(1897) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 10]
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(1897) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 10]

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA.

SALPETRIERE

Fondée par J. M. CHARCOT

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

F. RAYMOND

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES

DU SYSTÈME NERVEUX

A. JOFFROY

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES MENTALES

A. FOURNIER

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES CUTANÉES ET

SYPHILITIQUES

PAR

PAUL RICHER

DIRECTEUR Honte DU LABORATOIRE DE

LA CLINIQUE

GILLES DE la TOURETTE

PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE

DE PARIS

MÉDECIN DES HÔPITAUX

- - ALBERT LONDE

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

Secrétaire de la Rédaction : HENRY MEICE

AVEC LA COLLABORATION DE MM.

ACHARD, BOGROFF (Odessa), BOIX, BOTTEY, BRISSAUD, CABANNES (Bordeaux), CATHELI-

.\EAU, CESTAN, J.-B. CHARCOT, CHIP AU LT, DELPRAT (Amsterdam), DENY, DUFOUR, DURET,

DUTIL, EMIRZÉ(Smyrne), ESTEVES (Buenos-Ayres),ÉTIENNE (Nancy), FEINDEL, FÉRÉ, GASNE,

GRASSET (Montpellier), G. GUINON, HALLION, HUET, P. JANET. KATICHEFF (St-Pétersbourg),

H. LAMY, LANNELONGUE, LAUFENAUER (Buda-Pesth), LAUNOIS, LE DENTU, L. LÉVI,

P. LONDE, LUCO ORREGO (Santiago, Chili), p. MARIE, MARINESCO (Bucharest), DE MASSARY,

H. MEIGE, H. MEUNIER, M ICHAILOWSKI (So6a), MOCZUTKOVSKY (St-Pétersbourg), PARINAUD,

PARMENTIER, PITRES(Bordeaux), RAMADIER, RÉVILLIOD (Genève), A. ROBIN, SABRAZÈS (Bor-

deaux), T. D. SAVILL (Londres), SCHAFFER (Buda-Pesth), SÉGLAS, SÉRIEUX, SIKORSKY (Kiew),

SOCA (Montevideo), SOUQUES, SURMONT, TARGOWLA, TUFFIER, WEIL, etc,

TOME DIXIÈME

Avec 151 figures intercalées dans le texte et 52 planches

- ?

PARIS

MASSON ET Cie, ÉDITEURS

LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE

120, Boulevard Saint-Germain

1897

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE DES MALADIES DU srSTtMEEREU.

(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE).

SUR UN CAS D'HEMISECTION TRAUMAT1QUE

DE LA MOELLE

1 (SYNDROME DE BROWN-SÉQUARD)

par

F. RAYMOND

Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux

à la Salpêtrière (1). .

MESSIEURS,

Je vais consacrer ma première leçon du Vendredi de la présente année

scolaire, l'étude d'un cas pathologique qui offre de l'intérêt à un triple point

de vue : au point de vue de la physiologie, au point de vue de la médecine

légale, et au point de vue de la clinique pure. Pour ne pas laisser votre

curiosité en suspens, je vous dirai de suite qu'il s'agit d'un homme qui a

reçu, il y a quelques mois, un coup de couteau dans la région dorsale, au

voisinage du rachis ; à la suite de cet attentat, il a présenté et il présente

encore l'ensemble des manifestations qu'on a coutume de désigner sous le

nom de Syndrome de 73roioo-.Séyicard. Il y a donc lieu de supposer que

l'attentat dont a été victime cet homme a eu pour conséquence une hémi-

section de la moelle.

Sans doute vos études antérieures de physiologie vous ont laissé le sou-

venir de ce que produit, en fait de désordres sensitivo-moteurs, une

hémisection du névraxe, pratiquée chez un animal, dans un but d'expéri-

mentation. Les premières expériences de ce genre remontent à un passé

(t) Leçon du 20 novembre 1896, recueillie et publiée par le D Rich.m.

x , 1

2 1·'. 1S.11n10N11

déjà lointain, au temps de Galien ; je n'ai pas à vous en retracer l'his-

toire; vous la trouverez du reste exposée d'une façon très complète, dans

le remarquable article que mon maître Vulpian a écrit jadis sur la physio-

logie de la moelle (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, ar-

ticle : moelle). Je vous rappellerai seulement, comme une notion classique,

qu'à Brown-Séquard revient ce double mérite :

D'avoir précisé l'ensemble des troubles sensitivo-moteurs qui se déve-

loppent à la suite d'une hémisection-de la moelle, chez les mammifères;

D'avoir montré que chez l'homme, les lésions, traumatiques ou autres,

qui aboutissent à une solution de continuité d'une moitié de la moelle,

donnent lieu à ces mêmes troubles sensitivo-moteurs (1).

Dès 1846, Brown-Séquard avait démontré que chez les animaux tels que

le cobaye, le lapin, le chien, une hémisection de la moelle entraine une

paralysie croisée du sentiment et du mouvement; en d'autres termes, il

avait démontré que dans les régions qui tirent leur innervation du segment

de moelle, situé au-dessous de la section, on observe :

Une paralysie motrice accompagnée d'hyperesthésie, dit, côté où siège la

lésion.

Une anesthésie du côté opposé à la lésion.

Tels sont les éléments fondamentaux du syndrome de Brown-Séquard ;

ils se résument dans ces quelques mots : hémi-paralysie motrice (avec hy-

peresthésie) et hémi-anestlasie croisées.

A côté de ces éléments fondamentaux, il en est qui, pour occuper une

place secondaire, n'en doivent pas moins être pris en considération. Vous

saurez donc que dans son expression intégrale, le syndrome de Brow-

Séquard comprend en outre :

a) Une étroite zone d'azestlzesie placée à la limite supérieure de la zone

d'hyperesthésie du côté de la lésion (111. I. B). Quelquefois, cette zone

d'anesthésie est elle-même surmontée d'une étroite bande d'hyperesthésie.

Inversement, il arrive que, du côté opposé, une étroite zone d'hyperes-

thésie confine à la limite supérieure de l'anesthésie.

b) Du côté de la lésion, coïncidant avec l'hyperesthésie cutanée, un

(1) Bkown-Siïquaud, Recherches et expériences sur la physiologie de let moelle épi-

nier. Thèse inaugurale, Paris, 1846. - De la transmission des impressions sensilives

dans la moelle épinière. Comptes-rendus de la Société de biologie, 1849, p. 192 et Ga-

zette médicale de Paris, 1850, p. 159. Explication de l'hémiplégie croisée du senti-

ment. Comples-rendus de la Société de biologie, 1850, p. 10 et Gazette médicale, 1850,

p. 556. - Cas de perle de la sensibilité d'un côté du corps et de perte du mouvement

de Vautre côté. lIéd. Exp., 1853, p. 288. - Recherches sur la transmission des im-

pressions de tact, de chatouillement, de douleur, etc. Journal de physiologie de

l'homme et des animaux, 1863, t. 6, p. 124, 232 et 581. .Hec/jere/te sur le traient des

diverses espèces de conducteurs d'impressions sensitives dans la moelle. Archives de

physiologie, 1868, t. 1, p. 160 et 116 et 1869, t. 2, p. 236 et M3.

SUR UN CAS D'UÈMISt'CTIOX 'lli1U1111TIQUE DE LA MOELLE 3

émoussement de la sensibilité profonde, musculaire, qui peut aller jusqu'à

l'abolition complète, et qui fait défaut du côté où siège l'anesthésie cuta-

née.

c) Une exagération des réflexes tendineux, des deux côtés ou seulement

du côté où siège la paralysie motrice. On a aussi observé l'exagération

des réflexes cutanés, mais cela n'est pas constant.

d) Une paralysie vaso-motrice du côté de la lésion, superposée par con-

séquent à la paralysie motrice ; elle se traduit, du moins au début, par

une élévation de la température locale, dont la valeur peut dépasser 1°.

e) Enfin on observe des troubles viscéraux qui varient éI' cc le siège, avec

le niveau plus ou moins élevé de l'hémisection, à savoir :

De l'incontinence cl'zcricte et des matières fécales, en rapport avec une

paralysie de la vessie et du rectum ; elle est à peu près constante, du moins

au début.

Quand l'hémisection intéresse la moelle cervicale, on peut observer des

troubles respiratoires d'ordre paralytique, la dilatation de la pupille du côlé

de la lésion, le rétrécissement de la fente palpébrale. Ces deux derniers

phénomènes traduisent une paralysie du grand sympathique.

Je viens de vous rappeler tout ce qui rentre dans les cadres du syndrome

de Brown-Séquard. Je v iens de vous rappeler tout ce qu'on peut voir sur-

venir chez un animal auquel on pratique une hémisection delà moelle, ai

dès niveaux variables. Celle expérience est devenue d'exécution courante

dans les cours de physiologie expérimentale ; je m'étonnerais que la plu-

part d'entre vous n'en eussent pas été témoins.

Ces mêmes désordres, qui constituent un tout si caractéristique, vous les

observez chez l'homme, lorsqu'une moitié de la moelle est interrompue

dans sa continuité, soit par une tumeur - cela se voit notamment dans

les cas de gliomatose et de syringomyélie- soit par un forer de myélite,

par un foyer d'ltémorrhagie (hématomyélie), soit par un foyer de compres-

sion extra-spinal, soit surtout par une lésion traumatique.

Il y a deux ans, j'ai consacré une de mes leçons à J'étude d'un cas où le

syndrome de Brown-Séquard était vraisemblablement en rapport avec une

gliomatose de la moelle.

Dans le courant de l'année dernière, je vous ai-longuement entretenus

des rapports de 1 'hémalom.\'úl ie avec le syndrome de Brown-Séquard.

Chez le malade que je vais vous présenter,le syndrome de l3rown-Séduard

est apparu, je 'vous le répète, a la suite d'une lésion traumatique de la

moelle. Je vais vous narrer son histoire, puis je tâcherai de faire ressortir

l'intérêt qu'offre son cas au triple point de vue déjà mentionné.

4 F. RAYMOND

Messieurs, l'homme que vous voyez couché sur ce lit, est âgé de 28 ans.

Son père et sa mère vivent encore et leur santé ne laisse rien à désirer. Le

malade a cinq frères ou soeurs, tous bien portants. Il ne se rappelle pas

avoir fait une maladie dans son enfance et durant son adolescence. Il n'a

jamais présenté de manifestations du nervosisme.

A l'âge de 16 ans il est tombé d'un arbre, et il s'est démis le coude droit.

A la suite de cette chute, il n'a plus été à même de se servir de son bras.

C'est seulement une année plus tard qu'on a essayé de lui réduire sa luxa-

tion. Il ne semble pas que cette tentative ait complètement abouti. Sans

doute le malade est redevenu à même de se servir de son membre supérieur

fracturé. Mais peu à peu, un gonflement énorme, très douloureux, a envahi

ce membre. Le malade prétend qu'à ce moment-là, il a été question de lui

couper le bras. Finalement, les choses ont été laissées en leur état ; le

gonflement s'est dissipé, et le bras droit est devenu ce qu'il est encore.

Nous constatons actuellement la persistance d'une ankylose complète du

coude ; l'avant-bras est immobilisé en très légère flexion sur le bras, c'est-

à-dire en extension presque complète.

Dans les articulations de l'épaule, du poignet et des doigts, tous les

mouvements physiologiques sont possibles, aussi bien les mouvements

provoqués que les mouvements spontanés; ces derniers s'exécutent avec

vigueur. -

Arrivons au début de la maladie actuelle.

X..., au sortir d'un hal, en Auvergne où il résidait à cette époque-là,

reçut deux coups de couteau dans la région dorsale. D'après le dire du

médecin qui l'a soigné, la lame du couteau, très effilée, de forme catalane,

aurait pénétré dans les chairs, à une profondeur de S centimètres. Quoi

qu'il en soit, la blessure a laissé à sa suite des cicatrices très apparentes

(Pl. I, A') ; il nous est donc possible de préciser d'une façon très exacte

les points de pénétration de la lame. Ainsi que vous pouvez vous en

assurer, l'une des cicatrices est située immédiatement à droite de la

ligne médiane du dos, au niveau de la 7e vertèbre cervicale ; elle a

une direction légèrement oblique de haut en has, et de dehors en

dedans. L'autre cicatrice est située à gauche de la ligne médiane ; son

extrémité supérieure se trouve à 2 centimètres de l'intervalle qui sépare

les apophyses épineuses de la 7° vertèbre cervicale et de la 1 vertèbre

dorsale; son extrémité inférieure descend jusqu'à 3 centimètres de l'es-

pace qui sépare la Ire de la 2e vertèbre dorsale. Il y tout lieu de croire

que le poumon a été entamé, car immédiatement après l'accident, le ma-

SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 5

lade a eu une hémoptysie. Voici du reste quelles ont été les suites immé-

diates du traumatisme.

Le malade a eu la sensation d'un coup de bâton sec, qu'on lui aurait

porté sur le dos ; à l'instant, il est tombé en arrière ; il lui était devenu

impossible de faire le moindre mouvement. Il n'a pas positivement perdu

connaissance; toutefois, il ne s'est pas rendu compte de ce que ses agres-

seurs s'acharnaient sur lui, à coups de pied et de bâton. Les personnes

accourues à son secours l'ont transporté dans une pharmacie voisine. Au

bout d'une heure, un médecin militaire est venu lui donner les premiers

soins.

Le malade était couvert de sang. Il se rappelle qu'à ce moment, il souf-

frait dans tout le corps, sauf dans la tête et dans les membres supérieurs.

Quand on se fui mis à le déshabiller, ses souffrances augmentèrent au point

de lui faire pousser des hurlements. Le malade insiste aussi sur ce que

son ventre était énormément gonflé, surtout à droite. Pour calmer ses

douleurs, il promenait ses mains sur l'abdomen, preuve que la motilité

était intacte aux membres supérieurs. Par contre, les membres inférieurs

étaient inertes.

Le lendemain matin, il fallut sonder le malade, qui n'avait pas uriné

depuis son accident. Celle rétention d'urine a persisté pendant 15 jours.

En outre, le malade a souffert d'une constipation opiniâtre pendant une

vingtaine de jours; pour libérer son intestin, il a fallu lui administrer

des lavements. ,

X... ne peut nous dire si, à ce moment, on a exploré sa sensibilité. Ses

douleurs spontanées duraient toujours; les attouchements ne les inlluen-

çaient pas ; au contraire, le moindre mouvement spontané ou provoqué les

exaspérait. Aussi, pendant deux mois, le malade a maintenu le tronc et

les membres inférieurs dans une complète immobilité.

Dès le lendemain de l'accident, X... était de nouveau en état de remuer

les orteils du pied droit; peu à peu la motilité s'est rétablie dans les diffé-

rents segments du membre inférieur ; au bout de 4 à jours, il ne subsis-

tait plus qu'un peu de raideur de ce côté. Au contraire, à gauche, la para-

lysie du membre inférieur se maintenait complète.

D'autre part, le malade s'était aperçu d'une perte complète du senti-

ment, dans la moitié du tronc et dans le membre inférieur droit. De ce

même côté, le pied était froid, comme glacé, tandis que le pied gauche,

le pied du côté paralysé, était brûlant. X... éprouvait toujours de violen-

tes douleurs dans les membres inférieurs,' dans la moitié gauche du ventre

et de la portion inférieure du thorax. Quand on le sondait, il avait parfai-

tement conscience du passage de la sonde dans l'urèthre ; par contre il n'a-

vait pas conscience des évacuations de matières fécales.

C I'\ RAYMOND D .

Quatre jours après l'accident, un médecin commis par le parquet d'Es-

palion, est venu examiner le malade. Celui-ci se rappelle parfaitement

qu'entre autres constatations, on fil celle d'une anesthésie complète de la

jambe droite et d'une hyperesthésie de la jambe gauche ; ces désordres de

la sensibilité remontaient jusqu'à la 2e côte ; X... se rappelle aussi que le

médecin porta le diagnostic d'hémisection de la moelle.

Voici brièvement ce qui s'est passé dans la suite :

Au bout de quinze jours environ, la rétention d'urine a fait place à

l'incontinence ; le malade s'est mis à perdre ses urines, sans en avoir cons-

cience. Actuellement, il conserve encore des traces de cette-incontinence;

il est dans l'impossibilité de retenir longtemps ses urines; toutefois il ne

pisse plus au lit.

Au bout d'une vingtaine de jours, la constipation, tout en persistant,

est devenue moins opiniâtre : tous les cinq ou six jours, le malade a-\ait

une débâcle spontanée mais involontaire; bref, la rétention et l'inconti-

nence des matières fécales alternaient.

Au bout de quatre semaines, le malade, à son grand étonnement, s'est

aperçu que sa jambe paralysée était de temps autre agitée par des tressau-

tements ; puis il est redevenu à même d'exécuter quelques légers mouve-

ments volontaires, avec son membre inférieur gauche.

Au bout de deux mois, environ, il a commencé à se lever. En s'ap-

puyant sur deux cannes, il parvenait a se traîner un peu, mais très péni-

blement ; il lui était impossible de se livrer à un travail quelconque.

C'est dans ces conditions qu'il s'est décidé à venir à Paris, vers la fin

de l'année 189o, pour se faire admettre en traitement à la Salpêtrière.

Je vais rapidement vous mettre au courant de l'état dans lequel se trou-

vait le malade, au mois de mars 1896, époque où il a fait l'objet d'un

examen très minutieux.- .

L'état général de X... ne laissait rien il désirer ; la station debout et la

marche étaient possibles, mais elles exigeaient de grands efforts : l'inca-

pacité de travail était absolue.

Une fois redressé, le malade, les yeux ouverts, pouvait se tenir d'a-

plomb, sans appui ; il pouvait rapprocher et écarter les pieds. Sitôt qu'on

lui faisait fermer les yeux, son corps se mettait à décrire de légères oscil-

lations.

Sa démarche était empreinte d'incertitude; il n'avançait pas en ligne

droite; il décrivait une ligne légèrement festonnée. Il avait de la peine il

SUR UN CAS D'il ÉMIS ECT10N TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 7

tourner sur lui-même. Venait-il à fermer les yeux, il se mettait aussitôt il

osciller, et il serait immanquablement tombé, si on ne l'avait pas soutenu.

Pendant la déambulation, les différents segments du membre inférieur

droit se comportaient d'une façon absolument normale. Au contraire, la

jambe gauche se maintenait en extension sur la cuisse ; par suite, le ma-

lade était obligé d'imprimer un mouvement- en arc de cercle à son mem-

bre inférieur gauche, pour le faire avancer d'un pas. Pendant ce mouve-

ment en arc de cercle, la pointe du pied gauche se détachait bien du sol,mais

elle accrochait de temps en temps. Enfin de ce même côté gauche se ma-

nifestait une boiterie très sensible.

Couché sur le dos, il pouvait exécuter avec son membre inférieur droit

tous les mouvements physiologiques. De même, il soulevait facilement son

talon gauche au-dessus du plan du lit, mais il lui était impossible de

maintenir la jambe élevée et fixe. Celle-ci exécutait des mouvements os-

cillatoires et ne tardait pas à retomber sur le lit. Puis, les mouvements de

flexion de la jambe sur la cuisse étaient très limités, à gauche ; ainsi de ce

côté, le malade ne parvenait pas à porter le talon au contact de la fesse.

De même encore, les mouvements de flexion et d'extension du pied gau-

che étaient très limités. Par contre, les mouvements d'abduction et d'ad-

duction étaient conservés. En somme, les traces de la paralysie motrice

antécédente subsistaient dans un grand nombre de muscles du membre in-

férieur gauche.

Avec cela le malade se plaignait d'éprouver dans les deux jambes, mais

dans celle de gauche principalement, des secousses et des crampes de plus

en plus fréquentes.

Des deux côtés, les réflexes rotuliens étaient exagérés ; des deux côtés,

on provoquait avec la plus grande facilité le phénomène de la trépidation

spinale.

Le réflexe plantaire, aboli à droite, ne se produisait que très faible-

ment à gauche. De même, le réflexe crémastérien était aboli à droite, mais

il était conservé à gauche.

Je vous ai déjà dit comment se comportaient les fonctions de la vessie

et du rectum. Le malade était en état de frigidité complète; il n'avait que

très rarement des érections.

De troubles trophiques, il ne paraissait pas' en exister; en fait de trou-

bles vaso-moteurs, on constatait que dans l'altitude des jambes pendan-

tes, le pied gauche devenait plus rapidement violacé que le pied droit ;

c'était le contraire de ce que le malade avait observé dans les premiers

temps qui ont suivi sou accident.

L'état de la sensibilité, cela va de soi, a fait l'objet d'un examen parti-

culièrement attentif. D'une manière générale, la sensibilité cutanée était

8, F. RAYMOND

. <

abolie dans toute l'étendue du membre inférieur droit et de la moitié cor-

respondante du thorax, jusqu'au niveau de la 3e côte en avant, jusqu'au

niveau des cicatrices en arrière. Cette anesthésie intéressait à la fois les

diverses manières d'être de la sensibilité. Dans la zone susdite, le malade

était à la fois insensible aux simples impressions tactiles, aux impressions

développées par le pinceau faradique, aux piqûres, aux applications de

chaud et de froid. Toutefois, vers les parties les plus périphériques de la

zone d'anesthésie, il y avait seulement hypoesthésie au chaud, au froid et

à la. piqûre, tandis que partout, l'anesthésie faradique et l'anesthésie tac-

tile étaient absolues. D'autre part,la moindre pression exercée sur les mus-

cles, dans la zone d'anesthésie superficielle, était très bien perçue par le

malade, preuve que l'anesthésie ne s'étendait pas en profondeur, qu'elle

était limitée.aux téguments

Du côté gauche, du côté de la lésion, on constatait de l'hyperesthésie

du pied et de la jambe, remontant jusqu'au-dessus du genou.

Au memhre supérieur droit, la sensibilité n'était pas indemne partout ;

à la face postéro-eaterhe du bras, on notait de l'liypoestliésie dans une zone

élroile,triangulaire,qui correspondait la la zone d'innervation deramuscules

provenant des 3e et lie intercostaux (Fig. 1).

Le membre inférieur du côté gauche était le siège d'une hypereslhésie

très manifeste; celle-ci, au dire du malade, avait été beaucoup plus ac-

cusée.

Fig. 1. - La partie ombrée correspond au territoire d'hypoesthésie.

SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE

Enfin le sens articulaire paraissait être aboli dans les articulations

tatarso-plialangiennes et interphalangiennes, à gauche.

L'examen des yeux, pratiqué par M. Sauvineau, a donné des résultats il

peu près normaux. Les pupilles également dilatées réagissaient bien.'Il n'y

avait pas de rétrécissement palpébral, ni d'un côté ni de l'autre. Le fond

de l'oeil était normandes deux côtés ; de même l'acuité visuelle. Seulement,

les mouvements d'élévation et les mouvements'de latéralité à gauche des

globes oculaires s'accompagnaient de secousses nystagmiformes.

Actuellement l'état de la sensibilité est à peu de chose près le même

que lors de notre précédent examen (Pl. I, A et A').

L'exploration de la motilité fait constater qu'au membre inférieur droit t

la force musculaire est intacte et puissante. Elle est notablement affaiblie

au membre inférieur gauche. En outre,les mouvements de ce membre s'exé-

cutent lentement, entravés qu'ils sont par une rigidité spasmodique. C'est

la flexion de la jambe sur la cuisse qui est la moins gênée. L'exaltation

des réflexes rotuliens et la trépidation épileptoïde persistent des deuxcôtés ;

ces phénomènes sont beaucoup plus accentués à gauche.

Dans la station debout, le malade reporte fout le poids du corps sur le

membre inférieur droit maintenu en extension forcée; le membre infé-'

rieur gauche est porté, en avant, en légère flexion.

Je vais commander au malade de rapprocher ses deux pieds,et de se

tenir debout en s'appuyant également sur l'un et sur l'autre. Vous voyez

qu'il n'y parvient pas sans difficulté, et que son équilibre est très instable.

Sitôt qu'il ferme les yeux, il se met à osciller, et il lui devient impossible

de se tenir d'aplomb. Vous remarquerez encore que dans la station debout,

la pointe du pied gauche est dirigée plus en dehors que la pointe du pied

droit. t.

La station sur la pointe des pieds est possible, bien qu'au prix de cer-

taines difficultés pour le pied gauche.

La station sur les talons est impossible en raison de l'impuissance du

pied gauche. Dans la flexion dorsale, l'axe de ce pied ne peut se rappro-

cher de l'axe de la jambe, au delà de l'angle droit.

Je vais faire marcher le malade. Vous voyez qu'il avance en ligne droite,

sans difficulté. N'empêche que le malade soulève et transporte son mem-

bre inférieur gauche tout d'une pièce, grâce il un mouvement de bascule

de bas en haut,qu'il imprime au bassin, de ce même côté; pendant la phase

de suspension, le membre est agité par un léger tremblement. Vous

voyez que le malade ramène son pied gauche à terre, d'un mouvement

10 l'. RAYMOND

brusque, et que la plante vient dans toute son étendue en contact avec

le sol.

J"ai fait relever la démarche du malade, d'après la méthode des emprein-

tes. Dans le tracé ohtenu parM. Paul Richer, on retrouve tous les caractères

de la démarche spasmodique : la longueur du pas est diminuée (36 cent.

au lieu de 63); l'écartement des pieds est augmenté (31 cent. au lieu de

1-1). De même il y a augmentation de l'angle formé par l'axe des pieds

avec la ligne directrice : cet angle est d'environ 36° chez notre malade, au

lieu de 32° qui est sa valeur normale.

J'ajoute que les mesures prises à différentes hauteurs des deux membres

inférieurs dénotent un certain degré d'émaciation de la cuisse et de la jambe

gauche.

Vous voilà au courant de toutes les circonstances cliniques du cas.

N'avez-vous pas été frappés, messieurs, de la parfaite ressemblance qui

éclate entre le syndrome présenté par cet homme, et le syndrome, dont je

vous énumérais tout à l'heure les éléments, qu'on voit survenir il la suite

d'une hémisection de la moelle pratiquée sur un chien, un cobaye ? N'est-

ce pas le cas de dire que l'attentat dont a été victime cet homme équivaut

à une véritable expérience de physiologie ? 9

Nous retrouvons chez lui, du côté de la cicatrice, il gauche, c'est-à-dire

du côté où selon toute probabilité la moelle a subi une hémisection :

Une hémiplégie motrice ;

De l'hyperesthésie cutanée ;

De l'anesthésie profonde ;

La paralysie vaso-motrice ; .

L'exagération des réflexes tendineux.

Du côté opposé, nous constatons :

Une anesthésie superficielle, mais complète, qui affecte toutes les ma-

nières d'être de la sensibilité cutanée.

La conservation de la sensibilité profonde.

Enfin le malade a eu de la paralysie de la vessie et du rectum.

Des deux côtés le malade présente de l'exagération des réflexes tendineux,

ce qui est la règle dans le cas d'une section incomplète de la moelle, d'une

section (ou d'une lésion destructive) qui ne tranche pas toute l'épaisseur

de l'organe.

Je me réserve (t examine)', a la lin de cette leçon, jusqu quel point des

faits de cette nature peuvent contribuer à faire la lumière sur la structure

fine et la physiologie de la moelle, et notamment sur la question de l'en-

trecroisement des conducteurs qui cheminent dans le névraxe. Dès main-

HEMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE. (

Répartition des troubles moteurs et sensitifs {Syndrome de Brown-Sequard).

SUR UN CAS D'llÉMISEC'rION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE il [

tenant, je puis vous certifier que le cas de notre malade constitue en

quelque sorte un document d'une valeur exceptionnelle pour servir à

l'élucidation de ces questions d'anatomie et de physiologie. Rarement, en

effet, on a vu le syndrome de Brown-Séquard se constituer avec une telle

netteté, il la suite d'une hémisection traumatique de la moelle chez

l'homme.

A ce propos, laissez-moi vous signaler une erreur, répandue par les

chirurgiens.

Elle consiste à représenter l'hémisection de la moelle comme étant

rare, à la suite d'une blessure par instrument tranchant de la colonne

vertébrale. Parcourez vos traités et vos manuels de chirurgie, et vous serez

étonnés de la parcimonie avec laquelle est étudiée cette question, lors-

qu'elle n'est pas passée sous silence.

La vérité est que les faits où le syndrome de Brown-Séquard a été ob-

servé, avec plus ou moins de netteté à la suite d'une plaie par

instrument tranchant du rachis, sont loin d'être rares.

Or, je vous le répète, des conclusions intéressantes à la fois pour le

clinicien, pour le médecin légiste et pour l'anatomo-physiologiste se

dégagent de l'étude de ces faits. C'est là ce que je vais m'efforcer de faire

ressortir à vos y eux.

(A suivre.)

DES RAPPORTS DE LA STATION HANCHÉE

AVEC.

LA SCOLIOSE DORSALE PRIMITIVE DES ADOLESCENTS

. par

PAUL RICHER

Directeur honoraire du Laboratoire

de la Clinique des Maladies du Système nerveux, à la Salpêtrière.

La station hanchée est une attitude de repos. Elle assure l'équilibre en

accentuant les conditions mécaniques qui, dans la station droite, ménagent

les muscles en faisant porter sur les ligaments tout l'effort qui doit s'op-

poser à l'action de la pesanteur. Mais elle ne s'obtient qu'à la condition

de rompre la symétrie du corps humain. Une jambe se fléchit, le bassin

s'incline latéralement, une hanche proémine pendant que l'autre s'efface,

la colonne s'incurve, le thorax lui-même se déprime d'un côté pendant

qu'il se développe de l'autre et les deux épaules ne sont plus situées au

même niveau. Ces variétés dans la forme, ces changements d'aspect des

parties symétriques, ce remplacement de la roideur uniforme des lignes

de la station droite par des courbes qui alternent et se balancent, ont dès

longtemps séduit les artistes, et depuis Polyclète auquel Pline attribue

l'introduction du hanchement dans la représentation de la figure humaine,

cette forme spéciale de la station est devenue monnaie courante dans les

arts. Nous pourrions même ajouter qu'il en a été fait un véritable abus.

Elle a été reproduite à tout propos et même hors de propos. Elle s'est

introduite jusque dans la figuration des mouvements, et en particulier de

la marche, qu'elle a étrangement altérée. Mais, en art, cet abus n'a d'autre

inconvénient que celui d'être une erreur contre le goût et la vérité sans

autres conséquences pratiques. Il n'en est pas de même dans la réalité.

Comme l'a très bien dit M. le Dr Just Lucas-Championnière, à propos

des déformations provoquées par les exercices physiques, ce ne sont point

les mouvements qui déforment, mais bien les attitudes. La station hanchée

n'échappe point à la loi. Trop fréquemment répétée en même temps que

longtemps gardée dans la jeunesse, elle est susceptible, pensons-nous, de

STATION HANCHÉE ET SCOLIOSE DORSALE PRIMITIVE DES ADOLESCENTS -t3

provoquer une incurvation latérale permanente de la colonne verté-

brale, c'est-à-dire une véritable scoliose. C'est ce qui ressortira de ce qui

va suivre.

Si l'on veut bien se reporter à notre article sur la station publié dans

le septième volume de ce journal (année 1894, p. 65) on trouvera sur le

mécanisme et la morphologie de la station hanchée, les détails les plus

complets. Je me contenterai de les résumer ici.

Dans ce mode de station, le poids du corps au lieu d'être supporté

également par les deux jambes comme dans la station droite, se trouve

presque complètement reporté sur une seule ; cette jambe demeure dans

l'extension comme une colonne rigide, pendant que l'autre, fléchie dans

l'articulation du genou, est portée uu peu en avant et ne sert plus qu'à

affermir l'équilibre.

Le bassin s'incline latéralement du côté de la jambe fléchie, pendant

que la colonne vertébrale subit une inflexion latérale dont la convexité est

tournée du côté où penche le bassin. Cette courbure siège généralement

au niveau de la jonction de la région lombaire et de la région dorsale.

Elle empiète sur les deux régions.

Elle a pour effet de rapprocher les côtes du côté de la concavité et, au

contraire, du côté opposé, de les écarter les unes des autres ; il s'ensuit que

le thorax comprimé et comme tassé d'un côté subit, de l'autre côté, une

véritable ampliation; une des conséquences dé cette déformation du thorax

est une différence de niveau dans la hauteur des épaules. L'épaule est

abaissée du côté où le thorax est déprimé, pendant que la hanche du même

côté est élevée; l'autre épaule est, au contraire, située à un niveau plus

élevé, soulevée pour ainsi dire par l'ampliation thoracique, au-dessus de

la hanche qui par contre est abaissée.

Il faut signaler, en outre, un mouvement de rotation dans le plan hori-

zontal des deux axes transversaux, l'axe des épaules, et l'axe des hanches,

l'un en sens inverse de l'autre. Au lieu d'être parfaitement parallèles

comme dans la station droite, ils sont obliques tous deux, se rapprochant

du côté de la jambe fléchie et s'éloignant du côté de la jambe portante.

Il résulte de ce qui précède qu'il se produit lors de la station hanchée

une véritable scoliose physiologique absolument comparable à la scoliose

pathologique dont elle a presque tous les signes.

En effet, dans le type classique de la scoliose dorsale primitive droite,

nous retrouvons, comme sur un sujet normal qui hancherait à gauche,

une voussure thoracique postérieure à droite, avec élévation de l'épaule

correspondante, et un enfoncement du flanc gauche avec saillie delà hanche

du même côté.

Sans conclure à l'identité et en faisant la part de l'exagération de la

il, PAUL HICIIER

déformation dans les cas pathologiques, il y a lieu néanmoins d'attirer

l'attention sur les analogies que nous signalons ici, et qui nous conduisent

à considérer la station hanchée comme provoquant une scoliose tempo-

raire, cessant avec elle, et se produisant aussi bien à droite qu'à gauche,

suivant que le sujet hanche de l'un ou de l'autre côté.

Il s'ensuit que l'attitude hanchée peut influencer dans un sens ou dans

l'autre une déformation scoliotique donnée, soit en l'accentuant, soit en la

corrigeant dans une certaine mesure suivant que le hanchement se produit

d'un côté ou de l'autre. C'est ce que nous avons observé très clairement

sur une jeune malade, ainsi qu'en témoignent les photographies ci-contre

(psi. II). Celte scoliose dorsale droite se trouvait corrigée partiellement

quand la malade hanchait à gauche, tandis qu'elle s'accentuait notable-

ment si le hanchement se produisait à droite.

On comprend qu'il y a là une indication précieuse pour le traitement, et

qu'autant une attitude peut être conseillée autant l'autre doit être sévère-

ment proscrite. On peut également se faire une idée de l'influence fâcheuse

qui peut résulter, chez les jeunes enfants, d'une attitude hanchée trop sou-

vent répétée du même côté.

Chez les jeunes sujets qui ont un membre inférieur plus court que l'au-

tre de quelques centimètres, par suite d'une irrégularité dans le dévelop-

pement du système osseux, le bassin, dans la station droite, est incliné la-

téralement du côté du membre le plus court.

Cette obliquité du bassin réagit par l'intermédiaire de la colonne sur

tout le tronc et lui imprime à l'état permanent les caractères de la sta-

tion hanchée, caractères accrus encore par la facilité avec laquelle ces en-

fants prennent l'habitude de hancher sur le membre le plus long, accen-

tuant ainsi les déformations primitives. Il y a certainement un certain

nombre de scolioses qui n'ont pas d'autre origine. Si le mal est observé à

son début, une talonnette qui exhausse le membre trop court de la hauteur

juste nécessaire pour ramener l'horizontalité du bassin fait disparaître la

déformation et suffit pour assurer la guérison (1).

.' .

(Li J'ai attiré l'attention il y a deux ans sur l'existence fréquente chez l'homme

sain d'une inflexion latérale droite de la colonne dorso-lombaire, inflexion signalée

par M. le' Dr Clozier de Beauvais. Ce dernier pense que cette déformation, avec une

série d'autres, reconnaît pour cause la verticalité ou la dilatation de l'estomac. Nous

serions disposé, quant à nous, à croire que la répétition, à l'époque de la croissance,

de la station hanchée sur la jambe droite, n'est point étrangère à la genèse de celle

déformation (Voy. Note sur une déviation de la colonne vertébrale se rencontrant

chez un grand nombre de si/jets bien portants. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière,

189j, p. 158. Asymétrie acquise entre les deux moitiés latérales du corps humain.

Note lue à l'Académie de médecine, nov. 1893).

NoUV.IcO\'0(,RAI'HH : DELASAL['LrRItK". T. X. PL. II

"Phototype 1/ég. A. Londe.

Station hanchée à droite.

Station droite.

'tentocou. 'tscrwaan

Station hanchée à gauche.

SCOLIOSE DORSALE PRIMITIVE. '

MASSON & (ie, Éditeurs.

AMÉLIE.

DESCRIPTION DU TYPE ET CONSIDÉRATIONS PATHOGÉNIQUES

AU SUJET D'UN CAS NOUVEAU

par z

HENRI MEUNIER

Chef de laboratoire à l'Hospice des Enfants-Assistés.

Les monstruosités n'ont plus aujourd'hui l'attrait dont elles jouissaient

jadis : le temps est loin où ces difformités contraires aux lois de la nature

étaient considérées, même par les savants et les philosophes, comme des

avertissements mystérieux, comme des « signes de quelque malheur à ad-

venir (Ambr. Paré). Dépouillée de ses attributs superstitieux, la térato-

logie a pris dans les sciences d'observation un rang plus modeste, justifié

le plus souvent par l'inanité de ses conséquences pratiques et de ses appli-

cations médicales.

Est-ce à dire que les monstres ont perdu tout intérêt scientifique ? Évi-

demment non : car à leur étude se rattache un problème des plus capti-

vants, le problème qui met en question la raison d'être de ces phénomènes

et auquel se rattache, pour chaque espèce, l'étude des conditions embryo-

logiques qui l'ont déterminée.

Des résultais remarquables ont déjà été obtenus dans ce domaine obscur

de la biologie, grâce à l'application qu'ont faite certains esprits ingénieux

de la méthode expérimentale à la tératologie (Dareste). L'observation pure

et simple des cas spontanés doit également apporter son contingent de

renseignements; mais ici, une remarque est à faire : loin de se contenter

d'une description plus ou moins pittoresque des formes extérieures du

monstre, de sa morphologie générale qui n'est en somme que la résultante

de causes primordiales inconnues, l'observateur doit pousser plus loin

son analyse et se rendre compte de l'état des appareils généraux qui ré-

gissent le développement de l'être vivant, en particulier de l'appareil cir-

culatoire et du système nerveux central. Ainsi comprise, l'étude d'un cas

tératologique est susceptible de recouvrer de l'attrait; et même si, pour un

cas particulier, l'examen complet du sujet et de ses appareils ne permet

16 HENRI MEUNIER

pas d'arriver il une conception pathogénique qui explique sa malforma-

tion, il n'en restera pas moins d'une observation ainsi prise un fait ana-

lysé, documenté, pouvant à l'avenir servir à des recherches comparatives.

Avant d'aborder description de notre cas personnel, qu'il nous soit

permis de rappeler les 'caractères de la famille tératologique à laquelle il

se rattache : cette famille est celle des Ecttoxttélietts, première division des

monstres unit tires ccxttosites (classification d'I. Geoffroy Saint-Hilaire).

Les Ectroméliens (de sxrpMM, je fais avorter ; Ne),o5, membre) comp'ren-

nent tous les individus dont les membres ont subi un avortement plus ou

moins complet, la tête et le tronc étant normaux ; ils se subdivisent en

trois genres : les Phocomèles, les Hémimèles et les Ectromèles proprement t

dits :

Chez le Phocomèle, le membre difforme est réduit à une main ou à un

pied, plus ou moins normal, attaché directement à l'épaule ou à la hanche.

La phocomélie peut être unique, double (scapulaire ou pelvienne), triple,

ou quadruple (1).

Chez l'Héxttimèlc, le membre difforme est privé de son extrémité, main

ou pied, et se trouve réduit à son segment sus-jacent : soit le bras avec

l'avant-bras, soit la cuisse avec la jambe, soit le bras seul ou la cuisse seule.

L'hémimélie peut être unique, double, triple ou quadruple.

Chez l'Ectroxrtèle, le membre difforme n'est plus représenté que par un

moignon rudimentaire avec ossature réduite et informe, ou bien il fait

complètement défaut. Comme dans les genres précédents, l'ectromélie peut

intéresser un, deux,«trois (2) ou les quatremembres : dans ce dernier cas,

elle constitue ce qu'on appelle l'Ange.

L'Amélie est donc une difformité ectromélienne dans laquelle les quatre

membres ont avorté au point d'être réduits Ù un court moignon squelette; ou

même font totalement défaut.

Autant que nous le permettaient les ressources de la bibliothèque de la

Faculté, nous avons essayé de réunir tous les cas'd'llaélie décrits jusqu'ici

par les auteurs ; il est permis de croire qu'en rassemblant les documents

bibliographiques concernant un pareil sujet, on n'est pas loin d'être édifié

sur tous les cas observés, tant il est vrai que les monstruosités ont toujours

eu la faveur de la curiosité publique, et par conséquent le don d'exciter,

(1) Un cas célèbre de phocomélie quadruple est celui de CAZOTTE, dit Pépin, étudié

par DuMKniL et conservé au musée Dupuytren.

(2) Tel le fameux LFDGEWOOD, qui ne possédait qu'un membre, le membre inférieur

droit, dont il se servait avec une adresse remarquable.

nnsFLm 17

chez ceux qui les observaient, le désir d'en vulgariser la description : il fut

même un temps où ces «jeux de la nature » constituaient l'alimentleplus

important des publications médicales : il suffit pour s'en convaincre de

feuilleter quelques-uns de ces recueils mi-scientifiques, mi-fantaisistes, des

siècles précédents, où l'auteur fait défiler devant les yeux du lecteur émer-

veillé les plus étranges figures de la tératologie humaine ou animale.

Il à sans dire que nous avons négligé ces recueils trop anciens, dans

lesquels la part d'imagination semble tenir une place excessive et que nous

nous sommes contenté des documents fournis par la littérature scientifi-

que des deux derniers siècles.

L'Amélie est, en somme, une monstruosité très rare : la bibliographie

médicale n'en mentionne qu'une trentaine de cas (1), dont nous avons pu

analyser 22 dans leurs, mémoires originaux. Les différents cas d'amèles

décrits par les auteurs ne se rapportent pas tous à un type uniforme. On

conçoit en effet, d'après la définition que nous avons rappelée plus haut,

que les variétés de l'amélie peuvent être multiples, puisque cette mons-

truosité est caractérisée par la quadruple combinaison de deux particula-

rités distinctes : remplacement du membre par un moignon rudimentaire,

ou absence totale de ce membre. D'où la possibilité de distinguer deux va-

riétés d'amèles.

(1) Nous avons dû laisser de côté cinq observations dont le titre insuffisamment

précis n'a pu nous renseigner exactement sur le genre tératologique observé et dont la

publication originale faisait défaut dans les collections de la Faculté (Voir à l'Index ? 1blio[jI ? Senr.o, Ldtz et JACKSON).

x 2

Fig. 1. Amèle parfail (cas de Uuck) :

Fille de quatorze ans, dont les quatre

membres sont remplacés par des

moignons charnus, mammiformes,

sans squelette.

Fig. 2. - Amèle imparfait (musée de

GoeUingen) : Homme privé de mem-

bres ; les deux inférieurs sont repré-

sentés par deux appendices minces,

tortueux, munis de pièces osseuses

et terminés par des orteils.

18 HENRY MEUNIER

Dans un premier groupe nous rangerons les sujets chez lesquels la dif-

formité est, si l'on peut dire, parfaite dans son imperfection, c'est-à-dire

ceux dont les ceintures scapulaire et pelvienne ne portent pas le moindre

vestige de membre ; ce seront les Amèles parfaits. Le second groupe com-

prendra les Amèles imparfaits, monstres privés en vérité de bras et de

jambes, mais présentant dans une ou plusieurs des quatre régions soit un

moignon rudimentaire avec axe osseux, soit un appendice atypique, sque-

letté, articulé et ongle.

I. AMÈLES PARFAITS. - L'amélie parfaite a été observée par les

dix auteurs suivants :

1. RLAAW, 1688. Fille âgée de deux mois, totalement privée de mem-

bres ; les deux membres inférieurs sont remplacés par deux rotondités

mammiformes portant à leur centre une sorte de mamelon saillant; pas

d'autopsie.

2. IsEnHLanInI, 1800. - Garçon mort-né, privé de bras et de jambes ;

à la place des membres inférieurs se trouvent deux moignons charnus,

digitiformes, sans os et sans ongles.

3. RunoI,rHI, 1804. Fille ayant vécu deux mois, montrée à Paris,

au Palais-Royal, dans un bocal d'alcool ; sans bras ni jambes ; le bas du

tronc présentant une ressemblance avec « une poitrine de femme ».

4. HÜCK, 1838. -Fille de 14 ans : ceintures scapulaire et pelvienne

normales, pas de membres ; deux masses charnues inférieures, ressem-

blant à des « mamelles », avec mamelon saillant ; organes génitaux nor-

maux ; intelligence moyenne. (Fig. 1.)

5. OTTO, 1841. Foetus mort-né ; aucun vestige de membres; leur

siège est seulement marqué par une petite cicatrice ombiliquée ; clavicu-

les, omoplates, bassin normaux. (Fig. 7.)

6. RANKE, 1880. Fille robuste, 3950 grammes ; sans vestiges de

membres ; moignons charnus inférieurs, ressemblant à des « mamelles » ;

morte d'affection vulgaire ; pas d'autopsie. (Fig. 3.)

7. Cholmogoropf, 1888. Garçon né à terme, pesant 2700 grammes ;

tête, tronc, ceintures scapulaire et pelvienne, organes génitaux normaux ;

absence totale de membres. (Fig. 4.) L'auteur signale à ce propos deux

exemples d'amélie, existant au musée de l'Université de Moscou ; autant

que l'on en peut juger d'après sa description Sommaire, il s'agirait d'a-

mèles imparfaits, portant des moignons pourvus d'un squelette rudi-

mentaire.

8. CoES,R, 1889. - Garçon mort-né; tête et tronc bien développés,

mais volumineuse hernie ombilicale ; membres absents ; d'après l'auteur,

AMÉLIE 19

les omoplates, les clavicules et les cav ités cotyloïdes faisaient également dé-

faut, ce qui rend ce cas particulièrement extraordinaire. (Fig. 6.)

9. GRAVELY, 1889. Fille née à terme, ayant vécu un mois; privée

de membres. Simple cicatrice cutanée il la place des extrémités supérieu-

res ; petites masses charnues, pourvues d'un mamelon, il la place des ex-

trémités inférieures. (Fig. 5.)

10. SCIInGCIC, 1892. Fille née à terme, morte immédiatement, pe-

sant 3500 grammes, corps normal ; extrémités supérieures totalement

absentes, extrémités inférieures remplacées par deux prolubérences char-

nues, longues d'un demi-pouce et sans squelette.

Fi ? 3 (IIANKE).

Fig. 4 (CnoLSOCOOOrF).

Fig. 5 (Gn.\ \'ELY).

Fig. 6 (COESAR).

AMÉLIE PARFAITE.

Fig. 7 (Otto).

20 HENRI MEUNIER

II. AMÈLES IMPARFAITS. Les exemples d'amélie imparfaite

ne sont pas plus fréquents que ceux d'amélie parfaite ; nous en avons re-

cueilli dix observations, y compris la nôtre.

Dans celle variété, nous savons que le monstre, privé de membres,

présente cependant un ou plusieurs moignons informes pourvus d'os ru-

dimentaires. Or ces appendices présentenl une structure qui les rapproche

soit du segment supérieur du membre absent (ébauche d'humérus et de

fémur), soit au contraire du segment inférieur, du pied ou de la main

(appendices digitiformes, articulés, ongles) ; dans le premier cas nous di-

rons qu'il s'agit d'une amélie à tendance hémimélique, dans le second d'une

amélie M tendance phocomélique.

'1° Amèles imparfaits à tendance hémimélique.

Cinq exemples :

1. Duputtren, 18m. - Enfant ayant vécu trois jours; privé des ex-

trémités inférieures et du bras gauche ; à la place du bras droit, moignon

court renfermant le quart supérieur d'un humérus, articulé normalement.

2. MILLER, 18.. ? (citéparCholmogoroff). - Enfant nouveau-né, n'ayant

aucun vestige de bras; extrémités inférieures remplacées par deux moi-

gnons renfermant chacun un os de 3 centimètres, articulé.

3. IfIACL1UGIILIN, '18D4.. - Garçon nouveau-né, sans membres ; extré-

mités inférieures remplacées par deux masses charnues avec appendice

non digiti forme ; extrémités supérieures représentées par deux moignons

renfermant l'extrémité supérieure de l'humérus, pourvue de ses insertions

musculaires. (Fig. 9).

4. JosE Parada Y S : 1\TIN, 1881. Garçon, mort d'entérite aiguë il

deux mois ; pas de membres inférieurs ; deux moignons supérieurs, mo-

biles, squelettes et terminés par un mamelon, que l'enfant portait sou-

vent à sa bouche ; pas d'autopsie.

5. BRANDT, 1882. Garçon ayant vécu trois jours, pesant 2750 gram-

mes ; extrémités inférieures, remplacées par deux masses charnues pour-

vues de mamelon (poitrine de femme) ; rudiments de bras, contenant un

segment d'humérus. (Fig. 8). '"

2o Amèles imparfaits à tendance phocomélique.

Cinq exemples :

1. Musée de GorTTINCrN, 1791. Ce cas, mentionné par Forster,

se rapporte à une estampe remarquable conservée au Musée de Gocttin-

gen : Ainsi que le montre la figure 2, dessinée d'après une planche de

Forster, il s'agit d'un homme d'un certain âge, privé totalement de bras

mais pourvu inférieurement de deux appendices étranges, minces et assez

AMÉLIE 21

longs, terminés par deux orteils qui indiquent la tendance phocoméli-

que.

2. LASTINGS, 1826. Fille, morte il Page de 6 mois, d'une broncho-

pneumonie ; absence totale des membres supérieurs et du membre infé-

rieur droit; ceintures scapulaire et pelvienne normales ; à la place du

membre inférieur gauche, petit appendice formé de deux segments arti-

culés et pourvu d'un ongle terminal.

3. LIS5AUEIt, 1871. - Enfant nouveau-né; pas d'extrémités supérieu-

res ; membre inférieur gauche totalement absent; membre inférieur droit

représenté par un pied mal conformé, directement articulé avec le pelvis.

5. SOUZA FONTES, 1877. Garçon de trois ans, bien portant, intelli-

gent. Tronc normal ; amélie parfaite du côté droit ; à gauche, moignon de

bras renfermant un os et petit membre inférieur, composé de segments

articulés et terminé par un gros orteil. (Fig. 10.)

5. Le cinquième exemple concerne notre propre cas; nous allons en

donner la courte histoire :

Observation personnelle. Le 3 mars 1896, une sage-femme venait

déposer il rtiospicc des Enfants-Assistés un enfant nouveau-né du sexe

féminin, dont la conformation extraordinaire avait déjà été signalée dans

les journaux : et certes celle merveille était bien digne d'inspirer un re-

porter de faits divers. L'enfant nous avait été confiée sans renseigne-

Fjg. 8 (Buwu'r).

Fig. 9 (MACLAunuLix)

Fig. 10 (Souza Fontes).

Fig. 8 et 9 : à tendance hé ? ? zii2éliqzie.

Fig. 10 : à tendance phocomélique.

22 HENRI MEUNIER

ments : nous avions simplement appris qu'elle était née depuis 3 jours et

que sa mère, âgée de 30 ans, avait eu une grossesse et des couches nor-

males.

L'enfant pesait 2250 grammes et paraissait en excellente santé : figure

éveillée, corpulence satisfaisante, chairs fermes, fonctions digestives par-

faites, toutes qualités qui contrastaient singulièrement avec son étrange

monstruosité : elle était privée de bras et de jambes !

Les trois phototypies de la Planche III représentent le sujet en question :

les deux premières donnent l'aspect de face et de profit d'un moulage fait

après la mort; le troisième est la reproduction d'une photographie de

l'enfant vivant.

La tète est parfaitement conformée ; ses différents diamètres égalent à

quelques millimètres près ceux d'une tête d'enfant à terme. La face ne

présente aucune anomalie. ,

Le cou et le tronc sont également bien constitués : le thorax ne présente

aucune nodosité rachitique, le ventre est ferme, le bassin et les organes

génitaux externes normaux. La taille, mesurée des ischions au sommet de

la tête, est de 36 centimètres.

Des extrémités nous ne pouvons décrire... que l'absence. Les épaules

existent, soutenues par une ceinture scapulaire qui, dans sa disposition gé-

nérale, est semblable à celle d'un enfant normal : la clavicule s'unit régu-

lièrement par l'acromion à une omoplate qui occupe sa place habituelle;

l'ensemble, garni de muscles, forme de chaque côté un moignon sessile

légèrement acuminé : sur la face postérieure de ce moignon, près de son

sommet, on note une petite dépression ombiliquée, plus marquée du côté

gauche. La palpation ne révèle la présence d'aucun os mobile ni articulé

dans le moignon ; on sent seulement une extrémité sphérique à la place de

la cavité glénoïde. .

A la place des extrémités inférieures, il existe entre les deux côtés une

différence qui classe notre monstre parmi les amèles imparfaits : en effet,

tandis qu'à gauche le membre manque totalement et n'est remplacé que

par un large moignon musculaire,mammiforme, portant à son sommet une

sorte de mamelon rétracté, à droite il existe un appendice très court

(4 cent.) formé de deux segments articulés, qui sont fléchis et appliqués

contre le moignon musculaire pelvien; cet appendice digitiforme se ter-

mine en pointe bifurquée dont chaque division, presque sessile, porte un

ongle à sa face antéro-supérieure ; c'est sur cette ébauche rudimentaire

d'orteils que nous nous appuyons pour ranger le cas parmi les amèles im-

parfaits à tendance phocomélique.

L'enfant fut confié à une nourrice et son développement s'opéra dans

d'excellentes conditions : son poids augmenta régulièrement et au bout de

AMÉLIE 23

deux mois, il avait gagné près d'un l;ilo. A ce moment survint brusque-

ment une infection bronchique avec fièvre intense (4.1°)et menace de bron-

cho-pneumonie. En deux jours l'enfant était terrassé : il succomba le 3°

jour.

L'autopsie complète, dissection comprise, eût été des plus intéressantes :

la mère, après s'y être tout d'abord opposée, consentit cependant à ce qu'un

examen fût fait, à condition qu'on lui permit d'inhumer le corps (1). Dans

ces conditions nous fîmes les constatations suivantes :

Les viscères abdominaux ne présentent ni anomalies, ni lésions patho-

logiques ; le coeur et les gros vaisseaux sont normaux ; dans les poumons

s'étale une bronchopneumonie diffuse.

(t) A cette occasion, nous avons eu un entretien avec la mère, à laquelle nous avons

demandé quelques renseignements sur ses antécédents et sur ceux de son enfant : âgée

de 30 ans, c'est une femme robuste, bien constituée, n'ayant aucune anomalie et n'en

connaissant aucune dans sa famille; elle eut à 19 ans un premier enfant qui mourut'

à l'age de 2 ans d'une pneumonie; à 23 ans, une fausse couche; à 24 ans une fièvre

typhoïde. Le père de l'enfant actuel a 56 ans, il est bien portant et ne connaît aucune

anomalie parmi les siens ; ni syphilitique, ni alcoolique. La grossesse n'a présenté

aucun incident ; la mère déclare seulement qu'à l'époque de la conception, elle avait

de très grands ennuis. Interrogée sur ce qu'elle suppose avoir été la cause de la mons-

truosité de son enfant, elle n'hésite pas à raconter « qu'au début de sa grossesse elle

avait rencontré un marchand ambulant qui vendait des grandes poupées de carton n

sans bras ni jambes, et que cette rencontre l'avait beaucoup impressionnée >,.

Fig. 1 i. - Epaule gauche de notre amèle : clavicule et omoplate ; T. G : tête glénoïde.

Fig. 12. Masses musculaires : D, deltoïde; G P, grand pectoral; C B, coraco-bra-

chial; GR, et grand rond, convergeant vers uu noeud apovrénotique ; So. E, sous-

épineux.

24 HENRI MEUNIER

Le cerveau, le bulbe et la moelle n'offrent rien de particulier ni dans

leur conformation extérieure, ni dans'leur texture macroscopique ; nous

analyserons plus loin les résultats de l'examen microscopique de la

moelle.

Il nous fut possible d'extraire pour la dissection une épaule et une han-

che.

L'épaule, ou plutôt la ceinture scapulo-claviculaire, a une conformation

peu différente de ce qu'elle est normalement : les deux os ont leurs con-

nexions habituelles ; quant aux muscles, aux vaisseaux et aux nerfs ils se

sont adaptes de la façon suivante : tous les muscles il insertion humérale

convergent vers le sommet du moignon, là ils s'unissent entre eux, apo-

névrotiquement, au-dessus d'une tubérosité osseuse qui tient la place de

la tète humérale et qui est formée par la déformation globulaire, sphé-

rique de la cavité glénoïde. (Fig. 11.) Les muscles sous-scapulaire, sus-

épineux et sous-épineux forment un premier système qui ahoutit à une

calotte fibreuse dont la tête glénoïde est coiffée avec interposition de syno-

viale ; les muscles grand pectoral, deltoïde, grand rond et coraco-brachial

constituent un second système dont la convergence s'opère au-dessus de

la calotte fibreuse précédente, séparée d'elle par une couche de tissu cel-

, lulaire lâche. (Fig. 12.) .

Fig. 13. - Dissection de l'épaule gauche (creux axillaire) : D, deltoïde; C B, coraco-

brachial ; G P, grand pectoral; G Il, grand rond; GD, grand dentelé; S S, sous-

scapulaire; PP, petit pectoral; SC\i, sterno-cléido-mastoïdien; V, N, vaisseaux et

nerfs; TG, tête glénoïde.

AMÉLIE 25

Les vaisseaux et nerfs axillaires, très réduits de volume, s'épuisent in-

sensiblement en se distribuant aux muscles précédents (Fig. 13.)

La hanche choisie pour la dissection fut celle qui portait l'appendice di-

gné, c'est-à-dire la hanche droite.

L'os iliaque est normal, sauf au niveau de Pacétabutum ; la cavité co-

tyloïde manque en effet presque complètement; elle est représentée par

une très petite excavation anfrac-

tueuse à bords épais et irréguliers.

En face d'elle, et reliée à sa cavité

par un faisceau ligamenteux, se

trouve un noyau dur, arrondi, de la

grosseur d'un pois, que la dissec-

tion permettait de prendre pour un

os ; puis un second segment ossi-

forme, allongé, à grosse extrémité

supérieure, à diaphyse tortueuse,

mesurant 4 cent. 1/2 ; ensuite une

petite pièce osseuse, phalangiforme,

une seconde plus courte, enfin les

deux petits orteils.

Ne pouvant par la dissection nous

rendre exactement compte de la na-

ture de ces pièces successives, nous

eûmes l'idée de soumettre la hanche

tout entière à l'épreuve de la radio-

graphie. Grâce à cet examen, la

structure de l'appendice se présente

sous un aspect tout à fait inattendu.

(Fig. 14.) Les trois segments consti-

tutifs de l'os iliaque sont en état

normal d'ossification ; quant aux

cinq segments atypiques qui, par

leur articulation successive, consti-

tuent l'appendice, on voit que les

3 dernières rangées sont seules ossi-

fiées, ainsi que le prouve l'action

d arrêt qu'elles ont produite sur les rayons X, tandis que les deux pièces

sus-jacentes, la longue et la nodulaire, ne renferment pas de substances

minérales, ne sont pas des os faits : ce sont des pièces fibreuses très denses,

qui devaient peut-ètre subir l'ossification, mais qui, dans ce cas, étaient

très en retard sur les pièces terminales.

Fig. 14. - Radiographie de la hanche

droite et de l'appendice : les os constitu-

tifs du pelvis sont en voie d'ossification

(opacité pour les rayons X) ; il en est de

même des pièces phalangiformes des

trois derniers segments ; les deux pièces

intermédiaires ne sont pas minéralisées.

26 HENRI MEUNIER

.

..

La description des monstres, avons-nous dit, n'est excusable au point

de vue scientifique, que si un examen minutieux de leurs appareils géné-

raux, vaisseaux et système nerveux, apporte quelque notion nouvelle, si

faible soit-elle, dans le problème obscur du déterminisme tératologique.

En ce qui concerne l'ectromélie cette question pathogénique n'a jus-

qu'ici reçu aucune solution satisfaisante et les théories qui ont été timide-

ment proposées ne sont en somme que de pures hypothèses : nous devons

néanmoins les signaler. -

La plus ancienne, la plus banale en tératologie, la plus indéracinable

dans l'esprit du public et la moins facile à expliquer, est celle qui repose

sur l'impression maternelle : . Au cours de nos recherches bibliographiques,

nous en avons trouvé maintes fois la mention explicite, avec toutes réser-

ves, naturellement, de la part des auteurs. Coesar. Gravely et Schneck,

entre autres, la signalent, en précisant les circonstances souvent très dra-

matiques dans lesquelles elle s'est produite : dans un de ces cas,la mère du

monstre avait eu, quinze mois auparavant, un accouchement très laborieux

qui avait nécessité la section des membres du foetus, et la vue de son en-

fant amputé des quatre membres l'avait tellement impressionnée qu'elle

en était restée longtemps obsédée. Le plus souvent l'impression maternelle

est signalée comme s'étant produite pendant la grossesse qui doit aboutir

à la naissance du monstre, presque toujours aux premier et deuxième mois

(tel notre cas) ; nous n'insisterons pas davantage sur cette théorie.

Trois théories scientifiques ont été proposées par les tératologistes pour

expliquer l'ectromélie en général, l'amélie en particulier.

- 1° On a pensé que l'arrêt de développement, total ou partiel, d'un mem-

bre pouvait être attribué à la compression locale du moignon par une mem-

brane ou une bride amniotique.

2° Pour d'autres, il ne s'agirait pas d'arrêt de développement, mais

d'amputation congénitale; ainsi s'expliqueraient les cicatrices cutanées que

l'on observe souvent à l'extrémité des moignons ou à la place des membres

absents. Cette théorie est plausible pour les cas où les moignons renfer-

ment des os dont la diaphyse est brusquement interrompue, mais elle pa-

raît difficilement applicable aux cas d'amélie que nous avons rapportés et

au nôtre en particulier, étant donné l'absence totale des quatre membres,

la déformation des cavités glénoïde el cotyloïde et l'adaptation régulière

et non cicatricielle des muscles de la région. Quant à la cicatrice cutanée,

elle ressemble beaucoup plus souvent à un appendice saillant, àun « mame-

lon », qu'à une cicatrice vraie.

Une dernière théorie enfin suppose que l'absence d'un membre est la

conséquence d'un arrêt de développement du système nerveux central, du

centre trophique du membre. Cette théorie invoquée par Brandt pour son

cas d'amélie, n'a été jusqu'ici éclairée d'un examen anatomique que pour

des cas d'ectromélie partielle. Sur deux embryons humains et sur deux

chats atteints d'ectromélie abdominale, Serres a remarqué que le renfle-

ment lombaire n'existait pas ; la même constatation fut faite, d'après Gui-

nard, sur la moelle cervicale d'un autre foetus humain et sur un veau nou-

veau-né, atteints tous deux d'ectromélie thoracique; Troisier, examinant

la moelle d'un enfant présentant une hémimélie thoracique, a noté que la

substance grise du côté correspondant à la malformation, était moins déve-

loppée que du côté opposé et que cette diminution de volume tenait à la

réduction du nombre des cellules et des tubes nerveux; enfin Variot a

remarqué dans la moelle de deux hémimèles une atrophie très nette de la

substance grise cervicale, du côté du membre avorté.

Ces résultats assez comparables nous ont engagé à vérifier s'il existait

chez notre sujet une atrophie analogue de ses centres médullaires. En vé-

rité, celte recherche n'était nullement facilitée dans notre cas, du fait de

l'anomalie quadruple; au contraire. Il

est, en effet, plus aisé de juger par

comparaison deux moitiés de moelle,

dont l'une correspond à une eclromélie

unilatérale et l'autre il des membres

normaux, que d'apprécier d'une façon

absolue le degré d'atrophie d'un axe

gris qui est atteint dans sa totalité.

Aussi nous fut-il nécessaire de prendre

comme critérium une moelle saine, ap-

partenant à un enfant do même âge et

examinée dans les mêmes conditions

Notre examen a porté, d'une part, sur

les dimensions générales des différents

étages de la moelle et sur les dimen-

sions en tous sens de l'axe gris (1), chez

un enfant normal âgé de 2 mois éga-

lement ; d'autre part, sur les mêmes

dimensions (largeur, épaisseur de la moelle ; aire de l'axe gris) chez notre

amèle.

(1) Ces mensurations ont été faites sur un très grand nombre de coupes, prises à des

niveaux homologues ; les deux moelles avaient été traitées par les mêmes liquides fixa-

teurs et les mêmes inclusions ; les coupes par les mêmes bains colorants (picrocarmin,

hématoxyline, Weigert et Pal).

Fig. 15. - Surface comparée de l'axe

gris chez notre amèle et chez un en-

fant normal de même âge : le con-

tour linéaire représente l'axe gris de

l'enfant normal (A) et le contour

pointillé celui du monstre (B).

2S HENRI MEUNIER

1° Au point de vue des dimensions générales du cordon médullaire, la

différence entre les deux moelles variait suivant l'étage considéré : au ni-

veau du renllement cenical et de la moelle dorsale, les dimensions étaient

en faveur de l'amèle (largeur : z 0 mm. 4 ; épaisseur : + 0 mm. 35),

tandis qu'au niveau du renflement lombaire, les dimensions de la moelle

amélique étaient inférieures à celles de la moelle normale (largeur :

0 mm. 85 ; épaisseur : 1 mm. 12).

2° Au point de vue du volume de l'axe gris, la comparaison des deux

moelles nous a donné au niveau des deux renflements, mais non au niveau

de la moelle dorsale, des chiffres plus faibles pour la moelle du monstre :

les différences, du reste, étaient peu sensibles.

Voici, en chiffres moyens, le résultat de nos mensurations :

AMÉLIE 29

membre avorté implique un centre médullaire préalablement atrophié ?

Ne peut-on soutenir inversement que le centre est atrophié parce qu'il

correspond à un membre avorté ? Ce dilemme nous paraît difficile à ré-

soudre, à moins qu'un examen de moelle chez un amputé congénital, vienne

nous apprendre que malgré l'absence d'un membre, le centre gris corres-

pondant n'en a pas moins suivi son développement normal. Ce résultat

acquis, il sera dès lors possible de voir dans l'atrophie de l'axe gris des

amèles, des hémimèles et des phocomèles, la cause primitive de leur dif-

formité : et la tératologie sera satisfaite..., à moins qu'une légitime curio-

sité ne la rende de nouveau perplexe devant cause inexpliquée de ]'1))'-

potrophie médullaire.

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Voir aussi les articles des Dictionnaires Jaccoud (Monstres) et Dechambre (Ec-

troméliens et Péromèles).

AMÈLE.

Face et profil d'après un moulage en plâtre.

La 3e photographie d'après nature.

UN CAS D'HËMIMËL1L

CHEZ UN FILS DE SYPHILITIQUE

par

G. GASNE

Interne de la Clinique des Maladies du Système Nerveux,

. il la Salpêtrière.

On désigne sous le nom général d'Ectl'omélie une malformation carac-

térisée par le développement incomplet ou môme l'absence d'un ou de

plusieurs membres; le terme plus particulier A'Hémimélie est réservé pour

les cas où le segment basilaire d'un membre existant et ayant acquis tout

son développement, la jambe ou l'avant-bras et mieux encore le pied ou la

main font défaut ou sont restés dans un étal rudimentaire, remplacés par

une sorte de moignon plus ou moins court, terminé le plus souvent par

des doigts imparfaits (1).

Ces cas d'ectromélie sont assez rares, pour qu'il y ait toujours quelque

intérêt il les publier, mais l'observation suivante, qui est un exemple par-

fait d'hémimélie, nous paraît encore digne d'attention par cetle particula-

rité que le père du jeune enfant qui en est l'objet, était au moment de la

conception en pleine évolution de syphilis secondaire, et de syphilis grave

touchant avec une insistance remarquable le système nerveux.

Observation : Le jeune Thér... Ernest, âgé de quatre ans, est né à ter-

me, la grossesse a été normale, l'accouchement facile. Dès la naissance on

s'aperçoit que la main droite n'existe pas ou qu'elle est du moins absolu-

ment rudimentaire.

Thér... s'est élevé facilement, il a été propre de bonne heure, a marché

à un an. Il va à l'école et se montre très intelligent.

C'est un enfant pàle, d'aspect chétif mais sa conformation générale, à

part le membre supérieur droit, est parfaite. Quelques ganglions au cou

(1) Voir LAncusn, Dict. Declambre, article Ecll'oméliens.

.32 G. GASNE

et aux aisselles. Aucune cicatrice sur la peau. Dents cariées : presque tou-

tes celles de la mâchoire supérieure ont disparu, celles du bas sont très

malades, elles sont petites, mais régulières et bien plantées. La première

dent serait venue remarquablement de bonne heure, à l'âge de trois mois.

Les organes viscéraux paraissent normaux, le ventre est développé, le

foie déborde légèrement les fausses côtes, la rate est également grosse.

Le bras du côté droit est normal, semblable au bras gauche, le coude

est également bien conformé, mais l'avant-bras extrêmement raccourci ne

porte qu'un rudiment de main.

La longueur de l'avant-bras et de la main qui du côté sain est de vingt-

trois centimètres (du bord supérieur de l'olécrane à l'extrémité du petit

doigt) est de sept centimètres seulement à droite, de sorte que cette partie

du membre prend la forme d'un cône dont la base'serait le pli du coude

et le sommet le moignon qui représente la main.

Celle-ci séparée de l'avant-bras par un sillon circulaire très net, esquisse

du poignet, est globuleuse, ses dimensions sont d'environ un centimètre

dans tous les sens, elle se termine par cinq petits bourgeons représentant

manifestement les doigts, un peu plus volumineux sur la partie la plus ex-

terne est le pouce, les parents affirment qu'a la naissance il portait un

ongle, qui est tombé au bout de deux ou trois jours. Ce moignon est ahso-

lument mou et flasque, il ne semble pas qu'il y ait le moindre squelette.

La palpation de l'avant-bras montre que le squelette du coude est nor-

mal, on sent très bien l'olécrane et la tête radiale ; le cubitus et le radius

nettement distincts semblent ensuite vers la partie médiane de ce rudiment

d'avant-bras se fusionner en un os unique, et le squelette se termine du

côté de ce qu'on peut appeler le poignet par une extrémité arrondie, vrai-

semblablement l'extrémité inférieure du radius.

Les mouvements de flexion et d'extension du coude se font facilement.

Il n'y a pas de mouvements de pronation ou de supination. Le moignon

qui représente la main est immobile, inerte.

La sensibilité objective est conservée dans tous ses modes, dans toutes

les parties; l'enfant dit souffrir quelquefois dans « sa main», il accuse

en tous cas une sensation constante de froid, qui se constate du reste ob-

jectivement, l'extrémité malformée est rougeâtre, violacée et froide au

toucher.

L'enfant a deux frères, l'un plus âgé a huit ans, il est très bien portant,

l'autre n'a que dix-huit mois, il commence à marcher et à causer, il a eu.

à Ilàye de sept mois, de fortes crises convulsives qui ont duré trois; i

quatre jours, mais qui ne se sont pas renouvelées,et dont il ne reste rien

La mère n'a pas fait de fausses couches, elle parait saine, on ne relève

sur elle aucune trace, ni aucun commémoratif de lésions spécifiques.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE

LA SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

X

UN CAS D'HÉMIMÉLIE CHEZ UN FILS DE SYPHILITIQUE 33

Le père a eu il vingt ans deux chancres indurés, il s'était marié il 17 ans

et le premier enfant est né avant la contamination. Presque aussitôt après

les chancres, céphalées nocturnes violentes, puis étourdissements, bientôt

vertiges suivis de chutes, sans perte de connaissance cependant.

En 1891 apparaît sur le thorax,l'avant-bras droit, les jambes un psoria-

sis syphilitique qui persiste encore en partie.

En mars 1894, amblyopie qui s'aggrave au point que le 'malade ne pou-

vait,.^ conduire seul, la vue est revenue depuis presque normale.

En août 1894, hémiplégie gauche complète, la face est prise : depuis

les céphalées apparaissent de nouveau, horriblement douloureuses, à ca-

ractère nettement nocturne empêchant tout sommeil. A plusieurs reprises

le malade a suivi un traitement spécifique qui a loujours amélioré les

symptômes.

Actuellement persiste une hémiplégie gauche incomplète, spasmodi-

que, avec de temps en temps des crises convulsives localisées dans ce côté,

des troubles oculaires surtout marqués du côté gauche (pupille immobile,

parésie du droit externe) et des céphalées nocturnes.

Rien n'est encore aussi obscur que l'origine de ces vices de développe-

ment. On a incriminé la pression exercée par l'amnios, il est peu facile

de comprendre qu'une telle compression s'exerce sur une partie seulement

de l'individu, encore moins que cette pression , toute hypothétique

d'ailleurs, puisse empêcher la formation ou le développement d'un seg-

ment de membre.

, Une doctrine plus récente attribue l'ectromélie à une amputation spon-

tanée des membre in ntéro, elle s'applique, non seulement aux cas où le

segment terminal du membre est absent, mais aussi aux cas où persiste,

comme dans l'observation qu'on Aient de lire, un rudiment quelque im-

parfait qu'il soit de toutes les parties du membre atteint. Il faut alors ad-

mettre que le moignon qui subsiste après l'amputation spontanée ( ? ), est

devenu le siège d'une régénération partielle, et que des appendices digiti-

formes se sont produits sur son extrémité libre. M. le professeur Mathias-

Duval admet cette hypothèse. Pour lui (1), l'état décrit sur le nom d'hémi-

mélie ne correspond à aucune phase embryologique, à aucun stade de

développement. L'embryon des animaux à sang chaud est assimilable il un

animal à sang froid, or qui ne sait que la propriété de repousser est nor-

male chez le salamandre par exemple, ou encore dans le premier état des

batraciens anoures avant leur métamorphose, chez le têtard de grenouille

(1) Voir Traité de pathologie générale de Ch. Bouchard, t. I, p. 218 et suivantes.

x 3

Si G. GASNE

où la queue enlevée repousse ? La régénération serait une propriété par-

ticulière des organes embryonnaires. A l'appui de cette thèse, M. Ma-

thias-Duval fait valoir que dans les rares cas où l'on a communiqué le

résultat de la dissection du moignon, on n'a trouvé dans les bourgeons

digitaux ni os, ni cartilage.

MM. Chaillous et Brun viennent récemment de s'élever contre cette opi-

nion, ils ont eu l'occasion de disséquer l'ébauche du pied- représentant le

segment terminal inférieur droit d'une petite fille de trois ans hémimé-

lienne, ils ont trouvé un squelette comprenant le squelette normal du pied

moins le cuboïde, le 2e et 3e cunéiforme, le 2% 3e et 4e métatarsien et les

, ..

phalanges des 2% 31 et 4°orteils, les pièces osseuses restantes, représen-

tant le tarse et'les deux orteils extrêmes avec leurs métatarsiens, étaient

unies par des capsules articulaires et terminées par des surfaces munies de

cartilage, en outre il existait, enveloppés dans du tissu cellulo-adipeux,

un muscle, un nerf, des vaisseaux.

Il était dès lors difficile en présence d'organes aussi nettement différen-

ciés de penser à un simple bourgeonnement consécutif à la cicatrisation

d'une amputation congénitale.

Enfin Larcher fait remarquer qu'il faudrait un étrange concours d'évé-

nements accidentels pour qu'on put admettre celle théorie dans les cas où

l'ectromélie porte sur plusieurs membres en même temps.

Reste une troisième explication.

Si la régénération n'est qu'une hypothèse, la coïncidence entre certain

cas d'ectromélie, une altération des filets nerveux et une atrophie des

renflements de la moelle épinière est un fait. Depuis longtemps Serres,

Tiedemann, Gurlt l'ont signalée, plus récemment Troisier, Edinger etc.

Larcher qui cite ces auteurs, remarquant que la section des nerfs d'un

membre est généralement suivie de l'atrophie de la région de la moelle qui

leur donne origine, se demande où est la cause, où est l'effet, si la

lésion médullaire dans le cas d'ectromélie est consécutive à l'anomalie

des membres, ou si l'avortement des membres est subordonné, selon la

remarque de Lancereaux, à l'agénésie ou à une modification des cellules

de la moelle, pendant la durée de la vie foetale.

Pour nous c'est cette dernière explication que nous aurions tendance à

admettre, la moelle chez les foetus est loin d'être à l'abri des processus

morbides qui l'altèrent et la modifient. Il résulte de recherches personnelles

que nous avons publiées ici même que, chez les foetus et en particulier

chez les foetus issus de parents syphilitiques les lésions de la moelle ne

sont pas rares, la syphilis héréditaire agit, avant la naissance, comme

(1) Voir Presse médicale. 1896, 19 août.

UN CAS DE HEMIMELIE

Chez un enfant heredo-syphilitique.

MASSON & Cie, Editeurs.

UN CAS D'III : 1111111ÉL1)J CHEZ UN FILS DE SYPHILITIQUE 35

fait la syphilis acquise chez les adultes. Et voilà pourquoi nous avons

insisté dans notre observation sur les antécédents spécifiques que présente

le père du jeune malade, pourquoi nous faisons remarquer que sa syphilis

est une syphilis nerveuse et qu'elle était en pleine période d'acuité lors de

la conception.

Enfin, nous appellerons l'attention sur ce fait que la syphilis est cou-

tumière de ces malformations congénitales; les exemples en abondent :

spinabifida, division de la voûte palatine,pieds-bots, luxations congénitales

de la hanche, etc., etc.

Quelle est la pathogénie de ces vices de développement ? Leur origine

nerveuse a été soutenue par bien des auteurs, ce que nous savons de la

tendance qu'a la syphilis congénitale à frapper le système nerveux ne

fait que confirmer leur opinion.

M. le professeur Lannelongue a récemment constaté dans la moelle

d'une enfant atteinte de luxation congénitale de la hanche des lésions con-

sidérables. '

J'ai eu l'occasion d'examiner la moelle d'un foetus portant deux pieds-

bots ; les altérations sont telles, bien que l'examen histologique seul ait

permis de les constater, qu'il est impossible de ne pas leur rattacher la

malformation des membres inférieurs.

Aussi nous croyons-nous autorisés à admettre dans le cas d'hémimélie

que nous présentons, l'hypothèse d'une lésion médullaire, due à la syphilis

héréditaire, et ayant évolué pendant la vie foetale.

APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE

DE ROENTGEN

f. UN NOUVEL INTERRUPTEUR A MERCURE POUR BOBINES D'INDUCTION.

IL RADIOGRAPHIES DES EXTRÉMITÉS D'UN SEXDIGITAIRE.

par

ALBERT LONDE

Directeur du service photographique

de la Clinique des Maladies du Système Nerveux, à la Salpêtrière

ET

HENRY MEIGE. «

Un an s'est à peine écoulé depuis la mémorable expérience du profes-

seur Roentgen et déjà les applications de la Radiographie deviennent plus

nombreuses, les résultais plus précis et plus parfaits. Tout n'est pas dit

malgré cela sur cette découverte qui sera considérée comme une des plus

belles de ce siècle; mais, dès à présent, on peut affirmer qu'elle a conquis

une place définitive dans les sciences médicales.

Nous n'avons pas à nous étendre sur l'importance des résultats que l'on

peut légitimement espérer au point de vue chirurgical, clinique et même

thérapeutique ; qu'il nous suffise d'insister aujourd'hui sur certaines con-

ditions spéciales d'application de cette méthode qui ont été suggérées à

l'un de nous par l'expérience.

Nous montrerons ensuite les résultats obtenus dans un cas d'anomalies

digitales..

Lorsqu'il s'agit d'opérer sur un modèle inanimé ou encore sur le cada-

vre, les résultats peuvent atteindre une grande précision et une extrême

finesse; il est en effet loisible de mettre l'ampoule produisant les Rayons X

à grande distance et de poser tout le temps nécessaire pour obtenir sur

la plaque photographique une impression suffisante. Si l'on a affaire à un

malade, il n'en est plus demême, et tous les efforts de l'opérateur devront

APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE DE ROENGTEN 37

tendre à réduire autant que possible la durée d'exposition. Pour atteindre»

ce résultat, trois points.sont considérer : l° la nature de l'ampoule ; 2° la-

distance qui la sépare du modèle à reproduire; 3° l'énergie du courant

électrique et sa fréquence.

Les ampoules primitives en forme de poire sont maintenant abandon-

nées et on leur préfère, d'une manière générale, celles, dites focus, à une

ou deux anodes.

'En les prenant de grande capacité, leur durée de fonctionnement est

de beaucoup prolongée, la finesse est peut-être un peu moins grande;

mais elles ont l'avantage incontestable en l'espèce d'être beaucoup plus

puissantes.

On admet généralement que l'intensité des Rayons X diminue comme le '...

carré de la distance, par suite il sera tout indiqué de placer l'ampoule

aussi près que possible du modèle. Par contre, la projection des silhouet-

tes radiographiques augmentant de dimension au sur et à mesure que

l'ampoule est rapprochée et le cône d'éclairement s'étendant au contraire

d'autant plus que l'on s'éloigne davantage, il faudra faire en quelque sorte

la moyenne de ces trois facteurs : de cette manière on obtiendra des ima-

ges correctes de dimensions sensiblement égales à celles de l'original ; le

champ d'éclairement sera uniforme sur toute l'étendue de l'objet à re-

produire et enfin l'ampoule étant à la distance la plus rapprochée, en tenant

compte des considérations qui précèdent, on obtiendra la pose la plus ré-

duite dans les conditions de l'expérience.

En ce qui concerne l'appareil producteur d'électricité -et tant qu'on

n'aura pas établi des transformateurs spéciaux susceptibles de produire

dans les ampoules les rayons en quantité suffisante, -il sera nécessaire

d'employer des bobines d'induction puissantes. Celle dont nous nous ser-

vons dans le service de M. le Professeur Raymond est le n° 8 de MM. Du-

cretet et Lejeune, et elle est susceptible de donner des étincelles de 20 cen-

timètres avec un courant de 16 volts environ.

I

UN NOUVEL INTERRUPTEUR A MERCURE POUR BOBINES D'INDUCTION.

Il nous a paru intéressant de faire connaître un modèle spécial d'inter-

rupteur que l'un de nous a fait construire par MM. Bazin et Leroy. Cet

appareil est une modification de l'interrupteur classique de Foucault. t.

Ce dernier doit sa supériorité au mode particulier de rupture de courant

qui se fait dans le sein d'une couche d'alcool recouvrant le mercure : ce-

pendant son régime de fonctionnement, variable il est vrai dans une cer-

taine mesure, est plutôt lent ; de plus, par suite de sa construction même,

38 A. LONDE ET HENRY MEIGE

les durées de passage et de rupture du courant sont sensiblement égales.

L'expérience nous a montré que dans la pratique de la Radiographie il y

avait intérêt à multiplier le nombre de périodes pendant l'unité de temps

et d'autre part il augmenter pendant chacune d'elles le passage du courant

dans l'inducteur, la durée de la rupture étant au contraire aussi courte

que possible. Sans insister sur la théorie de ces conclusions, il ressort d'une

façon évidente que nous obtiendrons une sérieuse économie de temps dans

la durée d'exposition si nous multiplions la fréquence de l'interrupteur

pendant l'unité de temps, et si pendant chaque période nous réglons auto-

matiquement le rapport des périodes de passage et de rupture du courant t

pour obtenir le maximum d'effet.

L'interrupteur que nous allons décrire nous a servi déjà à faire de très

nombreuses expériences et les résultats que nous espérons se sont trouvés

complètement confirmés. Il se compose d'un moteur électrique rotatif ac-

tionné par une pile au bichromate ou un accumulateur (Fig.1) ; l'axe du

moteur porte une came de forme spéciale destinée a soulever à chaque tour

un bras de levier qui porte une lige mé-

talliqueplongeant dans le godet, rempli de

mercure. Le passage du courant a lieu

chaque fois que cette tige atteint le mer-

cure : il est coupé chaque fois qu'elle en

sort. Grâce à la forme de la came, l'im-

mersion dans le mercure dure les 3/4 de la

rotation, le courant a donc tout le temps

nécessaire pour s'établir : la période de

rupture n'est au contraire que de '1/4 de

la rotation. Grâce à ce dispositif très sim-

ple, le rapport des deux périodes que l'ex-

périence nous a démontré comme étant le

plus convenable, se trouve réalisé.

Le bras de levier, fixe à une de ses extrémités, est muni d'un ressort an-

tagoniste qui assure le contact dans le mercure et peut se tendre plus ou

moins s'il est nécessaire. Une vis spéciale limite la course inférieure du

levier et permet en cours d'opération de régler très exactement la plongée

de la tige. Le moteur électrique permet d'atteindre facilement de grandes

fréquences et, avec la même bobine actionnée par le même courant, on

constate immédiatement des différences très grandes avec les résultats que

l'on obtient soit avec le trembleur ordinaireà marteau ou avec l'interrupteur

Foucault. L'éclat de l'ampoule est bien plus vif, et à cause de l'accélération

du régime la durée de pose est notablement réduite. N'ayant pas à notre

disposition les appareils nécessaires il ne nous a pas encore été possible

APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE DE ROENGTEN 39

de faire des mesures précises, mais si l'on contrôle l'effet produit par la

longueur de l'étincelle obtenue, on constate qu'avec l'interrupteur ci-des-

sus elle est presque le double de celle que donne la même bobine avec le

trembleur à marteau.

Si l'on se guide sur la durée d'exposition, bien que l'état essentiellement

variable des ampoules entraîne quelquefois des différences très notables,

on arrive à obtenir couramment des photographies de crâne en 30 mi-

nutes, alors qu'avec le trembleur à marteau il fallait au moins deux heures.

. Le progrès est donc sensible, mais il faut aller plus loin ; des poses de

cette durée sont encore beaucoup trop longues quand il s'agit de malades

qu'il est nécessaire d'immobiliser par des attaches, ce qui rend encore l'o-

pération plus pénible et désagréable pour ceux-ci. Les recherches devront

donc être continuées avec 'persévérance pour réduire par tous les moyens

possibles la durée d'exposition; il s'agit là, on peut le dire, d'une question

d'humanité pour les malheureux qui ont recours à laRadiographie, d'autre

part la brièveté de la pose intéresse également l'opérateur au point de vue

économique et au point de vue du succès final, car plus la pose est longue

plus les chances d'insuccès augmentent.

II

RADIOGRAPHIE DES EXTRÉMITÉS D'UN SEXDIGITAIRE

Un sujet, porteur de doigts surnuméraires, nous a permis de faire, à

l'aide du dispositif que nous venons de décrire, une intéressante applica-

tion de la Radiographie.

L'emploi des radiations de Roentgen pour reconnaître la structure sque-

lettique des anomalies de développement est en effet appelée à rendre de

réels services.On arrive ainsi à préciser, sur le vivant, le siège, le nombre,

le volume et la forme des segments osseux, avec une exactitude que les

procédés ordinaires d'investigation clinique ne permettent pas d'obtenir.

Et, s'il y a lieu d'intervenir, le chirurgien est en mesure d'opérer avec toute

, la certitude désirable.

Or, dans plusieurs variétés de vices de conformation des doigts (syn-

dactylie, polydactylie, macrodactylie), une opération chirurgicale peut

corriger l'anomalie, parfois même la faire totalement disparaître; le patient,

débarrassé d'une infirmité gênante, y trouve en outre un avantage esthé-

tique.

Enfin, on a prétendu qu' « en détruisant les syndactylies, en sup-

primant les doigts surnuméraires, non seulement on améliore l'état du

patient, mais encore on a chance de préserver sa descendance de difl'or-

40 A. LONDE ET HENRY MEIGE

mités semblables à celles qu'il portait lui-même. Les opérations, dans ce

cas, ne sont donc pas des opérations de complaisance, comme quelques

chirurgiens se plaisent à les appeler, mais des opérations utiles pour le

présent et pour l'avenir » (1).

Mais, parfois, l'opérateur se trouve arrêté par la difficulté de reconnaître

la conformation exacte des parties osseuses, leurs limites et leurs points

d'adhérence. Les renseignements fournis par la radiographie suffisent à

lever tous les doutes.

Dans le cas que nous avons examiné, la chirurgie n'était pas en cause.

Elle eut pu trouver, en cette occasion', d'utiles renseignements dans les

données fort précises de la radiographie qui révèle l'exacte conformation

squelettique des anomalies digitales.

Il s'agit d'un homme de 31 ans, employé à ]'Hospice de la Salpêtrière,

grand, vigoureusement musclé, d'une santé parfaite, et même d'une force

au-dessus de la moyenne.

Son père et sa mère sont morts à un âge avancé. Ni l'un ni l'autre,

affirme-t-il, ne présentaient de difformités des doigts, non plus que ses

deux soeurs et un frère, actuellement vivants et bien portants. t

Quant à lui, il offre un bel exemple de polydactylie symétrique :

Aux deux mains et aux deux pieds, il est pourvu de six doigts. C'est le

tpe du sexdigitaire accompli.

Cette légère infirmité ne l'incommode aucunement. Il fait fort correcte-

ment oeuvre de ses douze doigts et marche sur ses douze orteils sans la moin-

dre gêne.

D'ailleurs, la symétrie est si parfaite que cet homme semble normal dans

son anomalie, et, si l'on n'est prévenu, cet excès dignitaire passe aisément

inaperçu.

Aux mains, les cinq doigts réglementaires sont régulièrement confor-

més. Le surnuméraire est représenté par un petit doigt qui se détache à

45°, dans le plan de la main, sur le bord cubital, et un peu au-dessus de

l'attache palmaire de l'auriculaire. Sa longueur est d'environ les deux tiers

decedernier; il est plus court, mais aussi gros, et pourvu d'un onglecom-

plet.

On apprécie malaisément au palper le nombre des phalanges, au moins

deux, peut-être trois...

Quand la main est ouverte, tous les doigts étant allongés, le doigt su-

perflu semble faire pendant au pouce. Il peut se fléchir, se plier en cro-

(I) Voy. Polaillon, art. Doigt, in Dit. ente. des Sc. 1¡I/ ! d.

APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE DE ROENGTEN 41

chet, et inversement s'allonger et s'étendre; cependant ses mouvements

sont toujours commandés par ceux du cinquième doigt et ne s'effectuent

pas isolément.

Vraisemblablement, il est pourvu d'expansions tendineuses émanées des

tendons de l'auriculaire dont il suit la flexion et l'extension. Mais, -selon

la règle dans les cas de polydactylie cubitale, le doigt surnuméraire ne

peut exécuter les mouvements d'adduction et d'abduction, le rapprochant

ou l'écartant deson voisin, car les muscles interosseux font presque toujours

défaut.

A chaque pied, un petit orteil surnuméraire est accolé au cinquième,

également pourvu d'un ongle bien développé. Ici surtout, il est difficile

d'apprécier par la palpation le nombre des phalanges, o

Les radiographies vont à cet égard nous édifier complètement ; en outre,

elles nous feront connaître le mode d'articulation des doigts et des orteils

supplémentaires avec le métacarpe et le métatarse, indications qui, jus-

qu'alors, ne pouvaient être vérifiées que par les examens nécroscopiques.

Mains. A droite comme à gauche, le squelette des doigts surnumé-

raires se compose de trois phalanges. Les phalanges et les phalangettes,

plus petites que celles des auriculaires, ont cependant la même confor-

mation, renflées aux extrémités, étranglées dans leur partie moyenne.

Les phalangines au contraire sont de longueur notablement réduite :

Du côté gauche, la phalangine est à peu près cylindrique et intimement

accolée à l'extrémité inférieure de la phalange; ainsi s'explique la diffi-

culté qu'on éprouve à préciser par la simple palpation le nombre des seg-

ments squelettiques. Cependant la radiographie montre nettement l'exis-

tence des surfaces cartilagineuses qui appartiennent en propre à chacun de

ces os.

A droite, la forme de la phalangine se rapproche davantage de la nor-

male ; elle est plus longue que la symétrique, et légèrement étranglée en

son milieu. De ce fait, déjà le doigt surnuméraire droit est un peu plus

long que le gauche. L'articulation de la phalangine avec la phalange se

fait du côté externe sur une tubérosité plus développée que celle du côté

opposé.

Le point leplus intéressant de la disposition squelettiquedela main est

le mode d'articulation des doigts surnuméraires avec les métacarpiens.

Il diffère complètement d'une main à l'autre :

Du côté droit, le cinquième métacarpien est i-ectiligiiél,7 aminci en son

milieu, mais beaucoup plus gros que normalement. L'augmentation de o-

lume qui porte sur l'os entier, s'accuse surtout au niveau de la tète digi-

tale. Cet os semble formé par l'accolement de deux métacarpiens, intime-

42 A. LONDE ET HENRY MEIGE

ment soudés du côté du carpe, s'écartant en forme de fourche au voisinage

des doigts. Là, se voient nettement deux têtes arrondies pourvues de sur-

faces articulaires dont l'une est destinée à la phalange de l'auriculaire,

l'autre à celle du doigt surnuméraire.

Du côté gauche, la conformation du cinquième métacarpien est toute

différente. L'os est de forme irrégulière, incurvé, concave du côté du

quatrième métacarpien, convexe du côté opposé, et sur le sommet de cetle

convexité se trouve une grosse tubérosité pourvue d'une surface cartila-

gineuse : c'est là que vient s'articuler le doigt surnuméraire.

Ainsi, tandis que dans la main droite le cinquième métacarpien semble

constitué par deux métacarpiens de forme régulière et de longueur presque

égale, intimement accolés et. fusionnés côte à côte, dans la main gauche,

au cinquième métacarpien incurvé et difforme, est soudé un métacarpien

supplémentaire, beaucoup plus court, dont l'extrémité digitale s'arrête

vers la moitié du premier os,formant sur son bord convexe une saillie vo-

lumineuse.

Les radiographies permettent d'apprécier très exactement cette différence

de configuration extérieure. Bien plus, elles nous font entrevoir la structure

intérieure de ces métacarpiens anormaux et la direction des travées osseuses

délimite clairement la portion d'os qui appartient à chacun des métacar-

piens fusionnés.

A droite, une bande claire longitudinale, partant de l'encoche qui sépare

les deux têtes digitales, est l'indice d'un épaississement du tissu osseux,

vestige des contours osseux de chacun des métacarpiens actuellement fu-

sionnés. A gauche, on peut encore faire la même constatation et reconnaître

dans l'os informe la limite qui sépare le cinquième métacarpien du méta-

carpien rudimentaire soudé il lui.

Avant que l'ossification ne fut terminée, on peut supposer que la sou-

dure n'était pas complète ; on aurait pu sans doute faire aisément l'ablation

des métacarpiens surnuméraires, ou tout au moins la résection de leur

extrémité digitale, car du côté du carpe la fusion des deux os est si intime

qu'ils forment une seule épiphyse, d'ailleurs notablement hypertrophiée.

La différence de longueur des deux métacarpiens surnuméraires est la

principale raison de la différence apparente qu'on remarque entre les deux

petits doigts qui leur sont attachés. Le gauche est d'un tiers moins long

que le droit. L.

Pieds. La polydactylie des mains se répète intégralement aux pieds.

Ici, la conformation squelettique diffère peu d'un côté à l'autre.

Au pied droit, l'orteil surnuméraire part du bord externe, en dehors du

APPLICATIONS MÉDICALES DE LA MÉTHODE DE R.(H3NG'CEN 43

cinquième orteil. Il est presque de même longueur que ce dernier et semble

même plus allongé, n'étant pas replié en crochet.

On y voiL trois phalanges bien distinctes, régulièrement conformées, el

un ongle.

L'articulation se fait sur la tête du cinquième métatarsien sur une sur-

face contiguc à celle où s'articule le cinquième orteil, en dehors et en

arrière. -

Le métatarsien est volumineux dans toute son étendue, mais de forme

régulière ; il ne paraît pas avoir été formé par la fusion de deux os con-

tiges. '

Au pied gauche, l'apparence extérieure est .la même. Le métatarsien est

construit de la même façon. Mais, comme nous l'avons vu à la main gau-

che, la phalangine de volume moindre, semble soudée à la phalange, en

sorte que l'orteil surnuméraire paraît n'avoir que deux segments osseux.

Les cas de polydactylie ne sont pas très rares. Polaillon dit qu'à Paris

on pourrait en trouver un sur mille individus.

Dans les exemples publiés, on a signalé plusieurs particularités qui se

retrouvent dans notre observation.

D'abord, il est fréquent que les anomalies digitales de ce genre soient

symétriques aux deux mains ; on les a vu aussi se répéter aux deux pieds.

Cependant les doigts surnuméraires cubitaux avec attache osseuse sont

assez rares. On les rencontre le plus souvent sous forme de petites tumeurs

arrondies, séniles ou pédiculées, contenant tantôt des débris de tissu os-

seux informe, tantôt une phalange, parfois deux.

L'existence de trois phalanges est au contraire une rareté et, à cet égard,

notre cas méritait d'être signalé.

Quant au mode d'articulation des doigts surnuméraires, il se rapproche

beaucoup de l'observation classique publiée par Morand en 1770 (1 ).

Dans une main, le doigt s'articulait avec une apophyse du cinquième mé-

tacarpien, dirigée obliquement de bas en haut; dans l'autre, l'articulation

se faisait directement sur le bord interne du métacarpien.

Telle est bien la disposition que présente notre sujet. Mais dans le cas

de Morand les doigts supplémentaires n'avaient que deux phalanges.. '.

La palpation, il est vrai, fournit parfois des renseignements erronés

sur le nombre des segments squelettiques ; ceux-ci, en effet, sont de petite

dimension, difficilement perceptibles sous les parties charnues, et peuvent,

(1) (OR \ ? 0, Recherches sur quelques conformations monstrueuses des doigts de

l'homme, C. n. de l'Acad. des sciences, p. 13î, 1770.

44 A. LONDE ET HENRY MEIGE

chez les sujets d'un certain âge, être reliés pas d'épaisses lames fibreuses,

ou même se souder complètement entre eux.

.. Dans notre cas, l'accolement des phalanges et des phalangines rendait

malaisé le dénombrement des pièces osseuses. L'épreuve radiographique

fait comprendre la raison de cette difficulté et ne laisse prise à aucune

ambiguïté sur l'existence de trois phalanges.

1

--En terminant, nous ferons remarquer que la transmission héréditaire,

plus fréquente, dit-on, chez les polydactyles que dans les autres variétés

digitales, fait défaut dans notre observation. 1 . 1 1

Il est vrai que les ancêtres des sexdigitaire se perdent dans la nuit des

temps. f 1

. Pour ne parler que de ceux dont l'histoire a conservé la mémoire, on

raconte qu'Anne de Boleyn, déjà célèbre par une mamelle surnuméraire',

avait, en outre, six doigts à la main droite. Pline parle de deux soeurs

pourvues de six doigts à chaque main. ' '

Enfin, en des siècles plus lointains encore, apparaît le prototype du

sexdigitaire en la personne d'un Philistin gigantesque, qui cumulait les

vices de développement par excès, car, outre sa taille colossale, cet émule

de Goliath était polydactyle. j

Ainsi en témoigne un passage du Livre des Rois :

. « Il se fit une quatrième guerre à Geth, où il se trouva un homme d'une

taille' extraordinaire qui avait six doigts aux pieds et aux mains, c'est-à-

dire vingt'-quatre doigts, et qui était de la race d'Arapha (1). i

Notre homme de la Salpêtrière pourrait, à la stature près, rivaliser avec

ce sexdigitaire de l'époque biblique.. ,

(1) -Ane. Testam., Rois, livre II, ch. XXI, 20, 21..

RADIOGRAPHIE DE LA MAIN DROITE D'UN SIXDIGITAIRE.

MASSON & C'e, Éditeurs.

RADIOGRAPHIE DES MAINS ET DES PIEDS D'UN SIXDIGITAIRE.

MASSON \ Cie, lidrtems.

LES PEINTRES DE LA MEDECINE.

(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE).

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE

par

HENRY MEIGE.

L'histoire des Pédicures est peu documentée. Au temps passé, ces hum-

bles praticiens ont opéré dans l'ombre, blottis dans les étuves et les éta-

blissements de bains, dédaigneusement tenus à l'écart par les chirurgiens

diplômés.

Cependant, depuis la première sandale jusqu'au dernir soulier moderne,

des légions de malheureux ont souffert d'ampoules, d'écorchures, de

durillons, de cors aux pieds, et il s'est trouvé des gens pour entreprendre

de les soulager. L'utilité de cette profession n'a jamais paru contestable :

le nombre de ses adeptes, aujourd'hui comme autrefois, et l'abondance de

leurs clients, en sont la meilleure preuve.

Mais, guérisseurs inconstants, mêlés à la foule des empiriques ignorants

ou des charlatans vagabonds, les Pédicures ont mené l'existence irrégu-

lière des opérateurs de contrebande, fatalement condamnée à l'oubli.

Discrédités dans le passé, peut-être ont-ils un brillant avenir devant

eux..... « Si quelqu'un employait toute sa vie à découvrir un spécifique

contre les cors, il mériterait bien de la postérité et aurait suffisamment

servi le genre humain ». Ce desideratum de tout Pédicure, attribué à tort

ou à raison à Sydenham (1) ne semble pas suranné aujourd'hui, car le

remède est encore à trouver. /

En attendant sa découverte, il nous a paru curieux de jeter un regard

en arrière, sur les Pédicures d'antan, sur les plus obscurs, les plus hum-

bles, les Pédicures populaires du XVIe au XVIIIe siècle.

(1) Le mot est rapporté, sous réserves par A. Fn.aahtm. Variétés chirurgicales, Paris

Pion., 1894, p. 223. Il est tiré de l'ouvrage : Toilette des pieds, ou traité de la guéri-

son des cors, verrues et autres maladies de la peau, par le D ROUSSELOT, chirurgien

' de Mgr le Dauphin, des Princes et de Mesdames, en cette partie, ancien chirurgien

de M. le prince de Wirlemberg, 1762 ; réédité en 1769.

! g IIENRY MEIGE

*

..

La chirurgie populaire fut, de longue date, l'apanage des Barbiers, et

c'est parmi ces derniers qu'il faut chercher les premiers Pédicures.

Au Moyen-Age, les seuls Barbiers pouvaient faire oeuvre de chirurgien,

car, parmi ceux qui se targuaient de connaissances médicales, nul n'aurait

consenti à faire une opération sur son semblable, encore moins sur le corps

d'un manant. -

Les prêtres, tout en s'efforçant d'accaparer l'exercice de la médecine, se

contentaient, pour toute prescription, d'indiquer les remèdes empiriques

traditionnels, mais à aucun prix ils n'eussent osé la plus légère interven-

tion, surtout sanglante : Eccfesia abhorret a sanguine !

Les médecins, égarés dans les dissertations scholastiques et imbus des

préjugés nobiliaires du temps, auraient rougi de s'abaisser à un métier

manuel qu'ils regardaient comme avilissant.

Cependant, pour ne parler que des maux les moins graves, mais non

pas des moins douloureux, en ce temps là comme au nôtre, on avait des

plaies, des abcès, des furoncles, on souffrait des dents, de la tête, voire

même des cors aux pieds

A qui s'adresser pour obtenir le pansement ou l'incision bienfaisante,

seuls capables de calmer une douleur intolérable, sinon au Barbier dont

les mains expertes savaient conduire avec sécurité les instruments tran-

chants et que n'arrêtaient point les préjugés de caste ? » ?

Chez lui, du moins, on était certain de trouver une lame bien affilée,

soulagement plus efficace qu'une citation aristotélique, qu'un emplâtre

anodin ou un breuvage nauséabond.

' Le rasoir, élément essentiel de la trousse du Barbier, fut ainsi l'origine

de sa fortune chirurgicale.

Ne sait-on pas que, dans les premiers examens de cadavres humains qui

se firent en public, ce fut un garçon-barbier qu'on chargea de la dissec-

tion ; et celui-ci s'en acquitta avec un rasoir. D'ailleurs, au XIV° siècle,

Mondini de Luzzi n'employait pas d'autre instrument pour faire la para-

centèse.

Plus tard, le rasoir devint bistouri et les pots d'onguents prirent place

à côté des cosmétiques.

Aux maigres profits qu'ils retiraient du maniement de leurs rasoirs sur

le poil ou sur la chair, les Barbiers ajoutèrent de bonne heure une autre

source de revenus : nombre d'entre eux se firent Etuveurs (1) et leurs

officines n'en furent que mieux achalandées.

(t) On disait aussi Estuviers, Etuvistes.

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 47

On venait chez eux pour les cheveux et pour la barbe, on y venait pour

un "furoncle ou pour un abcès, on y vint aussi pour les affections cutanées,

prendre des bains d'eau tiède ou de vapeur. Et comme, dans les soins du

corps, ceux des pieds ne sont pas moins urgents que ceux de la tête, les

Barbiers-Etuveurs s'improvisèrent Pédicures, cumulant ainsi l'art de tail-

ler les cheveux, de raser la barbe, d'inciser ou de racler la peau, de cou-

per les cors et les durillons.

En un mot, ils tiraient tous les partis possibles des instruments tran-

chants qu'ils avaient à leur disposition.

Au XIIIe siècle, les EstllCeU1'S formaient, à Paris, une véritable corpo-

ration. Le Livre des métiers (-1) d'Etienne Boileau, Prévost de Paris, nous

apprend qu' « ils étaient sous la surveillance de trois Jurés, élus par les

maîtres du métier : La surveillance était principalement exercée sur la

tenue et l'ordre des maisons, pour y conserver autant que possible la dé-

cence et les bonnes moeurs; malheureusement l'occasion favorable et la

cupidité des Etuveurs transformaient souvent leurs établissements en

maisons de débauche. On défendait d'entretenir dans les Etuves des hom-

mes et des femmes sans aveu et sans domicile, des lépreux et autres gens

malades et diffamés (2). Ici, comme dans les autres règlements, l'inter-

diction prouve sûrement l'existence des faits interdits.

« On distinguait les Etuves, ou bains de vapeur,des bains tiède. L'étuve

coûtait deux deniers, les bains quatre deniers. Ces prix pouvaient être

élevés par le Prévost de Paris, lors du renchérissement des bois et des

charbons.

« Un dernier détail de moeurs : il était défendu de faire « crier » ses

Etuves avant le jour, parce que les personnes qui se rendaient à ce cri

étaient exposées à de nombreux dangers. Il était donc d'usage d'aller se

baigner de grand matin, en sortant du lit. ,

« En 1292, Paris comptait vingt-six Etuveurs, inscrits sur le livre de

la taille ».

Une gravure de Hans Burgkmair, contemporain et ami d'Albert Durer,

nous montre un intérieur d'Etuve au XVIe siècle (3).

« Dans une salle de bain, un homme nu, couvert d'ulcères et d'emplâ-

(1) Voy. Hist. génér, de Paris. Les métiers et corporations, de la ville de Paris.

XI IIe siècle. Le Livre des métiers d'ETID;i'OE BOILE.\U, publié par René de Lespinasse et

François BortrewnoT. Paris, Imprim. nat., )IDCCCLXXIX.

(2) III Item. « Que nuls ne nule du dit mestier ne soustiengne en leurs mesons ou

estuves, bordiaus de jour ne de nuit, mosiaus ne meseles rêveurs, ne autres genz

diffamez de nuit ». Extrait du registre des Estuveurs.

(3) Ce document a été signalé et reproduit dans ce recueil. Voy : CttAncoT et PAUL

Richer, Quatre gravures d'Hans BU1'gkmaÏ1', Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1891,

p. 409, PI. XXXIX.

48 HENRY MEIGE

tres est assis sur un banc, les pieds posés sur le rebord d'un baquet. Il re-

çoit les soins d'un aide placé derrière lui. On voit, à la cantonade, Job sur

son fumier; près de lui,le chien qui lèche ses plaies,et sa femme qui vomit

des injures : la bêle compatissante et la femme sans pitié ».

Une inscription humoristique en allemand, destinée à consoler le ma-

lade sert de légende : « Ton corps est couvert d'ulcères, aimerais-tu mieux

une femme méchante ? L'ulcère te ronge la peau, une mauvaise femme te

salera trop ton souper ». -

Il est certain que les Etuves étaient surtout fréquentées par des indi-

vidus atteints d'affections cutanées, et l'on comprend la sagesse des pré-

cautions recommandées par Etienne Boileau.

En outre, il n'est pas douteux que certains établissements de bains pu-

blics se transformèrent en lieux de débauche. Aussi la profession de Bar-

bier ou d'Etuveur n'était-elle pas tenue en grande estime.

En Allemagne, jusqu'au XVII° siècle, aucun artisan ne prenait un jeune

homme en apprentissage sans une attestation portant qu'il était né de pa-

rents honnêtes, fruit d'un mariage légitime, et issu d'une famille dans la-

quelle il ne se trouvait « ni barbiers, ni baigneurs, ni bergers, ni écor-

cheurs » (1).

Cependant on aurait tort d'accuser tous les Barbiers-Etuveurs des mêmes

délits, car beaucoup exercèrent honorablement leurprofession et rendirent

de réels services. Ils furent mêmejusqu'au milieu du XVe siècle, les seuls

médecins dans la plupart des villes d'Allemagne (2).

En France, les Barbiers trouvèrent en Charles V un protecteur qui re-

connut leur utilité et sanctionna leurs privilèges. Dès la seconde moitié

du XIVe siècle, un édit royal confirmait aux Barbiers le droit de « prati-

quer la saignée, bailler et administrer emplastres, ongnemen ts, et autres

médecines convenables pour boces, apostumes et toutes plaies ouver-

tes «.Mais il y eut bientôt des abus de chirurgie, car, en 1425, un arrêt du

Parlement de Paris interdisait aux Barbiers et aux Etuveurs de pratiquer

les opérations. Il leur fut seulement permis de panser les plaies et d'arra-

cher les cors. .

C'est à cette chirurgie sommaire que se limiteront les Barbiers de village

pendant plus de trois siècles. Nous les verrons bientôt à l'oeuvre dans leurs

modestes officines, rasant la ba,rbe de l'un, taillant les cheveux de l'autre,

appliquant un emplâtre à celui-ci, coupant un cor à celui-là.

(1) Moehsen, 292, cité par KUHT. SPITFNOEL, IIISI. de D9ért., t. lui, p. 496.

(2) DItEYIIAUPT, p. 561. Ibid. L'Empereur Wenceslas aurait été le premier à relever

leur triste condition et même à leur permettre d'avoir des armoires, en souvenir de

la fille d'un baigneur qui avait favorisé son évasion du château de Wittberg, en Au-

triche, et qui devint plus tard sa concubine. (Sprengel, loc, cit.).

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 49

Cependant, dans les grandes villes, à partir du XVIe siècle, le rasoir est

souvent relégué au second rang. ·

Les tonsures chirurgici sont plus Chirurgiens que Barbiers. Ils deman-

dent même qu'on leur permette d'étudier l'anatomie, car ils veulent in-

tervenir dans d'autres circonstances que pour la saignée et 1)i-o fitj-ïtiieîllis,

boschiis et apostematibus. Ils n'ont pas tort : Ambroise Paré ne faisait-il

pas partie de leur corporation ?

Et, parmi eux, les Itzciseurs entreprennent des opérations plus

audacieuses : la pierre, la hernie, la cataracte, etc. Aussi entend-on

bientôt la Faculté crier au scandale : les Médecins vont livrer bataille

aux Barbiers.

La lutte s'engagera et durera plus de deux siècles, les Barbiers ne se

décourageant pas. « La chirurgie est un art manuel,diront-ils ? -Soit. Nous

revendiquons hautement le droit de l'exercer. Nous n'administrerons au-

cune médecine « laxative, altérative ni confortative ». Ceci est affaire aux

médecins. Mais c'est nous qui pratiquerons « la diérèse, la synthèse et

l'exérèse ».

On connaît l'histoire de ces dissensions orageuses qui eurent au XVII"

siècle un grand retentissement et qui se continuèrent encore au XVIIP.

A Paris, la Faculté, d'une part, les Chirurgiens et les Barbiers de l'autre,

tantôt alliés, tantôt ennemis, ne cessèrent de se quereller jusqu'à la Révo-

luti ? ôur la plus belle joie des humoristes, mais sans grand profit pour

les.progrès de la médecine et de la chirurgie (1).

Or, tandis que les plus audacieux et les plus instruits des Barbiers

bataillaient pour accroître leurs prérogatives et mettaient parfois en échec

les Médecins et les Chirurgiens de robe longue, les plus humbles conti-

nuaient dans leurs modestes officines à manier à tour de rôle le rasoir et

le bistouri, les pâtes capillaires et les onguents.

Successeurs des physiciens, des mires et des mèges du Moyen Age, pra-

ticiens improvisés, n'appartenant à aucune école, ignorants des plus

élémentaires notions de médecine et d'anatomie, bornant leurs soins à

des incisions simples ou à des pansements grossiers, ils étaient les seuls

guérisseurs des pauvres diables en quête d'un soulagement à leurs maux.

Leur chirurgie rudimentaire était quelquefois bienfaisante. A défaut de

savoir, ils mettaient, pour un salaire problématique, leur bonne volonté

et leur adresse au service des malheureux. Beaucoup de leurs confrères

en haut bonnet n'eussent pu se vanter de cures plus efficaces ni plus dignes.-

(1) Voy. à ce sujet : Maurice Raynaud, Les médecins au temps de 31olièi,e, Paris,

Didier et Cie, 1863. A. Fnwxtm, La vie privée d'autrefois. Les Chirurgiens, Paris,

Pion et Cie, 1893.

x 4

50 UEKXY MEIGE

De ces Barbiers obscurs aucun nom n'est venu jusqu'à nous. Nom-

bre d'entre eux d'ailleurs auraient été dans l'impossibilité de l'écrire.

Mais une compensation leur était réservée. Car il s'est trouvé que les

officines et les pratiques des opérateurs de village ont tenté le pinceau des

peintres contemporains. Des artistes, des maîtres, - nous ont laissé

une histoire en peinture plus vivante et non moins documentée que des

textes écrits. C'est dans ces pages colorées, dont plusieurs sont de réels

chefs-d'oeuvre, que nous allons essayer de lire la vie des Barbiers-Pédi-

cures, au temps d'Adriaen Brouwer et de David Teniers.

Dans une chambre mal éclairée, aux murs enfumés et décrépits, sous un

plafond il solives apparentes, au milieu d'un entassement désordonné de

sièges et d'accessoires professionnels, où la lumière des fenêtres basses

vient déposer çà et là quelques reflets d'or et d'argent, le Barbier-Pédi-

cure opère, courbé sur le pied d'un client.

Vieillard cassé au visage labouré de rides, ou jeune homme à longs che-

veux bouclés, il porte toujours son costume distinctif, sans éclat, parfois

même déplorablement négligé.

Sa tête est coiffée d'une barrette informe, ou tout simplement d'un béret ;

d'autres ont un petit bonnet entouré de fourrures.

Autour de la taille, les Barbiers-Pédicures ceignent un court tablier

blanc qui sert à essuyer bistouris et rasoirs : c'est, pour leurs instruments,

le seul soin de propreté qu'ils connaissent.

Parfois, un étui contenant des lancettes, des pinces et des sondes pend à

leur côté, comme une gaine de maître-queux.

Tels sont les attributs qui distinguent ces opérateurs rustiques, travail-

lant à tour de rôle sur la tête et sur les pieds.

Plus d'apparat serait superflu pour la clientèle miséreuse qui fréquente

leurs officines : paysans, ouvriers, chemineaux, gens de mine piteuse et de

bourse plate, meurtris par le travail et les souffrances, trop heureux de

trouver, pour une maigre obole, quelques soins grossiers à des maux

exaspérants.

Ils entrent en clopinant, appuyés sur un bâton, jettent sur le sol leur

panier ou leur besace, accrochent leur chapeau au dossier d'une chaise,

s'assoient, retirent leur soulier, et, soutenant leur jambe avec leurs mains

croisées sous le jarret, posent avec précaution leur pied nu sur un tabou-

ret, sur un billot, ou sur le bord d'une table.

LeBarbier vient, m et un genou en terre, saisit d'une main le pied dou-

loureux et se penche pour regarder de plus près le siège du mal. '

Alors, selon qu'il s'agit d'une excoriation, d'une ampoule, ou bien d'un

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 51

cor, d'un durillon, il prépare un emplâtre adhésif, va chercher un topi-

que liquide ou un bistouri bien tranchant.

Tantôt on le voit, armé d'un petit couteau pointu, grattant patiemment

1'épiderme durci, cherchant à extirper un cor jusqu'à la racine. Tantôt il

verse sur la plaie un baume calmant, ou sur un durillon quelque caus-

tique. Tantôt enfin, il applique loco dolenti un onguent étalé sur un carré

d'étoffe.

L'art du Pédicure ne va pas plus loin.

Cependant, le malheureux patient souffre le martyre et, suivant sa com-

plexion, traduit sa douleur par une affreuse grimace accompagnée de cris

lamentables, ou par un énergique pincement des lèvres et la crispation de

ses poings.

Le Barbier n'en a cure et poursuit flegmatiquement sa besogne, ayant

parfois au coin des lèvres un sourire malicieux, jamais méchant. La dou-

leur n'a-t-elle pas son comique, surtout, lorsque la cause étant sans gravité,

ses manifestations se montrent excessives ? Les peintres humoristes des

Flandres ont bien compris cette antithèse et l'ont mise souvent à profit

dans leurs scènes de médecine et de chirurgie.

L'opérateur et le patient ne sont pas les seuls personnages qui animent

ces officines populaires. Il était de tradition d'y faire figurer une vieille

femme et un jeune garçon.

La vieille n'est souvent qu'une commèro de passage, venue là pour can-

caner un brin, ou pour chercher quelque médecine. C'est parfois la femme

du client qui se penche timidement pour regarder, inquiète et attendrie,

les péripéties de l'opération. Toutes se ressemblent, avec leurs coiffes blan-

ches, leurs fichus croisés autour du cou, leurs mains cachées sous leurs

tabliers et leurs paniers au bras. Et toutes ont la même figure apitoyée,

la même moue à la vue d'nne blessure ou d'un bistouri, se reculant effa-

rouchées, et cependant tournant la tête, pour regarder quand même, tant

sur la répugnance l'emporte la curiosité.

D'autres fois, cette vieille femme est la propre épouse du Barbier. Elle

prend alors une part active à l'opération, soit qu'elle prépare les onguents

ou les emplâtres, soit qu'elle aide à maintenir l'immobilité du patient.'

Son assistance est précieuse : elle économise l'entretien d'un apprenti.

Ce n'est pas d'ailleurs la seule occasion où l'on voit les femmes prêter

leur concours à la médecine et à la chirurgie.

Leur intervention dans les soins à donner aux malades et aux blessés

remonte à une époque fort ancienne.

Au Moyen Age, et longtemps encore après, les nonnes, les dames et

52 HENRY MEIGE,

jeunes filles de qualité préparaient des breuvages bienfaisants et pansaient

les blessures de leurs proches. On peut les voir a l'oeuvre dans un tableau

de Van lIemessen, au musée du Prado, dont nous avons donné la des-

cription (1).

L'Ecole de Salerne avait ses médeciennes ou lIÛ1'esses. Et l'on connaît les

ventrières ou ventières, ancêtres de nos sages-femmes acluelles. Les femmes

des Barbiers remplissaient peut-être aussi ce rôle de matrones.

Enfin, Jan Sleen fait voir dans son Charlatan du musée d'Amsterdam,

et dans son Opérateur du musée de Rotterdam, que les femmes partici-

paient à la jonglerie des « Pierres de tête Il (2), et ne reculaient pas

devant une incision.

Les Barbiers-Etuveurs posaient aussi les ventouses, et leurs femmes les

aidaient encore en cetle occasion, opérant à demeure, ou même allant en

ville, faisant au besoin les scarifications.

Cette médication était usitée de longue date. N'a-t-on pas retrouvé à

Pompeï (3) des ventouses en bronze de forme identique à celles dont nous

nous servons encore aujourd'hui ? Dans les couvents du Moyen Age où se

trouvaient des salles de bains, les moines savaient appliquer les ventouses.

Les Barbiers-Etuveurs n'auraient pas négligé cette nouvelle source de

profil. Nous en verrons plus loin la preuve iconographique.

Le jeune garçon qui complète le personnel ordinaire des officines rus-

tiques est l'apprenti indispensable au Barbier célibataire pour le seconder

dans ses manipulations. C'est une figure chère à D. Teniers qui nous le

montre dans toutes ses scènes chirurgicales, gamin frisé toujours occupé à

chauffer un emplâtre au-dessus d'un réchaud, toujours distrait de sa beso-

gne, regardant à droite ou à gauche, mais jamais sa préparation.

Le mobilier des Barbiers-Pédicures mérite un instant d'attention.

Il était d'ailleurs fort simple et se limitait, en général, à une chaise, une

table, un banc, et un escabeau.

Beaucoup même n'avaient pas ces richesses. L'ingéniosité du proprié-

taire suppléait alors à l'insuffisance du matériel.

Brouwer nous montre, à Munich, un barbier qui, voulant avoir un se-

cond siège, utilise un vieux tonneau.

La chaise, chaière, ou le fauteuil, étaient professionnels et servaient à la

(1) Henry MEME, Les Opérations sur la tête. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, nos 4

et 5, 489,i,

(2) Ibid.

' (3) Voy. Henry MEME, Enee Blessé. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, no 1, 1896,

pl. VIII, fig. I. '

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 53

fois pour la barbe et pour les opérations. Etienne Boileau fait figurer ce

meuble, au même titre que les bassins et les rasoirs, parmi les objets

devant être confisqués au profit du Roi chez les Barbiers-Etuveurs con-

damnés pour contravention à l'ordonnance de la prévôté.

Chaises de bois ou chaises de paille, elles n'avaient rien de caractéristi-

que chez les Barbiers de village, qui parfois même n'en possédaient pas.

Celles qui sont figurées dans les tableaux ayant trait aux « Pierres de

tête » donnent plus exactement l'idée de ces meubles spéciaux.

Les ciseaux, les rasoirs, les plats à barbe et les palettes à saignée cons-

tituaient, avec un assortiment variable de pots de pharmacie, cruches,

bocaux, fioles, etc., tous les accessoires des officines des Pédicures.

Les instruments étaient accrochés à des râteliers ou à des clous ; les ré-

cipients, disposés sur des rayons fixés aux murs et bouchés avec du papier

ou du parchemin.-

L'arsenal chirurgical, très modeste, se composait de bistouris, droits ou

courbes, pointus ou boutonnés, et de quelques instruments spéciaux que

nous décrirons à leur place. C'est plus qu'il n'en fallait pour d'aussi lé-

gères interventions ; mais la propreté douteuse de ces instruments, oubliés

sur les tables, sur les chaises, et même sur le sol, passant du cor de l'un

à l'ampoule de l'autre, sans le moindre nettoyage, devait engendrer plus

d'une complication. Il est vrai que les opérateurs de haute volée ne pre-

naient pas des précautions plus sévères. Les humbles Barbiers de village

étaient alors bien excusables.

Parmi les instruments figurés dans les officines rustiques se trouvent

aussi de fortes pinces ayant l'apparence de daviers pour l'extraction des

dents. Peut-être servaient-elles pour un procédé brutal d'extraction des-

cors. Mais n'oublions pas que les Barbiers, tout pédicures qu'ils fussent, sa-

vaient aussi se faire dentistes à l'occasion. Les peintres des Flandres nous

en ont laissé plus d'un témoignage.

D'ailleurs, mêmeà la fin du XVIIIe siècle, on pouvait, dit-on, lire, au Pa-

lais-Royal, cette enseigne significative : « M. Roblot, dentiste et pédicure,

coupe les cors avec beaucoup de dextérité » (1).

Les Barbiers faisaient presque toutes les opérations de petite chirurgie.

Ils ouvraient les furoncles et les abcès, pansaient les blessures et les con-

tusions sur tous les points du corps. Nous avons déjà reproduit plusieurs

documents figurés relatifs à des interventions sur la tête, sur l'épaule et le

dos (2).

(1) Cité par A. IRANRLIn, Var. chir., p. 225.

(2) Voy. Nouv. Iconogr. de la Salpêtriùre, n" 4 et 5, 1895, 1l0S 5 et 6, 1896.

54 UENK 11EIGE

Pour ne parler que des interventions sur le pied, l'iconographie nous

apprend qu'elles reconnaissaient deux causes : les plaies et les cors.

Les plaies étaient les excoriations de toutes sortes produites par les chaus-

sures grossières et les marches exagérées, lésions peu. graves, mais très

douloureuses, que les artistes font siéger de préférence sur la face dorsale

du pied, et pour lesquelles n'existait qu'un mode de traitement : l'emplâ-

tre. /

En revanche, la composition des emplâtres variait à l'infini. Les meil-

leurs, croyait-on, étaient ceux qui nécessitaient l'emploi des substances les

plus disparates et les plus fantaisistes, et surtout la plus fastidieuse pré-

paration.

Emplâtres de frai de grenouille, de graisse de vipère, de vers de terre,

d'araignées, etc., etc., sans oublier la momie oumumie, la salive, l'urine,

le sang, la graisse de l'homme, et jusqu'à ses excréments !

On imagine aisément les déplorables effets que produisaient ces mix-

tures infectes sur des plaies ouvertes, et les inflammations, les ulcérations,

les suppurations interminables qu'elles pouvaient engendrer.

Les Pédicures soignaient aussi les ampoules et les engelures. Ils avaient

pour ces dernières des moutardes fort vantées.

Les cors et les durillons nécessitent plusieurs sortes d'interventions que

nous retrouvons figurées dans les documents artistiques, et nous devons

reconnaître que les mêmes procédés de traitement sont encore en usage

aujourd'hui.

C'est d'abord le grattage, à l'aide d'un instrument tranchant, bistouri

ou scalpel, méthode palliative qui n'atteint pas la racine du mal et ne

met pas à l'abri des récidives.

Puis l'excision et l'extirpation, opération délicate, souvent douloureuse,

qui a pour but de rechercher la pointe profonde du cône épidermique et

de la déraciner, comme on ferait d'une dent. Des instruments spéciaux ont

été fabriqués dans ce but. Nous les verrons parmi les accessoires des Pédi-

cures du XVII° siècle, presque identiques à ceux dont se servent de nos

jours leurs descendants.

La cautérisation est une autre méthode. Gui de Chauliac donnait le

conseil suivant pour détruire la « corne qui est aux pieds » :

« Rase-là, tant qu'il sera possible, puis qu'on mette dessus une platine

de fer ou de cuir, à laquelle y est un trou selon la grandeur de la corne,

et lors, en ce trou soit mise une goutte de soufre ardent, et qu'on le

laisse esteindre sur le lieu (1). »

Ce procédé, comme d'ailleurs l'emploi de tous les caustiques, n'est pas

(1) Edit. i\'icaise, cité par A. Franklin, l. c., p. 221.

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 55

toujours exempt de gravité. L'action mortifiante dépasse souvent son but

ci détruit il la fois la tumeur et les parties saines environnantes. De pa-

reils accidents ne devaient pas être rares avec les liquides impurs et les

graisses malpropres dont se servaient les Barbiers de Village. De fâcheu-

ses eschares étaient à redouter, aggravées encore par toutes les causes

d'infection résultant de la malpropreté de l'opérateur et de l'opéré.

Enfin, les Emplâtres ont toujours joué un rôle capital dans le traite-

ment des cors aux pieds. w

La composition de ces emplâtres était infiniment variée. AmbroiseParé

conseillait les aulx pilés. Sans remonter aux préparations bizarres qui

jouissaient de la faveur générale (1), on conseille encore aujourd'hui les

(1) Voici un exemple de ces cuisines pharmaceutiques. Je l'extrais d'un curieux

volume manuscrit contenant toutes sortes de « divins secrets tant de médecine qu'au-

tres » recueillis par Anthoine Paris, escholicr en chirurgie, à Mons, en 1660. - J'ai

modifié l'orthographe de l'époque et surtout celle, trop fantaisiste, de l'auteur.

" Recette admirable, c'est d'une toile propre à guérir toutes sortes de plaies vieilles

et nouvelles, ulcères, écrouelle, cancer, noli me langere, maux des mamelles, chancre,

-morsures de chiens enragés, douleurs de tête, goutte et autres douleurs.

Prendre : céruse, une once ; gomme de sérapin, oponax et ammoniac (faut faire

tremper et dissoudre en un verre de bon vinaigre trois jours durant) ; litliarge, momie,

de chacun un demy once ; staphysaigre, bdelium, orpiment, de chacun trois drag-

mes ; mirrhe, encens, mastic, colophane, de chacun cinq dragmes ; camphre, une

dragme ; térébenthine, une once et demie ; suif de cerf, deux onces ; huile de lys,

environ une chopine (mesure de Paris).

Tout ce qui se doit et peut mettre en poudre des choses ci-dessus, vous le ferez

mettre, et placerez chacune à part, bien enveloppée de peur qu'elle ne s'évente. Vous

prendrez une petite poêle ou un chaudron d'airain et mettrez dedans votre litharge et

céruse que dissoudrez avec un peu d'eau commune. ,.

Votre décoction, ou plutôt baume, fait avec la composition ci-dessus, mettrez votre

chaudron sur un feu de charbon assez lent, en mouvant toujours avec une spatule de

bois, large de deux ou trois doigts, qui soit fort coupante des deux côtés, afin que

plus aisément vous vous en puissiez servir ; puis, vous mettrez votre huile en petite

quantité.

Et mettez quant et quant voire suif de cerf, mouvant sans cesse : est à noter que

vous mettrez votre huile et décoction dont avons déjà parlé pour rafraichir peu à peu

votre onguent de peur qu'il ne se brûle, iL quoy il est fort subjet, principalement votre

litharge. Il faut que cela cuise fort à la longue, lentement et à petit feu. Il faut bien

un jour entier pour la confection de vostre toile. De point en point et à chaque fois

que vous y remettrez du rafraîchissement, il ne faut pas que ce soit plus que plein la

coquille d'un oeuf à la fois, et si n'avez de la dite décoction vous vous servirez tantôt

d'huile, tantôt d'eau commune, pour le rafraichissement de votre onguent.

Parce qu'il est à considérer que si vous allez trop mettre d'huile ou d'eau du com-

mencement et qu'ainsi vous noierez voire onguent, il vous sérail par après impossible

de plus rien faire qui valut, car votre onguent ne prendrait jamais corps, et lorsque

vous verrez le tout presque cuit -et comme en forme d'onguent fort, ce qui ne sera pas

volontiers en quatre heures, vous y mettrez par après votre colophane, mouvant tou-

jours sur votre petit feu lent..., etc. etc. ».

Les conseils continuent sur ce ton pendant des pages et des pages. Cet aperçu est

plus que suffisant pour donner une idée de la pharmacopée emplastique usitée au

XVI 1= siècle.

56 HENRY MEIGE

emplâtres de savon, de gomme ammoniaque, de mucilage, de galbanum,

de minium, etc., qui ont du moins l'avantage d'être simplement anodins.

Dans les officines où nous allons pénétrer, les fioles et les pots de phar-

macie où se joue si heureusement la lumière, dans la transparence du verre

et des liquides colorés, ou sur l'émail des faïences ornées de bleu, ne nous

révèlent malheureusement pas le nom de leur contenu.

La thérapeutique n'y perd pas beaucoup. On fait aujourd'hui bon

marché de la longue liste des topiques alors en usage.

Tenons cependant pour certain que les Barbiers-Pédicures étaient fort

versés dans l'art de ces compositions, car ils passaient pour posséder, au

commencement du XVIIe siècle, « la connaissance des remèdes et médica-

ments tant simples que composés, comme onguents, emplâtres, cérats,

pultes, poudres, liniments, huiles, ceroûannes, et toutes espèces de piré-

tiques, tant actuels que potentiels (1) ».

Deux peintres'du XVIIe siècle ont témoigné pour les Barbiers-Pédi-

cures une prédilection singulière.

L'un, riche Anversois, allié ou ami des plus grands artistes des Flan-

dres, menant grand train, ayant château et valetaille, recevant les princes

et reçu par les rois, cependant peignant sans relâche, « de quoi remplir

une galerie de deux lieues de long » ! ...

L'autre, gueux de Hollande, bohème sans sou ni maille, quittant l'es-

taminet pour la prison, fréquentant les plus misérables bouges, jouant,

buvant, s'enivrant, et, seulement pour payer ses dettes, ayant recours à

son pinceau.

Le premier fut DAVID TENIERS LE Jeune, le second ADRIAEN BROUWER.

L'un et l'autre, de moeurs si dissemblables, ont emprunté les mêmes su-

jetsaux scènes de la vie populaire et les ont traités, pardes procédés diffé-

rents, avec un talent sans égal.

Se connurent-ils ? On peut le croire, car ils étaient contemporains, et

Brouwer, emprisonné à Anvers, dut à Rubens sa délivrance; or Rubens

fréquentait chez Teniers.

Se copièrent-ils ? - La chose n'est pas impossible; mais lequel des

deux fut l'imitateur de l'antre ? -Voilà ce qu'on décideplus difficilement.

Le Flamand fortuné a pu, pendant un temps, donner asile au Hollan-

dais nécessiteux dans sa florissante fabrique .de peinture, et ce dernier

s'y est peut-être inspiré des créations du maître. Ou bien, au contraire,

devant le succès des tableaux de Brouwer car ses oeuvres étaient déjà

(t) Statuts de 1611.

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 57

fort appréciées, Teniers, qui, malgré sa situation prospère, ne dédai-

gnait pas les ventes fructueuses, voulut peut-être rivaliser avec cet échappé

de l'atelier de Franz Hais, miséreux si habile à peindre les miséreux.

Ces questions se posent nécessairement lorsqu'on compare les oeuvres

des deux artistes où se rencontrent de surprenantes analogies, non seule-

ment dans le choix des sujets, mais dans l'agencement de la scène, le

groupement des personnages, et jusque dans les moindres accessoires.

Que Brouwer et Teniers se soient inspirés ou non l'un de l'autre, cela

n'enlève rien à leur mérite réciproque. Chacun d'eux conserve sa facture

et sa palette, partant son originalité.

Celui-ci, léger, délicat, effleurant son panneau de touches fines et fer-

mes, d'un coloris doux et recherché, car, même avec ses paysans, Teniers

se montre toujours quelque peu gentilhomme.

Celui-là, primesautier, fougueux, peignant largement et d'un jet brus-

que, mais avec une sûreté de main et une franchise dans la nuance qui

dénotent une aisance vraiment supérieure.

Tous les deux sont d'incomparables virtuoses dans la peinture des

scènes réalistes, et ce naturalisme sincère, toujours plaisant, parfois tri-

vial, n'est jamais malsain. Ils savent mettre à profit tous les épisodes de

la vie joyrnaliére,entrevoyant le pittoresque des moindres événements.

Un boutiquier avec ses pratiques, un musicien entouré de badauds, une

ménagère dans sa cuisine, un corps de garde, un peseur d'or, un men-

diant, un fumeur, un buveur, etc..., sont des prétextes suffisants à des

oeuvres d'art, d'une observation fine et consciencieuse, d'un réalisme spon-

tané et sans apprêt.

Par- dessus tout, ils se complaisent à nous faire savourer les joies naïves

et simples : plaisirs du vin, du jeu, de la table et de la danse, ribotes, ri-

pailles, propos salés et grasses plaisanteries. La vie, s'il faut les croire,

est une éternelle kermesse où chacun n'a souci que de rire et festoyer.

Cependant, ils n'ignorent pas les misères humaines, non plus que le

secret de les représenter. Leur art, fait de franchise et de simplicité, s'ins-

pire aussi bien des chagrins que des liesses. Les maux du corps ne les

laissent pas indifférents.

Plus de vingt tableaux de Teniers, et un nombre presque égal de la main

de Brouwer, ont pour sujet des scènes de chirurgie populaire, véritables

chefs-d'oeuvre de réalisme humoristique.

Car, jusque dans la douleur sachant introduire le comique, ils veulent,

en la figurant, nous arracher quand même un sourire. Pourtant, leur

compassion reste grande au malheur d'autrui. En nous divertissant, ils

savent encore nous apitoyer, tant leur raillerie est tempérée d'indulgence.

58 UENHY MEIGE

Ainsi, chez eux, la bonne humeur, le bon sens et la bonté s'allient à

la plus sincère observation de la nature.

Avec de tels guides, on est certain de trouver plaisir et. profil à péné-

trer dans les officines primitives qui ont si souvent tenté leur verve spi-

rituelle et leur pinceau naturaliste.

Les recherches que j'ai entreprises, pour recueillir les figurations rela-

tives aux Barbiers-Pédicures, ont porté sur les principaux musées de

France et de l'étranger (1). Il en existe peut-être d'autres dans les. coflec-

tions particulières ou dans certaines galeries sur lesquelles je n'ai pu

obtenir les renseignements demandés.

Les documents qui suivent, au nombre de seize, suffiront, je l'espère, à

justifier la présente étude.

En voici la liste :

I. DAVID ÏEXIEHS LE vieux (1582-1649).

Le Docteur de village. Musée de Picardie, Amiens.

II. DAVID TENIERS LE JEUNE (1610-1690).

1" L'Etuve. Musée de Casse).

2° Le Pédicure. Musée de Buda-Pest.

3° L'Opération chirurgicale. Musée du Prado, Madrid.

4° Le Chirurgien de campagne. Gravure d'après D. Teniers le Jeune

(collection de M. le Dr Paul Riclier).

III. Adriaen V.1\ Ostade (1gaz).

Le Chirurgien de village. Académie des Beaux-Arts, Vienne.

IV. PIETER J. QUAST (1606-1647). -

Un Opérateur, musée de l'Ermitage, St-Pétersbourg.

V. Adriaen Brouwer (1603-6-16'il).

1° L'Etuve de village. Pinacothèque, Munich.

2° Le Pédicure, dessin (Collection de M. le Pr Charcot).

3° Citez le Chirurgien. Musée Suermondt, Aix-la-Chapelle.

4° L'Etuve de village. Galerie Scllcr;uborn, Vienne.

(1) Je tiens à remercier ici MM. les Directeurs des Galeries de peinture qui m'ont

fort obligeamment communiqué des renseignements et des photographies concernant

ces oeuvres d'art, et en particulier, M. Delambre, conservateur du musée d'Amiens,

M. Eisenmann, directeur du musée de Cassel;11f. E.V. Kallllllerer,directeul' de la galerie

de peinture de Buda-Pest; M. A. Schael1'er, directeur de la galerie de peinture de Vienne;

M. Fritz Berndt, directeur du musée Suermondt,, à .lix-la-Chapelle ; M. Weizsaeker,

directeur de l'Institut Staedel, à Frankfort-sur-Main; M. A. Somof, directeur de la ga-

lerie de peinture de l'Ermitage, à St-Pétersbourg; M. Van cler Uellcn, directeur de la

Collection des Estampes au lîijks-Muscum d'Amsterdam, ainsi que la Direction du

Musée de merlin,

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE . 59

5 L'Opération sur le pied. Institut Staedel, Frankfort-sur-Main.

6° Le Pédicure, dessin, musée des Offices, Florence.

VI. CORNELIS Dusart (1660-1704).

1° La Ventouseuse, eau forte de 1693.

` ? ° Le Pédicure ambulant, gravure. Collection des Estampes, Rijks Muséum,

Amsterdam.

VII. ECOLE flamande DU XVIIe siècle.

Les singes Barbiers-Pédicures, musée d'Ypres.

I

DAVID ÏEKIERS LE Vieux

Peintre flamand (1582-1649).

Le Docteur de village.

(Musée de Picardie. Amiens.)

Le plus ancien document figuré qui, à ma connaissance, se rapporte aux

Barbiers-Pédicures est signé du nom de Teniers. Mais il ne serait pas de la

main du célèbre maître Anversois. On l'attribue à son père, David Teniers

le Vieux (1582-16lui-9).

Le vieux Teniers, dont les oeuvres sont assez rares, a laissé cependant un

certain nombre de paysanneries et de compositions religieuses ou allégo-

riques. Les scènes de médecine populaire l'ont aussi tenté, témoin son

Médecin, empirique examinant des urines, au musée des Offices, sujet si

souvent reproduit par D. Teniers le Jeune.

Ce dernier 'qui, pour premier maître, eut le vieux Teniers, s'inspira

souvent des peintures paternelles, pour des tableaux généralement beau-

coup mieux traités.

. Il en fut sans doute ainsi pour ses Pédicures dont nous verrons bientôt t

la collection. Le tableau de Teniers le Vieux, outre sa valeur artistique, a

donc cet intérêt qu'il a peut-être été l'origine de toute une série de com-

positions similaires.

C'est au musée de Picardie, à Amiens, que se trouve ce prototype des

Pédicures de l'Ecole flamande (1).

(1) N 138 du Catal. de 1S7S. - T. - II, 47. L. (51. - Acheté par l'ancienne commis-

sion du musée. Il a été gravé comme étant de D. Teniers le Jeune.

J'ai examiné tout récemment cette intéressante peinture qui semble bien traitée dans

la manière et la couleur des oeuvres du vieux Teniers et qui est peinte sur toile,

comme la plupart des tableaux de ce dernier. ill. Delambre, conservateur du musée

de Picardie, a bien voulu m'autoriscr d en faire faire une photographie ; mais le

60 . HENRY MEIGE

Les quatre personnages que nous retrouverons dans toutes les scènes du

même genre y figurent selon le groupement et avec les attitudes qu'adop-

teront plus tard tous les peintres de Pédicures dans les Flandres et les

Pays-Bas.

L'opérateur a mis genou en terre. De la main gauche il tient le bout du u

pied de son client, de la droite il détache un emplàtre posé sur la face

dorsale du.pied.

Le patient, assis sur une grossière chaise de bois, se penche en avant

pour soutenir sa jambe droite à l'aide de ses deux mains croisées sous le

jarret; son pied nu repose sur un escabeau.

Derrière eux, une femme debout, les mains cachées sous son tablier, un

panier au bras, se penche pour regarder l'opération.

Adroite, un jeune garçon fait chauffer un emplâtre au-dessus d'un

réchaud posé sur une table chargée de fioles et de pots de pharmacie.

Telle est bien la disposition schématique de toute opération sur le pied

dans une officine populaire.

mauvais état de la toile, craquelée et enfumée, ne permet pas d'en donner une repro-

duction suffisamment nette. J'en ai fait un croquis sommaire (Fig. 1). - Le tableau

est signé en bas et à droite : I. D. TENIERS.

Fig. 1. - Le Docteur de village.

Croquis d'après un tableau attribué à D. TENIEns le Vieux, musée de Picardie (Amiens).

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 61

Mais le tableau du musée d'Amiens mérite un examen -plus approfondi.

Nous verrons, en étudiant les Pédicures de Teniers le Jeune, les nom-

breux emprunts qu'il a dû faire à la peinture attribuée à son père.

Pour le moment, ne retenons que les détails originaux de ce document.

Le Barbier est un homme encore jeune, à cheveux noirs, longs et bou-

clés ; un bonnet rouge entouré de fourrures couvre sa tête ; il est vêtu

d'une casaque bleue et de chausses brunes, un tablier blanc autour de la

taille. En opérant, il s'interrompt pour regarder son client et l'encourager

par de bonnes paroles. Nous le retrouverons à Cassel dans une Étuve de

village, fort bien achalandée.

Le patient, vieillard à cheveux gris et à barbe inculte, rappelle assez

bien les mendiants que le vieux Teniersfait figurer dans ses OEuvres de

miséricorde, à l'église St-Paul d'Anvers. Son chapeau est accroché au dos-

sier de la chaise, son bâton et son soulier déposés près de lui.

La femme est vêtue de brun avec un tablier bleu. Elle a sur la tête un

chapeau noir pointu,à larges bords. L'apprenti, aux cheveux frisés, porte un

costume gris avec un rabat blanc et un noeud de rubans rouges sur l'é-

paule. Il y a, en outre, dans ce tableau un cinquième personnage. A

droite, en haut, par une petite lucarne qui donne sur une autre pièce

éclairée d'une fenêtre à vitraux, un curieux à béret rouge regarde le qua-

tuor du'bas. Il ne semble d'ailleurs venu là que pour remplir un coin

trop nu dans le haut de la toile (1).

Le décor, limité à gauche par une cloison de planches, est égayé par

une foule de vases, cruches, bouteilles, pots d'onguents et bocaux, dispo-

sés çà et là sur des tablettes ou sur le sol. On voit à gauche, sur un banc

un broc de cuivre et un plat à barbe; aux murs sont accrochés des ci-

seaux, des rasoirs et des boîtes à médicaments. A droite, sur la table, des

pots, des fioles, ouverts ou bouchés avec du papier, des verres ouvragés,

un coffret et des coquillages.

Un hibou sur un perchoir, un lézard exotique empaillé, pendu par une

ficelle au plafond, un crâne de cerf avec ses cornes, flanqué de deux crânes

de chiens, viennent rompre la monotonie du fond. Ce sont là des accessoires

familiers aux Teniers.

Les instruments professibnnels sont en plus grand nombre dans ce do-

cument que dans aucun autre.

Plusieurs gisent sur le sol, à côté du Barbier : un bistouri à lame courbe

et à pointe arrondie pour le grattage des cors et des durillons, deux petits

instruments très fins, l'un pointu, l'autre en forme de curette, pour les

(1) Le même personnage figure à la même fenêtre dans plusieurs oeuvres de D. Te-

niers le Jeune.

62 11L\Il5' MEIGE

excisions profondes, et un dernier en forme de clef, probablement destiné

au même usage.

Ce n'est pas tout. Dans une petite armoire ai compartimenls inégaux fixée

au mur du fond, est exposé tout un arsenal chirurgical. Le marnais élat

de la peinture, l'exiguïlé du dessin et peut-être aussi l'impéritie de l'ar-

tiste,ne permettent pas de préciser exactement la nature de ces accessoires;

on y distingue cependant des pinces, des scies, une sorte de vilebrequin

qui n'est pas sans analogie avec les appareils usités alors pour l'opération

du trépan. Et l'on devine tout un assortiment de forceps, de curettes, de

crochets, de tarières, etc., etc., dont les livres de chirurgie de l'époque

contiennent d'abondantes figurations.

Le Barbier-Pédicure de Teniers le Vieux est certainement le mieux ou-

tillé de tous ses confrères. Mais actuellement cet attirail n'est là que pour

l'apparat. L'opération se borne à renouveler un sniplàtre posé sur le pied

d'un vieux paysan.

II .

DAVID Teniers le Jeune

Peintre flamand (1610-1690).

- t L'Etuve.

(Musée de Cassel.)

Le musée de Cassel possède un tableau de D. Teniers le Jeune, L'Etuve,

qui est à la fois le plus détaillé des documents figurés relatifs aux Barbiers-

Pédicures et l'une des oeuvres les plus délicates du maître flamand. L'ha-

bile disposition 'du décor, l'heureux agencement des personnages, la pré-

cision des accessoires, la sincérité des figures et des moindres détails d'ha-

billement sont de la meilleure manière de Teniers. Parmi les nombreuses

scènes médicales qu'il nous a laissées, nulle ne saurait mieux donner la

mesure des qualités d'observation de l'artiste et de son talent d'exécu-

tion.

Le titre L'Etuve (Baderstùbe) s'explique si l'on se souvient que les

Barbiers tenaient souvent des établissements de bains publics. A vrai dire,

il n'y a pas d'indice certain que le maître du- logis fût en même temps

Étuveur. Il est Chirurgien et il est Barbier, selon la règle. Pour l'instant,

il est Pédicure. C'est tout ce que l'on est en droit d'affirmer; à moins que

derrière une cloison de planches coupant un coin de l'appartement, on ne

soupçonne la salle de bains. Un linge mis à sécher sur celte cloison peut

donner crédit à cette conjecture.

- D'ailleurs, si les documents écrits attestent la fréquence du cumul des

trois professions, Barbier-Chirurgien-Étuveur, les représentations figurées

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 63

ne nous montrent jamais que des Barbiers rasant ou pratiquant des opéra-

tions de petite chirurgie. La mauvaise réputation des établissements de

bains publics obligea peut-être les artistes à laisser dans l'ombre des

scènes où ils auraient pu cependant trouver matière à de pittoresques

compositions.

Au surplus, qu'une salle de bains soit annexée ou non à l'officine du

musée de Cassel, l'intérieur que nous montre Teniers forme un ensemble

plus que suffisant pour donner une idée des moeurs des Barbiers de

campagne au XVIIe siècle.

Au premier plan, en pleine lumière, la scène médicale : '

Le patient, pauvre hère vêtu de pauvres habits, front ridé, barbe et

cheveux blanchis par l'âge et les souffrances, assis sur une chaise boi-

teuse, les mains croisées sous le jarret, soutient sa jambe droite dont le pied

nu repose par le talon sur un escabeau. Son chapeau défoncé est accroché

au dossier du siège, et, par terre, gil son soulier béant.

L'opérateur est plus cossu : casaque à-créneaux, béret sur l'oreille,

court tablier blanc autour de la ceinture; jeune encore, de longs cheveux

bouclés tombant sur les épaules. Un genou en terre, il retient de la main

gauche le pied de son client et, de la droite, s'apprête à verser le contenu

d'une petite fiole dont il vante pour l'instant la souveraine efficacité. Car,

pour obtenir d'un remède tous les bienfaits désirables, il est bon que

l'intéressé en connaisse les vertus, attestées par les succès des cures anté-

rieures. Le chirurgien sait son métier et fait précéder l'application de

son topique du boniment préparatoire qui ne manque jamais son effet.

Remarquons en passant combien il ressemble de figure et d'attitude au

Pédicure de Teniers le Vieux.

Derrière,debout,une femmedu peuple,les mainscachées sous son tablier,

un panier au bras, se penche de côté et regarde timidement, curieuse et

impressionnée.

Pour compléter le quatuor réglementaire, il nous faut l'apprenti bar-

bier, jeune garçon à la mine éveillée, plus attentif à la mouche qui vole

ou aux propos des assistants qu'à l'emplâtre chauffé par lui au-dessus

d'un réchaud. Il est là, près d'une table chargée de flacons et de pots,

oublieux de sa besogne, tournant sa tète gamine vers l'objet de sa distrac-

tion, sans souci de la taloche que lui vaudra tout à l'heure cet onguent

mal fondu.

Les accessoires restent conformes à la tradition. Bocaux de pharmacie,

fioles de verre aux formes singulières, soigneusement bouchées de parche-

min, plat à barbe servant aussi de palette à saignée, pots d'onguent, sacs

de graines, chapelets de racines desséchées, terrines, cruches, creusets,

bouilloles, etc., épars sur le sol, sur les tables, sur les bancs ou sur des'

64 HENRY MEIGE

rayons, dans un désordre voulu où s'entremêlent harmonieusement les

raies de lumière et les touches d'ombre, l'or des cuivres, le blanc des

linges, le bleu des faïences, le brun des grès, le rouge du feu et du sang.

Un ou deux bistouris, une spatule, un sablier complètent l'arsenal du

chirurgien rustique. -

Ce soin minutieux des bibelots significatifs et cet art de répartition ju-

dicieuse suivant les exigences de la ligne et de la couleur, constituent une

des qualités maîtresses des peintres flamands et hollandais.

Nulle part elle ne s'affirme avec plus de virtuosité que dans les oeuvres

de Teniers, où chaque détail apparaît en bonne place, prestement indiqué,

sans jamais nuire à l'effet de l'ensemble, ni sans jamais trahir la recherche,

la combinaison, l'apprêté.

Réduit à la scène de médecine villageoise qui occupe le premier plan,

le tableau du Musée de Cassel formerait déjà un ensemble parfaitement

harmonieux. Mais, par un artifice qui lui est familier, Teniers a ménagé, sur

la droite de son panneau, une place destinée à augmenter sa profondeur

et à lui permettre de faire valoir son art dans la peinture des demi-

jours. ,

Dans un retrait de la pièce, à angle droit, faiblement éclairé par une

petite fenêtre, cinq personnages sont groupés. Ici l'on rase et l'on taille

barbe ou cheveux.

Un homme assis, le haut du corps entouré d'une serviette, maintient un

plat à barbe sous son menton, tandis qu'un jeune barbier, debout, fort soi-

gné dans sa mise, rectifie des deux mains la position de la tête broussail-

leuse.

Un autre, encore assis, a déjà consulté le Barbier en chef qui vient de

lui faire à la main gauche un pansement sérieux ; une écharpe passée au-

tour du cou soutient le membre malade. L'homme attend son tour de barbe :

sa visite était à deux fins.

Deux autres clients tournent le dos, l'un, au fond, prêt à sortir, l'autre,

tout à fait à droite, un bâton à la main, assis sur un tabouret, dans un ha-

bile contre-jour.

Le tableau est signé, en bas, adroite, sous deux morceaux de bois fendu

appuyés contre un tonneau. Il porte en outre plusieurs estampilles que

Teniers aimait à poser sur ses oeuvres, par amour de la tradition autant

que pour remplir un vide ou éclairer quelque coin obscur.

Tel le poisson desséché suspendu au plafond par une corde, ici effilé

comme une aiguille, ailleurs rond comme une citrouille,hérisséde piquants,

roulant de gros yeux, parfois lézard, caméléon ou crocodile, destiné à rom-

pre l'uniformité de la muraille sombre par les reflets luisants de ses écailles

LES PÉDICURES AU XVII1 ! SIÈCLE 65

cuivrées. Monstres échappés du troupeau des bêtes infernales qui four-

millent dans les Tentations de Saint-Antoine, petit-fils des monstres éclos

sous le pinceau de l'apocalyptique van Bosch, reproduits par son disciple

Bruegel le Vieux,-le grand-père de la propre femme de Teniers,-ces

dépouilles naturalistes semblent faire partie du blason de la famille et se

retrouvent dans tous les tableaux, de père en fils.

Tel aussi le hibou, dont brillent, dans l'ombre, les- yeux de feu et la

gorge argentée, oiseau cher à Minerve, gardien des mystères de l'officine.

Telle enfin la bouteille à col étroit, bouchée d'un tortillon de papier, en

faction dans la niche ronde où son ventre rebondi accroche un rayon lumi-

neux.

Il est bien rare que l'un ou l'autre de ces détails manque dans les inté-

rieurs où Teniers fait agir ses médecins de village, comme aussi le poêle

à pieds de chien, la table ronde ornée de dauphins, le portrait grotesque

accroché au mur, et maints autres objets familiers que le peintre avait

sans doute sous la main dans l'attirail de ses accessoires d'atelier.

En dehors des qualités de composition et d'exécution qui font de l'Etuve

de Cassel une des oeuvres maîtresses du peintre flamand, l'ampleur de la

scène et l'accumulation des détails professionnels donnent à ce document

un intérêt indiscutable au point de vue de la reconstitution des moeurs

médicales de l'époque. Nul écrit ne peut nous renseigner plus exacte-

ment.

L'intervention en elle-même parait simple et banale. Quelque cor causé

par un soulier grossier a nécessité un léger grattage au moyen du bistouri

que le barbier a posé négligemment par terre, ignorant comme ses

confrères d'alors, voire les plus huppés les précautions de la plus

élémentaire antisepsie. Le durillon coupé, une mixture savante, caustique

probablement, achèvera l'oeuvre du grattoir. L'emplâtre adhésif que chauffe

l'apprenti à tête frivole protégera la surface cautérisée contre les frotte-

ments de la chaussure.

.Heureux le vieux paysan ridé si pour lui le remède n'est pas plus dou-

loureux ni même plus dangereux que le mal !

Ne cherchons pas à connaître le caustique employé par le Pédicure de

Teniers. Qu'il se soit servi d'eau forte, ou d'huile de vitriol, comme le con-

seillait Ambroise Paré, de muriate d'antimoine, de nitrate d'argent, ou de

soufre ardent, qu'il ait fait usage de tiges de bois incandescentes, d'aiguilles

rougies au feu, ou même de toile d'araignée enflammée sur place, son pro-

cédé thérapeutique est condamnable. Il peut être l'origine de sérieux ac-

cidents.

x 5

66 IIENRY MEIGE '

Mais rien n'affirme que ce Pédicure fait usage d'une substance cor-

rosive ? La fiole qu'il tient à la main renferme peut-être un remède ano-

din, prôné par les apothicaires d'alors, cette huile qu'on retire des fruits

de l'anacardier et « qui est un bon remède pour guérir les cors aux pieds

et pour ôter les taches de rousseur du visage » (1).

2° Le Pédicure, ,

(Musée de Buda-Pest.)

Un autre Pédicure de D. Teniers le Jeune se trouve dans le musée de

l'Académie de Buda-Pest.

M. E. von Kammerer, commissaire directeur de la Galerie nationale de

Peinture, a bien voulu me communiquer les renseignements suivants

sur ce tableau (2) :

« Il faisait partie de la collection du prince Nicoliiis Esterhazy, et figu-

rait dans le catalogue de cette collection depuis l'année 1835, époque

probable de son acquisition. Actuellement, il figure dans la Galerie Na-

tionale de l'Académie de Buda-Pest sous le n° 505. »

La scène est jouée par les quatre personnages qui, dans l'Etuve de

Cassel, sont groupés aux premiers plans.

Le malade, assis sur une chaise, de profil, le haut du corps penché

en avant, soutient sa jambe droite avec ses deux mains croisées sous le

jarret. Son pied nu repose par le talon sur un billot de bois, près duquel

est déposé son soulier.

A droite, un genou en terre, le chirurgien, jeune, la barbe rare, coiffé

d'un bonnet de fourrure, un tablier autour des reins, tient dans la main

gauche les orteils du patient, tandis que de la droite, il décolle un emplâ-

tre posé sur la face dorsale du pied. Très attentif à sa besogne, il opère

avec précaution.

Par terre, auprès de lui, sont des ciseaux, une bouteille, et de solides

pinces à manche recourbé dont l'utilité semble bien problématique pour

le cas actuel ; mais leur présence a paru nécessaire il Teniers,désireux d'ac-

centuer la note réaliste et de jeter un reflet brillant sur l'uniformité du

sol.

En arrière et à droite, une femme dans le costume et l'attitude classi-

ques, coiffée d'un chapeau à larges bords, un panier au bras, les mains

(1) P. Poacsr, Ilisl. ! léta. des drogues, édit. 1894, L. Vif, p. 209 cité par A. Fihnklin,

Variétés chirurgicales, p. 222.

(2) Je tiens à remercier spécialement M. E. von Kammerer, qui, de plus, a eu l'ex-

trime obligeance de faire photographier cette peinture 1\ mon intention, par M. A.

\\'einwùl'l11. ,

LES PÉDICURES AU XVII" SIÈCLE 67

cachées sous son tablier, regarde l'opération. Elle rappelle beaucoup la

femme du tableau de Teniers le Vieux.

Un jeune apprenti fait chauffer un emplâtre au-dessus d'un réchaud

posé sur une table où se trouvent encore des ciseaux, 'des bouteilles et des

pots d'onguent.

Au mur du fond s'alignent sur une tablette des bocaux, des fioles et

des cruches, avec une palette à saignée suspendue au-dessous, un râtelier

où sont accrochés des ciseaux et des rasoirs. A côté, un portrait-charge

avec la date du tableau : 1636. Teniers avait alors 26 ans.

Plus à droite, deux sortes de guitares suspendues à la muraille nous

laissent entendre que le Barbier est musicien à ses heures, quand la clien-

tèle se fait rare. Nous trouvons à côté le hibou en vedette sur son perchoir.

Au-dessus, par une petite lucarne, un homme passe la tête et regarde

curieusement. C'est un souvenir de famille, car le même indiscret se voit

dans le Docteur de Village de Teniers le Vieux, au musée d'Amiens.

Une cloison de planches limite la pièce à gauche. Adroite, une porte

entr'ouverte nous laisse voir l'intérieur d'une arrière-boutique où un

homme, tournant le dos, semble occupé à piler des drogues dans un mor-

tier. 1

Des fioles, des pots, des cruches bouchées avec du papier, un plat à

barbe en métal, et un poêle garnissent les deux coins inférieurs du ta-

bleau. Une grosse boule de verre suspendue au plafond remplace ici le

poisson traditionnel.

-La scène est toute simple et l'intervention se comprend à première vue :

Le Barbier retire un vieil emplâtre posé sur une pluie,du pied, probable-

ment occasionnée par le frottement d'une chaussure grossière. Son jeune

aide l'ait ramollir un nouvel emplâtre qui sera mis à la place de l'ancien.

L'arrachement de l'emplâtre semble se faire ici sans grande douleur. II

n'en sera pas de même dans toutes les officines. Les patients que nous

montrera A. Brouwer feront tous une horrible grimace en subissant la

même opération.

D. Teniers a d'ailleurs utilisé cette donnée pour symboliser la douleur.

Dans l'un de ses tableaux qui représentent les Cinq sens, à l'Académie des

Beaux-Arts de Vienne, dans Le Toucher, il nous montre un jeune paysan,

assis sur une chaise, retirant un emplâtre de son poignet droit. Son visage

et son attitude expriment la plus vive souffrance (1 ).

L'intérêt du Pédicure de Buda-Pest est surtout grand par les analogies

(1) N° 824, B. II. 27, L. 22, 5. Derrière une table il droite uue femme prépare un

autre emplàtre.-A. van Ostade a symbolisé de la même façon le Toucher dans un ta-

bleau qui se trouve au musée de l'Ermitage, il Saint-Pétersbourg. N° 956. '

63 HENRY MEIGE

qu'il présente, non seulement avec d'autres peintures de D. Teniers, mais

encore avec certaines scènes du même genre qui ne sont pas signées de lui.

D'abord, le malade, vieillard ridé cheveux courts, il moustache et à

barbiche grisonnantes, est un modèle que nous retrouvons avec le même

visage et portant les mêmes habits dans un tableau de Teniers, au musée

du Louvre, le Joueur de Cornemuse. La ressemblance est parfaite.

Dans le Pédicure de Cassel nous avons vu le même hibou, le même plat

à barbe, et maints autres objets figurés presque sans changements.

Sur une gravure, d'après un tableau de Teniers, que nous reproduisons

plus loin, les analogies ne sont pas moins frappantes, tant dans l'agence-

ment des personnages que dans la figuration des détails mobiliers.

Ces ressemblances n'ont rien de surprenant si l'on songe à la profusion

des oeuvres du maître flamand. Il avait à sa disposition un certain nom-

bre de modèles et d'accessoires qu'il aimait à représenter en variant sur-

tout les éclairages, dans l'espoir d'obtenir chaque fois un effet plus heu-

reux.

Mais on a lieu d'être plus étonné lorsqu'on retrouve les mêmes simili-

tudes dans certaines peintures d'Adriaen Brouwer.

Le Pédicure de A. Brouwer, au musée de Vienne (voy. plus loin), est

en effet le portrait fidèle du Pédicure de Teniers, au musée de Buda-Pest :

même visage, mêmes lèvres fines, même nez pointu, mêmes vêtements,

même coiffure, et enfin même attitude, bien que tourné du côté opposé.

La boule de verre dans le Teniers de Buda-Pest se retrouve chez le

Pédicure de Brouwer, à Vienne, et l'homme, vu de dos, qui pile des

médicaments dans l'arrière-boutique, est indiqué dans un tableau de

Brouwer, à Aix-la-Chapelle.

Il n'est pas hors de propos de faire ressortir ici ces répétitions. Elles

confirment l'opinion que les deux artistes ont dû s'inspirer l'un de

l'autre. Du moins, semble-t-il vraisemblable qu'ils ont eu, à certaine

époque de leur vie, les mêmes modèles et le même matériel à leur dispo-

sition.

3° L'Opération chirurgicale.

(Musée du l'rado, à Madrid.)

Au musée du Prado, à Madrid,faisant pendant à Y Opération sur la tête (1)

dont nous avons déjà donné la description et la reproduction, se trouve un

tableau de D. Teniers le Jeune représentant un Pédicure (2).

(1) Voy. IIemiy MEME, Les opérations sur la tête. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,

no 5, 1893. l'1. L.

(2) NI 1736 du Catal. B. II. 33. L.25. Collect. de Carlos II, col. de dona Isabel Farne-

sio. Pal. de San Ildelf.

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 69

« Un chirurgien de village fait une opération sur le pied d'un homme

âgé. Une vieille femme et un jeune garçon regardent la scène. Intérieur et

accessoires des officines villageoises. »

Telle est la note très sommaire que j'ai prise sur cette peinture, dans un

examen trop hâtif, en 1895. La photographie et les renseignements que

j'ai demandés sur elle à diverses reprises ne me sont jamais parvenus. Je

tiens cependant à signaler son existence, car le document qui vient à la

suite s'y rattache intimement.

4° Le Chirurgien de campagne.

Gravure d'après un tableau de D. Teniers le Jeune.

(Collection de M. le Dr Paul nicher.)

M. le Dr Paul Richer a eu l'obligeance de me communiquer une gravure

de sa collection, qui me parait être une reproduction, soit du tableau de

Teniers du musée de Madrid représentant une Opération sur le pied, soit

d'une réplique très analogue à ce dernier.

Cette gravure, de Tho. Major, porte la date de 1747 (1).

Le décor et la scène rappellent beaucoup les tableaux des musées de Cas-

sel et de Buda-Pest décrits précédemment; il y manque cependant l'ar-

rière-boutique réservée au barbier proprement dit ou au pileur de drogues.

Les quatre personnages du premier plan constituent toute la figuration.

Le patient, assis sur une chaise à dossier droit où son chapeau est ac-

croché, pose son pied nu sur un cube de bois, tient sa jambe entre ses

mains croisées et se penche en avant. C'est un homme âgé, rasé de frais,

la figure creusée de rides, simplement, mais proprement vêtu.

Le chirurgien, un genou en terre, courbé en deux, tient d'une main les

orteils et de l'autre détache un emplâtre appliqué sur la face dorsale du

pied. Jeune, le nez crochu, les lèvres minces, les cheveux mal frisés, il'est t

coiffé de l'inévitable bonnet entouré de fourrures et ceint du court tablier

professionnel, une clef pendue à son côlé. Il porte une casaque assez élé-

gante avec des créneaux, des crevés, et des manchettes plissées.

La femme au panier et au tablier se tient derrière lui, plus vieille ici et

s'apitoyant davantage, mais avec le même geste penché de la tête et du

corps pour regarder la plaie du client.

L'apprenti, gamin frisé, debout derrière sa table,chauffe sur un réchaud

l'emplâtre qui remplacera tout à l'heure celui que détache son patron.

Lui aussi regarde l'opéré et semble négliger sa préparation.

( (1) Elle est dédiée iL Monseigneur d'Argenson, Ministre et secrétaire d'État. a A Paris,

chez l'Auteur, rue St-Jacques, vis-à-vis les Charniers de St-Benoist, et chez J. Pli. Le

Bas, Graveur du Cabinet du Roy, au bas de la rue de la Harpe. A.P. D.H. danien-

sions II. 33. L.47. C. ,

70 HENRY MEIGE

La même cloison de planchas, servant de séchoir à un linge, nous sépare

d'une pièce contiguë, éclairée par une fenêtre à vitraux, l'étuve, peut-

être ? ...

Le mur du fond est creusé de la niche qu'habite la bouteille à bouchon

de papier. Des fioles, des bocaux s'alignent sur une tablette au-dessus de

rasoirs et bistouris. Les cruches, les pots d'onguent, les bouteilles, le plat

à barbe, le banc, le poêle à pieds de chien, la table à otes de dauphins

et le portrait-charge sortent bien de la même fabrique que les accessoires

identiques des Barbiers de Cassel et de Buda-Pest.

Le hibou renfrogné ne manque pas à la fête. Mais le poisson pendu est

devenu iguane. Enfin, un nouvel animal vient égayer la scène : un singe,

perché sur la cloison de bois, retenu par une chaîne, jouant avec une

pomme, en belle lumière, et dans une amusante posture. C'est le singe de

Teniers, un familier de sa maison qu'il introduisit souvent dans ses

parodies, rhabillant en homme, le faisant peindre ou jouer du violon. Nous

retrouverons bientôt ses congénères faisant aussi la charge des Barbiers-

Chirurgiens.

Par terre, le Pédicure a déposé ses instruments :

Un bistouri à petit manche, à lame courbe et à pointe mousse, pour le

grattage superficiel des cors et des durillons.

Une longue tige métallique, avec un manche en T, terminée par un pe-

tit crochet, et qui sert, sans doute, maniée comme une vrille, il fouiller

dans la profondeur du cône épidermique qui constitue le cor.

A côté, une petite curette à gros manche semble avoir même destina-

tion. Une forte pince est aussi là, pour l'extirpation définitive de la ra-

cine du cor.

Tous instruments dont l'application est loin d'être indolore, mais dont

la forme et l'emploi se sont perpétués, à quelques variantes près, chez les

pédicures de notre temps, sous les noms de furets, navettes, quadrilles, etc.

Deux petites fioles, il long col et à ventre sphérique, trouvent aussi leur

utilisation dans cette chirurgie locale. Lorsqu'elles ne contenaient pas quel-

que précieux topique, elles étaient simplement remplies d'eau, et, faisant

l'office de loupes, servaient à concentrer les rayons lumineux sur le siège

du mal. Nous les retrouverons dans presque tous les tableaux repré-

sentant des Pédicures, sans que cependant les opérateurs aient l'air de les

employer dans ce but.

Dans le cas présent, tout cet attirail professionnel n'est là que pour la

forme.

Il s'agit simplement de remplacer un vieil emplâtre par un nouveau

comme dans le tableau de Buda-Pest, et, ici encore, cette substitution ne

paraît pas trop douloureuse; le patient serre bien un peu les dents, mais

LES PÉDICURES AU XVII" SIÈCLE 71

il ne nous montre ni les grimaces ni les contorsions causées par les exci-

sions qui faisaient partie du manuel opératoire des Barbiers-Pédicures et

dont nous verrons dans J'oeuvre de Brouwer de si vivantes représen-.

talions.

III

ADRIAEN VAN Stade

Peintre hollandais (Haarlem, 1610-1685)

Le Chirurgien de village.

Académie des Beaux- Arts, Vienne (1).

La peinture dont il s'agit est considérée comme une copie ou une imi-

talion d'A. van Ostade. Il est fort possible d'ailleurs que le maître hollan-

dais ait choisi une scène de ce genre pour sujet d'un de ses tableaux. Nous

avons de lui plusieurs Médecins, Charlatans, Dentistes, traités dans le

même esprit que ceux de Teniers et de Brouwer.

Je ne connais ce document que par la description du catalogue :

« Dans une chambre ornée d'images grotesques et de récipients de tou-

tes sortes, un chirurgien, assis il droite sur un escabeau, fait une opération

sanglante sur l'orteil d'un paysan.

En arrière se tient un autre paysan appuyé sur une béquille.

Au fond, à gauche, un jeune homme prépare un emplâtre. »

Le sang qui jaillit de l'incision semble indiquer que l'opération est

assez sérieuse ou que l'opérateur n'est pas très adroit.

IV

.1 PIETER JANS,- QUAST.

Peintre hollandais (Amsterdam, 1606-1647)

Un Opérateur.

Musée de l'Ermitage. St-Pétersbourg.

Le riche musée de l'Ermitage, à St-Pétersbourg, possède un curieux

Pédicure, attribué il PIETER JANSZ QUAST, contemporain et imitateur d'A.

Brouwer ou d'A. van Ostade (2).

S'inspirant de ces maîtres, Pieter Quast devait peindre des scènes de

chirurgie rustique, des Pédicures en particulier.

(1) N° 906 du Cat. - B. II., 24. L. 34, 5.

(2) W. l3uncr.n signale en 1860 un Chirurgien de village de Pieter Quast, au musée

de Rotterdam. a Le chirurgien opère une vieille femme en présence d'un vieillard

qui tient une tête de mort (Voy. W. Burges, Musées de Hollande, t.II, p. 267). Ce ta-

bleau, qui ne figure plus dans le Catal. IIaverhorn van Rijsewijk de 1892, a peut-être

été brûlé en 1864, avec tant d'autres oeuvres de plus haute valeur.

72 HENRY MEIGE

Celui du musée de l'Ermitage est digne d'intérêt (1). Il en a été donné

une excellente description par M. A. Somof; je la reproduis inté-

gralement :

« Un chirurgien, vêtu de satin blanc, portant un haut-de-chausses cra-

moisi, des bas blancs et des souliers jaunes, et coiffé d'un chapeau mou,

gris, orné d'une plume et d'un noeud rouge, est debout devant un paysan

assis sur une banquette à droite de lui. Il rit, en tenant dans la main droite

le cor qu'il vient de couper du pied droit du paysan.

Un autre paysan soutient le patient dont le visage est contorsionné par

la douleur.

Entre ce groupe et le chirurgien, au second plan, un' vieillard et une

vieille femme regardent avec curiosité le cor extirpé.

Plus loin derrière l'opérateur, son domestique, une lanterne à la main,

debout près d'une table, éclaire les objets qui y sont rangés : une cruche,

un gobelet à anse, et un essuie-mains.

A droite, au premier plan, une corbeille pleine d'effets du patient,ainsi

que son bâton, et au fond, une porte par laquelle un paysan fait entrer

une vieille femme malade assise dans une brouette.

En même temps que ce groupe, pénètre dans la salle la Mort, sous la

forme d'un squelette qui sonne de la trompette.

En haut, au-dessus du groupe principal on voit voler un hibou (2). »

· Vraisemblablement, il s'agit de l'extirpation complète d'un cor du

pied droit, et l'on s'explique aisément les contorsions douloureuses de

l'opéré, si l'opérateur a poussé son extraction jusqu'à la racine même du

cor.

Les personnages accessoires sont conformes à la tradition.

Mais la vieille femme malade introduite sur une brouette est une inno-

vation.

Quant au squelette qui l'accompagne, en sonnant de la trompette, il

jette une note funèbre dont Teniers et Brouwer se sont toujours abstenus.

Leur satire n'est jamais macabre ; elle n'en a que plus d'effet.

(A suivre.)

(1) N 4775 du Catal. Somof, 1895, p. 268. B. - 0,34.'J X 0,ho ; provient de la ga-

lerie du prince Galitzine.

(2) a A gauche, dans le coin inférieur du tableau, on voit une fausse signature : A.V.O.

(ces trois lettres entrelacées en forme de monogramme), faite à l'endroit où se trouvait

la véritable signature ou le monogramme du peintre qu'on a eu soin d'effacer. C'est ce

qui explique que ce tableau, pendant qu'il se trouvait dans la galerie du prince Galit-

zine, était considéré comme une oeuvre d'A. Van Ostade. " .

Le gérant : P. Bouchez

Imp. G. Si-Aubin Tiievenot. - J. Thevenot, successeur, SI-Di71er (Ille-Marne),

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

T. X, PL. VII.

L'ÉTUVE DE VILLAGE

d'après un tableau de DAVID TENIERS LE JEUNE

peintre flamand (i61o-i6qo)

(Musée de Cassel.)

Mvsson 1.r Çh', éditeurs.

LE PÉDICURE

Zdl7W de DAVID rE\1PR5 LE JEUNE, peintre fLul1and IIO-l6go).

Musée de Buda-Pesth.

106 Année N° 2 Mars-Avril 1891

DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE

SANS LOCALISATION POSSIBLE

PAR

E. BRISSAUD et E. DE MASSARY

professeur agrégé, ancien interne des

médecin de l'Hôpital St-Antoine. Hôpitaux.

La chirurgie des tumeurs cérébrales est une triste chirurgie. Elle n'a son

excuse que dans le soulagement temporaire qu'elle procure; car elle n'est

guère que palliative. Mais cela seul est déjà pour elle une raison d'être, et

ses trop nombreux insuccès ne la condamnent pas d'avance. Et puis quel-

ques succès merveilleux justifient toutes ses audaces.

Le cas dont nous voulons parler aujourd'hui est un cas malheureux ; non

pas qu'il doive grossir le chiffre de la mortalité post-opératoire, attendu

que le malade dont il va être question n'a pas été opéré, mais il aurait pu

l'être. Qui plus est, il aurait très probablement bénéficié de l'opéra-

tion, au moins pour un temps. Nous n'avons pas diagnostiqué la tumeur,

et cependant cette tumeur était superficielle, bien limitée, facilement

énuctéabte : il n'y avait, littéralement, qit'à la cueillir. Les faits de ce genre

n'étant pas communs, nous n'en avons que plus de regrets de nous être

abstenu. On ne croira donc pas que nous veuillons l'aire oublier une er-

reur de diagnostic en commençant par accuser la chirurgie cérébrale.

Néanmoins nous déclarons que la tumeur en question ne pouvait pas être

diagnostiquée ; et comme, après tout, l'erreur de diagnostic a été commise,

nous désirons simplement discuter les résultats probables de l'opération,

qu'il eût fallu faire, en admettant que nous eussions été en mesure d'affir-

mer l'existence de cette tumeur, d'en préciser le siège et d'en déterminer

la nature.

Toutes les statistiques démontrent surabondamment que les tumeurs

cérébrales sont en majeure partie de nature maligne. Voici d'ailleurs ce

que nous apprend la statistique d'Allen Starr, une des dernières publiées.

Depuis 1893 jusqu'en 18S)G, ce chirurgien a opéré : 6

x 6

1j4 E. BRISSAUD ET E. DE MASSARY

15 sarcomes ;

8 kystes ;

6 tubercules ;

4 gliomes;

3 gommes ; .

2 gliosarcomes ; .

1 fibrome ;

1 angiome ;

'7 tumeurs de nature indéterminée.

Ainsi donc, c'est le sarcome qu'on trouve le plus fréquemment. Est-il

nécessairedefaire remarquer combien les résultats opératoires doivent être

misérables, lorsque cette production siège dans un organe où les larges exé-

rèses sont impossibles ? Le pronostic est plus sombre encore que pour le

sarcome des membres ; et c'est tout dire. Cependant Allen Starr ne dé-

plore pas la prédominance numérique du sarcome sur les kystes, les

tumeurs et les gommes ; ce serait, d'après cet auteur, la tumeur qui com-

porte le meilleur pronostic ! « Il y a en effet peu de difficultés dans l'abla-

tion des kystes, mais les résultats sont moins favorables, il ne suffit pas

d'évacuer le contenu de ces kystes, qui repullulent alors, mais il faut dis-

séquer et énucléer leurs poches, ce qui ne peut se faire sans de graves

traumatismes suivis souvent d'hémorrhagies ou d'abcès (1). » Quant aux

gommes et aux tubercules, ils relèvent moins de la chirurgie que de la

médecine.

Est-ce à dire que pour les autres tumeurs cérébrales l'intervention chi-

rurgicale doive être abandonnée ? Loin de là. La chirurgie seule peut

donner une lueur d'espoir dans ces cas désespérés; et les indications

d'opérer sont formelles, lors toutefois qu'on peut établir le diagnostic du

siège de la lésion. Ce diagnostic de la localisation est basé dans l'immense

majorité des cas sur le syndrome de l'épilepsie jacksonnienne; il est

soumis par conséquent aux erreurs qu'entraîne la variabilité des crises.

La cause prochaine et unique de l'épilepsie jacksonnienne est une irrita-

tion de la substance grise corticale de la zone motrice, et particulièrement

de la couche des grandes cellules de cette zone. Si donc le syndrome est

fréquent dans les méningites, les méningo-encéphalites, bref dans les

lésions intéressant les zones les plus superficielles de l'écorce, il manque

fréquemment dans les tumeurs qui n'intéressent pas directement les cel-

lules motrices, ou lorsque ces tumeurs absorbent les dites cellules dans un

processus rapide de transformation néoplasique. De plus, les tumeurs

situées en dehors de la zone rolandidueaccusentsurtout leur présence par

(1) Médical Record, February, I, 1896.

DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 75

des troubles variés de la tension intra-crânienne; ce sont des lésions à ma-

nifestations diffuses. On ne peut attendre d'elles un syndrome clinique

aussi remarquablemenlprécisque celui qui décèle une plaque de méningite

irritant un département du territoire rolandique.

Donc, de deux choses l'une : ou la tumeur trahit sa présence par le syn-

drome classique de l'épilepsie jacksonnienne, et le signal-sgmptome en

indique la localisation ; ou bien elle ne se laisse reconnaître que par les

signes auxquels on devine une surtension intra-crânienne, et alors le

syndrome de l'épilepsie franche sans signal-symptôme est un fait banal

sans valeur diagnostique, simplement surajouté à ceux de la lésion diffuse.

C'est à un cas de ce genre que nous avions affaire.

Il est juste aussi de remarquer que le dilemme n'est pas rigoureusement

vrai. Les tumeurs cérébrales ont une symptomatologie essentiellement ca-

pricieuse, et leurs variétés cliniques ne restent pas cantonnées dans l'un

ou l'autre de ces deux termes : épilepsie jacksonnienne avec localisation,

épilepsie franche sans localisation. En effet, une épilepsie jacksonnienne

fournira un signal-symptôme qui ne correspondra pas à la tumeur prévue

mais bien à une lésion de voisinage, irritative ou vasculaire ; par cela

seul le diagnostic de localisation sera faussé. Une autre fois le néoplasme

évoluera lentement, sourdement, ne donnant lieu qu'à un affaiblissement

'intellectuel progressif... Pendant qu'on hésite le malade meurt,et l'autop-

sie met a jour une tumeur facilement énucléable, c'est-à-dire une rare occa-

sion de satisfaction opératoire. ,

Voici l'histoire du cas :

M... était un homme robuste de 28 ans, exerçant facilement son métier

d'ajusteur. Aucune maladie ne l'avait encore forcé de prendre du repos,

lorsque, le 10 juillet 1894, à 5 heures du soir, tandis qu'il était à son

travail, il tomha terrassé par une violente attaque d'épilepsie. Ce ne fut ni

lofait d'une émotion, ni la conséquence d'une fatigue exagérée, ni d'un

excès alcoolique... Aucune cause apparente ou connue ne la créa, aucun

symptôme ne la prévint.

M... resta un quart d'heure sans connaissance, puis se releva et reprit

son travail. Que fit-il pendant cette crise ? -Il était incapable de le dire. Il

ne savait s'il s'était débattu, mais il affirmait ne pas s'être mordu la langue

et ne pas avoir perdu ses urines.

Les quatre jours suivants, M... travailla comme d'habitude sans acci-

dent aucun.

Dans la nuit du 13 au 14 juillet le mal reparut : sept attaques consécu-

tives. Cette fois chaque attaque fut mieux définie. M... les sentait venir;

76 E. BRISSAUD ET E. DE MASSARY

les muscles de son visage se crispaient, ses mâchoires se serraient, ses

tempes battaient; il restait ainsi quelques secondes pendant lesquelles il

comprenait encore ce qui se passait autour de lui, mais il ne pouvait parler.

Puis il perdait connaissance et se débattait : les convulsions étaient géné-

ralisées, mais elles avaient été, parait-il, plus fortes du côté gauche et

particulièrement dans le bras gauche (le fait est affirmé par plusieurs

personnes qui ont vu M... en état de mal). Enfin, ce joui--là, M... se mordit t

plusieurs fois la langue, mais il ne perdit pas ses urines. Un médecin con-

seilla le bromure de potassium et les douches.

Jusqu'en janvier 1895, M... n'eut plus de crises complètes mais sim-

plement et à plusieurs reprises des crises avortées. Ces dernières consis-

taient en « crispations des muscles du visage, avec une grimace de rire

forcé sans perte de connaissance ». A l'en croire, il restait toujours présent,

comprenait ce qu'on lui disait, mais était incapable de répondre.

En janvier 1895, les crises complètes recommencèrent, et cette fois

encore on aurait remarqué que les mouvements convulsifs étaient plus

prononcés dans les membres du côté gauche. -

Pendant ce mois, les crises complètes alternèrent avec les crises avor-

tées et IVL.. quittant son travail vint se faire soigner à St-Antoine, où il

resta en observation pendant cinq semaines.

A l'hôpital le nombre des crises diminua. Les premiers jours elles

avaient été quotidiennes, se répétant, même jusqu'à 13 fois dans les vingt-

quatre heures; puis elles s'espacèrent. Elles se présentaient toujours sous

deux types différents, c'est-à-dire qu'elles étaient tantôt complètes, tantôt

incomplètes. Les crises complètes s'annonçaient par la crispation du visage,

le grincement des dents, l'impossibilité de parler, les battements tempo-

raux ; après quelques secondes, perte de connaissance, convulsions géné-

ralisées mais prédominantes à gauche, puis résolution, sommeil profond

durant le plus souvent une heure entière. Jamais de miction involontaire.

Outre ces grandes attaques, on vit d'autres crises incomplètes, ébau-

chant en quelque sorte les premières : môme début ; crispation de la face,

grincement des dents, impossibilité de parler, mais pas de perte de con-

naissance, pas de convulsions, en cinq ou six secondes tout était fini.

Dans l'intervalle des crises, M... n'était pas complètement en bonne

santé. Il souffrait d'une constante et violente céphalée ; il disait ressentir

continuellement une sorte de battement dans la région frontale et dans la

région occipitale : c'était une douleur profonde mais diffuse, sans prédo-

minance à droite ou à gauche. On lui demandait avec instance s'il n'avait

pas d'engourdissements, de fourmillements dans le côté gauche, et it répon-

dait que, parfois en effet, il sentait comme de petits élancements dans le

bras gauche, mais très légers et très fugitifs. Le bras ne fut d'ailleurs

DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 77

jamais ni affaibli, ni maladroit, et ses dimensions diamétrales restèrent

sensiblement égales à celles du membre opposé. Telle était la situation en

février 189fS, sept mois après la première crise.

M... n'était certainement pas un hystérique. Il n'avait pas eu la syphi-

lis. Il n'était pas alcoolique; il était même d'une absolue sobriété. Son

métier ne l'exposait à aucune intoxication professionnelle. Rien ne faisait

supposer une lésion secondaire à un traumatisme ancien. Il n'avait jamais

été malade. Ses bruits cardiaques étaient irréprochables, ses urines étaient

normales. 11 était de grande taille, vigoureux, d'une conformation physi-

que parfaite, intelligent et laborieux. C'était un beau type de l'espèce.

Marié depuis quatre ans à une femme jeune et saine, il avait deux enfants

venus à terme et très bien portants.

. Dans ces conditions, pourquoi l'épilepsie ?

L'épilepsie tardive, épilepsie essentielle, nous cache encore ses causes.

Les travaux qu'elle a suscités depuis quelques années ne nous renseignent

que sur la fréquence relative des affections cardiaques auxquelles on a cru

pouvoir l'attribuer. Nous ne trouvions ici nul motif d'incriminer la fonction

du coeur. Les artères étaient souples ; une lésion méningitique de nature

tuberculeuse n'était guère vraisemblable. Il ne pouvait être question d'une

épilepsie réflexe d'origine intestinale. Bref, nous ne savions trop quelle

étiologieinvoquer... et cependantnous voulions diagnostiquer une tumeur

cérébrale... quelque kyste peut-être ? .

La céphalée persistante dont cet homme se plaignait n'est guère le fait

de l'épilepsie essentielle, précoce ou tardive. On l'observe parfois chez les

épileptiques âgés et allléromateux. Ce n'était pas le cas. D'autre part, la

coïncidence de la céphalée et de l'épilepsie constitue une présomption au

moinsprovisoireen faveur d'unecompression intra-crânienne. Mais le malade

n'avait jamais présenté les signes irrécusables de la compression,qui s'an-

noncent par des troubles visuels, et que l'ophtalmoscope révèle fatalement

un jour ou l'autre. Les tumeurs cérébrales, lorsqu'elles donnent lieu à

des symptômes de compression diffuse - et il ne s'agissait encore que de

cela ne tardent guère à traduire leur présence par ces phénomènes ré-

tiniens qui ont une signification invariable et qui, dans le cas particulier,

faisaient défaut. Bref l'association de l'épilepsie et de la céphalée ne per-

mettant de présumer l'existence d'un néoplasme qu'en vertu d'une cer-

taine logique clinique toujours sujette à caution, nous n'arrivions pas à

établir un diagnostic sur des éléments de certitude ; et comme, au demeu-

rant, l'épilepsie essentielle tardive peut admettre, ci titre exceptionnel,

l'adjonction de la céphalée, c'est encore à l'hypothèse de l'épilepsie essen-

tielle que nous étions invinciblement ramenés.

Le traitement sembla apporter une sanction à ce diagnostic, car sous

78 E. BRISSAUD ET E. DE MASSARY

l'influence du bromure de potassium, les crises s'espacèrent et M... put

quitter le service cinq semaines après son entrée.

En mai 1895, les crises réapparurent, toujours sous les mêmes formes,

mais deplusen plus nombreuses. M... interrompit de nouveau son travail

et revint à l'hôpital. Il avait abandonné l'usage du bromure, quoiqu'il eût

été repris de céphalée. La douleur était frontale et occipitale, bilatérale,

sans localisation. Elle était si tenace et si pénible, que le malade ne ré-

pondait à nos questions qu'avec la plus grande difficulté. Il nous sembla

même qu'il avait un certain embarras de la parole et, comme nous le lui

faisions remarquer, il nous répondait que cela tenait à la violente dou-

leur de tête qui l'absorbait. Il resta quelques jours sans avoir de crises,

mais le 30 mai elles éclatèrent de nouveau subintrantes; le malade tomha

du premier coup en un véritable état de mal permanent. C'étaient de

grands accès épileptiques au cours desquels la tête était inclinée à droite.

Dans l'intervalle- très court des reprises le visage était grimaçant, des con-

vulsions toniques, des muscles soulevaient les plis naso-géniens des deux

côtés et provoquaient un rictus invariable ; les pupilles étaient immobiles.

De temps à autre on remarquait un léger strabisme divergent. Les mem-

bres se raidissaient mais sans s'élever au-dessus du plan du lit.

Cet état dura deux jours, et la température pendant ce temps ne descen-

dit pas au-dessous de 39°. Puis les crises s'espacèrent de nouveau, M...

reprit connaissance et sortit de son état de mal, brisé, abattu; mais cette

fois encore guéri, en apparence du moins ; car le seul symptôme perma-

nent qu'il accusait auparavant, la céphalée, se trouva considérablement at-

ténué et disparut même fréquemment par intervalle.

A la fin du mois, M... quitta l'hôpital n'ayant pas eu d'autres crises.

Il reprit de nouveau son métier et l'exerça pendant les mois d'hiver. Il

croyait être définitivement débarrassé. Mais peu à peu sa céphalée repa-

rut, par accès d'abord, puis d'une façon continue, si bien qu'en janvier

1896, il vint plusieurs fois à la consultation nous demander un soulage-

ment ; il prenait toujours du bromure. On lui prescrivit de plus de l'an-

tipyrine à la dose de deux et trois grammes par jour.

Ce traitement fut sans résultat. La céphalée redoubla d'intensité, tou-

jours sans localisation, sans rémission, avec une obsédante ténacité.

Entre temps les crises reparurent et augmentèrent rapidement de fré-

quence. M... se vit encore forcé d'entrer a Si-Antoine. Il souffrait cruelle-

ment, nuit et jour, ne connaissant plus le repos. Aussitôt admis, il se

coucha; mais il ne pouvait rester étendu : il se levait à tout moment,

cherchant vainement à oublier ses douleurs en se livrant à une agitation

factice. Au bout.de quelques heures les crises épileptiques éclatèrent avec

DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 79

une violence inouïe, et le malade succomba en état de mal dans le courant

de la nuit, sans avoir recouvré une seule fois connaissance.

Tout l'intérêt de l'autopsie se concentrait sur l'examen du cerveau. On

ne pouvait suspecter aucune altération thoracique ou pulmonaire chez cet

homme robuste et sain. Et de fait, les viscères étaient absolument normaux.

La calotte crânienne une fois enlevée, on vit la dure-mère fortement

vascularisée et dans sa partie droite soulevée par une tumeur molle presque

fluctuante, qui fit facilement hernie à travers quelques éraillures. Lors-

qu'il fallut rabattre la dure-mère pour mettre à découvert les hémisphères

sous-jacents on constata que sur une certaine étendue, limitée, il est vrai,

cette méninge adhérait à la tumeur d'une façon intime. Cette partie adhé-

rente fut laissée en place et séparée du reste de la dure-mère. Puis l'extrac-

tion de l'encéphale put être faite sans difficulté.

La tumeur siège sur la première circonvolution frontale à un centimètre

du pôle frontal, à trois centimètres du lobule paracentral. Elle mesure

environ six centimètres dans le sens antéro-postérieur et trois centimètres

dans le sens transversal (Pl. X).

Sa consistance est molle, presque diffluente, sa couleur rougeâtre; sa

forme simule assez fidèlement celle d'un bait posé sur le bord supérieur

de l'hémisphère. Elle présente, par conséquent, deux masses, l'une sur la

face externe, l'autre sur la face interne, reliées entre elles par un large

pont de substance néoplasique.

A la face externe, la tumeur s'étend sur les deux premières circonvolu-

tions frontales et laisse intacte la troisième.

A la face interne du lobe frontal elle comprime et aplatit la circonvolu-

tion frontale supérieure dans laquelle elle semble se creuser un lit.

Toute cette masse n'adhère à la dure-mère qu'en un seul point, mais les

adhérences de sa face profonde sont telles que la tumeur et la substance

cérébrale semblent ne faire qu'un seul bloc ; c'est à peine en effet si les

bords de la tumeur se décollent du cerveau et à quelques millimètres du

bord la fusion est intime. Quant aux bords libres, ils se continuent avec

la pie-mère. Nous reviendrons d'ailleurs sur ce point.

Sur une coupe verticale et transversale, passant par la partie médiane

de la tumeur et intéressant la totalité du lobe frontal, il est difficile de

distinguer une séparation tranchée entre le tissu morbide et la substance

cérébrale. La différenciation ne repose que sur un léger changement de

coloration : la tumeur est plus rouge.-

Quant à distinguer, dans le cerveau lui-même, entre la substance grise

et la substance blanche, cela est totalement impossible. A l'oeil nu, le

80 E. BRISSAUD ET E. DE MASSARY

tissu néoplasique semble remplacer la substance grise absente et en occuper

exactement la place.

Tels sont en résumé les caractères objectifs et les rapports de cette

tumeur.

Sa nature se révèle après une simple dissociation; la partie fondamen-

tale du néoplasme est formée de petites cellules rondes avec noyau volu-

mineux ; ce sont des cellules sarcomateuses typiques.

Restait à déterminer le point de départ de ce sarcome. Nous avons dit

que les bords de la tumeur se continuaient directement avec la pie-mètre

ceci déjà permet de conclure à l'origine du néoplasme.

Un examen microscopique plus minutieux confirme cette hypothèse..

Des parties de la pie-mère étant détachées au voisinage et sur les bords

mêmes de la tumeur, il fut facile de constater que cette méninge, saine à

la périphérie quoique fortement vascularisée, s'infiltrait peu à peu, à sa

face profonde, de cellules embryonnaires et ne tardait pas à faire corps

avec la tumeur elle-même.

Enfin les coupes démontrèrent d'une façon certaine la nature sarcoma-

teuse de la tumeur dont l'origine pie-mérienne ne semblait plus guère

douteuse.

Sur une coupe transversale intéressant la totalité du bord supérieur de

l'hémisphère, le nouveau tissu a la forme d'une bande d'un centimètre

d'épaisseur environ ;.la substance cérébrale est refoulée, atrophiée ; une

limite nette sépare les deux tissus.

Le tissu de la tumeur est formé de petites cellules rondes, chacune de

ces cellules possède un noyau relativement volumineux et une mince cou-

che de protoplasma. Bref, il s'agit d'un sarcome globo-cellulaire.

Ce sarcome est très largement irrigué, parcouru par des vaisseaux à si-

nuosités nombreuses, uniquement constitués par un endothélium adossé

à une membrane anhiste ; en dehors de cette membrane et immédiate-

ment contre, se trouvent les cellules sarcomateuses. Dans quelques en-

droits, toute trace de paroi vasculaire a même disparu, et le sang chemine

entre les cellules s'accumulant par places en petits foyers d'hémorrhagies

interstitielles.

La face supérieure de ce sarcome est appliquée à la dure-mère, en un

espace large d'un centimètre carré. Les coupes pratiquées à ce niveau mon-

trent la dure-mère saine passant au-dessus des cellules embryonnaires,

et non dissociée par elles. '

A sa face inférieure, la tumeur est étroitement juxtaposée à la substance

cérébrale, mais la limite commune aux deux tissus est très nette. Les cou-

ches les plus superficielles de la substance cérébrale sont formées par des

bandes de névroglie aplaties. D'ailleurs les parties sous-jacentes elles-

DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 81

mêmes sont également plus denses, plus compactes ; et les cellules ner-

veuses, disséminées dans la gangue névroglique, sont arrondies et semblent

avoir perdu leurs prolongements protoplasmiques. En somme, compres-

sion et atrophie de la couche grise corticale, mais sans réaction inflamma-

toire, voilà tout ce qui constitue la lésion cérébrale proprement dite. C'est

une lésion mécanique. Les vaisseaux qui circulent dans cette partie de la

substance cérébrale sont cependant profondément modifiés. On les voit en

très grand nombre entourés d'une couche plus ou moins épaisse de cellules

embryonnaires en tout semblables aux cellules globuleuses du sarcome.

Cette multiplication d'éléments,qui se retrouve sur de nombreux vaisseaux

de la surface de l'écorce, n'est-elle pas une preuve de plus de l'origine

pie-mérienne du sarcome dont les voies de propagation seraient alors les

gaines conjonctivo-lymphatiques des artérioles nourricières ?

On peut donc formuler d'une façon très précise le diagnostic histolo-

gique de la tumeur : sarcome à cellules globo-cellulaires, siégeant primi-

, tivement sur la pie-mère et ayant refoulé les parties adjacentes de l'écorce

cérébrale par propagation envahissante le long des artérioles nourricières

issues de la méninge.

Tel est le cas.

Le résultat de l'autopsie ne nous a nullement surpris. Nous avions

admis d'abord la probabilité d'une tumeur, puis nous avions abandonné

cette hypothèse et finalement nous nous attendions à tout. Mais ce qui nous

a réellement confondus, c'est la possibilité évidente d'une intervention

chirurgicale qui eût été, selon toutes vraisemblances, d'une grande sim-

plicité opératoire et à laquelle cependant nous n'avions jamais eu l'idée

de recourir. Pas un seul symptôme de localisation unilatérale ne nous

indiquait auquel des deux hémisphères il eût fallu s'attaquer.

La chirurgie exploratrice ne convient guère aux maladies de l'encé-

phale. La crâniectomie bilatérale, en tout cas, ne saurait être conseillée

comme un procédé de diagnostic. On a, jusqu'à ce jour, le droit de

douter de son innocuité ; et lorsqu'une épilepsie non jacksonnienne

paraît résulter d'une lésion encéphalique accessible aux moyens chirur-

gicaux, encore faut-il qu'on ait quelque chance de rencontrer cette lésion

à la surface. Si le mal est profond, la crâniectomie est inutile et les

risques de l'intervention ne sont pas suffisamment compensés par les

chances de guérison.

Si l'épilepsie est justiciable de la trépanation, c'est seulement dans les

cas où elle est un élément de diagnostic accessoire, c'est-à-dire lorsqu'elle

ne constitue pas à elle toute seule toute la maladie. D'autre part, la

82 E. BRISSAUD ET E. DE lItASSARy y

valeur curative de la trépanation dans l'épilepsie essentielle a été peut-être

trop dénigrée. Mais il y a loin de la trépanation décompressive à la crâ-

niectomie.exploratrice. ?

.Dans l'observation qu'on vient de lire, la céphalée nous avait «fait

douter de l'épilepsie essentielle; et cependant l'épilepsie avait précédé

la céphalée. Les rémissions étaient complètes et longues; et comme on

ne pouvait songer ni à un tubercule ni à un syphilome du cerveau, la

seule hypothèse rationnelle sur laquelle il fallait se rabattre, était t

celle d'une lésion telle qu'un kyste parasitaire, capable d'irritations, in-

termittentes. Celte idée même, en 'dépit de la logique, n'était pas satis-

faisante ; car, pour produire une céphalée si terrible et- si diffuse,' la

tumeur devait être de dimensions notables. Or, les papilles étaient intac-

tes, et on sait qu'en l'absence de la stase papillaire, le diagnostic des tu-

meurs ne comporte- jamais de certitude absolue.

L'épitepsie n'avait présenté aucun des caractères des convulsions d'ori-

giiie'cortic,ile; nous ne pouvions donc localiser la lésion dans la sphère .

motrice. L'intégrité-parfaite des fonctions visuelle et auditive nous inter-

disait de la placer dans'la sphère sensorielle. La persistance des facultés

intellectuelle et affective, la conservation de la mémoire et la régularité

déboutes les- opérations\lu'langage'-i1Üérieur'écartaient ërifiÎ1Tidée d'une

localisation frontale. Et ainsi nous étions invinciblement ramenés au dia-

gnostic d'épilepsie essentielle; qui était' le plus indécis de tous;puisque nous

appelons « essentielle » toute épilepsie dont la cause nous échappe. 1

L'histologie cependant nous renseigne assez exactement sur le méca-

nisme des symptômes. La tumeur était déjà constituée lorsque le premier

accès (l'épilepsie eut'lieu ; mais elle était trop-loin-de la sphère' motrice

pour provoquer une crise jacksonnienne. Aussi les çrises généralisées

d'emblée. 'semblent-elles devoir être attribuées rétrospectivement à une

coirpe 6'lQn en masse de la totalité de l'encéphale ! 'j j

L'infiltration de la méninge par les cellules du sarcome au voisinage de

la sphère 'motrice déterminait sans doute la prédominance des mouvements

conv'ulsifs'du côté gauche. Peut-être aussi faut-il supposer que les convul-

sions bilatérales étaient plus prononcées à gauche parce que la' tumeur,

quoique située en dehors de la sphère motrice, avait rendu l'hémisphère

droit plus susceptible... La lenteur de l'évolution et les rémissions com-

plètes des symptômes s'expliquent par la nature du néoplasme, qui ne se

développait que par poussées successives et assez longuement espacées.

CeL[F-E&iistàtàtidii-d&-rnë'7aiôn encore allez" Stan; lorsqu'il soutient

que de toutes les tumeurs cérébrales, c'est le sarcome qui comporte le pro-

nostic le moins défavorable.

Une tumeur qui ne se traduit que par une épilepsie essentielle et une

TUMEUR CEREBRALE.

Sarcome de la pic mcrc, lobe frontal droit.

MASSON & cie, Éditeurs. 5.

DIAGNOSTIC D'UNE TUMEUR CÉRÉBRALE 83

céphalée diffuse peut-elle être diagnostiquée assez sûrement pour qu'on

tire d'une symptomatologie si restreinte une conclusion thérapeutique ra-

tionnelle ? - Assurément non. '

Lorsque les convulsions sont généralisées, nous ne savons, non seu-

lement sur quelle région de l'hémisphère, mais encore sur quel hémis-

phère l'opération peut bien être directement efficace. Mais il nous semble

que la céphalée, quoique diffuse, constitue à elle seule un motif d'inter-

venir lorsqu'elle est continue et intense, et surtout lorsqu'elle survient

et s'exaspère dans des périodes de paroxysmes épileptiques. Car l'épi-

lepsie prétendue essentielle exclut la céphalée; et il suffit d'une trépa-

nation simplement décoa ? iiaa7te pour faire disparaître les douleurs

comme pour prévenir un état de mal d'où peut résulter la mort. Cette

conclusion - si l'on considère la bénignité de la trépanation simple -

ne saurait passer pour radicale, même aux yeux des plus « conserva-

teurs ».

DE LA MAIN « SUCCULENTE »

PAR

G. MARINESCO

I

Les troubles trophiques de la syringomyélie sont si variables dans leur

expression, si originaux dans leur cortège symptomatique qu'ils en ont

imposé parfois pour des affections différentes, c'est ainsi qu'on a créé la

main typeMorvan, la main chiromégalique qui a été confondue par cer-

tains auteurs avec l'acromégalie. Mais ce n'est pas tout, il existe encore

des troubles trophiques vaso-moteurs qui, pour être plus rares, n'en sont

pas moins intéressants. Je me propose dans ce travail de montrer qu'il

existe au cours de la syringomyélie des troubles trophiques vaso-moteurs

particuliers qui, associés à l'atrophie musculaire qu'on rencontre souvent

dans cette affection, assurent à la main un cachet si spécial qu'on peu !

faire aisément le diagnostic de la syringomyélie sans avoir procédé à un

examen complet du malade. Aussi jusqu'à plus ample informé, je consi-

dère que celle main appartient en propre à la syringomyélie, et pour carac-

tériser ce type, j'adopte le nom qui m'a été suggéré par mon cher maître,

M. Marie, celui de main succulente. Ce n'est pas à dire que les troubles

vaso-moteurs dont j'aurai à parler n'aient pas été rencontrés par d'autres

observateurs, mais ceux qui m'ont précédé n'ont pas prêté une attention

suffisante aux caractères de cette main pour y donner une description com-

plète et lâcher de la dégager des types voisins.

Les troubles vaso-moteurs dans la syringomyélie ont été signalés par

Fiirstner et Zacher (1) qui ont rapporté, en 1883, un cas des mieux étudiés

de syringomyélie avec autopsie. Leur cas est intéressant en ceci, c'est que

les troubles vaso-moteurs pouvaient être provoqués à volonté. Une exci-

tation cutanée avec le doigt ou avec une épingle produisait au début de la

pâleur, puis une lâche rosée suivie de vésicule et devenue confluenle. Ce

phénomène'vaso-moleur ne se produisait pas seulement sur une région

donnée, mais sur tout le corps. La nécropsie a montré qu'il s'agissait bien

(1) Fuhstner et ZACn¡;n, Archiv. sur Psychiatrie, t. XIV, 1883.

DE LA MAIN SUCCULENTE 85

d'un cas de syringomyélie qui avait envahi surtout la commissure de la

corne postérieure. Dans le travail de Roth, publié dans les Archives de

neurologie, il est question à plusieurs reprises de troubles vaso-moteurs.

Aussi dans l'observation II de cet auteur (extrait des Archives de neuro-

logie, nos 42, 44, 47 et 48, année 1888), il est question d'un gonflement

indolent du dos de la main droite qui a été passager. Le gonflement a duré

un jour et a ensuite disparu. Dans les observations IX et X du même au-

teur on trouve notés des troubles vaso-moteurs consistant en une cyanose

légère des mains.

Une observation qui présente beaucoup plus d'intérêt au point de vue

du sujet qui nous occupe,c'est le travail de Remack, paru dans je berlines

klinische Wocltettschrift, 1889, n°3, et intitulé : oedème des extrémités supé-

rieures d'origine spinale (syringomyélie). Il s'agit d'un ouvrier de 38 ans

chez lequel l'oedème s'est développé pour ainsi dire sous les yeux de l'au-

teur. Présenté au mois d'octobre 1889 aux élèves, une tuméfaction indo-

lore s'est développée quelques jours après sur la main gauche, tuméfaction

qui au bout de dix jours avait atteint également la main droite. La parti-

cularité intéressante^ c'est que du côté du membre supérieur droit il n'y

a ni atrophie ni paralysie, tandis que le memhre supérieur gauche pré-

sente de l'atrophie musculaire. Les extrémités des membres supérieurs

sont libres dans leurs mouvements et non tuméfiées, la main est surtout

tuméfiée du côté de la face dorsale, mais du côté de la face palmaire il

n'y a pas de changement de coloration de la peau. L'impression digitale

. laisse une fossette légère qui disparaît rapidement. La tuméfaction est

uniforme.

La main est chaude, mais sa température varie avec celle du milieu am-

biant.

Le pouls'est normal, nulle part de degré de thrombose ou de dilatation

veineuse.

Rien au coeur, pas d'albuminurie dans l'urine. Ni les extrémités infé-

rieures ni la face ne présentent la moindre trace d'oedème. L'atrophie

musculaire de la main gauche affectait particulièrement le premier inter-

osseux, moins les autres et encore moins l'éminence thénar, l'auteur a

constaté de la dissociation de la sensibilité et posé le diagnostic de syrin-

gomyélie.

Massius (1) a vu dans un cas de syringomyélie que le dos des mains était t

tuméfié, cyanosé et donnait une sensation de froid intense. Ces troubles

de la circulation persistent, en partie même après la position élevée que

l'on donne aux membres supérieurs.

(1) Massius, Un cas de syringomyélie. Annales de la société médico-chirurgicale de

Liège, 1890, p. 153.

8G G. MARINESCO

Hoffmann (1) dans son remarquable travail sur la syringomyélie a noté à

plusieurs reprises la présence de troubles vaso-moteurs, mais je n'ai

trouvé dans son article qu'une seule observation de troubles trophiques

cutanés, qui pouvaient être comparables à ceux que je vais décrire. C'est

un cas d'oedème et avec cyanose des mains, des pieds et des jambes

(observ. XVI) au cours de la syringomyélie confirmée par l'autopsie.

Deux auteurs anglais, Colemann et Joseph 0'Caroll (2), ont publié une

observation de syringomyélie dans laquelle ils ont noté que la main droite

du malade était tuméfiée, tuméfaction due à une espèce d'oedème solide.

La peau de la face dorsale a un aspect pourpré et elle est froide et luisante.

Plus récemment encore Louazell (3) dans une thèse sur la maladie deMor-

van a consigné une observation due au docteur Dayot de Rennes qui a re-

marqué que la main gauche de sa malade (il s'agissait bien entendu d'un

cas de syringomyélie), très large, très épaissie, était le siège d'un oedème

dur qui donnait au doigt un aspect particulier (doigt en forme de saucis-

son). La main se cyanose quand le membre reste pendant. Dans le travail

d'Oppenheim sur la syringomyélie je n'ai trouvé aucune donnée se rap-

portant à notre sujet, mais cet auteur a bien indiqué un état sclérodermique

des doigts.

Ce sont là presque tous les documents que j'ai pu recueillir au point

de vue des troubles trophiques cutanés et vaso-moteurs dans la syringo-

myélie.

Observation I.

Le nommé Gav..., ciseleur, âgé de 72 ans, admis dans le service de M. Marie

à Bicêtre.

Antécédents héréditaires insignifiants.

Antécédents personnels. Pas d'affections syphilitiques ou vénériennes, pas

d'alcoolisme. Les symptômes de la maladie actuelle ont débuté d'une façon

insidieuse. Il paraît cependant que les troubles de motilité ont débuté presque

en même temps que les troubles de sensibilité. Déjà en 1848 il avait éprouvé de la

faiblesse et la même année en portant des gamelles il s'était brûlé sans ressentir

aucune douleur. En 1850 il présentait des mains en grille, symptôme qui dispa-

rut en 1853. En 1870 il se rappelle qu'il ne pouvait plus mettre la main sur la tête.

Une particularité intéressante à noter dans ses antécédents : c'est qu'il avait

remarqué en 1848, alors qu'il travaillait la terre, que son bras droit s'était tu-

méfié brusquement, tuméfaction peu douloureuse qui disparut après 3 ou 4 se-

maines. Mais il fut étonné en constatant à ce moment une tumeur dure ayant

à peu près le volume qu'elle présente actuellement, elle occupait la partie ex-

(1) Hoffmann, Zur Leh,'e VOl) des Sy¡'illgomyélie. SonderabdruckDeutsche Zeilschrift

sur Nervenheilkunde.

(2) Colemann AND O'CAPULL, A case of syringomyélie. The Lancet, 1893, 12 août.

(3) Louazell, Contribution à l'étude de la maladie de Morvan. Thèse de Paris, 1890.

DE LA MAIN SUCCULENTE 87

terne de l'avant-bras et siégeait plus exactement dans la moitié supérieure du

cubitus. A cause de cette liyperostose il a été traité ; Troyes en Champagne

par l'onguent mercuriel. Lisfranc que le malade a vu à la Pitié a affirmé

qu'elle était de nature spécifique. Le même diagnostic a été porté par un autre

chirurgien de l'Hôtel-Dieu dont le malade a oublié le nom. Toutefois Ricord,

qui a eu occasion de voir ce malade, a affirmé qu'il s'agit )a d'une lésion os-

seuse, rhumatismale ou scrofuleuse. Le malade se souvient que Ricord a été

à ce point de vue très affirmatif.

Si j'ai assez longuement insisté sur l'histoire de cette affection osseuse,que le

malade porte encore actuellement, c'est parce qu'elle présente, ainsi que nous

le verrous plus loin, une certaine importance au point de vue de sa nature.

Etat actuel. Quand on regarde de près les mains de ce malade (PI. XIV,

fig. A), on est surpris de l'aspect tout spécial et de l'attitude qu'offrent ses extré-

mités. Les mains sont en extension sur le poignet, déjetées vers le bord cubital,

surtout la droite qui est très relevée et simule la main de prédicateur; le

pouce est plutôt en extension. La première phalange de l'index est en extension

taudis que les deux autres sont en llexion. Cette attitude est beaucoup moins

caractéristique pour les trois autres doigts de la main droite, mais on peut dire

qu'à mesure que l'on se rapproche du petit doigt, les doigts ont tendance il se

redresser et à se placer dans l'extension. Si par l'attitude la main droite se

rapproche de celle du prédicateur l'attitude du pouce et de l'index permet de

comparer cette main à celle d'une personne qui prise du tabac (PI. XIV, A).

L'attitude de la main gauche est moins caractéristique. La main et les doigts

sont en extension,mais elle est moins déviée vers le bord cubital et l'extension

de la main sur le poignet n'est pas aussi accusée qu'à droite. L'extension du

pouce est plus manifeste que celle des autres doigts. Les pouces des deux côtés

présentent une conformation qui mérite d'être relevée. Les bords interne et ex-

terne ne sont plus symétriques ; tandis que le bord externe du pouce est plus

uniforme et moins concave, le bord interne présente une excavation assez ma-

nifeste. On peut dire d'une manière générale que les pouces sont dirigés vers

l'axe de la main.

La conformation delà main offre aussi quelques particularités importantes.

Le bord cubital de la main est privé de sa musculature ; la ligne que dessine

ce bord,au lieu d'être convexe comme l'état normal,est rectiligne oUll1ême lé-

gèrement concave. Le premier espace interosseux est aplati et par suite de

l'atrophie des parties molles qui remplissent cet espace, il en résulte une dimi-

nution du diamètre transverse de la main. Ainsi elle mesure du bord cubital

au 1e1' espace interdigital 10 centimètres pour la face dorsale des deux côtés.

Pour la face palmaire on a 9 centimètres à gauche et 8 centimètres à droite. Les

téguments de la face dorsale sont tuméfiés d'une façon modérée, tuméfaction qui

fait disparaître les dépressions occupées par les espaces interosseux. Elle fait

presque défaut au niveau des deux derniers métacarpiens. La saillie des tendons

des extenseurs est presque invisible. La couleur de la peau est changée ; très

souvent elle est rouge avec une nnance de violet. Quand il fait froid on voit sur

cette face de petites taches de couleur variable qui donnent à la main un aspect

88 G. MARINESCO

marbré. En examinant de plus près ou y voit un léger réseau veineux. La

pression du doigt sur la face dorsale de la main ne laisse pas de godet.

' La tuméfaction des téguments se prolonge un peu vers les doigts et leur

donne une apparence très caractéristique, ainsi les index par suite de cette tu-

méfaction ressemblent ;i des fuseaux, renflés à leur base. Si on n'examinait

pas avec attention, on pourrait penser que cette tuméfaction est due unique-

ment à des lésions osseuses de l'articulation métacarpo-phalangienne. Mais si

on pince la peau la racine des doigts, on s'aperçoit que cette tuméfaction

dépend également des téguments et de l'articulation métacarpo-phalangienne.

Par suite même de cette tuméfaction l'insertion des doigts ne se fait pas comme

l'état normal. Le contour de la ligne d'insertion n'est pas souple. Les doigts

pris dans leur ensemble sont boudinés, manquent de détails.

La tuméfaction de la main empêche de voir l'aspect des muscles interosseux,

mais l'examen électrique et l'état fonctionnel de ces muscles nous montrent

qu'ils sont complètement atrophiés.

L'écartement et le rapprochement des doigts de la main gauche sont impossi-

bles, mais ils sont fixés dans leur situation habituelle par des rétractions

tendineuses. On peut les rapprocher et les écarter facilement. Les mouvements

d'extension ou de flexion des doigts sont très limités, mais il y a à ce point de

vue quelques différences à faire. Les mouvements du pouce ont tous disparu,

excepté une légère extension. Les mouvements de flexion des doigts ne sont

guère possibles que pour l'index et le doigt du milieu du côté droit. A gauche,

tout mouvement de flexion des doigts a disparu.

L'extension et la flexion du poignet sont limitées, mais l'extension est mieux

conservée que la flexion. Atrophie manifeste des muscles de l'avant-bras. Les

muscles de la face postérieure sont mieux conservés. Atrophie assez marquée

du biceps et du triceps : mais ce dernier fonctionne encore très bien il gau-

che. Légère atrophie du deltoïde.

L'état du grand pectoral est un peu plus difficile à apprécier par suite de

l'adipose de la paroi antérieure thoracique, surtout au niveau du mamelon, ce

qui donne l'apparence d'une atrophie marquée de ces muscles. Cependant par

l'examen des mouvements dus à ce muscle et l'excitation électrique on se

rend compte que cette atrophie musculaire n'est pas très considérable. A la

partie supérieure de la face antérieure du thorax, il existe sur la ligne médiane

une excavation qui se relève sur le côté et à laquelle MM. Marie et Astier ont

donné le nom de thorax en bateau.

Sur le bord cubital, il existe un peu au-dessus du point de jonction de la

moitié supérieure avec la moitié inférieure, une tumeur dure, incompressible,

immobile, fixe sur l'os sous-jacent.

C'est cette tumeur qui a été diagnostiquée par un certain nombre de chirur-

giens comme étant de nature syphilitique, diagnostic qui n'a pas été accepté

par Ricord. En examinant, à l'aide des rayons de Roentgen, grâce il l'obligeant

concours de M. Londe, on s'aperçoit que le cubitus présente il ce niveau un

aspect tout spécial (PI. XII). Tout d'abord, on voit sur la continuité de l'os, au

niveau de la tumeur, un changement de densité de la substance osseuse qui

DE LA MAIN SUCCULENTE 89

donne l'impression d'une ancienne fracture consolidée. L'os est comme étiré ;i

ce niveau et les deux bouts sont séparés par la substance osseuse de nouvelle

formation ; ils ne sont pas tout à fait sur le même axe. Sur le bord interne du

cubitus, il existe au-dessus et au-dessous de la région indiquée une néoforma-

lion osseuse à contour très régulier ayant la forme d'un grand segment d'élip-

soide (1).

Sur le bord interne du cubitus, il existe une autre formation osseuse, de

forme pyramidale, dont le sommet dirigé transversalement occupe un point de

l'espace interosseux plus rapproché du radius que du cubitus.

Sa4fJ3se est implantée sur le bord interne du cubitus. .

Cette liyperoslose osseuse, a laquelle on peut assigner la forme d'un fuseau

irrégulier, n'est autre chose, a mon avis, ainsi que le montre d'une façon nette

la radiographie, qu'un cal suite d'une fracture spontanée qui a passé inaperçue.

Ce qui vient à l'appui de ma manière de voir, ce n'est pas seulement la pho-

tographie au moyen des rayons de Roentgen, mais aussi le fait que cette frac-

ture a été accompagnée, ainsi qu'il résulte de. l'aveu du malade, d'un oedème

assez étendu du bras et qui a duré environ trois semaines.

Je rappellerai à ce propos que les fractures spontanées ne constituent pas

une rareté au cours de la syringomyélie. Elles ont déjà été notées par plusieurs

observateurs,notamment par Schultz, l3ernliardt,etc. L'observation de 13eruhardt

présente beaucoup de ressemblance avec la nôtre. Dans son cas, qui a trait à

un malade âgé de 20 ans, l'extrémité supérieure du cubitus droit est légère-

ment hypertrophiée, et dans les mouvements on perçoit de la crépitation et

quelques craquements : cette hyperostose est due à un cal, suite d'une fracture,

qui fut absolument indolore et qui survint la suite d'un effort que fit le ma-

lade ; elle guérit d'ailleurs en quelques semaines, après application d'un appa-

reil plâtré.

On pourrait m'objecter cependant que le malade ne s'est pas du tout rendu

compte de l'existence de la fracture; c'est précisément ce qui arrive habituel-

lement dans les fractures spontanées de la syringomyélie. Ce fait a été déjà

noté dans une observation de Schultze. La même remarque a été faite par Roth

propos d'une fracture de la clavicule qui avait déterminé un gonflement con-

sidérable de l'épaule et l'attention du malade a été attirée par ce dernier symp-

tôme et non par la fracture qui n'avait pas même été remarquée.

Gav... présente la dissociation syringomyélique la plus nette, elle occupe les

membres supérieurs dans leur totalité, le cou, la moitié droite de la face, le

thorax en avant et en arrière, jusqu'au niveau de la Se dorsale. La topographie

de la thermoauesthésie est indiquée sur le schéma suivant (Fig. 1 et 2).

Pas de troubles sensoriels d'aucune sorte. La vue, l'ouïe et le goût sont nor-

maux ; les pupilles réagissent bien à la lumière et l'accommodation. Les réflexes

des membres inférieurs sont exagérés ; les réflexes tendineux aux membres

supérieurs diminués. Le malade marche facilement, mais à petits pas ; il n'y a

pas de signe de Romberg. Du côté des grands appareils on ne constate pas de

(1) A mon grand regret, ce cliché devant être réduit à cause du format de la Nouvelle

Iconographie de la Salpêtrière, les détails de la fracture ne sont pas aussi visibles que

sur les épreuves faites sur le papier à l'albumine.

x 7

90 G. MARINESCO

désordres morbides ; il n'existe pas notamment de bruits anormaux du coeur,

ni d'albumine.

L'examen des muscles fait par le Dr Huet, avec le courant faradique (grand

chariot de Tripier, bobine fil moyen, interruptions fréquentes. Méthode de Du-

chenne), en vue de la topographie de l'atrophie musculaire, a donné le résultat

suivant :

Membre supérieur droit.

Courant faradique.

DE LA MAIN SUCCULENTE 91

évidente sous l'influence de cette ex-

citation sont les suivants : extenseur

commun cubital-postérieur-long et

court extenseur du pouce, elle existe

mais plus faible pour les autres mus-

cles.

p2 ? ? -G. MAHINBSCO

8 à 10 jours. Après, cet accident, il ne pouvait plus travailler, les bras et les

mains ayant perdu leur souplesse. Mais la faiblesse et l'atrophie des memhres

supérieurs seraient survenues progressivement. L'atrophie, et le malade est très

affirmntif ce point de vue, n'a pas commencé par un segment du memhre su-

périeur, mais dès le début, elle avait gagné toutes les parties du membre su-

périeur. Presque en même temps, avec la faiblesse et l'atrophie, la main gau-

che a commencé a se tuméfier, sans cause apparente. Mais la tuméfaction était

plus prononcée pendant l'hiver. De temps en temps, quand il se trouvait près

d'un poêle, il voyait se développer sur ses doigts des cloques à la suite de

brûlures sans éprouver de douleur. La main droite a commencé à se fermer ;

elle est devenue raide depuis une quinzaine d'années. Il y a plus de 8 ans que

sa colonne vertébrale a commencé il se dévier. La marche qui était devenue

.difficile est complètement abolie depuis iou 5 ans.

Etat actuels Ce qui frappe tout d'abord en regardant le membre supérieur,

c'est 1,'aspect dissemblable des mains ; leur attitude et leurs gestes sont tout dif-

férents (Pl. Xi, fig. B). En effet, la main gauche est étendue sur le poignet et les

doigts sont aussi en extension. En outre, elle est rejeté.e vers le bord cubital en

sorte que les axes de l'avant-bras et de la main ne forment plus une ligne droite,

mais un angle obtus et celui de la main repose sur une surface plane, le petit

doigt se relève de 1 à 2 centimètres au-dessus du plan dorsal ; il en est de

même de l'annulaire quoique à un degré moindre. La conformation extérieure

de la main est tout à fait caractéristique : le bord cubital est concave, concavité

qui se voit aussi à l'origine du premier espace interosseux à cause de la dispa-

rition des parties molles.- La main, réduite'ainsi'a sa forme squelettique, est

comme resserrée à sa racine. Il existe en outre un relâchement des ligaments

des articulations mélaearpo-phalaugiennes et particulièrement des ligaments

latéraux de l'index, ce qui permet d'imprimer au doigt des mouvements anor-

maux. Atrophie considérable des émiuences thénar et hypothénar.

Ce qui donne un cachet tout il fait original il cette main ne résulte pas seu-

lement de l'attitude imprimée à la main par l'atrophie musculaire et l'action

tonique de certains muscles, mais de l'état des téguments de la face dorsale de la

main gauche et des doigts. La couleur de la peau a la face dorsale est celle

d'une main gelée. Elle est tuméfiée, lisse et luisante et on y voit comme par

transparence un réseau veineux peu apparent ; la tuméfaction s'arrête au niveau

du pli du poignet. Il n'y a pas d'empreinte manifeste par la pression de la peau

et cette pression ne laisse qu'une pâleur passagère ; la coloration reparait rapi-

dement. Cette tuméfaction de la peau cache presque complètement le relief des

tendons dé l'extenseur commun. La peau est fine, mollasse. La température de la

main très basse.. -

Les doigts du malade sont fusiformes, mais très allongés. La peau qui les

recouvre'est tendue, unie et lissé dans toute leur étendue. Comme chez les

autres malades, le légnmeut des doigts offre l'aspect lisse (Glossy Skin) de sorte

que les sillons- CL les plis articulaires sont effacés. Les ongles,' allongés, sont

nettement striés longitudinalemenl. , .'

L'aspect, la forme et l'altitude de la main droite sont tout dil1'Úrùuts. Sans

doute, il existe encore ici un certain degré de cyanose et de tuméfaction, celle-ci

MAIN SUCCULENTE

FRACTURE SPONTANÉE SIMULANT UNE HYPÉROSTOSE

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

T, X, PL, XIV.

MAINS SUCCULENTES

. Fig A. - SU.11,T DJ la l'REV11Î'R1 : OBJERVAI'10\.

Les mains représentent les caractères décrits D1t11l-

nution du diamètre transversal de l.l main. Lice dorsale

tuméfiée, effacement des détails qu'on y voit ù l'état

normal. Doigts boudinés fOlm.l1lt des fuseaux courts.

Les mains sont en extension sur le poignet, surtout la

droite qui rappelle le geste du prédicateur.

FIg. 13. - SUJET nr la ·rnolsli.nr observation.

Mains dissemblables; la main droite présente les pre-

niières phalanges en extension, les deux dernières en

lle\ion, grille des inteiosseux; main gauche succulente

présente une diminution considérable du diamètre trans-

%ers.il, son bord cubital est evcavé,la ligne de la racine

de l'index est rentrante, les doigts comme la main sont dé-

jetés vers le bord cubital ; ils forment des fuseaux allongés.

Masson et Cie, Editeurs.

DE LA MAIN SUCCULENTE 93

moins prononcée du reste à la face dorsale de la main, mais le relief des ten-

dons s'accuse fortement. Les espaces interosseux sont profonds. La forme de

la main se rapproche beaucoup plus de celle de la main normale. Le contour

du premier espace interosseux est moins rentrant la main gauche. Le bord

cubital est moins concave. Au poiut de vue de son attitude, elle diffère encore

de la main gauche. Si elle est déjetée vers le bord cubital et en extension, ce-

pendant la deuxième phalange est fléchie sur la première et la troisième sur la

deuxième. La première phalange, surtout celle de l'index, est en extension sur

la main ; en d'autres termes, le type de la main est celui de la grille des inter-

osseux. Il n'y a que le pouce de la main droite qui se trouve en extension et

écarté de son axe médian. Vues par leur face palmaire, les mains présentent

une plus grande analogie. Il existe des deux côtés une atrophie considérable des

éminences thénar et hypothénar. Les éminences thénar sont non seulement

aplaties mais excavées.

L'atrophie musculaire est distribuée d'une manière inégale aux membres su-

périeurs, l'avant-bras gauche étant plus pris que l'avant-bras droit et le bras

droit un peu plus atrophié que le bras gauche. Voici du reste le résultat des

mensurations de ses serments :

94 G. MARINESCO

bras, mais le triceps se contracte avec force quand on essaie d'opérer cette

flexion.

Cette conservation relative des muscles extenseurs de l'avant-bras et du

bras a son importance au point de vue de la localisation des noyaux muscu-

laires dans la moelle. Je reviendrai sur ce sujet dans la seconde partie de ce

travail.

Le deltoïde droit est plus atrophié que le gauche, par contre le pectoral gau-

che ne l'est pas davantage que le droit. Les sus et sous-épineux sont atrophiés

des deux côtés.

Les mouvements d'élévation du bras dépassent l'horizontale, mais le malade

ne peut porter la main sur sa tête, l'écartement du tronc se fait avec facilité,

la musculature de la face est normale.

Jacq présente de la scoliose dont la convexité est tournée il gauche,

les réflexes-rotuliens sont' très exagérés. Il ne présente pas de troubles de

miction ni d'albumine dans l'urine, ni de bruits anormaux au coeur.

La sensibilité tactile est conservée sur toute l'étendue du corps. La sensibi-

lité douloureuse est abolie dans les régions suivantes : membres supérieurs,

face antérieure du tronc et de l'abdomen, face antérieure de la cuisse gauche.

Dans ces régions il existe également de la </Mnno/M/jooM</tMt6, il lui arrive

quelquefois qu'il ne peut pas distinguer le chaud du froid.

Observation III.

Gass..., employé au chemin de fer, âgé de 60 ans.

Antécédents héréditaires sans intérêt ; rien également à noter dans les anté-

cédents personnels ; pas de syphilis, ni d'alcoolisme. La maladie actuelle a dé-

buté il y a 23 ans par la main droite. Ce qui a 'attiré son attention en première

ligne, c'est une parésie dans les mouvements du pouce, parésie qui ne lui per-

mettait pas de tenir un crayon pour écrire : aussi était-il obligé de se servir de

ses deux mains, lorsqu'il voulait tracer des caractères. La main gauche n'a été

prise que deux ou trois ans après. En 1878, il ne pouvait plus se servir de ses

bras pour s'habiller, se boutonner, etc. Presqu'à la même époque, il a constaté

des troubles caractéristiques de sensibilité. Il s'était brûlé à plusieurs reprises

et même des vésicules s'étaient formées sans qu'il éprouvât la moindre douleur.

En 1889, il a remarqué des troubles de la marche plus ou moins intermittents.

Il lui est arrivé parfois de ne plus pouvoir marcher ; ses jambes se ployaient.

Pendant l'hiver ses mains se tuméfiaient, mais il ne saurait préciser à quelle

gpoque ce phénomène a commencé.

Le malade, entré en 1876 à Bicêtre, se trouve actuellement dans le service

de M. Marie.

Etat actuel. -L'attitude des membres supérieurs du malade est très caracté-

ristique. Les membres sont pendants le long du trouc et présentent une atrophie

considérable. Ainsi l'épaule on peut voir à cause de l'atrophie très marquée de

toutes les portions du deltoide surtout il gauche, le contour de l'articulation

scapulo-humérale. L'épaule droite est abaissée. Atrophie en masse du grand

pectoral (portion claviculaire), du biceps, du coraco-brachial et du triceps.

DE LA MAIN SUCCULENTE 95

Les sus et sous-épineux sont atrophiés, peut-être à un degré plus marqué à gau-

che. La musculature de la face antérieure.du bras est non seulement très atro-

phiée, mais elle est également complètement paralysée. Aussi tout mouvement

de flexion du bras est impossible ; par contre le triceps atrophié oppose une

grande résistance à la flexion du bras.

A l'avant-bras, l'atrophie occupe les muscles des faces antérieure et posté-

rieure, mais ces derniers le sont a un degré moindre. Les mains sont en exten-

sion sur le poignet. La main droite est en outre en pronation forcée.

Le petit doigt, surtout à gauche, est écarté de l'axe de la main ; les trois doigts

du milieu. sont rapprochés. Les pouces des deux côtés sont tournés vers l'axe

de main. L'état des mouvements des membres supérieurs est le suivant : le

malade ne peut porter un objet à sa bouche. Pour manger, il a recours il l'arti-

fice suivant : il prend la cuiller entre le 3e et le 4e doigt et porte ses lèvres à la

rencontre de celle-ci. Il ne peut soulever ses-»bras : leur flexion est impossible.

Quand on veut lui écarter les bras du tronc, il n'oppose qu'une faible résistance.

Fig. 3.- Main « succulente potelée » chez le nommé Gass..... (d'après une photographie).

9û G. MARINESCO

Tous les mouvements de l'épaule sont abolis; on peut imprimer à celle-ci des.

mouvements passifs dans toutes les directions ; on ne trouve nulle part d'anky-

lose. Grâce à cette laxité spéciale des articulations de l'épaule et du bras, on

retrouve ici le type du bras de polichinelle. Les mouvements qui persistent à

l'avant-bras consistent en un certain degré d'extension du poignet et des doigts,

due surtout au cubital postérieur et aux radiaux qui fonctionnent bien qu'ils pré-

sentent un certain degré d'atrophie. C'est par la persistance de l'action volon-

taire de ce muscle et de l'extenseur du petit doigt que s'explique l'attitude très

caractéristique de la main du malade, ce qui la rapproche du type de la main

de prédicateur. Chez lui, comme chez Jacq... ? toute tentative de mouvement

dans le membre supérieur s'accompagne de l'exagération de cette attitude per-

manente des extrémités. La main se déjette encore plus vers le bord cubital.

La face dorsale de la main présente à un haut degré, les particularités que

j'ai décrites chez les autres malades. Les détails qui existent à l'état normal

sur cette face ont disparu. Les grosses veines dorsales, et les divisions tendi-

neuses ne se dessinent plus. La tuméfaction qui occupe cette face dorsale lui

donne un aspect uniforme (fig. 3) ; elle comble les excavations et les vides qui

existent normalement. Elle élève le niveau du pli postérieur du poignet et efface

la saillie si manifeste de la tête du cubitus. Quand la main est en extension, il

existe au niveau de la tête des trois métacarpiens du milieu des fossettes très

manifestes qui par leur présence sur cette surface pleine de la face dorsale

donnent à la main l'aspect potelé, ce qui est plus nettement accusé à gauche

qu'à droite.

Les doigts sont en forme de fuseau, ce qui résulte du gonflement des tégu-

ments au niveau de l'extrémité de la première phalange, gonflement qui simule

jusclu'à uu certain point de vue une tuméfaction de l'articulation phalango-

phalanginienne. Il s'agit bien, cependant, d'une tuméfaction des téguments,

parce que si on pince ce' tégument on s'aperçoit que l'articulation est normale.

Par contre au niveau de l'articulation de la 2° avec la 3e phalange, il existe un

léger étranglement et la phalangette est en extension sur la phalangine à cause

de la distension des ligaments (PI. XIV. B).

Les pouces sont raides, en extension et adduction. Ils ne peuvent exécuter

le moindre mouvement. La peau est lisse et luisante, et comme collée à l'os au

niveau de la dernière phalange. Les plis articulaires sont effacés. Comme chez

les autres malades, le bord cubital' de la main et le premier espace interosseux

sont décharnés. Le diamètre compris entre le 1 ? espace interosseux et le bord

cubital est de 10 centimètres à la face dorsale ; de 9 centimètres à la face pal-

maire. Ces mensurations s'appliquent aux mains des deux côtés

Les troubles delà sensibilité, chez Gass., sont ceux qu'on constate dans des

cas semblables ; le malade présente la dissociation syringomyélique aux mem-

bres supérieurs, à la face antérieure et postérieure du cou et du tronc, la li-

mite inférieure de la thermo-anesthésie se trouvant au-dessous du mamelon.

Il existe cependant une particularité intéressante comme topographie de la

thermo-anesthésie ; en effet au niveau de la face interne du bras, il n'y a pas

de troubles de sensibilité, la topographie de cette bande normale de sensibilité

est, ainsi qu'on le voit d'après le schéma suivant, celle de la deuxième dorsale

DE LA MAIN SUCCULENTE

97

(fig. 4, 5) ; toutefois, en la comparant aux schémas de Thorhurn, on s'aperçoit

qu'elle occupe une surface plus étendue. Gass... se plaint continuellement de

sensations de froid aux mains.

Les réflexes tendineux des membres supérieurs sont abolis, les réflexes patel-

laires exagérés. Le malade marche sans difficulté, pas de signe de Romberg.

Il n'y a pas de troubles sensoriels. L'acuité visuelle est intacte et le champ

visuel normal. Le goût ne présente pas de modifications. La percussion et

cultation du coeur ne font pas voir de modifications dans la matité précordiale,

Observation 1`l.

Corr..., âgée de 25 ans, domestique, est entrée au mois d'octobre à la Salpê-

trière, service du professeur Raymond. Dans les antécédents héréditaires et

personnels, ou ne trouve aucun accident morbide qui puisse avoir de l'intérêt

pour son état actuel. La maladie actuelle a débuté il y a environ trois ans par

des sensations de froid et par de l'affaiblissement dans la main gauche ; la force

musculaire de cette main diminua progressivement, ce qui fait que la malade

laissait tomber involontairement les objets qu'elle saisissait. Peu à peu les mus-

cles de la main ont diminué de volume. Quelque temps après, la main droite a

Fig. 4 et 5. - Topographie de la thermoanalgésie chez le malade de l'observation III.

ou dans les bruits du coeur. Il n'existe pas de troubles qui feraient penser a

une affection anale ; pas d'albumine dans l'urine; le sphincter vésical fonc-

tionne normalement.

98 G. MARINESCO

commencé aussi à s'atrophier principalement au niveau de l'éminence hypo-

thénar, En sa qualité de domestique la malade a fait une remarque digne d'in-

térêt : à plusieurs reprises, en saisissant, par mégarde, des casseroles très

chaudes elle s'est brûlée sans ressentir aucune douleur. Plus tard, un gonfle-

ment a envahi la main gauche et s'est même propagé il la partie inférieure de

l'avant-bras ; la même tuméfaction n'a pas tardé à s'étendre il la main droite.

Ce gonflement n'a provoqué aucune douleur. Les mains sont d'autre part très

sensibles au froid et pendant l'hiver la malade dit avoir souffert d'engelures.

Etat actuel. - Malade, en apparence, bien portante. La musculature et la

force dans l'épaule et dans l'avant-bras sont parfaitement conservées. Il n'existe

pas la moindre modification dans le relief et le contour du membre dans les

mêmes régions. Les avant-bras sont bien conformés et ne présentent pas d'a-

trophie musculaire très marquée si ce n'est une légère réduction de volume à

la partie inférieure de l'avant-bras et qui est due à ce quoje cubital antérieur

est atrophié. Mais le segment terminal du membre supérieur présente une

atrophie très marquée, surtout à la face palmaire de la main gauche. Les trois

derniers doigts de la main gauche sont légèrement rétractés ; il s'ensuit une

flexion permanente des deux dernières phalanges de ces doigts. La rétraction

est presque symétrique parce qu'elle existe, et encore plus marquée, à la main

droite. L'atrophie à la face palmaire de la main gauche intéresse l'éminence

thénar et particulièrement l'adducteur, le court fléchisseur et le court abduc-

teur du pouce. L'opposant est aussi atrophié, mais à un degré moindre. Cette

atrophie qui efface complètement le relief de l'éminence thénar produit une

excavation qui est très accentuée, vers la partie médiane de l'éminence thénar.

Par suite de cette atrophie, les mouvements de flexion du pouce, d'abduction

et d'opposition sont limités. Ainsi la malade ne peut pas faire le mouvement

d'opposition du pouce avec le petit doigt. Elle parvient cependant à accomplir

ce mouvement avec le médius, un peu moins nettement avec l'annulaire. L'ex-

tension des doigts et de la main s'accomplit d'une façon normale, mais la rétrac-

tion légère s'oppose à une extension complète.

Les muscles de l'éminence hypothénar sont aussi atrophiés, surtout l'ab-

ducteur ; cette atrophie des deux saillies musculaires donne à la main l'aspect

simien. Il existe en outre une atrophie des interosseux de la main gauche, cons-

tatable surtout par le défaut des mouvements d'abduction et d'adduction des

doigts. La face dorsale de la main gauche sera décrite en même temps que celle

de la main droite. Les muscles de l'éminence thénar de ce côté sont en appa-

rence intacts, car ni leur relief, ni leurs fonctions ne sont modifiés. Par contre,

les muscles de l'éminence hypothénar et surtout les interosseux sont touchés.

En effet, les muscles, dans cette région, sont aplatis. Les trois derniers doigts

sont légèrement rétractés en flexion et leurs mouvements d'adduction et d'ab-

duction sont très limités. La face dorsale des deux mains offre une conforma-

tion toute particulière qui, associée il l'atrophie musculaire de la face palmaire,

contribue il donner il cette extrémité un aspect si caractéristique qu'en voyant

cette main on pense immédiatement la syringomyélie. Tout d'abord, la con-

formation est modifiée ; l'atrophie des muscles du petit doigt et de l'adducteur

du pouce fait que le bord cubital de la main et le bord externe de la masse

DE LA MAIN SUCCULENTE 99

charnue intermédiaire au pouce et il l'index sont rapprochés de l'axe de la

main ; il s'ensuit une diminution du diamètre transverse il ce niveau.

La face dorsale de la main (PI. XI), surtout dans la moitié inférieure, est tu-

méfiée. On ne voit plus, quand la main est en extension, le relief des tendons de

l'extenseur commun et la saillie des veines superficielles. Les dépressions limi-

tées par ces derniers tendons sont effacées. Ce qu'il faut encore noter, c'est que

la main offre un aspect potelé; mais les fossettes, au lieu de siéger clans les dé-

pressions intertendineuses, répondent au trajet même des tendons au niveau

des articulations métacarpo-phalangiennes. La fossette correspondant au 2e mé-

tacarpien n'existe pas. Quand, la malade ferme le poing, les dépressions situées

normalement entre les articulations métacarpo-phalangiennes du côté dorsal

ont complètement disparu. La couleur de la main, prise dans sa totalité, est

plutôt rouge violacé, mais elle présente, en outre, une foule de détails que

l'on constate en examinant la main de près. Ces détails varient avec le moment

où l'on examine la malade. Par un temps froid, la main est rouge violacé avec

une nuance de cyanose, surtout au niveau de la région de l'articulation du pre-

mier métacarpien avec la première phalange de l'index. En examinant de plus

près, onvoit un réseau veineux assez fort, à larges mailles contenant des taches

rosées ou même rouge saturne. A la partie inférieure de la face dorsale de l'a-

vant-hras,il existe aussi de petites taches rosées disséminées sans ordre.(PI.XI.)

Par moment la dilatation des veines superficielles est très considérable ; et

elle donne naissance à des grandes taches d'un bleu grisâtre, constituant ainsi

de véritables crises locales de cyanose.

Mais cet aspect est transitoire ; il se modifie très vite surtout si la tempéra-

ture ambiante tend s'élever. Une particularité sur laquelle je tiens à insister,

c'est que ces troubles vaso-moteurs et surtout les petites taches rouges et les

plaques de cyanose disparaissent et reviennent régulièrement. Un léger frot-

tement de la main fait disparaître l'hyperhémie locale et capillaire dont nous

venons de parler ; elle revient cependant après un intervalle plus ou moins

long. Parfois on assiste à do véritables crises de cyanose de la face dorsale.

J'ai parlé plus haut de la tuméfaction de la main, j'ajouterai qu'il ne s'agit

pas d'un oedème banal parce que la pression de la peau détermine une pâleur

transitoire sans godet. En palpant la peau de la face dorsale on a la sensation

d'une surface mollasse et unie. Toutefois chez cette malade contrairement ce

qui s'observe dans les autres cas, la peau de la face dorsale est un peu calleuse

tout en restant très luisante. Au niveau de l'articulation de la dernière pha-

lange, elle est tendue, lisse et luisante, comme collée sur les os.

Il n'y a pas de troubles sensoriels. Les pupilles réagissent bien à la lumière

et à l'accommodation ; elles sont inégales. L'acuité visuelle est intacte et le

champ visuel normal ; pas de scoliose.

La percussion et l'auscultation du coeur ne font pas voir de modifications dans

la matité précordiale, ou dans les bruits du coeur.

Il n'existe pas de troubles qui feraient penser une affection rénale; pas

d'albumine dans l'urine.

L'examen électrique des muscles des membres supérieurs, pratiqué par

M. Muet avec le courant faradique, a donné les résultats suivants :

'100 '6. MAIIINESCO

Côté gauche.

Eminence thénar.

Court abducteur du pouce .. 65

Fléchisseur et opposant ... 85

Abducteur du pouce à 40, contraction

faible; contraction dans le linter-

dorsal et le court fléchisseur et l'op-

posant du pouce.

Adducteur du petit doigt -Il zéro, pas de

contraction ; mais contraction dans

le I interosseux dorsal, court fléchis-

seur et opposant du pouce.

DE LA MAIN SUCCULENT" 101

d'abord, chez eux, c'est la configuration et l'aspect de la main qui sont. modi-

fiés. Le changement qui porte sur lecontour de la ligne cubitale de la main

et sur celui du bord interne de la racine de l'index. A l'état normal les

lignes qui partenl de la 2e et de la 5c articulations métacarpo-phalangiennes

se dirigent obliquement en haut en s'écartant de l'axe de la main. Chez nos

malades au contraire la ligne cubitale, au lieu d'être convexe est excavée

el se rapproche de l'axe médian parsuile de l'atrophie des muscles de

l'éminence hypothénar et surtout de l'abducteur du petit doigt. La môme

particularité existe pour le contour du bord externe de l'index dont la

ligne de profil est rentrante. C'est une particularité qui existe depuis le

commencement de la maladie, comme cela se voit chez Corr... doit[ la

maladie a débuté il y a ` ? ans. ,

La face dorsale de la main est très caractéristique et constitue a elle-

même un élément principal de diagnostic. Tous les détails qu'on constate

à l'étal normal sur celte face sont effacés ou ont disparu, et remplacés par

d'autres symptômes d'ordre pathologique. On peut dire d'une façon géné-

rale que cette face est tuméfiée. Mais il ne s'agit pas ia d'un véritable

oedème bien que certains auteurs qui s'en sont occupés l'appellent oedème

dur, car la pression digitale ne laisse pas de godet, comme cela arme clans

les oedèmes. La tuméfaction peut occuper une partie seulement de la face

dorsale de la main, la moitié inférieure de la face dorsale du poignet,

comme c'est le cas pour Corr.... ou bien s'étendre sur toute la face dorsale

delà main, ce qui arrive pour Gass.... Cette tuméfaction présente une

gamme variable. Elle peut aller de la tuméfaction légère de la main jus-

qu'à l'empalement qui donne à la main un aspect lourd (main de Gass...).

Celle tuméfaction fait disparaître les détails de structure de la face dorsale

de la main. Les cordes tendineuses des extenseurs ne font plus de relief

comme l'état normal : elles sont plus ou moins Les moines dor-

sales sont comme voilées. Cette rondeur de la face dorsale do la main lui

donne un aspect potelé et certainement la main de Corr...et Gass... laisse

celle impression. Je liens cependant il dire que la main de Corr... est

un t) pe plutôt fruste, effacé de majn succulente. En effet, la tuméfac-

tion est surtout marquée au niveau de la partie inférieure de la face dor-

sale de la main, mais chez elle, on remarque très bien celle tuméfaction

au niveau de la tète des métacarpiens. Les figures de la planche 111 ]tous

montrent celle particularité de la façon la plus évidente. La moitié su-

périeure de la face dorsale de la main est aplatie à cause de l'atrophie très

marquée des interosseux, mais il existe toutefois un processus d'byper-

plasie du tissu sous-cutané, car cette face très atrophiée ne laisse pas voir

les espaces interosseux comme cela sevoil dans un cas d'atrophie vulgaire.

Mais celle main potelée esl faible, car le vide des muscles traduit par l'a-

102 G. MARINESCO

trophie des éminences hypothénar et de l'adducteur du pouce lui donne

le cachet d'une main sans force. Si on dit au malade de fermer la main,

quand ce mouvement est possible, possibilité qui n'existait que chez

Corr..., on s'aperçoit que les vallées qui existent entre les têtes de méta-

carpiens sont remplies et la peau forme des espèces de ponts.

La couleur de la peau de la face dorsale contribue aussi à lui donner ce

cachet spécial, mais il faut le reconnaître, cette couleur dépend beaucoup

de la température du milieu ambiant. Pendant l'hiver la couleur de la

main lui donne l'aspect d'une main gelée. Il suffit que ces malades sortent

dehors pour que leur main prenne un aspect rouge violet dû à des mar-

brures de différentes couleurs. Chez Corr...,il se produit de véritables cri-

ses de cyanose consistant en ce que le réseau veineux de la face dorsale se

dilate excessivement et donne naissance à des plaques gris violet. Aussitôt

que la main s'est un peu réchauffée, la couleur violacée disparaît et les

mains sont plutôt rouges. Les doigts ne sont pas moins caractéristiques.

Leur forme est modifiée; ils sont fusiformes chez tous ces malades mais

avec des nuances. Aussi chez Gass... et Gav...ce sont des fuseaux courts ;

les doigts sont plus ou moins boudinés à leur base, tandis que chez Jacq...

ils sont en fuseau allongé. La longueur des doigts chez ce dernier,

unie à la gracilité de la main lui donne une vague ressemblance avec la

main que certains maîtres italiens ont représentée dans leur peinture.L'at-

tache des doigts manque de souplesse au lieu que leur ligne d'insertion se

continue légèrement sur la partie dorsale ; elle s'arrondit brusquement il

cause de la boursouflure de la peau interdigitale. La tuméfaction delà main

peut s'arrêter aux doigts ou bien se continuer sur les téguments de la 1 ?

phalange (Gav...).Mais chez tous ces malades le tégument (1) qui recouvre

la dernière phalange est brisé, luisant et comme collé aux os (Glossy Skin).

La striation longitudinale des ongles est exagérée. L'état de la face palmaire

achève le tableau que nous venons de tracer. Toujours les muscles de l'émi-

nence hypothénar et presque toujours ceux de l'éminence thénar sont atro-

phiés. La main révèle l'aspect simien. Cette atrophie musculaire peut aller

jusqu'à l'aplatissement des éminences et même jusqu'à leur excavation.

Chez trois de nos malades la main àiïecte l'attitude de la main de prédi-

cateur.

Le squelette ne présente pas de modifications apparentes. Dans un cas

que j'ai pu étudier il l'aide des rayons de Roentgen, je n'ai pas constaté de

lésions bien nettes des os; toutefois il y avait une légère hypertrophie de

la tète des 2e et 3e métacarpiens ; mais une particulari té qu'on constate de la

manière la plus évidente,c'est la distension elle relâchement des ligaments

des articulations métacarpo-phalangiennes et de l'articulation du poignet

qui nous expliquent la déviation assez considérable de la main etdes doigts

(1) M. Oppenheim a bien noté la sclérodactylie dans un cas de syringomyélie.

DE LA MAIN SUCCULENTE 103

qui sont entraînés vers le bord cubital. Nous avons vu du reste que dans

l'observation de trois de nos malades, on peut constater facilement ce re-

lâchement de ligament, grâce auquel on peut imprimer des mouvements

anormaux à leurs doigts ; c'est également ce relâchement des ligaments

associé à la tonicité de certains muscles qui imprime à la main l'attitude

dont nous avons parlé. Enfin pour finir avec ce qui a trait la description

de la main de nos 4 malades j'ajouterai que c'est une main froide et tou-

jours sèche. Il n'y a pas de troubles des glandes sudoripares.

Il s'agit en somme d'une main tuméfiée, froide et faible avec des doigts

fuselés ne présentant pas de crises de douleurs. Quelle étiquette- lui appli-

quer ? Il est bien difficile de trouver un terme capable d'exprimer à lui seul

toutes les particularités de la main en question. M. Marie m'a suggéré fadé-

nomination de main succulente (1) qui certainement traduit le trait le plus

saillant : la tuméfaction.

J'ai négligé à dessein, de dire que l'on constate souvent, dans la main

succulente, la dissociation syringomyélique, car en effet, la présence de

ce seul symptôme, permet dans un grand nombre de cas, de poser le dia-

gnostic de syringomyélie.

Dans l'histoire des malades qui a été rapportée par Remak, Roth, Hoff-

mann, Collemannel Joseph 0'CarroI,iVIassius,etc., on emploie pour désigner

les troubles trophiques cutanés dont nous avons parlé, le terme d'oedème

dur. Je me suis demandé si cette dénomination au point de vue. du tra-

vail pathologique qui se produit dans la main succulente correspond à la

réalité. Bien entendu qu'on ne peut faire que des suppositions à ce sujet.

Mais si par oedème, il faut entendre l'accumulation de substances liquides

dans le tissu sous-cutané et qu'on peut refouler mécaniquement par la

pression digitale, il est évident que ce terme n'est pas approprié aux lé-

sions des téguments qui caractérisent la main succulente. En effet chez

tous ces'malades, il ne se produit pas de godet par la pression digitale.

Aussi ai-je été conduit à admettre qu'il se produit dans la main deux

processus un peu différents, mais dont l'association détermine cette tumé-

faction, cet empâtement dans la main succulente. C'est d'une part un pro-

cessus plastique, siégeant principalement dans le tissu sous-cutané et grâce

auquel il se forme des éléments nouveaux de tissu conjonctif qui remplis-

sent les dépressions naturelles qui existent sur la face dorsale de la main ;

d'autre part, un processus vaso-moteur proprement dit qui apparaît et

disparaît à de certains moments et qui favorise J'hyperplasie du tissu

sous-cutané. Ce processus vaso-moteur consiste dans la dilatation des

petites artérioles des capillaires et des veines et c'est leur combinaison en

(1) Il nous semble que ce terme peint avec d'autant plus d'exactitude l'apparence de

la face dorsale de la main, que les botanistes pour désigner les fruits gorgés de sucs,

les désignent du nom de succulents.C'est exactement l'avis de mon cher ami le Dr Meige.

qpl G. MARINESCO

des proportions variables qui nous explique l'aspect toujours changeant

de la couleur des mains de nos malades.

Diagnostic La main-succulente est un mélange original de deux

symptômes différents ; c'est d'une part, une tuméfaction spéciale de la face

dorsale de la main il laquelle s'associe d'autre part une atrophie musculaire

du type Aran-Duchenne. C'est une main amyotrophique doublée de gon-

flement. 11 suffit d'avoir vu et palpé cette main pour en l'aire le diagnostic

de syringomyélie même avec grande facilité et pour ne pas la confondre

avec d'autres états en apparence similaires. Ce sont les affections nerveu-

ses trophiques atteignant les extrémités qui pourraient, dans certains cas,

donner lieu il une confusion. Et tout d'abord, comme pour tout autre

trouble nerveux, il faut se délier de l'hystérie, la grande simulatrice. Or

il est connu, depuis Sydenham, Charcot et Gilles de la Tourette, que

l'hystérie peut déterminer du côté de la main des variétés d'oedème :

oedème blanc, oedème bleu des hystériques. Mais l'attitude et surtout la

forme delà main dans l'oedème hystérique sont toutes différentes; en effet,

dans celui-ci le poignet et les doigts sont en flexion plus ou moins accen-

tuée. La main n'est pas déjetée sur le bord cubital ; la face dorsale de la

main est distendue par un oedème le plus souvent très considérable.

D'autre part, le diamètre en épaisseur de la main est considérablement

augmenté alors que le diamètre transversal reste normal et que dans la

main succulente, il subit une réduction assez marquée. En outre la con-

tracture du poignet et de la main s'associe souvent il l'oedème bleu hysté-

rique. La température locale est abaissée dans les deux cas et dans lous

les deux il peut exister, ainsi que Charcot l'a montré, la dissociation syrin-

gomyélique. Aussi ces deux derniers symptômes ne servent en aucune ma-

nière au diagnostic différentiel. Il est évident que la difficulté pourrai l être

assez grande quand le hasard mettra le clinicien en présence d'un cas

d'oedème hystérique avec atrophie musculaire. Même alors si la main suc-

culente présente l'attitude que nous lui avons décrite, celle-ci suffira à la

distinguer de la main hystérique. Dans les polynévrites ou dans les trau-

matismes des nerfs, il arrive parfois que les muscles de la main soient

atrophiés et que la face dorsale présente un oedème très prononcé. Ainsi,

j'ai eu récemment l'occasion d'ohserver un ouvrier chez lequel une luxation

avait déterminé une contusion du plexus brachial avec paralysie et atrophie

du membre supérieur et oedème très prononcé de la face dorsale de la

main. Malgré cela, rien de semblable entre celle main amyotrophique et

oedématiée et la main succulente. Les doigts et le poignet étaient légère-

ment fléchis ; l'oedème très développé à la face dorsale montrait une em-

preinte par la pression digitale, pas de changement dans la conformation

de la main. Pas de déviation vers le bord cubital. Dans un autre cas

de névrite dite ascendante, survenue à la suite d'un traumatisme de la

« DE LA MAIN SUCCULENTE 105

main, j'ai vu également la main violacée très oedématiée avec atrophie,mais

par l'attitude seule de la main et par les caractères de l'oedème, j'ai pu

exclure le diagnostic de syringomyélie. Il est inutile, je pense, de faire le

diagnostic entre le phlegmon de la main et la main succulente, car on re-

trouve dans le premier tous les signes de l'inflammation locale, tumor,

dolor, rubor, calor.

Le diagnostic avec 1'6rythromélalgie mérite quelque attention parce que

certains auteurs ont parlé de l'apparition possible de l'érythromélalgie au

cours de la syringomyélie. J'avoue que pour mon compte, je n'admets

point cette opinion et l'existence de l'érythromélalgie au cours de la sy-

ringomyélie reste à démontrer, car l'oedème syringomyélitique môme quand

il est rouge ne présente pas du tout les mêmes caractères. Dans l'érythro-

mélalgie en outre la main est moite et il existe habituellement des crises

douloureuses. La peau n'est pas souple comme dans la main succulente. Les

ongles présentent dans certains cas des bandes pigmentées et les extrémités

des premières phalanges sont tuméfiées.

Une autre affection à laquelle on pourrait penser à cause de l'aspect

luisant que présentent les doigts des malades, c'est la sclérodermie dacly-

lique. Dans cette affection, la face dorsale de la main est lisse comme la

peau des doigts ; ceux-ci sont coiffés par une petite masse cornée qui repré-

sente le dernier vestige de l'ongle atrophié et déformé. Par le palper, on

se rend compte de l'induration de la peau ; enfin dans quelques cas, si on

dirige le regard vers la figure du malade on rencontre cette expression si

spéciale connue sous le nnm de masque sclérodermique. J'ai omis avec

intention certaines affections amyotrophiques des extrémités et d'origine

centrale comme la paralysie infantile, la poliomyélite antérieure et l'hé-

matomyél ie. En effet, si on retrouve quelquefois chez ces malades des mains

atrophiées, cyrnotiques et freioes, on ne rencontre pas cependant cet état

de succulence de la face dorsale de la main et surtout cette attitude si ca-

ractéristique de la main qui appartient presque en propre à la syringomyé-

lie. Ce n'est que dans un cas d'hématomyélie qui a été puplié par noire

maître, M. le professeur Raymond que j'ai vu un oedème très prononcé

avec cyanose de la face dorsale de la main. Même dans ce cas,' la main

affecte une attitude différente. C'est là, du reste, une question que je dis-

cuterai à propos de la palhogénie de la main succulente. Les facteurs étio-

logiques qui favorisent l'apparition des troubles trophiques de la main

succulente nous sont peu connus, toutefois, il est possible que l'âge des

malades, la durée de l'affection, contribuent dans une certaine mesure à

l'apparition de ces troubles. Ainsi les 3 premiers malades présentant la

main succulente sont âgés respectivement de 72, 65 et 60 ans, leur ma-

ladie remonte à 45, 39 et 23 ans, il n'en est pas de môme du 4 sujet, âgé

de 25 ans, dont la maladie a eu son début il y a 3 ans ; comme on le voit

x s

106 G. MARINESCO .

sur 4 malades, 3 sont àgés en moyenne de 65 ans. Au point de vue

de la fréquence de ce type de main, je ne saurais produire des chiffres

précis. J'ajoute cependant que j'ai trouvé 4 cas de main succulente sur

25 malades atteints de syringomyélie examinés par moi à Bicêtre (service

de M. Marq) ou à la Salpêtrière (service de M. Raymond).

Pathogénie. - Il est difficile de se faire une idée exacte du mécanisme

de troubles trophiques cutanés et vaso-moteurs dans la syringomyélie,

toutefois on peut poser quelques principes en harmonie avec nos connais-

sances. Tout d'abord, il ne s'agit pas là d'un oedème de cause mécanique.

La cause immédiate ne réside ni dans la paralysie, ni dans l'atrophie des

muscles dont la contraction favorise la circulation. Ce n'est pas un oedème

mécanique. Ce n'est pas non plus un oedème dyscrasique dû à une alTec-'

tion rénale, car non seulement les malades que j'ai étudiés ne présentent

pas d'albumine dans l'urine, mais ils sont indemnes de tout autre signe

d'insuffisance rénale ; il s'agit donc d'un oedème d'origine nerveuse. Mais

quelle est la partie du système nerveux qui, dans l'espèce, détermine cet

oedème ?

Que les lésions de nerfs périphériques puissent déterminer de l'oedème,

c'est un fait prouvé et par l'expérience et par les faits pathologiques.

Ainsi Jankovski et Ranvier ont montré que la ligature de la veine fémo-

rale suivie de section sciatique détermine de l'aedène ; c'est sans doute,

dans ce cas que la paralysie des vaso-constricteurs joue le rôle principal

dans la production de l'oedème. On a rencontré également,et,j'en ai observé

deux cas, l'oedème de la face dorsale des mains consécutif à des traumatis-

mes des nerfs des membres supérieurs. Du reste, on a observé de l'oedème

dans des cas de polynévrite. L'oedème d'origine spinale est beaucoup plus

rare et moins bien connu. Expérimentalement, on connaît a cet égard, les

expériences de Gergens, lequel après la section de la moelle épinière,

excitait l'un de ses bouts et produisait des réactions vaso-motrices.

Les faits cliniques d'oedème des mains au décours des affections spinales

sont rares. J'ai cité les auteurs qui ont mentionné l'oedème dans la sy-

ringomyélie. La plupart d'entre eux ont négligé volontairement ou in-

volontairement la question du mécanisme par lequel la moelle détermine

cet oedème. REMAK est le seul qui s'est préoccupé de préciser quelle est la

région de la moelle qui entraîne l'oedème dans la syringomyélie.

Etant donné, dit cet auteur, que dans les affections de la substance grise

antérieure, comme dans les poliomyélites, on ne trouve pas d'oedème, il y a

lieu de penser que s'il existe dans la syringomyélie c'est à la lésion de la

substance grise postérieure qui, comme on le sait, est altérée, dans la sy-

ringoméylie, qu'il faut rattacher cet oedème. Ceci nous conduit à dire quel-

ques mots sur l'origine centrale des vaso-moteurs.

La question de l'origine des vaso-moteurs dans la moelle épinière est

DE LA MAIN SUCCULENTE 107

en Louréed'unegrande obscuri Lé. Les recherches def;physiologistes etdes histo-

logistes n'ontpas encore abouti à des résultats précis. Il est admis par plu-

part des physiologistes que les centres vaso-moteurs sont disséminés dans la

moelle et qu'en outre un centre vaso-moteur principal siège dans le bulbe.

Quant au siège exact des centres d'origine dans la moelle, on manque

presque complètement de document. En effet, on ne peut plus admettre

aujourd'hui l'opinion dePierret qui avait considéré les colonnes de Clarke

comme un centre vaso-moteur(1). Les faits anatomo-pathologiques de sy-

ringomyélie seraient peut-être de nature à jeter quelque lumière sur cette

question de vaso-moteurs. Déjà Remak avait tiré de ses observations la

conclusion que c'est dans la substance grise postérieure qu'il faut chercher

l'explication des troubles moteurs de la syringomyélie.

L'histologie fine du système nerveux, entre les mains de Cajal, Len-

hosék et Van Gebucbten, a montré qu'il existe dans la substance grise, un

certain nombre de neurones qui envoient leur cylindre-axe dans les racines

postérieures, fait qui concorderait avec l'opinion de certains physiologistes

(Dastre, Morat, Steinach) qui font sortir les vaso-moteurs par les racines

postérieures. Ces données constitueraient des preuves présomptives en

faveur del'opinion quenous soutenons, à savoir qu'il existe dans les cornes

postérieures, des centres vaso-moteurs el des centres régulateurs pour la

nulrition des téguments et du tissu des os. Les divers troubles trophiques

de la main dans la syringomyélie, comme cela arrive dans la main type

Morvan, dans la cbiromégalie et dans la main succulente ne sont que des

équivalents des diverses lésions de la substance grise médiane el postérieure.

Je ne veux pas dire, par là, pour les besoins de l'explication qu'on doit

efl'acer les différences qui existent entre des types cliniques nettement

caractérisés; mais au point de vue pathogénique, il faut voir, dans les trou-

hles osseux de la maladie de Morvan et de la chiromégalie par exemple,

des modalités différentes de la lésion de la substance grise, modalités qui

dépendent du siège de la lésion, de la nature différente du processus et

d'autres facteurs que nous ne connaissons pas.

Ces divers troubles trophiques seraient de nature à prouver que pour

une région donnée des membres supérieurs et inférieurs, il existe dans la

moelle des centres sensitifs, moteurs el vaso-moteurs' qui occupent sensi-

blement le même segment de la moelle : en d'autres termes, ces centres sont

juxtaposés ou superposés. Bien entendu qu'ici comme pour toute autre

localisation, il ne s'agit pas d'une topographie strictement localisée, car

ainsi que'je l'ai montré (2) les collatérales réllexes d'une racine ne se dis-

tribuent pas seulement au segment dont cette région fait partie, mais elle

se met en rapport avec les cellules motrices etprobablementvaso-molrices

(1) Je renvoie le lecteur qui désire approfondir cette question des vaso-moteurs au

travail du professeur Grasset, de Montpellier, sur le syndrome bulbo-médullaire.

(2) Atlas der pathologischen. Histologie des Nervensyslems. Berlin, 1896. Livre V, p. il 4

- 108 G. MARINESCO

de plusieurs segments. Cependant, on peut admettre, sans être dans l'er-

reur qu'un segment sensitif est principalement en rapport avec un segment

moteur et vaso-moteur.

Chez nos malades les troubles vaso-moteurs sont localisés principale-

ment à la main et chez Corr..., l'atrophie musculaire est cantonnée au

domaine de la main. Or, il résulte de mes recherches que la syringomyélie

débute au niveau de la 8° cervicale et de la ire dorsale, région que je consi-

dère comme siège principal des centres moteurs, vaso-moteurs et sensitifs

des extrémités des membres supérieurs.

Je pourrais invoquer comme preuve en faveur de cetle relation étroite

entre la topographie des membres moteurs, vaso-moteurs et sensitifs des

recherches de Ross, d'Allen Starr, de Ilead, de Mackensie qui ont fait

des travaux remarquables soit sur la douleur réflexe, soit sur les réflexes

vaso-moteurs et trophiques cutanés, comme le zona zoste.

Il m'est donc permis, je pense, de conclure de cette discussion sur la

pathogénie des troubles trophiques et vaso-moteurs qu'on rencontre dans

la main succulente, que celle-ci relève de l'altération de la substance grise

médiane et postérieure. Mais par quel mécanisme ? S'agit-il d'une exci-

tation de centre ou bien d'une paralysie. Si on veut bien tenir compte du

caractère rythmique des troubles vaso-moteurs chez Corr..., qui se

traduit par la présence de taches rouges et la dilatation cyanotique des

veines, troubles qui apparaissent et disparaissent, on est obligé d'admettre

qu'il y a un double mécanisme qui intervient, c'est-à-dire l'excitation des

centres suivie de leur paralysie. Les études de la gliose médullaire consti-

tuent encore une preuve en faveur de ce mécanisme. En effet l'hyperplasie

de la névroglie détermine, comme tout corps étranger dans les cellules de

la substance grise, de l'excitation, laquelle quand elle atteint un certain

degré, se traduit par la paralysie fonctionnelle.

J'ai pu constater à l'aide de la méthode de Nissi, que les cellules nerveuses

sont atrophiées non seulement au voisinage de la gliose, mais encore il une

certaine distance.

Une particularité que je voudrais mettre en évidence avant d'abandon-

ner ce sujet, c'est ce fait paradoxal que les malades qui sont insensibles

lorsqu'on les met en contact avec un corps froid, souffrent des variations

delà température ambiante. Ainsi un fragment de glace appliqué sur la

peau où il existe de la thermoanesthésie ne provoque aucune sensation de

froid, tandis que si le malade s'expose au dehors, il souffre du froid, et

alors môme que la température ambiante estsupportabie pour un individu

sain. Cette particularité s'explique facilement à mon avis par ce fait que

la perte de calorique que subissent les malades il cause des troubles vaso-

moteurs, produisent une sensation de froid presque continuelle et qui se

réveille à chaque instant par suite des variations de la température du

'milieu ambiant. (A suivre.)

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

UN CAS DE CONTRACTURE HISTRO-TRAU1VIATIQUL.

DES MUSCLES DU TRONC

PAUL RICHER

Directeur honoraire du Laboratoire

de la clinique.

ET

A. SOUQUES

Chef du Laboratoire

de la clinique.

La contracture hystérique des muscles du tronc est un'fait assez rare.

Dans ce même journal, M. Duret en a publié un fort curieux exemple, il y a

quelques années (1). La contracture siégeait dans les muscles de la paroi

postérieure de l'abdomen, la carré des lombes et le psoas-iliaque. Depuis

lors Vic (2) a fait une étude d'ensemble de la scoliose hystérique. Enfin

récemment noire ami, M. Pierre Janet (3), a publié huit observations de

spasmes des muscles du tronc chez les hystériques. Il s'est particulièrement

attaché il mettre en relief l'origine émotionnelle de la plupart de ces con-

tractures, et l'influence d'une idée fixe consciente ou subconsciente dans

la persistance des troubles morbides.

Il nous a été donné d'observer récemment dans le service de M. le pro-

fesseur Raymond, la Salpètrière, un cas de contracture hystérique survenue

à la suite d'un traumatisme, chez un homme fort et vigoureux, jusque-là

bien portant,et siégeant à la fois dans les muscles extenseurs et dans les mus-

cles fléchisseurs du tronc. On sait qu'il est de règle, dans les contractures

hystériques, de voir les groupes musculaires antagonistes également pris.

Il nous a paru intéressant de publier cette observation.

Observation. - Delr..., 28 ans, employé dans une raffinerie, vient

1.. consulter au mois de mars 1895, à la Salpêtrière, pour des accidents con-

sécutifs à un traumatisme.

(1) Année 1888, p. 191.

(2) Vit, De la scoliose hystérique. Th. de Paris, 1892.

(3) P. Janet, Note sur quelques spasmes des muscles du tronc chez les hystériques.

France médicale, G décembre 1895.

110 PAUL RICHER ET A. SOUQUES

Dans ses antécédents héréditaires, il n'existe aucune lare névropa-

thique.

Dans ses antécédents personnels, nous ne trouvons à signaler que ce

qui suit. Il a été un enfant assez indiscipliné, faisant souvent l'école buis-

sonnière, de telle sorte qu'à l'âge de 14 ans, il savait à peine lire et écrire.

A partir de cette époque, il a appris successivement les métiers de menui-

sier, de cordonnier et de maréchal-ferrant. 1.

Après une année de service militaire, il s'est marié. Deux enfants lui

sont nés qui se portent bien.

En somme, en dehors d'un certain esprit d'indiscipline et de mobilité

nous n'avons relevé aucun détail intéressant. Cet homme n'a jamais été

malade. Il n'a jamais eu de maladies vénériennes. 11 est relativement

sobre.

Il y a un an, il a quitté le Lot, son pays natal, et est venu chercher for-

tune à Paris. Il est entré dans une raffinerie, comme manoeuvre.

C'est là que le 2 juillet 1894, il y a huit mois environ, il est victime

d'un accident. 'Il descendait un escalier avec un seau de sirop, lorsqu'il

rencontre un chariot. Il veut éviter ce chariot, manque la marche, tombe

et roule jusqu'au bas de l'escalier (une vingtaine de marches environ). Il

ne perdit pas connaissance complètement, mais il resta pendant une

dizaine de minutes dans un état subconscient. Deux camarades l'aidèrent à

se relever. Et il put marcher seul pour se rendre auprès du contre-maître

qui verbalisa. On lui fit un pansement sommaire, séance tenante.

Puis il se rendit seul jusqu'à la station prochaine pour prendre l'omni-

bus et rentrer chez lui. Il est à remarquer qu'il marchait facilement et le

corps droit, tout en éprouvant des douleurs dans le dos, le long du rachis.

Dans sa chute, il s'était fait quelques contusions, en particulier deux

petites plaies, situées l'une au niveau du coude, l'autre au-dessous de

l'omoplate gauche.

Arrivé chez lui, il prit le lit pendant quatre jours. Il se levait toutefois

dans l'après-midi. C'est à ce moment qu'il commença à courbe ? le tronc en

avant, pour atténuer la douleur qu'il ressentait dans la région de l'omo-

plate gauche. Cette douleur était tantôt sourde et tolérable, tantôt assez

vive pour troubler son. sommeil. Elle était à peu près continuelle. Elle a,

en outre, persisté depuis lors. Pour l'éviter, le malade penchait son tronc

en avant. Il essayait de temps en temps de se redresser, mais ce redresse-

ment réveillait les douleurs et restait incomplet. De plus il provoquait une

sensation de pression à l'épigastre et de la dyspnée.

Durant le premier mois qui suivit l'accident, cet homme éprouva un

peu de gène dans la marche. Cette gène disparut vite. D'ailleurs il n'a

jamais éprouvé de douleurs d'aucune espèce dans les membres inférieurs

UN CAS DE CONTRACTURE UYSTÉRO-TRAUiIfATIQUE DES MUSCLES DU TRONC LU

ni dans les membres supérieurs. Ses viscères et ses sphincters sont restés

toujours intacts. Tout s'est borné, somme toute, à la douleur dorsale et a

l'attitude vicieuse du tronc.

Lorsque cet homme vient, en mars 1895, consulter à la Salpêtrière, on

constate qu'il s'agit d'un homme vigoureux, bien musclé, ayant toutes les

apparences d'une santé parfaite.

Il se tient, le haut du torse très fortement incliné en avant ainsi que le

représente la planche XV. Le dos est arrondi en voûte. La cambrure lom-

baire a disparu.

On constate, dans la station droite, que les muscles fessiers et spinaux

d'ordinaire relâchés sont manifestement tendus et raidis.

Les muscles abdominaux qui, chez un homme normal, dans l'attitude du

malade seraient dans un complet relâchement, sont contractés d'une façon

permanente.

. Ils dessinent sous la peau de l'abdomen leurs saillies quadrilatères fort

nettes.

Les membres inférieurs sont légèrement fléchis.

Dans la station assise, la courbure du dos ne disparaît pas. Les spinaux

restent toujours tendus et les muscles abdominaux ne sont point relâchés.

Il lui est impossible de se relever sans appui.

La station debout est très fatigante. Le malade ressent une pesanteur

énorme sur le dos qu'il compare un poids de 200 kilogs. Le poids est

encore plus lourd dans la station assise qu'il ne peut garder longtemps.

S'il essaie de se redresser il éprouve aussitôt une sensation de pression

rétro-sternale qui lui coupe, dit-il, la respiration. Cette tentative exaspère

en même temps la douleur dorsale et le redressement est rendu totale-

ment impossible par la contracture des muscles de l'abdomen.

Mais si le redressement du torse est impossible, la flexion plus pronon-

cée en avant l'est également. De telle sorte que le tronc se trouve fixé dans

l'attitude vicieuse décrite par la contracture simultanée des muscles anta-

gonistes fléchisseurs et extenseurs.

En examinant la face postérieure du tronc, on trouve la cicatrice de la

plaie ancienne. C'est une cicatrice d'environ 4 centimètres de largeur sur

2 centimètres de hauteur, située à quatre travers de doigt au-dessous de

l'omoplate gauche. On voit, en outre, la trace d'une petite éraflure super-

ficielle au niveau de la fosse sus-épineuse correspondante.

Le malade se plaint d'éprouver au niveau et au-dessus de cette région

cicatricielle une sensation de froid et de douleur assez vive. Cette zone de

douleurs subjectives occupe la cicatrice, la région de l'omoplate gauche,

112 PAUL RICHER ET A. SOUQUES

atteint et dépasse même un peu la ligne des apophyses épineuses corres-

pondantes. La douleur y est telle que, depuis huit mois, la malade se cou-

che exclusivement sur le côté droit du corps. Il lui est tout à fait impossi-

ble de se coucher sur le côté gauche et sur le dos.

Dans cette zone le frôlement léger de la peau n'est pas douloureux, sauf

en un point très circonscrit, situé au milieu de la région dorsale. Le frô-

lement sur ce point, grand comme une pièce de quarante sous, réveille

une hyperesthésie extrême, accompagnée de conslriction thoracique et de

troubles respiratoires.. Le malade ne peut y supporter le moindre contact

et s'écrie .aussitôt : « Vous m'étouffez, vous m'étoufferiez si vous conti-

nuiez. » 1

La pression profonde et même un simple pli fait à la peau réveillent les

mêmes phénomènes. Mais ici la zone d'hyperesthésie est beaucoup plus

étendue et correspond à peu près à la zone des douleurs spontanées.

Si on pratique, dans cette région hyperesthésique, une pression même

légère le malade est pris d'angoisse. « Si vous continuez, dit-il, je vais

me trouver mal. » Et effectivement il s'agit là d'une véritable zone hysté-

rogène, capable de provoquer une crise.

En dehors de cette zone hyperesthésique, la sensibilité générale et spé

ciale est normale dans tous ses modes, dans toute l'étendue du corps.

Le malade n'a jamais de crises convulsives. Il est simplement loquace,

vif, très expressif en paroles et en gestes.

Il ne présente aucun trouble moteur, ni trophique, ni vaso-moteur. Ses

réflexes tendineux sont peut-être un peu forts, mais égaux des deux côtés,

sans trépidation spinale. -

En résumé, tout se borne chez lui à une attitude vicieuse du tronc,

déterminée par une hyperesthésie dorsale. Cette hyperesthésie est la con-

séquence de cicatrices anciennes consécutives à un traumatisme. Elle oc-

cupe la région cicatricielle et son pourtour. Elle est assez exquise pour

que la pression légère amène une véritable crise nerveuse.

A n'en pas douter, il s'agit ici d'hystérie mâle, consécutive à un trau-

matisme, d'hystérie pour ainsi dire monosymptomatique. Le diagnostic

nous semble ressortir incontestablement des détails de l'observation. Le

rôle de l'émotion et de l'idée fixe qui s'est installée vraisemblablement ;i

l'occasion et la faveur de cette émotion, nous semble également hors

de contestation. z

CùN1'HACTUIU : : HVSTL : : fO'TiAUMATIQU¡'; DES MUSCLES DU TRONC.

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE LA CLINIQUE DES MALADIES

DU SYSTÈME NERVEUX

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET.

INTERPRÉTATION DES LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

PAR

LÉOPOLD LÉVI

Ancien interne lauréat des hôpitaux.

L'ostéite déformante de Paget est une affection rare. Tout document re-

latif à cette affection mérite d'être utilisé, surtout s'il comporte un examen

nécroscopique et histologique. Les recherches récentes dues à MM. Gilles

de la Tourette et Marinesco (1) ont attiré, d'autre part, l'attention sur les

lésions de la moelle épinière dans ce type morbide. Nous avons de même

constaté des altérations médullaires dans notre cas, mais nous verrons l'in-

terprétation qu'il convient, à notre point de vue, de leur donner. Enfin,

l'emploi des rayons de Roenlgen à l'étude de la texture des os nous a paru

digne d'intérêt. Ce dernier point fera l'objet d'une note spéciale.

Observation. Ostéite déformante de Paget. - Altérations cardio-vasculaires

généralisées . Tuberculose pleuro-pulmonaire et péritonéale. - Lésions de la

moelle épinière (Sclérose pseudo-systématique, d'origine vasculaire).

Jeanne Sacc., âgée de 62 ans, entre le 31 janvier 1894 salle La Rochefou-

cauld, lit n° 2, dans le service de M. le professeur Raymond, la Salpêtrière.

Antécédents héréditaires. - Les renseignements obtenus sont incomplets.

Sa grand'mère maternelle a succombé à de 96 ans. Son père est mort à

85 ans. Sa mère a vécu jusqu'à 75 ans. Une soeur a été frappée d'apoplexie à

do 45 ans. On ne relève chez les ascendants ou collatéraux ni rhumatisme

chronique ni affection cardiaque ou cancéreuse.

Antécédents personnels. - La santé a été très bonne jusqu'à la maladie

actuelle. Elle n'a point eu d'enfant, n'a pas fait de fausse couche. On ne cons-

tate pas par l'anamnèse ni par l'examen de sypliilis. L'éthylisme fait défaut.

A l'âge de 20 ans, la malade a eu une entorse du pied gauche (peut-être

s'est-il produit un arrachement de la malléole externe gauche).

Début de la maladie. - Le premier symptôme de la maladie actuelle remonte

(1) Gilles liE la Touhette ET Marinesco, Nouvelle iconographie de la Salpêtrière,

p. 205, 1896.

114 LÉOPOLD LÉVI

à 12 années. Elle éprouva à cette époque l'accident suivant. Elle était blanchis-

seuse à ce moment, et depuis l'enfance. Alors qu'elle venait d'introduire un

fer à repasser dans l'un des casiers d'un fourneau tournant, une camarade

d'atelier imprima un violent mouvement de rotation au fourneau. Sa main fut

entraînée dans le mouvement giratoire. Il en résulta une déformation du radius

droit, en même temps que des douleurs constrictives apparurent le long des

2/3 inférieurs de cet os.

Au mois de janvier 1894 elle s'aperçut de la déformation des membres infé-

rieurs. Atteinte d'une bronchite intense, d'essoufflement, de palpitations, d'oe-

dème des membres inférieurs, et d'ascite, elle entra dans le service de 1l.Rendu,

à l'hôpital Necker. Pendant son séjour à l'hôpital, le fémur droit était devenu

le siège de douleurs intolérables. La déformation, l'hypertrophie furent alors

notées. Des remarques analogues furent faites à propos des os du crâne, Inter-

rogée à ce sujet, la malade disait que ses bonnets depuis un certain temps lui

' devenaient trop petits. Améliorée de ses phénomènes cardio-pulmonaires, elle

entre à la Salpêtrière.

Examen des membres. - La main droite est en pronation forcée. On peut à

peine lui faire parcourir le 1/3 du trajet nécessaire pour la ramener il la supina-

tion complète. Le radius droit est fortement incurvé dans ses 2/3 inférieurs. Sa

courbure antérieure est exagérée. De plus, à trois travers de doigt au-dessus de

l'interligne articulaire du poignet il est tordu de telle façon que sa face antérieure

devient interne. A cette torsion s'ajoute une courbure à concavité dirigée en

dedans qui fait que le bord interne du radius repose sur la face antérieure du

cubitus. Dans la région déformée, le radius est considérablement élargi et forme

une saillie considérable sur la face postérieure- de l'avant-bras. Sur tout ce trajet

de l'os, la palpation modérée éveille des douleurs assez intenses. Le poignet

droit est presque complètement ankylosé. Au contraire les articulations méta-

carpiennes et des phalanges ont conservé toute leur étendue et leur mouve-

ment.

Du côté gauche c'est surtout au niveau du coude que porte la déformation,

L'avant-bras est fléchi sur le bras et ne peut s'étendre au delà de l'angle droit.

Les mouvements sont douloureux, ainsi que la pression au niveau de l'extré-

mité inférieure de l'humérus. Cette épiphyse est comme triplée de volume. De

l'épicondyle à l'épi trochlée on note 10 centimètres. L'humérus gauche très dé-

formé est incurvé dans son 1/3 inférieur et forme une saillie très appréciable à

la vue et au toucher, sensible à la palpation.

Par suite de l'amaigrissement généralisé, les épines de l'omoplate et les acro-

mions font une saillie notable. Les clavicules facilement explorées ne sont pas

le siège d'hypertrophie.

Aux membres inférieurs, le fémur droit est le siège de modifications. Il est

fortement incurvé dans ses 2/3 inférieurs, décrit une courbure à convexité

antérieure surtout accusée un peu au-dessous de la moitié inférieure de l'os. De

cette incurvation résulte un raccourcissement du fémur. La distance qui sépare

le tubercule du jamhier antérieur de l'épine iliaque antéro-supérieure est à gau-

che de 44 centimètres, tandis droite elle n'est que de 40 centimètres.

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 115

A 12 centimètres de la base de la rotule, la diapbyse attemt sa dimension

transversale maxima (10 cm.) alors du ? gauche le fémur ne mesure à ce même

niveau que 7 centimètres.

Le genou droit est très élargi du fait de l'hypertrophie des condyles, prédo-

minante au niveau du condyle interne.

La rotule droite est augmentée. Elle mesure 7 centimètres contre 5 cm. 1/2

pour la rotule gauche.

La flexion du genou ne peut guère être portée au delà de l'angle droit. Les

mouvements de l'articulation s'accompagnent de craquements.

Les tibias ne sont pas le siège de déformation.

Au niveau des péronés, c'est à gauche qu'existent hypertrophie et déforma-

tion. La malléole externe gauche et la partie attenante du péroné sont le siège des

altérations. La malléole se présente sous tonne d'un ovoïde à grand axe dirigé

de haut en bas et d'avant en arrière, à grosse extrémité dirigée en bas et en

arrière. Le grand axe mesure 5 cm. 5, le petit axe 4 cm. 5.

On ne constate pas de déformation appréciable du tarse, du métatarse, ni des

autres os du pied.

La station debout est impossible. Lorsqu'on maintient la malade par les épau-

les, les cuisses sont écartées, légèrement fléchies sur les jambes. Elle est dans

l'impossibilité de les rapprocher l'une de l'autre.

La malade se sert au contraire de ses membres supérieurs pour manger,

mais elle ne peut mettre sa camisole, ni procéder elle-même aux soins de sa

toilette.

Les os du bassin semblent peu modifiés. Les crêtes iliaques sont déformées,

mousses, comme boursouflées. ,

Il existe une cyphose assez accusée de la colonne dorsale.

Au crâne, les deux bosses pariétales sont augmentées de volume, ainsi

que la bosse frontale droite. Ou ne note aucune particularité au niveau des

maxillaires, des os malaires, des apophyses zygomatiques.

La malade a perdu un grand nombre de dents.

Il existe un amaigrissement généralisé à tout le corps. La peau est ridée,

avec tendance à l'escharification au niveau du sacrum. On constate encore des

traces d'oerJ.l1le au pourtour des malléoles.

La malade perd ses urines et ses matières depuis son entrée à l'hôpital. Elle

répond difficilement aux questions qu'on lui pose, pleure facilement. Les globes

oculaires sont le siège d'un nystagmus transversal à grandes oscillations. Les

réflexes rotuliens sont normaux.

On trouve a l'auscultation du cceur un souille d'insuffisance mi traie. Les ar-

tères sont dures : 104 pulsations à la minute. ' "

La malade tousse, expectore. A l'auscultation on note des râles de bronchite

disséminés. existe une diminution du murmure vésiculaire dans les fosses sus-

épineuses. 24 rospi rations la miuute.

La langue est humide. Il existe de l'appétit. La malade accuse de la douleur

au niveau de l'abdomen qui est ballonné.

Elle succombe au mois de mai 1895 avec des phénomènes de cachexie.

116 LÉOPOLD LÉVI

L'autopsie est pratiquée 30 heures après la mort.

Les poumons pèsent 1080 grammes. Il existe un épaississement chronique de

la plèvre. On constate au niveau des parenchymes une tuberculose disséminée

sous forme d'ilots broncho-pneumoniclues, surtout marquée au niveau de la

base du côté droit. Les poumons sont le siège en outre d'emphysème et d'oe-

dème.

Le coeur est. volumineux. Il pèse 50 grammes. Il ne peut être séparé du

péricarde fibreux, à cause d'une symphyse des feuillets de la séreuse, symphyse

complète, ancienne, sans calcification. Le ventricule gauche est hypertrophié

(hypertrophie concentrique). L'épaisseur de la paroi égale deux centimètres.

La valvule mitrale est épaissie, rétractée, avec rugosités au niveau du bord

libre. Épaississement léger des piliers.

Les valvules sigmoïdes de l'aorte sont épaissies, calcifiées par places.

On note également un épaississement moins accentué de la valvule tricuspide.

Pas de lésions apparentes de l'artère pulmonaire.

L'aorte est dilatée à son origine et offre sur tout son trajet des lésions d'a-

thérome accentué. L'aorte abdominale très dilatée d'une façon assez irrégulière

a perdu d'autre part son élasticité. Les artères des membres sont épaisses, tor-

tueuses, irrégulières.

Toute la séreuse péri tO]1("nle est parsemée de granulations tuberculeuses,

prédominantes au niveau du mésentère et des épiploons. La trompe et l'ovaire

droits sont atteints de tuberculose granulo-caséeuse.

Le foie est légèrement gras et d'apparence muscade. Il pèse 1100 grammes.

On note quelques tubercules il la surface.

Les reins pèsent 280 grammes. Leur volume est sensiblement normal. La

capsule se décortique mal. Par places, existent des kystes. La substance corti-

cale offre en certaines régions une apparence jaunâtre. On ne note pas de tu-

bercules macroscopiques.

La rate pèse 150 grammes. Elle présente des scissures plus ou moins pro-

fondes. La capsule est épaissie. Sur la coupe on note l'existence de foyers

hémorrhagiques.

En ce qui concerne les os, ainsi que le montrent les photographies annexées

il l'observation, on constate qu'il y en a quatre essentiellement malades : l'hu-

mérus gauche, le radius droit, le fémur droit, le péroné gauche. Les tibias ne

sont point déformés ni hypertrophiés (PI. XVI).

Le fémur droit est considérablement augmenté de volume dans sa diaphyse

et surtout dans son extrémité inférieure. L'hypertrophie commence à 14 cen-

timètres de la partie supérieure de la fossette d'insertion du ligament rond.

A 22 centimètres du bord supérieur du grand trochanter, l'hypertrophie se

traduit par une différence de 2 cm. 1/2 avec le fémur opposé (fémur droit,

12 centimètres de circonférence, gauche 9 cm. 1/2), et de 4 cm. 1/2 au niveau

de l'extrémité inférieure (27 centimètres il droite, 22 cm. 1/2 il gauche). En

outre, la convexité de la face antérieure se trouve augmentée de telle façon que

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET U7

le fémur droit placé sur un plan horizontal est distant de 7 centimètres de ce

plan (3 centimètres du côté opposé) et que l'os est comme raccourci. La dis-

tance de la partie supérieure de la fossette d'insertion du ligament rond il la

partie la plus inférieure de la face latérale du condyle interne, mesure 35 cen-

timètres sur le fémur malade, 47 centimètres sur le fémur sain.

Notons encore que le fémur droit présente des rugosités plus accentuées

que son congénère.

Le péroné gaucho déformé prend une forme de massue (déformation clavi-

forme). L'hypertrophie commence à 15 centimètres de la tète du péroné et

augmente progressivement jusqu'à l'extrémité inférieure. Les mensurations

pratiquées au niveau de cette extrémité donnent à gauche 11 cm. 1/2 de cir-

conférence, 7 centimètres il droite.

Il faut ajouter que le calcanéum droit est épaissi en masse par rapport au

calcanéum opposé, que le 2° métatarsien est également hypertrophié dans son

ensemble, que 7 vertèbres dorsales ont leur corps vertébral soudé.

Aux membres supérieurs l'humérus gauche s'hypertrophie progressivement

de haut en bas dans une direction pour aiusi dire centrifuge, depuis 7 centi-

mètres de la partie la plus saillante de la tête.

L'empreinte deltoïdienne se trouve très accentuée. La déformation atteint

son maximum au niveau de l'extrémité inférieure.

Tandis qu'au-dessus de l'extrémité inférieure, il y a une différence de 3 cen-

timètres dans la circonférence des deux humérus (humérus gauche 10 centi-

mètres, humérus droit 7 centimètres), au niveau de cette extrémité on note

4 cm. 1/2 de différence en faveur de l'humérus gauche qui mesure 18 centi-

mètres au lieu de 13 cm. 1/2 pour l'os opposé. La forme générale de l'extré-

mité est conservée. A ne considérer que toute la partie inférieure de l'os, on

croirait se trouver en présence d'un os d'athlète.

Le radius droit offre des altérations qui partent de la diaphyse il 7 centimè-

tres do la cupule de la tète radiale et augmentent progressivement de haut en

bas. A 13 centimètres décolle même cupule la circonférence du radius droit

mesure 8 cm. 1/2, celle du radius gauche 7 cm. 1/2. Il existe sur la face

postérieure deux gouttières parallèles l'une à l'autre, l'inférieure plus accen-

tuée que la supérieure, dirigées obliquement de haut en bas et de dehors en

dedans comme si l'os avait subi sur lui-même un mouvement de torsion. L'ex-

trémité inférieure très hypertrophiée mesure 13 centimètres de circonférence

à droite, 9 centimètres au niveau du radius sain.

Les clavicules, les omuplates et les autres os du membre supérieur ne sont

pas le siège d'altérations.

Le système nerveux ne présente aucune lésion macroscopique importante.

Les circonvolutions cérébrales ne sont point le siège de foyer de ramollisse-

ment. Il n'existe pas d'hémorrhagie au niveau des noyaux gris centraux. Le

cervelet n'est porteur d'aucune altération grossière. Les artères de l'encéphale

sont épaisses, sinueuses, à lumière étroite. Les veines restent béantes après la

coupe. 'La pie-mère médullaire offre de place en .place au niveau de sa face

118 LÉOPOLD LÉVI

postérieure des plaques calcaires plus ou moins volumineuses. La pie-mère est

un peu épaissie dans toute son étendue.

Examen histologiques. - Des coupes ont été pratiquées au niveau des viscè-

res : foie, rate, rein, corps thyroïde, au niveau d'une artère moyenne d'un mem-

bre, d'un muscle du mollet. Le cerveau a été examiné sur des coupes histolo-

giques. Une étude particulièrement attentive a été faite de la moelle épinière.

Enfin le nerf sciatique a été étudié.

L'organe hépatique présente à la fois des lésions du tissu conjonctif, du

parenchyme et des vaisseaux. On note une sclérose légère, a point de départ

périportal, d'autre part une sclérose embryonnaire au niveau de l'espace porte.

Il existe une nécrose cellulaire avec perte de coloration des noyaux un peu

diffuse, mais par territoires assez limités. On constate d'autre part une dégé-

nérescence graisseuse peu accentuée sans prédominance très nette. Par places,

des hémorrhagies se sont faites au niveau du parenchyme. Ce qui est particu-

lièrement marqué, c'est un épaississement considérable des parois des veines

sus-hépatiques avec périphlébite embryonnaire.

L'a rate a sa capsule épaissie. Il existe des hémorrhagies dans la substance.

Le rein offre des lésions diffuses : altérations diffuses des cellules des tubes

contournés qui se colorent mal en général. Les glomérules sont peu atteints.

L'endartérite des petits vaisseaux est accentuée.

Le corps thyroïde est le siège d'une sclérose intertrabéculaire très accentuée

par places. D'autre part les vésicules sont élargies. Certaines peuvent acquérir

jusqu'à 10 fois leurs dimensions habituelles. Les capillaires sont le siège d'une

distension considérable. Il existe une endophlébite oblitérante très marquée.

Les coupes du cerveau ne font pas reconnaître de lésions notables des cel-

lules ou des fibres à myéline. Les artères sont le siège d'altérations portant

surtout sur la tunique externe.

L'examen de la moelle épinière étudiée suivant les procédés en usage donne

surtoutdes résultats sur les coupes pratiquées d'après la méthode de Forel (picro-

carmin en masse), considérées à un moyen on a un fort grossissement.

Sur les coupes, l'aeil nu ou à un faible grossissement, on reconnaît des

lésions prédominantes au niveau des cordons postérieurs et des faisceaux

latéraux.

D'une façon générale, qu'il s'agisse de coupes pratiquées au niveau do la

région cervicale, dorsale ou lombaire, la pie-mère est légèrement mais nette-

ment épaissie surtout il sa face postérieure. Les vaisseaux, artères particuliè-

rement sont le siège de périartérite et d'eudartérite variable, et dont l'accen-

tuation change d'une façon irrégulière suivant les coupes. Les vaisseaux sont

congestionnés.

En ce qui concerne la moelle elle-même on note que les lésions des faisceaux

blancs laissent intacts les cordons antérieurs et une partie des cordons laté-

raux. Elles sont prédominantes dans les faisceaux postéro-iatéraux.

Pour ce qui est de la substance grise, les cellules des cornes antérieures

sont intactes au niveau des rendements cervical et lombaire. Les colonnes de

clarke ne sont pas atteintes.

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 119

A noter encore que le canal de l'épendyme est obstrué dans toute son éten-

due, que les veines périépendymaires sont le siège de périphlébite et sont con-

tenues dans des espaces élargis.

Au niveau de la région cervicale, les lésions sont diffuses, à peine accentuées

au niveau du cordon antérieur (sauf dans la zone limitante) et du faisceau de

Gowers. Le faisceau pyramidal direct n'est pas atteint. Elles sont accentuées au

niveau des cordons de Golf. La lésion plus étroite contre la commissure posté-

rieure va en s'élargissant, à mesure qu'elle s'approche de la périphérie de la

moelle et prend la forme d'une bouteille il goulot allongé.

. Suivant les hauteurs la zone radiculaire postéro-interne est ou non inté-

ressée.

Dans les cordons latéraux, la lésion est prédominante au niveau des faisceaux

pyramidaux, surtout d'un côté, mais elle n'est pas limitée à ce faisceau pyra-

midal. Elle le dépasse surtout en dehors. Le faisceau cérébelleux direct est éga-

lement le siège d'altération.

Les cellules des cornes antérieures semblent présenter leur nombre, leur

volume, leur forme, ainsi que leurs prolongements normaux.

Dans la région dorsale, les lésions sont diffuses aux cordons postérieurs mais

avec prédominance sur les cordons de Goll, elles sont accentuées dans les fais-

ceaux pyramidaux, les faisceaux cérébelleux directs. La méninge est épaissie.

Enfin dans la région lombaire, c'est encore de part et d'autre de la zone

médiane que les lésions sont prédominantes dans les cordons postérieurs, plus

marquées dans les ! i/4 postérieurs et contre la corne postérieure. Les faisceaux

pyramidaux sont altérés dans toute leur étendue.

Sur les coupes examinées à un grossissement moyen (obj. 4, oc. 1), on voit

l'épaississement de la pie-mère et en particulier de celle qui pénètre au niveau

du sillon antérieur et postérieur. Tout le tissu de soutènement de la moelle,

les septa conjonctifs sont épaissis (Fig. 1).Ce qui devient très manifeste, c'est que

la sclérose a toujours pour point de départ les vaisseaux. C'est autour des vais-

seaux qu'elle débute, restant parfois localisée à ce niveau ; d'autres fois la sclé-

rose à point de départ vasculaire circonscrit et étouffe les gaines de myéline

avoisinante. Les épaississements conjonctifs parallèles aux vaisseaux coupés en

long représentent des travées fibreuses qui parfois se rejoignent limitant des

territoires d'étendue variée, mais le plus souvent restent isolées. Ils forment

des couches concentriques aux vaisseaux coupés transversalement. Les cylin-

dres-axes, même dans les régions où les tubes de myéline disparaissent du fait

de la sclérose, sont conservés.

Par la méthode de Pal, on note la disparition diffuse des fibres à myéline dans

les régions que nous avons signalées.

Les racines rachidiennes ont leurs tractus conjonctifs épaissis d'une façon

irrégulière. Les artères qu'elles contiennent sont le siège d'une périartérite

très accentuée.

Le nerf sciatique, traité par la méthode cl'Azoulay (acide osmique et tannin),

montre une raréfaction diffuse assez accentuée des gaines de myéline. Ses artè-

res sont le siège d'endartérite prononcée.

120 LÉOPOLD LÉVI

Il s'agit en résumé d'une femme de G` ? ans, sans hérédité manifeste, à

santé toujours bonne, chez qui s'est développée progressivement une os-

téite déformante de Paget qui a évolué avec lenteur.

La malade succomba à une affection cardiaque associée à une tubercu-

lose pulmonaire et péritonéale, ce qui, en passant, montre encore une

fois le peu de fondé de l'antagonisme supposé entre les affections cardia-

ques et la tuberculose. '

L'existence d'une cardiopathie, pour ainsi dire de règle au cours de

l'ostéite de Paget, mérite d'être relevée. Nous désirons insister essentiel-

lement sur les lésions de la moelle épinière et l'étal des os.

I. L'examen histologique de la moelle a fait constater des lésions qui

peuvent se résumer sous le titre de sclérose pseudo-systématique d'origine

vasculaire, à prédominance sur les faisceaux de Goll et les faisceaux pyra-

midaux (Fig. 1).

La sclérose est pseudo-systématique. On peut invoquer en effet ici la

plupart des raisons mises en avant par MM. Ballet et Minor (1) dans leur

mémoire classique. Si le faisceau pyramidal croisé est atteint de lésions,

le faisceau pyramidal direct est intact. Ce n'est pas au faisceau pyramidal

(1) Ballet et Minor, Arcli. neurol., VII, janv. 1884.

Fig. 1. - Sclérose pseudo-systématique de la moelle d'origine vasculaire dans un cas

d'ostéite déformante de Paget ; prepar. au I)ict-ocarLiiiii ; ocul. 1 ; ob. 1 variable

(Verick).

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 121

croisé que les lésions sont localisées, mais elles le dépassent, gagnent la

partie externe, le faisceau cérébelleux direct. Les cylindres-axes ne sont

pas altérés au niveau des parties envahies par la sclérose.

La sclérose est d'origine vasculaire. Les faisceaux sont ici atteints de

lésions très accusées, et ce sont eux qui sont très nettement le point de

départ de la sclérose. Parfois localisée à leur niveau, la sclérose a toujours

son maximum autour des vaisseaux.

Quelle est la signification de ces lésions ? La question mérite d'être dis-

cutée après les recherches histologiques intéressantes de MM. Gilles de la

Tourette et Marinesco. Dans deux autopsies, l'une relative à un malade

de 49 ans, l'autre concernant une femme de 59 ans, ils ont étudié les lé-

sions médullaires « qui permettent peut-être, disent ces auteurs, d'établir

des rapprochements entre la maladie de Paget et certaines affections spina-

les à détermination osseuse (exemple de tabes), dans lesquelles on observe

des troubles trophiques du côté des os ». Depuis, M. Pic (1) de Lyon, au

point de vue clinique, a pensé que l'ostéite de Paget était une dystrophie

d'origine nerveuse, et fait valoir, en faveur de cette hypothèse, que son ma-

lade âgé de 58 ans présentait des réflexes exagérés, de la contracture des

adducteurs, des envies fréquentes d'uriner.

Revenons sur le travail de MM. Gilles de la Tourette et Marinesco (2).

. Le titre en est : La lésion médullaire de l'ostéite déformante de Paget. Les

conclusions sont réservées. Il est dit : « Les lésions semblent bien apparte-

nir à la maladie osseuse de Paget. » Entrons dans les détails des examens

microscopiques. A propos du premier cas il est noté à propos des cordons

postérieurs : « Le picrocarmin ne fait voir dans la partie des cordons

postérieurs que nous avons trouvée altérée macroscopiquement qu'une ra-

réfaction légère des fibres nerveuses avec un peu d'épaississement du tissu

de soutènement. On ne constate pas de véritable sclérose des cordons pos-

térieurs. Pour les cordons latéraux, microscopiquement on trouve dans la

partie postérieure du cordon latéral une diminution des fibres à myéline. »

Dans le deuxième cas les lésions sont plus accentuées. Elles portent sur-

tout sur la partie médiane des cordons postérieurs et la zone radiculaire

postérieure. Elles sont d'ailleurs, d'après les planches, diffuses aux fais-

ceaux antéro-latéraux (faisceaux pyramidaux, cérébelleux directs, zone li-

mitante de la moelle en général). Les auteurs ont été en outre frappés des

lésions des nerfs qu'ils interprètent comme névrite interstitielle très proba-

blement d'origine vasculaire.

Dans notre cas, il s'agit, nous l'avons démontré, d'une sclérose pseudo-

(1) Pic, Présentation d'un malade. Soc. des se. méd. de Lyon, in Lyon médical

1897, p. 425.

(2) Loc. cil.

x 9

122 LÉOPOLD LÉVI

systématique d'origine vasculaire, que nous avons tendance à rapprocher

de la moelle sénile bien étudiée par Demange (1) et dont il est facile d'ob-

server des exemples.

Nous ne pensons pas qu'il y ait lieu d'établir de relation entre les lé-

sions de la moelle épinière et l'ostéite déformante de Paget. Nous croyons

que troubles médullaires et osseux coïncident chez un même sujet.

On peut se demander seulement le rôle que les lésions vasculaires géné-

ralisées [aux gros troncs comme aux artérioles viscérales] jouent dans

l'évolution des lésions osseuses, et d'autre part si lésions vasculaires et os-

seuses ne sont pas sous la dépendance du même trouble dystrophique, d'o-

rigine inconnue. Les lésions artérielles et cardiaques sont de règle en effet

(comme d'ailleurs dans l'acromégalie) au cours de la maladie de Paget.

Reste à remarquer l'absence de symptômes cliniques d'ordre nerveux

(hormis les douleurs localisées au niveau des os atteints) chez les malades

de MM. Gilles de la Tourette et Marinesco, et chez notre malade. Cepen-

dant chez celle-ci nous avons noté une diminution de l'intelligence, des

pleurs faciles, un nystagmus binoculaire et enfin de la perte des urines et

des matières. Sauf ce dernier symptôme, à substratum anatomique peut-

être médullaire ou cérébral, les autres signes ne trouvent pas'leur expli-

cation dans l'état de l'axe médullaire. Et d'autre part les réflexes sont

normaux, il n'existe ni contracture, ni troubles de la sensibilité. Ce fait né-

gatif peut s'interpréter : Les lésions sont à la fois diffuses et incomplètes.

Elles n'intéressent pas de systèmes en particulier. Elles se sont établies

avec lenteur, suivant toute apparence. D'autre part les fibres à myéline

touchées conservent leurs cylindres-axes intacts. -

II. - A propos des lésions osseuses, quelques particularités méritent

d'être signalées (2) : L'asymétrie croisée des lésions (humérus gauche,

radius droit, fémur droit, péroné gauche) ; l'intégrité des tibias qui d'ha-

bitude sont atteints et souvent les premiers, ainsi que' celle des clavi-

cules ; la participation aux altérations des épiphyses. Le processus n'en reste

pas moins essentiellement osseux; l'épiphyse est prise secondairement à la

diaphyse. La marche de l'hypertrophie est centrifuge. Remarquons néan-

moins que dans le cas actuel l'épiphyse est plus atteinte que la diaphyse

et contrairement aux cas où l'épiphyse est intéressée c'est ici l'épiphyse

inférieure qui est le siège de la déformation. Indiquons enfin la régularité

de l'hypertrophie qui ne modifie pas la forme générale de l'os.

(1) Démange, Étude clinique et ttnatomo-palhologique sur la vieillesse. Paris, 1886.

(2) LÉOPOLD Lévi, Déformations osseuses de la maladie de Paget. Bull. de la Soc. anat.,

juin 1896, p. 439.

OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET.

Les os des membres sont mis en regard des os normaux correspondants.

MASSON & C ? Editeurs

L'APOPHYSALGIE POTTIQUE

PAR R

A. CHIPAULT

Assistant de consultation chirurgicale à la Salpêtrière.

Susceptible de douleurs à distance du foyer, par compression radicu-

laire, et de douleurs au niveau du foyer, par progression du foyer tuber-

culeux, le mal de Pott est encore susceptible de provoquer une seconde

variété de douleurs localisées, sur lesquelles l'attention n'a pas été jusqu'à

présent suffisamment attirée.

Je désignerai cette douleur spéciale du nom d'apophysalgie.

L'apophysalgie pottique est peu commune ; je ne l'ai rencontrée, bien

évidente, que dans deux cas, où elle était du reste tout à fait nette, et

jouait, dans la symptomatologie présentée par le malade, un rôle impor-

tant. -

Voici tout d'abord mes deux observations.

OBs. I. Annette L..., de Clamart, m'est amenée de temps en temps,

depuis environ une année, pour un mal de Pott dorsal moyen en voie

d'ankylose.

Ce mal de Pott a débuté à l'âge de 7 ans 1/2. Il parait avoir été mé-

connu au début ou pris pour une cyphose rachitique car il a été traité par

la gymnastique et le massage. Je n'ai pas besoin de dire quel fâcheux effet

eut cette thérapeutique malencontreuse sur l'affection vertébrale : la gib-

bosité ne larda pas à s'accentuer et devint très marquée, peu près aussi

volumineuse qu'elle est encore aujourd'hui. Les parents menèrent alors

la fillette, notre très distingué confrère, le D1' Redard, qui la traita, bien

entendu par l'immobilisation : il y a de cela deux ans, à peu près. Au

bout de huit mois de ce traitement nouveau et rationnel, l'enfant me

fut amenée à la consultation de la Salpêtrière, sur les conseils de la

124 A. CHIPAULT

mère d'un autre de mes petits malades à qui j'avais pu considérablement

atténuer, par l'abrasion des apophyses épineuses, une gihbosité dorso-lom-

baire à peu près de même volume que celle présentée par la fillette. Mal-

heureusement, le même procédé ne lui étaitpasapplicable, les apophyses,

bicuspides et étalées, ne jouant chez elle qu'un rôle tout à fait restreint

dans la saillie de la gibbosité. Je n'avais donc qu'à continuer le traite-

ment immobilisateur institué par M. Redard. A plusieurs reprises je revis

la fillette, sans que son état se modifiât, lorsqu'environ trois mois après

mon premier examen, elle se plaignit de douleurs au niveau de la gibbo-

sité, si pénibles que les parents, malgré le soin avec lequel ils mainte-

naient d'ordinaire le décubitus dorsal exigé, placèrent la malade sur le

côté; le soulagement fut réel, mais dura seulement quarante-huit heures.

Les douleurs avaient repris leur intensité première lorsque je revis la ma-

lade. Croyant que leur cause était la cause banale des douleurs au niveau

des foyers pottiques, c'est-à-dire une position défectueuse prise dans l'ap-

pareil par la malade, je la replaçai dans le décubitus dorsal, avec les plus

grandes précautions. Le résultat fut nul. Aussi, très surpris de cette insis-

tance d'un symptôme qui cède d'ordinaire à l'immobilisation soigneuse-

ment faite, fis-je trois jours plus tard l'examen le plus attentif delà ré-

gion gibbeuse. Il me fut facile de constater que les douleurs, nullement

exaspérées par la pression sur la tête de la malade ou sur les apophyses

transverses, en somme n'ayant pas pour siège les corps vertébraux, étaient

localisées aux apophyses épineuses, qu'à cause de leur disposition bifide,

il' était facile de saisir entre les doigts, en constatant leur extrême sen-

sibilité, et l'absence à leur niveau de lésion tuberculeuse appréciable.

Pensant dès lors qu'il s'agissait d'une simple congestion de voisinage ana-

logue à celle que l'on rencontre souvent à plus ou moins grande distance

des arthrites tuberculeuses, congestion contre laquelle des injections

sous-périostées de quelques gouttes d'une solution phéniquée forte n'a-

vaient dans plusieurs circonstances donné des résultats très satisfaisants,

je résolus d'employer ici le même petit moyen. Après avoir désinfecté la

peau de la région, je fis, après en avoir raccourci la pointe, pénétrer l'ai-

guille d'une seringue de Pravaz remplie de solution phéniquée à 1/5, jus-

qu'au contact de la plus sensible des apophyses explorées, et la fis glisser,

au ras de cette apophyse, d'environ un centimètre, puis, cette profondeur,

et ensuite en retirant l'aiguille, j'injectai une vingtaine de gouttes de la

solution. La même manoeuvre fut répétée au niveau de trois autres apo-

physes, une couche de coton hydrophile étendue sur la région et la malade

replacée dans le décubitus dorsal. Tout d'abord les souffrances ne paru-

rent pas s'atténuer, mais trois heures environ après les injections cette

atténuation commença à se manifester ; le soir elle était parfaite, et pour

l'apophysalgie POTTIQUE 125

la première fois depuis plus de huit jours, l'enfant put dormir toute la

nuit, sans être réveillée par ses soulTrances. Celles-ci reparurent, du reste,

après quatre jours de répit; une nouvelle séance d'injections en eut rai-

son de nouveau, après les mêmes péripéties. Il en fut ainsi de nouveau

une troisième^, puis une quatrième fois ; enfin le soulagement fut durable;

depuis sept mois, la fillette, que l'on m'amène de temps en temps à la

consultation de la Salpêtrière, garde à nouveau sans souffrir le décubitus

dorsal nécessité par son affection.

OBs. II. -Le second cas de mal de Pott dans lequel j'ai constaté l'exis-

tence indiscutable d'une apophysalgie m'a été montré il y a environ qua-

tre mois par mon distingué confrère le Dr V...

Il s'agissait d'une jeune femme, de vingt-cinq ans environ, hystéri-

que, et atteinte de mal de Pott dorsal moyen avec gibbosité et crises

d'angine de poitrine ; l'immobilisation dans un appareil était impossible

à cause de l'existence, au niveau de la gibbosité, de douleurs très vives

. qu'un examen direct me démontra n'avoir leur siège ni dans les corps

vertébraux, ni dans la peau que l'on pouvait serrer entre les doigts sans

, provoquer de protestations, mais au niveau de l'apophyse épineuse la plus

saillante, apophyse dont le volume paraissait du reste tout à fait normal.

Je fis, séance tenante, par la technique indiquée dans l'observation précé-

dente, une injection phéniquée le long de cette apophyse ; le résultat fut

le même : disparition de ces douleurs au bout de deux ou trois heures..

Ces mêmes injections ont été refaites à plusieurs reprises, chez cette ma-

lade, avec un résultat analogue : je ne sais s'il a fini par être définitif.

En somme, l'apophysalgie portique, symptôme peu connu et peu fré-

quent de la tuberculose vertébrale, consiste dans une douleur localisée,

continue, exacerbée par le palper, palper qui démontre qu'elle a son

siège au niveau d'une ou plusieurs des apophyses correspondant à la

gibbosité, et qu'elle ne coïncide avec aucune modification de leur con-

sistance ou de leur volume.

. La douleur de l'apophysalgie se distingue des douleurs ayant pour

cause la propagation de la tuberculose aux parties postérieures des vertè-

bres par l'intégrité manifeste de celles-ci, et ces douleurs ayant pour siège

les autres éléments de la gibbosité par sa localisation précise : les dou-

leurs ayant pour point de départ le foyer siégeant dans les corps verté-

braux sont en effet exaspérées par les pressions suivant l'axe du rachis et

126 A. CHIPAULT

par les pressions sur les apophyses transverses, et les douleurs dues à

de l'hyperesthésie hystérique surajoutée par ce simple frôlement ou par

le pincement de la peau : tous modes de recherches qui n'exercent aucune

influence sur les douleurs de l'apophysalgie.

L'apophysalgie est très probablement due à de la congestion osseuse,

analogue à-celle qui se produit au voisinage de la plupart des foyers de

tuberculose osseuse ou articulaire.

Lorsqu'elle survient dans le cours d'un mal de Pott, elle peut exercer

une influence fâcheuse sur son évolution en débilitant le malade, et sur-

tout en rendant très difficile l'immobilisation dans le décubitus dorsal,

immobilisation qui joue un.rôle de premier ordre dans la thérapeutique

rationnelle de cette affection.

Dans ces conditions, il est utile de chercher un remède à l'apophysal-

gie.

Dans nos deux cas, nous avons réussi à la faire disparaître par l'injec-

tion sous le périoste de l'apophyse ou des apophyses douloureuses

d'une vingtaine de gouttes d'une solution d'acide phénique à 1/5

déposées le long de leur axe à l'aide d'une seringue de Pravaz, pénétrée

d'abord à fond puis retirée lentement ; l'injection ne calme les douleurs

qu'au bout de deux ou trois heures ; elles reviennent quatre il cinq jours

après chacune des premières injections pour disparaître définitivement

après la troisième ou la quatrième injection.

Disons du reste que Noble Smith a obtenu, il y a deux ou trois ans, de

très heureux effets sur les douleurs locales de gibbosités pottiques soit en

ponctionnant les apophyses à l'aide d'un ténotomesoit en les vrillant avec

une vrille d'un huitième de pouce de diamètre : il est fâcheux qu'il ne

nous ait pas donné le détail de ses observations, car il est fort possible,

étant donné les résultats ainsi obtenus, qu'il se soit agi, dans une ou plu-

sieurs d'entre elles, de la variété de douleur gibbosilaire non décrite sur

laquelle nous avons jugé nécessaire d'attirer quelques instants l'attention.

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE

(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE)

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE

. (Suite et fin)

par

HENRY MEIGE

V

ADRIAEN BROUWER

Peintre hollandais (1605-6 ( ? ) + 1638).

Avec Adriaen Brouwer, nous pénétrons dans des officines de plus bas

étage, sombres, étroites, enfumées ; le mobilier tombe en morceaux ; pro-

priétaires et clients, de mise sordide, sont les plus infimes adeptes du

rasoir et du bistouri.

Ces bouges et leurs habitants étaient bien connus de Brouwer que son

existence désordonnée conduisait dans les plus misérables demeures. Plus

grand seigneur était Teniers qui menait une vie aisée et fréquentait dans

la noblesse. Bien qu'il se soit complu à représenter des rustres et qu'il ait

eu souci de les peindre tels qu'ils étaient réellement, le maître flamand

conserve dans sa manière une délicatesse de touche, une distinction de

coloris qui révèle raffinement de son goût et ses tendances aristocra-

tiques.

Brouwer, bohème toujours miséreux, peignait entre deux griseries, plus

vivement, plus largement, ayant passé, dit-on, de dures années dans l'ate-

lier de Frans Hals dont il imita la facture simple et aisée.

Par ce faire hâtif, aux touches larges,sûres, et de premier jet, Brouwer

reste un des plus curieux représentants de l'école du maître de Haarlem

dont il sut appliquer la méthode aux sujets de petite dimension.

Il excelle dans les joyeusetés entrevues par la porte des cabarets borgnes;

les chants, les pipes, les beuveries, les jeux de cartes et de dés, les lourdes

danses et les disputes après boire.

128 HENRY MEIGE

Mais il connaît aussi les tristes revers de cette vie déréglée : les réveils

désastreux aux lendemains d'orgie, l'escarcelle vide, les créanciers rapa-

ces, les fuites, les maladies, la prison, l'hôpital enfin, où il devait finir

prématurément ses jours, dans le plus complet dénuement (1).

Pouvait-il ignorer les chirurgiens grossiers de tous les pauvres diables

qui, aujourd'hui, braillent, fument, s'enivrent, se querellent, et qui,

demain, auront plus que leur part de souffrance ici-bas.

A Munich, il nous montre une Opération sur le bras, au Louvre, une

Opération sur l'épaule, à Anvers, un Arracheur de dents etc. (2).

Cependant le pinceau de Brouwer fut surtout tenté par les Barbiers-Pé-

dicures. Nous connaissons de lui six peintures dont ils ont fourni le

sujet (3).

L'Etuve de village.

(Pinacothèque de Munich.)

...

Par la disposition du décor et par l'agencement' des personnages, le

Brouwer du musée de Munich (4) rappelle assez bien le Teniers de Cassel.

Il comprend deux scènes contiguës : à gauche, au premier plan, l'opé-

ration chirurgicale, à droite, dans un enfoncement, la taille de barbe.

Mais nous sommes ici dans un intérieur plus vulgaire.

Le client, au crâne dénudé, peut se passer des ciseaux du coiffeur, son

menton rasé de frais témoigne cependant qu'il a dû commencer par avoir

affaire au barbier. Maintenant, celui-ci est devenu Pédicure, et cette se-

conde opération se fait moins paisiblement que la première.

Assis sur un billot, le patient maintient d'une main son talon et de

l'autre sa jambe gauche appuyée sur son genou droit : pauvre chemineau

dont le bâton, le béret, la besace et la chaussure informe, disent assez la

misère, les marches douloureuses et leurs cuisantes blessures.

(1) Ce serait au retour d'un voyage à Paris, où il mena la même existence désordon-

née, que A. Brouwer, âgé de 32 ou 33 ans, aurait échoué à l'hôpital d'Anvers. Il y

serait mort deux jours après son entrée. On dit aussi que RuBi : Ns, l'ayant appris, en

témoigna une vive douleur, et fit déposer son corps dans l'église des Carmélites.

(2) Voy. Les opérations sur l'épaule, sur le dos. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,

noS 5 et 6, 1896,

D'autres scènes chirurgicales d'A. Baoawsn se voient dans les musées de Vienne,'

Cassel, Carlsruhe, etc.

Il existe aussi au musée de Cologne une Opération sur la tête d'ADRiAEN BROU\VEa,

dont je n'ai eu connaissance que dernièrement.

(3) Un tableau de BROUwER, intitulé Le Chirurgien, a figuré au musée de Lyon, dans

la collection Bernard. Au musée des Beaux-Arts de Stuttgart se trouve un Paysan au-

quel on fait une opération, également de BRouwER. Je n'ai pas pu obtenir de rensei-

gnements sur ces peintures.

(4) Signalé par Cll%lICOT et P. Iicuen, Malades et difformes dans l'art, p. 114.

Voy. Gilles de la Tourette, Un dessin inédit d'Adriaen Brouwer, Nouv. Iconogr. de

la Salpêtrière, N° 2, 1890, p. 14.

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 129

Devant lui, le chirurgien, genou en terre, courbé en deux, empoigne

solidement les orteils dans sa main gauche, et de la droite promène une

lancette sur le bord externe du pied. Ce n'est pas sans douleur, car le

patient fronce le sourcil, cligne des yeux et gémit piteusement.

Nul doute qu'il s'agisse d'un cor, et d'un cor de l'espèce gemursa, la

plus douloureuse, d'où son nom, de gemere, gémir.

Mais peu importe au vieux barbier, qui, le nez sur son bistouri, pince

les lèvres et continue froidement son entaille. Gemursa cuisante, ou cla-

vus profondément enfoncé dans les chairs, il en extraira la racine. Vieil-

lard sec, aux jambes maigres, au visage anguleux, coiffé d'un béret à

oreilles qui descend jusque sur ses yeux, ceint d'une écharpe bariolée,

chaussé de souliers disparates, ses os pointant sous de trop larges habits,

il n'entend pas les cris, et, têtu, tenace, il s'obstine à trancher dans, le

mort, et dans le vif, - jusqu'à l'os, s'il le faut !

Non moins sèche et parcheminée, sauf le nez qu'elle a bourgeonnant,

se tient au second plan la mégère qui seconde cet opérateur ratatiné. Au-

dessus d'une chaufferette perchée sur le bras d'un fauteuil, elle fait ramol-

lir un emplâtre et serre un couteau effilé entre ses doigts noueux. La tête

couverte d'un linge blanc, elle se détourne à demi pour lancer un regard

oblique vers la porte qu'entrouvre brusquement un grand gaillard à tro-

gne enluminée.

Au plafond, un poisson mystérieux pendu par une ficelle, sur une ta-

blette une tête de mort, une fiole aux reflets étranges, deux grimoires pous-

siéreux et surtout l'oeil maléficieux de la commère, donnent à ce coin de la

pièce l'apparence d'un laboratoire de sortilèges.

De l'autre côté, dans l'enfoncement qu' éclaire une basse fenêtre à vitraux,

sous les tourbillons de fumée qui s'échappent d'une haute cheminée de

pierre, la scène est moins sanglante, et plus banale aussi. Le rasoir en fait

les frais. Un chanteur ambulant, dont la viole et le chapeau défoncé repo-

sent côte à côte sur une table, tend sa gorge au barbier en second, qui

barbifie selon les règles, renversant la tête en arrière pour tendre la peau

du cou. Un tonneau défoncé sert de siège au client. Sur une étagère s'en-

tasse un pêle-mêle de drogues et de cosmétiques.

Une chaise à trois pieds, un banc, une cruche, un chandelier, un balai,

complètent l'ameublement de cette officine un peu louche.

La médecine qu'on y fait est fort primitive. Nous assistons au premier

temps de l'opération dont le Teniers de Cassel nous montre le second, et

celui de Buda-Pesth le troisième.

Grattage, cautérisation, pansement : en cela se résume tout l'art du

pédicure.

Un bistouri, un caustique, un emplâtre : voilà pour les cors aux pieds

130 HENRY MEIGE

les trois engins thérapeutiques nécessaires, mais non toujours suffi-

sants.

2° Chez le Chirurgien.

(Musée Suermondt. Aix-la-Chapelle.)

Dans la galerie Suermondt, à Aix-la-Chapelle, se trouve un Pédicure

de Brouwer traité un peu différemment.

Un homme à cheveux rouges, assis sur une chaise boiteuse, pose son

pied droit sur un escabeau, se penche en avant pour regarder son mal et

soutient sa jambe sur ses mains croisées.

. Devant lui, un vieux barbier, un genou en terre, détache un emplâtre

collé sur le dos du pied.

Derrière eux, se trouve une table sur laquelle une vieille femme fait

chauffer un nouvel emplâtre au-dessus d'un réchaud, tout en regardant

l'opéré.

Au fond, à droite, par une porte entr'ouverte, on voit un laboratoire

où un homme, gros et court, tournant le dos, prépare des drogues.

Par une fenêtre ouverte, à gauche, on aperçoit un paysage. Au plafond

pend une boule de verre. Par terre, à gauche, deux grosses cruches.

L'intérêt médical de cette scène est d'ordre secondaire. C'est encore une

réplique des pansements emplasticlues si souvent répétés par Teniers.

Notons à ce propos que l'arrière-boutique et le personnage qui fait l'of-

fice de préparateur se retrouvent intégralement dans le Teniers de Buda-

Pest.

30 Le Pédicure.

(Dessin. Collection du Il Charcot.)

Ce document a été l'objet d'une critique de Gilles de la Tourette (2),qui

le considère comme une étude pour le tableau de Brouwer, conservé au

musée de Vienne,et représentant le même sujet, à quelques variantes près.

« Dans l'échoppe d'un rebouteur, barbier, chirurgien quelconque, un

pauvre diable, tâcheron ou paysan, est assis sur une chaise dont l'un des

montants supporte son chapeau de feutre. Le pied gauche repose sur un

billot carré, les deux mains se rejoignent en anse sous le creux du jarret.

La figure exprime l'attention, sinon l'anxiété ; peut-être une pointe de dou-

leur perce-t-elle dans la physionomie (Fig. 2).

« C'est que le maître du lieu,-le chirurgien de campagne, est occupé à

(1) N 168 du Catal., B. Il, 24. L, 37. - Prov. de la coll. Remy van Ilaanen.

Vienne, 1883.

(2) Gilles DE la Tourette, Un dessin inédit d'Adrien Brouwer. Nouv. Iconogr. de la

Salpêtrière, n° 2, 1890, p. 94. La pl. XV de cet intéressant article reproduit en pho-

totypie le dessin original dont notre croquis donne seulement la silhouette.

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 131

pratiquer sur le pied du patient une opération, bien simple d'ailleurs, et

qui semble n'être autre qu'un pansement, l'enlèvement d'un emplâtre par

exemple. Au premier plan gît le soulier du voyageur, soulier commun,

encore en usage dans certaines congrégations religieuses; sur le même plan

et par terre une paire de ciseaux. A droite deux vases, deux dames-jeanne,

probablement remplies de quelque liquide bienfaisant. Sur l'une d'elle se

lit, assez mal d'ailleurs, le mot Rose ou Rosat. Nous n'insistons pas.

« Au deuxième plan, la maîtresse de céans assise devant un comptoir

contemple la scène avec beaucoup plus d'intérêt que d'émotion. Sa main

droite plonge dans une petite boîte de forme assez singulière, qui ren-

ferme peut-être des objets de pansement.

« Au fond et à gauche, dans une officine, un homme vu de dos pile des

drogues dans un mortier. »

Les Pédicures de Brouwer ont entre eux tant de ressemblances que cette

esquisse, - si elle est authentique, - peut avoir servi pour plusieurs

de ces tableaux. Cependant, de tous ceux que nous avons examinés, c'est

celui d'Aix-la-Chapelle qui s'en rapproche le plus. Le tableau de Vienne,

dont parle M. Gilles de la Tourelle (voy. plus loin) et qui se trouve dans

la galerie Schoenborn, contient un quatrième personnage, à côté du groupe

principal, et le laboratoire du fond n'y est pas figuré. On peut donc ad-

mettre avec plus de vraisemblance que l'esquisse en question est celle

du tableau de la galerie Suermondt. '

Iig. 2. - Le Pédicure, d'après un dessin attribué à Brouwer.

' Collection du professeur Charcol.

132 HENRY MEIGE

Il y a lieu, en outre, de se demander si cette dernière est bien de la

main de Brouwer. En effet, le dessin est complètement retourné par rap-

port au tableau. Et nous savons d'autre part que la peinture de Brouwer

a été gravée par son contemporain C. Vischer (1).

4° L'Etuve de Village.

(Galerie Schunborn, Vienne.)

C'est pour ce tableau (2) que, d'après M. Gilles de la Tourette, Brouwer

aurait fait l'étude au crayon que possédait le Professeur Charcot.

Dans une pièce rustique, aux murs nus, qu'ornent pauvrement trois

pots de pharmacie et quelques instruments ébréchés, le barbier de village

enlève un emplâtre du pied de son client; l'un agenouillé, attentif à sa

besogne, l'autre assis, le pied sur un billot de bois, soutenant sa cuisse

gauche entre ses mains croisées (Fig. 3).

Les accessoires n'ont guère varié : fauteuil mal équarri auquel est ac-

croché le chapeau du malade, son soulier déformé gisant sur le sol, table

grossière sur laquelle une vieille femme il coiffe blanche étale des on-

guents, et les deux dames-jeanne ventrues, à col étroit, casquées de par-

chemin, leurs étiquettes en bandouillère (3).

Mais l'artiste a transposé sa source de lumière.

Dans le dessin le jour éclaire le dos du patient. Il importe davantage

que nous voyons sa figure où ses impressions doivent se refléter. Brouwer

a donc placé une fenêtre en face de l'opéré et a relevé sa tête pour nous

permettre de contempler la grimace et les hurlements de douleur qui

contractent tous ses traits. Cette tache claire au centre de la composition

attire nécessairement le premier regard. Elle est la note dominante du

tableau, évoquant l'idée principale : la souffrance de l'opéré.

Cette souffrance qui se manifeste si bruyamment a sa cause et ses effets,

rendus par les détails de la scène.

La cause en est le pansement fait par le chirurgien sur quelque plaie

de la face dorsale du pied. Le mauvais soulier que l'on voit tout proche

est sans doute l'auteur de ce traumatisme, moins grave que douloureux.

Les effets produits par les cris lamentables du patient se traduisent par

les expressions des physionomies des assistants. Ils sont divers :

(1) M. Fritz Berndt, Directeur de la galerie Suermondt, m'a confirmé récemment

cette remarque. Le dessin, m'a-t-il dit, reproduit le tableau en miroir.

(2) N° 69 du Catal., B. II, 41. L, 38.- Signalé par Charcot et P. HICIIEH, Les malades

et difformes dans l'art, p. 114. - Voy. surtout Gilles de la Tourette, Sur un dessin

inédit d'Adrien Brouwer, Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1890, n- 2, p. 94, t. III,

Cet article contient une planche phototypique (l'l. XV) d'après le tableau de Brouwer.

(3) On y lit le mot a ERITOM ».

" LES PÉDICURES AU X\7llc SIÈCLE 133

Chez l'opérateur, qui en a vu bien d'autres, c'est un sourire railleur et

malicieux. On peut être assuré qu'il ne s'arrêtera pas pour si peu dans sa

besogne. C'est un homme entendu, portant le petit bonnet bordé de four-

rure, et le court tablier blanc qu'on retrouve sur ses confrères dans les

tableaux de Teniers et de J. Steen. Son profil n'est pas sans finesse. A

défaut de savoir, il doit être malin. '

Tout autrement semble impressionné un personnage qui se tient de-

bout, derrière lui, appuyé sur un bàlon. De piètre mine, misérablement

vêtu, coiffé plus mal encore d'un feutre gris déformé, ce n'est pas pour

Fig. 3. - L'Etuve de Village d'après un tableau d' Adriaen Brouwer.

. Galerie Schünbol'1l, il Vicnne.

134 HENRY MEIGE

faire nombre que l'artiste l'a introduit. Il vient jeter une note de commi-

sération et d'inquiétude qui s'ajoute aux émotions produites par la douleur

du patient. Ami de ce dernier, sensible à la vue des plaies vives, ou client

attendant son tour, ému à la pensée qu'il souffrira bientôt le même mal, sa

vilaine moue exprime bien la répugnance aux douloureuses opérations.

Par contre, la vieille commère qui, derrière sa table, étale tranquille-

ment le contenu de ses pots d'onguents, reste entièrement indifférente à la

scène qu'elle a sous les yeux. S'il lui fallait plaindre tous ceux qui souf-

frent et s'émouvoir de leurs cris assourdissants, la vie ne seraitpas tenable

et les affaires n'en marcheraient pas mieux...

Le contraste est bien choisi entre les effets produits sur ces deux per-

sonnages par les cris de douleurs de l'opéré.

Le pileur de drogues qu'on entrevoit au dernier plan de l'esquisse est

remplacé dans le fond du tableau par un jeune farceur qui ouvre brus-

quement une porte, et semble faire chorus avec le malheureux patient.

C'est la note comique qui éclate avec un rayon de lumière destiné à éclai-

rer un coin obscur de la composition.

L'influence de Frans liais se fait sentir dans la manière dont est traitée

la figure du patient L'éclairage hardi de son masque expressif, encadré de

cheveux en broussailles, rappelle plus d'un portrait du maître hollandais.

Il n'y a pas lieu d'insister sur l'opération qui ne diffère pas des précé-

dentes.

Rappelons en terminant que le poisson desséché est remplacé au plafond

par une boule de verre où se reflètent les différentes sources de lumière,

et que la même boule existe dans le Teniers de Buda-Pesth. Enfin, nous

avons déjà signalé la frappante ressemblance des chirurgiens dans ces deux

tableaux.

L'Opération sur le pied. ,

Institut Staedel, Frankfort-sur-Main (1).

A Frankfort, Brouwer nous montre encore un Barbier-Pédicure, bien

misérable et d'une laideur insigne, avec sa toque déchirée, sa veste à l'a-

venant, ses petits yeux bridés, son gros nez épaté et sa mâchoire sans

dents (Fig. 4).

Son client au contraire n'a pas trop mauvaise apparence : sa culotte a

des boutons et il porte des bas. Son pourpoint est long, avec des crevés aux

manche; une collerette blanche fait le tour de son cou.

Mais la face est vulgaire et la barbe mal soignée.

(1) N° 141 du Catal., B. H., 38, L. 27. Provient de la vente de la galerie Schoen-

born, à Paris, en 1867.

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 135

Un large feutre relevé par devant donne à ce personnage l'allure d'un

reître ou d'un matamore baladin.

Pourfendeur de tréteaux ou batailleur de grands chemins,il n'a, pour le

moment, qu'un souci : la guérison de son pied malade.

Assis sur une caisse, le talon posé sur le coin d'une table, tenant ferme

sa jambe entre ses deux mains, il geint douloureusement pendant le pan-

sement que lui fait le vieux barbier à mine piteuse. Et sa souffrance ne se

traduit plus par des hurlements accompagnés de grimaces et de contorsions

Fig. 4.- L'Opération sur le Pied, d'après un tableau d'ADRIAEN BROUWER.

Institut Staedel, Frankfort-sur-Main.

136 UENHY MEIGE

violentes comme celles de l'opéré du musée de Vienne, mais par un gé-

missement plaintif, une expression dolente et découragée qui contraste

avec l'allure martiale ou théâtrale de son costume. Brouwer sait varier à

l'infini les modulations de la douleur.

Le tableau ne serait pas complet s'il y manquait une vieille femme.

Nous la retrouvons en effet, derrière le groupe principal, plus affreuse que

jamais, louchant, brèche-dent, revêche et grognon, furieuse qu'on ne

s'occupe pas d'elle. Car celle-ci n'est pas venue en commère curieuse ni

ne fait pas partie de la maison. C'est une cliente qui soutient sa main ma-

lade à l'aide d'un lien passé autour du cou.

Pédicure et manicure, le pauvre Barbier n'est pas difficile sur le choix

de ses clients.

Il se hâte d'appliquer sur le pied de son malade un topique contenu

dans un petit pot. Deux bistouris et deux fioles sur la table, voilà ses seuls

gagne-pain.

5° Le Pédicure.

Dessin à la plume rehaussé de lavis

(Musée des Offices, Florence) (1).

Voici encore un dessin d'Adriaen Brouwer représentant un Pédicure

que j'ai relevé l'an dernier dans la collection du musée des Offices, à Flo-

rence (Fig. 5).

Il est traité dans la manière habituelle au maître hollandais.

. « On voit dans les dessins de Brouwer, dit d'Argenville, un contour

arrêté à la plume, aidé d'un petit lavis d'encre de la Chine et de quelques

touches hardies et de hachures à la plume qui font tout l'effet qu'on en

peut attendre. Des figures courtes, ramassées, leurs grimaces, le caractère

des têtes garnies de cheveux tout droits, vods disent sans hésiter le nom

de leur auteur (2). » . .

Il s'agit d'une opération sur le pied, et, plus exactement, du grattage

d'un cor, d'un durillon, ou d'un oignon, au'niveau de la racine du gros

orteil.

Le malade est un homme entre deux âges, solide et vigoureux, de mise

simple, mais dénotant une certaine aisance, et portant à la ceinture, une

sacoche bien remplie, quelque fermier cossu venu pour le marché du

village.

Mieux avisé que Silius Italicus, poète latin qui vivait au ler siècle de

(1) N 1067 du Catal.

(2) Cité par CH. Blanc, Hist. des peintres. - Le croquis que j'ai fait (fig. 5) ne donne

qu'une silhouette des personnages et ne saurait prétendre à reproduire la facture si

personnelle de l'artiste hollandais.

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 137

notre ère el qui, dit-on, se laissa mourir de faim pour ne pas endurer les

douleurs d'un cor, notre villageois a profité- de la circonstance pour faire

soigner son pied chez le chirurgien de l'endroit.

Il a posé par terre son bâton, son panier, son soulier, et s'est assis

dans un fauteuil à dossier incliné, sur un coussin garni de glands et de

franges, siège luxueux qui remplace avantageusement le misérable esca-

beau du Pédicure de Munich.

Le corps renverse en arrière, les liras repliés et collés a la pOlll'lI1e

les poings fermés, les doigts crispés, le rude villageois se raidit contre la

douleur, fronçant les sourcils, fermant les yeux, pinçant les lèvres pour

ne point crier. Sa mimique n'a rien de grotesque, car elle traduit un vio-

lent effort de volonté.

x ' 10

Fig. 5. - Le Pédicure, d'après un dessin d'AoRiAEN Brouwer.

Musée des Offices, Florence. ,

138 HENRY MEIGE

La jambe droite se cache sous le fauteuil, mais la gauche demi-nue et à

demi allongée, est solidement maintenue au-dessus de la cheville par une

vieille femme à la figure apitoyée.

A droite est l'opérateur, assis sur un escabeau, tenant entre ses genoux,

dans sa main gauche, le bout du pied malade, et, de la droite, faisant avec

un court bistouri le grattage douloureux. Son pouce est appliqué sur la

pointe de la lame pour en bien diriger les incisions.

Mieux outillé que ceux de Munich et de Vienne, ce chirurgien porte à

la ceinture une trousse d'instruments. Il est vieux, sans dents, tout couvert

de rides et d'énormes lunettes ajoutent encore à sa gravi lé comique. C'est

un praticien vénérable qui, s'il n'est pas plus lettré que ses confrères, a

su du moins se donner des allures de vieux savant.

Son costume et l'ameublement de l'officine sont aussi moins précaires.

Dans le fond de la pièce quelques degrés conduisent à une petite loge,

éclairée par une fenêtre cintrée et garnie de rayons surchargés de bocaux,

pots de pharmacie, fioles, creusets, palettes de saignée, plats à barbe etc.

Peut-être ne sont-ils là que pour le décor ; mais ils ne peuvent manquer

d'en imposer aux passants et d'attirer un certain crédit à leur possesseur.

Ce Barbier-chirurgien, qui semble mâtiné d'alchimiste, représente une

variante des praticiens populaires. Mais, malgré son apparence plus rele-

vée, il ne dédaigne pas les soins vulgaires de sa profession. Il oublie volon-

tiers la recherche de la pierre philosophale pour se faire Pédicure à l'oc-

casion.

VI

CORNÉLIS DUSART,

peintre graveur hollandais (IGGO-1 10'r).

Un aimable peintre, graveur plus jovial encore, fut Cornelis Dusart,

élève d'Adriaen van Ostade, dont il adopta les paysanneries, en accentuant t

la noie malicieuse et gaie.

Comme son maître, il n'eut garde d'oublier la peinture des charlatans

populaires, arracheurs de dents et diseurs de bonne aventure, prétextes à

scènes humoristiques et pittoresques.

Son Chirurgien et Sa Ventouseuse sont des oeuvres oii la fantaisie ne dé-

truit pas la justesse de l'observation. Charcot et Paul Richer ont déjà si-

hâlé ces deux eaux-fortes (1).

Le chirurgien opère sur le bras, mais la ventouseuse sur le pied. C'est

elle qui nous intéresse actuellement. Nous avons aussi un Pédicure ambu-

lant de Cornelis Dusart.

(1) Voy. Ciierrr et l',wr, Hrcllcn, Les malades el difformes dans l'art, p. 117-118.

LES PÉDICURES AU XVII0 SIÈCLE 139

10 La Ventouseuse.

1

Eau-forte de 1693.

Cette scène diffère notablement de celles que nous venons de voir.

Une grosse commère débraillée, la gorge débordante, les manches

retroussées, est assise sur une chaise, la jambe droite sortant toute nue de

ses cottes relevées. Elle a posé son pied sur le hord d'un baquet et se ren-

verse en arrière, grimaçante, levant la main droite avec un geste de dou-

leur comique (Fig. (i). ,

Fig. 6. La Ventouseuse d'après une eau-forle de Cornelis Dusart.

140 HENRY MEIGE

La Ventouseuse qu'on prendrait volontiers pour un Ventouseur, tant

elle est dépourvue d'attributs féminins, à genoux, coiffée d'un enton-

noir, munie de bésicles énormes, la poitrine ornée de colliers de molai-

res, mal éclairée par une petite lampe fumeuse, applique sur le dos du

pied une des ventouses qu'elle puise dans un panier posé par terre.

Derrière, debout, un personnage à face lunaire, ventru au point que sa

casaque en éclate, un étrange panier posé de côté sur sa tête, ayant à la

ceinture une seringue en manière de poignard, aiguise une lancette sur

une pierre et regarde l'opération d'un air goguenard.

Au fond, une cheminée avec un plat à barbe, des pots et un parchemin

muni d'un sceau. C'est le décor des Teniers et des Brouwer.

Les coiffures grotesques des maitres du logis sont inspirées des fantai-

sies de J. van Bosch et de P. Bruegel le Vieux (1).

Quant il l'opération, elle est nettement précisée : pose d'une ventouse

et bientôt scarification.

Les femmes surtout avaient le privilège de cette médication. Un tableau

de QuiiiiiN BHlOEELENKAM (1GU.8-1G68) au musée de la IIaye (2), nous

montre une Ventouseuse (/focr en hollandais) appliquant sur le bras

d'une jeune femme une ventouse, évidemment scarifiée, puisque le sang

coule dans un bassin que soutient la malade. ·

2° Le Pédicure ambulant.

Gravure de la collection des Estampes.

Ilijcks Muséum, Amsterdam. ;

« J'ai vu autrefois, écrivait Dionis vers 1707, un homme, à Paris, qui, se

promenant toute la journée dans les rues, disoit sans cesse : « Je tire les

cors des pieds sans mal ni douleur. » Je ne sçais s'il exécutoit sa promesse ;

mais s'il le faisoit, on le payoit fort mal, car il étoit très mal vêtu et pa-

roissoit fort gueux. S'il avait eu le talent ou l'adresse d'ôter les cors sans

douleur, comme il le disoit, il auroit du aller en carrosse (3). » e

Ce Pédicure ambulant avait plus d'un confrère. Cornelis Dusart nous a

laissé le portrait de l'un d'eux (Pl. XVIII).

C'est au regretté M. Obreen, l'érudit directeur général du Rijks Mu-

seum d'Amsterdam, que je dois la communication de ce document, signalé

par M. Van der Kellen, directeur du cabinet des Estampes. La gravure,

éditée par J. Gole, porte en légende quatre vers hollandais dont voici la

traduction, d'après M. Obreen :

(1) Voy. LesPiel'1'es de Têtes, loc. cit.

(2) Coll. Bredius, n, 442 du Cat. - Voy. Charcot et PAUL Iliciiga. La Ventouseuse,

Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1892, p. 200.

(3) Dioms, Opération de chirurgie, p. 6511, cité par FR,\;I¡KL1N, VU ? '. clciricrg., p. 222.

LES PÉDICURES AU XVIIe SIÈCLE 141

Voici l'art véritable de l'homme

Qui peut extraire les cors aux pieds et les durillons.

Ne m'entends-tu pas, ne me vois-tu pas, cor au pied ?

Ne m'entends-tu pas, cor au pied ? cor, oh ! cor !

Il ne s'agit plus ici de Barbier-Etuveur ni d'opération. C'est le portrait

d'un charlatan qui colporte de village en village un topique merveilleux

pour la guérison des cors aux pieds.

Joyeux drille il face bien nourrie, moins gueux que son confrère de

Paris, coiffé d'un tricorne emplumé, il parcourt les rues en dansant, mon-

trant d'une main un échantillon de ses produits, brandissant de l'autre

une longue canne enguirlandée de tresses et de pompons. Et, chantant à

tue-tète sa réclame rimée, il attire aux portes les habitants étonnés et

rieurs, tandis que les gamins accourent à toutes jambes, délaissant leurs

jeux pour l'escorter et faire chorus avec lui : ,

Ne m'entends-tu pas cor au pied ! cor, oh ! cor ! ...

Les tireurs de cors étaient une variété des charlatans fort nombreux au

XVIIe siècle. Turlupin, dans sa Harangue, les classe à côté des vendeurs

de thériaque et joueurs de gobelets (1).

Colporteurs de drogues et de recettes mirifiques, ils soignent sans ins-

truments, guérissent sans douleur. Pas d'incisions sanglantes, pas de

pansements compliqués, une simple pâte corricide, dont l'effet sera sou-

verain. Et pour attirer le client, nulle estrade, nulle parade, mais une

gambade, une chanson et quelques oripeaux fantaisistes. L'aimable gros

garçon que nous montre C. Dusart ne pouvait manquer de faire un com-

merce prospère.

A ce guérisseur réjoui, dont les jambes se trémoussent avec tant d'ai-

sance, qui n'achèterait le secret de ne plus souffrir d'un cor ? ...

Les Pédicures ambulants faisaient une sérieuse concurrence aux Barbiers

établis au village dans des officines à plusieurs fins. Ils avaient sur eux

l'avantage d'employer une médication indolore et ils savaient merveilleu-

sement mettre il profil la crédulité populaire, en prônant, pour des maux

souvent intolérables, un remède facile et à bon marché.

D'ailleurs, visages nouveaux, aujourd'hui venus, disparus demain, n'a-

vaient-ils pas aussi pour eux le proverbe : « A beau mentir qui vient de

loin » ? ...' `

(1) Franklin, l. c.

142 HENRY MEIGE

VII

Ecole flamande du XVIIe siècle.

Les Singes Barbiers-Pédicures.

(Musée il'Ypres).

Un petit panneau fortement vermoulu, que j'ai remarqué dans le musée

de la ville d'Ypres, représente une parodie des scènes de médecine popu-

laire où clients et opérateurs sont remplacés par des animaux, singes et

chats (1).

Cetle composition fantaisiste est, d'ailleurs, d'une valeur secondaire. Je

tiens à la signaler cependant comme un document satirique dirigé contre

les Barbiers-Pédicures. Au surplus, l'intérieur, les accessoires, l'agence-

ment et les costumes des personnages sont copiés sut' la réalité, mais ici

l'animal a supplanté l'homme.

A gauche, au premier plan, un singe, vêtu de rouge, assis sur un esca-

beau, confie sa patte de derrière il un second singe vêtu de vert, qui entaille

largement la peau; le sang coule abondamment. Le singe opérateur porte

le costume des chirurgiens de village : toque brune, petit tablier blanc,

trousse d'instruments pendue ai la ceinture.

Un troisième singe, habillé de jaune, verse le contenu d'une fiole sur la

plaie. Derrière, un quatrième, debout, grave et doctoral, coiffé d'un bonnet

de fourrures, présente une boite il médicaments. Un cinquième, tout petit,

accroupi par terre, faisant l'office d'apprenti barbier, chauffe un emplâtre

au-dessus d'un réchaud. C'est beaucoup de médecins pour un malade et

celle officine simiesque semble montée sur un grand pied.

Mais les clients affluent, et les chirurgiens devront bientôt se partager

la besogne, car, dans le fond, entre un blessé, le crâne fendu, soutenu

par deux aides, l'un vêtu de rouge, l'autre de blanc.

A droite opère le barbier, coiffé d'une belle toque à plumes. Il fait la

barbe à un chat assis sur une grande chaise et enveloppé d'une large

serviette. Un autre chat, assis sur une banquette, attend patiemment son

tour de barbe.

Les accessoires traditionnels abondent par terre ou sur les murs : plats

à barbe, bocaux, pots et fioles variés.

Un bassin plein de sang témoigne que la saignée est ici en honneur.

Une sorte de brancard complète le mobilier chirurgical.

L'idée de faire parodier les occupations humaines par des animaux est

(1) Je n'affirmerais pas qu'il n'y eût quelques chiens dans le nombre, les malades en

particulier ; mais il est des singes cynocéphales et l'auteur n'était pas fort animalier.

LES PÉDICURES AU XVII, SIÈCLE 143

un mode comique dont l'effet manque rarement. Les singes, en particulier,

par leur ressemblance avec l'homme, se prêtent merveilleusement à ces fan-

taisies dont tes meilleurs artistes ont utilisé la portée satirique et humoris-

tique. D. Teniers a excellé dans ce genre.

On a de lui, à la Pinacothèque de Munich, Un Concert de chats et de sin-

c/es, et Des singes faisant {a cuisine. Au musée du Prado, il n'y a pas moins

de six tableaux attribués à Teniers (1) et dont les personnages sont encore

des singes.

Singes peintres et singes sculpteurs, singes fumeurs,joueurs et buveurs,

singes élèves et singes professeurs, etc. ce troupeau de quadrumanes

pourrait donner raison à Louis XIV qui regardait Teniers comme un

peintre de magots.

Le petit panneau du musée d'Ypres est d'une facture bien lourde pour

être de la main du maître flamand, mais on conçoit aisément que le sujet

en ait été' choisi par l'un de ses imitateurs, désireux d'appliquer à une scène

de chirurgie rustique le procédé caricatural employé par Teniers en tant

d'occasions.

Peut-être faut-il l'attribuer Jan vaN IirssEC,, neveu de Jean Brueghel le

Jeune (Anvers, 1 626-1678),qu asouvent reproduit ces parodiessimiesqucs.

La galerie de Schwerin possède de lui un petit tableau (2) qui repré-

sente encore un intérieur de Barhier-Etuveur où des singes opèrent sur des

chats, savonnant ou rasant. Un des singes fait chauffer des pinces ou des

ciseaux sur un réchaud.

Sur la muraille se voit une affiche où sont figurés un hibou,des lunettes

et une chandelle, avec deux lignes d'écriture illisible au-dessous.

Les mêmes emblèmes ont été reproduits par J. Steen dans son tableau

L'Orgie de la collection van der Hoop à Amsterdam. Là les deux lignes écri-

tes sont lisibles :

A quoi servent chandelles et lunettes

Puisque le hibou ne veut pas voir ? ...

Cette critique facétieuse était souvent adressée aux médecins (3).

FERDINAND VAN KESSEL (Anvers 1648 Bréda 1696 ? ), fils de Jean van

Kessel, a peint aussi des singes, rasant et frisant des chats. On les voit au

musée de Vienne (4).

(1) No 1738 IL 1743 du Calai. On trouve aussi des singes de Teniers le J. à la gale

rie de Brunswick, N 581 (signé) ; au musée de l'Ermitage à St-Pétersbourg, N G99,etc.

(2) Cuivre. Il, 0,1Gj. L, 0,22 : ). Nez H59 du Catal. de Fr. Schlie, 1889. Le No 560 Brelts-

piel représente aussi des singes. - Le premier de ces tableaux a été attribué à TEMMa

par Groth.

(3) Voy. Les Pierres de tête, Jean Steen, loc. cit.

(1) Vienne, Galerie impér. art. et histor.,N° 1183.

Il existe encore d'autres parodies simiesques de la main des maitres flamands :

144 HENRY MEIGE

Du médiocre tableau du musée d'Ypres, je ne pourrais donner qu'un

plus médiocre croquis; la gravure italienne, reproduite Pl. XVII, fera

mieux connaître ces officines simiesques, composées il ['instar des intérieurs

humains. '

Au premier plan sont les Barbiers, au second les Chirurgiens.

Une guenon savonne la face d'un singe assis sur une grande chaière et

tenant un plat à barbe sous son menton.

Le singe-coiffeur, debout, au milieu, armé de longs ciseaux, pratique

une taille savante sur la tête d'un autre client, et celui-ci surveille les

progrès de la coupe en se mirant dans une petite glace que lui présente un

apprenti.

A droite, entre en clopinant, un singe qui s'appuie sur deux béquilles.

Il va passer au second plan où opère le singe-chirurgien.

Ce dernier est en train d'appliquer un large emplâtre sur le genou d'un

patient, assis, le bras droit en écharpe.

On ne chôme pas dans cette officine, car il gauche, entre un groupe de

singes soutenant un autre blessé.

A droite, un aide aiguise les instruments. Dans le fond, par une porte

ouverte, on aperçoit une autre pièce où une guenon surveille unemarmite

suspendue au-dessus d'un grand feu.

Les murs sont garnis de rayons et d'étagères avec des récipients de phar-

macie.

De petits singes non vêtus jouent dans les coins et grimpent sur les

meubles.

S'il ne s'agit pas d'une opération sur le pied, le singe-opérateur figuré

sur celle gravure est cependant de la même famille que celui que nous

avons vu au musée d'Ypres, et qui se montre un Pédicure consommé.

Au singe qui peint, au singe qui fume, au singe magister ou cuisinier,

à toutes les singeries de la vie journalière, les peintres humoristes du

XVII° siècle ne pouvaient manquer d'ajouter la singerie de la médecine,

le Singe-Barbier et le Singe-Pédicure.

AnnAnAM Teniers, Galerie IIarrach., Vienne, ? ' 145 et 146 (signé) ; Van Helmont, Gale-

rie de l'Université, Würlzhourg, N 179 ; N. V. VEMXDAEL, Galerie roy. de Dresde,

N 11G1 (signé 1G86). Voy. Calai. FniEnMEcn SCnLIE, Gemàlde-Gallerie von Schwerin,

p. 313.

Le gérant : P. Bouchez

Imp. G. St-Auhin Thevcnol. - J. Thevenol, successeur, Sl-Dizior (lIte-Marne). -

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

T, X, PL, Xlll,

L'ÉTUVE DE VILLAGE

d'après un tableau d'ADRIAEN BROUWER

peintre hollandais (iGo-iG;3)

(Pinacothèque de Munich )

',NI vssov rr CIe, éditeurs.

SINGES BARBIERS ET SINGES CHIRURGIENS

Masson et CIC, Éditeurs.

Le Pédicure ambulant

D'après une gr.ivure de COROELIS DUSART.

(Collection des Estampes, Rijks Muséum d'Amsterdam.)

llasson et C ? éditeurs.

10° Année ? 3 MAI-JUIN 1897

LE TRAITEMENT DE L'ATAXIE

. PAR

L'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

PAR

GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT

Professeur agrégé à la Faculté. Consultant de Chirurgie à la Salpêtrière

Au cours de recherches sur l'anatomie topographique du rachis et de la

moelle épinière, nous avons été frappés de ce que l'on pouvait, à l'aide de

certaines manoeuvres bien définies, faire subir à la moelle une élongation

manifeste, et nous avons cru devoir transporter cette donnée dans le do-

maine thérapeutique : ce sont nos investigations à ce sujet, poursuivies

depuis bientôt quatre ans, que nous désirons faire connaître aujourd'hui.

I. - DONNÉES d'anatomie expérimentale.

La suspension, remarquons-le tout d'abord, ne produit pas d'allongement

appréciable de la moelle : si l'on suspend un cadavre non autopsié à l'aide

d'un appareil de Sayre dépourvu de soutiens axillaires, on constate, le ca-

nal vertébral ayant été préalablement ouvert sur toute sa longueur, qu'il

ne se produit aucune modification appréciable de son contenu; cette ma-

noeuvre augmentant la longueur du rachis de près de 1 centimètre, est tou-

tefois probable qu'elle exerce une action réelle sur la moelle et sur les

paires radiculaires : mais c'est une action minime, évidemment moindre

encore lorsque la suspension est faite sur un sujet vivant, chez lequel les

muscles périvertébraux augmentent la résistance qu'oppose le rachis au

poids des membres inférieurs, seul facteur possible de son allongement

dans le cas particulier. ,

Au contraire, la flexion du rachis produit unallongement vrai, mesurable

avec un centimètre souple ordinaire, de la moelle épinière et des racines.

Nos premières expériences dans ce sens, exécutées sur des rachis vidés

de leur contenu, nous avaient montré que la flexion du rachis faisait su-

bir à la paroi antérieure de son canal un allongement considérable, por-

x 11

146 GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT

tant principalement sur les vertèbres dorso-lombaires. Cet allongement,

sur les sujets où nous l'avions mesuré, avait été considérable : 3 cent. 1.

3 cent. 5 et 4 cent. 3, soit près du vingtième de la longueur totale de la

colonne vertébrale au repos qui était respectivement de 52 centimètres,

60 cent. 3 et 72 cent. 8. Chez notre premier sujet, sur 3 cent. 1 d'allon-

gement, 8 millimètres étaient revenus aux vertèbres cervicales, 4 aux

10 premières dorsales, 12 aux 3 vertèbres suivantes, 7 aux 4 dernières ;

chez notre second sujet, sur 3 cent. 5,1'allongement avait été respective-

ment de 6.6, 14 et 15 millimètres; chez notre troisième sujet sur si cent. 3,

de 10.6, 15 et 12 millimètres.

Nous devions dès lors nous demander comment s'accommodait à de

telles modifications le contenu du canal, relié à sa paroi antérieure par de

multiples attaches.

Un essai fut fait tout d'abord sur un cadavre dont le canal rachidien

renfermait intact le fourreau durai mis à nu sur toute son étendue ; pen-

danl la flexion, celui-ci se tendit, s'aplatit, se rida longitudinalement et

s'allongea de 1 cent. 7, passant de 51 cent. 1 à 52 cent. 8, au niveau de

sa face postérieure seule mensurable.

Malgré l'importance de cette constatation, il nous sembla préférable de

faire porter ultérieurement nos mensurations, non plus sur le fourreau

durai, mais sur les organes nerveux intra-duraux eux-mêmes; ce que nous

fîmes, alors, sur trois sujets et, depuis, sur deux autres ; soit, en totalité,

cinq expériences, qui nous ont donné les résultats suivants :

a) La flexion du rachis produit un allongement constant de l'ensemble

des organes nerveux intra-duraux : il a été, sur nos 5 cadavres, respecti-

vement de 1 cent. 3, 1 cent. 2, 1 cent. 6, 2 cent. et 1 cent. 1.

b) Cet allongement total se partage entre la moelle et la queue de che-

val. La part qui revient à la moelle ne varie que fort peu d'un sujet à l'au-

tre. Au contraire la part qui revient à la queue de cheval varie très nota-

blement : c'est à elle que sont dues presque exclusivement les variations

individuelles du total.

En effet, nous avons obtenu les résultais suivants :

TRAITEMENT DE L'ATAXIE PAR 1,'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE 147

pendant la flexion du rachis : ascension bien réelle, connue depuis long-

temps, et dont les conséquences chirurgicales ne sont pas sans intérêt;

nous tenions à faire constater que son existence ne contredit en rien la

notion de rallongement vrai de la moelle pendant le même mouvement.

c) Il résulte encore de nos mensurations que l'allongement proprement

dit de la moelle ne porte pas avec une égale intensité sur les divers seg-

ments de cet organe. Dans le sens longitudinal, il se localise au-dessous

de la deuxième paire radiculaire dorsale, avec maximum à la hauteur des

premières paires lombaires : nous renonçons à donner à ce sujet nos me-

sures millimétriques, qui, par suite de la variabilité, avec les régions, de

l'intervalle entre deux paires radiculaires consécutives, ne pourraient

offrir de ce résultat très net qu'une idée tout ci fait inexacte. Dans le sens

antéro-postérieur d'autre part, l'allongement porte nécessairement davan-

tage sur les parties postérieures de la moelle que sur ses parties antérieu-

res, puisque l'axe de flexion du rachis passe en avant de cet organe : çette

différence [d'action est évidente; nous n'avons pas réussi à la mesurer

d'une manière précise.

Telles ont été nos expériences : disons en terminant leur description

que toutes furent exécutées, le cadavre étant assis sur la table d'amphi-

théâtre, les membres inférieurs étendus et fixés il plat sur cette table, les

pieds se joignant et se touchant par leur bord interne.

En somme, tandis que la suspension du rachis ne produit qu'une élonga-

lion insignifiante de la moelle, sa flexion sur un sujet assis les jambes éten-

dues produit une élongation de cet organe de près de 1 centimètre, portant

presque toute son action sur ses parties postérieures, au niveau des jJ1'emiè-

res paires lombaires.

II. Applications thérapeutiques.

Ces faits constatés, nous pensâmes à les appliquer à la thérapeutique de

l'ataxie locomotrice.

Nous y étions encouragés par ce fait que, pendant ces vingt dernières

années, le traitement de cette affection a été dominé presque complète-

tement par cet objectif : agir mécaniquement sur les organes nerveux ma-

lades.

Dans une première période, qui dura de 1878 à 1883, nombre d'au-

teurs, tant en France qu'à l'étranger, cherchèrent à y réussir par l'élon-

gation des nerfs : aujourd'hui condamnée comme méthode de traitement

général du tabes, cetle technique reste, appliquée non plus aux gros troncs

nerveux, mais aux petites branches périphériques, le seul procédé thérapeu.

148 GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT

tique efficace contre ses accidents trophiques (maux perforants, etc.), ainsi

que l'un de nous l'a récemment démontré (1).

On saura à l'occasion l'associer, sous cette forme particulière, au traite-

ment principal de l'affection médullaire.

Celui-ci, du reste, chercha presque immédiatement à devenir tout à fait

direct; l'élongation de la moelle elle-même devint le but des efforts de la

thérapeutique.

Dès 1883,Moczutkowski d'Odessa, publiait les bons effets qu'il avait, en

cherchant ce résultat, obtenus chez 15 tabétiques l'aide de la suspension

avec l'appareil de Sayre. Ses essais restèrent presque ignorés jusqu'au

jour où M. Raymond de retour d'un voyage en Russie, fit part à notre

regretté maître Charcot des bénéfices obtenus par cette technique. En 1888,

celui-ci confiait à l'un de nous, alors son chef de clinique, le soin d'expé-

rimenter dans son service le nouveau procédé de traitement ; le 19 janvier

1889, nous publiions nos premiers résultats (2), obtenus sur 18 tabéti-

ques ; le 25 février (3), nous y revenions, en nous basant sur l'étude de

40 malades ; enfin, en mai 1890 (4), tablant sur une statistique de 100 cas

nous disions : « 100 ataxiques à la période moyenne de leur affection

soumis à la suspension peuvent, après 30 à 40 séances, être divisés ainsi

qu'il suit : 20 à 25 sont améliorés suivant la totalité des symptômes de la

maladie, particulièrement les douleurs fulgurantes, l'incoordination mo-

trice, les troubles génito-urinaires, sans qu'il y ait de changements dans

les troubles oculaires et le signe de Westphall, 30 à 35 ressentent à des

degrés divers une amélioration d'un ou de plusieurs, mais non de la to-

talité des symptômes. Les autres, 35 à 40 pour 100 environ, ne retirent

aucun bénéfice de la suspension ou du moins n'en retirent que des béné-

fices trop passagers pour entrer en ligne de compte dans les résultats fa-

vorables. »

L'enthousiasme même qui accueillit la suspension lui fut des plus préju-

diciables : il n'y eut bientôt plus en France un établissement hydrothéra-

(1) A. CIIIP.1ULT. De la cure radicale du mal perforant par l'élongation des nerfs

plantaires (Académie de médecine, G avril 1891), publié in extenso dans la Médecine

moderne, numéro du 7 avril 1897.

(2) J.-111. Charcot. De la suspension dans le traitement de l'alaxie locomotrice et de

quelques autres maladies du système nerveux. Leç. recueillie par Gilles de la Tuu-

nETTE. Progrès médical, 19 janvier 1889.

(3) Gilles DE la TounETTE. De la technique à suivre dans le traitement de l'alaxie

locomotrice progressive et de quelques autres maladies du système nerveux. Progrès

médical, 23 février 1889.

(4) Gilles de la TounETTE. Modifications apportées à la technique de la suspension

dans le traitement de l'ataxie locomotrice el de quelques autres maladies dît système

nerveux. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, ne 3, 1890.

TRAITEMENT DE L'ATAXIE PAR L'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE 149

pique, voire une salle de gymnastique, où elle ne fut appliquée, laissée le

plus souvent aux mains de garçons de bains, de gens complètement igno-

rants des choses de la médecine ; on y soumit à tort et à travers tous les

ataxiques, si bien qu'il se produisit des accidents graves, même des cas de

morl subite qui jetèrent sur elle le discrédit. L.

Aussi, en 1891-92, sous l'influence de Brown-Sequard, les injections

de suc testitulaire se substituèrent-elles sans effort à la thérapeutique mé-

canique : leur vogue fut du l'este -brève, car elles ne tinrent en rien les

promesses dont on les avaitcru susceptibles.

Et, dans ces dernières années, on en revint peu à peu à la suspension.

Erh (1) la préconise à nouveau comme donnant d'excellents résultats, sur-

tout marqués chez les sujets qui ont des douleurs, de l'anesthésie, de la

faiblesse musculaire, des troubles vésicaux. Vorotensky (2) arrive de son

côté à des conclusions à peu près analogues. Dans une Revue critique,

M. Belugou (3), médecin de Lamalou, les appuie de son expérience. Tout

récemment, le professeur Raymond (4) déclare que la méthode deMoczut-

kowski reste pour lui la méthode de choix dans le traitement du tabes.

D'autre part, on essaie de supprimer les accidenls de la suspension en fai-

sant fléchir les jambes sur le tronc, soit directement (Bonuzzi) (5), soit à

l'aide de courroies (Blondel) (6) ; ces deux tentatives sont demeurées sans

écho.

Quant il nous, restés constamment fidèles au principe de l'élongation

médullaire, nos idées sur la meilleure manière de l'obtenir en pratique se

sont transformées, à la suite des recherches anatomiques que nous avons

tout à l'heure rapportées : elles nous prouvaient, en effet, la nécessité,

pour les produire réellement, non plus de suspendre, mais de fléchir le

rachis de nos malades.

(1) ERB. Die Thérapie der Tabès. Sammlung hlinisclier Vorlrage, n, 150, avril 1890.

(2) VOROTEXSKY. Ueber die Suspension als eine Belzandlung méthode bei Nervenlcranlc-

keiten. Deutsche Zeitschrift sur Nervenheilkunde, vol. VIII, liv. 1 et 2, 1895.

(3) ! 3¡;LUOOU. Traitement mécanique de l'ataxie. Nouv. i\lontpe\11er méd ? supplément

ni-mensuel, 1er janvier 1896, p. 17.

(4) F. Raymond. Le traitement de l'incoordination motrice du tabes par la rééducation

des muscles. Revue intern. de thérapeutique, no, 5, 6, 7, 1896.

(5) 130¡ : 7ZI. Atti della reale Accademia di Roma, 1890-1891, p. 251. A ce propos BE-

NEDtKr (die Méthode Bonuzzi der l3elzaidluzg der Tabes, Wiener med. Presse, 1892,

p. 4), se faisant l'apologiste de la méthode de Bonuzzi, dit que cet auteur a expert-'

mente sur le cadavre l'action mécanique de la flexion rachidienne sur la moelle et ob-

tenu des résultats trois fois plus considérables que par la suspension : nous n'avons

pas trouvé le détail de ces expériences dans les journaux italiens contemporains.

(6) Blondel. Revue de thérapeutique wédico-chirurgicale, 1er avril 1895. »

150 GILLES DE LA TOURETTE ET A. CIIIPAULT

L'appareil que nous avons fait construire dans ce but (Fig. 1) se compose

essentiellement d'une table basse, portative, longue de 1 m. 50, large de

45 centimètres, portant à sa partie postérieure un petit dossier auquel est

fixée une courroie ou sangle. Sur la ligne médiane à l'union du tiers pos-

térieur et des deux tiers antérieurs de la table, est adaptée une poulie sous

laquelle passe une corde de traction reliée à une moufle fixée au niveau du

bord libre. Le patient s'assied bien d'aplomb sur la table, les jambes

étendues, la poulie située dans leur intervalle (Fig. 2) : le tronc est fixé

par la sangle du dossier, afin d'éviter le glissement du corps en avant ; les

jambes sont maintenues dans la rectitude, les pieds reposant sur la table

par les talons et leur bord interne se touchant, par une sangle passée au-

tour de la table et fixée au-dessus des genoux. On dispose alors la partie

essentielle de l'appareil, qui consiste en une sangle à quatre branches af-

fectant la forme d'un X. Ses deux branches supérieures sont munies d'an-

neaux situés à diverses hauteurs ; leur face antérieure porte cette indica-

tion destinée àéviter deserreurs d'application : face, côté droit, côté gauche.

Des deux branches inférieures, la plus petite qui doit être placée du côté

gauche du sujet, est pourvue d'une boucle ; la plus grande passe autour du

bassin puis sous la table et va se fixer à la boucle de la précédente. Les deux

branches supérieures passent sous les bras. Au niveau de la région dorsale

on les entre-croise à la façon d'une croix de St-André, de manière que la

branche droite passelgauche, et réciproquement, et que leur extrémité 1 ibre

munie d'anneaux vienne de chaque côté se poser sur les épaules à la façon de

deux bretelles. A ces anneaux, un peu plus haut, un peu plus bas, suivant

la taille des sujets, se fixent les deux extrémités terminées en crochet d'une

petite barre de fer disposée en forme de cintre et muuie à sa partie mé-

diane dun anneau dans lequel s'engage la corde de traction : celle-ci se

Fig. 1.

TRAITEMENT DE L'ATAXIE PAR L'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE 151

réfléchissant sur la poulie située entre les jambes du sujet, la traction

d'horizontale devient verticale, ce qui force le malade, l'appareil étant en

place et manoeuvré, à se courber, à fléchir le rachis (Fig. 3).

Il est des sujets chez lesquels les disques inverlébraux sont assez

élastiques pour que la flexion maximum soit dépassée immédiatement; ils

se plient en deux comme une charnière à la façon de certains acrobates :

ces sujets sont rares ; la flexion forcée du rachis, on le comprend, ne leur

est pas .applicable. Il en est d'autres chez lesquels le développement

exagéré du tissu adipeux qui double les parois abdominales met obstacle

à la flexion en avant : ceux-là sont peut-être dans l'espèce encore plus

rares que les précédents, les alaxiques, loin d'être adipeux, étant presque

toujours émaciés.

En dehors de ces deux conditions exceptionnelles, la flexion est tou-.

jours et facilement applicable.

Dans la majorité des cas la force à déployer, mesurable à l'aide d'un

dynamomètre qu'on peut interposer entre le crochet de la moufle et la

corde de traction, varie entre 60 et 80 kilos, soit une moyenne de 70 kilos

fournie par 10 ataxiques.

Fic. 2 et 3.

152 . GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT

. Ce maximum n'est pas obtenu dès la première séance. Le sujet, forcé

de se courber en avant, éprouve en effet, dans la région dorso-lombaire,

une sensation qui devient vite douloureuse : la tolérance augmente géné-

ralement dans les 5 ou 6 premières séances pour devenir ensuite station-

naire. D'autre part, lorsque la traction est exagérée, le sujet seul une

tension dans les sciatiques des deux côtés, ce qui est la meilleure preuve

qu'il se produit une élongation de la moelle et des gros troncs nerveux

qui se rendent aux membres inférieurs : nous insistons toutefois sur ce

fait que pendant la durée de l'opération les membres inférieurs doivent

rester étendus à plat, de façon à ne pas permettre le relâchement des sciati-

ques. La tête sera libre, moyennement fléchie sur le thorax, les bras

seront pendants ou repliés le long du tronc.

Dans ces conditions, aucun accident n'est à redouter, la respiration se

fait librement, la circulation n'est en aucune façon gênée, à l'inverse de ce

qui se produit généralement dans la suspension.

De même qu'au début de toute séance la traction doit être progressive,

à la fin de l'opération on ne produira pas, en lâchant brusquement la

corde de traction, une déflexion subite du rachis ; on filera peu à peu,

puis le malade sera rapidement démuni de son appareil et pendant

quelques instants se placera sur un canapé ou un lit de repos. Il pourra

ensuite, s'il est encore valide, se livrer immédiatement à ses occupations

habituelles.

La durée moyenne d'une séance oscille entre 8 et 12 minutes, temps

maximum.

Nos recherches, à l'aide de l'appareil que nous venons de décrire, ont

porté sur deux groupes de sujets.

Nous avons d'abord expérimenté sur 10 individus valides, qui ont bien

voulu se prêter à nos investigations, de façon à nous permettre de nous

rendre un compte exact des sensations éprouvées et de préciser ainsi la

technique de l'intervention.

Nous avons ensuite opéré sur l17 ataxiques : 39 hommes et 8 femmes.

Disons, tout d'abord, que nous n'avons pas soumis indistinctement tous

les ataxiques qui se présentaient à la flexion rachidienne : le discrédit qui,

à un moment donné, a atteint la suspension, est venu certainement, pour

une part au moins, de ce qu'aucune sélection n'était faite parmi les mala-

des traités. Il faut savoir respecter certains cas de tabes. Tous les méde-

cins ont observé des tabétiques chez lesquels l'affection, nettement déter-

minée, se jugeait uniquement, après une durée de dix ans et plus, par

l'abolition du réflexe lumineux et patellaire, le signe de Romberg, quel-

ques douleurs fulgurantes et un peu de parésie vésicale : il est évidemment

TRAITEMENT DE L'ATAXIE PAR L'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE. ! 53

inutile d'intervenir par les moyens mécaniques dans ces cas dont l'évolu-

tion modifie fort peu les conditions de l'existence. De même, l'intervention

mécanique n'est guère indiquée à la troisième période du tabes, lorsque

l'incoordination est très accentuée, que les malades sont dans ce que l'on

a appelé, avec juste raison, la cachexie tabétique. Enfin il existe des tabes

à marche aiguë qui semblent, à quelque époque que ce soit, défier tous les

efforts de la thérapeutique : l'intervention mécanique y est nettement con-

tre-indiquée. Restent les ataxiques parvenus à la deuxième période de leur

mal, en voie d'incoordination, chez lesquels l'affection se révèle par son

luxe habituel de symptômes : crises de douleurs fulgurantes dans les mem-

bres, crises viscérales, anesthésies variées, troubles génitaux et vésicaux ;

si l'on n'intervient pas, les sujets de cette catégorie sont fatalement voués à

une évolution progressive et assez rapide de leur mal : chez ces ataxiques,

de tous les plus nombreux, la flexion du rachis constitue, rt n'en pas douter,

la méthode thérapeutique la meilleure, bien supérieure, en particulier, à

toutes les autres méthodes mécaniques.

Nos observations le démontrent péremptoirement.

En effet, 22 de nos malades, soit près de la moitié, ont été améliorés sui-

vant la presque totalité des symptômes de leur maladie. Cette amélioration

a porté, en premier lieu et surtout, sur l'ensemble des phénomènes dou-

loureux : crises à caractère fulgurant, troubles de la sensibilité. En second

lieu, nos malades ont retiré un grand bénéfice de la méthode par rapport

aux troubles urinaires, la rétention en particulier : l'incontinence a été

moins favorablement influencée sans que nous puissions en donner une

interprétation suffisante. Enfin la flexion a eu une action presque cons-

tamment favorable sur l'impuissance. Sur nos 22 malades, 12 présentaient

une incoordination motrice assez marquée : chez 10 la marche a pu se ré-

tablir dans des conditions satisfaisantes. Dans tous les cas les symptômes

oculaires ou bulbaires n'ont été que très médiocrement modifiés. Ces ré-

sultats cadrent curieusement, notons-le en passant, avec les résultats de

nos recherches anatomiques ; la flexion, nous l'avons vu, a une action

surtout marquée sur la moitié inférieure de la moelle dorsale, la moelle

lombaire et les nerfs de la queue de cheval ; or, cliniquement, c'est in-

contestablement d'une façon prédominante, sur les symptômes imputables

aux lésions de ces régions, par lesquelles débute du reste presque toujours

le tabes, qu'a porté l'amélioration : douleurs en ceinture, crises gastri-

ques, douleurs dans les membres inférieurs, parésie vésicale et incoordi-

nation motrice.

A côté de ces 22 cas où le résultat a porté d'une façon générale sur la

totalité des symptômes de l'affection, 15 autres en ont retiré des bénéfices

154 GILLES DE LA TOURETTE ET A. CHIPAULT

analogues, mais plus restreints et limités à quelques-uns seulement de ces

symptômes.

10 de nos malades seulement n'ont retiré de la flexion rachidienne. aucune

amélioration. Cette proportion est d'un quart à peine, au lieu du pourcen-

tage de 35 à 40 insucccès pour 100 établi dans notre première statistique

portant sur 100 cas de tabes traités par la suspension dans le service du

professeur Charcot à la Salpêtrière.

Aucun de-nos malades n'a subi moins de 15 à 20 séances de flexion,

terme moyen auquel nous nous sommes bornés lorsque la méthode ne

semblait pas devoir donner de résultats satisfaisants. L;amélioration s'est

montrée généralement vers la dixième ou quinzième séance à dater du

moment où la traction maximum avait été tolérée. La pratique nous a

conduits à conseiller une séance tous les 2 jours; la séance quotidienne

n'est efficacement tolérée qu'à la condition de ne pas excéder 5 1 8 minu-

tes de durée ; elle peut être utile dans les cas où les phénomènes doulou-

reux sont prédominants. D'une façon générale il nous a semblé inutile

d'appliquer la méthode pendant plus de 3 il 4 mois conséculifs, soit 40 à

50 séances. Il arrive en effet presque toujours une période où, dans un

traitement de longue durée tel que celui du tabes par l'élongation de la

moelle, les bénéfices obtenus semblent au moins momentanément ne pou-

voir être dépassés. Il faut alors interrompre les séances et profiter de ces

interruptions pour instituer un traitement médicamenteux, prescrire une

saison thermale, car l'élongation n'est pas exclusive des autres méthodes

thérapeutiques et se combine heureusement avec elles. Bien entendu,

après 1 mois et demi ou 2 d'interruption, on devra reprendre, pour une

nouvelle période de durée variable, les séances de flexion redevenues uti-

lisables.

Nous conclurons donc en disant que, forts d'une expérience de plus de

quatre ans, nous considérons la flexion rachidienne, seul moyen d'obtenir

l'élongation vraie de la moelle, comme exempte des dangers de la suspension

et comme permettant d' obtenir chez les ataxiques un bénéfice thérapeutique

que l'on peut estimer au double de celui, déjà satisfaisant, que procurait

cette importante technique.

TRAVAIL DU LABORATOIRE DES CLINIQUES DE LA FACULTÉ

DE BORDEAUX.

NOTE

- SUR

LES LÉSIONS DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE

DANS LA RAGE HUMAINE

PAR

J. SABRAZÈS et C. CABANNES

Agrégé de médecine Chef de clinique

à la Faculté de Bordeaux.

On pensait autrefois que la rage n'avait pas de substratum anatomo-pa-

thologique. Cette opinion provenait de ce que les méthodes mises en usage

étaient insuffisantes pour montrer les fins détails de structure. A la lu-

mière des procédés techniques actuels, des lésions ont été constatées par

divers observateurs et entre autres par Golgi.

La rage expérimentale du lapin, inoculé par trépanation, a été l'objet

des investigations de Golgi (1). Il décrit trois phases dans le processus des

altérations nerveuses.

Au début, on observe, dans la moelle et le bulbe, des phénomènes de

congestion, de diapédèse et de réaction de la part des cellules endothélia-

les, de l'épithélium épendymaire et des cellules névrogliques qui se mul-

tiplient par karyokinèse. A un second stade, les cellules nerveuses se creu-

sent de vacuoles, les cellules névrogliques contiennent des granulations

graisseuses. A une 3e période, les cellules nerveuses deviennent vésicu-

leuses et elles perdent leurs prolongements protoplasmiques, subissant,

surtout dans le bulbe et la moelle, un processus régressif de dégénéres-

cence granulo-graisseuse ; le noyau est déplacé vers le prolongement cylin-

dre-axile devenu moniliforme. Les ganglions rachidiens sont particulière-

ment altérés.

D'après M. Letinois (2), dont la thèse a été inspirée par M. le profes-

(1) Golgi. Berl. klin. Woch., 1894, n" 14, p. 325.

(2) LETINOIS, Th. de Bordeaux, 1895,

156 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

seur Ferré, les lésions de la rage paralytique du lapin consistent en une

encéphalo-myélite aiguë. Les cellules de Purkinje du cervelet et les cel-

lules motrices des noyaux bulbaires sont particulièrement sensibles à l'ac-

tion du virus rabique. '

MM. Germano et Capobiancô (1), de Naples, ont examiné des chiens et

des lapins morts de la rage des rues. Ils insistent sur l'ectasie des vais-

seaux de la substance grise de la moelle et sur la présence de petites hé-

morrhagies diffuses dans les gaines qui subissent la dégénérescence hya-

line, tandis que l'endothélium prolifère. Ils notent une infiltration leuco-

cytairedesespaces lymphatiques autour etjusque dans les cellules nerveuses

qui s'atrophient, deviennent vacuolaires, le noyau étant repoussé à la pé-

riphérie et se transformant en des résidus informes. Les cordons antérieurs

et latéraux sont intéressés. La névroglie interposée aux fibres et aux cellules-

nerveuses est hyperplasiée, les cellules en araignée se multiplient par

karyokinèse. L'hyperplasie névroglique favorise la régression des cellules

et des fibres'nerveuses dont la myéline est fragmentée et granuleuse.

M. Marinesco (2) a étudié chez le lapin les altérations des cellules ner-

veuses à l'aide de la méthode de Nissl. Dans la rage, on voit la substance

chromatique, à la périphérie du corps cellulaire, transformée en un fin ré-

seau d'aspect particulier; plus rarement la zone de dégénérescence péri-

phérique est granuleuse et même quelquefois presque incolore. Très rare-

ment, on voit une couche mince de corpuscules chromatiques de Nissl, à

la périphérie de la cellule, ensuite une couche très dense, et, entre les

deux couches, une partie intermédiaire sans corpuscules. Il est à remar-

quer que, dans beaucoup de cellules, les éléments chromatiques très den-

ses.'changés de forme et de volume, sont accumulés autour du noyau qui

se colore d'une façon très vive.

Nous avons borné nos recherches à l'étude des cellules nerveuses de la

moelle cervicale d'un rabique qui a succombé à l'hôpital St-André de Bor-

deaux dans le service de M. le Dr Rondo ! .

" Cet homme, âgé de 37 ans, mordu le 22 février 1896, traité à l'Institut

Pasteur du 25 février au 16 mars, a présentéles premiers symptômes de la

maladie le 22 mai (spasmes, hydrophobie, etc.). Il a succombé le 28 mai

aux phénomènes paral3 tiques de la rage ; le bulbe, inoculé par trépana-

tion à des lapins, les a rendus rabiques, après une incubation de 15 jours.

La moelle cervicale de cet homme a fait l'objet de nos recherches.

Après fixation par l'alcool absolu, les segments de moelle, de unà deux

millimètres d'épaisseur, ont été imprégnés de chloroforme et montés dans

la paraffine fusible à 55. ,

(1) Germano et CAPODiANco. Annales de l'Institut Pasteur, 1895.

(2) MAIIINESCO. Presse médicale, no 8, 1897. , ,

DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE HUMAINE 157

Sur des coupes fines colorées par la thionine en solution aqueuse con-

centrée, déshydratées et éclaircies par l'alcool absolu, l'essence de berga-

mote, le xylol et montées dans le baume, nous avons fait quelques obser-

vations qu'il nous a paru intéressant de rapprocher de celles de M. Mari-

nesco qui a exclusivement examiné des moelles de lapins rabiques ayant

vécu 12 jours. Nous avons employé la méthode à la thionine parce qu'on

tend à la substituer à la méthode initiale de Nissl et parce qu'elle permet

de mieux étudier le noyau. Préconisée par van Lenhossek, elle vient d'ê-

tre recommandée tout particulièrement par D. S. Ramon y Cajal.

Mais avant d'exposernos résultats, nous tenons à rappeler succinctement

quel est l'aspect des cellules nerveuses de la moelle après l'action de la

thionine et de l'alcool. Nous emprunterons cette description à D. S. Ramon

y Cajal (1) qui vient de publier sur ce sujet un travail des pJus remarqua-

bles.

Les cellules nerveuses de la moelle appartiennent toutes au type multi-

polaire. La thionine permet de bien voir tous les caractères morphologi-

ques mis en évidence par les autres réactifs, mais de plus elle facilite l'é-

tude des deux particularités suivantes du protoplasma : substance chroma-

tique, réseau achromatique ou spongioplasma. Dans les cellules motrices

de la corne antérieure, la substance chromatique est disposée sous forme

de grumeaux qui s'étalent à la périphérie de la cellule et s'allongent en

fuseaux dans les expansions protoplasmiques (Fig. 1 empruntée à D. S. Ra-

mon y Cajal). Au niveau des points où ces expansions se bifurquent, la

substance chromatique a l'aspect d'un cône à base périphérique. Ces dé-

pôts chromatiques, orientés parallèlement aux contours cellulaires, concen-

(1) D. S. RAMON Y Cajal. Exl1'uctul'a del protoplasma neroioso (Anales de la Socie-

das depanola de historia natural), tomo XXV, cuaderno 1°.

Fig. 1.

158 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

triquement au noyau, font absolument défaut dans le cylindre-axe ; ils sont

englobés dans un réseau alvéolaire dont la trame répond la substance

achromatique ou spongioplasma. Les diverses stratifications de matière

chromatique sont sillonnées par des espaces linéaires qui parcourent toute

la cellule et convergent vers le cylindraxe, établissant ainsi un système de

communications entre le spongioplasma des dendrites ou prolongements

protoplasmiques et celui de la région périnucléaire et du cylindre-axe.

Ces espaces clairs de la cellule sont ménagés entre les dépôts chroma-

tiques, dans leurs interstices. Le cylindre-axe est exclusivement constitué

par du spongioplasma. -

Les dépôts chromatiques ont,dans les grandes cellules et les moyennes,

l'apparence soit de gros grumeaux polygonaux, étalés, d'où semblent s'ir-

radier de nombreuses travées des spongioplasmas, soit de'granulations

arrondies ou irrégulières, situées aux noeuds d'entrecroisement du réseau

achromatique. Les grumeaux volumineux sont entrecoupés il leur surface

de lacunes sphériques qui représentent autant de petites mailles vides du

spongioplasma.

Les dépôts chromatiques sont donc réunis entre eux par des filaments'

réticulés, pâles, n'ayant aucune affinité pour les couleurs basiques d'ani-

line, limitant des mailles polygonales de faible étendue ; quand ces dépôts

chromatiques sont très rapprochés, les travées incolores les relient les uns

aux autres sans qu'il existe un réseau intermédiaire, mais habituellement,

entre deux dépôts voisins, existent deux ou trois mailles complètes duré-

ticulum. Dans l'intimité des dendrites, les filaments du réseau achromati-

que s'amincissent, leurs mailles se rétrécissent, et, à une certaine distance

du corps cellulaire, la trame du spongioplasma devient extrêmement ser-

rée et difficile à résoudre même avec les objectifs les plus puissants.

Au niveau du point d'origine du cylindre-axe, les grumeaux et grains

chromophiles disparaissent pour ainsi dire brusquement et les filaments

du spongioplasma se disposent en un réseau très fin et pâle qui se con-

tinue avec la trame fibrillaire de l'expansion cylindre-axile.

Enfin le réseau achromatique qui constitue en quelque sorte la char-

pente de la cellule nerveuse se termine à la périphérie en s'insérant il une

condensation protoplasmique qui forme la membrane cellulaire. La ques-

tion de savoir si ces particularités du protoplasma ne seraient pas des

modifications artificielles dues à l'action des réactifs a été tranchée par la

négative : elles correspondent à des différenciations morphologiques in-

discutables.

Quant au noyau, il occupe le centre de la cellule; la chroma tille y est

condensée en un seul nucléole homogène, sphérique, plus ou moins cen-

tral ; le suc nucléaire est traversé par un réseau irrégulier de linine dans

DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE HUMAINE 159

les noeuds d'entrecroisement de laquelle on ne peut voir de grains chro-

matiques. Le nucléole volumineux est parfaitement sphérique et double

dans quelques cas ; l'une des sphères chromatiques est alors plus grande

que l'autre. La thionine donne au réseau de linine une légère teinte bleu

clair, le nucléole est violacé.

Tels sont les caractères des cellules motrices radiculaires de la corne an-

térieure à l'état normal. La plupart des cellules des cornes antérieures

et par conséquent un bon nombre des cellules de cordon ont exactement

les caractères décrits.

Dans la moelle existent d'autres types cellulaires ; c'est ainsi que dans

les cellules nerveuses de la substance gélatineuse de Rolando, les granu-

lations chromatophiles du protoplasma, de petit volume, sont tantôt dispo-

sées en bordure périphérique en contact immédiat avec la memhrane cel-

lulaire et limitant entre elle et le noyau un espace purement achromati-

que, tantôt au contraire ces grains sont relativement développés, d'aspect

triangulaire ou semi-lunaire, situés autour du noyau, constituant une

sorte d'éperon en face de la zone d'émission des expansions protoplasmi-

ques principales (1). Dans le noyau de ces dernières cellules, la chroma-

tine est agglomérée en une série de granulations centrales, les unes assez

grosses, les autres très fines. La cavité nucléaire est traversée par un réseau

de linine exlrêmement délicat, dont les lrabécules convergent en grande

partie vers les nucléoles ; le long des filaments pâles de ce réseau ou à

leurs noeuds d'entrecroisement, on remarque quelques grains chromati-

ques très fins. Les nucléoles, qui représentent la plus grande partie de la

chromatine de ce noyau, sont au nombre de deux ou trois ; îls peuvent

être plus nombreux encore; ils sont irréguliers, sans orientation déter-

minée, parfois l'un d'eux est plus grand que les autres. Immédiatement

au-dessous de la membrane nucléaire on n'observe aucune trace de chro-

matine. Ce type nucléaire peut se rencontrer aussi dans quelques cel-

lules dites de cordon.

Après avoir montré comment se présentent les cellules de la moelle à

l'état normal, il nous sera relativement facile d'établir en quoi consistent

les modifications anatomo-pathologiques imprimées à ces cellules par le

virus rabique.

On est d'abord frappé par la topographie des lésions (Fig. 2). Les cor-

nes postérieures, les groupes cellulaires postéro-internes des cornes anté-

rieures sont altérés au premier chef. Les cellules postéro-externes et an-

térieures de ces mêmes cornes présentent aussi des altérations évidentes

(1) D. S. Ramon Y Cajal. Loc. cit.

160 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

mais plus diffuses et moins accentuées. La plupart des cellules de la subs-'

tance de Rolando et des cornes postérieures etdes cellules situées à l'union

des cornes antérieures et postérieures sont non seulement dépourvues de

prolongements, de granulations chromatophiles, mais encore de noyau.

Le corps cellulaire n'est plus qu'un globe anhiste; tandis que, plus en

avant, dans; les cornes antérieures, on aperçoit des degrés divers d'altéra-

tions que nous allons passer en revue en établissant une échelle de gra-

dation (1). ,. - - ' '

A. Les cellules mesurent de 37 à 40 N sur 24 à 25 ? elles ont con-

s81vé'leur forme, multipolaire (Fig, 3, planche XIX, D), leur nojau, leurs

dépôts chromatiques ;assez régulièrement distribués en stries parallèles,

mais les prolongements sont plus courts, comme interrompus, et par-

fois coupés d'un espace clair oblique. Dans chaque préparation, on

compte 7 à 8 cellules répondant à ce type,

B. La cellule nerveuse encore polygonale a perdu en grande partie

(1) Les dessins ont été faits à un grossissement de 600 D. par M. Rivière, prépara-

teur du laboratoire.

' Fio. 2.

Fin. 3.

A. - Cellule nerveuse dépourvue de prolongements et dont le noyau est reporté vers la périphérie (partie posté-

rieure de la corne antérieure).

B - Cellules nerveuses transformées en globes réfringents (corne postérieure).

C. Chromatolysc périphérique et centrale (corne antérieure). Disparition du noyau.

D Cellule nerveuse au début de l'altération.

COUPES DE MOELLE RABIQUE.

Microphotographies des lésions. (Région car vie île de la miellé. Méthode de \ ? 1. = f un 1))

MASSON & cte, éditeurs

DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE RIUMAINE 161

ses prolongements ; le noyau est parfois reporté vers la périphérie (Fig. 4

et planche XIX, A).

Des phénomènes de chromatolyse plus ou moins accusés modifient pro-

fondément l'aspect de l'élément : tantôt la disparition de la substance

chromatique s'observe à la périphérie,en regard de la membrane cellulaire

dont les contours deviennent vagues ; les grumeaux chromatiques sont

pour ainsi dire pulvérisés et leur dissémination dans le spongioplasma

donne lieu à l'apparence d'un réseau (Fig. 5) ; tantôt la chromatolyse

s'exerce dans l'espace qui sépare le noyau de la membrane (Fig. 6) et la

substance chromophile ne persiste qu'excentriquement, en bordure irré-

gulière, sous forme de grains et de blocs inégalement colorés.

Dans d'autres cas, la chromatolyse ne respecte plus qu'un segment li-

mité de la cellule, parfois à l'extrémité opposée du cylindre-axe encore

reconnaissable. Enfin on voit, dans un môme corps protoplasmique, des

régions vacuolaires (Fig. 7) ou non, totalement dépourvues de granulations

chromatiques, à côté d'autres où la chromatolyse s'est effectuée avec plus

ou moins d'intensité. On trouve à peu près 3 à 4 cellules ainsi altérées par

coupe.

C. La cellule ovalaire ou globuleuse, parfois encore polyédrique, ra-

t

FIG. 4, 5, s, 7. 1.

Fra. 8, 9, 10, 11,12.

162 J. SADIlAZÈS ET C. CABANNES

petissée, mesurant de 18 à 24 sur 15 {1- est ou non munie de son noyau.

Le protoplasma est parsemé d'une fine poussière chromatique, raréfiée par

places et d'aspect jaunâtre. Le spongioplasma n'est plus visible (Fig. 8, 9,

10, 11, 12, 13,14, 15, 16).

D. A un stade encore plus avancé, non seulement les résidus de la

chromatolyse mais encore le spongioplasma et le noyau ont disparu. Le

nucléole se fragmente et se réduit à une série de granulations d'inégal vo-

lume (Planche XIX, C); la membrane nucléaire s'efface et disparaît. Il ne

reste plus de la cellule qu'une sorte de globe à contours assez marqués

doué d'une réfringence anormale (Fig. 17 et 18, planche XIX, B).Dans la

tête de la corne antérieure, on note 2 ou 3 cellules à ce degré de dégéné-

rescence. Dans les autres territoires de substance grise, le nombre de ces

éléments mortifiés excède 15 à 20 par préparation.

Au début, le noyau apparaît légèrement tuméfié, le nucléole mesure 4 p. 6

environ; le réseau de linine cesse d'être visible. Puis le nucléole se ré-

duit, et on remarque au milieu du suc nucléaire des filaments chromati-

ques légèrement onduleux et entrecroisés, soit groupés, soit distribués

sans ordre.

Ces filaments, bien arrêtés dans leur forme,pourraient donner à première

vue l'impression des bactéries filamenteuses incluses dans le noyau (Fig. 19,

20, 21,22,23).

On ne rencontre jamais dans le protoplasma de filaments analogues. Les

1<'w. 13, 14, 15, 1G.

Fio. 17, 18.

DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE HUMAINE 163

cellules présentant de semblables figures nucléaires sont relativement très

nombreuses, surtout dans les cornes antérieures ; leur volume, leur situa-

tion, leurs prolongements, leurs autres caractères morphologiques rendent

impossible toute confusion entre ces cellules nerveuses et les corpuscules

névrogliques ainsi que les éléments conjonctifs et endothéliaux ; leur pro-

toplasma est généralement en voie de chromatolyse.

Exceptionnellement, la membrane nucléaire, le réseau de linine, le

nucléole ont disparu ; au noyau primitif s'est substitué un véritable pe-

loton chromatique reporté à la périphérie de la cellule (Fig. ? 4. et 25).

En dehors de cet état du noyau bien digne de fixer l'altention, on ne relève

dans les cellules nerveuses aucune phase karyokinétique régulière, ni

centrosômes, ni fuseau, ni formation d'aster, ni trace de segmentation.

Si nous comparons nos résultais à ceux de M. Marinesco, nous voyons

qu'ils concordent dans leurs grandes lignes, surtout en ce qui concerne

les cellules de la corne antérieure; il semble cependant que les lésions

soient beaucoup plus accentuées dans la moelle de l'homme que dans

celle des animaux. Dans notre cas, la plupart des cellules des cornes pos-

térieures et de la région intermédiaire aux deux cornes sont pour ainsi

dire cadavérisées.

Les dépôts chromatiques de la cellule subissent les premières altéra-

Fia. 19, 20, 21, 22, 23.

I'c. 24, 25.

164 J. SABBAZÈS ET C. CABANNES

tions au niveau des prolongements protoplasmiques. Cette désorganisation

de la substance chromophile se poursuit le plus souvent de la périphé-

rie au centre et correspond il un changement profond dans la texture

du noyau, dont le nucléole se rapetisse, dont la chromatine tend à se

disposer en hâtonnets et même en pelotons après disparition de la mem-

brane nucléaire.

Une double tendance s'accuse au début dans la cellule nerveuse dont le

protoplasma'perd ses granulations chromophiles et dégénère, tandis que

le noyau témoigne de phénomènes réactionnels dans le sens de la karyo-

kynèse.

Mais les lésions dégénératives deviennent prédominantes et la cellule

est atteinte non seulement dans ses réserves nutritives, source d'énergie,

mais encore dans son spongioplasma et dans son noyau.

En tenant compte des données les plus récentes sur la physiologie

générale des cellules nerveuses, on est conduit il tenter une interprétation

du processus analomo-pathologique que nous avons observé.

S'agit-il de lésions cellulaires primitives ou secondaires à l'altération

des nerfs de la région mordue ?

M. Nissl et M. Marinesco ont montré qu'une lésion d'un nerf périphé-

rique retentit sur ses cellules d'origine en provoquant une désagrégation

de la substance chromophile au voisinage du cylindre-axe. Dans la rage,

sans doute, le v irus s'est propagé le long des nerfs jusqu'aux centres,

mais les désordres qu'il a entraînés dans les cellules nerveuses ne ressem-

blent en rien aux phénomènes de réaction à distance auxquels nous venons

de faire allusion ; on doit les considérer comme des lésions autochtones

causées par le virus et cette conclusion, déduite du tableau anatomo-

pathologique, est affirmée par les inoculations.

A la période d'excitation de la rage correspond un hyperfonctionnemen t

des cellules nerveuses qui consomment, sans les réparer, les matières de

réserve, substances génératrices de tension nerveuse (1), accumulées dans

leur protoplasma : ce stade est représenté par la chromatolyse périphéri-

que. La stimulation de la cellule par le virus rabique se traduit aussi par

un changement dans le noyau qui tend sans y aboutir vers la karyokinèse.

On se demande actuellement si les cellules nerveuses sont susceptibles de

manifester des propriétés prolifératives sous l'influence de certaines exci-

tations ; M. Giuscppe Lévi (2) a montré que les cellules nerveuses de l'é-

corce cérébrale,au voisinage de lésions cxpérimenfales,présentent (les (igu-

(1) llnnmcsco. Recherches sur l'histol. de la cellule nerveuse avec quelques considé-

rations physiologiques. Acad. des sciences, avril 1897.

(2) GlUSEppE Liivi. Recherches sur les propriétés prolifératives de la cellule nerveuse

(Rivista di Pathologia nerv. e mentale, oct. 1896).

DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE DANS LA RAGE HUMAINE 165

res karyokinétiques évidentes; cependant ce fait n'est pas généralement

admis et demande à être vérifié.

Dans la moelle rabique, rien n'autorise à penser qu'il existe, comme l'a

prétendu M. Babés (1), une multiplication des cellules nerveuses, maison

est obligé'd'admettre,avec cet auteur,que le noyau de ces cellules ne reste

pas absolument inerte : il réagit sous l'influence de l'incitation morbide,

mais les tendances prolifératives qu'il manifeste avortent prématurément.

Il semble du reste, ainsi qu'il ressort des recherches de D. S. Ramon Y Ca-

jal (2) que dans les cellules nerveuses, et dans celles des cornes antérieu-

res en particulier, la concentration de la chromatine du noyau en un seul

nucléole, associée à une différenciation élevée du protoplasma, implique

l'absence de fonctions reproductrices. Le noyau aurait perdu ses qualités

d'organe reproducteur pour jouer presque exclusivement un rôle de nu-

trition.

(1) l3AUès, Annales de l'Institut Pasteur, 1892.

(2) D. S. Ramon y Cajal. Loc. cit.

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX.

(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE).

SUR UN CAS D'MÉM)SECT ! ON TRAUMATIQUE i

. DE LA MOELLE ,

(SYNDROME DE BROWN-SEQUARD)

(Suite) .

PAR

F. RAYMOND

Professeur de clinique des maladies' du système nerveux.

II

Messieurs,

Les questions que soulève le côté clinique de cette étude sont multi-

ples. La première, dont vous allez bien vite saisir l'intérêt est relative

à l'expression clinique : chez l'homme, victime d'un attentat, comme

chez l'animal utilisé pour une expérience, les troubles sensitivo-moteurs,

consécutifs à une hémisection de la moelle, devront présenter une exten-

sion variable, suivant que la moelle se trouvera entamée à un niveau plus

ou moins élevé. En outre, quand l'hémisection siège à certains niveaux,

des manifestations surajoutées troubles des fonctions vésico-rectales,

mydriase, dilatation de la fente palpébrale, troubles locaux de la sudori-

fication et de la calorification dont je vous ai déjà entretenus, pourront

se superposer aux éléments du syndrome classique.

Voyons donc comment les choses se présentent chez l'homme. Pour vous

édifier à cet égard, je vais passer en revue, aussi succinctement que pos-

sible, un certain nombre d'exemples d'hémisection traumatique de la

moelle, empruntés à la pathologie humaine. Je vais grouper ces faits, de

façon à dresser une sorte d'échelle hiérarchique, en partant de ceux où la

moelle était entamée à un niveau très bas, pour passer successivement à

ceux où l'hémisection occupait un niveau de plus en plus élevé.

A. Dans un premier groupe, je vais ranger les cas d'hémisection de la

SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 167

moelle où les troubles sensitivo-moteurs, en rapport avec la lésion spinale

ne dépassaient pas, comme limite supérieure, les plis inguinaux.

Voici par exemple une observation de Reinhold (1). De tous les cas

d'hémisection de la moelle, dont j'ai pu prendre connaissance, c'est

celui où la lésion occupait le niveau le plus bas. Le fait concerne un

homme qui avait reçu un coup de couteau dans le dos à un travers de doigt

et à droite de l'apophyse épineuse de la 12° vertèbre dorsale. Immédiate-

ment après l'attentat, il présentait de l'anesthésie superficielle au membre

inférieur gauche,et une paralysie motrice totale du membre inférieur droit,

avec de l'hyperesthésie cutanée de ce même côté. Un peu plus tard, on a

constaté de la paralysie vaso-motrice à droite, et de l'exagération des ré-

flexes rotuliens des deux côtés. Les troubles de la sensibilité, hyperesthésie

à droite, anesthésie à gauche, ne remontaient pas au-dessus du milieu des

cuisses.

Au bout de trois mois, le malade pouvait de nouveau marcher, sans

avoir besoin de s'appuyer sur une canne. Cependant la force déployée par

la contraction des muscles primitivement paralysés était encore minime.

Les jointures du membre inférieur droit étaient rigides. A gauche la sen-

sibilité n'était pas encore normale. L'exagération des réflexes subsistait

surtout à gauche ; de ce côté on pouvait provoquer le clonus du pied, le

phénomène de la trépidation spinale.

Dans une observation déjà ancienne de Viguès (2) l'hémisection de la

moelle, siégeait à un niveau un peu plus élevé. Le sujet de cette obser-

vation avait reçu un coup d'épée à droite de la colonne vertébrale, entre

la 9e et la 10e dorsales. Immédiatement après, il s'est trouvé dans l'impossi-

bililé de se tenir sur ses jambes et de marcher. Le lendemain, on-a constaté

le retour de la motilité et l'abolition du sentiment, dans le membre infé-

rieur droit. A gauche, il y avait de l'hyperesthésie cutanée; l'abolition du

mouvement subsistait encore en grande partie. Les troubles de la sensibi-

lité remontaient jusque vers le bassin ; le malade avait de la rétention d'u-

rine. Au bout de quatre mois et demi, il pouvait de nouveau marcher en

s'appuyant sur une canne. L'anesthésie n'avait pas encore complètement

disparu à droite. Enfin au bout de quatre ans, le sujet était de nouveau en

état de travailler, comme avant son accident. Sa démarche ne trahissait

rien d'anormal.

Une des observations contenues dans le mémoire de Brown-Sequard (3)

(1) Reinhold. Ein Fall von t1'Ull1natischel' B¡'own-SequU1'dscher Liihmung. Inaugural-

Dissertation, Berne, 1889.

(2) Viguès. Plaie de la moelle épinière dans la région dorsale. Moniteur des hôpitaux,

1855, no 105, p. 838.

(3) 13ROWN-SEQUAIID.

168 F. RAYIIioND

peut être mise en parallèle avec la précédente. Elle se rapporte à un homme

qui avai été atteint d'un coup de sabre, entre les 9e et 10e vertèbres dorsales,

il 3 centimètres environ de la ligne des apophyses épineuses et à droite.

D'abord, la victime a eu les deux jambes paralysées, ainsi que de la réten-

tion d'urine. Le lendemain, on a constaté de l'hyperesthésie cutanée à gau-

che, qui remontait de la plante du pied jusqu'à la crête iliaque ; de ce

même côté, la paralysie du membre inférieur subsistait, mais moins com-

plète. A droite, la sensibilité à la douleur et aux impressions thermiques

était abolie; l'état de la motilité s'était notablement amélioré.

Enfin, une observation de Charcot (1) nous montre également le syn-

drome de Brown-Sequard s'établissant à la suite d'un coup d'épée qui a

pénétré dans la région dorsale entre les 9e et 10e dorsales, à 3 centimè-

tres à droite de la ligne médiane ; seulement le trajet de pénétration était

dirigé de droite à gauche et de bas en haut, de telle sorte que, suivant tou-

tes les apparences, c'est la moitié gauche de la moelle qui a été entamée.

Toujours est-il qu'après une première phase de paralysie complète des deux

membres inférieurs, de paralysie de la vessie et du rectum, le blessé a pré-

senté de l'hyperesthésie et gauche et de l'anesthésie à droite. Les troubles

de la sensibilité remontaient presque.

La paralysie motrice s'est dissipée très rapidement à droite, beaucoup

plus tardivement à gauche. Déplus, le sujet a présenté des arthropathies.

B. Dans un second groupe, nous allons rencontrer des faits qui nous fe-

ront assister à l'envahissement du tronc par les troubles sensitivo-moteurs

à disposition croisée, sans participation des membres supérieurs à ces mê-

mes troubles. Les faits du précédent groupe nous avaient fait remonter

jusqu'à un niveau compris entre les 10e et 98 dorsales. Cette fois le trau-

matisme rachidien va se mouvoir entre les limites marquées parles espa-

ces intervertébraux suivants : 8° et 0° vertèbres dorsales, en bas ; 6e et 7°

Cervicales en* haut.

Une observation deWerner (2), va ouvrir la marche aux faits de 6 grou-

pes. Il est vrai que dans ce cas l'expression clinique s'est notablement

écartée du schéma du syndrome de Brown-Sequard. Le sujet avait été

blessé d'un coup de couteau à 2 centimètres ci droite de la ligne médiane

du dos, entre les 8° et 9° vertèbres dorsales. La blessure avait déterminé

une paralysie du membre inférieur droit ; la peau de ce membre conser-

vait sa sensibilité intacte. Avec cela, lemaladeeracontaitdu'à droite il avait t

(1) Charcot. Arthropathies par lésions de la moelle. Arch. de phys. normale et pa-

thologique, 1868, t. I, p. 176.

(2) Wemev. Messerstich in das Ruclcenmarlc, etc., Memorabilirn, 1890.

SUR UN CAS D'RÉ1111nECTlo\ TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 169

la peau du ventre engourdie et dure comme la pierre. Huit années après

l'accident, il conservait encore une certaine faiblesse du membre inférieur

droit et un excès de sensibilité dans le côté correspondant du ventre. Je

vous ai cité cette observation dans l'unique but de vous montrer que lors-

que la moelle est entamée au niveau susdit, les troubles de la sensibilité

envahissent la paroi abdominale, ils ne restent plus cantonnés dans les

membres inférieurs.

Dans une observation relatée par un auteur danois Kjaer (1), l'instru-

ment tranchant a pénétré dans la région des 6e et 7e apophyses épineuses

dorsales à gauche de la ligne médiane. Une année après l'accidenl, on

constatait de l'atrophie et de la parésie du membre inférieur gauche, ainsi

que l'exagération des réflexes cutanés; à droite il avait de l'hypoesthésie,

dans une étendue correspondante, sans compter une zone d'anesthésie

contiguë au rebord des fausses côtes, d'une largeur de 3 travers de doigt.

Dans un cas relaté par Schultz (2), l'instrument tranchant a pénétré un

peu à droite de la ligne médiane du dos, entre les 5e et 6e vertèbres dorsa-

les. Les premiers symptômes ont consisté dans une anesthésie cutanée à

gauche, dans une hyperesthésie avec légère parésie motrice à droite, le

tout accompagné de rétention d'urine et d'évacuations involontaires de

matières fécales. Le sujet a été examiné, dix-huit mois après l'accident :

son membre inférieur droit était un peu amaigri ; les mouvements de ce

membre étaient incoordonnés et sans force ; le sens musculaire était t

émoussé; en outre il y avait de l'hyperesthésie qui remontait jusqu'à une

ligne horizontale passant par la 7e vertèbre dorsale ; à sa limite supérieure

cette zone d'hyperesthésie était bordée par une étroite bande d'anesthésie.

A gauche, et remontant au même niveau que l'hyperesthésie du côté droit,

il existait une zone d'anesthésie, bordée en haut par une étroite bande

d'hyperesthésie. Les réflexes tendineux étaient exagérés. Les fonctions de

la vessie et du rectum étaient redevenues normales.

Une observation de W. Mûtter (3) nous montre une hémisection gauche

de la moelle, au niveau de la 4e vertèbre dorsale, donnant lieu aux phé-

nomènes suivants :

Troubles sensitivo-moteurs, remontant jusqu'au niveau du lie espace in-

tercostal et représentés, adroite, par de l'anesthésie superficielle, à gauche,

par de l'hyperesthésie et par une paralysie motrice. Le malade a suc-

combé 43 jours après l'attentat; le fait qu'un fragment de la lame était

(t) KJAEII. Et Pilfaelde of Brown-Sequard Sahmed. Hospital Pidende, sept. 1890.

(2) SCIIUTZ. Halbseitenlasion des Ituckerzznaokes. Centralblatt für nervenheilkunde,

1880, n° 15.

(3) W. 111uLLEIl. Beitrahe ZIl1' pathologischen. Anatomie und Physiologie des mense-

blichen Ritclcerznzarks. Leipzig, 1871 (Festschrift).

n0 F. RAYMOND

resté enclavé dans la plaie a dû avoir de l'influence sur le dénouement.

A l'autopsie, on a trouvé une hémisection gauche de la moelle, située il

1/2 millimètre au-dessus de l'émergence des racines postérieures de la

12e paire.

Voici une observation du D'' G. d'Ail Armi (1) à mettre en parallèle

avec la précédente : Elle concerne un homme qui avait reçu un coup de

couteau 4 4 centimètres à gauche de l'apophyse épineuse de la 4° vertèbre-

dorsale. Immédiatement après l'attentat, le malade avait présenté une

paralysie complète des membres inférieurs et une paralysie partielle des

membres supérieurs. Pendant trois jours, il a eu de la rétention d'urine

et des matières fécales. Au bout de 15 jours, le blessé était de nouveau

en état de mouvoir ses membres inférieurs et sa jambe droite. La para-

lysie motrice subsistait à gauche dans le membre inférieur, sans anesthé-

sie. A droite il y avait de l'anesthésie dans toute l'étendue du membre

inférieur et de la moitié correspondante du tronc, jusqu'à la hauteur

occupée pur la cicatrice. Dix-huit mois environ après l'accident, l'anes-

thésie persistait dans le côté droit, le sujet pouvait faire d'assez longues

courses, mais il boitait; sa jambe gauche, atrophiée, était pendante.

Dans un cas publié par Albrecbt (2), de Vienne, un coup de couteau

porté un peu à gauche de la colonne vertébrale, à la hauteur de la 3"ver-

pègre dorsale a eu pour suites ;

A gauche, une paralysie motrice de tout le membre inférieur et un peu

d'hyperesthésie, la conservation du sens musculaire était intacte et une

large zone d'anesthésie au tronc s'étendant de la 40e il la 5e côte ; ri droite,

une anesthésie relative dans toute l'étendue du membre inférieur. Le

malade urinait difficilement. Cette dysurie s'est dissipée très vite.

Une observation publiée par Joffroy, et Salmon (3) se rapporte

également à un cas d'hémisection de la moelle au niveau de la 3e vertèbre

dorsale, à 5 centimètres il gauche de la ligne des apophyses épineuses. In-

dépendamment du syndrome classique - paralysie complète du membre

inférieur gauche avec hyperesthésie, élévation notable de la température

locale ; hyperesthésie prononcée à droite, intéressant les différents modes

de la sensibilité et remontant jusqu'au mamelon le sujet a présenté

peu de temps après l'attentat une athropathie dans le genou du membre

paralysé, ainsi qu'une eschare fessière il gauche.

(1) G. D'ALL Aaw. llalbseitige Verletzung des RückenizaiIces. Bayerisches aerztiches

IntelligenzLlatt, 1875, n 48.

(2) ALDlOECIIT. Klinische Beil1'ae.'le zur Nel'venchirU1'[Jie. Deutsche Zeitschrift für Chi-

rurgie, 1887, t. 26, p. 473.

(3) Joffroy et Salmon. Plaie de la moelle épinière, etc. Gazette médicale de Paris, 1872,

nos 6, 7 et 8.

SUR UN CAS D'RÉ11'(ISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE ni

Au bout de quatre semaines, la paralysie motrice, à droite, s'était can-

tonnée dans le pied. Les troubles de la sensibilité subsistaient encore,

quatre années après l'attentat.

Le Dr Enderlen (1), dans un très remarquable mémoire sur lequel

j'aurai à revenir, a publié une observation de syndrome de Brown-Sequard

survenu à la suite d'un coup de couteau porté il la hauteur de la 2e vertèbre

dorsale. II y a eu d'abord paralysie du membre inférieur du côté droit et

anesthésie du côté gauche avec incontinence d'urine et constipation opi-

niâtre. Au bout de 48 heures, la paralysie motrice était déjà en voie de

rétrocession et 23 jours après l'attentat, le malade était en état de marcher

sans appui; les mouvements de la jambe droite étaient un peu incoordon-

liés au bout de neuf semaines, l'état de la motilité s'était encore amélioré.

A gauche, l'anesthésie persistait en grande partie; en avant, elle remontait

jzcsqic'èr, une largeur de main au-dessus de l'ombilic, en arrière, jusqu'à la

hauteur de la seconde vertèbre lombaire. L'état des réflexes est à noter :

les réflexes plantaire, crémastérien et abdominal étaient beaucoup plus

prononcés qu'à droite où le réflexe addominal était même aholi, le réflexe

rotulien était exagéré à droite, affaibli à gauche, la température locale

était moins élevée à la jambe droite qu'à la jambe gauche (2).

Charcot (3), dans ses leçons du mardi, a raconté en termes très pitto-

resques le cas d'un sujet qui avait reçu un coup de couteau au voisinage des

2e et 3e vertèbres dorsales, à un ou deux centimètres à droite des apophyses

épineuses. Aussitôt après l'attentat, il avait eu le membre inférieur gauche

paralysé et de l'insensibilité dans le membre du côté opposé, ainsi que de

la rétention d'urine. Lorsque le sujet fut examiné par Charcot, huit an-

nées s'étaient écoulées depuis l'attentai, il ne subsistait plus de trace de

la paralysie motrice du membre inférieur gauche ; à l'élévation de la tem-

pérature locale qu'on avait constatée au début de ce même côté, s'était

substitué le phénomène inverse. Le membre était fortement atrophié. Le

réflexe rotulien était exagéré de ce même côté gauche. A droite les réflexes

tendineux était normaux; la sensibilité superficielle était profondément

troublée (dyserthésie). Détail important à noter cette perversion de la

sensibilité ne remontant pas au-dessus du pli de l'aine, en avant; en ar-

rière elle n'arrivait même pas jusque-là.

En somme, cette observation de Charcot, à l'instar de celle d'Enderlen,

non fournit des enseignements précieux sur le degré d'alimentation dont

sont susceptibles, chez l'homme, les troubles sensitivo-moteurs consécutifs

à une hémisection de la moelle.

(1) Enderlen. Ueber Stichveî,letzeii2gen des .R : 7ceKma)'A. Deutsche Zeitschrift sur chi-

rurgie, 4895, t. XL, p. 201.

(2) CH1RCOT Leçons du mardi, t. Il, p. 53.

172 F. RAYMOND

- Dans une observation de Vorster (1), sur laquelle j'aurai à revenir, ]'lié-

misection de la moelle siégeait à ce même niveau. L'expression clinique

différait du syndrome de Brown-Sequard en ce que, pendant plusieurs

mois, le membre inférieur du côté opposé a l'hémisection est resté frappé

d'une paralysie motrice partielle. Je vous dirai l'explication que l'auteur

a donnée de cette anomalie.

Une observation deM. Gilbert (2) va nous renseigner sur les suites d'un

coup de couteau qui a pénétré entre les 1'" et 2e vertèbres dorsales, un

peu à droite de la ligne médiane. Le lendemain de l'accident on a constate

chez la victime : ci droite, une paralysie motrice complète du membre in-

férieur, un peu d'exagération des réllexes tendineux, de l'hyperesthésie

qui occupait le membre inférieur, le côté correspondant du ventre et du

thorax, et qui remontait jusqu'au mamelon; - ci gauche, de l'anesthésie

remontant jusqu'à cette même limite, l'abolition complète des réllexes ten-

dineux, un peu d'élévation de la température locale. De plus, à sa limite

supérieure, la zone d'anesthésie était bordée par une étroite bande d'hy-

peresthésie. De ce même côté gauche le sens musculaire était émoussé.

Dès le second jour s'est dessinée une amélioration qui est allée en s'accen-

tuant.

Eu égard au siège de l'hémisection, cette observation est il mettre en

parallèle avec celle de notre malade. Vous vous rappelez que chez ce der-

nier également la lame tranchante a pénétré au niveau des -1 re et 2° dor-

sales.

Je passe très rapidement sur une observation publiée par un auteur ita-

lien Burresi (3), qui nous montre un syndrome sensiblement différent de

celui de Brown-Sequard, se développer à la suite d'un coup de couteau

qui avait pénétré entre la Ire dorsale et la 7° cervicale. Je noie seulement

que le sujet de l'observation de Bmresi a présenté, indépendamment d'une

paraplégie des membres inférieurs, une paralysie du membre supérieur

gauche sans compter de l'hypoesthésie à droite et de l'hyperesthésie du

côté opposé. Sept mois après l'accident, la motilité était en voie de réta-

blissement dans le membre inférieur gauche.

En regard de cette observation, j'en placerai une aulre, publiée par

Fischer (4). Ici, l'instrument tranchant avait fait deux entailles il un ni-

(1) Vonsrsrs, fleilung einer li-ciuincilischeiz l1Ûckenm(lI'ksflslel. Deutsche Zeitschrift

sur Chirurgie, t. XXIX, p. 421. -

(2) Gilbert. Un cas d' hémilésion de la moelle épinière. Archives de Neurologie,

1882, no 9.

(3) P. BUIIRESI. Emisezione a sinistra del midollo spinale. Lo-sperimentale, 1895,

fasc. II.

(4) G. FISCIIEII, Eine halbseitige SItCItirP.YL2lZLln9 des Rückenll1Cl1'ks. Deutsche Zeits-

chrift für Chirurgie, 1881, t. XX, fasc. 5.

SUR UN CAS D'UÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 113

veau un peu plus élevé que chez le sujet de l'observation précédente,

c'est-à-dire à gauche de la colonne vertébrale entre les 6e et 7e vertèbres

cervicales. Il en était résulté une paralysie motrice complète du membre

inférieur droit, avec hyperesthésie de ce même côté et de l'anesthésie du

côté gauche, qui s'arrêtait exactement à la ligne médiane du corps, et qui

remontait jusqu'au niveau du mamelon. Au début, le patient a eu égale-

ment une paralysie motrice incomplète du membre inférieur gauche.

Les troubles de la motilité et de la sensibilité se sont dissipés relativement

très vite. Au bout de sept mois cet homme était complètement rétabli, à

cela près qu'il traînait encore le pied droit. -

En somme vous retiendrez surtout ce détail, que les membres supé-

rieurs n'ont pas été envahis parles troubles sensitivo-moteurs qui, chez

cet homme, se sont montrés à la suite de deux entailles qui avaient péné-

tré entre les Ge et 7° vertèbres cervicales. Erb, qui a été appelé à se pro-

noncer sur ce cas, a diagnostiqué une hémisection droite de la moelle ; la

parésie motrice du membre inférieur gauche pouvait être attribuée à un

foyer de myélite traumatique, ou aune insulte mécanique des faisceaux

pyramidaux gauches.

Les deux observations dont je viens de vous entretenir se placent à la

limite commune de noire deuxième el de notre troisième groupes. Elles

montrent qu'une lésion traumatique qui intéresse la moelle au niveau des

deux dernières vertèbres cervicales peut occasionner des troubles sensi-

tivo-moteurs du côté des membres supérieurs, mais qu'il n'en est pas for-

cément ainsi. Il peut se faire encore qu'à la suite du traumatisme médul-

laire les membres supérieurs présentent dcs troubles du mouvement et du

sentiment, mais à titre purement transitoire. Témoin une observation pu-

bliée par lIerhold (1) : Le sujet avait reçu un coup de couteau un peu à

droite de la Ge vertèbre cervicale, à 1 centimètre de l'apophyse épineuse.

Il a eu d'abord les quatre membres et la vessie paralysés; mais déjà au

bout d'une quinzaine de jours il avait récupéré l'usage de ses membres su-

périeurs, en même temps que s'était dissipée la paralysie de la vessie.

Vingt-cinq ans après l'attentat cet homme a fait l'objet d'un examen mé-

dical minutieux : II subsistait encore un certain degré de parésie motrice

dans le membre inférieur droit; à cette parésie motrice étaient associées

de l'incoordination motrice, de l'exagération des réflexes tendineux, l'a-

bolition du sens musculaire et une suractivité de la sudorification. A

droite on constatait une anesthésie superficielle, qui remontait depuis la

plante des pieds jusqu'au niveau de la 3'côte. Même limite supérieure

(1) Ilr,noo,o. Ueber einen Fall von Brown-Sequard Ocher Halbseilenverlelzung des

RÜcken111al'ks. Deutsche medicin. Wochenschrift, 1894, no 1, p. 9.

ni r F. RAYMOND

pour l'anesthésie adroite. Aux membres supérieurs tout se réduisait à

une certaine exagération des réflexes tendineux à droite.

A cette observation on peut opposer celle d'un auteur allemand Gaschl,

qui nous montre qu'une hémisection de la moelle siégeant au même niveau

(6e vertèbre cervicale, à gauche), peut occasionner des troubles sensitivo-

moteurs aux quatre membres, également durables aux'membres supérieurs

et aux membres inférieurs ; hyperesthésie et paralysie motrice, à gauche ;

hyperesthésie à droite, sans compter une paralysie de la vessie,el des érec-

tions intermittentes. Circonstance à noter : au membre supérieur gauche,

les muscles du groupe Erú (deltoïde, biceps, brachial interne, long supi-

nateur) avaient conservé en partie ou en totalité, leurs fonctions. Enfin

dix-huit mois après l'attentat, le malade était de nouveau en état de mar-

cher sans trop de peine ; il traînait un peu la jambe gauche. La main gau-

che serrait avec moins de force que la droite et l'abduction du pouce était

impossible. L'lyperesthésie persistait à droite.

C. Un troisième groupe comprend les cas, où, du fait du niveau auquel

la moelle se trouve entamée, l'envahissement des membres supérieurs

par les troubles du mouvement et du sentiment est un fait obligatoire. Il

en est ainsi chaque fois que l'hémisection siège au-dessus du niveau de

la 6° cervicale. Les observations qu'il me reste à passer en revue vont vous

édifier à cet égard.

En voici d'abord une, publiée il) a près de trente ans, par un auteur

allemand, Richter. Le sujet avait reçu un coup de couteau dans nuque,

entre les 5e et 6° vertèbres cervicales, à 1 centimètre à droite des apophy-

ses épineuses. Deux jours après l'attentai, le syndrome de Brown-Sequard

existait en plein : ri droite, paralysie motrice complète du membre infé-

rieur, parésie du membre supérieur, rétablissement de la motilité dans les

muscles du thorax et de la paroi abdominale, qui participaient à la para-

lysie tout au début, enfin hyperesthésie. A gauche, anesthésie des deux

membres et du tronc, qui remontait jusqu'au cou et dont l'intensité allait

en décroissant de bas en haut. Avec cela, la vessie était paralysée.

Je crois devoir souligner l'amélioration rapide qu'on a observée dans ce

cas; au bout de six semaines,les troubles sensitivo-moteurs ne subsistaient

plus qu'à l'état de traces.

Nous retrouvons la même expression symptomatique et la même évolu-

tion, dans une observation de Brown-Sequard, qui concerne également un

cas d'hémisection de la moelle, consécutive à un coup de tranchant porté à

(1) GASCIIL. Aerzllicher Localvel'ein, Nürnberg, 6 avril 1893.

SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE nus

droite des 5e et 6" vertèbres cervicales. Immédiatement après l'attentai,

le membre inférieur a été frappé d'une paralysie totale et. le membre su-

périeur d'une paralysie partielle ; les muscles du côté droit de l'abdomen

et du thorax participaient il la paralysie, de même que la vessie et le rec-

tum. De ce même côté droit peau était le le siège d'une hyperesthésie très

manifeste, tandis qu'à gauche, on constatait une anesthésie superficielle

qui remontait jusqu'au cou. Au bout de 18 mois la régression des troubles

sensitivo-moteurs était très avancée.

Une observation de Beck nous fait remonter un peu plus haut, en même*

temps qu'elle va nous faire assister à l'entrée en scène des manifestations

symptomatiques d'une paralysie du grand sympathique cervical. Le sujet

avait reçu un coup de couteau dans la nuque, à la hauteur de l'apophyse

épineuse de la 4e vertèbre cervicale. Il s'était affaissé incontinent. A vrai

dire, chez lui le syndrome de Brown-Sequard ne s'est pas montré avec sa

netteté habituelle ; au tronc et aux membres on a simplement constaté de

l'hypoesthésie dans le côté gauche; à droite la sensibilité était normale

aussi bien que la motilité. Le côté intéressant de cette observation, c'est la

constatation d'un rétrécissement de la fente palpébrale, à gauche, avec chute

de la paupière supérieure et rétrécissement de la pupille. En outre on a

constaté du ralentissement du pouls (au-dessous de 40°), de la gène respi-

et une élévation de la température superficielle du côté paralysé.

Le sujet est mort le 4e jour ; l'autopsie a démontré l'existence d'une hé-

misection gauche qui intéressait la presque totalité des cordons antérieur

et postérieur ; le cordon latéral était à peine touché.

N'allez pas croire qu'une hémisection de la moelle, lorsqu'elle siège au

niveau indiqué ou plus haut, se traduira forcément par des symptômes de

paralysie du sympathique cervical. Voici par exemple une observation de

M. Delmas (2), qui nous met en présence des mêmes circonstances de siège

que la précédente : plaie pénétrante par instrument tranchant, à la hauteur

et au niveau de la lu.' vertèbre cervicale. Or, dans ce cas, les troubles con-

sécutifs se sont réduits à une paralysie motrice du côté gauche, paralysie

transitoire. M. Delmas a conclu que l'hémiseclion médullaire intéressait

uniquement le cordon latéral du côté gauche.

Voici deux observations qui nous font rentrer dans le schéma classique

du syndrome de Brown-Sequard. Dans l'une et l'autre, les symptômes dé-

notant la paralysie du sympathique cervical ont fait défaut, à peu de chose

près, malgré que t'instrument tranchant eut atteint la moelle à un niveau

(1) BECK. Ueber Verlelzungen der Wirbelsàule und des Rilckenmarkcs. Virchow's

Archiv.,1819, t. î;i, fasc. 2, p. 207.

(2) Delmas. Contribution à l'étude des localisations spinales. Archives générales de

médecine, 1881, T, p. 653.

116 F. RAYMOND

compris entre les 3e et 4" vertèbres cervicales. La première a été publiée

par un médecin autrichien Vuceti (1). Deux jours après l'attentat, les suites

du traumatisme consistaient dans une paralysie incomplète des membres

et dans un émoussement de la sensibilité musculaire, du côté gauche, le

tout juxtaposé à une anesthésie superficielle du côté droit. Circonstance à

noter, la vessie et le rectum fonctionnaient normalement.

L'autre observation a été publiée par un assistant du professeur Erb, le

D'' Hoffmann, de Heidelberg (2) ; elle~concerne un homme de 50 ans chez

lequel, jours après l'attentat, on a constaté une paralysie motrice des

memhres du côté droit, à laquelle participait la moitié correspondante du

diaphragme ; le membre inférieur gauche était le siège d'une anesthésie

qui s'étendait au membre supérieur droit, enfin il y avait également para-

lysie de la vessie, sans compter que l'oreille droite était'plus chaude et

plus rouge que la gauche. ' ,

Dans une observation publiée par Bornlnr-ger (3), les troubles sensi-

tivo-moteurs, survenus à la suite de deux coups de couteau qui ayant

pénélré, l'un entre les 2° et 3° cervicales, l'autre entre la 3e et la 4e, in-

téressaient exclusivement le côté droit. En cela le cas s'écarte donc du

schéma classique. Je ne vous mentionne cette observation que parce que

la paralysie motrice s'est doublée d'une atrophie qui intéressait les mus-

cles des membres, de la moitié correspondante du thorax et de l'abdomen,

et surtout,parce qu'aux troubles sensitivo-moteurs s'associaient une éléva-

tion delà température locale, il la face, et du rétrécissement pupillaire.

Dans une observation de Nolte (4), la moelle a été touchée au même ni-

veau, c'est-à-dire entre les apophyses épineuses des 2e et 3e vertèbres cer-

t'<ca. Quinze jours après l'attentat, on a constaté une paralysie et une

atrophie du membre inférieur gauche, laquelle étaient superposés de

l'hyperesthésie superficielle et un émoussement delà sensibilité musculaire.

À droite, on constatait une anesthésie qui remontait jusqu'au cou. Dans la

suite les troubles moteurs se sont notablement amendés. Je note qu'au dé-

hut le malade avait eu delà rétention d'urine.

D. Enfin dans un quatrième el dernier groupe, je vais ranger les faits où

l'hémisection médullaire intéressait la partie lout il fait supérieure du

(1) YL'CETi. Beilrag : 1l1' zmilatel'alen spinalen Læsion mit Bl'own-Sequm'd'sche1' K1'Cln-

kheil. Allgemeine Wiener medicin. Zeitung, 4892, no 10.

(2) Hoffmann. 3 l'wlle von Bl'own-Sequ(l1'd'schel' Laehmung. Deutsches Archiv sur

klin. Medicin, 188G, t. 38, fasc 6, p. S8 (obs. III).

(3) llOn,Tn £ GEIl. llalbseitenlxsion des Rilckenmarks. Deutsche medicin. Wochens-

chrift, 1890, n° 4, p. 1016.

(4) NOL1'E, Brown-Sequard'sche a6 : <e ? ? 0t : . Inaugural-Dissertation, 1887.

SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 177

névraxe. Nous connaissons aujourd'hui un nombre relativement considé-

rable de faits de ce genre.

Voici par exemple une observation publiée il y a plus de vingt ans, par

Riegel (1), de BerHn ; elle peut se résumer dans ces quelques mots : à la

suite d'un coup de couteau qui avait pénétré dans le côté droit de la nuque,

à 6 centimètres au-dessous de la protubérance occipitale externe, on avait

constaté chez la victime, il droite la paralysie de tous les muscles, cou et

tête exceptés, une hyperesthésie qui remontait jusqu'à la hauteur de la

2° côte, de l'exagération des réflexes, une élévation de la température lo-

cale, appréciable dans le creux axillaire; à gauche, de l'anesthésie super-

ficielle, dont la limite supérieure correspondait à celle de l'hyperesthésie

du côté opposé, un peu de rétrécissement de la pupille, une faiblesse re-

lative du pouls radial. Je note encore que le sujet de cette observation se

plaignait beaucoup d'un tremblement qui agitait ses membres paralysés,

sous l'influence de la moindre excitation superficielle; par moments, ce

tremblement se généralisait à tout le corps.

Dans une observation déjà ancienne de Brown-Sequard, une paralysie

complète du membre supérieur droit avec paresthésie du membre infé-

rieur correspondant et une anesthésie de tout le côté gauche se sont mon-

trées à la suite d'une blessure par instrument tranchant, qui siégeait à

la partie postérieure et latérale de la nuque, immédiatement au-dessous de

l'occiput. Détail à noter, dès le quatrième jour, la parésie du membre in-

férieur droit s'était dissipée.

Dans une observation de Rûhl (2), l'amélioration subséquente a porté sur

les troubles sensitifs et sur les troubles moteurs. A vrai dire l'expression

clinique, dans son ensemble, différait assez notablement du syndrome de

Brown-Sequard : à la suite d'une blessure par un instrument tranchant

qui avait pénétré entre l'occipital et l'atlas, à droite de la ligne médiane,

on avait constaté : une paralysie motrice et une anesthésie de tout le côté

gauche ; une paralysie motrice du côté droit et une anesthésie de la main

de ce même côté, sans compter de la strangurie et une constipation opi-

nicitre. Déjà au bout de quatre semaines, la sensibilité était rétablie dans

le côté gauche, et la motilité était en voie de rétablissement, aux doigts

de la main gauche et au membre supérieur droit. Au bout de quelques

mois, l'anesthésie, à gauche, avait fait place à de l'hyperesthésie; de ce

même côté on constatait de l'exagération des réflexes, de la parésie motrice,

(1) Riegkl. Ein Fall von halbseitiger Vel'letzul1g des RÜcke11111a1'llS, Berliner klin.

Wochenschrift, 1813, no 18, p. 208.

(2) HUIIL, Ueber halbseitige Vel'letzung des Rückenmarkes. Inaugural-Dissertation,

Vurzbourg, 1873. '

x t3

f

178 F. RAYMOND

un certain degré d'affaiblissement de la contractilité faradique et un abais-

sement de la température locale.

Dans une observation de Vix (1), on relève encore les deux mêmes par-

ticularités : amélioration considérable des troubles sensitivo-moteurs sur-

venus à la suite d'un coup de couteau qui avait pénétré à 3 centimètres

au-dessous et à 2 centimètres en dedans et à gauche de la protubérance

occipitale externe; expression clinique probablement différente du syn-

drome de Brown-Sequard. En effet le lendemain de l'attentat on avait

constaté, dans le côté droit, une abolition partielle du sentiment, superpo-

sée à une paralysie motrice des membres ; les troubles du sentiment con-

sistaient dans un engourdissement de tout le côté paralysé, et dans une

hyperesthésie très prononcée au membre inférieur et aux doigts de la

main. En fait d'autres manifestations on notait un certain degré de ptosis

et de myosis, à droite, une sudorificalion exagérée dans le côté gauche de

la face, sans compter la rétention d'urine. Ainsi que je vous le disais à

l'instant, une amélioration très franche est survenue dans l'état du

malade. Effectivement la sensibilité est redevenue normale; les muscles

du bras et de la cuisse ont récupéré leur intégrité fonctionnelle. Il est vrai

que cinq années après l'attentat, le sujet avait le membre supérieur droit

atrophié, de même que les muscles de l'épaule, du dos, de la hanche. Il

ne marchait qu'à grand'peine, en traînant le pied droit. Il avait de la dif-

ficulté à se servir de son bras droit, et il ne pouvait faire mouvoir les doigts

de la main droite.

Pour en finir, avec cette énumération de faits, voici deux observations

où l'existence d'une hémisection de l'extrémité supérieure de la moelle a

été confirmée par l'autopsie.

La première de ces deux observations a été publiée par Weiss (2).

L'instrument tranchant, un couteau de poche, avait pénétré entre l'atlas

et l'occipital. Immédiatement après l'attentat, la victime avait eu tout

le côté droit, y compris la nuque, paralysé; cette paralysie du mouve-

ment'se doublait d'une hyperesthésie superficielle, d'une anesthésie pro-

fonde et d'une élévation de la température locale. Les muscles du côté

droit de la face étaient contracturés, la pupille, rétrécie, ne réagissait

plus. A gauche, tout se réduisait à de l'anesthésie cutanée. La mort est

survenue le 5° jour, du fait d'une pneumonie hypostatique. L'autopsie a

démontré qu'il y avait eu section de la moitié droite de la moelle.

L'autre observation, publiée par Albanese (2), concerne un homme de

(1) Vix. Correspondenzblatt der oel'zllichen Vereine im Rheinland,A8~l4, n 14.

(2) ÂLBANESE. Grave ferita di coltello del midollo spinale. Gazetta chir, di Palermo,

1879, nos 1 et 2.

SUR UN CAS D'U111TSECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 179

26 ans, qui ayant reçu un coup de tranchant dans la région massétérine

du côté gauche, était tombé comme une masse inerte, sans connaissance.

Lorsqu'on eut réussi à arrêter l'hémorrhagie artérielle qui se faisait par la

plaie, on constata l'existence d'une paralysie du côté gauche ; seule la

moitié droite du thorax participait aux excursions respiratoires. De ce

même côté gauche, il y avait de l'hyperesthésie cutanée; Ú droite il y avait

de l'anesthésie superficielle, qui ne respectait que la moitié correspon-

dante de la tête et de la partie supérieure du cou. En outre le malade a

eu de la rétention d'urine..

Je note que le 27e jour après l'attentat, la paralysie motrice était en

voie de rétrocession dans le membre inférieur gauche. Un peu plus tard

le malade a succombé au tétanos. L'hémisection, qui siégeait à 3 centi-

mètres au-dessous du bec du calamus scriptorius, intéressait toute la

moitié gauche de la moelle, à l'exception de la moitié interne du cordon

antérieur ; elle empiétait sur la moitié gauche, dont le cordon postérieur

et une moitié du cordon latéral étaient divisés.

. (A suivre.)

DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT

ET INSUFFISANCE DE L'APONÉVROSE PALMAIRE

- 7- D'ORIGINE CONGÉNITALE.

PAR

EMILE BOIX,

Ancien interne, médaille d'or des hôpitaux.

Monsieur S..., âgé de 50, habitant la province, est venu récemment à

Paris pour soigner un rétrécissement uréthral très prononcé. Ayant confié

à de plus compétents cette cure dont la réussite a d'ailleurs été complète,

j'ai réservé mon attention aux mains du malade à qui je fis, la première

fois que je le vis, des condoléances pour les déformations gênantes que je

constatais et que j'attribuai sans hésiter au rhumatisme chronique. « Mais

nullement ! me dit M. S..., j'ai cela de naissance et je me sers de mes

mains à peu de chose près comme tout le monde. J'ai bien eu à 37 ans une

attaque, une seule, de rhumatisme articulaire aigu généralisé, mais cela

n'a rien changé à l'état de mes mains que je me suis toujours connues

telles que vous les voyez. »

Il n'en fallait pas davantage pour exciter ma curiosité, et si je publie

aujourd'hui cette observation, c'est parce que je la crois de nature à pro-

voquer une étude palhogénique intéressante.

Observation. Homme de 50 ans, de bonne et robuste constitution,

habitant la campagne.

Antécédents héréditaires. - Souche neuro-artliritique.

Les grands-parents, cultivateurs, sont morts à un âge avancé. Tant du

côté paternel que du côté maternel, les renseignements manquent.

Du côté paternel, peu de chose. Le père, viticulteur, très vigoureux,

d'une grande sobriété, est mort relativement jeune d'une maladie-aiguë.

Un de ses frères est mort à 75 ans. Un autre, à 72 ans, d'une hernie étran-

glée ; celui-ci était grand migraineux.

Le côté maternel est plus intéressant.

déviation DES DOIGTS EN COUP DE VENT 181

182 EMILE B01X

déterminant un double rétrécissement uréthral avec poche purulente dans

la portion membraneuse, fièvre et altération inquiétante de l'état géné-

ral. Par une dilatation patiente et progressive, le De Arrou, chirurgien

des hôpitaux, a rétabli à la fois le calibre du canal, la santé générale et le

moral très affecté du malade.

J'en viens maintenant à la description des mains malformées qui sont

absolument symétriques. -

Comme on peut le voir sur la photographie ci-joinle(Fig. 1),Ia main pro-

prement dite n'est pas déviée ; l'axe général du carpe et du métacarpe con-

tinue en ligne droite celui de l'avant-bras. L'articulation radio-carpienne

est tout à fait normale et tous les mouvements en sont parfaitement libres.

Les doigts seuls présentent à la fois la déviation en masse vers le bord

cubital que M. Brissaud appelle si heureusement déviation en coup de vent,

et une flexion sur la paume de la main à 60° environ. Le pouce lui-même

participe à cette attitude générale, quoique d'une façon moins marquée

que les autres doigts.

La déviation cubitale est;irréductible, car on ne peut, passivement, ni

ramener les doigts dans l'axe métacarpien, ni exagérer leur inclinaison,

sur le bord cubital. Quant à l'attitude fléchie des doigts, elle est irréduc-

tible dans le sens de l'extension, le malade pouvant fermer complètement

les mains; mais quelque effort que l'on fasse pour ramener les doigts dans

le plan du métacarpe, on n'arrive pas à dépasser 45°.

De sorte que la main placée sur une table par sa face palmaire forme

comme un pont et ne repose sur le plan que par le talon de la paume et

par l'extrémité des phalangettes. On peut appuyer alors sur la tête des

Fig. 4. - Déviation des doigts en coup de vent.

DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 183

métacarpiens, on ne parvient pas, quelque pression que l'on exerce, à

diminuer la flèche de l'arc ainsi formé.

Etudions maintenant les éléments de cette déformation :

Rien à dire de plus pour la déviation cubitale. Les doigts présentent

les particularités suivantes : quelques-uns, surtout l'annulaire des deux

mains, ont une tendance à l'extension de la deuxième sur la première pha-

lange et il la flexion, surtout marquée à l'index, de la troisième sur la

seconde. On a ainsi pour le médius et surtout pour l'annulaire un doigt

en Z ; pour l'index au contraire un doigt en C.

On peut voir sur la photographie que la deuxième phalange du médius

présente, sur les deux mains, une excavation courbe à concavité cubitale.

Celle excavation est creusée aux dépens de la face interdigitale mais aussi

de la face palmaire. Elle sert à loger l'articulation phalango-phalangi-

nienne de l'annulaire. On ne peut pas le comprendre en regardant la pho-

tographie ci-jointe parce que les mains ont été photographiées dans l'atti-

tude du maximum de correction. Mais dans la position de repos de la main

du malade, cette articulation phalango-phalanginienne vient exactement se

loger dans cette excavation qui n'est que son propre moule, grâce à la

flexion plus prononcée des doigts et au retrait de cette articulation en

arrière du plan de la 2e phalange du médius qui elle, au contraire, ressort.

Sur la photographie, les deux articulations phalango-phalanginiennes du

médius et de l'annulaire sont sensiblement à la même hauteur ; dans la

position de repos de la main, celle de l'annulaire descend au niveau de la

partie moyenne de la deuxième phalange du médius. Je regrette que la

photographie ait été faite hors de ma surveillance; j'aurais fait faire des

clichés de la main au repos qui auraient parfaitement montré cette dispo-

sition. Je m'empresse de dire que cette échancrure se produit surtout aux

dépens des parties molles comme on peut s'en convaincre sur la radio-

graphie.

Encore une particularité : si un sujet normal ferme complètement la

main, on peut constater, à la face dorsale des premières phalanges, que

l'espace interdigital occupe les deux tiers de l'étendue comprise entre la

tête des métacarpiens et celle des premières phalanges. Chez M. S.. l'es-

pace interdigital n'en occupe plus que la moitié en raison de l'empiéte-

ment de la partie qu'on pourrait appeler membraneuse de l'espace inter-

phalangien. C'esl ce qu'on voit très bien sur la photographie malgré la

position en demi-extension, en particulier entre le médius et l'annulaire

de la main droite et entre l'annulaire et le petit doigt de la main gauche.

Le jeu de toutes les articulations métacarpo-phalangiennes et des pha-

langes entre elles est plus ou moins limité ; aux deux annulaires l'articu-

lation phalangetto-phalanginienne est ank,) losée.

184 EMILE BOIX

Le pouce peut sans difficulté être opposé pulpe à pulpe à l'index et au

médius ; mais il nepeut toucher que la deuxième phalange del'annulaire

et n'atteint aucun des segments du petit doigt. Le malade peut faire claquer

ses doigts.

Il ne semble pas, au palper, que les extrémités osseuses soient aug-

mentées de volume. On ne sent pas non plus d'inégalités ou de produc-

tions ostéophytiques à leur niveau.

La flexion permanente des doigts sur la paume de la main est manifes-

tement due à l'insuffisance de longueur des parties molles de la région

palmaire, et en particulier de la peau et de l'aponévrose sous-jacente.

Cette insuffisance est plus marquée dans le tiers cubital de la paume, de

même que, dans la maladie de Dupuytren, c'est ordinairement en ce point

que s'observe le maximum de rétraction. L'insuffisance est un peu plus

prononcée à droite qu'à gauche. -

Si on donne aux doigts leur maximum d'extension, les téguments de la

paume, dont l'aspect général est celui de la main que creuse volontaire-

ment un homme qui veut y recueillir un liquide, sont tendus et lisses;

à peine sont dessinées les lignes normales des plis de flexion, la flexion

cependant s'exerçant sans obstacle. On ne remarque aucune bride, aucune

nodosité, aucun point plus saillant; les bourrelets graisseux qui séparent

les doigts au niveau de la tête des métacarpiens n'existent pas. La coupe

formée par la paume est régulière et uniforme et comme le moule d'un

segment de sphère ou plutôt d'ellipsoïde. La peau ne semblepas amincie

ni différente en quoi que ce soit de celle d'une paume saine.

Il n'existe aucun trouble de la sensibilité, aucun trouble trophique.

Quant aux troubles fonctionnels, il est certain que ces mains malformées

sont moins commodes que des mains normales. Cependant le malade s'en

sert très habilement et déclare qu'il en fait à peu près ce qu'il veut. Il

écrit sans difficulté et son écriture est parfaitement courante et formée.

J'ai sous les yeux une lettre de lui et je n'y vois aucune particularité qui

mérite une mention et par conséquent une reproduction.

J'ajoute enfin que les pieds sont tout à fait bien conformés et qu'il

n'existe aucune malformation sur d'autres parties du corps.

L'examen des différents viscères ne révèle rien d'anormal.

M. Albert Londe, que je tiens à remercier ici de son obligeance, a bien

voulu radiographier ces mains. On peut voir sur les épreuves ci-jointes

(Pl. XX) qu'à part l'inclinaison des premières phalanges sur les métacar-

piens,elles ne présentent qu'une seule anomalie : les têtes des métacarpiens

on[ porté le sommet de leur convexité du côté cubital, leur axe suivant

celui des phalanges et non celui des métacarpiens. Les métacarpiens sont en

DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 185

quelque sorte coiffés de travers ou mieux à l'envers. A l'état normal, en effet,

ainsi que j'ai pu m'en rendre compte sur toutes les radiographies de mains

que j'ai examinées, la surface articulaire coiffe l'extrémité métacarpienne

du côté radial, c'est-à-dire sur l'oreille droite pour la main droite, sur l'o-

reille gauche pour la main gauche. C'est le contraire ici. Ce changement

de position résulte de l'adaptation des surfaces glissantes entre elles par

suite de la direction insolite des phalanges.

On peut constater qu'il n'y a qu'une légère augmentation de volume,

sans déformation des têtes osseuses, ni production ostéophytique.

Il est difficile de qualifier une pareille déformation. Tout au plus

pourrait-on dire qu'il s'agit de doigts-bots ; mais je ne sache pas que cette

expression ait droit de cité dans la langue médicale.

Voici maintenant ce que raconte M. S.... Il serait né avec les mains

complètement fermées. Deux ou trois mois après seulement on se serait t

inquiété de ce que les mains ne s'ouvraient pas, et on serait intervenu

d'abord en coupant les adhérences ( ? ) qui unissaient la pulpe des doigts à

la paume de la main, puis en intercalant entre la paume et les doigts des

bouchons de calibre de plus en plus gros. Sans doute le traitement n'a pas

été bien méthodique ni surtout longtemps prolongé, car on aurait pu,

semble-t-il, obtenir un meilleur résultat avec un appareil orthopédique.

Je n'ai pas retrouvé trace sur la peau soit de la pulpe des doigts, soit de la

paume de la main, des cicatrices qu'auraient laissées les incisions faites

pour séparer les deux parties.

Pour expliquer l'origine de cette déformation, on se serait arrêté à l'hy-

pothèse suivante : la mère tenait un café dans un village et les rangées de

tables étant très serrées, elle ne pouvait, pendant les derniers mois de sa

grossesse, passer entre elles, pour servir les consommateurs, sans que son

ventre fut comprimé et plus ou moins traumatisé. Inutile d'insister sur

l'insuffisance d'un pareil mécanisme.

On a vu plus haut que M. S... avait eu un fils porteur, dès sa naissance,

d'une malformation analogue, mais moins complète. L'enfant n'est pas né

les mains fermées, mais seulement les doigts déviés en masse vers le bord

cubital et légèrement fléchis sur la paume, mais avec extension possible ;

la main pouvait être mise à plat sur une table. Ce fils est mort à deux ans,

athrepsique.

Telle est l'observation quej'ai tenu à consigner. Il esl évident que nous

sommes en présence d'un processus éteint, d'un résultat acquis, d'une ci-

catrice. La difficulté commence avec le choix d'une interprétation à lui

donner.

186 EMILE BOIX

Cette déformation simule en même temps la rétraction de l'aponévrose

palmaire et le rhumatisme chronique. Elle ne relève cependant, à n'en

pas douter, ni de l'une, ni de l'autre.

Elle n'affecte avec la maladie de Dupuytren qu'une ressemblance gros-

sière. Qu'on me permette d'invoquer la description de Dupuytren lui-

même :

« La maladie commence ordinairement par le doigt annulaire ; elle s'é-

- tend de là aux doigts voisins, et particulièrement au doigt auriculaire;

elle augmente, par degrés, insensiblement. Les malades éprouvent d'abord

un peu de roideur dans la paume de la main et de la difficulté à étendre

le doigt ; bientôt ces doigts restent fléchis au quart, au tiers ou à la moitié ;

la flexion est quelquefois portée beaucoup plus loin, et l'extrémité libre

des doigts vient alors s'appliquer à la paume de la main. Dès le principe,

une corde se fait sentir sur la face palmaire des doigts et de la main ;

cette corde est plus tendue quand on fait effort pour redresser les doigts,

et elle disparaît presque entièrement quand ils sont tout à fait fléchis.

Elle est de forme arrondie ; sa partie la plus saillante se trouve à la hau-

teur de l'articulation des doigts avec le métacarpe qui lui sert de soutien.

Elle forme là une espèce de pont. Les extrémités se terminent insensible-

ment du côté du doigt, à la hauteur de la seconde phalange, et du côté de

la main, vers le milieu de la paume, et quelquefois seulement vers la par-

tie supérieure.

« La peau située dans la direction du doigt forme des plicatures en arc

de cercle, dont la concavité est placée en bas, dont la convexité est en

haut, et dont le premier emboite en quelque sorte la base du doigt, et est

lui-même emboîté dans-les arcs de cercle plus élevés ; ceux-ci diminuent

insensiblement, et atteignent ordinairement le milieu de la paume de la

main. Ces symptômes se bornent, pendant quelque temps, au doigt pri-

mitivement affecté, mais plus tard, ils s'étendent aux doigts voisins, dans

lesquels cependant ils sont toujours beaucoup moins prononcés.

« Malgré toutes ces apparences d'une lésion profonde, les articulations

des doigts affectés ne présentent aucune trace d'ankylose, et sans excepter

celle de la première phalange, elles sont très mobiles dans le sens de la

flexion ; mais elles ne sauraient être étendues au delà d'un certain point,

quels que soient les efforts que l'on fasse ; et, en effet, nous avons vu plus

- d'une fois que des poids de cent, et même de cent cinquante livres, pou-

vaient être appendus à l'espèce de crochet que forme le doigt, sans que

pour cela son angle de flexion fût ouvert d'une ligne. Il semble que le

doigt soit empêché de se redresser par un arc-boutant inflexible, placé

dans le sens de l'extension. Il n'y a pourtant d'autre obstacle à ce mouve-

ment que la corde située sur la face palmaire des doigts et de la main,

DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT q$'7

corde dont la saillie et la tension sont, en général, proportionnées aux

efforts tentés pour redresser le doigt.

« La maladie commence, se développe et atteint son plus haut degré

sans que les malades éprouvent aucune douleur. Les efforts même dont

nous venons de parler n'en causent presque aucune; il semble que la

maladie dépende d'un obstacle tout à fait mécanique, et que cet obstacle

soit formé par des parties qui ne jouissent presque d'aucune des propriétés

qui rendent les autres parties sensibles à l'action des violences exté-

rieures » (1).

Comme on le voit, rien de comparable dans le cas présent. Même en

laissant de côté la déviation en masse des doigts sur le bord cubital à la-

quelle Dupuytren non plus que les auteurs qui, après lui, ont étudié

cette maladie ne fait aucune allusion, il n'y a ici ni saillie tendineuse

ou aponé, l'otique, ni plicatures de la peau, ni participation de la deuxième

phalange à la flexion forcée. D'ailleurs le début n'est pas le même ; ce-

pendant Dupuytren rapporte un cas congénital, par certains points com-

parables au mien, et qu'à ce titre je transcris :

« Il s'agitdansce cas d'un jeune homme âgé de vingt et quelques années,

étudiant en droit, ayant une rétraction des quatre derniers doigts de cha-

que main. Ces doigts étaient à demi-fléchis, et il était impossible de les

redresser, quelque force que l'on employât. Quatre cordes dures et sail-

lantes existaient à la paume de la main, depuis la partie moyenne de cette

paume jusqu'à la hase des doigts. Le pouce était parfaitement libre.

« Ce jeune homme attribuait celte maladie à l'oubli que sa nourrice

avait commis de ne pas lui redresser, dans sa première enfance, les qua-

tre derniers doigts de ses mains, comme elle l'avait fait pour le pouce,

qui n'était point rétracté comme les autres. Cette absurde opinion prouve

au moins que la maladie était très ancienne : ne pouvait-elle pas être

congénitale ? L'aponévrose palmaire ne pouvait-elle pas être naturellement

trop étroite pour les fonctions qu'elle a à remplir, et donner naissance

ainsi à cette rétraction des doigts ? » (2).

Voici une seconde observation de Dupuytren relative à la rétraction de

l'aponévrose plantaire :

« La maladie qui vient d'être décrite ne s'observe pas seulement à la

main, elle se montre également à la plante du pied. Nous connaissons

une famille composée de trois personnes où elle existe à un haut degré.

Les deux soeurs, âgées d'aujourd'hui de trente-six ans, présentent cette infir-

(1) Leçons orales de clinique chirurgicale, faites à l'Hôtel-Dieu de Paris par le baron

Duronraev, chirurgien en chef. 28 édition par les docteurs Brierre de Boismont et

Marx, t. 4, p. 415, Bruxelles, 1839.

(` ? ) IGid., p, 496.

188 EMILE BOIX

mité au pied droit. Chez la première de ces dames, le siège du mal est à'

l'indicateur. La conformation angulaire de ce doigt frappe d'abord les

yeux. La première et la seconde phalanges sont relevées il angle aigu, la

dernière phalange est légèrement étendue. Lorsqu'on examine le pied par

sa face plantaire, on aperçoit la corde qui maintient rapprochées les deux

phalanges. Cette dame appuie sur l'extrémité du doigt, qui s'est élargie,

allongée, ce qui tient à l'inclinaison de la dernière phalange. L'ongle ne

présente rien de remarquable. La corde est superficielle, augmente par la

tension, diminue beaucoup par la flexion. En la saisissant avec les doigts,

on l'isole très bien des tendons. Les articulations sont parfaitement mo-

biles. La marche ne détermine aucune fatigue ; jamais cette dame n'a res-

senti de douleur.

« L'autre ¡;oeur, également âgée de 36 ans (elles sont toutes deux jumel-

les), offre les mêmes phénomènes; elle ne souffre aucunement de cette

déformation. On ne remarque chez elle aucune tendance des autres doigts

à être affectés du même vice de conformation.

« Le frère, âgé de 43 ans, a, comme ses deux soeurs, une rétraction de

l'aponévrose plantaire ; mais chez lui, le second doigt de chaque pied offre

cette disposition : l'angle formé par le rapprochement des deux premières

phalanges est plus aigu. La corde est très nettement tracée et représente

une espèce de pont. Dans l'origine, M. M... marchait sur l'extrémité de

ses doigts ; aussi a-t-il été exempté de la conscription à cause de celle in-

firmité. Depuis plusieurs années la phalange s'est inclinée, et il appuie

maintenant sur une base large et étendue.

« Ces trois personnes font des promenades assez longues sans éprouver

de lassitude, mais elles ont dans la démarche quelque chose d'embarrassé,

d'un peu disgracieux. Ce vice de conformation existe de naissance » (1).

Quelque analogie qu'on puisse trouver entre ces deux observations et la

mienne, il reste toujours ces deux points de dissemblance : 1° les cordes

dures et saillantes formées par l'aponévrose; 2° la flexion forcée de la z

ne phalange sur la Ire. Il faut retenir cependant cette hérédité si manifeste

dans la seconde observation de Dupuytren. Le fils de M. S... présentait la

moitié, en quelque sorte, de la malformation de son père et s'il eût vécu

et eu des enfants, ceux-ci auraient pu présenter des malformations se rap-

prochant plus encore de celle de leur grand-père. On verra plus loin que

j'invoque dans le cas particulier non la rétraction, mais l'insuffisance de

l'aponévrose palmaire, d'une façon toute secondaire pourtant.

La ressemblance de la déformation que j'étudie avec celle du rhuma-

(1) Ibid., p. 500.

DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 189

tisme chronique est trop frappante pour qu'elle ne m'invite pas à y insis-

ter. C'est seulement la forme fibreuse que j'aurai en vue, puisque les ar-

ticulations ne présentent aucune altération appréciable.

D'abord y a-t-il, dans la phase foetale, possibilité d'une poussée de

rhumatisme chronique ? Je n'en connais pas d'exemple, mais ce ne serait

pas là une raison ; on admet bien l'endocardite foetale. La mère de M. S...,

ai-je dit, était rhumatisante et se plaignait souvent de douleurs articulai-

res ou para-articulaires vagues. Il se pourrait qu'elle ait eu, pendant sa

grossesse, une crise de ce genre ; et si l'on admet que ces arlhralgies rhu-

matoïdes aient pour cause une adultération sanguine (infectieuse ou dys-

crasique, ce qui est fort possible), on comprendrait que le foetus ait eu sa

'part de l'auto-intoxication ou de la toxi-infection et que chez lui elle ait

eu des effets beaucoup plus marqués que chez la mère. Une telle influence

agissant sur des tissus fibreux en voie d'accroissement les aurait pour ainsi

dire immobilisés, d'où l'attitude constatée à la naissance et que les artifices

n'ont pu vaincre qu'imparfaitement.

Une autre circonstance nous montre ce qu'on a appelé la « prédisposi-

tion rhumatismale » de M. S... C'est son attaque aiguë de rhumatisme arti-

culaire généralisé coïncidant avec un écoulement uréthral chronique à exa-

cerbatiou. Elle n'est pas si fausse la théorie de Peter qui considère le

rhumatisme blennorrhagique comme l'apanage exclusif des sujets à ten-

dance rhumatismale, la blennorrhagie ne faisant que « réveiller la dia-

thèse ». En mettant les choses au point aujourd'hui, nous disons que la

blennorrhagie demande, pour déterminer des arthropathies, un terrain

favorable. '

Mais deux raisons m'éloignenl de cette idée. En premier lieu, c'est la

transmission de la difformité de M. S... à son fils. Qu'il ait transmis la

prédisposition rhumatismale soit; les exemples sont nombreux de rhuma-

tisme chronique héréditaire, plusieurs générations en subissant les attein-

tes à partir d'un certain âge. Mais transmettre une difformité toute faite,

cela rail penser à autre chose; nous y viendrons tout à l'heure.

La seconde raison, c'est que la description du rhumatisme chronique

fibreux telle que l'a donnée M. Jaccoud (1), diffère sensiblement de celle des

mains de notre malade. « L'obstacle réside entièrement dans les brides

fibreuses qui se tendent sous la peau el la soulèvent lorsqu'on exerce une

fraction sur les ors. »

Il faut donc renoncer, comme par trop invraisemblable, à cette hypo-

thèse d'une atteinte intra-utérine de rhumatisme chronique, quelque sé-

duisante qu'elle paraisse à première vue.

(1) JACCOUD, Leçons de Clinique médicale faites à l'hôpital de la Ckct·ité,1867.

190 EMILE BOIX

On sait quel chaos a longtemps été le groupe du rhumatisme chronique

et quels types disparates on réunit encore aujourd'hui sous ce nom, sous

cette rubrique pour mieux dire. D'où la diversité des explications patho-

géniques. '

Parmi celles-ci la théorie musculaire et par conséquent nerveuse con-

vient heureusement à bon nombre de cas qui n'ont du rhumatisme chro-

nique que l'apparence, cas de tous points comparables à la présente ob-

servation.' ^

Elle me semble applicable en l'espèce.

Mais dans quel sens : contracture ou paralysie ?

Charcot invoquait pour les déformations du rhumatisme chronique des

« contractions musculaires spasmodiques et pour ainsi dire convulsives .

Elles se produisent par une sorte d'action réflexe dont le point de départ

est dans les jointures affectées ».

Pas plus que Charcot je n'insisterai sur celle palhogénie. Pourrait-on

supposer que la contracture des mains s'est produite sous l'influence d'une

maladie convulsive intra-utérine analogue à celle que Delplanque(l) sup-

pose présider à la difformité congénitale des iertu.x licttas d'Amérique ?

Cette contracture aurait, après résolution, laissé l'altitude constatée à la

naissance, les mains « ayant oublié de s'ouvrir » ; ou bien elle aurait

permis, pendant le temps qu'elle a duré, le développement vicieux de la

main. Aucune raison ne plaide en faveur de cette hypothèse.

Reste le champ de la paralysie assez vaste encore pour permettre de

choisir une explication plausihle.

Ce n'est pas à l'altération des nerfs périphériques que j'accorderai cré-

ance et cela pour deux motifs : le premier c'est que la déformation est sy-

métrique et que je n'ai pas encore pu concevoir l'altération symétrique

des nerfs (sauf cause extérieure bilatérale) sans intervention d'un trouble

au moins dynamique des centres nerveux. Je ne veux pas rééditer ici les

arguments de cette vieille querelle et je reste jusqu'à nouvel ordre élève de

Charcot sur ce point. Le second, de plus grande valeur, est que la para-

lysie, si paralysie il y a eu, ne se rattache à aucuu territoire nerveux péri-

phérique déterminé. L'aspect des mains de M. S... ne répond à aucune grille

connue pas plus que la déviation absolument superposable du rhumatisme

chronique déformant. Enfin, il supposer qu'il se soit agi d'une névrite, je

ne saurais en saisir la cause dans l'histoire du malade.

Une observation publiée l'an dernier par M, Feindel (2) est intilu-

(1) P. Delplanque. Etude té1'atologique, difformités congénitales produites sur le

foetus par la contraction musculaire : les veaux nialas. Paris, 1885.

(2) Revue Neurologique, 30 sept. 1896, n 18, p. 531.

DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 191

lée : « Névrite traumatique du cubital, déviation des doigts en coup de

vent, rétraction de l'aponévrose palmaire. » Le cas est au moins singulier

et se rapproche beaucoup de celui qui m'occupe. Il est noté que « l'apo-

névrose palmaire est rétractée ; des cordons durs vont du poignet à la ra-

cine des doigts » d'ailleurs il ne s'agit que d'une main. M. Feindel n'ad-

met pas non plus que la névrite du cubital ait pu, par la paralysie des

muscles du territoire nerveux malade, déterminer pareille attitude. « Cette

attitude des doigts en coup de vent, dit-il, au point où elle est accentuée

ici, non seulement il est impossible de la réaliser volontairement, mais

l'on ne parvient pas généralementà l'obtenir d'une façon passive, même en

déployant une grande force. » Il invoque simplement pour l'expliquer,

une déformation légère de la tête des métacarpiens jointe à la laxité des

ligaments mélacarpo-phalangiens, modifications d'origine Irophique et qu'il

trouve suffisantes pour faciliter le glissement des premières phalanges

vers le bord cubital ; il fait en outre remarquer que la déviation cubitale

s'accompagne dans la règle d'une flexion des premières phalanges sur le

métacarpe, flexion qui, dans l'espèce, a été plus complètement réalisée par

la rétraction de l'aponévrose palmaire, elle aussi trouble trophique.

Est-ce bien là l'explication qui convient au cas de M. Feindel ? Je l'i-

gnore. Je me demande simplement si elle pourrait convenir au mien. J'ai

dit que la surface articulaire coiffait les métacarpiens de travers et en sens

inverse de l'état normal. On peut donc voir là un élément suffisant de dé-

viation. Mais il ne me semble pas que cette transposition puisse amener

la flexion de la phalange sur le métacarpien. Et même en acceptant cette

façon de voir, on a le droit de se demander si, chez M. S..., le change-

ment de direction des surfaces articulaires n'a pas été secondaire à la di-

rection anormale des doigts. Comment résoudre cette alternative ? En

cherchant une hypothèse qui explique la priorité de la déviation et de la

flexion des doigts ; et voici celle que je propose :

Les données très précises que l'anatomie pathologique d'une part, d'au-

tre part la physiologie expérimentale, ont fourni sur les localisations cor-

ticales, nous ont montré les cenlres correspondant non point à un terri-

toire nerveux anatomique, mais à telle' ou telle fonction dans laquelle

entrent en jeu des muscles dépendant de troncs nerveux très différents.

C'est ainsi que pour le membre supérieur, on a pu distinguer le centre de

commandement de la flexion, de l'extension, de la pronation et de la su-

pination, etc. (Ferrier, Beevor et IIorsley, etc.).

Les cenlres des mouvements de la main n'ont pu encore être suffisam-

ment dissociés. Cependant David Ferrier a isolé chez le singe le centre de

la préhension (mouvements individuels combinés des doigts et du poignet

aboutissant à la fermeture du poing). On peut donc concevoir, sans grande

192 EMILE BOIX

témérité, l'existence du centre du mouvement opposé, c'est-à-dire du

mouvement d'extension de la main, mouvement réalisé au maximum dans

le geste du magnétiseur projetant son fluide.

C'est ce centre que chez M. S..., pour une cause que j'ignore con-

naît-on le déterminisme exact des arrêts de développement ? - je sup-

pose s'être développé tardivement par rapport à celui de la préhension.

Il en est résulté une prédominance de ce dernier et l'enfant a pu naître les

mains fermées par défaut d'action'de l'ensemble des muscles extenseurs

des doigts. '

Or tout, dans la main de M. S... s'est adapté à celte position anormale

dès le commencement de la période foetale : les fléchisseurs sont restés pré-

dominants et ont dévié les doigts vers le bord cubital ; les têtes osseuses

métacarpiennes et leurs cartilages se sont développés face aux cavités ar-

ticulaires des phalanges ; les articulations des doigts se sont plus ou moins

ankylosées par défaut de fonctionnement ; et toutes les parties molles de

la paume de la main, téguments, tissu sous-cutané, aponévrose, ne se sont

développés que selon le besoin, c'est-à-dire au minimum, et se sont trou-

vés trop courts lorsqu'on a voulu redresser les doigts de l'enfant. On voit

pourquoi la paume de la main ne présentait pas débrides fibreuses ; il n'y

a pas eu rétraction, mais bien insuffisance de l'aponévrose palmaire.

Ce même phénomène, quoique atténué, s'est montré chez le fils de M. S...

qui est né avec une déviation des doigts en coup de vent et une légère

flexion, mais celle-ci réductible. Le retard de développement du centre

d'extension a dû être moindre elles choses ont été plus facilement répa-

rables.

Quelques réflexions sont nécessaires pour étayer mon hypothèse qui, à

tout prendre, en vaut une autre. Je n'ai pas la prétention d'aborder ici la

pathogénie du rhumatisme chronique et de ses déviations. Je veux seule-

ment constater que personne n'a encore donné de cette « déviation des

doigts en coup de vent » la moindre explication physiologique. En effet

aucun groupe musculaire ne saurait, par sa contraction, déterminer cette

inclinaison en masse vers le bord cubital. Celle-ci serait-elle l'effet de la

paralysie de quelque autre groupe ? Nous croyons, mon ami le D'Il. Meige

et moi, qu'elle pourrait dépendre mécaniquement de l'action prédomi-

nante des fléchisseurs sur les extenseurs, rien qu'à considérer le point d'ap-

plication de la forco fléchissante sur chaque doigt et la direction de la ré-

sultante de cette force. L'étroit espace où viennent aboutir les tendons des

fléchisseurs des doigts, c'est-à-dire la gouttière radio-carpienne, ne se

trouve pas dans l'axe général de la main qui passe par le médius ou tout

DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT 193

au plus le long du bord interne du médius ; cette gouttière est plus près du

bord cubital,de la main de sorte que, il considérer l'action absolument iso-

lée des fléchisseurs, on comprend qu'elle ait tendance à dévier les doigts

du côté cubital. Cela est si vrai que la nature a compris - si j'ose em-

ployer ce langage téléologique - la défectuosité de ce mécanisme et qu'elle

a voulu le corriger : 1° par la fixation des tendons dans des coulisses fibreu-

ses qui, véritables poulies de renvoi, changent la direction de leur action ;

2° encore et surtout par l'addition des muscles lombricaux dont l'inser-

tion se fait sur le bord radial de l'extrémité supérieure de la première

phalange et qui se contractant en même temps que les fléchisseurs, maintien-

nent la verticalité, pour ainsi dire, des doigts pendant la flexion.

C'est d'ailleurs une loi générale que cette tendance des fléchisseurs à

amener la partie qu'ils fléchissent en même temps vers l'axe du corps;

et toujours quelque muscle, antagoniste ou correctif, intervient pour con-

server la rectitude de la flexion.

Ce sont là des considérations que nous espérons prochainement déve-

lopper. Je n'ai voulu ici qu'en donner l'intuition nécessaire à l'accepta-

tion de mon hypothèse.

Une autre loi générale, celle-ci reconnue de tous si elle n'est pas

clairement exprimée dans quelque livre, c'est la prédominance de force et

d'étendue des mouvements de flexion sur les mouvements d'extension.

La flexion est la position naturelle, la position de repos du corps en

général. C'est la position du foetus dans l'oeuf'; c'est la position de l'homme

fatigué, courbé sous le poids d'un fardeau, d'une peine morale. Le corps

revient en quelque sorte sur lui-même, se rassemble comme pour se dé-

fendre contre l'ambiance, contre la menace, contre le froid. C'est la posi-

tion de la faiblesse et de la crainte ; et tandis que tout mouvement de

flexion n'exige qu'un effort minime, et le plus souvent nul, tout mouve-

ment d'extension nécessite un effort plus grand, une vigilance plus soute-

nue. L'extension est plus fatigante, et plus vite fatigante, que la flexion.

Celle-ci est l'expression de la passivité, celle-là de l'activité.

On conçoit donc que, puisque l'extension est la fonction la plus fragile,

comme une sorte de perfection plus grande, les centres qui la commandent

soient encore une loi générale plus tardifs à apparaître, plus

prompts à disparaître, plus difficiles mettre enjeu, plus faciles il fatiguer.

Nous ne savons pas ce qu'est la maladie de Parkinson. Mais, toute cons-

tatation anatomique à part, au point de ne philosophique presque, elle

nous apparaît comme une déchéance fonctionnelle générale du système

nerveux moteur. Et nous voyons, sauf de très exceptionnelles circonstan-

ces, le corps se plier, la tête tomber en avant, les membres se fléchir, se

x 14

194 EMILE BOIX

ratatiner, les mains se fermer, les doigts se dévier en masse vers le bord

cubital; et tout cela se soude, les forces d'extension capitulant peu à peu,

les forces de flexion restant prédominantes pour commander le système

musculaire. Peu à peu leur passivité elle-même se lasse, car leur activité

n'avait de raison d'être que dans celle des extenseurs, et le malade ne se

tient debout qu'en équilibre instable et grâce peut-être à la raideur arti-

culaire générale qui l'envahit peu à peu. ,

. Bien qu'un peu lointaines, ces considérations renforcent mon hypo-

thèse : le centre d'extension de la main s'est développé plus tardivement

que de coutume et les' fléchisseurs ayant seuls agi pendant toute la période

de développement de la main,' l'attitude s'est faite presque irrémédiable.

DÉVIATION DES DOIGTS EN COUP DE VENT

et insuffisance de l'aponévrose palmaire congénitale.

(Radiographie.)

MASSON & cle, Editeurs

LE DÉDOUBLEMENT DU TOURBILLON DES CHEVEUX

ET DE L'INFUNDIBULUM SACRO-COCCYGIEN.

PAR

CH. FÉRÉ,

Médecin de Bicêtre.

Les cheveux forment vers le verte-, un tourbillon convergent qui, dans

le sens de l'axe antéro-postérieur de la tête, répond dans près de la moitié

des cas à la région de l'obélion, région remarquable par le développement

tardif des fibrilles osseuses, par la soudure précoce de la suture sagittale,

par des anomalies d'ossification (fontanelle de Gerdy, perforations sponta-

nées de Larrey, etc.),par des manifestations pathologiques (céphaloemato-

me), ou d'involution (atrophie sénile symétrique des pariétaux). L'histoire

de la région de l'obélion semble indiquer une évolution tardive (1).

La correspondance fréquente du tourbillon des cheveux avec cette région

permettait de supposer un rapport d'évolution, d'autant plus qu'on voit

se produire, au pourtour du tourbillon des cheveux, un phénomène.d'in-

volution qui n'est pas sans analogie avec ceux qu'on observe sur l'os au

voisinage de l'obélion : je veux parler de l'alopécie dite spontanée qui

apparaît d'abord et prédomine au vertex dans les races inférieures, et

même dans les races supérieures chez les sujets qui n'ont point surchauffé

leurs régions temporales par le travail intellectuel. Eschricht a relevé

depuis longtemps que les points de convergence des poils paraissent avoir

quelque rapport avec les parties qui, dans le développement de l'embryon,

se forment les dernières, mais sans en donner de bonnes raisons (2).

Ces différents faits pouvaient conduire à admettre que l'obélion et le

tourbillon des cheveux coïncident à une certaine période du développe-

ment et correspondent à l'extrémité antérieure du sillon dorsal, où il forme

une sorte d'ombilic dorsal antérieur, non sans analogie avec la fossette ou

(1) Cii. Fi : ni : . Atrophie sénile symétrique des pariétaux (Bull. Soc. Anat., 1876, p. 488),

- Conti,ib. à l'él. de la pathogénie et de l'anatomie pathologique du cépltcelanzolome

(Revue mensuelle de méd. et de chir., 1880, p. 112).

(2) Eschricht. Ueber die Richtung der Ilaare aus menschlichen Korper (lliüller's Arch,

sur Anat. u. Phys., 1837, p. 37).

196 CH. FÉRÉ

le tourbillon de poils qu'on trouve souvent à la région sacro-coccygienne

et qu'on peut considérer comme le point de fermeture de la partie posté-

rieure de ce même sillon (1).

Si les rapports de la fossette sacro-coccygienne avec la fermeture pos-

térieure de la gouttière rachidienne ont pu paraître démontrés par la per-

sistance des connexions, il n'en, est pas de même pour le tourbillon cé-

phalique, qui présente plus souvent des anomalies de position. Il est

rarement médian et présente souvent des déviations latérales de 20 à

30 millimètres et même plus : on le voit quelquefois dévié dans la région

pariétale vers l'oreille (Pl. XXII). Le tourbillon des cheveux paraît plus

souvent dévié à droite,du côté où sont plus fréquentes les anomalies d'os-

sification du pariétal dans la région de l'obélion (2).

Le tourbillon des cheveux est quelquefois double (Pl. XXI); cette

disposition qui peut être héréditaire paraît assez fréquente dans plusieurs

catégories de dégénérés (3). Elle peut s'expliquer par le fait que la ferme-

ture de la gouttière ne commence pas exactement par l'extrémité antérieure :

chez lepoulet,il reste souvent une encoche à l'extrémité (Foster et Balfour).

Dans le deuxième embryon humain de Thomson (4), la gouttière se ré-

trécit d'abord dans la partie moyenne; Minot admet aussi (5) que la gout-

tière commence à se fermer par la région cervicale. La persistance d'une

lacune à l'extrémité de la gouttière permet de'comprendre l'irrégularité

de la fermeture qui suivant la prédominance latérale ou distale du bour-

geonnement peut être déviée à droite ou à gauche ou dédoublée. Les tour-

billons erratiques situés plus ou moins loin du vertex, dans la région fron-

tale par exemple peuvent s'expliquer par un même mécanisme.

La trace de la fermeture de l'extrémité postérieure de la gouttière peut

présenterdes anomalies analogues; quelquefois elle est déviée latéralement,

plus rarement elle est dédoublée (PI. XXII).

Je n'ai encore rencontré ce dédoublement que trois fois : j'ai pu obtenir

une photographie de l'un de ces cas; on voit de chaque côté de la ligne

médiane une petite dépression en cul de poule un peu au-dessus de la nais-

(1) Cii. FtRÉ. Cloisonnement de la cavité pelvienne; utérus et vagin doubles; infun-

dibulum cutané de la région sacro-coccygienne (Bull. Soc. Anat., 1878, p. 309). -

Ibid., p. j32. -

(2) Cii. Féré. Nouv. recherches stir la topographie crânio-cérébrale (Revue d'Anthro-

pologie, 1881, 2e série, t. IV, p. 486).

(3) Cii. Féré. les stigmates lér'alologique de la dégénérescence chez les sourds-muets

(Journ. de l'anat. et de la phys., 1896, pu ,

(4) KOOLLIKER, Embryologie, 1882, p.' 317. '. , '

( : i) Cn. S. Minot, Iluman einbi,yology,'1892, p. 177, <

DÉDOUBLEMENT DU TOURBILLON DES CHEVEUX.

MASSON & cie, Editeurs.

DEVIATION DU TOURBILLON DES CHEVEUX

dans la région pariétale gauche.

DEDOUBLEMENT DE LA FOSSETTE SnCRO-COCCYGIENNE.

· LE DÉDOUBLEMENT DU TOURBILLON DES CHEVEUX 197

sance du pli fessier. L'infundibulum du côté droit est sur un plan plus

élevé que le gauche et un peu moins profond : ce défaut de coïncidence

sur le plan transversal se retrouve dans la plupart des cas de dédoublement t

du tourbillon des cheveux. Vers chaque infundibulum on voit converger

un tourbillon de poils.

La ressemblance des anomalies qui se montrent aux deux extrémités de

la gouttière rachidienne est propre à établir l'origine"commune des traces

qu'on y rencontre à l'état normal.

Si ces anomalies peuvent être rattachées à bon droit à des accidents de

l'évolution de la gouttière rachidienne, on comprend bien la valeur

qu'elles acquièrent parmi les stigmates tératologiques.

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE LA CLINIQUE DES MALADIES

1 DU SYSTÈME NERVEUX.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE.

APPLICATION DES HAYONS DE ROENTGEN

A L'ÉTUDE DE LA TEXTURE D'OS PATHOLOGIQUES

(OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET).

. PAR

L>rOPOLD-L$VI A. LONDE

Ancien interne lauréat des Hôpitaux Directeur du service photographique

de la Clinique des Maladies du

Système Nerveux.

A propos d'un cas de maladie de Paget publié par l'un de nous (1),

nous avons appliqué les rayons de Roentgen à l'étude de la texture des

os. L'application a été faite aux divers os malades (humérus, radius, fé-

mur, péroné) et aux os sains symétriques. Les radiographies ont été obte-

nues avec une bobine de MM. Ducretet et Lejeune (n° 8) donnant 20 cen-

timètres d'étincelle- L'interrupteur à mercure employé est celui décrit

par l'un de nous dans un des numéros précédents de la Nouvelle Icono-

graphie de la Salpêtrière (2). L'ampoule bianodique était distante des os

de 20 centimètres. Le temps de pose a été de 10 minutes. Le développe-

ment s'est fait à l'acide pyrogallique.

Avant d'étudier les renseignements d'ordre pathologique fournis par

les images photographiques, deux questions se posent :

1° Quelle est la portion d'os révélée par la radiographie ?

2° Le résultat est-il différent de celui qu'on obtiendrait par une section

de l'os, photographiée suivant les procédés habituels ?

I. En ce qui concerne la première question, la pratique courante a

montré qu'en général ce sont les plans les plus voisins du châssis sur le-

quel ils s'appliquent qui sont les plus visibles.

(1) Léopold-Lévi. Un cas d'ostéite déformante de Paget. Nouv. Icon. de la Salp.,

mars-avril 1897.

(2) Henry MEME et ALBERT LONDE. Applications médicales des rayons de Roentgen.

Nouv. Icon. de la Salp., janvier 1897.

APPLICATION DES RAYONS DE ROENGTEN 199

Pour vérifier expérimentalement ce fait, nous avons enfoncé sur une

main de cadavre trois aiguilles, une profondément au niveau du premier

espace interosseux dorsal, la seconde superficiellement au niveau du

2e espace interosseux dorsal, la troisième superficiellement au niveau du

3e espace interosseux palmaire. La main était appliquée sur le châssis

par la face palmaire. C'est l'aiguille palmaire qui est la plus nette (1).

Les autres sont visibles.

Faut-il en conclure que ce sont les couches de l'os les plus voisines du

châssis qui seront uniquement représentées ? Cependant quand on radio-

graphie une médaille d'aluminium portant sur une de ses faces seule un

dessin en relief, quel que soit le côté de la médaille appliqué, le dessin

sera toujours visible, droit ou renversé. Pour résoudre la question, nous

nous sommes servis soit d'un pied de squelette monté, soit de la main de

cadavre et avons disposé successivement ces extrémités sur leurs deux fa-

ces. Les résultats obtenus étaient sensiblement identiques. Il en a'été de

même avec l'extrémité du membre antérieur d'un solipède. En particulier

les deux grands sésamoïdes sont aussi visibles, que l'extrémité ait été

appliquée par sa face antérieure ou postérieure. Les os provenant de la

maladie de Paget ont également montré des détails analogues, qu'ils fussent

disposés suivant le plan antérieur ou postérieur.

Toutes ces expériences montrent que la photographie, par les rayons de

Roentgen, d'un os isolé des parties molles, donne lieu une image synthéti-

que représentant une superposition des différents plans de cet os. C'est

donc une image composée qu'on peut rapprocher dans une certaine me-

sure de l'image de la photographie composite. Dans cette méthode parti-

culière, en effet, inspirée des travaux de Herbert Spencer et de Francis

Gallon, par la superposition de plusieurs photographies, en obtient l'ad-

dition des traits communs, la disparition des traits accessoires, en somme

une résultante d'images voisines mais différentes. En prenant encore

comme exemple une médaille d'aluminium de 3 millimètres d'épaisseur

portant cette fois des reliefs sur ses deux faces : d'un côté les armes de la

ville de Paris avec l'inscription : Ville de Paris ; de l'autre, une couronne

(1) Il en est au moins ainsi quand la distance de l'ampoule par rapport à l'objet est

petite. A une grande distance, la difl'érence signalée ne sera plus aussi marquée. Il

est donc nécessaire, si l'on recherche la situation d'une aiguille par rapport aux plans

d'une main, par exemple, de la radiographier à petite distance.

Remarquons, en passant, que nous avons radiographié, dans les mêmes conditions de

pose de distance et simultanément, la main d'un sujet mort depuis 30 heures environ

et une main d'individu vivant pour étudier les variations de transparence des tissus.

Nous n'avons pas noie de modification notable. Il n'en avait pas été de même dans

une autre expérience où nous avons appliqué simultanément les rayons X à deux la-

pins, l'un mort depuis 1 minutes, l'autre depuis 4S heures. La transparence des par-

ties molles élait manifestement plus nette chez le lapin encore chaud.

200 LÉOPOLD LÉVI ET A. LONDE

et comme inscription : Usine métallurgique française de Proges, .alumi-

n iumpur, on voit sur les photographies annexées, à ce travail, que, quel

qu'ait été le côté appliqué, le résultat synthétise les inscriptions et les

dessins de la médaille. Et de, même,' quand nous avons associé à cette

première médaille, une seconde.médaille en aluminium, de même épais-

eur,. portant des dessins en relief de chaque.côté. , .. ..

La photographie après chacune des quatre dispositions des médailles

manifeste les détails de-chaque face (PI. XXIV).

Fait analogue : Nous radiographions l'hémisphère gauche d'un cerveau

durci par le procédé de l'acide azotique. Qu'on le place sur le châssis par

la face externe ou la face interne, ce sont toujours, les circonvolutions.de

la face externe qui sont représentées, et superposée à elle' la couche opti-

que. On a ainsi une projection de ce noyau géométrique sur la face externe

du cerveau.. '

De l'ensemble de ces faits on peut donc déduire que sur des os volu-

mineux la radiographie donne lieu à la formation d'une image des couches

composantes de l'os, qui synthétise par conséquent sa texture.

i ; II. L'image qui résulte de l'emploi des rayons X est-elle différente de

celle qu'on obtient en pratiquant la coupe macroscopique de l'os et en la

photographiant ? A priori il devait en être ainsi. En réalité, nous avons

sciéja diaphyse d'un fémur d'acromégalique que nous avions à notre dis-

position, puis avons radiographié successivement la moitié sciée, la tota-

lité'de 1'osreconstitué, puis photographié par les procédés. habituels et

comparativement une moitié de l'os scié vu par les deux faces. Nous met-

tons les résultats sous les yeux. La. question est résolue de cette façon. En

ce. qui concerne les radiographies, celles qui sont représentées sont des

-radiographies positives. Par'cette expression nous entendons l'épreuve

tirée d'après le cliché original. Au contraire les radiographies négatives

seront les fac-simile.du cliché original.Les médailles vues plus haut sont

des radiographies négatives. La planche qui représente les fémurs de la

maladie de Paget'représente également des radiographies négatives.

III. Reste à étudier les altérations des os de la maladie de Paget. Cha-

que os pathologique ayant son symétrique sain, la comparaison s'est éta-

blie facilement.

C'est l'extrémité inférieure du fémur, reproduite (PL XXII, radiogra-

phies négatives) qui a donné les résultats les plus importants. ,

Sur .le- fémur normal représenté longituclinalement,.les systèmes la-

mellaires de Haveras d'épaisseur égale sont parallèles' les uns aux autres.

Ils s'envoient des anastomoses perpendiculaires ou légèrement obliques,

représentant des espaces plus ou moins régulièrement- rectangulaires ou

ovalaires. Au contraire sur le fémur hypertrophié on constate que les

RADIOGRAPHIES D'OS LONGS

A. Radiographie d'une moitié de fémur d'acromégalique appliquée sur le châssis par sa face externe.

B. Radiographie d'une moitié de fémur d'acromégatique appliquée sur le châssis par sa face de section.

C. Radiographie des deux portions accolées du même fémur.

D. Photographie du même fémur vu par sa face externe.

H. Photographie d'une moitié de fémur, vue par la face de section.

RADIOGRAPHIES NÉGATIVES DE DEUX MÉDAILLES D'ALUMINIUM SUPERPOSEES

donnant lieu à unc image syntitiquc.

APPLICATION DES RAYONS DE ROENGTEN 201

systèmes osseux sont très épaissis par places, amincis en d'autres endroits,

que leur disposition est loin d'être parallèle, qu'ils sont placés en situa-

tion irrégulière les uns par rapport aux autres, se coupant sous des angles

différents, et que par conséquent les espaces qu'ils circonscrivent ne sont

plus réguliers. En outre, d'une façon générale, ces espaces sont élargis

et représentent de véritables cavités creusées dans l'os. Il y a donc avec

condensation du tissu osseux par places, une raréfaction générale de ce tissu,

l'os est devenu poreux. Il y a association d'ostéite condensante et raré-

fiante.

Des lésions comparables se montrent au niveau de la partie inférieure

de la diaphyse de l'humérus, véritables cavités profondes séparées par

des travées osseuses irrégulières, condensées par places. L'épiphyse infé-

rieure présente elle aussi des cavités nombreuses. A ce niveau le tissu

spongieux est extrêmement poreux. Au niveau de l'extrémité inférieure

du péroné, on trouve le même nombre d'espaces vides, avec irrégularité et

épaississement des systèmes lamellaires, aspect très différent du péroné

normal.

Quant au radius qui avait subi une véritable torsion de son corps, il

offre une vaste anfractuosité au niveau de la région de la torsion.

En résumé la radiographie des os détachés des parties molles offre des

détails de texture qu'on peut obtenir sans détériorer l'os. Ce procédé est

donc applicable et vient s'ajouter à l'examen histologique. Elle se trouve

d'accord en ce qui concerne l'ostéite déformante de Paget avec les résul-

tats obtenus par les coupes microscopiques de l'os sec.

MAIN « SUCCULENTE »

- ET

ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES

PAR

G. MARINESCO

(suite et fin)

1

Les efforts communs des physiologistes et des cliniciens ont montré qu'il

y a dans le cerveau, des régions en rapport avec l'innervation des divers

segmenls du corps. Une tentative analogue a été faite pour déterminer des

localisations motrices dans la moelle épinière et à ce point de vue, les re-

cherches des auteurs anglais Ferrier, Thorburn, Allen Starr, Sherring-

ton, Russell, etc., tiennent la première place. J'ai résumé la plupart des tra-

vaux de ces savants dans des lettres écrites pour la Semaine médicale de

1896. Ferrier avait posé en principe que chaque segment de la moelle

épinière, au niveau du renflement cervical, paraît contenir les noyaux

de tous les muscles sous la dépendance de la racine motrice correspon-

dante. Il en résulte qu'on peut s'attendre à observer autant, de types d'a-

trophie musculaire progressive qu'il y a de types dans la composition du

plexus brachial.

Beevor à son tour partant des résultats expérimentaux de Ferrier et

Yeo s'est appliqué à montrer que le groupement des muscles paralysés

dans la paralysie infantile et dans d'autres atrophies musculaires est en

concordance avec les résultats expérimentaux de ces derniers auteurs. Mais

les cliniciens comme Thorburn, .111en Starr ont fait faire à la question

des localisations motrices dans la moelle de vrais progrès et ils ont dressé

des tableaux qui représentent l'innervation de chaque muscle dans les

racines et la moelle épinière. Il est à remarquer qu'il ne s'agit pas de loca-

lisations fixes qui représentent le dernier mot de la science sur ce sujet,

mais de localisations dont le siège peut varier dans certaines limites. Ainsi

s'expliquent les divergences qui ne sont pas, du reste, essentielles entre

les tableaux dressés par Thorburn et Allen Starr. Je commence par don-

MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 203

ner celui de Thorburn qui s'est basé surtout sur des cas de fractures cons-

tatées chez l'homme et ayant été suivies de paralysies. Dans le tableau sui--

vant de Thorburn, le lecteur trouvera les localisations des muscles du mem-

bre supérieur :

204 G. MARINESCO

MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 205

l'orientation de ce processus que dépend l'atrophie musculaire de la

syringomyélie.

Il n'y a plus de doute aujourd'hui que la gliose de la syringomyélie ne

débute,' ainsi que M. Hoffmann (1) el moi-même (2) l'avons montré, par

la prolifération de l'épithélium et de la névroglie du canal épendymaire.

M. Brissaud (3) a défendu avec son talent bien connu la même manière

de voir.

Les différents troubles trophiques que l'on constate dans la syringomyé-

lie dépendent de la localisation et de l'orientation du processus de gliose.

C'est au niveau de la prêtre dorsale et de la 8° cervicale que la prolifé-

ration névroglique fait souvent son apparition et suivant qu'elle aura une'

marche ascendante ou descendante, l'atrophie musculaire dans le mem-

bre supérieur sera plus ou moins prononcée aux membres supérieurs ou

fera complètement défaut. Si dans la plupart des cas de maladie de Mor-

van, l'atrophie musculaire est très atténuée ou manque complètement,

c'est parce que la gliose descend vers la région dorsale et laisse intacts ou

presque intacts les divers segments de la région cervicale. Mais pour un

même segment de la moelle épinière, l'orientation du processus de gliose

obéit à certaines lois de mécanique qui ont été peu étudiées, mais n'en

existent pas moins. En effet la cavité syringomyélitique envahit tout

d'abord la commissure postérieure et se dirige ensuite vers la corne pos-

térieure parce que la résistance mécanique qu'elle rencontre dans la corne

et dans la commissure est peu considérable. En effet la corne postérieure

possède peu de névroglie et surtout la substance gélatineuse qui a une con-

sistance faible s'oppose à peine au processus de gliose. Ainsi ceci nous

explique pourquoi dans un grand nombre de cas de syringomyélie la maladie

débute par la thermoanesthésie et l'analgésie. Le même fait nous explique

pourquoi dans la maladie de Morvan, il y a surtout des troubles trophiques

et un peu de parésie de la main. Ce n'est qu'en seconde ligne que la corne

antérieure est touchée et comme dans la plupart de ces cas la cavité sy-

ringomyélitique se développe suivant son diamètre transversal, ce seront

surtout les cellules de la base de la corne antérieure et celles du groupe

moyen qui seront tout d'abord endommagées tandis que les cellules du

groupe anléro-externe et antéro-interne resteront plus ou moins intactes,

et cela parce que les recherches récentes m'ont montré que les cellules

situées loin du foyer de gliose présentent des 'lésions très manifestes. Une

autre voie d'orientation du processus de gliose, mais beaucoup plus rare,

(1) Hoffmann, loco cit.

(2) Marinesco. Société de biologie in Semaine médicale, 1893, et Scléroses de la moelle.

Roumanie médicale, nos 3 et 5, p. 88 et 139, 1893.

(3) BIIISSAUO. Leçons sur les maladies nerveuses, Paris, 1895, p. 201. :

206 G. MARINESCO

s'établit par l'intermédiaire de septum des cordons postérieurs el alors la

gliose envahit ces cordons et donne naissance à des phénomènes tabé-

tiques. Quelquefois il est difficile de voir si c'est un septum qui sert de

travée d'orientation à l'hyperplasie névroglique; mais quoi qu'il en soit et

c'est la un point essentiel, on peut distinguer facilement les bandes du pro-

cessus de gliose de dégénérescence secondaire. En effet les travées d'orien-

tation de la gliose communiquent avec la cavité syringomyélitique et

d'autre part leur structure histologique est toute différente; il s'agit d'un

41ssu analogue à celui de la gliose péri-épendymaire. Il arrive même qu'il

se forme dans les cordons postérieurs de véritables cavités tapissées d'un

épithélium cylindrique.

Les considérations que nous venons d'exposer sur l'orientation du pro-

cessus de gliose dans la syringomyélie nous rendent compte jusqu'à un

certain point de vue de la répartition de l'atrophie musculaire dans la sy-

ringomyélie. En effet, si nous supposons, par exemple, que les noyaux des

petits muscles de la main, qui pour la plupart sont innervés par le nerf

cubital, sont situés au voisinage du canal épendymaire, nous comprendrons

facilement que le processus de gliose et la cavité syringomyélitique vont 1

atteindre et détruire tout d'abord les muscles innervés par le cubital. Cette

supposition correspond à la réalité des choses elle cas de Corr.... (obs. IV),

en particulier sa main droite, en est la preuve la plus démonstrative. En

effet, l'atrophie musculaire est localisée ici presque exclusivement aux

petits muscles innervés par le cubital. Si la lésion progresse et envahit des

régions sus-jacentes, les muscles de la main innervés par le médian, les

muscles de l'éminence thénar sont pris à leur tour, c'est précisément ce

qui s'observe chez Corr... La main gauche présente de l'atrophie dans le

domaine du cubital et du médian, tandis que l'atrophie de la main droite

est circonscrite plus particulièrement au domaine du cubital. A l'atrophie

de la main succède celle de l'avant-bras, mais ici elle affecte aussi de pré-

férence ceux qui sont innervés par le cubital, comme c'est le cas pour le

cubital antérieur qui est pris à l'avant-hras gauche de Corr... On pour-

rait donc affirmer que l'atrophie musculaire dans la syringomyélie est, seg-

mentaire, c'est-à-dire que certains segments de la moelle épinière qui ap-

portent l'innervation à certains segments des membres sont touchés.

La notion de métamérie qui a été appliquée par Brissaud CI) et Ballel(2)

aux troubles de la sensibilité dans lasyringomyélieestapplicable également

à l'atrophie musculaire dans cette maladie. On sait combien est étroite la

relation entre les neurones sensitifs et les neurones moteurs. Un métamère,

du reste, est l'ensemble d'une série de neurones moteurs et sensitifs qui

(1) Brissaud. Leçons sur les maladies nerveuses. Paris, 1895, p. 22;i.

(2) Gilbert Ballet. Leçons de clinique médicale. Paris, 1897, p. 404.

MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 201

fonctionnent synergiquement, ce qui arrive dans les actes réflexes élémen-

taires. Il ne faut pas, cependant, penser qu'il s'agit, dans la syringomyélie

d'une atrophie segmentaire complète, car, ainsi, que je l'ai dit plus haut,

le processus de gliose laisse relativement intactes certaines cellules de la

corne antérieure.

Des tentatives de localisation médullaire dans la gliosepét,i-épen(ly-

maire, oiit été déjà faites avant nous. Blocq, dans son travail sur la syringo-

myélie, a admis au point de vue des déformations du membre supérieur,

par l'atrophie musculaire, trois types principaux. Voici du reste com-

ment il s'exprime à ce sujet.

Dans l'un, dit Blocq (1), le début se faisait par une atrophie portant

sur les muscles innervés par le nerf cubital, l'autre commence par l'atro-

phie des muscles de la sphère radiale. La première s'accompagne de phé-

nomènes spasmodiques du côté des membres inférieurs, la seconde des

signes tabétiques des mêmes extrémités. Or, dans le renflement cervical,

qui, on l'a vu, est le siège ordinairement primitif de la gliomatose, le

centre de la tlexion des membres supérieurs serait périphérique par

rapport à celui de l'extension. Dès lors, si la zone spinale cubitale est

envahie, la lésion retentira sur les faisceaux blancs les plus proches, c'est-

à-dire sur les cordons latéraux, de même que si, au contraire, la région

spinale radiale est prise, la substance blanche voisine des cordons posté-

rieurs sera sclérosée secondairement. Ainsi pourrait-il exister trois types-

principaux, du moins au début : le premier que nous avons décrit, carac-

térisé par l'envahissement des muscles de la main-griffe Aran-Duchenne,

et des troubles variables des membres inférieurs, quelquefois exagération

des réflexes rotuliens et diminution de l'autre, le second, cubito-spasmo-

dique, caractérisé par l'atrophie des muscles de l'éminence hypothénar,

griffe d'extension, et comportant l'exagération des réflexes rotuliens; le

troisième, radio-tabétique, caractérisé par l'atrophie des muscles de la zone

radiale, griffe de flexion, et s'accompagnant de la diminution ou de la perte

des réflexes patellaires.

M. BRISS1UD à son tour, dans son travail publié dans la Semaine médi-

cale de 1896, n" 17, semble disposé à admettre, dans cette affection, des

paralysies du type radiculaire, seulement son cas était d'un diagnostic

difficile et cet auteur incline volontiers vers la syringomyélie compliquée

de pachyméningite.

J'arrive maintenant à l'étude clinique de l'atrophie musculaire telle

qu'elle résulte d'observa lions personnelles el de la lecture des publications

sur la syringomyélie. On a vu plus haut que la syringomyélie débute souvent

(1) BLOCQ. De la syringomyélie. Gazette des hôpitaux, 1889.

208 G. MARINESCO

dans la région cervicale inférieure et dorsale supérieure. Or, comme dans

sa marche, elle détruit la corne antérieure, il est facile de comprendre

qu'il en résultera une atrophie musculaire localisée principalement aux

petits muscles de la main qui sont représentés dans ce segment du membre.

Ce processus atrophique réalisera ainsi le type Aran-Duchenne. Les atro-

phies de ce type, au cours de la syringomyélie sont trop nombreuses pour

être citées ici. On en trouvera de nombreux exemples dans toutes les mo-

nographies sur ce sujet, notamment dans le travail de Hoffmann, dans la

thèse de l3rühl. -

Cette analyse peut être poussée encore plus loin. En interrogeant atlen-

tivement les malades, je suis arrivé à la conclusion que cette atrophie

peut débuter tantôt par l'éminence hypothénar, éventualité très fréquente,

tantôt par l'éminence thénar et plus rarement par les interosseux.

En ce qui concerne les muscles de l'éminence hypothénar, c'est l'abduc-

teur du petit doigt qui semble être atteint en première ligne, d'atrophie

musculaire. En tout cas, et cela est très net chez Corr..., si l'atrophie dé-

bute par l'éminence hypothénar,elle diminue à mesure qu'on se rapproche

des muscles de l'éminence thénar.

Ainsi chez cette dernière, les muscles de l'éminence hypothénar gauche

ne se contractent plus à zéro. La contraction est faible pour les trois der-

niers interosseux, tandis que le premier se contracte déjà à 90°. La même

particularité s'observe à la main droite où l'atrophie musculaire est encore

moins accentuée. Ceci prouve, il mon avis, qu'au niveau de la 1'° dorsale

les muscles de la main sont étages dans un certain ordre, ceux de l'émi-

nence hypothénar occupant un étage sous-jacent celui des muscles de l'é-

minence thénar, tandis que les muscles interosseux ou tout au moins pal-

maires occupent une position intermédiaire.

La plupart des auteurs n'ont pas accordé assez d'importance à la marche

ultérieure de l'atrophie musculaire : tout au moins on ne trouve pas de

détails assez précis dans les observations que j'ai parcourues. Quelques-uns

cependant ont noté que les muscles antérieurs de l'avant-bras sont plus

pris que les muscles postérieurs.

Je crois pouvoir affirmer que dans un bon nombre de cas de syringo-

myélie l'atrophie musculaire se propage des petits muscles de la face pal-

maire de la main à la face antérieure de l'avant-bras, et en première ligne,

c'est le cubital antérieur qui serait pris. Il m'a été difficile d'établir si ce

sont les fléchisseurs superficiels ou les fléchisseurs profonds qui sont enva-

his ensuite.

Il est important de remarquer que l'atrophie peut se cantonner pour

quelque temps aux muscles de la face antérieure et n'envahir que plus

tard ceux de la face postérieure et quand ces derniers sont pris, ils sont

MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 209

relativement beaucoup moins atrophiés que ceux de la face antérieure.

Cette conservation relative des extenseurs qui a sa signification au point

de vue de la topographie des noyaux musculaires dans la moelle a été ob-

servée au plusieurs reprises par Hoffmann et on trouve dînent notée cette

particularité dans les 11% III°, IVO et vue observations'de cetauteur. Dans

quelques cas, comme dans les Iro, Ile et IIP observations de ce travail, le

cubital postérieur, moins atteint par le processus atrophique que le le, et

le 2e radial exerce une action tonique manifeste en vertu de laquelle la

main est en extension sur le poignet et déjetée sur le bord cubital. Quant à

l'altitude dite de la main de prédicateur qu'on rencontre également chez

ces malades, j'en parlerai plus loin. Chez les trois malades dont j'ai exposé

l'observation dans la première partie de ce travail j'ai remarqué une par-

ticularité semblable pour les extenseurs du bras. Tandis que les fléchis-

seurs sont très atrophiés et paralysés, les extenseurs conservent assez bien

leur relief et déploient une certaine force dans les mouvements passifs.

Les muscles de la ceinture scapulo-humérale sont pris en même temps ou

plus lard que ceux de l'avant-bras et du bras, mais suivant un ordre que

je n'ai pas encore pu déterminer. La conclusion qui se dégage de l'exposi-

tion de ces faits, c'est qu'il existe chez les syringomyéliques une atrophie

du type Aran-Duchenne à marche ascendante qui envahit dans un certain

ordre les muscles des trois segments du membre supérieur en laissant in-

tacts pour un certain temps les extenseurs, lesquels seront moins pris. Je

ne prétends pas affirmer par là que dans celte marche ascendante les exten-

seurs se comporteront toujours de la même façon, car il existe des cas et

j'en ai observé moi-même, où l'atrophie musculaire affecte d'une façon très

notable les extenseurs, tandis que les fléchisseurs le sont moins.

En opposition avec cette marche ascendante de l'atrophie musculaire il

existe des cas où celle-ci suit une marche inverse. Elle débute au niveau

de l'épaule et envahit progressivement les segments sous-jacents, bras,

avant-bras et main. Dans cette forme scapulo-humérale les muscles de la

.main conservent pendant un certain temps leurs fonctions. Enfin dans des

as plus rares l'atrophie a une marche diffuse et frappe indistinctement,

ies muscles des membres supérieurs. Dans ces trois formes ascendante,

descendante et diffuse, l'atrophie musculaire tout en étant bilatérale est

.presque toujours asymétrique, les mains elles-mêmes présentant un as-

pect dissemblable.

En appliquant à la clinique les données de l'anatomie pathologique qui

m'ont été fournies par l'étude anatomo-pathologique de cinq cas de syrin-

gomyélie, je crois pouvoir conclure que les noyaux des muscles extenseurs

'sont situés au-dessus des noyaux des muscles fléchisseurs. En effet, dans ce

'que j'appellerai la marche normale de la gliose péri-épendymaire, elle se

x 15

210 G. MARINESCO

dirige de bas en haut et de proche en proche des étages inférieurs vers les

étages supérieurs de la moelle, c'est-à-dire de la région cervico-dorsale

vers la région cervicale supérieure. Les premiers noyaux atteints seront

ceux qui sont situés au niveau du premier segment dorsal et représentent

les muscles des éminences hypothénar et thénar. Un fait qui mérite d'être

relevé,c'est que la gliose péri-épendymaire qui se dirige dans le sens ver-

tical et touche en première ligne les noyaux les plus rapprochés du canal

épendymaire, acquiert une certaine extension dans le sens transversal,

mais laisse plus ou moins intacts les noyaux situés tout à fait en avant et

en dehors de la direction du canal épendymaire. C'est l'intégrité relative

de ces derniers qui nous explique aussi l'intégrité de certains muscles ex-

tenseurs de l'avant-bras et du bras et nous rend particulièrement compte

d'une attitude toute spéciale dont nous allons nous occuper dans un ins-

tant, la main de prédicateur. J'ai dit intégrité relative, parce que les

faits cliniques nous montrent que ces muscles quoique atrophiés conser-

vent une énergie relative et d'autre part, l'histologie fine m'a montré que

les cellules situées loin du foyer de gliose ne restent pas absolument intactes

comme on l'avait admis jusqu'à présent. J'ai constaté, en effet, des lé-

sions des plus nettes dans ces cellules.

II

- Nous avons vu que trois des malades qui figurent dans la première partie

de ce travail présentent la main de prédicateur d'un ou des deux côtés.

Ce ne sont pas du reste là les premiers cas de syringomyélie où cette atti-

tude spéciale de la main a été notée. Elle est indiquée dans une observation

de syringomyélie de Gilles de la Tourette CI). Elle se trouve aussi dans une

autre observation de Charcot, publiée dans la thèse de Briilil (2), observa-

tion dont je transcris les passages principaux. Il s'agit d'une femme âgée de

n8 ans, dont la maladie a débuté en 1879 par une sensation de courbature

et de fatigue générale. En même temps, elle s'est aperçue de l'amaigris-

sement de ses mains. Elle remarqua qu'il existait à leur niveau, surtout

à l'éminence thénar, des secousses assez fortes pour lui faire croire que

c'étaient les battements du pouls. En 1882, elle est entrée à la Salpêtrière

avec une atrophie manifeste des membres supérieurs et une ankylose pro-

gressive des articulations scapulo-humérales. Examinée par Charcot en

- (t) Gilles ni, la Tourette. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, t. II, 1889.

(2) BnunL. Contribution à l'élude de la syringomyélie. Thèse de Paris, 1890. Dans la

thèse de l3non. figure également (p. 130) une observation inédite de P. l3oc ayant

trait à une femme atteinte de syringomyélie, dont les deux mains représentaient un

type de main de prédicateur.

MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 2H

1888, elle présentait l'état suivant : membre supérieur droit, amaigrisse-

ment général des muscles de la main, de l'avant-bras et du bras. Le bras

pend le long du corps, fixé dans cette situation par l'ankylose de l'épaule

et peut-être aussi du pouce. Les seuls mouvements possibles sont l'exten-

sion du médius et de l'index. Le deltoïde est très atrophié. Membre supé-

rieur gauche : même situation que le bras droit. Il y a ankylose de l'arti-

culation scapulo-humérale. L'avant-bras et la main sont en pronation

forcée. Le mouvement d'extension de la main sur l'avant-bras est possible ;

mais les mouvements des doigts pris individuellement sont impossibles.

Le relèvement ordinaire en extension de la main lui donne l'aspect de la

main de prédicateur . On peut la considérer comme un prototype de pré-

dominance d'action du radial. Pas d'atrophie aux membres inférieurs.

Dissociation syringomyélique aux membres supérieurs, à la face antérieure

et postérieure du tronc.

C'est Charcot, comme on le sait, qui pour la première fois a décrit celte *

attitude spéciale : la main de prédicateur. Deux ans après, Joffroy, dans s

un travail remarquable, s'est occupé de la pachyméningile hypertrophique

et il décrit de nouveau cette main. A propos de ce type de main (1) Char-

cot s'exprime de la façon suivante :

Une particularité intéressante de cette paralysie atrophique, c'est qu'elle

porte surtout sur les membres innervés par le.médian elle cubital, tandis

que ceux qui sont soumis à l'innervation du radial sont relativement

épargnés. De la prédominance d'action de ces derniers résulte une défor-

mation spéciale de la main, une griffe radiale que nous désignons sous le

nom de main de prédicateur. A. quoi tient-elle ? les tubes nerveux qui consti-

tuent le radial naissent-ils plus haut ou plus bas que ceux qui se rendent

au cubital et au médian, et sont-ils compris au même degré dans l'allé-

ration ?

Quant à la valeur séméiologique de la main de prédicateur, Charcot avait 1

déjà fait une sage réserve dans ses Leçons publiées en 1880 (Tome II), car

voici ce qu'il dit à la page 231 : « Cette griffe n'est pas l'apanage exclusif

de la pachyméningite cervicale dans laquelle, du reste, elle ne se rencontre

pas d'une manière constante; mais comme elle ne s'observe pas dans les

autres formes d'atrophie musculaire, elle n'en fournit pas moins un élé-

ment intéressant pour le diagnostic et vous savez du'il ce point de vue

rien n'est à négliger. »

Il faut avouer que les neurologistes, excepté M. Brissaud, ont prêté peu

d'attention à la valeur séméiologique et au mécanisme de la main de prédi-

cateur. Comme il s'agit d'une localisation médullaire excessivement inté-

(1) J. M. CIIAIiCOT. OEuvres complètes. Leçons sur les maladies du système nerveux,

1889, p. 147.

212- : - - -' G. MARINESCO -

pressante, qu'il me soit permis d'insister quelque peu sur l'importance de

ces deux derniers caractères. Et tout d'abord, est-ce que cette forme spé-

ciale d'atrophie musculaire que réalise la main en question dépend bien

de la pachyméningite cervicale ou bien serait-olle due une lésion conco-

mitante ? A ce point de vue on n'aura qu'à interroger la méthode anatomo-

clinique. Depuis les premiers travaux de Charcot et Joffroy, on peut dire-

que cette main n'a été presque jamais rencontrée dans les observations de

pachyméningite avec nécropsie. Dans le mémoire de Rosenblalt (1) et

dans le-travail de Wieting (2) il est noté expressément que ce type de main

faisait défaut. D'autre part, M. Brissaud, un adepte fervent de l'existence

du type nosologique créé par Charcot el Joffroy, n'a pas rencontré non plus

la main de prédicateur. Il me souvient même d'avoir pratiqué à la Sal-

pétriëre avec mon ami, M. Paul Londe, la nécropsie d'un malade qui avait

présenté pendant sa vie des atrophies musculaires avec troubles de la

sensibilité ; le diagnostic n'a pas été posé et nous avons trouvé une pachy-

méningite très nette avec cavités dans les cornes postérieure et antérieure,

sans qu'on ait observé la main de prédicateur.

On voit donc que les faits cliniques et l'anatomie pathologique ne sont pas

très favorables à la pachyméningite en tant que lésion méningitique qui

produirait la griffe dont nous venons de parler. Si la pachyméningite pou-

vait réaliser cette griffe spéciale par l'intermédiaire de la compression des.

racines antérieures on devait naturellement s'attendre à la rencontrer un

peu plus fréquemment que dans les cas déjà connus. Aussi se croit-on obligé

d'admettre que l'atrophie musculaire qui a produit le geste de prédicateur

relève de la lésion de la corne antérieure concomitante ou succédant à la

pach) méningite. A l'appui de cette manière de voir, je pourrais invoquer

plusieurs arguments. J'ai vu, dans le service de M. Marie à Bicêtre, un

malade que Vulpian avait considéré comme atteint de pachyméningite à

cause de l'existence de la main de prédicateur. Le malade présentait entre

autres signes la dissociation de la sensibilité. La nécropsie montra qu'il

s'agissait bien d'une syringomyélie indépendante de toute lésion de pachy-

méningite. Une autre autopsie publiée par Blocq, dans la thèse de Brülhl,

a montré à cet auteur la présence de cavités typiques de syringomyélie

chez une femme qui, pendant la vie, avait présenté le type de la main de

prédicateur. Même dans l'observation première de Charcot et Joffroy, il

existait « des canaux de néoformations creusés dans la substance grise ».

L'enseignement qui nous semble découler de cette courte exposition,

c'est que la main de prédicateur peut : 'la se présenter dans des cas de pa-

chyméningite compliqués de cavités dans la substance grise; 2° que cetle

(1) Deutsch. Arch. f. Klin. Med., 1893, Bd 51, p. 210.

(2) Ziegler's Beitraege La. path. An., 1893, XIII.

MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 213

déformation spéciale peut exister en dehors de toute pachyméningite,ainsi

que l'autopsie l'a démontré; 3° elle peut exister chez des malades atteints

de syringomyélie qui présentent le complexus symptomatique de la syrin-

gomyélie sans symptômes de réaction douloureuse dus à la pachyménin-

gite. Aussi est-on porté à admettre que le geste de prédicateur est une com-

plication qui appartient en propre à la syringomyélie qui réalise les con-

ditions d'atrophie musculaire capable de produire la main de prédicateur.

Actuellement, tout au moins, nous ne connaissons pas d'affection qui

puisse déterminer une atrophie complète dans le domaine des nerfs mé-

dian et cubital en laissant presque intacts certains muscles innervés par le

radial. Quels sont ces muscles ? Naturellement il s'agit là des extenseurs du

poignet, c'est-à-dire le cubital postérieur et les radiaux. Or,' chez la plupart

de mes malades, le muscle qui agit particulièrement dans ces circonstan-

ces, c'est le cubital postérieur qui est moins touché que les radiaux, ce

qui nous explique que la main est non seulement en extension sur le poi-

gnet, mais aussi en abduction si on la regarde par sa face dorsale. Un autre

muscle qui conserve pendant longtemps sa fonction, c'est l'extenseur du

petit doigt. Aussi voit-on, chez ces malades, le petit doigt en extension sur

la main, relevé et fortement écarté de l'axe de celle-ci.

En somme, il résulte des observations précédentes que l'atrophie mus-

culaire présente, au moins dans quelques cas de syringomyélie, un cachet

spécial qui permet jusqu'à un certain point de distinguer cette atrophie de

celle due à d'autres altérations du système nerveux. En effet, il s'agit

d'une atrophie musculaire segmentaire, tout au moins quand elle dé-

bute par les extrémités des memhres supérieurs. Toutefois, il faut s'en-

tendre sur le mot segmentaire, car je n'entends pas par là qu'un seg-

ment de membre soit pris dans sa totalité à l'exclusion des autres segments

du membre supérieur, car, dans ce cas, le mot d'atrophie segmentaire serait

incorrect : je veux simplement dire que l'atrophie est prédominante dans

le segment de la main, tandis que l'avant-bras est beaucoup moins touché :

ce quiestarrivépour Corr... Celte atrophie,limitée aux muscles delà main, on

la rencontre quelquefois dans la maladie de Morvan. Il va encore une autre

raison qui me fait admettre qu'on pourrait appeler l'atrophie musculaire

dans ces cas de syringomyélie, atrophie segmentaire,c'est que la gliose mé-

dullaire débutant habituellement au niveau de la région cervicale inférieure

ou au nivcau de la lre dorsale, envahit la moelle dans un certain nombre

de cas, segment par segment et détermine à son tour des atrophies muscu-

laires localisées et en rapport avec la topographie des cavités syringomyé-

liques.

En étudiant la marche progressivement envahissante de l'atrophie'mus-

culaire surtout dans les cas de syringomyélie au. début, .je crois pouvoir

214 G. MARINESCO

construire le schéma suivant, qui diffère de ceux de Thorburn et de Starr,

par le fait que la localisation des petits muscles de la main est plus pré-

cise.

MAIN SUCCULENTE ET ATROPHIE MUSCULAIRE DANS LES SYRINGOMYÉLIES 215

ne présentent pas la même situation relative et divers segments de la moelle,

mais ils subissent un mouvement en vertu duquel ils abandonnent leur

position primitive et un autre noyau vient prendre leur place ?

CONCLUSIONS

Après ce que je viens d'exposer, je me crois autorisé à tirer les conclu-

sions suivantes :

. 1. - Il existe dans quelques cas de syringomyélie, au début de l'affec-

tion comme dans les stades tardifs, des troubles trophiques cutanés et

vaso-moteurs qui associés à l'atrophie .ran-Ducllenne qu'on rencontre

chez les malades, donnent à la main un aspect et une forme toute spéciale,

ce qui permet de la désigner sous le nom de main succulente.

IL - Les troubles trophiques cutanés qui sont permanents, consistent

dans la tuméfaction de la face dorsale de la main, tuméfaction ayant pro-

bablement pour substratum anatomique une hyperplasie des éléments du

tissu conjonctif sous-cutané. La peau elle-même ne paraît pas épaissie.

Elle est lisse, luisante et unie. A ces troubles cutanés permanents s'ajou-

tent des troubles vaso-moteurs variables qui dépendent surtout de la tem-

pérature du milieu ambiant.

III. La main succulente a une valeur séméiologique analogue à celle

des autres types (main type Morvan) chiromégalique, etc.) que l'on rencon-

tre dans la syringomyélie. Elle permet, dans la plupart des cas, de diagnos-

tiquer la gliose péri-épendymaire. -

IV. Dans la production du type de la main succulente, la lésion des

trois neurones médullaires entre en jeu. Le neurone moteur situé à la par-

tie antérieure, le neurone vaso-moteur siégeant dans la partie moyenne de

la substance grise, le neurone sensitif indirect siégeant surtout dans la

corne postérieure.

V. C'est de l'intégrité anatomique de ces trois neurones que résulte

la conservation normale des tissus qui composent la main. Leur associa-

tion fonctionnelle et anatomique constitue un métamère.

VI. L'affection des neurones moteurs donne naissance à l'atrophie

musculaire. Or comme dans la syringomyélie, la lésion débute au niveau

de la 8e racine cervicale et de la 1° dorsale et se dirige vers les régions

supérieures, il s'ensuit que cette atrophie musculaire présente une topo-

graphie commandée par la marche de la gliose. Celte marche de la lésion

nous permet de résoudre quelques problèmes de localisation médullaire.

VII. Le type le plus fréquent d'atrophie musculaire qu'on rencon-

tre dans la syringomyélie, tout au moins au début, c'est le lype Aran-

D uchenne.

21G G -' ' - - - G. MARINESCO ' " - .. - ..

..VIII. ' Pour,'un segment donné du membre supérieur, les muscles

les plus petits sont représentés par les étages les plus inférieurs de la région

cervico-dorale et les' muscles fléchisseurs sont sous-jacents aux muscles

extenseurs.

IX. Il en résulte que les muscles fléchisseurs subiront la première

atteinte et même seront plus atrophiés que les extenseurs. La conservation

relative dès extenseurs du poignet donne à la main une attitude spéciale

à laquelle Charcot a donné le nom de main de prédicateur, Cette griffe se

rencontre presque exclusivement dans la s ringomyélie qui offre les condi-

tions les plus favorables à sa production.

X. Les centres des muscles extenseurs du poignet ont leur siège

principal dans le groupe antéro-exlerne de la corne antérieure.

XI. Il existe chez beaucoup de syringomyéli tiques un relâchement et

une distension des articulations de la main, constatables non seulement

par les attitudes vicieuses et les mouvements anormaux qu'on peut impri-

mer aux doigts, mais aussi par la radiographie.

Le gérant : P. Bouchez

Imp. G. Saint-Aubin et Thevenot. J. Thevenot, successeur, St-Dizier (Haute-Marne).

Nouv. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

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'1 ? ,¿uliogmpbie A. LOllde. 'Pholocoll. 'Bei thaiid.

RADIOGRAPHIES NÉGATIVES DES EXTRÉMITÉS INFÉRIEURES DE DEUX FÉMURS.

Maladie de Paget. Squelette normal.

N. n. Cette planche correspond au renvoi (PI. XXII, radiographies négatives) du mémoire de MM. Léopold Lé\i et A. Londe dans le précèdent fascicule, page 200.

10° Année N 4 Juillet-Août 1897

CLINIQUE MEDICALE DE L'HOPITAL SAINT-ÉLOI DE 110NTPELLIE1.

TIC DU COLPORTEUR

(SPASME polygonal POST-PROFESSIONNEL)

PAR

Le Pr GRASSET

Leçons cliniques recueillies et publiées (1)

PAR LE

D' VEDEL, chef de clinique.

Messieurs,

Au n° 32 de notre salle Fouquet est un malade de 40 ans que notre ex-

cellent confrère le docteur Hermantier, de Gagnères, nous a envoyé le

15 mars 1897 et qui paraît bien curieux et bizarre dès le premier exa-

men.

Quand il se promène dans le jardin de l'hôpital vous pouvez le voir avec

un bâton entre les dents, tenant son doigt sur une des extrémités de ce

bàlon et maintenant ainsi sa tète. Ou bien encore quand il s'approche de

vous à la visite il maintient sa tôle, un doigt dans son bonnet, ainsi que

le représente la première de ces photographies qu'a bien voulu nous faire

un de nos élèves, M. Gairaud (PI. XXVI, A).

Souvent sa ligure exprime un certain effort. On voil qu'il est obligé de

maintenir artificiellement sa tète dans la position recliligne.

Sans cela, dès qu'il l'abandonne elle s'en va ers l'épaule gauche, se

rapproche de cette épaule qui se soulève ; en môme temps le bras gauche

s'applique fortement contre le tronc (PI. XXVI, 13) ; enfin le bras droit

est fortement rejeté en arrière (PI. XXVI, C). Le malade se trouve ainsi

dans la posture, assez bizarre, d'un homme qui fait effort pour soutenir

et soulever un fardeau un peu lourd qui serait posé sur l'épaule gauche.

C'est là un spasme du cou, à forme spéciale, dont l'analyse clinique est

déjà intéressante et dont l'observation prise avec soin par M. Jacques, élève

du service, vous a élé lue ces jours derniers.

(1) Leçons faites en avril 1891.

x 16

218 GRASSET

Nous aurons à l'étudier d'abord dans sa sgmptomatologie. Nous verrons

en quoi il diffère du type banal, de l'hyperkinésie du spinal de Jaccoud,

de la plupart des spasmes fonctionnels du cou de Féré. Nous aurons à étu-

dier ses rapports avec le tic et la maladie des tics de Gilles de la Tourette,

avee.le paramyoclonus de Friedreich et. les myoclonies, avec les' diverses

chorées...

En second lieu, et ce sera'au moins aussi intéressant, nous devrons l'é-

tudier au point de vue de sa. physiologie pathologique. Nous verrons en quoi

il se rapproche du torticolis mental dé Brissaud et peut-éti'e serons-nous

amenés à discuter certains points de la théorie ingénieuse de cet auteur et

à proposer plutôt le nom de ,spasme polygonal .

Enfin, restera le côté' étiologique qui méritera aussi de nous arrêter et

permettra.de faire de notre cas un type de spasme professionnel ou plutôt

post-professionnel encore peu, sinon, pas décrit : le tic du colporteur.

Analysons d'abord le sujet et tâchons de le classer au point de vue symp-

tomatique.

Prenant le, malade en crise (Pl. XXVI, et C) nous le voyons tout d'a-

bord atteint de torticolis : « inclinaison du cou et de la tête sur le tronc, '

disent les classiques (1)), presque toujours accompagnée de rotation de la

tête ? - : .

- On peut -diviser (2) les torticolis en quatre catégories : 4) torticolis ré-

sultant de la présence de tumeurs diverses du cou ; 2) torticolis par lésion

des articulations de la colonne vertébrale; 3) torticolis par cicatrice vicieu-

se^ 4) torticolis par contraction musculaire passagère ou permanente.

Point n'est besoin de discussion pour établir que notre malade appar-

tient à la quatrième catégorie : c'est un torticolis spasmodique.

C'est ce que Jaccoud (3) décrit sous le nom de tic convulsif ou rotatoire

du cou et de la tête, ou d'hyperkinésie de l'accessoire de Willis. Il en dé-

crit deux formes : une forme tonique plus fréquente, et une forme clonique

plus rare à laquelle paraît appartenir notre cas, du moins à première vue.

A une analyse plus serrée, on voit qu'on ne peut pas en faire une « hy-

perkinésie du spinal o. z - . ,

\ Le nerf de la XI° paire (spinal du accessoire de Willis) innerve par sa

branche externe le sternomastoïdien et le trapèze. Que produira l'l3yperki=

nésie de ce nerf ? Pour vous en rendre compte vous'n'avez qu'à vous rap-

, ? . ' L

I (I) Deciummie, Matiiias DUVAL et Leur : noom.eT. Diçt. usuel des scienc. nxéd. Paris,

1885, p. 1C32.

Il) 13oar.na. Du torticolis mental. Thèse de Paris, 189'f, n° 2.'il, p. 10.

(3) Jaccoud. Traité de Pathologie interne, 71 édit., t. I, 1883, p. 817.

TIC DU COLPORTEUR

(Spasme polygonal post-professionnel).

TIC DU COLPORTEUR ' 219

peler notre ancien malade, dont je vous présente la photographie (1), et

dont mon interne d'alors, le Dr Guihert. a publié (2) l'observation. Le ster-

nomastoïdien et le trapèze du même côté se contractent simultanément, et

alors la tète s'incline de ce côté (trapèze) mais regarde de l'autre (sterno-

mastoïdien). C'est à ce type qu'apparliennent la plupart des cas publiés

par les auteurs, notamment par Gauliez (3) clans sa thèse de 1884 sur les

spasmes du cou et par Féré (4) dans son travail de 1883 sur la crampe

fonctionnelle du cou ou dans son mémoire (5) plus important de 1894 sur

les spasmes fonctionnels du cou.

Une différence capitale sépare complètement notre cas de ceux-là.

Chez ces malades la tête s'incline d'un côté et regarde de l'autre. Au

contraire,, chez notre malade actuel, la tête est inclinée sur l'épaule gau-

che et regarde à gauche c'est-à-dire du même côté. Donc, chez lui, le tra-

pèze gauche se contracte, puisque la tête s'incline sur l'épaule gauche,

mais c'est le stemo1nastoïdien droit (et non le gauche) qui se contracte,

puisque la tète regarde à gauche. Et, de fait, pendant les crises, on sent

très nettement gonflés, durs, contracturés sous le doigt le trapèze gauche

et le sternomastoïdien droit.

On ne peut appeler cela une hyperkinésie de l'accessoire de Willis;

car il faudrait admettre une hyperkinésie d'une branche du spinal gauche

et d'une autre branche du spinal droit.

Il se passe là quelque chose d'analogue à ce que vous voyez dans la dé-

viation conjuguée de la tête et des yeux. Quand ce symptôme est d'ordre

c911nvulsif ou spasmodique, vous ne pouvez pas l'appeler une hyperkinésie

de l'oculo-moteur externe ni une hyperkinésie de l'oculo-moteur commun.

C'est un spasme synergique, associé, d'une partie d'un nerf d'un côté et

d'une autre partie de l'autre. '

Chez notre malade le spasme est du reste tout à fait complexe à ce point

de vue, puisque, à son maximum, le bras gauche se colle en même temps

contre le tronc, et le bras droit est projeté en arrière.

Donc, on ne peut le définir symptomatiquement qu'en le décrivant

ainsi : Convulsion clonique du trapèze et du grand pectoral à gauche, du

sternomastoïdien et du grand dorsal ci droite.

Cette combinaison bizarre ne parait pas avoir frappé les auteurs; je

1

(1) Planche XXIX du 2e vol. de la 4" édit. de notre Traité des maladies du syst. ner-

veux (en collaboration avec R.uru : n).

(2) Guwrnr. Crampe fonctionnelle du cou. Revue de médecine, 1892, t. XII, n° 4,

p. 317.

(3) Gauliez. Cont,'ib. à l'élude des spasmes du cou. Thèse de Paris, 1884, n° 95.

(4) Feue. Crampe fonctionnelle du cou. Rev. de méd., 9953, t. III, p. 7G9.

(5) FÉIIÉ, Contrib. à la pathol. des spasmes fonctionnels du cott. Itev. de Illéd., 1894,

t. XIV, p. 755. ,

220 GRASSET

n'en ai pas trouvé de description à part. On décrit la convulsion du sterno-

mastoïdien et du trapèze d'un côté, des sternomasloïdiens ou des trapèzes

des deux côtés, d'un seul sternomastoïdien ou d'un seul trapèze; mais on

ne décrit pas en général cette convulsion croisée ou alterne du sterno-

mastoïdien d'un côté et du trapèze de l'autre, je dis : alterne, par analogie

avec la paralysie de Gubler qui frappe le facial d'un côté et les membres

de l'autre.

On a cependant observé, mais sans y insister, des cas de convulsion

conjuguée du sternomastoïdien d'un côté et du trapèze de l'autre. J'en ai

trouvé notamment un exemple dans la VIF observation de Gauliez prise

dans le service de Charcot (1) : spasme tonique du sternomastoïdien droit

et du trapèze gauche.

Cela dit sur les caractères symptomatiques de ce spasme clonique, quels

rapports a-t-il avec les chorées, les myoclonies et les tics ? ' !

Au début de cet exposé et pour le rendre moins obscur, une remarqua

préliminaire est indispensable. Chacun de ces noms : chorée, myoclonie,

tic, a été donné à la fois à un symptôme, commun il bien des maladies,

et à une maladie spéciale du système nerveux. Ainsi il y a les chorées-

symptômes et la chorée de Sydenham, les myoclonies et le paramyoclo-

nus multiple de Friedreich, les tics et la maladie des tics de Gilles de la

Tourette.

Cette observation indispensable faite, il est assez facile d'établir que

notre sujet n'appartient il aucune des trois maladies que je viens de nom-

mer : il n'est atteint ni de chorée de Sydenham, ni de paramyoclonus

multiple, ni de maladie des tics.

D'abord il n'a pas une chorée de Sydenham.

La névrose de Sydenham est caractérisée par des mouvements incoor-

donnés, irréguliers, au repos, se produisant dans diverses parties du

corps. Notre malade ne présente rien de ce tableau bien stigmatisé clans

la phrase souvent citée de Ziemssen (2) : « la spontanéité du passage des

contractions d'un groupe musculaire il un autre, l'inépuisable activité des

muscles, la rapidité avec laquelle certaines convulsions apparaissent et

disparaissent, la lenteur et la gaucherie des mouvements volontaires, les

contrastes que présente le facies, grimaçant par instants, inerte et comme

hébété dans l'intervalle des spasmes, tout, en un mot, forme un tableau

caractéristique qu'il n'est guère possible de méconnaître ».

(1) Gautiez. Loc. cil., p. 37, obs. VU.

(2) Citation de Raymond, article Danse de Saint-Guy in Dict. eneyel. des se. mie-

die.

TIC DU COLPORTEUR 221

Rien de ce tableau caractéristique n'existe chez notre malade, qui ne

présente à aucun degré des gesticulations illogiques, contradictoires et

bizarres.

Il y a bien une chorée rythmée qui se rapprocherait un peu plus de

notre cas. Mais d'abord la chorée rythmée n'est pas la chorée de Syden-

ham et appartient plutôt aux chorées symptômes dont nous reparlerons.

Ensuite, il y a dans la chorée rythmée une succession régulière et fré-

quente du même mouvement que nous ne retrouvons pas ici. -

A-t-il un paramyoclonus multiplex' !

Je vous ai déjà parlé de cette maladie à diverses reprises (1). Je vous ai

cité notamment cete phrase de Homen (2) qui résume bien la caractéristi-

que de cette maladie décrite par Friedreich (3) en 1881 : « secousses sin-

gulières, souvent symétriques, ordinairement non rythmiques, dans des

muscles déterminés symétriquement des deux côtés, souvent très distants

les uns des autres et qui ne sont pas toujours innervés par le même nerf,

par conséquent tout à fait indépendants par la situation et l'innervation.

Ces secousses, qui s'étendent sur toute la masse du muscle, sont quelquefois

isolées, quelquefois agglomérées, avec des intervalles irréguliers ; elles

se produisent tantôt dans un seul muscle, tantôt dans plusieurs à la fois

ou alternativement... »

Ajoutez avec Raymond (4) que la fréquence de ces secousses varie de

10 à 50 par minute, que quelquefois leur succession est tellement rapide

qu'il en résulte une sorte de tétanisation du muscle agité, que leur rythme

n'a rien de régulier et qu'elles ne produisent qu'exceptionnellement le

déplacement d'un segment de membre, comme un léger mouvement de

l'avant-bras, un léger mouvement de supination du pouce... et vous ver-

rez que ce tableau ne s'applique en rien à notre malade.

Il s'appliquerait plutôt à la femme qui est au n° 23 de la salle Espé-

ronnier dont M. Cauvy, élève du service, a récemment donné l'observation

et dont nous reparlerons pent-être quelque jour, ou à la femme du n° 15

de la même salle qui, avant-hier pendant qu'on l'interrogeait, présentait

de curieuses secousses ayant quelque rapport avec les myoclonies, niais

notre malade n'a rieli de cela : il n'est pas atteint de para-myoclonus mul-

tiplex.

(1) Leçons de Cliaiq, méd,ic., 1 série, 1891, p. 138 et 471. Voir aussi la 40 édition du

Traité prat. desmalad. du syst. nerv. (en collaborat. avec Rauzier), t. II,, p. 563.

(2) Homen. Archives de neurologie, 1887, t. XIII, p. 200.

(3) FIUEDREICII. Arch. f. pathol. Anat. u. Physiol. u. klin. Med., t. LXXXVI, p. 421,

citât. Raymond).

(4) RAYMOND. Des myoclonies in Clin, des mal. du syst. nerv., Paris, 1896, p. 556.

222 GRASSET

A-t-il cette maladie bizarre que Gilles de la Tourelle (1) en 1885 et

Guinon (2) en 1886 ont décrite dans le service de Charcot sous le nom do

maladie des tics ou de névrose tiqueuse ?

Nous en avons étudié ensemble un cas (3) il y a quelques années; il

différait profondément de notre malade actuel.

Nous verrons que la convulsion de noire malade actuel peut être appelée

un tic; mais il ne suffit pas d'avoir un tic pour être atteint de « maladie

des tics ». -

Le mémoire de Gilles de la Tourelle est intitulé : Étude sur une affection

nerveuse caractérisée par de l'incoordination motrice accompagnée d'écholalie

et de coprolalie. C'est dire que la maladie nécessite pour être caractérisée

la présence d'autre chose que d'un simple tic. Comme le dit Raymond (4),

cette maladie est caractérisée dans sa forme bénigne par des tics propre-

ment dits (grimaces de la face, mouvements brusques et involontaires des

membres), « tandis que, dans la forme grave, ces mouvements involon-

taires s'accompagnent des phénomènes connus sous les noms d'écholalie,

d'échokinésie, de coprolalie ou de troubles psychiques qui consistent le

plus souvent dans des idées fixes ».

Or, notre malade non seulement ne présente aucun de ces symptômes

essentiels de la forme grave, mais il ne présente pas même la superposition

ou la succession de divers tics nécessaire à caractériser la forme bénigne

de la névrose tiqueuse.

Donc, notre homme n'est atteint ni de chorée de Sydenham, ni depara-

myoclonus multiplex, ni de maladie des tics.

Cela ne veut pas dire qu'il ne présente pas le symptôme chorée, le symp-

tôme myoclonie ou le symptôme tic. D'après la distinction établie plus

haut, il faut bien distinguer, pour chacun de ces trois mots, le sens

symptomatologique et le sensnosologique. Un sujet peut très bien présen-

ter un des trois symptômes sans avoir la maladie correspondante. On peut 1

présenter des mouvements choréiques sans avoir la chorée de Sydenham,

des myoclonies sans avoir le para-myoclonus multiplex, des tics sans avoir

la maladie des tics.

Donc, il n'est pas oiseux de se poser maintenant la question de savoir

si, au point de vue de l'analyse symptomatique, le mouvement anormal

(1) Gilles DE la TOURETTE. Arch. de neurol., nos 25 et 26.

(2) Guinon. Revue de méd., 1886 et art. du Dict. encycl. des sc. médic., 1887.

(3) Un cas de maladie des tics et un cas de tremblement singulier de la tête et des

membres gauches, in Leç. de clin, médic., Ire série, 1S91, p. 466. Voir aussi notre

Traité, t. II, p. 584.

(4) Raymond. Leçon citée sur les myoclonies, p. 559.

- TIC DU COLPORTEUR 223

présenté par notre sujet est de la famille des chorées, des myoclonies ou

des tics.

Si vous adoptez le classement que je propose habituellement des contrac-

tions anormales et involontaires, c'est d'abord clans le groupe des chorées

que se placera le mouvement pathologique de notre sujet.

Ce classement (1) est résumé dans le tableau suivant :

224 GRASSET

il n'est pas caractéristique ou du moins il n'est caractéristique qu'à con-

dition de donner au mot myoclonie un sens tellement étendu et général

qu'il se confond avec le mot chorée et devient inutile. En effet, non seu-

lement les myoclonies, mais les tics, les chorées d'adultes sont aussi des

symptômes de dégénérescence. Les rapports avec la disposition névropa-

thique générale, héréditaire ou acquise, sont trop fréquents dans toutes

les branches de la neuropalhologie pour pouvoir faire la caractéristique

d'une quelconque de ses parlies.-

Les seuls caractères symptomatiques que l'on puisse assigner aux myo-

clonies sont ceux que nous avons indiqués pour le paramyoclonusmulti-

plex, notamment celui-ci sur lequel insiste Raymond : les secousses couvul-

sives agitent la masse entière du muscle sans aboutir à un effet locomoteur,

et ceux-ci que signalent plutôt Lemoine et Lemaire (1) : 1° l'instantanéité

des spasmes ; 2° leur incoordination absolue et leur ressemblance avec

des secousses électriques ; 3° l'influence exercée sur eux par la position du

malade (maximum de mouvements quand le malade est couché).-

Notre malade ne présente aucun de ces caractères. De plus, les myoclo-

nies n'affectent aucune apparence de coordination, ils sont quelconques

et ne simulent pas des mouvements volontaires.

Donc, la convulsion de notre malade est bien de la grande famille des

chorées; mais elle n'appartient pas ci la subdivision des myoclonies.

Elle appartient plutôt à la branche des tics qui est bien distincte de la

branche des myoclonies et forme une autre subdivision spéciale des cho-

rées. 1

Guinon (2) définit le tic : « un mouvement convulsif, habituel et cons-

cient, résultant de la contraction involontaire d'un ou de plusieurs mus-

cles du corps, et reproduisant le plus souvent, mais d'une façon intempes-

tive, quelque geste réflexe ou automatique de la vie ordinaire. »

C'était l'enseignement de Charcot (3) que Brissaud (4) rappelle et dé-

veloppe clans le passage suivant : « ce qui caractérise les mouvements .des

tics, c'est que, malgré leur complexité et leur bizarrerie, ils ne sont pas

toujours, comme on le croit trop souvent, déréglés, incoordonnés, contra-

dictoires au premier chef. Ils sont en général, au contraire, systématisés,

en ce sens qu'ils reparaissent toujours les mêmes chez le même sujet; et,

de plus (ceci est de Charcot), fort souvent du moins, en les exagérant ce-

(1) Lejioine et Lemaire. Revue de médecine, 1889-90.

(2) Guinon. Art. cité du Dict. encycl., p. 555.

(3) CUAIICOT. Leçons du mardi, 1888-89, p. 14.

(4) Brissaud. Tics et spasmes cloniques de la langue, in Leçons sur les malad. nerv.,

Paris, 1895, p. 503.

TIC DU COLPORTEUR 225

pendant, ils reproduisent certains actes automatiques, d'ordrephysiologi-

que appliqués à un but. Parmi les tiqueurs, les uns semblent vouloir ex-

pulser par une brusque expiration nasale un corps étranger engagé dans

le nez ; les autres, par un mouvement d'occlusion rapide des paupières,

semblent vouloir protéger leurs yeux contre la pénétration d'un corps

étranger ; un autre encore se gratte comme pour combattre la sensation

d'une démangeaison intense, etc., etc. »

L'histoire suivante, rappelée par Brissaud (1) fixera ces caractères du

tic dans votre mémoire.

« Vous savez qu'en 1717 vint à Paris un marin russe célèbre dont Saint-

Simon nous a laissé un très intéressant portrait; j'en extrais ces lignes :

ce regard majestueux et gracieux quand il y prenait garde, sinon sévère

et farouche, avec un tic qui ne revenait pas souvent, mais qui lui démon-

tait les yeux et toute la physionomie et qui donnait de la frayeur. Cela

durait un moment avec un regard égaré et terrible et se remettait aussi-

tôt. Ce marin, reprend Brissaud, était Pierre le Grand dont Frédéric de

Prusse disait qu'il était un des deux hommes les plus singuliers de son

siècle. »

Le mouvement anormal de notre malade présente tous ces caractères de

systématisation et de coordination : il associe toujours les mêmes contrac-

tions musculaires, et ce sont des contractions musculaires que physiologi-

quement on associe dans certaines circonstances « en les exagérant cepen-

dant », comme dit Charcot.

Donc, sans être atteint ni de chorée de Sydenham, ni de maladie des

tics, notre homme présente cette variété de mouvements choréiques que l'on

appelle un tic.

Cette première conclusion est purement symptomatique. Il faut chercher

à serrer le sujet de plus près en étudiant maintenant et en discutant la

physiologie pathologique de ce symptôme.

On peut dire que jusqu'à Charcot et Brissaud, il n'y a pas eu grand

chose de fait sur cette physiologie pathologique des spasmes du cou.

La thèse de Gauliez établit bien la question à ses débuts,enl884. L'au-

teur réunit dix-huit observations, de valeurs du reste diverses ; mais il est

à peu près muet sur la question de physiologie pathologique, sur le siège

de l'altération.

« Doit-on, dit-il, regarder le spasme fonctionnel des muscles du cou

comme une affection périphérique limitée aux muscles atteints, ou comme

l'expression d'une lésion portant sur un point des centres nerveux ? En

(1) Brissaud. Loc. cit., p. 512.

226 GRASSET

d'autres termes, la maladie est-elle périphérique ou centrale ? Malgré les

nombreuses discussions auxquelles a donné lieu la palhogénie de la crampe

des écrivains (dont il rapproche ces spasmes fonctionnels dn cou), la ques-

tion est encore bien obscure. » Il rappelle que Poore a défendu la doc-

trine périphérique, tandis que Duclienne de Boulogne penche pour l'hy-

pothèse qui fait dépendre ces troubles fonctionnels d'un élal morbide

quelconque d'un point des centres nerveux. Et Gauliez conclut simple-

ment : « celte interprétation (théorie centrale de Duchenne) s'accorde

d'ailleurs avec les recherches contemporaines qui tendent à établir que

chacun des mouvements associés a pour origine un centre dans les masses

encéphaliques. »

Dans son premier mémoire (le seul antérieur à Brissaud), Féré n'en dit

pas plus. Aussi Brissaud, après avoir passé en revue les diverses opinions

des classiques, depuis Romberg (1851) jusqu'à Erb, Rosenthal et Gowers,

peut-il dire : « Vous le voyez, la question ne perd pas de son obscurité à

celte revue des opinions classiques. » Et c'est avec raison qu'il commen-

çait ainsi sa leçon sur les tics et les spasmes cloniques de la face : « je

vous entretiendrai aujourd'hui d'un sujet sur lequel nos pathologies sont

presque muettes. »

Donc, comme je vous le disais tout à l'heure, il n'y avait pas eu grand

chose de fait sur la physiologie pathologique des spasmes du cou avant la

leçon de Brissaud qui parut le 25 janvier 1894 dans le Journal de méde-

cine et de chirurgie pratiques, et la thèse de Bompaire qui, le 9 mai de la

même année, développe il son tour les idées de Brissaud.

Voyons comment Brissaud expose et déduit ses idées avant de les dis-

cuter et de les appliquer à notre malade.

Brissaud accentue bien la différence, que nous avons faite après lui,

entre le spasme clonique simple et le tic. Dans le spasme simple, il y a

uniquement un réflexe. Dans le tic « an lieu d'un centre réflexe muscu-

culaire, on voit agir un centre fonctionnel ».

Nous retrouvons bien à notre cas les caractères du tic nerveux « c'est-à-

dire un ensemble d'actes musculaires qui relèvent de l'excitation de cen-

tres connexes, mais bien indépendants les uns par rapport aux autres,

n'agissant que par une forme de synergie spéciale et dans un but fonc-

tionnel ». Nous connaissons bien ces cenlres physiologiques et leurs allé-

rations dans ces syndromes qui conslituenl l'aphasie, l'astasie-abasie, la

crampe des écrivains...

Jusque-là rien déplus inattaquable. Mais rapidement Brissaud conclut

que : « le spasme est un phénomène simple, exclusivement et par

conséquent d'origine spinale, tandis que le tic est un acte automatique,

coordonné et par conséquent d'origine corticale. »

' TIC DU COLPORTEUR 221

Ici, je demande à faire des réserves. Tout acte automatique coordonné

n'est pas nécessairement d'origine corticale. La déviation conjuguée de la

tête et des yeux, que je vous ai déjà rapprochée du spasme actuel, peut

être d'origine corticale, mais elle peut être aussi d'origine bulbaire. II y a

incontestablement des actes bulbaires coordonnés et automatiques.

Il y a même des actes spinaux qui sont coordonnés et automatiques.

On peut marcher avec sa moelle ou tout au moins avec ses centres bulbo-

médullaires, la corticalité étant distraite, c'est-à-dire occupée à toute

autre espèce de clioses. Quand le canard récemment décapité fait encore

le tour de la cour, il accomplit des actes parfaitement coordonnés et auto-

matiques, dans la production desquels la substance corticale ne peutplus

intervenir.

Donc, notez-le bien : je ne dis pas que le tic de notre malade ne soit

pas cortical, mais je dis qu'on ne peut pas conclure à son origine corticale

par ce seul fait que c'est un acte automatique et coordonné.

Brissaud continue dans un passage important : « rien ne peut empêcher

le spasme, acte réflexe. Peut-on arrêter le bol alimentaire à son entrée

dans le pharynx ? Non, ou du moins c'est au prix de tels efforts, qu'on

bouleverse tout le fonctionnement de la déglutition. Dans le tic au

contraire, acte cérébral cortical, la volonté intervient ou peut intervenir.

Il y a un état de conscience ou de subconscience tel, que le sujet, averti,

peut se maîtriser. L'inhibition est donc possible, et c'est parce que le phé-

nomène est cortical, que les troubles qui le constituent sont fonctionnels.

Or, il n'y a guère de tiqueurs qui ne puissent, par instants, s'empêcher

de tiquer, pourvu que leur volonté soit momentanément assez puissante.

Ici, l'état mental a toujours une large participation. »

Ici encore, des réserves me semblent nécessaires. Il y a bien des réflexes

vrais bulbo-médullaires, sur lesquels la volonté a une action inhibitrice

ou dynamisante, et qui cependant ne sont pas des actes corticaux; il en

est ainsi de la marche des réflexes défensifs... L'inhibition est possible

parce que les voies centrifuges transmettent les ordres de la volonté : c'est

ce qui arrive dans les actes de la miction et de la défécation. En dehors de

la vie physiologique courante, celte intervention possible de la conscience

et de la volonté sera 'mise en évidence, notamment dans l'hypnotisme : en

agissant sur l'écorce, on peut purger, faire uriner, provoquer des règles...

Donc, le fait que la conscience est, dans certains cas, prévenue des tics

(du reste les déplacements matériels suffisaient pour cela), et que la vo-

lonté peut exercer sur eux une action inhibitrice, ne prouve nullement la

nature corticale et mentale du tic.

Brissaud cite ensuite ce remarquable passage de Charcot : « Le tic est

une maladie psychique ; il y a des tics de la pensée qui se traduisent par

228 GRASSET

des tics du corps. La pensée d'un fait, selon Herbert Spencer et Bain,

c'est déjà ce fait qui s'accomplit. Lorsque nous pensons au mouvement de

l'extension de la main, nous esquissons déjà ce mouvement, et si l'idée

est trop forte, nous l'exécutons. »

Ce n'est certes pas nous, méridionaux, qui contesterons cette proposi-

tion. Vous savez que dans le midi on réussit toujours la petite expérience

suivante : demandez dans un salon à dix personnes successivement, ce que

c'est qu'une crécelle ou quelque chose de compact, toutes vous répondront

en faisant le geste expressif de quelque chose qui tourne ou de quelque

chose de tassé. Donc, sous notre latitude, plus que partout ailleurs, on

peut dire que la pensée d'un fait, c'est déjà ce fait qui s'accomplit ; la

pensée et le geste sont à peu près inséparables. Mais cela ne prouve pas

que tous les tics sont psychiques et mentaux par ce seul fait qu'ils sont

coordonné» et que la volonté les gouverne dans une certaine mesure.

Il y a des tics psychiques vraiment mentaux, c'est-à-dire des cas dans

lesquels la volonté faible d'un aboulique ne peut pas empêcher une pensée

plus ou moins saugrenue de se manifester par un acte. Je vous ai souvent

cité plusieurs exemples (1) de cet ordre, notamment ce passage de Malot

qui fixera bien la chose dans votre mémoire :

Le héros du roman, Victorien, attend son tour dans l'antichambre d'un

médecin aliéniste renommé, le Dr Soubyranne.

« A midi et demi, Victorien, le bras en écharpe, entrait dans le salon

de Soubyranne. Il s'y trouvait, arrivés avant lui, deux pingouins, comme

disent les médecins en parlant des clients qui, dans des poses ennuyées,

attendaient le moment d'être reçus, et il prenait place à côté d'eux,

n'ayant pour toute distraction que de les examiner comme eux-mêmes de

leur côté l'examinaient, discrètement des yeux, mais avec toutes sortes de

curiosités et d'interrogations muettes.

« Est-il fou, celui-là, ou raisonnable ? Qu'a-t-il de détraqué ?

« Au moins était-ce ainsi que Victorien traduisait leurs regards.

« Au bout d'un certain temps, celui qui l'examinait avec l'attention la

plus manifeste, personnage grave, correctement habillé, de tournure

distinguée, l'air d'un diplomate ou d'un magistral, quitta son fauteuil et

vint à lui avec toutes les marques d'une extrême politesse à laquelle se

mêlait un certain embarras.

« Pardonnez-moi, monsieur, de vous adresser une question, sans avoir

l'honneur d'être connu de vous.

« Victorien le regarda interloqué.

« Combien avez-vous au juste de boutons à votre gilet ? Ma foi,

(1) Un cas de maladie des lies et un cas de tremblement singulier de la tête et des

membres gauches, in Leç. de clin. rnéd., 1re série. 1891, p. 466 et 483.

TIC DU COLPORTEUR 229

monsieur, je n'en sais rien du tout. Permettez-moi de les compter, je

vous prie. Volontiers. Un, deux, trois .... huit; vous en avez huit.

Je vous remercie. - C'est moi, monsieur, qui vous adresse tous mes

remerciements; je ne pouvais arriver faire mon compte, votre écharpe

me gênait ; c'était cruellement douloureux ; quand le besoin de compter

me prend, il faut que je compte. Je vous suis fort obligé. C'est moi,

monsieur, qui suis heureux d'avoir pu vous être agréable ».

Evidemment ces tiqueurs-la sont des abouliques, des cérébraux, des

psychiques ; leur tic a bien son point de départ dans l'écorce. Mais, je le

répète une fois de plus, cela ne prouve nullement que tous les tics sont

' mentaux pour cette seule raison qu'ils sont coordonnés et que la volonté

les inhibe. La nécessité même, reconnue par tous les' cliniciens, de distin-

guer les tics psychiques des autres prouve qu'ils ne le sont pas tous.

Quelle est donc l'idée générale que l'on peut se faire des tics au point

de vue de la physiologie pathologique ?

Le tic est un acte complexe ou associé (c'est ce qui le différencie du

réflexe pur). Mais il y a plusieurs grands groupes de centres où s'élabo-

rent les actes complexes, associés, et notamment : l'axe bulbomédullaire

et ce que nous avons appelé le polygone cérébral.

L'axe bulbomédullaire sert de centre non seulement aux réflexes sim-

ples (mouvements simples succédant à une impression centripète simple),

mais aussi à de vrais mouvements associés : telles, la déviation conjuguée

de la tète et des yeux, la marche chez le canard décapité, etc.

On conçoit dont un premier groupe de tics non mentaux c'est-à-dire de

tics reproduisant des mouvements associés d'origine bulbomédullaire. Mais

ce groupe s'étendra beaucoup plus si l'on tient compte de notre polygone

formé par les divers centres de l'automatisme psychologique (1).

Les actes qui ont leur centre dans le polygone, dont je rappelle à vos

yeux le schéma, sont beaucoup plus compliqués que les actes réflexes sim-

ples, et même que les actes associés d'origine bulbomédullaire : c'est par

exemple la parole, l'écriture...

Ce sont des actes ayant toutes les apparences de la spontanéité, tradui-

sant un certain degré d'intellectualité et de mémoire, mais distincts des

actes supérieurs, qui ont leur centre en 0 : les actes polygonaux ne sont ni

libres, ni conscients.

En 0 est le siège du moi personnel, conscient, libre et responsable. De

là partent les actes qui ont tous ces caractères : parole volontaire, écri-

(1) Leçons de clinique médit, 3e série, 1er rase., 1896. Des diverses variétés cliniques

de l'aphasie, p. 5 et De l'automatisme psychologique (psychisme inférieur ; polygone

cortical), p. 3S.

230 GRASSET

ture volontaire, marche volontaire, etc., en un mot toute la vie libre.

Au-dessous, est le polygone des centres automatiques. D'un côté sont les

centres sensoriels de réception (audition, vision, sensibilité générale) ; de

l'autre, les centres moteurs de transmission (parole, écriture, divers mou-

vements du corps).

Ces divers centres sont reliés entre eux, au centre 0, et à la périphérie.

Par ces communications du polygone avec O,on peut agir volontairement,

modifier volontairement les actes automatiques, avoir conscience de ces

actes automatiques.

Dans certains cas au contraire, il y a une sorte de dissociation entre 0

et le pohgone ; alors l'activité propre de ce polygone éclate. Les exemples

ne manquent pas : cette activité propre du polygone se voit dans le som-

meil (on rêve avec son polygone), dans la distraction (quand Xavier de

Maistre, sorti pour aller à la Cour, se trouve à la porte de Mme de IIaut-

castel, il y est allé avec son polygone, 0 s'étant oublié à s'occuper de toute

autre chose que de la direction de ses jambes). D'autre part, la parole est

souvent automatique.

Dans les états intermédiaires entre l'état physiologique et l'étal patho-

logique, cette activité polygonale propre et indépendante, peut éclater

d'une manière remarquable : cauchemars, baguette divinatoire, tables

tournantes et parlantes, cumberlandisme, écriture des médiums. '

Enfin, il y a une pathologie vraie du polygone : aphasies, agraphies,

somnambulisme, automatisme ambulatoire, catalepsie, certains symptô-

mes hystériques, hypnotisme et état de suggestibilité.

Je vous rappelle simplement tout cela, que nous avons étudié en détail

l'an dernier.

Ce qui caractérise cette activité polygonale (physiologique et pathologi-

que) c'est d'être psychique c'est-à-dire compliquée, coordonnée, intelli-

gente, et de n'être pas libre et consciente, de n'être pas mentale : toute la

mentalité est en 0.

Psychisme n'est donc plus synonyme de mental : le mental ou psychisme

supérieur « son centre en 0, C automatisme ou psychisme inférieur a son

centre dans le polygone.

C'est en me basant sur cette distinction, que je me refuse à classer dé-

finitivement dans les maladies mentales les maladies comme l'hystérie

dont beaucoup de manifestations élevées sont purement polygonales :

l'hystérie devient mentale dans certains cas ; elle ne l'est pas dans certai-

nes manifestations psychiques inférieures, qui sont purement polygonales.

Cela dit, vous pouvez concevoir une seconde catégorie de tics, corres-

pondant ces mouvements associés polygonaux : ce sont les tics polygonaux.

TIC DU COLPORTEUR . 231

Ces tics sont associés, coordonnés, psychiques..., ils ont tous les carac-

tères du torticolis mental de Brissaud ; mais ils ne sont pas mentaux. Ils

appartiennent au psychisme inférieur, polygonal, automatique, et non au

psychisme supérieur libre et conscient qui est en 0.

Donc, en définitive, on peut admettre trois espèces de tics : le tic bulbo-

médullaire, le tic polygonal, le tic psychique proprement dit.

Les caractères différentiels en sont faciles à établir : le tic psychique est

celui qui dépend directement et étroitement d'une idée actuelle, qui ré-

side enO, dans l'intellectualité vraie et supérieure ; - le tic bulhomédul-

laire (à l'autre bout de l'échelle), n'a aucun des caractères du psychisme ;

entre les deux, le tic polygonal a les caractères du psychisme, mais du

psychisme inférieur, automatique.

Appliquons ces données à notre cas particulier et tâchons de classer le

tic de notre homme.

Ce n'est pas un simple tic bulbomédullaire, car il présente tous les

caractères que Brissaud décrit au tic mental, c'est-à-dire qu'il a des carac-

tères de psychisme.

Brissaud a finement analysé ces caractères que nous trouvons chez notre

sujet. Ainsi il a nettement montré chez ses malades combien l'influence de

leur volonté était remarquable à certains moments pour modifier ces tics.

Nous avons bien mis la chose en évidence chez notre malade.

Quand cet homme veut supprimer son tic, il y arrive dans beaucoup de

cas : directement, en produisant un mouvement inverse, ou bien en rete-

nant sa tête avec un doigt placé dans son bonnet (photo 1 et 2) ou derrière

le bâton qu'il met dans sa bouche. Et dans ces cas il déploie très peu de

force.

Quand au contraire l'un de nous a voulu s'opposer par force à son mou-

veinent pathologique, il a fallu déployer une grande force.

Nous avons réussi même à mettre la chose encore plus en évidence, et

à la mesurer en quelque sorte avec cette sorte de dynamomètre à traction

que constitue une romaine illégale dont on se sert dans les ménages. Ce

dynamomètre à traction a été placé entre le doigt qui s'oppose au mou-

vement et le bonnet placé sur la tète du malade. Quand c'est le malade

qui lutte lui-même volontairement contre son tic, il n'a à déployer qu'une

force représentée par un demi-kilo. Quand au contraire l'un de nous s'est

opposé de la même manière, il a fallu une force représentée par sept à.

huit kilos sur le même dynamomètre.

Volontairement, notre homme maintient sa tète avec une force de un

demi-kilo pendant deux minutes et demie. Sans sa volonté, le crochet étant

232 . GRASSET

fixé au mur, il doit développer cinq kilos pendant la première minute,

puis sept kilos pendant la première moitié de la deuxième minute, et enfin

neuf kilos pendant fin de cette deuxième minute qu'il ne peut même pas

achever, tant il est fatigué.

L'intervention de la volonté du sujet est représentée là par la différence

notée de sept à huit kilogrammes sur le dynamomètre.

Donc, notre homme a bien un tic que Brissaud qualifierait de mental.

Je préfère l'appeler polygonal : je n'y vois pas l'intervention prouvée de

l'intellectualité supérieure, de l'idée présente. Il peut y avoir une idée

suhconsciente, une habitude; nous lâcherons de l'établir. Mais ces idées

subconscientes, ces habitudes ont plutôt leur siège dans le polygone patho-

logiquement séparé du centre 0, lequel centre 0, reprend par moments

son autorité et produit alors les expériences relatées ci-dessus.

Si le point de départ du tic était dans la défaillance de la volonté de 0,

si 0 était malade, et si c'était là l'origine du tic, il ne suffirait pas d'atti-

rer l'attention du malade et de lui dire de vouloir retenir sa tête pour qu'il

puisse le faire ; il ne lui suffirait pas de mettre son doigt dans son bonnet;

il ne lui suffirait pas de cette force insignifiante de un demi-kilo pour

réussir. Il devrait déployer au moins autant de force que nous et encore

n'arriverait-il pas, si 0 était réellement malade.

Le sujet atteint de vrai tic psychique ne peut pas, par le seul effort de

la volonté, s'y soustraire, parce que sa volonté est vraiment malade.

Je ne souscris donc pas à cette phrase de Brissaud : « ici, sans aucun

doute, l'état morbide n'est pas dans les muscles ni dans les nerfs, il est

dans l'esprit même ». Oui, il n'est ni dans les muscles ni dans les nerfs,

mais il n'est pas non plus, pour cela, dans l'esprit môme.

L'esprit de notre sujet, 0, n'est pas malade, puisqu'il lui suffit de vou-

loir pour reprendre ses droits; l'esprit est seulement distrait. Les commu-

nications entre 0 et le polygone sont affaiblies. Certaines parties du poly-

gone sont hyperexcitées : c'est là le point de départ du tic.

Avec notre distinction du tic polygonal et du tic mental nous évitons

les objections comme celles que de Quervain (I), assistant du professeur

Kocher, a faites au torticolis mental : « Jamais, dit-il, elà aucun moment

de sa maladie, un seul de nos patients n'a présenté de symptômes d'alié-

nation mentale. » Brissaud (2) répond justement. « personne n'a sou-

tenu, à notre connaissance, que le torticolis mental appartint en propre il

(1) DF Qtjt;nvA)x. Le traitement chirurgical du torticolis spasmodique d'après la mé-

thode de Kocher in Sem. méd., 1896, p. 405. ,

(2) Bwssntt. Contre le traitement chirurgical du torticolis mental in Rev. neurol.,

f 897, p. 34.

TIC DU COLPORTEUR 233

la folie. » C'est très vrai. Mais on comprend qu'on ait pu faire la confusion

avec ce mot mental qui est le même pour caractériser ce torticolis et l'a-

liénation. ·

Ceux qui ont un tic vraiment mental ne sont certes pas des aliénés, mais

ils ont un peu de diminution, au moins momentanée de la volonté, du

psychisme supérieur, de 0 ; ils ont quelque chose de mental. Nos polygo-

naux n'ont que du polygonal et n'ont rien de mental.

Donc, le tic de notre malade n'est ni bulbo-médullaire ni mental ; il est

polygonal, tout en présentant les caractères du tic mental de Brissaud. Dès

lors, dans le tic mental de Brissaud, il faut établir une subclirisionet mettre

d'oat côté le tic polygonal et de l'autre le tic psychique supérieur.

Ne voyez pas dans cette dictinction une simple querelle de mots. Il y a

une idée derrière, idée qui se rattache à une querelle plus générale et

assez importante.

C'est la question du rôle de l'idée, du processus mental vrai dans la

pathogénie des accidents névrosiques. Je crois que ce rôle a été parfois

exagéré dans cette grande école de la Salpêtrière, de laquelle tous les

neurologistes français de ce temps sont fiers de procéder, et avec laquelle

on ne peut jamais avoir à discuter que des points de détail.

J'ai d'abord rencontré cette théorie dans l'histoire de l'hystérie trauma-

tique : j'ai cru devoir combattre (1) le rôle constant et exagéré que l'on

veut faire jouer au processus mental vrai dans la production de l'hystéro-

traumatisme et n'ai pas pu accepter la théorie que Berbez résumait dans

ces mots : « Le traumatisme a peu d'importance ; l'idée erronée à laquelle

il donne naissance est tout », théorie qui de l'hystérie traumatique a été

peu à peu étendue à l'hystérie toxique et à l'hystérie infectieuse (2), c'est-

à-dire en somme à toute l'étiologie de l'hystérie.

Puis après celte théorie étiologique de )'hystérie,j'ai rencontré la théorie

complète qui veut faire de l'hystérie une « maladie mentale », un « état

maladif de l'esprit » ; j'ai également essayé de la combattre (3) et avec

Rauzier nous avons tâché d'établir que l'hystérie ne devient mentale que

quand elle se complique, que dans la grande majorité des cas s'il y a des

phénomènes psychiques, ce sont des phénomènes de psychisme inférieur,

que l'hystérie est souvent une maladie polygonale, non mentale.

Vous voyez aujourd'hui comment nous retrouvons encore la même que-

relle à propos du tic de notre sujet. Brissaud veut en faire un tic mental,

(1) Leçons de cliniq. médit, 1" série, 1891 : l'hystéJ'o-tl'a/l1nalisme, p. 101 ; deux cas

d'hystérie provoquée par une maladie aiguë (fièvre typhoïde et grippe), p. 436.

(2) Leçons de cliniq. médit, 2° série, 1896 : Etiologie infectieuse de l'hystérie, p. 563.

(3) Leçons de cliniq. »tédic., 3 série, terfaseic, 1896 : L'automatisme psychologique,

p. 137. x 17

234 GRASSET

une maladie de l'esprit. J'essaie de montrer que c'est bien un phénomène

psychique, mais de psychisme inférieur, que c'est un tic non mental, mais

polygonal.

Ceci dit pour excuser les développements que j'ai donnés à cette ques-

tion,en apparence peu importante, en réalité assez grosse de conséquences.

Vous voyez qu'en tous cas ce n'est pas une question qui se présente pour

la première fois à nos discussions et que nos idées sur ce point ont, à dé-

faut d'autre qualité, le mérite d'une certaine suite et d'une certaine unité.

Après avoir analysé symptomatiquement le cas de notre malade, essayé

d'en préciser la physiologie pathologique, il nous reste à en rechercher

l'étiologie qui en complétera la caractéristique.

Brissaud. rappelle, à propos de ses malades, que Ehrlich a, avec raison,

appelé le tic une « chorée de l'habitude » et que les Allemands l'appellent

aussi d'un mot « pas mal choisi » une maladie de l'habitude (Gewolm-

heitskrankheit). '

Comment notre homme a-t-il pu prendre l'habitude de faire le mouve-

ment bizarre que vous lui avez vu faire et que représentent les photogra-

phies ?

Nous avons passé un certain temps sans trouver, nous en rapportant à la

profession portée sur le billet de l'hôpital et déclarée par lui à tous nos in-

terrogatoires : mineur. Rien ne justifiait ce tic dans les divers mouvements

du mineur dans la mine et encore moins dans le travail hors la mine que

notre malade faisait surtout, en roulant des wagonnets. Mais en prenant

soigneusement son observation M. Jacques apprit qu'il ne faisait ce tra-

vail que depuis peu de temps quand le spasme avait commencé, tandis

que pendant neuf ans (de 30 à 39 ans) il a été colporteur, faisant en

moyenne un trajet de dix kilomètres par jour avec une charge habituelle

de cinquante kilos sur l'épaule gauche. Il ne cessa ce métier pour devenir

manouvrier aux mines que deux ou trois mois avant l'apparition du tic.

Ceci nous a tout de suite paru un renseignement important.

Vous savez en effet qu'un mouvement répété, une fonction longtemps

remplie, une profession, entraînent souvent des spasmes de cette fonction

même.

La crampe des écrivains est le prototype de ce spasme fonctionnel et

Duchenne (1) a étudié avec soin ce groupe sous le nom de « spasme et

impotence musculaire fonctionnels ».

Les troubles pathologiques sont variés, mais ils sont souvent des spas-

mes et ils ont pour caractères communs de se manifester seulement pen-

dant l'exercice de certains mouvements volontaires ou instinctifs, et de se

(1) Chapitre XVII de son Électrisation localisée.

TIC DU COLPORTEUR 235

localiser dans quelques-uns des muscles entrant alors synergiquement en

action (Duchenne).

Après la crampe des écrivains, on en a décrit une série d'autres types :

dans le chapitre que nous avons consacré à cette question dans notre Traité

avec Rauzier, vous trouverez une longue énumération de ces spasmes chez

les tailleurs, maîtres d'armes, ferblantiers, tourneurs, fleuristes, télégra-

phistes, jusqu'aux laitières et aux équarrisseurs.

C'est là aujourd'hui un gros chapitre bien établi, bien connu. Notre cas

rentre-t-il dans ce groupe ? Evidemment non.

Le caractère capital de ce spasme fonctionnel est de ne se produire qu'à

l'occasion de cette fonction : l'écrivain ne l'a que quand il écrit, la dan-

seuse quand elle danse, le télégraphiste quand il manoeuvre le morse....

Or, rien de semblable chez notre sujet. Il n'a nullement son spasme il

l'occasion de l'exercice d'une fonction. Son spasme aurait été fonctionnel

ou professionnel s'il s'était développé autrefois, quand il exerçait sa pro-

fession de colporteur, et s'il ne s'était produit que quand il voulait char

ger son balTot sur l'épaule. Il n'en est rien. Ce n'est pas un spasme pro-

fessionnel.

Le mot de spasme fonctionnel employé par plusieurs auteurs, Féré

entre autres, pour désigner ces spasmes du cou n'est donc pas bon : il faut

le réserver pour les spasmes se produisant à l'occasion d'une fonction. Or,

ici le mouvement est spontané : c'est un tic.

C'est là à mon sens la différence entre le spasme fonctionnel et le tic :

le premier ne se produit qu'à l'occasion de l'exercice d'une fonction ; le

deuxième se produit sans cause occasionnelle, spontanément.

Cette distinction une fois faite, il y a cependant quelque chose à retenir

du rapprochement entre le tic et le spasme fonctionnel.

L'exercice répété de la fonction, de la profession n'est pas indifférent à

la forme du tic. rc 1

Il est en effet curieux que notre homme réalise précisément dans son

tic le mouvement qu'il devait faire pour soulever et porter son ballot sur

l'épaule gauche.

Ceci n'est pas fortuit : ce colporteur réalise son tic sous une forme dif-

férente de celle que réaliserait une danseuse ou un ferblantier.

Ce tic est ainsi dans un certain sens fonctionnel, en ce qu'il rappelle,

anormalement et sans cause, une fonction longtemps exercée : il est post-

professionnel.

Il faudrait donc, si on voulait conserver au mot spasme fonctionnel son

sens général de spasme troublant ou réalisant une fonction, en admettre

deux variétés : les spasmes professionnels se développant à l'occasion de la

fonction et en troublant l'exercice (crampe des écrivains par exemple) et

236. GRASSET

les spasmes post-professionnels se développant en dehors de l'exercice de la

fonction et la reproduisant à contre-temps.

C'est dans ce second groupe que se .classera hotre sujet et c'est pour

cela que nous avons intitulé cette leçon : tic du colporteur, spasme poly-

gonal post-professionnel. 1

Que fait la fonction physiologique professionnelle dans la pathogénie de

ces spasmes ? elle crée l'habitude que nous avons vue être derrière les tics.

L'habitude professionnelle, bonne et physiologique d'abord, devient une

mauvaise habitude, une habitude pathologique, qui se réalise par la

fonction à contre-temps.

En serrant les choses de plus près, on voit même qu'alors il y a non

seulement une différence, mais il certains points de vue opposition entre ..

les deux espèces de spasmes fonctionnels.

Dans la variété intraprofessionnelle, la fonction normale du polygone

est troublée, ne s'exécute plus normalement (c'est le cas de -l'écrivain, du

pianiste...). Dans la variété professionnelle, il y a crise spontanée d'hy-

perkinésie de ce même centre polygonal.

Supposons un spasme intraprofessionnel chez un colporteur : celui-ci ne

fera rien de ce que fait notre sujet ; il ne pourra pas au contraire réaliser

ce mouvement complexe, quand il voudra le faire, pour soulever son far-

deau, tandis que notre homme qui présente un spasme post-professionnel,

fait à tout bout de champ sans motif et à contre-coeur ce même mouvement

de colporteur.

Donc, dans le spasme intraprofessionnel on NE peut plus faire le moule-

ment professionnel voulu; dans le spasme post-professionnel on fait trop le

même mouvement professionnel non voulu.

Vous voyez que notre cas particulier peut être l'objet d'observations

assez générales et nous permet de classer tous ces spasmes fonctionnels

dont la notion est un peu obscure dans les classiques.

D'après cela, vous voyez qu'ici la profession antérieure de colporteur

ne sert à expliquer que la forme du tic. Il faut la collaboration d'autres

causes pour sa production.

Déjà pour le spasme intraprofessionnel, le rôle étiologique de la pro-

fession quoique très considérable n'est pas exclusif; il y aurait il tenir

compte du rôle de l'arthritisme, de l'état nénopathique... dans la pro-

duction de la crampe des écrivains, des télégraphistes, pianistes, etc.

A plus forte raison, cette collaboration de causes autres sera-t-elle né-

cessaire pour produire un spasme post-proféssionnel. Si l'exercice même

de la profession, la fatigue en résultant, etc., avaient été la cause exclusive

ou seulement principale du tic de notre homme, il se serait développé au

TIC DU COLPORTEUR 237

moment même où il remplissait encore cette fonction et où la fatigue était

au maximum, et non deux ou trois mois après, comme cela a eu lieu.

Donc, la profession n'explique que la forme du tic; il faut qu'il y ait

d'autres causes.

Que sont-elles dans le cas particulier ?

Nous n'avons rien à noter dans l'hérédité : le père est mort de pleurésie

la mère est morte de suites de couches.

Personnellement, s'il n'a pas eu la syphilis et s'il n'accuse que la diph-

térie à l'âge de trois ans comme seule maladie infectieuse, il avoue l'al-

coolisme et des excès nombreux de 17 à 25 ans : voilà une prédisposition

de terrain. '

Puis il n'abandonne son métier de colporteur que parce qu'il n'y gagne

plus rien et devient alors manouvrier aux mines après avoir exercé un

métier indépendant durant près de dix ans : voilà des préoccupations mo-

rales.

Bientôt il éprouve comme un bourdonnement dans l'oreille gauche

« comme une mouche qui entre dans l'oreille » ; l'ouïe fut diminuée. Puis

ces phénomènes disparaissent et le spasme apparaît.

Il me semble que tout cela se tient et constitue maintenant un diagnos-

tic satisfaisant et une histoire complète.

Des causes de dépression du système nerveux (alcoolisme, excès, préoccu-

pations morales) entraînent un état névrotique. A ce moment, son polygone

est tout imprégné du souvenir inconscient de sa vie de colporteur qu'il a

abandonnée à regret, à laquelle il pense inconsciemment. Cette idée polygo-

nale passe dans l'acte, il fait automatiquement le geste compliqué de soulever

son ballot sur l'épaule gauche. L'habitude pathologique se constitue. Il a un

tic polygonal : le tic du colporteur.

Dans son mémoire déjà cité, de Quervain cite des faits à pathogénie

analogue : la cause de la forme du torticolis spasmodique semble bien être

un acte répété, une habitude, comme dans notre cas.

Ainsi un de ses malades fut « atteint du tic après l'apparition d'un fu-

roncle à la nuque. Nous avons tout lieu d'admettre que cette affection

douloureuse obligeait notre patient à tourner la tête pour diminuer la ten-

sion et atténuer les douleurs. Le centre cortical de la rotation de la tête fut

donc mis en action pendant un certain temps et à un degré plus accusé

qu'à l'état normal. Cet accident qui, chez un individu sain, n'aurait eu

aucune conséquence fâcheuse, n'a pas manqué de produire chez notre ma-

lade, névropathe avéré, une irritation anormale et persistante du centre

de rotation de la tète et cette irritation s'est manifestée dans la suite sous

la forme d'un tic rotatoire ».

238 GRASSET

De Quervain rapproche de ce cas celui de Francis dans lequel « la posi-

tion de la tête pendant le jeu du trombone donna lieu à un tic rotatoire ».

Nous pouvons y joindre le cas de « tic de l'horloger » que Toby Colin (1)

vient d'observer à la policlinique du professeur Mendel.

Notre cas n'est donc pas isolé. Son intérêt principal est de vous montrer

qu'il y a trois espèces de tic : le tic bulbomédullaire (spasme réflexe), le tic

psychique (ou mental vrai) et le tic polygonal (faux tic mental). Beaucoup

de cas étudiés par Brissaud sous le nom de torticolis mental me paraissent t

rentrer dans ce dernier groupe de tics polygonaux.

Tout en soulignant devant vous la finesse d'observation qui caractérise

toujours les travaux de Brissaud, j'ai eu, dans cette leçon, le déplaisir de

me séparer de lui sur certaines interprétations. En terminant, par quel-

ques mots sur le traitement, je vais avoir au contraire la satisfaction de

penser entièrement comme lui et d'adhérer entièrement à ses propositions

thérapeutiques. C'est à propos du traitement chirurgical de ces malades

qui a été très étudié dans ces derniers temps.

De Quervain a résumé la question au point de vue chirurgical dans un

travail récent de la Semaine médicale.

Il étudie d'abord le torticolis spasmodique au point de vue symptoma-

tique. Notons dans ce paragraphe la constatation d'association de muscles

des deux côtés : ainsi le sternomastoïdien d'un côté avec les cervicaux du

côté opposé.

Il combat, à cause de cela, la théorie de l'origine musculaire par atro-

phie de certains muscles, adopte la théorie nerveuse, mais rejette la théo-

rie nerveuse périphérique de Jaccoud.

Dans la théorie centrale qu'il adopte, il élimine la théorie bulbomédul-

laire et arrive à l'écorce.

Là, il rencontre la théorie du torticolis mental de Brissaud, la combat.

Notons certains arguments qui ressemblent bien aux nôtres : « n'existe-t-il

pas, dit-il, de nombreux troubles fonctionnels de l'écorce cérébrale qui ne

peuvent être rangés danslaclasse des maladies mentales ? » Il écarte donc le

mot mental, mais fait du torticolis spasmodique « un trouble des fonc-

tions du centre cortical de la rotation de la tête ».

C'est une idée bien analogue à la nôtre : ce centre cortical de la rota-

tion qui n'est pas un centre mental est notre centre polygonal.

Abordant ensuite la question du traitement, de Quervain montre que

le traitement médical échoue trop souvent, passe alors en revue les divers

(1) Tony Coiin. Facialis tic des l3eschifligunsgneurose (Ulermacher tic), in Neurol.

centralbl., 1897, p. 21.

TIC DU COLPORTEUR 239

traitements chirurgicaux : section, résection, élongation du spinal ; myo-

tomie, résection des premiers nerfs rachidiens, etc., tous procédés qui ne

sont pas sans inconvénient et dont l'insuccès est fréquent.

Il préconise alors le procédé. de Kocher des myotomies multiples (sec-

tion du sterno-cléido-mastoïdien, puis des muscles cervicaux) et cite

sept cas guéris, trois améliorés et deux non améliorés.

Le côté le plus curieux du travail est celui de la théorie de cette inter-

vention iliérapetitipue. L'auteur n'oublie pas sa théorie centrale et corti-

cale du torticolis et alors il admet que ces myotomies exercent une action

sur le cerveau. « Nous ne saurions mieux exprimer notre pensée, dit-il,

qu'en disant qu'il s'agit là d'une sorte de suggestion puissante du centre

cortical de la rotation. »

Cette théorie ne me paraît pas fort encourageante. Je reconnais la sug-

gestion puissante, mais je l'aimerais mieux moins sanglante. J'aimerais

autant arriver d'emblée aux procédés médicaux qui constituent du reste

pour de Quervain le traitement post-opératoire nécessaire.

« Il est, dit-il, de la plus grande importance que le malade commence,

dès la guérison de la plaie, à se livrer à des exercices gymnastiques" com-

prenant tous les mouvements de l'extrémité céphalique. Cette gymnastique

surveillée d'abord par le médecin, doit être continuée d'une manière ré-

gulière et journalière pendant de longs mois. Il est de nos malades qui la

pratiquent des années encore après l'intervention, et une opérée nous écrit

qu'elle éprouve des sensations douloureuses dans la nuque dès qu'elle né-

glige ces exercices. »

J'aimerais autant, je le répète, faire cette gymnastique médicale et ra-

tionnelle avant qu'après l'opération. C'est l'avis de Brissaud qui l'a déve-

loppée dans l'article cité de la Revue neurologique.

« Le seul procédé efficace, dit-il, est celui que le chirurgien recom-

mande après l'opération et que nous recommandons avant. Ici, patience

et longueur de temps font plus que force interventions ni rage opératoire. »

En somme quel est le traitement ?

C'est la rééducation. Il faut réapprendre à la volonté du sujet, à son

0, à reprendre la direction de son polygone. Pour cela il faut beaucoup

de patience de la part de l'éducateur, et la collaboration active de l'éduqué.

Cette méthode est à rapprocher de celle de Frenkel pour le tabès.

Enfin on aura recours comme adjuvants à l'électrothérapie (bien appli-

quée), au massage, aux tonique^ généraux, à l'hydrothérapie.

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX (1>

PAR

E, BRISSAUD

Professeur agrégé

Médecin de l'hôpital Saint-Antoine. ,

Messieurs, '

La question de l'Infantilisme en général est parmi celles dont on s'oc-

cupe avec le plus d'intérêt depuis quelque temps, non pas qu'elle soit

nouvelle, mais parce que ses relations étiologiques avec le myxoedème lui

fournissent un gros regain d'actualité. Lorsqu'il fut question pour la pre-

mière fois d'infantilisme dans quelques publications éparses dont la pre-

mière remonte à une trentaine d'années, le myxoedème qui existait de

fait, n'existait pas encore de nom et le point de vue le plus curieux de

leur commune histoire devait forcément passer inaperçu. C'est qu'en effet

l'infantilisme se présente à nous sous des aspects très variés, assez mal dé-

finis et le plus souvent mal décrits.

Le problème est actuellement beaucoup moins simple qu'au premier

jour. Le myxoedème joue un rôle pathogénique de premier ordre dans un

certain nombre de cas d'infantilisme, mais non pas dans tous. Par consé-

quent si vous vouliez vous faire une idée de l'infantilisme d'après ce qu'en

ont ditLasègue et Lorain, qui ne connaissaient rien du myxoedème, vous

ne pourriez certainement pas vous en tenir là. Les faits d'observation

clinique eux-mêmes qui dominent les doctrines et leur survivent vous

paraîtraient, à la lecture de ces auteurs, former un groupe par trop com-

préhensif et par trop arbitrairement circonscrit. Mon intention est de

vous faire voir que tous les cas d'infantilisme ne répondent pas à un type

uniforme et immuable. Les adultes ont bien des manières de rester en-

fants : ceux-ci par certains côtés et ceux-là par d'autres. Cela dépend de

mille circonstances. On peut cependant rester enfant totalement, corps et

(1) Leçon clinique faite à l'Hôpital Saint-Antoine.

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 241

âme, absolument et pour toujours. Tel est le cas de l'idiotie myxoedéma-

teuse si parfaitement décrite par Bourneville. Or il s'agit ici d'une chose

toute spéciale,celle-là remarquablement limitée.C'est l'infantilisme idéal et,

c'est précisément celui que Lasègue et Lorain avaient le moins soupçonné.

En quoi donc consistait l'infantilisme tel que l'avait conçu Lasègue ?

En un état caractérisé par la persistance de certains caractères physiques

et psychiques de l'enfance. Voilà qui est bien vague et cependant il n'y

a rien de plus ni de moins à dire. Lasègue est bien authentiquement le

père de l'infantilisme et il en est aussi le parrain. Ce nom d'infantilisme

créé par lui et aujourd'hui adopté unanimement dans toutes les langues,

ne figure encore dans aucun de nos dictionnaires, dans aucune de nos

encyclopédies. En toute justice il faut donc lui attribuer la signification

que lui a donnée Lasègue; et c'est bien cette signification que lui ont con-

servée Lorain et Brouardel à qui il doit d'avoir fait son chemin dans le

m onde .

Les sujets infantiles décrits par Lorain, par Brouardel et par les élèves

de ces deux maîtres sont des êtres mal venus, retardataires à tous égards,

de petit esprit, de petite taille, et le plus souvent de petite santé. Et tout

de suite une question se pose. Sont-ils de petite santé si souvent parce

qu'ils ont, dès l'origine, moins de résistance vitale, moins de force de dé-

veloppement ? Ou bien restent-ils enfants parce que leur santé s'est trou-

vée accidentellement compromise il tel ou tel moment deleur croissance ?

En d'autres termes, l'infantilismc est-il cause ou effet ? - Ne doutez pas,

Messieurs, que suivant les cas, il soit l'un et l'autre. Ainsi, je pourrais

vous citer des observations où l'infantilisme a été le point de départ de

dystrophies générales et d'autres où il a été consécutif à des maladies con-

génitales ou acquises. Ces derniers faits sont de beaucoup les plus com-

muns, et ils ont attiré l'attention tout d'abord. Dès 1871, un élève de

Lorain, M. Faneau de la Cour étudiait les rapports de l'infantilisme et de

la tuberculose; il y a trois ans, M. Gérard dans sa thèse inaugurale (1),

avançait que l'infantilisme acquis se rencontre non seulement dans la tu-

berculose, mais encore dans trois autres états morbides très distincts : 1° la

sténose artérielle congénitale (chloroses aorlica et chlorosis mitrales) ; 2° le e

rétrécissement mitral pur; 3° les végétations adénoïdes du pharynx.

Toutes ces conditions pathologiques engendrent un vice général de nu-

trition qui survenant chez un enfant se traduit par le retard de l'évolution

vers l'adolescence, c'est-à-dire par la persistance de l'état infantile actuel.

Et comme le grand fait de l'évolution est l'apparition de la fonction

(t) GhnAwD. L'oreillette gauche dans le rétrécissement mitral, thèse Paris, 1891.

242 E. BRISSAUD

sexuelle, il résulte de ce retard une sorte de neutralité de l'individu,

quelque chose d'indécis avec certains attributs féminins qui frappent sur-

tout chez les sujets mâles, bref ce que Lorain appelait le féminisme.

, Remarquez encore que l'infantilisme et le féminisme parfois associés

constituent un type mixte déjà entrevu par Faneau de la Cour, mais en

somme beaucoup moins répandu que l'infantilisme pur. Les anthropologis-

tes italiens qui se sont attaqués dernièrementà cette question tendent à con-

fondre l'infantilisme et le féminisme ; la confusion apparaît dans la plupart

de leurs descriptions beaucoup plus clairement que dans la nature. L'in-

fantilisme vrai se reconnaît à des traits précis et constants, tandis que le

féminisme à part certains faits exceptionnels est le plus souvent discuta-

ble. A ses rares caractères authentiques et spontanés se mêle toujours

une forte proportion de ce qui fait l'efféminé, c'est-à-dire quelque chose

d'artificiel. La monstruosité consiste en une déviation des tendances psy-

chiques normales au moins autant qu'en une malformation organique. Et

puis le féminisme ne peut évidemment constituer une dystrophie à l'égal de

l'infantilisme. Il ne saurait, par définition, exister chez la femme à titre de

disposition morbide. De même, le masculisme et l'anclrocnisnae que

M. Féré a distingués chez certains infantiles sont des apparences mais non

des choses. L'infantilisme est au contraire un état dystrophique bien dé-

fini ne tenant pas compte des sexes ; et si les anomalies morphologiques

qu'il comporte ont permis d'imaginer un masculisme et un féminisme c'est

parce que, après tout, les infantiles comme les enfants ne sont ni hom-

mes ni femmes avant la puberté, mais simplement des garçons et des

filles, c'est-à-dire des êtres ayant juste assez de sexe pour qu'on puisse les

habiller différemment. -

Une neutralité qui n'est ni le féminisme ni le masculisme s'observe quel-

quefois chez les sujets restés enfants ou devenus infantiles à la suite de

l'atrophie des ovaires ou testicules. Cette neutralité est surtout le fait des

garçons, car les filles sont mieux protégées contre les traumatismes.

encore, à ce propos, il faut absolument établir une distinction parmi des

faits très disparates et qu'on a indûment rapprochés. L'infantilisme est

signalé par quelques auteurs comme une conséquence possible de la cas-

tration ou de l'atrophie spontanée des testicules. Rien n'est plus inexact.

Chez les eunuques les conditions physiologiques de la croissance et du

développement intellectuel ne sont nullement compromises. Non seule-

ment la taille ne reste pas au-dessous de la moyenne, mais elle la dépasse

quelquefois notablement. On a même été jusqu'à prétendre que les eunu-

ques sont plus grands que les hommes entiers. Voilà une pure fantaisie.

Ceux qui l'ont avancée n'ont sans doute pensé qu'aux eunuques du sérail,

choisis entre beaucoup d'autres pour leur stature imposante. Dans leurs

DE L'INFANTILISME MYXCEDÉMATEUX 243

fonctions tout n'est pas sinécure. C'est donc bien à tort que les eunuques

de belle prestance tels qu'en doit entretenir un harem qui se respecte ont

été considérés comme des spécimens d'infantilisme et de gigantisme com-

binés. L'infantilisme se complique de gigantisme même chez des sujets

dont le développement sexuel ne laisse rien à désirer ; l'anorchidie ne

prédispose en somme ni au gigantisme ni à l'infantilisme, et l'atrophie tes-

tiçulaire acquise observée chez un certain nombre d'infantiles n'est pas

la cause de l'infantilisme mais une conséquence des circonstances qui ont

créé l'infantilisme.

La question, vous le voyez, devient fort complexe et vous pouvez vous

demander si on ne l'a pas embrouillée en multipliant les types. N'aurais-

je pas moi-même contribué à l'embrouiller davantage lorsque j'ai soutenu

qu'un certain degré de myxoedème atténué créait l'infantilisme ? A vrai

dire, je ne le crois pas et je suppose même tout le contraire. Il me semble

qu'en ajoutant aux types d'infantilisme déjà décrits celui de l'infantilisme

myxoedémateux, j'ai notablement simplifié le problème. Tout à l'heure,

je vous disais que l'infantilisme idéal c'était l'idiotie myxoedémateuse

décrite par Bourneville. C'est qu'en effet un idiot myxoedémateux, lors-

qu'il a 20 ou 30 ans, est encore un enfant et rien qu'un enfant avec un

teint flétri et quelques rides au visage. Or comme il y a des degrés dans

le myxoedème il y en a aussi dans l'infantilisme myxoedémateux ; de telle

sorte que beaucoup de sujets moyennement myxoedémateux ne sont par là

même que moyennement infantiles. Ils ont quelque chose d'enfant, mais

ce ne sont plus des enfants au sens réel de ce mot, c'est-à-dire de vérita-

bles idiots myxoedémateux.

Quels sont donc les caractères de l'infantilisme ? Il y a longtemps que

j'aurais dû vous les signaler peut-être ? -Si je ne vous les ai pas énumé-

rés plus tôt, c'est que, voulant passer en revue d'abord la nomenclature

des variétés de l'infantilisme, je me suis conformé à l'exemple des auteurs

qui ont trouvé plus simple de laisser cette question sans réponse. J'em-

prunterai la définition et la description de l'infantilisme à mon élève et

ami, M. Henry Meige qui a récemment étudié dans des publications d'un

très grand intérêt (1) les caractères morphologiques de l'infantilisme, déjà

indiqués incidemment par M. Paul Richer (2) :

« Le nom d'Infantilisme sert à désigner un état physique et mental

(1) IlE : 'i11\Y iNIEI(3r. L'iiifantilisrne, le le féminisme et les hermaphrodites antiques. L'An-

thropologie, t. IV, 1895.

(2) PAUL Richer. Les Hermaphrodites dans l'Art. Nouv. Iconographie de la Salpê-

trière, n 6, 1892.

244 E. BRISSAUD

qui s'observe chez des individus dont l'appareil sexuel a subi, congéni-

talement ou accidentellement, un arrêt dans son évolution.

- « Les caractères extérieurs de l'infantilisme sont, à l'accroissement delà

taille près ceux qui appartiennent il l'enfance jusqu'à l'époque de la pu-

berté.

« Le signalement de l'infantile sera donc ainsi conçu :

« Face arrondie,joufflue, lèvres saillantes et charnues,nez peu développé,

visage glabre, peau fine et de couleur claire, cheveux fins, sourcils et cils

peu fournis.

« Torse allongé, cylindrique. Ventre un peu proéminent.

« Membres potelés, effilés de la racine aux extrémités, une couche adi-

peuse d'une assez grande épaisseur enveloppant tout le corps et masquant

les reliefs osseux et musculaires.

« Organes génitaux rudimentaires.

« Absence de poils au pubis et aux aisselles.

« Voix grêle et aigre. Larynx peu saillant. ·

« Corps thyroïde généralement petit.

« Tel est le syndrome morphologique qui appartient en propre aux in-

fantiles. C'est l'infantilisme pur et simple.

« Un état mental infantile accompagne toujours la malformation corpo-

relle. Il concorde en général avec celui de l'âge que paraît conserver le

corps : légèreté, naïveté, pusillanimité, pleurs et rires faciles, irascibilité

prompte, mais fugace, tendresses excessives ou répulsions irraisonnées.

« En outre, les facultés morales, affectives et intellectuelles subissent

des altérations en rapport avec les accidents psychopathiques qui relè-

vent de l'hystérie dont les sujets sont fréquemment atteints. »

Cette description que j'ai tenu à citer textuellement me semble irré-

prochable. Elle peut se résumer encore dans des termes que j'emprunterai

également à M. II. Meige.

« L'infantilisme est un syndrome morphologique caractérisé par la con-

servation chez l'adulte, des formes extérieures de l'enfance, et la non-

apparition des caractères sexuels secondaires (1). » Et l'auteur ajoute :

« Mais si l'infantilisme peut se manifester isolément, il n'est pas rare de

le voir associé à d'autres dystrophies congénitales (nanisme, gigantisme,

rachitisme, obésité, atrophie musculaire). La plus fréquente de ces asso-

ciations est le my.1Joedème infantile qui participe ai la fois des caractères de

l'infantilisme et de ceux du myxoedème. »

(1) IIen'uy MEME. Deux cas d' hermaphrodisme antique. Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière, n°.4, 1893.

DE L'INFANTILISME i\IYXOEDÉMATEUX 245

Laissez-moi, Messieurs, vous faire remarquer que la description de

l'infantilisme telle que je viens de la reproduire, s'applique admirahle-

ment à l'infantilisme myxoedémateux, mais à celui-là exclusivement. Et

puisque c'est à propos de l'infantilisme myxoedémateux que la question de

l'infantilisme tout entière est inopinément revenue à l'ordre du jour,

permettez-moi aussi de vous répéter ce que je disais il y a quatre ans du

myxoedèmeet del'infantilisme : « Tout esteiifaiitiît chez les l1lyoedéma leux.

Tout reste enfant à un degré qui correspond à l'âge où la maladie a com-

mencé. On peut même dire que, lorsqu'il débute tardivement, le myxoe-

dème refait à ceux qu'il frappe, une pitoyable première enfance, quelque

chose comme la torpeur foetale du nouveau-né. Tout ce qui fait la vie de

relation est annulé. L'intelligence retourne dans les limbes, les tissus re-

prennent leur constitution colloïde, les poils tombent, il n'est pas jusqu'au

sexe qui ne soit fonctionnellement du moins - ramené à cet état neu-

tre auquel l'embryon seul se résigne en attendant mieux. Les règles s'ar-

rêtent, les appétits vénériens s'émoussent. C'est véritablement l'in{anti-

lisme dans toute l'acception du mot. »

Vous rencontrerez très souvent des arriérés myxoedémateux, dont. l'in-

telligence est simplement bornée et dont le myxoedème se réduit au mini-

mum. Je connais, pour ma part, plusieurs types de ce genre, au visage

légèrement bouffi, au teint blafard, aux poils rares, chez lesquels je n'ai

pu résister au désir d'explorer la région thyroïdienne. Ce sont, je n'en

doute pas un seul instant, des idiots myxoedémateux, mais des idiots, pas-

sez-moi le mot, très supérieurs. Ils ont de tout petits lobules thyroïdes,

juste assez pour que la fonction trophique générale ne soit pas gravement

endommagée, juste assez pour que leur intelligence suffise il de certains

emplois. '.

A cette époque, je vous montrais un beau spécimen d'infantilisme

myxoedémateux et je signalais « les singulières accointances de cet arrêt

de développement avec ce qu'on peut taxer de my.roedème fruste » (Fig. 1).

Il s'agissait d'un garçon de 18 ans et qui paraissait n'en avoir pas plus de

douze (Fig. 2). L'aspect du visage, le faciès lunaire, les yeux bouffis, les

lèvres épaisses, les grosses joues rondes, tout simulait le myxoedème. Les

formes extérieures n'étaient pas même celles d'un adolescent. Les mem-

bres étaient gras et potelés, les organes génitaux, rudimentaires, la verge

toute petite, les testicules bien conformés et descendus dans les bourses

étaient ceux d'un pelit garçon et il n'y avait pas un poil au pubis. Le corps

thyroïde était à peine perceptible. La dale de la maladie paraissait même

assez précise : le père racontait que, vers l'âge de 10 ans, des écrou-

246 E. BRISSAUD

elles cervicales avaient mis en danger la vie de son fils ; le gonflement

du cou était énorme, on crut que l'enfant allait étouffer ; il fallut lui faire

des incisions nombreuses. Aux cicatrices qu'on voyait, il était facile de

supposer que toute la région cervicale avait été le siège d'une poussée

scrofuleuse exceptionnellement grave et il était admissible que le corps

thyroïde en eût subi les conséquences. Au sujet de ce malade, je disais

que les variétés de myxoedème correspondant aux variétés de l'infanti-

lisme sont subordonnées à l'intensité des lésions thyroïdiennes. « Il

n'existe pas, dans cette catégorie de faits, de démarcations suffisamment

tranchées pour que nous soyons en mesure

de les classer nosographiquement. C'est

une chaîne ininterrompue à chaînons in-

nombrables. »

Aujourd'hui plus encore qu'il y a quatre

ans, j'ai la conviction que toutes les varié-

tés de myxaedéme - et comme elles ne se

comptent pas, il vaudrait mieux dire tou-

tes les variantes du myxadéme - sont

subordonnées à l'importance de la lésion

thyroïdienne et à l'âge auquel la maladie

débute. J'ai eu la grande satisfaction de

constater que cette manière de voir a été

unanimement adoptée. Dans un travail ré-

cent, M. A. Combe, de Lausanne, a pensé

pouvoir diviser en trois catégories tous les

faits de myxoedème infantile, suivant l'âge

auquel survient l'atrophie thyroïdienne.

Cette classification est à la fois par trop

simple et par trop arbitraire, puisque; je

vous le répète, la transformation du type

de l'idiotie myxoedémateuse en celui del'in-

fantilisme myxoedémateux se fait comme

par une dégradation insensible de nuances.

J'en retiendrai simplement une chose, à savoir : que c'est bien à l'infan-

tilisme myxoedémateux, que M. Combe conserve ma désignation de forme

fruste du myxoedème de, l'enfant : « Si, dit M. Combe, il n'y a pas dispa-

rition, mais simple insuffisance thyroïdienne, l'empoisonnement myxoedé-

mateux sera incomplet et nous observerons un tableau symptomatique

incomplet; certains symptômes du m) xoedèmc se montreront à l'exclu-

sion des autres : le nanisme, la bouffissure des téguments, la cyanose et le

refroidissement des extrémités seront prédominantes, mais la motilité sera

Fig. i.- Infantilisme myxoe-

démateux. Sujet de 18 ans.

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 241

conservée, l'intelligence sera presque normale, la cachexie presque nulle.,

Nous aurons affaire' cette variété du myxoedème que nous appellerons

la forme fruste du myxoedème de l'enfant » (1).

Voilà donc une fois encore

le myxoedème fruste de l'en-

fant identifié à l'infantilisme

myxoedémateux. Vous remar-

querez que le nanisme figure

dans cette description parmi

les principaux attributs de l'in-

fantilisme. Cela s'explique en

somme, puisqu'un sujet adulte

et resté infantile peut conser-

ver sa taille d'enfant. Mais la

petitesse de la taille n'est pas

un caractère fondamental de

l'infantilisme myxoedémateux,

car il y a, comme on dit, de

« grands'enfants » ; et d'autre

part est évident qu'un infan-

tile de petite taille se rappro-

chera toujours davantage, à

première vue, du type parfait

de l'infantilisme, qui est l'i-

diotie myxoedémateuse.

Lorsque je signalai il y a quatre ans une variété d'infantilisme équiva-

lant à une forme fruste du myxoedème, je m'efforçai de démontrer qu'il

existe des degrés dans l'infantilisme comme dans le myxoedème lui-même,

et actuellement je ne compte plus les faits qui confirment mon opinion

première. Il me serait facile de vous en présenter un très grand nombre,

tous copiés d'après le même modèle. Leurs différences individuelles ne

suffiraient pas à rompre la monotonie de l'ensemble. Il me paraît cepen-

dant nécessaire de vous en montrer quelques-uns; après quoi vous ne

pourrez mettre en doute l'authenticité du type. Et, une fois ce type re-

connu, vous serez en mesure de le différencier des autres que j'examine-

rai ensuite et dont l'étude sera beaucoup plus simple.

' Voici d'abord une jeune femme Savoisienne (Fig. 3), âgée de 25 ans,

(1) Revue médicale de la Suisse romande, 1 897.

Fig. 2. - Infantilisme m3yoedémateux, t8 ans

(même sujet que celui de la figure précédente).

Faciès lunaire, bouffissure, lèvres lippues.

248 E. BRISSAUD

toute petite, pâle, bouffie, au facies lunaire; elle a été réglée, niais elle

ne l'est plus. Est-ce parce qu'elle esl devenue tuvérculeuse ? Ou bien

parce que l'infantilisme se présente chez elle sous les allures d'un myx-

oedème tardif et progressif ? ' ?

La première de ces deux suppositions est la plus vraisemblable, car

tout infantile qu'elle soit, cette femme a été réglée, et cependant elle a les

aisselles et le pubis complètement glabres, et elle n'a aucun développe-

ment mammaire. La définition de M. Henry Meiee lui convient de tout

point : c'est la conservation des formes extérieures de l'enfance et la non-

apparition des caractères sexuels secondaires. J'ajoute que le corps thyroïde

n'est reconnaissable ici, ni au palper ni à la vue. Deux jeunes hommes

l'un de vingt-deux ans (Fig. 4), l'autre de dix-neuf (Fig. 5) et tous les

Fig. 3. - Infantilisme myxoedémateux. Femme de 25 ans.

Fig. 4. -Infantilisme myxoellé-

mateux ; sujet de vingt-deux

ans.

Fig. 5. Infantilisme mycede-

malcux , sujet de dix-neuf

ans.

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 249

deux aussi dépourvus de corps thyroïde vous rappelleront notre premier

malade. Ils ont la face ronde, bouffie, les paupières un peu gonflées, le

teint blafard. C'est toujours au visage que

ce myxoedème rudimentaire apparaît le

plus nettement. Il attire l'attention et alors

recherche les autres attributs de l'infanti-

lisme. Ils sont plus ou moins accentués,

mais il est rare que la première impression

soit trompeuse. Dans ces deux derniers

cas les caractères sexuels secondaires ne

faisaient pas complètement défaut; néan-

moins il n'était pas douteux que nous

eussions affaire à des infantiles.

Un malade dont l'histoire a été recueil-

lie par Henry Meige dans le service du

professeur Brouardel (Fig. G et 7) appar-

tient également à ce type de l'infantilisme

myxoedél}laLeux où Ion remarque « le torse arrondi, le ventre un peu

gros, les membres potelés, enveloppés de graisse, la peau fine et rosée, le

visage, le pubis, les aisselles vierges de tout poil,

la voix grêle, la verge minuscule ». Malheureuse-

ment il l'époque où fut observé ce fait remarquable,

les rapports de l'infantilisme avec le myxoedème

n'étant pas encore soupçonnés, nous ignorons si le

corps thyroïde avait conservé des proportions nor-

males ; mais tout fait croire qu'il était atrophié

comme dans les cas précédents (1).

L'examen impartial de ces 'faits ne démonlrc-l-il

pas que l'infantilisme n'est, au total, qu'un myxoe-

dème atténué Cela n'est plus discutable. Seul le

mot de myxeedémc pourrait, à la rigueur, pris au

pied de la lettre, laisser place à quelques malen-

tendus. Tout dernièrement mon collègue M. Thi-

bierge communiquait à la Société médicale des hô-

pitaux une étude sur les rapports de l'infantilisme

avec le myxoedème et il l'appui de ses conclusions,

conformes aux miennes, présentait un sujet infan-

tile atteint d'atrophie thyroïdienne et originaire de

pays à endémie goitreuse. Or chez ce malade le

(1) IluNity Meige. Loc. cit. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière. ? 4. 1891.

x 18

Fig. G.- Infantilisme myxoedé-

mateux (cas de lJeiâe re-

cueilli dans le service du pro-

fesseur Brouardel).

rig. j. iniummsuic

myxoedémateux

(cas de Meige).

250 E. BRISSAUD

myxoedème n'était pas complet, et l'on pouvait objecter qu'il ne s'agissait

que d'un « infantilisme congénital » sans myxoedème. A quoi M. Thi-

bierge répondait par avance : « Le sujet, à la vérité, n'a du myxoedéma-

teux ni le visage en pleine lune, ni les mains en battoir, ni les pseudo-

lipomes sus-claviculaires ; mais il en a le teint pâle, quelque peu cireux ;

son visage ridé, d'aspect vieillot, atteste que le tégument de la face a perdu

son élasticité ; il rappelle assez par cette comparaison je ne veux pas

forcer, je traduis simplement une analogie celui d'un myxoedémateux

démyxoedémalisé par la médication thyroïdienne. Ce visage vieillot est

glabre comme celui cl un myxeeaemateux par agénésie thyroïdienne, lin

somme tous les grands caractères du syndrome myxoedème sont ici pré-

sents, l'état myxoedémateux excepté. C'est un myxoedémateux sans myxoe-

dème ; je crois qu'il est impossible d'arriver par l'examen de ce malade à

une conclusion différente. Il est peu de cas, je pense, aussi favorables à la

démonstration de l'existence du myxoedème fruste (1). »

M. Thibierge adopte donc, lui aussi, l'identité du myxeedéme fruste et

de l'infantilisme; et son opinion vaut bien qu'on y tienne. A ce propos

mon collègue rappelle que cette corrélation l'avait frappé depuis longtemps

(1) Thibierge. Bull. et mém. de la Soc. méd. des IIôp. Séance du 26 mars 1897, p. 425.

Fig. 8 et 9. Myxoedème et infantilisme chez un sujet de treize ans.

(Observation de Marfan et L. Guinon.)

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 251

et qu'il avait déjà en 1891 émis l'hypothèse que certains hommes « à type

infantile » étaient à tout prendre des m3·xoeclémateux frustes.Quoique dans

le travail auquel il fait allusion, M. Thibierge n'ait pas parlé du « type

infantile », je ne résisterai pas au plaisir d'en citer le passage le plus im-

portant ; car c'est à M. Thibierge que revient le mérite d'avoir signalé

l'existence des myxoedèmes atténués et frustes. Là est toute la question.

S'il n'y avait pas de myxaedèmes frustes, il n'y aurait pas d'infantilisme

myxoedémateux. Voici le passage : « Le myxoedème spontané ne présente-

t-il pas des formes atténuées, compatibles avec une longue vie, avec une

existence à peu près normale, et n'y a-t-il pas des myxoeilèllles spontanés

frustes, comme il y a des myxoedèmes opératoires frustes ? Tout le monde

connaît, pour les avoir rencontrés dans la rue, des sujets généralement au-

dessous de la moyenne, au teint pâle, à la lèvre inférieure un peu pen-

dante, dont le système pileux de la face est réduit au minimum, qui n'ont t

jamais eu de barbe ; il en est dont l'intelligence est manifestement au-

dessous de la moyenne, qui sont des « crétins » au lycée et le restent dans

la vie; d'autres peuvent avoir une culture intellectuelle très développée;

quelques-uns sont d'une fatuité révoltante ; la plupart de ces dégénérés

d'espèce particulière n'ont pas de descendance. Ne sont-ce pas des my-

xoedémateux ? Nous ne le savons au juste : il ne nous a pas été donné d'exa-

miner médicalement de sujets répondant au type que nous venons d'es-

quisser et de rechercher chez eux l'état du corps thyroïde qui pourrait

seul permettre d'émettre un diagnostic ferme (1). »

Dans tout cela il n'est pas question d'infantilisme, mais seulement de

myxoedème fruste, et il est évident que parmi ces « dégénérés d'espèce

particulière » dont parle M. Thibierge il faut compter un certain nom-

bre d'infantiles.

Une très complète observation de MM. Marfan et Louis Guinon (Fig. 8

et 9) relative à un cas de myxoedème survenu chez un garçon de sept ans

nous fournit un des plus beaux spécimens de l'infantilisme myxoedéma-

teux (2). Ces auteurs avaient été frappés de la persistance et de l'intégrité

des fonctions psychiques dans ce cas où le myxoedème se manifestait dès

l'enfance. Du moins les seuls troubles intellectuels que présentait le ma-

lade - lenteur de l'idéation, faiblesse de la mémoire étaient exac-

tement ceux qui s'observent dans le myxoedème des adultes ; et MM. Mar-

fan et L. Guinon concluaient que le tableau clinique du myxoedème

spontané des adultes peut s'observer chez les enfants avec les mêmes ca-

ractères.

Cela est bien vrai, mais ce qui différencie ce myxoedème infantile de

(1) THIDIERGE, Gazette des hôpitaux, 31 janvier 1891.

(2) Revue mens. des maladies de l'enfance, 1893, p. 481.

252 ? , E. BRISSAUD

celui des adultes, c'est précisément le fait que, survenant avant la fin de

la croissance, il interrompt les progrès du développement lorsque le déve-

loppement est déjà assez avancé. Rien de ce qui est acquis n'est compromis,

mais tout ce qui reste à acquérir est perdu d'avance. Ici le myxoedème

apparut vers l'âge de sept ans, à la suite d'un abcès de la région sous-

maxillaire, et il est à supposer que cet abcès eut pour conséquence l'atro-

phie du corps thyroïde. Les cas de ce genre ne sont pas rares. Quoi qu'il

en soit de la pathogénie la seconde dentition ne se fit pas, les dents de

lait restèrent en place et l'enfant cessa de grandir. Six ans après, à l'âge

de treize ans, il possédait encore les vingt dents de la première dentition,

plus quatre grosses molaires. Il présentait l'aspect typique du myxoedé-

mateux, y compris les lipomes sus-claviculaires. Un peu apathique et

triste, mais très affectueux pour ses parents, il avait appris à lire, à écrire,

à compter. Il répondait aux questions qu'on lui adressait, avec une clarté

et une précision qui dénotaient une certaine intelligence. Ce gros garçon

de treize ans n'était donc pas un idiot myxoedémateux, ni même un im-

bécile, c'était tout au plus un arriéré, c'est-à-dire un infantile dans toute

la force du terme. Quoi de plus caractéristique en effet que la persistance

de la première dentition ? C'est de l'infantilisme « par destination ». La

seconde dentition est un des tournants de la vie physiologique. Elle mar-

que une phase nouvelle dans l'histoire du développement. A ce titre l'ob-

servation de Marfan et Louis Guinon est une des plus démonstratives

puisque le m) xoedème a débuté juste au moment où aurait dû commencer

la seconde formation dentaire.

Par une singulière coïncidence, le lendemain du jour où je signalais

l'infantilisme comme une forme du myxoedème, mon collègue M. Gley

communiquait à la Société de Biologie le résultat de ses belles expériences

sur le rôle du corps thyroïde dans les phénomènes de croissance des jeu-

nes animaux (1). Déjà, trois mois auparavant, Hofmeister avaitpublié ses

recherches sur les suites de l'extirpation du corps thyroïde, en un mé-

moire de premier ordre, riche de faits et d'idées ingénieuses. C'est là

que vous trouverez l'explication histologique de l'arrêt de la croissance.

La suppression du corps thyroïde détermine une maladie du cartilage épi-

physaire aux dépens duquel se fait l'accroissement des os longs. Cette

maladie consiste en une diminution de la prolifération cellulaire normale

et, en même temps, en une formation excessive de la substance intersti-

tielle du cartilage. Hofmeister proposait pour cette affection si spéciale du

(1) Soc. de Biologie , 18 mai 1894. ,

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 253

cartilage interépiphysaire le nom de Chopdrodystrophia thyreopriva. Lais-

sez le mot et retenez la chose. Un des caractères cliniques les plus frappants

de l'infantilisme c'est l'arrêt delà croissance. Mais l'arrêt de croissance

ne porte pas seulement sur les os longs, il est total ; et c'est là justement

ce qui constitue l'infantilisme proprement dit, car la taille, d'une façon

générale et clans les conditions normales, présente des différences indivi-

duelles qui ne sont point morbides. Or un fait bien plus important que la

hauteur absolue du sujet, c'est la persistance, chez l'adulte, du rapport

des dimensions infantiles de la tête avec celles du corps. Chez l'enfant la

tête est relativement beaucoup plus volumineuse que chez l'adulte; et

chez les infantiles myxoedémateux ou pseudo-myxoedémaleux, on conçoit

que la grosseur relative de la tête ait une signification nosologiquc sur

laquelle il n'y a pas à se méprendre. Il va sans dire que les proportions

infantiles de la tête dépendront de l'âge auquel le développement régulier

du squelette aura été entravé.

Il me semble que j'en ai dit assez sur cette première variété d'infanti-

lisme qui est, n'en doutez pas, la plus authentique et la plus facile à re-

connaître. Je n'ose dire qu'elle soit la plus fréquente ; et, si elle ne l'est

pas davantage, cela tient à ce qu'elle relève d'une seule cause, assez rare

elle-même, à savoir : l'atrophie spontanée du corps thyroïde. En résumé,

l'infantilisme vrai n'est à mon sens autre chose que la maladie décrite

par Bourneville sous le nom d'idiotie myxoedémateuse et les différences

de degré de l'infantilisme, résultent de deux conditions diversement asso-

ciées : -I° l'intensité de la lésion thyroïdienne atrophiante ; 20 t'age auquel

la suppression de la fonction thyroïdienne produit l'arrêt du développe-

ment.

Tout ceci revient à dire que l'infantilisme est un état morbide auquel

convient exactement la même thérapeutique qu'au myxoedème ou à l'idiotie

myxoedémateuse. M. Hertoghe (d'Anvers) en a fourni la démonstration

éclatante. Comme, après tout, la petitesse de la taillerésultant delà lésion

chondro-épiphysaire est une des marques les plus significatives delà dys-

trophie « thyréoprive », il devait venir à l'esprit que le défaut d'accroisse-

ment en longueur du squelette est une sorte d'infantilisme partiel ou sys-

tématiquement limité aux appareils osseux. M. Hertoghe a eu le premier

cette bonne idée; il a constaté que le traitement par l'extrait de glande

thyroïde produit une croissance rapide chez les sujets non myxoedéma-

teux, et cela jusqu'à )'age de 27 ans, c'est-à-dire un âge où l'on a déjà

(l)Soc. de Biologie, 19 mai 1894.

254 E. BRISSAUD

depuis longtemps perdu tout espoir de grandir. Vous savez même que

M. Hertoghe a pu déterminer par la radiographie les conditions dans les

quelles on peut encore compter sur la croissance. La persistance du car-

tilage d'ossification des extrémités osseuses indique que l'os peut encore

augmenter de longueur et la radiographie nous renseigne avec une admi-

rable précision sur la persistance de ce cartilage. D'ailleurs si l'accrois-

sement de la taille est le signe le plus manifeste de l'action bienfaisante

du traitement, on s'aperçoit aussi que tous les autres caractères de l'infan-

tilisme se modifient en même temps dans un sens favorable. Les résultats

sont trop séduisants pour que cette thérapeutique ne se laisse parfois en-

traîner un peu loin. Je ne saurais trop vous conseiller la prudence, et

quand vous prescrivez une dose active de corps thyroïde, ne perdez pas

de vue vos malades ; suivez-les jour par jour.

Maintenant, il me faudrait indiquer au moins en quelques mots les élé-

ments du diagnostic différentiel de l'infantilisme myxoedémateux et de

l'autre infantilisme.

1 .Quel est-il donc cet autre infantilisme que je n'ai pas décrit et dont

tout le monde parle d'après les travaux de Lorain et Faneau de la Cour ?

- Je ne suis pas embarrassé de vous le dire si je m'en tiens au seul do-

cument que Lorain nous ait laissé : une lettre préface qui est la partie la

plus intéressante de la thèse de Faneau de la Cour, et dans laquelle l'in-

fantilisme nous est présenté comme pouvant réaliser les trois variétés sui-

vantes :

1° Débilité, gracilité et petitesse du corps, sorte d'arrêt de développe-

ment qui porte plutôt sur la masse de l'individu que sur un appareil

spécial.

2° Juvénilité persistante, telle qu'un homme de 30 ans paraîtra n'en

avoir que 18 ;

3° Variété féminine : hanches développées dans le sens des diamètres

horizontaux, c'est-à-dire arrêt de développement de l'appareil génital ;

peau glabre sur le thorax, sur le visage ; cheveux longs, fins et soyeux ;

forme particulière de l'oeil, des paupières, cils longs; mamelles dévelop-

pées (p. 10).

Laissons de côté la variété féminine et ne considérons que les deux

premières variétés. Il me semble qu'elles se confondent en une seule et

j'aperçois très distinctement les types qui ont servi à les établir. Je les

vois avec « leur débilité, leur gracilité, la petitesse de leur corps, sorte

d'arrêt de développement qui porte plutôt sur la masse de l'individu que

sur un appareil spécial ». Je vais même immédiatement vous soumettre

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 255

un spécimen de cette variété, « débile, grêle et petit » auquel il ne man-

que véritablement que l'infantilisme pour justifier la classification de Lo-

rain (Fig. 10). Ce garçon de 17 ans que j'ai fait photographier il côté d'un

homme de 29 ans, est, comme vous en pouvez juger du premier coup,

un peut nomme lui-même mais

non plus un enfant. Il n'a pas

la taille d'un homme et il est

proportionné comme un hom-

me. Il n'a pas, en particulier,

la grosse lèlc \Je l'enfant, je

veux dire grosse par rapport

au reste du corps (Fig. 11), il n'a pas les grosses joues, le torse arrondi,

les muscles potelés, les jambes relativement courtes qui caractérisent l'in-

fantilisme. Chez lui, rien n'est enfantin, sinon l'appareil génital; et en-

core ne s'agit-il que d'un retard, car quelques poils apparaissent au pubis

et le testicule gauche, jusqu'à ces derniers temps retenu dans le canal in-

guinal, vient d'être libéré par le chirurgien et on le sent maintenant dans

les bourses. -

Ce sont de tout petits organes, mais ils sont assortis au reste ; ils parti-

cipent de l'infantilisme général. Le corps thyroïde lui-même, quoique de

très faibles dimensions, est perceptible dans les mouvements de dégluti-

tion. Ce n'est pas de l'atrophie de cette glande que procède ici l'infanti-

lisme ; c'est d'une autre cause qu'il s'agira de déterminer.

Fig. 10. - Infantilisme du type Lorain ;

garçon de 11 ans.

Fig. 11. Infantilisme du type Lorain.

Garçon de 11 ans.

256 E. BRISSAUD

La seconde variété de Lorain se confond, vous disais-je, avec la pre-

mière : c'est une juvénilité persistante, telle qu'un homme de 30 ans pa-

raitra n'en avoir que 18.

Voici, non pas un homme, mais une femme de 30 ans qui a conservé

les apparences extérieures d'une petite fille de 10 à 12 ans (Fig. 12).

Vous lirez son histoire dans le mémoire de M. Henry Meige auquel j'em-

prunte celle photographie. Il me suffira de dire que cette femme n'a

jamais eu aucune manifestation sexuelle : pas de poils, pas de seins, pas

de règles.

Et en voici encore une autre, celle-là âgée de 0 ans, et tellement

semblable il la précédente qu'on pourrait la prendre pour une soeur de

celle-ci (Fig. 13). Elle non plus, n'a aucune manifestation sexuelle, et c'est

bien sinon une enfant, du moins une juvénile au sens proposé par Lorain,

car la conformation n'a plus rien d'infantile et les proportions sont celles

fjg. 12. - Infantilisme du type Lorain.

femme de 30 ans (cas de [1. ]eige).

a

Fig. 13. - Infantilisme du type Lorain.

Fille de 20 ans. (Anangioplasic.)

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 251.

d'un sujet adulte. L'absence des fonctions sexuelles, dans les cas analo-

gues, ne signifie rien autre chose qu'un trouble général de la nutrition.

Ces femmes, quoiqu'elles aient tous les organes de leur sexe, n'ont pas de

fonctions sexuelles parce que l'ensemble de leurs actes nutritifs est en

souffrance. Comme tant d'autres femmes phtisiques ou chlorotiques ou

simplement anémiques, elles n'ont pas cette énergie particulière qui sus-

cite et entretient l'activité génitale ; voilà tout. Et il en est exactement de

même des hommes chez qui le prétendu infantilisme en question ne re-

lève pas de l'abolition primitive de la fonction sexuelle, mais la provoque

et, avec le temps, la rend définitive.

D'ailleurs vous rencontrerez bon nombre de cas du même genre où tout

se borne à un arrêt de développement compliqué d'une certaine débilité

générale sans malformations ni troubles de l'appareil génital. Je revien-

drai encore dans un instant sur les fonctions génitales. Mais d'abord,

pourquoi cet arrêt de développement et cette débilité générale ? Ce n'est

pas arrêt de développement qu'il faudrait dire ; arrêt de la croissance serait

beaucoup plus juste car si le sujet cesse de grandir, c'est parce que les

soudures épiphysaires se font prématurément. Il y a même quelque chose

de plus que cela : car puisque la tête est, quoique relativement un peu

grosse, proportionnée au reste du corps, il faut croire que cette prématu-

ration des soudures est relative elle-même, c'est-à-dire que le développe-

ment s'achève en un temps plus court, le sujet devant rester plus petit.

Les spécimens que vous avez sous les yeux font bien ressortir les diffé-

rences qui séparent celle dystrophie de l'infantilisme vrai, c'est-à-dire

de l'infantilisme myxoedémateux. Ici, il n'y a d'infantile que la taille,

mais en réalité, nous avons affaire à de petits adultes, hien conformés et

qui, par la stature seulement, se distinguent de leurs congénères. Ils

mériteraient d'être appelés nains si le nanisme admettait une conformation

normale, ce qui n'est pas. Ils sont parmi nous comme les bushmen

parmi les grands nègres de l'Afrique centrale. Ce sont des dégénérés au

premier chef destinés à disparaître. Beaucoup d'entre eux ont en effet les

apparences extérieures des busll111en et le défaut de vitalité de cette

. race qui s'en va. « La taille du bushman ne dépasse guère 1 m. 33 et

son poids n'atteint que 38 kilogrammes. La tète dolychocéphale est un

peu grosse relativement au reste du corps qui est bien proportionné. Les

pommettes sont saillantes et les yeux légèrement bridés. L'oreille est

plutôt grande et un peu détachée du crâne. L'aspect de la physionomie est

très spécial, car les rides sont précoces et nombreuses, ce qui lui donne un

air vieillot. Après 15 ans en effet, le bushman n'a plus d'âge. On assure

qu'il ne vit jamais au delà de cinquante ans (1).

(1) EUOUAItD Fou. Les bushmen. Revue hebdomadaire, 1897, no 7. '

258 E. BRISSAUD

Cet avenir si court, réservé aussi aux infantiles du type Lorain, dépend

de circonstances qui entretiennent un état permanent de débilité générale

pendant toute l'existence, c'est-à-dire longtemps après que la croissance

s'est arrêtée. Les circonstances auxquelles je fais allusion sont multiples.

La syphilis héréditaire serait la plus gravement prédisposante, au dire de

mon maître, M. Fournier, qui, à trois reprises différentes, a signalé l'in-

fantilisme et le nanisme parmi les affections parasyphilitiques (1). Il est

certain que la syphilis est de toutes les influences morbides la plus dys-

trophiante. Réserves faites sur son rôle pathogénique à l'égard du na-

nisme, elle est, avec l'alcoolisme, responsable des pires dégénérescences

héréditaires. Les cas d'infantilisme qui lui sont imputés relèvent-ils de

la variété thyroïdienne ou de l'autre ? - Je ne saurais vous dire; mais ce qu i

est certain c'est que les deux variétés peuvent fusionner lorsque les fac-

teurs étiologiques sè combinent. Je vous en fournirai dans un instant la

preuve.

La cachexie paludéenne elle aussi, surtout associée à la misère physiolo-

gique, devient à la longue une prédisposition. Dans l'ancienne Cologne où

la malaria n'épargnait aucune génération, on voyait beaucoup de ces êtres

rabougris,mal venus et à courte vie,que le dialecte local désignait sous les

noms d'aigrets ou d'acrats. C'est-à-dire qu'on les comparait au vert-jus

ou raisin qui n'a pas « profilé «.'C'était surtout dans les parties de ce

pauvre pays où il ne poussait que du seigle que la race avait le plus dégé-

néré. Les seiglauds étaient opposés aux fl'omentolins qui habitaient les

contrées moins ingrates où la culture du froment n'était pas impossible.

A ces causes d'ordres divers,mais indépendantes des sujets eux-mêmes,

il en faut ajouter d'autres, celles-là exclusivement personnelles et d'ordre

anatomo-patliologique. La plus efficace et de beaucoup la plus fréquente

est celle qui consiste en un trouble trophique vasculaire congénital tel

que l'aplasie artérielle, le rétrécissement mitral pur, la persistance du

trou de Botal, bref tout ce qu'on pourrait appeler d'un mot rébarbatif,

mais en somme utile, les anangioplasies. Il n'est pas même improbable

que l'infantilisme d'origine syphilitique relève de quelque malformation

cardiaque ou vasculaire et, d'autre part, il n'est guère de cas de maladie,

bleue où l'on n'ait relevé un ou plusieurs caractères de l'infantilisme

anangioplasique.

Une particularité spéciale à cette variété d'infantilisme me semble

devoir être encore relevée. Les anomalies vasculaires ou cardiaques

ne sont pas les seules qui appartiennent à cet infantilisme ou qui le fa-

(1) Les affections paralytiques, p.296.Paris, 189'E.Inluence dystrophique de l'hérédo-

syphilis. Médecine moderne, 1890. La syphilis héréditaire tardive. Paris, 1886, p. 29.

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 259

0

vorisent; très souvent on a fait mention d'anomalies du squelette (1).

Or vous savez qu'il n'y a guère d'exemples d'une anomalie isolée. C'est

une vérité qui date de Geoffroy St-Hilaire. Et il est reconnu que la mul-

tiplicité des anomalies spontanées est un témoignage de dégénérescence.

L'hérédité syphilitique et alcoolique collabore merveilleusement en vue

de ce résultat. Et si la tuberculose s'en mêle à son tour, vous pourrez

voir des produits analogues à celui que je vais vous présenter. La photo-

graphie est impuissante à rendre le contraste de ces deux personnages : le

plus grand a 16 ans et le plus petit 18 (Fig. 14). Ce dernier joint à ces

tares héréditaires sa propre tare alcoolique. Cet enfant monstrueux qui

devrait être un adulte et qui semble n'avoir pas plus de 4 ans, boit le

rhum et l'absinthe à plein verre. Je m'empresse d'ajouter que sa respon-

sabilité est limitée, car sa mère lui en apporte ici en cachette. Depuis

deux ans, une gibbosité pottique a encore diminué sa taille et une notable

(1) Broda. Archiv. di psichiatria, XVII, fasc. 5, 6, 1896. -

Fig. 14. infantilisme myxoedèmatèux et anangioplasique

chez un sujet de 1S ans (le plus petit).

260 E. BRISSAUD

0

adénopathie tuberculeuse cervicale a dû contribuer pour une bonne part

à l'atrophie du corps thyroïde.

Voilà bien la combinaison annoncée de l'infantilisme rnyxoedérnateux

et de l'infantilisme anangioplasique, car dans cette association des deux

types, le myxoedème est parfaitement reconnaissable et l'infantilisme vrai

par atrophie thyroïdienne se fusionne avec l'infantilisme faux de la dégé-

nérescence. L'un n'exclut pas l'autre.

Je me suis appliqué à faire ressortir les différences de deux sortes d'in-

fantilisme qui avaient été jusqu'à présent confondues,et dont l'une seule-

ment constitue réellement un état d'enfance permanent; celle-là ne pro-

cède que d'une seule et invariable cause : l'insuffisance thyroïdienne.

L'infantilisme de Lasègue, de Lorain et de Faneau de la Cour forme un

groupe beaucoup moins homogène. Il se compose de tous les cas dans

lesquels soit un vice originel de nutrition, soit un défaut de l'hématose,

fixent la forme définitive du sujet comme en un moule de pelit calibre, le

seul qui lui convienne. Tandis que dans l'infantilisme myxoedémateux, le

cartilage épiphysaire conserve, sans l'utiliser, son aptitude à l'ossifica-

tion, dans l'infantilisme anangioplasique, il l'utilise prématurément el la

soudure précoce des os du crâne démontre que l'ossification est le fait

d'une insuffisance fonctionnelle des tissus ostéogènes en (réiiéal.1M. Spriu-

ger et Serbanesco ont fait tout dernièrement des recherches à l'aide des

rayons de Roentgen sur les causes des troubles de la croissance et ils ont

constaté que, chez les enfants syphilitiques héréditaires, comme chez les

enfants d'alcooliques, l'arrêt de développement paraît dû à l'ossification

précoce du cartilage. C'est en quelque sorte l'inverse de ce qu'on observe

dans l'infantilisme myxoedémateux.

Encore une remarque, et je termine. Il ne faudrait pas croire que le

myxcedéme - complet ou fruste - doive entraîner nécessairement soit

des troubles psychiques soit une simple apathie intellectuelle. En d'au-

tres termes, il est des infantiles dont les fonctions cérébrales sont irré-

prochables; on en peut dire'1Utant de certains myxoedémateux. De même

il y a des infantiles comme aussi des myxoedémateux confirmés qui ne

perdent absolument rien de leurs aptitudes sexuelles. Cela signifie qu'il

existe des myxoedèmes partiels. Mais comment cela peut-il se faire ?

Une thyroïdectomie totale pratiquée sur un sujet jeune abolit du jour

DE L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX 261

au lendemain toutes les fonctions thyroïdiennes, et le myxoedème s'en

suit avec son cortège de symptômes au grand complet. Mais, au lieu d'une

abolition, supposons une simple diminution des fonctions thyroïdiennes,

et nous verrons se produire telles altérations trophiques des os, des tégu-

ments et des phanères,qui dénotent précisément telles, ou telles aptitudes

spéciales de la glande.

Il y a mieux encore. Nous savons que glande thyroïde de l'homme

se compose de deux tissus, l'un thyroïdien, l'autre parathyroïdien,

tissus différents qui chez certains animaux constituent des glandes ab-

solument distinctes, les thyroïdes et les .1J(t1'athyroides.

Les deux tissus sont juxtaposés chez l'homme etpeut-être même si com-

plètement mélangés que les lésions accidentelles des corps thyroïdes en

masse doivent intéresser également les deux tissus et troubler les deux

fonctions. Mais si une altération spontanée du tissu thyroïdien par exemple

et systématiquement limitée à ce tissu - évolue sans compromettre en

rien le tissu parathyroïdien, l'étal morbide qui s'ensuivra différera sensible-

ment de celui que produirait la perte de la fonction totale du corps thy-

roïde.

Or il semble, d'après les indications cliniques et physiologiques, qu'on

peut dès à présent les mettre à profit,- que la suppression du tissu thyroï-

dien détermine les dystrophies du tégument et du squelette,tandis que l'a-

bolition de la fonction parathyroïdienne provoque les accidents nerveux et

en particulier les troubles intellectuels associés au myxoedème.

Je vous ai présenté récemment une famille de myxoedémateux parisiens

un père, un fils, une fille-chez lesquels le myxoedème était congénital ;

Fig. 13. - Famille de myxoedémateux (père, fille et fils). 115woedème congénital

sans infantilisme ni amoindrissement intellectuel.

1

262 F. BRISSAUD

et il ne s'agissait pas d'une apparence de myxoedème, mais d'un myxoedème

aussi complet qu'on pût le souhaiter pour les besoins d'une description

classique (Fig. 13).

Or, ce père n'a rien perdu de ses aptitudes sexuelles, il est d'un niveau

intellectuel très supérieur à la moyenne. Son fils, encore plus myxoedé-

mateux que lui, est le premier de sa classe dans une école industrielle.

Quant à la fille, elle est bien quelque peu apathique, mais elle est,

comme son frère, intelligente et cultivée.

Aucun de ces trois sujets, quoique myxoedémateux, ne présente la con-

formation générale des infantiles myxoedémateux. Le myxoedème est donc

chez eux une manière d'être se rapprochant d'une monstruosité bien plus

que d'une maladie.

Et cela nous explique comme quoi, dans l'infantilisme myxcedéma-

teux, les altérations du tégument, du tissu sous-cutané, du système pi-

leux, du squelette, etc., sont comme un fait acquis, n'impliquant nul-

lement une dystrophie évolutive.

DES NÆVI .

DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX

ESSAI DE PATHOGÉNIE ET d'ÉTIOLOGIE .

PAR

G. ÉTIENNE,

Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Nancy.

Depuis quelque temps, l'attention a été attirée vers la distribution de

certains Naevi suivant les territoires de branches nerveuses. Les cas anté-

rieurs à 1877 ont été relevés par M. Barthélémy (1) ; Spietschka (2) a si-

gnalé les observations allemandes ; enfin nous-même (3) avons indiqué

la bibliographie de cette intéressante question jusqu'en 1894, dans une

note au sujet d'un cas remarquable que l'on retrouvera plus loin.

Depuis lors, nous avons eu l'occasion d'observer toute une série de cas

analogues, à systématisation évidente chez les uns, à systématisation moins

nette chez les autres, mais cependant facilement réductible à une topo-

graphie régulière ; ces derniers cas ne sont pas les moins intéressants,

établissant le passage entre les faits indiscutables mais rares et ceux qui

sont frustes, et permettant peut-être de conclure des premiers aux autres,

et de tirer quelques déductions d'ordre plus général.

Voici d'abord nos observations, que nous pouvons diviser en trois

groupes :

I. Plexus cervical superficiel ;

II. Trijumeau ;

III. Intercostaux.

(1) Barthélémy. Deux observations de nævus zoniforme lisse. Annales de dermato.

lOgie. 1811, p. 281.

(2) Spietschka. Ueber sogenanle nerven-noevi. Arc. f. dermat., 1894, XXVII, 1, p. 21.

(3) G. Etienne. Nævus pigmentaÏ1'e verruqueux développé sur le territoire des bran-

ches du plexus cervical superficiel. Soc. de dermatologie, 1894, 10 mai.

264 G. ETIENNE

PLEXUS CERVICAL SUPERFICIEL

. Observation I.

N oe¡;lIS pigmentaire verruqueux développé suivant les branches du

plexus cervical superficiel droit.

La nommée B..., âgée de 15 ans, se présente au mois d'octobre 1890 à

la Clinique de M. le professeur Spillmann.

Nous ne relevons rien de particulier dans ses antécédents héréditaires

ou familiaux. Elle n'a jamais été malade ; elle est hien conformée et se-

rait parfaitement constituée sans la déformation qui l'amène à l'Hôpital

civil.

Cette affection est congénitale, et n'a, depuis la naissance, nullement

changé ni d'aspect ni de position lopographique ; elle s'est régulièrement

accrue parallèlement au développement de la taille de la jeune fille.

Elle se présente sous forme de placards disposés sur le côlé droit de la

face, du cuir chevelu et de la partie supérieure du thorax, avec un as-

pect un peu différent suivant ces régions. (PI. XXVII, À.)

- Le centre de la lésion parait siéger au cou, environ à 4 ou 5 travers de

doigt au-dessous de l'angle de la mâchoire; c'est une plaque à peu près

horizontale, au point d'émergence du plexus cervical superficiel, se diri-

geant en arrière sur les dernières vertèbres cervicales ; en avant, s'incur-

vaut pour arriver au niveau de 1 articulation sterno-clav iculaire droite eu

venir mourir le long du bord droit du sternum. Cette plaqué est large de "

3 ou 4 travers de doigt, à contours déchiquetés, géographiques ; elle

revêt un aspect craquelé, parqueté, et est constituée par des groupes

confluents de verrucosités assez dures, rugueuses, agglomérées par leurs

bases, mais séparées par des sillons profonds et très étroits ; le relief for-

mé au-dessus de la peau saine est d'environ 5 millimètres. La couleur est

absolument mélanique, presque « bois d'ébène ».Un prolongement très im-

portant se'détache vers l'angle de la mâchoire, suit la direction du maxil-

laire inférieur, se terminant à l'extrémité antérieure de cet os et la com-

missure labiale. Sur ce placard, les végétations sont d'un noir moins in-

tense, el aussi moins développées, moins saillantes, moins individualisées ;

mais il se détache quelques petites houppes filamenteuses, mousseuses,

d'aspect un peu soyeux, de couleur blanche, et formant sur la tache fon-

damentale un relief de plus de 1 centimètre.

Toujours de l'angle de la mâchoire part une autre branche, présentant le

même aspect que la précédente, venant occuper toute la région paroti-

dienne; elle offre aussi quelques bouquets filamenteux.

Autre ramification se dirigeant le long du bord postérieur de la branche

DES NiEVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 2G5

montante du maxillaire inférieur, envahissant toute la partie périphérique

du pavillon de l'oreille, surtout la région du lobule, et remontant sur

l'hélix en atténuant ses caractères morphologiques pour se terminer en

haut par un volumineux papillome.

La région de la tempe est occupée par un placard moins coloré, arrivant

en avant jusqu'à l'angle externe des paupières et, en arrière, allant se

perdre dans le cuir chevelu vers la région pariétale.

Enfin une dernière localisation siège sur l'épaule droite, au niveau du

trapèze, et arrive vers l'acromion.

En somme, dans ce cas, la lésion est unilatérale, présentant manifes-

tement un centre où les verrucosités. revêtent leur maximum de dévelop-

pement et de pigmentation ; puis, de cette sorte de point nodal, partent

en rayonnant des branches qui suivent des directions hien déterminées,

mais dans lesquelles les caractères morphologiques des verrues s'atténuent

de plus en plus à mesure qu'elles arrivent vers la périphérie; toutes ces

branches s'éteignent un peu avant d'arriver sur la ligne médiane qui, en

aucun point, n'est atteinte.

A première vue, si l'on compare notre photographie Pl. XXVII avec la

figure empruntée au Traité d'anatomie de Morel (Fig. 1), il est facile de se

x 19

Fig. I. - Plexus cervical superficiel.

266 G. ÉTIENNE

rendre compte que la disposition de ce noevus reproduit avec une remarquable

fidélité la disposition anatomique du plexus cervical superficiel, dont toutes

les branches sont cutanées. On voit que le point central d'où rayonnent les

ramifications de la lésion et où, en même temps, ses caractères sont le

mieux marqués, correspond bien au point d'issue des branches du plexus ;

que la branche qui part vers l'oreille et vers la région parotidienne suit

rigoureusement la zone d'innervation de la branche nerveuse auriculaire ;

que le placard qui occupe la région de la tempe et le cuir chevelu corres-

pond ? la sphère des filets auriculaires internes et de la branche mastoï-

dienne ; que la bifurcation suivant le maxillaire inférieur vers le menton

relève de la branche transverse du plexus ; c'est encore à cette dernière,

et aussi aux branches sus-sternales, que ressortit le placard de la région

antérieure du cou et de la partie antéro-supérieure de la poitrine. Enfin,

la dernière localisation, située à la région supérieure de l'épaule, vers le

trapèze, appartient à la zone d'émergence des branches sus-acromiales.

Un seul point paraîtrait s'écarter légèrement du schéma que nous avons

pris comme point de comparaison ; chez notre jeune malade, le nsevus

s'avance vers l'angle de l'oeil plus que ne le ferait penser la distribution

des terminaisons de la branche auriculaire et des branches temporales dans

la figure de Morel ; mais cette objection, bien légère, tombe complètement

si l'on consulte la planche de l'atlas de Frohse (1).

Observation II.

Noevlls vasculaire veineux plan développé sur la zone d'innervation du

plexus cervical superficiel droit.

La distribution de ce noevus est. en tout point comparable à celle du

précédent.

Mlle Lim..., âgée de 17 ans, se présente en février 1896 à la consul-

tation externe annexée à la clinique de M. le professeur Spillmann, at-

teinte d'une indisposition banale.

C'est une jeune fille parfaitement développée, ne présentant aucune

déformation autre que son noevus.

Cette lésion est congénitale et s'est régulièrement accrue au sur et à

mesure du développement général. '

Elle est constituée par une large tache (Fig. 2), de couleur violacée

assez claire, à contours géographiques, siégeant sur le côté droit de la

face, du cou et du tronc, et par quelques taches adhérentes de dimensions

beaucoup moindres.

(1) Fhitz Frohse. Die obel'fliichlichen nerven der Kopfes, Atlas, Taf. V, fig. 2.

DES PttEVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 261

La tache principale occupe d'une façon continue le côté droit de la face,

recouvrant une vaste région s'étendant en avant sur toute la région paro-

tidienne jusque vers le milieu de la joue; un prolongement s'avance en

suivant la branche horizontale du maxillaire inférieur et se termine en

avant par deux petites taches isolées siégeant au niveau du menton, entre

la commissure labiale et la ligne médiane.

En arrière, le noevus s'étend derrière l'oreille, occupant toute la région

antéro-latérale du cuir chevelu ; un peu en avant, isolées, sont deux petites

taches arrivant sur l'angle externe de la paupière.

Au niveau de l'oreille, toute la face postérieure du pavillon est occupée

par la coloration violette, et à la face antérieure trois taches isolées sié-

geant à la partie antéro-supérieure de l'hélix, vers la fossette naviculaire

Fig. 2. - Nævus vasculaire veineux plan développé sur la zone d'innervation

du plexus cervical droit.

268 G. ETIENNE

et vers le lobule, correspondant à des points d'émergence des branches

perforantes.

En bas, la tache principale arrive jusque vers la partie moyenne du

triangle des sterno-cleido-mastoïdiens, se terminant là, comme, du reste,

sur toute son étendue, par une ligne très nette.

Mais une tache indépendante, allongée, suit sur un espace d'environ

quatre travers de doigts le bord externe droit du sternum.

Une autre tache occupe la face antérieure de l'épaule, se terminant par

deux nouveaux placards, de coloration plus claire, l'un au niveau de l'a-

cromion, l'autre sur la clavicule.

¡

Très manifestement, dans cette seconde observation, la distribution to-

pographique est la même que celle de l'observation I, la lésion occupant

la région du plexus cervical superficiel, ne suivant plus ici le trajet des

branches, mais intéressant toute la zone d'innervation.

Nous la voyons, en effet, occuper d'abord le point d'émergence, puis le

territoire des branches parotidiennes et cutanées antérieures dont l'extré-

mité est marquée par les taches adhérentes de l'angle de l'oeil ; le terri-

toire de la branche transverse, jusqu'à son point terminal mentonnier, indi-

qué par une tache adhérente; le territoire des branches temporales ; celui 1

des branches auriculaires. Enfin, des taches adhérentes marquent l'épa-

nouissement des branches sus-sternales, sus-claviculaires , sus-acl'omililes et

descendantes superficielles .

Dans ce cas intéressant, j'insiste sur la très grande importance morpho-

logique de ces taches adhérentes signalées qui se superposent avec préci-

sion aux points ultimes d'épanouissement des diverses branches du

plexus, et se rattachent ainsi et anatomiquement à la tache principale.

TRIJUMEAU

Observation III.

Nævus vasculaire veineux plan développé sur le territoire de La branche

ophtalmique de Willij et du nerf maxillaire supérieur.

Mme Bail..., 32 ans.

Tache foncée, de couleur violacée, plane, occupant le côté droit de la

figure, et débordant à gauche, sur toute sa longueur, la ligne médiane

d'environ 4 millimètres.

Cette tache, facile à systématiser topographiquement (Fig. 3) intéresse

en haut l'espace intersourcilier droit, la région interne de la paupière

DES N.EVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 269

supérieure, le côté droit du nez, la région sous-palpébrale s'étendant en

dehors du nez jusque environ une ligne verticale partant de l'union du

1/4 externe et des 3/5 internes de la paupière inférieure. Enfin un pro-

longement vient occuper la lèvre supérieure, arrivant jusque vers la com-

missure, débordant légèrement sur la muqueuse, mais laissant indemne une

petite zone triangulaire interne.

Entre ce prolongement labial et la partie sous-palpébrale de la tache,

une encoche de peau saine arrive jusqu'à la base de l'aile du nez.

Au point de vue de la distribution des zones d'innervation, ce nmvus

occupe donc les territoires suivants :

270 G. ÉTIENNE

Observation IV.

Nævus vasculaire veineux développé sur le territoire du nerf maxillaire

supérieur et de la branche de Willis.

X..., 10 ans. Entre au service de M. le professeur Gross, pour une tu-

meur de la lèvre supérieure. Cette tumeur siège du côté droit, vers l'union

du 1/4 externe et des 3/4 internes. C'est une tumeur érectile, qui est très

facilement enlevée. -

Elle est la plus volumineuse d'un groupe de petits angiomes veineux

disséminés sur la moitié de la lèvre supérieure ; ce groupe fait lui-même

partie' d'un naevus veineux (Pl. XXVII, B) dont les autres portions sont

planes et occupent le côté droit de la face, constituées par des taches d'une

teinte violacée très discrète, à contours géographiques, décomposées par des

intervalles de peau saine.

Ces taches occupent la zone d'innervation cutanée du maxillaire supé-

rieur, notamment le territoire du bouquet sous-orbitaire, avec ses filets

nasaux, labiaux et palpébraux.

En outre, il existe une petite tache sur la paupière supérieure, appar-

tenant à un rameau supérieur du nasal externe (br. de Willis).

Nouv. Iconographie de 1 S.LrPI'R1€RE. T. X. PI. XXVII

NOEVUS PIGMENTAIRE VERRUQUEUX

sur les branchcs du plexus cervical superficiel droit.

NOEVUS VEINEUX

sur le territoire du nerf maxillaire supérieur

et de la branche de Willis.

MASSON & Cie, Editeurs

DES NIEVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 211

Observation VI.

Noevus pigmentaire légèrement verruqueux développé sur le trajet du

huitième nerf intercostal gauche.

Homme âgé de 30 ans, bien constitué, ne présentant aucune autre ano-

malie apparente.

Sur le côté gauche du thorax existe un nrcvus linéaire (Fig. 4) consti-

tué par l'agglomération de taches pigmentaires d'un brun foncé, formant

un léger relief verruqueux. Ces taches sont isolées l'une de l'autre dans la

partie latéro-postérieure du naevus, au contraire réunies dans sa portion

latéro-antérieure en une ligne à peu près continue, ayant environ 2 centi-

mètres de largeur.

On peut distinguer à ce naevus

trois portions, l'une centrale, dans

laquelle les taches sont plus dis-

crètes, moins foncées, plus iso-

lées, et siégeant au niveau de la

face latérale externe du thorax,

dans lé 7e espace intercostal, sur

la ligne axillaire antérieure. De ! part :

1° La portion antérieure, li-

néaire,dont la direction va obli-

quement d'arrière en avant et de

haut en bas, et s'arrête entre la

ligne mamillaire et la ligne mé-

diane.

2° La portion postérieure, qui i

très rapidement se divise en deux

branches linéaires à direction lé-

gèrement divergente.

3° Enfin un petit groupe isolé

légèrement supérieur.

Chez cet homme le naevus suit nettement le trajet des deux filets, anté-

rieur et postérieur, du nerf cutané perforant latéral.

- Observation VIII.

Ncevus pigmentaire et pileux développé sur la branche récurrente latérale

. du 7e nerf intercostal droit.

Homme de 28 ans. Bonne constitution ; aucune autre anomalie appa-

rente. Dermographisme. Cheveux et poils noirs.

Fig. 4. - Nævus pigmentaire légèrement ver-

ruqueux, développé sur le trajet du huitième

nerf intercostal gauche.

272 G. ÉTIENNE

Dans le 7° espace intercostal gauche (PI. XXVIII, B), au niveau de la

ligne verticale axillaire postérieure, existe une tache brune, plus foncée que

le reste du naevus, large comme une pièce de 0,50 centimes, véritable point

nodal, d'où part, divergeant en éventail, de dehors en dedans, un naevus

limité en bas par une ligne basale à peu près horizontale, et en haut par

une ligne supérieure allant obliquement en haut. Ce naevus est formé par

une série rayonnante de bandes légèrement obliques de dehors en dedans

et de bas en haut. -

II est constitué par des macules pigmentées d'un brun fauve, sans re-

lief, légèrement brillantes, de forme allongée dans l'axe général du naevus,

en bandes réunies par des commissures plus étroites. La plupart de ces ta-

ches sont recouvertes de poils noirs, assez fins, soyeux, tranchant nette-

ment sur la peau glabre voisine, développés, ayant une longueur moyenne

d'environ 2 centimètres.

Le naevus se développe ainsi sur une longueur totale de 18 centimètres,

arrivant en arrière jusqu'à G cent. 1/2 de la ligne vertébrale, et ayant une

largeur de centimètre en dehors, et de 8 cent. 1/2 en dedans.

Ce naevus correspond exactement à la zone d'épanouissement de la bran-

che postérieure récurrente du 7e nerf intercostal droit.

Ce groupe d'observations montre que les types divers de nævi peuvent

se développer en rapport avec des territoires nerveux : nacvi verruqueux

ou ichtyosiformes (observ. I), nmvi vasculaires plans (observ. II, III) ou

érectiles (observ. IV), noevi pigmentaires plans (observ. V), naevi pi-

laires (observ. VIII). Dans la littérature médicale,nous relevons en outre

des naevi sudoripares (Pétersen, Blaschko), des naevi sébacés (Hallopeau

et Leredde,Werner et Jadassohn), des nmvi fibreux (Recklinghausen). Les

diverses parties constituantes de la peau peuvent donc y prendre part; et

d'ailleurs, on a signalé la coexistence chez un même individu de plusieurs

formes histologiques, combinées (observ. I et VIII) ou isolées.

Nous avons observé ces cas dans les deux sexes. Sur 52 cas publiés, réu-

nis par Galewsky et Schlossmann, on trouve 23 hommes et 22 femmes.

Dans la même statistique, on voit encore que le côté droit a été intéressé

22 fois, le côté gauche 17, les deux côtés 7 fois.

Al herz-Sclnnberg, s'appuyant sur les dires de lloegelé a invoqué l'influen-

ce (le l'hérédité directe, que nous voyons cependant manquer dans l'immense

majorité des cas publiés. Disons encore, pour mémoire, que Muller relève

dans une observation la vue par la mère, pendant la grossesse, d'une fem-

me atteinte d'une lésion semblable, et que la mère du malade de Saalfeld

aurait été piquée, toujours pendant la grossesse, par une grosse chenille

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière. T. X. PI. XXVIII

NOEVUS PIGMENTAIRE PLAN ZOSTÉRIFORME

Dixième nerf intercostal gauche.

NOEVUS PIGMENTAIRE ET PILEUX

Branche récurrente latérale du septième nerf intercostal droit.

MASSON & cic, Éditeurs

DES NI'.VI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 273

dont la forme se serait retrouvée plus ou moins vaguement reportée sur

l'enfant.

Mais l'intérêt principal de l'étude de ces cas est surtout dans la patho-

génie et l'étiologie générale.

Remarquons d'abord que la disposition de la lésion ne correspond nul-

lement avec celle des fentes branchiales ; qu'elle ne présente nulle con-

nexion avec la répartition normale du système vasculaire cutané normal,

étudié par Manchot (1), ni avec la direction des vaisseaux lymphatiques,

malgré l'avis de Heller. On ne peut invoquer aucune connexion apparente

avec un appareil autre que le système nerveux.

Quant à la distribution territoriale des naevi dans ses rapports avec la

disposition anatomique des rameaux nerveux, nous nous trouvons en face

de deux théories principales :

I. Baerensprung insiste sur ce fait que le développement des naevi est

en rapport avec les territoires d'innervation cutanée, et serait dû pro-

bablement à une maladie des ganglions spinaux. Il s'appuie surtout sur

les trois raisons suivantes :

1° L'affection est constamment unilatérale et exactement limitée à la

ligne médiane ;

2° Les lignes d'agencements répondent à l'épanouissement périphéri-

que de un ou plusieurs nerfs spinaux ; .

3° L'altération cutanée consiste en une hypertrophie des éléments dans

lesquels se terminent les nerfs périphériques, c'est-à-dire les papilles

cutanées; on ne voit pas prendre part à la lésion les glandes, les poils,

les cheveux.

Bien que cette théorie de Baerensprung, soit acceptée par Neumann,

Pott, Gerhard, Simon et la plupart des auteurs, chacune des raisons invo-

quées par railleur pèche manifestement par un absolutisme exagéré. Le

troisième argument est d'abord faux, puisque nous avons montré plus

haut que tous les éléments de la peau peuvent intervenir dans la produc-

tion du naevus ; le deuxième présente trop peu d'extension, s'arrêtant

limitativement à l'épanouissement périphérique des nerfs spinaux, alors

que certains nerfs crâniens, le trijumeau, par exemple (Observât. III et

IV) peuvent être intéressés. Enfin l'unilatéralité n'est pas absolue ; les

lésions peuvent exister des deux côtés du corps ; ou bien déborder légère-

ment la ligne médiane, comme dans notre observation III, comme dans les

cas de Galewsky et Schlossmann, Jadassohn, Kroener, Muller, Gerhardt.

Remarquons que cet empiétement sur le côté opposé ne détruit pas la

(1) Manchot. Die Haut arterien der menschlichen Korpers, 1S89. '

274 G. ÉTIENNE

théorie de Bmrensprung, caries filets nerveux ne s'arrêtent pas rigou-

reusement à la ligne médiane, comme le montrent entre autres Galewsky

et Schlossmann, et il faut aussi tenir compte de la région des anastomoses.

A cette théorie de Boerensprung faisant dépendre la répartition des nævi

de la zone d'innervation cutanée, Alexander objecte encore que l'altération

du centre trophique, ganglionnaire ou autre, ne peut être une alrophiede

ce centre, car l'atrophie de ce centre trophique entraînerait une atrophie

des territoires cutanés, et non une lésion hypertrophique; il faudrait donc

admettre plutôt une excitation centrale ; cependant Recklinghausen accepte

que l'abolition de l'influx nerveux sur la nutrition de la peau peut déter-

miner des troubles trophiques neuro-paralytiques aboutissant à l'hyper-

trophie des papilles; d'ailleurs Charcot enseignait bien que les arthropa-

thies du tabes, avec leurs ostéophytes, dépendent de l'atrophie du groupe

des grosses cellules antérieures de la moelle. Enfin, la lésion originelle

dans les cas rentrant dans la théorie de 13;r,rensprung, peut être tout

autre chose qu'une altération des centres trophiques.

Galewsky et Schlossmann, de leur côté, objectent que les territoires

cutanés sont innervés par toutes les ramifications d'une branche nerveuse;

une altération de l'action nerveuse devrait aboutir à une lésion diffuse

occupant tout le territoire de cette branche, et non pas seulement, comme

dans certains cas, à des lésions développées suivant la projection sur la

peau de cette branche. Sans méconnaître la portée de cette objection,

remarquons que nous avons dans notre observation II un naevus occupant

toute la région de la plupart des branches du plexus cervical superficiel,

alors que dans notre 4''e observation, nous voyons la lésion suivre plutôt

les branches du même plexus.

Si les bases sur lesquelles s'appuie Baerensprung sont trop absolues, le

fait qu'il a constaté reste cependant exact dans de nombreux cas, et dans

la plupart de nos observations, comme nous pensons l'avoir montré, les

naevi occupent bien un territoire déterminé d'innervation périphérique ;

de sorte que, malgré les objections soulevées, bon nombre de faits restent

en faveur de sa théorie.

II. Philippson, Petersen, Galewsky ont attiré l'attention sur le rap-

port existant entre la disposition anatomique des naevi et les lignes de

Voigt, c'est-à-dire les districts de séparation entre la sphère d'action de

deux nerfs cutanés voisins. Un certain nombre de cas, notamment celui

de Galewsky et Schlossmann semblent se rapprocher d'assez près de ces

lignes ; mais cela n'est pas général, et, en particulier, dans nos huit obser-

vations, les naevi siègent non pas au niveau de ces lignes de démarca-

tion, mais au contraire bien dans la zone d'innervation d'un groupe ner-

veux anatomiquement déterminé. A notre première observation, on a fait

DES NIEVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 275

remarquer (Verner et Jadassohn, p. 401 ; Galewsky et Schlossmann,

p. 1 13), qu'il est bien difficile de dire s'il n'y a pas des anastomoses entre

le plexus cervical et le facial ; cette objection ne paraît pas avoir une

bien grande portée, le facial n'étant pas, par lui-même, à la face un nerf

sensitif et trophique; en outre, la grande étendue des lésions les place

manifestement en dehors de la zone anastomotique.

En opposition avec cette théorie de Philippson, on a voulu édifier des

théories nouvelles qui ne sont, en somme, qu'une analyse plus précise des

vues de cet auteur.

III. C'est ainsi que l'hypothèse développée par Blaschko était déjà con-

tenue en germe dans le mémoire de Philippson. D'après Blaschko, aux

endroits où, chez l'embryon, s'accolent deux territoires cutanés en voie

de formation, il se fait, au niveau du chorion correspondant à la surface

épidermique, une prolifération plus active déterminant le bourgeonne-

ment des crêtes épithéliales,et ces modifications de la surface limitante du

chorion et de l'épiderme s'étendent à toutes les couches sus-jacentes.

Si, pour une cause ou une autre, il existe un trouble dans le développe-

ment normal de ces formations, trouble aboutissant à l'hyperformation,

ces régions intermédiaires, qui sont déjà le point de départ de la différen-

ciation, seront tout naturellement de préférence le siège électif de ces

manifestations anormales.

Mais ces régions au niveau desquelles se rencontrent, pendant le déve-

loppement embryologique de la peau, les territoires cutanés, sont aussi

celles où se heurtent les diverses expensions des rameaux nerveux des

territoires voisins, et ne sont que les lignes de Voigt.

Du reste, cette interprétation n'est pas exclusive à la formation des crê-

tes épithéliales (naevi verruqueux); des considérations analogues peuvent

s'appliquer à tous les éléments histologiques constitutifs de la peau, dé-

veloppement des vaisseaux, des glandes, des^oies lymphatiques (Heller).

IV. Jadassohn (9 ) signale d'une part la concordance entre les lignes de

Voigt et les lignes suivant lesquelles se développent normalement les poils;

et d'autre part la concordance entre la localisation des noevi et les points

« Haarstroeme » où convergent ou d'où divergent les lignes d'implanta-

tion des poils. Cela du moins, dans un certain nombre de cas intéressant

en particulier le creux axillaire (Esmarch, Spietschka (cas I et II), Gal-

liard, Geber, Curtis, Albers-Schonberg, Breda, Hagen, Saalfeld, Thomsen,

Mackenzie, Gerhardt, Müller).Si,conclut l'auteur, ces lignes de Voigt jouenl

un rôle important dans le développement des poils et des crêtes épidermi-

ques,on ne considérera pas la concordance entre ces lignes et les nmvi comme

(1) JADASSORN. Zur Kenntniss der « syslematisirten nxvi », p. 388 et seq.

276 G. ÉTONNE

une simple coïncidence, mais comme présentant un rapport de cause à

effet avec des complications dans le développement de ces organes,

A ces interprétations, je dois opposer la même objection que plus haut :

c'est que bon nombre de nscvi, et en particulier mes huit cas personnels,

ne siègent pas au niveau des lignes de Voigt. Ces hypothèses n'ont donc

pas, en tout cas, une portée générale.

Cependant il faut reconnaître que dans un certain nombre d'observa-

tions, la disposition des noevi paraît bien concorder avec l'orientation des

lignes de Voigt, notamment dans celles de Philippson, Pétersen, IVIÜIIer,

Galewsky.

Il y a donc lieu de reconnaître deux groupes de faits :

1° Ceux dans lesquels le mcvus occupe le territoire d'un nerf, ou son

trajet;

2° Ceux dans lesquels le noevus occupe la zone intermédiaire entre deux

territoires nerveux voisins.

Mais dans l'un comme dans l'autre cas, l'anomalie congénitale doit être

attribuée à un trouble dans le développement embryologique de la peau.

Quelle peut être la cause de ce trouble de développement ?

Il y a hypertrophie de divers éléments cutanés, crêtesépithéliales,pigmen t,

vaisseaux, glandes...; on conçoit que l'excitation anormale des nerfs trophi-

ques puisse le déterminer, excitation anormale due à une lésion des nerfs

périphériques, à une véritable névrite intra-utérine. Au contraire, on peut

concevoir encore, avec Recklinghausen, que la suppression de l'influx

nerveux sur la nutrition cutanée puisse déterminer des troubles trophi-

ques neuro-paralytiques aboutissant à l'hypertrophie de certains éléments,

les papilles par exemple. Et la névrite pourrait aussi intervenir par ce mé-

canisme. Quant à l'étiologie de cette névrite foelale,hypothétique mais pos-

sible, nous savons qu'une maladie infectieuse maternelle peut soit infecter

soit intoxiquer le foetus, dont les-organes sont des plus sensibles dans ces

premiers moments du développement. Il est donc possible qu'une infection

maternelle, infection relativement bénigne, grippe, angine, l'une de ces

infections d'un jour, insuffisante pour provoquer l'interruption de la gros-

sesse et la mort du foetus, soit suffisante pour déterminer chez lui une né-

vrite dont la répercussion se traduira plus tard par un nmvus.

Peut-être aussi pourrait-on faire jouer un rôle à l'inloxication foetale

résultant des troubles digestifs si fréquents chez la femme enceinte.

Cette hypothèse d'une névrite foetale peut expliquer un grand nombre

de cas, que l'action hyperlrophiante s'exerce sur tout le territoire du nerf

atteint, ou plus activement à ses limites, aux lignes de Voigt.

DES NTVI DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 'Î7

Mais il existe des noevi plus complexes difficiles à interpréter par ce

mécanisme. Ce sont notamment :

1° Les noevi dans lesquels les territoires de plusieurs nerfs sont intéres-

sés d'un seul côté (Muller, Pétersen, 3e observ. de Spietcliska, Hallopeau).

2° Les noevi constitués par des placards médians formés de deux por-

tions symétriques, comme dans l'observation suivante :

Observation IX.

Nouveau-né du sexe masculin, pesant 2900 gr., bien constitué.

L'enfant porte, à la région interscapulaire un vaste noevus pigmen-

taire plan, de couleur brun chocolat, mesurant 5 centimètres de dimen-

sion transversale, et 3 centim. 5 de hauteur au niveau de la colonne ver-

tébrale. Ce noevus, rigoureusement médian, est constitué par deux parties

symétriques, s'élargisssant en forme d'aile de papillon de chaque côté de

la colonne vertébrale, niveau où sa hauteur atteint son minimum, ces

deux ailes étant exactement superposables en pensée.

La mère, primipare, âgée de 19 ans, est bien constituée. Pas trace de

syphilis. Aucun cas analogue dans la famille.

Tuberculose pulmonaire au début, se manifestant déjà par de l'expira-

tion souillée au sommet droit, et de l'inspiration rude à gauche. A noter

encore que depuis le 3° mois de sa grossesse, la mère a présenté une pig-

mentation extrêmement prononcée de la peau.

3° Les nævi croisant plus ou moins obliquement plusieurs territoires

nerveux.

En effet, dans les premiers cas, il est difficile de comprendre une né-

vrite qui intéresserait systématiquement une série unilatérale de nerfs;

de même, dans le second cas, une névrite intéressant une série symétri-

que de nerfs.

Au contraire, ces na;vi successifs ou symétriques peuvent s'interpréter

par l'hypothèse d'une myélite intra-utérine. Et que l'on n'objecte pas la

localisation excessive, la ténuité de la lésion, puisque l'on sait que préci-

sément dans le premier âge les altérations de quelques cellules médul-

laires, des cornes antérieures par exemple, sont fréquentes, la paralysie

infantile ne portant souvent que sur quelques muscles. On a actuelle-

ment tendance à admettre la systématisation illtra-médullaire des fibres

constitutives des nerfs périphériques; d'où découle la possibilité de la

manifestation,suivant le territoire nerveux périphérique, de lésions médul-

laires intéressant son faisceau pendant son trajet dans la moelle.Plusieurs

de ces faisceaux médullaires voisins, déjà systématisés, peuvent être inté-

ressés par une même plaque de myélite, d'où altérations trophiques se

278 G. ÉTIENNE

manifestant par une série successive de nævi (cas de 8.vietchska, etc.).

S'il s'agil de naevi symétriques, on peut admettre une plaque de myélite

intéressant un segment de la moelle.

Selliorst déjà avait présenté une origine médullaire de navi, les attri-

buant à une lésion des cornes postérieures de la moelle.

Restent les nfovi croisant obliquement plusieurs territoires nerveux. Il

y a défaut de superposition entre les troubles trophiques et les régions

nerveuses. Ici, il semble que l'on puisse faire intervenir la théorie méta-

mérienne de Ross, Thornbull, Head appliquée par Brissaud (1) et

Achard (2) aux zona, ainsi que Pécirka Taxait déjà prévu quand il écri-

vait : « Les naevi linéaires sont une prononciation de la constitution

segmenlaire du corps », et plus loin : « Les lignes de démarcation de

Voigt, soumises à quelques corrections, sont aussi une manifestation de la

segmentation du corps. »

On sait que le métamère est toute portion de l'être encore fragmentaire

possédant en soi l'ensemble des propriétés de l'être achevé ; il a, notam-

ment, un appareil nerveux central, le neurotome, pourvu d'une paire

rachidienne formée de deux nerfs symétriques correspondant à un étage

périphérique du même niveau ; mais, au cours du développement, lors de

l'ascension relative de la moelle, il s'établit une discordance de niveau

entre le neurotome et le territoire périphérique qui primitivement lui

correspondait; néanmoins, chaque étage périphérique reste relié à un

étage spinal déterminé par ses nerfs sensitivo-trophiques devenus obli-

ques. Que survienne maintenant, lors du développement, une lésion de

cet étage spinal, une myélite, elle pourra se manifester obliquement sui-

vant le trajet des nerfs de connexion,' en croisant d'autres territoires ner-

veux apparents, par des troubles trophiques.

Cette interprétation des anomalies de développement cutané sous l'in-

fluence d'une névrite ou d'une myélite, trouble des nerfs périphériques

ou de la moelle, paraîtra plus possible encore si l'on se rappel le que d'une

part la peau et ses annexes, poils, glandes sébacées et sudoripares, et

d'autre part le névraxe, ont la même origine, se développant aux dépens

(1) BRISSAUD. La métamérie spinale et la distribution périphérique du zona. Bulle-

tin médical, 1896, p. 89 ; Le zona du tronc et sa topographie. Bulletin médical, 1896,

p. 27 ; Sur la distribution métamérique du zona des membres. Presse médicale, 1896,

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stéroïde sur le tronc. Gazette hebdomadaire, 1896, p. 361.

DES NtEVf DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES TERRITOIRES NERVEUX 219

de l'ectoderme ; et les nerfs, originaires du névraxe dont ils sont une ex-

pansion, sont donc aussi, comme les téguments, de formation ectodermi-

que, mais des formations en quelque sorte de seconde main, comme dit

Feindel (1).

Au moment du développement de l'individu les troubles du côté de

l'appareil nerveux se répercutent donc tout naturellement du côté des élé-

ments cutanés.

EN résumé, les naevi, reconnaissant pour origine une lésion nerveuse

intra-utérine, peuvent être attribués à une lésion du neurone sensitif

direct, altéré dans l'une quelconque de ses parties contituantes : 4 gazz-

glion rachidien ou prolongement périphérique ; on a alors la névrite pouvant

expliquer les naevi développés sur le territoire d'un nerf anatomiquement

précisé ; 2° prolongement central ou radiculaire postérieur, myélite expli-

quant les nævi sériés, les nævi symétriques et les naevi obliques.

Peut-être pourrait-on poursuivre plus loin encore cette recherche as-

cendante des étages nerveux pouvant être intéressés et pouvant déterminer

l'apparition des noevi; peut-être pourrait-on se demander si des centres

supérieurs n'interviennent pas aussi dans leur genèse. C'est une hypo-

thèse dont on ne peut se défendre à la vue de certains naevi de la face,

quand on les compare à cet autre trouble de pigmentation dont la dispo-

sition est si singulièrement systématisée, le chloasma des femmes en-

ceintes.

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Depuis lors, j'ai eu communication de la très intéressante thèse de M. Feindel sur la

neurofibromatose ; je suis heureux de me trouver sur tous ces points en communauté

d'idée avec lui. Enfin, ce travail était sous presse lorsque parut la note de \191. Hallo-

peau et Weil sur les localisations métamériques des naevi zoniformes (Société de Der-

matologie, 26 avril 4897).

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x 20

NOTE

SUR L'ASYMÉTRIE CRANIO-FACIALE

DANS L'HÉMIPLÉGIE SPASMODIQUE INFANTILE

PAR

M. CH. FÉRÉ

Médecin de Bicètre.

L'arrêt de développement du crâne et de la face dans l'hémiplégie in-

fantile présente des variétés considérables : il peut être très marqué ou

faire complètement défaut. Lorsqu'on l'étudié sur plusieurs séries d'hémi-

plégiques on la trouve presque constante dans l'une, rare dansl'autre; aussi

l'opinion des auteurs varie-t-elle sur sa fréquence : dans un travail ré-

cent, Spiller affirme ne l'avoir trouvée qu'une fois sur 23 cas (1).

M. P. Marie dit que dans quelques cas, il y a une atrophie plus ou

moins prononcée de la face (2). D'après la première série de faits que j'ai

examinée (3), j'ai admis que la face participe généralement à l'hémiatro-

phie. J'avais déjà noté antérieurement la fréquence de l'asymétrie chro-

matique de l'iris et l'asymétrie pupillaire (4). Dans un travail fait sous la

direction de M. Bourneville, M. Retrouvey (S) déclare que « la face est

aussi souvent déformée ; les fentes palpébrales sont inégales ; le globe de

l'oeil est quelquefois plus petit du côté atteint ; à l'inégalité des pommet-

tes s'ajoute une différence dans l'épaisseur des joues et une asymétrie entre

.les sillons naso-labiaux et les commissures des lèvres. Les oreilles souvent

sont d'inégale grandeur ; le palais est à peu près constamment asymétri-

que, etc. ».

(1) Wm. G. Spiller. A clinical study of infantile hémiplegia (The journ. of nervus.

of mental diseases, january, 1897).

(2) P. Marie. Article Hémiplégie spasmodique infantile (Dict. encycl. des sciences

médicales, 1884, 4° série, t. XIII, p. 219).

(3) Ch. Féré. Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 31.

(4) Cii. Féré. De l'asymétrie chromatique de l'iris considérée comme stigmate névro-

pathiqne (stigmate iridien) (Progrès médical, 1886, p. 802).

(5) A. Retrouvey. Contrib. d l'étude de l'hémiplégie spasmodique infantile. Th. 1891,

p. 14.

L'ASYMÉTRIE CRANIO-FACIALE DANS L'HÉMIPLÉGIE SPASMODIQUE INFANTILE 283

Beaucoup d'asymétries passent inaperçues faute de mesures. Le compas

et le mètre permettent souvent de mettre en lumière des différences qui

échappent à l'examen le plus méticuleux : dans l'étude de l'atrophie des

membres dans l'hémiplégie infantile ils m'ont déjà rendu des services (1).

Leur application est malheureusement limitée par la difficulté de déter-

miner avec sécurité des points de repère sur le vivant. En ce qui con-

cerne le crâne, la difficulté est encore plus grande qu'on ne pourrait le

croire au premier abord : un grand nombre des hémiplégiques infantiles

sont épileptiques ; ils se font fréquemment dans leurs chutes des contu-

sions sur les parties saillantes et il s'ensuit des déformations qui mas-

quent ou exagèrent les asymétries.

Cependant après de nombreux tâtonnements j'ai adopté la mesure de

trois dimensions qui me paraissent de nature à fournir quelques rensei-

gnements utiles ; cette étude m'a d'ailleurs procuré l'occasion d'observer

quelques faits qui à eux seuls me paraissent mériter l'attention.

J'ai fait ces observations sur quinze hémiplégiques infantiles qui se

trouvaient ensemble dans mon service. Les trois dimensions étudiées

sont :

1° Lé diamètre antéro-postérieur de la tête mesuré de la protubérance

occipitale externe aux deux bosses frontales. Si le point de repère unique

postérieur ne permet pas d'apprécier avec précision les dimensions réelles

mais il a l'avantage d'être précis et permet de mettre en relief la diffé-

rence latérale quand elle existe.

2° Les dimensions de l'orbite mesurés suivant le diamètre transversal et

vertical de sa base, sont assez variables (2), mais elles sont à peu près

symétriques chez les individus normaux. Le diamètre vertical est parti-

culièrement accessible sur le vivant parce que les bords de l'orbite sont

recouverts de parties molles très peu épaisses : sa longueur comparée des

deux côtés peut donc fournir un caractère utile. On prend pour point de

repère la partie la plus déclive du bord inférieur de l'orbite et on me-

sure la distance au bord supérieur dans le plan vertical.

3° La troisième dimension étudiée concerne la mandibule qui a été

mesurée de la saillie latérale du menton à l'angle de la mâchoire.

Les mesures se trouvent résumées dans le tableau suivant :

(1) Ch. Féré. Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 32. - Note sur l'arrêt de

développement des membres dans l'hémiplégie cérébrale infantile et sur ses analogies

avec des malformations réputées congénitales (Revue de médecine, 1896, p. 115). -

Les proportions relatives des os du bras chez les hémiplégiques infantiles et les dégé-

nérés (C. R. Soc. de Biologie, 1897, p. 7).

(2) Paul Broca. Recherches sur l'indice orbitaire (Revue d'anthropologie, 1875, p. 577).

284 . Cil. FÉRÉ

L'ASYMÉTRIE CRANIO-FACIALE DANS L'HÉMIPLÉGIE SPASMODIQUE INFANTILE 285

dû à un arrêt de développement de l'orbite et des os de la face avec asy-

métrie de la voûte palatine.

L'atrophie du maxillaire inférieur peut encore entraîner une autre

déformation : lorsque l'arrêt de développement porte surtout sur le corps

de l'os, l'angle de la mâchoire fait une saillie au-dessous du bord infé-

rieur de l'os. Cette saillie conique plus ou moins considérable peut être

limitée en avant sur le bord inférieur de l'os par une dépression en fossette :

la saillie et la fossette ressemblent en tout point à ce qu'Albrecht a décrit

sous les noms d'apophyse et d'échancrure lémurienne (1). Cette déforma-

tion qui est fréquente chez les dégénérés (2) a été considérée bien à tort

comme un caractère d'atavisme ; on voit en effet qu'elle peut être liée à un

arrêt de développement et être unilatérale. Chez les dégénérés d'ailleurs

elle coïncide souvent avec des anomalies d'implantation ou la caducité

des dents, qui n'ont rien à faire avec l'atavisme. Les vices d'implantation

des dents et leur caducité se rencontrent aussi chez quelques hémiplégi-

ques à atrophie facile : on trouve les deux particularités réunies chez

trois de mes malades. '

Bien que le tableau indique une diminution relative plus grande pour

les dimensions de l'orbite que pour les dimensions de la mandibule on

n'observe pas chez les hémiplégiques une diminution proportionnelle du

volume des os de la mâchoire supérieure et on n'observe pas chez eux en

général le changement de rapport des arcades dentaires qu'on voit assez

souvent chez les dégénérés.

M. Camuset (3) a insisté sur la fréquence de l'absence de chevauche-

ment normal de l'arcade dentaire supérieure chez les aliénés : absence

qu'il rencontra chez eux 20 fois pour 100 tandis qu'elle n'existait que

2 fois chez des sujets normaux. Sur 152 épileptiques non déformés par

l'absence de dents que j'ai observés à ce point de vue 107 seulement avaient

la disposition normale (70, 39 0/0) et 35 présentaient l'absence de che-

vauchement de l'arcade supérieure (23, 02 0/0). Chez 18 (11, 84 0/0),

il y avait saillie égale des deux arcades et chez 17 (11, 18,0/0) le maxil-

laire inférieur dépassait en avant. La saillie excessive du maxillaire supé-

rieur ne se trouvait bien marquée que chez dix sujets (6, 57 0/0). Ce mi-

crognatisme coïncidait neuf fois avec l'existence d'apophyses lémuriennes

bien marquées.

(1) Actes du Congrès d'anthropologie criminelle de Rome, 1885, p. 106.

(2) Ch. Féré. Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 366.

(3) Camuset. De l'absence de chevauchement habituel de la partie antérieure des ar-

cades dentaires comme stigmate de dégénérescence (Ann. méd psych., 1894, le série

t. XX, p. 361). - V. Giuffrida-Ruggeri, Intorno (ilpaccavalameizio delle m'ca te dentarie

e alla profatnia inferiore (Rev. sperim. di freniatria, 1891, vol. XXIII p. I).

286 CH. FÉRÉ ,. ' - ? -

A côté de l'apophyse lémurienne l'hémiplégie infantile paraît encore

capable de reproduire d'autres anomalies soi-disant ancestrales.

L'anthropologie criminelle a attaché une grande importance à la défor-

mation du pavillon de l'oreille dite en anse qui est caractérisée par un écar-

tement du pavillon et prend quelquefois une forme de conque. La ressem-

blance avec une oreille d'animal s'accentue lorsqu'il existe vers l'union

du bord supérieur et du bord postérieur de l'hélix plus ou moins atrophié

une pointe, une irrégularité du fibro-cartilage qu'on a appelé le tubercule

de Darwin, bien que Darwin ne lui ait pas attaché grande importance et

ne l'aitpas d'ailleurs découvert lui-même (1). Cette malformation ne pou-

vait pas manquer d'être considérée comme atavique. Pourtant on voit sou-

vent à la périphérie de l'hélix déroulé des nodules multiples qui trahis-

sent une anomalie de développement et n'ont aucune parenté avec l'oreille

des singes (2) : un nodule isolé ne peut guère avoir une autre valeur;

mais la théorie ancestrale tient bon (3). Les quatre photographies ci-

jointes (Pl. XXIX) représentent deux hémiplégiques infantiles à gauche

dont l'oreille du côté hémiplégique est plus écartée de la tête, est plus

allongée grâce au déplissement de l'hélix qui dans un cas présente sur son

bord des nodosités multiples qui ne sont pas sans analogies avec ce qu'on

désigne sous le nom de pointe de Darwin. La figure V du mémoire de Spil-

ler montre un écartement notable de l'oreille du côté de l'hémiatrophie ;

cette déformation qui n'a pas attiré l'attention de l'auteur mérite d'être

rapprochée de celles que je signale.

Si certaines disproportions ou malformations de la face et des membres

peuvent être provoquées à une époque déjà avancée' de l'évolution par

une lésion cérébrale c'est qu'elles n'ont pas de lien nécessaire avec l'ata-

visme à longue portée. Il n'y a pas de lien nécessaire non plus entre ces

mêmes disproportions et malformations avec l'atavisme quand on les ren-

contre chez des dégénérés (4).

1) Ch. Darwin. La descendance de l'homme, 1873, t. I, p. 21.

(2) Cu. Fritz. La famille névropalhique, théorie tératologique de l'hérédité et de la

prédisposition morbides et de la dégénérescence, 1894, p. 261.

(3) Demoor, Massart et Vandervelde. L'évolution régressive en biologie et en sociolo-

gie, 1897, p. 113.... 1

(4) Chez les deux hémiplégiques gauches qui sont représentés le tourbillon des che-

veux est fortement dévié à droite, il en est de même chez cinq autres hémiplégiques

gauches. Chez les deux derniers le tourbillon reste sur la ligne médiane, et chez les

six hémiplégiques droits il est dévié aussi à droite ou sur la ligne médiane. Dans les

cas d'hémiplégie gauche la déviation à droite ne peut pas être attribuée à une exten-

sibilité anormale de la peau du côté gauche car chez les sujets normaux la^déviation

à droite est beaucoup plus fréquente (62 0/0) que la déviation' à gauche (23 0/0) comme

je l'ai montré ailleurs (Nouv. recherches sur la topographie c1'ânio.cérébmle. Revue

d'Anthropologie, 1881, p. 483).

ASYMETRIE CRANIO-FACIALE

Che/. deux hémiplégiquL's inf.11ltiks il g.tlIche.

MASSON & Cie, Editeurs

PATHOGÉNIE ET PROPHYLAXIE

DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS

DES HÉMIPLÉGIQUES

PAR

GILLES de la TOURETTE,

Professeur agrégé, médecin des hôpitaux.

L'atrophie musculaire des hémiplégiques a, depuis longtemps, attiré

l'attention des observateurs. Signalée expressément par Todd et Romberg,

bien étudiée par Charcot et Brissaud, elle a été l'objet de nombreuses in-

terprétations, que MM. Joffroy et Achard rangeaient, en 1891 (Arch. de

méd. expériment.), sous trois chefs : lésions des cornes antérieures de la

moelle (Charcot, Hallopeau, Leyden, Pitres, Pierret, Brissaud); lésions

exclusivement limitées aux nerfs périphériques (Dejerine) ; absence de

toutes lésions visibles des cornes antérieuresetdesnerfs (Babinski, Quincke,

Eisenlohr, etc.). MM. Joffroy et Achard concluaient à l'altération dynami-

que des cellules motrices, sous l'influence de la sclérose descendante du

faisceau latéral.

Notre intention n'est pas de discuter ces diverses pathogénies : elles

nous ont semblé trop nombreuses pour répondre à des faits qui, en clinique,

se présentent toujours sous le même aspect, et, partant, doivent reconnaître

la même cause.

Nous désirons proposer une interprétation univoque, et nous pensons

que, si les auteurs avaient été moins préoccupés de remonter à la lésion

anatomique et s'étaient astreints en particulier à étudier de plus près la

répartition de l'amyotrophie, leurs opinions eussent été beaucoup moins

divergentes. Nul doute qu'ils ne fussent arrivés aux conclusions que nous

allons exposer.

Notre opinion est faite, depuis plusieurs années, sur l'atrophie muscu-

laire des hémiplégiques, et aussi sur les douleurs que présentent souvent

ces malades, qui sont des phénomènes connexes. Mais, désireux de

montrer que les faits sur lesquels elle s'appuyait, recueillis un à un, n'é-

taient pas dus aux hasards heureux de la clinique, nous avons, du 20 au

24 mars 1897, recueilli à ce point de vue les observations des 20 hémi-

288 GILLES DE LA TOURETTE

plégiques qui se trouvaient à cette époque dans noire service de l'hôpital

Hérold, et voici ce qu'elles nous ont appris.

Abandonnée à elle-même, l'hémiplégie d'origine cérébrale, la seule

que nous considérions, révélant, on peut dire toujours, au bout d'un cer-

tain temps, le caractère spasmodique, s'accompagne constamment d'atrophie

musculaire. Par atrophie, nous entendons une diminution très marquée

du volume des muscles, abaissant, par exemple, de 2 centimètres au moins

la circonférence du membre touché. Il faut savoir, en effet, qu'en absence

et en dehors de cette atrophie, qui saute aux yeux lorsqu'elle existe, les

muscles des membres hémiplégies subissent toujours, par le fait même de

leur impotence, au moins partielle, un amaigrissement qui diminue de

1 centimètre, en moyenne, la circonférence du membre. Cet amaigrisse-

ment diffère complètement de l'amyotrophie que nous allons étudier, et

cette différence s'impose immédiatement, lorsqu'on compare la localisation

en territoires de l'atrophie avec la généralisation constante de l'amaigrisse-

ment.

L'amyotrophie est donc, nous le répétons, constante, lorsque l'hémiplé-

gie est abandonnée à elle-même, ce qui est le cas pour les malades des

hôpitaux, qui, indigents, mal soignés chez eux, nous arrivent pour être

placés dans les services d'incurables.

Elle existait chez 17 des 20 malades que nous avons examinés, et les

3 autres n'y avaient échappé que grâce à un concours heureux de circons-

tances dont nous aurons soin de parler.

Considérés en bloc, nos 20 malades ont été divisés en trois groupes.

Dans le premier, comprenant 10 sujets, l'atrophie se limitait à certaines

régions du membre supérieur paralysé; le membre inférieur restait in-

demne.

Dans le second, comprenant 7 sujets, l'atrophie existait à la fois au

membre supérieur et au membre inférieur.

Dans le troisième, comprenant 3 sujets, l'atrophie musculaire n'existait

pas.

Examinons les 10 malades du premier groupe, dont les observations

suivent.

10r GROUPE. Arthrites avec AMYOTHOPUIE LIMITÉES au membre

SUPÉRIEUR. 10 MALADES.

OBS. L - Hémiplégie droite, ankylosé de l'épaule,

- amyotropiiie deltoidienne.

L. Lef..., femme, soixante-six ans, hôpital Hérold, salle D, n° 12. Hémi-

plégie droite spasmodique et aphasie depuis 1893. Demi-ankylose et craque-

DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 289

ments de l'épaule droite. Amyotrophie surtout deltoïdienne avec adipose mar-

quée in situ. Circonférence : bras droit, 27 centimètres ; bras gauche, 29. Se

sert assez bien de l'avant-bras et de la main, pas d'ankylose du opude ou du

poignet ; pas d'atrophie.

Membre inférieur droit; marche..Ni ankylose ni atrophie.

OBS.11. Monoplégie brachiale droite : ankylose, arthrite végétante de l'épaule ;

atrophie musculaire.

Pic..., soixante-dix ans, homme, hôpital Hérold, salle B, ne 23. Aphasie.

Monoplégie brachiale droite avec contracture datant du mois d'octobre 1890.

Arthrite végétante de l'épaule droite. La tête humérale fait une saillie mar-

quée ; douleurs spontanées et provoquées. Ankylose presque complète. L'aug-

mentation de volume des surfaces articulaires masque en partie l'atrophie

deltoïdienne. Circonférence : bras droit, au niveau de l'aisselle, 2o cent. 1/2 ;

bras gauche, 27 centimètres.

Flaccidité des muscles de l'avant-bras, sans atrophie marquée ; pas d'arthrite

du coude ni radio-carpienne. Réflexes très exagérés.

t

ails. III. Hémiplégie droite, ankylose scapulo-humérale absolue, amyotropiiie,

adipose limitée au domaine, atrophié.

Chart. J..., femme, quarante-sept ans, hôpital llérold, salle D, n°38. Hémi-

plégie droite spasmodique avec aphasie depuis 1893. Avant-bras fléchi sur le

bras collé au tronc. Ankylose absolue de l'articulation scapulo-humérale. Ab-

sence de douleurs spontanées. Adipose très marquée le long du trapèze, au

niveau du grand pectoral, de la région deltoïdienne, s'étendant un peu sur la

face externe du bras, masquant l'atrophie sous-jacente. Circonférence : bras

droit, 27 centimètres; bras gauche, 27 centimètres.

Quelques craquements dans l'articulation du coude sans ankylose, un peu

d'amyotrophie sans adipose.

Doigts fléchis dans la main, mais réductibles sans arthrite ; pas d'atrophie.

Membre inférieur droit spasmodique, sans arthrite ni atrophie ; marche.

Cas. IV. Hé1n1]Jlégie gauche, ankylose de l'épaule, atrophie des muscles -de la

ceinture scapulaire.

Mong. A..., femme, hôpital Hérold, salle D, n° 28. Hémiplégie gauche spas-

modique datant de 1896 ; peu de contracture. Demi-ankylose de l'articulation

scapulo-humérale, atrophie des muscles de la ceinture scapulaire, deltoïde sur-

tout. Circonférence, au niveau de l'aisselle : bras gauche, 26 centimètres ; bras

droit, 28 centimètres. Les autres articulations du membre supérieur sont li-

bres ; pas d'atrophie.

Marche conservée. Rien au membre inférieur gauche, si ce n'est un amai-

grissement de 1 centimètre, sans adipose.

290 GILLES DE LA TOURETTE

OBs. V. Hémiplégie droite et ankylose, atrophie des muscles de l'épaule.

Anna R,,\, femme,- cinquante sept aus,.Iôpital.tIérold, salle E, n° 11. Hé-

miplégie droite spasmodique depuis 1891 ; contracture marquée. Ankylose

douloureuse de l'articulation scapulo-humérale. Atrophie des muscles de l'é-

paule ; adipose très marquée, Circonférence : bras droit, 32 centimètres ; bras

gauche, 3. Rien à l'avant-bras ni au membre inférieur; marche. ! , '. i 1

OBS. VI. - Hémiplégie droite ; demi-ankylose de l'articulation scapulo-/l1lmé-

rale, atrophie du deltoïde. Disparition des douleurs sous l'influence de la mo-

bilisation, i i ? » ? '. » ,

111. Leb..., ! yuarante-quatre ans, hôpital Hérold,, salle D, n° 5. Hué-

M. Leb..., femme, quarante-quatre ans, hôpital Hérold, salle D, n° 25. Hé-

miplégie droite spasmodique datant de 1893, aphasie. Atrophie musculaire

marquée au niveau du deltoïde, adipose locale. Demi-ankylose de l'articulation

scapulo-humérale. Circonférence au niveau de l'aisselle : bras droit, 29 centi-

mètres ; bras gauche, 30 centimètres. Les autres articulations du membre su-

périeur sont libres ; p'as d'atrophie, si ce n'est un amaigrissement sans adipose

des muscles de l'avant-bras. Circonférence : avant-bras droit', 22 ; avant-bras

gauche, 23. La malade dit, spontanément, avoir ressenti des douleurs au niveau

de l'articulation scapulo-humérale droite; celles-ci ont cessé il la suite de la

mobilisation incomplète qu'elle effectua elle-même ?

La malade marche; rien au membre inférieur droit.

OBS. VII. - Hémiplégie gauche; ankylose de l'épaule, amyotrophie.

Bl. Cau..., femme, quarante et un ans, hôpital Hérold, salle E, n° 39. Sy-

philis vaccinale, hémiplégie gauche 'spasmodique depuis 1893. Flexion de

l'avant-bras sur le bras ; flexion des doigts. Ankylose douloureuse de l'articu-

lation scapulo-humérale, amyotrophie des muscles de la ceinture scapulaire.

L'atrophie du biceps est masquée par de l'adipose localisée. Circonférence :

bras gauche, 26 ; bras droit, 26 au niveau de l'aisselle. Arthrite légère de l'ar-

ticulation du coude ; avant-bras gauche, 22 ; droit, 23.

Membre inférieur gauche, trépidation spinale; pas d'atrophie ni d'arthrite;

marche. ,' ' ! \

Cas. VII. - Hémiplégie gauche. Ankylose de l'épaule de l'articulation métacar-

po phalangienne du pouce. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire et

du thénar. " , ', v

CI. Nic..., femme, soixante-deux ans, hôpital Hérold, salle E, n° 17. Hémi-

plégie gauche spasmodique datant de deux mois. Ankylose douloureuse de l'ar-

ticulation scapulo-humérale. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire.

et surtout du deltoide. Circonférence; bras gauche, 19; bras droit, 21. Ar-

thrite de l'articulation-métacarpo : pha.langieîúiëdüpÓuce ? 3dophie du premier

espace interosseux et du thénar.

Rien au membre inférieur ; marche.

HÉMIPLÉGIE GAUCHE. ARTHRITE DE L'EPAULE, ATROPHIE MUSCULAIRE

MASSON & lt, 1-utcUe.

DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 291

Oss. IX. Hémiplégie gauche. Arthrite avec ankylose de l'épaule et du poignet.

Atrophie musculaire (PI. XXX).

Cho..., homme, soixante-deux ans, hôpital Hèrold, salle A, n° 12. En 1892,

chancre induré suivi d'accidents secondaires. Septembre 1896, hémiplégie

gauche sans paralysie faciale ; traitement spécifique non suivi d'amélioration.

Ankylose de l'épaule gauche limitant les mouvements à moitié course, atro-

phie très marquée du deltoïde et de tous les muscles de la ceinture scapulaire,

sauf le grand pectoral, qui n'est pas touché. Circonférence au niveau de

l'aisselle : bras gauche, 21 centimètres ; bras droit, 23 centimètres. Pas d'adi-

pose.

Douleurs de l'épaule gauche dans les mouvements provoqués ; douleurs

spontanées.

Arthrite de l'articulation radio-carpienne gauche. Atrophie des muscles de

l'avant-bras. Circonférence de l'avant-bras gauche : à 3 travers de doigt au-

dessous de l'olécrane, 19 cent. 1/2; à droite, 23 centimètres; légère atrophie

des interosseux. Pas de secousses fibrillaires. Début lent et progressif des ar-

thrites. Réflexes olécraniens et rotuliens exagérés.

Membre inférieur gauche. Réflexe rotulien exagéré. Flaccidité musculaire

sans atrophie ni arthrite concomitante. Le malade marche.

OBS. X. Hémiplégie droite. Ankylose de toutes les articulations du membre

supérieur. Atrophie musculaire ; adipose.

Luc..., homme, soixante et onze ans, hôpital Hérold, salle C, ne 45. En

1892, hémiplégie droite spasmodique et aphasie. Contracture intense, avant-

bras fléchi sur le bras; poignet en flexion permanente sur le bras, main en

griffe.

Ankylose douloureuse de l'épaule, du coude, du poignet avec subluxation

des articulations des doigts. Atrophie musculaire très marquée dans les trois

segments du membre supérieur droit. Circonférence du bras au niveau de la

ligne axillaire : 27 cent. 1/2 à droite; 30 centimètres à gauche. Encoche il la

place du biceps. Exagération des creux sus et sous-épineux, sus-claviculaire.

L'atrophie est en partie masquée par une adipose sous-cutanée dans la région

deltoïdienne. On retrouve l'adipose à la partie supérieure de l'avant-bras, le

long du tiers supérieur du radius, masquant l'atrophie à ce niveau. Méplats

très accentués au niveau du tiers supérieur de l'avant-bras. Atrophie en masse

de tous les muscles de la main. Le malade marche en fauchant. Réflexes rotu-

liens très forts sans trépidation. Un peu de flaccidité musculaire sans atrophie

vraie.

Chez sept des sujets du premier groupe, l'atrophie portant sur le mem-

bre supérieur est limitée aux muscles de la ceinture scapulaire, se tradui-

292 GILLES DE LA TOURETTE

sant par des méplats deltoïdien, sus et sous-scapulaires, sous-claviculaire.

Dans les cas de cet ordre, le deltoïde est toujours le muscle le plus sévè-

rement touché, le grand pectoral, par contre, est celui qui paraît résister

le plus longtemps.

Ajoutons que pour la constatation de l'atrophie, il ne faut pas se borner

au seul examen visuel, le palper, la recherche de la contractilité à l'aide

de l'électricité sont nécessaires.

En effet, le muscle atrophié est souvent remplacé in situ par une masse

adipeuse, qui ne tend que rarement à dépasser les limites du territoire atro-

phié, car l'atrophie musculaire des hémiplégiques est, nous y insistons,

une atrophie en territoire.

Si les muscles de la ceinture scapulaire sont atrophiés, la palpation

révèle nettement, par exemple, une masse adipeuse à la place du deltoïde,

alors qu'elle permet de sentir intact ou simplement amaigri, sans adipose

sous-cutanée, le ventre du biceps qui pourtant avoisine directement le

deltoïde.

Phénomène de la plus haute importance et qui, à notre avis, éclaire

d'un jour nouveau la pathogénie de l'atrophie musculaire des hémiplégi-

ques, chez nos sept malades, l'atrophie des muscles de la ceinture scapu-

laire se superpose à une arthrite avec ankylose parfois complète de l'ar-

ticulation scapulo-humérale. On peut en inférer que leur atrophie est

d'origine articulaire, et ce qui corrobore cette opinion, c'est qu'elle reste

dans les limites trophiques de l'articulation lésée.

On sait, à ce point de vue, que chaque articulation commande un

certain nombre de muscles qui s'atrophient seuls, à l'exception des mus-

cles de voisinage, lorsqu'elle vient à être lésée.

Si nous ajoutons que les douleurs spontanées ou provoquées que res-

sentent ces malades dans le membre supérieur sont nettement localisées

par eux au niveau de leur articulation ankylosée, nous pourrons encore

conclure que, pour la plus grande part au moins, les douleurs des hémi-

plégiques sont également d'origine articulaire.

Cette pathogénie articulaire de l'amyolrophie est rendue encore plus

évidente par les trois dernières observations du premier groupe.

En effet, dans l'observation VIII, il existe une arthrite de l'épaule avec

amyotrophie des muscles de la ceinture scapulaire; les articulations du

coude et du poignet sont libres, les muscles du bras et de l'avant-bras ne

sont pas atrophiés. Mais on constate une ankylose de l'articulation méta-

carpo-phalangienne du pouce, et celle-ci coïncide avec l'atrophie des

muscles du premier espace interosseux et du thénar.

DE L'ATROPIIIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 293

Chez le malade de l'observation IX, atrophie des muscles de la cein-

ture scapulaire coïncidant avec une ankylose de l'épaule ; coude libre,

pas d'atrophie des muscles du bras; demi-ankylose du poignet, atrophie

des muscles de l'avant-bras et des quatre derniers espaces interosseux.

Chez le malade de l'observation X, ankylose de toutes les articulations

du membre supérieur paralysé, épaule, coude et main, atrophie muscu-

laire généralisée.

Chez les dix malades du premier groupe, l'atrophie est restée limitée

au membre supérieur.

Remarquons que chez eux le membre supérieur est impotent, pour

ainsi dire, que le membre inférieur est relativement valide, puisqu'ils

peuvent s'en servir pour marcher. C'est, du reste, la règle chez les hémi-

plégiques, que le membre supérieur soit plus sévèrement atteint, nous

dirions mieux dans la circonstance, soit moins mobile que le membre

inférieur. L'arthrite presque constante de l'épaule exagère singulière-

ment cette impotence.

(A suivre.)

LE GOITRE DANS L'ART

PAR

HENRY MEIGE.

Au nombre des difformités corporelles que les artistes ont cherché à

reproduire par amour du réalisme ou dans un but caricatural, il en est

une qui, dans les oeuvres d'art, se rencontre. exceptionnellement, bien

qu'elle ne soit pas rare dans la nature : je veux parler du goitre.

Si l'on trouve presque à profusion, dans les figurations artistiques, des

types de bossus, de nains, de rachitiques, des lépreux, des infirmes, des

aveugles, etc., par contre on ne peut citer qu'un nombre très restreint de

goitreux. Charcot et Paul Richer, dans leurs Difformes et Malades dans l'A rt

ont signalé incidemment une seule représentation du goitre. J'ai pu, jusqu'à

ce jour, en recueillir quelques exemples nouveaux, mais peu nombreux.

Pourquoi cette sélection dans le choix des difformités ? Un goitreux se-

rait-il donc déplacé dans un de ces cortèges de mendiants, éclopés, borgnes,

amputés ou culs-de-jatte, qui se pressent aux côtés des thaumaturges ou

s'entassent dans les OEuvres de miséricorde. Il semble qu'il puisse éveiller

en nous les mêmes idées de compassion, puisque en définitive tel est

le but de ces exhibitions morbides, - car devant la pitié toutes les maladies

devraient être égales. Or, dans cette catégorie d'oeuvres d'art, les goitreux .

ne figurent jamais.

En outre, il est curieux de remarquer que la difformité du goitre ne

tient qu'une place insignifiante parmi les éléments de comique empruntés

à la pathologie.

On sait que les bossus ont payé de tous temps un tribut considérable à

la caricature. Pourquoi le goitre qui n'est, en somme, qu'une sorte de bosse

du cou ne jouit-il pas du même privilège ? C'est peut-être parce que la vue

d'un bossu nous fait généralement sourire et que la rencontre d'un goitreux

ne provoque guère en nous que de la répulsion et du dégoût.

Or, s'il est vrai que le goitreux inspire de la répugnance plutôt que de

la commisération, cela suffit à expliquer son exclusion des phalanges de

malades et d'infirmes représentés uniquement pour exciter noire pitié.

Par contre, un goitre ne sera pas déplacé sur le cou d'un personnage

qu'un artiste veut s'efforcer de rendre déplaisant au plus haut point.

LE GOITRE DANS L'ART 295

Telle fut assurément l'intention d'Holbein le Jeune, lorsque, dans son

tableau de la Flagellation du Christ, il peignit un bourreau goitreux. La

lâche férocité de ce dernier est rendue plus odieuse encore par sa répu-

gnante infirmité.

D'autre part, dans les figurations burlesques où le goitre se trouve re-

présenté, on se rend compte que les artistes semblent n'avoir pas trouvé

des éléments comiques suffisants dans la reproduction de cette difformité

isolée. Ils.y ajoutent en général d'autres notes caricaturales sans lesquelles

l'effet grotesque ne saurait être obtenu.

En somme, quelle qu'en soit la raison, le goitre n'a pas joui, dans

l'Art, des mêmes faveurs que tant d'autres anomalies corporelles produites

par la maladie. Les figurations de goitreux sont donc d'autant plus inté-

ressantes à relever qu'elles sont très peu répandues.

Léonard de Vinci, dans ses dessins grotesques a figuré un goitreux

Charcot et Paul Richer ont signalé ce document (ri ? l). Selon eux « il il s'agit

. ü

très certainement d'un croquis fait sur nature d'après un crétin goitreux et

rig. 1. - Goitreux. Dessin grotesque de Léonard de Vinci.

296 HENRY MEIGE

dolichocéphale » (1). Cette affirmation est très défendable' : (lolieliocépliilie,

goitre et crétinisme pouvant marcher de parité. Le grotesque de Léonard

de Vinci est en effet dolichocéphale à l'excès et goitreux indiscutable-

men t.

Mais son visage est manifestement caricaturisé. D'ailleurs, dans la plu-

part des personnages grotesques dessinés par le maître italien, il semble

que celui-ci se soit inspiré des difformités naturelles et qu'il ait eu souci

de les reproduire exactement,'mais en accentuant aussi dans le sens cari-

catural les lignes qui lui paraissaient insuffisamment expressives. La na-

ture fournissait ainsi certains traits d'une image caricaturale dont l'artiste

exagérait ensuite les parties respectées par la difformité.

Ce crâne en pointe est une réminiscence d'une vision réelle, cette tu-

meur arrondie qui bombe sur les côtés du larynx est inspirée par le sou-

venir précis de quelque goitreux ; mais ce nez crochu et ces lèvres mons-

trueuses semblent bien les effets de la fantaisie d'un CI a) on, Le grotesque

de celle image 'dérive de l'alliance de difformités pathologiques aux capri-

ces de l'imagination.

Dans un tableau conservé au musée de B;\]e, et représentant la Fla-

gellation du Christ, Hans Holbein le Jeune (-1n97-lh31, a doté l'un des

bourreaux d'un double goitre.

L ensemble de la scène est d'un réalisme

cruel. Le Christ, entièrement nu, lié par

les mains el par la ceinture à la colonne de

supplice, se contracte sous la souffrance

et pousse des cris déchirants.

Deux vigoureux gaillards, musclés en

athlètes, et vêtus il la façon des soldats

allemands du XVI0 siècle, meurtrissent il

tour de bras la chair nue du condamné,

l'un avec un faisceau de verges, l'antre

avec un martinet de cuir, tandis qu'à la

porte du cachot un vieillard à longue barbe

coiffé d'un turban surveille l'exécution (2).

(1) Char cor et PAUL Riciiek. Les difformes et les

mccladns dans l'art, p. 38.

(2) Le corps du Christ est couvert de plaies. Si

Holbein a voulu figurer les blessures produites

par les instruments du supplice, son désir d'im-

pressionner vivement le spectateur lui a lait commettre une iaute contre la vente.

En effet, les.plaies qu'il représente ont l'apparence de pustules ou d'ulcérations qui ne

rig. 2. - Personnage goitreux dans

le tableau de Mans IIOL[11 : 1,r LI'

Jeune, la Flagellation du Christ

(Musée de Bâle).

LE GOITRE DANS L'ART 29"

Derrière la colonne, se tient un troisième bourreau, un genou en terre,

occupé à lier un paquet de verges. La tête relevée, il regarde le supplicié,

lui jetant à la face une bordée d'injures, en attendant qu'il soil en mesure

de le frapper à son tour.

C'est ce dernier personnage, dont le visage exprime déjà toute la gros-

sière férocité, qu'IIolbein a voulu rendre plus répugnant encore, en le do-

tant d'un double goitre (Fig. 2).

Deux grosses tumeurs arrondies pendent au bas de son cou, séparées l'une

de l'autre parla saillie laryngo-trachéale, celle de gauche descendant sur

la poitrine plus bas que celle du côté opposé.

Ce goUre bilobé est d'un incontestable réalisme.

Sur une peinture à la détrempe attribuée, non sans réserves, à Lucas de

Leyde (1594-1533), exposée dans la galerie artistique et historique de

Vienne (1) et représentant, sous une forme burlesque, une Tentation de

Saint Antoine, se trouve figuré un personnage colossalement goitreux. Les

dimensions excessives de la difformité et l'allure manifestement carica-

turale de la composition ne donnent à ce document qu'un intérêt secon-

daire au point de vue de la vérité pathologique. '

A Madrid; au musée de Prado, j'ai noté un tableau d'un peintre espa-

gnol du XVIIe siècle, presque inconnu en France, ESTEI3N MARcn, origi-

naire de Valence et mort en cette ville en 1660.

C'est le portrait en buste, grandeur naturelle, d'un vieillard, qui tient

dans la main une coupe de vin (2). Buveur incorrigible, 'à face enlumi-

née et rieuse, il a dégrafé le col de sa chemise. Un goitre monstrueux s'é-

tale sur son cou, descendant en cascades boursouflées jusque sur sa poi-

trine, goitre débordant, exubérant et truculent, jabot de chair qui semble

un réceptacle adventice réservé aux excessives libations.

Ce goitre est-il vraiment copié sur la nature ? Parfois on en rencontre

d'aussi volumineux ; mais ici le réalisme du peintre est sujet à caution.

E. Mardi semble se préoccuper surtout d'obtenir un effet impression-

nant, au détriment de la vérité naturelle. Un autre tableau de lui, au

sauraient passer pour récentes. La plupart sont entourées d'une aréole bleuâtre, indice

d'une mortification des tissus, qui s'observe sans doute dans la nature, mais qui, pour

se produire, nécessite un certain temps. Cet anachronisme pathologique est fréquent

dans la représentation des blessures dont les peintres allemands exagèrent souvent

l'horreur au détriment de la vérité.

(1) N- 658 du Catal.

(2) ? 783 du Catal. Pedro de Madrazo, 1893. H. 0,73. L. 0,62, T.

x 21

298 HENRY MEIGE

Prado, représente St-Onuphre (1), vieillard d'une maigreur ascétique

dont la figure, la poitrine et le cou sont creusés d'effrayants méplats que

brident de maigres cordes musculaires. Cette anatomie est d'une sincérité

bien douteuse. Les reliefs osseux, les muscles, la trachée, affectent entre

eux des rapports trop fantaisistes pour avoir été inspirés par l'étude d'un

modèle vivant.

Esteban March qui s'est permis de peindre un émacié avec tant de dé-

sinvolture anatomique n'a pas dû donner beaucoup plus d'attention à la

peinture de son goitreux.

A vrai dire, le goitre n'étant pas soumis aux lois morphologiques de

l'ossature et de la musculature, se prête plus aisément aux fantaisies de

l'invention. C'est pourquoi ce vieux buveur, même s'il n'est pas un por-

trait fait d'après nature, possède un goitre bien naturel cependant. Faute

de se montrer copiste véridique, E. March a fait preuve d'une inspiration

pathologique tout au moins vraisemblable.

Récemment, j'ai mis la main sur une gravure émargée et sans signa-

ture, représentant, selon toute vraisemblance, un bouffon attaché à quel

que cour princière (Fig. 3).

Le bonnet qui le coiffe et la fraise qu'il porte autour de son cou autori-

sent cette conjecture.

Ce personnage pourrait prendre place parmi les figurations de goitreux.

Il possède en effet de chaque côté du cou, deux tumeurs mamelonnées qui

semblent se rejoindre sur la ligne médiane.

Cela peut être un goitre. Mais les deux appendices qui se détachent des

angles de la mâchoire inférieure, comme deux favoris charnus, peuvent

tout aussi bien représenter d'autres tumeurs du cou, solides ou liquides,

lipomes ou kystes, dont les exemples ne sont pas d'une grande rareté.

L'essentiel est de remarquer' qu'elles diffèrent notablement, et par leur

forme et par leur point d'adhérence, des figurations de goitres que nous

avons déjà rencontrées.

Remarquons aussi que le visage de ce bouffon, déjà rabougri et d'aspect

rachitique, est encore criblé de petites tumeurs arrondies, sortes de ver-

rues armées de poils longs et rudes, éparses sur les joues, le nez, les lèvres

le menton, et même envahissant les deux tumeurs.

La présence de ces excroissances verruqueuses sur le visage, leur forme

et leur répartition, nous ont fait songer à une maladie entrée depuis peu

dans les cadres nosographiques sous le nom deneurofibromatose. Prétendre

(1) N 786 du Catal.

, LE GOITRE DANS L'ART 299

la diagnostiquer avec certitude par la simple inspection d'une image qui,

vraisemblablement, n'avait pas une destination scientifique, ce serait ou-

trepasser les limites permises à la critique médicale des oeuvres d'art. Du

moinspeut-on, en faisant toutes réserves, signaler des analogies. Il nous a

paru intéressant de soumettre ce document à l'appréciation de notre excel-

lent ami, le Dr Feindel, qui vient de publier une remarquable étude sur

la neurofibromatose (1). Mieux que personne, il pouvait nous donner un

jugement éclairé sur cette curieuse gravure. Voici la note qu'il a bien voulu

me faire parvenir et dont je tiens à le remercier très vivement :

« La disposition topographique d'une partie des petites tumeurs que

porte sur le visage le sujet de la gravure répond bien à ce qui s'observe

dans la neurofibromatose; on en voit au voisinage des ailes du nez, au

niveau du bord de la mâchoire inférieure. Celles qui existent près de la

commissure des lèvres ont une localisation un peu plus rare, mais cepen-

dant admissible- A la partie supérieure de la face, il est fréquent de voir

(1) E. FEINDEL. Sur quatre cas de neuoofibromatose généralisée. Thèse Paris, Pion,

1896. -

Fig. 3. - Fou de cour, goitreux.

300 HENRY MEIGE

*

les neurofibromateux présenter des tumeurs cutanées, et sur le front, au-

dessus des sourcils, et sur les côtés auprès de la ligne limite de l'implan-

tation des cheveux. Sur la gravure, deux grains de molluscum seulement

siègent sur le front, un peu à gauche de la ligne médiane ; au-dessus du

sourcil droit, il semble exister de ces saillies; vers la queue du sourcil

gauche, on en devine d'autres ; toutes ces tumeurs sont à leur place s'il

s'agit d'un cas de neurofibromatose généralisée. ·

« Les caractères individuels de ces tumeurs, leur siège superficiel, leur

petite dimension, leur saillie hémisphérique pour les unes, à peine appré-

ciable pour d'autres, leur implantation sessile, tout cela rentre bien dans

le tableau de la neurofibromatose généralisée; la localisation topographi-

que laisse davantage désirer ; on voit là des fibromes en des points qui né-

gligent ordinairement d'arborer cette parure. Il en manque au contraire

dans certaines régions d'élection des tumeurs cutanées de la neurofibro-

matose.

« Quant à la grosse tumeur qui tombe de l'angle du maxillaire infé-

rieur, à gauche, elle revêt assez bien les apparences d'un névrome plexi-

forme; elle semble une glande mammaire hors d'usage qui pend avec

mélancolie; la peau qui la recouvre est peu modifiée, peut-être un peu

amincie, et porte de petits fibromes comme on pouvait s'y attendre. La

surface d'implantation de ce pseudo-goître est large et un peu diffuse; i

mais sa localisation est très acceptable.

« Et, il n'est pas impossible qu'il s'agisse ici d'un névrome ple.1Jifor ? /w.

« Mais à droite,il existe une tumeur semblable. Aurait-on donc affaire à

deux névromes plexi formes symétriques ?

« Cette symétrie est un peu déconcertante et semble en contradiction avec

les cas cliniques observés. Cependant rien n'est impossible à ce genre de

tumeurs de forme et de siège irréguliers et bizarres. 1

« En définitive, si quelques légères réserves sont à faire pour l'identi-

fication des excroissances cutanées avec les neurofibromes, la réserve, en

ce qui concerne le diagnostic de névrome plexiforme appliqué aux deux

tumeurs du cou, doit être un peu plus accentuée. "

« D'autre part, grosse tumeur pendante, petites tumeurs cutanés, sont ici

réunies. L'esprit est tout de suite frappé par cette coexistence qui rappelle

les cas si fréquents de neurofibromatose plexiforme et cutanée.

« Aussi les objections qu'on pouvait élever contre le diagnostic des deux

difformités prises individuellement perdent une partie de leur valeur par

suite de leur existence chez le même sujet.

« En d'autres termes, le diagnostic des deux fibromatoses parait ici non

seulement possible, mais probable. Sans doute il est des irrégularités qui

peuvent dépendre, soit d'une omission légère, soit d'une amplification de

, LE GOITRE DANS L'ART 301

la part de l'artiste. Mais ne peut-on pas supposer que le dessin a été ter-

miné de souvenir après avoir été entrepris d'après nature ? .

« Quoi qu'il en soit, on peut presque affirmer, en présence de l'exicti-

tude de la plupart des détails, que si la gravure n'est pas une copie rigou-

reuse d'un cas de névrome plexiforme uni à la neurofibromatose cutanée,

l'auteur a du moins vu, et bien vu, un cas de cette association morbide,

et qu'il était pénétré des principaux caractères morphologiques de ces atfec-

tions, lorsqu'il dessina cette curieuse figure. »

Il n'y a rien il ajouter à cette analyse consciencieuse et documentée, faite

avec toute la prudence nécessaire en pareille matière.

Mais puisque celle gravure soulève ici la question de la possibilité de

rencontrer sur les oeuvres d'art des représentations de neurofibromatose,

je tiens à signaler incidemment un document du même genre que j'ai re-

levé dans la collection des dessins du Musée de Baie, grâce à l'obligeance

du savant Directeur, M. le Dr Burckhaerdt.

Il s'agit d'un dessin datant du commencement du XVIe siècle, de la main

de Hans Frank, et représentant un fou de cour coiffé du bonnet tradi-

tionnel garni de grelots. La figure de ce personnage ressemble assez il celle

de notre pseudo-goîtreux, en particulier quant à la forme du nez et des

lèvres.

De plus, elle est criblée d'excroissances similairesjlont la plupart sont

garnies de poils longs et raides. Mais les deux grosses tumeurs du cou font

complètement défaut. On pourrait y voir, en se conformant à la critique

de M. Feindel, une représentation de neurofibromatose généralisée, mais

sans névrome plexiforme.

Un médaillon en buis sculpté, travail allemand du XVIe siècle, exposé

dans les collections du Louvre, représente un fou de cour, coiffé d'un

bonnet à oreilles d'âne et tenant à la main une marotte ou un bâton (Fig. 4).

Ce fou est pourvu d'un goitre de l'espèce la plus proliférante, formant

autour du cou un épais collier de tumeurs auquel pend, en manière de

médaillon, un dernier lobe plus volumineux encore.

C'est un type de ces goitres géants tels qu'on en trouve encore chez les

habitants de certaines vallées de la Savoie et du Valais.

' Le possesseur de ce corps thyroïde débordant ne rachète pas cette diffor-

mité par le charme de son visage. Il est horrible à souhait : son petit nez

camard agrémenté d'une grosse verrue, sa bouche énorme armée de dents

proéminentes et bordées de lèvres renversées, sa mâchoire en galoche, ses

302 HENRY MEIGE

pommettes aiguës et ses joues creusées de longues rides, forment un en-

semble repoussai ! l.

Tous les stigmates des tares dégénératives semblent s'être réunis sur la

face de cet affreux bouffon. Son sourire est un rictus féroce. Il devait

mordre en plaisantant.

A ces représentations du goitre recueillies sur des oeuvres d'art déjà

anciennes, j'ajouterai un autre document, de date plus récente, mais dont

le réalisme pathologique n'est pas moins saisissant. Il s'agit de petites

figurines en étoffe rembourrée et peinte, sortes de poupées fabriquées par

les indigènes du Guatémala (1).

Ces poupées n'ont, à vrai dire, aucune prétention artistique. Mais elles

sont une reproduction fidèle d'un type fréquent dans les régions monta-

gneuses du pays.

Le goitre y est, paraît-il, extrêmement abondant et atteint souvent des

dimensions excessives.

Celte particularité est tellement caractéristique que les fabricants l'ont

reproduite sur la plupart de leurs figurines en étoffe, et cela, avec un réel

souci de la vérité (Fig. 5).

(1) Je tiens à adresser tous mes remerciements à M. Ducret, chez lequel j'avais re-

marqué ces curieuses poupées et qui m'a obligeamment permis d'en publier les repro-

ductions.

Fig. 4.- Bouffon goitreux. Médaillon en buis sculpté (XVIe siècle). Musée du Louvre.

LE GOITRE DANS L'ART 303

Les femmes surtout, selon la règle, sont pourvues de goitres monstrueux,

à lobes multiples, écartant en avant le fichu qu'elles croisent autour de

leur cou. C'est bien le type de ces goitres de montagne, tels qu'on en voit

dans les Alpes ou les Pyrénées.

Il n'est pas sans intérêt de retrouver cette anomalie pathologique plus

exactement rendue sur ces statuettes que les autres parties du corps, la

tête et les extrémités surtout étant plus que grossièrement esquissées.

Il est une variété de goître qui s'accompagne d'un facies aisément re-

connaissable en clinique, et dont l'étrangeté aurait pu attirer l'attention

des artistes : c'est le goitre exophtalmique.

Les yeux exorbitants de ceux qui en sont porteurs donnent à leur phy-

sionomie une expression hagarde et terrifiée dont l'aspect tragique eut pu

inspirer quelque artiste épris de réalisme.

Nous n'en avons trouvé aucune figuration dans les oeuvres d'art. Nous

ne connaissons même que des exemples fort peu probants de portraits dans

lesquels l'exorbitisme pur et simple ait été indiqué. Il ne manque pour-

tant pas d'individus qui, sans être atteints de la maladie de Basedow,

présentent une saillie exagérée des globes oculaires, analogue à celle qui

accompagne le goitre exophtalmique.

Mais, soit par le fait du hasard, soità cause d'une difficulté matérielle à

représenter cette anomalie, soit enfin par suite d'une atténuation volon-

taire de ce défaut de la physionomie, les peintres ni les sculpteurs n'ont

pas, sciemment, reproduit l'exophtalmie, isolée ou associée au goitre de

Basedow.

On a cru retrouver des figurations de goitre exophtalmique sur certaines

Fig. 5. - Poupées goitreuses du Guatémala.

304 HENRY MEIGE

peintures et sur des effigies de monnaies antiques, représentant des tètes

pourvues de gros yeux saillants et d'un cou volumineux. Mais ces diffor-

mités paraissent plutôt le fait d'une erreur artistique ou d'un travail de

modelage imparfait.

Il s'agit en effet de profils sur lesquels est appliqué un oeil vu presque

de face. On sait que cette faute est faite couramment par les dessinateurs

novices et qu'elle fnt longtemps répétée sur les images antiques ; elle est

constante dans l'art égyptien, fréquente sur les peintures des vases grecs

et sur quelques fresques de l'époque romaine. On la retrouve dans toutes

les peintures des peuples primitifs, quelle que soit leur race. En sorte

qu'on pourrait considérer la représentation exacte de l'oeil comme un signe

important du perfectionnement artistique.

Or, cette erreur de perspective a pour résultat de donner à l'oeil une

apparence de saillie exagérée analogue à celle que réalise l'exophtalmie.

D'où l'idée que les figurations de ce genre pouvaient avoir été inspirées

par la vue d'un cas de maladie de Basedow ; hypothèse qui, jusqu'à plus

ample informé, ne nous semble pas acceptable.

Sur certains profils féminins, le cou semble aussi augmenté de volume

dans sa région antérieure. On y voit même l'indice de deux ou trois bour-

relets superposés qui ont pu éveiller le souvenir du goitre. Là encore, il

s'agit plus vraisemblablement d'une tentative imparfaite pour figurer les

plis cutanés du cou que les statuaires antiques considéraient comme des

éléments esthétiques importants. Ce sont des colliers de Vénus grossière-

ment indiqués qui prennent ainsi des apparences de goitre.

D'ailleurs, en l'absence de tout symptôme de la maladie de Basedow, il

n'est pas rare d'observer chez les jeunes filles et chez les jeunes femmes,

une saillie légère de la région thyroïdienne. Une minime augmentation de

la glande thyroïde peut s'ajouter à l'embonpoint graisseux pour accentuer

les plis cutanés que les artistes aiment à reproduire.

Il existe,' au musée du Louvre, un dessin de A. Bronzino où cette dispo-

sition morphologique est très exactement rendue.

En somme, la réunion sur une même tête des deux anomalies, exophtal-

mie et saillie antérieure du cou, ne paraît pas être la reproduction d'un

syndrome pathologique observé sur nature; elle est plutôt le fait d'une exé-

cution défectueuse ou d'une formule artistique exagérée.

'Et, parmi lès documents figurés de toutes sortes qui sont parvenus jus-

qu'à ce jour à notre connaissance, nous croyons qu'il n'existe pas de repré-

sentation certaine du goitre exophtalmique.

Le gérant : P. Bouchez

Imp. G. Saint-Aubin etThevenot. J. THEVENOT, successeur, St-Dizier (Haute-Marne).

10e Année N° 5 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1897

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX.

(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE)

SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE

DE LA MOELLE

(SYNDROME DE BROWN-SEQUARD)

(Suite et fin.) (i)

PAR

F.RAYMOND

Professeur de clinique des maladies du système nerveux ? - --

III

Messieurs, , III '

Vous voilà, je pense, édifiés sur la symptomatologie de 1 hémisection --

traumatique de la moelle, chez l'homme. Vous avez acquis cette convic-

tion qu'à quelque niveau que soit entamée la moelle, presque toujours,

quand il y a lieu de soupçonner l'existence d'une hémisection, l'expression

clinique est dominée par ce double trait fondamental : hémiparalysie mo-

trice (avec hyperesthésie) et hémi-anesthésie superficielle croisées, la para-

lysie motrice siégeant du côté de la lésion. Les autres éléments' du syn-

drome de Brown-Sequard offrent déjà moins de constance, dans les cas

d'hémisection traumatique de la moelle, chez l'homme.

D'autre part, considérés au point de vue de l'extension des troubles

sensitivo-moteurs, les faits que j'ai passés en revue peuvent se ramener à .

quatre types :

1° Dans un premier type, la paralysie motrice est limitée au membre

inférieur, du côté de ]'hémisection.; les troubles de la sensibilité ne re-

montent pas jusqu'à la racine des membres inférieurs : c'est ce qui se voit

quand la moelle est entamée au niveau des vertèbres dorsales inférieures,

en deçà de la 9°.

2° Dans un second type, la paralysie motrice et les troubles sensitifs re-

montent au-dessus de la racine des membres inférieurs, empiètent plus

(1) Voir les n-s 1 et 3, 4897.

x 22

306 ' " F. RAYMOND .. '

ou moins sur le tronc ; c'est ce qui se voit quand l'hémisectiol1 intéresse

la moelle à un niveau qui correspond aux vertèbres dorsales moyennes et

supérieures.

3° Un troisième type comprend les cas où les membres supérieurs et le

thorax participent aux troubles sensitivo-moteurs ; cette éventualité se

trouve réalisée quand la moelle est entamée à un niveau situé au-dessus

de la 6e vertèbre. En ce cas on observe assez souvent, mais non toujours,

des manifestations en rapport avec une paralysie du grand sympathique

cervical et du nerf phrénique.

4° J'ai rangé dans une dernière catégorie, les cas où l'hémisection inté-

ressait la moelle dans sa partie supérieure, immédiatement au-dessus de

la protubérance occipitale. Dans ces cas-là les troubles sensitifs et les

troubles moteurs envahissent toute une moitié du corps, nuque et cou

compris et jusqu'à la face.

Phénomènes DE compression ; déductions pratiques. Il est un point,

relatif au côté clinique de la question, qui mérite de fixer notre atten-

tion ; au nombre des faits que je vous ai exposés, il s'en trouve, où les

troubles sensitivo-moteurs consécutifs au traumatisme différaient sensi-

blement, dans leur ensemble ou dans leurs détails, du syndrome de

Brown-Sequard. Pour ces faits-];], -qui du reste constituent une faible

minorité, et pour lesquels le contrôle d'une autopsie a fait défaut, il y

aurait lieu de se demander si l'hémisection de la moelle a eu lieu ef-

fectivement. Mais ce n'est pas là le point qui me préoccupe pour l'ins-

tant. Il en est un autre sur lequel je désire appeler votre attention : c'est

que, clans un cas d'hémisection traumatique de la moelle chez ! : homme,

le syndrome de Brown-Sequard peut ne se constituer qu'au bout d'un cer-

tain temps, alors qu'au début nous voyons prédominer une paraplégie

motrice, voire une tétraplégie.

Qu'est-ce à dire ? Qu'au début, dans les premières heures qui suivent t

le traumatisme, les phénomènes de compression peuvent prédominer sur

les symptômes de l'hémisection.

Dans ces conditions, vous pouvez observer une paralysie motrice occu-

pant les deux côtés. Or la bilaléralité de la paralysie motrice, qui pour-

rait vous faire douter de l'existence d'une hémisection, est un effet de

compression, et cette compression est elle-même l'effet d'une suffusion

sanguine des méninges, ou d'une formation de caillots sanguins dans le

canal rachidien. Je vous ai déjà parlé de la conclusion pratique qui se dé-

gage de cette notion : appelés à donner vos soins à un sujet atteint d'une

blessure par instrument tranchant qui a entamé un côté du rachis, vous

SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 307 '

devez vous imposer comme règle de ne point intervenir d'une façon in-'

tempestive sous prétexte de faire l'hémostase. Si, comme c'est le cas ha-

bituel, l'hémorrhagie n'est pas trop profuse, laissez saigner. Agir autre-

ment, barrer la voie au sang qui s'écoule, en suturant la plaie, ce serait

faire courir au blessé les risques d'une aggravation.

Il y a cependant des exceptions à cette règle. Des symptômes graves de

compression peuvent se produire sans que vous interveniez : ils peuvent

même légitimer ou réclamer une intervention opératoire.

Je vous en citerai comme preuve une des observations contenues' dans

le mémoire de Neumann (1). Elle concerne un homme qui avait reçu un

coup de couteau à la nuque et qui s'était affaissé aussitôt. Le barbier de

l'endroit, appelé auprès du blessé, le fit asseoir sur un banc et lui appli-

qua des compresses imbibées d'eau froide sur la plaie. Le blessé fut en-

suite examiné par un médecin, qui sonda la plaie ; celle-ci avait une pro-

fondeur de 5 centimètres; elle était située à la nuque, un peu à gauche

de la ligne médiane. Le patient était faible sur ses jambes, mais, soutenu

par des aides, il put se rendre à pied chez lui ; on lui appliqua un pan-

sement antiseptique. Le lendemain, il avait les deux membres inférieurs

paralysés; la paralysie motrice se doublait d'une anesthésie. Il se plaignait

d'avoir les membres supérieurs lourds et engourdis, et il fut incapable de

signer le procès-verbal d'enquête. On se trouva dans la nécessité de le

sonder, car il avait de la rétention d'urine depuis la veille. Le soir, la pa-

ralysie du sentiment avait envahi les membres supérieurs, que le malade

avait de plus en plus de peine à mouvoir. Peu d'instants après, cet homme

succomba aux suites d'un oedème pulmonaire. L'autopsie a fait consta-

ter l'existence d'une hémisection de la moelle, siégeant à droite, à la hau-

teur de la 3e vertèbre cervicale dont l'apophyse épineuse avait été tran-

chée ; la partie latérale de la vertèbre avait été également entamée. Entre

le canal vertébral et les méninges, le tissu cellulaire était infiltré de sang;

au niveau de la 4° vertèbre cervicale et sur le côté gauche, il s'était formé

un dépôt de sang caillé. D'après Neumann, la compression exercée sur la

moelle par le sang épanché rendait compte de ce que l'expression clini-

que avait été celle d'une section complète du névraxe. Enfin le siège de

l'hémisection (renflement cervical) expliquait la participation de l'appareil

respiratoire à la paralysie; en effet une section, pratiquée à ce niveau,

doit intéresser les fibres qui du noyau respiratoire du nerf vague se ren-

dent au phrénique.

Pour en revenir à la question que je soulevais à l'instant, Neumann

s'est demandé si, chez ce malade, une intervention chirurgicale n'eût pas

(1) Nx,waxv, Zoe. cit., p. 502.

308 F. RAYMOND

été indiquée ? Peut-être la résection de l'arc vertébral entamé, suivie

d'une hémostase pratiquée selon toutes les exigences de l'antisepsie mo-

derne, eût-elle sauvé la vie au patient ?

PRONOSTIC. Somme toute, des faits que j'ai passés en revue se dé-

gage cette conclusion : Quand une hémisection n'intéresse pas la moelle à

un niveau voisin de son extrémité supérieure, elle met rarement la vie du

blessé en péril.

Me voilà conduit à vous parler du pronostic. Or, en l'espèce, la ques-

tion de pronostic se double d'une question de médecine légale.

En présence d'un de vos semblables qui vient d'être victime d'un atten-

tat, et qui porte dans le dos une blessure par instrument tranchant, située

latéralement de la ligne des apophyses épineuses, de telle sorte que vous

avez tout lieu de soupçonner une hémisection de la moelle, vous aurez

d'abord à vous prononcer sur le pronostic quoad vitam. Cette question met

en cause votre réputation de praticien. Or,par ce que je viens de vous dire

vous devez comprendre que vous vous exposerez à commettre une erreur,

si vous vous inspirez exclusivement de la haute idée que nous sommes

enclins à nous faire de l'importance fonctionnelle de la moelle. Ne vous

hâtez pas de représenter la victime comme vouée à une mort certaine.

Tenez compte, avant tout, du niveau plus ou moins élevé de l'hémisection :

Si la lésion intéresse la partie supérieure du rachis, faites des réserves,

surtout s'il existe des phénomènes de paralysie respiratoire ; représentez

une issue fatale comme vraisemblable, mais non comme certaine.

Si la lésion siège au-dessous de la 5e vertèbre cervicale, le blessé a les

meilleures chances de s'en tirer, à condition qu'il ne tombe pas entre les

mains d'un opérateur empressé de faire de la chirurgie médullaire quand

même.

Voilà donc un premier point réglé.

Une fois le danger de mort rapide écarté, vous pouvez être appelés à

vous prononcer sur le sort ultérieur de la victime, non pas seulement

comme médecin de la famille, mais comme médecin légiste. En ce cas,

vous ne vous trouverez pas seulement en présence d'une victime, mais

aussi en présence d'un coupable qu'attend un châtiment plus ou moins

sévère suivant ce que vous prononcerez. Or, ici encore, vous pouvez être

entraînés à des appréciations pronostiques trop sévères, si vous en êtes

réduits à juger a priori. En effet, vous risquez de nouveau de vous trom-

per grossièrement, si vous vous représentez les choses ainsi : Un homme

SUR UN CAS 1)'IIÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 309

- qui a la moitié de la moelle sectionnée est un homme paralysé pour le

restant de ses jours. Non pas. Les faits que je vous ai énumérés vous ont

déjà édifiés sur ce qu'une pareille appréciation a d'excessif. La vérité est

celle-ci : dans la très grande majorité des cas, une amélioration progres-

sive, plus ou moins rapide, se produit dans les troubles sensitivo-moteurs

consécutifs à une hémisection traumatique de la moelle. Cette améliora-

tion peut aller jusqu'à la guérison définitive. Aussi bien, il est rare que

la victime de l'attentat soit vouée à une incapacité absolue et définitive de

travail.

Au surplus il y aura lieu de tenir compte de l'âge de la victime au mo-

ment de l'attentat. Il est clair que plus la victime est jeune, plus il y a lieu

de craindre des arrêts de développement dans les parties paralysées.

Pour achever de vous édifier sur le sort des victimes de semblables at-

tentats, je vais vous entretenir de deux faits que j'extrais du mémoire de

Neumann, déjà cité. '

L'un de ces faits concerne un jeune homme qui avait reçu un coup de

couteau dans le côté droit du dos, à 3 centimètres de la colonne vertébrale,

au niveau de la crête de l'omoplate. De la plaie, qui avait une largeur de

1 centimètre et une profondeur de 5 centimètres, s'était échappée une

grande quantité de sang. Le malade était tombé sans connaissance. On le

transporta chez lui. Quand il eut repris ses sens, il ne pouvait plus re-

muer la jambe droite ; de plus ce membre le faisait beaucoup souffrir. Ce

cas, soit dit en passant, offre un intérêt exceptionnel, parce qu'il a fait

l'objet d'examens répétés, échelonnés sur un intervalle de temps de près

de trois années. Il nous fournit donc des indications précises sur la question

de pronostic, que je suis en train d'envisager.

Le malade fut transporté à l'hôpital et examiné une première fois le

18 mai 1887, six jours après l'accident. Voici, succinctement, les résul-

tats de ce premier examen :

A droite, les mouvements passifs du membre inférieur étaient libres ;

les mouvements volontaires étaient supprimés; la sensibilité était'émous-

sée ; l'excitabilité galvanique des nerfs était diminuée. ·

A gauche, il y avait de l'hyperesthésie au niveau du membre inférieur

et de la moitié correspondante du ventre.

Le malade urinait lentement, avec une certaine difficulté; mais cette

dysurie s'est dissipée dans la suite.

Un peu plus tard, la paralysie du mouvement subsistait à droite; elle

intéressait dans une mesure prépondérante les muscles rotateurs de la

cuisse; il existait toujours un peu d'hypoesthésie de ce côté, et un peu

(1) Neumann, Ueber Riickenmw'ksve1'letzungell durch Stich. Virchow's Archiv, 1890,

T. 122, fas. 3, p. 496. ,

310 ' - F. RAYMOND

d'hyperesthésie à gauche. De plus, le membre inférieur droit était forte-

ment amaigri. En raison de cette atrophie, le malade fut soumis à un trai-

tement par l'électricité.

Le 18 août de la même année, l'atrophie musculaire du membre infé-

rieur droit s'était dissipée. La paralysie motrice et les troubles de la sen-

sibilité subsistaient tels qu'avant... '. ;

Le 7 octobre, on constatait une aggravation dans l'état du malade, en

ce sens que l'atrophie musculaire s'était reproduite; à droite, le pourtour

de la cuisse mesurait 6 centimètres de moins et le mollet 4 centimètres

de moins qu'à gauche. La rotation en dehors du membre inférieur droit

s'était accentuée; la déviation du bassin en bas et à droite sautait à l'oeil.

Le patient ne pouvait plus se servir de son membre inférieur droit ; la

cuisse et la hanche étaient fixées en flexion légère.

Enfin le 24 décembre 1889, par conséquent 31 mois après l'accident,

on constatait une légère amélioration dans l'état du malade. Celui-ci pou-

vait, non sans peine, se tenir debout et marcher, grâce surtout au port

d'un appareil orthopédique qui lui maintenait le genou. Il conservait tou-

jours un certain degré d'atrophie du membre inférieur droit; en outre,

de ce côté, les os avaient subi un retard dans leur développement. Enfin. à

'droite on constatait un affaiblissement des réflexes tendineux et cutanés, et

un certain degré d'anesthésie galvanique. En somme, quoique le sujet fût

redevenu à même de travailler de son métier de tourneur, il n'en devait

pas moins être considéré comme frappé d'une infirmité incurable.

L'autre cas, relaté par Neumann, est encore plus instructif au point de

vue de l'appréciation du pronostic, en raison de la durée d'observation ; il

peut se résumer ainsi :

Un jeune homme de 19 ans est blessé d'un coup de couteau clans le dos.

La blessure, d'une longueur de cent. 1/2, béante, se trouvait située au

niveau'de l'apophyse épineuse de la sixième vertèbre dorsale. Immédiate-

ment après l'accident on a constaté une paralysie motrice de la jambe

gauche et une anesthésie dans toute l'étendue du membre inférieur droit,

ainsi qu'une rétention d'urine et de matières fécales qui a persisté pen-

dant quatre mois environ. En même temps que les fonctions de la vessie

et du rectum se sont rétablies, le membre inférieur gauche a récupéré une

partie de sa capacité fonctionnelle. L'anesthésie au membre inférieur

droit ne s'est dissipée que lentement. A la suite d'un traitement par l'é-

lectricité, qu'il a subi dans le service d'Erb, à Heidelberg, le malade était

de nouveau en état de marcher. II ne présentait pas d'atrophie muspu-

laire. Somme toute, l'incapacité de travail n'a duré que 6 mois.

SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 311

Le patient avait 25 ans lorsqu'il fut examiné pour la dernière fois,

Son état général était excellent. Il ne présentait pas le moindre trouble

intellectuel. Il n'était pas sujet aux douleurs, même à l'occasion des chan-

gements de temps. La vessie et le gros intestin fonctionnaient normale-

ment. Les mouvements des membres supérieurs et du tronc s'effectuaient

avec une parfaite régularité. Le sujet pouvait faire des marches de deux

heures, même sur un sol glissant, mais la fatigue était prompte à survenir.

En examinant les membres inférieurs, le raccourcissement de l'une des

jambes frappait à première vue : le malade boitait un peu, et il avait la

colonne vertébrale déformée; le segment dorsal était convexe à droite, et

le segment lombaire convexe à gauche. En outre, le membre inférieur

gauche était amaigri. A la mensuration, ce membre a été trouvé plus

court d'un centimètre environ que le droit, et d'une épaisseur moindre

que son congénère. On constatait encore quelques vagues troubles de la

sensibilité. ·

Vous êtes maintenant à même de vous faire une idée exacte de ce qui

peut advenir des suites d'une hémisection traumatique de la moelle, à une

période de la vie où la croissance n'est pas encore terminée. Passé ce ter-

me, la réparation fonctionnelle peut progresser au point d'aboutir à un

état qui exclut toute impotence proprement dite.

Soit dit en passant, on a prétendu que dans les cas d'hémisection trau-

matique de la moelle, les troubles sensitifs étaient plus prompts à se dis-

siper que les troubles moteurs. L'inverse s'observe parfaitement, le cas

de notre malade en est une preuve.

Voilà donc une notion solidement établie sur les faits : Les suites d'une

hémisection traumatique de la moelle ont une tendance à s'améliorer

progressivement, jusqu'à disparaître dans bien des cas. A ce propos, une

question a dû se poser à vous. Comment, avez-vous dû vous dire, une pa-

reille évolution est-elle conciliable avec l'idée qu'on se fait généralement de

l'irréparabilité d'une lésion traumatique des centres nerveux ?

Messieurs, voilà une question embarrassante, à laquelle, dans l'état ac-

tuel de nos connaissances, il m'est impossible de vous faire une réponse

satisfaisante. Elle se rattache à une autre question qui est encore fort con-

troversée, celle de la régénération des éléments nerveux, à la suite d'une

désorganisation partielle de ces éléments par une lésion traumatique. Je

serais entraîné trop loin, si j'essayais de vous donner une idée tant soit

peu exacte des nombreuses recherches' entreprises pour élucider cette

question. Vous trouverez l'énumération des principaux travaux qui s'y

312 F. RAYMOND .

rapportent dans les Etudes de chirurgie médullaire de M. A. Chipault (1).

S'il en est parmi vous qui désirent approfondir cette question, ils trou-

verontlargement de quoi satisfaire leur curiosité, dans le remarquable

mémoire d'Enderlen (2), que je vous ai déjà cité. Au surplus, Enderlen a

contribué par des recherches personnelles à l'élucidation de ce problème

de la régénération des éléments nerveux. Les résultats qu'il annonce peu-

vent se résumer dans ces trois propositions :

-1° « Si tant est qu'une régénération se fasse dans la moelle, à la suite

d'un traumatisme, elle porte exclusivement sur les éléments de la névro-

glie et sur les éléments conjonctifs ; les cylindres-axes et les cellules gan-

glionnaires n'y participent nullement.

2° Une partie des troubles consécutifs à une lésion traumatique de la

moelle est imputable à une tuméfaction des éléments nerveux dans les par-

ties avoisinantes.

3° La restauration fonctionnelle qu'on observe à la suite d'une hémisec-

tion traumatique de la moelle est précisément imputable à la résolution

de cette tuméfaction ; mais elle est attribuable, pour une autre partie, à ce

que des fibres conductrices, restées intactes, suppléent dans leurs fonctions

celles qui ont été atteintes par l'hémisection.

- Physiologie pathologique. Il me reste à envisager un dernier côté

de cette question complexe de l'hémisection traumatique de la moelle, le

côté anatomo-physiologique. Je vais examiner successivement jusqu'à quel

point nos connaissances actuelles en matière d'anatomie des centres ner-

veux sont à même de nous rendre compte de la paralysie motrice directe,

de l'hémi-anesthésie croisée, de l'hyperesthésie directe et de l'exagération

des réflexes tendineux du côté de la paralysie motrice, qu'on observe dans

les cas d'hémisection de la moelle.

A. Paralysie motrice directe. - La paralysie qui se produit du côté de

la lésion est des plus faciles à expliquer. En effet une hémisection droite de

la moelle interrompt le faisceau pyramidal de ce même côté. Or les fibres

qui composent ce faisceau pyramidal conduisent les incitations motrices

que les centres psycho-moteurs projettent sur les muscles.

Les cylindres-axes de ces fibres représentent des prolongements descen-

dant des cellules psycho-motrices (Fig. 1). Par leurs arborisations termi-

nales, ils vont se mettre en rapport avec les grosses cellules motrices des

cornes antérieures de la moelle. De chacune de ces cellules motrices part

(1) A. Chipault, Etudes de chirurgie médullaire, Paris, 1893, p. 207.

(2) ENDERLEN, IOC. Cit.

SUR UN CAS D'nÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 313

le long prolongement cylindraxile d'une fibre nerveuse motrice ; ce pro-

longement aboutit à une fibre musculaire. -

Un coup d'oeil jeté sur la figure ci-jointe vous fera immédiatement com-

prendre qu'une hémisection de la moelle entraînera nécessairement une

paralysie motrice du même côté, dans les parties innerves par les racines

spinales situées au-dessous de la section.

Cette figure vous donne une idée d'ensem-

ble de la voie motrice, qui, vous vous le

rappelez sans doute, se réduit en dernière

analyse à deux neurones superposés :

- Un neurone, central Ne, dont le corps

cellulaire est représenté par une cellule

pyramidale eps de la zone psycho-mo-

trice de l'écorce cérébrale, et dont le pro-

longement cylindraxile, représenté par une

fibre pyramidale, s'entrecroise au niveau

du bulbe, pour se terminer dans la corne

antérieure du côté opposé, sous forme

d'une arborisation terminale qui enlace

une grosse cellule motrice.

Un neurone périphérique N p, dont le

corps cellulaire C m est représenté par

une des grosses cellules motrices des cor-

nes antérieures, et dont le prolongement

cylindraxile sort de la moelle avec une ra-

cine antérieure, pour aboutir à un muscle

du même côté.

.

. *

... *

- B. Hémi-anesthésie croisée. Pour

l'explication de l'hémi-anesthésie croisée,

nous nous trouvons en présence de données anatomiques beaucoup

moins nettes que celles qui m'ont servi à rendre compte de la para-

lysie motrice qui se développe du côté del'hémisection. Les difficultés

viennent de ce que nous ne sommes pas encore bien fixés sur le lieu et

le mode d'entrecroisement de la voie sensitive. Pour bien me faire com-

prendre, il importe que je vous rappelle des données anatomiques que

j'ai déjà eu l'occasion de vous exposer.

La voie sensitive, à l'instar de la voie motrice, peut se ramener, somme

toute, à deux neurones superposés.

Fig. 1.

314. - ... F. RAYMOND

-Un neurone central Ne (Fig. 2), dont le corps cellulaire est représenté

par une cellule du noyau de Burdach B, ou du noyau de Goll G.

Un neurone périphérique 1\1 p,

dont le corps cellulaire c est com-

pris dans un ganglion spinal. De

ce corps cellulaire part un pro-

longement qui se bifurque pres-

que aussitôt après sa naissance.

Une des branches de bifurcation a

équivaut au prolongement pro-

toplasmique du neurone; elle ga-

gne la périphérie et se met en

rapport avec les cellules épithé-

liales de la peau et des muqueu-

ses. L'autre branche de division b

équivaut au prolongement cylin-

draxile du neurone ; elle va con-

courir à former une racine pos-

térieure et pénètre dans la moelle

avec cette racine.

Or, une fois qu'elle a pénétré

à une certaine profondeur de la

substance blanche de la moelle,

suivant une direction légèrement

oblique, cette fibre radiculaire se

bifurque à son tour, en Y. Elle

donne ainsi naissance à deux

branches terminales, l'une des-

cendante, l'autre ascendante, qui

toutes deux suivent un trajet ion-

gi tudinal.

La branche descendante est

toujours très courte.

La branche ascendante peut

avoir nne longueur variable :

Soit qu'elle se recourbe non

loin de sa naissance, pour aller

se perdre dans la substance grise;

Soit qu'elle remonte jusque dans le bulbe, pour se terminer dans le

noyau de Burdach B ou dans le noyau de Goll G, sous l'orme d'une arbori-

sation terminale ;

Fig. 2.

SUR UN CAS D'UÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 315

Soit qu'elle pénètre dans la substance grise, à tout autre niveau compris

entre ces points extrêmes.

N'allez pas croire que la transmission centrifuge des impressions sensi-

tives venues de la périphérie se fasse exclusivement par la voie de ces

branches longitudinales, en lesquelles se subdivisent les fibres radiculai-

res postérieures. Chacune de ces branches émet des collatérales, dont la

connaissance nous est venue des remarquables travaux de Ramon y-Cajal.

Ces collatérales se détachent à angle droit des branches longitudinales qui-

leur donnent naissance.

Le dessin que voici (Fig. 3), vous donne une représentation objective de

cette disposition. Or les collatérales semblent jouer un rôle considérable,

pour ne pas dire prépondérant, dans la transmission des impressions sen-

sitives à travers la moelle. Leur destination, leurs points d'aboutissement

si vous voulez, sont d'ailleurs très variables.

Dans une de ses plus récentes publications Ramon y Cajal (1) a donné

une description très circonstanciée des collatérales sensitives, qui émanent,

ainsi que je viens de vous le dire, des branches ascendantes et descen-

dantes de bifurcation des fibres radiculaires postérieures.

Parmi ces collatérales, il distingue en première ligne :

a) Les collatérales pour la commissure postérieure; après avoir franchi

(1) IIA)10,N y Dual, L'anatomie fine de la moelle épinière in : Atlas der ptholo-isclien

Histologie des Nervensystcms, rodigirt von V. Babes. IV Lieferuno Berlin, t895, p. 13;

Fig. 3.

316 F. RAYMOND

la ligne médiane, elles se ramifient dans le foyer ou centre de la corne

postérieure du côté opposé. Je les appellerai, dans ce qui va suivre, les

collatérales sensitives croisées.

Viennent ensuite :

b) Les collatérales pour le foyer de la corne postérieure du même côté ;

ce sont probablement les plus nombreuses , d'après Cajal.

c) Les collatérales longues ou réflexes motrices, qui se terminent par des

arborisations péri-cellulaires dans le foyer moteur de la corne antérieure.

d) Enfin d'abondantes collatérales ramifiées dans la substance grise

centrale et dans la partie interne de la base de la corne postérieure du

même côté.

*

w *

Que si nous mettons ces données anatomiques en parallèle avec le fait

que nous tenons à la fois de l'expérimentation et de la clinique : apparition

d'une hémi-anesthésie croisée, à la suite d'une hémisection expérimentale ou

traumatique de la moelle, une conclusion s'en dégage impérieusement,

c'est la suivante :

Les COLLATÉRALES DU PREMIER GROUPE, les COLLATÉRALES SENSITIVES, QUI

SUBISSENT la DÉCUSSATION dans la COMMISSURE POSTÉRIEURE, NON SEULEMENT

SUFFISENT A ASSURER LA TRANSMISSION des IMPRESSIONS SENSITIVES à TRAVERS

LA MOELLE, mais SEULES, ELLES SONT CHARGÉES de CETTE TRANSMISSION.

Soit, en effet, une hémisection qui intéresse la moitié droite de la

moelle en a b (Fig. 4). Les lignes que vous voyez dessinées en noir repré-

sentent des fibres radiculaires postérieures irradiantes FRS, avec leurs

branches de bifurcation ascendantes b a et descendantes b d. De ces bran-

ches de bifurcation se détachent des collatérales col, qui, sur ce dessin,

sont représentées par des lignes noires plus fines. Sur le dessin placé

devant vous, je n'ai fait représenter que des collatérales du premier groupe,

des collatérales croisées, qui se rendent à travers la commissure postérieure

dans la corne postérieure du côté opposé.

Là, elles se résolvent en arborisations terminales, qui se mettent en rap-

port avec les prolonorements 1) d'une cellule cordonale c; ces prolonge-

ments sont représentés par des lignes pointillées. On peut donc se figurer

ainsi le trajet d'une impression sensitive venue de la périphérie :

Cette impression chemine le long d'une fibre radiculaire FRS; elle ga-

gne la collatérale col, qui la transporte dans l'autre moitié de la moelle,

en E. Là, elle impressionne la cellule cordonale c, et elle se propage de

bas en haut dans la moelle, le long du prolongement cyl indraxile p de cette

cellule cordonale.

On conçoit dès lors que dans le cas d'une hémisection a intéressant la

moitié droite de la moelle, les impressions sensitives (tactiles) qui arrivent

SUR UN CAS D'IIÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 317

de la moitié droite du corps, par les fibres radiculaires FRS, au-dessous de

la ligne a b, que ces impressions, dis-je, trouvent à continuer leur route

dans la moelle et jusque dans le cerveau, par la voie des collatérales croi-

sées. On conçoit donc que l'hémisection ab n'entraîne pas d'anesthésie du

côté correspondant du corps.

Mais une pareille hémisection entraîne une anesthésie croisée, une

anesthésie du côté opposé, du côté gauche. Il faut donc admettre que

seules, les collatérales croisées sont chargées de la transmission des im-

pressions sensitives dans leur parcours intra-spinal. Il faut admettre

que ni les branches ascendantes b a, issues de la bifurcation des. fibres

Fig. 4.

318 F- RAYMOND

radiculaires postérieures, ni les autres catégories de collatérales qui se

détachent de ces branches, ne concourent à la transmission des impres-

sions sensi tives au cerveau.

Voilà qui choque toutes les conceptions qu'on se faisait du rôle des

fibres constituantes des cordons postérieurs. Voilà qui méfait dire que

dans l'état actuel de nos connaissances, il est bien difficile de donner

une explication plausible de l'hémi-anesthésie croisée qu'on observe dans

les cas d'hémisection de la moelle, si tant est qu'on ne veuille voir dans

cette hémi-anesthésie que la conséquence directe d'une lésion organique. La

position de la question peut, somme toute, être définie dans les termes

suivants :

L'expérimentation et la clinique nous apprennent qu'une hémisection

de la moelle entraîne habituellement une hémi-anesthésie croisée, une

hémi-anesthésie du côté opposé. Il semble dès lors que la voie sensitive

doive subir un entrecroisement à un niveau très peu élevé, au-dessus de

celui où elle pénètre dans la moelle sous forme d'une racine postérieure.

L'anatomie nous enseigne que les branches de bifurcation des fibres ra-

diculaires postérieures ne subissent pas de décussation directe dans la

moelle et qu'une partie seulement de leurs collatérales mais non la

plus importante comme nombre s'entrecroise dans la commissure pos-

térieure.

Donc, à moins d'admettre que seules ces collatérales croisées sont char-

gées de la transmission des impressions tactiles dans l'épaisseur de la

moelle, il est impossible de rendre compte du développement de l'hémi-

anesthésie croisée, consécutive il une hémisection de la moelle.

S'il venait à être démontré que tous les conducteurs sensitifs s'entre-

croisent dans la commissure postérieure-ou en tout autre point de l'aire

transversale de la moelle,- et que cette décussation s'effectue presque aus-

sitôt après leur pénétration dans la moelle, l'explication du développement

de l'anesthésie serait au contraire très facile à donner. Il suffirait de se

reporter au schéma très ingénieux, imaginé par mon collègue Brissaud, et

dont vous avez une reproduction sous vos yeux. Ce schéma (Fig. 5), je

vous le répète, est très ingénieux. A première vue, il explique admirable-

ment l'hémianesthésie croisée et la présence d'une étroite bande d'hyper-

esthésie conliguë à la limite supérieure de l'anesthésie.

Mais encore une fois, pour qu'il répondit à la réalité des choses, il fin--

drait que les fibres longues des cordons postérieurs ne prissent qu'une

part négligeable à la transmission des impressions sensitives à travers la

moelle ; il faudrait :

SUR UN CAS D'RÉEMISECTION TRAUMATIQUE DE La MOELLE 31J

Ou bien que seules les collatérales croisées fussent chargées 'de cette

transmission ;

Ou bien que les autres collatérales,

celles qu'on peut qualifier de direc-

tes, intéressées également à cette

transmission, se missent en rapport

de contiguïté avec des cellules cor-

donnales situées au même nnu et

dont les prolongements subiraient

l'entrecroisement aussitôt après leur

naissance.

En tout état de cause, les fibres

tant soit peu longues des cordons

postérieurs ne joueraient qu'un rôle

absolument secondaire, négligeable,

dans la transmission des impressions

- tactiles.

Dans ces conditions, le schéma

suivant (Fig. 6) nous rendrait compte

des deux éléments principaux du

syndrome de Brown-Sequard, de

l'hémiparalysie motrice directe, de

l'hémi-anesthésie croisée et de l'a-

nesthésie profonde, musculaire,

siégeant du côté de la lésion dans

les cas d'hémisection de la moelle.

*

.. ¥

Vous voyez que ces hypothèses,

qui nous sont imposées par des don-

nées expérimentales et cliniques

d'un caractère irrécusable, appellent 1

des recherches complémentaires de

la part des histologistes et des phy-

siologistes.

Pour ces derniers, il y aurait lieu

notamment de rechercher si la sec-

tion expérimentale de la commissure

postérieure, pratiquée dans une cer-

taine étendue, entraine une double

hémi-anesthésie corrélative, d'où l'on

Fig. 5. - Schéma de Brissaud.

CSD, colonne sensitive droite ; ABCD sec-

tion portant sur la moitié gauche de la

moelle. S, Si, S2, S3, 8, racines sensitives

du côté droit, s'entrecroisant sur la ligne

médiane pour gagner la colonne sensitive

gauche, CSG. - Z, Z', Zz, Z3, Z4, racines

sensitives du côté gauche, allant gagner

la colonne sensitive du côté droit.

S20 ' F. RAYMOND

pourrait conclure que seules les collatérales croisées sont chargées de la

transmission des impressions, tactiles, dans le trajet intra-spinahlu neurone

sensitif périphérique. Il y aurait lieu aussi de s'enquérir des conséquences

de la section du cordon de Goll qui, lui, ne renferme que des fibres lon-

gues.

On serait ainsi à même de s'éclairer sur la part qui revient à ces fibres

longues, dans la transmission des imnressions sensitives.

Je conclus, en fin de compte, que pour ce qui concerne le lieu et le

mode d'entrecroisement de la voie sensitive dans la moelle, les données

actuelles de l'anatomie ne s'harmonisent pas ou ne s'harmonisent que

d'une façon insuffisante avec les données de l'expérimentation et de la cli-

nique.

î-ig. b.

1, 1', Voie motrice.

2, 2', Fibres sensitives destinées aux muscles.

3, 3', Voie sensitive chargée de la sensibilité superficielle.

SUR UN CAS D'HÉMISECTION TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 321

.. . .

x ¥

Tout cela je vous le répète, quand on ne veut voir dans l'hémi-anesthé-

sie croisée, consécutive à une hémisection de la moelle, qu'une consé-

quence directe d'une lésion organique. Or il est une autre voie qui peut

nous conduire il l'explication de ce même phénomène. ,

Lors de l'énumération que je vous ai faite d'un certain nombre d'exem-

ples d'hémisection de la moelle chez l'homme, vous avez été frappés,

Messieurs, de ce que l'expression clinique est sujette à des variantes nom-

breuses, qui peuvent s'écarter notablement du schéma de Brown-Sequard,

en ce qui concerne notamment la distribution des troubles de la sensibi-

lité. Or il n'y a pas à se dissimuler que l'expérimentation également a

donné des résultats contradictoires. On a' constaté, par exemple, qu'une

simple piqûre du cordon postérieur d'un côté pouvait donner lieu au syn-

drome de Brown-Sequard. On a constaté que, si, à la suite d'une première

hémisection intéressant le segment cervical, on pratique une deuxième

hémisection au niveau du segment dorsal, l'hémianesthésie consécutive à

la première hémisection est remplacée par de l'hyperesthésie et vice-

versa. On a constaté que l'hémianesthésie consécutive à une hémisection

de la moelle peut disparaître, après élongation du nerf sciatique du côté

anesthésié.

En présence des résultats de cette nature, Brown-Sequard en était déjà

venu à se demander si l'hémianesthésie croisée, que développe habituel-

lement une hémisection de la moelle, est bien la conséquence directe

d'une interruption de conducteurs de la sensibilité, s'il ne s'agirait pas

plutôt d'effets à distance, dynamogéniques, résultant par exemple d'une

action d'inhibition qui s'exercerait sur les centres de la perception.

Il n'est pas impossible qu'il en soit ainsi. On s'expliquerait de la sorte

que, dans un cas d'hémisection de la moelle, l'anesthésie soit susceptible

de s'atténuer et de s'effacer, malgré le caractère irréparable de la lésion

qui intéresse les conducteurs nerveux au siège de l'hémisection.

C. Hyperesthésie directe.-Du côté de l'hémisection de la moelle, une hy-

peresthésie très nette s'associe, avons-nous dit, à la paralysie motrice.

Cette hyperesthésie s'explique sans difficulté, quand on tient compte des

résultats obtenus par certains expérimentateurs, et en particulier par En-

derlen, dont je vous ai déjà cité le remarquable travail.

.Les reclierches auxquelles je l'ais allusion démontrent qu'à la suite d'une

solution de continuité traumatique de la moelle, les fibres nerveuses divi-

sées subissent, jusqu'à une certaine distance du point de section, un état

de tuméfaction (Quelluy) que d'aucuns avaient pris pour l'indice d'un

' 23

322 F. RAYMOND

travail de régénération. En réalité, il ne s'agit que d'une dégénérescence

irritative, qui se résout à la longue. On conçoit donc que les segments de

fibres nerveuses, compris en deçà d'une hémisection, et ces segments

de fibres proviennent du côté correspondant du corps, propagent à la

périphérie une irritation qui se traduit par de l'hyperesthésie. On conçoit

qu'à la longue cette hyperesthésie s'atténue et disparaisse en même temps

que l'état d'irritation dont elle dépend. On conçoit également-que du côté

de l'hémisection, la limite supérieure de la zone d'hyperesthésie dépasse la

limite supérieure qu'atteint l'anesthésie du côté opposé, étant donné que

la dégénération irritative, la tuméfaction des fibres nerveuses, s'étend à

une certaine distance au-dessus lie la ligne de section.

Vous voyez qu'on s'explique très bien, de la sorte, l'hyperesthésie

consécutive à une hémisection de la moelle.

Fit. 1.

SUR UN CAS D 11ÉMISECT10N TRAUMATIQUE DE LA MOELLE 323

D. Exagération desréflexes tendineux du côté de la lésion.- Ce phénomène

s'observe chaque fois qu'une lésion interrompt les communications d'une

moitié de la moelle avec l'encéphale. On l'a attribué à ce que l'encéphale

loge des centres phrénateurs, qui exercent sur la production des réllexes

une influence modératrice. Selon toute vraisemblance le siège exact de

ces centres modérateurs est dans le cervelet.

Il y a là un point très intéressant de physiologie et de pathogénie, sur

lequel je compte avoir prochainement l'occasion de revenir. Pour le

moment je me borne à vous faire remarquer que chaque moitié du cer-

velet (Fig. 7) est en communication avec la voie motrice par l'intermé-

diaire du faisceau de Laewental, et avec la voie sensitive de la moitié

correspondante de la moelle par l'intermédiaire du faisceau cérébelleux

direct; c'est par celte voie sans doute que s'exerce l'influence modératrice

dont je viens de vous parler.

En somme, vous voyez que si l'anatomie nous fournissait la preuve de

l'entrecroisement de la voie sensitive un peu au-dessus de son niveau de

pénétration dans la moelle, il serait facile de rendre compte des principaux

éléments du syndrome de Brown-Sequard, qu'on voit se développer à la

suite d'une hémisection de la moelle.

RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE

PAR ,

Ch. ACHARD

Professeur agrégé

. Médecin de l'hôpital Tenon.

ET

LÉOPOLD-LÉVI

Ancien interne, lauréat

des hôpitaux.

, Les altérations osseuses de la paralysie infantile sont connues depuis

longtemps. Elles portent non seulement sur le volume des os, qui est

amoindri comme l'ont indiqué la plupart des auteurs, mais aussi sur leur

texture et sur leur morphologie générale : les saillies et les dépressions

de leur surface tendent à s'effacer, leur contour devient uniforme. Ce sont

là des particularités sur lesquelles l'un de nous a insisté, avec M. le pro-

fesseur Joffroy, en attribuant ces modifications du modelé des os à l'ab-

sence de muscles actifs autour du squelette (1).

La radiographie étant venue récemment fournir la possibilité d'appré-

cier l'état du squelette du vivant même des malades, il y avait lieu d'ap-

pliquer ce nouveau moyen d'investigation à l'étude des lésions osseuses

de la paralysie infantile. C'est ce que nous avons pu faire chez deux ma-

lades dont voici les observations.

OBS. I. Paralysie spinale infantile sous forme paraplégique remontant

it l'cïe de deux ans. Poussée aiguë d'atrophie musculaire généralisée en

1892.

Bannielle Emile, âgé de 52 ans, tailleur d'habits, entre le 3 mars 1897,

salle Parrot, lit nO 30, dans le service de M. Achard, ci l'hôpital Tenon.

Antécédents héréditaires . - Son grand-père maternel est mort ci l';lge

de 36 ans de phtisie pulmonaire, son père à 46 ans de la même mala-

die. Une soeur est morte poitrinaire à de 33 ans.

Antécédents personnels. Il est né le 13 mai 1846 de parents très jeu-

nes, son père avait 21 ans, sa mère moins de 17 ans.

A t'age de 12 ans, il contracta une fièvre typhoïde ; une pleurésie à gau-

che à )'age de 32 ans.

(1) A. JoFFnoY et Cn. Acnnno, Contrib. à l'anatomie pathologique de la paralysie spi-

nale aiguë de l'enfance. Arch. de médecine expériment., janv. 1889, p. 57.

RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE 325.

Début. Son affection débuta le jour de l'Ascension (mai 1848) : il

avait deux ans. Il avait, été conduit dans'un lieu de pèlerinage et avait t

couru beaucoup toute la journée, quand le soir il devint maussade, refusa

de manger, fut pris de fièvre et de délire qui persista la nuit. Le lende-

main matin, quand sa mère voulut l'habiller, elle remarqua qu'il était

paralysé des deux membres inférieurs. On consulta à son sujet toutes les

célébrités médicales : Velpeau, Nélaton, Malgaigne, Trousseau, il fut sou-

mis à l'électricité (bouteilles de Leyde et peaux de chat ? ).

A l'âge de 7 ans, il se forma, dans la région métatarsienne gauche, une

large plaie qui persista pendant 13 ans, s'ouvrant, chaque hiver, dès les

premiers froids, pour ne se fermer qu'en mai. Le pied gauche était le

siège de douleurs intolérables. -

. A l'âge de 20 ans, apparut dans la partie inférieure du fémur gauche

une douleur que le malade continue à ressentir encore, de temps en temps,

au-dessus du genou.

Malgré son affection le malade put prendre un métier, celui de tailleur,

et à l'âge de 29 ans il se maria : Il n'eut point d'enfants. Sa femme est

morte en 1884..

B... travaillait assis, les jambes croisées. Pour essayer les vêtements à

ses clients, il les faisait approcher d'une table sur laquelle il s'asseyait.

A la suite de la grippe, contractée en 1890, le malade jusqu'alors vif, en-

treprenant, fut pris de phénomènes de neurasthénie, avec troubles psychi-

ques et physiques, asthénie musculaire, courbature généralisée, difficulté

plus grande de la marche. Cet état persista jusqu'au 15 décembre 1892,

époque à laquelle, brusquement, il fut pris de faiblesse générale, avec

frissons et sueurs. A ce moment, il n'avaitplus la force d'exécuter quelques

mouvements avec les bras : on lui donnait à manger comme à un petit en-

fant. La tête vacillait sur les épaules. Il aurait existé un état fébrile, d'une

durée de deux mois. L'appétit était perdu. La soif était vive. Pendant trois

mois l'impotence des membres supérieurs fut complète, puis il pu recom-

mencer à, se servir de ses bras, mais il ne pouvait marcher : on était con-

traint à le porter d'un endroit à un autre, comme un enfant. En juillet

1893, il se remit à marcher, mais ses forces étant toujours médiocres, il

se fit admettre il la maison de Nanterre, où il présenta des phénomènes

atténués d'intoxication par le seigle ergoté (battements artériels spasmo-

diques, en particulier au niveau de l'artère centrale de la' rétine, engour-

dissements, fourmillements dans les doigts). Il quitta Nanterre au mois de

mai, entra dans le service de M. Marie à l'Hôtel-Dieu en mai 1894. Il fut

présenté à la Clinique. Au mois de janvier 1895, le malade rentra chez

lui, reprit ses occupations quand, à la fin d'avril 189G, les douleurs re-

vinrent au niveau des reins. Il fut de nouveau hospitalisé chez M. Mené-

326 CH. ACUARD ET LÉOPOLD-LÉVI

trier (à J'Hôtel-Dieu annexe, mai 1896) et enfin entra le 4 mars 1897

dans le service du Dr Achard.

Examen actuel. Il n'existe aucun phénomène notable du côté de

l'appareil digestif, circulatoire ou pulmonaire.

La face n'est le siège d'aucun phénomène morbide. On ne note aucune

paralysie oculaire, aucun trouble pupillaire. Parfois devant les yeux pas-

sent des éblouissements.

Les membres supérieurs sont robustes en général. Cependant la force

des mains est diminuée. La main droite serre 31 kilogr. à l'échelle de

pression du dynamomètre, la main gauche 24 kilogr. Les fourmillements

et engourdissements qu'avait ressentis le malade ont disparu.

Tout l'intérêt porte sur les membres inférieurs.

Le malade peut se tenir debout appuyé sur ses béquilles. Il repose sur

le sol par son pied droit, alors que la jambe gauche légèrement fléchie a

son talon à 20 centimètres du niveau du sol. Vu de dos, il présente une

scoliose à convexité droite de la colonne vertébrale, à maximum lombaire

avec saillie extrêmement marquée du sacrum. Tout le corps semble avoir

son axe dévié de haut en bas et de droite à gauche, de telle façon que la

rainure interfessière occupe cette direction, que la fesse droite est plus

basse que la gauche. Cette fesse aplatie, à peau flasque, est souvent ani-

mée de contractions fibrillaires. La Planche XXXI, A, représente le ma-

lade vu dans cette position. L'attitude est due à une atrophie du squelette

du bassin, qui, comme nous le verrons, s'étend à tous les os du membre.

Il faut signaler en outre que, tandis qu'à droite l'épine iliaque antéro-

supérieure est à 13 centimètres du bord inférieur des côtes, du côté gau-

che le bassin pénètre dans les côtes.

Pendant la marche, B... se sert seulement de la jambe droite. Les aisselles

appuyées sur deux béquilles, il laisse le pied droit en avant, fléchissant

légèrement la jambe sur la cuisse. Le pied en abduction repose sur le sol

à la fois par le talon et par la plante.

Examiné dans son lit, il présente, en général, l'attitude suivante. Le

membre inférieur droit est en rectitude, le pied droit en légère abduction.

'A gauche, la cuisse, qui repose sur le plan du lit par sa face interne, fait t

avec la jambe un angle de 130° environ ouvert en dehors.

.Les mouvements spontanés sont limités, surtout à gauche. Dece côté, il

élève le genou à quelques centimètres au-dessus du plan du lit, et exé-

cute un mouvement de la cuisse de dehors en dedans.

A droite, les mouvements du pied s'accomplissent tous.

La jambe droite étant fléchie, le malade la met en extension, mais il ne

peut produire le mouvement inverse. Des mouvements de rotation se pas-

sent à la cuisse.

RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE 327

Pour les mouvements provoqués, ils sont, en général, tous possibles du

côté droit. A gauche les mouvements du pied sont limités, l'extension

de la jambe ne dépasse pas un angle d'environ 150° ouvert en arrière.

L'abduction est peu marquée. Les mouvements de la cuisse gauche sur le

bassin'sont ceux d'un membre de polichinelle.

Les membres inférieurs sont le siège d'atrophie et de déformation. La

peau qui les recouvre est atteinte de troubles vaso-moteurs. Sans compter

une température inférieure à celle du reste du corps, des sueurs surtout à

gauche, il faut signaler la teinte violacée que prend la face dorsale du

pied, surtout à gauche, à la suite de la station verticale ou de la marche.

Les poils en outre sont inégalement répartis, plus nombreux à la cuisse à

droite qu'à gauche, à la jambe gauche qu'à la droite.

L'atrophie musculaire très marquée se traduit par les mensurations

suivantes :

328 Cil. ACHARD ET LÉOPOLD-LÉVI

orteil est en flexion foncée, passe sous la plante et s'étend jusqu'au niveau

du 4e orteil. Il existe une flexion très prononcée du métatarse sur le tarse .

Le pied gauche est en varuséquin. Le gros orteil est en flexion, mais seu-

lement de la 2e phalange sur la lre.

Les réflexes rotuliens sont abolis.

Il n'existe pas de troubles de sensibilité.

OBs. IL Paralysie spinale infantile limitée au membre supérieur droit,

mouvements atéthoïdes des doigts par contractions fibrillaires. Tuberculose

pleuro-pulmonaire.

François Rogué, âgé de 53 ans, placier en fournitures de bureau, en-

tre le 10 mai 1877, salle Lorain, n° 14, service du Dr Achard, hôpital

Tenon.

' Actécédents héréditaires. - Son père est mort à 69 ans. C'était un ma-

rin, alcoolique, s'enivrant de temps en temps pendant 5 à 6 jours de suite.

Sa mère est morte dans une attaque d'apoplexie à l'âge de 43 ans. Elle

était nerveuse, irascible : Ses parents ont eu quatre enfants. L'aîné est

mort de delirium tremens. On ne relève ni affection nerveuse, ni affec-

tion mentale parmi les autres membres de la famille.

Antécédents personnels. DÉBUT. Il naquit à terme, très volumineux,

aurait pesé 10 livres ( ? ). On dut faire une application de forceps et il vint

en état de mort apparente. Il fut nourri au sein.

C'est à l'âge de six mois, d'après ce qu'on lui dit, que son affection au-

rait débuté. Il fut pris de convulsions, et son membre supérieur droit de-

vint paralysé.. - - - - ,

Néanmoins, il marcha et commença à parler de bonne heure. Il alla à

l'école, et apprit à écrire de la main gauche. Il put même être clerc de

percepteur. Il passa une partie de sa vie dans les champs. Il fut réformé

au service militaire, mais fit la campagne de 1870 à Metz comme piqueur

de convois.

A l'âge de 12 ails, il contracta la rougeole. Pendant son séjour à Metz,

à l'âge de 25 ans, il fut atteint d'une fièvre typhoïde, assez grave, qui

s'accompagna de délire. Il fut soigné plus récemment pour une lymphan-

gite du membre inférieur droit. Enfin il présenta une fistule à l'anus,

qu'on opéra sans chloroforme.

Le 10 mai 1897 il entra dans le service du D'' Achard pour une pleuré-

sie gauche. Il souffrait depuis un mois, avait de la fièvre. Il fut ponctionné

8 jours après son entrée. La ponction retira 1500 grammes d'un liquide

séro-fibrineux. Après la ponction, il y eut une amélioration dans les phé-

.nomènes généraux, mais la toux persista ainsi que la fièvre, l'appétit ne

PARALYSIE SPINALE INFANTILE

A. Forme paraplégique plus accusée

du côté gauche. Atrophie du bassin. Scoliose.

B. Forme localisée au membre supérieur droit.

Atrophie en longueur et surtout en largeur.

MASSON & cic) Editeurs.

RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE 329

revint pas, non plus que lès forces, le sommeil est mauvais, le malade est

manifestement bacillaire.

Examen du malade. R... mesure 1 m. 72, il a été très solide, mais

a maigri beaucoup depuis sa pleurésie. Les temporales sont saillantes, le

malade n'est ni migraineux, ni variqueux. Actuellement, il offre les symp-

tômes généraux (fièvre, transpiration, amaigrissement) et locaux (lésions

du 2e degré au sommet droit) de la tuberculose pulmonaire.

Le tl\orax mis à nu montre dans toute sa partie droite une atrophie

portant sur les parties molles et sur le squelette. Les côtes atrophiées font

saillie, le sternum est enfoncé au niveau de l'appendice xiphoïde. L'omo-

plate droite est moins développée que sa congénère. Il n'existe pas de

déformation de la colonne vertébrale. L'atrophie en masse du membre

supérieur droit est encore plus évidente, ainsi que le montre la photo-

graphie (PI. XXXII, B).

Si on examine dans le détail, on.voit que la clavicule droite est extrê-

mement grêle, arrondie, qu'elle ne présente pas de saillie. L'humérus

n'est plus en rapport avec la cavité glénoïde. Les ligaments coraco-humé-

raux.sont distendus. On peut placer le pouce tout entier au-dessus de la

tête humérale. La luxation à volonté de la tête humérale peut se réduire,

mais se reproduit aussitôt. L'humérus est extrêmement grêle, arrondi. Il

en est de même des os de l'avant-bras et de la main. Le pannicule adipeux

sous-cutané est amaigri. Les muscles sous-jacents dans toute l'étendue du

membre sont atrophiés.

Les mensurations donnent pour la longueur du membre 74 centimètres

à droite, 79 centimètres gauche.

Transversalement, en des régions symétriques, on note :

Au bras, 15 centimètres à droite, 24 centimètres à gauche.

A l'avant-bras, 16 centimètres à droite, 27 centimètres à gauche.

A la région métacarpienne, 18 centimètres à droite, 25 centimètres à

gauche.

L'impotence du membre supérieur est pour ainsi dire complète. Il ne

peut serrer le dynamomètre avec la main, cependant il peut tenir un sac

léger d'échantillons entre les quatre derniers doigts.

Le pouce, en extension forcée, écarté de la main ne peut venir joindre

le petit doigt. L'atrophie de l'éminence thénar est très marquée.

Les mouvements de flexion des 3° et 2" phalanges sont possibles, ainsi

que dans une certaine mesure l'abduction et l'adduction des doigts.

- Le malade peut fléchir son avant-bras sur le bras, mais il ne résiste à

aucune pression, si légère qu'elle soit. Quant à l'épaule, elle peut exécu-

ter un seul mouvement. L'attitude du membre supérieur malade est cons-

tamment en pronation. Pour mettre la main en supination, la main gauche

3SO en. ACHARD ET LÉOPOLD-LÉVI

fait exécuter au membre en masse une sorte de torsion, une rotation de

dehors en dedans.

Il n'existe pas de trouble de sensibilité. Jamais le malade n'éprouve de

douleur dans le membre supérieur droit. Sous l'influence du froid, en

hiver, son bras devient engourdi, bleuâtre. D'ailleurs il existe une ten-

dance pour tout le membre, surtout pour la main, à se refroidir facilement.

Les réflexes rotuliens sont normaux.

Il est encore à noter l'existence de mouvements involontaires, dys-

chrones, souvent exagérés, qui se passent au niveau des différents doigts

de la main droite, en particulier du petit doigt et de l'annulaire. Ces mouve-

ments qui rappellent dans une certaine mesure les mouvements d'athétose,

dont ils n'ont d'ailleurs pas la lenteur ni la forme arrondie, sont en rap-

port avec des contractions fibrillaires plus ou moins accentuées qui sillon-

nent les différents extenseurs des doigts, et en particulier l'extenseur du

petit doigt. Ces contractions ne gênent pas d'habitude le malade, il n'y

fait pas attention. Il a cependant remarqué qu'elles étaient variables avec

le temps, dit-il, plus marquées quand le temps est orageux. Parfois, la

nuit, elles sont assez fortes pour le réveiller brusquement. Il peut annon-

cer, maintenant que nous lui avons fait remarquer le phénomène, le

mouvement de ses doigts quand il sent venir puis augmenter la contraction

fibrillaire. Le petit doigt en particulier est animé de secousses qui le sou-

lèvent de bas en haut. Parfois les doigts sont écartés.

En résumé, il s'agit de deux cas de paralysie spinale infantile remon-

tant à 50 années environ, ayant débuté par de la fièvre et du délire dans

une observation, des convulsions dans l'autre. La paralysie affecte la forme

paraplégique chez le premier malade. Elle a atteint le membre supérieur

droit chez le second. Il faut noter chez Ban... la participation du squelette

du bassin au processus osseux et la scoliose vertébrale. Chez Rog... le

côté droit du thorax et l'omoplate sont également atrophiés. C'est sur

cette atrophie osseuse, concomitante de l'atrophie musculaire, que nous

allons revenir. Remarquons d'abord l'existence, chez Rog..., de tubercu-

lose pulmonaire, alors que Ban... en est indemne. Ce dernier présente

cependant une lourde hérédité à cet égard. Il a, d'autre part, perdu une

plus grande quantité de masses musculaires que Rog... On relève, il est

vrai, dans ses antécédents, une pleurésie. Ces faits ne,confirment ni n'in-

firment la remarque de M. Gilbert sur la fréquence de la tuberculose chez

les sujets atteints de paralysie infantile (1).

D'autres particularités sont à signaler : c'est d'une part la reprise et

(1) Soc. de biologie, 20 mars 1897,

RADIOGRAPHIES DES MEMBRES INFERIEURS

A. Dans un cas de paralysie infantile.

B. Chez un sujet sain, de même âge.

(Epreuves négative ?

RADIOGRAPHIES DES MEMBRES SUPÉRIEURS

dans un cas de paralysie infantile.

(Épreuves négatives)

A. Membre supérieur gauche sain.

B. Membre supérieur droit (en pronation).

RADIOGRAPHIE DES OS DANS LA PARALYSIE INFANTILE 331

l'extension au moins passagère des phénomènes paralytiques et atrophi-

ques chez notre premier malade, comme le fait est bien connu surtout de-

puis le travail de Balle[ et Dutil. C'est l'existence, chez le second

malade, de mouvements en quelque sorte athétoïdes qui pourraient éveil-

ler l'idée d'une hémiplégie spasmodique infantile, affection où les mou-

.vements athétosiques sont fréquents. En réalité, il ne s'agit pas ici d'athé-

tose, mais seulement de contractions fibrillaires se produisant* au niveau

de divers groupes musculaires et en traînant des mouvements particuliers

des doigts. Le réflexe tendineux du poignet est d'ailleurs aboli.

En ce qui concerne l'atrophie osseuse, l'application des rayons de

Roentgen donne les résultats suivants, ainsi qu'on peut en juger sur les

planches XXXIII à XXXVI.

Il s'agit de deux épreuves négatives, suivant l'expression que l'un de

nous a proposée. Dans un cas (Pl. XXXIII et XXXIV), on voit le sque-

lette du membre inférieur (fémur, rotule, tibia, péroné) de Ban... (côté

gauche), et par opposition les os correspondants radiographiés chez un

malade du même âge ne présentant pas d'altérations osseuses. Les deux

clichés ont été obtenus dans les mêmes conditions de pose (5 minutes) et

de distance de l'ampoule bianodique(35 centim.). On remarque une diffé-

rence de volume très appréciable portant sur toisa les os. En outre, dans le

cas de paralysie infantile, les os (et la comparaison des tibias est surtout

instructive à ce point de vue), sont unis, arrondis, à peu près dépour-

vus de dépressions et de saillies. Enfin l'épaisseur du tissu compact est

moins grande, l'os est devenu transparent.

Une autre planche (Pi. XXXV et XXXVI) représente les deux mem-

bres supérieurs, l'un sain et l'autre malade, de notre deuxième sujet. Les

photographies ont été obtenues par une pose de (2 minutes) à une distance

de (30 centim.) de l'ampoule. Elles confirment les remarques précédentes :

diminution extrême de volume, absence de modelé de l'os, transparence par

diminution du tissu compact.

L'étude des radiographies fait donc ressortir l'absence de développement

des os dans le sens de la largeur et de l'épaisseur, au cours de la paralysie

infantile. En ce qui concerne la longueur des os, l'atrophie est, en gé-

néral, moins marquée; car, si les mensurations montrent habituellement

une différence entre les membres sains et pathologiques, il faut tenir

compte aussi des déformations et des rétractions tendineuses. De toutes

façons il existe dans la paralysie infantile un processus portant sur la con-

figuration et sur la texture de l'os, processus véritablement diaphysaire,

et qui ne s'exerce donc pas essentiellement sur les surfaces épiphysaires

d'accroissement.

NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE

CHEZ UN ÉPILEPTIQUE APATHIQUE

. PAR

CH. FÉRÉ

Médecin de Bicêtre.

On sait combien la circulation de la peau et la contraction de ses mus-

cles sont influencées par les émotions (1). Chez les individus affaiblis ces

accompagnements des émotions peuvent s'exagérer au point de constituer

des états morbides. On a cité des cas de purpura à la suite de peur ou de

colère (2). La sécrétion sudorale présente assez souvent des modifications

morbides dans les mêmes conditions. Les émotions peuvent non seule-

ment provoquer des sueurs profuses, mais même une tendance persis-

tante à la transpiration excessive (3).

Lés émotions pénibles surtout ont été souvent accusées de provoquer

des affections cutanées : l'érythème, l'urticaire, l'eczéma, le psoriasis,

l'herpès (4), le pemphigus (5).

A côté de ces dermatoses et en particulier de l'urlicaire, on peut citer

les oedèmes de la peau et les troubles trophiques, le vitiligo et la décolo-

ration des cheveux et des poils (6), la chute des cheveux ou la pigmenta-

tion.

La mélanodermie est rarement provoquée par une émotion morale; ce-

pendant Rostan cite l'observation d'une vieille femme dont la peau se co-

lora dans l'espace d'une nuit à la suite de violents chagrins survenus coup

(1) Cil. Féré, La pathologie des émotions, 1892, p. 212, 245, etc.

(2) LECLEnc, Obs. sur un cas de purpura hémorrhagique survenu immédiatement

après un accès de colère. Journ. des conn. méd. prat., 1833-34, I, p. 199. - Leloiii,

Des dermatoses par choc moral. Ann. de dermatologie, 1881, p. 367. - Dr SM"T, Un

cas de purpura hémol'1'ha.r¡ique par choc moral. La Clinique, Bruxelles, 1888, p. loi.

(3) J. IIoTCmxsor, Archives of Surgery, t. V, p. 182.

(4) DUIIIIING, Case of dermalisis herpeliformis caused by nervous shock. Amer, journ.

of med. se., 1884, t. LXXXIX, p. 94.

(5) DUDOIS-IL1VE\ITII, Dermatoses par choc moral. La Clinique, Bruxelles, 1888,

p. 164. - CHUYL, Affection cutanée, trophonévro tique. La Belgique médicale, 1897, 1,

p. 5 î Î.

(G) Cii. Féré, Note sur un cas de canitie rapide. Progrès médical, 1897, 3' série,

t. V, p. 49.

NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE 33a

sur coup (1). Depuis, Laycock (2) et Long-Fox (3) ont cité des faits ana-

logues.

- Dans les états émotionnels morbides, dans la folie, on observe aussi

des troubles trophiques de la peau et des poils. Le système pileux est sou-

vent affecté dans les cas chroniques ; les cheveux noirs prennent un reflet

rougeâtre comme s'ils étaient teints; les cheveux blonds pâlissent.

Hake Tuke rapporte un cas de manie récurrente, dans lequel les che-

veux devenaient gris à chaque attaque et reprenaient leur couleur brune

naturelle dans les intervalles. Guericke fait allusion à un malade qui per-

dit ses cheveux au cours d'un delirium tremens (4). Chez les femmes au

contraire. on observe quelquefois, au cours d'une affection mentale, un

développement considérable des poils sur la face (5). Dans les formes

graves de la mélancolie on observe quelquefois aussi des troubles de nu-

trition des ongles qui présentent des sillons transversaux multiples (6).

On pouvait s'attendre à ce que les changements de coloration de la peau

n'étaient pas rares chez les aliénés. On a cité en effet des cas de vitiligo,

ou de pigmentation exagérée : toutefois, ces faits tiennent peu de place

dans la littérature (7) et dans plusieurs traités récents de psychiatrie, la

mélanodermie n'est pas mentionnée ; et d'autre part les traités de derma-

tologie les plus estimés et même une monographie récente (8), ne font

guère de place aux névroses et aux psychoses dans l'étiologie de la méla-

nodermie. '

On avait bien reconnu que la pigmentation légère de la peau pouvait

être liée à des lésions rachidiennes aussi bien qu'à des états généraux

névropathiques, hystérie, hypochondrie (Barlow) (9), mais la plupart des

conditions de dégradation organique peuvent s'accompagner du même

(1) IIOSTIN, Observation d'une femme devenue noire dans l'espace d'une nuil à la

suite d'une violente impression de chagrin. Bull. de la Faculté de médecine, 1816-i7,

t. V, p. : ;24.

(2) Laycock (Th.), Clinical researches cuto morbide pigmentary changes in lhe conz-

plexion. Brit. and foreign med. chir. Review, 1861, l. XXVII, pp. 185, 436.

(3) E. Long-Fox, The influence of sympathie on diseuses, 1885, p. 497.

(4) 0. GurnchE, De calvitie hirsutie, colorisque viliis pilorum. Inaug. diss., Ilalis

Saxorum, 1853, p. 15.

(5) L. llvc Lwe ILwoc.TO.r, Upon the signifiance of facial kairg grozullhs among

insane female. N.-Y. med. Record, 18SI, vol. XIX, p. 281.

(6) A. Papillon, Les sillons des ongles chez les aliénés, thèse Bordeaux, 18.95.

Ch. Féré, Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 216. La pelade posl-épilepti-

que. Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1895, p. 17.

(7) REGARD, Deux cas de maladie ou de coloration bronzée dans le cours île la pa-

ralysie générale. Gaz. hehd., 486'i, 2e série, II, p. 181. - Févue, Observation de ni-

gritie chez un aliéné. Ann. méd. psych., 1877, 5e série, t. XVII, p. 375.

(8) L. A. Vulpian, Des mélanodermies, étude séméiologique et pathogénique, th. 1897 .

- (9) Martineau, De la maladie d'Addison, th. 1863, p. 132.

334. Cil. FÉIÜ

changement. Les maladies générales et les infections (1), la carcinose, la

sarcomatose, la neurofibromatose, la tuberculose, la lèpre, la pellagre,

le paludisme, l'alcoolisme (2), le diabète bronzé de Hanot; les intoxica-

tions par le plomb, par le nitrate d'argent, par l'arsenic (Manssurow,

Leszynsky, Hoffter) (3). Les sels d'aniline peuvent s'accompagner de pig-

mentations brunes d'intensité et de nuances diverses. La grossesse (4)

s'accompagne aussi quelquefois de mélanodermie. Certains troubles tro-

phiques de la peau peuvent'encore coïncider avec une pigmentation plus

ou moins uniforme (5). La dystrophie papillaire et pigmentaire de Da-

rier est caractérisée par une pigmentation qui varie du gris au brun foncé,

mais elle s'accompagne d'une hypertrophie.papillaire végétante et de dys-

trophie pilaire ; elle présente une localisation constante,au cou,à la nuque,

à la région anogénitaie, à l'ombilic dans l'aisselle, et elle coïncide avec

la curcunose abdominale (6). Toutes ces pigmentations liées à des troubles

généraux ou locaux de la nutrition diffèrent par leur diffusion des pig-

mentations congénitales, héréditaires ou familiales (7) qui sont généra-

lement limitées ou disséminées.

La valeur de la dépression générale de l'organisme avait bien frappé

certains observateurs qui avaient même négligé les sensations qui ne pou-

vaient être rattachées à des irritations locales (8). Mais bientôt ces causes

d'irritation locale qu'on relève dans certaines observations anciennes

(Chomel (9), Lendet) (10) ont fixé particulièrement l'attention et la méla-

nodermie fréquente chez les miséreux et les vagabonds a été attribuée

principalement à l'irritation provoquée par la vermine, Vagabonden Krank-

heis de Yot (1-I), Vagabonds discoloration de Greenhow (12). Il n'est pas

(1) 31ABOTTE, : Contl'ib. à l'étude des pigmentations pathologiques, th. 1896.

(2) C. Caruiaxos, Des cachexies pigmentaires et en particulier des cachexies pig-

jnentai1'es diabéliques el alcooliques, th. 1897.

(3) 0. Wyss, Ueber Arsenmelanose. Corrcspondenzblatt f. sch. Aorzte, 1890, p. 473.

(4) A. MABLIO, Des modifications de la pigmentation de la peau au cours de la gros-

sesse, th. 1891.

(5) U;PIIOE, Mélanodermie étendue à toute la surface du corps, sclérodermie bornée

aux doigts avec atrophie des phalangettes ; atrophie de la moitié droite de la face.

C. R. soc. de Biologie, 1813, p. di 46.

(6) P. COUILLAUD, Dystrophie papillaire et pigmentaire ou acanthosis nigricans, ses

relations avec la carcinose abdominale, th. 1896.

(i) F. J. Pic, Ueber melanosis lenticul(l1'is pi,oq7,essiva. 71t'te1j. f. derm. und. syph.,

188'r, I,

(8) Boucher, Deux cas de coloration anormale de la peau liée à un état cachectique

de cause indéterminée. Gaz. des hôp., 1861, t. XXXIV, p. 161.

(9) Chomel, Observation sur la coloration noire de la peau d'un homme naturelle-

ment blanc. Bull. de la faculté de médecine, 1814, t. IV, p. 113.

(10) GEORGES Poocnrr, Des colorations de l'épiderme, th. 1864, p. 43.

·(19) Cité par BALL, kvi. Maladie bronzée. Dict. encycl. des se. méd.,1870, t. XI, p. 90.

(12) GREENIIOW, Discolo1'lttion of the skin simulaling the bronzed skin of morbus addi-

NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE 335

douteux que l'irritation locale favorise le départ de pigment, puisque la

pigmentation prédomine autour des lésions qui ont provoqué le grattage ;

mais cette irritation n'est pas la seule cause puisque les muqueuses peu-

vent être atteintes dans des régions inaccessibles au grattage et qui ne sont

le siège d'aucune lésion superficielle (1). Les conditions multiples de

nutrition défectueuse paraissent donc à l'exclusion des causes externes

capables de provoquer la pigmentation généralisée de la peau avec enva-

hissement partiel des muqueuses (2). Quant à la détermination du méca-

nisme du phénomène, il reste à établir. Peut-on incriminer un produit

toxique agissant sur les centres nerveux (3) C'est un point sur lequel je

n'engagerai pas de discussion.

L'observation qu'on va lire me paraît propre à montrer les liens qui

existent entre la mélanodermie et les troubles généraux de la nutrition à

l'exclusion de toute irritation externe.

Observation.

S..., 31 ans, employé aux écritures, est entré dans la division des épi-

leptiques à Bicêtre le 18 avril 1890.

Antécédents héréditaires. - Le grand-père paternel serait mort d'une

attaque d'apoplexie à 48 ans ; renseignements indécis sur la grand'mère.

Les grands-parents maternels sont morts à plus de 70 ans. Le père est

rhumatisant. La mère a des cauchemars et est sujette à des attaques de

paralysie matinale(engourdissement et parésie des extrémités supérieures).

Deux soeurs sont impressionnables, pleurnicheuses, mais sans trouble ner-

veux caractérisé.

Antécédents personnels . - Rien de spécial quant la gestation, ni quant

à la naissance, ni quant aux premières années.

Il aurait eu des convulsions pour la première fois à l'âge de 4 ans à la

suite d'une peur. -

Depuis l'âge de 10 ans, il est sujet de temps en temps à des sensations

sonnii. Trans. of the Pale. soc. of London, 1864, t. XV, p. 226. - A case of vaga-

bond's dM(;o ! o< ? 0;t s-,«712111aliieg. etc. Trans. of the clinical society of London, 1876,

IX, p. 24. - P. FACHE, Des mélanodermies et en particulier d'une mélanodermie pa-

basilaire, th. 1872.

(1) E. Besnieh, Mélanodermie généralisée avec pigmentation des ongles, de la mu-

queuse buccale et du prépuce, sans signes certains de cachexie surrénale. Ann. de

derm., 1889, X, p. 569. - G. Thibierge, Deux cas de mélanodermie avec pigmentation

de la muqueuse buccale chez des sujets atteints de phthiriase et ne présentant pas les

signes généraux de la maladie d'Addison. C. R. et mém. de la soc. méd. des h8p.,

1891, p. 692.

(2) A. GILLE'C, Mélanodermie par privation, th. 1869.

(3) J. Grszsec, Essai sur la maladie des vagabonds, sa confusion possible avec la ma-

ladie d'Addison, th. Lyon, 1892.

336 CIl. FÉRÉ

générales étranges de malaise, sans perte de connaissance. Peu à peu, à

ces sensations indéfinissables, dit le malade, se sont joints des mouve-

ments des lèvres,puis des pertes de connaissance. A 12 ans,il a eu sa pre-

mière grande attaque avec convulsions générales et perte de connaissance.

Depuis, les attaques se sont reproduites avec une fréquence variable aussi

bien la nuit que le jour. Il urine souvent et se mord quelquefois la langue.

Il dort rarement après les accès.

Vers 16 ans, il a commencé à présenter des absences et des pertes su-

bites de mémoire, interrompant la conversation sans perte de connaissance.

En même temps ses attaques devenaient fréquentes, il en avait jusqu'à 7

par jour. Deux ans plus tard, les accès étaient devenus plus rares, souvent

nocturnes ; le malade put obtenir une fonction qu'il a toujours remplie

imparfaitement et qu'il n'a pu conserver que grâce à l'indulgence de ses

chefs. Pendant six ans, il a subi des traitements variés sans obtenir d'a-

mélioration durable; son caractère s'est aigri, il est devenu difficile à vi-

vre malgré une indolence invincible. Sa famille a fini par se décider à

réclamer l'assistance. '

Etat actuel, avril 1890. Il a une taille de 1 m. 65 et ne pèse que

46 kil. 500 : c'est dire qu'il est très maigre. Il se tient assez droit mais

porte la tète basse. Son tégument est bistré, les extrémités sont froides et

violacées, le nez a une couleur bleuâtre. Il n'y a sur le corps aucune

trace de grattage ni d'éruption. Il présente seulement à remarquer au ni-

veau des apophyses épineuses lombaires une pigmentation de la peau que

l'on attribue à la position assise prolongée le dos constamment appuyé.

Le système pileux est peu développé sur le corps et sur la face ; les che-

veux et la moustache sont noir foncé. La face est asymétrique, les oreilles

sont aussi inégales de dimension; voûte palatine très ogivale.

Il présente une diminution de la sensibilité de la peau et des sens spé-

ciaux et surtout une analgésie bien marquée.

Il présente des formes très variées de troubles paroxystiques : 1° des

attaques convulsives commençant par une perte de connaissance avec cri

et consistant en une période tonique suivie de quelques mouvements clo-

niques et d'une très courte période de stertor, le tout ne dure guère que

10 ou 12 minutes. Il ne se souvient de rien, ne se mord que rarement la

langue, n'urine presque jamais; 2'' des vertiges et des éblouissements,

des absences; 3° des crises d'excitation dans lesquelles il crie, vocifère,

s'agite, appelle le père éternel, sa mère, sa soeur, la Sainte-Vierge, de-

mande qu'on l'aide à mourir, etc. ; 4° des crises d'apathie, dans lesquelles

il paraît insensible toutes les excitations, reste immobile sur un fauteuil,

refuse les aliments. Ces crises d'apathie durent souvent plusieurs jours,

quelquefois interrompues par des attaques convulsives plus fréquentes;

NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE 337

quelquefois elles sont très courtes et paraissent au contraire remplacer

les manifestations convulsives. Trois de ces crises d'apathie, sur lesquel-

les nous reviendrons, ont duré plusieurs semaines et se sont accompagnées

d'amaigrissement notable. Du reste, il est généralement mélancolique, taci-

turne, refuse tout exercice.Avec ce genre de vie on ne peutguère s'étonner

qu'il souffre d'une constipation opiniâtre qu'on ne peut vaincre qu'avec

des lavements. Malgré cette constipation et ce défaut d'exercice il a sup-

porté la bromuration progressive sans présenter jamais d'éruptions cuta-

nées et n'a souffert que de longs intervalles de légers troubles gastriques.

Avant son entrée il avait eu pendant plusieurs mois de 10 à 15 paroxys-

mes par mois. Il prétendait qu'il ne supportait le bromure à aucune dose.

Du 10 mai au 30 septembre, il a pris 4 grammes de borax, puis 5 gram-

mes à partir du 30 septembre. Mais le médicament a bientôt déterminé

des vomissements et on a dû le cesser le 8 octobre.

Il a commencé alors le bromure de potassium à la dose de 5 gram-

mes. On a augmenté successivement d'un gramme le 29 novembre, le

10 décembre, le 6 février 1891, le 9 avril, le 20 juin, le 24 juillet, le

6 octobre. Le 11 novembre il a déclaré qu'il ne voulait plus prendre le

médicament (12 gr.) prétextant de fortes douleurs d'estomac. Il a pris de

l'extrait de belladone à la dose de 0,06 centigrammes, et on a augmenté

progressivement de deux centigrammes le 2 décembre, le 21 décembre,

le 14 janvier 1892, le 4 février, le 18 février, le 10 avril, le 27 avril, le

3 juin. Quand il est arrivé à la dose de 0,22 centigrammes il commença à

se plaindre de sécheresse de la gorge, de quelque^hallucinations de la vue ;

bien qu'il n'eut aucun trouble pupillaire, on supputa le médicament qui

n'avait amené aucune modification notable du nombre ni de l'intensité

des paroxysmes. A partir du 27 juin il reprit 12 grammes de bromure de

potassium, qui fut changé le 12 juillet en bromure de strontium à la même

dose à cause du retour des douleurs d'estomac. Il avait été examiné à nu

le 11 août, on n'avait rien remarqué de particulier sur sa peau. Il pesait

47 kilogrammes. Quelques jours après il tomba dans un état de dépression

profonde, ne répondant à aucune excitation, refusant de manger, parlant

de sa mort prochaine, mais ne présentant ni la fétidité de la langue, ni l'état

saburral du bromisme. Cet état ressemblait aux crises d'apathie de quel-

ques jours qu'on avait déjà observées. Depuis le 18 août, où on l'avait re-

marqué pour la première fois, cet état ne lit qu'augmenter jusqu'au 25 août.

On ne pouvait qu'avec peine arriver à lui faire avaler quelques cuillerées

de lait et il n'était plus question de bromure depuis le 18. On le désha-

billa pour le peser il avait perdu 4 kilogs depuis le 11, mais on fut frappé

du changement de coloration de sa peau. Tout le tronc, aussi bien la partie

postérieure que l'antérieure et les côtés, le cou, les fesses, les cuisses sur-

x 24

338 CH. FÉRÉ

tout à la face interne, les bras, avaient pris une coloration bronze foncé

non pas uniforme mais marbrée de petites taches lenticulaires blanchâ-

tres variant de 2 à 4 millimètres de diamètre. La coloration était à peu

près uniforme sur le tronc, plus foncée encore à la base du cou et sur la

face interne des cuisses s'élargissant graduellement en montant sur le cou,

et en descendant sur l'avant-bras et sur la jambe. La face, les mains et les

pieds avait conservé leur coloration normale. La peau était restée lisse,

ne présentant aucune éruption ni aucune lésion de grattage. Du reste ce

malade comme les autres n'est jamais visité autrement que nu, est sou-

vent baigné, et l'absence absolue de vermine ne peut pas être mise en

doute.

A partir du 29 août la dépression commença à s'atténuer, il n'était sur-

venu ni accès ni vertiges depuis le 9. En même temps que l'état général

s'améliorait, la coloration de la peau s'atténuait. Quand je revins de nou-

veau au premier octobre il ne restait aucune trace de la coloration bronzée,

excepté les taches constatées peu de temps après l'entrée au niveau des

apophyses épineuses dorso-lombaires. Le poids était remonté à 47 kilo-

grammes.

A partir du 25 octobre, le bromure de strontium a été porté à 13 gram-

mes, et il en résulte une diminution considérable des accès et des vertiges

qui se sont abaissés de 75 à 22 dans l'année suivante et les crises psychi-

ques avaient presque disparu. L'année 1894 a été aussi assez bonne bien

que le bromure de strontium n'ait été augmenté que trois fois, le avril,

le 11 octobre et le 3 décembre. Il y avait eu à la fin de l'année une légère

recrudescence qui s'accentua dans les premiers mois de l'année 1895. A

partir du 7 janvier il prit 17 grammes. En mars il retomba dans un état

apathique, interrompu cette fois par des accès et des vertiges nombreux.

Il avait été pesé le 21 février : il pesait 48 kilogrammes. II avait commencé

à refuser les aliments dans les premiers jours de mars. Le 5 on avait de

plus remarqué la teinte marbrée en brun de la peau. Dans l'espace de

3 jours, elle était passée au brun foncé. Elle occupait les mêmes régions

que la première fois, plus foncée vers le tronc et à la racine des membres

et du cou, s'atténuant vers la périphérie. Il pesait 45 kilogrammes; jus-

qu'au 16 mars, le poids a encore baissé de deux kilogrammes, l'état men-

tal était le même, la coloration de la peau était fixe. Elle n'a commencé

à s'atténuer nettement qu'à partir du 26 mars où le poids s'est mis à re-

monter. Cette fois j'ai pu suivre l'effacement de la coloration vers la ra-

cine des membres, puis sur le tronc où elle persiste plus longtemps, vers

les aisselles et vers les aines ; la disparition complète n'a été réalisée qu'au

commencement de mai. Le malade alors atteint 49 kilogrammes. En 1896,

il n'eut que deux accès et deux vertiges et un petit nombre de crises psy-

MÉLANODERMIE RÉCURRENTE CHEZ UN ÉPILEPTIQUE APATHIQUE

MASSON & cite, Editeurs.

NOTE SUR UN CAS DE MÉLANODERMIE RÉCURRENTE 339

chiques. Le bromure ne fut augmenté que le 5 novembre(18gr.) le malade

se plaignant de cauchemars. Jusque-là le poids avait oscillé entre 45, 50,

5 ? 51, 47. Il s'abaissa dans les premiers mois de 1897, bien que l'amé-

lioration des troubles convulsifs persistai comme on peut le voir dans le

tableau des accès. .

Le 4 mai il était retombé dans son état de dépression, et il a eu une

série d'accès, il ne pesait que 45 kilogrammes. La peau des aines était

déjà fortement teintée, autour des aisselles et autour des mamelons, le

bord du rachis, dans le creux des claviculaires la coloration brune et les

Dots blancs étaient bien distincts. Le 15 la coloration avait atteint les li-

mites anciennes, et les photographies rendent bien compte de la disposi-

tion de la pigmentation (Pl. XXXVII).

Le malade pesait ce jour-là 43 kgr. 500. Il ne tenait pas debout et il

était impossible de le tenir en équilibre sans le soulever par les aisselles.

Ce n'est qu'à partir du G juin qu'il a recommencé à s'alimenter et à re-

prendre son médicament. La coloration de la peau s'est atténuée.progres-

sivement, et s'est rétrécie, mais le 15 juin elle était encore assez marquée.

TABLEAU DES ACCÈS ET VERTIGES

PATHOGÉNIE ET PROPHYLAXIE .

DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS

DES HÉMIPLÉGIQUES

PAR

GILLES de la TOURETTE,

Professeur agrégé, médecin des hôpitaux.

(Suite et fin

2- GROUPE. - Arthrites ET amyotrophie DES membres supérieur ET inférieur.

'. SÉJOUR au LIT. 7 malades.

OBS. XL Hémiplégie gauche. Ankylose de l'épaule et de la hanche, atrophie

musculaire et adipose.

Marg. BI..., femme, cinquante-deux ans, hôpital Hérold, salle E, n° 8. Hé-

miplégie gauche spasmodique d'ancienne date ( ? ). Etat mental. Ankylose de

l'articulation scapulo-humérale. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire,

masquée par adipose se limitant au bras. Circonférence du bras : à droite,

7 centimètres ; à gauche, 27 centimètres. '

Reste confinée au lit. Ankylose de la hanche droite. Atrophie des muscles

de la fesse et de la cuisse. Circonférence : 15 centimètres au-dessus de la ro-

tule ; cuisse droite, 42 centimètres ; cuisse gauche, 40 cent. 1/2; adipose con-

sidérable de la cuisse.

Oiis. XII. Hémiplégie droite, aphasie, ankylose de l'épaule et de la hanche ;

adipose généralisée masquant l'atrophie.

Eug. Mars..., femme, soixante et un ans, hôpital Hérold, salle D, n° 24.

Hémiplégie droite avec aphasie datant de 1892. Ankylose presque complète de

l'articulation scapulo-humérale, les autres articulations du membre supérieur

sont libres. Adipose énorme de tout le membre supérieur s'étendant jusqu'à

l'extrémité des doigts, masquant l'atrophie. Circonférence : bras droit, au

niveau de l'aisselle, 32 centimètres ; bras gauche, 30 ; avant-bras droit, 27 ;

gauche, 25.

Reste confinée au lit. Demi-ankylose de la hanche droite ; craquements dans

le genou. Adipose généralisée à tout le membre inférieur, atrophie des muscles

de la fesse. Circonférence : cuisse, 47 centimètres à droite, 46 centimètres à

gauche ; mollet droit, 30 centimètres ; gauche, 29.

DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 341

Oj3s. XI11. - Hémiplégie gauche avec ankylose et arthrite de toutes les articulations

du membre supérieur; atrophie musculaire . Séjour au lit. Arthrite de la han-

che et du genou, oedème du membre inférieur masquant l'atrophie.

Ler..., homme, soixante-seize ans, hôpital Hérold, salle B, n° Si. Hémiplé-

gie gauche datant de décembre 1896. Ankylose complète et douloureuse de

l'épaule gauche. Amyotrophie très marquée des muscles de la ceinture scapu-

laire, surtout du deltoïde au niveau duquel il existe de l'adipose. Circonférence

au niveau de l'aisselle : bras gauche, 25 cent. 1/2 ; bras droit, 27.

Avant-bras contracture sur l'avant-bras mais en flexion, doigts en griffe ;

ankylose, amyotrophie en masse.

Séjour permanent au lit; membre inférieur contracture en extension. Demi-

ankylose de la hanche droite avec craquements et douleurs; craquements du

genou. OEdème généralisé du membre masquant l'atrophie musculaire. Circon-

férence, 15 centimètres au-dessus de la rotule ; 40 centimètres à droite, 40 cen-

timètres à gauche.

Cas. XIV. Hémiplégie gauche, séjour au lit; arthrite et ankylose des mem-

bres supérieur et inférieur avec atrophie généralisée.

Perr., homme, soixante-sept ans, hôpital Hérold, salle B, ne 46. Hémiplégie

.spasmodique avec aphasie, datant de 1892. Ankylose presque complète de l'arti-

culation scapulo humérale droite avec craquements et douleurs spontanées

et provoquées. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire très marquée au

niveau du deltoïde. Circonférence : bras droit au niveau de l'aisselle, 25 centi-

mètres ; bras gauche 27 cent. 1/2 ; adipose très marquée au niveau du deltoïde.

Arthrite radio-carpienne; ankylose des articulations métacarpo-phalangien-

nes ; flexion de l'avant-bras sur le bras. Circonférence de l'avant-bras, 4 tra-

vers de doigt au-dessous de l'articulation du coude, 22 centimètres à gauche ;

19 à droite.

Séjour au lit constant. Membre inférieur : Demi-ankylose avec craquements

de l'articulation de la hanche. Amyotrophie de la cuisse; à gauche 40 centi-

mètres ; à droite 40 centimètres, à 15 centimètres au-dessus de la rotule. Adi-

pose très marquée surtout dans le domaine du triceps crural masquant en

partie l'atrophie. Muscles de la fesse atrophiés.

Craquements du genou; amyotrophie du mollet. droite, 25 centimètres ;

à gauche, 27 centimètres, 12 centimètres au-dessous de la rotule.

OBs. XV. Hémiplégie droite. Ankylose de l'articulation scapulo-hnmérale;

séjour au lit, arthrite de la hanche et du genou, amyotrophie.

E. Laq..., homme, cinquante-cinq ans, hôpital Hérold, salle B, n° 60. Hémi-

plégie droite spasmodique datant de 1894. Flexion de l'avant-bras sur le bras.

Demi-ankylose de l'articulation scapulo-humérale droite avec craquements,

sans douleurs spontanées. Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire,

portant sur le deltoïde ; à ce niveau adipose très marquée envahissant aussi les

régions sus et sous-épineuses, sous-claviculaire. Avant-bras normal. ,

' 342 GILLES DE LA TOURETTE

Les membres inférieurs sont parsemés tous les deux de taches violacées qui

auraient apparu postérieurement à l'hémiplégie ; jambe droite contracturée en

demi-flexion sur la cuisse.

Arthrite- coxo-fémorale droite avec amyotrophie de la fesse et de la cuisse

particulièrement marquée au niveau du triceps : circonférence, 15 centimètres

au-dessus de la rotule : à droite, 28 cent. 1/2 ; à gauche, 30 cent. 1/2. Arthrite

de l'articulation du genou; rétractions fibro-tendineuses l'immobilisant. Amio-

trophie du mollet droit : circonférence 15 centimètres au-dessous de la rotule :

il droite, 28 centimètres ; à gauche, 30 centimètres.

OBs. XVI. Hémiplégie droite ; ankylose de l'épaule et de la hanche, séjour au

lit. Adipose généralisée masquant l'atrophie.

L. Bon..., femme, cinquante-huit ans, hôpital Hérold, salle D..., n° 30.

Hémiplégie droite, aphasie depuis 1895. Ankylose de l'épaule avec atrophie

des muscles de la ceinture scapulaire ; les autres articulations sont libres.

Doigts fléchis, réductibles, pas d'atrophie des muscles de la main. Adipose très

marquée généralisée au bras et à l'avant-bras. Circonférence ; bras droit,

31 centimètres ; gauche, 31 centimètres ; avant-bras droit, 27 centimètres ;

gauche, 26 centimètres. L'adipose masque l'atrophie.

Membre inférieur droit. La malade reste couchée. Contracture en extension.

Articulation coxo-fémorale droite ankylosée. Adipose généralisée à tout le

membre. Atrophie des muscles de fesse et de la cuisse. Circonférence, 15 cen-

timètres au-dessus de la rotule : cuisse droite, 43 centimètres ; gauche, 41 cen-

timètres ; jambe droite, 12 centimètres au-dessous de la rotule, 31 centimètres;

gauche, 29 centimètres.

OBs. XVII. - Hémiplégie droite, séjour au lit, arthrites et amyotrophie

généralisée des membres supérieur et inférieur.

M. Lard..., cinquante ans, femme, hôpital Hérold, salle D, n° 34. Hémiplé-

gie droite spasmodique et aphasie datant de 1893.

Ankylose incomplète avec craquements sans douleurs de l'épaule droite.

Atrophie des muscles de la ceinture scapulaire, méplats sus et sous-épineux,

sous-claviculaire, deltoïdien. Adipose très marquée in situ. Circonférence :

bras droit, 27 centimètres; bras gauche, 29.

Avant-bras en' flexion sur le bras avec arthrite de l'articulation du coude ;

amyotrophie sans adipose; avant-bras droit, circonférence, 17; gauche, 19.

Poignet droit immobilisé en extension sur le bras, doigts fléchis ; polyarthri-

tes, atrophie généralysée de tous les muscles de la main.

Membre inférieur droit. Malade reste au lit; membre inférieur contracturé

en extension. Ankylose presque complète de l'articulation de la hanche. Atro-

phie des muscles de la fesse et de la cuisse. Circonférence : cuisse droite, 35 ;

cuisse gauche, 38, 15 centimètres au-dessus de la rotule. Arthrite du genou

avec forts craquements. Amyotrophie. Circonférence, mollet droit, 12 centi-

mètres, au-dessus de la rotule, 20 cent. 1/2 ; gauche, 24 centimètres.

DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 343

Chez les 7 malades du deuxième groupe, pour des causes diverses,

contracture très marquée partout, le membre inférieur du côté hémiplé-

gique ne sert plus pour la marche, les sujets restent confinés au lit.

Or, lorqu'on lit leurs observations on voit que tous présentent, comme

les sujets du premier groupe, de l'amyotrophie du membre supérieur.

Mais à l'inverse de ce qui existe chez ces derniers, tous présentent de

l'amyotrophie du membre inférieur portant principalement sur les mus-

cles de la fesse et de la partie supérieure de la cuisse. Chez tous aussi,

l'articulation coxo-fémorale est le siège d'une arthrite avec ankylose plus *s

ou moins complète avec ou sans douleurs spontanées ou provoquées. L'a-

myotrophie, limitée au territoire de l'articulation de la hanche, ne se

généralise que si les autres articulations du membre inférieur sont à leur

tour le siège d'arthrite et d'ankylose.

3e GROUPE. Mobilisation DU MEMBRE paralysé. Absence d'arthrites ET

D'ATROPHIE MUSCULAIRE. 3 MALADES.

OBs. XVIII. Hémiplégie gauche spasmodique permettant encore les

mouvements du membre. Absence d'ankylose et d'atrophie.

Cor..., trente-neuf ans, homme, hôpital Hérold, salle A, n° 1. En 1879, si-

philis vaccinale. En juin 1895, hémiplégie gauche permettant encore en partie

les mouvements ; exagération des réflexes sans contracture. Amaigrissement

généralisé des muscles du hras sans atrophie localisée. 1 centimètre de diffé-

rence entre les deux bras, à gauche, 27 ; à droite, 28, au niveau de l'aisselle.

Deltoïde un peu affaissé. Raideur de l'épaule sans ankylose, sans craquements

et sans douleurs provoquées ou spontanées. ,

Membre inférieur. Pas d'atrophie ni d'arthrite, légère trépidation spinale.

OBS. XIX. - Hémiplégie gauche sans atrophie ni arthrite.

Mobilisation du membre supérieur.

Chai..., homme, soixante-cinq ans, hôpital Hérold, salle 6, n° 8. Hémiplé-

gie gauche, datant de 1895, avec hémiplégie faciale ; spasmodique.

Flaccidité sans atrophie des muscles du membre supérieur; pas d'arthrite,

si ce n'est légers craquements de l'articulation scapulo-humérale dans les mou-

vements extrêmes. Dès le début de l'hémiplégie, le malade a pris soin de mobi-

liser lui-même son bras gauche avec la main droite; peut le porter sur la tête.

Réflexes exagérés.

Trépidation spinale du membre inférieur ; ankylose de l'articulation coxo-

fémorale avec atrophie musculaire par coxalgie fistuleuse d'ancienne date.

344 GILLES DE LA TOURETTE

O>3s. XX. Hémiplégie droite, aphasie. Mobilisation du membre supérieur,

- absence d'ankylose et d'atrophie, sauf au niveau de l'articulation métacarpo-

phalangienne du pouce, atrophie du premier espace interosseux et du thénar.

Mart. M..., homme, soixante-cinq ans, hôpital Hérold, salle A, n, 57. Hémi-

plégie droite, aphasie en 1895, spasmodique. Avant-bras fléchi sur le bras,

main fléchie sur l'avant-bras. Dès l'apparition de son hémiplégie, ce malade a

pris l'habitude de faire exécuter au bras droit, l'aide de la main gauche, quo-

tidiennement et à plusieurs reprises, des mouvements aussi étendus que pos-

sible. Absence d'arthrite et d'ankylose dans les articulations du coude, du

.poignet. Quelques craquements dans les mouvements extrêmes en arrière. de

l'articulation scapulo-humérale. Pas d'atrophie musculaire appréciable, sauf

une légère diminution de volume du deltoïde remplacée par une adipose lo-

cale.

Ankylose de l'articulation métacarpo-phalaugienne du pouce. Atrophie des

muscles du premier espace interosseux et du thénar.

Membre inférieur. Trépidation spinale ; pas d'arthrite ni d'atrophie. Le ma-

lade marche.

Restent les trois malades du dernier groupe. Chez ceux-ci, peu ou pas

d'amyotrophie. L'analyse des observations va nous en donner la cause.

Le malade de l'observation XVIII, âgé de trente-neuf ans, a été atteint

jeune encore d'une hémiplégie légère d'origine syphilitique : l'amaigris-

sement musculaire généralisé est apparu sans atrophie. Mais ce malade

peut encore mouvoir son bras dans tous les sens ; il ne s'est pas produit

d'arthrite ni d'ankylose, l'amyotrophie ne s'est pas montrée.

. Le malade de l'observation XIX est plus sévèrement louché; la con-

tracture est plus manifeste. Mais il nous l'a dit spontanément et la sur-

veillante de la salle a confirmé son dire, il s'est-astreint tous les jours

à mobiliser son membre paralysé avec la main restée libre. Pas d'arthrite

de l'épaule si ce n'est quelques craquements dans les mouvements extrê-

mes qu'il lui est difficile d'effectuer lui-même ; pas d'atrophie.

De même en ce qui regarde le malade de l'observation XX qui lui

aussi a mobilisé quotidiennement son membre paralysé ; pas d'arthrite

ni d'atrophie. Toutefois, la contracture a prédominé sur le pouce qui

s'est fléchi dans la paume de la main. Il en est résulté une ankylose de

l'articulation métacarpo-phalangienne qu'accompagne une atrophie du

premier espace interosseux et du thénar.

- ' De plus, ces trois malades ne présentent ni douleurs spontanées ni

douleurs provoquées dans le membre supérieur indemne d'arthrite, sauf

en ce qui regardé l'articulation métacarpo-phalangienne du pouce qui est

douloureuse. -

Ces trois faits tirés du bloc d'observations recueillies d'un seul coup,

DE L'ATROPHIE MUSCULAIRE ET DES DOULEURS DES HÉMIPLÉGIQUES 345

corroborent singulièrement ce que nous avons dit de la pathogénie de

l'atrophie musculaire des hémiplégiques dont les caractères sont les sui-

vants : *.

Elle est en relation constante avec une arthrite et se limite au terri-

toire articulaire lésé.

Elle fait défaut en l'absence de l'arthrite.

Les douleurs spontanées ou provoquées qui accompagnent l'amyo-

trophie sont localisées par les malades au niveau de l'arthrite, d'où elles

peuvent irradier.

Reste maintenant à connaître la nature de l'arthrite. ,

Nous savons que les membres hémiplégies sbnt, du fait de la paralysie,

sujets à des troubles trophiques : l'amaigrissement général des muscles

en est une preuve évidente à laquelle on pourrait ajouter une adipose

parfois généralisée ou de l'oedème comme dans quelques-unes de nos ob-

servations.

. Mais si l'arthrite est favorisée par cette hypotrophicité, ainsi qu'on

peut ^admettre, en réalité, à notre avis, elle reconnaît une tout autre cause.

La preuve en est qu'à l'inverse de l'amaigrissement généralisé, elle n'existe

pas chez tous les sujets hémiplégiques, et qu'en outre onpeut l'empêcher

d'exister.

La cause réelle de l'arthrite réside pour nous dans l'immobilisation

forcée à laquelle sont contraints, du fait de la paralysie ou mieux de la

contracture, le membre supérieur ou inférieur ou mieux certaines régions

bien déterminées de ces membres. -

Voyons ce qui se passe cliniquement dans le membre inférieur du-

côté hémiplégie. Après une courte période de paralysie flasque, la con-

tracture se montre. Le malade se lève, il marche en fauchant, mais il

marche dans la majorité des cas. Il mobilise donc de ce fait les articula-

tions de son membre inférieur, et chez ces malades, du fait de cette mo-.

bilisation, nous pouvons le dire, il ne survient ni arthrite ni atrophie,

Si la contracture rend le membre inférieur rigide, impotent et confine

le malade au lit, l'articulation de la hanche en particulier s'immobilise,

il survient de l'arthrite et l'atrophie ne tarde pas à apparaître.

Pour le membre supérieur, l'évolution des phénomènes est encore

plus constante. Le bras se contracture en adduction, se colle le long du

tronc d'où, au bout d'un temps toujours court, il devient difficile de le

séparer sans peine. Il survient de l'arthrite et de l'ankylose de l'épaule

par immobilisation et aussi de l'atrophie musculaire'toujours précoce

comme l'arthrite qui lui a donné naissance.

Par leur situation môme à portée de la main restée libre, le coude, le

poignet et la main sont beaucoup plus facilement mobilisés que l'articu-

846 GILLES DE LA TOURETTE

lation de l'épaule. La main même peut encore rendre quelques services ;

aussi dans ces segments l'arthrite et l'atrophie sont-elles beaucoup plus

rarement observées que dans le segment supérieur du membre.

Enfin, ce qui corrobore la pathogénie que nous proposons, c'est que

les 3 malades qui se sont soumis eux-mêmes à des mobilisations répé-

tées dès le début de leur hémiplégie, sont restés seuls indemnes d'atro-

phie et d'arthrite.

Si d'ailleurs nous faisons intervenir, en dehors des 20 sujets étudiés

d'un coup dans notre service, afin de rendre la statistique aussi équitable

que possible, les observations que nous avons recueillies pendant ces

dernières années dans la clientèle de ville où les malades sont vus dès

l'apparition de leur hémiplégie et suivis attentivement, nous pouvons

affirmer :

Que par des mobilisations quotidiennes et méthodiques des articulations

nous avons toujours pu éviter l'apparition des arthrites, de l'amyotrophie

et aussi des douleurs dans les membres paralysés des sujets hémiplégiques

(ou monoplégiques) par lésion cérébrale. Les résultats sont constants, à

moins, ce qui est rare, que la contracture soit d'emblée assez forte pour

empêcher les mobilisations.

La pathogénie que nous proposons de l'amyotrophie des hémiplégiques,

ne va pas à l'encontre des résultats que l'examen anatomique a fournis à

la majorité des auteurs qui se sont occupés de cette question etont constaté

en particulier une altération des cellules des cornes antérieures ; M. Klip-

pel nous semble en effet avoir démontré (Soc. anatom., nov. 1887 et jan-

vier 1887) qu'en dehors de toute paralysie du membre, l'arthrite la plus

vulgaire avec amyotrophie pouvait s'accompagner d'une lésion du même

territoire de la moelle.

L'arthrite avec amyotrophie des hémiplégiques que nous décrivons, et

qui tire son origine de l'immobilisation des membres, diffère des arthro-

pathies des hémiplégiques signalées par Scott Alison, Brown-Séquard et

étudiées par notre regretté maître M. Charcot, Arch. de physiol., 1868, et

Leç. sur les mal. du syst. nerveux, t. I). Ces arthropathies sont souvent

aiguës, comportent presque toujours un pronostic fatal ; ce sont de véri-

tables troubles trophiques d'origine centrale. Elles sont aussi rares que

l'arthrite vulgaire des hémiplégiques est constante, et leur apparition ou

leur absence ne parait pas influencée par l'immobilisation ou la mobilisa-

tion des membres paralysés.

SUR L'HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE DE LA POLYNÉVRITE

DANS SES RAPPORTS AVEC LES LÉSIONS DE LA CELLULE NERVEUSE

PAR

SERGE SOUKHANOFF,

Médecin de la clinique psychiatrique de Moscou.

Il s'est produit,ces derniers temps,un notable accroissement de nos con-

naissances concernant la structure fine de la cellule nerveuse l'état nor-

mal ou pathologique. Le succès du développement de ces connaissances est

étroitement lié à la méthode de Nissl. L'introduction dans la technique

microscopique du procédé de coloration de Nissl, a donné en effet des ré-

sultats brillants et féconds ; grâce à lui, nous avons pu faire une connais-

sance plus détaillée de la structure du protoplasma nerveux, et, en outre,

nous avons à présent la possibilité de définir dans les cellules nerveuses

altérées des modifications qu'on ne pouvait parvenir à constater en se ser-

vant des méthodes antérieures.

La méthode de Nissl a subi et subit encore de nombreuses modifica-

tions.

Le protoplasma des cellules nerveuses coloré ainsi n'apparaît pas

uniforme. L'une de ses parties constitutives se colore avec des couleurs

basilaires d'aniline (bleu de méthylène) d'une façon très intense, la se-

conde est inaccessible à ces couleurs ; c'est pour cela que la première peut

être nommée substance chromatique et la seconde substance achromatique.

La substance chromatique, ou chromatine, forme dans le corps des cellu-

les et dans les prolongements protoplasmiques diverses figures de la dis-

position desquelles il résulte que les différentes cellules nerveuses n'ont

pas un aspect identique. Dans l'état pathologique des cellules nerveuses on

observe toute une série de modifications dans la disposition de la substance

chromatique ainsi que de sa quantité dans le protoplasma cellulaire. La

coloration par l'alcool-méthylène dans la technique microscopique contem-

poraine est donc une méthode assez .sensible pour la définition des modi-

fications qu'il n'était pas possible de trouver en se servant des anciennes

méthodes d'investigation.

348 SERGE SOUKHANOFF

La découverte (le cette méthode suscita toute une série de travaux rela-

tifs aux différentes affections du système nerveux. Au nombre des mala-

dies, pour lesquelles cette technique fit découvrir de nouvelles modifica-

tions survenues dans les cellules nerveuses, se trouve la polynévrite.

Ce ne sontpasseulement les nerfs périphériques qui se trouventaltérés

dans la polynévrite, mais encore les substances blanche et grise du système

nerveux central. Pour la recherche des modifications récentes des voies

conductrices de la moelle dans la polynévrite, on peut avec succès se servir

de la méthode de Marchi.

Nous nous proposons de donner la description d'un cas de névrite mul-

tiple suivi d'autopsie, et avec investigation microscopique par la méthode

de Marchi et par celle de Nissl.

Observation CLINIQUE.

Le malade M., âgé de 28 ans, entra à la clinique psychiatrique de

Moscou le 19 mars 1897.

Il y avait beaucoup d'alcooliques parmi ses parents. À l'âge de 12 ans

il entra en service dans une maison de commerce. A l'âge de 17 ans,il oc-

cupait la fonction de commis dans une fabrique.

Le malade commença de bonne heure à boire du vin. Les trois derniè-

res années surtout il buvait avec excès et souvent jusqu'à l'ivresse. Vers le

mois de décembre 1896,il parut devenir plus sobre, mais alors les person-

nes de son entourage remarquèrent qu'il était devenu distrait et ouhlieux.

Quant au malade lui-même, il se plaignait de douleurs aux membres

inférieurs et à la tête; en même temps sa démarche devint mal assurée. : En dernier lieu,sa mémoire s'est beaucoup affaiblie ; en outre le malade

se plaignait souvent qu'il voyait mal.

Il avait aussi des hallucinations telles qu'en ont les alcooliques. Notons

encore pendant la dernière année un oedème des membres inférieurs, qui

apparaissait temporairement.

Etat présent . - Le malade est pâle ; pas d'oedème; toux légère : on

entend dans les poumons quelques râles secs. Sclérose des artères. Pas de

sucre, ni d'albumine dans l'urine. Faiblesse générale assez considérable ;

le malade peut marcher sans aide,quoique avec peine ; la dyspnée survient

très vite. Sa parole est lente, et il se plaint d'éprouver de la difficulté à

parler. La pupille gauche est plus grande que la pupille droite, la vision

mauvaise. Les réflexes rotuliens sont faibles. ? Au point de vue psychique,il faut noter la bonne humeur du malade et

son incapacité de s'orienter dans son entourage, des pertes de mémoire et

une tendance aux inventions.

SUR L'HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE DE LA POLYNÉVRITE 349

Au commencement d'avril, la température chez notre malade s'éleva,

et cette élévation dura jusqu'à sa mort, qui eut lieu le 16 avril. Avec l'ap-

parition de la fièvre le malade devint déplus en plus faible, et perdit l'ap-

pétit ; quelquefois on remarquait chez lui des phénomènes d'agitation

fébrile, coïncidant avec l'élévation de la température. L'examen des yeux

pendant le séjour du malade à la clinique, fait par le docteur Golowine,

révéla l'existence d'une inflammation du nerf optique en voie de régres-

sion.

A l'autopsie, on trouva, entre autres lésions, de l'oedéme du cerveau et-

de la moelle et de leurs enveloppes, un ancien foyer tuherculeux dans le

sommet du poumon droit; coeur gros, muscle cardiaque flasque et dégénéré.

Examen microscopique DE la MOELLE épinière.

I. Préparations par la méthode de Marchi.

Région lombaire. - Dans les cordons antérieurs et latéraux de la subs-

tance blanche on voit seulement des fibres dégénérées isolées. Un aspect

tout aulre est présenté par les.cordons postérieurs; ici on observe une

dégénérescence assez considérable, quoique non compacte, des fibres ner-

veuses (Fig. 1).

Mais, en général, dans les cordons postérieurs la quantité des fibres sai-

nes prédomine sur celle des libres altérées. Les amas noirs de myéline

manquent presque totalement le long de la scissure longitudinale posté-

rieure dans la région dorsale, à savoir : dans les parties internes des cor-

dons de Goll. Dans les racines postérieures on observe une dégénérescence

très marquée, surtout dans leur trajet intramédullaire. Dans les racines

antérieures la dégénérescence n'est pas aussi accentuée que dans les raci-

nes postérieures ; lit aussi, elle est plus visible dans la région inlramédul-

laire des racines, que dans leur partie extramédullaire.

La substance grise des deux cornes est pénétrée dans toutes les direc-

Fig. l. - Coupe delà moelle, région

lombaire, traitée par la méthode de

Marchi.

Fig. 9. - Coupe de la moelle, région

cervicale, traitée par la méthode de

Alarchi.

350 SERGE SOUKHANOFF

tionspar des fibres dégénérées. Dans les cellules de la corne postérieure,

ainsi que de la corne antérieure, on voit un pigment noir ayant l'aspect

d'une poussière menue. Certains éléments nerveux en contiennent plus,

d'autres moins, et sa disposition dans les différentes cellules présente des

figures très variées.

Région cervicale. On s'aperçoit, même à l'oeil nu, que la coloration

des cordons de Goll est plus foncée que celle des cordons de Burdach. A

l'examen microscopique la dégénérescence des cordons de Goll saute aux

yeux, mais ici encore le nombre des fibres saines est plus grand que celui

des libres altérées (Fig. 2).

Dans les cordons de Hllrdacn, on rencontre seulement, des amas dissémi-

nés de myéline. Dans les cordons antérieurs et latéraux, il n'y a qu'un

petit nombre de fibres dégénérées. La substance grise surtout de la corne

antérieure est traversée par des fibres dégénérées. Le processus morbide

dans les racines à ce niveau est moins marqué que dans les régions infé-

rieures.

II. Préparations par la méthode de Nissl. -Beaucoup des cellules de la

corne antérieure apparaissent modifiées; le processus morbide dans les

éléments ganglionnaires n'est pas partout identique. Il y a des cellules

qui sont plus attaquées, d'autres moins. Bien des cellules restent évidem-

ment intactes.

On peut juger du degré des lésions cellulaires par la disposition dans

ces dernières de la substance chromatique, et, en outre, par l'endroit de la

cellule où se trouve le noyau. En examinant diverses préparations on

peut voir très nettement que dans certaines cellules la substance chroma-

tique n'est pas distribuée également; cette substance a disparu tantôt dans

la partie centrale du corps cellulaire (très souvenl), tantôt dans la partie

périphérique (très rarement). C'est pour cela que, dans le premier cas, la

partie centrale sera bleu-clair et dans le second la partie périphérique.

En outre, on observe encore différents degrés de modification dans la subs-

tance chromatique. Dans les cellules, où la dissolution.de la substance

chromatique a envahi la partie centrale du corps cellulaire, le noyau oc-

cupe une position excentrique ; il apparaît comme reculé vers la périphé-

rie avec les amas modifiés de la substance chromatique, qui entoure d'un

cercle plus ou moins large un champ bleu-pâle, situé au centre de la cel-

lule (Fig. 3). )

Plus la dissolution de la substance chromatique dans le centre de la

cellule est grande, plus le noyau s'avance vers la périphérie; il forme

quelquefois sur la périphérie de la cellule une convexité.

Dans la dissolution périphérique de la substance chromatique, -ce qui

SUR l'histologie pathologique nE la polynévrite 351

se rencontre rarement, le noyau de la cellule reste dans la partie cen-

trale du corps cellulaire (Fig. 4).

Les cellules avec modification centrale de la substance chromatique dif-

fèrent par leur aspect extérieur des autres cellules et surtout des cellules

normales. En effet, leurs contours deviennent plus arrondis, les cellules

ont l'aspect gonflé.

Dans les ganglions intervertébraux, on peut constater dans certaines

cellules nerveuses, ainsi que dans les cellules motrices de la corne an-

térieure, une dissolution centrale de la substance chromatique avec la

position périphérique du noyau.

Dans les nerfs périphériques, traités par l'acide osmique, on a constaté

une névrite parenchymateuse très accentuée. Pour ces recherches ont été

Fig. 3. - Cellule de la corne antérieure de la moelle épinière.

Fig. 4. - Cellule de la corne antérieure de la moelle épinière.

352 SERGE SOUKHANOFF

choisis les nervi dorsales, pedis, peroneus, cruralis, ulnal'is et radialis.

Les modifications les plus marquées ont été constatées dans les deux pre-

- mies nerfs sus-nommés.

Nous allons commencer l'interprétation hislo-pathologique des lésions

que nous venons de décrire, par l'examen des données microscopiques

obtenues avec le procédé de Nissl.

Quelle est la signification de la dissolution centrale de la substance

chromatique, accompagnée de l'émigration du noyau du centre de la cel-

lule vers la périphérie ? Pour résoudre cette question adressons-nous aux

données expérimentales.

Les recherches expérimentales portant sur la section des nerfs périphé-

riques et l'examen consécutif des centres nerveux correspondants par la

méthode de Nissl démontrent que, dans ces cas, on a affaire à des altéra-

tions ressemblant beaucoup à celles que l'on observe dans la polynévrite.

Les expériences de Nissl, Marinesco (1), Ballet etDutil (2), Van Gehuch-

ten, etc., ont constaté indiscutablement le fait suivant : à savoir qu'après

la lésion du prolongement cylindre-axile dans les éléments nerveux cor-

respondants survient une réaction particulière. En comparant les données

des recherches microscopiques des centres nerveux après la section de

leurs cylindres-axes avec l'état de quelques cellules dans la polynévrite,

M. Marinesco, dans un récent travail (3), arrive à cetle conclusion que le

tableau microscopique dans les deux cas est identique; seulement, clans le

premier cas, on a l'impression d'avoir affaire à un processus plus aigu que

dans le second. La dissolution centrale de la substance chromatique avec

le déplacement simultané du noyau du centre vers la périphérie dans la

polynévrite est, d'après M. Marinesco, en relation avec la lésion des nerfs

périphérique. Celle-ci influe sur les centres correspondants de la même

manière que la section des nerfs, mais pourtant à un degré bien moins

accentué.

Il est à remarquer que les cellules gonflées, la dissolution centrale de

la substance chromatique, le déplacement du noyau du centre du corps

cellulaire vers sa périphérie, bref le tableau histologique qui résume les

modifications principales des cellules nerveuses dans notre cas de polyné-

vrite- ont été observés par M. Sano dans la région lombaire de la moelle

(1) Mabinesco, Pathologie générale de la cellule nerveuse. Lésions secondaires el pri-

ntilives. Presse médicale, 18f7, n° 8.

(2) Ballet et DUTIL, Progrès médical, 1896, n" 26.

(3) Maiunesco, Des polynévrites en rapport avec les lésions secondaires et les lésions

primitives des cellules nerveuses. Revue neurologique, 1896, no 5.

SUR L'HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE DE LA POLYNÉVRITE 353

épinière chez dès sujets ayant subi l'amputation d'un membre inférieur.

Des recherches faites par M. Sano xi), il résulte que les modifications sus-

nommées dans les cellules nerveuses restent stationnaires très longtemps,

plusieurs mois après l'amputation de l'extrémité.

Les phénomènes de névrite périphérique dans notre cas étaient très

marqués. Il me semble donc que nous pouvons avoir le droit de dire que

les modifications observées dans les cellules nerveuses, où le noyau se

trouve sur la périphérie du corps cellulaire et où l'on voit dans le centre

de la cellule nerveuse une coloration bien plus claire, dépendent de la

lésion des troncs nerveux. Nous pouvons désigner ces anomalies dé la

structure de la cellule nerveuse, d'après la terminologie de M. Marinesco

et les appeler modifications secondaires, pour les différencier des mo-

difications primitives, qui apparaissent après l'action immédiate d'un

poison sur les cellules nerveuses ou à la suite d'un trouble de leur nutri-

tion. Les modifications primitives ont été observées dans la rage (Mari-

nesco (2), Sabrazès et Cabannes (3), dans le botulisme (Marinesco), dans

le tétanos, dans l'intoxication par l'arsenic (Nissl, Schaffer, Dexler (4),

Marinesco, Lugaro), par le plomb (Schaffer), par l'alcool (Marinesco (5),

Dehio et d'autres), par le malonnitril (Goldscheider et Flatau) (6), par le

poison diphtéritique (Mourawieff (7) et d'autres), par la strychnine (Gold-

scheider et Flatau) (8), dans l'élévation artificielle de la température du

corps (Goldscheider et Flatau), etc.

Il n'est donc pas défendu de dire que certaines intoxications provoquent

des anomalies définies dans la structure des cellules nerveuses. Mais on

ne peut considérer comme chose indiscutable toute la série des données

nouvelles histo-pathologiques,puisque ces dernières ne peuvent pas encore

être regardées comme des faits permanents établis, et il est nécessaire de

les vérifier encore. Quoique certaines investigations aient amené divers

auteurs à des conclusions différentes, il faut remarquer que nous sommes

(1) Sano, Les localisations motrices dans la moelle lombo-sacrée. Journal de neuro-

logie et d'hypnologie, 1897.

(2) Marinesco, Pathologie de la cellule nerveuse. Paris, 1897, p. 37.

(3) Sabrazès et CABANNES, Les lésions des cellules nerveuses de la moelle dans la rage

humaine. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 189 ? n° 3.

(4) DEXLER, Zur Histologie der Ganglienzellen des Pfrrdes in normalem Zustande

und nach At·senikvergiftung. Jahrbùcher sur Psychiatrie, 1897, Band XVI, 1 u. 2 Ilelt.

(5) Marinesco, Nouvelles recherches sur la structure fine de la cellule nerveuse et

sur les lésions produites par certaines intoxications. Presse médicale, 1897, no 49.

(6) Goldscheider et FLATAu, Beitrâgezur Pathologie der Nervenzelle. Fortschritte

der Medicin, 1897, n 7.

(7) IIloUIIAWIEF, Communication à la Société de Neuropathologie et de Psychiatrie

de Moscou, 1897, avril.

(8) GOLDSCIIC1D&ti et FLATAU, 1Veitel'e Beitl'ii.'1e zur Pathologie der Neruenzellen

Fortschritte der Medicin, 1897, n° 16. -

x 25

SERGE SOUKHANOFF

dès à présent,mieux en mesure de comprendre le rapport intime qui existe

entre les altérations de la fonction et les modifications de la structure fine

des cellules nerveuses.

Dans notre casde polynévrite, outre les modifications secondaires dans les

cellules nerveuses, il y en avait encore des modifications primitives : telle

était la chromatolyse périphérique ou partielle, sans déplacement visible du

noyau vers la périphérie du corps cellulaire. Ces modifications primitives

insignifiantes ont pu dépendre de trois causes, à savoir : 1° d'une éléva-

tion assez considérable de la température du corps chez notre malade,

2° de l'abus de boissons fortes, et 3° de la même auto-intoxication qui- a

provoqué la polynévrite. L'effet le plus actif, selon nous, est dû aux deux

dernières causes. Est-ce seulement la partie chromatique de la cellule qui

a été attaquée dans notre cas de polynévrite, ou bien y avait-il aussi alté-

ration de la substance achromatique ?

Les modifications primitives,de même que les modifications secondaires

des cellules nerveuses dans notre cas, consistaient principalement en la

désagrégation dans l'une ou dans l'autre forme des corpuscules chromati-

ques qui, dans certaines cellules nerveuses, semblaient subir une dissolu-

tion dans la substance du trophoplasma (d'après la terminologie de M. Ma-

rinesco). Mais dans un très petit nombre d'éléments nerveux on pouvait

noter l'altération de la substance achromatique, grâce à l'apparition à l'in-

térieur du corps cellulaire d'un réseau très fin et peu distinct; entre les

- mailles de ce réseau,sur l'une des préparations, on peut observer unesohs-

- tance très fortement colorée,el sur une autre des masses non colorées.

Il est encore difficile de dire définitivement à quel degré de lésion du

protoplasma la cellule nerveuse peut se reconstituer, et quel est le degré

qui mène à la dégénérescence du prolongement cylindre-axile et au dé-

périssement de la cellule entière. On peut admettre que,peul-être,les mo-

difications sus-décrites dans les cordons postérieurs de la moelle épinière

chez notre malade dépendaient de la lésion des éléments cellulaires des

ganglions intervertébraux, surtout de ce fait que la fonction trophique des

cellules en question a été atteinte. La lésion des cordons postérieurs dans

ce cas porte surtout sur les voies conductrices longues dont l'origine se

trouve dans les cellules des ganglions intervertébraux et qui entrent dans

la moelle épinière comme éléments constitutifs des racines postérieures.

L'influence des modifications survenues dans les cellules des ganglions

spinaux ne peut être omise dans aucun cas ; mais le fait qu'à tous les éta-

ges de la moelle épinière la partie intramédullaire des racines a souffert

davantage que la partie extramédullaire, est très important à relever. Il

peut donner à penser que l'altération des cordons postérieurs chez notre

malade dépend peut-être aussi de quelques conditions morbides qui se

trouvent au dedans de la moelle épinière elle-même.

LES EMMURÉS DE TIRASPOL

PAR

P. E. LAUNOIS

Médecin des hôpitaux.

Parmi les nombreuses sectes politiques ou religieuses qui existent.eu Rus-

sie, le gouvernement ne poursuit actuellement que celles dont les doctrines

ou les pratiques sont criminelles. L'attention a été attirée dans ces derniers

temps sur les moeurs d'une colonie de fanatiques, les coureurs Bégoltlli (qui

fuient les vivants) (1).

Ils habitent sur les bords du Dniester, dans le gouvernement de Kher-

son (2), plus particulièrement dans le district de Tiraspol, non loin de la

colonie hulgare Parcani ; le illage de Ternowka, entouré de jardins frui-

tiers et de vignes, est leur centre de réunion. La population du gouver-

nement de Kherson est composée de petits Russiens, de colons allemands

ethulgares; dans la région voisine de la Bessarabie se trouvent des villages

habités par des Moldaves (Roumains). C'est surtout parmi tes Russes que

se recrutent les sectaires; aux indigènes se sont joints des nomades venus

du gouvernement de Moscou et, des autres parties du Nord de la Russie.

Ces paysans se livrent aux travaux de l'agriculture; quelques-uns sont

terrassiers. Ils afferment des terrains à l'année, achètent des jardins et

des vignes. Vivant dans une aisance relative, ils ne s'adonnent pas à

l'ivrognerie et ne fument pas. La plus grande partie des habitants apparu-

tient à une secte religieuse qui n'a rien de commun avec l'église ortho-

doxe. Pour célébrer leurs rites religieux, ils revêtent des vêtements mo- "

nastiques (3).

(1) Pour la rédaction de cet article, j'ai utilisé les documents que m'a remis mon

ami 0..... à son retour de voyage.

(2) La capitale du gouvernement de Kherson est la ville du même nom; Odessa,'

port important de la Mer Noire, appartient à ce même gouvernement.

(3) Les coureurs Bégouni existaient aussi dans le Nord de la Russie; il y a une di-

zaine d'années le Légoma Assafi décida une quinzaine de paysans et de paysannes du

village de Savido à s'immoler avec lui; ils se firent brûler vivants. Le bûcher où on

retrouva leurs restes à demi-calcinés devint un lieu de pèlerinage ; le gouvernement,

dans la crainte de la contagion, dût faire jeter les cendres des morts dans le fleuve

voisin et labourer le champ du supplice.

356 P. E. LAUNOIS

Il y a une dizaine d'années, une jeune fille religieusement exaltée,

« une prophétesse », comme disent les villageois, fit son apparition dans la

contrée. Véra o/t'eïes, connaissant toutes les pratiques des différents

rites religieux, était d'une éloquence très persuasive ; elle prêchait, pré-

disait l'arrivée prochaine de l'antéchrist et exhortait ses auditeurs à se

préparer à la mort. Faisant de longs voyages dans le midi de la Russie,

Géra Mokëiva ou Ftfa/t's, de son nom de prophétesse, venait de temps en

temps à Ternowka pour réchauffer le zèle et le fanatisme de ses adeptes.

En janvier dernier elle fit une nouvelle apparition; son arrivée coïncida

avec les opérations du recensement général qui se font périodiquement en

Russie. « Je vous ai déjà prédit l'arrivée de l'antéchrist, disait-elle, le

recensement est son oeuvre ; il ne nous reste qu'un seul et unique mo) en

pour nous y soustraire; il faut que nous mourrions; d'ailleurs nous

ressusciterons un jour ».

Parmi ses prosélytes le plus convaincu se trouva être un riche paysan

de la localité du nom de Kowalioff (Pl. XXXVIII). Il devint bientôt à son

tour un apôtre et sut grouper autour de lui un grand nombre de personnes

désireuses de mourir et demandant à être enterrées vivantes pour ressus-

citer le jour de Pâques, ainsi qu'il leur était promis.

L'exaltation des fanatiques alla sans cesse en augmentant et d'un com-

mun accord ils résolurent bientôt de mettre à exécution leurs sinistres

projets.

Le beau-père de Kowalioff, inquiet de ne plus voir sa fille et ses petits

enfants, interrogea son gendre et apprit de lui qu'il les avait emmurés

dans une cave.

La police, mise au courant, arrêta Kowiliolf el, d'après les indications

détaillées qu'il fournit, put retrouver les cadavres de 49 personnes qu'il

avait soit emmurées, soit enterrées vivantes.

Dans une cave qu'il avait décorée et où il avait disposé des images re-

ligieuses et des cierges, Kowalioff avait fait entrer neuf personnes,

parmi lesquelles se trouvaient sa femme et ses enfants ; il en avait fermé

lui-même l'entrée avec des pierres et du mortier à la chaux. Lorsqu'on

ouvrit cette tombe, on constata que les emmurés avaient tenté de se sous-

traire à la mort et qu'ils avaient déblayé pas mal de terre (Pl. XXXVIII).

Non loin de cette cave, dans un verger lui appartenant, Kowalioff avait t

creusé des tombes où l'on retrouva des groupes de cadavres.

Les fanatiques, au dire de l'apôtre, assistaient à son travail et lorsque

la fosse était creusée, revêtus de leurs vêtements monastiques, ils descen-

daient dans la tombe et se couchaient les uns à côté des autres. Kowalioff

Nouv. Iconographie DE la SALPLFRILHE.

T. X, PI. XXXVIII

LES EMMURES DE TRIASPOL

Portrait de Kowalioff. £ .

Cave où furent emmurées neuf personnes.

MASSON & cie, Editeurs

LES EMMURÉS DE TIRASPOL 357

les recouvrait de terre; commençant par les pieds, il les ensevelissait pro-

gressivement. Quand la moitié du corps avait disparu, il s'assurait qu'ils

n'avaient pas changé de résolution. Devant leur intention toujours bien

arrêtée de mourir, il leur cachait la figure, sur leur demande, avec un

mouchoir et terminait fiévreusement son épouvantable besogne.

Outre sa femme et ses enfants, Kowalioff aurait fait disparaître sa mère,

son frère sourd-muet ( ! ) âgé de dix-sept ans et la prophétesse elle-même.

Pendant le séjour qu'il fit en prison, Kowalioff, après avoir minutieuse-

ment raconté tous ses actes, exprima à plusieurs reprises les regrets qu'il

avait de n'avoir pu « sauver » plus de monde. Etant donnés les mobiles

qui avaient guidé sa conduite, on ne put conclure à sa responsabilité et on

ne put le condamner.

Mais en raison de la fâcheuse influence que pouvaient avoir à nouveau

son fanatisme et son exaltation religieuse, le juge crut prudent de l'inter-

- ner dans un asile.

La mort de la prophétesse Véra J.11okéïra, la séquestration de son apô-

tre /(ovaliolf entraîneront-elles la disparition de la secte îles Coureurs Bé-

go1tni, c'est ce que l'avenir nous apprendra (1).

(1) Des fouilles récentes auraient amené la découverte de six nouveaux cadavres,

deux hommes, une femme, et trois enfants. Kovalioff nie les avoir emmurés et n'a pas

voulu donner d'indications sur les auteurs de cet acte de fanatisme. On évalue le nom-

bre des sectaires ensevelis et non encore retrouvés aune trentaine environ.

N. D. L. R.

LES POUILLEUX DANS L'ART

- PAR

HENRY MEIGE.

Les Poux ont, de nos jours, beaucoup perdu de leur ancien prestige

pathologique, et, avec eux, les Pouilleux ont aussi singulièrement déchu.

Cela tient sans doute à ce qu'autrefois, s'il faut en croire Aristote, les poux

jouissaientdumystérieuxprivilège denaître spontanément du corps humain.

Il en fut encore ainsi, parait-il, du temps de Théophraste, de Celse, de

Galien et de Pline l'Ancien, - la phthiriase ou maladie pédicufaire n'étant

pas considérée comme un effet des parasites, mais comme la cause même

de leur germination.

A la fin du XVIe siècle, Ambroise Paré, réunissant dans un même cha-

pitre l'histoire des poux, morpions et cirons, écrivait encore :

« Ces trois sortes d'animaux sont engendrés de la grande multitude

d'humeurs et humidités corrompues, faite d'une portion crasse et visqueuse

de la sueur, laquelle s'amasse et s'arreste aux méats des poresdu vray cuir...

« Ils naissent par tout le corps, principalement es lieux chauds et hu-

mides, comme sous les aiscelles, aux aines, à la teste, pour la multitude

du poil : et voit-on communément qu'ils s'engendrent à l'entour du col,

parce qu'il y a une émonctoire accompagnée de plusieurs grands vaisseaux,

par lesquels sortent plusieurs humidités superflues pour l'abondance des

sueurs.

« Les petits enfans y sont fort sujets, à raison qu'ils crapulent et en-

gendrent beaucoup d'excrémens...

« Les poux se peuvent engendrer par toutes les parties de notre corps,

mesme dans la masse du sang, comme tesmoigne Pline en plusieurs

lieux (1) ».

Quant aux poux du pubis, A. Paré les considère comme « engendrés

d'une matière plus seiche que les poux, qui fait qu'ils sont plus plats et

moins nourris ».

Ces explications, qui, aujourd'hui, nous semblent au moins puériles,

(9) A PARE, OEuvres complètes. Edit. Malgagne. I. 11, Liv. XXII, chap. VI.

LES POUILLEUX DANS L'ART 359

furent acceptées presque sans conteste jusqu'au début de notre siècle. Et,

il n'y a pas cent ans, plus d'un dermatologiste ajoutait encore crédit à cet

antique préjugé.

- La croyance en la germination spontanée des poux dans les humeurs ou

dans le sang, a certainement contribué à les faire prendre autrefois en

haute considération. Le mystère qui entourait leur naissance, non seu-

lement les protégea contre les injures des hommes, mais leur permit de

se livrer aux pli", exactions.

Il est en effet avéré qu'au temps de leur splendeur, les poux se sont

permis toutes les audaces. Ils fréquentaient chez les puissants de la terre,

nichaient dans des chevelures princières, cohabitaient avec des rois. Même,

il y eut des poux régicides. Car, sans parler de tant d'illustres personna-.

ges, tels que le dictateur Sylla, le philosophe Phérécyde, le poëte Alcman,

le jurisconsulte Mutius, l'historien Valère Maxime, et tant d'autres dont les

noms se sont égarés, qui succombèrent sous leurs morsures, l'histoire té-

moigne qu'à la mort d'Ilérode, roi de Syrie, on vit des poux sortir de son

royal cadavre « comme une source de terre ». Pareillement, l'empereur

Antiochus, et le roi d'Espagne, Philippe II,périrent victimes de ces vermi-

neux meurtriers. 1

En vérité, les poux du temps passé ont été des poux grandement redou-

tables. N'a-t-on pas dit qu'ils avaient occasionné l'une des dix plaies

de l'Egypte ? Allégation contestable d'ailleurs, ajoutent certains commen-

tateurs autorisés de l'Exode.

On croit également que les poux contribuèrent dans une large mesure

au martyr de l'infortuné Job et que leurs cuisantes morsures s'ajoutèrent

aux maux de toutes sortes dont le malheureux'fut accablé.

Mais, sans remonter aux âges bibliques, on démontrerait aisément que

les poux ont occupé dans l'Eglise une situation digne d'envie.

On affirme qu'ils conduisirent au tombeau, entre autres sommités, ecclé-

siastiques, le cardinal Duprat, ainsi que Foucquau, évêque de Noyon.

Sur ce dernier prélat, ils s'étaient, dit-on, acharnés en si grand nombre

qu'il fallut coudre sa dépouille mortelle dans un sac de cuir avant de l'en-

terrer.

Il y a mieux encore : les poux ont vu, dans notre propre siècle, célébrer

leur apothéose. En l'an de grâce 1873, un décret papal proclama la cano-

nisation d'un miséreux. qui avait su gagner le ciel en se vêtant de gue-

nilles et en se laissant dévorer par la vermine. Avec Benoît Joseph Labre,

les poux ont été sanctifiés 1.... - 1

360 HENRY MEIGE

Il apparaît vraiment que les poux de nos aieux ont joui d'une vitalité

et d'une fécondité merveilleuses. Un médecin portugais du XVIe siècle,

Amatus Lusitanus, s'en porte garant, et raconte l'histoire d'un noble sei-

gneur dont le corps engendrait si rapidement et si abondamment les pa-

rasites que deux de ses serviteurs étaient exclusivement occupés à recueil-

lir la vermine dans des corbeilles qu'ils allaient ensuite jeter à la mer.

Toutefois, on se gardait bien d'accuser les poux eux-mêmes de ces at-

tentats désastreux. Les « humeurs crasses » étaient seules coupables, en

favorisant l'éclosion spontanée des parasites.

Et comme, en ce temps là, il y avait de par le monde une admirable

profusion « d'humeurs crasses » causant une infinité de maladies, on ne

se montrait pas autrement surpris de voir les poux pulluler extraordinai-

rement sur presque tous les malades. On en trouvait partout, sur la tête

et sur le corps, sur la peau et sous la peau. Ces derniers donnaient, pa-

raît-il, naissance à des tumeurs grouillantes que des observateurs convain-

cus ont décrit avec le plus grand soin.

1 Ce temps là était l'âge d'or des poux.

Cependant, dès la plus haute antiquité, les hommes ont déclaré la

guerre aux poux. Au Moyen Age, les armes employées contre eux sont en-

core en usage aujourd'hui.

Je n'en veux citer comme exemple qu'un passage d'un curieux volume

publié en français vers l'an 1500, mais dont il existe en latin des édi-

tions antérieures. C'est un recueil de renseignements et de recettes médi-

cales ou pharmaceutiques, 'connu sous le nom d'llortzts Sanitatis, ouvrage

anonyme dont l'auteur serait un certain Joannes Cuba, et qui fut traduit

en français par Anthoine Vérard. J'en dois la connaissance à l'obligeance

de M. Dorveaux, l'érlidit bibliothécaire de l'Ecole de Pharmacie de Paris,

,que je tiens à remercier très vivement en cette occasion. 1

. Voici le chapitre consacré aux poux ou pouils, compilation de passages

-empruntés aux auteurs classiques d'alors qui avaient abordé ce sujet :

« DES BESTES. Chapitre C. XIX. » -

- DE PËDICULO. POUIL.

« Pediculus.- (YsiDORE). Pouil est ung ver de la peau. Et est ainsi ap-

pellé pour ce que il a moult de piedz. Et sont appeliez les gens pouilleux

esquelz les pouilz croissent en leurs de humeurs corrompues qui sont

entre cuyr et chair et yssent avec la sueur.

LES POUILLEUX DANS L'ART 361

» (Du livre DES natures DES choses). Les pouilz sont ditz et appeliez au

nombre de leurs piedz. Et sans doubte cestuy mauvais ver est créé de la

chair de l'homme : mais toutesfois c'est invisiblement, et sont aucuns créés

de la sueur de l'omme, et les autres sont engendrez des humeurs et eva-

poracions qui yssent des yssues et pertuys appellez pores.

» (halo) ? Il advient grande multitude de pouilz aux corps de ceulx qui

cheminent et peregrinent pour cause de la sueur et pouldre et qu'ilz ne

se baignent ne nettoyent pas souvent. -

« LES opérations DU POUIL. »

» HALY. -Quant l'homme pèlerin ou autre aura des pouilz,soit vif ar-

gent mortifié avec huille, et lui soit adjousté l'erbe appellée aristologia

longua : et en soit faicte emplastre et oignement dessus leur corps, et au

matin se baigne et se lave et nettoyé le corps en se bien frottant et mun-

difiant.

» RASIS. L'usage du baing et se souvent laver et baigner oste et em -

pesche la fréquente generacion des pouilz, et aussi fait la fréquente mu-

tacion des vestements, et par especial du vestement qui attouche et adhère

à la chair : comme est le linge et chemise et leurs semblables. L'argent

vif estaint et mortifié avecques huille occist et tue les pouilz. Et si en

icelle huille est mouillé une ceinture faicte de fil de layne, et aucune per-

sonne la pend ou ceint entour soy : ce tue et fait mourir les pouilz.

» AIGENNE. - L'herbe appelée staphysagria mise avec orpin tue les

pouilz. Et aussi fait semblablement l'argent vif estaint et mortifié.

Le plus convenable et principal remède contre les pouilz est dit estre.

se souvent laver et nettoyer le corps. »

Fidèle à ces enseignements A. Paré, un siècle plus tard, conseillait,

pour faire disparaître les poux, de suivre un régime « dessicatif » et de

'donner des purgations opportunes, dans le but d'éliminer les fâcheuses

humeurs, causes de l'éclosion des parasites. Sagement d'ailleurs, il ajoute

qu'on fera bien de « rarefier le corps » par des bains fréquents et de se

frotter avec un onguent* dans lequel est entré « le vif argent lequel est

propre contre les poux ». -

De nos jours, on s'en tient souvent encore aux conseils donnés par Haly,

- rassis, Avicenne et A. Paré. Les bains et les préparations mercurielles

forment la base de la thérapeutique parasiticide. ' 1

. Dépossédé de ses parchemins aristotéliques, le pou ne peut plus reven-

diquer-aujourd'hui sa noble origine, spontanée et intrahumaine. Il ne con-

.362 HENRY MEIGE

.serve guère que pour mémoire son droit de cité dans les manuels de pa-

thologie, envahis par des armées chaque jour croissantes d'infiniment plus

petits, d'ailleurs infiniment plus redoutables.

.Et ce n'est pas sans peine que les entomologistes consentent à donner

asile aux poux sur un territoire contesté, aux confins des Insectes et des

Arachnides ; leur véritable domaine est loin d'être hien délimité. Les uns

veulent les rattacher à l'ordre des Orthoptères, les autres aux Hémiptè-

res ; d'aucuns penchent pour les Aptères ; les plus charitables elles mieux

avisés proposent de les ranger dans une phalange spéciale sous le nom

d'Anoploures. Bref, les poux, ballotés d'ordre en ordre, et de classes en

tribus, semblent vivre en parasites sur tous les traités scientifiques qui

daignent encore leur offrir une parcimonieuse hospitalité.

Aussi bien, l'avenir des poux s'annonce-t-il sous de sombres auspices.

Ils disparaîtront, annihilés par la science, victimes des entomologistes qui

ont violé le mystère de leur naissance et qui s'efforcent de les enrégimen-

ter parmi les insectes les moins considérés, victimes aussi de la mé-

decine qui renie leurs anciens privilèges, et qui, pour les réduire à néant,

multiplie les procédés de destruction. Car, il faut bien le reconnaître,

l'ère de la propreté et de l'antisepsie sera fatale aux derniers poux.

Les Pouilleux ont subi le contre coup de ce discrédit progressif.

Depuis déjà longtemps, ils ont déserté les demeures princières ; on ne

rencontre plus de pouilleux titrés, et il n'est pas certain qu'il s'en trouve

aujourd'hui dans les ordres. Au dire des voyageurs, quelques peuplades

sauvages donneraient encore volontiers asile aux poux, mais par pure

gourmandise : pour le plaisir de les croquer tout vifs, imitant en cela

l'exemple de singes qui se montrent très friands de leur propre vermine.

Chez nous, on ne voit plus que des pouilleux de rang infime, loque-

teux, vagabonds, réfugiés dans des bouges, ou errant sur les grands che-

mins. Encore leur nombre va-t-il chaque jour décroissant. Malgré Saint

Labre, l'heure de la disparition complète des pouilleux semble prochaine.

Dans les siècles futurs, les poux continuant à péricliter, reniés parles

médecins, repoussés par les entomologistes, iront s'échouer peut-être, à

côté des espèces éteintes, dans les traités de paléontologie.

; Ce jour là, les pouilleux appartiendront à la légende, ou disparaîtront

dans un éternel oubli.

. Fort heureusement, l'Art saura perpétuer la mémoire des pouilleux.

, Par, sans rien préjuger de l'avenir, il existe déjà un nombre respectable

LES POUILLEUX DANS L'ART 363

d'oeuvres artistiques, et non des moindres, que les pouilleux ont ins-

pirées.

En général, dans ces images on ne voitpas les poux ; mais on les devine

toujours et l'on peut certifier que les modèles de pouilleux ont existé

réellement. A vrai dire, aucun de ces monuments figurés ne saurait pré-

tendre à la documentation scientifique. Le naturaliste ne peut songer à les

.utiliser, et le dermatologiste n'y trouve que des indications plus que som-

maires.

Les Pouilleux dans l'Art méritent cependant d'être connus, ne fût-ce

que pour leur réel intérêt artistique.

D'ailleurs, Charcot et Paul Richer n'ont pas hésité à leur accorder une

place à côté des lépreux, des teigneux, et de tant d'autres figurations de

malades que les artistes ont tenté de reproduire. Au surplus, la phthiriase

est une véritable maladie, et son histoire iconographique ne doit pas être

dédaignée.

Mais cette histoire sera brève. Les figurations dont il s'agit n'ont au

point de vue médical qu'un intérêt relatif, séduisantes surlout par leur

caractère réaliste et par le pittoresque des compositions.

Nous allons en faire connaître quelques exemples.

Voici d'abord une curieuse gravure destinée à illustrer, dans l'tortus

Sanitatis, le chapitre consacré aux « pouils » que nous avons reproduit plus

Haut (Fig. 1).

On y voit une charitable dame, occupée à

débarrasser un pauvre diable des parasites gi-

gantesques dont sa tignasse est abondamment

pourvue. C'est un balayage en règle exécuté

à l'aide d'une sorte de gros pi nceau et qui a

pour résultat de faire tomber une pluie de

parasites de dimensions invraisemblables. On

conçoit que des poux de cette taille ait pu

commettre des assassinats.

Le pouilleux qui en est couvert,- « pèlerin

ou autre, de ceux qui ne se baignent, ne se

nettoyent pas souvent» » ? reçoit les victimes

dans une cuvette où elles se noient probablement. Mais il faudra sans doute

plusieurs opérations du même genre avant que les mèches touffues de cette

chevelure grouillante soient dépouillées de tous leurs habitants.

Il est à remarquer que les parasites sont figurés sur la gravure, très

grossièrement sans doute, et surtout très grossis, le nombre de leurs

Fig. 1. ,

364 HENRY MEIGE

'pattes est assez fantaisiste, mais leur forme générale n'est pas trop mal

indiquée. L'image avait en effet une portée scientifique, étant destinée à

faire connaître l'animal et le moyen de s'en débarrasser.

Les peintures de pouilleux sont relativement nombreuses et, pour la

plupart signées de noms illustres. Nous en connaissons au moins six exem-.

plaires et il en existe quelques 'autres, probablement.

Ces pouilleux sont toujours de modeste origine : paysans, misé-

reux, vagabonds ou mendiants. C'est le pittoresque de leurs haillons,

bien plus que leur vermine, qui tenla le pinceau des artistes réalistes,

ou bien c'est le désir de rendre une scène familière dans un milieu

approprié. Ainsi, Murillo, sous l'éclatant soleil d'Espagne, se laisse sé-

.,duire par les loques lumineuses d'un misérable gamin qui fait la chasse

aux poux, tandis que Gérard Dow, sous un ciel plus maussade, représente

une toilette analogue, prétexte à nous montrer les détails naturalistes

^d'un intérieur villageois. ,

Fig.2.

LES POUILLEUX DANS L ART 365

Nous possédons, au Louvre, un pouilleux mémorable. Il est de IUnILLO.

C'est ce Jeune Mendiant, accroupi contre un mur,dans une soupente sombre

où pénètre seulement un rayon de soleil. Mais quel soleil ! Il fait sur la

muraille une tache éblouissante où le gamin lézarde en ses resplendissantes

guenilles (Fig. 2).

Entr'ouvrant sa chemise, il y chasse la vermine et le gibier doit y être

abondant, car nous savons, depuis A. Paré, que « les petits enfans sont

forts sujets aux poux, à raison qu'ils crapulent et engendrent beaucoup

d'excrémèns. » Le Pouilleux de Murillo sait se défendre contre les para-

sites : c'est pour lui un exercice familier que de les faire éclater entre ses

ongles.

Très sérieux, absorbé par sa capture délicate,il est bien l'ancêtre de ces

jeunes mendiants qui se pouillent encore aujourd'hui sur les chemins en-

soleillés de l'Espagne et de l'Italie. Et ses poux sont des poux de corps,

les plus crasseux et les plus répugnants.

Le maître espagnol a emprunté aux poux de la tête le sujet d'un autre

tableau. A la Pinacothèque de Munich (1), se trouve une vieille femme

pouillant un garçonnet.

L'enfant est assis par terre, entre les genoux de la vieille, qui, pour se

livrer à ses recherches, a posé sur un banc sa quenouille et son fuseau.

De ses doigts noueux elle épluche,mécUe à mèche, la lignasse malpropre

et pressant fort entre le pouce et l'index, elle écrase à la fois et les poux

et leurs oeufs.

Indifférent à l'opération, dont il savoure seulement le grattage agréa-

ble, le gamin joue avec un jeune chien que tente un morceau de pain,

tantôt offert et tantôt retiré. .

Un pouilleux plein de grâce, si l'on peul ainsi qualifier un pouil-

leux, a été peint par Gérard Dow.

Il est encore ci la Pinacothèque de Munich. Charcot et Paul Richer en

parlent avec éloge, vantant avec justesse le charme et le naturalisme de

cette fantaisie du maître hollandais (Fig. 3).

Dans un intérieur rustique que meublent une brouette, un tonneau et

quelques ustensiles de ménage,- avec des choux, des carottes et des oignons

(1) N° 1308. T. 11.146. L.413. ,

366 : HENRY MEIGE

pour décorer les coins trop nus, un beau jet de lumière pénètre éclairant

une grand'mère occupée à pouiller son petit garçon.

Le bambin rieur est assis sur le sol. Dans une pose câline, abandonnant

sa tête au minutieux travail de l'aïeule, il se distrait avec quelque menu

jouet, insouciant des insectes qui grouillent sur son crâne.

; La vieille, assise, la tête penchée sur les frisures suspectes, s'est armée

de bésicles et d'un peigne à longues dents. De ses doigts amaigris, elle

écarte les mèches et poursuit patiemment les parasites sournois. Son front

ridé dit clairement sa surprise, et sa moue dégoûtée laisse entendre qu'une

telle chasse n'a rien d'attrayant. Mais elle est pleine d'indulgence pour

ses petits-enfants. L'aîné perdu dans l'omhre, au fond de la pièce, s'évertue

â souffler dans une énorme vessie. La honne vieille n'y prend garde, trop

occupée par une besogne difficile à ses yeux affaiblis. -

Décor tout simple, figures naïves, scène hien vulgaire, mais dont Gérard

Dow a su composer un ensemble harmonieux, tendre el délicat.

ADRIAEN VAN ÛSTADE,- ou plus vraisemblablement l'un de ses imitateurs

ou copistes nous fait voir à l'Académie des Beaux-Arts de Vienne (4 ) que

(1) N° 902. B. II, 24. L, 34, 5. ,

. Fig.3.

LES POUILLEUX DANS L'ART 367

les poux de son temps nichaient aussi bien dans les chevelures déjà vieilles

que sur les crânes enfantins.

L'intérieur rustique où il nous fait pénétrer semble envahi par la ver-

mine. Une épouse affectueuse rend à son mari le service intime de net-.

toyer son chef hirsute. Elle s'en acquitte avec tendresse, cependant qu'une

vieille, accroupie dans un coin, se livre sur elle-même à semblable

besogne, pourchassant sur sa poitrine flétrie une autre espèce de parasites.

Poux de tête et poux.de corps paraissent affectionner cette famille de rus-

tres hollandais.

Isnnr, VAN Osta.de a aussi son petit pouilleux, le troisième spécimen de

ces sortes de scènes familières conservé

à la Pinacothèque de Munich (1).

Décor : Un vaste intérieur villageois,

traité largement, encombré d'ustensiles

de ménage, éclairé sur la droite par

une fenêtre à vitraux; dans le fond,

une cheminée à hotte devant laquelle

se.chauffent trois paysans.

Au premier plan, dans la lumière,

un homme assis pouille un tout jeune

enfant, qui se tient debout entre ses

jambes. Son geste indique qu'il a fait

une victime : entre ses deux ongles un

pou vient de rendre Famé. Et, le sourcil froncé, pinçant fort les lèvres,

l'homme s'apprête à occire un nouvel ennemi (Fig. 4). '

Enfin, c'est une petite pouilleuse, blottie dans le giron de sa mère, que

nous montre PIETER DE IIoocH, sur un tableau du Rijks Muséum d'Amster-

dam (Fig. 5).

L'artiste excelle en l'art de mettre en valeur ces intérieurs hollandais, -

propres, nets, avenants, où les vitres sont claires, le carrelage toujours--

reluisant, les cuivres toujours astiqués, où des bandes de soleil entrent à

souhait pour dorer les contours des meubles et les boucles des cheveux.

Et l'on s'étonne qu'en une chambre aussi correctement rangée, sur des

habitants si soigneux de leur personne, soient venus se poser de malpro-

pres parasites.

(1) No 3 16. - B. H, 0,41. L. 0,54. Signé. 1641.

. Figez

368 ' HENRY MEIGE

Il doit s'en trouver cependant, car la maman semble leur faire une

chasse attentive dans les boucles blondes de sa fillette, simple mesure

préventive peut-être, inspection que commande la crainte de la contamina-

tion par des camarades moins bien surveillées. -

Une eau forte de Jean Miel (1599-1664) représente également une pe-

tite pouilleuse dont une veille femme s'efforce de nettoyer la tête reposant

sur ses genoux.

On pourra grossir la liste des documents de ce genre. Les Poux et les

Pouilleux en seront honorés. -

Mais, d'ores et déjà, on peut du moins prédire, que si, dans l'avenir, la

race des poux vient à disparaitre, il est bien permis de le souhaiter,

l'Art aura contribué,pour une bonne part, à perpétuer la mémoire des

Pouilleux.

Le gérant : P. Bouchez -

Imp. G. Saint-Aubin et Thevenot, J. Thevenot, successeur, Salnt-Dizier (Hte-Marne).

Fin. 5.

100 Année N° 6 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1897

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

MALFORMATIONS DES MAINS EN « PINCES DE HOMARD »

ET ASYMÉTRIE DU CORPS

CHEZ UNE ÉPILEPTIQUE (f)

F. RAYMOND

Professeur de Clinique

des Maladies du Système Nerveux.

PAR

ET

PIERRE JANET.

Directeur du laboratoire

de Psychologie de la Clinique.

Voici l'histoire d'une jeune fille, Fa..., âgée de 19 ans, intéressante

surtout au point de vue de son organisation anatomique, des curieuses

malformations qu'elle présente, malformations qui d'ailleurs ne sont pas

étrangères à nos études car elles ne sont pas probablement sans rapports

avec la grande maladie qu'elle présente : l'épilepsie.

Ce qui frappe au premier abord, ce sont ses mains en « pinces de

homard » comme on dit (Fig. 1).

(1) Extrait d'un ouvrage qui sera publié prochainement par le Professeur Rai-

MONI) et le Docteur Pierre Janet sous ce titre : Névroses et Idées fixes.

x 26

Fig. 1.- Malformation des mains en « pinces de homard » chez une épileptique.

370 F. RAYMOND ET PIERRE JANET

Vous voyez qu'à chaque main elle n'a en réalité que deux doigts,

un pouce bien conformé et opposable et un gros doigt formé par la

réunion intime de l'index et du médius. La soudure est complète en

apparence. Les deux ongles intimement accolés n'en font qu'un divisé

seulement par une rainure; du troisième et du quatrième doigts, pas

de traces. Ce gros doigt moyen est bien flexible à une main. est plus

ankylose à l'autre, néanmoins cette jeune lille, comme il arrivé sou-

vent dans ces cas, se .sert de ses mains si bizarres avec une habileté

surprenante. Comme on désire toujours le mieux, elle souhaite qu'on

lui rende ce gros doigt plus mobile. La radiographie à laquelle cette main

a été soumise (Pl. XXXIX), nous a démontré qu'il n'y a pas fusion

osseuse des deux doigts ; théoriquement on pourrait séparer ces doigts et

lui donner trois doigts à chaque main, ce qui serait très beau. Cette jeune

fille rêve cette opération, nous y déciderons-nous ? Il y lieu d'hésiter

un peu. Il va être difficile de trouver de la peau pour empêcher l'adhé-

rence ; des greffes dans ces conditions ne sont pas très faciles, c'est un

petit tour de force chirurgical qu'elle demande. Ne risquons-nous pas de

gêner cette belle habileté qu'elle a acquise.

Mais cette malformation n'est pas la seule qu'elle présente, elle a égale-

ment les deux pieds ma) formés,quoique moins que les mains.La Planche XL

représente les radiographies que M. Albert Londe a faites de ces pieds.

Les cinq orteils sont présents, mais deux, le second et le troisième, sont acco-

lés à leur première"phalange et libres seulement à l'extrémiCé; ilssoil.l)làcés

Fig. 2.

Fig. 3 et 4.

Malformation congénitale des doigts sur une seule main chez le père (Fig. 2).

Aux deux mains chez la fille (Fig. 3 et 4).

RADIOGRAPHIES DES MAINS EN « PINCES DE HOMARD » D'UNE EPILEPTIQUE

MASSON R LIC, Editeurs. s.

RADIOGRAPHIES DES PIEDS D'UNE EPILEPTIQUE

qui présente aux mains la déformation en « pinces de homard ».

MASSON & cic) Editeurs.

ASYMETRIE DU CORPS CHEZ UNE EP1LEPTJQUE

MASSON &.. Cic, 1 : ,Ilttllrs.

MALFORMATIONS DES MAINS EN PINCES DE HOMARD 371

de telle manière que le troisième n'est pas à côté mais au-dessous du se-

cond.

Ces déformations des doigts en forme de pinces de homard ou simple-

ment avec soudure de certains doigts sont très fréquemment héréditaires ;

c'est là un des détails les plus communs et les plus connus de leur étude.

L'un de nous a observé avec curiosité dans un village aux environs du

Havre une famille célèbre par ses pinces de homard. On lui a présenté

sept individus mâles, appartenant à trois générations différentes de la

même famille ayant aux mains et aux pieds la même malformation que

vous ne voyez ici complète qu'aux mains seulement. Il est curieux de re-

marquer que les hommes seuls héritaient de cette anomalie : toutes les

femmes de la famille naissaient avec des mains et des pieds normaux. M. le

Dr Jules Janet nous envoie obligeamment trois dessins qu'il a recueillis à

l'hôpital de la Pitié : le premier représente la main droite du père (Fig. 2),

la seule atteinte chez lui et les deux autres les deux mains de la fille (Fig. 3

et 4). Vous voyez que chez le père et chez l'enfant le 3e et le 4" doigts sont

intimement soudés. Notre malade n'obéit pas à cette règle, car chez elle

aucun membre de la famille n'a les mains constituées de cette manière.

Ces malformations qui sautent aux yeux tout d'abord ne sont peut-être

pas les plus curieuses que présente cette jeune fille; ce qui est plus

remarquable encore c'est une asymétrie complète dans toutes les parties

du corps (Fig. 5 et Pl. XLI). Le crâne est à peu près régulier, mais la face,

si vous la regardez avec attention, vous présente déjà une différence appré-

ciable ; le côté gauche est beaucoup plus petit que le côté droi dans toutes

ses parties : joue, lèvre, menton. C'est même curieux de voir ce petit côté

fin juxtaposé à une moitié de figure plus robuste. Il en est de même pour

le thorax : le côté gauche est plus petit que le droit, la demi-circonférence

gauche de l'épine dorsale à l'appendice du sternum est de 33 centimètres

tandis que celle de droite est de 37, le sein gauche est aussi plus petit que

le sein droit. Les différentes circonférences du bras gauche à différentes

hauteurs présentent toujours une différence de 1 à 1 cent. 1/2. Les deux

bras ne sont pas non plus de même longueur (Fig. 5) et par une sorte de

compensation le plus gros est le plus court. Du côté gauche, de l'acromion

à l'épicondyle, nous mesurons 28 centimètres pour 29 à droite, de l'épi-

condyle à l'extrémité des doigls 3G à gauche pour 37 à droite. En tout le

bras gauche a 64 centimètres, le bras droit 66. Les mêmes différences en

grosseur et en longueur se retrouvent si on examine les jambes en adop-

tant les points de repère de M. Paul Richer. La jambe gauche depuis

l'extrémité du grand trochanter jusqu'à l'interligne articulaire du genou

nous donne 33 centimètres, de l'interligne articulaire jusqu'au sol, le

pied reposant à plat, 37 centimètres, en tout 70. Cette même jambe gau-

372 F. RAYMOND ET PIERRE JANET

che nous donne comme circonférences principales : de la cuisse, à 15 cen-

timètres au-dessus de l'interligne, 44 centimètres, 20 centimètres plus

haut 76, à l'endroit de la plus forte dimension du mollet 30 cent. 1/2.

Les mêmes mesures sur la jambe droite donnent : longueur de la cuisse

38 centimètres, de la jambe 41 centimètres, en tout 79 ; dimension de la

cuisse aux mêmes points 43 et 44 centimètres, dimensions du mollet

29 cent. 1/2. En résumé la jambe gauche est plus courte de 9 centimètres,

la cuisse gauche a toujours une circonférence plus grande que celle de la

droite d'un centimètre; le mollet gauche est également plus gros que le

droit d'un centimètre. La jambe gauche est de beaucoup plus courte et

Fig. 5. Asymétrie du corps chez une épileptique.

MALFORMATIONS DES MAINS EN PINCES DE HOMARD 373

plus grosse que la droite. C'est ce que le schéma de la Fig. 5 vous présente

avec précision. Ceci oblige cette jeune fille soit à hancher fortement du

côté droit, soit à marcher comme elle le fait toujours sur la pointe du pied

gauche. C'est donc une asymétrie complète dans toutes les parties. Elle doit

correspondre à des malformations des organes nerveux. Nous n'osons pas

dire à une hémiatrophie cérébrale mais du moins à une asymétrie cérébrale

notable. -

Ces anomalies de construction justifient bien une formule en géné-

ral trop affirmative de' Lasègue. « Tous les épileptiques sont des asy-

métriques.» Il est difficile d'être plus asymétrique et en même temps

elle est gravement atteinte du mal comitial. Nous ne vous dirions rien de ses

accès s'ils ne présentaient eux-mêmes quelque chose d'assez curieux. Ils

sont précédés d'hallucinations visuelles parfaitement nettes et toujours

les mêmes. Elle voit une collection de personnages de différentes tailles

qui l'entourent et la menacent. Elle a des frissons, des chaleurs et l'accès

commence. Il est classique ; elle se mord la langue, perd les urines, s'en-

dort après l'accès. Nous remarquerons seulement que rarement, deux à

trois fois par an, elle a des accès plus forts ou plutôt des séries d'accès

subintrants qui durent plusieurs heures et qui s'accompagnent de cris, de

contorsions et même de paroles, en un mot de délire. Y a-t-il un mélange

d'hystérie dans ces grands accès ? Cela n'a rien d'invraisemblable et c'est

même, à notre avis, beaucoup plus fréquent qu'on ne le croit. Ou est-ce tout

simplement du délire comitial ? Nous n'avons pas vu ces grands accès.

Ces accès ont commencé à l'àge de 16 ans, on les attribue comme tou-

jours à une peur. Un enfant caché sous un lit lui a pris le pied dans une

chambre très noire et l'accès est venu un mois après. Il n'est pas impos-

sible que cet incident ait influé sur les hallucinations, mais il évident

d'autre part qu'elle était prédisposée à l'épilepsie. Son asymétrie et ses

malformations corporelles nous le montrent. '

Quelle est l'origine de tous ces troubles ? Nous ne savons pas grand'chose

sur la famille, sauf qu'une soeur du père était épileptique. Ce qui est plus

important peut-être, c'est qu'elle est née jumelle. L'autre enfant en appa-

rence bien conformé est mort peu de temps après la naissance. Il y a

évidemment des accidents pendant la grossesse, des troubles de l'évolution

du foetus dans ces grossesses gémellaires que nous n'avons jusqu'à présent

qu'à constater sans pouvoir pénétrer dans leur explication.

DEUX CAS .

DE

GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE

PAR

E. BRISSAUD et HENRY MEIGE.

Le nombre des cas de gigantisme s'accompagnant d'acromégalie est plus

considérable qu'on ne le pense. La coexistence fréquente de ces deux états

pathologiques est un fait digne de remarque : il mérite mieux qu'une

simple constatation. ,

Dans sa première et magistrale description, P. Marie a déjà signalé les

rapports de l'acromégalie et du gigantisme. La plupart des auteurs se sont

efforcés après lui d'établir une distinction nosographique entre ces deux

affections (P. Guinon, Souza Leite). Puis, de nouvelles observations

ayant été publiées, d'autres se sont demandé si cette différenciation

méritait d'être maintenue.

Massalongo en particulier soutint que l'acromégalie n'était qu'une ano-

malie du gigantisme. Une thèse analogue a été défendue par Tanzi, Byrom

Bramwell, Swanzy, Dana, Engel-Reimers, etc., contrairement à l'opinion

de la dualité de ces deux états, soutenue encore aujourd'hui principale-

ment par P. Marie et Sternberg.

Dans un travail publié au début de l'année 1895, et relatant l'histoire

d'un forain célèbre, Jean Pierre Mazas, « Géant de Montastruc », nous

avons eu déjà l'occasion de faire ressortir les liens de parenté très étroits

qui unissent le gigantisme à l'acromégalie.

La combinaison de ces deux états ne nous semble pas être un effet du

hasard.

Le gigantisme et l'acromégalie sont deux manifestations d'une seule et

même maladie survenant à deux périodes différentes de l'évolution de l'in-

dividu, le premier au temps de la croissance, la seconde lorsque le déve-

loppement de la taille en hauteur est un fait acquis.

DEUX CAS DE GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE 375

Plusieurs arguments viennent à l'appui de cette manière de voir.

D'abord, au point de vue symptomatique, il existe entre les accidents

généraux dont les acromégaliques et les géants sont atteints des similitu-

des manifestes. On relève, en effet, parmi* ceux dont les géants sont le

plus ordinairement affectés : l'asthénie, dans son sens le plus large, la

fatigue physique, la faiblesse musculaire malgré l'absence d'atrophie, la

diminution de la puissance génésique chez les hommes, l'aménorrhée chez

les femmes, la torpeur intellectuelle, la céphalée, la tristesse, les modifica-

tions multiples de la fonction cutanée, et-jusqu'aux varices.

Tous ces phénomènes s'observent également chez les acromégales.

En second lieu, au point de vue anatomo-pathologique, il importe de

noter que l'hypertrophie de la pituitaire (Dana) et l'agrandissement de

la selle turcique (Tamburini), presque toujours constatés dans l'acromé-

galie, ont été retrouvés dans les cas de gigantisme avec une égale fré-

quence.

Enfin les statistiques, celle de Sternberg en particulier, démontrent

que la moitié des cas de gigantisme authentique fait retour à l'acromé-

galie. -

L'autre moitié est composée des cas de gigantisme essentiel. Encore est-

on en droit de se demander si nombre d'entre eux ne présentaient pas

certains caractères morphologiques de l'acromégalie, peu accusés, ou ayant

passé inaperçus des observateurs.

Toutes ces raisons militent singulièrement en faveur de la théorie

uniciste.

Et puis, on a contesté au gigantisme le droit d'être appelé une maladie.

Il existe en effet des géants qui ne sont nullement malades et qui vivent

jusqu'à un âge avancé. Mais il en est de même des acromégaliques. Un

assez grand nombre de ces derniers, présentant le syndrome morphologie-

que typique, ne souffrent en aucune façon et vivent parfois fort vieux(l).

Ainsi, dans l'acromégalie, les troubles généraux qui s'étaient mani-

festés à la période progressive de l'affection, peuvent s'amender et dis-

paraître quelquefois pour toujours.

Dans le gigantisme, ces mêmes phénomènes qui appartiennent presque

exclusivement à la période de croissance, cessent aussi complètement,

une fois la croissance terminée.

Restent les cas, en nombre assez grand, où l'acromégalie continue le

gigantisme.

(i) Nous publierons prochainement uu observation de ce genre.

376 E. BRISSAUD ET HENRY MEIGE

Il est certain que les difformités acromégaliques peuvent apparaître à

la suite de la difformité gigantesque. Mais elles ne surviennent jamais

que lorsque la taille est devenue définitive, le jour où le développement

en longueur est enrayé par la soudure indestructible des épiphyses aux

diaphyses. ' -

Dans ces cas, la couche périostique d'ossification poursuit sa besogne

histogénique au delà du temps de la croissance ; les tètes osseuses et les

sutures s'épaississent ; l'hypertrophie ne pouvant plus se faire en longueur,

se fait alors en épaisseur. I..

Le type complexe qui en résulte mériterait le nom,malheureusement t

cacophonique, d'Acromégalo-gigantisme.

Quel que soit le nom dont on le désigne, ce type complexe existe réelle-

ment. Nous en avons déjà rappelé plusieurs exemples authentiques, aux-

quels on pourrait en ajouter de nouveaux, choisis parmi les observations

déjà anciennes de géants et d'acromégales, ou figurant depuis peu dans

la littérature médicale.

Nous nous contenterons de signaler les deux cas suivants :

Une observation fort instructive vient d'être publiée par M. J. J. Mati-

gnon (1), aide-major de 1 ? classe attaché à la légation de France à Pékin.

Il s'agit d'un cas de gigantisme suivi d'acromégalie observé chez un

chinois, à l'hôpital français de Hon-t'ang de Pékin (juillet 1896).

Nous tenons à reproduire en entier cette observation que M. Matignon

a eu l'obligeance de nous communiquer, il y a déjà quelque temps, ainsi

que les photographies qui l'accompagnent, mais dont nous tenions à lui

laisser la primeur (Pl. XLII et XLIII).

« Tchang, 23 ans, mineur, a eu pendant son enfance une santé assez

délicate. A grandi très vite. A 19 ans, sa taille était déjà de beaucoup au-

dessus de la moyenne. A ce moment il a eu des fièvres, qu'il ne définit

point, et sa colonne vertébrale a commencé à s'incurver.

Il a l'air d'un géant. Sa taille est de 1 m. 83, c'est-à-dire dépasse de

18 centimètres la taille moyenne des Chinois du Nord qui n'est guère que

de 1 m. 65 : sa tête est volumineuse avec un facies de brute ; ses extré-

(1) J.J. 1ZATI(3NOft, Un cas 'e[C)'ome'ya ! o-yt9'fM : <MMe. Médecine moderne, 6 novem-

bre 1897. Cette observation a été également communiquée à la Société médicale des

hôpitaux.

ACROMEGALO-GIGANT1SME CHEZ UN CHINOIS

DEUX CAS DE GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE 377

mités sont énormes et frappent d'autant plus par leur volume, que chez

les Chinois elles sont particulièrement fines.

Tête.- Diamètre antéro-postérieur : 20 centimètres ; bi-temporal : 16.

Le front est très bas, les cheveux durs comme des crins, pas de tubérosi-

tés anormales ; les apophyses mastoïdes ont un volume considérable.

Les arcades sourcilières sont très marquées; les pommettes peu sail-

lantes, les yeux normaux. Le nez est gros, écrasé, la lèvre supérieure peu

augmentée ; l'inférieure fait un bourrelet épais, tombant. Oreilles grandes

et larges. Le maxillaire inférieur est très développé, d'où prognatisme con-

sidérable ; les dents de la mâchoire inférieure sont très écartées. La langue

est épaisse et large ; les amygdales ne sont pas hypertrophiées. Voûte

palatine normale. Le cou n'est pas très gros ; infléchi en avant et enfoncé

entre les épaules.

Le corps thyroïde est totatement atrophié.

Thorax.- Il semble écrasé d'avant en arrière : le sternum ne fait point

de saillie. Les clavicules sont longues, pas très grosses et normalement

dirigées. Diamètre bi-acromial : 48 centimètres.

Toute la région dorsale est déformée par une voussure énorme de la

colonne dont le point culminant est au niveau de la 7e dorsale : le péri-

mètre thoracique passant par ce point est de 1 m. 18.

Les seins font un relief assez considérable. A 6 centimètres au-dessous

de ces derniers, siège un sillon circulaire profond, qui semble séparer le

thorax de l'abdomen.

Le bassin est large. Diamètre bi-iliaque : 37 ; bi-trochanter antérieur :

45. La verge est toute petite ; les testicules sont atrophiés ; il reste à peine

deux haricocèles.

Membre supérieur. - Très long et petit pour sa longueur. Légère atro-

phie deltoïdienne ; muscles du bras peu développés. Le coude est gros et

plus volumineux que l'épaule. L'avant-bras, développé surtout dans sa

partie inférieure est plus gros que le bras, à droite et à gauche.

Les mains sont très grandes : 23 centimètres (la dimension moyenne

des mains de chinois est 17 cent. 1/2) et régulièrement développées ; elles

ont l'air de battoirs appendus à l'extrémité des' avant-bras. La paume est

très large, pas très épaisse. Il y a atrophie des muscles des éminences

thénar et hypothénar : la main est plate. Les lignes d'opposition y sont

profondément creusées. Les doigts sont longs et gros, réguliers; le tissu

mou y est peu développé; la main n'est pas « capitonnée ». La tète de

la 4'e phalange est surtout augmentée.

Ongles normaux; pas de traces de striations.

Le membre inférieur très long, paraît beaucoup plus long qu'il n'est

réellement àcause du raccourcissement du tronc par incurvation vertébrale.

378 E. BRISSAUD ET HENRY MEIGE

La cuisse et la jambe sont très fortes. A première vue, la jambe paraît oedé-

mateuse à cause du développement exagéré de la partie inférieure. Elle est

dure au toucher. Le pied est long, gros, augmenté dans tous ses diamètres,

longueur moyenne chez les chinois 23 cent.). Il est plat; les orteils, sur-

tout le gros sont un peu en massue.

Les réflexes rotuliens paraissent diminués.

Phénomènes subjectifs.- Intelligence frisant l'imbécillité ; pas de trou-

bles de la vue; surdité légère. Se-plaint d'une fatigue constante et pro-

fonde. Il n'a pas la moindre force; il ne peut, par exemple, monter seul

sur une chaise, haute de 40 centimètres. Il reste constamment « affalé »,

assis par terre, la tête penchée en avant, les bras reposant sur les cuisses

(Pl. XLIII).

Lourdeur de tête plutôt que céphalée véritable. Le sens génésique est

totalement aboli ; n'a pas eu d'érection depuis nombre d'années.

Il craint plus la chaleur que le froid. La sensibilité paraît un peu di-

minuée. Il transpire et urine beaucoup. Très peu d'appétit.

M. Matignon fait suivre cette description des réflexions suivantes :

« Nous sommes en présence d'un cas assez typique de gigantisme et

d'acromégalie. Sans l'incurvation de la colonne vertébrale, la taille de

notre sujet atteindrait 9. mètres.

« Le développement exagéré a porté à peu près également sur tous les

os, frappant d'une façon un peu particulière les extrémités inférieures;

les avant-bras et les jambes et surtout les pieds et les mains.

'« Nous ne croyons pas qu'il y ait de rapport à établir entre les fièvres

qui se montrèrent à 19 ans et le début de l'incurvation vertébrale.

« Il est intéressant de signaler les atrophies partielles des muscles des

bras et des mains, alors que les membres inférieurs n'en présentent point,

l'atrophie tacite des testicules et l'abolition complète du sens génésique.

« La déformation thoracique est également assez spéciale. Le sternum a

conservé sa direction normale alors qu'en général il fuit en avant, comme

si le thorax avait été déformé par une pression bilatérale.

« Cette observation semble vérifier complètement la théorie de MM.Bris-

saud et Meige qui font du gigantisme et de l'acromégalie deux manifestations

d'une même maladie, survenant l'un pendant la période de cromance,

l'autre, alors que le temps de la croissance normale est déjà passé. »

La très intéressante observation de M. J. J. Matignon n'est pas moins

édifiante que celle du Géant de Montastruc.

Chez le chinois qui en fait l'objet, le gigantisme a précédé l'acroméga-

ACROMEGALO-GIGANTISME CHEZ UN CHINOIS

DEUX CAS DE GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE 379

lie ; il s'est affirmé pendant la période de croissance, puisque à 19 ans,

Tchang était déjà « d'une taille de beaucoup au-dessus de la moyenne ».

Plus tard ont apparu les déformations acromégaliques : le prognathisme,

les saillies sourcilières, l'épaississement du nez et des lèvres, qui donnent

au sujet son « facies de brute », l'hypertrophie des extrémités « d'autant

plus frappante que chez les Chinois, celles-ci sont particulièrement t

fines » ; enfin cette cyphose monstrueuse, qui, dotant ce géant d'une gib-

bosité comme on n'en voit guère, par contré, lui retire près de 20 centi-

mètres de sa taille, le laissant toutefois de 20 centimètres plus grand que

la moyenne des hommes de son pays.

Gigantisme d'abord, acromégalie ensuite, les deux états se sont succé-

dés d'une façon si évidente qu'on conçoit malaisément qu'ils n'aient pas

été la conséquence d'une seule et même maladie.

' Et, si celle-ci continue son oeuvre de déformation, on peut prévoir que

Tchang deviendra, dans l'avenir, en apparence de moins en moins géant,

mais de plus en plus acromégalique.

Au mois d'avril 1895, nous avons eu l'occasion de voir à Lisbonne, un

pensionnaire de l'Asile des ouvriers invalides qui est encore un bon exem-

ple de gigantisme avec acromégalie consécutive.

La Fig. 9 reproduit la photographie que nous avons faite de ce malade

sur lequel notre excellent ami le Dr Th. de Mello Breyner a eu l'obligeance

de nous transmettre de précieux renseignements.

Joaquin Leviz da Silva, âgé de 52 ans, exerçait autrefois le métier de

chaudronnier, mais le plus souvent il se montrait dans les foires, tantôt

comme « Hercule » tantôt comme « Géant ». Aux courses de taureaux, il

était réputé parmi les plus robustes pour terrasser l'animal en le prenant

par les cornes, comme il est d'usage en Portugal.

Son père est mort d'une hémiplégie, sa mère d'une affection cardia-

que ; l'un et l'autre étaient de taille moyenne ; mais son grand-père pa-

ternel, paysan des environs de Lisbonne, était de très haute taille, d'une

force peu commune, avec une tête et des mains très grandes dont le souve-

nir est resté légendaire dans la famille.

Joaquin a eu six frères ou soeurs, tous de taille ordinaire, et même au-

dessous de la moyenne. Deux frères sont morts en bas âge de la petite vé-

role. Quatre soeurs de petite taille sont actuellement vivantes et bien por-

tantes.

Jusqu'à 18 mois, Joaquin était un enfant ordinaire. Il commençait

à parler, disant : paè, mde, agna,etc., quand il eut un « grand rhume » ( ? ).

380 E. BRISSAUD ET HENRY MEIGE

avec « écoulement par le nez et par les oreilles ». Il en guérit, mais de-

meura sourd, et devint, par surcroît, complètement muet.

A l'âe de ans, étant à l'Ecole des Sourds-Muets, il commença à gran-

dir d'une façon excessive. A 13 ans, il était déjà d'une taille peu com-

mune et il continua à se développer en hauteur et en force jusqu'à deve-

nir le colosse qu'il fut à Page adulte.

Actuellement, c'est un vieillard, cassé,

ridé, artério-scléreux, aortique, Sa taille ne

mesure plus que 1 m. 78, du fait d'une cy-

phose assez prononcée et d'une notable

incurvation des membres inférieurs qui

n'existaient ni l'une ni l'autre au temps

de ses exploits de lutteur.

La grande envergure, qui peut ren-

seigner approximativement sur la taille

primitive, est de 1 m. 87.

Les stigmates acromégaliques sont ma-

nifestes :

Face énorme : protubérance occipitale,

arcades sourcilières et pommettes très sail-

lantes ; maxillaire inférieur élargi, allon-

gé, proéminant en avant (les favoris que

porte le malade dissimulent un peu la

saillie de la mâchoire). Les lèvres sont

grosses, la langue aussi ; le nez n'est pas très

volumineux. Le dos est fortement voûté;

Les mains sont d'énormes battoirs aux

doigts très élargis dans toutes leurs dimen

sions.

Les deux jambes sont incurvées en pa-

renthèses, la droite principalement; elles

sont couvertes de varices.

Pour qui connaît l'habitus acromégalique le diagnostic ne pouvait

manquer, comme on dit, de sauter aux yeux.

Ce Portugais est encore un exemple de gigantisme et d'acromégalie

associés, celle-ci ayant fait son apparition à la suite de celui-là.

L'acromégalie ayant débuté après la période de croissance, et lorsque

Joachin était déjà d'une taille élevée, les extrémités se sont développées

suivant le type cubique signalé par P. Marie dans les cas d'acromégalie à

début tardif.

Fig. 1.

Géant acromégalique de l'Asile des

ouvriers invalides à Lisbonne.

DEUX CAS DE GIGANTISME SUIVI D'ACROMÉGALIE 381

Nous reproduisons ci-contre (Fig. 2, 3 et 4) le contour de la main de

ce malade, tel qu'il nous a été communiqué par notre ami T. de Mello

Breyner. A côté, nous avons fait figurer le contour.delamain d'un homme

de très grande taille (1 m. 93), âgé de 32 ans, dont la croissance rapide et

régulière s'est terminée à l'âge de 21 ans. Le 3e contour, qui sert à appré-

cier l'échelle des proportions, est celui de la main d'un sujet de taille

légèrement au-dessus de la moyenne (1 m. 70), âgé de 30 ans.

Ces trois figures ont été, bien entendu, réduites de la même quantité

d'après les contours originaux de grandeur naturelle.

Elles permettent de saisir les rapports qui existent entre une main de

géant, demeuré géant pur et simple, et une main de géant devenu acro-

mégalique.

Les deux observations précédentes viennent confirmer notre foi :

Le gigantisme et l'acromégalie ne sont que deux manifestations clini-

ques d'un même processus pathologique.

Le gigantisme peut rester pur et simple : il n'entraîne pas forcément

l'acromégalie.

L'acromégalie peut être pure et simple : elle n'apparaît pas seulement

chez des géants.

Le premier survient pendant la période de croissance proprement dite;

la seconde, au temps où la croissance est déjà achevée. Et il arrive sou-

vent que chez le même individu, celle-ci succède à celui-là.

.Jg. .

Main du géant acromégale

de Lisbonne (tig. 1).

Fig. 3.

Main d'un homme de très

grande taille (1m93).

Fin. 4.

Main d'un homme de taille

moyenne (lm70).

DE L'ARTHROPATHIE NERVEUSE VRAIE

ET

DES TROUBLES TROPHIQUES ARTICULAIRES

d'apparence rhumatoïde

Il PAR R

PAUL LONDE

Ancien Interne de la Clinique des Maladies Nerveuses.

Quand Charcot démontra que des lésions articulaires survenaient dans

le tabes sous la seule influence de la maladie nerveuse et avec un cortège

de symptômes tout nouveaux, l'idée de l'arthropathie nerveuse déjà an-

cienne, mais incertaine s'affirma. J.-K. Mitchell avait dès 1831 parlé

d'arthropathie spinale; Hamilton avait observé l'arthropathie névritique

en 1838 ; Scott Alison en 1846 avait décrit l'arthropathie des hémiplégi-

ques. Le syndrome de Charcot (1868) n'en fut pas moins une découverte,

et, si considérable, que l'on refusa d'abord de l'admettre. C'est que Char-

cot avait vu autre chose que ses devanciers : l'arlhropathie nerveuse pure,

essentiellement différente des arthropathies spinales, névritiques ou hé-

miplégiques : aussi donna-t-on à son syndrome le nom de maladie de

Charcot (1).

Une observation personnelle résumée plus loin nous a fourni l'occasion

de rechercher les éléments de cette distinction en apparence paradoxale :

l'arthropathie, qui est exclusivement de nature nerveuse par ses caractères

cliniques (Charcot la décrivit d'abord sans l'aide de l'anatomie pathologi-

que), est précisément celle dont on ne connaît pas la localisation. On a

bien décrit des névrites (2) ; mais nous verrons que les névrites ne don-

nent pas à elles seules une arthropathie nerveuse type. On range, aussi

parfois le syndrome de Charcot clans les arthropathies spinales ; mais il

faut remarquer qu'à part la syringomyélie, aucune autre affection médul-

(1) Si nous insistons sur l'enchaînement de ces faits bien connus,c'est qu'il confirme

nos conclusions.

(2) Voir Pitres et Carrière. Revue neurologique, 1896, p. 748. Fait relatif à l'étude

de la pathogénie des arthropathies et des {1'actul'es spontanées chez les tabétiques.

DE L'ARTHROPA'rniE NERVEUSE VRAIE 383

laire n'a reproduit jusqu'à présent le syndrome d'une façon indubitable,

exception faite d'une ou deux observations.

Certains auteurs ont assimilé leurs cas d'arthropathies spinales à l'arthro-

pathie tabétique et syringomiétique : nous nous efforcerons de démontrer

que c'est à tort. Charcot a bien soin de mettre dans un seul groupe les

arthropathies spinales et celles des hémiplégiques, et de placer dans un

autre celles du tabes. En général on décrit des arthropathies dans l'ordre

anatomique : il n'y a pourtant pas une différence nettement tranchée entre

les troubles trophiques articulaires des névrites, des myélites, de l'hémi-

plégie. Il n'y a pas non plus une forme d'arthropathie spéciale à chaque

lésion médullaire comme certains l'ont écrit.

Il nous a paru intéressant de tenter une classification purement clinique

qui aura peut-être l'avantage de faire ressortir la spécificité du syndrome

de Charcot, comme dit M. Talamon, et de l'opposer à la banalité relative

des troubles trophiques articulaires d'apparence rhumatoïde. -

Une question connexe est celle du rhumatisme chronique. Couyba com-

pare judicieusement à cette affection les arthropathies consécutives aux

lésions traumatiques de la moelle et des nerfs. Les deux mêmes facteurs

étiologiques se retrouvent à l'origine du rhumatisme chronique, à l'origine

des arthropathies spinales et névritiques et, qui plus est, à l'origine des

arthropathies des hémiplégiques : c'est l'auto-intoxication ou l'infection

d'une part, le trouble nerveux d'autre part.

Une revue complète des observations est inutile. On trouve tous les

éléments du sujet dans les mémoires partout cités de VIoucEOT (1), de

Couyba (2), de BLUni (3), d'ARNOZAN (4), et surtout de TA.LA.MON (5), dans

les leçons de CIIARCOT (6), dans le livre de WEIR lfIITCHELL(7). Les travaux

d'ensemble les plus récents que nous avons consultés sont les leçons de

M. BRISSAUD (8), les articles de M. QuENU (9), de M. Marinesco (10), le

mémoiredeM. Chipault (11) et la revue de MM. Moucher et Coronat (12),

(t) Thèse de Paris, 1816.

(2) Thèse de Paris, 1871.

(3) Thèse d'agrégation de chirurgie, 1875.

(4) Thèse d'agrégation de médecine, 1880.

(5) Revue mensuelle de médecine et de chirurgie, 1878.

(6) OEuvres complètes, T. I, p. 112 et passim.

(7) Lésions des nerfs et leurs conséquences, traduit par D.\STaE, 1874.

(8) Leçons sur les maladies nerveuses recueillies et publiées par H. MEME, 1893 ;

XIVe et xve leçons.

(9) Il'ailé de chirurgie de Duplay et Reclus, T. 111.

(10) Revue Neurologique, 1894, p. 409.

(111 Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1894, p. 299.

(12) Archives générales de médecine. 1895.

384' PAUL LONDE

enfin le travail de M. JEANNEL (1) et celui de M. VERHOOGEN (2). La

Revue Neurologique (1894-96) et la Nouvelle Iconographie de la Salpê-

trière (1894) donnent les indications bibliographiques nécessaires.

I. Arthropathie NERVEUSE PURE.

La description de l'arthropathie tabétique, telle que Charcot l'a faite,

n'est pour ainsi dire aujourd'hui contestée par personne en France du

moins : nous n'y insisterons pas. L'assimilation des arthropathies du tabes

et de la syringomyélie, admise par tous, est inutile à démontrer (3).

Rappelons seulement quelques mots des caractères essentiels de l'arthro-

pathie nerveuse, type commun à ces deux maladies.

Il y a fréquemment des prodromes sous forme de douleurs à type ful-

gurant, se localisant parfois au niveau de la jointure qui va être atteinte.

Le début est brusque : soudainement l'article devient le siège d'un

gonflement considérable, sans aucun signe d'inflammation : la douleur

prémonitoire a disparu et l'indolence est absolue en général.

L'état général est intact. L'arthropathie une fois installée persiste

irrémédiable, et la période chronique qui succède à cette phase aiguë n'est

pas moins caractéristique. On trouve alors les ligaments relâchés, les

têtes articulaires atrophiées en général ; l'articulation est^ ballante et dis-

loquée, plutôt que luxée; ainsi l'ankylose n'existe pas; les lésions os-

seuses sont très précoces, peut-être primitives, et en tout cas prédomi-

nantes. Malgré cette désorganisation articulaire et quel que soit l'état des

muscles, lamotilitéest relativement intacte : il n'yajamais d'attitudevicieuse

de cause musculaire ; par contre il y a anesthésie articulaire, ce qui a per-

mis d'opérer les malades sans chloroforme. Jamais on n'a reproduit expéri-

mentalement une semblable arthropathie. Cette arthropathie évolue isolé-

ment, indépendamment d'autres troubles trophiques mèmedans la syringo-

myélie,exception faite de l'oedème dur pseudo-éléphantiasique, quelquefois

énorme, qui peut accompagner le début de l'accident, et envahir les

segments des membres adjacents dans une grande étendue. Mais très sou-

vent la perturbation trophique est systématisée, en ce sens qu'elle se loca-

lise aux parties constituantes de la jointure ou des jointures atteintes (4).

Nous laissons de côté la variété hypertrophique plus rare : elle peut

(1) Archives provinciales de chirurgie, 1893, p. 476.

(2) Belgique médicale, 1896, nous 14 et 1 ?

(3) Voir Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1894, p. 232.

(4) Nous laissons de côté à dessein la pathogénie dont la discussion ne nous parait

pas essentielle ici.Nous renvoyons le lecteur au remarquable rapport de Massalongo,

cité plus loin ; cet auteur admet la théorie réflexe de Brissaud.

DE L'AlIT11ROPATIIIE NERVEUSE VRAIE 385

prêter à discussion ; ce qu'il faut retenir c'est que même dans cette variété

hypertrophique l'article fonctionne encore avec une facilité surprenante.

Il nous suffira de démontrer que la variété ordinaire, atrophique, est

unique en son genre : elle se reconnaît à distance ou en trois mots de

description; elle aide au diagnostic de l'affection causale, dont elle est

une manifestation directe ; ce n'est pas un épiphénomène; aucune autre

affection articulaire n'est capable de la simuler quand elle est typique.

L'arthropathie nerveuse pure offre donc des caractères précisément oppo-

sés à toutes les variétés connues d'arthrites aiguës ou chroniques. Or les

arthropathies que nous allons maintenant passer en revue, sont faciles à

confondre avec les arthrites vulgaires ; comme ces dernières elles ont l'al-

lure aiguë, subaiguë et chronique suivant les cas, sans qu'on puisse dire

qu'une évolution vraiment spéciale soit liée à la localisation de la lésion

dans les nerfs, la moelle ou le cerveau.

II. TROUBLES TROPHIQUES articulaires d'apparence RHUMATOIDE.

A. Dans les affections spinales.

Les affections qui fourniront une contribution à ce chapitre sont : la

compression brusque ou lente de la moelle, la myélite aiguë traumatique

ou spontanée, la section ou l'hémisection médullaire; les tumeurs de la

moelle ou des méninges (tuberculose, sarcome), presque toutes aiguës ou

infectieuses. Mais avant d'entrer en matière il faut éliminer quelques mala-

dies qui ont passé pour être capables de produire l'arthropathie nerveuse

pure.

La paralysie générale a été incriminée à tort. M. Brissaud, notre maî-

tre (1), a montré que dans les cas où l'on avait cru pouvoir rapporter l'ar-

thropathie à la paralysie générale, il existait concurremment une sclérose

des cordons postérieurs : il s'agissait de paralytiques généraux tabétiques.

L'atrophie musculaire myélopathique, mise en cause par Charcot lui-

même, sur la foi de Rosenthal (2), paraît devoir restituer aujourd'hui

à la syringomyélie au moins un certain nombre des arthropathies véri-

tables qui lui avaient été attribuées. La courte description que donne

Rosenthal du cas en question a trait à n'en pas douter à une arthropathie

nerveuse et ce fait suffit à faire soupçonner une erreur de diagnostic (la

syringomyélie n'était pas connue encore). Patruban et Remak (cités par

Charcot), ont décrit des nodosités osseuses aux mains et aux doigts des

atrophiques, mais ce fait, qui a pu attiré l'attention des auteurs, n'a rien

(1) Leçons sur les maladies nerveuses, tS9o, p. 313.

(2) Traité clinique des maladies du système nerveux (trad. de LuBAisKI), 1878, 20 édi-

tion. Il est difficile d'avoir un diagnostic ferme sur ce cas.

x 27

386 PAUL LONDE

de commun avec les grandes arthropathies nerveuses. L'observation, rap-

portée plus loin en note, de MM. Prautois et Etienne, nous a paru l'uni-

que arthropathie nerveuse dans l'atrophie musculaire myélopathique. Ce

n'est donc jusqu'à présent qu'une exception.

L'arthropathie qu'a observée W. S. Taylor (1) est à n'en pas douter une

véritable arthropathie nerveuse, mais son cas est fort suspect de tabès :

tel est aussi l'avis de Verhoogen.

Enfin il est des déformations articulaires, résultat des troubles trophi-

ques, musculaires et autres,qui ne sont des arthropathies qu'indirectement :

elles ne doivent pas prendre place ici. Telles sont les déformations de la

paralysie infantile (2). L'observation complexe de Feréol (3) est d'une in-

terprétation difficile.il s'agit d'une véritable arthropathie ayant atteint

le coude gauche. Le coude était atteint d'une déformation considérable

avec végétations ostéophytiques énormes, qui ressemblaient à de grosses

tumeurs enchondromateuses : indolence relative, absence de phénomènes

graves, fonctionnement facile de l'articulation. Les autres lésions articu-

laires rapportées (genou gauche, annulaire droit, main gauche) ne sont

pas d'une nature aussi évidente. L'atrophie de la main gauche rappelle

la syringomyélie, quoiqu'il y ait eu un traumatisme antérieur, mais il y

avait des mouvements athétosiques. Lésions trophiques de la peau et de

ses annexes aux deux mains, mais surtout à gauche. Enfin hémiparaplégie

spasmodique et peut-être hémiplégie spasmodique (comme dans le cas de

Charcot et Brissaud) (4). Si l'on joint à ces symptômes le fait que le malade

portait des traces de brûlures nombreuses sur le côté gauche du corps,

tout en soutenant qu'il avait toujours bien senti (contact), il est difficile

de refuser à cette observation le titre des syringomyélie. L'auteur en

fait une sclérose en plaques : il y avait un peu de tremblement peut-être

alcoolique; on conçoit pourquoi le diagnostic de syringomyélie n'est pas

discuté (5).

(1) Revue neurologique, 1894 p. 257.

(2) Nous éliminons, avec ces arthropathies secondaires par arrêt de développement et

atrophie musculaire, les pieds-bots de la maladie de rriedreicla, de la myopathie : il n'y

a pas là d'arthropathie essentielle, pas plus que dans les pieds-bots des névrites péri-

phériques. De même nous éliminons la sclérose en plaques, la paralysie agitante, car

on n'a jamais observé, croyons-nous, dans ces affections de grande arthropathie ner-

veuse, mais seulement des arthropathies rhumatoides. - Mais nous ferons mention

ici de la chorée chronique : M. Auscher a observé un cas inédit de grande arthropathie

nerveuse dans cette affection (communication orale).

(3) Bull. et mémoires de la Société médicale des hôpitaux, 1885.

(4) Progrès médical.

(5) V. Prautois et G. ETIENNE ont publié dans la Revue de médecine, 1894, p. 300, un

cas (observé dans le service de M.SPILUIANN) d'atrophie musculaire myélopathique com-

pliquée de troubles trophiques osseux et articulaires. Il s'agit évidemment dans ce

cas d'arthropathies vraies (épaule droite, articulations acromio-claviculaire gauche, poi-

DE L'ARTDROPATniE NERVEUSE VRAIE 387

Ce triage fait, il ne reste à l'actif des lésions spinales pures (car dans le

tabes et la syringomyélie, les lésions spinales ne sont pas exclusives) que

les trois formes d'arthropathie suivantes : 1° une forme qui se termine par

résolution ou par suppuration si le malade vit assez longtemps, après avoir

évolué à l'instar du rhumatisme articulaire aigu avec mobilité; 2° une

forme qui, après avoir débuté comme la précédente d'une façon aiguë,

s'éternise sous forme d'hydarthrose avec plus ou moins d'empâtement de

la synoviale ; 3° une forme qui débutant d'une façon rapide ou insidieuse

se termine par ankylose fibreuse ou osseuse. Ce qui caractérise chacune

de ces formes c'est surtout leurs terminaisons par résolution, par arthrite

chronique, par ankylose. Nous avons d'abord à démontrer que les trois

. formes ne correspondent pas chacune à une lésion spéciale de la moelle.

1° Forme aiguë. - J. K. Mitchell relate deux cas d'arthropathies spi-

nales au cours du mal de Pott ; dans l'un d'eux (mal de Pott lombaire) le

genou d'un côté, le cou-de-pied de l'autre furent d'abord pris, puis ce fut

le tour d'une hanche, du genou et du cou-de-pied opposés ; dans l'autre,

(mal de Pott cervical), ce fut le poignet qui fut atteint : dans les deux obser-

vations il est dit que des sangsues appliquées au niveau de la lésion spi-

nale amenèrent la résolution.

Dans le cas de Bail (mal de Pott également) on vit à plusieurs reprises

des douleurs articulaires avec gonflement et rougeur au cours d'une para-

plégie.

Chez le malade de Moynier, affecté de myélite subaiguë, le genou et le

cou-de-pied correspondant furent pris ; le genou, d'abord tuméfié et très

douloureux, avait diminué de, volume avant la mort.

Tel peut être le cas de Vincent, myélite aiguë au cours d'un mal de Pott

(cité par M. Talamon) : hydarthrose des deux genoux ; tel encore le cas de

Trousseau (myélite aiguë) : arthrite des deux genoux.

L'observation de M. Rendu (1) intitulée Rhumatisme spinal était, dit-il,

une méningo-myélite suppurée diffuse ; les articulations tibio-tarsiennes,

puis les genoux furent pris d'arthrites évidemment infectieuses ; le coude

droit fut atteint aussi ; un genou suppura. Il y avait parésie des membres

inférieurs avec un léger oedème le long du tibia.

gnets). Particularité : atrophie des extenseurs du cou, ce qui prouve que la lésion spi-

nale remontait assez haut.

Le fait est d'autant plus intéressant à enregistrer qu'il est en quelque sorte unique.

M. Etienne (communication écrite) a pu nous affirmer après examen nécroscopique qu'il

ne s'agissait ni de tabes, ni de syringomyélie. Il peut donc y avoir de grandes arthro-

pathies en dehors de ces deux affections. Mais le fait n'en est pas moins jusqu'à pré-

sent exceptionnel. Le résultat de l'autopsie sera publié dans la Revue de médecine.

(1) Union médicale, 1878.

388 PAUL LONDE

Vallin (1) cite un cas analogue toujours avec le titre de Rhumatisme spi-

nal où l'arthrite affecta les deux genoux puis les deux pieds ; on trouva

du pus dans un genou, du liquide citrin dans l'autre. Il y avait un oedème

dur dans tout le domaine de la paraplégie.

Le diagnostic de rhumatisme coïncidant s'applique peut-être mieux au

cas de Gull, dans lequel le début d'une paraplégie, après une commotion

médullaire, s'accompagna de fièvre et d'arthrites tout à fait aiguës, non

seulement aux membres inférieurs, mais aussi aux membres supérieurs

indemnes de paralysie. Il en est un peu de même du cas de J. K. Milchell

(chute sur la nuque et le dos) dans lequel les arthropathies mobiles voya-

geaient d'un côté à l'autre dans les doigts, les membres inférieurs restant

indemnes quoiqu'ils fussent beaucoup plus atteints que les supérieurs par

la paralysie.

De cette forme aiguë une variété spéciale quant à la localisation doit

être réservée aux cas de Viguès-Nélaton et Joffroy-Salmon où il s'agit d'hé-

misection à hauteur différente (3e vertèbre dorsale, entre la \Je et la 10).

Il est très intéressant de constater que les deux fois l'arthropathie éphé-

mère siégea au genou du côté de la paralysie motrice et de l'hyperesthé-

sie, c'est-à-dire précisément du côté où apparaissent les troubles trophi-

ques dans le syndrome de Brown-Séquard. A remarquer aussi la superposi-

tion de l'arthropathie et de l'hyperesthésie du même côté : nous avons vu

qu'au contraire l'arthropathie nerveuse pure était anesthésique (2).

2° Forme subaiguë (se terminant par arthrite chronique sans ankylose).

Dans ce groupe nous rangeons les observations suivantes :

a) Cas de Chipault (3).- Fracture rachidienne (10e dorsale), ayant dé-

terminé le 5° jour de l'accident un épancliement considérable dans les

deux genoux et les articulations tibio-tarsiennes ; l'épanchement a persisté

au moins dans le genou droit jusqu'à la mort (qui eut lieu le 3° mois),

sans s'accompagner de lésions osseuses. Les recherches bactériologiques

furent infructueuses. Ces arthropathies furent-elles douloureuses ? L'ab-

sence de lésions osseuses au bout de 3 mois écarte absolument l'idée d'une

véritable arthropathie.

b) Observation personnelle.-II s'agit d'une malade du service de M. A.

Robin,notre maître, atteinte de tuberculose pulmonaire (caverne a u sommet

droit, ramollissement du sommet gauche) et de mal de Pott dorsal, paraplé-

(1) Union médicale, 1878.

(2) Nous enregistrons un nouveau fait de '\viner,1897 (Revue neurologique, p. 387).

Contribution à l'étude des traumatismes de la moelle. Syndrome de Brown-Séquard,

sans paralysie vaso-motrice du côté de la lésion spinale, mais arthrites des deux ge-

noux.

(3) Revue neurologique, 1894, p. 542. Cas cité à propos de l'analyse du cas de JEANNEL.

DE L'ATITHROPATHIE NERVEUSE VRAIE 389

gique avec abolition des réflexes. Facies très caractérisé, hypertrophie du

système pileux. Doigts et orteils hippocratiques. Crachats nummulaires,

sueurs nocturnes, anorexie, fièvre. Cachexie et amaigrissement progressif.

Albuminurie. Dyspnée augmentée parun légerépanchcmentpleural gauche.

Douleurs thoraciques à distinguer de la douleur en ceinture qu'avait eue

antérieurement la malade. C'est dans cet état qu'apparurent les arthropa-

thies aux deux genoux d'abord, puis aux articulations tibio-tarsiennes

surtout la gauche, sous forme d'arthrites douloureuses : il y eut toujours

un épanchement modéré mais notable dans les genoux. Il n'y eut pas, au

moment où survinrent ces phénomènes, de modifications dans la paraplé-

gie ; la malade ne pouvait se tenir debout, mais ses jambes étaient encore

capables de quelques mouvements dans le lit. Il y eut au contraire ag-

gravation de l'état général et de l'état pulmonaire. Elle avait eu des hé-

moptysies : tout indiquait l'extension de la tuberculose, notamment dans

le poumon. A noter des douleurs vives, névritiques plutôt que radiculaires,

le long du sciatique poplité externe surtout du côté gauche. Il se forma

un peu d'oedème des jambes, puis une eschare sacrée, et plus tard il y

eut de l'incontinence des matières. Les arthrites durèrent sans modifica-

tion jusqu'à la mort qui survint plusieurs semaines après leur début.

Malheureusement on ne fit qu'incomplètement l'autopsie en notre ab-

sence ; nous apprîmes seulement la confirmation du mal de Pott.

Conclusions : Il ne s'agissait pas d'arthropathies comparables à celles

du tabes, mais évidemment d'arthrites infectieuses (il y avait de la fièvre

hectique). La seule question en litige serait de sa voir si l'infection fut banale

ou spécifique (tuberculeuse). La localisation de ces arthrites était nettement

en rapport avec la lésion spinale, quoique la hanche ne fut pas atteinte.

- c) Cas de Michaud.I) y eut douleurs et gonflemeut du genou gauche,

puis oedème du membre qui disparut ; mais une hydarthrose persista avec

tuméfaction notable (1).

d) Cas de Lannelongue (rapporté par Dujardin-Beaumetz (2) ). - Coup

de feu suivi de paraplégie; l'épanchement qui se produisit dans les deux

genoux fut indolore, mais le malade mourut d'infection 12 jours après le

début de l'arthrite. L'infection du genou est ici plus que probable ; et l'ab-

sence de douleurs s'explique suffisamment par l'immobilisation naturelle

qu'entraîne une paraplégie grave.

e) Cas de Gull.-Un tubercule delà moelle chez un enfant de quelques

mois donna lieu à la fin de la vie à un épanchement dans'le genou droit.

S'agirait-il d'arthrite tuberculeuse ?

(1) A cette série il faut ajouter un cas inédit de M. M. Roques, père et fils : Arthro-

pathie du genou droit, aiguë au début, au cours d'un mal de Pott.

(2) Thèse agrégation médecine, 11.

390 PAUL LONDE

Nous joignons à cette série le cas suivant :

Chipault a trouvé chez une femme « porteur d'un sarcome des pre-

miers arcs dorsaux, suivi de paraplégie », une hydarthrose considérable

qui s'était développée sans que la malade s'en doutàt, en même temps qu'un

oedème dur éléphantiasique, remontant des deux côtés jusqu'à mi-cuisse.

Il semble s'agir ici d'un trouble vaso-moteur exclusif, contrairement il

la plupart des faits précédents. Nous avons vu cependant ce même trouble

vaso-moteur coïncidant avec l'infection dans l'observation de Vallin. Même

dans ce dernier cas nous ne voyons pas qu'on soil en droit d'assimiler la

double hydarthrose à l'arthropathie nerveuse vraie. L'hydarthrose n'a

peut-être été que la conséquence mécanique de l'oedème du membre comme

l'admet Chipault lui-même. En tout cas il ne peut être question d'arthro-

pathie nerveuse vraie (1).

3° Forme chronique (se terminant par ankylose). W.Mitchell, More-

house et ,Keen ont vu les doigts s'ankyloser à demi à la suite d'un coup

de feu ayant atteint la moelle cervicale. .

Gull observa aussi, dans son cas de myélite traumatique, des raideurs

articulaires qui persistèrent plusieurs mois après la guérison de la para-

plégie. Les arthropathies avaient commencé par le mode aigu en s'accom-

pagnant de douleur vive, rougeur et tuméfaction des articulations tibio-

tarsiennes et des poignets ; on eût dit de la goutte plutôt que du rhuma-

tisme. Ici encore les arthropathies ne se limitent pas exclusivement dans

le domaine de la paraplégie.

Jeannel rapporte un cas d'arthropathie double du genou consécutive à

une myélite grippale : elle passa inaperçue pendant la phase aiguë, mais,

quand le malade put se lever, il avait les genoux ankylosés (ankylose

osseuse), dans la flexion,avec inclinaison des deux cuisses à droite et sail-

lie des genoux du même côté, les deux membres inférieurs formant « les

guillemets ». Au premier abord, la photographie de son malade ressemble

beaucoup à maint ataxique atteint d'arthropathie double du genou; mais

le seul fait de l'ankylose en attitude vicieuse, nous porte à rejeter

l'assimilation de cette arthropathie aux arthropathies tabétiques. Après

résection, qui d'ailleurs réussit admirablement, on vit que les lésions

osseuses ressemblaient fort en somme, quoi qu'en dise l'auteur, aux lésions

de l'arthrite sèche. Le malade était resté les jambes pliées et les cuisses

inclinées pendant la durée de la paralysie (2).

(1) L'arthropathie de la sclérose en plaques observée par M. Bourneville se rattache

à cette série. - Dans la paralysie agitante nous ne connaissons que les petites ar-

thropathies comparables au rhumatisme chronique.

(2) Un autre cas de JEANNEL intitulé myélite aigué n'a trait qu'aune déformation ar-

ticulaire par atrophie musculaire et rétraction consécutive.

DE L'ARTHROPATHIE NERVEUSE VRAIE 391

Parallèle avec l'arthropathie nerveuse pure. Etablissons maintenant

un parallèle entre les différentes variétés d'arthrites qui viennent d'être

énumérées et l'arthropalhie nerveuse vraie. Nous voyons que presque

toutes ont été douloureuses, qu'elles se sont accompagnées de troubles

moteurs plus ou moins accentués, que jamais on n'y a signalé d'une

façon formelle l'anesthésie articulaire, sauf probablement dans des cas

d'immobilisation absolue; qu'elles se sont terminées par résolution, sup-

puration, ankylose ou état stationnaire, mais jamais par dislocation avec

atrophie des têtes osseuses. Au contraire on n'a jamais noté que l'hyper-

throphie, d'ailleurs rare, car les lésions se bornent en général à la syno-

viale et aux tissus péri-articulaires.

Nous avons noté la subluxation avec ankylose, mais non la dislocation

proprement dite. Dans tous les cas l'état général était plus ou moins com-

promis, souvent par l'infection.

Dans certaines observations nous avons vu l'élément infectieux ne pas

respecter les limites de la paralysie, sans observer de différence symp-

tomatique entre ces faits et les autres, nettement en rapport par leur

localisation avec la lésion nerveuse. Enfin le niveau de la lésion médul-

laire pas plus que sa nature n'a paru modifier l'allure des arthropathies.

Nous allons voir que les névrites donnent lieu à des arthropathies qui

sont aussi des arthrites comparables aux précédentes, la démonstration

sera plus facile ici. Couyba les a déjà assimilées aux lésions traumatiques

de la moelle en insistant sur leur cachet inflammatoire qui les fait ressem-

bler au rhumatisme subaigu ou chronique.

B. Dans les névrites.

Les troubles trophiques articulaires ne sont pas plus fréquents au cours

des névrites que dans les myélites. Ils ont été observés par Hamilton,

W. Mitchell (5 observations), Packard, Blum, Bowlby (-1) ; on peut y ajou-

ter une observation de Reuillet dans laquelle une lésion nerveuse datant

de l'enfance avait amené une atrophie complète du membre : on n'y note

les arthropathies qu'à l'autopsie (2).

Les lésions nerveuses capables de donner lieu à une arthropathie peu-

vent se résumer dans un mot, la névrite; mais la cause de la névrite a

été très différente suivant les cas : piqûre (Hamilton), plaie par éclat de

de verre (Blum), plaie par arme à feu (W. Mitchell), tumeur (Puckard),

contusion ou luxation de la tête humérale (W. Vlitciell), névrite du mé-

dian à la suite d'un phlegmon de la main (Bowlby), etc.

(1) Injuries and etc. of nerves. London, 1889, p. 53.

(2) Thèse de Paris, 1869.

392 PAUL LONDE

Inutile de dire qu'il n'y a aucun rapport entre la cause et la forme

clinique.

Les formes de l'arthropathie consécutive à une névrite sont superposa-

hies aux différents types d'arthropathies médullaires exposés plus haut.

Nous rangerons : 1° dans la forme aiguë l'observation de Hamilton,

l'observation 8 de W. Mitchell ; 2° dans la forme subaiguë : les observa-

tions 11, 39 et 51 de W. Mitchell ; 3° dans la forme chronique les obser-

vations 31, 33, 35, 49 de W. Mitchell, l'observation de Bowlby, et celle

de Duménil (obs. 2) (1).

On conçoit d'ailleurs que l'on puisse trouver tous les intermédiaires

entre ces différentes formes. Il peut arriver qu'une seule articulation soit

prise et dans ce cas c'est une grosse articulation ou bien encore que tou-

tes les articulations d'un doigt, de la main, du membre tout entier soient

atteintes. Les troubles de nutrition du membre, parmi lesquels rentrent

les arthropathies coïncident toujours, dit W. Mitchell, avec des troubles

de la motilité et de la sensibilité. D'autre part l'hyperesthésie peut exis-

ter sans (roubles de la nutrition souvent masquée au début par l'oe-

dème pseudo-phlegmoneux, l'arthrite lui survit.

Le seul fait important à noter ici c'est le rapport constant entre le siège

de l'arthropathie et le siège de la lésion nerveuse : ainsi dans un cas où

le nerf médian était blessé, les articulations du pouce, de l'index et du

médius furent seules affectées, etc., etc.

Quant à la nature des arthropathies l'examen clinique ne peut les dif-

férencier des diverses formes du rhumatisme. Le fait suivant montre

combien il est difficile d'établir une démarcation nette entre les troubles

trophiques articulaires et la polyarthrite rhumatismale : J. A. Brinton,

observa une affection articulaire généralisée qui se rattachait au froisse-

ment des nerfs du bras par une luxation de l'humérus. N'est-ce pas là l'a-

nalogue de ce fait que nous citions à propos des arthropathies spinales ?

On voit aussi à la suite des lésions nerveuses périphériques, l'oedème

dur pseudo-éléphantiasique : il en a été parfois ainsi après deslésions mé-

dullaires. Comme l'ont remarqué certains auteurs, l'arthropathie de la

névrite a une tendance ankylosante plus marquée que l'arthropathie spi-

nale, mais cette terminaison est sans doute en rapport avec l'évolution pro-

longée de la lésion nerveuse périphérique ; la lésion médullaire qui cause

l'arthropathie spinale guérit en général plus vite ou amène la mort. Enfin

les arthropathies névritiques s'accompagnent le plus souvent d'atrophie

musculaire, puis de rétraction qui amène l'immobilisation en attitude vi-

(1) Gaz. hebdomadaire, 1866. Contribution à l'laistoia·e des paralysies périphériques

et spécialement de la névrite.

DE L'ARTHROPATHIE NERVEUSE VRAIE 393

cieuse. Ce fait et la localisation fréquente des arthropathies névritiques

aux extrémités les fait ressembler davantage au rhumatisme chronique.

Ainsi nous pouvons conclure : 1° que jamais une névrite n'a donné lieu

à une grande arthropathie nerveuse; 2° que les arthropathies névritiques

comme les arthropathies spinales simulent le rhumatisme, coïncident avec

des troubles de la motilité et avec d'autres troubles trophiques (cutanés) ;

3° que les arthrites névritiques peuvent s'accompagner de subluxation,

mais non de dislocation (1).

L'anatomie pathologique des arthropathies névritiques se base sur les

trois faits de Blum, Reuillet etBowlby : ostéite raréfiante, destruction des

cartilages, atrophie des têtes osseuses, tels sont les trois faits principaux

constatés. La tendance atrophiante des arthropathies névritiques n'a pas

lieu d'élonner puisqu'on a signalé des atrophies osseuses (Moty) etc., à la

suite des névrites.

C'est surtout d'atrophie osseuse plutôt que d'arthropathie qu'il s'agit

dans la lèpre, la sclérodermie ; on peut voir aussi, consécutivement aux

troubles trophiques cutanés, se développer des troubles trophiques articu-

laires. La pathogénie n'est d'ailleurs pas la même dans ces deux affections

puisqu'on n'a pu trouvé la névrite dans la sclérodermie. Mais le seul fait

* que nous voulons établir ici est que ce genre d'arthropathies, liées à des

troubles trophiques cutanés très accentués n'a rien à voir avec l'arthropa-

thie nerveuse vraie. La distinction est tout à fait palpable quand on la

considère dans la syringomyélie. Il n'est pas un auteur qui ait assimilé les

troubles trophiques articulaires et osseux des doigts, accompagnant des

troubles trophiques cutanés, aux grandes arthropathies de la même ma-

ladie.

C. Dans les affections cérébrales.

Nous ne nous étendrons pas longtemps sur les arthropathies des hémi-

plégiques, car depuis longtemps Charcot les a assimilées aux arthropa-

thies spinales. Charcot avait remarqué qu'elles étaient plus fréquentes

dans le ramollissement cérébral, sans doute parce qu'il s'accompagne d'in-

fection plus volontiers que l'hémorrhagie.

Le cachet nerveux leur est donné par la localisation hémiplégique, mais

elles ont tout à fait l'allure rhumatoïde, simulant tantôt le rhumatisme

articulaire le plus aigu, tantôt le rhumatisme subaigu, tantôt le rhuma-

tisme chronique.

(1) Une observation de MM. BUCK et 111ooa de Gand semblerait faire exception : trou-

bles trophiques graves du membre inférieur consécutifs à un traumatisme, Belgique

médicale; mais les renseignements donnés ne sont pas suffisants pour qu'on puisse

en tirer une conclusion. Ainsi il n'y est pas dit quele sujet n'était ni tabétique, ni

syringomyélique.

394 PAUL LONDE

La première variété survient soit peu de temps après le début, soit au

moment de la contracture tardive, soit à propos d'un état fébrile qui peut

être précurseur de la mort ; son apparition est accompagné d'oedème par-

ticulièrement du dos de la main, de troubles vaso-moteurs et parfois d'au-

tres troubles trophiques, tout comme dans les formes spinales et névrili-

ques. La douleur est exquise, aussi facile à provoquer que dans le rhu-

matisme articulaire aigu le plus franc.

Le pronostic est assez grave car l'arthropathie est la révélation, d'une

infection générale, mais elle peut aussi se terminer par résolution.

A n'en pas douter il s'agit d'arthrites infectieuses dans la plupart des

cas. Les gaines peuvent être également prises et l'autopsie ne révèle que

des lésions de synovite.

Considérer cette forme comme toujours infectieuse- serait sans doute

exagéré, car Scott Alison, cité par Charcot, trouva sur un sujet atteint

d'hémiplégie droite, dans la plupart des articulations du côté droit les

cartilages diarthrodiaux incrustés d'urate de soude. Deux autres obser-

vations du même genre rapportées par le même auteur sont assimilées à

la précédente. Il est inutile d'ajouter que dans les observations d'Alison

l'allure fut aussi aiguë que dans les cas d'infection.

La variété subaiguë n'a d'autre intérêt que sa latence même ; elle passe

facilement inaperçue, et cependant elle est l'indice utile d'un état géné-

ral plus ou moins grave.

La variété chronique a donné lieu à quelque controverse. Hilzig, que

cite Charcot, n'avait guère été frappé que par cette variété. C'est à elle

que M. Gilles de la Tourette attribue une grande partie des douleurs et

presquo toutes les atrophies musculaires des hémiplégiques. L'immobi-

lité, résultant de la paralysie ou de la contracture, la favorise singulière-

ment ; aussi n'apparaît-elle qu'assez tardivement contrairement à la forme

aiguë. Elle atteint particulièrement la hanche et surtout l'épaule, cela se

conçoit, tandis que la forme aiguë frappe plutôt le poignet, le coude, la

main, le genou, le pied.

Ainsi l'autopsie est encore ici complète avec les différentes formes de

rhumatismes.

D. Rhumatisme chronique. '

Nous avons vu que J. K. Mitchell frappé de la ressemblance qui existe

entre le rhumatisme articulaire et les arthropathies d'origine spinale, en

conclut que le rhumatisme lui-même est d'origine spinale. J. K. Mitchell

pour les arthropathies névritiques poursuit le même parallèle. Massalongo

enfin dit que les arthrites des hémiplégiques sont du rhumatisme chroni-

DE L'AItTRR01'ATRIE NERVEUSE VRAIE 395

que (1). Pourtant le rhumatisme articulaire aigu et le rhumatisme chroni-

que sont plus que des syndromes, mais bien des entités morbides parfaite-

ment distinctes. La ressemblance est seulement pathogénique : ainsi pour

le rhumatisme articulaire aigu il n'est pas douteux que l'axe spinal com-

mande la symétrie des lésions ; les centres (bulbaires) commandent peut-

être aussi les déterminations cardiaques`à en juger par la coïncidence de

l'endocardite.

Quant au rhumatisme chronique sa pathogénie est plus complexe. Ce

qui saute aux yeux quand on a présentes à l'esprit les considérations pré-

cédentes, c'est qu'il ne s'agit pas d'arthropathies nerveuses au sens propre

du mot. Sans doute un trouble trophique d'origine centrale mais pure-

ment fonctionnel d'abord, explique la localisation symétrique ou régu-

lière des lésions (d'origine infectieuse ou auto-toxique). Mais ce qui est

nerveux dans cette affection ce n'est pas tant l'arthropathie que la

détermination périarticulaire ; ce qui est nerveux c'est la contracture,

l'exagération des réflexes, l'atrophie musculaire et la névrite, ces deux

derniers phénomènes étant indépendants pour les uns, connexes pour les

autres.

L'atrophie musculaire s'explique suffisamment dans certains cas par une

modification réelle de la réflectivité médullaire (Raymond). D'autre part

la névrite paraît bien être un phénomène secondaire à l'arthropathie.

Descosses a montré que la marche de l'atrophie musculaire répondait à la

distribution d'une névrite ascendante partie de l'articulation. D'ailleurs

si elle était primitive il faudrait qu'elle donnât la clef de la question et

il s'en faut de beaucoup. Massalongo admet bien que la névrite est se-

condaire, mais d'origine centrale.

En somme, en tenant compte des opinions systématiques des uns et des

autres, on arrive à cette conclusion que le rhumatisme chronique est une

affection régionale dont les districts relèvent sans doute d'un trouble tro-

phique d'origine centrale (d'où l'influence de la tare héréditaire) et dans

laquelle à l'arthropathie,phénoméne essentiel (d'origine infectieuse ou

autre) s'adjoignent des phénomènes purement nerveux, contracture, atro-

(i) Dans un rapport récent sur les « arthrites chroniques (8° congrès de la Soc.

Italienne de médecine interne),résumé dans la Semaine médicale,t897;p.4t2.1LssnLOxco

reconnaît au rhumatisme articulaire chronique les formes suivantes : 1° arthropathies

infectieuses; 2° a. dyscrasiques ; 3° a. nerveuses ; 4° a. mixtes (tropho-infectieuses et'

toxi-nerveuses). Ainsi tout en paraissant rejeter l'unité du rhumatisme chronique que

nous avons soutenue (Manuel de médecine, Dsuove et Achard), M. Massalongo admet

une forme mixte : cela nous permet de penser que les formes infectieuse, dyscrasique

et nerveuse représentent chacune un élément étiologique prédominant mais non ex-

clusif. L'existence de formes éliologiques et même cliniques n'infirme pas encore la

théorie de l'unité. v

396 PAUL LONDE

phie musculaire, névrite. L'existence de la névrite explique pourquoi le

rhumatisme chronique ressemble'surtout à l'arthropathie névritique (1).

III. L'HÉMARTHROSE.

On sait combien est fréquente't'hémarthrose dans l'arthropathie tabé-

tique. Elle existe aussi dans certaines arthropathies d'origine spinale ou

cérébrale. Albertoni rapporte une observation d'Alexandrini (citée par

Arnozan) dans laquelle une fracture, siégeant sur la colonne cervicale,

donna lieu à une hémiplégie spinale droite. Il y eut de vives douleurs

dans le genou droit et à l'autopsie on trouva du sang en abondance dans

cette jointure et les autres du même côté (2).

Dans un cas d'apoplexie suivie d'hémiplégie gauche suivie de mort

au bout de trois jours, le même auteur,Albertoni,a trouvé du sang dans les

articulations du même côté. Etait-ce une hémorrhagie cérébrale ? Proba-

blement.

Expérimentalement, Albertoni, dans des expériences sur le chien, a

obtenu par lésions du pédoncule cérébral des hémorrhagies, non seule;

ment dans les viscères, mais aussi dans les articulations du côté opposé.

Môme résultat après lésions profondes du gyrus sigmoïde en arrière du

sillon crucial (3).

L'existence de l'hémarthrose dans ces différents cas doit-elle établir un

rapprochement entre les troubles trophiques que nous avons étudiés et la

véritable arthropathie nerveuse ? Telle est la question que nous nous

posons.

Nous croyons pouvoir répondre par la négative et cela pour deux rai-

sons :

L'hémarthrose rentre dans ces phénomènes d'hyperémie neuro-paraly-

tique qui sont distincts des troubles trophiques et qu'on retrouve dans les

viscères, notamment dans les capsules surrénales.

D'autre part on ne peut manquer de remarquer que l'hémarthrose sem-.

ble plus fréquente dans les lésions avoisinant ou intéressant le mésocé-

(1) Des auteurs dont l'opinion a une grande valeur considèrent les arthropathies du

psoriasis comme une arthropathie nerveuse. A nos yeux pourtant elles ne diffèrent

pas du rhumatisme chronique; mais, si on devait les en distinguer, elles n'en ren-

treraient pas moins dans le groupe des troubles trophiques articulaires d'apparence

rhumatoïde : elles n'ont aucune analogie avec l'arthropathie nerveuse vraie.

(2) Cité par Arnozan. Nous n'avons malheureusement pas pu nous procurer le tra-

vail original.

(3) Dans un cas de tumeur cérébrale, Charcot trouva les synoviales très injectées,

mais sans hémarthrose proprement dite, du côté hémiplégie. Les articulations avaient

été très douloureuses. Arch. de physiologie, 1868. / ,

DE l'arthropathie nerveuse vraie 397

phale. Elle n'existe pas dans les névrites et si on l'a vue à la suite d'une

lésion spinale vulgaire ( ? ), ou d'une lésion corticale ( ? ),elle doit être bien

exceptionnelle.

Le fait demanderait à être confirmé, et s'il l'était, il y aurait peut-être

quelque conclusion à en tirer au sujet de la pathogénie de l'arthropathie

nerveuse vraie.

CONCLUSION.

Les arthropathies du tabes et de la syringomyélie méritent le nom

d'arthropathies nerveuses vraies parce qu'elles sont produites exclusi-

vement par ces affections. Les arthropathies spinales, cérébrales et né-

vritiques ne sont pas dues exclusivement, dans certains cas au moins, à des

lésions correspondantes du système nerveux. Il y a un autre facteur étiologique

à mettre ici en cause : c'est tantôt l'infection, tantôt l'auto-intoxication. On

a déjà créé le mot arthropathies tropho-infectieuses pour désigner l'arthro-

pathie nerveuse pure infectée accidentellement, mais l'infection n'est alors

qu'un épiphénomène, et cette désignation s'appliquerait mieux à certaines

arthrites cérébrales, spinales ou névritiques où l'élément infectieux joue

certainement le rôle de cause déterminante. Entre autres auteurs, Sou-

ques (1), Marinesco (2') considèrent les arthrites des hémiplégiques comme

infectieuses. Pourtant il y aurait une place à faire à l'auto intoxication,

car Scott Alison trouva dans un cas d'hémiplégie les cartilages incrustés

d'urate de soude. On comprend facilement que dans ces cas la lésion ner-

veuse devienne cause prédisposante en mettant le territoire correspondant

en état d'infériorité nutritive ; le trouble nutritif aurait passé inaperçu

sans l'infection intercurrente, sans l'auto-intoxication latente. L'hémiplégie,

la névrite, la myélite sont capables de réveiller l'état diathésiqueà la ma-

nière d'un traumatisme. Il y a deux éléments à considérer, dit Scott Ali-

son, une diminution de vitalité des parties paralysées et la présence dans

le sang d'agents morbides. Ainsi les arthropathies en question sont essen-

tiellement des arthrites et si elles méritent de conserver le nom d'arthro-

pathies nerveuses c'est à cause de leur localisation exclusive dans le do-

maine de l'hémiplégie, de la paralysie ou de la névrite. Est-ce à dire que

le trouble trophique ne puisse jamais par lui-même créer l'arthropathie ?

Nullement. On peut très bien admettre que la lésion nerveuse périphéri-

que par exemple puisse créer un trouble trophique articulaire comme elle

crée des troubles trophiques cutanés. Alors les troubles trophiques ne

s'adressent pas à la totalité de la jointure dans la majorité des cas, étant

donnée la multiplicité habituelle des nerfs d'une jointure.

(1) Traité de médecine, CIIAIICOT, BOUCIIARD et Brissaud. T. VI. Art. Hémiplégie.

(2) Loc, cit.

308 PAUL LONDE

Il nous suffira d'avoir démontré, nous l'espérons du moins, que ces

troubles trophiques ne sont jamais comparables cliniquement à la grande

arthrophie nerveuse, celle du tabes et de la syringomyélie, qui est, qu'on

nous passe l'expression, une véritable folie de la jointure (1).

Corollaire. A la démonstration précédente il y aurait un corollaire,

mais nous ne le livrons que sous toute réserve à la méditation des neuro-

logistes. Si, comme nous le faisions pressentir dès le début par des consi-

dérations historiques,l'arthropathie nerveuse vraie ne ressemble ni aux

arthropathies névritiques, ni aux arthropathies spinales, ni aux arthropa-

thies cérébrales (corticales, ramollissement), il est rationnel d'en déduire

.qu'elle est due à une lésion ou un trouble fonctionnel permanent, siégeant

ailleurs que dans les nerfs, la moelle ou l'écorce : ce ne pourrait être que

dans le mésocéphale. Ce serait presque la confirmation des idées de

Buzzard qui localise le point de départ des arthropathies tabétiques dans

le bulbe, en se fondant sur la coïncidence fréquente des crises gastriques

el laryngées avec les lésions articulaires.

Cette hypothèse,toute incertaine qu'elle est,se trouve encore corroborée

par l'histoire de l'hémarthrose, mais semble infirmée par l'histoire du syn-

drome bulbo-protubérantiel (2) de la syringomyélie.

Si l'on rejette cette hypothèse on en revient fatalement à l'origine spi-

nale ; il faut admettre que la lésion nécessaire peut être produite par d'au-

tres affections que le tabes ou la syringomyélie (observation de Prautois

et Etienne). Quant à la théorie purement névritique elle semble bien

insuffisante, et la constatation des névrites par les auteurs les plus auto-

risés n'est peut-être pas la preuve qu'il n'y a pas autre chose à chercher(3).

(1) Il y a là quelque chose de comparable à l'explosion de certaines paralysies gé-

nérales, comme si, dans cette dernière affection, un centre trophique, également

inconnu, se trouvait rapidement détruit.

(2) RAYMOND, Voir Leçons cliniques, ire série. - BUZZARD, Clinical lectures on di-

seuses of the nervou.s system, p. 267 et 254.

(3) Nous avons laissé de côté à dessein la scoliose dont l'assimilation aux arthropa-

thies mériterait d'être discutée. Il n'est pas question ici avec intention de la naladie

de Brodie, où la contraction musculaire est le fait essentiel.

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

HYPERTROPHIE CONGÉNITALE DES DOIGTS

MÉDIUS ET INDEX DE LA MAIN GAUCHE

PAR

R. CESTAN.

Interne de la Clinique des Maladies du Système Nerveux.

Le développement des extrémités peut dévier en deux sens opposés soit

par un arrêt d'évolution qui amènera l'ectrodactylie ou la hrachydactylie

ou la syndactylie, soit par un excès de développement qui créera la poly-

dactylie ou la macrodactylie. De ces différents vices de conformation, la

macrodactylie est celui qui étonne au plus haut point par cet aspect

étrange d'un doigt de géant à l'extrémité d'une main normale. Les cas

en sont d'ailleurs assez rares puisque, dans son savant article du Diction-

naire encyclopédique, M. Polaillon n'a réuni que 43 observations et les

auteurs ne s'entendent guère sur la participation du squelette à l'hypertro-

phie du doigt.

Mais les nouvelles méthodes photographiques vont permettre d'élucider

ce dernier point et c'est ainsi que la radiographie nous a permis d'étudier

l'anatomie pathologique d'un malade atteint de macrodactylie que notre

maître, M. le Professeur Raymond, a présenté dans une leçon du Mardi.

L... Octave est âgé de 24 ans. Son père serait mort « d'une maladie de

nerfs » dont il nous a été impossible de déterminer la nature et il aurait

une soeur très nerveuse. Le malade affirme que dans sa famille il n'a

jamais existé des malformations des extrémités. Il est né à terme par un

accouchement normal mais après une grossesse pénible. Il a joui d'une

santé excellente sauf dans sa huitième année pendant laquelle il a con-

tracté la rougeole. D'une intelligence très vive, il a toujours été jugé un

des meilleurs élèves de sa classe, mais impressionnable et emporté, il

400 R. CESTAN

a eu sans cesse une imagination très vive et c'est d'ailleurs pour ce der-

nier motif qu'il est venu à la Salpêtrière.

Examen physique. D'une taille moyenne, 1m. 58 et d'une bonne cons-

titution, le malade ne présente rien d'anormal du côté des pieds et du

côté de la main droite. Les dents sont bien implantées, la voûte palatine

n'est pas ogivale, les organes génitaux sont normaux ; on note qu'il existe

un noevus vasculaire sous le sein gauche, que les oreilles sont mal ourlées

à lobule adhérent et que le tourbillon des cheveux est un peu rejeté à

droite. Tout l'intérêt réside dans l'examen de la main gauche, car le bras

et l'avant-bras de ce membre ne sont pas hypertrophiés. L'excellente pho-

tographie due à M. A. Londe nous permettra d'écouter la description. L'hy-

pertrophie n'atteint que le médius et l'index, les trois autres doigts et le

métacarpe sont normaux (Pl. XLV).

Si l'aspect du médius est celui d'un doigt normal à peau blanche, sou-

ple, sans développement exagéré du système pileux, sans troubles tro-

phiques, sans réseau veineux apparent, ses dimensions au contraire fixent

aussitôt l'attention. Le médius mesure en effet 12 cent. 1/2 de longueur

et 8 centimètres de circonférence ; sur les 12 cent. 1/2, 4 cent. 1/2 appar-

tiennent à la phalange, 4 centimètres à la phalangine, et 4 centimètres

à la phalangette. Le médius droit que nous avons dit normal mesure

9 cent. 1/2 de longueur dont 4 centimètres pour la phalange, 3 centimè-

tres pour la phalangine et cent. 1/2 pour la phalangette. On voit par

suite que l'hypertrophie porte surtout sur la phalangette élargie en forme

de spatule et va augmentant de la racine du doigt à l'extrémité. L'ongle

ne présente pas de troubles trophiques, mais de grandes dimensions, me-

sure 2 centimètres de longueur sur autant de largeur.

L'axe du doigt est curviligne de telle sorte que son extrémité rejetée du

côté cubital, se trouve à 1 cent. 1/2 de l'axe rectiligne normal.A la palpa-

tion on trouve un tissu cellulaire abondant, mou, souple, sans éléphan-

tiasis ; on peut explorer facilement le squelette et vérifier que les os sont

hypertrophiés mais ne portent pas d'exostoses. La radiographie vient d'ail-

leurs confirmer ces données, en outre elle montre que le métacarpien est

normal (PI. XLIV).

La température, la mobilité et la sensibilité sous tous les différents mo-

des (tact, chaleur, douleur) sont normales.

L'index gauche est hypertrophié mais à un moindre degré. Il mesure

10 centimètres de largeur dont 3 cent. 1/2 pour la phalange et la pha-

langine et 3 centimètres pour la phalangette, alors que l'index droit normal

n'a que cent. 1/2 de longueur. Il présente d'ailleurs les mêmes caractè-

res que le médius et nous n'insistons pas davantage sur l'examen physique.

Etat psychique. L'intelligence est vive, la mémoire excellente, mais

HYPERTROPHIE CONGÉNITALE DES DOIGTS MÉDIUS ET INDEX

(Radiographie et photographie.)

HYPERTROPHIE CONGÉNITALE DES DOIGTS 401

le malade est d'un caractère emporté et d'une imagination extravagante.

Voit-il par exemple un bel équipage,immédiatement il se croit riche et vit

ainsi un instant dans ce rêve doré, oubliant complètement le monde exté-

rieur. Des phénomènes du même genre se produisent souvent, de là des

oublis et des erreurs dans sa conduite qui le font considérer par son en-

tourage comme ayant « la cervelle à l'envers ». Ajoutons que ces fugues

de l'imagination chez un homme instruit et intelligent avec retour immé-

diat dans une réalité bien différente (puisque notre malade est un garçon

marchand de vins), ne fait qu'augmenter un état neurasthénique auquel

le malade était héréditairement prédisposé.

Dans l'article du Dictionnaire encyclopédique, M. Polaillon a fait l'étude

complète de la macrodactylie, aussi ne ferons-nous que mettre en relief

combien notre malade présente le type parfait de l'hypertrophie congé-

nitale des doigts. '

Le sexe masculin du malade, l'absence d'hérédité, l'hypertrophie inté-

ressant surtout le médius et à un moindre degré l'index sont les caractères

les plus fréquents de cette anomalie. A l'inverse des autres malformations

des doigts, la macrodactylie est rarement héréditaire et M. Polaillon n'a

pu relever que le cas de Boéchat dans lequel l'hypertrophie portait sur

les deux annulaires et s'était transmise pendant plusieurs générations. Le

médius est le doigt le plus souvent

atteint, mais il est rare qu'un seul

doigt soit affecté ; ordinairement le

médius et l'index participent ensem-

ble à l'hypertrophie tandis que l'au-

riculaire est rarement pris et jamais

d'une manière isolée.D'ailleurs l'hy-

pertrophie peut dépasser la main,

atteindre le bras, parfois même une

moitié du corps, le cas rentrerait

alors dans l'hypertrophie unilatérale

décrite par Trélat et Monod dans

les Archives générales de médecine

en 1869. Cependant il semble bien

qu'il existe une série de cas de tran-

sition entre la macrodactylie isolée

et l'hypertrophie unilatérale ; il est

signalé en effet dans tous les cas des stigmates de dégénérescence mais

il est regrettable que les auteurs ne parlent pas de l'état psychique de

leurs malades.

Les doigts peuvent acquérir des dimensions considérables ; cependant

z x 28

Fig. 1.

Cas de Curling.

402 R. CES'lAN

une distinction doit être établie, car il existe deux sortes de doigt géant.

Les uns sont constitués par l'hypertrophie de toutes les parties constituan-

tes du doigt, squelette et parties molles, ainsi le malade de Curling dont

le médius mesurait 14 centimètres de longueur (Fig. 1) ; et le malade de

Grüberdont l'index était à la fois hypertrophié et dévié latéralement(Fig,2)

les autres présentent une sorte d'état éléphantiasique par l'hypertrophie

du tissu cellulaire ; tel est le cas de Wagner dont le médius et l'auricu-

laire étaient bosselés, boudinés, déformés par la présence d'excroissances

charnues.

Chez notre malade, la radiographie a bien montré l'hypertrophie con-

sidérable du tissu osseux qui va augmentant de la racine vers l'extrémité ;

si les autres parties du doigt sont hypertrophiées, du moins elles sont en

rapport avec la grosseur du squelette. Seul le tendon n'aurait pas grandi

assez vite, déterminant ainsi, au dire des auteurs, la courbure latérale du

doigt.

Mais l'utilité de la radiographie paraîtra plus évidente si l'on veut bien

rapprocher cette obser-

vation d'une malade ob-

servée à la même épo-

que. Une laveuse, âgée

de 55 ans, vient consul-

ter à la Salpêtrière au

mois de mai. Au mois

de mars dernier, elle a

vu son index et son mé-

dius du côté gauche

s'hypertrophier en mas-

se, devenir rouges et dou-

loureux ; ces troubles

n'ont jamais traversé une

période aiguë, mais ils

augmentent par la po-

sition déclive et par les

changements de tempé-

rature ; peu il peu, les

doigts se sont fléchis vers

la paume de la main. Au

mois de mai, nous trouvons les doigts gros, boudinés, rouges, fléchis, mais

non hypertrophiés en longueur; la palpation n'est pas douloureuse alors que

l'extension détermine une vive souffrance. Les troubles cutanés consistent

uniquement en troubles vaso-moteurs; la sensibilité est normale.Les autres

Fig. 2.

Cas de Grüber.

HYPERTHOPIIIE CONGÉNITALE DES DOIGTS 403

doigts ne présentent pas de modifications. Nous avouons qu'il nous a été

impossible à celle époque, avec ces seuls renseignements, de déterminer

la nature exacte de l'affection ; mais la radiograpliie nous a donné la clef

du problème en montrant l'existence d une aiguille dans l'éminence thé-

nar ; exposée à cet accident par son métier de laveuse, notre malade a'

donc fait une synovite des gaines de l'index et du médius ; la radiogra-

phie a éclairé la nature, et, point plus important encore, le pronostic et

le traitement de l'affection. La méthode Roengten nous a donc montré que

dans ce dernier cas l'hypertrophie avait pour substratum, non le sque-

lette, mais les parties molles, alors que chez notre premier malade, Octave

L..., la macrodactylie relevait du développement exagéré du tissu osseux.

Pour en revenir à la pathogénie de ce cas de macrodactylie, nous insis-

tons plus volontiers sur l'absence de troubles vasculaires, sensitifs et tro-

phiques ; à ce point de vue, les doigts de notre malade sont normaux et

ne présentent pas des excès de nutrition.

Certains auteurs ont en effet essayé d'appliquer il la macrodactylie iso-

lée la théorie par laquelle MM. Trélat et Monod expliquait l'hypertrophie

unilatérale du corps. « Pour ces auteurs l'hyperlrophie dépend avant tout

d'une paralysie vaso-motrice produisant une circulation stagnante, une

congestion et par suite une exagération de la nutrition dans l'organe at-

teint. » Cette paralysie se produirait pendant le cours de la vie intra-

utérine et l'hypertrophie s'exagérerait après la naissance. MM. Trélat et

Monod font reposer leur raisonnement d'une part sur l'existence chez

leurs malades de troubles vasculaires tels que mevi, varices', élévation de

la température locale, d'autre part sur les expériences de Claude-Bernard

et de Schiff qui par la section des nerfs vaso-moteurs ont amené une

congestion des tissus et une hypertrophie correspondant aux vaisseaux pa-

ralysés ; pour eux tout le désordre est confiné dans l'appareil de la circula-

tion sanguine, « tandis que dans les hypertrophies partielles de l'éléphan-

tiasis le derme et le tissu cellulaire sous-cutané semblent seuls en cause ».

Mais notre cas ne paraît pas rentrer dans ce groupe des hypertrophies

partielles éléphantiasiques ; d'un autre côté sa pathogénie ne nous paraît

pas éclairée par la Ihéorie delVIlI. Trélat et Monod. L'hypertrophie ne porte

pas en effet spécialement sur le tissu cellulaire mais sur toutes les parties

constitutives du doigt et on ne relève ni troubles vasculaires ni troubles

trophiques et sensitifs. Si l'on veut bien se rappeler au contraire que no-

tre malade est porteur de quelques stigmates de dégénérescence, qu'il des-

cend d'une famille de nerveux, qu'il a un état mental tout particulier, on

reconnaîtra que sa rnacrodact) lie est un vice congénital de développement

de même origine que toutes les malformations des dégénérés bien étudiées

par M. Féré, un des stigmates physiques qui caractérisent la famille né-

vropathique.

LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL

PAR

E. FEINDEL.

Parmi les tics, ces maladies d'habitude, il est une forme remarquable

par la constance de son aspect extérieur, qui fait que tous les sujets at-

teints de cette affection se ressemblent, et que le diagnostic peut être porté,

pour ainsi dire, à première vue et à distance. Nous voulons parler de la

névrose à laquelle M. Brissaud a donné le nom de Torticolis mental.

Le symptôme unique est le torticolis, un torticolis spasmodique sans

lésion organique quelconque. Le symptôme est unique, cela signifie qu'il

ne fait pas partie intégrante d'un syndrome (épileptique, hystérique ou

neurasthénique).

Ce n'est pas à dire que ce torticolis ne puisse survenir chez un sujet

hystérique, ou neurasthénique, ou nerveux. Au contraire, des causes de

dépression sont nécessaires pour que le tic « rotatoire » puisse s'établir,

mais les autres signes qui seraient capables de révéler l'état nerveux du

malade sont nuls ou très effacés. 1

La cause musculaire de l'attitude en torticolis est le spasme tonico-clo-

nique des muscles rotateurs de la tête. Secousses musculaires brusques et

contractions durables diversement entremêlées, produisent la déviation

de la tête.

Les muscles spasmodiques sont les rotateurs de la tête, c'est-à-dire qu'un

sterno-cleido-mastoïdien se contracte. Mais d'autres muscles sont égale-

ment spasmodiques, trapèze, pectoraux, muscles des bras, avec cette bizar-

rerie que ce ne sont pas toujours le sterno-mastoïdien et le trapèze par

exemple du même côté qui se contractent, mais que ce peuvent être le

le sterno-mastoïdien droit et le trapèze gauche. En somme le mouvement

de rotation de la tête (sterno-mastoïdien) peut s'accompagner, et de l'in-

clinaison de la tête du côté opposé (trapèze du même côté), ou du même

côté (trapèze du côté opposé), de la projection d'une épaule en avant,

d'un bras appliqué contre le corps, etc. Le tic, pour se produire, n'exige

LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 405

pas l'intervention d'un centre nerveux anatomique, mais d'un centre fonc-

tionnel dont l'action aboutit à la production d'un mouvement complexe

par la mise en jeu simultanée de muscles à innervations différentes d'ori-

gine.

Le spasme tonico-clonique produit une attitude, celle du torticolis.

Mais un tic n'est pas complètement indépendant de la volonté ; aussi les

malades peuvent-ils- pendant quelques instants tout au moins -, s'op-

poser à la rotation de leur tête, par la volonté seule.

De plus, et cela est caractéristique, ils peuvent par un artifice, s'op-

poser à la déviation, et, par le même artifice, ramener dans la rectitude

la tête déviée.

Le procédé est toujours le- même, ou à bien peu près, pour tous les

malades : la tête est poussée du côté opposé à la déviation à l'aide des

mains ; mais chaque malade a sa variante personnelle : l'un a besoin de

ses deux mains et visse pour ainsi dire sa tête en sens inverse de la rota-

tion spasmodique ; un autre se contente d'appuyer la paume sur sa tempe

ou sa mâchoire; un troisième opposera simplement sur sa joue un seul

doigt ou la pointe d'un crayon ; un malade de M. Grasset portait un bâton

entre les dents,et un doigt placé sur l'extrémité de ce bâton, faisait rester la

tête dans la rectitude.

En réalité, quelque force utile est-elle mise en jeu par l'emploi de ces

différentes manoeuvres ? Evidemment non.

L'effort voulu est trop insignifiant. Donc, quel que soit le procédé

qu'il a adopté, le malade n'emploie aucune force utile. Je dis utile, parce

qu'en réalité il applique une force; mais comme il résiste avec sa tête

d'une quantité égale et contraire, le déplacement de la tète ramenée dans

la rectitude est nul.

Cette force contraire appliquée par les muscles rotateurs dans le sens

de la déviation est bien facile à déceler dans les cas où le sujet cherche à

dissimuler le spasme, par une attitude où il ne semble pas lutter contre

une violente contraction par exemple en apposant comme cela est si fré-

quent, un doigt contre sa joue. Nous remplaçons son doigt par le nôtre,

par deux doigts, par toute la main, mais vainement. A mesure que nous

employons plus d'énergie la tête tourne plus fort, le spasme s'exaspère et

envahit un plus grand nombre de muscles; et, lorsque, lassés, nous aban-

donnons la partie, le malade remet son doigt sur sa joue, et la tête reprend

sa place.

De même que l'aspect extérieur est invariable, de même l'étiologie est

uniforme : un terrain préparé, une cause déprimante récente, un pré-

texte à contractions musculaires répétées. La tare héréditaire est quelque-

fois surchargée d'antécédents personnels (hystérie, migraine, alcoolisme

406 FEINDEL

ancien). La cause occasionnelle est des plus variable; on pourrait presque

dire quelconque.

Suivant quel mécanisme s'établit le tic rotatoire de la tête ?

Presque toujours, il suffit d'un léger traumatisme, d'une douleur qui

veut qu'on s'occupe d'elle, et qu'on cherche à oublier grâce à de certains

mouvements de défense. Ces mouvements sont exécutés vingt fois, cent

fois par heure; de conscients, ils deviennent inconscients; l'habitude

une fois prise finit par être tyrannique, et le malade ne croit pas devoir

lutter contre cette rotation de la tète De fait, il ne peut plus la vaincre

sinon quand il lui oppose un procédé de son choix, un obstacle matériel,

la paume de la main, un doigt, le bout d'un crayon, etc.

En résumé, spasme des muscles rotateurs du cou avec participation

d'autres muscles, déviation de la tête à laquelle le malade seul peut résis-

ter grâce à une manoeuvre par lui inventée, ce tic survenant, chez des

sujets prédisposés, à l'occasion d'une cause déprimante : telles sont les

caractéristiques du torticolis mental décrit par M. Brissaud (1).

(1) Le présent travail était déjà livré à l'impression lorsque parut dans cette revue

(juillet et août 1897, n° 4) une clinique du professeur Grasset sur un spasme poly-

gonal post-professionnel, méritant dans le cas particulier, le nom de tic du colpor-

teur. A propos du fait commenté dans sa leçon, M. Grasset remarque d'abord qu'il

présente tous les caractères que Brissaud décrit au torticolis mental, c'est-à-dire qu'il

a des caractères de « psychisme». « Notre homme,ajoute M.Grasset, a bien un tic que

Brissaud qualifierait de mental. Je préfère l'appeler polygonal. » Les motifs de cette

préférence sont exposés par M. Grasset dans une très intéressante analyse critique

de la thèse de M. Brissaud. « Le tic, avait dit M. Brissaud, est un acte automatique

coordonné et par conséquent d'origine corticale. » M. Grasset répond : « Tout acte

automatique coordonné n'est pas nécessairement d'origine corticale... Il y a incon-

testablement des actes bulbaires et même des actes spinaux qui sont coordonnés et

automatiques. » Nous n'avons pas à prendre parti dans ce débat ; qu'on nous per-

mette cependant d'observer qu'un acte automatique peut n'être pas de nature corti-

cale, mais qu'il est toujours ^'origine corticale. Il n'est pas d'acte automatique, qui,

avant de devenir automatique, n'ait été voulu et calculé. Il n'y a pas, en d'autres ter-

mes, d'actes automatiques d'emblée. Tous les actes dits automatiques et, par défi-

nition inconscients, ont été à un moment donné voulus, calculés, par conséquent

conscients et - que M. Grasset me pardonne - psychomatiques.

Les actes automatiques tels que la parole et l'écriture, qui, selon M. Grasset, ont

leurs centres non pas dans l'écorce mais dans le « polygone sous-cortical » ne sont

ni libres ni conscients... Conscients, assurément non, ils ne le sont plus, et encore !

Libres, c'est une autre affaire. Mais ils ont été conscients avant de devenir automati-

ques. -

Bref AI. Grasset conclut que le tic de son malade est sous-cortical et psychique,

mais non pas cortical et mental. Car « ce qui caractérise l'activité polygonale, c'est

d'être psychique c'est-à-dire compliquée, coordonnée, intelligente et de n'être pas libre

et consciente, de n'être pas mentale... psychisme n'est donc plus synonyme de men-

tal «.Ainsi voilà qui est décidé : '¥1JX'Í¡ et mens ne signifient plus la même chose, comme

aux temps anciens et presque jusqu'à ce jour. Tout en regrettant que ces deux mots

aient rompu une si vieille habitude,, nous consentirions, pour notre part à appeler

'LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 407

Nous ne croyons pas utile de nous appesantir sur des faits très secon-

daires, telles que des sensations anormales perçues au niveau des muscles

spasmodiques ; il n'y a rien d'étonnant à ce que soient douloureuses les

insertions de muscles qui tirent constamment sur leurs deux extrémités.

Nous avons dit qu'il n'y avait pas de lésion organique; mais on peut

très bien concevoir que quelque légère lésion des vertèbres puisse être

l'occasion, - au même titre qu'ailleurs une dent cariée, de la pro-

ductionde ce tic, alors, la lésion et le torticolis seronten telle disproportion,

qu'il ne pourra y avoir doute. En effet, partout le torticolis est semblable

à lui-même, partout il est complet. La tête n'est pas un peu déviée, elle

l'est à l'extrême ; les muscles spasmodiques donnent toute leur mesure et

ne sont pas réfrénés par des antagonistes. La seule différence entre les

cas divers est le nombre et le nom des muscles qui participent au tic.

Le pronostic du torticolis mental a été considéré comme assez sombre ;

et, en effet une maladie d'habitude n'a guère de tendance à rétrocéder.

Aussi les chirurgiens n'ont-ils pas hésité à faire subir aux malades des

opérations sanglantes ; mais la plaie opératoire guérie, le sujet doit faire

tous les jours, et plusieurs fois par jour, des exercices de correction et

d'assouplissement des muscles qui tendent à reprendre leurs contractions

spasmodiques. Encore, toutes les opérations ne donnent-elles pas des

succès. Aussi M. Brissaud a-t- il dès le début préconisé comme seul trai-

tement rationnel la gymnastique et la psychothérapie.

avec M. Grasset, torticolis psychique, ce que M. Brissaud appelle torticolis mental ; et

nous sommes à peu près sûr que M. Brissaud nous absoudrait. -

M. Grasset prévoyant une objection inévitable prend les devants et dit : « Ne voyez

pas dans cette distinction une simple querelle de mots. Il y a une idée derrière, idée

qui se rattache à une querelle plus générale et assez importante. C'est la question du

rôle de l'idée, du processus mental vrai dans la pathogénie des accidents névrosiques.

Je crois que ce rôle a été parfois exagéré... » Et cependant l'histoire même du malade

de M. Grasset ne rend-elle pas évident ce rôle pathogénique du processus mental ? Je

ne résiste pas à la satisfaction de reproduire intégralement l'esquisse à grands traits

qu'en a donnée M. Grasset lui-même : « Des causes de dépression du système nerveux

(alcoolisme, excès, préoccupations morales) entraînent un état névrotique. A ce mo-

ment le polygone du malade est tout imprégné du souvenir inconscient de sa vie de

colporteur qu'il a abandonnée à regret, à laquelle il pense inconsciemment. Cette idée

polygonale ( ? ) passe dans l'acte, il fait automatiquement le geste compliqué de soule-

ver son ballot sur l'épaule gauche. L'habitude pathologique se constitue. Il a un tic

polygonal : le tic du colportenr, »

Tout cela est la reproduction exacte de ce que nous ont appris les descriptions de

M. Brissaud avec la mention spéciale des conditions étiologiques déprimantes et l'ob-

session de l'acte complexe d'où procédera le tic. Le malade de M. Grasset avait donc

un torticolis psychique, « spasme polygonal ». M. Grasset ajoute : « Beaucoup de cas

étudiés par Brissaud sous le nom de torticolis mental me paraissent rentrer dans ce

dernier groupe de tics polygonaux. » Nous irons beaucoup plus loin que M. Grasset.

Nous avons vu de près les malades dont : II.Brissaud a rapporté les observations, et il

n'en est pas un seul qui ne doive être considéré comme atteint de « tic polygonal » .

408 FEINDEL

Depuis le commencement de cette année. M. Brissaud a bien voulu

nous confier quatre malades atteints de torticolis mental, et sur ses indi-

cations et sous sa direction, nous avons entrepris un traitement fait

d'exercices d'abord très simples, qui ne devinrent compliqués que gra-

duellement, à mesure que l'amélioration s'accentuait.

. La première malade est une femme de 38 ans dont M. Brissaud a rap-

porté l'histoire (PI. XLVI, 1).

' Elle était incapable de maintenir, sans le secours de ses'mains, sa tête

dans la rectitude. L'inclinaison s'exagérait encore lorsque les mains de-

vaient accomplir quelque travail, coudre, par exemple, ou soulever le

moindre objet. La malade*était décidée à nous aider de toute sa bonne

volonté.

- La première indication consistait à faire disparaître le complément du

tic, à montrer à la malade que sa main n'avait pas seule le pouvoir de

maintenir sa tête-dans la rectitude et que tel autre soutien pouvait parfai-

tement convenir ! Le campimètre fut l'instrument choisi. La malade, com-

modément assise, te menton appuyé sur le talon du campimètre était in-

vitée à regarder des petits papiers tenus immobiles ou promenés sur l'arc

gradué. A la première séance, malgré l'appui que prenait le menton, la

tête avait encore tendance à s'infléchir; l'appui de bois ne valaitpas, pour

la malade, la main qui avait si bien réussi, pendant quatre années, à rem-

plir l'office de fixateur. Cependant, en captivant le plus possible l'atten-

tention de. la malade,, en répétant à satiété : « Regardez bien le papier »,

en variant l'inclinaison de l'arc mobile, la rectitude de la tête fut obtenue

à plusieurs reprises durant quelques secondes. ,

Le lendemain on comptait par minutes, et dès la troisième séance la

malade pouvait rester indéfiniment la tête droite, le menton appuyé sur

le talon du campimètre, et, en gardant cette attitude, porter les yeux dans

différentes directions.. Les bras restaient ballants et les mains immobiles,

la malade sentait qu'elle n'avait plus besoin d'elles.

Ce très faible résultat obtenu, il fallait aller plus loin ; le talon du cam-

pi41.Úe est capable de maintenir la tête, la malade le sait. Mais la fixation

des petits papiers n'est pas inutile; la malade les regarde, aux séances sui-

vantes, étant seulement fortement adossée à sa chaise ; et elle peut en ce

faisant, garder l'immobilité, d'abord pendant quelques secondes,puis pen-

dant une demi-minute, enfin pendant une minute. On varie l'objet à fixer ;

les tableaux qui servent à apprécier l'acuité visuelle sont lus et relus. A

chaque fois on gagne quelques secondes avant que la fatigue se fasse sen-

tir, avant que le spasme devienne imminent.

TROIS CAS DE TORTICOLIS MENTAL

LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 409

Nous conseillons à la malade de faire l'après-midi chez elle, des exer-

cices de fixation analogues, de regarder, étant assise, l'aiguille qui tourne

sur le cadran de la pendule. Elle s'astreint l'après-midi, à deux séances

d'immobilité avec fixation, et à deux séances d'exercices d'assouplissement;

chaque séance est d'une durée de quelques minutes, et tous les jours les

séances ont lieu aux mêmes heures.

L'immobilité ou l'exercice sont interrompus dès qu'il y a fatigue, dès

le moindre avertissement de retour du spasme.

A nos séances du matin on fait fixer des objets, la malade étant debout.

Au bout de quinze jours de traitement le résultat est le suivant : étant'

assise, elle peut garder l'immobilité pendant très longtemps, presque in-

définiment ; étant debout, elle peut fixer un objet quelconque pendant près

de cinq minutes sans que le spasme ait tendance à se reproduire.

On abandonne alors le campimètre. Il s'agit maintenant d'arriver à des

exercices plus difficiles : fixation pendant la marche, pendant que les

mains feuillettent un livre d'images ; on continue en même temps à pro-

longer l'immobilité avec fixation du regard la malade étant debout.

Les progrès sont assez rapides quoique beaucoup plus lents que ceux

des premiers jours. Il y eut à ce moment quelques difficultés, d'abord

quelques mauvais jours pendant lesquels la malade était plus spasmodi-

que ; puis, on eut de la peine à obtenir l'immobilité sans fixation du re-

gard. Cependant les progrès, quoique peu nets d'un jour à l'autre, étaient

constants. La malade fut soumise à nos soins pendant six semaines en tout. '

Tous les jours, sans exception, nous lui imposions une séance de quelques

minutes de durée, de ces exercices simples. -

Il va sans dire que la merveilleuse ressource de l'électricité psycholhé-

rapeutique ne fut pas négligée. Dès le premier jour le chariot de Dubois-

Reymond fut employé. Le courant utilisé était un courant faible, à peine

senti, que l'on appliquait de chaque côté du cou, et censé apte d'une part

à réprimer les muscles trop actifs, de l'autre, à exalter les antagonistes

trop paresseux.

Bref, lorsque la malade nous quitta, après six semaines, de traitement

pour aller dans son pays rejoindre son mari et son enfant, elle était dans

l'état suivant : assise inoccupée, fixant un objet ou promenant son regard

autour de la chambre, elle garde sa tête dans la rectitude indéfiniment ;

debout, inoccupée toujours, elle ne craint le retour du spasme qu'au

bout d'un quart d'heure ; étant assise, occupée à de la couture, par exem-

ple. elle se fatigue bientôt, et sa tête se met à tourner au bout de peu de

temps ; dans la marche lente, le regard fixé sur un objet éloigné ou rap-

proché, il n'y a plus de spasme. Mais dans la marche rapide, une qua-

410 FEINDEL

rantaine de mètres sont à peine parcourus la tête étant droite, que le

spasme survient.

Il n'y a pas encore guérison complète, mais l'amélioration est si consi-

dérable, la malade a si bien compris en quoi consistait le traitement, que

lorsqu'elle veut nous quitter, nous n'insistons pas pour la retenir. Nous

nous bornons à lui faire de nombreuses recommandations : le matin elle

devra faire deux séances d'exercices d'un quart d'heure chacune, la pre-

mière suivie d'un peu d'électrisation avec un courant très faible; trois

autres séances l'après-midi. Elle connaît les exercices qu'elle doit faire et

sait en inventer de nouveaux.

De mois en mois, elle nous a tenu au courant de ses progrès. Elle a pu

d'abord manger à table, puis coudre pendant plusieurs heures consécu-

tives, puis faire des kilomètres en portant un fardeau, et cela sans que le

spasme se produise ; en juin la guérison était complète, nous ne lui avons

pas moins conseillé de poursuivre ses exercices encore pendant plusieurs

mois.

Le deuxième malade est un portugais, âgé de 28 ans, et qui n'a guère

quitté encore les jupons de sa mère. Il y a quelques mois, on le fiança,

événement considérable à l'occasion duquel il réalisa un beau spécimen de

torticolis mental (Pl. XLVI, 2).

Le torticolis ne datait que de quatre mois, mais il était d'une grande

intensité. Le malade était très indocile, toujours révolté ou indifférent, au

fond très déprimé, il ne comprenait pas le français, et l'on conçoit com-

bien nos séances furent laborieuses et peu utiles malgré leur longueur;

quant aux séances de l'après-midi, que le sujet accomplit seul, elles furent

régulièrement escamotées, tantôt par un mal de tête opportun, tantôt par

une visite à recevoir, etc. -

Néanmoins au bout de la semaine pendant laquelle ce jeune homme se

soumit au traitement par le campimètre et l'électricité, il y avait un peu

de mieux. La tête, non appuyée, pouvait rester quelques minutes dans la

rectitude. Puis, le malade nous quitta pour Lourdes, et nous ne savons

ce qu'il est devenu.

Un troisième malade adressé à M. Brissaud par M. Chauffard, était un

homme de 32 ans névropathe à antécédents héréditaires et personnels. Sa

grand'mère avait eu des attaques de nerfs. Sa mère et sa soeur sont très

nerveuses. Lui-même, à 18 ans, a eu du rhumatisme articulaire et depuis

quelques années fait des excès de boisson. Son père mourut du cancer des

fumeurs il y a 18 mois ; la succession entraîna des discussions et des chi-

LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 4H

canes de famille ; notre homme en fut très affecté... et il but davantage ;

sa santé s'altéra, il devient de plus en plus impressionnable, souffre de

tremblements, de vertiges, de palpitations. Enfin, dans les derniers jours

de février, il éprouve des sensations douloureuses derrière l'oreille gau-

che, la tête s'incline à gauche et tourne à droite, d'abord légèrement; au

bout de quelques jours, ce mouvement échappe de plus en plus à la vo-

lonté et s'exagère considérablement (Pl. XLVI, 3).

Lorsque, à la fin du mois d'avril, le malade vient consulter M. Bris-

saud, le menton est fortement tourné sur l'épaule droite, la tète est pen-

chée à gauche, et l'épaule gauche est élevée. En déployant la plus grande

force, on ne peut modifier cette attitude. Lui, se servant tantôt des deux

mains, tantôt d'une seule, la rectifie aisément et complètement.

Il fut soumis au traitement pendant un mois environ, toujours avec les

mêmes exercices d'immobilité et de mouvements ; à la séance du matin,

nous faisons un peu d'électricité ; l'après-midi, le malade exécute seul ses

exercices.

Les progrès furent très rapides. Cela tint probablement au repos au

lit. Le malade était en effet entré à l'hôpital, et nous l'avions engagé

à rester couché la plus grande partie de la journée.

La seule difficulté du traitement fut que la rectitude de la tête et du

corps ne pouvaient être obtenues. Le malade nous disait que depuis long-

temps il se tenait mal, que son métier de typographe en était cause. Quoi

qu'il en soit, nous avons, dans nos prescriptions, plutôt insisté sur les

exercices de mouvements que sur les exercices d'immobilité.

Au bout du mois de traitement, les spasmes étaient devenus rares dans

toutes les attitudes et toutes les occupations, mais ils n'avaient pas tout à

fait disparu. La station debout n'était pas absolument correcte.

Malgré nos insistances, le malade voulut alors nous quitter pour re-

prendre dès le lendemain son métier. Il nous promit bien de faire ses six

séances d'exercices tous les jours. Toutefois, nous n'étions pas sans in-

quiétude à son sujet.

Et cependant, nous avons appris avec plaisir que, quoique le premier

jour de travail il y ait eu des spasmes assez violents, ces spasmes se sont

très atténués les jours suivants. Il a pu. continuer son métier sans in-

convénient, tandis que le reste de son état spasmodique va, quoique

lentement, en s'améliorant sans cesse.

Le quatrième et dernier malade est ce prêtre grec donc M. Brissaud a

donné le portrait dans ses leçons de la Salpêtrière. Il a perdu l'habitude

de ramener sa tête dans la rectitude à l'aide de la main. Il incline la tête

412 FEINDEL

à droite en même temps qu'il regarde à droite, donc état spasmodique

croisé, comme dit M. Grasset, du sterno-mastoïdien gauche et du trapèze

droit ; en même temps l'épaule droite est portée en avant et en haut.

M. Brissaud nous avait averti que les progrès seraient lents ou nuls, le

traitement difficile. En effet il s'agissait d'un vieillard, peu apte à modi-

fier ses habitudes, surtout celle d'un tic contracté depuis longtemps ; on

ne pouvait compter sur une grande docilité ; sa confiance était fortement

ébranlée par l'échec de traitements divers entrepris un peu partout.

Nous crûmes bien faire en ajoutant à nos séances journalières du matin

un peu de massage, car le malade se plaignait de douleurs assez intenses

au niveau des insertions de ses muscles spasmodiques. Les exercices du-

raient 20 minutes, l'électrisation 7, le massage 7; en tout 35 minutes.

C'était trop ; le tiers eut été suffisant. 1

Que ceci ait été une des causes de notre insuccès, nous en doutons

nous-même ; mais nous ne nous hasarderons plus jamais à entreprendre

d'aussi longues séances, surtout au début du traitement.

; Cependant au bout de 30 jours on constatait comme amélioration une

attitude un peu'moins figée, un peu moins pénible ; mais la déviation de

la tête était à bien peu de chose près aussi considérable.

En somme, nous avons eu deux succès chez deux malades dociles et at-

tentifs, et deux insuccès, l'un chez un malade indocile, l'autre chez un

vieillard difficile à discipliner et depuis longtemps déjà atteint d'une

complication malaisément curable : la raideur par raccourcissement ac-

quis des muscles (1).

(1) Depuis quelques jours, nous appliquons le traitement à un cinquième malade,,

entré le 30 octobre, dans le service de M. Brissaud. Dans ce cas, la tare dégénérative

est un tremblement essentiel (héréditaire) ; la cause occasionnelle, le froid ; un seul

muscle est spasmodique, le sterno-cléido-mastoidien droit. Lorsque le malade appo-

sait la pulpe de son index gauche sur son menton, le spasme ne se produisait pas.

Le torticolis était de date récente (trois semaines).

Le malade nous a de lui-même raconté, avant que nous ne l'ayions interrogé sur ce

point, que les premiers mouvements de rotation de la tète avaient été volontaires. A

la suite de « coups de froid » successifs il éprouva une certaine faiblesse de la nu-

que ; pour reposer sa tête », il tournait celle-ci à gauche. Ce mouvement, d'abord

volontaire, qu'il se souvient avoir répété maintes fois, finit par échapper de plus en

plus à sa volonté et par devenir spasmodique.

En quelques jours, le malade s'est considérablement amélioré. Nous espérons que

bientôt la guérison sera complète. Nous donnerons alors les détails de son histoire.

LE TRAITEMENT MÉDICAL DU TORTICOLIS MENTAL 413

CONCLUSIONS

Pour en revenir à la méthode dont le plan d'ensemble n'a pas encore

été donné, on peut dire qu'elle consiste uniquement en exercices très

simples : exercices d'immobilité, et exercices de mouvements.

I. Les exercices d'immobilité de la tète sont gradués de la façon sui-

vante :

Au début du traitement, le malade est assis, la tête maintenue par

l'appui du menlon sur un objet autre que la main ; plus tard le malade,

toujours assis, est seulement adossé, les bras ballants ; encore plus tard, il

est debout, puis il marche.

Dans ces diverses positions il s'évertue à maintenir sa tête dans la rec-

titude le plus longtemps possible. Toutefois au moindre signe de fati-

gue, il doit cesser l'effort de volonté, et se reposer.

Il est bon de fixer quelque objet au début du traitement. Nous avons dit

que la fixité du regard ne contribuait pas peu à maintenir droite la tète

du patient. A ce titre l'emploi du campimètre nous parait très utile.

II. Les exercices de mouvement seront eux aussi peu compliqués au

début :

On fera tourner la tête à droite, à gauche ; on la fera s'incliner sur

une épaule, sur l'autre, etc., et cela dans différentes attitudes du corps,

les épaules étant haussées, les bras étant levés, ou croisés.

On modifie sans cesse, on augmente surtout les difficultés à mesure

que l'amélioration devient plus marquée ; mais les mouvements simples

du début sont en partie répétés à chaque séance, et tout mouvement mal

fait est recommencé et travaillé à nouveau dans les séances suivantes

jusqu'à ce qu'il soit parfaitement exécuté.

Les mouvements doivent être faits lentement, doucement, sans secousse,

et, au moindre signe de fatigue, celle-ci survenant même au bout de

quelques secondes, le. repos sera prescrit pour quelques instants..

ni. - La durée des séances est variable. Au début, deux, quatre, six

minutes, suivant que le sujet se fatigue plus ou moins rapidement ; plus

lard, avec l'amélioration, on augmente, mais il ne convient pas de dé-

passer 10 minutes. Dans la même séance,, on entremêle les exercices de

mouvement, aux exercices d'immobilité.

Les séances seront au nombre de cinq ou six dans la journée ; elles

auront lieu tous les jours aux mêmes heures. L'une des séances journa-

414 FEINDEL

¡¡ères au moins sera dirigée par le médecin. Celui-ci doit modifier les

exercices, en imaginer de nouveaux, et surtout encourager le malade, lui

faire constater tout progrès, et enfin être attentif à ordonner le repos dès

que la fatigue s'annonce.

IV. Une séance de gymnastique pourra être suivie de 2 à 5 minutes

d'électrisation avec un courant très faible, ou d'autant de minutes d'un

massage léger. Si l'on juge à propos de faire l'un et l'autre, il nous semble

qu'il vaut mieux électriser un jour et masser le lendemain.

V. Le sujet ne pourra être abandonné à lui-même que lorsque l'a-

mélioration sera déjà très notable. Alors, il aura compris que ce traite-

ment qui l'avait surpris par sa simplicité enfantine est vraiment le bon et

le seul. Il est certainement resté quelque après-midi sans faire les séan-

ces prescrites ; le lendemain il s'en est un peu plus mal trouvé : et cette ex-

périence qu'il a faite à ses dépens l'empêche de retomber dans le péché

d'omission volontaire.

VI. Lorsqu'un certain degré d'amélioration est atteint, il n'y a pas

grand inconvénient à ce que le malade prolonge la durée des séances, en

fasse un peu plus qu'il ne lui est prescrit. D'ailleurs, les exercices l'in-

téressent, il a appris à les varier.

Alors, il est meilleur médecin de lui-même que son premier guide et il

est en mesure de parfaire tout seul sa guérison. Il ne reste plus désormais

qu'à lui recommander de faire encore des exercices plusieurs mois après

sa guérison apparente.

Lorsqu'il ne pensera plus du tout à exécuter ses exercices, c'est que

le tic lui-même sera oublié, et la guérison sera réelle et vraiment définitive.

Bibliographie.

E. Brissaud, Tics et Spasmes cloniques de la Face. Leçon faite le 8 décembre

1893 à la Salpêtrière. Journal de médecine et chirurgie pratiques, 25 janvier

1894.

E. Brissaud, Leçons sur les maladies nerveuses recueillies et publiées par

H. Meige (Salpêtrière, 1893-1894), p. SI4.

F. Bompaire, Du torticolis mental. Thèse de Paris, 1894.

E. BRISSAUD et H. MEME, Trois nouveaux cas de torticolis mental. Revue

neurologique, 1895, p. 697.

E. Bwssnun;Conlre le traitement chirurgical du torticolis mental. Revue neu-

rologique, 1897, p. 34.

Grasset, Tic du colporteur, spasme polygonal post-professionnel. Nouvelle

Iconographie de la Salpêtrière, 1897, p. 217.

« UN JOB MODERNE. »

ATROPHIE MUSCULAIRE DU TYPE ARAN-DUCHENNE

CHEZ UN CHEMINEAU.

PAR

J. TARGOWLA.

Le cas que nous allons relater ne présente pas un très grand intérêt

scientifique bien que l'atrophie musculaire spinale, type Aran-Duchenne,

soit devenue assez rare depuis que l'on a cessé de confondre avec elle les

diverses formes d'amyotrophies actuellement bien différenciées. Mais

au point de vue de son habitus extérieur et des moyens de défense qu'il in-

venta lui-même contre la maladie, notre malade mérite certainement l'at-

tention. Il présente en outre un curieux phénomène de notre ordre social.

L.... est âgé de 65 ans. Mère morte à 23 ans de cause inconnue. Il n'a

pas connu son père. Il est seul 'de sa famille, a été élevé par son grand-

père maternel qui est mort à 81 ans. Il a été bien portant jusqu'à 28 ans.

A cet âge il eut une fièvre typhoïde très grave et séjourna à l'hôpital de

.Vernon pendant 6 mois. A la sortie de l'hôpital il était affaibli mais put

reprendre néanmoins le métier pénible d'ouvrier agricole qu'il continua

Fig. 1.

Atrophie musculaire et déformation en griffe des mains (Type Aran-Duchenne).

416 J. TARGOWLA

avec des interruptions pendant ans. A 30 ans, par suite de faiblesse

croissante des bras et des jambes il fut obligé de cesser tout travail. De-

puis cette époque il vit de mendicité. Il est sobre, n'a jamais fait d'excès.

A 45 ans il eut des accès de fièvre intermittente qui durèrent 6 semaines

et cessèrent sans traitement. L'affection actuelle s'est développée insidieu-

sement, il n'a jamais perdu connaissance.

Nous l'avons examiné en juillet 1897, à l'occasion d'un certificat d'in-

firmité qu'il est venu nous demander. C'est un homme de forte taille,

1 m. 95. On remarque tout d'abord l'atrophie des petits muscles des deux

mains; les mains sont en griffe (Fig. 1). La grille s'est accusée dès le

début de l'affection, au dire du malade. L'avant-bras et le bras paraissent

diminués de volume. Un jeu très accusé de contractions fibrillaires des

muscles des avant-bras, des bras et des pectoraux. Il ne peut plus écrire

mais il enfile encore une aiguille.

Atrophie musculaire des jambes (PI.XLVIII). Les cuisses ont conservé

leurvolume normal qui contraste fortement avecla maigreur des jambes. La

faiblesse des membres inférieurs est survenue postérieurement à celle des

mains. Le pied est tombant ; la démarche est en stepper. Pour s'asseoir il se

laisse d'abord tomber sur les genoux, puis se renverse sur les ischions. Il ne

peut plus s'accroupir, il est obligé de s'appuyer sur les mains et sur les

genoux (à quatre pattes), pour déféquer. Il ne peut pas se tenir debout

lorsqu'il est nu et sans appui. Mais habillé et sanglé il se tient droit ap-

puyé sur deux cannes (Pl. LVII). Pour se relever lorsqu'il est assis,il doit

prendre un point d'appui avec les mains et les genoux et grimper le long

d'un objet stable. Diminution notable du réflexe patellaire. Pas de clonus

du pied.

Dans les conditions où nous nous trouvions nous n'avons pu faire d'exa-

men électrique des muscles. - .

Aucun trouble de la sensibilité. Les sphincters sont intacts. Pas de

constipation ni d'incontinence d'urine. Bon appétit. Aucun trouble de la

déglutition.

Il n'a jamais eu de vives douleurs. Depuis 4-5 ans il a des douleurs

lombaires, chaque fois qu'il se fatigue. Depuis quelque temps il s'essouffle

vite. Rien au coeur, ni dans les poumons. Quelques troubles trophiques

aux membres inférieurs : rougeur érythémateuse sur les jambes ; léger

oedème des pieds. Hernie inguinale droite.

Nous avons vu que le malade étant déshabillé ne peut se tenir debout L

'et qu'habillé il se tient bien droit et peut même marcher. Cela tient à un

système compliqué de courroies qu'il a inventé lui-même; les courroies

fixent ses genoux et lui donne un solide point d'appui sur la cuisse ;

UN JOB MODERNE

Atrophie musculaire chez un cI1Cl111n.ll1.

MASSON & C'c, Editeurs.

UN JOB MODERNE z17

celle-ci, nous l'avons vu, a conservé sa musculature intacte. Des genouillères

en cuir protègent ses genoux.

Le malade se déplace constamment et fait il 3 3 kilomètres par jour.

Il peut le faire grâce à des chaussures de son invention (Fig. 2) qu'une

âme compatissante fait fabriquer à son intention. Les chaussures sont

excessivement amples (35 cent. de longueur et 14 cent. de largeur). Il les

rembourre à l'intérieur afin de protéger ses orteils qui tendent à se mettre

en griffe. Sa toilette est du reste très longue et compliquée, mais il s'ha-

bille encore seul, sans aide.

Autant que l'on puisse rétablir l'histoire de ce malade, il s'agit bien

d'une atrophie musculaire type Aran-Duchenne. Nous voyons, en effet,

la maladie s'établir à 30 ans, insidieusement, sans douleur, et débuter

par les membres supérieurs. On constate encore actuellement la diminu-

tion des réflexes et des secousses fibrillaires accusées.

La marche de l'affection est très lente puisqu'elle dure déjà 35 ans et

que le malade est arrivé à un âge relativement avancé' sans être forcé de

s'arrêter. l' ..

Socialement c'est un homme dépourvu de toute espèce de propriété.

Il dit lui-même être le seul citoyen français qui ne paie pas d'impôt.

D'ailleurs il n'a pas de domicile, et comme Job il passe sa vie sur le fu-

mier. Etant d'un caractère doux et affable et non privé d'une certaine

éducation, il est toujours bien reçu par les populations des campagnes qui

lui offre volontiers l'hospitalité... de leurs étables. Il préfère cette vie va-

gabonde, mais libre, à une réclusion hospitalière, où, dit-il, il ne trouvera

pas toutes ses aises. Peut-être lui enlèverait-on à l'hôpital ses précieux

moyens de défense qui pourraient ne pas être réglementaires...

A rencontre du Job biblique, il professe une philosophie bonhomme et

« ne maudit pas le jour où il naquit ».

x 29

Fig. 2.

Chaussures portées par un chemineau atteint d'Atrophie musculaire progressive.

LA LÈPRE DANS L'ART

PAR .

HENRY MEIGE

... 1 . ,

La Lèpre est peut-être la maladie dont l'origine remonte aux âges

les plus lointains de l'humanité. Mais, après avoir désolé le monde

entier par ses ravages, pendant des siècles et des siècles, il semble

qu'elle ait épuisé aujourd'hui ses forces destructives,'car elle ne sévit

plus guère en Europe que dans quelques rares localités. Et l'on peut es-

pérer encore la voir bientôt disparaître, étouffée par les précautions hygié-

niques et de rigoureuses mesures de prophylaxie.

Ses méfaits d'antan ont été cependant innombrables et il importe de ne

pas les oublier, ne fut-ce que pour se mettre en garde contre un retour

offensif du fléau.

La Lèpre qui, dit-on, prit naissance emEgypte, envahit bientôt l'Asie,

la Syrie, la Perse, l'Inde, etc. Elle se répandit ensuite en Europe, et là

aucune province ne fut épargnée. Le nouveau monde, comme l'ancien,

en supporta aussi les cruelles atteintes.

i Dès la plus haute antiquité, des précautions extrêmement sévères ont

été prises pour réduire au minimum les dangers de la contagion. Mais, soit

application défectueuse des prescriptions hygiéniques, soit plus grande

virulence du bacille, la Lèpre a continué à sévir jusqu'au XV" siècle, dans

tous les pays du monde, avec une incroyable malignité.

Aux âges bibliques, Moïse, qui savait reconnaître les taches, les érup-

tions et les ulcères de la Lèpre, édicta plusieurs ordonnances concernant les

Lépreux. Les prêtres veillaient alors à l'exécution des mesures d'hygiène.

« Le malade déclaré impur devait sortir (pourchassé) du camp avec des

habits déchirés el souillés, tête nue, la bouche recouverte d'un voile, et

rester séquestré jusqu'à nouvel examen. S'il était déclaré guéri, on faisait t

sur lui l'offrande en sacrifices expiatoires ; dans le cas contraire, la séques-

tration était perpétuelle (1). » Les vêtements, les meubles, les maisons

des Lépreux devaient être soigneusement désinfectés, sinon détruits.

(1) BRAssAc, Art. Lèpre, in Dict. Encyc. des Sciences méd.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T. x PL. XLVIIIbls,

UN Saint faisant l'aumône A DES LÉPREUX

et

Peinture de l'Ecole Toscane du xive ou xv° siècle,

Musée des Offices, à Florence.

Masson et C ? Editeurs.

LA LÈPRE DANS L'ART 419

Chez les Grecs, dont le nom est resté intimement lié à celui de la ma-

ladie, encore appelée en effet Elephantiasis des Grecs, la Lèpre avait ses

sanctuaires, sortes de léproseries, placées sous la direction des prêtres-

médecins, où les malades venaient implorer le secours de la divinité par le

mystère des incubations.

Au premier siècle de notre ère, les Gaulois rendaient aussi un culte à

la Lèpre et lui élevèrent des temples, dont on a cru retrouver les traces

dans quelques localités (1).

Au Moyen Age, la Lèpre prit une extension plus considérable encore.

Vers le Xe siècle, toutes les villes, et même les villages de peu d'impor-

tance, devaient avoir un refuge pour les Lépreux.

Mathurin Paris évalue à 19.000 le nombre des léproseries de toute la

chrétienté, dont 2.000 environ pour la France.A la même époque, le pape'

Damase II fonda l'ordre des chevaliers deSt-Lazare, dont le grand maître

était choisi parmi les Lépreux, et qui se consacraient uniquement à soigner

ces malades. On sait que Saint Louis donna, en Palestine, l'exemple de la

charité et de l'abnégation en secourant lui-même des Lépreux.

Du Xe au XIVe siècle, le fléau causa dans l'Europe entière d'effroyables

ravages. Il commença à décroître vers le XVe siècle, et depuis lors le nom-

bre des Lépreux a rapidement diminué, jusqu'à disparaître presque com-

plètement dans nos latitudes.

Aussi, depuis longtemps déjà, la Lèpre est-elle souvent considérée comme

une maladie d'un autre âge dont les effets redoutables, perdus dans la nuit

des temps, semblent entachés de l'exagération des traditions mythiques.

Ne voyant»plus de Lépreux, ou de si rares exemples qu'on est tenté de

les méconnaître, on ne songe guère à retenir les caractères de cette affec-

tion surannée. N'ayant à lui reprocher que de lointains méfaits, on oublie-

rait volontiers de se garder d'un mal qui paraît aujourd'hui fatalement

condamné à s'éteindre de lui-même.

Un tel oubli n'est pas permis cependant. Car, si la Lèpre continue à se

montrer en voie de décroissance, il s'en faut de beaucoup qu'elle ait cessé

de vivre. Elle sévit encore, et cruellement, en plus d'un point du globe.

(1) Dès les premiers temps du christianisme, Saint Lazare devint le patron des

Lépreux, en souvenir de cette parabole de l'Évangile où Jésus parle d'un homme du

nom de Lazare qui venait à la porte du mauvais riche, implorer vainement la charité,

exhibant sur tout son corps des plaies hideuses que des chiens plus compatissants

léchaient pour le soulager.

Plus lard le patron des Lépreux prit le nom Saint Ladre. De Lazare est venu lazaret,

et de Ladre les mots ladrerie, maladrerie, qui servaient autrefois à désigner la Lèpre.

La maison actuelle de Saint-Lazare était au XIIe siècle un hôpital de Lépreux.

420 HENRY MEIGE

II

Un jour viendra peut-être - et il faut le souhaiter prochain - où la

Lèpre, traquée dans ses derniers refuges, disparaîtra tout à fait de la sur-

face de la terre (1). ,

De cette maladie éteinte, il semble qu'il ne restera guère que des des-

criptions plus ou moins précises et des récits d'épidémies terribles, dont

beaucoup paraîtront légendaires.

Mais d'autres documents contribueront à perpétuer le souvenir de la

Lèpre et serviront à contrôler l'exactitude des observations du passé.

Tels sont les documents figurés, car déjà l'Art a su, par plus d'un chef-

d'oeuvre, immortaliser les Lépreux.

Et ces monuments ne sont pas seulement symboliques; un grand nom-

bre d'entre eux reproduisent, avec un admirable souci de la réalité patho-

logique, des manifestations dont on peut encore aujourd'hui contrôler

l'exactitude sur les rares Lépreux qui sont nos contemporains.

Charcot et Paul Richer ont consacré quelques pages de critique savante

à plusieurs images de ce genre (2). Leur belle étude, parue en 1889, ne

porte guère que sur quatre ou cinq documents figurés, appartenant tous à

l'Ecole Allemande. Le nomhre en est plus grand encore qu'ils ne l'avaient

soupçonné, et l'importance pour le médecin de ces observations iconogra-

phiques se fait déjà sentir aujourd'hui où la rencontre d'un Lépreux est

devenue, dans nos pays, un rarissime événement. t.

Nous avons poursuivi ces recherches dans les principales galeries de

l'Europe, et nous connaissons aujourd'hui près d'une trentaine d'oeuvres

d'art où il est permis de reconnaître des figurations de Lépreux, dont

plusieurs sont absolument caractéristiques.

L'Ecole Italienne, jusqu'au XVIe siècle, n'est pas moins riche en docu-

(1) La récente Conférence internationaledeBerlinabien mis en lumière la nécessité de

surveiller encore et avec une sévère attention, les foyers d'épidémie qui constituent

toujours un danger permanent pour l'humanité. Ilansen, à qui revient l'honneur

d'avoir fait connaître, depuis près de 25 ans, le bacille pathogène de la lèpre, a nette-

ment formulé les mesures prophylactiques qui s'imposent. Elles ont été ratifiées par

la Conférence de Berlin, après quelques amendements indiqués par Besnier. Il n'est

pas inopportun de les rappeler en cette occasion :

1° Dans tous les pays où la lèpre forme des foyers ou prend une grande extension,

l'isolement est le meilleur moyen d'empêcher la propagation de la maladie ;

2° La déclaration obligatoire, la surveillance et l'isolement, tels qu'on les pratique en

Norvège, doivent être recommandés à toutes les nations dont les municipalités sont

autonomes et possèdent un nombre suffisant de médecins;

3- Il faut laisser aux autorités administratives le soin de fixer, sur l'avis des conseils

sanitaires, les mesures de détail en rapport avec les conditions sociales de chaque

pays.

(2) Charcot et PALI. Richer, Difformes et Malades dans l'Art, p. 57 et seq.

LA LÈPRE DANS L'ART 421

ments de ce genre que l'Ecole Allemande. Ils ne sont pas rares dans l'Art

Flamand. Mais ils semblent faire défaut dans l'Ecole Française.

La fréquence des figurations de Lépreux sur les oeuvres d'art n'a pas

lieu de nous surprendre. En effet, si, de nos jours et dans nos contrées,

un artiste aurait les plus grandes difficultés à trouver dans la nature un

modèle de Lépreux, il n'en fut pas de même aux temps passés, et les

peintres, depuis le XIVe jusqu'au XVIe siècle, eurent sous les yeux des

exemples vivants en nombre suffisant pour leur permettre d'observer à

loisir tous les caractères de la maladie.

On peut même dire qu'ils n'avaient que l'embarras du choix entre les

différentes formes symptomatiques affectées par la lèpre. Aussi, les monu-

ments figurés contiennent-ils presque toutes les variétés possibles de la

maladie, chaque artiste ayant cherché à reproduire les signes extérieurs

qui J'avaient le plus vivement impressionné.

Il ne faut pas oublier, en outre, que la Lèpre fut longtemps considérée

comme une maladie d'origine surnaturelle, incurable par les soins médi-

caux. Les malheureux qui en étaient frappés ne pouvaient espérer en

guérir que par miracle. Aussi les voyait-on se presser en foule dans les cen-

tres thaumaturgiques les plus réputés.

Il n'est donc pas étonnant qu'un artiste, désireux de symboliser une

guérison miraculeuse, ait placé des Lépreux sur le passage des Saints

dont ils voulaient glorifier les actes surnaturels. '

Et, d'autre part, la Lèpre étant regardée comme l'affection la plus re-

doutable pour l'homme, comme le mal devant qui les plus pitoyables hési-

taient à s'arrêter, ne fut-ce qu'un instant, il était indiqué de placer des

Lépreux à côté des personnages dont la charité ne reculait devant aucun

sacrifice. Secourir un Lépreux passait pour l'oeuvre la plus méritoire, et

partant la plus agréable à Dieu.

C'est ainsi que la tradition artistique a coutume de représenter un Lé-

preux à côté de Saint Martin. Pour mieux faire ressortir la charité et

l'abnégation du Saint, l'artiste nous le fait voir se dépouillant de son

manteau en faveur de l'être réputé le plus abject et le plus dangereux à

fréquenter,-le Lépreux. Pareillement, pour exalter le pouvoir thaumatur-

gique illimité de Saint Pierre et de Saint Jean, les peintres ont coutume de

placer sur leur passage, à la porte du Temple, la créature qui, frappée

d'un mal irrémédiable, n'attend plus de secours que de la divinité, - le

Lépreux. Pour de semblables raisons enfin, dans les peintures ayant pour

sujet les Sept OEuvres de la Miséricorde, les personnages charitables étaient

422 HENRY MEIGE

figurés secourant les plus répugnants malades, et parmi eux souvent-

figurent encore des Lépreux.

III

Avant d'entrer dans la description des documents figurés relatifs à la

Lèpre, il nous a paru nécessaire de résumer brièvement les principaux

caractères de la maladie. La comparaison de la description clinique au-

jourd'hui bien précisée avec les signes reproduits par les artistes anciens

en sera facilitée.

On a décrit de la Lèpre deux formes principales :

1° la Lèpre tuberculeuse ou phyrnatode, qui se manifeste sur les tégu-

ment cutanés et muqueux et qui correspond assez bien à la description

de Ji Éléphantiasis des Grecs.

2° la Lèpre nerveuse anesthésique ou trophoneurotique, dont les lésions

semblent porter surtout sur les nerfs, et qui s'accompagne de trouble; sen-

sitifs, moteurs et trophiques, suivis de déformations variées.

Ces deux sortes d'accidents coexistent fréquemment sur le même sujet,

constituant la forme mixte de la Lèpre, la plus commune.

L'Art a reproduit, avec une égale vérité des exemples de la Lèpre

tuberculeuse, de la Lèpre nerveuse, et de la forme mixte de cette ma-

ladie.

Nous ne nous attacherons qu'aux caractères objectifs de ces différents

modes de manifestation de la Lèpre, qui, seuls, peuvent être contrôlés

sur les oeuvres d'art. Il est superflu, en effet, de faire remarquer qu'en

pareille matière on ne peut parler des phénomènes subjectifs, sur lesquels

on ne saurait être renseigné. Il faut se résigner à laisser de côté cet impor-

tant élément de diagnostic. Cependant les seules données de l'inspection

sont souvent assez caractéristiques pour permettre de se prononcer for-

mellement après un examen minutieux.

La Lèpre débute ordinairement sur la peau par des plaques érythé-

mateuses, d'un rouge plus ou moins vif et de forme plus ou moins arron-

die, planes, ou peu saillantes.

Bientôt apparaissent les éléments caractéristiques de la lèpre dite tuber-

culeuse, les Lépromes, saillies papuleuses qui grossissent peu à peu, de façon

à former de petites tumeurs d'un rouge brunâtre, tirant sur le bistre, ou

parfois sur le violet. A leur niveau, les poils tombent ordinairement.

Le nombre et volume des lépromes sont très variables. Lorsqu'ils

sont très abondants, ils se rassemblent de façon à former une masse em-

pâtée et mamelonnée qui rend méconnaissables les régions atteintes.

Les extrémités du corps sont les sièges de prédilection de ces lépromes :

LA LÈPRE DANS L'ART 423-

les mains, les avant-bras, les pieds, les jambes, et face tout particulière-

ment.

Dès lors les malades ont un facies vraiment caractéristique :

« Le visage paraît bouffi, le front est épaissi, irrégulier, les paupières

sont à demi pendantes ; le nez est élargi, épaté comme chez le nègre, le

menton volumineux et élargi ; les joues sont épaisses et inégales ; les lè-

vres larges, lippues, sont proéminentes ; les poils de la face ont presque

entièrement disparu. Il en résulte un ensemble tel que, à quelques diffé-

rences près dans le degré, tous les Lépreux se ressemblent, quels que

soient leur âge, leur sexe et leur race : le diagnostic peut se faire, grâce à

cette uniformité d'aspect, à première vue et à distance » (1).

Parfois, les tumeurs lépreuses se résorbent ou subissent la transforma-

tion fibreuse. Mais, fort souvent, elles s'abcèdent, suppurent, et à leur place

on voit survenir des ulcérations plus ou moins profondes, aux bords rou-

ges et proliférants, au fond grisâtre et purulent. Ces ulcères, isolés ou con-

fluents, s'étendent en profondeur, mettant à nu les muscles, les os et les

articulations (Lèpre LrGNurirle).

Ils peuvent guérir, se recouvrant d'abord d'une croûte brunâtre ; puis,

à leur place, on voit des cicatrices blanches, irrégulières, qui sont de

nouvelles causes de difformité.

Lorsqu'ils siègent à la face, les ulcères lépreux défigurent complètement

les malades, rongeant les lèvres, les joues, le nez. Les yeux ne sont pas

épargnés ; les paupières disparaissent presque complètement et le globe

oculaire subit souvent une résorption complète. En tous cas, la vue est

presque toujours perdue à jamais. Les Lépreux ont alors un facies vrai-

ment horrible et presque pathognomonique.

Les modifications tégumentaires varient considérablement, d'où le nom

de Morphée, donné parfois à la maladie. Parfois, ce sont des plaques blan-

ches d'un contour brunâtre (Lèpre blanche, Lette d'IIippocrate). D'autres

fois, c'est la Lèpre noire ou mélanique. Dans ces cas « la peau plus blanche,

la plus caucasique, devient abyssinienne, et même d'un noir de Congo » (2).

Presque en même temps survient ordinairement une éruption bulleuse,

sorte de pemphigus avec phlyctènes remplies de liquide citrin qui se

rompent bientôt, deviennent croùteuses ou s'ulcèrent, puis se terminent

par une cicatrice blanchâtre. Cette éruption se localise de préférence sur le

dos des mains, sur les coudes et les genoux.

Dans la Lèpre nerveuse (Lèpre de Danielssen), à ces phénomènes tro-

(1) G. Thibierge, Art. Lèpre, in Traité de Médecine, p. 354.

(2) ZAIBACO. Les Lépreux ambulants de Coaslanlinople. Paris, Masson, 1897, p. 10.

424 HENRY MEIGE

phoneurotiques siégeant sur la peau, vient se joindre l'atrophie musculaire

avec l'impotence fonctionnelle el les déformations qui en sont la consé-

quence. Elle débute comme dans la maladie d'Aran-Duchenne par les

muscles des éminences thénar, hypothénar, et les interosseux, produisant

bientôt une déformation en griffe d'aspect saisissant. Les muscles de l'avant-

bras sont atteints à leur tour, plus rarement ceux du bras.

Aux membres inférieurs, une atrophie du même genre.frappe les muscles

du pied, les extenseurs en particulier, puis les muscles de la jambe, fléchis-

seurs du pied et péroniers, créant des pieds-bots de formes variées.

Les muscles de la cuisse, les fessiers, ceux de la ceinture scapulaire

peuvent être atteints, comme dans l'Atrophie Musculaire Progressive ou

dans la Syringomyélie, qui affectent avec la Lèpre de singulières ressem-

blances.

La face n'est pas épargnée : le frontal ne se contracte plus et de ce fait

le front reste lisse et sans rides; l'orbiculaire des paupières, s'il n'est

pas détruit par une ulcération, recouvre l'oeil en ptosis, ou se renverse

en ectropion; la lèvre inférieure pend inerte et la commissure est souvent

déviée.

Dans les cas particulièrement graves, d'autres accidents trophiques

viennent encore modifier les déformations.

La peau s'amincit, se dessèche, revêt un aspect parcheminé, et, comme

en général les muscles sont atrophiés à l'extrême, les membres en sont

réduits à leur squelette sur lequel semble moulée une peau de momie.

C'est la variété sclérodermique de la Lèpre.

Souvent alors, sur ces extrémités raccornies se forment des ulcérations

qui gagnent en profondeur, disloquent les jointures, nécrosent les parties

osseuses et amènent la chute d'une phalange, d'un doigt, d'une main ou

d'un pied tout entier. Puis, une cicatrice se forme et le membre tronqué

reste réduit à l'état de moignon. On a donné à cette forme redoutable le

nom significatif de Lèpre mutilante (1).

Et cependant, malgré tant de difformités etde délabrements, les Lépreux

peuvent traîner, pendant de longues années, leur misérable existence.

IV

Les signes extérieurs de la Lèpre sont, on le voit, suffisamment accen-

tués pour permettre d'en faire le diagnostic à la simple inspection d'un

sujet. Aussi peut-on souvent reconnaître un Lépreux sur une figuration

artistique.

(1) La Syringomyélie et la Maladie de Morvan où l'on observe des accidents analo-

gues, ne seraient pour Zambaco que des modalités de la Lèpre.

. 2

LA LÈPRE DANS L'ART 425

A ce point de vue cependant, il importe d'établir quelques différences

entre la valeur diagnostique des lésions représentées.

Les taches cutanées, papules ou macules, de couleur rosée, rouge ou

lie de vin, que les artistes ont souvent figurées sur leurs malades, ne

peuvent fournir que des renseignements très hypothétiques.

La couleur et la forme en sont parfois très vagues, soit que le peintre

n'ait pas su ou voulu les préciser, soit que le temps ait altéré le coloris

et les contours. En outre, ces accidents sont communs à un grand nom-

bre de dermatoses, et pour en affirmer l'origine lépreuse, l'examen sub-

jectif de la sensibilité fait ici défaut.

On peut, à leur égard, soutenir avec une égale vraisemblance le dia-

gnostic : d'érythème, de roséole, de purpura, etc., etc.

Néanmoins, lorsqu'il s'agit de macules pigmentées de couleur bistre ou

brunâtre, il faut songer à la Lèpre sépiée, ou mélanique, dont Zambaco a

reproduit de si remarquables exemples.

Les mêmes réserves s'imposent en présence de figurations d'ulcères qui

abondent dans les tableaux des peintres primitifs. Ces lésions, dont par-

fois le réalisme pathologique est frappant, sont rarement caractéristiques.

Un lupus, une syphilide, une plaie quelconque de mauvaise nature, peu-

vent produire les mêmes accidents, sans que la Lèpre soit en cause.

On peut en dire autant des cicatrices, celle's-ci pouvant être la consé-

quence de toute autre maladie, d'un traumatisme, d'une brûlure.

Les tubercules sont déjà plus significatifs, et leur rencontre sur la face

ou les membres d'un infirme figuré sur un tableau plaide en faveur de la

Lèpre. Lorsqu'on les voit confluer à l'extrémité des membres, des mem-

bres inférieurs surtout, lorsque ceux-ci prennent un aspect éléphautiasi-

que, il y a de grandes probabilités pour qu'il s'agisse d'une figuration de

Lépreux.

L'atrophie musculaire et les déformations qui l'accompagnent sont un

des principaux éléments du diagnostic de la Lèpre sur les images artisti-

ques. L'émaciation des muscles, les rétractions fibreuses, en produisant

les ankyloses vicieuses, les contractures et les griffes, créent des anomalies

corporelles aisément reconnaissables et qui n'ont pas manqué de frapper

vivement les artistes désireux de figurer des Lépreux. Nous en verrons de

nombreux exemples dont plusieurs déjà fort anciens pourraient rivaliser

en exactitude avec les photographies cliniques que l'on fait aujourd'hui.

On pourrait évidemment discuter à leur égard le diagnostic de la mala-

die d'Aran-Duchenne et de la Syringomyélie. Mais d'autres arguments

tirés de la tradition picturale viennent généralement confirmer l'hypothèse

que l'artiste a bien voulu représenter un Lépreux.

D'ailleurs, nous l'avons vu, les peintres anciens n'avaient pas à chercher

426 HENRY MEIGE

bien loin autour d'eux pour trouver des modèles, le nombre des Lépreux

étant considérable de leur temps.

Plus significatifs encore sont les documents figurés où la maladie revêt

la forme sclérodermique, réduisant les patients à l'état de squelettes ambu-

lants, recouverts d'une peau ratatinée, coriace et de couleur brun foncé.

Ceux-là ne peuvent guère se rapporter qu'à des Lépreux.

Enfin, toute une série d'estropiés, privés d'un ou plusieurs segments

de membres, doivent prendre place parmi les figurations de Lépreux. La

lèpre mutilante est capable de ces amputations dont on voit plus d'un

spécimen sur les oeuvres d'art. Un traumatisme peut, il est vrai, produire

les mêmes effets, et ce n'est qu'à bon escient qu'il convient d'accuser la

Lèpre. Mais, lorsque le même personnage porte en outre sur lui plusieurs

indices de lésions lépreuses, il y a tout lieu de penser que ses mutila-

tions relèvent de la même maladie.

Nous n'insisterons pas davantage sur ces notions générales de diagnostic

appliqué aux monuments figurés. Il sera plus intéressant et plus démons-

tratif de les mettre en pratique à l'occasion des différentes oeuvres d'art

que nous allons passer en revue. Mais, d'ores et déjà, on peut se convain-

cre, par ces premières remarques, qu'il est permis de faire le diagnostic

de la Lèpre d'après les monuments de l'Art, en se basant uniquement sur

les données de l'inspection clinique.

Certains signes ne constituent que des présomptions plus ou moins vala-

bles. D'autres font entrevoir des probabilités. D'autres, enfin, sont des

preuves catégoriques.

A fortiori, sera-t-on en droit d'affirmer un diagnostic lorsque, sur

la même image, se trouveront réunis plusieurs des stigmates pathologiques

que la Lèpre sait imprimer sur le corps humain.

V

Les figurations de Lépreux se rencontrent dans les peintures de toutes

les Ecoles. Elles sont particulièrement fréquentes dans celles de l'Ecole

Italienne et de l'Ecole Allemande, depuis le XIVe jusqu'au XV

c'est-à-dire à l'époque où la Lèpre sévissait le plus cruellement dans

toutes les provinces de l'Europe.

LA LÈPRE DANS L'ART 427

École Italienne

école DE GIOTTO

TADDEO GADDI, ANTONIO VENEZIANO, ANDREA DA FIRENZE,

Peintres florentins (lira moitié du XIVe siècle).

Le plus ancien Lépreux de l'Ecole Italienne nous semble avoir été figuré

sur une fresque remontant au milieu de XIVe siècle et qui se trouve à Flo-

rence dans la chapelle dite des Espagnols (1), annexée au cloître de

l'Eglise Santa Maria Novella.

Les murs et le plafond de cette chapelle sont ornés de scènes diverses

où figurent un nombre considérable de personnages parmi lesquels on- a

cru reconnaître des portraits de contemporains.

L'auteur de cette suite des fresques est encore inconnu. Elles ont été

successivement attribuées à TADDEO GADDI et à SmoNE DI Martini par Va-

sari, et à ANTONIO YENEZIANO ou ANDREA DA Firenze par Growe et Caval-

caselle. z

Charcot et Paul Richer ont fait une critique détaillée de cette remar-

quable peinture (2). « Quel qu'en soit l'auteur, disent-ils, celle oeuvre

appartient à l'école du grand réformateur de la peinture en Italie, Giotto,

qui sut le premier rompre avec la tradition byzantine, pour. intro-

duire dans ses compositions la clarté, l'émotion, en un mot, la vie réelle.

Malgré des incorrections de dessin et des fautes de perspective, nous

avons été frappés de nombreux détails absolument typiques et qui mon-

trent avec quel soin ces anciens maîtres cherchaient à imiter la nature.

Le. but de leur art était d'instruire, d'édifier, et surtout d'émouvoir.

Aussi leur oeuvre, dans la représentation des difformités physiques

s'offre-t-il à nous avec un accent de sincérité d'autant plus grand que

l'art ne s'était pas voué au culte exclusif de la beauté et n'était point

tourmenté par la recherche de l'idéal. »

La plupart des scènes figurées sur les fresques de la Cappella degli

Spagnoli sont destinées à glorifier l'oeuvre de Saint-Dominique.

Le fragment qui nous intéresse représente une cohorte d'infirmes et de

malades implorant un miracle pour obtenir la guérison de leurs maux.

On y voit un aveugle, - un infirme appuyé sur une béquille, la jambe

oedématiée, et enveloppée d'une bande, un enfant aux bras atrophiés

qu'un homme porte sur ses épaules : figuration probable d'un cas de para-

(t) Cosme ler avait épousé une Espagnole, Eléonore de Tolède. Les personnes de la

suite de la princesse avaient coutume de faire leurs dévotions dans la chapelle du

cloitre de Santa Maria Novella. De là est venu son nom : Cappella degli Spagizoli.

(2) CHARCOT et Paul RicuER, Les Difformes et Malades dans l'Art, p. 57 et seq.

428 HENRY MEIGE

lysie infantile, une jeune fille étendue à terre, sans connaissance, inerte,

les yeux convulsés : image de la léthargie hystérique, - un homme qui

lève en l'air son bras au bout duquel la main retombe inerte, -- probable-

ment un exemple de paralysie radiale (Charcot et Paul Richer).

Toutes ces difformités sont reproduites avec un souci de réalisme vrai-

ment surprenant. Il se pourrait que plusieurs ait été produites par la Lèpre.

Mais on ne peut ici que le conjecturer.

Un dernier infirme figure au premier plan, assis dans une large calebasse

et se traînant avec les mains appuyées sur de petits chevalets (Fig. 1).

Indubitablement, il s'agit t

d'un cul-de jatte, qu'une pa-

raplégie ou une amyotrophie

ont privé de l'usage de ses

membres inférieurs.

Mais ce cul-de-jatte est pro-

bablement aussi un Lépreux;

car sa face est envahie par un

large ulcère qui semble lui

avoir dévoré tout le nez, ainsi

qu'une partie de la lèvre su-

périeure. Un lupus, il est vrai,

pourrait causer les mêmes

dommages. Mais la Lèpre est,

au premier chef, un des agents

de ce genre de mutilation.

En outre, les pertes de subs-

tance ne sont pas limitées au

visage. Un des pieds de cet infirme, le droit, ne possède plus que trois

orteils, tandis que le pied gauche a conservé ses cinq doigts. Or les am-

putations lépreuses spontanées des extrémités des membres sont notoi-

res (1).

L'auteur de la peinture qui, par tant d'autres détails, a su prouver la

sincérité de son talent, n'a pu laisser échapper une faute aussi grossière

que celle d'oublier deux orteils sur un seul pied.

Cette singularité n'est pas une fantaisie, mais bien une preuve d'obser-

(1) On peut rapprocher de ce personnage le cul-de-jatte figuré par Fra ANGELICO sur

la fresque de la Chapelle Nicolas V au Vatican, représentant les Aumônes de S<-a« ? 'e<.

Mais ici, l'infirme est figuré de dos ; on ne voit ni son visage, ni les malformations

des membres inférieurs. Fra Angelico a peut-être employé cet artifice pour ne pas

avoir à figurer les horribles difformités d'un Lépreux qui devaient répugner à son pin-

ceau délicat.

Fig. 1.

Lépreux cul-de-jatte,^ sur une fresque de la

Chapelle des Espagnols, dans le cloître de

Santa Maria Novella, à Florence. (Ecole de

Giotto, 1re moitié du XIV siècle.)

LA LÈPRE DANS L'ART 429

vation faite sur la nature. Et, tout fruste qu'il est,le dessin n'en exprime

pas moins une réalité pathologique.

En définitive, la coexistence d'un ulcère rongeant de la face avec une

semblable mutilation des orteils vient confirmer notre idée que, par ce

cul de jatte, l'artiste a voulu représenter un Lépreux. A ces difformités de

la face et du pied s'ajoutait encore une impotence complète des membres

inférieurs que la Lèpre avait également pu provoquer (1).

Enfin, n'était-il pas tout indiqué de faire figurer dans ce troupeau d'in-

firmes et de malades, une des victimes d'un tléau redouté à l'égal de la

peste, un Lépreux, pauvre misérable, honni, redouté, méprisé, abandonné

de tous les hommes, et ne pouvant conserver d'espoir qu'en un miracle de

la divinité ?

ORCAGNA ou LORENZETTI

(XIVe siècle).

La fresque célèbre du Triomphe de la Mort, dans le Campo Santo de

Pise, est riche en détails naturalistes. Les horreurs de la maladie y sont

figurées avec une franchise cruelle, mais dont les détails impressionnants

restent presque toujours conformes à la réalité. Que cette peinture soit l'aeu-

vre des frères ORCAGN1 ou des Siennois LORENZETTI (4re moitié du XIVe siè-

cle), elle témoigne en plusieurs places, d'une bonne observation de la na-

ture, et à ce titre elle est fertile en documents pour le médecin.

Charcot et Paul Richer ont eu l'occasion d'en parler à diverses repri-

ses (2), sans toutefois faire observer que les Infirmes qui y sont figurés

sont des portraits frappants de Lépreux.

Ceux-ci forment un groupe important, presque au milieu de la compo-

sition, adressant à la Mort des supplications désespérées pour obtenir

d'elle le terme de leurs souffrances. On en compte huit, tous cruellement

frappés par les infirmités de la Lèpre (Fig. 2).

Au premier plan, l'un se traîne à genoux s'appuyant de la main sur

un petit chevalet de bois.

Un autre, derrière lui, est assis par terre, tenant une béquille. Charcot

et Paul Richer ont bien fait ressortir le réalisme de la déformation des

mains de cet infirme. Il est atteint de contractures dans le sens de la flexion

et les doigts sont recourbés en formes de griffe.

(1) Il n'est pas sans intérêt de remarquer que Zambaco a rencontré des Lépreux

que les progrès de la maladie avaient rendus culs de jatte.

(2) Loc. cit., p. 57 et 147.

430 ' HENRY MEME - -

Nous savons que de semblables déformations sont fréquentes chez les

Lépreux et plus d'une raison milite ici en faveur de ce diagnostic.

En effet parmi les autres infirmes de la fresque de Pise, il en est encore

deux, au second plan, qui nous semblent représenter, avec une vérité non

douteuse, des Lépreux.

Celui qu'on voit, debout, s'appuyant de la main gauche sur un bâton

la main droite amputée, le moignon entouré d'un linge, un bandeau sur

les yeux, sans doute pour cacher l'horreur de ses orbites béantes : c'est un

Lépreux.

Le second, dont le nez, les yeux, les lèvres ont presque disparu, dé-

vorés par le mal rongeur, et qui tend en avant les moignons nus de ses

deux avant-bras : plus sûrement encore celui-ci est un Lépreux.

L'un et l'autre sont victimes des ulcérations et des mutilations de la

Lèpre, le premier, plus récemment atteint, est encore obligé de recouvrir

ses chairs sanguinolentes par de grossiers pansements ; chez le second, le

mal est de date plus ancienne et des cicatrices bien closes sont venues mettre

un terme à la suppuration.

J'ai gardé très précis le souvenir d'une visite faite en 1895 à la lépro-

serie de Lisbonne et la vision de ces malheureux, affreusement défigurés,

dont l'un était sans yeux, l'autre sans nez, un troisième tout en bouche,

d'aucuns n'ayant pour visage que quatre trous rouges et béants, pauvres

Fig. 2.

Groupe de Lépreux dans la fresque du Triomphe de la Mort au Campo Santo de Pise

(XIVe siècle). Dessin de Paul Richer.

LA LÈPRE DANS L'ART 431

décharnés qui, dans leur prison, agitaient pitoyablement leurs membres

tronqués, perdant aujourd'hui une phalange, demain un doigt, quelques

mois plus tard la main tout entière, et qui, par les progrès d'un mal en-

core incurable, savaient leur corps fatalement voué à l'anéantissement,

lambeau par lambeau.

Ce spectacle macabre, je l'ai revu sur la fresque du Campo Santo de

Pise, retracé avec une telle franchise d'expression, une si nette précision

dans les moindres détails, qu'il eût été impossible de n'en pas être frappé.

Ce sont bien des Lépreux qui figurent dans ce cortège d'estropiés et

d'infirmes implorant en vain la délivrance de leur misérable reste de vie.

L'artiste a voulu symboliser les mystérieuses fantaisies de la Mort,

fauchant sans pitié le jeune, le beau, le riche, feignant par contre d'ou-

blier les décrépits, les contrefaits, les miséreux.

Dans cette allégorie funèbre une place devait être réservée aux Lépreux.

Ne sont-ils pas sur terre les images réelles, demi-mortes et demi-vi-

vantes, des corps humains dont la Mort parcimonieuse semble prendre

plaisir à jeter, un à un, les morceaux dans la tombe ?

N'est-ce pas aux Lépreux que les prêtres du Moyen Age adressaient ces

paroles troublantes : Sis 1nOl'tuus 1nundo, vivus iterum Deo...

École Toscane DU XIV° ou XV) siècle.

Il existe, dans la Galerie des Offices (1), une peinture d'un maître in-

connu du XIVe ou XV. siècle de l'Ecole Toscane, représentant un Saint

qui fait l'aumône à des estropiés. Cette oeuvre est plus curieuse que belle;

mais les estropiés qui y sont figurés témoignent d'une louable recherche

du réalisme pathologique (PI. XLVIII bis).

Ils sont au nombre de six :

L'un d'eux porte sur une jambe un bandage soigneusement fait dont

les « renversés » n'eussent pas été reniésautrefois par le chirurgien le plus

expert. En outre, ce malade présente une main contracturée dont les

doigts forment une griffe conforme il la réalité clinique de la Lèpre.

Derrière lui, un second malade, le front ceint d'une bande, s'appuie

de la main droite sur un bâton, tandis que le bras gauche pend, inerte,

sans main, terminé par un moignon : Lèpre nerveuse et mutilante.

A gauche, un autre s'avance, montrant son bras droit très atrophié,

avec une main dont les doigts sont fortement repliés en dedans, ou peut-

être mutilés.

. A droite, c'est bien encore un Lépreux qui s'appuie sur un bâton, un

pilon à la jambe gauche, le pied droit informe dans une chaussure trouée,

(1) Premier corridor. N° 33.

432 HENRY MEIGE

"la face hideuse, la lèvre inférieure, rouge, tuméfiée, pendante.' Sa main

droite est également contracturée.

Sans parler des autres infirmes qui sont moins caractéristiques, je ne

crois pas avoir rencontré de Lépreux plus réalistes que ce quatuor de

Lépreux. L'insistance du peintre à figurer les atrophies des extrémités et

les déformations en griffe qui en résultent est un fait dont on ne peut

s'empêcher d'être frappé.

Les artistes ont généralement choisi ce genre d'anomalies pour carac-

tériser la Lèpre, comme étant moins répugnant à voir que les ulcérations

sanglantes et purulentes. Ici, cependant, la déformation du visage du

dernier malade a dû être été également inspirée par la vue d'un Lépreux.

MASACCIO

Peintre Florentin (1401-1429).

Dans l'église Santa Maria del Carmine, à Florence, les murs de la Cha-

pelle Brancacci sont ornés de fresques du plus haut intérêt pour l'étude

des débuts de la Renaissance Florentine. Commencées en 1422 par Masoliko

DA PANICULE, elles furent continuées par son élève Masaccio, et achevées

vers la fin du 1V siècle par FILIPPiNo Lippi.

Les fresques de la Chapelle Brancacci « montrent une plénitude de

liberté, une élégance de caractère que l'art ne soupçonnait pas jusqu'alors ;

elles se caractérisent par une exécution robuste, un coloris qui, dans sa

gamme un peu brunie, est plein d'une vigueur sévère ; une ardente re-

cherche de la vérité y est partout visible, dans l'attitude des personnages,

dans l'expression qui est toujours juste, aussi bien que dans les détails du

paysage » (1). ,

Sur l'une de ces fresques nous croyons avoir reconnu un Lépreux (2).

Elle est de Masaccio et représente -Saint Pierre et Saint Jean guérissant

les malades avec leur ombre.

Dans une ruelle pauvre et encaissée, les deux Apôtres s'avancent, Saint

Pierre au premier plan, suivi de Saint Jean et d'un troisième personnage.

A gauche, quatre malades implorent leur guérison.

(1) G. Lafenêtre et Riciitenrerger, La Peinture en Europe, Florence, p. 254.

(2) Une seconde fresque de D1ASACCIO, dans la Chapelle Brancacci, représente S. Pierre

et S.Jean faisant des aumônes aux pauvres. Aux pieds des Apôtres est couché un

' homme qui semble inanimé ; derrière, au 2e plan, un vieillard chauve se soutient sur

des béquilles.

Une autre fresque de la Chapelle Brancacci, par Masolino DA PASCALE, représente

S. Pierre et S. Jena ressuscitant Tabile et guérissant un malade. Ce dernier, assis par

terre, de dos, lève son bras droit vers les Apôtres ; il a le front entouré d'un linge. Sa

jambe droite, nue et à demi allongée semble déformée par un oedème considérable,

envahissant aussi le pied. Il est malaisé de reconnaître la maladie que le peintre a

voulu représenter; peut-être la Lèpre... ? 2

LA LÈPRE DANS L ART 433

'Deux sont debout, au second plan : l'un, barbu, les mains jointes, les

jambes nues,- une bande enroulée au-dessus du pied gauche ; l'autre,pres-

que caché, s'appuyant sur un bâton.

Au premier plan, un homme en

vêtement bleu est à demi étendu par

terre, les jambes nues et ramassées sous

le corps, s'appuyant sur une sorte de

chevalet. Sa tête est entourée d'un

linge, son nez et ses lèvres semblent à

demi rongés par un mal qui nous paraît

bien être la Lèpre. L'oeil lui-même est

peut-être perdu. En tout cas, l'orbite

est d'une profondeur inusitée et le globe

oculaire notablement réduit. La main

droite déformée, atrophiée, est déjetée

en dehors, comme en contracture; les

doigts se recroquevillent en griffe, tan-

dis que l'avant-bras semble immobilisé

dans la demi-flexion (Fig. 3).

Des jambes il est assez difficile de

saisir les contours, la peinture étant

détériorée à cette place et fort mal

éclairée. On devine cependant à leur

position qu'elles sont inertes. Mais l'on distingue nettement l'atrophie

musculaire qui réduit l'une d'elles à l'état de squelette revêtu par une

peau d'un brun très foncé. Un pied raccorni paraît terminer ces membres

ratatinés. a

Un tel ensemble de difformités est bien souvent le fait de la Lèpre. Il con-

corde d'ailleurs avec l'aspect des figurations authentiques de Lépreux. Les

pertes de substance de la face, l'atrophie et la contracture des membres

supérieur et inférieur, la coloration foncée de ces derniers, la déformation

en griffe de la main constituent un syndrome morphologique que la Lèpre

seule peut réaliser aussi complètement.

Derrière ce misérable malade, on en voit un second, assis ou plutôt à

genoux, le haut du corps presque nu, les bras croisés sur la poitrine,

imberbe et complètement chauve, ou peu s'en faut. En dehors de sa cal-

vitie, il n'a rien de bien caractéristique. Tout au plus peut-on se demander

si sa bouche et ses yeux ne sont pas anormaux. Mais on ne saurait rien

en conclure.

Il n'en est pas de même du précédent. Pour' représenter cet infirme,

il ne, nous parait pas douteux que Masaccio se soit inspiré d'un Lé-

x 30

Fig. 3.

Lépreux sur une fresque de Masaccio

(XVO siècle), représentant Saint

Pierre et Saint Jean guérissant les

malades avec leur ombre. Chapelle

Brancacci, Eglise Santa Maria del

Carmine, à Florence.

434 HENRY MEIGE

preux. N'oublions pas d'ailleurs que sur un assez grand nombre du-

vres d'Art, les Apôtres Saint Pierre et Saint Paul sont figurés guérissant

des Lépreux xi).

PIETRO DEL DONZELLO OU PIERO DONZELLl

Florentin, longtemps à Naples (XVQ siècle).

Les deux frères Pietro et POLITO DoNZEL.I, nés à Florence, au commence-

ment du XV° siècle, passèrent la plus grande partie de leur vie à Naples

où ils ont laissé plusieurs oeuvres importantes.

On attribue à Piero un tableau conservé au musée de Naples, et repré-

sentant la Charité de Saint Martin. Suivant la tradition, le Saint est repré-

senté à cheval, partageant son manteau avec un mendiant, et ce dernier,

dit-on, ne serait autre que le diable. IIommè ou démon, le personnage en

question doit prendre place parmi les plus typiques figurations de Lépreux

que nous ayons eu l'occasion de contempler au cours de nos recherches

dans les musées d'Italie (Fig. 4).

Le torse, les bras et les jambes nus, un linge autour de la ceinture, il

présente il la main droite un bel exemple de griffe lépreuse avec mutila-

tion des doigts : Trois de ces doigts sont seuls visibles : l'auriculaire et

l'annulaire sont nettement recourbés en crochets, la première phalange en

extension, les deux dernières en flexion forcée. Le médius est amputé au

niveau de la 2e phalange. On ne voit ni l'index ni le pouce, soit qu'ils

aient subi la même mutilation, soit qu'ils aient été dissimulés par la posi-

tion du membre (2).

Dans tous les cas, la griffe est manifeste, et bien que l'avant-bras et le

poignet soient entourés de quelques tours débande, l'atrophie musculaire

est clairement indiquée, à l'extrémité du membre. Ici, la vérité patholo-

gique de la malformation n'est nullement ambiguë, et il n'est pas besoin

(1) G. Lafenêtre et Richtenberger décrivent cette peinture de Masaccio de la façon

suivante (La peinture en Europe, Florence, page 257).

« Les deux apôtres s'avancent dans une rue étroite ; devant eux, un enfant, en vê-

tement bleu, est couché à terre, et un jeune homme, à demi nu, est assis sur un

banc ; contre une muraille se tiennent deux fidèles, l'un en tunique bleue, nu-tête,

l'autre en tunique noire et chaperon rouge. »

Nous croyons, pour avoir longuement examiné la fresque l'an dernier, qu'il y a

lieu de modifier cette description : car l'enfant en vêlement bleu est un malade

adulte, atteint d'ulcérations, d'atrophies, de paralysies et de contractures vraisembla-

blement d'origine lépreuse. Le jeune homme à demi-nu semble plutôt un vieillard, ou

tout au moins un homme d'âge mûr, chauve prématurément. Les deux fidèles du second

plan sont évidemment eux aussi des malades, l'un atteint d'un ulcère, ou d'une plaie

de la jambe, l'autre de quelque infirmité l'obligeant à s'appuyer sur un bâton.

(2) On trouvera dans le bel ouvrage de Zambaco des planches où ces déformations

ont été reproduites avec soin d'après nature. La similitude n'est pas douteuse.

LA LÈPRE DANS L'ART

435

de pousser l'examen plus avant pour affirmer que Pietro del Donzello a

voulu figurer un Lépreux et qu'il s'est montré anssi bon observateur que

fidèle copiste de la nature.

Satan, s'il faut en croire la légende, Satan, qui se complaît à tous les

travestissements pour induire en erreur les âmes fragiles, s'est introduit

ici dans le corps d'un Lépreux, et n'a pas répugné à se parer des

stigmates authentiques de la Lèpre. Il comptait probablement inspirer à

Saint Martin tant de répulsion que celui-ci n'eût pas osé lui offrir son

aumône. Mais la charité de Siiiiiil;iitiii était iiiiiiiie.11 ne devait éprouver

que de la pitié en présence d'un malheureux, celui-ci fùt-il le plus hor-

rible des Lépreux.

Fig. 4.

Lépreux, avec déformation en griffe et mutilations de la main, sur un tableau

représentant la Charité de Saint Martin, par Pietro del Donzello (XV. siècle). "¡u-

sée de Naples. ,If'

436 HENRY MEIGE

COSIMO ROSSELLI.

Peintre Florentin (1438-150T)

Dans la pléiade des peintres justement réputés à qui le pape Sixte IV

confia la décoration des murs de la chapelle Sixtine, à côté de Botticelli.

Ghirlandajo, Signorelli, Perugino, figure Cosimo RossELLI, le gagnant du

prix promis par le souverain pontife à l'oeuvre dont il se déclarerait le

plus satisfait. Le jugement du pape Sixte IV n'a pas été confirmé par la

postérité et Cosimo Rosselli ne jouit pas aujourd'hui de la réputation de

ses rivaux. Cependant les quatre fresques qu'il exécuta en cette occasion

comptent au nombre de ses meilleures productions.

L'une d'elles représente le Sermon de Jésus-Christ sur la montagne.

Sans entrer dans la description de cette vaste composition, nous retien-

drons seulement le groupe de droite où Jésus, entouré d'une foule de

personnages, s'adresse à un malheureux, presque nu, à genoux devant

lui (Pl. LI, A).

« Le corps de ce pauvre diable est ponctué de larges taches rouges, circu-

laires, plus foncées au centre qu'à la périphérie. Il est permis de croire

que l'artiste a voulu représenter un Lépreux couvert des macules ou des

tubercules caractéristiques. Ici, pas d'atrophie musculaire, pas dégriffés,

pas de mutilations ; la maladie se traduit seulement, par ses manifestations

cutanées du début. Les lésions sont éparses sur le dos, les bras et les jam-

bes, trop régulièrement peut-être et trop semblables les unes aux autres.

Elles sont un peu schématisées.

Mais c'est bien probablement d'un Lépreux qu'il s'agit, car les Evan-

giles témoignent que Jésus a secouru des Lépreux, et même que sa seule

présence a guéri plus d'une fois ces malheureux incurables.

Dans les peintures de l'Ecole Italienne, nous avons encore relevé quel-

ques figurations qui peuvent avoir été inspirées par la vue de Lépreux.

Elles sont moins caractéristiques que les précédentes et ne méritent qu'une

simple mention.

Telle est la fresque d'ANDl1EA DEL SARTO représentant Saint Philippe

l3eniWi secourant un Lépreux, dans le cloître de l'Annunciata, et Flo-

rence (1).

Tel aussi un dessin à la plume rehaussé de lavis, par GmoLAMo

Muziano (Ire moitié du XVIe siècle), au musée des Offices. Il représente

Jésus et les Apôtres, à la porte du temple, guérissant les Infirmes. Un de

(t) Un dessin à la sanguine représentant le Lépreux nu se trouve au musée des

Offices (n°52).

LA LÈPRE DANS L'ART 437

ces derniers présente une déformation des mains en forme de griffe qui

n'est pas sans analogie avec celles que produit la Lèpre.

Une peinture de l'Ecole Ferraraise (2e moitié du 1VI° siècle), à l'Acadé-

mie des Beaux-Arts, de Vienne (N° 302) représente la Piscine de Bethesda.

On y voit une foule de malades et d'infirmes dont plusieurs présentent

des membres atrophiés et contracturés, les mains affectant la déformation

en griffe.

Peut-être s'agit-il encore de Lépreux dans les figurations d'estropiés

privés de pieds ou de jambes, dont les moignons sont entourés de linges et

qui se traînent péniblement à l'aide de béquilles,ou sur leur siège,comme

des culs-de-jatte. Les images de ce genre sont fort nombreuses dans les

peintures représentant les Bonnes OEuvres des Saints, ou dans les groupes

d'infirmes qui viennent en pèlerinage auprès des tombeaux réputés mi-

raculeux.

Une peinture de GmoLAMO DEL SANTO,à Padoue, représente les Funérail-

les de Saint- Antoine. Auprès de la civière où repose le corps du saint, un

infirme est assis, joignant les mains, une béquille à côté de lui. Sa jambe

gauche, demi-nue, est entourée, ainsi que le pied, d'un bandage soigneu-

sement fait, mais qui, malheureusemenl, dissimule la nature du mal,

ulcère ou plaie, qui n'est pas nécessairement d'origine lépreuse.

Il faut faire les mêmes réserves pour les infirmes figurés sur la fresque

de FRANCUSCO ci GIOIIGIO, au Palais Public de Sienne, et représentant la

guérison d'une possédée près du cadavre d'un Saint. Deux des infirmes se

traînent à genoux, ayant aux mains de petits chevalets. L'un d'eux est

aveugle et semble défiguré. Un troisième s'avance, soutenu sur deux bé-

quilles, la jambe gauche repliée et entourée de linges.

A Sienne, dans l'hôpital Santa Maria délia Scala, l'infirmerie dite des

Pèlerins, est décorée de belles fresques par D. ni BARTOLO représentant

les soins donnés aux malades et aux pauvres. Sur l'une de ces fresques

est figuré un homme presque entièrement nu, vu de dos, auquel un per-

sonnage charitable remet un vêtement. On distingue sur le torse des taches

colorées, indice d'une affection cutanée qui est peut-être la Lèpre.

Derrière ce malade, à droite, un homme presque chauve, mais pourvu

d'une large barbe, se traîne sur deux béquilles ; ses jambes sont entourées

de bandes, et ses chaussures fendues. '

Dans le coin inférieur droit de la même peinture, un vieillard infirme

est accroupi, sorte de cul-de-jatte fui rampe à l'aide de supports à

mains. La jambe droite, nu.e, est oedéuatiée et ulcérée; la gauche, entou-

438 HENRY MEIGE

rée d'une bande, fortement fléchie, semble complètement paralysée et très

atrophiée ; le pied gauche est traînant en extension forcée. Il est possible,

que ces figurations se rapportent encore ai des Lépreux.

Pour y reconnaître les signes de la Lèpre avec quelque vraisemblance,

il manque des éléments de diagnostic précis qui sont visibles au contraire

sur les oeuvres d'art dont nous avons parlé plus haut (1).

Ecole Allemande.

L'Art Allemand n'est pas moins riche que l'Art Italien en représenta-

tions de la Lèpre. C'est là que Charcot et Paul Richer ont eu l'occasion de

décrire quatre images de Lépreux dont le réalisme pathologique ne saurait

(1) Raphaël a traité de main de maître la Guérison des infirmes par saint Pierre et

saint Paul il la porte du Temple.

On sait que les cartons de celle composition, ainsi que ceux de la série qui lui font

suite, destinée aux tapisseries de la Chapelle Sixtine, se trouvent au South Kensington

Muséum, à Londres.

Charcot et Paul Richer ont longuement étudié ce document dans les Difformes et

Malades dans l'Art (pages 63 et seq.).lls ont reconnu dans les infirmes qui y sont figu-

rés, des rachitiques tels que Raphaël en a plusieurs fois représentés, avec leur facies

caractéristique, leurs articulations noueuses et leurs jambes incurvées.

« Il nous parait difficile, disent-ils, d'accuser plus discrètement, tout en rentrant dans

la vérité, les signes du rachitisme. »

« Mais, ajoutent-ils, là où nous devons faire quelques réserves, c'est sur les défor-

mations des pieds. Les orteils du membre droit sont étrangement tordus, et le pied

gauche a subi une sorte de torsion sur son axe qui nous semble devoir s'expliquer dif-

ficilement. Le pied droit nous montre sa face plantaire pondant que la jambe est vue

par sa face antérieure. C'est là une déformation dont le mécanisme nous échappe et

qui ne nous parait pas s'accorder avec l'état du reste du membre, dont la musculature

est alors trop accentuée. »

Tout en reconnaissant la valeur des arguments qui plaident en faveur du rachitisme,

on peut se demander si Raphaël, désireux de se conformer à la tradition qui plaçait

des Lépreux sur le passage des Apôtres, à la porte du Temple, n'a pas eu l'intention

de représenter ici un Lépreux. Cette hypothèse expliquerait la singulière déformation

du pied gauche que le rachitisme ne saurait produire à un si haut degré. Il s'agirait

d'une rétraction tendineuse telle que la Lèpre sait en créer aussi bien aux pieds qu'aux

mains, Quant au pied droit dont les orteils sont, ou tronqués, ou recourbés en griffes,

il offre encore davantage d'analogies avec les pieds déformés par les lésions de la

Lèpre nerveuse et mutilante. La main gauche sur laquelle s'appuie cet infirme pré-

sente ainsi que l'avant-bras un'e sorte de rétraction cutanée qui peut encore faire son-

ger à la Lèpre. Saint Pierre tient l'autre main et fait sur elle un geste de thaumaturge.

Ne faut-il pas en induire qu'elle est aussi atteinte ?

Ainsi, pour des raisons de tradition artistique et par l'examen des difformités, on

peut se demander si l'infirme en question n'est pas un Lépreux. Mais il faut aussi re-

marquer, avec Charcot et Paul Richer, qu'il existe une sorte de contradiction entre les

déformations considérables des pieds et la musculature puissante des jambes. Raphaël

en effet semble avoir souvent atténué, de parti pris, les difformités physiques. Ses

estropiés sont d'ordinaire vigoureusement musclés. On peut voir un bel exemple de

ces figurations paradoxales sur la fresque du Vatican, représentant la Donation de Rome

faite par Constantin. -

LA LÈPRE DANS L'ART 439

être méconnu. Pour celles-ci, nous n'aurons le plus souvent qu'à résumer

la critique soigneusement documentée qui a paru dans les Difformes et

Malades dans l'Art. Mais nous avons à ajouter d'autres documents inédits

recueillis au cours de nos recherches.

MAITRE ALLEMAND INCONNU

. Vieille Ecole de Cologne (1430-1550).

La vieille Ecole de Cologne contient un assez grand nombre d'oeuvres

d'art où les détails réalistes sont rendus avec une franchise et une sincé-

rité parfaites. Les figurations d'infirmes y sont fréquentes, et les caractères

pathologiques sont souvent exprimés avec une naïveté qui en accentue

l'exactitude.

Une peinture de cette époque, vraisemblablement exécutée sous l'in-

fluence de l'école des frères Van Eyck, représente Sainte Elisabeth de

Hongrie accomplissant les Sept OEuvres de la Miséricorde.

On sait que, sous cette désignation, on comprenait autrefois les mani-

festations essentielles de la charité chrétienne. Les sept oeuvres de miséri-

corde, consistaient à accomplir les sept devoirs suivants :

1° Nourrir ceux qui ont faim.

2° Donner à boire à ceux qui ont soif.

3° Vêtir ceux qui sont nus.

4° Visiter les prisonniers .

5° Loger les pèlerins.

6° Soigner les malades.

7° Ensevelir les morts.

La libéralité et le désintéressement d'Elisabeth, reine de Hongrie, ont

été justement célébrés dans l'Histoire et les peintres allemands ont re-

produit à satiété les épisodes charitables de la vie de cette souveraine,

qui, d'ailleurs, fut canonisée quatre ans à peine après sa mort.

Il n'est peut-être pas en effet de figure plus justement sympathique ni

mieux faite pour tenter le pinceau d'un peintre de sujets religieux que celle

de la bienfaisante reine de Hongrie, landgravine de Thuringe, telle que

nous l'a dépeinte la légende. Née pour vivre dans les plaisirs et les hon-

neurs d'une cour royale du XIIIe siècle, elle poussa la charité et l'amour

des pauvres, jusqu'à la plus humble et la plus généreuse abnégation.

« Elle donnait, dit son biographe le P. Ribadeneira, tous les jours à

diner à neuf cents pauvres, sans les autres qu'elle entretenait par tout le

pays, lesquels l'appelaient mère et bienfaitrice des nécessiteux

, (i) Cologne, musée Wallraf-Richartz. N° 213 du catalogue J. Niessen, 1888. H. 138.

L. 117. - Nous devons la photographie de ce tableau, que nous avons vu en 1895,

à, l'obligeance des. le Directeur du musée Wallraf-Richartz.

440 HENRY MEIGE

. « Une fois, elle embrassa la tête d'un malade si infect que personne

n'en pouvait approcher ; elle lui coupa les cheveux et lui lava la tête

comme si c'eût été son propre enfant. » .

Ce malade était un Teigneux et l'épisode en question a été ^immortalisé

par le chef-d'oeuvre de Murillo, que l'on voit au musée du Prado, à Ma-

drid.

Dépossédée de tous' ses biens, sur la fin de sa vie, la reine de Hongrie

prit l'habit du tiers ordre et devint supérieure d'un hôpital qu'elle avait

fondé à Marbourg.

Avant, comme après sa mort, on lui attribua nombre de guérisons mi-

raculeuses, car elle rendait, disait-on, « la vue aux aveugles, l'ouïe aux

sourds, la parole aux muets, l'usage des jambes aux boiteux, la santé aux

Lépreux, et aux infirmes de diverses maladies, et la vie aux morts ». z

1 Le tableau du'musée de Cologne dont nous allons parler, est un des

documents figurés, les plus détaillés qui aient été inspirés par cette donnée

populaire dans toute l'Allemagne (Pl. XLIX).

La scène principale, au premier plan, représente la Sainte distribuant

des aumônes aux infirmes. Elle se tient debout, la couronne royale sur la

tête, auréolée et encapuchonnée à là façon des femmes de son temps, dra-

pée dans un long manteau aux plis raides et cassés. Lamain gauche sur

son coeur, elle offre de la main droite un pain à un infirme qui rampe à

ses genoux. Ses suivantes l'entourent, jeunes, gracieuses et charitables,

portant d'autres pains et un broc rempli de boisson.

A gauche, un homme de belle allure se tient debout sur les marches

d'un escalier, tenant à la main un panier de provisions, et sur'l'épaule

des vêtements pour les pauvres. `

. A droite sont les infirmes implorant les aumônes de la reine. On en voit

trois occupant tout le premier plan, et un quatrième dont on ne distin-

gue.que la tête.

Ces trois misérables hères sont d'un réalisme pathologique impression-

nant.

'. Le premier se traîne à genoux, faute de pieds, car il n'a plus que des

tronçons de jambes. Des gouttières en bois munies de supports servent de

chaussures à ses moignons. Le haut de son corps est affreusement con-

trefait : le dos bossu, des bras trop courts, des mains trop longues, un

visage rabougri, creusé de rides et asymétriquement osseux. -

Est-ce un Lépreux ? On peut le croire, et cela pour deux raisons. D'a-

bord, la tradition picturale représente- fréquemment des Lépreux parmi

les infirmes auxquels Sainte Elisabeth de-Hongrie distribue ses aumônes.

LES AUMONES DE SAINTE ELISABETH DE HONGRIE

\'ic'¡¡o Ecole de Cologne (fin du XVe siècle).

Musée de Cologne ?

MASSON .\ Cle. J : dl : tlIlS

LA LÈPRE DANS L'ART 44l'

En second lieu, la double amputation des pieds, peut parfaitement

passer pour être la conséquence des lésions lépreuses portant sur les mem-

bres inférieurs.

Les mains et les doigts sont indemnes, il est vrai, et le visage n'offre ni

ulcérations ni pustules. Mais le peintre a peut-être hésité à reproduire

ces lésions répugnantes, et d'ailleurs, elles peuvent faire défaut. -

Le second infirme est en apparence moins sévèrement frappé par la

maladie, car il lui reste une jambe à peu près entière ; encore ce résidu

de membre n'est-il pas bien fameux.

Pauvre diable dont le haut du corps est à peine couvert de quelques

loques frangées par l'usage et lamentablement rapiécées, il n'a pas même

de quoi couvrir la nudité de ses membres malades ; peut-être n'y tient-il

guère, après tout, car l'exhibition de ses infirmités est sans doute son

meilleur gagne-pain. Son visage émacié et comme parcheminé est encadré

par de longs cheveux aux mèches collées etraides et par une barbe clair-

semée. En outre, il louche horriblement. Tant bien que mal, ce loque-

teux se tient debout à l'aide d'une grossière béquille passant sous l'aisselle

gauche et munie d'un support où s'adapte la main. De la main droite,

il retire, pour saluer la reine, son couvre-chef informe.

Dans la peinture des difformités des membres inférieurs, l'artiste s'est

certainement inspiré de réalités pathologiques observées par lui.

La jambe gauche, tronquée à son extrémité inférieure, le pied

manque complètement, est repliée en flexion. Des bandes de cuir y

maintiennent un pilon sur lequel repose le genou.

Du côté droit, la jambe et le pied existent encore, mais dans quel la-

mentable état ! Les muscles sont, atrophiés à l'extrême, et remplacés par

des cordes tendineuses saillant de part et d'autre sur ce membre des-

séché qui ne diffère plus guère du pilon de bois,son acolyte. La rétraction

du tendon d'Achille, conséquence obligée de l'atrophie musculaire des

muscles du mollet, a mis le pied en équinisme droit, sur le prolongement

de l'axe de la jambe : aussi le membre repose-t-il sur la pointe du pied.

Bien plus, un seul orteil, le gros, est visible sur la figure ; les autres

ont disparu.

. Cette fois, la Lèpre semble bien en cause; elle est coutumière de ces

amputations spontanées des orteils, et même du pied tout entier; elle

crée de semblables amyotrophies avec des rétractions fibreuses, origines

de semblables déformations.

Le troisième malade est une femme qui s'avance péniblement en s'ap-

puyant sur un bâton. C'est une pèlerine, comme en témoignent les images

pieuses fixées sur son bonnet.

442 HENRY MEIGE

Son mal, s'il n'est pas imputable à la Lèpre, est cependant digne d'in-

térêt.

Nous connaissons peu d'exemples en effet de figurations artistiques où

la vérité pathologique soit rendue avec plus de sincérité. Le diagnostic

s'impose, encore qu'il ne soit pas des plus aisés à faire sur le vivant. Il

s'agit, à n'en pas douter, d'un cas d'hémiplégie avec paralysie faciale.

Regardons la face :

Du côté gauche, l'oeil est large ouvert, le sillon naso-labial bien creusé,

la commissure des lèvres ferme et horizontale.

A droite, au contraire, l'oeil est complètement clos par le ptosis de la

paupière supérieure, toutes les rides ont disparu, et les lèvres flasques s'a-

baissent, l'inférieure en se renversant.

On ne peut guère exiger d'un peintre du XVe siècle un tableau plus

précis et plus complet du syndrome clinique de la paralysie faciale ?

. Ce n'est pas tout. L'attitude de cette femme semble indiquer qu'elle est

frappée d'hémiplégie ou plus exactement, d'hémiparésie d'un des côtés

du corps. De quel côté ? Etant donnée la paralysie faciale droite avec

chute de la paupière, on peut penser que l'hémiplégie siège à gauche.

C'est cependant la jambe droite qui paraît touchée, si l'on en juge par son

attitude raidie et le bâton que cette femme tient de la main gauche.

Le membre supérieur semble moins atteint, car la main droite esquisse

un geste de salut : cependant les mouvements en semblent limités, car le

bras reste collé au corps.

Hémiplégie droite, paralysie faciale du même côté, avec participation

du facial supérieur : c'est là un ensemble clinique assez rare. Mais l'ar-

tiste n'était pas tenu de connaître les règles de pathologie, et, sans insis-

ter davantage, il faut,au contraire, admirer les qualités d'observation dont

il a fait preuve dans cette intéressante peinture.

Les seconds plans du tableau sont occupés par un paysage représentant

une ville, avec monuments, remparts, citadelle et plusieurs rues, où

Sainte Elisabeth de Hongrie reparaît, accomplissant les sept oeuvres de la

miséricorde.

A gauche, par l'ouverture d'une porte, on aperçoit la reine agenouillée,

occupée à laver les pieds de quelques miséreux. Non loin de là, on la voit

encore, donnant un pain à une vieille mendiante. Au milieu, dans le

fond, elle recueil le un jeune enfant. Puis elle va consoler, dans leur ca-

chot, des prisonniers chargés de chaînes, dont l'un, plus durement traité,

a.les jambes serrées entre deux planches.

. A droite, la Sainte entre dans un hôpital et donne ses soins à trois

malades couchés, tout nus, côte à côte, dans le même Ht. .. .

LA LÈPRE DANS L'ART 443

Enfin, tout à fait dans le fond, sur le chemin de la citadelle, sainte Eli-

sabeth de Hongrie semble assaillie par un malfaiteur. Loin de se débattre

et d'appeler au secours, elle se met à prier pour le salut de l'âme de ce

misérable,donnant ainsi l'exemple de la plus noble des vertus chrétiennes,

le pardon des injures (1).

Sainte Elisabeth de Hongrie est encore représentée sur le volet d'un

tryptique du musée de Cologne (n° 116), donnant une aumône à un in-

firme dont on ne distingue que la moitié du corps : il se tient à genou,

soutenu par une courte béquille sous l'épaule droite, tendant une sébille

de la main gauche. Sa figure est très amaigrie ainsi que le haut de la poi-

trine où les côtes font saillie. La bouche semble déformée et l'oeil est à

demi-fermé. Si l'on se rapporte à la tradition, on peut voir dans ce per-

sonnage une figuration de Lépreux, d'ailleurs peu caractéristique (2).

LE Maître DE la Glorification DE la Vierge `

Vieille Ecole de Cologne (fin du XVe, commencement du XVie siècle).

Au musée WallrafRichartz, de Cologne, se trouve une autre peinture

de la vieille Ecole Colonaise, provenant d'un tabernacle de l'ancienne

église de Sainte Barbara, aujourd'hui détruite. Elle représente la Glorifica-

tion delà Vierge (3).

Au milieu, la Vierge sur un trône, tenant l'enfant Jésus sur ses genoux,

entourée d'anges. En haut, de part et d'autre, Dieu le Père et le Saint-Es-

prit, sous forme d'une colombe, également entourés d'anges. En bas, à

gauche, un groupe de Saintes : Sainte Catherine, Sainte Brigitte, Sainte

Barbara, Sainte Ursule, etc.

En bas, l'Agneau mystique, le flanc percé. A droite, un groupe de

saints : Saint Jean l'Évangéliste, Saint Pierre, Saint Georges, etc. L'un

d'eux, Saint Médard, la mitre en tête et la crosse à la main, donne deux

(1) Au milieu du tableau, sur une banderolle, on lit en caractères gothiques, cette

inscription : S. Elizabeth. mat. paupii. Sainte Elisabeth mère des pauvres.

(2) Il existe encore au Musée de Cologne un panneau non signé, n" 314 du Catalogue

J. Niessen, représentant un Saint Evêque (S. Johannes Eleemonsynarius faisant la

charité à un infirme. (On ne voit qu'une partie du corps de ce dernier.) Le malheureux,

à demi-vêtu, tend une sébille vers l'Evêque. Il est assis, les jambes bizarrement repliées

et entre-croisées, dans une attitude difficile à expliquer. On ne peut que se demander'

si la Lèpre est la cause de ces déformations. - Au musée de Berlin, un tableau de

l'Ecole de Cologne du XVe siècle représente Sainte Elisabeth de Hongrie couvrant un

pauvre de son manteau. Ce pauvre est peut-être un lépreux.

(3) N" 182 du catal. J. Niessen, 1888. B. II. 160. L. 197. '1

444 HENRY MEIGE

pièces de monnaie à un pauvre infirme qui occupe le coin inférieur droit

du tableau (PI. LI. C).

Cet infirme peut prendre place parmi les figurations de Lépreux dont les

membres ont été mutilés par la maladie.

Il est vu de dos et se tient sur les genoux ; ses deux pieds ont disparu,

et les moignons de ses jambes entourées de linges sont maintenus par des

courroies dans deux sortes de gouttières en bois munies de courts sup-

ports. ' ..

Misérablement vêtu, il se soutient à l'aide d'une béquille portant sous

l'aisselle et pourvue d'une poignée où s'adapte la main gauche. La main

droite tend une sébille.

- La tête est tournée de profil dans une attitude un peu forcée. Sur le

front, on distingue des traces d'ulcérations ou de pustules; l'oeil, le nez

et les lèvres semblent avoir subi quelques malformations.

Ce qu'il faut surtout retenir de cet infirme, c'est la double amputation

de ses pieds. Elle pourrait être à la vérité la conséquence d'un traumatisme;

mais elle offre aussi des analogies certaines avec les mutilations sponta-

nées de la lèpre visible d'ailleurs par ses manifestations cutanées sur la

face.

U - - - CONRAD Witz.

' ' . -(Ecole d'Alsace. - Fin du XVe siècle).

Dans une église, près de Sierrentz, a été trouvé un tableau, actuelle-

ment au musée de Bâle, et représentant Saint Martin partageant son

manteau avec un mendiant estropié (1).

.' Selon M. Burckhardt, l'érudit Directeur du musée de Bâte, avec qui

nous avons eu l'occasion d'examiner cette peinture, celle-ci doit être

attribuée à Corlsan Wrrz (fin du xye siècle).

Cette oeuvre d'art est parfaitement bien conservée, d'un coloris frais

et soigné (Pl. L). ' ' .

Devant la porte d'une ville dont les murailles crénelées et les hautes

tourelles se profilent sur un ciel clair, Saint Martin passe, monté sur un

cheval blanc, accompagné d'un personnage vêtu de noir, il cheval égale-

ment.

Le Saint, jeune encore, avec de longs cheveux bouclés, coiffé d'un

large bonnet de fourrures, et auréolé, porte un ample manteau écarlate à

reflets clairs retenu au col par une riche agrafe, une tunique bleue et des

souliers rouges garnis d'énormes éperons.

. De la main droite il tient son épée nue et s'apprête il couper un large

(1) No 86, B. Il, 112. L..42..

LA CHARITE DE SAINT MARTIN

Tableau attribué à Conrad "'Ill (fin du XV" siècle)

Musée de Baie.

MASSON nu CiC, Ed1 ! CUrC;

[LA LÈPRE DANS L'ART 445

morceau de son manteau pour le donner à un infirme qui l'implore au

bord de la route.

Ce dernier est presque nu, sauf un linge étroit ceint autour de ses

reins.

C'est un Lépreux.

Et de la Lèpre il a presque tous les stigmates. Sa face hideuse est cou-

verte de pustules suintantes et de tubercules saillants ; son nez est à demi

dévoré par le mal, et ses lèvres rongées ne parviennent plus à cacher ses

dents. Presque plus de cheveux sur son front envahi par les ulcérations

lépreuses.

Tout le corps est couvert des mêmes ulcères, les uns plus petits, rouges

et saillants, les autres, plus étendus, blanchâtres au centre et purulents,

avec une auréole inflammatoire ^pourprée. Et l'on en voit partout, sur la

poitrine, sur le dos, sur les bras et sur les jambes

Ce pitoyable Lépreux ne peut plus se servir de ses jambes.

Celles-ci, emmaillottées de chiffons, sont maintenues par des courroies

dans une sorte de jambière munie de supports, sur lesquels l'infortuné se

traîne en rampant. ' .

Le pied gauche, tuméfié, informe, a cependant gardé sa position nor-

male ; mais le droit, à la suite de je ne sais quelle dislocation, estvenu se

placer à rebours, la pointe en l'air. «

Est-ce là une erreur imputable à l'inattention de l'artiste ? Elle nous

semble trop grossière pour avoir pu lui échapper. Et, à tout prendre, cette

monstrueuse déformation n'est pas irréalisable : la lèpre sait encore muti-

ler plus cruellement.

Sur ce pied disloqué les orteils sont manifestement recroquevillés sur la

plante, rétraction dont la Lèpre est coutumière.. »

Plus, intéressante encore au point de vue pathologique est la main

que le mendiant élève vers le Saint, dans un geste suppliant.

On y voit, très exactement rendu; un des effets de ces rétractions ten-

dineuses consécutives aux amyotrophies lépreuses. La forme du cinquième

doigt recourbé en crocheta été évidemment inspirée par la vue d'une des

griffes atrophiques que la Lèpre réalise fréquemment (1).

Tubercules, pustules, ulcérations, oedèmes, amyotrophies, rétractions

tendineuses, mutilations et dislocations : c'est plus qu'il n'en faut pour

formuler le diagnostic de l'infirme que Conrad Witz a figuré dans son

tableau. C'est un Lépreux.

Et c'est même un des exemples les plus caractéristiques que nous ayons

rencontrés sur les monuments de l'Art.

(1) Une grille lépreuse au début, intéressant seulement l'auriculaire, est figurée dans

l'ouvrage de Zambaco. L'identité des deux déformations est frappante. 1

446 HENRY meige

HANS HOLBEIN LE VIEUX

(Augsburg 1460-1524)

Un fragment de l'étable peint par HANS Holbein LE Vieux, el conservé à

l'Ancienne Pinacothèque de Munich, représente Sainte Elisabeth de Hon-

grie secourant les Lépreux (1). C'est le volet droit d'un tryptique dont le

panneau central est consacré au Martyr de Saint Sébastien et le volet de

gauche Sainte Barbara. -

Virchow a fait une étude consciencieuse des particularités pathologi-

ques des malades qui entourent Sainte Elisabeth de Hongrie. Mais sa des-

cription-de la peinture est un peu inexacte.

« En outre d'un homme barbu, dit-il, dont le visage, et principale-

ment le front et tenez, sont couverts de pustules particulièrement grosses,

rondes et rouges, on voit une personne âgée, probablement du sexe fémi-

nin, portant une écuelle : le visage n'a rien, le bras gauche est couvert

de taches d'un brun rouge, la jambe est entourée de bandes à travers les-

quelles suinte le pus ; le genou découvert porte des taches brun rouge lé-

gèrement creusées ; sur la tête un lambeau d'éloffe blanche ou un emplâ-

tre. Enfin une jeune personne d'assez bonne mine, tenant un pain brisé

dans les mains, a le cou et le visage, principalement le front et le voisi-

nage des sourcils qui sont rares, couverts de grosses et de petites taches

d'un brun rougeâtre. Une jambe qu'on ne sait pas au juste à qui rappor-

ter, présente de même. au genou et au-dessous de grandes taches d'un gris

sale au milieu (2). » .

Nous avons eu l'occasion de voir de près, récemment, cette oeuvre d'art

de premier ordre (Fig. 5).

La Sainte, est représentée debout, belle et calme,*abaissant ses regards

sur les malheureux qui rampent à ses pieds, richement velue, la cou-

ronne royale sur la tête, tenant de la main gauche un pain dissimulé dans

les plis de son manteau, et de l'autre main versant le contenu d'une ai-

guière dans une écuelle que lui tend un malheureux.

Celui-ci que Virchow croit à tort être du sexe féminin, est bien un

homme d'un âge mûr, dont la tête est en effet recouverte d'un linge ou

d'un emplâtre.

Derrière lui, on distingue la figure d'un homme barbu à la chevelure

hirsute, le front garni de pustules. On a cru y reconnaître le portrait

d'Holbein le Vieux.

A gauche du panneau, la « jeune personne d'assez bonne mine » dont

parle Virchow, et qui tient un pain brisé dans la main, est certainement

(1) N° 211. B. IL, 1, L. 0,45. ,

(2) Cité par CHARCOT et PAUL RICHER, L. C., p. 59. ,

LA LEPRE DANS L ART 41,7

Fig. 5.

Lépreux sur le volet d'un Iryptiquc de Hans HOLBEIN le vikux, représentant Sainte

Elisabeth de Hongrie secourant les malades. - Pinacothèque de Munich.

448 HENRY NEIGE

un enfant, ou mieux un adolescent, dont les mains, le cou et le visage sont t

couverts de taches rouge brun. Il est assis par terre et c'est sa propre

jambe, que l'on voit au premier plan, le genou mis à nu et ulcéré.

En ce qui concerne les lésions figurées, nous avons pu nous convain-

cre qu'elles étaient de trois sortes : les unes, sortes de macules planes

d'un rouge jambonné ou bistre; les autres plus ou moins saillantes, vérita-

bles tubercules d'un rouge plus vif; les dernières, revêtant l'apparence

d'ulcérations à fond grisâtre, à bords rouges et saillants, entourées d'une

aréole brun rougeâtre plus ou moins large.

Pour l'interprétation de ces lésions, la critique de Virchow conserve

toute sa valeur. 1

« Ce sont, dit-il, des pustules et îles taches qui sont représentées ici ;

les dernières s'accompagnaient, comme cela arrive souvent, de pigmenta-

tion et d'atrophie ; les pustules se trouvent surtout sur la face, les taches

occupent de même la face et principalement les sourcils en partie tombés,

mais prédominent surtout sur les membres tant supérieurs qu'inférieurs.

C'est en somme ce qu'on trouve en si grande quantité aujourd'hui encore

dans les hôpitaux de la Norvège.....

« Par conséquent, nous pouvons admettre sans crainte que nous avons

ici devant nous une image réelle, coloriée, de la lèpre telle qu'elle existait,

en Allemagne, vers la fin du XIIIe siècle et peut-être à Augsbourg.....

« Pour moi qui ai vu la lèpre norvégienne chez plusieurs centaines de

malades, l'identité de la maladie ne m'a laissé aucun doute. »

Virchow a aussi discuté le diagnostic des lésions syphilitiques. Il le

rejette judicieusement en faisant remarquer que la syphilis était de date

trop récente et qu'elle était trop sévèrement jugée pour qu'un peintre

comme Holbein, ait consenti à peindre une sainte du XIIIe siècle au mi-

lieu de syphilitiques.

Ce sont bien des Lépreux que réconforte la courageuse et charitable

reine de Hongrie. Et, en voyant cette peinture où tant de grâce s'allie à

tant de réalisme, on apprécie vivement cette parole de Charcot et Paul

Richer : . .

« Nous ne savons ce qu'il faut admirer le plus dans l'oeuvre d'Holbein,

ou de la perfection avec laquelle les lépreux sont représentés, ou de l'art

avec lequel ils sont relégués dans les angles du tableau, pour laisser la

Sainte elle-même attirer, retenir l'oeil du spectateur et provoquer son

admiration. »

' ALBERT DURER

(1471-1528)

Une eau-forte d'ALBERT Durer, datée de 1513, représente les Apôtres

la LÈPRE dans L'ART 449

Saint Pierre et Saint Jean guérissant les malades à la porte du Temple.

Un seul malade y est figuré et c'est un des plus beaux spécimens des Lé-

preux que l'Art nous a conservés (Fig. 6).

Son étude scientifique a été pour Charcot et P. Richer l'occasion d'une

description détaillée des stigmates de la lèpre qui peuvent être reconnus

sur les oeuvres d'art.

« C'est bel et bien un lépreux, atteint d'une forme mixte de la maladie.

Sur la face, principalement aux lèvres, on reconnaît les nodosités de la

lèpre tuberculeuse, pendant que tout le corps porte les stigmates de la

lèpre atrophique.

x 31

Fig. G. ,

Lépreux sur une eau-forte d'ALBE ! u' Duher (1513) représentant Saint Pierre et Saint

Jean guérissant les malades à la porte du Temple. (Extrait des Difformes et Ma-

1(ides dans l'Al't).

450 HENRY MEIGE

« Ce malheureux est assis à terre, les jambes ramenées sous lui et enve-

loppées de bandelettes qui ne sauraient masquer leur état d'extrême

maigreur ni la déformation du pied gauche qu'on voit dans l'ombre déjeté

en dehors; mais c'est sur les membres supérieurs, qui se montrent presque

complètement découverts, que nous pouvons diriger avec plus de fruit

notre investigation.

« Ils sont émaciés au suprême degré; de plus, les mains sont contrefaites,

La gauche surtout affecte une attitude sur laquelle nous reviendrons.

« Mais cette maigreur-là n'est point banale. Elle retient la curiosité du

médecin, qui y découvre de la façon la plus évidente les marques de l'a-

trophie musculaire. On sait que l'atrophie musculaire chez certains lépreux

est exactement semblable, tout au moins au point de vue de l'apparence

extérieure dont il est seulement question ici, à celle qui constitue lesigne

presque exclusif d'une autre affection, d'origine exclusivement nerveuse

celle-là, et décrite par un éminent clinicien de notre époque, Duchenne

(de Boulogne), sous le nom d'atrophie musculaire progressive.

« Il a défini et classé cette étrange maladie, dans laquelle les muscles

s'atrophient progressivement, un à un, débutant d'ordinaire parles mem-

bres supérieurs. L'impuissance motrice s'accroît avec le degré de l'atro-

phie qui, suivant sa localisation, laisse persister certains mouvements,

imprime aux divers segments du membre une attitude en rapport avec

les muscles disparus, jusqu'à ce que la maladie, parvenue à son dernier

degré, ait rendu tout déplacement du membre impossible.

« L'infirme d'Albert Durer a le membre supérieur droit profondément

atteint. Il est inerte et la fibre musculaire est bien près d'avoir complète-

ment disparu, si ce n'est déjà fait. Mais, à gauche, la lésion est moins avan-

cée. L'attitude de la main nous révèle l'invasion inégale de l'atrophie qui a

porté surtout sur les muscles interosseux et les extenseurs de l'avant-bras.

On remarquera en effet que les doigts sont étendus dans leurs articu-

lations métacarpo-phalangiennes et fléchies dans leurs autres articula-

tions.

« Cette attitude est absolument caractéristique. Duchenne l'a décrite avec

soin, et a démontré qu'elle est la conséquence de l'atrophie des peti ts mus-

cles logés dans les espaces intermétacarpiens. C'est la griffe atrophique des

interosseux.

« Enfin, si le poignet est inerte, le mouvement de flexion de l'avant-bras

sur le bras persiste encore à un certain degré ; or, nous savons aujourd'hui

qu'un des muscles qui président à ce mouvement, le long supinateur, est

justement un des derniers atteints par la maladie. Depuis la déformation de

la main jusqu'au mouvement limité que le patient exécute avec ce mem-

LA LÈPRE DANS L'ART 451

bre, le seul peut-être qui subsiste encore, tout est parfaitement conforme

aux données scientifiques les plus exactes.

« N'est-il pas intéressant de montrer l'Art devançant la Science, et Al-

bert Durer, en copiant un lépreux, donner non seulement une image exacte

de la lèpre,mais formuler d'une façon absolument précise, en l'année 1513,

les caractères morphologiques d'une altération musculaire qu'un savantne

devait régulièrement décrire que trois siècles plus tard ? ... ? )) »

Maître inconnu

(Ecole allemande, fin du XV° siècle).

Nous empruntons encore aux Difformes et Malades dans l'Art la descrip-

tion de ce document.

Un tableau de l'église paroissiale de Calcar est consacré à la glorifica-

tion de quatre saints peints avec leurs différents attributs : Saint Martin,

Saint Vincent, Saint Paul et Saint Antoine. Saint Martin, contrairement

à l'habitude, ne partage point son manteau, il fait l'aumône à un malheu-

reux, et c'est ce dernier personnage qui nous intéresse tout particulière-

ment.

« Il est à genoux, tournant le dos au spectateur, et montrant ses deux

jambes mutilées. Sur le bras gauche levé pour tendre la sébille, on voit

ainsi que sur le crâne dénudé et la face tournée de profil, les lâches et les

pustules caractéristiques de la lèpre si bien représentée déjà par Hans

Holbein dans le tableau que nous venons d'étudier. Nous insisterons en

outre ici sur la mutilation que nous n'avons point rencontrée dans les

autres documents artistiques relatifs à la lèpre, et qui compte au nombre

des manifestations de certaines formes de cette terrible maladie. »

On peut se rendre compte, d'après ce que nous avons dit précédem-

ment, que les exemples de Lèpre mutilante sont beaucoup plus nombreux

dans les figurations artistiques que ne pouvaient le soupçonner les auteurs

de la première étude parue sur les Lépreux dans l'Art.

HANS BURGKMAIER

(Augsburg 1413-1531). ).

Deux gravures de IIANS BURGKMAIER, élève de Schôngauer, et contempo-

rain de A. Durer, dont il semble s'être inspiré sur le tard, ont été ajoutées

par.Charcot et Paul Richer à leurs premières figurations de Lépreux (1).

(1) Charcot et PAUL RICHER. Deux dessins de Lépreux par Hans Burgkmaier. Nouv.

Iconographie de la Salpêtrière, 1891, p. 327. Ces gravures, empruntées il l'ouvrage de

GEORGES HIRTII, t. 1. Les grands illustrateurs (1500-1800), ont été reproduites en pho-

totypie dans ce recueil, 1891, p. 327.

452 ûGNRY MEIGE

« La première gravure représente Saint Edouard le Confesseur, roi d'An-

gleterre. Le Saint, revêtu des insignes de la royauté, la tête ceinte du dia-

dème, les épaules drapées du long manteau, tenant de la main droite le

sceptre, emblème de la toute-puissance, étend la main gauche pour se-

courir la suprême faiblesse sous les traits d'un malade, d'un infirme. Et

ce malade privé de l'usage de ses membres inférieurs, assis dans une

petite voiture, n'est autre qu'un de ces malheureux qu'une horrible mala-

die, la lèpre, mettait au ban de la société. Comme le lépreux d'Albert

Durer, le mal est reconnaissable à deux signes caractéristiques. On cons-

tate, en effet, sur le cou, la figure, la main et une partie du dos qu'une

déchirure du vêtement laisse à découvert les plaies ulcéreuses et les tuber-

Fig. 7.

Saint Edouard le Confesseur, roi d'Angleterre, guérissant un Lépreux, d'après une

gravure de Hans BURGKMAIER.

LA LÈPRE DANS L'AltT 453

cules. En second lieu, les signes de l'atrophie musculaire sont indiscuta-

bles. Si l'on doit deviner celles des jambes que le dessinateur ne montre

pas, mais qui ont certainement perdu toute action, ainsi que le prouve la

petite voiture qui sert au malheureux pour se déplacer, l'atrophie du

membre supérieur gauche est clairement exprimée par la position de la

main représentée tombante et par la déformation des doigts figurés dans

l'attitude très caractéristique bien connue depuis Duchenne de Boulogne

sous le nom de griffe atrophique des interosseux. Ce malade n'est point

un enfant, ainsi que le pourrait faire supposer à tort l'exiguïté do sa

taille proportionnellement à. celle du Saint Roi. Ce défaut de proportion

contraire aux règles les plus élémentaires de la perspective, est une vieille

tradition léguée par l'antiquité à l'iconographie chrétienne. Elle a pour

Fig. 8.

Sainte Adélaide, reine d'Italie, puis impératrice d'Allemagne, priant pour les Lépreux,

d'après une gravure de HANS BuMMiAOEn (1473-1531).

454 HENRY MEIGE

but évident de donner aux Héros ou aux Saints une importance plus consi-

dérable, en les distinguant par des proportions quasi-surnaturelles de

ceux qui les entourent (Fig. 7).

« Dans la seconde gravure dont nous voulons parler, on constate que la

même disproportion existe. La sainte est beaucoup plus grande que le

groupe des personnages situé à droite et en somme assez rapproché d'elle.

Cette gravure représente Adélaïde, reine d'Italie, puis impératrice d'Al-

lemagne. La bienheureuse est plongée dans une sorte d'extase en face

de l'image du Crucifié pendant qu'une servante distribue des pains aux

malheureux. Parmi ces derniers une femme assise à terre est atteinte de la

lèpre, dont elle porte plus manifestement les stigmates sur le membre

supérieur gauche : atrophie, griffe des interosseux et tubercules ou ulcé-

rations (Fig. 8). 4

« Rapprochés du lépreux d'Albert Durer, ces deux lépreux de son ami et

disciple, lui sont inférieurs. Ils sont en quelque sorte « moins nature »

et paraissent faits d'après une tradition, ou, pour mieux dire, en suivant

des règles plus ou moins conventionnelles déduites de l'oeuvre même du

maitre. Il est assez naturel d'ailleurs que, vu la place secondaire qu'ils

tiennent dans la composition, ils soient d'un dessin plus sommaire. Ils

n'en sont pas moins intéressants pour nous, car ils mettent bien en

lumière et cela d'une façon presque schématique deux grands signes de la

lèpre pris sur le vif et si bien représentés au naturel par Albert Durer :

d'une part les tubercules ou les ulcérations, et de l'autre l'atrophie mus-

culaire. »

Nous rapprocherons de ces deux gravures, un infirme figuré sur un

tableau de Hans BURGKMAIER, que nous avons vu cette année au musée

d'Augsbourg, La Basilique de Saint Jean de à à Rome (1).

L'infirme en question, qui, d'ailleurs, n'occupe qu'une place minime

dans la composition, est accroupi, à gauche, les membres inférieurs très

amaigris, comme desséchés, offrant un assez bon exemple de ces paralysies

avec contracture et atrophie musculaire que la Lèpre sait réaliser.

MATTHIAS GuUNEWALD

. (commencement du XVI, siècle).

MATTHIAS GRUNENALI), dont la vie est encore mal connue, a laissé des

oeuvres en nombre important, de valeur inégale, mais qui retiennent tou-

(1) N° 20, Panneau central d'un tryptique.

LA LÈPRE DANS L'ART 455

jours l'attention par leur cachet d'originalité, leur facture troublante, et

leur réalisme souvent excessif. Son Saint Erasme, à l'ancienne Pinacothè-

que de Munich, enroulant paisiblement ses entrailles autour d'une sorte

de manivelle, peut donner une bonne idée de ce naturalisme que rien

n'effraie.

Un tel peintre ne pouvait manquer de laisser dans ses oeuvres des docu-

ments intéressants pour les médecins.

En effet, Charcot et Paul Richer ont signalé un fort curieux tableau où

Mathias Grûnewald a pu donner libre cours à son goût pour les exhibi-

tions pathologiques.

Il s'agit d'une peinture conservée au musée de Colmar; et représentant

Saint Antoine tourmenté par les démons (1).

Le Dr Keller qui en avait eu connaissance par le professeur Küs, de

Strasbourg, a émis à son sujet une opinion qui nous semble tout au

moins discutable.

Selon lui, un personnage figuré dans l'angle inférieur gauche du ta-

bleau, et dévoré par un mal horrible, ne serait autre qu'un syphilitique

(Fig. 9).

A l'appui de cette hypothèse, M. Keller a fait valoir les arguments sui-

vants :

« Il n'est pas difficile en effet de reconnaître un syphilitique dans ce

malheureux... L'horrible mal est gravé sur tout son corps d'une façon in-

déniable.

« Il se tord dans des convulsions indiquant d'affreuses douleurs ; la face

est rongée par des ulcérations qui ont détruit une partie du nez et de

l'oreille, les os des membres sont déformés, la main gauche est réduite à

un moignon boursouflé au bout duquel apparaît une phalangette mise à

nu, la main droite n'a que les trois doigts du milieu. Enfin le front, l'ab-

domen, le bras et la jambe du côté gauche sont couverts d'une éruption

caractéristique. Qui pourrait se tromper à l'aspect de ces lésions et quelle

autre maladie pourrait les produire, si ce n'est la syphilis ?

« Il est permis de croire aussi que le peintre a copié son sujet sur la na-

ture même, car les lésions paraissent figurées avec une grande vérité. Il y

a peut-être quelque exagération dans la matière dont est représenté le

bras gauche, qui est réduit à un état vraiment rudimentaire. Mais, dans

la main qui fait suite à ce bras, ne voyons-nous pas des lésions osseuses

absolument acceptables ? Quant aux manifestations cutanées, elles nous

semhlent peintes avec plus de fidélité encore, elles ne diffèrent pas de

celles que l'on peut voir de nos jours dans les formes un peu sévères de la

(1) Voy. Difformes et Mal. dans l'Art, p. 79 et seq.

456 HENRY MEIGE

maladie. Dans l'éruption qui couvre la jambe et le bras du côté droit, ne

trouvons-nous pas les signes de la syphilis, des pustules cutanées avec leurs

croûtes d'une teinte gris verdâtre el leur auréole rouge vineux ? Sur le

/ Fig. 9.

Lépreux sur un tableau représentant Saint Antoine tourmenté par les démons, par

Mathias GNUNEVATD (XVIe siècle). Musée de Colmar. (Extrait des Difformes et Ma-

lades dans l'Art.

LA LÈPRE DANS L'ART 457

ventre, ces grosses pustules ne représentent-elles pas des syphilides tuber-

culeuses avec leur forme conique et leur teinte violacée ? .....

« On comprend en les voyant le nom de grosse vérole que l'on avait

donné à la maladie.

« Enfin tous les caractères de la syphilis ne se retrouvent-ils pas dans

les ulcérations de la face, dans les exostoses qui se voient sur le cubitus et

dans la manière dont le peintre a représenté les cheveux ? »

Nous ne connaissons pas la peinture originale qui se trouve au musée

de Colmar, mais nous en avons vu une copie que possédait M. le Profes-

seur Charcot, et malgré l'argumentation très étudiée du Dr Keller, il

nous semble difficile d'accepter, sans réserves, le diagnostic de syphilis.

D'abord, en ce qui concerne les ulcérations dont le corps entier de ce

malade est couvert, il n'est pas douteux qu'on peut, non sans vraisem-

blance, incriminer la syphilis; elle est capable desemblablesméfai1s.14lais

on peut en dire autant de la Lèpre ; car, ainsi que l'ont fait justement ob-

server Charcot et Paul Richer, les lésions cutanées figurées par les pein-

tres sont rarement caractéristiques.

On éprouve souvent les plus grandes difficultés à faire sur le vivant le

diagnostic causal d'une ulcération, d'une pustule, etc. ; rt fortiori, faut-il

se montrer réservé dans un diagnostic fait ex pictura, sur une image qui

ne vise pas à l'exactitude pathologique,exécutée par un artiste peu exercé

aux difficultés de l'observation clinique, surtout lorsqu'il s'agit d'une

oeuvre de date ancienne. ' i',

Le Dr Keller demandait quelle autre maladie pourrait produire ces lé-

sions, sinon la syphilis ? -Mais, sans multiplier les exemples, il nous sein ! %

ble que la Lèpre pourrait être incriminée avec non moins de vraisemblance.-

Ces ulcérations « avec leurs croûtes d'une teinte gris-verdàtre, et leur au-

réole rouge vineux », ces grosses pustules tuberculeuses « avec leur forme

conique et leur teinte violacée » se retrouvent intégralement parmi les

manifestations cutanées de la Lèpre. Ne décrit -on pas des pustules et des

ulcérations lépreuses, et le tubercule lépreux n'est-il pas encore plus signi-

ficatif que la syphilide tuberculeuse ?

Ces remarques faites, il est juste de reconnaître que les deux diagnos-

tics peuvent être également bien défendus, lorsqu'on ne considère que les

lésions cutanées figurées sur ce tableau.

Il n'en va plus ainsi en ce qui concerne l'interprétation des lésions

osseuses. Celles-ci, à n'en pas douter, sont imputables à la Lèpre. Ellessont

même un exemple remarquablement exact des mutilations produites par

cette maladie.

« La main gauche est réduite à un moignon boursouflé au bout duquel

.458 HENRY MEIGE

apparaît une phalangette mise à nu ; la main droite n'a que les trois doigts

du milieu. » .

Pour quiconque a vu de près des Lépreux, l'examen de ces difformités

ne saurait entraîner le doute. -

La Lèpre mutilante est bien la cause de ces mutilations; les syphilis les

plus sévères ne les réalisent que très exceptionnellement. D'ailleurs, le

Dr Keller en fut frappé lui-même : « Il y a peut-être quelque exagération,

disait-il, dans la manière dont est représenté le bras gauche, qui est réduit

à un état vraiment rudimentaire. »

Cette critique seraitjuste avec l'hypothèse de la syphilis. Elle cesse de

l'être, si l'on admet qu'il s4agit d'un Lépreux. Ces pertes de substance

osseuse et musculaire, que l'artiste a figurées avec une si scrupuleuse

vérité, correspondent bien à ce que nous savons des effets destructeurs de

la Lèpre.

Et,si l'on en rapproche les ulcérations de la face qui semblent avoir dé-

figuré le pauvre diable en question, en rongeant une partie du nez, de l'o-

reille et peut-être aussi les yeux, on arrive à réunir un ensemble de symp-

tômes qui conduisent à le considérer comme un véritable Lépreux (1).

En définitive, pour toutes ces raisons, nous croyons qu'il y a lieu de

modifier l'interprétation de l'affreuse maladie représentée par Mathias

Grünewald. L'hypothèse de la Lèpre est non seulement défendable, mais

beaucoup plus vraisemblable que celle de la syphilis.

Elle est d'ailleurs conforme aux traditions picturales : le Lépreux sym-

bolisant en quelque sorte l'apogée des souffrances humaines causées par

la maladie (2).

(t) Les pieds de ce personnage, un peu perdus dans l'ombre, seraient, selon le

Dr Keller, des « pattes d'oiseau palmées N'ayant pas vu la peinture originale il nous

est défendu de nous prononcer ; mais n'est-il pas permis de se demander si cette

apparence ne proviendrait pas d'une figuration défectueuse de quelque malformation

pathologique (atrophie, griffe qui, elle aussi, aurait été inspirée par la vue de lé-

sions lépreuses et que l'artiste aurait plus ou moins exactement interprétées ? .

(2) Le Dr Keller a fait remarquer aussi que le tableau ayant été peint vers la fin du

XVe siècle, Grunewald avait pu prendre pour modèle une des victimes de la grande

épidémie de syphilis qui ravagea, dit-on, l'Europe entière à cette époque. Cette con-

jecture est ingénieuse ; mais il ne faut pas oublier qu'à la même époque la Lèpre

sévissait aussi cruellement, et dans tous les pays. L'horreur qu'inspiraient ses ravages

séculaires était universellement ressentie. Elle était bien faite pour symboliser le plus

cruel fléau de l'humanité. Et à ce titre, un peintre ne pouvait manquer de lui donner

la préférence sur une maladie d'importation récente dont les méfaits étaient encore

mal connus.

Une autre remarque permet très bien de comprendre l'introduction d'un Lépreux

dans une Tentation de saint Antoine.

Les auteurs du Moyen Age ont souvent insisté sur un symptôme de la Lèpre qui se

traduisait par le libido inexplebilis coeundi. Pour guérir les Lépreux de ces désirs im-

LA LÈPRE DANS L'ART 459

1

N. Manuel DEUTSCH.

Berne (1464-1530).

Au musée de Bâle, sur une peinture à la détrempe de NICOLAS Manuel

DEUTSCH, sont figurés plusieurs malades, et parmi eux, se trouve au moins

un Lépreux.

Cette peinture représente Sainte Anne, Saint Jacques et Saint Rocla in-

voqués contre les maladies (1).

Le haut de la composition est occupé par les trois Saints. Au milieu,

Sainte Anne tenant sur ses genoux l'Enfant Jésus ; à ses pieds, la Vierge

enlr'ouvrant un livre.

A gauche, Saint Jacques avec le manteau et le bourdon de pèlerin.

A droite, Saint Roch, les mains croisées sur la poitrine, sa tunique rele-

vée pour montrer sur la cuisse gauche mise à nu une plaque rouge, pro-

bablement un indice de la peste dont il fut frappé. Un petit ange mon-

tre du doigt le siège du mal (2).

Au-dessus, Dieu dans une gloire.

Dans la partie inférieure du tableau, on voit : au milieu, un paysage,

lac, verdures, maisons et montagnes. A droite, un gentilhomme à genoux.

avec sa femme, suivis de plusieurs personnages. A gauche, le groupe de

malades.

Au premier plan, une femme à genoux, relevant de la main droite sa

manche gauche et montrant sur son avant-bras une large plaque rouge

et ulcérée. La main tombe inerte, flasque. Lésion cutanée et lésion ner-

veuse dont la coexistence fait songer à la Lèpre, hypothèse que rend vrai-

semblable l'invocation de cette malade à Saint Roch, patron de toutes les

affections contagieuses, imploré cependant de préférence par les pestiférés.

périeux et jamais assouvis, on n'hésitait pas à pratiquer sur eux la castration. L'évê-

que Hugo, atteint de la Lèpre, n'hésita pas à se soumettre à cette opération radicale ;

mais, dit la chronique, opprobriunx spadonis tulit episcopus, et nullum invenit 7-eine-

dium, quoad vixit leprosus (a).

Cette donnée alors courante des désirs vénériens excessifs attribués à la Lèpre a pu

guider Grünewald dans le choix de la maladie qu'il désirait mettre en rapport avec

le sujet de son tableau. N'y avait-il pas toute une série de réflexions morales à tirer

de l'état des Lépreux tourmentés par un désir brûlant qu'il leur était interdit d'as-

souvir ? ....

(1) N 44 du Cat. T. H. I, 38, L. 1, Il.

(2) Remarquons en passant que l'artiste a figuré la lésion cutanée sur la face su-

péro-externe de la cuisse, contrairement à la tradition qui représente, conformément

à la réalité pathologique, le mal de Saint Roch, siégeant à la partie supéro-interne,

près du pli inguinal, là où se trouvent les ganglions dont l'inflammation donne lieu

au bubon pesteux.

460 HENRY MEIGE

Derrière cette femme, un homme est debout, le torse presque nu. Une

écharpe passée autour du cou soutient ses deux bras croisés sur la poi-

trine. La jambe gauche, portée en avant, est déformée par un oedème

considérable, et, par places, largement ulcérée. Le pied énorme, tuméfié

à l'excès, n'a plus forme humaine. La cuisse au-dessus du genou, est en-

tourée de linges. L'autre jambe est dissimulée par l'étoffe dont le bas

du corps est drapé. On distingue cependant encore le pied droit, com-

plètement bouleversé etentouré'de linges.

Le haut du torse et le cou sont très amaigris ; çà et là, on y voit des

taches rougeâtres, macules ou pustules ; les clavicules et les cordes

musculaires des slerno-masloïdiens font une saillie exagérée.

La face n'est pas moins intéressante ; son expression de souffrance est

saisissante; elle est rendue plus cruelle encore par ce fait que la lèvre

supérieure a subi une perte de substance qui laisse voir les dents, pro-

duisant ainsi une sorte de rictus douloureux.

. C'est encore à la Lèpre que nous a fait songer l'ensemble des signes

pathologiques que Manuel Deutsch a accumulés sur ce lamentable per-

sonnage. -

Les plaques rougeâtres, éparses sur tout le corps, n'ont pas une signifi-

cation bien précise. Les ulcérations sont déjà plus conformes à la figura-

tion traditionnelle des accidents cutanés d'origine lépreuse. Les mutila-

tions de la face semblent plus caractéristiques.

On ne voit pas lés mains, mais le geste que fait le malade permet de

supposer qu'elles sont aussi lésées,et qu'il s'efforce de les protéger comme

il peut sous son écharpe.

Le membre inférieur droit est certainement la partie du corps la plus

grièvement atteinte, et l'artiste a pris soin de la mettre en évidence. Il

reproduit avec une incontestable vérité l'aspect éléphantiasique que l'on

observe dans certaines formes de Lèpre proliférante.

A cet égard, ce document offre un réel intérêt. Il permet de comprendre

pourquoi la Lèpre a été longtemps- désignée sous le nom d'Elép ! wntiasis

des Grecs.

Hans HOLBEIN le Jeune

(Augsbourg 1497, Londres 1513)

HANS HOLBEIN le Jeune atteignit de bonne heure et bientôt dépassa le

talent de son premier maître, Hans Holbein le Vieux, son'père. Il se

ressentit cependant pendant toute sa vie des influences paternelles, et

souvent il eut l'occasion de traiter les mêmes sujets.

Il existe de lui, au musée de Bâle, une importante collection de dessins

à la plume rehaussés de lavis représentant des scènes religieuses.

LA LÈPRE DANS L'ART 461

L'un d'eux a pour sujet Sainte Elisabeth de Hongrie faisant l'aumône

à un pauvre.

La Sainte est debout, dans un hémicycle à colonnes; à droite, un gen-

tilhomme se tient à genoux ; à gauche, se trouve un infirme.

Ici encore, comme dans le tableau d'Holbein le Vieux qui se trouve à

la Pinacothèque de Munich, il est vraisemblable que l'artiste a voulu re-

présenter un Lépreux. Malheureusement, les renseignements de la cou-

leur font défaut.

On distingue sur les membres dénudés des taches destinées à figurer

les macules lépreuses, et plusieurs indications de tubercules lépreux,

schématiquement représentés par de petits cercles teintés de noir.

Les altérations de la face sont mal indiquées. Mais les membres sont

amaigris et déformés, les membres inférieurs surtout ; la jambe gauche est

entourée d'une bande, et le pied enveloppé d'un linge.

L'épaule gauche semble disloquée et l'avant bras estsillonné de réseaux

vasculaires dilatés.

Sur un tableau du même peintre, au même musée, formant l'un des

compartiments d'une Passion de Jésus-Christ, où le Christ est repré-

senté bafoué par ses bourreaux, on aperçoit au second plan un infirme

très analogue au précédent.

La teinte très sombre de la peinture en cet endroit ne nous a pas per-

mis de préciser davantage les caractères de sa maladie (1).

Écoles Flamande et Hollandaise.

BERNARD VAN ORLEY

peintre llamand (1490-1542)

L'important tryptique de van ORLEY au musée d'Anvers, représentant

le Jugement dernier et les Sept OEuv7es de Miséricorde, contient sur les

volets un grand nombre de figures d'infirmes et d'estropiés.

Sur le volet de gauche, deux fidèles et un serviteur versent à boire à

des malheureux : une femme décharnée tenant un enfant entre ses bras ;

un homme demi-nu, la face et le crâne couverts de plaies saignantes ; une

(1) Tout récemment, à l'occasion d'une exposition d'oeuvres de Holbein le Jeune

faite à Baie, en l'honneur du quatrième centenaire de ce peintre, M. le Dr Burckardt,

directeur du Musée, nous a signalé un autre lépreux de la main du maître allemand.

il s'agit d'un dessin en couleur, datant de l'année 1523, représentant un jeune

homme d'environ 20 ans, vêtu suivant la mode de l'époque, et dont u le visage

porte des signes caractéristiques de la Lèpre ». Ce dessin appartient à M. Von Lanna,

de Prague.

462 HENRY MEIGE

vieille femme qui porte un enfant sur ses épaules ; un vieillard cassé qui

s'avance appuyé sur une béquille et un bâton. Au-dessus, dans une cham-

bre, des pauvres se chauffent auprès d'une cheminée ; d'autres sont cou-

chés dans des lits.

Sur le revers de ce volet, un moine donne un manteau à un mendiant ;

un estropié s'avance appuyé sur un bâton ; un autre agenouillé implore

des secours.

Le volet de droite représente deux personnages charitables distribuant

des vêtements aux malheureux. A droite, dans une loggia un prêtre et

plusieurs personnes entourent un moribond couché dans un lit au pied

duquel une femme est en prières. Dans le fond, on délivre des prison-

niers.

Parmi les mendiants qui reçoivent des habits, un homme est vu de dos,

à demi-nu ; il a perdu le pied droit, et sa jambe entourée de linges repose

sur une gouttière à pilon. C'est tout ce que l'on peut en dire.

Bien plus intéressant est un pauvre diable assis sur un tas de paille,

ayant à côté de lui une béquille et un linge sur lequel on distingue un

crâne d'animal et quelques pièces de monnaie. (PI. LI. D.)

Un vêtement sommaire couvre ses épaules et ses reins ; sa cuisse gau-

che est entourée de linges. Mais tous ses autres membres sont nus. Ils sem-

blent réduits à leur squelette., La peau,d'un brun très foncé,est collée sur

les os, moulant toutes les saillies, bridée seulement par les cordes tendi-

neuses. Tout le corps semble momifié.

Les deux jambes ramassées et croisées semblent immobilisées par une

raideur invincible : le pied gauche en extension forcée, les orteils recour-

bés en forme de crochets.

Le bras droit se soulève avec peine jusqu'à l'horizontale, ankylosé dans

toutes les jointures, la main contracturée en flexion et les doigts en griffe

soutenant une sonnette.

Le bras gauche est raidi exagérément. La main qui le termine est aussi

en flexion forcée, et il semble bien qu'elle a perdu un ou plusieurs

doigts.

Le visage porte les traces de lésions profondes, déformant le nez, les

joues et les yeux ; la bouche est ouverte exagérément.

De quelle singulière maladie van Orley s'est-il inspiré pour peindre un

si pitoyable personnage ? Un tel degré d'amyotrophie accompagné de con-

tractures de cette sorte est chose peu fréquente dans la nature. Et non seu-

lement les muscles sont réduits à néant; mais la peau encore semble par-

ticiper à ce processus d'atrophie et de sclérose.

On pourrait penser à quelque forme de sclérodermie généralisée, parti-

LA LÈPRE DANS L'ART

A. 1 épieux sui une fresque de la chapelle Siwinc, par

Cosimo H053L11 il (XVI. siècle).

C. : 1 crrel1 sur un tableau de 1'1-'cole de Cologne, par

r,. \1 ? 1 ? ? , HtP»" "»-"" f"\ < ? 1 ? 'T ?

B. Lépreux sur une peinture 5 la détrempe de Maxlil 1.

Dr.uTacu siècle). Musée de Bâle

D. Lépreux sur le vokt droit du tryptiql1c du Jugement

'/) 1 w , . ,w 1 ? -, il-. 1. :

LA LÈPRE DANS L'ART 463

culièrement étendue et sévère, ayant envahi les quatre membres et la face

en même temps, immobilisant les jointures, raccourcissant muscles et

tendons, parcheminant la peau, en un mot réduisant cet être misérable à

l'état de momie vivante.

De tels exemples ont été décrits et nous en avons vu récemment un spé-

cimen célèbre dans les exhibitions foraines sous le nom d'homme-momie

sur lequel M. le professeur Grasset a publié dans ce recueil une intéres-

sante leçon.

Quelque séduisant que puisse être ce diagnostic on peut hésiter cepen-

dant à s'y arrêter, en raison de la rareté des cas de ce genre.

Mais l'on peut se demander s'il ne s'agit pas encore ici d'une figuration

de Lépreux. -

L'atrophie musculaire qui prédomine aux extrémités des membres, les

contractures ayant déterminé aux pieds et aux mains des griffes nettement

indiquées, la déformation de la face, enfin, et surtout, la mutilation des

doigts de la main gauche, tous ces accidents pourraient très bien avoir été

occasionnés par la Lèpre et observés sur nature par l'auteur du tryptique du

Jugement dernier. '

Nous savons enfin que la Lèpre trophoneurotique se manifeste quel-

quefois par des lésions cutanées rappelant à s'y méprendre celles de la

sclérodermie. Le, Lépreux d'Albert Durer semble avoir été atteint, lui

aussi, par des accidents de ce genre. Mais nulle part ils ne sont représen-

tés avec plus de réalisme que sur le tableau de van Orley. Et même, la

coloration brune de la peau signalée dans les formes sclérosantes de la Lè-

pre est rendue avec une intensité, un peu exagérée peut-être, mais qui

laisse supposer que l'artiste a eu l'occasion d'observer cette particularité

sur des Lépreux vivants. v

Une dernière remarque à l'appui de l'hypothèse d'une représentation

de Lépreux : l'infirme en question tient à la main une sonnette.

Or, on sait qu'au temps où les Lépreux circulaient librement dans les

villes, ils devaient être munis d'un appareil sonore destiné à avertir les

passants de leur présence. En général, ils agitaient une cliquette et cet

instrument servait ai la fois à écarter d'eux les timorés qu'effrayait la crainte

de la contagion, et à attirer sur eux l'attention des personnes charitables

dont ils pouvaient espérer une aumône. La sonnette pouvait également

remplir ce double but (1).

(1) Les Lépreux, dans certains pays, étaient contraints de porter un costume dis-

tinctif : une robe noire avec un voile pour la bouche ; ils étaient en outre munis de

gants, d'une panetière et de cliquettes (erepitaeuloe).

Dans les figurations du Moyen Age, les Lépreux sont souvent munis de la cli-

quette, sorte d'instrument avertisseur formé de quatre lames de bois qui, choquées

464 HENRY MEIGE

Les aveugles aussi étaient souvent porteurs d'un ustensile sonore pour

se protéger des rencontres trop précipitées et pour faire remarquer leur

présence.

Le mendiant de van Orley peut être un aveugle. Cela n'infirmerait pas

qu'il soit un Lépreux, car nous savons que dans les cas où la Lèpre s'atta-

que au visage, la perte des yeux en est une des conséquences les plus fré-

quemment notées.

Nous rapprocherons de cet infirme une figuration analogue que nous

avons remarquée au musée d'Anvers sur le volet d'un tryptique de l'E-

cole Flamande qui ne portait pas alors de nom d'auteur (N°9 576 à 579,

salle A). ·

La composition du panneau central représente un Saint Evoque céré-

moniant dans une église.

Le volet de droite a pour sujet la distribution des aumônes aux pau-

vres. Sur le volet de gauche le Saint Evêque soigne des malades.

C'est là qu'on voit, au premier plan, à gauche, un infirme assis par

terre, des béquilles à ses côtés, la jambe droite repliée, comme desséchée.

de couleur brune et entourée de quelques linges. Le pied nu offre une

apparence squelettique, il est contracture et extraordinairement émacié ;

on dirait encore un pied de momie. Cependant le reste du corps est vi-

goureusement musclé.

Derrière ce malade sont deux petits enfants et une vieille femme qui

tend son bras vers l'évêque. Ce bras ne présente pas de traces d'atrophie

musculaire ; mais la main semble inerte, flasque, etc. déformée par un

commencement de contracture, comme on l'observe dans l'hémiplégie.

Dans le fond, des fossoyeurs enterrent des cadavres.

PIERRE-PAUL RUBENS (1577-1640).

Rubens, ce prodigieux virtuose de la ligne et de la couleur qui peignit

avec une égale aisance les grâces aristocratiques des personnages princiers

et les contorsions réalistes des possédées du diable, Rubens a laissé une

Charité de Saint Martin, actuellement en Angleterre, au château de

Windsor.

Son Saint Martin, dans tout l'éclat de la jeunesse, vêtu comme un riche

seigneur du XVI" siècle, se tient fièrement en selle sur un cheval piaffant.

les unes contre les autres, prévenaient, par leur bruit, les passants de la présence d'un

individu atteint du mal contagieux.

LÈPRE dans L'ART 465

' Auprès 'de lui, se presse une troupe de miséreux, en quête d'aumône :

une femme qui tient entre ses bras un enfant presque nu, et deux hommes

dont l'un, assis par terre, vu de dos et musclé en Hercule, cherche à tirer

à lui le morceau de manteau qu'abandonne généreusement le Saint.

Un autre mendiant se précipite pour avoir, lui aussi, sa part de charité.

Et celui-ci est bien un Lépreux.

Son visage est couvert de tubercules envahissant les joues, les lèvres, le

nez et les yeux, tumeurs saillantes et arrondies, dont plusieurs semblent

ulcérées.

` L'oeil est atteint, ses lignes ne sont plus régulières ; un bandeau sur le

front le protège à moitié. Le nez se perd dans un amas de bourgeons ul-

cérés qui déforment aussi les lèvres. Bref, ce masque répugnant ne peut,

appartenir qu'à un Lépreux.

On ne voit pas les bras, cachés sous de misérables loques ; mais au bout

d'une jambe encore bien musclée on entrevoit un pied informe; l'autre est

perdu dans l'ombre, ou manque tout à fait.

Le souvenir de cette peinture vue à la hâte est trop lointain déjà pour

que nous puissions donner des renseignements précis sur la couleur, et,

avec un coloriste tel que Rubens, ces indications ne sont jamais à négliger.

Cependant,- à ne considérer que la forme et la disposition des lésions du

visage, nous croyons bien qu'en figurant un tel infirme, Rubens, fidèle

d'ailleurs à la tradition, a voulu représenter un Lépreux; enfin, il sem-

ble vraisemblable qu'il a eu l'occasion d'observer par lui-même les effets

de la Lèpre sur le vivant.

Maître Inconnu.

Ecole Flamande (XVIIe siècle ? )

La Charité de Saint Martin est représentée au musée de Gand par un

tableau de valeur secondaire, mais où les infirmes secourus par le Saint

nous ont paru présenter un réel intérêt médical. '

Dans un grand paysage boisé, avec fond montagneux,où passe une rivière

et où se dressent des châteaux- forts, Saint Martin s'avance à cheval, recou-

vert d'une riche armure et donne son manteau à un pauvre qui se tient

au bord du chemin.

Ce pauvre est dans un état lamentable. Il se tient debout à grand'peine,

se soutenant avec une béquille sous l'aisselle gauche. La jambe gauche,

privée de son pied, entourée de linges, repose sur un pilon fixé au genou.

Le torse est nu, maigre, difforme ; on le voit de dos. L'omoplate flottante

semble disloquée, et dans le geste que fait ce mendiant pour saisir le

manteau du Saint,on voit le bord spinal de l'os s'abaisser et saillir exagéré-

ment. ' ' . .

x 32

466 HENRY MEIGE

Que l'artiste l'ait voulu ou non, cette attitude répond bien à ce qu'on

observe dans les cas d'atrophie musculaire portant sur les muscles trapèze

etgrand dentelé. Ceux-ci sont d'ailleurs d'un volume extrêmement réduit.

Mais l'anatomie de ce personnage étant, d'une façon générale, assez mal

traitée,on ne peut que signaler,sans y insister outre mesure,ces anomalies

morphologiques.

Le visage,dont on ne voit que le profil,n'est pas moins contrefait que le

reste du corps : un nez retroussé ou détruit à demi, de grosses lèvres sail-

lantes et un oeil lamentable, cerclé de rouge vif, les paupières réduites à

un liseré saignant.

Tel qu'il est, avec son omoplate « ailée », l'atrophie des muscles de la

ceinture scapulaire et du bras, les lèvres aux bords retroussés et son oeil

dont le globe saillant reste à découvert, cet infirme évoque l'idée d'un de.

ces cas d'amyotrophie du type facio-scapulo-huméral dont le facies et

l'attitude sont presque pathognomoniques.

Et à la vérité, ce type clinique est assez saisissant pour avoir pu frapper

un peintre bon observateur des difformités humaines.

Cependant, dans le cas présent, un tel diagnostic ne saurait être qu'une

simple hypothèse.

Non loin du groupe formé par Saint Martin et cet infirme, un autre

mendiant est assis, à gauche, sur le bord du chemin, vêtu d'un manteau

vert et de chausses brunes, coiffé d'un bonnet rouge; il tient une clo-

chette à la main ; un chien est assis à ses côtés.

C'est un aveugle et probablement un Lépreux aveugle, car son nez est

presque entièrement rongé par une vaste ulcération. Ses lèvres ont été

également atteintes : la bouche est de travers et ne peut plus se fermer.

Enfin les yeux sont irrémédiablement perdus ; on ne voit plus qu'une fai-

ble portion de la sclérotique cachée sous le ptosis de la paupière supé-

rieure.

Cet aveugle au visage défiguré par les ulcérations et les brides cicatri-

cielles est très probablement un Lépreux.

La sonnette qu'il tient à la main confirmerait cette conjecture, d'après

ce que nous avons dit pour l'infirme de Van Orley.

Le premier mendiant, auquel le Saint donne son manteau, est peut-être

aussi une victime du même mal. Son pied mutilé, la déformation de son

nez et de ses lèvres, l'affection oculaire et jusqu'à l'atrophie du bras et de

l'épaule dont il est atteint, tous ces accidents, nous l'avons vu, peuvent

être mis sur le compte de la Lèpre.

Ne savons-nous pas en outre que la tradition plaçait fréquemment des

Lépreux sur le passage de Saint Martin.

Le site désert où chemine le Saint, aux alentours d'une ville fortifiée,

LA LÈPRE DANS L'ART 467

était peut-être le seul refuge permis aux malheureux qu'avait frappés le

mal justement redoutable.

Dans ce cruel exil, sans abri et sans pain, ils n'avaient d'autre res-

source que d'agiter leur cloche lamentable, trop heureux lorsqu'un voya-

geur compatissant, au lieu de s'esquiver à la hâte loin de ce son maudit,

daignait leur jeter à distance la plus minime des oboles (1).

Parmi les autres figurations d'estropiés et de malades appartenant aux

Ecoles Flamande et Hollandaise, nous avons relevé encore quelques docu-

ments où l'on peut à la rigueur reconnaître les indices de la Lèpre ; mais

ils ne sont pas aussi caractéristiques, et nous ne les rappellerons que pour

mémoire..

Une peinture de I'Ecole DE H.1ARLEAi, au musée de Rotterdam (n° 90)

représentant les OEuvres de la Miséricorde, nous fait voir plusieurs infirmes

recevant des aumônes.

L'un d'eux, à droite au premier plan, se tient à genoux, les jambes

entourées de linges, maintenues dans des gouttières en bois, s'appuyant

de la main droite sur un chevalet. La jambe droite est amputée au niveau

de la cheville. La figure est maladive, mais sans lésions spéciales.

Sur le même tableau, un autre infirme, demi-nu, se tient debout sur

une seule jambe, deux béquilles sous le bras, un pilon sous la jambe

droite qui est enveloppée de linges. Le haut de son torse est amaigri. En

outre, on voit sur sa tête une plaque dénudée telle qu'en produit la teigne

ou la pelade.

JAN Brueghel LE Vieux (ho68-1625) a peint un Saint Martin achevai

au milieu d'un village, partageant son manteau entre une foule d'estro-

piés, boiteux, bossus, aveugles, culs-de-jatte, etc., qui se pressent

autour de lui, exhibant un fouillis d'infirmités,où l'on reconnaît cependant

des figurations très réalistes de paralysies, d'atrophies musculaires, de

griffes, de contractures. Mais ces personnages sont de dimensions trop

exiguës pour qu'on puisse interpréter clairement leurs difformités. Cette

peinture, sur cuivre, se trouve à l'ancienne Pinacothèque de Munich

(n° 703).

(1) Il était défendu aux Lépreux, selon le chroniqueur Salites :

« De ne plus entrer es églises, moulins, fours ou marchez, ny de se trouver es

assemblée de peuple

« De ne répondre sur les chemins à ceux qui l'interrogeraient, s'il n'est hors et au-

dessous du vent, de peur qu'il n'infecte les passans...

« De ne point passer par les chemins estroicts, pour obvier aux rencontres malen-

contreuses, etc... z

468 . HENRY MEIGE E

DAVID TENIERS le Jeune (1610-1690) est représenté dans la galerie

Steengracht, à la I-Iaye,par une peinture des OEuvres delà lIis(,,iicoi-de,oii

figurent plusieurs estropiés. Un entre autres, au premier plan, à gauche,

vu de profil, se traîne à genoux sur deux courts pilons, aidé de petites

béquilles. Les deux pieds sont amputés, les moignons entourés de linges.

C'est aussi sans doute un Lépreux qui se trouve figuré sur le revers d'un

tryptique de la Cathédrale Saint-Sauveur, à Bruges (Chapelle des fonts

baptismaux, peinture en camaïeu gris, rehaussée de couleurs sur les

chairs).

Le sujet de cette peinture est encore la Charité de Saint Martin.

Le Saint, il cheval, coupe son manteau pour en donner la moitié à un

infirme, demi-nu, accroupi, de profil, tenant de la main droite une sébille,

et s'appuyant de la gauche sur le sol.

Sur l'épaule gauche est peint, avec une certaine recherche d'exactitude,

un large ulcère arrondi, à fond grisâtre, à bords rouges et bourgeonnants.

C'est une lésion bien imitée, mais qui n'est pas caractéristique de la

Lèpre.

La figure du mendiant est fort laide : nez déformé, lèvres épaisses, une

sorte de goitre sous le menton.

En voyant ce personnage nous avons cependant songé à un Lépreux,

mais en nous rappelant surtout la tradition picturale qui plaçait ces ma-

lades sur le passage de Saint Martin.

Au musée de Stockholm, un tableau de JAN HooGSAAT, peintre hollan-

dais (1651-1755), représente le Christ guérissant un Lépreux (n° 475).

Celui-ci a les bras croisés sur la poitrine, et la tête entourée d'un bandeau

blanc.

Nous ferons remarquer à ce propos que les Lépreux sont souvent re-

présentés les bras croisés sur la poitrine et la tête entourée d'un bandeau.

Cette figuration qui semble conventionnelle fut sans doute adoptée par les

peintres, lorsqu'ils hésitaient à reproduire les horribles déformations du

visage et des mains. On pourrait en dire autant des Infirmes dont les

jambes ulcérées et oedématiées sont enveloppées de bandes; ceux-ci sont

peut être également des Lépreux. - '

VI

,

Dans les oeuvres d'art de l'Ecole Française, nous ne connaissons pas de

figurations de Lépreux, si ce n'est la miniature du livre d'heures d'Anne

. LA LÈPRE DANS L'ART 469

. de Bretagne (XVe : siècle) déjà signalée par Charcot et Paul Richer (1). : . Elle représente Job sur son fumier. Le texte sacré dit à ce propos :

« Une lèpre hideuse lui couvrait tout le corps. » Mais le mot « lèpre » peut

- être attribué ici,comme dans beaucoup de textes anciens, n'importe quelle

. autre affection cutanée.

Sur la miniature en question « on voit sur tout le corps, et jusque sur

le visage, une quantité considérable de macules jaunâtres, de toutes di-

mensions, entourées d'une auréole rouge ». Elles n'ont rien de bien carac

téristique. - .

Il en est ainsi dans la plupart des peintures où Job est représenté.

. Suivant leur inspiration les artistes anciens ont tenté de reproduire sur

le corps du malheureux les lésions cutanées qui les avaient le plus frappés.

Une des peintures les plus importantes sur ce sujet est de la main d'Al-

bert Durer et se trouve au musée de Frankfort. -

Job, complètement nu, a le corps couvert de taches rouge bistre, peu

significatives. Sa femme, dans un élan de propreté passionnée, verse un

grand seau d'eau sur le malheureux vieillard, sans parvenir d'ailleurs à

le tirer de s'a béate résignation (2).

' Saint'Lazare étant devenu de bonne heure le patron des Lépreux, on est

tenté de chercher dans l'Iconographie religieuse des représentations de ce

Saint. De même que Saint Roch, patron des Pestiférés, pestiféré lui-même,

est fréquemment figuré avec les stigmates de la peste (en particulier

le bubon de l'aine)'(3), on pouvait espérer des images de Saint Lazare pré-

sentant les signes extérieurs de la Lèpre.

Nous n'avons cependant rencontré jusqu'alors aucun document de ce

genre. -

11 faut remarquer à ce propos que Lazare, patron des Lépreux, n'est pas

- (1) Loc. cit., p. 83.

(2) Charcot et PAUL 131CfiER signalent encore une gravure tirée d'une Vie de saint

Benoit en images (1578) où le saint guérit un lépreux.

« Le malade montre à découvert la partie supérieure du corps marqué et d'une sorte

de semis régulier de petits ronds, représentant des taches ou de petites pustules » qui

ne sont pas sans analogie avec celles qu'on voit sur la miniature du livre d'heures

d'Anne de Bretagne.

Charcot a noté, à Séville, au-dessus de la porte de l'hôpital des lépreux, une ma-

jolique où est figuré un malade en haillons, avec des béquilles, une cliquette à la

main. Des chiens lèchent ses jambes et ses bras couverts de plaies qui n'ont d'ailleurs

aucun caractère spécifique.

Un tableau moderne d'Albert Maignan, représentant Saint-Louis consolant un Lé-

preux, a figuré au Salon de 1878. Il est actuellement au musée d'Angers.

(3) Voir à ce sujet le chapitre des pestiférés dans les Difformes et Malades dans

L'Arl, et IInnnr Meige, La peste dans l'Art. La Nature, 10 avril 1897.

470 HENRY MEIGE

un personnage ayant existé réellement, mais le nom d'un être allégorique

symbolisant la misère et la maladie dans la parabole des Evangiles

(Saint Luc, XV) relative au mauvais riche.

Le Lazare de la parabole n'est pas celui que Jésus-Christ ressuscita ;

ce dernier était le frère de Marthe et de Marie. L'épisode de cette résur-

rection a suscité un grand nombre d'oeuvres d'art.

La parabole du mauvais riche a inspiré beaucoup moins d'artistes, et il

est rare que les caractères de la Lèpre soient bien indiqués sur le corps du

malheureux Lazare, quêtant en vain une aumône à la porte du cruel

Epulone.

Sur un tableau de BOl11fazio Veronèse, à l'Académie des Beaux-Arts de

Venise, Lazare est représenté sous la figure d'un infirme, la tête bandée,

un linge autour de la cheville gauche, et se soutenant sur une béquille.

Suivant la tradition, un chien lèche ses pansements.

VII

En résumé, on peut se rendre compte, par les exemples précédents, que

les figurations des Lépreux ne sont pas rares sur les oeuvres d'art du XIVe

au XVIe siècle.

Les caractères de la Lèpre sont souvent figurés avec une exactitude qui

rend son diagnostic indubitable, et qui s'explique par le grand nombre

des Lépreux que les artistes pouvaient rencontrer en ce temps-là. ,

Fidèles observateurs de la nature et des traditions religieuses, les pein-

- tres s'attachèrent à représenter des Lépreux conformes* à la vérité patholo-

gique dans toutes les circonstances où il en était fait mention : à la porte

du temple, sur le passage de Saint Martin, aux pieds de Sainte Elisabeth

de Hongrie, dans les OEuvres de la Miséricorde, auprès des tombeaux

réputés miraculeux, etc.

La liste de ces figurations est loin d'être close. Mais, dès à présent, il

nous a paru intéressant d'en faire connaître les spécimens les plus pro-

bants.

TABLE DES MATIÈRES

Amélie. Description du type et considé-

rations pathogéniques au sujet d'un

cas nouveau, par HENRI Meunier (15 fi-

gures et 1 planche), 15.

Apophysalgie pottique, par A. CHIP.1ULT,

123.

Application des rayons de Roentgen à

l'étude de la texture d'os pathologiques

(ostéite déformante de Paget), par LÉo-

POLD Lévi et A. LONDE (2 planches), 198.

Applications médicales de la méthode de

Rcer7tgezz : 10 Nouvel interrupteur d

mercure pour bobine d'induction

(1 figure) ; 2o Radiographie de la main

d'un sexdigitaire (5 radiographies), par

ALBERT LONDE et Henry MEIGE, 36.

Arthropathie nerveuse vraie et troubles

trophiques articulaires d'apparence

rhumatoide, par PAUL LONDE, 38.

Atrophie musculaire et douleurs des hé-

miplégiques (pathogénie et prophy-

laxie),par Gilles DE la TOURETTE (2 pho-

totypies), 287, 3'10.

Atrophie musculaire du type Aran-Du-

chenne chez un chemineau (un Job

moderne), par Targovvla (2 fig., 1 plan-

che),414.

Contracture hystéro-traumatique des

muscles du tronc (un cas de), par PAUL

BICHER et A. Souques (1 planche), 109.

Dédoublement du tourbillon des cheveux

et de l'infundibulum sacro-coccygien,

par CH. Féré (2 planches), 195.

Déviation des doigts « en coup de vent »

et insuffisance de l'aponévrose pal-

maire d'origine congénitale, par E.

Boix (1 photographie et 1 radiographie),

180.

Deux cas de gigantisme suivi d'acro-

mégalie, par E. BRISSAUD et HENRY

MEIGE (2 planches), 374.

Goitre dans l'art, par Henry MEIGE

(5 photogravures), 294.

Hémimélie chez un fils de syphilitique

(un cas d') (1 planche), par G. GaSNE, 31.

Hémisection traumatique de la moelle

(syndrome de Brown-Séquard) (sur un

cas de), par F. IjAYUfoND (3 ligures et

1 planche en couleur), 1, 166, 305.

Hypertrophie congénitale des doigts mé-

dius et index de la main gauche, par

CE9TA. (2 figures, 1 planche), 399.

Infantilisme myxoedémateux, par E.

BRISSAUD (15 photogravures), 249.

La Lèpre dans l'Art, par Henry Meige

(9 ligures, 2 planches), 418.

Les Emmurés de Tiraspol, par P. E.

I,AUNOts (2 phototypies), 355.

Lésions des cellules nerveuses de la

moelle dans la rage humaine (note sur

les), par J. Sabrazès et C. CABALES

(25 figures et 1 planche), 155.

Main « succulente », par Marinesco

(5 figures et 3 planches), 84, 202.

Malformations des mains en pinces de

homard et asymétrie du corps chez une

épileptique, par Raymond et P. JANET

(5 figures, 3 planches), 369.

Mélanodermie récurrente chez un pipi-

leptique apathique (note sur un cas de),

par CH. Féré (2 phototypies), 332.

Noevi dans leurs rapports avec les terri-

toires nerveux, par G. ETIENNE (3 des-

sins, 4 phototypies et 1 photogravure),

2133.

Ostéite déformante de Paget (un cas d').

Interprétation des lésions de la moelle

épinière, par Léopold Lévi (1 figure et

1 planche), 113. ,

Polynévrite dans ses rapports avec les

lésions de la cellule nerveuse (histolo-

giepathologique),par SOUKIIANOFF (4 fi-

gures), 347. ·

Pouilleux dans l'Art, par HENRY MEIGE

(5 photogravures), 358.

Peintres de la médecine (Ecoles flamande

et hollandaise). Les Pédicures au

XVIIe siècle (7 ligures et 6 planches),

par HENRY MEIGE, 45, 127.

Radiographie des os dans la paralysie

infantile, par CH. Achard et Léopold

Lévi (6 phototypies), 324.

Station hanchée dans ses rapports avec

la scoliose dorsale primitive des ado-

lescents, par PAUL RICHER (1 planche

en phototypie), 12.

Tic du Colporteur (spasme polygonal

post-professionnel), par le professeur

Grasset (3 phototypies), 218.

Torticolis mental (son traitement médi-

cal), par FEINDEL (1 planche), 404.

Tumeur cérébrale sans localisation pos-

sible (diagnostic d'une) (2 phototypies),

par E. Brissaud et E. de MASSARY, 37 .

Traitement de l'Ataxie par l'élongation

vraie de la moelle, par GILLES DE la

TOURETTE et A. CHIPAULT (3 figures),

145. '

TABLE DES AUTEURS

ACHARD (F.) et LÉOPOLD-LÉVI. Radiogra-

phie des os dans la paralysie infantile

(6 phototypies), 3'M. -

Boix (E.). Déviation des doigts en coup de

vent et insuffisance de l'aponévrose pal-

maire d'origine congénitale (1 photogra-

phie et 1 radiographie), 180.

BRISSAUD (E.). De l'Infantilisme myxoedé-

mateux (15 photogravures), 240.

BRISSACD (E.) et E. DE MASSARY. Dia-

gnostic d'une tumeur cérébrale sans lo-

calisation possible (2 phototypies), 73.

BRISSAUD et Henry MEIGE. Deux cas de gi-

gantisme suivi d'acromégalie (2 plan-

ches), 374. ,

CABANNES (C.) et J. Sabrazès. Note sur

les lésions des cellules nerveuses de la

moelle dans la rage humaine (25 figures

et 1 planche phototypique). 155.

CESTAN. Hypertrophie congénitale des

doigts médius et index de la main gau-

che (2 figures, 1 planche), 399.

Chipault (A.). L'apophysalgie pottique

- 123.

CHIPAULT (A.) et GILLES DE la TOURETTE.

Traitement de l'ataxie par l'élongation

vraie de la moelle (3 figures), 145.

ETILNNE (G.).Des nsevi dans leurs rapports

avec les territoires nerveux (3 dessins,

4 4 phototypies et 1 photogravure), 263.

Feindel. Torticolis mental (1 planche),

404.

FÉRÉ (CH.). Note sur l'asymétrie crânio-

faciale dans l'hémiplégie spasmodique

infantile (4 phototypies), 282.

Féré (CH.). Le dédoublement du tourbil-

lon des cheveux et de l'infundibulum

sacro-coccygien (2 phototypies), 195.

FÉRÉ (CH.). Note sur un cas de mélano-

- dermie récurrente chez un épileptique

apathique (2 phototypies), 332. *

GASNE (G.). Hémimélie chez un fils de sy-

philitique (un cas d') (1 planche en pho-

totypie), 31.

Gilles DE la TOURETTE. Pathogénie et pro-

phylaxie de l'atrophie musculaire et des

douleurs des hémiplégiques (2 phototy-

pies), 287, 340.

Gilles DE la TOURETTE et A. Chipault.

Traitement de l'ataxie par l'élongation

vraie de la moelle (3 figures), 145.

Grasset. Tic du colporteur (spasme poly-

gonal post-professionnel) (3 phototypies),

218.

Janet (Pierre) et RAYMOND. Malformations

des mains en pinces de homard et asy-

métrie du corps chez un épileptique

(5 figures, 3 planches), 369.

LkuNois (P. E.). Les emmurés de Tiraspol

(2 phototypies), 355.

Lévi (LÉOPOLD). Un cas d'ostéite défor-

mante de Paget. Interprétation des lé-

sions de la moelle épinière (1 figure et

1 planche), 113.

Lévi Léopold et Cn. Achard. Radiogra-

phie des os dans la paralysie infantile

(6 phototypies), 324.

Lévi Léopold et A. LONDE. Application

des rayons Roentgen à l'étude de la tex-

ture d'os pathologique (ostéite défor-

mante de Paget) (2 planches), 198.

LONGE (ALBERT) et Henry MEME. Applica-

tions médicales de la méthode de Roent-

gen : 1° Nouvel interrupteur à mercure

pour bobines d'induction (1 figure) ;

2° Radiographie de la main d'un sexdi-

gitaire (5 radiographies), 36.

L oNDE (Albert) et Léopold Lévi. Appli :

cation des rayons de Roentgen à l'étude

de la texture d'os pathologique (ostéite

déformante de Paget) (2 planches), 198.

LONDE (Peur.). De l'Arthropathie nerveuse

vraie et des troubles trophiques articu-

laires d'apparence rhumatoïde, 882.

MARINESCO. De la main « succulente »

(5 figures et 3 planches), 84, 202,

MnssnftY (E. DE) etE. BRISSAUD. Diagnos-

tic d'une tumeur cérébrale sans locali-

sation possible (2 phototypies), 73.

MEiGE (Henry) et ALBERT LONDE. Appli-

cations médicales de la méthode de

Roentgen : 1° Nouvel interrupteur à

mercure pour bobines d'induction (1 fi-

gure) ; 2° Radiographie de la main d'un

sexdigitaire (5 radiographies), 36.

MEME (HENRY) et E. BRISSAUD. Deux cas s

de gigantisme suivi d'acromégalie (2

planches), 374.

MEME (HENRY). Les pouilleux dans l'Art

(5 photogravures), 358.

MEIGE (Henry). Le goitre dans l'Art-

(5 photogravures), 294... ' -

MEME (HENRY). La Lèpre dans l'Art (9

figures, 2 planches), 418.

TABLE DES AUTEURS 473

MEME (HENRY). Les peintres de la méde-

. cine (Ecoles flamande et hollandaise).

Les Pédicures au XVIIe siècle (6 figures

et 6 planches), 45, 127.

MEUNIER (HENRI). Amélie. Description du

type et considérations pathogéniques au

sujet d'un cas nouveau (15 figures et

1 planche), 15.

RAYMOND (F.). Hémisection traumatique,

de la moelle (Syndrome de Brown-Sé-

quard) (un cas d') (6 figures et 1 planche

en couleur), 1, 166, 305.

RAYMOND et P. JANET. Malformations des

mains en pinces de homard et asymétrie

du corps chez une épileptique (5 figures,

3 planches), 369.

Richer (PAUL). Rapports de la station

hanchée avec la scoliose dorsale primi-

tive des adolescents (1 planche), 12.

RiCHER (PAuL) et A. Souques. Un cas de

contracture hystéro-traumatique des

muscles du tronc (1 planche), 109.

Sabrazès (T.) et C. CABANNES. Note sur

les lésions des cellules nerveuses de la

moelle dans la rage humaine (25 figures

et 1 planche), 155.

SOUIiHANOCF. Sur l'histologie pathologique

de la polynévrite dans ses rapports avec

les lésions de la cellule nerveuse (6 figu-

res), 347.

Souques (A.) et PAUL ;RICHER. Un cas de

contracture hystéro-traumatique des

muscles du tronc (1 planche), 109.

TARGOWLA. Un Job moderne. Atrophie

musculaire du type Aran-Duchenne chez

un chemineau (2 phot., 1 planche), 414.

TABLE DES PLANCHES

Amèle, III.

Asymétrie du corps chez une épileptique,

XLI.

Asymétrie crânio-faciale chez deux hémi-

plégiques infantiles, XXIX.

Coupes de moelle rabique, XIX.

Contracture hyst'èro-traumatiquedes mus-

cles du tronc, XV.

Dédoublement du tourbillon des cheveux,

XXI, XXII.

Déviation des doigts en coup de vent et

insuffisance de l'aponévrose palmaire

congénitale, XX.

Les Emmurés de Tiraspol, XXXVIII.

Gigantisme et acromégalie chez un chi-

nois, XLII, XLIII.

Un cas d'hémimélie chez un enfant hérédo-

syphilitique, IV.

Hémiplégie gauche; arthrite de l'épaule ;

atrophie musculaire, XXX.

Hémisectiou traumatique de la moelle :

répartition des troubles moteurs et sen-

sitifs (syndrome de Brown-Séquard),

I.

Hypertrophie congénitale des doigts mé-

dius et index de la main gauche, XLIV,

XLV.

Job moderne. Atrophie musculaire chez

un chemineau, XLVII, XLVIII.

Lèpre dans l'Art, XL VIII bis,XLIX, L, Ll.

Main succulente, XI, XII, XIV.

Mélanodermie récurrente chez un épilep-

tique apathique, XXXVII.

Naevus pigmentaire verruqueux et naevus

veineux, XVII, XVIII.

Ostéite déformante de Paget, XVI.

Paralysie spinale infantile, XXXI ,

XXXII.

Les Pédicures au XVIIe siècle, VII, VIII,

IX, XIII, XVII, XVIII.

Radiographies d'os longs, XXIII.

Radiographies des extrémités inférieures

des deux fémurs, XXV.

Radiographies de deux médailles d'alu-

minium superposées, XXIV.

Radiographies des mains et des pieds d'un

sexdigitaire, VI.

Radiographie de la main droite d'un sex-

digitaire, V.

Radiographie des membres inférieurs

dans la paralysie infantile, XXXIII,

XXXIV.

Radiographies des membres sup érieurs

dans la paralysie infantile, XXXV,

XXXVI.

Radiographies des pieds chez une épilep-

tique, XL.

Radiographies de mains en pinces de ho-

mard, XXXIX.

Scoliose dorsale primitive, II.

Tic du colporteur, XXVI.

Torticolis mental (3 cas), XLVI.

Tumeur cérébrale, sarcome de la pie-

mère, lobe frontal droit, X.

Le gérant : P. Bouchez

Imp. G. Saint-Aubin et Thevenot.- J. Thevenot, successour, Saint-Dizier (He-6farne).