(1896) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 09] : clinique des maladies du système nerveux
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(1896) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 09] : clinique des maladies du système nerveux

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE

LA SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

IX

¡"'p. G. Saint-Aubin et Thevenol. J. Tlievenot, Successeur, S.iinl-Dizier (Hle ? Marne).

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

Fondée par J. M. CHARCOT

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

F. RAYMOND

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES

DU SYSTÈME NERVEUX

A. JOFFROY

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES MENTALES

A. FOURNIES

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES CUTANÉES ET

SYPHILITIQUES .

PAR

PAUL RICHER

DIRECTEUR HONre DU LABORATOIRE DE

LA CLINIQUE

GILLES DE LA TOURETTE

PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE

DE PARIS

MÉDECIN DES HÔPITAUX

ALBERT LONDE

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

Secrétaire de la Rédaction : HENRY MEIGE

AVEC LA COLLABORATION DE MM.

BOGROFF (Odessa); BOTTEY; É. BRISSAUD; H. CATHELINEAU; J.-B. CHARCOT ; A. CHI-

PAULT ; DELPRAT (Amsterdam); DENY ; DURET; DUTIL ; EMIRZÉ (Smyrne) ; ESTEVÈS (Buenos-

Ayres) ; FÉRÉ; G. GUINON; HALLION;V.HANOT; HUET; KATICHEFF (St-Pétersbourg); H. LAMY;

LANNELONGUE; LAUFENAUER (Buda-Pesth); LE DENTU ; P. LONDE ; LUCO ORREGO (San-

tiago. Chili); P. MARIE; MARINESCO (Bucharest); H. MEIGE; H. MEUNIER; MICHAILOWSKI

(Sofia); MOCZUTKOVSKY (Saint-Pétersbourg); PARINAUD; PARMENTIER; PITRES; RAMA-

DIER ; L. RÉVILLIOD (Genève); A. ROBIN; SABRAZÈS; THOMAS D. SAVILL (Londres);

Ce SCHAFFER (Buda-Pesth) ; SÉGLAS; SÉRIEUX; SIKORSKY (Kiew); SOCA (Montevideo); SOU-

QUES; SURMONT; TARGOWLA; TERRILLON ; TUFFIER; WEIL.

TOME NEUVIÈME

Avec 44 figures intercalées dans le texte et 49 planches

PARIS

MAS SON ET oe, Éditeurs

LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE

' 120, Boulevard Saint-Germain

1896

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

NOTE -'

SUR L'APPLICATION DE LA MÉTHODE DE M. ROENTGEN

PAR '

ALBERT LONDE

Directeur du service photographique de la Salpêtrière.

Aussi t6t la belle découverte de M. Roentgen publiée, nous avons tenu à

répéter les expériences du savant étranger,qui,grosses de conséquences au

point de vue de la physique pure, paraissent devoir présenter en ce qui

concerne les applications à la médecine et à la chirurgie une importance

non moins grande. Nous avons complètement réussi' et les assertions de

l'auteur en ce qui concerne la perméabilité de certains corps aux rayons

X ont été pleinement confirmées.-

Voici le dispositif que nous avons employé : nous nous servons d'une

forte bobine de Ruhmkorf actionnée par des accumulateurs et susceptible

de donner des étincelles de 8 à 10 centimètres dé longueur ; le courant

est envoyé dans une ampoule de verre dans laquelle le vide radiant a été

obtenu. On peut se servir du tube original de Crookes à miroir métalli-

que parabolique ou des ampoules spéciales fabriquées en France par

M. Gaston Séguy. Quel que soit le dispositif adopté l'appareil s'illumine

d'une belle lueur vert-jaune due à la production des rayons cathodiques,

lesquels suivant l'hypothèse généralement admise jusqu'à nouvel ordre,

donnent naissance à la sortie de l'ampoule aux rayons'signalés par M. Roent-

gen et qu'il a baptisés du nom de rayons X. Ceux-ci, absolument invisi-

bles pour l'oeil,possèdent'par contre la propriété de réduire les sels haloï-

[Nous prions nos lecteurs de vouloir bien excuser le retard survenu dans la publicay

tion du premier fascicule de l'année 1896. La cause en est notre désir de leur offrir .au

plus tôt la primeur des intéressantes recherches de M. A, Londe sur les applications

de la Méthode de Roentgen. (N. D, L. R.)] .

ix . 1

2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

des d'argent et traversent avec la plus grande facilité certains corps opa-

ques pour la lumière ordinaire, tandis qu'ils sont arrêtés par d'autres que

nous considérons comme absolument transparents. Ainsi le papier noir

épais susceptible de protéger parfaitement une plaque sensible de la lu-

mière du jour, est traversé avec la plus grande aisance, même en épaisseurs

multiples; le carton, le bois sont aussi perméables; il en est pareillement

des tissus animaux, des poils, des plumes. Par contre, la plupart des mé-

taux ne se laissent pas traverser, ou très difficilement; le verre, les os sont

dans le même cas. Des nombreuses expériences que nous avons faites dans

cet ordre d'idées il ressort que, par suite de la perméabilité variable des

diverses substances précitées, les résultats obtenus par la photographie à

l'aide des rayons X différeront très souvent de ceux que l'on peut réaliser

par les procédés habituels. Il deviendra donc possible de reproduire cer-

tains corps en faisant abstraction en quelque sorte du milieu qui les ren-

ferme : la photographie à travers les corps opaques, si invraisemblable

qu'elle puisse paraître au premier abord, correspond néanmoins 1 la réalité

des faits.

On peut, en pratique, enfermer dans une boite de carton hermétique-

ment close l'ampoule cathodique et exposer à courte distance une plaque

photographique recouverte de l'objet que l'on veut reproduire. Dans ce

cas il faut opérer obligatoirement dans une pièce absolument sombre. Il

est préférable, à notre avis, d'envelopper la préparation sensible dans plu-

sieurs épaisseurs de papier uni, et de l'exposer dans les mêmes conditions

devant l'ampoule, mais celle-ci restant iL nu : on peut dans ces conditions

travailler dans une pièce éclairée sans inconvénient aucun, la plaque étant

protégée contre la lumière naturelle, et le papier uni ne constituant pas

un écran capable d'arrêter les rayons X.

Dans ces conditions,' il est bien entendu que nous ne pouvons obtenir

que des silhouettes, et c'est ta, il faut bien le dire, le principal reproche

que l'on puisse faire à la méthode de M.Roentgen,non pas que les résultais

obtenus ne soient dans un certain nombre de cas déjà très importants,mais

on n'aura en général de bons résultats que lorsque le modèle ai reproduire

s'appliquera très exactement sur la plaque sensible, les parties situées

dans des plans antérieurs étant d'autant plus floues qu'elles s'en éloigne-

ront davantage. Nous opérons donc par contact et il n'est pas possible

jusqu'à nouvel ordre d'obtenir une image réduite ou agrandie comme dans

o 0

la photographie ordinaire, les rayons X ne paraissant pas soumis aux lois

ordinaires de la réfraction, tout au moins dans les matières qui sont géné-

ralement employées en optique. Ce sera là évidemment un inconvénient

sérieux lorsqu'il s'agira de réduire des modèles de grande dimension.

En dernier lieu, les durées d'exposition qui dépendent de l'intensité du

NOTE SUR L'APPLICATION DE LA MÉTHODE DE ROENTGEN 3

courant producteur de rayons cathodiques et de la nature de l'ampoule,de

la distance qui sépare le modèle de l'ampoule et de l'épaisseur de celui-ci

sont encore trop prolongées pour que l'on puisse attendre de cette mé-

thode des résultats complets lorsqu'il s'agira principalement d'opérer sur

le vivant, car, en dehors de l'intérêt de curiosité bien légitime qui s'atta-

che aux propriétés des rayons X, il est. évident que c'est dans le domaine

de la médecine et de la chirurgie que les applications les plus utiles peu-

vent être faites. Par suite en effet de la translucidité relative des divers

tissus par les rayons X et de l'opacité du système osseux, il deviendra

possible de reconnaître certaines lésions qu'aucun procédé n'aurait per-

mis de percevoir. Si la durée d'exposition estplutôtcourte, le contour ex-

térieur de la partie photographiée subsistera, certaines masses musculai-

res deviendront visibles, et enfin les divers os apparaîtront avec la plus

grande netteté; si, intentionnellement, on augmente celle-ci, les contours

et les reliefs musculaires finiront par être traversés et seul le système os-

seux restera. Il nous paraît inutile d'insister sur l'intérêt de cette sorte de

dissection sur le vif opérée par l'action de certains rayons sur la plaque

photographique : la forme exacte d'une fracture, la détermination de la

position des esquilles, la représentation de certaines lésions seront obte-

nues avec une grande précision. .

Les divers métaux et le verre étant opaques par les rayons X, la recher-

che d'un corps d'origine métallique ou vitreuse sera très aisée. On a du

reste relaté plusieurs photographies faites dans cet ordre d'idées.

La méthode de M. Roentgen permettra donc en principe de rechercher

les lésions osseuses, soit traumatiques, soit congénitales, et les corps

étrangers tels qu'un projectile ou un éclat de verre.

Le résultat peut être considéré comme acquis en ce qui concerne les

parties relativement peu épaisses du corps humain. C'est ainsi que l'on a

obtenu d'excellents clichés des mains et des pieds. Lorsqu'il s'agira d'étu-

dier un membre entier, le bras, la cuisse par exemple, ou une partie plus

épaisse encore, comme le thorax, on se heurtera aux difficultés que nous

avons signalées et qui tiennent d'une part il la nécessité d'employer des

préparations photographiques de très grandes dimensions et d'un prix

fort élevé, et de l'autre à la longueur de la durée d'exposition qui,dépas-

sant actuellement une heure il deux heures au moins pour la main, devrait

être poussée à six ou huit, et peut-être même davantage,pour la cuisse ou le

thorax. Mais ces difficultés ne sont pas insurmontables, et, quand on con-

naîtra mieux le mode de production des rayons z on arrivera certaine-

ment il préparer des sources beaucoup plus intenses et permettant par

suite de pénétrer des surfaces de plus en plus épaisses,ou,pour une même

épaisseur, de réduire de beaucoup la durée d'exposition.

4 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Nos recherches ont porté jusqu'à présent principalement sur la repro-

duction d'animaux tués au moyen d'armes à feu, présentant par suite des

fractures, et susceptibles de contenir des corps étrangers constitués, dans

le cas présent, par des grains de plombs.

Les planches I et II représentent un aileron de faisan reproduit par la

photographie ordinaire et par la méthode de M. Roentgen. Dans la premiè-

re épreuve la forme extérieure du membre est seule visible et on ne sau-

rait y faire les observations très nettes qui résultent de l'examen de la se-

conde. Nous constatons en effet une fracture complète de l'humérus, les

deux parties de l'os étant absolument disjointes ; légèrement en avant, nous

apercevons une petite esquille, et, à côté, un plomb resté dans les chairs.

Cette épreuve, qui n'a posé qu'une heure, laisse encore voir certains reliefs

musculaires.

Dans la photographie d'un pigeon tué également au fusil, et reproduit

cette fois avec toutes ses plumes, l'ossature des pattes et des ailes reste

seule, les chairs et les plumes ayant complètement disparu.

Nous avons enfin obtenu la photographie entière d'un lapin de garenne

sur une plaque de format 50 X 60. Cette épreuve est d'une netteté très

complète ; la colonne vertébrale, les côtes se détachent avec la plus grande

précision; les pattes d'avant sont intactes, mais celles d'arrière sont toutes

deux fracturées et complètement broyées en deux points. On remarque

également dans cette épreuve la présence de G grains de plomb, tous logés

dans le train d'arrière qui avait reçu le coup de feu.

Nous continuons ces expériences, et nous espérons d'ici peu pouvoir

soumettre aux lecteurs de la Nouvelle Iconographie de la Salpttrière des

épreuves exécutées sur divers sujets présentant diverses lésions osseuses,

ou chez lesquels on cherchait des corps étrangers dont il n'avait pas été

possible de déterminer l'emplacement.

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SYRINGOMYÉLIE AVEC ANESTHÉSIE TOTALE

PAR

Le P F. RAYMOND,

Médecin de la Salpêtrière.

Leçon recueillie parle Dur J.-B. CHARCOT

Chef de Clinique. ,

Messieurs.

La malade, qui va faire l'objet de cette leçon et que je vous présenterai

dans un instant, réalise, selon moi, un exemple de syringomyélie. Tout

à l'heure je m'efforcerai de justifier ce diagnostic ; mais, dès maintenant, je

tiens à vous dire qu'il n'est pas sans offrir des difficultés. C'est que le cas

de cette malade s'écarte, en certains points, du type classique sous lequel

nous nous représentons volontiers la syringomyélie, depuis que nous avons

appris à bien connaître la symptomatologie de cette affection.

Je vais commencer par vous relater l'histoire très intéressante et très

instructive de la maladie de cette femme. Puis je vous promènerai en quel-

que sorte à travers les phases d'hésitation par lesquelles il nous a fallu

passer avant d'établir notre diagnostic sur les bases d'une certitude pres-

que absolue.

L'affection dont souffre cette femme date déjà de loin ; dans ces derniers

temps, son évolution traînante jusqu'alors, a subi une brusque aggrava-

tion. Bref, dans cette évolution, nous pouvons distinguer deux phases.

Une première, lente, progressive, qui embrasse une durée de plusieurs

années ; une seconde phase, qui date de 15 jours, environ, marquée par

une aggravation telle qu'une terminaison fatale à brève échéance est à

prévoir.

Deux mots d'abord sur les antécédents familiaux et personnels de notre

malade. Son père est tombé en état de démence vers l'âge de 60 ans ; il a

été enlevé par une pneumonie. Sa mère, d'une bonne santé habituelle,

est morte accidentellement à l'âge de 61 ans ; elle a été tamponnée par

un train de chemin de fer. Une soeur a succombé à l'âge de 6 mois, em-

portée par une méningite.

La malade, âgée de 38 ans,' est mariée, sans profession. Elle est née à

6 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

terme, dans de bonnes conditions. Jusqu'à l'âge de 21 ans, elle n'a eu,

dit-elle, d'autre indisposition qu'un panaris. Circonstance importante

à noter dans le cas présent, ce panaris a été douloureux et a évolué d'une

façon classique.

A l'âge de 21 ans, la malade s'est mariée. Elle a mis au monde 5 en-

fants. Les deux premiers sont venus il sept mois, mort-nés. Les deux sui-

vants, des jumeaux,nés également il sept mois,sont morts au bout de deux

mois. Le cinquième enfant est né à terme. Actuellement, il est figé de cinq

ans et il se porle bien. -

Il y a huit ans, la malade a eu une laryngite chronique qui a duré six

mois. Ce fait, rapproché des accoucllementsprénraturés, devait éveiller le

soupçon d'une syphilis antécédente ; or, dans l'examen que nous avons

fait de cette femme, nous n'avons rien relevé qui vienne à l'appui de ce

soupçon. D'ailleurs en admettant qu'elle ait contracté autrefois la syphi-

lis, cette circonstance n'aurait aucune inlluence sur le diagnostic porter.

Il y a sept ou huit ans, la malade a éprouvé des douleurs sourdes dans

l'épaule et dans le coude du côté gauche ; ces douleurs se sont reprodui-

tes principalement au moment des règles, d'après le dire de cette fem-

me. Elles duraient une journée ; elles n'étaient pas assez violentes pour

gêner la malade dans ses occupations habituelles. Déjà, à cette époque,

elle éprouvait dans les deux mains quelques picotements, quelques four-

millements suivis d'un oedème pâle qui occupait le dos de celles-ci ; le

tout persistait environ 24 heures.

Ces douleurs, que la malade met sur le compte du rhumatisme ont, il

mon idée, une signification plus importante; elles marquent, à n'en pas

douter, la première manifestation de la maladie actuelle. A vrai dire l'in-

téressée, pour sa part, est convaincue que le début véritable de sa maladie

ne remonte qu'au mois de septembre 1894 ; il cette époque, elle a eu pen-

dant trois mois des fourmillements dans les phalangettes de la main gauche.

Le 4 décembre suivant, un panaris s'est développé l'annulaire de la

main droite; or, circonstance sur laquelle on ne saurait trop insister, ce

panaris, contrairement à ce qui avait eu lieu pour le précédent, n'a pas

occasionné à la malade la moindre douleur, pas même au moment où il a

fallu l'inciser. A la suite de cette petite opération, il n'y a eu ni élimina-

tion de séquestre osseux, ni perte d'un autre tissu par nécrose.

Fort peu de temps après cette manifestation presque pathognomonique

de la syringomyélie, la malade a été prise d'une faiblesse considérable des

membres supérieurs, compliquée bientôt d'une atrophie musculaire géné-

ralisée. La paralysie et l'atrophie ont évolué avec une très grande rapidité;

au mois de février, la malade était complètement impotente. Je note, en

passant, qu'au début ces manifestations ont été plus accusées et plus rapi-

SYRINGOMYÉLIE AVEC ANESTHÉSIE TOTALE 7

des dans le membre supérieur gauche. Dès les premiers jours d'avril, la

monoplégie brachiale droite était complète.

Vers la fin de ce même mois, la faiblesse a envahi les membres infé-

rieurs ; il en est résulté des chutes fréquentes.

Au mois de juin, la malade a éprouvé pour la première fois, de la diffi-

culté pour uriner. Peu de temps après, elle souffrait d'une incontinence

complète d'urine, accompagnée d'une constipation opiniâtre. A la même

époque, la marche était devenue impossible. Le mois suivant, la malade

n'avait plus conscience de ses évacuations d'urine et de matière fécale.

La malade est entrée dans notre service au mois d'octobre 1895 ; voici

parmi les détails de l'observation relevés par M. Souques qui était alors

mon chef de clinique, ceux sur lesquels je désire attirer spécialement votre

attention.

*

..

L'état général de cette femme était satisfaisant; l'impotence motrice

était presque absolue aux quatre membres ; seuls les doigts de la main gau-

che pouvaient être mis en légère flexion. De même, au tronc, presque tous

les muscles étaient paralysés, sauf cependant ceux de la tête et du cou.

C'est ainsi que sur l'ordre qu'on lui en donnait, la malade parvenait à sou-

lever légèrement ses bras, grâce à l'action des muscles trapèzes. Partout

la paralysie se compliquait d'une atrophie musculaire considérable. L'exa-

men électrique des nerfs et des muscles n'a pas été pratiqué. Nous n'en

éprouvons qu'un médiocre regret, car les résultats de cet examen, quels

qu'ils eussent été, n'auraient en rien pu modifier notre diagnostic.

l'époque dont je vous parle, les réflexes tendineux étaient très exagé-

rés ; il y avait également un clonus inépuisable des deux pieds. Les trou-

bles oculo-pupillaires se réduisaient à une inégalité de dilatation des pupil-

les. Celle de gauche était plus étroite. L'intelligence était intacte. Il n'y

avait rien d'anormal à relever dans la sphère des nerfs crâniens.

Les troubles vésico-rectaux consistaient en une incontinence incessante

d'urine, sans regorgement, dontlamaladen'avaitpas conscience, et en une

constipation opiniâtre.

En fait de troubles vaso-moteurs, on ne notait, en dehors d'une rougeur

violacée et d'un abaissement léger de la température locale au niveau de

la main droite, qu'une eschare sur la région trochantérienne droite.

Celle eschare a débuté par une rougeur érythémateuse; en très peu de

temps, le travail de mortification a pris une extension énorme, mettant

à nu les muscles profonds et jusqu'aux os. Cette vaste plaie béante était

et est encore d'une indolence absolue. Plus lard, de petites ulcérations

escharotiques se sont développées à la région trochantérienne gauche : elles

n'ont pas tardé à être englobée dans la vaste eschare du côté opposé.

8 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Voilà déjà un ensemble symptomatique qui donne à l'expression clini-.

que du cas de notre' malade un aspect particulier. Mais il me reste d'au-

tres détails à relever, qui méritent de fixer tout. spécialement notre attention,

parce que ce sont eux qui rendent nécessaire une discussion diagnostique

minutieuse et serrée. 1 - .

Au moment de son entrée dans le service, en octobre, notre malade pré-

sentait déjà et elle présente encore une anesthésie complète sur toute

l'étendue du tégument externe, à l'exception do la tête, de la partie droite

du cou et de la région pectorale. -Vous savez,,je suppose, ce qu'on entend

par les mots d'anesthésie dissociée, de dissociation de la sensibilité. Vous

savez qu'on désigne par là une anesthésie qui porte isolément sur une ou

deux des manières d'être de la sensibilité, sur la sensibilité à la douleur

(analgésie), ou sur la sensibilité au chaud et au froid (thermo-aneslhésie)

ou sur les deux à la fois, ou sur la sensibilité tactile seulement. Il n'y a

pas très longtemps, l'anesthésie dissociée, quand elle se-présentait sous

la forme de l'analgésie et de la thermo-anesthésie avec conservation de la

sensibilité tactile, était considérée comme une manifestation patliognomo-

nique de la syringomyélie. Celle opinion n'est plus soutenable dans ce

qu'elle a d'exclusif; n'empêche que la dissociation de la sensibilité, l'anes-

thésie dissociée telle que je viens de la définir, est un signe de grande

valeur dans un cas de syringomyélie présumée. Or, ce signe fait défaut

chez notre malade. Chez elle, l'abolition de la sensibilité porte sur les sen-

sations douloureuses et sur les sensations thermiques. Cette anesthésie

totale occupe touj. le vaste champ représenté par le schéma que j'ai fait

placer sous vos yeux (Fig. 1 et 2).. A la partie antéro-externe de la jambe

gauche vous remarquerez l'existence d'une simple hypoesthésie avec erreur

de localisation ; à vrai dire,cette hypoeslhésie était, certaines époques, rem-

placée par l'anestliésie. A gauche, t'anesthésie est peut-être un peu moins

profonde ; les sensations très intenses sont un peu perçues, mais elles don-

Fig. 1 et 2. ,

SYRINGOMYÉLIE AVEC ANESTUÉSIE TOTALE 9

nent lieu à des erreurs de localisation. t1 la région périnéale et ano-vulvaire,

il y avait de l'hypoesthésie à gauche el une anesthésie complète et totale

à droite.

Cette anesthésie superficielle des téguments s'accompagnait d'une anes-

thésie profonde avec perte de la notion de position.

En résumé, au mois d'octobre- 1895 nous nous trouvions en présence

d'une malade dont l'état général était satisfaisant, mais qui était atteinte

d'une paralysie complète des membres et du tronc compliquée d'une atro-

phie musculaire intense aux membres surtout ; les muscles du cou et ceux

de la tète étaient respectés par l'atrophie. La paralysie et l'atrophie mus-

culaire s'accompagnaient de troubles vésico-rectaux (incontinence d'urine

et constipation opiniâtre), d'une anestliésie totale superficielle étendue à

presque tout le tégument externe, d'une ancsthésie des tissus sous-jacents,

et d'une eschare profonde à extension rapide.

Actuellement, le tableau que je viens de vous tracer se trouve modifié

dans certains de ses traits ; ce changement date de 13 jours, c'est-à-dire

du 9 novembre dernier. A cette date, la malade a eu le matin une série de

frissons ; la fièvre s'est déclarée, accompagnée de vomissements et de l'ap-

parition d'un herpès labial. Ce changement subit ne trouvait sa raison

d'être dans aucune inflammation viscérale, pulmonaire ou autre. Toutefois,

l'évolution ultérieure, les caractères de la courbe de température, qui était

à grandes oscillations, la bouffissure des téguments, l'atteinte portée à

l'étal général, l'aspect de l'eschare indiquaient suffisamment que notre

malade était sous le coup d'une infection qui devait avoir son point de

départ dans le foyer de mortification représenté par l'eschare.

Quant au reste, les signes sur lesquels je me suis étendu longuement

subsistaient dans leur ensemble, avec quelques modifications. La paraly-

sie motrice ne s'était pas amendée ; l'ancsthésie conservait les mêmes li-

mites ; les troubles vésico-rectaux persistaient. Par contre, l'oedème des

téguments masquait l'atrophie des muscles ; les réflexes tendineux, exagé-

rés jusque [Il, étaient abolis ; la trépidation spinale avait disparu; enfin,

la malade se plaignait de crampes dans les cuisses et dans les mollets.

Ces modifications, tout en ayant leur importance, n'ont cependant

changé en rien l'opinion que nous nous étions faite de la nature de la ma-

ladie de cette femme, avant le début de cette seconde phase qui, je le

crains, aboutira il un dénouement fatal prochain. C'est vous dire que la

discussion diagnostique, à laquelle je vais me livrer maintenant, portera

principalement sur les phénomènes morbides observés chez notre malade

au mois d'octobre dernier, et qui ressortissenl à la période d'état.

40 - NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Reportons-nous donc au tableau clinique que nous avions devant nous

à l'époque dont je vous parle. Parmi les traits qui composent ce tableau,

celui qui, par son étendue, ses caractères et son association aux autres

symptômes frappe le plus mais n'embarrasse pas moins, c'est l'anesthésie.

Rappelez-vous que cette anesthésie ne respecte, en somme, que la face et

la partie supérieure du côté droit de la poitrine; rappelez-vous qu'elle in-

téresse les trois modes de la sensibilité. La seule constatation d'uneanestbé-

sie de cegenre doit immédiatement nous faire songer il l'hystérie. L'intensité

de celle anesthésie, l'impotence motrice complète dont est frappée la' mala-

de, les troubles trophiqueseoncomitantsnepourraientquefortifierce soup-

çon. Par contre, l'évolution des accidents, la gravité de certains troubles

présentés parla malade, et en particulier les troubles sphinctériens, les

caractères de l'eschare plaident catégoriquement contre l'intervention ex-

clusive de l'hystérie. Mais s'il nous est impossible de mettre sur le compte

de la grande névrose la totalité du syndrome morbide constaté chez cette

femme, nous avons toujours le droit et même le devoir de nous demander

si l'anesthésie ne doit pas être considérée comme une manifestation hysté-

rique surajoutée à une affection organique. Cette supposition n'a rien que

de très naturel. Nous savons combien sont fréquentes ces associations, et

mon illustre prédécesseur et maître, Charcol, a eu bien des fois l'occasion

de présenter dans cet amphithéâtre, des syringomyélies, des scléroses

en plaques, des maladies de Friederich, dont les symptômes étaient com-

pliqués et même embrouillés par des manifestations hystériques, au pre-

mier rang desquelles il convient de citer l'anesthésie. A mon avis, ce n'est

pas le cas chez notre malade ; t'anesthésie, chez elle, ne se présente pas avec

les caractères qu'on lui trouve dans l'hystérie. Elle diffère d'abord de l'a-

anesthésie hystérique par sa distribution. En effet, dans l'hystérie, l'anes-

thésie se rencontre tantôt sous la forme d'hémi-paralysie du sentiment,

nettement circonscrite à une moitié du corps, délimitée par une ligne mé-

diane qui passe par l'axe du sujet, tantôt sous la forme de zones circons-

crites, segments géométriques plus ou moins réguliers ou îlots disséminés.

Sans doute on observe des anesthésies hystériques généralisées, mais elles

sont totales, complètes, c'est-à-dire étendues à toute la surface du corps;

elles ne respectent pas certains territoires, comme cela a lieu chez notre

malade pour la face et pour une partie de la poitrine. De plus si, dans

l'hystérie, certains réflexes sont abolis, tel le réflexe pharyngé, d'autres

persistent, ainsi le réflexe pupillaire sensitif. Pitres, Onanolf 0111 bleu mis

en évidence ce fait que, chez l'hystérique, un pincement violent, une pi-

qûre d'un membre anestbésié provoquait la dilatation de la pupille con-

SYRINGOMYÉLIE AVEC ANESTHÉSIE TOTALE 11

trairement à ce qui a lieu dans les cas d'anesthésie organique. De plus l'a-

nesthésie hystérique est essentiellement mobile ; elle ne gêne pas le ou la

malade, qui ne la soupçonne même pas la plupart du temps, qui ne s'en

rend compte qu'une fois qu'on lui a fait remarquer l'insensibilité de sa

peau. Notez en outre que notre malade ne présente aucun des stigmates de

l'hystérie ; jamais non plus elle n'a eu d'attaque convulsive.

Bref, l'hystérie ne peut être incriminée chez cette femme, ni comme

cause primordiale des accidents, ni comme complication.

L'hypothèse d'une anesthésie par lésion de l'encéphale n'est pas davan-

tage admissible. En effet, l'anesthésie qui a cette origine se présente sous

les traits cle l'hémi-anesthésie ; comme l'anesthésie hystérique, elle atteint

les organes des sens du côté correspondant; elle s'étend aux muqueuses;

elle s'accompagne souvent d'hypéresthésie, de troubles vaso-moteurs et

trophiques, souvent aussi de désordres ataxiques. Cela seul suffira pour

vous convaincre que l'hypothèse en question peut être rejetée de prime

abord.

L'hypothèse d'une polynévrite chronique peut être écartée rien qu'en

tenant compte des éléments cliniques et étiologiques du cas et des caractè-

res de l'anesthésie.

Il ne nous reste donc plus qu'à chercher parmi les affections de la

moelle. Or, du fait même que je viens de démontrer, du fait que l'anes-

thésie doit être rattachée à l'affection en cause, doit être mise sur le compte

de cette affection, nous sommes autorisés à éliminer les maladies suivan-

tes qui ne comptent pas l'anesthésie parmi leurs symptômes, mais qui

peuvent s'associer l'hystérie, celle-ci se manifestant par l'abolition de

la sensibilité ; nous pouvons éliminer, dis-je,Patrophie musculaire du type

Aran-Duchenne, la pachyméningite, les types d'atrophie musculaire pro-

gressive myopathique, la sclérose latérale amyotrophique, la sclérose en

plaques, la myélite transverse, la syphilis médullaire, l'hématomyélie.

Parmi les affections de la moelle susceptibles de donner lieu à un en-

semble symptomatique semblable à celui que nous constatons chez notre

malade, ensemble symptomatique dominé par la paralysie motrice, l'atro-

phie musculaire, t'anesthésie, des troubles trophiques cutanés, il ne reste

plus que la syringomyélie. Aussi bien l'hypothèse d'une syringomyélie

cadre parfaitement avec manifestations cliniques que nous relevons chez

cette femme et.avec l'évolution de la maladie. Une seule particularité est

de nature à faire naître un doute, à nécessiter une discussion : elle est

relative aux caractères de l'anesthésie. Nous ne constatons pas chez cette

femme la forme d'anesthésie qui est habituelle dans les cas de syringo-

myélie, je veux parler de l'anesthésie dissociée. Mais pour si habituelle

qu'elle soit, celle forme d'anesthésie est loin d'être constante. Ne perdez

12 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

pas de vue, Messieurs, que la syringomyélie est une affection essentiel-

lementpolymorphe quant à son expression clinique. J'ai insisté là-dessus

dans une de mes leçons de l'année dernière, et à cette occasion, je n'ai

pas compté moins de treize formes atypiques de syringomyélie ; j'y pour-

rais ajouter une quatorzième, dont le cas de notre malade est un exemple.

Je viens de vous dire que pour être habituelle dans la syringomyélie,

1'(i)iesihésie se présentant sous la forme de la tlrennao-rcaaestlcésie et de l'anal-

gésie avec conservation de la sensibilité tactile est loin d'être constante. Ceux

qui ont soutenu le contraire ont commis une erreur. Sans parler des cas

où la syringomyélie était associée à l'hystérie (Charcot, Erb, Schlesinger,

Souques) ou encore au tabès (Hoffmann, Oppenheim), on a publié un

assez grand nombre de faits de syringomyélie pure, où l'anesthésie revêtait

la forme vulgaire, c'est-à-dire intéressait les trois modes de la sensibilité.

Ces faits méritent de nous arrêter un peu; je vais donc passer en revue les

principaux.

L'histoire clinique de la syringomyélie date d'une dizaine d'années à

peine. Or, dès 1889, Miura (1) etRumpl' (2) ont fait connaître des cas de

syringomyélie où l'anesthésie intéressait les trois modes de sensibilité. Des

faits semblables ont été publiés par IIochIIaus (3), (1890), par Joffroy et

Achard (4), (1890 et 1891). A la même époque, Hoth (5) relevait 8 cas

de syringomyélie dont 11 avec aneslhésie tactile.

En 1892, Critzmann (G), dans sa thèse, a porté son attention d'une fa-

çon spéciale sur les troubles de la sensibilité tactile dans la syringomyé-

lie, et il a cité des exemples de syringomyélie où l'anesthésie était totale.

Au nombre des faits du même ordre, publiés par d'autres auteurs (Bern-

hardt, Singer, Niessen, Souques), il en est qui méritent une mention spé-

ciale.

Ainsi le cas publié par Asmus (7) où on avait porté le diagnostic de

(1) 111cua ? Zur Genèse der Iloehlen nu Ruckenmarke. Vi1'chow's Archiv, 1889, t. in,

fasc. 3, p. 435.

(2) llnrF, Ueber einen Fall von Syringomyélie etc. Neurologisches Centralblalt,

1889, ne 7, 8 et 9.

(3) Ilocnunus, Zur Kenntniss des Ruckenuiarcksgtioms. Deutsches Archiv (il,' klin.

Medicin., 1891, t. 47, fasc. 5 et ti, p. 603.

(4) JoiFioy et Aciiaud, Un cas de maladie de llorvan avec autopsie. Archives de mé-

decine expérimentale, 1890, n° 4. - Nouvelle autopsie de maladie de Morvan, Eodem

loco, 1891, n° 5, p. 677.

(5) Rom, Contribution à l'étude symptoniatologique de la gliomatose médullaire.

Archives de neurologie, 1881 et 1889, t. 14 et 16.

(6) CIII'1Z)IAXN, Essai sur la syringomyélie. Thèse de Paris, 1892.

(7) As.iLs, Bibliotheca medica, 1893.

SYRINGOMYÉLIE AVEC ANESTHÉSIE TOTALE 13

syphilis médullaire. L'autopsie démontra qu'il s'agissait d'une syringo-

myélie. Du vivant du malade, on avait constaté une anesthésie totale à

la jambe droite et dans le côté droit du tronc.

En 1894, IIomen (1) a publié une observation de syringomyélie avec

anesthésie totale aux avant-bras ; à l'autopsie, on a trouvé une gliomatose

qui intéressait principalement la substance grise centrale; mais par places

elle empiétait sur la substance blanche. Voire que dans les cordons posté-

rieurs, elle se présentait sous forme d'îlots qui paraissaient être indépen-

dants de la masse centrale.

Oppenheim (2), dans une première publication consacrée à l'étude des

formes atypiques de la syringomyélie, s'était occupé spécialement de la

forme qui simule avec plus ou moins de ressemblance le tableau du tabes

dorsalis. Plus récemment, il a mentionné un cas de syringomyélie dans

lequel les cordons postérieurs ont été trouvés dégénérés. Or, du vivant du

sujet, on avait constaté une anesthésie totale dans la moitié gauche du

tronc, à la cuisse gauche, à la jambe et au pied droits.

Je vous signalerai ensuite une observation de Schuppel (3) sur laquelle

je crois devoir insister d'une façon spéciale. Elle concerne un malade qui,

à la suite d'une fièvre typhoïde, avait présenté une anesthésie complète et

totale aux doigts et aux mains. Puis l'abolition de la sensibilité avait en-

vahi les membres supérieurs, dans toute leur étendue, le tronc, et finale-

ment les membres inférieurs. La sensibilité n'était conservée que dans des

ilots bien circonscrits, au tronc. Quand le malade fermait les yeux, il

n'avait plus conscience des changements d'attitude qu'on imprimait à ses

membres. Le sens musculaire était diminué. Les réflexes étaient abolis. A

l'autopsie, ou a trouvé la partie centrale de la moelle creusée d'une exca-

vation qui s'étendait depuis l'émergence de la première paire cervicale

jusqu'à la limite commune des segments dorsal et lombaire. Cette exca-

vation était indépendante du canal central et ne communiquait pas avec

lui. Les cordons antérieurs étaient intacts; les cordons latéraux étaient

sclérosés depuis l'émergence de la 2e paire cervicale, jusqu'à l'extrémité

supérieure du segment lombaire. Les cordons postérieurs étaient dégénérés

dans la moitié supérieure du segment cervical ; il n'en restait plus de traces

dans la moitié inférieure de ce même segment. Ils étaient fortement atro-

phiés dans le segment dorsal, mais dans le segment lombaire, on leur re-

trouvait un aspect normal. Schuppel avait vu dans ce cas un exemple de

(1) 1101EN, Bidrag till Kaennedom om syringomyélie. Nordiste med.flrkiv., 1894, t. IV.

(2) Oppenheim, Ueber atypische Formen der Gliose. Archiv sur Psychiatrie, 1893,

t. XXV. fasc. '2. p. 31;i.

Le même :

(3) Schuppel, Ein rail von allgemeiner Anaesthesie. Archiv sur lIeilfczl1lde, 1874.

t. XV, p. 44.

d4 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

myélite aiguë de la substance grise, survenue dans le cours d'une maladie

infectieuse. Elle a été considérée et citée comme un exemple de syringo-

myélie, depuis qu'on est fixé sur les caractères cliniques el anatomo-pa-

thologiques de celle affection.

Je pense vous avoir convaincu, par ces citations, combien on a eu tort

de représenter l'anesthésie totale comme une manifestation exceptionnelle,

insolite, dans les cas de syringomyélie. Il me reste maintenant à vous ex-

pliquer pourquoi l'anesthésie se présente tantôt, sous la forme partielle

dissociée, tantôt sous la forme totale.

J'ai déjà eu l'occasion de vous dire que la syringomyélie débute géné-

ralement dans la commissure grise postérieure, en arrière du canal cen-

tral, quelquefois aussi dans la substance gélatineuse de Rolando, ou sur

le trajet de la racine ascendante du trijumeau. Elle envahit d'abord la

substance grise centrale, puis la corne postérieure qu'elle peut détruire

en totalité. En étendant ses ravages, elle peut détruire les cordons blancs,

en arrière, sur les côtés et en avant. Eh bien ! dans le cas actuel, chez la

femme qui est devant vous, on peut prévoir l'extension rapide du pro-

cessus cavitaire aux cornes antérieures, aux faisceaux antero-laléraux, aux

cornes postérieures et aux cordons postérieurs ; ces diverses localisations

du processus nous rendraient compte des symptômes observés chez notre

malade.

Je n'ai pas l'intention d'insister sur la physiologie des sensibilités,

question sur laquelle on a beaucoup écrit, beaucoup discuté, qui reste

néanmoins fort embrouillée, fort controversée. Un fait se dégage des ob-

servations avec autopsie que j'ai passées en revue tout à l'heure, c'est que

l'anesthésie totale, l'anesthésie qui intéresse la sensibilité tactile en même

temps que la sensibilité à la douleur, au chaud et au froid, rend vraisem-

blable l'envahissement des cordons postérieurs par le processus cavitaire.

Ainsi, dans le premier cas relaté par MM. Joffroy et Achard, on a trouvé

à l'autopsie, indépendamment de formations cavitaires dans les deux cor-

nes postérieures, une destruction complète des cordons postérieurs dans

le segment cervical, au point qu'à ce niveau la paroi postérieure de la ca-

vité syringomyélitique était formée par la pie-mère doublée d'une mince

couche de névroglie.

Dans la seconde observation publiée par les mêmes auteurs, l'autopsie

a montré que la corne postérieure droite était détruite, et que le cordon

postérieur droit était sclérosé et en partie désorganisé.

Dans le cas d'IIomen, les cordons postérieurs étaient envahis par des

îlots de gliomatose indépendants de la masse centrale.

SYRINGOMYÉLIE AVEC ANESTHÉSIE TOTALE 15

Dans un cas d'Oppenheim dont je vous parlais tout il l'heure, le dernier

en date, les cordons postérieurs étaient comprimés et, déplus, envahis par

une dégénérescence descendante.

Enfin vous vous rappelez que dans le cas de Schuppel, la substance grise

centrale et les cordons postérieurs manquaient totalement sur une cer-

taine étendue.

L'auteur qui a le mieux étudié -la participation des cordons postérieurs

au processus de la syringomyélie, Schlesinger (1), a montré que dans ces

cordons, trois régions surtout étaient envahies par la gliomatose, à sa-

voir : '

1° La partie contiguë à la commissure grise postérieure ;

2° Les portions du cordon de Goll adjacentes à la scissure médiane pos-

térieure ;

3° La zone comprise entre le cordon de Goll et le cordon de Burdach.

Que conclure de l'ensemble des faits que je viens de vous exposer ? C'est

que, étant donnés l'étendue des troubles moteurs, la distribution et les ca-

ractères de l'anesthésie, il y a lieu de supposer chez notre malade, l'exis-

tence d'une énorme cavité qui embroche en quelque sorte la moelle de

part en part depuis la région dorsale supérieure à droite etcervicale supé-

rieure à gauche, jusqu'à la région lombo-sacrée, ou bien d'une cavité, qui,

à la base de la région cervicale, a sectionné à peu près complètement les

cordons postérieurs. '

La lésion est-elle limitée à la substance grise ? J'incline à croire que non.

A en juger par les faits que je vous ai exposés, il est très vraisemblable,

comme je viens de vous le dire, que la substance blanche des cordons pos-

térieurs el même des cordons latéraux participe dans une certaine mesure

au processus gliomateux. La participation des cordons latéraux nous ren-

drait compte de cette paralysie motrice absolue que nous constatons chez

notre malade, et qui a précédé l'atrophie musculaire; la participation des

cordons postérieurs nous expliquerait de même les caractères de l'anesthé-

sie, c'est-à-dire l'abolition de la sensibilité tactile. Toutefois le cas d'As-

mus est là pour nous suggérer certaines réserves. Il nous montre qu'il

n'existe pas entre l'abolition de la sensibilité tactile et la lésion des cor-

dons postérieurs un rapport aussi constant qu'on serait enclin à le croire.

En effet, les résultats de l'autopsie n'étaient pas de nature à expliquer l'a-

neslhésie du côté droit constatée du vivant du malade, car de ce côté une

partie seulement du cordon de Goll était désorganisée par la néoplasie.

Par places, la lésion du cordon postérieur était plus prononcée à gauche

qu'à droite. Or les troubles de la sensibilité tactile avaient fait défaut dans

le côté gauche.

(1) Schleslngek, Die Syringomyélie. Leipzig et Vienne, 1895.

16 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Voilà pour le diagnostic. Quant à la question de pronostic, elle me'pa-

rait facile à trancher. Depuis tantôt, quinze jours, l'état de la malade s'est

aggravé par suite d'une infection intercurrente qui a sa source dans l'es-

chare. Je vous ferai remarquer en outre que, depuis quelques jours, les

réflexes tendineux, exagérés jusque l;i, sont abolis. Ce fait dénote selon

toute probabilité, le développement d'une.myélite aiguë infectieuse ayant

abouti à la désorganisation du centre des réflexes. En tont état de cause,

un dénouement fatal à brève échéance est à craindre, et cela me paraît

malheureusement trop certain. 1 .

Ce qu'il me reste il vous dire au sujet du traitement se réduit à un aveu

d'impuissance. Je ne sais ce que la thérapeutique nous réserve dans l'ave-

nir, mais, pour le moment, j'en suis réduit à constater et à déplorer l'inac-

tion à laquelle elle nous condamne, en présence d'un cas de syringomyélie

parvenue à la période cavitaire, alors surtout que les renseignements

anamnestiques n'autorisent pas un essai de traitement spécifique (1).

(1) La malade a succomhé quelques jours après cette leçon. Voici le résultat de

l'examen, à l'oeil nu, de la moelle :

La coupe est normale au niveau de la région inférieure du bulbe et de la ire racine

cervicale ; niais dès la 2' racine cervicale, on note un épaississement des méninges

qui entoure de toute part la moelle à laquelle celles-ci adhèrent fortement ; la moelle

à ce niveau, n'a plus sa consistance normale, elle est molle, même diffluente par en-

droits, elle s'aplatit sur la table d'amphithéâtre ; sa section laisse écouler un liquide vis-

queux, un peu louche, et l'aplatissement du tissu médullaire devient tel, après la sor-

tie du liquide que la moelle prend la forme et l'aspect d'un ruban étalé ; on ne trouve

pas de grosses cavités, mais il est impossible de reconnaître sur la surface de section,

les cornes des cordons blancs : tout est infiltré par la sérosité qui est logée çà et là dans

des cavités donnant à tout le tissu un aspect lacunaire très spécial. On retrouve le

même aspect au niveau du renflement cervical et de la 3e racine dorsale ; mais à par-

tir de la région dorsale moyenne, la moelle présente, à la coupe, des cornes et des

cordons qui paraissent absolument normaux à l'oeil nu ; on ne voit pas de grosse

lésion au niveau de la moelle lombaire ; toutefois, le tissu (reste mou et les méninges

sont un peu épaissies tout en se laissant décoller facilement. L'examen histologique

détaillé sera publié ultérieurement.

UN CAS DE TABES SUPÉRIEUR

AVEC CONSERVATION DES RÉFLEXES.

PAR

E. LENOBLE ,

Interne de la Clinique des Maladies du Système Nerveux.

Observation. La nommée V... Alice, âgée de 28 ans, entre le 6 novem-

bre 1895, salle Cruveilhier, lit n° H, service de M. le Prof. Raymond.

Antécédents héréditaires. Le père et la mère, de V... sont morts

entre 40 et GO ans d'une affection pulmonaire ayant duré deux ans. La

mère présentait des sortes de crises gastriques.

Elle a eu dix frères et soeurs : la malade est la 9e. Une seule soeur

âgée de 19 ans est encore vivante. C'est la dernière venue ! Les 8 autres

n'ont pas été connus par V... et sont morts en bas âge.

Il n'existe pas de maladies nerveuses dans la famille.

Antécédents personnels . - Elle-même aurait eu la coqueluche à 5 ans.

Elle aurait été réglée à 14 ans régulièrement.

A 20 ans,. elle a présenté des phénomènes vagues attribués par son

médecin à de la chloro-anémie : essoufflement, palpitations, mauvaises

digestions etc. etc.

Elle a été mariée à 23 ans. Son mari serait très bien portant, il n'est

pas buveur. Elle n'a jamais remarqué sur lui d'éruption suspecte.

Elle n'a pas eu d'enfants, elle n'a pas fait de fausses couches.

Elle ne présente pas de symptômes d'éthylisme.

Elle nie avoir jamais présenté aucun accident spécifique. Jamais

elle n'aurait eu d'éruption cutanée, de maux de gorge, de céphalalgie. 11-y

a G mois, dit-elle, ses cheveux tombaient en abondance et tous les matins

elle en recueillait des mèches entières sur son peigne. Cette alopécie était

généralisée à tout le cuir chevelu et s'accompagnait d'une desquamation

fine et sèche : il s'agirait donc ici d'une alopécie arthritique séborrhéique.

Interrogatoire du mari. Ses parents ont toujours été bien portants

et sont morts à un âge avancé.

Il a un frère et une soeur bien portants.

m

18 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTR1ÈRE

Lui-même n'aurait jamais été malade. Peut-être aurait-il eu la rougeole

et la coqueluche pendant son enfance. ,

AJ'àgede 0 ans il contracta la blennorrhagie. A la suite d'ingestion

de capsules de copahivate de soude, il aurait eu une roséole copahivique

diagnostiquée par son médecin et qui n'aurait duré que deux ou trois jours.

Du reste il n'aurait jamais présenté aucun symptôme analogue à ceux de

l'infection syphilitique. Il nie énergiquement et absolument la syphilis :

il n'a jamais eu de chancre, jamais d'alopécie, jamais de plaques dans la

bouche. - -

Il n'est pas buveur el ne présente pas de signes d'éthylisme.

Il est assez malingre, mais cependant on ne constate rien chez lui qui

puisse faire penser à de la tuberculose.

Début de C'affection. Le début des symptômes actuels remonte à

3 ans. Les troubles de la ne apparurent les premiers : la malade voyait

trouble et ne pouvait se diriger dans la rue. En même temps apparaissait

de la diplopie. Rapidement les symptômes s'aggravèrent : la paupière gau-

che se paralysa et devint tombante. La vue s'affaiblit au point que Z' .....

n'aurait pu sortir seule sans danger. Elle ne pouvait plus lire le journal

et ne reconnaissait qu'à grand'peine son mari et les personnes de sa con-

naissance. Cet état morbide persista six mois pendant lesquels les paraly-

sies oculaires s'installèrent comme elles existent encore à l'heure actuelle.

Puis la vue retint peu il peu surtout du côté de l'oeil droit. Cependant la

patiente voyait encore tous les objets confus et parfois doubles. En som-

me depuis deux ans el demi les phénomènes ont persisté sans aucune mo-

dificatiol tels que nous allons les décrire.

Il y a un an V... remarqua il plusieurs reprises que ses jambes se déro-

baient sous elle. A la même époque des douleurs fulgurantes apparurent-

aux membres inférieurs en particulier à gauche. Ces douleurs procédaient

par crises : pendant deux mois elles se maintinrent presque permanentes

avec redoublement pendant la nuit. Aujourd'hui elles existent encore mais

très atténuées. En même temps apparaissaient des douleurs fulgurantes le

long du bord cubital du bras et de l'avant-bras. De temps en temps la

malade avait la sensation d'une ceinture lui comprimant le thorax, ou bien

elle se sentait courbaturée sans cause apparente. Ces derniers symptômes

ont également diminué de fréquence et d'intensité.

Etat actuel. Femme jeune, assez vigoureuse. Ce qui frappe d'abord,

c'est l'aspect particulier de la l'iice (111. 111). La tète dans son ensemble est in-

clinée sur l'épaule gauche. Ce qui lient ce que le sujet, voyant mal de l'oeil

gauche, incline la tète de ce côté pour suppléer par l'oeil droit a t'insufn-

sance de la vision. En même temps le côté gauche de la face est légèrement

reporté en arrière. La chute de la paupière gauche explique également cette

NOUV 1111.01.11..> LA SALPETRIIRI T IX PL. ni

L. HATTAILLE ET C"

EW TLURS

UN CAS DE TABES SUPERIEUR

UN CAS DE TABES SUPÉRIEUR AVEC CONSERVATION DES RÉFLEXES 19

attitude spéciale. Les rides du front sont également bien marquées des

deux côtés; les sourcils sont sur la même ligne. La paupière gauche est

en état de ptose complète et recouvre presque complètement le globe de

l'oeil. Les deux yeux se ferment également bien, mais la malade ne peut

que difficilement et très incomplètement relever la paupière gauche. Il

n'existe pas de déviation des ailes du nez. Les commissures labiales sont

situées sur la même ligne transversale. Les sillons naso-géniens sont éga-

lement prononcés.

La langue est tirée facilement; elle n'est ni déviée ni atrophiée.

Nous reproduisons l'examen oculaire tel qu'il a été pratiqué par M. le

docteur Sauvineau :

Examen des yeux. Paralysie incomplète de la 3e paire gauche (ptosis

droit supérieur entièrement paralysé; droit interne moyennement para-

lysé ; petit oblique entièrement paralysé).

Le droit inférieur, le grand oblique et le droit externe sont sains.

A droite. Les trois muscles abducteurs sont paralysés : droit externe,

grand oblique, petit oblique.

Le droit supérieur et le droit interne sont sains. Quand on sollicite l'oeil

à se porter en bas, il se dévie énergiquement en dedans et en bas ; ce qui

paraît dû à la prépondérance d'action de l'abaisseur (droit interne) par

suite de la paralysie de l'autre abaisseur (grand oblique).

Dans le mouvement de latéralité à droite des deux yeux, mouvement

qui se fait très incomplètement (paralysie complète de la 6e paire droite,

incomplète du droit interne gauche) il apparaît des secousses nystagmi-

formes.

Le mouvement de convergence s'exécute assez bien.

Les pupilles sont légèrement inégales. Légère mydriase gauche. Ligne

d'Argyll à droite. -

A gauche, les deux réflexes sont abolis.

Examen du fond de l'oeil. La papille optique est décolorée à chaque

oeil. Les artères sont petites. Les veines sont au contraire assez volumi-

neuses.

Pas de suffusion des papilles. - \

0. D. V. '2/3.

0. G. V. = 1/3.

Accommodation normale à droite.

A gauche paralysie de l'accommodation ; il y a donc de ce côté une oph-

talmoplégie interne complète.

Le début des accidents remonte à 3 ans : il ce moment la vue a diminué

en même temps que sont apparus du ptosis et de la diplopie.

Membres supérieurs. Au dynamomètre :

20 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

M. D. = 20 kilogs. M. G. = 17 kilogs.

On ne constate pas d'atrophie, pas de paralysie. La force musculaire

est conservée intégralement.

Membres inférieurs. - Ils ont également conservé dans son intégrité

leur aspect extérieur. Il n'y a pas d'atrophie, pas de paralysie. Pas de perte

de la force musculaire.

Les réflexes patellaires sont conservés.

Il n'existe pas de trépidation épileptoïde.

Aux membres supérieurs les réflexes sont également conservés sans aug-

mentation ni diminution dans leur intensité.

On ne constate nulle part de secousses fibrillaires.

Pas de perte du sens musculaire ni articulaire.

Sensibilité. Il n'existe pas de trouble de la sensibilité tactile. La pi-

qûre est bien sentie partout peut-être avec une légère exagération.

La sensibilité au froid est conservée ainsi que la sensibilité au chaud.

Il faut noter cependant qu'à un premier examen la malade ne paraissait

plus avoir la notion du froid. A chaque fois que l'éprouvette'remplie d'eau

à la température de la salle était appliquée sur la peau, V... accusait une

sensation de brûlure. Mais à un deuxième et à un troisième examen ces

troubles ne se sont pas reproduits.V... étant d'une susceptibilité nerveuse

exagérée il faut mettre sur le compte de troubles psychiques cette sensa-

tion pervertie.

Il n'existe pas de troubles de l'odorat.

Pas de troubles du goût.

Pas de troubles de l'ouïe : la montre est entendue à un mètre de l'o-

reille.

La diplopie a disparu : V... voit les objets simples même dans les posi-

tions extrêmes des yeux. Mais elle les voit troubles, ils lui semblent confus

avec des contours flous. Les secousses nystagmiformes signalées plus haut

existent à l'état de repos et lorsque la malade regarde devant elle.

Il n'y a pas de dyschromatopsie : V... reconnaît facilement toutes les

couleurs.

Sensibilité subjective. - Le sujet éprouve encore à l'heure actuelle des

phénomènes douloureux consistant en une sensation de constriction des

genoux et particulièrement du genou gauche. Il existerait encore quelques

douleurs à type fulgurant. La région cubitale n'est plus douloureuse.

Depuis un mois la sensation de constriction thoracique n'a pas reparu.

En général, ces douleurs se manifestent par crises et surtout au moment

des époques. Quelques douleurs à type fulgurant existeraient dans la ré-

gion occipitale.

UN CAS DE TABES SUPÉRIEUR AVEC CONSERVATION DES RÉFLEXES 21

Etal des sphincters. Il y a un an V... aurait éprouvé des épreintes

et du ténesme rectal. Elle aurait même rendu du sang dans les selles. Mais

elle avait probablement des hémorrhoïdes. Elle aurait aussi parfois de

violentes envies d'uriner tout à fait impérieuses et cependant la quantité

d'urine rendue est peu considérable.

Il n'existe pas de crises gastriques.

Elle n'a jamais eu de crises laryngées.

Troubles de la motilité. La malade marche sans jeter les pieds folle-

ment et sans talonner. Cependant elle a remarqué qu'elle vascille dans

l'obscurité et qu'elle ne descend plus les escaliers avec la même assurance

qu'autrefois : elle éprouve de la crainte pour descendre même les esca-

liers qu'elle connaît déjà. Pourtant elle marche facilement, fait demi-tour

sans osciller et ne présente pas de signe de Romberg : Elle sent bien le

sol sous ses pieds. Le phénomène du dérobement des jambes n'existe plus.

Il n'y a pas d'ataxie du mouvemen,t : V... se louche facilement le bout 1

du nez, l'oreille. Elle ramasse facilement une épingle. Elle a remarqué

toutefois qu'elle serait plus maladroite pour exécuter certains ouvrages

délicats : tricot, dentelle, couture.

Troubles trophiques et vaso-moteurs. Il n'en existe absolument au-

cun : pas de mal perforant, pas de desquamation cutanée improprement

dite psoriasis,. Pas de troubles trophiques articulaires.

Etat de l'intelligence. La malade est intelligente, raconte facilement

son histoire. Elle ne présente aucun trouble de la parole, elle lit facile-

ment.

Son écriture n'est pas tremblée. Elle a remarqué pourtant qu'elle écri-

vait moins bien qu'auparavant : les lettres seraient moins fermes, les li-

gnes ne seraient plus droites mais s'inclineraient soit en haut, soit en bas.

Elle ne saute pas de lettres lorsqu'elle écrit. -

Elle n'aurait jamais eu de vertiges à proprement parler. Mais elle éprouve

une sensation de crainte pour descendre un escalier ou pour traverser

un large espace découvert. Elle peut cependant surmonter cette agora-

phobie et traverse facilement, après la première émotion passée, les pla-

ces, cours, jardins etc.

Examen des principaux viscères. Le ccelcr bat régulièrement dans le

S° espace intercostal gauche. On n'y perçoit pas de bruit morbide.

Appareil respiratoire. On constate dans la fosse sus-épineuse droite

et près de la colonne dorsale, répondant au sommet du poumon corres-

pondant, une légère diminution de la sonorité pulmonaire. Il existe à ce ni-

veau une augmentation des vibrations thoraciques : l'inspiration y est rude

et l'expiration prolongée et humée. L'auscultation de la voix et de la toux

présente en ces points un retentissement exagéré.

22 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

V... n'a pas de sueurs nocturnes, mais elle a craché du sang il y a un

an environ, au moment de ses époques. Elle aurait maigri : de 108 livres,

son poids serait tombé à 90. Elle aurait tous les soirs des bouffées de

chaleur.

Appareil digestif. La langue est bonne. L'appétit est médiocre, les

digestions sont bonnes, les selles régulières.

Appareil urinaire. Pas de sucre ni d'albumine dans les urines.

Appareil ganglionnaire. On constate dans la région cervicale posté-

rieure, surtout du côté gauche, la présence de ganglions de moyen volu-

me, isolés, roulant sous le doigt. Mais il n'existe pas d'autres signes de

spécificité, il n'y a pas d'éruption cutanée, par de syphilides pigmentaires

du- cou. Les autres régions ganglionnaires ne sont pas atteintes.

Décembre 1895.-La. malade a légèrement augmenté de poids : elle pèse

93 livres.

Sous l'influence du trailementspécifique (friction mercprielle et gram-

mes d'iodure de potassium tous les jours), une légère amélioration semble

s'être produite : la ptose est moins marquée : la vue est moins trouble.

Les phénomènes paralytiques sont cependant peu modifiés.

Janvier 1896. -Depuis un mois on associe au traitement spécifique

l'huile de foie de morue. Aucune amélioration nouvelle ne s'est produite.

L'état reste absolument stationnaire.

En résumé, nous nous trouvons en présence d'une femme jeune, peu

vigoureuse, à antécédents héréditaires et collatéraux assez chargés, pré-

sentant elle-même des signes incontestables de bacillose pulmonaire. Sans

raison apparente, se manifestent des troubles oculaires à évolution rapide,

aboutissant aux paralysies multiples actuelles. A quelle affection avons-

nous affaire ? Trois diagnostics doivent être discutés :

1. La tuberculose : Gomme ou plaque de méningite basilaire siégeant

dans la région pédonculaire, au niveau de l'émergence des nerfs oculaires

et intéressant plus particulièrement l'oculo-moteur gauche.

2. La syphilis cérébrale. v

3. Le tabès supérieur.

En faveur de la première de ces hypothèses plusieurs arguments peu-

vent être invoqués. Le père et la mère de V... ont succombé il des phé-

nomènes pulmonaires qui n'ont déterminé la mort qu'à longue échéance

et dont la nature tuberculeuse est infiniment probable. De dix frères et

soeurs, huit sont morts en bas âge d'affections indéterminées. Deux seuls

restent : notre malade et une soeur sur l'histoire pathologique de laquelle

nous sommes privés de renseignements. Or, il y a quelques années on a

UN CAS DE TABES SUPÉRIEUR AVEC CONSERVATION DES RÉFLEXES 23

attiré l'attention sur la polynatalité comme signe de tuberculose surtout

lorsque le plus grand nombre des enfants issus de tels parents mouraient

jeunes. Elle-même présente des signes précis de tuberculose pulmonaire

localisée au sommet droit.

Malgré l'incontestable valeur de cet ensemble de symptômes, nous ne

pensons pas qu'on puisse rattacher l'affection actuelle à un processus tu-

berculeux, méningite basilaire ou gomme. Nous ne relevons en effet dans

l'histoire clinique de V..... aucun signe précis de la participation des mé-

ninges. Elle n'a pas eu les maux de tête si spéciaux en pareil cas. Ellen'a

jamais présenté de troubles gastriques, surtout elle n'a jamais eu de vo-

missements. A aucune période de sa maladie elle n'aurait présenté d'hy-

peresthésie cutanée. Enfin l'évolution morbide elle-même ne nous permet

guère de nous rattacher à cette hypothèse.

Si la pensée d'une méningite basilaire doit être écartée, à plus forte

raison devons-nous renoncer à l'idée d'une tumeur gommeuse. C'est en

présence d'une paralysie complexe que nous nous trouvons. Il faudrait

donc admettre une néoplasie diffuse dont la localisation se préciserait mal :

l'ophtalmoplégie externe incomplète, si bizarrement distribuée de V...,

ne saurait relever d'une pareille cause. Ici encore les grands signes d'une

compression de l'encéphale sont absents. Les lésions oculaires elles-mê-

mes (ophtalmoplégie interne, signe d'Argyll Robertson, état des papilles)

à défaut de toute .autre manifestation sont absolument différents de ce que

l'on rencontre en pareil cas.

Nous allons voir que l'hypothèse d'une syphilis cérébrale n'estpasplus

satisfaisante. La fréquence des lésions oculaires y est telle que notre pre-

mière pensée avait été de rattacher à celle cause la lésion en présence de

laquelle nous nous trouvions. Nous avons procédé à une recherche minu-

tieuse des signes de spécificité sans aucun résultat. Sans doute la malade

a perdu ses cheveux à un moment donné : mais il s'agit là d'une lésion

toute spéciale, de l'alopécie arthritique séborrhéique, comme l'indiquent

le pityriasis du cuir chevelu qui existe encore (séborrhée sèche) et la fa-

çon même dont les cheveux tombaient. L'alopécie était diffuse, comme elle

l'est encore bien qu'à un degré moindre, et l'on ne retrouve pas les clai-

rières qui caractérisent l'alopécie spécifique. Il n'existe pas desyphilides

pigmentaires. On trouve avec quelque peine une adénopathie rétro-cer-

vicale surtout marquée du côté gauche. Mais outre que celte lésion peut

se montrer dans un grand nombre d'étals morbides étrangers à la syphilis

elle ne présente aucun des grands caractères de l'adénopathie spécifique :

les ganglions ne sont pas durs, nettement indépendants des parties voisi-

nes, et ne roulent pas sous le doigt comme des billes. Celte malade, soi-

gneuse d'elle-même, n'a jamais observé sur elle aucun signe suspect. Le

24 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

j

mari, minutieusement interrogé et examiné par nous, nie toute syphilis

et,ne présente aucune trace d'une vérole méconnue ou ayant évolué insi-

dieusement. L'impuissance absolue du traitement spécial ne saurait être

invoquée comme argument irréfutable, puisqu'il s'agit de lésions anciennes

contre lesquelles le mercure et l'iodure de potassium sont le plus souvent

impuissants. Ici encore les symptômes oculaires sont contraires il l'hypo-

thèse de syphilis cérébrale : une lésion méningée, une infiltration jadis

embryonnaire, maintenant scléreuse ne saurait donner lieu aune telle

diffusion etproduire une pareille étrangeté dans la répartition des lésions.

En pareil cas et par suite de sa prédilection pour l'espace interpédoncu-

laire, la paralysie est double et le plus souvent totale. Le signe d'Argyll

n'existe pas ou plutôt on trouve une ophtalmoplégie interne complète. Il

y a toujours des prodromes. L'examen du fond de l'oeil est tout à fait dif-

férent de ce que nous avons ici.

Ostwalt a trouvé une rétinite centrale avec ou sans iritis, caractérisée

par de petites taches d'un gris blanchâtre sur les artérioles, accompagnée

parfois de petits foyers de choroïdite de la longueur d'une tête d'épin-

gle (1). Le corps vitré présente parfois des flocons ou une véritable « pous-

sière vitréenne ». Dans le cas de compression ou d'irritation du nerf op-

tique on voit survenir les mêmes altérations de névrite descendante ou

d'étranglement de la papille que dans toutes les tumeurs cérébrales. Il y

a loin, de cet aspect spécial, à la papille nacrée que montre l'examen

ophtalmoscopique de V... Enfin ce n'est qu'exceptionnellement que la

syphilis cérébrale se manifeste par les paralysies partielles du genre de

notre malade.

Il n'en est plus ainsi lorsque l'on songe à attribuer la production de

symptômes observés, sur V... à un tabes. L'objection que le sujet ne pré-

sente aucun signe de spécificité n'est pas absolue. Si M.Quinquand trouve

100/100 de syphilis dans l'étiologie du tabes, M. Fournier et notre maî-

tre M. Raymond ne la retrouvent que dans 90 0/0. D'autres intoxications

seraient-elles susceptibles d'entraîner après elles la sclérose des cordons

postérieurs. D'après un travail récent inspiré par M.Pitres (2) la syphilis

ne saurait être invoquée seule que dans 25 0/0 des cas environ. Ailleurs, il

a été impossible de la retrouver, ou bien elle s'associait à d'autres mala-

dies telles que l'artério-sclérose par exemple, considérée comme pouvant

à elle seule s'accompagner de tabes à un moment donné. Dans une pu-

blication récente, faite en commun avec notre excellent ami et collègue

Nageolle, chef du laboratoire d'anatomie pathologique de la clinique,

(1) Ostwalt, Chorio-rétinites und ihre Bez. zur Ilirnarterien les (Berliner klinik

Wochensch" 1888, note 5).

(2) Compte rendu dans la Semaine médicale, 1895.

z

UN CAS DE TABES SUPÉRIEUR AVEC CONSERVATION DES RÉFLEXES 25

nous avons trouvé chez un paralytique général, compliqué de tabes inci-

piens, une plaque de méningo-myélite, présentant absolument- tous les

caractères de la méningo-myélite syphilitique alors que le malade avait

nié absolument toute spécificité antérieure et que l'on n'avait retrouvé

chez lui aucune lésion apparente suspecte (1). Nous ne croyons pas du

reste devoir invoquer chez V... une syphilis héréditaire car elle n'en pré-

sente aucun des grands symptômes.

La conservation des réflexes patellaires n'est pas non plus une objection

irréfutable, puisque nous attribuons la cause de ces paralysies oculaires à

un tabes supérieur. On constate assez fréquemment dans ces formes l'ab-

sence du signe de Westphal et du reste nous avons assez d'arguments en

faveur de notre hypothèse pour ne pas craindre d'être affirmatif. 1

Longtemps avant que la maladie de Duchenne n'évolue avec ses symp-

tômes primordiaux les troubles oculaires, variables avec chaque individu,

annoncent son apparition. La diplopie est l'un des plus fréquents. C'est

là une réaction fondamentale sur laquelle insiste notre maître M. le Pro-

fesseur Raymond et qu'il est indispensable de bien connaître. Elle fait t

partie de la pléiade symptomatique complexe décrite par le M. Profes-

seur Fournier dans la période préataxique du tabes. Peu à peu se mani-

festent d'autres signes non moins importants : le dérobement des jambes,

les crises de douleurs fulgurantes dans les membres inférieurs souvent

avec prédominance nocturne. Elles s'accompagnent presque toujours de

sensations douloureuses le long du bord cub,ital du bras et de l'avant-bras,

de constriction thoracique, de courbature sans cause apparente. Il est

rare que l'on ne constate pas du .côté de la vessie quelques troubles, par

exemple des mictions impérieuses. Tous ces phénomènes V... lésa a présen-

tés. Elle a eu de plus des douleurs à type fulgurant dans la zone occipitale.

Si chez elle beaucoup de symptômes ne sont qu'ébauchés, ils n'en existent

pas moins suffisamment caractérisés pour qu'un examen consciencieux ne

les décèle : c'est ainsi qu'elle a présenté de l'incertitude motrice dans l'obs-

curité, qu'elle ne peut que difficilement descendre les escaliers alors même

qu'ils lui sont connus. Elle est devenue inhabile dans l'exécution de cer-

tains travaux qui exigent un peu d'adresse.

Les paralysies oculaires de V... présentent les caractères que leur a dé-

crits le professeur Fournier. Ce sont des paralysies partielles, presque par-

cellaires pour l'oeil droit. Les modifications qu'elles ont subies en dehors

de tout traitement leur créent une caractéristique nouvelle : il nous sem-

ble qu'on peut les rattacher à ces paralysies résolutives, spontanément ? 'e-

(1) N.1GEOTTC et Lenoble, Note sur une plaque de myélite siégeant dans le faisceau

antéro-latéral chez un tabétique paralytique général. Bulletins de la Société. anatomi-

que, juillet 1895,

26 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

S0l2Glti'eS, facilement résolutives sur lesquelles a tant insisté le professeur

Fournier. En un mot, nous nous trouvons en présence de paralysies nu-

cléaires et leur distribution spéciale ne saurait appartenir à un autre pro-

cessus que le tabes. Ajoutons qu'au moins pour l'oeil droit le signe d'Ar-

gyll est incontestable, et qu'enfin la pupille optique décolorée de chaque

côté est bien celle que les spécialistes décrivent comme constituant la lésion

oculaire fondamentale des tabétiques.

Puisqu'il est incontestable que c'est à un tabes supérieur que nous avons

affaire, il importe de se demander si l'on ne saurait jusqu'à un certain

point établir le pronostic de ce cas particulier. Tout paraît prouver que

nous sommes en présence d'un tabes arrêté dans son évolution, « cris-

tallisé » pour ainsi dire. Ici encore la maladie obéit à la loi formulée de-

puis longtemps par Charcot, développée par Benedickl. Nous en voyons

la preuve dans l'amélioration spontanée de tous les symptômes douloureux

et moteurs existant jadis. Les crises de douleurs fulgurantes se sont amen-

dées. La constriction thoracique a disparu, les mictions impérieuses sont

devenues moins fréquentes. Les symptômes oculaires d'abord très gênants

ont eux-mêmes .diminué. En somme, il s'agit d'un cas relativement heu-

reux puisque l'amaurose n'est pas absolue et que le sujet peut sans trop

de peine vaquer à ses occupations. Depuis deux ans en particulier l'affec-

tion reste stationnaire et tout fait prévoir qu'elle persistera sans aggrava-

tion pendant de longues années encore. Puisque la thérapeutique reste

absolument impuissante en présence d'un tabes confirmé, puisque « au-

cun espoir ne luie » pour le malade on doit considérer un pareil cas comme

relativement bénin. Ce qui fait enfin le grand intérêt de l'observation de

V..., c'est qu'elle démontre une fois de plus que le tabes conserve ici sa

physionomie spéciale de n'être jamais semblable à lui-même et de varier

indéfiniment avec chaque individu qui le modifie d'après ses aptitudes

morbides particulières.'

RHUMATISME DES PETITES JOINTURES ET PIEDS PLATS

VALGUS DOULOUREUX DANS LA BLENNORRHAGIE

PAR

L. Bizard

' Externe à l'Hôpital St-Louis.

Nous avons pensé qu'il était intéressant de publier l'observation qui va

suivre, exemple de la localisation assez rare sur les petites articulations

des doigts du rhumatisme blennorrhagique, décrite par notre maître M. le

professeur Fournier sous le nom de doigt en radis.

On y trouvera en outre la confirmation des opinions que nous avons

entendu émettre à M. Gilles de la Tourette sur le rôle important de la

blennorrhagie dans la pathogénie du pied plat valgus douloureux.

L. Edmond, 38 ans, journalier, entre le 25 novembre ils9 : .>, hospice St-Louis,

salle St-Louis n° 18, service de M. le professeur Fournier.

Antécédents héréditaires. Père mort des suites d'un traumatisme. Mère :

morte il y a un an de cardiopathie, ayant eu de son mariage deux enfants, le

malade et une soeur qui vit et a toujours été bien portante.

Notre malade est veuf, sa femme est morte il y a un an de granulie. Ils avaient

eu un enfant mort il 11 mois de la variole. -

Antécédents personnels. - Notre malade ne se rappelle pas et n'a jamais en-

tendu dire avoir été malade dans sa première enfance. Il fut souffrant pour la

première fois il t'agedo dans où il eut une pneumonie. A II ans, 2° pneumonie

plus grave que la première.

Pendant son service militaire, il Versailles, le malade eut un accès de fièvre

qui dura 15 jours. Auparavant il l'âge de 18 ans, il eut une première chaude-

pisse (il y a donc 20 ans de cela) mais cette blennorrhagie, soignée dès le début,

disparut sans laisser de traces, n'ayant duré que trois semaines. Il y a 4 ans

à 34 ans, le malade eut un rhumatisme articulaire aigu et fut alors soigné dans

le service de M. le professeur Debove, à l'hôpital Andral.

Les articulations des mains, les poignets, les coudes, les épaules, les genoux,

les chevilles furent prises non simultanément, toutes ensemble, mais deux par

deux, trois par trois, le rhumatisme quittant uu groupe d'articulations, pour

se localiser dans un autre. Les articulations étaient chaudes, rouges, tuméfiées

en même temps, transpirations avec odeur aigre particulière, le malade

était très anémié, blanc comme un linge, nous dit-il. L'état général était très dé-

fecluew : inappétence complète et grande fièvre. Traité alors par le salicylate

de soude, il ne fut guéri qu'au bout de cinq mois, mais depuis, la guérison est

restée complète, et sa santé resta excellente jusqu'au mois de juin dernier.

28 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

A ce moment (il y a 6 mois), notre malade contracta une 2° blennorrhagie,

cuisson en urinant. Ecoulement vert au début, plus clair et jaune ensuite,

ayant apparu 6 jours après un coït unique, le malade se trouvant : '1 ce mo-

ment dans un léger état d'ébriété). Cette bjennorrhagie se compliqua d'uré-

thrite postérieure et de cystite du col, confirmée par de la douleur du côté de

la vessie, et une vingtaine de mictions au moins dans la journée. Le traite-

ment fut des plus simples et consista seulement en infusions de bourrache sans

aucune injection. Aujourd'hui 10 rléceuore'18J ? cette blennorrhagie est pres-

que complètement guérie un régime approprié et à des capsules de san-

tal sans aucune injection.

Il y a si mois ont apparu les arlliropalbics du côté des doigts de la main

droite, et la douleur du talon, que nous allons étudier tout a l'heure.

Examen des organes. Voies respiratoires. Comme nous l'avons vu le

malade a eu dans sa jeunesse deux pneumonies, en outre, il s'enrhume facile-

ment l'hiver et tousse souvent, enfin il transpire quelquefois la nuit, mais il

n'a jamais craché de sang., La percussion ne nous révèle qu'un peu de subma-

tité à droite, mais l'auscultation ne donne rien de particulier.

Coeur normal (ni souffle, ni hypertrophie, ni dilatation). Tube digestif fonc-

tionne très bien. Reins sains.

Quant au système nerveux il présente des particularités que nous étudierons

en détail. Pas de syphilis. Léger alcoolisme. Mais chez ce malade l'attention est

principalement attirée vers des particularités qui déroutent tout d'abord.

Mains. On remarque des déformations particulières du côté de l'articu-

lation de la Ira et 2e phalange du médius et de l'articulation métacarpo-pha'-

tangienne de l'index de la main droite; de l'articulation de la Ire et'2° pha-

lange du médius de la main gauche. (PI. Y et VI.)' .

Il y a4mois'a commencé ]'arthropathiedel'articÚlation phalangin9-phalangienne

de la main droite. Tous les symptômes ont été ceux d'une arthrite évoluant

lentement,sans éclat. Tout d'un coup, sans raison appréciable, sans malaise, sans

traumatisme antérieur, de la douleur, de la rougeur et de la tuméfaction ont

apparu du côté de cette articulation ; la douleur n'a jamais été très violente,

presque nulle quand le malade tenait son doigt tranquille, mais exagérée, deve-

nant très violente dès qu'il essayait de remuer le doigt ou avait il se servir de

sa main. En-même temps le doigt était' rouge au niveau de l'articulation, avec

sensation de chaleur à ce niveau. La tuméfaction apparaissait dès le début ; elle

n'a jamais disparu, mais tandis que la douleur et la rougeur allaient en s'amen-

dant pour disparaître tout' £ ¡ fait, la tuméfaction. persistait, telle qu'au' premier

jour, mais ce n'était plus alors de la tuméfaction, puisque tous les phénomènes

inflammatoires avaient disparu, c'était'une véritable' déformation, déformation

vraiment caractéristique sur laquelle nous allons avoir à revenir dans un ins-

tant. '"

Presque en même temps l'articulation métacarpo-phatangienno de l'indica-

teur de la même main se prenait, mais cette fois l'arthropathie évoluait insi-

dieusement, tous les signes de l'inflammation articulaire étant très atténués et

passant presque inaperçus. 15 jours après, les mêmes symptômes se montraient

PIED PLAT DANS LA BLENNORRHAGIE

L. BATTAILLE ET C"

RHUMATISME BLENNHORRHAGIQUE DES DOIGTS

L. BATTAILLE ET C"

RHUMATISME DES PETITES JOINTURES DANS LA BLENNORRHAGIE 29

au niveau de l'articulation pbatangino-pbatangienne de la main gauche. Mais

tandis que la rougeur, la tuméfaction étaient presque nulles, la douleur fut

cette fois le symptôme dominant, peu durable cependant, car elle disparut elle

aussi, complètement au bout de quinze jours.

En examinant les articulations malades, on constate que la peau est légère-

ment épaissie à leur niveau; profondément, il est difficile de distinguer des sur-

faces articulaires, les tendons ; on ne sent qu'une masse dure, assez régulière

cependant, les mouvements se font avec difficulté volontairement, les mouve-

ments sont pourtant presque intacts et ne provoquent ni douleurs, ni craque-

ments.

Les déformations métacarpo-phalangicnnes de la main droite, et celle de

l'articulation phalangino-plralanienne [doigt en massue) de la main gauche n'ont

rien de caractéristique, ce sont les déformations banales que l'on rencontre

chez tous les malades atteints de rhumatisme noueux, celle de l'articulation

pllalauino-phalangieune de la main droite au contraire est tout a fait caracté-

ristique, elle suffit pour M. le professeur Fournier à faire sans aucune hési-

tation, sans interrogatoire préalable, le diagnostic chaude-pisse sans jamais s'être

trompé une seule fois dans les cas semblables, peu nombreux il est vrai, qu'il

lui a été donné d'observer, cette disparition siège presque toujours sur le

médius et aussi souvent à droite qu'a gauche, c'est la déformation que

M. Fournier a appelée le doigt en radis, doigt piriforme, oviforme, la tête du ra-

dis étant située au niveau de l'extrémité supérieure de la phalange, endroit où

la déformation est la plus considérable et va ensuite en s'atténuant pour dis-

paraître complètement en allant se confondre au niveau de la partie médiane de

la phalangine avec le doigt normal. Symétriquement la déformation est bien

moins caractérisée. En examinant soigneusement le doigt, on finit par voir que

la déformation a des tendances à se rapprocher de celle du doigt en radis, mais

ici l'inllammation a été moindre, et la déformation n'a pas eu le temps de se

faire, c'est un doigt en massue.

Dès les premiers jours le malade a remarqué qu'il se servait difficilement

de ses mains, qu'il ne pouvait pas soulever des objets un peu lourds ; pour ex-

pliquer cette faiblesse des mains le symptôme douleur suffit largement. Mais

alors que toute douleur avait disparu, le malade n'a pas pu davantage se servir

facilement de ses mains et notamment de la main droite qui avait été plus

touchée, puisqu'ici l'infection a été plus considérable et que 2 articulations

ont été prises -à ce moment il soulevait difficilement des objets qu'il trou-

vait auparavant d'après son expression « légers comme une plume » - en ou-

tre, il est devenu maladroit alors qu'il nous raconte qu'il était assez adroit an-

térieurement.

Aujourd'hui, en effet, il-ne peut tenir à bras tendus avec le bras droit, une

chaise légère que 2 minutes au plus, non sans trembler et donner dès le début

de cette petite expérience des signes manifestes de fatigue musculaire. N'ayant

pas de dynauomètre, nous lui faisons fortement serrer nos mains avec les sien-

nes, et il est toujours facile de remarquer que taudis qu'il aura a provoquer

de la douleur en serrant avec la main droite on sent ;i peine sou étreinte avec

la main gauche.

30 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

On trouve facilement la raison de cette diminution des forces surtout du

côté droit, eu examinant les muscles et les avant-bras do notre malade et, on

constate que le bras droit est atteint d'mnyot/'ophie. Le malade n'a jamais été,

dit-il, très musclé, mais il l'a été beaucoup plus qu'il ne l'est aujourd'hui. Un

mois environ après les arthropathies des mains, il a remarqué que ses hras

diminuaient, tous les doux ensemble, le bras droit un peu plus pointant que

le gauche. On remarque en effet à droite que les espaces intermétacarpions

sont très visibles, sensiblement déprimés, les tendons des extenseurs font saillie,

ils ont de la force palmaire, l'amyotroillic est moins visible, pourtant l'émi-

nence thenar droite est moins volumineuse que celle de gauche. L'avant-

bras droit est aussi diminué. -

On remarque un méplat au niveau du grand palmaire. Au toucher, on voit

que les masses musculaires du côté droit sont moins volumineuses que du côté

gauche. Quant à la mensuration, elle donne une différence de 1 centimètre il

1 cm. 1/2 en plus on faveur du bras gauche. Ses bras sont sensiblement pa-

reils. Donc il y a évidemment de l'amyotrophie des 111eInÚ7'eS supérieurs, amyolro-

phie double, mais sensiblement plus considérable à droite qu'Ù gauche.

Nous pouvons dire que nous avons affaire il des arthrites déformantes Lleu-

norrbagiques, apparues 2 mois après la cbaude-pisso, cette chaude-pisse étant

à ce moment « dans son plein », avec déformation caractéristique de l'indica-

teur droit, chez un individu prédisposé il faire des accidents du côté de ses

articulations, de par un long accès de rhumatisme articulaire aigu antérieur.

Si maintenant nous examinons toute ! ; les autres articulations de notre ma-

lade nous ne trouvons absolument rien. Nulle pari de gêne dans les mouvements.

Nulle part de craquements aux pieds notamment les articulations des phalanges

du métatarse sont indemnes, mais ici un autre phénomène du côté du tarse

attire notre attention.

11 y a un mois, un peu plus de deux mois après le début de la blennorrhagie,

que le malade ne soignait pas du reste. Quinze jours après le début des artllro-

pathies de la main droite et en même temps que l'apparition de l'artllropathic du

médius gauche. Un matin notre malade en se levant et en posant ses pieds par

terre ressentit une telle douleur au niveau des 2 pieds qu'il lui fut impossible

de se tenir debout et se recoucha. Croyant, nous dit-il, « une crampe passa-

gère », à la suite d'une fausse position pendant son sommeil, il se reposa quel-

ques minutes, mais lorsqu'il voulut se relever malgré toutes les précautions

qu'il put prendre pour mettre pied à terre il lui fut à nouveau impossible dose

lever. En même temps apparut une douleur lancinante partant du talon,

comme si elle traversait le pied au niveau du talon de bas en haut pour aller

s'irradier dans les mollets, sur leur niveau localisé en certains points comme

nous allons le voir tout à l'heure. En même temps le malade remarqua une

légère enflure de la cheville et au niveau du métatarse il la face supérieure du

pied. Le malade crut avoir all'aire il un nouvel accès de rhumatisme et resta

huit jours au lit. La douleur pourtant devenant moins vive et l'enflure dispa-

raissant il voulut retourner il son travail, mais depuis, quand môme la douleur

a persisté, elle gêne sensiblement le malade obligé de marcher sur la pointe

RHUMATISME DES PETITES JOINTURES DANS LA BLENNORRHAGIE 31

des pieds. Après avoir retravaillé quelques jours, de nouveau le malade fut

encore un matin dans l'impossibilité de rester debout. Il rentra à Andral chez

M. Debove, qui lui donna du salicylate de soude, il est resté 9 jours dans ce

service, il est ressorti alors et c'est cette douleur qui l'a décidé alors à être

admis dans ce service. -

Cette douleur, comme nous venons de le voir, a deux sièges.

1° Elle est sotcs-lcalonmire, - sous-astragalienne, - présentant son maxi-

mum dans une zone d'un diamètre de 3 il Il. centimètres, siégeant il l'union du

tiers moyen et du tiers externe de la zone inférieure du talon.

2° Cette douleur estl'éll'ocalcanéenne, siégeant au niveau de l'insertion du ten-

don d'Achille sur le calcanéum.

Aujourd'hui ce n'est plus une douleur continue mais elle est provoquée par

le toucher en posant le pied sur le sol, c'est alors un élancement, une douleur

lancinante, s'irradiant jusque dans le mollet.

Le malade est obligé de marcher sur la partie antérieure du pied, sur les or-

teils, malgré tout comme le talon porte toujours forcément sur le sol quand il

veut marcher un peu trop longtemps surviennent de notables crampes dans

les mollets qui l'obligent il s'arrêter.

Le pied est plat, la cambrure du pied est il peine marquée, la pointe plan-

taire semble légèrement affaissée. (PI. IV.)

La lésion siège ici sans aucun doute, dans les bourses séreuses de la région

interne du pied, ou, comme le disait Charcot, les bourses séreuses ont un rôle

trophique, et nous trouvons en effet des troubles trophiques.

Le malade se plaint en effet d'un froid aux pieds persistant, par instants

quand il s'est un peu fatigué, les pieds rougissent et se couvrent de sueur.

Nous remarquons, eu outre, chose très importante, de l'amyotrophie : le ma-

lade a remarqué peu après le début de son affection que ses jambes, ses cuisses ^

même diminuaient (en ce temps ou peu après le début de l'amyotrophie des

membres supérieurs), il le mettait naturellement sur le compte de son écoule-

ment, qui l'épuisait, dit-il, quoique le tronc ne maigrissait pas ; cette amyotro-

phie est consécutive sans aucun doute à la lésion des bourses séreuses, et au-

jourd'hui que la douleur a diminué, que l'écoulement est tari, les muscles des

membres inférieurs ne paraissent nullement « se refaire » elle contraire même

serait plus vrai.

Disons dès maintenant qu'au niveau du siège de la lésion la sensibilité est

intacte.

En outre il n'y a pas de troubles des sphincters.

Les réflexes tendineux sont exagérés.

Examen du système nerveux. En examinant les yeux du malade on est

frappé d'une inégalité pupillaire assez considérable et d'un rétrécissement ma-

nifeste de la fente palpébrale droite, les symptômes oculaires, l'amyotrophie

des membres, chez un homme ayant pris des injections pour son rhumatisme

articulaire aigu, pour ses blennorrhagies, chez un malade ne présentant pas les

signes ordinaires de l'alcoolisme; mais qui buvait pourtant de l'alcool en assez

grande quantité, donc pouvant bien être intoxiqué, éveillent de suite l'idée

32 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

qu'il pourrait bien y avoir chez notre malade quelque chose de plus ; on

pense à une névrite de cause interne, c'est ce que nous avons recherché avec

grand soin.

Troubles musculaires. Il n'y a pas eu à proprement parler de paralysie des

muscles ; si le malade n'a pu se servir aisément de ses mains, s'il n'a pu mar-

cher, ce n'est d'abord que la douleur qui l'en a empêché, c'est la douleur seule

qui l'empêche encore de se servir facilement de ses membres inférieurs.

En plus, l'atrophie musculaire s'est établie d'emblée sans paralysie antérieure,

et c'est là une raison nouvelle qui est venue s'ajouter à la douleur pour empê-

cher le malade de se servir aisément de ses membres.

Il y a des troubles de la marche, mais qui tiennent sans aucun doute à la dou-

leur du talon.

Il n'y a pas de douleur autre que celle dont la cause nous est connue ; il n'y

a pas d'accès de douleurs notamment. 1

La sensibilité sous ses trois formes ne présente pas de modifications.

Los réflexes cutanés sont conservés, les réflexes rotuliens sont exagérés.

L'examen des yeux fait par M. Sauviuanx a donné les résultats suivants-

Les pupilles sont inégales : la pupille droite est en myosis. Les réflexes lu-

mineux et accommodateurs sont conservés de chaque côté. Du côté droit la fente

palpébrale est manifestement rétrécie. Fond d'oeil normal.

Enfin nous n'avons pas de troubles psychiques, pas d'amnésie notamment, ni

ancun trouble respiratoire, circulatoire, digestif, urinaire, génital.

L'état général est bon. ,

Examen électrique. Réaction de dégénérescence légère du jambier antérieur

gauche. Pas d'inversion de la formule de réaction, mais on a du côté gauche

une contraction franche à F. N. 6 m. A. A droite avec la même excitation il

n'y a pas de contraction. Réactions faradiques normales peut-être un peu

exagérées. '

En somme de tout ce qui précède, notamment de l'examen électrique (quoi-

que incomplet), de l'examen des yeux fait cependant avec beaucoup de soin,

nous croyons qu'on ne peut conclure à une névrite de cause interne, nous de-

vons mettre l'atrophie musculaire aux membres supérieurs, uniquement sous

la dépendance des arthropathies aux membres inférieurs sous la dépendance

des lésions des bourses séreuses -- quant à l'inégalité pupillaire, au rétrécisse-

ment de la fente palpébrale du côté droit, l'interprétation ouvre évidemment le

champ à bien des hypothèses, on doit pourtant se rappeler que bien des per-

sonnes présentent de l'inégalité pupillaire, en ont présenté toute leur existence,

alors qu'elles n'ont aucune lésion de leur système nerveux, sans cause peut-on

dire, le rétrécissement de la fente papébrale s'est vu aussi dans les mêmes condi-

tions, du reste.

. LE CLONOGRAPHE

APPAREIL POUR ENREGISTRER LES HYPERKINÈSES

DE LA TÈTE ET DES EXTRÉMITÉS

. , PAR

G. ROSSOLIMO

Professeur agrégé à Moscou.

Dans le courant des deux dernières années, pour l'examen clinique de

nos malades, nous nous sommes servi du Clonographe (I ib. 3) qui nous a

rendu de précieux services,'c'est pourquoi je voudrais en donner une des-

criptionsans entrer dans l'analyse d'autres appareils qui jusqu'à présent ont t

été.proposés dans le même but (par MM. Fernet, Dutil, hubini, Filiatre).

J'avais principalement en vue de trouver le moyen d'inscrire les hyper-

kinèses ayant lieu dans tous les plans voulus, ainsi que celui d'obtenir

des données graphiques de la tète et des parties périphériques et centrales

des extrémités. En même temps il m'a fallu éviter une trop grande élas-

ticité des parties de l'appareil de crainte que la courbe ne produise des

vibrations consécutives.

Le Clonographe est composé d'un solide anneau métallique de 35 centi-

mètres de diamètre fixé entre deux petites tringles perpendiculairement au

pied horizontal qui est en fonte. L'anneau est recouvert sur la périphérie

d'un tuyau de caoutchouc qui est mis en communication avec un tambour

Vlarey par un tuyau de la même substance.

ix 3

' Fie. 3. - Le Clonographe.

TRACÉS OBTENUS AVEC LE CLONOGRAPHE.

Fic.. 4. Trépidation du pied dans la myélite transverse.

FIG. 5. Réflexe rotulien exagéré dans la myélite transverse. , 't

Fio. 6. Effet myotonique.du m. gastro-cnémien après 'une contraction volontaire

(Maladie de TlioLtiseù).- '.

Fis. 7. Hémichorée hystérique (Bras).

Fiq. 8. Paralysie agitante (Pied et' main).

1

Fio. 9. Amyotaxie spéciale chez un tabétique.

LE CLONOGRAPHE 35

L'anneau de caoutchouc est muni sur sa partie extérieure de huit petites

selles métalliques qui ont la forme d'un n grec, peuvent se mouvoir dans

la direction des rayons, et sont munies du côté du tuyau de lamelles mé-

talliques pour conférer à une plus grande surface la pression des selles.

Le centre de l'anneau est occupé par un autre anneau métallique de

8 centimètres de diamètre qui est rattaché aux petites selles par des corde-

lettes de soie; ces cordelettes tout en étant tendues ne le sont pas suffi-

samment pour, en attirant les lamelles de la périphérie vers le centre,

les obliger à presser le tuyau du grand anneau (l).

Cette description nous démontre que toute pression sur l'anneau cen-

tral doit être suivie d'une compression de l'air du tuyau périphérique du

grand anneau et par conséquent d'une vibration du tambour Marey. Pour

démontrer qu'il en est ainsi, admettons que la main du malade soit placée

dans l'anneau central et produise une pression prolongée mais sans vi-

brations, ou bien une pression rythmique de bas en haut ou dans la direc-

tion du premier rayon voulu; admettons même que les vibrations de. la

main déplacent l'anneau central du plan de l'appareil, le résultat n'en sera

pas moins le même.

Une essentielle incommodité pourrait avoir lieu dans le cas où le

corps vibrant se mouvrait diamétralement et transférerait le point d'ap-

plication de la force du centre à l'autre, dans ce cas, la plume du tam-

bour ne serait pas en état de ne produire qu'une seule longue courbe

coupé au milieu par l'abscisse mais en produirait deux d'un seul côté

de l'abscisse. Il est pourtant douteux qu'on puisse souvent avoir affaire

à une semblable combinaison, ainsi malgré le grand nombre de courbes

que j'ai pris pendant ces deux dernières années je n'ai pas eu une seule

occasion de remarquer l'incommodité en question.

Une autre incommodité de mon clonographe c'est l'impossibilité de le

rendre sensible aux vibrations aussi minimes que l'est par exemple le trem-

blement de la langue chez les paralytiques quand il s'agit de faire inscrire

à l'appareil aussi bien de fortes secousses d'un réflexe rotulien exagéré

que les tremblements de la sclérose en plaques. 1

Malgré cela j'ai réussi à obtenir les courbes de la majeure partie des

hyperkinèses ainsi que de divers réflexes tendineux et cutanés en pre-

nant pour objet de mes expériences la tète, la mandibule et toutes les par-

ties des extrémités.

Certaines des courbes sont placées ci-contre pour donner une idée du

travail de l'appareil. Les courbes sont représentées dans une 1/2 grandeur

naturelle. '

,

(1) L'appareil a été présenté à la Société de Neurologie et de Psychiatrie de Moscou

(séance du 29 avril 1894).

LES PEINTRES DE LA MEDECINE.

{PEINTURES MURALES DE 7'OPJ.)

« ÉNÉE BLESSÉ »

PAR

HENRY MEIGE.

Les peintures de l'Antiquité ne figurent pas jusqu'à présent parmi les

monuments artistiques qui ont été soumis il la critique médicale. La

meilleure raison en est sans doute leur rareté.

Nous ne possédons, en ell'el, que des fragments de la peinture grecque,

souvent fort détériorés et d'nne époque déjà tardive. Quant aux peintures

de l'époque romaine, si leur nombre est relativement considérable, on

sait qu'elles se composent principalement de figurations mythologiques ou

décoratives, ne se prêtant guère par conséquent à la représentation de la

maladie.

Les recherches que le médecin peut faire clans cette voie risquent donc

de rester stériles. Il ne faut pourtant pas les abandonner de parti pris.

. ..

Récemment, au Musée de Naples, j'ai voulu voir si la riche collection

de peintures murales découvertes a Pompéi et à Herculanum contenait

quelques documents présentant un intérêt médical.

il priori, cet examen mérita il d'être fait.

En elfet, rien n'autorise à penser que les peintres de l'Antiquité se

soient systématiquement refusés à reproduire des scènes de la vie médi-

cale.

Sans doute, si l'on accepte sans contrôle les idées courantes sur la pein-

ture antique, on s'imagine volontiers que les artistes se sont bornés à

répéter un certain nombre de scènes conventionnelles, par un procédé

uniforme, et sans y introduire d'éléments originaux.

On doit se mettre en garde contre un tel jugement, du moins en ce qui

concerne les peintures pompéiennes. Les idées personnelles ne manquent

pas, et la technique varie au contraire singulièrement dans les documents

déjà nombreux qui ont été recueillis. A côté des sujets conformes à la

tradition de l'Art grec, il en est d'autres où les peintres semblent avoir

ÉNÉE BLESSÉ 37

fait table rase des conventions d'Ecole et où ils nous montrent, à la fois

dans l'ensemble, dans les détails et clans la facture, une connaissance déjà

très avancée des différentes méthodes picturales.

Dans les monochromes les plus anciennes, le trait seul, comme sur les

vases peints, indique les contours des figures. Plus lard une teinte plaie

vient remplir le dessin des corps et des draperies ; puis des hachures, som-

bres ou claires, indiquant les ombres ou les lumières, accentuent les reliefs.

De fort belles peintures ainsi traitées ont un grand caractère artistique.

Mais, d'autres fois, le trait de contour disparait,et les ombres elles-mé-

mes, doucement estompées, semblent formées par les couleurs, adroitement t

mêlées sur une palette. Une des plus belles fresques, récemment décou-

verte à Pompéi et représentant le supplice de Dircé,donne une excellente

idée de cette facture plus finie et plus harmonieuse.

Enfin, dans un certain nombre'de' peintures, il est presque impossi-

ble de retrouver le trait du dessin. Le sol, les figures, les arbres, les loin-

tains, sont indiqués par de larges louches, comme dans les aquarelles mo-

dernes. Il s'agit d'un Art tout à fait différent et qui dénote une grande

habileté dans le maniement de la couleur.

Les Amours qui forment la frise de la nouvelle maison restaurée à

Pompéi, la peinture du musée de Naples qui représente le Cheval de Troie,

la plupart des scènes dites « de la vie privée ou publique », et bien d'au-

tres encore, ne répondent vraiment pas à la formule artistique trop étroite

dans laquelle on se plaît à enfermer la peinture antique.

En définitive, il faut, à côté des continuateurs de la tradition des lignes,

donner une large place aux peintres qui, moins soucieux des détails de la

forme et plus séduits par les impressions d'ensemble, paraissent les pré-

curseurs d'un Art tout à fait contemporain.

Or, est un fait digne de remarque, c'est qu'en pemture les procédés

et les sujets semblent solidaires les uns des autres. Et puisqu'il existe

dans l'Art antique des peintures rappelant la manière des peintres natu-

listes, on peut légitimement conjecturer que les artistes pompéiens ne

devaient pas répugner à choisir leurs sujets dans leur entourage.

D'ailleurs, les représentations des scènes de la vie courante ne manquent

pas. Ici, c'est une rue avec un marchand de drap, un marchand de vases, et

les clients qui font leur choix ; là, c'est la boutique d'un boulanger; plus

loin, un maître d'école qui préside au châtiment d'un de ses élèves ; une

femme qui peint, une autre qui joue de la lyre, des convives qui fes-

toient librement; etc. Peintures médiocres en général, exculées avec dé-

sinvolture et sans souci des conventions reçues, mais avec une naïveté et

une franchise réalistes qui témoignent d'un désir évident de rester

conformes à la nature.

38 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Il n'y aurait rien de surprenant à ce qu'on vît, à côté de ces sujets natu-

ralistes, des scènes représentant des malades ou des médecins.

A vrai dire, on n'a découvert jusqu'à ce jour aucun document de ce

genre. Mais les cendres du Vésuve nous conservent encore bien des surprises.

La. médecine, d'ailleurs, à n'en juger que par l'arsenal chirurgical du

musée de Naples, tenait une place importante dans la vie des habitants de

Pompéi. Si un artiste a choisi pour sujet de peinture un maître d'école et

ses élèves, un autre peut tout aussi bien avoir reproduit un médecin et

ses clients. -

Ainsi, (/ priori, la peinture antique contient assez de figurations natu-

ralistes pour qu'on puisse espérer y trouver des documents intéressants

pour le médecin.

Voyons maintenant ceux qui existent dans la collection du Musée de

Naples.

Les difformités corporelles sont surtout représentées par les Nains elles

Hermaphrodites.

Les Nains sont en grand nombre. '-

Il n'est pas douteux, comme l'ont du Garrot, Charroi, et Paul Richer,

que le type si fréquemment répété du Pygmée ait éli- inspiré par les

difformités combinées du nanisme et du rachitisme.

Ces êtres grotesques, a corps rabougri, aux jambes minuscules et torses,

au crâne monstrueux, au frontproéminent. au sexe souvent disproportionné,

ne sont pas seulement des créations fictives de la mythologie. On sait que

les riches Romains aimaient à s'entourer de ces avortons, les moriones, qui

les accompagnaient à la promenade ou dansaient sur les tables à la fin des

orgies. Ce goût s'est perpétué chez les puissants de la terre jusqu'à des

tempsbeaucoup moins reculés. Un grand nombre de nains ont été peints par

les artistes les plus célèbres. Ils ont été presque tous reproduits et inter-

prétés par Charcot et Paul Richer (1).

Les Pygmées des peintures pompéiennes (2) sont pour la plupart des

répétitions du type connu ; on retrouve chez ces nains légendaires, les

stigmates du rachitisme plus ou moins exactement rendus. Ils sont tout en

crâne, ou plutôt tout en front, avec de petits nez camards, de larges oreil-

les écartées, un torse irrégulièrement gibbeux, des membres grêles aux os

incurvés. On les voit se livrer à toutes sortes de jeux, lutter, tirer de l'arc,

courir ou pugiler, chasser, canoter, pêcher au filet ou à la ligne, cari-

caturant les exercices des athlètes et les occupations viriles. Le plus sou-

(1) Les Difformes et les Malades dans l'art, p. 33 et sq.

(2) Nos 9090, 9098 et seq., H3195 et 113196.

,É;'iE BLESSÉ . 39

** i

vent ils animent un paysage fluvial, et, suivant la légende, combattent,

sur les'bords du. Ni), contre les crocodiles et les grues.

Ils sont les équivalents en peinture des figurines en bronze ou en terre

cuite, grecques ou romaines, dont on retrouye peut-être le prototype dans

les fréquentes répliques d'une divinité.égyptienne, le dieu Bès.

En général, les Pygmées représentés'sur les fresques du musée de Na-

ples, sont moins caractéristiques que les statuettes qui ont servi à établir

la nature pathologique de ces monstruosités (1)..

Dans la série des difformités corporelles rentrent les Hermaphrodites

qui sont plus fréquents encore que les'nains. , ,. .

Un certain nombre d'Hermaphrodites représentés sur les peintures mu-

rales de Pompéi rappellent assez bien le type naturel du Féminisme. Le mé-

lange des formes qui appartiennent en propre à l'homme et à la femme

est fait conformément à la vérité clinique; les attributs sexuels sont

toujours peu accentuée : dès'seins'petits, mais bien formés, un sexe mâle

de jeune enfant. ' , ? -, , .

Il est inutile de revenu- ici su- ''interprétation de ce type de morpho-

logie hybride do""vIa.. nature présente des exemples indiscutables. La

dystrophie congénitale qui', entraîne lés malformations des caractères

sexuels primordiaux ou secondaires doit prendre place à côté des anoma-

lies évolutives qui portent sur les autres systèmes. Les Infantiles et les

Féminins sont des difformes au même titre que les obèses, les géants ou

les nains (2). ' , .

Dans les peintures pompéiennes, la prédominance des formes féminines

est cependant à noter.

L'Hermaphrodite debout, qui tient une feuille dans la main gauche et

soulève de la main. droite un coin de son voile au-dessus de son épaule

est un corps de femme, à la taille fine, aux hanches très larges, aux jam-

bes fuselées, dont l'hybridité n'est reconnaissable que par l'adjonction de

maigres attributs virils.

On peut en dire autant d'un autre personnage androgyne, presque nu,

tenant une torche renversée clans la main droite, la jambe gauche cou-

verte d'une draperie et accompagné d'une femme qui porte un tambou-

rin, d'un faune à pieds de boucs, d'un Érôs qui joue de la flûte, et

d'un vieillard qui pince de la lyre. Gelui-là aussi est une femme à la-

(1) Voir les Difformes et les Malades dans l'arl, p. 31 et sq.

(2) Voy. PAUL Richer, Les Hermaphrodites dans l'art. Nouv. Icon. de la Salpêtrière.

N° 6. 189. - Henry MEME, Deux cas d'Hermaphrodisme antique. Nouv. Icon. de la

Salpêtrière. N° 1. 189 : 5. L'Infantilisme, le Féminisme et les Hermaphrodites anti-

ques. L'Anthropologie. T. VI. " 1,

40 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

quelle l'artiste ou peut-être quelque licencieux venu après lui

ajouta un sexe mâle.

Le Féminisme proprement dit est plus manifeste dans d'autres pein-

tures. L'une d'elles représente un personnage entièrement nu, debout,

tenant dans la main gauche un cathare, et une torche dans la main

droite. Une tresse de ruban passée en bandouillère sur la poitrine sépare

les deux seins, petits, mais fermes et proéminents. Les hanches sont larges

et grasses, les membres bien enveloppés. La verge et les bourses sont ru-

dimentaires, le mont de Vénus saillant et glabre. Une draperie relevée

sur les deux avant-bras passe derrière le corps. A droite, un vieillard à

cheveux blancs et aux membres étrangement poilus joue de la lyre; à

gauche, est un autel avec un Hermès ilhyphallique ; dans le fond, un per-

sonnage donl on ne distingue que la tête et les épaules.

Est-ce un jeune éphèbe ? ... Est-ce une jeune fille ? ... Ni la figure ni le

corps ne permettent de se prononcer. Un Féminin seul réalise cette fusion

des formes corporelles de l'un et de l'autre sexe.

Plusieurs peintures représentant Narcisse, assis sur un rocher et se mi-

rant dans un ruisseau, sont aussi des figurations androgynes. L'intention

licencieuse est rendue évidente ici par la forme donnée aux draperies qui

passent sur les jamhes en ménageant une échancrure qui laisse a nu les

attributs mâles.

Une fresque trouvée dans les dernières fouilles faites à Pompéi et dont

le sujet serait « Cyparisse et la biche blessée », est justiciable de la même

critique.

Ces exemples seraient faciles il multiplier : l'es Hermaphrodites des pein-

tures murales du musée de Naples sont plus d'une vingtaine.

Eux aussi, d'ailleurs, sont loin de présenter l'intérêt des types repro-

duits par la statuaire antique.

Dans la série des difformités acquises, la collection est tout à fait

muette.

Une peinture de Pompéi est bien intitulée le Mendiant aveugle; mais

le personnage ainsi désigné, fortement détérioré par le temps, ne pré-

sente rien de significatif. On suppose qu'il s'agit d'un aveugle, parce que

ce loqueteux, qui lient un bâton a la main, est conduit par un chien. Une

femme assise lui fait l'aumône. Peut-êlre faut-il y voir une allusion au

mythe d'Ulysse revenant près de Pénélope.

Dans les mosaïques trouvées à Herculanum, on voit un crâne humain

assez exactement reproduit, et un squelette tenant dans chaque main un

vase à boire. Ces sujets macabres faisaient partie de la décoration dos

ÉNÉE BLESSÉ 41

salles à manger où ils étaient destinés il inspirer aux convives de salutaires

réflexions, pendant et après les repas. '

De toutes les peintures du Musée de Naples, la plus intéressante au

point de vue médical est celle qui représente Enée blessé.

Cette peinture provient du triclinium d'une maison de Pompéi, située

près des Termes de Stabies (1).

Le mythe d'Enée devait particulièrement séduire les artistes pompéiens.

Virgile avait aimé la campagne de Naples, et non loin de Pompéi se trou-

vaitson tombeau.

Le poète mourut en l'an 19 avant notre ère, ayant composé ]'ElIéÙle

dans les dix ou quinze dernières années de sa vie. Or, l'éruption qui

anéantit Pompéi survint l'an 79 après notre ère, 98 ans seulement après

la mort de Virgile. L'Enéccle, d'ailleurs, ne fut bien connue que plusieurs

années après la mort du poète qui, par testament, avait demandé que son

oeuvre lui brûlée, jugeant quelle n'était pas assez parfaite. On sait qu'Au-

guste s'y opposa.

Les artistes ne pouvaient manquer de puiser dans ce poème des sujets

dramatiques aisément reconnus et plaisant au public.

Une caricature célèbre représente Enée fuyant avec son père Anchise

sur les épaules, et tenant il la main le petit Ascagne. Les personnages sont

représentés avec des tètes de chien. Elle n'a pas d'intérêt médical.

L'Enée blessé mérite au contraire à plus d'un titre d'attirer notre atten-

tion.

L'épisode qui a inspiré celle peinture est raconté tout au long par Vir-

gile dans le Livre XII de l'Enéide :

Enée et ses Troyens, débarqués depuis peu en Italie, sont en but aux

hostilités de presque toutes les peuplades de l'antique Latium. Le vieux

roi Latinus s'efforce en vain de rétablir la paix. Turnus, roi des Rutules,

s'acharne contre les étrangers.

Après une longue suite d'escarmouches et de batailles, Enée décide son

ennemi il terminer la querelle par un combat singulier : au vainqueur ap-

partiendra le trône de Latinus et la main de sa fille Lavinia.

Tout est préparé pour cette lutte décisive. Les armées des Troyens et des

Latins campées sous les murs de Laurente, entourent le champ clos où doi-

vent se mesurer les deux chefs. Enée, retiré dans sa tente, fait ses prépa-

ratifs de combat.

Soudain, un trait lancé du côté des Rutules, vient frapper à mort un

(I) Musée de Naples. Peintures murales. Salle IV. Compart. XXXI, n° 9009.

42 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

jeune Troyen. Cette violation du pacte convenu est le signal d'une mêlée

meurtrière. 1

Dans ce combat suprême des Latins contre les Troyens, Virgile a varié

les descriptions de blessures.

Le premier, un des fils de Gylippe, tombe sous le trait lancé par l'au-

gure Tolumnius qui lui « transperce les côtes (1). D'un coup de hache,

le-pasleur Alsus fend en deux morceaux la tête de Podalire (2). D'un re-

vers d'épée, Turnus décapite Phégée (3). Plus tard, Enée plonge son glaive

dans la poitrine du Rutule Sucron, « à l'endroit où les côtes forment une

grille protectrice, et par où la mort survient le plus rapidement » (4).

Ilyllus reçoit un coup de lance qui transperce son casque et son cer-

veau (5). Sacès est blessé par une flèche au visage (6).

Virgile se complaît dans t'énumération de ces différents traumatismes,

mais il n'entre pas dans de grands détails.

Il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de son héros favori, et l'on va voir

qu'il n'a pas redouté de nous décrire par le menu la blessure d'Enée et

les soins qu'elle nécessita.

Au bruit qui se fait dans son camp, Enée, seul, sans armes, sort de sa

tente, et, confiant dans la foi du traité, s'efforce d'arrêter les combattants.

A ce moment, une flèche, partie on ne sait d'où, vient frapper le héros

1 l'improviste.

Mnesthée, le fidèle Achate et le jeune Ascagne se précipitent à son secours

et ramènent vers sa tente « Enée, couvert de sang, marchant,avec grand'

peine, en s'appuyant sur une longue javeline ».

La blessure est sérieuse. Mais le héros souffre moins de la douleur

physique que de l'inaction où il se voit condamné. Avec colère, il essaye

d'arracher le fer qui s'est brisé dans la plaie. Il veut qu'on le soigne, il

veut qu'on le guérisse, sur le champ, par n'importé quel moyen,

qu'avec une épée on ouvre largement sa blessure, ... qu'on la fouille, et

qu'on aille au fond chercher ce morceau'de fer maudit... Il le faut : Enée

veut se battre ! ...

Un médecin arrive enfin : c'est lapis, fils d'Iasus, auquel Apollon a

appris tous ses divins secrets, lapis, qui a dédaigné les dons brillants de

Phoebus, la divination, la musique, la science de l'arc, pour mieux étudier

(1) Enéide, L. XII, v. 276.

(2) Ibid., v. 307.

(3) Ibid., v. 382.

(4) Ibid., v. 508.

(5) Ibid., v. 537.

(6) Ibid., v. G52.

« ÉNÉE BLESSE »

PEINTURE murale DE pompéi

(Musée de N.iples.)

L. BATTAILLE ET C"

Edithops

ÉNÉE BLESSÉ 43

les vertus des plantes et l'art de guérir, figure grave et noble d'homme

instruit et modeste, résigné exercer dans l'ombre son métier bienfaisant.

... Et mutas agitare iuglorius artes.

Une place à part semble devoir être réservée à ce médecin consciencieux

et humble, en dehors de la classe sacrée des devins guérisseurs, chi-

rurgiens ordinaires des héros blessés.

En s'interdisant les pratiques, de l'art divinatoire où Apollon garan-

tissait son succès, lapis s'était condamné à l'obscurité, peut-être à la

misère, car la connaissance des simples rapportait moins de gloire et de

profil que la soi-disant connaissance de l'avenir. Son portrait simple et

honnête, ainsi tracé par Virgile, commande le respect. Il contient peut-

être une satire contre ceux qui, faisant l'office de médecins, se disaient

inspirés d'en haut, afin de pallier leur ignorance.

Donc, lapis est venu et panse la blessure d'Enée.

C'est le moment choisi par l'artiste pompéien pour retracer la scène

héroïque, et, dans les moindres détails, sa peinture reste fidèle à la des-

cription du poète. (Il. VII.) .

Enée est là, immobile, s'appuyant de la main droite sur sa longue

lance, le bras gauche sur l'épaule du petit Iule, tout en larmes :

Stabat, accrba fremens, ingentem nixus in hastam,

OEncas, magno juvenum et maerentis Iuli

Concursu, lacrimis immobilisé.

Le héros est resté debout. La jambe gauche porte, il elle seule, pres-

que tout le poids du corps ; la droite, où est la blessure, est abandonnée

au chirurgien.

Une telle position n'est guère compatible avec la gravité du trauma-

tisme, ni avec celle de l'intervention. La faute n'en est pas à l'artiste qui

s'est contenté de traduire fidèlement Virgile en peinture. Mais n'oublions

pas qu'il s'agit d'un héros, d'un fils de Vénus, dont les forces ne sau-

raient être comparées à celles des humbles mortels.

L'expression du visage est celle de l'abattement mêlé d'une secrète fu-

reur. Enée souffre : il sent ses forces l'abandonner; mais la colère le

soutient encore, et son oeil suit de loin les péripéties du combat où il brûle

de se précipiter. Malgré bien des imperfections, on sent que le peintre

s'est efforcé d'exprimer celte lutte intérieure.

La douleur du peti t Iule ést aussi très sincère : d'un geste simple et naïf,

l'enfant essuie ses larmes avec un pan de son vêtement, et cache à ses yeux

la blessure de son père.

Dans le fond, deux Troyens de fière allure, Mnesthée et Acate sans

44 NOUVELLE ]CONOGKAPmE DE LA SALPÊTRIÈRE

doute, lance en main, bouclier au bras, casque sur la tête, retournent au

combat.

A gauche, lapis, drapé dans une longue robe, suivant la mode antique

des adeptes d'Apollon, a mis un genou en terre,pour être ilmeilleurepor-

tée du champ d'opération.

Il palpe la blessure de ses mains expérimentées. « Il voit le trait, le sai-

sit entre ses doigts, le tire en tous sens..., vaine tentative ».

Alors, a recours aux instruments de sa profession, une forte pince qui

mord le fer, mais qui, hélas ! ne peut le détacher

Multa manu medica Phoebiquo potentibus llerbis

Nequidluam trépidai, nequidquam spicula doxtrn

Sollicitât, prensatque tenaci forcipo ferrum.

Le peintre nous montre lapis il ce moment de l'opération. La figure est

grave et réfléchie, comme l'a esquissée Virgile. Patiemment, avec douceur

et persévérance, le chirurgien emploie toutes les ressources de son art.

La blessure est large, sanglante. Elle siège Virgile ne le dit pas ; mais

l'artiste choisit la place où, plus tard, Enée frappera son ennemi Turnus

à la face interne de la cuisse droite, à mi-hauteur de celle-ci. Heureuse-

ment, elle empiète sur la région antérieure, laissant en arrière les gros

troncs vasculaires et nerveux. Aussi l'hémorrhagie ne sera pas mortelle;

mais il faut mobiliser avec précaution le fer dans la plaie, pour éviter de

plus graves désordres.

C'est pour le saisir plus solidement, et le déplacer plus délicatement,

que lapis se sert d'une pince.

Je reviendrai dans un instant sur cet instrument de la chirurgie hé-

roïque que l'artiste a représenté selon la forme de ceux qui étaient usités

de son temps.

Voyons d'abord la fin de l'épisode :

Tandis que lapis épuise en vain toutes les ressources de son art, le com-

bat devient acharné, et les Troyens, surpris à l'improviste, sont menacés

d'une cruelle défaite.

Mais Vénus^veille sur son fils et sur son armée. Médecin invisible, elle

apporte le remède divin, le 7)ic<<(mMe de Crète ! . Dans un vase resplendis-

sant, elle fait infuser la panacée odorante avec le suc bienfaisant de l'am-

broisie. Le vieil lapis lave la plaie avec ce liquide. Et, soudain, la dou-

leur disparaît, l'hémorrhagie s'arrête, le fer, suivant la main qui l'ex-

trait, se détache sans effort.

L'artiste pompéien a représenté Vénus, entourée d'un voile flottant qui

dissimule une partie de son corps, visible pour son fils seulement, et te-

nant en main la plante merveilleuse.

ÉNÉE BLESSÉ 45

Cueilli par Vénus elle-même, en Crète, sur le mont Ida, le dictamne

était un vulnéraire fameux :

Dictamum gcnitrix Cretea carpit ail Ida,

Puherilus caulem foliis et flore comantcm

Purpureo : non illa feris incognita capris

Gramina, quum tergo volucres hoesere sagittm.

Aujourd'hui, les bouquetins chassés ne se frottent plus contre le dic-

tamne pour faire tomber le fer qui les déchire, et, pour leurs fils blessés,

les mères ne vont plus cueillir sur la montagne « la plante aux feuilles

velues, aux Heurs purpurines ». Malheureusement pour nous, ce remède

n'a de vertu que pour les personnages héroïques. Il fait merveille entre

les mains d'une déesse de l'Olympe, entre. celles de l'ange protecteur de

Godefroy, le héros du Tasse; il est aussi cueilli par Cymodocée et son

père, qui, pour la découvrir, suivent une « biche blessée par un archer

d'OEchalie ».

S'il faut en croire Virgile, le dictamne aurait été un hémostatique puis-

sant et un anesthésique prodigieux. Mais qu'est-il devenu ? ...

On a beaucoup discuté sur cetle panacée légendaire. Pline, d'après Dios-

coride, affirme que le dictamne n'a ni (leur ni lige. Et Virgile, on le voit,

en parle tout autrement.

Il importe peu d'ailleurs de rajeunir celte vieille querelle. La vérité

est que le terme de dictamne ou dieta1lle a été appliqué à tort et à travers

à plusieurs plantes médicinales, la fraxinelle, la marjolaine, etc.

L'antique dictamne de Crête, serait une Labiée (Origanum f/<c(a ! MMM6',

L. ou Amaraells dicllllnnlls.(Beath) dont les propriétés aromatiques, vulné-

raires, emménagogues, digestives, stimulantes, etc... ont été utilisées de

mille façons, sans qu'il en reste aujourd'hui autre chose que des souvenirs

littéraires, et quelques plants acclimatés dans les jardins.

Terminons le récit :

,

Enée est guéri, et retrouve soudain son ancienne vigueur.

« Victoire ! s'écrie lui-même lapis. Qu'on apporte les armes du héros !

Enée est sain et sauf ! ... Un dieu puissant l'a préservé pour des exploits

nouveaux. Quant ci moi, je n'y suis pour rien. De tels miracles n'appar-

tiennent point à la science humaine ». z

El, tandis que le modeste chirurgien se défend du succès de son inter-

velllion, Enée, rassemblant ses guerriers, se jette au plus fort de la mêlée,

ranime les courages, fait des prouesses sans nombre, et finit, après maintes

péripéties, par rejoindre Turnus.

Bien qu'affaibli par sa blesssure, et bien qu'il sente ses jambes fléchir

sous lui (le dictamne, parait-il, ne faisait que des demi-miracles) :

46 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTMÈKE

Quanquam tarda la si(ri[La

Inlerdum genua 1111pCfllllllt cursumquc récusant,

le héros poursuit son rival et lui lance un javelot, qui, pénétrant au milieu

de la cuisse, le met hors de combat. Peu après, Enée achève Turnus en lui

plongeant son épée dans la poitrine.

Ainsi finit la guerre des Troyens et des Latins, au cours de laquelle l'é-

pisode de la blessure d'Enée a inspiré la peinture murale qui nous inté-

resse. ,

L'Enée blessé est d'une parfaite conservation. Les couleurs en sont en-

core fraîches, harmonieusement combinées et d'une très douce tonalité.

La tunique du héros est d'un beau Ion violet, bordée de bleu ; bleu est le

manteau d'Ascagne, brun jaunâtre la robe d'Iapis. Vénus est enveloppée

d'un voile de couleur indécise, entre le rose tendre et le bleu éteint.

Ici, les contours ne sont pas toujours arrêtés par une ligne nette ; mais

les ombres sont crues, faites de larges hachures, ainsi que les lumières.

Ce procédé donne aux figures une expression de dureté souvent disgra-

cieuse, surtout de près. Mais à distance et c'est ainsi que ces peintures

devaient être vues la brutalité des oppositions disparaît et les person-

nages n'en semblent que plus vivants et plus expressifs.

Revenons à l'instrument employé par le chirurgien lapis pour extraire

le trait brisé dans la blessure.

Il s'agit d'une sorte de pince dont l'analogue existe au Musée de Na-

ples. Il fait partie de la collection d'instruments de chirurgie trouvés à

Pompéi dans la maison dite dit chirurgien, et à Herculanum.

Cette pince célèbre, connue sous le nom de forcipe ercolanese, a déjà

fait l'admiration des médecins de notre temps. On peut la voir reproduite

. PI. VIII S, et voici la description fort exacte de M. D. Monaco.

« Cet instrument (long de 0,20 centimètres), est formé de deux branches

entrecroisées qui s'articulent à pivot fixe. Chaque brandie se compose de

deux parties, un manche et une cuiller. Les manches sont quadrillés pour

les rendre moins glissants entre les mains de l'opérateur ; ils sont longs,

relativement aux cuillers, ce qui d'après la théorie du levier leur donne

une grande puissance. Les cuillers exactement appliquées l'une sur l'autre

sont courbées sur les côtés pour permettre au chirurgien de mieux suivre

de l'oeil son opération.

« Leurs extrémités offrent des rainures sur les surfaces contiguës : ces

rainures s'encastrent exactement les unes dans les autres ; elles permettent

une prise solide, et empêchent l'instrument de lâcher les objets qu'il

INSTRUMENTS DE CHIRURGIE DECOUVERTS A POMPEI

(Musée de Naples. Collection des petits bronzes.)

L BATTAILLE ET Ce

EDITI-URS

- ÉNÉE BLESSÉ 47

enserre, lorsqu'on développe une certaine force pendant l'opération.

Cet instrument était destiné à arracher les esquilles, les séquestres ;

peut-être servait-il de cranioclaste dans les accouchements laborieux.

Dans tous les cas il n'a aucun rapport avec l'instrument employé de nos

jours sous le nom de forceps (1) ». '

L'auteur d'Eaée blessé s'est certainement inspiré d'un instrument de ce

genre dans sa peinture, et il l'a reproduit a l'image de celui qui était en

usage de son temps pour retirer les esquilles et les corps étrangers.

L'arsenal chirurgical découvert à Pompéi donne en effet une haute idée

des connaissances opératoires des Romains, il y a près de vingt siècles.

Et l'on peut dire que, jusqu'à la révolution toute contemporaine produite

par l'antisepsie, si la matière des instruments avait varié, la forme n'avait

subi que des modifications insignifiantes. Il s'en faut même, et de beau-

coup, que tous les instruments usités par les précurseurs de la chirurgie

moderne, au XVe, XVIe et même au XVIII" siècle, fussent construits avec

autant d'ingéniosité et d'élégance. ,

La Planche VIII en reproduit un certain nombre choisis parmi les plus

intéressants de ceux qui figurent au Musée de Naples, dans la collection des

petits bronzes.

On y voit des spatules (A, B) aux manches finement ouvragés, pour mê-

ler les médicaments. Une lancette (C) à lame triangulaire. Une aiguille

recourbée (D) pouvant servir d'écarteur. Des ciseaux (E) réunis par un

ressort. Une sonde à injection (F) dont l'extrémité effilée est percée de 8

petits trous, et dont l'autre extrémité, élargie en entonnoir, devait être

adaptée à une seringue. Un trocart (G), une pince dentelée pour soulever

la peau (1), une autre (T) pour saisir les fragments d'os, des sondes bou-

tonnées (P).

Une sonde creuse (L) à double courbure, avec une ouverture ovalaire à

l'une des extrémités. On a trouvé aussi des sondes pour femmes plus cour-

tes et avec une seule courbure, semblables aux sondes actuelles. ,

Toute une collection de ventouses (I), de grosseurs différentes, sont de

forme identique à èelles'qu'on emploie encore aujourd'hui. '

Les spéculums sont d'un mécanisme extrêmement ingénieux. Celui qui

est figuré en M, est ainsi décrit par M. Monaco, d'après les publications

de Vulpes et Quaranta et les explications du Dr Perdu t.

« C'est un spéculum trivalve (long. 0,23). Les trois valves, formant

angle droit avec le reste de l'instrument, sont solidaires les unes des autres

dans l'écartement qu'on imprime à l'une d'elles seulement. Lorsque l'ins-

(1) D. : lloa.co, Guide gen. du musée de Naples, 1893, p. 147. Consulter Le Filaire

Sebe : io. Giornale delle scienze mediche, fasc. 304. Déc, 1849. (Lettre de l3.Quaranta).

48 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

trument est fermé, c'est-à-dire quand les trois valves sont appliquées

l'une contre l'autre, il est environ de la grosseur du pouce. Il suffit de

tourner une vis pour attirer une alve; celle-ci en s'écartant oblige les

deux autres à se reporter de côlé; on obtient ainsi une dilatation lente,

régulière, progressive et très étendue, si le chirurgien le désire, comme

cela est nécessaire dans certaines opérations. A droite et à gauche delà vis

sont deux petites tiges articulées, au moyen desquelles l'opérateur tient

l'instrument de la main gauche tandis qu'il tourne la vis dilatatrice de la

main droite. Ces petites tiges ressemblent aux manches ployants de nos

spéculum uteri perfectionnés. Le plus grand écartement des trois valves

est de 0,09 ». e

Il existe aussi un spéculum Il quatre valves d'un mécanisme analogue.

La fig. N représente un modèle plus simple, à deux valves, qui peut être

considéré comme un spéculum (fni.

Un élévateur pour la trépanation rappelle ceux qu'employèrent plus

tard A. Cruce, Bércnger de Carpi, A. Paré, et dont MM. Chipault et Ha-

leine ont donné ici même d'intéressantes reproductions.

'Enfin un grand nombre d'étuis (1\) ont été trouvés remplis d'instru-

ments de petite chirurgie, pinces, sondes, aiguilles droites et recourbées,

etc. Ainsi que des boîtes Ii médicaments divisées en plusieurs cases et coll-

tenant des pilules, des poudres médicinales, du soufre, sans parler des

cautères, pierres ci aiguiser, balances, fioles de pharmacie, encriers, etc.

Je ne fais que rappeler ces curieuses trouvailles qui ont, depuis long-

temps déjà, excité l'étonnement et l'admiratioll des archéologues et des

médecins.

L'Enée blessé Au musée de Naples est la meilleure preuve que les pein-

tures de l'Antiquité ne doivent pas échapper à la critique médicale.

C'est, en outre, à ma connaissance, le plus ancien document figuré re-

présentant une opération chirurgicale.

Enfin, la reproduction du forcipe ercolanese sur cette peinture renferme

encore un enseignement :

C'est que, dans toutes les manifestations de l'Art, à quelque époque

qu'elles appartiennent, alors même qu'il s'agit de scènes fabuleuses, il ne

faut pas négliger de rechercher les documents qui intéressent la Médecine,

les artistes introduisant parfois dans leurs oeuvres des accessoires emprun-

tés à leur époque, et les reproduisant avec fidélité.

Le gérant : Louis

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE

DE LA MOELLE ÉPINIÈRE --

9 ayant déterminé un

SYNDROME DE BROWN-SEQUARD BILATÉRAL

AVEC DISSOCIATION SYRINGOMYÉLIQUE

Par MM.

. V. HANOT

Professeur agrégé, médecin de

l'hôpital Saint-Antoine.

et

HENRI MEUNIER

Interne des hôpitaux.

Les gommes syphilitiques de la moelle épinière sont considérées avec

juste raison comme une des modalités les plus rares des manifestations

nerveuses de la vérole.

L'observation que nous publions ici est un exemple remarquable de

cette forme pathologique ; elle nous a fourni, aussi bien au point de vue

clinique qu'au point de vue anatomidne, des indications du plus grand in-

térêt, et nous a permis, grâce à un examen méthodique de la lésion, d'é-

lucider le mécanisme du syndrome physiologique complexe, constaté au

lit du malade (1).

Résumé clinique : Début aJ1oJ1lectifo1'1ne. Syndrome de Brozvtt-Sequard

bilatéral : paraplégie complète, hémianesthésie double, avec dissociation

syringomyélique au niveau des membres inférieurs ; incontinence d'2tritte;

inégalité pupillaire. Evolution rapide. Decllbitus acutus.

Autopsie : Double gomme intramédullaire de la région cervico-dorsale.

Symphyse duro-médullaire.

(1) Ce cas a été l'objet d'une communication faite par M. Henri Meunier au congrès

de l'Association pour l'Avancement des Sciences, tenu à Carthage le 1er avril 1S9G.

I S , 4

50 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Histologie pathologique : e'H ! 'HO-CaSCM ? t6 syphilitique. Infiltration

gommeuse diffuse et circonscrite (deux gommes). Cellules géantes. Encarté-

rite oblitérante. Ramollissement syringomyélique.

Observation.

P. V..., danois, âgé de 42 ans, exerçant le métier de lithographe et,

dernièrement, de machiniste dans un théâtre, entre dans le service de

M. le Dr Hanot, le 6 janvier 1895.

Pendant les premiers jours de son -hospitalisation, le malade répond

clairement à l'interrogatoire et fournit les renseignements suivants sur

ses antécédents et sur le début de son mal. Il

Son père et sa mère sont morts à un âge avancé, de maladies inconnues;

il a eu trois frères et trois soeurs qu'il a perdus de vue.Venu il y a dix ans

du Danemark à Paris, il a exercé successivement plusieurs métiers : litho-

graphe, homme de peine, machiniste. ,

Ses antécédents personnels sont peu importants : ils se limitent à

une scarlatine dans l'enfance et à des migraines fréquentes depuis l'âge de

15 ans.

C'est en 1892, c'est-à-dire il y a trois ans, qu'il contracta simultané-

ment une blennorrhagie et la syphilis; le chancre, dûment constaté

par un médecin et soumis au traitement spécial, eut l'évolution classique

et fut suivi quelques semaines après d'une roséole caractéristique.

Aucune nouvelle manifestation de la vérole ne se montra pendant deux

ans environ : mais au mois de juillet dernier survinrent des gommes cu-

tanées, dont le malade porte aujourd'hui encore des traces profondes; il

alla, pour cela,à à l'hôpital Saint-Louis, où il fut soumis au traitementspé-

cifique pendant trois semaines.

Guéri de ses syphilides, le malade reprit son métier et sa santé générale

ne cessa pas d'être satisfaisante.

Il y a trois semaines (le 16 décembre), le malade prit froid pendant son

service dans les coulisses du théâtre et contracta un gros rhume ( ? ). Les

jours suivants, il fut pris de courbatures douloureuses dans les reins et

entre les épaules, mais n'en continua pas moins son service; il était ce-

pendant très gêné par une lourdeur invincible des jambes, une fatigue con-

tinuelle, qui ne lui permettait ni de grands efforts, ni la station debout

prolongée. Quelques jours après, il s'aperçut qu'il avait de la peine à

uriner; sa vessie était paresseuse. Néanmoins il ne suspendit point ses

occupations.

C'est alors qu'éclata l'accident grave qui détermina une subite para-

.plégie.

Mercredi dernier, 2 janvier, pendant son travail, le malade fut pris

gomme syphilitique DOUBLE DE la moelle épinière 51

d'un malaise brusque, d'une sorte de défaillance générale et ses camara-

des, frappés de sa pâleur et de son anxiété, lui proposèrent de le recon-

duire chez lui : il partit « pied; donnant simplement le bras à un de ses

compagnons; 'tout à coup; dans la rue, ses jambes fléchirent : il s'affaissa

sur le sol. Cet ictus ne s'accompagna que d'uib étourdissement passager,

et d'une pâleur cadavérique, du visage : le malade ne perdit point con-

naissance ; il est très affirmatif sur,ce point et sa véracité est corroborée

par la précision avec laquelle il raconte les détails de son accident.

Complètement paralysé des jambes, il fut relevé et transporté chez lui;

depuis ce moment (quatre jours); il'est resté -sur son lit, absolument im-

mobilisé du tronc.et clés membres inférieurs.

C'est dans cet état lamentable qu'il fui apporté à l'hôpital, le 2 jan-

vier.

Etat actuel : 3 janvier. Le malade est d'assez grande taille, peu musclé,

plutôt maigre : il est étendu dans le décubitus dorsal, la tète relevée, les

yeux dirigés vers le.plafond... '

Son intelligence est parfaitement lucide; il comprend bien et répond

nettement aux questions qu'on lui pose. -

Ce dont il se plaint surtout- c'est ,d'une raideur extrêmement pénible

de la nuque et, d'une sensation de brûlure qu'il ressent entre les deux

épaules ; les musclos de la région cervicale postérieure sont contracturés

et cet opisthotonos s'accompagne de douleurs vives, continues, qu'exaspère

toute tentative de flexion de la tête.

Nous compléterons plus loin les signes fournis pas l'examen du sys-

tème nerveux.

Depuis son accident, le malade a perdu l'appétit : sa langue est sèche,

couverte d'un enduit grisâtre, crevassé. Il tousse un peu, mais l'ausculta-

tion ne révèle aucun signe stétboscopique anormal. Le rythme respiratoire

est régulier, peu rapide : 18 par minute.

, Les bruits du coeur sont normaux ; -le pouls est fort, à 88.

L'abdomen est distendu par du météorisme; le malade s'en plaint et

déclare n'avoir pas été selle-cleptiis son attaque un lavement pris hier,

n'aurait produit aucun effet. La température est de 37°4.

1

Examen du système nerveux : '

, I. Motricité. Les troubles moteurssont caràctérisésessentiellement par

une paraplégie flasque, absolue ; aucun mouvement volontaire n'est pos-

sible dans les groupés musculaires des membres inférieurs, du pelvis, de

la région clorso-lombaire. (Fig. 10.) Les deux jambes sont étalées symétri-

quement surje lit, les pieds légèrement déviés en dehors.

Les limites supérieures de la paraplégie ne sont pas nettement dessinées ;

52 NOUVELLE ICONOGRArnOE DE LA SALPÈTR1ÈRË

néanmoins on remarque les particularités suivantes, qui auront leur im-

portance pour le diagnostic topographique de la lésion : d'une façon géné-

rale, les membres supérieurs paraissent exclus de la paraplégie ; le ma-

lade remue les deux bras et peut

tendre la main droite. Cependant t

on note que tous ces mouvements

manquent d'énergie et que la fai-

blesse musculaire est plus accen-

tuée dans le hras gauche : il ré-

siste du bras droit au mouvement 1

d'extension de l'avant-bras sur le

bras et peut tenir son verre de la

même main ; à gauche, au con-

traire, ses mouvements sont plus

maladroits et le malade n'esquisse

guère que les mouvements qui

dépendent du deltoïde et du grand

pectoral. Les muscles inlerscapu-

laires sont contracturés ainsi que

ceux de la nuque ; les sternocléi-

do-mastoïdiéns paraissent indem-

nes.

La musculature faciale fonc-

tionne normalement.

II. Sensibilité. Les troubles

de la sensibilité sont moins francs

que ceux de la motricité, mais

par leur dissociation même et la

netteté de leur limite supérieure,

ils éclairent précieusement le

diagnostic du siège de la lésion.

Aux membres inférieurs la sen-

sibilité tactile est presque partout

conservée, quoique manifestement diminuée et retardée. Par contre, les

sensibilités algésique et thermique sont abolies : le sujet interprète les sen-

sations de piqûre, l'application de corps chauds ou froids, comme sensa-

tions de contact : ces troubles sensitifs correspondent très nettement à la

dissociation dite syringomyélique (Fig. 11 et 12).

Sur le tronc, l'anesthésie complète s'établit peu à peu à mesure qu'on

remonte vers les parties supérieures, et bientôt les trois modes de sensibi-

lité font totalement défaut; vers la partie supérieure du thorax, on atteint

Fio. 10. - Répartition des troubles moteurs :

Hémiparaplégie double à limite supérieure dé-

nivelée : le bras gauche est parésié, le droit

indemne.

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 53

la limite de cette anesthésie et comme elle diffère à droite et à gaucho,

nous l'examinerons séparément de chaque côté :

il gauche, l'anesthésie s'arrête nettement suivant une ligne qui corres-

pond à la 3e côte et qui suit cet arc osseux jusque dans la région postérieu-

1'13; immédiatement au-dessus de cette limite la sensibilité reparaît; elle

est même exaltée, liYPol'osthésir¡ue, suivant une bande qui recouvre le 2° es-

IIéwianesthésie (croisée) double, avec dissociation syringomyélique au niveau du bassin

et des membres inférieurs. (Les hachures obliques correspondent à la dissociation

syringomyélique, les hachures croisées à l'aneslhésie totale.)

Deux bandes d'hyperesthésie {pointillé) surmontent la limite supérieure de l'anesthésie.

pace intercostal ; puis, si on dépasse cette zone, la sensibilité redevient

normale ; elle se continue telle au cou et, à la face.

A droite, la même disposition s'observe exactement, avec une différence

Fic. 11 et 12. Répartition des troubles sensitifs :

54 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTHIÈHE ,

de niveau mesurée par la hauteur d'un espace intercostal : l'anesthésie s'ar-

rête franchement le long de la 2° côté ; il existe ensuite une' bande hyper-

estllésique répondant au''l-cr espace intercostal et la sensibilité normale

réparait définilivement.un peu au-dessous de la 'clavicule, c'est-à-dire^m

niveau de la tre côte ? " ' - "

La sensibilité tégumenlaire des membres supérieurs est intacte; celle

du cou et de la face né présente également aucune altération. '

III. Réflexes. Les réflexes roluliens sont complètement abolis : il

n'existe pas de clonus du pied. ' ' '

IV. Réservoirs. Les. troubles de la miction observés par le malade

pendant les derniers jours qui ont précédé son accident, se sont transfor-

més depuis en une incontinence continuelle.

Le rectum est également atteint et sa 'paralysie se traduit par une cons-

tipation opiniâtre.

V. Organes des sens. L'ouïe, l'odorat, le goût sont conservés intégra-

lement ; la vue n'est pas altérée, mais on note une inégalité pupillaire très

marquée : la'pupille droite a un diamètre double de celui,de la gauche.

VI. Troubles trophiques. Il n'existe pas d'eschare sacrée, ni fessière ;

la peau est seulement plus rouge dans ces régions. Les masses musculaires

ne paraissent pas atrophiées. '

En présence de ce tableau clinique, et en se basant sur la limite de la

paralysie, sur celle, plus nette, de l'anesthésie, enfin sur l'existence de l'i-

négalité pupillaire, qui dénonçait la participation du centre cilio-spinal,

on formula le diagnostic suivant : ,

Paraplégie par lésion de la moelle ; lésion bilatérale transverse, intéres-

sant certainement l'axe gris dans sa con 1 illuité( dissociation syringomyélique),

siégeant dans la région ceriico-clorsule, vraisemblablement entre la 8° racine

cervicale et la 3° dorsale ; d'origine syphilitique ; de nature indéter-

minée, mais d'évolution rapide (début apoplecti forme) : hématomyélie ?

myélite aiguë localisée ? ramollissement transverse ? '

Traitement. (Lavement purgatif. Frictions mercurielles. Pi-

lule de cynoglosse). , , z

Le 8 janvier ? Même état. Le malade se plaint surtout des douleurs in-

tolérables qu'il ressent entre les épaules et dans le cou ; l'opisthotonos de

la nuque n'a pas diminué. La parésie. des membres supérieurs a gardé les

mêmes caractères; les mouvements sont possibles, mais faibles, surtout

à gauche. ,' . 1 v .

Le lavement a amené une débâcle ; l'incontinence d'urine ne s'est pas

modifiée. '

(Piqûre de morphine le sbir.) 1 , ' *

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 55

Le 9.- L'intell igence s'obscurcit; le malade est somnolent, indifférent,

et ne répond aux questions que par monosyllabes. L'apparition d'une es-

chare sacrée annonce le décubitus aigu.

Le 10. Coma, respiration stertoreuse.

Le Il. - Mort.

Autopsie (26 heures après la mort).

Les poumons sont fortement congestionnés dans leurs parties posté-

rieures ; il n'existe ni foyer de pneumonie, ni traces de tuberculose; le

poumon gauche présente quelques adhérences anciennes avec la paroi.

Le coeur n'offre aucune lésion apparente.

Le foie est congestionné, un peu gros ; la rate moyenne, normale; les

reins normaux.

Le cerveau ne présente aucune lésion macroscopique ; les veines ménin-

gées sont dilatées ; l'arachnoïde un peu oedémateuse; on ne trouve en

aucun point de foyer de ramollissement ni d'hémorrhagie.

Le canal rachidien est ouvert : la dure-mère, d'aspect normal, n'adhère

au squelette en aucun point; la gaine méningomédullaire est extraite sui-

vant les règles : en palpant délicatement la moelle à travers ses envelop-

pes, on ne trouve pas de tuméfaction ni d'induration remarquables ; cepen-

dant dans la région cervico-dorsale, il semble que le névraxe soit un peu

plus volumineux qu'il ne l'est normalement. Après section longitudi-

nale de la dure-mère en avant et en arrière, on met à nu la moelle et ses

méninges internes : le liquide céphalo-rachidien est d'abondanceetde trans-

parence normales; l'arachnoïde présente dans toute sa hauteur, sur-

tout à la face postérieure, de nombreuses petites écailles blanches, dures,

sèches (arachnitis fibro-calcaire). Les réseaux vasculaires de surface sont

très congestionnés, surtout dans la région supérieure de la moelle.

A la hauteur des premières racines dorsales, la moelle présente un léger

renl1elllent; - à ce niveau la dure-mère présente avec le névraxe deux

adhérences, situées à droite et à gauche du sillon médian antérieur (fig. 13

Adh) ; ces deux adhérences, recouvrant une surface de 5 millimètres de

diamètre environ, sont arrondies, résistantes, et constituent une véritable

symphyse méningo-médullaire circonscrite : elles sont symétriques par

rapport au plan médian, mais ne siègent pas exactement à la même hau-

teur : l'adhérence gauche, qui s'applique au renflement maximum de la

tuméfaction médullaire, se trouve gaz 1 centimètre environ au-dessus de

l'adhérence droite.

Une section, une seule, est pratiquée en travers de la moelle avec le cou-

teau d'autopsie : elle porte sur le milieu de l'adhérence supérieure, c'est-

à-dire au niveau de la tuméfaction maxima : sur la surface de coupe, on

56

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

voit un volumineux noyau, de consistance ferme, de couleur blanc-jaunÙ-

tre, de la grosseur d'une petite cerise (Pi. IX, C, coupe 104).

Notre description nécropsique s'arrêtera là, la topographie complète de

nos lésions n'ayant pu nous être donnée que par l'examen d'ensemble des

coupes sériées que nous avons pratiquées sur la moelle.

Anatomie pathologique.

A. Topographie des lésions.

L'examen macroscopique de la moelle, il l'autopsie, avait dû forcément

être restreint,ia lésion devant être ménagée en vue des coupes histologiques.

Ces coupes, au nombre de 198, faites en série depuis la 3° paire dorsale

jusqu'à la 8e cervicale, c'est-à-dire en deçà et au delà des limites des tu-

meurs, ont été colorées par les différentes méthodes classiques, simples ou

combinées (picrocarmin, hématoxyline, éosine, carmin d'indigo, chlorure

d'or, Weigert, Pal, Azoulay).

Elles nous ont permis, par leur examen d'ensemble, d'établir exacte-

ment la topographie des lésions macroscopiques.

La moelle, dans l'étage correspondant à l'origine des '1"° et 2° paires

dorsales, renferme deux grosses tumeurs, l'une gauche, l'autre droite,

FIG. 13. Moelle cervico-dorsale, vue par la face postérieure. On voit par transpa-

rence les tumeurs T et T'et leurs adhérences Adh aux méninges antérieures.

(Les lignes horizontales numérotées correspondant/ aux coupes des planches IX et X.)

Nouvelle iconographie DE la SALPÊTRIÈRE

A. Coupe au niveau de la 8 racine cervicale : coupe nu 138.

il. Coupe entre la Se racine cervicale et la t'" dorsale : coupe n° 119.

Ç. - Coupe au niveau de la 1re racine dorsale : coupe n° lui.

GOMMES SYPHILITIQUES DE LA MOELLE

RÉGION CER·1C0-OORSALE. ETAGE SUPÉRIEUR

(COLORAT, 1o\ÉTIl. \VE.1GERT)

... j3 A T TAI L L R f-10, 1 ft DIT E U R S ,

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 57

symétriquement placées par rapport au plan médian ; elles occupent,dans la

région antéro-latérale du névraxe, des niveaux un peu différents, la gauche

plus élevée, la droite plus basse (Fig. 13) ; mais elles sont assez peu dis-

tantes l'une de l'autre, pour que, sur certaines coupes, dans la région inter-

médiaire, elles apparaissent toutes deux juxtaposées (Fig. 15, coupe GG).

Les deux tumeurs ont des caractères presque identiques et affectent

des rapports analogues avec les éléments voisins, méninges, faisceaux

blancs, colonne grise, racines. Nous ne décrirons donc en détail que l'une

d'elles, la tumeur gauche supérieure, par exemple, nous réservant d'a-

jouter pour sa congénère les particularités qui lui sont propres.

1

Sur une coupe passant par la 1"= racine dorsale, ou par le centre de

l'adhérence méningomédullaire gauche (décrite plus haut), on remarque la

disposition suivante (Fig. 14. I et PI. IX, coupe 6).

L'aire de la coupe est plus grande qu'à l'état normal ; son diamètre

transversal est de 17 millimètres; son diamètre antéro-postérieur de

1.4 millimètres; cette aire est par conséquent supérieure à celle du renfle-

ment cervical.

La forme de la coupe est elliptique à grand diamètre transversal ; son

pourtour est assez régulier, sauf à l'angle antéro-gauche, au niveau du

sillon des racines antérieures, où l'on constate la présence d'un bourgeon

saillant, large, débordant le pourtour normal de la moelle d'environ

3 millimètres et adhérant aux méninges.

Malgré cette conformation extérieure relativement normale de la moelle,

les différents éléments constitutifs du névraxe sont profondément boule-

versés par la présence de la tumeur : celle-ci occupe la moitié gauche et

antérieure de la coupe, refoulant en arrière et à droite tous les éléments

nobles de la moelle : son volume est celui d'une cerise (12 à 13 millimè-

tres de diamètre) ; sa section est à peu près circulaire, si on en excepte

le bourgeon extra-médullaire qui la coiffe en avant.

La présence de ce gros nodule modifie de la façon suivante les parties

normales de l'axe gris : la corne antérieure gauche a complètement dis-

paru ; son siège correspondrait au centre même de la tumeur; la corne

postérieure gauche est refoulée très notablement en arrière et ses deux

tiers internes sont confondus avec le tissu néoplasique; seule, son extré-

mité libre est indépendante ; on en distingue assez nettement le tractus

fascicule qui aboutit aux racines sensitives. Les deux sillons médians an-

térieur et postérieur sont fortement déjetés de celé; le premier fait un

angle de 45° avec l'axe antéro-postérieur de la coupe, le second se dé-

vie également et se perd bientôt en arrière de la tumeur en la contour-

nant avec ce qui subsiste de la corne postérieure gauche.

58 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Les deux cornes droites; au lieu de former un V à angle obtus, ouvert

il droile, sont dans le prolongement l'nr de l'autre et leur axe est exacte-

ment antéro-poslérieur. Ainsi disposées, les cornes droites sont contiguës

à la tumeur, au niveau de la région qui correspondrait normalement à la

commissure grise.

La topographie des faisceauxblancsestégalement très modifiée : à droite,

les faisceaux antéro-latéraux subsistent avec leurs rapports et leurs pro-

portions normales, quoique déformés par la compression latérale; mais à

gauche, ils ont été détruits presque en totalité : le faisceau pyramidal di-

rect est englobé dans la tumeur, le faisceau pyramidal croisé est presque

complètement détruit ; il ne reste du cordon latéral qu'une zone fatciforme

périphérique, qui correspond à peu près au faisceau cérébelleux direct.

Telle est la topographie générale des lésions sur la coupe qui passe par

le diamètre maximum de la tumeur gauche : les coupes variées faites au-

dessus et au-dessous de la précédente montrent que le noyau gommeux

FIG. 14. Coupes en perspective de la moelle cervico-dorsale, montrant

. la disposition des deux gommes.

/

Nouvelle iconographie de la SALPLTRILRC

D. Coupe entre la lie et la z racine dorsale : coupe n° U.

E, Coupe au niveau de la 2° racine dorsale : coupe n° 34.

F. - Coupe entre la 2- et la ;;0 racine dorsale : coupe ne 16.

GOMMES SYPHILITIQUES DE LA MOELLE

RÉGION CERVICO-DORSALE. ETAGE INFERIEUR

(DESSIN. A la chambre claire)

li- }1ATTAILLE & FIC, ÉDITEURS

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 59

gauche diminue peu à peu de volume. En conservant son siège intra-mé-

dullaire, il perd bientôt ses rapports méningés, cesse d'adhérer aux en-

veloppes, puis se concentre dans la région delà corne antérieure (P1.1,8,

' coupe 119) pour se continuer enfin, vers la partie supérieure, en un pro-

longement de simple infiltration embryonnaire qui se confond avec une : zone de ramollissement périépendymaire (Pl. IX, A, coupe 138). Vers la

partie inférieure, la tumeur se rétrécit également dans l'épaisseur de la

moelle et son tissu néoplasique est peu à peu remplacé par le tissu nor-

mal de la corne antérieure. -

La description de la seconde tumeur pourrait être calquée sur la précé-

dente, elle ne diffère en effet de sa congénère que par un volume un peu

moindre, qui n'entraîne pas un refoulement aussi prononcé des autres

parties des éléments 'constitutifs de la moelle.

Au niveau de son plus grand diamètre, situé à la hauteur de la 2e paire

dorsale, la tumeur, de forme circulaire assez bien circonscrite, occupe toute

la portion antéro-latérale de la moelle droite, détruisant la corne anté-'

rieure, une partie de la corne postérieure, les .faisceaux pyramidaux di-

rect et croisé, refoulant l'extrémité de la corne postérieure et le cordon de

Burdach, adhérant enfin par un gros bourgeon saillant à la dure-mère au

niveau du sillon antéro-latéral (l'l. X, D'et E, coupes 66 et-34).

En haut, la gomme s'arrête en plein tissu gris par une extrémité ar-

rondie ; en bas, elle se termine par deux- prolongements, l'un effilé, qui

s'éteint dans la zone marginale antérieure, l'autre qui se confond avec la

traînée de ramollissement lacunaire qui occupe le centre du névraxe et

descend à 2 2 centimètres environ au-dessous des tumeurs (Pl. X, F,

coupe 16). -

En résumé, les altérations macroscopiques consistent en 2 noyaux gom-

meux, situés de part et d'autre du sillon médian antérieur, l'un un peu

plus élevé que l'autre, et en deux prolongements de ramollissement cen-

tral, commissural, dépassant en haut et en bas l'étage des tumeurs pro-

prement dites (Fig. 14).

B. Histologie des lésions.

L'examen macroscopique (ou à un faible grossissement) de nos coupes,

en nous permettant d'établir 1;\ topographie des grosses lésions, ne nous

z a montré en réalité que les deux gommes, foyers circonscrits représen-

tant le stade le plus avancé du processus infectieux. L'examen histologique

nous révèle à son tour des altérations beaucoup plus étendues, beaucoup

plus complexes, et nous montrera a,côté des formations gommeuses un

«ensemble de lésions fines, diffuses, répondant il une méningo-vasculo-

myélite aiguë des mieux caractérisées. \

60 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

La complexité de cet examen anatomique nous contraint à passer suc-

cessivement en revue les différents éléments de l'organe ; nous les décri-

rons dans l'ordre suivant : dure-mère, arachnoïde, pie-mère, vaisseaux,

tumeurs, faisceaux blancs, substance grise, racines.

I. Dure-mère. Généralement peu altérée, elle ne présente de lésions

véritables que dans les points où elle contracte des adhérences avec les

tumeurs; ces deux adhérences, symétriquement placées par rapport au

plan médian, c'est-à-dire au point d'émergence des racines antérieures,

mais à des bailleurs différentes correspondant aux niveaux respectifs des

deux gommes, ont une surface irrégulièrement arrondie mesurant environ

5 millimètres de diamètre (fig. 13, Adh).

En ces points, la dure-mère est épaissie de moitié ; sa surface externe

et son tissu interstitiel sont sains : tout au plus note-t-on quelques traî-

nées embryonnaires le long des petits vaisseaux qui la parcourent ; sa sur-

face jnterne, intimement accolée et fusionnée aux méninges sous-jacentes

et, par leur intermédiaire, aux tumeurs elles-mêmes, s'en distingue ce-

pendant par l'existence, dans la zone qui les sépare, d'une infiltration

luxuriante de cellules rondes, qui forment dans les coupes colorées à l'hé-

matoxyline, une traînée nucléaire très dense. Cette infiltration, dont le

développement exubérant contribue à former les végétations extragommeu-

ses, se continue à la surface interne de la dure-mère, le long du feuillet

pariétal de l'arachnoïde, par une nappe plus ou moins abondante de cel-

lules, qui s'étend à quelques millimètres de distance de l'implantation de

la tumeur ; au delà, la dure-mère reprend son aspect normal.

Au-dessus de l'étage des tumeurs, la nappe embryonnaire qui tapisse la

face arachnoïdienne de la dure-mère s'atténue insensiblement et disparaît

complètement à 1 centimètre environ au-dessus de l'adhérence duro-mé-

dullaire.

Au-dessous, même disposition ; les lésions de la méninge ne s'étendent

qu'à courte distance ; on retrouve bientôt la dure-mère absolument saine,

.alors qu'au même niveau, en face d'elle, les racines et les vaisseaux pie-

mériens sont manifestement envahis par le processus inflammatoire.

IL Arachnoïde. L'arachnoïde est, comme la dure-mère, peu atteinte

et ses lésions n'existent que dans le voisinage des adhérences duro-médul-

laires.

A ce niveau, elle est totalement englobée dans la végétation implantée

sur la dure-mère ; il ne subsiste d'elle aucune trace. Immédiatement autour

de l'adhérence, on la retrouve sous forme d'une banderolle sinueuse, plus

épaisse qu'à l'état normal et modérément infiltrée de cellules embryonnai-

res ; à une certaine distance de la région tumorale, principalement dans

GOMME SYPIIILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 61

la moitié postérieure de la gaine des méninges, elle se présente sous son

aspect normal. 1

Au-dessus et au-dessous des adhérences, l'arachnoïde présente des lésions

décroissantes, qui reparaissent irrégulièrement en certains points, sans

ordre : c'est ainsi qu'à 1 centimètre 1/2 environ au-dessous de la tumeur

la plus basse, on retrouve dans la région postérieure, un épaississement

et une infiltration embryonnaire assez prononcés de l'arachnoïde. On se

rappelle qu'à l'autopsie, celle méninge était parsemée dans toute la hau-

teur de la moelle d'innombrables petites plaques blanchâtres, d'une dureté

pierreuse (arachnitis chronique fibro-calcaire). En aucun point, on n'ob-

serve d'adhérences de l'arachnoïde à la pie-mère.

III. Pie-mère. Des trois méninges,' la pie-mère est, suivant la règle,

de beaucoup la plus altérée. Les lésions de leptoméningite sont consti-

tuées ici dans leur type le plus parfait et nos différentes coupes nous ont

fourni des figures qui ne diffèrent en rien de celles représentées par les

auteurs, entre autres de celles reproduites dans les thèses de Sottas et de

Lamy.

La prédominance des lésions de la pie-mère est naturellement en rap-

port avec le voisinage de la tumeur ; mais ces lésions ne restent point

confinées dans ce voisinage; elles s'étendent très loin, avec des variations

capricieuses, sur toute l'étendue de la pièce que nous avons étudiée..

Si on examine à un faible grossissement, différentes coupes faites dans

l'étage des tumeurs et colorées à l'hématoxyline-éosine, on est frappé par

le dessin pour ainsi dire schématique que forme la pie-mère, dont l'infil-

tration nucléaire donne lieu à une remarquable surcoloration. Autour de

la moelle, dans les sillons antérieur et postérieur et surtout autour des

racines, une bande violette, tranchant nettement sur le fond rosé du reste

de la préparation, forme des figures élégantes et d'un coloris frappant.

Examinée de plus près, la pie-mère se montre partout épaissie et infiltrée

par une remarquable prolifération de petites cellules rondes, à noyaux

arrondis ou elliptiques, fortement colorés. Cette nappe nucléaire, dont

la richesse est poussée à l'extrême autour des racines antérieures, forme

des amas plus abondants autour des vaisseaux pie-mériens.

Nous verrons plus loin sous quel aspect se présentent les vaisseaux de

calibre, artères et veines spinales ; l'engaînement embryonnaire est le

même pour les petits vaisseaux issus du réseau pie-mérien, qui pénètrent

dans la moelle avec les prolongements de la méninge.

Au-dessus et au-dessous de la région des tumeurs, même à une assez

longue distance des foyers médullaires principaux, la pie-mère présente

encore les lésions caractéristiques de la leptoméningite aiguë diffuse,

62 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

lésions qui sont partout en rapport avec l'infiltration des gaines vasculaires

ou des tuniques externes des vaisseaux. '

IV. Vaisseaux. Les vaisseaux périmédullaires nous offrent d'impor-

tantes lésions, caractérisant le processus méningo-vasculaire" qui présente

ici son plus parfait développement. '

Artères et veines sont également atteintes, d'une façon générale ; mais

leurs lésions ne sont point toujours parallèles dans les divers points con-

sidérés.Sur toutes nos coupes nous avons trouvé les artères remarquablement,

envahiesparle processus infectieux, alors que certaines veines paraissaient

à peine atteintes. - .

1 Si nous abordons maintenant le détail de ces lésions, nous consta-

tons les faits suivants : '

L'artère spinale antérieure présente, dans tous les points du segment

médullaire sur lequel nos coupes ont porté, les lésions les plus intenses :

au-dessous même du niveau où apparaît la gomme la moins élevée, c'est-.

à-dire au-dessous de la gomme droite,' celle artère est déjà très altérée :

FiG. la. - Lésions histologiques :

A. Artère'et veine spinales antérieures : l'artère est envahie par l'infiltration embryon-

naire et sa lumière est complètement oblitérée par l'endartérite proliférante.

B. Deux cellules géantes, contenues dans le tissu gommeux, et capillaire intra-gom-

meux entouré de sa gaine embryonnaire. 1

C. Racine antérieure gauche (Voir Pl. X, coupe 16) : on voit les cylindres peu à peu

étouffés par l'infiltration cellulaire périvasculaire.

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPtNtÈRE 63

sa paroi externe est constituée par un manchon épais de petits amas cellulai-

res embryonnaires, qui allongent considérablement l'ellipse dessinée par la

coupe aplatie du vaisseau (igA5, A) ; ces amas cellulaires se diffusent au-

tour du vaisseau et se mêlent aux traînées embryonnaires qui infiltrent la

veine spinale voisine et la pie-mère sous-jacente ; la tunique moyenne de

l'artère paraît en général respectée par l'infiltration nucléaire; en revan-

che l'endartérite s'épanouit dans son type le plus complet : la lumière du

vaisseau est totalement comblée par la prolifération de l'endartère, dont

les cellules sont pressées les unes contre les autres en plusieurs zones

concentriques.

Au niveau même des tumeurs, l'artère spinale antérieure présente en-

core les mêmes lésions de périendartérite ; sa lumière reparaît peu à peu,

mais réduite à un orifice étroit ou à une fente, dans laquelle on' aperçoit t

quelques globules sanguins. -

Dans les régions supérieures, situées au-dessus de la gomme, l'artère a

retrouvé sa lumière ; mais on constate encore un certain degré d'endarté-

rite, qui rétrécit le calibre : autour du vaisseau se voient encore des amas

cellulaires d'inflammation périartéritique. 1

Les artères spinales postérieures, moins malades que la précédente,

ont subi cependant des altérations manifestes : - Au-dessous de la tumeur,

à un niveau où l'artère spinale antérieure est déjà oblitérée par l'endar-

térite, les deux artères postérieures ne présentent qu'une légère infiltration

embryonnaire de leur adventice; en certains points, les noyaux se grou-

pent en amas qui flanquent un des bords du vaisseau ; plus haut, les

lésions s'accentuent : on peut suivre sur la série ascendante des coupes le

développement progressif des lésions : à la hauteur de la gomme droite,

les deux artères sont totalement envahies, l'une d'elles, même, présente,

d'une façon indubitable, le stade intermédiaire à la péri et à l'endartérite :

la tunique moyenne est envahie par les cellules embryonnaires, dont les

noyaux arrondis se mêlent aux noyaux allongés des éléments musculaires ;

cette mésartérite, qui, dans les coupes successives, vient peu à peu s'a-

jouter à la périartérite et qui, plus loin, se complète par l'endartérite,

semble constituer l'échelon intermédiaire du processus ; celui-ci s'effectue

bien, comme l'ont soutenu Baumgarten, Rumpf, Lancereaux, de dehors

en dedans. A la hauteur de la gomme gauche, les artères spinales posté-

rieures sont à ce point rétrécies par la prolifération des cellules de l'en-

dartère et par l'envahissement des éléments embryonnaires, que la lumière

du vaisseau disparaît; à ce niveau l'infiltration de l'adventice est à son

maximum ; elle se confond avec les traînées cellulaires qui criblent la pie-

mère dans le voisinage du vaisseau. / ,

La veine spinale postérieure, quel que soit le niveau considéré, a subi des

Z NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

altérations parallèles à celles de l'artère spinale, sa voisine. Les parois, très

épaissies, sont infiltrées d'amas cellulaires, irrégulièrement répartis ; cer-

taines traînées, plus abondantes, se répètent sur toutes les coupes, coiffant

les extrémités du triangle qui représente la veine, d'amas nucléaires très

denses ; d'autres nappes, moins étendues, forment çà et là des Hots il con-

tours diffus, de véritables petites gommes nucléaires intéressant plus ou

moins l'uneoul'autre des trois tuniques, sans jamais donnerlieua une sys-

tématisation, ainsi que Schmauss l'avait déjà observé. En un point plus

élevé du-segment étudié, même à la hauteur de la gomme gauche, la veine

spinale antérieure se montre moins altérée ; ses parois sont devenues plus

claires et ne renferment que quelques cellules rondes ; sa tunique externe

est également à peine infiltrée, bien que, sur les mêmes coupes, et dans le

voisinage, la pie-mère et l'adventice de l'artère spinale antérieure soient

encore remarquablement farcies d'éléments embryonnaires.

La veine spinale postérieure apparaît dès les coupes inférieures, avec de

grosses lésions : très épaissie, réduite à un calibre insignifiant, criblée de

cellules inflammatoires, elle présente des caractères qui correspondent à

un stade avancé de l'infection ; au sur et à mesure que l'on monte, les

lésions s'accentuent et on trouve bientôt la veine complètement oblité-

rée.

. Nous n'insisterons pas sur les lésions des autres vaisseaux de la cavité

sous-arachnoïdienne; elles sont pour ainsi dire généralisées à tous les ca-

naux sanguins, artères et veines, et ne diffèrent pas des lésions que nous

' venons de décrire pour les vaisseaux de gros calibre.

Les vaisseaux intramérlullaires démontrent par la nature, l'importance

et la constance de leurs lésions qu'ils sont les véritables agents de diffusion

du processus inflammatoire et aussi les localisateurs des lésions.

Dans toutes nos coupes nous les avons trouvés atteints dans des pro-

portions au moins égales il celles des gros troncs extra-spinaux dont ils

émanent.

Les artérioles présentent partout des lésions de périartérite intense, et

ceux de ces conduits dont le calibre est suffisant, montrent également des

altérations de l'endartère, dont les cellules proliférées, gonflées et parfois

desquamées rétrécissent et encombrent la lumière du vaisseau. Les veines

sont également entourées d'une gaine embryonnaire qui occupe leur adven-

tice et souvent d'une seconde nappe située sous la tunique interne.

V. Tumeurs. 1° Tumeur gauche, supérieure. -A l'oeil nu, ou a un fai-

ble grossissement, la tumeur se montre particulièrement nette sur les

coupes colorées au Weigert : elle apparaît alors comme une masse arron-

die, nettement circonscrite, tranchant par sa coloration jaune sur le fond

noirâtre de la préparation et occupant dans la région de son diamètre

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIERE 65

maximum toute la moitié antéro-Iatérale de la moelle (Pl. IX, A, B, C).

Avec des grossissements plus forts, et sur les coupes colorées à l'héma-

toxyline-éosine, on lui reconnaît la structure suivante : la masse centrale

de la tumeur est exclusivement formée de cellules embryonnaires pressées

les unes contre les autres, ne différant de celles des traînées méningées que

par leur confluence et leur dissémination désordonnée. Leurs noyaux sont

généralement bien colorés : cependant il existe vers le centre de la tumeur

et dans le milieu de la végétation médullo-méningée, des zones plus pâles

où les noyaux ont perdu l'affinité colorante et où les cellules dégénérées

correspondent au stade de dégénérescence caséeuse. En ces points, le champ

microscopique n'est plus constitué que par une matière amorphe granu-

leùse, traversée par quelques vaisseaux de petit calibre, reconnaissables à

leurs globules sanguins. Dans les points où la prolifération embryonnaire

est en plus grande activité, en particulier dans la portion voisine du pédi-

cule méningo-médullaire, on observe de magnifiques cellules géantes, dans

lesquelles les noyaux groupés en couronne et orientés suivant les rayons

de la cellule, sont au nombre de 20, 30, 50 et plus (Fig. 15, B).

Le noyau gommeux est richement vascularisé ; dans toutes les parties

qui correspondent à une infiltration embryonnaire récente, en particulier

dans les zones périphériques de la gomme, on voit de nombreux capil-

laires, tortueux, qui irriguent le tissu inflammatoire; en d'autres points,

les capillaires ont conservé leur calibre étroit, normal et apparaissent sur

les coupes, lorsqu'ils sont sectionnés transversalement, sous l'aspect habi-

tuel d'une petite couronne de cellules conjonctives entourant un ilot de

globules sanguins. Nous n'avons observé d'hémorrhagies interstitielles ni

dans le tissu gommeux, ni dans son voisinage.

La périphérie de la tumeur est marquée par la disposition linéaire et

concentrique des traînées embryonnaires et par le refoulement qu'elles

déterminent sur les faisceaux blancs voisins, sa limite est moins nette

dans la région de la substance grise, vers la commissure par exemple, où

l'infiltration cellulaire se diffuse sans qu'on puisse dire où elle s'arrête.

Du côté des méninges, nous avons vu que la tumeur formait un bour-

geon assez épais, débordant la moelle de 1 à 2 millimètres et s'implantant

par la face externe de ce bourgeon sur les méninges correspondantes : ce

bourgeon, formé aux dépens des racines antérieures, est constitué comme

le centre de la tumeur par une infiltration luxuriante de cellules em-

bryonnaires et présente çà et là quelques nappes centrales de dégénéres-

cence caséeuse, ainsi qu'on le constate nettement sur les coupes colorées

par la méthode de Freud. Il n'existe plus trace des éléments nobles de la

racine, si ce n'est quelques amas de tubes nerveux pâlis, atrophiés, dans

la partie la plus externe du bourgeon.

IX 5

66 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Les extrémités supérieure et inférieure de la gomme permettent de

surprendre le processus infectieux dans sa phase récente, dans son mode

d'envahissement : on voit dans ces régions le tissu médullaire, quel qu'il

soit, substance grise ou substance blanche, s'infiltrer peu à peu de petites

cellules dont les voies d'apport sont nettement dessinées par les petits

vaisseaux issus de la périphérie du névraxe ; chaque artériole, chaque

vemule forme comme un affluent qui charrie vers le centre de la moelle

d'innombrables cellules ; des extrémités ramifiées des vaisseaux ces élé-

ments se déversent dans les interstices de la névroglie et des cellules et s'y

condensent en présentant tous les degrés de la confluence; si l'on en juge

par les coupes situées à la limite de la tumeur, cette inondation embryon-

naire atteint d'abord les parties centrales de la substance grise, où elle

disloque t'architectonique des tissus et gagne de là par le pied de la corne

antérieure la totalité de cette corne, à laquelle elle se substitue complète-

ment. L'extension du processus aux parties centrales périépendymaires

et commissurales, même à un étage supérieur à celui de la tumeur elle-

même, indique bien que cette région a été rendue particulièrement vulné-

rable par la richesse de sa vascularisation. Nous retrouverons la même

disposition à la partie inférieure de la gomme droite.

2° Tumeur droite, inférieure. La description que nous venons de

donner de la gomme supérieure, s'applique presque intégralement à

l'autre tumeur, située, comme on le sait, un peu au-dessous de la précé-

dente ; cette inégalité de niveau est assez faible du reste, pour que, étant

donnée l'épaisseur verticale des deux noyaux, il existe une région où la

coupe les intéresse tous deux, le gauche dans son tiers inférieur, le droit

dans son tiers supérieur (Fig. 15). Les coupes de cet étage sont remarqua-

bles par la symétrie des lésions ; et sur celles colorées par la méthode de

Weigert, on est frappé, même à l'oeil nu, de l'identité de forme, de texture

et de rapports des deux masses gommeuses.

La structure histologique de cette seconde gomme présente les mômes

caractères que celle de la première; même infiltration embryonnaire,

plus ou moins dense suivant les points, mêmes cellules géantes, mômes

zones de dégénérescence caséeuse, même refoulement des faisceaux

blancs voisins, mêmes végétations extra-médullaires réunissant la tumeur

aux méninges de part et d'autre du sillon médian. Les vaisseaux pré-

sentent les mêmes lésions, et dans les points inférieurs de la tumeur, on

constate la même disposition des artérioles et des veinules, engaînées

dans un manchon continu de petites cellules.

. Dans les coupes intéressant les deux gommes, on voit l'infiltration pas-

ser largement d'un côté à l'autre, élargissant et disloquant la commissure

- dont les éléments normaux sont méconnaissables; en ce point il existe

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 67

sur une hauteur notable un déchirement de la moelle qui se traduit sur

les coupes successives par une fente étoilée. '

La limite inférieure de la gomme droite diffère un peu de la limite su-

périeure de sa congénère. Tandis que la première se termine en pointe

vers la région centrale de la moelle, s'éloignant par conséquent de la sur-

face pie-mérienne; ici, l'infiltration se continue par deux prolongements :

l'un qui reste périphérique, antéro-latéral, un peu en dehors et en arrière

de l'origine des racines antérieures, s'atténuant jusqu'à disparaître com-

plètement, si on considère des coupes de plus en plus basses ; l'autre qui

suit la partie centrale de la moelle et qui désorganise cette région jusqu'à

une distance relativement considérable, puisqu'on en retrouve encore des

traces au niveau de la 3e paire dorsale, à 2 centimètres au-dessous de la

tumeur (Pl. X, D, E, F).

VI. Faisceaux blancs. En général, les lésions de dégénérescence sont

peu marquées dans les divers faisceaux blancs ; la raison en est sans doute

dans l'extrême rapidité du processus. Sottas, Lamy ont observé des cas de

syphilis médullaire rapidement mortelle (3 jours, 19 jours après le début

apparent des accidents) dans lesquels ils n'ont pas noté de dégénérescence

secondaire. Dans notre cas, la dégénérescence des faisceaux blancs est

limitée au voisinage immédiat de la localisation morbide et semble, par sa

diffusion et l'absence de sa systématisation, appartenir aux dégénérescen-

ces m situ, provoquées par la réaction inflammatoire intense du processus

local.

Les faisceaux postérieurs sont les moins atteints; dans l'étage des tu-

meurs, ils ne présentent, sur les coupes colorées par les méthodes de

Fic,. 16. Coupe de la moelle dans la région commune aux deux gommes

(voir fig. 13) :

A ce niveau, les deux tumeurs sont symétriques et présentent une forme, des rapports

et des caractères histologiques identiques.

68 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Weigert ou d'Azoulay, qu'une zone pâle symétriquement disposée sur les

flancs internes des cornes postérieures et en arrière de la commissure. A

ce niveau la lésion dominante est la sclérose embryonnaire qui dissocie

les éléments nerveux et prend déjà en certains points l'apparence trabé-

culaire de la sclérose conjonctive. Les cordons de Goll, au moins dans leur

portion postérieure, sont sains.

Au-dessus des tumeurs, en fait de dégénérescence ascendante, on n'ob-

serve que quelques ilots circonscrits des tubes nerveux gonflés, fortement

colorés par le chlorure d'or; cette dégénérescence ne se poursuit pas

loin; dans nos coupes supérieures nous n'en retrouvons plus trace.

Les autres faisceaux de dégénération ascendante, tels que le faisceau cé-

rébelleux direct et le faisceau de Gowers,ne sont pas non plus dégénérés sys-

tématiquement ; mais ils offrent, sur les coupes colorées au Pal, une pâleur

plus grande, témoignant d'une certaine altération en rapport avec leur

situation superficielle, qui les expose les premiers à l'influence de l'in-

flammation pie-mérienne.

Les faisceaux de dégénération descendante, faisceaux pyramidaux direct

et croisé, ne présentent, comme les précédents, que des lésions limitées,

situées immédiatement au-dessous du foyer principal de lepto-méningo-

myélite : la systématisation de la dégénérescence ne se dessine pas encore.

Cependant, on observe assez nettement, sur les coupes colorées au Wei-

gert, que le faisceau pyramidal direct gauche est dégénéré immédiatement

au-dessous de la tumeur gauche, avant son congénère du côté droit qui ne

se prend qu'un peu plus bas; au-dessous de l'étage des tumeurs, ces deux

faisceaux sont décolorés sur un court trajet (Pl. X, D, E, F). -

Les faisceaux pyramidaux croisés, qui sont particulièrement intéressés,

puisque chacune des deux gommes les écrase complètement, présentent

surtout, au-dessous de ces points comme au-dessus, un envahissement

très notable par la sclérose embryonnaire, qui atteint déjà en plusieurs

endroits le stade de la sclérose conjonctive trabéculaire. Dans l'interstice

des mailles de ces faisceaux, on reconnaît à peine les tubes nerveux disso-

ciés, amincis, pauvres en couleur, fragmentés pour la plupart et entou-

rés de traînées diffuses de cellules embryonnaires et de corps granuleux ;

en ces points, la coloration, après traitement de la coupe par l'acide acé-

tique et la potasse, montre un développement exubérant de la névroglie,

disposée en traînées enchevêtrées ; nous n'avons pas remarqué les dessins

sinueux ou tourbillonnés si élégants, décrits dans les observations de

Sottas. Ces dernières lésions indiquent que ces régions de la moelle,

soumises sans doute à une ischémie récente par le fait de l'oblitération

des gros vaisseaux extramédullaires, commençaient à être envahies par le

ramollissement.

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 69

VII. Substance grise. Nous avons vu, en décrivant la topographie

de nos tumeurs, que celles-ci occupaient les régions antérieures de la

moelle et qu'elles s'étaient substituées en quelque sorte aux deux cornes

antérieures, en débordant du reste l'emplacement de celles-ci. Aussi ne

pouvons-nous décrire les lésions histologiques de la substance grise an-

térieure que dans le voisinage des gommes ; à quelque distance de ces

foyers, les cornes antérieures ne présentent que des lésions en rapport avec

son infiltration embryonnaire plus ou moins intense ; les petites cellules

rondes parsèment diffusément la substance grise, formant çà et là des traî-

nées périvasculaires ou des amas. indépendants constituant de véritables

petites gommes miliaires. A ce niveau, les cellules nerveuses paraissent

saines, leur noyau est normalement coloré, leur protoplasma régulière-

ment granuleux, sans vacuoles. Plus près du foyer, ces cellules se rétrac-

tent, deviennent irrégulières, étranglées et disparaissent même en certains

points, laissant à leur place une logelte vide dans la coupe.

Les cornes postérieures sont les parties de l'axe gris qui ont le moins-

souffert du voisinage des tumeurs; on reconnaît dans leur portion péri-

phérique les cellules nerveuses et dans le reste de leur trajet quelques

tubes nerveux plus ou moins altérés : il est des points cependant où le

refoulement de la corne est tel, qu'il doit sans doute équivaloir à une

suppression fonctionnelle. Les cellules de la colonne de Clarke sont appa-

rentes sur les coupes supérieures, colorées par la méthode d'Azoulay ;

elles font défaut dans les coupes des étages moyen et inférieur, où le pro-

cessus de ramollissement centromédullaire les a atteintes.

Le canal épendymaire est détruit sur toute la hauteur de nos coupes;

nous savons en effet que l'infiltration de la région commissurale s'étend

bien au delà des tumeurs gommeuses, aussi bien au-dessus qu'au-dessous.

VIII. Racines. D'une façon générale, les lésions radiculaires portent

surtout sur les racines antérieures, et cela, non seulement au point de vue

du processus de dégénérescence auquel elles sont ici seules soumises,

mais aussi au point de vue delà sclérose interstitielle embryonnaire, dont

le foyer principal occupe la région antérieure de la moelle. z

Les lésions varient suivant le point considéré :

En ce qui concerne la dégénérescence vallérienne, on en trouve les

premières traces dans les premières racines motrices qui émergent de la

tumeur; cette lésion se manifeste donc à gauche plus haut qu'adroite,

puisque la tumeur gauche est plus élevée que sa congénère (Pl. IX etX,

C, E, F). Les coupes, colorées au Pal, passant par le centre de la gomme

gauche, montrent bien cette inégalité des lésions radiculaires gauches et

droites : tandis que les racines motrices droites ont gardé leur champ uni-

forme de tubes nerveux, avec leur gaine de myéline et leur cylindraxe

70 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE 1

nettement colorés, les racines gauches, issues de la tumeur, présentent des

lésions croissantes, caractérisées par la décoloration puis la disparition des

tubes nerveux ; une racine tout entière se montre môme privée de la

totalité de ses tubes (Fig. 16, C).

A un étage inférieur, les racines motrices droites se prennent à leur

tour et les colorations de Weigert montrent la disparition successive des

tubes nerveux : plus des trois quarts des tubes sont dégénérés ; quelques-

uns ponctuent encore de leurs taches bleuâtres le champ microscopique.

Enfin dans les coupes les plus basses situées à 1 cm. 1/2 au-dessous

de la tumeur droite, on retrouve dans les racines antérieures un plus

grand nombre de tubes nerveux. Il est à présumer que le processus de

dégénérescence ne les avait point encore atteints. 9

Les racines postérieures ne présentent pas de signes de dégénérescence;

quelques-unes seulement renferment quelques tubes décolorés, dans les

régions les plus envahies par la sclérose embryonnaire.

A côté des altérations précédentes, qui portent sur les éléments nobles

des racines, se placent des lésions beaucoup plus étendues, dépendant de

l'infiltration embryonnaire du tissu interstitiel. Nous avons déjà vu avec

quelle intensité la pie-mère péri-radiculaire était atteinte; un épais man-

chon de petites cellules enserre étroitement les racines, surtout dans le

voisinage des adhérences méningo-médullaires ; mais cette inflammation

ne se limite pas à l'enveloppe de la racine; elle gagne le périnèvre et

de là s'infiltre en traînées plus ou moins abondantes dans les espaces con-

jonctifs interfasciculaires et même entre les tubes nerveux ; les colorations

faites à l'hématoxyline, ou mieux au Pal-picrocarmin, montrent cette

disposition des éléments avec une grande netteté (Fig. 15, C) ; certaines

racines sont à ce point envahies, que toute trace de tubes nerveux dispa-

raît et qu'on n'aperçoit qu'une agglomération de petites cellules, aussi ser-

rées, aussi confluentes que dans les régions les plus infiltrées de la tumeur

médullaire. Ici comme partout, l'infiltration est guidée, conduite par les

vaisseaux; ceux-ci, sur les coupes des racines, sont nombreux, dilatés,

gorgés de globules et enveloppés d'une gaîne plus ou moins diffluente d'é-

léments inflammatoires; leur dilatation, jointe à ce fait qu'aucun d'eux

ne paraît obstrué par un processus endovasculaire, témoigne sans doute

du rôle qu'ils jouaient en permettant une circulation collatérale destinée

à compenser l'oblitération des gros vaisseaux juxtaspinaux.

L'infiltration embryonnaire ne respecte pas les racines postérieures,

mais s'y montre moins intense : ses voies de propagation sont encore

marquées par les trajets vasculaires ; certains amas cellulaires s'observent

entre les faisceaux de tubes nerveux et peuvent expliquer un début de

dégénérescence ascendante que l'on remarque dans leur voisinage.

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 71

Réflexions.

I. Considérations ANATOMIQUES. - .

L'examen qui précède ne laisse guère de doute, pensons-nous, sur la

nature de la lésion : il s'agit bien ici d'une méningo-myélite syphilitique

avec formation de deux vastes foyers gommeux dans l'intérieur de la

moelle.

On sait de quelle rareté exceptionnelle sont les gommes syphilitiques

de la moelle : tandis qu'on ne compte plus les autres lésions syphilitiques

de cet organe (méningites diverses, myélites et méningo-myélites aiguës,

avec ou sans ramollissement, myélites chroniques sclérosantes, parfois

systématisées), la littérature médicale ne possède, en revanche, que sept

ou huit cas de tumeurs gommeuses massives du névraxe rachidien. Ces

observations sont citées partout, en raison même de leur rareté : en voici

la courte liste, d'après la thèse de Sottas et l'article du Traité de Méde-

cine :

1° Mac Dowel, 1861 : Gomme centrale de la moelle dorsale.

2° Wilks, 1863 : Gomme postéro-latérale droite de la moelle lombaire.

3° Wagner, 1863 : Gomme latérale gauche bulbaire.

4° Rosenthal, 1865 : Gomme de la moelle.

5° Lorenzo Halles, 1872 : Gomme de la moelle lombaire.

6° Savard, 1883 : Gomme superficielle gauche de la moelle dorsale.

7° W. Osier, 1889 : Gomme antéro-latérale droite de la moelle cervicale.

8° Mourek, 1893 : Gomme de la moelle dorsale.

Les trois dernières observations sont seules accompagnées d'un examen

histologique. Le diagnostic de syphilis n'était solidement établi que pour

les malades de Mac Dowel, Wagner. L. Ilales, Savard et Mourek.

Etant donné ce très petit nombre d'observations de gommes syphilitiques

médullaires et la fréquence relativement plus grande des tubercules soli-

taires et des gommes tuberculeuses des centres nerveux, nous croyons

devoir nous arrêter au moins un instant sur ce diagnostic délicat, pour le

fait qui nous concerne.

On sait combien est souvent embarrassant un pareil diagnostic, puisque

dans la forme anatomique qui aboutit à la production d'une tumeur

gommeuse, tuberculose et syphilis obéissent à un même processus : la

lésion perd ses caractères de spécificité en atteignant à ce stade d'évolution :

elle devient l'aboutissant banal d'une infiltration embryonnaire excessive

sur un point restreint.

Ce n'est donc pas dans l'examen de la tumeur elle-même .que nous

72 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE z

trouvons des éléments de différenciation (1), nous permettant d'affirmer

soit la syphilis, soit la tuberculose; nous n'y voyons, au contraire, que

caractères communs : forme arrondie et circonscrite,- agglomération con-

fluente de petites cellules, cellules géantes (2), dilatation du réseau vas-

culaire, dégénérescence caséeuse des zones centrales, etc.

Par contre, l'examen des régions voisines du foyer gommeux nous ap-

porte des arguments décisifs; nous avons, en effet, dans les altérations des

méninges et des vaisseaux, le type le plus parfait des lésions syphili-

tiques.

La diffusion de la leptoméningite dans tout l'étage infecté du névraxe,

l'infiltration pie-mérienne envahissant la moelle par lésions vasculaires,

les lésions remarquables de ces vaisseaux mêmes, périartérite généralisée,

endartérite oblitérante, phlébite des grosses et petites veines, toutes ces al-

térations sont aujourd'hui regardées comme fonctions de la syphilis et se

retrouvent dans notre cas. A ces faits matériels s'ajoutent des raisons

d'ordre clinique, qui sans être aussi positives, n'en ont pas moins une va-

leur importante. ' "

Notre malade n'était porteur d'aucune autre lésion tuberculeuse,

ni pulmonaire, ni cérébrale, ni intestinale^ d'autre part il était incon-

testablement syphilitique, son chancre avait été dûment constaté et ses

accidents tertiaires soignés à Saint-Louis avaient laissé une signature

indiscutable. 1

La nature syphilitique de notre lésion étant établie, y trouvons-nous

quelque particularité saillante, au point de vue anatomique ? Son intérêt

principal réside dans la réalisation de deux gommes massives, occupant le

corps même de la moelle : la clef de cette localisation nous échappe; le

point de départ du processus gommeux n'est guère plus facile à détermi-

ner ; il est cependant vraisemblable, étant donné la participation remar-

quable des méninges aux lésions inflammatoires et la présence des deux

symphyses méningo-médullaires, situées vis-à-vis des gommes, que le

point de départ de l'évolution gommeuse a été un foyer de pachy-Iepto-mé-

ningite. Le processus gommeux une fois installé dans la moelle, le déve-

loppement de la lésion s'est continué sur le même type, atteignant son

maximum au niveau de la substance grise des cornes antérieures. Cette

localisation élective, démontrée par la bilatéralité et la symétrie, s'expli-

(1) Par acquit de conscience, nous avons recherché les bacilles tuberculeux en sui-

vant la méthode préconisée par M. Letulle pour les pièces traitées par le liquide de

Muller : notre recherche a été négative.

(2) L'existence de cellules géantes dans les lésions spécifiques de la syphilis a été ob-

servée par plusieurs auteurs (Bizzozero, Malassez, Baumgarten. Lancereaux) ; Lamy les

signale également dans les nodules embryonnaires de la syphilis médullaire et Sottas

en figure un bel exemple dans un nodule périvasculaire de leptomyélite syphilitique.

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 73

que soit par la présence d'un réseau vasculaire plus riche, soit par une

vulnérabilité plus grande du tissu de la substance grise ; on sait d'ailleurs

que la thrombose de l'artère spinale antérieure a pour conséquence (Lan-

cereaux, Panum, Vulpian) de favoriser le -ramollissement de la colonne

grise.

Un autre fait anatomique nous reste à signaler dans notre cas : c'est la

participation simultanée au processus des deux ordres de vaisseaux, artères,

et veines; nous avons vu combien étaient prononcées les altérations des

artères de calibre, puisqu'elles aboutissaient à l'oblitération du vaisseau

en plusieurs points ; quant aux veines, elles étaient toutes plus ou moins

atteintes, aussi bien dans leur système extra-médullaire que dans leurs

ramifications d'origine; nous n'avons donc pas constaté ici la prédomi-

nance, l'exclusivisme même de la syphilis veineuse, comme l'a observé

Lamy dans plusieurs de ses faits.

IL Considérations PHYSIOLOGIQUES.

.

Notre diagnostic clinique, basé sur l'analyse des symptômes nerveux

présentés par notre malade, nous avait permis dès le premier jour d'af-

firmer une lésion de la moelle et d'en fixer la hauteur sur le névraxe; en

cela nous ne nous étions pas trompés. En revanche, nous avions été moins

affirmatifs sur la nature même de la lésion et l'hypothèse, que nous avaient

rendue vraisemblable le début apoplectique et la rapidité de l'évolution,

ne s'est pas trouvée confirmée à l'autopsie : il ne s'agissait pas, comme

nous l'avions supposé, d'une hématomyélie centrale ni d'un ramollïsse-

ment transverse : l'erreur était excusable en raison de la marche des acci-

dents.

Il est en effet surprenant qu'une lésion aussi étendue; aussi destructive

que celle que nous venons de décrire, ne se soit manifestée dans tout son

éclat que dix jours avant la mort : telle est, du moins, la date de l'accident

subit, de l'apoplexie, qui a brusquement arrêté notre malade dans ses

occupations quotidiennes : la véracité du patient ne peut guère être mise

en doute relativement à cette date, car le lendemain de son entrée, jour

où fut fait l'interrogatoire, son intelligence était parfaitement lucide : il

donnait sur son accident des détails circonstanciés précisant le jour, le

quantième, l'heure, le lieu.

Avant cette attaque brutale, il ne présentait comme symptômes médul-

laires que des signes très médiocres, compatibles avec la continuation de

son métier. Comment expliquer dès lors cette latence d'une lésion énor-

me ? Les faits sont là : tâchons d'en ébaucher une interprétation.

Si l'on se rappelle la topographie de notre double foyer gommeux et ses

74 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

.connexions originelles avec les méninges antérieures, on peut supposer que

la lésion a débuté par le sillon antéro-latéral, et cela à un étage où les ra-

cines motrices (Impaire à gauche, 2e à droite) répondent à une innervation

motrice relativement peu importante ; la première paire dorsale contribue,

sans doute, à la motricité de certains muscles du bras et nous avons vu

qu'il existait chez notre malade des phénomènes parétiques dans le bras

gauche ; quant à la 2e paire dorsale, son innervation motrice est très res-

treinte et peut cliniquement ne donner lieu à aucun phénomène objectif.

, La lésion, dans ses débuts, a donc pu n'intéresser que les cornes anté-

rieures sur un point limité, respectant les faisceaux pyramidaux et le cor-

don postérieur, dont l'altération aurait déterminé de bonne heure des

troubles paralytiques des membres inférieurs et des phénomènes doulou-

reux. Cette phase de l'évolution de la lésion répond, selon nous, à la pé-

riode de prodromes, dans laquelle le malade n'éprouvait que de la lour-

deur des jambes, des fourmillements, une certaine difficulté de la miction,

troubles qu'on peut mettre sur le compte d'une simple irritation de voi-

sinage ou de l'inflammation méningo-vasculaire périphérique.

Survient brusquement l'attaque apoplectiforme, suivie de paraplégie

complète et d'anesthésie du territoire sous-jacent à la lésion : un sembla-

ble accident ne peut être imputé qu'à une lésion soudaine, importante,

d'un étage transversal de la moelle, ou à un arrêt brusque de l'irrigation

sanguine de cet étage : le premier mécanisme est celui auquel nous nous

étions rattachés du vivant du malade : nous avions supposé la formation

.d'une hématomyélie centrale, occasionnée par la rupture d'nne artériole

.altérée par le processus syphilitique ; cette hypothèse avait l'avantage

d'expliquer la dissociation syringomyélique constatée si nettement, et

classait notre cas dans le groupe des hématomyélies sylingomyéliques,

.auquel M. Brissaud rattache les syringomyélies à début brusque décrites

par Minor.

Cette interprétation, rendue vaine ici, puisqu'il n'existait ni hémor-

rhagie ni lacune centro-médullaire, fait donc place à la seconde hypothèse :

celle d'une thromhose spinale. Celle-ci se trouve confirmée par l'examen

histologique qui nous montre les lésions artérielles arrivées au stade de

l'endartérite oblitérante, au moins en ce qui concerne les trois gros troncs

artériels juxtaspinaux.

. Au moment où elle s'est produite, la paraplégie menaçait sans doute

d'apparaître d'une heure à l'autre; les faisceaux pyramidaux, singuliè-

rement comprimés, refoulés par les tumeurs qui, quelques jours plus tard,

devaient les avoir complètement détruits, étaient à la merci d'une der-

nière poussée : la thrombose artérielle rompit l'équilibre et détermina

l'ictus.

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 75

A partir de ce moment, les phénomènes se simplifient en ce qui con-

cerne la paralysie : l'envabissementdes cordons antéro-latéraux, l'épanouis-

sement de l'infiltration gommeuse, parachevèrent la section de la moelle

et, comme le processus évoluait symétriquement des deux côtés, à la dif-

férence de hauteur près, la paraplégie devint complète, définitive.

Nous arrivons maintenant à l'interprétation plus' complexe et plus déli-

cate des troubles de la sensibilité et de leur association avec les troubles

moteurs. -

. Cette association répond, physiologiquement et anatomiquement, au

type connu sous le nom de syndrome de l3rozvfa-Serzsard. avec celte parti-

cularité très rare d'être bilatéral.

Il serait superflu, étant donné sa classicité, d'analyser en détail les carac-

tères et le mécanisme de ce syndrome dont la définition résumée équivaut

à ces termes : hémipa1'aplégie spinale -avec ltémianesthésie croisée.

Rappelons seulement que ce syndrome a été plusieurs fois signalé au

cours de la syphilis médullaire : telles sont les observations de Folet,

d'Owen Rees, de Charcot et Gombault, d'IIertel ; dans aucun de ces cas il

ne s'agissait de gommes ; la lésion relevait simplement d'une méningomyé-

lite à prédominance unilatérale.

Nous n'insisterons ici que sur les particularités qui font de notre cas un

exemple rare de trouble nerveux : c'est-à-dire la bilatéralité et la disso-

ciation syringomyélique.

Si nous nous reportons aux coupes qui intéressent les foyers gommeux

au niveau de leur plus grande extension, nous voyons que ces tumeurs

équivalent, au point de vue des altérations qu'elles déterminent dans dif-

férents éléments constitutifs du névraxe, à une véritable section de la

moitié antérieure de la moelle, cordons blancs antéro-latéraux et cornes

antérieures.

Chacune des tumeurs est la cause déterminante du syndrome de Brown-

Sequard pour la moitié de la moelle qui la renferme.

C'est ainsi que la tumeur gauche détermine par la destruction des

faisceaux pyramidaux direct et croisé la paralysie de la moitié correspon-

dante du corps et par sa diffusion vers les cornes postérieures et l'angle

antérieur du cordon postérieur, l'anesthésie du côté opposé, au-dessous

de la lésion.

Par les mêmes raisons la tumeur droite est la cause efficiente de l'hémi-

paralysie droite et de l'hémianesthésie gauche.

Bien plus, les deux gaines n'étant pas à la même hauteur et atteignant'

supérieurement deux racines différentes, les troubles moteurs et sensitifs

sont également dénivelés à la périphérie : à jla tumeur gauche, la plus

76 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

. élevée (-1 re racine dorsale), correspondent les troubles moteurs plus marqués

du bras gauche et une anesthésie plus élevée du côté opposé, à droite ; à

la tumeur droite, intéressant seulement la 2e paire dorsale, se rattachent

l'absence de paralysie du bras droit (intégrité du plexus) et une zone d'a-

nesthésie croisée, gauche, moins élevée qu'à droite, la différence de niveau

correspondant à la hauteur d'une racine.

Jusqu'ici tout s'explique admirablement : la physiologie la plus élé-

mentaire se superpose schématiquement à l'anatomie pathologique et à la

clinique.

Mais nous ne devons pas laisser dans l'ombre un détail intéressant, qui

nous avait frappés au lit du malade et dont nous allons chercher à élucider

la pathogénie : nous voulons parler des deux zones d'hypel'esthésie super-

posées aux territoires d'anesthésie, avec leur même dénivellement.

L'interprétation de ce fait n'eût pas manqué d'être ardue si nous n'a-

vions eu pour diriger nos raisonnements l'examen systématique, en coupes

sériées, de nos lésions, et si nous n'avions trouvé dans une observation

de Sottas (1), l'explication au moins théorique d'un fait analogue, portant

sur une lésion unilatérale.

Il est impossible d'aborder ce problème délicat sans avoir recours à une

figure : dans le schéma que nous figurons ci-contre (Fig. 17), nous avons es-

sayé, en respectant scrupuleusement la topographie et le siège de nos tu-

meurs, tels que nous les ont révélés les examens histologiques, de représen-

ter les rapports de ces tumeurs avec les différents conducteurs moteurs et

sensitifs de la moelle ; ayant recours à la fois à la figuration par transpa-

rence et une certaine perspective, nous avons dû, pour ne pas trop com-

pliquer le dessin, schématiser non seulement le faisceau pyramidal que

nous identifions avec la colonne grise antérieure (col. motrice) mais aussi le

cordon sensitif, que nous avons simplifié sous les traits d'un faisceau

unique continu (col. sensitive) : il nous'eût été impossible de figurer sé-

parément les différents conducteurs sensitifs : colonne de Clarke, colonne

des cornes postérieures, faisceaux commissuraux variés des cordons posté-

rieurs. Ce schéma d'ailleurs, dans son application actuelle, n'exclura en

aucune façon le rappel des lésions constatées histologiquement.

Considérons d'abord la tumeur gauche T :

Cette tumeur, ainsi que nous le montre la coupe 104 (PI. IX, C), détruit

l'origine des racines motrices de la Ire paire, la corne antérieure tout en-

tière, les faisceaux pyramidaux direct et croisé : de cette hémisection de la

moelle motrice gauche résulte la paralysie motrice de la moitié gauche du

corps au-dessus de la 1 re paire dorsale zone pG (parésie du bras gauche, pa-

(1) J. SoTTAs, Bévue de médecine, 1893.

GOMME~SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPIN1ÈRE 77

ralysie du tronc et du membre inférieur, à gauche); en outre, la tumeur T,

par sa diffusion dans la colonne grise postérieure,interrompt au niveau de la

1" paire dorsale la colonne sensitive (conductrice commune); mais la

FiG. 47. - Schéma en transparence et perspective de la moelle cervico-dorsale :

T et T' : gommes gauche et droite. Cl, CM, colonne motrice (faisceaux pyramidaux

et corne antérieure), dont les portions sous-jacentes aux tumeurs, c'est-à-dire sup-

primées fonctionnellement, sont colorées en noir. - CS, CS, colonne sensitive com-

mune, dont les portions sous-jacentes aux tumeurs, c'est-à-dire supprimées fonc-

tionnellement, sont couvertes de hachures obliques. De cette colonne émanent

les faisceaux d'entrecroisement sensitif : deux d'entre eux, contigus aux tumeurs et

irrités par elles, en 0 et 0', correspondent aux racines sensitives dont le territoire

cutané est hyperesthésié. - MD8, \ID1, etc., GJIi, etc. : racines motrices droi.

tes et gauches. - SD8, SD1, etc., SG8, SGI, etc. : racines sensitives droites et gau-

elle$.

(En dehors de la moelle et des racines, on a figuré deux bandes verticales correspondant

aux troubles moteurs (M) et sensitifs (S) du corps. Pour toute la figure, on a repré-

senté la paralysie motrice par la teinte noire, l'anesthésie par les hachures obliques

, et l'hypereslhésie par le pointillé.)

78 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

conséquence de celle interruption ne se fera pas à la hauteur de cette

1 rc paire dorsale ; on sait en effet que l'entrecroisement sensitif des fibres

émanées des racines se fait dans les cordons postérieurs et la commissure

grise, au-dessus du point d'entrée de ces racines ; par conséquent les con-

ducteurs interrompus en T sont ceux qui sont destinés aux racines

opposées, situés au-dessous, 2° paire SD2, et suivantes; nous nous expli-

quons donc la différence de niveau de l'hémiparalysie et de l'hémianesthé-

sie du syndrome deBrown-Sequard provoqué par la tumeur T. Si, enfin,

nous considérons la racine sensitive de la lre paire dorsale SD1, nous

voyons bien que sa continuité intramédullaire est respectée clans le trajet

d'entrecroisement (et les coupes nous montrent en effet qu'à ce niveau,

le cordon postérieur était à peine atteint), mais nous remarquons qu'elle

côtoie la tumeur en e et que, dans ce point, elle doit être irritée par le

voisinage du foyer : de là, l'hyperesthésie du territoire innervé, la zone

HD, superposée à.la zone d'anesthésie AD.

L'explication précédente s'applique identiquement aux troubles pro-

uits par la seconde tumeur T', avec les conséquences qu'entraîne ici sa

situation un peu moins élevée sur le névraxe. Nous voyons ainsi que l'in-

terruption de la colonne motrice (cornes antérieures et faisceaux pyrami-

daux droits) au niveau de la 2e paire dorsale MD2, détermine la paralysie

droite du corps au-dessus de la lésion, zone PD ; que la participation loca-

lisée de la colonne sensitive au processus inflammatoire, provoque l'anes-

thésie opposée, à partir de la racine suivante, SG', zone AG ; enfin que

l'irritation de voisinage, en o', des fibres d'entrecroisement de la racine

SG2, a pour effet d'hyperesthésier la zone In, superposée à la zone d'anes-

thésie AG.

Toute cette conception physiologique, pour théorique qu'elle paraisse,

n'en est pas moins acceptable ; elle a déjà trouvé son application dans des

faits exposés par Sottas, Brissaud, et si elle est d'une adaptation plus

complexe au fait qui nous occupe, c'est qu'il s'agit ici d'un syndrome

double déterminé par une lésion bilatérale de la moelle.

*. Un dernier fait nous reste à interpréter : c'est la dissociation syringo-

oéliqucconstatée chez notre malade au niveau des membres inférieurs.

Ici encore le rappel des lésions histologiques servira de'base à notre ar-

gumentation.

Il est bien connu, depuis les recherches de Schilf, que les conduc-

teurs des différentes sensibilités tactile, thermique et douloureuse ne

suivent pas les mêmes voies dans la moelle : tandis que les premiers (tacti-

les), après avoir fait étape dans la substance grise de ta cptpnneposténeure,

gagnent les régions supéneures de la moelle et l'encéphale, par des syslè-

GOMME SYPHILITIQUE DOUBLE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 79

mes commissuraux contenus dans le cordol;lde Goll, les autres (thenni-

que et douloureux) paraissent constitués exclusivement par la substance

grise elle-même. Or si nous rapprochons les symptômes cliniques des faits

anatomiques, nous croyons que tout s'enchaîne à merveille : d'une façon

générale, dans tout l'étage de notre lésion, les portions médianes et pos-

térieures des cordons postérieurs sont relativement respectées; ce sont

les parties de la moelle qui ont le moins soufferu, or ce sont celles qui cor-

respondent à ces systèmes commissuraux qui transmettent la sensibilité

tactile à l'encéphale : nous ne devons pas être étonnés dès lors que notre

malade ait conservé, en dépit de sa paraplégie, une taclillié à peine

émoussée de ses membres inférieurs; cette sensibilité spéciale franchissait,

grâce au cordon de Goll, l'étage des tumeurs; en revanche, si on exami-

nait les régions supérieures du domaine paraplégie, les surfaces cutanées

du tronc jusqu'à la limite précisée plus haut, on constatait une diminu-

tion progressive de cette sensibilité tactile, puis une anesthésie complète';

cette anesthésie tactile trouve son explication dans ce fait que les filets

sensitifs émanés de ces régions aboutissaient et l'étage de la lésion, et que

le relai sensitif établi dans la substance grise était intéressé dans le pro-

cessus. A ces deux variations de la sensibilité tactile, conservée en bas !

disparue en haut pour les raisons que nous venons d'exposer, s'ajoute la

suppression complète des sensibilités thermique et douloureuse, dont les

voies conductrices (substance grise) sont manifestement interrompues des

deux côtés par les deux foyers gommeux et leur infiltration périphérique :

nous avons vu d'autre part l'extension remarquable qu'avait prise l'infil-

tration embryonnaire dans toute la région centrale de la moelle, même

en deçà et au delà des tumeurs ; quoi de plus naturel, dès lors, qu'une

pareille lésion, équivalant physiologiquement à une lacune syringomyéli-

que, ait déterminé la dissociation des sensibilités, telle qu'on la rencontre

dans les cas de gliomatose médullaire ?

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

PAR

GILLES DE LA TOURETTE,

Professeur agrégé à la Faculté de médecine,

Médecin des hôpitaux.

Dans ses Leçons sur la Syphilis héréditaire tardive publiées en 1886 (-1)

notre maître, M. le professeur A. Fournier, s'exprimait ainsi :

« Autant les documents relatifs au sujet dont nous poursuivons l'étude

sont nombreux et précis en ce qui concerne les affections du cerveau, au-

tant ils deviennent rares et vagues relativement il celles de la moelle qui

doivent nous occuper actuellement ».

Et celte opinion s'appliquait aussi bien aux cas de syphilis héréditaire

congénitale ou précoce, qu'aux cas tardifs que M. Fournier envisageait

plus particulièrement alors.

En effet, à part quelques faits écourtés d'Hutchinson, de II. Jackson et

de Bartlett, sur lesquels nous aurons à revenir, on peut dire, qu'en 1886,

la question de la syphilis médullaire héréditaire était à peine posée.

Dans certaines observations analogues, par exemple, à celles de Lasche-

witz (2) et de Fournier (3), il existait bien des troubles de la motilité in-

dépendants de lésions cérébrales, mais ceux-ci se rapportaient à des phé-

nomènes de compression spinale en relation avec l'lryperostose gommeuse

des vertèbres que nous éliminerons complètement du sujet que nous allons

traiter.

On pourrait faire remarquer, à ce propos, que nos premières connais-

sances sur les paralysies spinales dans la syphilis acquise, se rattachent

également àlanotion des ostéites vertébrales gommeuses. Telle mal de Pott

syphilitique de Portal (4).

(1) A. Fournier. La syphilis héréditaire tardive, in-8c, Paris, 1886.

Nous adressons tous nos remerciements à M. le professeur Fournier pour les docu-

ments inédits qu'il nous a permis de recueillir dans son service de l'hôpital St-Louis

et les précieux conseils que nous avons puisés dans sa grande expérience (G. T.)

(2) LASCBEWITZ. Ueber Syphilis hereditaria tarda. Vierleljahl'sch1'i(t (¡il' Dermatologie

u. Syphilis, 1878, p. 268 (obs. p. 278, 2, 79).

(3) A. Fournier. La Syphilis héréditaire tardive. Op. cit., p. 522.

(4) Portal. Nature et traitement du rachitis, 1797.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 81

En 1889, Siemerling (1) écrivait encore que si les notions que nous

possédions alors sur la syphilis acquise des centres nerveux commençaient

à être satisfaisantes, on continuait à compter les cas où le cerveau et la

moelle avaient été héréditairement touchés par la vérole.

Bien plus, il n'avait pas étépublié, suivant lui, une seule observation où

la moelle fût uniquement en cause, la syphilis héréditaire paraissant tou-

jours envahir l'axe cérébro-spinal dans son entier, lorsque le cerveau n'é-

tait pas seul touché. '

Depuis 1889, quelques travaux ont vu le jour sur la question qui nous

intéresse. Non seulement ils ne sauraient être comparés comme nombre

et comme importance à ceux qui ont eu pour objet la syphilis médullaire

acquise, mais encore les faits sont restés isolés, sans liens entre eux.

Volpert (2) nous semble le seul auteur qui ait tenté une esquisse géné-

rale de la syphilis héréditaire de la moelle.

Peut-être, dans ces conditions nées surtout de la rareté des documents,

l'essai nosologique que nous allons tenter semblera-t-il prématuré. Il nous

a paru cependant utile, ne fût-ce que pour encadrer les observations

personnelles que nous avons recueillies.

On peut considérer que la syphilis héréditaire frappe la moelle épinière

à trois périodes de l'existence : pendant la vie intra-utérine, pendant les

premières années jusqu'à l'adolescence, pendant l'adolescence et l'âge mûr.

Les accidents par lesquels elle se manifeste seront donc dits, congénitaux,

précoces ou tardifs.

Les eas congénitaux se divisent en deux catégories utiles, pour les be-

soins de la description, à séparer l'une de l'autre.

La première comprend les enfants morts-nés avant terme ou à terme,

ou ceux qui, nés dans les mêmes conditions, n'ont vécu que quelques jours

ou quelques semaines. La clinique n'a presque rien à voir avec ces faits

qui comportent seulement des investigations anatomo-pathologiques.

Dans la seconde, il s'agit d'enfants vivants nés à terme ou avant terme,

présentant les manifestations cliniques d'une syphilis congénitale de la

moelle épinière.

Les cas précoces sont ceux où la détermination médullaire semble ne

s'être effectuée qu'un certain laps de temps après la naissance, c'est-à-dire

pendant l'enfance.

Pour les cas tardifs il n'est pas besoin d'interprétation.

(1) SIEIE ! 11.lNO. Zur Lehre von den congenitalen Ilirn und Rückenmarlzssypiiiiis.

Archiv sur Psychiatrie, Berlin, 1S89, p. 102.

(2) VOLI'EIiT. De la syphilis médullaire. Th. Nancy, 30 juillet 1S94.

ix G

82 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALP1,TRILtG

4 re catégorie. A. Enfants morts-nés avant terme ou à terme, affectés de

syphilis héréditaire de la moelle épinière.

Les cas de cette catégorie qui ont été publiés sont peu nombreux ; peut-

être sont-ils en réalité plus fréquents. Rien, en effet, en dehors del'inves-

tigation anatomique pure, d'une pratique toujours difficile/ne saurait dé-

montrer l'existence de la localisation médullaire, et combien peu-souvent

songe-t-on à examiner les centres nerveux ?

Toutefois, si l'on se rangea l'opinion très discutable de Jarisch que nous

signalerons, l'existence. d'éruptions cutanées permettrait de soupçonner

la présence de lésions spinales.

Potain(l) aurait observé deux jumelles, nées avant terme d'une mère

syphilitique, « qui vécurent trois jours et chez lesquelles on ne put cons-

tater pendant la vie aucune marque de syphilis, ni aucun symptôme mor-

bide. Chez l'une d'elles, il y avait une débilité extrême ».

Chez toutes les deux, notons ce fait, important dans l'espèce, on

trouva les altérations du foie décrites par Gubler dans la syphilis congé-

nitale. l '

« Les cerveaux ne parurent pas altérés, ils offraient la consistance molle

habituelle à cet âge. La moelle de l'un des deux foetus paraissait être à

l'état normal, on reconnaissait très bien, sur sa coupe, les sillons et les cor-

nes grises. Le microscope y montra des tubes nerveux très nets.

« La moelle de l'autre foetus, au contraire, était dans toute sa longueurdi-

minuée de volume, dure, sans trace de division entre les substances et tout

à fait semblable à un tendon fibreux, sauf la coloration qui était d'un gris

rougeâtre. Au microscope, M. l'otain ne put découvrir ni cellule nerveuse

ni presque aucun tube nerveux distinct. Toute la moelle semblait formée

par du tissu lamineux, condensé, feutré et entremêlé d'une substance

granuleuse abondante. L'examen des deux moelles fut fait simultanément

et la différence considérable .de structure qui existait entre elles deux ne

put laisser aucun doute. Quant aux méninges rachidiennes il n'a pas semblé

qu'elles fussent altérées ».

On pourrait conclure qu'il s'agissait d'un arrêt de développement ou

d'un vice de conformation. Bien plutôt croyons-nous, on se trouvait en

présence de cette méningo-myélite diffuse embryonnaire dont Gangitano

nous donnera bientôt des exemples.

Kahler et Pick (2) ont fait l'autopsie d'un enfant de 5 mois mort de sy-

(1) POTAIN, cité par LANCEIIEAUX. Traité historique et pratique de la syphilis, 2e éd.,

1813, p. 431.

(2) Kahler et PICK. Befund im Huckenmarke eines syphilitischen Kinde. Vierleljalcr-

schrift f. die praktische Ileilkunde. Prague, 1879, Bd 142.

LA SYPIIILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 83

philis avec lésions cutanées et bronchiques, sans autres détails cliniques.

On notait, au niveau de l'entrecroisement des pyramides, un changement

de coloration dans le faisceau latéral gauche, immédiatement dans l'angle

qui sépare la corne antérieure de la corne postérieure. Cette plaque sclé-

reuse s'étendait sur une hauteur de 6 à 7 millimètres. A son niveau, les

vaisseaux étaient épaissis et leur calibre était considérablement rétréci.

Kahler et Pick comparent ces lésions à celles décrites par Charcot et

Gombault (1) dans un cas de syphilis acquise des centres nerveux. Dans

leur cas, le processus était nettement d'origine vasculaire.

A. Jarisch (2) a étudié l'anatomie pathologique de la moelle dans 7 cas

de syphilis, dont 4 se rapportant à des enfants atteints de syphilis -hé-

réditaire. L'enfant le plus âgé avait, au moment de la mort, 2 mois et

10 jours, le moins âgé 19 jours. -

Les lésions qu'il a trouvées dans la moelle consistaient surtout dans l'a-

trophie des cellules des cornes antérieures et de la colonne de Clarke. Leur

protoplasma était rétiforme, de même il y avait de la tuméfaction du ré-

seau de la substance grise. Çà et là, on trouvait dans la substance médul-

laire et autour des vaisseaux des sillons et commissures, des masses vitreu-

ses homogènes. Il n'est pas parlé du cerveau.

A notre avis, on ne peut tirer aucune conclusion des recherches de Jarisch

et des lésions assez peu précises qu'il a constatées. L'auteur semble surtout

avoir été guidé par le désir de relier l'exanthème syphilitique qui existait

chez ses sujets, aux lésions des cellules médullaires. Il trouvait, dans ces

faits, la confirmation d'une opinion qu'il avait soutenue antérieurement(3).

Les cas de Jûrgens (4) sont plus intéressants.

Le premier se rapporte à un enfant mort-né, chez lequel on trouva un

épaississement considérable de la dure-mère au niveau de la basedu crâne,

laquelle était le siège d'une légère hyperostose. Dans la zone de transition

céphalo-rachidienne, la dure-mère est très vascularisée, sa face interne

dépolie est soudée à l'arachnoïde.

Les méninges de la convexité du cerveau sont intactes. Au niveau du

chiasma,épaississementqui se continue sur la protubérance etlapartieinfé-

rieure du bulbe.De même, pachyméningi te et arachnite spinales, surtout dé-

(1) CHARCOT et A. 'GO.)113AULT. Note sur un cas de lésions disséminées des centres ner-

veux observées chez une femme syphilitique. Archives de physiologie, 1873, t. V,

p. 143.

(2) A. Jarisch. Ueber den Ruckenmarksbefund in 7 Fllllen vbn Syphilis. Vierteljalar-

schrift f. Dermatologie u. Syphiligraphie, Vienne, 1881, p. 621.

(3) A. Jarisch. Ueber die Coïncidenz von Erkrankungen der Haut und der grauenAchse

des Ruckenmarkes. Id., 1880 et Wien. medic. Blatte ? nos 47-49, 4880.

(4) Jünaexs. Ueber Syphilis des Ruckenmarkes u. seiner Haute. Charité Annalen, 10

Jahrgang, 1885, p. 729.

81 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

veloppées dans la région cervicale et disparaissant dans la partie inférieure

de la moelle. De la pie-mère épaissie partent des prolongements fibreux

envahissant les cloisons interstitielles de la moelle, particulièrement dans

la région des cordons et des racines postérieurs. Près du sillon longitu-

dinal postérieur.fortes productions fibreuses, nombreuses cellules à noyau,

multiplication des noyaux dans les cordons qui bordent des 2 côtés le sil-

lon postérieur. Dans la profondeur du sillon, productions fibreuses s'éten-

dant jusqu'à la substance grise, attaquant le canal central qui est entouré

de cellules a"noyaux. Epaississement des tuniques de la basilaire et des

vertébrales. Sclérose des vaisseaux de la région cervicale de la moelle. Di-

verses lésions syphilitiques des autres organes.

2e cas. Enfant né le 8 mars 1885, mort le 12 mai ; ictère, pemphi-

gus plantaire. Gommes des capsules surrénales. Dure-mère crânienne in-

tacte, pie-mère de la convexité fibreuse, épaissie, trouble. Gommes et pe-

tits foyers de ramollissement dans l'encéphale. L'altération des méninges

se prolonge sur la protubérance.

La pie-mère spinale, dans les régions cervicale et thoracique, est très

épaissie, unie à la face interne de la dure-mère par de nombreux et forts

tractus. La substance médullaire est grisâtre. La dure-mère est épaissie

dans la partie postérieure de la moelle.

Ostéochondrites syphilitiques des vertèbres, des tibias et des fémurs.

Le 3e cas rapporté par Jûrgens, de tous le plus intéressant, sera étudié

ultérieurement car il a trait à un enfant atteint de syphilis héréditaire

précoce.

En résumé, il s'agit, dans les deux cas précédents, de méningo-myélite

avec altérations vasculaires.

Les faits les plus récents de syphilis congénitale de la moelle appartien-

nent à Gangitano ('1 ) qui a publié 4 cas de syphilis médullaire. Les trois

derniers se rapportent seuls à la syphilis héréditaire.

Le premier a trait à un enfant de 52 jours dont la mère présentait des

accidents secondaires. Pas de description clinique.

L'autopsie montre une augmentation de volume de la rate et du foie avec

hépatite interstitielle diffuse ; il existe également de la myocardite interstitielle.

Macroscopiquement, le cerveau et les méninges cérébrales paraissent sains

mais on trouve, au microscope, une infiltration péri-vasculaire, de la proliféra-

tion de la névroglie, et de l'endartérite. ,

Les coupes de la moelle, pratiquées au niveau du renflement cervical, mon-

trent des vacuoles ovoïdes ou sphériques de dimensions variées, privées de con-

(1) Gaivouano. Contributo allô studio délia sifilide del midollo spinale. Archivio

italiano di clinica medica, Milan, 1894, p.448.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 85

tenu et siégeant dans les cordons postérieurs et dans les commissures blanche

et grise. La substance blanche est atrophiée. Quelques groupes de fibres sont

tout à fait dissociés, d'autres libres sont extrêmement grêles.

Les tuniques des vaisseaux sont épaissies. La substance grise est disposée

d'une façon asymétrique. Le canal central est dilaté sous forme d'une fissure

triangulaire très développée.

Quelques cellules ganglionnaires des cornes grises antérieures présentent de

la dégénérescence vitreuse. Latéralement au canal central, dans le centre des

cornes grises antérieures, se voient 2 zones arrondies où la substance grise est

très raréfiée avec atrophie des cellules ganglionnaires, des fibres nerveuses et de

la névroglie.

L'auteur résume cette observation ainsi qu'il suit : « syphilis congéni-

tale, épaississement dès méninges, endartérite oblitérante, hydromyélie,

atrophie des cellules ganglionnaires et des fibres nerveuses ».

La deuxième observation de syphilis congénitale (la 3e du mémoire) se

rapporte à un enfant de 25 jours né d'une mère syphilitique. Pas de détails

cliniques.

Rien macroscopiquement, si ce n'est un affaissement (marasme) général de

tous les organes.

La pie-mère cérébrale est molle et épaissie. Le cerveau qui a conservé son

volume normal est en général diminué de consistance, surtout dans certains

points situés la surface du lobe frontal droit et du lobe temporo-sphénoldal et

occipital gauche où se trouvent de véritables foyers de ramollissement.

La pie-mère présente des vaisseaux distendus par le sang et, çà et là, de peti-

tes suffusions hémorrhagiques particulièrement en rapport avec les foyers de

ramollissement que l'examen microscopique, fait sur des pièces fraîches, montre

être des foyers d'encéphalite.

La pie-mère spinale est épaissie et infiltrée d'éléments cellulaires. Le sillon

longitudinal antérieur dans la région dorsale, au niveau de la commissure blan-

che antérieure, forme un diverticule toujours revêtu de la pie-mère lequel, s'in-

lléchissantlatéralemen t, s'insinue dans toute l'épaisseur de la commissure blanche

du côté droit jusqu'à envahir, par un court tractus, la substance de la corne

grise antérieure dans sa partie la plus interne et postérieure. A gauche, dans un

point homologue, existe un diverticule beaucoup plus petit ne dépassant pas

la substance de la commissure blanche.

Les cordons de Burdach et de Goll sont dégénérés ; ce dernier, en particu-

lier,présente de nombreux espaces vides au niveau desquels des faisceaux entiers

de fibres sont détruits.

Le canal central est très dilaté et tapissé d'un épithélium proliféré.

Autour de ce canal, se trouve un tissu constitué par la névroglie épaissie pri-

vée de cellules ganglionnaires et de fibres nerveuses. Il existe de l'endartérite.

Autour de quelques-uns des vaisseaux qui sont atteints d'endartérite oblité-

rante,on voit les gaines lymphatiques dilatées et, autour d'elles, on note un cer-

86 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

tain degré de résorption de la substance nerveuse et aussi de la névroglie.

La substance des cornes grises est irrégulièrement disposée et atrophiée. Des

cellules qui persistent, certaines sont ratatinées ; dans d'autres, le protoplasma

qui les remplit n'est plus représenté que par un faible résidu granuleux autour

du noyau.

Dans d'autres, on ne voit que le noyau au milieu d'un protoplasma homogène

peu différenciable.

En résumé : « Epaississement des méninges cérébro-spinales, encépha-

lite à foyers- multiples, endartérite oblitérante, dégénération des cordons

postérieurs, hydromyélie, dégénération des cellules ganglionnaires ».

La 3e observation de syphilis congénitale (la 4° du mémoire) se rapporte

au cadavre d'un enfant de quelques jours (8 à 10) suspect de syphilis con-

génitale, la mère étant syphilitique.

Cadavre en état de putréfaction (marasmo) avancée. Il existe, dans la région

dorso-lombaire de la colonne vertébrale,une petite tumeur arrondie de la gros-

seur d'une noix, élastique, fluctuante, couverte d'une peau normale, lisse. En

pratiquant une incision, on voit se produire une hernie de la dure-mère à tra-

vers une fissure du canal vertébral, contenant un liquide blanc citrin très lim-

pide (méningocèle).

La partie interne du sac est constituée en grande partie par la dure-mère très

épaissie. La moelle est renfermée dans le canal vertébral.

La section des organes internes ne révèle rien de particulier. Légère hyper-

calcification des centres d'ossification.

La substance cérébrale ramollie ne permet de relever aucune lésion tant ma-

croscopique que microscopique.

La moelle est de volume à peu près normal. Elle présente, dans la région

lombaire,un dédoublement d'une étendue,en longueur, d'environ un centimètre ^

entre lequel s'insinue la dure-mère laquelle va, de là, constituer un revêtement

à chaque branche de division. Vers la 3e ou la 4° vertèbre lombaire, la moelle

redevient unique et augmente énormément de volume vers la queue de

cheval.

En ce point, on voit la moelle, qui était réduite à un volume très exigu, deve-

nir une masse arrondie de la grosseur d'un gros pois vert, homogène, de con-

sistance et d'aspect cartilagineux. Le tout est entouré par la dure-mère épaissie

et par un tissu conjonctif riche en vaisseaux, formant des replis anormaux avec

des vaisseaux très dilatés.

Sur les coupes microscopiques, on voit, au niveau du renflement cervical,

le canal central dilaté sous forme d'une fissure qui, de la commissure blanche

antérieure, s'étend jusqu'au tiers postérieur des cordons de Goll. Le canal est

revêtu de l'épithélium proliféré et est entouré d'une substance scléreuse.

Dans la substance blanche, on trouve de très rares fibres nerveuses, et de

nombreuses cellules de la névroglie.

On ne trouve pas de fibres nerveuses dans les cordons de Goll. Celles-ci com-

LA SYPHILIS, HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 87

mencent à apparaître, peu abondantes, dans la partie la plus périphérique des

cordons de Burdach.

La substance grise est diminuée de volume dans sa totalité, disposée irrégu-

lièrement et très raréfiée. 0

Les cellules nerveuses sont ratatinées et atrophiées, mais laissent encore

apercevoir leur noyau et leur nucléole. Sur les coupes de la partie supérieure

de la moelle dorsale, on voit la pie-mère épaissie,infiltrée d'éléments arrondis et

renfermant de nombreux vaisseaux dilatés. Le canal central n'a plus sa forme

de fissure ; il revêt un aspect uniforme, coupant pour ainsi dire la moelle en

4 parties à peu près égales.

Le canal est toujours revêtu de l'épithélium proliféré. La partie périphérique

de la coupe est constituée par de la névroglie avec très peu de fibres nerveuses.

Les cordons postérieurs sont sclérosés. La substance grise des divers segments

est dégénérée, les cellules rares et atrophiées, les fibres nerveuses disséminées.

Dans la partie inférieure de la région dorsale, la moelle est aplatie suivant

son diamètre antéro-postérieur.

Le canal central, tout. en se disposant transversalement, et en prenant sa forme

en croix, s'élargit de façon il envahir la superficie presque entière de la coupe.

Sur une coupe passant à un centimètre au-dessus du dédoublement, le canal

central est toujours revêtu d'épithélium, la substance nerveuse est réduite à

une mince bande circulaire oit il est impossible de découvrir des fibres nerveuses

et des cellules ganglionnaires. Entre cette bande et la pie-mère, on voit des

lacunes remplies de sang qui forment un anneau isolant la moelle de son revê-

tement méningé.

La dure-mère épaissie et le tissu conjonctif environnant, forment des replis

anormaux qui contiennent de nombreux vaisseaux dilatés.

Il y lit quelque chose d'analogue à ce que l'ou trouve dans les cas d'anencé-

phalie où, à la place de la substance cérébrale, il n'y a que du tissu conjonctif

disposé en replis anormaux analogue à .celui déjà décrit dans la partie inférieure

de la moelle.

Sur la coupe faite immédiatement au-dessus du dédoublement, les 2 sillons

antérieurs et postérieurs sont très voisins et le canal central est déjà divisé en

2 parties par un tractus de substance nerveuse.

Dans la région lombaire, sur une longueur d'un centimètre et demi environ,

existe le dédoublement. Les 2 segments sont entourés par la dure-mère et la

pie-mère épaissies. Il n'existe pas de canal central et, dans chaque segment, il

est impossible de distinguer la substance blanclie de la grise et réciproquement.

On voit de très rares fibres dégénérées avec des gaines variqueuses de myéline.

Au niveau du renflement lombaire, la moelle redevient de nouveau unique.

La dure-mère et la pie-mère présentent de longues lacunes hémorrhagiques

avec des vaisseaux très dilatés. La moelle, extrêmement réduite de volume,

adhère à une. production arrondie entièrement entourée par les méninges et

offrant au microscope les caractères de la substance cartilagineuse.

En résumé « Dégénérescence des cordons postérieurs, hydromyélie,

88 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

dégénérescence des cellules ganglionnaires, dédoublement partiel de la

moelle lombaire ». ,

L'auteur conclut qu'il y a un rapport constant,dans ses trois cas,entre les

altérations vasculaires, la dégénérescence des cordons postérieurs et celle

des cellules des cornes grises., -

La syphilis héréditaire serait donc capable de produire une véritable

méningo-myélite diffuse embryonnaire.

C'est à la syphilis aussi qu'il faut vraisemblablement attribuer l'arrêt et

le vice de développement notés dans la dernière observation.

Nous adoptons volontiers,pour notre part,les conclusions auxquelles est

arrivé Gangitano et considérant, en outre, les cas qui ont été publiés en

dehors de cet auteur,nous pensons qu'elles résument assez bien l'état actuel

de nos connaissances sur la syphilis congénitale de la moelle.

La syphilis peut'donc frapper la moelle (ou mieux le système cérébro-

spinal) de l'enfant, avant sanaissance. L'accouchement, dans ces cas, a sou-

vent lieu avant terme ; l'enfant est mort-né ou il naît vivant. Dans les faits

que nous avons étudiés, si l'enfant est né vivant il succombe rapidement,

sans qu'on puisse attribuer spécialement la mort à la syphilis médullaire

car, presque toujours, sinon toujours, on note concurremment, à l'autopsie,

des manifestations viscérales, osseuses ou autres. Les signes cliniques

font donc complètement défaut.

Laissant de côté les vices et arrêts de développement dont la syphilis

héréditaire est d'ailleurs coutumière (dents en particulier) il vient immé-

diatementà l'esprit de rapprocher, au point de vue anatomique, la méningo-

myélite diffuse embryonnaire des lésions viscérales, en particulier de l'hépa-

tite interstitielle diffuse que l'on trouve si souvent chez les foetus ou les

enfants qui ont succombé à la syphilis congénitale et dont M. Iludelo (1),

chef de clinique du professeur Fournier, a donné une excellente interpré-

tation.

Ce sont là évidemment, dans des organes différents, les effets d'un pro-

cessus de même ordre, très simple en réalité, reconnaissant une même

origine vasculaire. -

A l'instar de ces lésions hépatiques si fréquentes et si souvent ignorées,

il est à présumer que les lésions médullaires, qu'un même processus gé-

néral tient sous sa dépendance, seraient beaucoup plus souvent notées

qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour, si l'on s'astreignait à les rechercher par

les moyens appropriés.

(1) HUDELO. Contribution à l'étude des lésions viscérales dans la syphilis héréditaire .

Lésions du foie. Th. Paris, février 1890.

LA SYPIIILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 89

1 catégorie.- B. Enfants vivants, nés avant terme ou à terme et pre-

sentant des manifestations cliniques se rapportant à la syphilis congénitale

de la moelle.

Les faits que nous allons étudier sont plus intéressants que ceux que

nous venons d'analyser, en ce sens qu'ils comportent une description cli-

nique.

En réalité, ils sont les analogues des précédents, car la sclérose qui va

imprimer sa caractéristique aux manifestations si dissemblables que nous

analyserons- n'est, en somme, que l'évolution plus avancée en âge du pro-

cessus diffus embryonnaire (susceptible aussi de former des agglomérats

gommeux) qui est'la base anatomique des lésions tant encéphalo-mé-

dullaires que viscérales delà syphilis constitutionnelle.

L'affection est encore congénitale ; elle doit sa. persistance à ce fait que,

pour des raisons qui échappent à notre appréciation, le sujet n'a pas suc-

combé, avant ou dès sa naissance, soità la localisation cérébro-médullaire,

soit plus souvent encore peut-être aux manifestations viscérales de la sy-

philis héréditaire associées si fréquemment aux lésions nerveuses. Et si

nous parlons de localisation cérébro-médullaire, c'est que,dans ce groupe,

nous connaissons à peine une observation (celle que nous avons publiée

avec M. le professeur Fournier et dont nous reparlerons) où la localisation

ait été exclusivement spinale. Nous aurons donc,leplus souvent, au milieu

des symptômes presque toujours prédominants d'une affection cérébrale,

à rechercher ce qui appartient, primitivement ou secondairement, à la

moelle, ce qui ne laissera pas, on le comprend, de rendre-la description

clinique malaisée.

Les discussions même ne feront pas défaut, ainsi d'ailleurs que nous

allons immédiatement le montrer.

En effet, en 1878, sous le nom de sclérose disséminée, qu'on peut tra-

duire par sclérose en plaques, Dickinson (1) publiait, sans commentaires,

deux observations se rapportant à de jeunes enfants,

De la première nous ne dirons rien, la syphilis n'étant pas en cause.

La seconde a trait à une fillette de 5 ans et mois née d'une mère enta-

chée de syphilis. Jusqu'à 3 ans, elle ne peut marcher; à cette époque

elle traîne la jambe droite et commence à trembler. Elle ne marche en

réalité qu'à 5 ans ; elle est considérée comme intelligente. Vers 3 ans,

attaques qui ressemblent fort à des crises épileptiques.

Entrée à l'hôpital à l'âge de ans et 8 mois, on constate qu'elle ne peut

se tenir debout, il faut qu'elle reste dans le décubitus horizontal car, lors-

(1) Dickinson. Cases of disseminated sclerosis in children. Médical Times and Ga- : ,elle, 2 février 1818, p. 112, vol. I.

90 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈHE

qu'olle s'assied, le tronc oscille de çà et de là, les membres sont agités par

un tremblement. Son langage est traînant, elle chantonne, comme les

idiots, des airs monotones; pas de nystagmus.

Après plusieurs traitements infructueux, on donne, sans effet d'ailleurs,

du mercure et de l'iodure de potassium ; l'enfant gâte, sa stupidité aug-

mente ; c'est dans cet état qu'elle quitte l'hôpital.

Nous n'aurions pas rapporté cette observation, dans laquelle les symp-

tômes observés sont évidemment sous la dépendance d'une sclérose céré-

brale, d'origine probablement syphilitique, si M. Moncorvo (de Rio-de-

Janeiro) n'avait rapproché du fait de Dickinson une série de cas pour la

plupartcongénitaux, qu'il attribue à la sclérose en plaques, affection que la

prédominance habituelle de ses localisations anatomiques et de ses mani-

festations cliniques classe généralement dans les maladies de la moelle.

Dans un premier mémoire, publié en 1884, M. Moncorvo (1) rapporte

3 observations d'enfants nettement liérédo-sypiiililiques.

La première a trait à une fillette de 4 ans, née à terme, qui, à l'âge de

7 mois, contracta la variole a la suite de laquelle elle eut des convulsions

suivies d'une hémiplégie gauche qui ne tarda pas à s'améliorer. Mais les

accès épileptiques persistèrent, et l'enfant resta à peu prés idiote. La sta-

tion debout est difficile, la démarche titubante et embarrassée, la tôle

oscille de droite à gauche.

La deuxième observation se rapporte à un garçon de 7 ans qui ne mar-

cha qu'à 6 ans. L'enfant est idiot avec crises de colère, équivalents psychi-

ques de l'épilepsie ; il existe du nystagmus.

Dans la 3e observation il s'agit d'une fillette de 3 ans, idiote et épilep-

tique.

Dans ces 3 cas, il survint une légère amélioration sous l'influence du

traitement mercuriel et ioduré.

A notre avis, il ne saurait y avoir aucun doute dans l'appréciation de

ces trois faits. Que la syphilis héréditaire soit en cause, cela ne souffre pas

de discussion, sauf peut-être pour le premier où l'on pourrait incriminer

la variole. Mais, pour le diagnostic, il ne saurait en être de même. Le ta-

bleau clinique est nettement celui de la sclérose cérébrale (avec participa-

tion primitive ou secondaire de la moelle), s'accompagnant d'idiotie et

d'accès épileptiques, et non celui de la sclérose en plaques.

Dans un deuxième mémoire, M. Moncorvo (2) donne une 4° observation

(1) Moncorvo. Contribution à l'étude de la 'sclérose multiloculaire chez les enfants,

Paris, Berthier, 1884. ,

(2) Moncorvo. De l'étiologie de la sclérose en plaques chez les enfants et notam-

ment de l'influence de l'hérédo-syphilis. Revue mensuelle des maladies de l'enfance,

1887, p. 720.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 91

qui se rapproche sensiblement des précédentes, bien que l'expression

symptomatique y soit plus atténuée.

Il s'agit d'une fillette hérédo-syphilitique qui, vers l'âge de 3 ans, pré-

senta de la démarche titubante jointe à une grande irritabilité du caractère.

Le traitement spécifique se montra efficace car, après des alternatives de

mal et de mieux, vers 7 ans, l'enfant était à peu près guérie.

Il semble qu'il ait existé là une méningite de la base avec titubation

cérébelleuse. Rien n'autorise, dans tous les cas, à porter le diagnostic de

sclérose en plaques.

Depuis, M. Moncorvo (1) a publié 3 nouvelles observations d'enfants

hérédo-syphilitiques, âgés respectivement de 5 ans, 11 ans et 9 ans; les deux

derniers étaient frères. Il s'agit encore là de sujets très arriérés,sinon idiots,

à démarche titubante ou impossible, avec ou sans nystagmus ; chez le 2c

il existait de l'athétose des membres supérieurs. Deux enfants avaient des

crises qui rappelaient celles de l'épilepsie. Dans le 1er cas, le traitement

mixte sembla donner quelques résultats, dans les deux autres ses effets ne

purent être suivis.

Nous le répétons encore,si l'influence de l'hérédo-syphilis dans l'étiolo-

gie des phénomènes notés par M. Moncorvo semble indéniable, il ne s'en-

suit pas, d'après les symptômes cliniques observés, que les accidents doi-

vent être attribués à la sclérose en plaques.

Cliniquement , ces cas doivent être rapprochés de quelques-uns de ceux

étudiés en 1868 par II. Jackson(2), dans lesquels presque tous les symp-

tômes relatés par Moncorvo se retrouvent, y compris l'imbécillité et les accès

d'épilepsie. Et c'est encore à la sclérose cérébrale, sinon encéphalo-médul-

laire, qu'il faut attribuer les manifestations observées par l'auteur anglais.

Anatomiquement, on pourrait aussi peut-être les rapprocher du 3e cas de

Jürgens que nous avons réservé (loc. cit.), bien que l'ensemble clinique

soit ici un peu différent. '

Il s'agit d'un enfant de ans présentant un développement anormal du

(1) Moncorvo. De l'influence étiologique de l'hérédo-syphilis sur la sclérose en pla-

ques chez les enfants. Revue mensuelle des maladies de l'enfance, septembre 1S95.

(2) II. JACKSON. Cases of disease of the nervous system in patients the subjects of

inherited syphilis. Reprinted with slight altérations from the Transactions of the

St-Andrews médical graduate's Association, vol. I, 1868.

Dans ce mémoire (note de la p. I), H. Jackson note un cas de paraplégie, probable-

ment congénitale, chez un enfant de 8 ans. La famille à laquelle il appartenait était

composée de 4 enfants. « Le plus vieux, une fille de 18 ans a de bonnes dents, mais

des restes d'iritis ancienne et des cicatrices aux angles de la bouche. Sa santé géné-

rale parait bonne. Une plie de 15 ans, dont la vue est très altérée par une choroïdite,

présente une hémiplégie incomplète ; malformation des dents. Une fille de 12 ans a

des malformations dentaires et de la choroïdite. Un garçon de 8 ans, paraplégique, à

demi idiot avec quelques crises épileptiques. Il est aveugle, ses nerfs optiques sont

atrophiés ».

92 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE

crâne. L'état mental était bizarre ; le sujet bavardait incessamment, ré-

pondant parfois avec précision aux questions posées. Phénomène particu-

lier, il n'existait pas de troubles de la motilité.

L'enfant mourut de diphtérie. Outre des lésions osseuses attribuables à

la syphilis, on trouva, en divers points de l'épaisseur des parois du

crâne, des tumeurs gommeuses de la grosseur d'une cerise. Gomme céré-

brale ; hydrocéphalie interne. ,

Pas de lésions vertébrales. La dure-mère spinale, dans les régions cervi-

cale et thoracique,est unie par de nombreuses et fortes adhérences à la pie-

mère. Sur la face interne delà dure-mère, on trouve de nombreuses faus-

ses membranes épaisses et fibreuses. A la partie inférieure de la moelle,

le processus morbide s'efface peu à peu. Cependant, dans la région lom-

baire, il existe une induration fibreuse isolée, rayonnée, grisâtre, de trois

centimètres de hauteur.

L'examen microscopique montre, clans la région cervicale, une coloration

diffuse des cordons postérieurs de la moelle. Dans la région thoracique,

seuls sont envahis les cordons cunéiformes. Dans la région lombaire, les

cordons postérieurs sont sains. De plus, on note dans la région cervicale

une petite gomme de la grosseur d'un grain de millet, occupant la moitié

de la surface du cordon latéral droit et empiétant [sur les racines posté-

rieures qui paraissent grisâtres.

En résumé, si la syphilis congénitale héréditaire ne semble pas donner

naissance à la sclérose en plaques, il ne ressort pas moins des faits, qu'elle

peut être la source de manifestations morbides dans lesquelles on retrouve

un singulier mélange de symptômes cérébraux et médullaires.

Les symptômes cérébraux paraissent prédominer : avec les troubles des

fonctions intellectuelles, les accès d'épilepsie, le nystagmus. Mais il n'est

pas moins certain, et l'autopsie de Jürgens en fait foi, que les troubles de

la motilité des membres inférieurs lorsqu'ils existent ne doivent pas être

toujours attribués à des lésions limitées exclusivement à l'encéphale, que

les lésions médullaires ne sont pas constamment de simples dégénérations

descendantes, en un mot que le cerveau et la moelle peuvent être indivi-

duellement envahis (simultanément ou non) par la syphilis héréditaire.

L'exppsé des faits que nous avons dû faire au courant de la discussion

nous dispensera de chercher à établir un type clinique des manifestations

que nous venons d'étudier. Ce type serait d'ailleurs difficile à décrire vu

la multiplicité des phénomènes observés.

(A suivre.) ,

QUELQUES APPLICATIONS CHIRURGICALES

DE PHOTOGRAPHIES DE ROENTGEN

PAR

PIERRE DELBET

Professeur agrégé à la Faculté de Médecine, Chirurgien des Hôpitaux.

La possibilité de faire passer au travers de certains corps opaques des

rayons, d'ailleurs invisibles, mais capables cependant d'impressionner des

plaques sensibles, vient à peine d'être découverte par Roentgen et déjà les

applications surgissent de toutes parts.

Les rayons X ont d'abord été assez froidement accueillis par le monde

médical, et divers articles publiés dans les périodiques français avaient

proclamé que la médecine et la chirurgie n'en tireraient pas grand profit.

Au scepticisme exagéré des premières heures a fait place aujourd'hui un

enthousiasme qui ne l'est peut-être pas moins.

La découverte de Roentgen n'est sans doute pas de celles qui puissent

faire faire directement de grands progrès à la médecine ou à la chirurgie,

mais elle n'en est pas moins très capable de rendre de signalés services.

A un point de vue très général, elle a le mérite de nous apprendre que

des rayons, qui se comportent à de certains points de vue comme des

rayons lumineux, sont cependant insaisissables pour notre sens de la lu-

mière, c'est-à-dire pour notre oeil. Depuis le conte charmant de microbe-

gas, c'est la plus saisissante leçon de relativisme qui ait été donnée à l'hu-

manité ; et cette leçon a bien son prix, d'autant plus qu'elle conduit à se

demander si les rayons insaisissables pour nos yeux ne seraient pas per-

ceptibles pour certains animaux, ou même pour certaines personnes d'une

hyperesthésie sensorielle extrême, les hystériques par exemple. Mais c'est

là un côté de la question que je ne veux même pas toucher, encore qu'il

présente un haut.intérêt.

Je me bornerai à signaler quelques applications pratiques des photogra-

phies parles rayons X, la recherche des corps étrangers et l'étude de cer-

taines lésions du squelette.

91 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

La recherche des corps étrangers a une réelle importance chirurgicale.

La plupart de ceux qui pénètrent accidentellement dans les tissus peuvent

être ainsi décelés, car ils sont opaques aux rayons X : projectiles des armes

à feu, épingles, aiguilles, fragments de verre.

Jusqu'ici les corps étrangers ne peuvent être découverts par les photo-

graphies de Roentgen que dans les régions extrêmes du corps ; les membres

et surtout les extrémités, mains et pieds. Le bras, la jambe se laissent en-

core traverser par les rayons X, mais plus difficilement. La cuisse est déjà

trop épaisse. Je ne sache pas qu'on ait jamais pu obtenir un cliché mon-

trant nettement le fémur d'un adulte un peu musclé. Quant au thorax et

à l'abdomen on n'a pas encore réussi à les percer. Mais c'est là une question

de degré, et il est bien probable que les- nombreux chercheurs lancés sur

cette piste ne tarderont pas à trouver des perfectionnements d'outillage

qui permettront d'obtenir des rayons auprès desquels ceux d'aujourd'hui

seront ce qu'une chandelle est à une lampe électrique.

Quelque perfectionnement qu'on puisse espérer dans ce sens, les photo-

graphies de Roentgen ne permettront jamais de déterminer d'une manière

précise la place qu'occupe un corps étranger dans un organe. Il ne faut

pas oublier que les images obtenues par ces photographies ne sont que des

ombres chinoises. Elles ne peuvent indiquer qu'une chose, c'est que le corps

étranger est situé dans un plan perpendiculaire à celui de l'image obte-

nue, mais sa situation dans ce plan, elles ne peuvent la préciser. Si, par

exemple, la photographie nous montre un corps étranger, une balle, je

suppose, siégeant au niveau d'un métacarpien, elle est absolument impuis-

sante à nous indiquer de quel côté de l'os cette balle se trouve; qu'elle soit

en avant, qu'elle soiten arrière, la projection sur laplaque sensible se fait

de la môme façon. Mais le renseignement n'en est pas moins précieux. La

photographie nous a montré par exemple que la balle est au niveau du

troisième métacarpien et sur la partie moyenne. A ces deux renseignements

précis, il ne reste qu'un troisième à ajouter, pour déterminer la situation

exacte qu'occupe le projectile suivant l'épaisseur de la main, et l'étude

des symptômes permet presque toujours de le faire. J'ai pu ainsi trouver

très facilement dans une main une aiguille que d'autres y avaient antérieu-

rement cherchée sans la découvrir. La photographie (1) montrait que l'ai-

guille était transversalement plantée à l'union du tiers postérieur et du

tiers moyen du cinquième métacarpien. Restait à savoir si elle était en

avant ou en arrière de cet os. Il est bien certain que si elle avait été en ar-

rière de lui, on l'aurait aisément sentie par les palpations : comme on ne la

(1) Ce cas a été présenté en mon nom à l'Académie des Sciences, par M. le profes-

seur Guyon, dans la séance du 2 mars 1896.

DEUX MAINS CONTENANT DES PROJECTILES

Photographiées par la méthode du Pl Roentgen,

L PA'I I 1l l E F f ["

- ? F'1'] ? -... .- --

QUELQUES APPLICATIONS CHIRURGICALES DE PHOTOGRAPHIES DE ROENTGEN 95

sentait pas, il devenait évident qu'elle était en avant dans l'épaisseur de

l'éminence hypothénar et c'est là que je l'ai trouvée.

La Pl. XII est la reproduction d'une très belle épreuve obtenue par

M. Londe. Il s'agit d'un jeune homme qui a reçu à bout portant une balle

d'une carabine rayée de G millimètres. Immédiatement après l'accident, on

a enlevé une esquille osseuse, et six mois plus tard, en août 1895, un petit

séquestre s'est éliminé spontanément. Depuis la plaie est restée fermée.

La photographie montre qu'il existe une'balle sur le bord externe du troi-

sième métacarpien, au niveau de son' col. Il ne reste plus à déterminer

qu'une seule chose, le point que la balle occupe dans le plan antéro-pos-

térieur. On peut y arriver très 'aisément en rapprochant l'étude des symp-

tômes de certains- autres faits fournis par la photographie. L'histoire du

malade démontre péremptoirement que les os ont été atteints, puisqu'on

a enlevé une esquille immédiatement après l'accident et qu'un séquestre

s'est éliminé six mois plus tard. L'orifice d'entrée de la balle, ou plutôt

la cicatrice, est située sur la face dorsale du cinquième métacarpien, à peu

près à sa partie moyenne. La photographie montre que le bord externe de

ce métacarpien est un peu épaissi et que le quatrième à l'union de son tiers

moyen et de son tiers antérieur est légèrement déformé et plus sombre.

Cela nous indique qu'il y a eu en ce point une lésion : l'os est devenuplus

épais ou plus opaque.

Si on rapproche ces diverses constatations, l'interprétation devient évi-

dente et on peut reconstituer le trajet de la balle. Elle est entrée sur la

face dorsale, au niveau du cinquième métacarpien, a cheminé oblique-

ment en éraflant le bord externe de cet os, a fracturé le quatrième méta-

carpien et est venue se loger- sous le col du troisième, c'est-à-dire en

avant, au niveau de son collet. Si on ajoute à cela que celte Balle n'est

aucunement perceptible à la palpation la plus attentive, son siège au

point que j'ai indiqué devient évident. On- pourrait, il est vrai; se de-

mander, si elle n'est pas logée dans l'épaisseur de l'os. Mais la' photogra-

phie permet de lever encore le dernier point de doute. Si la balle était

dans l'épaisseur de l'os, il se serait produit autour d'elle de l'ostéite con-

densante, qui aurait rendu le tissu osseux plus opaque. Comme la photo-

graphie ne révèle rien de tel, on peut être sûr que la balle a simplement

effleuré le troisième métacarpien et qu'elle n'est pas dans l'épaisseur. Je

n'ai pas enlevé celle balle, qui ne cause aucune gêne. Mais s'il étaitindi-

qué de l'extirper, je suis bien convaincu que j'arriverais directement sur

elle avec le minimum de dégâts.

96 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Voici une seconde photographie (1) dont l'intérêt pratique est réellement

considérable (Pl. XI). C'est la main d'un malade qui a reçu une balle de

revolver, il y a environ douze ans. Chose curieuse, le malade n'a reçu

qu'une balle et la photographie montre qu'il en a deux, ou plutôt deux

fragments. La balle est entrée du côté palmaire, un peu en dehors du

deuxième métacarpien. Les deux fragments dont la photographie révèle

l'existence siègent, l'un au niveau du troisième, l'autre au niveau du qua-

trième métacarpien. II ne saurait y avoir de doute sur ce qui s'est passé.

La balle a rencontré le troisième métacarpien sans le casser; elle. s'est "

coupée sur lui de telle sorte qu'une moitié est restée, contre cet os,. tandis

que l'autre a cheminé jusqu'à ce qu'elle soit; arrêtée par le métacarpien

suivant. Ces fragments échappent complètement à' la,palpation : Je-n'ai

enlevé -ni l'un ni l'autre parce qu'ils ne déterminent aucun accident. Mais

si l'ablation avait été indiquée, cette photographie aurait',rendu' les 'plus

grands services. Elle aurait permis de marcher directement et sûrement

sur le corps étranger; mais c'eut été là un moindre avantage. Supposez

qu'on ait été conduit par des accidents quelconques à rechercher la balle,

on se serait estimé fort heureux d'avoir trouvé un corps étranger. Peut-

être eût-on été étonné de son petit volume, mais on aurait pensé sans

doute que le plomb avait été en partie corrosé par les bourgeons charnus

comme l'ont été les chevilles d'ivoire dans des expériences célèbres : le

malade ne sait pas d'ailleurs le calibre exact du projectile qu'il a reçu.

Il est bien probable, en tout cas, qu'on n'eût pas songé, ayant trouvé un

corps étranger, à en chercher un second, alors qu'il était certain qu'un seul

avait pénétré, et les accidents auraient pu persister après comme avant

l'opération.

Après ces exemples choisis entre plusieurs autres, j'arrive à deux cas

tout différents qui ont trait à l'étude des lésions osseuses.

Voici d'abord une très belle photographie d'une fracture de jambe. (PI .'

XIV). Cette fracture était incontestablement de cause indirecte. Le.malade

a été renversé par une voiture, mais ni -les sabots du cheval, ni- les roues

n'ont touché la jambe blessée, et cependant bien qu'il n'y ait qu'un seul trait

de fracture sur le tibia, il y en a deux sur le péroné détachant un frag-

ment intermédiaire long de 15 à -zig centimètres. Ce fait d'une double

fracture du péroné avec une fracture unique du tibia en dehors de tout

traumatisme droit n'a guère été signalé. Je ne puis naturellement rien

dire de sa fréquence. Peut-être les photographies de Hoengten nous ap-

(1) Cette photographie et celles qui suivent, toutes obtenues par M. Londe, ont été

présentées à l'Académie des Sciences, le 23 mars 1896.

DEUX PHOTOGRAPHIES PAR LA METHODE DE ROENTGEN

A. Luxation du coude. 13. Fracture de jambe.

QUELQUES APPLICATIONS CHIRURGICALES DE PHOTOGRAPHIES DE ROENTGEN 97

prendront-elles qu'il n'est pas exceptionnel. On peut se demander s'il

n'y a pas là une des raisons de la difficulté de réduction de certaines frac-

tures de jambe. Toujours est-il que cette fracture avait été mal réduite

et qu'elle s'est terminée par une pseudarthrose, que j'ai traitée par la su-

ture osseuse'. Je passe sur les détails de l'opération qui n'ont rien à faire

ici. La disposition des fragments était telle que je n'ai pas pu faire le cer-

clage de l'os; j'ai dû me borner par nécessité à mettre un seul fil d'argent

en sautoir. Ce fil, dont on voit l'ombre sur la photographie, n'a pas em-

pêché le déplacement de se reproduire. Je dois dire qu'en examinant la

jambe, on ne se douterait pas qu'il existe un pareil chevauchement.

Quoi qu'il en soit, ce fait prouve une fois de plus que, dans les cas où le

déplacement peut se faire suivant plusieurs sens, un seul fil d'argent est in-

capable de l'empêcher.

La dernière photographie que nous reproduisons ici (PI.1111; est celle

d'un coude réséqué. 11 s'agissait d'une ankylose complète à angle droit, con-

sécutiveà une arthrite blennorrliagique. J'ai fait une première résection

modelante, trochléiforme à la suite de laquelle l'ankylose s'est reproduite

aussi serrée qu'auparavant. Dans une seconde résection, j'ai scié l'humérus

au-dessus de l'épicondyle et de l'épi trochlée, le cubitus et le radius suivant

une ligne horizontale passant par le col de ce dernier. Déplus j'ai réséqué une

bande de périoste transversale et circulaire entre les extrémités osseuses

sectionnées. Le résultat fonctionnel est pleinement satisfaisant. L'articu-

lation est solide et mobile. L'extension se fait complètement, la flexion

jusqu'à angle aigu : seuls les mouvements de pronation forcée sont limi-

tés. On voit sur la photographie que l'olécrane ne s'est pas reproduit, ce

qui n'a rien de surprenant puisque j'avais enlevé une bande de périoste.

Le triceps n'en est pas moins capable de produire une extension active,

même contre l'action de la pesanteur, bien que l'opération ne date que de

deux mois. Ce fait montre donc qu'avec le procédé de M. Farabeuf, les

expansions fibreuses conservées sont suffisantes pour permettre au triceps

d'agir môme en l'absence de régénération de l'olécrane. On voit en outre

que les deux os de l'avant-bras ont subi un glissement en dehors. Bien

que ce déplacement n'ait pas eu d'inconvénient, au point de vue fonction-

nel, il n'en est pas moins vrai qu'à l'avenir je m'efforcerai de l'éviter.

(

Ces exemples, et quelques autres déjà publiés, permettent d'entrevoir

les services que nous rendront les photographies de Roentgen. Elles vont

nous permettre de fairesur le vivant l'anatomie pathologique des fractures

et des luxations, au moins dans une certaine mesure. Peut-être nous ap-

prendront-elles surces traumatismes, dont nous avons rarement l'occasion

ix 7

98 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE ,

de faire l'autopsie, bien des choses que nous ignorons. On peut espérer

aussi qu'elles nous faciliteront le diagnostic de certaines tumeurs osseuses

à leur période initiale. Rien d'impossible à ce qu'elles nous révèlent un

noyau d'ostéo-sarcome dès son début, alors que l'intervention offre les

plus grandes chances de succès.

Dès maintenant, mon ami Varnier a entrepris des recherches du plus

haut intérêt pratique au point de vue obstétrical. Il espère arriver grâce

aux photographies de Roentgen à mesurer exactement sur la forme vivante

certains diamètres des bassins rétrécis dont la perméabilité est bien diffi-

cile à apprécier avec nos procédés 'actuels. Ces mensurations exactes ren-

draient les plus grands services dans certaines formes de viciations pel-

viennes qu'il vise spécialement, entre autres les bassins asymétriques, et

les bassins viciés au détroit inférieur tels que les cypVotiques.

On voit donc que dès aujourd'hui les rayons X sont capables de nous

rendre des services importants et variés. Les perfectionnements qui ne

peuvent manquer de survenir augmenteront sans doute encore l'étendue

de ces services ; mais il serait un peu hâtif de les escompter.

DOCUMENTS INÉDITS

SUR LES ,

DÉMONIAQUES DANS L'ART

PAR

PAUL RICHER et HENRY MEIGE.

La liste des oeuvres d'art où il est possible de retrouver les caractères

de l'attaque convulsive d'hystérie semble s'étendre indéfiniment, au sur et

à mesure que l'on poursuit les recherches dans cette voie.

Un nombre déjà grand de ces documents, recueillis par l'un de nous, ont

été l'objet d'une étude spéciale sur l'Hystérie dans l'Art (1), et d'un re-

cueil plus complet publié en collaboration avec le professeur Charcot, les

Démoniaques dans l'Art (2).

Des exemples analogues ont été signalés depuis lors (3).

Mais la série n'en est pas close et nous avons continué à noter dans les

musées, les églises et les collections particulières, les oeuvres qui parais-

saient avoir été inspirées par des manifestations convulsives de l'hystérie,

considérés comme signes de la possession démoniaque.

(1) PAUL Richer, Etudes cliniques sur la grande hystérie. Appendice, 2e partie. Paris,

Delahaye et Lecrosnier, 1885.

(2) J. M. Charcot et PAUL Richer, Les Démoniaques dans l'Art. Paris, Delahaye et Le-

crosnier, 1887.

(3) Voir iL ce sujet : J. AI. Charcot et PAUL Richer, La Transfiguration du Sacro Monte

di T7ciî,allo. Nouv. Icon. de la Salpêtrière, ISSU, p. 247.

Gilles DE la Tourette, Documents satiriques sur Mesmer. Ibid., 1S90, p. 59.103.-IS91,

p. 482 et 1892, p. 55. Le miracle opéré sur Vlurie-Anne Couronneau. Ibid., 1890,

p. 2 il. - Sur un tableau perdu de Rubens 7,el)i,éseiila ? îl la guérison de possédés. Ibid.,

p. 119.

Souques, Sur une esquisse retrouvée de Rubens. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,

1893, p. 238.

PAUL Richer et Ilevax MeioE, Les Possédés de P. Bl'onzet, Nouv. Iconogr, de la Sal

pêtrière, 1894, p. 258.

Henry : llracs et L. Battaille, Les Miracles de Saint-Ignace de Loyola. Ibid., 1891

p. 318.

HENOY 1\I1 : IOE, Les Peintres de la Médecine. Le « Convive indigne ». Ibid., 1895, p. 192.

L'un de nous a retrouvé dans les monuments de l'Art antique plusieurs spécimens

qui s'y rattachent directement. lIr.Nny Meioe, Les Possédées des Dieux dans l'Art an-

tique. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1894, p. 35.

100 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

'Nous sommes loin d'avoir épuisé la liste vraiment considérable des figu-

rations de ce genre. Il en est d'ailleurs qui n'offrent aucun intérêt médical,

étant des représentations purement symboliques et conventionnelles de

la possession par le diable. ,

D'autres, au contraire, plus récemment connues de nous, méritent de

prendre place à côté des images qui semblent avoir été inspirées par la

nature.

Nous ferons connaître les principales :

NICOLA. PISANO (XIIIe siècle)

Bas-relief du tombeau de St-Dominique. Église St-Domenico, Bologne.

Miracles de l'ordre de St-Dominique.

Dans l'église de St-Dominique, il. Bologne, au milieu du bas côté de

droite, se trouve la chapelle consacrée à ce saint. Son sarcophage, orné

de beaux bas-reliefs en marbre blanc, exécutés vers 12G7 par Nicola Pisano

et son élève Fra Guglielmo, a été complété plus tard, au 1V° siècle, par

Nicola dell'Arca, et par Michel-Ange. -

Les bas-reliefs de Nicola Pisano sont réputés à juste titre comme les

spécimens les plus remarquables de l'école sculpturale qui précéda celle

de la Renaissance. S'ils pèchent encore par bien des imperfections dans

la facture et dans la composition, ils témoignent du moins d'une tendance

manifeste il abandonner les figurations symboliques et il introduire dans

l'art des éléments puisés dans l'observation de la nature.

Nicolas de Pise a déjà fourni matière à la critique médicale à propos de

deux scènes figurées sur le sarcophage de Ste Marguerite, dans l'église de

Ste-Marguerite, à Cortone (1).

Dans l'une, on voit des infirmes venant implorer leur guérison auprès

du tombeau de la sainte : un enfant genoux avec une main-bote, un hom-

me dont la jambe gauche est en contracture (probablement un hystérique),

et une femme à l'abdomen volumineux qui s'affaisse entre les bras d'une

compagne. L'autre bas-relief nous montre un jeune possédé qui se

débat, soutenu par deux aides, pendant qu'un diable ailé s'échappe de sa

bouche.

Sur l'un des bas-reliefs du sarcophage de St Dominique, à Bologne,.

Nicola Pisano a représenté les miracles opérés par les disciples de St Do-

minique.

' Trois scènes d'intervention miraculeuse occupent le premier plan de la

(1) CIIAIICOT et PAUL Richer, Deux bas-reliefs de Nicolas de Pise. Nouv. Iconographie

delà Salpêtrière, 1890, p. 134 1

LES MIRACLES DE L'ORDRE DE SAINT-DOMINIQUE

D'après un bas-relief de Nicolas de Pise (xme siècle).

Sur le 0;;11 (op11.1gc de S.tint-Dominique. lglic;e S.\int-Domilllquc, Bologne.

L 84TTAILLR ET C"

éditeurs

DOCUMENTS INEDITS SUR LES DÉMONIAQUES DANS L'AHT 101

composition, l'arrière-plan étant comblé par des personnages accessoi-

res (Pl. XV).

Le groupe du milieu est particulièrement intéressant. Un jeune possédé,

la taille soutenue par un aide, se renverse exagérément en arrière formant

un arc de cercle caractéristique. La figure est peu mouvementée, la bou-

che est close. Cependant les yeux ouverts semblent convulsés en haut et

en dedans. Le bras droit passé derrière le cou de l'aide est dans une atti-

tude qui n'a rien d'anormal.

Le bras gauche au contraire est tout à fait significatif. La main fermée,

les doigts crispés sur la paume, et comprimés par le pouce qui passe

au-dessus d'eux, l'avant-bras demi-fléchi et tordu en. pronation forcée,

tout cela indique une violente contracture du membre supérieur, sans

doute observée sur le vif et rendue avec une remarquable sincérité d'exé-

cution.

C'est là assurément une des meilleures représentations dans l'Art d'une

manifestation hystérique bien connue, et si le possédé de Nicola Pisano

ne se présente pas avec l'appareil grimaçant et désordonné qui fut choisi

plus tard par les artistes de la Renaissance pour caractériser les démonia-

ques, il mérite néanmoins de prendre place au premier rang parmi les

documents relatifs à l'hystérie. ,

Les deux autres groupes sont d'une interprétation plus malaisée.

A gauche, un moine tient entre ses deux mains la main droite d'une

femme assise à côté de lui.

Peut-être est-il occupé à guérir une paralysie ou une contracture hys-

térique, Fixant ses yeux sur ceux de la malade, il évoque l'idée d'une

scène' d'hypnotisme. '

A droite, un personnage est étendu inanimé sur un lit derrière lequel

une femme, debout soulève une robe de moine. C'est la précieuse défro-

que de St Dominique, dont les morceaux, de son vivant, accomplissaient

déjà tant de miracles.

Bas-relief en Albâtre (XVe siècle). '

Cathédrale de Ste-Waudru, Mons,

Scènes de la vie, de Ste Marie-Madeleine.

Cette belle sculpture, malheureusement mutilée, est placée aujourd'hui

au-dessus de l'autel, dans la chapelle de Ste-Madeleine, ainsi que plusieurs

autres morceaux assez détériorés. , .. '

Le personnage qui nous intéresse est une femme tombant à la renverse

entre les bras d'un homme, la tête rejetéë en arrière et à droite, les yeux

convulsés, la bouche ouverte, les cheveux épars. Elle est vêtue d'une

102 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE \

courte robe qui moule son corps ; le bras gauche est levé en l'air, la main

tombante, le bras droit demi-fléchi.

L'attitude générale rappelle bien celle que les artistes de l'époque choi-

sissaient pour représenter des possédées ; on peut y voir une ébauche de

l'arc de cercle hystérique, mais la figure, d'ailleurs mutilée, ne donne

qu'une idée imparfaite du masque saisissant des démoniaques.

Au milieu de la composition, un personnage isolé (le Christ sans doute)

fait un geste d'exorcisme. -

A droite, deux hommes transportent un corps inanimé à moitié nu. Der-

rière eux, plusieurs personnages expriment leur étonnement et leur admi-

ration ; tout à fait à gauche, d'autres figurants font également des gestes de

surprise.

Ecole flamande (XVe et XVIe siècles),

Cathédrale St-Rombaut, Malines,

25 panneaux peints représentant la vie de St Rornbault ou Rumold.

Ces 25 tableaux, situés sur le mur du bas côté de droite dans la cathé-

drale de Malines, sont probablement l'oeuvre de peintres différents et ont

subi des restaurations vers le milieu de notre siècle. On les a attribués à

Michel van Coxcyen (Malines, 1499-172), mais plusieurs semblent anté-

rieurs et rappellent le vieil art flamand du XVe siècle. Ils contiennent tous

des détails curieux et pittoresques, et souvent les portraits des donateurs.

Certains sont d'une facture excellente.

Sept d'entre eux se rapportent à des scènes de guérison ou d'exorcisme.

Dans le n° 2, St Rombaut guérit des malades ; dans le n° 3, le Saint gué-

rit sur le rivage de France un aveugle porteur d'une mandoline ; dans les

nos 11 et 19, il ressuscite des trépassés.

Les nOS 20, 6 et 21 contiennent des possédés. Les deux derniers surtout

sont fort intéressants. '

Le panneau n° 6 représente St Rombaut exorcisant un démoniaque au

milieu d'un paysage boisé et montagneux.

Le possédé est assis par terre, les bras et les jambes garrottés à l'aide de

solides armatures de fer qui retiennent les membres accolés l'un à l'autre.

Le haut du corps est penché en avant; la tête tournée à gauche fait une

horrible grimace. Cheveux hérissés, yeux grand ouverts et convulsés, bou-

che de travers d'où sort un diablotin sautillant.

Ce possédé est à peine couvert d'un vêtement jaune-orange, tout en

loques, laissant a nu ses jambes et ses avant-bras.

Le désordre de son costume sommaire témoigne de la violence de ses cri-

ses, et les énormes fers qui l'emprisonnent confirment bien les récits du

temps sur les cruels traitements qu'on réservait aux malades de son espèce.

DOCUMENTS INÉDITS SUR LES DÉMONIAQUES DANS L'ART 103

A gauche, un jeune homme, armé d'un faisceau de verges, vient certai-

nement de fustiger d'importance le démon contenu dans ce pauvre corps

humain décharné. On sait qu'en l'attente d'un exorcisme plus puissant,

cette pratique était conseillée autrefois pour chasser le malin esprit. Et,

il faut le reconnaître, son efficacité n'était pas toujours illusoire. Moins

énergique,et d'un plus sûr effet, fut sans doute le geste de St Rombaut qui

délivra le possédé du diable qu'il avait au corps (Fig. 18).

L attitude du démoniaque est bien rendue. il semble qU'il ait été saisi

faisant les mouvements de salutations de l'attaque hystérique, les seuls

d'ailleurs que lui permettent ses fers.

Un autre détail est intéressant à relever, c'est la contracture très nette

de la main droite dont les doigts sont crispés sur la paume, tandis qu'à

gauche la main tombe flasque et comme paralysée sur l'avant-bras.

Les jambes sont raides, en extension forcée, et les pieds, assez mal in-'

diqués d'ailleurs, semblent contournés la face plantaire en dehors.

FiG. 18. - St Rombaut guérissant un possédé.

lui NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Toutes ces particularités témoignent d'une observation fort attentive

des phénomènes convulsifs de l'attaque d'hystérie, elle possédé de St Rom-

baut mérite de prendre place parmi les figurations de démoniaques les

plus anciennes et les plus conformes à la vérité pathologique.

Le côté gauche de la composition est occupé par les portraits des dona-

teurs du tableau, Egide van Moysene (mort en 1510) et Catherine van

Nethene (morte en 1566), représentés à genoux dans l'attitude de la prière

avec leur fils et plusieurs autres personnages émerveillés de l'exorcisme

pratiqué par St Rombaut.

Dans le fond, à droite, sur un tertre verdoyant, un petit groupe est

'formé par plusieurs hommes et femmes entourant un personnage étendu

par terre, inanimé. Peut-être s'agit-il encore d'un possédé; mais celui-ci,

hystérique comme ses congénères, n'est pas en proie à une attaque con-

vulsive : on peut supposer qu'il est en léthargie.

Le 21e panneau contient trois possédés dans un costume analogue à

celui du précédent et accompagnés de trois diablotins qui s'échappent de

leur bouche. Le premier a également les mains prises dans des menottes

barbares. Il est debout maintenu par deux solides gaillards, la tête et le

haut du corps renversés en arrière, les yeux convulsés en haut, les mains

crispées. La légende explique que ces trois démoniaques furent guéris par

les reliques de St Rombaut (1).

Ecole DE BENOzzo GOZZOLI (2e moitié du XV. siècle),

Tableau dans l'Église San Francisco, Montefalco, près d'Assise.

Saint Antoine de Padoue et deux miracles accomplis par ce Saint.

Au milieu, le portrait en pied de St Antoine de Padoue. Au-dessus, le

Christ en croix, la Vierge et Ste Madeleine pleurant à ses côtés. En bas, à

droite et à gauche, deux scènes miraculeuses de la vie du saint.

L'un des miracles en question a trait à un exorcisme pratiqué par St An-

toine de Padoue sur un homme possédé du démon (Fig. 19).

La figure du possédé a quelques analogies avec celles des autres démo-

niaques. C'est un homme aux cheveux frisés, portant une touffe de barbe

au menton. De sa bouche ouverte s'échappe un diable ailé ; les yeux sont

mal indiqués et les paupières presque closes. Cependant on saisit la con-

vulsion en haut des globes oculaires.

Le renversement du corps en arrière est manifeste ; le bras droit semble

violemment ramené derrière les reins et la pose de la jambe droite laisse

supposer que le pied est contracturé en dedans. Malgré la raideur des li-

(1) Le caractère de sincérité de ces oeuvres d'art n'avait pas échappé au Pr Charcot

qui, lors d'un voyage à Malines, en 1887, avait signalé les deux scènes précédentes.

NOUVELLE iconographie DE la SALPPTRIÈRN T. IX. PL XVI

UNE POSSÉDÉE

d'après un dessin d'ANTO1VI0 BAZZI, dit IL Souorin

(MUSÉE Dfic OFFICES, FLORENCE)

t3ATTAII..t..r; & ( : 1., EDITEURS

DOCUMENTS INÉDITS SUR LES DÉMONIAQUES DANS L'ART 105

gnes, on sent la tentative faite par l'artiste pour reproduire une attitude

caractéristique.

G. ANTONIO BA7ZI, dit IL Sodoma (1474-1549).

Études à la plume. Musée des Offices. Florence.

Trois intéressants croquis du Sodoma représentent une femme dans une

altitude mouvementée qui se débat, maintenue par plusieurs hommes vi-

goureux. Le Sodoma a montré en plusieurs de ses oeuvres qu'il avait ob-

servé attentivement les caractères de la grande névrose. Dans son Extase de

Ste Catherine de Sienne (église San Domenico, à Sienne), il a rendu, non

sans vérité, une attitude qu'on retrouve souvent dans l'extase hystéri-

que (1).

Les dessins à la plume de la Galerie des Offices montrent que l'artiste

connaissait également bien les phénomènes convulsifs de l'attaque démonia-

que (PI. XVI). Les contorsions illogiques des membres, les contractions

grimaçantes de la face sont esquissées avec une vigueur et une vérité sur-

prenantes qui dénotent un dessinateur de premier ordre et un observateur

ayant le souci de rester sincère,ment fidèle à la nature. '

(1) Voy. Les Démoniaques dans l'Arl, p. 108. I

Fie. 19. St Antoine de Padoue guérit un possédé.

10G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

LORENZO DELLA SCIORINA (XVI, siècle),

Fresque du cloître de l'église de Santa Maria Novella, il Florence.

St Dominique délivre une femme de sept démons.

St Dominique prêchant ;i Bome, les malades venaient de toutes parts

pour obtenir l'intervention miraculeuse du saint : Le tableau de Lorenzo

délia Sciorina, élève de Bronzino, reproduit cet épisode.

Au milieu de la composition, une femme soutenue par la taille s'af-

faisse, les bras écartés, dans une attitude qui n'est pas sans grâce, mais

où il est impossible de retrouver les caractères de la crise démoniaque.

A gauche et en bas de la fresque, un infirme est'assis parterre, les jam-

bes entourées de linges; à droite une femme, assise également, tient dans

ses bras un jeune enfant.

La recherche de .l'effet dramatique l'emporte, chez tous les personnages,

sur le souci de l'observation naturelle.

, , .

École Hollandaise (po moitié du XVIle siècle),

'Statue en marbre, au Rijks Muséum d'Amsterdam.

' L'Image du Délire.

1 Ce précieux document, unique en son genre, nous a été obligeamment

signalé par M. Obreen, directeur général du Rijks Muséum d'Amster-

dams , , '

C'est, a notre connaissance, le seul exemple' d'une sculpture en ronde

bosse' reproduisant une altitude pathologique, qui semble avoir été copiée

sür la nature.

Ni. O,breen a bien voulu nous communiquer sur cette oeuvre d'art quel-

ques renseignements pour lesquels nous sommes heureux de lui témoigner

notre gratitude. , . ' ' .

Cette statue est originaire de l'ancien Hospice des aHénés'd'Amsterdam

et se, trouve actuellement au Rijks Muséum. ' . ' . '

1 94 , .. ,

Elle date' d'environ 1615', et c'est peut-être une oeuvre du sculpteur

hollandais IIendrick de Kijeser, né en 1'565,* moi-[ en 1621.

Wagenaër, dans sa description de la ville d'Amsterdam (tome II; p. 3,09),

raconte que cette statue est l'Image du délire et qu'elle était placée dans le

jardin de l'hospice au milieu d'un parterre de (leurs.

Elle représente une femme presque entièrement nue, dans une pause

contorsionnée, tirant sur ses cheveux des deux mains.

Il s'agit, à notre avis, d'une représentation de phénomènes convulsifs

de nature hystérique.

L' « IMAGE DU DELIRE »

Statue en 1l1.1rbrc de la plclnière moitié du "\\ Il'' siècle

.tu Rijk, Muséum d'Amsterdam.

L BATTAILLE 101 C"

ÉDITEURS

DOCUMENTS INÉDITS SUR LES DÉMONIAQUES DANS L'ART 107

Le socle contient quatre compartiments oùsont enchâssés quatre masca-

rons grimaçants qui paraissent se rapporter à des types d'aliénés.

La figure de la femme est particulièrement bien traitée et il n'est pas

douteux que l'artiste ait eu plus d'une fois l'occasion de voir la variété

démoniaque de l'attaque d'hystérie. La bouche ouverte, contournée, la

langue tirée de côté, lés globes oculaires convulsivement relevés en haut,

les muscles sourciliers énergiquement contractés, tous ces détails si carac-

téristiques sont rendus avec une vérité saisissante.

Le renversement du corps et de la tête en arrière, la saillie du cou et

de la poitrine viennent compléter la ressemblance.

Le mouvement des bras est fort heureusement disposé pour ajouter en-

core à l'impression de convulsion violente.

Les cheveux longs et abondants sont tiraillés en deux directions oppo-

sées, en haut par la main^gauche, en bas par la main droite, et l'on sait

qu'il est fréquent de voir les hystériques en attaque saisir à pleines mains

leur chevelure, souvent même s'arracher des poignées de cheveux.

L'attitude des jambes est moins typique; on sent que l'artiste a été

obligé de sacrifier à certaines exigences de métier pour équilibrer son

sujet. Le mouvement en est d'ailleurs bien choisi et s'harmonise heureu-

sement avec celui du torse et des bras.

Cette statue qui, de l'avis des critiques, doit être considérée comme une

. couvre de premier ordre au point de vue sculptural, mérite également une

des premières places parmi les monuments figurés qui reproduisent avec

le plus grand souci de la vérité un désordre pathologique. Elle est lepen-

dant en sculpture des possédés de Rubens dont on connaît la surprenante

exactitude. La figure, en particulier, offre de grandes analogies avec celle

de la Possédée guérie par St Ignace, au musée de Vienne, un des meil-

leurs spécimens du facies démoniaque, tel qu'on l'observe dans les grandes

attaques d'hystérie.

A ces nouveaux spécimens choisis parmi les plus caractéristiques, nous

devons en ajouter plusieurs autres que nous nous contentons de signaler

à titre documentaire :

Une peinture à la sépia de RU'rILIO Manetti, au Musée des Offices (Flo-

rence), n° m.i2, représente un saint qui impose les mains à une jeune

femme possédée. Celle-ci est fortement renversée en arrière, en arc de

cercle.

Un tableau de N. DA Foligno au palais Colonna, à Rome, représente la

Vierge guérissant un enfant du démon.

. LE Sueur, St Paul guérissant les malades (collection privée). Le prin-

108 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

cipal malade est un homme possédé, tombant à genoux, le haut du corps

renversé en arrière. La face est très grimaçante ; les pieds et les mains

contractures. Le geste est plus dramatique que naturel.

Un tableau de Rubens, qui fait partie de la collection du roi des Belges

(Palais Royal, Bruxelles) et qui représente les Miracles de St Benoît, con-

tient plusieurs infirmes et une possédée soutenue par deux hommes. Elle

semble une répétition de la possédée des Miracles de St Ignace (musée

de Vienne), une des représentations les plus réalistes de l'attaque dé-

moniaque.

Une peinture sur toile du XVIIP siècle ( ? ) dans l'Eglise de Pierrefonds

(Oise) représenté St Sulpice guérissant une démoniaque (1). Tableau fort

médiocre et très détérioré. St Sulpice, en costume épiscopal, impose les

mains à un.homme demi-nu qui se renverse en arrière soutenu par un

aide. Le.possédé,d'un geste théâtral vient debriser les chaînes qui lui liaient

les bras; il a la bouche ouverte et les yeux convulsés en haut; mais on

ne relève dans son altitude aucun détail caractéristique. La scène se passe

dans un paysage montagneux auprès d'une ville fortifiée.

(1) Signalé par M. le Dr Galippe et revu dernièrement par l'un de nous.

Nous avons en outre un assez grand nombre d'indications d'oeuvres d'art contenant

des possédés que nous nous proposons de contrôler : -.

Un bas-relief du IVO ou Va siècle trouvé à Pérouse et représentant l'exorcisme d'un

catéchumène par quatre clercs exorcistes (P. Lacroix, Vie milit. et relig. au moyen âge,

1873, p. 226, fig. 177).

Deux possédés sont figurés sur des fresques du XIe ou XII- siècle dans l'Eglise

St-Georges, à Oberzell (Grand-Duché de Bade) (V. Kiuus, Di Wandgemiilde in der

St-Georgskirche zist Oberzell, au/' der Reiclzenau, t. Il, p. 355 et 39). Signalés par

M. Mùntz.

Parmi les miniatures d'un manuscrit de 1462 (Bibliothèque nationale) représentant

la vie de Mgr St-Ilubert par Hubert le Preuvost, la 5e miniature représente St Hubert

délivrant un possédé. Les stalles du choeur de l'église de la petite ville de St-IIubert

(Luxembourg) contiennent également des possédés guéris par St Hubert et St Benoit.

Note communiquée .par M. A. Duverger-Boghaert (Bruxelles), lequel signale égale-

ment des guérisons de possédés reproduites par l'imagerie populaire en Belgique

(Ste Dymphne, à Gheel, Ste Corneille, à Dieghem, etc.).

Une fresque de 1554, dans l'Eglise de Vaucelles (Caen), représente St Mathurin exor-

cisant un enfant. Le saint fait de la main droite un geste hiératique, et tient dans sa

main gauche celle d'une petite fille à longs cheveux. Un diablotin sort de sa bouche.

A gauche un autre saint porte une crosse et un livre. La fresque a été restaurée en

1881 par MM. Jacquier frères. La petite fille possédée est sans intérêt médical (signalé

par M. Paul Arène).

Et nous ne parlons pas^des innombrables gravures reproduites par l'imagerie reli-

gieuse, dans les Bibles, les Vies des saints, etc. La plupart des possédés qui y figurent

ont été inspirés par les dessins ou les peintures de maîtres anciens ou contemporains

de la publication. L'allégorie en fait le plus souvent tous les frais. Il en est cependant

dans le nombre qui se distinguent par une réelle originalité. Nous aurons l'occasion

d'y revenir.

1 Le gérant : Louis BATTAlLLE.

Imp. Veuve Lourdot, 33, rue des Batignolles, Paris.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

LA. SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

PAR

GILLES DE LA TOURETTE,

Professeur agrégé à la Faculté de Médecine,

Médecin des hôpitaux.

(Suite et fin) CI).

Nous venons de montrer que, dans la majorité des cas, les symptômes

cérébraux étaient prédominants par rapport aux phénomènes médullaires.

Il peut en être parfois autrement et les faits de cet ordre,on le comprend,

nous intéressent tout particulièrement.

Dans un mémoire publié en collaboration avec M. le professeur Four-

nier (1) nous nous efforcions de mettre en évidence l'influence étiologique

de la syphilis héréditaire dans le développement de la maladie de Little.

Qu'est celte maladie congénitale à laquelle l'auteur anglaisa attaché son

nom (1861) ? Une entité morbide toujours identique avec elle-même, certai-

nement non ? Bien plutôt un syndrome, un ensemble symptomatiquecarac-

térisé, comme phénomènes prédominants, pardela rigidité soit généralisée

aux 4 membres, soit limitée aux membres inférieurs sous forme de para-

plégie spasmodique.

Qu'on y joigne, comme dans les cas précédents,des troubles fréquents de

l'intelligence allant de la débilité cérébrale à l'idiotie complète avec ou

sans accès épileptiques, s'accompagnant ou non de strabisme, de nystag-

mus ? etc., et l'on pourra concevoir combien le tableau clinique sera varié

malgré l'air de famille que les sujets conserveront entre eux.

Lorsque la rigidité généralisée, ou localisée aux membres-inférieurs,

(1) Voir len° 2, 1896. ..

(1) A. Fournier et Gilles de la Tourette. La notion étiologique de l'hérédo-syphilis

dans la maladie de Little. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, n° 1, p. 22, IS95.

Ces faits avaient été signalés en 189 par M. le professeur Fournier : Les affections para-

syphilitiques, Paris, 1894, in-8", p. 334.

ix 8

110 NOUVELLE 1C0N0GHAPUIE DR LA SALPlhHIÈl11J :

s'accompagne de troubles intellectuels, il n'est pas douteux que le cerveau

participe au processus si ses lésions ne le commandent pas tout entier.

Et les autopsies, d'ailleurs assez rares, qui ont été publiées (1) montrent

en effet des lésions de porencéphalie, de sclérose lobaire, d'atrophie.plus

ou moins étendue des circonvolutions, etc.

Les faits de Moncorvo, de Gardié (2), de Breton (3), l'observation V de

la thèse de Ilartemann, l'observation II de notre mémoire, appartiennent

incontestablement il cette catégorie où les lésions cérébrales sont prédo-

minantes, l'opinion émise par Gardié sur le non-développement des cor- z

dons latéraux restant purement hypothétique.

Mais il est des cas, avons-nous dit, où les symptômes d'une affection cédé- >

brale ne. s'associent pas à la rigidité plus ou moins généralisée aux

4 membres 'qui constitue la caractéristique clinique du syndrome de

Little. 1

L'observa lion I de notre mémoire est un fait de cet ordre et à ce titre

mérite d'être analysée.

Chez cet enfant né de parents syphilitiques au moins le père a

la paralysie apparente des premiers mois de la naissance et qui porte

sur presque tous les muscles des membres et du tronc succède, ainsi

qu'il est de règle en pareil cas, une rigidité spasmodique qui va en s'allé-

nuant de plus en plus aux membres supérieurs, de telle sorte qu'à l'âge de

4 ans ceux-ci doivent être considérés à peu près comme indemnes de tout

phénomène spasmo-paralytique.

Par contre, la rigidité spasmodique persiste très accentuée aux membres

inférieurs qui présentent de la trépidation spinale.

Jamais,chez cet enfant,il n'a existé de troubles cérébraux, l'intelligence z

est remarquablement'développée; pas d'accès épileptiques, pas de stra-

bisme ni de nystagmus.

' Nous ajouterons môme que,depuis 1893, un traitement mixte régulière-

ment suivi a amené une notable amélioration de la paraplégie, de telle

sorte que le sujet, complètement impotent cette époque, peut aujourd'hui

(189G) se tenir debout et détacher du sol ses membres rendus rigides par

la paralysie. , .. ·

En somme, actuellement, l'aspect clinique est celui d'une paraplégie

spasmodique sans participation des sphincters, incontestablement congé-

(1) HAH1EM.\SN. Contribution à l'étude des affections spasmo-paralytiques infantiles.

Th. Nancy, 1895.

(2) Gardié. Non-développement hérédo-syphililique des cordons anléro-latéraux delà

moelle. Th. Paris, 1889.

(3), Breton. Un cas de maladie de Little. Gaz. des hôpitaux, 89,p. 1416.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 111

iiiiale iiiais ne différant guère de la paralysie spastique décrite par Charcot

et par Erb au cours de la syphilis acquise des adultes.

Nous pensons donc, en nous appuyant sur ce cas très isolé à la vérité,

que l'hérédo-syphilis peut congénitalement porter sur la moelle, sinon

tous ses efforts, au moins son action la plus importante et presque exclu-

sive comparativement au cerveau.

Et ce qui tendrait encore, mieux que toute discussion, à le démontrer,

c'est le cas suivant dans lequel on voit l'hérédo-syphilis s'essayer pour

ainsi dire, dès la naissance, sur la moelle pour produire, en dernière

analyse et dans l'âge adulte, une paraplégie spasmodique à laquelle il ne

manque rien pour qu'on lui attribue, en dehors du ptosis, une origine

purement médullaire, .

.

Oss. I (recueillie par MM. Gasne et Athanassio, interne et externe du service).

S..., comptable, 53 ans, entre le 8 novembre 1895, salle Beau, n° 18, hôpi-

tal Cochin.

A. H. Grand-père maternel atteint d'épilepsie tardive, mort à 87 ans.

Le père est mort frappé d'une attaque d'apoplexie qui l'avait rendu hémiplé-

gique droit et aphasique. Mère bien portante. ' -

Un frère mort il 25 ans d'une maladie indéterminée ; marié depuis peu de

temps, pas d'enfants.

Une soeur morte il 26 ans d'une maladie indéterminée ; elle avait eu 2 enfants

qui moururent, l'un à 5 ans, l'autre à 8 ans : son mari était alcoolique.

Un frère vivant qui a 6 enfants bien portants et n'en a pas perdu; serait

atteint d'uue maladie de la moelle épinière analogue il celle du malade, laquelle

aurait débuté dans l'âge d'adulte.

Les 4 frères et soeurs (y compris le malade) auraient tous eu des convulsions

pendant l'enfance. '

.4. P. Rougeole dans la première enfance. Convulsions dans le bas-âge.

S... n'a commencé à marcher que vers l'âge de 4 ans. Les jambes étaient

raides, les pieds en varus-équin frottaient le sol de la pointe; lorsqu'il était

assis, le bout des pieds s'appuyant sur le sol, il survenait de la trépidation

spiuale; peut-être existait-il un peu de genu valgum, dans tous les cas il ne

persiste pas de déformations osseuses. Les muscles des membres inférieurs

n'étaient pas atrophiés.

Vers 14 ou 15 ans, la marche s'effectuait assez bien, toutefois les membres

inférieurs se fatiguaient vite, les longues promenades étaient impossibles.

D'ailleurs le malade n'a jamais pu courir à aucun moment de son existence.

' A 20 ans, fièvre typhoïde à la suite de laquelle survient une chute des che-

veux dont il reste encore des traces sur la région antérieure du cuir chevelu.

De 18 il 26 ans,mictions nocturnes involontaires. En 1870,il fait dans la garde

nationale.un service peu actif.

En 1872. il se marie une femme robuste dont il a six enfants ou fausses cou"

112 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

1

ches : 1° Pille morte de méningite à 1 an 1/2 ; 2° garçon mort en nourrice à 1 an ;

3° fausse couche de 5 mois ; lio garçon mort de péritonite subaiguë à 12 ans ;

5° fausse couche de 6 mois ; 6° fille vivante âgée de 9 ans, très nerveuse, santé

débile.

S... affirme n'avoir jamais contracté la syphilis; il a eu une blennorrhagie.

En 1890, maux de tête violents qui durèrent 3 ans consécutifs auxquels on

n'opposa aucun traitement suivi.

Etat actuel. - L'affection dont S... souffre actuellement débuta, en apparence,

d'une manière presque subite en 1892. - -

En même temps qu'il ressentait des douleurs en ceinture de la région lom-

baire, plus marquées à gauche, il s'aperçut un matin, après le déjeuner, que le

membre inférieur gauche était le siège d'un affaiblissement si prononcé qu'il ne

pouvait plus le mouvoir ; il dut s'aliter. '

Le lendemain, il marcha encore avec une canne mais eni traînant la jambe.

Le membre inférieur droit resta sain ; pas de phénomènes cérébraux.

Le membre inférieur gauche devint le siège de douleurs sourdes il pou près

constantes coïncidant avec des douleurs lombaires et une sensation d'engourdis-

sement très marqué dans le membre.

Pendant l'année 1892, il prit pour tout traitement de l'antipyrine et des bains

sulfureux. 1

En 1893, le membre inférieur droit devint le siège de phénomènes analo-

gues. La marche est très difficile. 11 entre alors dans le service de M. Charcot,

à la Salpêtrière, où il est traité par l'iodurc de potassium et des pointes de feu

dans la région lombaire. Il en sort très amélioré après 4 mois.

A son entrée, il présentait de l'incontinence de l'urine et des matières fécales

que le traitement améliora également.

A la fin de 1893, il ressent des crampes dans les mollets, très marquées sur-

tout la nuit, au point de le réveiller. Puis, chute de la paupière supérieure gau-

che ; lorsqu'elle se relève il voit double. La diplopie dure 15 jours. Une 2e fois

ptosis, mais bilatéral, puis diplopie; ces phénomènes disparaissent au bout de

deux mois. Dans l'intervalle, il entre à l'hôpital Broussais où il prend de l'io-

dure et fait des frictions mercurielles sous l'influence desquels les accidents

disparaissent.

Vers le mois de juin 189'i, l'ouïe commence à diminuer droite; des bour-

donnements d'oreille ont précédé ce symptôme.

En août 1894, la marche qui était restée difficile devient presque impossible

d'autant que le membre inférieur droit se prend à nouveau et devient le siège

de phénomènes paralytiques à évolution aiguë. Il entre alors à l'hôpital Cochin.

C'est un homme de taille moyenne, ! m. 63,dont l'état général est assez bon.

Genu valgum gauche accentuée Pas do cicatrices cutanées, de lésions des

membranes de l'oeil.

Le système dentaire présente des lésions qui méritent d'être minutieuse-

ment décrites.

Mâchoire M)' ! M<)'e.Asymétrique, Il manque l'incisive latérale droite et la

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE . ' 113

médiane gauche. Toutes les grosses molaires droites manquent, sauf une. A

gauche, il manque toutes les molaires, sauf la 2° prémolaire et la dernière

grosse.

Les dents qui restent offrent l'aspect suivant. L'incisive médiane supérieure

droite offre la configuration générale dite en tournevis. Érosions pointillées sur

le corps de la dent.'Au niveau de son bord libre, abrasion demi-circulaire n'em-

brassant pas toute l'épaisseur de la dent qui tend à revêtir le type dit d'Hut-

chinson. Incisive latérale gauche très atrophiée, moitié du volume normal ;

quelques érosions et un sillon transversal.' Canine droite, sillons blancs,

atrophie de la couronne. Première petite molaire droite, atrophie cuspidienne.

Dernière grosse molaire cariée. A gauche, un chicot; deuxième petite mo-

laire relativement saine. Canine atrophiée et striée transversalement.

Mâchoire inférieure. A droite, il manque toutes les molaires, sauf la pre-

mière prémolaire et l'avant-dernière grosse. A gauche, il manque la première

grosse molaire.

Incisives. Bord libre abrasé ; érosions pointillées brunes, sillons blancs.

Canines. Gauche, mêmes caractères que les incisives ; canine droite

abrasée.

A gauche.- 4'° petite molaire, cassée, la 2e est relativement saine. I ° grosse e

molaire, atrophie cuspidienne, dent en chou-fleur. ;

A droite.- lr° petite molaire, atrophie cuspidienne; 2e petite molaire saine.

La 2e grosse molaire, atrophie cuspidienne.

Les troubles de la locomotion sont très accentués. S.présente le type de la

marche dite spasmodique. Il s'avance à l'aide de deux cannes en traînant les

pieds sur le sol, surtout le droit. Il peut se retourner en marchant sans perdre

l'équilibre; la fatigue vient très vite. La station debout n'est possible que si

les jambes sont écartées, que les yeux soient ouverts ou fermés.

Les masses musculaires des membres inférieurs ne sont pas atrophiées. Le

réflexe rotulien est il peu près normal <1 gauche, exagéré à droite où il existe de

la trépidation spinale.

Dans le décubitus horizontal, les membres inférieurs sont accolés l'un il l'au-

tre, le malade les soulève difficilement.

Les muscles des membres supérieurs ne sont pas atrophiés, toutefois la

force musculaire y est diminuée. Les réllexes du poignet et olécrâniens sont

exagérés. Le malade peut écrire : il n'existe pas de tremblement.

La sensibilité objective générale est conservée.

Par contre, il existe encore des sensations d'engourdissement et de fourmil-

lements surtout marquées au niveau des deux talons. Quelquefois les membres

inférieurs sont.particulièrement pendant la nuit, le siège de douleurs assez vives

pour l'empêcher de dormir. De même il existe, par intervalles, des douleurs en

ceinture que les mouvements de flexion et d'extension de la colonne vertébrale

exagèrent. ,

Les sphincters vésical et anal fonctionnent mal. De temps en temps il sur-

114 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

vient de l'incontinence de l'urine et des matières fécales. Abolition du sens

génital remontant à 1886.

Les sens spéciaux n'offrent rien de particulier, sauf l'ouïe qui est diminuée des

2 côtés. Les pupilles sont normales et réagissent à la lumière et à l'accommoda-

tion.

L'appétit est bon ; les organes thoraciques et abdominaux paraissent sains.

` ? ° catégorie. Cas dans lesquels la syphilis héréditaire affecte la moelle

épinière, non plus congénitalement, mais dans les premiers mois ou les pre-

naières années qui suivent la naissance.- Cas précoces de syphilis héréditaire

de la moelle.

Dans les faits que.nous allons maintenant décrire, le cerveau continue

à participer très souvent au processus qui affecte la moelle épinière.

La variété des symptômes cliniques augmente de plus en plus et rend

difficiles les groupements nosographiqiies.

Dans les cas congénitaux,en effet, semble,avons-nous dit,que les lésions

anatomiques soient presque toujours sensiblement les mêmes : un proces-

sus d'infiltration embryonnaire avec son aboutissant, la sclérose, si la survie

est suffisante.

Amesurequele sujet avance en âge, les tissus se différencient déplus en

plus, prennent une individualité fonctionnelle plus marquée, la moelle, les

méninges, les vaisseaux semblent agir, être frappés davantage chacun pour

son propre compte. L'infiltration embryonnaire, base du processus, se col-

lecte elle aussi volontiers davantage pour aboutir au dépôt gommeux pro-

prement dit soit interstitiel, soit périvasculaire, soit méningé..De plus, il

se joint probablement (surtout dans la syphilis tardive) à l'artérite gom-

meuse proprement dite, l'artério et la phlébo-sclérose de la syphilis adulte

si difficiles à différencier anatomiquemont des scléroses des vaisseaux

observées dans les infections autres que la syphilis. Le cycle anatomique

est alors complet. Le champ clinique s'en élargi davantage et, sous ce rap-

portai nous semble,qu'à part sa grande tendance il rester encéphalo-médul-

laire,indice de la généralisation initiale du processus, la syphilis hérédi-

taire précoce, et surtout tardive, ne diffère pas sensiblement, dans ses for-

mes cliniques, des expressions si Variées delà syphilis acquise.

Un jour viendra certainement où l'on pourra classer ces formes mais,

pour le moment, clans ce sujet encore à peine ébauché de la syphilis hé-

réditaire précoce (ou tardive) nous préférons faire un simple exposé des

observations, nous réservant de comparer les cas entre eux et surtout de

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 115

tirer des conclusions des données anatomo-pathologiques que nous re-

cueillerons chemin faisant.

Hutchinson et IL Jackson (1) rapportent, en 1861, l'observation passable-

ment confuse d'un enfant syphilitique âgé de 4 mois, chez lequel il exis-

taitde l'épilepsie partielle débutant par le côté gauche de la face el s'ac-

compagnant de perte de connaissance. -

Au bout de quelque temps, survint une paraplégie avec incontinence

d'urine et troubles de la sensibilité, au moins du côté gauche.

Bartlelt (2) communique à la Société clinique de Londres,le 12 novem-

bre 1869, l'observation d'un enfant chez lequel la syphilis héréditaire fit

son apparition après la vaccination, laquelle joua le rôle d'agent provoca-

teur de la vérole qui sommeillait. « La paralysie,dit-il,n'était pas simple-

ment infantile, mais très vraisemblablement causée par quelque dépôt sur

la région supérieure de la moelle et ses membranes. La lésion comprimait

également les deux côtés car les deux bras étaient paralysés ».

Nous rapprocherons du cas de Bartlett celui que M. Barbe (3) a rapporté

à la Société française de dermatologie et de syphiligraphie dans la séance

du 12 février 1891. /

Il s'agit d'une filletle de 4 mois, atteinte 3 jours auparavant d'une pa-

ralysie des membres supérieurs qui avait débuté subitement. « Les bras

relevés au-dessus de la tète retombaient inertes le long du corps mais ces

mouvements passifs ne déterminaient aucune douleur; il n'y avait pas

non plus de raideur. musculaire ».. Rien du côté des membres inférieurs ;

sphincters intacts. Pas de fièvre.

L'auteur pensait une paralysie infantile lorsque, le surlendemain, il

constata, par tout le corps, une éruption cuivrée dont l'origine syphiliti-

que n'était pas douteuse. Le père avait en effet contracté la syphilis. La

mère très probablement été infectée conceptionnellement. Un an

auparavant, premier enfant mort au bout d'un mois avec une éruption

cutanée.

Guérison en G jours de la paralysie, attribuée à l'administration de la li-

queur de Van Swieten.

(1) Hrrcmxsux et H. Jackson. Stphilitic affections of the nervous system. Cases of

paralysis associated with syphilis. The médical Times and Gazette, 1861, vol. II,

1861, 27 juillet, p. 83. .

(2) BARTLETT, Compte rendu in The british médical Journal, 4 décembre 1869, p. 619.

Le volume des Transactions of the clinical Society of London, que nous avons consulté,

est muet sur ce cas que nous ne connaissons que par le compte rendu ci-dessus.

(3) BAnnE. Paralysie des membres supérieurs chez une petite fille atteinte de sypliilis

héréditaire. Bulletin de la Société de dermatologie et de syphiligraphie, 2- année, 1891,

p. 85. -

116 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Mort quelques mois plus tard par bronchite capillaire ; pas d'autop-

sie.

L'auteur,sans préciser lesiègede la lésion,conclut à une paralysie vraie

après avoir éliminé la pseudo-paralysie d'origine syphilitique décrite par

Parrot et Dreyfous (1).

Dans le cas de Money (2), il s'agit d'une fillette de 3 ans 1/2, qualifiée

insuffisamment peut-être de syphilitique héréditaire qui, jusqu'à l'âge de

2 ans, était intelligente, parlait et marchait bien.

Vers l'âge de 2 ans, crises convulshes attribuées il la dentition. Le

3 avril 1883, elle est frappée d'un ictus apoplectique et meurt le 18 avril

sans avoir repris connaissance, après avoir présenté des phénomènes de

rigidité généralisée.

L'autopsie montre des lésions intéressant à la fois tout l'axe cérébro-spi-

nal. Le cerveau gauche est atrophié, les artères basilaires sont altérées.

La moelle est rigide comme un bâton dans toute son étendue, particu-

lièrement dans la région cervicale.

. Des coupes (non microscopiques) montrèrent une altération, par places,

des cornes antérieures qui étaient «packered and indented ».Il existait une

sclérose diffuse s'étendant il toute l'étendue de la moelle.

Il est permis de penser que, dans ce cas, l'altération de la moelle était

consécutive aux lésions cérébrales, lesquelles paraissaient elles-mêmes,

sous la dépendance d'une lésion vasculaire.

Les deux cas de Kohls (3) sont de môme ordre. Ils ont trait à des en-

fants âgés respectivement de 2 ans et deux ans 1/2, hérédo-syphilitiques.

Chez tous les deux, il existait des lésions de sclérose cérébrale uni et

bilatérale, avec oblitération de l'artère basilaire dans une étendue de

13 millimètres pour le premier cas, et lésions des artères de la base et des

vertébrales dans Ie2e, accompagnées de scléroses descendantes de la moelle

consécutives aux lésions cérébrales.

Toutefois, lorsque les phénomènes cérébraux prédominent, il n'en fau-

(1) Signalons, à' ce sujet, un article de l3rorea : Zur Kentniss der Motiiitittstoerungen

bei der hereditoeren Syphilis, Deut. medic. Yl'ochens., n" 32, 1893, et une réponse de

Pollak (Id., no 2, 1896) dans lesquels il est parlé de paralysies et de contractures des

membres chez des enfants hérédo-syphilitiques. La pathogénie en serait variable et sem-

blerait, le plus souvent, reconnaître une cause indépendante du système nerveux central.

Les faitsrapportés sont d'ailleurs aussi peu précis que les interprétations qui les accom-

pagnent.

(2) 10-,EY. Case of idiocy with universal rigidity, the resuit of syphilitic disease of

the central nervous s3·stem . l3rain, 1884, octobre, p. 406.

(3) Kohts. Die lustischen Erkrankungen des Gehirns und Ruckenmarkes in Kinde-

saller. Pedittlrische Arbeiten. Festschrift Ile1'lln E. Ilenoch. Berlin, 1890, p. 31.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 117

drait pas conclure que les lésions médullaires qu'on peut rencontrer à

l'autopsie sont toujours consécutives aux altérations encéphaliques.

Les faits de Siemerling et de Boettiger, tous les deux suivis d'autopsm,

le prouvent surabondamment. -, ,

L'observation de Siemerling (1), un des auteurs qui a le mieux étudié

la syphilis héréditaire de la moelle, est des plus intéressantes à ce sujet.

Elle se rapporte à une fillette de 12 ans, hérédo-syphili tique, qui fut bien

portante jusque l'âge de 4 ans et marcha au bout de sa première année.

A 4 ans, attaque apoplectique suivie d'une hémiplégie droite avec para-

lysie faciale et aphasie. Cette dernière disparut bientôt, mais la paralysie

du bras, en particulier, persista pendant une année.

Deux ans plus tard, à l'âge de 6 ans, affaiblissement de la vue sous la

dépendance d'un commencement d'atrophie du nerf optique, s'accompa-

gnant d'une faiblesse des membres inférieurs avec ataxie des bras et des

jambes. Pas de troubles de sensibilité. A il ans, on la place dans une

école d'aveugles où elle apprend bien, est intelligente et ne donne aucun

signe de troubles psychiques. ,

A 12 ans (avril 1886) surviennent des vertiges, des céphalées et des vo-

missements. En juillet,se montrent des accès épileptiques s'accompagnant

de perte de connaissance. En octobre, diminution de l'ouïe. '

En novembre, surdité et cécité, vertiges, démarche ataxique; conserva-

tion des réflexes rotuliens. Intelligence intacte.

Le 12 novembre, légère paralysie faciale droite avec ptosis, état demi-

comateux ; alternatives d'aggravation et de mieux ; mort le 26 mars 1887 à

la suite de crises épileptiques.

Le résumé de l'autopsie est ainsi formulé : « Encéphalo-méningite gom-

meuse, al't1C11111t1Sgommeuse basilaire. Hydrocéphalie interne. Gommes

de la dure-mère. Atrophie de la dure-mère de la convexité. Ostéoporose

multiple de la base du crâne. Arachnitis spinale gommeuse ».

Nous ajouterons qu'il était impossible,par places,de détacher du cerveau

l'arachnoïde et la pie-mère intimement soudées, surtout à la base.

Particulièrement au niveau de la base,il existait une énorme néoforma-

tion gommeuse englobant les nerfs crâniens. Les nerfs optiques étaient

complètement dégénérés. Les artères cérébrales présentaient de l'endo-

périartérite. - '

Au niveau de la moelle, la dure-mère était saine dans presque toute son

étendue. Surtoutau niveau de la partie moyenne et inférieure de la région

dorsale, la pie-mère présentait un fort épaississement gommeux intéres-

(1) Siemerling. Zur Lehre von den congenitalen Hirn und Ruckenmarkes Syphilis.

Arch. f. Psychiatrie, p. 102, 1889, Berlin.

118 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

sant la substance médullaire elle-même. Il existait, par places, des petites

gommes de la pie-mère qui, de 1,'i, pénétraient la moelle. -

'es fibres nerveuses étaienf altérées, en partie par l'infiltration directe,

en partie par la compression secondaire.

Ainsi pour les cordons postérieurs qui étaient,de la même façon, intéressés

dans toute leur étendue.

Les vaisseaux de la pie-mère et de la substance blanche, artères et veines,

étaient altérés ; il y avait de la phlébite oblitérante. Les artères médul-

laires étaient moins envahies que les artères cérébrales.

La substance grise était saine, surtout au niveau des cornes antérieures;

il y avait une légère infiltration des cornes postérieures. Malgré l'énorme

épaississement de la pie-mère, les racines étaient peu altérées, il exislait

cependant une atrophie de quelques fibres nerveuses,surtout dans la région

de la queue de cheval.

Telle est cette instructive observation, dont, nous l'avons dit, l'expres-

sion clinique a surtout trait à des manifestations cérébrales, mais l'autop-

sie démontra que les lésions gommeuses étaient étendues a l'axe spinal

tout entier, portant principalement sur la pie-mère et ses vaisseaux, et in-

téressant, de ce fait, secondairement la substance blanche, les cordons pos-

térieurs en particulier.

Le cas queBoettiger (1) a présenté à la Société psychiatrique de Berlin,

le 11 juin 1894, est de même ordre.

Il s'agit d'un enfant de 8 ans que l'auteur considère comme hérédo-sy-

philitique, chez lequel l'affection débuta par des phénomènes de compres-

sion cérébrale s'accompagnant de strabisme et d'attaques épileptiques.Sur-

vinrent des douleurs dans les membres inférieurs avec phénomènes spas-

modiques et contracture. L'enfant succomba et, à l'autopsie, on trouva des

exostoses crâniennes, de l'hydrocéphalie interne et une méningo-myélite

très accentuée avec participation de la substance grise et blanche de la

moelle.

Les observations qui vont suivre n'ont pas de contrôle anatomique, il

n'est pas douteux cependant que,dans tous ces cas, la moelle n'ait été prise et

d'une façon prédominante.

Dans son ouvrage sur la syphilis héréditaire tardive, M. le professeur

Fournier s'exprime en ces termes (2) :

(1) Bokttigmi. Ueber einen Fall hereditiir syphilitischer Erkrankung des central Ner-

vensystems. l3erliuerGesellsclaa'rit Psychiatrie u. Nervenkrankheilen, 11 juin '1891;

11'euroloisclaes Centralblat, 1894, p. 497. - Id. Beitrag zur Lehre von den lustischen

liuckenmarkeskrankheiten, Archiv. f. Psychiatrie, Bd. XXVI, p. 649, 189 : i. '

(2) A. Fournier. La syphilis héréditaire tardive, op. cit., p. 24.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 119

« Vous n'avez pas oublié, sans doute,ces deux enfants hérédo-syphiliti-

ques qui,l'année dernière, et les premiers mois de cette année nous étaient

régulièrement amenés par leur mère chacune de nos consultations du mer-

credi. Issus d'un père syphilitique (que vous avez vu également) et d'une

mère saine, ou sur laquelle, du moins, nous n'avons jamais observé quoi

que ce soit de suspect, tous deux ont présenté, dans le jeune âge, divers acci-

dents d'hérédo-syphi11s. Le plus jeune, le seul qui nous intéresse pour

l'instant, a été couvert de syphilides dans ses premières semaines. Plus, tard

il est devenu sujet à des écoulements d'oreilles et à des écoulements chro-

niques du nez. Il n'a commencé à parler que très tard. Il est fréquemment

affecté de crises convulsives dont nous n'avons jamais pu apprécier la nature

de visu mais qui, d'après le récit qu'en l'ait la mère, sont très probable-

ment d'ordre épileptique. Son front est déformé par deux bosselures laté-

rales, etc., etc. Eh bien, cet enfant, vers l'Age de 3 ans 1/2, a commencé

sans, souffrance et sans aucun symptôme appréciable ? devenir « faiblesur

ses jambes ». Bientôt il n'a plus marché que péniblement, difficilement ;

puis il n'a plus marché du tout et, quand on nous l'a amené, ou plutôt ap-

porté, il y a quelques mois, ses membres étaient incapables de le soutenir,

bien que capables encore de mouvements limilés. Bref,vous l'avez vu af-

fecté d'une paraplégie n'affectant du reste que la motililé et respectant soit

la sensibilité soit les fonctions des sphincters. Suivant toute vraisemblan-

ce, vous disais-je il cette époque, cette paraplégie a son origine dans une

affection spécifique de la moelle ou de ses enveloppes. L'événement m'a

donné raison depuis lors ; car, à brève échéance, la médication antisyphi-

litique a fait justice de cette paraplégie ». '

M. Filatoff (I) a présenté à la Société.de pédiatrie de Moscou, dans la

séance du 13 décembre 1893, l'observation d'une fillette de 11 ans atteinte

depuis 7 mois d'aphasie motrice progressive. Bien portante à la. naissance,

de développement médiocre et ayant marché à 2 ans,l'enfant était conduite *

il l'hôpital à cause de l'inintelligibilité de la parole, de la parésie des

membres' supérieurs et de l'augmentation du volume du ventre due à du

météorisme et une énorme hypertrophie de la rate. Pas d'antécédents sy-

philitiques connus, pas d'impaludisme.

Mouvements convulsifs des globes oculaires ; pas de troubles de la sen-

sibilité spéciale. Voix nasonnée. Paralysie de l'orbiculaire des lèvres qui

doivent être écartées avec la main pour introduire les aliments dans la.

bouche. Les masséters agissent bien mais les ptérygoïdiens sont paralysés,

la projection- de la mâchoire en avant et les mouvements de diduction

sont impossibles. La langue n'est pas atrophiée mais la* plupart de ses

(1) Analysé in Annales de dermatologie et syphiligraphie, 1894, p. 561.

120 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

mouvements sont abolis. Paralysie du voile du palais avec perte de ses

réflexes, cependant la déglutition est normale; la contractilité dans la

zone du facial est aussi normale.

Les membres supérieurs sont étendus,rigides,sans atrophie musculaire

et présentent un tremblement plus où-moins prononcé pendant l'exécution

des mouvements volontaires. Il existe un certain degré de contracture des

membres inférieurs, mais la marche n'est pas gênée.

Après 15 jours d'expectation, M. Filatoff institua un traitement ioduré

qui amena en 15 jours une amélioration très nette ; la parole devint

beaucoup plus facile, la paralysie de l'orbiculaire tendant à disparaître.

L'auteur pensa qu'il s'agissait de plaques de sclérose dans le cerveau et

dans le bulbe survenues chez un enfant syphilitique héréditaire, les bons

effets du traitement ioduré, d'hypertrophie de la rate ( ? ), le jeune âge du

sujet rendant plausible l'hypothèse de la vérole.

L'observation d'Hoffmann (1) est singulièrement plus précise. Nous

verrons les conclusions que son auteur en a tirées.

Il s'agit d'un enfant de 14 ans né d'un père syphilitique. Dans les pre-

miers mois de l'existence, éruption spécifique et plus tard adénopathie.

L'enfant allait à l'école, mais c'était le plus mauvais de tous les élèves.

Vers l'àge de 12 ans, début de l'affection par de la raideur dans les

jambes et des douleurs déchirantes sur le dos des pieds dès qu'il marchait

longtemps ; de temps en temps, fourmillements dans la plante des pieds.

Pendant l'été de 1891, la lecture devient difficile ; diplopie douteuse, plu-

tôt parésie de l'accommodation.

Actuellement (28 octobre 1891), la démarche est nettement spasmodi-

que. Force musculaire normale. Pas d'ataxiè, mais légère incertitude des

mouvements volontaires vraisemblablement due au tonus exagéré des

muscles. Il existe en effet de l'exagération des réflexes rotuliens et do la

trépidation spinale des côtés. Pas de troubles de la sensibilité. Les ré-

flexes plantaires et crémastériens sont diminués. Le réflexe abdominal est

forint.

Aux membres supérieurs, les réflexes tendineux sont augmentés, il y à

moins de raideur qu'aux membres inférieurs et les mouvements volontai-

res ne sont pas troublés. Pas de déformation de la colonne vertébrale.

Sphincters normaux. Ni sucre ni albumine dans l'urine. Les bosses fron-

tales sont très prononcées de même que les pariétales. L'occiput au con-

traire est effacé.

(1) Hoffmann. Der Symptomencomplex der sog. spartischen Spinalparalyse als Thei-

lerscheinung einer heredit11r syphilitischen Affection des Centralnervensystem. Neurolog.

Centralblatt, 1894, p. 470 (article original).

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE l21

' Les dents, d'ailleurs anormales, n'offrent pas les caractères d'Hutchin-

son.

La pupille gauche est plus dilatée que la droite ; des deux côtés, ab-

sence de réflexe lumineux ; mydriase, accommodation fortement paresseuse

et môme aucune réaction pendant la convergence. Pas de rétrécissement

du champ visuel, ni dyschromatopsie ni diplopie. Pas de nystagmus, rien

à l'ophtalmoscope. Le sujet est trop petit pour son âge, mais il est bien

conformé. Esprit borné; caractère colère, méchant et intraitable. Dans

son développement intellectuel comme dans son développement physique,

il semble qu'il y ait eu arrêt à une certaine époque. Le traitement par les

frictions et l'iodure de potassium, poursuivi pendant 2 mois, n'a rien

donné.

En 'dehors du contrôle anatomique qui fait défaut, Hoffmann se borne à

des interprétations. L'origine hérédo-syphilitique de lamaladie'ne lui pa-

raît pas douteuse. z

Il rapproche son observation des faits du syndrome de Little que nous

avons publiés mais dans lesquels l'affection était, nous l'avons dit, congé-

. ni taie. Il la rapproche aussi du cas de Mendel que nous analyserons plus

loin.

Pour lui, il y a eu, d'une part, arrêt de développement et, d'autre part,

un processus actif, parasyphiliticlue; il ne s'agirait ni de gommes ni de

méningite syphilitique. 1

Sous ce dernier rapport, nous ne partageons pas complètement son opi-

nion et nous rangerions très volontiers son observation dans les cas de

méningo-myélite syphilitique du type Charcot-Erb (1). Mais nous ne pou=

vons, on le comprend, émettre qu'une hypothèse.

Cette existence d'une forme de paraplégie spasmodique chez les enfants

hérédo-syphilitidues non congénitaux, se rapprochant de la paraplégie

spasmodique acquise des adultes, semble trouver une confirmation dans les

cas étudiés par Friedmann (2). Toutefois les observations de cet auteur

présentent, surtout au ]Joint de vue des récidives, des particularités sin-

gulières qu'il s'efforce d'ailleurs de faire ressortir.

Parmi ses cas, deux nous intéressent particulièrement (obs. I et II).

Le premier a trait à un enfant de 10 ans qu'il considère comme hérédo-

- syphilitique. Développement normal, sauf un maintien défectueux de la

tête d'origine congénitale. -

A 1 an 1/2, apparition d'une cyphose cervicale et d'une paralysie spas-

modique des membres inférieurs ; en 1 an la guérison est complète.

(1) Eue. Ueber syphilitische Spynalparalyse. Neurol. Centralblàtt, ne 6, p. 161, 1892.

(2) FnIEDl,%2,N. Ueber recidivirende (wahrscheinlische luetische sog.spastische Spinal-

paralyse in Kindesalter). Delltsche Zeitschrift f. Nervezzlzeilkunde, III, Bd. 1893, p. 182.

122 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

A 7 ans, deuxième attaque de paralysie spasmodique avec incontinence-

d'urine ; guérison en un an. '

A 10 ans, troisième attaque et guérison complète en li mois sous l'in-

fluence du traitement antisyphilitique.

L'enfant est intelligent ; il n'y a pas de troubles cérébraux.

Nous pourrions faire remarquer qu'il existait une cyphose cervicale per-

sistante avec.un peu de scoliose dorsale, que le père était mort tuberculeux

et qu'on eût pu penser à un mal de Pott cervical. Mais les bras ne furent

pas paralysés et ce n'est guère là l'évolution habituelle de la paralysie par J

compression.

Quant à l'influence curative du traitement spécifique, il faut noter aussi

que deux fois la paralysie a guéri spontanément, ou sous l'influence d'un

traitement indifférent. 1 1

La deuxième observation se rapporte ;i un garçon de 5 ans considéré

par l'auteur comme hérédo-syphilitique. /

L'accouchement fut normal et aussi le développement de, l'enfant, au

moins au début. A 4 semaines, forte éruption cutanée; dans les 5 premiers

mois survient une paralysie simultanée des 4 membres don la guérison,

est complète en un an. L'enfant-est fort intelligent.

Au cours de la 2e année, paralysie du bras gauche qui dure six semaines

et guérit. t. ' - . -

A 4 ans, paralysie spasmodique des membres inférieurs avec inconti-

nence d'urine qui dure six mois et guérit sous l'influence du traitement

' antisyphilitique. Les réflexes rotuliens étaient forts mais non très exagérés.

Conformation défectueuse du crâne et douleurs de tôle.

Pour Friedmann ces 2 cas, nous l'avons dit, se rapprochent du type de

paraplégie spasmodique décrit par Erb dans la syphilis acquise des adultes.

L'objection qu'il se pose est que cette paraplégie semble toujours revêtir

' le type continu tandis que/ dans ses observations, l'affection a procédé par

attaques suivies de guérisons et de récidives.

Il s'efforce cependant, en rapportant l'observation d'un homme de

34 ans, syphilitique acquis (5e obs.), atteint de paraplégie spasmodique,

de démontrer que celle-ci peut également subir des fluctuations.

Nous rappellerons d'ailleurs que, dans l'observation I de ce travail (où

l'affection congénitale détermina des phénomènes se rapprochant 'de la

paraplégie spasmodique type d'Erb) il exista également, il pJusieurs' re-

prises, de ces fluctuations qui purent être considérées comme des guéri-

sons à peu près complètes .

Et, tout en faisant des réserves sur la curabilité complète intermittente

de la paraplégie, qui pourrait bien d'ailleurs n'être qu'apparente, nous

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 123

adopterions volontiers les conclusions que Friedmann formule en ces

termes : .

« Il existe, chez les enfants, une forme typique de paralysie spasmodique

desmembres inférieurs qu'on doit différencierdela paraplégie spasmodique

congénitale. Cette forme parait appartenir la syphilis héréditaire. Elle se

caractérise par sa complète curabilité, sa tendance aux récidives (alternati-

ves de guérison et de paralysie) et l'absence clinique de symptômes céré-

In'aux. -^ . -

z « Cette forme est rapprocher de la paralysie syphilitique spasmodique

observée dans la syphilis acquise des adultes, si elle n'en est pas la repré-

sentation directe chez les enfants ; il y a lieu de penser que, dans les deux

cas, les lésions siègent dans la moelle et sont de même nature. »

Ces conclusions paraîtront peut-être trop précises en l'absence d'inves-

tigations anatomo-pathologiques. Pour notre part, nous dirions volontiers

qu'entre le type de paralysie spasmodique décrit par Erb et les faits de

rigidité spasmodique généralisée ou paraplégique d'origine congénitale

dans lesquels la lésion cérébrale intervient presque toujours, il existe, dans

la syphilis héréditaire, une série de transitions, de faits de passage dont

notre observation I est un exemple. '

, L'absence de phénomènes cérébraux dans ces derniers cas, qui à la vé-

rité ne sont pas communs, ou du moins n'ont encore été que rarement

observés, plaide en faveur d'une localisation, sinon exclusivement médul-

laire, au moins il prédominance très marquée sur l'axe spinal.

Aux observations précédentes, nous joindrons un fait dont Mendel (1)

a parlé au cours d'une discussion sur les affections systématiques primiti- -

ves du système nerveux dans la 65e- assemblée des naturalistes et médecins

allemands, tenue u Nuremberg du 11 au 15 septembre 1893.

Il il donné ses soins a un homme de 35 ans qui présenta les symptô-

mes caractéristiques de la sclérose multiple (sclérose en plaques) sous /'or-

me de paraplégie spasmodique. Les phénomènes morbides commencèrent t

à se montrer dès l'àge de 6 ans. Les causes devaient en être cherchées

dans la syphilis du père qui avait infecté la mère. ·

Enfin M. A. Gombault (2), auquel la science est redevable d'un très

important travail, à la fois clinique et anatonio-pathologique, sur la sy-

philis médullaire il une époque où celle-ci était très peu connue, nous a

(1) Neurotog. Cenlmlblatt, 1893, p. 656.

(2) Charcot et A. GOII1AUL'l'. Note sur un cas de lésions disséminées' des centres

nerveux observées chez une femme syphilitique. Archives de physiologie, 4813, t. V,

p. 143 (op. cit.).

12 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

communiqué (et nous l'en remercions) l'observation suivante relative à

-une femme de 33 ans atteinte de paraplégie spasmodique depuis l'âge de

6 ans.

La polyléthalité, l'existence de cicatrices fessiëres-et surtout la consta-

tation d'ulcérations gommeuses de la voûte palatine et du voile du pa-

lais récidivant à 32 ans, ne laissent aucun doute sur la réalité de l'hérédo-

syphilis.

Etant donnée la présence d'une cyphose dorsale et le début subit de la

paraplégie, on pourrait penser qu'il s'agit d'une paralysie par compres-

sion due à une ostéo-cbondrite gommeuse, en un mot à un mal de Pott sy-

philitique.

Mais il n'existe pas de saillie en pointe de la colonne vertébrale expli-

quant une compression brusque, de plus l'exagération de la courbure

dorsale paraît postérieure d'un an à l'apparition de la paraplégie; les mé-

ninges et la moelle semblent donc bien avoir participé au processus si

leurs altérations n'ont pas été la cause unique de la paralysie.

Quelque interprétation qu'on admette, les faits d'hérédo-syphilis de cet

ordre sont assez rares pour mériter d'être publiés.

Obs. Il (Recueillie par 111. Jacobson, interne de service). -1\1 ? née en 1863,

actuellement âgée de 33 ans (février 1896) entre, le 12 juillet 1894, à l'hospice

d'Ivry, service de M. le Dr A. Gombault. v .

A. H. Père mort d'une pleurésie.- Mère ( ? ); 3 frères morts en bas-âge

de convulsions ; 1 soeur mort-née avant terme. Grands-parents inconnus.

A. P. Née à terme sans aucune particularité connue; bien portante, a

marché dit-elle à 9 mois. Pas de maladies d'enfance ; toutefois porte sur les

fesses des cicatrices d'ulcérations qui auraient existé il cette époque de la vie.

Elle a parlé à l'âge habituel, intelligence développée. Vers t'age de 6 ans, elle

a commencé à se plaindre de douleurs dans les régions dorsale. et épigastrique

qui la forcèrent, dit-elle, à se tenir courbée constamment en avant.

Pendant 2 il 3 jours, elle a éprouvé de la difficulté à marcher, puis, un matin

au lever, sa mère a voulu la poser par terre, mais elle s'est affaissée; ses jambes

étaient flasques et paralysées. , '

Elle ne donne aucun autre renseignement à ce sujet; elle ne sait si elle a eu

de la fièvre ou des phénomènes généraux il cette époque. ,

La courbure vertébrale de la région dorsale qu'elle présente aujourd'hui, ne se

serait guère accentuée qu'après l'apparition de la paralysie des membres infé-

rieurs, un an après, dit la malade. Toutefois il est probable qu'elle existait déjà

plus ou moins marquée a l'âge de 6 ans, étant donnée l'attitude penchée en

avant qu'elle affectionnait alors.

En 1870, quelque temps après le début de la paralysie, elle a été conduite à

l'hôpital des Enfants-Malades. Mais c'était à l'époque de la guerre, et l'on n'eut

pas le temps de s'occuper d'elle.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 125

Elle est restée chez elle sans traitement, toutefois elle porte dans la région

dorsale 2 cicatrices attribuables à des cautères qu'on lui aurait mis vers cette

époque. '

Depuis le début, à l'âge de 6 ans, l'impotence des membres inférieurs est res-

tée complète. A la paralysie flasque,ont succédé de la raideur, puis des défor-

mations des membres inférieurs dues aux contractures et aux rétractions fibro-

teudineuses dont ceux-.ci n'ont pas tardé à devenir le siège et sur lesquelles

nous reviendrons.

Rien du côté des membres supérieurs.

Il arrive parfois à la malade de laisser échapper involontairement ses urines.

Habituellement, elle demande le bassin, mais il faut qu'elle satisfasse immédia-

tement son besoin. Jamais d'incontinence des matières fécales.

Ne se souvient pas d'avoir eu aucune éruption cutanée ni de chute des che-

veux. ,

Depuis le début de sa paralysie, elle n'a fait qu'une seule maladie, la rougeole.

Jamais d'abcès par congestion.

État actuel. 3 juillet 1895. La malade entre à l'infirmerie de l'hospice

parce qu'elle a des ulcérations de la gorge et de la voûte palatine.

Malade de taille très petite. Couchée, elle mesure I m. 10 environ du sommet

de la tête jusqu'aux talons. Sa taille est en réalité un peu plus élevée, car il faut

tenir compte de la flexiondes jambes sur les cuisses et des cuisses sur le bas-

sin.

La tête est régulièrement conformée ; rien il noter aux yeux, aux oreilles,

au nez. Les dents sont bonnes et paraissent régulièrement conformées, toute-

fois une épaisse couche de(tartre ne permet pas de juger de leur exacte confi-

guration.

Les membres supérieurs sont normalement conformés et sains. Il n'en est pas

de même des membres inférieurs. Les cuisses sont fléchies sur le bassin a envi-

ron 45°. Elles sont de plus en adduction et rotation interne, de telle sorte que

les 2 genoux sont accolés l'un à l'autre.

Les jambes sont fléchies sur les cuisses. Il existe au niveau des creux popli-

tés des rétractions fibro-tendineuses qui les fixent dans cette situation anor-

' maie. 1 e.

Les pieds reposent sur le plan du lit par leur bord externe. Ils sont subluxés

au niveau des articulations du tarse, de telle sorte que la face dorsale des pieds

regarde en avant, en dehors et en haut. Le siège de cette déformation paraît être

à la fois dans les articulations tibio-tarsiennes et médio-tarsiennes. Le bord in-

terne des pieds est recourbé, concave, les deux gros orteils se regardent. Enfin

les deux pieds sont en extension sur les jambes.

En résumé : varus équin et de plus rotation forcéo du pied en dedans par

rapport a l'axe de la jambe. '

La marche est complètement impossible. Les deux membres inférieurs sont

presque absolument inertes, la malade ne peut leur imprimer aucun mouvement

spontanément, cependant il existe quelques mouvements de latéralité a peine

appréciables.

ii " 9

126 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Quant aux mouvements passifs ils sont encore assez étendus à la cuisse,

très limités au niveau des genoux à cause de la contracture et des rétractions

fibro-tendinéuses. On peut corriger assez facilement le virus mais non l'éllui-

nisme. Si on essaie de le faire on doit lutter contre la contracture et on déter-

mine immédiatement une trépidation ? ilepGoïde très marquée.

Mollets : diamètre maximum 21 centimètres.

Il est assez difficile de déterminer la longueur exacte des membres inférieurs

par suite de l'attitude vicieuse qu'ils ont prise et qu'on ne peut réduire. Les

jambes mesurent 32 centimètres depuis la pointe de la rotule jusque l'articu-

lation tihio-tarsienne. On peut en inférer que les membres inférieurs ont subi,

relativement aux membres supérieurs, un véritable arrêt de développement.

Tronc. Cyphose très marquée à la région dorsale supérieure, arrondie, sans

saillie ou pointe d'uue vertèbre en particulier. Les omoplates sont situées aux

deux extrémités latérales du dôme ainsi formé et sont légèrement saillantes. Il

existe un léger degré de courbure latérale de la colonne vertébrale de telle sorte

que le pli que forme la hanche droite est plus marqué que le pli de la hanche

gauche.

En avant, saillie bombée de tout le thorax qui a la forme d'une pyramide

très basse à base très large. '

L'abdomen bombe également et est fortement saillant. Dans la région inter-

capsulaire dépression marquée surmontant la cyphose. La pression de la colonne

vertébrale est modérément douloureuse.

Cicatrices cutanées. La peau de la région postérieure du tronc est parse-

mée de cicatrices.

A la région dorsale supérieure, 2 cicatrices étoilées de cautères anciens.

A la région sacrée, il existe une cicatrice blanche de la largeur d'une pièce

d'un franc, arrondie, à contours polycycliques avec une pigmentation légère

sur des bords. -

Cette lésion cicatricielle est environnée d'autres cicatrices d'aspect analogue

mais plus petites présentant les dimensions d'un haricot, d'un pois; d'autres

encore sont tout à fait petites, en criblure de plomb.

Elles sont gaufrées, superficielles, peu adhérentes, peu pigmentées.

Il existe quelques cicatrices analogues disséminées sur les fesses, sur la fesse

droite en particulier. "-

Ces cicatrices dateraient de l'enfance, elles sont survenues spontanément, à il

la suite d'ulcérations sur l'évolution desquelles la malade n'a pas conservé de

souvenirs.

Lésions de la bouche. La malade entre à l'infirmerie pour des ulcérations

du palais et du voile du palais (3 juillet 1893).

Des accidents de même ordre se seraient montrés au mois de janvier 1895

dans les môme régions. Ils auraient guéri, puis auraient récidivé en avril ; ce

sont ces derniers que l'on constate aujourd'hui.

L'ulcération palatine est à cheval sur la ligne médiane, peu près à égale dis-

tance du bord alvéolaire et du voile du palais. Elle /orme une élevure allongée,

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 127

une saillie de I centimètre il 1 centimètre 1/2 en longueur, de coloration ro-

sée, et subdivisée en 2 ou 3 mamelons secondaires.

Parmi ces mamelons, il y en a 3 au centre desquels existe une dépression assez

profonde, à fond jaune ou gris jaunâtre saignant difficilement, difficile à déter-

ger. L'examen bactériologique n'y a pas révélé la présence du bacille tubercu-

leux.

L'ulcération du voile du palais siège sur la partie droite du voile et la moitié

droite de la luette dont elle envahit surtout la base, elle gagne aussi le pilier

droit. Elle se dirige de haut en bas, ses contours sont polycycliques. Elle est

assez profonde sur les bords où se voient nettement de petites granulations à

fond jaune.. -

Indépendamment de ces ulcérations récentes, on trouve sur la voûte du pa-

lais, surtout il gauche, une série de dépressions qui paraissent bien être d'ori-

gine cicatricielle. - .

1 Troubles de sensibilité. On note une hyperesthésie très marquée des 2 pieds ;

une hypoeslhésie des jambes et cuisses il partir du cou-de-pied ; un retard très

manifeste des diverses sensations au contact, à la piqûre, à la température, dans

la région hypoesthésique,

Il semble bien qu'il existe une zone hypoesthésique en'demi-ceinture, à droite

au niveau de la base du thorax.

Pas de troubles des organes des sens ; pupilles égales, réagissant bien à la

lumière et à l'accommodation ? ' \

Réflexes rotuliens très exagérés, trépidation épileptoïde des membres inférieurs.

La malade est soumise immédiatement aux frictions mercurielles (4 grammes

d'onguent double par jour) et d'iodure de potassium (4 grammes par jour).

20 juillet. - L'ulcération du voile du palais s'est affaissée, le fond s'est dé-

terge et bourgeonne ; celle du palais s'améliore assez rapidement.

7 août. On cesse les frictions prescrites. On continue le KI. L'ulcération

du voile a disparu. Celle de la voûte palatine a considérablement diminué. Il ne

persiste plus qu'une élevûre saillante et indurée (qui a diminué peu il peu pour

s'effacer ensuite). '

Février 1896. L'ulcération de la voûte a laissé des dépressions Cicatriciel-

les analogues à celles que nous avons signalées, ce qui prouve qu'il a existé an-

térieurement des lésions de même nature de la voûte palatine.

La paralysie spasmodique est rèstée statiounaire.' .

3e catégorie. -Cas dans lesquels la syphilis héréditaire affecte la moelle épi-

nière dans l'adolescence ou dans Page mûr. Syphilis médullaire héré-

ditaire tardive. 1 ,

Les cas de cet ordre sont peu nombreux, du moins le nombre de ceux

qui ont été publiés est-il fort restreint.

128 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE .

Le premier en date (1861) -appartient à J. Hutchinson et Il..Jackson (1).

Un garçon de 18 ans, intelligent, paraissant plus jeune que son âge (environ

1 t -la ans) fut admis, le 3 octobre 1860, à St-Thon1as Ilospital.

Un mois auparavant, il ressentit dans l'extrémité des doigts un engourdisse-

ment qui envahit graduellement les bras. A la même époque, phénomènes iden-

tiques du côté des orteils s'étendant ensuite aux deux membres inférieurs, de

sorte qu'il ne sentait rien ni avec les mains ni avec les pieds. Forte céphalée

8 ou 10 jours avant l'engourdissement. ' - -

D'aussi loin qu'il pouvait se souvenir, sa vue avait été trouble; elle était de-

venue encore plus mauvaise pendant les 2 ou 3 dernières années. Surdité depuis

quelques années. Restes de kératite et d'iritis. Dents présentant les déforma-

tions caractéristiques de la syphilis héréditaire.

Le malade ne peut se tenir, ni debout ni assis, sur son lit. Impossibilité abso-

lue de mouvoir les bras ou les doigts ; légers mouvements des membres infé-

rieurs ; sensibilité abolie au niveau des doigts et des avant-bras, légèrement

conservée au niveau des membres inférieurs ; les muscles intercostaux ne fonc-

tionnent pas( ? ).

Pas de paralysie de la face, mais difficulté de détourner (everling) les yeux en

dehors due il la participation de la 6° paire. Pas de douleurs dans la colonue

vertébrale. Incontinence absolue des urines et des matières fécales.

Parait intelligent, ne se plaint pas de douleurs ; tète fraiclie, langue rouge

par places, pouls 72.

Le Dr Backer ordonne une solution de' bichlorure'd'llydrargyre et de la révul-

sion spinale.

18 octobre. La sensibilité a augmenté dans les membres inférieurs dont

les mouvements sont plus étendus ; les bras restent insensibles. Sa mère dit

qu'elle a eu II enfants ; six morts-nés ou morts aussitôt après la naissance,

n'ayant pas présenté d'éruptions` Elle dit qu'elle n'a pas eu la syphilis, et ne

pense pas que son mari. (décédé) l'ait eue.. ·

31 octobre. Mouvements plus étendus des jambes ; sphincters paralysés.

Dit que sa'vue est meilleure qu'elle ne l'a été depuis des mois. Pas de douleurs

de tête.

5 novembre. Sensibilité des doigts et des niains, mais ne peut mouvoir ni

les mains ni les bras.

12 novembre. Peut détacher les bras du corps ; meilleurs mouvements des

jambes ; paralysie des sphincters.

28 novembre. Peut mouvoir les bras librement ; le mouvement est revenu

graduellement ; sensibilité parfaite des bras et des jambes ; même état des

sphincters.

15 décembre. Amélioration ; bon appétit ; dort bien ; vue meilleure ; amé-

lioration de l'ouïe.

(1) J. Hutchinson et H. Jncxsos. The Médical Times and Gazette, 1861, t. II, p. 83.

Op. cit. '

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 129

/ .. - .

le'' janvier 1861. - Sphincters paralysés ; mais manifeste ses besoins à l'in-

firmière (ce qui est une amélioration). '

10 février. - Amélioration graduelle; peut s'asseoir sur son lit, mouvoir

les doigts, les mains, les bras et les jambes dans toutes les directions ; sensibi-

lité parfaite ; voit plus distinctement ; très légère surdité. Il a essayé de se tenir

debout hier, ce qui a causé une grande douleur dans les genoux. Même état des

sphincters, mais il a conscience du passage de l'urine et des matières fécales.

Quitte l'hôpital très amélioré.

Les auteurs pensent que ce cas doit être rapporté à la syphilis hérédi-

taire qui a produit « une inflammation générale et un épaississement des

membranes du>canal vertébral et de la base du cerveau ».

Dans l'observation publiée par Zambaco (1) en 1862, il est bien dit

qu'un homme syphilitique héréditaire fut atteint, vers l'âge de22ans, d'une

faiblesse telle des membres inférieurs « qu'il ne pouvait marcher », Ces

accidents paraissaient nettement attribuables à la syphilis, mais on pour-

rait rapporter peut-être à des accès d'épilepsie dont souffrait le malade,

cette « marche incertaine et vacillante », bien que le sujet éprouvât dans

les membres inférieurs « des fourmillements et y sentît comme des épin-

gles que l'on y enfoncerait ». -

Mais l'hésitation cesse complètement en ce qui regarde l'observation

rapportée par l3artels (2.) et qui fut suivie d'autopsie.

, 1

Nous résumons ce cas intéressant à plus d'un titre.

Femme de 22 ans, hérédo-syphilitique, affectée depuis plusieurs années de

syphilides serpigineuses du cou et de la face. De 1862 et 1872, récidives mul-

tiples de ces syphilides sous la même forme. En outre, accidents syphilitiques

nombreux : fistule lacrymale, lésions osseuses du nez, dactylites, gommes etc.-

En 1870, invasion des phénomènes paraplégiques. «.Il se produisit peu à peu

une paralysie qui affecta d'abord les extrémités inférieures puis les extrémités

supérieures ; de sorte que la malade fut forcée de rester couchée sans faire au-

cun mouvement et que, pendant longtemps on dut lui donner des aliments

qu'elle n'aurait pas été capable de prendre ». Traitement spécifique : guérison

complète en mars 1871.

Quelque temps après, récidive des symptômes paralytiques qui envahissent

d'abord le bras gauche, puis la jambe gauche, puis le bras droit et enfin la

jambe droite. Sensibilité intacte des membres paralysés; paralysie des sphinc-

ters, de la vessie et de l'anus. Escharesau sacrum et aux omoplates. Albuminurie

légère. Traitement par les frictions mercurielles et l'iodure de potassium ;

amélioration lente; guérison en 1872.

Quelques mois plus tard , récidive d'affections spécifiques (syphilides, gom-

(1) Zambaco. Des affections nerveuses syphilitiques. Paris, 1862, p. 210.

(2) BARTELS. Les maladies des reins, trad. Edelmann. Paris, 1884, p. 323.

(2) BARTELS. LM MaMï'M de femx, trad. Edelmann. Paris, 1884, p. 323.

130 « NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE '

mes etc.). En outre, détérioration de l'état général : affaiblissement, amaigrisse-

ment. Hémoptysies, toux, diarrhée ; réapparition de l'albumine dans l'urine ;

oedème des malléoles, puis anasarque. Emaciation, marasme et mort.

Indépendamment de nombreuses lésions que nous passons sous silence

l'autopsie révéla ce qui suit. « Au-devant de l'articulation de l'atlas avec la

base du crâne, entre l'atlas et l'axis, existe une tuméfaction d'une teinte dou-

teuse qu'à la coupe l'on reconnaît être un foyer caséeux ramolli. Moitié gauche

de la moelle allongée, aplatie et élargie. On ne trouva aucune autre anomalie

dans les organes nerveux centraux ».

« Evidemment ajoute Bartels, les phénomènes paralytiques avaient été pro-

duits par une gomme placée au-devant des vertèbres supérieures et comprimant

la moelle ; ils, disparurent après qu'une partie de la gomme eût été résorbée

et qu'elle eût ainsi diminué de volume. Sur le cadavre, on trouva encore la

moitié gauche de la moelle légèrement aplatie ». -

- Cette observation est extrêmement intéressante en 'ce qu'elle nous fait

pénétrer dans l'intimité du processus qui devait être sensiblement de

même ordre dans le cas de J. Hutchinson et.de IL Jackson, et peut-être

dans le cas de Zambaco.

Nous pensons aussi qu'il s'agissait de méningite gommeuse bulbo-mé-

dullaire, dans l'observation que nous avons nous-môme publiée en 1892.

- Nous la rapportons in extenso en la faisant , suivre des observations

qu'elle nous inspira lors de la présentation du malade à la Société de der-

matologie et de syphiligraphie (1). Nous y joignons les notes complémen-

taires que nous avons recueillies depuis cette époque.

189 ? Marius R..., comptable, est âgé de 19 ans 1/2 ; taille 1m. 60, assez

bien développé. " . '

Père bien portant, n'aurait jamais été malade ; sa mère a fait 4 fausses cou-

ches dont la première ; les autres auraient eu lieu après les premiers enfants

quLsont au nombre de 7 bien portants. Le malade qui est le troisième enfant

et que nous avons seul vu de la famille, ne nous donne, on le comprend, il ce

sujet, que des renseignements incomplets et peu précis. '

Les parents sont de taille moyenne.

Marius R... a marché à l'âge de 13 mois ; à cette époque il aurait eu des

crises convulsives qui, se prolongeant pendant 3 jours, auraient constitué uue

sorte d'état de mal qui n'a d'ailleurs rien laissé d'appréciable.

Pas d'éruptions cutanées ; ni affections auriculaires ou oculaires ; pas de

maladie vénérienne acquise.

Le malade n'a eu qu'un seul rapport sexuel.

Bonne santé ordinaire jusqu'en juillet 1891.

(1) Gilles de la TOURETTC. Note sur un cas de syphilis héréditaire tardive bulbo-

médullaire. Soc. de dermatologie et de syphiligraphie, séance du 1 juillet 1892, in

Annales de dermatologie et de syphiligraphie, 1892, p. 845.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 131

Vers le 17 juillet 1891, il a ressenti une forte sensation de fatigue et de cour-

bature dans les membres inférieurs particulièrement à droite, avec impotence

progressive, le 24 il ne pouvait plus marcher, ne pouvait plus se tenir debout

les yeux formés ; les membres inférieurs étaient paralysés, flasques, non '

raides. ,

Le 25, on le transporte dans un service d'hôpital ; pas de douleurs ; il pou-

vait soulever ses jambes du plan du lit, mais il ne pouvait-marcher.

Grands vertiges lorsqu'il essaye de se tenir debout, diplopie qui persiste pen-

dant trois semaines ; puis aurait aussi vu trouble,'ne pouvant distinguer cor-

rectement les objets à 2 mètres de distance ; ni douleurs de tête ni vomisse-

ments.

Troubles de l'articulation des mots ; se faisait difficilement comprendre en

ce sens qu'il prononçait les P pour les B et vice-versa. Pas de troubles de dé-

gtutition ; les liquides n'étaient pas rejetés par le nez.

Vers lé 10 août, urine à deux reprises dans son lit sans s'en apercevoir,

besoin impérieux d'uriner et d'aller à la garde-robe. Quelques fourmillements

dans les jambes.

Vers le 15 août, fourmillements dans le bout des doigts de la main droite,

crampe dans cette main qui l'empêche de tenir son couteau ou sa fourchette ;

très légers fourmillements dalls le bras gauche. Cet état reste stationnaire jus-

qu'au 10 octobre.

Jusqu'alors le malade avait été soigné par les douches froides, le valérianate

d'ammoniaque, le bromure de potassium. Celui-ci ayant amené quelques acci-

dents toxiques (langue saburrale, inappétence), est remplacé par l'iodure de po-

. tassium ;i la dose de 2 grammes par jour régulièrement administrés.

Au bout de 8 jours apparaît un mieux considérable. Les vertiges commen-

cent à disparaître, les jambes sont plus solides.

Vers le 20 octobre, il peut marcher sans canne ; la vue qui était trouble re-

vient peu à peu à la normale comme les autres fonctions du reste.

Il sort de l'hôpital le 25 octobre''très amélioré, mais conservant toujours une

certaine faiblesse des jambes, Il continue à prendre l'iodure. -

Le 1er février 1892, il essaye de reprendre ses fonctions de comptable mais

son bras droit toujours envahi par des crampes, ne lui permet pas de bien

écrire. '

Nous le voyons pour la première fois le 7 mars 1892 chez un de nos amis

électricien distingué où il est arrivé avec un diagnostic aussi peu précis que

possible. '

L'état général est satisfaisant, peut-être existe-t-il encore un peu de faiblesse

dans les membres inférieurs avec besoins impérieux d'uriner.

Quand il porte la tète dans la flexion forcée sur le thorax, il ressent immé-

diatement une sensation très marquée d'engourdissement dans les membres

inférieurs.

Il existe encore quelques fourmillements très légers dans le bras droit et sur-

tout des crampes qui nuisent à la régularité de l'écriture.

132 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Le réflexe rotulien est normal à gauche ; un peu diminué à droite ; réflexes

olécrâniens normaux.

' , A quoi donc attribuer, disions-nous, les accidents dont a souffert et'

souffre encore Marius R... La lecture de celte observation suffirait pour

permettre au diagnostic de s'établir, car elle contient des particularités très

saillantes : fausses couches répétées de la mère, amélioration à la suite

de l'administration bien involontaire, pour ainsi dire, de l'iodure de po-

tassium.

« Mais il faut ajouter que la première fois que nous vîmes Marius R...

il ignorait complètement que sa mère eût fait des fausses couches.

« Ce ne fut véritablement que la seconde fois que nous le vîmes, alors

qu'il nous affirma que l'amélioration était survenue à la suite de l'admi-

nistration de l'iodure que nous pensâmes à la syphilis. La syphilis acquise

étant hors de cause, il fallut penser a la syphilis héréditaire. Or il

n'existait chez Marius R... aucune cicatrice fessière, les yeux, les oreilles,

le nez étaient en parfait étal. L.

« Mais il y avait des lésions dentaires que notre maître 111. le professeur

Fournier auquel nous présentâmes ce malade et qui voulut bien nous aider

de ses conseils, jugea caractéristiques de la syphilis héréditaire. En haut :

il existe un sillon profond transversal des deux molaires moyennes des

deux côtés avec atrophie de la moitié inférieure de la dent. Il existe de

l'atrophie cuspidienne des deux canines supérieures.

« En bas, les trois premières molaires et les deux incisives du côté gauche

sont le siège d'atrophie, de sillons et d'érosions.

« En résumé, il n'est pas douteux que Marius R..., âgé de 19 ans 1 ?

ait' été atteint, en juillet 1892, d'une paralysie complète des membres

inférieurs tendant il envahir les membres supérieurs, due il des manifes-

tations qui doivent être rapportées il la syphilis héréditaire tardive.

« Certaines de ces lésions ont siégé certainement au niveau du bulbe,

puisqu'il a existé de la diplopie et un certain degré de paralysie des muscles

innervés par l'hypoglosse. ,

« Etant donné que les membres inférieurs ont été pris d'une façon in-

tense et presque exclusive comparativement aux supérieurs et, dans

l'hypothèse d'une lésion unique, il est presque nécessaire que cette lésion

ait été limitée, interrompant ainsi le passage du faisceau cortico-crural

des deux côtés et respectant presque entièrement le faisceau cortico-bra-

chial.

« L'hypothèse d'une tumeur gommeuse surgit aussitôt. Mais la lésion

a dû intéresser les méninges, car lorsque nous avons vu le malade pour la

première fois la flexion forcée de la tête sur le thorax a déterminé chez lui

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 133

un sentiment de paralysie des membres inférieurs. Il faut donc croire qu'il

existait encore à cette époque des adhérences méningées qui étaient tirail-

lées par ce mouvement. '

« Nous croyons donc que Marius R... a été atteint d'une méningite gom-

meuse siégeant dans les environs du sillon bulbo-protubérantiel car les

nerfs oculaires et l'hypoglosse ont été pris.

« Nous ne nous croyons pas autorisé à dire, bien que la vue ait été

troublée, qu'il y ait eu une névrite optique ou' une chorio-rétinite sy-

philitique, l'examen du fond de l'oeil n'ayant laissé apercevoir aucune

lésion, à un moment ou des reliquats auraient certainement encore existé.

« S'il restait quelques doutes sur la nature de ces accidents nous ajoute-

rions qu'au bout de quinze jours de frictions mercurielles z. gr. par jour)

et d'iodure de potassium (4 gr. par jour), repos de 8 jours en continuant

l'iodure et reprise de 15 autres frictions, Marius R... ne ressentait plus de

crampes dans le bras droit ni d'engourdissement dans les membres infé-

rieurs, la tête élant en flexion forcée, et que la guérison se maintient par-

faite, aujourd'hui 7 juillet 1892 ».

Depuis le mois de juillet 1892 nous avons eu l'occasion de revoir Marius R..

à plusieurs reprises et de lui donner nos soins.

Jusqu'au mois de juillet-août 189 ? i1'resta bien portantetse considérait comme

, guéri. A celte époque, il ressentit une grande faiblesse dans les membres infé-

rieurs au point qu'il dut rester couché pendant 7 à 8 jours, Il avait des four-

millements dans la région lomhaire surtout lorsqu'il fléchissait fortement la

tête sur la poitrine. D'ailleurs, depuis le début de sa maladie jusqu'à ce jour

(janvier 1896) il a toujours ressenti des fourmillements dans la région lombaire

et dans les membres inférieurs, chaque fois qu'il s'est livré à cette manoeuvre.

En août 189'); il était forcé de satisfaire immédiatement sous peine d'inconti-

nence, d'impérieux besoins d'uriner. Cependant les mictions ne furent jamais

involontaires. II prit aussitôt de l'iodure de potassium et des pilules mercu-

rielles et put, au bout d'un mois, reprendre ses occupations habituelles.

Depuis le mois d'août 1894, il s'est presque constamment soumis au traite-

ment mixte qu'il n'a cessé qu'en juin 1895. ' .

Actuellement (janvier 1896), l'état général est satisfaisant. La marche s'ef-

fectue normalement, il peut courir, vaquer il ses occupations ; toutefois il res-

sent assez vite de la fatigue dans les membres inférieurs.

Le réflexe rotulien gauche est un peu fort ; le droit normal. Il existe encore

d'impérieux besoins d'uriner. Si le malade ne les satisfaisait pas immédiate-

ment il courrait le risque de souiller ses vêtements.

La force musculaire des membres supérieurs et inférieurs est normale ; pas

d'atrophie musculaire ; pas de troubles de la sensibilité. ,

Les pupilles sont égales et réagissent bien à la lumière et il l'accommodation.

Il existe, depuis plusieurs années,quelques troubles des fonctions circulatoires

134 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

se traduisant de temps il autre par des phénomènes d'asphyxie symétrique des

.,5 extrémités supérieures. -

Marius R... nous a donné quelques renseignements complémentaires sur sa

famille, qui ne manquent pas d'intérêt.

Sa mère aurait fait 5 fausses couches ainsi qu'il nous l'avait déjà dit ; il existe

encore 7 enfants vivants qui sont :

1° Une tille de 27 ans bien portante; 2° 1 garçon de 26 ans, bien portant

qui aurait eu une fistule à l'anus ; 3° notre malade actuellement âgé de 23 ans 1/2,

étant né en~octobre 1872 ; 4° une fille de 20 ans bien portante ; 5° un garçon

de 14 ans 1/2 dont nous allons parler ; 7° une tille de 8 ans bien portante.

Le n° 5 a présenté lui aussi des manifestations de syphilis héréditaire. Il a

été atteint d'une névrite rétro-bulbaire qui a guéri sous l'influence du traitement

spécifique. Son observation a été publiée par M. Vignes (1). Nous l'avons vu

plusieurs fois,en janvier et février 1896,son oeil est actuellement en parfait état.

Le malade est porteur de cicatrices cutanées datant de l'enfance mais, phéno-

mène particulier, chez ce jeune garçon hérédo-syphilitique avéré, les dents sont

superbes et ne présentent aucune anomalie de développement.

Evidemment, dans le cas de Marius R..., la syphilis n'a pas été exclusi-

' vement médullairepuisqu'au début, au moins, a existé de la diplopie, des

vertiges, et des troubles de l'articulation des mots, permettant de penser à

une lésion de l'hypoglosse ou des nerfs du voile du palais.

Mais l'impotence des membres supérieurs et la localisation toute parti-

culière de la paralysie sur les membres inférieurs, montrent (en dehors de

lésions des corps vertébraux qui ont fait défaut), la participation considé-

rable que la moelle et ses enveloppes ont prise au processus.

L'observation qui va suivre est encore un exemple de la localisation de

la syphilis héréditaire sur la base du cerveau, le bulbeêt la région cervi-

cale de la moelle épinière. '

On remarquera que la malade qui en fait l'objet et que nous observons

encore aujourd'hui, présenta à plusieurs reprises des crises gastriques avec

hématémèses qui.pouvaient faire penser au tabes. Nous croyons que la lo-

calisation bulbaire de l'affection suffit à les expliquer.

Dans ce cas, comme clans le précédent, la syphilis héréditaire nous paraît

indéniable : polyléthalité se jugeant par 17 morts sur 19 enfants, rachi-

tisme, petite taille, lésions dentaires, tout concorde pour affirmer le dia-

gnostic' étiologique. De plus, le frère de la malade que nous avons vu et

qui est avec elle le seul survivant de 19 enfants présente la lésion dentaire

d'Ilutchinson. Le traitement antisyphilitique n'ayant été institué que

longtemps après le début de l'affection nerveuse n'a pu donner encore de

résultats satisfaisants.

(1) ViGNFs. Névrite rétro-bulbaire par syphilis héréditaire tardive. Journal de cli-

nique et de thérapeutique infantile, 17 mai 1894, p. 431.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 135

Ons. fil (recueillie par M. d'IIerbécourt, interne du service).- T... Jeanne,

âgée de 39 ans (née en 1856), polisseuse, est entrée le 26 octobre 189'r, hôpi-

tal Hérold, salle D, lit n° 28. "

A. II. Père mort il 61 ans d'un cancer de l'estomac. Mère morte il 79 ans

avec de l'ascite et un oedème généralisé symptomatiques d'une affection cardia-

que ( ? ). f

Ses parents eurent 19 enfants ; il n'en reste que deux, la malade qui était la

seizième ( ? ) et un frère, l'avant-dernier, que nous avons vu et dont nous di-

rons quelques mots. 1

Un frère mourut du choléra a 38 ans, en 1891 ; un autre tuberculeux à

20 ans. Quinze autres frères et soeurs succombèrent en bas-âge à des maladies

cérébrales, méningite, etc.

La malade fut élevée au sein. Elle u'a marché qu'à 8 ans et fut atteinte de

rachitisme. Il existe encore des incurvations marquées des os des avant-bras,

des fémurs et des tibias. Les courbures dorsale et lombaire de la colonne verté-

brale sont exagérées. Taille petite, 1 m. 40.

Elle dit n'avoir jamais eu d'éruptions cutanées ni de maux d'yeux ou d'o-

reilles. Réglée à 17'ans, toujours bien depuis. Toutefois Ù'17 ans, après l'appa-

rition des règles qui furent tardives, elle fut saisie d'une peur ( ? ) qui la rendit

malade ( ? )' pendant 18 mois avec suppression du flux menstruel. Ni enfants ni

fausses couches.

En 1884, à l'âge de 28 ans, après avoir éprouvé pendant 8 jours des'dou-

leurs dans la tète qu'elle qualifie de névralgies, elle fut prise, le matin en se le-

vant,de vomissements avec hématémèses s'accompagnant de vives douleurs d'es-

tomac qui ne furent calmées que par la morphine. Cette crise de vomissements

dura cinq jours et fut suivie d'une guérison complète : elle ne s'accompagna

pas d'autres phénomènes morbides.

Depuis 1886, cette crise est revenue tous les ans presque toujours au prin-

temps ; elle dure généralement cinq jours pendant lesquels la malade souffre

beaucoup de l'estomac avec vomissements alimentaires et hématémèses. La

crise s'est montrée en décembre 1895 et a duré cinq jours.

Pendant l'année 1889,à trois reprises,la malade éprouva une grande difficulté

pour uriner durant environ 8 jours chaque fois. Une fois aussi, elle se réveilla

la nuit en proie il une crise d'étouffements qui se dissipa bientôt.

A la même époque, elle commença il éprouver des troubles de la marche

'qui devint par'moments incertaine et vacillante; ces troubles étaient surtout

marqués lorsqu'elle traversait la rue ou une place publique; elle marchait assez

bien dans l'appartement. -

Sa vue s'affaiblit, elle eut pendant 15 jours de la diplopie, il existait des points

rouges clans le champ visuel (Elle semble avoir eu de la diplopie passagère en

1878 ( ? ). Epjphora existant encore actuellement qui gène beaucoup la ma-

lade.

Mauvaises digestions, selles régulières, cauchemars, crampes dans les mem-

bres inférieurs pendant la nuit. Ni pituites ni tremblement; pas de signes d'é-

tliylisme. , ,

136 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Pendant les mois de novembre et décembre 1893, la malade se sentit fati-

guée, mal à l'aise, sans maux de tête toutefois. Il y avait une faiblesse notable

des deux bras. Elle eut sa crise annuelle de vomissements vers cette même

époque.

Le 10 janvier 1894, après son déjeuner, elle fut prise de vertiges, d'éblouisse-

ments ; il lui semblait voir tout noir bien qu'elle pût distinguer nettement les

objets qui l'entouraient. Elle put gagner son lit où, après un vomissement, elle

tomba dans un état comateux. Lorsqu'elle en sortit, au bout de 2 heures, elle

était paralysée du bras*gauche et des membres inférieurs. Il avait un ptosis

de la paupière supérieure de l'oeil droit avec strabisme externe. Elle parlait

facilement; elle ne s'est pas aperçue qu'elle eut une paralysie de la face.

- Au bout de 15 jours, les membres inférieurs qui étaient complètement iner-

tes retrouvèrent leurs mouvements. Ce ne fut qu'au bout de six mois que ceux-

ci revinrent dans le membre supérieur gauche, progressivement, on commen-

çant par les doigts.

Bien que les mouvements fussent revenus dans les membres^ inférieurs, elle

resta néanmoins couchée pendant un an car elle ne pouvait se tenir debout à

cause des vertiges qu'elle éprouvait dans la station verticale. Ces vertiges

existaient également lorsqu'elle était couchée ; elle ne vomissait pas.

Dès le jour de son attaque, elle présenta de l'incontinence d'urine qui s'amé-

liora depuis mais sans jamais disparaître complètement.

Elle entra, en mars 1894, à l'hôpital Tenon où elle prit par jour deux petites

pilules blanches (granules d'arséniate de soude ? ) et une potion de Tord. Elle

semble bien n'avoir absorbé ni mercure ni iodure pendant son séjour dans cet

'hôpital d'où elle fut transportée à l'hôpital Hérold le 26 octobre 1894. Nous l'y

trouvons en prenant le service en janvier 1896. '

La malade reste constamment couchée ri cause des vertiges qu'elle éprouve

même au lit. Il lui semble que les objets qui sont au-devant d'elle viennent il

sa rencontre, s'abaissent, éprouvant un mouvement de rotation suivant l'axe

vertical de son corps. Lorsqu'elle se lève, les vertiges s'exagèrent, aussi peut-

elle faire à peine quelques pas, il faut qu'on la .soutienne car, bien qu'elle élar-

gisse sa base de sustentation, en écartant ses pieds l'un de l'autre, elle oscille et

se cramponne aux objets environnants pour ne pas tomber. Elle fait ainsi quel-

ques pas,en titubant comme une personne ivre. Il n'existe pas d'incoordination

portant, à proprement parler, sur les membres inférieurs qui nesont pas lancés

en avant. Au lit, la direction imprimée, au commandement, aux membres infé-

rieurs est sensiblement conservée : elle touche assez bien avec le bout du pied

un objet placé au-dessus du lit et dans diverses situations. Le membre soulevé

retombe brusquement sur le lit. La force musculaire est conservée. L'occlu-

sion des yeux, dans la station verticale, produit immédiatement la chute (signe

de Romberg). Les réflexes rotuliens sont abolis des deux côtés.

Les membres supérieurs exécutent des mouvements coordonnés. Le bras droit

donne 24 au dynamomètre. Le bras gauche est resté plus faible que le droit

(Dyn. = 15), ses mouvements sont moins rapides et moins précis. 1

Au repos, on note une asymétrie de la face toutefois peu marquée ; la bosse

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE . 137

frontale droite est située en avant de la gauche ; le côté gauche de la face est

sur un plan antérieur au côté droit, ce qui produit un aspect disgracieux du

visage. La commissure labiale gauche est tirée en haut et à gauche, le sillon

naso-labial gauche est plus marqué que le droit ; ces phénomènes s'accentuent

lorsque la malade parle ou rit.

Les sillons de la moitié droite de la face sont moins accentués que ceux de

la partie gaucho, il semble qu'il ait existé de ce côté une paralysie faciale infé-

rieure aujourd'hui atténuée.

Oreille gauche déplissée, lobule adhérent; oreille droite plus normale.

Chute permanente de la paupière de l'oeil droit. Toutefois, la malade peut la

relever spontanément en faisant un effort mais elle retombe bientôt. L'oeil droit

est dévié en permanence en haut et en dehors. Il n'existe pas de diplopie lorsque

la paupière est relevée, il semble que la malade neutralise un oeil et que la vi-

sion soit purement momentanée.

Légère exophtalmie bilatérale. Myosis des 2 côtés. Les pupilles ne réagissent

ni à la lumière ni à l'accommodation. Le champ visuel,au moins à gauche, ne sem-

ble pas rétréci. Nystagmus horizontal très marqué des 2 yeux.

Les mouvements de la langue sont normaux.

Le sens musculaire est conservé. En général, la sensibilité cutanée est

normale suivant ses divers modes. Toutefois, il existe certaines zones de la ré-

gion antéro-externe des jambes et de la face dorsale des mains où la sensibi-

lité générale est diminuée. La malade localise bien ses sensations mais celles-ci

.sont mal interprétées au point de vue qualitatif. Transformation de la sensa-

tion de piqûre 'en brûlure. Léger retard de la sensibilité à la face plantaire des

orteils droits. Sensibilité au froid et à la chaleur exagérée. Sensibilité élec-

trique conservée. Zone hyperesthésique cutanée dans la région mammaire

droite.

Pas de troubles sensoriels. Toutefois la malade perçoit constamment dans les

2 oreilles un bourdonnement ^analogue au bruit de l'eau qui bout. Champ au-

ditif normal.

Pas de troubles cérébraux ; mémoire conservée ; intelligence nette, pas de

maux de tête.

Pas de douleurs spontanées à caractère fulgurant ; quelquefois douleurs dans

le bras gauche avec engourdissement des doigts.

Etat général assez satisfaisant ; intégrité des organes thoraciques et abdomi-

naux. Pouls 95.

En dehors des déformations rachitiques du squelette que nous avons signa-

lées, il n'existe pas de troubles trophiques si ce n'est un durillon situé la par-

tie interne de la région métatarso-phalangienne du gros orteil, lequel est dévié

en dehors. '

Les dents offrent toutefois des lésions marquées. Elles sont en général mau-

vaises, plusieurs sont tombées spontanément en mangeant.- Mâchoire il1fé-

rieure. Dents espacées, abrasées, déformées, microdontisme, sillons. Toutes

les grosses molaires inférieures manquent ; 2 petites molaires inférieures ca-

riées.Jfac/Mt're sllpériell1'e.Il ne reste que l'incisive médiane gauche, l'incisive

138 . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

latérale droite, la première molaire droite qui sont atrophiées et striées trans-

versalement.

28 février 1896.- Depuis les premiers jours de février 1896, la malade se

plaint de douleurs dans le bras gauche. Ces douleurs ont leur point initial au

niveau de l'épaule, descendent le long du bras et de Pavant-bras, la main s'en-

gourdit alors'et sa force diminue. Elles ont leur maximum au niveau de

l'avant-bras et du pli du coude. Le 28 février, la malade se plaint de douleurs

dans la nuque et aussi dans la région frontale au niveau de la racine du nez

entre les 2 sourcils. Les douleurs de la nuque ne tardent pas il disparaître.

Traitement : 2 pilules de Dupuytren au bichlorure d'Hg. 4 grammes d'iodure

de potassium par jour. , .

Nous avons eu l'occasion de voir le frère de la (le 35 ans, l'a-

vant-dernier des 19 enfants dont il ne reste plus que 2, la malade et lui.

Il dit n'avoir jamais été souffrant ; taille,' 1 m. 66; rien de particulier a noter

si ce n'est l'état de ses dents. -

1° Mâchoire supérieure Incisive médiane gauche : sillon profond transver-

sal, encoche d'Hutchinson. Incisive médiane droite, mêmes caractères. Incisive

latérale gauche, microdontisme et sillons. Toutes les autres dents disparues,

sauf les ires prémolaires droite et gauche, relativement saines.

2°~Mâchoire inférieure. Microdontisme et usure de l'incisive latérale et des

deux incisives médianes qui sont, de plus, striées transversalement. Sillons pro-

fonds sur la canine droite et atrophie cuspidienne de la canine. Sillons sur la'

1re petite molaire droite. Des grosses molaires adroite, il reste seulement une

2c grosse molaire. , '

A gauche : ire petite molaire, relativement saine, il reste seulement la 2° grosse

molaire.

En 1893, Nonne (1) publiait. une observation qui offre beaucoup d'a--

nalogie avec les faits précédents. ., .

Il s'agit d'une femme de 20 ans, n'ayant jamais souffert antérieure-

ment'de maladies nerveuses, qui fut atteinte d'une paralysie flasque

subaiguë desmembres inférieurs et d'une parésie de mème natu re des mem-

bres supérieurs. La sensibilité était à peu près intacte; il exista une

paralysie transitoire des sphincters. 1

On pensa à la syphilis acquise, mais en présence de certains stigmates

déjà anciens : lésions de la voûte palatine, de la luette et de l'épiglotte,

cicatrices du cou, on conclut à la syphilis héréditaire. Le traitement anli-

syphilitique donna du reste rapidement un résultat satisfaisant.

(1) Nonne. Beitrag iür Kentniss der syphilitischen Erkrankungen des Huckonmarkes.

Festschrift zu Feier (etc.). Friedreich v. Esmarch, 1893. Nous donnons cette observa-

tion d'après l'analyse qu'en a publiée le Neurologisches CenLral6lcatE,1893, p. 281, dans

l'impossibilité où nous avons été de consulter le travail original (G.-T.).

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 139

Là encore la lésion siégeait dans les parties supérieures de la moelle,

peut-être dans le bulbe. De plus la paralysie était flasque.

Les deux cas inédits qui vont suivre sont intéressants à des degrés

divers. '

Le premier montre que la syphilis héréditaire tardive peut, elle aussi,

réaliser le type auquel Erb a attaché son nom et que nous avons pour

notre part (1) proposé d'appeler forme commune de la syphilis médullaire

tant sa fréquence est grande par rapport 'aux autres myélopathies syphi-

litiques.

OBS. IV (recueillie parM. Bonnemaison, externe du service) ? G... Thérèse,

50 ans, fleuriste, entre en novembre 1895, hôpital St-Louis, service de M. le

professeur Fournier, adressée par M. Nélaton, chirurgien de cet hôpital, qui la

soignait pour une gomme du frontal droit actuellement on voie de guérison.

Antécédents héréditaires. Père mort il 75 ans, de congestion cérébrale.

Mère morte à 42 ans de la variole qu'elle contracta en soignant la malade

de cette affection.

Celle-ci était alors âgée de 8 ans.

Sur 12 enfants qu'a eus sa mère, 4 seulement sont vivants, deux garçons et

deux filles. Un des frères de la malade aurait perdu plusieurs enfants en bas-

..

âge.

Elle-même a eu 2 enfants ; l'un est mort en bas-âge, l'autre est actuellement

âgé de 24 ans et serait bien portant.

G... ne se souvient pas quel âge elle a commencé à marcher. Sa mémoire

est d'ailleurs défectueuse et son intelligence assez limitée. Elle n'aurait pas eu

de convulsions, ni de difficultés de la marche pendant l'enfance.

Elle dit avoir eu, en 1876, une ulcération chancreuse de la vulve, suivie de

chute des cheveux, de céplialée,'et de plaques muqueuses buccales. Elle se fit t

soigner à l'Hôpital temporaire (Laennec) chez M. le professeur Dieulafoy où,

parait-il, elle prit de l'iodure de potassium. Pendant deux ans elle absorba des

pilules de protoiodure de Hg. Mais des recherches faites à Laennec n'ont rien

démontré de précis quant à ces accidents syphilitiques, le diagnostic porté sur

sa pancarte étant : céphalée.

En 1879, nouvelle ulcération vulvaire qu'elle fait traiter en ville par des

cautérisations et de l'iodure.

Depuis, elle a pris fréquemment de l'iodure et des pilules pour faire dispa-

raitre ses céphalées survenant par intervalles et sans autres accidents, soit gé-

néraux, soit locaux.

En 1891, habitant un logement humide, elle aurait eu des douleurs dans le

cou et les membres, mais sans gonflement des articulations.

Le 28 août 1894, allant faire des courses, elle fut prise brusquement de diar-

't Gilles de n Touhette et IIfTILLO. Deux observations pour servir au diagnostic des

paraplégies syphilitiques. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, janvier 1893, p. 1.

140 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

rhée et obligée de rentrer chez elle. Le lendemain, au moment de sortir pour

travailler elle se sentit tellement faible des jambes qu'il lui était impossible de

marcher ; de même la faiblesse des bras était telle qu'elle ne pouvait les lever.

La parésie des quatre membres s'accentua insensiblement mais ne devint

jamais une paralysie complète, puisqu'elle pouvait se traîner dans sa chambre,

sans cependant pouvoir descendre les escaliers.

' Yers le 1er décembre 1894, elle estprise d'une incontinence d'urine'qui a per-

puis, et de constipation opiniâtre. ,

" Elle avait,dans les jambes,des sensations douloureuses avec engourdissement

et il lui semblait qu'il aurait fallu lui tirer fortement les jambes pour faire dis-

paraître cet engourdissement. Elle ne suivit aucun traitement contre ces mani-

festations.

Le 10 octobre 1895, elle entre dans le service de M. Nélaton pour une exos-

tose du frontal droit. On la soigne avec du sirop de Gibert et des frictions d'on-

guent mercuriel. Les lésions osseuses guérissent, mais ce traitement ne semble

avoir produit aucune amélioration de la lésion spinale.

Examen de la malade. Taille au-dessous de la moyenne : 1 m. 34.

Semble avoir un peu de rétrécissement de la fente palpébrale du côté droit,

avec un peu d'enfoncement du globe de ]'oeil.

Les pupilles sont inégales, la droite étant plus dilatée que la gauche, elles réa-

gissent mal à la lumière et assez peu à l'accommodation..

Léger nystagmus des deux globes dans les mouvements extrêmes.

La mâchoire supérieure est asymétrique. A gauche, il manque les incisives la-

térales et une canine, et les 2e et dernière grosses molaires. A droite, il manque

la dernière grosse molaire.

Les deux incisives médianes sont striées transversalement : leur bord libre

est barbelé, abrasé. - -

Microdontisme de l'incisive latérale droite.

Canine droite striée, affectant la forme d'un tournevis. Les molaires qui res-

tent sont saines.

Mâchoire inférieure. A droite, il manque la 1 re et la dernière grosses mo-

.laires ; à gauche, la Ir, petite molaire et toutes les autres. sauf la 2e petite.

Les incisives sont abrasées sur leur bord libre.

Sillons transversaux moins accentués qu'à la mâchoire supérieure.

La canine gauche est déformée ; la droite est normale.

, Première petite molaire, atrophie cuspidienne. Il n'y a pas de perforation de

la voûte palatine, ni de lésions nasales. Pas de cicatrices sur le corps, ni sur la

vulve. Rien du côté des oreilles.

Depuis le mois d'août 1894, il existe une grande faiblesse des membres in-

férieurs.

La marche peut cependant s'effectuer à l'aide d'une canne, les pieds étant

lourds et traînant sur le sol il la moindre fatigue. La malade ne peut courir.

Les réflexes rotuliens sont très exagérés, surtout à gauche ; certains jours, il

existe de ce côté, particulièrement, une trépidation épileptoïde très marquée. Pas

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 141

de troubles de sensibilité, ni d'atrophie musculaire des membres inférieurs.

Pas de signe de Romberg.

Incontinence d'urine permanente et constipation opiniâtre.

Les membres supérieurs sont indemnes de phénomènes paralytiques ; les ré-

ilexes antibracliiaux et olécrâniens sont forts des 2 côtés.

Le traitement mercuriel et ioduré, prolongé pendant les mois de noëmpEe-fé-

vrier 1895-1896, semble n'avoir pas donné de résultats appréciables a;b5' t

vue des phénomènes paralytiques.

En résumé, il s agit (l'une malade qui, a I âge de 49 ans, est prise de

phénomènes paralytiques atteignant à un léger degré les membres supé-

rieurs, puis se localisant sur les membres inférieurs sous forme de para-

- plégie spasmodique avec incontinence d'urine et constipation opiniâtre.

La malade ayant présenté des signes indéniables de syphilis, tels qu'une

gomme du frontal, il est légitime d'attribuer la vérole les'phénomènes

médullaires observés.

On pourrait penser qu'il s'agit là de syphilis acquise. La malade, en

effet, dit avoir été soignée vers l'âge de 30 ans, pour des accidents vulvai-

res ulcéreux suivis de chute des cheveux et de syphilides de la muqueuse

buccale. '

Toutefois, les renseignements qu'elle donne sont peu précis et le dia-

gnostic de céphalée porté sur sa feuille d'hôpital, il cetle époque, ne l'estpas

davantage.

Aussi M. le professeur Fournier, dans le service duquel la malade était

entrée, considérant sa petite taille ('1 m. 3h), la polyléthalité de ses frères

et soeurs (8 morts sur 12, en bas-âge), les lésions dentaires, n'hésita pas

à attribuer à la syphilis héréditaire-et non à la vérole acquise, les acci-

dents qu'elle avait présentés vers t'age de 30 ans et ceux qui survinrent

ultérieurement tant du côté du frontal que de la moelle épinière.

Le traitement spécifique s'est montré il peu près inefficace sur la lésion

médullaire, mais il faut dire que celle-ci existait depuis plus d'un an au

moment où la malade a été soumise à noire observation et qu'il en est sou-

vent ainsi lorsqu'on n'intervient pas tout à fait au début de la paraplégie

spasmodique syphilitique commune.

Dans le fait qui va suivre, la manifestation de la syphilis héréditaire

est encore exclusivement médullaire et l'affection revêt en outre un type '

clinique qu'il n'est pas souvent donné d'observer.

OBs. V. Mme X..., 35 aus.

Sa mère, que nous avons vue, est bien portante et la mit au monde après 5 ans

de mariage ; elle n'eut pas d'autres enfants et ne fit pas de fausses couches.

Son père est mort il 5 ans d'une affection chronique des voies respiratoires,

sa santé avait toujours était chancelante.

ix 10

142 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Mme X... n'a marché qu'assez lard : il n'existe pas, chez elle, de traces de ra-

chitisme.

De taille moyenne, bien conformée el de bonne santé habituelle, elle est bien

réglée, elle a un fils bien portant actuellement âge de 13 ans ; pas d'autres

enfants : pas de fausses couches.

Au mois de janvier 1895, ses membres inférieurs devinrent le siège de phé-

nomènes inusités. Il lui sembla que ses pieds s'enfonçaient dans le sol ou mieux

qu'un tapis moelleux s'interposait entre le sol et ses pieds. Ceux-ci étaient lé-

gèrement engourdis, ils étaient moins sensibles qu'auparavant à la piqûre. En

même temps, se montraient des douleurs sourdes dans la région lombo-sacrée.

Elle avait déjà ressenti ces douleurs au mois d'août 1894, étant aux bains de

mer, mais elle n'y avait pas attaché d'importance celles-ci ayant rapidement

disparu. -

D'ailleurs, tous les phénomènes qu'elle éprouva, en janvier 1895, ne durèrent

pas plus de 8'jours.

Le 11 mars 1895, les douleurs de la région lombo-sacrée revinrent plus vives

et avec elles l'engourdissement des pieds se montra plus accentué ; il lui sem-

blait qu'en marchant elle posait les pieds dans le vide, ce qui rendait la locomo-

tion hésitante et difficile.

A partir de cette époque, les phénomènes s'aggravèrent rapidement ; toutefois

les douleurs de la région lombo-sacrée s'amoindrirent sous l'influence des dou-

ches chaudes et de l'application de pointes de feu in situ.

Au mois de mai 1895, nous constatons l'état suivant :

Mme X... se plaint d'une grande difficulté de marcher; depuis plusieurs

mois déjà, non seulement la course est devenue impossible mais elle doit encore

s'observer quand elle veut faire quelques pas. Ses jambes sont lourdes et faibles;

lorsqu'elle est debout, elle doit faire attention pour rester en équilibre car ses

pieds sentent mal le sol, il lui est impossible, dit-elle, de faire un pas plus vite

que l'autre.

Les sensations d'engourdissement qu'elle éprouve dans les membres infé-

rieurs sont encore plus marquées du côté des fesses. Si elle se place sur une

chaise elle n'a pour ainsi dire pas la notion d'être assise. Dans cette situation, si

elle ferme les yeux, elle manque d'équilibre, se renverse en arrière; elle est

assise, dit-elle, comme sur un ballon gonflé. Elle ne sait pas, eu outre, où elle

place exactement ses jambes quand elle les remue.

D'une façon générale, tout le segment inférieur du corps est engourdi, mais

cet engourdissement devient de l'insensibilité presque complète au pourtour de

l'anus, au périnée, et au niveau des parties génitales. Elle ne sent pas la ca-

nule d'un irrigateur ou d'un injecteur vaginal, ou il lui semble que ces objets

pénètrent dans un canal feutré, insensible, elle ne peut en apprécier les dimen-

sions ; les sensations voluptueuses ont disparu.

Elle a perdu toute notion réelle d'aller à la garde-robe. Lorsqu'elle se place

sur le vase, elle est obligée de'vérifier de visu si la défécation a eu lieu ; elle est

obligée de prendre de grandes précautions pour ne pas avoir de selles involon-

taires. De même, elle n'a pas conscience de l'émission de l'urine, bien que par-

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 143

fois les besoins soient impérieux. Ils exigent une satisfaction immédiate, sans

cela l'urine s'écoulerait malgré la volonté.

En dehors de cette bande d'anesthésie presque absolue qui englobe les orga-

nes génitaux externes, le périnée et le pourtour de l'anus et de l'hypoesthésie

des fesses, de la sensation moins marquée d'engourdissement des membres in-

férieurs, on constate que les muscles des cuisses et des jambes ont conservé

leur volume normal.

Les réflexes rotuliens sont très forts, surtout à gauche où il existe un léger

degré de trépidation spinale. -

Signe de Romberg, les pieds joints, les yeux fermés.

La palpation et la percussion des vertèbres lombaires et sacrées ne révèle au-

cun point douloureux, aucune déforma lion ! locale.

Rien du côté des membres supérieurs ; les pupilles sont normales.

Le mari de Mme X... ayant autrefois pris de l'iodure de potassium, mais niant

cependant toute syphilis, nous pensons néanmoins devoir attribuer à cette af-

fection les phénomènes observés et qui seraient en rapport avec des lésions spé-

cifiques de la moelle lombaire et de la queue de cheval.

Prescription : pilules de Dupuytren (1 centigramme chaque de' bichlorure

d'hydrargyre) et 4 grammes, par jour, d'iodure de potassium il continuer pen-

dant 1 mois 1/2.

La malade est revue fin juin 1895.

Sous l'influence du traitement spécifique, les phénomènes dont nous avons

parlé se sont considérablement améliorés. Non' seulement la marche est redeve-

nue possible, mais la malade peut même courir après un omnibus.

La sensation pénible d'anesthésie comparée par la malade la gêne détermi-

née par la garniture d'une femme qui a ses règles a beaucoup diminué ; de plus

elle a maintenant la possibilité de contrôler, sans le secours delà vue, l'émis-

sion des urines et des matières fécales.

Lorsqu'elle est assise, elle sent le siège sur lequel elle repose et ne perd plus

ses jambes dans le vide lorsqu'elle ferme les yeux ; le signe de Romberg n'existe

plus. Le réflexe rotulien est normal à droite, toujours un peu fort à gauche.

La malade se considère presque comme guérie : d'impotente qu'elle était, elle

peut actuellement vaquer, presque comme avantsa maladie, à toutes ses occupa-

tions :

Un interrogatoire minutieux nous apprend alors que son mari n'a pas eu la sy \

pbilis, qu'il a pris autrefois de l'iodure de potassium pour des accidents légers I

cardio-pulmonaires.

Par contre, l'examen nous révèle chez Mme X... l'existence de lésions dentaires

très spéciales. Les incisives médianes et latérales, supérieures et inférieures,

sont striées, déformées, leur bord libre est érodé, plusieurs d'entre elles pré-

sentent l : échancrure semi-lunaire d'Hutchinson. Les canines sont atrophiées. La

première grosse molaire des deux côtés présente de l'atrophie cuspidienne.

En présence de ces dents et du fait que, pour en expliquer les lésions, on ne

peut invoquer l'existence chez Mme X... de maladies graves ou convulsives de

l'enfance, nous pensons immédiatement la syphilis héréditaire, opinion que

144 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

corrobore l'efficacité du traitement mercuriel et ioduré contre les accidents ner-

veux que nous avons décrits.

Nous prescrivons alors(juillet 1805)l'iodnrede potassium;'¡ la dose de3 gram-

mes par jour et l'estomac étant un peu intolérant, les pilules de Dupuytren sont

remplacées ,par des injections sous-cutanées de peptonate de mercure (1 injec-

tion par jour pendant 15 jours).

Ces injections sont mal tolérées par suite d'une réaction douloureuse locale.

Aussi n'amènent-elles pas la nouvelle amélioration qu'on était en droit d'espérer.

En août, Mme X... part pour la campagne et prend, pendant un mois environ,

4 grammes d'iodure de potassium par jour et une pilule de Dupuytren. '

En septembre, l'amélioration est très marquée; la marche est très bonne, la

sensation d'anesthésie anale et périnéo-vulvaire s'atténue de plus en plus. L'é-

tat général est excellent, la malade prend de l'embonpoint, l'appétit et le som-

meil sont très bons.

En octobre, 2 grammes de Kl par jour pendant un mois et 15 frictions quo-

tidiennes avec 4 grammes d'onguent mercuriel double. L'amélioration est de

plus en plus marquée. #

Eu novembre, très violente attaque de grippe avec fièvre. Mme X... est for-

cée de garder le lit pendant 15 jours. Lorsqu'elle se lève, ses membres inférieurs

sont faibles, bien que la marche soit toujours bonne; l'engourdissement du seg-

ment inférieur du corps tend à reparaître. On prescrit alors li grammes de IiI par

jour, une friction quotidienne avec 4 grammes d'onguent mercuriel double. Ap-

plication de pointes de feu dans la région lombaire renouvelées tous les 10 jours.

Hydrothérapie froide en jet brisé pour relever l'étal général. z

Sous l'influence du traitement, les phénomènes de faiblesse des membres in-

férieurs disparaissent nouveau, la marche redevient très bonne, l'engourdisse-

ment tend à disparaître complètement.

Le 10 décembre 1895, Mme X... vient à nouveau nous consulter munie

d'une note du Ur Baudier à laquelle nous empruntons la majorité des détails ci-

dessus.

La démarche est celle d'une personne normale. Mme X... peut courir; elle

fait de longues promenades sans fatigue. Lorsqu'elle s'assied elle n'a plus

qu'une vague sensation d'engourdissement de la région inférieure des fesses et

de la région périnéo-vulvaire. Ces régions ont leur sensibilité normale à la pi-

qûre.

Lorsque Mme X... va il la garde-robe elle a la sensation du passage des ma-

tières fécales ; de même pour l'urine; les besoins restent néanmoins un peu

impérieux. Elle a la sensation normale d'une canule d'injecteur anal et d'une

canule d'injecteur vaginal. De même pendant le coït; les sensations voluptueuses

qui avaient disparu au début de l'affection ont reparu.

Pas de signe de Romberg. Les réflexes rotuliens sont normaux, le gauche

étant un peu plus fort que le droit sans être sensiblement exagéré. Mme X...

qui, depuis le début de l'affection, usait ses chaussures du bout, les use mainte-

nant il pleine semelle. De temps en temps cependanl,il existe un peu d'engour-

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 145

dissemenl passager de la plante des pieds sans qu'on puisse noter d'anesthésie

véritable par les divers procédés d'investigation.

Cette observation, intéressante à bien des points de vue, l'est encore

à celui des hésitations par lesquelles dut passer le diagnostic étiologi-

que.

Mis en présence de phénomènes paralytiques évidemment liés à une lé-

sion médullaire dont nous allons préciser le siège, nous pensâmes avec le

Dr Baudier, médecin traitant qui nous faisait l'honneur de nous demander

notre avis sur ce cas particulier, à la syphilis acquise. Nous nous basions sur

ce fait que le mari de Mme X... avait antérieurement pris de l'iodure de

potassium.

Les résultats immédiats et très considérables obtenus par un traitement

énergique, mercuriel et ioduré, confirmèrent entièrement l'opinion que

nous nous étions faite sur la nature de l'affection ; il s'agissait incontestable-

ment de syphilis.

Des renseignements ultérieurs, recueillis par le D'' Baudier,nous ayant

permis d'éliminer la syphilis acquise, nous cherchâmes les stigmates de la

syphilis héréditaire et nous découvrîmes alors la lésion dentaire d'IIut-

chinson qui levait tous nos embarras. Le traitement spécifique fut continué

avec insistance et, lors de notre dernière entrevue,nous pouvions considé-

rer que l'affection syphilitique dont était atteinte Mme X... était complè-

tement enrayée, sinon définitivement guérie.

Si maintenant nous voulons préciser le siège de la lésion il n'est pas

difficile, par les symptômes observés et en particulier en se basant sur les

limites de l'anesthésie, de dire que nous nous sommes trouvé en présence

d'une lésion des racines inférieures de la moelle, ou du cône terminal. Ce

sont les nerfs de la queue de cheval qui ont été envahis par un processus

très probablement de méningo-myélite gommeuse et la localisation de la

lésion en a permis la curabilité sous l'influence du traitement spécifique.

On sait en effet que ces lésions des nerfs sont beaucoup plus susceptibles

de guérison, soit par les moyens opératoires en cas de traumatisme,soit par

la médication interne, que lorsque l'axe médullaire lui-môme est principa-

lement touché. '

Les travaux de M. le professeur Raymond (1) publiés dans ce recueil,

la thèse de M. Dufour (2), pour ne parler que des plus récentes investi-

gations, font foi de ce que nous avançons.

Nous nous sommes donc trouvé en présence d'un fait indéniable de

(1) V. Raymond. Sur les affections de la queue de cheval. Nouv. Iconographie de la Sal-

pêtriène, IlO 2, lS9a. -IIématomyélie du cône terminal. Id., no 3, 189q.

(2) Duroua. Contribution à l'élude des lésions des nerfs de la queue de cheval et du

cône terminal. Th. Paris, 23 janvier 1896.

146 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

syphilishérédi taire tardive se localisant sur la moellelombo-sacrée ou mieux

sur les nerfs qui en émergent. Et si nous rappelons ce que nous avons dit

fréquemment au cours de ce travail, à savoir que la syphilis héréditaire

semble presque toujours louchera la fois le cerveau et l'axe médullaire, on

voit quel intérêt présente notre observation.

Après avoir étudié les localisations médullaires imputables directement

à la syphilis héréditaire, il nous sera permis de dire quelques mots des

rapports que celle-ci peut affecter avec le tabes. Notre intention n'est pas

d'ailleurs de prendre position dans celte question, encore si controversée,

au moins en ce qui regarde la syphilis acquise, nous voulons simplement

publier un fait qui joint à ceux qui existent déjà dans la science aidera

peut-être à la solution du problème.

L'observation qui va suivre appartient à MM. Oulmont, médecin de l'10-

pital Laennec etBensaude, interne des hôpitaux, qui l'ont communiquée à

M. le professeur Fournier et nous ont autorisé à la publier,ce dont nous

les remercions vivement. Nous y avons joint les notes complémentaires re-

cueillies par M. Keim, interne du service de M. Fournier où nous avons

pu nous-même étudier la malade.

Obs. VI. - Louise D..., 32 ans, lleuriste, entrée le 13 novembre 1895, salle

Henri IV, hôpital St-Louis, service de M. le professeur Fournier.

A. Il. Ses parents sont morts tous les deux d'affection cardiaque ; de plus

sa mère aurait eu une maladie de foie.

De ses 4 frères et soeurs, 2 sont morts en naissant, un 3° de hroncho-pneu-

monie ; un 4e de la scarlatine. Elle est née après la mort des 4 précédents.

Elle a marché très tard, vers 4 ans seulement ; pas de signes appréciables

de rachitisme, si ce n'est une légère incurvation du tihia droit.

Elle aurait eu,vers 3 ans, des convulsions dont le strabisme actuel serait un

reliquat.

A l'âge (le 8 ans, elle ne pouvait courir, avait des palpitations fréquentes,

était facilement essoulllée. On l'aurait, dès cette époque, traitée pour une affec-

tion cardiaque.

Elle a eu la variole en 1870, mais n'en a gardé aucune cicatrice.

Elle n'a été réglée qu'à l'âge de 17 ans ; depuis, elle paraît l'avoir été régu-

lièrement,sauf à partir de 1888, pendant une période de 14 mois, où on la traita

pour de la chloro-anémie et des douleurs dites rhumatoïdes ( ? ).

La maladie actuelle semble avoir débuté en 1882, il de 19 ans . L. D...

fit à cette époque une chute de sa hauteur dans la rue et ne ressentit immédia-

tement que quelques douleurs de contusions dans la hanche gaucho sur la-

quelle elle était tombée. Elle put rentrer chez elle, marcha encore pendant

5 semaines malgré la faiblesse persistante du membre inférieur gauche.

LA SYPUILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 147

Un matin, cinq semaines environ après la chute, sans cause apparente, elle

tombe par terre on essayant de marcher en descendant du lit. On la transporta

à l'Hôtel-Dieu, dans le service de M. Richet, où l'on porta le diagnostic de luxa-

tion de la hanche gauche. Cette luxation fut réduite une première fois sous le

chloroforme et l'on fit de l'extension continue (juin 1882).

Après trois mois de repos, elle essaye de marcher, mais elle boite et la luxa-

tion se reproduit. On la réduit en décembre et la malade garde le lit pendant

deux mois. Au bout de ce temps, elle sort de l'hôpital, sa luxation persistant.

De 1882 à 1885, la malade continue en boitant son métier de fleuriste.

En 1885, fatiguant beaucoup, elle commence à souffrir de la hanche droite

où elle ressent des craquements. A la suite d'un faux pas, la hanche droite se

luxe il son tour. A l'hôpital Necker, où elle entre dans le service de M. Lefort,

on cherche en vain à réduire cette nouvelle luxation : la malade sort non gué-

rie, ayant par conséquent une luxation des deux hanches.

En 1888, elle entre dans le service de M. C. Paul pour des douleurs dites

rhumatismales et l'aménorrhée que nous avons signalée, et qui dure 14 mois.

A la fin de cette année, elle ressent de vives douleurs dans le genou droit qui

devient le siège d'un oedème considérable. On la soigne chez M. G. Sée par

l'immobilisation et les pointes de feu. Elle garde, de cet accident, de la laxité des

téguments péri-articulaires et des mouvements anormaux que nous constatons

aujourd'hui.

Depuis 1888, chaque hiver, la malade se plaint de douleurs articulaires, mais

ce n'est en réalité qu'en 1894 qu'elle entre à St-Antoine,chezM.Hayem,pourdes

douleurs fulgurantes des membres inférieurs, des douleurs en ceinture, abdo-

minales, et enfin des vomissements. .

Etat actuel (novembre 1895). Malade de petite taille. Asymétrie fa-

ciale assez prononcée.

L'examen des yeux pratiqué par M. Sauvineau (novembre 1895) révèle les

particularités suivantes : « Les yeux sont volumineux et présentent un léger

degré d'exophtalmie. Fort strabisme divergent de l'oeil droit, non paralytique.

Tous les mouvements des globes oculaires s'accomplissent normalement. Dans

le regard il droite, quelques secousses nystagmiformes se produisent,surtout à

l'oeil droit.

« Les pupilles sont inégales ; la gauche un peu dilatée, la droite très dilatée.

Elles sont absolument immobiles (réflexes lumineux et accommodateur abolis).

Il n'y a pas de synéchies iriennes, pas de troubles des milieux transparents.

Myopie 0. D. - 13 dioptries ; 0. G. =8 dioptries. La papille optique est ac-

compagnée à chaque oeil d'un large staphylome postérieur en forme de croissant

- situé au côté externe de la papille. Les papilles optiques présentent elles-mêmes

l'aspect anormal suivant : leur moitié externe parait normale ; quant à la moitié

interne, à partir du point d'émergence des vaisseaux centraux, elle disparaît

entièrement sous la chorio-rétinite qui s'avance jusqu'à l'origine de ces vais-

seaux.

« Il existe dans les deux yeux un certain nombre de taches de rétinite pigmen-

taire, les unes arrondies, les autres en forme d'ostéoblastes. Ces taches sont

148 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE

disséminées surtout vers la périphérie de la rétine. Quelques-unes néanmoins

existent au voisinage de la région vasculaire ».

Il n'existe, à la face ou sur le corps, aucune cicatrice ancienne ou récente.

La démarche de la malade est celle d'une femme atteinte de luxation congé-

nitale des 2 hanches. Elle marche en canard, en se dandinant. Les 2 têtes des

fémurs proéminent sous les grands fessiers. (pli. Z'IlI et XIX.)

La sensibilité semble partout conservée et dans tous ses modes : au tact, à la

douleur, à la température. Toutefois, il existe un retard de la perception dou-

10Ul'eue. la partie interne de la cuisse droite et il la partie externe de la cuisse

gauche. Le sens musculaire. est conservé ainsi que la sensibilité profonde.

Au point de vue moteur proprement dit, la malade ne présente que fort peu

de signes; il est vrai que la démarche particulière due il la double luxation

coxo-fémorale, rend l'appréciation difficile. Pas de signe de Romberg. Les ré-

llexes rotuliens sont abolis, les réflexes plantaire et pharyngien conservés.

L'atrophie des muscles des membres inférieurs semble en relation directe

avec les troubles articulaires. ' '

Intégrité des sphincters vésical et rectal ; pas do troubles laryngés.

Il n'en est pas de même en ce qui regarde le tube digestif. Fréquemment et

par intermittence, elle a des vomissements entre les repas, accompagnés d'a-

norexie et de douleurs assez vives. Rarement les vomissements sont alimen-

taires. Ils ont alterné cette année avec des crises diarrhéiques accompagnées de

douleurs abdominales toutefois, si les besoins étaient fréquents et impérieux,

l'évacuation n'était le plus souvent qu'insignifiante. Cette diarrhée a cédé au

régime et il un traitement anodin.

Depuis l'âge de Sans, la malade se plaint de palpitations ; elle présente d'ail-

leurs un souffle systolirlué de la pointe symptomatique d'une insuffisance mi ?

traie.

Rien du côté des oreilles; n'a jamais eu d'écoulements ni de bourdonne-

ments. ,

Troubles trophiques. --Nous avons déjà signalé l'atrophie des muscles des

membres inférieurs ; les ongles des orteils sont fendillés et ont disparu en partie.

Au pied droit,au niveau-de la tête du premier métatarsien, durillon volumineux

et douloureux ; épaississements dermiques, en particulier sur le bord interne du

pied droit. Le tihia droit est un peu plus incurvé que normalement.

. L'articulation de la hanche des deux côtés est le siège (l'une luxation en ar-

rière,; la cavité cotyloide est vide et l'on trouve la tête fémorale,' en arrière et

au-dessus d'elle, immobilisée dans cette situation ; toutefois il semble s'être'

formé là une pseudarthrose permettant les mouvements du membre inférieur

sur le bassin. ' .

Le genou droit est élargi dans le sens transversal, il fait saillie en dedans,

de sorte que .vue en arrière, l'articulation semble proéminer du côté interne.

L'arthropathie du genou semble avoir débuté, en 1887, par des phénomènes

d'arthrite sèche. L'articulation, : '1 cette époque, aurait été le siège d'un gonfle-

ment oedémateux il la suite duquel on perçut des craquements dans son inté-

rieur. Le traitement par l'immobilisation et les pointes de feu ne donna que

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE ET TABES

Arthropathies des hanches, des genoux et des pieds. ? BATTAILLE ET Cie

Éditeurs

- LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 149

peu de résultais ; les ligaments sont restés assez lâches pour permettre des

mouvements de latéralité qui nuisent à la marche. ,

La même année, la malade, nous l'avons dit, se fit une luxation de l'articula-

tion tibio-tarsiennc droite. Cette luxation, malgré une immobilisation de 3 se-

maines, ne put jamais être réduite. Aujourd'hui, le pied droit est dévié en

dehors, l'astragale repoussée en dedans et en bas; la malléole interne fait saillie'

en dedans. Le poids du corps semble porter sur le bord interne du pied, vers

sa partie postérieure. Là, d'ailleurs, s'est formée une bourse séreuse avec hy-

pertrophie du derme, donnant une sensation pseudo-fluctuante.

Sans cause apparente, le pied gauche, après le pied droit, s'est épaissi pour

ainsi dire sur son bord interne. Là encore on trouve une bourse séreuse.de

nouvelle formation, la voûte plantaire est un peu affaissée, la voûte dorsale

normale.

Lésions deîitaiîes.- Ce qui frappe d'abord c'est la vulnérabilité dentaire. De-

puis quelque temps, en effet, les dents tombent sans cause, sans douleur, la

malade les cueille pour ainsi dire ; celles qui restent sont implantées vicieuse-

ment, plusieurs sont petites, atrophiées ; celles de la mâchoire inférieure, eu

particulier, sont striées transversalement. Ces lésions, y compris la vulnérabi-

lité, sont antérieures au début de l'affection médullaire et datent de l'enfance.

Dans cette observation, la réalitéde l'hérédo-syphilis semble indéniable :

la pol.) léthalité, le nanisme, le strabisme, les lésions dentaires forment

un faisceau de preuves très concluantes. '

Ce qu'il faut surtout faire ressortir, c'est le début extrêmement précoce

du tabes qui, chez la malade, a fait son apparition à 19 ans.

Cette particularité n'est pas spéciale à notre cas, on la retrouve et c'est

là son grand intérêt, dans plusieurs autres observations de la maladie de

Duchenne développée chez des hérédo-syphilitiques.

M. le professeur Fournier (1) a observé 3 malades atteints de tabes et

entachés d'hérédo-syphilis : l'affection avait débuté à 18 ans, à 20 ans, à

31 ans. Dans ce dernier cas il existait des troubles trophiques osseux, une

fracture spontanée.

Remak (2) a vu le tabes se montrer à 9 et à 13 ans chez deux enfants

fiéréclo-sypli 11 i tiques. Il est vrai que dans une autre observation de son

mémoire (obs. II), où la maladie avait commencé à 12 ans, il sembla bien,

malgré la polyléthalité, qu'il n'existât pas de syphilis.

Nous pourrions citer d'autres observations de môme ordre où la syphilis

paraissait également faire défaut. Aussi ne nous avancerons-nous pas plus

loin sur ce terrain brûlant des rapports de la syphilis héréditaire (ou ac-

(1) A. Fournier. Tabes d'origine hérédo-syphilitique probable, fracture spontanée,

lésion recueillie par le Dr A. Bruchet, France médicale, non 136, 137, 138, t. II, 1885.

(2) REMAK. Drei Foelle von Tabes in Kindesalter. Berl. klin. 1Vochenschrift, n° 7,

16 février 1885.

150 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

quise) avec le tabès. Les faits précédents démontrent cependant combien

est fondée l'opinion de M.Fournier(l)qui concluait, après avoir rapporté

ses observations, que désormais « il faudra, pour toute enquête complète

sur l'étiologie du tabès, interroger les antécédents héréditaires des ma-

lades au point de vue de la syphilis, tout comme aujourd'hui chacun de

nous interroge au môme point de vue leurs antécédents personnels ».

Arrivé au terme de ce travail, il nous sera permis de jeter un regard en

arrière et de résumer nos connaissances sur la syphilis héréditaire delà

moelle épinière, question qui, jusqu'à ce jour, semble avoirpeu attiré l'at-

tention des pathologistes. De fait, les plus récents traités de médecine n'en

font même pas mention.

Son existence est indéniable, les observations éparses dans la littérature

médicale et celles que nous avons rapportées en font foi.

La syphilis peut frapper la moelle à trois périodes de l'existence : pen-

dant la vie intra-utérine, pendant les premières années, pendant l'adoles-

cence et l'âge mûr ; elle est dite congénitale, précoce ou tardive.

Lorsque la syphilis frappe l'enfant avant sa naissance, l'accouchement

a souvent lieu avant terme; l'enfant est mort-né ou il nait vivant. Dans

le cas où il est mort-né, ou s'il a succombé rapidement, on ne peut avec

certitude attribuer la mort à la seule localisation médullaire, car presque

toujours, sinon toujours, on note, en dehors des altérations dont la moelle

ou mieux le système nerveux est le siège, des manifestations viscérales os-

sertses ou autres qui ne permettaient guère la survie. Les signes cliniques

font donc complètement défaut.

Les lésions que l'on trouve alors du côté de la moelle, sans parler des

vices et arrêts de développements, dont la syphilis héréditaire est d'ailleurs

coutumière (dents en particulier), consistent essentiellement en une mé-

H;'no-Me7e diffuse embryonnaire. Nous ne pouvons nous empêcher de

rapprocher cette myélite de l'hépatite interstitielle diffuse que l'on trouve

si fréquemment chez les foetus ou les enfants qui ont succombé à la sy-

philis congénitale. L'affection hépatique coïncidant souvent avec l'affec-

lion médullaire, ce sont là évidemment, dans des organes différents, les

effets d'un processus de même ordre, très simple en réalité, et reconnais-

sant une môme origine vasculaire.

A l'instar de ces lésions hépatiques si fréquentes et'si souvent ignorées,

il est à présumer que les lésions médullaires, qu'un même processus gé-

néral tient sous sa dépendance, seraient beaucoup plus souvent notées

qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour si l'on s'astreignait à les rechercher par

les moyens appropriés, à la vérité difficiles à mettre en oeuvre.

(1) A. Fournier. La syphilis héréditaire tardive, op. cit., p. 529.

LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 151

Si l'enfant touché congénitalement survit, les symptômes cliniques ap-

paraissent. Ceux-ci sont le plus souvent dominés par les phénomènes cli-

niques de la sclérose cérébrale. Il devient cependant possible, par une

analyse minutieuse, de faire la part, au milieu des symptômes encéphali-

ques, de ce qui appartient à la moelle.

Analomiquement, le processus embryonnaire est passé à l'état adulte,

c'est la sclérose qui en est l'aboutissant. Onla retrouve dans le cerveau où

elle est très accentuée dans la majorité des cas ; elle peut cependant se lo-

caliser presque exclusivement sur la moelle pour produire des paraplégies

spasmodiques, indemnes de phénomènes cérébraux concomitants. Il est

rare toutefois que, même dans ces cas, le cerveau n'ait pas été touché par

le processus au début de son évolution.

Lorsque la syphilis porte son action sur la moelle dans les années qui

suivent la naissance, de même que pendant l'adolescence et t'age adulte,

le cerveau peut encore participer au processus, mais la localisation céré-

brale envahit de préférence le mésocéphale, de même que dans les formes

médullaires pures elle affecte une prédilection marquée pour la moelle

cervicale. Toutefois, la localisation peut siéger uniquement sur la moelle

lombo-sacrée.

Dans ces cas de syphilis précoce ou tardive les types cliniques devien-

nent beaucoup plus variés que dans la syphilis congénitale.

A mesure en effet que le sujet avance en âge, les tissus se différencient

de plus en plus, prennent une individualité fonctionnelle plus marquée :

la moelle, les méninges, les vaisseaux semblent agir, être frappés davan-

tage chacun pour son propre compte. L'infiltration embryonnaire, base

du processsus, se collecte elle aussi volontiers davantage pour aboutir au

dépôt gommeux proprement dit soit interstitiel, soit périvasculaire, soit t

méningé. De plus, il se joint probablement à l'artérite gommeuse propre-

ment dite, l'artério et la phlébo-sclérose de la syphilis adulte si difficiles

à différencier anatomiquement des scléroses vasculaires observées dans

les infections autres que la syphilis. Le cycle anatomique est alors com-

plet. Le champ clinique s'en élargit davantage et, sous ce rapport, il

nous semble, qu'à part sa grande tendance à resterencéphalo-mbdullaire,

indice de la généralisation initiale du processus, dans ses formes cliniques

la syphilis héréditaire précoce et surtout tardive ne diffère pas sensi-

blement des expressions si variées de la syphilis acquise.

Telles sont les conclusions que nous nous croyons autorisé à formuler

clans l'étal actuel d'une question qui, nous le répétons, n'est encore qu'à

son aurore.

DE QUELQUES DÉFORMATIONS DE LA MAIN

ET DES DOIGTS

CONSÉCUTIVES A L'OSTÉITE SYPHILITIQUE

(Une observation avec photographie Rôntgen, cliché A. Londe).

, PAR

A. CHIPAULT,

Chef de consultation chirurgicale à la Salpêtrière.

En 1889, le professeur Lannelongue, devant le Congrès de chirurgie

puis dans la thèse de son élève Ortliolan, décrivait les déformations per-

manentes des doigts et de la main consécutives aux lésions tuberculeuses

de leurs os : déformations fréquentes, étant donné la banalité de ces

lésions. De toutes pareilles peuvent se produire à la suite des lésions syphi-

litiques des mêmes os ; elles sont beaucoup plus rares : aussi ne croyons-

nous pas inutile d'en rapporter une. observation personnelle, et d'en tenter

une description d'ensemble, qui n'a pas encore été faite.

Rapportons tout d'abord notre observation.

M. R..., buandier, âgé de 35 ans, nous est envoyé par notre confrère, le

Dr Bourbon, pour être soigné d'une otite double ancienne, avec destruc-

tion des tympans et des osselets et, à gauche, sur la paroi postérieure de

la caisse, un petit point suppurant dû à un foyer de sclérose osseuse, en-

veloppant quelques fongosités qu'une intervention mastoïdienne me per-

mit d'enlever avec un succès complet. "

Quoi qu'il en soit de l'existence de ces accidents, qui ne nous intéres-

sent que d'une manière accessoire, je fus frappé, dès le premier examen

du malade, par l'existence d'une déformation de la main survenue au cours

d'une série d'accidents qui* suivirent sa .première vaccination,' faite vers

l'âge de trois ans et qui relevèrent, à n'en pas douter, d'une syphilis vac-

cinale. D',une vingtaine d'enfants, inoculés en même temps que lui, plu-

DEFORMATIONS DE LA MAIN ET DES DOIGTS

Consécutives \ l'Ostéite syphilitique.

L f3AlIAILLE 1 I Cie

DE QUELQUES DÉFORMATIONS DE LA MAIN ET DES DOIGTS 153

sieurs succombèrent ; lui-même fut très gravement atteint ; il eut, lui ont

raconté ses parents, une maladie de foie, des ulcères un peu partout

et on lui fit prendre du mercure. Les traces persistantes de l'affection sont

du reste tout fait nettes : ce sont, au cou, aux jambes, aux bras, des ci-

catrices gaufrées et polycycliques, l'otite scléreuse double pour lequel

nous le soignons, et la déformation de la main gauche, qu'il nous reste à

étudier. Celte déformation consiste essentiellementen un raccourcissement

de l'index, dont l'extrémité atteint seulement le milieu de la ire phalange

du médius ; le doigt est tout à fait normalement composé au niveau de ses

3e et 2e phalanges, tandis que la partie dépendant de la 1 r. semble man-

quer : les plis articulaires dorsaux phalango-phalanginiens sont à la

hauteur de la palmure qui réunit l'index et le médius, et, la saillie osseuse

qui leur correspond est sur la ligne qu'elle occuperait s'il s'agissait d'une

articulation phalango-métacarpienne. Le palper révèle toutefois l'existence,

à la hauteur de la palmure qui réunit le pouce et l'index, c'est-à-dire à mi-

hauteur du trajet osseux qui serait formé normalement par le 2e métacar-

pien, d'un interligne transversal susceptible de quelques mouvements

communiqués de flexion. Les mouvements spontanés de l'index, au niveau

de ses deux articulations persistantes, sont du reste parfaitement conser-

vés ainsi que tous les autres mouvements de la main. Les cicatrices lisses,

gaufrées, circulaires, qu'elle présente en divers points sont tout à fait su-

perficielles, non adhérentes aux tissus profonds : le malade assure en effet

que les plaies de sa main n'ont jamais été profondes, et qu'il n'en est ja-

mais sorti ni pus, ni débris osseux. (PI. XX.)

La méthode photographique de Roentgen nous "rendait possible, dans ce

cas, une véritable biopsie, une constatation directe des lésions osseuses exis-

tantes. Grâce à l'obligeance de M. Londe, nous avons pu la mener à bien.

Sur le cliché ici reproduit (Pl. XXI) et que nous devons à son amabilité,

on voit que la déformation présentée par notre malade est due essentielle-

ment à une diminution considérable de longueur du deuxième métacar-

pien : lui, qui normalement vient en seconde ligne après le métacarpien du

médius, est devenu le plus petit de tous, un tiers moins long que le mé-

tacarpien du pouce ; il a du reste gardé sa forme biconcave habituelle ;

sa partie supérieure paraît ne pas avoir été touchée ; son corps, peut-

être un peu élargi, est considérablement raccourci ; enfin sa partie pha-

langienne est très modifiée : au lieu de former une tète sphéroïdale,

s'articulant avec une cavité phalangienne peu profonde, elle présente

deux cavités séparées par une crête mousse et la phalange figure une tro-

chiée; l'articulation a donc absolument changé de caractères au lieu de

constituer une enarthrose, comme ce devrait être, elle présente tout l'as-

pect d'une trochlée. 'Quoi qu'il en soit, le point mobile senti sur le rebord

154 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

externe du métacarpe n'est point formé par une pseudarthrose, consécu-

tive à une fracture spontanée du deuxième métacarpien, mais par une

articulation métacarpo-phalangienne. L'index a donc, contrairement à ce

que pouvait faire supposer l'examen clinique, ses trois phalanges, la

première étant rentrée en lorgnette dans les chairs métacarpiennes et môme

thénariennes, dont, sur la photographie, l'ombre voile sa partie infé-

rieure. J'ajoute que, sauf les caractères un peu particuliers de cette pre-

mière phalange à son extrémité métacarpienne, les trois os de l'index ont

gardé leur aspect et leurs proportions habituelles. Ils sont cependant

légèrement diminués de volume et de longueur, et semblent appartenir à

une main plus petite que le reste du squelette photographié : il s'agit là

presque certainement d'une atrophie secondaire, l'altération des tissus en-

vironnant le deuxième métacarpien ayant entravé l'irrigation artérielle

du doigt correspondant.

En somme la déformation de la main de mon malade est due à une

diminution de longueur du deuxième métacarpien, consécutive à une

ostéite syphilitique, l'insertion en lorgnette de l'index dans le métacarpe,

et l'atrophie osseuse légère de l'index étant des lésions secondaires à ce

raccourcissement.

Les observations qui viennent se grouper à côté de la précédente, pour

permettre la description des déformations de la main consécutives aux ostéi-

tes syphilitiques, sont fort peu nombreuses : ce n'est pas que ces ostéites

soient absolument rares, mais elles guérissent d'ordinaire par le traitement

spécifique, sans laisser de déformations permanentes.

Toutes les variétés d'ostéites syphilitiques sont du reste susceptibles

d'en produire : variétés pathogéniques, ostéites de la syphilis infantile

héréditaire [Taylor (1), Busey (2), Bulkley (3), Le\vin(4), Stirling (5)) ou

acquise (notre observation), ostéites de la syphilis adulte ordinaire [Taylor,

(1) Taylor. On dactylitis syphilitica with observations on syphilitic lesions of joints.

Am. Journ. of syph., 1811, p. 211 et Clinical observations on the syphilitic lesions of

' the bones of the hands in the young children. Arch. Scient, and Pract. M. and S.

New-York, 48 13, I, 354-359.

(2) BusEY. Case of dactylitis syphilitica in a child 18 months old. Am. Journ. of

Med. Sciences, 1874, n. 5. LXVIII, 434-437.

(3) BULKLEY. (In Taylor, p. 44-45).

(4) LEWIX. Die syphilitische Affektionen der Finger und Zehen (Phalang. syph.).

Charité Annalen, t. IV, S. 623).

(5) STIIiI.ING. On a case of syphilitic dactylitis in a child, Inlercol, Med. Congress,

1889, p. 992.

DE QUELQUES DÉFORMATIONS DE LA MAIN ET DES DOIGTS 155

Beauregan1 (1), 13eyb (2), Ilielil (3), Mc Cready (li.), Liiele (5), Kocli (6)1;

variétés cliniques, ostéites secondaires à des lésions des parties molles di-

gitales ou métacarpiennes, ostéites primitives, gommeuses, ulcératives

ou simplement atrophiantes; variétés compliquées ou non de lésions ten-

dineuses et articulaires.

. La nature de la déformation, ses caractères un peu différents, l'adhé-

rence ou non de l'os aux parties voisines ou à la peau permettront d'ordi-

naire de dire, même rétrospectivement, laquelle de ces variétés d'ostéite a

été la cause des déformations osseuses : nous ne saurions y insister.

Il nous semble plus intéressant de schématiser les divers types de défor-

mation susceptibles d'être rencontrés : types qui peuvent, bien entendu,

s'accumuler ou se compliquer sur un même sujet et que nous classerons

de la manière suivante.

- 1° Déformations siégeant au niveau d'une articulation :

a) Ballance articulaire : un cas de Lûcke, chez un homme de 54 ans

qui conserva, après une ostéite gommeuse du petit doigt, une ballance

complète de son articulation phalango-phalanginienne.

b) Ankylose articulaire : un cas de Koch, relatif à une femme de 24 ans

chez qui une ostéo-arthrite aiguë mélacarpo-phalangienne de l'index, avec

gonflement énorme, rougeur et sensibilité extrêmes fut suivie quatre

semaines, d'ankylose osseuse en extension, qui résista à toutes les tentati-

ves de traitement.

c) Déviation articulaire plus ou moins raidie par la sclérose périarticu-

laire, soit avec formation d'un angle, soit avec torsion au niveau de l'ar-

ticle : l'angle était dû à la flexion du doigt dans un cas de Taylor, il était

dû à son hyperextension, dans mi cas de Koch ; dans un cas de Bulkley,

il y avait distorsion du pouce, qui à la suite d'une ostéite de sa première

phalange regardait face palmaire à face palmaire, l'index légèrement fléchi.

2° Déformations siégeant au niveau des os. - Nous les diviserons en dé-

(1) BEAUIIEGAIID. Des difformités des doigts. Th. Paris, 1875, p. 123, obs. 20 et 21.

(2) BEYII. Fall von uilimôsei- (syph.) Dactylitis. Archiv. sur Dermat. imd Syph.,

1870, p. 223.

(3) Rzcm.. Dactylilis Syphilitica. Berl. klin. lvocheiischi-ift, 1870, p. 112.

(4) Me Cready. n Beauregard, p. 83).

(5) LucKE. Die syphilitische Dactylitis. Berlin. klizz. YVocIzeusclznift, 1867, p. 525.

(6) Koch. Die syphilitischen Finger und Zeheiientziindungen. Sammlil11g lilinischer

Vo ? ,Iî,aege, ne 359, 1890.

156 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

formations portant sur la largeur des os, en déformations portant sur leur

longueur, et en absences complètes d'un os.

a) Les déformations portant sur la largeur des os sont les plus com-

munes ; on peut dire que la plupart des ostéites syphilitiques en laissent

des traces, à un degré-plus ou moins accentué.

a) Tantôt elles sont hypertrophiques, comme dans un cas de Beauregard,

où l'ostéite listuleuse avait siégé, chez un adulte, au niveau de la tête du

troisième métacarpien de la première phalange et de la tête de la deuxième

phalange du doigt correspondant.

b) J'anl6t, et plus souvent, elles sontatrophiques : ce sont des érosions

superficielles, des dépressions, des pertes de substance localisées, ordinai-

rement consécutives à l'élimination d'une gomme, comme dans un cas de

Lewin et qui peuvent aller jusqu'à produire une solution de continuité

de l'os, une véritable fracture pathologique comme dans une observation

de Riehl. - -

b) Les déformations portant sur la longueur des os entraînent des dé-

formations plus curieuses encore, les plus curieuses certainement de tou-

tes celles que nous venons d'étudier.

a) Il est tout à fait exceptionnel qu'il s'agisse d'un allongement : je n'en

connais qu'une observation appartenant à Taylor. Elle est relative à une

fillette, née de mère syphilitique, et qui à six semaines eut une ostéite du

médius droit qui guérit par le traitement spécifique : six moisplus tard, le

doigt autrefois malade était de 1 centimètre plus long que celui du côté

opposé, cette modification étant due à l'allongement de la première plia-

lange.

b) D'ordinaire la modification de longueur consiste en un raccourcisse-

ment.

Ce raccourcissement peut porter sur une phalange : dans un cas de

Bergh, la première phalange du médius droit, très atrophiée en totalité

à la suite d'une ostéite suppurée, mesurait deux centimètres de moins que

la phalange symétrique.

Ce raccourcissement peut aussi porter sur un os du métacarpe, et la

première phalange du doigt correspondant, rentrer secondairement eu

lorgnette dans les chairs métacarpiennes : il en était ainsi dans le cas de

Riehl, où l'atrophie du premier métacarpien paraît avoir été due à l'éli-

mination gommeuse de son extrémité inférieure; il en était ainsi dans

l'observation de Me Cready relative à une femme de 43. ans chez la-

quelle, à la suite d'une ostéite raréfiante, le deuxième métacarpien s'était,

sans qu'il y ait eu de fistulisation, raccourci surplace : l'extrémité de l'in-

dex, du reste légèrement raccourci, 'surtout dans sa première phalange,

arrivait à peine au niveau de l'articulation phalango-phalangiennedu mé-

DE QUELQUES DÉFORMATIONS DE LA MAIN. ET DES DOIGTS 157

dius. On le voit, cette observation est véritablement identique, à tous les

points de vue, à celle de notre malade, sur laquelle il nous semble inutile

de revenir.

c) L'absence complète d'une phalange ou d'un métacarpien est suscep-

tible d'entraîner des déformations au premier abord analogues à celles

que nous venons de citer : un palper attentif, et nous pouvons l'ajouter

aujourd'hui, la photographie par la méthode de Roentgen, permettront

toujours de les en distinguer.

. Nous n'en connaissons qu'un exemple, dû à Taylor et dans lequel l'os

absent était la deuxième phalange du médius gauche : la première et la

troisième phalange, légèrement hypertrophiées, étaient réunies par du

tissu fibreux, ce qui ne les empêchait pas du reste d'être anormalement et

fâcheusement mobiles l'une sur l'autre. -

On le voit, quelque peu nombreuses que soient les observations que-

nous ayons pu réunir, elles nous ont permis de classer didactiquement,

en nous aidant du travail du professeur Lannelongue sur les déforma-

tions consécutives aux ostéites tuberculeuses des phalanges et des méta-

carpiens, les déformations de la main consécutives aux ostéites syphili-

tiques de ces mêmes os. -

Ajoutons que leur ostéomyélite provoque une troisième série pathogé-

nique de déformations analogues dont nous ferons prochainement, à pro-

pos de deux observations personnelles, une étude d'ensemble.

t

ê ,

IX - 11

MAL DE POTT AVEC GRANDE DÉFORMATION

par

1 BENJAMIN WEIL,

Interne provisoire des Hôpitaux.

, L'observation suivante est celle d'un petit malade présenté à la consul-

tation externe de la Clinique des Maladies du Système Nerveux. Notre

maître, M. le Professeur Raymond, nous a engagé à publier ce casintéressant

au point de vue iconographique par suite de la déformation d'une étendue

vraiment exceptionnelle consécutive à un mal de Pott. L'observation en

elle-même ne comporte point de commentaires.

. /

Il s'agit d'un enfant du sexe masculin âgé actuellement de onze ans.

Antécédents héréditaires. Parents bien portants. Pas d'alcoolisme. Pas de

syphilis, pas de névropathie chez les ascendants.

Trois frères et une soeur bien portants, un des frères est atteint de strabisme,

un autre et une soeur sont morts en bas âge, de méningite probablement.

Antécédents personnels. Né à terme, le malade s'est toujours bien porté

jusqu'à l'âge de 5 ans. Coqueluche à 6 ans, variole il 9 ans ; : ') l'âge de 5 ans

il fut conduit chez M. J. Simon pour une constipation opiniâtre, à partir de cette

époque il a commencé à dépérir, il souffrait d'une anorexie complète et d'une

certaine difficulté à se tenir debout. Bientôt on s'aperçut que son dos se voûtait

et qu'il ne pouvait se redresser sans éprouver de vives douleurs. D'ailleurs une

douleur permanente s'y installa peu après au niveau de la colonne dorsale su-

périeure. .

M. Jules Simon l'examina à nouveau et porta le diagnostic de mal de Pott,

on constatait à ce niveau une légère déformation de la colonne dorsale et un

point douloureux. L'enfant fut immobilisé dans une gouttière durant 8 ou 10

mois, sans aucune amélioration. L'état général s'était sensiblement aggravé, on '

tâcha à ce moment de lu faire marcher mais on put constater que la marche

était devenue tout à fait impossible.

M. Lannelongue consulté, fit coucher l'enfant sur une surface plane et ré-

MAL DE POTT AVEC GRANDE DÉFORMATION 159

sistante et prescrivit un traitement reconstituant. Le petit malade était alors âgé

de 7 ans. La gibbosité était devenue très notable.

Il passa 8 mois à Berck-sur-Mer et revint à Paris où on l'a toujours gardé

couché. A aucun moment il n'a senti de douleurs dans les membres inférieurs.

La cyphose s'est accentuée peu à peu et, depuis 3 ans, il s'est développé une

déformation des côtes qui n'a fait que progresser jusqu'à présent. '

Etat actuel le 16 janvier 1896. Le petit malade, d'aspect très chétif très

amaigri, présente des difformités très accentuées ; une cyphose avec léger de-

gré de scoliose avec convexité tournée gauche et intéressant presque toute la

colonne dorsale, s'étend de la 1 ? vertèbre dorsale à la 10° environ.

La poitrine bombe fortement en avant et l'extrémité sternale des côtes moyen-

nes de la 4° à la Se sont très saillantes.

Du côté de la face on note de nombreux signes de dégénérescence, strabisme

interne de l'oeil gauche, oreilles très volumineuses et très détachées. Dents bien

plantées mais présentant à leur bord libre quelques érosions et les incisives

médianes inférieures atteintes de carie.

Membres inférieurs. Les membres inférieurs sont en extension, les pieds

tombants, la pointe du pied gauche tournée en dedans. Les orteils sont légère-

ment rétractés.

Les deux membres sont atteints de paralysie presque complète avec un peu

de contracture. On peut vaincre celle-ci dans une certaine mesure et on arrive

à fléchir légèrementja jambe sur la cuisse. Le petit malade peut lui-même

fléchir assez aisément la cuisse sur l'abdomen, mais persuadé qu'il ne peut y

arriver il est obligé en quelque sorte de se suggestionner lui-même et prétend

ne pouvoir relever la cuisse sans l'avoir d'abord fortement pincée.

Du reste si on affirme qu'il peut le faire sans cet artifice, il finit par la fléchir,

mais assez péniblement ; par son procédé la flexion s'opère brusquement : il la

façon d'un ressort.

Les fléchisseurs de la jambe sur la cuisse ont quelque énergie mais une fai-

ble extension en triomphe aisément.

Les extenseurs, un peu conservés aussi, sont plus atteints. Quant aux diffé-

rents muscles de la jambe, leur impuissance est complète. '

Les réflexes rotuliens sont très exagérés.

Le réflexe cutané plantaire est normal. -

Il existe enfin un clonus du pied, inépuisable à gauche et presque aussi

marqué à droite.

Le malade n'accuse aucun trouble de sensibilité subjective.

Il y a une hyperesthésie totale sur toute l'étendue des membres inférieurs et

pour tous les modes de sensibilité objective, mais les degrés en sont variables

suivant les points. Les sensations de tact simple ou de piqûre sont moins nettes

aux jambes et à la face dorsale des pieds qu'aux cuisses. La face plantaire des

pieds est un peu plus sensible que les jambes.

La sensation de froid, moins facilement accusée qu'aux membres supérieurs,

est néanmoins rapidement perçue. Il y a un certain retard au contraire pour

160 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊ'i'mjOE

les sensations de chaleur qui n'impressionnent d'abord que comme de simples

contacts.

Pas de troubles trophiques cutanés.' Pas de troubles vaso-moteurs.

Tronc. L'hyperesthésie des jambes s'arrête en avant vers le milieu du

triangle de Scarpa ; eu arrière la sensibilité est d'autant meilleure que l'explo-

ration porte sur un point plus éloigné des cuisses. La sensibilité est tout à fait

normale au-dessus des hanches.

Les différents muscles paraissent à peu près conservés. Le malade se redresse

assez aisément sur son lit et se renverse en arrière même si on lui oppose une

résistance assez forte.

Membres supérieurs. Assez bien musclés. ,

Ils ne présentent rien d'anormal au.point de vue de la motilité ou de la sen-

sibilité.

Du côté de la face rien à relever.' '

Yeux. Les pupilles sont égales et réagissent bien. L'examen de la mus-

culature externe dénote pour l'oeil gauche, une paralysie de l'oblique supérieur

caractérisée par un strabisme permanent et qui s'accentue dans l'adduction

du globe oculaire; il s'accompagne alors d'une déviation de l'oeil en haut et en

dedans.

L'auscultation des poumons ne.révèle rien d'anormal. La respiration un peu

rapide est celle d'un emphysémateux.

' A l'auscultation du. coeur on' constate un peu d'arythmie due sans doute à

l'arrêt du coeur sous l'influence des inspirations énergiques nécessitées par la

malformation thoracique.

Troubles vésicaux. Il y a de l'incontinence nocturne d'urine et un certain

degré de paresse vésicale. La miction volontaire est lente et demande quelques

'minutes d'efforts.

Du côté du rectum, rien à relever sinon un peu de lenteur de la défécation

en rapport sans doute avec la constipation opiniâtre. ,

MAL DE POTT

Avec grandes déformations.

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART

par

HENRY MEIGE.

Les artistes, en reproduisant les anomalies corporelles, n'ont pas en

général pour but de figurer des types pathologiques définis. Aussi, leurs

oeuvres, dont beaucoup restent cependant conformes à la vérité natu-

relle, sont-elles difficiles à cataloguer dans les cadres nosographiques

acceptés aujourd'hui. · '

Dans les figurations de ce genre, il s'agit tantôt de portraits de per-

sonnages atteints de malformations ou d'infirmités que le peintre ou le

- sculpteur ont plus ou moins fidèlement respectées, tantôt des bizarreries

physiques dont la reproduction semblait apte à produire un effet grotes-

que et risible. ,

Dans le premier cas, il n'est pas rare que l'artiste atténue la difformité

pour embellir son modèle; par contre, dans le second, il en exagère sou-

vent le caractère suivant les principes de l'art caricatural.

Ces deux tendances contraires compliquent singulièrement le travail

de critique et de classification médicales des oeuvres d'art.

Il faut aussi faire entrer en ligne de compte l'extrême variété des formes

pathologiques. Les cas types, exactement superposables à ceux que décri-

vent les traités didactiques,sont,dans la nature, de rarissimes exceptions.

Les formes frustes, les variétés mixtes, les combinaisons, les associations

morbides, surtout dans la série des difformités corporelles, constituent

une immense'majorité. Ce sont celles-là surtout que les artistes ont eu

l'occasion de rencontrer dans la vie courante et qu'ils ont pu prendre

pour modèles. Or, si l'on éprouve déjà, en plus d'une circonstance, un

sérieux embarras pour faire rentrer un cas clinique, observé à loisir et

avec toutes les ressources de l'investigation médicale, dans une catégorie

nosographique limitée, la tâche est infiniment plus ardue encore quand

on s'adresse aux figurations artistiques, pour lesquelles l'examen morpholo-

gique est le seul critérium qu'on puisse utiliser.

162 1 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Ici, pas de renseignements à recueillir sur les antécédents, l'histoire de

la maladie, les troubles subjectifs et les désordres fonctionnels. De tous

les procédés d'examen dont on dispose, en clinique un seul est applicable

aux oeuvres d'art : l'inspection. Encore, ses indications peuvent-elles être

faussées de bien des manières : erreurs de. perspective, imperfection du

dessin, de l'exécution, altération des couleurs, modifications introduites

par l'auteur dans un but caricatural ou autre, etc...

Aussi bien, ne saurait-on s'entourer de trop de prudence lorsqu'on se

hasarde à porter un diagnostic sur un document figuré.

Ces réserves faites, il faut reconnaître que le plus grand nombre des

oeuvres d'art reproduisant des difformités humaines contiennent des dé-

tails suffisamment précis pour nous révéler, même il plusieurs siècles de

distance, la nature de l'affection, cause de la difformité.

C'est ainsi qu'il est impossible de ne pas retrouver la déformation ra-

chitique des jambes sur une foule de statuettes égyptiennes, la conforma-

tion crânienne des crétins et des idiots dans les têtes grotesques en terre

cuite de l'Asie Mineure, l'habitus corporel du féminisme chez certains

Hermaphrodites antiques, etc. ` '

Il n'est donc pas interdit d'essayer un groupement méthodique de ces

figurations difformes, d'après les caractères de la malformation prédomi-

nante. Mais il arrivera nécessairement plus d'une fois que le môme spéci-

men, porteur de plusieurs anomalies corporelles, trouvera place dans

plusieurs catégories morbides. Tous les classements de ce genre sont arti-

ficiels et passifs de ce reproche. Ils ont, du moins, l'avantage d'établir cer-

tains rapprochements que les classifications chronologiques rendent plus

difficiles à faire.

Les Nains.

Les Nains nous serviront d'exemple. Par leur nombre et leur variété

dans la nature comme dans l'Art, ils nous montrerollt la difficulté, mais

en même temps la possibilité, d'une répartition méthodique des documents

figurés dans les cadres de la pathologie. -

Un important chapitre du livre de Charcolret Paul Richer sur Les Dillor-

mes et les Malades dans l'Art est consacré à l'étude des monuments artis-

tiques représentant Les nains, les bouffons, les idiots, etc. (1).

La grande diversité des malformations corporelles que présentent les

images recueillies par ces auteurs nécessitait des subdivisions incompati-

bles avec le plan de leur ouvrage. Ils ont. pris soin d'en faire la remarque

(1) Charcot et Pal RICHER, Les Difformes et les Malades dans l'Irt, Paris, Lecros-

nier, 1889. ,

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 163

en observant que « ces êtres singuliers que l'on a désignés sous le nom de

nains, de fous ou de bouffons, autant de catégories qui souvent se con-

fondent, n'appartiennent pas à une seule espèce morbide ». z

C'est ainsi qu'au nanisme viennent souvent s'ajouter le rachitisme, le

pied-bot, aussi bien dans la nature que clans les figurations artistiques

qui en sont une fidèle expression. De même, le goitre et 7axcdènae

sont souvent solidaires : leur alliance au nanisme et au crétinisme s'est

trouvée consacrée par les monuments de l'Art, bien avant que la science

eût proclamé la parenté de ces affections. '-

On peut néanmoins essayer d'introduire quelque méthode dans le grou-

pement de ces figurations disparates, en réunissant entre elles celles qui

offrent les mêmes caractères saillants.

D'une façon générale, les anomalies corporelles dont nous aurons à nous

occuper sont la conséquence de troubles évolutifs portant sur les différents

systèmes^ et modifiant, soit dans la forme, soit dans le volume, la confor-

mation normale de l'individu.

L'accident dystrophique qui entraîne la difformité apparaît, tantôt sûr

les os, tantôt sur les articulations, tantôt sur les muscles, tantôt sur la

peau, et les glandes. Le plus souvent il intéresse plusieurs appareils à la

fois. z

Il évolue par excès ou par défaut, exagérant un processus de croissance

normal, ou, au contraire, arrêtant son évolution.

Il est local ou général. Il est congénital, visible dès la naissance, ou

apparaît plus ou moins tardivement.

Ainsi, la dystrophie osseuse qui porte dès l'enfance sur tous les.élé-

ments du squelette peut arrêter dans son ensemble l'évolution de tout

l'appareil osseux, créant ainsi le nanisme; ou inversement, outrepassant

ses limites ordinaires, elle produira le gigantisme. Vient-elle à se mani-

fester quand' le temps de croissance normal est terminé, elle portera seu-

lement sur les extrémités, donnant naissance aux déformations acroméga-

liques. -

De môme, un arrêt de développement de l'appareil sexuel au moment

de la naissance, entraîne l'infantilisme, tandis ^qu'un trouble évolutif de

même nature, survenu à l'époque de la puberté, donnera lieu au fémi-

1 nisme. '

Ces anomalies évolutives sont fort nombreuses et s'associent fréquem-

ment les unes aux autres, se compliquent en outre des malformations pro-

duites par des maladies accidentelles surajoutées.

164 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Un nain est souvent en même temps un infantile. La tuberculose verté-

brale peut en faire par surcroît un bossu.

Toutes les combinaisons existant dans la nature, il ne faut pas être sur-

pris de rencontrer tant de diversité dans les images que les artistes nous

ont léguées.

Pour en revenir aux nains, voyons dans quelles catégories morbides nous

devrons répartir leurs figurations.

Auparavant, précisons le sens qu'il convient d'attribuer au terme de

nain. Bien des auteurs, écrivant sur ce sujet, ont été arrêtés par la diffi-

culté de donner une définition du nanisme proprement dit. Ils ont cherché

à accorder les faits observés dans la nature avec leur conception du

nain type. Or, ce dernier n'esl qu'un idéal : l'être minuscule, diminutif

rigoureusement proportionné de l'homme normal, tel que celui-ci nous

apparaît vu par le gros bout d'une lunette, ne paraît pas exister dans la

nature, et les exemples qui s'en rapprochent le plus sont encore entachés

de bien des imperfections, physiques et morales.

Un mot d'abord sur les nains considérés au point de vue ethnologique.

On a signalé l'existence de populations naines, principalement dans le

centre de l'Afrique. L'authenticité du fait, longtemps tenue en suspicion,

semble aujourd'hui confirmée par les récits d'un grand nombre d'explo-

rateurs et par quelques spécimens de nains africains ramenés par eux en

Europe.

La légende des Pygmées de l'Antiquité aurait ainsi une origine réelle.

Les nombreuses figurations que nous possédons de ces nains fabuleux

viennent il l'appui de cette manière de voir. Toutefois il n'est pas certain

que les artistes anciens aient choisi pour modèles de leurs Pygmées des

individus appartenant aux peuples nains de l'Afrique centrale. L.Iplu-

part des représentations de ce genre nous font voir des êtres horrible-

ment contrefaits, à grosses tètes, à jambes cagneuses, construits sur le

type des nains que l'on rencontre encore aujourd'hui dans nos pays. Ceux-

ci ont existé de tout temps : les documents écrits abondent dans l'Antiquité

pour prouver la faveur dont ils jouissaient déjà auprès des grands person-

nages.

Tout en tenant grand compte de l'intention caricaturale, les images de

nains que nous montrent les peintures de vases, les fresques, les petits

bronzes, les terres cuites, etc., semblent bien inspirées par les diJ1'ormi-

tés pathologiques accidentelles que nous voyons journellement.

Que, dans le nombre. il y ait des portraits de nains africains, la chose

n'est pas impossible. Ceux-ci, si l'on en croit les voyageurs, bien que réu-

nis en petites peuplades et paraissant se reproduire avec leurs proportions

réduites, ne sauraient passer pour des êtres régulièrement bâtis. Les

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 165

spécimens qu'on en connaît sont affligés de malformations si choquantes

qu'on hésiterait à créer pour eux une race à pari, n'était leur triste privi-

lège de perpétuer ces imperfections dans leur descendance.

Réservons,- comme l'ont judicieusement fait de Quatrefages et Ilamy,

pour ces groupes ethniques clairsemés, les Akkas, les Obongos, les

Dokos, etc., une place à part parmi les nains, mais ne cherchons pas chez

eux le type du nain que nous essayons de définir. N'espérons pas surtout

y rencontrer le diminutif humain régulièrement conformé qui serait le

prototype du nanisme.

Dans son curieux ouvrage sur les Nains et les Géants (1), M. E. Gar-

nier définit ainsi le nanisme :

« On donne le nom de nains à tous les êtres organisés, et plus spéciale-

ment aux individus de l'espèce humaine, dont la taille est de beaucoup in-

férieure à la taille moyenne dé leur espèce, mais seulement quand cette

exiguïté de la taille porte sur l'ensemble de l'organisme et dépend de la

diminution du volume de toutes les parties du corps tenant à un arrêt de

développement ».

Cette définition a l'avantage d'éliminer du groupe des nains les indivi-

dus monstrueux chez qui la petitesse de la taille tient à une diminution

exagérée d'un segment du corps, comme les culs-de-jatte ou les bossus.

Mais elle renferme dans sa seconde partie une restriction qui risque fort

de réduire à néant le nombre des nains naturels.

Exiger, pour délivrer un brevet de nanisme, que toutes les parties du

corps aient subi une diminution de volume, c'est peut-être demander l'im-

possible. ,

Les troubles trophiques n'ont pas coutume d'obéir aux lois de la réduc-

tion géométrique. Ils procèdent au contraire avec une rare insouciance

des proportions, grossissant une épiphyse en disloquant une jointure, éma-

ciant un muscle en bonrsoullant un épiderme, atrophiant ici, hypertro-

phiant là, sans frein, sans ordre, sans règle connue jusqu'ici.

La dystrophie osseuse dont dépend le nanisme du squelette se complaît

à de semblables bizarreries et se complique si souvent de tant d'autres

anomalies évolutives portant sur les os, les articulations, les muscles ou

la peau, qu'on doit considérer les nains conformes à la définition précé-

dente comme de rarissimes exceptions.

Il en a existé, paraît-il, quelques-uns. ,

On accoutume de citer, comme type de nain accompli, le célèbre Jo-

(1) E. Ganwn, Nains et Géants. Bibl. des merveilles, 1884, p. 57.

166 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

seph 73or°ztlrc2vslri, « gentilhomme polonais », sur lequel le comte de

Tressan envoya à l'Académie des Sciences un mémoire élogieux (1). A

22 ans, sa taille était de 77 centimètres.

« Sa tète est bien proportionnée, ses yeux sont beaux et pleins de

feu; tous ses (rails sont agréables, sa physionomie est douce; spirituelle,

et annonce la gaieté, la politesse et toule la finesse de son esprit. Sa taille

est droite et bien formée, ses genoux, ses jambes et ses pieds sont dans

les proportions exactes d'un homme bien fait et vigoureux... Il n'a rien

qui tienne à l'enfance et â cette espèce de faiblesse et d'imbécillité qui,

dans le nain du roi de Pologne (2), se manifeste souvent et plus encore

que dans un enfant de quatre ans ».

Borulawski se maria, eut un fils, et vécut jusqu'à ! 'age de 98 ans ! ....

On a de lui plusieurs portraits où l'illustre petit homme est représenté

fort élégant dans ses proportions réduites. Cependant le volume de la

tète est sensiblement exagéré. '

M. E. Garnier cite également, comme exemples historiques de « réduc-

tions parfaites de l'espèce humaine », la naine de Mlle d'Orléans, morte en

1653, et un nain, Babet Schl'eier, né à Piegelshach, près·VIalmheim, le

31 octobre ' ! 8)0, véritable « miniature humaine ».

Toutes ces perfections exiguës seraient peut-être plus sévèrement jugées

de nos jours au point de vue morphologique. -

Enfin, il ne faut ajouter aucune foi aux boniments élogieux ni aux por-

traits de réclame qui font partie du bagage de tous les nains exhibés en

public. Si l'on en croit ces documents, dans la composition desquels Bar-

1/111n n'a été surpassé par personne à propos du Général Tom Pouce, le

dernier nain présenté est toujours le mieux fait, le plus intelligent, et

surtout le plus petit de tous les nains connus jusqu'à ce jour.

J'ai vu de près, en 1893, les frères Cari et Franz Rossow, âgés de 17

et 19 ans, nains de 66 et 71 centimètres, qui furent présentés au Cirque

d'Eté, où ils obtinrent un grand succès dans leurs exercices athlétiques.

A part le volume exagéré de leur tête et un embonpoint abdominal, sur-

tout manifeste chez l'aîné, ces deux minuscules lutteurs étaient assez bien

proportionnés. Mais une légère incurvation des tibias et des os de l'avant-

hras, ainsi que leur face vieillote, au front bombé, révélaient cependant

chez eux les stigmates du rachitisme (3).

En définitive, le nain parfait, cet « abrégé des merveilles des cieux »

dont parle Eliante dans le Misanthrope, est encore à naître. '

(1) Cité par E. Garnier, p. 141.

- (2) Il s'agit du non moins célèbre Bébé, dont nous reparlerons bientôt.

(3) Les frères Rossow étaient fils d'un paysan Croate qui, marié a 35 ans, eut seize

enfants dont trois nains : le premier, le troisième, et le dixième.

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 167

L'immense majorité des nains est composée d'individus plus on moins

disproportionnés, parfois môme affreusement difformes, presque toujours

atteints de malformationsrelevant de causes morbides différentes, et n'ayant

entre eux pour caractère commun que l'exiguïté de la taille, peut-être

aussi le volume disproportionné de la tête par rapport au reste du corps.

Il est d'ailleurs aussi malaisé de définir au-dessous de quel centimètre

commence le nanisme que dire à partir de quelle taille on mérite d'être

incorporé parmi les géants. ,

La définition du nain ne peut donc pas être très précise. ' >

Le mieux sera, je crois, de s'en tenir à celle de Littré, pour qui 1/Ilin ou

naine est « celui ou celle qui est de taille beaucoup plus petite que la

taille ordinaire». Nous yajouterons seulement cetle réserve : ci lacondition

que l'exiguïté de la taille ne soit pas causée par la disparition ou la diminu-

tion excessive d'un des segments du corps. ,

Cette formule générale englobe tous les nains qu'on rencontre dans la

nature et dans les figurations artistiques, car elle ne préjuge rien sur les

difformités qui accompagnent si fréquemment le nanisme.

Nous allons brièvement passer en revue les principales.

Le Rachitisme est de beaucoup la plus fréquente malformation corpo-

relle qu'on observe chez les nains'. On en'reconnaît aisément les traces

dans l'incurvation des os des membres, des jambes surtout (en parenthèses

on en X), dans la conformation du thorax, les saillies costales en cha-

pellet, dans le ballonnement du ventre, dans la proéminence des bosses

frontales, enfin dans leur facies rabougri et vieillot de foetus prématuré-

ment séniles.

Cette coïncidence du nanisme et du rachitisme, si fréquente qu'on est

tenté d'attribuer une cause univoque à ces deux dystrophies osseuses, a

été observée par les artistes de tous les temps. Les documents figurés en

font foi.

Laissant de côté les discussions encore pendantes sur l'origine du na-

nisme et du rachitisme (syphilis héréditaire, athrepsie, scrofule, etc.),

retenons seulement la caractéristique morphologique que ce trouble nu-

tritif imprime au corps des nains.

D'ailleurs il existe des faits dans la nature et dans les monuments

figurés où le rachitisme est seul en cause, chez des sujets qui ne méritent

pas le qualificatif de nains.

Telles sont les deux statuettes en bronze de la collection Thiers dont

Charcot et Paul Bicher ont fait la judicieuse critique (1).

(1) Loc. cit., p. 31. No 55 et 56 du Catal.

168 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Tel, dans le tableau de Raphaël, le Paralytique à la porte du Temple (1),

dont le facies( rachi tique est d'une rare vérité.

Par contre deux autres Pygmées de la collection Thiers (2), un nain

dans le Triomphe de Jules César, par Mantegna, un nain du Bronzino

dans le Festin de Pharaon, etc., etc., sont de beaux exemples de nanisme

et rachitisme combinés. '

Au nanisme vient parfois s'ajouter l'idiotie, l'imbécillité, le crétinisme.

Les documents du passé cadrent bien sur ce point avec la réalité clinique.

La vie des nains nous fait connaître les nombreuses tares psychiques dont

beaucoup furent atteints. Leurs portraits nous font voir qu'ils n'étaient

pas exempts des tares morphologiques qu'on rencontre chez les idiots, les

imbéciles, les arriérés.

Triboulet, par exemple, le fou du roi de, Sicile, René d'Anjou, repré-

senté sur une médaille de Francesco Laurano, est un parfait microcé-

phale (3).

Cependant, dans la nature, comme dans la majorité des images, le vo-

lume de la tête est plus souvent exagéré. Cette exagération peut porter

sur le crâne aux dépens de la face, indiquant une hydrocéphalie dont les

nains sont parfois atteints, comme celui que P. Véronèse a représenté

dans son tableau du Louvre, l'Evanouissement d'Expié ? '.

Souvent aussi, l'exagération de volume est surtout manifeste pour la

face. Elle peut alors reconnaître deux causes.

D'abord, l'arrêt de développement du système squelettique semble

moins complet pour les os de la face que pour ceux du corps et des

membres.

En outre, un grand nombre de nains sont atteints, à des degrés divers,

d'une dystrophie cutanée qui imprime à tout leur corps, et spéciale-

ment à leur visage, un habitus vraiment caractéristique : je veux parler

du myxoedème.

Crétinisme etm ! Jxoedème marchent d'ailleurs souvent de front, et les

crétins nains ne sont pas rares dans les contrées où sévissent ces deux

affligeantes maladies.

Deux nains qui, vers le milieu de ce siècle, firent le tour de l'Europe,

présentés comme descendants des Aslècs mexicains, n'étaient que des cré-

tins horriblement arriérés. z

.

C'est, pour une très large part, au 1n ! Jxoedème ou cachexie pachydc1'1ni-

(1) Ibid., p. 65.

(2) Ibid., p. 31. - N 51 du Catal.

(,i) Garhier, 10C. cit., p. 97.

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 169

que qu'il faut attribuer la somnolence, la torpeur intellectuelle, et l'im-

puissance génitale, si souvent signalées chez les nains.

Le fameux nain du roi de Pologne, Bébé, qui, au XVIIIe siècle, partagea

avec Borulawski les faveurs des fêtes couronnées, semble avoir été, sur la

fin de sa vie, envahi par le myxoedème.

Dans le mémoire que lui consacra l'académicien Morand, lu en séance

publique le 14 novembre 1764, on trouve des remarques très significati-

ves. Bébé était tombé « dès vingt et un ans, dans une espèce de caducité.

et ceux qui en prenaient soin ont remarqué en lui les traits d'une enfance

qui ne ressemblait plus à celle des premières années, mais qui tenait de la

décrépitude. La dernière année de sa vie, il semblait accablé; il avait peine

il marcher ; l'air extérieur l'incommodait, à moins qu'il ne fût chaud ; on

le promenait au soleil qui paraissait le ranimer ; mais à peine pouvait-il

faire cent pas de suite ». -

Enfin, vers la fin de sa vie, il resta dans une espèce de léthargie d'où il

revenait pendant quelques moments, mais sans pouvoir parler ».

Si l'on ajoute à ces renseignements ceux du comte de Tressan qui avait

étudié Bébé de très près, on apprend que cet avorton chéri du roi Stanis-

las était, en outre, rachitique, infantile, et remarquablement arriéré.

Bébé, déchu de ses privilèges de cour, rentre aujourd'hui dans la la-

mentable phalange des arriérés myxoedémateux. Il est fâcheux que nous

n'ayons pas, il côté de son squelette et de sa statue en cire, preuves acca-

blantes de ses difformités, des renseignements permettant d'affirmer ce

myxoedème que laissent soupçonner les écrits du temps. Ses portraits,

embellis à plaisir, sont incapables de combler cette lacune.

L'apparence myxoedémateuse qu'offrent tant de portraits de nains n'a

pas été, à ma connaissance, suffisamment indiquée.

Il ne faut pas assurément s'attendre à retrouver ici ces monstrueux

exemples d'idiotie my,roedémateuse que 11. l3ourneville a parfaitement dé-

crits et dont il a publié dernièrement encore de remarquables photo-

graphies (1). Les répugnants avortons de Bicêtre représentent l'apogée

de la maladie et auraient difficilement séduit les grands personnages

amateurs de nanisme.

Mais il existe des myxoedèmes frustes, sans doute sous la dépendance

d'une lésion thyroïdienne atténuée, qui se révèlent par un facies et un

habitus corporel parfaitement reconnaissables. Cette singulière dystro-

pipe cutanée tient de l'embonpoint potelé des infantiles, de l'envahisse-

(1) Voy. Archives de neurologie, janvier 1896.

170 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

ment graisseux des polysarciques et de l'infiltration franchement myxoedé-

mateuse. Que de nains rencontrés d'aventure, demandant l'aumône au'

coin des rues ou à la porte des églises, et combien d'autres qui vivent de

leur travail quelques-uns même de leurs rentes appartiennent à ce

type morphologique composite et atténué.

Du rachitisme, ils portent les marqués indestructibles dans l'incurva-

tion de leurs membres, la conformation de leur. thorax et de leurs bosses

frontales.

Au myxoedème, ils empruntent cet embonpoint flasque, cette face lu-

naire et ces doigts en boudins, qui leur donnent l'apparence de bébés bien

nourris prématurément ridés par une précoce vieillesse.

Mais leur crâne se développe mieux que celui des véritables idiots, et

en même temps leur intelligence s'élève à un niveau raisonnable. Si leurs

idées restent souvent paresseuses ainsi que leurs mouvements, ils n'ont

pas la torpeur indifférente ni ce sommeil de toutes les fonctions qui sont

le propre des vrais myxoedémateux..

Chez eux,,le trouble évolutif, qui a menacé leur corps de toutes les in-

firmités accumulées sur les deshérités de Bicètre, a suspendu son oeuvre

de difformité et permis, dans une certaine mesure, le perfectionnement de

leur être physique et mental.

Les exemples en sont nombreux dans l'Art.

Voyez la face lunaire, les petits yeux bridés, aux paupières épaissies,

les bajoues flasques et pendantes, les mains et les doigts boursoullés de

la naine qui accompagne Barbe de Brandebourg, marquise de Mantoue,

dans le beau tableau de Mantegna,-dans les nains de Velasquez, la figure

de Barbota et de Don Antonio l'Anglais, le nain en bronze de Valerio

Cioli et les nains de Jan van' Kellen dont nous parlerons plus loin, les

portraits de Simon PctcLy et de Mme Bébé reproduits dans le livre de

M. Garnier, et comparez leurs traits et leurs corps il ceux des nains

myxoedémateux, errant dans nos rues ou recueillis dans nos asiles, l'ana-

logie ne peut manquer de sauter aux yeux.

Et môme,'dans l'Art Egyptien, les innombrables figurations du dieu Bès,

avec sa large face, ses joues plates et ses membres oedémateux, nous fait

entrevoir le myxoedëme inspirant les premières manifestations de l'art.

Le Goitre, qui, dans la nature, est parfois le compagnon et le créateur

du myxoedème, manque dans toutes les images que nous possédons. Les

artistes semblent avoir répugné a. figurer ce genre de tumeurs. Je ne con-

nais, pour ma part, que trois exemples de Goitreux dans oh'(.

Le premier est un dessin grotesque de Léonard de Vinci reproduit clans

- LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 171

les Difformes et les Malades dans l'Art (p. 25). Le second, que j'ai trouvé

au musée de Madrid, est le portrait d'un grand vieillard tenant une

coupe à la main par E. Mardi (n° 782 du Catal.). Le troisième est un

médaillon en buis sculpté, travail allemand du XVIe siècle, au Louvre :

il représente un fou de cour, coiffé d'un bonnet à grelot et porteur d'un

goître l1lulLiloué descendant jusque sur sa poitrine. Il est possible qu'il,

s'agisse d'un nain. Mais son visage n'a rien du faciès myxoedéinateux,

Proche parent du myxoedème dont il porte souvent les caractéristiques

tègumentaires atténuées, est l'Infantilisme qu'on rencontre chez tant de

nains. Les analogies on[ été bien établies par M. Brissaud (1).

Nous avons déjà eu l'occasion de définir l'infantilisme : Un syndrome

morphologique, caractérisé par la conservation chez l'adulte des formes e.r-

térieures de l'enfance et la non-apparition des caractères sexuels secondai-

res, chez des individus dont l'appareil sexuel a subi un arrêt dans son évo-

lution (2).

Face arrondie, joufflue, nez peu développé, peau fine;.poils rares ; torse

allongé, ventre proéminent ; membres potelés ; organes sexuels rudimen-

taires ; voix grêle et larynx peu saillant : tel est, le signalement de l'in-

fantile qui peut s'appliquer à plus d'un nain.

L'impuissance sexuelle de la majorité des nains est un fait notoire.

Quelques heureux privilégiés ont échappé ¡;elle triste loi. Le maure

Zircon, nain de Bleda, frère roui des Huns, s'enl'uit un jour de

chez son maître sous prétexte que celui-ci ne lui avait pas donné de femme.

Cependant, au dire de Priscus (3), qui nous rapporte cette anecdote, Zer-

con était « bancal, camus ou plutôt sans nez, bègue et idiot ». Il fut marié

à une des suivantes.de la reine; mais nous ne savons pas ce qui s'en-

suivit.

Le toujours surprenantBorulawskyéla'il de complexion fort amoureuse.

Il s'éprit follement d'une jeune actrice française, venue à la cour de Var-

sovie, et cette fâcheuse passion lui attira en môme temps de cruelles mo-

queries de la part de sa bien-aimée et une disgrâce auprès/de la comtesse

Humiecska, sa protectrice. Rentré à faveur, il s'enflamma de nouveau, quel-

que temps après, pour une demoiselle de compagnie de la comtesse, Iso-

line l3arbutan. Cette fois-ci encore, il perdit l'affection de sa bienfaitrice;

mais, ayant su toucher le coeur d'lsoline, il l'épousa et eut d'elle un enfant.

(1) E. l3na.ou, Leçons sur les maladies nerveuses, XXX6 leçon, p. 606.

(2) Ili-, ,ç i ,\11 : w);, L'Infantilisme, le Féminisme et les Hermaphrodites antiques. L'An-

thropologie, t. VI, 1S93.

(3) Cité par E. Garnier, p. 85. '

172 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Ce sont là de rares exceptions, et les ménages de nains demeurent en

général stériles. La plupart de ces couples minuscules, exhibés en pu-

blic, ne sont unis que sur l'affiche ou sur les tréteaux. Les mystères de

leurs alcôves se réduisent il néant.

S'il estvrai que nombre de Pygmées, figurés sur les monuments anciens,

rappellent les nains tels que nous les voyons de nos jours, on peut s'éton-

ner que les artistes aient si souvent doté ces êtres difformes d'apanages

sexuels démesurément développés. Peut-être faut-il voir dans cette bizar-

rerie une intention malicieuse ai l'égard de l'impuissance des nains. Peut-

être aussi s'agit-il d'une anomalie pathologique pouvant prêter à équivo-

que, des hernies scrolales venant parfois s'ajouter aux autres difformités.

Quoi qu'il en soit, il faut noter que 1/HMHe va souvent de pair

avec le nanisme.

Bébé, âgé de 23 ans, avait la voix d'un enfant d'un an.

Louis Crâne, nain de 78 centimètres, qui mourut à IIayneville, en Nor-

mandie, à l'àe de 21 ans, avait la voix d'un enfant de sa taille. Il ne

put jamais parler et « criait comme un enfant de trois ans dont il avait du

reste toute l'apparence ».

Chez les nains qui semblent avoir subi les atteintes d'une affection un

peu démodée aujourd'hui, la scrofule, on reconnaît un faciès assez spécial.

Le type du scrofuleux qu'on a cherché à décrire autrefois, n'est pas pu-

rement imaginaire. L'embonpoint flasque de ces individus à peau fine et

pâle, à chairs molles, à circulation paresseuse, permet de leur réserver

une place entre le myxoedème infantile et l'obésité.

.Mais c'est surtout par leur facies qu'ils méritent d'être distingués. Leur

bouche toujours ouverte, aux dents généralement mal plantées, à la lèvre.

supérieure trop courte et trop épaisse, leur nez camus suintant sans cesse,

et leurs yeux languissants, forment un masque bien typique, appelé au-

trefois faciès st1'lUneU,1; ou scrofuleux, baptisé aussi facies adénoïdiendepuis

la découverte des végétations adénoïdes.

On l'observe surtout chez les jeunes sujets, car ces anomalies se corroi-

gent souvent avec l'âge. Un des nains de Velasquez, au musée de Madrid,

l'Enfant de Vellacas, est une bonne représentation du faciès scrofuleux ou

ae'MOïatCH.

Une autre dystrophie tégumentaire, l'Obésité, s'observe aussi chez les

nains.

L'envahissement du corps par la graisse n'est pas sans affinités avec

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 173

celui du myxoedème. L'examen morphologique montre des ressemblances

singulières,et les résultats analogues que produit le traitement thyroïdien

chez les obèses et les myxoedémateux permettent de supposer des causes

très prochaines à ces deux processus d'infiltration cutanée.

L'obésité a été rendue par les artistes avec un rare souci de la vérité

morphologique.' , .

On la retrouve sur quelques figurines en terre cuite de l'Asie Mineure

(sur plusieurs statuettes Alexandrines, au Louvre), dans les bas-reliefs

antiques, sur les vases peints et dans les tableaux des plus grands maîtres.

Rubens a excellé dans ce genre. Ses innombrables Silènes et ses Bacchus

ivres, épars dans tous les musées de l'Europe, en témoignent suffisamment.

Velasquez l'a surpassé encore par le réalisme de ses chairs graisseuses,

flasques et tremblotantes. Breughel, van Dyck, Jordaens, Martien de Vos,

etc. et en général tous les peintres flamands et hollandais, nous ont laissé

des obèses d'un naturalisme surprenant.

Il y a aussi des nains obèses. La femme du roi de Poun, figurée sur un

bas-relief du musée de Boulaq, est une naine dont l'obésité et surtout la

stéatopygie sont indiscutables.

Le plus bel exemple dans l'art est certainement le tableau de Carreno

de'Miranda, au musée de Madrid : Portrait d'une naine monstrueusement

grosse, de-bout et de grandeur naturelle. Cette volumineuse personne, con-

nue sous le nom de la Monstrueuse, aurait été représentée nue par le

même peintre dans un tableau qui resta au Palais-Royal de Madrid jusqu'au

commencement de ce siècle (-1).

On ignore ce qu'est devenu ce curieux document qui servit, paraît-il,

de modèle à des Bacchus et à des Silènes. J'ai vu la naine Monstrueuse du

musée de Madrid, et malgré le riche vêlement dont elle est habillée, j'af-

firme qu'elle peut passer pour un des plus beaux types de nanisme et

d'obésité combinés.

Pour en finir avec les malformations pathologiques qui viennent par-

fois compliquer le nanisme, nous signalerons encore les troubles trophi-

ques qui portent sur les articulations et sur les muscles.

Parmi les premiers, figurent au premier rang les pieds-bols et les mains

botes, le genu valgum et les nouures des genoux.

L'Art Égyptien en contient plusieurs exemples : un nain d2c roi Ti peint

sur son tombeau ; une figurine en bronze,au Louvre, représentant le dieu,

Bès sur les épaules de sa mère. Charcot et Paul Richer observent à ce pro-

(1) Ne 691 du catalogue; cité par Charcot et P. Ricuea, loc. cit., p. 46.

ix 12

174 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

pos que la mère et l'enfant sont affligés de la môme difformité : « C'est là

un lien de plus entre ces deux êtres, et comme la formule antique de la

grande loi de l'hérédité dans les maladies constitutionnelles » (1).

Le nain de Philippe IV, Sabaslien de Morra, peint par Velasquez, au

musée de Madrid, a les mains complètement déformées.

Les anomalies qui portent sur le système musculaire se manifestent soit

par des atrophies, soit par des hypertrophies (vraie ou fausse).

Ilexiste dans l'art d'excellentes représentations d'atrophie musculaire (2) .

Cependant elles sont rarement reconnaissables chez les nains.

Plus fréquent est le développement exagéré des muscles donnant au

nain l'apparence d'un Hercule en miniature.

Ce type herculéen est bien visible sur les petites figurines égyptiennes et

sur les Pygmées combattant contre les grues. Les nains guerriers repré-

sentés par les artistes de la Renaissance semblent appartenir à cetle caté-

gorie. Celui de Luca Giordano,dans la Vision de Constrtnlin,au Vatican, en

est un bel exemple.

Sans insister sur les nains gladiateurs que les empereurs romains, Do-

mitien en particulier, firent combattre dans les cirques contre des veaux

ou contre des femmes et sur lesquels nous manquons de renseignements

précis, nous savons qu'un certain nombre de nains furent doués d'une

force musculaire peu commune, en disproportion avec leur petite taille.

Le nain l'ersccu,montré à Londres en 174G, surnommé le second Samson,

haut de 1 m. 062, portait « deux hommes vigoureux, un de chaque bras.

et dansait autour de la pièce en les tenant ».

Un autre nain irlandais, Oiven Farrel, haut de 1 m. 137, souleva un

jour « quatre hommes, deux sur chaque bras ))..7o/<M Grimes, vers la môme

époque, fit des prouesses analogues (3).

Les monuments figurés qui représentent des nains musclés en Hercule

ne sont donc pas purement conventionnels. Ce développement athlétique

n'exclut pas d'ailleurs les autres difformités.

La nature se complaisant souvent à multiplier sur le môme individu

toutes les imperfections physiques ou mentales, il va sans dire qu'on

pourra rencontrer des nains affligés d'infirmités nouvelles.

Nous nous sommes borné à signaler les principales, celles surtout que

les monuments figurés reproduisent le plus fréquemment.

(1) Difformes et Malades dans l'Art, p. 24.

(2) Henry Meioe, Les Amyolrophiques dans l'Ad. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,

p. 198, 1894. u

(3) Cités par E. Garnie ! » .

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 175

Tout en faisant la part fort large à l'intention caricaturale qui domine

dans une certaine catégorie de figurations, on doit reconnaître que, pour

un nombre important 'd'oeuvres d'art, les difformités naturelles ont servi

de point de départ à ces productions d'apparence grotesque.

Souvent môme l'artiste s'est contentéde reproduire exactement la nature,

soit qu'il ait voulu faire un portrait conforme à l'original, soit qu'il ait

trouvé dans la malformation pathologique des éléments suffisants pour

produire l'effet comique qu'il cherchait.

Sans regarder comme définitives les divisions que nous nous proposons

d'établir, nous pourrons, du moins, grâce 'aux remarques précédentes,

répartir les figurations de nains dans un certain nombre de catégories

conformes à la réalité pathologique.

Laissant de côté les races naines dont l'étude ressortit à l'anthropologie

et les nains proprement dits, rigoureusement proportionnés, dont l'exis-

tence demande à être confirmée, nous aurons à faire rentrer les différents

documents relatifs aux nains dans les groupes morphologiques suivants :

- Nains rachitiques .

Nains idiots, arriérés, crétins, microcéphales ou hydrocéphales.

Nains myxoedématetx, goitreux.

Nains infantiles.

Nains scrofuleux.

Nains obèses. -

Nains atteints de déformations articulaires (pieds-bots, gèmt valgum,

etc.).

Nains atteints de dystrophies musculaires (atrophie ou hypertrophie).

Le même individu pouvant,d'ailleurs, comme nous l'avons dit, trouver

sa place dans plusieurs groupes, quand les difformités qu'il présente por-

tent sur plusieurs appareils.

Les nombreux spécimens publiés par Charcot et Paul Richer rentrent

aisément. dans les catégories précédentes. Leur étude, savamment docu-

mentée, nous dispense d'y revenir.

Nous ajouterons ici quelques exemples figurés inédits que nous avons

recueillis au cours de nos recherches. 1

Nain en bronze de V ALElUO CIOLI

Ornement d'une fontaine

(Musée national, Florence).

Ce petit bronze est un remarquable spécimen de l'art décoratif de la

Renaissance. Et il est pour nous particulièrement intéressant parce que

le nain qu'il représente est entièrement nu. 1

176 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Il tient dans la main gauche, levée au niveau de l'épaule,un poisson de

la bouche duquel jaillit un jet d'eau. De la main droite il vide une fiole.

Ses pieds reposent sur un dragon à longue queue..

La figure est particulièrement bien traitée : front saillant, bossué, nez

-épaté, lèvres épaisses, les joues larges et pendantes, couvertes d'une

barbe courte et frisée, les yeux petits aux paupières lourdes et bridées :

l'ensemble constitue un curieux mélange des faciès rachi tique et myxoe-

démateux. (PI. XXIV.) . ,

Le corps semble un amoncellement de graisse où se noient les reliefs

des muscles et des os. ' ' , -

Deux paquets adipeux gonflent la poitrine formant .sous les mamelons

des apparences de seins affaissés qui 'surplombent le bord inférieur du

pectoral, comme il est de règle chez tous les sujets gras. '

L'abdomen surchargé de graisse s'effondre sur le pubis, étouffant l'om-

bilic, et se prolongeant vers 'les flancs par un épais bourrelet qui encercle

la crête iliaque. ' '

De cette masse,les cuisses naissent comme deux bourgeons énormes que

terminent, des jambes et des pieds boursouflés. ,

. Les plis de la peau, distendue par la graisse, donnent aux bras l'appa-

rence de boudins ficelés, et clans la bouffissure des mains se creusent des

fossettes en cupules, comme on en voit chez les petits enfants.

Cet avorton oedémateux est d'un réalisme surprenant.

Chez lui, évidemment,' le nanisme est indiscutable ; on peut aussi soup-

çonner le rachitisme. Mais le point le plus intéressant à préciser serait la

nature de cet épaississement cutané considérable qui enveloppe le corps

entier.' 1

Il 'faut y voir d'abord une des caractéristiques morphologiques de l'in-

, fantilisme.

La répartition de la graisse' sur le corps et les membres, suivant l'aspect

qu'on observe' chez l'enfant, se -retrouve en effet chez .les infantiles, à

quelque âge qu'ils parviennent. . ,

Le nain florentin, cerclé de plis graisseux sur le corps et sur les mem-

bres, criblé de fossettes aux mains et aux pieds, est, abstraction faite' de

la tête, comme un bébé très gras ou comme un infantile myxoedémateux.

On peut en effet hésiter entre la prolifératiompolysarcique et une infil-

tration myxoedémateuse. - , '

La coexistence fréquemment signalée de l'infantilisme, du nanisme et du

myxoedème, l'épaississement du nez, des lèvres, l'aspect soufflé des joues,

le ventre de batracien, l'apparence oedémateuse des extrémités, éveillent

aussitôt le souvenir des 11lyxoedt ! mateux infantiles et nains, dont le célèbre

Pacha, de Bicètre, réalisait le plus bel échantillon. .

NAIN

Sur une fontaine en bronze de Valcrio Cioli.

(Musée National, Florence.)

L. BATTAILLE ET C'*

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 177

Cependant, quelque caractéristique que soit l'habitus extérieur des

myxoedémateux, il n'est pas suffisant pour établir un diagnostic définitif.

Les troubles fonctionnels et psychiques ont une grande importance et nous

ne pouvons avoir là-dessus aucun renseignement. D'autre part, les indi-

vidus polysarciques de petite taille ont des ressemblances extérieures frap-

pantes avec les myxoedémateux. Mômes yeux bridés, mêmes joues flasques

et pendantes, môme ventre tombant et mou, mêmes bourrelets autour des

articulations. La couleur et la consistance de l'infiltration cutanée, jointes

aux autres signes fonctionnels, permettent seules la différenciation.

Enfin, un dernier détail n'est guère en faveur du myxoedème infantile,

c'est la présence de la barbe, qui, comme le reste du système pileux, fait

défaut chez les sujets atteints par cette maladie.

Ainsi, en s'en tenant à l'examen des formes extérieures, est-il prudent

de ne pas .préciser davantage le diagnostic de ce nain de bronze.

Mais il faut insister encore sur les qualités d'observation vraiment re-

marquables de l'artiste qui l'a exécuté. Pour faire une oeuvre originale, il

s'est contenté de copier fidèlement les malformations naturelles qui se

rencontrent dans la nature quand au nanisme et à l'infantilisme viennent

s'ajouter le myxoedème ou l'obésité. ,

\

UN NAIN RACIIITIQUE DANS UN TABLEAU DE JAN STEEN.

La Ménagerie.

(Musée de la Haye).

La verve réaliste du maître hollandais, Jan Steen, s'est exercée aux

dépens de toutes les infirmités humaines, physiques ou morales. J'ai déjà

eu l'occasion d'insister sur ses compositions satiriques, toujours inspirées

par une exacte observation de la nature, à propos des « Pierres de

Tète » (1).

Un de ses tableaux du musée de la Haye, intitulé : « Une Ménagerie et

dans le lointain la maison à IIonsholredijk » représente la basse-cour

d'une maison de campagne qu'on aperçoit au fond sous une grande arcade.

Des volatiles de toutes sortes, poules, canards, dindons, pigeons, picorent

le grain que leur a jeté une petite fille en robe jaune, occupée pour le mo-

ment à faire boire une tasse de lait à un agneau.

Un vieillard chauve qui porte un panier d'oeufs et un pot vert la regarde

en souriant. Un autre personnage, celui qui nous intéresse particuliè-

rement dans ce tableau, est un serviteur difforme, debout sur les mar-

ches d'un escalier, tenant sous son bras droit un panier rempli de poussins

(4) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. N° 5 et G, 1S95.

178 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

et dans la main gauche une grosse poule. Il est vêtu d'un misérable habit

troué qui descend presque aux chevilles (l'1. XXV).

La tête grossière, pourvue d'une forte mâchoire inférieure débordant

sur la supérieure, repose sur des épaules carrées. Les jambes très courtes

sont manifestement arquées et les pieds un peu tournés en dedans.

Cet individu grotesque, « nabot, ragot, à jambes courtes et tortues' z

suivant la description qu'en donne W. Burger (1), est le type de ces êtres

contrefaits que les Hollandais et .les Flamands appellent Krom. 1 .

« Jan Steen, ajoute le critique, s'est bien amusé à le peindre d'après

nature et il y a mis toute sa science réaliste et expressive ».

C'est en effet un bel exemple de ces êtres difformes que les peintres

flamands et hollandais ont reproduit dans leurs tableaux. -

Les malformations squelettiqués du serviteur de la ménagerie semblent,

appartenir surtout au rachitisme. '

On y retrouve aussi ces déformations de la face et du tronc qu'ont si

bien indiquées, Teniers, van Ostade, Brauwer, et qui ne sont pas sans

analogies avec celles de l'acromégalie. ,

Un grand nombre de leurs personnages, avec leurs énormes têtes', à mâ-

choire proéminente, à gros nez, à lèvres épaisses, leur dos voûté jusqu'à

paraître bossu, leurs mains en battoirs et leurs pieds démesurés,sont comme

des ébauches d'acromégaliques. Ce type répété à profusion correspond

peut-être à une conformation corporelle fournie par la nature.

Le -Nain DE MOLENAER.

Dans son tableau L'Atelier du Maître.

, (Musée de Berlin).

On compte trois Molenaer dans la peinture hollandaise : Barthélemy,

Nicolaas ou Claes et Jan Miense Molenaer; ce dernier le plus estimé,

peignit des intérieurs rustiques à la façon de Brauwer et de van Ostade.

Le tableau du musée de' Berlin représente le peintre dans son atelier

entouré de plusieurs personnages, parmi lesquels un nain, de très petite

taille, dansant avec un chien, occupe le premier plan et le milieu de la

composition. ,

L'artiste s'est peint lui-même, à gauche, debout devant une table, ra-

clant sa palette, richement vêtu et tournant vers le spectateur sa figure

ronde et rieuse, encadrée de longs cheveux bouclés.

Derrière lui, dans le fond, un vieillard il barbe grise est assis, jouant

de la-vielle. A côté, devant une porte entr'ouverte, est un jeune enfant qui

(1) W. ]3unoEit. Musée de Hollande. Amsterdam et La Haye, p. 255.

UN NAIN RACHITIQUE

dans le tableau de Jan SïEEN : La n'c%117,C1'fC.

(Musée de la Haye )

LE NAIN DE MOLENAER

dans bon tableau : L'Atelier du Maître.

(Musée de Berlin.)

L. BATTAILLE ET C"

FDIT7 VRS

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 179

tient une baguette, et une jeune femme qui bat la mesure avec le doigt.

Toute la partie droite du tableau est occupée, par un chevalet suppor-

tant une toile où est ébauchée la même scène d'intérieur.

Cette tentative originale ne compense pas certains défauts de la pein-

ture qui reste froide et maniérée, en dépit des efforts faits par l'auteur .

pour rendre un épisode pris sur le vif.

Le groupe formé par le nain et le petit chien concentre l'attention de

tous les assistants(P1. XXVI).

. Ce personnage lilliputien est grotesquement accoutré d'un chapeau à

longues plumes et de chausses ridiculement bouffantes. Son torse dispa-

rail entre sa tête énorme et son volumineux séant. Les jambes écartées,

il essaye d'entraîner dans sa danse le pauvre roquet dont il tient les pattes

de devant dans ses mains de gros bébé.

Ce nain danseur est fortement barbu avec un gros nez rond et despom-

mettes saillantes. La largeur de ses chausses dissimule mal l'arc disgra-

cieux de ses jambes en parenthèses. Il doit être assez âgé, si l'on en juge

les rides qui sillonnent son visage : mais c'est là un signe de sénilité tou-

jours précoce chezjes individus de son espèce. -

La taille du chien,debout sur ses pattes de derrière, établit l'échelle des

proportions. Le petit homme n'a guère que la tête de plus que lui. Il

peut, sans se baisser, appuyer son menton sur le bras d'un fauteuil.

Le nain de'lVlolenaer est surtout intéressant par sa très petite taille et

l'énormité de sa tête qui paraît appartenir à un adulte de belle pres-

tance, disposition fréquente dans les cas de nanisme. Il ne paraît pas

douteux que le rachitisme ajoute à sa difformité.

Comme- Alypius, philosophe d'Alexandrie, qui n'avait que deux pieds

de haut, il pouvait rendre grâces à Dieu d'avoir chargé son corps d'une

si petite portion de matière corruptible.

Les Nains DE JAN UN KELLEN.

Tableau de la Collection Raczynski, à Berlin.

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, un peintre hollandais, Jan van -

Kellen (1618--1698), dont les oeuvres sont assez rares aujourd'hui, a fait

le portrait de deux nains conduisant un molosse.

Ces deux minuscules personnages, vêtus de riches habits de cour, sont

représentés sur la terrasse d'nn jardin orné de statues et dessiné dans le °

goût de l'époque (PI. XXVII). -

. Le plus jeune, à gauche, au pied d'un escalier,tient dans ses mains une

grosse corde attachée au collier du molosse ; le plus âgé, debout devant

ce dernier, la main gauche sur la hanche, porte la main droite vers le col-

180 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

lier du chien dont la croupe arrive à peu près à la hauteur de sa tête.

Deux inscriptions sur le dallage de la ferrasse nous font connaître leur

âge. Le premier a 18 ans, le second 22. -

L'un et l'autre sont dans leurs plus beaux atours et portent gaillarde-

ment l'habit broché, le rabbat de dentelles, les manchettes bouffantes, les

flots de ruban sur l'épaule et aux jarretières. Leurs cheveux sont soigner ?

sement peignés et frisés de la bonne manière.

Le chien, de la plus grande espèce, semble le compagnon familier de

ces deux petits hommes. Il tend la patte au plus jeune,et;dans sa face mas-

sive, ses deux gros yeux'n'expriment. que douceur et obéissance.

Le contraste n'est pas nouveau.

Les artistes qui ont figuré.des nains de cour ont souvent fait ressortir la

petitesse de ces avortons humains en plaçant c6té' les chiens de haute

taille qui partageaient avec eux les faveurs du maître. Tels furent : le por-

trait de Don Antonio el 111 ! 11rs, nain de Philippe IV, pii-,VélasqLie7,, au

musée de Madrid, - celui du bouffon du comte Thomas Arundel, par Ru-

bens, à la 'pinacothèque de-Munich, celui du nain de Pliiiippe Il,dans la

fresque de l'Escurial représentant la reddition de St-Quentin, par Luca

Giordano,' etc.' Tel sera plus tard le portrait au pastel de Bébé, au musée

de.Nancy. - .

D'autres peintres, comme, Tiepolo, Molenaer, etc. ont représenté, au

contraire,, les nains accompagnés de minuscules carlins, dont la petitesse

bien connue sert également à établir l'échelle des proportions. '

Ce,procédé.in ? el'se est'd'un effet moins saisissant que.le premier, em-

ployé judicieusement par. Van Kellen.

Le tableau de l'artiste, hollandais se recommande d'ailleurs par d'ex-

cel1ente : qualités naturalistes.' 1 1 -1

Le plus petit et le plus jeune de ses nains, a.part l'exiguïté de sautille,

n'offre pas de particularités bien saillantes. Les jambes sont disposées de

telle sorte que leur difformité, si difformité il y a, se trouve habilement

dissimulée. Le pas de menuet que semble esquisser ce petit homme, en

ramenant le pied gauclie au-devant du pied droit, ne permet de saisir

qu'une très 'légère, incurvation des jambes. '

La face, encadrée au carré par la coupe des cheveux, montre un petit

nez enfantin, de grands yeux enfoncés,- un 'front assez bombé el des joues

rondes, mélangé des faciès'infantile.et rachitique fréquent.chez lèsnains.

Bien Plus caractéristique 'est le type du second nain, âgé de'22 ans.

Chez lui, bien que l'artiste ait cherché il atténuer. la difformité en pla-

çant son modèle dans la station hanchée, l'incurvation i(ichiliq ? te des

membres inférieurs est manifeste.

Mais, la figure est surtout bien traitée. Elle évoque le souvenir du

LES NAINS DE JAN VAN KELLEN

(Collection Raccynski. - Berlin )

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 181

facies lunaire des txcedétate.2t.x. Pas un poil de barbe ni de moustache,

les sourcils eux-mêmes sont très peu fournis. Les joues, bouffies et flas-

ques, tombent mollement de part et d'autre du menton auquel pend un

bourrelet de chair grasse, et se prolongent vers l'oreille par un repli de

peau infiltrée qui arrondit en bas l'ovale du visage et fait disparaître pres-

que entièrement le cou. Les yeux, dont le peintre a sans doute quelque peu

agrandi les dimensions pour donner plus de vie à la figure, sont encore

cerclés de paupières lourdes, à cils rares.

Enfin, le petit nez camus et les lèvres en moue, les mains boursouflées

et les doigts boudinés, achèvent le portrait du myxoedème infantile.

Sans contredit, les nains de Jan van Kellen méritent de prendre place

parmi les figurations les plus sincères que nous connaissions (1).

Les Bossus.

Les Bossus dans l'Art sont moins nombreux que les nains. Ce n'est pas

qu'ils aient joué dans l'histoire un rôle moins important que ces derniers;

mais leur difformité se dissimule plus aisément, et, sous les vêtements qui

la recouvrent, il est souvent difficile d'en reconnaître la nature.

La critique des tableaux représentant des bossus célèbres demande donc

à être éclairée par les témoignages écrits.

D'autre part, les bossus ont été, grâce à leur proverbiale bonne hu-

(1) Je trouve encore,dans les notes que j'ai recueillies l'année dernière en visitant diffé-

rents musées d'Europe,les indications d'un certain nombre de peintures où sont figu-

rés des nains. Ces documents, bien que d'un intérêt secondaire, méritent cependant

d'être ajoutés aux spécimens célèbres publiés par Charcot et Paul Richer.

A Florence; dans le corridor qui relie le Musée des Offices au palais Pitti, au milieu

des portraits de hauts personnages qui ornent les parois de cette galerie^ se trouve

celui d'un nain de cour accompagné d'un grand chien. La tête, très expressive, porte

les stigmates ordinaires du 1'Uchitism"e.

Au palais Pitti, dans un tableau de G. l3.manaeLr.i (GIOItGIONE), représentant la décou-

verte de Moise, un nain fait partie de la suite de la fille de Pharaon.' Dans ses tableaux

du musée de Madrid et du musée de Dresde traitant le même sujet, P. Veronèse a

également figuré des nains.

A Naples, un tableau de l'école milanaise (IV, salle n° 33) représente une Adoration

des mages. Un nain fait partie de leur suite.

A Madrid, au musée du Prado, on voit un nain dans le tableau de Licha GionDANo

(surnommé Fa presto) représentant Philippe II posant la première pierre de l'Escu-

rial. Le même peintre a aussi placé ce nain au milieu de la suite de Philippe Il, dans

une fresque de l'Escurial représentant la Reddition de St-Quentin. Cet avorton, armé

en guerre, rappelle le nain de Julio Romano dans la Vision de Constantin, au Vatican.

Un nain de Philippe IV, attribué à Velasquez, se voit au musée de Cambrai.-Dans

un tableau de Van der Venne, au Louvre, représentant une fêle- donnée à l'occasion

d'une trêve entre les Espagnols et les Hollandais, figurent un nain vêtu de rouge et un

bouffon pied-bol et rachitique, jouant d'un violon grotesque.

182 " NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

meur, plus souvent l'objet de la risée que de la pitié publique. Aussi figu-

rent-ils rarement dans les cohortes d'infirmes, d'estropiés et de malades.

Leur Iconographie est cependant assez riche et méritera une étude dé-

taillée. '

A côté des figurations grotesques de bossus anonymes ou conventionnels

qui peuplent les décorations architecturales de l'art roman ou gothique,

prennent place les bossus illustres, depuis Thersite, qui périt pour avoir osé

se moquer d'Acliille,jusqu'à M. Mayeux, immortalisé par les portraits si réa-

listes de Traies, en passant par Esope le Phrygien, dont Lysippe a fait

un buste d'une vérité pathologique surprenante, et Scarron qui poussa

l'amour de la raillerie jusqu'à faire représenter sa propre gibbosité sur le

frontispice de ses oeuvres.

Et,à la tête de ce cortège de dos voûtés où figurent de grands capitaines,

un prince d'Orange, Guillaume III, un prince de Condé, un duc de Par-

me, le maréchal de Luxembourg, etc., des hommes d'Etat, des savants,

des artistes, des musiciens, etc., au milieu de la troupe grimaçante des

fous et des bouffons gibbeux, marche un bossu plus bossu, bossu par de-

vant, bossu par derrière, leur ancêtre à tous et leur éternel souverain,

Polichinelle.

La critique médicale de tant d'illustres éminences, suivant le mot attri-

bué à Tribonlet, m'entraînerait trop loin.

Je me contenterai aujourd'hui de rappeler quelques figurations de bos-

sus dans l'Art antique, en faisant connaître un spécimen inédit remontant

à l'époque égyptienne, qui permet, grâce à sa nudité, de porter un dia-

gnostic certain sur la cause de sa gibbosité.

UN BOSSU DE L'ART ÉGYPTIEN.

(Mal de Pott).

Figurine en bronze. (Collection de M. le Professeur Cornil.)

L'Art égyptien contient un grand nombre de figurations reproduisant

des difformités congénitales.

Charcot et Paul Richer en ont publié des exemples remarquables où figu-

rent surtout les nains, lesraclitig2ces, les pieds-bots.

La fréquence de ces documents s'explique d'abord par ce fait que plu-

sieurs divinités égyptiennes étaient traditionnellement reproduites suivant

.un type de difformité consacré par la religion, les deux 13c ? s, Phtall, par

exemple.

Il y avait,en outre, dans certains cas, une nécessité pour les artistes de

rester conformes à la réalité : c'est lorsqu'il s'agissait de placer dans un

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 183

tombeau une image du mort, aussi ressemblante que possible. La religion

même imposait l'exactitude des représentations figurées destinées aux né-

cropoles. En effet, suivant une promesse du Livre des Morts, l'âme justi-

fiée, le double, devait, après un certain temps de pérégrinations, venir re-

joindre le corps du défunt, pour n'en plus jamais être séparée. C'est afin

de faciliter à l'âme la recherche de son ancien habitat que l'on plaçait

dans les coffres funéraires des figurines faites à l'image exacte du trépassé.

« La hiérarchie sociale, dit M. Maspero (1), suivait l'Egyptien^ dans

la tombe et réglait la pose après, comme elle l'avait réglée avant la mort.

Et là ne s'arrêtait pas l'influence que la conception religieuse de l'âme

exerçait sur l'art du sculpteur. Du moment que la statue est le rapport du

double, la première condition à remplir pour que celui-ci puisse s'adap-

ter aisément à son corps de pierre, c'est qu'elle reproduise, au moins

sommairement, les proportions et les particularités de la chair ».

En général, la tête seule était un portrait fidèle. « C'était seulement

dans le cas d'une difformité trop forte qu'on se départait de cet idéal. On

donnait à la statue d'un nain toutes les laideurs du corps du nain, et il

fallait bien qu'il en fût ainsi. Si l'on avait mis dans la tombe une statue

régulière, le double, habitué pendant la vié terrestre à la difformité de

ses membres, n'aurait pu s'appuyer sur ce corps redressé et n'aurait pas

été dans les conditions nécessaires pour bien vivre désormais. L'artiste

n'était libre que de varier le détail et de disposer les accessoires à son

gré ; il n'aurait pu rien changer à l'attitude et à la ressemblance générale

sans manquer à la destination de l'oeuvre ».

Le nain TMOM/ooM, du musée de Boulaq, est un précieux document

à l'appui de celle thèse. -

La figurine dont nous allons nous occuper avait sans doute la même

destination funéraire.

Elle diffère d'ailleurs complètement de celles qui ont été signalées jus-

qu'à présent, et elle nous fait connaître une nouvelle difformité patholo-

gique reproduite par la statuaire de l'ancienne Égyple.

Les détails sont suffisamment nets pour qu'on puisse préciser le dia-

gnoslic. M. le Professeur Cornil, qui a bien voulu m'autoriser à publier

cette curieuse trouvaille qui lui appartient, y a reconnu l'image d'un sujet

atteint de Mal de Pott.

Il s'agit d'un petit bronze, haut de 6 centimètres, représentant un per-

sonnage entièrement nu, coiffé d'une sorte de mitre que surmonte un

trèfle irrégulier, percé à son -centre d'un trou rond (2). '

(1) L'Archéologie Egyptienne, Bibl. de l'Enseignement des Beaux-Arts, p. 204.

(2) Ce trou pouvait servir à suspendre la figurine. Cependant une cassure assez fraî-

che au niveau du siège peut laisser supposer aussi qu'elle était assise. '

184 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Le sexe mâle n'est pas indiqué par ses attributs normaux ; mais la con-

formation de la poitrine ne laissa aucun doute sur la nature masculine du

personnage.

- Le torse est la partie la plus intéressante.

La région supérieure présente une double gibbosité, dorsale et thora-

cique ; elle forme un angle ouvert en arrière avec la région lombaire qui,

elle, est inclinée presque horizontalement en avant; aussi le tronc sem-

ble-l-il avoir été cassé en deux par son milieu. Il en résulte une ensellure

considérable dans la région dorso-lombaire, et une saillie énorme des

fesses et du bassin en arrière. Les cuisses étant en demi-flexion,cette sail-

lie est encore plus visible (fig. 20) (1).

La déformation thoracique est très bien rendue.

L'extrémité inférieure du sternum a subi un mou-

vement d'ascension qui le rend presque horizontal.

Il forme ainsi en avant une bosse que toucherait le

menton si la lofe n'était fortement rejetée en arrière,

comme il est de règle chez les sujets porteurs de celte

difformité (fig. 21).

Le modelé de la poitrine, bien que fruste et dété-

rioré par l'oxydation, permet de distinguer le relief

du pectoral gauche el les saillies costales qui conver-

gent vers le sommet de la proéminence sternale.

Le bord inférieur de la cage thoracique surplombe

l'abdomen rétracté. -

L'ensemble figure, très exactement, la cyphose, l'en-

sellure et le thorax en carène que réalise la tuberculose

vertébrale.

Aussi, ces seuls caractères suffisent-ils à rendre le diagnostic de Mal de

Pott infiniment vraisemblable. '

.

On ne peut guère songer aux déformations rachitiques de la poitrine

qui atteignent rarement une telle importance et affectent une disposition

toute différente. D'ailleurs, s'il s'agissait de rachitisme, on en verrait l'in-

dice dans la forme des membres, des jambes principalement.

Celles-ci sont au contraire régulièrement conformées et l'on n'y remar-

que aucune incurvation, aucune nouure.

Or, cette particularité n'échappait pas aux artistes Egyptiens. Nous avons

vu qu'elle était une des caractéristiques du dieu Bès. J'ai noté au musée e

des antiquités Egyptiennes de Leyde une figurine en bronze où tous les

(1) Comparez ces déformations avec celles que présente le petit malade dont l'obser-

vation est rapportée par M. Weil dans la présente livraison (PI. XXII et XXIII).

Fig. 20.

, Fig. 21.

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 185

stigmates du rachitisme étaient scrupuleusement rendus tant sur les mem-

bres que sur la face et la poitrine. Ce rachitique est tout à fait différent

du personnage qui nous occupe.

La myopathie primitive donne également lieu à des déformations consi-

dérables du tronc. La taille de Mpae, signalée par M. Marie (1) chez les

myopathiques, pourrait à la rigueur se reconnaître

sur la statuette égyptienne. A l'appui de ce dia-

gnostic, on pourrait invoquer le mouvement de

bascule que semble avoir subi l'omoplate droite,

et la position du bras gauche qui forme un arc-

boutant destiné à maintenir la stabilité de toute la

partie supérieure du corps. Cette attitude n'est pas

sans analogie avec celle d'un malade présenté par

MM. Brissaud et Souques-à la Société Médicale des

Hôpitaux (2).

Toutefois, la proéminence du sternum, la forme

anguleuse de la gibbosité, l'obliquité des côtes en

haut, la conservation des reliefs musculaires nor-

maux, sans atrophie ni pseudo-hypertrophie, sur

tous les membres, permettent d'écarter l'hypothèse

d'une figuration de myopathie progressive. La position du bras gauche

s'explique suffisamment par la nécessité de consolider à l'aide de cet

appui artificiel la colonne vertébrale rendue fragile par le mal de Pott,

les muscles de la région dorso-lombaire qui contribuent au maintien de

l'équilibre du tronc étant souvent, eux aussi, frappés de paralysie ou d'a-

trophie.

On ne peut penser à attribuer les gibbosités de ce petit bronze à l'acro-

mégalie, car elles s'accompagneraient alors d'autres anomalies squeletti-

ques, portant sur la tête, sur les mains et sur les pieds. La face n'est pas

acromégalique, pas plus que la seule extrémité qui soit conservée.

Les membres supérieurs n'offrent rien d'anormal. Le bras droit est pres-

que horizontal ; l'avant-bras dirigé verticalement en haut. La main été

brisée ; mais on devine le geste de supplication qu'elle devait faire vers le

ciel. La main gauche est appuyée sur la fesse du même côté, aidant au

maintien de l'équilibre du torse sur le bassin.

, Le modelé des bras, comme celui des jambes, est assez vague.On recon-

(1) Gaz. hebd. de méd. et de chirurgie, 189G.

(2) Séance du 13 avril 1894. - Voy. Souques. Un cas de Myopathie progressive primi-

tive avec altitudes vicieuses extraordinaires. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, p. ni-

173, 1894. - .

186 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

nait cependant fort bien les reliefs des deux deltoïdes, la contraction des

muscles de l'avant-bras gauche qui soutient le haut du corps, les saillies

des quadriceps et des jumeaux.

La tète n'atteint pas le volume excessif qu'on observe chez les nains.

La face est surtout développée, aux dépens du cràne : front fuyant, arca-

des sourcilières saillantes, nez large el épaté, les lèvres grosses et le men-

ton fortement proéminent. Les oreilles, la gauche principalement, sont

très larges (1).

Le cou a complètement .disparu, enfoncé entre les épaules, et, du côté

gauche, l'oreille repose sur le deltoïde.

Tous ces signes réunis confirment le diagnostic de Mal de Pott.

La statuette égyptienne que nous venons de décrire montre que les mal-

formations corporelles causées par le Mal de Pott ont été observées et exac-

tement reproduites par l'Art aux temps les plus reculés.

Cette figurine n'est pas le seul exemple que nous ait légué l'Art anti-

que d'une image fidèle des déformations vertébrales du mal de Pott.

Un des plus célèbres a été longuement commenté par Charcot et

Dechambre, il y a déjà près de quarante ans (2). -

Il s'agissait d'un buste d'Esope conservé à la villa Albani, réplique d'une

oeuvre de Lysippe, vantée par Pline. Outre la cyphose dorsale très accen-

tuée, on relève sur le marbre en question un certain nombre de particu-

larités pathologiques, évidemment copiées sur la nature : la ligne irrégu-

lière formée par les apophyses épineuses des vertèbres qui ont chevauché

les unes sur les autres, l'enfoncement de la tête rejetée fortement en arrière

entre les épaules, la conformation en carène du thorax et les changements

de direction des côtes, etc. Laplupartde ces caractères se trouvent repro-

duits par la statuette égyptienne de M. Cornil.

Charcot et Paul Richer ont encore retrouvé les déformations vertébra-

les du mal de Pott dans plusieurs autres spécimens de l'art grec ou romain.

Une figurine de Kittion (ile de Chypre) représente une femme accrou-

pie dont la gibbosité anguleuse est conforme aux déviations produites par

le mal vertébral.

Deux Pygmées en bronze, de la collection Thiers, sont pourvus de bos-

ses antérieures et postérieures qui peuvent reconnaître la môme origine.

(1) Un esclave, qui porte sur ses épaules un fardeau, forme le manche d'un usten,

sile de toilette, au musée du Louvre ; il présente à peu près le même facies et semble

également gibbeux. -

(2) Gazette hebd. de médecine et chirurgie, 1857.

LES NAINS ET LES BOSSUS DANS L'ART 187

Les figurations de Bossus dans l'art ne se rapportent pas uniquement à

des cas de mal de Pott.

Eu égard à leur nombre relativement restreint, et surtout en raison de

la diversité des causes qui produisent les déformations du rachis, il n'est

guère possible de répartir ces documents dans des catégories pathologi-

ques bien distinctes.

Le chapitre des déviations vertébrales se divise et se subdivise en trop

de variétés pour qu'on puisse songer à l'utiliser dans le classement des

oeuvres d'art. -

On se contentera d'indiquer la forme de la déviation (cyphose, lordose,

scoliose) et son siège sur la colonne vertébrale. On précisera la direction

et le nombre des courbures, ainsi que les modifications qu'elles impriment

à la cage thoracique, et aux rapports réciproques des membres, de la tête

et du tronc.

Les bossus ont aussi leur facies, que chacun connaît et reconnaît, mais

qu'il est plus malaisé de décrire.

Face carrée, aux pommettes saillantes, à mâchoire inférieure anguleuse ;

petits yeux enfoncés, au regard vif et malicieux ; large bouche, cerclée

de fortes rides qui se perdent dans un cou grêle enfoui entre les épaules :

le masque du bossu est surtout caractéristique quand il s'anime, et lors-

qu'un rire moqueur vient y creuser les plis de la malignité et de la raille-'

rie.

Nombreuses sont d'ailleurs les variantes individuelles, ayant cependant

entre elles un certain air,de parenté. Il ne paraît pas douteux que le fa-

cies des bossus, surtout lorsqu'il s'agit de déviations congénitales du ra-

chis, soit en relation avec leur difformité.

A côté des bossus de naissance prennent place les bossus par accident.

Les traumatismes, la tuberculose, le cancer font des bosses à tous les âges.

Les bossus se recrutent aussi pour une assez large part chez des indivi-

dus atteints de maladies nerveuses.

llallion en a fait une revision complète dans sa thèse sur les déviations

vertébrales névropailtiqites (1).

La syringomyélie lui a fourni plusieurs cas. La maladie de Friedreich,

la paralysie infantile, le tabès surtout, contribuent à grossir le nombre

des gibbosités. L'hémiplégie, la sciatique peuvent engendrer des scolioses.

Il serait hasardeux, en l'absence de renseignements circonstanciés, d'ap-

pliquer ces diagnostics à des oeuvres d'art.

(t) Th. Paris, 1892, Battaille, édit.

188 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Mais une exception doit être faite pour J'Acromégalie.

Les déformations de la face et des extrémités qui s'ajoutent ici aux ano-

malies vertébrales et thoraciques autorisent, la distinction.

Parmi les terres cuites Alexandrines du musée du Louvre, le n° 705

me semble reproduire aussi exactement que'possible les difformités carac-

téristiques de l'acromégalie. On y voit les deux bosses, le gros nez, les lè-

vres épaisses, le menton fortemenLproéminent ; les mains et les pieds sont

énormes; les saillies occipitales sont aussi très développées.

Le faciès acromégalique se retrouve aussi sur quelques têtes isolées. J'ai

noté, au musée de Bruxelles, un joueur de flûte bossu, à mandibules énor-

mes, figuré sur une lampe gréco-romaine (n° 700). Le même faciès est

visible sur un grotesque assis (terres cuites de Grèce, au Louvre; sans

numéro).

Charcot et P. Richer signalent une terre cuite (n° 817), au Louvre, dont

la difformité comique rappelle la silhouette de Polichinelle. Peut-être est-

ce le portrait d'un ancêtre du Maccus des Atellanes, grand-père du Pul-

cinello napolitain. Une figurine du musée de Bruxelles (n° 714) s'en rap-

proche beaucoup. Il ,

Le type caricatural de Polichinelle, tel qu'il est reproduit à satiété au-

jourd'hui encore, semble réunir en effet sur sa comique personne pres-

que toutes les déformations de l'acromégalie : bosse en avant, bosse en

arrière, nez etmenton proéminents, « faisant carnaval ensemble », pom-

mettes et sourcils saillants, il lui manque cependant les mains en battoirs

et les pieds en bateaux pour être un parfait acromégalique. Sa voix de cré-

celle aigre et chevrotante, sa vivacité et son proverbial entrain, le distin-

guent encore des malades de M. Pierre Marie, somnolents, attristés, par-

lant peu, et d'une voix de basse profonde.

Le gérant : Louis 13ATTAILLB.

Imp. Vvc Lounuor, 33, rue des Balignolles, Paris.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

DES ATTITUDES ANORMALES, SPONTANEES

OU PROVOQUÉES,

LE TABES DORSAL SANS AKTHROPÀTHIES (1).

PAR R

Le Dr FRENKEL

de IIeiden (Suisse).

et

MAURICE FAURE

Interne de la Clinique des Maladies du

Système Nerveux.

Nous nous proposons de montrer la possibilité d'obtenir chez des

tabétiques, sans effort et sans fatigue, des attitudes, ou bien irréalisa-

bles, ou bien rares et difficiles chez un individu normal.

Nous avons donc pris (2), sans distinction de sexe, d'âge, de profession,

quelques-uns de ces malades, sans tenir compte du degré, ni de l'ancien-

neté de la maladie, et nous avons obtenu, dès la première tentative, les

attitudes représentées ici. Il nous parait évident qu'elles démontrent la

possibilité d'une distension extrême des muscles, et d'une laxité anor-

male des ligaments.

La figure 1 (Pl. XXVIII) et la figure 2 (Pl. XXX) démontrent, l'hyper-

extension du genou rendue possible par la distension des muscles flé-

chisseurs, par la flaccidité des aponévroses poplitées et des ligaments

postérieurs de l'articulation. Dans la figure 1, cette attitude se produit

spontanément; dans la figure 2, elle est produite passivement par l'expé-

rimentateur et n'en est que plus accusée. Les figures 1 bis (Pl. XXIX) et

2 bis (l'l. XXX) montrent quelles sont les attitudes normales correspon-

dantes.

(1) Fnr ? iEL (in Neurolôgische Centralblalt, n° 8, 1896) a déjà publié une étude sur

quelques faits de cette catégorie et sur l'hypotonie (Muskelschafl'heit) musculaire dans

le tabès dorsal.

(2) Nous avons constamment éliminé dans toute cette étude, les tabétiques présen-

tant des lésions articulaires, des névrites douloureuses, des paralysies.

ix 13

190 NOUVELLE ICONOGRAPU1E DE LA SALPÊTRIÈRE 1

La figure 3 (Pl. XXXIII) montre un tabétique exécutant spontanément

dès son premier essai, ce que l'on nomme « un grand écart », salis qu'il

en résulte pour lui ni fatigue, ni douleur. Cette attitude, qui démontre

la distension des adducteurs, des muscles pelvi-trochantériens et des

ligaments capsulaires de l'articulation coxo-fémorale, n'est obtenue par

les gymnastes qu'au prix d'essais progressifs et pénibles, et ne peut être

maintenue sans un effort qui devient rapidement douloureux.

La figure 4 (Pl. XXX) met en évidence l'extrême mobilité des articula-

tions vertébrales, qui s'accompagne évidemment de la distension des

muscles et ligaments vertébraux, et de la masse sacro-lombaire.

La figure 5 (Pl. XXXII) montre une main de femme, la face palmai>,

étant tournée en haut. L'hyperextension excessive des doigts et de la main

nous obligent penser qu'il existe une distension accentuée des D'l' ,

fléchisseurs de la main et des doigts, des masses thènar et hypothénal' et

de tous les ligaments des articulations du poignet et de la main.

La figure 6 (PL XXXII) nous montre les pieds d'une tabétique, l'un

étant dans la situation habituelle, l'autre dans une des attitudes anormales

qu'on lui peut imposer, et qu'il prend parfois de lui-même pendant la

marche. La laxité des ligaments tillio-tarsiens externes, des muscles de la

loge antéro-externe de la jambe et des muscles péroniers, est évidente.

C'en est assez pour démontrer l'existence des attitudes anormales spon-

tanées et provoquées chez les tabétiques, en l'absence de toute lésion ar-

ticulaire. Existent-elles chez tous les tabétiques et chez les tabétiques seu-

lement ? Telle est la première question a laquelle nous devons répondre.

Poui' ce faire, nous allons choisir une attitude tout particulièrement dif-

ficile obtenir et à maintenir chez un individu normal : c'est la flexion de

la cuisse sur le bassin, la jambe étant en extension. Pour la rechercher,

nous coucherons tous nos sujets sur un plan horizontal résistant, la tête

seule étant soulevée et soutenue. Le membre inférieur immobile sera fixé

dans l'extension complète par un aide. L'angle formé par l'axe du mem-

bre élevé et l'horizontale sera mesuré (1).

Chez les individus normaux, cet angle a constamment oscillé entre 05 et

75°. Il est tout à fait exceptionnel qu'il dépasse 80°, môme chez des sujets

jeunes et dont les membres sont assouplis par les exercices physiques.

D'emblée, le patient atteint spontanément la limite extrême du mouve-

ment, et les efforts de l'opérateur ne pèsent l'augmenter. Ce n'est qu'au

prix d'une douleur très rapidement insupportable que l'ouverture maxima

,de l'angle peut être maintenue, ne fût-ce que quelques minutes.

(1) Ces détails ont une très grande importance. La moindre modification dans les

conditions de l'expérience (telle qu'un léger degré de flexion, l'absence d'un oreiller sous

la tête, etc.), modifient nettement les résultats.

ATTITUDES ANORMALES DANS LE TABES 191

Nous avons cherché à reproduire cette attitude chez tous les tabétiques

que nous avons pu rencontrer, en nous imposant cette seule obligation de

n'accepter que les tabétiques dont le diagnostic était certain, et de les ac-

cepter tous.

Voici ce que nous avons observé : les malades portent spontanément,

sur l'ordre qu'on leur donne, leur membre inférieur dans une direction

voisine de la verticale, et parfois au delà. Si alors l'opérateur saisit dans

ses mains la jambe du malade, il peut continuer le mouvement beaucoup

plus loin, ne percevant qu'une résistance légère, et sans que le sujet ac-

cuse de la douleur. Le membre ayant atteint l'attitude maxima, le sujet

peut le maintenir longtemps sans ressentir aucune gène. Les figures 7 et 8

sont deux exemples de ces faits. Voici, exprimées en degrés, les mensura-

tions de tous les angles que nous avons rencontrés :

HOMMES

192 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

L'amplitude anormale du mouvement est aussi constante chez les hom-

mes que chez les femmes, chez les sujets alités que chez les valides. Elle

est généralement plus considérable chez les sujets qui ont une incoordina-

tion très prononcée, et dont la maladie dure depuis longtemps ; mais nous

avons rencontré des chiffres assez élevés chez des sujets qui n'étaient point

incoordonnés, et des chiffres peu au-dessus de la normale chez des su-

jets qui l'étaient beaucoup, de sorte que nous ne saurions, pour le moment,

établir une relation nécessaire entre l'incoordination et t'existence de ces

attitudes.

Nous avons fait les mômes essais chez un grand nombre de malades

atteints de toute sorte d'affections nerveuses organiques ou fonctionnelles.

En éliminant tous ceux chez qui des contractures ou des douleurs rendent

ce mouvement particulièrement difficile, nous sommes arrivés il obtenir

une moyenne peu supérieure à la normale. Une recherche particulière a

été faite, concernant les malades atteints d'atrophies musculaires, quelle

qu'en fût l'origine. Voici les chiffres que nous avons obtenus, avec les

membres atrophiés et non douloureux.

ATTITUDES ANORMALES DANS LE TABES 193

se produit pas. En effet, lorsque le membre, élevé spontanément, dépasse

l'attitude verticale, l'action de la pesanteur le fait constamment tomber

vers la face du malade étendu.

Lorsque, chez un sujet sain, l'opérateur cherche, en saisissant le pied,

à augmenter l'amplitude du mouvement spontané, il provoque une dou-

leur vive, localisée à la face postérieure du membre, étendue jusqu'au pied,

et due à l'élongation du nerf sciatique, et des muscles qui relient l'ischion

au tibia et au péroné (1).

Cette douleur amène tout aussitôt une contraction énergique de ces mus-

cles qui arrête le mouvement. Si l'on fait la même tentative chez le tabé-

tique, la douleurne se produit pas, se produit plus tard, ou bien est beau-

coup moins intense. La contraction musculaire qui doit la suivre, ou bien

intervient plus tard, ou bien est insuffisante, ou bien n'intervient pas.

Dans les troiscas, le mouvement peut être continué beaucoup plus long-

temps que chez les sujets normaux.

Voici donc deux conditions du phénomène : défaut de contraction des

antagonistes, défaut de la sensibilité profonde, mais ces deux conditions

seules ne suffisent point. En effet, dans certains états où l'une et l'autre se

trouvent réalisées, nous n'avons pu obtenir des attitudes aussi constam-

ment remarquables que celles qui nous étaient fournies par nos tabétiques.

Par exemple dans le sommeil chloroformique, dans le sommeil hyp-

notique, le mouvementque nous avons choisi comme élément de compa-

raison nous a donné des angles, beaucoup plus élevés sans doute que chez

les mêmes sujets à l'état de veille,- mais beaucoup moins élevés que ceux

des tabétiques (2). Sur le cadavre seulement, avant l'apparition de la

rigidité, nous avons pu obtenir des angles aussi élevés que ceux que nous

avons rencontrés souvent chez nos malades. Il y a donc d'autres causes

encore au phénomène que nous cherchons à expliquer : aussi l'un de nous

a-t-il invoqué la diminution du tonus musculaire, clans le travail auquel

nous avons fait allusion (loc. cit.).

Cette diminution du tonus peut être démontrée par plusieurs observa-

tions. Constamment, nous avons remarqué que les muscles de nos tabé-

tiques, à la seule condition qu'ils ne fussent point directement employés

à l'exécution d'un mouvement volontaire, présentaient une consistance

(1) Si en effet on fléchit les jambes sur les cuisses, le même mouvement s'exécute

sans douleurs, car la distension ne se produit plus. La souffrance n'est donc point due

à l'attitude de l'articulation de la hanche.

(2) Jamais nous n'avons poussé le sommeil chloroformique au delà de l'anesthésie. Si

dans les laboratoires on a pu, sur des animaux, obtenir avec le chloroforme la dispa-

rition du tonus musculaire, le danger d'une pareille expérimentation est trop grand

pour qu'on la répète sur l'homme. Nos anesthésiés ont donc conservé leurs réflexes et

leur tonus.

194 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

différente de celle qu'offrent les muscles d'un individu normal, à l'étal de

repos, clans la même attitude. Considérons, du reste, la figure G, ou toute

autre représentation des membres d'un tabétique au repos. Les jambes

flottent au gré de la pesanteur, et le relâchement des muscles est tel, que

la forme même-du membre en est modifiée. En dehors de l'intervention

d'une contraction volontaire, le membre entier s'avachit. Nous ne pou-

vons expliquer ces- faits que par la diminution de la tonicité qui amène

le relâchement du muscle dans des attitudes où, normalement, il n'exis-

terait point ou bien serait moins accentué (1 ).

M. Debove (2) a déjà fait la même remarque par un autre procédé.

L'auscultation d'un muscle au repos donne naissance à un bruit né de la

série des contractions élémentaires dont l'ensemble est le tonus. Or, ce

bruit est diminué dans certains groupes musculaires, au cours du tabes

dorsal.

Nous sommes donc autorisés à supposer que la diminution ou la dispa-

rition du tonus musculaire (3) amenant l'insuffisance des moyens de con-

tention périarticùlaire rend possible; avec le défaut d'intervention des

muscles antagonistes, et la diminution de la sensibilité, la distension des

appareils musculaires et ligamenteux et les attitudes que nous avons

constatées. L'influence de ces trois causes nous est démontrée par l'ab-

sence de ces attitudes chez ceux qui manquèrent seulement de l'une d'entre

elles : amyotropliques (perte de la tonicité musculaire avec conservation

de la sensibilité), anesthésiques (perte de la sensibilité avec conservation

du tonus). -

Il nous reste maintenant il vérifier, par d'autres faits, l'exactitude de

notre conception; il est des malades, les hystériques, qui sont plus ou

moins anesthésiques, et dont quelques-uns ont une perte complète de la

sensibilité profonde (sens articulaire, sens musculaire, etc.). Voici les

chiffres qu'ils ont fournis quand nous avons provoqué chez eux l'altitude

habituelle, en choisissant de préférence le membre le plus anesthésique.

ATTITUDES ANORMALES DANS LE TABES 195

196 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

des excitations centripètes (1), soit, chez nos tabétiques, la cause de la

diminution du tonus que nous avons constatée, de telle sorte, qu'en der-

nière analyse, les attitudes anormales que nous avons pu provoquer chez

eux, grâce à la distension extrême des appareils mnsculaires et ligamen-

teux (2), sont la conséquence certaine et indirecte de l'altération des

voies sensitives dans cette maladie.

excitations centripètes ne manquent donc point chez elles : ce qui manque, c'est la

perception normale de ces excitations, or, celle-ci ne parait pas nécessaire pour qu'un

réflexe moteur ou tonique suive normalement l'excitation.

(1) Il est permis de se demander pourquoi la disparition du tonus ne se produit pas

d'emblée lorsque l'anesthésie chloroformique se produit. Cela tient à ce que les exci-

tations dont résulte le tonus ne sont point seulement des excitations correspondant

aux différentes sensibilités qui parviennent à la conscience ; sans doute il en est de

tout à fait inconscientes qui ne disparaissent point lorsclue le sujet tombe dans le som-

meil et dans l'anesthésie. Le tonus est du reste un phénomène généralisé à tous les

muscles de l'économie : parois des vaisseaux sanguins, de l'intestin, des bronches,

sphincters, etc Il y provient évidemment d'excitations centripètes distinctes de celles

qui constituent la sensibilité. Il n'est donc pas étonnant qu'il ne disparaisse pas avec

celle-ci. Que ces muscles soient innervés par le grand sympathique ou par les nerfs

de la vie de relation, cela n'a point d'importance en physiologie générale.

(2) Le relâchement des ligaments s'explique lui-même par la diminution de la sensi-

bilité profonde, qui le rend possible, et par la perte de la contention exercée par les

muscles autour de l'articulation. Soumis à,des tiraillements excessifs et répétés que des

muscles toniques sauraient leur éviter, ils ne peuvent que se relâcher de plus en

plus. ,

NOTE SUR L'INFIDÉLITÉ DU BORAX

DANS LE TRAITEMENT DE L'ÉPILEPSIE

ET SUR UN ACCIDENT DE CETTE MÉDICATION

(purpura borique)

PAR

M. CH. FÉRÉ v

Médecin de Bicêtre.

Le premier travail qui a été publié en France sur le borax dans l'épi-

lepsie,et qui a paru dans ce recueil,avait pour but de signaler un accident

de ce traitement (1).

Depuis lors, je l'ai expérimenté.largement dans des cas variés (2).

Le résultat a été en somme peu favorable. Les 122 malades qui avaient

été soumis au traitement pouvaient être'divisés en trois catégories :

1° L'une, la plus nombreuse, comprenant 71,31 0/0 des observations,

dans lesquelles le résultat du traitement par le borax a été nul ; 2° la

deuxième catégorie comprenant des améliorations douteuses ou temporai-

res,ou inférieures à celles que peuvent donner les bromures ; cette catégorie

comprend 19,67 0/0'de la totalité des cas; 3° enfin une troisième catégo-

rie d'améliorations plus marquées, mais dont aucune n'a encore la durée

suffisante pour qu'on puisse espérer une suspension complète. Elle ne com-

prend que 9,01 0/0 des cas observés.

La plupart des malades de la dernière catégorie sont restés stationnaires,

. présentant des alternatives de mieux et de pire, ne laissant jamais d'illu-

sions sur le résultat final. Parmi ceux qui avaient donné tout d'abord le

plus d'espoir, je signalerai particulièrement deux malades dont l'obser-

vation figure dans mon mémoire de la Revue de médecine avec une suspen-

(t) Ch. FÉHÉ et II. Lnmr, Deux cas d'éruption eczémateuse provoquée par le borax

(Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1889, t. II, p. 305).

(2) Ch. Féhé, Du borax dans le traitement de l'épilepsie (Revue de médecine, 1895,

p. 750).

198 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

sion totale de plusieurs mois, et qui malgré la continuation du traitement,

avec augmentation des doses, ont subi des recrudescences décevantes. Les

observations qui suivent sont les compléments des observations VII et VIII,

et se résument dans le traitement et le nombre des paroxysmes.

Cas. I. B..., entré le 10 janvier 1887.

Depuis le mois de mars 1887 jusqu'au 20 juillet 1888 il avait été bromure il

petite dose de si à 6 grammes. Il est parti avec sa famille à l'étranger. Rentré

le 12 octobre 1891. -

LE BORAX DANS LE TRAITEMENT DE L'EPILEPSIE 199

' TABLEAU DES ACCÈS DE L'OBSERVATION I

200 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

LE BORAX DANS LE TRAITEMENT DE L'ÉPILEPSIE 201

202 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE

LE BORAX DANS LE TRAITEMENT DE L'ÉPILEPSIE 203

En somme ces faits, pris parmi les plus favorables, viennent à l'appui

de nos premières conclusions, constatant que le borax n'a guère qu'une

action éphémère, et que si on ne peut pas refuser aux malades la chance de

cette action quand les bromures ont échoué, il faut se garder de croire trop

vite au succès définitif.

II. J'ai d'autre part insisté sur les accidents du traitement par le

borax (1), troubles gastriques, troubles vaso-moteurs, accidents cutanés,

et surtout complications rénales qui peuvent avoir une marche fatale.

Parmi les accidents du borisme, l'oedème tient une place importante.

Il peut être lié à l'état cachectique, à des lésions cutanées généralisées,

aux lésions rénales : quelquefois on le voit se manifester dès les pre-

miers jours du traitement avec de faibles doses (2), et on peut se deman-

der si cet oedème n'est pas dû à une action vaso-paralytique.

J'ai observé d'ailleurs dans ces derniers temps plusieurs malades qui

au cours du traitement borique avaient le plus souvent leur poussée d'oe-

dème des membres inférieurs à la suite d'accès d'épilepsie isolés ou sé-

riels.

A l'oedème des membres inférieurs peut se trouver liée une manifesta-

lion cutanée qui mérite quelque intérêt non seulement en raison de sa na-

ture mais aussi de sa forme.

Dans deux cas, j'ai observé en même temps que l'oedème une éruption

de purpura qui se présentait sous un aspect un peu différent de celui des

purpuras toxiques qu'on a observés sous l'influence duphosphoreou de l'ar-

senic, du chloral, du sulfate de quinine, de l'iode, ou dans l'alcoolisme.

uns. IV. Dans le premier cas, il s'agissait d'une jeune fille épileptique

depuis plusieurs années, et dont la famille avait une répugnance folle pour les

bromures. Je consentis à essayer d'emblée un traitement par le borax à la dose

de 3 grammes par jour, le médicament paraissait assez bien supporté, lorsqu'au

bout de six semaines environ on observa sur les jambes plusieurs plaques rou-

ges qu'on vint vite me montrer.

Ces plaques étaient constituées par des agglomérations' de pétéchies miliai-

res siégeant au pourtour des poils. Il y en avait dix sur la jambe gauche et

douze sur la droite, groupées principalement sur la partie autéro-interne, Au-

cune autre pétéchie sur le reste du corps, ni sur les muqueuses.

Pas de douleur; sensibilité de la peau intacte. Il existe un oedème léger des

deux pieds remontant au-dessus des malléoles. La malade continua à prendre

(1) Le borisme ou les accidents de la médication par le borax, La semaine médicale,

1894, p. 497. ,

(2) l3eu, semez., p. î6 i . 1

204 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

du borax sans éprouver de diminution de ses paroxysmes, mais aussi sans pré-

senter d'accidents gastro-intestinaux.

Un mois plus tard les taches pétéchiales avaient complètement disparu ainsi

que l'oedème. Pendant les trois mois qui suivirent, le horax fut porté successive-

ment de 4 à 5 et 6 grammes par jour, sans aucun résultat heureux pour les

troubles nerveux.

Il commença alors à se produire de l'intolérance gastrique, quelques nau-

sées après l'ingestion qui se faisait en trois fois ; et au bout de quelques

jours on vit se produire une nouvelle éruption de plaques rouges avec un

gonflement beaucoup plus considérable des deux pieds. En deux jours l'érup-

tion était complète, il y avait dix-huit plaques sur la jambe gauche et 37

sur la droite, présentant à peu près les mêmes dimensions que la première fois

et tout à fait les mêmes caractères, petites taches purpurines hémorrhagiques,

sous-épidermiques autour de la racinedes poils, non modifiées par la pression. Pas

de douleurs, pas d'éruption dans les autres régions, intégrité des muqueuses;

pas de réaction générale. L'oedème des james est plus marqué que la première

fois et remonte jusqu'au genou.

Cette fois, on a abandonné le borax qui est remplacé d'emblée par le bromure

de strontium Il même dose. Sous l'influence du traitement nouveau, les accès

et les vertiges furent complètement supprimés pendant le premier mois qui suf-

fit aussi à la disparition de l'oedème et des bémorrhagios .cutanées.

Depuis cette époque, la malade a été revue chaque mois, et ni l'oedème, ni le

purpura n'ont reparu. Les accidents comitiaux sont séparés par des intervalles

de plusieurs mois.

Ons. V. Le nommé H..., âgé de 23 ans, entre dans mon service à Bicêtre

le 7 août 189fi, épileptique depuis (le 2 ans, a surtout des attaques sériel-

les. Sous l'influence du hromure de potassium, il a eu depuis son entrée deux

suspensions qui ont duré plus d'un an, suspensions interrompues par des pé-

riodes pendant lesquelles il avait plusieurs centaines d'accès par mois. Le bro-

mure n'était guère supporté au-dessus de 10 grammes, et restait sans effet. Le

malade fut soumis au borax à partir du 25 avril 189j, ;i la dose de 4 grammes

par jour. A partir du H mars, il prend '5 grammes, à partir du 22 octobre,

6 grammes. Il n'a eu que 6 accès en juillet. Le médicament est bien supporté ;

le malade ne se plaint d'aucun trouble gastrique, ni même de dégoût ; il ne pré-

sente aucune éruption cutanée. Cette tolérance se maintient plusieurs mois.

Le 20 janvier 1896, il présente une éruption de purpura limitée aux deux

jambes, il a commencé à s'en apercevoir la veille.

On voit sur la jambe droite onze plaques et sur la jambe gauche 9 plaques

présentant un aspect assez uniforme et distribuées principalement sur la face

antéro-interne.

Ces plaques généralement arrondies ou ovalaires varient de l'étendue d'une

pièce de 50 centimes à celle d'une pièce de deux francs. Elles sont constituées

par des pétéchies situées au pourtour des poils elpunctiformespour la plupart,

les plus larges ne dépassant pas 2 millimètres.

1. HYPEREXTENSION SPONTANEE DU GENOU DANS LE TABES.

1111S. ATTITUDE NORMALE.

L BATTAILLE ET Cie

ÉDITHURS

4. MOBILITÉ EXTRÊME DES ARTICULATIONS VERTÉBRALES DANS LE TABES.

2. HYPEREXTENSION PROVOQUÉE DU GENOU DANS LE TABES. : 2 bis, EXTENSION PROVOQUÉE NORMALE.

5. HYPEREXTENSION PASSIVE DES DOIGTS DANS LE TABES.

6. LAXITÉ EXTREME DES LIGAMENTS EXTERNES DE L'ARTICULATION TIBIO-TARSIENNE DANS LE TABES.

LAXITE EXTREME DES LIGAMENTS DE L'ARTICULATION DE LA HANCHE

clic ? les Tabétiques.

PURPURA BORIQUE

L. BATTAILLE ET C'C

Éditeurs

LE BORAX DANS LE TRAITEMENT DE L'ÉPILEPSIE 205

En dehors de ces plaques, on remarque sur les deux jambes un grand nom-

bre de pétéchies miliaires isolées; mais on n'en trouve plus aucune sur tout le

reste du corps. Il n'existe aucune trace d'ecchymose sur les muqueuses. Les

pétéchies présentent une différence de coloration bien marquée sur les mêmes

plaques, les unes sont tout il fait rouges, récentes, d'antres'ont une coloration

brune qui semble indiquer une apparition plus ancienne que ne le comporte la

déclaration du malade. Cette éruption coïncide avecuu oedem&'assex prononcé des

deux jambes remontant presque au milieu du mollet.

Pas d'albumine dans les urines, aucun trouble général. Suppression du borax.

L'oedème est resté stationnaire et 'quelques pétéchies nouvelles ont apparu les

jours suivants, mais'pas de nouvelles plaques. Puis l'oedème a diminué, et la dé-

coloration des pétéchies s'est effectuée progressivement.

La photographie qui a été prise le li février montre bien la distribution des lé-

sions qui ne se sont complètement effacées qu'au commencement de mars

(Pl. XXXV).

(Les accidents se sont reproduits depuis sous la même influence.)

Les caractères communs de ces deux cas de purpura borique, sont la

coïncidence avec l'oedème, manifestation fréquente du borisme, et la dis-

tribution en placards qu'on ne signale guère dans les autres purpuras

toxiques (1). - /

(4) J. SOHTAlS. Le purpura, consid. étiologiqlles et palhogéniqlles. Th. 1896.

1 - -

IX ' 14

LA TERMINAISON CORTICALE

DU FAISCEAU LATÉRAL PÉDONCULAIRE .

.. {FAISCEAU DE TU1CI).

.

.. PAR

1 P. C. J. VAN BRERO,

Médecin de l'Hôpital des aliénés de Buitenzorg (Java).

La malade, dont nous allons relater l'observation était une femme

javanaise, débile et très anémique, âgée environ de vingt ans. Les bulle-

tins d'informations nous apprennent seulement qu'elle était él'ileplÏque.

Elle ne peut nous donner aucun renseignement ; quand on lui demande

quelque chose, elle ne répond pas ou mal. Toute la journée elle reste

insouciante des gens et des choses; elle est toujours tranquille et les fonc-

tions animales et végétatives se passent sans irrégularité. ,

Depuis son entrée (ler juin 1893), jusqu'à sa mort (2 octobre 1893) elle

a eu dix-neuf attaques d'épilepsie (nous ne savons pas si elles différent de

celles de l'épilepsie idiopathique, car aucune d'elles n'a été observée par

un de nous, et rien n'attirant nos soupçons, nous n'y portâmes pas une at-

tention spéciale).

Elle avait le crâne petit, mais bien fait, sans déformations.

Quoique les renseignements fussent bien insuffisants, son habitude et

toute sa manière d'agir nous donnaient la conviction que nous avions

affaire à une lésion cérébrale survenue à un âge reculé et [ayant produit

un arrêt de développement des fonctions psychiques.

Le 30 septembre, celte femme reste au lit, mange peu, remue rarement,

ne répond pas si on lui demande quelque chose, mais crie de temps en

temps. ' \

Le le, octobre, la température est un peu élevée (38° C.) vers le soir; la

malade a maigri très rapidement et'ses forces diminuent considérablement.

Le 2 octobre, la température est sous-normale, les poumons ne présen-

tent aucune a ! Lération ; mais le pouls est très fréquent et faible, les doigts et

les orteils sont froids. L'alimentation, qui'est liquide, doit être forcée.

Le 3 octobre, la malade meurt d'une paralysie du coeur, malgré les

excitants employés.

Pendant les quatre derniers jours de sa vie, elle a eu tous les jours une

attaque d'épilepsie.

LA TERMINAISON CORTICALE DU FAISCEAU LATÉRAL PÉDONCULAIRE 207

L'autopsie n'ayant pas été faite par un de nous, nous ne pouvons pas

donner une description du cerveau à l'état frais ; on a procédé seulement

à l'ouverture du crâne. ,

208 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

détruit appartient au lobe pariétal. Nous croyons que c'est a peu près

un 1/8-1/9 de la surface dorsale pariétale.

Lobe occipital. Sauf l'union déjà nommée de la scissure pariétale avec le

sillon occipital longitudinal supérieur rien de particulier n'a été constaté

à droite.

Sur l'hémisphère gauche, la scissure calcarine (/7M.T/)est fortement dé-

veloppée et donne.une incision profonde dans la circonférence supérieure

cérébrale.

Comme le montre très distinctement la Pl.XXVI,le lobe occipital gauche

se présente comme un morceau indépendant, parce que le tissu nerveux

est détruit plus ou moins sur ses bords latéraux et inférieurs.

Le passage de la circonvolution occipitale supérieure il la circonvolu-

tion pariétale supérieure est resté intact, tandis que le passage de la cir-

convolution occipitale médiane à la circonvolution pariétale inférieure

est interrompu complètement; on voit ainsi une démarcation très distincte

de la circonvolution occipitale médiane.

A la surface inférieure, les circonvolutions occipito-temporales et lin-

guales sont séparées aussi distinctement des circonvolutions temporales. La

figure nous fait voir très évidemment une inclinaison du lobe occipital à

la hauteur de l'impressio petrosa ; comme si la pars petrosa de l'os tem-

poral avait été un obstacle il la propagation du processus destructif, de

sorte que le lobe occipital est resté épargné. , .

Lobe temporal. A droite, rien de particulier.

Sur la gauche, le lobe temporal est transformé en une vaste poche kys-

tique à paroi mince et ridée, de substance conjonctive ; c'est la corne in-

férieure dilatée où'l'on trouve encore les plexus choroïdiens.

Tout le tissu nerveux a été détruit complètement ; par la rétraction du

lobe nommé la partie antérieure de l'insula de Reil est devenue visible.

Sur des coupes- frontales de l'encéphale, on ne remarque à droite rien

de particulier, tandis qu'à gauche on peut faire les observations suivantes :

1° La partie postérieure de la formation de la corne d'Ammon est restée

intacte. ,

2° La moitié anlérieure de l'instila de Reil n'a pas subi d'altérations,

tandis que la partie postérieure, qui correspond à la surface supérieure

du lobe détruit, est transformée en tissu conjonctif.

3° Le processus destructif ne s'est localisé que dans l'écorce cérébrale

et l'amas blanc sous-jacent des parties malformées de la surface cérébrale,

tandis que les noyaux centraux sont restés intacts.

4° Tous les ventricules sont dilatés.

5° La substance blanche de la surface cérébrale saine en apparence,

ainsi que la substance grise sont atrophiées. Deux coupes frontales de

ATROPHIE DU LOBE TEMPORAL GAUGHE

chez une 0pilcptiquc.

Hémisphère droit. Hémisphère gauche.

LA TERMINAISON CORTICALE DU FAISCEAU LATÉRAL PÉDONCULAIRE 209

l'encéphale faites à la même hauteur ne forment pas une image il peu

près égale, la gauche est plus petite à cause de l'atrophie du tissu ner-

veux. '

6° Le fornix et la fimbria sont plus minces.

Telles sont les anomalies macroscopiques.

Si l'on examine l'encéphale en général : l'asymétrie des deux hémis-

phères surprend aussitôt, la gauche est beaucoup plus petite. Cela tient

principalement il la destruction du lobule temporal, qui s'est propagée

suivant la direction des cireonvolulions temporales en arrière, encore visi-

ble par les rides qui se trouvent dans la partie inférieure et postérieure

du lobe pariétal. Pour une moindre part la cause doit être cherchée dans

l'atrophie de la substance blanche et grise de l'écorce cérébrale. z

On peut encore observer que la flexion delà partie postérieure de 1'lié-

Fiv. 22. Coupe frontale en arrière

du chiasma optique.

FIG. 23. Coupe frontale en arrière

de la commissure moyenne. -

Fio. 21. Coupe frontale ep arrière

du corps calleux, grossissement : 1/2.

210 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

misphère gauche est rendue plus accentuée par la rétraction du tissu

détruit. Grâce à cette modification, le trajet de la fissure occipitale est à

peu près horizontal, tandis que la scissure calcarine y débouche perpendi-

culairement. L.

A droite la pie-mère n'est pas adhérente, ni à gauche, excepté au-dessus

des parties détruites. Dans le voisinage, la pie-mère est plus épaisse.

Il nous semble que cette altération doit être interprétée comme une

méningo-encéphalite du lobe temporal, qui s'est répandue de lu sur l'é-

corce cérébrale gauche. Cette inflammation doit être d'ancienne date, re-

montant aux derniers temps de la vie foetale ou survenue dès le bas âge.

Le crâne n'ayant pas été examiné, nous ne pouvons dire où la méningite

a trouvé son origine. -

Les pédoncules cérébraux, la protubérance, le cervelet et le bulbe ne

sont le siège d'aucune altération macroscopique. Les vaisseaux et les nerfs

de la base du crâne ne présentent aucune anomalie; nous avons surtout

fixé notre attention sur les tractus olfactifs. '

Le corps mammillaire gauche paraît être plus mince que le droit; mais

la différence n'est pas* très nette. \

Pendant la vie, on n'a pu observer d'autres symptômes de lésion en

foyer, sauf l'épilepsie.

Avec le microscope, on peut constater les faits suivants :

A. L'écorce et la substance blanche sous-jacente de l'hémisphère droit

sont plus ou moins normales; dans quelques parties les cellules ner-

veuses sont amoindries et quelques-unes de ces dernières montrent des

contours mal définis.

La partie postérieure de l'hémisphère gauche ne présente aucune ano-

malie.

Dans la région motrice gauche (y compris le lobe frontal et la circonvo-

lution pariétale supérieure)on constate une diminution des fibres etcellules

nerveuses; ces derniers éléments se colorent mal, leur structure n'est pas

distincte. Il y en a qui laissent voir un corps atrophié sans noyau, tandis

qu'en général les prolongement sont courts.

Dans les endroits les plus détériorés l'élément nerveux a tout il fait

disparu ; on n'y trouve plus qu'un reticulum à réseau étendu rempli en

partie de cellules rondes, de détritus d'une matière colorante jaune et des

morceaux colorés d'une façon homogène. Les méninges sont épaissies, les

vaisseaux ont des parois élargies.

Le tissu conjonctif de l'écorce cérébrale plus ou moins intacte a subi

peu d'altérations ; c'est surtout la dégénération de l'élément nerveux qui

nous frappe.

B. Une atrophie du pied du pédoncule cérébral gauche, qui s'est ré-

LA TERMINAISON CORTICALE DU FAISCEAU LATÉRAL PÉDONCULAIRE 211

pandue également sur toutes les parties ; nous attirons l'attention sur ce

fait que les faisceaux latéraux ne sont pas plus atrophiés que les médians

ou les centraux. Dans la partie voisine de la protubérance, cette asymétrie

est encore évidente, mais plus les fibres du pédoncule s'enfoncent dans le

tissu de la protubérance, moins il est possible, par l'entrelacement des

faisceaux protubérantiels de reconnaître cette différence.

Ni les faisceaux transversaux, ni les cellules de la protubérance n'of-

frent aucune différence dans les deux moitiés.. "-

Les deux faisceaux pyramidaux ont le même volume.

FiG. 25, 26, 27, 28 et 29.

212 ) NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE ·

térieurs du bulbe, les noyaux de ces derniers faisceaux n'offrent aucune

anomalie. lies ! , très difficile de se former une opinion sur les noyaux

arciformes et les fibres qui en émergent, car ces noyaux se trouvent en

groupes de volume différent. Il nous semble que leur nombre des deux

côtés est aussi grand; en tous cas, s'il y a une différence, celle-ci doit être

petite et sans influence. -, -

Comme nous l'avons déjà dit plus haut l'examen microscopique n'a pas

été fait plus loin , que les corps quadrijumeaux, ce qui est regrettable

surtout en ce qui concerne les noyaux rouges de Slilliîèfl.

L'atrophie du pédoncule cérébral gauche et du pédoncule cérébelleux

supérieur droit s'explique par l'atrophie de l'hémisphère gauche. Nous

n'avons pas affaire à une dégénération secondaire, mais ai une atrophie,

peut-être fonctionnelle.

Comme nous le savons, le uoyeau rouge s'unit à la couche optique et

aux circonvolutions centrales par des radiations de fibres blanches (Flech-

sig et 7e/) (1).

Sur la couche optique nous ne pouvons dire que peu de chose. Nous

avons remarqué des altérations dans les circonvolutions centrales, moins

dans celles du lobe frontal, et plus dans les circonvolutions pariétales.

Il nous parait discutable que le lobe temporal ait contribué à l'atrophie

du pédoncule cérébelleux supérieur, car eu égard il une destruction aussi

considérable les altérations dans ce trajet auraient dû être plus grandes.

Dans la partie du' pédoncule cérébral située au-dessus de la substance

grise de SoeMMMer, la « IIduGc des auteurs allemands, nous n'avons pu

constater d'autres anomalies.

La masse de filets nerveux située au-dessous de la substance de Soem-

mering, le pes pedunculi des auteurs, est généralement divisée en trois par-

ties : les faisceaux médian, central et latéral. ,

Le faisceau central, dénommé faisceau pyramidal, entre en relation en

haut avec les deux circonvolutions centrales et avec la circonvolution pa-

racentrale; en has, une partie de ces fibres, la partie centrale, s'accole

aux cellules des cornes antérieures de la moelle épinière, tandis que les

fibres externes et internes se terminent selon 7< (2) dans la moitié

antérieure de la protubérance.

Tous les auteurs sont d'accord pour admettre que le faisceau médian

entre en connexion avec le lobe frontal et avec le noyau strié de Flechsig (3).

(1) Cfr. 01EIISTEINER, Anleitung beim Sludiam des Balles der nel'VoeSell Cenlralorgane,

1892.

(2) Archiv. sur Psychiatrie, Bd XXVII.

(3) Cfr. Fimmeh, Thèse inaug. Utrecht. 1889

LA TERMINAISON CORTICALE DU FAISCEAU LATÉRAL PÉDONCULAIRE '213

Cependant Zacher (1) prétend que ces fibres s'unissent avec les circon-

volutions de l'insula de Reil, ce que nient Kreacser (2) et lictztz(3).

Un grand désaccord existe sur la question de savoir où se terminent en

direction distale ces fibres médianes.Tandis que .Jelgers1na (4) croit qu'elles

s'accolent aux cellules ventrales de la protubérance (stratum supe1'fie. pon-

tis), Winldel' (5) les fait entrer en relation avec les cellules ventrales

proximales et Vacher (6) et.l3eclite·eta (7) avec la moitié proximale de la

protubérance'.

Le faisceau latéral auquel selon Flechsig (8) Aleynerl donnait à tort le

'nom de Tizrck, soulève encore de plus grandes controverses.

1 D'abord la question de la direction de dégénération et de conductibi-

lité, qu'on a accepté comme centrifuge uniquement pour les faisceaux

centraux et internes. Aleynel't prétendait que ces fibres externes servaient

à la Sensibilité et cette opinion trouvait un appui dans le fait que ni Charcot

ni Flechsig n'avaient jamais vu une dégénération centrifuge de trajet de

fibres, bien qu'en raison de ses recherches évolutionistes'ce dernier auteur

fût porté à accepter une conductibilité centrifuge. Ce sont lVizzlrler et

Jelgersma qui ont démontré une dégénération descendante de ce trajet ou

du moins d'une partie de ces filets, ce qui fut affirmé ensuite par plusieurs

observateurs. 1 -

La terminaison proximale et distale du faisceau latéral est encore l'ob-

jet de beaucoup de controverses. »

Tous les observateurs sont d'accord pour admettre que celui-ci est en

rapport avec la protubérance en direction distale, mais l'endroit exact de

cette union est encore un problème à résoudre. Jelgersma le met en contact

avec les cellules dorsales (stratum cotapiex2ctz et profundum pontis),

Winhler avec les cellules ventrales distales, Frijlinck (9), Kam et Krezcser

au contraire, avec les cellules dorsales et dorso-tatérates de la partie dis-

tale, tandis que Becliterew et 7,(tchei le font entrer en connexion avec la

moitié proximale de la protubérance.

Quantà la terminaison de ces fibres blanches dans les réseaux des cellules

de l'écorce cérébrale, les opinions ne divergent pas moins. Suivant l'exem-

pie de Winkler, Fi1ll1ller et nous donnons ici une liste des observa-

tions publiées, dont nous avons pu prendre connaissance.

(1) Archiv. sur Psychiatrie, Bd XXII. ·

(2) Allgemein Zeitschrift sur Psychiatrie, 1892.

(3) Loc. cit. '

(4) Psychiatrische Bladen, 18S6.

(5) Nede1'landsch tydschrift voor Geneeskunde, 1886.

(6) Loc. cit.

(7) Archiv. fil}' Psychiatrie, 1888. '

(S) Loc. cit.

(9) Nederlaadsch tydschrift voor Geizeeskiiiide, 1889.

1

' 1

214 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

'al6 NOUVELLE ICONOGRAPHIE.DE LA SALPÊTRIÈRE

218 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE -

If

220 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Comme nous l'avons déjà dit plus haut, le pied du pédoncule est divisé

généralement en trois parties à peu, près égales mais il y a quelques au-

teurs qui ont une opinion différente ; ce sont Zacher qui en accepte quatre

et qui décrit cinq parties égales.

La plupart des auteurs (l3eclrlere7c, Jelgersma, Kreuser,) admettent

un contact du fascicule latéral avec l'écorce occipito-temporale, ce qu'ad-

met Zachel', qui, grâce à ses recherches, peut donner une localisation encore

plus précise. D'après cette observation, les filets les. plus externes entrenl

en relations avec le lobe occipital et les' fibres plus médianes avec les

circonvolutions temporales supérieures. ,

Kam donne le nom de « fascicule or(il » à la cinquième partie latérale

de ces fibres longitudinales et le fait cheminer vers le lobe temporal. Les

filets les plus latéraux du fascicule oval sont en rapport avec le pôle et peut-

être aussi avec la base et les circonvolutions inférieures, tandis que les

fibres internes se terminent dans la partie médiane du lobe temporal.

Frylinck les fait plonger aussi dans le lobe temporal, c'est-à-dire les

libres latérales dans les circonvolutions temporales supérieures et les mé-

dianes dans les circonvolutions de passage des lobes temporaux et pa-

riétaux.

Déjerirce (1) et 'J1lonako1V (2) acceptent aussi le lobe temporal comme

endroit d'origine. Sioli (3) dit que ces libres blanches trouvent leur ter-

minaison dans le lobe temporal et dans l'écorce du lobe pariétal, situé der-

rière les circonvolutions centrales, tandis que Winhler incline à admettre

les lobes pariétaux comme origine ; il admet néanmoins qu'une partie

du faisceau dégénéré peut être suivi à travers la capsule interne jusque

dans le lobe temporal.

Filmer, se fondant sur son observation où une destruction du lobe occi-

pital n'était pas suivie de dégénération des fibres pédonculaires latérales,et

sur une trouvaille de lt'ilakler où sur un lobe occipital normal fut trouvé

une dégénération du fascicule latéral entier, prétend que le lobe occi-

pital n'entre pas en relation avec les fibres susnommées.

Notre observation est un pendant de celle de Fi1limel'. Ici nous

trouvons une destruction complète de l'écorce et des libres blanches sous-

jacentes du lobe temporal, sans aucune anomalie secondaire dans le fais-

ceau latéral, sauf l'atrophie insignifiante, qui fait partie de l'atrophie

générale du pied pédonculaire.

Remarquons en passant que les auteurs ont supposé implicitement

(1) Cfr. A'OLAKOW, Untersuchungen, Archiv. sur Psychiatrie, 1895.

(2) Archiv. (il¡' Psychiatrie, 189 ?

(3) Allflem. Zeitschrifl fiii, Psychiatrie, 1889.

LA TERMINAISON CORTICALE DU FAISCEAU LATÉRAL PÉDONCULAIRE 2l t

que les fibres du piedpédonculaire passent directement, sans interposition

des cellules nerveuses des noyaux centraux, dans l'écorce cérébrale, ou du

moins que ces noyaux centraux ne font pas obstacle à la dégénération

descendante.

S'il est permis de tirer une conclusion per exclusionena d'une obser-

vation pareille avec résultat négatif, on voit qu'il ne reste que le lobe pa-

riétal qui puisse être considéré comme région de contact pour le faisceau

latéral. Cette interprétation est d'autant plus séduisante qu'alors les fi-

bres, provenant de l'écorce cérébrale motrice [circonvolutions frontales,

centrales et pariétales (de l'insula de Reil ? )cheminent dans le pes

pedunculi. \

Parmi les observations publiées il y en a qui s'y opposent et il y en a

qui prouvent en faveur de celte interprétation, tandis que dans la plupart

les lésions de l'écorce sont si compliquées qu'il est impossible d'en tirer

une conclusion.

Les recherches suivantes sont contre cette opinion.

I. Bechterew (obs. I). Destruction de l'écorce cérébrale entière, datant

dès la jeunesse, sauf le lobe temporal, la base des lobes frontaux et occi-

pitaux et de petites parties des circonvolutions centrales sans dégénération

du faisceau latéral.

II. La deuxième observation du même auteur semble aussi s'opposer.

Là on trouve une lésion insignifiante du lobe pariétal (gyrus angularis)

avec une dégénération des filets pédonculaires externes. Mais plus loin

on y trouve cité que-la lésion s'est étendue dans la substance blanche

de l'hémisphère jusqu'à la paroi externe du ventricule, ce qui peut

expliquer la dégénération descendante. - 1 - ,

III. huira (obs. II). De la surface pariétale ne sont restées intactes

que les circonvolutions centrales et la masse blanche sous-jacente, sans

qu'il survienne de dégénération secondaire du fascicule latéral. Peut-être

la durée de la lésion (plus d'une année) n'a pas été sans influence sur celle

circonstance, même si l'on ne perd pas de vue la dégénération descen-

dante citée du faisceau pyramidal, car n'est pas impossible que la durée

de dégénération no soit pas la même pour des systèmes différents.

IV. Kam (obs. V). Destruction du lobe pariétal entier et de la capsule

interne sans dégénération consécutive du faisceau. La durée de la lé-

sion n'est pas citée.

Les recherches suivantes plaident en faveur de celle interprétation.

I. ir711tl,.Iei (1885). Une destruction étendue du lobe pariétal comme

a . ' 15

222 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

lésion principale de la surface cérébrale était suivie d'une dégénération

du faisceau latéral.

II. Winkler (1886). Comme ci-dessus.

III. 'Jelgers1na. Un foyer situé principalement sous le lobe pariétal

avait donné une dégénération secondaire.

IV. Sioli. Destruction des fibres blanches du lobe pariétal avec dégé-

nération partielle du fascicule latéral.

V. Alonako1V (obs. II). Les circonvolutions frontales et une grande par-

tie des temporales*'sont restées en connexion avec la capsule interne,

néanmoins' le faisceau latéral est détruit t (1).

(1) Il me reste encore le devoir agréable d'adresser mes remerciements il M. C. Lang

pour la bienveillance avec laquelle il a bien voulu se charger de la préparation des

phototypes.

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES

D'après

JEAN-FRANÇOIS-CLÉMENT MORAND (1754)

PAR

HENRY MEIGE

Nihil lemere assentiendum,

iveqite quidquam negligendum.

IIIPP., Livre V, de Epid., Sect. 24.

APERÇU HISTORIQUE (1).

En l'année 1746, au village de St-Géosmes, près Langres, vivait un

tireur de pierres, nommé Jacques Martin, qui, de sa femme Junille Chai-

gnet, eut cinq filles.

L'une d'elles, Geneviève, alors âgée de trente ans, était depuis plusieurs

années afiligée d'une singulière maladie.

A tous les derniers quartiers de la lune, lui survenaient des vomisse-

ments de sang qui se répétaient pendant deux ou trois jours.

D'autres fois, elle perdait connaissance, tombait par terre, les membres

raidis, ou bien se débattait furieusement en poussant des cris terribles.

Lorsque ces accidents la prenaient aux champs, on parvenait à les faire

cesser par une pratique au moins bizarre, mais toujours couronnée de

succès : on pendait Geneviève par les pieds, la tète en bas. Quand on la

retournait, elle était guérie.

La fille du tireur de pierres de St-Géosmes, d'humeur tranquille à l'or-

dinaire, tombait parfois dans des accès de tristesse et d'abattement dont

on avait grand peine il la faire sortir. A d'autres moments, elle s'empor-

(1) L'idée première de cette étude rétrospective nous a été suggérée par notre excel-

lent ami, le D1' Henri Lamy, qui se trouvait en possession d'un bel exemplaire du livre

publié par Morand sur La maladie de la Fille de St-Géosmes, petit volume in-12, relié

en veau, frappé aux armes du comte de Clermont, Louis de Bourbon-Condé, général,

membre de l'Académie française. Une dédicace de la main de l'auteur : g A. S. A. S.

le Comte de Clennont » figure au-dessus du titre, en première page.

Je n'ai pas seulement des remerciements il adresser au possesseur de ce curieux

opuscule pour l'obligeance avec laquelle il me l'a communiqué, mais pour la part de

collaboration toute gracieuse qu'il a prise au présent travail dans les nombreuses

conversations que nous eûmes ensemble sur ce sujet.

224 " NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE ,

tait jusqu'à battre ses soeurs « jusqu'au sang » ; puis, elle pleurait ellau-

des larmes, en implorant son pardon.

Souvent, dans ses moments de tristesse, elle refusait de prendre aucune

nourriture : « on la vit plus d'une fois rester huit jours sans manger ? »

D'ailleurs, douce et docile en dehors de ses accès, très timide et s'effa-

rouchant à la vue de toutes les figures nouvelles, elle était renommée dans

le pays pour sa piété et sa résignation au mal' , '

Chacun, dans le village, se montrait plein de compassion pour cette

pauvre fille si cruellement maltraitée par le sort.

Bientôt sa maladie empira. Ce furent d'abord d'atroces douleurs dans

' les reins et dans le bas-ventre qui empêchaient Geneviève d'uriner, si-

non au prix de souffrances plus vives encore. Puis survinrent des érup-

tions cuisantes, couvrant son corps du haut en bas, brûlant ses chairs

« comme des charbons ardents ». Et les mouvements désordonnés, les

raideurs des membres', les cris et les contorsions continuaient sans trêve.

Enfin, un jour, nouveau symptôme : Geneviève, en urinant, rendit un

grand nombre de petites pierres. Peu après elle fut prise de vomissements

et ce qu'elle vomit parut être de l'urine avec encore des pierres, « gros-

ses comme des pois ou des haricots ».

Et depuis lors, tous les mois, pendant les trois derniers jours de la lune,

Geneviève rendit par en haut et par en bas de nouvelles pierres.

Pareille fécondité n'étant pas ordinaire, on s'en émut dans le pays. En

vérité, n'était-il pas étrange de voir la fille d'un tireur de pierres incar-

ner en elle une telle réserve de cailloux ? ... Il devait y avoir là-dessous

du miracle ou du sortilège.

Plusieurs prêtres des environs vinrent voiç cette carrière vivante. L'un

d'eux lui conseilla une préparation composée d'huile d'olive, de vin blanc

et d'oignons blancs, qui, prise tous les mois, à jeun, amena une évacua-

tion périodique de petites pierres, de couleurs et de formes différentes,

sortant soit par la bouclle, soit par la vessie.

M. Hugo, prêtre desservant St-Géosmes, fut même un jour témoin des

efforts faits par Geneviève pour vomir un gros caillou « qui lui mit le go-

sier en sang ». A vrai dire, le bon curé ne vit pas le caillou, mais Gene-

viève lui ayant affirmé qu'elle avait été obligée de le « ravaler », il n'eut

garde d'en douter et se relira douloureusement ému de celte cruelle in-

firmité. " 1

A St-Géosmes, on se lamentait sur le sort de Geneviève.- «Les médecins,

disait-on, y perdent leur latin. Il en est dans le nombre qui vont jusqu'à

douter de la réalité de cette maladie ; on ne peut pourtant pas nier l'évi-

dence : Mais voilà bien de nos docteurs ! Ils sont toujours prêts à traiter

- LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES 225

. d'imposture les maux qu'ils ne connaissent pas et contre lesquels ils

seraient obligés de faire aveu d'impuissance. »

La majorité des habitants, s'uivant l'exemple des prêtres, croyait donc à

la réalité de cette affection inconnue jusqu'alors.

Quelques sceptiques voulurent en rire. On les accusa de cruauté et

d'impiété : ils se tinrent cois.

Peut-être aussi, les bonnes gens du village commençaient-ils à croire à

quelque diabolique machination. - « Ne fallait-il pas que cette fille eût le

diable au corps pour entretenir celle mine intarissable et pour résister aux

souffrances qui accompagnaient chaque nouvelle émission ? D'ailleurs, on

pouvait aisément s'en convaincre, elle avait toutes les apparences d'une

possédée du démon. On la rencontrait, par les belles nuits d'été, errant

aux alentours du bois de St-Géosmes, marchant à grands pas et poussant

de grands cris ; le lendemain, on la découvrait ici ou là, endormie sur la

terre. '

Par contre, dans la journée, elle se renfermait chez elle, voyant peu de

monde, parlant le moins possible, perdue dans des rêves moroses...

Puis, souvent, survenaient des agitations effrayantes;, on voyait Gene-

viève se raidir et se convulser désespérément, rouler les yeux, grincer des

dents ; on l'entendait tenir des propos incohérents, parler à des êtres ab-

sents ou chimériques, décrire des choses que, sauf elle, nul ne voyait. »

Ce sont bien là, comme chacun sait, les simagrées coutumières au ma-

lin esprit, lorsqu'il vient à s'installer dans le corps d'un mortel. Bref, la

fille du tireur de pierres de St-Géosmes sentait un peu le fagot.

Le bruit qu'on faisait autour de cette étrange malade vint aux oreilles

de l'évêque de Langres, messire Gilbert de Montmorin de St-Hérem, pré-

lat charitable et instruit, qui, avant de crier au miracle ou de recourir au

pouvoir d'un exorciste, crut prudent de prendre l'avis des médecins.

Plusieurs, invités à aller examiner Geneviève, furent assez mal reçus

d'abord; le premier, qui proposa un sondage, fut éconduit à, grand

fracas. Un autre vint, qui se montra plus persuasif, ou se présenta en

un moment plus propice. Il sonda, et reconnut qu'en effet un corps dur

existait dans la- vessie. Mais il eut la^malencontreuse idée d'en conseiller

l'extraction : une' crise tumultueuse fut la réponse de la malade, et le pra-

ticien dut se retirer humblement.

L'évêque de Langres, mis au courant de la situation, prit à coeur d'é-

clairer lui-même tout le mystère. 11 se rendit à St-Géosmes, vit Geneviève,

lui fit une largo aumône, et lui donna, de sages conseils, l'engageant pa-

ternellement à se laisser opérer.

Celle-ci, très flattée de celle visite épiscopale qui la couvrait d'im-

portance, acquiesça au désir du prélat et promit tout ce qu'il voulut lui

226 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

demander. Mais quand l'évêque fut parti, la crainte de l'opération reparut -

et fut telle que la malade rendit spontanément par en bas une pierre de

la grosseur d'une noisette.

Cependant, peu de jours après, Geneviève consentit'd'elle-même ai se

soumettre au chirurgien, et le 23 mars 1747 une première pierre fut ex-

traite, sans grande difficulté.

L'opération n'ayant pas été douloureuse, Geneviève réclama bientôt

une seconde intervention. Une seconde pierre, plus grosse que la pre-

mière, fut retirée de la vessie. Peu de jours après, il fallut en retirer une

troisième, puis une quatrième, puis deux autres ensemble, et d'autres

encore, de plus en plus grosses.

Le 6 septembre 1749, on avait déjà retiré de la vessie de Geneviève

quinze pierres ! Et rien n'annonçait que l'épuisement de celte mine in-

solite fût prochain. Les pierres se reformaient miraculeusement et sor-

taient à la douzaine, tantôt par en haut, tantôt par en bas.

Vers la fin de septembre, nouvelle alerte. Mais cette fois, la pierre étant

de la grosseur d'un oeuf, l'extraction fut si laborieuse que « le chirurgien

entraîna avec la malade quatre femmes qui la tenaient ».

Ce tour de force de l'opérateur ne fut pas du goût de l'opérée qui re-

fusa désormais ses services. Un confrère du village de Longeau, voisin

de St-Géosmes, fut appelé pour l'extraction suivante. Son manuel opéra-

toire déplut également à Geneviève qui, dès ce jour, déclara formellement

qu'elle ne voulait plus être opérée. Sa mine de cailloux n'en fut pas tarie,

et elle continua à rendre ses produits par en haut et par en bas pendant

deux années, entremêlant toujours les vomissements et les évacuations

vésicales d'attaques convulsives et de poussées éruptives. Une « enflure »

qui envahit son corps et ses membres à plusieurs reprises vint encore

grossir le nombre de ses accidents. '

Cependant, l'évêque de Langres n'abandonnait pas sa protégée; il lui

dépêcha un nouveau chirurgien qui n'eut pas davantage le don de se faire

obéir et revint les mains vides. Le digne prélat songea alors à envoyer la

malade à Paris, pour que la Faculté se prononçât sur son cas mystérieux.

Mais, à cette nouvelle, Geneviève tomba dans un état si alarmant, ses dou-

leurs et ses cris devinrent tellement insupportables, ses jambes si faibles,

qu'il fallut abandonner ce projet. ,

Or, la maladie de la Fille de St-Géosmes mettait en révolution tout le

diocèse de Langres. On parlait de plus en plus de miracle ou de maléfice

satanique. Les médecins étaient importunés de questions, assaillis de re-

proches ironiques ; leur discrédit allait croissant.

L'évêque, en homme éclairé et sage, crut prudent de mettre un terme

à tous les racontars. Il pensa que « la médecine jouissait en cette affaire

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES 227

de la prérogative qui lui est dévolue, de'détromper le public en pareilles

occasions ». Il fit recueillir quelques-unes des pierres rendues^ par Gene-

viève et les expédia à Paris, où trois commissaires furent désignés pour

étudier la nature de ces pierres. Ces trois commissaires, MM. -Malouin,

Guettard et Morand, tombèrent d'accord pour déclarer que « les pierres

rendues par Geneviève, étant de nature minérale, ne pouvaient avoir pris

naissance dans son corps,».

C'était franchement accuser de duperie la fille du tireur de pierres de

St-Géosmes. Les admirateurs de Geneviève scandalisés firent grand tapage

et crièrent au sacrilège.

Fort ennuyé, l'évêque de Langres, désireux de couper court à cette ,

mystification, pria un des commissaires de se transporter sur les lieux,

afin d'y recueillir toutes les preuves nécessaires pour soumettre le cas au

jugement sans appel de la Faculté de Paris.

M. Morand, docteur régent de la Faculté de Médecine de Paris, profes-

seur d'anatomie et d'accouchements, accepta cette mission et arriva le

26 septembre 1733, à Langres, d'où il se rendit à St-Géosmes, auprès de z

Geneviève Martin. z

Jean-François-Clément Morand était le dernier représentant d'une fa-

mille médicale qui, pendant trois générations, se distingua en France,

par des travaux scientifiques mémorables.

Le grand-père, Jean Morand, originaire du Limousin, avait rempli, pen-

dant trente ans, les fonctions de chirurgien-major à l'hôtel des Invalides.

Il y avait conquis un certain renom en pratiquant avec succès la désarti-

culation de l'épaule. Il fut lui-même l'éducateur de son fils, Sauveur-

François Morand, né à Paris en 1697, et qui fut le plus célèbre des trois

Morand. A quinze.ans, il était aide de chirurgie de-son père aux Inva-

lides (1).

Sauveur-François Morand n'était pas seulement un chirurgien habile

et un anatomiste distingué. Il avait une culture intellectuelle très étendue

et était en relation avec tous les savants d'Europe, Morgagni, Haller,

Sharp, etc. Il parlait avec facilité et ses démonstrations d'anatomie furent

extrêmement suivies.' -

Il s'occupa surtout des affections calculeuses et des opérations qu'elles

nécessitent. Il avait publié-en 1728 un Traité de la taille au haut appareil.

L'année suivante, il fit le voyage d'Angleterre pour* apprendre de Chesel-

(1) Membre de l'Académie des sciences en 17`22, chirurgien des Invalides en 1724,

démonstrateur des opérations de chirurgie l'année suivante, il fut nommé Censeur

Royal et chirurgien en chef de l'hôpital de la Charité en 1730. Plus tard, en 1739, il \

prit la place de son père comme chirurgien-major des Invalides, puis devint profes-

seur d'anatomie, etc., etc. Il mourut à Paris, àgé de 16 ans, en 1773.

228 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

den à tailler la pierre par l'appareil latéral. Et, en 1743, il venait de pu-

blier un Recueil d'expériences et d'observations sur la pierre en h. volumes,

qui témoignait hautement de sa compétence en la matière. Les maladies,

les cas inédits et curieux l'intéressaient vivement. Il en donnait des des-

criptions soigneuses, observant avec méthode, critiquant avec bon sens,

jugeant avec discernement (1).

Jean-François-Clément Morand, son fils aîné, né à Paris le 28 août 1726,

hérita des qualités morales et intellectuelles de son père, et en particulier-

de sa curiosité pour les maladies-singulières.

Il fit de très complètes études scientifiques. A 24 ans, il était docteur

régent de la Faculté de médecine de Paris, et devint bientôt pensionnaire,

puis bibliothécaire de l'Académie des sciences, professeur d'anatomie et

d'accouchements, etc. (2).

Fort érudit en toutes choses, et mieux préparé qu'aucun autre par réé-

ducation et les enseignements paternels il juger des affections calculeuses,

il était tout désigné pour éclaircir le mystère de la Fille de St-Géosmes qui

mettait en rumeur les habitants du diocèse de Langres, prêtres ou laïques,

sans en excepter les médecins. '

Sa tâche était délicate. Il l'accomplit avec une rare prudence et un bon

sens digne des plus grands éloges. ·

La Fille de St-Géosmes, d'un abord difficile, très méfiante à l'égard

des médecins chargés de l'examiner, d'une humeur changeante, colère à

l'extrême dès qu'elle subissait la moindre contrariété, était en outre en-

tourée d'une véritable cour de protecteurs et de curieux qui, par senti-

mentalité ou par intérêt, l'accablaient de témoignages compatissants et

de questions intempestives. Les uns, regardant sa maladie comme une

affection mystérieuse, échappant aux lumières de la médecine, l'encou-

rageaient « à renoncer aux secours des hommes, pour s'abandonner

entièrement à la volonté de Dieu ». Les autres, abusés par les dires de la

malade, ou sincèrement convaincus de la réalité de ses accidents, ne

pouvaient admettre qu'on niât l'évidence.

Des deux côtés, on voyait d'un oeil peubienveillant l'arrivée d'un intrus

dont on savait déjà le scepticisme à l'égard.des pierres rendues par Gene-

. vi ève.

. Morand ne se dissimulait aucune de ces antipathies. Il procéda en bon

(1) Telles sont : L'Histoire de l'enfant de Joigny qui a été trente-deux ans dans le

ventre de sa mère, avec des remarques sur les phénomènes de cette espèce, in Acad. des

sciences, 1748, Histoire d'une maladie lrès singulière arrivée à deux bouchers de l'lô-

tel royal des Invalides, 1766, etc., etc. -

(2) Il eut pour mère Catherine-Clémence Guérin. Il épousa, le 2 : ; juin 1170, Louise-

Adéfaïde-Justine de Marine, fille d'un agent de change. Il mourut à Paris, le 13 août

1784.

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES 229

diplomate, commença par conquérir les bonnes gràces de la malade, évi-

tant de l'importuner, écoutant patiemment ses discours, feignant de croire

la réalité de toutes ses évacuations pierreuses. En même temps il inter-

rogeait avec bonhomie son entourage, ses soeurs, ses amies, les commères

d'alentour, observant, notantles moindres détails, poursuivant son enquête

auprès des médecins et des prêtres qui avaient fréquenté Geneviève. Puis,

en placide promeneur, il parcourait les environs' de St-Géosmes, ramas-

sant deci delà un caillou qu'il mettait dans sa poche, et, de retour à son

domicile, il étiquetait ses échantillons comme un simple minéralogiste,

uniquement préoccupé de ses collections.

Mais un beau jour, le 16 octobre 1753, alors que toutes les préventions

contre Morand étaient tombées devant la bonhomie de ses allures, le pro-

fesseur se rendit chez l'évêque de Langres où furent convoqués les chi-

rurgiens, les prêtres et les personnes notables de la ville qui avaient suivi

de près la maladie de la Fille de St-Géosmes. -

Tranquillement, il se mit à étaler sur une table les pierres rendues par

Geneviève, et, à côté, un petit tas de pierres, ayant même forme, même

consistance et même couleur, si semblables les unes aux autres qu'il eût

été impossible de les distinguer une fois mélangées.

Et -Morand fit à peu près ce discours :

« Vous voyez là, dit-il, les pierres que Messieurs les chirurgiens ont

extraites de la vessie de Geneviève et que chacun déclare reconnaître sûre-

ment, comme en témoignent, sur ces procès-verbaux, leurs signatures et

celles des membres du clergé ici présents.

« Cet autre tas est composé de pierres recueillies par moi dans le voisi-

nage de la maison de la malade, et façonnées d'après la forme des précé-

dentes. Leur ressemblance est parfaite en tous points.

« Or, il résulte des examens pratiqués par tous les gens de l'art, que

jamais la composition des pierres extraites du corps humain n'a été celle

de ces échantillons. Tandis qu'il est certain que les pierres de Geneviève

sont identiques à celles qu'on trouve dans le sol des alentours.

« J'ajoute que la maladie de la Fille de St-Géosmes n'a aucun rapport

avec les affections qui s'accompagnent de pierres dans la vessie.

« Pour ces raisons et d'autres encore, plus techniques, mais non moins

probantes, que je ferai valoir ultérieurement, j'affirme que les pierres ren-

dues par la Fille de St-Géosmes n'ont pas pris naissance dans son corps,

mais ont été recueillies par elle sur le sol et introduites dans ses voies na-

turelles, soit par en haut, soit par en bas, pour être rejettes peu après '

dans un vomissement ou dans une miction ».

C'était décisif. Devant l'évidence, chacun des assistants s'inclina et

rendit hommage à la sagacité du professeur de la Faculté de Paris. Mes-

230 NOUVELLE' ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

sire de Montmorin avait de quoi confondre les incrédules et faire ces-

ser tous les commérages. Les médecins surtout se trouvaient satisfaits.

La Fille de St-Géosmes ne se donnerait plus la fantaisie de les appeler et

de les renvoyer au gré de ses caprices. Leur crédit reprenait le dessus.

Deux jours après, le 18 octobre 1753, la Faculté de Médecine de Paris

confirmait par un jugement les déclarations de son commissaire (1).

Le coup était cruel pour les admirateurs de Geneviève ; plusieurs prê-

tres notamment, qui voyaient ainsi s'évanouir l'espoir d'un miracle sensa-

tionnel, longtemps entretenu par leur zèle malencontreux, essayèrent en-

core de se révolter. La dénonciation de ce subterfuge leur parut « un

outrage qui criait vengeance et où la patience chrétienne perdait le privi-

lège d'adoucir leur zèle excessif; ils en suivirent tous les mouvements et

toutes les saillies, sans observer la retenue que devait leur dicter leur ca-

ractère et leur état ».

Ils sollicitèrent la communauté des chirurgiens de Langres de signer

« une défense apologétique de la pauvre malade ». Mais les chirurgiens,

lassés de tout ce bruit qui ne leur attirait que des mécomptes, et enchan-

tés d'affirmer leur autorité, déclarèrent s'en tenir au jugement de la Fa-

culté de Paris et renvoyèrent le solliciteur.

Les prêtres déconfits en furent réduits à expédier à Morand plusieurs

épitres aigre-douces : « Ils ne doutaient pas que Dieu rendit incessam-

ment justice à qui il appartient, et craignaient pieusement pour les com-

missaires de la Faculté les malédictions que le Ciel lance contre ceux qui

oppriment les pauvres »

« Pour seconder les désirs de la malade, que la nouvelle du résultat de

l'examen de la Faculté avpit réduit dans une situation qui paraissoit an-

noncer une mort prochaine, ils-ne pouvoient s'empêcher de souhaiter son

dernier moment » prétendant avec elle, « qu'on reconnaîtroit son inno-

cence à l'ouverture de son corps » qu'on projetait de faire en grande cé-

rémonie à laquelle « on supplioit instamment ces messieurs d'assister ».

Etrange compréhension de la charité chrétienne ! Cette polémique s'é-

teignit d'ailleurs bientôt, Messire de Montmorin ayant hautement désap-

prouvé les récalcitrants, et le diocèse de Langres retrouva son calme ordi-

naire.

Quanta Geneviève, le jugement de la Faculté de Paris eut un effet

plutôt salutaire sur sa maladie.

(1) « II est très possible que cette fille ait contracté successivement et par gradation

la facilité, ou d'avaler lesdites pierres, pour les vomir ensuite, ou de se les introduire

dans la vessie pour les faire ensuite tirer par l'opération, ainsi que l'on a déjà vu

dans tous les temps des filles hystériques imaginer différents stratagèmes pour séduire

les esprits crédules, se donner en spectacles et s'attirer de la considération, ou des

aumônes ». (Extrait du Jugement.)

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES 231

Elle cessa, dès ce jour, de rendre des pierres par la vessie. Elle n'en

rendit pas davantage par la bouche « quoiqu'elle eût pu en jeter, dans

l'effet d'un émétique qu'elle prit vers les premiers jours de juillet de cette

année (1753) ».

\ *

* ¥

L'année qui suivit celle de sa visite à Geneviève, Morand publia sur la

maladie de la Fille de St-Géosmes un premier opuscule inti tulé : Eclaircis-

sement abrégé sur la maladie d'une Fille de St-Géosmes (Paris, 1754, in-4°).

Puis, comme il se trouvait encore quelques récalcitrants dans le diocèse

de Langres, il fit suivre cette opuscule d'un petit volume ayant pour titre :

RECUEIL

pour SERVIR d'éclaircissement

détaillé sur la maladie de la Fille d'un tireur de Pierres du Village

de St-Géosmes, près Langres

LAQUELLE DEPUIS PLUSIEURS

années, jettoit des Pierres, tantôt par la bouche, tantôt par la voie des uri-

nes, et et qui on en a tiré de la Vessie et douze reprises différentes,

Par M. Morand,, Ecuyer, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de

Paris, Professeur d'Anatomie, et de l'Art des Accouchements, pour les

Sages-Femmes (1).

L'épigraphe empruntée à Hippocrate donne la note exacte de cette étude.

Rien n'est affirmé à la légère et rien n'est négligé.

Le style indique un rare souci de la forme littéraire. Il est clair, simple

et d'une grande précision. Morand, par éducation, attachait une haute

importance à la pureté de la langue scientifique. Son père avait écrit un

Discours pour prouver qu'il est nécessaire et un chirurgien d'être lettré

(Paris, 1743) où se trouvent des réflexions et des conseils qui gagneraient t

à être répandus aujourd'hui encore.

L'histoire de la Fille de St-Géosmes reçut un accueil des plus flatteurs

auprès de la Faculté. Dans l'approbation qui accompagne le volume on lit

le passage suivant : .

« L'observation est en général ce qu'il y a de plus utile en médecine, parce

que c'est ce qu'il y a de plus certain ; mais il faut qu'elle soit exacte et fidèle,

surtout dans les faits rares et extraordinaires, sans quoi l'observation n'est plus

qu'erreur populaire, crédulité vulgaire, admiration vaine, superstition, et sou-

. vent supercherie et intérêt. C'est ainsi que M. Morand, notre collègue, en juge

éclairé par les lumières de la physique, de l'anatomie et de l'économie ani-

(4) A Paris, chez Dqlaguette, imprimeur, rue St-Jacques, à l'Olivier, MDCCLIV.

232 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA^ SALPÊTRIÈRE

maie, de la pratique, et même de l'histoire naturelle, a travaillé à désiller les-

yeux à toute une province étonnée d'une prétendue maladie extraordinaire. Son

recueil ne peut donc qu'être fort utile aux médecins et au public :

« Aux médecins, en leur indiquant combien il faut se défier des choses extra-

ordinaires, et comment il faut procéder pour constater une vérité ou démas-

quer le mensonge ; au public, en lui apprenant combien il faut se tenir en

garde contre la surprise et la crédulité, suite de l'ignorance, et il qui il faut

s'adresser dans tous les faits qui paraissent surpasser les forces de la nature ».

Ces louanges ne sont pas au-dessus de la vérité.

. OBSERVATION.

Après un bref résumé des accidents de la lithiase urinaire, Morand s'a-'

dressant à M. Bayard, « Ecuyer, Chevalier de l'Ordre du Roi, Président

du Collège Royal des Médecins de Nancy, premier Médecin Ordinaire du

Roi de Pologne, Censeur Royal des Livres », raconte l'histoire de la Fille

de St-Géosmes.

Cette curieuse observation mérite d'être reproduite en entier.

Outre son intérêt rétrospectif et la rareté des faits de ce genre, elle

permet de faire une élude édifiante d'un cas d'hystérie où les manifesta-

tions de la névrose ont revêtu les formes les plus variées.

I

Geneviève Martin, fille de Junille Chaignet et de Jacques Martin, laboureur,

tireur de pierres au village de St-Géosmes, près Langres, est née dans ce lieu

le 16 août 1710. ,

Jusqu'à l'âge de 15 ans, elle a demeuré chez ses parents, où sa santé et sa vi-

vacité aidées d'une complexion robuste et propre il la fatigue, lui permettaient

de vaquer aux travaux du ménage et de la campagne dont elle ne refusait ni les

plus durs, ni les plus pénibles. La seule incommodité qu'elle connut alors, était

de ne pouvoir très souvent retenir ses urines pendant la nuit.

Agée de seize ans, elle quitta son père et sa mère pour aller servir ; elle en-

tra d'abord en qualité de domestique chez un meunier et s'y porta assez bien

l'espace de 22 mois après lesquels elle jeta beaucoup de sang par le ne ? et parla

bouche; cette liémorrlia-ic n'était accompagnée d'aucune forte douleur, et la

malade qui était souvent obligée de remuer et de lever des sacs de blé préten-

dait que cet accident lui venait de quelque effort; il se renouvelait de temps en

temps assez régulièrement à tous les dehniers quartiers de la lune.

Geneviève Martin, après 2 ans de service, sortit de chez le meunier, afin de

faire quelques remèdes ; le soulagement qu'elle en reçut fut assez marqué pour

lui donner un intervalle de 18 mois environ dont elle profita pour rentrer en

condition dans la ville de Langres, mais elle recommença à jeter des humeurs^

mêlées de sang écumeux avec syncopes, serrements de dents, raidissements de tous

les membres, et autres symptômes qui paraissaient épileptiques.

. LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES 233

Ces nouveaux accidents qui aggravaient la maladie, forcèrent Geneviève à

différentes fois, de sortir des maisons dans lesquelles elle se trouvait, pour en-

trer dans un petit hôpital de la ville, où elle est restée chaque fois plusieurs

mois.

En 1735, âgée de 19 ans, Geneviève Martin fut attaquée d'un crachement de

sang pur, sans mélange d'aucune humeur : au lieu des symptômes qui avaient

accompagné la première hémorrhagie, la malade ressentit de vives douleurs

dans les reins et « la vessie, et elles se trouvèrent accompagnées de douleurs

et de picotements dans l'urèthre en urinant, et même d'une difficulté d'uriner, ce

qui lui était absolument inconnu,' ayant jusque-là toujours eu de la peine à

retenir ses urines, au point de les laisser aller dans le lit, comme je l'ai déjà

fait observer.

Les douleurs de reins et de la vessie, étaient si aiguës, qu'elles jettaient la

malade dans des convulsions ; tout ce qui la soulageait dans ces accès, était de

se faire suspendre par les pieds lorsque cela lui prenait dans les champs, ou si

elle était seule, de se cramponner elle-même à quelque chose d'élevé, et de se

roidir tout le corps et les pieds. Cet état de souffrance fut caché pendant plusieurs

années à sés parents : on doit remarquer ici que Geneviève, quoique naturel-

lement vive et alerte, était souvent triste, rêveuse et sans dire mot, elle conser-

vait quelquefois son air chagrin el abattu pendant trois ou quatre jours ; ses

parents et ses amies, dont elle se laisse approcher le plus volontiers, l'ont inu-

tilement pressée pour savoir la raison de cet état, elle répondait qu'elle ne le

dirait jamais ; pendant ce temps, quoiqu'elle ne parût pas souffrir, elle ne pre-

nait aucune nourriture, on l'a vue plus d'une fois rester huit jours sans manger :

ce qu'il y a de singulier, c'est que cette abstinence outrée au lieu de produire

à Geneviève une faim insatiable, lui causait une soif désordonnée, et elle buvait

sans relâche.

En 1736, la maladeétant âgée de vingt ans, commença à être réglée très exac-

tement, mais en petite quantité; cette évacuation périodique se déclarait à

chaque déclin de lune, conjointement avec le crachement de sang dont il a été

parlé plus haut, et qui l'avait précédé dans cette lunaison. L'un et l'autre se

sont soutenus de cette manière pendant neuf années consécutives, si ce n'est

en 1737, environ un an après l'établissement des règles, que (Geneviève étant

âgée de 21 ans) l'hémorrhagie par la bouche fut suspendue, elle devint ensuite

si fréquente et si abondante, que quelquefois en deux jours la malade perdait

jusqu'à quatre pintes de sang, malgré les saignées du pied et du bras qu'on lui

faisait.

Ces vomissements duraient quelquefois quatre mois sans intermission. Les

quatre mois expirés, elle était quatre mois sans en perdre, et sur la fin ces

vomissements sont revenus tous les mois huit jours avant, les règles.

Pendant ces neuf dernières années, depuis sa sortie de chez son premier

maître, les vomissements de sang les plus abondants se terminaient par une

éruption dartrensp, semée de grosses phlyctènes remplies d'une humeur si acre et

si corrosive, qu'elle cautérisait la surpeau et presque la peau, comme auraient

fait de forts vésicatoires.

234 ' , NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Cette maladie cutanée occupait particulièrement les hypocondres, et s'étendait

latéralement depuis les omoplates jusques sur les os des iles, sur toute la ré-

gion hypogastrique, sur les parties antérieures des cuisses et des jambes, sur les

parties latérales du voisinage, sur les bras et les avant-bras, on en voit encore

les cicatrices comme des restes de brûlures ; la malade dit elle-même, qu'alors

son corps n'était qu'une plaie, et qu'il lui semblait qu'elle était toute couverte

de charbons.

Ces deux accidents, savoir le vomissement de sang et l'éruption dartreuse

ont été alternatifs pendant deux ou trois ans et l'hémorrhagie a cessé vers la

dernière des neuf années qui viennent d'être mentionnées.

Un an avant de, se dissiper, elle a été précédée de vomissements que l'on

caractérise vomissements d'urine, lesquels venaient sans effort et étaient suivis

d'une perte de sang par les parties naturelles.

En même temps, il s'est déclaré des accidents d'une autre espèce que tous

ceux qui avaient déjà paru. Geneviève Martin, tourmentée de douleurs qui

duraient 3, 4, 5, ou même 6 heures de suite, quelquefois à plusieurs reprises

dans la journée, ne pouvait uriner sans jeter de grands cris.

En 1746 la malade âgée d'environ 30 ans a commencé à rendre' beaucoup de

petites pierres avec ses urines et l'urèthre s'étant, dit-on, ensuite trouvée em-

barrassée par des pierres, on aperçut du gravier dans les urines que la malade

vomissait par intervalle, à chaque dernier quartier de la lune ; on observé

que, quoiqu'il y eût de ces pierres de la grosseur d'un pois et même d'un hari-

cot, ce vomissement extraordinaire venait sans effort. \

Un curé des environs, conseilla de faire prendre il la malade à jeun, les 3

derniers jours de la lune, un verre d'huile d'olives, et une heure après, un

verre de vin blanc, imprégné d'oignons blancs, mis en infusion pendant

12 heures.

Cet espèce d'émétique n'a jamais manqué de faire jeter à Geneviève par les

voies urinaires, et surtout par la bouche, des pierres de différentes couleurs, la

plupart cependant couleur de lie de vin, très 11'rég ! llières et très pesantes.

M. Hugo qui, par sa qualité de prêtre desservant de St-Géosmes, a souvent

assisté Geneviève, assure avoir été témoin que dans un de ces vomissements

de pierres, qui lui mirent le gosier en sang, il s'en est présenté de trop gros-

ses pour pouvoir passer et que la malade a été obligée de ravaler.

La carrière qui donnait toutes ces pierres étant inépuisable, on jugea il pro-

pos d'abandonner pendant un temps le remède, par lequel on ne réussissait à

en détacher que des échantillons sans tarir la minière; et tant que la malade

n'en a point fait usage, elle n'a pas rendu de pierres.

Elle ne laissait pas de souffrir des douleurs continuelles, qui lui faisaient jeter

de grands cris.. ' . .

Les vomissements d'urine étaient aussi précédés de plaintes et de cris, qui

duraient à proportion que la malade avait pris plus ou moins de boisson, sur-

tout aux trois derniers jours de chaque lune.

A ces cris succédait un assoupissement accompagné d'agitations, de rêves pen-

dant lesquels les urines prenaient leurs Cours naturel, surtout si ce rêve était

LA MALADIE DE LA FILLE DE. SAINT-GÉOSMES 235

accompagné de quelque effroi ; on a même observé que si on venait à troubler

ces rêves par quelque bruit, ou à effrayer la malade de quelque manière que ce

fut, les urines venaient très promptement.

Après ces cris, qui duraient quelquefois plusieurs heures en laissant seule-

ment des interruptions réglées et momentanées ; après que la malade s'était

beaucoup débattue et avait même vomi quelques pierres, il survenait pour

l'ordinaire une crampe générale avec des contorsions effroyables, dans le col, les

bras, et les jambes. Cet accès passé, la malade restait attachée sans mouvement

sur son lit plusieurs heures de suite.

Si avant ces cris elle avait beaucoup marché ou travaillé cette crampe ne la

prenait pas, ou au moins ne durait pas tant.. La malade la prévenait même fort

souvent, en se levant subitement de son lit avant que de la sentir, ou aussitôt

qu'elle la sentait venir. ,

Enfin les douleurs excessives que souffrait Geneviève, et les symptômes appa-

rents de la pierre, déterminèrent ceux qui suivaient cette malade il la faire son-

der. On reconnut la présence d'une pierre dans la vessie mais la malade ayant

un très grand éloignement pour s'en laisser faire l'extraction, elle ne voulut

point s'y soumettre poùr le moment.

II

Geneviève Martin se trouvant décidément attaquée de la pierre dans la vessie,

refusait constamment de s'en laisser délivrer, lorsque M. l'évêque de Langres

fut instruit de l'histoire de cette singulière maladie ; ce digne prélat occupé du

bien et du soulagement des petits et des pauvres, daigna se transporter au vil-

lage de St-Géosmes ; il vint à bout de résoudre Geneviève il se faire faire l'extrac-

tion de la pierre qu'elle portait dans la vessie : la seule crainte de cette opéra-

tion lui fit jetter une pierre de la grosseur et de la forme d'une noisette; après

les indices que Geneviève avait donnés en 1746, d'une grande quantité de

pierres ramassées depuis longtemps dans le réservoir des urines, on s'attend

bien que la sortie d'une petite pierre n'était pas suffisante pour soustraire la

malade à l'épreuve qu'elle s'était couragensement déterminée de faire, de la su-

périorité des forces de l'art, pour être entièrement délivrée ; aussi deux jours

après, c'est-à-dire le 23 mars 1747, on lui tira une pierre assez grosse, un peu

aplatie ; une chose très digne de remarque et qu'on ne peut concevoir après ce

que je viens d'observer, c'est que le chirurgien, qui fut chargé de l'extraction

de cette pierre, eut de la peine à la reconnaître avec la sonde, il n'en vint il

bout qu'en suivant le conseil que lui donna la nommée Nicole, quatrième soeur

de la malade, d'introduire le doigt dans le vagin, ce qui indique que vraisem-

blablement elle était' seule.

Depuis ce temps, chaque fois qu'il s'est présenté de grosses pierres à l'urè-

thre, il est survenu de chaque côté de ce conduit, et intérieurement, une tzcnetcr

grosse comme un oeuf de poule ; il l'aide de topiques, ces tumeurs abscèdent et

viennent il suppuration. * . '

La malade dit s'être aussi quelquefois aperçue dans les parties naturelles

236 NOUVELLE ICONOGRAPU1E DE LA SALPÊTRIÈRE

d'une grosseur qui parait dans les grandes douleurs et qui se dissipe avec

elles.

Le 31 mars, on réitéra l'extraction de la pierre; celle-ci se trouva plus grosse

que la première.

Deux- mois après, la malade en rejeta une de la grosseur de la première et

d'une couleur briquetée, de la même nature que celles qu'elle avait jetées parle

vomissement.

Au mois de septembre fut faite une troisième extraction.

A la fin du mois d'octobre on lira deux autres pierres de la même grosseur

que les quatre précédentes.

Au commencement de novembre on fit une cinquième opération, par laquelle

on tira une pierre encore plus grosse que les six précédentes, d'une substance

extrêmement dure, d'une couleur brune et grisâtre, d'une forme irrégulière.

Dans l'intervalle de ces deux dernières extractions, la malade a jeté quatre

autres pierres d'une grosseur médiocre ; ellle en a rendu aussi beaucoup avec

les urines par haut et par bas.

Environ 15 jours après, c'est-à-dire à la fin de novembre, la malade se plai-

gnit de nouvelles douleurs dans les reins, dans la nuque du col, et dans toutes

les extrémités ; l'urèthre se trouva bouchée par une pierre assez grosse, mais

la malade n'ayant pu se résoudre il se la laisser tirer, et préférant vomir jour-

nellement des urines et des pierres, l'extraction fut différée jusqu'au 22 avril

1748 ; on la délivra d'une pierre beaucoup plus grosse que toutes celles qu'on

avait tirées et qui était la douzième.

Vers le 20 mai, les vomissements d'urines et de pierres reparurent avec des

crampes si fortes dans les extrémités-qu'on les aurait plutôt rompues que de les

plier. La malade déclarait de plus des douleurs très vives le long de l'épine

du dos ; enfin elle se trouvait encore dans la nécessité de recourir à l'opéra-

tion, mais elle ne- voulut pas y consentir alors ; elle s'y soumit le 5 septem-

bre 1748 et on tira à la fois deux pierres toujours de la même substance, figure

et couleur que les autres.

Le lendemain 6 septembre, on tira encore une pierre il peu près comme les

deux qui avaient été extraites la veille.

Dans cette année la malade a été incommodée de l'éruption dartreuse qu'elle

avait eue à l'âge de 21 aus et elle en fut couverte, comme dans la plus grande

fureur de cette maladie ; il n'y eut que les épaules et les reins, qui en furent

exempts cette fois.

La malade, depuis le 6 septembre, ne fut plus huit jours sans être assaillie

des mêmes douleurs et des mêmes symptômes, qui indiquaient le besoin de

tenter encore l'extraction de quelques pierres ; elle ne fut faite cependant que

sur la fin de septembre 1749 qu'on lui tira le matin une pierre de la grosseur

d'un oeuf. On ne conçoit pas comment la malade a pu résistera celte opération,

qui fut faite comme toutes les précédentes, simplement a l'aide du dilatatoire,

et des tenettes, sans aucune incision. Aussi elle fut si laborieuse, que le chirur-

gien entraînait avec la malade quatre femmes qui la tenaient.

Depuis ce moment, elle n'a plus voulu être opérée par ce chirurgien, et le

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAiNT-GÉOSMES 237

soir qu'il se trouva une seconde pierre, ce fut celui de Longeau, village voisin

de Saint-Géosmes, qui l'en délivra aussi par une simple extraction : elle était

plate, longue d'environ deux ou trois pouces, sur un pouce et demi de large.

Peu de temps après, l'opération se trouva également indispensable, mais la

malade rebutée par la dernière qui avait été réitérée dans le même jour, et

voyant que les pierres se reproduisaient si abondamment et si promptement,

était décidée il ne plus ajouter à ses douleurs ordinaires celles de l'opération.

En 1751 elle jeta il deux reprises différentes deux pierres, qui avaient l'air

cassées tout récemment, et qui se rapportaient ensemble.

Vers le mois de septembre 1 riz, les vomissements d'urines et de pierres,

les crampes qui y succédaient, ont cessé, mais ces accidents ont été rempla-

cés par une strangurie et des douleurs qui ont été presque continuelles.

Au mois d'octobre 1852, Geneviève Martin a été attaquée d'une anasarque

qui occupait tout son' corps à l'exception des bras ; elle a duré deux mois et

demi et a cessé vers le 4 janvier 1753 : depuis ce temps la malade n'a pu mar-

cher.

Au milieu du mois de novembre, elle fut réduite à la dernière extrémité ; elle

l'attribue à une révolution causée par la nouvelle qu'on vint lui donner que

M. l'évêque de Langres avait chargé un autre chirurgien que celui auquel elle

était accoutumée, de lui faire l'opération.

Dans ce moment elle avait ses règles, qui, depuis quatre ou cinq ans, lui vien-

nent toutes les trois semaines et abondamment ; la frayeur dont elle fut saisie

occasionna une suppression laquelle se joignit une grande douleur d'estomac;

un accablement qu'elle ressentait depuis quelque temps ayant augmenté, elle

fut saignée au bras une fois et ensuite au pied deux fois en quinze jours.

A la première saignée, il se jeta sur le bras une enflure, qui fit craindre qu'elle

ne restât estropiée ; cela passa ensuite au col et aux jambes, quand elle était

debout. Toutes les parties de son corns s'enflèrent successivement et devinrent

douloureuses. L'anasarque fut surtout considérable il la région lombaire, la

malade parut menacée de devenir hydropique : cet état était accompagné de /iè-

' t ? e, et dans certains moments de difficulté de respirer, quelquefois de délire.

Geneviève en rappela cependant vers le milieu de décembre, ou du moins le

danger s'éloigna quoiqu'elle restât bien malade.

Un mois après qui était vers la fin de janvier, elle retomba presque dans le

même état. L'enflure avait reparu, et en se jetant principalement sur les bras

et sur les mains de la malade, elle lui avait ôté l'usage de ces parties.

Au mois de mai il était question de transférer la malade à Paris ; on se pro-

posait d'y suivre les grandes vues du bien public, dont la faculté de médecine

a én3 animée de tous les temps, en faisant observer de près cette fille pour

\ constater son état, mais les douleurs dont elle était tourmentée, étant tout d'un

coup devenues insupportables, on fut obligé d'en venir à une onzième extraction

de pierre -le 13 juin.

Le 1G du même mois on lui en a encore tiré une seconde à peu près de la

même grosseur que celle du 13.

ix lu

238 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Elle en a jeté deux autres de la même nature, longuettes, et d'une forme

oliviire. <

Depuis ce temps, une grande faiblesse de jambes empêche la malade de sortir

de son lit, les difficultés d'uriner sont presque continuelles, ainsi que les dou-

leurs. , - ' '

Le 26 août, dans un accès de transport, elle en a rendu encore une, qui

paraît différente des autres, mais qui ne l'est point réellement.

Le lendemain, après avoir senti de nouvelles douleurs, une autre pierre à

peu près de la même forme, absolument de la même nature, un peu plus grosse,

sortiravec les urines dans l'efforl^d'un vomissement.

On regarde cette expulsion de pierres comme l'effet d'un remède dont j'ai

déjà parlé, et qu'on a administré cette fois il la malade.

III

Le 26 septembre, ayant été introduit auprès de la malade, qui avait été pré-

venue de mon arrivée, je m'attachai d'abord il ce que je pouvais observer de

moi-même, c'est-à-dire, tolites les circonstances extérieures qui pouvaient

me frapper sans que personne me les fit remarquer.

1° Aussitôt que j'entrai dans la chambre, je l'entendis s'agiter beaucoup dans

son lit, et proférer quelques paroles mal articulées ; m'en étant approché, je la

trouvai riante et dans une espèce de tremblement, s'enveloppant avec sa cou-

verture comme si elle eût été prise d'un grand frisson.

Elle exhalait une odeur d'urine âcre, échauffée et très fétide ; elle me serra

plusieurs fois la main dans les siennes, qui me parurent suantes, et me lais-

sèrent une odeur d'urine semblable à celle qui m'avait frappé au premier

abord.

Le visage de la malade n'était altéré en aucune manière : elle avait des cou-

leurs médiocres, et de l'embonpoint. Je fus surpris de la trouver dans un état

presque naturel, tandis qu'elle devrait être épuisée par des opérations aussi

réitérées et aussi laborieuses que celles qu'elle a subies.

Ses mains et ses bras me parurent assez maigres, et marqués de cicatrices

qu'on dirait être des brûlures. '

Ses yeux et ses paupières étaient très rouges, et très enflammés comme si la

malade eût pleuré, ou comme s'ils eussent été fatigués.

La malade n'a presque plus de dents à la mâchoire supérieure, elle les a

perdues, ou hrisées, en mordant le support de son lit, dans les accès de soull'rance.

Le ventre était tendu et douloureux et est toujours dans cet état.

Je lui trouvai un corps de baleine qu'elle m'a dit- ne quitter ni jour ni nuit.

Il n'est pas possible de prendre moins de nourriture qu'en prend Geneviève

Martin ; pendant longtemps elle a mangé de la viande, mais depuis Sans elle a

un dégoût habituel pour cette espèce de nourriture quelle qu'elle puisse être,

même pour les bouillons.

Elle trempe quelquefois son pain dans dé l'eau et ne prend souvent que des

fruits, un peu de fromage, de laitage froid ou chaud; on a remarqué qu'il passe

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES 239 '

mieux lorsqu'il est froid; en total la bonne nourriture est celle qu'elle prend

avec le plus de peine.

Pour.boisson, elle use tantôt de tisane ordinaire, tantôt d'une infusion de

capillaires ; elle prend assez volontiers du vin, mais en petite quantité, et seu-

lement par gorgée, et même dans ses douleurs. '.

Rarement on lui donne des narcotiques, ce. n'est qu'à l'extrémité qu'on à

recours à ces remèdes. '

Il y a 15 ans qu'elle a été à Bourbonne à deux reprises différentes.

Le premier octobre, je questionnai la malade sur son état depuis la dernière

extraction faite le 16 juin : elle me dit qu'aux endroits de la vessie, qui avaient

été blessés par les pierres, elle sentait de^nouvelles plaies occasionnées par les

instruments avec lesquels on les avait tirées. '

Elle ajouta qu'elle avait beaucoup de peine à se remettre de cette opération

et que depuis elle n'était pas sortie de son lit.

Les rétentions, les difficultés d'uriner ne la quittent guère. Elle souffre con-

tinuellement et quoique le temps de ses douleurs varie beaucoup, on observe

cependant qu'en général la malade souffre moins dans le jour, et que vers les

quatre ou cinq heures du soir, les douleurs paraissent se réveiller, et durent

jusqu'à dix ou onze heures, quelquefois jusqu'au matin..

M'étant rendu chez la malade, le'3 octobre pour l'interroger en détail sur

son état, j'en fus empêché par ses convulsions qui la prirent quelques instants

après mon arrivée :

Elles commencèrent par des sanglots qui furent tout d'un coup suivis de

cris, de raidissements de tous les membres, le corps s'élevant de dessus le lit, avec

beaucoup de force, et beaucoup de contorsions.

Cet accès de spasme se termina après quelques minutes par beaucoup de

vents et de rots que la malade rendit par la bouche avec effort et avec bruit.

Quelques temps après je fus témoin des mêmes accidents ; lorsqu'ils furent

cessés je touchai le pouls de la malade, qui me parut seulement plus fréquent, .

mais point élevé.

Elle me porta la main sur la poitrine; je sentis de très grands battements de

coeur qu'elle m'a dit succéder constamment à ces convulsions ; que les uns et

les autres étaient l'effet des grandes douleurs qu'elle souffrait et qui s'arrête-

raient dans la journée.

Dès l'instant que les agitations et les raidissements furent passés, la malade

reprit sur le champ de la gaieté, elle fut même riante.

Le 13 octobre, je, reçus la nouvelle qu'on était venu à bout de déterminer

Geneviève à se laisser sonder ; comme avec elle il faut profiter des moments,

je me transportai à Saint-Géosmes dans le dessein de lui extraire moi-même la

pierre que je lui sentirais dans la-vessie, pour peu qu'elle fût assez considéra-

ble pour devoir être tirée. Je me chargeai donc des instruments qui pouvaient -

m'être nécessaires.

Avant d'introduire la sonde il la malade, je lui demandai si elle croyait avoir

une pierre, elle me répéta, comme elle me l'avait déjà dit, qu'elle en avait une -,

eu effet, la soude arrivée au col de la vessie rencontra un obstacle que je re-

240 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

connus par le son être un corps dur : il m'a fallu forcer un peu pour la repous-

ser, ce qui m'a fait juger qu'il était engagé dans le col de la vessie.

La malade fut très soulagée par cette opération, elle rendit environ un grand

verre d'urine ; mais je fus surpris de ce qu'elle était très claire et très, limpide ;

le peu que j'en avais pu voir jusqu'à ce jour ayant toujours été d'une couleur

foncée.

Elle n'avait pas non plus à beaucoup près l'odeur fétide qui m'avait frappé

dans les autres, même nouvelles. ,

Au jeu de ma sonde que je remuais fort aisément dans la vessie, où j'ai eu

peine il loucher la pierre, à la quantité d'urine que la malade rendit sur le

champ, j'ai jugé que la vessie avait beaucoup de capacité et que la pierre était

d'un petit volume. '

Je dois observer que j'ai été surpris de ne trouver aucun délabrement dans

aucune des parties contiguës au méat urinaire ; il est tout simple d'imaginer

qu'elles ont dû être excoriées même déchirées, soit par la quantité et la forme

des pierres qui ont été tirées, soit par l'introduction répétée des instruments

avec lesquels on lui a fait les opérations.

Quoique j'aie reconnu une dilatation marquée dans le canal de l'urèthre, elle

ne m'a pas cependant paru telle que je l'aurais imaginée et telle que tout le

monde aurait pu la soupçonner.

L'extraction que je me proposais de faire n'ayant pas eu lieu, par rapport

à la petitesse de la pierre contenue dans la vessie, je voulus être témoin de l'ef-

fet du remède familier à la malade, et qui n'a jamais manqué de lui faire jeter

des pierres par le méat urinaire, et par la bouche (dans le temps qu'elle en

rendait par cette voie). -, " ,

Pour cela la malade consentit, non sans peine, être transférée de St-Géosmes

il Langres, dans une maison qui était il ma portée ; elle fut mise dans une chaise

à deux roues, dont le mouvement ne l'incommoda, point, comme je le craignais

par rapport à la pierre qu'elle déclarait avoir dans la vessie ; la journée qui

succéda à ce petit voyage ne fut pas plus orageuse que les autres. ,

Dès le soir même, je fus présent à là miction du remède qui consiste pour

l'ordinaire à mettre en infusion pendant douze heures dans un vase bien bou-

ché deux oignons blancs coupés par rouelles minces dans la quantité de trois

grands verres de vin blanc pour trois doses, elle en prend une pendant trois jours

consécutifs et un verre d'huile d'olives, une heure avant ; selon l'effet qu'opère

la première ou la seconde prise,ellu n'en prend que deux.

Le 15 à sept heures du matin, je fis avaler à la malade le potion- huileuse, et

à huit heures l'infusion d'oignon. .

Vers les deux heures après midi la malade commença à se plaindre. Sur les

six heures, les contorsions, les raidissements de membres étaient à un point in--

croyal)le, et accompagnés de grincements de dents et de cris ; j'essayai de lui

parler, elle me dit qu'elle sentait du mal à la nuque et au col ; il ne me fut pas

possible d'en tirer d'autre réponse, elle me dit elle-même qu'elle ne savait

plus ce qu'elle disait ; n'ayant pas le courage de me tenir dans sa chambre, je

mécontentai de revenir à plusieurs reprises, jusqu'à dix heures du soir.

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAIVT-GÉ0311ES 241 1

Je la trouvai alors dans le même état que sur les six heures, aux agitations

du corps près : elle avait les yeux fermés, la bouche ouverte, on me dit qu'elle

dormait et qu'elle rêvait; je l'entendis en effet appeler nommément une per-

sonne qui était absente, il qui elle disait qu'elle souffrait plus qu'à l'ordinaire :

au bruit qu'elle faisait en grinçant les dents les unes contre les autres, je ne

sais comment elle ne s'est pas brisé celles qui lui restaient' ; enfin (on n'aura

pas de peine à le croire) toute la fermeté dont je m'étais armé m'abandonna, je

me désistai du dessein que j'avais toujours eu de passer la nuit auprès de la ma-

lade, pour lui voir vomir quelques pierres, ou jusqu'à ce que je'lui entendis

rendre celle qu'elle avait dans la vessie.

Désirant qu'il restât une personne sûre auprès de la malade, M. Viard prêtre

et professeur de théologie au séminaire de Langres, ci-devant desservant a

St-Géosmes, voulut bien me remplacer et donner son attention à ce qui se pas-

serait.

J'y retournai encore sur les onze heures, alors elle avait des défaillances, des

convulsions : elle battait la campagne.

A minuit, dans l'effort d'un vomissement et une douleur très aiguë, on en-

tendit tomber quelque chose dans le bassin. C'était la pierre qui était sortie de

la vessie, M. Viard me l'apporta sur le champ, elle était de la grosseur d'une

olive, mais un peu pointue. '

Elle était accompagnée de cinq autres petites, qui étaient comme elle, de la

même nature que toutes celles qui m'avaient été envoyées a Paris.

Dans le moment que la malade jeta cette pierre et qu'on la tira du bassin; il

y avait très peu d'urine; mais le 16, étant allé le matin voir Geneviève, il s'y en

trouva de quoi remplir un grand verre que je fis porter chez moi pour en faire

l'examen.

Ce que la malade avait vomi parut être du vin .qu'on lui avait donné de

temps en temps dans ses défaillances, et qu'on interrompit sur les onze heures.

Il ne s'y trouva point de pierres, et on m'observa que depuis un mois envi-

ron elle n'en avait pas vomi.

L'état de la malade consistait dans un affaissement considérable, sensible au

pouls, elle se plaignait néanmoins de vives douleurs, principalement dans les

jambes, je lui ordonnai une potion anodine que je lui réitérai le soir : le calme

qu'elle procura dans la nuit à la malade, lui fit concevoir de grandes espérances

pour la guérison, dont on la flattait toujours depuis mon arrivée, afin de l'en-

gager à faire tout ce que je jugerais à propos.

Le 17 au matin, je ne pus juger des urines de la malade, ses règles ayant

paru.

Sur les 11 heures, j'eus l'honneur d'accompagner M. l'évêque de Langres qui

fut exhorter lui-même la malade ; nous la trouvâmes dans la plus grande déso-

lation ; c'était une de ses soeurs qui avait entendu dire dans la ville que les

pierres de Geneviève étaient supposées, et qui s'était empressée de la question-

ner indiscrètement sur ce mauvais bruit qui paraissait se renouveler ; Gene-

viève en était fort chagrine, mais M. l'évoque de Langres lui ayant ordonné de

ne point s'embarrasser des propos, elle obéit et n'y pensa plus.

242 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Le soir ses règles étant arrêtées, je lui fis prendre deux gobelets d'une tein-

ture de safran.

Le 18 au matin, la malade me déclara avoir de grandes douleurs au talon,

elle me dit que ses urines ne coulaient plus que goutte il goutte, et que c'était

les symptômes d'une nouvelle pierre.

Dans-la journée -elle souffrit beaucoup, ses douleurs et ses convulsions ne la

quittèrent point.

Je fus frappé particulièrement dans cette journée par l'odeur urineuse de la

moiteur qui* couvrait ses mains,-et qui depuis deux ou trois jours me paraissait

plus supportable.

Le 19, la malade a été dans des agitations et dans des convulsions presque

continuelles, les urines ont été totalement supprimées ; j'ai proposé il la malade'

de la faire uriner par le moyen de la sonde, mais elle rejeté constamment ce

soulagement. Je lui fis prendre une potion huileuse, avec quelques gouttes de

baume du Pérou ; ce qui lui ayant procuré quelque tranquillité, j'assemblai

dans sa chambre M. Hugo desservant de St-Géosmes, M. Viard son prédéces-

seur, et deux soeurs de la malade, qui sont parfaitement instruites de toutes les

différentes circonstances de son état ; je fis lecture de l'histoire que l'on vient

de voir, et que j'avais rédigée, tant sur tous les mémoires qui m'avaient été

fournis, que sur les différents interrogatoires particuliers que j'avais faits pres-

que tous les jours, en prenant mes précautions pour que les déposants ne pus-

sent varier dans la suite sur les faits et articles qui y sont énoncés.

Le 20 octobre, les douleurs que souffrait la malade étaient excessives en ap-

parence, cependant les urines avaient repris un peu leur cours ; elle en rendit

à peu près la moitié d'un verre, qui était très foncée en couleur, d'une odeur

très forte, comme si elle eût séjourné ; après l'avoir laissée reposer, elle m'a

paru la môme que celle qu'elle avait rendue le 16, avec un dépôt' semblable il

une bouillie.

Dans la nuit la malade jeta par les voies urinaires une pierre de la môme

nature que les autres ; elle me fut remise avec trois autres petites le 21, au mo-

ment que j'allais partir. ,

DISCUSSION ET DIAGNOSTIC.

A la suite de cette observation, Morand fait connaître les analyses qu'il

fit des urines de la malade avec MM, Charles et Diez. « Il ne s'y trouva

aucun gravier » . '*

Une matière blanche, floconneuse, s'y voyait en suspension. Les gens

de l'entourage de Geneviève la regardaient comme « le produit des con-

torsions de la malade ». Il fut démontre que c'étaient des filaments de

toile provenant de l'usure des draps. ¡

Morand entreprit ensuite une étude comparative des pierres rendues

par la Fille de St-Géosmes et des calculs des reins et de la vessie.

Dans cette discussion, d'une logique limpide et documentée, il accu-

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOS)IES 243

mule les arguments scientifiques pour démontrer l'absurdité de la croyance

à l'origine animale de ces pierres. Ce n'est pas leur grand nombre qu'il

faut incriminer, bien qu'en réunissant toutes celles qui sont sorties du méat

urinaire, spontanément ou par opération, on en puisse former un paquet

pesant trois onces un gros. Mais c'est la nature même de ces pierres qui

doit confirmer le soupçon de supercherie. On dirait des morceaux de

brique ou de tuile, rougeâtres ou grises, à angles tranchants, à surface ra-

boteuse.

Elles rougissent au feu, sans se désagréger.

Elles ne sont attaquées par aucun acide.

Enfin l'on n'y trouve, en aucun cas, la trace des concrétions calcaires

qui recouvrent toujours les corps étrangers ayant séjourné un certain

temps dans la vessie.

D'ailleurs, ces pierres ressemblent à s'y méprendre à celles qu'on trouve

sur le sol du village de St-Géosmes.

Un des médecins que l'Évoque de Langres avait chargé d'examiner Ge-

neviève, le sieur Forgeot, chirurgien de Longeau, avait eu à peu près la

même idée que Morand :

« Un seigneur de Paroisse, voisin du Prieuré de St-Géosmes, curieux d'avoir

en propre, quelque pierre provenue de Geneviève, l'ayant sollicité pendant long-

temps de se dessaisir en faveur de quelques-unes de celles qu'il avoit en sa

possession, il n'avoit trouvé d'autre moyen de satisfaire cette personne qu'en

lui envoyant une pierre qu'il avoit trouvée en se promenant, et qui par sa ressem-

blance avec celles dont on était si curieux, l'avoit frappé au point de lui suggé-

rer cette innocente supposition » (Déclaratoire de M. Forgeot, le 12 octobre

1753). . -

Enfin, il est probable que « ces pierres n'ont point été introduites à

nu dans la vessie ».

Geneviève; pour éviter la douleur qu'eût nécessairement causée l'in-

troduction de corps rugueux et tranchants dans l'urèthre, prenait soin de

les entourer d'une sorte de charpie qui en atténuait les aspérités. Ainsi

s'expliquent les filaments de toile trouvés en suspension dans l'urine à la

suite des évacuations. \

A cette analyse physique et chimique, succède une discussion clinique

très serrée des différents symptômes présentés par Geneviève et pouvant

offrir quelques analogies avec ceux qui accompagnent les affections calcu-

leuses.

Il est avéré que la malade n'a jamais eu de véritables coliques néphré-

tiques.

- Les douleurs qu'elle accusait dans la région lombaire et dans l'abdomen

244 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

n'ont pas le caractère aigu des crises qui annoncent le passage- d'un calcul

dans les voies urinaires.

Morand passe en revue toutes les affections qui peuvent donner le

change; coliques ordinaires, lumbago, douleurs rhumatismales, calculs

stercoraux, hémorrhoïdes, elc. Il manque, dit-il, à chacun de ces diagnos-

tics des signes trop importants 'pour qu'on puisse s'arrêter à aucun d'eux.

L'auteur s'étonne aussi avec raison qu'une pareille productioncalcu-

leuse n'ait causé que des accidents douloureux insignifiants, et surtout

qu'aucun phénomène inflammatoire ne soit survenu dans les voies uri-

naires. Enfin, « la malade n'a jamais uriné de sang ».

Pour qu'elle ait résisté à tant d'efforts et a tant de causes d'irritation,

il fallait vraiment que la vessie de Geneviève fut parfaitement saine.

« Il y a donc toute apparence que les pierres qui ont été tirées de la

vessie de Geneviève, que celles qu'elle a rendues naturellement, ne sont

jamais restées longtemps dans cette cavité, puisqu'elles n'auraient pas

manqué d'y occasionner beaucoup de désordre ».

Quanta à 1'ui-èliiie, il ne présente aucune trace de déchirure ni d'éro-

sion ; mais il possède une dilatabilité remarquable, confirmée par les dires

des chirurgiens qui ont pratiqué les sondages et les opérations.

Le sieur Forgeot, chirurgien de Longeau, dans son déclaratoire du

12 octobre raconte, au sujet des deux pierres extraites par lui au mois de

mai 1750, « que ces pierres sont véritablement monstrueuses par rap-

port au conduit de l'urèthre, par lequel elles ont été tirées, ; que cependant

dans les vingt-quatre heures qui ont suivi la seconde extraction dont il

fut chargé, il lui auroit été possible de replacer la pierre dans la vessie, de

la même façon qu'elle en avait été tirée ».

Cette dilatabilité de l'urèthre n'a rien de surprenant, nous dit Morand.

Elle existe à des degrés divers suivant les individus ; elle est notoire chez

la plupart des femmes qui, de ce fait, évacuent facilement et spontané-

ment les calculs vésicaux; elle a pu devenir excessive chez une fille qui,

progressivement, introduisit dans ce canal des pierres de plus en plus

grosses.

Pour terminer, Morand rappelle deux arguments décisifs :

1° Avant de rendre ses pierres, soit par en haut, soit par en bas, « Ge-

neviève ne sent ni douleur ni travail dans les parties qui devaient souffrir,

depuis la vessie jusqu'à l'estomac. » ,

2° « C'est Geneviève qui décide elle-même la nécessité des opérations,

en affirmant qu'elle sent la pierre, mais elle ajoute quelquefois qu'elle en

a plusieurs, ce qui se trouve vrai ». 0

Toutes ces preuves accumulées réduisent à néant l'hypothèse d'une affec-

tion calculeuse des reins ou de la vessie.

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSI)IES 245

C'est alors que Morand formule son diagnostic sur l'étrange maladie de

la Fille de St-Géosmes.

On reste surpris de la netteté et de la précision avec laquelle il a reconnu

et affirmé la nature de ces accidents, en un temps où l'étude des maladies

nerveuses était encore pleine de contradictions et de mystères.

« Tout ce que l'on peut déduire, dit-il, des symptômes observés dans la

Fille de St-Géosmes, ne porte pas exclusion d'un état de maladie. Quiconque

voudra se donner la peine d'examiner sérieusement les incommodités

qu'elle a commencé à avoir à l'âge de dix-sept ans, et de les suivre jus-

qu'en 1747, que l'accessoire des pierres s'y est joint, décidera que Gene-

viève a été de tous les temps attaquée d'une affection hystérique, et que les

coliques qui paraissent aujourd'hui sa seule maladie, sont hystériques] et

nullement néphrétiques , quoiqu'elles aient été suivies de pierres ».

On ne saurait être plus affirmatif et se prononcer plus catégorique-

ment en faveur du diagnostic d'hystérie pour lequel nous avons aujour-

d'hui des preuves surabondantes.

La nature des accidents hystériques qui constituent toute la maladie de

la Fille de St-Géosmes est en effet trop évidente pour qu'il soit besoin de

s'y attarder longuement.

Nous nous contenterons de relever les principaux, ceux surtout qui,

inconnus ou mal définis au siècle dernier, n'ont pas été suffisamment mis

en relief par Morand pour étayer son diagnostic.

La plupart d'ailleurs ont été entrevus par l'érudit professeur d'anato-

mie, qui, s'appuyant sur l'oeuvre de Sydenham, dit expressément :

« Les violents et fréquents vomissements de sang, accompagnés de

spasmes épileptiques, les éruptions cutanées,, acres et corrosives... l'es-

pèce de frissonnement presque continuel de tout le corps, montrent clai-

rement une ataxie dans les humeurs, dans les esprits, et dans le genre ner-

veux. Tous ces accidents sont anjourd'hui classés clans le tableau des ma-

nifestations hystériques. Mais cette interprétation actuellement admise à

l'unanimité eût été, il n'y a pas vingt années, vivement contestée, et même

rejetée par la plupart.

Les crises conrulsires, si fréquentes chez Geneviève, appartiennent bien

au type classique des attaques de grande hystérie. Elles alternent avec les

vomissements et les crises urinaires, ou bien elles leur succèdent.

Ce sont d'abord de grands cris, des sanglots, puis un « assoupissement »,

accompagné «d'agitations », de « rêves », une « crampe générale avec

des contorsions effroyables dans le col. les bras et les jambes, le corps s'é-

246 NOUVELLE 1CONOGR11'L11G DE ' LA SALPÊTRIÈRE

levant de dessus le lit ». Enfin, la malade reste « sans mouvement » sur

son lit pendant plusieurs heures, « rendant des gaz par haut et par bas ».

Nous retrouvons là toutes les phases de l'attaque de la Salpêtrière : le

cri initial, la perte de connaissance, les mouvements épileptoïdes, les grands

mouvements, l'arc de cercle, les contractures, les hallucinations, les rêves,

la léthargie, etc., etc. ,

Morand note à plusieurs reprises le grincement des dents et les crises de

morsure de Geneviève. « Elle avait brisé plusieurs dents en mordant le

support de son lit ».

Geneviève, nous l'avons vu, eut aussi des crises de somnambulismeaoc-

turne, pendant lesquelles elle errait la nuit à travers champs jusqu'au

moment où elle tombait inanimée sur le sol.. 1

C'est déjà plus qu'il n'en faut pour affirmer la nature du mal dont était

atteinte la Fille de St-Géosmes. '

Sur les troubles sensitifs et sensoriels, Morand reste muet. Il fut pour-

tant frappé du peu de sensibilité de l'urèthre dont les réactions douloureuses

étaient presque nulles en regard de toutes les irritations qu'il dut subir.

Il semble enfin que, vers la fin de la dernière année de ses évacuations

pierreuses, Geneviève ait eu de la paraplégie hystérique : « une grande fai-

blesse des jambes qui empêchait la malade de sortir de son lit ».

C'est par une des plus inquiétantes manifestations viscérales de l'hys-

térie que Geneviève a inauguré sa maladie. v

A Page de seize ans, elle « jeta beaucoup de sang par le nez et par la

bouche » ; tantôt ce sang était « pur- », tantôt « écumeux », tantôt

« mêlé d'humeurs ». ,

Qu'il s'agisse oehémoptysies ou d'hématémèses, ou même des deux alter-

nativement, c'est encore à l'hystérie qu'il faut rattacher ces accidents.

Ils appartiennent il la série des troubles vaso-moteurs si variés chez les

hystériques et en particulier à ces hémorrhagies, dites supplémentaires des

règles, sur lesquelles les anciens auteurs ont longuement insisté.

La coïncidence fréquente ou la substitution de ces différents phénomè-

nes entre eux et avec les autres manifestations de la névrose est bien

connue. '

Chez Geneviève, il y eut'successivement alternance et concomitance

des hémorrhagies par en haut et par en bas.

Au début « les vomissements de sang se renouvelaient assez régulière-

ment à tous les derniers quartiers de la lune ». .

Alors Geneviève n'était pas encore réglée.

A 20 ans, elle vit apparaître ses règles pour la première fois, et, pen-

dant une année, les vomissements de sang cessèrent.

LA MALADIE DE LA FILLE DE S\r : "<T-GÉOSIF.S 247

Us reparurent, conjointement avec le flux menstruel, qui d'ailleurs était

peu abondant, et persistèrent pendant neuf années consécutives.

. Il arriva plusieurs fois que l'hémorrhagie par la bouche fut telle que

la' malade rendit jusqu'à « quatre pintes de sang, malgré les saignées du

bras et du pied qu'on lui faisait ».

Les hémorrhagies suivaient d'ailleurs les irrégularités de la menstrua-

tion. On les vit durer quatre mois sans trêve, puis cesser pendant les qua-

tre mois suivants. Elles reprirent plus tard leur périodicité mensuelle, sur-

venant huit jours avant les règles.

De nombreux exemples de ces différentes combinaisons ont été signalés

depuis que l'attention s'est portée sur ces faits. L'hémoptysie et l'hématé-

mèse hystériques peuvent être considérées tantôt comme des équivalents de

l'attaque convulsive, tantôt comme des phénomènes d'hystérie locale. Leur

apparition rend souvent le diagnostic très difficile avec les affections pul-

- monaires ou] gastriques. -

Dans le cas de Geneviève Martin, l'hésitation n'est pas possible.

Parmi les troubles que l'hystérie apporte à l'appareil digestif, le dégoût

ou le refus des aliments tient une place importante. Geneviève n'y a pas

échappé.

. '« Elle resta, dit Morand, plus d'une fois, huit jours sans manger ».

Ces crises d'anorexie ne sont plus mystérieuses. Lasègue en a montré

l'origine toute psychique; Charcot, Sollier, Gilles de la Tourette, Janet,

Souques, etc., ont confirmé cette pathàgénie par maints exemples analy-

sés de très près. Les jeûnes surprenants d'une foule de religieux fanatiques

ne reconnaissent pas une autre cause. L'influence religieuse entretenue

par les prêtres qui fréquentaient assidûment la Fille de St-Géosmes, joua

certainement un rôle dans la genèse de ces accidents.

Toutefois, chez Geneviève, les crises d'anorexie ne furent ni bien lon-

gues, ni bien fréquentes. Elles ne compromirent jamais sa santé, et n'en-

traînèrent pas cette maigreur squelettique si impressionnante dans cer-

taines observations. L'étal général resta excellent. Geneviève avait la figure

'naturelle, « avec un certain degré d'embonpoint ».

Morand fut surpris de cette bonne apparence, la malade prenant très

peu, de nourriture, jamais de viande, et devant être épuisée par toutes

ses souffrances et tant d'interventions douloureuses. -

\

Après les vomissements sanguins, Geneviève eut des « vomissements

d'urine, survenant sans effort, et suivis d'un flux menstruel ».

Ce phénomène rare, révoqué en doute par quelques auteurs, n'est ce-

pendant pas inattendu ni inexplicable.

Il s'observe en général dans les cas où la névrose porte une de ses ma-

248 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

nifestations sur l'appareil urinaire, eh particulier dans la diminution de

sécrétion connue depuis Charcot sous le nom d'iscl2c-ie liystérique. Cette

diminution peut d'ailleurs aller jusqu'à la suppression complète des urines

qui constitue anurie hystérique.

Des observations remontant au seizième siècle signalent le fait.

Une jeune religieuse de Padoue, à la suite d'une suppression d'urine,

rendit par le vomissement plusieurs litres d'un liquide analogue à l'urine

par son odeur et sa couleur (Marcellus Donatus, cité par Nysten).

Les cas de Vallisneri, de Marangoni, de Mareschal, de Nysten analysés

par Charcot (1) et par Gilles de la Tourette (2), semblent appartenir à la

même catégorie de faits. Charcot, avec Laycock, établit la réalité de l'is-

churie hystérique et des vomissements urineux. Il démontra qu'il existait

entre les deux phénomènes un balancement assez régulier.

Gilles de la Tourette, s'appuyant à la fois sur les constatations clini-

ques et sur les analyses chimiques comparatives des vomissements et de.

l'urine, admet : ,

« Que si l'ischurie est, le plus souvent, sous la dépendance des vomis-

sements, phénomène primitif, il n'est pas moins réel que dans certains

cas, plus rares à la vérité, l'ischurie est primitive et les vomissements se-

condaires, ou mieux supplémentaires ou vicariants (3) ».

Ces deux processus pathogéniques inverses semblent avoir alterné chez

Geneviève chez qui les vomissements urineux précédèrent d'abord t'ischu-

rie pour lui succéder plus tard. * ,

Quelle que soit d'ailleurs la marche des accidents, il est intéressant de

constater que non seulement les matières vomies pouvaient être assimilées

dans ce cas à des urines supplémentaires, mais que dans les unes et les

autres on retrouvait les mêmes éléments anormaux, soi-disant patholo-

giques.

'La difficulté d'uriner apparut progressivement chez Geneviève. Elle

fut même précédée pendant l'enfance de cette incontinence nocturne qu'on

retrouve souvent dans les antécédents des hystériques. On fit manger à.la

malade « des souris accommodées en nourriture», remède souverain, assu-

rait-on, contre cette sorte d'accident. 'Mais il n'eut aucun succès.

Plus tard, les phénomènes d'isclnlnie remplacèrent l'incontinence.' La

malade, pendant plusieurs heures, faisait de vains efforts pour uriner,

accusait de vives douleurs dans la vessie et dans l'urèthre. Une attaque

convulsive mettait généralement fin à cette rétentipn passagère.

(1) Cn,\l\col. Leçons sur les mal. du sysl. nerf., t. 1, p. 2 il.

(2) Gilles IiE la Tourette. Traité clin. el lhérap. de l'hystérie, t. II, p. 399 et suiv.

(3) Loc. cit., p. 406.

/ .

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES 249

A cet égard, Geneviève reste inférieure aux malades cités par Charcot

qui, pendant plusieurs jours,- étaient atteints d'une anurie absolue.

Morand a observé également au cours d'une de ses visites, une, disten-

sion énorme de l'abdomen. Laycock a signalé celte coïncidence de l'ischu-

rie et de la tympanite hystérique. ,

Les phénomènes douloureux qui accompagnaient les accidents présen-

tés par Geneviève siégeaient tantôt dans les reins, tantôt dans la vessie.

La cstrclgie hystérique avait déjà été signalée par Sydenham, que Mo-

rand cite fort à propos : « Non seulement là maladie hystérique

cause une douleur très vive quand elle s'attaque à la vessie, mais encore,

elle supprime l'urine et simule tous les symptômes d'un calcul vésical. »

Ainsi, l'auteur anglais avait non seulement connaissance des crises vé-

sicales dès hystériques ; mais ce passage indique nettement qu'il avait eu

l'occasion d'observer des malades présentant les mêmes symptômes que la

Fille de St-Géosmes.

Les douleurs vésicales de Geneviève provoquaient généralement des

« convulsions ». Cette coïncidence est' attestée par maints auteurs (Lay-

cock, G. Guinon, Bourguinon, Challeix-Vivié, Mesnard, Gilles de la Tou-

rette). ' ' -

On serait surpris de ne pas voir signaler l'hématurie chez une malade

aussi féconde que la Fille de St-Géosmes en troubles vaso-moteurs hystéri-

ques, si cetle hémorrhagie n'était d'une excessive rareté. Les cas de Ma-

rius Carré et de Bouloumié ont cependant montré l'alternance de l'héma-

turie avec les hémoptysies et les hématémèses. -

C'est avec raison que Morand rapporte encore à l'hystérie les phéno-

mènes paroxystiques douloureux qui simulaient chez Geneviève les co-

liques néphrétiques.

En cela le professeur d'anatomie ne faisait d'ailleurs qu'accepter l'opi-

nion de Sydenham (1).

« Les praticiens conviennent que les maladies hystériques affectent quel-

quefois les reins, et qu'alors les symptômes sont si ressemblants à ceux

des accès néphrétiques, et par l'espèce et par le lieu qu'occupe la dou-

leur, par la violence même des vomissements qui les accompagnent, et

par leur extension jusqu'aux uretères, qu'il n'y a que l'examen de la dis-

position de la malade Ù l'une ou à l'autre de ces affections, qui puisse

aider à les distinguer ». ,

Depuis Sydenham, nombre d'auteurs'sont venus confirmer l'existence

d'une 7aéphralgie hystérique (Sauvage, Boyer, Chopart, Henry Morrin,

Legueu, Gilles de la Tourelle). '

(1) Dissert. Epislol. de Afféct. llist., Cap. VII.

\

250 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Parmi les localisations de l'hystérie sur les téguments, « le pemphigus,

dit Gilles de la Tourelle, peut être considéré comme le type de l'élément

éruptif de la névrose ».

Les observations en sont aujourd'hui fort nombreuses.

Une des plus anciennes, reproduite par Louyer Villermay (1) d'après

le Dr Jacquemin(/o2<rw. génér. de méd., t. XXX, p. 2G/¡,), relate le'fait très

singulier d'une jeune demoiselle sujette à des convulsions hystériques qui

a eu trois ou quatre fois une éruption'de vésicules sur l'avant-bras et la

poitrine, de la grosseur d'une châtaigne, lesquelles ont formé en s'ou-

vrant spontanément, une plaie semblable à celle des vésicatoires ».

C'est la même description que Morand donne des accidents éruptifs pré-

sentés par Geneviève : ,

« Eruption dartreuse, semée de grosses phlyctènes qui laissaient sur la

peau des traces analogues à celles de forts vésicatoires de véritables

cicatrices comme des brûlures ».

Cette éruption apparaissait il la suite des vomissements sanguins, aux

hypocondres, dans la région hypogastrique, sur la région antérieure des

cuisses, des jambes, sur le visage, sur les bras et les avant-bras, causant

une très vive cuisson. 1 1

Pendant deux ou trois ans, vomissements et éruptions se sont succédés

régulièrement.

Nous arrivons enfin à l'examen d'un symptôme sur la nature duquel

Morand ne s'est pas prononcé, bien que sa nature hystérique ait été déjà

entrevue par Sydenham.

Il s'agit de celle espèce d' « anasarque qui couvrit tout le corps, à l'ex-

ception des bras, et dura deux mois et demi ».

Selon toute vraisemblance, l' « enflure » en question n'était autre chose

qu'un oedème hystérique.

Gilles de la Tourette (2) croit pouvoir reconnaître l'existence de la

forme généralisée dans deux observations de Carré de Montgeron (Margue-

rite Thibaut, et Marguerite-François Duchesne). Il cite un fait personnel

qui confirme la réalité de cette forme, plus rare il est vrai que l'oedème

unilatéral ou localisé.

Le cas de la Fille de St-Géosmes vient s'ajouter à ces exemples. Chez

elle, comme il est de règle, l'oedème récidiva plusieurs fois.

A l'occasion d'une saignée, « toutes les parties de son corps s'enflèrent

successivement et devinrent douloureuses », principalement la région

(1) LOUYEII- VILLE1UIAY, Traité des maladies nerveuses ou vapeurs, Paris, 181G, t. I,

p. III, cité par Gilles de la Tourette, Loc. cit., p. 407. '

(2) Loc. cit., p. 397. `

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES 251

lombaire. Il est vrai que Morand ajoute : « Cet état était accompagné de

fièvre, et dans certains moments de difficulté de respirer, quelquefois de

délire ». Mais il n'y a pas là de quoi infirmer le diagnostic. Le « délire », les

troubles respiratoires, la « fièvre » même peuvent appartenir à la névrose.

La saignée, par l'émotion qu'elle, cause à la malade peut très bien avoir

joué le rôle d'agent provocateur.

D'ailleurs une troisième poussée d' « enflure » survint encore trois

mois après, sans cause, et resta localisée sur les bras et sur les mains.

Enfin, pour terminer, il nous reste à parler de l'état mental de la Fille

de St-Géosmes.

Les stigmates psychiques de l'hystérie, aujourd'hui bien analysés et bien

définis, n'avaient cependant pas échappé aux anciens auteurs.

On ne peut que louer le bon sens critique dont Morand fait preuve

dans son appréciation de l'état mental de Geneviève.

Il ne faut pas oublier en effet que, jusqu'aux derniers travaux de l'E-

cole de la Salpêtrière, la femme hystérique était considérée par la majo-

rité des médecins comme une simulatrice et une menteuse. Le fond psy-

chique de la névrose était généralement méconnu et l'on attribuait sans

hésiter à la perversion morale et à l'imposture toutes les bizarreries d'ac-

tes ou de paroles que présentaient les hystériques. Morand a fort judi-

cieusement fait ressortir la nature pathologique de ces troubles de l'esprit

et du caractère. Il prononce formellement le mot de suggestion, et l'on

sait que la mise en oeuvre d'une suggestibilité excessive constitue le fond

de l'état mental de l'hystérique.

Tantôt, la suggestion vient de l'extérieur, et est provoquée par une-

inlluence étrangère : c'est ainsi qu'un prêtre ayant conseillé à Geneviève

un breuvage destiné à faciliter le vomissement de ses pierres, elle ne

manqua jamais d'en rendre à profusion chaque fois qu'elle prit le remède

préconisé. -

Ici la suggestion produisit un effet néfaste. Elle fut par contre salutaire,

en apparence tout au moins, lorsque l'évêque de Langres, ayant rendu

visite à la malade, la décida à se faire opérer.

De même, « la carrière qui donnait toutes ces pierres étant inépuisa-

ble, on jugea à propos d'abandonner pendant quelque temps le remède,

par lequel on-ne réussissait à en détacher que des échantillons sans tarir

la minière ». Le résultat fut souverain : on ne vit plus de pierres dans

'les vomissements. -

D'autres fois, l'autosuggestion suffit à produire des accidents de toutes

sortes. Après que Geneviève eut promis de s'en remettre aux soins d'un

chirurgien, « la seule crainte de l'opération lui fait rendre une pierre ».

252 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

L'évêque de Langres ayant parlé de confier à un autre médecin l'ex-

traction des pierres de Geneviève, elle en conçut une si vive appréhension

que « ses règles furent supprimées tout à coup et qu'elle fut réduite à la

dernière extrémité. » Quand on parla de la transporter à Paris pour la

faire examiner par la Faculté, ses douleurs,devinrent tout d'un coup

si violentes qu'on dut renoncer à lui faire faire le voyage.

La susceptibilité de Geneviève à tous les propos qui se tenaient sur son

compte, est encore une des caractéristiques de son état mental névropa-

thique.

Une de ses soeurs lui ayant dit, que le bruit courait par la ville que ses

pierres étaient une pure invention, Geneviève fut profondément blessée

qu'on l'accusât d'imposture. Il fallut l'intervention consolante de l'évê-

que de Langres pour la calmer.

Morand a parfaitement compris la nature maladive de tous ces désor-

dres psychiques, et ses réflexions sur la pathogénie des accidents de Go-

r neviève Martin restent conformes à l'idée qu'on peut s'en faire aujour-

d'hui. '

« Il M'est pas, dit-il, nécessaire de 1'echercher quel peut être le motif de

pareilles imaginations ; cet examen est absolument étranger à celui du fait,

et l'un n'engage point dans Vautre.

« Tout ce que l'on sait en général à ce sujet, c'est que ce n'est pas

d'aujourd'hui qu'on'a des exemples de semblables prodiges ; du temps de

Gallien même, il se trouvait des gens qui avaient des maladies fausses.

« Et soit qu'il y ait simplement de la manie, ou du dessein prémédité dans

ces sortes de cas, c'est aux médecins à tirer le voile mystérieux qui peut

en imposer ».

Il nous paraît impossible de juger plus sainement le cas de la Fille de

St-Géosmes et de faire plus large la part de la maladie dans des accidents

qu'on est trop généralement tenté d'attribuer à la simulation.

.. .

.. *

D'ailleurs, le bon sens et l'érudition de Morand, s'étaient déjà révélés

en plusieurs occasions, surtout dans une étude sur un cas d'ostéomalacie

célèbre (1), celui de la femme Supiot, dont le squelette est conservé au

musée Dupuytren.

Toutes ses oeuvres témoignent- des connaissances encyclopédiques qui

lui permirent d'aborder les sujets les plus variés. Ses titres scientifiques,

moins condensés que ceux de son père, se recrutent dans toutes les bran-

ches de la science : médecine, chirurgie, chimie, minéralogie, histoire

(1) Histoire de la maladie singulière et de l'examen d'une femme devenue en peu de

temps contrefaite par un amollissement général des os. Paris, 1 î;i2, in-12.

LA MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSnILS . 253

naturelle, etc. (1). Malgré leur diversité, ces travaux portent l'empreinte

d'une réelle érudition, toujours servie par un jugement profond et sain.

Dans un mémoire lu à l'Académie des Sciences, en séance publique,

le 14 novembre 1764, Morand donna une nouvelle preuve de son esprit

d'observation et de son bon sens critique, à propos du nain du roi de

Pologne Stanislas, le célèbre Bébé, dont la renommée publique faisait t

« un abrégé des merveilles des cieux ». <

Il présenta une description excellente de cet avorton contrefait, accom-

pagnée de sa statue en cire, modelée par Jeanet, chirurgien de Lunéville.

Et clans son étude de l'étal physique et mental de Bébé, Morand trace,

pour la première fois, le portrait exact d'un crétinisme infantile et myxoe-

cléaate2cx (2). - .

A ne considérer que l'histoire de la maladie de la Fille de St-Géosmes,'

il nous semble qu'un respectueux hommage doit être rendu au médecin

impartial et éclairé qui a-su apprécier avec tant de bon sens, de chari-

table discernement, une affection presque inconnue en son temps, et sur la

nature de laquelle il n'a pas hésité à se prononcer catégoriquement, au

mépris des préjugés de toute une province, contre le mauvais vouloir de

personnages influents qui s'efforçaient d'accréditer une légende propre à

servir de mesquins intérêts.

OBSERVATIONS COMPARATIVES.

L'histoire de la Fille de St-Géosmes n'est pas unique en son genre.

Morand s'est livré à des recherches patientes dans la littérature médicale

de son temps, et a résumé à la fin de son étude plusieurs observations ana-

logues. ·

, Dans plusieurs cas, il ne s'agit que de corps étrangers introduits dans

l'urèthre ou dans le vagin et expulsés après un séjour plus ou moins long

dans ces conduits naturels, soit spontanément, soit à l'aide d'une inter-

vention chirurgicale. ' .

D'autres faits se rapprochent plus directement du cas de Geneviève

Martin.

La Fille de Crémone est celle qui paraît avoir le plus de ressemblance avec

la Fille do St-Géosmes, pour les différents états par lesquels elles ont passé

(1) Lettre sur la structure et l'usage du thymus. In. Acad. des sciences, l'75J. -

Lettre sur l'instrument de Roonhuysen. Paris, 1735. - Du charbon de terre et de ses

mines. Paris, 1 ïfi9-11 i'J, m-S°, etc., etc. 1

(2) J'ai déjà eu l'occasion de citer les passages les plus intéressants de ce curieux

examen dans une récente étude : IIENITY Meige. Les Nains et les Bossus dans l'Art.

Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, n° 3, 1896. " 1

254 . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

toutes deux, avant de rendre des corps étrangers ; parmi ceux que vomissait

réellement la fille de Crémone, et qu'elle jettait par l'anus il y a une pierre

d'une forme ovale irrégulière, longue de trois pouces, large de deux pouces et

huit lignes, haute d'un pouce et cinq lignes.

Une autre de figure rhomboïdale, longue de deux pouces et sept lignes, large

de deux pouces six lignes et de l'épaisseur de quatre lignes, sans parler des

morceaux de cailloux, de fer et de verre qu'elle a jetés par le vagin et par

l'urèthre, lesquels étaient beaucoup plus considérables que tout ce qu'elle je-

tait par la bouche : ceux qui voudront s'assurer de la parité trouveront de la

satisfaction à lire l'histoire de la maladie (1).

La Fille de Crémone, on le voit, surpassa'Geneviève Martin par la di-

versité de ses voies et de ses produits d'évacuation. Elle rendit non seule-

ment des pierres, mais des morceaux de fer et de verre, par la bouche,

par l'urèthre, et aussi par-l'anus et par le vagin.

En 1748, une jeune demoiselle de Versailles se rendit célèbre par de

semblables accidents :

M. Helvetius et M. Lavigne, médecins de la Faculté de Paris, furent appelés

à cette occasion. Dans les commencements, la malade ne déclarait pour toute

incommodité que des coliques qui la jetaient pendant un quart d'heure environ,

dans des convulsions et des perles de connaissance ; il y a apparence que ce début

n'était pas. plus réel que ce qui les suivit, au bout de trois ou quatre mois, ces

accidents finissaient par rendre des pierres.

Le roi, toute la Cour et beaucoup de personnes ont vu des boîtes remplies de

pierres que le chirurgien de cette demoiselle avait tirées du vagin, avec beaucoup

de peine, par le moyen d'une curette. Il yen avait quelques-unes qu'il assurait

avoir été vomies par cette même personne, mais il reconnut ensuite qu'il s'é-

tait trompé. '

L'observation'suivante, toute à l'honneur du célèbre chirurgien Tenon

n'est pas moins significative :

Au mois de décembre 1742, une femme malade à l'hôpital de la Salpêtrière,

se plaignant de grandes douleurs aux reins et à la vessie, donnait tous les jours

au chirurgien de la salle, où elle était, des pierres qu'elle disait avoir rendues ou

jetées en urinant. M. Tenon, chirurgien, gagnant maîtrise, ayant remarqué que

ces pierres n'étaient pas telles qu'elles doivent être, quand elles viennent de la

vessie, mais des pierres ordinaires et taillées à loisir, se mit en devoir de son-

der la malade ; elle s'y opposa, par la seule crainte des douleurs, à ce qu'elle

prétendait. '

M. Tenon, pour découvrir la supercherie, plaignit beaucoup cette femme, fit

même redoubler les soins elles attentions qu'on pouvait avoir pour elle ; aussi,

(1) De saxis, aeubus, ferreis... etc.. disserlatio epistolaris l'auli Valcal'inghÍ, etc., ad

illustrissimum et 1'eve1'endissÍmum D. D. Lilla. Episcoparunz Cremonx, etc.

LA. MALADIE DE LA FILLE DE SAINT-GÉOSMES 255

tant qu'on lui accorda les douceurs qu'elle demandait, elle continua à donner

des pierres, dont plusieurs étaient même teintes de sang : elle en donna jusqu'à

18, mais les dernières, étant très grosses, et les marques d'instrument tran-

chant bien sensibles, on lui proposa de la sonder ; elle y consentit alors, dans

l'idée qu'on était persuadé de la réalité de sa maladie.

Non seulement on ne reconnut avec la sonde aucune pierre dans la vessie,

mais on trouva le canal de l'urèthre sans dilatation ; elle fut renvoyée à l'Hôtel-

Dieu, où elle avait été trois ans avant de venir à la Salpêtrière, et, où l'on pré-

tend qu'elle avait déjà essayé la même fourberie.

' Elle revint quelque temps après à la Salpêtrière, mais elle n'a plus rendu de

pierres.

, Enfin, Morand cite encore un certain nombre d'observations curieuses

d'individus malades, pervertis ou jongleurs, qui avalaient les objets les

plus étranges : clous, morceaux de verre, de plomb, araignées, crapauds,

etc., véritables Aïssaouas. d'Europe, présentant presque tous des. stigma-

tes incontestables d'hystérie.

Un dernier fait peu banal mérite d'être, rappelé. Il survint dans le dio-

cèse de Langres, à peu près au même temps que Geneviève rendait ses

pierres avec le plus de fécondité.

« Un homme d'un âge mûr, et d'une fortune honnête, imagina une maladie

extraordinaire et entreprit d'en jouer divers symptômes. Ce qu'il y a de.plus

singulier, c'est qu'il se prêta aux remèdes qu'on lui ordonna, sur.la fausse ex-

position qu'il fit de sa prétendue maladie : il disait avoir senti quelques mou-

vements dans ses entrailles, et l'écoulement d'une liqueur dans le côté droit,.

il faisait voir dans ses déjections des chairs qui étaient hachées, déformées, et

pour ainsi dire préparées, de façon qu'on n'en reconnaissait pas la vraie nature,

d'autant plus que rien ne pouvait donner lieu de soupçonner l'homme de super-

cherie, et que dans le grand nombre de maladies auxquelles'Ia nature humaine

est sujette, on trouve des exemples singuliers dans tous les genres; mais bien-

tôt l'homme négligea d'apporter le soin nécessaire, pour préparer quelques-

unes des chairs qu'il fit voir ; on reconnut que c'était des matières supposées,

cela ne l'empêcha pas de continuer le même jeu, et il montra encore pendant

longtemps des foyes, des coeurs et autres viscères d'oiseaux presqu'entiers.

Il est difficile, en l'absence de renseignements plus positifs, de déter-

miner la part qui revient à la névrose dans cette histoire, et celle, vrai-

semblablement assez large, qui doit appartenir à la supercherie.

Dans ces sortes de cas, « il n'est souvent que trop aisé, comme le dit

Morand, de suppléer par quelques raisonnements à l'obscurité qu'ils pré-

sentent toujours dans le point essentiel, et parla de trouver une analogie

raisonnable avec une maladie réelle ».

256 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

\ , , .

CONCLUSIONS. t

La curieuse étude que nous avons essayé de rajeunir, suggère, en finis-

sant, quelques réflexions.

Elle nous fait connaître une belle observation d'hystérie polysympto-

matique, car Geneviève Martin semble synthétiser en elle presque toutes

les manifestations de la grande névrose.

Successivement ou alternativement, elle présente les phénomènes les

plus disparates, naissant et évoluant sur un fond névropathique inépui'

sable dans ses modalités.

Les accidents convulsifs y figurent au grand complet.

Les désordres viscéraux portent sur presque tous les appareils : pour

mons, estomac, reins, vessie.

Les troubles vaso-moteurs, affectent tantôt forme éruptive, tantôt la

forme-oedémateuse.

Les stigmates psychiques se révèlent dans toute leur pureté, Ils déter-

minent en particulier l'étrange manie qui pousse la malade à introduire

en cachette dans sa vessie ou son estomac les corps étrangers dont elle sol-

licite plus tard l'extraction. 1

Dans un autre ordre d'idées, le résumé clinique-si clairement exposé

par Morand, sa.discussion basée sur des arguments scientifiques indiscu-

tables, et le diagnostic d'hystérie qu'il affirme expressément, font le plus

grand honneur à ce médecin du siècle passé.

N'oublions pas que cette explication de la maladie de Geneviève, accep-

tée il y a cent cinquante ans environ, eût été sévèrement critiquée un siè-

cle plus tard, alors que les termes d'hystérie et de simulation étaient,

pour beaucoup, â peu près synonymes.

L'approbation que rencontre aujourd'hui ce diagnostic plus que sécu-

laire prête également à réflexions sur les vicissitudes des doctrines médi-

cales.

Ce n'est pas un des moindres enseignementsqu'on puisse tirerde la lec-

ture de la Maladie de la Fille de St-Géosmes.

Enfin, il est de toute justice que le nom de Morand, tombé trop tôt dans

l'oubli, prenne dans l'Histoire de l'Hystérie la place honorable à laquelle

il a droit.

Le ye ? 'a;it .'Louis l3,vrrnmL.

Imp. Vvc LOURDOT, 33, rue des Batignolles, Paris.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE MÉDICALE DE L'lIOPITAG SAINT-ÉLOI DE MONTPELLIER

UN « HOMME MOMIE »

SCLÉRODERMIE GÉNÉRALISÉE CONGÉNITALE

(Sclérose atrophique de la peau, des muscles, des os),

par LE Pr GRASSET.

Leçon clinique faite le 16 novembre 1890, recueillie et publiée

par le Dr VEDEL, chef de clinique.

Messieurs,

Je vous présente, en passant, une curiosité, un de ces « sujets » que

l'on appelle vulgairement « hommes squelettes » ; celui-ci me paraît plu-

tôt devoir être appelé un c homme momie ».

A première vue, c'est un homme desséché : le tissu cellulaire sous-cutané

a disparu, les muscles elles os sont atrophiés à l'extrême, la peau présente

une sclérose des plus étendues. Par sa tête, il évoque l'image de Sainte

Marie l'Égyptienne de Ribera ; tout son corps est réduit à l'état de sque-

lette, mais c'est un squelette habillé d'une peau sèche et collée, comme

une momie.

Ce n'est pas seulement une curiosité; un certain intérêt scientifique

s'attache à son étude.

Vous avez là un bel exemple do dystrophie atrophique généralisée por-

tant sur la peau, le tissu cellulaire, les muscles, les tendons, les os, les

organes génitaux... Il en résulte un état d'infantilisme des mieux caracté-

ix 17

258 NOUVELLE iconographie DE la salpêtrière

risés, mais qui en même temps a laissé le système nerveux intact : ce ma-

lade ou plutôt cet infirme, âgé de 28 ans, ne parait pas en avoir plus de

12 ; il mesure 1 m. 45, pèse 24 kilog., immobilisé 'dans la même position

depuis 16 ans (1) (PI. XXXVII).

Décrit déjà par Platon (2), dans le service de Villeneuve à Marseille, il a

été étudié surtout aupointdevueétioiogique, comme cas d'hérédo-sypiulis.

C'est là certes un côté intéressant de la question ; mais dans l'espèce,

ce point de vue me paraît secondaire, parce qu'il reste obscur, et que ce

cas n'apporte aucun document nouveau pour l'éclairer.

Le « sujet » me paraît bien plus intéressant, comme représentant un

syndrome anatomo-clinlque congénital, par dégénérescence. Ce n'est pas

un dégénéré quelconque ; c'est un dégénéré partiel, localisé et pour ainsi

dire systématique : le système nerveux est intact, l'épiderme peut être

tenu pour tel, en sorte qu'on peut dire que l'ectoderme n'a pas été inté-

ressé.

A chaque syndrome anatomo-clinique de pathologie ordinaire corres-

pond un type congénital : la maladie de Little est le type systématique

congénital qui correspond au tabes dorsal spasmodique ; de même on a

décrit des cas tératologiques congénitaux correspondant au tabès, des cas

de tabes en quelque sorte congénitaux. Dans cet ordre d'idées, il me sem-

ble bien que cet homme va nous présenter la forme congénitale de ce syn-

drome anatomo-clinique que l'on désigne sous le nom de sclérodermie

atrophique généralisée.

Etudions maintenant le cas.

Voyez la face (I'1. XXXVIII) ; la peau est appliquée contre les os ; l'ah-

sence de muscles est à peu près complète ; l'ensemble est comme figé, ra-

tatiné, d'aspect cicatriciel. La bouche est immobile, rétrécie, entr'ouverle,

comme taillée dans un morceau de cuir suivant l'expression' de Charcot;

les lèvres, très amincies, sont trop petites pour recouvrir les dents, ne

peuvent être appointées pour siffler. Les oreilles, enraidies, indurées, ne

sont pour ainsi dire pas lobulées. Le nez, déprimé à la base, très effilé à

la pointe, présente à sa partie moyenne une saillie surtout marquée du côté

droit; les ailes sont réduites au minimum, ne jouissent d'aucun mouve-

ment. Les paupières, très grêles, repliées en dedans, trop courtes, n'arri-

vent pas à recouvrir naturellement les globes oculaires, qui présentent de

ce fait un aspect exorbitant; cet exorbitisme apparent joint à l'entropion

et de plus à une kérato-conjonctivite très forte, donne il cette physionomie,

si laide par tous les côtés, un air horrible. Sur les joues décharnées, sur

(1) Dans les photographies, le sujet est représenté en tout ou en partie, comparative-

ment à son Barnum qui est un homme de son âge.

(2) PLATON, Marseille médical, 1896.

UN HOMME MOMIE 259

le menton froncé, il y a quelques poils follets, mais pas de barbe, tandis

que les cheveux sont abondants et normaux, convenablement implantés

sur un front plutôt court et perpendiculaire. Enfin les os de la face sont

très notablement atrophiés et déterminent un certain degré de progna-

thisme.

La cavité buccale nous montre des dents très mal plantées ; surtout en

avant, au nombre de 29, 14 en haut, 15 en bas, de forme à peu près nor-

male, sans signification particulière, à l'exception de la première incisive

supérieure droite qui est érodée en coup d'ongle à son bord libre, et pour-

rait faire penser au type Ilutchinson. La langue est peu mobile, retenue

en arrière, raccourcie, sans que sa consistance soit sensiblement modifiée.

La voûte palatine est profonde, le voile surabaissé ; les piliers sont con-

formes, mais la luette est rudimentaire, représentée par un simple bour-

geon. Au fond de la gorge, on voit une saillie osseuse qui correspond à

un corps vertébral.

Le crâne est relativement volumineux, dolichocéphalique ; il présente

de ci de là quelques bosselures, une saillie notable au niveau de l'apo-

physe mastoïde droite, une véritable exostose au niveau de l'apophyse gau-

che. Déplus, les fontanelles nous paraissent mal ossifiées.

Les membres supérieurs sont dans leur totalité extrêmement réduits :

ce sonl des membres d'enfant et encore ! d'enfant malingre (PI. XXXIX).

Ce qui frappe tout d'abord en même temps que l'atrophie générale, ce

sont les rétractions fibro-tendineuses, comme cela se voit dans les myopa-

thies. Ces rétractions, plus encore que la sclérose atrophique de la peau

et des muscles, brident les mouvements articulaires, entravent surtout

l'extension.

Aux bras : le biceps semble être le seul muscle qui tient encore un peu.

A ce niveau la peau serait plutôt un peu épaissie ; quoique peu mobile,

elle n'est pas adhérente; elle est adaptée au squelette mais n'est point

insuffisante, et l'on peut ainsi juger d'une certaine indépendance entre

l'atropine musculaire et les lésions tégumentaires. Cette peau, d'un jaune

sale, est tachetée de points rosés, disséminés sur toute sa surface et repré-

sentant des dilatations vasculaires superficielles. L'acromion, l'apophyse

coracoïde, l'extrémité interne de la clavicule, la tête fémorale émergen

en saillies.

Aux coudes, les extrémités articulaires des os, en raison de l'exiguïté

des muscles qui s'y insèrent, pourraient en imposer pour des exostoses.

Le mouvement de flexion s'accomplit convenablement, mais l'extension,

bridée par les rétractions, ne dépasse pas du côté gauche un angle de 100°,

et du côté droit de 135° environ. Aux avant-bras, ce sont d'abord les

mêmes caractères, mais à mesure que l'on se rapproche de la main, la

260 nouvelle iconographie DE la salpêtrière

peau devient de plus en plus serrée, mince, tendue, collée contre les os.

Les poignets sont maintenus fléchis presque perpendiculairement sur

les avant-bras. Ici encore, malgré le haut degré dedermatosclérose, la peau

ne semble pas devoir être rendue responsable des déformations ; l'ankylose

d'autre pari n'est pas osseuse; ce sont bien les rétractions fibreuses qui

commandent la position. Les os du carpe, bien que formant bloc, lassés et

s'engrénant, donnent encore la sensation de mobilités partielles (PI. XL).

Pour le métacarpe, l'épreuve radiographique (1) montre du côté des

épiphyses juxta-pltalangiennes, un épaississement c) lindroïde qui paraît

anormal, et que nous n'avons qu'a enregistrer, faute de mieux. A ce niveau

et au niveau des doigts, très effilés, la main donne l'impression d'une

dissection achevée; la peau de coloration rosée est très amincie, lisse,

appliquée fortement et directement sur les os et malgré ce, bien que malai-

sément, on peut encore la pincer même au niveau de la face palmaire.

Dans son ensemble, la main maintenue en demi-flexion, paraît immo-

bilisée dans une position de repos. Cependant il persiste encore des mou-

vements volontaires; si l'écartement et l'extension des doigts sont impos-

sibles, la flexion, contre toute attente, se fait encore relativement assez

bien. Avec l'atrophie complète des inter-osseux, on constate une diminu-

tion considérable des éminences thénars : à gauche. l'opposition du pouce

aux autres doigts n'arrive que jusqu'au médius, à droite elle ne dépasse

pas l'index.

Le thorax est en somme assez bien conformé. Au-dessous d'un cou

décharné mais libre, sur les côtés duquel apparaissent tendus les sterno-

cleidomastoïdiens, la poitrine se présente avec des proportions conservées;

on note simplement la saillie des côtes, l'augmentation légère des mamelles

qui rappellent un peu les « seins de statue », l'absence de bourgeons

mamelonnaires ; la peau est glabre et se laisse facilement plisser. Dans

le dos, la peau présente les mêmes caractères ; mais en plus, sur le fond

pigmenté.général, se détachent quelques aires blanches achromiques, qui

ne rappellent que de loin les taches de vitiligo. Les omoplates ont conservé é

un volume normal : ce sont peut-être les seuls os en rapport avec (IL[

sujet. L'abdomen est tendu, et à ce niveau la peau est un peu dure, épaissie,

sans coloration brune plus intense; enfin le pubis ne présente pas de

poils. '

Les organes génitaux sont réduits il bien peu de chose : le scrotum est

rudimentaire et l'on ne sen pas de testicules; la verge est flétrie, raccornic,

du volume d'une figue sèche; elle présente un hypospadias halanitlue, est

dépourvue de fonctions génésiques (PI. XLI).

(1) Nous devons .1. l'obligeance de Mil. Imbert et 13ertin-Suns cette photographie

Roentgen.

UN HOMME MOMIE 261

Si nous considérons les membres inférieurs, nous voyons reparaître

comme aux membres supérieurs le processus atrophique, généralisé et

d'autant plus marqué que l'on s'éloigne de la racine du membre : ce sont

des membres d'échassier. A gauche, l'atrophie et l'impotence sont un peu

plus accentuées qu'à droite ; à gauche le réflexe rotulien est aboli, à droite

il persiste un peu.

Au niveau des cuisses, on voit encore se dessiner quelques faisceaux

musculaires ; la peau est un peu épaissie, indurée, mais encore assez mo-

bile. A partir des genoux dont l'ossature fait saillie, mais sans position

vicieuse, sans arthropathie, les muscles n'apparaissent plus que comme

des cordages tendineux et la peau, parsemée de quelques poils, présente

une sclérose atrophique caractérisée par l'état lisse, l'amincissement, l'ap-

plication serrée contre les os. -

Au niveau des pieds, à la face dorsale, la peau, d'un rouge cuivré,

mais sans cyanose, sillonnée de réseaux veineux, est tendue au point que

toute mobilisation est devenue impossible. La dermatosclérose est ici plus

marquée encore qu'aux mains : elle suffirait à expliquer l'enraidissement

complet des articulations du pied. On observe en outre des rétractions

11brotendineuses qui déterminent la déviation des orteils. Ceux-ci ratati-

'nés et crochus portent des ongles dont la trophicité est profondément

troublée. L'avant-pied dans son ensemble donne un peu l'impression

d'une mutilation, par congélation notamment. Au niveau de la plante, la

peau est tout a fait lisse, luisante, un peu moins adhérente peut-être.

Les mouvements de la hanche et du genou s'accomplissent assez bien,

en sorte que le sujet, bien qu'ayant une démarche raide, se meut aisé-

ment, se courbe, monte un escalier sans trop de difficulté... Le pied au

contraire est en quelque sorte vissé sur la jambe comme par une bottine

orthopédique : c'est un pied de bois.

Par contraste avec ces altérations si accentuées portant sur la peau le

tissu cellulaire sous-cutané, les muscles, les tendons, les os, les viscères

ne présentent rien d'anormal. Le coeur bat. en place et régulièrement, la

respiration se fait bien, le foie, l'estomac ont conservé leurs proportions

et leurs rapports. L'appétit est bon, les digestions sont faciles et l'on ne

relève qu'un peu de constipation. Les reins fonctionnent normalement,

mais à cause de l'hypospadias, l'urine n'est pas émise sous forme de jet.

La rate et le corps thyroïde ne sont pas nettement perceptibles.

D'autre part, il est remarquable de noter l'intégrité absolue de tout le

système nerveux. Le cerveau n'est aucunement louché ; l'intelligence est

alerte : ce dégénéré à tant de litres cause avec- à-propos et gaieté, résout

des problèmes, et fait montre de connaissances qui lui auraient valu la

première place à l'école, avec certificat d'études à l'appui, '

262 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Du côté des organes sensoriels, nous ne trouvons qu'une légère dimi-

nution de l'ouïe, qui ne date que de deux ans, et paraît devoir être rap-

portée il la sclérose de l'oreille moyenne, sous l'influence d'angines et

de coryzas fréquents.

'La sensibilité il tous les modes est parfaitement conservée, sur tous les

points du corps. Il n'y a de douleurs d'aucune sorte : pas de sensations

de froid, d'engourdissement, pas de démangeaisons, pas de migrai-

nes...

De cette intégrité du système nerveux nous devons rapprocher le bon

état de l'épidémie. La peau esl à peu près uniformément pigmentée, jaune

sale, un peu bronzée; sur ce fond pigmenté se détachent, au niveau du dos

quelques Dots dyschromiques, au niveau des membres des points rosés peu

apparents; enfin au niveau des extrémités on trouve une teinte franche-

ment rosée' qui n'est pas de l'acrocyanose. La peau ne présente pas un état

de sécheresse spécial, pas de desquamation ; la sécrétion sudorale s'accom-

plit convenablement, les ongles des doigts, les dents, les cheveux n'olTrent

aucune particularité de conformation.

En sorte qu'on pourrait avancer que les tissus de provenance ectoder-

mique d'une part, endoderinique de l'autre, ont échappé au processus dé-

génératif, lequel est resté localisé, systématisé au feuillet moyen et à ses

dépendances. ' -

Il était intéressant devant une atrophie semblable d'être renseigné sur

l'état et la valeur des muscles. M. le professeur Imhert a bien voulu faire

un examen électrique ; je vous communique sa note.

1 Examen électrique.

L'excitabilité faradique est plus grande que normalement dans tous les

muscles examinés (deltoïdes, biceps, extenseurs et fléchisseurs des doigts,

droits antérieurs, jambiers antérieurs, longs péroniers latéraux).

Pour une même excitation- la contraction est plus forte au bras droit

qu'au bras gauche.

Pas de lenteur de contraction ni d'inversion dans les secousses pour le

courant galvanique.

Biceps droit KFS = 1,5 mA. -

Fléchisseur commun des doigts gauche KFS = 3,5 mA.

Long péronier latéral gauche KFS = 6 mA.

Jambier antérieur gauche KFS = 3,5 mA.

Par suite de la sensibilité électrique dû sujet AFS n'a pas été détermi-

née ; on s'est contenté de constater que pour l'anode il n'y avait pas de se-

cousse pour une intensité égale à celle qui provoquait la secousse à la

cathode.

UN HOMME MOMIE 263

Ainsi cet examen montre que l'atrophie n'est d'origine ni myélopathi-

que, ni névritique; il confirme l'idée d'atrophie simple, de myopathie.

Voilà donc le tableau que présente le sujet que vous avez sous les yeux ;

voici maintenant son histoire et ses antécédents héréditaires (1).

Du côté paternel nous n'avons rien de particulier à noter.

La mère s'est remariée trois fois ; de son second mariage, avec le père

du sujet que nous étudions, sont nés trois enfants : les deux premiers sont

morts l'un à 10 ans de variole, l'autre à 36 ans, sans avoir à aucun mo-

ment présenté rien de particulier.

Cette femme a toujours été bien portante et il ne nous a pas été possible e

de relever chez elle le moindre indice et stigmate de syphilis ; elle a eu

12 enfants à terme : quatre vivent et se portent bien ; les autres sont morts

de maladies diverses : variole, cholérine, convulsions... en bas âge.

Nous devons signaler cependant quatre fausses couches, mais celles-ci

se rapportent à son troisième mariage contracté alors que notre sujet

avait déjà deux ans, était'déjà anormal. Ce n'est pas en effet à l'âge de

trois ans, comme on l'a écrit, que se sont montrés les troubles dystrophi-

ques : la mère nous dit très explicitement que son enfant est né malingre,

avec une peau dure, appliquée en masse contre les os. Ce point est im-

portant à relever ; il permet d'admettre le caractère congénital de cette

sclérodermie généralisée.

Né à terme, nourri par sa mère, l'enfant marchait à 10 mois, parlait à

son heure, mais ne possédai que quatre dents il 14 mois.

A 2 ans la dystrophie parut plus manifeste parce que le développement

général se faisait mal ; lentement mais progressivement elle alla s'accen-

tuant jusqu'il 12 ans; depuis cette époque l'étal est resté complètement

stalionnaire : tel il est il 28 ans qu'il était à 12.

A part une rougeole survenue à l'âge de 4 ans et une coqueluche à 7,

le sujet a toujours joui d'une santé satisfaisante; non seulement il n'est

pas maladif, mais encore il serait assez résistant à la fatigue, au froid...

Enfin, ayant eu l'occasion d'examiner une soeur utérine de notre sujet

nous avons trouvé chez elle une rhinite avec lobule et ailes du nez moins

souples que d'ordinaire, et des dents très nettement cannelées longitudi-

nalement, mais sans érosions spéciales des bords libres.

Nous connaissons maintenant le tableau et l'histoire de cette dystrophie.

A quoi pouvons-nous la rattacher ?

(t) On verra dans l'observation de Platon que sur quelques points des restrictions

sont à faire d'après les renseignements que nous avons pu recueillir du sujet, de la

mère et du Barnum.

264 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

En fait de syphilis, nous ne constatons aucun stigmate précis. Mon col-

lègue, M. Brousse, qui vient de faire devant vous un examen à ce point de

vue, conclut qu'il n'y a rien de significatif. Si on admettait l'llérédosy-

r phil is ? ce-'senii (;-me- semble : t. : i 1lln i quell1eJl t 'parce- qu'on"" 0"511 hahi tué à

diagnostiquer la syphilis chez les dégénérés physiques des centres nerveux.

¡ Du reste, à ce point de vue même, la règle n'est pas absolue : Brissaud a

z réagi pour la maladie de Litlle, Fournier lui-même range plutôt ces cas

; dans la parnsypllilis,'c'est-à,-dire dans les maladies qui comme le tabès, la

[-paralysie générale progressive, comptent. la syphilis comme élément étio-

1, logique important mais non exclusif. ' " . '1

i Ici, la dégénérescence a épargné le système nerveux : ici comme ailleurs,

*- la dégénérescence est une résultante, niais dans le cas présent les facteurs

.'habituels : syphilis,' intoxication, hérédité arthritique, nénopathique...

' nous échappent- absolument. ' j

Nous nous trouvons en présence- d'un fait rare; difficile ctasserétio-

¡ logiquement : j'ai cru intéressant de vous le soumettre. j

UN « HOMME MOMIE »

G. MASSON, Éditeur

UN « HOMME MOMIE »

(Face.)

G. MASSON, Editeur

UN « HOMME MOMIE »

(Membre supérieur.)

G. MASSON, Editeur

UN « HOMME MOMIE »

Photographie de la main par la méthode de Roentgen.

UN « HOMME MOMIE »

(Membres inférieurs.)

G MASSON. ! EDITEUR

TRAVAIL DU SERVICE DE M. LE PROFESSEUR RAYMOND,

A LA SALPÊTRIÈRE.

DE L'HÉMARTIIROSE TABÉTIQUE

ET

DE DEUX SYMPTOMES RARES DANS LE COURS DU

V.

TABES DORSALIS

, PARALYSIE DANS LE DOMAINE D'UN NERF SPINAL (CRURAL)

ET TREMBLEMENT lÉlYl7UE DE LA LANGUE

PAR R

J.-B. CHARCOT

Chef de clinique à la

Salpêtrière.

ET

HENRI DUFOUR -

Ancien interne des

Hôpitaux.

Nous avons eu l'occasion d'observer pendant le mois de septembre 189G,

en dehors de l'hôpital et dans le service de M. le professeur Raymond, un

malade tabétique, qui réunissait trois symptômes assez rares au cours de

celle affection. C'est son observation que nous rapportons ici et que nous

ferons suivre de quelques remarques à propos des manifestations qui nous

ont paru dignes d'attirer l'attention.

Observation. B... Joseph, exerçant la profession de cocher et

âgé de l8 ans ne présente aucune tare héréditaire. Personnellement, il a

eu à t'age de 17 ans un chancre syphilitique pour lequel il a été soigné

à l'hôpital du Midi (pilules mercurielles et ioduré de potassium). Mal-

heureusement, le traitement spécifique n'a été suni que trois mois

environ et abandonné au boat de ce temps pour n'être plus repris dans

la suite.

Au mois d'octobre 1895, B... a été soigné à l'hospice de Bicêtre pour

une pleurésie du côté gauche.

Marié à 22 ans, il a eu trois enfants; deux sont encore bien portants,

le troisième et dernier est mort en nourrice, faute de soins. L'aîné des

enfants, un garçon âgé de 10 ans a eu il y a deux ans une chorée déve-

266 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

loppée, dit le père, à la suite d'une peur. Quant, il la femme du malade,

elle n'a rien présenté d'anormal et n'a jamais fait de fausse couche.

Les premiers symptômes de la maladie actuelle, c'est-à-dire du tabes,

remontent à quinze années en arrière, soit un an après son mariage, et

six ans après le chancre syphilitique.

Dès le début, B... a ressenti des douleurs attribuées à du rhumatisme,

mais dont il est facile de reconnaître le véritable caractère ; il s'est agi de

douleurs fulgurantes marquantla phase 'initiale du tabes.

Elfes se montrent à l'âge de 23 ans, sous forme de sciatique droite puis

gauche, donnant au malade la sensation de déchirements aigus, comme si

on lui promenait une scie le long de la jambe. Leur intensité fut la cause

d'un séjour au lit de 2 mois. *

Cinq ans après, nouvelle attaque de sciatique double, avec phénomènes

douloureux plus diffus, envahissant tout le membre inférieur. Il y avait

en même temps une telle hypcresthésie cutanée que le moindre attouche-

ment au niveau des membres inférieurs ne pouvait être supporté.

Un an plus lard, crises douloureuses siégeant au niveau des mains, le

long du dos, constrictives, en ceinture, plus mobiles et de moins de durée

que les fois précédentes, mais surprenant le malade par la brusquerie de

leur début.

Un jour B... eut, il la suite d'une violente angoisse précordiale, une

syncope, dit-il, et il dut être ramené chez lui. De quoi s'est-il réellement

agi ? Est-ce plutôt qu'une syncope, une attaque apoplecti forme de courte

durée ; le fait est vraisemblable, mais ne peut être affirmé.

Depuis 3 ans, tous ces symptômes ont presque disparu, il l'exception

d'un'peu d'entéralgie intermittente, sans vomissement ni diarrhée; mais

avec hémorrhagie intestinale.

A côté de ces manifestations prémonitoires, B... a eu, il y a G mois, des

troubles vésicaux marqués par une légère incontinence d'urine.

Il présente actuellement le signe de Westphal, une ataxie aisément cons-

tatable pour la jambe droite : quelquefois, dit-il, ses mains sont malhabiles.

Une arlhropatltie de la hanche gauche ne permet de rechercher ni le signe

de Romberg, ni l'incoordination dans la marche.

Il a le signe d'Argyll Roberlson, avec diminution de l'acuité visuelle,

sans diplopie ni strabisme, ni ptose de la paupière supérieure.

La plante du pied gauche est légèrement Ityperesthésique ; les pieds sont

tomhants, autant par suite du relâchement musculaire (hypotonie muscu-

laire de Frenkel) que par la pression prolongée des couvertures.

Les sens musculaire et articulaire sont altérés.

B... a éprouvé quelquefois des si fflements, des bourdonnements d'oreille; .

DE L'HÉMARTHROSE TABÉTIQUE ' 267

il a l'oreille dure ; enfin son intelligence est intacte sauf un affaiblissement

très léger de la mémoire.

Il s'agit, en résumé d'un tabétique syphilitique à 17 ans mal soigné, qui

entre dans le tabes à 23 ans par des douleurs fulgurantes auxquelles s'ajou-

tent plus tard les symptômes classiques du tabès.

Nous allons maintenant rapporter avec quelque détail les trois épisodes

intéressants de ce tabès. ,

Ce sont : A. Une paralysie passagère' mais totale des extenseurs de la

jambe droite, s'accompagnant d'atrophie musculaire ;

B. Un tremblement de la langue véritablement ataxique ;

C. Une arthropathie de la hanche gauche avec un gros épanchement hé-

morrhagique extra et intra-articulaire.

fl. Paralysie du crural droit.

1° Dans les premiers jours de novembre 1894, B... fut pris de sensa-

tion de dérobement dans la jambe droite. Il fléchissait du côté droit en

marchant, il éprouva ensuite une défaillance continuelle, qui fut bientôt

suivie de l'impossibilité complète de marcher sans béquilles.

Il entre alors en traitement à l'hôpital Beaujon, où l'on parle de névrite ;

il y est soigné pendant 3 mois et une convalescence de 2 mois est néces-

saire au rétablissement de la fonction du membre.

Si l'on interroge B... sur l'état de sa jambe au moment où la paralysie

fut complète et détermina le séjour au lit, on se rend facilement compte

que jamais il n'a eu pendant ce temps de perte de la sensibilité au tact ni

à la douleur. Seuls les mouvements suivants ne pouvaient être exécutés :

a) Elever la jambe au-dessus du plan du lit;

b) (La cuisse soulevée et reposant sur la main du médecin, la jambe

fléchie sur la cuisse par son propre poids.)

Etendre la jambe sur la cuisse.

Les mouvements des muscles de la jambe étaient encore faciles à exécu-

ter. Il remuait les orteils.

Il est bien évident que la paralysie qui a porté sur le quadriceps de la

cuisse droite a eu une durée relativement longue (3 mois), et que cette

paralysie a été à peu près complète.

Le quadriceps, a été très atrophié par la suite, puis les choses se sont

amendées peu à peu, et actuellement la force musculaire dans le membre

inférieur est normale, et l'atrophie a disparu.

A quoi attribuer cette paralysie localisée au nerf crural droit si ce n'est

au tabes ?

268 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

B... n'a jamais fait d'excès alcooliques, il nie toute intoxication chroni-

que éthylique, il n'en a pas les signes.

Il n'a de plus aucune autre cause d'intoxication. ,

C'est donc en somme une des formes de ces paralysies passagères qu'on

peut observer au cours du tabès et surtout dans la période de début.

Quand ces paralysies mêlent, comme c'est le cas chez notre malade, les

caractères suivants (1) : de siéger sur un groupe de muscles innervés par

le même nerf (crural) et d'être complètes pendant un certain temps, elles

sont assez rares.

« Je vous signale, dit notre maître M. le professeur Raymond (2) un

véritable contraste entre le tabes spinal, dont la symptomatologie ne com-

porte qu'exceptionnellement des troubles de paralysie motrice et le tabès

bulbaire qui a pour manifestations habituelles des paralysies à localisations

diverses. »

Et autre part (3) : « Ce qui est insolite, c'est de \oir le tabès s'annoncer

par une paralysie complète d'un membre isolé, ou d'un groupe de mus-

cles, si on en excepte toutefois les paralysies des muscles de l'oeil. »

Bien que nos recherches soient loin d'être complètes, nous avons trouvé

assez facilement des exemples semblables au nôtre, tous assez connus ; et

il y a lieu de se demander avec M. le professeur Grasset si la rareté de

ces faits ne vient pas de ce qu'on les néglige trop.

M. le professeur Fournier sur 224 cas de tabès relève 1 paralysie des mus-

cles extenseurs du poignet et 1 ])ai-;i del toï(liciiiie ; lrieclreicll cite une

paralysie des adducteurs de la cuisse; Marius Carre celle des muscles de

la masse sacro-lombaire ; Bernllardt, Remak celle du nerf péronier. M. Ray-

mond (4) cite 3 observations, une de Gcrhardt avec paralysie incomplète

du diaphragme, une de Martius, paralysie du spinal et une de Schullze do

Bonn, paralysie des muscles masticateurs. Bien que ces deux dernières

sortent du cadre des nerfs spinaux, nous les mentionnons cependant à

cause des phénomènes atrophiques que signalent leurs ailleurs et sur les-

quels nous reviendrons,

Enfin nous signalerons aussi pour plus loin en tirer une déduction

clinique le fait plus récent de Vlorton Prince (5), où existait, chez un tabé-

tique au début, une paralysie motrice de la main droite.

L'étude de ces paralysies a soulevé différents problèmes touchant leur

(1) Nous ne parlons dans cette étude ni de l'hémiplégie ni de la paraplégie ni des

paralysies oculaires au cours du tabès.

(2) Raymond, Maladies du système nerveux, scléroses systématiques de la moelle,

1894.

(3) Raymond, Article Tabès dorsalis, dit,[. Decliamlre. i

(4) Raymond, Loco cilato. '

(5) Morion Prince, Journal of nervous aud mental diseases, 1895, ne 68Si 1

DE L'nÉlIfARTIIROSE TABÉTIQUE 269

rapport avec le tabès ou la syphilis ou des affections surajoutées (hystérie)

et visant le siège de la lésion anatomique.

Dès 1882, M. le Professeur Fournier (1) en désaccord sur certains points

avec,Vulpian affirmait l'origine tabétique de ces paralysies.

D'autres, comme Minor, incriminent l'action directe de la syphilis.

Quant au siège anatomique, mêmes divergences d'opinions, tenant peut-

être, ainsi que l'écrit M. Raymond, « a ce que chacune des opinions con-

vient à certains cas ». M. Marie (2) fait justement remarquer que l'insuf-

lisance des documents peut expliquer la multiplicité des hypothèses. Aussi

l'observation de Morton Prince, à laquelle nous faisons allusion plus haut,

a-t-elle une véritable importance, puisqu'à l'autopsie de son malade tabé-

tique, on a trouvé un foyer de ramollissement dans la capsule interne gau-

che, à la suite d'une thrombose endartéritique.

Nous ferons observer dès maintenant que, dans le cas de cet auteur, la

paralysie était en quelque sorte segmentaire, occupant la main et non un

groupe de muscles relevan de l'innervation d'un même nerf périphérique.

Il nous semble inutile de rappeler ici les opinions émises par les auteurs

(Charcot, Joffroy, Raymond, Leyden, Condoléon, Déjerine) sur les lésions

hislologiques qui produisent les atrophies musculaires de la période avan-

cée du tabes. Elles sont connues de tous et nous nous contenterons de faire

remarquer que les mêmes lésions pourraient être et ont été invoquées

pour expliquer les paralysies dont nous nous occupons.

Nous nous permettrons seulement de citer la théorie si brillamment dé-

veloppée dans la thèse d'un des élèves de M. Brissaud, M. de Massary (3).

« L'activité de l'élémenL nerveux qui commande aux muscles estdétermi-

née par l'excitation périphérique... Si l'excitation normale vient à dispa-

raître la paralysie surviendra. Pourquoi cette paralysie n'est-elle pas per-

manente ? Grâce, aux divisions de cylindres-axes, aux collatérales, les

neurones moteurs recueillent de nombreux neurones leur excitation fonc-

tionnelle. »

Cette théorie, on le voit, fait intervenir comme cause initiale des para-

lysies.du tahes la lésion du protoneurone centripète. Elle a pour elle,

outre l'autorité, de son auteur, sa déduction logique de l'examen de cer-

tains faits, et en quelque sorte l'appui de l'expérimentation (4).

Le neurone moteur périphérique ne pourrait-il pas être,' lui aussi, le

1

(1) Fournier, De l'ataxie locomotrice d'origine syphilitique, 18S2..

(2) Mahie, Traite\ des maladies de la moelle.

(3) De Massary, Tabès dorsalis, Dégénérescence du protoneurone centripète. Thèse

Paris, 1806.

(4) Voir entre autres les expériences récentes de MOT1' et SIIEI\I11 ? G1'O ? Procedings of

the Royal Society, 189o, et TtssoT et Conikjean. Comptes rendus de la Société de Bio-

logie, 1895. i

270 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

siège d'altérations primitives et passagères ? Pourquoi en effet, dans le

tabes où la lésion du protoneurone centripète est la règle, trouve-t-on

ces paralysies assez rarement ?

Nous désirons également attirer l'attention sur le fait relevé chez notre

malade et dans les observations citées plus haut de Martin et Schullze,

que ces paralysies, quoique passagères, s'accompagnent fréquemment d'a-

trophie musculaire.

L'une et l'autre marchent de pair; l'évolution de l'atrophie est liée

à celle de la paralysie, d'où les phénomènes atrophiques ne peuvenl 1

être bien constatés que dans les cas où la paralysie aura une certaine

durée (1).

A la fin de ce rapide exposé, nous dirons avec M. le Professeur Four-

nier que ces paralysies de la période préataxique sont « résolutives, Tapi-

dement résolutives et spontanément résolutives ».

Nous ajouterons qu'elles sont souvent, lorsque le temps permet de le

constater, atrophiques et qu'il y a lieu de séparer cette atrophie avec

paralysie de la période de début du tabes, de l'atrophie qui se montre le

plus souvent à la période d'état; que l'une, la lrc, est passagère et curable,

l'autre stable, ou progressive, non curable.

Cliniquement, une paralysie même localisée, mais localisée à un seg-

ment de membre (obs. iVlortoll Prince), doit plutôt être rapportée à une

lésion encéphalique; celle qui, localisée, atteindra des muscles relevant de

l'innervation d'un même nerf périphérique sera sous la dépendance d'une

altération fonctionnelle ou peut-être histologique du neurone moteur pé-

riphérique.

B. Ataxie de la langue.

Le deuxième symptôme intéressant chez B... est la difficulté qu'il

éprouve à maintenir sa langue immobile lorsqu'on la lui l'ait tirer hors de

la bouche. Dans ce mouvement, elle est agitée de tremblements nullement

fibrillaires mais d'un va et vient d'avant en arriére; c'est un tremblement

en masse de l'organe. Il s'agit véritablement d'ataxie.

Nous tenons à bien spécifier que ce n'est pas un tremblement vermi-

culaire ni un tremblement congénital, et que nous ne sommes pas en

présence d'un de ces cas tout particulièrement étudiés par Mal Raymond

et Nageotte, ni de paralysie générale venant compliquer le tabes. Qu'ad-

vieJlclra-t-il cle ce malade ? Versera-t-il dans la paralysie générale ? La

chose est possible, mais en l'état actuel, ce signe ne peut tufs plus être con-

(1) Notre maître M. Gilles de la Tourette veut bien nous autoriser dire rlû a cons-

taté ces mêmes atrophies musculaires accompagnant la paralysie de début du tabes.

DE L'hÉMARTHROSE TABÉTIQUE 271

sidéré comme prémonitoire de cette affection que le tabes lui-même dont

il est"atteint.

Il est assez curieux de constater que ce mouvement de trombone, ainsi

dénommé par Magnan dans la paralysie générale, ne trouve pas sa place

naturelle dans les descriptions classiques du tabes, à la suite des manifes-

tations de l'incoordination des membres inférieurs et supérieurs. Les au-

teurs de l'article « Paralysie générale » du Traité de médecine le considè-

rent bien comme une véritable incoordination.

« Parfois la langue tout entière, disent ces auteurs, est agitée d'une vé-

ritable secousse et elle est repoussée alternativement d'avant en arrière,

mouvements de trombone (Magnan), mais ces derniers mouvements sont

dus, non plus au tremblement, mais il l'incoordination motrice. »

Pierre (4), dans sa thèse, cite des faits du même ordre. Dans une ob-

servation de tabes, Sacaze (2) constate aussi cette incoordination de la

langue.

« Dans ses nouvelles recherches cliniques et analomiques, dit Pierret,

sur l'ataxie locomotrice progressive, M. le Dr Bourdon s'exprime ainsi : .

quelques observations semblent démontrer que les muscles de la face delà

langue peuvent présenter des troubles de la coordination analogues à ceux

que nous venons de décrire. »

On ne trouve pas rapporté davantage ce symptôme dans les statistiques

récentes de MM. Simerkha de Prague (3) et Lembach (4) sur les manifes-

tations tabétiques.

Nous avons recherché si la rareté du fait lui-même ou le peu d'attention

qu'on lui prête était cause de ce silence.

Nous avons rejeté naturellement les faits où le tremblement pouvait

être déclaré normal ou fibrillaire.

Onze malades examinés ne présentaient pas ce symptôme, quelques-

uns même ne tremblaient pas du tout; 4 malades, en 'comptant celui qui

fait le sujet de l'observation, avaient ce tremblement.

Il s'agissait une fois d'une femme tabétique depuis 18 mois, âgée de

49 ans ; une autre fois, d'une femme âgée de 60 ans, tabétique depuis

8 ans. La 3° malade, jeune encore, était en traitement depuis 4 ans.

Il n'existe pas de rapport,, croyons-nous, entre l'intensité de cette incoor-

(1) PIERRET, Essai sur les symptômes céphaliques du tabes dorsalis. Thèse Paris,

1816.

(2) Sacaze, Nouveau Montpellier médical, 1893, t. I.

(3) Simerkha de Prague, Contribution tabétique à la la symptomatologie du tabes dor-

salis. Revue neurologique, n° 13, 1896.

(4) Lembach, Symptomatologie des tabes dorsalis. Deutsclie Zeitschrift sur Nerven-

heilkùndc, 1895. -

272 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

dinalion el celle des membres supérieurs ; de plus chez B..., on ne cons-

tate pas de troubles de la sensibilité spéciale ou générale de l'organe.

La parole de B... est légèrement ralentie et scandée. Par comparaison

et pour juger de l'influence de ces mouvements sur le langage, nous avons

examiné 3 sujets atteints de maladie de Friedreich où la voix a un carac-

tère si particulier et nous avons été surpris de ne trouver ces mêmes mou-

vements que dans un seul cas. Il nous semble donc qu'ils ne comptent que

pour très peu dans les modifications de la parole.

Il s'agit pour nous évidemment d'ataxiese manifestant par l'impossibi-

lité qu'a le malade de maintenir sa langue en position fixe..C'est propre-

ment parler de l'ataxie statique mais dans un état statique où la contrac-

tion musculaire entre en jeu.

Celle ataxie slatique chez B... n'est pas localisée à la langue. Si on lui

met la jambe dans l'une des positions sur lesquelles MM. Frenkel et

Faure (1) ont de nouveau attiré l'attention (la jambe étendue sur la cuisse,

la cuisse fléchie à angle droit sur le bassin) on voit le membre inférieur

osciller de côté et d'autre et ne garder l'immobilité que très difficilement.

Or, ce n'est pas un mouvement qu'on réclame du malade, c'est simplement

une position qu'il lui faut garder, ce dont il est presque incapable.

Il n'y a qu'une nuance entre cette incoordination clans le repos pour

ainsi dire actif et celle qui se manifeste dans les mouvements ; il est inu-

tile d'y insister plus longuement. z

Oppenheim, cité par M. le professeur Raymond, relate l'observation

d'un cas de tabès où existaient des mouvements incessants de la langue à

droite et à gauche, en haut, en bas, que l'auteur assimilait aux mouvements

spontanés d'athétose qui viennent quelquefois compliquer le tabes.

Notre observation ne se prête pas ai une pareille interprétation, car il ne

s'agit ici que de mouvements incoordonnés à l'occasion d'un effort muscu-

laire.

Récemment Grahover et Oppenheim montraient, à la séance du 13 jan-

vier 1896 de la Berliner Gesellscltaft sur Psychiatrie und Nervenkrank-

heiten, un tabétique atteint d'un [rouble de la musculature de la langue,

du larynx et du phar)nx, qu'ils dénommaient ataxie glosso-lal')ngo-pha-

ryngée.

C. Hémarthrose tabétique.

Le 3° épisode sur lequel nous voulons insister est celui qui a nécessité

l'entrée de B... il la Salpêtrière.

Le 6 avril 1896, 13... qui avait repris son travail interrompu depuis

(1) Frenkel et Fauiie, Des altitudes anormales spontanées ou provoquées dans le

tabès dorsal sans arthropathies . Nouvelle Iconographie de la Sallytrü;ro, no 4, 1896.

DE L'IIÉ ! 11AR'CÛROSG TABÉTIQUE 273

quelques jours, tombe lourdement sur le pied gauche en descendant du

siège de sa voilure. Sans faire de chute, il se reçoit simplement à faux. Il

a alors la sensation que quelque chose vient de se déboîter dans la hanche

gauche, mais il ne souffre pas. Il constate en même temps que sa jambe a

peine à le porter. Cependant, il lui est possible de remonter sur son siège,

et le lendemain, reprend son travail.Deux jours après ce léger accident,la

jambe devient impolenle,ce qui oblige le malade à prendre le lit,et nécessite

son transport à l'hôpital Beaujon. Examiné dans un service de chirurgie,

on ne lui fait à dessein aucune intervention. Il rentre 20 jours après chez

lui et il son domicile, notre collègue et ami, le docteur Thévenard constate

une luxation iliaque avec raccourcissement du membre et léger empale-

ment de la fosse iliaque. Quelques jours plus tard, sur les instances du

malade, une tentalive de réduction remet momentanément en place les

surfaces articulaires, mais la luxation se reproduit avec la même facilité

qu'on a eu à la réduire.

Lé 13 août 1896, pour la première fois le Dr Thévenard et l'un de nous

constatons une tuméfaction occupant la face externe et supérieure de la

cuisse gauche. Cette tuméfaction est globuleuse, allongée dans le sens de

la longueur du membre et fluctuante.

Elle siège à une assez grande distance de l'articulation el ce n'est que

par hypothèse qu'on peut admettre sa communication avec l'articulation

atteinte de lésion tabétique.

Un mois durant, la poche de liquide augmente de volume, et voici l'état

dans lequel se trouve le membre inférieur gauche lors de l'entrée du ma-

lade à l'hôpital le 12 septembre. .

Une tumeur énorme siège à la face externe et supérieure de la cuisse

gauche. Elle a son point culminant loin de l'articulation, au niveau de

l'endroit où sur la photographie ci-jointe se voit la trace d'une incision

(PI.XLII)(1).

La base de celte tumeur occupe toute la hauteur supérieure de la cuisse,

donnant à celle-ci un élargissement monstrueux et imprimant vaguement

au membre l'aspect d'un énorme gigot dont la petite extrémité serait au

niveau du genou.

La tuméfaction est franchement fluctuante et menace par la progression

du liquide de rompre les téguments.

A son niveau, la peau est sillonnée de grosses veines dilatées, sans

rougeur diffuse inflammatoire. Les muscles de la cuisse sonl amaigris.

La longueur du membre inférieur gauche est dom. 81 ; celle du mem-

bre droit de 0 m. 86 soit un raccourcissement de 0 m. 0.'i.

(1) La ligure représente le malade debout après son opération. On peut voir par

son altitude le raccourcissement du membre produit par la luxation iliaque gauche.

lx . 18

" 274 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Le pied gauche est en rotation externe et abduction. Le grand trochan-

ter est senti dans la fosse iliaque externe gauche; les mouvements.volon-

taires sont difficiles, mais les mouvements passifs sont très possibles sans

douleur et avec une amplitude remarquable.

Bref, on se trouve en présence d'une luxation tabétique (maladie de

Charcot) avec usure des extrémités osseuses et réduction impossible.

Une ponction exploratrice pratiquée dans la tumeur ramène du sang.

Les jours suivants, la progression de l'épanchement nécessite une in-

tervention chirurgicale. -

Celle-ci esl faite le 25 septembre par M. Lapointe, interne en chirurgie ;

elle consiste simplement dans l'incision de la tumeur.

Il s'écoule alors un liquide hémorrhagique, presque du sang pur, très

abondant, 1 litre 1/2 environ, contenant de gros caillots cruoriques, et

des masses fibrineuses coagulées.

Notre collègue M. Lapointe constate très nettement par l'exploration de

la cavité qu'elle communique avec l'article coxo-fémoral et que la partie

supérieure du fémur est atrophiée. ,

Consécutivement, il y eut, malgré les précautions antiseptiques de la

suppuration et plus tard une petite hémorrhagie par la plaie.

Nous n'avons en vue ici que la nature du liquide qui remplissait l'arti-

culation et son prolongement fémoral.

Le plus souvent, dans les arthropathies tabétiques avec épanchement,

l'on trouve du liquide séro-citrin plus ou moins filant.

« L'épanchement, dit M. Marie (1), esl en général séreux, transparent

et filant, d'un jaune Glair ; parfois, il contient des flocons fibrineux, rare-

ment du pus. »

Sérosité et pus sont, en effet, les deux seuls liquides signalés parles

auteurs qui se sont les premiers occupés des arthropathies tabétiques

(Charcot, Bail, Bourceret, etc.).

On ne trouve pas mentionnés ces épanchements sanguins dans les tra-

vaux de Barré (2), 1885, de Michel (3) et de Lecomte (lui), 1877. Ce der-

nier auteur s'exprime ainsi : « La quantité de l'épanchement varie, est

constitué par de la sérosité citrine ne contenant ni pus, ni sang, ni flocons

albumineux. » -

(1) Marie, Traité des maladies de la moelle.

(2) Barré, Cotitribulion à l'élude clinique de l'arthropathie chez les ataxiques. Thèse

Paris, 1885.

(3) Michel, Etude sur les arthropathies nerveuses dans le cours de l'ataxie locomo-

trice progressive. Thèse Paris, 1877.

(4) Lecomte, Essai sur les complications osseuses et articulaires de l'ataxie locomo-

lrice. Thèse Paris, 1877. 1

DE L'HÉMARTHROSE TABÉTIQUE 275

Prudhomme, dans sa thèse soutenue à la Faculté de Lille, en 1886, sur

l'arthropathie ataxique, est muet sur ce point.

Depuis 1891, l' épanchemenl hémorrhagique est plus souvent signalé;

il l'est par Sterne (1). Les auteurs du Traité de chirurgie, t. III, en font

mention.

Il nous a semblé que ces faits ne sont pas certes plus fréquents qu'au-

trefois, mais qu'on ne leur a prêté jusqu'ici que peu d'attention.

Nous avons pu, grâce à l'extrême complaisance du docteur Chipault, qui

a bien voulu mettre à notre disposition ses indications bibliographiques,

compulser rapidement un certain nombre d'observations, et dans nos re-

cherches nous avons trouvé quelques faits où la nature du liquide avait été

hémorrhagique.

Talamon (2), dans son mémoire sur les lésions osseuses et articulaires

liées aux maladies du système nerveux remarque incidemment que dans

deux observations (CharcotetBall) le liquide était sanguinolent. Dans,une

autre observation de MM. Michel et Pitres, on trouve à l'autopsie un li-

quide jaune rougeàlre, onctueux, filant, dans lequel l'examen microsco-

pique fait voir un grand nombre de globules rouges.

Dans l'observation de la femme Laisiet publiée par notre maître, le pro-

fesseur Raymond, il la Société anatomique, 1876, la ponction pratiquée

une première fois au niveau d'arthropathies tabétiques avait donné issue

à du liquide séro-sanguinolent.

A l'étranger, dans les cas d'Oppenheim et de Siemerling (3), de Wolf (4),

de Muller (5)', on trouve, soit du liquide sanguinolent, soit du sang pur

venant envahir l'articulation après une première évacuation.

Plus récemment, M. Brissaud (6) montrait deux malades de son service ;

l'un, où l'hémarthrose était soupçonnée; l'autre, où la ponction évacua-

lrice faite par M. le Dr Chaput ramena 300 grammes de sang/

Chipault parle, dans l'Iconographie de la Salpêtrière, 1894, d'un fait où

le diagnostic d'hémarthrose fut porté ; enfin, tout dernièrement, ï41ouchet

et Coronat (7), Chipault (8), R. Verhoogen (9) constatent dans leurs des-

(1) Aot)zr·opathia tabido1'llm. Thèse de Berlin, 1891.

(2) Revue de médecine, 1878.

(3) Archiv. sur Psychiatrie und Nervenk, 18S7.

(4) Berline», Klinische'Wochenschrift, 1887.

(5) Muller, Archiv. sur klinische Chirurgie, 1888.

(6) Arlhropathies nerveuses et troubles de la sensibilité. Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière, 4894.

(7) MouciOE'r et Coronat, Arthropalhies d'origine nerveuse. Archives générales de

médecine, 1893.

(8) Chipault, Arthropatlzies nerveuses. Traité de Chirurgie clinique et opératoire,

t. 111, 189G.

(9) R. Verhoogen, Artlzr·opathies'neur·o-spinales. Belgique médicale, 1896.

276 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

criptions d'arthropathiesnerveuses la possibilité d'hémarthroses, sans ap-

porter de nouveaux faits personnels.

En somme, il est de toute nécessité aujourd'hui de décrire, à côté des

cas où le liquide est sénelii lé plus sôüi én(, purulent, {iÍ1Jîiiènt, ceux où le

liquide est constitué par du sang. Il ne reste rien ai ajouter aux études qui

ont. été faites sur les arthrites suppurées tabétiques, sur leur mode de

production, de cause interne ou externe; on trouvera des documents im-

portants sur ce sujet dans 'les travavx`detÛliipault (1) ; des faits intéres-'

sants de suppuration venant compliquer les lésions articulaires du tabès

dans la thèse de Bougie (2). Le seul point, sur lequel on ne soit pas du tout

fixé, c'est de savoir quels agents microbiens interviennent comme cause

de la suppuration par voie-interne.. , Nu 1`

.Pour en revenir à l'élude d.1'hé11lartll\'oséchez ? les tabétiques, nous

dirons que, cliniquement ? cel épauclleméut n'est pas nécessairement

confiné à la cavité articu ! aire."t ! omm6 dans l'hydarthrose simple, le sang

peut fuser au loin après rupture de la synoviale, ainsi que l'a fait remar-

quer le professeur Debovev. 1 . ^ v.. z

;M. Brissaud donne comme caractère de cet; épanchement sanguin la

rapidité. avec laquelle il se produit. « II n'est pas llJl1111ssiLlo, dit-il, que

la' synoviale permette la transsudation soudaine d'une si grande quantité

de liquide, une hémorrhagie seule est capable d'un pareil résultat. »

(Nous ferons remarquer que cet épanchement sanguin n'esl pas néces-

sairement primitif, qu'il peut survenir consécutivement à une hydarthrose,

et que si l'ifolarthrose il'est souvent qu'un phénomène passager Ú1aug-

mentque.qucfois considérable, suivi de résorption du liquide, il ¡'n'est

pas rare que l'épaiicliement sanguin ait tendance à s'accroître dans de

telles proportions qu'il ! nécessite une évacuation. j

{-Nous sommes donc en désaccord avec les faits auxquels MM. Picqué et

Mauciair (3) font allusion. ',« Quant aux hémarthroses nencnses, dans les

cas ravjportés, J'épallc)1.mei1l. n'est pas très abondant. » 1

jeune ecchymose sons-cutanée peut faire pensera la présence du] sang

dans l'articulation. Ennrrje'tiquide-fuse-p))tS ou moins loin après rupture

de la synoviale (Debove, Ho l'1er, Lépiuc) ? Dans les cas que nous avons en

vue, il ne s'agit pas toujours de sang pur ! il peul y avoir mélange de syno-

vie et le liquide peul être onctueux, filant, brunâtre ; on y trouve égale-

ment des caillots cruoriclues'`ou fibrincux.

'(1) Chipault, Traité de chirurgie t'linique et opératoire, L. III ; À/'lh7'opatlties. ne 1'-

veuses;icrllc)·opallziestroplzigtzesate·poial de VIIC- ('hi ¡'III'ffical. -0 : 01]\ elle. T(,'1 J) 01-\ 1'11 phie

de la Salpêtrière, 1891. Quelques interventions récentes pour nrlhropalhies Irophi-

'lues, 1.891.

(2) Bouclé, Contribution à l'étude des fractures spontanées. Th. Paris, 1896.

(3) Picquk elll ! .\t : f : L.\IB, Thérapeutique chirurgicale des maladies des articulations.

HEMARTHROSE TABETIQUE

G. MASSON, Éditeur

DE L'IIÉMARTIlROSE TABÉTIQUE 277

Certaines observations, avec autopsie, montrent la synoviale épaissie,

vascularisée, avec vaisseaux remplis de sang et dilatés, c'est une pachysy-

novi te. - ,

A quoi attribuer la tendance hémorrhagique" ? Faut-il incriminer comme

chez notre malade un état général qui explique à la fois et l'hémorrhagie

infra-articulaire et l'entél'Ol'rhagie qu'il a présentées à maintes reprises

ou simplement des lésions vasculaires ou nerveuses, toutes locales ?

Ce qui n'est pas douteux, c'est le danger que présentent ces hémarthro-

ses si facilement envahies par la suppuration. La quantité de liquide, .sa

nature qui en fait un excellent milieu de culture, l'état cachectique dans

lequel se trouvent souvent les malades, la nécessité d'une intervention

chirurgicale sont autant de causes qui favorisent la purulence.

Chez B... les précautions antiseptiques n'ont pu empêcher cette com-

plication secondaire, il s'est agi ici d'agents peu virulents (staphyloco-

ques).

Le peu de virulence de ces staphylocoques nous avait fait espérer la

guérison chez ce malade, qui durant son séjour à la Salpêtrière supportait

assez bien sa suppuration articulaire. Il a voulu partir non guéri et nous

avons su qu'il avait succombé avec les signes d'infection purulente.

Dans la crainte de voir la suppuration apparaitre, l'intervention devra

être le moins chirurgical ; on devra procéder tout d'abord à la simple éva-

cualion par aspiration el ne se résoudre à l'incision que s'il est bien dé-

montré que la .pue opération est rendue inefficace par la présence de cail-

lots sanguins ou fibrineux ou de débris osseux.

Nous nous associons donc entièrement à l'indication fournie par

M. Clilpault dans la Revue de chirurgie :

« Remplacer les ponctions, alors qu'elles n'ont donné aucun ré-

sultat, lorsque l'articulation est bourrée de fragments osseux mobiles, par

une arthrotomie discrète ménageant les ligaments à but seulement éva-

cuateur. »

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE M. LE PROFESSEUR RAYMOND.

LOCALISATIONS SPINALES

DE LA

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE

PAR

G. GASNE.

Interne de la clinique des maladies du système nerveux.

M. Gilles de la Tourette'a groupé dans le remarquable mémoire, mémoire

fondamental, que la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a publié celte

année même(l), les observations de syphilis héréditaire de la moelle épi-

nière parues jusqu'alors; il a apporté pour sa part nombre de faits nou-

veaux et c'est à lui que revient le mérite d'avoir constitué le premier ta-

bleau d'ensemble de cette localisation de l'hérédosyphilis sur l'axe spinal.

C'est sur le conseil de ce maître et guidé par lui que j'ai entrepris de com-

pléter l'étude analomo-palhologique de celle intéressante question. Les

trop rares autopsies qui ont été publiées nous fourniront de précieux docu-

ments ; j'ai cru d'autre part que parmi les nombreux foetus qui succombent

à la syphilis congénitale j'en trouverais quelques-uns présentant des lésions

médullaires, lésions .qui seraient dès lors parfaitement caractéristiques.

J'ai ainsi étudié les moelles de trente foetus dont vingt-six étaient nés

de parents syphilitiques, quatre fois j'ai trouvé des lésions profondes et

leur analogie, avec celles de la syphilis acquise confirmait encore qu'il

s'agissait bien de lésions spécifiques, sept fois les lésions étaient plus légè-

res mais encore non douteuses. C'eslle résultai de ces observations que je

veux publier ici après avoir rapporté les quelques cas de syphilis hérédi-

tairede la moelle dont nous possédons la vérification arl1t01110-patll0101lTlle.

Avant de passer en revue les principales lésions observées dans l'héré-

do-syphilis de la moelle il faut dire quelques mots de la- nalure de ces

lésions.

(1) Voir n°° 2 et 3, 1896.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 279

Les organes qui paraissent le plus fréquemment, frappés par la syphilis

héréditaire sont les méninges et les vaisseaux, la moelle subit le contre-

coup des lésions méningées et surtout celui des lésions vasculaires, elle

peut être envahie pour son propre compte, soit que le processus syphiliti-

que ail pris naissance dans sa substance même, sans doute dans les sepla

conjonctifs que la pie-mère lui envoie ou dans les vaisseaux qu'ils suppor-

tent, soit que la néoplasie soit seulement propagée de la méninge voisine.

L'atteinte primitive, directe des cellules des cornes grises par le poison

syphilitique, signalée à propos de la syphilis héréditaire par Jarisch pour

la moelle et d'autres auteurs, doit encore être réservée, il faut s'en tenir,

pour le moment du moins, aux idées de Virchow, c'est toujours dans le tissu

conjonctif vasculaire que la néoformation sypliilitique a son origine, les

. éléments nobles ne sont atteints que secondairement aux lésions de ce

tissu.

Au reste, les lésions ne sont pas toujours identiques il elles-mêmes. La

syphilis héréditaire n'est pas d'emblée tertiaire comme on le pensait autre-

fois, du moins il n'y a pas de différence essentielle entre les lésions des

diverses périodes de la syphilis. Mais, chez le foetus comme chez l'adulte

les lésions évoluent, elles se conduisent dans la vie intra-utérine comme

elles se conduisent dans la syphilis acquise, et nous pouvons à la naissance

les surprendre à leurdébjit, comme nous pouvons aussi nous trouver en

présence de reliquats fibreux, marques d'un processus définitivement éteint.

Enfin si dès les premiers instants de son développement, l'embryon

reçoit le virus syphilitique, celui-ci ne va pas forcément d'emblée provo-

quer des lésions spécifiques, il peut rester inactif plus ou moins longtemps

et le réveil de la virulence n'est soumis à aucune loi encore connue ; aussi

est-il impossible de prédire d'après l'âge du sujet quelle sera la forme des

lésions qu'on peut rencontrer dans ses divers organes. ~

Univoques à leur origine où elles sont essentiellement constituées par

une accumulation d'éléments embryonnaires qui s'infiltrent entre les élé- ¡

ments nobles, ces lésions peuvent rester longtemps stationnaires, elles

peuvent par la fusion de ces éléments jeunes en une masse* néoplasique

remarquable par sa tendance à la .dégénérescence se présenter sous la

forme de .gommes, elles peuvent aboutir à la sclérose, il est probable

qu'elles peuvent aussi régresser et guérir, ne laissant comme traces que.

la disparition irréparable des éléments nobles qu'elles ont détruits. Ces

lésions deutét'opathiques de la syphilis sont elles-mêmes extrêmement

variables, elles comprennent toules les formes,de dégénérescence cellu-

laire, l'atrophie, la sclérose qui a ainsi une double origine. ,

Les éléments si caractéristiques de la syphilis, bien qu'ils ne lui appar-

tiennent pas en propre et se retrouvent dans d'autres infections notam-

t

280 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE .

menl dans la tuberculose, sonl constitués par de petites cellules dont le

noyau semble occuper toute la massse, ce noyau est rond d'où le nom

souvent employé de cellules rondes pour désigner ces cellules, elles sont

visibles surtout lorsqu'elles sont colorées par t'hématoxyiine pour qui elles

ont une affinité toute spéciale, les coupes colorées au picrocarmin no

donnent pas l'impression très caractéristique,-très frappante de celles colo-

rées par cette substance.

Il est inutile de décrire la gomme, ou le tissu de sclérose.

- Certains auteurs font de la congestion simple, de la congestion avec

stase leucocylique lo processus tout à fait initial de la syphilis, nous avons

retrouvé celte congestion en effet dans un certain nombre de cas où des

lésions quoique très discrètes d'infiltration embryonnaire lui donnaient

une valeur toute spéciale, mais elle existe aussi chez des sujets non syphi-

litiques. Elle est importante parce qu'elle va jusqu'à la rupture des vais-

seaux ; il y a du reste longlemps que l'on sait le rôle étiologique de la

syphilis héréditaire dans la fameuse di a thèse hémorrhagique des nouveaux

nés et nous relevons dans la thèse d'agrégation de notre maître M. Ribe-

tnont-Dessaignes un certain nombre de cas où l'hémorrhagie due à l'hérédo-

syphilis siégeait dans les centres nerveux, malheureusement on n'a pas sou-

vent songé à examiner la moelle. Elasser est, je crois, le seul (obs. XXXIII

de la thèse de Ribemonl) qui signale l'hémorrhagie dans le canal médul-

laire, dans un cas de syphilis congénitale.

Analysons maintenant, avant d'exposer le résultai de nos propres

recherches, les principales autopsies publiées d'hérédo-syphiiis de la

moelle. -

L'observation de Potain (1) est la première en date, elle est remarquable

non seulement par la diffusion et par la profondeur des lésions dans

la moelle mais encore par ce fait que celle-ci a été prise exclusivement,

sans la participation des méninges rachidiennes, ce qui est tout à fait

exceptionnel.

« Deux jumelles, nées avant terme d'une mère syphilitique, vécurent trois

jours, on ne put contater chez elles pendant la vie aucune trace de syphilis,

ni aucun symptôme morbide, Chez l'une d'elles il y avait une débilité ex-

trême.

. « Toutes les deux présentèrent les altérations du foie décrites par Gubler

dans la syphilis congénitale.

« Les cerveaux ne parurent pas altérés, ils offraient la consistance molle ha-

bituelle à cet âge. La moelle de l'un des foetus paraissait être à l'état normal,

on reconnaissait très bien sur la coupe les sillons et les cornes grises. Le mi-

croscope y montra des tubes nerveux très nets.

(1) Cité par LANCEHEAUX, Traité de la syphilis, 2A cl., 481, p. 43.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 281

« La moelle de l'autre foetus, au contraire, était dans toute sa longueur dimi-

nuée de volume, dure, sans trace de division entre les substances et tout à fait

.semblable à un cordon fibreux, sauf la coloration qui était d'un gris rougeâtre.

Au microscope M. Potain, M. Cornil ne purent découvrir une cellule nerveuse

ni presque aucun tube nerveux distinct. Toute la moelle semblait formée par

du tissu lamineux condensé, feutré et entremêlé d'une substance granuleuse

abondante.

« L'examen des deux moelles fut fait simultanément et la différence de struc-

ture considérable qui existait entre elles deux ne put laisser aucun doute.

Quant aux méninges rachidiennes il n'a pas semblé qu'elles fussent altérées. »

Kahler et Pick (1) ont fait l'autopsie d'un enfant de 5 mois mort de sy-

philis avec lésions cutanées et bronchiques, sans autres détails cliniques.

« On notait au niveau del'entrecrpisement des pyramides un changement dans

la coloration du faisceau latéral gauche, immédiatement dans l'angle qui sépare

la corne antérieure de la corne postérieure. Cette plaque scléreuse s'étendait

sur une hauteur de six il sept millimètres. A son niveau')es vaisseaux étaient

épaissis et leur calibre était considérablement rétréci. »

Kahler et 'iclc comparent ces lésions à celles décrites par Charcot et

Gombault dans un cas de syphilis acquise des centres nerveux.

Dans leur cas le processus était nettement d'origine vasculaire.

Jarisch (2) a étudié l'anatomie pathologique de la moelle de quatre en-

fants atteints de syphilis héréditaire dont le plus âgé avait au moment de

la mort deux mois et dix jours, le moins âgé dix-neuf jours.

« Les'lésions qu'il a trouvées dans la moelle consistaient surtout dans l'atro-

phie des cellules des cornes antérieures et de la colonne de Clarke, leur proto-

plasme était rétiforme, elles étaient comme ratatinées et très diminuées de nom-

bre, il y avait de la, tuméfaction du réseau de la substance grise. Ça et là on

trouvait dans la substance médullaire et autour des vaisseaux des sillons et

commissures, des masses vitreuses homogènes. »

Voici la partie anatomopathologique de l'observation de l3artels (3) que

nous étudierons plus loin, il s'agit d'une femme de 22 ans hérédo-syphi-

li tique qui eut une quadriplégie guérie à deux reprises différentes par le

traitement spécifique.

« Au-devant de l'articulation de l'atlas avec la base du crâne, entre l'atlas et

l'axis, existait une tuméfaction d'une teinte douteuse qu'à la coupe on reconnut

être un foyer caséeux ramolli. La moitié gauche de la moelle allongée était apla-

(1) et Pick, Rermad irn Riicki'nll1(l1'lie eines syphililischen Kindes. Vierleljahr-

schrift I`. die prnklischc. Ileill : umle. Prague 1879.

(2) Ueber dem Riickenma¡'ksbefund in 7 Fiillen von Syphilis. Vierteljahrschril't 1'.

Dermat. unV Syphiligraphie. Vienne, 1881, p. 621.

(3) Baivtels, Les maladies des reins, trad. Edelmann. Paris, 1884, p. 323.

282 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

tie et élargie. On ne trouva aucune autre anomalie dans les organes nerveux

centraux. » .

« Evidemment, ajoute Bartels, les phénomènes paralytiques avaient été

produits par cette gomme placée au-dévant des vertèbres supérieures et

comprimant la moelle. »

Dans le cas de Money (1) il s'agit d'une fillette de 3 ans 1/2, qui jusqu'à

l'âge de 2 ans était intelligente, parlait et marchait bien. Vers cet âge,

crises convulsives attribuées à la dentition. 16 à 18 mois après, elle est

frappée d'un ictus apoplectique et meurt sans avoir repris connaissance,

après avoir présenté des phénomènes de rigidité généralisée.

L'autopsie montre des lésions intéressant à la fois tout l'axe cérébro-

spinal. Le cerveau gauche est atrophié, les artères basilaires sont altérées.

La moelle est rigide comme un bâton dans toute son étendue, particu-

lièrement dans la région cervicale. Des coupes montrèrent une altération

par places des cornes antérieures. Il existai tune sclérose diffuse s'étendant

à toute l'étendue de la moelle. Pas d'examen histologique.

Jurgens (2) rapporte cinq observations de myélite spécifique dont trois

ont trait à la syphilis héréditaire.

« Le premier cas concerne un enfant mort-né, long de 65 centimètres chez

lequel on trouva un épaississement considérable de la dure-mère au niveau dé

la base du crâne, laquelle était le siège d'une légère hyperostose. Dans la zone

de transition' céphalo-rachidienne, la dure-mère est très vascularisée, sa face

interne dépolie est soudée à l'arachnoïde.

« Les méninges de la convexité du cerveau sont intactes. Au niveau du chias-

ma, épaississement qui se continue sur la protubérance et la partie inférieure

du bulbe. De même pachyméningite et arachnite spinales, surtout dévelolo

pées dans la région cervicale et disparaissant dans la partie inférieure de la

moelle. De la pie- mère épaissie partent des prolongements fibreux envahissant

les cloisons interstitielles de la moelle, particulièrement dans la région des

cordons et des racines postérieures. Près du sillon longitudinal postérieur,

fortes productions fibreuses, nombreuses cellules il noyau, multiplication des

noyaux dans les cordons qui bordent des deux côtés le sillon postérieur. Dans

la profondeur du sillon, productions fibreuses s'étendant jusqu'à la substance

grise, attaquant le canal central qui est entouré de cellules à noyaux. Epais-

sissement des tuniques de la basilaire et des vertébrales. Sclérose des vaisseaux

de la région cervicale de la moelle. Diverses lésions syphilitiques des autres

organes. »

(1) Money, Case of idiocy with unive)-sal 7(/idity, the resull of syphilitic disease ot

the central nervous syslem. Brain, 1884 oct., p.4.0G :

(2) osscsss, Ueber syphilis der Riickenmarks und seine ? , Haute. Charité Annnlen.

Berlin, 1885, X, 129-749. -

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE v 283

Le deuxième cas concerne un enfant né le 8 mars 1885 et mort le

12 mai ; ictère, pemphigus plantaire.

« Dure-mère crânienne intacte, pie-mère de la convexité fibreuse épaissie,

trouble; gommes et petits foyers de ramollissement dans l'encéphale. L'altéra-

tion des méninges se prolonge sur la protubérance. '

« La pie-mère spinale, dans les régions cervicale et thoracique est très épais-

sie, unie à la face interne de la dure-mère par de nombreux et forts tractus.

La substance médullaire est grisâtre. La dure-mère épaissie principalement

dans la partie postérieure de la moelle. »

Le troisième cas est encore plus intéressant.

« Enfant de deux ans, spina ventosa de plusieurs phalanges des doigts.

« Abcès de la joue gauche en voie de guérison. Cicatrite ancienne adhérente

il l'os, au tiers supérieur de la cuisse gauche. Abcès de la malléole interne

droite. Pas d'autres symptômes. Mort de diphtérie. ' .

« Autopsie. Gomme cérébrale, hydrocéphalie interne. Le périoste des vertè-

bres et le tissu graisseux intra-rachidien sont intacts. La dure-mère spinale,

dans les régions cervicale et. thoracique est unie par de nombreuses et fortes

adhérences à la pie-mère. Sur la face interne de la dure-mère, nombreuses

fausses membranes épaisses et fibreuses.

« A la partie inférieure de la moelle, l'affection s'efface peu à peu; cependant,

dans la région lombaire on trouve une induration fibreuse, isolée, rayonnée,

grisâtre et large de 3 centimètres.

« Sur les coupes de la moelle, on constate dans la région cervicale une colo-

ration diffuse dos cordons postérieurs ; dans la région thoracique, les cordons

cunéiformes seuls sont pris. A la région lombaire, les cordons postérieurs sont

intacts. Il existe de plus dans la région cervicale une petite gomme de la gros-

seur d'un grain de millet. Le segment médullaire correspondant est légèrement

renflé ; la néoplasie intéresse environ la moitié du territoire du cordon latéral

droit. l. '

« Gomme du rein gauche. Périhépatite et périsplénite fibreuses avec adhé-

rences. Périostite syphilitique ossifiante du tibia. Ostéomyélite et périostite des

doigts de la main gauche. Diphtérie, bronchopneumonie, pleurésie. »

b 0 t

Un des auteurs qui ont le mieux étudié la syphilis héréditaire cérébro-

spinale est Siemerling (1), nous citerons avec détails les lésions qu'il dé-

crit chez la petite malade qu'il a observée et qui mourut à l'âge de 12 ans

après avoir pendant huit ans présenté une série de phénomènes presque

exclusivement d'ordre encéphalique. '"

Le résumé de l'aulopsie est ainsi formulé :

« Encéphaloméningite gommeuse, arachmitis gommeuse basilaire. Hydrocé-

(1) Siemerling, Zur Lehre von den congenilalen Him und Ruckenmarkes Syphilis.

Arch. r. Psychiatrie, Berlin, 18S9, p. 102. , .

2M NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

phalie interne. Gommes do la dure-mère. Atrophie de la dur.e-mi;re de la con-

vexité. Ostéoporosc multiple de la base du crâne... Arachnitis spinale gom-

meuse. » -

Mais nous allons voir que les lésions histologiques de la moelle (nous les

rapporterons il peu près telles qu'elles sont publiées par Siemerling in ex-

tenso) sont des plus importantes.

« Macroscopiqucment la dure-mère spinale est de constitution normale, un

peu épaissie peut-être : la moelle paraît tuméfiée.

Après avoir ouvert la dure-mère, on voit l'arachnoïde très épaisse, grise,

blanchâtre. A sa face antérieure saillent de petites tumeurs plates, la face pos-

térieure a un aspect tuméfié ; les parties saillantes sont pâles, les profondes

gris rouge. Sur la coupe l'arachnoïde est épaisse de un millimètre.

La moelle montre le cordon droit antérieur épais, vitreux, gris blanc; dans

la partie inférieure- c'est le cordon postérieur également du côté droit qui pré-

sente ce même aspect.

Examen histologique après inclusion dans la celloïdine. La' coloration qui

donne les plus belles images est la coloration double : hématoxyline et picro-

carmin.

Sur toute la hauteur de la moelle, aussi -bien dans la moelle elle-même que

dans les enveloppes, les vaisseaux et les racines, on observe des altérations plus

ou moins profondes.

1° Enveloppes :

La dure-mère en coupes longitudinale ou transversale est normale. L'arach-

noïde qui reste attachée en partie il la pie-mère, lorsqu'on enlève la dure-mère

est épaisse, formée par une membrane homogène hrillante, rayée par places,

dans lesquelles on trouve des amas de cellules rondes.

Toute la pie-mère est très élargie, son épaisseur surtout au voisinage des

cordons postérieurs est de 3 il 4 millimètres. En certains points elle présente

des tuméfactions qui sont comme de petites tumeurs implantées sur la moelle.

Elle est formée par des couches stratifiées de tissu conjonctif il larges mailles,

infiltré de cellules rondes et dans lesquelles à côté des vaisseaux très altérés

serpentent de nombreux vaisseaux néoformés, on y trouve aussi des hémorrha-

gies récentes.

Cette végétation fibreuse s'étend d'une façon continue depuis la moelle allon-

gée jusqu'à la partie inférieure de la moelle sacrée. Le point où le processus

atteint son maximum est non la région cervicale mais la région moyenne et in-

férieure de la moelle dorsale.

Les vaisseaux les plus petits et les plus grands de la pie-mère, comme l'ar-

tère spinale antérieure, les artères spinales postérieures et les veines y atte-

nant présentent dans leurs parois ce processus végétatif. L'intensité et l'étendue

de ce processus est variable aux différentes hauteurs, c'est chose très manifeste

surtout sur l'artère et la veine spinales antérieures.

L'artère spinale antérieure présente au niveau de la région cervicale une

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 285

assez considérable végétation de la tunique interne et une tunique adventice

notablement infiltrée, infiltration qui atteint même la tunique musculaire. Au

contraire la structure des parois de ce vaisseau dans la partie supérieure de la

moelle dorsale est normale, il part une infiltration peu marquée de la tunique

adventice; plus loin dans les parties inférieures de la moelle dorsale et lombaire

on retrouve l'altération des tuniques.

La veine présente des lésions bien plus marquées encore ; elle est à certains

endroits presque totalement oblitérée en une bonne partie de son trajet, de sa

lumière ne reste plus qu'une fente très étroite. La paroi a perdu sa structure et

de la tunique adventice part une infiltration de cellules rondes, infiltration des

plus marquées dans Jes couches externes mais qui diminue au sur et a mesure

qu'on s'avance vers l'intérieur, saus cesser totalement toutefois. Dans d'autres

régions la veine a conservé sa structure normale, la lumière semble mieux

élargie, parfois elle est entièrement gorgée de sang.

On trouve ces mômes altérations dans les gros et petits vaisseaux de la pie-

mère et j'insiste dès maintenant sur ce point, elles se rencontrent aussi dans les

vaisseaux de la substance blanche, les vaisseaux de la substance grise sont

intacts. A côté de vaisseaux totalement oblitérés on en voit qui ont des espaces

périvasculaires énormes et dans lesquels se trouvent de nombreuses cellules.

D'autres ont leurs parois tuméfiées, vitreuses, homogènes, il est impossible de

les distinguer sur les coupes. .

La circonférence interne de la pie-mère est intimement unie à la-périphérie

de la moelle et nulle part on ne peut l'en séparer'; si on tente de le faire on

enlève de petits fragments do tissu nerveux. Partant de la pie-mère épaissie on

trouve allant vers l'intérieur de la moelle d'énormes végétations. En effet, les

septa qui rayonnent dans la moelle sont partout tuméfiés, élargis ; sur eux et

sur les vaisseaux qu'ils supportent, l'infiltration de cellules, rondes est en cer-

tains endroits si considérable que de véritables massues, des cônes de végéta-

tion, intimement unis il la pie-mère, s'avancent dans la moelle comme prolon-

gements de celle-ci et traversent ainsi une grande partie de la coupe transversale.

Le tractus conjonctif qui s'enfonce dans le sillon longitudinal antérieur est tu-

méfié et forme une grosse travée épaisse presque d'un millimètre et remplie de

nombreuses cellules rondes. De là partent dans l'intérieur du sinus de petits

septa chargés de cellules rondes.

C'est surtout au niveau des cordons postérieurs clans les parties moyenne et

inférieure de'la moelle dorsale que la pie-mère est la plus épaissie et qu'on

trouve les plus considérables végétations en forme de cônes et de massues qui

s'avancent vers l'intérieur. Des parties entières de la coupe sont complètement

envahies par la végétation (figures), mais celle-ci ne dépasse pas la substance

blanche.

Il faut remarquer que les cordons postérieurs sont, dans toute l'étendue de

la moelle, le siège du maximum des lésions. Les cordons latéraux sont surtout

affectés au niveau de la partie moyenne et de la partie supérieure de la moelle

dorsale alors que dans les autres parties leurs lésions sont très minimes pro-

portionnelleuieut. La substance grise qui a conservé un certain degré d'immu-

286 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

nité a en quelque sorte reculé devant la végétation,.elle a été déjetée de côté et

a ainsi subi des déplacements variables. Les cornes postérieures sont rejetées

en haut, le sillon longitudinal postérieur est déplacé vers la droite ; en d'autres

points, les cornes postérieures sont très écartées par une énorme tuméfaction co-

nique qui se place entre elles. Cependant en quelques endroits les cornes sont

atteintes, ainsi à la partie moyenne de la moelle dorsale et du rendement lom-

baire, l'extrémité de la corne droite est comprise au milieu des végétations et

infiltrée de cellules rondes.

Quant aux altérations spéciales de la substance nerveuse elle-même, elles

sont de deux sortes. Tantôt les fibres ont disparu au milieu de l'infiltration,

tantôt elles sont altérées sur de longues portions de leur trajet, sans doute par

la pression de la tumeur qui s'avance vers elles. C'est surtout aux zones de

transition, près des tissus fortement infiltrés qu'on voit ces altérations. Los

cylindres-axes sont tuméfiés et ont un volume deux à trois fois plus considé-

rable que normalement, on ne trouve plus trace de myéline, une couche uni-

forme colorée faiblement en rose par le picrocarmin forme la partie périphé-

rique de la fibre nerveuse etengaine le cylindre-axe. A un stade plus avancé, le

contenu de la fibre est devenu uniforme, il est impossible de séparer le cylin-

dre-axe des parties engainantes.

La substance grise et surtout les cellules ganglionnaires et les vaisseaux ne

présentent pas d'altérations, à part les petites portions mentionnées plus haut

à la périphérie de la corne postérieure droite dans la région dorsale moyenne et

lombaire. Les cellules ganglionnaires très peu pigmentées présentent un noyau

très visible et des corpuscules nucléaires ainsi que des prolongements bien for-

més. Les vaisseaux n'y présentent pas d'épaississement de leurs parois et y

sont en général gorgés de sang. Le canal central est tapissé d'un bon épithélium

cylindrique.

Les racines : Malgré l'épaississement considérable de la pie-mère qui accom-

pagne les racines sur une longue partie de leur trajet et les entoure souvent

de tuméfactions nodales, la dégénération des racines est relativement peu con-

sidérable. Au milieu du tissu infiltré, et entourées de toutes parts par lui, se

trouvent les sections transversales des racines antérieures et Postérieures. Çà

et là seulement les fibres nerveuses des racines sont affectées par le processus

végétant : Comme dans la moelle on trouve dans les septa conjonctifs ou dans

les vaisseaux des cellules rondes.

Cependant dans la région sacrée, une partie des filets radiculaires apparte-

nant à la queue de cheval a disparu. On y trouve les mêmes altérations que

celles déjà décrites pour les fibres nerveuses de la moelle dorsale, le reste quoi-

que engainé par les masses néoformées est assez bien conservé et presque sain.

Les deux cas de Kohts (1) sont bien différents. Ils ont trait à des enfants

syphilitiques âgés respectivement de 2 ans et de 2 ans 1/2, lt6rGdo-sy-

(t) KonTS,Die luetischen Erkrankungen des Gehirns und Ruckenmarkes in Kindesaller.

Festschrift f. Ilenoch. Berlin, 1890, p. 34.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 287

philitiques. Chez tous deux,.il existait des lésions de sclérose cérébrale et

des altérations vasculaires considérables, mais la moelle ne présentait que

les lésions de la sclérose descendante consécutive aux lésions cérébrales.

Gangitano (1) rapporte trois autopsies de syphilis héréditaire ayant tou-

ché la moelle :

La première est celle d'un enfant de 52 jours dont la mère présentait

des accidents secondaires.

« Macroscopiquement le cerveau et les méninges cérébrales paraissentsains,

mais on trouve au microscope une infiltration périvasculaire, de la prolifération

de la névroglie et de l'endartérite.

Les coupes de la moelle, pratiquées au niveau du renflement cervical, mon-

trent des vacuoles ovoïdes ou sphériques de dimensions variées, privées de

contenu et siégeant dans les cordons postérieurs et dans les commissures blan-

che et grise. La substance blanche est atrophiée. Quelques groupes de fibres

sont tout à fait dissociés, d'autres fibres sont extrêmement grêles.

Les tuniques des vaisseaux sont épaissies. La substance grise est disposée

d'une façon asymétrique. Le canal central est dilaté sous forme d'une fissure

triangulaire très développée.

Quelques cellules ganglionnaires des cornes grises antérieures présentent de

'la dégénérescence vitreuse. Latéralement au canal central, dans le centre des

cornes grises antérieures, se voient 2 zones arrondies où la substance grise est

très raréfiée'aVec atrophie des cellules ganglionnaires, des fibres nerveuses et

de la névroglie. »

La deuxième observation se rapporte à un enfant de ? jours né d'une

mère syphilitique. '

« Rien macroscopiquement, si ce n'est un affaissement (marasme) général de

tous les organes.

La pie-mère^cérébrale est molle et épaissie. Le cerveau, qui a conservé son

volume normal, est en général diminué de consistance surtout dans certains

points situés à la surface du lobe frontal droit et du lobe temporo-sphénoïdal

et occipital gauche oit se trouvent de véritables foyers de ramollissement.

La pie-mère présente des vaisseaux distendus par le sang et çà et là. de

petites diffusions liémorrliigiqtiesparticulièremetit en rapport avec les foyers de

ramollissement que l'examen microscopique fait sur des pièces fraîches montre

être des foyers d'encéphalite.

Lapie-mère spinale est épaissie et infiltrée d'éléments cellulaires. Le sil-

lon longitudinal antérieur dans la région dorsale au niveau de la commissure

blanche, forme un diverticule toujours revêtu de la pie-mère, lequel s'infléchis-

sant latéralement, s'insinue dans toute l'épaisseur de la commissure blanche du

côté droit jusqu'à envahir par un court tractus la substance de la corne grise

(1) Gangitano, Contribulo allô studio délia sifilide del midollo spinale. Archivio ita-

liano di clinica medica. Milan, 1894, p. 5't8.

288 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

antérieure dans sa partie la plus interne et postérieure. A gauche dans un

point homologue existe un diverticule beaucoup plus petit ne dépassant pas la

substance de la commissure blanche.

Les cordons de Burdach et de Goll sont dégénérés ; ce dernier en particu-

lier, présente de nombreux espaces vides au niveau desquels des faisceaux

entiers de fibres sont détruits. Le canal central est très dilaté et tapissé d'un

épithélium proliféré. -

Autour de ce canal se trouve un tissu constitué par la névroglie épaissie

privée de cellules ganglionnaires et de fibres nerveuses. Il existe de l'endarté-

rite. Autour de quelques-uns des vaisseaux qui sont atteints d'endartérite obli-

térante ou voit les gaines lymphatiques dilatées et autour d'elles on note un

certain degré de résorption de la substance nerveuse et aussi de la névroglie.

La substance des cornes grises est irrégulièrement disposée et atrophiée.

Des cellules qui persistent, certaines sont ratatinées ; dans d'autres, le proto-

plasma qui les remplit n'est plus représenté que par un faible résidu granuleux

autour du noyau. Dans d'autres, on ne voit que le noyau au milieu d'un pro-

toplasma homogène peu différentiable. » ,

Enfin le troisième cas concerne un enfant de 8 à 10 jours dont la mère

était syphilitique. Il est intéressant en ce sens qu'il se rapproche des cas

de spina-bifida dont un certain nombre, on le sait, peuvent se rapportera à

la syphilis héréditaire.

« Il existe, en effet, dans la région dorso-lombaire de la colonne vertébrale une

petite tumeur arrondie de la grosseur d'une noix, élastique, fluctuante, cou-

verte d'une peau normale lisse. En pratiquant une incision, on voit se produire

une hernie de la dure-mère à travers une fissure du canal vertébral, contenant

un liquide citrin très limpide (méningocèle). La partie interne du sac est cons-

tituée en grande partie par la dure-mère très épaissie. La moelle est renfermée

dans le canal vertébral.

La moelle est de volume à peu près normal. Elle présente dans la région

lombaire un dédoublement d'une étendue en longueur d'environ un centimètre

entre lequel s'insinue la dure-mère laquelle va de lit constituer un revêtement .

à chaque branche de division. Vers la 3° ou la 4" vertèbre lombaire, la moelle

redevient unique et augmente énormément de volume vers la queue de cheval.

En ce point, on voit la moelle qui était réduite à un volume très exigu de-

venir une masse arrondie de la grosseur d'un gros pois vert, homogène, de

consistance et d'aspect cartilagineux. Le tout est entouré par la dure-mère

épaissie et par un tissu conjonctif riche en vaisseaux, formant des replis anor-

maux avec des vaisseaux très dilatés.

Sur les coupes microscopiques on voit, au niveau du renflement cervical, le

canal central dilaté sous forme d'une fissure qui, de la-commissure blanche

antérieure, s'étend jusqu'au tiers postérieur des cordons de Goll. Le canal est

revêtu de l'épithélium proliféré et est entouré d'une substance scléreuse '.

Dans la substance blanche, on trouve de rares fibres nerveuses et de nom-

breuses cellules de la névroglie. ,

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 289

On ne trouve pas de fibres nerveuses dans les cordons de Goll, elles com-

mencent à apparaître, peu abondantes, dans la partie la plus périphérique des

cordons de Burdach.

Le substance grise est diminuée de volume dans sa totalité, disposée irrégu-

lièrement et très raréfiée.

Les cellules- nerveuses sont ratatinées et atrophiées, mais laissent encore

apercevoir leur noyau et leur nucléole. Sur les coupes de la partie supérieure

de la moelle dorsale on voit la pie-mère épaissie, infiltrée d'éléments arrondis

et renfermant de nombreux vaisseaux dilatés. Le canal central n'a plus sa forme

de fissure, il revêt un aspect cruciforme coupant pour ainsi dire la moelle en

4 parties à peu près égales.

Le canal est toujours revêtu de l'épithélium proliféré. Le partie périphérique

de la coupe est constituée par de la névroglie ou très peu de fibres nerveuses.

Les cordons postérieurs sont sclérosés. La substance grise des divers segments

est dégénérée, les cellules rares et atrophiées, les fibres nerveuses disséminées.

Dans la partie inférieure de la région dorsale, la moelle est aplatie suivant

son diamètre antéro-hostérieur.

Le canal central, tout en se disposant tranversalement et en prenant sa forme

en croix, s'élargit de façon à envahirla superficie presque entière de la coupe.

Sur une coupe passant un centimètre au-dessus du dédoublement le canal

central est toujours revêtu (l'épithélium, la substance nerveuse est réduite il

une mince bande circulaire où il est impossible de découvrir des fibres nerveu-

ses et des cellules ganglionnaires. Entre cette bande et la pie-mère, on voitdes

lacunes remplies de sang qui forment un anneau isolant la moelle de son revê-

tement méningé.

La dure-mère épaissie et le tissu conjonctif environnant forment des replis

anormaux qui contiennent de nombreux vaisseaux dilatés.

Sur la coupe faite immédiatement au-dessus du dédoublement, les deux sil-

lons antérieurs et postérieurs sont très voisins et le canal central est déjà divisé

en deux parties par un tractus de substance nerveuse.

Dans la région lombaire, sur une longeur d'un centimètre et demi environ,

existe le dédoublement. Les deux segments sont entourés par la dure-mère et

la pie-mère épaissies. Il n'existe pas de canal central et dans cbaque segment

il est impossible de distinguer la substance blanche de la grise et réciproque-

ment. On voit de très rares fibres dégénérées avec des gaines variqueuses de

myéline.

Au niveau du renflement lombaire la moelle redevient unique. La dure-

mère et la pie-mère présentent de longues lacunes hémorrhagiques avec des

vaisseaux très dilatés. La moelle, extrêmement réduite de volume, adhère à

une production arrondie entièrement entourée par les méninges et offrant au

microscope les caractères de la substance cartilagineuse.

Voici comment railleur résume lui-même ces trois cas : le 1er, épaissis-

sement des méninges, cndartérite oblitérante, liydromyélie, atrophie des

fibres nerveuses et des cellules ganglionnaires.

ix 19 '

290 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Le 20, a de plus avec les mêmes caractères la dégénérescence des cordons

postérieurs; le 3e le dédoublement partiel de la moelle et également la dé-

générescence des cordons postérieurs.

La même année lloeltigel'('l) publie l'observation très complète d'un en-

fant de 8 ans qu'il considère comme hérédo-syphili tique et dont les lé-

sions médullaires méritent d'être décrites en détail :

« La dure-mère est peu atteinte par le processus morbide, la face externe est

lisse, mais en dedans elle est presque partout soudée aux autres enveloppes

épaissies. Elle n'est isolée qu'aux endroits où elle passe sur les racines qui

sortent relativement libres. Ses lamelles sont moins unies mais les fissures ré-

sultant de ce relâchement sont peu emplies par des noyaux.

La pie-mère et l'arachnoïde font tout à fait corps avec les masses néoformées

que nous étudierons plus loin, il est impossible de les en séparer. Pendant que

le filum terminale ne présente qu'un étroit anneau de ces masses elles aug-

mentent considérablement à la hauteur du renflement lombaire surtout sur

les cordons postérieurs pour atteindre à la portion supérieure de la moelle

dorsale leur plus forte étendue, elles diminuent peu il peu il mesure qu'on re-

monte vers le renflement cervical. Partout, et on en est frappé immédiatement,

la circonférence dorsale participe beaucoup plus au processus morbide que la

ventrale, et c'est le côté droit qui dans la première est le plus atteint. En outre

le sillon longitudinal antérieur est considérablement élargi par l'épaississement

des enveloppes.

Au milieu des masses tuméfiées s'étendent, entourées de toutes parts, les

racines antérieures et postérieures. Les racines des renflements lombaire et

cervical qui paraissent plus libres sont engaiuées aussi par une étroite zone de

masses néoformées.

La structure des tumeurs est essentiellement la même dans toute la hauteur

de la moelle. Les tractus conjonctifs des enveloppes sont considérablement aug-

mentés. Ils se croisent en tous sens. Fréquemment ils présentent un aspect

un peu homogène et tuméfié, comme dans la dégénérescence fihrinoïde mais

habituellement on y reconnaît facilement les noyaux conjonctifs fusiformes ca-

ractéristiques. Ces tractus raides, tendineux ne se colorent que peu par le car-

min mais très facilement et d'une façon intense par les couleurs d'aniline comme

la négrosine, la fuchsine acide et surtout le mélange de Giesen. Les interstices

sont remplis par d'immenses masses de cellules rondes dont les noyaux sont très

gros et placées si étroitement les unes à côté des autres qu'on a l'impression d'un

amas nodulaire. Ils se colorent beaucoup mieux à l'hématoxyline d'alun que par

exemple les noyaux de la névroglie qui se trouvent sur des coupes transver-

sales de la moelle.

Toutes les masses méningitiques revêtent .un aspect très varié par ce fait qu'à

certains endroits leur partie conjonctive domine pendant qu'il d'autres tout le

(1) Boettigek, Ueber einen Fall heredilcir syphililischer El'ln'ankllng des Nel'vensysm.

Neurologischen centralblatt, 1894, p. 497 et Heitrag zur Lehre von den Lusliscleen

l ! itCkemnal'kes/i1'ankheiten. Arch. f. Psychiatrie, 1895, Bd XXVI, p. 649.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 291

champ du microscope est occupé par des amas nucléaires de grandeur variable.

Malgré leur aspect massif on n'y rencontre guère de signes de changements ré-

gressifs. A certaines places seulement on voit une légère fonte grasse plus fa-

cile à voir au microscope et qui n'occupe jamais que quelques rares nodules

cellulaires.

Cependant au milieu de ces amas nucléaires on ne trouve que de rares vais-

seaux fins de nouvelle formation, alors que dans les tractus conjonctifs on en

rencontre beaucoup plus. Ces vaisseaux n'ont que de minces parois, endothélium

et adventice, ou encore ces parois sur de fines coupes en travers ou en long

paraissent hyalines, sans structure et prennent d'une façon intense et brillante

les couleurs d'anyline.

« Les vaisseaux plus gros des méninges, artères comme veines, sont moins

altérés, et l'étendue de leur altération ne correspond pas toujours à l'aspect

massif des processus méningitiques. »

« L'artère spinale antérieure est à certaines places normale, à d'autres sa

tunique adventice désorganisée est épaissie et infiltrée par des amas de noyaux.

Moindres sont les lésions de la tunique interne ; on trouve pourtant tantôt

tout autour du vaisseau, tantôt autour d'une partie seulement, entre la mem-

brane élastique nette ondulée et la cuticule endothéliale saine, à un moyen

degré les épaississements conjonctifs et les amas nucléaires décrits par Heubner

dans le cas de syphilis cérébro-spinale. Jamais je n'ai découvert de seconde

membrane élastique.

L'aspect est le même sur les grosses et moyennes artères.

Mais il est remarquable que fréquemment des vaisseaux au milieu d'une

région relativement favorable présentent de graves changements, alors que

d'autres au milieu des plus épaisses végétations sont restés totalement ou pres-

que intacts. '

J'ai vu une foule d'artères dont la tunique adventice était malade sans qu'en

même temps l'interne le soit, jamais je n'ai constaté l'inverse d'une façon cer-

taine. De la musculaire je n'ai rien à dire si ce n'est qu'elle était presque tou-

jours intacte et ne présentait que très rarement quelques noyaux infiltrés çà

et là.

Les veines aussi sont d'aspect variable; lit aussi on trouve la tunique adventice

désagrégée et fortement infiltrée par des noyaux, la tunique interne est habi-

tuellement saine. Aussi voit-on souvent des coupes sur lesquelles les veines

ont une lumière nettement délimitée par la tunique interne, alors que le reste

de la paroi ne laisse plus rien voir de la structure normale.

Les racines qui sont situées au milieu des végétations méningitiques ne sont

que peu altérées proportionnellement à l'étendue des lésions des enveloppes.

De nombreux faisceaux radiculaires antérieurs sont normaux, d'autres et la

majeure partie des faisceaux postérieurs sont atteints en ce que le périuèvre

est élargi et plus ou moins infiltré de noyaux ; quand l'affection est plus

avancée il y a d'assez larges tractus entre de plus petits et de plus gros fais-

ceaux de fibres nerveuses dissociant ainsi les faisceaux qui forment la racine.

En outre des noyaux isolés, en nombre assez considérable, ont pénétré jusque

292 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

entre les fibres nerveuses. Ces dernières ne présentent que peu de manifesta-

tions morbides, de temps à autre un cylindre-axe est gonflé ou même a disparu

totalement, des fibres isolées sont atrophiées. Ce n'est qu'au niveau du renfle-

ment lombaire et de la queue de cheval et aussi au niveau du renllement cer-

- vicia) qu'on trouve quelques faisceaux dans les racines postérieures qui pré-

sentent des processus dégénératifs plus étendus. La, on voit de petites places

répondant à une section transversale de 4 à 8 fibres nerveuses qui sont comme

découpées et se colorent en jaune clair, "à l'hémaloxyline de Weigert, en rose il

la fuchsine acide et qui sont constituées par du tissu scléreux d'apparence tor-

tueux. Ce sont apparemment des gaines de Schwann et du tissu conjonctif, il

n'y a que peu ou pas d'augmentation nucléaire. Ce n'est que sur certains fais-

ceaux isolés que ce processus est plus étendu.

Sur une racine du renflement lombaire inférieur, on trouva par hasard de

l'infiltration nucléaire disposée comme plus haut et qu'on put suivre jusqu'au

ganglion spinal ; d'ans ce ganglion même, on constata par places une augmenta-

tion nucléaire assez considérable. Les cellules du ganglion spinal étaient en'

partie d'une teinte très pâle, elles étaient gonflées, leurs noyaux figés, défor-

més ou totalement disparus.

Moelle.

Les septa conjonctifs partant de la pie-mère sont infiltrés de noyaux en

quantité très abondante, et ces noyaux envahissent le tissu voisin de la né-

vralgie. Les interstices entre les tubes nerveux de la substance blanche sont

considérablement agrandis, surtout dans les cordons postérieurs et la moitié

postérieure des cordons latéraux. A part les exceptions que nous citerons plus

tard, le tissu de la névroglie ne présente pas d'augmentation de ses fibres,

mais celles-ci sont plus écartées les unes des autres et entourées de masses

sans structure se colorant peu et donnant au tissu de soutien le caractère oedé-

mateux.

En de nombreux endroits des cordons postérieurs et latéraux, l'infiltration

nucléaire devient si forte que de gros cônes de noyaux serrés, leur hase à la

périphérie, leur sommet vers le canal central, passent entre la substance ner-

veuse et la déplacent en partie pour occuper la place qu'elle avait. Nous trou-

vons le premier de ces cônes dans les cordons postérieurs de la partie inférieure

de la moelle lombaire, de chaque côté du sillon sagittal médian. D'autres sont

épars dans toute la hauteur de la moelle, tantôt dans un cordon postérieur

seulement, tantôt dans l'autre, tantôt limités à la périphérie, tantôt s'avançant

jusqu'à la commissure postérieure de la substance grise centrale ; d'autres

encore pénètrent les cordons latéraux. A une différence de hauteur de 1 cm. 1/2,

les figures montrent une étendue toute différente et une tout autre réparti-

tion des cônes qui y ont pénétré.

En outre, on trouve sur les coupes des amas nucléaires libres, sans contact avec

ceux de la périphérie, en particulier dans les cornes et les cordons postérieurs.

Un des plus gros se trouve dans le cordon postérieur gauche, à 9 centimètres

au-dessus du filum terminale, il mesure sur la coupe transversale il peu près

2 millimètres en direction sagittale, sur 1 millimètre en direction frontale.

- LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 293

Au milieu de ces amas nucléaires, on peut encore voir distinctement des

fibres névroglillues, mais il la limite entre les cônes et la substance nerveuse

ces fibres prolifèrent abondamment et forment un feutrage épais.

Les cônes se différencient des masses méningitiques surtout par ce fait que,

dans les premiers, les tractus conjonctifs manquent, et aussi parce que au

milieu des amas nucléaires, on trouve de petites cellules à noyaux graisseux.

Je crois qu'il ne s'agit pas la d'un produit de la métamorphose répressive de la

néoformation, mais d'une conséquence de la disparition de la substance ner-

veuse, des fibres blanches.

Quant aux vaisseaux de la moelle, ils sont un peu augmentés de nombre,

mais cette augmentation n'est pas considérable. Un grand nombre présente une

dilatation marquée des gaines vasculaires. et ces tuniques sont, elles aussi,

bourrées de noyaux. Les tuniques de beaucoup de vaisseaux, surtout de ceux

qui traversent les cônes nucléaires, sont plus ou moins gonflées et ont un as-

pect colloïde homogène ; d'autres présentent la désintégration de leur tunique

adventice, la tunique interne ne présente pas les altérations décrites par

Heubuer.

Le canal central est partiellement oblitéré, surtout dans la moitié inférieure

de la moelle ; il est sur toute la hauteur plus ou moins entouré d'une zone

d'infiltration nucléaire.

Le parenchyme, fibres et cellules, est compris naturellement dans le pro-

cessus pathologique. Au milieu des végétations nucléaires compactes toutes les

fibres nerveuses sont détruites à part quelques-unes isolées. Mais malgré l'ex-

tension de ces végétations nucléaires, malgré leurs positions variées sur la

coupe transversale qu ne peut trouver de dégénération de cordons, systémati-

que. On trouve seulement éparses dans toute la substance blanche quelques

fibres nerveuses plus ou moins malades. Les parties les plus altérées sont les

cordons postérieurs, et dans les cordons latéraux les zones périphériques et

celles qui avoisinent les cornes postérieures. Le cordon postérieur droit est

beaucoup plus malade que le gauche. C'est la partie inférieure de la moelle dor-

sale qui est surtout atteinte.

Outre l'écartement des tubes nerveux, démontré par une coloration plus

claire à la méthode do Weigert, celle-ci montre encore des fibres isolées ou

réunies par petits groupes dont les cylindres-axes très gonflés se colorent on brun

et qui ne sont entourés que par un anneau étroit de myéline très peu colorée.

Les cylindres-axes sont tantôt granuleux, tantôt striés, parfois aussi vacuolisés.

Sur des fibres il y a transsudation de liquide entre la gaine et le cylindre-axe qui

est repoussé de côté dans la gaine très distendue. Enfin on trouve d'étroits

anneaux de myéline, colorés en bleu pâle homogène, sans cylindre, celui-ci a

disparu. Partout ça et là des boules do myéline. Sur des coupes longitudinales

on voit fréquemment des libres malades sur une courte étendue, le cylindre-axe

se gonfle, devient 10, 20 fois plus gros et quelques millimètres plus loin il re-

devient normal, ou se termine en massue volumineuse, d'aspect vitreux.

Dans la substance grise les fibres sont épaisses, gonflées, surtout dans la

moelle dorsale et la partie inférieure de la moelle lombaire, au niveau du ren-

294 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

flement lombaire l'altération est moins marquée. Les fins réseaux des tubes

- sont écartés par suite des fortes masses nucléaires qui végètent entre eux, ils

se contournent et paraissent se désagréger. Certaines places des cornes anté-

rieures et des colonnes deCIarke sont totalement dépourvues de fibres.

Les cellules ganglionnaires, surtout les grandes cellules des cornes antérieu-

res et des colonnes deCIarke sont fortement atteintes par'le processus patho-

logique. Il nous a été impossible d'observer d'une façon attentive les cellules

plus petites, car la méthode de Nissl ne put être employée. Les changements

des grandes cellules, autant que nous avons pu le constater par d'autres procé-

dés, consistaient en gonflement cellulaire avec formation de vacuoles isolées,

dégénérescence granuleuse ou encore disparition complète des noyaux, de sorte

qu'à la place de cellules on ne voit plus qu'un amas de détritus ; d'autres

cellules bien qu'ayant encore leurs noyaux manquent de prolongements, sont

rabougries et fortement pigmentées. Les espaces lymphatiques péri-cellulaires

de nombreuses cellules ganglionnaires sont remplis de noyaux.

Ce sont les colonnes de Clark qui ont payé le plus large tribut à l'affection,

nous n'y trouvons plus sur certaines coupes une seule cellule, sur d'autres, nous

ne rencontrons que des cellules altérées. Dans les cornes antérieures de la

moelle dorsale, surtout dans ses parties inférieures de nombreuses cellules ont

disparu ; là en effet sur une coupe, on ne trouve parfois qu'une, 2 ou 3 cellules

et celles-là même sont déformées et n'ont pas de prolongements apparents. Sou-

vent sur une coupe, on trouve l'une des cornes antérieures plus atteinte que

l'autre, c'est tantôt la gauche, tantôt la droite. Dans le renflement lombaire, on

trouve parfois au milieu d'un grand nombre de cellules normales, des cellules

ayant subi la dégénérescence décrite plus haut. C'est surtout le groupe antérieur

médian et latéral qui est affecté par le processus pathologique. Dans la moelle

sacrée, bon nombre de cellules ont disparu. C'est dans le renflement cervical

qu'existent les moindres ravages, mais encore ils sont assez marqués.

Signalons enfin dans la substance grise des cornes antérieures de petites hé-

morrhagies récentes,libres au milieu des tissus et présentant des hématies inal-

térées. »

Cette observation est véritablement remarquable par la précision des

détails et leur correspondance absolue avec les lésions que nous avons

nous-mêmes trouvées dans les moelles altérées des foetus hél'édo-syphili-

tiques.

RECHERCHES PERSONNELLES.

Mes recherches ont porté sur trente foetus.

Pour étudier leur moelle et surtout les enveloppes spinales que je soup-

çonnais, en raisonnant par analogie avec la syphilis acquise, devoir être le

siège maximum des lésions, j'ai, dans le plus grand nombre de cas, laissé

la moelle et ses enveloppes dans le canal rachidien et après avoir décalcifié

les pièces, j'ai coupé à la fois les vertèbres et le contenu du canal. me

mettais ainsi à l'abri de tout traumatisme direct sur la moelle, difficile à

m , ,

%LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HEREDITAIRE 295

éviter sur des pièces aussi fragiles, je conservais les rapports des parties

entre elles et j'avais l'avantage de pouvoir examiner, autour de l'axe spinal,

des masses musculaires qui me renseignaient sur la diffusion des lésions

hors du système nerveux.

Je me suis servi comme fixateur du liquide de Muller et du formol, pour

décalcifier les vertèbres j'ai employé une solution à 1/2 U/0 d'acide chro-

mique souvent renouvelée. Quelques pièces décalcifiées à l'acide azotique

soit simplement dilué, soit en solution dans l'eau salée et l'alcool n'ont

pas donné de bons résultats.

La coloration la meilleure pour se rendre compte des lésions spécifiques

que nous recherchions est sans contredit l'hématoxyline alunée qui a une

affinité remarquable pour les cellules rondes qui forment le fond des lé-

sions que nous allons décrire. Cette coloration est essentielle. Les coupes

ont été ensuite éclaircies par le xylol phéniqué éosiné qui met en relief

beaucoup de détails concernant le tissu conjonctif, le sang, etc. `

Les cordons blancs ont été étudiés par la méthode de Pal, qui donne de

très beaux résultais sur les moelles de foetus,

Enfin des coupes colorées au picrocarmin nous ont permis d'étudier de

plus près les cellules nerveuses de l'axe gris.

L'âge,des foetus a varié, le plus grand nombre était né à terme, quel-

ques-uns vivants, d'autres macérés déjà, l'un n'avait que trois mois, six

avaient de cinq à six mois et demi, cinq huit, mois environ.

Sur la syphilis des parents, à part l'existence ou l'absence, nous n'avons

eu le plus souvent que des renseignements très incomplets. Nous devons

dire qu'il s'agissait le plus souvent de foetus portés par des femmes présen-

tant au moment même de l'accouchement ou au moins pendant les derniers

mois de la gestation des lésions en pleine évolution, lésions secondaires

presque toujours. Cependant cinq fois la syphilis maternelle datait déplus

de deux ans de trois à six ans dans l'observation IX où les lésions

atteignent leur maximum et sont surtout fibreuses, il est intéressant de

noter que le chancre a été constaté quatre mois seulement avant l'accou-

chement du foetus qui s'est fait à terme.

Sur les trente foetus que nous avons examinés quatre seulement étaient

nés de parents indemnes de syphilis, des vingt-six autres, quatre avaient

des lésions très profondes de la moelle, lésions évidentes, grossières en

quelque sorte, telles que infiltrations nucléaires énormes, gommes, disloca-

tion par la fibrose, dix avaient une congestion évidente de tous les vais-

seaux de l'axe spinal, mais à côté de cette congeslion, qui peut paraître

n'être qu'un phénomène d'ordre banal, nous avons constamment trouvé

quelque lésion plus particulière permettant de rattacher un tel état au pro-

cessus spécifique. Sept avaient des lésions intermédiaires. '

296 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Avant de décrire les lésions que nous avons trouvées il est bon de rap-

peler l'aspect de nos coupes à l'état normal.

Au centre du canal rachidien beaucoup trop vaste pour les éléments

qu'il renferme, la dure-mère forme un premier anneau.

Entre la dure-mère et les parois osseuses du canal s'étend un espace

presque vide tellement les mailles du réseau conjonctif très délié qui le

remplit sont larges, les travées très minces de ce réticulum supportent des

vaisseaux dont les parois sont d'une ténuité extrême, dont le calibre est

parfaitement régulier, arrondi comme il est naturel puisque rien ne gêne

l'expansion des parois.

Si nous insistons sur ces détails c'est que très souvent nous allons noter

que cet espace, espace extradural. est envahi par un tissu conjonctif très

serré où les vaisseaux tiraillés, comprimés prennent des formes irréguliè-

res pendant que leurs parois s'épaississent pour ainsi dire à l'infini, formés

uniquement par le tassement des fibrilles conjonctives voisines.

Certaines coupes montrent dans cet espace les faisceaux déjà réunis des

racines. Notons ici que la gaine conjonctive qui les entoure est normale-

ment épaisse, de même que les prolongemen ts qu'elle envoie entre les divers

faisceaux, notamment le prolongement qui sépare le groupe de la racine

antérieure et celui de la racine postérieure.

La dure-mère est d'épaisseur variable : elle est formée de stratifications

conjonctives au milieu desquelles il y a peu de vaisseaux et pas de noyaux

pour ainsi dire. Elle adhère de temps en temps en avant la partie posté-

rieure du corps vertébral, recouvert par le grand ligament postérieur,

mais elle est toujours séparée il moins d'épaississement pathologique de la

paroi postérieure du canal. Lorsque la coupe rencontre les racines au mo-

ment où elles traversent la dure-mère celle-ci s'infléchit sur elles et c'est

son prolongement que nous avons décrit, plus haut, engainant les racines

dans l'espace extradural, lorsque la coupe les rencontre un peu plus bas.

La moelle est au centre, on y rencontre les mêmes parties que chez

l'adulte, il faut cependant remarquer que l'axe gris y prend plus d'impor-

tance par rapport au manteau blanc; les colonnes cellulaires sont très

nettes, les cellules ont absolument l'aspect que nous leur connaissons chez

l'adulte; le réticulum des tubes nerveux abondant et bien mis en évi-

dence par le Pal. Les cordons blancs sont remarquables en ce sens que

dans les moelles que nous avons étudiées les faisceaux-pyramidaux, directs

et croisés ne sont pas encore développés, d'où un aspect qui pourrait en

imposer pour une dégénérescence descendante. De même dans toutes les

moelles le cordon de Goll est très distinct du cordon de Burdach, il se co-

lore moins par le Pal, c'est encore là un aspect normal et non la suite

d'une dégénération ascendante. 1

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 297

Les vaisseaux de la moelle proprement dite sont, pour les artères épen-

dymaires, variables dans leur aspect mais perméables et le plus souvent

gorgés de sang, pour les vaisseaux radiés, on reconnaît bien leur gaine

lymphatique vide sous forme d'un espace clair autour d'eux, leurs parois

très minces portent de rares noyaux allongés et espacés.

Les racines, par le Pal, montrent les antérieures toujours beaucoup

plus foncées que les postérieures. Chaque fascicule contient un ou plu-

sieurs vaisseaux toujours à parois très minces à lumière arrondie. Dans le

trajet entre la pie-mère et l'arachnoïde, c'est-à-dire dans l'espace sous-

arachnoïdien, les racines sont absolument libres, chaque faisceau séparé

des autres par un espace vide et les travées déliées qui séparent les fasci-

cules entre eux ne montrent ni cellules à noyau, ni tissu conjonctif appré-

ciable, ce n'est que plus tard quand la racine est arrivée près du trou de

conjugaison qui doit lui liner passage qu'elle s'infléchit en dehors, se re-

couvre d'une gaine arachnoïdienne, puis d'une gaine durale épaisse qui

amène des cloisonnements dans son intérieur.

La pie-mère est mince, elle envoie dans le sillon postérieur un prolon-

gement peu visible qui réunit les deux moitiés de la moelle, dans le sillon

antérieur un prolongement plus épais, séparé du tissu nerveux et dans

lequel courent des vaisseaux plus ou moins gorgés de sang. Elle adhère

faiblement par sa face interne à la moelle qui plus rétractée s'en sépare

généralement régulièrement tout autour. Sur sa face externe elle est lisse,

pas une cellule ne la dépasse, son tissu conjonctif esfmince, délié, avec

quelques noyaux mais peu abondants. '

L'arachnoïde est éloignée d'elle de toute l'épaisseur des racines qui s'in-

sinuent ainsi, absolument libres, dans l'espace sous-arachnoïdien. Elle se

présente sous la forme d'un trait très fin, légèrement onduleux, concen-

trique à la dure-mère dont elle est plus ou moins rapprochée sans que rien

ne la réunisse à celle-ci du reste.

11 nous faut encore signaler comme normal le protongementpie-mérien

du ligament dentelé dont, les festons coupés au-dessus ou au-dessous de

leur point d'insertion ne sont plus représentés que par un tronçon con-

jonctif partant de la pie-mère, s'avançant vers la dure-mère sans l'attein-

dre et qui au premier abord, recroquevillé en une petite masse fibreuse,

pourrait en imposer pour un produit pathologique.

Les vaisseaux n'ont pas la régularité des descriptions classiques. Les

gros vaisseaux spinaux antérieurs sur une même moelle sont très variables

dans leurs dimensions, mais, en général, ils sont facilement visibles l'un

et l'autre, déformés seulement quand la coupe intéresse l'origine des

rameaux qui vont au septum du .sillon médian antérieur; Tarière en

général vide de sang, plus ou moins aplatie, la veine plus arrondie, les

298 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

parois minces. Les vaisseaux sont entourés d'un tissu conjonctif formé par

l'épaississement de la pie-mère au niveau de l'insertion en triangle du

septum médian, mais le tissu conjonctif est mince, délicat, sans noyau et

assez souple pour que les vaisseaux ne soient pas déformés.

En arrière on trouve généralement une ou'deux grosses veines à parois

très minces et à calibre régulier. Latéralement les artères spinales posté-

rieures sont très variables dans leur calibre, parfois très grosses elles sont

sur d'autres coupes de la même moelle beaucoup moins volumineuses, et

sur la même coupe, celle de droite peut être très différente de celle de gau-

che. Il en est de même des veines qui les accompagnent. Remarquons seu-

lement que leurs parois sont toujours d'une épaisseur régulière, non in-

filtrées de cellules et que surtout, ces vaisseaux semblent absolument

isolés, ils se détachent nettement sur la coupe des parties voisines plus ou

moins éloignées et auxquelles nul processus fibreux ou embryonnaire ne

les relie.

Voyons maintenant les principales lésions que nous avons trouvées.

Ces lésions siègent principalement dans les vaisseaux d'une part, dans

l'espace sous-arachnoïdien et les méninges d'autre part.

Les vaisseaux. Examinons d'abord les gros troncs, l'artère et la veine

spinales antérieures. Lorsque la lésion est très intense, ces vaisseaux ont

pour ainsi dire disparu, le tissu conjonctif qui les entoure d'ordinaire est

transformé en un bloc fibreux dans lequel des bourses irrégulières sonl

creusées, plus ou moins pleines de sang, vaisseaux néoformés qui cherchent

à suppléer les troncs normaux dont il ne reste même plus de traces. D'au-

* tres fois les tuniques sont altérées de telle sorte qu'il est impossible de re-

connaître l'artère de la veine; complètement infiltrées de noyaux elles

se confondent à la périphérie avec les lissus voisins, la tunique musculaire

est dissociée, méconnaissable, et. du côté de la lumière la disparition de la

lame élastique, l'irrégularité des contours, la prolifération des noyaux

empêchent toute distinction. Une fois, nous avons trouvé Tarière, encore

reconnaissable, entièrement transformée en un bloc homogène coloré en

rose par l'éosine, dans lequel l'hém : 1toxyliile colorait à peine quelques

rares noyaux. Mais le plus souvent on peut étudier et reconnaître les tuni-

ques de ces vaisseaux. On remarque alors que surtout la tunique cxlernc

est le siège d'une infiltration abondante de cellules rondes qui s'infiltrent

entre les lames conjonctives, s'amassent, parfois sur un point de la cirçon-

férence en un nodule volumineux, débordant il la périphérie le vaisseau

qui n'est plus lihre mais confondu avec l'infiltration voisine sans qu'il soit L

possible de préciser ses contours. Au milieu de ces parois épaisses le ca-

libre est plutôt rétréci, cependant la couche musculaire reste il peu près

intacte formant sur les coupes une bande régulièrement circulaire de

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE " 299

noyaux allongés et parallèles, Tarière montre sa tunique élastique ondulée,

brillante, l'endartéye comme t'endoyeine semblent alors respectées.

Ces différents aspects peuvent se retrouver sur une même moelle. En

effet les lésions vasculaires quelles que soient leurs formes n'occupentja-

mais qu'un point limité du trajet du vaisseau, mais il est rare qu'on trouve

des portions absolument-saines quand des altérations profondes peuvent

être notées en un point quelconque. Quoi qu'il en soit, les coupes étagées

sur toute la hauteur de la moelle, montrent une variété infinie des lésions

des gros troncs spinaux antérieurs.

Ces altérations nous les retrouvons et avec les mêmes caractères soit dans

la veine spinale postérieure; soit surtout dans les vaisseaux du système

postéro-latélal. Il s'agit toujours de l'infiltration des paroispar les cellules

rondes et de leur épaississement par la prolifération du tissu conjonctif,

les figures que nous en donnons permettent de se rendre compte de l'in-

tensité des lésions, celles-ci sont souvent limitées il une partie seulement

de la périphérie, formant à ce niveau une gomme microscopique. Mais la

lésion constante est toujours la perte des contours extérieurs par la fusion

avec les végétations nucléaires voisines, le développement excessif des pa-

rois, le rétrécissement de la lumière. Nous avons noté rarement la proli-

fération de l'endothélium, une fois cependant nous avons eu une figure très

nette représentant une sorte de bourgeon formé par des couches stratifiées

concentriques à la tunique élastique et remplissant à moitié la lumière du

vaisseau.

Les vaisseaux des racines ne sont pas épargnés. Comme nous l'avons

vu chaque fascicule radiculaire est accompagné de vaisseaux qui à l'étatnor-

mal n'ont qu'une paroi très mince, cette paroi peut acquérir des dimen-

sions colossales, témoin la figure VIII, qui représente un de ces vaisseaux.

Nous verrons enfin en étudiant les lésions médullaires proprement dites

que les vaisseaux propres de la moelle ne sont pas moins atteints. 4

Le contenu des vaisseaux est intéressant à noter. Les artères contiennent

assez souvent du sang, les veines peuvent être plus ou moins distendues,

mais parfois le nombre des cellules à noyaux est très considérable et nous

avons noté l'existence de véritables thromboses leucocytiques ; il semble

que dans le sang même au milieu des globules rouges il y ait des amas de

cellules embryonnaires semblables à celles qui infiltrent les parties voisi-

nes, et dans certains points la lumière du vaisseau est complètement rem-

plie par ces cellules.

Mais il nous faut encore insister sur la diffusion de ces lésions vascu-

laires, nous les retrouvons en dehors de la moelle et des méninges, en

dehors de Taxe spinal proprement dit, au milieu des muscles comme dans

les organes viscéraux que nous avons examinés. La syphilis congénitale

300 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

est une maladie de l'organisme tout entier, nous ne relevons ici qu'une

localisation prépondérante.

L'espace sous-arachnoïdien et les méninges sont après les vaisseaux les

parties les plus souvent atteintes par le virus spécifique. Eludions d'abord

les méninges.

La dure-mère est très souvent lésée,-épaissie considérablement, infiltrée

par des cellules rondes qui forment des traînées embryonnaires au milieu

des stratifications du tissu conjonctif, elle se confond quelquefois avec

les méninges voisines, c'est ainsi que dans un cas les trois méninges ne

forment qu'une masse unique au niveau de l'insertion du septum médian

antérieur, mais surtout elle est souvent en contact direct avec le tissu mor-

bide qui infiltre tout l'espace extradural. Là se développe un tissu fibreux

déplus en plus serré, au lieu des larges mailles du fin réticulum nous

voyons un véritable feutrage conjonctif dans lequel les vaisseaux plus

nombreux que normalement, évidemment néoformés, tiraillés ou pressés

se déforment, leur lumière est limitée par une ligne sinueuse très irrégu-

lière comme gondolée, leurs parois réduites à J'endothélium des capillai-

res sont doublées par la condensation des fibres conjonctives voisines que

les cellules embryonnaires infiltrent en larges traînées. Cette sclérose de

l'espace extradural doit être une lésion précoce, elle est à peu près cons-

tante, elle est quelquefois la seule altération visible sur une coupe. Elle

peut comprimer et refouler la dure-mère et par son intermédiaire être

une cause évidente de la dislocation de la moelle, quand l'espa'ce laissé

libre n'est, plus suffisant pour loger les racines, l'arachnoïde, la pie-mère

et quelques détritus nerveux, restes de la moelle étranglée, pour ainsi dire,

à ce niveau par la pression élastique de ce tissu fibreux trop développé.

L'espace sous-arachnoïdien, où circule normalement le liquide céphalo-

rachidien nous a toujours paru absolument libre sur les coupes de moelles

de foetus non syphilitiques; chez ceux qui ont subi l'influence du virus

spécifique on le trouve maintes fois littéralement bourré de cellules rondes

qui le transforment ainsi en un bloc plein où les racines et les vaisseaux

doivent se frayer un passage. Il est très probable que les lésions débutent

par Tune des méninges qui bordent cet espace, ou peut-être par les vais-

seaux qui le parcourent, les vaisseaux des racines en particulier.

La pie-mère en effet est le plus souvent élargie, ses assises conjonctives

sont stratifiées et enlrc elles des traînées d'éléments embryonnaires se

pressent, surtout aux alentours des vaisseaux, ces éléments bientôt débor-

dent de toutes parts, couvrent complètement les faisceaux conjonctifs et

viennent se confondre avec ceux qui emplissent l'espace sous-al'adllloï-

dien.

L'arachnoïde subit le même sort. Au lieu de la ligne mince et sinueuse

, LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 301

normale, elle se présente sous la forme d'une bande épaisse disparaissant

complètement par places sous les cellules embryonnaires qui l'infiltrent et

la fusionnent pour ainsi dire avec les éléments voisins; souvent elle est

pour ainsi dire forcée et les cellules rondes s'étendent jusqu'à la duré-

mère.

Si cette prolifération -existe tout autour de la moelle elle est surtout

marquée dans la partie postérieure, le processus néoplasique ne forme pas

un cercle régulier mais plutôt une sorte de croissant dont le plein serait

en arrière et les cornes iraient se perdre et se réunir en avant. z

Tantôt l'infiltration est relativement discrète, les cellules bien que très

serrées les unes contre les autres forment des groupes laissant entre eux

des espaces libres, autour des racines qui traversent l'espace sous-arach-

noïdien elles s'accumulent mais ne les pénétrent pas, et à l'oeil nu rien ne

révèle ce processus si vigoureux.

Tantôt au contraire ces cellules se tassent, se fondent, se fusionnent en

une véritable tumeur, cette tumeur est alors visible à l'oeil nu. C'est la

gomme méningée, nous l'avons trouvée dans deux cas. Elle conserve la

même disposition en croissant que nous avons décrite pour le processus

général, très épaisse à la partie postérieure elle s'amincit sur les côtés

mais ne dépasse pas les limites de la demi-circonférence postérieure de la

moelle, celle-ci rejetée en avant et de côté, évidemment comprimée, a peine

à se loger dans ce qui reste libre du canal rachidien. Plus volumineuse

que la moelle sur la coupe transversale la gomme se montre, de coloration

et d'aspect, à peu près semblable au tissu nerveux auquel elle est accolée

mais séparable, non fusionnée. Au microscope elle a la constitution

connue de ces tumeurs, beaucoup de cellules dégénérées ne se laissent

plus colorer par les réactifs, les organes compris dans la prolifération ont

totalement disparu ou ne sont plus perceptibles qu'avec peine, de grands

espaces ramollis ou vides au centre indiquent la tendance de ces néoplas-

mes à la caséilication, seules les extrémités se continuant insensiblement

avec le processus de pure infiltration embryonnaire que nous avons décrit

plus haut permettent de rattacher ces cas, en apparence si différents, aux

cas les plus nombreux que nous considérons comme de règle générale dans

le processus de la syphilis héréditaire de la moelle épinière. Et en effet

non seulement les extrémités antérieures sur une coupe transversale isolée

mais aussi, dans le cas où la lésion est limitée, les faces supérieure et in-

férieure de la tumeur pénètrent dans des zones de proliférations nucléaires

confluentes qui peu à peu finissent par persister seules.

Que deviennent les racines dans cet espace sous-arachnoïdien ainsi trans-

formé ? Nous les trouvons quelquefois passantpour ainsi dire sans atteinte

au milieu de la prolifération embryonnaire, mais cela est rare, le plus

302 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

souvent les cellules qui les entourent les pénètrent. On peut voir comme

dans la figure X les tractus déliés qui séparent les fascicules infiltrés par

les cellules rondes et celles-ci à certains points s'amassent en nodules mi-

croscopiques. Dans d'autres cas c'est des vaisseaux mêmes des racines,

vaisseaux très altérés comme nous l'avons vu, que part l'infiltration em-

bryonnaire et alors l'aspect est spécial ; sur un des côtés du fascicule les

cellules s'amassent comme un croissant fortement coloré en violet par

l'bématoxyline pendant que le reste du fascicule' est peu ou pas infiltré.

Mais si dans ces cas les libres nerveuses restent indemnes il est certain que

la lésion peut être poussée plus loin ; dans le cas de notre numéro XVII

la tumeur a refoulé en avant un certain nombre de faisceaux radiculaires

des racines postérieures mais le plus grand nombre a disparu englobé,

détruit par le processus et a subi avec les cellules embryonnaires la fonte

caséeuse que nous avons signalée. Les lésions radiculaires ne sont pas sans

importance, signalées chez l'adulte à propos de la syphilis acquise elles

prennent un caractère très spécial puisque on les retrouve également chez

l'individu atteint de syphilis congénitale (Siemerling, Boeltiger).

Lorsque les racines sont seulement infiltrées on les suit facilement jus-

qu'aux ganglions spinaux. Pas plus que les racines ils ne semblent se

ressentir beaucoup des lésions très nettes qu'ils présentent, cependant,

leurs cellules, étant données les réserves que nous formulerons en parlant

des cellules de la moelle, nous ont paru conserver leurs caractères nor-

maux, elles forment des travées séparées par les faisceaux des racines pos-

térieures qui se prolongent entre elles bien colorés en noir par le Pal.

Nous avons noté souvent l'épaississement de la gangue conjonctive du gan-

glion qui peut aller jusqu'au quadruple de l'épaisseur normale, nous avons

noté surtout l'infiltration de cellules embryonnaires dans les travées cellu-

laires, le long des conducteurs nerveux qui semblent respectés par l'infil-

tration.

La moelle elle-même présente rarement des lésions considérables, nous

n'avons trouvé que dans deux cas des désorganisations manifestes, indis-

cutables du tissu nerveux. A part ces cas sur lesquels nous reviendrons

avec quelques détails, on peut dire que d'abord en ce qui concerne les élé-

ments nobles, il est possible que des lésions cellulaires puissent exister, que

des cylindres-axes soient le siège de déformations variées, toutes les fois que

nous les avons rencontrés nous avolls signalé les aspects anormaux, mais

la technique que nous avons employée ne nous a pas permis d'atteindre

dans nos colorations la délicatesse nécessaire il de si précises constata-

tions. En général, les cellules ollt conservé leurs formes, leur groupement,

leur nombre, leurs dimensions, quant aux différences de coloration du

noyau ou du nucléole, quant il l'aspect plus ou moins granuleux ou vitreux

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 303

du protoplasma, nous ne nous croyons pas en droit d'en tirer des conclu-

sions valables, étant donnés l'époque incertaine de la mort du foetus, le

temps écoulé avant la fixation et les réactions particulières imputables il

celle-ci. 11 nous semble plus prudent, malgré l'intérêt d'actualité de telles

études, de rester sur la réserve en ce qui concerne cette question des alté-

rations cellulaires. -

La coloration au Pal nous a montré que la moelle conservait sa myéline

dans les différents systèmes de cordons, qu'il n'y avai pas de dégénération

systématique si nous tenions compte des aspects normaux que nous avons

signalés plus haut.

Les parties conjonctivo-vasculaires de la moelle sont plus atteintes. Les

vaisseaux qui. ont rang d'artérioles et longent de chaque côté le canal de

l'épendyme sont fréquemment le siège d'une desquamation endothéliale

qui fini[ par oblitérer complètement-leur calibre, la lumière vide de sang

ne contient plus que des cellules à noyaux allongés, entassés en désordre.

Autour des vaisseaux, les noyaux embryonnaires se multiplient. ' Cet as-

pect se retrouve sur les vaisseaux radiés, au lieu de se présenter avec le

double contour vide de leur gaine lymphatique, ils forment des traînées

cellulaires qui s'avancent de la périphérie de la moelle vers le centre, plus

ou moins-épaisses, toujours plus larges du côté de la pie-mère et au milieu

desquelles on ne retrouve nul vestige du vaisseau, nulle trace d'hématies.

Enfin la moelle au lieu d'être isolée de la pie-mère, est tantôt confondue

avec celle-ci au point que la rétraction due aux divers réactifs peut faire

déchirer la substance nerveuse dont des lambeaux restent adhérents à la

méninge, et par le même processus le sillon médian antérieur disparait

grâce il l'accollement sur le double feuillet méningé des cordons médullai-

res voisins; tantôt au contraire, séparée d'elle par un exsudai depuis long-

temps déjà signalé par les auteurs à propos de la syphilis acquise et que

nous avons noté plusieurs fois; exsudai grenu, sans structure appréciable,

coloré en violet clair par l'hématoxyline alunée et dans lequel on peut re-

trouver quelques rares cellules rondes.

Deux fois nous avons trouvé des lésions considérables de la moelle, c'est

dans les observations IX et XVII qu'on pourra lire les détails de ces lé-

sions, nous nous contenterons ici de les résumer rapidement. Dans un cas

il s'agit d'une lésion relativement limitée, puisqu'elle n'existe que dans

la partie inférieure de la moelle cervicale et qu'on ne la retrouve pas dans

les coupes de la moelle dorsale. Elle consiste dans l'envahissement de la

substance blanche d'une des moitiés de la moelle par un néoplasme mé-

ningé volumineux que nous avons déjà décrit plus haut. En effet, la subs-

tance blanche qui, sur tout le reste de la coupe, présente son aspect nor-

mal et est licitement limitée du côté droit par la pie-mère à laquelle elle

304 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

adhère cependant d'une manière intime perd' progressivement tous ses

caractères du côté gauche de la coupe; on ne distingue plus ses limites

qui semblent diffuses et elle va se perdre dans un tissu de néoformation

caractérisé surtout par le manque de structure apparente et qui se conti-

nue directement avec la tumeur méningée dont il fait évidemment partie

intégrante. Dans tout l'espace qui correspond au manteau blanc de ce côté

on ne distingue plus de tubes nerveux, ni les nombreux noyaux névro-

gliques qui parsèment le reste de la coupe, mais une substance grenue,

prenant mal les couleurs, infiltration gommeuse au stade de régression ou

dégénérescence primitive. Car il faut remarquer que dans ce cas les artères

sont absolument transformées, méconnaissables et peine perméables.

Les lésions sont beaucoup plus étendues dans le cas IX, aussi bien par

leur profondeur excessive, puisqu'elles désorganisent toutes les parties de

la moelle, que par leur extension à toute l'étendue de celle-ci. Au milieu

d'un épaississement fibreux véritablement colossal des méninges, la moelle

comprimée, affaissée, nécrosée a fini par disparaître presque entièrement ;

dans la région cervicale moyenne ce n'est plus qu'un alfias de détritus

informes où il est absolument impossible de distinguer quoi que ce soit,

plus haut on retrouve difficilement les différents éléments constitutifs de

la moelle, plus bas il faut aller jusqu'à la région lombaire avant que les

coupes montrent nettement les deux moitiés de l'axe spinal, encore les

lésions y sont-elles considérables, la corne postérieure, et un cordon la-

étant complètement dégénérés, et plus bas les lésions destructives

empêchent-elles de nouveau toute étude des éléments nerveux. Il est

assez facile d'interpréter de tels aspects. Il faut faire intervenir d'une

part la simple dislocation par pression mécanique des méninges hypertro-

phiées et fibreuses d'où la conservation de parties dissociées encore recon-

naissables, de cellules même persistant au milieu des détritus, il faut faire

intervenir surtout les dégénérations, la nécrose par compression et surtout

par lésions vasculaires. Les artères de l'épendyme, les vaisseaux spinaux

antérieurs sont obstrués, les racines sont infiltrées partout, comment la

moelle pourrait-elle conserver sa vitalité ?

Nous n'avons pas voulu interpréter a part, comme exemples de lésions

spécifiques les cas où le phénomène prédominant était la congestion intense

de tous les vaisseaux de la moelle. Il faut cependant les signaler puisque

pour les autres organes la congestion est décrite comme le premier stade

du processus syphilitique.

Nous en avons des exemples remarquables où tous les vaisseaux béants,

gorgés de sang donnent aux coupes des aspects absolument étranges : grands

lacs vasculaires dans l'espace extradural, dans la dure-mère elle-même,

dans l'espace sous-arachnoïdien, dans les racines et les ganglions où les

, LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 305

veines tiennent plus de place que les filets nerveux, dans la pie-mère où

la veine spinale postérieure s'étend en demi-cercle jusqu'à la rencontre

des veines latérales énormes, dans la moelle même dont tous les vaisseaux

distendus dessinent les septa conjonctifs radiés en longues traînées de glo-

bules rouges.

Les vaisseaux distendus à ce point finissent par se rompre. Nous avons

noté des hémorrhagies dans la pie-mère, dans la moelle, mais surtout dans

l'espace qui sépare la dure-mère de l'arachnoïde, cavité arachnoïdienne ;

celle-ci sert de barrière pour ainsi dire au sang, mais elle finit par se lais-

ser forcer et le sang pénétrant dans l'espace sous-arachnoïdien s'infiltre

entre les racines qu'il baigne de toutes parts.

En faveur de l'origine spécifique de ces dilatations vasculaires anor-

males, nous devons faire ressortir que dans la plupart des cas où elles

existent, nous avons trouvé quelques signes d'infiltration spécifique; c'est

tantôt au milieu des muscles voisins une gomme miliaire typique dans les

parois d'une artère, tantôt un léger degré de lepto-méningite, tantôt l'é-

paississement des parois des vaisseaux dans la moelle elle-même, ou bien

un exsudat sous-pie-mérien, l'adhérence du septum médian antérieur

aux cordons nerveux voisins, tous phénomènes qui indiquent un processus

que nous n'avons pas trouvé dans les moelles de foetus non-syphilitiques,

même lorsqu'elles étaient très congestionnées.

En résumé, à part de rares cas de dégénérescence nécrobiotique, nous

avons toujours trouvé la méningo-myélite diffuse embryonnaire, mais cette

méningo-myélite fait partie d'un processus général qui ne frappe pas seu-

lement le système nerveux mais bien tous les organes et elle est absolu-

ment comparable à l'hépatite interstitielle diffuse décrite par IIudelo (1),

aux lésions testiculaires décrites par Hutinel, aux lésions de la rate, des

poumons, des os, de la peau, des muqueuses et des ganglions décrites pré-

cédemment, absolument comparable aux lésions rénales qui viennent d'être

étudiées, aux lésions du placenta foetal décrites par Sclvvab (2) tout récem-

ment, et elle contribue à diminuer encore le nombre des cas où les foetus

syphilitiques sont soi-disant morts sans lésions, par une inexplicable et

singulièrement vague inaptitude à la vie.

Observations personnelles. ,

Observation 1, 27 octobre 1895 (Cochin).

Foetus de 5 mois. Mère non-syphilitique, morte de granulie (autopsie). Le

foetus extrait immédiatement après la mort n'a pas donné signe de vie, bien

(1) HunELO, Lésions viscérales dans la syphilis héréditaire, lésions du foie. Th. Paris,

1890.

(2) SCIlW.\B, De la syphilis du placenta. Th. Paris, 1896.

lx 20

306 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

qu'on ait constaté les battements du coeur jusqu'au dernier instant. Les viscères

ne présentaient rien de particulier.

Le cerveau et ses enveloppes d'apparence normale.

La moelle à l'aeil nu paraît saine ainsi que ses enveloppes.

Au microscope :

Région cervicale : cordons blancs, cellules de l'axe gris, canal épendymaire

normaux. -

Racines non infiltrées, libres, les vaisseaux n'y sont pas anormalement dé-

veloppés.

Ganglions normaux.

Pie-mère, n'adhère pas à la moelle à cause de la rétraction de celle-ci ; forme

une ligne mince légèrement sinueuse, contenant quelques cellules à noyau dans

un stroma conjonctif léger. ,

Arachnoïde, se montre sous l'aspect d'une ligne très fine, absolument nette,

sans infiltration.

Dure-mère, d'épaisseur moyenne, formée de stratifications conjonctives, sans

infiltration nucléaire, sans vaisseaux.

L'espace qui s'étend entre la dure-mère et la périphérie du canal rachidien,

- espace extradural est libre ou parcouru dans certaines coupes par des

travées extrêmement déliées, limitant de grands espaces irréguliers et suppor-

tant de fins capillaires. -

Vaissseaux : artères et veines spinales antérieures très distinctes, artères

et veines des racines, vaisseaux de calibre moindre, ne présentent rien à si- ..

gnaler.

Régions dorsale, lombaire, DE la queue DE cheval, se présentent également

comme la région cervicale avec leurs aspects normaux.

Observation II, 10 décembre 1895 (Cochin).

Foetus de 8 mois environ. Mère spécifique secondaire.

Pas trace de macération. '

Organes viscéraux ne présentent rien de particulier.

Le cerveau et ses enveloppes sont d'apparence normale.

La moelle a conservé sa forme normale, la dure-mère paraît très épaisse,

l'espace extradural est rempli par un tissu rougeâtre consistant.

Au microscope :

RÉGION cervicale. A un faible grossissement on est frappé par l'existence

entre la pie-mère et l'arachnoïde d'une masse uniforme englobant les racines

et par la distension de tous les vaisseaux gorgés de sang.

Les cordons blancs, les cellules de cornes grises, l'épendyme sont normaux.

Les racines ne sont pas libres ; elles sont noyées au milieu des cellules rondes

qui les entourent et même pénètrent dans les travées conjonctives qui les divi-

sent, elles sont aussi remarquables par la distension exagérée des vaisseaux qui

sont dans leur intérieur.

Les ganglions entourés d'une coque fibreuse très épaisse sont infiltrés de

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 307

cellules rondes embryonnaires qui se groupent autour des cellules nerveuses

dans les travées laissées libres par les filets radiculaires.

La pie-mère est très épaissie surtout au niveau de l'insertion du septum mé-

dian antérieur, où elle forme un triangle de tissu conjonctif très serré dans

lequel les vaisseaux sont difficiles à distinguer. Elle est nettement séparée de

la moelle, mais en certains points il existe entre les deux un exsudat grenu

coloré en rose terne par l'éosine et dans lequel 1'liématoxyline colore un certain

nombre de cellules embryonnaires. Celles-ci ont complètement envahi la mé-

ninge, elles s'amassent par places en foyers volumineux qui s'étendent jusqu'à

l'arachnoïde, englobant les racines et les pénétrant comme nous l'avons vu.

Il semble ainsi que l'espace laissé libre entre les deux méninges soit bourré

de cellules rondes.

Les vaisseaux de la pie-mère sont distendus, ils sont le centre de ces forma-

tions embryonnaires.

L'arachnoïde est également épaissie, triple au moins de ses dimensions nor-

males ; constituée par des stratifications de tissu fibreux et surchargée de cel-

lules rondes, celles-ci débordent comme nous venons de le dire du côté de la

pie-mère, mais aussi en dehors, bien que d'une manière beaucoup moins uni-

forme vers la dure-mère.

La dure-mère a une épaisseur considérable, elle est entièrement fibreuse et

ne contient pour ainsi dire pas de noyaux. Au niveau de l'insertion du septum

médian antérieur, elle se confond avec l'arachnoïde et la pie-mère en une

masse unique.

L'espace extradural est comblé par un tissu fin, à larges mailles, formé d'un

réseau très délié supportant un grand nombre de noyaux et surchargé de vais-

seaux distendus par le sang.

Les vaisseaux spinaux antérieurs sont noyés au milieu d'un épaississement

fibreux de la pie-mère. Leurs parois sont impossibles a délimiter. Seules des

cavités remplies de globules sanguins, creusées irrégulièrement dans ce tissu

conjonctif représentent ces vaisseaux, leur calibre est irrégulier, déformé, si-

nueux, encore perméable cependant.

Les artères et les veines du système postéro-latéral sont le siège d'altérations

marquées ; l'artère contient du sang comme la veine; leur lumière est irrégu-

lière, à contours festonués ; les tuniques interne et moyenne paraissent saines,

mais l'adventice considérablement épaissie, infiltrée de noyaux et principale-

ment de noyaux réunis en amas et non uniformément dispersés sur toute la

circonférence, loin d'être libre comme dans les cas normaux, se confond peu à

peu à la périphérie-avec le tissu embryonnaire qui l'entoure.

Dans la pie-mère sont creusés de vastes lacs sanguins bourrés de globules

rouges, entourant presque entièrement la moelle d'un cercle de sang. Leurs

parois sont minces, réduites pour ainsi dire à l'endothélium appliqué directe-

ment sur le tissu conjonctif voisin.

Au niveau du sillon médian postérieur de la moelle, à l'insertion du sep-

tum, deux de ces vaisseaux volumineux sont le siège de thrombose leucocytique

absolument remarquable ; ce n'est plus du sang que contient le vaisseau, mais

308 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

un véritable noyau formé par un amas d'éléments embryonnaires semblables à

ceux qui infiltrent l'espace sous-arachnoïdien.

Les muscles avoisinant les vertèbres sont également le siège d'infiltrations

embryonnaires en amas, le tissu conjonctif y est abondant sous forme de larges

travées fibreuses rayonnant autour des vaisseaux. ,

Région dorsale. Ce qui frappe encore à un faible grossissement, c'est la

distension de tous les vaisseaux gorgés- de sang. Sur une coupe, en particulier,

le septum médian postérieur présente une dilatation vasculaire considérable,

sans qu'il y ait cependant d'hémorrhagie.

La moelle aussi bien dans sa substance blanche que dans sa substance grise

est parcourue par des vaisseaux énormément distendus.

Les racines sont ici absolument englobées dans le tissu fibreux qui leur forme

une vraie ceinture conjonctive épaisse, d'énormes capillaires pleins de sang

refoulent les tubes nerveux, et dans les minces travées qui séparent les fais-

ceaux, de nombreuses cellules embryonnaires se sont infiltrées, sans nulle part

du reste s'amasser en foyers.

La pie-mère et l'arachnoïde, comme plus haut, sont infiltrés de noyaux qui

emplissant l'espace sous-arachnoïdien, forment une masse épaisse englobant

les racines et de nombreux, vaisseaux à parois fibreuses. La prolifération em-

bryonnairè est ici à son maximum.

La dure-mère est très épaisse. Elle adhère aux vertèbres en avant et en ar-

rière, latéralement elle en est séparée par un tissu extraordinairement vascu-

laire où des capillaires énormes, de vrais lacs sanguins forment des taches

rosées caractéristiques.

Les vaisseaux, les artères surtout, bien que les veines ne soient pas indem-

nes, sont infiltrés dans leur tunique adventice très épaissie, confondue avec les

tissus voisins. Les vaisseaux spinaux antérieurs paraissent ici moins atteints

que dans la région cervicale, on peut les reconnaître facilement au milieu du

tissu fibreux qui les entoure, l'artère est aplatie, elle contient'du sang, les

limites de sa lumière sont sinueuse, ses parois externes, comme celles de la

veine du reste, sont le siège d'un envahissement embryonnaire excessif et se

confondent avec les tissus voisins sans limites nettes.

Région lombaire. On trouve exactement les mêmes caractères que ci-des-

sus. Nous remarquons ici que les vaisseaux distendus de la moelle restent en-

tourés de leur gaine lymphatique vide et non bourrée de cellules rondes comme

nous le verrons dans d'autres cas.

Queue DE C11EVAL.-La coupe perpendiculaire des racines frappe par la place

considérable qu'occupent dans chacune d'elles les capillaires distendus ; ces

vaisseaux béants, remplis d'hématies, tiennent sur la coupe certainement plus

de place que les filets nerveux eux-mêmes.

De plus ces racines sont encore réunies entre elles par la prolifération exces-

sive des cellules embryonnaires qui ont envahi tous les espaces laissés libres

entre elles.

Les ganglions paraissent moins infiltrés que dans les coupes précédentes.

La dure-mère reste considérablement épaissie avec des traînées leucocy-

tiques dans les fentes de ses stratifications fibreuses.

localisations spinales DE la SYPIIILIS HÉRÉDITAIRE 309

Observations III et III bis, 28 décembre 1895 (Cochin).

Deux foetus jumeaux de 5 mois environ. Mère non syphilitique, morte d'asys-

tolie.

Nulle trace de macération.

Cerveaux'et enveloppes. d'apparence normale. -

La 1noelte;.les racines et les méninges, les vaisseaux dans toute la hauteur

de l'axe spinal, les ganglions correspondent exactement au type normal que

nous avons décrit.

La seule lésion qu'on puisse relever est une distension un peu excessive des

vaisseaux/

Cette distension est telle que dans certaines coupes du n° III bis (région

lombaire) il y a eu déchirure et hémorrhagie. Le sang s'est répandu d'une

part entre la pie-mère et la moelle, et entre l'arachnoïde et la pie-mère d'autre

part. La substance nerveuse n'est pas refoulée du reste et paraît n'avoir subi

de ce fait aucune atteinte.

Observation IV, 12 janvier 1896 (Cochin).

Foetus à terme. Mère spécifique secondaire âgée de 2t ans, primipare.

Foetus mort 5 jours avant l'accouchement. Légèrement macéré.-

Cerveau et ses enveloppes d'apparence normale. Vaisseaux méningés con-

gestionnés..

Le bulbe et ses enveloppes, sauf la dure-mère qui paraît un peu épaisse, ont

macroscopiquement l'apparence normale, pas de déformation, pie-mère, ara-

chnoïde minces, bien distinctes.

L'examen microscopique ne révèle d'ailleurs rien d'anormal, les vaisseaux

mêmes sont presque sains, on remarque seulement au niveau du sillon anté-

rieur un triangle conjonctif pie-mérien assez volumineux dans lequel sont

creusées des veines distendues à parois épaisses, tandis que les artères restent

peu développées.

Moelle :

Région cervicale. La moelle proprement dite est normale dans ses divers

éléments, de même les racines et ganglions sont sains.

La pie-mère infiltrée de cellules rondes, épaisse, irrégulière, festonnée adhère

intimement à la moelle.

La dure-mère est normale en avant, tandis qu'en arrière elle est considéra-

blement augmentée d'épaisseur, sans ligne de démarcation elle se réunit au

périoste par une masse fibreuse creusée de vaisseaux irréguliers.

L'espace compris entre la dure-mère et la pie mère, où l'arachnoïde n'est plus

reconnaissable, est remplie par une masse grenue contenant peu de noyaux

colorés par l'hématoxyline.

Région dorsale. L'aspect est le même sur les premières coupes, il va s'ex-

pliquer bientôt.

En effet, peu à peu apparaît au niveau de la région dorsale moyenne, à la

face postérieure de la moelle, nettement séparée d'elle cependant, une tumeur

310 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

demi-circulaire, aplatie, comprimant la moelle qui prend une forme allongée

dans le sens transversal et au lieu d'occuper le centre du canal rachidien se

dévie sur le côté. Les dimensions de la tumeur sont celles de la moelle dans

le sens transversal et même un peu davantage puisqu'elle la dépasse sur les

côtés, dans le sens antéro-postérieur elle atteint environ les deux tiers du dia-

mètre médullaire. Il est peu facile de préciser la hauteur du néoplasme, elle

est certainement inférieure à un centimètre car macroscopiquement on n'en

trouve plus trace sur le fragment de moelle immédiatement inférieur à celui

qui la contient. Sa couleur est d'un blanc mat, différant peu de celle de la

moelle, sa consistance paraît également être à peu près celle du tissu nerveux.

Examinée au microscope, la moelle comprimée, légèrement déformée, ne

semble pas altérée dans sa structure, la pie-mère très épaisse, excepté, chose

rare, au niveau de l'insertion du septum médian antérieur, est très infiltrée de

cellules rondes, agglomérées par places en petits amas, elle n'adhère pas inti-

mement à la moelle, mais se confond en dehors avec le néoplasme. En réalité

celui-ci est à peu près circulaire, mais très mince en avant où la dure-mère

vient presque au contact de la pie-mère, il s'infiltre entre les deux méninges

qui s'écartent alors, englobant les racines toutes refoulées sur les côtés de la

moelle et s'étale largement^en arrière, présentant alors vraiment les caractères

d'une gomme. Tandis en effet que dans tout le reste de la coupe il ne s'agissait

que de cellules rondes plus ou moins agglomérées mais facilement colorables

par l'hématoxyline, ici on trouve sur le fond général de couleur gris de lin de

nombreux noyaux^ peine colorés, de place en place ces cellules ne se colorent

plus du tout, il reste un espace trouble sans structure apparente; en d'autres

endroits au contraire, un amas de noyaux fortement colorés en violet tranche

sur la teinte grise du fond. On devine encore les vestiges des vaisseaux englobés

par le néoplasme et reconnaissables à la longueur des noyaux de leurs tuni-

ques. Quelques globules rouges persistent agglomérés comme contenus dans des

vaisseaux dont les parois restent indistinctes. Les bords de la tumeur sont

irréguliers, frangés, il y a eu fonte en certains points, perte de substance, en

d'autres au contraire la tumeur pousse des prolongements d'infiltration em-

bryonnaire dans les parties voisines.

C'est ainsi que dans les coupes du segment supérieur à celui où se trouve

la gomme, on note que les racines sont difficiles à voir, tellement elles sont

noyées au milieu du tissu embryonnaire diffus qui s'étale entre la pie-mère et

l'arachnoïde. Du reste à ce niveau l'infiltration est générale, non seulement

l'espace compris entre la pie-mère et l'arachnoïde en est comblé, mais encore

ces membranes elles-mêmes en sont profondément remplies, les veines sont péné-

trées dans leurs espaces interfasciculaires, la moelle elle-même présente le long

des vaisseaux radiés qui partent de la pie-mère des sortes de triangles d'infil-

tration qui, nés de la méninge qui forme leur base, vont eu s'atténuant vers le

'centre de l'axe nerveux. La dure-mère elle-même est peu encombrée de cellu-

les rondes, mais l'espace extradural est rempli par un tissu très vasculaire à

mailles légères, et présente en certains points, surtout autour des vaisseaux,

des amas nucléaires assez considérables.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS -HÉRÉDITAIRE 311

Les vaisseaux sont peu malades, leurs parois sont bien infiltrées de cellules

à noyaux mais peu- épaissies. Les vaisseaux de plus petit calibre, les capillaires

sont remarquables seulement par leur distension énorme.

RÉGION lombaire. L'infiltration des méninges et de l'espace sous-arach-

noidien, quoique encore persistante, est beaucoup moins considérable.

Les ganglions sont extraordinairement infiltrés par des cellules rondes qui

emplissent-lès travées des cellules nerveuses, ces noyaux se réunissent parfois

en véritables gommes miliaires.

Queue DE cheval. Même aspect.

Les muscles voisins sont également le siège d'une infiltration embryonnaire

abondante.

Observation V, 18 janvier 1896 (Broca).

Le foetus à terme. Mère spécifique secondaire, âgée de 42 ans.

Foetus ne remuait plus depuis 24 jours. Très légèrement macéré.

Viscères d'apparence normaux.

La substance cérébrale est de consistance normale. Il y a une légère suffusion

sanguine sous l'arachnoïde, des deux côtés de la scissure interhémisphérique.

La moelle à l'oeil nu paraît saine ainsi que ses enveloppes.

Au microscope :

Région cervicale. Tout est normal. , ,

Région dorsale. Sans qu'on ait il relever d'autres lésions apparaît une

hémorrhagie considérable entre l'arachnoïde et la dure-mère, juste il la sortie

des veines dans le trou de conjugaison ; il n'y a d'abord presque pas de sang

dans le canal rachidien proprement dit, mais à mesure que l'on descend vers

les parties plus inférieures, le sang envahit tout l'espace laissé libre entre la

dure-mère et l'arachnoïde, celle-ci est refoulée par le sang, elle s'avance en

festons entre les racines nerveuses, sans que le sang s'échappe cependant.

Région lombaire. L'arachnoïde a cédé en quelques points, car le sang a

filtré entre les racines qui sont absolument entourées par les globules rouges.

Queue DE CHEVAL. - Le sang a tout envahi, enserrant de toutes parts les

racines restées d'apparence normales, ne paraissant pas comprimées par cet

épanchement. -

Observation VI, 19 janvier 1896 (Cochin).

Foetus à terme. La mère n'a pas été interrogée au point de vue d'une syphi-

lis antérieure. Elle ne présentait aucune infection aiguë au moment de l'ac-

couchement ; la mort du foetus, l'aspect des lésions constatées donnent au moins

de fortes présomptions en faveur de la spécificité congénitale.

Le foetus naît mort, non macéré. il présente un double pied-bot qui a été

étudié par notre ami et collègue Vauverts.

Les viscères semblent normaux.

La substance cérébrale, les méninges ont leur aspect habituel, mais il y a

une hémorrhagie sous-pie-mérienne abondante, en caillots.

L'hémorrhagie siège sur les deux hémisphères, au niveau du lobule para-

central, la zone atteinte est plus considérable à droite. Le caillot ne semble pas

312 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE

de date ancienne, il est noirâtre, non adhérent il,la surface cérébrale sous-ja-

cente.

L'examen de la moelle qui, à l'oeil nu, parait saine, a constamment montré par

la méthode de Pal dans tous les segments un piqueté noir répandu sur toute la

coupe, empêchant absolument de tirer parti de cette méthode d'examen. Il

s'agit là sans doute d'une faute de technique qui tient à la fixation préalable de

la pièce. Quoiqu'il en soit, il subsiste des altérations assez évidentes pour être

décrites avec soin.

Région CERVICALE.- La moelle est petite, très aplatie dans le sens antéro-

postérieur, il est facile à l'aeil nu de reconnaître l'épaississement de la dure-

mère et le tissu rougeâtre friable qui s'étend entre elle et les parois du canal

rachidien. '

Au microscope on note difficilement l'état des cordons blancs puisqu'on ne

peut les colorer à part, à l'éosine hématoxyline ils semblent normaux. Les

cellules de la substance grise se colorent, à peu près, à ce niveau et sont bien

distinctes, l'épendyme est normal.

Les racines absolument noyées dans le tissu embryonnaire qui les entoure

sont à peine reconnaissables.

Les ganglions sont normaux dans la plupart des points. On remarque sur une

des coupes un amas de cellules rondes pressées les unes contre les autres et

situé juste au milieu d'un ganglion ; des prolongements irréguliers prolongent

la lésion sur les travées occupées par les cellules nerveuses.

La pie-mère est extrêmement épaissie, elle est fibreuse, contenant peu de

noyaux; le septum médian antérieur est très large, fibreux contenant peu de

vaisseaux, peu de cellules embryonnaires.

L'arachnoïde est reconnaissable seulement par endroits, elle paraît peu at-

teinte, mais elle disparaît au milieu de la masse de cellules embryonnaires qui

remplit tout l'espace entre la pie-mère et la dure-mère.

La dure-mère est extrêmement épaisse, fibreuse, elle adhère intimement au

périoste en arrière de la périphérie du canal rachidien, partout ailleurs elle en

est séparée par du tissu conjonctif assez dense, très vasculaire. Elle est formée

de strates conjonctives entre lesquelles sont disposés des vaisseaux volumi-

neux à parois très épaisses, et des amas de cellules rondes plus ou moins com-

pacts.

Tout l'espace compris entre la pie-mère et la dure-mère est littéralement in-

jecté par l'infiltration embryonnaire qui recouvre complètement l'arachnoïde.

On dirait un néoplasme annulaire encerclant la moelle et noyant les filets ner-

veux des racines, mais toutes les cellules se colorent fortement, nulle part il

n'y a trace de dégénérescence, il s'agit d'un processus très actif. ,

Les vaisseaux sont difficiles à retrouver au milieu du tissu pathologique.

Les gros vaisseaux spinaux antérieurs sont représentés par des cavités anfrac-

tueuses, vides de sang, aux parois indistinctes, creusées dans l'épaississement

fibreux de la pie-mère.

Région DORSALE.- L'aspect est très semblable à celui de la région cervicale.

Cependant ici les racines sont plus distinctes, coupées en travers elles tran-

LOCALISATIONS spinales DE la SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 313

chent par leur coloration plus pâle sur l'infiltration des cellules embryonnaires

qui les entoure. Elles présentent du reste un aspect très spécial. Chaque disque

qui représente un groupe de filets nerveux est entouré d'un tissu conjonctif

abondant qui pénètre dans le fascicule radiculaire et le dissocie; mais entre

les filets nerveux et la gaine conjonctive qui les entoure se sont infiltrées des

cellules rondes qui, plus abondantes en un point de la périphérie, semblent for-

mer un croissant autour de la racine ; de ce nodule principal, périnévritique en

quelque sorte, partent des traînées embryonnaires qui filent le long des trac-

tus fibreux que nous venons de signaler dissociant les fascicules nerveux.

Région lombaire. -- La moelle est très altérée dans sa forme, le canal épen-

dymaire a pris un aspect étoilé qui se transforme plus bas en une large fente

transversale, il contient un exsudat grenu et beaucoup de globules à noyaux.

Les cellules des cornes grises sont encore distinctes.

Les racines présentent le même caractère que dans la région dorsale. Les

méninges sont également très épaissies, surtout la pie-mère entièrement fibreuse,

mais l'infiltration nucléaire est de plus en plus localisée entre la dure-mère et

l'arachnoïde qui protège ainsi plus ou moins efficacement les racines.Les coupes

les plus inférieures montrent en effet le tissu embryonnaire limité à la pé-

riphérie du canal dural, et l'espace interradiculaire n'est envahi que dans un

tout petit segment par la masse compacte; cela n'empêche pas du reste, qu'un

nombre relativement considérable de cellules rondes isolées paraissent errer

librement-entre les racines sans toutefois envahir celles-ci.

Les vaisseaux conservent également le même aspect que plus haut, ceux de

la moelle proprement dite, artères épendymaires, sont le centre des tractus

conjonctifs qui vont se perdre dans les régions voisines en refoulant le tissu

nerveux. A la place des vaisseaux spinaux antérieurs, on trouve des lacunes à

parois onduleuses creusées à même le tissu fibreux de la pie-mère.

Queue DE cheval. L'espace extradural est toujours rempli par un tissu

fibreux de plus en plus serré, creusé de vastes cavités anfractueuses bordées

par un tassement du tissu conjonctif voisin qui forme ainsi d'épaisses parois à

ces vaisseaux de formation nouvelle.

L'espace compris dans l'intérieur de la dure-mère et circonscrit par elle est

divisé en quelque sorte en deux moitiés suivant un diamètre légèrement obli-

que. Dans l'une sont refoulées les racines serrées lès unes contre les autres,

dans l'autre un véritable néoplasme ayant englobé quelques racines à peine re-

connaissables dans son tissu,envoie des prolongements irréguliers entre les ra-

cines encore presque respectées de l'autre partie de la coupe. Une racine cou-

pée perpendiculairement a son axe sur la limite du néoplasme est totalement

envahie, les cellules rondes l'infiltrent et ses éléments se montrent dissociés.

Ce néoplasme est formé par une agrégation très serrée d'éléments embryonnai-

res, c'est une véritable gomme surprise dans sa marche envahissante, mais

encore en pleine activité, sans trace de dégénérescence.

Quant à ce qui reste de la pie-mère, quelques tractus fibreux irréguliers le

représentent, entourant vaguement une substance méconnaissable dans laquelle

314 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

seules les cellules de l'opendyme peuvent se distinguer par leur aspect si spé-

cial.

Les muscles voisins attenant aux vertèbres sont également envahis par l'in-

filtration embryonnaire, mais ils gardent leur structure normale.

Observation VII, 20 janvier 1896 (Broca). 1

Foetus à-terme, né vivant, de mère spécifique.

L'enfant meurt deux jours après la naissance de convulsions.

Organes viscéraux ne présentent pas de lésions macroscopiques.

Cerveau. Hémorrhagie sous-dure-mérienne diffusée sur toute la région

motrice de l'hémisphère droit.

Moelle. Les pièces ont été déformées par l'acide nitrique employé comme

décalcifiant, aussi faut-il tenir compte surtout des lésions d'infiltration cellulaire

et des lésions fibreuses.

La moelle est asymétrique. Une des moitiés est beaucoup plus petite que

l'autre, elle est aplatie, étroite, allongée dans le sens antéro-postérieur, pen-

dant que l'autre est au contraire normalement arrondie.

La moelle cervicale présente une double fente occupant les cornes postérieu-

res. Cette fente allongée va du canal de l'épendyme en dehors duquel elle com-

mence jusqu'à la zone de Lissauer, ovalaire, il grand axe dirigé dans le sens de

la corne postérieure elle-même, elle est plus étroite dans la moitié atrophiée de

la moelle où elle est en pleine substance grise, tandis que du côté opposé elle

déborde la corne et est directement bordée par les faisceaux blancs.

La moelle dorsale et la moelle lombaire ne présentent rien d'analogue. A si-

gnaler seulement les vaisseaux radiés absolument comblés par les cellules rondes

qui infiltrent leurs parois.

Les racines paraissent normales dans les régions cervicale et dorsale, les

vaisseaux qui les accompagnent sont entourés d'un manchon cellulaire. Mais il

n'y a qu'à la région lombaire que les cellules embryonnaires s'infiltrent au mi-

lieu des fascicules nerveux.

La pie-nière est moyennement épaissie, elle est parseméedenombreux noyaux,

elle n'adhère pas à la moelle mais en est séparée surtout eu arrière par un ex-

sudat grenu sans structure, au contraire le septum médian antérieur est accolé

aux deux cordons blancs voisins qu'il unit.

L'arachnoïde mince s'applique intimement sur les racines.

La dure-mère épaisse, fibreuse, sans infiltration nucléaire, est séparée des pa-

rois osseuses par un tissu fibreux serré, creusé de vaisseaux irréguliers.

Les vaisseaux sont le siège de lésions- manifestes dans toute la hauteur de la

moelle, mais certainement plus marquées dans la région lombaire. Ce sont les

gros vaisseaux spinaux antérieurs qui sont le plus atteints, l'artère très grosse,

gorgée de sang montré des tuniques presque normales, mais la veine a ses pa-

rois plus que triplées d'épaisseur, ses tuniques sont le siège d'une infiltration

abondante de cellules rondes qui pénètrent dans ses parties les plus internes, il

y a une endophlébite manifeste. Le sang contenu dans le vaisseau possède une

proportion absolument anormale de leucocytes.

LOCALISATIONS spinales DE la SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 315

Les vaisseaux des racines sont également très altérés, leurs parois fibreuses

ont effacé presque, complètement leur lumière qui est linéaire, cependant il

semble n'y avoir qu'un processus de périvascularité, l'endothélium n'est pas

altéré.

La veine postérieure est libre, bien isolée des parties voisines, niais elle est

vide de sang et ses parois sont très épaisses, l'hématoxyline ne colore pas de

noyaux dans les parties périphériques de son contour, mais seulement dans

les parties les plus internes qui n'ont pas encore subi la transformation fibreuse

complète. ,

1 Observation VIII. 7 février 1896 (Broca).

Foetus ai terme, de mère spécifique.

Enfant mort-né, non macéré.

Cerveau. -Vaisseaux des méninges très distendus par le sang. Sur la partie

postéro-supérieure de l'hémisphère gauche il existe un caillot plat, arrondi,

de la largeur d'une pièce de deux francs environ. Ce caillot semble entouré de

toutes 'parts d'une membrane lisse, il est complètement indépendant de la

dure-mère au-dessous de laquelle il est situé, on le sépare au contraire plus

difficilement de la pie-mère sur laquelle il repose.

Moelle. Dans toute la hauteur de celle-ci il n'y a rien à signaler que l'é-

normité des vaisseaux distendus par le sang soit dans la moelle proprement dite,

soit dansiez méninges, les racines, les ganglions. Mais ces vaisseaux ont une

paroi mince, leur lumière est purement arrondie. C'est dans l'espace extradural

que ces vaisseaux multipliés de nombre atteignent leurs dimensions les plus

considérables; vers la région lombaire, -les parois vasculaires ont cédé et tout

l'espace est rempli par du sang libre.

Dans le canal rachidien il n'y a rien qui rappelle les lésions habituelles de la

syphilis même sur les vaisseaux, il faut se rappeler toutefois que ces lésions

sont souvent très localisées et que nos coupes si multipliées qu'elles aient été

n'ont pas porté sur tous les points de l'axe spinal. Mais en dehors de celui-ci,

dans les muscles attenant aux vertèbres, nous trouvons des lésions absolument t

caractéristiques : une artère infiltrée dans sa tunique adventice présente dans ses

parois une gomme microscopique qui a envahi toute une partie de sa circonfé-

rence.

(A suivre).

LES PEINTRES DE LA MEDECINE

{Ecoles flamande et hollandaise)

LES OPÉRATIONS SUR L'ÉPAULE

PAR

HENRY MEIGE.

Pour l'étude des documents artistiques représentant des scènes de mede-

cine, nous avons adopté une méthode de groupement basée sur la natnre

de la maladie ou du traitement, et nous avons divisé les scènes de chirurgie

d'après les régions du corps où sont figurées les opérations.

Nous avons cherché cependant à réunir entre elles, aussi souvent que

possible, les oeuvres d'art appartenant à une même école ou à un'même

artiste.

C'est ainsi que, dans les peintures des écoles flamande et hollandaise,

nous avons pu recueillir un nombre assez important de documents relatifs

aux Opérations sur la tête qui ont fait l'objet d'une monographie particu-

lière (1).

Nous allons examiner à présent, dans les peintures des mêmes écoles,

les scènes où sont figurées des Opérations sur l'épaule.

Malgré leur petit nombre, ces figurations doivent être séparées de celles

où l'intervention chirurgicale a lieu sur le bras ; ces dernières, en effet, ont

souvent trait à l'Opération de la saignée et méritent d'être étudiées il part.

Nous ne connaissons pour le moment que deux Opérations sur l'épaule,

l'une de D. Teniers le Jeune, l'autre d'Adriaen Brouwer, les deux pein-

tres qui nous ont laissé les documents les plus nombreux et les plus inté-

ressants pour l'histoire iconographique de la médecine et de la chirurgie.

(1) Henry MEIGE, Les Peintres de la médecine (Ecoles flamande et hollandaise). Les

opérations sur la tête. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, no' 4 et 5, 1895.

LES OPÉRATIONS SUR L'ÉPAULE - z17

DAVID TrvIFi3s-Le JEUNE, peintre flamand (1G10-1690).

Une Opération sur l'épaule. ,

Parmi les nombreux tableaux de David Teniers le Jeune relatifs aux

scènes de chirurgie rustique, il en est un qui représente une Opération sur

l'épaule.

Je n'ai pu découvrir en quelle collection publique ou privée est conservé

l'original, s'il existe encore. C'est par une gravure de Jacques Coelémans

que ce document est parvenu à ma connaissance. La gravure date de 1703

et le tableau a été peint en 1678, comme l'atteste la légende et une date.

La peinture était donc des dernières années de Teniers (1610-1690).

La scène se passe dans l'officine d'un barbier de village qui pratiquait

à tour de rôle, comme il était de règle alors, l'art du rasoir et celui du bis-

touri.

Assis sur un escabeau, la chemise défaite laissant l'épaule gauche à nu,

les mains croisées sous son menton, corps de profil et tête de face, le pa-

tient, jeune encore, fait le gros dos et pousse des cris lamentables. Les plis

de ses sourcils traduisent sa douleur, ses yeux s'écarquillent d'effroi, ses

lèvres renversées et sa bouche béante indiquent la portée de ses gémisse-

ments.

Derrière lui, debout, le chirurgien, vieux, trapu, un étroit tablier autour

de sa large taille, coiffé d'un bonnet bordé de fourrure, enfonce d'une

main un bistouri dans l'épaule, tandis que de l'autre retient la tête de

son client.

Sa grosse figure, son nez volumineux, ses pommettes saillantes, ses lèvres

énormes et sa puissante mâchoire au menton proéminent donnent à son

visage quelque chose du faciès acromégalique.

La voussure de son dos ajoute à la ressemblance, ainsi que l'épaisseur de

ses extrémités. Cette apparence se retrouve fréquemment sur les person-

nages rustiques de Teniers. Peut-être avait-il entrevu un jour quelque

malade dont la physionomie disproportionnée lui avait paru réunir tous

les éléments nécessaires à la constitution d'un typé grotesque facile à re-

produire. A. vanOstade, Adriaen Brouwer ont fait de nombreuses répli-

ques de la même difformité. Sans insister davantage sur ce point, il n'est

pas superflu de remarquer, en passant, que ces exagérations caricaturales

des traits et des attitudes se trouvent réalisées dans la nature par la Maladie

de P. Marie. Leur rencontre fortuite peut laisser dans l'esprit d'un artiste

observateur un souvenir qui trouve un jour son utilisation.

A quelle opération se livre ce barbier au menton de galoche ? Il est dif-

318 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

ficile de le préciser. C'est sur le moignon de T'épaule que siège le mal, en

arrière, au niveau des attaches postérieures du deltoïde, et nous voyons

qu'il a fallu faire une longue incision. Les lèvres de la plaie sont larges et

béantes, le bistouri s'enfonce profondément.

Ce n'est pas un des lieux d'élection de la saignée. Il n'y a pas apparence

de tumeur. Peut-être s'agit-il d'une ouverture d'abcès.... ? d'une plaie

enflammée dont il faut aviver les bords.. ? d'une audacieuse révulsion pour

une douleur rebelle.. ?

Les renseignements fournis par la peinture et par les accessoires de

l'opérateur sont insuffisants pour trancher la question. '

Constatons seulement que le barbier opère avec sang-froid et prudence

sans s'émouvoir des cris de son client, prenant soin qu'en remuant la tète

ce dernier ne fasse dévier l'instrument ou ne se blesse à la figure. Mais il

n'opère pas sans douleur. L'attitude du patient le prouve surabondam-

ment.

C'est bien d'ailleurs ce quepensé unevieille femme,coiffée d'un feutre in-

forme, un panier au bras, les mains cachées sous son tablier, et qui regarde

l'opérateur avec une curiosité mêlée d'émotion. Figure de paysanne, gre-

lottante et cassée, familière à Teniers qui la fait assister à toutes ses opéra-

tions, dans la même attitude anxieuse et apitoyée; mère ou épouse de

l'opéré, cliente ou commère à l'affût d'un bavardage, parfois la propre

femme du barbier, et, dans ce cas, faisant souvent l'office d'une aide et

préparant les médicaments.

Ce trio est de tradition. Il est en harmonie avec le décor fruste et le

mobilier peu luxueux de la pièce :

Un bâton, deux cruches bouchées de parchemin, une table recouverte

d'un tapis à franges, avec un pot d'onguent, un emplâtre, une bouteille

et un petit sac.

Au mur, sur une planche, quelques fioles et quelques bocaux; pendus à

des clous, une courge et un paquet de graines de pavot : voilà tout l'arsenal

du médecin. Deux ou trois rasoirs, un verre et des savonnettes sur un

râtelier : c'est le fourniment du barbier.

Il n'en faut pas davantage au maître flamand pour composer un ensem-

ble plein de vie et de vérité. ,

Un coin d'officine villageoise peint par Teniers en dit plus long que

bien des documents écrits sur les moeurs et les pratiques médicales du

temps.

LES OPÉRATIONS SUR L'ÉPAULE 319

- ADRIAEN BROUwER, peintre flamand (1606 ? -1638).

L'Opération.

, Musée du Louvre. Collection La Caze.

Un tableau d'AdriaenBrouwer, qui fait partie de-la collection La Caze('l),

au musée du Louvre, représente aussi une Opération sur l'épaule.

La scène.est presque identique à celle qu'a figurée Teniers le Jeune.

Dans une chambre obscure, pauvrement meublée, un chirurgien de village

opère un paysan. Au lieu de la commère attendrie, un jeune enfant perdu

dans l'ombre, un vieux chapeau cachant tout son visage, fait chauffer un

emplâtre au-dessus d'un petit réchaud.

Le patient, assis sur le coin d'une table, les pieds sur un tabouret, l'é-

paule et la poitrine nues, tient entre ses mains croisées sa jambe droite

repliée contre son corps. Il hurle sous la douleur : fronçant le nez, plis-

sant le front, contractant ses sourcils, fermant les yeux à demi, mais

ouvrant une large bouche en projetant les lèvres en avant. Son masque

convulsé et le geste qu'il fait en serrant de toutes ses forces sa jambe con-

tractée, traduisent sa souffrance avec une surprenante vérité. Le facies

est bien le même que celui du malade de Teniers, mais l'altitude du corps,

plus mouvementée, est beaucoup plus expressive.

Le barbier n'a pas la main légère ; on s'en rend compte aisément.

Ce dernier, coiffé d'un bonnet sombre qui ne laisse entrevoir que le

bout de son nez, une moustache et une barbiche grises, se tient debout

derrière la table, la main gauche appliquée sur l'épaule du client pour'

tendre la peau de la région où il opère ; de la droite, il tient un petit ins-

trument en forme de faucille qu'il enfonce imperturbablement dans les

chairs, - bistouri courbe, sonde ou aiguille à suture, on ne saurait le pré-

ciser.

La plaie est longue, béante, le muscle apparaît dans le fond, rouge,

saignant; elle siège au-dessus et en dedans du moignon de l'épaule, entre

la clavicule et le bord supérieur de l'omoplate.

Ici encore, on peul faire toutes sortes de conjectures sur la nature du

mal et de l'intervention. Quelle contusion, quel abcès, quelle tumeur ont

nécessité celle large incision ? Ne nous prononçons pas. D'ailleurs il im-

portait peu à Brouwer, comme à Teniers, démontrer telle opération plutôt

que telle autre. Leur but était de reproduire une scène pittoresque, émou-

vante et comique à la fois, avec son décor et ses personnages pris sur le

vif, dans la couleur et dans les attitudes les plus caractéristiques.

Qu'il s'agisse d'une dent à arracher, d'un durillon à extraire, d'une

« pierre de tète » ou d'une saignée, l'officine conserve son allure rusti-

(1.) No 1915. H, 38. L, 28. B : '

320 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA -SALPÊTRIÈRE

que, aux éclairages et aux accessoires près, le patient est toujours destiné

à exciter la pitié par la souffrance qu'il endure et le rire par ses grimaces

et ses contorsions. '

L'habitation du chirurgien de Brouwer est encore plus simple que celle

du barbier de Teniers. Il n'y a même pas de chaise, et le client doit

s'asseoir sur la table, à côté d'un-unique flacon, d'un vieux linge et du

réchaud qui sert à ramollir l'emplâtre. Au mur, sur une tablette, on devine

quelques fioles et des pots ébréchés. A gauche, une porte entr'ouverte ne

laisse passer qu'un jour insuffisant. La lumière arrive presque de face et

se concentre sur la figure grimaçante de l'opéré. Tout le reste est perdu

dans une ombre brune qui prend sur les chairs de chauds reflets.

L'Opération de la collection La Caze compte au nombre des bonnes pro-

ductions de Brouwer. Elle est aussi un document de valeur dans l'icono-

graphie des chirurgiens de village. ,

..

Le principal intérêt des deux oeuvres d'art que nous venons de décrire

est de nous montrer que les barbiers-chirurgiens, même dans les plus

modestes officines, n'hésitaient pas à entreprendre des opérations d'une

certaine importance, en dehors de la saignée, des pansements et de l'ex-

traction des cors. Sans pouvoir préciser la nature de ces interventions

sur l'épaule, il faut reconnaître qu'elles sortent des pratiques familières

aux barbiers. Cependant, nous savons qu'il existait dès le XVIe siècle, une

variété de barbiers, connus sous le nom d'inciseurs, lesquels pratiquaient

hardiment des opérations que les chirurgiens diplômés n'osaient pas affron-

ter. Ils réduisaient les hernies, extrayaient les pierres de la vessie, etc.

souvent avec succès.

C'est sans doute dans les pauvres réduits de ces modestes précurseurs

de la chirurgie contemporaine que Teniers et Brouwer ont puisé les élé-

ments de ces deux tableaux (1).

(1) Ces opérations sur l'épaule dont la signification est assez obscure pourraient

aussi s'expliquer par une supercherie analogue à celle des « Pierres de tête ».

n. Un homme de grand savoir, qui veut bien s'intéresser à nos recherches et les éclai-

rer de sa compétence, nous racontait avoir vu, dans son enfance, sur un carrefour

d'une petite ville de province, un charlatan qui prétendait extraire les arêtes de pois-

son fixées dans le gosier en pratiquant une légère incision sur l'épaule. Un simple tour

de prestidigitation faisait sortir de sa main l'arête incriminée. Le patient se retirait

émerveillé, sinon guéri. , 1

Cette jonglerie est à retenir. Elle devait être de tradition chez les charlatans popu-

laires ; elle mérite en tout cas d'être rapprochée de celles que nous ont fait connaître

Van Bosch, P. Bruegel, Jan Steen, etc. Il ne semble pas cependant que Teniers et

Brouwer aient voulu y faire allusion dans leurs Opérations sur l'épaule.

Le gérant : l'. Moucnrz

LE BARBIER DE VILLAGE

Gravure de 7. Cocléraaus (1703),

d'après un tableau de David Tuniisns i J¡ : UNI ! peint en 1678.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPETRIERE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME

NERVEUX.

HOSPICE DE LA SALPLTIi7LIiD.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENS1TIV0-

MOTEURS CONSÉCUTIFS A L'EMPOISONNEMENT

ARSENICAL (i)

PAR

M. le Professeur RAYMOND.

Messieurs,

Grâce à l'obligeance d'un de mes collègues des hôpitaux, M. J. Comby,

je suis à même de vous présenter un cas de paralysie arsenicale. Il y a

longtemps que j'étais à la recherche d'une semblable occasion. Ceux d'en-

tre vous qui ont assisté à mes récentes leçons sur l'anatomie pathologique

des polynévrites, doivent se rappeler que j'ai longuement discuté la ques-

tion de savoir si, dans ce qu'on a décrit sous le nom de paralysies arseni-

cales, il y avait en jeu une polynévrite ou une myélite. Je crois avoir mon-

tré que l'une et l'autre de ces deux éventualités se trouvent réalisées suivant

les circonstances. Quoi qu'il en soit, la lecture des nombreux documents

que j'avais fait recueillir, pour fixer mon jugement sur ce point de doc-

trine, m'avait laissé cette double conviction :

C'est d'abord que dans vos ouvrages classiques, on ne trouve que des

descriptions fragmentaires des paralysies arsenicales, des descriptions

auxquelles on peut reprocher des lacunes et des erreurs ;

C'est ensuite qu'en fait de troubles moteurs qui traduisent le retentis-

(1) Leçon du mardi 30 juin 1896, recueillie et publiée par le D' E. ilielilin.

ix 21

322 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

sèment de l'empoisonnement arsenical sur le système nerveux, et qu'on a

imputés tantôt à la polynévrite, tantôt à la myélite, on a trop négligé ce

qui n'était pas la paralysie ; on n'a voulu voir que cette dernière. Or, quand

on considère l'ensemble des troubles sensitivo-moteurs et psychiques qui

peuvent se déclarer à la suite d'un empoisonnement arsenical, on est frappé

des nombreux traits de ressemblance qu'offre ce genre d'empoisonnement

avec l'alcoolisme. Il va là un parallèle à établir, que je n'ai trouvé indiqué

nulle part ; je me propose de combler cette lacune.

Voilà qui vous fera comprendre pourquoi, après les nombreuses leçons

que j'ai consacrées à l'étude de la polynévrite alcoolique, je désirais si

vivement avoir sous la main un cas de paralysie arsenicale. Si l'occasion

s'est longtemps fait attendre, est-ce à dire que ce genre de paralysie

soit d'une grande rareté, ainsi que d'aucuns l'on[ prétendu ? Je ne le crois

pas pour ma part. Je crois que c'est d'abord affaire de milieu. Il y a des

localités industrielles, des districts, comme ceux qu'habitent des arsé-

nicophages, où la paralysie arsenicale est fréquente. C'est ainsi que j'au-

rai à vous parler d'une communication faite au dernier Congrès internatio-

nal de médecine, à Rome, par un médecin de Graz, M. Buller, ce con-

frère a observé pour sa part, soixante-douze cas de paralysie arsenicale !

Je suis convaincu aussi, que bien souvent il a dû arriver que des cas de

paralysie arsenicale n'ont pas été attribués à leur véritable cause, parce

qu'un certain espace de temps s'était écoulé entre les manifestations im-

médiates, bruyantes, de l'empoisonnement, et l'apparition des troubles

moteurs. Toujours est-il que la connaissance des paralysies arsenicales re-

monte, déjà à loin, jusqu'au XIIIe siècle. D'une citation que j'emprunte à

un travail de M. Imbert-Courbeyre (1), il résulte que déjà Pierre d'Al-

bano (2) avait signalé la paralysie et les contractures comme des suites

possibles de l'empoisonnement par le réalgar. Vous trouverez d'ailleurs

dans un très consciencieux travail publié par un médecin américain, le

docteur Dana (3), un index bibliographique qui remonte jusqu'au XIVe siè-

cle et qui se rapporte à cette même question.

,En France, elle a fait l'objet d'études très consciencieuses, notamment

de la part de M. Imbert-Courbeyre (4) et de MM. P. Brouardel et G. Pou-

chet (5), avec la collaboration de M. Marie.

(1) Imhekt-Coumîeyke, Paralysie arsenicale. Gazette médicale de Paris, 1858, p. 5, 19,

59 et 94.

(2) Pierre De veneris eorumque morbis.

(3) Dana, Brain, 188 i. -

(4) 1.)IliLRT-COUIIBEYBF,. Loc. cit. et Des suites de l'empoisonnement arsenical, Paris,

1881.

(5) P. 1311OU,IIDEL et G. hOUCIle1', Affaire l'ashé-73euussiez·. Annales d'hygiène publi-

que, 1889, t. XXII, p. 13'7, 356 et 4G0.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS 323

Pour toutes ces raisons elle méritait d'être exposée moins parcimo-

nieusement qu'on ne l'a fait dans les ouvrages didactiques.

*

..

Voici d'abord l'enfant que, sur ma demande, mon collègue et ami Comby

a bien voulu m'adresser pour vous être présenté, ce dont je tiens à le re-

mercier publiquement.

C'est une fillette âgée de sept ans. D'après les renseignements qu'on a

pu recueillir sur ses antécédents pathologiques héréditaires et personnels,

ni elle, ni personne de sa famille n'a jamais eu d'attaque de rhumatisme

articulaire. Ce détail a son imporlance, car la question des rapports de la

chorée et du rhumatisme articulaire est encore controversée. Or l'enfant

que vous avez devant vous a été prise de la chorée, le le, mars dernier ;

neuf jours plus tard elle a été admise en traitement dans le service de

M. Comby, à l'hôpital Trousseau. Elle était en proie à une agitation mo-

trice tellement désordonnée que la station debout et la marche étaient de-

venues impossibles. Elle avait le pouls très rapide (120), tandis que la

température corporelle était normale (37°4 dans le rectum).

L'enfant fut soumise au traitement arsenical. En l'espace de onze jours

on lui fit prendre 235 milligrammes d'acide arsénieux, sous forme de li-

queur de Boutin. Est-ce un effet de ce traitement énergique ou un fait de

coïncidence ? en cinq jours de temps la malade était débarrassée de sa cho-

rée, qui n'a plus reparu depuis. J'opine pour un effet curatif. La médica-

tion arsenicale produisit d'ailleurs un autre résultat, ainsi que vous allez

le voir.

Dès le dixième jour du traitement, la jeune malade se mit à vomir, et

il en fut encore ainsi les jours suivants. Sa salive coula avec plus d'abon-

dance ; sa langue se couvrit d'un enduit saburral. Bref, un embarras gas-

trique s'était établi, qui dura dix jours ; le 10 avril l'enfant a quitté l'hô-

pital, débarrassée de son embarras gastrique et de sa chorée.

Mais voici que le 5 mai, la jeune Il... fut frappée d'une paraplégie des

membres inférieurs. A ce moment son état général ne laissait rien à dési-

rer, voire que l'enfant avait pris de l'embonpoint. La paralysie motrice

était complète aux membres inférieurs ; la malade ne pouvait ni marcher,

ni se tenir debout. Les réflexes rotuliens étaient abolis, ainsi que le réflexe

plantaire. La sensibilité à la douleur était conservée. On prescrivit com-

me traitement, de la strychnine à l'intérieur, à doses progressives, l'élec-

trisation et des bains sulfureux.

Une dizaine de jours plus tard, la paralysie gagna les membres supé-

rieurs ; elle s'étendit aux sphincters, donnant lieu à une incontinence d'u-

rine et de matière fécale, qui persista pendant dix jours. En dernier lieu

324 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

elle envahit les muscles du tronc. A cette période, l'enfant, complètement

privée de mouvement, était immobilisé dans le décubitus dorsal, comme

un bloc inerte. De temps en temps elle était prise de troubles de la déglu-

tition ; il lui arrivait d'avaler de travers.

L'état mental de l'enfant est resté normal.

Cet état de paralysie quasi généralisée avait mis une quinzaine de jours

à se constituer. A aucun moment la paralysie ne s'est accompagnée d'une

atrophie musculaire appréciable. Dès le 25 mai on notait la disparition

des troubles en rapport avec la paralysie des sphincters, ainsi que le retour

de la motilité aux membres supérieurs ; voire que déjà quelques légers mou-

vements étaient possibles aux membres inférieurs. L'amélioration fit des

progrès rapides. Le 20 juin l'enfant étaient de nouveau en état de marcher.

Vous allez voir qu'il ne lui reste plus aujourd'hui (30 juin) que des résidus

de son attaque de paralysie.

*

..

Vous pouvez constater d'abord que les mouvements des membres supé-

rieurs s'exécutent avec une force normale ; de plus, ils sont bien coor-

donnés ; en serrant les mains, l'enfant déploie une vigueur en rapport

avec son âge.

Vous voyez que sa démarche est régulière, seulement la fatigue est

prompte à se montrer. Très vite l'enfant fléchit sur ses jambes, des deux

côtés également. Du reste les membres inférieurs sont loin d'avoir récupéré

leur force normale. Les muscles' extenseurs paraissent avoir été touchés

dans une mesure prépondérante. Toutefois.ils ont retrouvé une partie de

leur tonus, car les pieds ne sont plus tombants, ne sont plus ballants,

comme ils l'étaient il y a quelque temps, d'après ce qu'on nous a dit.

Vous pouvez constater encore que les mouvements qui nécessitent la

contraction des muscles du thorax, du cou et de la tête s'exécutent d'une

façon tout à fait normale.

On en peut dire autant des réflexes tendineux et cutanés.

Pour ce qui est de l'état des réactions électriques, actuellement on

constate d'une façon très nette les signes de la réaction de dégénérescence

partielle, dans l'extenseur commun des orteils et aussi, mais à un plus

faible degré, dans l'extenseur propre du gros orteil. Dans les autres mus-

cles de la région antéro-externe de la jambe l'excitabilité électrique ne

présente pas de modifications qualitatives ; elle est sensiblement normale,

qualitativement parlant. Dans les muscles du mollet (jumeaux interne et

externe) les réactions électriques sont normales au point de vue quantita-

tif ; au point de vue qualitatif, les contractions sont un peu traînantes, et

N.F.C. est presque égal à P.F.C., c'est-à-dire qu'il existe des traces de

réaction de dégénérescence. A la cuisse, l'excitabilité électrique est sensi-

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS 325

blement affaiblie dans le vaste interne, mais elle ne présente pas de modi-

fications qualitatives.

Aux membres supérieurs les réactions électriques sont normales.

Voyons un peu comment se comporte la sensibilité.

Laissez-moi vous dire d'abord que cette fillette n'a jamais présenté et ne

présente pas actuellement de douleurs spontanées.

Vous remarquerez qu'elle n'accuse pas non plus de douleurs quand

on lui comprime les muscles, en particulier ceux des membres infé-

rieurs. La pression des troncs nerveux, en des points où leur trajet est

superficiel, par exemple au niveau du péroné, au niveau de la malléole

interne n'est pas davantage douloureuse. Par contre on peut mettre en

évidence le signe de Lasègue. Vous savez ce qu'on entend par ces mots.

Vous savez qu'on désigne par là, une douleur provoquée en soulevant le

memhre inférieur préalablement fixé en extension ; j'ai déjà eu occasion

de vous dire que cette manoetn rit équivaut à une élongation du nerf scia-

tique. Je vous ferai remarquer, en passant, que chez notre jeune malade

le signe de Lasègue est plus accusé à gauche qu'à droite.

A cela se réduisent les troubles de la sensibilité subjective. Vous allez

voir que l'examen objectif le plus minutieux de la sensibilité générale,

considérée sous ses différents modes, de même que l'examen des sensibi-

lités spéciales, ne révèle aucune anomalie.

Il me reste encore à vous signaler une manifestation qui rentre dans la

catégorie des troubles trophiques, et ce sera tout. Cette fillette, au cours

de son attaque de paralysie, a présenté une petite eschare au siège. Vous

pouvez vous assurer de visu que cette eschare est aujourd'hui complète-

ment cicatrisée.

Messieurs, la cause de la paralysie présentée par cet enfant ne saurait

faire l'objet d'un doute. C'est bien d'un cas de paralysie arsenicale qu'il

s'agit en la circonstance, et d'un cas de paralysie consécutive à un empoi-

sonnement médicamenteux. Nous connaissons un assez grand nombre de

faits du même genre. Le moment viendra tout à l'heure de vous citer les'

principaux :

Pour ce qui est du siège anatomique de cette paralysie, la question est

moins facile à trancher; elle se pose de nouveau en ces termes : s'agit-il

d'une paralysie par polynévrite ? s'agit-il d'une paralysie spinale ? Ainsi

que je vous le rappelais tout à l'heure, dans les deux leçons que je vous ai

faites sur l'anatomie pathologique et la pathogénie des polynévrites, j'ai

déjà eu l'occasion d'aborder cette question. Je vous ai montré que les deux

opinions, celle qui fait de la paralysie arsenicale l'expression d'une poly-

névrite et celle qui la rattache aux groupes des paralysies spinales, comp-

326 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

taient des partisans autorisés. Je me range délibérément à l'opinion de

Dana (1), lorsqu'il soutient que des poisons tels que l'arsenic peuvent in-

différemment léser la moelle et les nerfs périphériques. C'est, selon moi,

affaire de circonstances individuelles et de prédisposition.

Il va sans dire qu'il y a intérêt, au point de vue du pronostic, se ron-

dre compte, dans un cas donné de paralysie arsenicale, de la nature myéli-

tique ou polynévritique des accidents. Pour ce qui concerne en particulier

le cas delà jeune malade placée devant vous, M. Comby, dans sa commu-

nication à la Société médicale des hôpitaux (2), s'est prononcé pour l'exis-

tence d'une myélite, en raison de l'incontinence d'urines et des matières

fécales, qui, chez cette fillette, a été constatée pendant une dizaine de jours.

M. Rendu s'est rallié à cette conclusion. Mes deux collègues eussent pu

ajouter que l'eschare au siège, constatée chez la malade, parlait dans le

même sens. Mais il y a d'autres éléments à considérer; c'est d'une part

l'absence d'atrophie musculaire, et, d'autre part, la rapidité de l'évolution

et la rapidité avec laquelle est survenue la guérison. Voilà qui se concilie

mal avec l'hypothèse d'une myélite dans le sens propre du mot. Si donc les

accidents présentés par cet enfant ont eu réellement une origine centrale,

il devait y avoir en cause, non pas les lésions de la myélite vulgaire, mais

ces altérations des éléments cellulaires de la moelle, qu'on qualifie de dyna-

miques parce qu'elles échappent aux recherches pratiquées avec nos moyens

ordinaires d'investigation ; altérations réparables au plus haut degré, quand

elles durent peu. Je n'admets pas, d'ailleurs, qu'on ne conçoive guère,

ainsi que l'a prétendu M. Rendu, qu'une névrite périphérique donne lieu

à de l'incontinence d'urine et des matières fécales. A priori tout ce que

produit une lésion des centres moteurs spinaux peut être produit par une

lésion des nerfs qui émanent de ces centres. En fait, je crois avoir montré

qu'il en est ainsi pour ce qui concerne les lésions de la queue de cheval et

de la portion inférieure de la moelle (3). Les différences ne sauraient être

qu'une affaire de degré et de durée. C'est précisément quand l'incontinence

d'urine et des matières fécales est mal dessinée et de courte durée, quand

elle s'accompagne d'une eschare superficielle qui se cicatrise rapidement

et spontanément, qu'on peut être tenté de soupçonner une origine polyné-

vritique à l'ensemble des accidents.

M. Rendu également est d'avis qu'on ne saurait admettre que toutes les

(1) Dasa, American neurologicul Association, 12 th. annual Meeting, juillet 188G.

Journal of nervous and mental disease, 188G, nos 9 et 10.

(2) Comby, Un cas de paralysie arsenicale chez une fillette de sept ans, Bulletin et

Mémoires de la Société médicale des hôpitaux de Paris, 1896, no 241 p. 56, et no 26,

p. 93.

(3) F. Raymond, Clinique des maladies du système nerveux, ire série, Paris, 1896,

p. 269.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS 327

paralysies arsenicales sont nécessairement d'origine centrale, qu'il est des

cas où la participation de la moelle est évidente et d'autres où les nerfs

semblent intéressés, sinon exclusivement, au moins d'une façon prépondé-

rante. La-dessus je me suis longuement expliqué dans mes récentes leçons

sur J'anatomie pathologique des polynévrites. Je vous ai dit mon opinion,

après avoir exposé les faits et les raisons sur lesquels je lafonde. Pour moi

les accidents qu'on englobe dans la paralysie arsenicale sont leplus souvent

l'expression d'une polynévrite ; mais ils peuvent dépendre d'une poliomyé-

lite ; une observation d'Erlicki etRybalkin, sur laquelle j'aurai à revenir

dans un instant, en fournit une preuve irrécusable.

Cela dit, je vais vous exposer avec quelques détails l'histoire des paraly-

sies arsenicales ou, plus exactement, des troubles sensitivo-moteurs qu'on

voit se développer à la suite d'un empoisonnement par l'arsenic. '

Voyons d'abord dans quelles circonstances vous êtes exposés à rencontrer

ce genre de paralysies. Ces circonstances peuvent se ramener à trois caté-

gorges

1° On a vu des paralysies survenir à la suite d'un empoisonnement arse-

nical aigu (dose unique et forte), empoisonnement volontaire, pratiqué

dans une intention de suicide et alors le médecin sera en mesure de

se renseigner sur la cause delà paralysie,par les aveux de la victime-ou

causé par une méprise, ou tenté dans un but criminel, à l'insu de la vie"

time. Ne perdez pas de vue, d'ailleurs, que la paralysie peut se montrer

longtemps après les manifestations premières de l'empoisonnement, et que

l'enchaînement de ces conséquences d'une même cause peut vous échapper

à un interrogatoire superficiel. La raison en est dans la lenteur avec laquelle

s'élimine l'arsenic; même à la suite de l'absorption d'une dose unique de

ce poison, l'élimination n'est' complète qu'au bout de quelques semaines.

2° La paralysie peqt être la conséquence d'un empoisonnement subaigu,

d'origine médicamenteuse, comme c'était le cas chez la jeune malade que

je viens de vous présenter, ou d'origine alimentaire, soit que la victime

ait fait usage d'aliments qui étaient accidentellement mélangés d'arsenic,

soit que cette adjonction ait été l'oeuvre d'une main criminelle.

3° Enfin la paralysie peut se développer dans le cours d'un empoison-

nement chronique ; cet empoisonnement peut tenir à la profession de la

victime, il peut être d'origine médicamenteuse ou alimentaire, il peut sur-

venir chez des personnes qui séjournent, la nuit surtout, dans un local

dont les tapisseries sont imprégnées d'arsenic.

Vous concevez déjà que le diagnostic étiologique, facile dans certains

cas, pourra, dans quelques-unes des circonstances que je viens de vous

328 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

énumérer, soumettre la perspicacité du médecin à une épreuve très' déli-

cate ; il vous sera facile de vous eu convaincre en lisant le remarquable

rapport de MM. P. Brouardel et G. Pouchet (1), sur l'affaire dite de Rouen.

Je vais tâcher de vous armer au mieux afin de vous mettre à même, le cas

échéant, de vous tirera votre honneur d'une semblable épreuve. Pour cela

je vais examiner successivement comment les choses se passent dans les

différentes catégories de circonstances que je viens de passer en revue ; je

vous donnerai ensuite une description d'ensemble des paralysies arseni-

cales.

A. Paralysies. Paralysies consécutives Il un empoisonnement aigu.-

Quoi qu'il en soit de l'époque d'apparition de la paralysie et des circons-

tances au milieu desquelles celle-ci se produit, qu'il s'agisse d'nn suicide,

d'un crime ou d'une méprise, toujours l'intoxication se trahira par des

désordres gastro-intestinaux, dont vous aurez à tenir compte, quand le

doute plane sur le diagnostic étiologique. Les désordres gastro-i n lestina ux

consistent en vomissements bilieux ou sanguinolents, en évacuations diar-

rhéiques plus ou moins profuses, avec ou sans crampes dans les mollels,

le tout pouvant simuler une attaque de choléra. Quelquefois les matières

vomies et les selles dégagent une odeur alliacée.

La durée de ces manifestations de gastro-entérite est variable. Dans le

cas de l'absorption d'une dose unique de poison, elles peuvent se calmer

dès le deuxième ou le troisième jour. Dès ce moment aussi les malades

ressentent une très grande faiblesse dans les membres; des douleurs, des

fourmillements, des picotements, de l'engourdissement dans les extré-

mités sont des phénomènes habituels.

Puis à uneépoque où les manifestations vulgaires de l'empoisonnement

arsenical se sont généralement dissipées, la faiblesse dégénère en paraly-

sie. Celle-ci envahit les quatre membres presque simultanément, ou bien

elle débute par les membres inférieurs; plus tard, elle peut s'étendre au

tronc, à des organes innervés par l'encéphale. Aux membres, elle se pro-

page des extrémités vers la racine ; son intensité va, d'une façon générale,

en diminuant de la périphérie vers le centre. D'ordinaire les extenseurs

sont plus fortement touchés que les fléchisseurs, les muscles delà l'ace

antérieure de la cuisse le sont plus que les muscles de la face postérieure.

La paralysie atteint son apogée en l'espace de quatre à cinq semaines ;

elle est donc progressivement envahissante. A cette période d'état, elle

s'accompagne d'une abolition des réflexes tendineux, des signes de la réac-

tion de dégénérescence, d'une atrophie diffuse qui va aller en s'accentuant,

(1) P. Brouardel et G. Pochet, loc. Cil.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENS1TIVO-MOTEURS 329

enfin de troubles de la sensibilité, qui ont bien leur valeur, en l'espèce.

Une céphalalgie opiniâtre et très pénible ne manque presque jamais ; les

muscles et surtout les troncs nerveux sont douloureux à la pression, mais

cela n'est pas constant. Les malades se plaignent de picotements, de four-

millements dans les orteils, dans les mollets, dans les doigts, dans les

avant-bras, dans le dos. Parfois aussi ils ressentent des douleurs spontanées

qui revêtent des caractères particuliers. Il leur semble qu'on leur brise les

membres, qu'on leur broie les os du pied et de la jambe, qu'on les pique,

qu'on leur larde les chairs, la plante des pieds, avec un couteau, qu'on

leur ronge les chairs. Habituellement ils présentent des troubles de la sen-

sibilité objective, sous la forme d'anesthésies circonscrites qui portent sur

tous les modes de la sensibilité. Plus tard l'anesthésie peut faire place à

Fhyperesthésie ; les malades se plaignent de ce que le contact des couver-

tures du lit avec les pieds et les jambes leur devient insupportable. De

même, à l'abolition des réflexes cutanés, qu'on observe habituellement à

la période d'état, peut succéder l'exagération de ces mêmes réflexes. Enfin

à un moment donné une insomnie absolue peut être la conséquence des

manifestations douloureuses.

La paralysie et l'atrophie qui l'accompagne sont curables ; dans les cas

heureux, la paralysie commence à se dissiper cinq ou six semaines après

ses débuts, et la guérison progresse ensuite plus ou moins rapidement. Il

est loin d'en être toujours ainsi. Il peut se faire que la paralysie et l'atro-

phie, tout en rétrocédant dans l'ordre inverse de leur apparition, c'est-à-

dire de la racine des membres vers les extrémités, laissent des résidus irré-

médiables. Etant donnée la prépondérance fréquente de la paralysie et de

l'atrophie du côté des extenseurs, on conçoit que des rétractions tendineu-

ses surviennent dans ces conditions, qui aboutissent à des difformités du-

rables. Dans un travail que j'ai déjà eu occasion de vous citer, MM. Er-

licki et Rybalkin (1) ont particulièrement bien décrit les déformations qui

se produisent en pareils cas, aux mains et aux pieds. Ce sont des rétrac-

tions qui portent principalement sur les extrémités des membres, doigts,

orteils. Chez l'un des deux malades dont les observations figurent dans le

mémoire de MM. Erlicki et Rybalkin, les deuxième et troisième phalanges

des deux derniers doigts étaient fortement fléchies ; la première phalange

du médius et de l'index était en extension légère, les deux dernières pha-

langes étaient en flexion modérée (fig. 30 et 31). Chez l'autre malade les

trois derniers doigts avaient leur deuxième phalange en flexion forcée, et la

troisième phalange en flexion légère ; à l'index lasecondephalange était en

(1) Erlicki et HYDALK¡X, Uebel' Al'senliill1lwngen (Archiv 1'(ir Psychiatrie und Nerven-

krnnk., 1892, t. XIII, fasc. 3, p. 861).

300 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

flexion moinsprononcée et la dernière phalange en extension(fig.3 et 33).

La plante des pieds dessinait une concavité ; les orteils étaient fléchis,

principalement le gros orteil qui, de plus, avait subi une rotation autour

de son axe, de telle sorte que sa face plantaire était tournée vers le second

orteil (fi. 34 et 35).

Les efforts faits pour ramener les doigts et les orteils en position nor-

male étaient il peu près infructueux. J'ajoute que la description donnée

Fig. 30.

Fig. 31.

Fig. 32.

Fig. 33.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS 331

par M. F. Vluller, de ces mêmes déformations, concorde avec celle des deux

médecins russes..

Il est il noter encore que ces déformations, à l'instar de la paralysie et

de l'atrophie, sont généralement plus prononcées dans le côté droit du

corps ; tout l'heure nous avons relevé cette particularité, en ce qui con-

cerné la paralysie, chez la petite fille que je vous ai présentée.

Si j'ajoute que les paralysies arsenicales consécutives à un empoisonne-

ment aigu s'accompagnent assez souvent de troubles trophiques cutanés,

sous la forme d'érttplions(excoriations, eczémas suintants), sous la forme

de la chute des cheveux et des poils, sous la forme de cet état luisant

connu sous le nom de glossg skin, de troubles vaso-moteurs (érythème

vaso-paralytique), quelquefois aussi d'amnésie, de manifestations déliran-

tes, beaucoup plus rarement de manifestations céphaliques telles que l'a-

maurose, l'abolition des réflexes pupillaires, la gêne de la déglutition,

j'aurai épuisé, ou peu s'en faut, ce qui concerne leur symptomatologie.

Vous voyez déjà combien il vous faudra être réservé sur la question de

pronostic, en présence d'une paralysie arsenicale de ce premier groupe.

L'un des malades dont les observations figurent dans le mémoire d'Erlicki

et Rybalkin s'en est tiré avec des rétractions tendineuses persistantes des

mains et des pieds, après vingt-deux mois de séjour à l'hôpital. Chez l'au-

Fig. 34.

Fila. 35.

332 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

tre, les' douleurs, les contractures paralytiques des mains et des pieds ont

persisté jusqu'à la mort, survenue après un séjour de deux ans à l'hôpital

(pleurésie exsudative et pneumonie chronique).

b) Paralysies consécutives Il un empoisonnement subaigu. Il est rare

que ces paralysies s'observent à la suite d'un empoisonnement d'origine

alimentaire, oeuvre d'une main criminelle, ou simple accident. A propos

de cette dernière éventualité, je vous rappelle un fait bizarre, que je vous

ai déjà cité dans une précédente leçon. Il s'agit du cas de cette jeune

femme de vingt-six ans, dont la maladie avait débuté par de violents

vomissements et par une diarrhée persistante, et qui avait présenté ensuite,

aux mains et aux pieds, une éruption de lâches rouges, éruption très pru-

rigineuse, terminée par desquamation. Plus tard une éruption vésiculeuse

était survenue, accompagnée de démangeaisons et de sensations de brû-

lure. Dès le dixième jour de sa maladie, cette jeune femme éprouvait des

sensations bizarres dans les membres : engourdissement, fourmillements,

piqûres et brûlures dans les jambes, fortes douleurs rhumatoïdes dans les

épaules. Bientôt ces sensations anormales se répandirent dans tout le corps,

occasionnant à la malade des souffrances intolérables. Aux membres, la

sensibilité objective était fortement émoussée. La malade était tourmentée

par une soif très vive; elle n'avait presque pas d'appétit. Détail d'une

grande importance en l'espèce, l'urine dégageait une^ odeur d'ail. La ma-

lade perdait beaucoup de cheveux ; ceux qui lui restaient se mirent à gri-

sonner. '

Voilà déjà un enchaînement de symptômes propres à faire soupçonner

un empoisonnement lent, et à diriger les soupçons sur l'arsenic. Or peu à

peu la paralysie et l'atrophie s'emparèrent des membres de la malade ; en

même temps l'insensibilité s'accentua. Les membres inférieurs furent

envahis d'abord, puis les membres supérieurs. Aux crampes dans les

mollets succédèrent des contractures des orteils. A un moment les désor-

dres moteurs reflétaient à la fois la parésie et l'incoordination. Puis la

paralysie devint complète aux membres ; elle s'étendit à certains muscles

du tronc, aux masticateurs, aux muscles des paupières. Une atrophie

énorme s'empara des muscles paralysés. Les réflexes tendineux étaient

abolis. Les pupilles, dilatées au maximum, ne réagissaient plus. La malade

était dans l'impossibilité de clore les paupières, de remuer les bras et les

jambes ; elle avait des crampes dans les muscles des mollets. Sur toute la

surface du corps la sensibilité générale était abolie ou fortement émoussée;

les impressions de chaud n'étaient pas perçues, le contact d'un corps froid

développait une sensation de chaleur. Les muscles et les troncs nerveux

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SE\SITIVO-11OTEURS 333

étaient un peu sensibles à la pression. Enfin, indépendamment d'un ictère

grave, on vit se développer un affaiblissement intellectuel croissant.

Une personne qui habitait la même maison que la malade, et qui était

quelquefois son commensal, présenta les mêmes accidents, sous une forme

atténuée. Or savez-vous ce que fit découvrir l'enquête instituée à propos

de ces deux cas ? La malade faisait entrer dans son alimentation, des pom-

mes et des poires sèches, qu'elle conservait sur le dessus d'une armoire.

Au milieu de ces fruits gisait un lièvre empaillé, imprégné d'une prépara-

tion arsenicale. L'enquête démontra que la poussière qui recouvrait les

fruits contenait de l'arsenic. Et maintenant la morale de cette histoire : une

fois connue la cause des accidents présentés par cette femme, celle-ci, cela

va sans dire, renonça à l'usage de ses pommes et de ses poires empoison-

nées. On la soumit au traitement,du'on a coutume d'instituer dans les cas

de polynévrite : alimentation reconstituante, toniques, galvanisation, fara-

disation. Au bout de quelques mois elle était complètement rétablie (1).

Gravez-vous bien dans la mémoire les faits de ce genre. Il serait bien

étonnant que quelques-uns d'entre vous n'eussent pas, l'un ou l'autre jour,

il faire leur profit des enseignements qu'ils comportent.

Plus souvent vous verrez l'empoisonnement arsenical subaigu etd'origine

alimentaire, survenir dans les circonstances suivantes : un boulanger em-

ploie, pour chauffer son four, des débris de boiseries imprégnées d'une cou-

leur à l'arsenic. Le pain et les pâtisseries, obtenus dans ces conditions,

renferment une certaine quantité de ce poison et peuvent être la source

d'accidents toxiques, à évolution subaiguë, parmi lesquels il y a des chan-

ces de voir figurer la paralysie arsenicale.

Enfin dans le remarquable rapport de MM. P. Brouardel etPouchet, que

je vous ai déjà cité, vous trouverez des exemples de paralysies arsenicales

d'origine vraisemblablement alimentaire, consécutives à un empoisonne-

ment criminel et ayant simulé une sorte d'épidémie de maison (affaire

Pastré-Beaussier). , -

Le plus souvent l'empoisonnement subaigu, dont la paralysie .arsenicale

est une conséquence, reconnaît une origine médicamenteuse. Ce genre

d'empoisonnement, dont notre jeune malade réalise un bel exemple, n'est

pas absolument rare.

L'année dernière c'est un médecin de Dublin, le docteur Parsons (2),

qui en a publié un exemple, sous le titre de « Névrites multiples, consé-

cutives à la cure arsenicale du cancer ».

Je vous citerai ensuite une série de faits publiés par des médecins an-

(1) S. Maiuk, Ueber Arsenldhmungen, \1'iener klinische \1'oclaenschrifi, 1801, ne 31.

(2) il. Pausonp, Dublin Journal of medic. Sciences, 2 septembre 180 ? p. 199.

334 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

glais. Voici par exemple une observation du docteur Haillon (1), qui offre

maintes analogies avec le cas de notre jeune malade. Il s'agissait égale-

ment d'une fillette, âgée de dix ans, affectée de la chorée et soumise à un

traitement arsenical par la liqueur de Fouler. En l'espace de vingt et un

jours on avait fait absorber à cet enfant environ sept grains, c'est-à-dire

plus de quarante centigrammes d'acide arsénieux. Dans le cours de ce trai-

tement, l'enfant vint en proie des troubles digestifs passagers. Denx jours

plus tard on constatait une abondante desquamation à la surface du corps.

Puis la fillette devint faible sur ses jambes; au bout de dix jours elle ne

pouvait plus marcher. Elle se plaignait de douleurs dans les bras et dans

les membres inférieurs. La pression des muscles et des nerfs exaspérait ces

douleurs. La paralysie envahit les membres supérieurs. Il n'est pas dit

qu'il s'y associa de l'atrophie; par contre, à un moment donné, l'enfant a

présenté de l'incoordination motrice ; notez bien ce détail, j'y reviendrai

dans un instant. En outre on a constaté des troubles de la sensibilité, l'a-

bolition des réflexes tendineux, les signes de la réaction de dégénéres-

cence. '

Vers la même époque le docteur Barrs (2) a présenté à une société

anglaise de médecine un garçon de douze ans, qui, étant atteint de la

chorée, avait été soumis pendant deux mois il un traitement arsenical à

hautes doses. Le traitement avait été admirablement supporté; l'enfant

était débarrassé de sa chorée depuis Un iiiois,161-sqti'oii le ramena il l'hôpi-

tal. Il avait été frappé d'une paralysie, qui avait envahi les quatre membres

ainsi que des muscles du tronc. L'atrophie s'empara ensuite des muscles

paralysés. Les réflexes tendineux étaient abolis. Les troncs nerveux étaient

douloureux il la pression ; on constatait de l'anesthésie par places. Tout

cela cadre parfaitement avec ce que nous avons observé chez notre ma-

lade. '

Une autre fois c'est un sujet atteint de la maladie d'Hodgin, de l'adénie,

qui, à la suite d'un traitement arsenical à hautes doses (liqueur de l ow'ler),

présenta des manifestations analogues. Son observation a été publiée par

le Dr Osier (3). L'empoisonnement arsenical s'est traduit d'abord par des

symptômes de gastro-entérite et par une pigmentation plus foncée de la

peau. Puis sont survenues de l'anesthésie cutanée et une faiblesse motrice

qui a dégénéré en paralysie. Celle-ci était limitée aux membres ; elle s'est

accompagnée d'atrophie musculaire, de la perte des réflexes, des signes

de la réaction de dégénérescence.

(1) Bailtox, paripheral Neuritis from Arsenic. British médical Journal, 4 nov. 1893,

p. 996.

(2) Baillis, Arsenical Neuritis. British médical Journal, 4 février 1893, p. 239.

(3) ÜSLBII, Arsenical neurilis (ollowing the use of h'owler's solution. Bulletin of thc

.John's Ilopkins Ilospital, avril 1893, ne 30.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS 335

Je considère qu'il est superflu de prolonger cette énumération de faits.

Je viens de vous donner des exemples de paralysie arsenicale qui se rap-

portent aux principales circonstances chorée, cancer, adénie et lym-

.phosarcome dans lesquelles l'arsenic est administré intus, à doses éle-

vées, dans un but curatif. Sans doute, il est d'autres maladies, telle la

chlorose, la-malaria, qui passent pour être justiciables de la médication

arsenicale ; mais dans ces maladies-là, les doses d'arsenic doivent être

maintenues dans des limites qui excluent le danger d'un empoisonnement.

Enfin l'emploi des préparations arsenicales dans le traitement de certaines

dermatoses telles que le psoriasis donne lieu à des empoisonnements chro-

niques, plutôt qu'à des empoisonnements subaigus.

Une exception doit être faite cependant pour les cas où l'empoisonne-

ment est la conséquence de l'application externe d'une préparation arseni-

cale. Leroy (d'Etiolles)(·1),Iiraus (2) ontpublié des exemples de paralysies

arsenicales, survenues dans ces conditions.

De l'ensemble des faits de ce second groupe, que je viens de passer en

revue, vous avez déjà dû dégager la conclusion suivante. C'est que la pa-

ralysie arsenicale consécutive à un empoisonnement subaigu offre, dans

son ensemble, une évolution en tout semblable à celle de la paralysie con-

sécutive'à un empoisonnement causé par une forte dose unique de poison.

Il y a cependant quelques différences à relever. D'abord dans le premier

cas (empoisonnement subaigu), les manifestations de gastro-entérite du

début sont moins violentes. Par contre elles peuvent durer davantage.

Elles peuvent, de plus, s'accompagner d'un mouvement fébrile. Dans

ces conditions, on est exposé à prendre pour une fièvre muqueuse, pour

une fièvre typhoïde, une gastro-entérite toxique ; cette confusion a été

commise bien des fois (3). Puis les manifestations douloureuses peuvent

être moins intenses, à la période d'état, que dans le cas d'un empoison-

nement aigu. D'autre part, si l'on s'en rapporte à la description que

MM. Brouardel et Marie ont donnée, des troubles moteurs consécutifs à

des empoisonnements criminels par l'arsenic (4), la paralysie peut se lo-

caliser dans les membres inférieurs, ne frapper que certains groupes de

muscles. En ce cas elle se cantonne d'abord dans l'extenseur commun des

orteils, où elle persiste le plus longtemps. De là elle se propage aux mus-

(1) LEROY (d'Etiolles), Sur la paralysie causée par l'arsenic. Gazette hebdomadaire

de médecine et de chirurgie, 1857.

(2) KnAus, Des paralysies sans lésions matérielles appréciables. Liège, 1852.

(3) Pendant que cette leçon était en cours d'impression, M. Lancereaux, dans une

très intéressante communication à l'Académie de médecine (21 juillet 1S96), « Sur les

paralysies toniques en général et la paralysie arsenicale en particulier », s'est attaché

précisément v prémunir les médecins contre les confusions de ce genre.

(4) l3noununE et G. POUCHET, loc. cit., p. 4G2.

336 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

clos de la région de la jambe, jambier antérieur, exten-

seur propre du gros orteil, péroniers latéraux, ainsi qu'aux fléchisseurs des

orteils, au vaste interne ai la cuisse. Elle a une tendance à respecter les

jumeaux, le soléaire, le droit antérieur de la cuisse. D'abord elle ne se

traduit que par une grande faiblesse et par la précocité avec laquelle

se montre la fatigue ; puis le malade steppe en marchant ; finalement il

ne peut plus marcher du tout, ou il ne peut le faire qu'en se traînant et

en s'appuyant aux meubles. Quant le malade est assis, ses pieds sont

ballants* quelquefois même ils flottent en tous sens, comme des membres

de polichinelle.

Ne perdez pas de vue que la paralysie arsenicale consécutive il un em-

poisonnement subaigu est loin de toujours présenter ces caractères circons-

crits. Elle peut être généralisée aux quatre membres et à un certain nom-

bre de muscles du tronc ; je viens de vous en citer des preuves, et notre

malade en est un exemple. Ce que l'on peut dire de plus général, c'est que

le pronostic est meilleur que dans les cas du précédent groupe, en ce sens

que, traitée à temps, la paralysie guérit totalement, sans laisser de résidus

sous la forme de ces atrophies musculaires et de ces rétractions tendineu-

ses irrémédiables, que nous avons vu subsister dans des cas du premier

groupe.

c) Paralysies consécutives à un empoisonnement chronique. Elles peu-

vent survenir dans les mêmes circonstances que les deux précédentes va-

riétés ; en d'autres termes elles peuvent être consécutives à un empoison-

nement d'origine alimentaire, ou d'origine médicamenteuse, ou perpétré

dans un but criminel. En outre on les voit se développer dans deux autres

catégories de circonstances importantes à connaître : dans le cours de l'ar-

senicisme professionnel, et sous l'influence du séjour dans des locaux dont

les murs sont recouverts de peintures ou de tapisseries arsénifères. Quel-

ques exemples, que je vais vous mentionner, contribueront à mieux vous

graver ces circonstances dans la mémoire.

Dans son travail déjà cité, M. Imhert-Courbéyre rapporte, d'après un

mémoire anglais paru en 1787, l'histoire de deux garçons de neuf et de

treize ans, qui pendant trois semaines mangèrent du pain arseniqué. Dans

l'intervalle ils avaient été pris des accidents gastro-intestinaux habituels à

l'empoisonnement arsenical. Au bout de trois semaines l'aîné se mit à res-

sentir de l'engourdissement et de la faiblesse dans les doigts et dans les

extrémités des membres inférieurs. Ces phénomènes se propagèrent des

extrémités vers la naissance des membres, et bientôt ceux-ci se trouvèrent

complètement paralysés. Les parties engourdies étaient en outre très dou-

loureuses. Le plus jeune de ces garçons fut pris de la même manière.

\

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS H37

Voilà donc un exemple bien net de paralysie arsenicale survenue à la suite

d'un véritable empoisonnement chronique d'origine alimentaire.

Il y a quelques années, M. le Dr E. Vidal (1) a communiqué à l'Acadé-

mie de Médecine, la relation d'une épidémie d'arsenicisme chronique sur-

venue à 11 ? ères, chez des personnes qui avaient bu d'un vin additionné

d'acide arsénieux en guise de plâtre. Cette même épidémie a fait l'objet

d'un intéressant rapport de la part de MM. Cougit et Sambuc (2). Les vic-

. times ont présenté des accidents qui rappelaient ceux de l'acrodynie, c'est

dire que les troubles de la sensibilité prédominaient sur les troubles mo-

teurs. Voire qu'au début de l'épidémie, lapersistance d'une toux quinteuse,

coqueluchoïde, avait fait croire à une épidémie de grippe spasmodique.

Je vous rappelle ensuite que dans certaines contrées, en Styrie notam-

ment, il se rencontre des arsenicophages, des mangeurs d'arsenic. Le plus

souvent cette pratique a pour but de donner aux arsenicophages de la

vigueur musculaire et respiratoire. Quelquefois elle vise un but de coquet-

terie. A doses convenables, l'arsenic engraisse et donne du teint, pendant

quelque temps du moins. Tôt ou tard, l'arsenicisme conduit à la cachexie.

Assez fréquent est le cas où l'addition de doses moyennes d'arsenic aux

aliments est l'oeuvre d'une main criminelle. Ne perdez pas de vue que ce

toxique est-un de ceux qui ont ohtenu les préférences des empoisonneurs,

sans doute en raison de la facilité que le premier venu trouve à se le pro-

curer, et parce que, à petites doses, sa présence dans les aliments ne.se

trahit pas au goût et à l'odorat de la victime. Un des plus remarquables

exemples de paralysie arsenicale survenue dans de pareilles conditions a

été publié, il y a plus d'un demi-siècle, par un médecin légiste d'Allema-

gne, le Dr Schaper (3'). Il se trouve reproduit dans le travail d'Imbert-

Courheyre. Le fait concerne un homme de vingt-cinq ans qui, au bout de

quelques mois de mariage, eut à subir une tentative d'empoisonnement de

la part de sa jeune femme. Celle-ci mélangeait de l'arsenic aux aliments

de son mari. Indépendamment des vomissements et des coliques, la victime

présenta des accidents initiaux qui firent croire au médecin traitant qu'il

avait affaire il une attaque de rhumatisme articulaire; c'étaient des dou-

leurs violentes et des raideurs dans les pieds et dans les jambes. Mais

bientôt la parésie envahit les membres ; le malade perdit l'usage complet

de ses mains et de ses pieds ; cet état persistait encore en partie, plus d'un

an après l'apparition de la paralysie. En compulsant les recueils de méde-

(1) E. Vidal, ACl'odynir. in [intoxication arsenicale. Académie de médecine, 17 juil-

lui 18S8, et Annales d'hygiène, t. XX, J 888.

(2) Cuunrr, Affaire des vins empoisonnés d'Hyères. Annales d'hygiène, octobre

1888, p. 248. '

(3) SCII,\I'EII, Beilrage zuder Lehre von de)' Arsenik-Vergiftung, Berlin, 1846.

lx ' 22

338 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

cine légale et de toxicologie, on trouverait maints exemples analogues.

Ainsi dans l'affaire de Rouen (1), le toxique avait été, selon toute vrai-

semblance, mélangé aux aliments, par une main criminelle.

Je passe aux paralysies arsenicales consécutives à un empoisonnement

chronique d'origine médicamenteuse. C'est surtout chez des personnes

traitées par l'arsenic pour une dermatose chronique telle que l'eczéma, le

psoriasis, que l'on a observé des paralysies de cette catégorie. Voici une

relation abrégée d'un fait communiqué il y a plus de vingt ans, par le

Dr Gaillard (2), à la Société de médecine légale. Une jeune fille de vingt-

deux ans, affectée d'un eczéma, est soumise à un traitement par la liqueur

de Fowler administrée à doses progressivement croissantes : XXX gouttes

par jour pendant une première quinzaine, XLV gouttes par jour pendant

une seconde quinzaine et LX gouttes par jour pendant une troisième quin-

zaine. Déjà pendant la seconde quinzaine, des phénomènes d'intolérance

(vomissements et maux d'estomac) étaient apparus. La dose de LX gouttes

par jour ne put être supportée longtemps; il fallut revenir en arrière.

Finalement le résultat thérapeutique se faisant attendre, le traitement

arsenical fut suspendu. Déjà à cette époque la jeune fille avait ressenti des

douleurs dans les membres ; plus tard ses pieds et ses mains se sont para-

lysés ; les jambes sont devenues le siège de crampes et de douleurs qui

irradiaient jusque dans le bassin. On a constaté de t'hyperesthésie aux

jambes. L'analyse des urines a décelé la présence de l'arsenic. A la suite

d'un traitement par la strychnine, par les frictions térébenthinées et par

la faradisation, cette jeune personne s'est complètement rétablie. '

Dans le mémoire de M. Imbert-Courbeyre vous trouverez mentionnés

d'au Ires exemples du même genre.

A côté de ces faits se placent ceux où la paralysie arsenicale est surve-

nue à la suite d'un empoisonnement chronique volontaire, pratiqué dans

une intention criminelle. Tel le cas de cette femme dont parle Imbert-

Courbeyre, et qui se trouvant en état de grossesse, prit deux fois par jour,

pendant trois mois, une certaine quantité d'arsenic, dans l'espoir de se

faire avorter. Elle accoucha d'un enfant mort-né; mais dans l'intervalle

elle avait contracté une paralysie de la sensibilité et du mouvement, aux

membres inférieurs, sans préjudice des troubles gastro-intestinaux symp-

tomatiques de l'empoisonnement arsenical. Pendant une quinzaine de

jours, elle se trouva dans l'impossibilité de marcher, et longtemps après

elle conserva des traces de sa paralysie.

J'en arrive aux cas de paralysie arsenicale symptomatique d'un empoi-

sonnement professionnel. Je vous rappelle que ce genre d'empoisonnement

(t) P. Brouardel et POUCIJET, loc. cit.

(2) Gaillard, Annales d'hygiène publique et de médecine légale, 1874, t. XLII, p. 406.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSIT1V0-liOTEURS . 339

s'observe à l'état endémique dans les pays où se fait l'extraction de l'arse-

nic, par exemple dans le Hartz. On l'observe aussi chez les ouvriers de

certaines professions qui manient des couleurs arsenicales, notamment le

vert de SclI\VcÏ11rurt : ainsi chez les ouvriers et ouvrières qui fabriquent

des couleurs, des papiers peints, certaines poteries, chez les fleuristes

qui fabriquent des fleurs, des herbes et des feuilles artificielles.

Toutes ces professions sont connues pour fournir leur contingent de

victimes de la paralysie arsenicale.

Enfin, depuis longtemps il est admis et démontré que le séjour habituel

dans une chambre dont les murs sont tapissés de papiers arsénifères peut

être l'origine d'un empoisonnement arsenical chronique. Dès 18841 Base-

dow, le même dont le nom a été adjoint à la maladie connue encore sous

celui de goitre exophtalmique, attirait l'attention des médecins et des au-

torités, sur les paralysies consécutives à un empoisonnement de pareille

origine. Deux ans plus tard il obtenait la prohibition, en Prusse, de l'em-

ploi des papiers peints arsénifères. Entre autres faits curieux, Basedow

avait publié le cas de deux enfants d'une même famille, qui avaient été

frappés de diplopie, par conséquent d'une paralysie des muscles de l'aeil,

pour avoir. couché dans une chambre dont les murs humides étaient tapis-

sés d'un-papier vert, d'une couleur arsenicale.

Je vous citerai encore, dans ce même ordre de faits, une observation

publiée par le docteur Brow·n (1), de Boston. Elle concerne une dame de

56 ans, qui depuis des années couchait dans une chambre tapissée en vert.

Il y avait longtemps que cette dame était sujette.à des accidents variés, lors-

qu'elle se décida à consulter un médecin, obligée qu'elle était de garder le

lit. Elle avait les membres inférieurs paralysés et amaigris; la peau de ses

membres était sèche, rugueuse, froide. L'analyse du papier qui tapissait

la chambre fit constater la présence de l'arsenic. -

Je n'insiste pas davantage : des faits de ce genre se rencontrent en nom-

bre assez considérable dans les annales de la médecine.

Qu'il me suffise de vous en donner comme preuve un travail du D''

Putnam (2), de Boston, basé sur vingt-cinq cas d'empoisonnement chro-

nique Survenu principalement du fait du séjour dans un local tendu de

papiers arsénifères. 1

Dans la plupart de ces cas on a noté les symptômes d'une polynévrite

à marche intermittente, dont on a fini par reconnaître l'origine toxique.

(1) 1l1l0WX, The sanatory record, 1876.

(2) J. PUT.N.I)1, On ch1'onic arsenic poisoning, especially from wall-paper, based on

the analyses of' twenty-five cases in wich arsenic was found in the urine. The Boston

médical and surgical Journal, 7 mars 1889.

340 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

B. Ataxie arsenicale. Messsieurs, jusqu'ici je ne vous ai parlé que

des paralysies arsenicales ; or la paralysie du mouvement n'estpas le seul

désordre qu'on observe dans le cours et à la suite des empoisonnements

par l'arsenic. Quelquefois la paralysie, à ses débuts et lorsqu'elle n'est pas

encore complète, s'accompagne d'un certain degré d'incoordination motrice.

Il y a mieux, l'incoordination motrice peut prédominer sur la parésie, et

subsister jusqu'au bout. En un mot, de même qu'il y a une paralysie ar-

senicale, il y a une alaxie arsenicale. L'ataxie qui reconnaît cette origine

peut s'associer à d'autres manifestations du tabes, telles que l'abolition du

phénomène du genou, le signe de Romberg, des douleurs lancinantes, de

l'anesthésie, et jusqu'à des troubles oculaires tels que la diplopie, l'aboli-

tion des réflexes pupillaires, l'amaurose.

Bref il peut se constituer ainsi un syndrome qui offre une certaine res-

semblance avec le tabès dorsal. Un médecin de New-Yorlc, le Dr Dana (1),

a publié un travail consacré en partie à l'étude de cette variété depseudo-

tabes. Dans ce travail il relate deux exemples de pseudo-tabes arsenical,

survenus l'un à la suite d'un empoisonnement chronique, l'autre à la suite

d'un empoisonnement aigu. M. Dana a conclu, en fin de compte, qu'indé-

pendamment de la forme commune de paralysie arsenicale, où l'incoordina-

tion peut s'associer à la parésie, il existe une forme ataxique pure, qui

offre de la ressemblance avec le 'tabès, l'une et l'autre forme relevant

d'une névrite multiple et non d'une myélite. Soit dit en passant, M. Dana

admet qu'un poison, tel que l'arsenic, peut engendrer indifféremment des

névrites périphériques, des lésions spinales, et les deux à la fois.

Pour ce qui est de confondre cette forme ataxique de l'empoisonnement

arsenical avec le tabès dorsalis, la chose me parait inexcusable de la part

d'un médecin instruit. Rien que l'acuité de l'évolution et la rapidité avec

laquelle se constitue la période d'étal, la période ataxique, suffiront ,¡jeter

le doute dans l'esprit d'un observateur attentif, à le mettre sur la piste

d'un des empoisonnements connus pour donner lieu aux manifestations

d'un pseudo-tahes. Or, dans un cas d'empoisonnement arsenical, les trou-

bles gastro-intestinaux du début ne manquent jamais. Les éruptions cuta-

nées sont fréquentes. Elles aboutissent à des desquamations épidermiques

qui attirent l'attention. La coexistence de ces deux ordres de manifesta-

tions impose déjà le soupçon d'un empoisonnement arsenical.

En dernier ressort, l'analyse des urines sera toujours là pour fournir

la démonstration objective de l'origine toxique de ces accidents de Iseudo-

tabes.

(1) DINA, On pseudo-litbes from arsenical oisonin7. Brain, janvier 1887.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS 341

C. Tremblement arsenical. Il existe également un tremblement ar-

senical qui peut se rencontrer seul ou associé à la paralysie, à l'incoordi-

nation motrice. Il s'agit d'un tremblement général, qui gagne jusqu'aux

lèvres ; dans certains cas il reste limité aux membres supérieurs. Sa durée

est variable. Les auteurs anciens surtout se sont beaucoup occupés de

cette manifestation de l'empoisonnement arsenical.

i

D. Epilepsie arsenicale ET troubles INTELLECTUELS. Je crois devoir

vous signaler ensuite que l'arsenic a été rangé pariai les poisons convul-

sivants. Effectivement on a publié des cas où, à la période aiguë d'un em-

poisonnement arsenical, le malade a eu des accidents convulsifs et jusqu'à

des attaques épileplij'o1'1nes. D'après Imbert-Courbeyre (1), Putnam (2),

celles-ci s'observent également dans le cours de l'empoisonnement arseni-

cal chronique. Imbert-Courbeyre a nettement affirmé l'existence d'une

épilepsie arsenicale, qu'il a d'ailleurs représentée comme étant très rare.

Enfin je vous ai dit déjà que l'empoisonnement arsenical peut donner

lieu à des troubles intellectuels, en tête desquels figure l'amnésie. Cette

manifestation a été constatée nommément chez les deux malades dont les

observations ont été publiées par Erlicki et Rybalkin.

Tableau général DES troubles SENSITIVO-MOTEURS causés par L'EMPOISON-

nement arsenical. Inspirons-nous maintenant des données que je viens

de vous exposer, pour composer un tableau d'ensemble des désordres ner-

veux qui s'observent à litre de conséquences prochaines ou éloignées d'un

empoisonnement par l'arsenic, et parmi ces désordres la paralysie motrice

tient habituellement une place prépondérante.

Une personne a échappé aux suites mortelles d'un empoisonnement par

une forte dose d'arsenic, dose unique. Elle a eu d'abord des nausées, sui-

vies de vomissements, de douleurs à l'épigastre et dans le bas-ventre, de

selles fréquentes, plus ou moins profuses ; il n'est pas rare qu'une poussée

de fièvre ait accompagné ces premiers accidents.

Cependant cette phase -de gastro-entérite qui, je vous le répète, peut

simuler une attaque de choléra, et dont la durée ne dépasse pas quelques

jours, cette phase touche il sa fin. C'est à ce moment qu'en thèse générale

la paralysie fait son apparition. Dessinit in paralysim, ainsi que l'avaient

déjà remarqué les auteurs anciens. D'autres fois un intervalle plus ou moins

considérable s'écoule avant l'apparition des premiers troubles sensitivo-

moteurs. Pendant cette période on peut observer du catarrhe laryngo-bhon-

(1) l113rR'r-COUI113DYIE, loc. cit., p. 75.

(2) Putnam, loc. cit.

342 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

chique, des éruptions cutanées, des érythèmes;de la clesduamation épider-

mique, de la bouffissure des paupières et du scrotum.

De toule façon, et avant que la paralysie soit nettement constituée, des

troubles de la sensibilité ont fait leur apparition : engourdissements, four-

millements, picotements aux extrémités des membres, douleurs violentes

qui empêchent les malades de dormir, anesthésie douloureuse c'est-à-dire

coïncidant avec de l'hyperesthésie, céphalalgie continue, tels sont les

signes avant-coureurs de la paralysie.

Puis les pieds et les mains sont frappés d'une impuissance fonctionnelle

plus ou moins complète et subite. Ce mode d'envahissement est à peu près

constant ; presque toujours la paralysie est, à ses débuts, chiropodale. Les

troubles de la sensibilité persistent. Les muscles, quelquefois aussi les

troncs nerveux sont devenus douloureux à la pression.

La paralysie peut rester limitée aux extrémités des membres, gagner tout

au plus les jambes et les avant-bras (1), et alors elle peut se compliquer

d'ataxie, de tremblement. Mais ce n'est point là le cas habituel. Le plus

souvent la paralysie poursuit sa marche envahissante ; elle se propage des

membres vers leurs racines, puis aux muscles du tronc, quelquefois à des

muscles innervés par des nerfs crâniens, donnant ainsi lieu à des troubles

de la mastication, de la vision, à des troubles respiratoires, à de la tachy-

cardie. Bientôt l'atrophie musculaire s'associe à la paralysie; atrophie dif-

fuserais qui atteint un degré extrêmement prononcé aux petits muscles des

mains et des pieds, aux autres segments des membres, au thorax. Une fois

qu'il en est ainsi, les choses peuvent se maintenir in situ pendant des mois.

Des rétractions tendineuses se produisent aux muscles qui Sont moins

atrophiés et moins paralysés que leurs alltagonistes, principalement aux

fléchisseurs des doigts et des orteils. La peau se desquame au niveau des

membres paralysés, elle se couvre de lâches ; elle prend un aspect luisant,

souvent elle devient le siège d'une sudori ! 1cation exagérée. De l'oedème se

montre aux extrémités, principalement au pourtour des malléoles et à la

face dorsale du tarse.Les malades se plaignent de douleurs dans les chairs,

comparables à celle que développe une blessure faite avec un instrument

tranchant ou encore par une morsure. Enfin à celte période on peut obser-

ver de l'amnésie, quelquefois même des manifestations délirantes, excep-

tionnellement de l'amaurose.

Au bout d'un délai très variable, et à condition que le malade se trouve

placé dans de bonnes conditions d'hygiène et soumis à Un traitement ap-

proprié, la restauration des muscles atrophiés commence à se faire : leur

(1) Goldflam (Zeitschril't i'ür klin. Dledicin, 1888, t. XIV, rase. IV, p. 399) a publié

un bien bel exemple du type chiropodal, consécutif à un empoisonnement arsenical

aigu .

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-nIOTEUIiS 343

rétablissement fonctionnel suit de près. La paralysie rétrocède dans l'or-

dre inverse de celui qu'elle a observé au moment de s'établir ; il arrive

que les troubles de la sensibilité se dissipent plus tardivement encore ; en

dernier lieu, les réflexes tendineux réapparaissent. Le retour à l'état nor-

mal peut être complet. Toutefois dans les cas graves, l'empoisonnement

arsenical aigu peut laisser des traces persistantes, sous la forme de rétrac-

tions tendineuses. Je ne connais pas de cas où' une paralysie arsenicale ait

été la cause unique et immédiate d'un dénouement fatal.

Cependant trois des victimes des empoisonnements de Rouen ont suc-

combé après avoir présenté de la paralysie motrice. Il semble que dans ces

trois cas la mort soit survenue par paralysie du coeur (1). En tout état de

cause, chez deux des victimes on avait diagnostiqué une endocardite infec-

tieuse. Cliez toutes les trois, l'autopsie a démontré l'absence d'une lésion

valvulaire.

Dans les cas d'empoisonnement arsenical subaigu e.t chronique, les cho-

ses, considérées dans leur ensemble, se passent habituellement de la même

façon, sauf que les troubles gastro-intestinaux du début affectent une moin-

dre violence, que la paralysie a une moindre tendance à se généraliser,

qu'elle peut se circonscrire aux membres inférieurs, et s'y cantonner dans

certains. groupes de muscles; sauf que l'atrophie musculaire est géné-

ralement moins prononcée (le cas de notre malade prouve qu'elle peut

manquer) ; sauf que les accidents embrassent une durée moindre, et abou-

tissent à une guérison complète.

Je vous ferai remarquer en passant que la description donnée par

M. Thoinot (2) de la paraplégie arsenicale, et dont les éléments ont été

empruntés au travail de MM. Broùarclel et P. Marie, se rapporte à la for-

me incomplète et circonscrite de paralysie arsenicale, qui embrasse des cas

de ce second groupe. Or, dans un grand nombre de cas, la paralysie arse-

nicale, qu'elle se développe à la suite d'un empoisonnement aigu ou d'un

empoisonnement subaigu, est non pas une paraplégie, mais une tétraplé-

gie. Quelles que soient les circonstances qui président à son développe-

ment, elle a de la tendance à se généraliser, à envahir tous les muscles des

membres, et quand elle reste circonscrite à certains groupes de muscles,

assez souvent elle se complique d'un certain degré d'incoordination mo-

trice. -

C'est dans ces conditions que l'on peut voir encore l'ataxie dominer

la scène morbide, associée il des manifestations tabétiques telles que la

perte des réflexes tendineux, le phénomène de Romberg, l'anesthésie, des

(1) Voir P. llu(¡I',\IIDI : L et G. Polchet, loc. Cil., p. 483.

(2) Thoinot, Paraplégie arsenicale. Manuel de médecine de Dcbove-Achard, t. IV, 1

p. 593.

344 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

douleurs caractère lancinant. Cette ataxie arsenicale, dont on a fait le

suhlratunl d'un pseudo-tabes, est curable au même titre que la paralysie

de même origine.

Enfin parmi les troubles sensitivo-moteurs consécutifs il une intoxica-

tion arsenicale, le tremblement peut occuper une place prépondérante. On

a vu aussi des malades, victimes de l'arsenicisme, tomber dans des attaques

épileptiformes, alors qu'avant leur empoisonnement ils n'avaient jamais

présenté d'accidents de ce genre. Mais il s'agit ta de faits exceptionnels.

Parallèle entre les troubles sensitivo-moteurs DE L'AHSE : ,\ICISlIOE et LES

troubles SGNSI'fI\-0-lfOTh : UItS DE l'alcoolisme. Voilà un tableau, aussi

'fidèle que possible dans sa concision, des troubles sensitivo-moteurs que

peut laisser à sa suite un empoisonnement arsenical aigu, subaigu ou

chronique. En regard de ce taLlleau un parallèle avec l'alcoolisme s'im-

pose.

Dans le courant de cette année scolaire, je vous ai longuement entretenu

des diverses modalités cliniques de la polynévrite alcoolique. Je vous ai

montré que celle variété étiologique de la polynévrite résume en elle

toutes les autres variétés, eu égard à l'expression symptomatique. Il est

cependant deux modalités qui l'emportent sur les autres, par leur fré-

quence ; ce sont celles que je vous ai décrites sous les noms de polynévrite

à forme paralytique et ((trophique et de polynévrite à forme de psewlo-tllbes,

la première étant de beaucoup la plus fréquente. Or, qu'observons-nous

dans les cas d'empoisonnement arsenical, lorsque l'intoxication retentit l

surlesystéme nerveux ? Une succession d'accidents qui, presque toujours,

rappellent le tableau de la poliomyélite antérieure, aiguë ou subaiguë,

beaucoup plus rarement le tableau d'un pseudo-tabes.

Et si nous considérons les choses de plus près, nous allons être frappés

du grand nombre de traits de ressemblance qu'offrent entre eux l'alcool et

l'arsenic, dans leurs manières d'atteindre le système nerveux.

Dans l'un et l'autre cas, disai-je, c'est une paralysie amyotrophiclue qui

prédomine sur les autres manifestai ions morbides. Dans 1'tiii et l'autre cas

cette paralysie est annoncée et accompagnée par des phénomènes de pares-

thésie, engourdissement, fourmillements, etc., par des douleurs qui peu-

vent être très violentes. Dans les deux cas la paralysie débute par les extré-

mités des membres. Dans les deux cas, elle peut prédominer aux extrémi-

tés, ou même se limiter aux mains et aux pieds (type chiropodal) . Dans les

deux cas elle peut envahir les membres en totalité, et alors sa marche est

centripète ; elle peut envahir les muscles du tronc, les muscles innervés

par l'encéphale. Dans les deux cas, on observe, mais, à titre tout à fait ex-

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS 345

ceptionnel, l'abolition des réflexes pupillaires ; dans les deux cas, les

troubles de la sensibilité, mais surtout les douleurs spontanées, l'hyperes-

thésie superficielle et profonde (douleurs à la pression des muscles et des

nerfs) tiennent une place importante dans le tableau morbide. Dans les

deux cas l'abolition des réflexes tendineux est habituelle. -

Quels que soient le degré et l'extension atteints par la paralysie et l'a-

trophie musculaire, le retour à l'état normal peut se faire d'une façon com-

plète ; c'est là du reste le mode de terminaison habituel, qu'il y ait en

cause une intoxication alcoolique ou une intoxication arsenicale. Dans les

deux cas la paralysie amyotrophique peut laisser des traces ineffaçables,

sous la forme de rétractions tendineuses. Dans les deux cas l'ataxie peut

s'associer la paralysie, à une paralysie incomplète bien entendu ; dans les

deux cas la paralysie motrice peut s'effacer devant l'incoordination motrice,

et celle-ci s'associer à d'autres symptômes du tabes, de façon à constituer un

syndrome de pseudo-tabes. Que les accidents soient imputables à l'arsenic

ou à l'alcool, des troubles intellectuels peuvent se manifester, et parmi eux

l'amnésie figure en première ligne.De même qu'il y a une amaurose alcooli-

que, il existe une amaurose arsenicale, l'une et l'autre curables. De même

qu'il y a un tremblement alcoolique, il y a un tremblement arsenical. Enfin

l'empoisonnement arsenical à l'instar de l'empoisonnement alcoolique

paraît être apte à provoquer des attaques épileptiformes.

Caractères différentiels . Vous voyez qu'on peut pousser très loin le

parallèle entre les manifestations sensitivo-motrices de l'empoisonnement

arsenical et les manifestations sensitivo-motrices de l'empoisonnement

alcoolique. Est-ce à dire qu'il n'y a entre les unes et les autres que des

points de ressemblance ? Est-ce à dire que les caractères différentiels font

défaut ? Nullement. Je vous ferai remarquer d'abord que la paralysie

alcoolique se montre rarement à la suite d'un empoisonnement aigu par

l'alcool. Quand la chose arrive, c'est toujours chez un sujet qui abuse des

boissons spiritueuses depuis plus ou moins longtemps. Une ou plusieurs

ribottes lui ont valu une crise d'alcoolisme aigu, une attaque de delirium

tremens. Ce seront donc des manifestations délirantes qui ouvriront la

marche des accidents. Le délire, en ce cas, joue le même rôle que les ac-

cidents gastro-intestinaux du début, dans un cas d'empoisonnement arse-

nical aigu.

^Jamais, du reste, vous n'observerez ces accidents de gastro-entérite, ces

accidents cholériformes, à la-phase prodromique d'une polynévrite alcoo-

lique. Dans ce dernier cas, des troubles digestifs sont habituels, mais ils

ont une expression toute autre ; c'est la gastrite chronique qui en est cause,

34(] NOUVELLE ICONOGRAPHE DE LA SALPÊTRIÈRE

avec les pituites matinales, le pyrosis, les brûlures à l'estomac, etc. II n'y

a pas d'insomnie absolue comme dans les cas d'empoisonnement arsenical

aigu ; le sommeil est troublé par des caucliemars, par des rêves il caractère

terrifiant, par des visions d'animaux. Il est rare aussi que dans les cas de

paralysie alcoolique, les troubles sensitifs, phénomènes de paresthésie, dou-

leurs spontanées, anesthésie, soient aussi accentués que dans la paralysie

arsenicale. Jamais la paralysie alcoolique ne s'accompagne d'une desqua-

mation de la peau par vastes lamelles épidermiques, comme dans cette

dernière. Jamais, autant que je sache. dans un cas de paralysie arsenicale,

l'amnésie et les autres troubles intellectuels n'en sont venus à dominer la

scène morbide, comme cela se voit dans la polynévrite alcoolique. Enfin

quand l'amyotrophie est à son apogée, quand des rétractions tendineuses

entrent en scène, les déformations qui en résultent, aux mains et aux pieds,

sont différentes dans les deux cas. Dans ceux de paralysie arsenicale, les

petits muscles de la main et des pieds, muscles interosseux, muscles de

l'éminence thénar, muscle long extenseur de l'orteil sont frappés les pre-

miers ; il en résulte que les malades ne peuvent plus opérer ('écartement

et le rapprochementdes doigts et des orteils (fi.3G); ces mouvements sont

Fig. 36.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTNURS 347

gênés à un moment où les mouvements dans le poignet se font encore sans

difficulté. Dans le cas de paralysie alcoolique, les premiers mouvements

atteints sont précisément ceux qui se passent dans les poignets et dans les

cou-de-pieds; la paralysie frappe d'abord les muscles extenseurs et flé-

chisseurs des mains et des pieds. Les mains et les pieds sont ballants (fig. 37

et 38) (1),.

Lorsque ensuite les rétractions tendineuses se produisent, elles portent t

d'une façon prépondérante sur les mêmes parties. Dans les cas de paraly-

sie arsenicale, les déformations qui frappent le plus à première vue,

sont celles des doigts et des orteils. Les différentes phalanges sont immo-

umsees en iiexion ou en extension ry. au et 4.uj; n en résulte uneaw-

tude qui, sans être toujours identique il elle-même, a cependant quelque

chose de caractéristique. Aux pieds, indépendamment de ces déformations

des orteils, on constate une voussure anormale de la plante (fig. 4.1 et 42).

Dans la paralysie alcoolique, les rétractions tendineuses intéressent sur-

toutjes muscles de l'avant-bras, les muscles de la jambe ; elles entraînent

des déformations caractérisées par la fixation des mains, des pieds, en

flexion ou en extension. 1

Je ne crois pas pouvoir mieux me résumer qu'en disant : dans les cas de

(1) Ces figures ont été empruntées au travail de M. P. Muller.

Fic. 37.

1 n .

Fig. 38.

-, - -, o.

348 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

paralysie arsenicale, les déformations se produisent surtout aux jointures

des doigts et des orteils; dans les cas de paralysie alcoolique, elles se pas-

sent surtout dans les jointures du poignet et du cou-de-pied.

Diagnostic. - Voilà les traits de ressemblance et les caractères (liffé-

rentiels que je crois pouvoir relever entre les troubles sensitivo-moteurs

de même ordre, symptomatiques de l'arsenicisme el de l'alcoolisme. Vous

voilà donc en possession des éléments du diagnostic différentiel de la pa-

résie arsenicale et de la paralysie alcoolique. Ces mêmes éléments vous

serviront à distinguer la paralysie arsenicale des aulrcs variétés de poly-

névrite à forme de poliomyélite antérieure. Je vous ai déjà dit combien

il vous sera facile de distinguer le pseudo-tabes arsenical du tabes dorsa-

lis vrai, lorsqu'à la suite d'un empoisonnement par l'arsenic, l'ataxie

occupe une place prépondérante parmi les troubles sensitivo-moteurs. Un

auteur allemand, le docteur Alexander (1), a cm devoir exposer le dia-

gnostic différentiel de la paralysie arsenicale et de la syringomyélie, sous

prétexte que dans un cas de paralysie arsenicale publié par Gerhardt, l'au-

(1) ALEX.11DER, Klinische und experinenlelle l3eilrüge zur liennlniss de ? , Liihmll1 ! ({en

nach /t;'sen ! Aue;'ytt/;t'7 (flahilitationsschrift, Breslau, 1889).

Fig. 39.

Fie. 40.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS 349

topsie a révélé l'existence de la syringomyélie. Je ne me laisserai pas en-

traîner jusque-la : Qu'il puisse y avoir coexistence de ces deux affections,

uien de plus naturel à concevoir. Mais quant à les confondre, c'est une

autre affaire. Rappelez-vous seulement que la syringomyélie a en quelque

sorte pour trame, pour fond commun, la triade suivante : des troubles tro-

phiques et uccso ? aotezcrs, qui comprennent, indépendamment de l'atrophie

musculaire (type Aran-Duchenne), des éruptions phlycténoïde, des pa-

naris, des artropalhies, des oedèmes, etc. ; des troubles sensitifs, qui se

résument dans ce qu'on a appelé la dissociation syringomyélitique de la

sensibilité ; unescoliose. Rappelez-vous cette triade fondamentale, et vous

ne serez jamais en peine de distinguer la syringomyélie d'une paralysie

arsenicale. e. '

Enfin il importe que vous ayez présent l'esprit les diverses affections :

choléra, lièvre typhoïde, embarras gastrique, grippe, rhumatisme articu-

laire aigu, endocardite infectieuse, avec lesquelles vous pouvez être expo-

sés à confondre l'empoisonnement arsenical, avant l'apparition de la para-

lysie et des autres troubles sensitivo-moteurs.

Fig. 41.

Fig. 42.

350 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

En somme, la paralysie arsenicale, ou, pour parler plus exactement, les

troubles sensitivo-moteurs consécutifs à un empoisonnement par l'arsenic

revêtent un cachet propre, qui leur assigne en quelque sorte une place à

part dans le groupe des paralysies toxiques, si tant est que l'on considère

à la fois les circonslances symptomatiques dans lesquelles elles se produi-

sent, leur évolution et leurs traits essentiels. Je n'irai pas jusqu'à dire, à

l'exemple de P. Muller (1), qu'en présence d'un cas de paralysie arseni-

cale, le diagnostic s'impose d'une façon immédiate et irrésistible, de visu ;

mais je suis tout prêt à déclarer que quand on a eu l'occasion de faire con-

naissance avec cette variété de paralysie, on a de grandes chances de dé-

pister son origine, alors même que la notion d'une intoxication antécé-

dente ou actuelle fait défaut.

Pronostic Le pronostic des paralysies arsenicales mérite de nous

arrêter quelques instants. Je crois vous avoir gravé dans l'esprit cette no-

tion, que la paralysie arsenicale ne comporte point par elle-même un pro-

nostic grave quoad ritcrz, qu'elle guérit le plus souvent d'une façon

intégrale; elle peut cependant laisser des traces persistantes, sous forme

de rétractions tendineuses, et par suite réduire le patient à l'état d'impo-

tence. Vous savez que cette éventualité a surtout des chances de se réaliser

dans le cas d'une paralysie arsenicale consécutive à un empoisonnement

aigu ; mais cela se voit égalememt la suite d'un empoisonnement subaigu

et chronique. C'esL ainsi qu'une des victimes de l'épidémie d'II3éres, un

prêtre polonais, était encore paralysé des quatre membres, un an après l'in-

toxication (2). Eh bien, messieurs, voilà qui offre un intérêt considérable

au point de vue médico-légal. Je m'explique.

Une personne est victime d'une tentative d'empoisonnement criminel

par l'arsenic; ou bien elle est victime d'une erreur commise dans une

pharmacie ; on lui a, je suppose, délivré de l'acide arsénieux à la place d'un

médicament inoffensif. Cette personne a échappé aux suites immédiates

d'un empoisonnement violent, suraigu ; sa vie n'est plus en danger. Mais

voici que la paralysie se déclare, insidieuse à ses débuts.

Il faut d'abord que vous sachiez que cette paralysie qui, ne l'oubliez

pas, peut être tardive, est bien une conséquence de l'empoisonnement. Il

faut que vous vous attendiez à lui voir atteindre un degré et une exten-

(1) F. Mulleh, 'loc. cit.

(2) P. 13ROU.111UEL et POUCHET, loc. cit., p. 471.

PARALYSIES ARSENICALES ET TROUBLES SENSITIVO-MOTEURS 351

tion considérables, aboutir à la fonte des muscles des quatre membres et

d'une partie du tronc, sans que pour cela le malade coure un nouveau

danger de mort. Mais il faut aussi faire vos réserves eu égard à l'issue

finale de cette paralysie. Il vous, faut prévoir qu'une infirmité incurable

peut échoir ce malade qui est une victime, et une victime ayant à faire

valoir des droits à une indemnité. Certains faits que j'ai relatés dans le

cours de cet entretien vous graveront ces préceptes dans la mémoire mieux

que des phrases retentissantes.

Traitement. Je ne m'arrêterai pas longuement à ce qui concerne le

traitement des paralysies arsenicales. Vous n'avez qu'à vous reporter à ce

que je vous ai dit du traitement général des polynévrites.

Il est cependant quelques points de détails sur lesquels je crois devoir

fixer votre attention.

Je vous mentionne d'abord l'utilité qu'il peuty avoir à instituer le régime

lacté, quand il s'agit de remédier aux suites d'un empoisonnement qui a

porté une atteinte grave aux organes digestifs et probablement aussi aux

reins. De plus, en sa qualité de diurétique, le lait tend à favoriser l'éli-

mination-des poisons.

Parmi les auteurs qui se sont occupés du traitement de la paralysie ar-

senicale, quelques-uns ont insisté sur l'utilité des applications de sable

chaud pour calmer les douleurs. Une fois passée la phase douloureuse ai-

gué, il faut insister sur les bains chauds, dans le but de mettre pour ainsi

dire en train le travail de rénovation des muscles atrophiés. On appuiera

ce travail de rénovation, à l'aide du massage. A cette période, tout ce qui

pout contribuer au relèvement de l'état général, et en première ligne une

alimentation reconstituante, est indiqué.

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE il[. LE PROFESSEUR RAYMOND.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE.

LOCALISATIONS SPINALES

DE la

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE

PAR

G. GASNE,

Interne de la Clinique des Maladies du Système nerveux.

(Suite et fin.)

Observation IX, 21 février 1896 (Broca).

Foetus à terme, de mère spécifique secondaire, chancre constaté encore il y

a 4 mois seulement, âgée de 30 ans, primipare.

L'enfant est mort depuis 11 jours, il pèse 2450 grammes, il est très macéré.

Les organes viscéraux ont leur aspect normal.

La tête est déformée, allongée dans le sens antéro-postérieur. A l'ouverture

de la peau du crâne il s'écoule une boullie rougeâtre contenant des grumeaux

de nature évidemment nerveuse, les os sont écartés, il y a communication avec

la cavité encéphalique. Celle-ci ouverte, on voit que tout le cerveau gauche est

détruit, réduit en pulpe, seuls les noyaux centraux persistent,reconnaissables.

Le cerveau droit présente une perte de substance considérable de tout son lobe

postérieur, surtout du côté de la face interne ; sur la face externe vascularisa-

tion hémorrhagique sous-arachnoïdienno dans toute la fosse sylvienne et dans

les sillons du lobe occipital.

Moelle. - Ici l'altération atteint des limites véritablement excessives, la pré-

sence de tissus pathologiques organisés permet de considérer les lésions comme

indépendantes de la macération. La moelle enserrée de toutes parts par la

dure-mère épaissie, fibreuse, froncée elle-même par l'exsudat extradural qui

remplit tout le canal rachidien comme le ferait une masse il injection, finit par

disparaître absolument méconnaissable dans la région cervicale inférieure, elle

reparait ensuite déformée, disjointe, irrégulière dans la région dorsale, elle re-

prend une forme il peu près normale dans la région lombaire mais pour dispa-

raître encore au milieu du tissu fibreux qui remplit le canal vertébral dans

toute sa partie inférieure.

Région cervicale. On peut reconnaître au milieu du tissu fibreux la moelle

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 353

réduite à l'une de ses moitiés où se distingue encore assez nettement la corne

grise.

La moitié de la moelle qui occupe le côté droit de la coupe est presque saine

dans ses parties centrales, on distingue les cellules de la corne antérieure, la

colonne de Clarke, la corne postérieure ; la substance blanche est réduite à

quelques lambeaux bordant Taxe, gris, elle est très altérée au niveau de l'émer-

gence des racines antérieures el près du sillon médian postérieur. A l'aspect

ordinaire du tissu médullaire se substitue une teinte uniforme gris bleutée où

l'hématoxyline ne colore plus un seul noyau ; et dans la corne grise les cellu-

les ont les unes conservé leur protoplasma granuleux et leur noyau clair, les

autres sont plus foncées, brillantes, uniformes, le noyau impossible à voir, ou

bien au contraire pâles, à contours vagues et arrondis, à noyau violacé sans

nucléole.

Le sillon médian antérieur est très large, on distingue encore nettement les

vaisseaux spinaux antérieurs très altérés, mais dans le sillon aucun vestige du

septum pie-mérien ; par contre le sillon se prolonge dans sa partie profonde par

une déchirure oblique à droite qui coupant le col de la corne postérieure vient

mourir dans la substance blanche de ce côté.

Il n'y a plus trace du canal de J'épendyme.

Du côté gauche de la coupe, quelques fragments nerveux dans lesquels on

distingue encore les cellules du groupe antéro-interne de la corne antérieure

et quelques parcelles de la corne postérieure. r

Des noyaux très abondants réunis en lignes serrées le long des vaisseaux

forment des rayons dans ce qui reste de tissu médullaire.

Les racines sont sinueuses au lieu d'être droites comme partout. Elles sont

sectionnées plusieurs fois par la même coupe, tantôt perpendiculairement,

tantôt obliquement ; des cellules embryonnaires abondantes les infiltrent, pé-

nétrant dans les espaces interfasciculaires ; en certains points, ces cellules

groupées autour d'un vaisseau forment une véritable gomme miliaire.

Les ganglions sont non moins atteints. Ils sont contenus dans une gangue

fibreuse épaisse, les travées cellulaires sont farcies d'éléments embryonnaires

qui refoulent et cachent les cellules nerveuses.

La pie-mère est très épaisse, infiltrée de noyaux en grande abondance. Elle

adhère intimement à la moelle, surtout du côté gauche de la coupe, où on voit

encore des fragments de tissu nerveux dissocié par les cellules embryonnaires

attenant il sa face interne, du côté droit elle est également confondue avec le

tissu médullaire -dans tout le segment s'étendant des racines postérieures au

niveau du diamètre transversal de la moelle. D'autre part, elle envoie du côté

des racines, par sa face externe, des expansions formées uniquement de cel-

lules rondes, et ainsi se 'trouvent transformées en une masse unique ce qui

reste de la moelle, la pie-mère et les racines.

L'arachnoïde n'est visible qu'en de rares endroits, épaissie, infiltrée de

noyaux. f

La dure-mère épaisse surtout en avant, est dissociée comme effilochée en

arrière, où elle se perd dans le tissu extradural qui prend ici une consistance

lx 23

354 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

fibreuse plus accentuée que partout ailleurs, vraie gangue inextensible, creusée

de cavités irrégulières, à parois onduleuses, festonnées : coupes de vaisseaux

néoformés gorgés de sang. '

Les gros vaisseaux spinaux antérieurs sont difficiles Ù reconnaître, noyés

dans le tissu conjonctif épaissi de la pie-mère. On ne peut distinguer l'artère

de la veine, un des vaisseaux présente un épaississement marqué de sa tunique

interne, l'autre n'a plus de lumière, un troisième dont la lumière est irrégu-

lière, anfractueuse, présente en un point de la périphérie de ses parois, une

petite gomme miliaire très nette, qui détruit les assises musculaires reconnais-

sables à leurs noyaux allongés et pénètre jusque dans la cavité du vaisseau.

Les vaisseaux des racines sont non moins atteints ; mais leurs parois plus

nettes montrent bien leur infiltration par les cellules rondes, souvent réunis en

amas sur une partie seulement de la circonférence, petits nodules très caracté-

ristiques de la syphilis. Cette infiltration reste limitée aux tuniques les plus

externes, la tunique interne qui épaissie, réduit de moitié la lumière des vais-

seaux, est colorée en rose clair sans aucun noyau violet.

Un peu plus bas dans cette même région cervicale, la prolifération conjonc-

tive est telle que l'espace laissé libre par la dure-mère froncée comme une

bourse et considérablement épaissie n'est pas plus large que la coupe d'un gan-

glion : la pie-mère, t'infiltrat embryonnaire autour de la naissance des raci-

nes, les racines elles-mêmes et la moelle sont alors tellement comprimés qu'il

n'en reste plus que des détritus où il est absolument impossible de reconnaître

quoi que ce soit des cornes grises ou des cordons blancs, seulesles cellules de

l'épendyme limitant un canal distendu en forme de fente transversale irrégulière

et sinueuse se reconnaissent à leur forme cylindrique; on peut encore suivre

en partant du ganglion extérieur au canal rachidien une racine nerveuse qui pé-

nètre dans la dure-mère et va se heurter contre la pie-mère représentée par un

trousseau fibreux, onduleux, d'où part un tractus épais, sans doute le septum

médian antérieur; en effet il son insertion on reconnaît vaguement des vais-

seaux volumineux dont la lumière est presque totalement effacée, pendant que

les parois épaisses sont infiltrées de cellules embryonnaires.

C'est la dure-mère dont l'épaisseur atteint des proportions inusitées qui rem-

plit presque tout le canal rachidien, on ne peut plus distinguer ce qui dans cette

couche fibreuse appartient il la méninge et ce qui dépend du tissu transformé

de l'espace extradural..

Les ganglions sont beaucoup moins bouleversés, on reconnaît nettement leurs

fascicules nerveux et leurs travées cellulaires, niais ils sont enserrés dans une

coque fibreuse très épaissie, entrecoupée de fentes irrégulières représentant des

vaisseaux de nouvelle formation.

Région dorsale supérieure. - Même aspect que *ci-dessus. Nulle trace de

moelle dans l'étroit espace enserré par la dure-mère; il n'y a que les sinuosités

de la pie-mère épaissie, avec ses vaisseaux irréguliers.

Région dorsale inférieure. Ou reconnaît la présence de tissu nerveux, mais

ce ne sont que des débris, la pie-mère fait corps avec eux, les cellules embryon-

naires qui l'infiltrent envahissent également sa face externe et englobent les

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 355

racines. Les vaisseaux ont leurs parois infiltrées de cellules rondes, mais leur

contenu en est aussi presque uniquement formé, tbrombus blanc.

Région lombaire supérieure. On reconnaît assez nettement la substance

blanche et la substance grise avec les cellules motrices, mais il est impossible

de fixer la forme de la moelle confondue à sa périphérie avec la pie-mère et l'in-

filtration nucléaire qui en part. ,

Cependant la dure-mère a repris sa forme arrondie, en cercle sur la coupe.

Elle n'est plus refoulée par l'exsudat extradural comme plus haut, et en effet

celui-ci change de nature, ce n'est plus le tissu conjonctif serré que nous avons

décrit, il y a maintenant de larges vaisseaux béants, et le tissu de soutien pa-

raît beaucoup moins dense.

Région lombaire inférieure. Enfin la moelle a repris un aspect reconnaissa-

ble. Mais d'abord elle n'est plus orientée normalement, son sillon médian anté-

rieur au lieu de correspondre à Taxe antéro-postérieur du canal vertébral forme

avec celui-ci un angle à peu près droit, de plus déjà à l'eeil nu il est facile de

voir qu'une des moitiés de la moelle est très atrophiée. Examinons chacun des

éléments de la coupe : la substance grise se distingue nettement de la substance

blanche, mais on ne saurait y reconnaître les cellules nerveuses. Du côté gau-

che la corne antérieure persiste, elle est en rapport avec le tissu dégénéré dont

nous allons parler, la corne postérieure est presque totalement dégénérée elle-

même, envahie par le processus pathologique ; du côté droit les deux cornes

sont bien formées.

Substance blanche. A droite à peu près normale, on remarque seulement les

travées vasculaires marquées par l'infiltration embryonnaire.

A gauche les cordons antérieurs sont légèrement déchiquetés à la périphérie,

envahis par les cellules rondes, les cordons postérieurs sont normaux et sains,

mais les cordons latéraux sont absolument détruits, la tête de la corne anté-

rieure vient en effet au contact de la pie-mère et l'espace compris entre les

deux cornes n'a plus aucun caractère du tissu nerveux, on y voit seulement

un magma grenu coloré en gris bleuâtre dans lequel sont quelques noyaux colo-

rés en violet intense.

L'épendyme est normal.

Les vaisseaux de la moelle proprement dite sont surtout remarquables par

les manchons leucocytiques qui les entourent.

Les racines sont absolument noyées, envahies, déchiquetées par les cellules

embryonnaires infiltrées entre la pie-mère et l'arachnoïde.

La pie-mère épaissie bourrée de noyaux adhère comme nous l'avons vu à la

moelle et forme la limite de toute une partie dégénérée de l'axe médullaire, sur

le reste de la circonférence elle est séparée de la moelle par un exsudat grenu

assez abondant.

L'arachnoïde est relativement peu épaissie. Mais entre elle et la pie-mère

amas continu de cellules rondes.

Dure-mère fibreuse dissociée par de larges traînées de cellules embryon-

naires.

356 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Espace extradural fibreux, creusé de vastes lacunes il parois épaissies, par

places amas de noyaux en foyers.

Vaisseaux. Dans la moelle, manchons leucocytiques entourant les capil-

laires, les artères épendymaires sont remplies par la prolifération et la chute de

leur endothélium, leur lumière est complètement obstruée par les noyaux al-

longés caractéristiques, il n'y a plus de globules rouges. Toute circulation est

nettement interrompue dans ces vaisseaux.

L'artère spinale antérieure est entièrement transformée en un bloc fibreux

imperméable ; la veine n'est plus reconnaissable, il reste seulement quelques

amas nucléaires qui indiquent que ces tuniques ont été envahies par le pro-

cessus spécifique.

Les vaisseaux des racines ne sont pas moins altérés,endo et péri-artérite endo

et péri-phlébite. Ils sont de plus le centre des infiltrations nodulaires qui s'é-

tendent aux alentours.

Notons enfin un petit foyer hémorrhagique de peu d'étendue surtout en hau-

teur, il ne se retrouve que sur peu de coupes, et qui siège dans le milieu du cor-

don postérieur. N

Queue de cheval. Ici il redevient impossible de distinguer la substance

blanche de la grise, la moelle est le siège de vacuoles énormes, seul l'épendyme

reste rempli par un exsudat que l'éosine colore encore. La pie-mère très épaisse

adhère au tissu médullaire, elle porte au niveau de l'insertion du septum mé-

dian antérieur un épaississement triangulaire considérable et un autre très

marqué aussi à l'insertion du septum médian postérieur.

L'arachnoïde est mince, la dure-mère très épaisse.

Les racines sont infiltrées de cellules fondes.

Les vaisseaux sont toujours le siège de lésion intense d'endo et de péri-vas-

culari te.

L'espace extradural rempli par le tissu fibreux présente des vaisseaux énor-

mes, irréguliers, sans paroi autre que le tassement du tissu où ils sont creusés.

Plus bas la moelle a complètement disparu, même abondance de tissu fibreux

dans le canal rachidien, même infiltration nucléaire de tous les éléments qu'il

contient.

Observation X, 18 mars 1886 (Broca).

Foetus de 6 mois. Mère spécifique secondaire.

Non macéré, poids 300 grammes, longueur 28 centimètres.

Aspect lavé de tous les organes, à la coupe aucune goutte de sang ne s'é-

chappe. Apparence normale à part cela.

Os du crâne chevauchant considérablement. Cerveau ratatiné, aspect normal.

Moelle. Nous noterons seulement presque sur toute la hauteur de la moelle

la fusion des trois méninges au niveau de l'insertion du septum médian anté-

rieur. Il y a là un tissu fibreux très serré dans lequel on distingue encore net-

tement l'artère aplatie, vide. La veine par contre est transformée en un bloc

fibreux imperméable.

localisations spinales DE la syphilis héréditaire 357

Les racines sont également entourées de tissu fibreux et leurs vaisseaux sont

épaissis. \

Observation XI, 19 mars 1896 (Maternité).

Né à terme de mère spécifique.

L'enfant présente des phénomènes convulsifs dès les premiers jours, il meurt

le 8° jour après sa naissance.

Organes viscéraux d'apparence normale.' '

Les sinus veineux de l'encéphale sont extraordinairement gorgés de sang et

distendus. Le sinus latéral, le sinus longitudinal supérieur atteignent les dimen-

sions du petit doigt d'un adulte. '

La substance cérébrale parait normale.

Moelle. Tout est normal sauf la distension véritablement excessive des

vaisseaux, ils forment en particulier un vrai manchon sanguin aux racines à

Irur passage dans les trous de conjugaison. En certains points il y a du sang

épanché entre l'arachnoïde et la dure-mère (région lombaire).

Cependant la pie-mère est épaissie, intimement adhérente à la moelle.

Observation XII, 23 mars 1896 (Broca).

Foetus de 5 mois de mère spécifique (papules, impossibilité de retrouver

l'accident primitif, c'est la 3e fausse couche. Foetus macéré pèse 750 grammes.

Organes ^viscéraux normaux.

Encéphale. sain. '

Moelle. N'a pu être examinée par suite de fautes de technique qui l'ont

complètement détruite et rendue méconnaissable. 1

Les coupes pratiquées permettent cependant de se rendre compte de l'état

normal des méninges, des vaisseaux, des racines et des ganglions.

Observation XIII, 25 mars 1896 (Broca).

Foetus à terme de mère spécifique depuis 2 ans. Accidents actuellement.

Macéré, pèse 2320 grammes. Organes viscéraux, d'aspect normal.

Encéphale paraît sain.

Moelle, région cervicale : distension de tous les vaisseaux par le sang.

Pie-mère mince, peu infiltrée, mais séparée de la moelle par un exsudat

grenu assez épais, contenant quelques rares noyaux.

Espace extradural comblé par un tissu fibreux, serré, creusé de vastes cavités

anfractueuses. Remarquons ici que les méninges paraissent saines et que le

processus est ainsi limité à l'espace extradural.

Dans tout le reste de la moelle, même distension vasculaire, sans lésion des

parois du reste, et même envahissement fibreux de l'espace extradural.

Observation XIV, 2 avril 1896 (Broca).

'Foetus de 8 mois. Mère spécifique du début de la grossesse.

Enfant né vivant, mort le 3 juin. -

Encéphale d'apparence normale.

358 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Moelle. Il n'y a à noter que la congestion intense des vaisseaux, Tout est

normal.

Observation XV, 6 avril 1896 (Broca).

Foetus de 8 mois. Mère spécifique secondaire.

Enfant né vivant, mort au bout de quelques heures. Poids, 2750 grammes.

Moelle extraite du canal rachidien. Aussi les méninges mal conservées ne

montrent pas bien leurs lésions. '

Région cervicale. Ce qui frappe d'abord, c'est une hémorrhagie abon-

dante entre la pie-mère et l'arachnoïde, l'hémorrhagie est limitée à la région

postérieure, elle ne dépasse pas en avant les limites des cornes postérieures.

On reconnaît seulement la pie-mère qui est mince, mais contient beaucoup

de noyaux. ,

L'artère spinale antérieure est absolument aplatie, la lumière est seulement

marquée par les noyaux de l'endothélium facilement reconnaissables, les pa-

rois sont très épaisses. La. veine spinale antérieure n'est pas visible, la posté-

rieure a des parois très épaisses, elle est plate et non ronde.

Les artérioles de l'épendyme sont remplies par les détritus des cellules endo-

théliales, desquamées.'qui obstruent leur lumière.

Dans les régions dorsale et lombaire, les vaisseaux sont évidemment moins

altérés, surtout les spinaux antérieurs nettement perméables. Enormes capil-

laires distendus ; hémorrhagie de l'espace sus-arachnoïdien (région lombaire).

Observation XVI, 9 avril 1896 (Broca) :

Foetus de 3 mois environ. Mère spécifique. Non macéré. Organes viscéraux

d'apparence normaux.

Le cerveau paraît sain.

Moelle absolument normale. Rien à signaler.

OBERVATION XVII, 29 avril 1896.

Foetus de 5 mois 1/2. Mère âgée de 19 ans ; plaques muqueuses constatées le

3. mois de la grossesse. Macéré. Pèse 720 grammes.

A l'eeil nu, la moelle cervicale se présente légèrement déformée, irrégulière

mais facilement reconnaissabledans toutes ses parties.On aperçoit nettement une

bande assez mince demi-circulaire inscrivant le contour postérieur de l'axe ner-

veux, blanche, un peu plus terne que le tissu médullaire et séparé de la dure-mère

très épaisse dont elle a à peu près les dimensions par une ligne plus foncée.

A la région dorsale supérieure la cavité du canal rachidien est envahie pres-

que tout entière par un tissu blanchâtre qu'il paraît difficile au premier abord

de rattacher à une formation figurée quelconque, cependant en regardant avec

attention et mieux encore à la loupe on remarque une fente oblique coupant

pour ainsi dire en deux parties le contenu du canal rachidien, l'une en avant

de la fente est formée par la moelle très petite, le foetus est très jeune, mais

montrant assez distinctement les contours connus de son axe gris et portant sur

son bord droit une tumeur confondue avec elle et presque aussi volumineuse

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 359

qu'elle-même, du reste la fente coupe toute la partie inférieure de la moitié

gauche de la moelle. En arrière de la fente le néoplasme se continue, sa cou-

leur, son aspect rappellent assez la couleur et l'aspect de la moelle elle-même

mais ses dimensions sont bien deux fois celles de Taxe nerveux, il est en

contact direct avec la dure-mère épaissie collée contre les parois du canal ra-

ctidien. A mesure qu'on s'approche de la région dorsale inférieure la tumeur

augmente,- la moelle est complètement refoulée sur le côté, évidemment compri-

mée. La tumeur se désorganise dans sa partie centrale grenue craquelée, mais

la dure-mère s'éloigne des parois osseuses et l'espace extradural se montre,

rempli il est vrai par un tissu conjonctif dense.

A la région lombaire la mqelle n'a pas encore repris sa place au centre du

canal rachidien, la tumeur est encore presque'aussi volumineuse qu'elle, cepen-

dant elle est là tout entière et non plus écornée comme plus haut. L'espace

extradural reste toujours comblé de tissu I-'ougeàtre parsemé de vaisseaux

béants visibles à l'aeil nu.

Dans la région de la queue de cheval, à l'oeil nu on ne voit plus la tumeur, la

dure-mère est très épaisse, refoulée par le tissu conjonctif serré qui la relie aux

parois osseuses du canal vertébral.

Au microscope, voici comment se présentent les coupes.

Région cervicale. On distingue assez nettement la substance grise de la subs-

tance blanche, les cellules des cornes antérieures sont assez visibles mais le

protoplasma est d'une teinte trouble uniforme, le noyau indistinct au lieu d'être

clair est coloré en violet sale. La substance blanche présente son aspect normal 1

mais à la périphérie du côté gauche de la coupe on ne distingue plus ses limi-

tes qui semblent diffuses et vont se perdre dans un tissu de néoformation carac-

térisé surtout par le manque de structure apparente, ce tissu se continue direc-

tement avec la tumeur que nous allons décrire ci-dessous et en fait évidemment

partie intégrante. Au contraire à droite de la coupe la moelle est nettement

limitée par la pie-mère à laquelle elle semble du reste adhérer d'une manière

intime. Les vaisseaux propres de la moelle, les septa pie-mériens ne présentent

rien à noter.

La bande néoplasique demi-circulaire que nous avons décrite macroscopi-

quement plus haut est tout entière comprise dans l'espace qui sépare la pie-

mère de la dure-mère, l'arachnoïde reste invisible, disparue sous l'envahissement

pathologique. Sur un fond gris bleu uniforme un piqueté abondant de noyauxvio-

lets laisse voir à un fort grossissement des éléments variés : cellules embryon-

naires en grand nombre, noyaux allongés de capillaires très fins parcourant la

masse en tout sens, mais semblant vides de sang, noyaux plus volumineux,

plus clairs, rappelant les noyaux des grands leucocytes connus en anatomie pa-

thologique dn système nerveux sous le nom de corps granuleux. Sur certains

espaces mal limités les cellules et les noyaux ont perdu leur affinité pour la

matière colorante, elles sont en dégénérescence, tandis qu'en d'autres points

des cellules rondes embryonnaires très serrées forment des amas, des nodules

plus on moins étendus, c'est surtout à la périphérie de la tumeur que se mon-

trent ces nodules. Dans ce tissu sont noyées les racines, on les devine encore

360 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

à une teinte un peu plus foncée de la coupe à leur niveau, mais il est impossi-

ble de reconnaître leurs éléments.

La.pie-mère moyennement épaissie, intimement adhérente à la moelle est en

contact intime avec les cellules embryonnaires qui emplissent l'espace sous-

arachnoïdien et qui t'infiltrent elle-même.

Le septum médian antérieur épaissi emplit complètement le sillon et adhère

aux cordons blancs qui le bordent.

La dure-mère très épaisse est confondue en avant avec la face postérieure du

corps vertébral, en arrière avec l'espace extradural ; nous avons vu que le néo-

plasme venait intimement s'appliquer sur sa face interne.

L'espace extradural est, de son côté, comblé par un tissu conjonctif proliféré

où se voient des amas de cellules embryonnaires entourant les capillaires et les

vaisseaux néoformés, aplatis, à lumière anfractueuse, autour desquels les fibres

conjonctives voisines se sont tassées en stratifications épaisses.

L'artère et la veine spinales antérieures ont perdu leur structure normale,

elles sont impossibles à distinguer Tune de l'autre et sont représentées par des

fentes minces irrégulières et sinueuses creusées dans la pie-mère.

Les vaisseaux des groupes postérieurs et latéraux, sont moins atteints bien

que leurs parois soient manifestement épaissies.

Les racines ont presque complètement disparu dans la masse néoplasique,

quelques faisceaux des racines antérieures sont encore nettement visibles.

Les ganglions sont évidemment altérés, les cellules nerveuses persistent au

milieu d'une infiltration embryonnaire abondante mais les tractus formés par

les faisceaux de tubes nerveux ne se voient plus avec la netteté habituelle.

Région doosccle. T Il y a peu de différence au point de vue histologique avec

l'aspect que nous venons de décrire.

La moelle a sa forme normale, ses vaisseaux propres sont éminemment dis-

tendus, une double rangée de cellules rondes les borde. Dans la substance

grise les cellules se voient avec peine, ou les distingue mal dans leurs contours

et dans leur structure infime, le noyau en particulier est souvent invisible. Ici

il n'y a plus de néoplasme envahissant la substance blanche, celle-ci est bien

isolée dans ses contours et la pie-mère au lieu d'adhérer au tissu nerveux en

est séparée par un exsudat abondant légèrement teinté en rose par l'éosine et

contenant de très rares cellules à noyau.

Les vaisseaux spinaux antérieurs sont manifestement épaissis, leurs tuni-

ques sont infiltrées de cellules rondes. La veine postérieure est encore plus

atteinte, le processus embryonnaire semble avoir dépassé de toutes parts sa

tunique interne et avqir fait disparaître entièrement sa lumière absolument

obstruée. Les vaisseaux latéraux sont impossible it voir, ils ont disparu dans

la néoformation gommeuse.

Il en est de même des racines postérieures, celles-ci cependant n'ont pas dis-

paru tout entières, quelques fascicules ont été repoussés en avant auprès des

faisceaux respectés des racines antérieures.

La pie-mère est épaissie, très infiltrée. /

L'arachnoïde toujours invisible.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPIIILIS HÉRÉDITAIRE 361

La dure-mère confondue en avant avec le grand ligament postérieur est telle-

ment refoulée par la tumeur qui est comprise dans sa circonférence intérieure

qu'elle arrive presque à toucher en arrière les parois osseuses du canal rachi-

dien, une bande mince de tissu conjonctif très serré et très infiltré de cellules

à noyau l'en sépare.

La tumeur est, nous-l'avons vu, considérable; elle présente la même struc-

ture que 'dans la région précédente, les places dégénérées où les éléments no

prennent plus les couleurs semblent plus larges relativement aux nodules em-

bryonnaires, ceux-ci sont groupés surtout à la périphérie, le centre du néo-

plasme présente au contraire une perte de substance à contours irréguliers'

comme craquelés, indiquant le ramollissement de cette partie.

Si l'espace qui sépare la pie-mère de la dure-mère est tout entier envahi par

la tumeur qui refoule les deux méninges et les sépare l'une de l'autre, celles-

ci conservent leur structure, elles ne sont pas cachées.

Région lombaire. Il faudrait répéter la même description. Disons seule-

ment due la moelle paraît encore plus atteinte, il est impossible de distinguer

dans la substance grise une seule cellule nerveuse.

Il existe des espaces où la coupe n'a pris aucune espèce de coloration, mais

ces taches de dégénérescence sont disséminées sans ordre et un peu partout

aussi bien dans la substance blanche que dans là substance grise.

Queue de cheval. Le microscope montre au centre un noyau granuleux

qui représente sans doute la filum terminale plus ou moins altéré.

La tumeur a disparu mais les racines restent encore séparées les unes des

autres par un processus embryonnaire intense, l'arachnoïde se moule sur les

faisceaux lès plus périphériques, elle est très nette en avant, et entre elle et la

dur.e-mère existe un espace parfaitement vide, sur les côtés et en arrière si on

la devine encore par places, elle s'est laissée envahir et dépasser par le processus

inter-radiculaire et entre la dure-mère et elle s'étale en demi-lune étroite un

amas serré de cellules embryonnaires qui rappelle la tumeur que nous avons

décrite plus haut. -

, Observation XVIII, 29 avril 1896 (Broca).

Foetus de 6 mois. Mère spécifique : trois fausses couches antérieures.

L'enfant naît vivant, mort au bout de quelques heures.

Moelle. Congestion considérable. Tout semble noyé dans les capillaires

monstrueux, gorgés de sang, qui occupent presque tout l'espace laissé [libre

sur la coupe par le tissu nerveux.

Si la plupart des éléments sont absolument normaux il nous faut signaler

la pie-mère légèrement infiltrée de cellules embryonnaires et envoyant dans

le sillon médian antérieur un septum épais, entièrement fibreux, sans vais-

seaux, adhérent de chaque côté à la moelle dont il est d'ordinaire très distinct.

L'arachnoïde est confondue avec la dure-mère, elle-même épaissie. Les vais-

seaux ont des parois légèrement infiltrées de cellules rondes,

3 ? NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Observation XIX, 19 mai 1896 (Broca).

Foetus de 8 mois. Mère spécifique depuis 3 ans. Macéré, pèse 2550 grammes.

La moelle est absolument normale ainsi que ses enveloppes, les racines et

les ganglions.

Observation XX, 15 juin 1896 (Broc : ¡).

Foetus de 8 mois 1/2. Mère spécifique secondaire^Non macéré. Un circulaire

serré au cou.

Moelle.

- A noter seulement la dilatation vasculaire exagérée dans toutes les parties

de la moelle.

Vers la région de la queue de cheval, la pic-mère adhère si intimement il la

moelle que celle-ci s'est rompue, ü cause de la rétraction inégale du tissu ner-

veux et du tissu méningé. Légère infiltration miliaire de la pie-mère, infiltra-

tion plus marquée de l'arachnoïde.

L'espace extradural contient naturellement aussi des vaisseaux très distendus,

mais ils sont contenus dans un tissu fibreux plus dense que normalement.

Observation XXI, 18 juin 1896 (Broca).

Foetu's de 7 mois. Mère spécifique secondaire. Macéré. Poids, 1500 grammes.

La moelle proprement-dite présente des caractères normaux, aussi bien

dans la substance grise où les cellules sont normales que dans les cordons

blancs.

Les lésions des autres parties du névraxe sont assez accentuées et cela de

haut en bas de la moelle avec les mêmes caractères, il y a cependant une ac-

centuation très notable de ces lésions dans la région dorsale moyenne, par rap-

port aux régions cervicale la moins atteinte et lombaire où le processus est un

peu atténué.

Les racines ne sont plus libres, elles sont, chose très particulière surtout en

avant, unies les unes aux autres par une infiltration abondante de cellules

embryonnaires. Cps cellules pénètrent du reste dans l'intérieur des racines

le long des septa conjonctifs qui séparent les fascicules.

Les ganglions ont une coque très épaissie, fibreuse avec ça et là des traînées

de cellules embryonnaires pressées les unes contre les autres.

La pie-mère est remarquablement épaisse, non adhérente la moelle, du

reste, elle est surtout fibreuse, avec relativement peu de noyaux.

L'arachnoïde est également extrêmement épaissie, mais surtout par l'abon-

dance des noyaux embryonnaires qui l'infiltrent et la débordent non seule-

ment en dedans du côté de l'espace sous-arachnoïdien, mais aussi en dehors dans

l'espace qui sépare l'arachnoïde de la dure-mère, cavité arachnoïdienne pro-

prement dite. Celle-ci est envahie, surtout en avant où l'intensité du processus

est tel qu'on croirait il une véritable gomme, par de très nombreuses cellules

embryonnaires dont quelques-nues semblent avoir perdu leur affinité pour

l'hématoxyline qui les colore mal.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 363

L'espace sous-arachnoïdien, est absolument rempli en avant par ces mêmes

cellules qui comblent tous les intervalles laissés libres par les racines anté-

rieures, les racines postérieures sont au contraire bien distinctes, bien isolées,

et l'infiltrat ne se montre que vers la partie tout à fait médiane de l'espace sous-

arachnoïdien postérieur, au niveau des vaisseaux postérieurs.

Les vaisseaux ne sont pas absolument sains, ils semblent cependant peu

altérés; dans le triangle fibreux très épais de l'insertion pie-mérienne du septum

médian antérieur on reconnaît très distinctement l'artère spinale antérieure et

la veine, de nombreux noyaux parsèment leurs tuniques et rendent très diffu-

ses leurs limites périphériques. Au contraire la veine spinale postérieure est

invisible, elle est complètement disparue sous l'envahissement nucléaire. Les

vaisseaux latéraux ont des parois très épaisses et dans les racines les vaisseaux

sont les centres de nodules embryonnaires. Dure-mère épaisse, fibreuse. Es-

pace extradural : beaucoup de noyaux, peu de tissu fibreux.

Observation XXII, juin 1896 (Cochin).

Foetus de 7 mois 1/2. Mère non spécifique morte en asystolie.

Opération césarienne, l'enfant est mort. '

C'est une des moelles que nous avons prise pour type de notre description de

la moelle normale, abstraction faite de la dilatation de tous les vaisseaux.

Moelle se colorant parfaitement dans tous ses détails.

Racines parfaitement libres, distinctes des méninges, et les unes des autres.

Ganglions ni fibreux ni infiltrés.

Pie-mère, face interne libre, lisse, face externe de même, non épaisse, non

infiltrée de noyaux.

Arachnoïde mince, sineuse, assez nombreux globules rouges entre elle et

la dure-mère.

Dure-mère épaisse, sans noyaux. Espace extradural contenant un réseau très

délié où les vaisseaux béants à parois minces ont un calibre arrondi très ré-

gulier.

Vaisseaux à parois distinctes, minces, étroites, artère aplatie, veine spinale

antérieure double, bien arrondie, pleine de sang. De même pour veines spi-

nales postérieures, et vaisseaux radiculaires.

Observation XXIIi, 8 juillet 1896 (Salpêtrière).

Foetus à terme, mère âgée de 36 ans, spécifique depuis 10 ans, père spéci-

fique, 3 enfants et 3 fausses-couches antérieurement. Mort-né, légèrement

macéré. '

La moelle est normale dans toutes ses parties, cependant l'espace sous-

arachnoïdien commence à s'infiltrer, de nombreuses cellules embryonnaires

mais isolées les unes des autres errent entre les racines. L'espace extradural est

fibreux, des vaisseaux anfractueux, signe de rétraction des tissus voisins, se

voient sur toutes les coupes du haut en bas de la moelle.

364 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Observation XXIV, 5 août 1896 (Broca).

Foetus à terme. Mère spécifique depuis 5 ans. Accidents actuels. 3 enfants

mort-nés macérés.

Mort-né. Macérés. Poids 2100 grammes.

La moelle est absolument normale. Distension moyenne de tous les vais-

seaux. -

Observation XXV, 9 août 1896 (Broca).

Foetus de 7 mois 1/2. Mère spécifique secondaire, chancre buccal au 2e mois

de la grossesse.

Moelle.

Région cervicale. La moelle proprement dite est normale, la substance grise

présente des cellules bien colorée, la substance blanche est seulement parcourue

par des vaisseaux distendus dont les gaines sont remplies de cellules embryon-

naires.

Les racines et les ganglions sont normaux.

La pie-mère est peu épaisse, non adhérente, cependant elle envoie dans le

sillon médian antérieur un septum volumineux, entièrement fibreux, contenant

peu de noyaux. '

Les vaisseaux spinaux antérieurs sont sains, mais les vaisseaux latéraux sont

entourés d'une prolifération embryonnaire remarquable.

Arachnoïde et dure-mère normales.

Région dorsale. Ici les lésions sont beaucoup plus marquées.

La moelle reste indemne, mais les méninges sont très atteintes. Entièrement

confondues en une même masse fibreuse en avant au niveau de l'insertion du

septum médian la dure-mère et la pie-mère ne s'écartent en arrière que pour

laisser l'espace qui les sépare se remplir de cellules embryonnaires. Celles-ci

forment dans l'espace sous-arachnoïdien une masse compacte dans laquelle les

racines sont absolument englobées, sans paraître pénétrées du reste par les

noyaux.

La pie-mère reste bien distincte de la moelle.

La dure-mère est considérablement épaissie surtout en arrière.

L'arachnoïde s'applique intimement sur elle.

Les vaisseaux sont facilement reconnaissables, ils ne paraissent pas mala-

des.

Région lombaire. Le processus s'atténue beaucoup. Il reste seulement un

peu d'infiltration embryonnaire dans l'espace sous-arachnoïdien en arrière.

Mais il persiste une dilatation énorme de tous les vaisseaux aussi bien des gros

vaisseux spinaux antérieurs que des vaisseaux pie-mériens ou des vaisseaux

radiculaires. La moelle elle-même est sillonnée par de véritables sinus béants.

Observation XXVI, 22 août 1896 (Broca).

e

Foetus de 6 mois 1/2. Mère spécifique depuis le 1er mois de la grossesse.

Mort-né. Macéré. Poids, 1900 grammes.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 365

La moelle à l'aeil nu ne présente pas de lésions manifestes, elle est cepen-

dant très touchée au moins dans ses parties accessoires.

Région cervicale. La moelle proprement dite est saine, les cellules des

cornes grises se colorent bien et tous leurs éléments sont distincts.

Les racines sont absolument englobées dans le processus d'infiltration qui a

envahi l'espace sous-arachnoïdien.

La pie-mère absolument adhérente sur toute la périphérie de la moelle est

très épaisse, elle est fibreuse, contient peu de noyaux colorés, le septum médian

antérieur est très large.

Les vaisseaux sont très altérés. On reconnaît l'artère spinale antérieure

aplatie, irrégulière, à lumière sinueuse, mais il est impossible de reconnaître

la veine.

L'arachnoïde est épaisse, très infiltrée, doublée sur sa face interne par une

bande d'une teinte gris bleu uniforme, parsemée de cellules fortement colorées

en violet ; cette bande formée de tissu homogène sans structure appréciable est

traversée par les racines dont les fascicules coupés perpendiculairement sont

ainsi unis les uns aux autres, comme plongés au milieu d'une masse à injec-

tion. Au niveau de la partie médiane et postérieure l'espace sous-arachnoïdien

est ainsi absolument rempli.

Mais l'arachnoïde résiste' et reste séparée de la dure-mère par un espace cir-

culaire vide.

La dare--mère est très épaisse, formée de tissu fibreux très serré, sans infil-

tration cellulaire. L'espace extradural paraît presque sain.

Région dorsale. L'aspect est sensiblement le même, mais les lésions sont

plus marquées, l'espace extradural est fibreux.

Région lombaire. A mesure qu'on descend la moelle semble de plus en

plus altérée. Comme la coupe a dû être faite après extraction de la moelle du

canal médullaire, nous n'oserions affirmer qu'il ne s'agit pas dans l'aspect

qu'elle présente de lésions artificielles produites par les manipulations. Quoi

qu'il en soit, le canal épendymaire est détruit, il persiste seulement quelques

cellules cylindriques en amas irrégulier au centre de la moelle ; celle-ci pré-

sente des pertes de substance multiples, elle est déchiquetée par endroits,

comme craquelée en d'autres. Cependant les cellules de l'axe gris persistent

avec leurs caractères normaux.

Dans tous les cas l'infiltration manifeste de l'espace sus-arachnoïdien,l'épais-

sissement do la pie-mère, de l'arachnoïde qui se confond avec la dure-mère en

beaucoup d'endroits, les lésions des vaisseaux soit au niveau de l'insertion du

septum médian antérieur, où au milieu du tissu fibreux serré un seul vaisseau

se montre, si altéré dans ses parois qu'il est impossible de dire si c'est l'artère

ou la veine, soit au niveau des racines où les artères déformées, parois mons-

trueuses, à calibre irrégulier sinueux presque comblé par les détritus endothé-

liaux de desquamation sont le centre des nodules embryonnaires plus ou moins

étalés dans les parties voisines, ue sauraient laisser de doute sur la réalité d'un

processus pathologique intense.

Ce n'est pas tout, quelques coupes montrent des racines traversant l'espace

366 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

extradural ; entourés d'une gaine conjonctive très épaisse et très serrée, leurs

tubes nerveux semblent être rassemblés, comme refoulés au centre de la gaine

par un anneau de coloration plus claire qui, à un fort grossissement, se montre

formé par des fibrilles conjonctives semées de cellules nombreuses mais pâles,

peu colorées par 1'liéiiiatoxyliiie. L'espace extradural du reste est comblé par la

prolifération conjonctive excessive dos fins réseaux normaux, de nombreux

vaisseaux néoformés à parois anfractueuses sont creusés dans ce tissu qui

se tasse autour de chacun d'eux pour leur former d'épaisses parois.

Observation XXVII, 15 septembre 1896 (Broca).

Foetus de 6 mois 1/2, mère spécifique secondaire.

Macéré, poids 1120 grammes.

Le foie,' les reins, les muscles de l'abdomen ont été examinés au microscope.

Tous ces organes contiennent des foyers d'infiltration embryonnaire et des lé-

sions vasculaires des plus caractérisées, mais nulle part on ne trouve d'aussi

jolies figures de gommes miliaires que dans le foie.

La moelle a dû être étudiée en dehors du canal vertébral.

La région cervicale donne des coupes où la moelle est très abîmée, on reconnaît

au centre le canal épendymaire à peu près normal, la substance grise laisse voir

ses cellules des cornes antérieures, mais elle est craquelée, quant à la substance

blanche elle est complètement dissociée, de vastes pertes de substances irrégu-

lières déchiquètent sa périphérie. Peut-être s'agit-il d'un artifice de préparation,

cependant les autres parties de cette moelle et les moelles suivantes qui ont été

traitées de la même façon, ne présentent pas d'aspects analogues, peut-être s'a-

git-il bien d'un foyer de ramollissement comparable à ceux que nous avons

trouvés dans notre observation IX. En effet la pie-mère est très altérée, d'une

épaisseur tout à fait inusitée, elle est infiltrée de nombreuses cellules embryon-

naires, mais surtout elle présente au niveau de l'insertion du septum médian

antérieur une masse fibreuse où les vaisseaux se montrent très altérés, bien

que cependant encore perméables. Les parois très épaisses de ces vaisseaux

sont remarquables par le peu d'affinité que les cellules qui les infiltrent sem-

blent avoir il l'égard de l'llématoxylinc.

Région dorsale. Ici la moelle a repris des caractères absolument normaux ;

toutes les parties que comportent les coupes sont saines excepté les artères dont

les tuniques adventices surtout sont très infiltrées des noyaux et très épaissies.

Enfin l'espace sous-arachnoïdien présente également entre les racines un assez

D Tand nombre d'éléments embryonnaires, disséminés du reste et sans tendance

à former des amas.

Région lombaire. Les mêmes considérations s'appliquent il cette région où

les processus semblent encore moins marqués, il n'y a guère que l'artère spi-

nale antérieure qui montre ici une périartérite intense, qui soit plus atteinte que

dans la région dorsale. -

Observation XXVIII, 28 septembre 1896 (Broca).

Foetus de 7 mois 1/2. Mère spécifique secondaire. Mort-né, macéré. ' 1

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE - '367

Les reins ont été coupés et examinés au microscope, on trouve dans la ré-

gion de la voûte vasculaire une artère centre d'un amas nucléaire considérable

dont les parois sont considérablement épaissies, mais dans lesquelles l'héll7a-

toxyline ne colore plus les noyaux d'infiltration.

La moelle lorsqu'on l'enlève du canal vertébral laisse voir une infiltration

dense de tissu rougeâtre serré entre la dure-mère et les parois osseuses.

Les coupes faites à différentes hauteurs de la moelle montrent que celle-ci a

conservé dans toute son étendue ses caractères normaux ; les vaisseaux sont

seulement très distendus et le sang qu'ils contiennent est très riche en leuco-

cytes ; en certains points il semble que la lumière des veines spinales posté-

rieures soit absolument obstruée par des cellules embryonnaires.

La pie-mère a conservé ses caractères normaux. Cependant il y a une cer-

taine infiltration de l'espace sous-arachnoïdien par les cellules rondes. Celles-ci

du reste ne pénètrent pas dans les racines.

Artère spinale antérieure déformée, circonférence irrégulière.

Observation XXIX, 28 septembre 1896 (Broca). -

Foetus de 5 mois. Mère spécifique depuis le 3° mois de la grossesse. Non ma-

céré, poids 620 grammes.

La moelle a dû être étudiée extraite du canal vertébral. Elle semble normale.

dans toutes ses parties. Tout au plus peut-on signaler l'adhérence intime de là

pie-mère à la moelle, et l'épaisseur exagérée de la dure-mère. Les vaisseaux

sont distendus par le sang mais leurs parois sont normales, leur lumière par-

faitement arrondie même pour la veine spinale antérieure. Il n'y a nulle part

d'infiltration embryonnaire.

En résumé les observations I. II, III bis et XXII se rapportant à des foetus

issus de parents non syphilitiques ne montrent que des moelles normales ou

seulement congestionnées.

Les lésions sont considérables dans les moelles n°S II, IV, IX et XVII. Si

nous mettons à part les lésions médullaires proprement dites incertaines des

nos XXVI et XXVII, il nous reste des lésions d'infiltration nettes dans sept cas :

VII, X, XXI, XXXIII, XXV, XXVI, XI VIL

Les moelles V, VIII, XI, XIII, XIV, XV, XVIII, XX, XXVIII, XXIX ne

présentent guère que la congestion intense, qui va dans quelques cas jusqu'à

l'hémorrlwgie. Quatre dernières moelles sont absolument indemnes dans les

parties que nous avons examinées.

- L'observation n° VI se rapporte à un foetus porteur de pieds-bots, la mère

n'a pas été interrogée au point de vue de ses antécédents syphilitiques, mais

les lésions présentées par la moelle que nous avons examinée sont telles que

nous sommes très portés à compter cette observation parmi les syphilitiques.

Conclusions.

De cette étude il résulte que les lésions méningo-médujlaires constatées

368 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE "

chez les foetus hérédo-syphilitiques sont du même ordre que celles trou-

vées dans les autopsies des individus ayant succombé aux manifestations

spinales de l'hérédo-syphitis précoce ou tardive. Ces lésions peuvent se résu-

mer d'unmot,elles sont identiques, celtes produites par la syphilis acquise.

La moelle, le plus souvent atteinte dans ses parties conjonctives, sep-

tum médian, septa radiés, vaisseaux de l'épendyme, vaisseaux radiés,pré-

sente soit de l'épaississement fibreux de ces parties, soit leur infiltration

par des cellules embryonnaires; elle peut être le siège de destruction

complète par l'envahissement des parties voisines devenues scléreuses

ou par un processus nécrobiotique d'origine vasculaire; elle peut être

partiellement détruite soit que le processus de néoformation, gomme ou

sclérose, propagé ou né sur place, envahisse un point de son tissu, soit l

que sa désagrégation soit la conséquence de lésions vasculaires ou mé-

ningées. On l'a vu transformée complètement en cordon fibreux. Les cel-

lules de ses cornes grises ont été notées souvent altérées, la dégénérescence

des faisceaux blancs, rarement étendue, paraît plutôt sous la dépendance

des lésions directes que de lésions médullaires ou radiculaires voisines.

Enfin la moelle peut être seulement comprimée, sans lésion, par des

gommes volumineuses dévelopées à côté d'elle. ,

Les racines sont très souvent atteintes ; loin d'être libres clans l'espace

sous-arachnoïdien, elles sont en contact avec le processus d'infiltration em-

bryonnaire si intense à ce niveau, évidemment comprimées elles peuvent

être envahies soit par propagation de voisinage, soit par le développement

de tumeurs gommeuses nées aux dépens de leurs vaisseaux ; ceux-ci sont

très souvent altérés. Il ne semble pas cependant que les tubes nerveux

soient le plus souvent détruits, il est difficile de dire quel est le degré

de difficulté que créent à leur fonctionnement physiologique de telles lé-

sions. Mais il est des cas où les racines ont complètement disparu sous le

processus néoplasique qui les englobe.

Les ganglions sont toujours infiltrés, mais leurs cellules nerveuses con-

servent la plupart de leurs caractères normaux.

Les méninges sont de beaucoup les parties les plus lésées. La pie-mère

épaissie, infiltrée de cellules rondes adhère à la moelle ou est séparée d'elle

par un exsudat granuleux. Elle est en contact direct avec les cellules qui

infiltrent l'espace sous-arachnoïdien. Cet espace libre à l'état normal est

le siège d'une prolifération abondante de cellules embryonnaires qui com-

blent ainsi la région laissée libre entre l'arachnoïde et la pie-mère, région

qui sert surtout de passage aux vaisseaux et aux racines. Cette infiltration

peut être telle, que \lisible à l'oeil nu elle prend l'aspect d'une.tumeur

qui a tous les attributs microscopiques des gommes : cette gomme peul être ^

NOUV. ICONOGR, DE LA SALPÊTRIÈRE T. IX, PL. XLIV

i. (OBS. XXII. Non spécifique.) Moelle : Région dorsale inférieure.

Pie-mère et arachnoïde minces distinctes des parties voisines. Espace sous-arachnoïdien libre

Vaisseaux et racines nerveuses bien isolé ?

2. (OBS. II. Spécifique.) Moelle : Région dorsale inférieure.

l'ie-mere et arachnoïde réunies par la masse d'infiltration qui remplit l'espace sous-arachnoïdien

où sont noyés les \ aisseaux et les racines.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE

Masson et Cic, éditeurs.

NOUV, ICONOGR. DE LA SALPÊTRIÈRE T. IX, PL. XLV

3. - (Ons. XVII.) Moelle : Région cervicale.

Tout l'espace compris entre la pie-mère et la dure-mère est envahi par un tissu de nouvelle for-

mation (gomme). La partie gauche de la moelle est envahie par le même processus.

4. - (Obs. XVII.) Moelle : Région dorsale.

Énorme gomme méningée ayant refoulé la moelle dorsale.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE

Masson et CI-, éditeurs.

NOUV. ICONOGR. DE LA SALPÊTRIÈRE-

- T. IX, PL.-XLVI

5. (013s. IX.) Moelle Région cervicale.

La moelle a complètement disparu, réduite à quelques détritus parmi lesquels on peut reconnaître

les cellules épendymaires. La dure-mère est extraurdinairement épaissie ; la pie-mère l'est

beaucoup également.

6. (Otss. VI.) Une racine de la région dorsale.

Développement anormal du tissu conjonctif propre de la \eine et de celui qui l'entoure (vaisseaux

déformés). Envahissement des fascicules par les cellules rondes infiltrées entre les tubes

ncr\eux et le périnèvre.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE

Masson et Ch" éditeurs.

NOUV, ICONOGR. DE LA SALPÊTRIÈRE

T, 1X PL. XLVII

9. - (Orts.' VL) Région de la queue de cheval.

Néoplasie gommeuse ayant envahi la moitié antérieure du canal rachidien.

7 et 8. - Lésions des vaisseani.

10. Une des racines isolées de la figure 9.

Montrant l'envahissement de cette lacine qui se fait d'abord autour des vaisseaux altérés

qu'elle contient.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE

Masson et Cie, éditeurs.

Nouv. Icwwanrttts de la SmriTanat. r. lx, PT. \T \'111

TROUBLES TROPHIQUES DES ONGLES ! ),\I1S 1,11N.Stéi-ie.

MASSON ,Il etc) Editeurs.

Nouv. Iconographie de L.\ SAl.pClIULl<1 T. 1 ? PI.. xlix

TROUBLES TROPHIQUES DES ONGLES

Dans la maladie de R.V'll.tLlc.

MASSON & Clu, Editeurs.

L'OPERATEUR

Tableau Û' : 1DRL4) : IS BROUWER, peintre hollandais (1608 ? - 1641).

Institut St.Ldcl. Fr.U11fort-sur-[.dl1.

MASSON & cic) Editenrs.

LOCALISATIONS SPINALES DE LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 369

limitée, elle peut envahir les méninges molles du haut jusqu'en bas de la

moelle soit d'une façon continue, soit par tumeurs isolées.

La dure-mère est surtout altérée du côté de sa face externe reliée aux

parois du canal osseux par une infiltration scléreuse de l'espace extra-

dural qui prend certainement une part très importante au processus de la

méningo-myélite hérédo-syphilitique (pachyméningite externe). Elle peut

aussi se confondre en certains points avec les méninges voisines (symphyse

méningée, méningo-médullaire).

Les vaisseaux sont toujours le siège de lésions manifestes, leur lumière

aplatie, rétrécie, défigurée ne permet pas le cours normal du sang, leurs

tuniques sont infiltrées de cellules rondes ou épaissies par le développe-

ment du tissu fibreux, la périvascularite est plus fréquente que l'endo-

vascularite, les veines sont atteintes aussi bien que les artères. On peut

considérer comme le premier stade passager, précoce de l'infection la di-

latation simple des vaisseaux, pouvant aller jusqu'à l'hémorrhagie ; la

congestion s'accompagne souvent de stase leucocytique avec tendance des

leucocytes à se réunir en groupes serrés.

L'hérédo-syphilis ne frappe pas la moelle uniformément dans toute sa

hauteur, les lésions que nous venons de décrire sont remarquables par

leur caractère de dissémination, les aspects des coupes sont très variés

pour une même moelle suivant la région à laquelle elles correspondent.

Cependant on peut à peu près affirmer qu'il n'y a pas de parties absolu-

ment saines dans une moelle touchée en un point quelconque de son

étendue.

Du dépouillement de toutes les observations que nous venons de pas-

ser en revue, il résulte qu'il n'y a pas de région particulièrement prédis-

posée à la localisation du processus spécifique. Siemerling, Bottiger .in-

sistent sur la prédominance des lésions aux régions dorsales moyenne et

inférieure dans leurs cas, Jùrgens trouve dans la moelle lombaire une

induration fibreuse de 3 centimètres de longueur, nous avons à plusieurs

reprises noté chez les foetus le maximum des lésions dans la région dorsale

ou dans la région lombaire, mais on peut dire que selon les vues de Jùr-

gens, c'est surtout la région cervicale qui est atteinte par la syphilis

médullaire héréditaire.

Ce n'est pas tout, et dans une même région, la moelle n'est pas égale-

ment altérée dans toutes ses parties ; la prédominance des lésions au ni-

veau de la région postérieure, qu'il s'agisse de lésions médullaires pro-

prement dites ou de lésions méningées, est un fait constant, signalé dans

toutes les observations et qu'il était intéressant de mettre ici en relief.

ix ' 24

TROUBLES TROPHIQUES DES ONGLES

AU COURS DE L'HYSTÉRIE ET DE LA MALADIE DE RAYNAUD

PAR

GABRIEL DELAMARE

Externe de la Clinique des Maladies du Système nerveux.

Il a paru intéressant de réunir et de publier à la suite les unes des au-

tres ces observations de troubles trophiques des ongles au cours d'affec-

tions diverses du système nerveux (hystérie, maladie de Raynaud), parce

qu'elles montrent ou paraissent montrer les divers stades évolutifs d'un

même processus trophique et parce qu'elles semblent établir des relations

de coïncidence au moins entre l'intensité de ce processus et celles des

troubles de sensibilité qui, toujours se sont montrés concomitants.

C'est ainsi que les troubles trophiques atteignent leur maximum dans

les observations I et IV où les troubles de sensibilité sont les plus marqués

et qu'ils se montrent ébauchés à des degrés divers dans les observations II,

III et V où les troubles de sensibilité sont moindres.

Observation 1 (H ! Jstél'igue ? ). *

Marie B..., 18 ans, vient à la clinique des maladies du système nerveux pour

des lésions unguéales localisées au pouce, au médius, il l'annulaire de la main

gauche (PI. XLVIII). ,

Les ongles de la main droite, ceux des pieds sont normaux.

La lésion du pouce remonte il 4 ans ; celles du médius et de l'annulaire ont

apparu il y a 6 mois environ.

Les différences d'aspect, de coloration, etc. de ces 3 ongles sont minimes et

ils paraissent bien présenter une lésion univoque. ,

Ces 3 ongles sont plus larges, plus durs que les ongles correspondants de la

main droite ; ils paraissent plus épais.

Leur surface libre, très lisse, apparaît plus bombée qu'à l'ordinaire. Régu-

lière au médius et à l'annulaire, cette courbe l'est moins au pouce : la face

dorsale de l'ongle figure assez bien, mais très atténuées, deux vagues séparées

l'une de l'autre par une légère dépression intermédiaire.

De plus, l'ongle du pouce est le seul dont les bords marginaux se soient épais-

sis jusqu'à devenir des faces.

Ces faces latérales, d'aspect et de coloration cornés, tendent à s'incarner.

TROUBLES TROPHIQUES DES ONGLES 371

Par ce caractère et par d'autres que nous signalerons ultérieurement, l'on-

gle du pouce rappelle dans une certaine mesure l'ongle d'un gros orteil.

La lunule, intacte au pouce, très réduite au médius, a disparu à l'annulaire.

La coloration de ces ongles est nettement anormale. Tandis que l'ongle du

médius est dans toute son étendue d'une teinte brunâtre uniforme, ceux de l'an-

nulaire et du pouce présentent deux zones de coloration très distinctes et nette-

ment tranchées. ,

A l'annulaire, la zone postérieure basale est d'une teinte uniformément jau-

nâtre. La zone antérieure, noirâtre dans son ensemble, présente de fines bandes

ondulées d'une teinte plus claire.

A la vérité, cette zone antérieure est transparente et elle doit sa coloration

noire à la couche sous-jacente adhérente au derme sous-unguéal. Nous étudie-

rons cette dernière dans un instant.

Au pouce, la coloration est à peu de chose près, identique. La zone posté-

rieure est d'un jaune sale ; la zone antérieure laisse voir éparses sur un fond

noir quelques taches lactescentes.

L'étude du bord libre de ces ongles perd quelque peu de son intérêt par ce

fait qu'il a été taillé.

Par suite, ne tenant pas compte de ses irrégularités, nous dirons seulement

qu'il est fort mince, terne et grisâtre.

Le fait, de prime abord, paraît singulier et, en contradiction avec l'épaissis-

sement général de l'ongle plus haut signalé. En réalité, l'explication de ce para-

doxe apparent est des plus simple.L'ongle,- et il est facile de se rendre compte

de ce fait en le regardant, non par sa face dorsale, mais par son bord anté-

rieur, s'est dédoublé en deux couches, surperficielle et profonde.

Nous connaissons la couche superficielle que limite en avant le bord libre.

Avant d'étudier la couche profonde, disons qu'il est difficile de savoir dans

quelles limites s'est effectué ce dédoublement.

Toutefois, en se fondant sur les zones de colorations différentes précédemment

décrites, il semble possible d'admettre que ce dédoublement atteint,sur la ligne

médiane, environ la moitié de la hauteur de l'ongle.

La couche profonde, noirâtre ou brunâtre, irrégulière, finement grenue,

d'épaisseur variable repose sur le derme sous-unguéal avec lequel elle fait

corps.

Un espace variable sépare sa face superficielle de la face profonde de la cou-

clic supérieure. Ainsi se trouve limitée une sorte de sillon de profondeur variable

suivant l'ongle ou la partie de l'ongle considérée.

C'est dessein que nous avons insisté, et sur le dédoublement apparent ou

réel de ces ongles, et sur l'aspect grenu de la couche profonde. Nous verrons

ultérieurement l'intérêt de ces faits.

D'autre part, cette malade présente une anestliésie complète (tact, douleur,

température) dans les régions suivantes :

1° Faces antérieure et postérieure de la main, des deux tiers inférieurs de

l'avant-bras droit. En avant et en arrière, la zone anesthésique est coupée en

manche de veste ; -,

372 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

2° Faces palmaire et dorsale de la main gauche ;

3° Deux tiers inférieurs de la face antérieure de l'avant-bras gauche; moitié

interne de toute sa face postérieure. En avant, l'anesthésie est encore coupée

en manche de veste. En arrière, elle est limitée par une ligne oblique qui, par-

tie du milieu du poignet, atteint l'épi trochlée.

Le réflexe pharyngien est aboli. La malade ne présente pas d'autres troubles.

Antécédents héréditaires. Le père, grand alcoolique est mort à 39 ans à la

suite d'un ictus. La mère est hystérique (crises de nerfs, etc.).

Antécédents personnels. Etant enfant, la malade a eu des convulsions au

cours desquelles elle a parfois perdu connaissance. Plus tard, elle a eu la rou-

geole et des angines.

Réglée à 14 ans et depuis toujours régulièrement.

La lésion n'étant pas parasitaire [nous devons à l'obligeance de M. Gastou,

chef de clinique du professeur Fournier, la certitude de cette affirmation], il

s'agit de troubles trophiques des ongles citez une hystérique qui, précisément pré-

sente ses zones anesthésiques au niveau des mains.

Observation II (Hystérique).

M..., 61 ans, fleuriste.

L'ongle du pouce de la main gauche présente les quelques altérations suivan-

tes : d'une teinte jaunâtre uniforme et terne, il est verticalement strié. La lu-

nule a disparu (PI. XLVIII).

Il est épaissi. Et cet épaississement apparaît surtout manifeste lorsqu'on

regarde de champ son bord antérieur libre.

Triplé d'épaisseur, grisâtre et finement grenu, il adhère intimement au

derme sous-unguéal. ,

Cette malade se plaint d'éprouver dans le bout des doigts des engourdisse-

ments, des fourmillements.

Or, elle présente : 1" une zone d'anesthésie tactile et d'analgésie localisée à

la région thénarienne et au pouce de la main gauche ; 2° une zone d'anesthésie

tactile et d'analgésie occupant la face dorsale de la main et de la moitié infé-

rieure de l'avant-bras gauche. \

Enfin elle a des crises et un rétrécissement très net du champ visuel.

Elle paraît avoir abusé du café et surtout du vulnéraire.

En somme, il s'agit là d'une vieille hystérique entachée d'alcoolisme dont la

lésion unguéale trophique coïncide avec une localisation presque exclusivement

digitale des troubles sensitifs. '

Il n'y a pas lieu d'insister sur l'identité des circonstances pathologiques dans

lesquelles se montrent ces 2 cas d'onychotrophose. Z)

La relation entre les 2 lésions paraît moins évidente : il semble bien cepen-

dant qu'à l'intensité près, elles soient similaires.

Dans les deux cas, nous notons un caractère fondamental commun : l'aspect

grenu de la couche profonde adhérente de l'ongle.

TROUBLES TROPHIQUES DES ONGLES 373

Observation III (maladie de Raynaud).

Z..., service du professeur Raymond.

L'ongle du médius droit est cannelé. Son bord libre est grenu, grisâtre,

adhérant au derme sous-unguéal.

La lésion initiale, demande il être cherchée. Cependant elle présente, comme

il est facile de le voir, un trait de commun avec celles que nous avons précé-

demment décrites.

Ce n'est pas tout : les conditions dans lesquelles elle s'est produite méritent

d'être rapprochées; elle s'observe chez ce .sujet atteint de maladie de Raynaud,

au seul doigt qui ait présenté une plaque de gangrène.

Ce malade, la vérité, ne présente pas de troubles sensitifs objectifs ; il a, et

très marqués, les troubles subjectifs et vaso-moteurs de la maladie de Ray-

naud.

Observation IV (maladie de Raynaud).

Caroline D..., 48 ans, service du professeur Raymond.

Tous les ongles, sauf ceux des pouces, sont anormam (PI . XLIX).

L'ongle de l'index droit épaissi, cannelé verticalement, s'incurve du bas et en

dedans et tend à s'incarner. La face dorsale présente deux ondulations séparées

par une dépression. D'une teinte grisâtre, sale, l'ongle de l'annulaire est ru-

gueux ; il rappelle et par son aspect et par ses dimensions un ongle d'orteil

mal soigné, son bord libre, irrégulièrement dentelé, est séparé de la matrice

par une couche grise et grenue. Celte couche qui relie la face profonde de

l'ongle au derme atteint son épaisseur maxima 3 mm. environ sur

l'auriculaire.

Les ongles de l'index, du médius et de l'annulaire gauche, montrent une

ressemblance plus parfaite encore, si possible, avec des ongles d'orteil. Réduits

à une petite masse, irrégulièrement triangulaire, ils sont plongés au milieu de

la pulpe digitale qui fait bourrelet au pourtour.

L'ongle de l'auriculaire relativement épargné, mais épaissi, brunâtre, strié

verticalement, tend à s'incarner. Et son bord libre, irrégulier, épaissi, appa-

raît grenu, comme toujours.

Cette femme, frappée depuis longtemps déjà par la maladie de Raynaud,

avait de nombreuses plaques de gangrène digitales à tous les doigts, sauf aux

pouces. De plus, en outre des troubles vaso-moteurs classiques, elle présente

des troubles sensitifs uniquement digitaux. Subjectifs, ces troubles consistent

en douleurs spontanées, cryesthésie, etc. ; objectifs, ils affectent les localisations

suivantes :

1° Analgésie étendue à la face dorsale des 4 derniers doigts droits et gauches,

aux faces latérales du médius et de l'auriculaire droits, du médius, de l'annu-

laire et de l'auriculaire gauches ;

2° Thermo-hypoesthésic de la face dorsale des 4 derniers doigts de la main

gauche. ,

Il est inutile de revenir sur l'analogie que présentent ces lésions dans cer-

374 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

tains de leurs traits au moins avec les lésions précédentes. sera plus intéres-

sant de remarquer que les pouces, les seuls doigts vierges de lésions troplio-

sensitives, sont aussi les seuls à posséder des ongles normaux.

Observation V.

X..., 57 ans.

Les ongles du pouce, de l'annulaire, de l'auriculaire droits, ceux'du pouce,

de l'index gauches sont jaunâtres, verticalement striés. Leurs bords libres sont

épaissis, adhérents au derme sous-unguéal, grisâtres, finement grenus.

Il n'y a pas lieu d'insister sur cette description, en somme, à quelques va-

riantes près, toujours la même.

Ici, la lésion s'observe sur une vieille femme d'allures et d'état mental

bizarres qui se plaint de gêne, d'engourdissement et de fourmillement dans les

doigts.

Les troubles sensitifs purement subjectifs sont à la vérité minimes et coexis-

tent avec une onychotrophose multiple, mais peu intense.

MACCUS, POLICHINELLE ET L'ACROMÉGALIE

PAR

Le Dr A. SOUQUES. 1

Chef de laboratoire de la Clinique des Maladies du Système nerveux,

à la Salpêtrière.

« Nous avons entendu soutenir à M. P. Marie, dit Souza-Leite 1), la

thèse assez séduisante que le fameux bouffon italien (Polichinelle) n'était

vraisemblablement qu'un acromégalique. »

Récemment, M. P. Marie (2), après avoir mis en relief les ressemblan-

ces de Polichinelle avec les Acromégales actuels, disait : « Ce sont là des

analogies nombreuses, et l'on ne comprendrait guère que d'aussi singuliè-

res difformités aient été inventées de toutes pièces. N'est-il pas plus proba-

ble que c'est la nature même qui ici encore a servi de guide à la fantaisie

populaire ? '

« L'étude de certains documents historiques est bien faite pour nous con-

firmer dans cette manière de voir. En effet, d'après des renseignements

qui m'ont été fournis par mon ami le Dr Toso (de Turin), il aurait existé

à Naples, à une époque que je ne peux vous indiquer exactement, mais qui

ne semble pas très ancienne, un acteur d'une forte corpulence, porteur

d'une double bosse, ayant un facies tout particulier et des extrémités énor-

mes, doué d'une voix singulière, bref présentant l'aspect d'un Acroméga-

lique. Grâce à sa « ris comtes » vraiment extraordinaire le succès de cet

acteur aurait été tel qu'il devint le prototype de Polichinelle et que depuis

lors c'est sous ses traits que fut immédiatement représentée la célèbre

marionnette. »

Nous avons recueilli un document figuré qui confirme, corrobore l'opi-

nion de M. P. Marie, et qui semble faire remonter Polichinelle, sinon à

la plus haute antiquité, du moins à l'époque romaine.

Le terme français Polichinelle vient de l'italien pulcinella, nom d'un

personnage de la farce italienne. Voici, d'après le Vocabulaire napolitain,

(1) Souza-Leite, De l'Acromégalie, Maladie de P. Marie, Thèse de Paris, 1890,

p. 49. -

(2) P. Marie, Leçons de clinique médicale (Hôtel-Dieu, 1S91-1S95), Paris, tS96,

54.

376 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

quelle serait l'origine de ce nom : « Dans le siècle passé, une bande de

comédiens ambulants fut assaillie de quolibets par des vendangeurs d'An-

cerra, ville délia campagne felicé; ils eurent le dessous à cause d'un certain

paysan nommé Puccio d'Aniello, qui triompha d'eux et qui avait une figure

de charge : nez long, visage noirci par le soleil. Consolés de leur défaite,

ils eurent l'idée d'associer cet homme à leur troupe. Celui-ci accepta et eut

le plus grand succès. De là son masque, son rôle et son nom sont entrés

au théâtre sous le titre de Polecenellrt. »

Il faut avouer que pareille étymologie paraît bien romanesque. Certains

auteurs pensent que Pulcinella ne serait que le nom peu modifié d'un

nommé Paulo Cinella qui aurait tenu, à Naples, le rôle de Polichinelle, à

l'époque de Charles d'Anjou. ,

Il est plus vraisemblable que Pulcinella vient de pulcino, poussin, di-

minutif de pullus, poulet. On a supposé, sans raisons péremptoires, que ce

terme à l'origine signifiait caresse, comme dans l'expression française :

monpoulot. Sans accepter cette signification, il est fort admissible que le

nez en forme de bec, que le timbre de voix de Polichinelle, que la forme

bombée de son thorax aient pu faire songer à un poulet. Dans Alexandre

Sévère, au chapitre XLH, Lampridius emploie pour dire poulet le terme

pullicenus.

Quoi qu'il en soit de ces opinions assez hypothétiques, ce n'est qu'au

commencement du XVIIO siècle que Pulcinella apparut dans la comédie

napolitaine. Un chef de troupe, Silvio Fiorillo, connu sous le nom de ca-

pitaine Matamore, aurait pour la première fois confié le rôle de Pulcinella

à un de ses comédiens, André Calcese, qui imitait à merveille l'accent des

paysans des alentours d'Acerra, ville voisine de Naples... ^

En 1G8, le Pulcinella napolitain devint le Polichinelle français et pa-

rut sur le théâtre italien de Paris. Ce fut Michel Ange da Fracassano qui

tint le premier ce rôle.

C'est vers la même époque, vers la fin du règne des Stuarts, que Pulci-

nella parut en Angleterre et devint d'abord Punchinello, et enfin Punch.

Dans un poème en vers latins, intitulé : Machinai gesticulantes, Addison

dessine son portrait en termes très expressifs :

Ludit in exiguo plebecula pana l,liecctro ;

Sed ]Jl'oeter reliques incedit honcacncio, mu ca

Voce strepens

7M ventrem twnet immodicwn; pone eminet ingens

A tergo gibb2es; pigmoeum terrilat agmen ..

Major, et immanem mÍ1'atul' turba gigantea (1).

(1) Les rapports du gigantisme avec l'acromégalie ont été récemment discutés par

MM. Brissaud et Meigo d'une part, par M. P. Marie d'autre part.

MACCUS, POLICHINELLE ET L'ACROMÉGALIE 3Í7

Telles sont les origines vraisemblables du Pulcinella napolitain et tel

est son exode en France et en Angleterre. On retrouverait sans doute aisé-

ment sa trace dans les divers pays.

Il a depuis lors subi du reste des transfigurations et des métamorphoses

qui n'ont plus d'intérêt pour le médecin.

Il est intéressant, par contre, de rechercher si Polichinelle ne remonte

pas au delà du XVII, siècle. Or il semble que le polichinelle italien dérive

directement du Maccus des Latins (1).

« Il est avéré que Polichinelle a diverti les Romains de la République,

dit Génin (2) ; il s'appelait en ce temps-là Maccus. Les farces atellanes (3)

n'étaient pleines que de son nom et de ses exploits. L'identité n'est pas

douteuse : on a déterré aux environs de Naples une figurine, de bronze

antique représentant Maccus, bossu par derrière et par devant et le visage

orné de ce long nez crochu qui a valu au personnage son nom italien mo-

derne : Pulcinella, bec de poulet, On peut s'assurer du fait dans Ficoroni,

De larvis scenicis (Pl. IX, fig. 2). Les anciens avaient dressé des statues à

Polichinelle ; Polichinelle est antique; Polichinelle est classique comme

Plaute et Térence. Il a même conservé jusqu'à nous son caractère natif :

c'est ce bredouillement inintelligible qui le distingue parmi tout le peuple

des marionnettes. C'est un reste d'accent du pays, dont Polichinelle n'a

pu se débarrasser, car, tous les savants vous le diront, Maccus était né

chez les Osques, si renommés dans les anciens auteurs pour leurs bons

mots et leurs piquantes saillies. C'est de là que Maccus se transporta à

Rome, où l'on représentait sur le théâtre des jeux osques, petites pièces

qu'on jouait le matin avant la grande pièce. Maccus y paraissait dans toute

sa gloire ; mais, comme à tous les coeurs biens nés la patrie est chère, il ne

consentit jamais à parler une' autre langue que sa langue natale. Les Ro-

mains, qui imposèrent leur idiome à tant de peuples vaincus, ne vinrent

pas à bout de l'imposer à Polichinelle, et aujourd'hui encore, devant les

soldats, les bonnes et les petits enfants ébahis, Maccus continue à parler

osque, comme il parla jadis devant Coriolan. En effet les Osques étaient

voisins des Volsques, chez qui Coriolan alla chercher un asile. Quelques

historiens ont prétendu même confondre ces deux peuples. »

Le'Maccus des Latins paraît donc être le père du Pulcinella italien. On

sait que le christianisme naissant et les invasions barbares détruisirent

les vestiges du paganisme et en particulier les théâtres et les comédies. Les

.

(1) Maccus est un mot de la langue osque, qui veut dire bouffon, stupide, étourdi,

d'après JUSTE-LI l'SE in Questions épistolaires, liv. Il, question 22.

(2) E. Génin, Essai sur les Atellanes, publié dans les Mémoires de la Société d'agri-

culture du Bas-Rhin, 1832-1833.

(3) Ainsi nommées d'Atella, ville des Osques (située entre Gapoue et Xaples), d'où

ces farces étaient originaires.

878 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

farces atellanes, il est vrai, ne disparurent pas des places publiques, mais

Maccus dut probablement subir une sorte d'éclipse. A la renaissance du

théâtre il reparut sous le nom de Pulcinella. On ne voit pas, de prime

abord, la raison de cetle substitution de nom. Il est possible qu'elle tienne

à la forme du nez de Maccus, au son de sa voix, à la configuration de son

thorax, qui ne sont pas sans analogies avec le bec, la voix, le thorax d'un

poulet (pnllicenus). -

L'histoire de Polichinelle s'arrête-t-elle à l'époque romaine ? Il semble

qu'elle se perde dans la plus haute antiquité. « Ce type ridicule a traversé

toutes les phases de la civilisation, s'est naturalisé dans tous les pays, en

conservant toujours fidèlement son caractère primitif, et en subissant seu-

lement les transformations et les modifications de moeurs, de costume et

de langage nécessaires pour être partout compris (1). »

Deux peuples nomades et fort anciens, les Bohémiens et les Hébreux,

l'auraient répandu dans le monde : les Bohémiens dans les diverses par-

ties de l'Orient et les Hébreux dans l'Egypte.

Les Hébreux auraient introduit en Egypte, ainsi qu'en témoignent quel-

ques bas-reliefs, des petites statuettes de polichinelles qui servaient à dé-

sennuyer dans leur berceau les enfants d'Israël. D'Egypte, Polichinelle

. serait passé à Athènes et plus tard à Rome, en gardant toujours son ca-

ractère de personnage grotesqu.e et ridicule.

Il est difficile de distinguer, dans cette'période fabuleuse de l'histoire de

Polichinelle, ce qui relève de la légende et ce qui appartient à la réalité.

Rien ne prouve d'ailleurs la transmission de peuple en peuple d'un pro-

totype de Polichinelle. « Il ne serait pas étonnant, nous disait M. P. Ma-

rie (à qui nous soumettions cette petite note), que, sans lien direct et par

auto-invention, différents peuples et différentes générations aient utilisé

de la même manière cette caricature vivante qu'est l'Acroaégaliqace. »

Somme toute, nous ne possédons aucun document certain sur Polichi-

nelle avant la période romaine. Il faut arriver à cette période pour retrou-

ver dans Maccus le père du Pulcinella napolitain.

Nous reproduisons ici une effigie de Maccus (Fig. 43 et 44), que nous

avons trouvée dans le Magasin pittoresque.

C'est la reproduction d'une statuette en bronze (2) découverte à la suite

(1) Magasin pittoresque, 1833, p. 115.

(2) Je dois à l'obligeance de mon ami, le Dr HENIIY MEioE, que je remercie vivement,

les renseignements suivants :

La figurine en question se trouve dans les collections du Musée Kircher, à Rome.

C'est Ficonow qui, le premier dans le travail cité plus haut, a signalé sa ressemblance

avec le personnage de Polichinelle. Voir encore Sr-Nov; Voyage pittoresque de Naples

MACCUS, POLICIIINLLLE ET L'ACROMÉGALIE 379

de fouilles pratiquées en 1727, à Rome, sur le mont Esquilin. Elle re-

présente Maccus, nu-tête, le corps revêtu d'une simple tunique, chaussé

de sandales nouées autour des chevilles. Grâce à ce vêtement sommaire, il

et Sicile, 1 Pl. II, ne 6 bis, et Wiese.en, Denkm. des Buhnenwesens, Pl. XII, 12 et 13.

Elle a été reproduite dans le.Dictionn. des Antiquités grecques et romaines de DA-

HEMBERS et S &CL'0, t. 1, 1877. Article : Atellanoe {abuloe, par G. Boas : en, fig. 597.

On s'accorde généralement à la regarder comme une figuration du personnage gro-

tesque de Maccus, grand mangeur et grand buveur. Maccus dériverait de fL"'xxc : " femme

ridicule. Aristophane (Equit. 62) emploie le terme de piaxxoâv pour désigner un sot.

En italien, matto, maltacio ont conservé la même signification.

Quelques auteurs cependant voient dans cette statuette une reproduction d'un de ces

bouffons auxquels on donnait le no n de Snnnio,

A côté de Maccus, parmi les personnages des Atellanes, un autre bouffon Dossen-

nus était aussi représenté bossu (dorsennus), et avait les allures d'un croquemitaine.

Un autre type lIfanduccùs était figuré avec une bouche' immense et des dents énormes.

Il existe un certain nombre de statuettes analogues, paraissant se rapporter à des

personnages comiques du théâtre populaire et pourvues de difformités du même

genre (Voir l'article de G. Boissier, cité plus haut, fig. 593, 594, 596).

Comparer les figurines grotesque en terre cuite de la Grèce et de l'Asie Mineure (Voir

CIIAIICOT ET Richer, Les Difformes et les Malades dans l'Art, p.9 et suivantes) et Henry

Meige, Les Nains et les Bossus dans )'<. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière,

no 3, tS9;i).

Fig. 43 et 44. - Maccus

d'après une statuette en bronze antique du Musée Airsclier, à Rome.

380 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

est aisé de se rendre compte de l'habitus extérieur et de la morphologie

générale du corps (1).

-Or un examen attentif montre que cette statuette ressemble d'unema-

nière frappante aux acromégales de nos jours.

La tête de Maccus est augmentée de volume et cette hypertrophie porte

principalement sur la face. La protubérance occipitale externe est extra-

ordinairement développée ; les rebords orbitaires et les pommettes très sail-

lants, le maxillaire inférieur allongé, les lèvres, les oreilles et le nez

agrandis (2). C'est dans ses traits principaux le facies acromégalique. Aux

deux commissures labiales se voient deux petits globes d'argent (d'où dé-

rive la pratique actuelle), qui donnaient à la voix un timbre spécial. Il

est inutile de rappeler, le timbre particulier de la voix dans l'acroméga-

lite.

Au niveau du thorax, on voit très nettement une double bosse, ré-

pondant l'une à la saillie sternale et l'autre à la cyphose cervico-dorsale

des acromégales. .1 1

Enfin les pieds sont hypertrophiés et sont comme la tête hors de pro-

portion avec la stature du personnage.

En comparant ainsi te Maccus des latins et un acromégalique actuel la

ifessemblance est frappante. Il ne semble pas improbable qu'à l'origine

un -acromégalique ait servi de prototype au Maccus, autrement dit que

Maccus ait été un Acromégale. ,

A. Souques.

(1) Voir, dans le Magasin pittoresque, t. I, 1833, p. 115, un article intitulé : Recher-

ches sur l'histoire de Polichinelle dans l'antiquité et dans les temps modernes. Cet

article nous a été indiqué par notre ami II. Leclerc. Nous l'avons mis largement à

contribution.

(2) La longue courbe du nez se ressent peut-être de l'origine hébraïque de Maccus.

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE.

{ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE).

L'OPÉRATION SUR LE DOS

par ' ,

HENRY MEIGE.

Le même Adriaen Brouwer qui nous montre dans un tableau de la col-

lection La Caze, au Louvre, un barbier de village faisant il un paysan une

Opération sur l'épaule (1), a peint une autre scène de chirurgie rustique

où l'intervention a lieu sur le dos.

- - L'Opération sur le Dos.

Musée Staedel, Frankfort-sur-Main (2).

Trois personnages remplissent ce petit panneau à fond sombre et uni,

presque entièrement dépourvu d'accessoires.

Au milieu, un homme assis, le corps de profil à droite, la tête de face, a

retiré sa veste et baissé sa chemise pour mettre à nu son épaule et une

partie de son. dos.

Un barbier de village, le pied droit posé sur un escabeau, fait une inci-

sion près du bord interne de l'omoplate.

(1) Voy. Iconogr. de la Salpêtrière, n° 5, 1896. Depuis la publication du dernier

fascicule, j'ai eu connaissance d'une autre peinture représentant une Opération sur

l'épaule.

Elle est de CORXELIS Saft-Leven, peintre hollandais (1610-1682) et se trouve dans la

Galerie de peinture de Carlsruhe (N° 250 du Catal. B. H, 40. L, 59. - Signé et daté

1636).

Il s'agit plutôt d'un pansement que d'une opération.

Un chirurgien pose un emplâtre sur l'épaule d'un paysan.

A droite, la famille de ce dernier, pleure et se lamente. A gauche, des buveurs et

des fumeurs assis autour d'une table. Dans le fond, des chèvres.

J'aurai bientôt l'occasion de revenir on détail sur cette thérapeutique emplastique,

fréquemment reproduite par les documents figurés du XVII» siècle relatifs aux scènes

chirurgicales.

(2) N° 148 du Catal. B. II., 38, L. 27, acquis en 18S8. Je dois à l'obligeance de

M. le Dr Weizaeker, Directeur du musée Staedel, la communication de la photogra-

phie de ce tableau reproduite PI. L.

382 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Une vieille femme, coiffée de blanc, tenant un broc dans la main gauche,

regarde l'opération, tout en jacassant. 1

A droite, devant le patient, sontdéposés, sur une petite table, un flacon

de verre, un pot d'onguent, un scalpel et quelques menus objets.

Sur un coin de planche fixé au mur on distingue encore des récipients-

pharmaceutiques.

L'intérêt se concentre de prime abord sur la figure de l'opéré, traitée

avec une vigueur et une vérité peu communes. Le masque se détache, plein

de vie, encadré d'une tignasse touffue, el, par un artifice curieux, le pein-

tre a rendu sur chaque moitié du visage une expression différente dont

l'ensemble exprime à merveille l'effet désiré : la douleur et l'effroi du

sujet.

Du côté droit, l'oeil mi-clos, le sourcil baissé, le nez froncé, la bouche

élargie, enlr'ouverte et tombante : c'est la mimique du pleurer.

Du côté gauche, le front ridé, le sourcil relevé, l'oeil ouvert, effaré,

anxieux, les lèvres plus serrées et moins basses, traduisent l'inquiétude et

la peur du client. '

Cette dissociation de la physionomie, loin de nuire à l'unité de la ligure,

en accentue au contraire le caractère vivant. Les deux expressions s'en-

tremêlent et s'harmonisent avec un réalisme parfait. -

Brouwer donne ici la mesure de la justesse de son talent d'observation

et de la fidélité de son pinceau, car ces détails fugitifs, entrevus à la hâte,

sont rendus avec la précision des documents scientifiques recueillis sur la

mimique des passions.

Bien naturelle aussi est la figure du chirurgien, à demi cachée par l'om-

bre de son béret et de ses cheveux. Il est tout à sa besogne, le nez sur le

manche de son bistouri ; une légère moue de ses lèvres laisse entendre

que cette opération demande toute son attention.

Quant à la commère, qui regarde sans s'émouvoir les chairs saignanles

du patient, son humeur malicieuse et bavarde est écrite dans les plis de

ses joues ridées, sur les bords de la bouche édentée qu'elle entr'ouvre.

Cette peinture de Brouwer offre de singulières analogies avec un. tableau

de Teniers dont nous avons déjà donné la description et la reproduction à

propos des Opérations sur la télé (1) et qui se trouve au musée du Prado,

,

(1) Voy. Nouv. Iconographie de la Salpêlrière, no 5, 1895. PI. L.

Je dois signaler à propos de ce tableau, l'existence d'une réplique signée D. TE-

NIERS. F. que je me suis procurée à la vente de la collection van den Wiele, à Mali-

nes (21 oct. 1896).

Une autre scène chirurgicale ayant Irait il la supercherie des « Pierres de tu)c »

est tombée sous mes yeux depuis lors. C'est une cau-forie de 'l'1lJ : uIJom : de ]31ty, gra-

L'OPÉRATION SUR LE DOS 383

à Madrid. Les trois personnages qui constituent le groupe principal sont

figurés dans des attitudes presque identiques, à quelques détails de cos-

tume près. Bien plus, la grimace de l'opéré de Brouwer se retrouve dans

le tableau de Teniers, et, parmi les accessoires, la table, en particulier, est

toute pareille.

Ces ressemblances sont fréquentes entre les oeuvres des deux peintres

séduits par les mêmes sujets. Devant y revenir bientôt, je me borne à si-

gnaler celle-ci qui est une des plus frappantes. 1

Une autre Opération sur la tète est parvenue à ma connaissance et je la

signale ici, parce que le groupement et les attitudes des personnages sont

manifestement imités des tableaux de Brouwer, au musée de Frankfort, et

de Teniers, à Madrid.

Il s'agit d'un tableau de ÂBRAHAM Diepraem, peintre hollandais, qui vécut

vers le milieu du XVII" siècle, et imita la manière de Brouwer. Cettepein-

ture, La Chambre du Chirurgien, se trouve dans la galerie de Schwerin

(n° 24ft. du Catal. F. Schlie, 1882, B. H. 27, L. 32. Signé).

« Un paysan, tourné à droite, est assis sur un escabeau, le bras droit et

l'épaule d1'lrite nus. Devant lui, sur le sol, un chapeau de feutre à larges

bords.

« Le chirurgien, qui se tient derrière lui, la jambe droite posée sur

l'escabeau, explore soigneusement, avec une physionomie attentive et sou-

riante, une blessure de la tête.

« Derrière le chirurgien, immédiatement sous la fenêtre, un aide fait

chauffer un emplâtre au-dessus d'un réchaud placé sur une table.

« Une vieille femme se tient debout, à droite et en arrière du groupe

principal.

« Dans le fond, un paysan entre dans la pièce, portant son bras droit

en écharpe.

« A droite, un tonneau et divers objets. » "-

L'opérateur de Diepraem ne semble pas se livrer à la jonglerie des

« Pierres de tête ». Comme dans le Teniers du musée du Prado, on peut

supposer qu'il donne ses soins à une plaie accidentelle sur laquelle il ap-

pliquera tout à l'heure l'emplâtre que son aide prépare au-dessus d'un ré-

chaud.

L'imitation de Brouwer est évidente. Elle est d'ailleurs fréquente dans

les oeuvres de Diepraem (1).

veur flamand (1528-1598). Elle rappelle beaucoup les « Pierres de tête » de P. Brueghel

le Vieux.

(1) On a de lui une autre scène médicale, également conservée dans la galerie de

Schwerin : La Blessure au genou, ne 243. L'indication de ces documents m'a été

donnée par M. le Dr F. Schlie, directeur de la Galerie de peinture,de Schwerin, dont

je suis-heureux de reconnaitre l'obligeance.

384 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Pour en revenir à l'Opération sur le dos du musée de Frankfort, nous

rappellerons les remarques que nous avons faites à propos des Opéra-

tions sur l'épaule. Il serait aussi hasardeux de préciser la nature de la

maladie que celle de l'intervention ; cependant le siège du mal à la par-

tie supérieure du dos, près de la base du cou, peut laisser supposer qu'il

est question de l'ouverture d'un furoncle où d'un anthrax fréquents dans

cette région et nécessitant un assez large débridement. Nous savons en

effet que, dès la fin du XVIe siècle, les barbiers s'engageaient par serment

à « n'administrer aucune médecine, laxative, ou altérative, ou conforla-

tive » (1), tandis qu'ils inlervenaient pro furunculis, boscitiik et apostentct-

tib1lS.

Mais ne demandons pas à Brouwer de nous dire plus qu'il ne veut.

Une grimace de douleur et d'effroi contrastant avec un masque sévère,

ou indifférent, voilà ce qui séduit son pinceau humoristique et réaliste.

Le bistouri, le filet de sang tranchant sur la peau brune ne sont la que

pour établir un lien entre ces deux expressions de physionomie.

D'une scène de médecine populaire, entrevue par la 'porte de quelque

misérable officine, le peintre a surtout retenu le pittoresque des person-

nages et leurs attitudes comiques.

Le bohème incorrigible que fut toute sa vie Adriaen Brouwer devait

faire peu de cas des détails techniques. Mais nul, mieux que lui, n'est

capable de nous montrer la condition précaire de cette chirurgie de bas

étage, et chacune de ses peintures inspirées par des scènes de ce genre

nons fait pénétrer plus avant dans l'intimité des moeurs médicales'de son

temps. '

z1) Telle était la formule consacrée pour le serment que prêtaient les barbiers de

Paris, tous les ans, à la St Luc.

TABLE DES MATIÈRES

Application de la méthode de Roentgen

(note sur 1'), par Albert Londe, 1.

Applications chirurgicales de photog¡'a-

phie de oeM<.</6,par Pierre DLCBeT,93.

Attitudes anormales, spontanées ou pro-

voquées dans le tabès dorsal sans an-

th1'opatltie, par FRENKEL et MAURIGE

Faure, 189.

Clonographe, appareil pour enregistrer

les hyperkinèses de la tête et des extré-

mités, par G. Rossolimo, 33.

Déformations de la main et des doigts

consécutives à V ostéite syphilitique (une

observation avec photographie Roentgen,

cliché A. Londe), par A. Chipault, 152.

Documents' inédits sur les démoniaques

dans l'art} par PAUL Rrcrrux et Henry

.11EIGE, 99.

Faisceau latéral pédonculaire (faisceau

de 1'zzrelc,sa terminaison corticale), par

P. C. J. VAN BRERO, 206.

Gomme syphilitique double de la moelle

épinière ayant déterminé un syndrome

de Brown-Séquard bilatéral avec disso-

ciation syringomyélique, par V. HANOT

et H. Meunier, '49.

IIémart1wose tabétique, parJ.-B. Charcot

et HENRI Diwour, 265.

« Homme momie ». Sclérodermie géné-

ralisée congénitale, par le professeur

Grasset, 258.

Infidélité du borax dans le traitement

de l'épilepsie et sur un accident de cette

médication (note sur l') (purpura bori-

que), par CI ! , Féré, 197.

Maccus, Polichinelle et l'Acromégalie,

par A. Souques, 375.

La Maladie de laFille de Saint-Geosmes,

par Henry MEIGE, 223.

Mal de Pott avec grandes déformations,

par Benjamin VEIL, 158.

Les Nams et les Bossus dans l'Art, par

Henry MEME, 161.

Paralysies arsenicales, par le Professeur

F. RAYMOND, 321.

Les Peintres de la médecine. Peintures

murales de Pompéi. Enée blessé, par

Henry MEME, 36.

Les Peintres de la médecine. Les Opéra-

tions sur l'épaule,par Henry 11TEIGE,31G.

Les Peintres de la médecine. Opérations

sur le dos, par Henry Meige, 381.

Rhumatisme des petites jointures et

pieds plats valgus douloureux dans

la blennorrhagie, par L. BIZARD, 27.

Syndrome de Broion-Sequard bilatéral

avec dissociation syrzrxgomyélique, par

V. HANOT et H. Meunier, 49.

Syphilis héréditaire de la m oe lle cp iraière,

par GILLES DE la TODRETTE, 80, 109.

Syphilis héréditaire (Localisations spi-

nales de la), par G. GASNE, 278, 352.

Syringomyélie avec anesthésietotate, par

le professeur P. Raymond, 5.

Tabes supérieur avec conservation des

réflexes (un cas de), par E. LEXOBLE,

17.

Troubles trophiques des ongles au cours

de l'hystérie et de la maladie de Ray-

naud, par GABRIEL DELA : MARE, 370.

TABLE DES AUTEURS

BIZARD (L.). Rhumatisme des petites join-

tures et pieds plats, valgus douloureux

dans la blennorrhagie, 27.

BRERO (VAN). La terminaison corticale du

faisceau latéral pédonculaire (faisceau

de Turck), 206.

Charcot (J.-B.) et DUFOUR (HENRI). Hé-

marthrose tabétique. 265. '

Chipault (A.). Déformations de la main et

des doigts consécutives à l'ostéite sy-

phylitique (une observation avec photo-

graphie Roentgen, cliché A. Londe), 152.

DELAMARE (G.). Troubles trophiques des

ongles au cours de l'hystérie et de la

maladie de Raynaud, 370.

DELBET (Pierre). Applications chirurgicales

de photographies de Roentgen, 92.

DUFOUR (H.) et Charcot (J.-B.). Hémar-

throse tabétique.

Féré (Cil.). Infidélité du borax dans le

traitement de- l'épilepsie et sur un acci-

dent de cette médication (purpura bori-

que;, 197. ,

Frenkel et FAURE (1MAURICE). Attitudes

anormales spontanées ou provoquées,

dans le tabes dorsal sans arthropathie,

189.

GASNE (G.). Localisations spinales de la

syphilis héréditaire, 278, 352.

Gilles DE la Tourette. La syphilis héré-

ditaire de la moelle épinière, 80.

Grasset. « Homme momie ». Scléroder-

mie généralisée congénitale, 258.

HANOT (V.), Meunier (H.). Gomme sy-

philitique double de la moelle épinière

ayant déterminé un syndrome de Brown-

Sequard bilatéral avec dissociation sy-

ringomyélique, 49.

LENOBLE (E.). Tabes supérieur avec con-

servation des réflexes, 17.

LONDE (A.). Application de la méthode de

Roentgen, 1.

MEIGE (Henry). Maladie de la fille de Saint-

Geosmes, 223.

Mette (Henry). Les nains et les bossus

dans l'art, 161.

NEIGE (Henry). Les peintres de la méde-

cine. Peintures murales de Pompéi. Enée

blessé, 36.

MEIGE (Henry). Les peintres de la méde-

cine. Les opérations sur l'épaule, 316.

MEIGE (Henry) . Les Peintres de la méde-

cine. Les opérations sur le dos, 381.

RAYMOND (P.). Syringomyélie avec anes-

thésie totale, 5.

RAYMOND. Paralysies arsénicales, 321.

Rtcmca (PAUL) et MEIGE (Henry). Docu-

ments inédits sur les démoniaques dans

l'art, 99.

Rossotmo (G.). Le clonographe ; appareil

pour enregistrer les hyperkinèses de la

tête et des extrémités, 33.

Souques. Maccus, Polichinelle et l'Acro-

mégalie, 375.

'VEIL (Benjamin). Mal de Pott avec grande

déformation, 158.

TABLE DES PLANCHES

Atrophie du lobe temporal gauche chez

une épileptique, XXXVI.

Attitudes anormales dans letabes,XXVIII

XXIX, XXX, XXXI, XXXII.

Déformations de la main et des doigts con-

sécutives à l'ostéite syphilitique, XX,

XXI.

Documents inédits sur les Démoniaques

dans l'art (Bas-relief de Nicolas de Pise)

XV, XVI, (une possédée du Sodoma.)

Statue en marbre. « L'image du Dé-

lire ». XVII.

Enée blessé, peinture murale de Pompéi,

VII.

Faciès dans un cas de tabes supérieur,

III.

Gommes syphilitiques de la moelle (cou-

pes), IX, X.

Hémarthrose tabétique, XLII.

Homme-momie (Sclérodermie généralisée

congénitale), XXXVIII, XXXIX, XL et

XLI.

Instruments de chirurgie découverts à

Pompéi, VIII.

Laxité extrême des ligaments de l'articu-

lation de la hanche chez les tabétiques,

XXXIII, XXXIV.

Localisations spinales de la syphilis hé-

réditaire, XLIV, XLV, XLI et XLVII.

Luxation du coude, fracture de jambe

(photographies Roentgen), XIII, XIV.

Mains contenant des projectiles (photo-

graphies Roentgen), XI, XII.

Mal de Pott avec grandes déformations,

XXII, XXIII. 1

Nains de Jan Van Kellen, XXVII.

Nain sur une fontaine en bronze de Va-

l lerio Cioli, XXIV.

Nain de Molenaer dans son tableau : l'A-

telier du Maître, XXVI.

Nain rachitique dans le tableau de Jean

Steen : La Ménagerie, XXV.

Opération sur l'épaule, gravure d'après un

tableau de D. Teniers le Jeune, XLIII.

Opération sur le dos d'après un tableau

d'A. Brouwer, L.

Photographie Roentgen (aileron de fai-

san), I, lI.

- Rhumatisme blennorrhagique des doigts,

V, VI.

Pied plat dans la blennorrhagie, IV.

Purpura borique, XXXV.

Syphilis héréditaire et tabès (arthropathies

des hanches, des genoux et des pieds),

XVIII, XIX.

Troubles trophiques des ongles dans l'hys-

térie, XLVIII et TLIX.

TABLE DES FIGURES

Bossu de l'art égyptien (mal de Pott), 20,

21.

Clonographe, 3.

Gomme syphilitique double de la moelle

épinière, 13, 14, 15, 16, 17.

Maccus, statuette en bronze, 43 et 44.

Paralysies arsenicales, 30, 31, 32, 33, 34,

35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42.

St Antoine de Padoue guérit un possédé,

19.

St Rombaut guérissant un possédé, 18.

Syndrome de Brown-Sequa1'd bilatéral

(schémas des troubles moteurs et sensi-

tifs), 10, 11, 12.

Syringomyélie avec anesthésie totale, 1,2.

Tracés obtenus avec le clonographe, 4,

5,6,7, 8,9.

Terminaison corticale du faisceau latéral

pédonculaire (coupes), 22, 23, 24, 25, 26,

27,28,29.

Le gérant : P. Uouchez.

Imp. G. Saint-Aubin et Thcvenot. - J. TIIEVENOT, Successeur, Saint-Dizier (Haute-Marne).