxoedème sont ici pré-
sents, l'état myxoedémateux excepté. C'est un myxoedémateux sans myxoe-
dème ; je crois qu'il est impossible d'arriver par l'examen de ce malade à
une conclusion différente. Il est peu de cas, je pense, aussi favorables à la
démonstration de l'existence du myxoedème fruste (1). »
M. Thibierge adopte donc, lui aussi, l'identité du myxeedéme fruste et
de l'infantilisme; et son opinion vaut bien qu'on y tienne. A ce propos
mon collègue rappelle que cette corrélation l'avait frappé depuis longtemps
(1) Thibierge. Bull. et mém. de la Soc. méd. des IIôp. Séance du 26 mars 1897, p. 425.
Fig. 8 et 9. Myxoedème et infantilisme chez un sujet de treize ans.
(Observation de Marfan et L. Guinon.)
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 251
et qu'il avait déjà en 1891 émis l'hypothèse que certains hommes « à type
infantile » étaient à tout prendre des m3·xoeclémateux frustes.Quoique dans
le travail auquel il fait allusion, M. Thibierge n'ait pas parlé du « type
infantile », je ne résisterai pas au plaisir d'en citer le passage le plus im-
portant ; car c'est à M. Thibierge que revient le mérite d'avoir signalé
l'existence des myxoedèmes atténués et frustes. Là est toute la question.
S'il n'y avait pas de myxaedèmes frustes, il n'y aurait pas d'infantilisme
myxoedémateux. Voici le passage : « Le myxoedème spontané ne présente-
t-il pas des formes atténuées, compatibles avec une longue vie, avec une
existence à peu près normale, et n'y a-t-il pas des myxoeilèllles spontanés
frustes, comme il y a des myxoedèmes opératoires frustes ? Tout le monde
connaît, pour les avoir rencontrés dans la rue, des sujets généralement au-
dessous de la moyenne, au teint pâle, à la lèvre inférieure un peu pen-
dante, dont le système pileux de la face est réduit au minimum, qui n'ont t
jamais eu de barbe ; il en est dont l'intelligence est manifestement au-
dessous de la moyenne, qui sont des « crétins » au lycée et le restent dans
la vie; d'autres peuvent avoir une culture intellectuelle très développée;
quelques-uns sont d'une fatuité révoltante ; la plupart de ces dégénérés
d'espèce particulière n'ont pas de descendance. Ne sont-ce pas des my-
xoedémateux ? Nous ne le savons au juste : il ne nous a pas été donné d'exa-
miner médicalement de sujets répondant au type que nous venons d'es-
quisser et de rechercher chez eux l'état du corps thyroïde qui pourrait
seul permettre d'émettre un diagnostic ferme (1). »
Dans tout cela il n'est pas question d'infantilisme, mais seulement de
myxoedème fruste, et il est évident que parmi ces « dégénérés d'espèce
particulière » dont parle M. Thibierge il faut compter un certain nom-
bre d'infantiles.
Une très complète observation de MM. Marfan et Louis Guinon (Fig. 8
et 9) relative à un cas de myxoedème survenu chez un garçon de sept ans
nous fournit un des plus beaux spécimens de l'infantilisme myxoedéma-
teux (2). Ces auteurs avaient été frappés de la persistance et de l'intégrité
des fonctions psychiques dans ce cas où le myxoedème se manifestait dès
l'enfance. Du moins les seuls troubles intellectuels que présentait le ma-
lade - lenteur de l'idéation, faiblesse de la mémoire étaient exac-
tement ceux qui s'observent dans le myxoedème des adultes ; et MM. Mar-
fan et L. Guinon concluaient que le tableau clinique du myxoedème
spontané des adultes peut s'observer chez les enfants avec les mêmes ca-
ractères.
Cela est bien vrai, mais ce qui différencie ce myxoedème infantile de
(1) THIDIERGE, Gazette des hôpitaux, 31 janvier 1891.
(2) Revue mens. des maladies de l'enfance, 1893, p. 481.
252 ? , E. BRISSAUD
celui des adultes, c'est précisément le fait que, survenant avant la fin de
la croissance, il interrompt les progrès du développement lorsque le déve-
loppement est déjà assez avancé. Rien de ce qui est acquis n'est compromis,
mais tout ce qui reste à acquérir est perdu d'avance. Ici le myxoedème
apparut vers l'âge de sept ans, à la suite d'un abcès de la région sous-
maxillaire, et il est à supposer que cet abcès eut pour conséquence l'atro-
phie du corps thyroïde. Les cas de ce genre ne sont pas rares. Quoi qu'il
en soit de la pathogénie la seconde dentition ne se fit pas, les dents de
lait restèrent en place et l'enfant cessa de grandir. Six ans après, à l'âge
de treize ans, il possédait encore les vingt dents de la première dentition,
plus quatre grosses molaires. Il présentait l'aspect typique du myxoedé-
mateux, y compris les lipomes sus-claviculaires. Un peu apathique et
triste, mais très affectueux pour ses parents, il avait appris à lire, à écrire,
à compter. Il répondait aux questions qu'on lui adressait, avec une clarté
et une précision qui dénotaient une certaine intelligence. Ce gros garçon
de treize ans n'était donc pas un idiot myxoedémateux, ni même un im-
bécile, c'était tout au plus un arriéré, c'est-à-dire un infantile dans toute
la force du terme. Quoi de plus caractéristique en effet que la persistance
de la première dentition ? C'est de l'infantilisme « par destination ». La
seconde dentition est un des tournants de la vie physiologique. Elle mar-
que une phase nouvelle dans l'histoire du développement. A ce titre l'ob-
servation de Marfan et Louis Guinon est une des plus démonstratives
puisque le m) xoedème a débuté juste au moment où aurait dû commencer
la seconde formation dentaire.
Par une singulière coïncidence, le lendemain du jour où je signalais
l'infantilisme comme une forme du myxoedème, mon collègue M. Gley
communiquait à la Société de Biologie le résultat de ses belles expériences
sur le rôle du corps thyroïde dans les phénomènes de croissance des jeu-
nes animaux (1). Déjà, trois mois auparavant, Hofmeister avaitpublié ses
recherches sur les suites de l'extirpation du corps thyroïde, en un mé-
moire de premier ordre, riche de faits et d'idées ingénieuses. C'est là
que vous trouverez l'explication histologique de l'arrêt de la croissance.
La suppression du corps thyroïde détermine une maladie du cartilage épi-
physaire aux dépens duquel se fait l'accroissement des os longs. Cette
maladie consiste en une diminution de la prolifération cellulaire normale
et, en même temps, en une formation excessive de la substance intersti-
tielle du cartilage. Hofmeister proposait pour cette affection si spéciale du
(1) Soc. de Biologie , 18 mai 1894. ,
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 253
cartilage interépiphysaire le nom de Chopdrodystrophia thyreopriva. Lais-
sez le mot et retenez la chose. Un des caractères cliniques les plus frappants
de l'infantilisme c'est l'arrêt delà croissance. Mais l'arrêt de croissance
ne porte pas seulement sur les os longs, il est total ; et c'est là justement
ce qui constitue l'infantilisme proprement dit, car la taille, d'une façon
générale et clans les conditions normales, présente des différences indivi-
duelles qui ne sont point morbides. Or un fait bien plus important que la
hauteur absolue du sujet, c'est la persistance, chez l'adulte, du rapport
des dimensions infantiles de la tête avec celles du corps. Chez l'enfant la
tête est relativement beaucoup plus volumineuse que chez l'adulte; et
chez les infantiles myxoedémateux ou pseudo-myxoedémaleux, on conçoit
que la grosseur relative de la tête ait une signification nosologiquc sur
laquelle il n'y a pas à se méprendre. Il va sans dire que les proportions
infantiles de la tête dépendront de l'âge auquel le développement régulier
du squelette aura été entravé.
Il me semble que j'en ai dit assez sur cette première variété d'infanti-
lisme qui est, n'en doutez pas, la plus authentique et la plus facile à re-
connaître. Je n'ose dire qu'elle soit la plus fréquente ; et, si elle ne l'est
pas davantage, cela tient à ce qu'elle relève d'une seule cause, assez rare
elle-même, à savoir : l'atrophie spontanée du corps thyroïde. En résumé,
l'infantilisme vrai n'est à mon sens autre chose que la maladie décrite
par Bourneville sous le nom d'idiotie myxoedémateuse et les différences
de degré de l'infantilisme, résultent de deux conditions diversement asso-
ciées : -I° l'intensité de la lésion thyroïdienne atrophiante ; 20 t'age auquel
la suppression de la fonction thyroïdienne produit l'arrêt du développe-
ment.
Tout ceci revient à dire que l'infantilisme est un état morbide auquel
convient exactement la même thérapeutique qu'au myxoedème ou à l'idiotie
myxoedémateuse. M. Hertoghe (d'Anvers) en a fourni la démonstration
éclatante. Comme, après tout, la petitesse de la taillerésultant delà lésion
chondro-épiphysaire est une des marques les plus significatives delà dys-
trophie « thyréoprive », il devait venir à l'esprit que le défaut d'accroisse-
ment en longueur du squelette est une sorte d'infantilisme partiel ou sys-
tématiquement limité aux appareils osseux. M. Hertoghe a eu le premier
cette bonne idée; il a constaté que le traitement par l'extrait de glande
thyroïde produit une croissance rapide chez les sujets non myxoedéma-
teux, et cela jusqu'à )'age de 27 ans, c'est-à-dire un âge où l'on a déjà
(l)Soc. de Biologie, 19 mai 1894.
254 E. BRISSAUD
depuis longtemps perdu tout espoir de grandir. Vous savez même que
M. Hertoghe a pu déterminer par la radiographie les conditions dans les
quelles on peut encore compter sur la croissance. La persistance du car-
tilage d'ossification des extrémités osseuses indique que l'os peut encore
augmenter de longueur et la radiographie nous renseigne avec une admi-
rable précision sur la persistance de ce cartilage. D'ailleurs si l'accrois-
sement de la taille est le signe le plus manifeste de l'action bienfaisante
du traitement, on s'aperçoit aussi que tous les autres caractères de l'infan-
tilisme se modifient en même temps dans un sens favorable. Les résultats
sont trop séduisants pour que cette thérapeutique ne se laisse parfois en-
traîner un peu loin. Je ne saurais trop vous conseiller la prudence, et
quand vous prescrivez une dose active de corps thyroïde, ne perdez pas
de vue vos malades ; suivez-les jour par jour.
Maintenant, il me faudrait indiquer au moins en quelques mots les élé-
ments du diagnostic différentiel de l'infantilisme myxoedémateux et de
l'autre infantilisme.
1 .Quel est-il donc cet autre infantilisme que je n'ai pas décrit et dont
tout le monde parle d'après les travaux de Lorain et Faneau de la Cour ?
- Je ne suis pas embarrassé de vous le dire si je m'en tiens au seul do-
cument que Lorain nous ait laissé : une lettre préface qui est la partie la
plus intéressante de la thèse de Faneau de la Cour, et dans laquelle l'in-
fantilisme nous est présenté comme pouvant réaliser les trois variétés sui-
vantes :
1° Débilité, gracilité et petitesse du corps, sorte d'arrêt de développe-
ment qui porte plutôt sur la masse de l'individu que sur un appareil
spécial.
2° Juvénilité persistante, telle qu'un homme de 30 ans paraîtra n'en
avoir que 18 ;
3° Variété féminine : hanches développées dans le sens des diamètres
horizontaux, c'est-à-dire arrêt de développement de l'appareil génital ;
peau glabre sur le thorax, sur le visage ; cheveux longs, fins et soyeux ;
forme particulière de l'oeil, des paupières, cils longs; mamelles dévelop-
pées (p. 10).
Laissons de côté la variété féminine et ne considérons que les deux
premières variétés. Il me semble qu'elles se confondent en une seule et
j'aperçois très distinctement les types qui ont servi à les établir. Je les
vois avec « leur débilité, leur gracilité, la petitesse de leur corps, sorte
d'arrêt de développement qui porte plutôt sur la masse de l'individu que
sur un appareil spécial ». Je vais même immédiatement vous soumettre
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 255
un spécimen de cette variété, « débile, grêle et petit » auquel il ne man-
que véritablement que l'infantilisme pour justifier la classification de Lo-
rain (Fig. 10). Ce garçon de 17 ans que j'ai fait photographier il côté d'un
homme de 29 ans, est, comme vous en pouvez juger du premier coup,
un peut nomme lui-même mais
non plus un enfant. Il n'a pas
la taille d'un homme et il est
proportionné comme un hom-
me. Il n'a pas, en particulier,
la grosse lèlc \Je l'enfant, je
veux dire grosse par rapport
au reste du corps (Fig. 11), il n'a pas les grosses joues, le torse arrondi,
les muscles potelés, les jambes relativement courtes qui caractérisent l'in-
fantilisme. Chez lui, rien n'est enfantin, sinon l'appareil génital; et en-
core ne s'agit-il que d'un retard, car quelques poils apparaissent au pubis
et le testicule gauche, jusqu'à ces derniers temps retenu dans le canal in-
guinal, vient d'être libéré par le chirurgien et on le sent maintenant dans
les bourses. -
Ce sont de tout petits organes, mais ils sont assortis au reste ; ils parti-
cipent de l'infantilisme général. Le corps thyroïde lui-même, quoique de
très faibles dimensions, est perceptible dans les mouvements de dégluti-
tion. Ce n'est pas de l'atrophie de cette glande que procède ici l'infanti-
lisme ; c'est d'une autre cause qu'il s'agira de déterminer.
Fig. 10. - Infantilisme du type Lorain ;
garçon de 11 ans.
Fig. 11. Infantilisme du type Lorain.
Garçon de 11 ans.
256 E. BRISSAUD
La seconde variété de Lorain se confond, vous disais-je, avec la pre-
mière : c'est une juvénilité persistante, telle qu'un homme de 30 ans pa-
raitra n'en avoir que 18.
Voici, non pas un homme, mais une femme de 30 ans qui a conservé
les apparences extérieures d'une petite fille de 10 à 12 ans (Fig. 12).
Vous lirez son histoire dans le mémoire de M. Henry Meige auquel j'em-
prunte celle photographie. Il me suffira de dire que cette femme n'a
jamais eu aucune manifestation sexuelle : pas de poils, pas de seins, pas
de règles.
Et en voici encore une autre, celle-là âgée de 0 ans, et tellement
semblable il la précédente qu'on pourrait la prendre pour une soeur de
celle-ci (Fig. 13). Elle non plus, n'a aucune manifestation sexuelle, et c'est
bien sinon une enfant, du moins une juvénile au sens proposé par Lorain,
car la conformation n'a plus rien d'infantile et les proportions sont celles
fjg. 12. - Infantilisme du type Lorain.
femme de 30 ans (cas de [1. ]eige).
a
Fig. 13. - Infantilisme du type Lorain.
Fille de 20 ans. (Anangioplasic.)
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 251.
d'un sujet adulte. L'absence des fonctions sexuelles, dans les cas analo-
gues, ne signifie rien autre chose qu'un trouble général de la nutrition.
Ces femmes, quoiqu'elles aient tous les organes de leur sexe, n'ont pas de
fonctions sexuelles parce que l'ensemble de leurs actes nutritifs est en
souffrance. Comme tant d'autres femmes phtisiques ou chlorotiques ou
simplement anémiques, elles n'ont pas cette énergie particulière qui sus-
cite et entretient l'activité génitale ; voilà tout. Et il en est exactement de
même des hommes chez qui le prétendu infantilisme en question ne re-
lève pas de l'abolition primitive de la fonction sexuelle, mais la provoque
et, avec le temps, la rend définitive.
D'ailleurs vous rencontrerez bon nombre de cas du même genre où tout
se borne à un arrêt de développement compliqué d'une certaine débilité
générale sans malformations ni troubles de l'appareil génital. Je revien-
drai encore dans un instant sur les fonctions génitales. Mais d'abord,
pourquoi cet arrêt de développement et cette débilité générale ? Ce n'est
pas arrêt de développement qu'il faudrait dire ; arrêt de la croissance serait
beaucoup plus juste car si le sujet cesse de grandir, c'est parce que les
soudures épiphysaires se font prématurément. Il y a même quelque chose
de plus que cela : car puisque la tête est, quoique relativement un peu
grosse, proportionnée au reste du corps, il faut croire que cette prématu-
ration des soudures est relative elle-même, c'est-à-dire que le développe-
ment s'achève en un temps plus court, le sujet devant rester plus petit.
Les spécimens que vous avez sous les yeux font bien ressortir les diffé-
rences qui séparent celle dystrophie de l'infantilisme vrai, c'est-à-dire
de l'infantilisme myxoedémateux. Ici, il n'y a d'infantile que la taille,
mais en réalité, nous avons affaire à de petits adultes, hien conformés et
qui, par la stature seulement, se distinguent de leurs congénères. Ils
mériteraient d'être appelés nains si le nanisme admettait une conformation
normale, ce qui n'est pas. Ils sont parmi nous comme les bushmen
parmi les grands nègres de l'Afrique centrale. Ce sont des dégénérés au
premier chef destinés à disparaître. Beaucoup d'entre eux ont en effet les
apparences extérieures des busll111en et le défaut de vitalité de cette
. race qui s'en va. « La taille du bushman ne dépasse guère 1 m. 33 et
son poids n'atteint que 38 kilogrammes. La tète dolychocéphale est un
peu grosse relativement au reste du corps qui est bien proportionné. Les
pommettes sont saillantes et les yeux légèrement bridés. L'oreille est
plutôt grande et un peu détachée du crâne. L'aspect de la physionomie est
très spécial, car les rides sont précoces et nombreuses, ce qui lui donne un
air vieillot. Après 15 ans en effet, le bushman n'a plus d'âge. On assure
qu'il ne vit jamais au delà de cinquante ans (1).
(1) EUOUAItD Fou. Les bushmen. Revue hebdomadaire, 1897, no 7. '
258 E. BRISSAUD
Cet avenir si court, réservé aussi aux infantiles du type Lorain, dépend
de circonstances qui entretiennent un état permanent de débilité générale
pendant toute l'existence, c'est-à-dire longtemps après que la croissance
s'est arrêtée. Les circonstances auxquelles je fais allusion sont multiples.
La syphilis héréditaire serait la plus gravement prédisposante, au dire de
mon maître, M. Fournier, qui, à trois reprises différentes, a signalé l'in-
fantilisme et le nanisme parmi les affections parasyphilitiques (1). Il est
certain que la syphilis est de toutes les influences morbides la plus dys-
trophiante. Réserves faites sur son rôle pathogénique à l'égard du na-
nisme, elle est, avec l'alcoolisme, responsable des pires dégénérescences
héréditaires. Les cas d'infantilisme qui lui sont imputés relèvent-ils de
la variété thyroïdienne ou de l'autre ? - Je ne saurais vous dire; mais ce qu i
est certain c'est que les deux variétés peuvent fusionner lorsque les fac-
teurs étiologiques sè combinent. Je vous en fournirai dans un instant la
preuve.
La cachexie paludéenne elle aussi, surtout associée à la misère physiolo-
gique, devient à la longue une prédisposition. Dans l'ancienne Cologne où
la malaria n'épargnait aucune génération, on voyait beaucoup de ces êtres
rabougris,mal venus et à courte vie,que le dialecte local désignait sous les
noms d'aigrets ou d'acrats. C'est-à-dire qu'on les comparait au vert-jus
ou raisin qui n'a pas « profilé «.'C'était surtout dans les parties de ce
pauvre pays où il ne poussait que du seigle que la race avait le plus dégé-
néré. Les seiglauds étaient opposés aux fl'omentolins qui habitaient les
contrées moins ingrates où la culture du froment n'était pas impossible.
A ces causes d'ordres divers,mais indépendantes des sujets eux-mêmes,
il en faut ajouter d'autres, celles-là exclusivement personnelles et d'ordre
anatomo-patliologique. La plus efficace et de beaucoup la plus fréquente
est celle qui consiste en un trouble trophique vasculaire congénital tel
que l'aplasie artérielle, le rétrécissement mitral pur, la persistance du
trou de Botal, bref tout ce qu'on pourrait appeler d'un mot rébarbatif,
mais en somme utile, les anangioplasies. Il n'est pas même improbable
que l'infantilisme d'origine syphilitique relève de quelque malformation
cardiaque ou vasculaire et, d'autre part, il n'est guère de cas de maladie,
bleue où l'on n'ait relevé un ou plusieurs caractères de l'infantilisme
anangioplasique.
Une particularité spéciale à cette variété d'infantilisme me semble
devoir être encore relevée. Les anomalies vasculaires ou cardiaques
ne sont pas les seules qui appartiennent à cet infantilisme ou qui le fa-
(1) Les affections paralytiques, p.296.Paris, 189'E.Inluence dystrophique de l'hérédo-
syphilis. Médecine moderne, 1890. La syphilis héréditaire tardive. Paris, 1886, p. 29.
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 259
0
vorisent; très souvent on a fait mention d'anomalies du squelette (1).
Or vous savez qu'il n'y a guère d'exemples d'une anomalie isolée. C'est
une vérité qui date de Geoffroy St-Hilaire. Et il est reconnu que la mul-
tiplicité des anomalies spontanées est un témoignage de dégénérescence.
L'hérédité syphilitique et alcoolique collabore merveilleusement en vue
de ce résultat. Et si la tuberculose s'en mêle à son tour, vous pourrez
voir des produits analogues à celui que je vais vous présenter. La photo-
graphie est impuissante à rendre le contraste de ces deux personnages : le
plus grand a 16 ans et le plus petit 18 (Fig. 14). Ce dernier joint à ces
tares héréditaires sa propre tare alcoolique. Cet enfant monstrueux qui
devrait être un adulte et qui semble n'avoir pas plus de 4 ans, boit le
rhum et l'absinthe à plein verre. Je m'empresse d'ajouter que sa respon-
sabilité est limitée, car sa mère lui en apporte ici en cachette. Depuis
deux ans, une gibbosité pottique a encore diminué sa taille et une notable
(1) Broda. Archiv. di psichiatria, XVII, fasc. 5, 6, 1896. -
Fig. 14. infantilisme myxoedèmatèux et anangioplasique
chez un sujet de 1S ans (le plus petit).
260 E. BRISSAUD
0
adénopathie tuberculeuse cervicale a dû contribuer pour une bonne part
à l'atrophie du corps thyroïde.
Voilà bien la combinaison annoncée de l'infantilisme rnyxoedérnateux
et de l'infantilisme anangioplasique, car dans cette association des deux
types, le myxoedème est parfaitement reconnaissable et l'infantilisme vrai
par atrophie thyroïdienne se fusionne avec l'infantilisme faux de la dégé-
nérescence. L'un n'exclut pas l'autre.
Je me suis appliqué à faire ressortir les différences de deux sortes d'in-
fantilisme qui avaient été jusqu'à présent confondues,et dont l'une seule-
ment constitue réellement un état d'enfance permanent; celle-là ne pro-
cède que d'une seule et invariable cause : l'insuffisance thyroïdienne.
L'infantilisme de Lasègue, de Lorain et de Faneau de la Cour forme un
groupe beaucoup moins homogène. Il se compose de tous les cas dans
lesquels soit un vice originel de nutrition, soit un défaut de l'hématose,
fixent la forme définitive du sujet comme en un moule de pelit calibre, le
seul qui lui convienne. Tandis que dans l'infantilisme myxoedémateux, le
cartilage épiphysaire conserve, sans l'utiliser, son aptitude à l'ossifica-
tion, dans l'infantilisme anangioplasique, il l'utilise prématurément el la
soudure précoce des os du crâne démontre que l'ossification est le fait
d'une insuffisance fonctionnelle des tissus ostéogènes en (réiiéal.1M. Spriu-
ger et Serbanesco ont fait tout dernièrement des recherches à l'aide des
rayons de Roentgen sur les causes des troubles de la croissance et ils ont
constaté que, chez les enfants syphilitiques héréditaires, comme chez les
enfants d'alcooliques, l'arrêt de développement paraît dû à l'ossification
précoce du cartilage. C'est en quelque sorte l'inverse de ce qu'on observe
dans l'infantilisme myxoedémateux.
Encore une remarque, et je termine. Il ne faudrait pas croire que le
myxcedéme - complet ou fruste - doive entraîner nécessairement soit
des troubles psychiques soit une simple apathie intellectuelle. En d'au-
tres termes, il est des infantiles dont les fonctions cérébrales sont irré-
prochables; on en peut dire'1Utant de certains myxoedémateux. De même
il y a des infantiles comme aussi des myxoedémateux confirmés qui ne
perdent absolument rien de leurs aptitudes sexuelles. Cela signifie qu'il
existe des myxoedèmes partiels. Mais comment cela peut-il se faire ?
Une thyroïdectomie totale pratiquée sur un sujet jeune abolit du jour
DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 261
au lendemain toutes les fonctions thyroïdiennes, et le myxoedème s'en
suit avec son cortège de symptômes au grand complet. Mais, au lieu d'une
abolition, supposons une simple diminution des fonctions thyroïdiennes,
et nous verrons se produire telles altérations trophiques des os, des tégu-
ments et des phanères,qui dénotent précisément telles, ou telles aptitudes
spéciales de la glande.
Il y a mieux encore. Nous savons que glande thyroïde de l'homme
se compose de deux tissus, l'un thyroïdien, l'autre parathyroïdien,
tissus différents qui chez certains animaux constituent des glandes ab-
solument distinctes, les thyroïdes et les .1J(t1'athyroides.
Les deux tissus sont juxtaposés chez l'homme etpeut-être même si com-
plètement mélangés que les lésions accidentelles des corps thyroïdes en
masse doivent intéresser également les deux tissus et troubler les deux
fonctions. Mais si une altération spontanée du tissu thyroïdien par exemple
et systématiquement limitée à ce tissu - évolue sans compromettre en
rien le tissu parathyroïdien, l'étal morbide qui s'ensuivra différera sensible-
ment de celui que produirait la perte de la fonction totale du corps thy-
roïde.
Or il semble, d'après les indications cliniques et physiologiques, qu'on
peut dès à présent les mettre à profit,- que la suppression du tissu thyroï-
dien détermine les dystrophies du tégument et du squelette,tandis que l'a-
bolition de la fonction parathyroïdienne provoque les accidents nerveux et
en particulier les troubles intellectuels associés au myxoedème.
Je vous ai présenté récemment une famille de myxoedémateux parisiens
un père, un fils, une fille-chez lesquels le myxoedème était congénital ;
Fig. 13. - Famille de myxoedémateux (père, fille et fils). 115woedème congénital
sans infantilisme ni amoindrissement intellectuel.
1
262 F. BRISSAUD
et il ne s'agissait pas d'une apparence de myxoedème, mais d'un myxoedème
aussi complet qu'on pût le souhaiter pour les besoins d'une description
classique (Fig. 13).
Or, ce père n'a rien perdu de ses aptitudes sexuelles, il est d'un niveau
intellectuel très supérieur à la moyenne. Son fils, encore plus myxoedé-
mateux que lui, est le premier de sa classe dans une école industrielle.
Quant à la fille, elle est bien quelque peu apathique, mais elle est,
comme son frère, intelligente et cultivée.
Aucun de ces trois sujets, quoique myxoedémateux, ne présente la con-
formation générale des infantiles myxoedémateux. Le myxoedème est donc
chez eux une manière d'être se rapprochant d'une monstruosité bien plus
que d'une maladie.
Et cela nous explique comme quoi, dans l'infantilisme myxcedéma-
teux, les altérations du tégument, du tissu sous-cutané, du système pi-
leux, du squelette, etc., sont comme un fait acquis, n'impliquant nul-
lement une dystrophie évolutive.
DES NÆVI .
DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX
ESSAI DE PATHOGÉNIE ET d'ÉTIOLOGIE .
PAR
G. ÉTIENNE,
Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Nancy.
Depuis quelque temps, l'attention a été attirée vers la distribution de
certains Naevi suivant les territoires de branches nerveuses. Les cas anté-
rieurs à 1877 ont été relevés par M. Barthélémy (1) ; Spietschka (2) a si-
gnalé les observations allemandes ; enfin nous-même (3) avons indiqué
la bibliographie de cette intéressante question jusqu'en 1894, dans une
note au sujet d'un cas remarquable que l'on retrouvera plus loin.
Depuis lors, nous avons eu l'occasion d'observer toute une série de cas
analogues, à systématisation évidente chez les uns, à systématisation moins
nette chez les autres, mais cependant facilement réductible à une topo-
graphie régulière ; ces derniers cas ne sont pas les moins intéressants,
établissant le passage entre les faits indiscutables mais rares et ceux qui
sont frustes, et permettant peut-être de conclure des premiers aux autres,
et de tirer quelques déductions d'ordre plus général.
Voici d'abord nos observations, que nous pouvons diviser en trois
groupes :
I. Plexus cervical superficiel ;
II. Trijumeau ;
III. Intercostaux.
(1) Barthélémy. Deux observations de nævus zoniforme lisse. Annales de dermato.
lOgie. 1811, p. 281.
(2) Spietschka. Ueber sogenanle nerven-noevi. Arc. f. dermat., 1894, XXVII, 1, p. 21.
(3) G. Etienne. Nævus pigmentaÏ1'e verruqueux développé sur le territoire des bran-
ches du plexus cervical superficiel. Soc. de dermatologie, 1894, 10 mai.
264 G. ETIENNE
PLEXUS CERVICAL SUPERFICIEL
. Observation I.
N oe¡;lIS pigmentaire verruqueux développé suivant les branches du
plexus cervical superficiel droit.
La nommée B..., âgée de 15 ans, se présente au mois d'octobre 1890 à
la Clinique de M. le professeur Spillmann.
Nous ne relevons rien de particulier dans ses antécédents héréditaires
ou familiaux. Elle n'a jamais été malade ; elle est hien conformée et se-
rait parfaitement constituée sans la déformation qui l'amène à l'Hôpital
civil.
Cette affection est congénitale, et n'a, depuis la naissance, nullement
changé ni d'aspect ni de position lopographique ; elle s'est régulièrement
accrue parallèlement au développement de la taille de la jeune fille.
Elle se présente sous forme de placards disposés sur le côlé droit de la
face, du cuir chevelu et de la partie supérieure du thorax, avec un as-
pect un peu différent suivant ces régions. (PI. XXVII, À.)
- Le centre de la lésion parait siéger au cou, environ à 4 ou 5 travers de
doigt au-dessous de l'angle de la mâchoire; c'est une plaque à peu près
horizontale, au point d'émergence du plexus cervical superficiel, se diri-
geant en arrière sur les dernières vertèbres cervicales ; en avant, s'incur-
vaut pour arriver au niveau de 1 articulation sterno-clav iculaire droite eu
venir mourir le long du bord droit du sternum. Cette plaqué est large de "
3 ou 4 travers de doigt, à contours déchiquetés, géographiques ; elle
revêt un aspect craquelé, parqueté, et est constituée par des groupes
confluents de verrucosités assez dures, rugueuses, agglomérées par leurs
bases, mais séparées par des sillons profonds et très étroits ; le relief for-
mé au-dessus de la peau saine est d'environ 5 millimètres. La couleur est
absolument mélanique, presque « bois d'ébène ».Un prolongement très im-
portant se'détache vers l'angle de la mâchoire, suit la direction du maxil-
laire inférieur, se terminant à l'extrémité antérieure de cet os et la com-
missure labiale. Sur ce placard, les végétations sont d'un noir moins in-
tense, el aussi moins développées, moins saillantes, moins individualisées ;
mais il se détache quelques petites houppes filamenteuses, mousseuses,
d'aspect un peu soyeux, de couleur blanche, et formant sur la tache fon-
damentale un relief de plus de 1 centimètre.
Toujours de l'angle de la mâchoire part une autre branche, présentant le
même aspect que la précédente, venant occuper toute la région paroti-
dienne; elle offre aussi quelques bouquets filamenteux.
Autre ramification se dirigeant le long du bord postérieur de la branche
DES NiEVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 2G5
montante du maxillaire inférieur, envahissant toute la partie périphérique
du pavillon de l'oreille, surtout la région du lobule, et remontant sur
l'hélix en atténuant ses caractères morphologiques pour se terminer en
haut par un volumineux papillome.
La région de la tempe est occupée par un placard moins coloré, arrivant
en avant jusqu'à l'angle externe des paupières et, en arrière, allant se
perdre dans le cuir chevelu vers la région pariétale.
Enfin une dernière localisation siège sur l'épaule droite, au niveau du
trapèze, et arrive vers l'acromion.
En somme, dans ce cas, la lésion est unilatérale, présentant manifes-
tement un centre où les verrucosités. revêtent leur maximum de dévelop-
pement et de pigmentation ; puis, de cette sorte de point nodal, partent
en rayonnant des branches qui suivent des directions hien déterminées,
mais dans lesquelles les caractères morphologiques des verrues s'atténuent
de plus en plus à mesure qu'elles arrivent vers la périphérie; toutes ces
branches s'éteignent un peu avant d'arriver sur la ligne médiane qui, en
aucun point, n'est atteinte.
A première vue, si l'on compare notre photographie Pl. XXVII avec la
figure empruntée au Traité d'anatomie de Morel (Fig. 1), il est facile de se
x 19
Fig. I. - Plexus cervical superficiel.
266 G. ÉTIENNE
rendre compte que la disposition de ce noevus reproduit avec une remarquable
fidélité la disposition anatomique du plexus cervical superficiel, dont toutes
les branches sont cutanées. On voit que le point central d'où rayonnent les
ramifications de la lésion et où, en même temps, ses caractères sont le
mieux marqués, correspond bien au point d'issue des branches du plexus ;
que la branche qui part vers l'oreille et vers la région parotidienne suit
rigoureusement la zone d'innervation de la branche nerveuse auriculaire ;
que le placard qui occupe la région de la tempe et le cuir chevelu corres-
pond ? la sphère des filets auriculaires internes et de la branche mastoï-
dienne ; que la bifurcation suivant le maxillaire inférieur vers le menton
relève de la branche transverse du plexus ; c'est encore à cette dernière,
et aussi aux branches sus-sternales, que ressortit le placard de la région
antérieure du cou et de la partie antéro-supérieure de la poitrine. Enfin,
la dernière localisation, située à la région supérieure de l'épaule, vers le
trapèze, appartient à la zone d'émergence des branches sus-acromiales.
Un seul point paraîtrait s'écarter légèrement du schéma que nous avons
pris comme point de comparaison ; chez notre jeune malade, le nsevus
s'avance vers l'angle de l'oeil plus que ne le ferait penser la distribution
des terminaisons de la branche auriculaire et des branches temporales dans
la figure de Morel ; mais cette objection, bien légère, tombe complètement
si l'on consulte la planche de l'atlas de Frohse (1).
Observation II.
Noevlls vasculaire veineux plan développé sur la zone d'innervation du
plexus cervical superficiel droit.
La distribution de ce noevus est. en tout point comparable à celle du
précédent.
Mlle Lim..., âgée de 17 ans, se présente en février 1896 à la consul-
tation externe annexée à la clinique de M. le professeur Spillmann, at-
teinte d'une indisposition banale.
C'est une jeune fille parfaitement développée, ne présentant aucune
déformation autre que son noevus.
Cette lésion est congénitale et s'est régulièrement accrue au sur et à
mesure du développement général. '
Elle est constituée par une large tache (Fig. 2), de couleur violacée
assez claire, à contours géographiques, siégeant sur le côté droit de la
face, du cou et du tronc, et par quelques taches adhérentes de dimensions
beaucoup moindres.
(1) Fhitz Frohse. Die obel'fliichlichen nerven der Kopfes, Atlas, Taf. V, fig. 2.
DES PttEVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 261
La tache principale occupe d'une façon continue le côté droit de la face,
recouvrant une vaste région s'étendant en avant sur toute la région paro-
tidienne jusque vers le milieu de la joue; un prolongement s'avance en
suivant la branche horizontale du maxillaire inférieur et se termine en
avant par deux petites taches isolées siégeant au niveau du menton, entre
la commissure labiale et la ligne médiane.
En arrière, le noevus s'étend derrière l'oreille, occupant toute la région
antéro-latérale du cuir chevelu ; un peu en avant, isolées, sont deux petites
taches arrivant sur l'angle externe de la paupière.
Au niveau de l'oreille, toute la face postérieure du pavillon est occupée
par la coloration violette, et à la face antérieure trois taches isolées sié-
geant à la partie antéro-supérieure de l'hélix, vers la fossette naviculaire
Fig. 2. - Nævus vasculaire veineux plan développé sur la zone d'innervation
du plexus cervical droit.
268 G. ETIENNE
et vers le lobule, correspondant à des points d'émergence des branches
perforantes.
En bas, la tache principale arrive jusque vers la partie moyenne du
triangle des sterno-cleido-mastoïdiens, se terminant là, comme, du reste,
sur toute son étendue, par une ligne très nette.
Mais une tache indépendante, allongée, suit sur un espace d'environ
quatre travers de doigts le bord externe droit du sternum.
Une autre tache occupe la face antérieure de l'épaule, se terminant par
deux nouveaux placards, de coloration plus claire, l'un au niveau de l'a-
cromion, l'autre sur la clavicule.
¡
Très manifestement, dans cette seconde observation, la distribution to-
pographique est la même que celle de l'observation I, la lésion occupant
la région du plexus cervical superficiel, ne suivant plus ici le trajet des
branches, mais intéressant toute la zone d'innervation.
Nous la voyons, en effet, occuper d'abord le point d'émergence, puis le
territoire des branches parotidiennes et cutanées antérieures dont l'extré-
mité est marquée par les taches adhérentes de l'angle de l'oeil ; le terri-
toire de la branche transverse, jusqu'à son point terminal mentonnier, indi-
qué par une tache adhérente; le territoire des branches temporales ; celui 1
des branches auriculaires. Enfin, des taches adhérentes marquent l'épa-
nouissement des branches sus-sternales, sus-claviculaires , sus-acl'omililes et
descendantes superficielles .
Dans ce cas intéressant, j'insiste sur la très grande importance morpho-
logique de ces taches adhérentes signalées qui se superposent avec préci-
sion aux points ultimes d'épanouissement des diverses branches du
plexus, et se rattachent ainsi et anatomiquement à la tache principale.
TRIJUMEAU
Observation III.
Nævus vasculaire veineux plan développé sur le territoire de La branche
ophtalmique de Willij et du nerf maxillaire supérieur.
Mme Bail..., 32 ans.
Tache foncée, de couleur violacée, plane, occupant le côté droit de la
figure, et débordant à gauche, sur toute sa longueur, la ligne médiane
d'environ 4 millimètres.
Cette tache, facile à systématiser topographiquement (Fig. 3) intéresse
en haut l'espace intersourcilier droit, la région interne de la paupière
DES N.EVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 269
supérieure, le côté droit du nez, la région sous-palpébrale s'étendant en
dehors du nez jusque environ une ligne verticale partant de l'union du
1/4 externe et des 3/5 internes de la paupière inférieure. Enfin un pro-
longement vient occuper la lèvre supérieure, arrivant jusque vers la com-
missure, débordant légèrement sur la muqueuse, mais laissant indemne une
petite zone triangulaire interne.
Entre ce prolongement labial et la partie sous-palpébrale de la tache,
une encoche de peau saine arrive jusqu'à la base de l'aile du nez.
Au point de vue de la distribution des zones d'innervation, ce nmvus
occupe donc les territoires suivants :
270 G. ÉTIENNE
Observation IV.
Nævus vasculaire veineux développé sur le territoire du nerf maxillaire
supérieur et de la branche de Willis.
X..., 10 ans. Entre au service de M. le professeur Gross, pour une tu-
meur de la lèvre supérieure. Cette tumeur siège du côté droit, vers l'union
du 1/4 externe et des 3/4 internes. C'est une tumeur érectile, qui est très
facilement enlevée. -
Elle est la plus volumineuse d'un groupe de petits angiomes veineux
disséminés sur la moitié de la lèvre supérieure ; ce groupe fait lui-même
partie' d'un naevus veineux (Pl. XXVII, B) dont les autres portions sont
planes et occupent le côté droit de la face, constituées par des taches d'une
teinte violacée très discrète, à contours géographiques, décomposées par des
intervalles de peau saine.
Ces taches occupent la zone d'innervation cutanée du maxillaire supé-
rieur, notamment le territoire du bouquet sous-orbitaire, avec ses filets
nasaux, labiaux et palpébraux.
En outre, il existe une petite tache sur la paupière supérieure, appar-
tenant à un rameau supérieur du nasal externe (br. de Willis).
Nouv. Iconographie de 1 S.LrPI'R1€RE. T. X. PI. XXVII
NOEVUS PIGMENTAIRE VERRUQUEUX
sur les branchcs du plexus cervical superficiel droit.
NOEVUS VEINEUX
sur le territoire du nerf maxillaire supérieur
et de la branche de Willis.
MASSON & Cie, Editeurs
DES NIEVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 211
Observation VI.
Noevus pigmentaire légèrement verruqueux développé sur le trajet du
huitième nerf intercostal gauche.
Homme âgé de 30 ans, bien constitué, ne présentant aucune autre ano-
malie apparente.
Sur le côté gauche du thorax existe un nrcvus linéaire (Fig. 4) consti-
tué par l'agglomération de taches pigmentaires d'un brun foncé, formant
un léger relief verruqueux. Ces taches sont isolées l'une de l'autre dans la
partie latéro-postérieure du naevus, au contraire réunies dans sa portion
latéro-antérieure en une ligne à peu près continue, ayant environ 2 centi-
mètres de largeur.
On peut distinguer à ce naevus
trois portions, l'une centrale, dans
laquelle les taches sont plus dis-
crètes, moins foncées, plus iso-
lées, et siégeant au niveau de la
face latérale externe du thorax,
dans lé 7e espace intercostal, sur
la ligne axillaire antérieure. De ! part :
1° La portion antérieure, li-
néaire,dont la direction va obli-
quement d'arrière en avant et de
haut en bas, et s'arrête entre la
ligne mamillaire et la ligne mé-
diane.
2° La portion postérieure, qui i
très rapidement se divise en deux
branches linéaires à direction lé-
gèrement divergente.
3° Enfin un petit groupe isolé
légèrement supérieur.
Chez cet homme le naevus suit nettement le trajet des deux filets, anté-
rieur et postérieur, du nerf cutané perforant latéral.
- Observation VIII.
Ncevus pigmentaire et pileux développé sur la branche récurrente latérale
. du 7e nerf intercostal droit.
Homme de 28 ans. Bonne constitution ; aucune autre anomalie appa-
rente. Dermographisme. Cheveux et poils noirs.
Fig. 4. - Nævus pigmentaire légèrement ver-
ruqueux, développé sur le trajet du huitième
nerf intercostal gauche.
272 G. ÉTIENNE
Dans le 7° espace intercostal gauche (PI. XXVIII, B), au niveau de la
ligne verticale axillaire postérieure, existe une tache brune, plus foncée que
le reste du naevus, large comme une pièce de 0,50 centimes, véritable point
nodal, d'où part, divergeant en éventail, de dehors en dedans, un naevus
limité en bas par une ligne basale à peu près horizontale, et en haut par
une ligne supérieure allant obliquement en haut. Ce naevus est formé par
une série rayonnante de bandes légèrement obliques de dehors en dedans
et de bas en haut. -
II est constitué par des macules pigmentées d'un brun fauve, sans re-
lief, légèrement brillantes, de forme allongée dans l'axe général du naevus,
en bandes réunies par des commissures plus étroites. La plupart de ces ta-
ches sont recouvertes de poils noirs, assez fins, soyeux, tranchant nette-
ment sur la peau glabre voisine, développés, ayant une longueur moyenne
d'environ 2 centimètres.
Le naevus se développe ainsi sur une longueur totale de 18 centimètres,
arrivant en arrière jusqu'à G cent. 1/2 de la ligne vertébrale, et ayant une
largeur de centimètre en dehors, et de 8 cent. 1/2 en dedans.
Ce naevus correspond exactement à la zone d'épanouissement de la bran-
che postérieure récurrente du 7e nerf intercostal droit.
Ce groupe d'observations montre que les types divers de nævi peuvent
se développer en rapport avec des territoires nerveux : nacvi verruqueux
ou ichtyosiformes (observ. I), nmvi vasculaires plans (observ. II, III) ou
érectiles (observ. IV), noevi pigmentaires plans (observ. V), naevi pi-
laires (observ. VIII). Dans la littérature médicale,nous relevons en outre
des naevi sudoripares (Pétersen, Blaschko), des naevi sébacés (Hallopeau
et Leredde,Werner et Jadassohn), des nmvi fibreux (Recklinghausen). Les
diverses parties constituantes de la peau peuvent donc y prendre part; et
d'ailleurs, on a signalé la coexistence chez un même individu de plusieurs
formes histologiques, combinées (observ. I et VIII) ou isolées.
Nous avons observé ces cas dans les deux sexes. Sur 52 cas publiés, réu-
nis par Galewsky et Schlossmann, on trouve 23 hommes et 22 femmes.
Dans la même statistique, on voit encore que le côté droit a été intéressé
22 fois, le côté gauche 17, les deux côtés 7 fois.
Al herz-Sclnnberg, s'appuyant sur les dires de lloegelé a invoqué l'influen-
ce (le l'hérédité directe, que nous voyons cependant manquer dans l'immense
majorité des cas publiés. Disons encore, pour mémoire, que Muller relève
dans une observation la vue par la mère, pendant la grossesse, d'une fem-
me atteinte d'une lésion semblable, et que la mère du malade de Saalfeld
aurait été piquée, toujours pendant la grossesse, par une grosse chenille
Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière. T. X. PI. XXVIII
NOEVUS PIGMENTAIRE PLAN ZOSTÉRIFORME
Dixième nerf intercostal gauche.
NOEVUS PIGMENTAIRE ET PILEUX
Branche récurrente latérale du septième nerf intercostal droit.
MASSON & cic, Éditeurs
DES NI'.VI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 273
dont la forme se serait retrouvée plus ou moins vaguement reportée sur
l'enfant.
Mais l'intérêt principal de l'étude de ces cas est surtout dans la patho-
génie et l'étiologie générale.
Remarquons d'abord que la disposition de la lésion ne correspond nul-
lement avec celle des fentes branchiales ; qu'elle ne présente nulle con-
nexion avec la répartition normale du système vasculaire cutané normal,
étudié par Manchot (1), ni avec la direction des vaisseaux lymphatiques,
malgré l'avis de Heller. On ne peut invoquer aucune connexion apparente
avec un appareil autre que le système nerveux.
Quant à la distribution territoriale des naevi dans ses rapports avec la
disposition anatomique des rameaux nerveux, nous nous trouvons en face
de deux théories principales :
I. Baerensprung insiste sur ce fait que le développement des naevi est
en rapport avec les territoires d'innervation cutanée, et serait dû pro-
bablement à une maladie des ganglions spinaux. Il s'appuie surtout sur
les trois raisons suivantes :
1° L'affection est constamment unilatérale et exactement limitée à la
ligne médiane ;
2° Les lignes d'agencements répondent à l'épanouissement périphéri-
que de un ou plusieurs nerfs spinaux ; .
3° L'altération cutanée consiste en une hypertrophie des éléments dans
lesquels se terminent les nerfs périphériques, c'est-à-dire les papilles
cutanées; on ne voit pas prendre part à la lésion les glandes, les poils,
les cheveux.
Bien que cette théorie de Baerensprung, soit acceptée par Neumann,
Pott, Gerhard, Simon et la plupart des auteurs, chacune des raisons invo-
quées par railleur pèche manifestement par un absolutisme exagéré. Le
troisième argument est d'abord faux, puisque nous avons montré plus
haut que tous les éléments de la peau peuvent intervenir dans la produc-
tion du naevus ; le deuxième présente trop peu d'extension, s'arrêtant
limitativement à l'épanouissement périphérique des nerfs spinaux, alors
que certains nerfs crâniens, le trijumeau, par exemple (Observât. III et
IV) peuvent être intéressés. Enfin l'unilatéralité n'est pas absolue ; les
lésions peuvent exister des deux côtés du corps ; ou bien déborder légère-
ment la ligne médiane, comme dans notre observation III, comme dans les
cas de Galewsky et Schlossmann, Jadassohn, Kroener, Muller, Gerhardt.
Remarquons que cet empiétement sur le côté opposé ne détruit pas la
(1) Manchot. Die Haut arterien der menschlichen Korpers, 1S89. '
274 G. ÉTIENNE
théorie de Bmrensprung, caries filets nerveux ne s'arrêtent pas rigou-
reusement à la ligne médiane, comme le montrent entre autres Galewsky
et Schlossmann, et il faut aussi tenir compte de la région des anastomoses.
A cette théorie de Boerensprung faisant dépendre la répartition des nævi
de la zone d'innervation cutanée, Alexander objecte encore que l'altération
du centre trophique, ganglionnaire ou autre, ne peut être une alrophiede
ce centre, car l'atrophie de ce centre trophique entraînerait une atrophie
des territoires cutanés, et non une lésion hypertrophique; il faudrait donc
admettre plutôt une excitation centrale ; cependant Recklinghausen accepte
que l'abolition de l'influx nerveux sur la nutrition de la peau peut déter-
miner des troubles trophiques neuro-paralytiques aboutissant à l'hyper-
trophie des papilles; d'ailleurs Charcot enseignait bien que les arthropa-
thies du tabes, avec leurs ostéophytes, dépendent de l'atrophie du groupe
des grosses cellules antérieures de la moelle. Enfin, la lésion originelle
dans les cas rentrant dans la théorie de 13;r,rensprung, peut être tout
autre chose qu'une altération des centres trophiques.
Galewsky et Schlossmann, de leur côté, objectent que les territoires
cutanés sont innervés par toutes les ramifications d'une branche nerveuse;
une altération de l'action nerveuse devrait aboutir à une lésion diffuse
occupant tout le territoire de cette branche, et non pas seulement, comme
dans certains cas, à des lésions développées suivant la projection sur la
peau de cette branche. Sans méconnaître la portée de cette objection,
remarquons que nous avons dans notre observation II un naevus occupant
toute la région de la plupart des branches du plexus cervical superficiel,
alors que dans notre 4''e observation, nous voyons la lésion suivre plutôt
les branches du même plexus.
Si les bases sur lesquelles s'appuie Baerensprung sont trop absolues, le
fait qu'il a constaté reste cependant exact dans de nombreux cas, et dans
la plupart de nos observations, comme nous pensons l'avoir montré, les
naevi occupent bien un territoire déterminé d'innervation périphérique ;
de sorte que, malgré les objections soulevées, bon nombre de faits restent
en faveur de sa théorie.
II. Philippson, Petersen, Galewsky ont attiré l'attention sur le rap-
port existant entre la disposition anatomique des naevi et les lignes de
Voigt, c'est-à-dire les districts de séparation entre la sphère d'action de
deux nerfs cutanés voisins. Un certain nombre de cas, notamment celui
de Galewsky et Schlossmann semblent se rapprocher d'assez près de ces
lignes ; mais cela n'est pas général, et, en particulier, dans nos huit obser-
vations, les naevi siègent non pas au niveau de ces lignes de démarca-
tion, mais au contraire bien dans la zone d'innervation d'un groupe ner-
veux anatomiquement déterminé. A notre première observation, on a fait
DES NIEVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 275
remarquer (Verner et Jadassohn, p. 401 ; Galewsky et Schlossmann,
p. 1 13), qu'il est bien difficile de dire s'il n'y a pas des anastomoses entre
le plexus cervical et le facial ; cette objection ne paraît pas avoir une
bien grande portée, le facial n'étant pas, par lui-même, à la face un nerf
sensitif et trophique; en outre, la grande étendue des lésions les place
manifestement en dehors de la zone anastomotique.
En opposition avec cette théorie de Philippson, on a voulu édifier des
théories nouvelles qui ne sont, en somme, qu'une analyse plus précise des
vues de cet auteur.
III. C'est ainsi que l'hypothèse développée par Blaschko était déjà con-
tenue en germe dans le mémoire de Philippson. D'après Blaschko, aux
endroits où, chez l'embryon, s'accolent deux territoires cutanés en voie
de formation, il se fait, au niveau du chorion correspondant à la surface
épidermique, une prolifération plus active déterminant le bourgeonne-
ment des crêtes épithéliales,et ces modifications de la surface limitante du
chorion et de l'épiderme s'étendent à toutes les couches sus-jacentes.
Si, pour une cause ou une autre, il existe un trouble dans le développe-
ment normal de ces formations, trouble aboutissant à l'hyperformation,
ces régions intermédiaires, qui sont déjà le point de départ de la différen-
ciation, seront tout naturellement de préférence le siège électif de ces
manifestations anormales.
Mais ces régions au niveau desquelles se rencontrent, pendant le déve-
loppement embryologique de la peau, les territoires cutanés, sont aussi
celles où se heurtent les diverses expensions des rameaux nerveux des
territoires voisins, et ne sont que les lignes de Voigt.
Du reste, cette interprétation n'est pas exclusive à la formation des crê-
tes épithéliales (naevi verruqueux); des considérations analogues peuvent
s'appliquer à tous les éléments histologiques constitutifs de la peau, dé-
veloppement des vaisseaux, des glandes, des^oies lymphatiques (Heller).
IV. Jadassohn (9 ) signale d'une part la concordance entre les lignes de
Voigt et les lignes suivant lesquelles se développent normalement les poils;
et d'autre part la concordance entre la localisation des noevi et les points
« Haarstroeme » où convergent ou d'où divergent les lignes d'implanta-
tion des poils. Cela du moins, dans un certain nombre de cas intéressant
en particulier le creux axillaire (Esmarch, Spietschka (cas I et II), Gal-
liard, Geber, Curtis, Albers-Schonberg, Breda, Hagen, Saalfeld, Thomsen,
Mackenzie, Gerhardt, Müller).Si,conclut l'auteur, ces lignes de Voigt jouenl
un rôle important dans le développement des poils et des crêtes épidermi-
ques,on ne considérera pas la concordance entre ces lignes et les nmvi comme
(1) JADASSORN. Zur Kenntniss der « syslematisirten nxvi », p. 388 et seq.
276 G. ÉTONNE
une simple coïncidence, mais comme présentant un rapport de cause à
effet avec des complications dans le développement de ces organes,
A ces interprétations, je dois opposer la même objection que plus haut :
c'est que bon nombre de nscvi, et en particulier mes huit cas personnels,
ne siègent pas au niveau des lignes de Voigt. Ces hypothèses n'ont donc
pas, en tout cas, une portée générale.
Cependant il faut reconnaître que dans un certain nombre d'observa-
tions, la disposition des noevi paraît bien concorder avec l'orientation des
lignes de Voigt, notamment dans celles de Philippson, Pétersen, IVIÜIIer,
Galewsky.
Il y a donc lieu de reconnaître deux groupes de faits :
1° Ceux dans lesquels le mcvus occupe le territoire d'un nerf, ou son
trajet;
2° Ceux dans lesquels le noevus occupe la zone intermédiaire entre deux
territoires nerveux voisins.
Mais dans l'un comme dans l'autre cas, l'anomalie congénitale doit être
attribuée à un trouble dans le développement embryologique de la peau.
Quelle peut être la cause de ce trouble de développement ?
Il y a hypertrophie de divers éléments cutanés, crêtesépithéliales,pigmen t,
vaisseaux, glandes...; on conçoit que l'excitation anormale des nerfs trophi-
ques puisse le déterminer, excitation anormale due à une lésion des nerfs
périphériques, à une véritable névrite intra-utérine. Au contraire, on peut
concevoir encore, avec Recklinghausen, que la suppression de l'influx
nerveux sur la nutrition cutanée puisse déterminer des troubles trophi-
ques neuro-paralytiques aboutissant à l'hypertrophie de certains éléments,
les papilles par exemple. Et la névrite pourrait aussi intervenir par ce mé-
canisme. Quant à l'étiologie de cette névrite foelale,hypothétique mais pos-
sible, nous savons qu'une maladie infectieuse maternelle peut soit infecter
soit intoxiquer le foetus, dont les-organes sont des plus sensibles dans ces
premiers moments du développement. Il est donc possible qu'une infection
maternelle, infection relativement bénigne, grippe, angine, l'une de ces
infections d'un jour, insuffisante pour provoquer l'interruption de la gros-
sesse et la mort du foetus, soit suffisante pour déterminer chez lui une né-
vrite dont la répercussion se traduira plus tard par un nmvus.
Peut-être aussi pourrait-on faire jouer un rôle à l'inloxication foetale
résultant des troubles digestifs si fréquents chez la femme enceinte.
Cette hypothèse d'une névrite foetale peut expliquer un grand nombre
de cas, que l'action hyperlrophiante s'exerce sur tout le territoire du nerf
atteint, ou plus activement à ses limites, aux lignes de Voigt.
DES NTVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 'Î7
Mais il existe des noevi plus complexes difficiles à interpréter par ce
mécanisme. Ce sont notamment :
1° Les noevi dans lesquels les territoires de plusieurs nerfs sont intéres-
sés d'un seul côté (Muller, Pétersen, 3e observ. de Spietcliska, Hallopeau).
2° Les noevi constitués par des placards médians formés de deux por-
tions symétriques, comme dans l'observation suivante :
Observation IX.
Nouveau-né du sexe masculin, pesant 2900 gr., bien constitué.
L'enfant porte, à la région interscapulaire un vaste noevus pigmen-
taire plan, de couleur brun chocolat, mesurant 5 centimètres de dimen-
sion transversale, et 3 centim. 5 de hauteur au niveau de la colonne ver-
tébrale. Ce noevus, rigoureusement médian, est constitué par deux parties
symétriques, s'élargisssant en forme d'aile de papillon de chaque côté de
la colonne vertébrale, niveau où sa hauteur atteint son minimum, ces
deux ailes étant exactement superposables en pensée.
La mère, primipare, âgée de 19 ans, est bien constituée. Pas trace de
syphilis. Aucun cas analogue dans la famille.
Tuberculose pulmonaire au début, se manifestant déjà par de l'expira-
tion souillée au sommet droit, et de l'inspiration rude à gauche. A noter
encore que depuis le 3° mois de sa grossesse, la mère a présenté une pig-
mentation extrêmement prononcée de la peau.
3° Les nævi croisant plus ou moins obliquement plusieurs territoires
nerveux.
En effet, dans les premiers cas, il est difficile de comprendre une né-
vrite qui intéresserait systématiquement une série unilatérale de nerfs;
de même, dans le second cas, une névrite intéressant une série symétri-
que de nerfs.
Au contraire, ces na;vi successifs ou symétriques peuvent s'interpréter
par l'hypothèse d'une myélite intra-utérine. Et que l'on n'objecte pas la
localisation excessive, la ténuité de la lésion, puisque l'on sait que préci-
sément dans le premier âge les altérations de quelques cellules médul-
laires, des cornes antérieures par exemple, sont fréquentes, la paralysie
infantile ne portant souvent que sur quelques muscles. On a actuelle-
ment tendance à admettre la systématisation illtra-médullaire des fibres
constitutives des nerfs périphériques; d'où découle la possibilité de la
manifestation,suivant le territoire nerveux périphérique, de lésions médul-
laires intéressant son faisceau pendant son trajet dans la moelle.Plusieurs
de ces faisceaux médullaires voisins, déjà systématisés, peuvent être inté-
ressés par une même plaque de myélite, d'où altérations trophiques se
278 G. ÉTIENNE
manifestant par une série successive de nævi (cas de 8.vietchska, etc.).
S'il s'agil de naevi symétriques, on peut admettre une plaque de myélite
intéressant un segment de la moelle.
Selliorst déjà avait présenté une origine médullaire de navi, les attri-
buant à une lésion des cornes postérieures de la moelle.
Restent les nfovi croisant obliquement plusieurs territoires nerveux. Il
y a défaut de superposition entre les troubles trophiques et les régions
nerveuses. Ici, il semble que l'on puisse faire intervenir la théorie méta-
mérienne de Ross, Thornbull, Head appliquée par Brissaud (1) et
Achard (2) aux zona, ainsi que Pécirka Taxait déjà prévu quand il écri-
vait : « Les naevi linéaires sont une prononciation de la constitution
segmenlaire du corps », et plus loin : « Les lignes de démarcation de
Voigt, soumises à quelques corrections, sont aussi une manifestation de la
segmentation du corps. »
On sait que le métamère est toute portion de l'être encore fragmentaire
possédant en soi l'ensemble des propriétés de l'être achevé ; il a, notam-
ment, un appareil nerveux central, le neurotome, pourvu d'une paire
rachidienne formée de deux nerfs symétriques correspondant à un étage
périphérique du même niveau ; mais, au cours du développement, lors de
l'ascension relative de la moelle, il s'établit une discordance de niveau
entre le neurotome et le territoire périphérique qui primitivement lui
correspondait; néanmoins, chaque étage périphérique reste relié à un
étage spinal déterminé par ses nerfs sensitivo-trophiques devenus obli-
ques. Que survienne maintenant, lors du développement, une lésion de
cet étage spinal, une myélite, elle pourra se manifester obliquement sui-
vant le trajet des nerfs de connexion,' en croisant d'autres territoires ner-
veux apparents, par des troubles trophiques.
Cette interprétation des anomalies de développement cutané sous l'in-
fluence d'une névrite ou d'une myélite, trouble des nerfs périphériques
ou de la moelle, paraîtra plus possible encore si l'on se rappel le que d'une
part la peau et ses annexes, poils, glandes sébacées et sudoripares, et
d'autre part le névraxe, ont la même origine, se développant aux dépens
(1) BRISSAUD. La métamérie spinale et la distribution périphérique du zona. Bulle-
tin médical, 1896, p. 89 ; Le zona du tronc et sa topographie. Bulletin médical, 1896,
p. 27 ; Sur la distribution métamérique du zona des membres. Presse médicale, 1896,
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(2) Acnnno. Sur la topographie du zona. Gazette hebdomadaire, 1896, p. 217 ; Syrin-
gomyélie avec amyotrophie du type Aran-Duchenne, Anesthésie dissociée en bande zos-
stéroïde sur le tronc. Gazette hebdomadaire, 1896, p. 361.
DES NtEVf DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 219
de l'ectoderme ; et les nerfs, originaires du névraxe dont ils sont une ex-
pansion, sont donc aussi, comme les téguments, de formation ectodermi-
que, mais des formations en quelque sorte de seconde main, comme dit
Feindel (1).
Au moment du développement de l'individu les troubles du côté de
l'appareil nerveux se répercutent donc tout naturellement du côté des élé-
ments cutanés.
EN résumé, les naevi, reconnaissant pour origine une lésion nerveuse
intra-utérine, peuvent être attribués à une lésion du neurone sensitif
direct, altéré dans l'une quelconque de ses parties contituantes : 4 gazz-
glion rachidien ou prolongement périphérique ; on a alors la névrite pouvant
expliquer les naevi développés sur le territoire d'un nerf anatomiquement
précisé ; 2° prolongement central ou radiculaire postérieur, myélite expli-
quant les nævi sériés, les nævi symétriques et les naevi obliques.
Peut-être pourrait-on poursuivre plus loin encore cette recherche as-
cendante des étages nerveux pouvant être intéressés et pouvant déterminer
l'apparition des noevi; peut-être pourrait-on se demander si des centres
supérieurs n'interviennent pas aussi dans leur genèse. C'est une hypo-
thèse dont on ne peut se défendre à la vue de certains naevi de la face,
quand on les compare à cet autre trouble de pigmentation dont la dispo-
sition est si singulièrement systématisée, le chloasma des femmes en-
ceintes.
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Depuis lors, j'ai eu communication de la très intéressante thèse de M. Feindel sur la
neurofibromatose ; je suis heureux de me trouver sur tous ces points en communauté
d'idée avec lui. Enfin, ce travail était sous presse lorsque parut la note de \191. Hallo-
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x 20
NOTE
SUR L'ASYMÉTRIE CRANIO-FACIALE
DANS L'HÉMIPLÉGIE SPASMODIQUE INFANTILE
PAR
M. CH. FÉRÉ
Médecin de Bicètre.
L'arrêt de développement du crâne et de la face dans l'hémiplégie in-
fantile présente des variétés considérables : il peut être très marqué ou
faire complètement défaut. Lorsqu'on l'étudié sur plusieurs séries d'hémi-
plégiques on la trouve presque constante dans l'une, rare dansl'autre; aussi
l'opinion des auteurs varie-t-elle sur sa fréquence : dans un travail ré-
cent, Spiller affirme ne l'avoir trouvée qu'une fois sur 23 cas (1).
M. P. Marie dit que dans quelques cas, il y a une atrophie plus ou
moins prononcée de la face (2). D'après la première série de faits que j'ai
examinée (3), j'ai admis que la face participe généralement à l'hémiatro-
phie. J'avais déjà noté antérieurement la fréquence de l'asymétrie chro-
matique de l'iris et l'asymétrie pupillaire (4). Dans un travail fait sous la
direction de M. Bourneville, M. Retrouvey (S) déclare que « la face est
aussi souvent déformée ; les fentes palpébrales sont inégales ; le globe de
l'oeil est quelquefois plus petit du côté atteint ; à l'inégalité des pommet-
tes s'ajoute une différence dans l'épaisseur des joues et une asymétrie entre
.les sillons naso-labiaux et les commissures des lèvres. Les oreilles souvent
sont d'inégale grandeur ; le palais est à peu près constamment asymétri-
que, etc. ».
(1) Wm. G. Spiller. A clinical study of infantile hémiplegia (The journ. of nervus.
of mental diseases, january, 1897).
(2) P. Marie. Article Hémiplégie spasmodique infantile (Dict. encycl. des sciences
médicales, 1884, 4° série, t. XIII, p. 219).
(3) Ch. Féré. Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 31.
(4) Cii. Féré. De l'asymétrie chromatique de l'iris considérée comme stigmate névro-
pathiqne (stigmate iridien) (Progrès médical, 1886, p. 802).
(5) A. Retrouvey. Contrib. d l'étude de l'hémiplégie spasmodique infantile. Th. 1891,
p. 14.
L'ASYMÉTRIE CRANIO-FACIALE DANS L'HÉMIPLÉGIE SPASMODIQUE INFANTILE 283
Beaucoup d'asymétries passent inaperçues faute de mesures. Le compas
et le mètre permettent souvent de mettre en lumière des différences qui
échappent à l'examen le plus méticuleux : dans l'étude de l'atrophie des
membres dans l'hémiplégie infantile ils m'ont déjà rendu des services (1).
Leur application est malheureusement limitée par la difficulté de déter-
miner avec sécurité des points de repère sur le vivant. En ce qui con-
cerne le crâne, la difficulté est encore plus grande qu'on ne pourrait le
croire au premier abord : un grand nombre des hémiplégiques infantiles
sont épileptiques ; ils se font fréquemment dans leurs chutes des contu-
sions sur les parties saillantes et il s'ensuit des déformations qui mas-
quent ou exagèrent les asymétries.
Cependant après de nombreux tâtonnements j'ai adopté la mesure de
trois dimensions qui me paraissent de nature à fournir quelques rensei-
gnements utiles ; cette étude m'a d'ailleurs procuré l'occasion d'observer
quelques faits qui à eux seuls me paraissent mériter l'attention.
J'ai fait ces observations sur quinze hémiplégiques infantiles qui se
trouvaient ensemble dans mon service. Les trois dimensions étudiées
sont :
1° Lé diamètre antéro-postérieur de la tête mesuré de la protubérance
occipitale externe aux deux bosses frontales. Si le point de repère unique
postérieur ne permet pas d'apprécier avec précision les dimensions réelles
mais il a l'avantage d'être précis et permet de mettre en relief la diffé-
rence latérale quand elle existe.
2° Les dimensions de l'orbite mesurés suivant le diamètre transversal et
vertical de sa base, sont assez variables (2), mais elles sont à peu près
symétriques chez les individus normaux. Le diamètre vertical est parti-
culièrement accessible sur le vivant parce que les bords de l'orbite sont
recouverts de parties molles très peu épaisses : sa longueur comparée des
deux côtés peut donc fournir un caractère utile. On prend pour point de
repère la partie la plus déclive du bord inférieur de l'orbite et on me-
sure la distance au bord supérieur dans le plan vertical.
3° La troisième dimension étudiée concerne la mandibule qui a été
mesurée de la saillie latérale du menton à l'angle de la mâchoire.
Les mesures se trouvent résumées dans le tableau suivant :
(1) Ch. Féré. Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 32. - Note sur l'arrêt de
développement des membres dans l'hémiplégie cérébrale infantile et sur ses analogies
avec des malformations réputées congénitales (Revue de médecine, 1896, p. 115). -
Les proportions relatives des os du bras chez les hémiplégiques infantiles et les dégé-
nérés (C. R. Soc. de Biologie, 1897, p. 7).
(2) Paul Broca. Recherches sur l'indice orbitaire (Revue d'anthropologie, 1875, p. 577).
284 . Cil. FÉRÉ
L'ASYMÉTRIE CRANIO-FACIALE DANS L'HÉMIPLÉGIE SPASMODIQUE INFANTILE 285
dû à un arrêt de développement de l'orbite et des os de la face avec asy-
métrie de la voûte palatine.
L'atrophie du maxillaire inférieur peut encore entraîner une autre
déformation : lorsque l'arrêt de développement porte surtout sur le corps
de l'os, l'angle de la mâchoire fait une saillie au-dessous du bord infé-
rieur de l'os. Cette saillie conique plus ou moins considérable peut être
limitée en avant sur le bord inférieur de l'os par une dépression en fossette :
la saillie et la fossette ressemblent en tout point à ce qu'Albrecht a décrit
sous les noms d'apophyse et d'échancrure lémurienne (1). Cette déforma-
tion qui est fréquente chez les dégénérés (2) a été considérée bien à tort
comme un caractère d'atavisme ; on voit en effet qu'elle peut être liée à un
arrêt de développement et être unilatérale. Chez les dégénérés d'ailleurs
elle coïncide souvent avec des anomalies d'implantation ou la caducité
des dents, qui n'ont rien à faire avec l'atavisme. Les vices d'implantation
des dents et leur caducité se rencontrent aussi chez quelques hémiplégi-
ques à atrophie facile : on trouve les deux particularités réunies chez
trois de mes malades. '
Bien que le tableau indique une diminution relative plus grande pour
les dimensions de l'orbite que pour les dimensions de la mandibule on
n'observe pas chez les hémiplégiques une diminution proportionnelle du
volume des os de la mâchoire supérieure et on n'observe pas chez eux en
général le changement de rapport des arcades dentaires qu'on voit assez
souvent chez les dégénérés.
M. Camuset (3) a insisté sur la fréquence de l'absence de chevauche-
ment normal de l'arcade dentaire supérieure chez les aliénés : absence
qu'il rencontra chez eux 20 fois pour 100 tandis qu'elle n'existait que
2 fois chez des sujets normaux. Sur 152 épileptiques non déformés par
l'absence de dents que j'ai observés à ce point de vue 107 seulement avaient
la disposition normale (70, 39 0/0) et 35 présentaient l'absence de che-
vauchement de l'arcade supérieure (23, 02 0/0). Chez 18 (11, 84 0/0),
il y avait saillie égale des deux arcades et chez 17 (11, 18,0/0) le maxil-
laire inférieur dépassait en avant. La saillie excessive du maxillaire supé-
rieur ne se trouvait bien marquée que chez dix sujets (6, 57 0/0). Ce mi-
crognatisme coïncidait neuf fois avec l'existence d'apophyses lémuriennes
bien marquées.
(1) Actes du Congrès d'anthropologie criminelle de Rome, 1885, p. 106.
(2) Ch. Féré. Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 366.
(3) Camuset. De l'absence de chevauchement habituel de la partie antérieure des ar-
cades dentaires comme stigmate de dégénérescence (Ann. méd psych., 1894, le série
t. XX, p. 361). - V. Giuffrida-Ruggeri, Intorno (ilpaccavalameizio delle m'ca te dentarie
e alla profatnia inferiore (Rev. sperim. di freniatria, 1891, vol. XXIII p. I).
286 CH. FÉRÉ ,. ' - ? -
A côté de l'apophyse lémurienne l'hémiplégie infantile paraît encore
capable de reproduire d'autres anomalies soi-disant ancestrales.
L'anthropologie criminelle a attaché une grande importance à la défor-
mation du pavillon de l'oreille dite en anse qui est caractérisée par un écar-
tement du pavillon et prend quelquefois une forme de conque. La ressem-
blance avec une oreille d'animal s'accentue lorsqu'il existe vers l'union
du bord supérieur et du bord postérieur de l'hélix plus ou moins atrophié
une pointe, une irrégularité du fibro-cartilage qu'on a appelé le tubercule
de Darwin, bien que Darwin ne lui ait pas attaché grande importance et
ne l'aitpas d'ailleurs découvert lui-même (1). Cette malformation ne pou-
vait pas manquer d'être considérée comme atavique. Pourtant on voit sou-
vent à la périphérie de l'hélix déroulé des nodules multiples qui trahis-
sent une anomalie de développement et n'ont aucune parenté avec l'oreille
des singes (2) : un nodule isolé ne peut guère avoir une autre valeur;
mais la théorie ancestrale tient bon (3). Les quatre photographies ci-
jointes (Pl. XXIX) représentent deux hémiplégiques infantiles à gauche
dont l'oreille du côté hémiplégique est plus écartée de la tête, est plus
allongée grâce au déplissement de l'hélix qui dans un cas présente sur son
bord des nodosités multiples qui ne sont pas sans analogies avec ce qu'on
désigne sous le nom de pointe de Darwin. La figure V du mémoire de Spil-
ler montre un écartement notable de l'oreille du côté de l'hémiatrophie ;
cette déformation qui n'a pas attiré l'attention de l'auteur mérite d'être
rapprochée de celles que je signale.
Si certaines disproportions ou malformations de la face et des membres
peuvent être provoquées à une époque déjà avancée' de l'évolution par
une lésion cérébrale c'est qu'elles n'ont pas de lien nécessaire avec l'ata-
visme à longue portée. Il n'y a pas de lien nécessaire non plus entre ces
mêmes disproportions et malformations avec l'atavisme quand on les ren-
contre chez des dégénérés (4).
1) Ch. Darwin. La descendance de l'homme, 1873, t. I, p. 21.
(2) Cu. Fritz. La famille névropalhique, théorie tératologique de l'hérédité et de la
prédisposition morbides et de la dégénérescence, 1894, p. 261.
(3) Demoor, Massart et Vandervelde. L'évolution régressive en biologie et en sociolo-
gie, 1897, p. 113.... 1
(4) Chez les deux hémiplégiques gauches qui sont représentés le tourbillon des che-
veux est fortement dévié à droite, il en est de même chez cinq autres hémiplégiques
gauches. Chez les deux derniers le tourbillon reste sur la ligne médiane, et chez les
six hémiplégiques droits il est dévié aussi à droite ou sur la ligne médiane. Dans les
cas d'hémiplégie gauche la déviation à droite ne peut pas être attribuée à une exten-
sibilité anormale de la peau du côté gauche car chez les sujets normaux la^déviation
à droite est beaucoup plus fréquente (62 0/0) que la déviation' à gauche (23 0/0) comme
je l'ai montré ailleurs (Nouv. recherches sur la topographie c1'ânio.cérébmle. Revue
d'Anthropologie, 1881, p. 483).
ASYMETRIE CRANIO-FACIALE
Che/. deux hémiplégiquL's inf.11ltiks il g.tlIche.
MASSON & Cie, Editeurs
PATHOGÉNIE ET PROPHYLAXIE
DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS
DES HÉMIPLÉGIQUES
PAR
GILLES de la TOURETTE,
Professeur agrégé, médecin des hôpitaux.
L'atrophie musculaire des hémiplégiques a, depuis longtemps, attiré
l'attention des observateurs. Signalée expressément par Todd et Romberg,
bien étudiée par Charcot et Brissaud, elle a été l'objet de nombreuses in-
terprétations, que MM. Joffroy et Achard rangeaient, en 1891 (Arch. de
méd. expériment.), sous trois chefs : lésions des cornes antérieures de la
moelle (Charcot, Hallopeau, Leyden, Pitres, Pierret, Brissaud); lésions
exclusivement limitées aux nerfs périphériques (Dejerine) ; absence de
toutes lésions visibles des cornes antérieuresetdesnerfs (Babinski, Quincke,
Eisenlohr, etc.). MM. Joffroy et Achard concluaient à l'altération dynami-
que des cellules motrices, sous l'influence de la sclérose descendante du
faisceau latéral.
Notre intention n'est pas de discuter ces diverses pathogénies : elles
nous ont semblé trop nombreuses pour répondre à des faits qui, en clinique,
se présentent toujours sous le même aspect, et, partant, doivent reconnaître
la même cause.
Nous désirons proposer une interprétation univoque, et nous pensons
que, si les auteurs avaient été moins préoccupés de remonter à la lésion
anatomique et s'étaient astreints en particulier à étudier de plus près la
répartition de l'amyotrophie, leurs opinions eussent été beaucoup moins
divergentes. Nul doute qu'ils ne fussent arrivés aux conclusions que nous
allons exposer.
Notre opinion est faite, depuis plusieurs années, sur l'atrophie muscu-
laire des hémiplégiques, et aussi sur les douleurs que présentent souvent
ces malades, qui sont des phénomènes connexes. Mais, désireux de
montrer que les faits sur lesquels elle s'appuyait, recueillis un à un, n'é-
taient pas dus aux hasards heureux de la clinique, nous avons, du 20 au
24 mars 1897, recueilli à ce point de vue les observations des 20 hémi-
288 GILLES DE LA TOURETTE
plégiques qui se trouvaient à cette époque dans noire service de l'hôpital
Hérold, et voici ce qu'elles nous ont appris.
Abandonnée à elle-même, l'hémiplégie d'origine cérébrale, la seule
que nous considérions, révélant, on peut dire toujours, au bout d'un cer-
tain temps, le caractère spasmodique, s'accompagne constamment d'atrophie
musculaire. Par atrophie, nous entendons une diminution très marquée
du volume des muscles, abaissant, par exemple, de 2 centimètres au moins
la circonférence du membre touché. Il faut savoir, en effet, qu'en absence
et en dehors de cette atrophie, qui saute aux yeux lorsqu'elle existe, les
muscles des membres hémiplégies subissent toujours, par le fait même de
leur impotence, au moins partielle, un amaigrissement qui diminue de
1 centimètre, en moyenne, la circonférence du membre. Cet amaigrisse-
ment diffère complètement de l'amyotrophie que nous allons étudier, et
cette différence s'impose immédiatement, lorsqu'on compare la localisation
en territoires de l'atrophie avec la généralisation constante de l'amaigrisse-
ment.
L'amyotrophie est donc, nous le répétons, constante, lorsque l'hémiplé-
gie est abandonnée à elle-même, ce qui est le cas pour les malades des
hôpitaux, qui, indigents, mal soignés chez eux, nous arrivent pour être
placés dans les services d'incurables.
Elle existait chez 17 des 20 malades que nous avons examinés, et les
3 autres n'y avaient échappé que grâce à un concours heureux de circons-
tances dont nous aurons soin de parler.
Considérés en bloc, nos 20 malades ont été divisés en trois groupes.
Dans le premier, comprenant 10 sujets, l'atrophie se limitait à certaines
régions du membre supérieur paralysé; le membre inférieur restait in-
demne.
Dans le second, comprenant 7 sujets, l'atrophie existait à la fois au
membre supérieur et au membre inférieur.
Dans le troisième, comprenant 3 sujets, l'atrophie musculaire n'existait
pas.
Examinons les 10 malades du premier groupe, dont les observations
suivent.
10r GROUPE. Arthrites avec AMYOTHOPUIE LIMITÉES au membre
SUPÉRIEUR. 10 MALADES.
OBS. L - Hémiplégie droite, ankylosé de l'épaule,
- amyotropiiie deltoidienne.
L. Lef..., femme, soixante-six ans, hôpital Hérold, salle D, n° 12. Hémi-
plégie droite spasmodique et aphasie depuis 1893. Demi-ankylose et craque-
DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 289
ments de l'épaule droite. Amyotrophie surtout deltoïdienne avec adipose mar-
quée in situ. Circonférence : bras droit, 27 centimètres ; bras gauche, 29. Se
sert assez bien de l'avant-bras et de la main, pas d'ankylose du opude ou du
poignet ; pas d'atrophie.
Membre inférieur droit; marche..Ni ankylose ni atrophie.
OBS.11. Monoplégie brachiale droite : ankylose, arthrite végétante de l'épaule ;
atrophie musculaire.
Pic..., soixante-dix ans, homme, hôpital Hérold, salle B, ne 23. Aphasie.
Monoplégie brachiale droite avec contracture datant du mois d'octobre 1890.
Arthrite végétante de l'épaule droite. La tête humérale fait une saillie mar-
quée ; douleurs spontanées et provoquées. Ankylose presque complète. L'aug-
mentation de volume des surfaces articulaires masque en partie l'atrophie
deltoïdienne. Circonférence : bras droit, au niveau de l'aisselle, 2o cent. 1/2 ;
bras gauche, 27 centimètres.
Flaccidité des muscles de l'avant-bras, sans atrophie marquée ; pas d'arthrite
du coude ni radio-carpienne. Réflexes très exagérés.
t
ails. III. Hémiplégie droite, ankylose scapulo-humérale absolue, amyotropiiie,
adipose limitée au domaine, atrophié.
Chart. J..., femme, quarante-sept ans, hôpital llérold, salle D, n°38. Hémi-
plégie droite spasmodique avec aphasie depuis 1893. Avant-bras fléchi sur le
bras collé au tronc. Ankylose absolue de l'articulation scapulo-humérale. Ab-
sence de douleurs spontanées. Adipose très marquée le long du trapèze, au
niveau du grand pectoral, de la région deltoïdienne, s'étendant un peu sur la
face externe du bras, masquant l'atrophie sous-jacente. Circonférence : bras
droit, 27 centimètres; bras gauche, 27 centimètres.
Quelques craquements dans l'articulation du coude sans ankylose, un peu
d'amyotrophie sans adipose.
Doigts fléchis dans la main, mais réductibles sans arthrite ; pas d'atrophie.
Membre inférieur droit spasmodique, sans arthrite ni atrophie ; marche.
Cas. IV. Hé1n1]Jlégie gauche, ankylose de l'épaule, atrophie des muscles -de la
ceinture scapulaire.
Mong. A..., femme, hôpital Hérold, salle D, n° 28. Hémiplégie gauche spas-
modique datant de 1896 ; peu de contracture. Demi-ankylose de l'articulation
scapulo-humérale, atrophie des muscles de la ceinture scapulaire, deltoïde sur-
tout. Circonférence, au niveau de l'aisselle : bras gauche, 26 centimètres ; bras
droit, 28 centimètres. Les autres articulations du membre supérieur sont li-
bres ; pas d'atrophie.
Marche conservée. Rien au membre inférieur gauche, si ce n'est un amai-
grissement de 1 centimètre, sans adipose.
290 GILLES DE LA TOURETTE
OBs. V. Hémiplégie droite et ankylose, atrophie des muscles de l'épaule.
Anna R,,\, femme,- cinquante sept aus,.Iôpital.tIérold, salle E, n° 11. Hé-
miplégie droite spasmodique depuis 1891 ; contracture marquée. Ankylose
douloureuse de l'articulation scapulo-humérale. Atrophie des muscles de l'é-
paule ; adipose très marquée, Circonférence : bras droit, 32 centimètres ; bras
gauche, 3. Rien à l'avant-bras ni au membre inférieur; marche. ! , '. i 1
OBS. VI. - Hémiplégie droite ; demi-ankylose de l'articulation scapulo-/l1lmé-
rale, atrophie du deltoïde. Disparition des douleurs sous l'influence de la mo-
bilisation, i i ? » ? '. » ,
111. Leb..., ! yuarante-quatre ans, hôpital Hérold,, salle D, n° 5. Hué-
M. Leb..., femme, quarante-quatre ans, hôpital Hérold, salle D, n° 25. Hé-
miplégie droite spasmodique datant de 1893, aphasie. Atrophie musculaire
marquée au niveau du deltoïde, adipose locale. Demi-ankylose de l'articulation
scapulo-humérale. Circonférence au niveau de l'aisselle : bras droit, 29 centi-
mètres ; bras gauche, 30 centimètres. Les autres articulations du membre su-
périeur sont libres ; p'as d'atrophie, si ce n'est un amaigrissement sans adipose
des muscles de l'avant-bras. Circonférence : avant-bras droit', 22 ; avant-bras
gauche, 23. La malade dit, spontanément, avoir ressenti des douleurs au niveau
de l'articulation scapulo-humérale droite; celles-ci ont cessé il la suite de la
mobilisation incomplète qu'elle effectua elle-même ?
La malade marche; rien au membre inférieur droit.
OBS. VII. - Hémiplégie gauche; ankylose de l'épaule, amyotrophie.
Bl. Cau..., femme, quarante et un ans, hôpital Hérold, salle E, n° 39. Sy-
philis vaccinale, hémiplégie gauche 'spasmodique depuis 1893. Flexion de
l'avant-bras sur le bras ; flexion des doigts. Ankylose douloureuse de l'articu-
lation scapulo-humérale, amyotrophie des muscles de la ceinture scapulaire.
L'atrophie du biceps est masquée par de l'adipose localisée. Circonférence :
bras gauche, 26 ; bras droit, 26 au niveau de l'aisselle. Arthrite légère de l'ar-
ticulation du coude ; avant-bras gauche, 22 ; droit, 23.
Membre inférieur gauche, trépidation spinale; pas d'atrophie ni d'arthrite;
marche. ,' ' ! \
Cas. VII. - Hémiplégie gauche. Ankylose de l'épaule de l'articulation métacar-
po phalangienne du pouce. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire et
du thénar. " , ', v
CI. Nic..., femme, soixante-deux ans, hôpital Hérold, salle E, n° 17. Hémi-
plégie gauche spasmodique datant de deux mois. Ankylose douloureuse de l'ar-
ticulation scapulo-humérale. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire.
et surtout du deltoide. Circonférence; bras gauche, 19; bras droit, 21. Ar-
thrite de l'articulation-métacarpo : pha.langieîúiëdüpÓuce ? 3dophie du premier
espace interosseux et du thénar.
Rien au membre inférieur ; marche.
HÉMIPLÉGIE GAUCHE. ARTHRITE DE L'EPAULE, ATROPHIE MUSCULAIRE
MASSON & lt, 1-utcUe.
DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 291
Oss. IX. Hémiplégie gauche. Arthrite avec ankylose de l'épaule et du poignet.
Atrophie musculaire (PI. XXX).
Cho..., homme, soixante-deux ans, hôpital Hèrold, salle A, n° 12. En 1892,
chancre induré suivi d'accidents secondaires. Septembre 1896, hémiplégie
gauche sans paralysie faciale ; traitement spécifique non suivi d'amélioration.
Ankylose de l'épaule gauche limitant les mouvements à moitié course, atro-
phie très marquée du deltoïde et de tous les muscles de la ceinture scapulaire,
sauf le grand pectoral, qui n'est pas touché. Circonférence au niveau de
l'aisselle : bras gauche, 21 centimètres ; bras droit, 23 centimètres. Pas d'adi-
pose.
Douleurs de l'épaule gauche dans les mouvements provoqués ; douleurs
spontanées.
Arthrite de l'articulation radio-carpienne gauche. Atrophie des muscles de
l'avant-bras. Circonférence de l'avant-bras gauche : à 3 travers de doigt au-
dessous de l'olécrane, 19 cent. 1/2; à droite, 23 centimètres; légère atrophie
des interosseux. Pas de secousses fibrillaires. Début lent et progressif des ar-
thrites. Réflexes olécraniens et rotuliens exagérés.
Membre inférieur gauche. Réflexe rotulien exagéré. Flaccidité musculaire
sans atrophie ni arthrite concomitante. Le malade marche.
OBS. X. Hémiplégie droite. Ankylose de toutes les articulations du membre
supérieur. Atrophie musculaire ; adipose.
Luc..., homme, soixante et onze ans, hôpital Hérold, salle C, ne 45. En
1892, hémiplégie droite spasmodique et aphasie. Contracture intense, avant-
bras fléchi sur le bras; poignet en flexion permanente sur le bras, main en
griffe.
Ankylose douloureuse de l'épaule, du coude, du poignet avec subluxation
des articulations des doigts. Atrophie musculaire très marquée dans les trois
segments du membre supérieur droit. Circonférence du bras au niveau de la
ligne axillaire : 27 cent. 1/2 à droite; 30 centimètres à gauche. Encoche il la
place du biceps. Exagération des creux sus et sous-épineux, sus-claviculaire.
L'atrophie est en partie masquée par une adipose sous-cutanée dans la région
deltoïdienne. On retrouve l'adipose à la partie supérieure de l'avant-bras, le
long du tiers supérieur du radius, masquant l'atrophie à ce niveau. Méplats
très accentués au niveau du tiers supérieur de l'avant-bras. Atrophie en masse
de tous les muscles de la main. Le malade marche en fauchant. Réflexes rotu-
liens très forts sans trépidation. Un peu de flaccidité musculaire sans atrophie
vraie.
Chez sept des sujets du premier groupe, l'atrophie portant sur le mem-
bre supérieur est limitée aux muscles de la ceinture scapulaire, se tradui-
292 GILLES DE LA TOURETTE
sant par des méplats deltoïdien, sus et sous-scapulaires, sous-claviculaire.
Dans les cas de cet ordre, le deltoïde est toujours le muscle le plus sévè-
rement touché, le grand pectoral, par contre, est celui qui paraît résister
le plus longtemps.
Ajoutons que pour la constatation de l'atrophie, il ne faut pas se borner
au seul examen visuel, le palper, la recherche de la contractilité à l'aide
de l'électricité sont nécessaires.
En effet, le muscle atrophié est souvent remplacé in situ par une masse
adipeuse, qui ne tend que rarement à dépasser les limites du territoire atro-
phié, car l'atrophie musculaire des hémiplégiques est, nous y insistons,
une atrophie en territoire.
Si les muscles de la ceinture scapulaire sont atrophiés, la palpation
révèle nettement, par exemple, une masse adipeuse à la place du deltoïde,
alors qu'elle permet de sentir intact ou simplement amaigri, sans adipose
sous-cutanée, le ventre du biceps qui pourtant avoisine directement le
deltoïde.
Phénomène de la plus haute importance et qui, à notre avis, éclaire
d'un jour nouveau la pathogénie de l'atrophie musculaire des hémiplégi-
ques, chez nos sept malades, l'atrophie des muscles de la ceinture scapu-
laire se superpose à une arthrite avec ankylose parfois complète de l'ar-
ticulation scapulo-humérale. On peut en inférer que leur atrophie est
d'origine articulaire, et ce qui corrobore cette opinion, c'est qu'elle reste
dans les limites trophiques de l'articulation lésée.
On sait, à ce point de vue, que chaque articulation commande un
certain nombre de muscles qui s'atrophient seuls, à l'exception des mus-
cles de voisinage, lorsqu'elle vient à être lésée.
Si nous ajoutons que les douleurs spontanées ou provoquées que res-
sentent ces malades dans le membre supérieur sont nettement localisées
par eux au niveau de leur articulation ankylosée, nous pourrons encore
conclure que, pour la plus grande part au moins, les douleurs des hémi-
plégiques sont également d'origine articulaire.
Cette pathogénie articulaire de l'amyolrophie est rendue encore plus
évidente par les trois dernières observations du premier groupe.
En effet, dans l'observation VIII, il existe une arthrite de l'épaule avec
amyotrophie des muscles de la ceinture scapulaire; les articulations du
coude et du poignet sont libres, les muscles du bras et de l'avant-bras ne
sont pas atrophiés. Mais on constate une ankylose de l'articulation méta-
carpo-phalangienne du pouce, et celle-ci coïncide avec l'atrophie des
muscles du premier espace interosseux et du thénar.
DE L'ATROPIIIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 293
Chez le malade de l'observation IX, atrophie des muscles de la cein-
ture scapulaire coïncidant avec une ankylose de l'épaule ; coude libre,
pas d'atrophie des muscles du bras; demi-ankylose du poignet, atrophie
des muscles de l'avant-bras et des quatre derniers espaces interosseux.
Chez le malade de l'observation X, ankylose de toutes les articulations
du membre supérieur paralysé, épaule, coude et main, atrophie muscu-
laire généralisée.
Chez les dix malades du premier groupe, l'atrophie est restée limitée
au membre supérieur.
Remarquons que chez eux le membre supérieur est impotent, pour
ainsi dire, que le membre inférieur est relativement valide, puisqu'ils
peuvent s'en servir pour marcher. C'est, du reste, la règle chez les hémi-
plégiques, que le membre supérieur soit plus sévèrement atteint, nous
dirions mieux dans la circonstance, soit moins mobile que le membre
inférieur. L'arthrite presque constante de l'épaule exagère singulière-
ment cette impotence.
(A suivre.)
LE GOITRE DANS L'ART
PAR
HENRY MEIGE.
Au nombre des difformités corporelles que les artistes ont cherché à
reproduire par amour du réalisme ou dans un but caricatural, il en est
une qui, dans les oeuvres d'art, se rencontre. exceptionnellement, bien
qu'elle ne soit pas rare dans la nature : je veux parler du goitre.
Si l'on trouve presque à profusion, dans les figurations artistiques, des
types de bossus, de nains, de rachitiques, des lépreux, des infirmes, des
aveugles, etc., par contre on ne peut citer qu'un nombre très restreint de
goitreux. Charcot et Paul Richer, dans leurs Difformes et Malades dans l'A rt
ont signalé incidemment une seule représentation du goitre. J'ai pu, jusqu'à
ce jour, en recueillir quelques exemples nouveaux, mais peu nombreux.
Pourquoi cette sélection dans le choix des difformités ? Un goitreux se-
rait-il donc déplacé dans un de ces cortèges de mendiants, éclopés, borgnes,
amputés ou culs-de-jatte, qui se pressent aux côtés des thaumaturges ou
s'entassent dans les OEuvres de miséricorde. Il semble qu'il puisse éveiller
en nous les mêmes idées de compassion, puisque en définitive tel est
le but de ces exhibitions morbides, - car devant la pitié toutes les maladies
devraient être égales. Or, dans cette catégorie d'oeuvres d'art, les goitreux .
ne figurent jamais.
En outre, il est curieux de remarquer que la difformité du goitre ne
tient qu'une place insignifiante parmi les éléments de comique empruntés
à la pathologie.
On sait que les bossus ont payé de tous temps un tribut considérable à
la caricature. Pourquoi le goitre qui n'est, en somme, qu'une sorte de bosse
du cou ne jouit-il pas du même privilège ? C'est peut-être parce que la vue
d'un bossu nous fait généralement sourire et que la rencontre d'un goitreux
ne provoque guère en nous que de la répulsion et du dégoût.
Or, s'il est vrai que le goitreux inspire de la répugnance plutôt que de
la commisération, cela suffit à expliquer son exclusion des phalanges de
malades et d'infirmes représentés uniquement pour exciter noire pitié.
Par contre, un goitre ne sera pas déplacé sur le cou d'un personnage
qu'un artiste veut s'efforcer de rendre déplaisant au plus haut point.
LE GOITRE DANS L'ART 295
Telle fut assurément l'intention d'Holbein le Jeune, lorsque, dans son
tableau de la Flagellation du Christ, il peignit un bourreau goitreux. La
lâche férocité de ce dernier est rendue plus odieuse encore par sa répu-
gnante infirmité.
D'autre part, dans les figurations burlesques où le goitre se trouve re-
présenté, on se rend compte que les artistes semblent n'avoir pas trouvé
des éléments comiques suffisants dans la reproduction de cette difformité
isolée. Ils.y ajoutent en général d'autres notes caricaturales sans lesquelles
l'effet grotesque ne saurait être obtenu.
En somme, quelle qu'en soit la raison, le goitre n'a pas joui, dans
l'Art, des mêmes faveurs que tant d'autres anomalies corporelles produites
par la maladie. Les figurations de goitreux sont donc d'autant plus inté-
ressantes à relever qu'elles sont très peu répandues.
Léonard de Vinci, dans ses dessins grotesques a figuré un goitreux
Charcot et Paul Richer ont signalé ce document (ri ? l). Selon eux « il il s'agit
. ü
très certainement d'un croquis fait sur nature d'après un crétin goitreux et
rig. 1. - Goitreux. Dessin grotesque de Léonard de Vinci.
296 HENRY MEIGE
dolichocéphale » (1). Cette affirmation est très défendable' : (lolieliocépliilie,
goitre et crétinisme pouvant marcher de parité. Le grotesque de Léonard
de Vinci est en effet dolichocéphale à l'excès et goitreux indiscutable-
men t.
Mais son visage est manifestement caricaturisé. D'ailleurs, dans la plu-
part des personnages grotesques dessinés par le maître italien, il semble
que celui-ci se soit inspiré des difformités naturelles et qu'il ait eu souci
de les reproduire exactement,'mais en accentuant aussi dans le sens cari-
catural les lignes qui lui paraissaient insuffisamment expressives. La na-
ture fournissait ainsi certains traits d'une image caricaturale dont l'artiste
exagérait ensuite les parties respectées par la difformité.
Ce crâne en pointe est une réminiscence d'une vision réelle, cette tu-
meur arrondie qui bombe sur les côtés du larynx est inspirée par le sou-
venir précis de quelque goitreux ; mais ce nez crochu et ces lèvres mons-
trueuses semblent bien les effets de la fantaisie d'un CI a) on, Le grotesque
de celle image 'dérive de l'alliance de difformités pathologiques aux capri-
ces de l'imagination.
Dans un tableau conservé au musée de B;\]e, et représentant la Fla-
gellation du Christ, Hans Holbein le Jeune (-1n97-lh31, a doté l'un des
bourreaux d'un double goitre.
L ensemble de la scène est d'un réalisme
cruel. Le Christ, entièrement nu, lié par
les mains el par la ceinture à la colonne de
supplice, se contracte sous la souffrance
et pousse des cris déchirants.
Deux vigoureux gaillards, musclés en
athlètes, et vêtus il la façon des soldats
allemands du XVI0 siècle, meurtrissent il
tour de bras la chair nue du condamné,
l'un avec un faisceau de verges, l'antre
avec un martinet de cuir, tandis qu'à la
porte du cachot un vieillard à longue barbe
coiffé d'un turban surveille l'exécution (2).
(1) Char cor et PAUL Riciiek. Les difformes et les
mccladns dans l'art, p. 38.
(2) Le corps du Christ est couvert de plaies. Si
Holbein a voulu figurer les blessures produites
par les instruments du supplice, son désir d'im-
pressionner vivement le spectateur lui a lait commettre une iaute contre la vente.
En effet, les.plaies qu'il représente ont l'apparence de pustules ou d'ulcérations qui ne
rig. 2. - Personnage goitreux dans
le tableau de Mans IIOL[11 : 1,r LI'
Jeune, la Flagellation du Christ
(Musée de Bâle).
LE GOITRE DANS L'ART 29"
Derrière la colonne, se tient un troisième bourreau, un genou en terre,
occupé à lier un paquet de verges. La tête relevée, il regarde le supplicié,
lui jetant à la face une bordée d'injures, en attendant qu'il soil en mesure
de le frapper à son tour.
C'est ce dernier personnage, dont le visage exprime déjà toute la gros-
sière férocité, qu'IIolbein a voulu rendre plus répugnant encore, en le do-
tant d'un double goitre (Fig. 2).
Deux grosses tumeurs arrondies pendent au bas de son cou, séparées l'une
de l'autre parla saillie laryngo-trachéale, celle de gauche descendant sur
la poitrine plus bas que celle du côté opposé.
Ce goUre bilobé est d'un incontestable réalisme.
Sur une peinture à la détrempe attribuée, non sans réserves, à Lucas de
Leyde (1594-1533), exposée dans la galerie artistique et historique de
Vienne (1) et représentant, sous une forme burlesque, une Tentation de
Saint Antoine, se trouve figuré un personnage colossalement goitreux. Les
dimensions excessives de la difformité et l'allure manifestement carica-
turale de la composition ne donnent à ce document qu'un intérêt secon-
daire au point de vue de la vérité pathologique. '
A Madrid; au musée de Prado, j'ai noté un tableau d'un peintre espa-
gnol du XVIIe siècle, presque inconnu en France, ESTEI3N MARcn, origi-
naire de Valence et mort en cette ville en 1660.
C'est le portrait en buste, grandeur naturelle, d'un vieillard, qui tient
dans la main une coupe de vin (2). Buveur incorrigible, 'à face enlumi-
née et rieuse, il a dégrafé le col de sa chemise. Un goitre monstrueux s'é-
tale sur son cou, descendant en cascades boursouflées jusque sur sa poi-
trine, goitre débordant, exubérant et truculent, jabot de chair qui semble
un réceptacle adventice réservé aux excessives libations.
Ce goitre est-il vraiment copié sur la nature ? Parfois on en rencontre
d'aussi volumineux ; mais ici le réalisme du peintre est sujet à caution.
E. Mardi semble se préoccuper surtout d'obtenir un effet impression-
nant, au détriment de la vérité naturelle. Un autre tableau de lui, au
sauraient passer pour récentes. La plupart sont entourées d'une aréole bleuâtre, indice
d'une mortification des tissus, qui s'observe sans doute dans la nature, mais qui, pour
se produire, nécessite un certain temps. Cet anachronisme pathologique est fréquent
dans la représentation des blessures dont les peintres allemands exagèrent souvent
l'horreur au détriment de la vérité.
(1) N- 658 du Catal.
(2) ? 783 du Catal. Pedro de Madrazo, 1893. H. 0,73. L. 0,62, T.
x 21
298 HENRY MEIGE
Prado, représente St-Onuphre (1), vieillard d'une maigreur ascétique
dont la figure, la poitrine et le cou sont creusés d'effrayants méplats que
brident de maigres cordes musculaires. Cette anatomie est d'une sincérité
bien douteuse. Les reliefs osseux, les muscles, la trachée, affectent entre
eux des rapports trop fantaisistes pour avoir été inspirés par l'étude d'un
modèle vivant.
Esteban March qui s'est permis de peindre un émacié avec tant de dé-
sinvolture anatomique n'a pas dû donner beaucoup plus d'attention à la
peinture de son goitreux.
A vrai dire, le goitre n'étant pas soumis aux lois morphologiques de
l'ossature et de la musculature, se prête plus aisément aux fantaisies de
l'invention. C'est pourquoi ce vieux buveur, même s'il n'est pas un por-
trait fait d'après nature, possède un goitre bien naturel cependant. Faute
de se montrer copiste véridique, E. March a fait preuve d'une inspiration
pathologique tout au moins vraisemblable.
Récemment, j'ai mis la main sur une gravure émargée et sans signa-
ture, représentant, selon toute vraisemblance, un bouffon attaché à quel
que cour princière (Fig. 3).
Le bonnet qui le coiffe et la fraise qu'il porte autour de son cou autori-
sent cette conjecture.
Ce personnage pourrait prendre place parmi les figurations de goitreux.
Il possède en effet de chaque côté du cou, deux tumeurs mamelonnées qui
semblent se rejoindre sur la ligne médiane.
Cela peut être un goitre. Mais les deux appendices qui se détachent des
angles de la mâchoire inférieure, comme deux favoris charnus, peuvent
tout aussi bien représenter d'autres tumeurs du cou, solides ou liquides,
lipomes ou kystes, dont les exemples ne sont pas d'une grande rareté.
L'essentiel est de remarquer' qu'elles diffèrent notablement, et par leur
forme et par leur point d'adhérence, des figurations de goitres que nous
avons déjà rencontrées.
Remarquons aussi que le visage de ce bouffon, déjà rabougri et d'aspect
rachitique, est encore criblé de petites tumeurs arrondies, sortes de ver-
rues armées de poils longs et rudes, éparses sur les joues, le nez, les lèvres
le menton, et même envahissant les deux tumeurs.
La présence de ces excroissances verruqueuses sur le visage, leur forme
et leur répartition, nous ont fait songer à une maladie entrée depuis peu
dans les cadres nosographiques sous le nom deneurofibromatose. Prétendre
(1) N 786 du Catal.
, LE GOITRE DANS L'ART 299
la diagnostiquer avec certitude par la simple inspection d'une image qui,
vraisemblablement, n'avait pas une destination scientifique, ce serait ou-
trepasser les limites permises à la critique médicale des oeuvres d'art. Du
moinspeut-on, en faisant toutes réserves, signaler des analogies. Il nous a
paru intéressant de soumettre ce document à l'appréciation de notre excel-
lent ami, le Dr Feindel, qui vient de publier une remarquable étude sur
la neurofibromatose (1). Mieux que personne, il pouvait nous donner un
jugement éclairé sur cette curieuse gravure. Voici la note qu'il a bien voulu
me faire parvenir et dont je tiens à le remercier très vivement :
« La disposition topographique d'une partie des petites tumeurs que
porte sur le visage le sujet de la gravure répond bien à ce qui s'observe
dans la neurofibromatose; on en voit au voisinage des ailes du nez, au
niveau du bord de la mâchoire inférieure. Celles qui existent près de la
commissure des lèvres ont une localisation un peu plus rare, mais cepen-
dant admissible- A la partie supérieure de la face, il est fréquent de voir
(1) E. FEINDEL. Sur quatre cas de neuoofibromatose généralisée. Thèse Paris, Pion,
1896. -
Fig. 3. - Fou de cour, goitreux.
300 HENRY MEIGE
*
les neurofibromateux présenter des tumeurs cutanées, et sur le front, au-
dessus des sourcils, et sur les côtés auprès de la ligne limite de l'implan-
tation des cheveux. Sur la gravure, deux grains de molluscum seulement
siègent sur le front, un peu à gauche de la ligne médiane ; au-dessus du
sourcil droit, il semble exister de ces saillies; vers la queue du sourcil
gauche, on en devine d'autres ; toutes ces tumeurs sont à leur place s'il
s'agit d'un cas de neurofibromatose généralisée. ·
« Les caractères individuels de ces tumeurs, leur siège superficiel, leur
petite dimension, leur saillie hémisphérique pour les unes, à peine appré-
ciable pour d'autres, leur implantation sessile, tout cela rentre bien dans
le tableau de la neurofibromatose généralisée; la localisation topographi-
que laisse davantage désirer ; on voit là des fibromes en des points qui né-
gligent ordinairement d'arborer cette parure. Il en manque au contraire
dans certaines régions d'élection des tumeurs cutanées de la neurofibro-
matose.
« Quant à la grosse tumeur qui tombe de l'angle du maxillaire infé-
rieur, à gauche, elle revêt assez bien les apparences d'un névrome plexi-
forme; elle semble une glande mammaire hors d'usage qui pend avec
mélancolie; la peau qui la recouvre est peu modifiée, peut-être un peu
amincie, et porte de petits fibromes comme on pouvait s'y attendre. La
surface d'implantation de ce pseudo-goître est large et un peu diffuse; i
mais sa localisation est très acceptable.
« Et, il n'est pas impossible qu'il s'agisse ici d'un névrome ple.1Jifor ? /w.
« Mais à droite,il existe une tumeur semblable. Aurait-on donc affaire à
deux névromes plexi formes symétriques ?
« Cette symétrie est un peu déconcertante et semble en contradiction avec
les cas cliniques observés. Cependant rien n'est impossible à ce genre de
tumeurs de forme et de siège irréguliers et bizarres. 1
« En définitive, si quelques légères réserves sont à faire pour l'identi-
fication des excroissances cutanées avec les neurofibromes, la réserve, en
ce qui concerne le diagnostic de névrome plexiforme appliqué aux deux
tumeurs du cou, doit être un peu plus accentuée. "
« D'autre part, grosse tumeur pendante, petites tumeurs cutanés, sont ici
réunies. L'esprit est tout de suite frappé par cette coexistence qui rappelle
les cas si fréquents de neurofibromatose plexiforme et cutanée.
« Aussi les objections qu'on pouvait élever contre le diagnostic des deux
difformités prises individuellement perdent une partie de leur valeur par
suite de leur existence chez le même sujet.
« En d'autres termes, le diagnostic des deux fibromatoses parait ici non
seulement possible, mais probable. Sans doute il est des irrégularités qui
peuvent dépendre, soit d'une omission légère, soit d'une amplification de
, LE GOITRE DANS L'ART 301
la part de l'artiste. Mais ne peut-on pas supposer que le dessin a été ter-
miné de souvenir après avoir été entrepris d'après nature ? .
« Quoi qu'il en soit, on peut presque affirmer, en présence de l'exicti-
tude de la plupart des détails, que si la gravure n'est pas une copie rigou-
reuse d'un cas de névrome plexiforme uni à la neurofibromatose cutanée,
l'auteur a du moins vu, et bien vu, un cas de cette association morbide,
et qu'il était pénétré des principaux caractères morphologiques de ces atfec-
tions, lorsqu'il dessina cette curieuse figure. »
Il n'y a rien il ajouter à cette analyse consciencieuse et documentée, faite
avec toute la prudence nécessaire en pareille matière.
Mais puisque celle gravure soulève ici la question de la possibilité de
rencontrer sur les oeuvres d'art des représentations de neurofibromatose,
je tiens à signaler incidemment un document du même genre que j'ai re-
levé dans la collection des dessins du Musée de Baie, grâce à l'obligeance
du savant Directeur, M. le Dr Burckhaerdt.
Il s'agit d'un dessin datant du commencement du XVIe siècle, de la main
de Hans Frank, et représentant un fou de cour coiffé du bonnet tradi-
tionnel garni de grelots. La figure de ce personnage ressemble assez il celle
de notre pseudo-goîtreux, en particulier quant à la forme du nez et des
lèvres.
De plus, elle est criblée d'excroissances similairesjlont la plupart sont
garnies de poils longs et raides. Mais les deux grosses tumeurs du cou font
complètement défaut. On pourrait y voir, en se conformant à la critique
de M. Feindel, une représentation de neurofibromatose généralisée, mais
sans névrome plexiforme.
Un médaillon en buis sculpté, travail allemand du XVIe siècle, exposé
dans les collections du Louvre, représente un fou de cour, coiffé d'un
bonnet à oreilles d'âne et tenant à la main une marotte ou un bâton (Fig. 4).
Ce fou est pourvu d'un goitre de l'espèce la plus proliférante, formant
autour du cou un épais collier de tumeurs auquel pend, en manière de
médaillon, un dernier lobe plus volumineux encore.
C'est un type de ces goitres géants tels qu'on en trouve encore chez les
habitants de certaines vallées de la Savoie et du Valais.
' Le possesseur de ce corps thyroïde débordant ne rachète pas cette diffor-
mité par le charme de son visage. Il est horrible à souhait : son petit nez
camard agrémenté d'une grosse verrue, sa bouche énorme armée de dents
proéminentes et bordées de lèvres renversées, sa mâchoire en galoche, ses
302 HENRY MEIGE
pommettes aiguës et ses joues creusées de longues rides, forment un en-
semble repoussai ! l.
Tous les stigmates des tares dégénératives semblent s'être réunis sur la
face de cet affreux bouffon. Son sourire est un rictus féroce. Il devait
mordre en plaisantant.
A ces représentations du goitre recueillies sur des oeuvres d'art déjà
anciennes, j'ajouterai un autre document, de date plus récente, mais dont
le réalisme pathologique n'est pas moins saisissant. Il s'agit de petites
figurines en étoffe rembourrée et peinte, sortes de poupées fabriquées par
les indigènes du Guatémala (1).
Ces poupées n'ont, à vrai dire, aucune prétention artistique. Mais elles
sont une reproduction fidèle d'un type fréquent dans les régions monta-
gneuses du pays.
Le goitre y est, paraît-il, extrêmement abondant et atteint souvent des
dimensions excessives.
Celte particularité est tellement caractéristique que les fabricants l'ont
reproduite sur la plupart de leurs figurines en étoffe, et cela, avec un réel
souci de la vérité (Fig. 5).
(1) Je tiens à adresser tous mes remerciements à M. Ducret, chez lequel j'avais re-
marqué ces curieuses poupées et qui m'a obligeamment permis d'en publier les repro-
ductions.
Fig. 4.- Bouffon goitreux. Médaillon en buis sculpté (XVIe siècle). Musée du Louvre.
LE GOITRE DANS L'ART 303
Les femmes surtout, selon la règle, sont pourvues de goitres monstrueux,
à lobes multiples, écartant en avant le fichu qu'elles croisent autour de
leur cou. C'est bien le type de ces goitres de montagne, tels qu'on en voit
dans les Alpes ou les Pyrénées.
Il n'est pas sans intérêt de retrouver cette anomalie pathologique plus
exactement rendue sur ces statuettes que les autres parties du corps, la
tête et les extrémités surtout étant plus que grossièrement esquissées.
Il est une variété de goître qui s'accompagne d'un facies aisément re-
connaissable en clinique, et dont l'étrangeté aurait pu attirer l'attention
des artistes : c'est le goitre exophtalmique.
Les yeux exorbitants de ceux qui en sont porteurs donnent à leur phy-
sionomie une expression hagarde et terrifiée dont l'aspect tragique eut pu
inspirer quelque artiste épris de réalisme.
Nous n'en avons trouvé aucune figuration dans les oeuvres d'art. Nous
ne connaissons même que des exemples fort peu probants de portraits dans
lesquels l'exorbitisme pur et simple ait été indiqué. Il ne manque pour-
tant pas d'individus qui, sans être atteints de la maladie de Basedow,
présentent une saillie exagérée des globes oculaires, analogue à celle qui
accompagne le goitre exophtalmique.
Mais, soit par le fait du hasard, soità cause d'une difficulté matérielle à
représenter cette anomalie, soit enfin par suite d'une atténuation volon-
taire de ce défaut de la physionomie, les peintres ni les sculpteurs n'ont
pas, sciemment, reproduit l'exophtalmie, isolée ou associée au goitre de
Basedow.
On a cru retrouver des figurations de goitre exophtalmique sur certaines
Fig. 5. - Poupées goitreuses du Guatémala.
304 HENRY MEIGE
peintures et sur des effigies de monnaies antiques, représentant des tètes
pourvues de gros yeux saillants et d'un cou volumineux. Mais ces diffor-
mités paraissent plutôt le fait d'une erreur artistique ou d'un travail de
modelage imparfait.
Il s'agit en effet de profils sur lesquels est appliqué un oeil vu presque
de face. On sait que cette faute est faite couramment par les dessinateurs
novices et qu'elle fnt longtemps répétée sur les images antiques ; elle est
constante dans l'art égyptien, fréquente sur les peintures des vases grecs
et sur quelques fresques de l'époque romaine. On la retrouve dans toutes
les peintures des peuples primitifs, quelle que soit leur race. En sorte
qu'on pourrait considérer la représentation exacte de l'oeil comme un signe
important du perfectionnement artistique.
Or, cette erreur de perspective a pour résultat de donner à l'oeil une
apparence de saillie exagérée analogue à celle que réalise l'exophtalmie.
D'où l'idée que les figurations de ce genre pouvaient avoir été inspirées
par la vue d'un cas de maladie de Basedow ; hypothèse qui, jusqu'à plus
ample informé, ne nous semble pas acceptable.
Sur certains profils féminins, le cou semble aussi augmenté de volume
dans sa région antérieure. On y voit même l'indice de deux ou trois bour-
relets superposés qui ont pu éveiller le souvenir du goitre. Là encore, il
s'agit plus vraisemblablement d'une tentative imparfaite pour figurer les
plis cutanés du cou que les statuaires antiques considéraient comme des
éléments esthétiques importants. Ce sont des colliers de Vénus grossière-
ment indiqués qui prennent ainsi des apparences de goitre.
D'ailleurs, en l'absence de tout symptôme de la maladie de Basedow, il
n'est pas rare d'observer chez les jeunes filles et chez les jeunes femmes,
une saillie légère de la région thyroïdienne. Une minime augmentation de
la glande thyroïde peut s'ajouter à l'embonpoint graisseux pour accentuer
les plis cutanés que les artistes aiment à reproduire.
Il existe,' au musée du Louvre, un dessin de A. Bronzino où cette dispo-
sition morphologique est très exactement rendue.
En somme, la réunion sur une même tête des deux anomalies, exophtal-
mie et saillie antérieure du cou, ne paraît pas être la reproduction d'un
syndrome pathologique observé sur nature; elle est plutôt le fait d'une exé-
cution défectueuse ou d'une formule artistique exagérée.
'Et, parmi lès documents figurés de toutes sortes qui sont parvenus jus-
qu'à ce jour à notre connaissance, nous croyons qu'il n'existe pas de repré-
sentation certaine du goitre exophtalmique.
Le gérant : P. Bouchez
Imp. G. Saint-Aubin etThevenot. J. THEVENOT, successeur, St-Dizier (Haute-Marne).
10e Année N° 5 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1897
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX.
(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE)
SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE
DE LA MOELLE
(SYNDROME DE BROWN-SEQUARD)
(Suite et fin.) (i)
PAR
F.RAYMOND
Professeur de clinique des maladies du système nerveux ? - --
III
Messieurs, , III '
Vous voilà, je pense, édifiés sur la symptomatologie de 1 hémisection --
traumatique de la moelle, chez l'homme. Vous avez acquis cette convic-
tion qu'à quelque niveau que soit entamée la moelle, presque toujours,
quand il y a lieu de soupçonner l'existence d'une hémisection, l'expression
clinique est dominée par ce double trait fondamental : hémiparalysie mo-
trice (avec hyperesthésie) et hémi-anesthésie superficielle croisées, la para-
lysie motrice siégeant du côté de la lésion. Les autres éléments' du syn-
drome de Brown-Sequard offrent déjà moins de constance, dans les cas
d'hémisection traumatique de la moelle, chez l'homme.
D'autre part, considérés au point de vue de l'extension des troubles
sensitivo-moteurs, les faits que j'ai passés en revue peuvent se ramener à .
quatre types :
1° Dans un premier type, la paralysie motrice est limitée au membre
inférieur, du côté de ]'hémisection.; les troubles de la sensibilité ne re-
montent pas jusqu'à la racine des membres inférieurs : c'est ce qui se voit
quand la moelle est entamée au niveau des vertèbres dorsales inférieures,
en deçà de la 9°.
2° Dans un second type, la paralysie motrice et les troubles sensitifs re-
montent au-dessus de la racine des membres inférieurs, empiètent plus
(1) Voir les n-s 1 et 3, 4897.
x 22
306 ' " F. RAYMOND .. '
ou moins sur le tronc ; c'est ce qui se voit quand l'hémisectiol1 intéresse
la moelle à un niveau qui correspond aux vertèbres dorsales moyennes et
supérieures.
3° Un troisième type comprend les cas où les membres supérieurs et le
thorax participent aux troubles sensitivo-moteurs ; cette éventualité se
trouve réalisée quand la moelle est entamée à un niveau situé au-dessus
de la 6e vertèbre. En ce cas on observe assez souvent, mais non toujours,
des manifestations en rapport avec une paralysie du grand sympathique
cervical et du nerf phrénique.
4° J'ai rangé dans une dernière catégorie, les cas où l'hémisection inté-
ressait la moelle dans sa partie supérieure, immédiatement au-dessus de
la protubérance occipitale. Dans ces cas-là les troubles sensitifs et les
troubles moteurs envahissent toute une moitié du corps, nuque et cou
compris et jusqu'à la face.
Phénomènes DE compression ; déductions pratiques. Il est un point,
relatif au côté clinique de la question, qui mérite de fixer notre atten-
tion ; au nombre des faits que je vous ai exposés, il s'en trouve, où les
troubles sensitivo-moteurs consécutifs au traumatisme différaient sensi-
blement, dans leur ensemble ou dans leurs détails, du syndrome de
Brown-Sequard. Pour ces faits-];], -qui du reste constituent une faible
minorité, et pour lesquels le contrôle d'une autopsie a fait défaut, il y
aurait lieu de se demander si l'hémisection de la moelle a eu lieu ef-
fectivement. Mais ce n'est pas là le point qui me préoccupe pour l'ins-
tant. Il en est un autre sur lequel je désire appeler votre attention : c'est
que, clans un cas d'hémisection traumatique de la moelle chez ! : homme,
le syndrome de Brown-Sequard peut ne se constituer qu'au bout d'un cer-
tain temps, alors qu'au début nous voyons prédominer une paraplégie
motrice, voire une tétraplégie.
Qu'est-ce à dire ? Qu'au début, dans les premières heures qui suivent t
le traumatisme, les phénomènes de compression peuvent prédominer sur
les symptômes de l'hémisection.
Dans ces conditions, vous pouvez observer une paralysie motrice occu-
pant les deux côtés. Or la bilaléralité de la paralysie motrice, qui pour-
rait vous faire douter de l'existence d'une hémisection, est un effet de
compression, et cette compression est elle-même l'effet d'une suffusion
sanguine des méninges, ou d'une formation de caillots sanguins dans le
canal rachidien. Je vous ai déjà parlé de la conclusion pratique qui se dé-
gage de cette notion : appelés à donner vos soins à un sujet atteint d'une
blessure par instrument tranchant qui a entamé un côté du rachis, vous
SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 307 '
devez vous imposer comme règle de ne point intervenir d'une façon in-'
tempestive sous prétexte de faire l'hémostase. Si, comme c'est le cas ha-
bituel, l'hémorrhagie n'est pas trop profuse, laissez saigner. Agir autre-
ment, barrer la voie au sang qui s'écoule, en suturant la plaie, ce serait
faire courir au blessé les risques d'une aggravation.
Il y a cependant des exceptions à cette règle. Des symptômes graves de
compression peuvent se produire sans que vous interveniez : ils peuvent
même légitimer ou réclamer une intervention opératoire.
Je vous en citerai comme preuve une des observations contenues' dans
le mémoire de Neumann (1). Elle concerne un homme qui avait reçu un
coup de couteau à la nuque et qui s'était affaissé aussitôt. Le barbier de
l'endroit, appelé auprès du blessé, le fit asseoir sur un banc et lui appli-
qua des compresses imbibées d'eau froide sur la plaie. Le blessé fut en-
suite examiné par un médecin, qui sonda la plaie ; celle-ci avait une pro-
fondeur de 5 centimètres; elle était située à la nuque, un peu à gauche
de la ligne médiane. Le patient était faible sur ses jambes, mais, soutenu
par des aides, il put se rendre à pied chez lui ; on lui appliqua un pan-
sement antiseptique. Le lendemain, il avait les deux membres inférieurs
paralysés; la paralysie motrice se doublait d'une anesthésie. Il se plaignait
d'avoir les membres supérieurs lourds et engourdis, et il fut incapable de
signer le procès-verbal d'enquête. On se trouva dans la nécessité de le
sonder, car il avait de la rétention d'urine depuis la veille. Le soir, la pa-
ralysie du sentiment avait envahi les membres supérieurs, que le malade
avait de plus en plus de peine à mouvoir. Peu d'instants après, cet homme
succomba aux suites d'un oedème pulmonaire. L'autopsie a fait consta-
ter l'existence d'une hémisection de la moelle, siégeant à droite, à la hau-
teur de la 3e vertèbre cervicale dont l'apophyse épineuse avait été tran-
chée ; la partie latérale de la vertèbre avait été également entamée. Entre
le canal vertébral et les méninges, le tissu cellulaire était infiltré de sang;
au niveau de la 4° vertèbre cervicale et sur le côté gauche, il s'était formé
un dépôt de sang caillé. D'après Neumann, la compression exercée sur la
moelle par le sang épanché rendait compte de ce que l'expression clini-
que avait été celle d'une section complète du névraxe. Enfin le siège de
l'hémisection (renflement cervical) expliquait la participation de l'appareil
respiratoire à la paralysie; en effet une section, pratiquée à ce niveau,
doit intéresser les fibres qui du noyau respiratoire du nerf vague se ren-
dent au phrénique.
Pour en revenir à la question que je soulevais à l'instant, Neumann
s'est demandé si, chez ce malade, une intervention chirurgicale n'eût pas
(1) Nx,waxv, Zoe. cit., p. 502.
308 F. RAYMOND
été indiquée ? Peut-être la résection de l'arc vertébral entamé, suivie
d'une hémostase pratiquée selon toutes les exigences de l'antisepsie mo-
derne, eût-elle sauvé la vie au patient ?
PRONOSTIC. Somme toute, des faits que j'ai passés en revue se dé-
gage cette conclusion : Quand une hémisection n'intéresse pas la moelle à
un niveau voisin de son extrémité supérieure, elle met rarement la vie du
blessé en péril.
Me voilà conduit à vous parler du pronostic. Or, en l'espèce, la ques-
tion de pronostic se double d'une question de médecine légale.
En présence d'un de vos semblables qui vient d'être victime d'un atten-
tat, et qui porte dans le dos une blessure par instrument tranchant, située
latéralement de la ligne des apophyses épineuses, de telle sorte que vous
avez tout lieu de soupçonner une hémisection de la moelle, vous aurez
d'abord à vous prononcer sur le pronostic quoad vitam. Cette question met
en cause votre réputation de praticien. Or,par ce que je viens de vous dire
vous devez comprendre que vous vous exposerez à commettre une erreur,
si vous vous inspirez exclusivement de la haute idée que nous sommes
enclins à nous faire de l'importance fonctionnelle de la moelle. Ne vous
hâtez pas de représenter la victime comme vouée à une mort certaine.
Tenez compte, avant tout, du niveau plus ou moins élevé de l'hémisection :
Si la lésion intéresse la partie supérieure du rachis, faites des réserves,
surtout s'il existe des phénomènes de paralysie respiratoire ; représentez
une issue fatale comme vraisemblable, mais non comme certaine.
Si la lésion siège au-dessous de la 5e vertèbre cervicale, le blessé a les
meilleures chances de s'en tirer, à condition qu'il ne tombe pas entre les
mains d'un opérateur empressé de faire de la chirurgie médullaire quand
même.
Voilà donc un premier point réglé.
Une fois le danger de mort rapide écarté, vous pouvez être appelés à
vous prononcer sur le sort ultérieur de la victime, non pas seulement
comme médecin de la famille, mais comme médecin légiste. En ce cas,
vous ne vous trouverez pas seulement en présence d'une victime, mais
aussi en présence d'un coupable qu'attend un châtiment plus ou moins
sévère suivant ce que vous prononcerez. Or, ici encore, vous pouvez être
entraînés à des appréciations pronostiques trop sévères, si vous en êtes
réduits à juger a priori. En effet, vous risquez de nouveau de vous trom-
per grossièrement, si vous vous représentez les choses ainsi : Un homme
SUR UN CAS 1)'IIÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 309
- qui a la moitié de la moelle sectionnée est un homme paralysé pour le
restant de ses jours. Non pas. Les faits que je vous ai énumérés vous ont
déjà édifiés sur ce qu'une pareille appréciation a d'excessif. La vérité est
celle-ci : dans la très grande majorité des cas, une amélioration progres-
sive, plus ou moins rapide, se produit dans les troubles sensitivo-moteurs
consécutifs à une hémisection traumatique de la moelle. Cette améliora-
tion peut aller jusqu'à la guérison définitive. Aussi bien, il est rare que
la victime de l'attentat soit vouée à une incapacité absolue et définitive de
travail.
Au surplus il y aura lieu de tenir compte de l'âge de la victime au mo-
ment de l'attentat. Il est clair que plus la victime est jeune, plus il y a lieu
de craindre des arrêts de développement dans les parties paralysées.
Pour achever de vous édifier sur le sort des victimes de semblables at-
tentats, je vais vous entretenir de deux faits que j'extrais du mémoire de
Neumann, déjà cité. '
L'un de ces faits concerne un jeune homme qui avait reçu un coup de
couteau dans le côté droit du dos, à 3 centimètres de la colonne vertébrale,
au niveau de la crête de l'omoplate. De la plaie, qui avait une largeur de
1 centimètre et une profondeur de 5 centimètres, s'était échappée une
grande quantité de sang. Le malade était tombé sans connaissance. On le
transporta chez lui. Quand il eut repris ses sens, il ne pouvait plus re-
muer la jambe droite ; de plus ce membre le faisait beaucoup souffrir. Ce
cas, soit dit en passant, offre un intérêt exceptionnel, parce qu'il a fait
l'objet d'examens répétés, échelonnés sur un intervalle de temps de près
de trois années. Il nous fournit donc des indications précises sur la question
de pronostic, que je suis en train d'envisager.
Le malade fut transporté à l'hôpital et examiné une première fois le
18 mai 1887, six jours après l'accident. Voici, succinctement, les résul-
tats de ce premier examen :
A droite, les mouvements passifs du membre inférieur étaient libres ;
les mouvements volontaires étaient supprimés; la sensibilité était'émous-
sée ; l'excitabilité galvanique des nerfs était diminuée. ·
A gauche, il y avait de l'hyperesthésie au niveau du membre inférieur
et de la moitié correspondante du ventre.
Le malade urinait lentement, avec une certaine difficulté; mais cette
dysurie s'est dissipée dans la suite.
Un peu plus tard, la paralysie du mouvement subsistait à droite; elle
intéressait dans une mesure prépondérante les muscles rotateurs de la
cuisse; il existait toujours un peu d'hypoesthésie de ce côté, et un peu
(1) Neumann, Ueber Riickenmw'ksve1'letzungell durch Stich. Virchow's Archiv, 1890,
T. 122, fas. 3, p. 496. ,
310 ' - F. RAYMOND
d'hyperesthésie à gauche. De plus, le membre inférieur droit était forte-
ment amaigri. En raison de cette atrophie, le malade fut soumis à un trai-
tement par l'électricité.
Le 18 août de la même année, l'atrophie musculaire du membre infé-
rieur droit s'était dissipée. La paralysie motrice et les troubles de la sen-
sibilité subsistaient tels qu'avant... '. ;
Le 7 octobre, on constatait une aggravation dans l'état du malade, en
ce sens que l'atrophie musculaire s'était reproduite; à droite, le pourtour
de la cuisse mesurait 6 centimètres de moins et le mollet 4 centimètres
de moins qu'à gauche. La rotation en dehors du membre inférieur droit
s'était accentuée; la déviation du bassin en bas et à droite sautait à l'oeil.
Le patient ne pouvait plus se servir de son membre inférieur droit ; la
cuisse et la hanche étaient fixées en flexion légère.
Enfin le 24 décembre 1889, par conséquent 31 mois après l'accident,
on constatait une légère amélioration dans l'état du malade. Celui-ci pou-
vait, non sans peine, se tenir debout et marcher, grâce surtout au port
d'un appareil orthopédique qui lui maintenait le genou. Il conservait tou-
jours un certain degré d'atrophie du membre inférieur droit; en outre,
de ce côté, les os avaient subi un retard dans leur développement. Enfin. à
'droite on constatait un affaiblissement des réflexes tendineux et cutanés, et
un certain degré d'anesthésie galvanique. En somme, quoique le sujet fût
redevenu à même de travailler de son métier de tourneur, il n'en devait
pas moins être considéré comme frappé d'une infirmité incurable.
L'autre cas, relaté par Neumann, est encore plus instructif au point de
vue de l'appréciation du pronostic, en raison de la durée d'observation ; il
peut se résumer ainsi :
Un jeune homme de 19 ans est blessé d'un coup de couteau clans le dos.
La blessure, d'une longueur de cent. 1/2, béante, se trouvait située au
niveau'de l'apophyse épineuse de la sixième vertèbre dorsale. Immédiate-
ment après l'accident on a constaté une paralysie motrice de la jambe
gauche et une anesthésie dans toute l'étendue du membre inférieur droit,
ainsi qu'une rétention d'urine et de matières fécales qui a persisté pen-
dant quatre mois environ. En même temps que les fonctions de la vessie
et du rectum se sont rétablies, le membre inférieur gauche a récupéré une
partie de sa capacité fonctionnelle. L'anesthésie au membre inférieur
droit ne s'est dissipée que lentement. A la suite d'un traitement par l'é-
lectricité, qu'il a subi dans le service d'Erb, à Heidelberg, le malade était
de nouveau en état de marcher. II ne présentait pas d'atrophie muspu-
laire. Somme toute, l'incapacité de travail n'a duré que 6 mois.
SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 311
Le patient avait 25 ans lorsqu'il fut examiné pour la dernière fois,
Son état général était excellent. Il ne présentait pas le moindre trouble
intellectuel. Il n'était pas sujet aux douleurs, même à l'occasion des chan-
gements de temps. La vessie et le gros intestin fonctionnaient normale-
ment. Les mouvements des membres supérieurs et du tronc s'effectuaient
avec une parfaite régularité. Le sujet pouvait faire des marches de deux
heures, même sur un sol glissant, mais la fatigue était prompte à survenir.
En examinant les membres inférieurs, le raccourcissement de l'une des
jambes frappait à première vue : le malade boitait un peu, et il avait la
colonne vertébrale déformée; le segment dorsal était convexe à droite, et
le segment lombaire convexe à gauche. En outre, le membre inférieur
gauche était amaigri. A la mensuration, ce membre a été trouvé plus
court d'un centimètre environ que le droit, et d'une épaisseur moindre
que son congénère. On constatait encore quelques vagues troubles de la
sensibilité. ·
Vous êtes maintenant à même de vous faire une idée exacte de ce qui
peut advenir des suites d'une hémisection traumatique de la moelle, à une
période de la vie où la croissance n'est pas encore terminée. Passé ce ter-
me, la réparation fonctionnelle peut progresser au point d'aboutir à un
état qui exclut toute impotence proprement dite.
Soit dit en passant, on a prétendu que dans les cas d'hémisection trau-
matique de la moelle, les troubles sensitifs étaient plus prompts à se dis-
siper que les troubles moteurs. L'inverse s'observe parfaitement, le cas
de notre malade en est une preuve.
Voilà donc une notion solidement établie sur les faits : Les suites d'une
hémisection traumatique de la moelle ont une tendance à s'améliorer
progressivement, jusqu'à disparaître dans bien des cas. A ce propos, une
question a dû se poser à vous. Comment, avez-vous dû vous dire, une pa-
reille évolution est-elle conciliable avec l'idée qu'on se fait généralement de
l'irréparabilité d'une lésion traumatique des centres nerveux ?
Messieurs, voilà une question embarrassante, à laquelle, dans l'état ac-
tuel de nos connaissances, il m'est impossible de vous faire une réponse
satisfaisante. Elle se rattache à une autre question qui est encore fort con-
troversée, celle de la régénération des éléments nerveux, à la suite d'une
désorganisation partielle de ces éléments par une lésion traumatique. Je
serais entraîné trop loin, si j'essayais de vous donner une idée tant soit
peu exacte des nombreuses recherches' entreprises pour élucider cette
question. Vous trouverez l'énumération des principaux travaux qui s'y
312 F. RAYMOND .
rapportent dans les Etudes de chirurgie médullaire de M. A. Chipault (1).
S'il en est parmi vous qui désirent approfondir cette question, ils trou-
verontlargement de quoi satisfaire leur curiosité, dans le remarquable
mémoire d'Enderlen (2), que je vous ai déjà cité. Au surplus, Enderlen a
contribué par des recherches personnelles à l'élucidation de ce problème
de la régénération des éléments nerveux. Les résultats qu'il annonce peu-
vent se résumer dans ces trois propositions :
-1° « Si tant est qu'une régénération se fasse dans la moelle, à la suite
d'un traumatisme, elle porte exclusivement sur les éléments de la névro-
glie et sur les éléments conjonctifs ; les cylindres-axes et les cellules gan-
glionnaires n'y participent nullement.
2° Une partie des troubles consécutifs à une lésion traumatique de la
moelle est imputable à une tuméfaction des éléments nerveux dans les par-
ties avoisinantes.
3° La restauration fonctionnelle qu'on observe à la suite d'une hémisec-
tion traumatique de la moelle est précisément imputable à la résolution
de cette tuméfaction ; mais elle est attribuable, pour une autre partie, à ce
que des fibres conductrices, restées intactes, suppléent dans leurs fonctions
celles qui ont été atteintes par l'hémisection.
- Physiologie pathologique. Il me reste à envisager un dernier côté
de cette question complexe de l'hémisection traumatique de la moelle, le
côté anatomo-physiologique. Je vais examiner successivement jusqu'à quel
point nos connaissances actuelles en matière d'anatomie des centres ner-
veux sont à même de nous rendre compte de la paralysie motrice directe,
de l'hémi-anesthésie croisée, de l'hyperesthésie directe et de l'exagération
des réflexes tendineux du côté de la paralysie motrice, qu'on observe dans
les cas d'hémisection de la moelle.
A. Paralysie motrice directe. - La paralysie qui se produit du côté de
la lésion est des plus faciles à expliquer. En effet une hémisection droite de
la moelle interrompt le faisceau pyramidal de ce même côté. Or les fibres
qui composent ce faisceau pyramidal conduisent les incitations motrices
que les centres psycho-moteurs projettent sur les muscles.
Les cylindres-axes de ces fibres représentent des prolongements descen-
dant des cellules psycho-motrices (Fig. 1). Par leurs arborisations termi-
nales, ils vont se mettre en rapport avec les grosses cellules motrices des
cornes antérieures de la moelle. De chacune de ces cellules motrices part
(1) A. Chipault, Etudes de chirurgie médullaire, Paris, 1893, p. 207.
(2) ENDERLEN, IOC. Cit.
SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 313
le long prolongement cylindraxile d'une fibre nerveuse motrice ; ce pro-
longement aboutit à une fibre musculaire. -
Un coup d'oeil jeté sur la figure ci-jointe vous fera immédiatement com-
prendre qu'une hémisection de la moelle entraînera nécessairement une
paralysie motrice du même côté, dans les parties innerves par les racines
spinales situées au-dessous de la section.
Cette figure vous donne une idée d'ensem-
ble de la voie motrice, qui, vous vous le
rappelez sans doute, se réduit en dernière
analyse à deux neurones superposés :
- Un neurone, central Ne, dont le corps
cellulaire est représenté par une cellule
pyramidale eps de la zone psycho-mo-
trice de l'écorce cérébrale, et dont le pro-
longement cylindraxile, représenté par une
fibre pyramidale, s'entrecroise au niveau
du bulbe, pour se terminer dans la corne
antérieure du côté opposé, sous forme
d'une arborisation terminale qui enlace
une grosse cellule motrice.
Un neurone périphérique N p, dont le
corps cellulaire C m est représenté par
une des grosses cellules motrices des cor-
nes antérieures, et dont le prolongement
cylindraxile sort de la moelle avec une ra-
cine antérieure, pour aboutir à un muscle
du même côté.
.
. *
... *
- B. Hémi-anesthésie croisée. Pour
l'explication de l'hémi-anesthésie croisée,
nous nous trouvons en présence de données anatomiques beaucoup
moins nettes que celles qui m'ont servi à rendre compte de la para-
lysie motrice qui se développe du côté del'hémisection. Les difficultés
viennent de ce que nous ne sommes pas encore bien fixés sur le lieu et
le mode d'entrecroisement de la voie sensitive. Pour bien me faire com-
prendre, il importe que je vous rappelle des données anatomiques que
j'ai déjà eu l'occasion de vous exposer.
La voie sensitive, à l'instar de la voie motrice, peut se ramener, somme
toute, à deux neurones superposés.
Fig. 1.
314. - ... F. RAYMOND
-Un neurone central Ne (Fig. 2), dont le corps cellulaire est représenté
par une cellule du noyau de Burdach B, ou du noyau de Goll G.
Un neurone périphérique 1\1 p,
dont le corps cellulaire c est com-
pris dans un ganglion spinal. De
ce corps cellulaire part un pro-
longement qui se bifurque pres-
que aussitôt après sa naissance.
Une des branches de bifurcation a
équivaut au prolongement pro-
toplasmique du neurone; elle ga-
gne la périphérie et se met en
rapport avec les cellules épithé-
liales de la peau et des muqueu-
ses. L'autre branche de division b
équivaut au prolongement cylin-
draxile du neurone ; elle va con-
courir à former une racine pos-
térieure et pénètre dans la moelle
avec cette racine.
Or, une fois qu'elle a pénétré
à une certaine profondeur de la
substance blanche de la moelle,
suivant une direction légèrement
oblique, cette fibre radiculaire se
bifurque à son tour, en Y. Elle
donne ainsi naissance à deux
branches terminales, l'une des-
cendante, l'autre ascendante, qui
toutes deux suivent un trajet ion-
gi tudinal.
La branche descendante est
toujours très courte.
La branche ascendante peut
avoir nne longueur variable :
Soit qu'elle se recourbe non
loin de sa naissance, pour aller
se perdre dans la substance grise;
Soit qu'elle remonte jusque dans le bulbe, pour se terminer dans le
noyau de Burdach B ou dans le noyau de Goll G, sous l'orme d'une arbori-
sation terminale ;
Fig. 2.
SUR UN CAS D'UÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 315
Soit qu'elle pénètre dans la substance grise, à tout autre niveau compris
entre ces points extrêmes.
N'allez pas croire que la transmission centrifuge des impressions sensi-
tives venues de la périphérie se fasse exclusivement par la voie de ces
branches longitudinales, en lesquelles se subdivisent les fibres radiculai-
res postérieures. Chacune de ces branches émet des collatérales, dont la
connaissance nous est venue des remarquables travaux de Ramon y-Cajal.
Ces collatérales se détachent à angle droit des branches longitudinales qui-
leur donnent naissance.
Le dessin que voici (Fig. 3), vous donne une représentation objective de
cette disposition. Or les collatérales semblent jouer un rôle considérable,
pour ne pas dire prépondérant, dans la transmission des impressions sen-
sitives à travers la moelle. Leur destination, leurs points d'aboutissement
si vous voulez, sont d'ailleurs très variables.
Dans une de ses plus récentes publications Ramon y Cajal (1) a donné
une description très circonstanciée des collatérales sensitives, qui émanent,
ainsi que je viens de vous le dire, des branches ascendantes et descen-
dantes de bifurcation des fibres radiculaires postérieures.
Parmi ces collatérales, il distingue en première ligne :
a) Les collatérales pour la commissure postérieure; après avoir franchi
(1) IIA)10,N y Dual, L'anatomie fine de la moelle épinière in : Atlas der ptholo-isclien
Histologie des Nervensystcms, rodigirt von V. Babes. IV Lieferuno Berlin, t895, p. 13;
Fig. 3.
316 F. RAYMOND
la ligne médiane, elles se ramifient dans le foyer ou centre de la corne
postérieure du côté opposé. Je les appellerai, dans ce qui va suivre, les
collatérales sensitives croisées.
Viennent ensuite :
b) Les collatérales pour le foyer de la corne postérieure du même côté ;
ce sont probablement les plus nombreuses , d'après Cajal.
c) Les collatérales longues ou réflexes motrices, qui se terminent par des
arborisations péri-cellulaires dans le foyer moteur de la corne antérieure.
d) Enfin d'abondantes collatérales ramifiées dans la substance grise
centrale et dans la partie interne de la base de la corne postérieure du
même côté.
*
w *
Que si nous mettons ces données anatomiques en parallèle avec le fait
que nous tenons à la fois de l'expérimentation et de la clinique : apparition
d'une hémi-anesthésie croisée, à la suite d'une hémisection expérimentale ou
traumatique de la moelle, une conclusion s'en dégage impérieusement,
c'est la suivante :
Les COLLATÉRALES DU PREMIER GROUPE, les COLLATÉRALES SENSITIVES, QUI
SUBISSENT la DÉCUSSATION dans la COMMISSURE POSTÉRIEURE, NON SEULEMENT
SUFFISENT A ASSURER LA TRANSMISSION des IMPRESSIONS SENSITIVES à TRAVERS
LA MOELLE, mais SEULES, ELLES SONT CHARGÉES de CETTE TRANSMISSION.
Soit, en effet, une hémisection qui intéresse la moitié droite de la
moelle en a b (Fig. 4). Les lignes que vous voyez dessinées en noir repré-
sentent des fibres radiculaires postérieures irradiantes FRS, avec leurs
branches de bifurcation ascendantes b a et descendantes b d. De ces bran-
ches de bifurcation se détachent des collatérales col, qui, sur ce dessin,
sont représentées par des lignes noires plus fines. Sur le dessin placé
devant vous, je n'ai fait représenter que des collatérales du premier groupe,
des collatérales croisées, qui se rendent à travers la commissure postérieure
dans la corne postérieure du côté opposé.
Là, elles se résolvent en arborisations terminales, qui se mettent en rap-
port avec les prolonorements 1) d'une cellule cordonale c; ces prolonge-
ments sont représentés par des lignes pointillées. On peut donc se figurer
ainsi le trajet d'une impression sensitive venue de la périphérie :
Cette impression chemine le long d'une fibre radiculaire FRS; elle ga-
gne la collatérale col, qui la transporte dans l'autre moitié de la moelle,
en E. Là, elle impressionne la cellule cordonale c, et elle se propage de
bas en haut dans la moelle, le long du prolongement cyl indraxile p de cette
cellule cordonale.
On conçoit dès lors que dans le cas d'une hémisection a intéressant la
moitié droite de la moelle, les impressions sensitives (tactiles) qui arrivent
SUR UN CAS D'IIÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 317
de la moitié droite du corps, par les fibres radiculaires FRS, au-dessous de
la ligne a b, que ces impressions, dis-je, trouvent à continuer leur route
dans la moelle et jusque dans le cerveau, par la voie des collatérales croi-
sées. On conçoit donc que l'hémisection ab n'entraîne pas d'anesthésie du
côté correspondant du corps.
Mais une pareille hémisection entraîne une anesthésie croisée, une
anesthésie du côté opposé, du côté gauche. Il faut donc admettre que
seules, les collatérales croisées sont chargées de la transmission des im-
pressions sensitives dans leur parcours intra-spinal. Il faut admettre
que ni les branches ascendantes b a, issues de la bifurcation des. fibres
Fig. 4.
318 F- RAYMOND
radiculaires postérieures, ni les autres catégories de collatérales qui se
détachent de ces branches, ne concourent à la transmission des impres-
sions sensi tives au cerveau.
Voilà qui choque toutes les conceptions qu'on se faisait du rôle des
fibres constituantes des cordons postérieurs. Voilà qui méfait dire que
dans l'état actuel de nos connaissances, il est bien difficile de donner
une explication plausible de l'hémi-anesthésie croisée qu'on observe dans
les cas d'hémisection de la moelle, si tant est qu'on ne veuille voir dans
cette hémi-anesthésie que la conséquence directe d'une lésion organique. La
position de la question peut, somme toute, être définie dans les termes
suivants :
L'expérimentation et la clinique nous apprennent qu'une hémisection
de la moelle entraîne habituellement une hémi-anesthésie croisée, une
hémi-anesthésie du côté opposé. Il semble dès lors que la voie sensitive
doive subir un entrecroisement à un niveau très peu élevé, au-dessus de
celui où elle pénètre dans la moelle sous forme d'une racine postérieure.
L'anatomie nous enseigne que les branches de bifurcation des fibres ra-
diculaires postérieures ne subissent pas de décussation directe dans la
moelle et qu'une partie seulement de leurs collatérales mais non la
plus importante comme nombre s'entrecroise dans la commissure pos-
térieure.
Donc, à moins d'admettre que seules ces collatérales croisées sont char-
gées de la transmission des impressions tactiles dans l'épaisseur de la
moelle, il est impossible de rendre compte du développement de l'hémi-
anesthésie croisée, consécutive il une hémisection de la moelle.
S'il venait à être démontré que tous les conducteurs sensitifs s'entre-
croisent dans la commissure postérieure-ou en tout autre point de l'aire
transversale de la moelle,- et que cette décussation s'effectue presque aus-
sitôt après leur pénétration dans la moelle, l'explication du développement
de l'anesthésie serait au contraire très facile à donner. Il suffirait de se
reporter au schéma très ingénieux, imaginé par mon collègue Brissaud, et
dont vous avez une reproduction sous vos yeux. Ce schéma (Fig. 5), je
vous le répète, est très ingénieux. A première vue, il explique admirable-
ment l'hémianesthésie croisée et la présence d'une étroite bande d'hyper-
esthésie conliguë à la limite supérieure de l'anesthésie.
Mais encore une fois, pour qu'il répondit à la réalité des choses, il fin--
drait que les fibres longues des cordons postérieurs ne prissent qu'une
part négligeable à la transmission des impressions sensitives à travers la
moelle ; il faudrait :
SUR UN CAS D'RÉEMISECTION TRAUMATIQUE DE La MOELLE 31J
Ou bien que seules les collatérales croisées fussent chargées 'de cette
transmission ;
Ou bien que les autres collatérales,
celles qu'on peut qualifier de direc-
tes, intéressées également à cette
transmission, se missent en rapport
de contiguïté avec des cellules cor-
donnales situées au même nnu et
dont les prolongements subiraient
l'entrecroisement aussitôt après leur
naissance.
En tout état de cause, les fibres
tant soit peu longues des cordons
postérieurs ne joueraient qu'un rôle
absolument secondaire, négligeable,
dans la transmission des impressions
- tactiles.
Dans ces conditions, le schéma
suivant (Fig. 6) nous rendrait compte
des deux éléments principaux du
syndrome de Brown-Sequard, de
l'hémiparalysie motrice directe, de
l'hémi-anesthésie croisée et de l'a-
nesthésie profonde, musculaire,
siégeant du côté de la lésion dans
les cas d'hémisection de la moelle.
*
.. ¥
Vous voyez que ces hypothèses,
qui nous sont imposées par des don-
nées expérimentales et cliniques
d'un caractère irrécusable, appellent 1
des recherches complémentaires de
la part des histologistes et des phy-
siologistes.
Pour ces derniers, il y aurait lieu
notamment de rechercher si la sec-
tion expérimentale de la commissure
postérieure, pratiquée dans une cer-
taine étendue, entraine une double
hémi-anesthésie corrélative, d'où l'on
Fig. 5. - Schéma de Brissaud.
CSD, colonne sensitive droite ; ABCD sec-
tion portant sur la moitié gauche de la
moelle. S, Si, S2, S3, 8, racines sensitives
du côté droit, s'entrecroisant sur la ligne
médiane pour gagner la colonne sensitive
gauche, CSG. - Z, Z', Zz, Z3, Z4, racines
sensitives du côté gauche, allant gagner
la colonne sensitive du côté droit.
S20 ' F. RAYMOND
pourrait conclure que seules les collatérales croisées sont chargées de la
transmission des impressions, tactiles, dans le trajet intra-spinahlu neurone
sensitif périphérique. Il y aurait lieu aussi de s'enquérir des conséquences
de la section du cordon de Goll qui, lui, ne renferme que des fibres lon-
gues.
On serait ainsi à même de s'éclairer sur la part qui revient à ces fibres
longues, dans la transmission des imnressions sensitives.
Je conclus, en fin de compte, que pour ce qui concerne le lieu et le
mode d'entrecroisement de la voie sensitive dans la moelle, les données
actuelles de l'anatomie ne s'harmonisent pas ou ne s'harmonisent que
d'une façon insuffisante avec les données de l'expérimentation et de la cli-
nique.
î-ig. b.
1, 1', Voie motrice.
2, 2', Fibres sensitives destinées aux muscles.
3, 3', Voie sensitive chargée de la sensibilité superficielle.
SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 321
.. . .
x ¥
Tout cela je vous le répète, quand on ne veut voir dans l'hémi-anesthé-
sie croisée, consécutive à une hémisection de la moelle, qu'une consé-
quence directe d'une lésion organique. Or il est une autre voie qui peut
nous conduire il l'explication de ce même phénomène. ,
Lors de l'énumération que je vous ai faite d'un certain nombre d'exem-
ples d'hémisection de la moelle chez l'homme, vous avez été frappés,
Messieurs, de ce que l'expression clinique est sujette à des variantes nom-
breuses, qui peuvent s'écarter notablement du schéma de Brown-Sequard,
en ce qui concerne notamment la distribution des troubles de la sensibi-
lité. Or il n'y a pas à se dissimuler que l'expérimentation également a
donné des résultats contradictoires. On a' constaté, par exemple, qu'une
simple piqûre du cordon postérieur d'un côté pouvait donner lieu au syn-
drome de Brown-Sequard. On a constaté que, si, à la suite d'une première
hémisection intéressant le segment cervical, on pratique une deuxième
hémisection au niveau du segment dorsal, l'hémianesthésie consécutive à
la première hémisection est remplacée par de l'hyperesthésie et vice-
versa. On a constaté que l'hémianesthésie consécutive à une hémisection
de la moelle peut disparaître, après élongation du nerf sciatique du côté
anesthésié.
En présence des résultats de cette nature, Brown-Sequard en était déjà
venu à se demander si l'hémianesthésie croisée, que développe habituel-
lement une hémisection de la moelle, est bien la conséquence directe
d'une interruption de conducteurs de la sensibilité, s'il ne s'agirait pas
plutôt d'effets à distance, dynamogéniques, résultant par exemple d'une
action d'inhibition qui s'exercerait sur les centres de la perception.
Il n'est pas impossible qu'il en soit ainsi. On s'expliquerait de la sorte
que, dans un cas d'hémisection de la moelle, l'anesthésie soit susceptible
de s'atténuer et de s'effacer, malgré le caractère irréparable de la lésion
qui intéresse les conducteurs nerveux au siège de l'hémisection.
C. Hyperesthésie directe.-Du côté de l'hémisection de la moelle, une hy-
peresthésie très nette s'associe, avons-nous dit, à la paralysie motrice.
Cette hyperesthésie s'explique sans difficulté, quand on tient compte des
résultats obtenus par certains expérimentateurs, et en particulier par En-
derlen, dont je vous ai déjà cité le remarquable travail.
.Les reclierches auxquelles je l'ais allusion démontrent qu'à la suite d'une
solution de continuité traumatique de la moelle, les fibres nerveuses divi-
sées subissent, jusqu'à une certaine distance du point de section, un état
de tuméfaction (Quelluy) que d'aucuns avaient pris pour l'indice d'un
' 23
322 F. RAYMOND
travail de régénération. En réalité, il ne s'agit que d'une dégénérescence
irritative, qui se résout à la longue. On conçoit donc que les segments de
fibres nerveuses, compris en deçà d'une hémisection, et ces segments
de fibres proviennent du côté correspondant du corps, propagent à la
périphérie une irritation qui se traduit par de l'hyperesthésie. On conçoit
qu'à la longue cette hyperesthésie s'atténue et disparaisse en même temps
que l'état d'irritation dont elle dépend. On conçoit également-que du côté
de l'hémisection, la limite supérieure de la zone d'hyperesthésie dépasse la
limite supérieure qu'atteint l'anesthésie du côté opposé, étant donné que
la dégénération irritative, la tuméfaction des fibres nerveuses, s'étend à
une certaine distance au-dessus lie la ligne de section.
Vous voyez qu'on s'explique très bien, de la sorte, l'hyperesthésie
consécutive à une hémisection de la moelle.
Fit. 1.
SUR UN CAS D 11ÉMISECT10N TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 323
D. Exagération desréflexes tendineux du côté de la lésion.- Ce phénomène
s'observe chaque fois qu'une lésion interrompt les communications d'une
moitié de la moelle avec l'encéphale. On l'a attribué à ce que l'encéphale
loge des centres phrénateurs, qui exercent sur la production des réllexes
une influence modératrice. Selon toute vraisemblance le siège exact de
ces centres modérateurs est dans le cervelet.
Il y a là un point très intéressant de physiologie et de pathogénie, sur
lequel je compte avoir prochainement l'occasion de revenir. Pour le
moment je me borne à vous faire remarquer que chaque moitié du cer-
velet (Fig. 7) est en communication avec la voie motrice par l'intermé-
diaire du faisceau de Laewental, et avec la voie sensitive de la moitié
correspondante de la moelle par l'intermédiaire du faisceau cérébelleux
direct; c'est par celte voie sans doute que s'exerce l'influence modératrice
dont je viens de vous parler.
En somme, vous voyez que si l'anatomie nous fournissait la preuve de
l'entrecroisement de la voie sensitive un peu au-dessus de son niveau de
pénétration dans la moelle, il serait facile de rendre compte des principaux
éléments du syndrome de Brown-Sequard, qu'on voit se développer à la
suite d'une hémisection de la moelle.
RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE
PAR ,
Ch. ACHARD
Professeur agrégé
. Médecin de l'hôpital Tenon.
ET
LÉOPOLD-LÉVI
Ancien interne, lauréat
des hôpitaux.
, Les altérations osseuses de la paralysie infantile sont connues depuis
longtemps. Elles portent non seulement sur le volume des os, qui est
amoindri comme l'ont indiqué la plupart des auteurs, mais aussi sur leur
texture et sur leur morphologie générale : les saillies et les dépressions
de leur surface tendent à s'effacer, leur contour devient uniforme. Ce sont
là des particularités sur lesquelles l'un de nous a insisté, avec M. le pro-
fesseur Joffroy, en attribuant ces modifications du modelé des os à l'ab-
sence de muscles actifs autour du squelette (1).
La radiographie étant venue récemment fournir la possibilité d'appré-
cier l'état du squelette du vivant même des malades, il y avait lieu d'ap-
pliquer ce nouveau moyen d'investigation à l'étude des lésions osseuses
de la paralysie infantile. C'est ce que nous avons pu faire chez deux ma-
lades dont voici les observations.
OBS. I. Paralysie spinale infantile sous forme paraplégique remontant
it l'cïe de deux ans. Poussée aiguë d'atrophie musculaire généralisée en
1892.
Bannielle Emile, âgé de 52 ans, tailleur d'habits, entre le 3 mars 1897,
salle Parrot, lit nO 30, dans le service de M. Achard, ci l'hôpital Tenon.
Antécédents héréditaires . - Son grand-père maternel est mort ci l';lge
de 36 ans de phtisie pulmonaire, son père à 46 ans de la même mala-
die. Une soeur est morte poitrinaire à de 33 ans.
Antécédents personnels. Il est né le 13 mai 1846 de parents très jeu-
nes, son père avait 21 ans, sa mère moins de 17 ans.
A t'age de 12 ans, il contracta une fièvre typhoïde ; une pleurésie à gau-
che à )'age de 32 ans.
(1) A. JoFFnoY et Cn. Acnnno, Contrib. à l'anatomie pathologique de la paralysie spi-
nale aiguë de l'enfance. Arch. de médecine expériment., janv. 1889, p. 57.
RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE 325.
Début. Son affection débuta le jour de l'Ascension (mai 1848) : il
avait deux ans. Il avait, été conduit dans'un lieu de pèlerinage et avait t
couru beaucoup toute la journée, quand le soir il devint maussade, refusa
de manger, fut pris de fièvre et de délire qui persista la nuit. Le lende-
main matin, quand sa mère voulut l'habiller, elle remarqua qu'il était
paralysé des deux membres inférieurs. On consulta à son sujet toutes les
célébrités médicales : Velpeau, Nélaton, Malgaigne, Trousseau, il fut sou-
mis à l'électricité (bouteilles de Leyde et peaux de chat ? ).
A l'âge de 7 ans, il se forma, dans la région métatarsienne gauche, une
large plaie qui persista pendant 13 ans, s'ouvrant, chaque hiver, dès les
premiers froids, pour ne se fermer qu'en mai. Le pied gauche était le
siège de douleurs intolérables. -
. A l'âge de 20 ans, apparut dans la partie inférieure du fémur gauche
une douleur que le malade continue à ressentir encore, de temps en temps,
au-dessus du genou.
Malgré son affection le malade put prendre un métier, celui de tailleur,
et à l'âge de 29 ans il se maria : Il n'eut point d'enfants. Sa femme est
morte en 1884..
B... travaillait assis, les jambes croisées. Pour essayer les vêtements à
ses clients, il les faisait approcher d'une table sur laquelle il s'asseyait.
A la suite de la grippe, contractée en 1890, le malade jusqu'alors vif, en-
treprenant, fut pris de phénomènes de neurasthénie, avec troubles psychi-
ques et physiques, asthénie musculaire, courbature généralisée, difficulté
plus grande de la marche. Cet état persista jusqu'au 15 décembre 1892,
époque à laquelle, brusquement, il fut pris de faiblesse générale, avec
frissons et sueurs. A ce moment, il n'avaitplus la force d'exécuter quelques
mouvements avec les bras : on lui donnait à manger comme à un petit en-
fant. La tête vacillait sur les épaules. Il aurait existé un état fébrile, d'une
durée de deux mois. L'appétit était perdu. La soif était vive. Pendant trois
mois l'impotence des membres supérieurs fut complète, puis il pu recom-
mencer à, se servir de ses bras, mais il ne pouvait marcher : on était con-
traint à le porter d'un endroit à un autre, comme un enfant. En juillet
1893, il se remit à marcher, mais ses forces étant toujours médiocres, il
se fit admettre il la maison de Nanterre, où il présenta des phénomènes
atténués d'intoxication par le seigle ergoté (battements artériels spasmo-
diques, en particulier au niveau de l'artère centrale de la' rétine, engour-
dissements, fourmillements dans les doigts). Il quitta Nanterre au mois de
mai, entra dans le service de M. Marie à l'Hôtel-Dieu en mai 1894. Il fut
présenté à la Clinique. Au mois de janvier 1895, le malade rentra chez
lui, reprit ses occupations quand, à la fin d'avril 189G, les douleurs re-
vinrent au niveau des reins. Il fut de nouveau hospitalisé chez M. Mené-
326 CH. ACUARD ET LÉOPOLD-LÉVI
trier (à J'Hôtel-Dieu annexe, mai 1896) et enfin entra le 4 mars 1897
dans le service du Dr Achard.
Examen actuel. Il n'existe aucun phénomène notable du côté de
l'appareil digestif, circulatoire ou pulmonaire.
La face n'est le siège d'aucun phénomène morbide. On ne note aucune
paralysie oculaire, aucun trouble pupillaire. Parfois devant les yeux pas-
sent des éblouissements.
Les membres supérieurs sont robustes en général. Cependant la force
des mains est diminuée. La main droite serre 31 kilogr. à l'échelle de
pression du dynamomètre, la main gauche 24 kilogr. Les fourmillements
et engourdissements qu'avait ressentis le malade ont disparu.
Tout l'intérêt porte sur les membres inférieurs.
Le malade peut se tenir debout appuyé sur ses béquilles. Il repose sur
le sol par son pied droit, alors que la jambe gauche légèrement fléchie a
son talon à 20 centimètres du niveau du sol. Vu de dos, il présente une
scoliose à convexité droite de la colonne vertébrale, à maximum lombaire
avec saillie extrêmement marquée du sacrum. Tout le corps semble avoir
son axe dévié de haut en bas et de droite à gauche, de telle façon que la
rainure interfessière occupe cette direction, que la fesse droite est plus
basse que la gauche. Cette fesse aplatie, à peau flasque, est souvent ani-
mée de contractions fibrillaires. La Planche XXXI, A, représente le ma-
lade vu dans cette position. L'attitude est due à une atrophie du squelette
du bassin, qui, comme nous le verrons, s'étend à tous les os du membre.
Il faut signaler en outre que, tandis qu'à droite l'épine iliaque antéro-
supérieure est à 13 centimètres du bord inférieur des côtes, du côté gau-
che le bassin pénètre dans les côtes.
Pendant la marche, B... se sert seulement de la jambe droite. Les aisselles
appuyées sur deux béquilles, il laisse le pied droit en avant, fléchissant
légèrement la jambe sur la cuisse. Le pied en abduction repose sur le sol
à la fois par le talon et par la plante.
Examiné dans son lit, il présente, en général, l'attitude suivante. Le
membre inférieur droit est en rectitude, le pied droit en légère abduction.
'A gauche, la cuisse, qui repose sur le plan du lit par sa face interne, fait t
avec la jambe un angle de 130° environ ouvert en dehors.
.Les mouvements spontanés sont limités, surtout à gauche. Dece côté, il
élève le genou à quelques centimètres au-dessus du plan du lit, et exé-
cute un mouvement de la cuisse de dehors en dedans.
A droite, les mouvements du pied s'accomplissent tous.
La jambe droite étant fléchie, le malade la met en extension, mais il ne
peut produire le mouvement inverse. Des mouvements de rotation se pas-
sent à la cuisse.
RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE 327
Pour les mouvements provoqués, ils sont, en général, tous possibles du
côté droit. A gauche les mouvements du pied sont limités, l'extension
de la jambe ne dépasse pas un angle d'environ 150° ouvert en arrière.
L'abduction est peu marquée. Les mouvements de la cuisse gauche sur le
bassin'sont ceux d'un membre de polichinelle.
Les membres inférieurs sont le siège d'atrophie et de déformation. La
peau qui les recouvre est atteinte de troubles vaso-moteurs. Sans compter
une température inférieure à celle du reste du corps, des sueurs surtout à
gauche, il faut signaler la teinte violacée que prend la face dorsale du
pied, surtout à gauche, à la suite de la station verticale ou de la marche.
Les poils en outre sont inégalement répartis, plus nombreux à la cuisse à
droite qu'à gauche, à la jambe gauche qu'à la droite.
L'atrophie musculaire très marquée se traduit par les mensurations
suivantes :
328 Cil. ACHARD ET LÉOPOLD-LÉVI
orteil est en flexion foncée, passe sous la plante et s'étend jusqu'au niveau
du 4e orteil. Il existe une flexion très prononcée du métatarse sur le tarse .
Le pied gauche est en varuséquin. Le gros orteil est en flexion, mais seu-
lement de la 2e phalange sur la lre.
Les réflexes rotuliens sont abolis.
Il n'existe pas de troubles de sensibilité.
OBs. IL Paralysie spinale infantile limitée au membre supérieur droit,
mouvements atéthoïdes des doigts par contractions fibrillaires. Tuberculose
pleuro-pulmonaire.
François Rogué, âgé de 53 ans, placier en fournitures de bureau, en-
tre le 10 mai 1877, salle Lorain, n° 14, service du Dr Achard, hôpital
Tenon.
' Actécédents héréditaires. - Son père est mort à 69 ans. C'était un ma-
rin, alcoolique, s'enivrant de temps en temps pendant 5 à 6 jours de suite.
Sa mère est morte dans une attaque d'apoplexie à l'âge de 43 ans. Elle
était nerveuse, irascible : Ses parents ont eu quatre enfants. L'aîné est
mort de delirium tremens. On ne relève ni affection nerveuse, ni affec-
tion mentale parmi les autres membres de la famille.
Antécédents personnels. DÉBUT. Il naquit à terme, très volumineux,
aurait pesé 10 livres ( ? ). On dut faire une application de forceps et il vint
en état de mort apparente. Il fut nourri au sein.
C'est à l'âge de six mois, d'après ce qu'on lui dit, que son affection au-
rait débuté. Il fut pris de convulsions, et son membre supérieur droit de-
vint paralysé.. - - - - ,
Néanmoins, il marcha et commença à parler de bonne heure. Il alla à
l'école, et apprit à écrire de la main gauche. Il put même être clerc de
percepteur. Il passa une partie de sa vie dans les champs. Il fut réformé
au service militaire, mais fit la campagne de 1870 à Metz comme piqueur
de convois.
A l'âge de 12 ails, il contracta la rougeole. Pendant son séjour à Metz,
à l'âge de 25 ans, il fut atteint d'une fièvre typhoïde, assez grave, qui
s'accompagna de délire. Il fut soigné plus récemment pour une lymphan-
gite du membre inférieur droit. Enfin il présenta une fistule à l'anus,
qu'on opéra sans chloroforme.
Le 10 mai 1897 il entra dans le service du D'' Achard pour une pleuré-
sie gauche. Il souffrait depuis un mois, avait de la fièvre. Il fut ponctionné
8 jours après son entrée. La ponction retira 1500 grammes d'un liquide
séro-fibrineux. Après la ponction, il y eut une amélioration dans les phé-
.nomènes généraux, mais la toux persista ainsi que la fièvre, l'appétit ne
PARALYSIE SPINALE INFANTILE
A. Forme paraplégique plus accusée
du côté gauche. Atrophie du bassin. Scoliose.
B. Forme localisée au membre supérieur droit.
Atrophie en longueur et surtout en largeur.
MASSON & cic) Editeurs.
RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE 329
revint pas, non plus que lès forces, le sommeil est mauvais, le malade est
manifestement bacillaire.
Examen du malade. R... mesure 1 m. 72, il a été très solide, mais
a maigri beaucoup depuis sa pleurésie. Les temporales sont saillantes, le
malade n'est ni migraineux, ni variqueux. Actuellement, il offre les symp-
tômes généraux (fièvre, transpiration, amaigrissement) et locaux (lésions
du 2e degré au sommet droit) de la tuberculose pulmonaire.
Le tl\orax mis à nu montre dans toute sa partie droite une atrophie
portant sur les parties molles et sur le squelette. Les côtes atrophiées font
saillie, le sternum est enfoncé au niveau de l'appendice xiphoïde. L'omo-
plate droite est moins développée que sa congénère. Il n'existe pas de
déformation de la colonne vertébrale. L'atrophie en masse du membre
supérieur droit est encore plus évidente, ainsi que le montre la photo-
graphie (PI. XXXII, B).
Si on examine dans le détail, on.voit que la clavicule droite est extrê-
mement grêle, arrondie, qu'elle ne présente pas de saillie. L'humérus
n'est plus en rapport avec la cavité glénoïde. Les ligaments coraco-humé-
raux.sont distendus. On peut placer le pouce tout entier au-dessus de la
tête humérale. La luxation à volonté de la tête humérale peut se réduire,
mais se reproduit aussitôt. L'humérus est extrêmement grêle, arrondi. Il
en est de même des os de l'avant-bras et de la main. Le pannicule adipeux
sous-cutané est amaigri. Les muscles sous-jacents dans toute l'étendue du
membre sont atrophiés.
Les mensurations donnent pour la longueur du membre 74 centimètres
à droite, 79 centimètres gauche.
Transversalement, en des régions symétriques, on note :
Au bras, 15 centimètres à droite, 24 centimètres à gauche.
A l'avant-bras, 16 centimètres à droite, 27 centimètres à gauche.
A la région métacarpienne, 18 centimètres à droite, 25 centimètres à
gauche.
L'impotence du membre supérieur est pour ainsi dire complète. Il ne
peut serrer le dynamomètre avec la main, cependant il peut tenir un sac
léger d'échantillons entre les quatre derniers doigts.
Le pouce, en extension forcée, écarté de la main ne peut venir joindre
le petit doigt. L'atrophie de l'éminence thénar est très marquée.
Les mouvements de flexion des 3° et 2" phalanges sont possibles, ainsi
que dans une certaine mesure l'abduction et l'adduction des doigts.
- Le malade peut fléchir son avant-bras sur le bras, mais il ne résiste à
aucune pression, si légère qu'elle soit. Quant à l'épaule, elle peut exécu-
ter un seul mouvement. L'attitude du membre supérieur malade est cons-
tamment en pronation. Pour mettre la main en supination, la main gauche
3SO en. ACHARD ET LÉOPOLD-LÉVI
fait exécuter au membre en masse une sorte de torsion, une rotation de
dehors en dedans.
Il n'existe pas de trouble de sensibilité. Jamais le malade n'éprouve de
douleur dans le membre supérieur droit. Sous l'influence du froid, en
hiver, son bras devient engourdi, bleuâtre. D'ailleurs il existe une ten-
dance pour tout le membre, surtout pour la main, à se refroidir facilement.
Les réflexes rotuliens sont normaux.
Il est encore à noter l'existence de mouvements involontaires, dys-
chrones, souvent exagérés, qui se passent au niveau des différents doigts
de la main droite, en particulier du petit doigt et de l'annulaire. Ces mouve-
ments qui rappellent dans une certaine mesure les mouvements d'athétose,
dont ils n'ont d'ailleurs pas la lenteur ni la forme arrondie, sont en rap-
port avec des contractions fibrillaires plus ou moins accentuées qui sillon-
nent les différents extenseurs des doigts, et en particulier l'extenseur du
petit doigt. Ces contractions ne gênent pas d'habitude le malade, il n'y
fait pas attention. Il a cependant remarqué qu'elles étaient variables avec
le temps, dit-il, plus marquées quand le temps est orageux. Parfois, la
nuit, elles sont assez fortes pour le réveiller brusquement. Il peut annon-
cer, maintenant que nous lui avons fait remarquer le phénomène, le
mouvement de ses doigts quand il sent venir puis augmenter la contraction
fibrillaire. Le petit doigt en particulier est animé de secousses qui le sou-
lèvent de bas en haut. Parfois les doigts sont écartés.
En résumé, il s'agit de deux cas de paralysie spinale infantile remon-
tant à 50 années environ, ayant débuté par de la fièvre et du délire dans
une observation, des convulsions dans l'autre. La paralysie affecte la forme
paraplégique chez le premier malade. Elle a atteint le membre supérieur
droit chez le second. Il faut noter chez Ban... la participation du squelette
du bassin au processus osseux et la scoliose vertébrale. Chez Rog... le
côté droit du thorax et l'omoplate sont également atrophiés. C'est sur
cette atrophie osseuse, concomitante de l'atrophie musculaire, que nous
allons revenir. Remarquons d'abord l'existence, chez Rog..., de tubercu-
lose pulmonaire, alors que Ban... en est indemne. Ce dernier présente
cependant une lourde hérédité à cet égard. Il a, d'autre part, perdu une
plus grande quantité de masses musculaires que Rog... On relève, il est
vrai, dans ses antécédents, une pleurésie. Ces faits ne,confirment ni n'in-
firment la remarque de M. Gilbert sur la fréquence de la tuberculose chez
les sujets atteints de paralysie infantile (1).
D'autres particularités sont à signaler : c'est d'une part la reprise et
(1) Soc. de biologie, 20 mars 1897,
RADIOGRAPHIES DES MEMBRES INFERIEURS
A. Dans un cas de paralysie infantile.
B. Chez un sujet sain, de même âge.
(Epreuves négative ?
RADIOGRAPHIES DES MEMBRES SUPÉRIEURS
dans un cas de paralysie infantile.
(Épreuves négatives)
A. Membre supérieur gauche sain.
B. Membre supérieur droit (en pronation).
RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE 331
l'extension au moins passagère des phénomènes paralytiques et atrophi-
ques chez notre premier malade, comme le fait est bien connu surtout de-
puis le travail de Balle[ et Dutil. C'est l'existence, chez le second
malade, de mouvements en quelque sorte athétoïdes qui pourraient éveil-
ler l'idée d'une hémiplégie spasmodique infantile, affection où les mou-
.vements athétosiques sont fréquents. En réalité, il ne s'agit pas ici d'athé-
tose, mais seulement de contractions fibrillaires se produisant* au niveau
de divers groupes musculaires et en traînant des mouvements particuliers
des doigts. Le réflexe tendineux du poignet est d'ailleurs aboli.
En ce qui concerne l'atrophie osseuse, l'application des rayons de
Roentgen donne les résultats suivants, ainsi qu'on peut en juger sur les
planches XXXIII à XXXVI.
Il s'agit de deux épreuves négatives, suivant l'expression que l'un de
nous a proposée. Dans un cas (Pl. XXXIII et XXXIV), on voit le sque-
lette du membre inférieur (fémur, rotule, tibia, péroné) de Ban... (côté
gauche), et par opposition les os correspondants radiographiés chez un
malade du même âge ne présentant pas d'altérations osseuses. Les deux
clichés ont été obtenus dans les mêmes conditions de pose (5 minutes) et
de distance de l'ampoule bianodique(35 centim.). On remarque une diffé-
rence de volume très appréciable portant sur toisa les os. En outre, dans le
cas de paralysie infantile, les os (et la comparaison des tibias est surtout
instructive à ce point de vue), sont unis, arrondis, à peu près dépour-
vus de dépressions et de saillies. Enfin l'épaisseur du tissu compact est
moins grande, l'os est devenu transparent.
Une autre planche (Pi. XXXV et XXXVI) représente les deux mem-
bres supérieurs, l'un sain et l'autre malade, de notre deuxième sujet. Les
photographies ont été obtenues par une pose de (2 minutes) à une distance
de (30 centim.) de l'ampoule. Elles confirment les remarques précédentes :
diminution extrême de volume, absence de modelé de l'os, transparence par
diminution du tissu compact.
L'étude des radiographies fait donc ressortir l'absence de développement
des os dans le sens de la largeur et de l'épaisseur, au cours de la paralysie
infantile. En ce qui concerne la longueur des os, l'atrophie est, en gé-
néral, moins marquée; car, si les mensurations montrent habituellement
une différence entre les membres sains et pathologiques, il faut tenir
compte aussi des déformations et des rétractions tendineuses. De toutes
façons il existe dans la paralysie infantile un processus portant sur la con-
figuration et sur la texture de l'os, processus véritablement diaphysaire,
et qui ne s'exerce donc pas essentiellement sur les surfaces épiphysaires
d'accroissement.
NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE
CHEZ UN ÉPILEPTIQUE APATHIQUE
. PAR
CH. FÉRÉ
Médecin de Bicêtre.
On sait combien la circulation de la peau et la contraction de ses mus-
cles sont influencées par les émotions (1). Chez les individus affaiblis ces
accompagnements des émotions peuvent s'exagérer au point de constituer
des états morbides. On a cité des cas de purpura à la suite de peur ou de
colère (2). La sécrétion sudorale présente assez souvent des modifications
morbides dans les mêmes conditions. Les émotions peuvent non seule-
ment provoquer des sueurs profuses, mais même une tendance persis-
tante à la transpiration excessive (3).
Lés émotions pénibles surtout ont été souvent accusées de provoquer
des affections cutanées : l'érythème, l'urticaire, l'eczéma, le psoriasis,
l'herpès (4), le pemphigus (5).
A côté de ces dermatoses et en particulier de l'urlicaire, on peut citer
les oedèmes de la peau et les troubles trophiques, le vitiligo et la décolo-
ration des cheveux et des poils (6), la chute des cheveux ou la pigmenta-
tion.
La mélanodermie est rarement provoquée par une émotion morale; ce-
pendant Rostan cite l'observation d'une vieille femme dont la peau se co-
lora dans l'espace d'une nuit à la suite de violents chagrins survenus coup
(1) Cil. Féré, La pathologie des émotions, 1892, p. 212, 245, etc.
(2) LECLEnc, Obs. sur un cas de purpura hémorrhagique survenu immédiatement
après un accès de colère. Journ. des conn. méd. prat., 1833-34, I, p. 199. - Leloiii,
Des dermatoses par choc moral. Ann. de dermatologie, 1881, p. 367. - Dr SM"T, Un
cas de purpura hémol'1'ha.r¡ique par choc moral. La Clinique, Bruxelles, 1888, p. loi.
(3) J. IIoTCmxsor, Archives of Surgery, t. V, p. 182.
(4) DUIIIIING, Case of dermalisis herpeliformis caused by nervous shock. Amer, journ.
of med. se., 1884, t. LXXXIX, p. 94.
(5) DUDOIS-IL1VE\ITII, Dermatoses par choc moral. La Clinique, Bruxelles, 1888,
p. 164. - CHUYL, Affection cutanée, trophonévro tique. La Belgique médicale, 1897, 1,
p. 5 î Î.
(G) Cii. Féré, Note sur un cas de canitie rapide. Progrès médical, 1897, 3' série,
t. V, p. 49.
NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE 33a
sur coup (1). Depuis, Laycock (2) et Long-Fox (3) ont cité des faits ana-
logues.
- Dans les états émotionnels morbides, dans la folie, on observe aussi
des troubles trophiques de la peau et des poils. Le système pileux est sou-
vent affecté dans les cas chroniques ; les cheveux noirs prennent un reflet
rougeâtre comme s'ils étaient teints; les cheveux blonds pâlissent.
Hake Tuke rapporte un cas de manie récurrente, dans lequel les che-
veux devenaient gris à chaque attaque et reprenaient leur couleur brune
naturelle dans les intervalles. Guericke fait allusion à un malade qui per-
dit ses cheveux au cours d'un delirium tremens (4). Chez les femmes au
contraire. on observe quelquefois, au cours d'une affection mentale, un
développement considérable des poils sur la face (5). Dans les formes
graves de la mélancolie on observe quelquefois aussi des troubles de nu-
trition des ongles qui présentent des sillons transversaux multiples (6).
On pouvait s'attendre à ce que les changements de coloration de la peau
n'étaient pas rares chez les aliénés. On a cité en effet des cas de vitiligo,
ou de pigmentation exagérée : toutefois, ces faits tiennent peu de place
dans la littérature (7) et dans plusieurs traités récents de psychiatrie, la
mélanodermie n'est pas mentionnée ; et d'autre part les traités de derma-
tologie les plus estimés et même une monographie récente (8), ne font
guère de place aux névroses et aux psychoses dans l'étiologie de la méla-
nodermie. '
On avait bien reconnu que la pigmentation légère de la peau pouvait
être liée à des lésions rachidiennes aussi bien qu'à des états généraux
névropathiques, hystérie, hypochondrie (Barlow) (9), mais la plupart des
conditions de dégradation organique peuvent s'accompagner du même
(1) IIOSTIN, Observation d'une femme devenue noire dans l'espace d'une nuil à la
suite d'une violente impression de chagrin. Bull. de la Faculté de médecine, 1816-i7,
t. V, p. : ;24.
(2) Laycock (Th.), Clinical researches cuto morbide pigmentary changes in lhe conz-
plexion. Brit. and foreign med. chir. Review, 1861, l. XXVII, pp. 185, 436.
(3) E. Long-Fox, The influence of sympathie on diseuses, 1885, p. 497.
(4) 0. GurnchE, De calvitie hirsutie, colorisque viliis pilorum. Inaug. diss., Ilalis
Saxorum, 1853, p. 15.
(5) L. llvc Lwe ILwoc.TO.r, Upon the signifiance of facial kairg grozullhs among
insane female. N.-Y. med. Record, 18SI, vol. XIX, p. 281.
(6) A. Papillon, Les sillons des ongles chez les aliénés, thèse Bordeaux, 18.95.
Ch. Féré, Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 216. La pelade posl-épilepti-
que. Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1895, p. 17.
(7) REGARD, Deux cas de maladie ou de coloration bronzée dans le cours île la pa-
ralysie générale. Gaz. hehd., 486'i, 2e série, II, p. 181. - Févue, Observation de ni-
gritie chez un aliéné. Ann. méd. psych., 1877, 5e série, t. XVII, p. 375.
(8) L. A. Vulpian, Des mélanodermies, étude séméiologique et pathogénique, th. 1897 .
- (9) Martineau, De la maladie d'Addison, th. 1863, p. 132.
334. Cil. FÉIÜ
changement. Les maladies générales et les infections (1), la carcinose, la
sarcomatose, la neurofibromatose, la tuberculose, la lèpre, la pellagre,
le paludisme, l'alcoolisme (2), le diabète bronzé de Hanot; les intoxica-
tions par le plomb, par le nitrate d'argent, par l'arsenic (Manssurow,
Leszynsky, Hoffter) (3). Les sels d'aniline peuvent s'accompagner de pig-
mentations brunes d'intensité et de nuances diverses. La grossesse (4)
s'accompagne aussi quelquefois de mélanodermie. Certains troubles tro-
phiques de la peau peuvent'encore coïncider avec une pigmentation plus
ou moins uniforme (5). La dystrophie papillaire et pigmentaire de Da-
rier est caractérisée par une pigmentation qui varie du gris au brun foncé,
mais elle s'accompagne d'une hypertrophie.papillaire végétante et de dys-
trophie pilaire ; elle présente une localisation constante,au cou,à la nuque,
à la région anogénitaie, à l'ombilic dans l'aisselle, et elle coïncide avec
la curcunose abdominale (6). Toutes ces pigmentations liées à des troubles
généraux ou locaux de la nutrition diffèrent par leur diffusion des pig-
mentations congénitales, héréditaires ou familiales (7) qui sont généra-
lement limitées ou disséminées.
La valeur de la dépression générale de l'organisme avait bien frappé
certains observateurs qui avaient même négligé les sensations qui ne pou-
vaient être rattachées à des irritations locales (8). Mais bientôt ces causes
d'irritation locale qu'on relève dans certaines observations anciennes
(Chomel (9), Lendet) (10) ont fixé particulièrement l'attention et la méla-
nodermie fréquente chez les miséreux et les vagabonds a été attribuée
principalement à l'irritation provoquée par la vermine, Vagabonden Krank-
heis de Yot (1-I), Vagabonds discoloration de Greenhow (12). Il n'est pas
(1) 31ABOTTE, : Contl'ib. à l'étude des pigmentations pathologiques, th. 1896.
(2) C. Caruiaxos, Des cachexies pigmentaires et en particulier des cachexies pig-
jnentai1'es diabéliques el alcooliques, th. 1897.
(3) 0. Wyss, Ueber Arsenmelanose. Corrcspondenzblatt f. sch. Aorzte, 1890, p. 473.
(4) A. MABLIO, Des modifications de la pigmentation de la peau au cours de la gros-
sesse, th. 1891.
(5) U;PIIOE, Mélanodermie étendue à toute la surface du corps, sclérodermie bornée
aux doigts avec atrophie des phalangettes ; atrophie de la moitié droite de la face.
C. R. soc. de Biologie, 1813, p. di 46.
(6) P. COUILLAUD, Dystrophie papillaire et pigmentaire ou acanthosis nigricans, ses
relations avec la carcinose abdominale, th. 1896.
(i) F. J. Pic, Ueber melanosis lenticul(l1'is pi,oq7,essiva. 71t'te1j. f. derm. und. syph.,
188'r, I,
(8) Boucher, Deux cas de coloration anormale de la peau liée à un état cachectique
de cause indéterminée. Gaz. des hôp., 1861, t. XXXIV, p. 161.
(9) Chomel, Observation sur la coloration noire de la peau d'un homme naturelle-
ment blanc. Bull. de la faculté de médecine, 1814, t. IV, p. 113.
(10) GEORGES Poocnrr, Des colorations de l'épiderme, th. 1864, p. 43.
·(19) Cité par BALL, kvi. Maladie bronzée. Dict. encycl. des se. méd.,1870, t. XI, p. 90.
(12) GREENIIOW, Discolo1'lttion of the skin simulaling the bronzed skin of morbus addi-
NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE 335
douteux que l'irritation locale favorise le départ de pigment, puisque la
pigmentation prédomine autour des lésions qui ont provoqué le grattage ;
mais cette irritation n'est pas la seule cause puisque les muqueuses peu-
vent être atteintes dans des régions inaccessibles au grattage et qui ne sont
le siège d'aucune lésion superficielle (1). Les conditions multiples de
nutrition défectueuse paraissent donc à l'exclusion des causes externes
capables de provoquer la pigmentation généralisée de la peau avec enva-
hissement partiel des muqueuses (2). Quant à la détermination du méca-
nisme du phénomène, il reste à établir. Peut-on incriminer un produit
toxique agissant sur les centres nerveux (3) C'est un point sur lequel je
n'engagerai pas de discussion.
L'observation qu'on va lire me paraît propre à montrer les liens qui
existent entre la mélanodermie et les troubles généraux de la nutrition à
l'exclusion de toute irritation externe.
Observation.
S..., 31 ans, employé aux écritures, est entré dans la division des épi-
leptiques à Bicêtre le 18 avril 1890.
Antécédents héréditaires. - Le grand-père paternel serait mort d'une
attaque d'apoplexie à 48 ans ; renseignements indécis sur la grand'mère.
Les grands-parents maternels sont morts à plus de 70 ans. Le père est
rhumatisant. La mère a des cauchemars et est sujette à des attaques de
paralysie matinale(engourdissement et parésie des extrémités supérieures).
Deux soeurs sont impressionnables, pleurnicheuses, mais sans trouble ner-
veux caractérisé.
Antécédents personnels . - Rien de spécial quant la gestation, ni quant
à la naissance, ni quant aux premières années.
Il aurait eu des convulsions pour la première fois à l'âge de 4 ans à la
suite d'une peur. -
Depuis l'âge de 10 ans, il est sujet de temps en temps à des sensations
sonnii. Trans. of the Pale. soc. of London, 1864, t. XV, p. 226. - A case of vaga-
bond's dM(;o ! o< ? 0;t s-,«712111aliieg. etc. Trans. of the clinical society of London, 1876,
IX, p. 24. - P. FACHE, Des mélanodermies et en particulier d'une mélanodermie pa-
basilaire, th. 1872.
(1) E. Besnieh, Mélanodermie généralisée avec pigmentation des ongles, de la mu-
queuse buccale et du prépuce, sans signes certains de cachexie surrénale. Ann. de
derm., 1889, X, p. 569. - G. Thibierge, Deux cas de mélanodermie avec pigmentation
de la muqueuse buccale chez des sujets atteints de phthiriase et ne présentant pas les
signes généraux de la maladie d'Addison. C. R. et mém. de la soc. méd. des h8p.,
1891, p. 692.
(2) A. GILLE'C, Mélanodermie par privation, th. 1869.
(3) J. Grszsec, Essai sur la maladie des vagabonds, sa confusion possible avec la ma-
ladie d'Addison, th. Lyon, 1892.
336 CIl. FÉRÉ
générales étranges de malaise, sans perte de connaissance. Peu à peu, à
ces sensations indéfinissables, dit le malade, se sont joints des mouve-
ments des lèvres,puis des pertes de connaissance. A 12 ans,il a eu sa pre-
mière grande attaque avec convulsions générales et perte de connaissance.
Depuis, les attaques se sont reproduites avec une fréquence variable aussi
bien la nuit que le jour. Il urine souvent et se mord quelquefois la langue.
Il dort rarement après les accès.
Vers 16 ans, il a commencé à présenter des absences et des pertes su-
bites de mémoire, interrompant la conversation sans perte de connaissance.
En même temps ses attaques devenaient fréquentes, il en avait jusqu'à 7
par jour. Deux ans plus tard, les accès étaient devenus plus rares, souvent
nocturnes ; le malade put obtenir une fonction qu'il a toujours remplie
imparfaitement et qu'il n'a pu conserver que grâce à l'indulgence de ses
chefs. Pendant six ans, il a subi des traitements variés sans obtenir d'a-
mélioration durable; son caractère s'est aigri, il est devenu difficile à vi-
vre malgré une indolence invincible. Sa famille a fini par se décider à
réclamer l'assistance. '
Etat actuel, avril 1890. Il a une taille de 1 m. 65 et ne pèse que
46 kil. 500 : c'est dire qu'il est très maigre. Il se tient assez droit mais
porte la tète basse. Son tégument est bistré, les extrémités sont froides et
violacées, le nez a une couleur bleuâtre. Il n'y a sur le corps aucune
trace de grattage ni d'éruption. Il présente seulement à remarquer au ni-
veau des apophyses épineuses lombaires une pigmentation de la peau que
l'on attribue à la position assise prolongée le dos constamment appuyé.
Le système pileux est peu développé sur le corps et sur la face ; les che-
veux et la moustache sont noir foncé. La face est asymétrique, les oreilles
sont aussi inégales de dimension; voûte palatine très ogivale.
Il présente une diminution de la sensibilité de la peau et des sens spé-
ciaux et surtout une analgésie bien marquée.
Il présente des formes très variées de troubles paroxystiques : 1° des
attaques convulsives commençant par une perte de connaissance avec cri
et consistant en une période tonique suivie de quelques mouvements clo-
niques et d'une très courte période de stertor, le tout ne dure guère que
10 ou 12 minutes. Il ne se souvient de rien, ne se mord que rarement la
langue, n'urine presque jamais; 2'' des vertiges et des éblouissements,
des absences; 3° des crises d'excitation dans lesquelles il crie, vocifère,
s'agite, appelle le père éternel, sa mère, sa soeur, la Sainte-Vierge, de-
mande qu'on l'aide à mourir, etc. ; 4° des crises d'apathie, dans lesquelles
il paraît insensible toutes les excitations, reste immobile sur un fauteuil,
refuse les aliments. Ces crises d'apathie durent souvent plusieurs jours,
quelquefois interrompues par des attaques convulsives plus fréquentes;
NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE 337
quelquefois elles sont très courtes et paraissent au contraire remplacer
les manifestations convulsives. Trois de ces crises d'apathie, sur lesquel-
les nous reviendrons, ont duré plusieurs semaines et se sont accompagnées
d'amaigrissement notable. Du reste, il est généralement mélancolique, taci-
turne, refuse tout exercice.Avec ce genre de vie on ne peutguère s'étonner
qu'il souffre d'une constipation opiniâtre qu'on ne peut vaincre qu'avec
des lavements. Malgré cette constipation et ce défaut d'exercice il a sup-
porté la bromuration progressive sans présenter jamais d'éruptions cuta-
nées et n'a souffert que de longs intervalles de légers troubles gastriques.
Avant son entrée il avait eu pendant plusieurs mois de 10 à 15 paroxys-
mes par mois. Il prétendait qu'il ne supportait le bromure à aucune dose.
Du 10 mai au 30 septembre, il a pris 4 grammes de borax, puis 5 gram-
mes à partir du 30 septembre. Mais le médicament a bientôt déterminé
des vomissements et on a dû le cesser le 8 octobre.
Il a commencé alors le bromure de potassium à la dose de 5 gram-
mes. On a augmenté successivement d'un gramme le 29 novembre, le
10 décembre, le 6 février 1891, le 9 avril, le 20 juin, le 24 juillet, le
6 octobre. Le 11 novembre il a déclaré qu'il ne voulait plus prendre le
médicament (12 gr.) prétextant de fortes douleurs d'estomac. Il a pris de
l'extrait de belladone à la dose de 0,06 centigrammes, et on a augmenté
progressivement de deux centigrammes le 2 décembre, le 21 décembre,
le 14 janvier 1892, le 4 février, le 18 février, le 10 avril, le 27 avril, le
3 juin. Quand il est arrivé à la dose de 0,22 centigrammes il commença à
se plaindre de sécheresse de la gorge, de quelque^hallucinations de la vue ;
bien qu'il n'eut aucun trouble pupillaire, on supputa le médicament qui
n'avait amené aucune modification notable du nombre ni de l'intensité
des paroxysmes. A partir du 27 juin il reprit 12 grammes de bromure de
potassium, qui fut changé le 12 juillet en bromure de strontium à la même
dose à cause du retour des douleurs d'estomac. Il avait été examiné à nu
le 11 août, on n'avait rien remarqué de particulier sur sa peau. Il pesait
47 kilogrammes. Quelques jours après il tomba dans un état de dépression
profonde, ne répondant à aucune excitation, refusant de manger, parlant
de sa mort prochaine, mais ne présentant ni la fétidité de la langue, ni l'état
saburral du bromisme. Cet état ressemblait aux crises d'apathie de quel-
ques jours qu'on avait déjà observées. Depuis le 18 août, où on l'avait re-
marqué pour la première fois, cet état ne lit qu'augmenter jusqu'au 25 août.
On ne pouvait qu'avec peine arriver à lui faire avaler quelques cuillerées
de lait et il n'était plus question de bromure depuis le 18. On le désha-
billa pour le peser il avait perdu 4 kilogs depuis le 11, mais on fut frappé
du changement de coloration de sa peau. Tout le tronc, aussi bien la partie
postérieure que l'antérieure et les côtés, le cou, les fesses, les cuisses sur-
x 24
338 CH. FÉRÉ
tout à la face interne, les bras, avaient pris une coloration bronze foncé
non pas uniforme mais marbrée de petites taches lenticulaires blanchâ-
tres variant de 2 à 4 millimètres de diamètre. La coloration était à peu
près uniforme sur le tronc, plus foncée encore à la base du cou et sur la
face interne des cuisses s'élargissant graduellement en montant sur le cou,
et en descendant sur l'avant-bras et sur la jambe. La face, les mains et les
pieds avait conservé leur coloration normale. La peau était restée lisse,
ne présentant aucune éruption ni aucune lésion de grattage. Du reste ce
malade comme les autres n'est jamais visité autrement que nu, est sou-
vent baigné, et l'absence absolue de vermine ne peut pas être mise en
doute.
A partir du 29 août la dépression commença à s'atténuer, il n'était sur-
venu ni accès ni vertiges depuis le 9. En même temps que l'état général
s'améliorait, la coloration de la peau s'atténuait. Quand je revins de nou-
veau au premier octobre il ne restait aucune trace de la coloration bronzée,
excepté les taches constatées peu de temps après l'entrée au niveau des
apophyses épineuses dorso-lombaires. Le poids était remonté à 47 kilo-
grammes.
A partir du 25 octobre, le bromure de strontium a été porté à 13 gram-
mes, et il en résulte une diminution considérable des accès et des vertiges
qui se sont abaissés de 75 à 22 dans l'année suivante et les crises psychi-
ques avaient presque disparu. L'année 1894 a été aussi assez bonne bien
que le bromure de strontium n'ait été augmenté que trois fois, le avril,
le 11 octobre et le 3 décembre. Il y avait eu à la fin de l'année une légère
recrudescence qui s'accentua dans les premiers mois de l'année 1895. A
partir du 7 janvier il prit 17 grammes. En mars il retomba dans un état
apathique, interrompu cette fois par des accès et des vertiges nombreux.
Il avait été pesé le 21 février : il pesait 48 kilogrammes. II avait commencé
à refuser les aliments dans les premiers jours de mars. Le 5 on avait de
plus remarqué la teinte marbrée en brun de la peau. Dans l'espace de
3 jours, elle était passée au brun foncé. Elle occupait les mêmes régions
que la première fois, plus foncée vers le tronc et à la racine des membres
et du cou, s'atténuant vers la périphérie. Il pesait 45 kilogrammes; jus-
qu'au 16 mars, le poids a encore baissé de deux kilogrammes, l'état men-
tal était le même, la coloration de la peau était fixe. Elle n'a commencé
à s'atténuer nettement qu'à partir du 26 mars où le poids s'est mis à re-
monter. Cette fois j'ai pu suivre l'effacement de la coloration vers la ra-
cine des membres, puis sur le tronc où elle persiste plus longtemps, vers
les aisselles et vers les aines ; la disparition complète n'a été réalisée qu'au
commencement de mai. Le malade alors atteint 49 kilogrammes. En 1896,
il n'eut que deux accès et deux vertiges et un petit nombre de crises psy-
MÉLANODERMIE RÉCURRENTE CHEZ UN ÉPILEPTIQUE APATHIQUE
MASSON & cite, Editeurs.
NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE 339
chiques. Le bromure ne fut augmenté que le 5 novembre(18gr.) le malade
se plaignant de cauchemars. Jusque-là le poids avait oscillé entre 45, 50,
5 ? 51, 47. Il s'abaissa dans les premiers mois de 1897, bien que l'amé-
lioration des troubles convulsifs persistai comme on peut le voir dans le
tableau des accès. .
Le 4 mai il était retombé dans son état de dépression, et il a eu une
série d'accès, il ne pesait que 45 kilogrammes. La peau des aines était
déjà fortement teintée, autour des aisselles et autour des mamelons, le
bord du rachis, dans le creux des claviculaires la coloration brune et les
Dots blancs étaient bien distincts. Le 15 la coloration avait atteint les li-
mites anciennes, et les photographies rendent bien compte de la disposi-
tion de la pigmentation (Pl. XXXVII).
Le malade pesait ce jour-là 43 kgr. 500. Il ne tenait pas debout et il
était impossible de le tenir en équilibre sans le soulever par les aisselles.
Ce n'est qu'à partir du G juin qu'il a recommencé à s'alimenter et à re-
prendre son médicament. La coloration de la peau s'est atténuée.progres-
sivement, et s'est rétrécie, mais le 15 juin elle était encore assez marquée.
TABLEAU DES ACCÈS ET VERTIGES
PATHOGÉNIE ET PROPHYLAXIE .
DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS
DES HÉMIPLÉGIQUES
PAR
GILLES de la TOURETTE,
Professeur agrégé, médecin des hôpitaux.
(Suite et fin
2- GROUPE. - Arthrites ET amyotrophie DES membres supérieur ET inférieur.
'. SÉJOUR au LIT. 7 malades.
OBS. XL Hémiplégie gauche. Ankylose de l'épaule et de la hanche, atrophie
musculaire et adipose.
Marg. BI..., femme, cinquante-deux ans, hôpital Hérold, salle E, n° 8. Hé-
miplégie gauche spasmodique d'ancienne date ( ? ). Etat mental. Ankylose de
l'articulation scapulo-humérale. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire,
masquée par adipose se limitant au bras. Circonférence du bras : à droite,
7 centimètres ; à gauche, 27 centimètres. '
Reste confinée au lit. Ankylose de la hanche droite. Atrophie des muscles
de la fesse et de la cuisse. Circonférence : 15 centimètres au-dessus de la ro-
tule ; cuisse droite, 42 centimètres ; cuisse gauche, 40 cent. 1/2; adipose con-
sidérable de la cuisse.
Oiis. XII. Hémiplégie droite, aphasie, ankylose de l'épaule et de la hanche ;
adipose généralisée masquant l'atrophie.
Eug. Mars..., femme, soixante et un ans, hôpital Hérold, salle D, n° 24.
Hémiplégie droite avec aphasie datant de 1892. Ankylose presque complète de
l'articulation scapulo-humérale, les autres articulations du membre supérieur
sont libres. Adipose énorme de tout le membre supérieur s'étendant jusqu'à
l'extrémité des doigts, masquant l'atrophie. Circonférence : bras droit, au
niveau de l'aisselle, 32 centimètres ; bras gauche, 30 ; avant-bras droit, 27 ;
gauche, 25.
Reste confinée au lit. Demi-ankylose de la hanche droite ; craquements dans
le genou. Adipose généralisée à tout le membre inférieur, atrophie des muscles
de la fesse. Circonférence : cuisse, 47 centimètres à droite, 46 centimètres à
gauche ; mollet droit, 30 centimètres ; gauche, 29.
DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 341
Oj3s. XI11. - Hémiplégie gauche avec ankylose et arthrite de toutes les articulations
du membre supérieur; atrophie musculaire . Séjour au lit. Arthrite de la han-
che et du genou, oedème du membre inférieur masquant l'atrophie.
Ler..., homme, soixante-seize ans, hôpital Hérold, salle B, n° Si. Hémiplé-
gie gauche datant de décembre 1896. Ankylose complète et douloureuse de
l'épaule gauche. Amyotrophie très marquée des muscles de la ceinture scapu-
laire, surtout du deltoïde au niveau duquel il existe de l'adipose. Circonférence
au niveau de l'aisselle : bras gauche, 25 cent. 1/2 ; bras droit, 27.
Avant-bras contracture sur l'avant-bras mais en flexion, doigts en griffe ;
ankylose, amyotrophie en masse.
Séjour permanent au lit; membre inférieur contracture en extension. Demi-
ankylose de la hanche droite avec craquements et douleurs; craquements du
genou. OEdème généralisé du membre masquant l'atrophie musculaire. Circon-
férence, 15 centimètres au-dessus de la rotule ; 40 centimètres à droite, 40 cen-
timètres à gauche.
Cas. XIV. Hémiplégie gauche, séjour au lit; arthrite et ankylose des mem-
bres supérieur et inférieur avec atrophie généralisée.
Perr., homme, soixante-sept ans, hôpital Hérold, salle B, ne 46. Hémiplégie
.spasmodique avec aphasie, datant de 1892. Ankylose presque complète de l'arti-
culation scapulo humérale droite avec craquements et douleurs spontanées
et provoquées. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire très marquée au
niveau du deltoïde. Circonférence : bras droit au niveau de l'aisselle, 25 centi-
mètres ; bras gauche 27 cent. 1/2 ; adipose très marquée au niveau du deltoïde.
Arthrite radio-carpienne; ankylose des articulations métacarpo-phalangien-
nes ; flexion de l'avant-bras sur le bras. Circonférence de l'avant-bras, 4 tra-
vers de doigt au-dessous de l'articulation du coude, 22 centimètres à gauche ;
19 à droite.
Séjour au lit constant. Membre inférieur : Demi-ankylose avec craquements
de l'articulation de la hanche. Amyotrophie de la cuisse; à gauche 40 centi-
mètres ; à droite 40 centimètres, à 15 centimètres au-dessus de la rotule. Adi-
pose très marquée surtout dans le domaine du triceps crural masquant en
partie l'atrophie. Muscles de la fesse atrophiés.
Craquements du genou; amyotrophie du mollet. droite, 25 centimètres ;
à gauche, 27 centimètres, 12 centimètres au-dessous de la rotule.
OBs. XV. Hémiplégie droite. Ankylose de l'articulation scapulo-hnmérale;
séjour au lit, arthrite de la hanche et du genou, amyotrophie.
E. Laq..., homme, cinquante-cinq ans, hôpital Hérold, salle B, n° 60. Hémi-
plégie droite spasmodique datant de 1894. Flexion de l'avant-bras sur le bras.
Demi-ankylose de l'articulation scapulo-humérale droite avec craquements,
sans douleurs spontanées. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire,
portant sur le deltoïde ; à ce niveau adipose très marquée envahissant aussi les
régions sus et sous-épineuses, sous-claviculaire. Avant-bras normal. ,
' 342 GILLES DE LA TOURETTE
Les membres inférieurs sont parsemés tous les deux de taches violacées qui
auraient apparu postérieurement à l'hémiplégie ; jambe droite contracturée en
demi-flexion sur la cuisse.
Arthrite- coxo-fémorale droite avec amyotrophie de la fesse et de la cuisse
particulièrement marquée au niveau du triceps : circonférence, 15 centimètres
au-dessus de la rotule : à droite, 28 cent. 1/2 ; à gauche, 30 cent. 1/2. Arthrite
de l'articulation du genou; rétractions fibro-tendineuses l'immobilisant. Amio-
trophie du mollet droit : circonférence 15 centimètres au-dessous de la rotule :
il droite, 28 centimètres ; à gauche, 30 centimètres.
OBs. XVI. Hémiplégie droite ; ankylose de l'épaule et de la hanche, séjour au
lit. Adipose généralisée masquant l'atrophie.
L. Bon..., femme, cinquante-huit ans, hôpital Hérold, salle D..., n° 30.
Hémiplégie droite, aphasie depuis 1895. Ankylose de l'épaule avec atrophie
des muscles de la ceinture scapulaire ; les autres articulations sont libres.
Doigts fléchis, réductibles, pas d'atrophie des muscles de la main. Adipose très
marquée généralisée au bras et à l'avant-bras. Circonférence ; bras droit,
31 centimètres ; gauche, 31 centimètres ; avant-bras droit, 27 centimètres ;
gauche, 26 centimètres. L'adipose masque l'atrophie.
Membre inférieur droit. La malade reste couchée. Contracture en extension.
Articulation coxo-fémorale droite ankylosée. Adipose généralisée à tout le
membre. Atrophie des muscles de fesse et de la cuisse. Circonférence, 15 cen-
timètres au-dessus de la rotule : cuisse droite, 43 centimètres ; gauche, 41 cen-
timètres ; jambe droite, 12 centimètres au-dessous de la rotule, 31 centimètres;
gauche, 29 centimètres.
OBs. XVII. - Hémiplégie droite, séjour au lit, arthrites et amyotrophie
généralisée des membres supérieur et inférieur.
M. Lard..., cinquante ans, femme, hôpital Hérold, salle D, n° 34. Hémiplé-
gie droite spasmodique et aphasie datant de 1893.
Ankylose incomplète avec craquements sans douleurs de l'épaule droite.
Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire, méplats sus et sous-épineux,
sous-claviculaire, deltoïdien. Adipose très marquée in situ. Circonférence :
bras droit, 27 centimètres; bras gauche, 29.
Avant-bras en' flexion sur le bras avec arthrite de l'articulation du coude ;
amyotrophie sans adipose; avant-bras droit, circonférence, 17; gauche, 19.
Poignet droit immobilisé en extension sur le bras, doigts fléchis ; polyarthri-
tes, atrophie généralysée de tous les muscles de la main.
Membre inférieur droit. Malade reste au lit; membre inférieur contracturé
en extension. Ankylose presque complète de l'articulation de la hanche. Atro-
phie des muscles de la fesse et de la cuisse. Circonférence : cuisse droite, 35 ;
cuisse gauche, 38, 15 centimètres au-dessus de la rotule. Arthrite du genou
avec forts craquements. Amyotrophie. Circonférence, mollet droit, 12 centi-
mètres, au-dessus de la rotule, 20 cent. 1/2 ; gauche, 24 centimètres.
DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 343
Chez les 7 malades du deuxième groupe, pour des causes diverses,
contracture très marquée partout, le membre inférieur du côté hémiplé-
gique ne sert plus pour la marche, les sujets restent confinés au lit.
Or, lorqu'on lit leurs observations on voit que tous présentent, comme
les sujets du premier groupe, de l'amyotrophie du membre supérieur.
Mais à l'inverse de ce qui existe chez ces derniers, tous présentent de
l'amyotrophie du membre inférieur portant principalement sur les mus-
cles de la fesse et de la partie supérieure de la cuisse. Chez tous aussi,
l'articulation coxo-fémorale est le siège d'une arthrite avec ankylose plus *s
ou moins complète avec ou sans douleurs spontanées ou provoquées. L'a-
myotrophie, limitée au territoire de l'articulation de la hanche, ne se
généralise que si les autres articulations du membre inférieur sont à leur
tour le siège d'arthrite et d'ankylose.
3e GROUPE. Mobilisation DU MEMBRE paralysé. Absence d'arthrites ET
D'ATROPHIE MUSCULAIRE. 3 MALADES.
OBs. XVIII. Hémiplégie gauche spasmodique permettant encore les
mouvements du membre. Absence d'ankylose et d'atrophie.
Cor..., trente-neuf ans, homme, hôpital Hérold, salle A, n° 1. En 1879, si-
philis vaccinale. En juin 1895, hémiplégie gauche permettant encore en partie
les mouvements ; exagération des réflexes sans contracture. Amaigrissement
généralisé des muscles du hras sans atrophie localisée. 1 centimètre de diffé-
rence entre les deux bras, à gauche, 27 ; à droite, 28, au niveau de l'aisselle.
Deltoïde un peu affaissé. Raideur de l'épaule sans ankylose, sans craquements
et sans douleurs provoquées ou spontanées. ,
Membre inférieur. Pas d'atrophie ni d'arthrite, légère trépidation spinale.
OBS. XIX. - Hémiplégie gauche sans atrophie ni arthrite.
Mobilisation du membre supérieur.
Chai..., homme, soixante-cinq ans, hôpital Hérold, salle 6, n° 8. Hémiplé-
gie gauche, datant de 1895, avec hémiplégie faciale ; spasmodique.
Flaccidité sans atrophie des muscles du membre supérieur; pas d'arthrite,
si ce n'est légers craquements de l'articulation scapulo-humérale dans les mou-
vements extrêmes. Dès le début de l'hémiplégie, le malade a pris soin de mobi-
liser lui-même son bras gauche avec la main droite; peut le porter sur la tête.
Réflexes exagérés.
Trépidation spinale du membre inférieur ; ankylose de l'articulation coxo-
fémorale avec atrophie musculaire par coxalgie fistuleuse d'ancienne date.
344 GILLES DE LA TOURETTE
O>3s. XX. Hémiplégie droite, aphasie. Mobilisation du membre supérieur,
- absence d'ankylose et d'atrophie, sauf au niveau de l'articulation métacarpo-
phalangienne du pouce, atrophie du premier espace interosseux et du thénar.
Mart. M..., homme, soixante-cinq ans, hôpital Hérold, salle A, n, 57. Hémi-
plégie droite, aphasie en 1895, spasmodique. Avant-bras fléchi sur le bras,
main fléchie sur l'avant-bras. Dès l'apparition de son hémiplégie, ce malade a
pris l'habitude de faire exécuter au bras droit, l'aide de la main gauche, quo-
tidiennement et à plusieurs reprises, des mouvements aussi étendus que pos-
sible. Absence d'arthrite et d'ankylose dans les articulations du coude, du
.poignet. Quelques craquements dans les mouvements extrêmes en arrière. de
l'articulation scapulo-humérale. Pas d'atrophie musculaire appréciable, sauf
une légère diminution de volume du deltoïde remplacée par une adipose lo-
cale.
Ankylose de l'articulation métacarpo-phalaugienne du pouce. Atrophie des
muscles du premier espace interosseux et du thénar.
Membre inférieur. Trépidation spinale ; pas d'arthrite ni d'atrophie. Le ma-
lade marche.
Restent les trois malades du dernier groupe. Chez ceux-ci, peu ou pas
d'amyotrophie. L'analyse des observations va nous en donner la cause.
Le malade de l'observation XVIII, âgé de trente-neuf ans, a été atteint
jeune encore d'une hémiplégie légère d'origine syphilitique : l'amaigris-
sement musculaire généralisé est apparu sans atrophie. Mais ce malade
peut encore mouvoir son bras dans tous les sens ; il ne s'est pas produit
d'arthrite ni d'ankylose, l'amyotrophie ne s'est pas montrée.
. Le malade de l'observation XIX est plus sévèrement louché; la con-
tracture est plus manifeste. Mais il nous l'a dit spontanément et la sur-
veillante de la salle a confirmé son dire, il s'est-astreint tous les jours
à mobiliser son membre paralysé avec la main restée libre. Pas d'arthrite
de l'épaule si ce n'est quelques craquements dans les mouvements extrê-
mes qu'il lui est difficile d'effectuer lui-même ; pas d'atrophie.
De même en ce qui regarde le malade de l'observation XX qui lui
aussi a mobilisé quotidiennement son membre paralysé ; pas d'arthrite
ni d'atrophie. Toutefois, la contracture a prédominé sur le pouce qui
s'est fléchi dans la paume de la main. Il en est résulté une ankylose de
l'articulation métacarpo-phalangienne qu'accompagne une atrophie du
premier espace interosseux et du thénar.
- ' De plus, ces trois malades ne présentent ni douleurs spontanées ni
douleurs provoquées dans le membre supérieur indemne d'arthrite, sauf
en ce qui regardé l'articulation métacarpo-phalangienne du pouce qui est
douloureuse. -
Ces trois faits tirés du bloc d'observations recueillies d'un seul coup,
DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 345
corroborent singulièrement ce que nous avons dit de la pathogénie de
l'atrophie musculaire des hémiplégiques dont les caractères sont les sui-
vants : *.
Elle est en relation constante avec une arthrite et se limite au terri-
toire articulaire lésé.
Elle fait défaut en l'absence de l'arthrite.
Les douleurs spontanées ou provoquées qui accompagnent l'amyo-
trophie sont localisées par les malades au niveau de l'arthrite, d'où elles
peuvent irradier.
Reste maintenant à connaître la nature de l'arthrite. ,
Nous savons que les membres hémiplégies sbnt, du fait de la paralysie,
sujets à des troubles trophiques : l'amaigrissement général des muscles
en est une preuve évidente à laquelle on pourrait ajouter une adipose
parfois généralisée ou de l'oedème comme dans quelques-unes de nos ob-
servations.
. Mais si l'arthrite est favorisée par cette hypotrophicité, ainsi qu'on
peut ^admettre, en réalité, à notre avis, elle reconnaît une tout autre cause.
La preuve en est qu'à l'inverse de l'amaigrissement généralisé, elle n'existe
pas chez tous les sujets hémiplégiques, et qu'en outre onpeut l'empêcher
d'exister.
La cause réelle de l'arthrite réside pour nous dans l'immobilisation
forcée à laquelle sont contraints, du fait de la paralysie ou mieux de la
contracture, le membre supérieur ou inférieur ou mieux certaines régions
bien déterminées de ces membres. -
Voyons ce qui se passe cliniquement dans le membre inférieur du-
côté hémiplégie. Après une courte période de paralysie flasque, la con-
tracture se montre. Le malade se lève, il marche en fauchant, mais il
marche dans la majorité des cas. Il mobilise donc de ce fait les articula-
tions de son membre inférieur, et chez ces malades, du fait de cette mo-.
bilisation, nous pouvons le dire, il ne survient ni arthrite ni atrophie,
Si la contracture rend le membre inférieur rigide, impotent et confine
le malade au lit, l'articulation de la hanche en particulier s'immobilise,
il survient de l'arthrite et l'atrophie ne tarde pas à apparaître.
Pour le membre supérieur, l'évolution des phénomènes est encore
plus constante. Le bras se contracture en adduction, se colle le long du
tronc d'où, au bout d'un temps toujours court, il devient difficile de le
séparer sans peine. Il survient de l'arthrite et de l'ankylose de l'épaule
par immobilisation et aussi de l'atrophie musculaire'toujours précoce
comme l'arthrite qui lui a donné naissance.
Par leur situation môme à portée de la main restée libre, le coude, le
poignet et la main sont beaucoup plus facilement mobilisés que l'articu-
846 GILLES DE LA TOURETTE
lation de l'épaule. La main même peut encore rendre quelques services ;
aussi dans ces segments l'arthrite et l'atrophie sont-elles beaucoup plus
rarement observées que dans le segment supérieur du membre.
Enfin, ce qui corrobore la pathogénie que nous proposons, c'est que
les 3 malades qui se sont soumis eux-mêmes à des mobilisations répé-
tées dès le début de leur hémiplégie, sont restés seuls indemnes d'atro-
phie et d'arthrite.
Si d'ailleurs nous faisons intervenir, en dehors des 20 sujets étudiés
d'un coup dans notre service, afin de rendre la statistique aussi équitable
que possible, les observations que nous avons recueillies pendant ces
dernières années dans la clientèle de ville où les malades sont vus dès
l'apparition de leur hémiplégie et suivis attentivement, nous pouvons
affirmer :
Que par des mobilisations quotidiennes et méthodiques des articulations
nous avons toujours pu éviter l'apparition des arthrites, de l'amyotrophie
et aussi des douleurs dans les membres paralysés des sujets hémiplégiques
(ou monoplégiques) par lésion cérébrale. Les résultats sont constants, à
moins, ce qui est rare, que la contracture soit d'emblée assez forte pour
empêcher les mobilisations.
La pathogénie que nous proposons de l'amyotrophie des hémiplégiques,
ne va pas à l'encontre des résultats que l'examen anatomique a fournis à
la majorité des auteurs qui se sont occupés de cette question etont constaté
en particulier une altération des cellules des cornes antérieures ; M. Klip-
pel nous semble en effet avoir démontré (Soc. anatom., nov. 1887 et jan-
vier 1887) qu'en dehors de toute paralysie du membre, l'arthrite la plus
vulgaire avec amyotrophie pouvait s'accompagner d'une lésion du même
territoire de la moelle.
L'arthrite avec amyotrophie des hémiplégiques que nous décrivons, et
qui tire son origine de l'immobilisation des membres, diffère des arthro-
pathies des hémiplégiques signalées par Scott Alison, Brown-Séquard et
étudiées par notre regretté maître M. Charcot, Arch. de physiol., 1868, et
Leç. sur les mal. du syst. nerveux, t. I). Ces arthropathies sont souvent
aiguës, comportent presque toujours un pronostic fatal ; ce sont de véri-
tables troubles trophiques d'origine centrale. Elles sont aussi rares que
l'arthrite vulgaire des hémiplégiques est constante, et leur apparition ou
leur absence ne parait pas influencée par l'immobilisation ou la mobilisa-
tion des membres paralysés.
SUR L'HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE DE LA POLYNÉVRITE
DANS SES RAPPORTS AVEC LES LÉSIONS DE LA CELLULE NERVEUSE
PAR
SERGE SOUKHANOFF,
Médecin de la clinique psychiatrique de Moscou.
Il s'est produit,ces derniers temps,un notable accroissement de nos con-
naissances concernant la structure fine de la cellule nerveuse l'état nor-
mal ou pathologique. Le succès du développement de ces connaissances est
étroitement lié à la méthode de Nissl. L'introduction dans la technique
microscopique du procédé de coloration de Nissl, a donné en effet des ré-
sultats brillants et féconds ; grâce à lui, nous avons pu faire une connais-
sance plus détaillée de la structure du protoplasma nerveux, et, en outre,
nous avons à présent la possibilité de définir dans les cellules nerveuses
altérées des modifications qu'on ne pouvait parvenir à constater en se ser-
vant des méthodes antérieures.
La méthode de Nissl a subi et subit encore de nombreuses modifica-
tions.
Le protoplasma des cellules nerveuses coloré ainsi n'apparaît pas
uniforme. L'une de ses parties constitutives se colore avec des couleurs
basilaires d'aniline (bleu de méthylène) d'une façon très intense, la se-
conde est inaccessible à ces couleurs ; c'est pour cela que la première peut
être nommée substance chromatique et la seconde substance achromatique.
La substance chromatique, ou chromatine, forme dans le corps des cellu-
les et dans les prolongements protoplasmiques diverses figures de la dis-
position desquelles il résulte que les différentes cellules nerveuses n'ont
pas un aspect identique. Dans l'état pathologique des cellules nerveuses on
observe toute une série de modifications dans la disposition de la substance
chromatique ainsi que de sa quantité dans le protoplasma cellulaire. La
coloration par l'alcool-méthylène dans la technique microscopique contem-
poraine est donc une méthode assez .sensible pour la définition des modi-
fications qu'il n'était pas possible de trouver en se servant des anciennes
méthodes d'investigation.
348 SERGE SOUKHANOFF
La découverte (le cette méthode suscita toute une série de travaux rela-
tifs aux différentes affections du système nerveux. Au nombre des mala-
dies, pour lesquelles cette technique fit découvrir de nouvelles modifica-
tions survenues dans les cellules nerveuses, se trouve la polynévrite.
Ce ne sontpasseulement les nerfs périphériques qui se trouventaltérés
dans la polynévrite, mais encore les substances blanche et grise du système
nerveux central. Pour la recherche des modifications récentes des voies
conductrices de la moelle dans la polynévrite, on peut avec succès se servir
de la méthode de Marchi.
Nous nous proposons de donner la description d'un cas de névrite mul-
tiple suivi d'autopsie, et avec investigation microscopique par la méthode
de Marchi et par celle de Nissl.
Observation CLINIQUE.
Le malade M., âgé de 28 ans, entra à la clinique psychiatrique de
Moscou le 19 mars 1897.
Il y avait beaucoup d'alcooliques parmi ses parents. À l'âge de 12 ans
il entra en service dans une maison de commerce. A l'âge de 17 ans,il oc-
cupait la fonction de commis dans une fabrique.
Le malade commença de bonne heure à boire du vin. Les trois derniè-
res années surtout il buvait avec excès et souvent jusqu'à l'ivresse. Vers le
mois de décembre 1896,il parut devenir plus sobre, mais alors les person-
nes de son entourage remarquèrent qu'il était devenu distrait et ouhlieux.
Quant au malade lui-même, il se plaignait de douleurs aux membres
inférieurs et à la tête; en même temps sa démarche devint mal assurée. : En dernier lieu,sa mémoire s'est beaucoup affaiblie ; en outre le malade
se plaignait souvent qu'il voyait mal.
Il avait aussi des hallucinations telles qu'en ont les alcooliques. Notons
encore pendant la dernière année un oedème des membres inférieurs, qui
apparaissait temporairement.
Etat présent . - Le malade est pâle ; pas d'oedème; toux légère : on
entend dans les poumons quelques râles secs. Sclérose des artères. Pas de
sucre, ni d'albumine dans l'urine. Faiblesse générale assez considérable ;
le malade peut marcher sans aide,quoique avec peine ; la dyspnée survient
très vite. Sa parole est lente, et il se plaint d'éprouver de la difficulté à
parler. La pupille gauche est plus grande que la pupille droite, la vision
mauvaise. Les réflexes rotuliens sont faibles. ? Au point de vue psychique,il faut noter la bonne humeur du malade et
son incapacité de s'orienter dans son entourage, des pertes de mémoire et
une tendance aux inventions.
SUR L'HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE DE LA POLYNÉVRITE 349
Au commencement d'avril, la température chez notre malade s'éleva,
et cette élévation dura jusqu'à sa mort, qui eut lieu le 16 avril. Avec l'ap-
parition de la fièvre le malade devint déplus en plus faible, et perdit l'ap-
pétit ; quelquefois on remarquait chez lui des phénomènes d'agitation
fébrile, coïncidant avec l'élévation de la température. L'examen des yeux
pendant le séjour du malade à la clinique, fait par le docteur Golowine,
révéla l'existence d'une inflammation du nerf optique en voie de régres-
sion.
A l'autopsie, on trouva, entre autres lésions, de l'oedéme du cerveau et-
de la moelle et de leurs enveloppes, un ancien foyer tuherculeux dans le
sommet du poumon droit; coeur gros, muscle cardiaque flasque et dégénéré.
Examen microscopique DE la MOELLE épinière.
I. Préparations par la méthode de Marchi.
Région lombaire. - Dans les cordons antérieurs et latéraux de la subs-
tance blanche on voit seulement des fibres dégénérées isolées. Un aspect
tout aulre est présenté par les.cordons postérieurs; ici on observe une
dégénérescence assez considérable, quoique non compacte, des fibres ner-
veuses (Fig. 1).
Mais, en général, dans les cordons postérieurs la quantité des fibres sai-
nes prédomine sur celle des libres altérées. Les amas noirs de myéline
manquent presque totalement le long de la scissure longitudinale posté-
rieure dans la région dorsale, à savoir : dans les parties internes des cor-
dons de Goll. Dans les racines postérieures on observe une dégénérescence
très marquée, surtout dans leur trajet intramédullaire. Dans les racines
antérieures la dégénérescence n'est pas aussi accentuée que dans les raci-
nes postérieures ; lit aussi, elle est plus visible dans la région inlramédul-
laire des racines, que dans leur partie extramédullaire.
La substance grise des deux cornes est pénétrée dans toutes les direc-
Fig. l. - Coupe delà moelle, région
lombaire, traitée par la méthode de
Marchi.
Fig. 9. - Coupe de la moelle, région
cervicale, traitée par la méthode de
Alarchi.
350 SERGE SOUKHANOFF
tionspar des fibres dégénérées. Dans les cellules de la corne postérieure,
ainsi que de la corne antérieure, on voit un pigment noir ayant l'aspect
d'une poussière menue. Certains éléments nerveux en contiennent plus,
d'autres moins, et sa disposition dans les différentes cellules présente des
figures très variées.
Région cervicale. On s'aperçoit, même à l'oeil nu, que la coloration
des cordons de Goll est plus foncée que celle des cordons de Burdach. A
l'examen microscopique la dégénérescence des cordons de Goll saute aux
yeux, mais ici encore le nombre des fibres saines est plus grand que celui
des libres altérées (Fig. 2).
Dans les cordons de Hllrdacn, on rencontre seulement, des amas dissémi-
nés de myéline. Dans les cordons antérieurs et latéraux, il n'y a qu'un
petit nombre de fibres dégénérées. La substance grise surtout de la corne
antérieure est traversée par des fibres dégénérées. Le processus morbide
dans les racines à ce niveau est moins marqué que dans les régions infé-
rieures.
II. Préparations par la méthode de Nissl. -Beaucoup des cellules de la
corne antérieure apparaissent modifiées; le processus morbide dans les
éléments ganglionnaires n'est pas partout identique. Il y a des cellules
qui sont plus attaquées, d'autres moins. Bien des cellules restent évidem-
ment intactes.
On peut juger du degré des lésions cellulaires par la disposition dans
ces dernières de la substance chromatique, et, en outre, par l'endroit de la
cellule où se trouve le noyau. En examinant diverses préparations on
peut voir très nettement que dans certaines cellules la substance chroma-
tique n'est pas distribuée également; cette substance a disparu ◀tantôt▶ dans
la partie centrale du corps cellulaire (très souvenl), ◀tantôt▶ dans la partie
périphérique (très rarement). C'est pour cela que, dans le premier cas, la
partie centrale sera bleu-clair et dans le second la partie périphérique.
En outre, on observe encore différents degrés de modification dans la subs-
tance chromatique. Dans les cellules, où la dissolution.de la substance
chromatique a envahi la partie centrale du corps cellulaire, le noyau oc-
cupe une position excentrique ; il apparaît comme reculé vers la périphé-
rie avec les amas modifiés de la substance chromatique, qui entoure d'un
cercle plus ou moins large un champ bleu-pâle, situé au centre de la cel-
lule (Fig. 3). )
Plus la dissolution de la substance chromatique dans le centre de la
cellule est grande, plus le noyau s'avance vers la périphérie; il forme
quelquefois sur la périphérie de la cellule une convexité.
Dans la dissolution périphérique de la substance chromatique, -ce qui
SUR l'histologie pathologique nE la polynévrite 351
se rencontre rarement, le noyau de la cellule reste dans la partie cen-
trale du corps cellulaire (Fig. 4).
Les cellules avec modification centrale de la substance chromatique dif-
fèrent par leur aspect extérieur des autres cellules et surtout des cellules
normales. En effet, leurs contours deviennent plus arrondis, les cellules
ont l'aspect gonflé.
Dans les ganglions intervertébraux, on peut constater dans certaines
cellules nerveuses, ainsi que dans les cellules motrices de la corne an-
térieure, une dissolution centrale de la substance chromatique avec la
position périphérique du noyau.
Dans les nerfs périphériques, traités par l'acide osmique, on a constaté
une névrite parenchymateuse très accentuée. Pour ces recherches ont été
Fig. 3. - Cellule de la corne antérieure de la moelle épinière.
Fig. 4. - Cellule de la corne antérieure de la moelle épinière.
352 SERGE SOUKHANOFF
choisis les nervi dorsales, pedis, peroneus, cruralis, ulnal'is et radialis.
Les modifications les plus marquées ont été constatées dans les deux pre-
- mies nerfs sus-nommés.
Nous allons commencer l'interprétation hislo-pathologique des lésions
que nous venons de décrire, par l'examen des données microscopiques
obtenues avec le procédé de Nissl.
Quelle est la signification de la dissolution centrale de la substance
chromatique, accompagnée de l'émigration du noyau du centre de la cel-
lule vers la périphérie ? Pour résoudre cette question adressons-nous aux
données expérimentales.
Les recherches expérimentales portant sur la section des nerfs périphé-
riques et l'examen consécutif des centres nerveux correspondants par la
méthode de Nissl démontrent que, dans ces cas, on a affaire à des altéra-
tions ressemblant beaucoup à celles que l'on observe dans la polynévrite.
Les expériences de Nissl, Marinesco (1), Ballet etDutil (2), Van Gehuch-
ten, etc., ont constaté indiscutablement le fait suivant : à savoir qu'après
la lésion du prolongement cylindre-axile dans les éléments nerveux cor-
respondants survient une réaction particulière. En comparant les données
des recherches microscopiques des centres nerveux après la section de
leurs cylindres-axes avec l'état de quelques cellules dans la polynévrite,
M. Marinesco, dans un récent travail (3), arrive à cetle conclusion que le
tableau microscopique dans les deux cas est identique; seulement, clans le
premier cas, on a l'impression d'avoir affaire à un processus plus aigu que
dans le second. La dissolution centrale de la substance chromatique avec
le déplacement simultané du noyau du centre vers la périphérie dans la
polynévrite est, d'après M. Marinesco, en relation avec la lésion des nerfs
périphérique. Celle-ci influe sur les centres correspondants de la même
manière que la section des nerfs, mais pourtant à un degré bien moins
accentué.
Il est à remarquer que les cellules gonflées, la dissolution centrale de
la substance chromatique, le déplacement du noyau du centre du corps
cellulaire vers sa périphérie, bref le tableau histologique qui résume les
modifications principales des cellules nerveuses dans notre cas de polyné-
vrite- ont été observés par M. Sano dans la région lombaire de la moelle
(1) Mabinesco, Pathologie générale de la cellule nerveuse. Lésions secondaires el pri-
ntilives. Presse médicale, 18f7, n° 8.
(2) Ballet et DUTIL, Progrès médical, 1896, n" 26.
(3) Maiunesco, Des polynévrites en rapport avec les lésions secondaires et les lésions
primitives des cellules nerveuses. Revue neurologique, 1896, no 5.
SUR L'HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE DE LA POLYNÉVRITE 353
épinière chez dès sujets ayant subi l'amputation d'un membre inférieur.
Des recherches faites par M. Sano xi), il résulte que les modifications sus-
nommées dans les cellules nerveuses restent stationnaires très longtemps,
plusieurs mois après l'amputation de l'extrémité.
Les phénomènes de névrite périphérique dans notre cas étaient très
marqués. Il me semble donc que nous pouvons avoir le droit de dire que
les modifications observées dans les cellules nerveuses, où le noyau se
trouve sur la périphérie du corps cellulaire et où l'on voit dans le centre
de la cellule nerveuse une coloration bien plus claire, dépendent de la
lésion des troncs nerveux. Nous pouvons désigner ces anomalies dé la
structure de la cellule nerveuse, d'après la terminologie de M. Marinesco
et les appeler modifications secondaires, pour les différencier des mo-
difications primitives, qui apparaissent après l'action immédiate d'un
poison sur les cellules nerveuses ou à la suite d'un trouble de leur nutri-
tion. Les modifications primitives ont été observées dans la rage (Mari-
nesco (2), Sabrazès et Cabannes (3), dans le botulisme (Marinesco), dans
le tétanos, dans l'intoxication par l'arsenic (Nissl, Schaffer, Dexler (4),
Marinesco, Lugaro), par le plomb (Schaffer), par l'alcool (Marinesco (5),
Dehio et d'autres), par le malonnitril (Goldscheider et Flatau) (6), par le
poison diphtéritique (Mourawieff (7) et d'autres), par la strychnine (Gold-
scheider et Flatau) (8), dans l'élévation artificielle de la température du
corps (Goldscheider et Flatau), etc.
Il n'est donc pas défendu de dire que certaines intoxications provoquent
des anomalies définies dans la structure des cellules nerveuses. Mais on
ne peut considérer comme chose indiscutable toute la série des données
nouvelles histo-pathologiques,puisque ces dernières ne peuvent pas encore
être regardées comme des faits permanents établis, et il est nécessaire de
les vérifier encore. Quoique certaines investigations aient amené divers
auteurs à des conclusions différentes, il faut remarquer que nous sommes
(1) Sano, Les localisations motrices dans la moelle lombo-sacrée. Journal de neuro-
logie et d'hypnologie, 1897.
(2) Marinesco, Pathologie de la cellule nerveuse. Paris, 1897, p. 37.
(3) Sabrazès et CABANNES, Les lésions des cellules nerveuses de la moelle dans la rage
humaine. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 189 ? n° 3.
(4) DEXLER, Zur Histologie der Ganglienzellen des Pfrrdes in normalem Zustande
und nach At·senikvergiftung. Jahrbùcher sur Psychiatrie, 1897, Band XVI, 1 u. 2 Ilelt.
(5) Marinesco, Nouvelles recherches sur la structure fine de la cellule nerveuse et
sur les lésions produites par certaines intoxications. Presse médicale, 1897, no 49.
(6) Goldscheider et FLATAu, Beitrâgezur Pathologie der Nervenzelle. Fortschritte
der Medicin, 1897, n 7.
(7) IIloUIIAWIEF, Communication à la Société de Neuropathologie et de Psychiatrie
de Moscou, 1897, avril.
(8) GOLDSCIIC1D&ti et FLATAU, 1Veitel'e Beitl'ii.'1e zur Pathologie der Neruenzellen
Fortschritte der Medicin, 1897, n° 16. -
x 25
SERGE SOUKHANOFF
dès à présent,mieux en mesure de comprendre le rapport intime qui existe
entre les altérations de la fonction et les modifications de la structure fine
des cellules nerveuses.
Dans notre casde polynévrite, outre les modifications secondaires dans les
cellules nerveuses, il y en avait encore des modifications primitives : telle
était la chromatolyse périphérique ou partielle, sans déplacement visible du
noyau vers la périphérie du corps cellulaire. Ces modifications primitives
insignifiantes ont pu dépendre de trois causes, à savoir : 1° d'une éléva-
tion assez considérable de la température du corps chez notre malade,
2° de l'abus de boissons fortes, et 3° de la même auto-intoxication qui- a
provoqué la polynévrite. L'effet le plus actif, selon nous, est dû aux deux
dernières causes. Est-ce seulement la partie chromatique de la cellule qui
a été attaquée dans notre cas de polynévrite, ou bien y avait-il aussi alté-
ration de la substance achromatique ?
Les modifications primitives,de même que les modifications secondaires
des cellules nerveuses dans notre cas, consistaient principalement en la
désagrégation dans l'une ou dans l'autre forme des corpuscules chromati-
ques qui, dans certaines cellules nerveuses, semblaient subir une dissolu-
tion dans la substance du trophoplasma (d'après la terminologie de M. Ma-
rinesco). Mais dans un très petit nombre d'éléments nerveux on pouvait
noter l'altération de la substance achromatique, grâce à l'apparition à l'in-
térieur du corps cellulaire d'un réseau très fin et peu distinct; entre les
- mailles de ce réseau,sur l'une des préparations, on peut observer unesohs-
- tance très fortement colorée,el sur une autre des masses non colorées.
Il est encore difficile de dire définitivement à quel degré de lésion du
protoplasma la cellule nerveuse peut se reconstituer, et quel est le degré
qui mène à la dégénérescence du prolongement cylindre-axile et au dé-
périssement de la cellule entière. On peut admettre que,peul-être,les mo-
difications sus-décrites dans les cordons postérieurs de la moelle épinière
chez notre malade dépendaient de la lésion des éléments cellulaires des
ganglions intervertébraux, surtout de ce fait que la fonction trophique des
cellules en question a été atteinte. La lésion des cordons postérieurs dans
ce cas porte surtout sur les voies conductrices longues dont l'origine se
trouve dans les cellules des ganglions intervertébraux et qui entrent dans
la moelle épinière comme éléments constitutifs des racines postérieures.
L'influence des modifications survenues dans les cellules des ganglions
spinaux ne peut être omise dans aucun cas ; mais le fait qu'à tous les éta-
ges de la moelle épinière la partie intramédullaire des racines a souffert
davantage que la partie extramédullaire, est très important à relever. Il
peut donner à penser que l'altération des cordons postérieurs chez notre
malade dépend peut-être aussi de quelques conditions morbides qui se
trouvent au dedans de la moelle épinière elle-même.
LES EMMURÉS DE TIRASPOL
PAR
P. E. LAUNOIS
Médecin des hôpitaux.
Parmi les nombreuses sectes politiques ou religieuses qui existent.eu Rus-
sie, le gouvernement ne poursuit actuellement que celles dont les doctrines
ou les pratiques sont criminelles. L'attention a été attirée dans ces derniers
temps sur les moeurs d'une colonie de fanatiques, les coureurs Bégoltlli (qui
fuient les vivants) (1).
Ils habitent sur les bords du Dniester, dans le gouvernement de Kher-
son (2), plus particulièrement dans le district de Tiraspol, non loin de la
colonie hulgare Parcani ; le illage de Ternowka, entouré de jardins frui-
tiers et de vignes, est leur centre de réunion. La population du gouver-
nement de Kherson est composée de petits Russiens, de colons allemands
ethulgares; dans la région voisine de la Bessarabie se trouvent des villages
habités par des Moldaves (Roumains). C'est surtout parmi tes Russes que
se recrutent les sectaires; aux indigènes se sont joints des nomades venus
du gouvernement de Moscou et, des autres parties du Nord de la Russie.
Ces paysans se livrent aux travaux de l'agriculture; quelques-uns sont
terrassiers. Ils afferment des terrains à l'année, achètent des jardins et
des vignes. Vivant dans une aisance relative, ils ne s'adonnent pas à
l'ivrognerie et ne fument pas. La plus grande partie des habitants apparu-
tient à une secte religieuse qui n'a rien de commun avec l'église ortho-
doxe. Pour célébrer leurs rites religieux, ils revêtent des vêtements mo- "
nastiques (3).
(1) Pour la rédaction de cet article, j'ai utilisé les documents que m'a remis mon
ami 0..... à son retour de voyage.
(2) La capitale du gouvernement de Kherson est la ville du même nom; Odessa,'
port important de la Mer Noire, appartient à ce même gouvernement.
(3) Les coureurs Bégouni existaient aussi dans le Nord de la Russie; il y a une di-
zaine d'années le Légoma Assafi décida une quinzaine de paysans et de paysannes du
village de Savido à s'immoler avec lui; ils se firent brûler vivants. Le bûcher où on
retrouva leurs restes à demi-calcinés devint un lieu de pèlerinage ; le gouvernement,
dans la crainte de la contagion, dût faire jeter les cendres des morts dans le fleuve
voisin et labourer le champ du supplice.
356 P. E. LAUNOIS
Il y a une dizaine d'années, une jeune fille religieusement exaltée,
« une prophétesse », comme disent les villageois, fit son apparition dans la
contrée. Véra o/t'eïes, connaissant toutes les pratiques des différents
rites religieux, était d'une éloquence très persuasive ; elle prêchait, pré-
disait l'arrivée prochaine de l'antéchrist et exhortait ses auditeurs à se
préparer à la mort. Faisant de longs voyages dans le midi de la Russie,
Géra Mokëiva ou Ftfa/t's, de son nom de prophétesse, venait de temps en
temps à Ternowka pour réchauffer le zèle et le fanatisme de ses adeptes.
En janvier dernier elle fit une nouvelle apparition; son arrivée coïncida
avec les opérations du recensement général qui se font périodiquement en
Russie. « Je vous ai déjà prédit l'arrivée de l'antéchrist, disait-elle, le
recensement est son oeuvre ; il ne nous reste qu'un seul et unique mo) en
pour nous y soustraire; il faut que nous mourrions; d'ailleurs nous
ressusciterons un jour ».
Parmi ses prosélytes le plus convaincu se trouva être un riche paysan
de la localité du nom de Kowalioff (Pl. XXXVIII). Il devint bientôt à son
tour un apôtre et sut grouper autour de lui un grand nombre de personnes
désireuses de mourir et demandant à être enterrées vivantes pour ressus-
citer le jour de Pâques, ainsi qu'il leur était promis.
L'exaltation des fanatiques alla sans cesse en augmentant et d'un com-
mun accord ils résolurent bientôt de mettre à exécution leurs sinistres
projets.
Le beau-père de Kowalioff, inquiet de ne plus voir sa fille et ses petits
enfants, interrogea son gendre et apprit de lui qu'il les avait emmurés
dans une cave.
La police, mise au courant, arrêta Kowiliolf el, d'après les indications
détaillées qu'il fournit, put retrouver les cadavres de 49 personnes qu'il
avait soit emmurées, soit enterrées vivantes.
Dans une cave qu'il avait décorée et où il avait disposé des images re-
ligieuses et des cierges, Kowalioff avait fait entrer neuf personnes,
parmi lesquelles se trouvaient sa femme et ses enfants ; il en avait fermé
lui-même l'entrée avec des pierres et du mortier à la chaux. Lorsqu'on
ouvrit cette tombe, on constata que les emmurés avaient tenté de se sous-
traire à la mort et qu'ils avaient déblayé pas mal de terre (Pl. XXXVIII).
Non loin de cette cave, dans un verger lui appartenant, Kowalioff avait t
creusé des tombes où l'on retrouva des groupes de cadavres.
Les fanatiques, au dire de l'apôtre, assistaient à son travail et lorsque
la fosse était creusée, revêtus de leurs vêtements monastiques, ils descen-
daient dans la tombe et se couchaient les uns à côté des autres. Kowalioff
Nouv. Iconographie DE la SALPLFRILHE.
T. X, PI. XXXVIII
LES EMMURES DE TRIASPOL
Portrait de Kowalioff. £ .
Cave où furent emmurées neuf personnes.
MASSON & cie, Editeurs
LES EMMURÉS DE TIRASPOL 357
les recouvrait de terre; commençant par les pieds, il les ensevelissait pro-
gressivement. Quand la moitié du corps avait disparu, il s'assurait qu'ils
n'avaient pas changé de résolution. Devant leur intention toujours bien
arrêtée de mourir, il leur cachait la figure, sur leur demande, avec un
mouchoir et terminait fiévreusement son épouvantable besogne.
Outre sa femme et ses enfants, Kowalioff aurait fait disparaître sa mère,
son frère sourd-muet ( ! ) âgé de dix-sept ans et la prophétesse elle-même.
Pendant le séjour qu'il fit en prison, Kowalioff, après avoir minutieuse-
ment raconté tous ses actes, exprima à plusieurs reprises les regrets qu'il
avait de n'avoir pu « sauver » plus de monde. Etant donnés les mobiles
qui avaient guidé sa conduite, on ne put conclure à sa responsabilité et on
ne put le condamner.
Mais en raison de la fâcheuse influence que pouvaient avoir à nouveau
son fanatisme et son exaltation religieuse, le juge crut prudent de l'inter-
- ner dans un asile.
La mort de la prophétesse Véra J.11okéïra, la séquestration de son apô-
tre /(ovaliolf entraîneront-elles la disparition de la secte îles Coureurs Bé-
go1tni, c'est ce que l'avenir nous apprendra (1).
(1) Des fouilles récentes auraient amené la découverte de six nouveaux cadavres,
deux hommes, une femme, et trois enfants. Kovalioff nie les avoir emmurés et n'a pas
voulu donner d'indications sur les auteurs de cet acte de fanatisme. On évalue le nom-
bre des sectaires ensevelis et non encore retrouvés aune trentaine environ.
N. D. L. R.
LES POUILLEUX DANS L'ART
- PAR
HENRY MEIGE.
Les Poux ont, de nos jours, beaucoup perdu de leur ancien prestige
pathologique, et, avec eux, les Pouilleux ont aussi singulièrement déchu.
Cela tient sans doute à ce qu'autrefois, s'il faut en croire Aristote, les poux
jouissaientdumystérieuxprivilège denaître spontanément du corps humain.
Il en fut encore ainsi, parait-il, du temps de Théophraste, de Celse, de
Galien et de Pline l'Ancien, - la phthiriase ou maladie pédicufaire n'étant
pas considérée comme un effet des parasites, mais comme la cause même
de leur germination.
A la fin du XVIe siècle, Ambroise Paré, réunissant dans un même cha-
pitre l'histoire des poux, morpions et cirons, écrivait encore :
« Ces trois sortes d'animaux sont engendrés de la grande multitude
d'humeurs et humidités corrompues, faite d'une portion crasse et visqueuse
de la sueur, laquelle s'amasse et s'arreste aux méats des poresdu vray cuir...
« Ils naissent par tout le corps, principalement es lieux chauds et hu-
mides, comme sous les aiscelles, aux aines, à la teste, pour la multitude
du poil : et voit-on communément qu'ils s'engendrent à l'entour du col,
parce qu'il y a une émonctoire accompagnée de plusieurs grands vaisseaux,
par lesquels sortent plusieurs humidités superflues pour l'abondance des
sueurs.
« Les petits enfans y sont fort sujets, à raison qu'ils crapulent et en-
gendrent beaucoup d'excrémens...
« Les poux se peuvent engendrer par toutes les parties de notre corps,
mesme dans la masse du sang, comme tesmoigne Pline en plusieurs
lieux (1) ».
Quant aux poux du pubis, A. Paré les considère comme « engendrés
d'une matière plus seiche que les poux, qui fait qu'ils sont plus plats et
moins nourris ».
Ces explications, qui, aujourd'hui, nous semblent au moins puériles,
(9) A PARE, OEuvres complètes. Edit. Malgagne. I. 11, Liv. XXII, chap. VI.
LES POUILLEUX DANS L'ART 359
furent acceptées presque sans conteste jusqu'au début de notre siècle. Et,
il n'y a pas cent ans, plus d'un dermatologiste ajoutait encore crédit à cet
antique préjugé.
- La croyance en la germination spontanée des poux dans les humeurs ou
dans le sang, a certainement contribué à les faire prendre autrefois en
haute considération. Le mystère qui entourait leur naissance, non seu-
lement les protégea contre les injures des hommes, mais leur permit de
se livrer aux pli", exactions.
Il est en effet avéré qu'au temps de leur splendeur, les poux se sont
permis toutes les audaces. Ils fréquentaient chez les puissants de la terre,
nichaient dans des chevelures princières, cohabitaient avec des rois. Même,
il y eut des poux régicides. Car, sans parler de tant d'illustres personna-.
ges, tels que le dictateur Sylla, le philosophe Phérécyde, le poëte Alcman,
le jurisconsulte Mutius, l'historien Valère Maxime, et tant d'autres dont les
noms se sont égarés, qui succombèrent sous leurs morsures, l'histoire té-
moigne qu'à la mort d'Ilérode, roi de Syrie, on vit des poux sortir de son
royal cadavre « comme une source de terre ». Pareillement, l'empereur
Antiochus, et le roi d'Espagne, Philippe II,périrent victimes de ces vermi-
neux meurtriers. 1
En vérité, les poux du temps passé ont été des poux grandement redou-
tables. N'a-t-on pas dit qu'ils avaient occasionné l'une des dix plaies
de l'Egypte ? Allégation contestable d'ailleurs, ajoutent certains commen-
tateurs autorisés de l'Exode.
On croit également que les poux contribuèrent dans une large mesure
au martyr de l'infortuné Job et que leurs cuisantes morsures s'ajoutèrent
aux maux de toutes sortes dont le malheureux'fut accablé.
Mais, sans remonter aux âges bibliques, on démontrerait aisément que
les poux ont occupé dans l'Eglise une situation digne d'envie.
On affirme qu'ils conduisirent au tombeau, entre autres sommités, ecclé-
siastiques, le cardinal Duprat, ainsi que Foucquau, évêque de Noyon.
Sur ce dernier prélat, ils s'étaient, dit-on, acharnés en si grand nombre
qu'il fallut coudre sa dépouille mortelle dans un sac de cuir avant de l'en-
terrer.
Il y a mieux encore : les poux ont vu, dans notre propre siècle, célébrer
leur apothéose. En l'an de grâce 1873, un décret papal proclama la cano-
nisation d'un miséreux. qui avait su gagner le ciel en se vêtant de gue-
nilles et en se laissant dévorer par la vermine. Avec Benoît Joseph Labre,
les poux ont été sanctifiés 1.... - 1
360 HENRY MEIGE
Il apparaît vraiment que les poux de nos aieux ont joui d'une vitalité
et d'une fécondité merveilleuses. Un médecin portugais du XVIe siècle,
Amatus Lusitanus, s'en porte garant, et raconte l'histoire d'un noble sei-
gneur dont le corps engendrait si rapidement et si abondamment les pa-
rasites que deux de ses serviteurs étaient exclusivement occupés à recueil-
lir la vermine dans des corbeilles qu'ils allaient ensuite jeter à la mer.
Toutefois, on se gardait bien d'accuser les poux eux-mêmes de ces at-
tentats désastreux. Les « humeurs crasses » étaient seules coupables, en
favorisant l'éclosion spontanée des parasites.
Et comme, en ce temps là, il y avait de par le monde une admirable
profusion « d'humeurs crasses » causant une infinité de maladies, on ne
se montrait pas autrement surpris de voir les poux pulluler extraordinai-
rement sur presque tous les malades. On en trouvait partout, sur la tête
et sur le corps, sur la peau et sous la peau. Ces derniers donnaient, pa-
raît-il, naissance à des tumeurs grouillantes que des observateurs convain-
cus ont décrit avec le plus grand soin.
1 Ce temps là était l'âge d'or des poux.
Cependant, dès la plus haute antiquité, les hommes ont déclaré la
guerre aux poux. Au Moyen Age, les armes employées contre eux sont en-
core en usage aujourd'hui.
Je n'en veux citer comme exemple qu'un passage d'un curieux volume
publié en français vers l'an 1500, mais dont il existe en latin des édi-
tions antérieures. C'est un recueil de renseignements et de recettes médi-
cales ou pharmaceutiques, 'connu sous le nom d'llortzts Sanitatis, ouvrage
anonyme dont l'auteur serait un certain Joannes Cuba, et qui fut traduit
en français par Anthoine Vérard. J'en dois la connaissance à l'obligeance
de M. Dorveaux, l'érlidit bibliothécaire de l'Ecole de Pharmacie de Paris,
,que je tiens à remercier très vivement en cette occasion. 1
. Voici le chapitre consacré aux poux ou pouils, compilation de passages
-empruntés aux auteurs classiques d'alors qui avaient abordé ce sujet :
« DES BESTES. Chapitre C. XIX. » -
- DE PËDICULO. POUIL.
« Pediculus.- (YsiDORE). Pouil est ung ver de la peau. Et est ainsi ap-
pellé pour ce que il a moult de piedz. Et sont appeliez les gens pouilleux
esquelz les pouilz croissent en leurs de humeurs corrompues qui sont
entre cuyr et chair et yssent avec la sueur.
LES POUILLEUX DANS L'ART 361
» (Du livre DES natures DES choses). Les pouilz sont ditz et appeliez au
nombre de leurs piedz. Et sans doubte cestuy mauvais ver est créé de la
chair de l'homme : mais toutesfois c'est invisiblement, et sont aucuns créés
de la sueur de l'omme, et les autres sont engendrez des humeurs et eva-
poracions qui yssent des yssues et pertuys appellez pores.
» (halo) ? Il advient grande multitude de pouilz aux corps de ceulx qui
cheminent et peregrinent pour cause de la sueur et pouldre et qu'ilz ne
se baignent ne nettoyent pas souvent. -
« LES opérations DU POUIL. »
» HALY. -Quant l'homme pèlerin ou autre aura des pouilz,soit vif ar-
gent mortifié avec huille, et lui soit adjousté l'erbe appellée aristologia
longua : et en soit faicte emplastre et oignement dessus leur corps, et au
matin se baigne et se lave et nettoyé le corps en se bien frottant et mun-
difiant.
» RASIS. L'usage du baing et se souvent laver et baigner oste et em -
pesche la fréquente generacion des pouilz, et aussi fait la fréquente mu-
tacion des vestements, et par especial du vestement qui attouche et adhère
à la chair : comme est le linge et chemise et leurs semblables. L'argent
vif estaint et mortifié avecques huille occist et tue les pouilz. Et si en
icelle huille est mouillé une ceinture faicte de fil de layne, et aucune per-
sonne la pend ou ceint entour soy : ce tue et fait mourir les pouilz.
» AIGENNE. - L'herbe appelée staphysagria mise avec orpin tue les
pouilz. Et aussi fait semblablement l'argent vif estaint et mortifié.
Le plus convenable et principal remède contre les pouilz est dit estre.
se souvent laver et nettoyer le corps. »
Fidèle à ces enseignements A. Paré, un siècle plus tard, conseillait,
pour faire disparaître les poux, de suivre un régime « dessicatif » et de
'donner des purgations opportunes, dans le but d'éliminer les fâcheuses
humeurs, causes de l'éclosion des parasites. Sagement d'ailleurs, il ajoute
qu'on fera bien de « rarefier le corps » par des bains fréquents et de se
frotter avec un onguent* dans lequel est entré « le vif argent lequel est
propre contre les poux ». -
De nos jours, on s'en tient souvent encore aux conseils donnés par Haly,
- rassis, Avicenne et A. Paré. Les bains et les préparations mercurielles
forment la base de la thérapeutique parasiticide. ' 1
. Dépossédé de ses parchemins aristotéliques, le pou ne peut plus reven-
diquer-aujourd'hui sa noble origine, spontanée et intrahumaine. Il ne con-
.362 HENRY MEIGE
.serve guère que pour mémoire son droit de cité dans les manuels de pa-
thologie, envahis par des armées chaque jour croissantes d'infiniment plus
petits, d'ailleurs infiniment plus redoutables.
.Et ce n'est pas sans peine que les entomologistes consentent à donner
asile aux poux sur un territoire contesté, aux confins des Insectes et des
Arachnides ; leur véritable domaine est loin d'être hien délimité. Les uns
veulent les rattacher à l'ordre des Orthoptères, les autres aux Hémiptè-
res ; d'aucuns penchent pour les Aptères ; les plus charitables elles mieux
avisés proposent de les ranger dans une phalange spéciale sous le nom
d'Anoploures. Bref, les poux, ballotés d'ordre en ordre, et de classes en
tribus, semblent vivre en parasites sur tous les traités scientifiques qui
daignent encore leur offrir une parcimonieuse hospitalité.
Aussi bien, l'avenir des poux s'annonce-t-il sous de sombres auspices.
Ils disparaîtront, annihilés par la science, victimes des entomologistes qui
ont violé le mystère de leur naissance et qui s'efforcent de les enrégimen-
ter parmi les insectes les moins considérés, victimes aussi de la mé-
decine qui renie leurs anciens privilèges, et qui, pour les réduire à néant,
multiplie les procédés de destruction. Car, il faut bien le reconnaître,
l'ère de la propreté et de l'antisepsie sera fatale aux derniers poux.
Les Pouilleux ont subi le contre coup de ce discrédit progressif.
Depuis déjà longtemps, ils ont déserté les demeures princières ; on ne
rencontre plus de pouilleux titrés, et il n'est pas certain qu'il s'en trouve
aujourd'hui dans les ordres. Au dire des voyageurs, quelques peuplades
sauvages donneraient encore volontiers asile aux poux, mais par pure
gourmandise : pour le plaisir de les croquer tout vifs, imitant en cela
l'exemple de singes qui se montrent très friands de leur propre vermine.
Chez nous, on ne voit plus que des pouilleux de rang infime, loque-
teux, vagabonds, réfugiés dans des bouges, ou errant sur les grands che-
mins. Encore leur nombre va-t-il chaque jour décroissant. Malgré Saint
Labre, l'heure de la disparition complète des pouilleux semble prochaine.
Dans les siècles futurs, les poux continuant à péricliter, reniés parles
médecins, repoussés par les entomologistes, iront s'échouer peut-être, à
côté des espèces éteintes, dans les traités de paléontologie.
; Ce jour là, les pouilleux appartiendront à la légende, ou disparaîtront
dans un éternel oubli.
. Fort heureusement, l'Art saura perpétuer la mémoire des pouilleux.
, Par, sans rien préjuger de l'avenir, il existe déjà un nombre respectable
LES POUILLEUX DANS L'ART 363
d'oeuvres artistiques, et non des moindres, que les pouilleux ont ins-
pirées.
En général, dans ces images on ne voitpas les poux ; mais on les devine
toujours et l'on peut certifier que les modèles de pouilleux ont existé
réellement. A vrai dire, aucun de ces monuments figurés ne saurait pré-
tendre à la documentation scientifique. Le naturaliste ne peut songer à les
.utiliser, et le dermatologiste n'y trouve que des indications plus que som-
maires.
Les Pouilleux dans l'Art méritent cependant d'être connus, ne fût-ce
que pour leur réel intérêt artistique.
D'ailleurs, Charcot et Paul Richer n'ont pas hésité à leur accorder une
place à côté des lépreux, des teigneux, et de tant d'autres figurations de
malades que les artistes ont tenté de reproduire. Au surplus, la phthiriase
est une véritable maladie, et son histoire iconographique ne doit pas être
dédaignée.
Mais cette histoire sera brève. Les figurations dont il s'agit n'ont au
point de vue médical qu'un intérêt relatif, séduisantes surlout par leur
caractère réaliste et par le pittoresque des compositions.
Nous allons en faire connaître quelques exemples.
Voici d'abord une curieuse gravure destinée à illustrer, dans l'tortus
Sanitatis, le chapitre consacré aux « pouils » que nous avons reproduit plus
Haut (Fig. 1).
On y voit une charitable dame, occupée à
débarrasser un pauvre diable des parasites gi-
gantesques dont sa tignasse est abondamment
pourvue. C'est un balayage en règle exécuté
à l'aide d'une sorte de gros pi nceau et qui a
pour résultat de faire tomber une pluie de
parasites de dimensions invraisemblables. On
conçoit que des poux de cette taille ait pu
commettre des assassinats.
Le pouilleux qui en est couvert,- « pèlerin
ou autre, de ceux qui ne se baignent, ne se
nettoyent pas souvent» » ? reçoit les victimes
dans une cuvette où elles se noient probablement. Mais il faudra sans doute
plusieurs opérations du même genre avant que les mèches touffues de cette
chevelure grouillante soient dépouillées de tous leurs habitants.
Il est à remarquer que les parasites sont figurés sur la gravure, très
grossièrement sans doute, et surtout très grossis, le nombre de leurs
Fig. 1. ,
364 HENRY MEIGE
'pattes est assez fantaisiste, mais leur forme générale n'est pas trop mal
indiquée. L'image avait en effet une portée scientifique, étant destinée à
faire connaître l'animal et le moyen de s'en débarrasser.
Les peintures de pouilleux sont relativement nombreuses et, pour la
plupart signées de noms illustres. Nous en connaissons au moins six exem-.
plaires et il en existe quelques 'autres, probablement.
Ces pouilleux sont toujours de modeste origine : paysans, misé-
reux, vagabonds ou mendiants. C'est le pittoresque de leurs haillons,
bien plus que leur vermine, qui tenla le pinceau des artistes réalistes,
ou bien c'est le désir de rendre une scène familière dans un milieu
approprié. Ainsi, Murillo, sous l'éclatant soleil d'Espagne, se laisse sé-
.,duire par les loques lumineuses d'un misérable gamin qui fait la chasse
aux poux, tandis que Gérard Dow, sous un ciel plus maussade, représente
une toilette analogue, prétexte à nous montrer les détails naturalistes
^d'un intérieur villageois. ,
Fig.2.
LES POUILLEUX DANS L ART 365
Nous possédons, au Louvre, un pouilleux mémorable. Il est de IUnILLO.
C'est ce Jeune Mendiant, accroupi contre un mur,dans une soupente sombre
où pénètre seulement un rayon de soleil. Mais quel soleil ! Il fait sur la
muraille une tache éblouissante où le gamin lézarde en ses resplendissantes
guenilles (Fig. 2).
Entr'ouvrant sa chemise, il y chasse la vermine et le gibier doit y être
abondant, car nous savons, depuis A. Paré, que « les petits enfans sont
forts sujets aux poux, à raison qu'ils crapulent et engendrent beaucoup
d'excrémèns. » Le Pouilleux de Murillo sait se défendre contre les para-
sites : c'est pour lui un exercice familier que de les faire éclater entre ses
ongles.
Très sérieux, absorbé par sa capture délicate,il est bien l'ancêtre de ces
jeunes mendiants qui se pouillent encore aujourd'hui sur les chemins en-
soleillés de l'Espagne et de l'Italie. Et ses poux sont des poux de corps,
les plus crasseux et les plus répugnants.
Le maître espagnol a emprunté aux poux de la tête le sujet d'un autre
tableau. A la Pinacothèque de Munich (1), se trouve une vieille femme
pouillant un garçonnet.
L'enfant est assis par terre, entre les genoux de la vieille, qui, pour se
livrer à ses recherches, a posé sur un banc sa quenouille et son fuseau.
De ses doigts noueux elle épluche,mécUe à mèche, la lignasse malpropre
et pressant fort entre le pouce et l'index, elle écrase à la fois et les poux
et leurs oeufs.
Indifférent à l'opération, dont il savoure seulement le grattage agréa-
ble, le gamin joue avec un jeune chien que tente un morceau de pain,
◀tantôt▶ offert et ◀tantôt▶ retiré. .
Un pouilleux plein de grâce, si l'on peul ainsi qualifier un pouil-
leux, a été peint par Gérard Dow.
Il est encore ci la Pinacothèque de Munich. Charcot et Paul Richer en
parlent avec éloge, vantant avec justesse le charme et le naturalisme de
cette fantaisie du maître hollandais (Fig. 3).
Dans un intérieur rustique que meublent une brouette, un tonneau et
quelques ustensiles de ménage,- avec des choux, des carottes et des oignons
(1) N° 1308. T. 11.146. L.413. ,
366 : HENRY MEIGE
pour décorer les coins trop nus, un beau jet de lumière pénètre éclairant
une grand'mère occupée à pouiller son petit garçon.
Le bambin rieur est assis sur le sol. Dans une pose câline, abandonnant
sa tête au minutieux travail de l'aïeule, il se distrait avec quelque menu
jouet, insouciant des insectes qui grouillent sur son crâne.
; La vieille, assise, la tête penchée sur les frisures suspectes, s'est armée
de bésicles et d'un peigne à longues dents. De ses doigts amaigris, elle
écarte les mèches et poursuit patiemment les parasites sournois. Son front
ridé dit clairement sa surprise, et sa moue dégoûtée laisse entendre qu'une
telle chasse n'a rien d'attrayant. Mais elle est pleine d'indulgence pour
ses petits-enfants. L'aîné perdu dans l'omhre, au fond de la pièce, s'évertue
â souffler dans une énorme vessie. La honne vieille n'y prend garde, trop
occupée par une besogne difficile à ses yeux affaiblis. -
Décor tout simple, figures naïves, scène hien vulgaire, mais dont Gérard
Dow a su composer un ensemble harmonieux, tendre el délicat.
ADRIAEN VAN ÛSTADE,- ou plus vraisemblablement l'un de ses imitateurs
ou copistes nous fait voir à l'Académie des Beaux-Arts de Vienne (4 ) que
(1) N° 902. B. II, 24. L, 34, 5. ,
. Fig.3.
LES POUILLEUX DANS L'ART 367
les poux de son temps nichaient aussi bien dans les chevelures déjà vieilles
que sur les crânes enfantins.
L'intérieur rustique où il nous fait pénétrer semble envahi par la ver-
mine. Une épouse affectueuse rend à son mari le service intime de net-.
toyer son chef hirsute. Elle s'en acquitte avec tendresse, cependant qu'une
vieille, accroupie dans un coin, se livre sur elle-même à semblable
besogne, pourchassant sur sa poitrine flétrie une autre espèce de parasites.
Poux de tête et poux.de corps paraissent affectionner cette famille de rus-
tres hollandais.
Isnnr, VAN Osta.de a aussi son petit pouilleux, le troisième spécimen de
ces sortes de scènes familières conservé
à la Pinacothèque de Munich (1).
Décor : Un vaste intérieur villageois,
traité largement, encombré d'ustensiles
de ménage, éclairé sur la droite par
une fenêtre à vitraux; dans le fond,
une cheminée à hotte devant laquelle
se.chauffent trois paysans.
Au premier plan, dans la lumière,
un homme assis pouille un tout jeune
enfant, qui se tient debout entre ses
jambes. Son geste indique qu'il a fait
une victime : entre ses deux ongles un
pou vient de rendre Famé. Et, le sourcil froncé, pinçant fort les lèvres,
l'homme s'apprête à occire un nouvel ennemi (Fig. 4). '
Enfin, c'est une petite pouilleuse, blottie dans le giron de sa mère, que
nous montre PIETER DE IIoocH, sur un tableau du Rijks Muséum d'Amster-
dam (Fig. 5).
L'artiste excelle en l'art de mettre en valeur ces intérieurs hollandais, -
propres, nets, avenants, où les vitres sont claires, le carrelage toujours--
reluisant, les cuivres toujours astiqués, où des bandes de soleil entrent à
souhait pour dorer les contours des meubles et les boucles des cheveux.
Et l'on s'étonne qu'en une chambre aussi correctement rangée, sur des
habitants si soigneux de leur personne, soient venus se poser de malpro-
pres parasites.
(1) No 3 16. - B. H, 0,41. L. 0,54. Signé. 1641.
. Figez
368 ' HENRY MEIGE
Il doit s'en trouver cependant, car la maman semble leur faire une
chasse attentive dans les boucles blondes de sa fillette, simple mesure
préventive peut-être, inspection que commande la crainte de la contamina-
tion par des camarades moins bien surveillées. -
Une eau forte de Jean Miel (1599-1664) représente également une pe-
tite pouilleuse dont une veille femme s'efforce de nettoyer la tête reposant
sur ses genoux.
On pourra grossir la liste des documents de ce genre. Les Poux et les
Pouilleux en seront honorés. -
Mais, d'ores et déjà, on peut du moins prédire, que si, dans l'avenir, la
race des poux vient à disparaitre, il est bien permis de le souhaiter,
l'Art aura contribué,pour une bonne part, à perpétuer la mémoire des
Pouilleux.
Le gérant : P. Bouchez -
Imp. G. Saint-Aubin et Thevenot, J. Thevenot, successeur, Salnt-Dizier (Hte-Marne).
Fin. 5.
100 Année N° 6 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1897
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE
MALFORMATIONS DES MAINS EN « PINCES DE HOMARD »
ET ASYMÉTRIE DU CORPS
CHEZ UNE ÉPILEPTIQUE (f)
F. RAYMOND
Professeur de Clinique
des Maladies du Système Nerveux.
PAR
ET
PIERRE JANET.
Directeur du laboratoire
de Psychologie de la Clinique.
Voici l'histoire d'une jeune fille, Fa..., âgée de 19 ans, intéressante
surtout au point de vue de son organisation anatomique, des curieuses
malformations qu'elle présente, malformations qui d'ailleurs ne sont pas
étrangères à nos études car elles ne sont pas probablement sans rapports
avec la grande maladie qu'elle présente : l'épilepsie.
Ce qui frappe au premier abord, ce sont ses mains en « pinces de
homard » comme on dit (Fig. 1).
(1) Extrait d'un ouvrage qui sera publié prochainement par le Professeur Rai-
MONI) et le Docteur Pierre Janet sous ce titre : Névroses et Idées fixes.
x 26
Fig. 1.- Malformation des mains en « pinces de homard » chez une épileptique.
370 F. RAYMOND ET PIERRE JANET
Vous voyez qu'à chaque main elle n'a en réalité que deux doigts,
un pouce bien conformé et opposable et un gros doigt formé par la
réunion intime de l'index et du médius. La soudure est complète en
apparence. Les deux ongles intimement accolés n'en font qu'un divisé
seulement par une rainure; du troisième et du quatrième doigts, pas
de traces. Ce gros doigt moyen est bien flexible à une main. est plus
ankylose à l'autre, néanmoins cette jeune lille, comme il arrivé sou-
vent dans ces cas, se .sert de ses mains si bizarres avec une habileté
surprenante. Comme on désire toujours le mieux, elle souhaite qu'on
lui rende ce gros doigt plus mobile. La radiographie à laquelle cette main
a été soumise (Pl. XXXIX), nous a démontré qu'il n'y a pas fusion
osseuse des deux doigts ; théoriquement on pourrait séparer ces doigts et
lui donner trois doigts à chaque main, ce qui serait très beau. Cette jeune
fille rêve cette opération, nous y déciderons-nous ? Il y lieu d'hésiter
un peu. Il va être difficile de trouver de la peau pour empêcher l'adhé-
rence ; des greffes dans ces conditions ne sont pas très faciles, c'est un
petit tour de force chirurgical qu'elle demande. Ne risquons-nous pas de
gêner cette belle habileté qu'elle a acquise.
Mais cette malformation n'est pas la seule qu'elle présente, elle a égale-
ment les deux pieds ma) formés,quoique moins que les mains.La Planche XL
représente les radiographies que M. Albert Londe a faites de ces pieds.
Les cinq orteils sont présents, mais deux, le second et le troisième, sont acco-
lés à leur première"phalange et libres seulement à l'extrémiCé; ilssoil.l)làcés
Fig. 2.
Fig. 3 et 4.
Malformation congénitale des doigts sur une seule main chez le père (Fig. 2).
Aux deux mains chez la fille (Fig. 3 et 4).
RADIOGRAPHIES DES MAINS EN « PINCES DE HOMARD » D'UNE EPILEPTIQUE
MASSON R LIC, Editeurs. s.
RADIOGRAPHIES DES PIEDS D'UNE EPILEPTIQUE
qui présente aux mains la déformation en « pinces de homard ».
MASSON & cic) Editeurs.
ASYMETRIE DU CORPS CHEZ UNE EP1LEPTJQUE
MASSON &.. Cic, 1 : ,Ilttllrs.
MALFORMATIONS DES MAINS EN PINCES DE HOMARD 371
de telle manière que le troisième n'est pas à côté mais au-dessous du se-
cond.
Ces déformations des doigts en forme de pinces de homard ou simple-
ment avec soudure de certains doigts sont très fréquemment héréditaires ;
c'est là un des détails les plus communs et les plus connus de leur étude.
L'un de nous a observé avec curiosité dans un village aux environs du
Havre une famille célèbre par ses pinces de homard. On lui a présenté
sept individus mâles, appartenant à trois générations différentes de la
même famille ayant aux mains et aux pieds la même malformation que
vous ne voyez ici complète qu'aux mains seulement. Il est curieux de re-
marquer que les hommes seuls héritaient de cette anomalie : toutes les
femmes de la famille naissaient avec des mains et des pieds normaux. M. le
Dr Jules Janet nous envoie obligeamment trois dessins qu'il a recueillis à
l'hôpital de la Pitié : le premier représente la main droite du père (Fig. 2),
la seule atteinte chez lui et les deux autres les deux mains de la fille (Fig. 3
et 4). Vous voyez que chez le père et chez l'enfant le 3e et le 4" doigts sont
intimement soudés. Notre malade n'obéit pas à cette règle, car chez elle
aucun membre de la famille n'a les mains constituées de cette manière.
Ces malformations qui sautent aux yeux tout d'abord ne sont peut-être
pas les plus curieuses que présente cette jeune fille; ce qui est plus
remarquable encore c'est une asymétrie complète dans toutes les parties
du corps (Fig. 5 et Pl. XLI). Le crâne est à peu près régulier, mais la face,
si vous la regardez avec attention, vous présente déjà une différence appré-
ciable ; le côté gauche est beaucoup plus petit que le côté droi dans toutes
ses parties : joue, lèvre, menton. C'est même curieux de voir ce petit côté
fin juxtaposé à une moitié de figure plus robuste. Il en est de même pour
le thorax : le côté gauche est plus petit que le droit, la demi-circonférence
gauche de l'épine dorsale à l'appendice du sternum est de 33 centimètres
tandis que celle de droite est de 37, le sein gauche est aussi plus petit que
le sein droit. Les différentes circonférences du bras gauche à différentes
hauteurs présentent toujours une différence de 1 à 1 cent. 1/2. Les deux
bras ne sont pas non plus de même longueur (Fig. 5) et par une sorte de
compensation le plus gros est le plus court. Du côté gauche, de l'acromion
à l'épicondyle, nous mesurons 28 centimètres pour 29 à droite, de l'épi-
condyle à l'extrémité des doigls 3G à gauche pour 37 à droite. En tout le
bras gauche a 64 centimètres, le bras droit 66. Les mêmes différences en
grosseur et en longueur se retrouvent si on examine les jambes en adop-
tant les points de repère de M. Paul Richer. La jambe gauche depuis
l'extrémité du grand trochanter jusqu'à l'interligne articulaire du genou
nous donne 33 centimètres, de l'interligne articulaire jusqu'au sol, le
pied reposant à plat, 37 centimètres, en tout 70. Cette même jambe gau-
372 F. RAYMOND ET PIERRE JANET
che nous donne comme circonférences principales : de la cuisse, à 15 cen-
timètres au-dessus de l'interligne, 44 centimètres, 20 centimètres plus
haut 76, à l'endroit de la plus forte dimension du mollet 30 cent. 1/2.
Les mêmes mesures sur la jambe droite donnent : longueur de la cuisse
38 centimètres, de la jambe 41 centimètres, en tout 79 ; dimension de la
cuisse aux mêmes points 43 et 44 centimètres, dimensions du mollet
29 cent. 1/2. En résumé la jambe gauche est plus courte de 9 centimètres,
la cuisse gauche a toujours une circonférence plus grande que celle de la
droite d'un centimètre; le mollet gauche est également plus gros que le
droit d'un centimètre. La jambe gauche est de beaucoup plus courte et
Fig. 5. Asymétrie du corps chez une épileptique.
MALFORMATIONS DES MAINS EN PINCES DE HOMARD 373
plus grosse que la droite. C'est ce que le schéma de la Fig. 5 vous présente
avec précision. Ceci oblige cette jeune fille soit à hancher fortement du
côté droit, soit à marcher comme elle le fait toujours sur la pointe du pied
gauche. C'est donc une asymétrie complète dans toutes les parties. Elle doit
correspondre à des malformations des organes nerveux. Nous n'osons pas
dire à une hémiatrophie cérébrale mais du moins à une asymétrie cérébrale
notable. -
Ces anomalies de construction justifient bien une formule en géné-
ral trop affirmative de' Lasègue. « Tous les épileptiques sont des asy-
métriques.» Il est difficile d'être plus asymétrique et en même temps
elle est gravement atteinte du mal comitial. Nous ne vous dirions rien de ses
accès s'ils ne présentaient eux-mêmes quelque chose d'assez curieux. Ils
sont précédés d'hallucinations visuelles parfaitement nettes et toujours
les mêmes. Elle voit une collection de personnages de différentes tailles
qui l'entourent et la menacent. Elle a des frissons, des chaleurs et l'accès
commence. Il est classique ; elle se mord la langue, perd les urines, s'en-
dort après l'accès. Nous remarquerons seulement que rarement, deux à
trois fois par an, elle a des accès plus forts ou plutôt des séries d'accès
subintrants qui durent plusieurs heures et qui s'accompagnent de cris, de
contorsions et même de paroles, en un mot de délire. Y a-t-il un mélange
d'hystérie dans ces grands accès ? Cela n'a rien d'invraisemblable et c'est
même, à notre avis, beaucoup plus fréquent qu'on ne le croit. Ou est-ce tout
simplement du délire comitial ? Nous n'avons pas vu ces grands accès.
Ces accès ont commencé à l'àge de 16 ans, on les attribue comme tou-
jours à une peur. Un enfant caché sous un lit lui a pris le pied dans une
chambre très noire et l'accès est venu un mois après. Il n'est pas impos-
sible que cet incident ait influé sur les hallucinations, mais il évident
d'autre part qu'elle était prédisposée à l'épilepsie. Son asymétrie et ses
malformations corporelles nous le montrent. '
Quelle est l'origine de tous ces troubles ? Nous ne savons pas grand'chose
sur la famille, sauf qu'une soeur du père était épileptique. Ce qui est plus
important peut-être, c'est qu'elle est née jumelle. L'autre enfant en appa-
rence bien conformé est mort peu de temps après la naissance. Il y a
évidemment des accidents pendant la grossesse, des troubles de l'évolution
du foetus dans ces grossesses gémellaires que nous n'avons jusqu'à présent
qu'à constater sans pouvoir pénétrer dans leur explication.
DEUX CAS .
DE
GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE
PAR
E. BRISSAUD et HENRY MEIGE.
Le nombre des cas de gigantisme s'accompagnant d'acromégalie est plus
considérable qu'on ne le pense. La coexistence fréquente de ces deux états
pathologiques est un fait digne de remarque : il mérite mieux qu'une
simple constatation. ,
Dans sa première et magistrale description, P. Marie a déjà signalé les
rapports de l'acromégalie et du gigantisme. La plupart des auteurs se sont
efforcés après lui d'établir une distinction nosographique entre ces deux
affections (P. Guinon, Souza Leite). Puis, de nouvelles observations
ayant été publiées, d'autres se sont demandé si cette différenciation
méritait d'être maintenue.
Massalongo en particulier soutint que l'acromégalie n'était qu'une ano-
malie du gigantisme. Une thèse analogue a été défendue par Tanzi, Byrom
Bramwell, Swanzy, Dana, Engel-Reimers, etc., contrairement à l'opinion
de la dualité de ces deux états, soutenue encore aujourd'hui principale-
ment par P. Marie et Sternberg.
Dans un travail publié au début de l'année 1895, et relatant l'histoire
d'un forain célèbre, Jean Pierre Mazas, « Géant de Montastruc », nous
avons eu déjà l'occasion de faire ressortir les liens de parenté très étroits
qui unissent le gigantisme à l'acromégalie.
La combinaison de ces deux états ne nous semble pas être un effet du
hasard.
Le gigantisme et l'acromégalie sont deux manifestations d'une seule et
même maladie survenant à deux périodes différentes de l'évolution de l'in-
dividu, le premier au temps de la croissance, la seconde lorsque le déve-
loppement de la taille en hauteur est un fait acquis.
DEUX CAS DE GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE 375
Plusieurs arguments viennent à l'appui de cette manière de voir.
D'abord, au point de vue symptomatique, il existe entre les accidents
généraux dont les acromégaliques et les géants sont atteints des similitu-
des manifestes. On relève, en effet, parmi* ceux dont les géants sont le
plus ordinairement affectés : l'asthénie, dans son sens le plus large, la
fatigue physique, la faiblesse musculaire malgré l'absence d'atrophie, la
diminution de la puissance génésique chez les hommes, l'aménorrhée chez
les femmes, la torpeur intellectuelle, la céphalée, la tristesse, les modifica-
tions multiples de la fonction cutanée, et-jusqu'aux varices.
Tous ces phénomènes s'observent également chez les acromégales.
En second lieu, au point de vue anatomo-pathologique, il importe de
noter que l'hypertrophie de la pituitaire (Dana) et l'agrandissement de
la selle turcique (Tamburini), presque toujours constatés dans l'acromé-
galie, ont été retrouvés dans les cas de gigantisme avec une égale fré-
quence.
Enfin les statistiques, celle de Sternberg en particulier, démontrent
que la moitié des cas de gigantisme authentique fait retour à l'acromé-
galie. -
L'autre moitié est composée des cas de gigantisme essentiel. Encore est-
on en droit de se demander si nombre d'entre eux ne présentaient pas
certains caractères morphologiques de l'acromégalie, peu accusés, ou ayant
passé inaperçus des observateurs.
Toutes ces raisons militent singulièrement en faveur de la théorie
uniciste.
Et puis, on a contesté au gigantisme le droit d'être appelé une maladie.
Il existe en effet des géants qui ne sont nullement malades et qui vivent
jusqu'à un âge avancé. Mais il en est de même des acromégaliques. Un
assez grand nombre de ces derniers, présentant le syndrome morphologie-
que typique, ne souffrent en aucune façon et vivent parfois fort vieux(l).
Ainsi, dans l'acromégalie, les troubles généraux qui s'étaient mani-
festés à la période progressive de l'affection, peuvent s'amender et dis-
paraître quelquefois pour toujours.
Dans le gigantisme, ces mêmes phénomènes qui appartiennent presque
exclusivement à la période de croissance, cessent aussi complètement,
une fois la croissance terminée.
Restent les cas, en nombre assez grand, où l'acromégalie continue le
gigantisme.
(i) Nous publierons prochainement uu observation de ce genre.
376 E. BRISSAUD ET HENRY MEIGE
Il est certain que les difformités acromégaliques peuvent apparaître à
la suite de la difformité gigantesque. Mais elles ne surviennent jamais
que lorsque la taille est devenue définitive, le jour où le développement
en longueur est enrayé par la soudure indestructible des épiphyses aux
diaphyses. ' -
Dans ces cas, la couche périostique d'ossification poursuit sa besogne
histogénique au delà du temps de la croissance ; les tètes osseuses et les
sutures s'épaississent ; l'hypertrophie ne pouvant plus se faire en longueur,
se fait alors en épaisseur. I..
Le type complexe qui en résulte mériterait le nom,malheureusement t
cacophonique, d'Acromégalo-gigantisme.
Quel que soit le nom dont on le désigne, ce type complexe existe réelle-
ment. Nous en avons déjà rappelé plusieurs exemples authentiques, aux-
quels on pourrait en ajouter de nouveaux, choisis parmi les observations
déjà anciennes de géants et d'acromégales, ou figurant depuis peu dans
la littérature médicale.
Nous nous contenterons de signaler les deux cas suivants :
Une observation fort instructive vient d'être publiée par M. J. J. Mati-
gnon (1), aide-major de 1 ? classe attaché à la légation de France à Pékin.
Il s'agit d'un cas de gigantisme suivi d'acromégalie observé chez un
chinois, à l'hôpital français de Hon-t'ang de Pékin (juillet 1896).
Nous tenons à reproduire en entier cette observation que M. Matignon
a eu l'obligeance de nous communiquer, il y a déjà quelque temps, ainsi
que les photographies qui l'accompagnent, mais dont nous tenions à lui
laisser la primeur (Pl. XLII et XLIII).
« Tchang, 23 ans, mineur, a eu pendant son enfance une santé assez
délicate. A grandi très vite. A 19 ans, sa taille était déjà de beaucoup au-
dessus de la moyenne. A ce moment il a eu des fièvres, qu'il ne définit
point, et sa colonne vertébrale a commencé à s'incurver.
Il a l'air d'un géant. Sa taille est de 1 m. 83, c'est-à-dire dépasse de
18 centimètres la taille moyenne des Chinois du Nord qui n'est guère que
de 1 m. 65 : sa tête est volumineuse avec un facies de brute ; ses extré-
(1) J.J. 1ZATI(3NOft, Un cas 'e[C)'ome'ya ! o-yt9'fM : <MMe. Médecine moderne, 6 novem-
bre 1897. Cette observation a été également communiquée à la Société médicale des
hôpitaux.
ACROMEGALO-GIGANT1SME CHEZ UN CHINOIS
DEUX CAS DE GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE 377
mités sont énormes et frappent d'autant plus par leur volume, que chez
les Chinois elles sont particulièrement fines.
Tête.- Diamètre antéro-postérieur : 20 centimètres ; bi-temporal : 16.
Le front est très bas, les cheveux durs comme des crins, pas de tubérosi-
tés anormales ; les apophyses mastoïdes ont un volume considérable.
Les arcades sourcilières sont très marquées; les pommettes peu sail-
lantes, les yeux normaux. Le nez est gros, écrasé, la lèvre supérieure peu
augmentée ; l'inférieure fait un bourrelet épais, tombant. Oreilles grandes
et larges. Le maxillaire inférieur est très développé, d'où prognatisme con-
sidérable ; les dents de la mâchoire inférieure sont très écartées. La langue
est épaisse et large ; les amygdales ne sont pas hypertrophiées. Voûte
palatine normale. Le cou n'est pas très gros ; infléchi en avant et enfoncé
entre les épaules.
Le corps thyroïde est totatement atrophié.
Thorax.- Il semble écrasé d'avant en arrière : le sternum ne fait point
de saillie. Les clavicules sont longues, pas très grosses et normalement
dirigées. Diamètre bi-acromial : 48 centimètres.
Toute la région dorsale est déformée par une voussure énorme de la
colonne dont le point culminant est au niveau de la 7e dorsale : le péri-
mètre thoracique passant par ce point est de 1 m. 18.
Les seins font un relief assez considérable. A 6 centimètres au-dessous
de ces derniers, siège un sillon circulaire profond, qui semble séparer le
thorax de l'abdomen.
Le bassin est large. Diamètre bi-iliaque : 37 ; bi-trochanter antérieur :
45. La verge est toute petite ; les testicules sont atrophiés ; il reste à peine
deux haricocèles.
Membre supérieur. - Très long et petit pour sa longueur. Légère atro-
phie deltoïdienne ; muscles du bras peu développés. Le coude est gros et
plus volumineux que l'épaule. L'avant-bras, développé surtout dans sa
partie inférieure est plus gros que le bras, à droite et à gauche.
Les mains sont très grandes : 23 centimètres (la dimension moyenne
des mains de chinois est 17 cent. 1/2) et régulièrement développées ; elles
ont l'air de battoirs appendus à l'extrémité des' avant-bras. La paume est
très large, pas très épaisse. Il y a atrophie des muscles des éminences
thénar et hypothénar : la main est plate. Les lignes d'opposition y sont
profondément creusées. Les doigts sont longs et gros, réguliers; le tissu
mou y est peu développé; la main n'est pas « capitonnée ». La tète de
la 4'e phalange est surtout augmentée.
Ongles normaux; pas de traces de striations.
Le membre inférieur très long, paraît beaucoup plus long qu'il n'est
réellement àcause du raccourcissement du tronc par incurvation vertébrale.
378 E. BRISSAUD ET HENRY MEIGE
La cuisse et la jambe sont très fortes. A première vue, la jambe paraît oedé-
mateuse à cause du développement exagéré de la partie inférieure. Elle est
dure au toucher. Le pied est long, gros, augmenté dans tous ses diamètres,
longueur moyenne chez les chinois 23 cent.). Il est plat; les orteils, sur-
tout le gros sont un peu en massue.
Les réflexes rotuliens paraissent diminués.
Phénomènes subjectifs.- Intelligence frisant l'imbécillité ; pas de trou-
bles de la vue; surdité légère. Se-plaint d'une fatigue constante et pro-
fonde. Il n'a pas la moindre force; il ne peut, par exemple, monter seul
sur une chaise, haute de 40 centimètres. Il reste constamment « affalé »,
assis par terre, la tête penchée en avant, les bras reposant sur les cuisses
(Pl. XLIII).
Lourdeur de tête plutôt que céphalée véritable. Le sens génésique est
totalement aboli ; n'a pas eu d'érection depuis nombre d'années.
Il craint plus la chaleur que le froid. La sensibilité paraît un peu di-
minuée. Il transpire et urine beaucoup. Très peu d'appétit.
M. Matignon fait suivre cette description des réflexions suivantes :
« Nous sommes en présence d'un cas assez typique de gigantisme et
d'acromégalie. Sans l'incurvation de la colonne vertébrale, la taille de
notre sujet atteindrait 9. mètres.
« Le développement exagéré a porté à peu près également sur tous les
os, frappant d'une façon un peu particulière les extrémités inférieures;
les avant-bras et les jambes et surtout les pieds et les mains.
'« Nous ne croyons pas qu'il y ait de rapport à établir entre les fièvres
qui se montrèrent à 19 ans et le début de l'incurvation vertébrale.
« Il est intéressant de signaler les atrophies partielles des muscles des
bras et des mains, alors que les membres inférieurs n'en présentent point,
l'atrophie tacite des testicules et l'abolition complète du sens génésique.
« La déformation thoracique est également assez spéciale. Le sternum a
conservé sa direction normale alors qu'en général il fuit en avant, comme
si le thorax avait été déformé par une pression bilatérale.
« Cette observation semble vérifier complètement la théorie de MM.Bris-
saud et Meige qui font du gigantisme et de l'acromégalie deux manifestations
d'une même maladie, survenant l'un pendant la période de cromance,
l'autre, alors que le temps de la croissance normale est déjà passé. »
La très intéressante observation de M. J. J. Matignon n'est pas moins
édifiante que celle du Géant de Montastruc.
Chez le chinois qui en fait l'objet, le gigantisme a précédé l'acroméga-
ACROMEGALO-GIGANTISME CHEZ UN CHINOIS
DEUX CAS DE GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE 379
lie ; il s'est affirmé pendant la période de croissance, puisque à 19 ans,
Tchang était déjà « d'une taille de beaucoup au-dessus de la moyenne ».
Plus tard ont apparu les déformations acromégaliques : le prognathisme,
les saillies sourcilières, l'épaississement du nez et des lèvres, qui donnent
au sujet son « facies de brute », l'hypertrophie des extrémités « d'autant
plus frappante que chez les Chinois, celles-ci sont particulièrement t
fines » ; enfin cette cyphose monstrueuse, qui, dotant ce géant d'une gib-
bosité comme on n'en voit guère, par contré, lui retire près de 20 centi-
mètres de sa taille, le laissant toutefois de 20 centimètres plus grand que
la moyenne des hommes de son pays.
Gigantisme d'abord, acromégalie ensuite, les deux états se sont succé-
dés d'une façon si évidente qu'on conçoit malaisément qu'ils n'aient pas
été la conséquence d'une seule et même maladie.
' Et, si celle-ci continue son oeuvre de déformation, on peut prévoir que
Tchang deviendra, dans l'avenir, en apparence de moins en moins géant,
mais de plus en plus acromégalique.
Au mois d'avril 1895, nous avons eu l'occasion de voir à Lisbonne, un
pensionnaire de l'Asile des ouvriers invalides qui est encore un bon exem-
ple de gigantisme avec acromégalie consécutive.
La Fig. 9 reproduit la photographie que nous avons faite de ce malade
sur lequel notre excellent ami le Dr Th. de Mello Breyner a eu l'obligeance
de nous transmettre de précieux renseignements.
Joaquin Leviz da Silva, âgé de 52 ans, exerçait autrefois le métier de
chaudronnier, mais le plus souvent il se montrait dans les foires, ◀tantôt▶
comme « Hercule » ◀tantôt▶ comme « Géant ». Aux courses de taureaux, il
était réputé parmi les plus robustes pour terrasser l'animal en le prenant
par les cornes, comme il est d'usage en Portugal.
Son père est mort d'une hémiplégie, sa mère d'une affection cardia-
que ; l'un et l'autre étaient de taille moyenne ; mais son grand-père pa-
ternel, paysan des environs de Lisbonne, était de très haute taille, d'une
force peu commune, avec une tête et des mains très grandes dont le souve-
nir est resté légendaire dans la famille.
Joaquin a eu six frères ou soeurs, tous de taille ordinaire, et même au-
dessous de la moyenne. Deux frères sont morts en bas âge de la petite vé-
role. Quatre soeurs de petite taille sont actuellement vivantes et bien por-
tantes.
Jusqu'à 18 mois, Joaquin était un enfant ordinaire. Il commençait
à parler, disant : paè, mde, agna,etc., quand il eut un « grand rhume » ( ? ).
380 E. BRISSAUD ET HENRY MEIGE
avec « écoulement par le nez et par les oreilles ». Il en guérit, mais de-
meura sourd, et devint, par surcroît, complètement muet.
A l'âe de ans, étant à l'Ecole des Sourds-Muets, il commença à gran-
dir d'une façon excessive. A 13 ans, il était déjà d'une taille peu com-
mune et il continua à se développer en hauteur et en force jusqu'à deve-
nir le colosse qu'il fut à Page adulte.
Actuellement, c'est un vieillard, cassé,
ridé, artério-scléreux, aortique, Sa taille ne
mesure plus que 1 m. 78, du fait d'une cy-
phose assez prononcée et d'une notable
incurvation des membres inférieurs qui
n'existaient ni l'une ni l'autre au temps
de ses exploits de lutteur.
La grande envergure, qui peut ren-
seigner approximativement sur la taille
primitive, est de 1 m. 87.
Les stigmates acromégaliques sont ma-
nifestes :
Face énorme : protubérance occipitale,
arcades sourcilières et pommettes très sail-
lantes ; maxillaire inférieur élargi, allon-
gé, proéminant en avant (les favoris que
porte le malade dissimulent un peu la
saillie de la mâchoire). Les lèvres sont
grosses, la langue aussi ; le nez n'est pas très
volumineux. Le dos est fortement voûté;
Les mains sont d'énormes battoirs aux
doigts très élargis dans toutes leurs dimen
sions.
Les deux jambes sont incurvées en pa-
renthèses, la droite principalement; elles
sont couvertes de varices.
Pour qui connaît l'habitus acromégalique le diagnostic ne pouvait
manquer, comme on dit, de sauter aux yeux.
Ce Portugais est encore un exemple de gigantisme et d'acromégalie
associés, celle-ci ayant fait son apparition à la suite de celui-là.
L'acromégalie ayant débuté après la période de croissance, et lorsque
Joachin était déjà d'une taille élevée, les extrémités se sont développées
suivant le type cubique signalé par P. Marie dans les cas d'acromégalie à
début tardif.
Fig. 1.
Géant acromégalique de l'Asile des
ouvriers invalides à Lisbonne.
DEUX CAS DE GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE 381
Nous reproduisons ci-contre (Fig. 2, 3 et 4) le contour de la main de
ce malade, tel qu'il nous a été communiqué par notre ami T. de Mello
Breyner. A côté, nous avons fait figurer le contour.delamain d'un homme
de très grande taille (1 m. 93), âgé de 32 ans, dont la croissance rapide et
régulière s'est terminée à l'âge de 21 ans. Le 3e contour, qui sert à appré-
cier l'échelle des proportions, est celui de la main d'un sujet de taille
légèrement au-dessus de la moyenne (1 m. 70), âgé de 30 ans.
Ces trois figures ont été, bien entendu, réduites de la même quantité
d'après les contours originaux de grandeur naturelle.
Elles permettent de saisir les rapports qui existent entre une main de
géant, demeuré géant pur et simple, et une main de géant devenu acro-
mégalique.
Les deux observations précédentes viennent confirmer notre foi :
Le gigantisme et l'acromégalie ne sont que deux manifestations clini-
ques d'un même processus pathologique.
Le gigantisme peut rester pur et simple : il n'entraîne pas forcément
l'acromégalie.
L'acromégalie peut être pure et simple : elle n'apparaît pas seulement
chez des géants.
Le premier survient pendant la période de croissance proprement dite;
la seconde, au temps où la croissance est déjà achevée. Et il arrive sou-
vent que chez le même individu, celle-ci succède à celui-là.
.Jg. .
Main du géant acromégale
de Lisbonne (tig. 1).
Fig. 3.
Main d'un homme de très
grande taille (1m93).
Fin. 4.
Main d'un homme de taille
moyenne (lm70).
DE L'ARTHROPATHIE NERVEUSE VRAIE
ET
DES TROUBLES TROPHIQUES ARTICULAIRES
d'apparence rhumatoïde
Il PAR R
PAUL LONDE
Ancien Interne de la Clinique des Maladies Nerveuses.
Quand Charcot démontra que des lésions articulaires survenaient dans
le tabes sous la seule influence de la maladie nerveuse et avec un cortège
de symptômes tout nouveaux, l'idée de l'arthropathie nerveuse déjà an-
cienne, mais incertaine s'affirma. J.-K. Mitchell avait dès 1831 parlé
d'arthropathie spinale; Hamilton avait observé l'arthropathie névritique
en 1838 ; Scott Alison en 1846 avait décrit l'arthropathie des hémiplégi-
ques. Le syndrome de Charcot (1868) n'en fut pas moins une découverte,
et, si considérable, que l'on refusa d'abord de l'admettre. C'est que Char-
cot avait vu autre chose que ses devanciers : l'arlhropathie nerveuse pure,
essentiellement différente des arthropathies spinales, névritiques ou hé-
miplégiques : aussi donna-t-on à son syndrome le nom de maladie de
Charcot (1).
Une observation personnelle résumée plus loin nous a fourni l'occasion
de rechercher les éléments de cette distinction en apparence paradoxale :
l'arthropathie, qui est exclusivement de nature nerveuse par ses caractères
cliniques (Charcot la décrivit d'abord sans l'aide de l'anatomie pathologi-
que), est précisément celle dont on ne connaît pas la localisation. On a
bien décrit des névrites (2) ; mais nous verrons que les névrites ne don-
nent pas à elles seules une arthropathie nerveuse type. On range, aussi
parfois le syndrome de Charcot clans les arthropathies spinales ; mais il
faut remarquer qu'à part la syringomyélie, aucune autre affection médul-
(1) Si nous insistons sur l'enchaînement de ces faits bien connus,c'est qu'il confirme
nos conclusions.
(2) Voir Pitres et Carrière. Revue neurologique, 1896, p. 748. Fait relatif à l'étude
de la pathogénie des arthropathies et des {1'actul'es spontanées chez les tabétiques.
DE L'ARTHROPA'rniE NERVEUSE VRAIE 383
laire n'a reproduit jusqu'à présent le syndrome d'une façon indubitable,
exception faite d'une ou deux observations.
Certains auteurs ont assimilé leurs cas d'arthropathies spinales à l'arthro-
pathie tabétique et syringomiétique : nous nous efforcerons de démontrer
que c'est à tort. Charcot a bien soin de mettre dans un seul groupe les
arthropathies spinales et celles des hémiplégiques, et de placer dans un
autre celles du tabes. En général on décrit des arthropathies dans l'ordre
anatomique : il n'y a pourtant pas une différence nettement tranchée entre
les troubles trophiques articulaires des névrites, des myélites, de l'hémi-
plégie. Il n'y a pas non plus une forme d'arthropathie spéciale à chaque
lésion médullaire comme certains l'ont écrit.
Il nous a paru intéressant de tenter une classification purement clinique
qui aura peut-être l'avantage de faire ressortir la spécificité du syndrome
de Charcot, comme dit M. Talamon, et de l'opposer à la banalité relative
des troubles trophiques articulaires d'apparence rhumatoïde. -
Une question connexe est celle du rhumatisme chronique. Couyba com-
pare judicieusement à cette affection les arthropathies consécutives aux
lésions traumatiques de la moelle et des nerfs. Les deux mêmes facteurs
étiologiques se retrouvent à l'origine du rhumatisme chronique, à l'origine
des arthropathies spinales et névritiques et, qui plus est, à l'origine des
arthropathies des hémiplégiques : c'est l'auto-intoxication ou l'infection
d'une part, le trouble nerveux d'autre part.
Une revue complète des observations est inutile. On trouve tous les
éléments du sujet dans les mémoires partout cités de VIoucEOT (1), de
Couyba (2), de BLUni (3), d'ARNOZAN (4), et surtout de TA.LA.MON (5), dans
les leçons de CIIARCOT (6), dans le livre de WEIR lfIITCHELL(7). Les travaux
d'ensemble les plus récents que nous avons consultés sont les leçons de
M. BRISSAUD (8), les articles de M. QuENU (9), de M. Marinesco (10), le
mémoiredeM. Chipault (11) et la revue de MM. Moucher et Coronat (12),
(t) Thèse de Paris, 1816.
(2) Thèse de Paris, 1871.
(3) Thèse d'agrégation de chirurgie, 1875.
(4) Thèse d'agrégation de médecine, 1880.
(5) Revue mensuelle de médecine et de chirurgie, 1878.
(6) OEuvres complètes, T. I, p. 112 et passim.
(7) Lésions des nerfs et leurs conséquences, traduit par D.\STaE, 1874.
(8) Leçons sur les maladies nerveuses recueillies et publiées par H. MEME, 1893 ;
XIVe et xve leçons.
(9) Il'ailé de chirurgie de Duplay et Reclus, T. 111.
(10) Revue Neurologique, 1894, p. 409.
(111 Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1894, p. 299.
(12) Archives générales de médecine. 1895.
384' PAUL LONDE
enfin le travail de M. JEANNEL (1) et celui de M. VERHOOGEN (2). La
Revue Neurologique (1894-96) et la Nouvelle Iconographie de la Salpê-
trière (1894) donnent les indications bibliographiques nécessaires.
I. Arthropathie NERVEUSE PURE.
La description de l'arthropathie tabétique, telle que Charcot l'a faite,
n'est pour ainsi dire aujourd'hui contestée par personne en France du
moins : nous n'y insisterons pas. L'assimilation des arthropathies du tabes
et de la syringomyélie, admise par tous, est inutile à démontrer (3).
Rappelons seulement quelques mots des caractères essentiels de l'arthro-
pathie nerveuse, type commun à ces deux maladies.
Il y a fréquemment des prodromes sous forme de douleurs à type ful-
gurant, se localisant parfois au niveau de la jointure qui va être atteinte.
Le début est brusque : soudainement l'article devient le siège d'un
gonflement considérable, sans aucun signe d'inflammation : la douleur
prémonitoire a disparu et l'indolence est absolue en général.
L'état général est intact. L'arthropathie une fois installée persiste
irrémédiable, et la période chronique qui succède à cette phase aiguë n'est
pas moins caractéristique. On trouve alors les ligaments relâchés, les
têtes articulaires atrophiées en général ; l'articulation est^ ballante et dis-
loquée, plutôt que luxée; ainsi l'ankylose n'existe pas; les lésions os-
seuses sont très précoces, peut-être primitives, et en tout cas prédomi-
nantes. Malgré cette désorganisation articulaire et quel que soit l'état des
muscles, lamotilitéest relativement intacte : il n'yajamais d'attitudevicieuse
de cause musculaire ; par contre il y a anesthésie articulaire, ce qui a per-
mis d'opérer les malades sans chloroforme. Jamais on n'a reproduit expéri-
mentalement une semblable arthropathie. Cette arthropathie évolue isolé-
ment, indépendamment d'autres troubles trophiques mèmedans la syringo-
myélie,exception faite de l'oedème dur pseudo-éléphantiasique, quelquefois
énorme, qui peut accompagner le début de l'accident, et envahir les
segments des membres adjacents dans une grande étendue. Mais très sou-
vent la perturbation trophique est systématisée, en ce sens qu'elle se loca-
lise aux parties constituantes de la jointure ou des jointures atteintes (4).
Nous laissons de côté la variété hypertrophique plus rare : elle peut
(1) Archives provinciales de chirurgie, 1893, p. 476.
(2) Belgique médicale, 1896, nous 14 et 1 ?
(3) Voir Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1894, p. 232.
(4) Nous laissons de côté à dessein la pathogénie dont la discussion ne nous parait
pas essentielle ici.Nous renvoyons le lecteur au remarquable rapport de Massalongo,
cité plus loin ; cet auteur admet la théorie réflexe de Brissaud.
DE L'AlIT11ROPATIIIE NERVEUSE VRAIE 385
prêter à discussion ; ce qu'il faut retenir c'est que même dans cette variété
hypertrophique l'article fonctionne encore avec une facilité surprenante.
Il nous suffira de démontrer que la variété ordinaire, atrophique, est
unique en son genre : elle se reconnaît à distance ou en trois mots de
description; elle aide au diagnostic de l'affection causale, dont elle est
une manifestation directe ; ce n'est pas un épiphénomène; aucune autre
affection articulaire n'est capable de la simuler quand elle est typique.
L'arthropathie nerveuse pure offre donc des caractères précisément oppo-
sés à toutes les variétés connues d'arthrites aiguës ou chroniques. Or les
arthropathies que nous allons maintenant passer en revue, sont faciles à
confondre avec les arthrites vulgaires ; comme ces dernières elles ont l'al-
lure aiguë, subaiguë et chronique suivant les cas, sans qu'on puisse dire
qu'une évolution vraiment spéciale soit liée à la localisation de la lésion
dans les nerfs, la moelle ou le cerveau.
II. TROUBLES TROPHIQUES articulaires d'apparence RHUMATOIDE.
A. Dans les affections spinales.
Les affections qui fourniront une contribution à ce chapitre sont : la
compression brusque ou lente de la moelle, la myélite aiguë traumatique
ou spontanée, la section ou l'hémisection médullaire; les tumeurs de la
moelle ou des méninges (tuberculose, sarcome), presque toutes aiguës ou
infectieuses. Mais avant d'entrer en matière il faut éliminer quelques mala-
dies qui ont passé pour être capables de produire l'arthropathie nerveuse
pure.
La paralysie générale a été incriminée à tort. M. Brissaud, notre maî-
tre (1), a montré que dans les cas où l'on avait cru pouvoir rapporter l'ar-
thropathie à la paralysie générale, il existait concurremment une sclérose
des cordons postérieurs : il s'agissait de paralytiques généraux tabétiques.
L'atrophie musculaire myélopathique, mise en cause par Charcot lui-
même, sur la foi de Rosenthal (2), paraît devoir restituer aujourd'hui
à la syringomyélie au moins un certain nombre des arthropathies véri-
tables qui lui avaient été attribuées. La courte description que donne
Rosenthal du cas en question a trait à n'en pas douter à une arthropathie
nerveuse et ce fait suffit à faire soupçonner une erreur de diagnostic (la
syringomyélie n'était pas connue encore). Patruban et Remak (cités par
Charcot), ont décrit des nodosités osseuses aux mains et aux doigts des
atrophiques, mais ce fait, qui a pu attiré l'attention des auteurs, n'a rien
(1) Leçons sur les maladies nerveuses, tS9o, p. 313.
(2) Traité clinique des maladies du système nerveux (trad. de LuBAisKI), 1878, 20 édi-
tion. Il est difficile d'avoir un diagnostic ferme sur ce cas.
x 27
386 PAUL LONDE
de commun avec les grandes arthropathies nerveuses. L'observation, rap-
portée plus loin en note, de MM. Prautois et Etienne, nous a paru l'uni-
que arthropathie nerveuse dans l'atrophie musculaire myélopathique. Ce
n'est donc jusqu'à présent qu'une exception.
L'arthropathie qu'a observée W. S. Taylor (1) est à n'en pas douter une
véritable arthropathie nerveuse, mais son cas est fort suspect de tabès :
tel est aussi l'avis de Verhoogen.
Enfin il est des déformations articulaires, résultat des troubles trophi-
ques, musculaires et autres,qui ne sont des arthropathies qu'indirectement :
elles ne doivent pas prendre place ici. Telles sont les déformations de la
paralysie infantile (2). L'observation complexe de Feréol (3) est d'une in-
terprétation difficile.il s'agit d'une véritable arthropathie ayant atteint
le coude gauche. Le coude était atteint d'une déformation considérable
avec végétations ostéophytiques énormes, qui ressemblaient à de grosses
tumeurs enchondromateuses : indolence relative, absence de phénomènes
graves, fonctionnement facile de l'articulation. Les autres lésions articu-
laires rapportées (genou gauche, annulaire droit, main gauche) ne sont
pas d'une nature aussi évidente. L'atrophie de la main gauche rappelle
la syringomyélie, quoiqu'il y ait eu un traumatisme antérieur, mais il y
avait des mouvements athétosiques. Lésions trophiques de la peau et de
ses annexes aux deux mains, mais surtout à gauche. Enfin hémiparaplégie
spasmodique et peut-être hémiplégie spasmodique (comme dans le cas de
Charcot et Brissaud) (4). Si l'on joint à ces symptômes le fait que le malade
portait des traces de brûlures nombreuses sur le côté gauche du corps,
tout en soutenant qu'il avait toujours bien senti (contact), il est difficile
de refuser à cette observation le titre des syringomyélie. L'auteur en
fait une sclérose en plaques : il y avait un peu de tremblement peut-être
alcoolique; on conçoit pourquoi le diagnostic de syringomyélie n'est pas
discuté (5).
(1) Revue neurologique, 1894 p. 257.
(2) Nous éliminons, avec ces arthropathies secondaires par arrêt de développement et
atrophie musculaire, les pieds-bots de la maladie de rriedreicla, de la myopathie : il n'y
a pas là d'arthropathie essentielle, pas plus que dans les pieds-bots des névrites péri-
phériques. De même nous éliminons la sclérose en plaques, la paralysie agitante, car
on n'a jamais observé, croyons-nous, dans ces affections de grande arthropathie ner-
veuse, mais seulement des arthropathies rhumatoides. - Mais nous ferons mention
ici de la chorée chronique : M. Auscher a observé un cas inédit de grande arthropathie
nerveuse dans cette affection (communication orale).
(3) Bull. et mémoires de la Société médicale des hôpitaux, 1885.
(4) Progrès médical.
(5) V. Prautois et G. ETIENNE ont publié dans la Revue de médecine, 1894, p. 300, un
cas (observé dans le service de M.SPILUIANN) d'atrophie musculaire myélopathique com-
pliquée de troubles trophiques osseux et articulaires. Il s'agit évidemment dans ce
cas d'arthropathies vraies (épaule droite, articulations acromio-claviculaire gauche, poi-
DE L'ARTDROPATniE NERVEUSE VRAIE 387
Ce triage fait, il ne reste à l'actif des lésions spinales pures (car dans le
tabes et la syringomyélie, les lésions spinales ne sont pas exclusives) que
les trois formes d'arthropathie suivantes : 1° une forme qui se termine par
résolution ou par suppuration si le malade vit assez longtemps, après avoir
évolué à l'instar du rhumatisme articulaire aigu avec mobilité; 2° une
forme qui, après avoir débuté comme la précédente d'une façon aiguë,
s'éternise sous forme d'hydarthrose avec plus ou moins d'empâtement de
la synoviale ; 3° une forme qui débutant d'une façon rapide ou insidieuse
se termine par ankylose fibreuse ou osseuse. Ce qui caractérise chacune
de ces formes c'est surtout leurs terminaisons par résolution, par arthrite
chronique, par ankylose. Nous avons d'abord à démontrer que les trois
. formes ne correspondent pas chacune à une lésion spéciale de la moelle.
1° Forme aiguë. - J. K. Mitchell relate deux cas d'arthropathies spi-
nales au cours du mal de Pott ; dans l'un d'eux (mal de Pott lombaire) le
genou d'un côté, le cou-de-pied de l'autre furent d'abord pris, puis ce fut
le tour d'une hanche, du genou et du cou-de-pied opposés ; dans l'autre,
(mal de Pott cervical), ce fut le poignet qui fut atteint : dans les deux obser-
vations il est dit que des sangsues appliquées au niveau de la lésion spi-
nale amenèrent la résolution.
Dans le cas de Bail (mal de Pott également) on vit à plusieurs reprises
des douleurs articulaires avec gonflement et rougeur au cours d'une para-
plégie.
Chez le malade de Moynier, affecté de myélite subaiguë, le genou et le
cou-de-pied correspondant furent pris ; le genou, d'abord tuméfié et très
douloureux, avait diminué de, volume avant la mort.
Tel peut être le cas de Vincent, myélite aiguë au cours d'un mal de Pott
(cité par M. Talamon) : hydarthrose des deux genoux ; tel encore le cas de
Trousseau (myélite aiguë) : arthrite des deux genoux.
L'observation de M. Rendu (1) intitulée Rhumatisme spinal était, dit-il,
une méningo-myélite suppurée diffuse ; les articulations tibio-tarsiennes,
puis les genoux furent pris d'arthrites évidemment infectieuses ; le coude
droit fut atteint aussi ; un genou suppura. Il y avait parésie des membres
inférieurs avec un léger oedème le long du tibia.
gnets). Particularité : atrophie des extenseurs du cou, ce qui prouve que la lésion spi-
nale remontait assez haut.
Le fait est d'autant plus intéressant à enregistrer qu'il est en quelque sorte unique.
M. Etienne (communication écrite) a pu nous affirmer après examen nécroscopique qu'il
ne s'agissait ni de tabes, ni de syringomyélie. Il peut donc y avoir de grandes arthro-
pathies en dehors de ces deux affections. Mais le fait n'en est pas moins jusqu'à pré-
sent exceptionnel. Le résultat de l'autopsie sera publié dans la Revue de médecine.
(1) Union médicale, 1878.
388 PAUL LONDE
Vallin (1) cite un cas analogue toujours avec le titre de Rhumatisme spi-
nal où l'arthrite affecta les deux genoux puis les deux pieds ; on trouva
du pus dans un genou, du liquide citrin dans l'autre. Il y avait un oedème
dur dans tout le domaine de la paraplégie.
Le diagnostic de rhumatisme coïncidant s'applique peut-être mieux au
cas de Gull, dans lequel le début d'une paraplégie, après une commotion
médullaire, s'accompagna de fièvre et d'arthrites tout à fait aiguës, non
seulement aux membres inférieurs, mais aussi aux membres supérieurs
indemnes de paralysie. Il en est un peu de même du cas de J. K. Milchell
(chute sur la nuque et le dos) dans lequel les arthropathies mobiles voya-
geaient d'un côté à l'autre dans les doigts, les membres inférieurs restant
indemnes quoiqu'ils fussent beaucoup plus atteints que les supérieurs par
la paralysie.
De cette forme aiguë une variété spéciale quant à la localisation doit
être réservée aux cas de Viguès-Nélaton et Joffroy-Salmon où il s'agit d'hé-
misection à hauteur différente (3e vertèbre dorsale, entre la \Je et la 10).
Il est très intéressant de constater que les deux fois l'arthropathie éphé-
mère siégea au genou du côté de la paralysie motrice et de l'hyperesthé-
sie, c'est-à-dire précisément du côté où apparaissent les troubles trophi-
ques dans le syndrome de Brown-Séquard. A remarquer aussi la superposi-
tion de l'arthropathie et de l'hyperesthésie du même côté : nous avons vu
qu'au contraire l'arthropathie nerveuse pure était anesthésique (2).
2° Forme subaiguë (se terminant par arthrite chronique sans ankylose).
Dans ce groupe nous rangeons les observations suivantes :
a) Cas de Chipault (3).- Fracture rachidienne (10e dorsale), ayant dé-
terminé le 5° jour de l'accident un épancliement considérable dans les
deux genoux et les articulations tibio-tarsiennes ; l'épanchement a persisté
au moins dans le genou droit jusqu'à la mort (qui eut lieu le 3° mois),
sans s'accompagner de lésions osseuses. Les recherches bactériologiques
furent infructueuses. Ces arthropathies furent-elles douloureuses ? L'ab-
sence de lésions osseuses au bout de 3 mois écarte absolument l'idée d'une
véritable arthropathie.
b) Observation personnelle.-II s'agit d'une malade du service de M. A.
Robin,notre maître, atteinte de tuberculose pulmonaire (caverne a u sommet
droit, ramollissement du sommet gauche) et de mal de Pott dorsal, paraplé-
(1) Union médicale, 1878.
(2) Nous enregistrons un nouveau fait de '\viner,1897 (Revue neurologique, p. 387).
Contribution à l'étude des traumatismes de la moelle. Syndrome de Brown-Séquard,
sans paralysie vaso-motrice du côté de la lésion spinale, mais arthrites des deux ge-
noux.
(3) Revue neurologique, 1894, p. 542. Cas cité à propos de l'analyse du cas de JEANNEL.
DE L'ATITHROPATHIE NERVEUSE VRAIE 389
gique avec abolition des réflexes. Facies très caractérisé, hypertrophie du
système pileux. Doigts et orteils hippocratiques. Crachats nummulaires,
sueurs nocturnes, anorexie, fièvre. Cachexie et amaigrissement progressif.
Albuminurie. Dyspnée augmentée parun légerépanchcmentpleural gauche.
Douleurs thoraciques à distinguer de la douleur en ceinture qu'avait eue
antérieurement la malade. C'est dans cet état qu'apparurent les arthropa-
thies aux deux genoux d'abord, puis aux articulations tibio-tarsiennes
surtout la gauche, sous forme d'arthrites douloureuses : il y eut toujours
un épanchement modéré mais notable dans les genoux. Il n'y eut pas, au
moment où survinrent ces phénomènes, de modifications dans la paraplé-
gie ; la malade ne pouvait se tenir debout, mais ses jambes étaient encore
capables de quelques mouvements dans le lit. Il y eut au contraire ag-
gravation de l'état général et de l'état pulmonaire. Elle avait eu des hé-
moptysies : tout indiquait l'extension de la tuberculose, notamment dans
le poumon. A noter des douleurs vives, névritiques plutôt que radiculaires,
le long du sciatique poplité externe surtout du côté gauche. Il se forma
un peu d'oedème des jambes, puis une eschare sacrée, et plus tard il y
eut de l'incontinence des matières. Les arthrites durèrent sans modifica-
tion jusqu'à la mort qui survint plusieurs semaines après leur début.
Malheureusement on ne fit qu'incomplètement l'autopsie en notre ab-
sence ; nous apprîmes seulement la confirmation du mal de Pott.
Conclusions : Il ne s'agissait pas d'arthropathies comparables à celles
du tabes, mais évidemment d'arthrites infectieuses (il y avait de la fièvre
hectique). La seule question en litige serait de sa voir si l'infection fut banale
ou spécifique (tuberculeuse). La localisation de ces arthrites était nettement
en rapport avec la lésion spinale, quoique la hanche ne fut pas atteinte.
- c) Cas de Michaud.I) y eut douleurs et gonflemeut du genou gauche,
puis oedème du membre qui disparut ; mais une hydarthrose persista avec
tuméfaction notable (1).
d) Cas de Lannelongue (rapporté par Dujardin-Beaumetz (2) ). - Coup
de feu suivi de paraplégie; l'épanchement qui se produisit dans les deux
genoux fut indolore, mais le malade mourut d'infection 12 jours après le
début de l'arthrite. L'infection du genou est ici plus que probable ; et l'ab-
sence de douleurs s'explique suffisamment par l'immobilisation naturelle
qu'entraîne une paraplégie grave.
e) Cas de Gull.-Un tubercule delà moelle chez un enfant de quelques
mois donna lieu à la fin de la vie à un épanchement dans'le genou droit.
S'agirait-il d'arthrite tuberculeuse ?
(1) A cette série il faut ajouter un cas inédit de M. M. Roques, père et fils : Arthro-
pathie du genou droit, aiguë au début, au cours d'un mal de Pott.
(2) Thèse agrégation médecine, 11.
390 PAUL LONDE
Nous joignons à cette série le cas suivant :
Chipault a trouvé chez une femme « porteur d'un sarcome des pre-
miers arcs dorsaux, suivi de paraplégie », une hydarthrose considérable
qui s'était développée sans que la malade s'en doutàt, en même temps qu'un
oedème dur éléphantiasique, remontant des deux côtés jusqu'à mi-cuisse.
Il semble s'agir ici d'un trouble vaso-moteur exclusif, contrairement il
la plupart des faits précédents. Nous avons vu cependant ce même trouble
vaso-moteur coïncidant avec l'infection dans l'observation de Vallin. Même
dans ce dernier cas nous ne voyons pas qu'on soil en droit d'assimiler la
double hydarthrose à l'arthropathie nerveuse vraie. L'hydarthrose n'a
peut-être été que la conséquence mécanique de l'oedème du membre comme
l'admet Chipault lui-même. En tout cas il ne peut être question d'arthro-
pathie nerveuse vraie (1).
3° Forme chronique (se terminant par ankylose). W.Mitchell, More-
house et ,Keen ont vu les doigts s'ankyloser à demi à la suite d'un coup
de feu ayant atteint la moelle cervicale. .
Gull observa aussi, dans son cas de myélite traumatique, des raideurs
articulaires qui persistèrent plusieurs mois après la guérison de la para-
plégie. Les arthropathies avaient commencé par le mode aigu en s'accom-
pagnant de douleur vive, rougeur et tuméfaction des articulations tibio-
tarsiennes et des poignets ; on eût dit de la goutte plutôt que du rhuma-
tisme. Ici encore les arthropathies ne se limitent pas exclusivement dans
le domaine de la paraplégie.
Jeannel rapporte un cas d'arthropathie double du genou consécutive à
une myélite grippale : elle passa inaperçue pendant la phase aiguë, mais,
quand le malade put se lever, il avait les genoux ankylosés (ankylose
osseuse), dans la flexion,avec inclinaison des deux cuisses à droite et sail-
lie des genoux du même côté, les deux membres inférieurs formant « les
guillemets ». Au premier abord, la photographie de son malade ressemble
beaucoup à maint ataxique atteint d'arthropathie double du genou; mais
le seul fait de l'ankylose en attitude vicieuse, nous porte à rejeter
l'assimilation de cette arthropathie aux arthropathies tabétiques. Après
résection, qui d'ailleurs réussit admirablement, on vit que les lésions
osseuses ressemblaient fort en somme, quoi qu'en dise l'auteur, aux lésions
de l'arthrite sèche. Le malade était resté les jambes pliées et les cuisses
inclinées pendant la durée de la paralysie (2).
(1) L'arthropathie de la sclérose en plaques observée par M. Bourneville se rattache
à cette série. - Dans la paralysie agitante nous ne connaissons que les petites ar-
thropathies comparables au rhumatisme chronique.
(2) Un autre cas de JEANNEL intitulé myélite aigué n'a trait qu'aune déformation ar-
ticulaire par atrophie musculaire et rétraction consécutive.
DE L'ARTHROPATHIE NERVEUSE VRAIE 391
Parallèle avec l'arthropathie nerveuse pure. Etablissons maintenant
un parallèle entre les différentes variétés d'arthrites qui viennent d'être
énumérées et l'arthropalhie nerveuse vraie. Nous voyons que presque
toutes ont été douloureuses, qu'elles se sont accompagnées de troubles
moteurs plus ou moins accentués, que jamais on n'y a signalé d'une
façon formelle l'anesthésie articulaire, sauf probablement dans des cas
d'immobilisation absolue; qu'elles se sont terminées par résolution, sup-
puration, ankylose ou état stationnaire, mais jamais par dislocation avec
atrophie des têtes osseuses. Au contraire on n'a jamais noté que l'hyper-
throphie, d'ailleurs rare, car les lésions se bornent en général à la syno-
viale et aux tissus péri-articulaires.
Nous avons noté la subluxation avec ankylose, mais non la dislocation
proprement dite. Dans tous les cas l'état général était plus ou moins com-
promis, souvent par l'infection.
Dans certaines observations nous avons vu l'élément infectieux ne pas
respecter les limites de la paralysie, sans observer de différence symp-
tomatique entre ces faits et les autres, nettement en rapport par leur
localisation avec la lésion nerveuse. Enfin le niveau de la lésion médul-
laire pas plus que sa nature n'a paru modifier l'allure des arthropathies.
Nous allons voir que les névrites donnent lieu à des arthropathies qui
sont aussi des arthrites comparables aux précédentes, la démonstration
sera plus facile ici. Couyba les a déjà assimilées aux lésions traumatiques
de la moelle en insistant sur leur cachet inflammatoire qui les fait ressem-
bler au rhumatisme subaigu ou chronique.
B. Dans les névrites.
Les troubles trophiques articulaires ne sont pas plus fréquents au cours
des névrites que dans les myélites. Ils ont été observés par Hamilton,
W. Mitchell (5 observations), Packard, Blum, Bowlby (-1) ; on peut y ajou-
ter une observation de Reuillet dans laquelle une lésion nerveuse datant
de l'enfance avait amené une atrophie complète du membre : on n'y note
les arthropathies qu'à l'autopsie (2).
Les lésions nerveuses capables de donner lieu à une arthropathie peu-
vent se résumer dans un mot, la névrite; mais la cause de la névrite a
été très différente suivant les cas : piqûre (Hamilton), plaie par éclat de
de verre (Blum), plaie par arme à feu (W. Mitchell), tumeur (Puckard),
contusion ou luxation de la tête humérale (W. Vlitciell), névrite du mé-
dian à la suite d'un phlegmon de la main (Bowlby), etc.
(1) Injuries and etc. of nerves. London, 1889, p. 53.
(2) Thèse de Paris, 1869.
392 PAUL LONDE
Inutile de dire qu'il n'y a aucun rapport entre la cause et la forme
clinique.
Les formes de l'arthropathie consécutive à une névrite sont superposa-
hies aux différents types d'arthropathies médullaires exposés plus haut.
Nous rangerons : 1° dans la forme aiguë l'observation de Hamilton,
l'observation 8 de W. Mitchell ; 2° dans la forme subaiguë : les observa-
tions 11, 39 et 51 de W. Mitchell ; 3° dans la forme chronique les obser-
vations 31, 33, 35, 49 de W. Mitchell, l'observation de Bowlby, et celle
de Duménil (obs. 2) (1).
On conçoit d'ailleurs que l'on puisse trouver tous les intermédiaires
entre ces différentes formes. Il peut arriver qu'une seule articulation soit
prise et dans ce cas c'est une grosse articulation ou bien encore que tou-
tes les articulations d'un doigt, de la main, du membre tout entier soient
atteintes. Les troubles de nutrition du membre, parmi lesquels rentrent
les arthropathies coïncident toujours, dit W. Mitchell, avec des troubles
de la motilité et de la sensibilité. D'autre part l'hyperesthésie peut exis-
ter sans (roubles de la nutrition souvent masquée au début par l'oe-
dème pseudo-phlegmoneux, l'arthrite lui survit.
Le seul fait important à noter ici c'est le rapport constant entre le siège
de l'arthropathie et le siège de la lésion nerveuse : ainsi dans un cas où
le nerf médian était blessé, les articulations du pouce, de l'index et du
médius furent seules affectées, etc., etc.
Quant à la nature des arthropathies l'examen clinique ne peut les dif-
férencier des diverses formes du rhumatisme. Le fait suivant montre
combien il est difficile d'établir une démarcation nette entre les troubles
trophiques articulaires et la polyarthrite rhumatismale : J. A. Brinton,
observa une affection articulaire généralisée qui se rattachait au froisse-
ment des nerfs du bras par une luxation de l'humérus. N'est-ce pas là l'a-
nalogue de ce fait que nous citions à propos des arthropathies spinales ?
On voit aussi à la suite des lésions nerveuses périphériques, l'oedème
dur pseudo-éléphantiasique : il en a été parfois ainsi après deslésions mé-
dullaires. Comme l'ont remarqué certains auteurs, l'arthropathie de la
névrite a une tendance ankylosante plus marquée que l'arthropathie spi-
nale, mais cette terminaison est sans doute en rapport avec l'évolution pro-
longée de la lésion nerveuse périphérique ; la lésion médullaire qui cause
l'arthropathie spinale guérit en général plus vite ou amène la mort. Enfin
les arthropathies névritiques s'accompagnent le plus souvent d'atrophie
musculaire, puis de rétraction qui amène l'immobilisation en attitude vi-
(1) Gaz. hebdomadaire, 1866. Contribution à l'laistoia·e des paralysies périphériques
et spécialement de la névrite.
DE L'ARTHROPATHIE NERVEUSE VRAIE 393
cieuse. Ce fait et la localisation fréquente des arthropathies névritiques
aux extrémités les fait ressembler davantage au rhumatisme chronique.
Ainsi nous pouvons conclure : 1° que jamais une névrite n'a donné lieu
à une grande arthropathie nerveuse; 2° que les arthropathies névritiques
comme les arthropathies spinales simulent le rhumatisme, coïncident avec
des troubles de la motilité et avec d'autres troubles trophiques (cutanés) ;
3° que les arthrites névritiques peuvent s'accompagner de subluxation,
mais non de dislocation (1).
L'anatomie pathologique des arthropathies névritiques se base sur les
trois faits de Blum, Reuillet etBowlby : ostéite raréfiante, destruction des
cartilages, atrophie des têtes osseuses, tels sont les trois faits principaux
constatés. La tendance atrophiante des arthropathies névritiques n'a pas
lieu d'élonner puisqu'on a signalé des atrophies osseuses (Moty) etc., à la
suite des névrites.
C'est surtout d'atrophie osseuse plutôt que d'arthropathie qu'il s'agit
dans la lèpre, la sclérodermie ; on peut voir aussi, consécutivement aux
troubles trophiques cutanés, se développer des troubles trophiques articu-
laires. La pathogénie n'est d'ailleurs pas la même dans ces deux affections
puisqu'on n'a pu trouvé la névrite dans la sclérodermie. Mais le seul fait
* que nous voulons établir ici est que ce genre d'arthropathies, liées à des
troubles trophiques cutanés très accentués n'a rien à voir avec l'arthropa-
thie nerveuse vraie. La distinction est tout à fait palpable quand on la
considère dans la syringomyélie. Il n'est pas un auteur qui ait assimilé les
troubles trophiques articulaires et osseux des doigts, accompagnant des
troubles trophiques cutanés, aux grandes arthropathies de la même ma-
ladie.
C. Dans les affections cérébrales.
Nous ne nous étendrons pas longtemps sur les arthropathies des hémi-
plégiques, car depuis longtemps Charcot les a assimilées aux arthropa-
thies spinales. Charcot avait remarqué qu'elles étaient plus fréquentes
dans le ramollissement cérébral, sans doute parce qu'il s'accompagne d'in-
fection plus volontiers que l'hémorrhagie.
Le cachet nerveux leur est donné par la localisation hémiplégique, mais
elles ont tout à fait l'allure rhumatoïde, simulant ◀tantôt▶ le rhumatisme
articulaire le plus aigu, ◀tantôt▶ le rhumatisme subaigu, ◀tantôt▶ le rhuma-
tisme chronique.
(1) Une observation de MM. BUCK et 111ooa de Gand semblerait faire exception : trou-
bles trophiques graves du membre inférieur consécutifs à un traumatisme, Belgique
médicale; mais les renseignements donnés ne sont pas suffisants pour qu'on puisse
en tirer une conclusion. Ainsi il n'y est pas dit quele sujet n'était ni tabétique, ni
syringomyélique.
394 PAUL LONDE
La première variété survient soit peu de temps après le début, soit au
moment de la contracture tardive, soit à propos d'un état fébrile qui peut
être précurseur de la mort ; son apparition est accompagné d'oedème par-
ticulièrement du dos de la main, de troubles vaso-moteurs et parfois d'au-
tres troubles trophiques, tout comme dans les formes spinales et névrili-
ques. La douleur est exquise, aussi facile à provoquer que dans le rhu-
matisme articulaire aigu le plus franc.
Le pronostic est assez grave car l'arthropathie est la révélation, d'une
infection générale, mais elle peut aussi se terminer par résolution.
A n'en pas douter il s'agit d'arthrites infectieuses dans la plupart des
cas. Les gaines peuvent être également prises et l'autopsie ne révèle que
des lésions de synovite.
Considérer cette forme comme toujours infectieuse- serait sans doute
exagéré, car Scott Alison, cité par Charcot, trouva sur un sujet atteint
d'hémiplégie droite, dans la plupart des articulations du côté droit les
cartilages diarthrodiaux incrustés d'urate de soude. Deux autres obser-
vations du même genre rapportées par le même auteur sont assimilées à
la précédente. Il est inutile d'ajouter que dans les observations d'Alison
l'allure fut aussi aiguë que dans les cas d'infection.
La variété subaiguë n'a d'autre intérêt que sa latence même ; elle passe
facilement inaperçue, et cependant elle est l'indice utile d'un état géné-
ral plus ou moins grave.
La variété chronique a donné lieu à quelque controverse. Hilzig, que
cite Charcot, n'avait guère été frappé que par cette variété. C'est à elle
que M. Gilles de la Tourette attribue une grande partie des douleurs et
presquo toutes les atrophies musculaires des hémiplégiques. L'immobi-
lité, résultant de la paralysie ou de la contracture, la favorise singulière-
ment ; aussi n'apparaît-elle qu'assez tardivement contrairement à la forme
aiguë. Elle atteint particulièrement la hanche et surtout l'épaule, cela se
conçoit, tandis que la forme aiguë frappe plutôt le poignet, le coude, la
main, le genou, le pied.
Ainsi l'autopsie est encore ici complète avec les différentes formes de
rhumatismes.
D. Rhumatisme chronique. '
Nous avons vu que J. K. Mitchell frappé de la ressemblance qui existe
entre le rhumatisme articulaire et les arthropathies d'origine spinale, en
conclut que le rhumatisme lui-même est d'origine spinale. J. K. Mitchell
pour les arthropathies névritiques poursuit le même parallèle. Massalongo
enfin dit que les arthrites des hémiplégiques sont du rhumatisme chroni-
DE L'AItTRR01'ATRIE NERVEUSE VRAIE 395
que (1). Pourtant le rhumatisme articulaire aigu et le rhumatisme chroni-
que sont plus que des syndromes, mais bien des entités morbides parfaite-
ment distinctes. La ressemblance est seulement pathogénique : ainsi pour
le rhumatisme articulaire aigu il n'est pas douteux que l'axe spinal com-
mande la symétrie des lésions ; les centres (bulbaires) commandent peut-
être aussi les déterminations cardiaques`à en juger par la coïncidence de
l'endocardite.
Quant au rhumatisme chronique sa pathogénie est plus complexe. Ce
qui saute aux yeux quand on a présentes à l'esprit les considérations pré-
cédentes, c'est qu'il ne s'agit pas d'arthropathies nerveuses au sens propre
du mot. Sans doute un trouble trophique d'origine centrale mais pure-
ment fonctionnel d'abord, explique la localisation symétrique ou régu-
lière des lésions (d'origine infectieuse ou auto-toxique). Mais ce qui est
nerveux dans cette affection ce n'est pas tant l'arthropathie que la
détermination périarticulaire ; ce qui est nerveux c'est la contracture,
l'exagération des réflexes, l'atrophie musculaire et la névrite, ces deux
derniers phénomènes étant indépendants pour les uns, connexes pour les
autres.
L'atrophie musculaire s'explique suffisamment dans certains cas par une
modification réelle de la réflectivité médullaire (Raymond). D'autre part
la névrite paraît bien être un phénomène secondaire à l'arthropathie.
Descosses a montré que la marche de l'atrophie musculaire répondait à la
distribution d'une névrite ascendante partie de l'articulation. D'ailleurs
si elle était primitive il faudrait qu'elle donnât la clef de la question et
il s'en faut de beaucoup. Massalongo admet bien que la névrite est se-
condaire, mais d'origine centrale.
En somme, en tenant compte des opinions systématiques des uns et des
autres, on arrive à cette conclusion que le rhumatisme chronique est une
affection régionale dont les districts relèvent sans doute d'un trouble tro-
phique d'origine centrale (d'où l'influence de la tare héréditaire) et dans
laquelle à l'arthropathie,phénoméne essentiel (d'origine infectieuse ou
autre) s'adjoignent des phénomènes purement nerveux, contracture, atro-
(i) Dans un rapport récent sur les « arthrites chroniques (8° congrès de la Soc.
Italienne de médecine interne),résumé dans la Semaine médicale,t897;p.4t2.1LssnLOxco
reconnaît au rhumatisme articulaire chronique les formes suivantes : 1° arthropathies
infectieuses; 2° a. dyscrasiques ; 3° a. nerveuses ; 4° a. mixtes (tropho-infectieuses et'
toxi-nerveuses). Ainsi tout en paraissant rejeter l'unité du rhumatisme chronique que
nous avons soutenue (Manuel de médecine, Dsuove et Achard), M. Massalongo admet
une forme mixte : cela nous permet de penser que les formes infectieuse, dyscrasique
et nerveuse représentent chacune un élément étiologique prédominant mais non ex-
clusif. L'existence de formes éliologiques et même cliniques n'infirme pas encore la
théorie de l'unité. v
396 PAUL LONDE
phie musculaire, névrite. L'existence de la névrite explique pourquoi le
rhumatisme chronique ressemble'surtout à l'arthropathie névritique (1).
III. L'HÉMARTHROSE.
On sait combien est fréquente't'hémarthrose dans l'arthropathie tabé-
tique. Elle existe aussi dans certaines arthropathies d'origine spinale ou
cérébrale. Albertoni rapporte une observation d'Alexandrini (citée par
Arnozan) dans laquelle une fracture, siégeant sur la colonne cervicale,
donna lieu à une hémiplégie spinale droite. Il y eut de vives douleurs
dans le genou droit et à l'autopsie on trouva du sang en abondance dans
cette jointure et les autres du même côté (2).
Dans un cas d'apoplexie suivie d'hémiplégie gauche suivie de mort
au bout de trois jours, le même auteur,Albertoni,a trouvé du sang dans les
articulations du même côté. Etait-ce une hémorrhagie cérébrale ? Proba-
blement.
Expérimentalement, Albertoni, dans des expériences sur le chien, a
obtenu par lésions du pédoncule cérébral des hémorrhagies, non seule;
ment dans les viscères, mais aussi dans les articulations du côté opposé.
Môme résultat après lésions profondes du gyrus sigmoïde en arrière du
sillon crucial (3).
L'existence de l'hémarthrose dans ces différents cas doit-elle établir un
rapprochement entre les troubles trophiques que nous avons étudiés et la
véritable arthropathie nerveuse ? Telle est la question que nous nous
posons.
Nous croyons pouvoir répondre par la négative et cela pour deux rai-
sons :
L'hémarthrose rentre dans ces phénomènes d'hyperémie neuro-paraly-
tique qui sont distincts des troubles trophiques et qu'on retrouve dans les
viscères, notamment dans les capsules surrénales.
D'autre part on ne peut manquer de remarquer que l'hémarthrose sem-.
ble plus fréquente dans les lésions avoisinant ou intéressant le mésocé-
(1) Des auteurs dont l'opinion a une grande valeur considèrent les arthropathies du
psoriasis comme une arthropathie nerveuse. A nos yeux pourtant elles ne diffèrent
pas du rhumatisme chronique; mais, si on devait les en distinguer, elles n'en ren-
treraient pas moins dans le groupe des troubles trophiques articulaires d'apparence
rhumatoïde : elles n'ont aucune analogie avec l'arthropathie nerveuse vraie.
(2) Cité par Arnozan. Nous n'avons malheureusement pas pu nous procurer le tra-
vail original.
(3) Dans un cas de tumeur cérébrale, Charcot trouva les synoviales très injectées,
mais sans hémarthrose proprement dite, du côté hémiplégie. Les articulations avaient
été très douloureuses. Arch. de physiologie, 1868. / ,
DE l'arthropathie nerveuse vraie 397
phale. Elle n'existe pas dans les névrites et si on l'a vue à la suite d'une
lésion spinale vulgaire ( ? ), ou d'une lésion corticale ( ? ),elle doit être bien
exceptionnelle.
Le fait demanderait à être confirmé, et s'il l'était, il y aurait peut-être
quelque conclusion à en tirer au sujet de la pathogénie de l'arthropathie
nerveuse vraie.
CONCLUSION.
Les arthropathies du tabes et de la syringomyélie méritent le nom
d'arthropathies nerveuses vraies parce qu'elles sont produites exclusi-
vement par ces affections. Les arthropathies spinales, cérébrales et né-
vritiques ne sont pas dues exclusivement, dans certains cas au moins, à des
lésions correspondantes du système nerveux. Il y a un autre facteur étiologique
à mettre ici en cause : c'est ◀tantôt▶ l'infection, ◀tantôt▶ l'auto-intoxication. On
a déjà créé le mot arthropathies tropho-infectieuses pour désigner l'arthro-
pathie nerveuse pure infectée accidentellement, mais l'infection n'est alors
qu'un épiphénomène, et cette désignation s'appliquerait mieux à certaines
arthrites cérébrales, spinales ou névritiques où l'élément infectieux joue
certainement le rôle de cause déterminante. Entre autres auteurs, Sou-
ques (1), Marinesco (2') considèrent les arthrites des hémiplégiques comme
infectieuses. Pourtant il y aurait une place à faire à l'auto intoxication,
car Scott Alison trouva dans un cas d'hémiplégie les cartilages incrustés
d'urate de soude. On comprend facilement que dans ces cas la lésion ner-
veuse devienne cause prédisposante en mettant le territoire correspondant
en état d'infériorité nutritive ; le trouble nutritif aurait passé inaperçu
sans l'infection intercurrente, sans l'auto-intoxication latente. L'hémiplégie,
la névrite, la myélite sont capables de réveiller l'état diathésiqueà la ma-
nière d'un traumatisme. Il y a deux éléments à considérer, dit Scott Ali-
son, une diminution de vitalité des parties paralysées et la présence dans
le sang d'agents morbides. Ainsi les arthropathies en question sont essen-
tiellement des arthrites et si elles méritent de conserver le nom d'arthro-
pathies nerveuses c'est à cause de leur localisation exclusive dans le do-
maine de l'hémiplégie, de la paralysie ou de la névrite. Est-ce à dire que
le trouble trophique ne puisse jamais par lui-même créer l'arthropathie ?
Nullement. On peut très bien admettre que la lésion nerveuse périphéri-
que par exemple puisse créer un trouble trophique articulaire comme elle
crée des troubles trophiques cutanés. Alors les troubles trophiques ne
s'adressent pas à la totalité de la jointure dans la majorité des cas, étant
donnée la multiplicité habituelle des nerfs d'une jointure.
(1) Traité de médecine, CIIAIICOT, BOUCIIARD et Brissaud. T. VI. Art. Hémiplégie.
(2) Loc, cit.
308 PAUL LONDE
Il nous suffira d'avoir démontré, nous l'espérons du moins, que ces
troubles trophiques ne sont jamais comparables cliniquement à la grande
arthrophie nerveuse, celle du tabes et de la syringomyélie, qui est, qu'on
nous passe l'expression, une véritable folie de la jointure (1).
Corollaire. A la démonstration précédente il y aurait un corollaire,
mais nous ne le livrons que sous toute réserve à la méditation des neuro-
logistes. Si, comme nous le faisions pressentir dès le début par des consi-
dérations historiques,l'arthropathie nerveuse vraie ne ressemble ni aux
arthropathies névritiques, ni aux arthropathies spinales, ni aux arthropa-
thies cérébrales (corticales, ramollissement), il est rationnel d'en déduire
.qu'elle est due à une lésion ou un trouble fonctionnel permanent, siégeant
ailleurs que dans les nerfs, la moelle ou l'écorce : ce ne pourrait être que
dans le mésocéphale. Ce serait presque la confirmation des idées de
Buzzard qui localise le point de départ des arthropathies tabétiques dans
le bulbe, en se fondant sur la coïncidence fréquente des crises gastriques
el laryngées avec les lésions articulaires.
Cette hypothèse,toute incertaine qu'elle est,se trouve encore corroborée
par l'histoire de l'hémarthrose, mais semble infirmée par l'histoire du syn-
drome bulbo-protubérantiel (2) de la syringomyélie.
Si l'on rejette cette hypothèse on en revient fatalement à l'origine spi-
nale ; il faut admettre que la lésion nécessaire peut être produite par d'au-
tres affections que le tabes ou la syringomyélie (observation de Prautois
et Etienne). Quant à la théorie purement névritique elle semble bien
insuffisante, et la constatation des névrites par les auteurs les plus auto-
risés n'est peut-être pas la preuve qu'il n'y a pas autre chose à chercher(3).
(1) Il y a là quelque chose de comparable à l'explosion de certaines paralysies gé-
nérales, comme si, dans cette dernière affection, un centre trophique, également
inconnu, se trouvait rapidement détruit.
(2) RAYMOND, Voir Leçons cliniques, ire série. - BUZZARD, Clinical lectures on di-
seuses of the nervou.s system, p. 267 et 254.
(3) Nous avons laissé de côté à dessein la scoliose dont l'assimilation aux arthropa-
thies mériterait d'être discutée. Il n'est pas question ici avec intention de la naladie
de Brodie, où la contraction musculaire est le fait essentiel.
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE
HYPERTROPHIE CONGÉNITALE DES DOIGTS
MÉDIUS ET INDEX DE LA MAIN GAUCHE
PAR
R. CESTAN.
Interne de la Clinique des Maladies du Système Nerveux.
Le développement des extrémités peut dévier en deux sens opposés soit
par un arrêt d'évolution qui amènera l'ectrodactylie ou la hrachydactylie
ou la syndactylie, soit par un excès de développement qui créera la poly-
dactylie ou la macrodactylie. De ces différents vices de conformation, la
macrodactylie est celui qui étonne au plus haut point par cet aspect
étrange d'un doigt de géant à l'extrémité d'une main normale. Les cas
en sont d'ailleurs assez rares puisque, dans son savant article du Diction-
naire encyclopédique, M. Polaillon n'a réuni que 43 observations et les
auteurs ne s'entendent guère sur la participation du squelette à l'hypertro-
phie du doigt.
Mais les nouvelles méthodes photographiques vont permettre d'élucider
ce dernier point et c'est ainsi que la radiographie nous a permis d'étudier
l'anatomie pathologique d'un malade atteint de macrodactylie que notre
maître, M. le Professeur Raymond, a présenté dans une leçon du Mardi.
L... Octave est âgé de 24 ans. Son père serait mort « d'une maladie de
nerfs » dont il nous a été impossible de déterminer la nature et il aurait
une soeur très nerveuse. Le malade affirme que dans sa famille il n'a
jamais existé des malformations des extrémités. Il est né à terme par un
accouchement normal mais après une grossesse pénible. Il a joui d'une
santé excellente sauf dans sa huitième année pendant laquelle il a con-
tracté la rougeole. D'une intelligence très vive, il a toujours été jugé un
des meilleurs élèves de sa classe, mais impressionnable et emporté, il
400 R. CESTAN
a eu sans cesse une imagination très vive et c'est d'ailleurs pour ce der-
nier motif qu'il est venu à la Salpêtrière.
Examen physique. D'une taille moyenne, 1m. 58 et d'une bonne cons-
titution, le malade ne présente rien d'anormal du côté des pieds et du
côté de la main droite. Les dents sont bien implantées, la voûte palatine
n'est pas ogivale, les organes génitaux sont normaux ; on note qu'il existe
un noevus vasculaire sous le sein gauche, que les oreilles sont mal ourlées
à lobule adhérent et que le tourbillon des cheveux est un peu rejeté à
droite. Tout l'intérêt réside dans l'examen de la main gauche, car le bras
et l'avant-bras de ce membre ne sont pas hypertrophiés. L'excellente pho-
tographie due à M. A. Londe nous permettra d'écouter la description. L'hy-
pertrophie n'atteint que le médius et l'index, les trois autres doigts et le
métacarpe sont normaux (Pl. XLV).
Si l'aspect du médius est celui d'un doigt normal à peau blanche, sou-
ple, sans développement exagéré du système pileux, sans troubles tro-
phiques, sans réseau veineux apparent, ses dimensions au contraire fixent
aussitôt l'attention. Le médius mesure en effet 12 cent. 1/2 de longueur
et 8 centimètres de circonférence ; sur les 12 cent. 1/2, 4 cent. 1/2 appar-
tiennent à la phalange, 4 centimètres à la phalangine, et 4 centimètres
à la phalangette. Le médius droit que nous avons dit normal mesure
9 cent. 1/2 de longueur dont 4 centimètres pour la phalange, 3 centimè-
tres pour la phalangine et cent. 1/2 pour la phalangette. On voit par
suite que l'hypertrophie porte surtout sur la phalangette élargie en forme
de spatule et va augmentant de la racine du doigt à l'extrémité. L'ongle
ne présente pas de troubles trophiques, mais de grandes dimensions, me-
sure 2 centimètres de longueur sur autant de largeur.
L'axe du doigt est curviligne de telle sorte que son extrémité rejetée du
côté cubital, se trouve à 1 cent. 1/2 de l'axe rectiligne normal.A la palpa-
tion on trouve un tissu cellulaire abondant, mou, souple, sans éléphan-
tiasis ; on peut explorer facilement le squelette et vérifier que les os sont
hypertrophiés mais ne portent pas d'exostoses. La radiographie vient d'ail-
leurs confirmer ces données, en outre elle montre que le métacarpien est
normal (PI. XLIV).
La température, la mobilité et la sensibilité sous tous les différents mo-
des (tact, chaleur, douleur) sont normales.
L'index gauche est hypertrophié mais à un moindre degré. Il mesure
10 centimètres de largeur dont 3 cent. 1/2 pour la phalange et la pha-
langine et 3 centimètres pour la phalangette, alors que l'index droit normal
n'a que cent. 1/2 de longueur. Il présente d'ailleurs les mêmes caractè-
res que le médius et nous n'insistons pas davantage sur l'examen physique.
Etat psychique. L'intelligence est vive, la mémoire excellente, mais
HYPERTROPHIE CONGÉNITALE DES DOIGTS MÉDIUS ET INDEX
(Radiographie et photographie.)
HYPERTROPHIE CONGÉNITALE DES DOIGTS 401
le malade est d'un caractère emporté et d'une imagination extravagante.
Voit-il par exemple un bel équipage,immédiatement il se croit riche et vit
ainsi un instant dans ce rêve doré, oubliant complètement le monde exté-
rieur. Des phénomènes du même genre se produisent souvent, de là des
oublis et des erreurs dans sa conduite qui le font considérer par son en-
tourage comme ayant « la cervelle à l'envers ». Ajoutons que ces fugues
de l'imagination chez un homme instruit et intelligent avec retour immé-
diat dans une réalité bien différente (puisque notre malade est un garçon
marchand de vins), ne fait qu'augmenter un état neurasthénique auquel
le malade était héréditairement prédisposé.
Dans l'article du Dictionnaire encyclopédique, M. Polaillon a fait l'étude
complète de la macrodactylie, aussi ne ferons-nous que mettre en relief
combien notre malade présente le type parfait de l'hypertrophie congé-
nitale des doigts. '
Le sexe masculin du malade, l'absence d'hérédité, l'hypertrophie inté-
ressant surtout le médius et à un moindre degré l'index sont les caractères
les plus fréquents de cette anomalie. A l'inverse des autres malformations
des doigts, la macrodactylie est rarement héréditaire et M. Polaillon n'a
pu relever que le cas de Boéchat dans lequel l'hypertrophie portait sur
les deux annulaires et s'était transmise pendant plusieurs générations. Le
médius est le doigt le plus souvent
atteint, mais il est rare qu'un seul
doigt soit affecté ; ordinairement le
médius et l'index participent ensem-
ble à l'hypertrophie tandis que l'au-
riculaire est rarement pris et jamais
d'une manière isolée.D'ailleurs l'hy-
pertrophie peut dépasser la main,
atteindre le bras, parfois même une
moitié du corps, le cas rentrerait
alors dans l'hypertrophie unilatérale
décrite par Trélat et Monod dans
les Archives générales de médecine
en 1869. Cependant il semble bien
qu'il existe une série de cas de tran-
sition entre la macrodactylie isolée
et l'hypertrophie unilatérale ; il est
signalé en effet dans tous les cas des stigmates de dégénérescence mais
il est regrettable que les auteurs ne parlent pas de l'état psychique de
leurs malades.
Les doigts peuvent acquérir des dimensions considérables ; cependant
z x 28
Fig. 1.
Cas de Curling.
402 R. CES'lAN
une distinction doit être établie, car il existe deux sortes de doigt géant.
Les uns sont constitués par l'hypertrophie de toutes les parties constituan-
tes du doigt, squelette et parties molles, ainsi le malade de Curling dont
le médius mesurait 14 centimètres de longueur (Fig. 1) ; et le malade de
Grüberdont l'index était à la fois hypertrophié et dévié latéralement(Fig,2)
les autres présentent une sorte d'état éléphantiasique par l'hypertrophie
du tissu cellulaire ; tel est le cas de Wagner dont le médius et l'auricu-
laire étaient bosselés, boudinés, déformés par la présence d'excroissances
charnues.
Chez notre malade, la radiographie a bien montré l'hypertrophie con-
sidérable du tissu osseux qui va augmentant de la racine vers l'extrémité ;
si les autres parties du doigt sont hypertrophiées, du moins elles sont en
rapport avec la grosseur du squelette. Seul le tendon n'aurait pas grandi
assez vite, déterminant ainsi, au dire des auteurs, la courbure latérale du
doigt.
Mais l'utilité de la radiographie paraîtra plus évidente si l'on veut bien
rapprocher cette obser-
vation d'une malade ob-
servée à la même épo-
que. Une laveuse, âgée
de 55 ans, vient consul-
ter à la Salpêtrière au
mois de mai. Au mois
de mars dernier, elle a
vu son index et son mé-
dius du côté gauche
s'hypertrophier en mas-
se, devenir rouges et dou-
loureux ; ces troubles
n'ont jamais traversé une
période aiguë, mais ils
augmentent par la po-
sition déclive et par les
changements de tempé-
rature ; peu il peu, les
doigts se sont fléchis vers
la paume de la main. Au
mois de mai, nous trouvons les doigts gros, boudinés, rouges, fléchis, mais
non hypertrophiés en longueur; la palpation n'est pas douloureuse alors que
l'extension détermine une vive souffrance. Les troubles cutanés consistent
uniquement en troubles vaso-moteurs; la sensibilité est normale.Les autres
Fig. 2.
Cas de Grüber.
HYPERTHOPIIIE CONGÉNITALE DES DOIGTS 403
doigts ne présentent pas de modifications. Nous avouons qu'il nous a été
impossible à celle époque, avec ces seuls renseignements, de déterminer
la nature exacte de l'affection ; mais la radiograpliie nous a donné la clef
du problème en montrant l'existence d une aiguille dans l'éminence thé-
nar ; exposée à cet accident par son métier de laveuse, notre malade a'
donc fait une synovite des gaines de l'index et du médius ; la radiogra-
phie a éclairé la nature, et, point plus important encore, le pronostic et
le traitement de l'affection. La méthode Roengten nous a donc montré que
dans ce dernier cas l'hypertrophie avait pour substratum, non le sque-
lette, mais les parties molles, alors que chez notre premier malade, Octave
L..., la macrodactylie relevait du développement exagéré du tissu osseux.
Pour en revenir à la pathogénie de ce cas de macrodactylie, nous insis-
tons plus volontiers sur l'absence de troubles vasculaires, sensitifs et tro-
phiques ; à ce point de vue, les doigts de notre malade sont normaux et
ne présentent pas des excès de nutrition.
Certains auteurs ont en effet essayé d'appliquer il la macrodactylie iso-
lée la théorie par laquelle MM. Trélat et Monod expliquait l'hypertrophie
unilatérale du corps. « Pour ces auteurs l'hyperlrophie dépend avant tout
d'une paralysie vaso-motrice produisant une circulation stagnante, une
congestion et par suite une exagération de la nutrition dans l'organe at-
teint. » Cette paralysie se produirait pendant le cours de la vie intra-
utérine et l'hypertrophie s'exagérerait après la naissance. MM. Trélat et
Monod font reposer leur raisonnement d'une part sur l'existence chez
leurs malades de troubles vasculaires tels que mevi, varices', élévation de
la température locale, d'autre part sur les expériences de Claude-Bernard
et de Schiff qui par la section des nerfs vaso-moteurs ont amené une
congestion des tissus et une hypertrophie correspondant aux vaisseaux pa-
ralysés ; pour eux tout le désordre est confiné dans l'appareil de la circula-
tion sanguine, « tandis que dans les hypertrophies partielles de l'éléphan-
tiasis le derme et le tissu cellulaire sous-cutané semblent seuls en cause ».
Mais notre cas ne paraît pas rentrer dans ce groupe des hypertrophies
partielles éléphantiasiques ; d'un autre côté sa pathogénie ne nous paraît
pas éclairée par la Ihéorie delVIlI. Trélat et Monod. L'hypertrophie ne porte
pas en effet spécialement sur le tissu cellulaire mais sur toutes les parties
constitutives du doigt et on ne relève ni troubles vasculaires ni troubles
trophiques et sensitifs. Si l'on veut bien se rappeler au contraire que no-
tre malade est porteur de quelques stigmates de dégénérescence, qu'il des-
cend d'une famille de nerveux, qu'il a un état mental tout particulier, on
reconnaîtra que sa rnacrodact) lie est un vice congénital de développement
de même origine que toutes les malformations des dégénérés bien étudiées
par M. Féré, un des stigmates physiques qui caractérisent la famille né-
vropathique.
LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL
PAR
E. FEINDEL.
Parmi les tics, ces maladies d'habitude, il est une forme remarquable
par la constance de son aspect extérieur, qui fait que tous les sujets at-
teints de cette affection se ressemblent, et que le diagnostic peut être porté,
pour ainsi dire, à première vue et à distance. Nous voulons parler de la
névrose à laquelle M. Brissaud a donné le nom de Torticolis mental.
Le symptôme unique est le torticolis, un torticolis spasmodique sans
lésion organique quelconque. Le symptôme est unique, cela signifie qu'il
ne fait pas partie intégrante d'un syndrome (épileptique, hystérique ou
neurasthénique).
Ce n'est pas à dire que ce torticolis ne puisse survenir chez un sujet
hystérique, ou neurasthénique, ou nerveux. Au contraire, des causes de
dépression sont nécessaires pour que le tic « rotatoire » puisse s'établir,
mais les autres signes qui seraient capables de révéler l'état nerveux du
malade sont nuls ou très effacés. 1
La cause musculaire de l'attitude en torticolis est le spasme tonico-clo-
nique des muscles rotateurs de la tête. Secousses musculaires brusques et
contractions durables diversement entremêlées, produisent la déviation
de la tête.
Les muscles spasmodiques sont les rotateurs de la tête, c'est-à-dire qu'un
sterno-cleido-mastoïdien se contracte. Mais d'autres muscles sont égale-
ment spasmodiques, trapèze, pectoraux, muscles des bras, avec cette bizar-
rerie que ce ne sont pas toujours le sterno-mastoïdien et le trapèze par
exemple du même côté qui se contractent, mais que ce peuvent être le
le sterno-mastoïdien droit et le trapèze gauche. En somme le mouvement
de rotation de la tête (sterno-mastoïdien) peut s'accompagner, et de l'in-
clinaison de la tête du côté opposé (trapèze du même côté), ou du même
côté (trapèze du côté opposé), de la projection d'une épaule en avant,
d'un bras appliqué contre le corps, etc. Le tic, pour se produire, n'exige
LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 405
pas l'intervention d'un centre nerveux anatomique, mais d'un centre fonc-
tionnel dont l'action aboutit à la production d'un mouvement complexe
par la mise en jeu simultanée de muscles à innervations différentes d'ori-
gine.
Le spasme tonico-clonique produit une attitude, celle du torticolis.
Mais un tic n'est pas complètement indépendant de la volonté ; aussi les
malades peuvent-ils- pendant quelques instants tout au moins -, s'op-
poser à la rotation de leur tête, par la volonté seule.
De plus, et cela est caractéristique, ils peuvent par un artifice, s'op-
poser à la déviation, et, par le même artifice, ramener dans la rectitude
la tête déviée.
Le procédé est toujours le- même, ou à bien peu près, pour tous les
malades : la tête est poussée du côté opposé à la déviation à l'aide des
mains ; mais chaque malade a sa variante personnelle : l'un a besoin de
ses deux mains et visse pour ainsi dire sa tête en sens inverse de la rota-
tion spasmodique ; un autre se contente d'appuyer la paume sur sa tempe
ou sa mâchoire; un troisième opposera simplement sur sa joue un seul
doigt ou la pointe d'un crayon ; un malade de M. Grasset portait un bâton
entre les dents,et un doigt placé sur l'extrémité de ce bâton, faisait rester la
tête dans la rectitude.
En réalité, quelque force utile est-elle mise en jeu par l'emploi de ces
différentes manoeuvres ? Evidemment non.
L'effort voulu est trop insignifiant. Donc, quel que soit le procédé
qu'il a adopté, le malade n'emploie aucune force utile. Je dis utile, parce
qu'en réalité il applique une force; mais comme il résiste avec sa tête
d'une quantité égale et contraire, le déplacement de la tète ramenée dans
la rectitude est nul.
Cette force contraire appliquée par les muscles rotateurs dans le sens
de la déviation est bien facile à déceler dans les cas où le sujet cherche à
dissimuler le spasme, par une attitude où il ne semble pas lutter contre
une violente contraction par exemple en apposant comme cela est si fré-
quent, un doigt contre sa joue. Nous remplaçons son doigt par le nôtre,
par deux doigts, par toute la main, mais vainement. A mesure que nous
employons plus d'énergie la tête tourne plus fort, le spasme s'exaspère et
envahit un plus grand nombre de muscles; et, lorsque, lassés, nous aban-
donnons la partie, le malade remet son doigt sur sa joue, et la tête reprend
sa place.
De même que l'aspect extérieur est invariable, de même l'étiologie est
uniforme : un terrain préparé, une cause déprimante récente, un pré-
texte à contractions musculaires répétées. La tare héréditaire est quelque-
fois surchargée d'antécédents personnels (hystérie, migraine, alcoolisme
406 FEINDEL
ancien). La cause occasionnelle est des plus variable; on pourrait presque
dire quelconque.
Suivant quel mécanisme s'établit le tic rotatoire de la tête ?
Presque toujours, il suffit d'un léger traumatisme, d'une douleur qui
veut qu'on s'occupe d'elle, et qu'on cherche à oublier grâce à de certains
mouvements de défense. Ces mouvements sont exécutés vingt fois, cent
fois par heure; de conscients, ils deviennent inconscients; l'habitude
une fois prise finit par être tyrannique, et le malade ne croit pas devoir
lutter contre cette rotation de la tète De fait, il ne peut plus la vaincre
sinon quand il lui oppose un procédé de son choix, un obstacle matériel,
la paume de la main, un doigt, le bout d'un crayon, etc.
En résumé, spasme des muscles rotateurs du cou avec participation
d'autres muscles, déviation de la tête à laquelle le malade seul peut résis-
ter grâce à une manoeuvre par lui inventée, ce tic survenant, chez des
sujets prédisposés, à l'occasion d'une cause déprimante : telles sont les
caractéristiques du torticolis mental décrit par M. Brissaud (1).
(1) Le présent travail était déjà livré à l'impression lorsque parut dans cette revue
(juillet et août 1897, n° 4) une clinique du professeur Grasset sur un spasme poly-
gonal post-professionnel, méritant dans le cas particulier, le nom de tic du colpor-
teur. A propos du fait commenté dans sa leçon, M. Grasset remarque d'abord qu'il
présente tous les caractères que Brissaud décrit au torticolis mental, c'est-à-dire qu'il
a des caractères de « psychisme». « Notre homme,ajoute M.Grasset, a bien un tic que
Brissaud qualifierait de mental. Je préfère l'appeler polygonal. » Les motifs de cette
préférence sont exposés par M. Grasset dans une très intéressante analyse critique
de la thèse de M. Brissaud. « Le tic, avait dit M. Brissaud, est un acte automatique
coordonné et par conséquent d'origine corticale. » M. Grasset répond : « Tout acte
automatique coordonné n'est pas nécessairement d'origine corticale... Il y a incon-
testablement des actes bulbaires et même des actes spinaux qui sont coordonnés et
automatiques. » Nous n'avons pas à prendre parti dans ce débat ; qu'on nous per-
mette cependant d'observer qu'un acte automatique peut n'être pas de nature corti-
cale, mais qu'il est toujours ^'origine corticale. Il n'est pas d'acte automatique, qui,
avant de devenir automatique, n'ait été voulu et calculé. Il n'y a pas, en d'autres ter-
mes, d'actes automatiques d'emblée. Tous les actes dits automatiques et, par défi-
nition inconscients, ont été à un moment donné voulus, calculés, par conséquent
conscients et - que M. Grasset me pardonne - psychomatiques.
Les actes automatiques tels que la parole et l'écriture, qui, selon M. Grasset, ont
leurs centres non pas dans l'écorce mais dans le « polygone sous-cortical » ne sont
ni libres ni conscients... Conscients, assurément non, ils ne le sont plus, et encore !
Libres, c'est une autre affaire. Mais ils ont été conscients avant de devenir automati-
ques. -
Bref AI. Grasset conclut que le tic de son malade est sous-cortical et psychique,
mais non pas cortical et mental. Car « ce qui caractérise l'activité polygonale, c'est
d'être psychique c'est-à-dire compliquée, coordonnée, intelligente et de n'être pas libre
et consciente, de n'être pas mentale... psychisme n'est donc plus synonyme de men-
tal «.Ainsi voilà qui est décidé : '¥1JX'Í¡ et mens ne signifient plus la même chose, comme
aux temps anciens et presque jusqu'à ce jour. Tout en regrettant que ces deux mots
aient rompu une si vieille habitude,, nous consentirions, pour notre part à appeler
'LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 407
Nous ne croyons pas utile de nous appesantir sur des faits très secon-
daires, telles que des sensations anormales perçues au niveau des muscles
spasmodiques ; il n'y a rien d'étonnant à ce que soient douloureuses les
insertions de muscles qui tirent constamment sur leurs deux extrémités.
Nous avons dit qu'il n'y avait pas de lésion organique; mais on peut
très bien concevoir que quelque légère lésion des vertèbres puisse être
l'occasion, - au même titre qu'ailleurs une dent cariée, de la pro-
ductionde ce tic, alors, la lésion et le torticolis seronten telle disproportion,
qu'il ne pourra y avoir doute. En effet, partout le torticolis est semblable
à lui-même, partout il est complet. La tête n'est pas un peu déviée, elle
l'est à l'extrême ; les muscles spasmodiques donnent toute leur mesure et
ne sont pas réfrénés par des antagonistes. La seule différence entre les
cas divers est le nombre et le nom des muscles qui participent au tic.
Le pronostic du torticolis mental a été considéré comme assez sombre ;
et, en effet une maladie d'habitude n'a guère de tendance à rétrocéder.
Aussi les chirurgiens n'ont-ils pas hésité à faire subir aux malades des
opérations sanglantes ; mais la plaie opératoire guérie, le sujet doit faire
tous les jours, et plusieurs fois par jour, des exercices de correction et
d'assouplissement des muscles qui tendent à reprendre leurs contractions
spasmodiques. Encore, toutes les opérations ne donnent-elles pas des
succès. Aussi M. Brissaud a-t- il dès le début préconisé comme seul trai-
tement rationnel la gymnastique et la psychothérapie.
avec M. Grasset, torticolis psychique, ce que M. Brissaud appelle torticolis mental ; et
nous sommes à peu près sûr que M. Brissaud nous absoudrait. -
M. Grasset prévoyant une objection inévitable prend les devants et dit : « Ne voyez
pas dans cette distinction une simple querelle de mots. Il y a une idée derrière, idée
qui se rattache à une querelle plus générale et assez importante. C'est la question du
rôle de l'idée, du processus mental vrai dans la pathogénie des accidents névrosiques.
Je crois que ce rôle a été parfois exagéré... » Et cependant l'histoire même du malade
de M. Grasset ne rend-elle pas évident ce rôle pathogénique du processus mental ? Je
ne résiste pas à la satisfaction de reproduire intégralement l'esquisse à grands traits
qu'en a donnée M. Grasset lui-même : « Des causes de dépression du système nerveux
(alcoolisme, excès, préoccupations morales) entraînent un état névrotique. A ce mo-
ment le polygone du malade est tout imprégné du souvenir inconscient de sa vie de
colporteur qu'il a abandonnée à regret, à laquelle il pense inconsciemment. Cette idée
polygonale ( ? ) passe dans l'acte, il fait automatiquement le geste compliqué de soule-
ver son ballot sur l'épaule gauche. L'habitude pathologique se constitue. Il a un tic
polygonal : le tic du colportenr, »
Tout cela est la reproduction exacte de ce que nous ont appris les descriptions de
M. Brissaud avec la mention spéciale des conditions étiologiques déprimantes et l'ob-
session de l'acte complexe d'où procédera le tic. Le malade de M. Grasset avait donc
un torticolis psychique, « spasme polygonal ». M. Grasset ajoute : « Beaucoup de cas
étudiés par Brissaud sous le nom de torticolis mental me paraissent rentrer dans ce
dernier groupe de tics polygonaux. » Nous irons beaucoup plus loin que M. Grasset.
Nous avons vu de près les malades dont : II.Brissaud a rapporté les observations, et il
n'en est pas un seul qui ne doive être considéré comme atteint de « tic polygonal » .
408 FEINDEL
Depuis le commencement de cette année. M. Brissaud a bien voulu
nous confier quatre malades atteints de torticolis mental, et sur ses indi-
cations et sous sa direction, nous avons entrepris un traitement fait
d'exercices d'abord très simples, qui ne devinrent compliqués que gra-
duellement, à mesure que l'amélioration s'accentuait.
. La première malade est une femme de 38 ans dont M. Brissaud a rap-
porté l'histoire (PI. XLVI, 1).
' Elle était incapable de maintenir, sans le secours de ses'mains, sa tête
dans la rectitude. L'inclinaison s'exagérait encore lorsque les mains de-
vaient accomplir quelque travail, coudre, par exemple, ou soulever le
moindre objet. La malade*était décidée à nous aider de toute sa bonne
volonté.
- La première indication consistait à faire disparaître le complément du
tic, à montrer à la malade que sa main n'avait pas seule le pouvoir de
maintenir sa tête-dans la rectitude et que tel autre soutien pouvait parfai-
tement convenir ! Le campimètre fut l'instrument choisi. La malade, com-
modément assise, te menton appuyé sur le talon du campimètre était in-
vitée à regarder des petits papiers tenus immobiles ou promenés sur l'arc
gradué. A la première séance, malgré l'appui que prenait le menton, la
tête avait encore tendance à s'infléchir; l'appui de bois ne valaitpas, pour
la malade, la main qui avait si bien réussi, pendant quatre années, à rem-
plir l'office de fixateur. Cependant, en captivant le plus possible l'atten-
tention de. la malade,, en répétant à satiété : « Regardez bien le papier »,
en variant l'inclinaison de l'arc mobile, la rectitude de la tête fut obtenue
à plusieurs reprises durant quelques secondes. ,
Le lendemain on comptait par minutes, et dès la troisième séance la
malade pouvait rester indéfiniment la tête droite, le menton appuyé sur
le talon du campimètre, et, en gardant cette attitude, porter les yeux dans
différentes directions.. Les bras restaient ballants et les mains immobiles,
la malade sentait qu'elle n'avait plus besoin d'elles.
Ce très faible résultat obtenu, il fallait aller plus loin ; le talon du cam-
pi41.Úe est capable de maintenir la tête, la malade le sait. Mais la fixation
des petits papiers n'est pas inutile; la malade les regarde, aux séances sui-
vantes, étant seulement fortement adossée à sa chaise ; et elle peut en ce
faisant, garder l'immobilité, d'abord pendant quelques secondes,puis pen-
dant une demi-minute, enfin pendant une minute. On varie l'objet à fixer ;
les tableaux qui servent à apprécier l'acuité visuelle sont lus et relus. A
chaque fois on gagne quelques secondes avant que la fatigue se fasse sen-
tir, avant que le spasme devienne imminent.
TROIS CAS DE TORTICOLIS MENTAL
LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 409
Nous conseillons à la malade de faire l'après-midi chez elle, des exer-
cices de fixation analogues, de regarder, étant assise, l'aiguille qui tourne
sur le cadran de la pendule. Elle s'astreint l'après-midi, à deux séances
d'immobilité avec fixation, et à deux séances d'exercices d'assouplissement;
chaque séance est d'une durée de quelques minutes, et tous les jours les
séances ont lieu aux mêmes heures.
L'immobilité ou l'exercice sont interrompus dès qu'il y a fatigue, dès
le moindre avertissement de retour du spasme.
A nos séances du matin on fait fixer des objets, la malade étant debout.
Au bout de quinze jours de traitement le résultat est le suivant : étant'
assise, elle peut garder l'immobilité pendant très longtemps, presque in-
définiment ; étant debout, elle peut fixer un objet quelconque pendant près
de cinq minutes sans que le spasme ait tendance à se reproduire.
On abandonne alors le campimètre. Il s'agit maintenant d'arriver à des
exercices plus difficiles : fixation pendant la marche, pendant que les
mains feuillettent un livre d'images ; on continue en même temps à pro-
longer l'immobilité avec fixation du regard la malade étant debout.
Les progrès sont assez rapides quoique beaucoup plus lents que ceux
des premiers jours. Il y eut à ce moment quelques difficultés, d'abord
quelques mauvais jours pendant lesquels la malade était plus spasmodi-
que ; puis, on eut de la peine à obtenir l'immobilité sans fixation du re-
gard. Cependant les progrès, quoique peu nets d'un jour à l'autre, étaient
constants. La malade fut soumise à nos soins pendant six semaines en tout. '
Tous les jours, sans exception, nous lui imposions une séance de quelques
minutes de durée, de ces exercices simples. -
Il va sans dire que la merveilleuse ressource de l'électricité psycholhé-
rapeutique ne fut pas négligée. Dès le premier jour le chariot de Dubois-
Reymond fut employé. Le courant utilisé était un courant faible, à peine
senti, que l'on appliquait de chaque côté du cou, et censé apte d'une part
à réprimer les muscles trop actifs, de l'autre, à exalter les antagonistes
trop paresseux.
Bref, lorsque la malade nous quitta, après six semaines, de traitement
pour aller dans son pays rejoindre son mari et son enfant, elle était dans
l'état suivant : assise inoccupée, fixant un objet ou promenant son regard
autour de la chambre, elle garde sa tête dans la rectitude indéfiniment ;
debout, inoccupée toujours, elle ne craint le retour du spasme qu'au
bout d'un quart d'heure ; étant assise, occupée à de la couture, par exem-
ple. elle se fatigue bientôt, et sa tête se met à tourner au bout de peu de
temps ; dans la marche lente, le regard fixé sur un objet éloigné ou rap-
proché, il n'y a plus de spasme. Mais dans la marche rapide, une qua-
410 FEINDEL
rantaine de mètres sont à peine parcourus la tête étant droite, que le
spasme survient.
Il n'y a pas encore guérison complète, mais l'amélioration est si consi-
dérable, la malade a si bien compris en quoi consistait le traitement, que
lorsqu'elle veut nous quitter, nous n'insistons pas pour la retenir. Nous
nous bornons à lui faire de nombreuses recommandations : le matin elle
devra faire deux séances d'exercices d'un quart d'heure chacune, la pre-
mière suivie d'un peu d'électrisation avec un courant très faible; trois
autres séances l'après-midi. Elle connaît les exercices qu'elle doit faire et
sait en inventer de nouveaux.
De mois en mois, elle nous a tenu au courant de ses progrès. Elle a pu
d'abord manger à table, puis coudre pendant plusieurs heures consécu-
tives, puis faire des kilomètres en portant un fardeau, et cela sans que le
spasme se produise ; en juin la guérison était complète, nous ne lui avons
pas moins conseillé de poursuivre ses exercices encore pendant plusieurs
mois.
Le deuxième malade est un portugais, âgé de 28 ans, et qui n'a guère
quitté encore les jupons de sa mère. Il y a quelques mois, on le fiança,
événement considérable à l'occasion duquel il réalisa un beau spécimen de
torticolis mental (Pl. XLVI, 2).
Le torticolis ne datait que de quatre mois, mais il était d'une grande
intensité. Le malade était très indocile, toujours révolté ou indifférent, au
fond très déprimé, il ne comprenait pas le français, et l'on conçoit com-
bien nos séances furent laborieuses et peu utiles malgré leur longueur;
quant aux séances de l'après-midi, que le sujet accomplit seul, elles furent
régulièrement escamotées, ◀tantôt▶ par un mal de tête opportun, ◀tantôt▶ par
une visite à recevoir, etc. -
Néanmoins au bout de la semaine pendant laquelle ce jeune homme se
soumit au traitement par le campimètre et l'électricité, il y avait un peu
de mieux. La tête, non appuyée, pouvait rester quelques minutes dans la
rectitude. Puis, le malade nous quitta pour Lourdes, et nous ne savons
ce qu'il est devenu.
Un troisième malade adressé à M. Brissaud par M. Chauffard, était un
homme de 32 ans névropathe à antécédents héréditaires et personnels. Sa
grand'mère avait eu des attaques de nerfs. Sa mère et sa soeur sont très
nerveuses. Lui-même, à 18 ans, a eu du rhumatisme articulaire et depuis
quelques années fait des excès de boisson. Son père mourut du cancer des
fumeurs il y a 18 mois ; la succession entraîna des discussions et des chi-
LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 4H
canes de famille ; notre homme en fut très affecté... et il but davantage ;
sa santé s'altéra, il devient de plus en plus impressionnable, souffre de
tremblements, de vertiges, de palpitations. Enfin, dans les derniers jours
de février, il éprouve des sensations douloureuses derrière l'oreille gau-
che, la tête s'incline à gauche et tourne à droite, d'abord légèrement; au
bout de quelques jours, ce mouvement échappe de plus en plus à la vo-
lonté et s'exagère considérablement (Pl. XLVI, 3).
Lorsque, à la fin du mois d'avril, le malade vient consulter M. Bris-
saud, le menton est fortement tourné sur l'épaule droite, la tète est pen-
chée à gauche, et l'épaule gauche est élevée. En déployant la plus grande
force, on ne peut modifier cette attitude. Lui, se servant ◀tantôt▶ des deux
mains, ◀tantôt d'une seule, la rectifie aisément et complètement.
Il fut soumis au traitement pendant un mois environ, toujours avec les
mêmes exercices d'immobilité et de mouvements ; à la séance du matin,
nous faisons un peu d'électricité ; l'après-midi, le malade exécute seul ses
exercices.
Les progrès furent très rapides. Cela tint probablement au repos au
lit. Le malade était en effet entré à l'hôpital, et nous l'avions engagé
à rester couché la plus grande partie de la journée.
La seule difficulté du traitement fut que la rectitude de la tête et du
corps ne pouvaient être obtenues. Le malade nous disait que depuis long-
temps il se tenait mal, que son métier de typographe en était cause. Quoi
qu'il en soit, nous avons, dans nos prescriptions, plutôt insisté sur les
exercices de mouvements que sur les exercices d'immobilité.
Au bout du mois de traitement, les spasmes étaient devenus rares dans
toutes les attitudes et toutes les occupations, mais ils n'avaient pas tout à
fait disparu. La station debout n'était pas absolument correcte.
Malgré nos insistances, le malade voulut alors nous quitter pour re-
prendre dès le lendemain son métier. Il nous promit bien de faire ses six
séances d'exercices tous les jours. Toutefois, nous n'étions pas sans in-
quiétude à son sujet.
Et cependant, nous avons appris avec plaisir que, quoique le premier
jour de travail il y ait eu des spasmes assez violents, ces spasmes se sont
très atténués les jours suivants. Il a pu. continuer son métier sans in-
convénient, tandis que le reste de son état spasmodique va, quoique
lentement, en s'améliorant sans cesse.
Le quatrième et dernier malade est ce prêtre grec donc M. Brissaud a
donné le portrait dans ses leçons de la Salpêtrière. Il a perdu l'habitude
de ramener sa tête dans la rectitude à l'aide de la main. Il incline la tête
412 FEINDEL
à droite en même temps qu'il regarde à droite, donc état spasmodique
croisé, comme dit M. Grasset, du sterno-mastoïdien gauche et du trapèze
droit ; en même temps l'épaule droite est portée en avant et en haut.
M. Brissaud nous avait averti que les progrès seraient lents ou nuls, le
traitement difficile. En effet il s'agissait d'un vieillard, peu apte à modi-
fier ses habitudes, surtout celle d'un tic contracté depuis longtemps ; on
ne pouvait compter sur une grande docilité ; sa confiance était fortement
ébranlée par l'échec de traitements divers entrepris un peu partout.
Nous crûmes bien faire en ajoutant à nos séances journalières du matin
un peu de massage, car le malade se plaignait de douleurs assez intenses
au niveau des insertions de ses muscles spasmodiques. Les exercices du-
raient 20 minutes, l'électrisation 7, le massage 7; en tout 35 minutes.
C'était trop ; le tiers eut été suffisant. 1
Que ceci ait été une des causes de notre insuccès, nous en doutons
nous-même ; mais nous ne nous hasarderons plus jamais à entreprendre
d'aussi longues séances, surtout au début du traitement.
; Cependant au bout de 30 jours on constatait comme amélioration une
attitude un peu'moins figée, un peu moins pénible ; mais la déviation de
la tête était à bien peu de chose près aussi considérable.
En somme, nous avons eu deux succès chez deux malades dociles et at-
tentifs, et deux insuccès, l'un chez un malade indocile, l'autre chez un
vieillard difficile à discipliner et depuis longtemps déjà atteint d'une
complication malaisément curable : la raideur par raccourcissement ac-
quis des muscles (1).
(1) Depuis quelques jours, nous appliquons le traitement à un cinquième malade,,
entré le 30 octobre, dans le service de M. Brissaud. Dans ce cas, la tare dégénérative
est un tremblement essentiel (héréditaire) ; la cause occasionnelle, le froid ; un seul
muscle est spasmodique, le sterno-cléido-mastoidien droit. Lorsque le malade appo-
sait la pulpe de son index gauche sur son menton, le spasme ne se produisait pas.
Le torticolis était de date récente (trois semaines).
Le malade nous a de lui-même raconté, avant que nous ne l'ayions interrogé sur ce
point, que les premiers mouvements de rotation de la tète avaient été volontaires. A
la suite de « coups de froid » successifs il éprouva une certaine faiblesse de la nu-
que ; pour reposer sa tête », il tournait celle-ci à gauche. Ce mouvement, d'abord
volontaire, qu'il se souvient avoir répété maintes fois, finit par échapper de plus en
plus à sa volonté et par devenir spasmodique.
En quelques jours, le malade s'est considérablement amélioré. Nous espérons que
bientôt la guérison sera complète. Nous donnerons alors les détails de son histoire.
LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 413
CONCLUSIONS
Pour en revenir à la méthode dont le plan d'ensemble n'a pas encore
été donné, on peut dire qu'elle consiste uniquement en exercices très
simples : exercices d'immobilité, et exercices de mouvements.
I. Les exercices d'immobilité de la tète sont gradués de la façon sui-
vante :
Au début du traitement, le malade est assis, la tête maintenue par
l'appui du menlon sur un objet autre que la main ; plus tard le malade,
toujours assis, est seulement adossé, les bras ballants ; encore plus tard, il
est debout, puis il marche.
Dans ces diverses positions il s'évertue à maintenir sa tête dans la rec-
titude le plus longtemps possible. Toutefois au moindre signe de fati-
gue, il doit cesser l'effort de volonté, et se reposer.
Il est bon de fixer quelque objet au début du traitement. Nous avons dit
que la fixité du regard ne contribuait pas peu à maintenir droite la tète
du patient. A ce titre l'emploi du campimètre nous parait très utile.
II. Les exercices de mouvement seront eux aussi peu compliqués au
début :
On fera tourner la tête à droite, à gauche ; on la fera s'incliner sur
une épaule, sur l'autre, etc., et cela dans différentes attitudes du corps,
les épaules étant haussées, les bras étant levés, ou croisés.
On modifie sans cesse, on augmente surtout les difficultés à mesure
que l'amélioration devient plus marquée ; mais les mouvements simples
du début sont en partie répétés à chaque séance, et tout mouvement mal
fait est recommencé et travaillé à nouveau dans les séances suivantes
jusqu'à ce qu'il soit parfaitement exécuté.
Les mouvements doivent être faits lentement, doucement, sans secousse,
et, au moindre signe de fatigue, celle-ci survenant même au bout de
quelques secondes, le. repos sera prescrit pour quelques instants..
ni. - La durée des séances est variable. Au début, deux, quatre, six
minutes, suivant que le sujet se fatigue plus ou moins rapidement ; plus
lard, avec l'amélioration, on augmente, mais il ne convient pas de dé-
passer 10 minutes. Dans la même séance,, on entremêle les exercices de
mouvement, aux exercices d'immobilité.
Les séances seront au nombre de cinq ou six dans la journée ; elles
auront lieu tous les jours aux mêmes heures. L'une des séances journa-
414 FEINDEL
¡¡ères au moins sera dirigée par le médecin. Celui-ci doit modifier les
exercices, en imaginer de nouveaux, et surtout encourager le malade, lui
faire constater tout progrès, et enfin être attentif à ordonner le repos dès
que la fatigue s'annonce.
IV. Une séance de gymnastique pourra être suivie de 2 à 5 minutes
d'électrisation avec un courant très faible, ou d'autant de minutes d'un
massage léger. Si l'on juge à propos de faire l'un et l'autre, il nous semble
qu'il vaut mieux électriser un jour et masser le lendemain.
V. Le sujet ne pourra être abandonné à lui-même que lorsque l'a-
mélioration sera déjà très notable. Alors, il aura compris que ce traite-
ment qui l'avait surpris par sa simplicité enfantine est vraiment le bon et
le seul. Il est certainement resté quelque après-midi sans faire les séan-
ces prescrites ; le lendemain il s'en est un peu plus mal trouvé : et cette ex-
périence qu'il a faite à ses dépens l'empêche de retomber dans le péché
d'omission volontaire.
VI. Lorsqu'un certain degré d'amélioration est atteint, il n'y a pas
grand inconvénient à ce que le malade prolonge la durée des séances, en
fasse un peu plus qu'il ne lui est prescrit. D'ailleurs, les exercices l'in-
téressent, il a appris à les varier.
Alors, il est meilleur médecin de lui-même que son premier guide et il
est en mesure de parfaire tout seul sa guérison. Il ne reste plus désormais
qu'à lui recommander de faire encore des exercices plusieurs mois après
sa guérison apparente.
Lorsqu'il ne pensera plus du tout à exécuter ses exercices, c'est que
le tic lui-même sera oublié, et la guérison sera réelle et vraiment définitive.
Bibliographie.
E. Brissaud, Tics et Spasmes cloniques de la Face. Leçon faite le 8 décembre
1893 à la Salpêtrière. Journal de médecine et chirurgie pratiques, 25 janvier
1894.
E. Brissaud, Leçons sur les maladies nerveuses recueillies et publiées par
H. Meige (Salpêtrière, 1893-1894), p. SI4.
F. Bompaire, Du torticolis mental. Thèse de Paris, 1894.
E. BRISSAUD et H. MEME, Trois nouveaux cas de torticolis mental. Revue
neurologique, 1895, p. 697.
E. Bwssnun;Conlre le traitement chirurgical du torticolis mental. Revue neu-
rologique, 1897, p. 34.
Grasset, Tic du colporteur, spasme polygonal post-professionnel. Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière, 1897, p. 217.
« UN JOB MODERNE. »
ATROPHIE MUSCULAIRE DU TYPE ARAN-DUCHENNE
CHEZ UN CHEMINEAU.
PAR
J. TARGOWLA.
Le cas que nous allons relater ne présente pas un très grand intérêt
scientifique bien que l'atrophie musculaire spinale, type Aran-Duchenne,
soit devenue assez rare depuis que l'on a cessé de confondre avec elle les
diverses formes d'amyotrophies actuellement bien différenciées. Mais
au point de vue de son habitus extérieur et des moyens de défense qu'il in-
venta lui-même contre la maladie, notre malade mérite certainement l'at-
tention. Il présente en outre un curieux phénomène de notre ordre social.
L.... est âgé de 65 ans. Mère morte à 23 ans de cause inconnue. Il n'a
pas connu son père. Il est seul 'de sa famille, a été élevé par son grand-
père maternel qui est mort à 81 ans. Il a été bien portant jusqu'à 28 ans.
A cet âge il eut une fièvre typhoïde très grave et séjourna à l'hôpital de
.Vernon pendant 6 mois. A la sortie de l'hôpital il était affaibli mais put
reprendre néanmoins le métier pénible d'ouvrier agricole qu'il continua
Fig. 1.
Atrophie musculaire et déformation en griffe des mains (Type Aran-Duchenne).
416 J. TARGOWLA
avec des interruptions pendant ans. A 30 ans, par suite de faiblesse
croissante des bras et des jambes il fut obligé de cesser tout travail. De-
puis cette époque il vit de mendicité. Il est sobre, n'a jamais fait d'excès.
A 45 ans il eut des accès de fièvre intermittente qui durèrent 6 semaines
et cessèrent sans traitement. L'affection actuelle s'est développée insidieu-
sement, il n'a jamais perdu connaissance.
Nous l'avons examiné en juillet 1897, à l'occasion d'un certificat d'in-
firmité qu'il est venu nous demander. C'est un homme de forte taille,
1 m. 95. On remarque tout d'abord l'atrophie des petits muscles des deux
mains; les mains sont en griffe (Fig. 1). La grille s'est accusée dès le
début de l'affection, au dire du malade. L'avant-bras et le bras paraissent
diminués de volume. Un jeu très accusé de contractions fibrillaires des
muscles des avant-bras, des bras et des pectoraux. Il ne peut plus écrire
mais il enfile encore une aiguille.
Atrophie musculaire des jambes (PI.XLVIII). Les cuisses ont conservé
leurvolume normal qui contraste fortement avecla maigreur des jambes. La
faiblesse des membres inférieurs est survenue postérieurement à celle des
mains. Le pied est tombant ; la démarche est en stepper. Pour s'asseoir il se
laisse d'abord tomber sur les genoux, puis se renverse sur les ischions. Il ne
peut plus s'accroupir, il est obligé de s'appuyer sur les mains et sur les
genoux (à quatre pattes), pour déféquer. Il ne peut pas se tenir debout
lorsqu'il est nu et sans appui. Mais habillé et sanglé il se tient droit ap-
puyé sur deux cannes (Pl. LVII). Pour se relever lorsqu'il est assis,il doit
prendre un point d'appui avec les mains et les genoux et grimper le long
d'un objet stable. Diminution notable du réflexe patellaire. Pas de clonus
du pied.
Dans les conditions où nous nous trouvions nous n'avons pu faire d'exa-
men électrique des muscles. - .
Aucun trouble de la sensibilité. Les sphincters sont intacts. Pas de
constipation ni d'incontinence d'urine. Bon appétit. Aucun trouble de la
déglutition.
Il n'a jamais eu de vives douleurs. Depuis 4-5 ans il a des douleurs
lombaires, chaque fois qu'il se fatigue. Depuis quelque temps il s'essouffle
vite. Rien au coeur, ni dans les poumons. Quelques troubles trophiques
aux membres inférieurs : rougeur érythémateuse sur les jambes ; léger
oedème des pieds. Hernie inguinale droite.
Nous avons vu que le malade étant déshabillé ne peut se tenir debout L
'et qu'habillé il se tient bien droit et peut même marcher. Cela tient à un
système compliqué de courroies qu'il a inventé lui-même; les courroies
fixent ses genoux et lui donne un solide point d'appui sur la cuisse ;
UN JOB MODERNE
Atrophie musculaire chez un cI1Cl111n.ll1.
MASSON & C'c, Editeurs.
UN JOB MODERNE z17
celle-ci, nous l'avons vu, a conservé sa musculature intacte. Des genouillères
en cuir protègent ses genoux.
Le malade se déplace constamment et fait il 3 3 kilomètres par jour.
Il peut le faire grâce à des chaussures de son invention (Fig. 2) qu'une
âme compatissante fait fabriquer à son intention. Les chaussures sont
excessivement amples (35 cent. de longueur et 14 cent. de largeur). Il les
rembourre à l'intérieur afin de protéger ses orteils qui tendent à se mettre
en griffe. Sa toilette est du reste très longue et compliquée, mais il s'ha-
bille encore seul, sans aide.
Autant que l'on puisse rétablir l'histoire de ce malade, il s'agit bien
d'une atrophie musculaire type Aran-Duchenne. Nous voyons, en effet,
la maladie s'établir à 30 ans, insidieusement, sans douleur, et débuter
par les membres supérieurs. On constate encore actuellement la diminu-
tion des réflexes et des secousses fibrillaires accusées.
La marche de l'affection est très lente puisqu'elle dure déjà 35 ans et
que le malade est arrivé à un âge relativement avancé' sans être forcé de
s'arrêter. l' ..
Socialement c'est un homme dépourvu de toute espèce de propriété.
Il dit lui-même être le seul citoyen français qui ne paie pas d'impôt.
D'ailleurs il n'a pas de domicile, et comme Job il passe sa vie sur le fu-
mier. Etant d'un caractère doux et affable et non privé d'une certaine
éducation, il est toujours bien reçu par les populations des campagnes qui
lui offre volontiers l'hospitalité... de leurs étables. Il préfère cette vie va-
gabonde, mais libre, à une réclusion hospitalière, où, dit-il, il ne trouvera
pas toutes ses aises. Peut-être lui enlèverait-on à l'hôpital ses précieux
moyens de défense qui pourraient ne pas être réglementaires...
A rencontre du Job biblique, il professe une philosophie bonhomme et
« ne maudit pas le jour où il naquit ».
x 29
Fig. 2.
Chaussures portées par un chemineau atteint d'Atrophie musculaire progressive.
LA LÈPRE DANS L'ART
PAR .
HENRY MEIGE
... 1 . ,
La Lèpre est peut-être la maladie dont l'origine remonte aux âges
les plus lointains de l'humanité. Mais, après avoir désolé le monde
entier par ses ravages, pendant des siècles et des siècles, il semble
qu'elle ait épuisé aujourd'hui ses forces destructives,'car elle ne sévit
plus guère en Europe que dans quelques rares localités. Et l'on peut es-
pérer encore la voir bientôt disparaître, étouffée par les précautions hygié-
niques et de rigoureuses mesures de prophylaxie.
Ses méfaits d'antan ont été cependant innombrables et il importe de ne
pas les oublier, ne fut-ce que pour se mettre en garde contre un retour
offensif du fléau.
La Lèpre qui, dit-on, prit naissance emEgypte, envahit bientôt l'Asie,
la Syrie, la Perse, l'Inde, etc. Elle se répandit ensuite en Europe, et là
aucune province ne fut épargnée. Le nouveau monde, comme l'ancien,
en supporta aussi les cruelles atteintes.
i Dès la plus haute antiquité, des précautions extrêmement sévères ont
été prises pour réduire au minimum les dangers de la contagion. Mais, soit
application défectueuse des prescriptions hygiéniques, soit plus grande
virulence du bacille, la Lèpre a continué à sévir jusqu'au XV" siècle, dans
tous les pays du monde, avec une incroyable malignité.
Aux âges bibliques, Moïse, qui savait reconnaître les taches, les érup-
tions et les ulcères de la Lèpre, édicta plusieurs ordonnances concernant les
Lépreux. Les prêtres veillaient alors à l'exécution des mesures d'hygiène.
« Le malade déclaré impur devait sortir (pourchassé) du camp avec des
habits déchirés el souillés, tête nue, la bouche recouverte d'un voile, et
rester séquestré jusqu'à nouvel examen. S'il était déclaré guéri, on faisait t
sur lui l'offrande en sacrifices expiatoires ; dans le cas contraire, la séques-
tration était perpétuelle (1). » Les vêtements, les meubles, les maisons
des Lépreux devaient être soigneusement désinfectés, sinon détruits.
(1) BRAssAc, Art. Lèpre, in Dict. Encyc. des Sciences méd.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T. x PL. XLVIIIbls,
UN Saint faisant l'aumône A DES LÉPREUX
et
Peinture de l'Ecole Toscane du xive ou xv° siècle,
Musée des Offices, à Florence.
Masson et C ? Editeurs.
LA LÈPRE DANS L'ART 419
Chez les Grecs, dont le nom est resté intimement lié à celui de la ma-
ladie, encore appelée en effet Elephantiasis des Grecs, la Lèpre avait ses
sanctuaires, sortes de léproseries, placées sous la direction des prêtres-
médecins, où les malades venaient implorer le secours de la divinité par le
mystère des incubations.
Au premier siècle de notre ère, les Gaulois rendaient aussi un culte à
la Lèpre et lui élevèrent des temples, dont on a cru retrouver les traces
dans quelques localités (1).
Au Moyen Age, la Lèpre prit une extension plus considérable encore.
Vers le Xe siècle, toutes les villes, et même les villages de peu d'impor-
tance, devaient avoir un refuge pour les Lépreux.
Mathurin Paris évalue à 19.000 le nombre des léproseries de toute la
chrétienté, dont 2.000 environ pour la France.A la même époque, le pape'
Damase II fonda l'ordre des chevaliers deSt-Lazare, dont le grand maître
était choisi parmi les Lépreux, et qui se consacraient uniquement à soigner
ces malades. On sait que Saint Louis donna, en Palestine, l'exemple de la
charité et de l'abnégation en secourant lui-même des Lépreux.
Du Xe au XIVe siècle, le fléau causa dans l'Europe entière d'effroyables
ravages. Il commença à décroître vers le XVe siècle, et depuis lors le nom-
bre des Lépreux a rapidement diminué, jusqu'à disparaître presque com-
plètement dans nos latitudes.
Aussi, depuis longtemps déjà, la Lèpre est-elle souvent considérée comme
une maladie d'un autre âge dont les effets redoutables, perdus dans la nuit
des temps, semblent entachés de l'exagération des traditions mythiques.
Ne voyant»plus de Lépreux, ou de si rares exemples qu'on est tenté de
les méconnaître, on ne songe guère à retenir les caractères de cette affec-
tion surannée. N'ayant à lui reprocher que de lointains méfaits, on oublie-
rait volontiers de se garder d'un mal qui paraît aujourd'hui fatalement
condamné à s'éteindre de lui-même.
Un tel oubli n'est pas permis cependant. Car, si la Lèpre continue à se
montrer en voie de décroissance, il s'en faut de beaucoup qu'elle ait cessé
de vivre. Elle sévit encore, et cruellement, en plus d'un point du globe.
(1) Dès les premiers temps du christianisme, Saint Lazare devint le patron des
Lépreux, en souvenir de cette parabole de l'Évangile où Jésus parle d'un homme du
nom de Lazare qui venait à la porte du mauvais riche, implorer vainement la charité,
exhibant sur tout son corps des plaies hideuses que des chiens plus compatissants
léchaient pour le soulager.
Plus lard le patron des Lépreux prit le nom Saint Ladre. De Lazare est venu lazaret,
et de Ladre les mots ladrerie, maladrerie, qui servaient autrefois à désigner la Lèpre.
La maison actuelle de Saint-Lazare était au XIIe siècle un hôpital de Lépreux.
420 HENRY MEIGE
II
Un jour viendra peut-être - et il faut le souhaiter prochain - où la
Lèpre, traquée dans ses derniers refuges, disparaîtra tout à fait de la sur-
face de la terre (1). ,
De cette maladie éteinte, il semble qu'il ne restera guère que des des-
criptions plus ou moins précises et des récits d'épidémies terribles, dont
beaucoup paraîtront légendaires.
Mais d'autres documents contribueront à perpétuer le souvenir de la
Lèpre et serviront à contrôler l'exactitude des observations du passé.
Tels sont les documents figurés, car déjà l'Art a su, par plus d'un chef-
d'oeuvre, immortaliser les Lépreux.
Et ces monuments ne sont pas seulement symboliques; un grand nom-
bre d'entre eux reproduisent, avec un admirable souci de la réalité patho-
logique, des manifestations dont on peut encore aujourd'hui contrôler
l'exactitude sur les rares Lépreux qui sont nos contemporains.
Charcot et Paul Richer ont consacré quelques pages de critique savante
à plusieurs images de ce genre (2). Leur belle étude, parue en 1889, ne
porte guère que sur quatre ou cinq documents figurés, appartenant tous à
l'Ecole Allemande. Le nomhre en est plus grand encore qu'ils ne l'avaient
soupçonné, et l'importance pour le médecin de ces observations iconogra-
phiques se fait déjà sentir aujourd'hui où la rencontre d'un Lépreux est
devenue, dans nos pays, un rarissime événement. t.
Nous avons poursuivi ces recherches dans les principales galeries de
l'Europe, et nous connaissons aujourd'hui près d'une trentaine d'oeuvres
d'art où il est permis de reconnaître des figurations de Lépreux, dont
plusieurs sont absolument caractéristiques.
L'Ecole Italienne, jusqu'au XVIe siècle, n'est pas moins riche en docu-
(1) La récente Conférence internationaledeBerlinabien mis en lumière la nécessité de
surveiller encore et avec une sévère attention, les foyers d'épidémie qui constituent
toujours un danger permanent pour l'humanité. Ilansen, à qui revient l'honneur
d'avoir fait connaître, depuis près de 25 ans, le bacille pathogène de la lèpre, a nette-
ment formulé les mesures prophylactiques qui s'imposent. Elles ont été ratifiées par
la Conférence de Berlin, après quelques amendements indiqués par Besnier. Il n'est
pas inopportun de les rappeler en cette occasion :
1° Dans tous les pays où la lèpre forme des foyers ou prend une grande extension,
l'isolement est le meilleur moyen d'empêcher la propagation de la maladie ;
2° La déclaration obligatoire, la surveillance et l'isolement, tels qu'on les pratique en
Norvège, doivent être recommandés à toutes les nations dont les municipalités sont
autonomes et possèdent un nombre suffisant de médecins;
3- Il faut laisser aux autorités administratives le soin de fixer, sur l'avis des conseils
sanitaires, les mesures de détail en rapport avec les conditions sociales de chaque
pays.
(2) Charcot et PALI. Richer, Difformes et Malades dans l'Art, p. 57 et seq.
LA LÈPRE DANS L'ART 421
ments de ce genre que l'Ecole Allemande. Ils ne sont pas rares dans l'Art
Flamand. Mais ils semblent faire défaut dans l'Ecole Française.
La fréquence des figurations de Lépreux sur les oeuvres d'art n'a pas
lieu de nous surprendre. En effet, si, de nos jours et dans nos contrées,
un artiste aurait les plus grandes difficultés à trouver dans la nature un
modèle de Lépreux, il n'en fut pas de même aux temps passés, et les
peintres, depuis le XIVe jusqu'au XVIe siècle, eurent sous les yeux des
exemples vivants en nombre suffisant pour leur permettre d'observer à
loisir tous les caractères de la maladie.
On peut même dire qu'ils n'avaient que l'embarras du choix entre les
différentes formes symptomatiques affectées par la lèpre. Aussi, les monu-
ments figurés contiennent-ils presque toutes les variétés possibles de la
maladie, chaque artiste ayant cherché à reproduire les signes extérieurs
qui J'avaient le plus vivement impressionné.
Il ne faut pas oublier, en outre, que la Lèpre fut longtemps considérée
comme une maladie d'origine surnaturelle, incurable par les soins médi-
caux. Les malheureux qui en étaient frappés ne pouvaient espérer en
guérir que par miracle. Aussi les voyait-on se presser en foule dans les cen-
tres thaumaturgiques les plus réputés.
Il n'est donc pas étonnant qu'un artiste, désireux de symboliser une
guérison miraculeuse, ait placé des Lépreux sur le passage des Saints
dont ils voulaient glorifier les actes surnaturels. '
Et, d'autre part, la Lèpre étant regardée comme l'affection la plus re-
doutable pour l'homme, comme le mal devant qui les plus pitoyables hési-
taient à s'arrêter, ne fut-ce qu'un instant, il était indiqué de placer des
Lépreux à côté des personnages dont la charité ne reculait devant aucun
sacrifice. Secourir un Lépreux passait pour l'oeuvre la plus méritoire, et
partant la plus agréable à Dieu.
C'est ainsi que la tradition artistique a coutume de représenter un Lé-
preux à côté de Saint Martin. Pour mieux faire ressortir la charité et
l'abnégation du Saint, l'artiste nous le fait voir se dépouillant de son
manteau en faveur de l'être réputé le plus abject et le plus dangereux à
fréquenter,-le Lépreux. Pareillement, pour exalter le pouvoir thaumatur-
gique illimité de Saint Pierre et de Saint Jean, les peintres ont coutume de
placer sur leur passage, à la porte du Temple, la créature qui, frappée
d'un mal irrémédiable, n'attend plus de secours que de la divinité, - le
Lépreux. Pour de semblables raisons enfin, dans les peintures ayant pour
sujet les Sept OEuvres de la Miséricorde, les personnages charitables étaient
422 HENRY MEIGE
figurés secourant les plus répugnants malades, et parmi eux souvent-
figurent encore des Lépreux.
III
Avant d'entrer dans la description des documents figurés relatifs à la
Lèpre, il nous a paru nécessaire de résumer brièvement les principaux
caractères de la maladie. La comparaison de la description clinique au-
jourd'hui bien précisée avec les signes reproduits par les artistes anciens
en sera facilitée.
On a décrit de la Lèpre deux formes principales :
1° la Lèpre tuberculeuse ou phyrnatode, qui se manifeste sur les tégu-
ment cutanés et muqueux et qui correspond assez bien à la description
de Ji Éléphantiasis des Grecs.
2° la Lèpre nerveuse anesthésique ou trophoneurotique, dont les lésions
semblent porter surtout sur les nerfs, et qui s'accompagne de trouble; sen-
sitifs, moteurs et trophiques, suivis de déformations variées.
Ces deux sortes d'accidents coexistent fréquemment sur le même sujet,
constituant la forme mixte de la Lèpre, la plus commune.
L'Art a reproduit, avec une égale vérité des exemples de la Lèpre
tuberculeuse, de la Lèpre nerveuse, et de la forme mixte de cette ma-
ladie.
Nous ne nous attacherons qu'aux caractères objectifs de ces différents
modes de manifestation de la Lèpre, qui, seuls, peuvent être contrôlés
sur les oeuvres d'art. Il est superflu, en effet, de faire remarquer qu'en
pareille matière on ne peut parler des phénomènes subjectifs, sur lesquels
on ne saurait être renseigné. Il faut se résigner à laisser de côté cet impor-
tant élément de diagnostic. Cependant les seules données de l'inspection
sont souvent assez caractéristiques pour permettre de se prononcer for-
mellement après un examen minutieux.
La Lèpre débute ordinairement sur la peau par des plaques érythé-
mateuses, d'un rouge plus ou moins vif et de forme plus ou moins arron-
die, planes, ou peu saillantes.
Bientôt apparaissent les éléments caractéristiques de la lèpre dite tuber-
culeuse, les Lépromes, saillies papuleuses qui grossissent peu à peu, de façon
à former de petites tumeurs d'un rouge brunâtre, tirant sur le bistre, ou
parfois sur le violet. A leur niveau, les poils tombent ordinairement.
Le nombre et volume des lépromes sont très variables. Lorsqu'ils
sont très abondants, ils se rassemblent de façon à former une masse em-
pâtée et mamelonnée qui rend méconnaissables les régions atteintes.
Les extrémités du corps sont les sièges de prédilection de ces lépromes :
LA LÈPRE DANS L'ART 423-
les mains, les avant-bras, les pieds, les jambes, et face tout particulière-
ment.
Dès lors les malades ont un facies vraiment caractéristique :
« Le visage paraît bouffi, le front est épaissi, irrégulier, les paupières
sont à demi pendantes ; le nez est élargi, épaté comme chez le nègre, le
menton volumineux et élargi ; les joues sont épaisses et inégales ; les lè-
vres larges, lippues, sont proéminentes ; les poils de la face ont presque
entièrement disparu. Il en résulte un ensemble tel que, à quelques diffé-
rences près dans le degré, tous les Lépreux se ressemblent, quels que
soient leur âge, leur sexe et leur race : le diagnostic peut se faire, grâce à
cette uniformité d'aspect, à première vue et à distance » (1).
Parfois, les tumeurs lépreuses se résorbent ou subissent la transforma-
tion fibreuse. Mais, fort souvent, elles s'abcèdent, suppurent, et à leur place
on voit survenir des ulcérations plus ou moins profondes, aux bords rou-
ges et proliférants, au fond grisâtre et purulent. Ces ulcères, isolés ou con-
fluents, s'étendent en profondeur, mettant à nu les muscles, les os et les
articulations (Lèpre LrGNurirle).
Ils peuvent guérir, se recouvrant d'abord d'une croûte brunâtre ; puis,
à leur place, on voit des cicatrices blanches, irrégulières, qui sont de
nouvelles causes de difformité.
Lorsqu'ils siègent à la face, les ulcères lépreux défigurent complètement
les malades, rongeant les lèvres, les joues, le nez. Les yeux ne sont pas
épargnés ; les paupières disparaissent presque complètement et le globe
oculaire subit souvent une résorption complète. En tous cas, la vue est
presque toujours perdue à jamais. Les Lépreux ont alors un facies vrai-
ment horrible et presque pathognomonique.
Les modifications tégumentaires varient considérablement, d'où le nom
de Morphée, donné parfois à la maladie. Parfois, ce sont des plaques blan-
ches d'un contour brunâtre (Lèpre blanche, Lette d'IIippocrate). D'autres
fois, c'est la Lèpre noire ou mélanique. Dans ces cas « la peau plus blanche,
la plus caucasique, devient abyssinienne, et même d'un noir de Congo » (2).
Presque en même temps survient ordinairement une éruption bulleuse,
sorte de pemphigus avec phlyctènes remplies de liquide citrin qui se
rompent bientôt, deviennent croùteuses ou s'ulcèrent, puis se terminent
par une cicatrice blanchâtre. Cette éruption se localise de préférence sur le
dos des mains, sur les coudes et les genoux.
Dans la Lèpre nerveuse (Lèpre de Danielssen), à ces phénomènes tro-
(1) G. Thibierge, Art. Lèpre, in Traité de Médecine, p. 354.
(2) ZAIBACO. Les Lépreux ambulants de Coaslanlinople. Paris, Masson, 1897, p. 10.
424 HENRY MEIGE
phoneurotiques siégeant sur la peau, vient se joindre l'atrophie musculaire
avec l'impotence fonctionnelle el les déformations qui en sont la consé-
quence. Elle débute comme dans la maladie d'Aran-Duchenne par les
muscles des éminences thénar, hypothénar, et les interosseux, produisant
bientôt une déformation en griffe d'aspect saisissant. Les muscles de l'avant-
bras sont atteints à leur tour, plus rarement ceux du bras.
Aux membres inférieurs, une atrophie du même genre.frappe les muscles
du pied, les extenseurs en particulier, puis les muscles de la jambe, fléchis-
seurs du pied et péroniers, créant des pieds-bots de formes variées.
Les muscles de la cuisse, les fessiers, ceux de la ceinture scapulaire
peuvent être atteints, comme dans l'Atrophie Musculaire Progressive ou
dans la Syringomyélie, qui affectent avec la Lèpre de singulières ressem-
blances.
La face n'est pas épargnée : le frontal ne se contracte plus et de ce fait
le front reste lisse et sans rides; l'orbiculaire des paupières, s'il n'est
pas détruit par une ulcération, recouvre l'oeil en ptosis, ou se renverse
en ectropion; la lèvre inférieure pend inerte et la commissure est souvent
déviée.
Dans les cas particulièrement graves, d'autres accidents trophiques
viennent encore modifier les déformations.
La peau s'amincit, se dessèche, revêt un aspect parcheminé, et, comme
en général les muscles sont atrophiés à l'extrême, les membres en sont
réduits à leur squelette sur lequel semble moulée une peau de momie.
C'est la variété sclérodermique de la Lèpre.
Souvent alors, sur ces extrémités raccornies se forment des ulcérations
qui gagnent en profondeur, disloquent les jointures, nécrosent les parties
osseuses et amènent la chute d'une phalange, d'un doigt, d'une main ou
d'un pied tout entier. Puis, une cicatrice se forme et le membre tronqué
reste réduit à l'état de moignon. On a donné à cette forme redoutable le
nom significatif de Lèpre mutilante (1).
Et cependant, malgré tant de difformités etde délabrements, les Lépreux
peuvent traîner, pendant de longues années, leur misérable existence.
IV
Les signes extérieurs de la Lèpre sont, on le voit, suffisamment accen-
tués pour permettre d'en faire le diagnostic à la simple inspection d'un
sujet. Aussi peut-on souvent reconnaître un Lépreux sur une figuration
artistique.
(1) La Syringomyélie et la Maladie de Morvan où l'on observe des accidents analo-
gues, ne seraient pour Zambaco que des modalités de la Lèpre.
. 2
LA LÈPRE DANS L'ART 425
A ce point de vue cependant, il importe d'établir quelques différences
entre la valeur diagnostique des lésions représentées.
Les taches cutanées, papules ou macules, de couleur rosée, rouge ou
lie de vin, que les artistes ont souvent figurées sur leurs malades, ne
peuvent fournir que des renseignements très hypothétiques.
La couleur et la forme en sont parfois très vagues, soit que le peintre
n'ait pas su ou voulu les préciser, soit que le temps ait altéré le coloris
et les contours. En outre, ces accidents sont communs à un grand nom-
bre de dermatoses, et pour en affirmer l'origine lépreuse, l'examen sub-
jectif de la sensibilité fait ici défaut.
On peut, à leur égard, soutenir avec une égale vraisemblance le dia-
gnostic : d'érythème, de roséole, de purpura, etc., etc.
Néanmoins, lorsqu'il s'agit de macules pigmentées de couleur bistre ou
brunâtre, il faut songer à la Lèpre sépiée, ou mélanique, dont Zambaco a
reproduit de si remarquables exemples.
Les mêmes réserves s'imposent en présence de figurations d'ulcères qui
abondent dans les tableaux des peintres primitifs. Ces lésions, dont par-
fois le réalisme pathologique est frappant, sont rarement caractéristiques.
Un lupus, une syphilide, une plaie quelconque de mauvaise nature, peu-
vent produire les mêmes accidents, sans que la Lèpre soit en cause.
On peut en dire autant des cicatrices, celle's-ci pouvant être la consé-
quence de toute autre maladie, d'un traumatisme, d'une brûlure.
Les tubercules sont déjà plus significatifs, et leur rencontre sur la face
ou les membres d'un infirme figuré sur un tableau plaide en faveur de la
Lèpre. Lorsqu'on les voit confluer à l'extrémité des membres, des mem-
bres inférieurs surtout, lorsque ceux-ci prennent un aspect éléphautiasi-
que, il y a de grandes probabilités pour qu'il s'agisse d'une figuration de
Lépreux.
L'atrophie musculaire et les déformations qui l'accompagnent sont un
des principaux éléments du diagnostic de la Lèpre sur les images artisti-
ques. L'émaciation des muscles, les rétractions fibreuses, en produisant
les ankyloses vicieuses, les contractures et les griffes, créent des anomalies
corporelles aisément reconnaissables et qui n'ont pas manqué de frapper
vivement les artistes désireux de figurer des Lépreux. Nous en verrons de
nombreux exemples dont plusieurs déjà fort anciens pourraient rivaliser
en exactitude avec les photographies cliniques que l'on fait aujourd'hui.
On pourrait évidemment discuter à leur égard le diagnostic de la mala-
die d'Aran-Duchenne et de la Syringomyélie. Mais d'autres arguments
tirés de la tradition picturale viennent généralement confirmer l'hypothèse
que l'artiste a bien voulu représenter un Lépreux.
D'ailleurs, nous l'avons vu, les peintres anciens n'avaient pas à chercher
426 HENRY MEIGE
bien loin autour d'eux pour trouver des modèles, le nombre des Lépreux
étant considérable de leur temps.
Plus significatifs encore sont les documents figurés où la maladie revêt
la forme sclérodermique, réduisant les patients à l'état de squelettes ambu-
lants, recouverts d'une peau ratatinée, coriace et de couleur brun foncé.
Ceux-là ne peuvent guère se rapporter qu'à des Lépreux.
Enfin, toute une série d'estropiés, privés d'un ou plusieurs segments
de membres, doivent prendre place parmi les figurations de Lépreux. La
lèpre mutilante est capable de ces amputations dont on voit plus d'un
spécimen sur les oeuvres d'art. Un traumatisme peut, il est vrai, produire
les mêmes effets, et ce n'est qu'à bon escient qu'il convient d'accuser la
Lèpre. Mais, lorsque le même personnage porte en outre sur lui plusieurs
indices de lésions lépreuses, il y a tout lieu de penser que ses mutila-
tions relèvent de la même maladie.
Nous n'insisterons pas davantage sur ces notions générales de diagnostic
appliqué aux monuments figurés. Il sera plus intéressant et plus démons-
tratif de les mettre en pratique à l'occasion des différentes oeuvres d'art
que nous allons passer en revue. Mais, d'ores et déjà, on peut se convain-
cre, par ces premières remarques, qu'il est permis de faire le diagnostic
de la Lèpre d'après les monuments de l'Art, en se basant uniquement sur
les données de l'inspection clinique.
Certains signes ne constituent que des présomptions plus ou moins vala-
bles. D'autres font entrevoir des probabilités. D'autres, enfin, sont des
preuves catégoriques.
A fortiori, sera-t-on en droit d'affirmer un diagnostic lorsque, sur
la même image, se trouveront réunis plusieurs des stigmates pathologiques
que la Lèpre sait imprimer sur le corps humain.
V
Les figurations de Lépreux se rencontrent dans les peintures de toutes
les Ecoles. Elles sont particulièrement fréquentes dans celles de l'Ecole
Italienne et de l'Ecole Allemande, depuis le XIVe jusqu'au XV
c'est-à-dire à l'époque où la Lèpre sévissait le plus cruellement dans
toutes les provinces de l'Europe.
LA LÈPRE DANS L'ART 427
École Italienne
école DE GIOTTO
TADDEO GADDI, ANTONIO VENEZIANO, ANDREA DA FIRENZE,
Peintres florentins (lira moitié du XIVe siècle).
Le plus ancien Lépreux de l'Ecole Italienne nous semble avoir été figuré
sur une fresque remontant au milieu de XIVe siècle et qui se trouve à Flo-
rence dans la chapelle dite des Espagnols (1), annexée au cloître de
l'Eglise Santa Maria Novella.
Les murs et le plafond de cette chapelle sont ornés de scènes diverses
où figurent un nombre considérable de personnages parmi lesquels on- a
cru reconnaître des portraits de contemporains.
L'auteur de cette suite des fresques est encore inconnu. Elles ont été
successivement attribuées à TADDEO GADDI et à SmoNE DI Martini par Va-
sari, et à ANTONIO YENEZIANO ou ANDREA DA Firenze par Growe et Caval-
caselle. z
Charcot et Paul Richer ont fait une critique détaillée de cette remar-
quable peinture (2). « Quel qu'en soit l'auteur, disent-ils, celle oeuvre
appartient à l'école du grand réformateur de la peinture en Italie, Giotto,
qui sut le premier rompre avec la tradition byzantine, pour. intro-
duire dans ses compositions la clarté, l'émotion, en un mot, la vie réelle.
Malgré des incorrections de dessin et des fautes de perspective, nous
avons été frappés de nombreux détails absolument typiques et qui mon-
trent avec quel soin ces anciens maîtres cherchaient à imiter la nature.
Le. but de leur art était d'instruire, d'édifier, et surtout d'émouvoir.
Aussi leur oeuvre, dans la représentation des difformités physiques
s'offre-t-il à nous avec un accent de sincérité d'autant plus grand que
l'art ne s'était pas voué au culte exclusif de la beauté et n'était point
tourmenté par la recherche de l'idéal. »
La plupart des scènes figurées sur les fresques de la Cappella degli
Spagnoli sont destinées à glorifier l'oeuvre de Saint-Dominique.
Le fragment qui nous intéresse représente une cohorte d'infirmes et de
malades implorant un miracle pour obtenir la guérison de leurs maux.
On y voit un aveugle, - un infirme appuyé sur une béquille, la jambe
oedématiée, et enveloppée d'une bande, un enfant aux bras atrophiés
qu'un homme porte sur ses épaules : figuration probable d'un cas de para-
(t) Cosme ler avait épousé une Espagnole, Eléonore de Tolède. Les personnes de la
suite de la princesse avaient coutume de faire leurs dévotions dans la chapelle du
cloitre de Santa Maria Novella. De là est venu son nom : Cappella degli Spagizoli.
(2) CHARCOT et Paul RicuER, Les Difformes et Malades dans l'Art, p. 57 et seq.
428 HENRY MEIGE
lysie infantile, une jeune fille étendue à terre, sans connaissance, inerte,
les yeux convulsés : image de la léthargie hystérique, - un homme qui
lève en l'air son bras au bout duquel la main retombe inerte, -- probable-
ment un exemple de paralysie radiale (Charcot et Paul Richer).
Toutes ces difformités sont reproduites avec un souci de réalisme vrai-
ment surprenant. Il se pourrait que plusieurs ait été produites par la Lèpre.
Mais on ne peut ici que le conjecturer.
Un dernier infirme figure au premier plan, assis dans une large calebasse
et se traînant avec les mains appuyées sur de petits chevalets (Fig. 1).
Indubitablement, il s'agit t
d'un cul-de jatte, qu'une pa-
raplégie ou une amyotrophie
ont privé de l'usage de ses
membres inférieurs.
Mais ce cul-de-jatte est pro-
bablement aussi un Lépreux;
car sa face est envahie par un
large ulcère qui semble lui
avoir dévoré tout le nez, ainsi
qu'une partie de la lèvre su-
périeure. Un lupus, il est vrai,
pourrait causer les mêmes
dommages. Mais la Lèpre est,
au premier chef, un des agents
de ce genre de mutilation.
En outre, les pertes de subs-
tance ne sont pas limitées au
visage. Un des pieds de cet infirme, le droit, ne possède plus que trois
orteils, tandis que le pied gauche a conservé ses cinq doigts. Or les am-
putations lépreuses spontanées des extrémités des membres sont notoi-
res (1).
L'auteur de la peinture qui, par tant d'autres détails, a su prouver la
sincérité de son talent, n'a pu laisser échapper une faute aussi grossière
que celle d'oublier deux orteils sur un seul pied.
Cette singularité n'est pas une fantaisie, mais bien une preuve d'obser-
(1) On peut rapprocher de ce personnage le cul-de-jatte figuré par Fra ANGELICO sur
la fresque de la Chapelle Nicolas V au Vatican, représentant les Aumônes de S<-a« ? 'e<.
Mais ici, l'infirme est figuré de dos ; on ne voit ni son visage, ni les malformations
des membres inférieurs. Fra Angelico a peut-être employé cet artifice pour ne pas
avoir à figurer les horribles difformités d'un Lépreux qui devaient répugner à son pin-
ceau délicat.
Fig. 1.
Lépreux cul-de-jatte,^ sur une fresque de la
Chapelle des Espagnols, dans le cloître de
Santa Maria Novella, à Florence. (Ecole de
Giotto, 1re moitié du XIV siècle.)
LA LÈPRE DANS L'ART 429
vation faite sur la nature. Et, tout fruste qu'il est,le dessin n'en exprime
pas moins une réalité pathologique.
En définitive, la coexistence d'un ulcère rongeant de la face avec une
semblable mutilation des orteils vient confirmer notre idée que, par ce
cul de jatte, l'artiste a voulu représenter un Lépreux. A ces difformités de
la face et du pied s'ajoutait encore une impotence complète des membres
inférieurs que la Lèpre avait également pu provoquer (1).
Enfin, n'était-il pas tout indiqué de faire figurer dans ce troupeau d'in-
firmes et de malades, une des victimes d'un tléau redouté à l'égal de la
peste, un Lépreux, pauvre misérable, honni, redouté, méprisé, abandonné
de tous les hommes, et ne pouvant conserver d'espoir qu'en un miracle de
la divinité ?
ORCAGNA ou LORENZETTI
(XIVe siècle).
La fresque célèbre du Triomphe de la Mort, dans le Campo Santo de
Pise, est riche en détails naturalistes. Les horreurs de la maladie y sont
figurées avec une franchise cruelle, mais dont les détails impressionnants
restent presque toujours conformes à la réalité. Que cette peinture soit l'aeu-
vre des frères ORCAGN1 ou des Siennois LORENZETTI (4re moitié du XIVe siè-
cle), elle témoigne en plusieurs places, d'une bonne observation de la na-
ture, et à ce titre elle est fertile en documents pour le médecin.
Charcot et Paul Richer ont eu l'occasion d'en parler à diverses repri-
ses (2), sans toutefois faire observer que les Infirmes qui y sont figurés
sont des portraits frappants de Lépreux.
Ceux-ci forment un groupe important, presque au milieu de la compo-
sition, adressant à la Mort des supplications désespérées pour obtenir
d'elle le terme de leurs souffrances. On en compte huit, tous cruellement
frappés par les infirmités de la Lèpre (Fig. 2).
Au premier plan, l'un se traîne à genoux s'appuyant de la main sur
un petit chevalet de bois.
Un autre, derrière lui, est assis par terre, tenant une béquille. Charcot
et Paul Richer ont bien fait ressortir le réalisme de la déformation des
mains de cet infirme. Il est atteint de contractures dans le sens de la flexion
et les doigts sont recourbés en formes de griffe.
(1) Il n'est pas sans intérêt de remarquer que Zambaco a rencontré des Lépreux
que les progrès de la maladie avaient rendus culs de jatte.
(2) Loc. cit., p. 57 et 147.
430 ' HENRY MEME - -
Nous savons que de semblables déformations sont fréquentes chez les
Lépreux et plus d'une raison milite ici en faveur de ce diagnostic.
En effet parmi les autres infirmes de la fresque de Pise, il en est encore
deux, au second plan, qui nous semblent représenter, avec une vérité non
douteuse, des Lépreux.
Celui qu'on voit, debout, s'appuyant de la main gauche sur un bâton
la main droite amputée, le moignon entouré d'un linge, un bandeau sur
les yeux, sans doute pour cacher l'horreur de ses orbites béantes : c'est un
Lépreux.
Le second, dont le nez, les yeux, les lèvres ont presque disparu, dé-
vorés par le mal rongeur, et qui tend en avant les moignons nus de ses
deux avant-bras : plus sûrement encore celui-ci est un Lépreux.
L'un et l'autre sont victimes des ulcérations et des mutilations de la
Lèpre, le premier, plus récemment atteint, est encore obligé de recouvrir
ses chairs sanguinolentes par de grossiers pansements ; chez le second, le
mal est de date plus ancienne et des cicatrices bien closes sont venues mettre
un terme à la suppuration.
J'ai gardé très précis le souvenir d'une visite faite en 1895 à la lépro-
serie de Lisbonne et la vision de ces malheureux, affreusement défigurés,
dont l'un était sans yeux, l'autre sans nez, un troisième tout en bouche,
d'aucuns n'ayant pour visage que quatre trous rouges et béants, pauvres
Fig. 2.
Groupe de Lépreux dans la fresque du Triomphe de la Mort au Campo Santo de Pise
(XIVe siècle). Dessin de Paul Richer.
LA LÈPRE DANS L'ART 431
décharnés qui, dans leur prison, agitaient pitoyablement leurs membres
tronqués, perdant aujourd'hui une phalange, demain un doigt, quelques
mois plus tard la main tout entière, et qui, par les progrès d'un mal en-
core incurable, savaient leur corps fatalement voué à l'anéantissement,
lambeau par lambeau.
Ce spectacle macabre, je l'ai revu sur la fresque du Campo Santo de
Pise, retracé avec une telle franchise d'expression, une si nette précision
dans les moindres détails, qu'il eût été impossible de n'en pas être frappé.
Ce sont bien des Lépreux qui figurent dans ce cortège d'estropiés et
d'infirmes implorant en vain la délivrance de leur misérable reste de vie.
L'artiste a voulu symboliser les mystérieuses fantaisies de la Mort,
fauchant sans pitié le jeune, le beau, le riche, feignant par contre d'ou-
blier les décrépits, les contrefaits, les miséreux.
Dans cette allégorie funèbre une place devait être réservée aux Lépreux.
Ne sont-ils pas sur terre les images réelles, demi-mortes et demi-vi-
vantes, des corps humains dont la Mort parcimonieuse semble prendre
plaisir à jeter, un à un, les morceaux dans la tombe ?
N'est-ce pas aux Lépreux que les prêtres du Moyen Age adressaient ces
paroles troublantes : Sis 1nOl'tuus 1nundo, vivus iterum Deo...
École Toscane DU XIV° ou XV) siècle.
Il existe, dans la Galerie des Offices (1), une peinture d'un maître in-
connu du XIVe ou XV. siècle de l'Ecole Toscane, représentant un Saint
qui fait l'aumône à des estropiés. Cette oeuvre est plus curieuse que belle;
mais les estropiés qui y sont figurés témoignent d'une louable recherche
du réalisme pathologique (PI. XLVIII bis).
Ils sont au nombre de six :
L'un d'eux porte sur une jambe un bandage soigneusement fait dont
les « renversés » n'eussent pas été reniésautrefois par le chirurgien le plus
expert. En outre, ce malade présente une main contracturée dont les
doigts forment une griffe conforme il la réalité clinique de la Lèpre.
Derrière lui, un second malade, le front ceint d'une bande, s'appuie
de la main droite sur un bâton, tandis que le bras gauche pend, inerte,
sans main, terminé par un moignon : Lèpre nerveuse et mutilante.
A gauche, un autre s'avance, montrant son bras droit très atrophié,
avec une main dont les doigts sont fortement repliés en dedans, ou peut-
être mutilés.
. A droite, c'est bien encore un Lépreux qui s'appuie sur un bâton, un
pilon à la jambe gauche, le pied droit informe dans une chaussure trouée,
(1) Premier corridor. N° 33.
432 HENRY MEIGE
"la face hideuse, la lèvre inférieure, rouge, tuméfiée, pendante.' Sa main
droite est également contracturée.
Sans parler des autres infirmes qui sont moins caractéristiques, je ne
crois pas avoir rencontré de Lépreux plus réalistes que ce quatuor de
Lépreux. L'insistance du peintre à figurer les atrophies des extrémités et
les déformations en griffe qui en résultent est un fait dont on ne peut
s'empêcher d'être frappé.
Les artistes ont généralement choisi ce genre d'anomalies pour carac-
tériser la Lèpre, comme étant moins répugnant à voir que les ulcérations
sanglantes et purulentes. Ici, cependant, la déformation du visage du
dernier malade a dû être été également inspirée par la vue d'un Lépreux.
MASACCIO
Peintre Florentin (1401-1429).
Dans l'église Santa Maria del Carmine, à Florence, les murs de la Cha-
pelle Brancacci sont ornés de fresques du plus haut intérêt pour l'étude
des débuts de la Renaissance Florentine. Commencées en 1422 par Masoliko
DA PANICULE, elles furent continuées par son élève Masaccio, et achevées
vers la fin du 1V siècle par FILIPPiNo Lippi.
Les fresques de la Chapelle Brancacci « montrent une plénitude de
liberté, une élégance de caractère que l'art ne soupçonnait pas jusqu'alors ;
elles se caractérisent par une exécution robuste, un coloris qui, dans sa
gamme un peu brunie, est plein d'une vigueur sévère ; une ardente re-
cherche de la vérité y est partout visible, dans l'attitude des personnages,
dans l'expression qui est toujours juste, aussi bien que dans les détails du
paysage » (1). ,
Sur l'une de ces fresques nous croyons avoir reconnu un Lépreux (2).
Elle est de Masaccio et représente -Saint Pierre et Saint Jean guérissant
les malades avec leur ombre.
Dans une ruelle pauvre et encaissée, les deux Apôtres s'avancent, Saint
Pierre au premier plan, suivi de Saint Jean et d'un troisième personnage.
A gauche, quatre malades implorent leur guérison.
(1) G. Lafenêtre et Riciitenrerger, La Peinture en Europe, Florence, p. 254.
(2) Une seconde fresque de D1ASACCIO, dans la Chapelle Brancacci, représente S. Pierre
et S.Jean faisant des aumônes aux pauvres. Aux pieds des Apôtres est couché un
' homme qui semble inanimé ; derrière, au 2e plan, un vieillard chauve se soutient sur
des béquilles.
Une autre fresque de la Chapelle Brancacci, par Masolino DA PASCALE, représente
S. Pierre et S. Jena ressuscitant Tabile et guérissant un malade. Ce dernier, assis par
terre, de dos, lève son bras droit vers les Apôtres ; il a le front entouré d'un linge. Sa
jambe droite, nue et à demi allongée semble déformée par un oedème considérable,
envahissant aussi le pied. Il est malaisé de reconnaître la maladie que le peintre a
voulu représenter; peut-être la Lèpre... ? 2
LA LÈPRE DANS L ART 433
'Deux sont debout, au second plan : l'un, barbu, les mains jointes, les
jambes nues,- une bande enroulée au-dessus du pied gauche ; l'autre,pres-
que caché, s'appuyant sur un bâton.
Au premier plan, un homme en
vêtement bleu est à demi étendu par
terre, les jambes nues et ramassées sous
le corps, s'appuyant sur une sorte de
chevalet. Sa tête est entourée d'un
linge, son nez et ses lèvres semblent à
demi rongés par un mal qui nous paraît
bien être la Lèpre. L'oeil lui-même est
peut-être perdu. En tout cas, l'orbite
est d'une profondeur inusitée et le globe
oculaire notablement réduit. La main
droite déformée, atrophiée, est déjetée
en dehors, comme en contracture; les
doigts se recroquevillent en griffe, tan-
dis que l'avant-bras semble immobilisé
dans la demi-flexion (Fig. 3).
Des jambes il est assez difficile de
saisir les contours, la peinture étant
détériorée à cette place et fort mal
éclairée. On devine cependant à leur
position qu'elles sont inertes. Mais l'on distingue nettement l'atrophie
musculaire qui réduit l'une d'elles à l'état de squelette revêtu par une
peau d'un brun très foncé. Un pied raccorni paraît terminer ces membres
ratatinés. a
Un tel ensemble de difformités est bien souvent le fait de la Lèpre. Il con-
corde d'ailleurs avec l'aspect des figurations authentiques de Lépreux. Les
pertes de substance de la face, l'atrophie et la contracture des membres
supérieur et inférieur, la coloration foncée de ces derniers, la déformation
en griffe de la main constituent un syndrome morphologique que la Lèpre
seule peut réaliser aussi complètement.
Derrière ce misérable malade, on en voit un second, assis ou plutôt à
genoux, le haut du corps presque nu, les bras croisés sur la poitrine,
imberbe et complètement chauve, ou peu s'en faut. En dehors de sa cal-
vitie, il n'a rien de bien caractéristique. Tout au plus peut-on se demander
si sa bouche et ses yeux ne sont pas anormaux. Mais on ne saurait rien
en conclure.
Il n'en est pas de même du précédent. Pour' représenter cet infirme,
il ne, nous parait pas douteux que Masaccio se soit inspiré d'un Lé-
x 30
Fig. 3.
Lépreux sur une fresque de Masaccio
(XVO siècle), représentant Saint
Pierre et Saint Jean guérissant les
malades avec leur ombre. Chapelle
Brancacci, Eglise Santa Maria del
Carmine, à Florence.
434 HENRY MEIGE
preux. N'oublions pas d'ailleurs que sur un assez grand nombre du-
vres d'Art, les Apôtres Saint Pierre et Saint Paul sont figurés guérissant
des Lépreux xi).
PIETRO DEL DONZELLO OU PIERO DONZELLl
Florentin, longtemps à Naples (XVQ siècle).
Les deux frères Pietro et POLITO DoNZEL.I, nés à Florence, au commence-
ment du XV° siècle, passèrent la plus grande partie de leur vie à Naples
où ils ont laissé plusieurs oeuvres importantes.
On attribue à Piero un tableau conservé au musée de Naples, et repré-
sentant la Charité de Saint Martin. Suivant la tradition, le Saint est repré-
senté à cheval, partageant son manteau avec un mendiant, et ce dernier,
dit-on, ne serait autre que le diable. IIommè ou démon, le personnage en
question doit prendre place parmi les plus typiques figurations de Lépreux
que nous ayons eu l'occasion de contempler au cours de nos recherches
dans les musées d'Italie (Fig. 4).
Le torse, les bras et les jambes nus, un linge autour de la ceinture, il
présente il la main droite un bel exemple de griffe lépreuse avec mutila-
tion des doigts : Trois de ces doigts sont seuls visibles : l'auriculaire et
l'annulaire sont nettement recourbés en crochets, la première phalange en
extension, les deux dernières en flexion forcée. Le médius est amputé au
niveau de la 2e phalange. On ne voit ni l'index ni le pouce, soit qu'ils
aient subi la même mutilation, soit qu'ils aient été dissimulés par la posi-
tion du membre (2).
Dans tous les cas, la griffe est manifeste, et bien que l'avant-bras et le
poignet soient entourés de quelques tours débande, l'atrophie musculaire
est clairement indiquée, à l'extrémité du membre. Ici, la vérité patholo-
gique de la malformation n'est nullement ambiguë, et il n'est pas besoin
(1) G. Lafenêtre et Richtenberger décrivent cette peinture de Masaccio de la façon
suivante (La peinture en Europe, Florence, page 257).
« Les deux apôtres s'avancent dans une rue étroite ; devant eux, un enfant, en vê-
tement bleu, est couché à terre, et un jeune homme, à demi nu, est assis sur un
banc ; contre une muraille se tiennent deux fidèles, l'un en tunique bleue, nu-tête,
l'autre en tunique noire et chaperon rouge. »
Nous croyons, pour avoir longuement examiné la fresque l'an dernier, qu'il y a
lieu de modifier cette description : car l'enfant en vêlement bleu est un malade
adulte, atteint d'ulcérations, d'atrophies, de paralysies et de contractures vraisembla-
blement d'origine lépreuse. Le jeune homme à demi-nu semble plutôt un vieillard, ou
tout au moins un homme d'âge mûr, chauve prématurément. Les deux fidèles du second
plan sont évidemment eux aussi des malades, l'un atteint d'un ulcère, ou d'une plaie
de la jambe, l'autre de quelque infirmité l'obligeant à s'appuyer sur un bâton.
(2) On trouvera dans le bel ouvrage de Zambaco des planches où ces déformations
ont été reproduites avec soin d'après nature. La similitude n'est pas douteuse.
LA LÈPRE DANS L'ART
435
de pousser l'examen plus avant pour affirmer que Pietro del Donzello a
voulu figurer un Lépreux et qu'il s'est montré anssi bon observateur que
fidèle copiste de la nature.
Satan, s'il faut en croire la légende, Satan, qui se complaît à tous les
travestissements pour induire en erreur les âmes fragiles, s'est introduit
ici dans le corps d'un Lépreux, et n'a pas répugné à se parer des
stigmates authentiques de la Lèpre. Il comptait probablement inspirer à
Saint Martin tant de répulsion que celui-ci n'eût pas osé lui offrir son
aumône. Mais la charité de Siiiiiil;iitiii était iiiiiiiie.11 ne devait éprouver
que de la pitié en présence d'un malheureux, celui-ci fùt-il le plus hor-
rible des Lépreux.
Fig. 4.
Lépreux, avec déformation en griffe et mutilations de la main, sur un tableau
représentant la Charité de Saint Martin, par Pietro del Donzello (XV. siècle). "¡u-
sée de Naples. ,If'
436 HENRY MEIGE
COSIMO ROSSELLI.
Peintre Florentin (1438-150T)
Dans la pléiade des peintres justement réputés à qui le pape Sixte IV
confia la décoration des murs de la chapelle Sixtine, à côté de Botticelli.
Ghirlandajo, Signorelli, Perugino, figure Cosimo RossELLI, le gagnant du
prix promis par le souverain pontife à l'oeuvre dont il se déclarerait le
plus satisfait. Le jugement du pape Sixte IV n'a pas été confirmé par la
postérité et Cosimo Rosselli ne jouit pas aujourd'hui de la réputation de
ses rivaux. Cependant les quatre fresques qu'il exécuta en cette occasion
comptent au nombre de ses meilleures productions.
L'une d'elles représente le Sermon de Jésus-Christ sur la montagne.
Sans entrer dans la description de cette vaste composition, nous retien-
drons seulement le groupe de droite où Jésus, entouré d'une foule de
personnages, s'adresse à un malheureux, presque nu, à genoux devant
lui (Pl. LI, A).
« Le corps de ce pauvre diable est ponctué de larges taches rouges, circu-
laires, plus foncées au centre qu'à la périphérie. Il est permis de croire
que l'artiste a voulu représenter un Lépreux couvert des macules ou des
tubercules caractéristiques. Ici, pas d'atrophie musculaire, pas dégriffés,
pas de mutilations ; la maladie se traduit seulement, par ses manifestations
cutanées du début. Les lésions sont éparses sur le dos, les bras et les jam-
bes, trop régulièrement peut-être et trop semblables les unes aux autres.
Elles sont un peu schématisées.
Mais c'est bien probablement d'un Lépreux qu'il s'agit, car les Evan-
giles témoignent que Jésus a secouru des Lépreux, et même que sa seule
présence a guéri plus d'une fois ces malheureux incurables.
Dans les peintures de l'Ecole Italienne, nous avons encore relevé quel-
ques figurations qui peuvent avoir été inspirées par la vue de Lépreux.
Elles sont moins caractéristiques que les précédentes et ne méritent qu'une
simple mention.
Telle est la fresque d'ANDl1EA DEL SARTO représentant Saint Philippe
l3eniWi secourant un Lépreux, dans le cloître de l'Annunciata, et Flo-
rence (1).
Tel aussi un dessin à la plume rehaussé de lavis, par GmoLAMo
Muziano (Ire moitié du XVIe siècle), au musée des Offices. Il représente
Jésus et les Apôtres, à la porte du temple, guérissant les Infirmes. Un de
(t) Un dessin à la sanguine représentant le Lépreux nu se trouve au musée des
Offices (n°52).
LA LÈPRE DANS L'ART 437
ces derniers présente une déformation des mains en forme de griffe qui
n'est pas sans analogie avec celles que produit la Lèpre.
Une peinture de l'Ecole Ferraraise (2e moitié du 1VI° siècle), à l'Acadé-
mie des Beaux-Arts, de Vienne (N° 302) représente la Piscine de Bethesda.
On y voit une foule de malades et d'infirmes dont plusieurs présentent
des membres atrophiés et contracturés, les mains affectant la déformation
en griffe.
Peut-être s'agit-il encore de Lépreux dans les figurations d'estropiés
privés de pieds ou de jambes, dont les moignons sont entourés de linges et
qui se traînent péniblement à l'aide de béquilles,ou sur leur siège,comme
des culs-de-jatte. Les images de ce genre sont fort nombreuses dans les
peintures représentant les Bonnes OEuvres des Saints, ou dans les groupes
d'infirmes qui viennent en pèlerinage auprès des tombeaux réputés mi-
raculeux.
Une peinture de GmoLAMO DEL SANTO,à Padoue, représente les Funérail-
les de Saint- Antoine. Auprès de la civière où repose le corps du saint, un
infirme est assis, joignant les mains, une béquille à côté de lui. Sa jambe
gauche, demi-nue, est entourée, ainsi que le pied, d'un bandage soigneu-
sement fait, mais qui, malheureusemenl, dissimule la nature du mal,
ulcère ou plaie, qui n'est pas nécessairement d'origine lépreuse.
Il faut faire les mêmes réserves pour les infirmes figurés sur la fresque
de FRANCUSCO ci GIOIIGIO, au Palais Public de Sienne, et représentant la
guérison d'une possédée près du cadavre d'un Saint. Deux des infirmes se
traînent à genoux, ayant aux mains de petits chevalets. L'un d'eux est
aveugle et semble défiguré. Un troisième s'avance, soutenu sur deux bé-
quilles, la jambe gauche repliée et entourée de linges.
A Sienne, dans l'hôpital Santa Maria délia Scala, l'infirmerie dite des
Pèlerins, est décorée de belles fresques par D. ni BARTOLO représentant
les soins donnés aux malades et aux pauvres. Sur l'une de ces fresques
est figuré un homme presque entièrement nu, vu de dos, auquel un per-
sonnage charitable remet un vêtement. On distingue sur le torse des taches
colorées, indice d'une affection cutanée qui est peut-être la Lèpre.
Derrière ce malade, à droite, un homme presque chauve, mais pourvu
d'une large barbe, se traîne sur deux béquilles ; ses jambes sont entourées
de bandes, et ses chaussures fendues. '
Dans le coin inférieur droit de la même peinture, un vieillard infirme
est accroupi, sorte de cul-de-jatte fui rampe à l'aide de supports à
mains. La jambe droite, nu.e, est oedéuatiée et ulcérée; la gauche, entou-
438 HENRY MEIGE
rée d'une bande, fortement fléchie, semble complètement paralysée et très
atrophiée ; le pied gauche est traînant en extension forcée. Il est possible,
que ces figurations se rapportent encore ai des Lépreux.
Pour y reconnaître les signes de la Lèpre avec quelque vraisemblance,
il manque des éléments de diagnostic précis qui sont visibles au contraire
sur les oeuvres d'art dont nous avons parlé plus haut (1).
Ecole Allemande.
L'Art Allemand n'est pas moins riche que l'Art Italien en représenta-
tions de la Lèpre. C'est là que Charcot et Paul Richer ont eu l'occasion de
décrire quatre images de Lépreux dont le réalisme pathologique ne saurait
(1) Raphaël a traité de main de maître la Guérison des infirmes par saint Pierre et
saint Paul il la porte du Temple.
On sait que les cartons de celle composition, ainsi que ceux de la série qui lui font
suite, destinée aux tapisseries de la Chapelle Sixtine, se trouvent au South Kensington
Muséum, à Londres.
Charcot et Paul Richer ont longuement étudié ce document dans les Difformes et
Malades dans l'Art (pages 63 et seq.).lls ont reconnu dans les infirmes qui y sont figu-
rés, des rachitiques tels que Raphaël en a plusieurs fois représentés, avec leur facies
caractéristique, leurs articulations noueuses et leurs jambes incurvées.
« Il nous parait difficile, disent-ils, d'accuser plus discrètement, tout en rentrant dans
la vérité, les signes du rachitisme. »
« Mais, ajoutent-ils, là où nous devons faire quelques réserves, c'est sur les défor-
mations des pieds. Les orteils du membre droit sont étrangement tordus, et le pied
gauche a subi une sorte de torsion sur son axe qui nous semble devoir s'expliquer dif-
ficilement. Le pied droit nous montre sa face plantaire pondant que la jambe est vue
par sa face antérieure. C'est là une déformation dont le mécanisme nous échappe et
qui ne nous parait pas s'accorder avec l'état du reste du membre, dont la musculature
est alors trop accentuée. »
Tout en reconnaissant la valeur des arguments qui plaident en faveur du rachitisme,
on peut se demander si Raphaël, désireux de se conformer à la tradition qui plaçait
des Lépreux sur le passage des Apôtres, à la porte du Temple, n'a pas eu l'intention
de représenter ici un Lépreux. Cette hypothèse expliquerait la singulière déformation
du pied gauche que le rachitisme ne saurait produire à un si haut degré. Il s'agirait
d'une rétraction tendineuse telle que la Lèpre sait en créer aussi bien aux pieds qu'aux
mains, Quant au pied droit dont les orteils sont, ou tronqués, ou recourbés en griffes,
il offre encore davantage d'analogies avec les pieds déformés par les lésions de la
Lèpre nerveuse et mutilante. La main gauche sur laquelle s'appuie cet infirme pré-
sente ainsi que l'avant-bras un'e sorte de rétraction cutanée qui peut encore faire son-
ger à la Lèpre. Saint Pierre tient l'autre main et fait sur elle un geste de thaumaturge.
Ne faut-il pas en induire qu'elle est aussi atteinte ?
Ainsi, pour des raisons de tradition artistique et par l'examen des difformités, on
peut se demander si l'infirme en question n'est pas un Lépreux. Mais il faut aussi re-
marquer, avec Charcot et Paul Richer, qu'il existe une sorte de contradiction entre les
déformations considérables des pieds et la musculature puissante des jambes. Raphaël
en effet semble avoir souvent atténué, de parti pris, les difformités physiques. Ses
estropiés sont d'ordinaire vigoureusement musclés. On peut voir un bel exemple de
ces figurations paradoxales sur la fresque du Vatican, représentant la Donation de Rome
faite par Constantin. -
LA LÈPRE DANS L'ART 439
être méconnu. Pour celles-ci, nous n'aurons le plus souvent qu'à résumer
la critique soigneusement documentée qui a paru dans les Difformes et
Malades dans l'Art. Mais nous avons à ajouter d'autres documents inédits
recueillis au cours de nos recherches.
MAITRE ALLEMAND INCONNU
. Vieille Ecole de Cologne (1430-1550).
La vieille Ecole de Cologne contient un assez grand nombre d'oeuvres
d'art où les détails réalistes sont rendus avec une franchise et une sincé-
rité parfaites. Les figurations d'infirmes y sont fréquentes, et les caractères
pathologiques sont souvent exprimés avec une naïveté qui en accentue
l'exactitude.
Une peinture de cette époque, vraisemblablement exécutée sous l'in-
fluence de l'école des frères Van Eyck, représente Sainte Elisabeth de
Hongrie accomplissant les Sept OEuvres de la Miséricorde.
On sait que, sous cette désignation, on comprenait autrefois les mani-
festations essentielles de la charité chrétienne. Les sept oeuvres de miséri-
corde, consistaient à accomplir les sept devoirs suivants :
1° Nourrir ceux qui ont faim.
2° Donner à boire à ceux qui ont soif.
3° Vêtir ceux qui sont nus.
4° Visiter les prisonniers .
5° Loger les pèlerins.
6° Soigner les malades.
7° Ensevelir les morts.
La libéralité et le désintéressement d'Elisabeth, reine de Hongrie, ont
été justement célébrés dans l'Histoire et les peintres allemands ont re-
produit à satiété les épisodes charitables de la vie de cette souveraine,
qui, d'ailleurs, fut canonisée quatre ans à peine après sa mort.
Il n'est peut-être pas en effet de figure plus justement sympathique ni
mieux faite pour tenter le pinceau d'un peintre de sujets religieux que celle
de la bienfaisante reine de Hongrie, landgravine de Thuringe, telle que
nous l'a dépeinte la légende. Née pour vivre dans les plaisirs et les hon-
neurs d'une cour royale du XIIIe siècle, elle poussa la charité et l'amour
des pauvres, jusqu'à la plus humble et la plus généreuse abnégation.
« Elle donnait, dit son biographe le P. Ribadeneira, tous les jours à
diner à neuf cents pauvres, sans les autres qu'elle entretenait par tout le
pays, lesquels l'appelaient mère et bienfaitrice des nécessiteux
, (i) Cologne, musée Wallraf-Richartz. N° 213 du catalogue J. Niessen, 1888. H. 138.
L. 117. - Nous devons la photographie de ce tableau, que nous avons vu en 1895,
à, l'obligeance des. le Directeur du musée Wallraf-Richartz.
440 HENRY MEIGE
. « Une fois, elle embrassa la tête d'un malade si infect que personne
n'en pouvait approcher ; elle lui coupa les cheveux et lui lava la tête
comme si c'eût été son propre enfant. » .
Ce malade était un Teigneux et l'épisode en question a été ^immortalisé
par le chef-d'oeuvre de Murillo, que l'on voit au musée du Prado, à Ma-
drid.
Dépossédée de tous' ses biens, sur la fin de sa vie, la reine de Hongrie
prit l'habit du tiers ordre et devint supérieure d'un hôpital qu'elle avait
fondé à Marbourg.
Avant, comme après sa mort, on lui attribua nombre de guérisons mi-
raculeuses, car elle rendait, disait-on, « la vue aux aveugles, l'ouïe aux
sourds, la parole aux muets, l'usage des jambes aux boiteux, la santé aux
Lépreux, et aux infirmes de diverses maladies, et la vie aux morts ». z
1 Le tableau du'musée de Cologne dont nous allons parler, est un des
documents figurés, les plus détaillés qui aient été inspirés par cette donnée
populaire dans toute l'Allemagne (Pl. XLIX).
La scène principale, au premier plan, représente la Sainte distribuant
des aumônes aux infirmes. Elle se tient debout, la couronne royale sur la
tête, auréolée et encapuchonnée à là façon des femmes de son temps, dra-
pée dans un long manteau aux plis raides et cassés. Lamain gauche sur
son coeur, elle offre de la main droite un pain à un infirme qui rampe à
ses genoux. Ses suivantes l'entourent, jeunes, gracieuses et charitables,
portant d'autres pains et un broc rempli de boisson.
A gauche, un homme de belle allure se tient debout sur les marches
d'un escalier, tenant à la main un panier de provisions, et sur'l'épaule
des vêtements pour les pauvres. `
. A droite sont les infirmes implorant les aumônes de la reine. On en voit
trois occupant tout le premier plan, et un quatrième dont on ne distin-
gue.que la tête.
Ces trois misérables hères sont d'un réalisme pathologique impression-
nant.
'. Le premier se traîne à genoux, faute de pieds, car il n'a plus que des
tronçons de jambes. Des gouttières en bois munies de supports servent de
chaussures à ses moignons. Le haut de son corps est affreusement con-
trefait : le dos bossu, des bras trop courts, des mains trop longues, un
visage rabougri, creusé de rides et asymétriquement osseux. -
Est-ce un Lépreux ? On peut le croire, et cela pour deux raisons. D'a-
bord, la tradition picturale représente- fréquemment des Lépreux parmi
les infirmes auxquels Sainte Elisabeth de-Hongrie distribue ses aumônes.
LES AUMONES DE SAINTE ELISABETH DE HONGRIE
\'ic'¡¡o Ecole de Cologne (fin du XVe siècle).
Musée de Cologne ?
MASSON .\ Cle. J : dl : tlIlS
LA LÈPRE DANS L'ART 44l'
En second lieu, la double amputation des pieds, peut parfaitement
passer pour être la conséquence des lésions lépreuses portant sur les mem-
bres inférieurs.
Les mains et les doigts sont indemnes, il est vrai, et le visage n'offre ni
ulcérations ni pustules. Mais le peintre a peut-être hésité à reproduire
ces lésions répugnantes, et d'ailleurs, elles peuvent faire défaut. -
Le second infirme est en apparence moins sévèrement frappé par la
maladie, car il lui reste une jambe à peu près entière ; encore ce résidu
de membre n'est-il pas bien fameux.
Pauvre diable dont le haut du corps est à peine couvert de quelques
loques frangées par l'usage et lamentablement rapiécées, il n'a pas même
de quoi couvrir la nudité de ses membres malades ; peut-être n'y tient-il
guère, après tout, car l'exhibition de ses infirmités est sans doute son
meilleur gagne-pain. Son visage émacié et comme parcheminé est encadré
par de longs cheveux aux mèches collées etraides et par une barbe clair-
semée. En outre, il louche horriblement. Tant bien que mal, ce loque-
teux se tient debout à l'aide d'une grossière béquille passant sous l'aisselle
gauche et munie d'un support où s'adapte la main. De la main droite,
il retire, pour saluer la reine, son couvre-chef informe.
Dans la peinture des difformités des membres inférieurs, l'artiste s'est
certainement inspiré de réalités pathologiques observées par lui.
La jambe gauche, tronquée à son extrémité inférieure, le pied
manque complètement, est repliée en flexion. Des bandes de cuir y
maintiennent un pilon sur lequel repose le genou.
Du côté droit, la jambe et le pied existent encore, mais dans quel la-
mentable état ! Les muscles sont, atrophiés à l'extrême, et remplacés par
des cordes tendineuses saillant de part et d'autre sur ce membre des-
séché qui ne diffère plus guère du pilon de bois,son acolyte. La rétraction
du tendon d'Achille, conséquence obligée de l'atrophie musculaire des
muscles du mollet, a mis le pied en équinisme droit, sur le prolongement
de l'axe de la jambe : aussi le membre repose-t-il sur la pointe du pied.
Bien plus, un seul orteil, le gros, est visible sur la figure ; les autres
ont disparu.
. Cette fois, la Lèpre semble bien en cause; elle est coutumière de ces
amputations spontanées des orteils, et même du pied tout entier; elle
crée de semblables amyotrophies avec des rétractions fibreuses, origines
de semblables déformations.
Le troisième malade est une femme qui s'avance péniblement en s'ap-
puyant sur un bâton. C'est une pèlerine, comme en témoignent les images
pieuses fixées sur son bonnet.
442 HENRY MEIGE
Son mal, s'il n'est pas imputable à la Lèpre, est cependant digne d'in-
térêt.
Nous connaissons peu d'exemples en effet de figurations artistiques où
la vérité pathologique soit rendue avec plus de sincérité. Le diagnostic
s'impose, encore qu'il ne soit pas des plus aisés à faire sur le vivant. Il
s'agit, à n'en pas douter, d'un cas d'hémiplégie avec paralysie faciale.
Regardons la face :
Du côté gauche, l'oeil est large ouvert, le sillon naso-labial bien creusé,
la commissure des lèvres ferme et horizontale.
A droite, au contraire, l'oeil est complètement clos par le ptosis de la
paupière supérieure, toutes les rides ont disparu, et les lèvres flasques s'a-
baissent, l'inférieure en se renversant.
On ne peut guère exiger d'un peintre du XVe siècle un tableau plus
précis et plus complet du syndrome clinique de la paralysie faciale ?
. Ce n'est pas tout. L'attitude de cette femme semble indiquer qu'elle est
frappée d'hémiplégie ou plus exactement, d'hémiparésie d'un des côtés
du corps. De quel côté ? Etant donnée la paralysie faciale droite avec
chute de la paupière, on peut penser que l'hémiplégie siège à gauche.
C'est cependant la jambe droite qui paraît touchée, si l'on en juge par son
attitude raidie et le bâton que cette femme tient de la main gauche.
Le membre supérieur semble moins atteint, car la main droite esquisse
un geste de salut : cependant les mouvements en semblent limités, car le
bras reste collé au corps.
Hémiplégie droite, paralysie faciale du même côté, avec participation
du facial supérieur : c'est là un ensemble clinique assez rare. Mais l'ar-
tiste n'était pas tenu de connaître les règles de pathologie, et, sans insis-
ter davantage, il faut,au contraire, admirer les qualités d'observation dont
il a fait preuve dans cette intéressante peinture.
Les seconds plans du tableau sont occupés par un paysage représentant
une ville, avec monuments, remparts, citadelle et plusieurs rues, où
Sainte Elisabeth de Hongrie reparaît, accomplissant les sept oeuvres de la
miséricorde.
A gauche, par l'ouverture d'une porte, on aperçoit la reine agenouillée,
occupée à laver les pieds de quelques miséreux. Non loin de là, on la voit
encore, donnant un pain à une vieille mendiante. Au milieu, dans le
fond, elle recueil le un jeune enfant. Puis elle va consoler, dans leur ca-
chot, des prisonniers chargés de chaînes, dont l'un, plus durement traité,
a.les jambes serrées entre deux planches.
. A droite, la Sainte entre dans un hôpital et donne ses soins à trois
malades couchés, tout nus, côte à côte, dans le même Ht. .. .
LA LÈPRE DANS L'ART 443
Enfin, tout à fait dans le fond, sur le chemin de la citadelle, sainte Eli-
sabeth de Hongrie semble assaillie par un malfaiteur. Loin de se débattre
et d'appeler au secours, elle se met à prier pour le salut de l'âme de ce
misérable,donnant ainsi l'exemple de la plus noble des vertus chrétiennes,
le pardon des injures (1).
Sainte Elisabeth de Hongrie est encore représentée sur le volet d'un
tryptique du musée de Cologne (n° 116), donnant une aumône à un in-
firme dont on ne distingue que la moitié du corps : il se tient à genou,
soutenu par une courte béquille sous l'épaule droite, tendant une sébille
de la main gauche. Sa figure est très amaigrie ainsi que le haut de la poi-
trine où les côtes font saillie. La bouche semble déformée et l'oeil est à
demi-fermé. Si l'on se rapporte à la tradition, on peut voir dans ce per-
sonnage une figuration de Lépreux, d'ailleurs peu caractéristique (2).
LE Maître DE la Glorification DE la Vierge `
Vieille Ecole de Cologne (fin du XVe, commencement du XVie siècle).
Au musée WallrafRichartz, de Cologne, se trouve une autre peinture
de la vieille Ecole Colonaise, provenant d'un tabernacle de l'ancienne
église de Sainte Barbara, aujourd'hui détruite. Elle représente la Glorifica-
tion delà Vierge (3).
Au milieu, la Vierge sur un trône, tenant l'enfant Jésus sur ses genoux,
entourée d'anges. En haut, de part et d'autre, Dieu le Père et le Saint-Es-
prit, sous forme d'une colombe, également entourés d'anges. En bas, à
gauche, un groupe de Saintes : Sainte Catherine, Sainte Brigitte, Sainte
Barbara, Sainte Ursule, etc.
En bas, l'Agneau mystique, le flanc percé. A droite, un groupe de
saints : Saint Jean l'Évangéliste, Saint Pierre, Saint Georges, etc. L'un
d'eux, Saint Médard, la mitre en tête et la crosse à la main, donne deux
(1) Au milieu du tableau, sur une banderolle, on lit en caractères gothiques, cette
inscription : S. Elizabeth. mat. paupii. Sainte Elisabeth mère des pauvres.
(2) Il existe encore au Musée de Cologne un panneau non signé, n" 314 du Catalogue
J. Niessen, représentant un Saint Evêque (S. Johannes Eleemonsynarius faisant la
charité à un infirme. (On ne voit qu'une partie du corps de ce dernier.) Le malheureux,
à demi-vêtu, tend une sébille vers l'Evêque. Il est assis, les jambes bizarrement repliées
et entre-croisées, dans une attitude difficile à expliquer. On ne peut que se demander'
si la Lèpre est la cause de ces déformations. - Au musée de Berlin, un tableau de
l'Ecole de Cologne du XVe siècle représente Sainte Elisabeth de Hongrie couvrant un
pauvre de son manteau. Ce pauvre est peut-être un lépreux.
(3) N" 182 du catal. J. Niessen, 1888. B. II. 160. L. 197. '1
444 HENRY MEIGE
pièces de monnaie à un pauvre infirme qui occupe le coin inférieur droit
du tableau (PI. LI. C).
Cet infirme peut prendre place parmi les figurations de Lépreux dont les
membres ont été mutilés par la maladie.
Il est vu de dos et se tient sur les genoux ; ses deux pieds ont disparu,
et les moignons de ses jambes entourées de linges sont maintenus par des
courroies dans deux sortes de gouttières en bois munies de courts sup-
ports. ' ..
Misérablement vêtu, il se soutient à l'aide d'une béquille portant sous
l'aisselle et pourvue d'une poignée où s'adapte la main gauche. La main
droite tend une sébille.
- La tête est tournée de profil dans une attitude un peu forcée. Sur le
front, on distingue des traces d'ulcérations ou de pustules; l'oeil, le nez
et les lèvres semblent avoir subi quelques malformations.
Ce qu'il faut surtout retenir de cet infirme, c'est la double amputation
de ses pieds. Elle pourrait être à la vérité la conséquence d'un traumatisme;
mais elle offre aussi des analogies certaines avec les mutilations sponta-
nées de la lèpre visible d'ailleurs par ses manifestations cutanées sur la
face.
U - - - CONRAD Witz.
' ' . -(Ecole d'Alsace. - Fin du XVe siècle).
Dans une église, près de Sierrentz, a été trouvé un tableau, actuelle-
ment au musée de Bâle, et représentant Saint Martin partageant son
manteau avec un mendiant estropié (1).
.' Selon M. Burckhardt, l'érudit Directeur du musée de Bâte, avec qui
nous avons eu l'occasion d'examiner cette peinture, celle-ci doit être
attribuée à Corlsan Wrrz (fin du xye siècle).
Cette oeuvre d'art est parfaitement bien conservée, d'un coloris frais
et soigné (Pl. L). ' ' .
Devant la porte d'une ville dont les murailles crénelées et les hautes
tourelles se profilent sur un ciel clair, Saint Martin passe, monté sur un
cheval blanc, accompagné d'un personnage vêtu de noir, il cheval égale-
ment.
Le Saint, jeune encore, avec de longs cheveux bouclés, coiffé d'un
large bonnet de fourrures, et auréolé, porte un ample manteau écarlate à
reflets clairs retenu au col par une riche agrafe, une tunique bleue et des
souliers rouges garnis d'énormes éperons.
. De la main droite il tient son épée nue et s'apprête il couper un large
(1) No 86, B. Il, 112. L..42..
LA CHARITE DE SAINT MARTIN
Tableau attribué à Conrad "'Ill (fin du XV" siècle)
Musée de Baie.
MASSON nu CiC, Ed1 ! CUrC;
[LA LÈPRE DANS L'ART 445
morceau de son manteau pour le donner à un infirme qui l'implore au
bord de la route.
Ce dernier est presque nu, sauf un linge étroit ceint autour de ses
reins.
C'est un Lépreux.
Et de la Lèpre il a presque tous les stigmates. Sa face hideuse est cou-
verte de pustules suintantes et de tubercules saillants ; son nez est à demi
dévoré par le mal, et ses lèvres rongées ne parviennent plus à cacher ses
dents. Presque plus de cheveux sur son front envahi par les ulcérations
lépreuses.
Tout le corps est couvert des mêmes ulcères, les uns plus petits, rouges
et saillants, les autres, plus étendus, blanchâtres au centre et purulents,
avec une auréole inflammatoire ^pourprée. Et l'on en voit partout, sur la
poitrine, sur le dos, sur les bras et sur les jambes
Ce pitoyable Lépreux ne peut plus se servir de ses jambes.
Celles-ci, emmaillottées de chiffons, sont maintenues par des courroies
dans une sorte de jambière munie de supports, sur lesquels l'infortuné se
traîne en rampant. ' .
Le pied gauche, tuméfié, informe, a cependant gardé sa position nor-
male ; mais le droit, à la suite de je ne sais quelle dislocation, estvenu se
placer à rebours, la pointe en l'air. «
Est-ce là une erreur imputable à l'inattention de l'artiste ? Elle nous
semble trop grossière pour avoir pu lui échapper. Et, à tout prendre, cette
monstrueuse déformation n'est pas irréalisable : la lèpre sait encore muti-
ler plus cruellement.
Sur ce pied disloqué les orteils sont manifestement recroquevillés sur la
plante, rétraction dont la Lèpre est coutumière.. »
Plus, intéressante encore au point de vue pathologique est la main
que le mendiant élève vers le Saint, dans un geste suppliant.
On y voit, très exactement rendu; un des effets de ces rétractions ten-
dineuses consécutives aux amyotrophies lépreuses. La forme du cinquième
doigt recourbé en crocheta été évidemment inspirée par la vue d'une des
griffes atrophiques que la Lèpre réalise fréquemment (1).
Tubercules, pustules, ulcérations, oedèmes, amyotrophies, rétractions
tendineuses, mutilations et dislocations : c'est plus qu'il n'en faut pour
formuler le diagnostic de l'infirme que Conrad Witz a figuré dans son
tableau. C'est un Lépreux.
Et c'est même un des exemples les plus caractéristiques que nous ayons
rencontrés sur les monuments de l'Art.
(1) Une grille lépreuse au début, intéressant seulement l'auriculaire, est figurée dans
l'ouvrage de Zambaco. L'identité des deux déformations est frappante. 1
446 HENRY meige
HANS HOLBEIN LE VIEUX
(Augsburg 1460-1524)
Un fragment de l'étable peint par HANS Holbein LE Vieux, el conservé à
l'Ancienne Pinacothèque de Munich, représente Sainte Elisabeth de Hon-
grie secourant les Lépreux (1). C'est le volet droit d'un tryptique dont le
panneau central est consacré au Martyr de Saint Sébastien et le volet de
gauche Sainte Barbara. -
Virchow a fait une étude consciencieuse des particularités pathologi-
ques des malades qui entourent Sainte Elisabeth de Hongrie. Mais sa des-
cription-de la peinture est un peu inexacte.
« En outre d'un homme barbu, dit-il, dont le visage, et principale-
ment le front et tenez, sont couverts de pustules particulièrement grosses,
rondes et rouges, on voit une personne âgée, probablement du sexe fémi-
nin, portant une écuelle : le visage n'a rien, le bras gauche est couvert
de taches d'un brun rouge, la jambe est entourée de bandes à travers les-
quelles suinte le pus ; le genou découvert porte des taches brun rouge lé-
gèrement creusées ; sur la tête un lambeau d'éloffe blanche ou un emplâ-
tre. Enfin une jeune personne d'assez bonne mine, tenant un pain brisé
dans les mains, a le cou et le visage, principalement le front et le voisi-
nage des sourcils qui sont rares, couverts de grosses et de petites taches
d'un brun rougeâtre. Une jambe qu'on ne sait pas au juste à qui rappor-
ter, présente de même. au genou et au-dessous de grandes taches d'un gris
sale au milieu (2). » .
Nous avons eu l'occasion de voir de près, récemment, cette oeuvre d'art
de premier ordre (Fig. 5).
La Sainte, est représentée debout, belle et calme,*abaissant ses regards
sur les malheureux qui rampent à ses pieds, richement velue, la cou-
ronne royale sur la tête, tenant de la main gauche un pain dissimulé dans
les plis de son manteau, et de l'autre main versant le contenu d'une ai-
guière dans une écuelle que lui tend un malheureux.
Celui-ci que Virchow croit à tort être du sexe féminin, est bien un
homme d'un âge mûr, dont la tête est en effet recouverte d'un linge ou
d'un emplâtre.
Derrière lui, on distingue la figure d'un homme barbu à la chevelure
hirsute, le front garni de pustules. On a cru y reconnaître le portrait
d'Holbein le Vieux.
A gauche du panneau, la « jeune personne d'assez bonne mine » dont
parle Virchow, et qui tient un pain brisé dans la main, est certainement
(1) N° 211. B. IL, 1, L. 0,45. ,
(2) Cité par CHARCOT et PAUL RICHER, L. C., p. 59. ,
LA LEPRE DANS L ART 41,7
Fig. 5.
Lépreux sur le volet d'un Iryptiquc de Hans HOLBEIN le vikux, représentant Sainte
Elisabeth de Hongrie secourant les malades. - Pinacothèque de Munich.
448 HENRY NEIGE
un enfant, ou mieux un adolescent, dont les mains, le cou et le visage sont t
couverts de taches rouge brun. Il est assis par terre et c'est sa propre
jambe, que l'on voit au premier plan, le genou mis à nu et ulcéré.
En ce qui concerne les lésions figurées, nous avons pu nous convain-
cre qu'elles étaient de trois sortes : les unes, sortes de macules planes
d'un rouge jambonné ou bistre; les autres plus ou moins saillantes, vérita-
bles tubercules d'un rouge plus vif; les dernières, revêtant l'apparence
d'ulcérations à fond grisâtre, à bords rouges et saillants, entourées d'une
aréole brun rougeâtre plus ou moins large.
Pour l'interprétation de ces lésions, la critique de Virchow conserve
toute sa valeur. 1
« Ce sont, dit-il, des pustules et îles taches qui sont représentées ici ;
les dernières s'accompagnaient, comme cela arrive souvent, de pigmenta-
tion et d'atrophie ; les pustules se trouvent surtout sur la face, les taches
occupent de même la face et principalement les sourcils en partie tombés,
mais prédominent surtout sur les membres tant supérieurs qu'inférieurs.
C'est en somme ce qu'on trouve en si grande quantité aujourd'hui encore
dans les hôpitaux de la Norvège.....
« Par conséquent, nous pouvons admettre sans crainte que nous avons
ici devant nous une image réelle, coloriée, de la lèpre telle qu'elle existait,
en Allemagne, vers la fin du XIIIe siècle et peut-être à Augsbourg.....
« Pour moi qui ai vu la lèpre norvégienne chez plusieurs centaines de
malades, l'identité de la maladie ne m'a laissé aucun doute. »
Virchow a aussi discuté le diagnostic des lésions syphilitiques. Il le
rejette judicieusement en faisant remarquer que la syphilis était de date
trop récente et qu'elle était trop sévèrement jugée pour qu'un peintre
comme Holbein, ait consenti à peindre une sainte du XIIIe siècle au mi-
lieu de syphilitiques.
Ce sont bien des Lépreux que réconforte la courageuse et charitable
reine de Hongrie. Et, en voyant cette peinture où tant de grâce s'allie à
tant de réalisme, on apprécie vivement cette parole de Charcot et Paul
Richer : . .
« Nous ne savons ce qu'il faut admirer le plus dans l'oeuvre d'Holbein,
ou de la perfection avec laquelle les lépreux sont représentés, ou de l'art
avec lequel ils sont relégués dans les angles du tableau, pour laisser la
Sainte elle-même attirer, retenir l'oeil du spectateur et provoquer son
admiration. »
' ALBERT DURER
(1471-1528)
Une eau-forte d'ALBERT Durer, datée de 1513, représente les Apôtres
la LÈPRE dans L'ART 449
Saint Pierre et Saint Jean guérissant les malades à la porte du Temple.
Un seul malade y est figuré et c'est un des plus beaux spécimens des Lé-
preux que l'Art nous a conservés (Fig. 6).
Son étude scientifique a été pour Charcot et P. Richer l'occasion d'une
description détaillée des stigmates de la lèpre qui peuvent être reconnus
sur les oeuvres d'art.
« C'est bel et bien un lépreux, atteint d'une forme mixte de la maladie.
Sur la face, principalement aux lèvres, on reconnaît les nodosités de la
lèpre tuberculeuse, pendant que tout le corps porte les stigmates de la
lèpre atrophique.
x 31
Fig. G. ,
Lépreux sur une eau-forte d'ALBE ! u' Duher (1513) représentant Saint Pierre et Saint
Jean guérissant les malades à la porte du Temple. (Extrait des Difformes et Ma-
1(ides dans l'Al't).
450 HENRY MEIGE
« Ce malheureux est assis à terre, les jambes ramenées sous lui et enve-
loppées de bandelettes qui ne sauraient masquer leur état d'extrême
maigreur ni la déformation du pied gauche qu'on voit dans l'ombre déjeté
en dehors; mais c'est sur les membres supérieurs, qui se montrent presque
complètement découverts, que nous pouvons diriger avec plus de fruit
notre investigation.
« Ils sont émaciés au suprême degré; de plus, les mains sont contrefaites,
La gauche surtout affecte une attitude sur laquelle nous reviendrons.
« Mais cette maigreur-là n'est point banale. Elle retient la curiosité du
médecin, qui y découvre de la façon la plus évidente les marques de l'a-
trophie musculaire. On sait que l'atrophie musculaire chez certains lépreux
est exactement semblable, tout au moins au point de vue de l'apparence
extérieure dont il est seulement question ici, à celle qui constitue lesigne
presque exclusif d'une autre affection, d'origine exclusivement nerveuse
celle-là, et décrite par un éminent clinicien de notre époque, Duchenne
(de Boulogne), sous le nom d'atrophie musculaire progressive.
« Il a défini et classé cette étrange maladie, dans laquelle les muscles
s'atrophient progressivement, un à un, débutant d'ordinaire parles mem-
bres supérieurs. L'impuissance motrice s'accroît avec le degré de l'atro-
phie qui, suivant sa localisation, laisse persister certains mouvements,
imprime aux divers segments du membre une attitude en rapport avec
les muscles disparus, jusqu'à ce que la maladie, parvenue à son dernier
degré, ait rendu tout déplacement du membre impossible.
« L'infirme d'Albert Durer a le membre supérieur droit profondément
atteint. Il est inerte et la fibre musculaire est bien près d'avoir complète-
ment disparu, si ce n'est déjà fait. Mais, à gauche, la lésion est moins avan-
cée. L'attitude de la main nous révèle l'invasion inégale de l'atrophie qui a
porté surtout sur les muscles interosseux et les extenseurs de l'avant-bras.
On remarquera en effet que les doigts sont étendus dans leurs articu-
lations métacarpo-phalangiennes et fléchies dans leurs autres articula-
tions.
« Cette attitude est absolument caractéristique. Duchenne l'a décrite avec
soin, et a démontré qu'elle est la conséquence de l'atrophie des peti ts mus-
cles logés dans les espaces intermétacarpiens. C'est la griffe atrophique des
interosseux.
« Enfin, si le poignet est inerte, le mouvement de flexion de l'avant-bras
sur le bras persiste encore à un certain degré ; or, nous savons aujourd'hui
qu'un des muscles qui président à ce mouvement, le long supinateur, est
justement un des derniers atteints par la maladie. Depuis la déformation de
la main jusqu'au mouvement limité que le patient exécute avec ce mem-
LA LÈPRE DANS L'ART 451
bre, le seul peut-être qui subsiste encore, tout est parfaitement conforme
aux données scientifiques les plus exactes.
« N'est-il pas intéressant de montrer l'Art devançant la Science, et Al-
bert Durer, en copiant un lépreux, donner non seulement une image exacte
de la lèpre,mais formuler d'une façon absolument précise, en l'année 1513,
les caractères morphologiques d'une altération musculaire qu'un savantne
devait régulièrement décrire que trois siècles plus tard ? ... ? )) »
Maître inconnu
(Ecole allemande, fin du XV° siècle).
Nous empruntons encore aux Difformes et Malades dans l'Art la descrip-
tion de ce document.
Un tableau de l'église paroissiale de Calcar est consacré à la glorifica-
tion de quatre saints peints avec leurs différents attributs : Saint Martin,
Saint Vincent, Saint Paul et Saint Antoine. Saint Martin, contrairement
à l'habitude, ne partage point son manteau, il fait l'aumône à un malheu-
reux, et c'est ce dernier personnage qui nous intéresse tout particulière-
ment.
« Il est à genoux, tournant le dos au spectateur, et montrant ses deux
jambes mutilées. Sur le bras gauche levé pour tendre la sébille, on voit
ainsi que sur le crâne dénudé et la face tournée de profil, les lâches et les
pustules caractéristiques de la lèpre si bien représentée déjà par Hans
Holbein dans le tableau que nous venons d'étudier. Nous insisterons en
outre ici sur la mutilation que nous n'avons point rencontrée dans les
autres documents artistiques relatifs à la lèpre, et qui compte au nombre
des manifestations de certaines formes de cette terrible maladie. »
On peut se rendre compte, d'après ce que nous avons dit précédem-
ment, que les exemples de Lèpre mutilante sont beaucoup plus nombreux
dans les figurations artistiques que ne pouvaient le soupçonner les auteurs
de la première étude parue sur les Lépreux dans l'Art.
HANS BURGKMAIER
(Augsburg 1413-1531). ).
Deux gravures de IIANS BURGKMAIER, élève de Schôngauer, et contempo-
rain de A. Durer, dont il semble s'être inspiré sur le tard, ont été ajoutées
par.Charcot et Paul Richer à leurs premières figurations de Lépreux (1).
(1) Charcot et PAUL RICHER. Deux dessins de Lépreux par Hans Burgkmaier. Nouv.
Iconographie de la Salpêtrière, 1891, p. 327. Ces gravures, empruntées il l'ouvrage de
GEORGES HIRTII, t. 1. Les grands illustrateurs (1500-1800), ont été reproduites en pho-
totypie dans ce recueil, 1891, p. 327.
452 ûGNRY MEIGE
« La première gravure représente Saint Edouard le Confesseur, roi d'An-
gleterre. Le Saint, revêtu des insignes de la royauté, la tête ceinte du dia-
dème, les épaules drapées du long manteau, tenant de la main droite le
sceptre, emblème de la toute-puissance, étend la main gauche pour se-
courir la suprême faiblesse sous les traits d'un malade, d'un infirme. Et
ce malade privé de l'usage de ses membres inférieurs, assis dans une
petite voiture, n'est autre qu'un de ces malheureux qu'une horrible mala-
die, la lèpre, mettait au ban de la société. Comme le lépreux d'Albert
Durer, le mal est reconnaissable à deux signes caractéristiques. On cons-
tate, en effet, sur le cou, la figure, la main et une partie du dos qu'une
déchirure du vêtement laisse à découvert les plaies ulcéreuses et les tuber-
Fig. 7.
Saint Edouard le Confesseur, roi d'Angleterre, guérissant un Lépreux, d'après une
gravure de Hans BURGKMAIER.
LA LÈPRE DANS L'AltT 453
cules. En second lieu, les signes de l'atrophie musculaire sont indiscuta-
bles. Si l'on doit deviner celles des jambes que le dessinateur ne montre
pas, mais qui ont certainement perdu toute action, ainsi que le prouve la
petite voiture qui sert au malheureux pour se déplacer, l'atrophie du
membre supérieur gauche est clairement exprimée par la position de la
main représentée tombante et par la déformation des doigts figurés dans
l'attitude très caractéristique bien connue depuis Duchenne de Boulogne
sous le nom de griffe atrophique des interosseux. Ce malade n'est point
un enfant, ainsi que le pourrait faire supposer à tort l'exiguïté do sa
taille proportionnellement à. celle du Saint Roi. Ce défaut de proportion
contraire aux règles les plus élémentaires de la perspective, est une vieille
tradition léguée par l'antiquité à l'iconographie chrétienne. Elle a pour
Fig. 8.
Sainte Adélaide, reine d'Italie, puis impératrice d'Allemagne, priant pour les Lépreux,
d'après une gravure de HANS BuMMiAOEn (1473-1531).
454 HENRY MEIGE
but évident de donner aux Héros ou aux Saints une importance plus consi-
dérable, en les distinguant par des proportions quasi-surnaturelles de
ceux qui les entourent (Fig. 7).
« Dans la seconde gravure dont nous voulons parler, on constate que la
même disproportion existe. La sainte est beaucoup plus grande que le
groupe des personnages situé à droite et en somme assez rapproché d'elle.
Cette gravure représente Adélaïde, reine d'Italie, puis impératrice d'Al-
lemagne. La bienheureuse est plongée dans une sorte d'extase en face
de l'image du Crucifié pendant qu'une servante distribue des pains aux
malheureux. Parmi ces derniers une femme assise à terre est atteinte de la
lèpre, dont elle porte plus manifestement les stigmates sur le membre
supérieur gauche : atrophie, griffe des interosseux et tubercules ou ulcé-
rations (Fig. 8). 4
« Rapprochés du lépreux d'Albert Durer, ces deux lépreux de son ami et
disciple, lui sont inférieurs. Ils sont en quelque sorte « moins nature »
et paraissent faits d'après une tradition, ou, pour mieux dire, en suivant
des règles plus ou moins conventionnelles déduites de l'oeuvre même du
maitre. Il est assez naturel d'ailleurs que, vu la place secondaire qu'ils
tiennent dans la composition, ils soient d'un dessin plus sommaire. Ils
n'en sont pas moins intéressants pour nous, car ils mettent bien en
lumière et cela d'une façon presque schématique deux grands signes de la
lèpre pris sur le vif et si bien représentés au naturel par Albert Durer :
d'une part les tubercules ou les ulcérations, et de l'autre l'atrophie mus-
culaire. »
Nous rapprocherons de ces deux gravures, un infirme figuré sur un
tableau de Hans BURGKMAIER, que nous avons vu cette année au musée
d'Augsbourg, La Basilique de Saint Jean de à à Rome (1).
L'infirme en question, qui, d'ailleurs, n'occupe qu'une place minime
dans la composition, est accroupi, à gauche, les membres inférieurs très
amaigris, comme desséchés, offrant un assez bon exemple de ces paralysies
avec contracture et atrophie musculaire que la Lèpre sait réaliser.
MATTHIAS GuUNEWALD
. (commencement du XVI, siècle).
MATTHIAS GRUNENALI), dont la vie est encore mal connue, a laissé des
oeuvres en nombre important, de valeur inégale, mais qui retiennent tou-
(1) N° 20, Panneau central d'un tryptique.
LA LÈPRE DANS L'ART 455
jours l'attention par leur cachet d'originalité, leur facture troublante, et
leur réalisme souvent excessif. Son Saint Erasme, à l'ancienne Pinacothè-
que de Munich, enroulant paisiblement ses entrailles autour d'une sorte
de manivelle, peut donner une bonne idée de ce naturalisme que rien
n'effraie.
Un tel peintre ne pouvait manquer de laisser dans ses oeuvres des docu-
ments intéressants pour les médecins.
En effet, Charcot et Paul Richer ont signalé un fort curieux tableau où
Mathias Grûnewald a pu donner libre cours à son goût pour les exhibi-
tions pathologiques.
Il s'agit d'une peinture conservée au musée de Colmar; et représentant
Saint Antoine tourmenté par les démons (1).
Le Dr Keller qui en avait eu connaissance par le professeur Küs, de
Strasbourg, a émis à son sujet une opinion qui nous semble tout au
moins discutable.
Selon lui, un personnage figuré dans l'angle inférieur gauche du ta-
bleau, et dévoré par un mal horrible, ne serait autre qu'un syphilitique
(Fig. 9).
A l'appui de cette hypothèse, M. Keller a fait valoir les arguments sui-
vants :
« Il n'est pas difficile en effet de reconnaître un syphilitique dans ce
malheureux... L'horrible mal est gravé sur tout son corps d'une façon in-
déniable.
« Il se tord dans des convulsions indiquant d'affreuses douleurs ; la face
est rongée par des ulcérations qui ont détruit une partie du nez et de
l'oreille, les os des membres sont déformés, la main gauche est réduite à
un moignon boursouflé au bout duquel apparaît une phalangette mise à
nu, la main droite n'a que les trois doigts du milieu. Enfin le front, l'ab-
domen, le bras et la jambe du côté gauche sont couverts d'une éruption
caractéristique. Qui pourrait se tromper à l'aspect de ces lésions et quelle
autre maladie pourrait les produire, si ce n'est la syphilis ?
« Il est permis de croire aussi que le peintre a copié son sujet sur la na-
ture même, car les lésions paraissent figurées avec une grande vérité. Il y
a peut-être quelque exagération dans la matière dont est représenté le
bras gauche, qui est réduit à un état vraiment rudimentaire. Mais, dans
la main qui fait suite à ce bras, ne voyons-nous pas des lésions osseuses
absolument acceptables ? Quant aux manifestations cutanées, elles nous
semhlent peintes avec plus de fidélité encore, elles ne diffèrent pas de
celles que l'on peut voir de nos jours dans les formes un peu sévères de la
(1) Voy. Difformes et Mal. dans l'Art, p. 79 et seq.
456 HENRY MEIGE
maladie. Dans l'éruption qui couvre la jambe et le bras du côté droit, ne
trouvons-nous pas les signes de la syphilis, des pustules cutanées avec leurs
croûtes d'une teinte gris verdâtre el leur auréole rouge vineux ? Sur le
/ Fig. 9.
Lépreux sur un tableau représentant Saint Antoine tourmenté par les démons, par
Mathias GNUNEVATD (XVIe siècle). Musée de Colmar. (Extrait des Difformes et Ma-
lades dans l'Art.
LA LÈPRE DANS L'ART 457
ventre, ces grosses pustules ne représentent-elles pas des syphilides tuber-
culeuses avec leur forme conique et leur teinte violacée ? .....
« On comprend en les voyant le nom de grosse vérole que l'on avait
donné à la maladie.
« Enfin tous les caractères de la syphilis ne se retrouvent-ils pas dans
les ulcérations de la face, dans les exostoses qui se voient sur le cubitus et
dans la manière dont le peintre a représenté les cheveux ? »
Nous ne connaissons pas la peinture originale qui se trouve au musée
de Colmar, mais nous en avons vu une copie que possédait M. le Profes-
seur Charcot, et malgré l'argumentation très étudiée du Dr Keller, il
nous semble difficile d'accepter, sans réserves, le diagnostic de syphilis.
D'abord, en ce qui concerne les ulcérations dont le corps entier de ce
malade est couvert, il n'est pas douteux qu'on peut, non sans vraisem-
blance, incriminer la syphilis; elle est capable desemblablesméfai1s.14lais
on peut en dire autant de la Lèpre ; car, ainsi que l'ont fait justement ob-
server Charcot et Paul Richer, les lésions cutanées figurées par les pein-
tres sont rarement caractéristiques.
On éprouve souvent les plus grandes difficultés à faire sur le vivant le
diagnostic causal d'une ulcération, d'une pustule, etc. ; rt fortiori, faut-il
se montrer réservé dans un diagnostic fait ex pictura, sur une image qui
ne vise pas à l'exactitude pathologique,exécutée par un artiste peu exercé
aux difficultés de l'observation clinique, surtout lorsqu'il s'agit d'une
oeuvre de date ancienne. ' i',
Le Dr Keller demandait quelle autre maladie pourrait produire ces lé-
sions, sinon la syphilis ? -Mais, sans multiplier les exemples, il nous sein ! %
ble que la Lèpre pourrait être incriminée avec non moins de vraisemblance.-
Ces ulcérations « avec leurs croûtes d'une teinte gris-verdàtre, et leur au-
réole rouge vineux », ces grosses pustules tuberculeuses « avec leur forme
conique et leur teinte violacée » se retrouvent intégralement parmi les
manifestations cutanées de la Lèpre. Ne décrit -on pas des pustules et des
ulcérations lépreuses, et le tubercule lépreux n'est-il pas encore plus signi-
ficatif que la syphilide tuberculeuse ?
Ces remarques faites, il est juste de reconnaître que les deux diagnos-
tics peuvent être également bien défendus, lorsqu'on ne considère que les
lésions cutanées figurées sur ce tableau.
Il n'en va plus ainsi en ce qui concerne l'interprétation des lésions
osseuses. Celles-ci, à n'en pas douter, sont imputables à la Lèpre. Ellessont
même un exemple remarquablement exact des mutilations produites par
cette maladie.
« La main gauche est réduite à un moignon boursouflé au bout duquel
.458 HENRY MEIGE
apparaît une phalangette mise à nu ; la main droite n'a que les trois doigts
du milieu. » .
Pour quiconque a vu de près des Lépreux, l'examen de ces difformités
ne saurait entraîner le doute. -
La Lèpre mutilante est bien la cause de ces mutilations; les syphilis les
plus sévères ne les réalisent que très exceptionnellement. D'ailleurs, le
Dr Keller en fut frappé lui-même : « Il y a peut-être quelque exagération,
disait-il, dans la manière dont est représenté le bras gauche, qui est réduit
à un état vraiment rudimentaire. »
Cette critique seraitjuste avec l'hypothèse de la syphilis. Elle cesse de
l'être, si l'on admet qu'il s4agit d'un Lépreux. Ces pertes de substance
osseuse et musculaire, que l'artiste a figurées avec une si scrupuleuse
vérité, correspondent bien à ce que nous savons des effets destructeurs de
la Lèpre.
Et,si l'on en rapproche les ulcérations de la face qui semblent avoir dé-
figuré le pauvre diable en question, en rongeant une partie du nez, de l'o-
reille et peut-être aussi les yeux, on arrive à réunir un ensemble de symp-
tômes qui conduisent à le considérer comme un véritable Lépreux (1).
En définitive, pour toutes ces raisons, nous croyons qu'il y a lieu de
modifier l'interprétation de l'affreuse maladie représentée par Mathias
Grünewald. L'hypothèse de la Lèpre est non seulement défendable, mais
beaucoup plus vraisemblable que celle de la syphilis.
Elle est d'ailleurs conforme aux traditions picturales : le Lépreux sym-
bolisant en quelque sorte l'apogée des souffrances humaines causées par
la maladie (2).
(t) Les pieds de ce personnage, un peu perdus dans l'ombre, seraient, selon le
Dr Keller, des « pattes d'oiseau palmées N'ayant pas vu la peinture originale il nous
est défendu de nous prononcer ; mais n'est-il pas permis de se demander si cette
apparence ne proviendrait pas d'une figuration défectueuse de quelque malformation
pathologique (atrophie, griffe qui, elle aussi, aurait été inspirée par la vue de lé-
sions lépreuses et que l'artiste aurait plus ou moins exactement interprétées ? .
(2) Le Dr Keller a fait remarquer aussi que le tableau ayant été peint vers la fin du
XVe siècle, Grunewald avait pu prendre pour modèle une des victimes de la grande
épidémie de syphilis qui ravagea, dit-on, l'Europe entière à cette époque. Cette con-
jecture est ingénieuse ; mais il ne faut pas oublier qu'à la même époque la Lèpre
sévissait aussi cruellement, et dans tous les pays. L'horreur qu'inspiraient ses ravages
séculaires était universellement ressentie. Elle était bien faite pour symboliser le plus
cruel fléau de l'humanité. Et à ce titre, un peintre ne pouvait manquer de lui donner
la préférence sur une maladie d'importation récente dont les méfaits étaient encore
mal connus.
Une autre remarque permet très bien de comprendre l'introduction d'un Lépreux
dans une Tentation de saint Antoine.
Les auteurs du Moyen Age ont souvent insisté sur un symptôme de la Lèpre qui se
traduisait par le libido inexplebilis coeundi. Pour guérir les Lépreux de ces désirs im-
LA LÈPRE DANS L'ART 459
1
N. Manuel DEUTSCH.
Berne (1464-1530).
Au musée de Bâle, sur une peinture à la détrempe de NICOLAS Manuel
DEUTSCH, sont figurés plusieurs malades, et parmi eux, se trouve au moins
un Lépreux.
Cette peinture représente Sainte Anne, Saint Jacques et Saint Rocla in-
voqués contre les maladies (1).
Le haut de la composition est occupé par les trois Saints. Au milieu,
Sainte Anne tenant sur ses genoux l'Enfant Jésus ; à ses pieds, la Vierge
enlr'ouvrant un livre.
A gauche, Saint Jacques avec le manteau et le bourdon de pèlerin.
A droite, Saint Roch, les mains croisées sur la poitrine, sa tunique rele-
vée pour montrer sur la cuisse gauche mise à nu une plaque rouge, pro-
bablement un indice de la peste dont il fut frappé. Un petit ange mon-
tre du doigt le siège du mal (2).
Au-dessus, Dieu dans une gloire.
Dans la partie inférieure du tableau, on voit : au milieu, un paysage,
lac, verdures, maisons et montagnes. A droite, un gentilhomme à genoux.
avec sa femme, suivis de plusieurs personnages. A gauche, le groupe de
malades.
Au premier plan, une femme à genoux, relevant de la main droite sa
manche gauche et montrant sur son avant-bras une large plaque rouge
et ulcérée. La main tombe inerte, flasque. Lésion cutanée et lésion ner-
veuse dont la coexistence fait songer à la Lèpre, hypothèse que rend vrai-
semblable l'invocation de cette malade à Saint Roch, patron de toutes les
affections contagieuses, imploré cependant de préférence par les pestiférés.
périeux et jamais assouvis, on n'hésitait pas à pratiquer sur eux la castration. L'évê-
que Hugo, atteint de la Lèpre, n'hésita pas à se soumettre à cette opération radicale ;
mais, dit la chronique, opprobriunx spadonis tulit episcopus, et nullum invenit 7-eine-
dium, quoad vixit leprosus (a).
Cette donnée alors courante des désirs vénériens excessifs attribués à la Lèpre a pu
guider Grünewald dans le choix de la maladie qu'il désirait mettre en rapport avec
le sujet de son tableau. N'y avait-il pas toute une série de réflexions morales à tirer
de l'état des Lépreux tourmentés par un désir brûlant qu'il leur était interdit d'as-
souvir ? ....
(1) N 44 du Cat. T. H. I, 38, L. 1, Il.
(2) Remarquons en passant que l'artiste a figuré la lésion cutanée sur la face su-
péro-externe de la cuisse, contrairement à la tradition qui représente, conformément
à la réalité pathologique, le mal de Saint Roch, siégeant à la partie supéro-interne,
près du pli inguinal, là où se trouvent les ganglions dont l'inflammation donne lieu
au bubon pesteux.
460 HENRY MEIGE
Derrière cette femme, un homme est debout, le torse presque nu. Une
écharpe passée autour du cou soutient ses deux bras croisés sur la poi-
trine. La jambe gauche, portée en avant, est déformée par un oedème
considérable, et, par places, largement ulcérée. Le pied énorme, tuméfié
à l'excès, n'a plus forme humaine. La cuisse au-dessus du genou, est en-
tourée de linges. L'autre jambe est dissimulée par l'étoffe dont le bas
du corps est drapé. On distingue cependant encore le pied droit, com-
plètement bouleversé etentouré'de linges.
Le haut du torse et le cou sont très amaigris ; çà et là, on y voit des
taches rougeâtres, macules ou pustules ; les clavicules et les cordes
musculaires des slerno-masloïdiens font une saillie exagérée.
La face n'est pas moins intéressante ; son expression de souffrance est
saisissante; elle est rendue plus cruelle encore par ce fait que la lèvre
supérieure a subi une perte de substance qui laisse voir les dents, pro-
duisant ainsi une sorte de rictus douloureux.
. C'est encore à la Lèpre que nous a fait songer l'ensemble des signes
pathologiques que Manuel Deutsch a accumulés sur ce lamentable per-
sonnage. -
Les plaques rougeâtres, éparses sur tout le corps, n'ont pas une signifi-
cation bien précise. Les ulcérations sont déjà plus conformes à la figura-
tion traditionnelle des accidents cutanés d'origine lépreuse. Les mutila-
tions de la face semblent plus caractéristiques.
On ne voit pas lés mains, mais le geste que fait le malade permet de
supposer qu'elles sont aussi lésées,et qu'il s'efforce de les protéger comme
il peut sous son écharpe.
Le membre inférieur droit est certainement la partie du corps la plus
grièvement atteinte, et l'artiste a pris soin de la mettre en évidence. Il
reproduit avec une incontestable vérité l'aspect éléphantiasique que l'on
observe dans certaines formes de Lèpre proliférante.
A cet égard, ce document offre un réel intérêt. Il permet de comprendre
pourquoi la Lèpre a été longtemps- désignée sous le nom d'Elép ! wntiasis
des Grecs.
Hans HOLBEIN le Jeune
(Augsbourg 1497, Londres 1513)
HANS HOLBEIN le Jeune atteignit de bonne heure et bientôt dépassa le
talent de son premier maître, Hans Holbein le Vieux, son'père. Il se
ressentit cependant pendant toute sa vie des influences paternelles, et
souvent il eut l'occasion de traiter les mêmes sujets.
Il existe de lui, au musée de Bâle, une importante collection de dessins
à la plume rehaussés de lavis représentant des scènes religieuses.
LA LÈPRE DANS L'ART 461
L'un d'eux a pour sujet Sainte Elisabeth de Hongrie faisant l'aumône
à un pauvre.
La Sainte est debout, dans un hémicycle à colonnes; à droite, un gen-
tilhomme se tient à genoux ; à gauche, se trouve un infirme.
Ici encore, comme dans le tableau d'Holbein le Vieux qui se trouve à
la Pinacothèque de Munich, il est vraisemblable que l'artiste a voulu re-
présenter un Lépreux. Malheureusement, les renseignements de la cou-
leur font défaut.
On distingue sur les membres dénudés des taches destinées à figurer
les macules lépreuses, et plusieurs indications de tubercules lépreux,
schématiquement représentés par de petits cercles teintés de noir.
Les altérations de la face sont mal indiquées. Mais les membres sont
amaigris et déformés, les membres inférieurs surtout ; la jambe gauche est
entourée d'une bande, et le pied enveloppé d'un linge.
L'épaule gauche semble disloquée et l'avant bras estsillonné de réseaux
vasculaires dilatés.
Sur un tableau du même peintre, au même musée, formant l'un des
compartiments d'une Passion de Jésus-Christ, où le Christ est repré-
senté bafoué par ses bourreaux, on aperçoit au second plan un infirme
très analogue au précédent.
La teinte très sombre de la peinture en cet endroit ne nous a pas per-
mis de préciser davantage les caractères de sa maladie (1).
Écoles Flamande et Hollandaise.
BERNARD VAN ORLEY
peintre llamand (1490-1542)
L'important tryptique de van ORLEY au musée d'Anvers, représentant
le Jugement dernier et les Sept OEuv7es de Miséricorde, contient sur les
volets un grand nombre de figures d'infirmes et d'estropiés.
Sur le volet de gauche, deux fidèles et un serviteur versent à boire à
des malheureux : une femme décharnée tenant un enfant entre ses bras ;
un homme demi-nu, la face et le crâne couverts de plaies saignantes ; une
(1) Tout récemment, à l'occasion d'une exposition d'oeuvres de Holbein le Jeune
faite à Baie, en l'honneur du quatrième centenaire de ce peintre, M. le Dr Burckardt,
directeur du Musée, nous a signalé un autre lépreux de la main du maître allemand.
il s'agit d'un dessin en couleur, datant de l'année 1523, représentant un jeune
homme d'environ 20 ans, vêtu suivant la mode de l'époque, et dont u le visage
porte des signes caractéristiques de la Lèpre ». Ce dessin appartient à M. Von Lanna,
de Prague.
462 HENRY MEIGE
vieille femme qui porte un enfant sur ses épaules ; un vieillard cassé qui
s'avance appuyé sur une béquille et un bâton. Au-dessus, dans une cham-
bre, des pauvres se chauffent auprès d'une cheminée ; d'autres sont cou-
chés dans des lits.
Sur le revers de ce volet, un moine donne un manteau à un mendiant ;
un estropié s'avance appuyé sur un bâton ; un autre agenouillé implore
des secours.
Le volet de droite représente deux personnages charitables distribuant
des vêtements aux malheureux. A droite, dans une loggia un prêtre et
plusieurs personnes entourent un moribond couché dans un lit au pied
duquel une femme est en prières. Dans le fond, on délivre des prison-
niers.
Parmi les mendiants qui reçoivent des habits, un homme est vu de dos,
à demi-nu ; il a perdu le pied droit, et sa jambe entourée de linges repose
sur une gouttière à pilon. C'est tout ce que l'on peut en dire.
Bien plus intéressant est un pauvre diable assis sur un tas de paille,
ayant à côté de lui une béquille et un linge sur lequel on distingue un
crâne d'animal et quelques pièces de monnaie. (PI. LI. D.)
Un vêtement sommaire couvre ses épaules et ses reins ; sa cuisse gau-
che est entourée de linges. Mais tous ses autres membres sont nus. Ils sem-
blent réduits à leur squelette., La peau,d'un brun très foncé,est collée sur
les os, moulant toutes les saillies, bridée seulement par les cordes tendi-
neuses. Tout le corps semble momifié.
Les deux jambes ramassées et croisées semblent immobilisées par une
raideur invincible : le pied gauche en extension forcée, les orteils recour-
bés en forme de crochets.
Le bras droit se soulève avec peine jusqu'à l'horizontale, ankylosé dans
toutes les jointures, la main contracturée en flexion et les doigts en griffe
soutenant une sonnette.
Le bras gauche est raidi exagérément. La main qui le termine est aussi
en flexion forcée, et il semble bien qu'elle a perdu un ou plusieurs
doigts.
Le visage porte les traces de lésions profondes, déformant le nez, les
joues et les yeux ; la bouche est ouverte exagérément.
De quelle singulière maladie van Orley s'est-il inspiré pour peindre un
si pitoyable personnage ? Un tel degré d'amyotrophie accompagné de con-
tractures de cette sorte est chose peu fréquente dans la nature. Et non seu-
lement les muscles sont réduits à néant; mais la peau encore semble par-
ticiper à ce processus d'atrophie et de sclérose.
On pourrait penser à quelque forme de sclérodermie généralisée, parti-
LA LÈPRE DANS L'ART
A. 1 épieux sui une fresque de la chapelle Siwinc, par
Cosimo H053L11 il (XVI. siècle).
C. : 1 crrel1 sur un tableau de 1'1-'cole de Cologne, par
r,. \1 ? 1 ? ? , HtP»" "»-"" f"\ < ? 1 ? 'T ?
B. Lépreux sur une peinture 5 la détrempe de Maxlil 1.
Dr.uTacu siècle). Musée de Bâle
D. Lépreux sur le vokt droit du tryptiql1c du Jugement
'/) 1 w , . ,w 1 ? -, il-. 1. :
LA LÈPRE DANS L'ART 463
culièrement étendue et sévère, ayant envahi les quatre membres et la face
en même temps, immobilisant les jointures, raccourcissant muscles et
tendons, parcheminant la peau, en un mot réduisant cet être misérable à
l'état de momie vivante.
De tels exemples ont été décrits et nous en avons vu récemment un spé-
cimen célèbre dans les exhibitions foraines sous le nom d'homme-momie
sur lequel M. le professeur Grasset a publié dans ce recueil une intéres-
sante leçon.
Quelque séduisant que puisse être ce diagnostic on peut hésiter cepen-
dant à s'y arrêter, en raison de la rareté des cas de ce genre.
Mais l'on peut se demander s'il ne s'agit pas encore ici d'une figuration
de Lépreux. -
L'atrophie musculaire qui prédomine aux extrémités des membres, les
contractures ayant déterminé aux pieds et aux mains des griffes nettement
indiquées, la déformation de la face, enfin, et surtout, la mutilation des
doigts de la main gauche, tous ces accidents pourraient très bien avoir été
occasionnés par la Lèpre et observés sur nature par l'auteur du tryptique du
Jugement dernier. '
Nous savons enfin que la Lèpre trophoneurotique se manifeste quel-
quefois par des lésions cutanées rappelant à s'y méprendre celles de la
sclérodermie. Le, Lépreux d'Albert Durer semble avoir été atteint, lui
aussi, par des accidents de ce genre. Mais nulle part ils ne sont représen-
tés avec plus de réalisme que sur le tableau de van Orley. Et même, la
coloration brune de la peau signalée dans les formes sclérosantes de la Lè-
pre est rendue avec une intensité, un peu exagérée peut-être, mais qui
laisse supposer que l'artiste a eu l'occasion d'observer cette particularité
sur des Lépreux vivants. v
Une dernière remarque à l'appui de l'hypothèse d'une représentation
de Lépreux : l'infirme en question tient à la main une sonnette.
Or, on sait qu'au temps où les Lépreux circulaient librement dans les
villes, ils devaient être munis d'un appareil sonore destiné à avertir les
passants de leur présence. En général, ils agitaient une cliquette et cet
instrument servait ai la fois à écarter d'eux les timorés qu'effrayait la crainte
de la contagion, et à attirer sur eux l'attention des personnes charitables
dont ils pouvaient espérer une aumône. La sonnette pouvait également
remplir ce double but (1).
(1) Les Lépreux, dans certains pays, étaient contraints de porter un costume dis-
tinctif : une robe noire avec un voile pour la bouche ; ils étaient en outre munis de
gants, d'une panetière et de cliquettes (erepitaeuloe).
Dans les figurations du Moyen Age, les Lépreux sont souvent munis de la cli-
quette, sorte d'instrument avertisseur formé de quatre lames de bois qui, choquées
464 HENRY MEIGE
Les aveugles aussi étaient souvent porteurs d'un ustensile sonore pour
se protéger des rencontres trop précipitées et pour faire remarquer leur
présence.
Le mendiant de van Orley peut être un aveugle. Cela n'infirmerait pas
qu'il soit un Lépreux, car nous savons que dans les cas où la Lèpre s'atta-
que au visage, la perte des yeux en est une des conséquences les plus fré-
quemment notées.
Nous rapprocherons de cet infirme une figuration analogue que nous
avons remarquée au musée d'Anvers sur le volet d'un tryptique de l'E-
cole Flamande qui ne portait pas alors de nom d'auteur (N°9 576 à 579,
salle A). ·
La composition du panneau central représente un Saint Evoque céré-
moniant dans une église.
Le volet de droite a pour sujet la distribution des aumônes aux pau-
vres. Sur le volet de gauche le Saint Evêque soigne des malades.
C'est là qu'on voit, au premier plan, à gauche, un infirme assis par
terre, des béquilles à ses côtés, la jambe droite repliée, comme desséchée.
de couleur brune et entourée de quelques linges. Le pied nu offre une
apparence squelettique, il est contracture et extraordinairement émacié ;
on dirait encore un pied de momie. Cependant le reste du corps est vi-
goureusement musclé.
Derrière ce malade sont deux petits enfants et une vieille femme qui
tend son bras vers l'évêque. Ce bras ne présente pas de traces d'atrophie
musculaire ; mais la main semble inerte, flasque, etc. déformée par un
commencement de contracture, comme on l'observe dans l'hémiplégie.
Dans le fond, des fossoyeurs enterrent des cadavres.
PIERRE-PAUL RUBENS (1577-1640).
Rubens, ce prodigieux virtuose de la ligne et de la couleur qui peignit
avec une égale aisance les grâces aristocratiques des personnages princiers
et les contorsions réalistes des possédées du diable, Rubens a laissé une
Charité de Saint Martin, actuellement en Angleterre, au château de
Windsor.
Son Saint Martin, dans tout l'éclat de la jeunesse, vêtu comme un riche
seigneur du XVI" siècle, se tient fièrement en selle sur un cheval piaffant.
les unes contre les autres, prévenaient, par leur bruit, les passants de la présence d'un
individu atteint du mal contagieux.
LÈPRE dans L'ART 465
' Auprès 'de lui, se presse une troupe de miséreux, en quête d'aumône :
une femme qui tient entre ses bras un enfant presque nu, et deux hommes
dont l'un, assis par terre, vu de dos et musclé en Hercule, cherche à tirer
à lui le morceau de manteau qu'abandonne généreusement le Saint.
Un autre mendiant se précipite pour avoir, lui aussi, sa part de charité.
Et celui-ci est bien un Lépreux.
Son visage est couvert de tubercules envahissant les joues, les lèvres, le
nez et les yeux, tumeurs saillantes et arrondies, dont plusieurs semblent
ulcérées.
` L'oeil est atteint, ses lignes ne sont plus régulières ; un bandeau sur le
front le protège à moitié. Le nez se perd dans un amas de bourgeons ul-
cérés qui déforment aussi les lèvres. Bref, ce masque répugnant ne peut,
appartenir qu'à un Lépreux.
On ne voit pas les bras, cachés sous de misérables loques ; mais au bout
d'une jambe encore bien musclée on entrevoit un pied informe; l'autre est
perdu dans l'ombre, ou manque tout à fait.
Le souvenir de cette peinture vue à la hâte est trop lointain déjà pour
que nous puissions donner des renseignements précis sur la couleur, et,
avec un coloriste tel que Rubens, ces indications ne sont jamais à négliger.
Cependant,- à ne considérer que la forme et la disposition des lésions du
visage, nous croyons bien qu'en figurant un tel infirme, Rubens, fidèle
d'ailleurs à la tradition, a voulu représenter un Lépreux; enfin, il sem-
ble vraisemblable qu'il a eu l'occasion d'observer par lui-même les effets
de la Lèpre sur le vivant.
Maître Inconnu.
Ecole Flamande (XVIIe siècle ? )
La Charité de Saint Martin est représentée au musée de Gand par un
tableau de valeur secondaire, mais où les infirmes secourus par le Saint
nous ont paru présenter un réel intérêt médical. '
Dans un grand paysage boisé, avec fond montagneux,où passe une rivière
et où se dressent des châteaux- forts, Saint Martin s'avance à cheval, recou-
vert d'une riche armure et donne son manteau à un pauvre qui se tient
au bord du chemin.
Ce pauvre est dans un état lamentable. Il se tient debout à grand'peine,
se soutenant avec une béquille sous l'aisselle gauche. La jambe gauche,
privée de son pied, entourée de linges, repose sur un pilon fixé au genou.
Le torse est nu, maigre, difforme ; on le voit de dos. L'omoplate flottante
semble disloquée, et dans le geste que fait ce mendiant pour saisir le
manteau du Saint,on voit le bord spinal de l'os s'abaisser et saillir exagéré-
ment. ' ' . .
x 32
466 HENRY MEIGE
Que l'artiste l'ait voulu ou non, cette attitude répond bien à ce qu'on
observe dans les cas d'atrophie musculaire portant sur les muscles trapèze
etgrand dentelé. Ceux-ci sont d'ailleurs d'un volume extrêmement réduit.
Mais l'anatomie de ce personnage étant, d'une façon générale, assez mal
traitée,on ne peut que signaler,sans y insister outre mesure,ces anomalies
morphologiques.
Le visage,dont on ne voit que le profil,n'est pas moins contrefait que le
reste du corps : un nez retroussé ou détruit à demi, de grosses lèvres sail-
lantes et un oeil lamentable, cerclé de rouge vif, les paupières réduites à
un liseré saignant.
Tel qu'il est, avec son omoplate « ailée », l'atrophie des muscles de la
ceinture scapulaire et du bras, les lèvres aux bords retroussés et son oeil
dont le globe saillant reste à découvert, cet infirme évoque l'idée d'un de.
ces cas d'amyotrophie du type facio-scapulo-huméral dont le facies et
l'attitude sont presque pathognomoniques.
Et à la vérité, ce type clinique est assez saisissant pour avoir pu frapper
un peintre bon observateur des difformités humaines.
Cependant, dans le cas présent, un tel diagnostic ne saurait être qu'une
simple hypothèse.
Non loin du groupe formé par Saint Martin et cet infirme, un autre
mendiant est assis, à gauche, sur le bord du chemin, vêtu d'un manteau
vert et de chausses brunes, coiffé d'un bonnet rouge; il tient une clo-
chette à la main ; un chien est assis à ses côtés.
C'est un aveugle et probablement un Lépreux aveugle, car son nez est
presque entièrement rongé par une vaste ulcération. Ses lèvres ont été
également atteintes : la bouche est de travers et ne peut plus se fermer.
Enfin les yeux sont irrémédiablement perdus ; on ne voit plus qu'une fai-
ble portion de la sclérotique cachée sous le ptosis de la paupière supé-
rieure.
Cet aveugle au visage défiguré par les ulcérations et les brides cicatri-
cielles est très probablement un Lépreux.
La sonnette qu'il tient à la main confirmerait cette conjecture, d'après
ce que nous avons dit pour l'infirme de Van Orley.
Le premier mendiant, auquel le Saint donne son manteau, est peut-être
aussi une victime du même mal. Son pied mutilé, la déformation de son
nez et de ses lèvres, l'affection oculaire et jusqu'à l'atrophie du bras et de
l'épaule dont il est atteint, tous ces accidents, nous l'avons vu, peuvent
être mis sur le compte de la Lèpre.
Ne savons-nous pas en outre que la tradition plaçait fréquemment des
Lépreux sur le passage de Saint Martin.
Le site désert où chemine le Saint, aux alentours d'une ville fortifiée,
LA LÈPRE DANS L'ART 467
était peut-être le seul refuge permis aux malheureux qu'avait frappés le
mal justement redoutable.
Dans ce cruel exil, sans abri et sans pain, ils n'avaient d'autre res-
source que d'agiter leur cloche lamentable, trop heureux lorsqu'un voya-
geur compatissant, au lieu de s'esquiver à la hâte loin de ce son maudit,
daignait leur jeter à distance la plus minime des oboles (1).
Parmi les autres figurations d'estropiés et de malades appartenant aux
Ecoles Flamande et Hollandaise, nous avons relevé encore quelques docu-
ments où l'on peut à la rigueur reconnaître les indices de la Lèpre ; mais
ils ne sont pas aussi caractéristiques, et nous ne les rappellerons que pour
mémoire..
Une peinture de I'Ecole DE H.1ARLEAi, au musée de Rotterdam (n° 90)
représentant les OEuvres de la Miséricorde, nous fait voir plusieurs infirmes
recevant des aumônes.
L'un d'eux, à droite au premier plan, se tient à genoux, les jambes
entourées de linges, maintenues dans des gouttières en bois, s'appuyant
de la main droite sur un chevalet. La jambe droite est amputée au niveau
de la cheville. La figure est maladive, mais sans lésions spéciales.
Sur le même tableau, un autre infirme, demi-nu, se tient debout sur
une seule jambe, deux béquilles sous le bras, un pilon sous la jambe
droite qui est enveloppée de linges. Le haut de son torse est amaigri. En
outre, on voit sur sa tête une plaque dénudée telle qu'en produit la teigne
ou la pelade.
JAN Brueghel LE Vieux (ho68-1625) a peint un Saint Martin achevai
au milieu d'un village, partageant son manteau entre une foule d'estro-
piés, boiteux, bossus, aveugles, culs-de-jatte, etc., qui se pressent
autour de lui, exhibant un fouillis d'infirmités,où l'on reconnaît cependant
des figurations très réalistes de paralysies, d'atrophies musculaires, de
griffes, de contractures. Mais ces personnages sont de dimensions trop
exiguës pour qu'on puisse interpréter clairement leurs difformités. Cette
peinture, sur cuivre, se trouve à l'ancienne Pinacothèque de Munich
(n° 703).
(1) Il était défendu aux Lépreux, selon le chroniqueur Salites :
« De ne plus entrer es églises, moulins, fours ou marchez, ny de se trouver es
assemblée de peuple
« De ne répondre sur les chemins à ceux qui l'interrogeraient, s'il n'est hors et au-
dessous du vent, de peur qu'il n'infecte les passans...
« De ne point passer par les chemins estroicts, pour obvier aux rencontres malen-
contreuses, etc... z
468 . HENRY MEIGE E
DAVID TENIERS le Jeune (1610-1690) est représenté dans la galerie
Steengracht, à la I-Iaye,par une peinture des OEuvres delà lIis(,,iicoi-de,oii
figurent plusieurs estropiés. Un entre autres, au premier plan, à gauche,
vu de profil, se traîne à genoux sur deux courts pilons, aidé de petites
béquilles. Les deux pieds sont amputés, les moignons entourés de linges.
C'est aussi sans doute un Lépreux qui se trouve figuré sur le revers d'un
tryptique de la Cathédrale Saint-Sauveur, à Bruges (Chapelle des fonts
baptismaux, peinture en camaïeu gris, rehaussée de couleurs sur les
chairs).
Le sujet de cette peinture est encore la Charité de Saint Martin.
Le Saint, il cheval, coupe son manteau pour en donner la moitié à un
infirme, demi-nu, accroupi, de profil, tenant de la main droite une sébille,
et s'appuyant de la gauche sur le sol.
Sur l'épaule gauche est peint, avec une certaine recherche d'exactitude,
un large ulcère arrondi, à fond grisâtre, à bords rouges et bourgeonnants.
C'est une lésion bien imitée, mais qui n'est pas caractéristique de la
Lèpre.
La figure du mendiant est fort laide : nez déformé, lèvres épaisses, une
sorte de goitre sous le menton.
En voyant ce personnage nous avons cependant songé à un Lépreux,
mais en nous rappelant surtout la tradition picturale qui plaçait ces ma-
lades sur le passage de Saint Martin.
Au musée de Stockholm, un tableau de JAN HooGSAAT, peintre hollan-
dais (1651-1755), représente le Christ guérissant un Lépreux (n° 475).
Celui-ci a les bras croisés sur la poitrine, et la tête entourée d'un bandeau
blanc.
Nous ferons remarquer à ce propos que les Lépreux sont souvent re-
présentés les bras croisés sur la poitrine et la tête entourée d'un bandeau.
Cette figuration qui semble conventionnelle fut sans doute adoptée par les
peintres, lorsqu'ils hésitaient à reproduire les horribles déformations du
visage et des mains. On pourrait en dire autant des Infirmes dont les
jambes ulcérées et oedématiées sont enveloppées de bandes; ceux-ci sont
peut être également des Lépreux. - '
VI
,
Dans les oeuvres d'art de l'Ecole Française, nous ne connaissons pas de
figurations de Lépreux, si ce n'est la miniature du livre d'heures d'Anne
. LA LÈPRE DANS L'ART 469
. de Bretagne (XVe : siècle) déjà signalée par Charcot et Paul Richer (1). : . Elle représente Job sur son fumier. Le texte sacré dit à ce propos :
« Une lèpre hideuse lui couvrait tout le corps. » Mais le mot « lèpre » peut
- être attribué ici,comme dans beaucoup de textes anciens, n'importe quelle
. autre affection cutanée.
Sur la miniature en question « on voit sur tout le corps, et jusque sur
le visage, une quantité considérable de macules jaunâtres, de toutes di-
mensions, entourées d'une auréole rouge ». Elles n'ont rien de bien carac
téristique. - .
Il en est ainsi dans la plupart des peintures où Job est représenté.
. Suivant leur inspiration les artistes anciens ont tenté de reproduire sur
le corps du malheureux les lésions cutanées qui les avaient le plus frappés.
Une des peintures les plus importantes sur ce sujet est de la main d'Al-
bert Durer et se trouve au musée de Frankfort. -
Job, complètement nu, a le corps couvert de taches rouge bistre, peu
significatives. Sa femme, dans un élan de propreté passionnée, verse un
grand seau d'eau sur le malheureux vieillard, sans parvenir d'ailleurs à
le tirer de s'a béate résignation (2).
' Saint'Lazare étant devenu de bonne heure le patron des Lépreux, on est
tenté de chercher dans l'Iconographie religieuse des représentations de ce
Saint. De même que Saint Roch, patron des Pestiférés, pestiféré lui-même,
est fréquemment figuré avec les stigmates de la peste (en particulier
le bubon de l'aine)'(3), on pouvait espérer des images de Saint Lazare pré-
sentant les signes extérieurs de la Lèpre.
Nous n'avons cependant rencontré jusqu'alors aucun document de ce
genre. -
11 faut remarquer à ce propos que Lazare, patron des Lépreux, n'est pas
- (1) Loc. cit., p. 83.
(2) Charcot et PAUL 131CfiER signalent encore une gravure tirée d'une Vie de saint
Benoit en images (1578) où le saint guérit un lépreux.
« Le malade montre à découvert la partie supérieure du corps marqué et d'une sorte
de semis régulier de petits ronds, représentant des taches ou de petites pustules » qui
ne sont pas sans analogie avec celles qu'on voit sur la miniature du livre d'heures
d'Anne de Bretagne.
Charcot a noté, à Séville, au-dessus de la porte de l'hôpital des lépreux, une ma-
jolique où est figuré un malade en haillons, avec des béquilles, une cliquette à la
main. Des chiens lèchent ses jambes et ses bras couverts de plaies qui n'ont d'ailleurs
aucun caractère spécifique.
Un tableau moderne d'Albert Maignan, représentant Saint-Louis consolant un Lé-
preux, a figuré au Salon de 1878. Il est actuellement au musée d'Angers.
(3) Voir à ce sujet le chapitre des pestiférés dans les Difformes et Malades dans
L'Arl, et IInnnr Meige, La peste dans l'Art. La Nature, 10 avril 1897.
470 HENRY MEIGE
un personnage ayant existé réellement, mais le nom d'un être allégorique
symbolisant la misère et la maladie dans la parabole des Evangiles
(Saint Luc, XV) relative au mauvais riche.
Le Lazare de la parabole n'est pas celui que Jésus-Christ ressuscita ;
ce dernier était le frère de Marthe et de Marie. L'épisode de cette résur-
rection a suscité un grand nombre d'oeuvres d'art.
La parabole du mauvais riche a inspiré beaucoup moins d'artistes, et il
est rare que les caractères de la Lèpre soient bien indiqués sur le corps du
malheureux Lazare, quêtant en vain une aumône à la porte du cruel
Epulone.
Sur un tableau de BOl11fazio Veronèse, à l'Académie des Beaux-Arts de
Venise, Lazare est représenté sous la figure d'un infirme, la tête bandée,
un linge autour de la cheville gauche, et se soutenant sur une béquille.
Suivant la tradition, un chien lèche ses pansements.
VII
En résumé, on peut se rendre compte, par les exemples précédents, que
les figurations des Lépreux ne sont pas rares sur les oeuvres d'art du XIVe
au XVIe siècle.
Les caractères de la Lèpre sont souvent figurés avec une exactitude qui
rend son diagnostic indubitable, et qui s'explique par le grand nombre
des Lépreux que les artistes pouvaient rencontrer en ce temps-là. ,
Fidèles observateurs de la nature et des traditions religieuses, les pein-
- tres s'attachèrent à représenter des Lépreux conformes* à la vérité patholo-
gique dans toutes les circonstances où il en était fait mention : à la porte
du temple, sur le passage de Saint Martin, aux pieds de Sainte Elisabeth
de Hongrie, dans les OEuvres de la Miséricorde, auprès des tombeaux
réputés miraculeux, etc.
La liste de ces figurations est loin d'être close. Mais, dès à présent, il
nous a paru intéressant d'en faire connaître les spécimens les plus pro-
bants.
TABLE DES MATIÈRES
Amélie. Description du type et considé-
rations pathogéniques au sujet d'un
cas nouveau, par HENRI Meunier (15 fi-
gures et 1 planche), 15.
Apophysalgie pottique, par A. CHIP.1ULT,
123.
Application des rayons de Roentgen à
l'étude de la texture d'os pathologiques
(ostéite déformante de Paget), par LÉo-
POLD Lévi et A. LONDE (2 planches), 198.
Applications médicales de la méthode de
Rcer7tgezz : 10 Nouvel interrupteur d
mercure pour bobine d'induction
(1 figure) ; 2o Radiographie de la main
d'un sexdigitaire (5 radiographies), par
ALBERT LONDE et Henry MEIGE, 36.
Arthropathie nerveuse vraie et troubles
trophiques articulaires d'apparence
rhumatoide, par PAUL LONDE, 38.
Atrophie musculaire et douleurs des hé-
miplégiques (pathogénie et prophy-
laxie),par Gilles DE la TOURETTE (2 pho-
totypies), 287, 3'10.
Atrophie musculaire du type Aran-Du-
chenne chez un chemineau (un Job
moderne), par Targovvla (2 fig., 1 plan-
che),414.
Contracture hystéro-traumatique des
muscles du tronc (un cas de), par PAUL
BICHER et A. Souques (1 planche), 109.
Dédoublement du tourbillon des cheveux
et de l'infundibulum sacro-coccygien,
par CH. Féré (2 planches), 195.
Déviation des doigts « en coup de vent »
et insuffisance de l'aponévrose pal-
maire d'origine congénitale, par E.
Boix (1 photographie et 1 radiographie),
180.
Deux cas de gigantisme suivi d'acro-
mégalie, par E. BRISSAUD et HENRY
MEIGE (2 planches), 374.
Goitre dans l'art, par Henry MEIGE
(5 photogravures), 294.
Hémimélie chez un fils de syphilitique
(un cas d') (1 planche), par G. GaSNE, 31.
Hémisection traumatique de la moelle
(syndrome de Brown-Séquard) (sur un
cas de), par F. IjAYUfoND (3 ligures et
1 planche en couleur), 1, 166, 305.
Hypertrophie congénitale des doigts mé-
dius et index de la main gauche, par
CE9TA. (2 figures, 1 planche), 399.
Infantilisme myxoedémateux, par E.
BRISSAUD (15 photogravures), 249.
La Lèpre dans l'Art, par Henry Meige
(9 ligures, 2 planches), 418.
Les Emmurés de Tiraspol, par P. E.
I,AUNOts (2 phototypies), 355.
Lésions des cellules nerveuses de la
moelle dans la rage humaine (note sur
les), par J. Sabrazès et C. CABALES
(25 figures et 1 planche), 155.
Main « succulente », par Marinesco
(5 figures et 3 planches), 84, 202.
Malformations des mains en pinces de
homard et asymétrie du corps chez une
épileptique, par Raymond et P. JANET
(5 figures, 3 planches), 369.
Mélanodermie récurrente chez un pipi-
leptique apathique (note sur un cas de),
par CH. Féré (2 phototypies), 332.
Noevi dans leurs rapports avec les terri-
toires nerveux, par G. ETIENNE (3 des-
sins, 4 phototypies et 1 photogravure),
2133.
Ostéite déformante de Paget (un cas d').
Interprétation des lésions de la moelle
épinière, par Léopold Lévi (1 figure et
1 planche), 113. ,
Polynévrite dans ses rapports avec les
lésions de la cellule nerveuse (histolo-
giepathologique),par SOUKIIANOFF (4 fi-
gures), 347. ·
Pouilleux dans l'Art, par HENRY MEIGE
(5 photogravures), 358.
Peintres de la médecine (Ecoles flamande
et hollandaise). Les Pédicures au
XVIIe siècle (7 ligures et 6 planches),
par HENRY MEIGE, 45, 127.
Radiographie des os dans la paralysie
infantile, par CH. Achard et Léopold
Lévi (6 phototypies), 324.
Station hanchée dans ses rapports avec
la scoliose dorsale primitive des ado-
lescents, par PAUL RICHER (1 planche
en phototypie), 12.
Tic du Colporteur (spasme polygonal
post-professionnel), par le professeur
Grasset (3 phototypies), 218.
Torticolis mental (son traitement médi-
cal), par FEINDEL (1 planche), 404.
Tumeur cérébrale sans localisation pos-
sible (diagnostic d'une) (2 phototypies),
par E. Brissaud et E. de MASSARY, 37 .
Traitement de l'Ataxie par l'élongation
vraie de la moelle, par GILLES DE la
TOURETTE et A. CHIPAULT (3 figures),
145. '
TABLE DES AUTEURS
ACHARD (F.) et LÉOPOLD-LÉVI. Radiogra-
phie des os dans la paralysie infantile
(6 phototypies), 3'M. -
Boix (E.). Déviation des doigts en coup de
vent et insuffisance de l'aponévrose pal-
maire d'origine congénitale (1 photogra-
phie et 1 radiographie), 180.
BRISSAUD (E.). De l'Infantilisme myxoedé-
mateux (15 photogravures), 240.
BRISSACD (E.) et E. DE MASSARY. Dia-
gnostic d'une tumeur cérébrale sans lo-
calisation possible (2 phototypies), 73.
BRISSAUD et Henry MEIGE. Deux cas de gi-
gantisme suivi d'acromégalie (2 plan-
ches), 374. ,
CABANNES (C.) et J. Sabrazès. Note sur
les lésions des cellules nerveuses de la
moelle dans la rage humaine (25 figures
et 1 planche phototypique). 155.
CESTAN. Hypertrophie congénitale des
doigts médius et index de la main gau-
che (2 figures, 1 planche), 399.
Chipault (A.). L'apophysalgie pottique
- 123.
CHIPAULT (A.) et GILLES DE la TOURETTE.
Traitement de l'ataxie par l'élongation
vraie de la moelle (3 figures), 145.
ETILNNE (G.).Des nsevi dans leurs rapports
avec les territoires nerveux (3 dessins,
4 4 phototypies et 1 photogravure), 263.
Feindel. Torticolis mental (1 planche),
404.
FÉRÉ (CH.). Note sur l'asymétrie crânio-
faciale dans l'hémiplégie spasmodique
infantile (4 phototypies), 282.
Féré (CH.). Le dédoublement du tourbil-
lon des cheveux et de l'infundibulum
sacro-coccygien (2 phototypies), 195.
FÉRÉ (CH.). Note sur un cas de mélano-
- dermie récurrente chez un épileptique
apathique (2 phototypies), 332. *
GASNE (G.). Hémimélie chez un fils de sy-
philitique (un cas d') (1 planche en pho-
totypie), 31.
Gilles DE la TOURETTE. Pathogénie et pro-
phylaxie de l'atrophie musculaire et des
douleurs des hémiplégiques (2 phototy-
pies), 287, 340.
Gilles DE la TOURETTE et A. Chipault.
Traitement de l'ataxie par l'élongation
vraie de la moelle (3 figures), 145.
Grasset. Tic du colporteur (spasme poly-
gonal post-professionnel) (3 phototypies),
218.
Janet (Pierre) et RAYMOND. Malformations
des mains en pinces de homard et asy-
métrie du corps chez un épileptique
(5 figures, 3 planches), 369.
LkuNois (P. E.). Les emmurés de Tiraspol
(2 phototypies), 355.
Lévi (LÉOPOLD). Un cas d'ostéite défor-
mante de Paget. Interprétation des lé-
sions de la moelle épinière (1 figure et
1 planche), 113.
Lévi Léopold et Cn. Achard. Radiogra-
phie des os dans la paralysie infantile
(6 phototypies), 324.
Lévi Léopold et A. LONDE. Application
des rayons Roentgen à l'étude de la tex-
ture d'os pathologique (ostéite défor-
mante de Paget) (2 planches), 198.
LONGE (ALBERT) et Henry MEME. Applica-
tions médicales de la méthode de Roent-
gen : 1° Nouvel interrupteur à mercure
pour bobines d'induction (1 figure) ;
2° Radiographie de la main d'un sexdi-
gitaire (5 radiographies), 36.
L oNDE (Albert) et Léopold Lévi. Appli :
cation des rayons de Roentgen à l'étude
de la texture d'os pathologique (ostéite
déformante de Paget) (2 planches), 198.
LONDE (Peur.). De l'Arthropathie nerveuse
vraie et des troubles trophiques articu-
laires d'apparence rhumatoïde, 882.
MARINESCO. De la main « succulente »
(5 figures et 3 planches), 84, 202,
MnssnftY (E. DE) etE. BRISSAUD. Diagnos-
tic d'une tumeur cérébrale sans locali-
sation possible (2 phototypies), 73.
MEiGE (Henry) et ALBERT LONDE. Appli-
cations médicales de la méthode de
Roentgen : 1° Nouvel interrupteur à
mercure pour bobines d'induction (1 fi-
gure) ; 2° Radiographie de la main d'un
sexdigitaire (5 radiographies), 36.
MEME (HENRY) et E. BRISSAUD. Deux cas s
de gigantisme suivi d'acromégalie (2
planches), 374.
MEME (HENRY). Les pouilleux dans l'Art
(5 photogravures), 358.
MEIGE (Henry). Le goitre dans l'Art-
(5 photogravures), 294... ' -
MEME (HENRY). La Lèpre dans l'Art (9
figures, 2 planches), 418.
TABLE DES AUTEURS 473
MEME (HENRY). Les peintres de la méde-
. cine (Ecoles flamande et hollandaise).
Les Pédicures au XVIIe siècle (6 figures
et 6 planches), 45, 127.
MEUNIER (HENRI). Amélie. Description du
type et considérations pathogéniques au
sujet d'un cas nouveau (15 figures et
1 planche), 15.
RAYMOND (F.). Hémisection traumatique,
de la moelle (Syndrome de Brown-Sé-
quard) (un cas d') (6 figures et 1 planche
en couleur), 1, 166, 305.
RAYMOND et P. JANET. Malformations des
mains en pinces de homard et asymétrie
du corps chez une épileptique (5 figures,
3 planches), 369.
Richer (PAUL). Rapports de la station
hanchée avec la scoliose dorsale primi-
tive des adolescents (1 planche), 12.
RiCHER (PAuL) et A. Souques. Un cas de
contracture hystéro-traumatique des
muscles du tronc (1 planche), 109.
Sabrazès (T.) et C. CABANNES. Note sur
les lésions des cellules nerveuses de la
moelle dans la rage humaine (25 figures
et 1 planche), 155.
SOUIiHANOCF. Sur l'histologie pathologique
de la polynévrite dans ses rapports avec
les lésions de la cellule nerveuse (6 figu-
res), 347.
Souques (A.) et PAUL ;RICHER. Un cas de
contracture hystéro-traumatique des
muscles du tronc (1 planche), 109.
TARGOWLA. Un Job moderne. Atrophie
musculaire du type Aran-Duchenne chez
un chemineau (2 phot., 1 planche), 414.
TABLE DES PLANCHES
Amèle, III.
Asymétrie du corps chez une épileptique,
XLI.
Asymétrie crânio-faciale chez deux hémi-
plégiques infantiles, XXIX.
Coupes de moelle rabique, XIX.
Contracture hyst'èro-traumatiquedes mus-
cles du tronc, XV.
Dédoublement du tourbillon des cheveux,
XXI, XXII.
Déviation des doigts en coup de vent et
insuffisance de l'aponévrose palmaire
congénitale, XX.
Les Emmurés de Tiraspol, XXXVIII.
Gigantisme et acromégalie chez un chi-
nois, XLII, XLIII.
Un cas d'hémimélie chez un enfant hérédo-
syphilitique, IV.
Hémiplégie gauche; arthrite de l'épaule ;
atrophie musculaire, XXX.
Hémisectiou traumatique de la moelle :
répartition des troubles moteurs et sen-
sitifs (syndrome de Brown-Séquard),
I.
Hypertrophie congénitale des doigts mé-
dius et index de la main gauche, XLIV,
XLV.
Job moderne. Atrophie musculaire chez
un chemineau, XLVII, XLVIII.
Lèpre dans l'Art, XL VIII bis,XLIX, L, Ll.
Main succulente, XI, XII, XIV.
Mélanodermie récurrente chez un épilep-
tique apathique, XXXVII.
Naevus pigmentaire verruqueux et naevus
veineux, XVII, XVIII.
Ostéite déformante de Paget, XVI.
Paralysie spinale infantile, XXXI ,
XXXII.
Les Pédicures au XVIIe siècle, VII, VIII,
IX, XIII, XVII, XVIII.
Radiographies d'os longs, XXIII.
Radiographies des extrémités inférieures
des deux fémurs, XXV.
Radiographies de deux médailles d'alu-
minium superposées, XXIV.
Radiographies des mains et des pieds d'un
sexdigitaire, VI.
Radiographie de la main droite d'un sex-
digitaire, V.
Radiographie des membres inférieurs
dans la paralysie infantile, XXXIII,
XXXIV.
Radiographies des membres sup érieurs
dans la paralysie infantile, XXXV,
XXXVI.
Radiographies des pieds chez une épilep-
tique, XL.
Radiographies de mains en pinces de ho-
mard, XXXIX.
Scoliose dorsale primitive, II.
Tic du colporteur, XXVI.
Torticolis mental (3 cas), XLVI.
Tumeur cérébrale, sarcome de la pie-
mère, lobe frontal droit, X.
Le gérant : P. Bouchez
Imp. G. Saint-Aubin et Thevenot.- J. Thevenot, successour, Saint-Dizier (He-6farne).