NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE ?
LA SALPÊTRIÈRE
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
z ? -Imprimeries réunies, B, rue Mignon, '2. \IAY el Motteroz, directeurs.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA
SALPÊTRIÈRE
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION
Du PROFESSEUR CHARCOT (DE L'INSTITUT)
PAR
PAUL RICHER GILLES DE la TOURETTE
CHEF DU LABORATOIRE ANCIEN CHEF DE CLINIQUE
ALBERT LONDE GEORGES GUINON
DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE CHEF DE CLINIQUE
PAUL BLOCQ
CHEF DES TRAVAUX ANATOMO-PAT110LOGIQUES
TOME QUATRIÈME
Avec 79 ligures intercalées dans le texte et 48 planches
,) PARIS
VEUVE BABÉ et Oie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE
1891
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
CONTRIBUTION A L'ETUDE
DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS »
DES MALADIES ORGANIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 1
(Sclérose en plaques, paraplégie, tabes, amyotrophie et syringomyélie)
a Il faudra dorénavant compter avec l'hystérie. Nous, en par-
« ticulier, qui, par profession, sommes voués à cultiver spccu-
le lement le champ nenropatliologique, nous ne devrons jamais
« oublier que les types les plus divers d'.dfeclion" organiques
« spinales avec lesquelles nous sommes aujourd'hui famili·uis ?
« pourront, à chaque instant, dans la catégorie de 1'liNsté-le,
a rencontrer un pendant, un représentant, un « sosie » pOlit
« mieux dirc, qu'il noua faudra savoir démasquer. à
J.-11. Charcot, Leçons du mardi (28 juin 1880, p. 522 .
I
INTRODUCTION .
La grande névrose est la grande simulatrice. « L'affection hystérique,
« disait Sydenham en 1681, n'est pas seulement très fréquente, elle se
' « montre encore sous une infinité de formes diverses, et si le médecin
« n'a pas beaucoup dé sagacité et d'expérience, il se trompera aisé-
« ment et attribuera à une maladie essentielle et propre à tel organe,
« les symptômes qui dépendent uniquement de l'affection hystérique. »
Deux siècles se sont écoulés, et l'assertion de Sydenham n'a jamais
cessé d'être vraie. L'hystérie, après des vicissitudes diverses, a défini -
1. Notre maître, M. le professeur Charcot, nous a donné l'idée de ce travail et dirigé dans
cette étude. Qu'il nous permette de le remercier profondément de sa bienveillance et des
conseils qu'il nous a prodigués.
IV. 1
2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
tivement acquis droit de cité dans la nosographie. Grâce à l'impulsion
féconde donnée par notre maitre, M. le professeur Charcot, son domaine
a été mieux exploré, ses limites mieux tracées; ses manifestations cli-
niques chez l'homme comme chez la femme, ses agents provocateurs,
ses parentés morbides mieux étudiés ; les règles et les lois qui la ré-
gissent exactement formulées. Et cependant le dernier mot n'est pas dit.
L'essence même de la névrose, son substratum anatomique, sont encore
livrés aux hypothèses. En ne considérant même que le côté clinique, on
pourra encore écrire -de nombreux volumes sans épuiser la matière.
Les erreurs, les difficultés dont parle l'auteur anglais, étaient bien
naturelles à une époque où on n'avait sur l'hystérie que des notions
vagues et incertaines et où on était obligé de procéder par exclusion.
« Lorsque, dit-il, j'ai bien examiné une malade et que je ne trouve
rien en elle qui se rapporte aux maladies connues, je regarde l'affec-
tion dont elle est atteinte comme une hystérie. »
Nous avons, à l'heure actuelle, le droit et le devoir d'être plus dif-
ficiles, de nous appuyer sur des signes positifs et de ne qualifier d'hys-
tériques que les malades qui présentent quelques manifestations de la
névrose. Et même, dans les cas exceptionnels, du reste, d'hystérie
« monosymptomatique », l'évolution et les circonstances mêmes du
fait permettent d'ordinaire de se prononcer en connaissance de cause.
L'hystérie peut tout simuler : diverses affections des systèmes respira-
toire, digestif, etc., comme diverses maladies du système nerveux.
Pour ce qui concerne la pathologie cérébrale, on sait aujourd'hui que
la névrose peut revêtir le masque de l'apoplexie, de la méningite tuber-
culeuse, des tumeurs syphilitiques, de l'hémorrhagie, du ramollisse-
ment cérébral, etc., et que le diagnostic offre parfois de sérieuses dif-
ficultés. Quant à ce qui touche la pathologie des nerfs périphériques,
sans parler des névralgies, l'observation récente de MM. Chantemesse
et Widal, n'est-elle pas une preuve remarquable de la simulation par
l'hystérie des troubles caractéristiques des névrites périphériques ?
Mais ce sont là deux catégories de faits que nous n'avons pas l'intention
d'aborder. Nous voulons nous borner à un côté peu exploré
jusqu'ici : à la simulation par l'hystérie des maladies organiques de
la moelle épinière. Nous avons, dans ce but, parcouru la littérature
médicale française et étrangère, avec l'espérance d'y trouver des ensei-
gnements précieux, et nous n'avons rencontré que des faits épars,
isolés, pour la plupart incapables d'entraîner la conviction. On pour-
rait, à notre avis, les diviser en deux groupes :
1° Dans le premier, de beaucoup le plus nombreux, il s'agit de faits
classés sous les rubriques les plus diverses. Tantôt▶ l'hystérie, un instant
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». ;i
soupçonnée, a été éliminée pour d'étranges raisons; ◀tantôt▶, elle n'a
même pas été entrevue, preuve convaincante que la simulation était
parfaite. Assez souvent, une guérison inexplicable, une autopsie néga-
tive sont venues, sinon convaincre les observateurs, du moins fournir
aux critiques rétrospectives une base légitime. Mais nous ne voulons
pas faire ici un procès de tendance. On pourrait nous répondre, avec
juste raison, que lire les détails d'une observation et avoir sous les
yeux le malade sont deux choses différentes. Nous sommes, du reste,
convaincu que, bien souvent, ce qui laisse des doutes dans l'esprit du
lecteur, peut être de toute évidence pour le clinicien qui a observé le
cas. Aussi ne rapporterons-nous pas ici ces observations.
Au surplus, nous risquerions d'être incomplet : la bibliographie de
l'hystérie et des affections de la moelle est beaucoup trop riche pour
qu'on ne laisse rien échapper. Et puis, ces citations seraient superflues.
La plupart de ces faits ne valent pas; ils ont été observés à une époque
déjà éloignée, à une époque où certains agents provocateurs de la né-
vrose hystérique : traumatismes, intoxications saturnine, mercurielle,
alcoolique, etc., n'étaient pas encore connus et où l'hystérie mâle n'é-
tait pas monnaie courante. Bref, ils ne sont pas utilisables. On peut y
soupçonner l'hystérie sans pouvoir l'y démontrer avec certitude. Par
contre, pour quelques-uns d'entre eux, le doute n'est plus permis :
il s'agit d'hystérie méconnue. Nous en rapporterons plus loin quelques
exemples démonstratifs.
2° Dans le second groupe, la névrose a été reconnue plus ou moins
tôt, et elle a été seule rendue responsable de tous les méfaits. Inutile
d'ajouter que ces derniers cas sont rares et ne datent que d'hier.
En résumé, la littérature de l'hystérie simulatrice est très pauvre, et
cette pénurie tient à ce que, d'une part, on ne s'est pas assez attaché
à rechercher les stigmates de l'hystérie et que, d'autre part, la copie
a été si parfaite qu'elle n'a éveillé aucun soupçon.
Notre but est d'appeler l'attention sur ce sujet, en étudiant non pas
la simulation hystérique de toutes les maladies de la moelle le pro-
gramme serait trop vaste et trop au-dessus de nos forces mais uni-
quement la simulation par l'hystérie des maladies organiques spinales
et en particulier du tabès, de la sclérose en plaques, de la syringomyélie,
des paraplégies et des amyotrophies. Il s'agit là d'un problème hérissé
de difficultés que nous essayerons d'aborder, sinon de résoudre. Nous
espérons démontrer, avec observations à l'appui, que, dans des cas
déterminés, les signes de l'hystérie se réunissent, se groupent chez un
même individu, pour constituer des syndromes, et que ces syndromes
peuvent reproduire, avec une fidélité plus ou moins grande, les traits
4 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S1LI'$TItI$IiE.
d'une maladie organique de la moelle. Et comme corollaire obligé,
nous signalerons les caractères qui permettent de dépister cette simu-
lation, et, par conséquent, dans les cas complexes d'association hystéro-
organique, de faire la part respective de chacun des deux facteurs.
Point n'est besoin d'insister sur la grande importance pratique de la
solution de ce problème. Cette solution est absolument nécessaire à la
constitution d'un bon pronostic et d'un traitement rationnel, ce qui
est en somme le but de la médecine.
II
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
La simulation, dans le sens restreint où nous emploierons ce
terme, signifie simplement le degré plus ou moins parfait de ressem-
blance entre deux choses, l'imitation d'une chose par une autre, c'est-
à-dire, dans l'espèce, d'une maladie organique spinale par l'hystérie.
Pour quelles raisons la névrose simule-t-elle les maladies organiques
de la moelle ? Question délicate s'il en fut, à laquelle il est difficile de
donner une réponse absolument satisfaisante. Quoique les maladies du
système nerveux forment des espèces morbides radicalement distinctes,
elles appartiennent toutes à une même famille, professe M. Charcot, et
sont indissolublement liées par les liens de l'hérédité'. Il n'y a donc
rien d'étonnant à ce que deux membres de cette famille présentent une
ressemblance plus ou moins frappante. Ici, comme en histoire natu-
relle, un ancêtre commun, une origine commune, sont des raisons
suffisantes pour expliquer cette ressemblance.
D'autre part, il est dans la nature même des névroses, etdel'hystéric
surtout, de revêtir le masque des maladies organiques en leur emprun-
tant leurs symptômes, leur évolution et leur physiologie pathologique.
« Leur symptomatologie, dits. Charcot, se rapproche toujours, et soit-
vent très étroitement, de celle qui se rattache aux maladies à lésions
matérielles. Et la ressemblance est parfois si frappante qu'elle rend le
diagnostic des plus ardus. On a quelquefois désigné sous le nom de
neuromimésie, cette propriété qu'ont les affections sine materia de
simuler les maladies organiques... Cette ressemblance, qui désespère
parfois le clinicien, doit servir d'enseignement au pathologiste, qui,
derrière le syndrome commun, entrevoit une analogie de siège anato-
9. Féré, la Famille névropatliique (Arch. de Neurvlogie, 1884).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». r,
mique, et, mutatis mutandis, localise la lésion dynamique d'après les
données fournies par l'examen de la lésion organique correspondante.
Et ceci nous conduit à reconnaître que les principes qui régissent l'en-
semble de la pathologie sont applicables aux névroses, et que, là
aussi, on doit chercher à compléter l'observation clinique, en pensant
anatomiquement et physiologiquementl. »
Citons encore une troisième raison : qu'un hystérique vive à côté
d'un malade atteint d'organopathie spinale, il n'en faut pas plus pour
que, par esprit d'imitation, par suggestion, iln'arriveà présenter bien-
tôt, dans des cas donnés, un ensemble symptomatique analogue à celui
de son voisin.
Il est donc possible, en raisonnant par analogie, en tenant compte
des parentés morbides, de la nature. de la névrose hystérique, et de
la contagion nerveuse, de concevoir sinon d'expliquer la simulation
hystérique. Au reste, l'explication importe peu; les faits ont leur
langage qui se passe de commentaires. La condition nécessaire et
suffisante, c'est que l'hystérie puisse réaliser sur le vivant une sympto-
matologie analogue à celle des scléroses médullaires. Or le fait est
réel, et il y a peu de symptômes organiques spinaux qu'elle ne puisse
reproduire avec fidélité.
Depuis les travaux de Duchenne de Boulogne et les recherches
anatomo-cliniques de l'École française, les affections de la moelle épi-
nière ne sont plus confondues dans un chaos inextricable. Elles ont
acquis une précision que la pathologie du cerveau et des nerfs péri-
phériques ne connaît pas encore (elles sont du reste les plus fréquentes
et sollicitent chaque jour l'attention des médecins). Leur sympto-
matologie générale est essentiellement caractérisée par la triade des
troubles sensitifs, moteurs et trophiques. Eh bien, il n'est peut-être
pas une seule de ces manifestations qui, prise en détail, ne puisse être
rencontrée dans l'hystérie a\ec des caractères similaires.
Les troubles moteurs : paralysies, convulsions, incoordination, trem-
blements, se retrouvent dans la névrose avec unefréquenceconsidérable
et avec des caractères analogues.
Les troubles sensitifs : douleurs, névralgies, anesthésie, hyperesthésie,
fourmillement, perte du sens musculaire, etc., appartiennent à la fois à
l'hystérie et aux rnyélopathies.
Les troubles trophiques et vaso-moteurs : vésicules, bulles, zona,
érythèmes, troubles de la calorification, amyotrophies, etc., ont long-
temps servi de lignes de démarcation entre l'hystérie et les affections
1. Charcot, Leçons sur les maladies du syst. nerv., t. III, p. 1G.
G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
organiques de la moelle. Nous verrons plus loin que cette barrière n'a
plus de raison d'être; qu'on rencontre ces troubles trophiques dans la
névrose; que l'amyot1'ophie elle-même, n'y est pas rare et qu'elle peut
s'accompagner de réaction de dégénérescence.
La fièvre hystérique elle-même n'est plus à démontrer, et, au cours
de ce travail, nous en rapporterons incidemment un exemple de très
longue durée. Il n'est pas enfin jusqu'aux phénomènes accessoires que
l'on constate parfois dans les affections spinales : troubles digestifs, res-
piratoires, génito-urinaires, etc., qui n'aient leur représentant dans
la grande névrose.
Il ressort de ce court aperçu qu'on rencontre dans l'hystérie les élé-
ments primordiaux des maladies de la moelle. Que, chez certains
hystériques, ces éléments symplomatiqties se réunissent, suivant des
lois déterminées, se groupent de diverses manières, et ils constitueront
des syndromes hystériques simulateurs ; c'est le nom sous lequel nous
pouvons désigner ces formes cliniques de la névrose.
On conçoit donc que, dans ces conditions, les difficultés puissent
être considérables. Deux cas peuventse présenter en clinique; ◀tantôt▶ le
malade présente des stigmates actuels d'hystérie; ◀tantôt▶ ceux-ci font
défaut.
(a) Dans le premier cas, qui constitue la règle générale, le problème
est le suivant. Démontrer :
1° Que le malade est hystérique;
2o Qu'il n'est qu'hystérique.
Nous ne parlerons pas déjà première proposition, puisque, d'après
les données du problème, le malade présente des stigmates hystériques.
Pour les constater, il suffit de prendre la peine de les rechercher. La
deuxième proposition soulève plus de difficultés. L'hystérie ne donne
pas un brevet d'immunité contre les maladies organiques de la moelle,
bien au contraire; pour être hystérique on n'est pas a l'abri des sclé-
roses spinales. Il faudra donc s'attacher à prouver que l'hystérie seule
est en cause et, pour cela, se livrer à une investigation minutieuse :
analyser avec méthode les caractères de chaque symptôme, interroger
l'hérédité, l'étiologie, les commémoratifs; noter scrupuleusementl'évo-
lution des accidents; s'assurer, en un mot, que rien ne relève d'une
lésion organique.
(b) Dans le second. cas, il s'agit de faits rarissimes qu'on désigne sous
le nom d'hystérie monosymplomaligiae, autrement dit d'hystérie
révélée par un symptôme unique. C'est dans ces cas que le problème
est difficile. Pour affirmer la nature hystérique, il faut s'entourer de
tous les renseignements imaginables, rechercher dans le passé l'existence
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 7
d'une manifestation hystérique quelconque, s'appuyer sur le mode de
début et sur les circonstances mêmes dans lesquelles cetaccidents'est
produit. Il ne faudra jamais perdre de vue que, dans la névrose, l'acci-
dent actuel n'est qu'un épisode, un anneau d'une chaîne lié aux autres
par des liens ininterrompus mais parfois difficiles à voir. Or, dans la
vie d'un hystérique, on ne connaît rien quand on ne connaît qu'un
épisode.
A côté de ces syndromes hystériques simulateurs, que nous aurons
exclusivement en vue dans ce mémoire, doivent se placer les associa-
tions hystéro-organiques. Parce que l'hystérie peut simuler une affec-
tion spinale, cela ne veut pas dire qu'elle ne puisse cohabiter, chez un
même individu, avec une myélopathie. Cette question des associations
« hystéro-organiques » a été, dans ces dernières années, mise en lu-
mière par M. le professeur Charcot. Nous en citerons, à titre de con-
traste, quelques exemples démonstratifs.
Dans ces cas d'association, les deux affections évoluent chacune pour
leur propre compte, parallèlement, sans influence notable l'une vis-
à-vis de l'autre. L'hypothèse qui voudrait attribuer toutes les manifes-
tations à une seule maladie, à l'hystérie ou à la myélopathie, reposerait
sur une erreur grossière. Sans doute, la théorie d'unicité causale peut
paraître simple et séduisante, mais les théories les plus simples ne sont
pas fatalement les plus vraies. Il n'y a pas d'hybrides en neuropathologie,
professe M. Charcot. Les espèces nosologiques ont une fixité remar-
quable, elles ont droit au respect.
Les associations morbides d'hystérie et de tabes, d'hystérie et de
sclérose en plaques, etc., existent donc. Dans ces cas, s'agit-il tou-
jours d'une seule et même névrose hystérique ? L'hystérie ne serait-elle
pas ici un symptôme de la lésion spinale et n'aurait-elle pas de carac-
tères particuliers ? Les avis sont partagés. MM. Charcot, G. Guinon', ',
Brissaud, etc., pensent que l'hystérie, sous quelque forme qu'elle se pré-
sente, quel que soit son agent provocateur, reste toujours identique à
elle-même, une et indivisible. 11 n'y a pas d'hystéries symptomatiques.
La névrose peut en effet précéder l'affection spinale, elle peut aussi lui
survivre. Elle en est donc indépendante, quantàsanature, même quand
elle est provoquée par elle. «Toutes les hystéries, dit excellemment
M. Brissaud, qu'on pourrait appeler accidentelles, ne sont en somme que
l'hystériesans adjectif. Inégales, sclonles cas, quantàleurs symptômes,
- elles sont rigoureusement équivalentes, quant à leur nature. C'est au
point de vue nosographique, la même espèce morbides
1. Guinon, les Agents provocateurs (le l'hystérie. Th. de Paris, 1889.
2. Brissaud, les Hystéries provoquées (Gaz. des hop., n° 131).
8 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Et pour revenir au problème que nous avons posé, à savoir : dépis-
ter la simulation hystérique, en outre des caractères que nous avons
énumérés et que nous étudierons plus tard en détail, il faudra sans
cesse se rappeler que l'hystérie est sujette à des lois précises. « Rien
n'est laisséau hasard, dit M. Charcot1 ; tout s'y passe au contraire sui-
vant des règles toujours les mêmes, communes à la pratique de la ville
et à celle de l'hôpital, valables pour tous les temps, pour toutes les
races, universelles par conséquent. » L'hystérie a son histoire natu-
relle ; elle ne forme pas dans la pathologie une classe à part; elle est
régie par les lois physiologiques communes. «Ces règles, une obser-
vation attentive et suffisamment multipliée permettra toujours de les
dégager. » Mêmedansles variétés frustes, dégradées, quiconque possède
laformule pourra toujours les ramener au type fondamental. C'est sans
doute pour avoir ignoré ou méconnu cette formule générale qu'on a
commis des méprises regrettables. Non pasqueces erreurs soient toujours
sans excuses; il faut avouer que, trop souvent, les difficultés accumu-
lées comme à dessein, semblent défier les cliniciens les plus habiles.
Mais n'est-ce pas une raison de plus pour essayer de les surmonter ?
Si nous ne craignions de soutenir une opinion trop voisine du para-
doxe, nous dirions volontiers qu'à l'heure actuelle, en nosologie spi-
nale, il n'y a qu'un seul grand diagnostic à faire : celui de l'hystérie.
En effet, les maladies de la moelle nous sont aujourd'hui trop fami-
lières pour que le clinicien puisse les confondre entre elles. Règle
générale, il est toujours aisé de différencier le tabes de la sclérose en
plaques et celle-ci de la syringomyélie, etc. Nous ne pourrions en dire
autant de l'hystérie et des myélopathies ; nous n'en voulons pour
témoignage que les erreurs nombreuses qui ont été commises par des
médecins très au courant de la neuropathologie. Ces erreurs doivent
nous servir d'enseignement. Il faut donc toujours songer à l'hystérie,
et chercher à démontrer qu'elle est ou qu'elle n'est pas en jeu. En
présence de tout nerveux on doit aujourd'hui faire, de parti pris,
systématiquement, la recherche méthodique des stigmates, car l'hystérie
est toujours imminente, solitaire ou associée.
La constitution du pronostic et du traitement est intimement liée à
la solution du problème. Dans la règle, le pronostic des affections
spinales est sombre et fatal; les manifestations hystériques sont d'or-
dinaire bénignes. Le contraste est frappant; et, lorsqu'on voit survenir
chez tel malade donné une guérison brillante, au grand étonnement
de l'entourage et à la confusion des médecins, c'est assurément que
1. Charcot, loc.cil., t. III, p. il. t
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 9
les éléments du pronostic reposaient sur un diagnostic erroné. Cepen-
dantle pronostic de l'hystérie n'est pas univoque. Tandis que certaines
manifestations de la névrose sont bénignes, transitoires, il en est
d'autres qui sont permanentes et graves. Et c'est incontestablement à
cette dernière catégorie qu'appartiennent les syndromes hystériques
que nous étudierons ; c'est une gravité qu'il est aisé de prévoir si on
réfléchit à la nature de leurs manifestations : amyotrophies, troubles
paralytiques, etc. Dans cette appréciation, il faut encore tenir compte
des éléments tirés de l'âge et du sexe. Ces syndromes sont surtout
l'apanage des adultes; or, chez eux, l'hystérie est plus grave que dans
l'enfance; ils semblent aussi beaucoup plus fréquents chez l'homme.
Or le pronostic grave de l'hystérie mâle est aujourd'hui parfaitement
établi.
En réalité, les syndromes hystériques simulateurs des affections de
la moelle peuvent durer des années, devenir une véritable infirmité à
vie sans qu'on puisse le prévoir dès le début. Mais, en définitive, ils
restent curables, et c'est précisément à cause de cette curabilité que le
diagnostic s'impose; un traitement convenablement dirigé pouvant
avoir raison de ces accidents. Le malade guérira. Quand et comment ?
C'est ce qu'il est impossible de dire. Il gardera peut-être toujours un
souvenir indélébile de la névrose. Si on sait quand et comment on
tombe dans l'hystérie, il est impossible de prédire comment et quand
on en sortira. La résurrection peut se faire longtemps attendre.
Ces considérations générales nous paraissent devoir assombrir, d'une
manière indirecte, il est vrai, le pronostic des maladies de la moelle.
Règle générale, les myélopathies évoluent progressivement vers la ter-
minaison fatale; assurément cette évolution peut être entrecoupée par
des arrêts, des rémissions de longue durée que l'on qualifie volontiers
de guérison. Mais peut-il y avoir guérison absolue, rétrocession com-
plète, sans qu'il persiste de l'affection spinale le moindre vestige orga-
nique, la moindre trace clinique ? C'est une affirmation qu'il serait bien
imprudent d'avancer, étant donné l'état actuel de nos connaissances.
Et on pourrait appliquer aux myélopathies organiques ce que M. le
professeur Charcot dit quelque part de l'ataxie locomotrice progres-
sive : « Quand on est entré dans le tabes, on n'en guérit jamais com-
plètement. » .
Nous ne voulons parler ici que des affections organiques spinales
qui appartiennent à la grande famille neuropathologique. Nous excep-
tons en effet les myélopathies « accidentelles », comme les paraplégies
par compression lente. Ici, en effet, la guérison complète est possible,
malgré la persistance de certaines lésions spinales, et encore n'est-elle
10 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA 5 : 1L1')i1'nII;ItE.
pas absolument radicale et la récidive est-elle toujours imminente. Ces
réserves faites, on a le droit jusqu'à nouvel ordre de suspecter leur
guérison absolue et radicale. Que ces cures merveilleuses relèvent de
l'hypnotisme, de l'action d'un miroir rotatif ou de tout autre méthode
thérapeutique, on est en droit de rester sceptique, incrédule même. Il
pourrait bien s'agir tout simplement d'une méprise, d'un syndrome
hystérique méconnu qui a guéri, comme toutes les manifestations de
la névrose peuvent guérir : spontanément ou à la suite d'une cause
banale. Et ici le raisonnement est en parfait accord avec la clinique;
il est bien difficile de concevoir la disparition complète, absolue, d'une
lésion médullaire organique. Nous croyons, pour dire toute notre
pensée, que ces guérisons doivent être reportées, pour la plupart, à
l'actif de l'hystérie.
Mais si, du côté des cures organiques, le charme est rompu, il est
par contre consolant de songer qu'il est aujourd'hui toujours possible
de découvrir l'hystérie sous un masque qui nous est encore peu connu,
et de prédire la guérison d'une maladie qu'une méprise faisait consi-
dérer comme incurable. Et même lorsqu'un examen bien conduit aura
démontré l'existence d'une association morbide « hystéro-organique »
l'espérance est légitime et la thérapeutique ne sera pas désarmée ; elle
pourra toujours combattre avec espoir de succès l'élément hystérique.
11 n'est pas indifférent pour un malade atteint de tabes, par exemple,
d'être débarrassé de combinaisons hystériques essentiellement cu-
rables.
III. PREMIÈRE PARTIE
DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES SIMULATEURS DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES
L'hystérie est le type parfait des névroses ; la sclérose en plaques
représente le type des maladies organiques. Ce sont pourtant là les
deux affections « névropathiques » qui présentent le plus d'analogies,
encore qu'elles paraissent tout d'abord si éloignées. Toutes les deux,
en effet, sont essentiellement caractérisées par la diversité de leurs
manifestations, par la fugacité de leurs symptômes.
Longtemps la sclérose multiloculaire est restée confondue dans le
chaos des myélites chroniques. Il y a trente ans à peine que Vu[-
pian et Charcot l'ont élevée au rang d'une entité morbide et en ont
magistralement tracé les caractères. Ils ont établi entre les lésions ana-
tomiques et les symptômes observés pendant la vie une relation de
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 11
cause à effet, montré que la diversité et la mobilité des manifestations
trouvent leur explication naturelle dans le siège varié des îlots de sclé-
rose et dans l'intégrité du cylindrax au sein de ces îlots. Aussi peut-on
facilement aujourd'hui, guidés par ces notions anatomo-pathologiques,
se donner la représentation mentale des formes cliniques de la sclé-
rose en plaques. Il suffit, pour cela, de parcourir le magnifique atlas
de Cruveilhier.
Nous ne voudrions pas laisser entendre par ces considérations qu'il
en sera bientôt de même de l'hystérie. Jusqu'ici, la névrose hystérique
ne repose pas sur une base anatomique appréciable, et il s'écoulera
vraisemblablement de nombreuses années avant que des méthodes
perfectionnées nous révèlent le substratum de la névrose. Mais, ici
comme là, il y a lésion.. Et en attendant le contrôle de l'histologie,
la clinique a un rôle prépondérant à remplir; elle doit constater, com-
parer les faits et formuler des lois.
Il est classique de décrire la sclérose en plaques sous quatre formes :
les formes cérébro-spinale, cérébrale, spinale et bulbo-protubérantielle.
A côté d'elles prennent place une infinité de formes frustes. L'hystérie
peut les simuler toutes; mais nous n'aurons ici en vue que la simula-
tion du type cérébro-spinal, le plus fréquent de tous. Sans compter
qu'en montrant que la névrose peut le reproduire fidèlement, c'est
démontrer, a fortiori, qu'elle peut prendre le masque des formes
incomplètes ou effacées.
Un symptôme domine le complexus morbide de la sclérose multilo-
culaire, c'est le tremblement à propos des mouvements voulus. Eh
bien, ce tremblement intentionnel, on peut le rencontrer dans l'hys-
térie. C'est là une donnée de date récente que nous devons à M. le
D' Rendu'. Cet auteur a parfaitement montré « que la névrose hysté-
rique se caractérise quelquefois par des tremblements rappelant d'une
manière frappante ◀tantôt▶ le type de la paralysie agitante, ◀tantôt▶ celui
de la sclérose en plaques ». Cinq mois après, lf. le professeur Pitres2
publiait une série d'intéressantes leçons sur le même sujet. Et, au
cours de la même année, notre collègue et ami M. Dutil faisait de
cette question une étude absolument complète, dans un mémoire des-
tiné à un concours (octobre 1889) et aujourd'hui en voie de publication.
Le 43 novembre 1880, M. le professeur Charcot consacrait à ces
mêmes tremblements une leçon magistrale qui vient d'être tout récem-
1. Rendu, Notes sur le tremblement hystérique et ses variétés (Soc. méd. des hôpitaux,
12 avril in89).
2. Pitros, Progrès médical, 1889.
3. Dutil, .\'oui. Iconoyr., 1sou. Contribution à l'élude des tremblements hystériques.
1 : ! NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S ALPÊT1U ÈRE.
ment publiée. Il donnaitdes Lremblemenlshystériquesuneclassificalion
qu'il est utile de reproduire ici, bien que nous n'ayons en vue que le
tremblement intentionnel :
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 13
hystérique ces signes réunis, et l'on aura la notion véridique d'un syn-
drome spécial. Et ce n'est- pas là une supposition toute théorique. Il
va nous être facile d'en démontrer la réalité par de nombreux exemples,
c'est-à-dire de faire voir qu'il est un syndrome hystérique simulant de
toutes pièces la sclérose en plaques, que la méprise a été maintes fois
commise et que nombre de cas décrits sous le nom de « pseudo-sclé-
rose » ne sont autre chose que des cas d'hystérie.
Nous allons ici étudier successivement :
I. Les syndromes hystériques simulateurs de la sclérose;
II. Les « pseudo-scléroses » ; -
III. Les associations de l'hystérie et de la sclérose en plaques;
1Y. Les principaux éléments du diagnostic différentiel.
CHAPITRE I
Syndromes hystériques simulateurs de la sclérose.
Nous n'aurons en vue dans ce chapitre que l'étude de certains « syn-
dromes hystériques » rappelant avec une fidélité plus ou moins grande
les traits multiples de la sclérose en plaques.
Les observations que nous allons rapporter nous paraissent décisives;
elles montrent avec une évidence parfaite la légitimité des considéra-
tions théoriques que nous émettions au début de,ce travail. ,
Ons. I (inédite). Syndrome hystérique simulateur de la sclérose en
plaques. - Louis D... it, quarante-ncuf ans, forgeron, entre le 21 juillet
1890, salle Priiss, dans le service de M. le professeur Charcot.
Antécédents héréditaires. Du côté de ses grands parents, on ne trouve
que peu de renseignements. Le père de sa grand' mère paternelle est mort
aliéné dans une maison de santé, près de Nancy. Son père est bien portant,
c'est un homme de soixante-dix-neuf ans, sobre, qui n'a jamais eu d'autre
maladie qu'une fluxion de poitrine. Sa mère est morte à cinquante-neuf ans :
elle était hémiplégique depuis quarante ans. Elle était très impressionnable;
la moindre chose la faisait trembler et l'empêchait de parler. Elle avait en
outre des migraines. Le malade a eu huit frères ou soeurs. Quatre sont
morts : trois en bas âge, de convulsions ; une de ses soell1'S est morte à vingt-
six ans de septicémie puerpérale; elle avait eu durant de longues années des
attaques de nerfs : à la moindre émotion, elle tombait par terre, raide, sans
connaissance, et restait ainsi vingt minutes sans reprendre ses sens. Ces at-
taques se renouvelaient une ou deux fois par mois en moyenne. D... a en-
core quatre frères; trois bien portants, l'un est migraineux. Du côté de' ses
oncles et tantes, rien d'intéressant à signaler dans la branche paternelle ; du
li NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
côté maternel, au contraire, ils sont tous coléreux, emportés, violents. Une
de ses tantes présente des attaques convulsives. Ses cousins maternels sont
tous violents, « insupportables » ; ils n'ont pas d'attaques de nerfs.
Antécédents personnels. - Dans son enfance, D... a toujours été faible
et délicat, sans faire jamais de maladie. A l'âge de douze ans, il a appris le
métier de forgeron qu'il a exercé jusqu'à quarante-six, sans être jamais ma-
lade. A dix-sept ans, blennorrhagie. Ni syphilis ni alcoolisme.
A vingt-cinq ans, il se marie. Il a eu trois enfants : l'un est mort de croup;
les deux autres sont bien portants. L'un d'eux, garçon de quatorze ans, actuel-
lement chez son oncle, a, paraît-il, très mauvaise tête, il est méchant pour
ses camarades : « J'en suis très fâché, dit son père... si j'étais là, je le mange-
rais plutôt ! »
Il ct cinq ans, notre malade a perdu sa femme après dix-huit mois de
maladie. Il a eu pendant tout ce temps beaucoup de chagrin et de fatigue :
il travaillait durement le jour et passait les nuits il veiller sa femme. Il a
dû contracter des dettes qu'il n'a pas encore entièrement payées. « Je ne
crois pas qu'un ouvrier ait pu supporter plus de malheurs que moi; j'étais
cependant très fort de caractère... Si encore je l'avais sauvée, ajoute-t-il,
je ne serais pas comme je suis aujourd'hui. »
Depuis la mort de sa femme, il est tombé dans la plus alfreuse trislesse :
sans cesse tourmenté, accablé de charges, il s'est surmené et a subi des pri-
vations de toute espèce. C'est au milieu de ces malheurs que sa maladie a
débuté par une céphalalgie très vive et par des douleurs dans le cou et entre
les épaules : il ne « sentait » pas sa tète ni ses épaules. En même temps sur-
venait un changement de caractère ; il devenait triste et taciturne, perdait
l'appétit et le sommeil, et passait ses nuits à songer il sa femme, à ses mi-
scres; il en rêvail même à haute voix.
Au mois de mars 1887, il arrive un lundi à la forge, cumme d'habitude,
avec sa « commande » pour la journée. Il va chercher son fer au magasin et
revient allumer la forge en disant à son frappeur : « Ya donc remplir les
baquets. » A peine le frappeur s'était-il retourné que D... est pris de vertige : .'
sa tète tourne, des brouillards passent devant ses yeux, sa céphalalgie
s'exaspère et il tombe sur un coin de plaque de fer. Si on n'avait couru aus-
sitôt à son secours, dit-il, il se serait brûlé. Il est resté quarante minutes
sans connaissance ; il n'aurait, au dire de ses camarades, ni crié, ni remué,
ni écumé. Il n'avait pas mordu sa langue, il n'avait pas uriné sous lui.
Quand il a repris ses sens, il était paralysé du côté droit et aphasique- 11 ne
sait pas si sa figure était déviée. Consécutivement il est resté cinq mois au
lit; la parole serait revenue peu à peu, lout en restant toujours embarrassée
comme elle est aujourd'hui. L'hémiplégie s'est également amendée, mais
le côté droit est toujours depuis lors resté plus faible que le gauche. Au bout
de cinq mois, il quittait le service de M. le professeur G. Sée et reprenait son
travail qui lui était plus pénible et le fatiguait plus vite. Il y a dix-huit mois,
ri entre à Necker, dans le service de M. le professeur Dieulafoy pour un
tremblement survenu sans cause apparente. 11 se plaignait en outre de
ETUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 1 ?
céphalalgie, de vertiges fréquents, parfois suivis de chute lorsqu'il n'avait
pas le temps de s'asseoir. Le moral était encore plus affecté qu'auparavant :
le jour il restait sombre ne pensant qu'à ses malheurs; la nuit il était agité
par des cauchemars luguhres. « Moi, dit-il, j'ai été trop affligé, plus que je ne
mérite, parce que je n'ai jamais fait de mal à personne. » Il séjourne un mois
à l'hôpital où on le traite par des bains sulfureux et de l'iodure de potas-
sium. Le tremblement s'était amélioré. C'est à ce moment qu'il perdit pro-
gressivement la vue de l'oeil droit.
Au mois d'octobre 1889, il entre à l'hôpital Saint-Antoine pour son trem-
blement et y reste un mois. Dans les intervalles de séjour il l'hôpital, il tra-
vaillait aux halles depuis deux ans en effet il a été obligé de renoncer à
son métier de forgeron achetant du poisson et le revendant dans les rues,
toujours très malheureux, voulant quand même gagner sa vie : « Je fais peu
de choses et je fais encore plus que mes forces, mais je me contente de peu
pour moi-même. » Le 6 juillet 1890, il revient toujours « tremblant » dans
le service de M. Dieulafoy, en sort au bout de quelques semaines pour venir
il la Salpèlrière.
Etat actuel (27 juillet 1890). Troubles moteurs. - Lorsque le malade est
assis, on ne remarque rien d'anormal; on dirait un individu bien portant,
sauf la tristesse et l'abattement du visage. Dès qu'on l'inteiroge, on remarque
que sa parole est lente, scandée, hésitante, avec un certain degré de bé-
gaiement : « J'ai... à... à... un... un... mois... près... qua... quarante...
nenf... ans. »
Si ou lui ordonne de se mettre debout, il se met aussitôt il trembler de
tout le corps, surtout du côté droit, et il est obligé dc faire de grands efforts
pour ne pas tomber. L'occlusion des yeux accroit un peu le tremblement et
il menace de tomber par terre.
Si on le fait marcher, le tremblement devient encore plus manifeste. La
tète, le corps, les membres inférieurs tremblent. En outre il traîne la jambe
droite.
Le tremblement des mains est analogue il celui de la sclérose en plaques
(fig. 1). Lorsque la main est au repos, rien d'anormal. Si on lui fait porter
un verre à la bouche, avec la main droite par exemple, sa main se met il
trembler et à être agitée d'oscillations de plus en plus amples. Le but est
cependant atteint, et leverre plein d'eau vient frapper les dents avec un bruit
caractéristique. L'eau est projetée de tous côtés, et il n'est pas rare que le
menton s'embarrasse dans le verre. Le tracé précédent a été enregistré dans
ces conditions.
Dans le membre supérieur gauche, ce tremblement existe mais moins
accusé. Ce tremblement intentionnel est augmenté par la fatigue et l'émotion.
Dès que le malade repose son bras sur la table, le tremblement disparait.
Au lit, dans la position liorizontale, la tète bien appuyée, on ne voit aucune
secousse. Ces secousses au nombre de six à sept par seconde sont rhythmiques.
Elles troublent les fonctions de la main et surtout de la droite. Aussi le ma-
lade ne s'en sert-il jamais pour manger et boire et a-t-il recours à des arti-
16 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPt : TIll £ RE,
fices. L'écriture est tremblée. Hémiplégie droite. Cette hémiplégie que
présente le malade est très nette. Au dynamomètre : main droite, 15; main
gauche, 50. Les réflexes rotuliens sont inégaux, très diminués ci droite,
normaux à gauche. Les réflexes tendineux du poignet et du coude sont égaux
et normaux des deux côtés. Lorsqu'on dit au malade de tirer la langue, il ne
peut la sortir de sa bouche : elle tremble très fortement, contraclurée et la
pointe déviée à gauche en crochet. Dans ce mouvement le maxillaire illfé-
rieur se met à trembler. Absence de paralysie faciale. Les paupières sont à
demi closes et animées d'un clignotement incessant. Le malade se plaint de
céphalalgie et de vertige.
Il n'a jamais eu d'attaques convulsives. Lorsque le tremblement est très
fort, il éprouve une constriction thoracique et sent une boule qui lui monte
dans le cou et l'étrangle. Il est alors incapable de parler et assez souvent
tombe sans connaissance. Il reste ainsi durant quelques minutes, puis tout
se dissipe, il se relève et reprend son chemin. Ces vertiges, ces attaques sur-
viennent de préférence quand il est ému ou fatigué.
Troubles delà sensibilité. Le malade présente de l'héîiiiaîlesthésiedroile .'
complète, absolue pour toutes les modes dc la sensibilité au niveau des
membres supérieur et inférieur; elle est incomplète quoique très diminuée
dans le reste du coté droit. Le sens musculaire et articulaire est aboli à la
main, à l'avant-bras, au bras, au pied, au genou; il est obnubilé seulement as
la hanche. En outre D... présente deux zones hystérogènes (la pression à ce
niveau amène l'aura; elle n'exagère ni ne suspend le tremblement) : l'un
au niveau du testicule gauche - c'est la glande et non la peau qui est dou-
luureuse - l'autre dans le flanc du même côté. Anesthèsie pharyngée totale.
Les sens sont intéressés. Le goût est aboli adroite. L'ouïe est très diminuée
des deux côtés (le tic-tac d'une montre ordinaire n'est pas entendu à une
distance de l'oreille de plus de cinq centimètres). L'odorat est normal.
Troubles oculaires. Examen pratiqué par M. le D' Parinaud. L'oeil gauche
présente un rétrécissement concentrique très marqué du champ visuel ( ? 0°).
Ni diplopie monoculaire ni micrornégalopsie. Dyscllrom;Oopsie : le vert et le
violet sont vus bleus. Spasme palpébral. L'oeil droit est amaurotique. Le
malade ne distingue pas les doigls à la distance normale. Les pupilles
sont égales et réagissent normalement. Pas de lésions du fond de l'oeil. Pas
de nystagmus. Le malade est soumis à un traitement par l'hydrothérapie et le
fer. Au bout de deux mois de séjour, il demande à quitter l'hôpital pour aller
reprendre son travail (fin septembre 1890).
Le tremblement s'était modifié durant son séjour et n'existait presque plus
au moment de son départ. Plusieurs fois dans la journée, il disparaissait il
certains jours, sans raison connue. Une émotion, une fatigue, le faisaient
repurailrc. D... est resté sombre, taciturne, se plaignant de céphalalgie cl
de vertiges. Il n'a pas eu d'attaques convulsives, mais à diverses reprises il
a éprouvé une aura'très nette, l'obligeant de s'asseoir sous peine de tomber,
mais sans perle de connaissance. A son départ, les accidents s'étaient aîné-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 17
liorés. Seuls l'embarras de la parole et l'hémiplégie sensitivo-motrice n'avaient
pas varié.
La symptomatologie de la sclérose eu plaques se trouve ici complè-
tement réalisée : début par de la céphalalgie et des vertiges, puis attaque
apoplectiforme suivie d'hémiplégie droite et d'embarras de la parole; bientôt
surviennent le tremblement et les troubles de la vue. Et cependant toutes
ces manifestations phénoménales ne relèvent pas d'une lésion organique
cérébro-spinale, mais bien de l'hystérie. En effet, ce malade est hystérique.
Est-il besoin de rappeler qu'il porte une hémianesthésie typique du côté droit,
qu'il a perdu le réflexe pharyngé, le sens musculaire et articulaire; qu'il pré-
sente deux zones hystérogènes, que son champ visuel est rétréci, qu'il a perdu
le goût complètement et l'ouïe en partie du côté droit, etc. ; que son amau-
rose ne relève d'aucune lésion ophtlialmoscopique, qu'il a enfin des attaques
précédées d'une aura et suivies de perte de connaissance ? Bien plus, il n'est
qu'hystérique. Ses antécédents héréditaires névropathiques, l'absence d'nne
maladie infectieuse qui, d'après MM. Charcot et Marie, est souvent à l'origine
de la sclérose en plaques, l'âge tardif auquel se sont développés les accidents
plaident déjà contre la lésion organique. Les éblouissements, les vertiges, ne
sont autre chose qu'une ébauche d'attaque. L'hémiplégie droite avec aphasie,
qui a suivi l'ictus apoplectique, il y a trois ans, n'est pas faite aujourd'hui
pour nous embarrasser. C'est là une manifestation sur laquelle MM. Debove
et Achard ont suffisamment insisté. Du reste, cette hémiplégie présente
encore actuellement le caractère des paralysies hystériques : la face est res-
pectée ; la langue déviée à gauche et contracturée en crochet relève incontes-
tablement de l'hémispasme glosso-labié, et de puistrois ans les réflexes sont
plutôt diminués qu'exagérés. Les troubles de la vue rentrent aussi dans la
catégorie hystérique : amblyopie sans lésion du fond de l'oeil.
L'embarras de la parole lui-même, si ressemblant à celui de la sclérose
multiple, a pourtant quelque chose de spécial : la parole est plus hésitante,
plus redoublée, plus bégayante en un mot. Cette dysarthrie rappelle
les troubles du langage bien étudiés récemment par MM. Ballet et Tissier '.
Assurément ce sont là des nuances délicates, plus faciles à saisir peut-être
qu'à décrire. Quoique bien souvent elles ne puissent pas à elles seules tran-
cher le différend, elles peuvent, dans les cas complexes qui nous occupent,
mettre quelquefois en éveil.
Reste enfin le tremblement : il est « intentionnel », s'exagère par l'émo-
lion, augmente d'amplitude en approchant du but, dans l'acte de porter un
verre à la bouche, par exemple, mais le but est atteint. Il rappelle en un mot
celui de la sclérose en plaques. Mais son mode de début, ses variations quo-
tidiennes, son rhythme rapide, sa régularité extrême, son siège presque exclu-
sif du côté paralysé, sa guérison, ne peuvent laisser aucun doute sur sa nature
névropathique.
Bref, il ne s'agit que d'un syndrome hystérique simulateur.
l. G. Ballet et Tissier, Du bégaiement hystérique de ,Yeurot., juillet 1890).
n'
18 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Cas. II (M. Charcot, in Progrès méd., septembre 1890). Syndrome
hystérique simulateur de la sclérose en plaques. Gervais Bl...ger,
39 ans, chaisier, entré le 26 juin 1889, salle I'rüss, n° 4, dans le service de
M. le professeur Charcot.
Antécédents héréditaires. -Le malade n'a pas connu ses grands-parents;
il en a peu entendu parler et ne peut donner aucun renseignement précis
sur leur histoire pathologique. Son père est mort à soixante-sept ans d'une
fluxion de poitrine; il n'avait jamais été malade. C'était un homme sobre mais
très violent. Sa mère est morte à quarante-deux ans ; elle était épileptique ;
dans un accès elle s'est fendu le crâne et a succombé quelques heures après.
Et... a eu treize frères ou soeurs dont cinq seulement de la même mère (son
père s'est remarié et a eu huit enfants du second lit). Chez ses « demi-frères et
soeurs » rien de spécial àsignaler, au point dcvue nerveux. Quant àses « véri-
tables frères» deux ont été tués à l'ennemi, en 1870 ; un troisième a très vrai-
semblablement été tué à la même époque, le ministre de la guerre l'ayant
classé dans les « disparus ». Ils n'étaient pas nerveux. Un quatrième, âgé
actuellement de trente-sept ans, a eu dans son enfance des convulsions et de la
paralysie infantile qui lui a laissé des déformations indélébiles. Il a encore
une soeur qui est bien portante. Du côlé de ses oncles et tantes, cousins et cou-
sines, le malade ne peut donner de renseignements ; il les connaît à peine.
Antécédents personnels. - Dans son enfance, il a toujours été turbulent et
plus méchant que les autres enfants, dit-il; il a eu la rougeole. Il a aussi
pissé au lit jusqu'à dix ans. l'as d'autres maladies. Pas de syphilis, pas s
d'acoolisme. En 1870 (à l'âge de dix-huit ans) il s'est engagé : il a fait la cam-
pagne au 2° zouaves et a été fait prisonnier à ? issemhour. Après son retour de
captivité, il est revenu à Oran où il a eu la fièvre typhoïde et les lièvres
intermittentes. Il a toujours été un bon soldat et a quitté l'Algérie avec le
grade de sergent. A vingt-sept ans, il reprend son métier de chaisier qu'il
avait appris à l'âge de douze ans. A vingt-huit ans, il se marie. Depuis son
mariage il a eu, en onze ans, treize enfants. Tous, à l'exception dc deux,
sont morts, en bas âge, de convulsions. Parmi les deux survivants, l'un a
aujourd'hui six ans; il est entré l'an dernier dans le service de la clinique
pour des attaques d'hystérie. L'autre qui est née en juillet 1890 a déjà des
convulsions.
Début de la maladieactuelle.-En septembre 1887, un soir à'(juatre heures,
il était sorti de chez lui. tenant son garçon par la main, pour aller acheter une
salade chez le fruitier voisin. Le fruitier lui offre une « tournée » qu'il
accepte et son fils en profite pour sortir dans la rue. Il se retourne le verre à
la main pour voir ce qu'il était devenu et l'aperçoit, au milieu de la chaussée,
sur le point d'être écrasé par un fiacre qui arrivait sur lui. Il bondit dehors
pour arrêter le cheval. Son enfant avait été renversé par la voiture et n'avait
reçu que quelques contusions sans importance. Bl... en a ressenti une
frayeur si violente qu'il est resté cinq minutes sans pouvoir parler. Il peut
cependant rentrer chez lui, mais tout troublé et obligé en quelque sorte de se
tenir le long du mur. Il s'est couché immédiatement sans vouloir prendre
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 19
autre chose qu'une tasse de thé. La nuit, il a été très agité et n'a pu dormir,
en proie à une violente céphalalgie. Le lendemain, il est resté couché, tour-
menté par des maux de tête, des bourdonnements d'oreilles et des battements
dans les tempes. Le surlendemain, se trouvant mieux, il s'est levé. Vers midi,
il est sorti pour faire une livraison. Dans la rue de Clignancourl, à dix minutes
de chez lui, il a été pris, dit-il, de vertiges, de sifflement dans les oreilles, de
douleurs temporales, et il est tombé par terre « comme une masse », sans
connaissance. II ne saurait dire ce qui s'est passé, car il a repris ses sens dans
une pharmacie voisine. Les assistants parlaient de « haut mal ». Il n'avait .
pas uriné sous lui, ne s'était pas mordu la langue, mais ses vêtements, sa
chemise étaient déchirés, en lambeaux. Revenu à lui, il a pu regagner son
domicile, seul, à pied. Se sentant très fatigué, il s'est couché. C'était environ
trois heures. Le lendemain de cet accident, il a voulu se lever et s'est aperçu
avec étonnement qu'il tremblait de tout le corps et ne pouvait marcher. Il
entra alors à l'hôpital Lariboisière, dans le service de M. le professeur
Bouchard. où il resta trois mois et demi. Durant ce séjour, il eut des attaques
convulsives presque quotidiennes, toujours précédées d'aura céphalique et
suivies de perte de connaissance, de chute, de cris et de contorsions. L'aura
céphalique classique était précédée elle-même d'une sensation globuleuse qui
partant du flanc gauche remontait jusqu'aux creux épigastrique. Le tremble-
ment qu'il présentait à celte époque aurait été intentionnel ; on était obligé
de le faire manger et boire et il était forcé, pour marcher, de s'accrocher aux
lits de la salle. En outre sa parole aurait été embarrassée. Il est sorti de
l'hôpital amélioré mais non guéri.
Huit jours après sa sortie, il allait encore faire une livraison lorsqu'il a eu,
dans la rue, une deuxième attaque précédée des mêmes prodromes que la
première. On l'a transporté à l'hôpital Bichat. Il était paralysé du côté
gauche et ne pouvait pas parler. Ceci ce passait en mars ou avril 1888 (le
malade ne peut préciser davantage, sa mémoire ayant beaucoup baissé). Il
semble avoir eu du mutisme pendant les quatre mois qu'il a passés à Bichat.
11 tremblait encore mais presque exclusivement du côté gauche. Un jour,
ayant entendu parler de pronostic sévère, il résolut de se suicider, et d'ava-
ler un flacon de teinture d'iode. La fille de salle lui arracha le flacon juste
à temps. Depuis il n'a jamais recommencé sa tentative. Durant son séjour il
l'hôpital, il eut de nombreuses attaques convulsives. Son mutisme disparut
un jour brusquement à la suite d'une crise et il demanda aussitôt sa sortie.
Il resta alors plusieurs mois chez lui, ayant toujours son tremblement qui
s'était généralisé à tout le corps. Il reprit son travail, ayant de temps à
autre des attaques de nerfs et de mutisme transitoires. Au commencement de
juin 1889, il fut encore pris sur la voie publique d'une crise apoplectiforme
et transporté dans le service de M. Bouchard remplacé par M. le D' Talamon *
qui lui conseilla d'entrer à la Salpêtrière.
Etat actuel (février et septembre 1890). - BI... a été présenté par M. le
professeur Charcot à ses auditeurs du mardi (1889). Son observation a été
prise par notre ami M. Dutil qui doit la publier dans sa thèse inaugurale.
2U NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S : 1L1'ETHIEIiI : .
Elle a été résumée, avec tracés à l'appui, dans la leçon que M. Charcot vient
de publier au mois de septembre sur les tremblements hystériques. Le phé-
nomène qui attire d'abord l'attention chez DI... c'est le tremblement.
Examen du malade couché. Dans le décubitus horizontal, lorsque la
tête et les membres reposent complètement sur le plan du lit, on ne constate
rien d'anormal. Si on dit au malade de soulever sa tête, celle-ci s'agite
aussitôt de secousses rhylhmécs antéro-postérieurcs. De même, lorsqu'il étend
ses bras ou ses jambes, le tremblement se montre dans ces membres. Il cesse
dès qu'ils reviennent au repos.
Examen du malade assis sur une chaise. Le membre inférieur gauche,
quoique reposant sur le sol, est animé au repos d'un tremblement régulier
et son pied bat pour ainsi dire la mesure sur le parquet. Dans celte-attitude,
le membre intérieur droit, les membres supérieurs, le tronc appuyés ne
tremblent pas. Sa tête tremble (n'étant pas appuyée). Si on dit au malade de
croiser sa jambe gauche sur sa jambe droite, le tremblement de la première
FIG, ? - Éc)'itu)'c ,I.IIlS un rJ- tic tl'cmhlelllCnt h)stériquc (Obse ! \atiou 11),
Fic. 3. - Ecriture chez le munie malade, à quatre mois d'intervalle-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 21 1
s'arrête, dès que le mouvement est exécuté. Si on fait aussi étendre les mains
ou les jambes, le tremblement se manifeste. Lorsqu'on lui fait porter à la
bouche un verre plein de liquide, les caractères du tremblement (nu. 1)
rappellent ceux du tremblement de la sclérose en plaques. Le liquide est
projeté au loin et le verre vient violemment heurter les arcades dentaires,
menaçant de briser les dents. Dès que le membre repose de nouveau sur la
table, les secousses s'arrêtent instantanément. Les diverses fonctions de la
main sont très gênées par ce tremblement; pour manger et boire il use du
stratagème suivant : il appuie ses deux avant-bras sur le bord de la table et
incline sa tête jusqu'à ce que sa bouche atteigne l'aliment. Dans ces con-
ditions, quoique sa main et sa tête tremblent, il arrive à boire et à manger
tout seul. L'écriture est fortement tremblée. En voici deux spécimens tracés
à quatre mois d'intervalle (fig. 2 et 3).
Examen du malade debout et dans la marche. Dès que le malade se
lève, ses membres inférieurs se mettent à trembler; le tronc, la tête tremblent
aussi. L'occlusion des yeux exagère ce tremblement; mais il n'y a pas de
sigue de Romberg bien net quoique le malade affirme qu'il tomberait en
arrière, si on continuait l'expérience. Dans la marche, le tremblement per-
siste, mais il ne s'exagère pas très sensiblement. L'an dernier au contraire
l'exagération était très marquée. La démarche n'a pas le caractère ébrieux;
il traîne un peu la jambe gauche. La fatigue, les émotions, les contrariétés
augmentent les secousses au point qu'il ne peut plus marcher.
llérraiparésie du côté gauche. Cette hémiparésie est très manifeste. Au
dynamomètre : main droite, 80 et plus; main gauche, 35. Les mouvements
actifs et passifs sont affaiblis de ce côté et s'exécutent avec quelque raideur.
La face est respectée, sans aucune espèce d'asymétrie. Pas de troubles tro-
phiques. Le malade dit avoir maigri depuis le début de sa maladie. C'est
néanmoins un homme robuste et vigoureux. Il se plaint souvent de céphalalgie.
Pas de vertige, sauf quand il se baisse pour ramasser quelque chose. La
parole n'est pas embarrassée actuellement. La langue est large, étalée, sans
tremblement. Elle était l'an dernier agitée de fortes secousses. Les réflexes
rotuliens, du coude et du poignet sont égaux des deux côtés, plutôt faibles.
Troubles de la sensibilité. Ilémianesthésie gauche totale et complète.
La peau et les muqueuses (conjonctive, pharynx, bouche) sont insensibles
au contact, à la douleur et à la température. Il existe une petite plaque sen-
sible au niveau du grand angle de l'oeil gauche. Les sens spéciaux sont
altérés. Le goût et l'odorat sont abolis du côté gauche. L'ouïe très obnubilée
du même côté. Le champ visuel et l'oeil n'ont pu être examinés, car ce
malade présente des zones hystérogènes rétiniennes qui l'empêchent de
fixer un objet sous peine d'avoir une attaque. Les sens musculaire et arti-
culaire sont totalement abolis dans la moitié gauche du corps. Il existe en
outre des zones hystérogènes, l'une au niveau du pli de l'aine du côté
gauche, l'autre au-dessus du creux poplité correspondant. Ce dernier point
remonte au mois de juillet 1890. Auparavant, l'an dernier par exemple,
quand le malade a été examiné par DI11. Charcot et Dutil, il était remplacé
22 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. 1
par une zone douloureuse située au niveau de la colonne lombaire; cette
zone hystérogcne n'existe plus. Ces points sont très sensibles à la pression et
provoquent des attaques/si la pression persiste. En outre, il existe une zone
spasmo-frênatrice au niveau du pli de l'aine du côté droit, dans une région
symétrique à la zone spasmogène du côté gauche. Sa compression arrête les
attaques. Bl... en effet présente des attaques hystériques classiques avec
aura et grands mouvements qui durent quinze à vingt minutes et se répètent
une ou deux fois par semaine. Pas de troubles trophiques. Troubles vaso-
moteurs localisés à la moitié droite de la face et consistant en une sécrétion
sudorale très exagérée, la moitié gauche restant tout à fait sèche. Le carac-
tère de ce malade s'est modifié depuis sa maladie : il est triste, déprimé; il a
perdu beaucoup la mémoire et son visage est peu expressif. L'appétit est
bon, l'état général très satisfaisant; les viscères thoraciques et abdominaux
ne présentent rien d'anormal.
De temps en temps, il éprouve des douleurs abdominales ; son ventre se
ballonne. En général ces phénomènes douloureux et tympaniques disparais-
sent à la suite d'une crise convulsive. Son tremblement, au cours de l'année,
s'est modifié à diverses reprises; parfois il existe au repos quoiqu'il s'exa-
gère toujours par les mouvements voulus ; parfois il s'atténue d'une ma-
nière considérable et devient il peine perceptible et peu gênant. L'an
dernier, il était beaucoup plus accusé, et par moments il existait au repos
ainsi que le montre un tracé pris par M. Dutil et publié dans la leçon de
M. le professeur Charcot. Mais si ce tremblement est atténué il n'est pas
guéri, ainsi que le montre un tracé que nous avons pris au mois d'août 1890.
Et, par périodes, il a reparu avec sa violence primitive.
Si on ne tenait compte chez ce malade que du mode de début de la
maladie actuelle : vertiges, attaque épileptiforme suivie d'hémiplégie,
tremblement intentionnel, peut-être pourrait-on songer à une sclérose
en plaques. L'embarras de la parole qui manque aujourd'hui a jadis
existé. Et pourtant il ne saurait être question de sclérose multiple. Ce
malade est un nerveux héréditaire ; le début de l'affection a été la con-
séquence d'une terreur horrible; deux jours après cette émotion est
survenu un vertige épileptiforme, nous voulons dire une attaque qui a
affecté dès le début le type hystérique : absence de morsures de la
langue et de miction involontaire, mais par contre contorsions proba-
blement très violentes puisque tous les vêtements de Bl... ont été dé-
chirés. Du reste, les attaques consécutives et actuelles permettent d'af-
firmer rétrospectivement la véritable nature de la première crise.
Il nous semble superflu de mentionner à l'appui de notre thèse :
l'hémianesthésie sensitivo-sensoriclle, les zones hystérogènes et spasmo-
frénatrice, le mutisme passé, l'hémiplégie sans paralysie faciale, sans
exagération des réflexes, etc. Seuls les caractères du tremblement
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 23
rappellent ceux de la sclérose en plaques. Mais en y.regardant de près
on voit que ce tremblement offre quelque chose d'insolite; il est très
variable suivant les périodes; il existe parfois au repos; il est rhythmé,
plus régulier, plus rapide, etc. Les analogies sont alors ici toutes
superficielles et ne résistent pas à un examen approfondi et détaillé.
Mais la question devait cependant être posée et il était nécessaire de
démontrer que Bl... n'était qu'un trembleur hystérique. Cette dé-
monstration a été faite amplement par M. le professeur Charcot.
Ons. III (inédite). (La majeure partie de cette observation nous a été
communiquée par notre collègue et ami M. Poulalion). Syndrome simu-
lateur de la sclérose en plaques. - Joseph M...basch, quarante-sept ans,
journalier, entre le 3 mai 1890, salle Vernois, dans le service de M. le profes-
seur Dieulafoy, à l'hôpital Necker.
Antécédents héréditaires. Père alcoolique, atteint à deux reprises
d'aliénation mentale et mort dans une maison de santé à Lucerne. Mère
bien portante, non nerveuse. M... a eu dix frères ou soeurs morts en bas âge
pour la plupart. L'une est morte dans un accès d'épilepsie; une autre avait
des attaques convulsives. Un oncle paternel s'est suicidé ; une tante pater-
nelle est morte d'aliénation mentale dans une maison de santé.
Antécédents personnels. Ce malade a uriné au lit pendant longtemps;
il a été « somnambule » jusqu'à l'âge de quatorze ans. A vingt ans, fièvre ty-
phoïde. Pas d'alcoolisme, pas de syphilis. Depuis t'age de vingt-neuf ans, M.. a
des attaques convulsives qui ressemblent à de l'épilepsie. Elles surviennent
presque toujours la nuit; plusieurs fois il a uriné sous lui, mais ne s'est
jamais mordu la langue ni les lèvres ; il reste ensuite courbaturé. La pre-
mière de ces attaques serait, dit-il, survenue dans les conditions suivantes :
un soir, en revenant de voir sa fiancée, il a dû perdre connaissance sur la
route et avoir une crise. Le lendemain il s'est retrouvé dans son lit, la figure
et les mains meurtries au point qu'on a cru qu'il s'était battu. Lui ne se rap-
pelle absolument rien, sauf sa perte de connaissance qui aurait été précédée
de bouffées de chaleur au visage. Il sait seulement qu'il n'avait pas bu. Trois
ou quatre jours après, il a repris son travail.
Six mois après, il se marie et devient en quelques années père de quatre
enfants : deux meurent en bas âge, deux sont vivants : l'une a des attaques
convulsives. En 1882, il perd sa femme et éprouve de cette perte beaucoup
de chagrin. II ne se rappelle plus aujourd'hui la date de cette mort ni l'âge
précis de ses enfants. Depuis cette époque, dit-il, il est devenu sombre, mé-
lancolique et a perdu progressivement la mémoire. Il a commencé 1 avoir
des accès d'angoisse durant deux ou trois jours et revenant assez souvent. '
En 1885, il eut un écoulement hémorrhagique par l'oreille droite; cet
écoulement dura trois semaines. Il aurait eu à ce moment du délire (« il était
comme fou »), qui aurait nécessité la camisole de force. On aurait parlé d'in-
tervention chirurgicale. C'est surtout depuis lors que sa mémoire a beaucoup
21 1 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
faibli et qu'il aurait.eu des vertiges fréquents. Son moral s'est encore plus
affecté : il pleurait sans motif et ne pouvait s'en empêcher. Ces pleurs revien-
nent encore aujourd'hui par accès, tous les jours.
En 1887. il eut dans le bois de Vincennes une attaque d'hémiplégie droite
suivie de tremblement; il entra à l'hôpital Necker. Comme il travaillait à
cette époque dans le mercure, on diagnostiqua un tremblement mercuriel.
Un an après, il entra dans le service de M. Rigal pour des accidents ana-
logues. Il y resta trois mois ; on aurait, dit-il, parlé de sclérose en plaques.
Il y a treize jours, il aurait eu une attaque du même genre. Vers trois
heures du matin, il se réveilla par terre près de son lit et resta ainsi couché
pendant une demi-heure sans pouvoir se relever, sans pouvoir remuer aucun
membre. Puis il put se remettre au lit et se rendormir. A son réveil, se sen-
tant mal à la tête, il se leva et sortit se promener. La marche, dit-il, était
gênée par une douleur qu'il ressentait dans la cuisse droite; il marchait en
boitillant. Vers huit heures il quittait Boulognc-snr-Seine et marchait sans
discontinuer jusqu'à Romainville où il fut très étonné de se trouver, ne sachant
ni pourquoi ni comment il y était venu. Il prit le chemin de fer, revint chez
lui et se coucha. Cet accès d'automatisme ambulatoire ne semble pas le
premier. Assez souvent, le jour ou la nuit, il est pris d'une peur folle, pari et
. marche devant lui sans en avoir conscience. Depuis cette crise il s'est aperçu
qu'il urinait fort peu et que sa parole était devenue embarrassée.
Étal actuel. A. Troubles moteurs. - 1° llémiparôsie droite très
manifeste. Au dynamomètre : main droite, 23 ; main gauche, 45.
2° Tremblement limité au côté droit du corps. Ce tremblement est inten-
tionnel : au repos on ne remarque aucune secousse; s'il est un peu ému, si
Fir. 1. - Spécimen d'écriture clic/ un trembleur hystél'iqlle (Observation III).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 25
on l'interroge, on remarque quelques légères vibrations dans le bras droit.
Lorsqu'il se met debout, le membre inférieur droit est agité de secousses
rhythmiques dirigées d'avant en arrière; il en résulte un tremblement qui se
communique au corps tout entier, la têle exceptée. Dans la marche, le trem-
blement s'accuse encore davantage; parfois il éprouve de la peine à détacher
ses pieds du sol. Pas de signe de Romberg. La marche est possible les yeux
fermés. Les réflexes rotuliens et plantaires sont presque abolis à droite. Le
membre supérieur droit, dans l'acte de porter un verre à la bouche, esl pris
de secousses très accusées avec l'augmentation d'amplitude que l'on rencontre
dans la sclérose en plaques. La langue est tremblante; elle paraît au malade
raidie, comme collée dans le fond de la bouche. L'écriture est très manifes-
tement. tremblée; en voici un spécimen écrit en allemand (fig. 4).
La parole est hésitante, traînante, scandée. Pas de nystagmus. Le malade
se plaint de vertiges et de troubles de la vision. Sa vue a beaucoup baissé;
il ne peut plus lire les noms des rues; il aurait eu autrefois de la diplopie.
B. Troubles psychiques. Sa mémoire est toujours affaiblie; il pleure tous
les jours sans motifdans un coin de la salle, reste solitaire et ne veut jamais
descendre au jardin.
C. Troubles de la sensibilité. Hémianesthésie droite complète et
totale. Le sens musculaire est conservé. Anesthésie pharyngée.
Deux zones hystérogènes dans la fosse iliaque droite et dans le testicule
du même côté. Les sens spéciaux sont altérés. Le goût est aboli des deux
rôles ;l'ouïe abolie adroite, mais il y aurait une vieille affection de l'oreille ( ? ).
Le champ visuel est manifestement rétréci à droite. Oligurie.
Au bout d'un mois de séjour, le malade part pour Vincennes amélioré mais
non guéri. Il reste ensuite quelque temps chez lui et reprend son travail. Le
19 juillet 1890, il rentre à la Pitié. La veille il s'était réveillé au pied de son
lit, par terre, et avait été repris de son hémi-lremblement et d'embarras de
la parole qui auraient duré une quinzaine de jours.
5 septembre 18'JO. Nous avons revu aujourd'hui ce malade, et complété
les renseignements qui nous avaient été fournis. Il était dans l'état suivant :
le tremblement et l'embarras de la* parole ont complètement disparu; il ne
tremble, et encore très peu, - (lite lorsqu'il est contrarié, fatigué. Il porte
un verre à la bouche sans secousses; il marche sans trembler, en traînant légè-
rement la jambe droite. Au point de vue moteur, il ne lui reste que de l'hémi-
parésie du côté droit. Les réflexes sont égaux et normaux. Au point de vue
sensitif, il présente, toujours (le 1'liétiiiiiiesi liésie cutanée du côté droit. L'ouïe,
le goût, l'odorat sont abolis à droite; le champ visuel rétréci à 00 environ; 1
anesthésie pharyngée. Le sens musculaire et articulaire est conservé mais
très affaibli à droite; les zones hystérogènes n'existent plus; il a toujours
des vertiges, de la céphalalgie et un état neurasthénique complet.
Il s'agit ici d'un homme de quarante-sept ans victime d'un lare héré-
ditaire nerveuse. Fils, frère, neveu, père d'épileptiques ou d'aliénés, il
est depuis dix-huit ans sujet à des crises convulsives qui tout d'abord
26 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
rappellent l'épilepsie franche. Depuis six ans il est affligé de vertiges
etdeperte de la mémoire. Il atrois ans, est survenu un ictus apoplec-
tique suivi d'hémiplégie droite et de tremblement que la profession
du malade fait qualifier de mercuriel. Une deuxième attaque se produit t
accompagnée cette fois de dysarthrie et de tremblement intentionnel,
et on songe à la sclérose en plaques.
Actuellement, outre ces phénomènes, il présente encore de l'am-
blyopie, des troubles de la mémoire et de l'écriture. C'est bien là un
tableau fait pour les méprises. Et cependant les plaques de sclérose
n'existent pas ici.
M... est hystérique : l'hémianesthésie cutanée, l'anesthésie pha-
ryngée, les zones hystérogènes, etc.. en sont une preuve évidente. Tout
chez lui est hystérique : le débuta été marqué par un ictus apoplec-
tiforme commedans le cas célèbre rapporté par 1\11\1. Vulpian et Charcot1,
et dans les exemples cités par divers auteurs. Mais les accidents ont
disparu au bout de trois mois. Or les rémissions frappantes que l'on
rencontre dans la sclérose en plaques ne sont pas aussi absolues et on
est en droit de se méfier des cures radicales de sclérose multilocu-
laire.
Du reste, deux ans après, ces mêmes troubles moteurs se repro-
duisent dans des conditions analogues et sont suivis d'un accès d'auto-
matisme ambulatoire, automatisme qui n'appartient pas à la sympto-
matologie de la sclérose. Et puis cette hémiplégie qui dure depuis trois
ans ne s'accompagne ni de contracture ni d'exaltation des réflexes, au
contraire. La dysarthrie elle-même rentre dans les bégayements hysté-
riques, ainsi qu'en témoigne sa disparition. Les vertiges, le trem-
blement intentionnel qui siège du côté de la paralysie sensitivo-mo-
trice, tout dépend de la névrose hystérique. Les troubles psychiques,
l'abattement du visage, la tristesse, l'état dépressif appartiennent à
l'hystéro-neurasthénie. Il ne reste plus que les crises convulsives ;
elles sont nocturnes avec miction involontaire parfois, avec courba-
ture prolongée. Malgré ces caractères nous croyons qu'ils'agit encore là
d'hystérie. L'hystérie à forme épileptoïde n'est pas rare. MM. G. Ballet
et Crespin l'ont étudiée avec soin. Du reste la dernière de ces crises
s'est accompagnée du syndrome hystérique simulateur, et elle jette
ainsi la lumière sur la nature de celles qui l'ont précédée. Et en fin
de compte M... serait-il épileptique, il n'en serait pas moins hysté-
rique, et les divers symptômes que nous avons signalés ne sauraient
aucunement être rattachés au mal comitial.
1. Charcot et 'rlpiau, Soc. méil. des hôpitaux, 18gag, p. 87.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 27
OBs. IV (inédite). (Recueillie dans le service de M. le professeur Dieu-
laloy par notre ami M. Poulalion). - Syndrome hystérique simulateur de
la sclérose en plaques. Jules Del...re, trente-huit ans, couvreur, entre le
14 juin 1890 à l'hôpital Necker.
Antécédents. Le malade n'a jamais eu d'autres maladies que les fièvres
paludéennes en 1869. Il y a trois ans, il a contracté la syphilis (deux chancres
indurés suivis de plaques muqueuses dans la gorge, de roséole, de chute de
cheveux. Il a été soumis au traitement spécifique durant six mois, dans le
service de M. le Dr Péan, à l'hôpital Saint-Louis). Il y a un an, il est pris
brusquement d'un ictus apoplectique accompagné d'hémiplégie gauche et
de perte de connaissance durant quelques jours. Il entra à l'hôpital Tenon,
dans le service de M. Moizard; il en sortit presque guéri. Pourtant sa jambe
gauche était toujours plus faible, le bras du même côté était aussi parésié.
Le malade s'est aperçu à l'hôpital qu'il avait de la difficulté à prononcer
certains mots. Cet embarras de la parole a persisté depuis cet ictus. A la
même époque sa vue a baissé peu à peu. Autrefois il voyait très clair ;
aujourd'hui il ne distingue plus nettement les objets. Il n'a jamais eu de
diplopie. D'après ce qu'il raconte, il aurait par moments du nystagmus,
mais on ne l'a jamais constaté. Il y a quinze jours, il s'est réveillé avec uu
tremblement qui existe encore aujourd'hui et pour lequel il entre dans le
service de M. Dieulafoy; il avait en même temps des étourdissements, des
vertiges, de la céphalalgie. Sa parole était plus embarrassée.
Etat actuel. 1° Tremblement. Le malade considéré au repos, dans
le décubitus horizontal esl absolument immobile. S'il veut s'asseoir il se met
à trembler. De même, s'il porte un verre à sa bouche, son bras tremble
d'autant plus que le mouvement est plus près de s'achever, la direction géné-
rale du mouvement étant conservée et le but étant atteint. Dans la station
debout, le corps tout entier est agité de secousses telles que le malade me-
nace de tomber. L'occlusion des yeux ne paraît pas augi-nen ter l'instabilité.
Pendant la marche, le tremblement augmente et le malade ne saurait
aller bien loin sans tomber, car il présente une sorte d'ataxie ébrieuse peu
marquée sans doute mais qui fait dévier les jambes de la direction voulue.
La langue est tremblante.
2° L'hémiplégie est très nette et siège il gauche, sans raideur ni con-
tracture. Au dynanomètre : main droite, 29; main gauche, 16. Le réflexe
rotulien est très faible à droite, aboli à gauche. '
3° liéiiiiaiiesthésie gauche complète pour tous les modes de sensibilité.
Anesthésie de la conjonctive gauche. Les sens sont touchés. Le chatouille-
ment du nez ne produit aucun réflexe ni à droite ni à gauche. L'ouïe est
diminuée à gauche.
4° La dysarthrie est typique. Chaque syllabe est prononcée lentement el
séparément et la voix présente une sorte de d'émulation. Le malade se plaint
encore de céphalalgie, d'étourdissement et de faiblesse de la, vue.
28 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
La simulation semble ici complète. Avant d'entrer à Necker où
M. le professeur Dieulafoy fit le diagnostic d'hystérie, ce malade sortait
d'un service hospitalier avec le diagnostic « sclérose en plaques » sur
sa feuille de sortie. En quittant récemment le service de M. Dieulafoy,
ce même diagnostic a été porté, dans un autre hôpital. Et pourtant
les circonstances mêmes du fait plaident contre la sclérose. On nous
concédera facilement qu'il est hystérique. L'ictus apoplectique qui
marque le début est suivi d'hémiplégie et d'embarras de la parole. Or
un an après, les réflexes sont pour ainsi dire abolis dans le côté
paralysé, ce qui éloigne l'idée d'une lésion organique. Le tremble-
ment a débuté brusquement, un matin, sans cause connue. Pour la
dysarthrie, les vertiges, les étourdissements, les troubles de la vue,
nous ne répéterons pas ce que nous avons déjà dit à propos des
observations précédentes. Le nystagmus n'a pas été constaté de visu et
on peut douter de son authenticité, et, en somme, rien ne s'oppose, a
priori, à ce qu'on puisse le rencontrer dans la névrose, à titre d'excep-
tion rarissime. L'examen du fond de l'oeil n'a pas été fait.
L'hystérie peut donc tout expliquer. La syphilis, si elle a joué un
rôle, n'a joué que celui d'agent provocateur.
Ons. V (inédite) (Communiquée par MM. Joffroy et Babinski). Syn-
drome hystérique simulateur de la sclérose en plaques. La nommée
G...ard, quarante ans, entre le 19 juillet 1888, salle Pinel, à la Salpetrierc.
dans le service de M. le D' Joffroy.
Antécédents héréditaires. Père mort accidentellement; n'était pas
nerveux. Mère morte d'apoplexie cérébrale suivie d'hémiplégie gauche. Ils
ont eu quinze enfants : dix sont morts, deux, en bas âge, dans les convul-
siotts. Parmi les cinq qui vivent se trouve une fille, soeur de la malade, qui
a eu des crises convulsives ; elle a actuellement de l'eczéma. Un fils a
souffert de rhumatismes articulaires aigus. Chez les grands-parents, oncles,
tantes, rien à noter au point de vue nerveux.
Antécédents personnels. - G... a eu la rougeole et la scarlatine dans
l'enfance. Depuis de dix ans jusqu'au moment où elle a été réglée, elle
a eu des accès convulsifs deux ou trois fois par mois. Ces crises s'accompa-
gnaient de perte de connaissance, de morsures de la langue et de miction
. involontaire. L'accès passé, elle était fatiguée et courbaturée durant deux ou
trois jours. Ces crises étaient aussi fréquentes le jour que la nuit. cette
époque, elle a eu aussi des absences typiques. Depuis l'apparition des règles,
ces accès d'épilepsie ne se sont plus reproduits. Réglée à quatorze ans et
jamais bien. A dix-huit ans, après un accouchement normal, la malade a eu de
l'ictère et des coliques hépatiques. Quelques mois après, fièvre typhoïde assez
grave. l'âge de trente ans, rhumatisme articulaire aigu. Il y a quatre ans. réci-
dive de fièvre typhoïde. Il y a trois ans, elle fait une fausse couche de trois mois
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». z ? ;) )
provoquée par M. le professeur Tarnier, à la suite d'accidents éclamptiques
avec anasarque et albuminurie. C'est à la suite de ces attaques d'éclampsie,
trois semaines après l'avortement, qu'est survenue la paralysie des membres
inférieurs. Le début a dû être rapide, car dès les premières fois qu'elle
a essayé de marcher, elle est tombée sur les genoux. L'anesthésie existait
déjà. Trois mois après, elle est entrée à la Pitié, dans le service de
M. Troisier; elle y est restée deux ans puis est entrée à la Salpètrière.
Depuis ses attaques d'éclampsie, elle a constamment gardé le lit, ses jambes
étant complètement paralysées. Rien du côté des bras ni de la têle.
En même temps que la paraplégie sont survenus de l'incontinence d'urine
et des accidents gastriques. L'incontinence disparaissait par moment, mais
il restait alors une miclion absolument impérieuse. Quant aux troubles
gastriques ils consistaient en vomissements et en douleurs gastralgiques.
Pendant une certaine période, les vomissements ont été absolument incoer-
cibles el ont nécessité l'alimentation par le rectum. Pendant quelque temps
c'étaient (le véritables hématémèses. Durant son séjour à la Pitié, les douleurs
d'estomac n'ont pas cessé : elles étaient continues avec paroxysmes plus ou
moins espacés. On a essayé le traitement par les aimants, la métallothérapie.
C'est dans cet hôpital qu'elle a commencé à avoir de la diplopie transitoire.
Dans une note de février 1888 on lit : toujours douleurs épigastriques
avec crises. Plus de vomissements ni d'hématémèses. La vue a beaucoup
baissé; les pupilles réagissent normalement.
Etat actuel (juillet 1888). État général excellent. Polysarcie. Para-
plégie complète. Anesthésie sur toute l'étendue des membres inférieurs et
généralisée mème à des degrés différents sur toute la surface du corps. Au
niveau de la face, elle est plus marquée du côté droit. Cette anesthésie esl
étendue aux muqueuses. Abolition des réflexes patellaires. Pas de trépi-
dation spinale ni de troubles trophiques. Les pieds sont en varus équin.
Aux membres supérieurs, la force musculaire est diminuée surtout à
droite. Réflexes pupillaires normaux. L'ouïe est intacte. L'odorat est aboli.
3 décembre. La malade a eu du méloena à diverses reprises. Depuis le
début de sa maladie elle a de l'amnésie portant sur des faits récents. Pleurs
très faciles. 15 décembre. L'examen électrique pratiqué par M. Vigoureux
donne les résultats suivants : réactions électriques normales. Pas d'atrophie.
Anesthésie plus marquée à droite. Réflexes rotuliens exagérés.
Troubles oculaires. Réduction considérable de l'acuité visuelle pour les
deux yeux ? ? Pas de lésions du fond de l'oeil. Achromatopsie complète
bilatérale. Diplopie monoculaire et micropsie. Les réflexes pupillaires sont
conservés. Le champ visuel présente un rétrécissement concentrique pour
les deux yeux 10. - Le goût et l'odorat sont abolis.
Anesthésie totale. La malade ne sent aucun contact, ni le plan du lit, ni
les objets qu'on lui met dans les mains, sur la tète, etc. Pas d'attaques con-
vulsives. De temps à autre, elle a des moments tristes avec pleurs qu'elle
dit toujours motivés. La paraplégie est toujours absolue avec incontinence
30 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
d'urine et constipation non opiniâtre. La malade souffre toujours de
l'estomac. 4
14 mars 1889. L'anesthésie est toujours totale, avec perte complète du
sens musculaire et articulaire. Anesthésie des muqueuses. Perte du réflexe
pharyngé. L'ouïe est diminuée surtout du côté gauche. Les membres infé-
rieurs sont dans l'extension, les pieds en varus équin. Les réflexes sont
normaux aux genoux. Les membres supérieurs sont parésiés. Au dynamo-
mètre : main droite, il; main gauche, G.
Il y a aussi affaiblissement musculaire dans les muscles de la tête et du
tronc. Les muscles de la face sont eux-mêmes affaiblis; elle plisse peu son
front. Lorsqu'on fait lever les mains à la malade, on voit dans la main droite
un tremblement qui existe (mais moins accusé) au repos. Elle ne peut pré-
ciscr la date de son apparition. C'est un tremblement général de tout le
membre supérieur. La langue est agitée d'un tremblement continuel qui
s'accentue lorsque la malade la tire hors de la bouche. Les divers viscères
sont sains. Il existe une douleur provoquée par la pression sur l'épigastre
et l'hypocondre gauche. En outre il y a, à droite, un point ovarien.
2 mat 1889. Le réflexe rotulien est exagéré du côté gauche. Le membre
supérieur droit tremble continuellement. Ce tremblement s'exagère quand on
fait lever la main à la malade et dans les mouvements voulus. Dans le membre
supérieur gauche, il y a, presque toujours, un état de trémulation d'inten-
sité variable qui ne se modifie pas quand on fait lever la main à la malade.
2 juin. On commence à électriser la malade avec les courants continus.
L'anesthésie reste complète. 3 juin. La malade sent les piqûres aussitôt
après la séance, mais l'analgésie reparaît bientôt. 4 juin. La sensibilité
cutanée est revenue plus du côté droit que du côté gauche. 10 juin. La
malade remue volontairement les orteils du pied droit pendant la séance.
11 juin. -Elle remue de la même manière les orteils du pied gauche. Le 12,
on dit à la malade de lever les jambes au-dessus du plan du lit, elle parvient
à le faire avec la jambe droite qu'elle soulève à une hauteur de 15 centi-
mètres environ. Le 14, elle lève le membre inférieur à 10 centimètres au-
dessus du plan du lit. Elle arrive également à fléchir de quelques degrés les
jambes sur les cuisses. Le 10 juin, la malade peut s'asseoir sur le bord du
lit, les jambes pendantes, sans l'aide de ses mains; de même elle remet ses
jambes en place sans le secours de personne. Les mouvements d'élévation
sont devenus plus faciles et plus étendus. Elle arrive aussi à fléchir successi-
vement les cuisses sur le bassin et à les étendre simultanément sans trop de
gène. Cette amélioration s'arrête à cette époque et la paraplégie redevient
complète, et celte année, M. le D'' Babinski, remplaçant M. Joffroy, trou-
vait cette malade dans l'immobilité absolue (août 1890).
Le 15 septembre 1890, M. Babinski la soumet aux courants faradiques.
Après deux séances d'électrisation, amélioration sensible. Par la suggestion
à l'état de veille et la faradisation, au bout de cinq jours, la malade pouvait
faire des mouvements spontanés de flexion et d'extension des jambes et des
cuisses. La sensibilité cutanée était très notablement revenue. 20 septembre.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 31
- La malade peut se lever de son lit et marcher dans la salle sans appui. Nous
l'avons vue marcher ainsi : elle progresse assez facilement, les jambes un
peu écartées, traînant un peu le pied droit, comme dans l'hémiplégie hysté-
rique. Le 25, l'amélioration a fait encore des progrès. La paraplégie peut
être considérée comme guérie. Seul le tremblement du membre supérieur
droit persiste; il présente les caractères reproduits par le tracé ci-dessous
que nous avons enregistré ce même jour (fig. 5).
Au repos, les secousses persistent; dans l'acte de porter un verre plein à la
bouche, elles augmentent d'amplitude sans augmenter de fréquence (c'est
là un caractère du tremblement hystérique) ainsi qu'on peut s'en rendre
compte en en faisant la numération par seconde (7 oscillations par seconde)
à l'aide de ce double tracé.
Chez G... l'hystérie ne faisait aucun doute. Mais en raison de la
durée des accidents, de leur ténacité, des troubles urinaires, ocu-
laires, etc., on a pu se demander si la névrose ne coexistait pas ici avec
le tabes, avec la paralysie agitante, avec la sclérose en plaques. L'évé-
nement est venu détruire ces hypothèses et montrer que tous les
phénomènes relevaient de l'hystérie.
OBs. YI (résumée). (Rendu, in Soc. méd. ItBp., 1889, p. 1S ? ,
in. Gazette des hôp., n° 56, 1890, in Leçons de clin. méd., 1800, p. 495).
Syndrome hystérique simulateur de la sclérose en plaques. Armand M.,
trente-huit ans, vigneron.
Antécédents héréditaires. -Inconnus, c'est un enfant naturel.
Antécédents personnels. Dans son enfance, dit-il, il était insubor-
donné, nerveux, irritable. Plus tard, comme soldat, il a été souvent puni,
envoyé aux compagnies de discipline, et, même mis en « silo ». En 1873,
sans cause connue, il a été pris d'une attaque convulsive épileptiforme,
avec perte de connaissance et miction involontaire. A la suite, il eùt quelque
temps un état mental bizarre : il était comme abruti. En 1874, il contracta
la syphilis.
Repos. Mouvement. (Action de porter un verre à la bouche).
Fic. 5. Tremblement hystérique (Observation Y). Le tremblement existe au repos et s'exagère pendant le mouneiiietit. (Le premier
' tracé de cette figure est un tracé chronométrique ; il permet de compter le nombre d'oscillations par seconde qui est ici de 7.
32 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA AL p : £ T 1\ l ÈRE.
Début de la maladie actuelle. Il y a un an, il a eu de la céphalalgie,
et de la somnolence, du tremblement plus accusé qu'aujourd'hui, puisqu'il
rendait la marche impossible. Enfin, il a eu des vertiges, des troubles de la
vue, tels que défaut de perception des couleurs. Encore aujourd'hui, sa vue
n'est pas parfaite, et il apprécie mal le violet. Il a eu en outre de petites
attaques avec perte de la connaissance et de la parole. Il entra il l'hôpi-
tal d'Auxerre, où il a élé soigné pendant un an.
Etat actuel. Ce qui frappe d'abord chez ce malade, c'est un tremble-
ment qui agite tout le corps. Ce tremblement n'est pas continuel : il est nul
au repos et pendant le sommeil. Il apparaît à l'occasion des mouvements et
s'exagère sous l'influence des émotions.
Quand le malade esl debout, tout le corps paraît animé de petites oscilla-
lions dont le centre semble être aux genoux; les mollets semblent être dans
un état de contraction réflexe, de demi-contracture. Pendant la marche, les
oscillations sont bien plus marquées. On n'observe ni la démarche des
ataxiques, ni le steppage, ni le talonnage; il reste, en effet, maître du degré
d'impulsion adonner il ses membres; il était toutefois vite fatigué. Pas de
signe de Romberg. Les réflexes tant plantaires que rotuliens sont exagérés,
et, en relevant brusquement la pointe du pied, on détermine une trépidation
intense et prolongée. Au repos, les membres supérieurs ne présentent aucun
tremblement; mais dans les mouvements, dans l'action de saisir un verre, les
oscillations apparaissent, assez petites d'abord, puis de plus en plus grandes,
à tel point que dans les premiers lempsde son séjour, il lui était impossible
de porter le verre à sa bouche pour boire. Les doigts ne tremblent pas par
eux-mêmes, ils ont seulement des oscillations communiquées. Dans les
mouvements que l'on imprime à ses membres, on sent une résistance, une
raideur, une sorte de contracture. La parole est un peu bredouilles, mais elle
n'est ni lente ni saccadée.
Troubles de la sensibilité. Il n'existe sur le corps aucune anesthésie,
aucune hyperesthésie, ni Ù la douleur, ni au contact, ni il la température.
A la face, cependant, on trouve une plaque d'anesthésie, commençant à l'aile
gauche du nez, intéressant la bouche et s'arrêtant brusquement au menton;
elle remonte un peu vers la région temporale, mais ne s'étend pas vers la
branche montante du maxillaire inférieur. Anesthésie pharyngée. Les sens
spéciaux sont intéressés. L'oeil présente un léger l'étrécissement du champ
visuel à gauche, de la polyopie du même côté, une diminution de l'acuité
visuelle. Il apprécie mal le violet. L'ouïe du côté gauche est diminuée.
Au point de vue psychique, il est peu intelligent; état mental affaibli. La
santé générale est bonne, et il n'accuse aucun autre trouble fonctionnel.
Durant son séjour à l'hôpital Necker, amélioration sensible du tremblement
intentionnel et des divers troubles.
N'est-ce pas là un tableau morbide qui ressemble étrangement à la sclérose
en plaques. « Nous en retrouvons la plupart des caractères, dit M. Rendu :
absence de tremblement au repos, oscillations graduellement croissantes,
troubles sensitifs ou sensoriels imputables il des plaques cérébrales, tendance
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS». 33
à la contracture, altérations de la parole et de la vue, exagération des
réflexes, absence de troubles trophiques. L'analogie est grande. Cependant,
la parole n'est pas lente, scandée, péniblement articulée ; le nystagmus et la
diplopie manquent; enfin, toute maladie infectieuse fait défaut dans les anté-
cédents, sauf la syphilis qui ne doit pas être mise en cause. Mais, comme il
est des scléroses en plaques à tableau incomplet, à marche lente, on aurait
posé ce diagnostic sans hésitation, il y a dix ans. Aujourd'hui, nous devons
penser aux faits d'hystérie masculine, de tremblements hystériques qui sont
indéniables bien que peu connus. »
Mais, d'autre part, ce malade est un hystérique; comme stigmates, il pré-
sente une plaque d'anesthésie faciale, de l'anesthésie pharyngée, de la
polyopie, du rétrécissement du champ visuel, de la dyschromatopsie, un
point sensible sous le sein gauche, de la diminution de l'ouie du côté gauche,
assez de signes, en un mot, pour que l'hystérie ne puisse être mise en doute.
De plus, l'amélioration considérable survenue en huit jours plaide encore
pour l'origine névropathique des accidents. Tout ici, en un mot : vertiges,
troubles de la parole spéciaux, tremblement, faciès, etc., relève de la grande
névrose.
Au sortir du service de M. Rendu, ce malade est entré à la Salpêtrière, où
il a passé un an. Hystérie et rien qu'hystérie, tel a été le diagnostic de M. le
professeur Charcot. Nous l'avons revu cette année même, le 15 juillet 1890.
M. le D, Brissaud, dans une leçon qu'il fit à la Salpêtrière, nous l'a montré
avec une nouvelle manifestation : le spasme saltatoire, ce qui complète le
tableau hystérique.
Ons. Vil (résumée) (Bristowe, in Diseuses of the nervous systent, Lon-
don 1888). Syndrome hystérique simulateur de la sclérose en plaques.
Henriette P..., célibataire, vingt-cinq ans,vient nous trouver le 18 novembre
1887. Après avoir présenté depuis une dizaine d'années diverses manifesta-
tions hystériques 'survenant de temps à autre, elle devient paraplégique il
y a cinq ans. Depuis lors elle n'a pas quitté le lit. 11 y a trois ans environ, elle
eut à diverses reprises des pertes de voix passagères; un an plus tard, elle fut
prise d'une aphonie qui persiste encore. Il y a dix-huit mois, elle éprouva de
la faiblesse dans les membres supérieurs ; depuis cette époque, elle a été
complètement incapable de manger seule.
État actuel. Jeune fille pâle, petite, avec une figure pleine et de beaux
cheveux noirs. Elle a l'air abattu; repliée sur elle-même, elle regarde l'en-
tourage à travers ses paupières à demi fermées; elle rit sans motif et pour la
moindre chose. Elle déclare qu'elle a perdu la voix; aussi ne s'exprime-t-elle
qu'à voix basse. Quand on la presse, elle émet des sons et des cris inarticulés
de tonalité différente. Les membres supérieurs sont fléchis et appuyés sur sa
poitrine; ils ne peuvent exécuter que de faibles mouvements.
Quand elle essaie de porter l'une ou l'autre main à son visage, surtout si
elle tient un objet quelconque, le membre est pris d'un violent tremblement
analogue à celui de la sclérose multiloculaire « becomes violenty tremulous,
m. 3
: il NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
as one sees in typical cases of disseminated sclerosis. » Les membres infé-
rieurs sont faibles; elle peut cependant les remuer, mais non se tenir debout.
Ils ont une tendance générale il la rigidité, et les pieds sont en extension sur
le cou-de-pied. Les réflexes du genoitsont exagérés; il y a du clonus du pied
et de la rotule. Absence de réflexes plantaires. Les réflexes abdominaux sont
très marqués. Il n'y a ni diminution de la sensibilité dans aucune partie du
corps, ni aucun trouble des sens spéciaux. Les muscles de l'oeil, de la langue,
de la bouche, sont normaux; les organes thoraciques et abdominaux com-
plètement sains. Mais il y a des zones d'hyperesthésie douloureuse, au-des-
'sous des clavicules et autour de l'ombilic. Pas de douleur dans la région ova-
rienne. Elle se plaint en outre d'éprouver des douleurs dans le côté gauche
du tronc.
Le D' Semon, qui a examiné son larynx, a dit que les mouvements en étaient
normaux, et que, aux essais de phonation, il y avait occlusion complète de la
glotte. La suite de l'observation confirma ces renseignements et fit recon-
naître le caractère de cette aphonie. Elle pouvait articuler parfaitement, mais,
quand elle Voulait parler, elle faisait des expirations si faibles que sa parole
était un chuchotement qu'on ne pouvait entendre. Elle pouvait cependant
émettre des sons, sur un ton même très élevé (voix de tète); elle pouvait
chuchoter des notes avec une parfaite justesse. La parésie des bras, le trem-
blement intentionnel, la paralysie avec rigidité des membres inférieurs,
l'exagération des réflexes rotuliens, la trépidation épileptoïde persistaient
toujours. Le 20 novembre, on applique sur les deux côtés le courant galva-
nique, ce qui lui permet d'émettre tous les sons de l'échelle musicale. Ce
traitement fut répété chaque jour. Le 3 décembre, pour la première fois, elle
put parler normalement et répéter d'une voix naturelle la deuxième partie
dc l'alphabet. Le 5 décembre, pendant qu'elle était sous l'action de la bat-
terie électrique, elle se mit à parler et à lire couramment à haute voix.
A dater de ce jour, la batterie lut appliquée tous les jours, sur les membres
supérieurs et inférieurs, et il s'ensuivit une rapide amélioration. Le 9 dé-
cembre, on notait qu'elle avait le pouvoir complet d'articuler et d'émettre des
sons; on notait également que les membres supérieurs, qui, quelques jours
auparavant, ne pouvaient être soulevés du lit et étaient restés dans cet état
d'impotence et d'inutilité durant plusieurs mois, avaient recouvré leurs
mouvements et leur entière liberté; qu'elle pouvait s'ell servir et qu'il lui
restait à peine une trace de tremblement « vit/¿ scarcely a trace of tremor ».
Il y avait aussi une amélioration notable dans la puissance musculaire des
membres inférieurs, quoiqu'elle ne pût encore ni marcher ni se tenir de-
bout. La trépidation épileptoïde avait disparu : les réflexes plantaires étaient
toujours absents.
L'amélioration continua progressivement, et,-le 20 décembre, elle pou-
vait marcher autour de la salle sans aide, bien que sa démarche fût un peu
gênée et qu'elle progressât le tronc incliné en avant. Elle attribuait cette in-
curvation à la faiblesse et à la douleur qu'elle 'éprouvait dans le côté gauche
de la- région dorsale. Cette amélioration se maintint dans la suite. La malade
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 35
continua à pouvoir parler et marcher normalement; elle avait entièrement
perdu le tremblement des membres supérieurs « the entirely lost the tremor
in her arms », et pouvait s'en servir pour tous les usages de la vie. En outre,
son attitude voûtée dans la marche avait beaucoup diminué, ainsi que la dou-
leur, et, en somme, elle pouvait marcher librement. Le 7 janvier 1888, à l'oc-
casion des divertissements habituels de la Christmas qui avaient lieu dans la
salle, elle prit part à ces divertissements, et chanta même d'une bonne voix,
avec force et âme : « Voulez-vous m'acheter mes jolies fleurs, etc. » accom-
pagnée en choeur par les autres malades. La conséquence de cette excitation
fut que, le lendemain soir, elle avait reperdu l'usage de la voix pendant
quelques heures.
Aucun autre accident à signaler depuis lors. Elle se plaignait cependant
parfois d'une douleur dans le dos et le côté; elle avait toujours quelque ten-
dance à se courber en avant quand elle marchait ou quand elle se tenait de-
bout, mais elle avait conservé toujours la faculté de parler et le parfait usage
de ses membres inférieurs et supérieurs.
Le 22 février 1888, elle fut envoyée dans une maison de convalescence;
elle y fut traitée par les courants interrompus quotidiens et tout dernière-
ment par les douches en pluie et le massage. Durant son séjour dans cet asile,
elle eut une ou deux fois de l'aphonie passagère. A la fin du mois, avant de
retourner dans son pays, elle revint à l'hôpital Saint-Thomas. Elle était alors
tout à fait guérie.
Cette observation, ainsi que le fait remarquer l'auteur, est intéres-
sante il plusieurs titres. Il y avait d'abord exagération des réflexes et
clonus du pied, ce qui est, dit-il, un accompagnement rare de la pa-
raplégie hystérique. En outre, la paralysie était accompagnée d'un
tremblement intense « coarse tremor » à l'occasion de mouvements
voulus. Ce tremblement, ajoute-t-il, rappelait tellement celui qu'on
observe souvent dans la sclérose en plaques, que, étant donné qu'il se
trouvait associé à la paraplégie spasmodique, on pouvait hésiter sur sa
nature. On aurait vraisemblablement été conduit à une fausse inter-
prétation, n'eût été la coexistence d'autres conditions démontrant d'une
façon péremptoire la présence de l'hystérie.
En effet, on pouvait penser à la sclérose en plaques, à cause de la
paraplégie spasmodique datant de cinq ans, du tremblement intention-
nel des membres supérieurs remontant à deux ans, de l'absence de
troubles de la sensibilité générale et spéciale, de l'absence de troubles
de la nutrition, du faciès abattu, en dessous, avec tendance au rire
sans motif. Et néanmoins, il ne saurait s'agir ici de sclérose cérébro-
spinale. En effet, la malade est une hystérique; railleur le signale expli-
citement. Elle avait eu durant dix ans diverses manifestations hysté-
riques ; elle eut au cours de sa paraplégie plusieurs attaques d'aphonie,
30 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dont l'une, de longue durée, n'était liée à aucune paralysie laryngée et
guérit spontanément.
En présence de tous ces symptômes, l'hystérie ne saurait être mise
en doute, malgré l'absence des stigmates sensitivo-sensoriels; elle avait
cependant des zones d'hyperesthésie douloureuses. En outre, tout ici
est d'origine hystérique : la guérison rapide, complète, survenue en
quelques jours par un simple traitement électrique, jointe aux divers
phénomènes que nous venons de signaler, en est une preuve irréfu-
table.
. CHAPITRE II
Des « Psezcdo-ScLéroses »
Dans ces dernières années, divers auteurs ont appelé l'attention sur
des observations paradoxales; les symptômes et l'évolution delamaladie
avaient fait diagnostiquer une affection organique du système nerveux,
et l'autopsie ne révélait aucune altération capable d'expliquer les phé-
nomènes constatés pendant la vie. Pour interpréter ces résultats néga-
tifs et les mettre d'accord avec la symptomatologie, on admit l'exis-
tence de névroses spéciales, distinctes de l'hystérie et susceptibles de
simuler les maladies organiques de la moelle
C'est Westphal qui, en 1883, a rapporté le premier deux obser-
vations de cette nature : du vivant du malade, il avait porté le diagnos-
ticdesclérosemultiloculaire et l'autopsie ne fit découvrir aucune plaque
de sclérose, aucune altération appréciable des centres nerveux. Les
nerfs périphériques, examinés histologiquement avec le plus grand
soin, furent trouvés complètement sains. Vestphal fait suivre ces deux
observations de la réflexion suivante : « Il y a une névrose générale,
que l'on peut appeler pseudo-sclérose, et qui, ni par sés symptômes
ni par son évolution, ne peut être distinguée de la véritable sclérose en
plaques. » L'année suivante, Langer signalait dans la Wien. medicin.
Presse deux faits semblables; ici encore l'examen anatomo-patholo-
gique ne montra aucune sclérose, aucune lésion du système nerveux
central.
M. Babinski, dans sa thèse inaugurale, mentionne un cas du même
genre. On avait fait le diagnostic de sclérose en plaques, et l'autopsie
vint révéler l'absence complète d'altérations macroscopiques du sys-
1. Archiv /ür Psych., 1883.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 37
tème nerveux. Killian relate un fait analogue; l'autopsie fut faite par
Leyden. Enfin M. Francotte (Annales de la Société méd.-chir. de Liège,
Il 887) vient de publier un cas identique : l'autopsie donna un démenti
formel au diagnostic de sclérose formulé pendant la vie. Cet observa-
teur, rapprochant son cas de ceux de Westphal, déclare que « provisoi-
rement tous les cas de ce genre doivent être rangés sous la désignation
de névrose, et qu'il faut se borner à en constater l'existence, sans
pouvoir encore élucider leur nature, ni établir les caractères qui ser-
viront à les diagnostiquer ». Dans le même ordre d'idées, M. le profes-
seur Pitres, a signalé récemment (Archiv. Neural., 1888) un cas remar-
quable de psezcdo-tabes. Il était impossible, dit l'auteur, de ne pas
porter ce diagnostic durant la vie. A l'autopsie, on ne trouva aucune
sclérose médullaire, aucune névrite périphérique. L'absence de toute
lésion spécifique ne saurait autoriser à admettre que le tabes soit une
névrose; il faut donc reconnaître qu'il existe, dans certains cas, des
troubles fonctionnels capables de donner lieu à un ensemble de sym-
ptômes analogues à ceux qui caractérisent le tabes. De cette observa-
tion de M. Pitres, on peut rapprocher le cas rapporté par Thomsen
(Arch. fur. Psclb., 1886. Ein fall von tüdtlicher mit... ohne anato-
mischen 13e/'und), dans lequel, malgré de patientes recherches, les
résultats microscopiques restèrent négatifs.
De son côté, Oppenheim ' publie une observation de névrose bul-
baire ayant simulé la paralysie glosso-laryngée et dans laquelle l'au-
topsie resta muette. Et, à ce propos, il cite un cas analogue de Villa=
et ajoute : c Mon cas se rapproche de ceux de YVestphal, Wilks, Bris-
towe ; il prouve qu'il existe une névrose qui se montre sous les sym-
ptômes d'une paralysie labio-glosso-laryngée sans atrophie. » Bris-
touez, en effet, a relaté un fait de névrose ophthalmoplégique vu déjà
par F. Warner. Il s'agit d'une maladie de Graves suivie d'ophthalmo-
plégie externe. Hémianesthésie droite sensitivo-sensorielle, élévation
persistante de la température, hémiplégie droite, attaques épilepti-
formes ; mort par bronchite. A l'autopsie, absence de lésions du
système nerveux. C'est là une observation que nous ne faisons que
mentionner, elle sort un peu de notre cadre. Si, en effet, la malade est
hystérique, l'ophthalmoplégie externe semble plutôt en rapport avec
la maladie de Basedow. Tel est à peu près le bilan des pseudo-scléroses,
pseudo-tabes, pseudo-paralysie bulbaire, avec symptomatologie, très
1. Oppenheim, ili-chiv sur ¡lnat. palhol., 1887 (Ueber einen Fall non clironischeer pro-
gressive 1111tbiil'paratysc ohllc aiialoiiiisciteit Befund).
2. Witks, Ott cerebretis IIysteria and IJulbnrparalysis, etc. (Cuy's Ilospilnl ncp., vol.
XXII).
3. Brislowe, Drain, 1885.
38 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
nette et autopsie sans résultat. Très vraisemblablement, l'époque n'est
pas éloignée où toutes les maladies organiques spinales seront doublées
d'une névrose particulière pouvant les simuler. Ce que nous disons
de la pathologie spinale, nous pourrions le répéterpour la pathologie
organique en général. En effet, le jour où on aura diagnostiqué une
tumeur, un foyer de ramollissement ou d'hémorrhagie cérébrale, un
ulcère de l'estomac, etc., si on ne trouve pas à la nécropsie la lésion
soupçonnée, on aura le même droit de créer de nouvelles névroses
simulatrices. De telle sorte qu'il faudra désormais ouvrir un chapitre
spécial pour les « pseudo-maladies organiques », pour des névroses nou-
velles que nul signe, de l'avis de Westphal, Langer, Oppenheim, etc.,
ne permet encore de reconnaître.
C'est là une manière de voir que nous ne saurions accepter sans ré-
serves. L'existence de ces névroses diverses ne nous semble pas suffi-
samment justifiée. Nous ne voulons pas faire ici une critique trop
sévère, mais il résulte de l'examen approfondi auquel nous nous
sommes livré que ces diverses observations ne sont pas comparables
entre elles, et qu'un certain nombre relèvent incontestablement de
rinstérie. Loin de nous de ne voir partout que l'hystérie, et de vouloir
tout faire rentrer dans son cadre. Ce serait enlever à la grande névrose
sa raison d'être, à ses stigmates leur valeur séméiologique, et perdre
d'avance la cause que nous défendons. Ce serait tout au moins rajeu-
nir et nous n'en avons nulle envie -la vieille théorie deSydenham
qui attribuait à l'hystérie tout ce qui ne se rapportait pas à une
maladie connue. Nous ne voulons et ne devons, dans cette critique
rétrospective, admettre comme hystériques que les malades qui en
portent des signes appréciables. Or, c'est précisément parce que, dans
quelques-unes de ces observations, on trouve des symptômes irréfra-
gables d'hystérie, que nous voulons faire oeuvre de réhabilitation pos-
thume, en rendant à chacun ce qui lui est dû. Sans compter que,
même dans quelques cas où l'existence des stigmates hystériques n'est
pas mentionnéee explicitement, on serait peut-être autorisé à faire
des réserves. En effet, à cette époque, l'hystérie mâle était mal
connue, et il suffisait même dans certains pays d'être homme pour
n'être pas « hystérisable ».
Quoi qu'il en soit, les divers cas de pseudo-sclérose semblent devoir
se ranger sous les trois chefs suivants. Cas où :
1° L'hystérie est incontestable;
2° L'hystérie est discutable;
3° L'hystérie ne peut être incriminée.
I. Et d'abord, les deux observations de Westphal relèvent sans aucun
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 39
doute de l'hystérie. C'est là un point que M. Rendu a parfaitement mis
en lumière, et qui, aujourd'hui, est incontestable.
II. Quant aux cas discutables, nous ferons de grandes réserves. En
raisonnant par analogie, et en acceptant, avec toutes leurs conséquences,
les rapports que les auteurs établissent entre leurs observations et celles
de Westphal, on serait tenté de les classer dans l'hystérie. Mais ce n'est
là qu'une hypothèse que l'insuffisance des détails ne légitime pas
suffisamment. Aussi n'y attachons-nous pas une grande importance. Et
cependant elle n'a rien d'invraisemblable.
Est-il besoin d'admettre de nouvelles névroses simulatrices, quand
on a déjà l'hystérie, affection essentiellement polymorphe, qui remplit
ce même rôle simulateur. Si l'on songe qu'elle peut parfois se présenter
sous la forme monosymptomatique, il serait bien possible que quelques-
uns de ces faits discutables fussent de son ressort. Mais c'est là, nous
le répétons, une hypothèse qui n'a pour elle que la vraisemblance. Il
est problable, du reste, que des lésions organiques existantes ont dû
passer inaperçues : l'examen microscopique n'a pas toujours été fait,
et, en particulier pour le bulbe et la protubérance, le secours du
microscope est absolument nécessaire pour découvrir des lésions qu'on
ne voit pas à l'oeil nu. D'autre part, les nerfs périphériques n'ont pas
été toujours examinés; ils auraient, peut-être, pu mettre sur la voie
d'une origine toxique. Enfin la neurasthénie pourrait bien réclamer
pour son propre compte quelques-unes de ces If névroses ».
III. Il reste enfin une troisième catégorie de faits où l'hystérie ne
semble pas en cause. Il resterait à déterminer désormais le rôle
qu'auraientpu jouer les infections et les intoxications diverses. Kraatzer
rapporte le fait suivant : un garçon de douze ans mange du boudin
avarié; les jours suivants, on constata des troubles pharyngés et laryn-
gés, delà faiblesse musculaire, un ptosis complet à gauche, incomplet
à droite; les pupilles dilatées étaient immobiles. Quatre jours après,
l'enfant mourut, et l'autopsie ne révéla aucune altération appréciable.
. En résumé, à notre avis, tous ces faits doivent se diviser en deux
groupes : d. Dans l'un, les détails de l'observation, étudiés à lalumière
de nos connaissances actuelles, permettent d'affirmer que le malade
était hystérique et que, sans aucun doute, le complexus morbide
relevait en entier de l'hystérie;
2° Dans l'autre, la névrose hystérique n'est pas en cause. Il faut très
probablement faire intervenir une cause passée inaperçue : la neuras-
thénie, les intoxications et les infections chroniques méconnues. Et,
comme enseignement, savoir qu'il est désormais nécessaire de recher-
cher avec soin, à diverses reprises, l'existence des stigmates de l'hys-
40 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
térie dans le passé ou dans le présent; qu'il faut aussi songer à la neu-
rasthénie, à l'alcoolisme, au saturnisme, etc., aux maladies infectieuses.
Ces éliminations faites, on serait en droit, mais alors seulement, de
créer une nouvelle entité clinique. Nous croyons, pour notre part, que
le cadre de ces névroses inconnues est destiné à se rétrécir de jour en
jour et que les « pseudo-scléroses », « pseudo-tabes », etc., ne farde-
ront pas à être rayés de la nosographie.
Ç- OBS. IX (Gazette des hôpitaux, 25 juin 1881). Sclérose en plaques dissé-
minées cérébro-spinale à forme insolite. Amélioration très notable pro-
dnite par l'application de pointes d.- feu. L'observation dont nous allons
donner le résumé est doublement intéressante : d'abord au point de vue de
la pathologie pure, par un ensemble symptomatique exceptionnel; puis et
surtout au point de vue de la pratique médicale, par les bons effets qu'on a
obtenus de l'application de pointes de feu le long de la colonne vertébrale.
La maladie dont il s'agit rentre certainement, par son aspect clinique,
dans le cadre des scléroses en plaques disséminées. Mais la sclérose ne doit
pas porter, dans ce cas, exclusivement sur les cordons antéro-laléraux,
comme dans le type premier, classique, de l'unité morbide décrite sous ce
nom; les cordons postérieurs doivent être affectés, comme dans l'ataxie loco-
motrice. De là une de ces formes mixtes qu'il est toujours bon de décrire
quand' on les rencontre, car le mélange des symptômes pourrait troubler un
observateur peu attentif.
Cependant les grands traits de la sclérose en plaques cérébro-spinale
se retrouvent presque tous ici. Dans ce sens on doit surtout noter comme
caractéristiques dans l'état actuel, la parésie, la rigidité, la trémulation
des membres inférieurs, les accès de convulsions toniques déterminés par
une excitation de la peau ou une mise en action des muscles, l'émotivité, la
trémulation de la langue; et, dans les commémoratifs, la céphalalgie, les
vertiges, la diplopie, les accès épileptiformes sans perte complète de con-
naissance, etc.
Mais, tandis que la sclérose en plaques portant exclusivement sur les cor-
dons moteurs ne produit pas de troubles de la sensibilité, on rencontre, chez
ce malade, les analgésies, les hyperesthésies, les douleurs lancinantes,
fulgurantes, cruciantes,.les crises gastriques ou abdominales, la perte du
sens musculaire, les crampes spontanées et les spasmes subits qui appar-
tiennent au tableau de l'ataxie locomotrice. En outre, chez cet homme, tous
les sens paraissent plus ou moins affectés, sauf celui de l'ouïe : la vue est
affaiblie; l'odorat et le goût sont complètement perdus, l'anaphrodisie est
absolue. Le malade, âgé actuellement de quarante-trois ans, est entré le
6 mars, salle Saint-Jean n° 2, à l'hôpital Necker. Il est né d'une mère épilep-
tique; tel est du moins le diagnostic qui ressort de ses descriptions; son
père était goutteux et il est mort d'une attaque d'apoplexie. Lui-même, de
haute taille, très puissamment musclé était exceptionnellement fort. Il passa
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 41
cinq ans en Afrique comme sous-officier de spahis, puis il se fit commis-
sionnaire en vins, et sa santé resta parfaite jusqu'à ces dernières années.
Pourtant, il lui arriva deux fois de perdre complètement connaissance sous
le coup d'une violente émotion; la première fois, quand mourut sa femme;
la seconde fois, quelques mois plus tard, parce qu'il avait vu sa fille unique
encore toute petite, sur le point de tomber dans la rue, en se penchant au
dehors pour guetter son retour. Il y a deux ans, au mois d'octobre, à la suite
d'un accès de goutte qui porta sur les gros orteils et dura peu de temps, il
devint sujet à des cauchemars, mais sans vomissements le matin, sans
pituites, sans tremblement des mains, sans rien, en un mot, qui se rattachât
à l'alcoolisme. En effet, il était d'habitudes sobres. Au printemps de l'année
dernière, souffrant des jambes, se sentant faible, perdant l'appétit, il alla
passer une saison à Bourbonne-les-Bains. Sa santé ne s'y rétablit pas, au con-
traire. Il raconte que, dès ce moment, il commença à ressentir des élance-
ments douloureux dans le cou-de-pied, le tibia, les cuisses, le long de la
colonne vertébrale; une contracture permanente des muscles fléchisseurs du
pied, une trépidation qui se manifestait principalement à l'occasion de la
marche, et qui, marquée surtout dans la jambe gauche, s'étendait rapidement
à toute la moitié inférieure du corps, des hallucinations fréquentes, de
l'affaiblissement de la vue, de la diplopie.
Un peu plus tard survinrent des attaques qui présentaient les caractères
suivants : chute, sans perte de connaissance, contracture des quatre membres,
avec flexion des doigts dans la paume de la main, secousses convulsives des
muscles des membres et de la nuque, le tout durant à peu près un quart
d'heure. Pendant ces crises, la cécité était complète ; mais le malade entendait
très bien tout ce qu'on disait autour de lui. Après cela, il restait plus
d'une heure dans l'impossibilité absolue d'articuler les mots qui se présen-
taient bien, d'ailleurs, à sa mémoire. Ces attaques épileptiformes, parfois
spontanées, souvent provoquées, ne survenaient pas, habituellement, d'une
manière soudaine et inattendue. Elles étaient précédées d'une espèce d'aura,
qui permettait de les prévoir. La trépidation avec contracture qu'il était
toujours très facile de faire apparaître aux membres inférieurs, par une exci-
tation quelconque, soit de la peau sur quelqu'un des points où elle était
hyperesthésiée, soit des muscles eux-mêmes, s'accentuait alors et s'étendait
bientôt aux autres régions musculaires, au tronc, aux membres supérieurs
et à la nuque. En même temps, la vue s'obscurcissait, l'oppression se mani-
festait de plus en plus forte, jusqu'au moment où se complétait la crise. Le
caractère était devenu très impressionnable, très irritable. Des souffrances
variées et cruelles mettaient le malade à la torture. Celaient, d'abord une
céphalalgie continuelle, intense, surtout pendant la nuit, répondant doulou-
reusement sur les côtés de la face et sur les yeux (qui étaient devenus le siège
de sensations lumineuses diverses, étincelles, etc., et de complètes halluci-
nations) ; des crises gastriques caractérisées, comme celle de l'ataxie loco-
motrice classique, par une douleur extrêmement violente, siégeant au niveau
de l'épigastre, durant plusieurs heures, et s'accompagnant de vomissements;
·i°> 1-) NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
des douleurs fulgurantes ◀tantôt▶ sur quelque point des membres inférieurs,
◀tantôt▶ dans le dos, le long de la colonne vertébrale; une oppression des plus
pénibles, accompagnée de palpitations; un sentiment de vertige et parfois de
nausée; sans compter l'hyperesthésie qui occupait la face, le cuir chevelu, la
plus grande partie de la peau des jambes, le cou-de-pied, etc. Vers la fin de
l'année dernière, ce malade passa quarante-cinq jours il la Charité; il n'y
éprouva aucun soulagement. Ce fut après cela, chez lui, à ce qu'il raconte
actuellement, qu'on lui fit pour la première fois des applications de pointes
de feu. Puis il entra à-l'hôpital Necker, dans le service de M. Rigal, où,
depuis lors, ces applications furent renouvelées tous les huit jours. Sous leur
influence, on vit disparaître les vomissements, les vertiges, les crises épilep-
tiformes, la céphalalgie, les douleurs faciales et oculaires. Il n'y eut plus
de diplopie, plus d'hallucinations visuelles ou auditives, plus d'apparitions
d'étincelles, etc. La mémoire reprit de la netteté, l'impressionnabilité
extrême du caractère diminua un peu, l'hyperesthésie disparut au cuir chevelu
et à la face. Les crises gastriques s'amendèrent. Un phénomène nouveau, qui
était apparu vers l'époque où le malade entra à l'hôpital, une contracture
douloureuse des divers muscles de l'abdomen avec tympanisme, s'amende
régulièrement et disparaît presque pour quelques jours, après chaque appli-
cation de pointes de feu. Enfin, la marche elle-même est un peu plus facile
qu'avant l'emploi de ce moyen. Et le malade se loue d'autant plus chaude-
ment de cette médication qu'auparavant rien ne l'avait soulagé le moins du
monde. Mais il est loin d'être guéri.
L'abolition de l'odorat et du goût est toujours complète. La contracture
des extenseurs des pieds n'a pas diminué, les Liions ne louchent pas il terre :
la plante des pieds reste anesthésiée, et, quand le malade la pose sur le sol,
il éprouve la même sensalion que s'il marchait sur de la ouate. D'ailleurs,
quand il s'appuie sur elle, la jambe est prise d'une trépidation qui devient de
plus en plus forte à mesure que la marche se prolongeai qui finirait par s'é-
tendre à tout le corps s'il ne s'arrêtait pas. Il est persuadé qu'il en viendrait
il une vraie crise épileptiforme s'il persistait un peu trop longtemps. Il s'aide
habituellement de béquilles, mais, même avec leur secours, il ne peut se
tenir debout, dès qu'il ferme les yeux.
La sensibilité est répartie de la manière la plus inégale, sur la surface cu-
tanée. Sur la face antérieure des jambes, bien que l'hyperesthésie ait beaucoup
diminué, elle est encore telle qu'il suffit de tirer légèrement les poils pour
provoquer, dans les deux membres inférieurs, une violente trépidation.
Le réflexe rotulien, loin d'être aboli comme dans la plupart des cas d'ataxie
locomotrice, est, au contraire, exagéré d'une façon notable. On provoque éga-
lement des mouvements convulsifs avec trépidation des membres inférieurs
en essayant de fléchir le pied, contrairement à ce qui s'observe, le plus sou-
vent, en cas d'épilepsie spinale. La peau des cuisses esl anesthésiée presque
en totalité, sauf sur laface interne. Le sens musculaire subsiste pourtant dans
cette région, car une pression forte y est perçue. Les mains tremblent un peu
quand le malade est ému, mais ce tremblement ne ressemble pas à celui de
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 43
la sclérose en plaques. Il ne s'exagère pas quand cet homme veut donner au
mouvement une direction précise. Qu'il ait, ou non, les yeux ouverts, il atteint t
sans peine le point, son nez, sa bouche, par exemple, qu'on lui commande
de toucher. Si l'on cherche une comparaison pour ce léger tremblement des
mains qui ne l'empêche nullement d'écrire, de porter aux lèvres un verre
plein, etc., on la trouvera plutôt dans l'alcoolisme; mais ici il n'est pas ques-
tion d'alcoolisme. Egalement, comme les alcooliques, ce malade se sent plus
souffrant les jours d'orage. Il est alors plus impressionnable, plus irritable,
plus tremblant, et se sent souvent la poitrine comme serrée. Une émotion
vive ou la fatigue des questions longtemps prolongées produisent des résultats
semblables. Des plaques et des pointillés rouges, tenant à des troubles des
nerfs vaso-moteurs, se voient sur les régions hypothénar et sur divers autres
poinls du corps. La peau est toujours sudorale, particulièrement aux jambes.
Depuis peu de temps, on s'est aperçu, en faisant tirer la langue, qu'elle était
agitée d'une trémulation légère. L'inappétence est absolue; le dégoût pour
la viande et les aliments gras ne permet pas une alimentation réconfortante,
et, cependant, la figure garde un bon aspect. Tel est l'état actuel, que cet
homme considère, par comparaison, comme très tolérable.
OBs. X (résumée) (Rolland, in Journ. de Méd. de Bordeaux, 1889). Un cas
de sclérose en plaques avec localisation bulbo-protubé1'al1tielle et dispari-
tion complète de la plupart des symptômes après un sommeil prolongé
d'an moins deux heures. -Cb. B... vingt-sept ans, dans la convalescence
d'une rougeole, est pris subitement, sans cause appréciable, d'une paralysie
de la langue, puis d'un état léthargique, durant lequel il entendait et voyait,
sans pouvoir parler. Le lendemain à son réveil, il fut tout à coup complète-
ment paralysé; perte absolue du mouvement ; abolition de la parole, dégluti-
lion pénible et difficile. Constipation et paralysie de la vessie. Quelques
semaines après, le matin au réveil, la -parole revint subitement, tous les
siens furent renversés de l'entendre parler ; la parole était très nette comme
auparavant. Le 12 avril 1881, trois mois après, « les mouvements étaient
bien revenus, puisqu'il put faire deux kilomètres à pied pour prendre le che-
min de fer ». Six mois après son arrivée chez lui, la parole était redevenue
pénible et difficile; il parla subitement très nettement et chanta en ai ticulant
très bien. « Les gens étaient émerveillés. » De 1882 il 488G, violents accès de
colère. En 1880, il commença à avoir du tremblement des membres inférieurs,
puis des membres supérieurs. L'écriture était gênée, cependant une friction
énergique des mains suffisait à la rendre normale. Affaiblissement de la vue.
L'examen des yeux fait par M. le Dr Badal (de Bordeaux), ne révèle aucune
lésion. Depuis lors, Ch... a pu parler très distinctement et très nettement sans
la moindre fatigue après avoir dormi au moins deux heures. Il écrit bien et
marche bien à son réveil, mais dix à quinze minutes après, la parole rede-
vient pénible et difficile. Il en est de même pour la marche et l'écriture.
Etat actuel. « La sensibilité est intacte sur toutes les parties du corps ».
Faciès hébété, immobile; « il l'aird'unidiot », et c'est un homme très intel-
44 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ligent. Au réveil, ce n'est plus le même homme, il parle, articule parfaitement,
il marche sans difficulté, etc. Au bout de dix minutes, il rentre dans son pre-
mier état.
L'auteur conclut sans autre forme de procès : « En présence du fa-
ciès caractéristique du malade, de la longue durée des symptômes,
qui ne se sont jamais démentis et qui sont permanents, on ne saurait
bien longtemps songer à l'hystérie. Nous sommes ici en présence d'un
cas de sclérose en plaques avec localisation bulbo-protubéranticlle. »
C'estlà une conclusion contre laquelle nous nous inscrivons en faux.
Non pas que nous réclamions ce malade comme hystérique; il s'agit
bien plutôt de quelque dégénéré plus ou moins vésanique.
Dans tous les cas, il ne saurait être question ici de sclérose en
plaques, et il nous semble parfaitement inutile d'insister sur ce point.
La lecture seule de cette observation étrange nous dispensera d'autres
commentaires.
OBS. XI (résumée) (Westphal,in .9)'clt. fcïrPsgclt. nndNe1'1;en1cr., BdXIV,
I IIeft). Ueber eine dem Bilde der eerebuo-spütctle gramen Degetercttioa
ahnliche Er1crankung des centralen Nerveusystellls ohne anttomischo
Befitucl. Bôdler, cordonnier, entre le 14 avril 1877. C'est un homme âgé
de trente-six ans qui a eu la fièvre typhoïde en 1871. Plus tard, il ressent de
la faiblesse dans les jambes, des douleurs dans la région sacrée et les membres
inférieurs avec sensation d'insensibilité des mains. Amélioration. Quelque
temps après, douleurs articulaires et en ceinture. Miction pénible. Tremble-
ment dans les jambes et les bras des deux côlés. Céphalalgie et facies hébété.
Troubles el difficultés du langage. Douleurs et faiblesse dans les bras. Aggra-
vation des signes antérieurs. Deux ou trois ans avant son entrée, sa marche
était incertaine dans l'obscurité, accès de troubles oculaires et vertiges. Perte
de connaissance à la suite d'une peur et consécutivement aggravation très
notable des accidents. Vives douleurs au niveau des jointures. Amélioration.
Puis attaque avec perte de connaissance suivie d'hémiplégie droite et de
délire qui disparut rapidement. Il fut alors observé par l'auteur. Il présen-
tait des troubles du langage, du tremblement dans les mouvements volontaires,
une expression hébétée du visage, de la faiblesse dans les membres. Il ne
marchait qu'avec un appui, raide et menacé de chute s'il fermait les yeux.
Les réflexes rotuliens étaient exaltés et il y avait de la trépidation spinale.
Plus tard accès de fureur avec perte incomplète du souvenir. Evanouisse-
ments. Amélioration du langage et du tremblement à la suite d'une angine
tonsillaire.
Vers la fin d'août 1877, subitement, amélioration étonnante de lous les
signes paralytiques. Le malade sort. Le même jour, il revient à l'hôpital, il
avait eu une attaque apoplectiforme et il présentait une hémiplégie droite
avec ltétniaaresthésie complète et hyperesthésie du côté gauche ainsi qu'un
ETUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS'». 4a, -)
embarras de la parole, considérable; puis hémiplégie sensitho-motrice du
côté gauclie avec tremblement intentionnel. Pas de paralysie dans le do-
maine du facial. Contraction paradoxale dans le domaine du tibial antérieur
et les fléchisseurs du genou.
Le 30 novembre 181 7, crise de douleurs exaspérées par la pression sur
l'origine des nerfs. La contraction paradoxale disparaît. Quelques jours après,
amélioration complète. La paralysie et la rigidité s'amendent très nota-
blement, surtout du côté gauche. En avril et en mai 1878, nouvel accès dou-
loureux, puis réapparition du tremblement et de la dysarthrie (accès inter-
current de délire). En octobre 1878, amélioration importante de tous les
symptômes. Le malade marche seul, se sert de ses membres supérieurs, parle
mieux. Il y a encore un léger tremblement dans les mouvements volontaires
avec quelques troubles légers de la sensibilité. Parfois sensation de vertige.
On le renvoie le 16 octobre. Plus tard survient une récidive de cet état mor-
bide avec des symptômes identiques et une évolution analogue. Le malade
mourut le 2 mars 1881 et l'autopsie resta négative.
Cas. XII (résumée) (Westphal, loc. cit.). Joseph Neugebauer entre à
la Charité le 4 août 186(i, à l'âge de dix-huit ans, meurt le 5 octobre 1875.
Antécédents héréditaires. Père mort d'apoplexie cérébrale, il avait eu
la danse de Saint-Guy pendant plusieurs années. Mère bien portante. Sept
soeurs bien portantes. Quatre tantes du côté paternel ont eu la danse de
Saint-Guy.
Antécédents personnels. à huit ans, fièvre typhoïde; à seize, une rou-
geole simple. Depuis six mois, N... se plaint de faiblesse dans les membres
inférieurs ; la marche est devenue difficile et il tombe souvent. Il y a trois
mois, diplopie qui dure trois semaines.
Etat actuel. Durant les premières semaines, on ne constate aucun signe
évident d'affection spinale. Vers le milieu de septembre, il se plaignit de
grande faiblesse dans les membres inférieurs et d'incertitude dans la marche,
il pouvait cependant se promener seul dans le jardin sans appui. On cons-
tata alors qu'il tremblait en marchant, que sa démarche était maladroite et
qu'il était menacé de tomber. Signe de Romberg. Il resta peu de temps à
l'hôpital. Six ans après, le 5 décembre 1872, il revenait dans l'état suivant :
lorsqu'il est dans la situation horizontale, il peut élever ses membres au-
dessus du plan du lit, assez haut, mais ces mouvements ne s'exécutent que
lentement et en tremblant. Ce tremblement disparaît dès que les jambes
reposent sur le plan du lit. La flexion etl'extension des jambes sont possibles,
mais lentes, hésitantes et accompagnées de tremblement. Les mouvements
passifs sont raides et résistants. Les pieds sont en varus équin. Exagération
des réflexes rotuliens des deux côtés et trépidation spéciale. Membres supé-
rieurs. Si on ordonne un mouvement au malade, dès qu'il le commence,
la main se met à trembler et les secousses cessent dès que le membre reprend
la position de repos sur le thorax. Les mouvements des mains et des doigts
sont lents et assez maladroits. Il ne peut manger seul, il répand tout sur lui
à cause du tremblement. Le tronc, la tête se mettent à trembler dès que le
1ti NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
malade veut se mettre sur son séant. Pas de céphalalgie, mais battements
dans la tète. Le visage a une expression endormie et stupide ; la bouche est
enlr'ouverte. Il parait insensé, ne sait ni le mois ni l'année, il sait pourtant où
il se trouve. Le langage est hésitant ; la formation des consonnes incomplète.
Du reste, la parole n'est pas absolument scandée; la voix est monotone. Pas
de nystagmus; pas de diplopie. Le malade assure qu'il entend bien, qu'il
sent, qu'il a conservé le goût. L'examen de la sensibilité n'est pas prati-
cable à cause de son état psychique. II paraît certain « scheint es sicher »
qu'il n'y a pas.de troubles grossiers. La vessie et le rectum sont intacts.
Fin mai 1873. Le malade est tombé de son lit sans s'en douter. Le trem-
blement n'a pas varié; il est toujours intentionnel. Les paupières sont ani-
mées de battements fréquents. Quand il tire la langue hors de la bouche, elle
tremble et se dévie fortement à gauche « starknach links,». L'expression du
visage est insignifiante. Si on lui demande à quoi il pense : « si je serai bien-
tôt guéri, » répond-il. Ses réponses sont sensées et justes quoiqu'il ne sache
ni le nom du médecin ni celui de ses voisins de lit. En novembre, il com-
mença à se lever. Il marche les jambes écartées, poussant lentement ses
pieds devant lui et s'accrochant aux barreaux des lits. D'autres fois il passe
une partie de la journée sur un fauteuil, immobile, le menton appuyé sur la
poitrine et le regard fixé vers le sol. En 1874, le malade, couché dans la
position horizontale, tremble du membre supérieur droit; le gauche, au
repos, tremble peu ou pas. Les membres inférieurs tremblent également au
repos. Il marche seul, il petits pas, les genoux à peine fléchis; il marche
même les yeux fermés. Les membres inférieurs ne tremblent plus dans la
station debout ni dans la marche. Aux membres supérieurs les mouvements
sont accompagnés de tremblement. Pas de nystagmus. L'acuité visuelle est
normale; l'ouïe semble bonne. « L'odorat et le goût sont normaux, de l'avis
du malade. » En mars, on remarqua souvent que la nuit le malade avait
des crises convulsives. Il agitait les bras et les jambes, et renversait forte-
ment la tête en arrière. Il ne perdait pas connaissance, mais gémissait à
haute voix. En septembre 1875, il est pris de scorbut et succombe le 7 octobre.
Autopsie négative.
Westphal rapporte ces deux observations avec grand luxe de détails.
Nous les avons lues et méditées. Nous n'avons voulu donner ici que le
sommaire de la premièt e : il est assez explicite et ne peut laisser place
au doute. Nous avons brièvement résumé la seconde. Il s'agit dans ces
deux cas de syndrome hystérique méconnu. C'est l'avis de M. 11endll,
Il nous parait incontestable. '
OBS. 1111(résumée)(I;cle, inLctztcet, septembre 1885). Remaries on a case
of disseminatecl scle1'osis. - X..., vingt-neuf ans, a toujours joui d'une excel-
lente santé jusqu'en février 1885. Il fil alors deux chutes 1 trois,jours de dis-
tance. Huit jours après la dernière apparut un tremblement dans les deux bras.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 17
Le 9 septembre, à son entrée, on trouve les signes suivants, caractéristiques de
la sclérose en plaques : facies spécial, mémoire affaiblie, langue tremblante,
parole lente et traînante, tremblement des paupières, absence de nystagmus.
Les sens spéciaux, excepté l'ouïe qui est affaiblie, sont intacts. La tète ne
tremble pas. Les membres supérieurs sont immobiles au repos; ils sont
animés d'un tremblement rhythmique dès que le malade exécute un mouve-
ment. Les membres inférieurs ne tremblent pas. Réflexes rotuliens exagé-
rés. Le 1G septembre, attctque apoplectiformes qui dure une demi-heure et
s'accompagne d'hémiplégie droite. Le malade avoue à ce moment qu'il a
déjà eu des ictus analogues. Le 21 septembre, nouvel ictus. Les membres
sont froids, et les avant-bras rigides et violacés jusqu'illa hauteur des coudes.
Le 1G octobre, paralysie avec refroidissement des membres inférieurs. Le
18 octobre, tremblement des membres supérieurs plus violent. Vertiges et
chutes. Le le, novembre, paralysie des quatre extrémités qui dure une
demi-heure. Le 8 novembre, délire nocturne. Le 13, parole presque
inintelligible. Le malade a des hallucinations. - Le 19, hémiplégie gauche
et aggravation du tremblement du bras gauche. Coma durant toute la nuit.
- Le 20, température élevée. Incontinence d'urine. - Le 21, la paralysie
se dissipe et le malade reprend sa connaissance. Le 22, le tremblement
a presque disparu et l'amélioration fait des progrès rapides. Le 28, les
idées se troublent de nouveau. Les accidents disparaissent lie 1 er décembre et
le 8 février, le malade quitte l'hôpital ne conservant qu'un léger tremble-
ment des mains et de la langue.
L'évolution seule juge la nature de la maladie. Il s'agit ici tout sim-
plement d'un syndrome hystérique consécutif il un traumatisme.
Ons. XIV (résumée) (Maguire, in Brain, avril 1888, p. 71). X..., qua-
rante-neuf ans, entre à l'hôpital, en mars 1887. Sa démarche est irrégulière,
branlement de la tète et du cou exagéré par les mouvements volontaires dis-
paraissant pendant le sommeil. Tremblement des lèvres pendant l'articulation
des mots. La parole est lente, scandée, monotone. Tremblement généralisé
des mains et devras, même au repos, exagéré parles mouvements volontaires,
comme dans la sclérose en plaques. Au repos, les membres inférieurs] ne
tremblent pas. Quand il veut marcher, les jambes sont comme soudées et
l'affaissement musculaire est incontestable. Pas de troubles de la sensibilité.
Exagération des réflexes tendineux. Etat mental bizarre : le malade est
pleureur et peu intelligent. Pas de troubles visuels, mais pupilles paresseuses.
Rien à l'ophtllalmoscope. Dans les antécédents du malade on relève une his-
toire de syphilis remontant à vingt-deux ans auparavant. Dans ces dernières
années, privations et misère.
. Traitement. ? Iodure et bromure associés au chloral. Au bout de trois
semaines, le tremb]ementa beaucoup diminué ainsi que les autres symptômes.
Mais peu après ces accidents se reproduisent et disparaissent de nouveau sans
l'intervention de l'iodure de potassium.
ls NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LAIS AL P Ê T 1\ 1 È 1\ E.
L'auteur discute le diagnostic qui pour lui n'est pas de la sclérose
en plaques franche. Il croit qu'il s'agit d'un cas de « pseudo-sclérose »
de Westphal. Nous croyons qu'il s'agit bien plutôt d'une forme bizarre
d'hystérie, d'un de ces syndromes que nous étudions. L'évolution de
la maladie,la guérison des accidents sans l'intervention de l'iodure,
plaident en ce sens. La recherche des stigmates de l'hystérie n'a pas
été faite ici comme dans la plupart des observations analogues; elle
eût très vraisemblablement tranché la question.
Ons. XV (Rendu, in l3ull. et Mé ? 2. de la Soc. méd. dr;s Hôp.,1889; p. 181). -
Un homme de cinquante-huit ans, non syphilitique ni alcoolique, est pris
en 1876, en pleine santé, d'un étourdissement et tombe dans la rue. On le
relève ; il n'a pas perdu connaissance, mais il ale côté droit paralysé, sans dévia-
tion de la face. Cette hémiplégie disparaît au bout de six semaines, sans
laisser do traces. Deux ans plus tard apparut un tremblement des mains
coïncidant avec l'affaiblissement des membres inférieurs. Ce tremblement a
pour caractère d'ètre continuel et de s'exagérer toutes les fois que le malade
veut exécuter un mouvement intentionnel. Un traitement par les bains sul-
fureux améliore sensiblement cet état.
Depuis un quinzaine de jours, de nouveaux symptômes sont survenus. Le
malade a été repris de vertiges et d'étourdissements et immédiatement après,
le tremblementa subi une recrudescence. Ilestlimitéauxmembressupérieurs
et presque nul au repos, mais dès que X... veut approcher un objet de sa
bouche, le tremblement se reproduit avec des oscillations d'autant plus
grandes que le mouvement se complète : il lui est impossible de boire sans
renverser le contenu du verre. Ce tremblement est bilatéral, plus marqué à
gauche qu'à droite; il s'accompagne d'affaiblissement musculaire, mais la
sensibilité est partout intacte. La parole n'est pas embarrassée ; il n'y a pas de
troubles visuels. Mais la sensibilité réflexe tendineuse est excessivement
développée, et il suffit du moindre choc sur le tendon rotulien pour déterminer
des oscillations et des secousses rhythmées. Le malade guérit en quatre se-
maines sous l'influence du repos, du bromure et des bains sulfureux.
« En relisant cette observation, dit M. Rendu, prise il y a neuf ans et
considérée alors par moi comme un exemple de sclérose en plaques
anormal, il est facile de retrouver une partie des caractères de l'hys-
térie... » Il est donc presque certain qu'il s'agissait d'un hystérique
chez lequel le tremblement constituait le principal, presque l'unique
symptôme.
Ons. XVI (résumée) (Westphal, in Berliner ! clin. Woch., 1879, n° 9, p. 125).
Un conducteur de train, âgé de trente-cinq ans, est victime d'une violente
collision de chemin de fer. Du moins, il est d'abord sain et sauf puisqu'il
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 19
prend part au sauvetage des blessés. Mais deux heures après, il est pris d'un
violent mal de tête avec douleur lombaire, vertige et tendance à la syncope.
11 reste dans cet état pendant quatre mois. Au bout de ce temps, complètement
remis, il veut sortir et il s'aperçoit que, lorsqu'il reste quelques instants debout,
sa jambe droite tremble. Ce phénomène se dissipe peu à peu. Bientôt le bras
droit perd de sa force et est animé d'un tremblement analogue à celui de la
jambe. La jambe recommence à trembler quand le malade veut marcher ou
quand il se tient debout. Dans le décubitus dorsal les mouvements désor-
donnés s'arrêtent. La trépidation spéciale est exagérée à gauche. Le
malade souffre d'une rachialgie cervicale qui l'empêche de rester étendu.
« Westphal, dit M. Brissaud, qui rapporte cette observation', admet qu'il
s'agissait de myélite à foyers multiples. Mais la guérison radicale de cette
singulière affection après ses intermittences, ne contredit-elle pas le dia-
gnostic ? Tous ces faits ne sont-ils pas la reproduction textuelle de la sympto-
matologie de l'hystérie de cause traumatique, telle que nous la connaissons
depuis les leçons de M. Charcot ? »
Obs. XVII (Leuch, in Correspond, sur Sclawei-Aer,zte,45,janvier 1890). -
Le Dur Leuch rapporte quatre cas de sclérose en plaques. Le quatrième concerne
un homme de cinquante-sept ans qui au plus léger mouvement voulu montre
un tremblement des mains. Lorsque le malade veut faire un mouvement
intentionnel, surviennent des secousses. L'embarras de la parole n'existe pas.
L'excitabilité électrique des muscles et des nerfs est intacte. A cause de ce
tremblement anormal ou plutôt de ces mouvements tremblants, on fit à la
clinique d'Eichhorst le diagnostic non de sclérose en plaques, mais de névrose
tremblante (schuttelneurose).
A propos de cette observation, le professeur Eichhorst rappelle
qu'il a connu un homme chez lequel on avait fait divers diagnostics,
surtout celui de sclérose en plaques. Plusieurs années après, ce malade
mourut dans son service. Dans le cerveau, dans la moelle, dans les
nerfs périphériques, les recherches les plus minutieuses ne révélèrent
rien d'anormal. Il s'agissait encore là, dit-il, d'une névrose. Il serait
fort intéressant de savoir si, dans ce cas, les stigmates de l'hystérie ont
été recherchés. C'est ce que l'auteur ne dit point.
OBS. XVIII (Wagner, in Berliner hlin. Woch., 1880, p. 519). Wagner
présente un malade âgé de trente ans atteint de symptômes nerveux com-
plexes. Le diagnostic peut osciller, dit-il, entre une sclérose multiloculaire
et une hystérie grave. Les principaux symptômes sont un fort tremblement
dans les membres qui s'accentue lors des mouvements voulus. Il y a en plus
une hémianesthésie complète du côté gauche, cutanée et sensorielle (l'oeil
1. Erissaud, le Spasme saltatoire (Arc/¡, gén. de tuéd.), p. 396, 1890.
m. 4
50 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
excepté), une parésie notable du membre inférieur gauche, et de la faiblesse
dans les membres inférieurs avec exaltation des réflexes tendineux. Il survint
quelques accès apoplectiformes analogues à ceux que l'on a observés dans la
sclérose en plaques.
Malgré l'absence d'autres détails le différend nous semble facile à
trancher. Le malade est hystérique à n'en pas douter. Le tremblement
intentionnel, les troubles paralytiques, les accès apoplectiformes sont
suffisamment expliqués par la seule névrose hystérique.
OBS. XIX (Rendu, in Leçons de clinique médicale, 1890, t. II, p. 500). -
Un homme de cinquante ans environ est vu en 1886 par M. Rendu. C'est un
homme très robuste, ancien marin qui, six mois auparavant, s'étaitlaissé choir
d'une vergue dans la mer et avait failli se noyer. Quelques jours plus tard, il
avait commencé à trembler de la main droite et ce tremblement s'était accru
depuis au point d'amener une impotence fonctionnelle presque complète. Le
tremblement ressemblait à celui de la sclérose en plaques; il lui était im-
possible d'approcher un verre de sa bouche sans en répandre le contenu et il
lui fallait boire et manger de la main gauche. De même la jambe droite était
agitée d'un tremblement spastique et le réflexe patellaire, très exagéré. Le
côté gauche était normal. Ces troubles fonctionnels cédèrent rapidement au
bromure et à la valériane, et au bout de cinq semaines il n'était plus question-
de ce tremblement.
Ons. XX(Rendu, in eod. loc., p. 500). X..., puisatier, fait une chute grave,
au fonds d'un puits et est relevé sans connaissance. Il se met à trembler à
partir de ce moment, à trembler des quatre membres, mais avec une prédo-
minance marquée du côté droit. Son tremblement n'apparaissait qu'à l'occa-
sion des mouvements et devenait plus intense à mesure que ceux-ci se com-
plétaient. Il avait de l'anesthésie diffuse et des Iroubles de la vue. Au bout
de trois semaines d'un traitement hydrothérapique, cette fausse sclérose en
plaques disparut et le tremblement s'atténua progressivement.
« Il s'agissait, ajoute l'auteur, évidemment d'une névrose; à ce moment je
ne connaissais pas le travail de Westphal et je fus très surpris de voir
s'amender une affection que j'avais supposée incurable. »
Ce sont là deux observations très instructives qui relèvent sans nul
doute de l'hystérie de cause traumatique.
Ons. XXI (résumée) (Buzzard, Neurol. soc. of. London, 23 janvier 1890).
On the simulation of hysteria by organic disease of the nervous system,
L..., femme de cinquante-trois ans. Paraplégie spasmodique. Ne peut
fléchir les jambes, quoique M. Playfair le lui ait vu faire la veille. Les réflexes
rotuliens étaient exagérés des deux côtés; il y avait peu de trépidation spinale
du côté droit. Intestin et vessie normaux.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 51 1
Ces symptômes datent de deux à trois ans. Avant cette époque, elle avait
perdu instantanément l'usage du bras et de la jambe gauches et l'avait re-
couvré après un séjour en Suisse. Elle éprouve une sensation bizarre dans
le membre inférieur droit, comme si elle était couverte d'une peau de che-
vreau. Fréquemment, elle ne sait où est'sa jambe ; et, quand elle se lève de
son lit, celle-ci lui semble encombrante et hors d'usage. Elle se plaint de
douleurs dans le côté gauche de la région sacrée, principalement quand elle
pose le pied droit. L'opinion, qu'on avait déjà émise, était qu'il s'agissait
d'une maladie fonctionnelle. Le D' Playfair m'écrivait en novembre 1889 :
« La malade va apparemment très bien; elle ne se sert plus de canne et
marche très bien. »
Buzzard persiste néanmoins dans son opinion, et pense qu'il s'agit là
d'un trouble organique et vraisemblablement de sclérose en plaques,
ayant tiré un grand bénéfice de la thérapeutique.
Cas. XXII (résumée) (Buzzard, in eod. loc.). « Je vis, le 6 juin 1883, une
femme de vingt-sept ans, mère de deux enfants. Bonne santé jusqu'à ces deux
dernières années ; elle n'a pas l'aspect malade ; elle se plaint de difficultés
dans la marche et de troubles oculaires. Je remarque qu'elle ne peut marcher
droite, et que sa tête tremble à chaque pas qu'elle fait. Elle ne peut passer
à travers une porte étroite. Si dans la rue, elle regarde derrière elle, elle
manque de tomber par suite d'étourdissements. Il lui semble que sa jambe
gauche est plus faible que la droite. Les réflexes rotuliens existent des deux
côtés ; il est plus marqué à gauche qu'à droite ; pas de trépidation spinale. Pas
de paralysie faciale. Tempérament hautement hystérique. Il parait que deux
ans auparavant, la malade avait entièrement perdu la vue, de l'oeil droit; et
l'avait recouvrée six semaines après. Quand je l'examinai, elle ne pouvait ni lire
ni coudre extemporanément; mais, au bout de quelques minutes, elle pouvait
lire. La pupille gauche ne réagissait pas à la lumière. Il paraît que deux ans
avant, elle avait des engourdisserrents, qui descendaient de la ceinture aux
pieds, et de là, remontaient à la gorge. Son mari dit que sa femme est émo-
tion nable et encline au sentimentalisme, et que deux célébrités médicales
l'ont considérée comme hystérique. J'écrivis au D Playfair, en lui disant que
je n'avais trouvé aucun signe évident de lésions organiques. M. Playfair me
répondit : « X... va complètement bien et marche très aisément, mais j'ai
« peur qu'elle ne retombe. » Cette rechute arriva. »
Et M. Buzzard ajoute que, pour sa part, il croirait volontiers dans
ce cas à de la sclérose disséminée.
L'auteur anglais soutient dans ce même travail 1 une thèse diamétra-
'liement opposée à la nôtre. Dans cette intéressante communication,
1. Buzzard, On the simulation, of hysteria by organic disease of the nervous system
(Neur. Soc. of London, 23 janv. 1890).
52 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
il rappelle que nombre d'affections organiques ont été prises pour de
l'hystérie; et, comme il a surtout en vue les rapports de l'hystérie et
de la sclérose en plaques, il insiste sur la valeur diagnostique du
tremblement intentionnel, qui, dit-il, n'existe pas dans l'hystérie. C'est
là une affirmation qui n'est plus soutenable. M. Buzzard conclut en
disant que, lorsqu'on cherchera bien, on reconnaîtra que beaucoup
de symptômes, rattachés jusqu'ici à l'hystérie, relèvent d'une affection
organique, et que le domaine de l'hystérie est destiné à s'amoindrir
~ au sur et à mesure que l'on connaîtra mieux les organopathies spinales.
C'est précisément la thèse inverse que nous soutenons ici, et nous
prétendons que, à mesure quel'on connaîtra mieux la névrose hysté-
rique, nombre de cas insolites, rangés dans la catégorie organique,
devront lui être rattachés. Quant aux faits où on avait noté durant la
vie des symptômes d'hystérie, tous rapportés à la névrose et où l'au-
topsie a révélé des lésions organiques, il s'agit là très évidemment de
ces associations hystéro-organiques, sur la fréquence desquelles in-
siste depuis plusieurs années M. le professeur Charcot. Du reste, les
observations citées par l'auteur anglais manquent trop de détails
pour qu'on puisse être complètement édifié ; elles prêtent aux contro-
verses, et l'auteur reconnaît lui-même avoir commis jadis plus d'une
méprise. Il se pourrait en somme que, dans quelques-uns de ces cas,
il ne s'agisse que d'un syndrome hystérique isolé ou associé à la sclé-
rose en plaques. Nous connaissons cependant des observations et
Vulpian, dans ses Leçons, p. 67'1 \ en rapporte un exemple très remar-
quable - oiI on crut tout d'abord à une paraplégie hystérique, dia-
gnostic que l'évolution ultérieure vint démentir en révélant une sclé-
rose en plaques anomale.
A. SOUQUES,
Interne (Médaille d'or)
de la Clinique des maladies dusystemcnervou'c.
(A suivre.)
1. Vulpian, Mal. du système nerveux, t. IL
DE L'OPIITHALMOPLËGIE EXTERNE
COMBINÉE A LA PARALYSIE GLOSSO-LABIO-LARYNGÉE
ET A L'ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE
LESION SYSTÉMATIQUE DES NOYAUX MOTEURS
(Polioencéphalomyélite)
(Suite') t)
Notre premier malade est un ancien peintre en voitures, âgé de
quarante et un ans, qui, à part deux attaques de coliques de plomb et
des crises d'automatisme ambulatoire datant de sa jeunesse, a joui
d'une bonne santé jusqu'en 1888. A cette époque, ses mains devinrent
faibles, inhabiles à manier le pinceau et maigrirent d'une façon
notable; les bras, les épaules s'atrophièrent à leur tour au point de le
rendre impotent. La chute des paupières survint un an après le début
des premiers accidents. Actuellement, le malade présente le facies
d'Hutchinson : tous les muscles extérieurs de l'oeil, et ceux-là seuls, sont
intéressés. L'ophthalmoplégie externe est accompagnée d'une ébauche
de paralysie bulbaire inférieure : la déglutition est légèrement troublée,
les liquides sont quelquefois avalés de travers et refluent par le nez,
la voix est faible, cassée, un peu nasonnée. L'amyotrophie, comme le
montrent les planches annexées à ce travail, est considérable au niveau
des membres supérieurs, du thorax et du cou, si bien que,les bras sont
ballants le long du tronc et que la tête insuffisamment maintenue est
entraînée en avant par son propre poids. Les muscles de la cuisse et du
mollet, bien qu'ils ne paraissent pas atrophiés, sontle siège de secousses
fibrillaires très marquées. Au point de vue électrique, il existe une
diminution de l'excitabilité faradique et galvanique encore plus pro-
noncée que ne l'est l'atrophie, mais sans inversion de la formule. Les
réflexes tendineux sont absents aux membres supérieurs, le réflexe
patellaire est affaibli à droite, à peu près normal à gauche. Enfin les
sphincters fonctionnent bien et la sensibilité n'est pas altérée. Phéno-
mène curieux à noter dans l'espèce et dont nous discuterons plus loin
1. Voy. les nos 5 et 6, 1890.
51 - NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
la valeur à propos du diagnostic de la poliencépllalomyélite avec
l'atrophie myopathique, il existe à droite et à gauche une sorte de
rétraction tendineuse dans le biceps s'opposant à l'extension complète
de l'avant-bras. Il s'agit bien là de rétraction tendineuse ou muscu-
laire et aon de contraction spasmodique, puisque les réflexes tendi-
neux, loin d'être exagérés, font défaut aux membres supérieurs.
/0(,t r'FeV , C4 cet(Ul#Q. . 2' (LQ 112.Jc.(,& ? a9l H*hAt-au.j ty f ^ {%n ) I I 'Lt.Q.1 .t I L a r4CX.
Ols.11YI (personnelle). Polioeîîctplialoniy6,lile.
Br..., Henri, quarante et un ans, peintre en voitures.
Antécédents héréditaires. Le malade n'a jamais connu son père non
plus que sa famille paternelle. Du côté maternel, on ne retrouve absolument
rien dans les antécédents. La mère, qui est morte d'une pleurésie à trente-
sept ans, avait toujours été bien portante. Le grand-père était garde forestier;
c'était un ivrogne qui est mort alcoolique. La grand'mère est inconnue. Le
malade, parmi ses oncles et tantes, n'en a connu qu'un seul qui est mort des
suites d'une amputation de jambe, après avoir été bien portant toute sa vie.
Il a une soeur dont la santé est bonne, mariée depuis deux ans, sans enfant.
Antécédents personnels. Le malade ne se rappelle avoir fait aucune
maladie étant enfant.
De quatorze il dix-huit ans il eut des crises d'automatisme ambulatoire,
probablement d'origine épileptique. Il ne peut pas donner de renseignements
bien précis sur ces crises. Cependant on peut arriver à savoir qu'elles étaient
précédées d'une toute petite attaque convulsive très courte, et que souvent
pendant leur durée le malade urinait dans son pantalon. Il ne se rappelle
' pas s'être jamais mordu la langue. Les crises étaient accompagnées d'une
perte absolue de la connaissance; elles duraient environ une heure ou deux
au maximum, et le malade allait et venait, prononçait des paroles incohé-
rentes pendant ce temps, sans jamais accomplir un acte criminel ou répré-
hensible. Le retour à la connaissance se faisait sans crise convulsive, spon-
tanément, et dans le reste de la journée le malade était abattu, fatigué, avait
mal il la tête. La crise n'était annoncée par aucun phénomène spécial sinon
par une sorte de malaise général, de lassitude. Elles avaient lieu sans heure
fixe, à un moment quelconque de la journée, jamais pendant la nuit. Elles
cessèrent un beau jour de se produire, sans que l'on puisse assigner une
cause quelconque à la guérison. Le malade n'a jamais remarqué de crises
comitiales véritables pendant la nuit ni à aucun autre moment.
A dix-huit ans il eut une attaque de coliques de plomb. Il avait commencé
son métier de peintre en voitures à l'âge de quinze ans.
A vingt et un ans, il partit comme soldat dans l'infanterie de marine. Après
avoir fait la campagne de 1870 à 1871, pendant laquelle il n'eut ni maladies
ni blessures, il acheva son service dans les colonies et prit la fièvre intermit-
tente au Sénégal. Vers la fin de son temps il était Caveiiiie, lorsqu'une nuit
il escalada le mur de la caserne et alla se promener par la ville, n'ayant pour
tout vêlement que son pantalon d'ordonnance et sa chemise. Il était de non-
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÈTRIÈRE T. IV, PL. il.
POLIOENCÉPHALOMYÉLITE AVEC OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE
(VUE DE FACE).
Nouvelle Iconographie de la Salpptrièr
T. : V. PL. 1.
Phototype NEGATII A LoNnn
PHOTOCOLLOORAPHIE Chêne ET LONGUhT
POLIOENCÉPHALOMYÉLITE AVEC OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE
FACIES D'HUTCHINSON.
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 55
veau dans une de ses crises d'automatisme qui avaient cessé depuis six ans
(il avait alors vingt-quatre ans). Il reprit connaissance au milieu de la ville,
très étonné de se trouver là à pareille heure et dans un pareil costume ; et il se
disposait il rentrer à la caserne, lorsqu'il fut rencontré par une patrouille et
emmené au poste. Il s'était souvenu tout de suite de ses anciennes crises et
demanda à être soumis à l'examen d'un médecin de marine dont l'avis fut
conforme à la décision prise par l'autorité militaire, qui l'avait puni pour
cette faute de sept mois de séjour au Sénégal.
Rentré à Versailles, il reprit son métier de peintre en voitures et quelque
temps après eut une seconde attaque de coliques de plomb. Depuis cette
époque (1870) jusqu'en 1888, le malade n'eut absolument aucune maladie.
Histoire de la maladie actuelle. - Elle débuta dans le courant de l'année
1888. Le malade ressentait continuellement une grande lassitude; il lui de-
venait difficile de travailler régulièrement, et souvent il manquait sa besogne
pendant un, deux jours. A la fin son patron le renvoya, et déjà alors (octobre
1888) il se sentait incapable de continuer son métier. Il cessa donc tout
travail à partir de ce moment.
Il avait déjà remarqué que ses mains devenaient faibles. Les pouces étaient
animés d'un léger tremblement, et souvent le pinceau s'échappait de ses
mains. L'amaigrissement alla ainsi en'progressant peu à peu et en envahis-
sant les avant-bras, toujours en commençant par le côté droit. De l'avanl-
bras, l'atrophie remonta au bras, puis à l'épaule, et enfin, au mois d'octobre
'1889, lorsque le malade entra a l'Hôtel-Dieu, il était absolument impotent de
ses membres supérieurs.
Déjà depuis plusieurs mois, depuis septembre 1889 environ, il s'apercevait
que ses paupières tombaient et qu'il ne pouvait les relever comme tout le
monde. Mais il n'avait rien remarqué en ce qui concerne les mouvements des
globes oculaires, et n'avait point souffert de diplopie.
Il séjourna environ trois mois à l'Hôtel-Dieu et pendant ce temps on
remarqua qu'il avait quelque chose aux yeux ; on parla de le faire examiner
par M. le professeur Panas. Mais à cause de l'encombrement produit à
l'IIôtel-Dieu par l'épidémie de grippe de 1889 à 1890 il fut évacué à l'hô-
pital Laënnec, où il entra au service de M. le Dr P. Marie. 11 resta là deux
mois environ, et pendant son séjour il s'aperçut qu'il éprouvait une certaine
fatigue en marchant. Il était logé dans un service provisoire d'hiver sous les
combles, et pour monter et descendre les escaliers il se fatiguait rapidement.
Sorti de Laënnee, il rentra chez lui, y passa un mois et, demi (avril, mai
1890) et entra enfin à la Salpêtrière. Depuis la date de son entrée à l'Ilôtel-
Dieu jusqu'à ce moment, les lésions n'avaient point augmenté du côté des
membres supérieurs, l'impotence et l'atrophie étaient restées dans le même
état.
Etat actuel. Ce qui frappe tout d'abord chez ce malade, quand on l'exa-
mine assis et à l'état de repos, c'est l'expression de ses yeux immobiles avec
les paupières demi-tombantes, qui donne à sa physionomie un caractère de
tristesse et presque d'hébétude tout spécial (l'1. 1 et II). Il n'existe cependant
5G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
aucune Irace de paralysie faciale ni à droite ni à gauche. Les yeux seuls sont t
intéressés.... , z
On trouve la en effet tous les caractères d'une ophthalmoplégie externe
sinon absolue, du moins très accentuée. L'examen ophthalmologique pratiqué
par M. Parinaud le 28 mai 1890 et le 4 juin 1890 donne en effet les résul-
tats suivants : Myopie = 0,75; O.D. = 5/7; O.G. = 5/10. Pas de para-
lysie de l'accommodation. Le pUlIct1l1n proximum est à 10 ou 15 centimètres.
Ptosis un peu plus prononcé il, gauche qu'à droite. Quand on dit au malade
d'élever les yeux; la paupière supérieure se relève d'une manière très incom-
plète. Les pupilles réagissent à l'accommodation et à la lumière.
Ophthalmoplégie. Tous les mouvements sont intéressés, mais d'une
façon; incomplète. Les mouvements latéraux vers la droite s'exécutent
mieux; Le malade n'a jamais éprouvé de diplopie. Le champ visuel est nor-
mal, ainsi que le fond de l'oeil : Les mouvements de la bouche et des lèvres
s'exécutent parfaitement bien. Il n'y a pas de trace d'atrophie de la langue,
qui se meut bien en avant, en bas et latéralement. Mais le malade ne peut pas
du tout en relever la pointe, ni la creuser en gouttière. La langue reste
immobile quand' elle est au dehors, sans déviation, et elle n'est animée
d'aucun tremblement fibrillaire ni de. secousses vermiculaires.. ,
Il existe quelques troubles de la déglutition, mais assez peu accentués.
Les solides.sont généralement bien avalés; les liquides au contraire sont
quelquefois « avalés de travers » ou encore passent par les fosses nasales.
Cet accident n'arrive d'ailleurs pas très souvent.
Le malade dit que depuis six ou sept mois sa voix s'est cassée et qu'il a
commencé à parler un. peu du nez. Il' siffle parfaitement bien et souffle
énergi.quement,sans que l'air reflue dans les fosses nasales. L'examen laryn-
goscopique pratiqué par M. Cartaz le 7 juin 1890 a donné les' résultais sui-
vants : Réflexes pharyngiens conservés. Sensibilité du voile du palais et de
la paroi postérieure du pharynx et du larynx normale. Pharyngite chronique.
Epiglotte rabattue sur le larynx, revenue sur elle-même en tuyau, mais
laissant bien voir le. larynx dans les,, mouvements de phonation. Cordes
vocales larges,un; peu. rouges. Mouvements normaux. Dans l'émission des
sons un peu-élèves, l'adduction des cordes n'est pas absolue; il reste un très
léger hiatus.' Pas de paralysie, ni d'altération de la muqueuse en dehors de
la légère. rougeur congestive.de. la muqueuse des cordes.
L'atrophie musculaire est considérable au niveau du cou, du thorax et
des membres supérieurs. Elle n'existe'pas au,niveau de la.face.'Au cou elle
prédomine pour les muscles de la région postérieure, qui ont en grande
partie disparu (muscles des gouttières vertébrales, portion supérieure du tra-
pèze, etc.). Il en résulte que la tête du malade n'est plus soutenue dans la
position verticale et qu'elle tombe en avant dans la flexion. La septième ver-
tèbre cervicale est extrêmement saillante, beaucoup plus qu'à l'état normal,
et au-dessus d'elle il existe un véritable coup de hache (voir la planche III).
Au niveau des épaules on constate une atrophie notable des deltoïdes et
des muscles de la ceinture scapulaire : sus-épineux, sous-épineux, grands
NOUVELLE ICONOGRAPHIE CE LA SALPÊTRIÈRE
T. IV. PL. Il
PHOTOTYPE NILGA-Til' A. LaNDE
PHOTOCOLLOARAPHIR Chêne ET Longue*
POLIOENCÉPHALOMYÉLITE. - ATROPHIE MUSCULAIRE DU COU
ET DES MEMBRES SUPÉRIEURS
LECROSNIER & BABÉ
DE L'OPHTIIALMOPLÉGIE EXTERNE. 57
pectoraux. L'atropliie est à peu près égale des deux côtés, beaucoup moins
prononcée pour les grands pectoraux, à son maximum au niveau des deltoïdes.
Aux bras, les biceps ont à peu près disparu; les triceps persistent encore
assez volumineux. Il existe au niveau des deux coudes une véritable rétrac-
tion tendineuse des biceps qui empêche l'extension complète de Pavant-bras
sur le bras et dessine une corde fort nette dans ce mouvement. La supina-
tion complète est également empêchée. Aux avant-bras l'atrophie porte
surtout sur les extenseurs. Mais au premier abord elle paraît se répartir à
peu près également, et le segment de membre a conservé presque complè-
tement sa forme. Aux mains la paume présente l'aplatissement de la main
de singe. Les éminences thénar sont plus affectées, surtout à gauche.
Au point de vue de la motilité, les mouvements d'extension en arrière de
la tête ne présentent presque point de force. Le mouvement de flexion au
contraire, ainsi que celui qui résulte de l'action du sterno-cléido-mastoïdien,
est assez énergique. A l'épaule, diminution extrême de la force des sus et
sous-épineux, des sous-scapulaires. Perte presque absolue des mouvements
des deltoïdes. Les pectoraux conservent assez de force relativement. Les
mouvements d'extension de l'avant-bras sur le bras sont forts et présentent
une grande résistance aux mouvements passifs contraires. La flexion au con-
traire est à peu près impossible. La flexion de la main, la flexion des doigts,
sont assez énergiques. Il n'en est pas de même dc l'extension de ces diverses
parlies qui est très faible et résiste à peine aux mouvements passifs con-
traires. La supination existe à peine, la pronation au contraire, quoique
beaucoup moins énergique qu'à l'état normal, présente cependant une
certaine énergie. Aucune force dans les mouvements d'opposition et d'ad-
duction des pouces.
Les membres inférieurs, la moitié inférieure du tronc, paraissent au pre-
mier abord absolument indemnes. Les cuisses ont conservé leur forme nor-
male, ainsi que les jambes. La résistance à tous les mouvements de la
cuisse, de la jambe et du pied est considérable des deux côtés. Mais on
remarque dans divers muscles de la cuisse et de la jambe, à droite et à gau-
che, des secousses fibrillaires assez intenses et presque continuelles. Ces
secousses sont assez considérables, au dire du malade, pour soulever quelque-
fois ses couvertures lorsqu'il est au lit. Ce phénomène n'existe pas au niveau
des membres supérieurs ni du cou; on le constate seulement aux mains et
en particulier aux éminences thénars, que l'on voit fréquemment agitées
par des secousses fibrillaires assez intenses pour faire trembler les pouces.
Mensurations :
58 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Les réflexes tendineux des membres supérieurs manquent totalement.
Aux membres inférieurs le réflexe rotulien droit est très affaibli, mais non
complètement aboli. Le gauche est à peu près normal. »
Nulle part on ne constate de troubles de la sensibilité, ni au contact, ni à
la douleur, ni à la température. Le sens articulaire et musculaire est partout
conservé. Le malade n'a jamais éprouvé de douleurs vives, sinon de temps
en temps dans les épaules et la partie supérieure des bras, et encore
n'étaient-elles pas d'une grande intensité.
Etat général un peu faible. Perte d'appétit, ou du moins appétit capri-
cieux, dégoût pour certains aliments. Sommeil bon. De temps en temps des
cauchemars (chule dans des trous), quelques pituites le matin, pas de trem-
blement. Il avoue avoir fait quelques excès alcooliques au début de sa
maladie, lorsque, accablé d'une lassitude perpétuelle, il buvait de l'alcool
pour se donner des forces. En dehors de cela pas d'excès de boissons.
Examen électrique des muscles, pratiqué par M. Vigouroux : Côté droit
à juin 1890). Excitabilité faradique et galvanique complètement abolie
pour le biceps, le brachial antérieur, le long supinateur, les radiaux
externes. L'excitabilité galvanique intense du nerf radial, dans la gout-
tière, provoque une faible contraction dans le long extenseur du pouce,
l'extenseur commun des doigts, le cubital postérieur et rien dans les autres.
Grand pectoral : normal, mais faible. Delloïde : excitabilité faradique et
galvanique extrêmement diminuée; se contracte mieux par l'excitation indi-
recte. Triceps : légère diminution d'excitabilité aux deux courants. Exten-
seur commun des doigts : très grande diminution d'excitabilité. Cubital
postérieur : normal. Muscles abducteurs et extenseurs du pouce : néant,
excepté pour le court extenseur, qui est faiblement excitable faradiquemenl.
Inlerosseux dorsaux : contraction avec le maximum du courant faradique,
plus faible pour les deux premiers. Mêmes réactions pour le courant galva-
nique, Thénar : inexcitable. Nerf cubital au poignet : faible adduction du
pouce et du petit doigt. IIypothénar : pas de réaction galvanique (à cause de
la grande résistance de la région). Réaction faradique à peu près normale.
Muscles abdominaux moins excitables aux deux courants. Muscles de l'épaule
et du cou également très peu excitables (sous-épineux, trapèze, rhomboïde,
grand dentelé). En somme, diminution de l'excitabilité faradique et galva-
nique, encore plus prononcée que ne l'est l'atrophie, mais sans inversion de
la formule.
Notre second malade, Peyn..., est un homme de trente-sept ans, de
taille et de corpulence athlétiques. En septembre 1889 il se frac-
tura le péroné droit et s'aperçut, lorsqu'il voulut se lever et marcher,
une soixantaine de jours après l'accident, que ses jambes étaient
lourdes et le portaient difficilement. A la fin de décembre ses pau-
pières' gauche et droite tombèrent l'une après l'autre. Quinze jours
après, ses mains n'avaient plus de force. Tout alla de mal en pis, si
DE L'O1'IITiIALIIIOPL$GIE EXTERNE. 59
bien qu'après quatre mois de maladie, Peyn ? complètement infirme,
demandait à entrer à la Salpêtrière. Les planches ci-jointes montrent
à quel point l'atrophie était prononcée au bras, à l'épaule, à la cuisse
et à la jambe. Comme on peut le voir sur la planche, le ptosis était
très accusé à gauche, et le malade y remédiait en partie en contractant
son frontal. Aujourd'hui la maladie est en voie d'amélioration : la
chute de la paupière gauche est à peine perceptible, les globes ocu-
laires sont beaucoup moins fixes qu'auparavant, et le malade, qui ne
pouvait même pas se tenir debout, commence à marcher. Néanmoins,
l'état des membres supérieurs est resté stationnaire. Les muscles sont
flasques, animés de secousses fibrillaires et peu excitables électrique-
ment, quel que soit le genre du courant employé; la réaction de
dégénérescence fait défaut. Les réflexes sont absents aux membres
supérieurs et il n'y a ni paralysie des sphincters ni modification de
la sensibilité.
Oas. XXVII (personnelle). Polioencéphalolllyélite. Peyn..., trente-
sept ans, entré le 15 avril 1890, salle Prüs, n° 10.
Antécédents héréditaires. Mère morte iclérique à soixante-deux ans.
Père en bonne santé, ni alcoolique ni nerveux. Pas d'affection nerveuse dans
la famille du côté des ascendants.
Antécédents personnels. - Il est le sixième et dernier enfant; trois enfants
sont morts du croup ou de convulsions.
Il est marbrier et travaille moitié debout, moitié à genoux (carrelage) et
passe environ quarante jours par an dans les caves, employé au dallage. Il
boit en moyenne un litre et demi chaque jour, mais il fait de temps en
temps des excès et va jusqu'à boire alors cinq et six litres; il supporte bien
la boisson ; il ne s'enivre pas. Pas de syphilis.
A seize ans, il contracta la fièvre typhoïde. En 1868, il se fractura le poi-
gnet gauche en glissant sur le trottoir. Il fut réformé du service militaire pour
une hernie. Au mois de septembre dernier, il portait un marbre de GO livres,
lorsqu'on marchant sur le rail d'un tramway il renversa en dedans la plante
du pied et se fractura le péroné droit en tombant. Il resta couché pendant
cinquante-sept jours. Deux ans auparavant il avait eu le troisième orteil
du pied droit écrasé par la chute d'un marbre. '
Lorsqu'après sa fracture du péroné, vers le milieu de décembre, il com-
mença à se lever, il dut se servir de béquilles pour marcher; mais bien vite
il remarqua que les genoux fléchissaient, que les jambes le portaient diffi-
cilement, qu'elles étaient lourdes; ce fut d'abord la jambe gauche qui lui
parut faible, puis ce fut le tour de la jambe droite. Une fois à genoux, il ne
pouvait se relever. Il était obligé de saisir la rampe de l'escalier pour monter
chez lui.
A la fin de décembre, chute de la paupière gauche, assez complète pour
60 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
cacher la vue du jour; une semaine environ après la chute de la paupière
gauche, la paupière droite tomba il son tour; alors la paupière gauche se
releva pour retomber bientôt après. Pendant'ce temps, les membres infé-
rieurs continuaient à s'affaiblir et à s'atrophier. '
A partir 'du 1er janvier, lé malade cessa de sortir de chez lui. Il faisait
quelques pas dans son appartement; appuyé sur une canne ou, à l'aide de
béquilles.' A cette'époque, il s'aperçut que la main gauche était plus' faible
qu'auparavant; bientôt il en fut de même de la main droite et du bras.
Depuis un mois,- le malade ne peut regarder de côté; il est obligé de tour-
ner la tète., De temps en temps il voit double : les deux objets sont écartés
d'environ 20. centimètres et ne sont pas situés à la même hauteur.
État actuel. - Homme vigoureux en apparence, de haute stature, qui ne
présente aucun trouble des fonctions organiques. On l'apporte à la consulta-
tion assis sur une cliaise; il ne peut se tenir debout. La chute partielle de la
paupière gauche, le peu de mobilité du regard, donnent à la physionomie un
aspect particulier sur lequel nous reviendrons plus loin. Les bras sont
presque collés au corps, les mains reposent mollement sur les cuisses.
Membre supérieur gauche. Dynamomètre = 0. La main ne serre pas
du tout. La paume-forme un creux que le malade ne peut faire disparaître.
Le pouce el l'index seuls se relèvent assez bien; les autres doigts ne
peuvent se relever complètement. L'annulaire et le médius ne peuvent ni
se rapprocher ni s'écarter l'un de l'autre; le pouce se rapproche facilement
de l'index, et le petit doigt de l'annulaire.- Les doigts incomplètement éten-
dus sont fléchis avec la plus grande facilité, même lorsqu'ils cherchent à
résister. La flexion des doigts est pour ainsi dire nulle. Les muscles de l'émi-
nence thénar et hypothénar sont fort atrophiés. Le poignet s'abaisse et se
redresse avec difficulté;, ces mouvements n'offrent aucune résistance. L'avant-
bras .(en supination ;ou en demi-pronation) se fléchit assez complètement
sur le'bras et s'étend de même, sans résistance. Le bras s'écarte incomplète-
ment du tronc, ne peut se porter ni en avant ni en arrière. L'élévation de
l'épaule'se fait assez bien.
Mensuration de la circonférence :
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALP £ TRltFCE
T. : V. PL V.
PHOTOTYPE Nh.GATJ1. A LONDE
PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne et Longuet
POLIOENCÉPHALOMYÉLITE. -ATROPHIE MUSCULAIRE GÉNÉRALISÉE
LECROSNIER & BASÉ
DE L'OPUTHALMOPLËGIE EXTERNE. 61
sur le bras sont relativement bien conservés. L'extension de l'avant-bras sur
le bras n'oflre aucune résistance. Les mouvements du bras : adduction, abduc-
tion, élévation, abaissement, se font bien et sont difficilement entravés.
Mensuration de la circonférence :
62 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPËDUERE.
qui sont presque aussi volumineux à leur partie inférieure qu'a leur partie
supérieure, des bras qui ont une forme cylindrique, des épaules qui ont perdu
leur rondeur habituelle et laissent percevoir les détails du squelette à travers
le deltoïde réduit à une lame musculaire insignifiante. L'atrophie des membres
inférieurs est'très prononcée, particulièrement au niveau de la cuisse; pour
bien la mettre en relief faut maintenir le malade debout. L'amaigrissement
du triceps est tel que le genou forme comme une forte saillie entre la cuisse
et la partie supérieure de la jambe : on dirait un genou atteint d'hydarthrose ;
cet aspect tient à la saillie que fait la rotule ballante, insuffisamment
maintenue par un appareil ligamenteux et surtout musculaire trop faible.
L'atrophie des muscles du mollet est également considérable (Pl. V).
Il existe des secousses fibrillaires dans les muscles de la cuisse, du bras et
de l'épaule; elles sont peu fréquentes, mais ont été néanmoins constatées à
plusieurs reprises.
Il n'y a pas la moindre contracture ni le moindre phénomène spasmodique.
Les modifications électriques sont exactement parallèles aux phénomènes
atrophiques. Il faut un courant d'autant plus fort, pour obtenir la contraction,
que le muscle est plus atrophié, aussi bien avec l'électricité galvanique
qu'avec l'électricité faradique. En somme, on peut dire qu'il y a diminution
quantitative et non qualitative de l'excitabilité musculaire; l'inversion de
formule fait complètement défaut.
Exemple : Membre supérieur droit :
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière £
T. IV. PL. IV.
PHOTOTYPE NtGATil· A LOIhDE
PHOTOCOLLOGRAPHtE CHtNE ET LONGUhT
POLIOENCÉPHALOMYÉLITE AVEC OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE
FACIES D'HUTCHINSON.
LECROSNIER & basé
- DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 63
Les muscles de la mâchoire (masséters, temporaux, ptérygoïdiens) fonc-
tionnent normalement. ... .
Les muscles de la face sont intacts. Rien à noter du côté du front, des joues,
des lèvres, de la langue, au point de vue musculaire. Signalons seulement.
que par instants il existe une certaine difficulté dans l'articulation des mots.
Pas de secousses fibrillaires de la langue. Réflexe massétcrin conservé.
Voici le résultat de l'examen fait par M. Cartaz : z
Anesthésie du voile et du pharynx, ainsi que de la base de la langue.
Réflexes très peu prononcés. Sensibilité du larynx diminuée. Epiglolte nor-
male. Cordes vocales normales, fonctionnant régulièrement.
L'immobilité du regard- presque complète donne à la physionomie un
aspect. particulier. Les deux paupières sont légèrement tombantes, particu-
lièrement la paupière gauche (PI. IV). Le ptosis est du reste variable, il est
plus accusé le soir que le matin, plus prononcé un jour que l'autre. Le malade
y remédie en contractant le frontal ; aussi le sourcil gauche est-il toujours
légèrement arqué et plus élevé que celui de droite. Rappelons qu'il existe
un mode de traitement chirurgical du ptosis basé sur la suppléance du
releveur de.la paupière supérieure par le frontal (Procédé de Dransart et de
Pagenslecher). '. 1 ' .
Examen de M. Parinaud : , 0. D. Paralysie de l'adduction et de
l'abduction assez complète; paralysie moins complète de l'élévation; l'abais-
sement s'exécute assez bien. ? - .
0. G. L'état est sensiblement le même. Pas de strabisme au repos;
pupilles égales réagissant à la lumière ,et pour la convergence; un peu de
parésie de l'accommodation ? .' , - ' - ,.
0. G. M = 1. -if '5' à 6,25 centim. avec -)- °2.diotr..
..11 - - . V-= pp, à 0,25 ceiitiiii. avec -, IOp,l1. , ..
0. D. V-â5 avec-1 dioptr.. ..... -. (.\t
Pas de dyschromatopsie. ' . ? ., "
Pas de lésion du fond de l'oeil. - -
Rétrécissement du champ visuel,, également -prononcé des deux côtés, à
peu près concentrique, variant de 4.0° en haut, à 50° en bas et en dehors.
Ni albuminurie,, ni polyurie; ni glycosurie. . - . ;, ,
Pas de Vertiges. Pas de somnolence. Mémoire excellente. z
Depuis de vingt ans (il en a. aujourd'hui trente-sept), il a été atteint
plusieurs fois,' à l'occasion d'un'en'nui; d'un' malheur, d'une perte, d'argent,
de céphalalgie frontale bilatérale avec 'nausées. Le bruit et là lumière lui font
mal. Il cessent autour de l'orbite du côté gauche de petits picotements, sans
vision lumineuse,1 analogues à ceux qu'il éprouve 'lorsqu'on l'élecl1'isé sur le
tabouret. Il a besoin de se coucher et de dormir. En général, l'accès dure de
douze à vingt-qualre heures. Six accès en tout.
Depuis qu'il est dans le service, son état est à peu près stationnaire. Sans
accès de migraine, il ressent de temps en temps des picotements autour de
l'orbite du' côté gauche.
Il commence à marcher avec des béquilles. On est obligé de le lever et de
l'asseoir. Il serre la béquille avec l'index et le pouce, les autres doigts ne
64 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
pouvant se fermer. Les genoux se relèvent assez bien et les pieds se déta-
chent du sol. Il marche, bien entendu, très lentement et ne peut monter une
marche d'escalier. Néanmoins, le malade considère ce qu'il peut faire aujour-
d'hui comme un grand progrès. '
Tel était son état lorsque nous avons pris cette note, c'est-à-dire au
mois de juillet. L'amélioration s'est poursuivie si bien qu'en aoùt le malade
pouvait se tenir debout seul et commençait à marcher sans béquilles, bien
qu'il eùt encore une atrophie considérable du triceps. Il écrivait assez faci-
lement, ce qu'il avait cessé de faire depuis longtemps, mais était encore dans
l'impossibilité de se boutonner lui-même. La sensation de refroidissement
aux membres inférieurs était moins accusée, la coloration violacée moins
intense; néanmoins, les malléoles étaient encore oedématiées à la fin de la
journée.
Le le, octobre, le malade marchait dans la salle dont le parquet venait
d'être nouvellement ciré, lorsqu'il se fil en tombant une fracture de jambe
au niveau du tiers inférieur. On lui appliqua un appareil plâtré pendant
quarante-cinq jours. Au bout de ce temps, la consolidation était suffisam-
ment effectuée pour qu'on pût enlever l'appareil. Pendant toute cette période
d'immobilisation au lit, les membres supérieurs avaient fait quelques pro-
grès, mais les membres inférieurs avaient perdu ce qu'ils avaient gagné au
mois de juillet. Voici dans un même tableau les mensurations telles qu'elles
ont été faites en juillet avant la fracture et telles quelles sont actuellement
(23 novembre 1890) :
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OEDÈME BLEU
HYSTÉRIQUE
« Nul doute qu'une fois l'attention attirée sur cet oedème on ne le
rencontre beaucoup plus souvent que par le passé. »
Ceci est écrit dans le mémoire de MM. Gilles de la Tourette et
Dutil', la première étude inspirée par M. le professeur Charcot sur
cette question qu'il a encore récemment traitée dans deux leçons fon-
damentales 2. La thèse d'Athanassio 3 ne nous offre à ce sujet rien de
particulier car elle ne fait que reproduire textuellement à propos de
l'oedème, ce qu'en ont dit les deux premiers auteurs que nous avons
cités.
C'est dans le service de notre éminent maître, M. le professeur
Charcot, pendant l'année où nous avons eu l'honneur d'être son
externe, que nous avons appris à connaître l'oedème hystérique, ce qui
nous a permis de le diagnostiquer sûrement à première vue chez
le malade dont voici l'observation.
Ons. - L..., Georges, âgé de trente-cinq ans, cuisinier, entre le 12 dé-
cembre 1890 il l'Hôtel-Dieu, salle Saint-Denis.
Antécédents héréditaires. - Son père est bien portant et a aujourd'hui
cinquante-huit ans. Pas d'habitudes alcooliques. Néanmoins il s'emporte faci-
lement. De ce côté deux tantes et un oncle dont le malade ne sait rien
dire. Pas de renseignements sur les grands-parents.
Sa mère, âgée de soixante ans, a eu toute sa vie de fortes migraines,
environ tous les quinze jours; elles duraient chaque fois de vingt-quatre à
quarante-huit heures.
Deux soeurs dont l'une est migraineuse comme la mère.
1. Contribution à l'élude des troubles trophiques dans l'hystérie, atrophie musculaire
el oedème (Nouvelle Iconographie, n° 6, t. II, 1889).
9. 'o ! 6 ! eme bleu des hystériques. - Leçon recueillie, par ·Georges Guinon (Progrès
médical, n', .il, 42, 1890).
3. Des troubles trophiques dans l'hystérie. Th. Paris, 1890.
m. 5
66 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Antécédents personnels. Le malade a uriné au lit jusqu'à 1/ âge de qua-
tome ans, malgré sa bonne volonté, et tout ce qu'il a pu faire pour s'en cor-
riger. Vers la lin de son service militaire, il a une grande attaque de rhuma-
tisme articulaire aigu qui le tient trois mois à l'hôpital. Depuis, il a eu deux
nouvelles attaques de rhumatisme assez violentes, et deux érysipèles de la
face. La dernière fois, soigné à Beaujon chez le Dr Guyot, il a eu pendant
quatre jours du délire qui a nécessité l'emploi de la camisole de force.
Le malade nie toute habitude alcoolique. Néanmoins, cuisinier depuis
vingt ans, il a souvent soif devant ses fourneaux.
l'as de syphilis.
Première attaque d'oedème. En août 1888, L... a éprouvé dans la main
droite, et dans cette main seulement, des crampes douloureuses intéressant
toute la musculature de la main ; ces crampes survenaient il l'occasion îles
mouvements volontaires, surtout quand le malade voulait saisir un objet.
Elles se sont ainsi montrées pendant trois jours. La sensibilité a persisté
pendant cette période. Vers la fin du troisième jour, la main se refroidit et
pâlit; en même temps elle s'engourdit an point que l'usage en devient impos-
sible, et le gonflement commence, d'abord discret. Le matin du quatrième
jour le gonflement est à son maximum, et la sensibilité a disparu.
Cet état de choses persistant, le malade entre quatre jours après il l'hôpi-
tal Saint-Antoine, dans le service du D' Raymond. Nous trouvons notés dans
la thèse de Trintignan les renseignements suivants pour son séjour à Saint-
Autoine.
Parésie totale du bras droit. OEdème très prononcé de la main droite
avec refroidissement et coloration violacée. Rétraction de l'aponévrose
palmaire ( ? ). Main raide. - Anesthésie de la main et des doigts sauf le
pouce. Anesthésie pharyngée; pas d'autres troubles de la sensibilité; pas
de rétrécissement du champ visuel.
Chloroformisation pendant laquelle on constate : 10 que la main droite
perd peu à peu sa coloration violacée, qu'elle devient rose; 2° qu'en môme
temps la température s'élève, et qu'elle dépasse même la température de la
main du côté opposé : dos de la main droite 32°,G; dos de la main gauche : i0°, l.
Pendant l'anesthésie, on constate que la raideur de la main et des doigts
est presque aussi considérable que lorsque le malade n'était pas endormi.
On en conclut qu'il ne s'agit pas d'une contracture, mais d'un raccourcisse-
ment des tendons fléchisseurs, dû sans doute à ses précédentes attaques de
rhumatisme. Le D' Raymond interprétait le cas de la façon suivante :
a Ces troubles s'expliquent suffisamment, nous le pensons du moins, si
l'on se rappelle la gravité, la longue durée des accidents rhumatismaux
dont cette main a été le siège principal. Les violentes douleurs ont d'abord
immobilisé les doigts; ceux-ci ont été fixés dans leur position actuelle et
déformés par l'inflammation rhumatismale. Cette dernière a produit des
brides fibreuses causes de la contraction dont nous nous sommes assuré
pendant le sommeil chloroformique.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OEDÈME BLEU HYSTÉRIQUE. (ii
« La même influence à créé la rétraction de l'aponévrose palmaire ou,
pour mieux dire, des tendons fléchisseurs des deux derniers doigts.
« Il ne nous paraît pas nécessaire de discuter l'existence d'une influence
nerveuse à peu près problématique pour expliquer les troubles de nutrition
auxquels nous faisons allusion. Il reste à chercher la ou plutôt les causes de
l'abaissement de la température de la main droite. Ce symptôme ne nous
paraît infirmer en rien l'interprétation que nous venons de donner de
l'anesthésie et des troubles trophiques. Ces causes de l'abaissement de la
température, en eflet, sont multiples, et elles cadrent bien avec le syndrome
clinique que nous venons d'analyser. Nous ferons remarquer en premier lieu
que l'anesthésie hystérique suffit, chez certains malades, à abaisser la tem-
pérature du membre anesthésie. La main est parésiée, immobile, et dans ces
conditions elle subit aisément l'influence des variations atmosphériques. Les
bourrelets fibreux du pourtour des articulations, ceux qui se trouvenfle long
des tendons, compriment probablement les vaisseaux et gênent la circulation
dans une certaine limite, autant de conditions qui créent dans le cas actuel
une asphyxie locale, permanente, portée à un degré rarement atteint dans la
maladie de Raynaud. »
Mais, le malade ayant quitté l'hôpital, Trintignan a vu disparaître quelques
jours après les bourrelets fibreux qui entravaient le libre fonctionnement des
tendons; l'anesthésie et la parésie sont supprimées. Le malade nous dit que
celte disparition de son oedème s'est faite en vingt-quatre heures; il a recouvré
entièrement l'usage de sa main.
Deuxième attaque d'ccdèac. Le 1"' janvier 1890, L... retourne à Saint-
Antoine, repris de son oedème en quarante-huit henres. On constate que
l'anesthésie de la main comprend maintenant le pouce, et qu'elle s'est éten-
due jusqu'au milieu de l'avant-bras. Cette fois encore pas d'autres troubles
de la sensibilité, sauf l'absence du réflexe pharyngé qui a persisté.
L'oedème disparait spontanément au mois de mars, mais sa disparition a
été progressive, plus lente que la première fois.
Troisième attaque d'oedème. Le malade nous a soigneusement caché
cette partie de son histoire. Pour un motif que nous soupçonnons, il tenait à
ce du'on ne sache pas, quand il est entré à l'Hôtel-Dieu, qu'il sortait de la
Charité. C'est d'une façon très indirecte que nous l'avons appris, et au
moment où le malade était déjà hors de notre portée. Nous n'avons sur cet
épisode de sa maladie que les renseignements suivants : entré dans le ser-
vice du Dr Féréol le 1er aoÙt 1890, il y a été observé par plusieurs médecins
des hôpitaux, et surtout par M. le Dr Marie, agrégé de la Faculté. Il présen-
tait ce même oedème de la main droite. Il a séjourné au moins deux mois.
Nous ignorons s'il en est sorti guéri. C'est probable si L... ne nous a pas
trompé sur le début dc l'attaque suivante qui l'a amené à l'Ilôlel-Dieu.
Quatrième attaque d'oedème. Vers le 10 novembre 1890, L... est
.repris de crampes dans la main droite identiques à celles de la première
attaque. Mêmes phases de refroidissement, de pâleur et d'engourdissement,
et réapparition de l'oedème au troisième jour. Le quatrième jour, l'oedème
68 - NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
est à son maximum, dès ce moment les crampes ont cessé.
Le malade ne se décide à entrer à l'hôpital qu'au bout d'un mois. C'est du
moins lui qui le dit. Mais rien ne nous empêche de supposer qu'il sort d'un
autre service au moment où il se présente à nous, le 12 décembre.
Examen du 13 décembre 1890. L... est un homme de taille au-
dessous de la moyenne (l ? 65). Il est blond fade; une raie soigneusement
l, i
tracée sépare sur le milieu de la tête des cheveux frisés et pommadés ; la
moustache est blonde; les yeux bleus. Physionomie douce, un peu effarée
avec du féminisme dans l'expression. Les personnes cliniquement familia-
risées avec l'hystérie et qui verront le malade reconnaîtront là un facies
caractéristique. La voix est un peu voilée.
L..... affirme avoir d'habitude un caractère très gai; ses camarades le
considèrent comme un boute-en-train. Mais depuis le début de son affection, il
n'estplus le même homme; il est devenu triste, songeur et paraît très préoc-
cupé de son état.
,Motilité. Moyennement musclé. Pas d'autres troubles musculaires que
FiG. 6.
Fig. 7.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OEDÈME BLEU HYSTÉRIQUE- 6'J.
l'impotence de la main droite; le bras droit semble aussi parésié. Les réflexes
patellaires sont normaux.
Au dynamomètre, la main gauche donne 35.
Sensibilité générale (fig. 6, 7). -Hénti-lapoestlaésie droite : Sensibilité
au pinceau complètement perdue. Sensibilité à la douleur et à la tempéra-
ture très diminuée. Zone d'anesthésie plus marquée au niveau du scapulum
droit; cette zone dessine à peu près l'os sous-jacent. L
Anesthésie absolue de la main malade (voir plus loin).
"11uqueuses. Anesthésie pharyngée absolue. Anesthésie de la moitié
droite de la langue, de la narine et de la conjontive droites. Diminution très
marquée de la sensibilité du conduit auditif externe du côté droit.
Pas de retard dans la perception.
Côté droit du corps normal comme sensibilité; peut-être même ya-t-il
un peu d'hyperesthésie..
Sensibilités spéciales. Goût aboli dans toute la moitié droite de la
langue, aussi. loin qu'on porte les substances sapides; dans la moitié gau-
che, la partie antérieure est également insensible; la perception gustative ne
s'exerce dans cette moitié qu'en arrière du V lingual. '
Odorat : Anosmie complète à droite, au grand étonnement du malade.
Ouïe : Diminution de l'acuité auditive du côté droit; le tic-tac d'une
montre cesse d'être perçu à 15 centimètres, tandis qu'il l'est encore à
30 centimètres par l'oreille gauche. Le malade s'est aperçu depuis quelque
temps de cette dureté de l'ouïe; il a éprouvé dans cette oreille quelques
légères douleurs et quelques bourdonnements.
Vue (fig. 8) : Rétrécissement concentrique du champ visuel des deux
côtés, plus marqué pour l'oeil droit (droit à 55. degrés en dehors, à 40 du
FIG. 8,
70 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
côté nasal; un deuxième examen nous a donné 40 du côté externe; gauche
à 70 en dehors, normal du côté nasal).
La paupière droite tombe un peu plus que la gauche ; mais ce léger ptosis
subit, d'un moment à l'autre des variations assez étendues. L'occlusion avec
un doigt de la paupière gauche détermine une plus grande difficulté dans le
relèvement de la paupière droite.
Dans les positions extrêmes de l'oeil, on a cette sorte de tremblotement
des muscles orbitaires, cette espèce d'hésitation qu'on rencontre souvent
chez les hystériques ou simplement chez] les personnes nerveuses, et qui
ressemble au nystagmus, à l'intensité près.
Pas de micro-mégalopsie.
Pas de diplopie monoculaire.
Pas de dyschromatopsic. Cependant l'oeil droit hésite un peu à reconnaître
les couleurs.
Le temps nous a manqué (on en verra plus loin la raison), pour recher-
cher le champ visuel pour les diverses couleurs.
L'oeil droit se fatigue très vite; les objets se brouillent bientôt si l'atten-
tion monoculaire est soutenue un certain temps.
Sens musculaire conservé..
Description de la main malade (fig. 9). - Ce qui frappe au premier
abord, c'est un oedème exagéré de la main droite commençant à quatre tra-
vers de doigts au-dessus de l'interligne radio-carpien et s'étendant jusqu'à
l'extrémité des dernières phalanges. C'est, comme volume, l'aspect d'un
phlegmon total de la main. Il semble que la peau, sèche et luisante, est près
de se rompre. En même temps, la main est fléchie sur l'avant-bras qui se
tient dans une position intermédiaire à la pronation et il la supination (posi-
tion de repos de la main). Le pouce est en opposition forcée. Cet oedème
occupe toute la main, mais surtout la face dorsale qui est énorme. Les doigts
sont également tendus il se rompre et étroitement collés les uns aux autres;
ils sont raides et incurvés vers la paume de la main. La pulpe du pouce
s'aplatit sur celle de l'index. Ce n'est pas tout à fait la main en cône de
Trousseau, la main de l'accoucheur au moment où elle pénètre dans le vagin,
car ici le pouce n'est en rapport qu'avec l'index, tandis que dans la main en
cône la pulpe des cinq doigts converge vers un même point.
La coloration de la main est d'habitudc violacée, avec des plaques plus
foncées, et d'autres plus blanches; c'est l'aspect marbré. La cyanose est
beaucoup plus marquée vers l'extrémité des doigts. Mais cette coloration est
très variable au courant de la journée, sans régularité apparente dans ces
variations, et nullement soumise aux influences extérieures. La main devient
rouge sombre avec des plaques plus ou moins foncées et des points cyanosés;
d'autres fois très pâle, d'autres fois tout il fait cyanosée, d'auties fois rosée.
La position de la main, son plus ou moins de déclivité, n'a aucune
influence sur le volume de l'oedème ou la coloration des téguments. Le
malade nous dit qu'a Saint-Antoine, l'élévation de la main maintenue pen-
dant deux heures consécutives n'a amené aucun changement.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OEDÈME BLEU HYSTÉRIQUE. 71
Cet oedème est dur. Le doigt y produit cependant son empreinte; mais la
partie déprimée revient à son niveau primitif avec une très grande rapidité
(dix à quinze secondes selon que la pression a été plus ou moins forte). Le
point déprimé devient blanc, et la coloration violette ou rouge reparaît un
peu exagérée dès que le doigt cesse la pression.
La main malade est manifestement plus froide que la main saine. Le
thermomètre nous a donné les chiffres suivant :
72 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
phénomène de 1'liyperexcitabililé neuro-musculaire, mais sous forme de
secousses et non point de contraction tétanique.
Depuis quelques jours seulement, au dire du malade, la main est prise, i
intervalles irréguliers et pour une durée très variable, d'un tremblement
rhythmé commandé par les muscles de l'avant-bras, et dont l'intensité esl
également très variable. Ce phénomène s'est produit sous nos yeux à diverses
reprises pendant l'examen du malade. Dans la position de demi-flexion où
est la main, avec ses doigts demi-fléchis et le pouce touchant l'index, on a
tout àl'ait, quand le malade tremble, la position et le mouvement de la main
d'un joueur de mandoline tenant entre le pouce et l'index le morceau
d'écaille qui fait vibrer les cordes. Cela rappelle la main de la paralysie
agitante.
L'aisselle droite est le siège d'une sécrétion exagérée de sueur. An bout
de quelques heures la chemise du malade est littéralement trempée de ce
FIG. 9. - Divers aspects de la main droite oedémateuse. En haut et à droite se voit,
comparativement, la main gauche saine.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OEDÈME BLEU HYSTÉRIQUE. 73
côté jusqu'à la ceinture. C'est un symptôme sur lequel le malade attire volon-
tiers l'attention. Cette hyperhydrose locale paraît continue; nous n'avons pu
en observer des variations.
Nous avons recueilli les renseignements qu'on vient de lire dans les
quarante-huit heures qui ont suivi l'entrée du malade à l'hôpital. Bien
nous en a pris, car le z16 au matin, trois jours après son entrée, il
faisait signer sa pancarte. Aucune considération n'a pu le retenir.
Si nous avons cru devoir publier ce cas d'oedème hystérique, c'est
qu'il nous a semblé présenter quelques particularités dignes de fixer
l'attention. '
L'analyse détaillée des stigmates que présente L... ne peut laisser
aucun doute sur l'existence de l'hystérie chez cet homme. Mais il
est remarquable que l'oedème de sa main ait été en quelque sorte la
première manifestation de la névrose. En effet, on n'a constaté chez lui,
au moment où pour la première fois il est venu montrer sa main à un mé-
decin, aucun autre stigmate que l'anesthésie pharyngée. Il est vrai qu'il 1
a uriné dans son lit jusqu'à l'âge de quatorze ans, détail important que
n'avaient point relevé ceux qui ont étudié ce malade avant nous. Mais
depuis cette première atteinte, la maladie a affirmé plus nettement sa
nature par l'apparition successive de stigmates nouveaux. Au deuxième
examen fait à Saint-Antoine, on constate déjà que l'anesthésie s'est
étendue jusqu'au milieu de l'avant-bras. Ces jours derniers nous
avons constaté chez lui une hémihypoesthésie droite, une altération
dimidiée des organes spéciaux, le rétrécissement du champ visuel.
Nous ajouterons encore qu'après avoir été fatigué par l'examen un peu
prolongé de ses yeux, le malade se sentait la tête très lourde, et que
facilement il serait tombé dans le sommeil hypnotique si on avait pu
obtenir de lui qu'il fixât un instant notre oeil ou un point brillant quel-
conque : autre manifestation de l'hystérie. Cette éclosion successive
de troubles somatiques nous rappelle le passage suivant de l'observa-
lion de Perr..., le malade étudié par M. Charcot'; c'est le malade qui
parle : « Quand il m'a vu, M. D... lui a dit : « C'est un hystérique, mais
il n'a pas eu de crises. )) ,j Le père Charcot arépondu : « S'il n'a pas eu
de crises, eh bien, il en aura. » Et effectivement le malade a eu de
grandes attaques. Une fois de plus ceci montre qu'on peut entrer dans
l'hystérie par plus d'une porte, de même que de tous les symptômes du
tabes chacun peut se montrer le premier. Au fond, il n'existe donc pas
plus une période préconvulsive de l'hystérie qu'il n'existe une période
1. Leçon du mardis juin 188 ! J. - Observation in extenso dans le mémoire de Gilles
de la 'Courette et Dutil.
74 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
préataxique de tabes, celui-ci pouvant d'emblée débuter par l'ataxie
du mouvement, l'hystérie pouvant se manifester tout d'abord par de
grandes attaques. 1
Notre malade étant donc constaté hystérique, nous ne pensons pas
qu'on puisse rattacher à une autre cause l'oedème observé chez lui.
L'explication, d'ailleurs si rationnelle, proposée par le Dr Raymond a
été controuvée par le fait de la disparition subite non seulement de
l'oedème et de l'anesthésie, mais encore des brides fibreuses et des
nodosités supposées d'origine rhumatismale.
S'il nous fallait invoquer non plus une cause originelle, mais une
cause occasionnelle de l'éclosion de l'hystérie chez L..., nous pren-
drions en considération, plutôt que le rhumatisme, l'intoxication
possible par l'oxyde de carbone, cet homme ayant passé vingt ans de
sa vie devant des fourneaux de cuisine. Ce serait, pour les partisans de
l'autonomie des hystéries toxiques, un cas de plus d'hystérie oxy-car-
bonée.
Cet oedème est donc bien un oedème hystérique. Il présente d'ailleurs
tous les caractères de cette affection. Mais trois points nous ont paru
devoir être mis en relief.
1° La coloration s'est montrée ici très variable, passant du violet
foncé au blanc mat de l'oedème cardio-rénal. La dénomination d'oedème
bleu n'est donc peut-être pas assez compréhensive.' La simple appella-
tion d'oedème hystérique, sans qualificatif aurait l'avantage de ne rien
préjuger de la coloration.
2° Cet oedème est dur; mais cela ne veut pas dire que le doigt n'y
puisse produire son empreinte; on a une dépression aussi profonde
que l'on veut, et on peut arriver aùx plans résistants sous-jacents;
mais le point déprimé revient très vite au niveau primitif (en dix à
quinze secondes dans notre observation). Ce serait donc plutôt un
oedème élastique.
3° Enfin, singularité capitale, nous avons observé- sur la main
malade des variations de température remarquables, et cela en dehors
de toute influence extérieure apparente. Tandis que la température de
la main saine se tenait dans d'étroites limites, variant seulement de
34°2à 27°, soit une oscillation de 2°8, celle de la main malade variait
de 18° à Si0',A-, soit une oscillation de 1G ? Il est vrai que cette éléva-
tion ne s'est produite qu'une fois sous nos yeux ; mais nous n'avons
eu le malade que trois jours à notre disposition; qu'elle a été passa-
gère, « comme un coup de folie de sa main », dit le malade; mais qui
nous'dit qu'elle ne peut se maintenir plus longtemps ? Il n'en ressort
pas moins ceci qu'à un moment donné l'oedème hystérique peut pré-
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'OEDÈME BLEU HYSTÉRIQUE. 75
senter une élévation locale de la température suffisante pour laisser
croire à un processus inflammatoire, et pour justifier une intervention
chirurgicale. « L'oedème hystérique fréquente donc les services de
chirurgie, ce qu'il était important de signaler ]), disent MM. Gilles de
la Tourette et Dutil. Cette confusion avec un phlegmon ou une suppu-
ration osseuse profonde serait même à peu près inévitable si, comme
dans certains cas, l'oedème hystérique était douloureux. L'hyperesthésie
douloureuse au niveau des parties tuméfiées est en effet signalée dans
deux observations de M. Charcot rapportées par MM. Gilles de la Tou-
rette et Dutil.
Toutes les observations jusqu'ici publiées d'oedème hystérique
signalent un abaissement de la température au niveau de l'oedème.
Dans une seule, celle du professeur Damaschino, il y a, mais d'une
façon constante, une élévation de 2° sur la partie malade. Notre
cas est donc le premier où on ait constaté, ◀tantôt▶ l'abaissement, ◀tantôt▶
l'élévation, et cela dans une étendue de 1Ce4-, la température des parties,
oedématiées dépassant de 9°8 celles des parties saines homologues.
Nous pensons qu'il fallait faire ressortir ce phénomène.
Nous ferons remarquer de plus la coïncidence, sur une même main,
de l'oedème, de la contracture et du tremblement. Ceci corrobore la
proposition émise dans le mémoire de MM. Gilles de la Tourette et
Dutil : « L'oedème se superpose presque toujours à une contracture ou
à une paralysie d'un membre. »
Nous eussions volontiers étudié chez notre malade, s'il eût daigné
prolonger son séjour à l'Hôtel-Dieu, les points suivants :
il' Influence de la compression de l'humérale ou de l'axillaire sur
l'oedème, sa coloration, son changement de volume, et sur la contrac-
ture ; par conséquent étude des relations que pouvait présenter ce cas
avec la tétanie.
9° Relation des variations de coloration et de température avec la
tension artérielle dans la radiale correspondante.
3° Action des aimants sur l'oedème au point de vue du transfert.
4/ Action des courants électriques sur cet oedème.
5° Relation entre les variations de température de la main malade et
les variations de l'hyperhydrose axillaire.
Mais une tentative d'hypnotisation faite sur L... par le chef de
service dans l'espoir d'obtenir la guérison de sa main par sugges-
tion pendant le sommeil hypnotique, a sans doute effrayé notre malade
qui a impérieusement, réclamé son exeat dès le lendemain, sans
donner d'ailleurs aucun motif de son départ.
Nous croyons qu'il a craint de voir disparaître son oedème, car
76 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
nous lui avions donné l'assurance qu'on pouvait le guérir en l'endor-
mant, et d'être ainsi privé d'une infirmité passagère qui lui assure,
pour un temps au moins, la vie facile dans les hôpitaux.
Deux jours après, en effet, nous apprenions que L... venait d'en-
trer dans un service de la Pitié, bien entendu sans dire qu'il sor-
tait de l'Hôtel-Dieu. Ainsi nous avait-il caché qu'il eût été à la Charité
tout récemment, de peur de se voir refuser l'admission à l'Hôtel-Dieu.
Il n'est pas douteux que jusqu'à la disparition spontanée de son mal, il
ne pérégrine à travers les services hospitaliers de Paris.
Peut-être même a-t-il un truc pour faire reparaître son oedème-ati
bon moment, comme un malade récemment signalé par M. Féréol à la
Société médicale des Hôpitaux, lequel, jouissant à un haut degré du
phénomène de dermographie, produisait sur sa peau, par des pro-
cédés à lui connus, les diverses éruptions de rougeole, de scarlatine,
de variole, etc.; et cela avec assez de perfection pour tromper des
médecins.
En fin de compte il nous revient que L... aurait dit dans le ser-
vice, le matin de son départ : « Décidément ça ne me rapporte pas
assez ici; je m'en vais. »
Il n'a pas fait non plus long séjour à la Pitié, parce qu'on n'accor-
dait pas à son cas toute la sollicitude et toutes les complaisances dont
il le jugeait digne. Comme tout cela est bien dans la note hystérique ! 1
EMILE Boix,
Interne des Ilôpilauv.
DE L'INFLUENCE
DES EXCITATIONS SENSITIVES ET SENSORIELLES
. DANS LES PHASES
CATALEPTIQUE ET SOMNAMBULIQUE DU GRAND HYPNOTISME
Au cours de recherches sur l'influence des impressions sensitives et
sensorielles dans le délire de la troisième période de l'attaque hysté-
rique, recherches qui seront publiées prochainement, nous avous eu
l'occasion de faire quelques observations dans le même ordre d'idées
pendant l'hypnose. Ce sont les résultats de ces observations que nous
consignons ici, sans en tirer d'autres conclusions que celles qu'elles
comportent naturellement, nous réservant d'y revenir dans notre tra-
vail sur le délire hystérique dont nous parlions plus haut.
Disons une fois pour toutes, avant de commencer, que nous avons
fait usage, pour ces observations, uniquement de sujets présentant
ce qu'on appelle le grand hypnotisme, avec ses trois périodes bien
délimitées, léthargie, catalepsie et somnambulisme, caractérisées cha-
cune par les signes somatiques'et physiques qui permettent d'écarter
toute idée de supercherie ou de simulation. 11 n'est pas inutile non
plus d'ajouter que nous avons fait nos recherches en nous mettant
dans les meilleures conditions pour éviter toute suggestion inconsciem-
ment fournie au sujet par nous ou les autres malades. Nous étions
seuls avec la malade dans une chambre, ne prononçant pas une parole à
moins de nécessité absolue, et dans ce cas communiquant entre nous
tout bas, à l'aide de la langue allemande, inconnue à nos trois ma-
lades.
Les trois sujets sur lesquels nous avons expérimenté sont des femmes
hystériques du service de M. le professeur Charcot, que notre maitre a
bien souvent, depuis plusieurs années, montrées dans ses leçons cli-
78 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
niques au point de vue des phénomènes du grand hypnotisme. Nous
passerons sous silence, nous contentant de la dire en quelques mots,
l'histoire clinique de chacune d'elles, fort chargée en général en ce qui
concerne les divers accidents ou manifestations de l'hystérie.
La première de nos malades est une nommée Witt... qui est à la
Salpêtrière dans le service de M. Charcot depuis plus de dix ans. C'est
une grande hystérique, avec grandes attaques à trois périodes, atta-
ques de contracture, et portant tous les stigmates de la névrose, rétré-
cissementdu champ visuel, avec dyschromatopsie, hémianesthésie sen-
sitivo-sensorielle, points hystérogènes. Elle présente de plus, à un degré
très accentué, les diverses manifestations du grand hypnotisme. Son
nom revient à chaque instant dans les divers travaux de M. Charcotet
de ses élèves sur l'hystérie et sur l'hypnotisme.
Le 22 mars 1890, nous hypnotisons cette malade par la fixation d'un
objet brillant et elle tombe en léthargie. Pendant cette période, les di-
verses excitations que nous faisons porter sur les sens du toucher, de
l'ouïe, de l'odorat et du goût restent sans aucun résultat appréciable.
Nous n'avons pu tenter d'impressionner l'organe visuel, car on sait que
l'occlusion des yeux est complète pendant la léthargie.
En soulevant les paupières, nous produisons la catalepsie, et après
nous être assurés que cette phase présentait bien légitimement ses
caractères distinctifs, nous plaçons un verre rouge devant les yeux delà
malade. Immédiatement nous lui voyons esquisser un léger sourire et
sa face prend l'expression du plaisir et de la joie. Il ne se produit aucun
mouvement des membres.
Verre bleu. Elle fronce les sourcils et sa physionomie dénote la
tristesse.
Verre jaune. Elle donne tous les signes d'une grande frayeur.
Verre vert foncé. Sa physionomie exprime l'étonnement, puis
l'admiration. Ces deux sentiments sont très nets. La malade élève les
bras et les écarte, comme lorsqu'on est saisi d'un étonnement admi-
ratif. f.
L'application d'un verre vert clair devant les yeux ne change rien à
la scène précédente.
Après ces excitations du sens de la vue, nous nous adressons à
l'odorat, plaçant sous les narines de la malade un flacon ouvert conte-
nant une substance odoriférante.
Sulfure de carbone. La face prend l'expression d'un profond
dégoût. La main droite s'élève et la tète se détourne comme pour
écarter une vision horrible et répugnante.
Eau de Cologne. La scène change subitement. La malade sourit
INFLUENCE DES EXCITATIONS SENSITIVES ET SENSORIELLES. 79
et donne tous les signes d'un grand contentement. Elle regarde dans le
lointain. Sa main droite s'élève, comme pour commencer un geste,
qu'elle ne termine pas et la main reste en route, la malade demeurant
figée dans l'expression qu'elle avait à ce moment-là, comme si le
tableau avait disparu et qu'elle ait conservé, ainsi que cela se voit
dans la catalepsie, le geste et la physionomie afférents il la suggestion
du moment.
Chloroforme. Dégoût, répulsion vive. Elle retire violemment la
tête en arrière. Puis sa face prend une. expression triste. On dirait qu'elle
va pleurer.
Ether camphré. - Contentement, léger sourire. (On sait que cer-
taines hystériques aiment assez la griserie de l'éther qu'on leur admi-
nistre quelquefois pour calmer leurs attaques.)
Nous tentons alors d'impressionner le sens de l'ouïe et nous produi-
sons ce bruit léger et sourd que l'on obtient en frappant très douce-
ment sur un tam-tam. Immédiatement, la malade tombe dans une
violente attaque de contracture. Nous lui faisons reprendre ses sens en
comprimant l'ovaire, mais les contractures persistent, ainsi que nous
l'avions déjà maintes fois constaté chez elle en diverses circonstances.
Revenue à elle, elle répond mal aux questions que nous lui adressons,
paraissant se trouver dans un état bizarre de demi-conscience et l'air
préoccupé. Pressée de questions, elle finit par nous dire qu'elle voit
une quantité de choses extraordinaires, qu'elle n'a jamais vues. Elle
semble à ce moment dans cette sorte de délire hallucinatoire avec con-
servation de la connaissance et de la perception des objets extérieurs,
qui caractérise le délire post-hystéro-épileptique, et se voit quelquefois
à la suite des attaques d'hystérie. Bien qu'elle refuse énergiquement de
nous raconter toutes les choses bizarres qu'elle voit, nous arrivons
cependant à la faire parler et elle nous fait le récit suivant.
« Elle était d'abord dans les bras de son... » nous dirons : de son
amant, sans employer toutes les circonlocutions dont elle faisait usage
pour le désigner, « pleine de contentement et de plaisir. Puis subite-
ment elle a vu la mer et il lui a semblé qu'elle descendait au
tombeau. Ensuite elle voit un grand incendie, des flammes énormes
montant jusqu'au ciel, qui prenait une coloration jaune éblouis-
sante. Puis tout à coup elle était transportée dans une salle de
bal, dans des salons magnifiques remplis d'arbustes verts et de fleurs.
C'était un bal de gens du monde, non un bal comme celui des folles à
la Salpêtrière, le jour de la mi-carême. Mais la scène changeait subite-
ment et elle se voyait dans une espèce de charnier, entourée d'un grand
nombre de morts, dont les cadavres pourrissaient et infectaient l'air.
80 NOUVELLE IC0N0GR4PHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Puis tout à coup elle se trouvait dans un jardin superbe, au milieu
des fleurs. C'était très joli, ça sentait bon. Enfin le tableau changeant,
elle sentait autour d'elle une odeur bizarre, comme de la terre
mouillée; l'air devenait irrespirable, elle étouffait, elle allait mourir.
Voilà tout ce qu'elle avait vu et toutes ces choses elle ne se rappelait
pas les avoir jamais vues nulle part auparavant, si ce n'est peut-être en
rêve. C'était très joli ou très terrible; ça lui passait rapidement devant
les yeux. C'était comme s'il s'agissait d'elle, mais elle ne paraissait pas
participer par elle-même à l'action. »
Pendant qu'elle nous faisaitce récit, conservant toujours les diverses
contractures qui lui restaient de son attaque, la malade, ceci est im-
portant à noter, ne nous racontait pas toutes ces choses comme un pur
souvenir, mais elle les voyait alors se dérouler, non devant ses yeux,
mais dans son imagination. A ce moment précis où elle se trouve dans
cet état bizarre, les impressions sensorielles restent sans effet parti-
culier. A travers un verre rouge, elle voit rouget à travers un verre
jaune, jaune, à travers un verre vert, vert, mais point de scènes ni de
tableaux spéciaux. Elle se sent elle-même toute drôle, comme ivre.
Quelques massages eurent raison des contractures qui persistaient.
La malade revient alors progressivement à son état habituel et la
mémoire de tout ce qu'elle a vu précédemment persiste, mais comme
un lointain souvenir.
Reportons-nous maintenant aux diverses impressions sensorielles
que nous avons données à la cataleptique, nous verrons que le récit de
la malade s'applique exactement à tous les jeux de physionomie qui
se sont succédé chez elle à la suite des diverses expériences. Tout
d'abord l'expression de plaisir du verre rouge : c'est le duo d'amour;
la tristesse produite parle verre bleu : c'est la mer et la descente au tom-
beau ; la vive frayeur du verre jaune : l'incendie et les grandes flammes
jaunes; l'étonnement admiratif du verre vert : le bal et les salons rem-
plis d'arbustes et de fleurs; l'expression de dégoût du sulfure de car-
bone : le charnier et les cadavres infects ; le sourire et le contentement
de l'eau de Cologne : le jardin plein de fleurs embaumées; la répul-
sion, la tristesse du chloroforme : l'air irrespirable et la sensation de
mort prochaine.
On peut donc dire que chaque impression sensorielle a éveillé chez
la malade une suggestion absolument personnelle à elle-même, indé-
pendante de la volonté de l'opérateur. Il s'agit là de véritables halluci-
nations suggérées, tableaux qui défilent devant les yeux de la malade,
ou scènes un peu plus complexes dans lesquelles elle prend une part
plus ou moins active. 1 .. ,
INFLUENCE DES EXCITATIONS SENSITIVES ET SENSORIELLES. 81
Nous n'avons pas poussé plus loin nos recherches chez cette malade,
à cause du petit accident qui avait interrompu notre première série
d'expériences.
Notre seconde malade, la nommée Cless... est une hystéro-épilep-
tique à crises séparées, présentant également tous les stigmates de la
névrose et grande hypnotique.
Le 14 mars '1890 nous l'hypnotisons par la pression sur les globes
oculaires. Dans la période léthargique, aucune réaction aux diverses
excitationssensitives et sensorielles que nous avons pratiquées.
Après l'avoir mise en catalepsie, nous plaçons devant ses yeux un
verre bleu : immédiatement ses sourcils se froncent, ses lèvres se
plissent comme dans un mouvement de dégoût prononcé. Elle fait avec
les mains un geste qui correspond bien exactement au jeu de physio-
nomie.
Verre rouge. -- Sourire presque immédiat; expression de plaisir
extrêmement vif. Puis ses mains s'élèvent et viennent se plaquer en se
croisant sur sa poitrine comme si elle serrait quelqu'un contre elle.
Puis sa face prend l'expression d'une joie allant jusqu'à l'extase; de
temps en temps elle envoie un baiser du bout des doigts.
Verre vert. -- Sourire; elle fait le geste d'envoyer un baiser. Les
yeux levés au ciel, sa physionomie exprime un parfait contentement.
Verre jaune. Mouvement de dégoût et de recul, bien plus accentué
qu'avec le verre bleu.
Passant ensuite aux impressions olfactives, nous mettons sous les
narines du sujet un morceau de camphre, qui provoque le sourire, une
sorte d'extase, avec les mêmes gestes que ci-dessus.
Sulfure de carbone. Dégoût très prononcé, avec gestes.
Eau de Cologne. - La malade sourit, lève les yeux au ciel, puis
joint ses mains et se placedans l'attitude de la prière.
Chloroforme. Expression de contentement; elle renverse la tête en
arrière, écarte et tend les bras, semblant y appeler quelqu'un du regard.
Éther. Contentement absolu, bonheur parfait (la malade est
quelque peu éthéromanc).
Alcool. - Elle fronce les sourcils, ferme ses poings et se met dans
la position de défense comme pour se battre.
En ce qui concerne le goût, du sirop de groseilles placé sur la langue
provoque un sourire, puis le geste d'envoyer un baiser. Enfin elle
paraît honteuse et confuse de ce qu'elle vient de faire.
Sel de cuisine. - Dégoût.
Sulfate de quinine. Elle fronce les sourcils, ferme les poings et
se met dans la position de défense comme pour se battre. -
m. 6
82 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Alcool. Elle joint les mains, lève les yeux au ciel et paraît prier.
Les diverses excitations des deux autres sens, l'ouïe et le toucher ne
nous ont donné aucun résultat appréciable.
Comme on le voit, chez cette malade, les gestes et les expressions de
physionomie provoqués par les diverses suggestions que donnent ces
sens, ne sont pas extrêmement variés.. La joie, peut-être un peu
d'érotisme, le dégoût, la colère, la prière sont les seules manifestations
que nous ayons provoquées avec les nombreux agents d'excitation
employés. En revanche elles étaient très vives et paraissent correspon-
dre à des hallucinations bien nettes et fort intenses. II est bon de dire
à ce propos que cette fille est une simple. Enfant-assistée élevée à la
Salpêtrière, où elle entra dès son jeune âge dans le service des enfants
épileptiques, elle n'a pas grande culture et ses impressions ainsi que
ses idées se bornent à un bien petit nombre. En présence de ces exci-
tations, il est évident que le sujet réagit à sa manière, avec son propre
fonds, dans la mesure de ses moyens. Il n'est donc pas étonnant qu'une
fille simple, sans culture, ne présente qu'un nombre restreint de
réactions simples. Nous verrons au contraire notre troisième sujet,
fille plus cultivée, plus intelligente, nous donner des réactions beau-
coup plus complexes et plus variées.
Nous n'avons pu ni à l'état de veille, ni pendant la période som-
nambulique obtenir le récit des tableaux ou des scènes qui, pendant
la catalepsie, avaient provoqué chez notre malade les sentiments dont
ses gestes et ses jeux de physionomie étaient l'expression. Tout sou-
venir avait disparu.
Pendant la période somnambulique de l'hypnotisme les diverses
excitations sensitives ou sensorielles n'ont jamais provoqué de sugges-
tions quelconques, sans l'aide de la parole. Chez cette malade, comme
chez la suivante et chez quelques autres que nous avons pu examiner
dans la suite à ce point de vue, nous avons toujours observé que les
sensations étaient perçues nettement et pour ce qu'elles étaient réelle-
ment, à moins d'un trouble morbide quelconque tel que la dyschro-
matopsie, l'anosmie, l'agustie, l'anesthésie, etc. Le verre rouge
colorait en rouge les objets ambiants, le verre jaune en jaune, etc.
L'éther, le chloroforme, le sulfure de carbone, étaient perçus comme
odeurs connues ou inconnues, mais bonnes ou mauvaises et c'était tout.
Il en est exactement de même pour les substances sapides, les excita-
tions auditives, les sensations cutanées. Les réponses des malades
étaient toujours formelles à ce point de vue et si quelquefois, nos
expériences finies, nous avons demandéàl'une d'elles, si elle nevoyait
pas quelque chose d'autre que des objets colorés en rouge, par exem-
NIy.VFIL1 l1'O'dlt.r.'APHlr 1.1... LA S"'LPP.rI1"RF T. iv. PL VI.
SUGGESTIONS PAR LES SENS DANS LA PÉRIODE CATALEPTIQUE
DU GRAND HYPNOTISME
LECROSNIER & BASÉ
éditeurs
Nouvelle iconographie DF la Salpêtrière T. iv. PL. vu.
SUGGESTIONS PAR LES SENS DANS LA PÉRIODE CATALEPTIQUE
DU GRAND HYPNOTISME
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
INFLUENCE DES EXCITATIONS SENSITIVES ET SENSORIELLES. 83
pic, elle nous regardait en souriant, paraissant se demander si nous
n'avions pas un peu la berlue : CI Qu'est-ce que vous voulez que je voie ?
Me prenez-vous donc pour une folle ? » Aussi ne donnerons-nous pas
en détailla longue et fastidieuse 'liste de nos expériences à ce sujet,
pour cette simple raison qu'elles ont toutes été négatives.
Notre troisième malade, la nommée Schey..., est une jeune fille de
vingt-trois ans, entrée en 1886 dans le servicede M. le professeur Charcot.
Son histoire clinique est des plus chargées. Outre tous les stigmates
qu'elle présente au degré le plus accentué, elle a eu pendant son
séjour à l'hospice une multitude d'accidents hystériques : chorée
rhythmée, attaques de délire durant jusqu'à dix jours, paralysies,
contractures, etc.
Le 16 mars 1890, nous l'hypnotisons par la pression sur les globes
oculaires. Pendant la phase léthargique, aucune réaction aux excita-
tions sensitivo-sensorielles, comme chez nos deux autres malades, non
plus que dans la période somnambulique, ainsi que nous le disions
plus haut. ' '
Après l'avoir mise en catalepsie, nous plaçons un verre rouge devant
ses yeux. Immédiatement sa face prend l'expression d'une grande
frayeur. Ses bras se lèvent et ses yeux regardant dans le lointain sem-
blent contempler un spectacle terrible (PI. VI, fig. '1).
Verre bleu. Elle lève les yeux au ciel, joint ses mains en l'air
dans l'attitude de la prière, et finit par se mettre à genoux (PI. VII,
fig. 1, et Pl. VI, fig. 3).
Verre jaune. Elle fronce les sourcils, cligne les paupières et met
ses mains en abat-jour au-dessus de ses yeux, comme pour se proléger
d'une lumière trop vive. (Ce même verre jaune placé sur nos propres
yeux, nous donne à nous-mêmes l'illusion que les objets environ-
nants sont éclairés par un vif soleil d'été) (Pl. VII, fig.,3). r -
Verre vert foncé. : =Elle sourit et fait un geste de contentement. Elle
porte sa main à quelque distance de son nez et flaire une fleur qu'elle
tient entre ses doigts : Elle la passe ensuite à une boutonnière de son
corsage. Elle se lève alors de la chaise sur laquelle elle est assise et
regarde à terre autour d'elle. Puis elle se baisse, arrache de la main
droite une fleur à quelque distance du sol, sur un arbuste imaginaire
et la passe dans sa main gauche (PL IX, fig. 3 et 4). Elle recommence
ensuite, cueille aussi un certain nombre de fleurs sur divers arbustes
de différente hauteur et en compose un petit bouquet qu'elle met à son
corsage. Elle recommencerai ensuite cette petite scène indéfiniment si
on ne l'arrêtait pas.
Verre vert très clair, semblable à un mauvais verre de vitre. - Elle
84 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
semble regarder dans le lointain. Puis sourit et salue de la main. Tout
à coup elle fait quelques signes de tête et agite l'index comme on fait
pour faire signe à quelqu'un de venir vers soi ou de s'arrêter; alors
elle sourit de nouveau et envoie un baiser. Puis son regard semble
suivre quelqu'un qui s'éloigne; enfin ses mains retombent sur ses
genoux, elle baisse la tête, l'air profondément triste comme si ce
qu'elle suivait des yeux avait disparu pour ne plus revenir (PI. VII,
- fig. d). Nous avons pu'observer pendant toute cette scène dont les
divers tableaux se déroulent assez lentement, qu'il se produisait dans
la pupille un certain nombre de modifications, mais nullement en
rapport avec les mouvements d'accommodation nécessités par les
diverses distances où paraissaient se trouver les objets qu'elle semblait
regarder. On peut voir là la preuve qu'il ne s'agit que de simples hallu-
cinations ou mieux de phénomènes purement psychiques.
En ce qui concerne l'odorat, un morceau de camphre placé sous
ses narines lui fait faire une légère grimace. Puis elle porte sa main à
son front comme si elle avait mal à la tête. Alors prenant le devant de
sa robe entre ses mains elle la sent, elle se met à la secouer. On pour-
rait croire qu'elle tient il la main un vêtement qu'elle vient de retirer
d'une armoire où il a passé l'hiver saupoudré de camphre et qu'elle le
secoue (Pl. VII, fig. 4.). Mais on comprend que l'interprétation de
mouvements aussi spéciaux soit assez difficile. Cela peut être inter-
prété ainsi et nous ne donnons cette hypothèse que pour ce qu'elle
vaut. Après la scène de la robe secouée, revient le mal de tête, puis
ainsi de suite.
, Le sulfure de carbone provoque un mouvement assez banal. Sa face
exprime le dégoût; elle se bouche le nez entre le pouce et l'index.
L'eau de Cologne amène sur le visage une expression de contente-
ment. Puis elle se baisse pour cueillir une fleur, la porte à son nez et
recommence exactement ce qu'elle avait fait avec le verre vert foncé.
Mais au lieu de placer quelques fleurs à son corsage, elle fait un véri-
table bouquet, qu'elle arrange des deux mains quand il est fini. Puis
elle recommence à cueillir des fleurs et fait une couronne qu'elle place
sur sa tête, et pique quelques fleurs dans ses cheveux. Puis elle tire
un miroir imaginaire de sa poche, se regarde et a l'air enchantée.
Elle pose la main sur son coeur avec une expression de profond ravis-
sement.
Chloroforme. Son regard devient fixe, puis on voit peu à peu son
pied droit se placer dans l'altitude d'une contracture du muscle tibial
antérieur (Pl. VI, fig. 3).
Éther. Elle fait de grandes inspirations comme pour une inhala-
NOUVELLE iconographie D la SALPÈrII"RE . T. iv. PL. vin
SUGGESTIONS PAR LES SENS DANS LA PÉRIODE CATALEPTIQUE
DU GRAND HYPNOTISME
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
INFLUENCE DES EXCITATIONS SENSITIVES ET SENSORIELLES. 8."
lion. Puis elle se comprime avec les deux mains l'ovaire droit. Ses
yeux sont fixes et un peu hagards, sa face exprime une certaine souf-
france (Pl. VI, fig. 4).
(Il est bon d'ajouter, à propos des résultats fournis par l'éther et le
chloroforma, que dans le service on a l'habitude de donner de l'éther
pour calmer les grandes attaques d'hystérie, pour lesquelles on fait
aussi usage.de la compression de l'ovaire, tandis que les inhalations de
chloroforme sont réservées généralement pour faire disparaître les
contractures plus ou moins persistantes).
Alcool. - Elle fait le geste d'enlever une tache sur sa robe, qu'elle
frotte entre ses deux mains, puis brosse. Elle paraît désolée de voir
que la tache persiste malgré ses efforts. , '
Les excitations gustatives donnent des résultats non moins intéres-
r sarits.'On humecte la langue avec quelques gouttes de sirop de gro-
- seilles; aussitôt elle se met avec des signes de contentement à porter à
sa bouche un verre imaginaire et à boire. Puis elle fait signe qu'elle en
a assez, qu'elle n'en veut plus. Enfin elle boit de nouveau et fait le
geste de poser son verre sur une table. ' '
. Sel de cuisine. Elle fait le geste de prendre quelque chose entre
ses doigts, de le porter sa bouche et de le goûter avec soin.
Sulfate de quinine. Elle prend un air dolent, s'allonge sur la
chaise où elle est assise comme si elle était au lit, se tâte le poids
(I'1. VIII, fig. 4). Puis elle fait le geste d'écarter quelqu'un qui s'ap-
procherait d'elle, tend la main et prend quelque chose (un thermo-
mètre, évidemment) qu'elle se place dans l'aisselle. Elle porté sa main
à son front comme si elle avait mal à la tête. Puis elle fait le geste de
rejeter ses draps au pied du lit, allonge ses jambes, place ses mains
le long de son corps comme si elle s'arrangeait pour être examinée au
lit. Elle fait le geste de.boire. Elle remue la tête par oui et non comme
pour répondre à des questions qu'un être imaginaire lui pose.
En ce qui concerne le sens de l'ouïe, il est à remarquer que la
malade ne réagit qu'aux excitations relativement simples ; sons divers,
musique rhythmée. La parole ne provoque aucune réaction ; oh a beau
lui crier aux oreilles des mots simples, capables d'éveiller des hallu-
cinations bien.nettes, tels que : fleurs, chat, chien, etc., : elle' ne
bronche pas. Au contraire, si on bat du tambour avec 'les 'doigts sur
une table ou une vitre, elle paraît regarder un spectacle agréable dans
le lointain (des soldats, sans doute), et scande avec sa tête le rhythme,
de la marche que l'on joue. De même si l'on imite le sifflet du chemin
de fer et le bruit de la locomotive, elle semble suivre de l'oeil un train
qui passe dans le lointain.
SG NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Le bruit de cloches imité à l'aide de petits coups sur un gong, la
plonge dans une grande tristesse. Elle metla main sur ses yeux comme
quelqu'un qui pleure ou qui prie. Elle assiste évidemment à quelque
enterrement ou à quelque triste scène d'église (Pl. VIII, fig. 1 et 3).
. Si on; vient à siffler auprès d'elle un air de polka'en le rhythmant
comme,il faut sur quelque ohjet sonore, un triangle par exemple, elle
.sourit, paraît satisfaite, puis prenant sa robe dans ses mains, ainsi que
peut faire une femme qui danse seule, elle se met'à, polker et continue-
rait indéfiniment, même une fois la musique, arrêtée (Pl. IX, fig. 1).
,Si on change brusquement le rhythme et qu'on joue .une valse, par
.exemple, elle cesse de polker, paraît un peu étonnée et se met à valser
fort correctement. Si au milieu de la valse (on se met à jouer une
.mazurka, elle s'arrête subitement, essaie de reprendre sur le nouveau
.rhythme, mais dépitée, s'arrête. Nous avons appris en le lui deman-
dant. à l'état de veille, qu'elle ne connaissait pas cette dernière sorte
,de ,danse.. ' .
. Les, excitations cutanées simples, toucher, .piqûre, ne nous ont pas
donné de résultat bien net. Elle se recule et se défend pas un mouve-
ment banal qui ne dit rien sur ce qui se passe dans son cerveau
(Pl. IX, fig. 2). Il en est à peu près de même pour les sensations de
température. Une impression de froid la fait frissonner et serrer ses
bras contre son corps (PI. VIII, fig. 2). Elle se couvre la tête et les
épaules d'un châle imaginaire. En présence d'une sensation de cha-
Sieur elle fait le geste de se dévêtir, essuie la sueur imaginaire qui
couvre son front, s'évente avec un éventail qui n'existe que dans son
esprit.
Nous avons répété plusieurs fois ces expériences chez cette malade
et chez la précédente. Toutes les fois elles nous ont donné exactement
les mêmes résultats que ci-dessus, en ce qui concerne chacune d'elles
en particulier. '1 , : . r 1 ' : ...
En résumé on peut donc dire que les excitations sensitives et sen-
sorielles agissent différemment dans les diverses phases de la névrose
hypnotique. Dans la léthargie, si elles sont perçues, le sujet ne donne
aucune marque extérieure dénotant la réalité de cette perception et en
tout, cas, elles -ne provoquent aucune .espèce de suggestion. Dans la
catalepsie au contraire, dans laquelle on connaît l'influence suggestive
du. sens- musculaire, les excitations sensorielles sont perçues et pro-
voquent chez le sujet des suggestions dont il nous rend compte par une
mimique et des jeux de physionomie parfaitement appropriés. Enfin
dans la phase somnambulique, dans laquelle le sujet bien qu'à peu
NOUVRILF ICONOGRAPHIE DF LA SALPTIFRE - T. IV. PL. ix.
SUGGESTIONS PAR LES SENS DANS LA PÉRIODE CATALEPTIQUE
DU GRAND HYPNOTISME
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éditeurs
INFLUENCE DES EXCITATIONS SENSITIVES ET SENSORIELLES. 87
près inactif spontanément, est cependant plus éveillé et plus près de
la vie normale, les excitations sont perçues, mais elles ne produisent
que des sensations justes, justement interprétées par le sujet qui les
ressent.
Le fait dominant, au point de vue qui nous occupe, c'est que dans le
somnambulisme le malade possède des points de comparaison. Il voit
les objets extérieurs, entend les paroles et interprète tout cela comme
un individu normal. Placez un verre rouge devant ses yeux, il voit les
objets teints en rouge. Le cataleptique au contraire, bien que sa rétine
soit évidemment sensible à la lumière, ne paraît pas voir les objets qui
l'environnent et semble incapable d'interpréter les excitations com-
plexes qu'il perçoit peut-être. Au contraire donnez-lui une sensation
simple de couleur, de son, de rhythme, de goût, d'odorat, il la perçoit
immédiatement; mais manquant de points de comparaison qui rendent
possible et facilitent à l'homme normal et au somnambule l'interpré-
tation, il la transforme instantanément à son gré, suivant son éduca-
tion, ses souvenirs latents, tout ce qui constitue son moi organique
qui ne disparaît jamais complètement, en un tableau plus ou moins
compliqué. "
Ce sont là de véritables suggestions provoquées dans la catalepsie
par les excitations des divers sens. Elles sont absolument indépen-
dantes de la volonté de l'opérateur et soumises au hasard de l'inter-
prétation du malade, toujours dirigé par quelque souvenir latent ou
quelque conception du sommeil ou du rêve. Elles présentent ceci de
particulier, c'est que, quoique toujours les mêmes chez un même
malade, elles varient considérablement d'un malade à l'autre. On ne
saurait donc dire qu'il existe des impressions sensorielles simples
produisant la gaieté, d'autres la tristesse par exemple. Le rouge, que
nous avons vu provoquer des hallucinations gaies chez nos deux pre-
mières femmes, produisait une vive terreur chez la troisième. L'odeur
de l'alcool qui donnait à l'une l'idée de bataille et de coups de poings,
donnait à l'autre l'idée d'enlever une tache sur sa robe.
Dans la plupart des cas, surtout lorsque les suggestions ainsi pro-
voquées sont assez complexes et bien dessinées par la mimique du
sujet, on parvient à comprendre le mécanisme de leur production. Il
est évident que l'odeur de l'alcool et l'idée d'une tache à enlever vont
assez bien ensemble. Il en est de même pour le goût du sulfate de qui-
nine pour qui en a déjà pris et l'idée de maladie et de fièvre; l'odeur
d'un parfum et l'idée de fleurs odoriférantes.
Dans d'autres cas au contraire la véritable nature du tableau qui se
peint dans le cerveau du malade est plus difficile à saisir lorsqu'il ne
88 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
donne les signes extérieurs que de sentiments simples tels que le
dégoût, la joie, la colère, par exemple. Cependant il est bien évident
que là aussi le mécanisme est analogue et qu'il y a eu plus qu'une
simple sensation.
Quoi qu'il en soit d'autre part de l'interprétation que l'on tente de
donner de ces phénomènes, le fait n'en reste pas moins, à savoir que
l'on peut donner dans la phase cataleptique du grand hypnotisme,
à l'aide d'excitations sensitives et sensorielles, des suggestions dont le
caractère est d'être absolument indépendantes de la volonté de l'opé-
rateur et de varier avec chaque malade qui interprète à sa façon
chacune des sensations qu'on lui fait percevoir.
GEORGES GUI\0\, SOI'IIIE WoLTKE (D'ODESSA),
Chef de clinique des maladies nerveuses. Docteur en médecine.
Le Gérant : Emile Lixrosmer.
4190. - Imprimeries réunies, B, rue Mignon, 2. - Ale et Motteroz, directeurs.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
DE LA CRANIECTOMIE
CHEZ LES MICROCÉPHALES, CHEZ LES ENFANTS ARRIÉRÉS
1 ET CIIEZ LES JEUNES SUJETS PRÉSENTANT
AVEC OU SANS CRISES ÉPILEPTIFORMES , DES TROUBLES MOTEURS
,. OU PSYCIIIQUES i
Le titre de ce travail en indique la portée. Je m'occuperai surtout
aujourd'hui9 de technique, après avoir indiqué cependant en quelques
traits les états morbides où peut convenir. cette opération, c'est-à-dire
les indications générales de l'opération.
DTicrocéplaalie proprement dite. Je ne soulèverai pas la question
de savoir si l'ossification prématurée des sutures est l'unique cause de
l'arrêt du développement de l'encéphale. On sait qué cette doctrine
séduisante, qui paraissait expliquer à merveille certaines formes spé-
ciales de crâne, a dû plier devant les faits généraux, et elle ne reste plus
qu'à l'état d'exception. C. Vogt, Broca, Montante ont présenté des
exemples de microcéphales chez lesquels l'ossification ne s'est achevée
qu'entre vingt et quarante ans. Mais ces observateurs et d'autres avec
eux, n'en ont pas moins remarqué que les sutures sont anormalement
serrées en même temps que les fontanelles sont elles-mêmes très avan-
cées, c'est-à-dire très rétrécies à la naissance. J'ai pu examiner avec soin
trois crânes microcéphales avec un indice céphalique très peu considé-
rable et j'ai constaté l'état avancé des sutures en même temps que
l'étroitesse des fontanelles; chez un quatrième enfant nouveau-né les
fontanelles étaient même fermées à la naissance.
1. De la Crataieclonaie dans la Microcèphalie (Ac. des sciences, 30 juin 1890).
2. Communication au Congrès français de Chirurgie, séance du 31 mars 1891.
'v. 7
110 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
On peut donc dire que, chez les microcéphales l'ossification des
sutures est anticipée; mais alors mème qu'on admettrait que la marche
de l'ossification dépend surtout de l'activité cérébrale, il n'en reste pas
moins que si la synostose crânienne est très avancée ou définitive avant
l'heure, l'évolution cérébrale sera frappée à son tour d'un arrêt paral-
lèle et même définitif. -
Si cette dernière considération peut me dispenser d'envisager les
-faits, réels d'ailleurs (témoin ce cerveau que je place sous vos yeux)
(fig. 10), qui permettraient de croire que la microcéphalie n'est qu'un
retour atavique vers les primates, elle ne me permet pas de passer
sous silence des données plus récentes qui présentent la question sous
un autre point de vue. On a observé et décrit des altérations non plus
de la forme, mais de la substance cérébrale chez certains microcé-
phales : hydropisie ventriculaire, scléroses cérébrales limitées ou
diffuses, etc.
Ces états coïncident d'ailleurs avec la synostose prématurée, des
hyperostoses du crâne. 11 en résulte que le microcéphale ne repré-
sente plus en réalité un type exclusif, ce n'est plus un être d'une évo-
lution incomplète ou imparfaite, il relève d'une série d'autres causes
d'ordre pathologique, et à ce point de vue il se rapproche des faits que
je dois envisager après lui. Je crois d'ailleurs que la synostose crâ-
nienne prématurée n'est le plus souvent qu'un état morbide qui a pour
causes le plus souvent la syphilis héréditaire, l'alcoolisme et le
rachitisme.
Les états morbides qui, dans une certaine mesure, m'ont paru pou-
voir être modifiés par la craniectomie sont nombreux et très certaine-
ment différents les uns des autres. Ce sont des lésions primitives pou-
vant frapper le cerveau de l'enfant, les méninges, la paroi crânienne
exclusivement ou en même temps que les organes précédents : les unes
sont congénitales, à n'en pas douter, bien que leur cause première
échappe à nos investigations; d'autres sont rapportées par les parents
Fie. 10. - Cenenii de mÍt'l'(lcéphalc.
DE LA CRANIECT0M1E. 91
aux premiers mois de la vie, mais il est bien difficile, en pareille
matière, d'asseoir une opinion sur le témoignage seul des parents. Les
fonctions corticales motrices, pour n'envisager que celles-là, paraissent
si peu développées à la naissance qu'on comprend le doute qui se pré-
sente dans des faits parfois très complexes qui ne sont soumis à l'ob-
servation que tardivement. Enfin il est incontestable que dans d'autres
circonstances les sujets n'ont été frappés que tardivement et à un âge
comme celui de quatre ans, six ans, où il devient facile de déterminer
avec précision la nature des changements qui surviennent chez les
enfants. Je trouve dans plusieurs de mes observations que les enfants
ont eu de la diarrhée tenace, la rougeole, la coqueluche avant d'être
atteints des accidents qui m'occupent, ce qui corroborerait l'opinion
déjà émise d'une origine infectieuse. Quoi qu'il en soit, ces modifica-
tions relèvent de lésions d'espèces différentes.
Traumatisme. Le traumatisme y a sa part et l'on sait que la com-
pression dite obstétricale se produit à un haut degré dans les accouche-
ments laborieux; or, il n'est pas douteux qu'un certain nombre
d'idiots, ou d'arriérés, ont été soumis à cette compression à leur nais-
sance. Antérieurement à la naissance, le crâne peut subir aussi une
compression d'assez longue durée dans la cavité utérine, lorsqu'il y a
par exemple, absence ou pénurie des eaux de l'amnios. J'ai rapporté
dans mon Traité des affections congénitales un certain nombre
d'exemples où le mécanisme de la compression intra-utérine se montre
avec évidence ; or un certain nombre de ces sujets sont souvent très
arriérés intellectuellement, quelquefois déformés physiquement et à un
degré grave; d'autres sont des idiots.
Quelques-uns de ces faits, les derniers en particulier, c'est-à-dire
ceux qui proviennent d'une compression intra-utérine, se reconnaissent
a des déformations crâniennes qui procèdent des types dits relevés ou
couchés par les anthropologistes. Ces déformations se distinguent des
déformations artificielles ou ethniques en ce que si le crâne porte la
marque de la dépression au point que quelquefois un de ses diamètres
est beaucoup plus court que le diamètre symétrique, les autres dia-
mètres ne sont pas pour cela exagérés. Il semblerait que la compres-
sion a modifié la vitalité crânienne et qu'il n'y a pas de compensation
dans le développement des autres courbures.
J'ai plusieurs fois constaté sur le crâne ces déformations provenant de
la période intra-utérine. On y trouve deux dépressions opposées, l'une
déterminée par la paroi utérine, l'autre par une région foetale sur
laquelle le crâne s'appuyait.
Les 71étuoorlcuyies méningées, principalement les hémorrhagies de la
M NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
convexité survenant pendant le travail, de même que les hémorrhagies
qui se produisent dans les premiers mois ou les premières ^années,
peuvent avoir des conséquences analogues. La pachyméningite consé-
cutive à l'hématome, le foyer séreux qui peut en résulter, une'atrophie
cérébrale partielle ou la porencéplialie peuvent amener des troubles
moteurs variés, de l'épilepsie et,jusclu';1 l'idiotie. 1
Ici les effets de la craniectomie et de l'ouverture du foyer seront d'au-
tant plus rapides que l'intervention aura été plus prompte.
.I'ai rencontré plusieurs fois sur mes vingt-cinq opérés une paclaaz-
niaaile externe caractérisée par un épaississement considérable de la
dure-mère, une injection eatrèmementprononcée de cette membrane et
dans quelques cas ces altérations m'ont paru partielles. Dans une autre
circonstance, je fus frappé en explorant cette membrane de trouver une
plaque osseuse enclavée dans son épaisseur et je dus la disséquer pour
l'extraire; cet ostéome formait une plaque mince ayant les dimensions
d'une pièce de cinquante centimes il un franc.
Je ne ferai que mentionner les hyperosloses crâniennes de la syphilis
héréditaire avec éburnation, et enfin les épaississements des os du crâne
consécutifs à l'hydrocéphalie, car j'ai hâte d'arriver à un dernier groupe
défaits, aux affections du cerveau lui-même. Je ne parlerai pas des alro-
phies partielles qui sont liées il une diminution de calibre dn tronc
artériel correspondant à l'atrophie; cependant il pourrait ici arriver
qu'en modifiant la circulation pariétale et en faisant varier la tension
intra-cranienne on active indirectement l'évolution retardée ou plutôt
qu'on augmente la nutrition de la portion atrophiée. Mais je fais allu-
sion il des altérations très incomplètement étudiées' et en tout cas fort
mal définies. Ce sont certaines inflammations de la substance cérébrale,
ou encore les scléroses limitées ou diffuses.
C'est aussi le groupe des méningites, comprenant les méningo-
encéphaliles, limitées ou diffuses, rappelant plus ou moins le tableau
clinique de ! a paralysie générale de l'adulte; ce sont les encéphalites,
sujet obscur et très embrouillé où les théories individuelles sont sou-
vent substituées à des constatations positives. Les diverses scléroses,
celles que Iiourneville a étudiées et bien décrites sous le nom de sclérose
cérébrale tubéreuse hypertrophique, font aussi' partie du groupe qui
m'occupe. Je ne saurais m'arrêter plus longtemps ici sur ces affections,
causes certaines d'un retard dans l'évolution et de troubles variant
jusqu'à l'idiotie; mais nous ignorons absolument dans quelles limites
ces maladies sont curables ou susceptibles d'un traitement quel-
conque. Ces lésions, au surplus, sont souvent associées il des épaissis-
sements crâniens, à une éburnation des os; la sclérose est complexe,
DE LA CRANIECTOMIE. 93
et il y a là des conditions, en apparence au moins, favorables aune
intervention.
Ces considérations ont pour but de montrer la voie où je me suis
engagé. L'étude du malade, le diagnostic aussi exact que possible de
l'affection dont il est atteint, de son degré d'intensité, de son siège,
sont les premiers jalons d'où sortira une indication opératoire ou au
contraire le rejet de toute intervention. On doit y joindre un examen
minutieux du crâne. Pour le faire convenablement, la tête du sujet doit
être rasée; on appréciera le volume du crâne, sa forme, on en prendra
les diverses courbes. La constatation de déformations et de dépressions
plus ou moins accentuées, de saillies anormales, sera un indice impor-
tant surtout s'il paraît en harmonie avec les signes qui dépendent des
localisations des altérations.
J'aborde maintenant la question de médecine opératoire (Ci ? l'1-If)).
Mais avant d'en parler je ne saurais dissimuler la satisfaction que
j'éprouve en voyant adopter par les chirurgiens de tous les pays le
terme de craniectomie que j'ai proposé et qui me parait mieux
répondre à ce que l'on fait que le mot trépanation.
J'ai eu recours à deux procédés de craniectomie' : celui qu'on pour-
rait appeler linéaire et celui à lambeaux, que je pratique de plus en
plus. Le linéaire trouve plus spécialement son application le long du
sinus longitudinal supérieur et on peut le prolonger il travers la suture
coronale plus ou moins loin sur le frontal. J'ai pratiqué aussi une
craniectomie linéaire sur l'occipital, entre la suture occipito-pariétale
et le sinus latéral. La craniectomie linéaire est aussi le procédé à suivre
si l'on veut débrider la zone motrice ou rolandique, ou mettre à décou-
vert le centre de Broca. Une des dernières craniectomies linéaires que
j'ai pratiquées me paraît mériter d'être signalée à part.
Il s'agissait d'un très jeune enfant, âgé de huit mois, venu au monde
les fontanelles entièrement fermées, arec unesynostose crânienne, parais-
sant très avancée, de la suture fronto-pariétale. Il en résultait un apla-
tissement considérable du frontal, tandis au contraire que les pariétaux
continuaient à se développer en hauteur, ce qui constituait un crâne
d'une forme bizarre comparable à celui de certains oiseaux (fig. 20,
1). J'ai pratiqué chez cet enfant une craniectomie linéaire transversale
allant d'un côté à l'autre depuis un point de départ correspondant il la
suture du frontal avec la grande aile du sphénoïde (c'est à peu près le
siège du centre de Broca chez les jeunes enfants), jusqu'à un point d'ar-
1. Le*, dessins schématiques annexés à ce travail, et qui sont mis sous les yeux des
membres dit Congrès, correspondent des opérations 1> ? iles.
! )i ;'i 0 U V J : L LEI CON 0 G TI A Pli' E TI ELA SA L P T TI 1 £ 11 l ?
Ptc. 11 A 19. Schémas d'opérations variées failos sur les enfants depuis l'Age de huit mois
jusqu'à tic douze ans. (La plupart d'entre eux n'étaient pas microcéphales).
DE LA CRANIECTOMIE.
95 -)
Fin. 17.
Fie. : 19.
Fie. 19.
rivée symétrique. La craniectomie était parallèle à peu près à la suture
fronto-pariétale et à un centimètre environ en avant d'elle. J'ai tra-
versé la région du sinus longitudinal en le décollant du crâne et il n'a
pas été ouvert. On remarquera en passant que sur ce crâne l'os frontal
présentait sur la ligne médiane une crête verticale assez saillante dans
le crâne, ce qui m'a contraint à procéder avec lenteur et grand soin
au décollement du sinus. J'avais d'ailleurs préalablement expérimenté
sur le cadavre et je m'étais assuré qu'on pouvait décoller le sinus lon-
gitudinal dans toute sa longueur jusqu'au pressoir d'Hérophile, sans
l'ouvrir.
A moins d'indications spéciales, j'ai plus de tendance à pratiquer la
craniectomie à lambeaux. Je comprends par là les incisions avec perte
de substance du crâne combinées de manière à dessiner des lambeaux
qui restent adhérents par une base osseuse plus ou moins large. Quel-
quefois le lambeau ne comprend qu'un seul os, le pariétal par exemple,
plus rarement le frontal, et ici suivant les circonstances, c'est-à-dire
96 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
suivant les indications qu'on veut remplir, on peut confectionner des
lambeaux d'aspect différent. Dans un cas d'hyperostosc limitée du
pariétal, j'ai confectionné un lambeau en fer à cheval en enlevant
une zone du crâne parlant de la base de la suture fronto-sphéno-parié-
tale au niveau du sphénoïde remontant parallèlement à la suture fron-
tale jusqu'à la voûte, suivant ensuite le sinus longitudinal pour se
diriger plus loin le long de la suture pariéto-occipitale jusque vers la
base du crâne; le pariétal dans ce cas n'est resté adhérent que par un
seul~côté, celui qui le rattache au temporal.
Sur le même os j'ai pratiqué des incisions en T, la branche verticale
suivant la ligne rolandique, la branche horizontale étant parallèle au
sinus longitudinal, et les deux petites extrémités du T descendant de
quelques centimètres le long des sutures fronto-pariétale el occipito-
pariétale.
J'ai pratiqué des lambeaux à cheval sur deux os, le frontal et le
pariétal. D'habitude ces lambeaux ont la forme d'un U ou d'un V ren-
versés, d'un rectangle. Il va de soi que les sutures sont traversées par
la craniectomie dans ces cas. Enfin j'ai pratiqué une fois un lambeau
médian par une double craniectomie pariétale et parallèle, de chaque
côté, au sinus longitudinal. On remarquera que j'ai maintes fois
constaté et fait constater, à la fin de l'opération, la mobilité d'un ou
de deux lambeaux osseux.
Relativement à la perle de substance je dirai qu'actuellement j'excise
plus d'os que dans les premiers temps; je laisse environ 8 millimètres,
Fin. 20.
Fin 21.
CI'miGCtomie tl' : 111sycl'sHlc sym{.ll'i(lue.
DE LA CRANIECTOMIE. 97
1 centimètre d'écartement et même davantage entre les deux bords
de l'incision osseuse.
Je serai bref sur le manuel opératoire, qui, en somme, est facile ; la
durée moyenne de mes opérations à été de quarante minutes, panse-
ment fait; elle est moindre actuellement.
Le crâne est attaqué par une couronne de trépan, de préférence à
l'une des extrémités de la brèche qu'on veut produire et je me sers
ensuite de pinces coupantes de divers modèles dont une latérale et
une autre, dite décolutrice, parce qu'elle est munie d'une lame mousse
son extrémité. J'ai fait calculer la courbure de ces pinces de manière
qu'elles ne puissent déterminer une dépression cérébrale de plus de
3 à 4 millimètres, chiffre maximum, qui n'a aucun inconvénient au
point de vue de la compression cérébrale, cette compression étant d'ail-
leurs douce et temporaire.
Si l'on comprend les sutures dans l'opération, il importe de décoller
la dure-mère. Je me suis servi dans les premiers temps d'une sonde
cannelée spéciale plate et mousse à son extrémité. M. Poirier a fait
faire un instrument qui est préférable. Ce temps de l'opération
demande il être exécuté avec lenteur et précaution si on ne veut pas
ouvrir la dure-mère. f
Dans la craniectomie simple on laisse la dure-mère intacte au fond
de la brèche ; mais il peut y avoir des indications à ouvrir cette mem-
brane pour agir soit dans la cavité arachnoïdienne, soit sur le cerveau.
J'ai plusieurs fois eu recours à cette pratique. Dans quelques cas, trou-
vant la dure-mère épaisse et rouge, j'ai pratiqué avec le bistouri une
série de trois à quatre mouchetures, par où il s'écoulait un liquide
séreux quelquefois teinté par le sang. Dans d'autres circonstances j'ai
ouvert la dure-mère plus largement ; une fois j'ai introduit un crochet
mousse et j'ai ouvert une cavité kystique séreuse après avoir rompu
d'abord de petites adhérences; cette cavité était probablement un
ancien foyer d'hématome. Enfin je rappellerai que j'ai enlevé un
ostéome dure-mérien encastré dans cette membrane et indépendant
des os du crâne.
Sur le sujet auquel j'ai pratiqué une craniectomie occipitale immé-
diatement au-dessus du sinus latéral, j'ai eu l'idée, après avoir ouvert
la dure-mère, d'aller débrider la tente cérébelleuse, chose"parfaitement
possible.
. Lorsqu'on incise la dure-mère, il importe d'en faire la suture avec
soin au catgut. J'ai eu plusieurs fois' la pensée de réséquer cette
membrane en vue de rendre plus facile l'expansion cérébrale et d'em-
pêcher la formation de l'os. Mais d'un côté j'ai jugé que cette pratique
! ) NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.
pouvait avoir quelques inconvénients, quelques dangers même à l'égard
de l'issue du liquide céphalo-rachidien au-delà d'une limite raisonnable,
et d'autre part les circonstances m'ont permis de m'assurer que la
régénération des os par la dure-mère n'est pas la règle à la suite de
l'opération que je propose. Deux de mes opérés sont morts du croup,
l'un quatre semaines, l'autre cinq semaines après la guérison. L'exa-
men du crâne témoigne qu'il n'y a aucune régénération des os par la
dure-mère. -
C'est avec intention que je n'ai pas parlé du périoste jusqu'ici. Faut-
il le réséquer ? je ne le pense pas, cette membrane décollée du crâne
avec la rugine, après l'incision des téguments, se rapproche ensuite
quand on fait la suture, mais elle est plus ou moins recroquevillée et
non pas jetée comme un voile sur l'espace compris entre les bords de
l'os. Trois fois, d'ailleurs, je l'ai réséqué et l'examen de ces sujets ne
m'a pas paru présenter de différence avec ceux où je ne m'en étais
pas occupé. Lorsqu'on examine les malades opérés, un mois, deux
mois, trois mois après l'opération, on ne constate pas de bourrelet
osseux saillant; il y a une gouttière crânienne plus ou moins nette
selon ce qu'a été en travers la perte de substance, et l'examen cadavé-
rique des deux crânes nous a fait voir, je le répète, que la dure-mère
n'a pas fait de l'os.
Durant l'opération il n'y a guère de complications à craindre. L'hé-
morrhagie provenant de l'incision des téguments sera provisoirement L
arrêtée à l'aide des pinces hémostatiques, et lorsqu'on procédera à la
suture de la peau, le plus souvent il n'y a pas chez les enfants de ligature
à faire; toutefois il sera bon de laisser un drain à demeure pour éviter
des phénomènes compressifs. L'hémorrhagie par le diploé n'a été
inquiétante sur aucun de mes vingt-cinq opérés. Cinq fois cependant
elle a été assez abondante, et elle s'est produite par jets continus dans
quatre de ces cas. Dans une circonstance, j'ai eu recours à une boule
d'une pâte antiseptique, mais l'émiettage de la pâte a fait que j'ai re-
noncé à m'en servir. L'hémorrhagie a toujours cessé après une com-
pression par un petit tampon maintenu entre les bords de l'os coupé.
Je n'ai jamais ouvert l'artère méningée ou l'une de ses branches, mais
je l'ai mise à découvert, elle, sept fois, et ses branches presque dans
tous les autres cas; elle serait très facile à lier si on venait à l'ouvrir.
Une fois, une artériole de la dure-mère incisée donnant un jet saccadé,
la compression avec une pince arrêta l'hémorrhagie.
Une épaisseur du crâne parfois très considérable ne saurait être
considérée comme une complication, mais elle rend l'opération plus
laborieuse surtout lorsque le diploé faisant à peu près défaut; le crâne
DE LA CRANIECTOMIE, 99
offre un état éburné. Certains crânes d'enfants, de trois, cinq, sept ans,
présentent une épaisseur parfois aussi grande et quelquefois plus
grande que celle des crânes adultes. J'ai constaté maintes fois 7,
8 millimètres et jusqu'à près d'un centimètre sur le pariétal, non loin
de la suture médiane. Je ne parle pas ici d'exostoses proprement dites,
mais de crânes dont la paroi est dans son ensemble plus épaisse et plus
dure et comme sclérosée.
Les résultats opératoires ont été les suivants : 25 opérations, 24 gué-
risons. La moyenne des guérisons opératoires a été de dix jours. Un
seul mort au bout de 48 heures; c'était une petite fille âgée de deux
ans et demi qui a succombé en 48 heures avec une température élevée,
peut-être de septicémie aiguë; on n'avait pas pu prendre toutes les
précautions antiseptiques; mais je ne puis rien affirmer, attendu que
j'avais ouvert la dure-mère dans une petite étendue, sans la suturer,
et qu'il y eut une déperdition énorme pendant 30 heures de liquide
céphalo-rachidien. ,
Sur les 24 guérisons, il y a trois suppurations minimes qui ont guéri
deux en quelques jours, la troisième a suppuré trois semaines; dans
aucun cas il n'y a eu de nécrose.
Le plus jeune de mes opérés a été un garçon de huit mois, et le
plusâgé avait douze ans et demi ; j'ai opéré '18 garçons et'12 filles.
Parlerais-je maintenant des résultats définitifs ? Cela devrait être, car
s'il est encourageant de n'avoir à enregistrer pour ainsi dire que des
succès opératoires, on ne doit pas oublier qu'on vise un tout autre but.
Ce but on peut le déterminer dans cette formule : faire rentrer dans la
vie commune des sujets voués à l'existence la plus misérable tant au
point de vue intellectuel et moral qu'au point de vue physique. Mais
à qui pourrait venir la pensée que ces déshérités de toutes les manières
seront régénérés et transformés subitement ? Mes opérés sont suivis
avec toute la sollicitude que je puis y mettre et je possède déjà des
documents qui me permettent de dire que le plus grand nombre
d'entre eux sont manifestement améliorés. Mais comme beaucoup de ces
opérations sont encore récentes, je dois me borner aujourd'hui à en
informer mes confrères, en attendant que je puisse livrer intégralement
à la publicité les résultats obtenus
Professeur LANNELONGUE.
. Dans un cas de Craniee/omy /'or mieroeepha/us, publié dans le Médical Record
du 21 février 1891, p. 232, par I. J. A. \1'yeth, le résultat de l'opération, au point de vue
mental, fut sllrprising and grali ? ig. (.V. D. L. R.)
CONTRACTURE VOLONTAIRE CHEZ . UN HYSTÉRIQUE
La contracture, qu'elle soit, vraie; organique, ou provoquée par
divers procédés expérimentaux,- comme chez les hystériques, est
définie : un état pathologique du muscle caractérisé par la raideur
involontaire et durable. C'est pourquoi il nous a semblé intéressant de
rapporter le cas suivant qui est un exemple de contracture provoquée
volontairement, et qui présentait quelques particularités dignes d'être
signalées.. ' ' f
Il s'agit d'un homme de 35 ans, B..., saltimbanque de profession,
entré à Bicêtre pour une légère rupture musculaire d'un des adduc-
teurs de la cuisse. Dans ses antécédents nous relevons que son père,
saltimbanque comme lui, était un alcoolique invétéré, très violent, mais
n'ayant présenté aucun accident nerveux. Il faisait les mêmes exercices
que son fils et est mort d'accident. Sa mère était migraineuse et est
morte d'un cancer utérin. Un oncle maternel est sourd-muet ; une
tante maternelle était somnambule nocturne.
Comme antécédents personnels, rien de bien parliculier. Il a eu
la fièvre typhoïde à 1 ans, et de nombreux accidents imputables à
son métier. Il aurait été opéré à '16 ans d'un testicule tuberculeux, et
présenté du reste au cou quelques cicatrices de scrofule. Son père a
commencé à le disloquer à 1 an, et depuis l'âge de'40 ans il exécute les
exercices que nous lui voyons faire aujourd'hui et sur le caractère
pathologique desquels notre attention a été aussitôt attirée.
Actuellement c'est un homme de taille moyenne, d'une bonne santé
habituelle. Il est.très alcoolique (vin, alcools, et surtout absinthe) et
ne s'en cache pas. Il a du reste le tremblement caractéristique. Il pré-
sente relativement peu de force dans les bras dont les masses muscu-
laires ne sont pas en effet très développées, contrairement à ce qu'on
pourrait attendre chez un homme de sa profession ? ,
L'exercice qui justifie le titre qne nous avons donné à cette obser-
vation consiste en ceci : il étend son bras horizontalement (PI. X) la
face antérieure un peu tournée en haut, -'et réunit les cinq doigts de
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE T. : V. PL. X
PHOTOTYPE Négatif HUREL Photocollographi CHÊNE ET Longuet
CONTRACTURE VOLONTAIRE CHEZ UN HYSTÉRIQUE
TEMPS DE PRÉPARATION
Lecrosnier & BASE
ÉDITEURS
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPHTRtÈRE . V. PL..1
PHOTOTYPE Négatif HUEL PHOTOVOLLOGRAPHIH Chêne ET LONGUET
CONTRACTURE VOLONTAIRE CHEZ UN HYSTÉRIQUE
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
CONTRACTURE VOLONTAIRE CHEZ UN HYSTÉRIQUE. 101
façon à ce que leurs extrémités se touchent. On le voit alors contracter
fortement et progressivement les muscles fléchisseurs de l'avant-bras,
puis le supinateur et le brachial antérieur, enfin les muscles de la
région postérieure. Il ne cesse pendant cet effort de fixer ses regards
sur son bras, et son attention paraît forlement concentrée sur ce qu'il
exécute. En même temps l'avant-bras. est animé de petits mouvements
spasmodiques de très'petite étendue qui vont en augmentant. Puis
tout à coup 'il .porte la main en pronation forcée, et subitement la
flexion' du poignet et de; l'avant-bras sur le bras se transforme en
extension forcée. Le bras est abattu le. long du corps avec lequel il
forme un angle de 30' environ. La main forme la griffe (PI. XI). Le
temps nécessaire pour que celte contracture se produise est de dix à
quinze secondes. ,
Dans cet état on constate que les muscles de la main et de l'avanl-
bras sont absolument contractures et que la contracture va en dimi-
nuant de l'extrémité du membre à sa racine. Les doigts en extension
forcée sont impossibles à fermer. On peut faire exécuter de très légers
mouvements au poignet au niveau duquel les tendons fléchisseurs sont
saillants. Au coude, les mouvements spontanés sont aussi libres que
du côté opposé. Cependant, dans les mouvements passifs, on a plus
.de raideuij à vaincre pour plier ou étendre l'avant-bras que de
.l'autre côté. Les mouvements de l'épaule sont également libres des
deux côtés.
Les fléchisseurs des doigts sont durs, contractures, mais moins que
les extenseurs. Ils ont une consistance élastique, tandis que les exten-
seurs ont une consistance presque ligneuse.
En mesurant la circonférence du membre des deux côtés on observe
des différences d'un côté à l'autre. A 5 centimètres au-dessous du pli
du coude on note en effet, E ! 6 cent. 11-2 à gauche (bras contracture)
et 25 centimètres à droite.
Le biceps et le brachial antérieur sont nettement contractures, mais
le triceps, est tout à fait normal. Le deHoïdcL et le faisceau clavicnlairc
du grand pectoral sont. également légèrement contractures.
/La contracture à l'avant bras est telle qu'on ne peut, déterminer
aucun- réflexe; par la percussion des tendons. Mais le tremblement
alcoolique est augmenté. Cet état de. contracture peut être maintenu
aussi longtemps que l'on veut, sans que le malade éprouve aucune
fatigue, pendant plus d'une heure par exemple.
Pour faire cesser cette contracture il place son avant-bras en prona-
lion forcée, la paume de la main tournée en arrière, et brusquement
les extenseurs se détendent. Mais on observe quelques contractions
102 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
fibrillaires dans les supinateurs et les extenseurs une fois cette détente
produite.
Après cette expérience, le tremblement alcoolique est plus considé-
rable du côté qui a été contracturé.
Le sujet peut reproduire la contracture aussi souvent qu'on le lui
demande, et indifféremment du côté droit ou du côté gauche. Il dit
n'éprouver jamais de crampe soit pendant, soit après son exercice.
Nous lui avons demandé d'essayer de faire la griffe avec les orteils.
Il place d'abord son pied en varus équin en étendant la première pha-
lange et en fléchissant les deux autres, mais il éprouve au bout de
'quelque temps des crampes qui l'empêchent de continuer.
Cette contracture, qui se développe dès qu'il fait un effort assez
sérieux et qui se maintient ensuite, lui donne des apparences de force,
comme gymnasiarque, qu'il n'a pas en réalité. C'est ainsi par exemple,
qu'il peut se maintenir suspendu à un trapèze par les bras fléchis à
angle droit pendant un temps beaucoup plus long que ne pourraient
le faire les plus forts gymnasiarques. Dans cette situation en effet il se
contracture et se maintient dès lors sans effort. Le faible développe-
ment des muscles des bras ne lui permettrait certainement pas cet
exercice très dur sans cette circonstance.
Là ne se bornent pas ses talents et voici encore un autre exercice du
même genre. Mais ici la contracture porte sur les muscles abdominaux.
Il contracte progressivement, en fixant toujours fortement son atten-
tion sur la partie de son corps qui est en jeu, ses grand droits anté-
rieurs, et progressivement la masse intestinale s'élève en même temps
que la cage thoracique s'élargit. -
, Puis brusquement, comme pour le bras, l'abdomen se déprime for-
veinent et le thorax s'élargissant considérablement, il semble que
toute la masse intestinale y soit remontée (Pl. XII). Le foie qui, nor-
malement, déborde les fausses côtes de deux travers de doigt bascule
complètement d'avant en arrière, et on n'en retrouve plus qu'une lan-
guette qui ne dépasse pas les fausses côtes cependant très remontées
elles-mêmes. Le coeur est également remonté. La respiration thora-
cique cesse presque complètement; les fausses côtes seules y partici-
pent un peu. Mais son rhythme n'est pas modifié, et il est de vingt-
quatre inspirations par minute, comme à l'état normal. Le coeur bat
un peu plus rapidement, et de quatre-vingts pulsations à l'état normal,
il va à quatre-vingt-seize par minute.
Dans cette situation anormale, le malade peut aller et venir, parler,
boire, etc., sans paraître le moins du monde incommodé et cela pen-
dant un temps très long, dix minutes, un quart d'heure. Pour faire
ouvelle Iconographie Dt la Salpktrière r. 7V, PL, %ti
HOTOTYPE NfGATii* HTJREL ? HOTOCOLLOGRPHJE Chêne ET LONGUET
CONTRACTURE VOLONTAIRE DU DIAPHRAGME CHEZ UN
HYSTÉRIQUE
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
CONTRACTURE VOLONTAIRE 1 : 111;7. UN ILYS'fI;NIQUE. 108
cesser cet état de contracture, il agit lentement. La masse intestinale
redescend peu à peu, et on observe des ondulations assez fortes quand
elle reprend sa position normale.
Le malade dit qu'il lui semble, au moment où la masse intestinale
s'élève brusquement, que tout l'effort se fait surtout dans les parties
latérales, au niveau des grands obliques. Cependant une fois que
l'intestin est ainsi remonté on n'observe guère de contracture que
dans les droits antérieurs, tandis que les parties latérales de l'abdomen
sont souples.
En présence de ces phénomènes d'aspect spasmodique que le sujet
nous montrait par curiosité, nous avons pensé de suite que nous avions
probablement affaire à un hystérique. L'examen que nous avons fait à
ce point de vue nous a montré que nous ne nous étions pas trompés.
Notre malade présente en effet une anesthésie pharyngienne
absolue. Il l'a du reste exploitée autrefois en avalant des cailloux et des
morceaux de verre dans les foires. Il a en outre une hémianesthésie
gauche complète et une diminution notable de la sensibilité à droite.
La sensibilité testiculaire est considérablement diminuée, et il a un
point douloureux dans les deux fosses iliaques. Il dit avoir quelquefois
au niveau des fausses côtes droites une sensation de boule grosse
comme un oeuf de pigeon, qui lui donne une douleur analogue à une
crampe. Pour la faire disparaître il ne trouve rien de mieux que de
se donner dessus de forts coups de poing.
Il a une surdité presque complète du côté gauche et de la diminution
de l'ouïe à droite. La montre pour être' entendue doit être appliquée
directement sur l'oreille du côté gauche. Placée sur le crâne le tictac
n'est pas perçu.
L'odorat est conservé des deux côtés mais atténué.
Quant au goût, il est complètement aboli à gauche où le sulfate de
quinine ne lui donne qu'une sensation de plâtre, et diminué à droite,
où son amertume n'est perçue qu'au bout de quelques secondes.
Du côté des yeux on n'observe pas de rétrécissement du champ
visuel, ni de dyschromatopsie spéciale.
Il était intéressant de rechercher aussi la diathèse de contracture.
Mais contre notre attente, malgré les divers procédés employés pour
cette recherche nous n'en avons pas trouvé la moindre ébauche.
Il n'a jamais présenté rien qui ressemble à une attaque de nerfs.
Nous avons pris quelques tracés pneumographiques pendant l'état
normal et l'état d'immobilisation volontaire du thorax. A l'état nor-
mal (fig. 22) la respiration ne présente rien de particulier. Quand le
thorax est immobilisé le tracé normal est remplacé par une ligne à peine
lui NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ondulée, et qui présente seulement quelques petits accidents lorsque
l'on fait compter, siffler ou rire le malade (fig. 23). La ligne de la
respiration abdominale normale est également remplacée par une
ligne presque droite (fig. 24).
L'amplitude des mouvements respiratoires, qu'on ne constate plus,
ainsi que nous l'avons dit, que légèrement au niveau des dernières
fausses côtes, est réduite à son minimum, et cependant le malade peut
se maintenir ainsi relativement longtemps sans présenter aucun signe
de fatigue, ni d'asphyxie. Même lorsqu'il parle, ou siffle, le tracé
n'accuse pas de modifications sensibles. Il semble y avoir un fonction-
nement assez singulier et qui paraît presque anormal de l'appareil
respiratoire.
L'histoire de ce malade nous a paru digne d'être rapportée à plu-
sieurs points de vue. Tout d'abord à cause de la contracture qu'il
FiG. ? Tracé pneumographiquc de la respiration thoraciques normale.
Fixe. 23.
Immobilisation du thorax Tiacé jmenmographiquc, lo malade comptant C, sifllant 8,;t riant IL
1
Fin. 2t. Immobilisation du thorax. Tracé pneumograpliiquo de la respiration abdominale.
CONTRACTURE VOLONTAIRE CHEZ UN HYSTÉRIQUE. 105
peut déterminer volontairement soit sur les muscles du bras, soit sur
ceux de l'abdomen. Il n'existe guère qu'un cas dans lequel la contrac-'
ture soit en quelque sorte volontaire : c'est celui dans lequel cette-
contracture et le relâchement des muscles antagonistes sont un moyen
de diminuer une douleur amenée par une lésion, par exemple dans le'
cas de contracture en flexion du genou dans les inflammations de cette'
articulation. Et encore, à proprement parler,' n'est-elle pas volontaire.'
Chez les hystériques les contractures surviennent spontanément ou sont'
provoquées par diverses manoeuvres qui mettent en évidence ce que
M. le professeur Charcot a désigné sous le nom de diathèse de contrac-
ture, c'est-à-dire la tendance spasmodique présentée par ces malades.
C'est, comme nous l'avons dit, le caractère spasmodique de la con-
traction produite par notre sujet qui nous a fait songer aussitôt il
l'hystérie chez lui. Mais par une singulière contradiction aucun des
procédés habituels n'a réussi chez lui à mettre en évidence cette
diathèse de contracture et c'est l'effort volontaire seul qui la révèle.
Peut-être en est-il de même chez d'autres hystériques ? On sait en effet
que beaucoup présentent ce phénomène de se contracturer lorsqu'ils
serrent trop fortement un objet ou font un effort brusque. Mais dans
ces cas la contracture survient involontairement, et disparait plus ou
moins difficilement. Jamais elle ne se présente, et surtout jamais elle
ne cesse avec l'instantanéité que nous avons observée chez notre sujet.
On sait également que certains hystériques suggestibles peuvent
développer chez eux volontairement des hallucinations semblables à
celles qu'on leur donne par suggestion, et que d'autres peuvent par
des efforts volontaires faire disparaître des paralysies suggérées. Mais
dans ces deux seuls cas où l'on ait constaté jusqu'ici, ainsi que le
remarquent MM. Binet et Féré (le Magnétisme animal) l'influence de
la volonté pour produire des phénomènes analogues à ceux qu'on pro-
voqnc ordinairement par suggestion, il faut un certain temps et pour
les produire et pour les faire disparaître. ,Chez notre sujet, il était
également nécessaire d'un effort d'une certaine durée (10 à 15 secon-
des) pour provoquer la contracture, mais elle disparaissait brusque-
ment. L'auto-suggestion semble certainement entrer, en jeu chez lui
si l'on remarque avec quelle force il concentrait son attention sur la
partie de son corps sur laquelle portait l'expérience. Or, M. Féré a
signalé le rôle important que jouait l'attention dans des cas sembla-
,)les en montrant que « par le seul fait qu'une hystérique, même à
l'état de veille, fixe son attention. sur une partie de son corps, cette
partie change de volume. » ..
La contracture qu'il présentait offre aussi d'autres particularités à
IV. 8
106 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
signaler. Elle n'était pas en effet tout à fait semblable à celle des hys-
tériques. La griffe qui en résultait et qui ressemblait à celle produite
par laparalysie ou l'atrophie des lombricaux et des interrosseux (Pl. XIII)
s'observe rarement dans l'hystérie, où l'on rencontre ordinairement
la griffe médiane ou radiale. De plus, les antagonistes étaient peu pris
comparativement aux extenseurs où la contracture était au maximum.
Enfin il n'y avait aucune tendance à la généralisation de la contracture
et si longtemps que le sujet la fit durer, les muscles du bras ne se
prenaient pas, et la contracture atteignait d'emblée son maximum.
Elle présentait donc des'différences notables avec les caractères
classiques delà contracture spasmodique des hystériques, et se rappor-
chait plus des pseudo-contractures dont la distinguaient d'autre part
des différences encore plus importantes. Elle avait donc une physio-
nomie un peu à part.
Les phénomènes observés du côté dc la respiration pendant l'immo-
bilisation du thorax nous paraissent aussi dignes d'attention. En pre-
mier lieu le fait de pouvoir maintenir ainsi pendant aussi longtemps
le diaphragme, les intercostaux et les muscles abdominaux en état de
contraction, n'est pas chose commune. Lorsqu'on essaye de le faire,
même en se permettant de très légers'mouvements respiratoires on ne
résiste pas longtemps au défaut d'hématose. Il est presque impossible
de pouvoir parler, siffler, rire, comme le faisait notre sujet tout en
maintenant cette immobilisation, et si on y arrive c'est pendant un
temps très court. Rien de semblable 'chez notre sujet qui pouvait
conserver cette situation antiphysiologique'sans paraître éprouver la
moindre'gêne, si ce n'est au bout de cinq à dix minutes. Le tracé
pneumographique ci-dessus (fig. 25) accuse bien les mouvements res-
piratoires, mais réduits à une si faible amplitude qu'ils paraissent tout
à fait insuffisants pour maintenir aussi longtemps les fonctions vitales.
Nous ne saurions d'ailleurs tirer d'un fait unique des déductions plus
approfondies. Qu'il nous suffise d'avoir signalé ce cas qui présentait,
à ce qu'il nous a semblé, plusieurs particularités intéressantes.
Dr PAUL Sollier, Malapert,
Conservateur du Musée de Bicètre. Interne il l'Hospice de Dièdre.
}i'JG 25. - Immobilisation du thorax. - Tracé pncomogr,yliirtne Ic la respiration thOI' : lcÎf[IIC.
NOUVELLE ICO'GRAPHIE DE la SALPfTRItR6 T. IV. PL. xiii.
PHOTOTYPE Négatif- HURLL. PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne LONOUE7.
CONTRACTURE HYSTÉRIQUE
LECROSNIER & BASÉ
ÉDITEURS
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE CLINIQUE
DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES
(Suite') 1)
En résumé, il existe une forme de tremblement hystérique carac-
térisée par des oscillations brèves, rapides, en un mot, véritablement
vibratoire.
Les observations que nous venons de rapporter démontrent que ce
tremblement peut se généraliser, persister pendant plusieurs mois
consécutifs et s'accompagner, durant les phases d'aggravation qui
succèdent à l'excitation des zones hystérogènes, aux attaques, aux émo-
tions, etc., de contractions fibrillaires des muscles et notamment des
muscles de la face, des lèvres; en pareil cas, il communique aux sujets
qui en sont atteints un habitus extérieur qui n'est pas sans analogie
avec l'aspect bien connu des malades affectés de trémulationalcoolique,
de paralysie générale ou bien du tremblement symptomatique de la
maladie de Basedow.
Ce tremblement hystérique vibratoire disparaît pendant le sommeil.
A l'état de veille, il ne s'efface jamais complètement, même quand le
sujet est au repos. Il ne s'accroît sous l'influence des mouvements
volontaires que d'une manière nulle ou insignifiante; aussi ne gène-t-il
guère les malades que dans l'accomplissement des menus actes qui
nécessitent la mise en oeuvre de mouvements précis et délicats de la
main et des doigts.
C'est là un premier type de tremblement hystérique qui, en raison de
ses caractères cliniques et graphiques, de ses analogies étroites avec
certaines variétés de tremblements vibratoires déjà décrites (tremble-
ments alcoolique, de la paralysie générale progressive, de la maladie
de Basedow), nous a paru devoir être distrait des autres formes de
tremblement que nous allons maintenant étudier.
I. Voy. les n" ) I et 2, t. III, 1890.
108 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.
- n
TREMBLEMENTS DE RHYTHME MOYEN OU INTERMÉDIAIRES
COMME NOMBRE D'OSCILLATIONS
ENTRE LES TREMBLEMENTS VIBRATOIRES ET LES TREMBLEMENTS LENTS
L'examen des tracés que nous avons pu recueillir, à la Salpêtrière,
dans-le cours de la précédente année, nous a montré que les cas dans
lesquels le tremblement est constitué par des oscillations se succédant
au nombre de 5 '1/2 à 7 1/2 par seconde sont de beaucoup les plus
nombreux.
Ce rhythme moyen est certainement le rhythme de prédilection des
tremblements hystériques; les tremblements vibratoires et ceux à
oscillations lentes sont relativement rares, presque exceptionnels.
A ce point de vue, nos observations confirment donc pleinement la
remarque formulée, il y a plus de trois ans, par M. le professeur
Charcot touchant, le rhythme de ces tremblements. Il est certain, en
effet, qu'envisagés au point de vue de la vitesse de leur rhythme, les
tremblements hystériques constituent, pour la très grande majorité des
faits, « une catégorie intermédiaire » qui, dans la classification géné-
rale des tremblements proposée par notre maître, a sa place entre le
groupe des tremblements rapides et celui des tremblements lents.
Ainsi donc, les cas de tremblements hystériques observés par nous
et qui figureront dans ce chapitre possèdent tous ce commun carac-
tère : un rhythme sensiblement identique (de 5 1/3 il 7 '1/2 oscillations
par seconde). Mais il ne s'ensuit pas nécessairement qu'ils sont sus-
ceptibles d'être englobés dans une même description. '
Il est évident que la notion du rhythme, c'est-à-dire de la fréquence
des oscillations qui composent les tremblements, ne saurait toujours
suffire à elle seule pour indiquer leur physionomie clinique. Et cela
est particulièrement vrai pour cette catégorie de tremblements dont il
s'agit ici et qui, n'étant ni' très rapides ni très lents, possèdent en
somme un rhythme qui, par lui-même, est peu fait pour frapper. Par
contre, la généralisation du trouble moteur, sa localisation aux deux
membres inférieurs, à ceux d'un même côté du corps, etc., les mo-
difications qu'il présente sous l'influence du repos et des mouvements
actifs, sont autant de caractères bien autrement saillants à l'oeil de
l'observateur que ne l'est le degré de rapidité des oscillations. Ce sont
eux qui, en clinique, impriment à chaque espèce de tremblement
son allure, son aspect particuliers. Or, on conçoit aisément que tous
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 109
ces caractères puissent varier d'un cas à l'autre, alors que le rhythme
du tremblement est toujours le même. C'est ainsi que la classification
que nous avons adoptée au début de ce travail nous conduit à réunir
dans le présent chapitre les observations d'hystériques qui, tout en
tremblant sur un rhythme identique, se présentaient cependant, dans
la réalité, sous des aspects fort dissemblables.
.Mais la diversité de ces aspects n'est pas telle qu'on ne puisse, en
rapprochant les faits similaires et surtout en les groupant d'après
leurs analogies avec d'autres tremblements déjà décrits et classés en
pathologie nerveuse, les ramener légitimement à quelques types cli-
niques assez bien tranchés et susceptibles d'une description métho-
dique. Parmi ces types de tremblements hystériques que nous allons
décrire, il en est un qui reproduit trait pour trait le tremblement mer-
curiel ; un autre est la copie fidèle du tremblement symptomatique de
la sclérose en plaques; un troisième, par sa localisation aux membres
inférieurs et son rhythme, rappelle à s'y méprendre la trépidation spi-
nale de la paraplégie spasmodique. De ces espèces de tremblements
ils sont en quelque sorte les « sosies » hystériques, et les sosies par-
fois trompeurs.
a. Tremblement rémittent intentionnel (type Rendu).
Par ses caractères, par l'apparence extérieure qu'il communique aux
sujets qui en sont affectés, ce type de tremblement hystérique imite d'une
façon parfaite le tremblement mercuriel, tel du moins que le dépeignent
dans sa forme la plus accomplie, les observations les plus précises, les
descriptions les mieux conduites. Il simule aussi le tremblement de la
sclérose en plaques, mais d'une façon beaucoup moins exacte; car, si,
pareillement à ce dernier, toujours il s'éveille et s'accroît à l'occasion
des mouvements volontaires, il persiste dans certaines attitudes de
repos, ce que ne fait jamais le tremblement de la sclérose multilocu-
laire. Celui-ci, comme chacun sait, toujours s'apaise et cesse dès que
le malade passe de l'action à l'état de repos.
Les hystériques trembleurs qui répondent au type clinique que nous
avons en vue sont constamment agités, qu'ils soient en marche, qu'ils
se tiennent debout ou assis, par des secousses rhythmiques généra-
lisées ou suffisamment amples pour que l'oeil de l'observateur puisse
aisément les dissocier. Si l'on examine un de ces sujets alors qu'il est
assis sur une chaise, les pieds posés à plat sur le sol et les avant-bras
reposant sur les genoux, voici ce que l'on peut constater : la tète
oscille avec un mouvement de va-et-vient dans le sens antéro-posté-
110 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
rieur; les avant-bras et les mains sont animés de légers mouvements de
flexion avec pronation et d'extension en sens inverse qui se succèdent
régulièrement; les doigts suivent aussi ces mouvements, mais d'une
manière passive, ils ne tremblent pas pour leur propre compte. Aux
membres inférieurs, les avant-pieds ne quittent pas le sol, mais les
talons se soulèvent et s'abaissent alternativement, frappant le parquet
de petits coups secs régulièrement espacés, imitant le bruit et le mou-
vement de trépidation d'une personne assise et qui s'impatiente. Les
choses étant ainsi, si l'on ordonne au malade d'élever une de ses
jambes en la maintenant étendue, ou de placer ses bras dans l'attitude
du serment, le tremblement prend aussitôt une amplitude notable-
ment plus grande dans les membres soulevés.
Mais si on vient à lui commander un acte qui nécessite de sa part de
l'attention et de la précision dans les mouvements, si on lui ordonne,
par exemple, de saisir un verre rempli d'eau et de le porter à sa
bouche, on voit, dès que la main s'approche du verre, les oscillations
s'accentuer progressivement et croître rapidement en étendue et en
énergie, de sorte que le contenu du vase est bientôt projeté de tous
côtés. On comprend par là que l'écriture et les autres actes de la vie
journalière qui exigent tant soit peu de précision dans les mouvements
de la main sont rendus très difficiles et souvent même impossibles
(fig. 26).
La langue tremble aussi quelquefois. Il en était ainsi chez nos deux
malades des observ. 111 et IV. La trémulation dont elle est le siège
s'ajoutant aux saccades de la tête, peut gêner l'élocution. La parole est
alors hésitante, entrecoupée, on pourrait presque dire scandée.
Si maintenant l'on enjoint au malade de se lever et de se tenir
debout, aussitôt les oscillations dont tout le corps est animé prennent
une amplitude et une brusquerie plus grandes : la tête, le tronc, les
I tc. 26. - Blumlierg .. Malade couché. Tremblement nul au repos, provoqué par un mouvement t
intentionnel du membre supérieur.
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 111
membres, le corps tout entier entre dans un état d'agitation violente, il
tel point que, parfois, le sujet a peine à se tenir debout et menace de
tomber. Dans cette attitude, les membres inférieurs sont animés de
légers mouvements de flexion et d'extension qui ont pour centre prin-
cipal l'articulation du genou, de sorte que le tronc et lés épaules oscil-
lent dans le sens vertical (fig. 97). Quand le sujet se met en marche, le
tremblement redouble encore. Il avance ou bien en hésitant, les jambes
écartées, ou bien en raidissant les membres inférieurs comme pour
éteindre les secousses du tremblement. Dans le premier cas, la démarche
est incertaine et comme titubante; dans le second cas, elle est saccadée,
mais ferme et assurée. Si l'on invite le malade il s'étendre tranquille-
ment sur son lit, dans une attitude abandonnée, comme pour dormir,
aussitôt le tremblement disparait et le sujet repose dans une immobilité
complète. Mais qu'il vienne à soulever sa tête au-dessus de l'oreiller, à
élever un de ses membres au-dessus du plan du lit, le tremblement se
reproduit aussitôt (fig. 28).
Le décubitus horizontal est donc, à l'étal de veille, la seule attitude
FiG. 27. Rlumberfi... Tremblement de la tête (malade au repos, puis en marche).
F.r. 28. Malade assis. Tremblement du membre supérieur droit persiste au repos, s'accentue
.t l'occasion d'un mouvement intentionnel.
112 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.'
qui entraîne à coup sûr la cessation du tremblement. Nous devons dire
cependant que, parfois aussi, dans l'attitude assise, on peut voir ce
tremblement s'atténuer et même disparaître pour quelques instants.
Mais ceci n'a lieu que lorsque le malade est dans un état de calme
absolu; et pour peu qu'il se sente observé, les oscillations reparaissent
aussitôt.
En somme, ce tremblement persiste au repos, que le malade se
tienne debout ou qu'il soit assis. Il peut cependant disparaitre, mais
momentanément et pour de très courts instants quand le sujet repose
dans cette dernière attitude. Il cesse toujours et complètement dès que
le malade prend la position couchée. Toujours il s'accentue à l'occa-
sion des mouvements volontaires. C'est pourquoi il nous a paru mériter
la double qualification de rémittent-intentionnel que nous proposons
de lui appliquer.
A ce qui précède ajoutons que ce tremblement, comme toutes les
autres variétés de tremblement hystérique, prédomine généralement
dans les membres d'un des côtés du corps, qu'il peut se localiser diver-
sement, respectant ◀tantôt▶ la tête, ◀tantôt▶ les membres inférieurs, etc.,
qu'il s'exagère sous l'influence des attaques, d'une émotion même
légère, de l'excitation des zones hystérogènes, qu'il peut persister des
années entières, et nous aurons indiqué d'une façon à peu près com-
plète et son aspect et ses allures.
Il est facile de comprendre en quoi ce type de tremblement hystérique
ressemble au tremblement de la sclérose en plaques et en quoi il en
diffère. ,
Lorsqu'on voit un malade affecté de cette forme de tremblement se
lever et se mettre en marche, on peut, au premier abord, se croire en
présence d'un cas de sclérose en plaques. Les oscillations dont sa tête
est secouée, ses gestes maladroits, sa démarche incertaine et comme
titubante, toute sa silhouette qui tremble et. qui vacille évoquent assez
justement dans l'esprit de l'observateur le tableau que présentent la
plupart des malades atteints de sclérose multiloculaire, quand ils sont
en mouvement. Sans compter que l'élocution du sujet, souvent embar-
rassée et entrecoupée, rappelle d'une façon à peu près exacte le parler
lent et comme scandé symptomatique de cette affection. Enfin, si l'on
considère le tremblement en lui-même, on est nécessairement frappé
par son accentuation sous l'influence des mouvements intentionnels; que
l'on se borne à examiner le malade couché sur son lit, et on croira que
ce tremblement cesse d'exister au repos, ce qui est vrai dans cette atti-
tude, et qu'il est purement et simplement intentionnel, c'est-à-dire
identique au tremblement de la sclérose en plaques. La confusion est
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 113
dès lors possible. Et de fait, un des malades dont nous rapportons
plus loin l'observation a été ainsi et bien il tort diagnostiqué : sclérose
en plaques.
Mais là se bornent les analogies. Les dissemblances sont faciles à
saisir. 11 suffit, pour en être frappé, de jeter les yeux sur un de cestrem-
bleurs hystériques pendant qu'il est assis. On voit alors que ses mains
continuent à trembler, alors même qu'il les laisse reposer, soit sur ses
genoux, soit sur une table placée près de lui. Ce tremblement persiste
donc même au repos, et ce caractère permet à lui seul de le différen-
cier immédiatement du tremblement de la sclérose en plaques.
Lorsqu'un sujet atteint de sclérose en plaques s'est commodément
assis sur une chaise et qu'il laisse reposer ses mains sur ses genoux,
sa tète pourra osciller encore un peu et ses membres inférieurs trépi-
der, si sa paraplégie spasmodique est quelque peu accentuée, mais ses
mains ne trembleront pas; elles ne trembleront qu'autant qu'il cher-
chera il saisir un objet, qu'il les élèvera pour accomplir un acte quel-
conque.
Et puis le tremblement hystérique est mieux rllythmé; ses oscilla-
tions sont plus fréquentes. Il n'a pas cet air de va et vient, de balance-
ment un peu lent que présente le tremblement de la sclérose en plaques.
Somme toute, en dépit des analogies réelles qui existent entre ce
type de tremblement hystérique et le tremblement symptomatique de la
sclérose en plaques, nous croyons qu'ils se différencient l'un de l'autre
par des caractères assez nets, pour qu'il soit impossible de les con-
fondre. A supposer même, que dans un cas donné, on oublie de recher-
cher avec soin tous les autres symptômes possibles de la névrose, les
stigmates, les zones hystérogènes, les attaques convulsives anté-
rieures, etc., à ne considérer que le symptôme tremblement, une erreur
de diagnostic à ce sujet nous semblerait difficile à justifier.
Parallèle cles tremblements hystériques
. et des tremblements mercuriels.
Si ce type de tremblement hystérique dont nous nous occupons ne
simule qu'imparfaitement le tremblement de la sclérose en plaques, il
est bien de tous points semblable au tremblement mercuriel, tel qu'il
apparaît dans sa forme généralisée, à son plus haut degré de dévelop-
pement, tel qu'il est dépeint par différents auteurs dans maintes obser-
vations relatives à des cas typiques. Qu'on parcoure la série des faits
qui figurent (pour ne parler que des travaux les plus récents) dans
114 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
la thèse de Maréchal, dans le mémoire de M. Letulle (Archives de phy-
siologie , 1887), dans les leçons de notre maître lll.le professeur Charcot,
dans une thèse récente faite sous l'inspiration de M. Letulle1, dans tous
ces faits, à quelques légères variantes près, le tremblement se pré-
sente avec les mêmes caractères : la tête oscille dans le sens antéro-
postérieur ou transversal, la langue participe ou non au tremblement,
ce tremblement persiste au repos, il ne cesse que dans les moments de
calme absolu, dans certaines altitudes où la résolution musculaire est
complète; la plus légère émotion, le fait seul d'éveiller l'attention du
malade en lui adressant la parole, produisent une accentuation du
tremblement, qui toujours s'accroît d'une manière frappante à l'occa-
sion des mouvements intentionnels, rappelant ainsi le tremblement de
la sclérose en plaques (Voir les observations II, III, IV, IX du mémoire
de M. Letulle2, l'observation XIV du nommé Schumach... qui figure
dans la thèse de Maréchal, et qui plus tard a été l'objet d'une leçon de
M. Charcot. -On pourrait citer aussi toutes les observations communi-
quées par M. Letulle qui figurent dans la thèse de M. Mugnerot). Il est
incontestable que fous ces caractères sont exactement ceux du tremble-
ment hystérique rémittent-intentionnel, que nous venons de décrire, et
l'on est bien fondé à dire que ce tremblement est identique, au moins
quanta la forme, au tremblement mercuriel.
C'est ici le lieu de rappeler que l'hystérie est assez souvent provo-
quée par l'hydrargyrisme. On conçoit aisément qu'un mercuriel devenu
hystérique à la faveur même de son intoxication puisse présenter un
tremblement relevant de l'hystérie et simulant le tremblement mercu-
riel. La réalité du fait s'est trouvée établie le jour où M. Letulle'' a
obtenu à l'aide des agents esthésiogènes ou par des procédés purement L
suggestifs (application de la bande élastique), la guérison rapide, quasi
instantanée de tremblements rapportés à l'intoxication mercurielle. Et
dès lors la question se trouva posée : Tous les tremblements dits mercu-
riels sont-ils d'origine hystérique ? Question intéressante à plus d'un
titre, mais à laquelle il n'est pas facile de répondre.
M. Letulle estime que pour le plus grand nombre, il n'ose pas dire
pour la totalité des cas, les tremblements mercuriels appartiennent à
la grande névrose.
Dans une leçon sur les tremblements hystériques, M. Charcot* a for-
1. Mugnerot, Du tremblement mercuriel et de son traitement par les agents esthésio-
gènes, Paris, 1889. Thèse de doctorat.
2. Letulle, Archives de physiologie, 1887.
3. Letulle, Loc. cit.
4. Charcot, Progrès médical, G septembre 1890.
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 115
mulé son opinion à ce sujet dans les termes suivants : « Avant plus
ample informé, je reste disposé à croire qu'il existe un véritable trem-
blement mercuriel indépendant de l'hystérie et émanant directement,
en d'autres termes, de l'intoxication Ilydraryrique; mais qu'à côté de
lui il faut apprendre à distinguer des cas où, chez les hydrargyriques,
l'hystérie se développe et donne lieu à un tremblement méritant cette
fois de porter légitimement le nom d'hystérique. En quoi ce tremble-
ment-ci différera-t-il cliniquement du premier ? Cela restera à déter-
miner. »
Nous nous associons à ces sages réserves et nous pensons que toute
réponse catégorique à cette question serait pour le moment préma-
turée. On manque de' documents suffisamment nombreux et précis.
Nous devons dire cependant que dans le cours d'une enquête encore
inachevée et dont nous nous proposons de publier prochainement les
résultats définitifs, étudiant avec soin les caractères des tremblements
mercuriels, les conditions de leur apparition, les différents troubles
névropathiques qui presque toujours accompagnent ce symptôme, nous
avons noté dans quelques ateliers des faits qui nous portent à penser que
les tremblements dits mercuriels sont le plus souvent de nature hysté-
rique. Chaque fois que, dans un atelier, on nous a présenté un « beau
cas » de tremblement mercuriel, nous avons trouvé chez le malade
des stigmates hystériques, des attaques ou des ictus apoplectiques.
Nous avons été frappé également par la diversité des formes de ces
tremblements mercuriels; on y retrouve précisément les mêmes moda-
lités qui s'observent chez les trembleurs hystériques, les mêmes modes
de début, ◀tantôt▶ insidieux, ◀tantôt▶ brusque et sous forme d'attaques.
Et quand on interroge attentivement ces malades, presque toujours
alcooliques, on apprend que l'apparition du tremblement a été pré-
cédée chez eux d'une sorte de période préparatoire faite d'excitabilité
nerveuse, d'insomnies, de vertiges, et tout à fait analogue à celle qui
existe si souvent chez les hystériques vulgaires à la veille des premiers
symptômes significatifs; qu'au moment de l'accès, dans les cas à début
subit, ils ont éprouvé des étouffements, un sentiment de constriction à
la gorge, des battements dans les tempes, toutes sensations qui rappellent
assez bien les symptômes de l'aura hystérique. Mais, pour avoir ces
détails qui dans l'espèce ont bien leur importance, il faut interroger les
malades avec plus de précision, avec plus d'insistance qu'on n'a cou-
tume de le faire.
Et puis, dans ces visites aux ateliers on est frappé véritablement par
une foule de particularités qui montrent bien la grande part de l'idée,
de la suggestion, pour nous servir du mot à la mode, dans l'éclosion
11C NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
des tremblements mercuriels. Suivant la très juste remarque de M. Le-
tulle, beaucoup d'ouvriers redoutent, attendent leur tremblement. Et
les patrons savent fort bien qu'un ouvrier trembleur dans leur atelier
est « un mauvais exemple », qu'il gêne ses camarades, qu'il peut deve-
nir le point de départ d'une petite épidémie, et il en est qui renvoient
l'ouvrier trembleur comme on ferait d'un malade atteint d'une affection
contagieuse.
Nous avons vu un ouvrier doreur qui, après avoir exercé son métier
pendant dix-sept ans sans jamais présenter le plus léger tremblement,
quitta la maison où il avait toujours travaillé jusque-là, pour entrer
« dans un atelier où l'on tremble ». C'est là son expression. Le surlen-
demain du jour où il pénétra dans cet atelier ainsi mal famé, il
fut brusquement pris de tremblement, cethomme est hémianesthésique.
Les ouvriers disent, en effet, qu'il y a des ateliers « où l'on tremble »
et des ateliers « où l'on ne tremble pas; » et cette différence, cette
inégalité devant le tremblement n'est véritablement pas toujours impu-
table à une installation défectueuse ou à la négligence des mesures
de prophylaxie.
Voici deux faits qui nous ont été obligeamment communiqués par
M. le docteur Vaquez et qui montrent bien la part qui revient « à
l'idée » dans la genèse de ces tremblements. Ils nous paraissent être on
ne peut plus significatifs. Ils ont été relevés par notre ami au cours
d'une enquête faite par M. Letulle, dont il était alors l'interne, et qu'il
accompagnait dans ses visites aux ateliers.
« Dans un atelier de la rue Barbette, où l'on ne travaille qu'à l'empaquetage
des poilsde lapins, pour les expédieren Belgique où ils sont foulés et travaillés,
un seul employé tremblait. Cet employé était occupé au bureau dans les écri-
tures, il était syphilitique et suivait un traitement mercuriel. Jamais il ne
maniait les peaux mercuriahsées.
« Dansun atelier de coupeurs de poils où l'on pouvait rencontrer quelques
vieux trembleurs, on nous présenta une femme d'âge moyen, robuste et bien
portante, qui avait été au service, comme cuisinière, des maîtres de la maison.
Cette femme n'entrait jamais dans les ateliers, cependant au bout de six mois
elle présentait un tremblement tel qu'elle dut interrompre tout service. Elle
expliquait cela en disant que le parquet de sa chambre était si mal joint, que
les vapeurs mercurielles devaient évidemment pénétrer chez elle. Ayant quitté
la maison elle cessait de trembler au bout d'un mois et cela pour toujours.
Dans la même maison, de vieux employés travaillaient depuis vingt ans au
coupage ou au brossage sans avoirjamais tremblé. »
En somme, nous croyons que plus on étudiera les tremblements
mercuriels plus on sera conduit à reconnaître que la très grande majo-
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 117
rite de ces tremblements ne relèvent pas directement de l'intoxication
hydrargyrique, qu'ils ne sont nullement sous la dépendance (suivant
une théorie qui semblait naguère très acceptable) de lésions organiques
du système nerveux périphérique, qu'ils sont de l'ordre de ces troubles
purement fonctionnels qui figurent d'ailleurs dans la pathologie de
toutes les intoxications professionnelles. L'identité de ces tremblements
et des tremblements hystériques, la coexistence, très fréquente chez
les malades exposés il l'intoxication mercurielle, de ces tremblements
et des stigmates de l'hystérie; la guérison rapide de ces tremblements
sous l'influence des agents esthésiogènes, autorisent à affirmer qu'ils
sont pour la plupart des tremblements de nature hystérique déve-
loppés il la faveur de l'intoxication mercurielle. Mais, cela étant accepté,
il restera toujours le groupe des cas dans lesquels le tremblement se
présente seul, sans accompagnement d'aucun autre trouble hystérique.
Et c'est à l'étude des faits de cette catégorie qu'il faudra s'attacher
désormais pour déterminer les caractères des tremblements mercuriels
proprement dits.
Voici les observations sur lesquelles repose la description précé-
dente du tremblement rémittent-intentionnel (type Rendu) :
OBs. III. - Hystérie provoquée par une émotion violente. - Tremble-
ment hystérique (type Rendu). Le nommé BIumberg..., £ tgé de trente-six
ans, rempailleur de chaises, est entré à la Salpêtrière dans le service de
M. le professeur Charcot le 26 juin 1889.
Antécédents héréditaires Mère épileptique, morte en état de mal, a
l'âge de trente-six ans. Père mort de pneumonie à soixante-huit ans, pas
nerveux, pas alcoolique, un frère du malade est épileptique.
Antécédents personnels. Dans son enfance il a uriné an lit jusqu'à l'âge
de dix ans. Puis sa santé a été parfaite jusqu'à l'âge de dix-huit, ans. A dix-
huit ans, B... s'engagea dans un régiment de l'armée d'Afrique. Pendant son
séjour en Algérie, il eut la fièvre typhoïde ; puis la fièvre intermittente (type
tierce). Il a gardé cette fièvre pendant près de trois ans. Il était complètement
rétabli lorsqu'il fut libéré du service militaire à vingt-cinq ans : il rentra
alors en France et reprit son métier d'ouvrier chaisier. Il n'a jamais fait
d'excès d'aucune sorte; il n'est ni alcoolique ni syphilitique. Il est marié et
père d'un enfant âgé de six ans.
Histoire de là maladie. Un jour du mois de septembre 1887, le malade
vit son jeune enfant près d'être écrasé par une voiture de place. Il se préci-
pita au-devant du cheval et put l'arrêter à temps. Son enfant n'eut pas de
mal; mais le malade éprouva une émotion violente; il se sentit près de défail-
lir. Pendant la nuit suivante il dormit fort mal, dès qu'il était endormi il
revoyait en rêve la scène de la veille et se réveillait en sursaut.
Le lendemain, il se plaignait d'un violent mal de tète. Cette céphalalgie
118 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
qui consistait en des élancements très douloureux dans les tempes persista
pendant plusieurs heures consécutives et reparut par la suite tous les deux ou
trois jours.
A la suile de cet accident, sa santé qui auparavant était excellente se mo-
difia complètement. Ses forces déclinèrent, il perdit l'appétit et maigrit
beaucoup. Il n'avait plus d'entrain pour travailler. La mémoire élait fort
amoindrie; il oubliait à tout moment ce qu'il venait de faire et ne se rappe-
lait plus le lendemain ce qu'il avait projeté de faire la veille. Il continuait
cependant à travailler tant bien que mal, régulièrement.
Ces divers troubles persistaient sans s'atténuer le moins du monde,
lorsque dans les premiers jours d'octobre, un mois après l'accident que nous
venons de raconter, il lui arriva de tomber sans connaissance dans les cir-
constances que voici : un matin, vers huit heures, il se rendait à pied au
domicile d'un de ses clients, lorsque lout à coup il se sentit pris de vertige,
de bourdonnements d'oreilles; presque aussitôt sa vue se troubla et il tomba
sans connaissance. Quand il revint il lui, ne demi-heure après, il se
retrouva dans une pharmacie où des passants l'avaient transporté. On lui dit
qu'il avait eu des convulsions, qu'il s'était débattu très fort et qu'on avait eu
beaucoup de peine à le maintenir. Il voulut se lever, mais ses jambes trem-
blaient très fort et se dérobaient à chaque pas. On dut le reconduire chez
lui en voiture. Il se mit au lit en arrivant. Il remarqua que sa jambe gauche
tremblait plus fort que la droite. Il se souvient aussi qu'il lui était impossible
de fixer son regard sur un objet quelconque sans être aussitôt repris de ver-
tiges.
Le lendemain, toujours tremblant sur ses jambes, il se rendit à pied, mais
soutenu par deux personnes, à l'hôpital Lariboisière. Là, dans la salle d'at-
tente de la consultation, il eut une seconde attaque. Il se rendit mieux
compte cette fois des sensations qu'il éprouva avant de perdre connaissance.
11 ressentit d'abord, nous dit-il, comme une boule qui lui remontait du creux
de l'estomac à la gorge, il suffoquait; il avait des palpitations, et puis des
bruits dans les oreilles ; ça lui tapait dans les tempes. Cela dura quelques
minutes, après quoi sa vue se troubla et il perdit connaissance pen-
dant un quart d'heure environ. Quand il revint à lui, il tremblait non seule-
ment des jambes mais de tout le corps, ses dents claquaient. Le malade
raconte que pendant les trois mois qu'il passa à Lariboisière, dans le service
de M. le professeur Bouchard, on lui donna plusieurs fois son attaque en lui
faisant fixer un crayon. Le tremblement diminua notablement à plusieurs
reprises, mais il ne disparut jamais entièrement. Chaque attaque était suivie
d'une recrudescence nouvelle. Huit jours après sa sortie de l'hôpital il eut,
chez lui, une attaque très longue (trois heures) à la suite de laquelle il se
trouva incapable d'articuler un seul mot et aussi de crier. Il resta ainsi muet
et aphone pendant trois mois et demi. Il eut alors une nouvelle attaque au
sortir de laquelle il recouvra la parole. ,
En mars 1888, il entra à l'hôpital Bichat dans le service de M. le docteur
IIuchard. Il y demeura trois mois et demi. Pendant ce second séjour à l'hô-
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 11J
pital, il eut, encore après une attaque, « un gonflement du ventre qui dispa-
rut presque subitement » après avoir duré pendant plusieurs semaines.
Le tremblement persistait toujours. Bref, depuis sa première attaque le
malade n'a jamais cessé de trembler; il n'a jamais pu reprendre ses occupa-
tions ; il a toujours de temps à autre des attaques convulsives précédées des
mêmes prodromes que nous avons indiqués plus haut.
B ? s'est présenté à la consultation externe de la Salpêtrière le 25 juin
dernier. M. le docteur Joffroy, qui, ce jour-la, dirigeait le service de la con-
sultation, a bien voulu nous l'adresser. C'est à son obligeance que nous
devons d'avoir pu admettre et observer ce malade dans le service de la Cli-
nique.
Etat actuel (5 juin 1889). - C'est un homme d'une taille au-dessus de
la moyenne et d'apparence, robuste. Un examen méthodique révèle chez lui
l'existence des stigmates suivants :
1° Sensibilité, générale.- - Une hémianeslhésie gauche, complète, absolue,
superficielle et profonde. Dans toute la moitié gauche du corps, la sensibilité,
au contact, la sensibilité il la douleur, la sensibilité thermique, sont complè-
tement supprimées. Le sens musculaire est également aboli dans les
divers segments du membre supérieur et du membre inférieur du même
côté.
Anesthésie pharyngienne totale. '
2° Sensibilité sensorielle. L'ouïe est très affaiblie à gauche. L'odorat et
le goût sont abolis des deux côtés. Vision. Dyschromatopsie pour le violet.
Lechamp visuel n'a pu être examiné, parce que la fixation du regard déter-
mine rapidement l'attaque convulsive. Zone hystérogène. On peut aussi
provoquer l'attaque en exerçant une pression assez forte, soit sur la région du
flanc droit, soit dans le flanc gauche. La compression de cette zone, tout
comme la fixation du regard sur un objet quelconque, est immédiatement
suivie de l'apparition de l'aura hystérique. Le malade accuse d'abord une
sensation de boule qui de l'épigastre lui remonte à la gorge et l'étouffé,
il a des palpitations, puis des bourdonnements d'oreilles, des battements
dans les tempes; peu après il voit trouble, il chancelle, tombe et l'attaque
commence.
L'attaque commence par une phase épileptoïde très courte; puis vient
une série de grands mouvements (salutations), de contorsions, interrompus de
temps en temps par un arc de cercle caractéristique. Pendant celle seconde
période le malade crie, cherche à se mordre les mains, déchire ses habits.
Enfin les grands mouvements cessent, le malade sanglote et pleure pendant
quelques instants. A ce moment, si on l'interpelle vivement, il répond aux
questions qu'on lui pose et l'attaque est finie.
(Les attaques spontanées que le malade a eues ultérieurement pendant son
séjour, à l'hôpital ne diffèrent en rien de l'attaque provoquée.)
Motilité. Les troubles permanents de la motilité qu'on observe chez
B... sont les suivants : 1° Un hémispasme de la lèvre supérieure qui fait que
la commissure gauche est plus élevée que la droite et que le sillon naso-
120 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
génien du côté gauche est plus profond, plus accusé que celui du côté opposé.
La langue est tirée droite et se meut librement dans tous les sens. ,
2° Une parésie légère des membres du côté gauche. Le malade accuse de
lui-même cet affaiblissement du bras et de la jambe gauches. A l'exploration
dynamométrique on obtient : pour la main gauche, 15 kilogr. ; pour la main
droite, 45 kilogr.
Et, dans l'expérience des mouvements provoqués avec résistance de la
part du malade, les divers segments du membre supérieur et du membre
inférieur opposent une résistance beaucoup moindre à gauche qu'à droite.
Toutefois, celte parésie n'est pas telle que le malade ne puisse exécuter
avec son bras et sa jambe tous les mouvements qui lui sont prescrits, et cela
avec précision et rapidité. Ainsi il se sert fort bien de sa main gauche pour
tous les actes de la vie usuellc; il ne boite nullement en marchant, peut
sauter à cloche-pied sur son pied gauche, etc. '
Les réflexes tendineux ne sont pas exagérés, mais plutôt affaiblis.
3° Tremblement. De tous les troubles de la motilité qu'il présente, le
plus marqué, celui qui le gêne et l'incommode le plus, c'est le tremblement.
Ce tremblement n'a jamais cessé d'exister depuis qu'il est apparu à la pre-
mière attaque, c'est-à-dire depuis deux ans. Nous l'avons attentivement
observé pendant ces derniers mois (août et septembre), et voici quels sont ses
caractères : il est généralisé, la tôle, les membres et le corps tout entier sont 1
secoués, quand le sujet est debout ou assis, de saccades régulièrement
rhythmées. L'amplitude des secousses est assez grande, et l'on pourrait aisé-
ment les compter si elles se succédaient avec un peu moins de rapidité. Elles
sont surtout accentuées à la tète et aux membres inférieurs. Aux membres
supérieurs le tremblement est relativement moins intense; les oscillations se
montrent plus régulières, plus larges au membre supérieur droit qu'au
membre supérieur gauche.
A la tête les oscillations se font dans le sens antéro-postérieur, le malade
dit « oui ». Il ne s'agit nullement de mouvements passifs, communiqués,
mais bien de secousses actives de flexion et d'extension ; nous nous en sommes
assuré en immobilisant complètement les membres inférieurs du malade
par une pression très énergique exercée sur ses genoux alors qu'il était dans
la station assise. Elles ne cessent ni dans la station assise ni dans la station
debout. Aux membres supérieurs, le tremblement est particulièrement pro-
noncé au niveau des mains, quelle que soit l'attitude des membres supérieurs.
Qu'ils soient pendants le long du corps, ou que le sujet étant assis ils repo-
sent sur ses genoux, les mains exécutent des mouvements alternatifs de
flexion et d'extension; ces mouvements paraissent avoir pour centre l'articu-
lation du poignet; les doigts à demi fléchis ou étendus sont entraînés dans le
mouvement, mais ils ne paraissent pas être animés de secousses actives et qui
leur soient propres.
Si l'on ordonne au malade d'étendre le bras, la face palmaire de la main
tournée vers le sol, les oscillations s'accentuent manifestement, et leur am-
plitude s'accroît. Il en est de même lorsque le malade accomplit un morve-
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 121
ment volontaire, lorsqu'il porte un verre à sa bouche; alors les secousses
croissent en étendue, en brusquerie, et le contenu du verre est projeté de
toutes parts.
Les membres inférieurs, quand le sujet esl debout, sont animés de petits
mouvements alternatifs de flexion et d'extension qui ont évidemment pour
centre les articulations du genou et du cou-de-pied, de sorte que le corps du
malade s'abaisse et s'élève à chaque oscillation. On se rend très bien
compte de ce fait divisant attentivement un point fixe situé sur le prolonge-
ment d'une ligne passant par le sommet de l'une ou l'autre épaule ; on voit
alors celle-ci se déplacer au-dessus et au-dessous de cette ligne fictive. ,
Les mouvements de la marche s'exécutent à peu près normalement, bien
que les secousses du tremblement prennent alors une amplitude plus grande;
le malade raidit la,jambe en posant le pied sur le sol. Il éteint par cet artifice
les oscillations du tremblement et la démarche est assez assurée, l'agitation
de la tète et des mains redouble. L'attitude qui favorise le mieux le tremble-
ment des membres inférieurs est celle que présente le sujet quand il est
assis, les jambes étant fléchies il angle droit, et les pieds reposant à plat sur
le sol. Alors les talons se soulèvent et s'abaissent en frappant le parquet
alternativement, les avant-pieds restant appuyés sur le sol; ces mouvements
sont assez analogues à ceux destinés à faire marcher une pédale, el ils présen-
tent tout il fait l'aspect de l'épilepsie spinale, avec cette différence que les
réflexes tendineux sont dans ce cas plutôt diminués qu'exagérés. Ainsi, si on
redresse brusquement le pied, le tremblement cesse parfois un instant. Dès
qu'on l'abandonne à lui-même, la trépidation reparaît. Les secousses se
succèdent aux membres inférieurs avec une régularité parfaite.
Toutefois, on voit de temps en temps le tremblement s'atténuer un instant
dans les moments de calme absolu, au point de disparaître presque, et après
une courte pause reprendre son rhythme et son intensité dès que l'attention du
malade est éveillée, dès qu'il se sent observé. Le tremblement des mains à
l'état de repos présente aussi ce caractère.
Le nombre des oscillations est de 6 à G 1/2 par seconde.
Il cesse complètement pendant le sommeil.
En somme, lorsqu'on voit le malade s'avancer avec sa démarche raidie,
brusque, mais avec son tremblement général et les oscillations, dont sa tête
est secouée, on peut penser un instant qu'il s'agit d'un cas de sclérose en
plaques; mais il n'y a là qu'une ressemblance grossière, et on ne tarde
pas, pour peu qu'on examine le malade, à remarquer chez lui une foule de
détails qui sont évidemment étrangers au tableau clinique que présente le
tremblement de la sclérose en plaques. Ce dernier cesse toujours et complè-
tement il l'état de repos. Lorsqu'on est en présence d'un malade atteint de
celte affection, tranquillement assis, les avant-bras reposant sur ses genoux,
la tête peut bien présenter quelques oscillations dans cette altitude, mais les
mains ne tremblent pas du tout; elles n'oscillent que s'il agit, s'il les sou-
lève, s'il veut saisir un objet. Or, ce n'est pas ainsi que les choses se passent
chez notre malade. Les mains tremblent sans cesse, comme aussi ses membres
IV. 9
122 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
inférieurs, qu'il soit assis ou au repos dans la station debout Sans doute
les oscillations augmentent d'amplitude, lorsque passant du repos à l'action
il cherche à saisir un objet, ou simplement étend son bras dans l'altitude
dite du serment; mais elles ne cessent pas d'exister, après qu'il a déposé
l'objet et laissé sa main se reposer sur la table. Ce tremblement ne possède
qu'une partie des caractères du tremblement do la sclérose en plaques. Il
n'est pas purement et simplement intentionnel, puisqu'il persiste au repos.
C'est pourquoi nous avons cru devoir distraire ce cas et celui qui va suivre
du groupe des tremblements hystériques purement et simplement inten-
tionnels. '
Cependant lorsque le malade se couche sur son lit le tremblement s'apaise
et disparait complètement, pour réapparaître aussitôt qu'il soulève son bras,
pour porter un verre à ses lèvres par exemple.
Quand on examine le malade ainsi couché, l'analogie est vraiment frap-
pante entre ce tremblement et celui de la sclérose en plaques.
Ce tremblement existe donc depuis deux ans, et depuis l'entrée du malade
à la Salpêtrière il n'a jamais cessé. Il s'accroît lorsque le malade est ému, en
colère, ou contrarié. Il s'accroît surtout lorsqu'on comprime les zones hystéro-
gènes qu'il présente au niveau des flancs, et il subit après chaque attaque une
recrudescence qui dure deux ou trois jours.
OBS. IV. Tremblement hystérique, rémittent-intentionnel1.
L'observation suivante est encore un bel exemple de tremblement
rémittent-intentionnel portant sur la langue et les quatre membres.
OBs. V (Cette observation nous a été communiquée très obligeamment par
notre ami Bitot, chef de clinique médicale à la Faculté de Bordeaux).
M. X ? deJ... (Charente), âgé de trente-neuf ans, se présente dans le
cabinet du Dr L... pour un tremblement des quatre membres qui le gêne
beaucoup pour écrire, manger et parfois marcher. Comme antécédents héré-
ditaires, un père bien portant, pas alcoolique, une mère ayant des crises
convulsives sans perte de connaissance. Trois frères et une soeur : celle-ci
franchement hystérique.
Antécédents personnels. Pas de maladies de l'enfance; a fait son ser-
vice militaire sans incident. Sans être un buveur exagéré, il usait assez régu-
lièrement de boissons diverses jusqu'au moment où il s'est marié, c'cst-à-dire
à vingt-cinq ans. Depuis cette époque il a abandonné cet usage. Il a deux-
enfants bien portants. Bon père de famille et ardent travailleur, il se livre à
ses affaires avec beaucoup d'activité.
Il allait pour le mieux, lorsqu'en 1887 il lui tomba sur la tète un
vieux portail en bois. Le choc le surprit tellement qu'il s'affaissa et qu'il
perdit presque complètement connaissance durant une demi-heure environ.
1. L'observation de ce malade figure résumée dans la note de Mi Rendu, loc. cil.
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 123
Les jours suivants M. X... garda le lit, fut soigné par son médecin habituel
et put reprendre ses occupations. L'élat général ne laissait pas grand'chose
à désirer, mais ce 'qui l'inquiétait c'était un tremblement assez accentué des
deux membres supérieurs. A son grand ennui, il écrivait avec peine et tenait
mal les objets avec les mains. Ce tremblement devint de plus en plus fort et
se généralisa aux membres inférieurs. A son dire, il sautait à une hauteur
élevée dès qu'il voulait marcher. Parfois au lit même il avait de très forts
soubresauts dans les membres. Cet état persista plusieurs mois et s'amenda
au point de rendre la marche possible. Seul le tremblement des membres
supérieurs nc diminuait pas.
Il y a dix-huit mois, M. X..., un matin, vers trois heures, fut réveillé brus-
quement par une douleur extrêmement vive, presque insupportable, partant
dc la région cervicale et se'dirigeant en avant vers le sternum. Cette douleur
conslrictive, térébrante, s'accompagnait d'une sensation de pesanteur en
avant de la poitrine, mais n'irradiait dans aucun des membres supérieurs.
La crise douloureuse dura deux heures environ ; les jours suivants elle se
manifesta avec les mêmes caractères et s'accompagna bientôt de vomisse-
ments glaireux ou bilieux qui n'ont jamais disparu. Depuis son accident,
M. X... n'est plus aussi actif cérébralement. Son entourage et lui s'en rendent
parfaitement compte. La mémoire en particulier est très diminuée. En dehors
d'elle, la raison est saine et jamais il n'a commis d'acte répréhensible. Il
continue son commerce avec la même activité, mais il croit un peu trop sa
présence indispensable au milieu de ses hommes. Il craint que l'état morbide
dans lequel il se trouve ne lui porte tort, alors, dit-il, qu'il a besoin de son
commerce pour faire face à ses engagements. Pas d'idées délirantes.
Etat actuel, 30 mai 1890. M. X... est de petite taille, très robuste, aux
formes viriles, au faciès intelligent. Les yeux sont légèrement injectés, le
regard est extrêmement brillant, peu fixe. Il respire l'instabilité, l'inquié-
tude. Tout son individu parait agité, au repos comme dans la conversation.
Au repos, la face est le siège de secousses fibrillaires multiples et très
accentuées, tant d'un côté que dc l'autre.
Pendant la parole, ces secousses sont plus nettes surtout au nivcau des
commissures. La parole est scandée, mais non canonnée, elle n'est pas
lente, au contraire. Le malade ne cherche pas ses mots.
Les membres supérieurs au repos sont animés d'un tremblement vibra-
toire très prononcé, même lorsqu'ils reposent sur un plan horizontal ou sur
les genoux. C'est ainsi que l'avant-bras, placé sur une table, exécute des
mouvements de supination et de pronation successifs. Dans la position du
serment, les oscillations sont très fortes et atteignent leur maximum d'inlcn-
sité dans l'exécution des mouvements volontaires. « Ma femme d'ailleurs est
obligée de me faire boire, autrement je renverse tous les liquides sur moi. »
L'écriture est impossible.
Les membres inférieurs sont animés d'un léger tremblement trépidatoire
très net dans la position verticale. Le malade ne saule pas en marchant. (Il a
été impossible d'examiner le sujet dans le décubitus horizontal.)
124 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
La langue est le siège de nombreuses secousses antéro-postérieures et
latérales, en dehors ou dans la bouche. Elle participe d'ailleurs il l'élat dc
contracture, carie malade la projette à peine en avant. Il.ne peut la remuer
que très difficilement la bouche ouverte. Il la mord souvent lorsqu'il parle.
Souvent aussi sensation de raideur.
En somme, on se croirait en présence d'un tremblement mercuriel géné-
ralisé des plus nets. C'est le meilleur moyen de se faire une idée de la
situation. Pupilles égales, réagissant bien aux deux réflexes. Vue excellente,
ouïe parfaite. (Goût et odorat n'ont pas été examinés.) Le réflexe pharyngien
n'a pu être examiné, tant étaient prononcées les secousses musculaires de la
bouche, de la langue et des mâchoires. Le malade craignant beaucoup que
celte manoeuvre ne le fil vomir, se relirait dès que le doigt entrait dans la
bouche. Sensibilité cutanée normale il la piqûre et au toucher.
Champ visuel rétréci bilatéralement.
Séance d'aimant d'une demi-heure. Au début l'avant-bras gauche, placé
contre un aimant, sur une table, n'a pu être maintenu en contact avec cet
instrument qu'a l'aide de la main droite, tant étaient prononcés les mouve-
ments de pronation et de supination involontaires. Au bout de vingt minutes
environ le tremblement s'est suffisamment calmé pour que l'avant-bras reste
seul en rapport avec l'aimant; après une demi-heure de séance le tremble-
ment avait diminué d'au moins la moilié. Le malade a pu boire un verre
d'eau avec la main gauche, sans faire jaillir le liquide. Au côté opposé le
tremblement était le même.
Une parente du malade est venue trouver le D' L... le 4 juin, pour lui
dire que le malade allait si bien que sa femme lui avait écrit pour savoir
s'il ne fallait pas s'effrayer d'une si rapide et si complète amélioration. -
OBS. VI (De Maguirc [Drain, 1888], reproduite par M. Rendu [Soc. méd.
des hôpitaux, 12 avril 1889]). Oss. VII (Rendu, loc. cit.).
FORME PARAPLEGIQUE
TREMBLEMENT SIMULANT LA TRÉPIDATION DES PARAPLÉGIQUES SPASMODIQUES
L'observation suivante est un exemple de tremblement hystérique de
rhythme moyen localisé aux membres inférieurs. L'aspect du sujet était
très analogue il celui que présentent les malades attcints de paraplégie
spasmodique de nature organique ; et cependant, dans ce cas particu-
lier, le début subit du tremblement, l'existence d'une zone hystérogène,
l'action excitatrice exercée par la compression de celle zone sur le
tremblement, le rétrécissement du champ visuel, etc., ne peuvent
permettre aucun doute sur la nature hystérique de ce tremblement.
C'est le seul cas de tremblement hystérique localisé aux deux mem-
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 1M
bres inférieurs que nous ayons observé. Ce tremblement est d'ailleurs
identique à celui qui existait chez les malades répondant au type ré-
mittent-intentionnel généralisé précédemment décrit.
Cette trépidation hystérique se reconnaîtra toujours aux caractères
que voici et qui permettent de la différencier des trépidations liées aux
paraplégies spasmodiques de nature organique.
Les réflexes rotuliens ne sont pas exagérés, quelquefois même ils
sont affaiblis.
Le redressement brusque du pied fait cesser le tremblement au lieu
de le renforcer.
Si les réflexes se trouvent être exagérés, comme c'était le cas chez le
malade dont nous allons rapporter l'histoire, c'est à la recherche et à
la constatation des stigmates hystériques qu'il faudra avoir recours
pour établir le diagnostic.
Ons. VIII. Tremblement hystérique des membres inférieurs simulant la
trépidation des paraplégies spasmodiques.
Le nommé Krau..., âgé de trente ans, employé du chemin de fer de l'Est,
est entré le 13 août 1889 à la Salpêtrière, dans le service de M. le'professeur
Charcot.
Antécédents héréditaires. Nuls.
Cet homme a toujours été bien portant jusqu'à il y a trois ans. A cette
époque, il eut une blennorrhagie assez intense, qui s'accompagna de troubles
vésicaux et de douleurs rhumatismales aux genoux et aux deux talons. Après
des traitements variés, l'écoulement uréthral devint chronique. Et il persistait
encore, uous dit le malade, il y a quelques mois. Cet état l'inquiétait fort,
c'était un tourment pour lui. D'une intelligence assez bornée, il s'imagina que
son mal était grave, incurable; il n'osait pas consulter le médecin de la Com-
pagnie craignant d'être renvoyé; il continuait il travailler régulièrement.
Au bout d'un an, ses forces s'affaiblirent, il perdit l'appétit et commença à
souffrir d'une céphalée tenace, constructive, généralisée, mais prédominant
à l'occiput. Il lui semblait que son cou était raide, il éprouvait parfois des
craquements à la nuque. Il se plaignait aussi d'une gêne douloureuse siégeant
à la région sacrée. Sa mémoire s'amoindrit : il avait, nous dit-il, la tête
perdue. Son sommeil était traversé chaque nuit de cauchemars (vision d'en-
terrement qui passe, rêves professionnels, etc.). Il n'a cependant jamais abusé
des boissons alcooliques. Ces troubles divers persistèrent. Tel était l'état du
malade, lorsqu'il y a cinq mois, pendant le sommeil de la nuit, il fut réveillé
brusquement par un tremblement très intense de la jambe droite. Les
secousses envahirent, au bout de quelques instants, le membre inférieur
gauche. Le lendemain, quand il voulut se lever, le tremblement était si fort
qu'il pouvait à peine se tenir debout. Il a toujours persisté depuis cette
époque.
Le malade a séjourné pendant quatre mois à l'hôpital Lariboisière; on lui
12G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
appliqua des pointes de feu dans le dos, mais son état ne se modifia en rien.
Quelques jours après sa sortie de Lariboisière, il s'est présenté à la consul-
tation de la Salpêtrière, où il a été admis le 13 août dernier.
Étal du malade (15 août). Sujet de taille moyenne, bien musclé, un
peu amaigri. Qu'il soit debout ou assis, ce malade présente un tremblement
incessant et très intense des deux membres inférieurs. Quand il est assis, les
pieds reposant à plat sur le sol, les deux jambes trépident et les talons, alter-
nativement soulevés et abaissés, frappent le parquet à chaque oscillation.
.Dans cette attitude cependant, le tremblement se ralentit parfois, cesse même
quelques instants, ou bien n'est plus représenté que par des secousses qui se
succèdent irrégulièrement.
Quand le malade tend la jambe en avant ou lorsqu'il se lève, la trépidation
se produit aussitôt avec une violence telle que le malade peut à peine se tenir
debout. 1
Le tremblement se calme un peu après quelques instants et le malade
peut alors marcher.
Sa démarche est sautillante, mais non pas spasmodique. Les pieds ne
frottent pas le sol; les réflexes rotuliens sont notablement exagérés. La
percussion du tendon excite le tremblement; par contre le redressement
brusque du pied l'influence fort peu et même parfois le supprime momen-
tanément. Quand le malade se couche sur son lit, le tremblement cesse aus-
sitôt, il reparaît dès qu'il soulève ses jambes. Les sphincters fonctionnent nor-
malement. Il n'y a aucun trouble de la motilité, ni à la face ni aux membres
supérieurs.La tête ne tremble pas, La parole n'est pas troublée. Pas de nys-
tagmus, pas de diplopie, pas de vertige.
En revanche, on constate chez cet homme l'existence des stigmates que
voici :
, ` 4° Une hyperesthésie notable de la cuisse droite.
2° Un rétrécissement concentrique du champ visuel.
3° Une zone hystérogènc siégeant dans le flanc droit. La compression de
celte zone détermine une sensation de boule qui remonte au creux épigas-
trique, des palpitations, de la suffocation, une rougeur très vive de la face;
puis la vue se trouble, le malade chancelle, demande à s'asseoir. Mais il ne
se produit pas d'attaque, quelque insistance qu'on mette à comprimer le point
susindiqué.
Cette manoeuvre détermine toujours et immédiatement une recrudes-
cence du tremblement des membres inférieurs, alors même que le malade
est couché.
C. TREMBLEMENTS PUREMENT INTENTIONNELS.
Le tremblement hystérique intentionnel pur, c'est-à-dire n'apparais-
sant qu'à l'occasion des mouvements volontaires et, partant, identique
au tremblement de la sclérose en plaques, est une variété rarement
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 127
observée. Nous n'avons pu, pour notre part, en recueillir aucun
exemple. Les deux observations qui vontsuivre sont empruntées, l'une
à la leçon déjà citée de notre maître M. le professeur Pitres, l'autre
à la thèse de notre ami Souques sur les syndromes hystériques simu-
des maladies de la moelle.
Ons. IX (de M. Pitres, in Progrès médical, septembre 1889).
Un homme de trente-quatre ans, nommé Guillaume T..., se présente à
notre consultation externe, le 28 juin 1887, en se plaignant d'éprouver depuis
un an des douleurs de tête continuelles, de la somnolence, de l'obnubila-
tion des facultés intellectuelles. Il avait, en outre, un affaiblissement notable
de la motilité et de la sensibilité dans toute la moitié gauche du corps. La
parésie portait à la fois sur les membres et sur la face ; sa force de la main
droite, mesurée au dynamomètre, s'élevait à 43 kilogr., celle de la
main gauche à 21 kilogr. seulement; les muscles du visage étaient moins
mobiles à gauche qu'à droite, la paupière supérieure du côté gauche était
plus tombante et plus paresseuse que celle du côté opposé. L'hémihypo-
esthésie existait également sur la peau, les tissus profonds et les sens spé-
ciaux. La vision et l'audition étaient moins nettes et moins aiguës du côté
gauche que du côté droit. Enfin, les membres du côté gauche étaient le siège
d'un tremblement très violent, se produisant uniquement à l'occasion des
mouvements volontaires. Lorsque le malade était au repos, dans le décubitus
horizontal, on ne constatait aucune contraction anormale de ses muscles. Si
on le priait de porter un verre à ses lèvres avec la main droite, il y arrivait
sans difficultés; mais si on lui ordonnait de répéter la même expérience avec
la main gauche, le verre était brusquement secoué et son contenu invaria-
blement renversé avant d'avoir atteint la bouche. Le tremblement était moins
fort dans les mouvements intentionnels du membre inférieur gauche, cepen-
dant il était très manifeste. Tous ces accidents s'étaient développés pro-
gressivement depuis un an, à la suite des émotions causées par une grosse
perte d'argent. Le malade n'était pas prédisposé aux accidents névropathiques
par le fait de son hérédité, car son père et sa mère étaient vivants et bien
portants. 11 n'était pas syphilitique et n'avait jamais fait d'excès alcoo-
liques.
En présence de cet ensemble de symptômes qui me paraissaient, je l'avoue,
ne pouvoir être expliqués que par une lésion organique des centres nerveux,
je diagnostiquai une tumeur cérébrale. Mais avant de laisser partir le ma-
lade, je voulus expérimenter l'action de l'aimantation sur les symptômes
hémilatéraux que je venais de constater. Je fis appliquer un fort aimant sur
le côté gauche du corps et une heure après je fus slupéfail quand je vis le
malade souriant, alerte, cxpansif, débarrassé de l'hémiparésie et de l'hémi-
hypoesthésie qui persistaient depuis un an et radicalement guéri de son
tremblement intentionnel des membres du côté gauche. L'aimantation avait
opéré un véritable miracle. Les effets curatifs démontraient la fausseté de
128 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
mon diagnostic. Il est évident que nous avions eu affaire à un hystérique et
non pas à un malade atteint d'une lésion organique des centres ner-
veux.
La deuxième observation est empruntée au travail de M. Souques
auquel nous renvoyons : Contribution à l'étude des Syndromes hysté-
riques « simulateurs » des maladies organiques de la moelle épinière
(Nouv. 7eoMo ? n° 1, 1891, p. 13, obs. I).
Elle pourrait se passer de commentaires.
" Le tremblement hystérique que présentait ce malade est bien une copie
fidèle du tremblement de la sclérose en plaques, puisque, nul au repos,
il apparaît et se renforce seulement à l'occasion des mouvements inten-
tionnels. Et comme tout concourt chez cet hystérique à forcer les res-
semblances jusqu'à rendre la confusion avec la sclérose en plaques
à peu près inévitable ! La démarche, la parole lente et scandée, les ver-
tiges, les troubles si spéciaux de la vue, enfin tous les symptômes clas-
siques de la sclérose multiloculaire s'y retrouvent. C'est, selon toute
vraisemblance, à cette catégorie de faits que doivent faire retour, et les
scléroses en plaques qui miraculeusement guérissent sous l'éclat des mi-
roirs rotatifs, et les pseudo-scléroses en plaques qui sur la table d'amphi-
théâtre se trouvèrent dépourvues de toute plaque de sclérose. Jusqu'ici
la névrose hystérique avec ses formes si multiples, si variées, semble
être à peu près seule à accaparer le rôle de grande simulatrice des
autres maladies organiques et inorganiques du système nerveux. Si
les observations tant de fois citées de M. 7estplialt étaient exactes et
les conclusions de son mémoire légitimes, s'il, existait, en dehors de
l'hystérie, des états dynamiques capables de reproduire le tableau delà
sclérose en plaques, il faudrait ouvrir un nouveau cadre nosogra-
phique destiné à ces vagues névroses qui, n'ayant rien de commun
avec l'hystérie, seraient cependant capables comme elle d'imiter trait
pour trait les affections organiques du système nerveux.
Mais il faut bien reconnaître que jusqu'ici le besoin ne s'en fait pas
sentir. En ce qui concerne la sclérose en plaques, les faits de Westphall
sont restés à peu près isolés. Par contre, les exemples de simulation
hystérique vont se multipliant chaque jour. En présence d'observa-
tions aussi nettes, aussi significatives que celles que nous venons de
citer, on est bien en droit, ce nous semble, de révoquer en doute la
valeur des faits déjà anciens rapportés par Westphall et de demander
le renouvellement de la preuve. Ces faits antérieurs il la vulgarisation
des données aujourd'hui acquises sur les syndromes hystériques simu-
lateurs doivent être, jusqu'à plus ample informé, tenus en légitime sus-
picion.
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 129
L'absence du nystagmus, l'état des réflexes tendineux, la recherche
et la constatation de tous les symptômes possibles de l'hystérie, telles
sont les données sur lesquelles devra reposer le diagnostic de ce trem-
blement hystérique purement intentionnel, simulateur du tremblement
de la sclérose en plaques.
A.DUTIL,
Ancien interne de la Clinique
des maladies du système nerveux.
(A suivre.)
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE
DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS »
DES MALADIES ORGANIQUES DE LA MOELLE KPIMHRn
(Sclérose en plaques, paraplégie, tabes, amyotrophie et syringomyélie)
(SUITE') 1)
CHAPITRE 1 II
ASSOCIATION DES SYNDROMES SIMULATEURS ET DE LA SCLEROSE
EN PLAQUES
De l'avis de M. le professeur Charcot et de M. P. Marie, l'hystérie
et la sclérose en plaques sont les deux affections du système nerveux
qui coexistent le plus souvent. Il nous suffira d'en rappeler ici
quelques exemples empruntés il Guinon2, Souques et Oppenheim.
Ons. XXV (Oppenheim, Gesellsc7taft (¡il' Psycho uncl Ne·u., 14 juillet
1890)4. Chez une malade qui fut traitée à la Charité en 1887, il existait
depuis plusieurs années des troubles de la vue, de l'embarras de la parole ;
de lemps a autre survenaient des vertiges et de la diplopie. L'examen objectif
montra une paralysie spasmodique des extrémités avec démarche incertaine,
titubante, de l'atrophie partielle du nerf optique. du nystagmus. A côté de
ces signes qui rendaient certain le diagnostic de sclérose en plaques, survint
un tremblement rhythmique du membre supérieur droit, que je ne pouvais
accorder avec le diagnostic de sclérose multiple. A un premier essai d'hyp-
nose, ce tremblement disparut par suggestion et ne reparut plus dans la suite.
Je suis, du reste, convaincu que sans le secours de l'hypnose ce tremble-
ment aurait disparu sous l'influence (le tout autre traitement psychique.
Cela prouve qu'il n'était pas sous la dépendance d'une lésion organique. Par
1. Voy. le Il* 1, t. Ir, 1891.
`3. Guinon, les Agents 1)i-oi,ocaleii)-s (le l'hystérie, Th. (le Il. )19.
li. Arch. géit. de médecine, août 1890.
4. Oppenheim, Einiges ¡¡ber die ConaLittaliott funclionneller Nellrosen mit organischen
Erkrankullgen des 1'crrensslenrs (Neurol. Centr., 10 août 1890).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS». 131
contre, il n'est pas possible ( ? ) d'affirmer si les anomalies de la sensibilité et
le rétrécissement du champ visuel relevaient de la sclérose ou de l'hystérie.
Ons. XXVI (Oppenheim, in eod. loco). Une jeune fille de quatorze ans
atteinte de sclérose en plaques (paraplégie spasmodique, tremblement inten-
tionnel, nystagmus, rires forcés et atrophie partielle du nerf optique) se trou-
vait dans la même salle qu'une autre jeune fille affligée de la maladie des
tics convulsifs.
Un matin, en entrant dans la salle, je fus très étonné devoirquema jeune
« sclérose en plaques » présentait des mouvements tiqueux analogues à
ceux de sa voisine. Très rapidement, par suggestion, je parvins à faire
cesser ces tics de contagion. Les autres symptômes (ceux de la sclérose dis-
séminée) suivirent leur cours, sans aucune modification.
J'ai vu, ajoute encore l'auteur, un troisième cas de sclérose multiloculaire
typique combinée avec l'hystérie.
M. Oppenheim fait précéder ces observations démonstratives des
réflexions suivantes : « J'ai vu, dit-il, l'hystérie se combiner avec des
maladies organiques très diverses du système nerveux central. Je vou-
drais surtout mettre en relief l'association fréquente des symptômes
hystériques avec le complexus morbide de la sclérose en plaques.
Dans ces cas, l'embarras est parfois tel que la solution du problème
soulève les plus grosses difficultés, et qu'au point de vue symptoma-
tique, il n'est pas toujours possible de faire la part respective de l'hys-
térie et de l'organopathie spinale. »
Ces associations hystéro-organiques ont été mises en lumière pour
la première fois par M. le professeur Charcot. L'hystérie est une névrose
dont la fréquence est incontestée. MM. Charcot et G. Guinon ont dé-
montré qu'elle est souvent provoquée par les maladies organiques
spinales : tabes, sclérose en plaques, atrophie musculaire, maladie de
Friedreich, mal de Pott, etc. La fréquence de ces associations s'explique
donc tout naturellement, sans compter que ces affections appartiennent
à la même famille.
Il faut avant tout faire la part de chaque membre de cette associa-
tion. Si la juste répartition est parfois malaisée, il nous semble qu'elle
n'est jamais impossible, grâce aux caractères primordiaux propres à
chacun des deux facteurs et grâce aussi à certains éléments différen-
tiels dont il faut tenir compte et qu'il nous reste maintenant à passer
rapidement en revue.
132 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
CHAPITRE IV
DIAGNOSTIC DE LA « SIMULATION »
Les considérations dans lesquelles nous sommes entré, chemin
faisant, la description détaillée que nous avons donnée de chaque
symptôme, nous dispenseront d'insister à nouveau sur les analogies
et les différences du syndrome hystérique simulateur et de la sclérose
en plaques vraie. Nous exposerons donc dans un parallèle synthétique
rapide les divers caractères différentiels de ces deux complexus mor-
bides.
Lorsqu'on se trouve en présence d'un malade ayant de l'embarras
de la parole, du tremblement intentionnel, des vertiges, ayant eu de
la diplopie, des ictus apoplectiformes et épileptiformes, etc., le pro-
blème à résoudre est toujours le suivant :
1° Le malade est-il hystérique ?
2° Tout chez lui est-il d'origine hystérique, ou bien n'y a-t-il qu'une
association d'hystérie et de sclérose en plaques ?
A. La réponse à la première proposition n'est nullement embarras-
sante, si l'on veut se rappeler cesparoles de M. le professeur Charcot :
« Vous n'oublierez jamais, dit-il, que dans l'étude chez un sujet
donné d'une manifestation hystérique quelconque, il faut s'attacher
constamment à rechercher avec soin tous les autres symptômes
possibles de la névrose et en particulier les symptômes permanents.
Ceux-ci, bien que le cas soit relativement rare, peuvent manquer com-
plètement, mais alors, à leur défaut, vous aurez à signaler probable-
ment la coexistence de quelque autre signe univoque de l'hystérie z. »
B. Dire si le complexus morbide tout entier relève de la grande
névrose est chose moins facile. C'est là cependant l'élément capital
du pronostic et du traitement. Il n'est aucun détail en apparence
insignifiant qui n'ait son importance; les nuances les plus légères
pourront mettre sur la voie; ajoutées à d'autres présomptions, elles
donneront de grandes probabilités, sinon la certitude parfaite. C'est
dans l'étude des symptômes eux-mêmes, des antécédents, etc., qu'il
faut aller chercher les éléments du diagnostic différentiel.
1° Le tremblement intentionnel d'origine hystérique peut exister et
existe assez souvent au repos. Les mouvements voulus augmentent son
amplitude, mais n'accélèrent pas son rhythme, autrement dit, les oscil-
1. Charcot, les Tremblements hystériques (Progr. médical, 6 sept. 1890).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 133
lations (G à 7 par seconde) sont plus étendues sans être plus fréquentes.
Il est variable; très marqué aujourd'hui, il peut être à peine sensible
au bout de quelques jours ou de quelques semaines. Il est fugace; il
peut disparaître complètement avec une brusquerie inconnue dans la
sclérose en plaques; les émotions, la fatigue semblent l'augmenter,
plus qu'elles ne font celui de la sclérose multiloculaire. Il pourrait
même et c'est la un caractère, qui, de l'avis de M. Charcot, serait
appelé à jouer un grand rôle diagnostique être provoqué, arrêté,
exagéré par la compression des zones hystérogènes. Il est plus rapide
elplus régulier que celui de la sclérose.
2° L'embarras de la parole consiste plutôt en un bégayement qu'en
ces caractères de lenteur, de scansion, de monotonie qui caractérisent
la dysarthrie de la sclérose multiple. Il se manifeste d'ordinaire consé-
cutivement à une attaque apoplectiforme; il est variable suivant les
jours; il est passager et peut disparaître au bout de quelques semaines
ou de quelques mois.
3° Les vertiges doivent être étudiés avec soin. Si l'on presse les ma-
lades de questions, on s'aperçoit bien vite que ces vertiges ont quelque
chose de spécial; il s'agit le plus souvent de céphalalgie, de battements
dans les tempes, de bourdonnements dans les oreilles, de brouillards
devant les yeux, c'est-à-dire, de prodromes de l 'aura céphalique. Et en
réalité, ces vertiges sont des attaques d'hystérie avortées, arrêtées à
l'état naissant. Parfois, en effet, ils se terminent par une attaque ; le ma-
lade tombe privé de connaissance, avec ou sans phénomènes convulsifs.
4° Les attaques apoplectiformes et épileptiformes s'accompagnent
ou non d'hémiplégie. Elles sont souvent précédées d'aura typique.
Quand elles sont suivies d'hémiplégie, cette paralysie revêt d'ordinaire
les caractères sensitivo-moteurs des hémiplégies hystériques : hémia-
nesthésie, absence de paralysie faciale ou spasme glosso-labié,
démarche spéciale dite de Todd, absence de dégénération secondaire
du faisceau pyramidal, etc.
5° Le facies immobile, hébété de la sclérose, peut se retrouver dans
l'hystérie simulatrice. Chez l'homme en particulier, le visage est
souvent immobile, triste, la physionomie sans expression, le regard
fixe. Cette immobilité nous semble relever de la raison suivante :
l'hystérique reste immobile parce que le mouvement le gêne en
réveillant chez lui le tremblement. La tristesse et la fixité du regard,
l'hébétude de la physionomie dépendent de l'état neurasthénique dans
lequel sont si souvent plongés ces malheureux. '
6- Leur étal mental ne ressemble que superficiellement à celui
1. Gilles de la Tourette, Nouvelle Iconographie, mars et avril, iio 2, 1890.
131 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
des malades atteints de sclérose. La perte de la mémoire, la facilité des
rires et des pleurs sans motif sont communes aux deux catégories de
malades. L'hystéro-neul'asthénique est, avant tout, taciturne, pleureur ;
le malade atteint de sclérose en plaques est plutôt gai, il a le rire facile
et désordonné.
7° Quant aux troubles oculaires, leur différence dans la névrose et la
myélopathie ressortira du tableau synoptique suivant emprunté aux
Leçons de M. Charcot (18SS185'J, p. 103).
Tableau synoptique des symptômes oculaires dans la sclérose
en plaques et l'hystérie.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTERIQUES « SIMULATEURS ». 135
C'est là, jusqu'à nouvel ordre, un signe d'une haute importance.
Il manque dans le syndrome hystérique; par conséquent sa constata-
tion légitimera de prudentes réserves et devra faire songer à un cas
complexe, à une juxtaposition hystéro-organique.
Outre ces divers caractères, dont la réunion permettra d'ordinaire
de faire un diagnostic précis, il faut encore tenir compte des données
fournies par les antécédents, par l'étiologie, par l'âge, par l'évolution
de la maladie.
Il nous semble inutile d'insister sur ce point. La recherche d'une
tare névropathique héréditaire et des antécédents personnels s'impose.
L'apparition des accidents à un âge avancé, indépendamment de toute
maladie infectieuse, plaidera plutôt pour l'hystérie. Enfin le mode de
début, l'évolution avec des alternatives de guérison et de récidives
brusques, inexplicables, la terminaison heureuse viendront faciliter la
solution du problème. Bref, rien ne doit être négligé; l'état actuel, le
passé, la marche doivent être interrogés minutieusement et à diverses
reprises. A ce prix, mais à ce prix seulement, on acquerra de fortes
probabilités , sinon la certitude absolue.
DEUXIÈME PARTIE
DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES SIMULATEURS
DES PARAPLÉGIES SPINALES
Déterminer la cause d'une paralysie des membres inférieurs est un
des problèmes les plus ardus de la pathologie spinale. Sa solution ne
semble pas avoir jusqu'ici suffisamment exercé la sagacité des méde-
cins. En présence d'un malade dont l'attitude seule révèle le dia-
gnostic, on se borne souvent à contrôler l'impotence motrice, à la
qualifier de paraplégie et à passer outre.
Sans doute, le problème étiologique est difficile et le traitement
employé jusqu'ici n'a pas toujours donné des résultats encourageants.
Mais voici que la thérapeutique semble devoir entrer dans une nouvelle
phase, et qu'au lieu de rester purement symptomatique elle tend à
devenir radicale, en s'attaquant à la cause elle-même.
La trépanation rachidienne n'est pourtant pas née d'hier; il faut
toutefois arriver à Mac-Donnell pour la voir entrer dans le domaine
136 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
de la pratique. Cette intervention ne passa pas ignorée en France.
MM. Tillaux, Felizct, s'en déclarèrent partisans, mais le mémoire de
M. Chédevcrgne paru en lSGcJ la fit rentrer dans l'oubli. En Angle-
terre, la trépanation du rachis fit de rapides progrès et, grâce à l'im-
pulsion donnée par Mac-Ewen, Ilorsley, Thornburn, etc., devint
bientôt une opération courante. Il est vrai qu'il n'était question que
des paraplégies consécutives au traumatisme, lorsque en 1882 Jackson,
Mac-Ewen en 1888 et depuis lors Ilorsley, Duncan, White, Thorn-
burn, etc., en ont étendu les indications aux paraplégies par compres-
sion lente de la moelle dans le mal de Pott et les tumeurs médullaires.
En France, cette année même, MM. Tuffier et Haillon, Broca, vien-
nent d'appeler à nouveau l'attention sur ce sujet, et notre collègue et
ami Chipault' a essayé le trépan dans deux cas de paraplégie par mal
de Pott. Dans ces conditions, la trépanation du rachis ne saurait
tarder à occuper, à côté de la trépanation du crâne, une place impor-
tante dans la chirurgie française. Trépaner, c'est, dans l'espèce, dé-
gager la moelle comprimée. Le manuel opératoire a été admirablement
tracé par Ilorsley, et, grâce aux méthodes actuelles d'antisepsie, il est
permis de fonder sur cette opération les plus belles espérances.
Qu'il s'agisse de paraplégie consécutive à un traumatisme ou à une
compression lente, l'indication peut se poser. Restent à déterminer
les cas justiciables du trépan. C'est là un côté qu'il ne nous
appartient pas d'envisager. Nous ferons simplement remarquer que,
parmi les tumeurs diverses de la moelle, il est un groupe qui contre-
indique toute espèce d'intervention chirurgicale. Il ne saurait être
question, jusqu'à nouvel ordre, d'extirper les tumeurs intra-médul-
laires qui occupent la substance grise ou la substance blanche de
la moelle, ou les deux à la fois. Même interdiction pour les tumeurs
malignes. Mais il est un autre groupe de lésions : tuberculose verté-
brale, tumeurs extra-médullaires..., qui peut, dans certain cas, légi-
timer sinon nécessiter la trépanation. Distinguer ces deux groupes
l'un de l'autre n'est pas toujours chose facile. Les éléments principaux
de ce diagnostic ont été étudiés avec soin par M. Charcot dans ses
Leçons sur la compression lente de la moelle, et dans les travaux plus
récents de Gowers, White, Maguire, Ilorsley, Thornburn et Bramwell.
Mais ce serait sortir des limites de notre cadre que d'approfondir
l'étude des signes qui permettent de localiser, sur la hauteur du rachis,
le siège précis de la lésion. Cette étude a été déjà faite par les auteurs
que nous venons de citer. Les pseudo-névralgies, le siège de la dou-
1. Chipault, Deux Cas de trépanation rachidienne pour paraplégie par mal de Poil
(Rulletins de la Société analomique, 18 juill. 1890).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 137
leur rachidienne, la délimitation des troubles de la sensibilité. etc.,
sont des éléments de premier ordre. Il serait toutefois nécessaire de
connaître exactement la double obliquité intra-rachidienne et intra-
médullaire des racines nerveuses. C'est encore là un point obscur qui
demande de nouvelles recherches. Assurément, dans une paralysie des
membres inférieurs consécutive à une fracture de la colonne verté-
brale, le diagnostic topographique est le plus souvent facile. Il n'en est
pas de même dans les paraplégies dues à une compression lente.
Quoi qu'il en soit de ce diagnostic régional, il en est un autre qui
s'impose aujourd'hui, c'est celui de la nature de la lésion, du moins
pour ce qui concerne l'hystérie. L'hystérie, en effet, peut simuler toutes
les variétés de paraplégies organiques; et si, en somme, dans un cas
de paralysie organique, le plus souvent la méprise ne pourrait avoir
de conséquences fâcheuses, la notion de cause étant tout à fait secon-
daire, il serait au moins imprudent, pour ne pas dire périlleux, d'ou-
vrir le rachis d'un hystérique. Il n'est pas besoin de souligner l'impor-
tance pratique de ces méprises ; elle n'a d'égale que les difficultés du
diagnostic.
Sans remonter bien loin, Brodie ne dit-il pas : « J'ai vu condamner
au repos et à la position horizontale, durant plusieurs années, bien des
jeunes femmes que l'on torturait avec des moxas, des sétons, des
cautères et que l'exercice et l'hygiène auraient entièrement guéries en
quelques jours. » M. Mesnel2 ne fait-il pas remarquer avec raison « que
les paraplégies hystériques dans lesquelles on rapporte tous les symp-
tômes à l'épine sont assez communes » ? Plus près de nous, Leyden 3
constate que, « de toutes les formes de la paralysie hystérique, la pa-
raplégie est celle qui ressemble le plus aux paralysies causées par les
maladies organiques de la moelle ». « J'ai vu, dit I-Iammond \ souvent
des contractures hystériques qui duraient plusieurs mois, et j'en ai
observé de nombreux cas où l'on avait appliqué le cautère actuel sur la
colonne vertébrale, croyant avoir affaire à une inflammation de la
moelle épinière. »
Il nous serait facile de multiplier les citations. Tous les auteurs
classiques constatent les mêmes méprises, et formulent de semblables
desiderata. Actuellement, depuis surtout que M. Charcot5 a consacré à
1. Brodie, Lectures illustratives or certain local nervous affection, London, 1837, p. 47.
2. Mesnot, Etude sur les paralysies hystériques, Thèse de Paris, 1852, p. 34.
3. Leyden, Traité clinique des maladies de la moelle épinière. Traduction par
MM. Richard et Viry, 1879, p. 361.
4. llammond, Traité des maladies du système nerveux. Trad. par Labadic-Lagrave,
1879, p. 8118,
5. Charcot, Leçons sur les maladies du système nerneux, t. III, et Leçons du mardi,
passim. '
i\. 10
138 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
l'étude des paralysies hystériques de nombreuses leçons, il semblerait
au premier abord que les erreurs sur lesquelles s'apitoye Brodie
dussent être moins fréquentes. Or, il n'en est rien, et cela pour
diverses raisons. Outre le discrédit immérité dont jouissent les para-
plégies en général dans les services hospitaliers, discrédit qui fait que
l'on assiste impassible à l'évolution d'un syndrome iéputé incurable,
il faut bien avouer que l'hystérie semble parfois se jouer des recherches
les plus méthodiques. -
A côté des cas où elle s'impose avec la certitude de l'évidence ; à
côté de ceux où la coexistence de quelques stigmates permanents per-
met de triompher de tous les obstacles, il en est d'autres excep-
tionnels en réalité où tous les stigmates font défaut : c'est la « para-
plégie monosymptomatique ».
Enfin, il ne faut jamais oublier que, pour être hystérique, on n'en
est pas moins exposé aux causes ordinaires de la compression de la
moelle et à la myélite transverse. C'est dans l'existence de ces asso-
ciations morbides « hystéro-organiques » qu'apparaissent les plus
sérieuses difficultés : il faut et la chose est souvent malaisée
faire la part respective de chacune des'deux affections coexistâmes.
Quelle que soit sa cause première, la paralysie organique des
membres inférieurs peut être complète du incomplète; entre la
parésie légère et l'impotence motrice absolue, il y a place pour un
certain nombre de types intermédiaires. Elle se complique, suivant les
cas, de troubles sensitifs, vésico-rectaux, trophiques, etc.
On la divise, d'ordinaire, en paraplégie flasque et en paraplégie
rigide. Cette division offre de grands avantages ; elle a pourtant, selon
nous, l'inconvénient de laisser dans l'ombre la notion étiologique. En
outre, il n'y a pas entre ces types de démarcation bien nette, de sépara-
tion constante; il est fréquent de voir, chez un même malade, une
paralysie d'abord flasque devenir, brusquement ou peu à peu, rigide.
Ces deux types et la transformation de l'un dans l'autre existent aussi
dans la névrose hystérique'. Pour cette raison, nous prélérons tenir
compte de l'idée de cause et admettre la classification suivante :
I . Paraplégies IIYSTÉRU-'l'11AU111ATIQUES
IL Paraplégies hystéro-spontanées.
Inutile d'ajouter que chacune de ces deux variétés peut se présenter
indifféremment sous les trois types suivants : '
1. P. illarie et Souia-Leite, Contribution (t l'élude de la paiulysie hystérique sans
contracture (Revue de Médecine, 18b5).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 130
'1° Type de contracture au maximum; ,
2° Type spasmodique vulgaire;
3° Type flasque, et qu'entre chacun d'eux on rencontre des cas nom-
breux de transition.
CHAPITRE V
PARAPLÉGIES HYSTÉRO-TRAUMATIQUES S31ULATRICES ,
C'est à M. le professeur Charcot que revient l'honneur d'avoir, il y a
cinq ans, démontré l'influence des traumatismes sur le développement
des paralysies hystériques, d'avoir étudié et précisé leurs caractères
et de les avoir différenciées des paralysies organiques d'origine céré-
brale ou spinale. Il a montré, avec une rigueur incomparable, l'iden-
tité de ces paralysies et de celles que l'on peut produire par suggestion
verbale, par traumatisme expérimental, chez certaines hystériques
hypnotisables ; il a, du même coup, mis en relief le mécanisme auto-
suggestif qui préside à leur production.
Nous voulons n'envisager ici qu'un côté de la question, c'est-à-dire
les paraplégies hystéro-traumatiques. Nous voulons simplement faire
ressortir les analogies et les différences de ces paraplégies avec les
paraplégies organiques consécutives à un traumatisme. Celui-ci, sous
quelque forme qu'il se présente : chute d'un lieu élevé, choc violent,
accident de chemin de fer, peut produire une paralysie des membres
inférieurs. Dans les cas typiques, ce'te paralysie est caractérisée par un
ensemble de symptômes que les observations suivantes mettront en
lumière.
Oss. XXVII (résumée) (Charcot, Des paralysies hystéro-traumatiques
chez l'homme. Paraplégie etmctl de Pott, in Sem. méd., 1887, p. 400).
Antécédents. Du côté de l'hérédité, rien de particulier à noter. Son frère
et sa soeur sont morts en bas âge de convulsions. Le malade eu question est
un jeune homme de vingt-quatre ans, n'ayant souffert d'aucune affection grave
jusqu'au jour où il a fait une chute. Il est tombé d'un échafaudage (4 mètres
de haut), et depuis lors est survenue toute une série d'accidents. C'était le
21 avril 1887. Il ne perd pas connaissance immédiatement (il était tombé
sur le dos el sur la hanche droite), il veut se relever mais ne peut pas; ses
jambes flageolent sous lui; on le porte dans une pharmacie où, suivant l'ha-
bitude, on lui donne de l'arnica et du vulnéraire. Emotionué, il perd
connaissance et on le transporte chez lui. C'est alors que surviennent des
accidents bizarres. Il rend du sang noir par l'anus, a des vomissements
! tu NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE..
sanglants, puis le ventre se ballonne, devient douloureux, et il a des vomis-
sements bilieux et de la rétention d'urine. On croit à une péritonite et on
applique de la glace sur le ventre. Après deux mois de séjour au lit il veut
se lever, mais ses jambes ont peine à le supporter, et c'est avec difficulté qu'il
retourne à son ouvrage, ne se livrant qu'à des petits travaux. Un jour, en sou-
levant un sac de plâtre il ressent une douleur plus vive dans le dos; ses
jambes se dérobent et il tombe par terre avec une paralysie des mem-
bres inférieurs. Son patron l'emmène dans un service de chirurgie, et là on
l'examine ; le chirurgien l'interroge et diagnostique un mal de Pott. Il
avait jadis craché le sang, se plaignait de douleurs en ceinture, de troubles
des fonctions urinaires; il était chétif, et on pouvait supposer que le trau-
matisme avait exagéré le mal de Pott et déterminé une compression de la
moelle. On l'enveloppe dans un appareil silicate pour immobiliser le tronc,
on lui met des pointes de feu le long de la colonne vertébrale, et, après
trois mois de séjour au lit, dans le repos absolu, on veut le faire lever, mais
la chose est impossible. On est alors étonné de constater que les douleurs
rachidiennes soient si vives, que la paralysie vésicale ait disparu, puis sur-
tout que surviennent des attaques convulsives. On l'examine de nouveau,
on songe alors à l'hystérie masculine et on trouve tous les stigmates de la
névrose. Si l'hystérie est certaine, on se demande cependant s'il n'y a pas
autre chose, si en même temps il n'existe pas un mal de Pott. C'est dans
cette incertitude que ce malade est envoyé à la Salpêtrière.
État actuel. Jeune homme d'aspect un peu délicat, vivant dans de
bonnes conditions hygiéniques, ne se surmenant pas, se nourrissant bien et
ne faisant aucune espèce d'excès. Dans la région dorsale existe un point,
douloureux superficiel dont l'effleurement amène des phénomènes d'aura.
On déterminerait même une attaque. C'est une zone hystérogène. D'autre
part, il n'y a pas de déformation. « Il n'y a donc pas de mal de Pott. et toutes
les apparences de cette affection s'évanouissent devant l'étude des seuls
symptômes douloureux que notre malade présente : c'est là du moins une
hypothèse inutile puisqu'on comprend tout sans cela. » S'il n'a pas de mal de
Pott, il n'a pas non plus de myélite. Les caractères de la monoplégie cru-
rale sont suffisants à eux seuls pour qu'en dehors de tout autre examen on
puisse les rattacher à leur véritable cause : l'hystérie traumatique. Il y a un
hémi-tremblement du côté droit, surtout quand le malade veut marcher. Dans
le membre inférieur droit, l'impotence est presque absolue, le membre
est flasque, inerte, avec un peu d'arthralgie du côté de la hanche. Sa
démarche est celle de la paralysie hystérique.
Troubles de la sensibilité. Le membre inférieur est insensible sans
aucune relation avec la distribution des nerfs, aucun rapport avec une lésion
spinale. Cette anesthésie est limitée en avant par le pli de l'aine, en arrière
par la crête iliaque. Le membre est anesthésié morphologiquement. Cette
anesthésie est complète, superficielle et profonde. Les sens musculaire et
articulaire sont abolis; la sensibilité électrique aussi, quoique la contracti-
lité électrique soit normale. Réflexes normaux, peut-être un peu exagérés.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 141
Cette observation se passe de commentaires. M. le professeur Charcot
montre sans peine que les nerfs périphériques, la moelle, le mal de Pott
ne pourraient expliquer ces accidents. Une lésion encéphalique ne les
expliquerait pas davantage. On ne peut avoir affaire qu'à une paraplégie
hystérique, et le fait est aussi certain que possible. Quand on ren-
contre une paralysie possédant les caractères précédents, on peut
être certain qu'il s'agit d'une paralysie hystérique; « il n'est pas
possible qu'il s'agisse d'une paralysie d'un autre ordre ».
1
Obs. XXVIII (Berbez, Hystérie et traumatisme. Th. de Paris, 1887. p.106).
Paralysie hystéro-traumatique consécutive ci une contusion des membres
inférieurs (fig. 29, 30).
142 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Dans l'observation de M. Berbez, comme dans le cas précédent, la
simulation d'une paraplégie organique était manifeste. Le traumatisme,
les ecchymoses, la paralysie des membres inférieurs, etc., tout pouvait
faire croire à une lésion médullaire. M. Charcot démontra que tous
ces phénomènes relevaient de l'hystérie, et l'événement vint lui donner
raison.
La distribution seule de l'anesthésie suffirait, à défaut d'autres signes,
pour pei mettre de reconnaître la. paraplégie hysléro-lraumalique.
On peut expérimentalement produire des paraplégies analogues,
avec une distribution identique de l'anesthésie cutanée. Nous avons
fait, suivant le procédé de M. Charcot, les expériences suivantes : un
sujet hystérique et hypnotisable est plongé artificiellement dans la
période somnambulique du grand hypnotisme; il suffit de frapper
modérément, avec la main, la région dorsale, pour déterminer une
paralysie des membres inférieurs. Cette paralysie motrice s'accom-
pagne de troubles de la sensibilité cutanée dont la délimitation est
identique à celle que l'on constate dans les paralysies hystéro-trauma-
tiques. Nous avons fréquemment répété ces expériences, en nous
entourant de toutes les garanties possibles. Nous avons choisi des
sujets « neufs », n'ayant jamais été soumis à des expérimentations de
ce genre. Nous n'en rapporterons ici que trois exemples, les autres
étant identiques.
Expérience ! . -S...er, jeune fille hystérique de vingt-deux ans(Hémianes-
thésie droite). Elle est mise dans la période somnambulique, et sans qu'elle
s'en aperçoive, sans qu'elle ait su de quoi il pouvait bien s'agir, nous frappons
un coup modéré sur la région dorsale de la colonne vertébrale. Elle se plaint
aussitôt d'une douleur au poiut frappé, de lourdeur et d'engourdissements
dans les membres inférieurs. C'est comme si elle n'avait pas de jambes, dit-
elle, et elle tombe paraplégique. L'anesthésie cutanée, qui ne siégeait avant
l'expérience que du côté droit, occupe les deux membres inférieurs ; elle
est complète pour tous les modes de sensibilité; elle est délimitée supé-
rieurement (fit. 31 et 32) par une ligne très nette qui suit le pli de l'aine jusqu'à à
l'épine iliaque antéro-supérieure, longe la crête iliaque ou une ligne paral-
lèle située au-dessous, puis à la face postérieure du tronc s'incline est bas et
en dedans, suivant la ligne d'insertion du muscle grand fessier, et vient, au
niveau du cofcyx, se réunir à celle du côté opposé. Elle respecte ainsi les
organes génitaux et le sacrum, et décrit un double V sommet pubien en
avant, à sommet coccygien en arrière (les deux V antérieur el postérieur étant
réunis à droite et à gauche par une ligne courbe à convexité supérieure). Le
sens musculaire elle sens arlirrrlaire sont abolis dans les divers segments
des deux membres inférieurs. La motricité est complètement abolie dans
ces membres. Les réflexes rotuliens sont conservés. Chez S...er, qui est
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». )i3
hémianesthésique droite, durant ces expériences, l'anesthésie se concentre
dans les deux membres inférieurs et quitte le reste du corps.
Expérience II. Camille B..., vingt-deux ans, hémiplégie gauche d'origine
hystérique guérie. Seule l'hémianeslhésie a persisté. Elle esl plongée dans la
période somnambulique et le même traumatisme donne lieu à la même para-
plégie. Les troubles moteurs sont identiques aux précédents. L'anesthésie
cutanée est encore délimitée de la même manière. La limite supérieure ne
monte pas aussi haut que les figures 8 et 9 l'indiquent. Il y a en ce point
une zone où la sensibilité est simplement affaiblie.
Expérience III. Henriette R..., treize ans, est entrée il la clinique pour
un pied bot hystérique guéri actuellement. Elle ne présente pas d'anesthésie
cutanée. Plongée dans la période somnambulique et « traumatisée » expéri-
mentalement, elle tombe brusquement avec une paralysie des membres
inférieurs. Les troubles moteurs sont analogues à ceux des deux expériences
précédentes. L'anesthésie est délimitée comme dans les deux cas précédents;
sa limite supérieure est un peu moins élevée en avant et en arrière.
i-'ic ni.
1 Fie. 3-2.
Limiles supérieure ! , 1';inesLllésie dans lu paraplégie hystérique expérimentale.
FIGURES 33 A 45 (d'après Thornburn)'
Distribution de l'anesthésie dans diverses lésions des nerfs de la queue de cheval
(compressions, tumeurs, luxations et fractures vertébrales, etc.)
14C NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
En somme, ces paraplégies expérimentales (chez des hystériques
hypnotisées), consécutives à un léger traumatisme, rappellent les para-
lysies hystéro-traulllaliques que l'on voit dans les services hospita-
liers : elles sont caractérisées par une impotence motrice complète,
par la conservation des réllexes rotuliens, par la perte des sens mus-
culaire et articulaire, par une anesthésie cutanée complète et totale,
exclusivement limitée aux membres inférieurs et dont la limite supé-
rieure est représentée par une ligne bien nette reproduite par les figu-
res 8 et 9. Si on veut comparer ces caractères avec ceu x que présentait
la paraplégie de Lelog (obs. XXVIII), on se convaincra de l'identité de
ces deux variétés de paralysies. L'anesthésie respecte les organes géni-
taux : c'est là un caractère qui, joint à la délimitation supérieure de
ces troubles de la sensibilité, suffirait pour en ré\éler l'origine hysté-
rique.
Bref, les limites de l'anesthésie dans les paraplégies hystériques ne
répondent ni à une lésion des nerfs des membres inférieurs, ni à une
lésion spinale; elles ne sont pas anatomiques; elles sont « morpholo-
giques », suivant l'expression caractéristique de M. Charcot. Elles ne
sauraient répondre, disons-nous, à une lésion de la moelle ou des
nerfs. Qu'on en juge plutôt par les schémas précédents que nous em-
pruntons à l'ouvrage remarquable de Thornburn' (fig. 33, z.....45).
La comparaison de ces diverses figures nous évitera d'entrer dans des
descriptions fastidieuses.
uns. XXIX (Thornburn, loc. cit., p. 72). Fracture et luxation de la
dixième vertèbre dorsale.- L. J., mineur, trente ans, est admis le 8 décem-
bre 1888 dans le service de M. Vhitehead. Quelque temps auparavant, en
travaillant aux mines, il avait reçu sur la région dorsale un quartier de roc.
Il tomba immédiatement privé de connaissance. A son entrée, on constatait
une légère proéminence au niveau de la onzième dorsale. Le 11 décembre,
il l'ut vu par Thornburn qui constata la légère saillie précédente avec un peu
d'oedème dans la région lombaire.
La pression à ce niveau n'est pas douloureuse. Les membres inférieurs
sont complètement paralysés, le tronc et les membres supérieurs sont nor-
maux. Absence des réflexes tendineux et crémastérien. - L'anesthésie C1l-
tanée est complète un peu au-dessous du ligament de Fallope ; au-dessus de
ce point, dans une étendue de quatre travers de doigt, elle est partielle
(fi ? l6).- Le yénis et le scrotum sont anesthésiés. L'introduction d'un
cathéter n'est pas perçue jusque dans la vessie. Rétention d'urine et
constipation depuis l'accident. Puis une cystite survient.
Février 1889. Nouvel examen minutieux. La paralysie du mouvement
1. ThQrnburn, A contribution to the surgery of the spinal cord, London, 1889.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS 1). 147
et de la sensibilité est encore complète dans les membres inférieurs, qui
s'atrophient. Les réflexes sont toujours abolis. La limite supérieure de
l'anesthésie correspond à peu près à la limite iniérieure de laderniere paire
dorsale. Incontinente d'urine. L'urine reste saleel purulente. Tempéra ure
irrégulière, souvpnl au-dessus de la normale. Fond des yeux normal. - Aeril
1889. Pas de changements appréciables. Les membres inférieurs sont ri-
gides ; ils sont atrophiés; la peau est sèche, ulcérée. Les réflexes sont toujours
absents. La vessie retient partiellement les urines, qui sont moins sales et
moins purulentes.
Nous avons rapporté cette observation comme terme de compa-
raison, pour montrer les rapports des paralysies organiques et des
paraplégies hystériques, toutes deux d'origine traumatique. La confu-
sion est possible. Il est cependant un figoe différentiel de haute valeur,
c'est la délimitation supérieure, c'est la distribution de l'anesthésie cu-
tanée. Ces caractères sont tels qu'il est impossible de confondre ces
deux groupes de paraplégies.
Fixe. 46. - Distribution de l'anesthésie (plaie de la moelle au niveau de la dixième vertèbre dorsale).
148 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
En définitive, lorsqu'on se trouve en présence d'un malade qui,
consécutivement à un traumatisme, se trouve frappé de paralysie des
membres inférieurs, il faut donc penser à l'hystérie. Il n'est peut-être
qu'un seul signe qui permette d'affirmer, à coup sûr, la présence
exclusive de l'hystérie ou d'une lésion spinale : c'est la distribution
de l'anesthésie cutanée.
Dans la névrose, l'anesthésie a des limites nettes, segmentaires, « mor-
phologiques » respectant les organes génitaux et la région sacrée; elle
est limitée supérieurement par une ligne courbe que nous avons déjà
démarquée (fit. 29, 30, 31, 33).
Dans les paraplégies spinales, les limites supérieures de l'anesthésie
cutanée sont en rapport avec la hauteur de la lésion ou de la compres-
sion médullaire. Elles sont représentées par une ligne droite, plus ou
Fin. 17. Pic. 4R.
Distribution de l'anesthésie dans un cas de myélite transverse.
ETUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES tt SIMULATEURS)). 1d.9
moins perpendiculaire à la ligne médiane du corps, passant, suivant les
cas, au-dessus ou au-dessous de l'ombilic. Parfois on trouve au-dessus
de cette ligne une zone étroite d'hyperesthésie. Non seulement l'anes-
thésie cutanée atteint ici les membres inférieurs, mais encore les
organes génitaux, l'abdomen, les régions sacrée et lombaire, dans
une hauteur variable (fin. 46, au, 48).
L'anesthésie consécutive aux lésions des nerfs a une distribution
bien différente. Cette distribution dépend avant tout des nerfs lésés;
elle est localisée à une ou plusieurs branches de ces nerfs et au terri-
toire cutané correspondant (fig. 33 à 45). Inutile d'insister davantage.
Il est en outre un certain nombre de symptômes qui ont quelque
valeur diagnostique. Ce sont les eschares, la cystite purulente, fré-
quentes dans les paraplégies spinales, inconnues ou bien exception-
nelles dans la paraplégie hystérique.
La perte des ré/lexesrotnlicl1s est exceptionnelle dans la paraplégie
hystérique, commune dans les paralysies médullaires d'ordre trauma-
tique. L'incontinence d'urine est beaucoup plus fréquente dans la
catégorie des altérations spinales. L'atrophie musculaire considérable
est la règle dans celle-ci ; elle est plus rare dans l'hystérie. La douleur
rachidienne osseuse, sans hyperesthésie cutanée, sans aura; les four-
millements, les engourdissements dans les pieds et les jambes, la
fièvre, etc., plaideront plutôt pour une lésion médullaire.
En somme, on peut admettre trois groupes de signes différentiels.
Pour la lésion spinale, on aura :
1° Des signes de présomption : atrophie musculaire, incontinence
d'urine, élévation de la température, fourmillements douloureux,
rachialgie osseuse, abolition des réflexes, troubles électriques;
2° Des signes de qltasi-certitude : eschares, cystite purulente;
3" Des signes de certitude : distribution de l'anesthésie cutanée.
Si, dans ces conditions, on ne trouve aucun stigmate d'hystérie, la
lésion médullaire' suffira à tout expliquer. Si l'hystérie coexiste, il
faudra faire la part des deux.
Que la névrose existe seule ou qu'elle soit associée il une altération
organique de la moelle, le mode de début et l'évolution fourniront
encore des renseignements utiles.
Le début est d'ordinaire brusque s'il y a lésion de la moelle. Au
contraire, les paraplégies hystériques, ainsi que l'a fait voir M. Char-
cot, ne s'installent pas sur-le-champ. Pendant quelques heures,
quelques jours, le malade peut vaquer à ses occupations; il médite sa
paraplégie, il voit souvent en rêve les diverses péripéties de l'acci-
dent, et, par un phénomène bien naturel d'auto-suggestion, il réalise
150 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
psychiquement sa paralysie avant de l'objectiver. Il n'est pas rare
cependant que l'impotence, même dans le cas de paraplégie hystéro-
traumatique, ne s'installe aussitôt après l'accident, mais il ne s'agit pas
là d'une véritable paralysie; l'impotence relève alors des contusions,
des plaies, des ecchymoses, des phénomènes douloureux qui suivent
si souvent le traumatisme et qui, condamnant le malade au repos et à
l'immobilité absolue, peuvent faire croire à une paraplégie authentique.
Ce sont là des notions qui ont leur importance et qu'il faut bien con-
naître : elles peuvent mettre sur la voie du diagnostic.
A. SOUQUES,
Interne (Médaille d'or)
de Clinique des m<t1",dic., du sstème nerveux.
(il suivre.)
. DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE
COMBINÉE A LA PARALYSIE GLOSSO-LAB10-LARYL\GÉE
ET A L'ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE
LÉSION SYSTÉMATIQUE DES NOYAUX MOTEURS
(Polioencéphalomyélite)
(Suite')
Uns. XXVIII. Polioencéphalolllyélite (personnelle).
Homme de 60 ans, médecin.
Les antécédents héréditaires ne sont pas'connus.
Dans les antécédents personnels on relève que le malade a dans sa jeu-
nesse élé al lein d'épilepsie( ? ). Celle maladie aurai 1 cessé complètement depuis
trente ans. Il y a quarante ans il eul un chancre mou, non suivi de symptômes
secondaires. Il se maria dans la suite et eut plusieurs enfants bien portants.
11 y a dix ans il souffrait assez fréquemment de migraines. En 1889 il eut un
catarrhe de la vessie.
Histoire de la maladie actuelle. Eu janvier 1890 le malade fui atteint,/
de l'influenza, qui guérit bien. Quelque temps après, il s'aperçut que dans l
l'espace de quinze jours, sa paupière supérieure se paralysait peu à peu. Puis \
survint de la diplopie, enfin la paupière supérieure droite se prit à son tour
et à ce moment le malade était affecté d'un double ptosis. A ce moment il
existait une ophthalmoplégie externe complète des deux côtés, constatée par
un médecin de Varsovie qui fit des ce moment le diagnostic de polioencé-
phalite supérieure de Wernicke.
Les choses restèrent en cet état pendant quelque temps. Il n'existait alors
aucune atrophie de membres. Les membres inférieurs présentaient seulement
un certain degré de faiblesse ou pour mieux dire, le malade, par suite d'une
sorte de sensation de tremblement des genoux, ne pouvait facilement rester
debout. Mais il marchait bien et sans fatigue.
Bientôt le mal s'aggrava et on vit apparaître une parésie des extenseurs des
doigts de la main gauche et plus tard de la main droite. En même temps
les forces se perda ent et les muscles s'atrophiaient et devenaient mous et
flasques dans les deux membres supérieurs.
Enfin dans les derniers temps apparut un certain degré de parésie du nerf
facial gauche.
Tous ces renseignement sont rapportés d'après les notes prises par le
1. Voy. les nO' 5 et 6, 1890, et 1, 1891.
152 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
premier médecin qui vit ce malade et fit le diagnostic de polioencéphalite
supérieure. Le traitement consista surtout dans l'électrisation des muscles
atrophiés, l'administration de l'iodure de potassium à l'intérieur. Un profes-
seur de Vienne prescrivit des frictions mercuriellcs, qui furent suivies d'une
salivation modérée et ne furent point poussées par le malade au delà de
huit. Tout cela resta sans influence bien nette sur l'évolution de la maladie,
qui était d'ailleurs sujette, presque d'un jour à l'autre, à des oscillations tout à
fait remarquables. C'est ainsi que du jour au lendemain, quelquefois dans
l'espace d'une même journée, ou pendant la nuit, le ptosis et l'immobilité des
globes oculaires diminuait, pour reparaître ensuite avec la même intensité,
diminuer encore et ainsi de suite. 11 en était de même pour la parésie des
membres supérieurs.
État actuel (juin 1890). Le signe le plus frappant est le double ptosis,
qui est très accentué des deux côtés, mais surtout à gauche. Le bord libre de
la paupière supérieure couvre plus de la moitié de la cornée et le malade
pour voir est obligé de relever la paupière avec son doigt. Il existe à droite
et à gauche une ophtalmoplégie externe, non tout à fait complète, mais les
quelques mouvements qui persistent (abaissement) sont extrêmement res-
treints. La diplopie est presque continue et force le malade à ne jamais
regarder que d'un oeil. Pour regarder devant lui ils oulève, la paupière avec
le doigt et renverse la tête en arrière afin de relever le globe oculaire que le
droit supérieur est impuissant à mettre en mouvement.
On ne constate pas de signe bien net de paralysie faciale nucléaire. Le
front présente à peu près ses plis transversaux normaux. L'oeil se ferme
entièrement par la volonté; il n'existe ni à droite ni à gauche de paralysie
de l'orbiculaire des paupières.
Mais on peut constater quelques signes, peu accentués à la vérité, de
paralysie bulbaire inférieure. Il existe une certaine gêne et un certain degré
de fatigue dans la mastication. A vrai dire l'orbiculaire des lèvres n'est pas
nettement paralysé, le malade ne laisse pas écouler sa salive par les com-
missures labiales, mais il ne peut pas bien serrer ses lèvres « en cul de
poule » et ne peut siffler. On n'observe aucun trouble de la déglutition, pas
de nasonnement, pas d'atrophie de la langue.
La tête est légèrement penchée en avant, à cause de la faiblesse des muscles
de la poche postérieure du cou. On ne constate cependant pas de déformation
bien nette de cette région ni d'atrophie manifeste des muscles. Ceux-ci ré-
sistent peu au mouvement passif de flexion de la tête en avant.
Au niveau des membres supérieurs, la faiblesse va presque jusqu'à la pa-
ralysie. L'atrophie est très accentuée au niveau du deltoïde et des pectoraux
des deux côtés, du biceps à gauche. Aux avant-bras, on constate outre un
certain degré d'amaigrissement et de faiblesse des fléchisseurs, une atrophie
très considérable et une impotence des extenseurs de la main et des doigts.
A gauche le deuxième, le troisième et le quatrième doigts, à droite le petit
doigt, sont complètement tombants et ne peuvent être relevés. Les émi-
nences thénars et hypothénars des deux côtés sont relativement conservées ;
DE L'OPHTHAL111OPLÉGIE EXTERNE. 153
l'atiophie n'est pas très manifeste au niveau des espaces interosseux des
mains et il n'existe pas de déformation de la main en griffe. Des deux côtés
les muscles longs supinateurs sont relativement conservés.
Les membres inférieurs sont affaiblis, mais on n'y peut constater aucune
trace d'atrophie véritable. Les réflexes tendineux du genou sont normaux;
ceux des membres supérieurs sont complètement absents.
La sensibilité est intacte dans tous ses modes sur toute l'étendue de la surface
cutanée. Le malade se plaint d'une sensation très vive de refroidissement au
niveau des paupières, des mains et des genoux ; mais on ne constate pas en ces
points, ni ailleurs et le malade n'y a jamais observé de changement de colo-
ration ni de troubles trophiques véritables.
Le malade dit avoir fréquemment constaté l'existence de secousses fibril-
laires dans les muscles atrophiés de ses membres supérieurs.
Les réactions électriques des muscles n'ont pu être recherchées, le malade
ne s'étant trouvé soumis à notre observation que pendant un temps fort
court. Il retourna aussitôt dans son pays et nous avons appris plus tard qu'il
était mort au mois de juillet, sans connaître la cause de cette terminaison.
Il est possible qu'on ne doive pas l'attribuer au progrès de la maladie elle-
même. En effet le malade était médecin, se rendait parfaitement compte de
son état, s'exagérait même peut-être la gravité du pronostic et parlait de
mettre fin à ses jours. Il se peut qu'il ait succombé de cette manière.
Bien que cette observation soit un peu incomplète à certains égards,
elle n'en est pas moins parfaitement caractéristique. La combinaison
de l'ophthalmoplégie externe et de l'atrophie musculaire ne permet
pas le doute un seul instant.. z
Voici maintenant une observation empruntée à Rosenthal.
Ces. XXIX. Ophthalmoplégie nucléaire avec atrophie musculaire
progressive (Rosenthal 1).
Sujet de trente-huit ans, atteint cinq ans auparavant de chancre du gland.
sans symptômes secondaires certains. Pendant deux ans sa santé ne laissa
rien à désirer. Alors survinrent tout d'abord une diminution de la puissance
visuelle de l'oeil droit, puis de la diplopie, plus tard du ptosis, et une
paralysie du sphincter irien à l'accommodation, une paralysie du droit interne
et du droit inférieur du même côté; à gauche, ptosis, légère dilatation pupil-
laire et paralysie de l'abduccns.-Les phénomènes persistèrent une année
entière en dépit du traitement (traitement antisyphilitique, galvanisation).
Au bout de ce temps, anesthésie dans le domaine du trijumeau droit,
contracture intermittente des muscles de la face.
Six mois plus tard se développa une atrophie progressive du bras droit.
Faiblesse de la main, paralysie et atrophie du premier'interosseux, de l'émi-
1. Rosenthal. Nucleàre Oplttltalntoplegle mit progressive)- J1luskelatrophie (Soc. des med.
de Vienne, 4 décembre 1885), ill Centralblatt l'iir Nervenheilk., 1886, p. 15.
IV. Il
151 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
nonce thénar, diminution de l'excitabilité faradique, attitude incorrecte de
l'épaule; à cela s'ajoutèrent d'autres symptômes spinaux, comme la diminu-
tion des réflexes tendineux et l'impuissance génésique.
Il s'agit là d'un cas de complication de la paralysie nucléaire des
yeux par l'atrophie musculaire progressive. La lésion descendante,
après avoir porté sur le plancher du troisième ventricule et gagné le
plancher du quatrième ventricule, a épargné le bulbe pour envahir les
cornes antérieures de la moelle.
C'est aussi par les phénomènes oculaires, ptosis, diplopie, que la
maladie a débuté dans le cas de Sachs, et ce n'est qu'au bout d'un an
que l'atrophie du membre inférieur droit commença à apparaître. La
paralysie porte aujourd'hui sur tous les muscles de l'oeil, sauf le muscle
ciliaire, et l'atrophie très accusée est étendue à toute la jambe droite.
Certains muscles ne réagissent plus au passage du courant, d'autres
présentent la réaction de dégénérescence. Les réflexes patellaires sont
absents et les réflexes cutanés paresseux. Et cependant n'y a ni ataxic,
ni signe de Romberg, ni troubles de la sensibilité. L'état général du
malade est excellent et l'affection, dont le début remonte à quinze ans,
est complètement éteinte depuis longtemps.
OBS. XXX. Poliencéphalite supérieure (ophthalmoplégie nucléaire)
et poliomyélite (B. Sachs1).
II. M..., quarante ans, homme très robuste, d'une intelligence peu commune ;
né à New-York, marié depuis quatorze ans. Un frère bien portant; un frère
mort de soif dans le désert d'Arizona. Ses parents sont morts : son père est
mort de la fièvre jaune à la Nouvelle-Orléans en 1858; sa mère est morte
d'une paralysie qui commença par les pieds et dura sept à huit ans. Dans son
jeune âge il avait le tempérament bilieux, avait des vomissements de temps
à autre et souffrait du mal de tête; quant au reste, il était d'une bonne santé.
Il resta à l'école jusqu'à douze ans; puis partit, à l'âge de quatorze ans, pour
Mexico où il apprit un métier.
Il avait seize ans lorsqu'un jour, à la suite d'une lecture prolongée, il
tomba sans connaissance et se brûla la tempe contre un poêle (il en porte
encore les marques). Au bout de quelques heures il revint à lui. Trois mois
après, nouvelle attaque ;î la suite d'une lecture; plus tard enfin il eut une
troisième attaque. Aucune d'elles ne laissa de paralysie à la suite. Jusqu'à
vingt ans il n'eut pas d'autre maladie. Dans un voyage au Pérou, il fit une
chute de cheval, se contusionna le coude et se blessa au bras; la guérison
fut complète. ,
1. B. Sachs, Polience¡¡halitis superior (nuclear o}Jhllwlmoplegia) and polioillyetitis
(American Journal of the médical science, sept. 1889).
DE L'01'll'l'llALJ101'LCIE EXTERNE. 155
A vingt-cinq ans il était en Europe, lorsqu'un jour il éprouva une forte dou-
leur dans l'oeil gauche. Au moment de son retour à New-York, la paupière
gauche se ferme complètement. Pendant un voyage en Australie, la paupière
droite tomba à son tour. On le soumit au traitement électrique; il se produi-
sit une certaine amélioration du côté de l'oeil gauche; mais l'état de l'oeil
droit s'aggrava : les deux pupilles étaient dilatées (examen du médecin). Sur-
vinrent alors la diplopie et de petites ulcérations de la cornée du côté gauche.
Le médecin australien suspecta une tumeur du cerveau. Le malade avait des
céphalalgies intenses. L'inflammation de l'oeil gauche était si violente, les
lésions étaient telles, que le médecin conseilla l'énucléation du globe de l'oeil.
Le malade refusa et vit les accidents inflammatoires disparaître à la suite
d'un voyage en mer.
C'est à cette époque qu'apparurent les premiers phénomènes du côté des
jambes : un jour qu'il se promenait sur le pont du bateau, il sentit le genou
droit se fléchir brusquement. Quelques jours après, le même fait se repro-
duisit. Il refusa la place de stewart qu'on lui offrait, parce qu'il ne pouvait
bouger son membre inférieur droit d'un centimètre (orteils, jambe, cuisse).
Le capitaine lui ordonna un bain chaud, une pilule bleue, etc.
Il y a treize ans, alors qu'il était à Orégon, il se souvient qu'il ne pouvait
garder ni son urine ni ses matières. La jambe gauche n'a jamais été atteinte.
Il refusa de se soumettre au traitement iodé, parce qu'il n'avait pas eu la
syphilis. Sa paralysie du côté droit l'obligeait à se servir de béquilles. Le
médecin qui l'examinait lui trouva un point sensible entre les épaules et lui
administra de la strychnine. Pendant six mois il dut s'appuyer sur une canne
pour marcher. Il pouvait mouvoir le genou et la hanche, mais non le cou-
de-pied et le gros orteil. Les yeux étaient restés à peu près dans le même
état; il n'en souffrait pas.
A Panama, il contracta la malaria, eut la fièvre pendant un an. Une fois
rétabli, il travailla beaucoup là-bas, puis alla à Jacksonville. Un jour il ne
put lire son journal.
L'an dernier, à son retour à New-York, il fut examiné par le Dr Grüning
qui lui fit l'iridectomie de l'oeil droit sans améliorer la vision et lui releva
plus tard la paupière et lui rendit ainsi la vue. De nouveau il alla à Panama,
d'où il revint à New-York sept semaines après.
Enfin il entra à l'hôpital où Sachs eut l'occasion de l'examiner.
Le malade nie la blennorrhagie et la syphilis. On ne trouve du reste pas
trace de ces affections. Il ne fait pas d'excès de boisson ni d'excès vénériens.
C'est un grand fumeur de cigarettes. Il ne souffre pas, n'a pas de mal de tête.
Robuste, bien bâti, il ne présente aucune altération des organes thoraciques
ou abdominaux; la rate seule est un peu grosse. Ce qui frappe le plus dans la
physionomie du malade c'est le double ptosis, ptosis qui, étant donnée l'opé-
ration pratiquée sur la paupière gauche, est actuellement plus marqué à
droite. La cornée de ce côté présente des taches. Iritis ancienne; coloboma
en haut, Pupille droite non visible; pupille gauche dilatée.
156 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Examen des yeux par Friedenberg :
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 157
Les symptômes qui précèdent, dit Sachs, ne peuvent être inter-
prétés autrement que dans le sens d'une paralysie nucléaire et d'une
poliomyélite.
La perte des réflexes pouvait faire penser à un tabes dorsal comme
dans le cas de Westphal; mais tous les signes de cette affection font
défaut. La perte des réflexes à gauche, sans atrophie, sans réaction
musculaire anormale, prouve que la moitié gauche de la moelle n'est
que très légèrement touchée.
L'observation de Bristowe se rapproche de la précédente par la
marche extrêmement lente de l'affection. Caractère particulier, l'atro-
phie des membres supérieurs, qui a débuté par les muscles de l'épaule,
ne s'est manifestée que douze ans après la diplopie et sept ans après le
ptosis. - ? ? -' ...-- ?
Ons. XXXI. Ophthalmoplégie externe et atrophie musculaire (John
Bristowe'). 1
John M., cuisinier, âgé de cinquante-trois ans, vient me consulter àj
trois reprises pendant l'été de 1884. A l'exception de la syphilis, il a joui
d'une excellente santé jusqu'il y a douze ans.
A cette époque, il eut pour la première fois de la diplopie. Cinq ans plus
tard, ses paupières commencèrent à tomber. Quatre ans après, il eut de la
faiblesse et de l'atrophie des muscles de l'épaule gauche et ensuite du bras.
Plus tard, le bras droit et les cuisses furent semblablement affectés. Enfin
les symptômes oculaires ont quelque peu varié; il lui est arrivé bien des fois
de voir très bien.
Il a souffert autrefois de la goutte.
Le malade présente une ophthalmoplégie externe presque complète.
Il a très peu d'action sur ses paupières supérieures, qui couvrent la moitié
de la cornée et de la pupille. Les globes oculaires sont proéminents et peuvent
se mouvoir très faiblement (dans un arc de 1/6 de pouce environ) en dedans
et en dehors; immobilité complète dans tous les autres sens. Pas de paralysie
interne des yeux, pas d'altération de la vue, pas de troubles du fond de
l'oeil. Le masséter droit est un peu atrophié et le maxillaire inférieur tombe
de ce côté quand le malade ouvre largement la bouche. Il y a de la faiblesse
et de l'atrophie des deux épaules et de la partie supérieure des bras, et une
légère atrophie des avant-bras. Les cuisses sont amaigries : excepté la goutte
qui le tient aux pieds, il paraît qu'il marche bien.
Réflexes patellaires normaux; ni engourdissement dans les mains, ni
douleurs en éclair dans les pieds; aucun signe d'ataxie locomotrice.
1. John Bristowe, Cases of ophthalmoplegia, complicated with various otleer affections
of the nervous sgslenz (Rrain, october, 313-314, 1885. Case IV, p. 312. Ophthalmoplegia
externa. Wasting Palsy).
158 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DÉ LA SALPÊTRIÈRE.
Dans le cas de Seeligmüller, l'invasion de la colonne motrice
s'est faite non plus par le bulbe supérieur mais par la moelle. Les
noyaux commandant aux muscles des membres, les premiers lésés,
sont atteints depuis quatre ans et ceux de l'oculomoteur et de l'abdu-
\ cens depuis trois ans. Actuellement les origines nucléaires du facial,
de la cinquième paire motrice, de l'hypoglosse, du vague accessoire
(paralysie des sterno-mastoïdiens)etduglossopharyngien sont envahies
à leur tour. Par contre, les branches sensitives de la cinquième paire
aussi bien que celles des nerfs rachidiens n'ont nullement été touehées.
Les troubles de la sensibilité font complètement défaut et les sphinc-
ters fonctionnent normalement. Quant à l'amyotrophie, elle est généra-
lisée et, fait intéressant à noter, elle ne s'accompagne pas de réaction
de dégénérescence; les muscles atrophiés présentent simplement une
forte diminution de l'excitabilité électrique pour les deux espèces de
courant. Enfin, l'ophthalmoplégie externe n'est pas totale; elle res-
pecte à gauche les muscles élévateurs et abaisseurs du globe de l'oeil,
le releveur de la paupière et, à droite, le droit externe et le grand
oblique.
Ocs. XXXII. Poliencéphalomyélite chronique progressive (Scelig-
midler1).
Anna Schmidt, vingt-trois ans, fille d'un artisan de Nudcrsthof, près Wit-
tenberg, entrée à la Clinique des maladies nerveuses le 16 janvier 1889.
Elle souffre depuis quatre ans d'une sensation de faiblesse et de pesanteur
dans les quatre membres et dans le cou. La maladie a commencé après une
peur violente (on avait frappé le soir à la fenêtre) et s'est aggravée à la suite
de peines et d'émotions. D.epuis trois ans après une chute sur la joue droite,
s'est ajoutée au sentiment de faiblesse dans les extrémités une paralysie de
l'oculo-moteur droit qui persiste encore aujourd'hui. La faiblesse s'étant
accrue, elle dut abandonner sa place de servante et vint chercher à Halle les
secours de l'art.
État le 16 janvier 1889. La malade fait actuellement encore l'impression
d'une jeune fille au teint florissant, ayant de l'embonpoint, bien musclée,
bien portante. Par contre, il existe un affaiblissement musculaire des extré-
mités. Les mains serrent faiblement des deux côtés, surtout adroite. L'éléva-
tion des bras atteint à peine à 45° ; quand on élève les bras jusqu'à l'horizon-
tale, ils retombent aussitôt, surtout le bras droit. La flexion de la cuisse sur
le bassin ne peut atteindre l'angle droit; cependant la patiente affirme qu'elle
peut après le repas faire une course de quelques heures ; elle peut aussi se
tenir pendant un certain temps élevée sur les orteils ; mais elle ne peut se
servir des mains que lorsque les coudes ont un appui.
1. Secligmüller, Ein Fall von chronischen progressiven l'oliencehlialomelilis (Nw-
rologisclies Cenlralblalt, 15 mars 1889, n° 6).
DE L'OPHTIiALIIIOPLÉGI1'J EXTERNE. 159
Les deux deltoïdes, les triceps, les sternomastoïdiens et les vastes externes
sont très atrophiés, et flasques en proportion. Par suite de l'atrophie de ces
derniers la surface externe de la cuisse semble aplatie; à ce niveau on sent
aisément le fémur, tandis que celaestimpossible au travers du muscle droit
et du muscle crural.
L'examen électrique montre une forte diminution de l'excitabilité pour les
deux espèces de courant.
A droite comme à gauche, les muscles suivants : deltoïdes, surtout
le droit, triceps, vaste externe au bras, vaste externe, long et court exten-
seur commun des orteils, extenseur propre du gros orteil à la jambe, aussi
bien que les muscles abdominaux au tronc, ne présentent pas la réaction de
dégénérescence. Les sterno-cléido-mastoïdiens réagissent normalement.
Ce qui frappe avant tout dans la physionomie, c'est le ptosis droit.
M. Graefe a eu l'obligeance de me communiquer le résultat de son explo-
ration du 28 janvier.
I. Côté droit, sont :
160 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
l'élévation de la tête ne peut elle-même s'accomplir qu'imparfaitement en
raison des contractions alternantes et saccadées des deux sterno-mastoïdiens
devenus minces comme des cordes.
L'abduction de la cuisse dans la station debout ne peut être produite qu'à
un très faible degré ; elle est moins imparfaite dans le décubitus dorsal,
néanmoins ce mouvement peut être arrêté en déployant une force très mi-
nime. L'adduction se fait bien; les adducteurs ont conservé leurs réactions
électriques normales et paraissent encore fermes.
Les fessiers sont flasques et peu excitables faradiquement.
Le visage paraît amaigri. La mastication est longue, s'accomplit difficile-
ment ; il en est souvent de même de la déglutition. La patiente ne peut plus
faire la moue, ni siffler.
f La vessie et le rectum fonctionnent normalement. Les règles sont venues
t régulièrement jusqu'à présent toutes les quatre semaines. Elles existaient le
jour du premier examen, le 16 janvier, et c'est à cela qu'il faut peut-être
rapporter la sensibilité à la pression de l'ovaire gauche qui existait alors,
mais qui a disparu depuis ; il en est de même de la sensibilité à la pression
de la colonne vertébrale et de la région rachidienne qu'on rencontrait ce
jour-là et qu'on ne retrouve plus aujourd'hui, et de la douleur lancinante au-
dessus de la hanche gauche.
Au reste, les troubles de la sensibilité (anesthésie, paresthésie) ont cons-
tamment fait défaut.
L'ensemble symptomatique de ce cas appartient donc à la polio-
myélite chronique et à la poliencéphalite supérieure et inférieure.
11 est plus douteux qu'anatomiquement il y ait une réelle inflamma-
tion. Il faut exclure la syphilis, encore moins faut-il invoquer une
' autre cause infectieuse. En tous cas, il s'agit d'un processus qui a peu
à peu envahi les noyaux de la colonne grise antérieure de la moelle et
de la substance grise du deuxième au troisième ventricule; de telle
sorte que, il y a quatre ans, les noyaux commandant aux muscles des
membres ont été les premiers lésés, que ceux des muscles oculaires
indiqués (oculomoteur et abducens) ont été pris depuis trois ans, et
qu'en dernier lieu ont été touchés les noyaux bulbaires du facial,
de la première paire motrice, de l'hypoglosse, du vague accessoire
(paralysie des sterno-mastoïdiens) et du glosso-pharyngien.
Les branches sensitives de la première paire aussi bien que celles
des nerfs rachidiens sont restées intactes jusqu'à présent.
GEORGES GUINON, EMILE PARlIIENTIEI1,
Chef de clinique à la Salpêtrière. Intorno (médaille d'or des hôpitaux).
. (A suivre.)
LES ROIS DE FRANCE ET LES ÉCROUELLES
Les rois de France, bien que tous n'aient pas été des saints, s'attri-
buaient le pouvoir de guérir les écrouelles. Il leur suffisait de les tou-
cher avec la main, en disant au malade : « Le roi te touche, Dieu te
guérit. »
Nos chroniqueurs ne sont pas d'accord sur l'origine de ce privilège.
Quelques-uns pensent qu'il remonte jusqu'au règne de Clovis. C'est
un fait bien connu que ce prince, ayant abjuré l'idolâtrie, fut baptisé à
Reims par saint Remi et oint de l'huile divine qu'une colombe avait
apportée du ciel. La vertu de guérir les écrouelles émanait précisément,
disent-ils, de ce saint chrême, qui servit dans la suite au sacre de tous
nos rois. Clovis ignora d'abord qu'il lui avait communiqué une si pré-
cieuse faveur. Parmi ses courtisans figurait un certain Lancinet, brave
guerrier atteint d'écrouelles, et qui avait tout tenté pour s'en délivrer;
même, suivant le conseil de Celse, il avait mangé deux serpents sans
qu'un mieux sensible se fût produit dans son état. « Un jour, comme
le roy Clovis sommeilloit, il luy fut advis qu'il touchoit doucement et
manioit le col et la playe à Lancinet, et qu'aussi-tost son lict fut tout
brillant et enflammé d'un feu céleste, et qu'à mesme instant Lancinet
se trouva guéri, sans qu'il parût aucune cicatrice. Le Roy s'estant levé
plus joyeux que de coustume, tout aussi-tost qu'il fut jour il fit son
premier coup d'essay, et essaya de le guérir en le touchant; et estant
arrivé comme il désiroit, avec l'applaudissement de tout le monde, en
ayant rendu généralement grâces à Dieu, tousjours depuis ceste grâce
et faculté a esté comme héréditaire aux rois de France, et s'est infuse
et transmise à leur postérité : la tenant purement de Dieu'. »
Il ne faut pas oublier que, comme les empereurs chrétiens de Cons-
tantinople, les rois de France, rois très chrétiens et fils ainés de l'Église,
unissaient à leur souveraineté temporelle un caractère religieux et
presque sacerdotal, émané de l'onction sainte qui les avait sacrés.
Juvénal des Ursins, archevêque de Reims, s'adressant à Charles VII lui
1. P. de Lancre, L'incrédulité et mescréance du sortilège, p. 160.
162 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
disait : « Au regard de vous, mon souverain seigneur, vous n'estes pas
seulement personne lave', mais prélat ecclésiastique; le premier en
vostre royaume qui soit, après le pape, le bras dextre de l'Église. »
Nos rois, écrit G. du Peyrat, Q participoient à la prêtrise. » Aussi
figuraient-ils parmi les chanoines de plusieurs églises, de Saint-Martin
de Tours, de Saint-Ililaire de Poitiers, des églises d'Angers, du
Mans, etc. Le jour de leur sacre, ils revêtaient sous le manteau royal
une dalmatique, vêtement des diacres. Enfin, comme les membres du
clergé, ils avaient lé privilège de communier sous les deux espèces du
pain et du vin, et de baiser la patène, non à l'envers, mais en dedans.
L'origine delà communion sous les deux espèces remonterait, pré-
tend-on, à Louis le Débonnaire, à qui il avait été prédit qu'il mourrait
empoisonné par une hostie. Mais, à dater de Louis XIII, nos rois ne
communièrent plus ainsi que le jour de leur sacre 9. Quand ils se sou-
mirent à la loi commune, ils s'attribuèrent le droit de choisir l'hostie
et d'en faire faire l'essai. On en plaçait, dit-on, dans un bassin d'argent
autant qu'il y avait eu de rois de France depuis Clovis3 ; le clerc de la
chapelle en avalait une et le roi désignait ensuite du doigt celle qu'il
voulait prendre4. On a écrit aussi que nos rois étaient encensés avec du,
feu sans parfum, coutume qui daterait de Philippe le Bel, présenté
comme ayant redouté l'odeur de l'encens.
D'après un traité attribué à Raban Maur, qui paraît n'avoir pas eu le
don de prophétie, « vers le fin du monde, les Roys de France tiendront
l'empire romain, et le dernier de leur race, qui passera en grandeur
tous les monarques des siècles passez, après avoir heureusement gou-
verné son Estat, ira en pèlerinage en Hiérusalem, puis sur le mont
Olivet déposer son sr.eptre et sa couronne, qui sera l'entière consom-
mation des monarchies et empires du monder »
Revenons à Clovis. Le touchant récit de la merveilleuse guérison du
brave Lancinet a rencontré des incrédules. Ceux-là n'admettent pas que
le don miraculeux de guérir les écrouelles soit antérieur au règne de
Robert. Tout le monde convient d'ailleurs que ses successeurs en
jouirent comme lui. Raoul de Presles disait à Charles V : « Voz devan-
ciers et vous, avez telle vertu et puissance, qui vous est donnée et attri-
buée de Dieu que vous faictes miracles en vostre vie, telles, si grandes et
apertes que vous garissez d'une très horrible maladie qui s'appelle les
1. Laïque.
2. Abbé Oroux, Histoire ecclésiastique de la Cour, t. II, p. 251.
3. Au XVII" siècle douze seulement, dit une relation manuscrite. Voy. Bibliothèque
Mazarine, manuscrit n° 2731, f° 59.
4. Guillaume du Peyrat, Histoire ecclésiastique de la Cour, 1615, in-folio, p. 785.
5. Voy. Guillaume du Peyrat, p. 371, 669 et 727.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. IV PI XV
HENRI IV TOUCHANT LES ÉCROUELLES
Frontispice DE l'ouvrage D'ANDRÉ DU LAURENS (1609)
LECROSNIER & BASÉ
EDITEURS
LES ROIS DE FRANCE ET LES ÉCROUELLES. 1G3
escroelles, de laquelle nul autre prince terrien ne peut garir, fors
vous »
Point fort controversé. Personne ne songeait à nier que les rois de
Hongrie eussent le pouvoir de guérir la jaunisse, les rois de Castille
les démoniaques et les rois d'Angleterre les épileptiques% mais
ces derniers prétendaient encore guérir les écrouelles a, ce dont ils
n'ont jamais fourni aucune preuve certaine. De bons esprits soute-
naient, en outre, que les écrouelles. étaient miraculeusement',guéries
par tout enfant qui ? venant' au monde une main en avant, a aussitôt
touché un cochon de lait ; par,le fils* aîné du baron d'Aumont, comte de
Châteauroux; par le/septième enfant d'un même père, sans
que la naissance'd'aucune fille fût venue se placer- entre 'eux- ; mais,
comme le fait très'- bien... observer.la princesse palatine, «on a connu
que ce n'étaitlàq4'up'eupé'rst,iion5 : }) ? ? '- -'
Cet affreux mal; : «" dont le-germe est û'ne- caêo'cllÍmie, l'apparence
d'un ulcère hideux'à'voir, dangereux au toucher0 et incurable, » était
tenu de disparaître sans autre formalité que L'attouchement de nos rois,
« et par la seule -parole; sans anneaux,, sans simples et'sans autres
ingrédiens et recettes particulières, ains vrayment par.miracle'. » Nous
verrons que le miracle ne* se produisait pas toujours et n'opérait pas
sur tous les malades. , - ^ '
La cérémonie avait lieu après le sacre de cliaqucisotiverain - - - 1 -, puis aux
veilles de fêtes solennelles;, Pâques, à la Pentecôte, à là Toussaint, à
Noël. Le prévôt de Paris faisait publier dans Paris que'le roi toucherait
les écrouelles tel jbur,et-énc tel-endroit, afin que les'malades s'y ren-
dissent de bon matinf Le premier médecin, les médecins ordinaires,
chirurgiens et barbiers les. visitaient à l'arrivée, et renvoyaient : ceux
qui ne paraissaient pas sérieusement atteints. Les autres étaient rangés
en plusieurs lignes, genoux et les mains jointes (PI. XV). Le roi arrivait,
avec une suite nombreuse de princes, de prélats et de gardes du corps.
Il s'approchait dé chaque malade, lui traçait sur le visage le signe de la
croix avec la main droite, en allant du front'au menton et d'une joue à
l'autre, puis répétait à chacun -ces, mots : Le roi-te touche, Dieu te
\".... i t ? 11 ......... ? J ? y' i. i Ji
1. Traduction de la Cité de Dieu, dédicace au- roi, édit. de 1,186, p. 2. - .. ' ,
2. Guillaume du Peyrat, p.<793. w * - "' '
3. Voy. ,1[achet/¡, acte IV, se. v. - '
4. Voy. Traité curieux de ta'guérison des- écrouelles par' l'attouchement des septé-
navires. Aix, 1643, in-16, p. 12.
5. Lettre du 25 juin 1719, t. H, p. 123.
0. La Faculté de médecine de Paris, consultée par le Parlement, répondit le 28 novembre
1578 que « le pain pouvoit estre infecté par l'haleine de plusieurs personnes gastées
d'escrouelles, qui demeurent en un mesme lieu. » André du Laurens, OEuvres, trad. Th. Gelée,
liv. II, chap. il.
7. G. du Peyrat, p. 795.
164 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
guérit1. Pendant l'opération, le premier médecin appuyait sa main sur
la tête du patient et le capitaine des gardes lui tenait les mains jointes.
Quand le roi avait passé, l'aumônier servant remettait une aumône à
chaque scrofuleux, en lui disant : « Priez Dieu pour le roi. » La céré-
monie terminée, on présentait au monarque, afin qu'il se lavât les
mains, trois serviettes mouillées, la première avec du vinaigre, la
deuxième avec de l'eau pure et la troisième avec de l'eau de fleur
d'oranger. -
Convaincus ou non de la puissance surnaturelle qui leur était
attribuée, tous nos rois se soumirent à cette répugnante corvée. On
n'attendait même pas que le souverain eût l'âge d'homme pour la lui
imposer. A l'issue de son sacre, le petit Louis XIII, à peine entré dans
sa dixième année, dut toucher huit cents scrofuleux. Il eut un moment
de dégoût. Marie de Médicis, rencontrant le P. Cotton qui avait
accompagné le prince, lui demanda s'il avait surpris chez lui quelque
hésitation : « lequel luy respondit qu'à la vérité lors qu'il eut touché
deux ou trois malades il fit semblant de se vouloir torcher la main,
mais qu'il se rasseura tout aussi-tost, et qu'il toucha bien et diligem-
ment après cela'. » Son médecin Héroard raconte qu'il se reposa quatre
fois; « il blêmissoit un peu, ajoute-t-il, mais il ne le voulut jamais
faire paroître, et ne voulut pas prendre de l'écorce de citron `. »
L'année suivante le pauvre petit touche encore six cent
soixante scrofuleux au mois d'avril, onze cents au mois de mai et
quatre cent cinquante au mois de septembre. Cette fois, la cérémonie
commencée à neuf heures un quart, dure jusqu'à onze heures et demie;
pendant l'opération, « il se trouve foible, il faisoit une extrême cha-
leur ; lavé les mains avec du vin pur et senti du vin, il revient à lui 5. »
Le 7 mai 1613, il touche encore mille soixante-dix malades, et mille
soixante-six le 22 juillet 1616 *\
Le vendredi saint, Louis XIV touchait en une seule séance jusqu'à
1. Quelques auteurs « se sont trompez qui ont escrit 'que' les paroles du Roy en en cette
cérémonie estoient « Dieu te guéitisse, le Roy te touche; » car elles sont telles que je
viens de dire ; et elles font foy que le Roy attribue ce miracle et la guérison de cette ma-
ladie, non à sa sa dignité royale, mais à Dieu qui opère en un instant; c'est pourquoy il dit :
« Dieu te guérit » et non « Dieu te gLiénissE. a G. du Peyrat, « aumosnier servant des
Roys Ilenry le Grand et Louis XIII, » p. 819.
Le roi s'expri.ne en ces termes, « gallico scrmone : Le Roy te touche et Dieu te guairist. »
André Delaurens, premier médecin du roi, De mirabili slr2cmas sanandi vi solis Rallia3
regibus chrislianissimis divinilus concessa, 1609, in-8°, p. 9 et 182.
2. Confesseur du roi.
3. Théodore Godefroy, Cérémonial français, 1019, in-folio, t. I, p. A36.
4.. Journal, 21 octobre 1610, t. II, p. 32.
5. Journal d'Héroard, t. II, p. 64. et 7fi,
6. Journal d'Héroard, t. II, p. 120 et 198.
LES ROIS DE FRANCE ET LES ÉCROUELLES. 165
quinze cents scrofuleux\ Après la cérémonie du sacre, Louis XV
toucha deux mille malades et Louis XVI en toucha deux mille quatre
cents, dont cinq furent guéris 2, proportion qui n'a rien d'exagéré.
A chacun d'eux, le souverain répéta cette phrase : Dieu, te guérisse, le
roi te touche3. On voit que la formule sacramentelle avait été un peu
modifiée : le roi cessait d'affirmer que Dieu allait guérir le malade, il
se bornait à le souhaiter. Aussi, Charles X, le lendemain de son sacre,
ne trouva plus à toucher que cent vingt malades, qui lui furent pré-
sentés par Alibert et Dupuytren 4.
Sans compter les quinze saints ou saintes dont l'intercession gué-
rissait aussi les écrouelles, et dont le plus illustre est saint Marcoul,
il existait encore une foule de remèdes tout aussi efficaces. J'ai déjà
dit que l'on conseillait d'avaler un serpent. On était également sûr de
son affaire si l'on obtenait qu'une jeune fille vierge et nue consentît à
toucher les scrofules, en prononçant ces mots : Negat Apollo pestena
posse crescere quanz nuda virgo restringat 5. Goeurot, premier médecin
de François I", conseillait de les « bassiner avec décoction de poireaux,
à laquelle sera ajouté du pyrêtre pulvérisé et du vert de gris6 ». Un
manuel de santé, publié en 1539, estime que l'on obtient de meilleurs
résultats en y appliquant des cloportes bouillis'. Le seigneur Alexis 8,
dans ses célèbres Secrets, indique une multitude de panacées, la fiente
de boeuf entreautres9.
C'étaient sans doute là de précieuses recettes, mais aucune ne valait
l'attouchement royal. Lisez ce qu'écrivait en '1714 le savant Dionis,
professeur d'anatomie au Jardin des plantes et chirurgien de la reine :
« Un grand nombre de ceux qui ont été touchés par le Roy assurent
avoir été guéris ; c'est pourquoi je conseille à tous ceux qui sont affligés
de ces maux de tenter un moyen spirituel si doux pour obtenir leur
guérison, avant de se livrer entre les mains des chirurgiens10. » Pour-
tant, la Palatine ne croyait pas à la vertu de ce moyen si deux", et le
1. Voy. les Mémoires du marquis de Sourches, t. I, p. 90 et 376.
2. « Le procès-verbal de ces guérisons, afin qu'il fùt bien constaté qu'elles étaient défi-
nitives, ne fut signé que le 8 octobre suivant, par la supérieure du couvent de Saint-
Marcoul, la soeur assistante, deux autres soeurs, etc. » Du Broc dc Segange, les Saints
Patrons des corporations, etc., t. I, p. 321.
3. Ménin, Traité historique du sacre et couronnement des rois de France, p. 182.
Relation de la cérémonie du sacre et du couronnement du roi Louis XVI, p. 30.
4. Alex. Lenoble, Relation du sacre de Charles^, p. 78.
5. P. de Lancre, p. 163.
6, L'Entretenement de vie, etc., p. 10,
7. Traicté nouveau intitulé baslinient dereceples, etc., p. 12.
8. Girolamo Ruscelli.
9. Édit. de 1691, p. 687. '
10. Cours d'opérations de chirurgie, édit. de 1711, p. 512.
11. « Quant à ce qui est du pouvoir qu'a un septième garçon de guérir les écrouelles, je
166 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
marquis d'Argenson n'y croyait guère. Ayant appris qu'un scrofuleux
touché par Louis XV avait guéri, le fait lui sembla si extraordinaire
qu'il jugea l'occasion bonne pour augmenter son crédit auprès du roi.
Il réunit des attestations, des preuves, des certificats de médecins, et
envoya le tout par courrier spécial au ministre La Vrillière. Mais
celui-ci, mal disposé pour d'Argenson, se borna à répondre « que cela
étoit bien, et que personne ne révoquoit en doute le don qu'avoie7at
nos rois d'opérer ces prodiges1 ».
ALFRED FRANKLIN,
Administrateur de la Bibliothèque Mazarine.
crois qu'il en est de cette faculté comme de celle dont se vante le roi de France. » Lettre
du 25 juin 1719, t. II, p. 123.
1. Mémoires du marquis d'Argenson, édit. Itathery, t. I, p. 47.
NOOVELI.F ICONOGRAPHIE DR LA SALPÊTRIÈRE
T. IV. PL XVI.
PHOTOTYPE NÉGATIF A LONDE
PHOTOCOLLOGR"HIE CHÊNE & LONGUET
BUSTE D'ÉVÊQUE GUÉRISSANT LES ÉCROUELLES
(XVII° XVIII° SIÈCLE) '
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
NOUVFLLF ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE T. IV PL XVII
DHOTOTYPE NÉGATIF A. LONDE. PHOTOCOLLOGRAPHITi CHtNE & LONGUET
BUSTE D'ÉVÊQUE GUÉRISSANT LES ÉCROUELLES
(xvoe - XVIII' siècle)
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
SUR
UN BUSTE D'ÉVÊQUE GUÉRISSANT LES ÉCROUELLES
A côté de l'article de notre savant collaborateur, M. Alfred Frankiin,
il convient, de reproduire et d'analyser un buste d'évêque, qui a été
gracieusement mis à notre disposition par M. Fer. Roger, expert de
l'État. ' ... , . ,
Ce buste en noycrsculpté peint et doré est sorti des ateliers de l'Ecole
de sculpture sur bois du nord de la France dont la fidélité, dans l'exé-
cution, est un des traits caractéristiques. M. Roger pense qu'il date de
1G46 environ; nous croyons pour notre part qu'il est une production
de la fin du règne de Louis XIV. Dans tous les cas le buste,est fort; bien
traité, l'exécution de la figure est de tous points remarquable, et le
piédouche est orné sur ses deux faces de motifs décoratifs du meilleur
style.
Le chef porte des deux côtés,' droite 'et à gauche, sur les confins de
la joue et delà région sous-maxillaire des saillies irrégulières, mame-
lonnées, teintées en rouge, qu'il est impossible à l'oeil le moins exercé,
de ne pas reconnaître pour des scrofulides ulcérées ; et nous ajouterons
des scrofulides ganglionnaires.
Cependant, des deux côtés, ces scrofulides d'origine ganglionnaire ont
étéplacées un peu haut par l'artiste. Leur surface ulcérée (pl. XVI) repose
presque directement sur la branche horizontale du maxillaire inférieur.
Etant donné- la rareté comparative dans cette région des scrofulides
cutanées avec les scrofulides ganglionnaires, on pourrait croire que
l'artiste a été plus guidé par ses souvenirs que par l'observation directe
des faits. Ce reproche n'est pas mérité. Si l'on considère en effet la
planche XVII on note très nettement qu'il n'a pas oublié la tuméfaction
ganglionnaire. Au-dessous de l'ulcération se voit en effet une « grosseur »
indiquant que le ganglion est envahi, et cette grosseur est placée au bon
endroit, au lieu d'élection. Peut-être l'ouverture à la peau est-elle
faite un peu obliquement; peut-être, consécutivement, la tuberculose
168 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
a-t-elle envahi la surface cutanée ? Notre artiste était donc habile et
consciencieux tout à la fois.
Ajoutons encore quelques mots. Il est incontestable que ce buste était
exposé à la vénération des fidèles qui, par leurs prières, venaient
intercéder près du saint évêque guérisseur des écrouelles après sa
mort, très probablement parce qu'il en avait souffert lui-même pendant
sa vie. M. A. Franklin a, en effet, établi dans sa Vie privée d'autrefois que
les saints guérissaient le plus souvent les maux dont ils avaient eu à se
plaindre pendant leur vie. C'est ainsi que les gens malheureux en
ménage appelaient à leur aide saint Gengoul et saint Orner dont les
épouses n'avaient pas précisément été des modèles de vertu.
Peut-être bien nos scrofuleux se livraient-ils à des attouchements sur
les plaies des saints ainsi que cela se pratiquait assez habituellement
en semblable occurrence. Nous ne relevons cependant pas traces de ces
frottements qui ont rendu tout à fait frustes trois bons saints de pierre
que nous connaissons dans un coin du Poitou où les superstitions
abondent.
Maintenant, notre évêque, quel fut-il ? Au centre du piédouche, der-
rière un verre transparent qui met à l'abri de la poussière de menues
reliques on lit ces mots écrits à la main : Saint Estrope. Or,
saint Eutrope ne guérissait que la migraine, parce qu'il avait eu la tête
fendue'à coups de hache, de même que saint Jubin et saint Etienne
guérissaient de la pierre, l'un parce qu'il en était mort naturellement,
l'autre parce qu'il avait été lapidé.
Ne s'agirait-il pas plutôt de saint Eloi, qui avait la réputation de
guérir les écrouelles, et qui, de plus, fut évêque de Noyon ?
En pareille matière, peu importe l'exégèse, il n'y a que la foi qui
sauve. Ainsi, comment expliquer que Charles IX et François II qui gué-
rissaient les écrouelles, moururent eux-mêmes tuberculeux ?
GILLES DE la TOURETTE.
1. Sa femme l'ayant trompé, « Dieu permit qu'elle fût affligée tout à coup d'un bruit
honteux et sans interruption pendant tout le reste de sa vie, ce qui la livra à la moquerie
et aux sarcasmes publics. » « ... Et comme sa femme ne le veut croire, il luy fit si
large ouverture au guichet de son serrail par derrière, que toute sa vie elle ne fait que
continuellement chanter basse et puante note. » Marnix de Sainte-Aldebonde, p. 378.
2. Sa femme avait un caractère intraitable. 11 « réussit la convertir entièrement par sa
douceur et plus encore par ses prières ».
Le gérant : Emile LECROSNIER.
4214. Imprimeries réunies, B, rue Mignon, 2, - MAY et Motteroz, directeurs.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T IV P. xxi
Phototype négatif A. LONDE ' PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne ci : Longuet.
GÉROMORPHISME CUTANÉ
ARMANDINE SCH..., A L'AGE DE ONZE ANS
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
GKROMORPIHSME CUTANÉ ! Nous avons observé récemment, dans le, service de notre maitre,
M. le professeur Charcot, une jeune fille atteinte d'une maladie inso-
lite, exceptionnelle, qui ne semble pas avoir attiré jusqu'ici l'attention
des dermatologistes. On pourrait, il nous semble, désigner cette affec-
tion sous le nom de Géromorphisme 1, ' cette dénomination ayant
simplement pour but d'en rappeler le caractère primordial.
Nous devons à l'extrême obligeance de notre maître M. Lailler, à qui
nous adressons ici nos plus sincères remerciements, la communication
d'une première observation et de deux photographies (Pl. XXI) de cette
malade, prises a l'âge de onze ans, quelques mois après le début du mal.
Ces documents qui présentent un intérêt de premier ordre permettent
en outre, si on les compare à ceux que nous avons recueillis dix ans
plus tard, d'avoir une idée exacte et des débuts et de l'évolution de la
maladie. Voici d'abord l'observation que notre maître M. Lailler a si
libéralement mis à notre disposition; nous la reproduisons textuel-
lement. '
' OBS. I (recueillie par M. Laurand, avril 1881). La nommée Armandine
Schl..., âgée de onze ans, née à Versailles, entre le 6 avril 1881, à l'hôpital
Saint-Louis dans le service de M. Lailler, salle Sainte-Foy. C'est une fillette
de taille normale, intelligente, sachant lire et écrire. Pas de déformation
rachitique, pas de manifestations diathésiques très marquées, sauf quelques
ganglions au cou. ' ,
L'enfant ne se rappelle pas de maladies graves dans sa première enfance.
Les seuls renseignements qu'on'obtienne sont ceux se rapportant à l'affection
actuelle. L'enfant et la mère rapportent l'origine de la.maladie à. une vio-
lente frayeur. Elle eut peur d'une foule, el, près d'un mois après, eut lieu
. 1. De Y7Pu» yr,pw;, vieillesse, et wopoprj, f ? P'i''1;, l'orme, apparence.
IV. 12 )
170 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
une éruption généralisée, sur laquelle on no peut avoir que peu de ren-
seignements. Ce qu'elle peut rapporter, c'est que l'éruption fut accompagnée
d'un oedème considérable.
Cet état dura depuis le mois de décembre jusqu'à il y a un mois, époque à
laquelle l'enfant put commencer à sortir. Des renseignements ultérieurs
infirment l'existence d'un oedème considérable. L'éruption se faisait par
poussées successives et il s'en est produit quelques-unes récentes à la face.
État actuel. On ne retrouve aujourd'hui aucune éruption sur le corps.
Les seules traces qui persistent sont des cicatrices superficielles à la face,
sur les tempes, sur les joues et les parties latérales du cou. La lésion la plus
remarquable est une altération de toute la surface cutanée.
C'est à la face qu'elle est le plus marquée ; la peau de la région est lisse,
flasque, pendante, comme chez un vieillard; les traits sont effacés, aplatis et
rappellent l'aspect d'une paralysie faciale. Les lèvres sont distendues, l'orifice
buccal abaissé, il y a comme un allongement de la figure. A la lèvre infé-
rieure, au pourtour de la bouche, plis en patte d'oie exagérés par chaque
mouvement de physionomie. Sous le menton, pli cutané flasque et ridé, et
plissement de la peau de la face antérieure du cou comme chez les gens d'un
âge plus avancé. En somme véritable masque de vieillard sur le corps d'un
enfant. Cette disposition de la peau est aussi marquée sur la partie supé-
rieure du thorax, où elle est froncée et plissée et, par places, paraît encore le
siège d'une infiltration oedémateuse. Sur les membres inférieurs, la lésion est
moins prononcée, mais se retrouve cependant sur les cuisses et aux genoux.
Toutefois, à l'examen de la peau, on ne trouve pas d'altération apparente de
sa structure. Il n'y a ni épaississement, ni induration, ni aspect éléphantia-
sique ou sclérodermique; il semblerait qu'on ait simplement affaire aune
peau quia été fortement distendue par un oedème, et qui est restée à la suite
plissée et trop lâche.
Le 18 avril, la petite malade présente sur les bras une éruption formée de
petits noyaux durs isolés, ressemblant à des piqûres de cousins. Le 19,
l'éruption apparaît sur la face, le nez et les joues et s'accompagne d'oedème
des deux côtés aux paupières. La poussée constatée aux avant-bras est en
voie décroissante. Au menton même on constate une plaque. Toutes ces
lésions sont très nettement arrêtées, on y constale une induration noueuse
rappelant absolument l'érythème noueux. Le 25 avril, la poussée est presque
éteinte. Le 30, plus rien à la peau. La malade pesée le 2 mai pèse 53 livres.
Le 15 mai, seconde poussée'sur les jambes, élevurcs rouges saillantes, à bords
élevés, mais la surface est blanche comme de l'urticaire. Le 19 mai, quelques
douleurs dans la région sous-maxillaire gauche. Sur la région temporale, du
même côté, plaque rouge livide érythémaleuse. Le 20 mai, sur la surface
rouge grosse vésicule d'herpès ou de pemphigus ?
Exeat le 20 mai. Diagnostic : problème.
Telle est l'intéressante observation de M. Lailler. Voici maintenant
celle que nous avons recueillie nous-mêmes, avant d'avoir pris con-
GÉI : UIUlI1111511E CUTANÉ. 171
naissance de la précédente. La lecture comparée de ce second docu-
ment ne fait que confirmer les détails du premier et montre en outre
l'élat de l'affection dix ans après.
Ous. II (personnelle, avril 18'J1). - Armandine Sch..., et un ans,
sans profession, entre le 22 avril 1891, salle Cruvcilher, dans le service de
M. le professeur Charcot.
Antécédents héréditaires. Son père est un enfant « naturel », élevé
par l'Assistance publique de Paris, actuellement âgé de cinquante-deux ans,
et exerçant le métier de cordonnier. C'est un homme sobre, bien portant
sauf quelques douleurs gastralgiques. Sa mère, âgée de quarante- sept ans,
présente des troubles mentaux; ces troubles auraient débuté en 1868 à la
suite d'un accouchement et revêtu la forme de la folie du doute. En 1881, il
y a dix ans, elle est entrée à l'asile Sainte-Anne pour des idées fixes :
suicide, peur, et y est restée deux ans et demi. En ce moment, elle y est
encore depuis vingt mois pour des accidents du même ordre. Elle est pour-
tant calme en apparence et raisonnable; elle sort tous les dimanches de
l'asile et vient voir sa fille. Nous l'avons interrogée sur sa santé, sur le début de
la maladie de sa fille, et sa mémoire et ses réponses sont parfaitement lucides.
Rien ne trahit en apparence l'état mental qu'elle présente.
Ni le père ni la mère de notre malade ne présentent autre chose digne
de remarque. Ils sont bien portants et paraissent l'âge qu'ils ont.
Armandine a eu deux frères qui sont morts en bas âge, l'un à six ans, de
méningite, l'autre, en nourrice, d'accident. Du côté des grands-parents, du
côté paternel, le grand-père reste inconnu, la grand'mèro était fortement
alcoolique et dénaturée, si l'on en croit le récit du père de la malade. Celait
un cuisinière de grande maison qui abandonnait ses enfants el qui « se fit
mourir» en s'adonnant il la boisson, lorsque son fils eut révélé il ses maîtres
l'irrégularité de sa conduite passée. Dans la branche maternelle, la grand'-
mère vit encore en bonne santé, le grand-père serait mort d'une attaque
d'apoplexie.
En somme, ni son père ni sa mère n'ont vu ni connu dans leur famille
d'affection analogue à celle de leur fille, et, dans ces antécédents, on ne
peut relever qu'une tare névropathique manifeste.
Antécédents personnels. - Les renseignements qui vont suivre ainsi que
les précédents nous ont été donnés par la malade elle-même et ont été contrôlés
et confirmés par le récit de son père et de sa mère que nous avons longuement
interrogés.
Armandine S... esl née a Versailles, le 1er janvier 1870. Dans sa première
enfance, elle n'aeu ni fièvre éruptive,ni autres maladies des enfants. A partir
de l'âge de cinq ans jusqu'à onze ans, époque à laquelle a débuté sa maladie,
elle a élé en classe et s'y est montrée très intelligente, occupant toujours les
premiers rangs. Elle était gaie, joueuse, aimant beaucoup ;i s'amuser. C'était,
paraît-il, uneenfant très gentille et d'un visage très agréable : « tout le monde
172 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
la regardait, racontent ses parents, en disant : quelle jolie petite fille ! » Un
artiste qui habitait dans leur maison disait en la voyant qu'il n'avait jamais
vu de visage d'enfant aussi régulier. La maîtresse de pension qui l'affection-
nait beaucoup, étant un jour venue la voir, après sa maladie, ne l'aurait point
reconnue et aurait poussé un cri d'effroi. Depuis lors, elle détourne la tête
toutes les fois qu'elle la rencontre.
A dix ans et demi, le 8 juillet 1880, elle eut une vive frayeur : un locataire
récalcitrant menaçant de battre son père, concierge de la maison, la petite
fille a eu très peur et n'a cessé de pousser des cris durant une heure, mais
tout s'est borné à ces cris.
Quelques mois après, le 1" novembre 1880, « jour des morts », avec sa
famille, elle revenait de voir au cimetière d'Ivry la tombe de son frère
mort depuisunan à peine. A la gare de la Maison-Blanche, elle a eu peur de
la foule et s'est mise à crier ; le sifflet du chemin de fer l'effrayait et elle
refusait de monter en wagon parce qu'elle en avait peur. Encore aujour-
d'hui, elle ne peut entendre le sifflet de la locomotive sans être saisie d'effroi
et elle ne veut plus monter en chemin de fer. - On l'a consolée avec peine et
au bout d'une heure on a pu la faire monter en wagon. De retour à la
maison, la frayeur était passée et le lendemain elle retournait en classe comme
d'habitude.
Début de la maladie actuelle.-En décembre 1880, Armandineest tombée
malade et s'est alitée. Elle souffrait depuis trois jours de céphalalgie et de
douleurs abdominales. Le 10 décembre, ses parents remarquent qu'elle avait
quelques boutons sur le corps. Un médecin appelé aurait d'abord songé à la
variole et le lendemain auraitdéclaré qu'il s'était mépris sur la nature de la
maladie, mais n'aurait pas formulé de diagnostic. Le 11, l'éruption s'était
généralisée, moins accusée cependant dans les jambes. « C'étaient, disent les
parents, des boutons gros comme une fève, semblables il une piqûre de
cousin, d'abord rouges, puis violets, enfin blanchâtres. » Chaque bouton aurait
duré cinq à six jours puis disparu sans s'ulcérer, sans laisser de trace, sans
modification appréciable de la peau à ce niveau. Il y aurait eu une série de
poussées. Ces boutons étaient assez espacés, paraît-il, laissant entre eux des
espaces de peau saine, très rapprochés cependant au niveau des bras, des
cuisses et de la partie inférieure du visage, moins nombreux sur les jambes
et sur les mains. Le front et les pieds auraient élé épargnés. Il n'y avait
aucun oedème de la peau, sauf une petite aréole circonscrite et saillante au
niveau de ces boutons. Deux mois après le début de ces éruptions, elle est
entrée aux Enfants Malades d'oit on l'a retirée au bout de huit jours. Elle
avait encore son éruption cutanée.
C'est à la sortie de l'hôpital que la peau aurait commencé à se rider, la
figure se serait plissée quelque temps après. Cet aspect de la peau s'est pro-
duit très rapidement, dit-on, dans une quinzaine de jours et a tellement
défiguré l'enfant que les gens de la maison ne la reconnaissaient plus. En
sortant de l'hôpital, elle est restée chez elle, au lit, allant un peu mieux,
Nouvelle iconographie DR la Salpêtrière
T. IV. PL xxii.
PHOTOTYPE Négatif A. LONDE.
PHO70COLLOORAPHt Chêne & LONGUET.
GEROMORPHISME CUTANÉ
ARMANDINE SCH..., '. A VINGT-ET-UN ANS
Nouvelle iconographie OR la Salpêtrière ' T. IV. PL. XXIII.
Phototype Négatif A. LOHDE.
PNOTOCOLL001tAPHIE Chêne & LONOUET.
GEROMORPHISME CUTANÉ
ARMANDINE SCH..., " A VINGT-ET-UN ANS
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
GEROMORPHISME CUTANÉ. 173
mais ayant encore de temps en temps une nouvelle poussée. Sa peau, dit-
elle, était « comme un poisson écaillé ».
L'enfant fut conduite alors à Saint-Louis, dans le service de M. Lailler où
elle n'est restée que six semaines. Les deux photographies ci-jointes
(Pl. XXI) dues à l'extrême obligeance de notre maître M. Lailler et faites en
mai 1881, donnent une idée exacte de l'état de la malade à cette époque.
Depuis sa sortie de Saint-Louis, on la conduisit plusieurs fois à la consulta-
tion de Sainte-Anne. En 1882, elle revint aux Enfants-Malades, dans le ser-
vice de M. Jules Simon où elle passa un an.
Depuis lors, c'est-à-dire depuis 1883, elle est restée dans sa famille, suivant
un régime tonique et hydrothérapique. A quinze ans, la menstruation s'est
établie sans accident; les règles sont assez régulières mais peu abondantes
et peu colorées : elles durent huit jours.
Dans ces cinq dernières années, elle a suivi un traitement électrique, sans
résultats du reste. Elle était assez sujette aux bronchites et aux névralgies
dentaires.
Depuis trois ans, elle a des crises bizarres. Ces crises, dit-elle, auraient
été provoquées par le médecin qui la soignait au moyen de plaques électri-
ques, et cela dans un but thérapeutique. Ce sont des crises de cris, sans aura,
avec battements au creux épigastrique et étouffements dans le cou, mais sans
perte de connaissance et sans phénomènes convulsifs. Chaque crise dure
quelques secondes et est suivie de courbature pendant plusieurs heures. Ces
crises reviendraient à des intervalles très irréguliers, ◀tantôt▶ tous les deux
mois, ◀tantôt▶ plus fréquemment. Le bruit du tonnerre, affirme-t-elle, suffirait
parfois pour les provoquer.
État actuel. Armandine qui était entrée à la Salpêtrière, au commen-
cement d'avril, a été prise d'ennui et s'est évadée un jour; puis, sur notre
demande, elle est revenue dans le service quelques jours après.
C'est une jeune fille qui, en dehors de son apparence sénile, ne présente
aucun des autres attributs de la vieillesse. Mais cette apparence sénile est tel-
lement frappante que l'un de nous la voyant à la consultation avec son père
a demandé à celui-ci si ce n'était point sa mère. Armandine S... a une taille
moyenne (1 m. 54)" et pèse 44 kilogr. Son intelligence est très nette et sa
mémoire très précise. Elle accuse cependant « des peurs » non motivées. Tout
lui fait peur, mais elle a surtout peur de la foule, des rassemblements, du
chemin de fer, qu'elle évite avec un grand soin. Elle a aussi quelquefois peur
de se jeter par la fenêtre, mais, à ce sujet, elle reprend vite le dessus. En
somme, elle est très intelligente, très raisonnable, d'un caractère plutôt triste
et timide. Elle se figure parfois qu'elle a plusieurs maladies, elle s'attriste de
son état qu'elle croit incurable et a peur de mourir à la moindre indisposition.
Sauf cet état mental qu'elle raconte, il n'y a aucune espèce de trouble intel-
lectuel ou affectif.
Elle ne présente aucun trouble de la motilité; elle vaque quotidiennement
aux soins de son ménage, en remplacement de sa mère qui est à Sainte-
Anne, fait la plupart des courses de son père, etc. Sa force musculaire est
174 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DELA SALPÊTRIÈRE.
normale. Elle dit cependant qu'elle se fatigue assez vite et que, lorsqu'elle a
beaucoup marché, elle éprouve de la courbature et des douleurs dans les
reins. Au dynamomètre : M.'D., 27 kil. ; M. G., 20 kil. (échelle de pression).
La sensibilité est normale. Elle se plaint seulement de quelques douleurs
subjectives le long du rachis et dans les membres inférieurs, spécialement au
moment de ses crises. Elle accuse aussi des douleurs sourdes au niveau des
régions lombaire et hypogastrique, et une hyperesthésie du cuir chevelu
qui la gênerait pour se coiffer. La pression cependant n'y réveille aucune sen-.
sation douloureuse. Objectivement, la sensibilité cutanée (au contact, à la-
douleur et à la température) est normale. Le tact n'est pas altéré : elle dis-
lingue la forme des objets, leur poids approximatif, reconnaît les diverses
pièces de monnaie qu'on place dans ses mains. Le sens musculaire est
partout intact. Les autres sens spéciaux, l'odorat, l'ouïe, le goût sont nor-
maux. Du côté des yeux, il n'y a ni achromatopsie ni rétrécissement du champ
visuel. La malade se plaint seulement d'un peu de faiblesse de la vue. L'iris
bleu a une teinte normale et la cornée ne présente pas trace d'arc sénile. La
résistance électrique est considérablement augmentée. L'examen, il ce point
de vue, pratiqué par M. Vigoureux a donné R =15,000 ohmes. Ce qui frappe
tout d'abord et domine du reste la scène, c'est une décrépitude apparente du
système cutané et surtout de la peau proprement dite.
' La surface cutanée, dans toute son étendue, est plissée, ridée et ne présente
pas d'autre altération. Il n'y a aucune espèce d'éruption actuelle et en exa-
minant de très près'la surface de la peau, on ne découvre, au visage en parti-
culier, que quelques vestiges effacés d'anciennes cicatrices. L'épiderme a sa
coloration normale et, en dehors des sillons, son aspect lisse et uni. L'aspect
ridé de la peau varie suivant les régions et suivant l'altitude- de la malade.
' A la tôle, du côlé du crâne, rien à noter; les cheveux sont blonds, d'une
abondance et -d'une longueur moyennes. A la face, la partie supérieure est
sensiblement normale; la partie inférieure au contraire contraste par le
nombre et l'étendue des rides. Les planches XXII, XXIII et le croquis
(Pl. XXIV) dû à la plume habile de notre maître et ami, M. Paul Richer,
en donnent l'idée exacte. Du reste, ils parleront mieux aux'yeux qu'une des-
cription fastidieuse et presque fatalement incomplète.
A la face, la peau du front est peu touchée : quelques rides transversales
qui ne sont pas plus sensiblement accusées qu'à l'état normal. Les sourcils
sont, relevés comme dans l'étonnement, la fente palpébrale' rétréCie des deux
côtés par une sorte de soudure des bords palpébraux, au niveau des com-
fissures, ce qui fait paraître les yeux bridés et assez petits. Le nez est effilé,
plutôt aminci. Les oreilles sont bien ourlées, d'aspect et de dimensions
normaux, sauf l'oreille droite dont le lobule est un peu allongé et plissé.
La partie supérieure des deux joues est peu vieillie. '
C'est surtout la moitié inférieure de la peau du visage qui est intéressée.
Les plis haso-géniens sont plus accusés qu'a l'état normal, la moitié infé-
rieure des joues est flasque, ridée., mobile sur les plans sous-,jacents et. pen-
.danté. Au niveau des lèvres et de la région mentonnière, ces caractères sont
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE CLINIQUE
DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES
(Suite et (iu')
III
(TREMBLEMENTS LENTS DE 4 A 5 OSCILLATIONS 1/2 PAR SECONDE) "
Ces tremblements sont particulièrement aptes, lorsqu'on les observe
chez des malades un peu avancés en âge, à simuler la paralysie agi-
tante. Les oscillations qui les composent sont en effet relativement
amples et lentes; et comme elles se répètent pendant le repos, d'une
manière incessante, sans se renforcer d'une façon notable sous
l'influence des mouvements volontaires, il s'ensuit que les tremblements
hystériques de cette catégorie imitent à peu près exactement le trem-
blement symptomatique de la maladie de Parkinson. Ce n'est pas
tout. Ces trembleurs hystériques peuvent se composer un habitus
extérieur tel que leur air figé, leurs mains et leurs doigts placés
comme dans l'attitude pour écrire, leurs facies immobile et comme
hébété, les font ressembler d'une manière frappante aux individus
affectés de paralysie agitante.
Un très bel exemple de cette simulation hystérique du tremblement
de la maladie de Parkinson est une des observations qui figurent
dans la note communiquée par M. Rendu à la Société médicale des
hôpitaux.
Nous n'avons personnellement rencontré aucun fait de cet ordre.
Il nous paraît intéressant de rapprocher de ce fait si bien observé
par M. Rendu, et de l'interprétation aussi simple que logique qu'il en a
donnée, une observation publiée par M. Oppenheim, à peu près la
même époque, dans une note qui a pour titre Sur un cas de paralysie
agitante, forme originale de la névrose traumatique (pseudo-paralysie
agitante,.
1. Voy. les n" 1 et 2, t. III, 1890 et n° 2, t. IV, 1891.
2. Charité Annalen, 1889, t. XIV, p. 425.
180 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
M. Oppenheim rapporte, à la suite de cette observation, l'histoire
d'un sècond malade, chez lequel le tremblement était apparu, comme
dans le cas précédent, à la suite d'un traumatisme portant sur l'extré-
mité céphalique; ce second fail, très analogue au premier, n'en diffère
que par la généralisation du tremblement, sa longue durée et l'absence
de troubles de la sensibilité. Seulement il existait chez ce dernier trem-
bleur, pour nous servir de l'expression de l'auteur, « une anomalie
remarquable » : le champ visuel des deux yeux était diminué pour le
blanc et les couleurs.
Après avoir souligné les analogies qui existaient entre ces deux cas et
le type classique de la paralysie agitante, M. Oppenheim, qui avait porté
tout d'abord le diagnostic de paralysie agitans, énumère les différentes
raisons qui lui firent abandonner par la suite cette première interpréta-
tion. Frappé surtout par l'origine traumatique de ces tremblements, il
les rattache une névrose spéciale créée par le traumatisme et qu'il dé-
nomme, naturellement, psendo-paralysie agitante,. Ne serait-il pas plus
simple, plus logique de rattacher ces faits à la névrose hystérique ? Des
anesthésies cutanées, des anesthésies sensorielles, le rétrécissement du
champ visuel, des vertiges qui prendraient peut-être un caractère plus
significatif si l'on avait des détails sur les sensations subjectives qui les
accompagnent, est-ce que tout cela n'est pas purement et simplement
hystérique ? Nous n'avons pas à recommencer ici la querelle des névroses
traumatiques. Nous ferons seulement remarquer que s'il suffisait ponr
édifier des espèces nouvelles de produire des faits de l'ordre de ceux
que nous venons de citer en leur appliquant le procédé d'interprétation
clinique dont s'est servi M. Oppenheim, nous aurions pu bâtir dans le
cours du présent travail un assez joli nombre de névroses. C'est ainsi
que nous aurions déjà : la pseudo-paralysie générale, la pseudo-sclé-
rose en plaques, le tremblement pseudo-mercuriel, la pseudo-para-
plégie spasmodique, etc.
L'observation suivante est un exemple de tremblement lent localisé
à la main droite.
OBs. XII (due à l'obligeance de mon collègue et ami Nicolle). Hystéro-
épilepsie. Tremblement hystérique de la main droite.-La nommée Godard,
âgée de quarante ans, est entrée le 19 septembre 1888 à la Salpêtrière, salle
Pinel, lit n° 15, dans le service de M. le docteur Joffroy.
Antécédents héréditaires. Père, mort d'accident, pas nerveux. -1}1 ère,
morte d'une affection cardiaque (quarante-neuf ans), rhumatisante, migrai-
neuse ; a eu une attaque d'apoplexie avec hémiplégie gauche. Frères et
soeurs. Ils ont été au nombre de 14. 10 sont morts la plupart jeunes, 2 avec
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 181
des convulsions. 4 sont vivants; une soeur atteinte d'eczéma chronique a eu
des attaques hystériques qui ont disparu après son mariage; un frère qui a
eu du rhumatisme articulaire aigu il y a dix ans. Les deux autres n'ont rien.
Grands-parents. Oncles et tantes. Rien à noter. '
Antécédents personnels. -De dix à quatorze ans, attaques ayant la plus
grande analogie avec les attaques comitiales; indifféremment nocturnes ou
diurnes. A la môme époque, absences. Le tout a cessé au moment de l'appa-
rition des règles. Rougeole à quatre ans, scarlatine grave à neuf ans, fièvre
typhoïde; rhumatisme articulaire aigu à trente ans; urticaire à vingt-cinq ans
(durée, trois mois), coliques hépatiques à trois reprises : dix-huit, vingt-cinq,
trente-huit ans.
Réglée à quatorze ans, jamais régulièrement, elle a eu deux enfants :
l'aîné est mort à deux ans (méningite); l'autre est bien portant.
Une fausse couche il y a trois ans provoquée par M. Tarnier pour accidents
éclamptiques (avec albuminurie el anasarque) à la suite de laquelle ont éclaté
les symptômes paraplégiques.
Accidents actuels (10 août). - Ovarie à droite, anesthésie complète et
totale. Seule la cornée est respectée. Depuis un an, périodes d'anesthésie vési-
cale avec incontinence d'urine. Paraplégie flasque sans troubles trophiques.
Réflexes rotuliens normaux.
Symptômes hystériques. Rétrécissement concentrique à 15° pour les
deux yeux.
Troubles visuels. -Achromatopsie binoculaire, diplopie monoculaire,
micropsie, conservation des réflexes pupillaires, diminution de l'acuité
visuelle. '
Troubles auditifs. Diminution de l'acuité auditive (surtout à gauche)
perte de la sensation des vibrations transmises par les os du crâne.
Etat mental. - Amnésie, pleurs faciles.
Les membres supérieurs sont affaiblis (surtout le droit).
Dynamomètre : main droite, 10 kilogr.; main gauche, 15 kilogr.
Cependant la malade peut exécuter avec ses membres supérieurs tous les
mouvements qu'on lui commande de faire. Elle se sert de sa main gauche
sans difficulté pour tous les usages ordinaires de la vie, et l'impotence fonc-
tionnelle de sa main droite est due bien plus au tremblement dont elle est
le siège qu'à l'affaiblissement musculaire révélé par le diagnostic.
Tremblement. La main droite en effet est constamment agitée. Elle
exécute d'une manière incessante des mouvements alternatifs de flexion
et d'extension, d'une amplitude assez grande, sur un rhythme lent et parfai-
tement régulier. Les mouvements de flexion et d'extension reposent exclu-
sivement dans l'articulation du poignet ; la main et les doigts se meuvent
ensemble; ces derniers n'exécutent que des mouvements purement passifs.
L'avant-bras et le bras ne prennent non plus aucune part aux secousses.
Les oscillations qui constituent ce tremblement sont au nombre de 5 1/2 par
seconde.
Elles ne cessent jamais, ni lorsque le membre supérieur droit est au repos.
182 NOUVELLE ICONOGRADUE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ni lorsque la malade exécute avec ses mains lel ou tel mouvement. Sous
l'influence des émotions, comme à l'occasion des mouvements volontaires,
les oscillations deviennent un peu plus amples, un peu plus brusques, mais
leur fréquence et leur régularité ne se modifient guère. Ce tremblement a
débuté insidieusement, il persiste depuis six mois.
IV
- TREMBLEMENTS DE FORMES VARIÉES ET CHANGEANTES
Nous avons réuni dans ce chapitre une série de cas de tremblements
hystériques trop différents les uns des autres et des autres espèces de
tremblements, trop dissemblables par leur rhythme, leur localisa-
tion, etc., pour que nous ayons pu les grouper suivant un ordre mé-
thodique. Ils serviront du moins à accentuer la diversité extrême des
formes que peut revêtir le tremblement chez les hystériques.
TREMBLEMENTS GÉNÉRALISÉS
OBs. XIII. Tremblement hystérique généralisé.
La nommée Jeanne Kell..., âgée de vingt-trois ans, a été admise à la Salpê-
trière le 7 juillet 1886.
La malade ne peut donner aucun renseignement précis sur ses antécédents
héréditaires.
Antécédents personnels . Elle aurait eu des convulsions à l'âge de deux
ans; elle a, uriné dans son ]¡tj usq n'à sa vingtième année. Aseizeans, au moment L
de l'établissement des règles, elle devint très anémique. Elle se trouvait alors
à l'hospice des Enfants-Assistés, onl'emoya àI3erck-sur-Mer, elle y séjournapres
de quatre ans. Là elle eut une conjonctivite granuleuse qui a toujours persisté
depuis et qui a déterminé il la longue la formation d'un CIItt·Ol)1011 bilatéral;
puis une kératite chronique, laquelle a eu pour résultat la production d'opacités
cornéennes. C'est en raison de l'état de sa vue qu'elle a été admise à la Sal-
pètrière en juillet 1886. Dans ces trois dernières années elle est restée pâle,
chétive, souffrant d'nne dysménorrhée très douloureuse. Elle n'avait jamais
présenté aucun trouble nerveux bien caractérisé, lorsqu'il y a un an elle eut
une perte de connaissance qui se produisit dans les circonstances suivantes :
sans aucun motif apparent sa vue s'obscurcit tout à coup, elle eut des bour-
donnements d'oreilles et elle tomba sans connaissance sur le parquet. Elle
revint à elle et put se relever au bout de quelques minutes. Comme elle était
seule, elle ignore si elle s'est débattue ou non pendant qu'elle était privée de
connaissance. Elle n'avait pas uriné sous elle; elle ne s'était pas mordu la
langue.
Depuis cet incident, il lui arrive fréquemment de se sentir tout à coup op-
pressée, il lui semble alors qu'elle a dans la poitrine une grosse boule qui
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 1M
l'étouffé ; c'est vers le milieu de la région sternale qu'elle localise cette sen-
sation.
Cela dure une demi-heure, quelquefois plus, après quoi elle pleure sans
pouvoir se retenir.
Le vendredi 18 mai 1889, la malade sorliten permission, accompagnant sa
mère, laquelle est atteinte de cécité et pour ce motif internée également à la
Salpèlrière. Dans la rue, un gros chien se jela tout à coup sur sa mère en
aboyant. La malade eut très peur, elle se mil à trembler de tous ses membres ;
ses jambes se dérobaient sous elle, elle dut s'arrêter un instant avant de pou-
voir continuer sa promenade. Mais l'émotion, le tremblement, la faiblesse des
membres inférieurs, se calmèrent peu à peu et disparurent complètement au
boul d'une heure environ. Le soir venu, la malade retourna à pied à la Salpê-
trière, mais au moment où elle allait se mettre au lit, elle fut prise d'un
malaise subit. Ce malaise consistait en une sensation de boule siégeant au
creux épigastrique, d'angoisse respiratoire, de sifflements dans les oreilles,
avec obnubilation de la vue; tout cela accompagné d'une vive anxiété. Cet
état de malaise alla s'accentuant pendant une demi-heure environ; après quoi
la malade qui s'était mise au lit fut prise tout à coup d'un tremblement géné-
ralisé très intense. Au dire de la surveillante, elle tremblait « comme quand
on a un grand frisson de fièvre», elle étouffait, elle pleurait en môme temps,
etc. Au bout d'une heure le tremblement cessa et la malade s'endormit. Le
lendemain elle se leva ne tremblant plus, se trouvant très bien. Mais vers
midi,comme elle descendait l'escalier qui de sa salle conduit au jardin de l'in-
firmerie, ses jambes semirent tout à coup à trembler très fort; elles fléchis-
saient brusquementet presque àcbaque pas; la malade, pouvant à peine se tenir
debout, fut obligée de se coucher. Quelques heures après, le tremblement
envahit les membres supérieurs et la tête; et depuis ce jour il a toujours per-
sisté, avec des périodes d'aggravation et d'apaisement, mais sans disparaître
jamais complètement.
Etat actuel (29 mai).-Les stigmates hystériques qui existent chez K... sont
les suivants : 1° rétrécissement concentrique à 30° du champ visuel de l'oeil
droit ; 2, abolition du goût à gauche; 3° abolition de l'odorat des deux côtés;
4° diminution notable de l'acuité auditive de l'oreille gauche; 5- ovarie
double. Si l'on comprime l'ovaire gauche, la malade suffoque aussitôt; elle
accuse une sensation de boule il l'épigastre; la tète lui tourne, elle a des bruils
dans les oreilles. Mais tout se borne la et l'attaque ne se produit pas, quelque
insistance que l'on mette à comprimer la zone ovarienne. La sensibilité générale
est partout normale.
Motilité. La malade est très faible. Elle se soutient à peine sur ses
jambes, qui fléchissent il chaque pas. Elle ne peut marcher sans s'appuyer au
bras d'un aide.
Cet affaiblissement musculaire existe aussi aux membres supérieurs. Les
mouvements en sont lents, inhabiles. L'exploration dynanométrique donne :
main droite, 13 kilogr.; main gauche, 5 kilogr. Peut-être, ces chiffres sem-
blent l'indiquer, la parésie est-elle un peu plus grande dans les membres du
184 . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
côté gauche, mais la malade n'a pas remarqué cela; elle se sent également
faible des deux côtés, et il ne lui semble pas que le côté gauche soit plus faible
que l'autre.
Les réflexes rotuliens sont très brusques, très exagérés, mais le phénomène
du pied fait complètement défaut. Il n'y a pas trace de contracture. Aux
membres supérieurs les réflexes tendineux du coude et du poignet sont aussi
notablement exagérés.'
Tremblement ? ...- Le tremblement a persisté chez la nommé Kali... depuis
le 19 mai, date à laquelle il apparut.brusquement.(précédé par les troubles
qui caractérisent l'aura hystérique, et quelques''heures après que la malade
eut éprouvé une vive frayeur), jusqu'à la première. semaine de septembre.
Pendant cette période de trois mois, nous avons attentivement observé ce trem-
blement ; ses caractères sont restés à peu près constamment les mêmes, en tra-
versant toutefois des phases successives d'apaisement relatif et de recrudes-
cence. Ces dernières succédaient toujours à une sorte de crise de tout point
semblable à celle qui précède le début du tremblement. Voici comment les
choses se passaient : la malade était prise toutà coup, et presque toujours vers
le soir, d'une sensation de boule localisée au creux épigastrique; elle étouffail,
elle pleurait, et le tremblement prenaitsur-le-chàmp un degré d'intensité con-
sidérable. Elle était alors incapable de se'tenir debout; si on l'interrogeait sur
les sensations qu'elle éprouvait alors, elle répondait qu'elle était suffoquée,
que « ça lui tapait dans les tempes ». Tout cela durait' quelques minutes, un
quart d'heure; après quoi le'malaise, l'angoisse respiratoire, s'effaçaient, mais
le tremblement restait un peu plus intense qu'avant cette ébauche d'attaque.
De plus, ses jambes étaient plus faibles, se dérobaient sous elle en fléchis-
sant brusquement, presque à chaque pas. Elle élait incapable de marcher
seule, pendant deux ou trois jours, et on était obligé de la soutenir,
quand elle se rendait à pied de sa salle au laboratoire de la clinique..
Peu à peu les forces revenaient dans les membres inférieurs, la malade
pouvait marcher, monter et descendre les escaliers sans le secours d'un aide,
le tremblement s'apaisait un peu, mais il ne disparaissait jamais complè-
tement.
Voici quels étaient ses caractères.
La tête et les quatre membres sont animés de secousses parfaitement rhyth-
mées, le tremblement est donc généralisé. Il prédomine aux membres in-
férieurs. Là il consiste en des mouvements alternatifs de flexion et d'extension
de la cuisse et de la jambe. Quand la malade est assise, elle trépide exacte-
ment à la façon des paraplégiques spasmodiques; cette trépidation s'inter-
rompt pourtant de temps à autre, mais seulement quelques instants liés
courts, pour recommencer aussitôt. Quand on ordonne à la malade d'étendre
sa jambe en la soulevant au-dessus du sol, les secousses deviennent quelque-
fois plus amples, mais cela ne se produit pas toujours. Parfois même le
tremblement s'atténue et même disparaît quand la malade, passant ainsi du
repos à l'action, étend sa jambe et la soulève. En outre, la fréquence des oscil-
lations varie de temps à autre.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
T. 11'. PL. X\IV
GÉROMORPHISME CUTANE
ARMANDINE S..., SI ANS 1/2
1. E C. nos : \ 1 E ET bayé, ÉDITEURS S
GI : RO\IOltl'1115\I1; CUTANÉ.. · 171
encore plus marqués. Les lèvres sont plissées et ces plis sont séparés par des
sillons ou des rides verticales qui convergent vers l'orifice buccal et donnent
à la bouche l'aspect de l'orifice froncé d'une bourse. Au menton, la direction
des rides n'a pas de direction bien uniforme; la peau esl très mobile sur les
plans profonds.
La moitié inférieure de la face et le cou semblent appartenir à une vieille
femme très ridée et très âgée. Le cou, en effet, offre des rides très accusées.
La peau molle et pendante forme au-dessous du menton une sorte de poche
ridée qui encadre celui-ci à la manière d'un double menton, dans la région
sus-hyoïdienne médiane. Sur les parties latérales de cette région', au niveau
des glandes sous-maxillaires, on voit et on sent à la palpation deux masses
symétriques mobiles, du volume d'un oeuf de pigeon, qui donnent l'aspect et
la consistance de masses ganglionnaires. Dans la région sous-hyoïdienne, la
peau est également ridée, pendante, flasque et mobile, trop large en un mot
pour recevoir les organes sous-jacents.
Au niveau du tronc, la malade étant examinée dans le décubitus hori-
zontal, même aspect sénile de la peau avec ses rides et ses plis. Les
seins plutôt petits, tombent comme ceux des furies antiques. La glande
mammaire sous-jacente est normale. A l'épigaslre deux rides très visibles,
réunies à leur partie supérieure, s'écartant aussitôt à angle aigu, viennent
dessiner la courbe des fausses côtes. Sur l'abdomen, la direction des plis
est transversale. Au niveau des aines ceux-ci sont nombreux, rapprochés,
profonds et parallèles au ligament de Poupart. Sur la partie postérieure du
tronc, les sillons sont beaucoup moins accusés, sauf à la partie inférieure,
aux fesses et à la région sacrée. Sur les parties latérales l'aspect ridé est
assez marqué. Au niveau des membres, soit dans les membres supérieurs
soit dans les inférieurs, les plis sont d'autant plus accusés qu'on se rap-
proche davantage de la racine des membres, tandis que les extrémités à pro-
prement parler sont presque intactes.
Aux membres supérieurs, les aisselles sont garnies de quelques poils rares
et courls. La peau y est très ridée ainsi qu'à la face interne des bras, et à la
région olécranienne. A l'avant-bras l'aspect se rapproche de la normale, ainsi
qu'à la main, sauf à la face dorsale du carpe et du métacarpe où la peau est
très nettement plissée.
Aux membres inférieurs, le pubis est garni de poils de nombre, de couleur
et de longueur normaux. Les cuisses sont sillonnées de plis à direction verti-
calement oblique, surtout marqués à la face interne et au-dessus de la rotule
où leur direction devient transversale. La face antéro-externe, la jambe, le
pied sont relativement peu touchés.
Si on examine la malade debout ou assise dans son lit, les rides que nous
venons de signaler s'accusent notablement et on en voit apparaître de nou-
velles que l'on ne voyait point dans l'attitude couchée.
Outre cette apparence objective de la peau, surtout accusée à la moitié
inférieure de la face, au cou, à la partie antérieure du thorax et de l'abdo-
men, au niveau de l'aine, de l'aisselle et des faces internes du bras el de la
176 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
cuisse, dans les régions exactement symétriques, la peau présente d'autres
phénomènes intéressants.
Elle est très mobile, décollée des plans profonds sur lesquels on la fait
glisser aisément. Elle en est pour ainsi dire détachée, surtout dans les
régions où l'aspect ridé est le plus accusé. Elle semble peut-être un peu
amincie et privée de graisse, au niveau de l'abdomen, un peu épaissie au con-
traire au niveau de la face. Mais il n'y a aucune trace d'oedème, aucun chan-
gement de coloration, aucune éruption. En outre, elle a perdu sa consistance
et son élasticité. On la soulève entre les doigts, on la déplace, on la plisse
avec la plus grande facilité et elle garde pour ainsi dire la forme qu'on lui a
donnée, ou plutôt elle reprend assez lentement sa position première, absolu-
ment comme la peau du cadavre. Lorsqu'on la pince entre deux doigts, on fait
apparaître dans des régions peu touchées une infinité de plis plus manifestes
que sur une peau saine. -
Les diverses fonctions de la peau ne sont que peu altérées. La peau est
moite; ni sèche, ni écaillée, ni luisante; la sueur cependant est diminuée; la
malade dit qu'elle n'a jamais vu de sueur sur son front. Ses mains transpirent
l'été, dit-elle; mais elle ne transpirerait ni de la face ni du corps. Elle a cepen-
dant des sensations de chaleur, mais sans sueur, et en hiver, une sensation
continuelle de froid. La sudation ne semble pas abolie en d'autres régions,
mais elle est cerlainement diminuée. Le système pileux n'est pas intéressé,
ainsi que nous l'avons signalé chemin faisant. La coloration, la chaleur sonl
normales; le tact n'est pas manifestement touché. Absence de douleurs et de
démangeaisons d'aucun ordre, de troubles trophiques ou vaso-moteurs. Les
ongles sont d'aspect normal, sans stries ni sillons; la malade les coupe tous
les huit jours.
Les dents sont en nombre normal; un certain nombre d'entre elles sont
cariées et irrégulièrement implantées. Les deux grandes incisives médianes
supérieures sont atteintes de carie, ainsi que les grosses molaires. Sur la
mâchoire inférieure les canines débordent en dehors les incisives voisines.
Ces altérations dentaires ont produit un peu de gingivite et des névralgies
assez fréquentes. En dehors de cette gingivite, les muqueuses sont saines.
Les plans musculaires profonds, le tissu osseux n'offrent rien d'anormal.
Les diverses parties du corps sont bien conformées, les mains et les pieds
petits, la taille normale, le poids du corps inférieur à la normale. Seule la
peau semble trop large pour couvrir les parties profondes et obligée par suite
de se rider et de se plisser, sans présenter des altérations fonctionnelles bien
sensibles en dehors des troubles sudoripares.
Les divers appareils de l'économie fonctionnent normalement. Le coeur
bat régulièrement et sans souffles morbides; ses battements sont peut-être
un peu sourds. Le pouls est égal, régulier, assez ample; les artères ne sont
ni sinueuses ni athéromateuses. Les poumons ne présentent aucun trouble
respiratoire. Le tube digestif n'offre aucune altération; l'appétit est très
modéré, mais les digestions s'exécutent parfaitement et les selles sont régu-
lières. Le foie est normal; les autres viscères ou appareils ne présentent rien
GÉROMORPHISME CUTANÉ. , 177
de particulier. La menstruation est normale; un peu de leucorrhée depuis
deux ans. Les urines ne renferment ni albumine ni sucre; deux examens
successifs pratiqués par M. Oliviero, interne en pharmacie du service, ont
donné des résultats qui, étant donné le régime alimentaire de notre malade,
sont normaux et ne trahissent aucun trouble de la nutrilion. Le volume
(1200 gr.), l'aspect, la couleur, la densité (1.019) et la réaction de l'urine
sont normaux. Elle ne renferme aucun élément anormal. Les chiffres ci-des-
sous donnent le (aux de l'urée, des phosphates et des chlorures par litre :
178 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Tout ce que nous voulons faire ressortir en terminant, c'est qu'il
s'agit d'un état pathologique spécial ayant revêtu le masque de la
vieillesse et n'ayant point d'analogie, à notre connaissance, avec les
diverses dermatoses connues. On doit, jusqu'à nouvel ordre, la classer
à côté de certaines cachexies innomées, à côté du myxoedème, etc.
Mais il ne peut s'agir ici de sénilité, même précoce au sens strict du
mot; en effet, la peau seule, et encore, dans quelques-uns de ses élé-
ments, est altérée. Les divers viscères, les divers appareils, les tissus
sont d'une femme de vingt ans; du reste, les quelques lignes suivantes
nous dispenseront d'entrer dans de plus longues considérations à cet
égard.
« Vous connaissez tous, dit M. Charcot', l'aspect extérieur du vieil-
lard ; cette peau sèche et ridée, ces cheveux rares et grisonnants, cette
bouche privée de dents, ce corps voûté et ramassé sur lui-même; tous
ces changements correspondent à une atrophie générale de l'individu...
L'émaciation dont il s'agit est la conséquence d'un processus atrophique
qui porte son action non seulement sur les muscles de la vie de relation
et sur les diverses parties du squelette, mais encore sur la plupart des
organes splanchniques. »
Et ailleurs, il. Charpentier2, parlant de la sénilité précoce simple,
s'exprime en ces termes : « Les individus atteints le sont non seule-
ment dans leur système cutané, sécheresse et teinte terreuse de la
peau, rides du visage et de la face dorsale des mains, ^cheveux blanchis
et tombés, dents cariées ou disparues, mais encore dans leurs fonc-
tions digestives ralenties, dans leurs fonctions respiratoires diminuées,
dans leur système musculaire affaibli. »
A. Souques et J.-B. Charcot,
internes de la clinique des maladies du système nerveux.
1. Charcot, Leçons cliniques sur les maladies des vieillards, 2' édit. Paris, 1874, p. 7. 7.
2. Charpentier, Annales médico-psychologiques, décembre 1881.
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 191
que sa jambe et son bras droits devenaient faibles; il obtint un congé et ren-
tra chez lui. Pendant une huitaine de jours il garda la chambre. Il était triste,
maussade, tout l'agaçait. Il se mettait tout à coup à pleurer sans trop savoir
pourquoi. Constamment préoccupé de son état de santé, il disait souvent à sa
femme qu'il avait peur d'être paralysé. « Le tremblement du membre supé-
rieur droit était devenu incessant; la jambe droite commençait aussi à trem-
bler. Les troubles dyspeptiques, la céphalée constrictive, le point douloureux
lombaire persistaient. Parfois il était pris de vertiges. Tel était l'état du
malade, lorsque dans les premiers jours de novembre il eut ce qu'il appelle
sa première attaque de nerfs. » Un jour, vers G heures du soir, étant dans sa
chambre, il éprouva tout à coup « comme des secousses électriques dans les
membres, puis quelque chose lui monta il la gorge, il étouffait». Ses tempes
battaient, il entendait des bourdonnements dans les oreilles; au même ins-
tant sa vue se troubla et il tomba sans connaissance. Quand il revint à lui, au
bout de dix minutes environ, sa femme qui était présente lui raconta ce qui
s'était passé : il s'était débattu, il s'était roulé sur le parquet en criant et en
cherchant à déchirer ses habits, et elle ajouta : « Tu as eu une crise de nerfs
comme la voisine. » Or, renseignements pris, la voisine est une hystérique
avérée qui a de temps en temps de grandes attaques, et qui appelle auprès
d'elle la femme du malade « lorsqu'elle sent qu'elle va avoir sa crise ».
Au sortir de cette première attaque, Claw... remarque que sa jambe et son
bras droits tremblaient plus fort, que ces membres étaient devenus beaucoup
plus faibles. Deux jours après, il eut, encore vers 7 heures du soir, une seconde
attaque semblable à la première et précédée comme elle des mêmes sensa-
tions de serrement à la gorge, d'étouffements, de battements dans les
tempes, etc. Depuis cette époque, les crises allèrent se répétant à des inter-
valles variables. Au mois de janvier 1886, il alla consulter a l'hôpital Necker
et, sous l'influence du traitement hydrothérapique -qui lui fut prescrit par
M. le docteur Rendu, ses crises devinrent un moment moins fréquenles. De-
puis lors tous les troubles que présentait le malade lors de sa première attaque
ont persisté sans se modifier le moins du monde, en dépit des thérapeutiques
diverses auxquelles il a été soumis.
Voici quel est l'état du malade le 3 juillet 1889, jour de son entrée à la
Salpêtrière.
État actuel (3 juillet 1889). C'est un homme de taille moyenne, bien
musclé et d'aspect assez robuste. Il est intelligent; il répond avec précision aux
questions qu'on lui pose, mais d'une voix cassée et qui tremble par instants.
Motilité. Les traits du visage sont symétriques et réguliers. Il n'y a aucune
apparence de spasme ni de paralysie. La langue est tirée droite et se meut
dans tous les sens sans difficulté.
Le malade se plaint d'avoir perdu ses forces; à peine a-t-il fait quelques
pas qu'il se sent fatigué. Indépendamment de cet affaiblissement général, il
existe chez lui une parésie très prononcée des membres du côté droit.
Sensibilité. On constate une anesthésie absolue de toute la moitié droite
du corps pour la sensibilité à la douleur, la sensibilité thermique et le sens
192 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
musculaire. Par contre, la.sensibilité tactile n'est que diminuée. La conjonc-
tive de l'oeil droit, la muqueuse nasale du côté droit, la moitié droite du pha-
rynx, sont complètement insensibles.
On peut comprimer fortement le testicule droit sans provoquer aucune dou-
leur. -
Sens. L'ouïe et l'odorat sont affaiblis, notablement du côté droit.
Le goût est complètement aboli sur toute la moitié droite de la langue.
Pas de troubles oculaires.
Zone hystérogène. Lorsqu'on exerce une pression un peu énergique au
niveau de la partie droite de l'hypogastre immédiatement au-dessus du pli de
l'aine, le malade accuse d'abord une vive douleur, puis il sent comme une
boule qui lui monte du ventre à la gorge, sa respiration devient anxieuse, et
si on l'interroge sur ce qu'il éprouve il se plaint d'avoir des bourdonnements
dans les oreilles, des battements dans les tempes; puis sa vue se brouille et
il menace de tomber; les choses s'arrêtent là, et l'aura ainsi provoquée n'est
pas suivie d'attaque.
État mental. -Depuis l'accident dont il a été victime, le malade est triste,
apathique; il cause peu; parfois il pleure sans motif. Il n'a plus la vivacité
d'esprit, l'entrain qu'il avait autrefois, mais son intelligence paraît intacte.
Par contre, sa mémoire est affaiblie; il le sait et il s'en plaint. « Il y a des jours,
dit-il, où j'oublie tout ce que je viens de faire et d'autres jours je me rappelle
très bien. » Cependant il nous a raconté l'histoire de sa maladie à plusieurs
reprises, sans trop hésiter et sans varier jamais dans ses assertions. Enfin le
malade accuse toujours cette céphalée gravative incessante et prédominant
dans la région occipitale qui est apparue dès la seconde semaine après la col-
lision. Dès qu'il se met à lire, son mal de tête s'accroît.
Il souvent des vertiges. L'appétit est médiocre, les digestions sont pénibles,
il étouffe et il a le sang à la tête après le repas.
Le 6 juillet, le malade demande sa sortie. Nous l'avons revu et examiné à
nouveau le 27 juillet, puis le 4 et le 20 août. Il n'y a rien de changé dans son
état. Il présente également les mêmes symptômes que nous avions constatés
pendant son séjour dans le service de la clinique. Il a toujours des attaques,
une ou deux par semaine en moyenne. Mais il existe chez lui actuellement
de la diplopie monoculaire et un rétrécissement concentrique et permanent
du champ visuel (examen du 26 août), signes qui faisaient encore défaut à
l'époque où le malade a quitté l'hôpital.
Tremblement. L'histoire du tremblement que présente ce malade, peut
se résumer ainsi :
Lorsque Claw..., guéri de ses blessures et de ses contusions, mais devenu
neurasthénique à la suite de l'accident dont il avait été victime, reprit, au
bout d'un mois, son métier de conducteur, il s'aperçut tout à coup, en vou-
lant inscrire le nom d'un voyageur sur son carnet, que sa main droite trem-
blait. Ce tremblement fut assez intense pour l'empêcher d'écrire et le malade
dut prier un de ses camarades d'écrire pour lui. Mais, au bout de quelques
instants, ce tremblement s'apaisa et disparut. Quelques jours après il reparut
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 189
une chute dans laquelle il se contusionna fortement l'épaule droite. En 1870,
il reçut, à Gravelotte, un coup de feu au mollet gauche. La plaie, qui était
superficielle, se cicatrisa rapidement et après un mois de repos il put
reprendre son service. Ces deux traumatismes, tout son passé pathologique,
n'eurent aucune suite fâcheuse et n'altérèrent en rien sa santé générale. Il a
toujours été un homme sobre, nullement porté aux excès alcooliques ou
autres, de moeurs simples et tranquilles. Marié, il a eu sept enfants; deux de
ses enfants sont morts du croup; les autres sont bien portants. Après la
guerre il vint habiter Paris. Il a été successivement garçon d'hôtel, valet
de chambre, et puis garde de propriété en Normandie.
Il y a un an, en juin 1888, il entra comme conducteur, à la Compagnie des
wagons-lits. Ses fonctions consistaient à surveiller les voitures de la compa-
gnie dans les trains en marche et à aider au service des voyageurs. Cette exis-
tence faite de voyages incessants, de sommeils interrompus, de préoccupa-
tions continuelles, de responsabilités sérieuses, contrastait singulièrement t
avec la vie calme et régulière qu'il menait avant d'entrer au service de sa
compagnie, alors qu'il était garde de propriété en Normandie. Cependant,
malgré les fatigues qu'il avait à subir dans l'exercice de sa nouvelle profession,
sa santé resta parfaite. Il n'éprouvait aucun malaise, aucun trouble nerveux
notamment, lorsqu'il fut victime d'un accident de chemin de fer dans les
circonstances que voici : pendant la nuit du 4 au 5 septembre 1888, C... se
trouvait dans un train rapide venant de Genève et allant à Paris. Vers 3 heures
du matin, à Velars, près de Dijon, ce train dérailla empiétant sur la voie
collatérale et fut pris aussitôt en écharpe par un train express lancé [otite
vitesse. Le malade raconte qu'il était debout dans le couloir du wagon au
moment où le choc se produisit. Il fut projeté contre la paroi du comparti-
ment et perdit immédiatement connaissance. Quand il revint à lui, deux ou
trois minutes après, il s'entendit appeler par les voyageurs; il se leva rapi-
dement et sans difficulté. L'obscurité était complète, les lampes s'étant
éteintes au moment de la collision; il chercha à tâtons un sac dans lequel il
se souvenait d'avoir mis une bougie, puis ne le trouvant pas il sortit du
wagon en passant à travers les débris de toutes sortes qui l'environnaient.
Arrivé sur le talus qui bordait la voie, il examina s'il n'était pas blessé et il
s'aperçut qu'il avait des contusions au côté gauche de la poitrine, une plaie
superficielle sur la face dorsale du poignet droit et une longue éraflure à la
jambe gauche. Ces blessures ne saignaient pas, ne lui causaient aucune dou-
leur ; il avait conservé la liberté et l'exercice de tous ses mouvements. Les
voyageurs qui se trouvaient couchés dans sa voiture au moment du choc étaient
sains et saufs. Pendant deux heures environ il travailla sans relâche à secou-
rir les blessés, à dégager les voyageurs emprisonnés sous les décombres. C'est
alors seulement qu'il commença à se sentir ému; à ce moment il éprouva un
malaise général; ses forces faiblirent, ses jambes se dérobaient sous lui. Il
dut cesser de travailler, et, après avoir fait panser son poignet et sa jambe
blessés, il alla se coucher. Mais il était dans un tel état d'angoisse et d'agita-
tion qu'il lui fut impossible de dormir. Il resta ainsi toute la journée du sep-
190 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
tembre sur le lieu de l'accident, assistant au sauvetage et à l'enlèvement des
victimes, sous le coup d'une émotion grandissante qui le faisait parfois
trembler de tous ses membres et qu'il ne pouvait pas maîtriser. Il passa la
nuit suivante couché dans un wagon-lit. Mais il ne put fermer l'oeil. Il avait,
nous dit-il, la tête perdue; il lui semblait entendre les cris des blessés, il
revoyait tous les incidents du drame auquel venait d'assister. Le lendemain
au soir, quand il arriva à Paris, il était encore tremblant et très ému. On dut
l'aider à descendre du wagon. Rentré chez lui, le malade s'alita jusqu'à la
complète guérison de ses contusions et de ses blessures, c'est-à-dire pendant
une dizaine de jours. Durant cette période il se plaignait surtout de ne pou-
voir pas dormir. Dans la journée il était assez calme, mais tous les soirs vers
8 ou 9 heures il entrait dans un état d'agitation violente accompagnée de
rêves, de cauchemars et parfois même d'hallucinations. ◀Tantôt▶ il se croyait
dans un train en marche, il parlait il haute voix, s'adressant aux voyageurs,
appelait un de ses camarades, etc. ◀Tantôt▶ il assistait à certaines scènes de
l'accident de Velars. Parfois il avait des visions de chats ou de rats courant
sur ses couvertures. Une nuit il se leva, saisit un seau d'eau et se mit à
poursuivre des rats, voulant, disait-il, les noyer. Pendant ces sortes de rêves
en action il appelait sa femme, lui montrait avec insistance ces animaux
imaginaires, l'invitait à les tuer, etc. Il ne se calmait qu'aux approches du
jour, vers 4 ou 5 heures du matin.
Dix jours après l'accident, ses blessures étaient guéries, il put se lever et
faire quelques promenades au dehors. Mais dans la dernière semaine de
septembre il commença à éprouver un mal de tête consistant en une sensa-
tion continuelle de serrement ou de poids pesant sur tout le crâne. Cette
céphalée était particulièrement intense dans la région occipitale. En outre, il
se plaignait d'une gêne douloureuse siégeant à la partie inférieure du dos sur
la région médiane, un peu au-dessus du sacrum. Cela lui faisait mal lorsqu'il
passait de la station assise à la station debout, ou bien quand il se baissait
pour ramasser un objet. Il n'avait plus d'appétit; ses digestions étaient
pénibles; il se plaignait d'avoir l'estomac gonflé; après le repas il était pris
d'un besoin de sommeil irrésistible. Il attribua tous ces troubles à la vie
sédentaire qu'il menait depuis son accident et il se décida à reprendre ses
fonctions de conducteur.
Au commencement du mois d'octobre, un mois après l'accident, il fit un
voyage à Arienne. Pendant le trajet il remarqua en délivrant un reçu à un
voyageur que sa main droite tremblait. Ce tremblement fut assez prononcé
pour l'empêcher d'écrire, mais il s'atténua quelques heures après. De retour
à Paris, quand il remit son carnet au contrôleur de la compagnie, celui-ci lui
fit observer que ses écritures étaient en désordre et que ses comptes étaient
faux. Il s'excusa en disant « que depuis l'accident qui lui était arrivé, il
n'avait plus sa tête à lui, que sa mémoire était embrouillée». Après quelques
jours de repos, il partit pour un second voyage. Il devait aller jusqu'à
Madrid. Mais à Bordeaux il fut obligé de s'arrêter. Le tremblement de la
main droite s'était accentué de même que la céphalée constrictive ; il sentait
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 1S7
Au sortir de cette seconde attaque elle remarqua que son bras et sa jambe du IL
côté droit tremblaient, ce tremblement a toujours persisté depuis.
État actuel. Depuis qu'elle est entrée il la Salpêtrière, ses attaques s
sont fréquentes. Elles se produisent tous les quatre ou cinq jours en moyenne.
On peut les provoquer par la compression de l'un ou de l'autre ovaire, ou
bien en exerçant une légère pression au creux épigastrique. La malade accuse
d'abord une sensation d'étouffement, puis il lui semble que sa gorge est
serrée; elle fait de violents efforts d'inspiration; elle a des battements dans
les tempes; ses yeux se ferment; elle perd connaissance et l'attaque com-
mence. Après quelques convulsions épileptiformes de courte durée, elle
exécute en poussant des cris une série de mouvements de salutation inter-
rompus de temps en temps par un arc de cercle en avant caractéristique.
Apres quoi elle retombe inerte, et elle se met à pleurer abondamment, elle
sanglote. Parfois l'attaque recommence. La compression des zones hystéro-
gènes déjà indiquées ne l'interrompt pas. Un examen méthodique révèle
l'existence des stigmates suivants : 1° une analgésie absolue (avec conser-
tion des autres modes de la sensibilité ), qui s'étend il tout le membre supé-
rieur droit partir du tiers inférieur du bras. Cette zone d'analgésie est limitée
par une ligne circulaire; 20 un rétrécissement concentrique à 70° du champ
visuel de l'oeil droit; 3° le goût est aboli sur le côté droit de la langue; l'odo-
rat est affaibli de ce côté. La malade souffre toujours d'une céphalée occipi-
tale, constrictive, elle a encore la plaque sacrée; les troubles dyspeptiques
persistent. Elle est triste, apathique; sa mémoire est très amoindrie; elle est
comme hébétée ; elle se sent tout à fait incapable de reprendre ses occupations.
Tremblement. Indépendamment de ces divers troubles, elle présente
d'ailleurs un tremblement très intense qui occupe le membre supérieur droit.
Ce tremblement que nous avons observé pendant les mois d'août et de
septembre offre les caractères suivants : quand la malade tient son avant-
bras et sa main mollement appliqués et reposant sur son abdomen, la main
et l'avanl-bras sont animés d'un tremblement bien rhythme, dont les oscilla-
lalions sont au nombre de 6 1/2 à 7 par seconde. La main décrit dans son
ensemble des mouvements de flexion et d'extension combinés il des mou-
vements d'adduction-abduction. Celte particularité se voit très nettement sur
les tracés photographiques que nous avons recueillis. La ligne du tremble-
ment est constituée par des traits obliques(et non plus' verticaux comme dans
le tracé fourni par Claw...); parfois même l'extrémité de la ligne d'ascension
forme une boucle avec le commencement de la ligne de descente, indiquant
ainsi le mouvement elliptique que décrit le poignet. '
L'avant-bras placé en demi-pronation, exécute de légers mouvements
alternatifs de flexion et d'extension'. Mais 'lorsque la malade est un peu
émue, le tremblement 'devient d'abord plus ample; puis l'on voit se produire
des soubresauts du bras, qui écartent brusquement le coude de la poitrine
et qui se répètent il intervalles inégaux; au bout d'un certain temps, ces
secousses apparaissent dans l'épaule droite, qui se soulève par saccades; la
tête elle-même exécute de temps il autre de brusques mouvements d'exten-
188 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sion ou d'inclinaison latérale. En un mot, à ce tremblement qui existait pri-
miliv ement seul sont venus s'ajouter des mouvements choréiformes.
Le tremblement présente à peu près ces mêmes caractères lorsqu'on fait
étendre le bras de la malade; l'amplitude des oscillations s'accroît seulement
d'une façon notable. Tout ce qui précède a trait aux périodes dans lesquelles
la malade, ayant eu peu de temps auparavant une attaque convulsive, se
trouve comme elle dit « très agitée ». Ces jours ? ), le tremblement est con-
tinu, et ne cesse que pendant le sommeil. Mais il n'en est pas toujours ainsi.
Après les périodes « d'agitation » viennent des périodes de calme relatif,
dans lesquelles le tremblement présente des allures tout à fait différentes.
Il est alors intermittent. ◀Tantôt▶ les phases d'arrêt sont très brèves; pen-
dant quelques secondes, une ou deux minutes au plus, le tremblement cesse,
puis reprend soit à l'occasion d'un mouvement, soit en plein état de
repos. Dans ces moments de calme relatif, l'élévation du bras (attitude du
serment) fait reparaître presque toujours le tremblement. Il en est de même
des émotions.
L'acte d'écrire est surtout apte à réveiller le tremblement. Quand, se trou-
vant dans un de ses moments de calme, la malade saisit un crayon et trace,
même d'une façon fictive, une série de mots, le tremblement reparaît
presque aussitôt, léger d'abord puis très accentué, et même plus rapide
que de coutume. Le nombre des oscillations s'élève de 7 il 8 par seconde.
Lorsqu'on comprime l'ovaire droit de la malade, alors que sa main a cessé
do trembler, aussitôt, en même temps que la malade accuse les symptômes
de l'aura, le tremblement reparaît, très intense, persiste alors pendant plus
d'un quart d'heure sans interruption.
Enfin, il arrive de temps en temps que les périodes d'arrêt du trem-
blement se prolongent pendant une ou deux heures. Dans ces moments les
oscillations disparaissent complètement. La malade peut écrire très exac-
tement une lettre; mais qu'on vienne à comprimer l'ovaire droit, les
secousses recommencent immédiatement et l'écriture devient presque im-
possible.
OBs. XV. Accident de chemin de fer : neurasthénie et hystérie coiisécit-
tives. Tremblement hystérique de la main droite.
Claw... Louis, âgé de quarante-deux ans, employé de la Compagnie inter-
nationale des' wagons-lits, est entré à la Salpêtrière, dans le service de M. le
professeur Charcot, en juillet 1889 :
Antécédents héréditaires. Le malade ne peut donner aucune indica-
tion sur l'état de santé de ses grands-parents. Celle réserve faite, on ne
retrouve chez ces ascendants, dans la ligne directe comme dans la ligne colla-
térale, aucun élément d'hérédité névropathique.
Antécédents personnels. - Claw... est né en Alsace. Dans son enfance,
il a vécu à la campagne, travaillant aux champs. Il n'a pas été sujet à ces ter-
reurs nocturnes, à ces hallucinations hypnagogiques si fréquentes chez les
jeunes enfants issus de souche névropathique. A l'âge de dix-huit ans, il fit
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 185
Les réflexes rotuliens sont très brusques; la percussion des tendons.active
le tremblement et cependant le redressement brusque du pied, au lieu de
provoquer une recrudescence des secousses, les fait cesser un moment. D
Aux membres supérieurs, le tremblement a des allures plus capricieuses
encore. ◀Tantôt▶ il existe au repos et s'efface à l'occasion des mouvements
volontaires, ◀tantôt▶ au contraire, nul au repos, il apparaît avec les mouvements
intentionnels. Ce tremblement des mains consiste en mouvements de flexion
et d'extension du poignet; que la main soit étendue (altitude du serment) ou
posée à plat sur une table, les oscillations se font dans le sens vertical.
Étudions d'abord la marche du tremblement quand la malade laisse reposer
sa main sur une table. Parfois les oscillations se succèdent régulières et à
intervalles égaux, pendant deux, trois, cinq minutes et plus; puis des mo-
ments d'arrêts se produisent, le tremblement cesse, reprend, etc.
L'influence des mouvements volontaires est aussi très incertaine. Nous
l'avons déjà indiqué. -
Dans l'attitude du serment le tremblement se comporte avec la même
irrégularité, la même inconstance. Parfois il persiste pendant une ou deux
minutes sans interruption et avec une régularité parfaite. Puis on le voit
cesser tout à coup. La malade laisse retomber sa main, il ne reparaît pas,
elle élève le bras de nouveau, il ne reparaît pas encore. Apres quoi les oscil-
lations reprennent spontanément, pour un temps plus ou moins long,
un cours régulier. En somme, ce tremblement n'est pas absolumentcontinu;
les phases d'interruptions, il est vrai, ne durent jamais plus de quelques
secondes. El si on l'examine un peu superficiellement, cette malade paraît
trembler d'une façon incessante. Ce tremblement n'est pas non plus un
tremblement intentionnel, puisque le passage du repos à l'action ne provoque
pas toujours, soit l'apparition, soit l'accroissement d'amplitude des oscilla-
tions. Il peut exister cependant soit au repos, soilpendant les mouvements
actifs.
Le tremblement de la tête est plus régulièrement continu. Il ne cesse
guère dans la station debout et la slation assise. Quand la malade s'étend sur
son lit, le tremblement disparaît. Et alors, si elle soulève une jambe ou un
bras, le tremblement apparaît souvent, mais non à toutes les épreuves.
Tels sont les caractères que présente le tremblement de la nommée
Kcll... pendant les jours où ce symptôme est d'une intensité moyenne. Mais
si on observe la malade, le jour même ou le lendemain d'une de ces ébauches
d'attaques qu'elle a de temps en temps, alors le tremblement est incessant,
régulièrement continu, sauf dans le décubitus horizontal; son amplitude
s'accroît à chaque fois que la malade passe de l'état du repos à l'accomplis-
sement d'un acte quelconque. La malade reproduit alors exactement
l'aspect extérieur et les allures des trembleurs répondant au type rémittent-
intentionnel précédemment décrit.
IV. 13
186 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
TREMBLEMENTS A LOCALISATION MONOPLEGIQUE
OBs. YIV. Surtttetccge : neurasthénie et hystérie. Tremblement hystérique
localisé au membre supérieur droit et accompagné de mouvements choréi-
ques.
La nommée Desh... Eugénie, lingère, âgée de vingt-huit ans, est entrée à
la Salpêtrière le 1°` août 1889. C'est une jeune fille grande, forte ; elle a été
réglée à quinze ans et toujours bien réglée.
Antécédents héréditaires. -Les antécédents héréditaires ne présentent
rien de particulier à signaler en ce qui concerne l'hérédité névropathique
ou arthritique.
Antécédents personnels. Son affection actuelle est sa première ma-
ladie ; auparavant sa santé avait toujours été parfaite. Depuis trois ans elle
travaille dans un grand magasin de lingerie. Elle est chargée de l'expédition
des marchandises vendues et aussi d'une partie des achats. Elle écrit beau-
coup de lettres; elle est obligée de surveiller constamment les ouvrières
placées sous ses ordres. Sa besogne, nous dit-elle, est très fatigante.
Elle travaille environ douze heures par jour, de 8 heures du matin à
10 heures du soir.
En septembre 1888, il y a un an, elle commença à ressentir les troubles
suivants : faiblesse générale, céphalée constriclive permanente avec sensation
de pression à l'occiput, sensation de compression à la région sacrée, perte de
l'appétit, digestions difficiles. Après les repas elle avait toujours « le sang à
la tête », elle étouffait; parfois elle était prise de vertiges subits, passagers.
En même temps son caractère se modifia profondément; elle devint triste;
tout l'ennuyait; elle avait des idées noires; elle se mettait parfois à pleurer
sans motif. Son travail lui devenait insupportable.
Au mois de mai 1889, ces divers troubles s'accentuèrent. Elle avait beau-
coup de peine à fournir sa journée de travail, parce qu'elle était très faible et
parce que « sa mémoire était perdue ». Elle oubliait il chaque instant une
lettre à écrire, un ordre qu'elle venait de recevoir. En causant il lui arrivait
parfois de s'interrompre tout à coup, ne se rappelant plus ce qu'elle voulait
dire. La nuit elle était agitée, elle avait des rêves fréquents; elle voyait des
animaux, ou bien se croyait à son magasin, appelait à haute voix ses cama-
rades, etc.
Un soir, vers 7 heures, il la suite d'une contrariété sans importance, elle
se sentit tout à coup comme suffoquée, elle ressentit des élancements très
douloureux dans les tempes, sa vue se troubla et elle tomba à terre en se
débattant et en poussant des cris. Quand elle reprit connaissance elle pleura
abondamment. Elle était très faible, on dut la ramener en voilure il son
domicile. {
Après deux jours de repos elle voulut retourner à son magasin. A peine
avait-elle commencé à travailler qu'elle eut une seconde attaque précédée
des mêmes prodromes qui avaient marqué le début de la première crise.
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 199
nique rendent incertaine la légitimité de certaines espèces de tremble-
ment jusqu'ici admises ; tels sont le tremblement saturnin, certains
tremblements dits émotifs.
Nous ne prétendons pas que ces tremblements n'existent pas, qu'ils
sont tous de nature hystérique. Nous croyons seulement qu'il y a lieu
de soumettre, il l'avenir, les faits qui ressortisscnt à ces catégories de
tremblements à un contrôle plus sévère, plus attentif. Nous avons vu
et nous pourrions citer plusieurs cas de tremblement saturnin et de
tremblements provoqués par une vive frayeur qui appartenaient cer-
tainement au domaine de l'hystérie.
Il y aurait lieu encore de reviser les faits de tremblements d'origine
traumatique.
Nous croyons aussi que parmi les tremblements consécutifs aux
maladies aiguës, telles que la variole, la fièvre typhoïde, l'érysipèle
faits de Westphall, Peliier et Liouville, Clément, etc.), il en est qui
sont en réalité de nature hystérique.
Enfin certains tremblements hystériques, quand ils prennent la.
forme hémiplégique ou monoplégique, pourraient aisément être pris
pour des tremblements post-hémiplégiques ou symptomatiques d'une
tumeur cérébrale.
L'observation qui va suivre donne une idée assez nette des difficultés
que peut présenter le diagnostic différentiel d'un tremblement hysté-
rique et d'un tremblement causé par une tumeur cérébrale.
Cas. XVIII. La nommée Mand.... Mathilde, âgée de trente ans, femme
de chambre, entrée à la Salpêtrière le 8 avril 1889, salle Duchenne, lit n° 3,
dans le service de M. le professeur Charcot.
Antécédents héréditaires. Grand-père pas connu de la malade. Grand'-
mère pas nerveuse, sanlé parfaite, morte à quatre-vingt-deux ans. Mère su-
jette à des accès de névralgie faciale très violents qui reparaissent tous les
deux ou trois mois. Trois oncles et une tante. Un oncle qui est migraineux,
c'est tout. Une cousine germaine avait « une maladie noire ». Elle était
triste, fuyait toute compagnie. Voulait vivre seule. Côté paternel. Grands-
parents ne sont pas connus de la malade. Père très emporté, coléreux, al-
coolique. Trois oncles et deux tantes bien portants. Leurs enfants ne sont
pas bien connus de la malade.
Antécédents personnels. A l'âge de sept ou huit ans, elle a été sujette
pendant quelques mois il des terreurs nocturnes avec hallucinations. Cela la
prenait dès qu'elle était couchée, elle voyait un « grand monsieur tout
habillé de blanc », elle poussait des cris, on accourait auprès d'elle et puis
elle se calmait et s'endormait jusqu'au lendemain. Réglée à quatorze ans,
très irrégulièrement et parfois règles douloureuses. Depuis l'âge de quinze
ans, femme de chambre jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, santé parfaite. Aucune
200 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
affection d'ordre névropathique ou autre, seulement quelques accès de mi-
graine vulgaire tous les deux ou quatre mois. Rien autre.
Histoire de la maladie. C'est il y a quatre ans qu'elle est devenue ma-
lade (septembre 1886).
Elle était alors aux bains de mer, il Veules, où ses maîtres l'avaient
amenée. Elle couchait dans une mansarde dont la fenêtre fermait fort mal.
La pièce élail très humide, avec des moisissures sur les murs; la nuit, le
vent très frais (on était en septembre) soufflait sur son lit à travers la fenêtre
mal jointe; c'est dans cette chambre qu'une nuit (la veille au soir, dispute
avec la cuisinière), vers une heure ou deux dit matin, elle fut prise pour la
première fois de violentes douleurs dans la tête. Ces douleurs la réveillèrent
brusquement. Elles siégeaient dans toute la moitié droite du crâne et au-
tour de l'oeil droit. C'étaient des élancements douloureux très vifs, très
rapides et incessants, avec des battements très forts dans la tempe droite et
des bourdonnements continus dans l'oreille du même côté. Il lui fut impos-
sible de dormir. Le lendemain au matin les douleurs étaient un peu calmées
(elle avait pris des pilules que lui avait données un pharmacien), mais
elles persistèrent en s'atténuant progressivement pendant quatre ou cinq
jours.
Pendant la durée de ce premier accès elle n'éprouva, non plus durant les
accès qui suivirent ultérieurement, aucune douleur dans les régions ova-
riennes, aucune sensation de boule, de constriction à la gorge, rien qui rap-
pelle l'aura hystérique vulgaire. Pendant quatre ou cinq mois il lui arriva
de temps en temps de souffrir de la moitié droite de la tête, mais seule-
ment pendant une ou deux heures. Elle avait des battements douloureux
à la tempe, au front, son oreille droite bourdonnait et cela passait au
bout d'une demi-heure, une heure ou deux. C'était comme de petits accès
avortés.
En octobre, céphalalgie, fièvre : entre à Bichat : séjour de quinze jours;
délire; fièvre typhoïde ( ? )
Deuxième accès avec perte de connaissance en janvier 887.
Accès douloureux (cinq mois après le premier accès). La veille, alterca-
tion vive avec une autre femme de chambre. Le soir vers dix heures et
demie, au moment où elle allait se coucher, tout à coup elle est prise de dou-
leurs très fortes dans toute la moitié droite de la tête, de la nuque au front,
pas dans l'oeil; avec des battements « comme des coups de marteau » dans
la tempe droite, des bourdonnements de l'oreille droite; et puis, au bout
d'une ou deux heures de cet état douloureux (elle s'élait couchée),
elle perdil connaissance. Elle ne sait plus ce qui s'est passé. Elle s'est
éveillée le lendemain, le lit n'était pas en désordre. Elle ignora si elle
a eu des convulsions. Elle ne s'était pas mordu la langue, elle n'avait pas
uriné dans son lit. Elle se trouvait très bien, plus de douleurs, plus rien,
calme parfait. Santé parfaite pendant dix-huit mois.
Troisième accès avec perte de connaissance. La soeur de la malade annonce
qu'elle entre dans un couvent. Aussitôt la malade se tourmente, cela la cha-
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 197
sauce, il pouvait parler, manger et boire sans difficulté. Il n'avait pas du
tout de fièvre ; il dormait bien. Cet état de contracture persista sans se modi-
fier pendant près de trois mois. Un jour, la rigidité des membres cessa brus-
quement et le malade recouvra « comme par enchantement » l'entière liberté
de ses mouvements.
L'année suivante, en 188G, après une période de malaise vague pendant
laquelle son caractère se modifia profondément (il devint triste, pleurait
souvent sans motif), il eut sa première attaque d'hystéro-épilepsie. Cette
attaque, comme celles très nombreuses qu'il a eues ultérieurement, fut pré-
cédée de la série des prodromes qui caractérisent l'aura hystérique, à savoir :
sensation de boule partant de l'aine gauche et remontant au creux de l'esto-
mac, puis au cou, angoisse respiratoire, palpitations, battements dans les
tempes, etc. Depuis cette époque, indépendamment' des crises convulsives
qui se succédaient à intervalles variables (tous les mois ou tous les deux mois),
Cah... a présenté plusieurs accidents intéressants :
Eu 1887 il eut une seconde attaque de contracture généralisée qui dura
huit jours et prit fin subitement à la suite d'une attaque convulsive. En juin
1888, chorée malléatoire qui persista pendant une dizaine de jours. En
novembre de la même année, troisième attaque de contracture qui dura
quinze jours. En février 1889, à la suite d'une attaque qui fut, paraît-il, par-
ticulièrement violente, le malade vit sa main et son avant-bras droit s'atro-
phier rapidement en quelques jours. Cette atrophie a toujours persisté depuis.
Le 6 juin, Cah... entre dans le service de la clinique.
État du malade (le 10 juin 1889). Le sujet est de taille peu élevée,
mais il est bien musclé et d'apparence robuste. On constate chez lui : 1° une
hémianesthésie droite, absolue, superficielle et profonde, intéressant à la fois
la sensibilité générale et les organes des sens. Le sens musculaire est aboli
à droite; 2° une hyperesthésie cutanée de tout le membre inférieur gauche,
la plante du pied exceptée ; 3° une zone hystérogène correspondant au pli de
l'aine du côté gauche; 4° un double rétrécissement concentrique du champ
visuel, à 35° pour l'oeil gauche, à 45° pour l'oeil droit. L'examen de la vision
pratiqué par M. le Dr Parinaud révèle, en outre, de la diplopie monoculaire
et de la micromégalopsiepour l'oeil droit. 11 n'y a pas dyschromatopsie; 5° une
parésie des.membres du côté droit prédominant au membre supérieur.
Exploration dynamométrique : main gauche, 70 kilogr. ; main droite,
15 kilogr. Le membre supérieur est atrophié dans son ensemble. Au bras et à
l'avant-bras l'atrophie est uniformément répartie, mais à la main l'atrophie
porte surtout sur les muscles. L'éminence thénar a complètement dis-
paru. Il s'agit d'atrophie simple sans réaction de dégénérescence (examen
de M. Vigoureux).
Malgré cette parésie et cette atrophie musculaire, le malade se sert sans
difficulté de sa main et de son bras pour tous les actes de la vie usuelle.
L'affaiblissement du membre inférieur droit ne l'empêche pas non plus de
courir, de faire de longues marches.
Tremblement. Le membre supérieur droit est le siège d'un tremble-
198 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S1L1'$l'IIIl;ltl : .
ment qui présente les caractères suivants : ce tremblement n'apparaît qu'à
la suite des attaques ; il dure deux, trois jours, parfois quelques heures seu-
lement, et puis il s'atténue et cesse complètement. Il est constitué par de
petites oscillations, rapides, inégales qui se produisent dans le sens verlical
(flexion, exlcnsion), lorsque le malade tient son bras et sa main tendus hori-
zontalement. Elles ne cessent pas à l'état de repos, et leur amplitude ne,
s'accroît que forl peu quand le malade élève la main pour saisir un objet ou
placer son bras dans l'attitude du serment. Les mouvements sont peu gênés
en somme. Le malade peul rouler une cigarette, porter un verre à sa bouche,
écrire môme, bien que son écriture soit alors peu régulière.
Le nombre des oscillations est de 8 1/2 à 9 1/2 par seconde. Les oscil-
lations sont régulièrement espacées, mais leur amplitude est très variable.
Au résumé, il s'agit d'un tremblement rapide, à forme vibratoire, localisé
au membre supérieur droit.
Nous n'avons pas pu constater chez ce malade l'action de la zone hysté-
rogènc sur ce tremblement, car cette zone est très sensible; la plus légère
pression provoque immédiatement l'attaque.
A côté de ce tremblement, le malade en présente parfois un autre, mais
d'une forme différente, au membre inférieur droit. Comme le précédent, il
n'apparaît qu'à la suite des attaques; sa durée est plus éphémère encore; il
ne persiste que quelques heures après l'attaque qui l'a fait naître. Il a tous
les caractères de l'épilepsie. Mais il ne se produit que lorsque le sujet tient
sa jambe étendue sur une chaise, ou appuyée le talon sur le sol, ou bien
lorsqu'il l'élève horizontalement. Par contre, quand le malade a sa jambe
fléchie à angle droit, le pied reposant à plat sur le parquet et quand il est
debout, le tremblement ne se produit jamais; quoi qu'on fasse.
Le réflexe rotulien du côté droit est exagéré et très brusque. La percussion
du tendon développe la trépidation, le redressement brusque du pied égale-
ment, mais ces manoeuvres ne sonl efficaces qu'à la condition que la jambe
soit placée dans l'une des attitudes favorables que nous venons d'indiquer.
Le nombre des oscillations est de G par seconde. -
· Nous avons suffisamment insisté dans le chapitre premier de ce travail
sur la grande analogie qui existe entre le tremblement hystérique à forme
vibratoire et les tremblements également rapides de la paralysie géné-
rale, de la maladie de Basedow et de l'intoxication alcoolique. Nous
n'avons donc pas à y revenir ici.
Nous avons aussi indiqué (chap. n) d'une façon aussi précise que
possible les traits de ressemblance qui existent entre le tremblement
mercuriel, celui de la sclérose en plaques et certaines formes de
tremblement hystérique.
Nous devons encore faire remarquer que les données aujourd'hui
acquises sur les tremblements hystériques, sur leur polymorphisme, la
multiplicité des aspects sous lesquels ils peuvent se présenter en cli-
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 19 ?
Motilité. Le membre supérieur droit est notablement parésie. Au
dynanomètre : main droite, 6 kilogr. ; main gauche, 20 kilogr.
La malade cependant peut mouvoir son bras et sa main dans tous les sens.
Mais elle est incapable d'accomplir avec ce membre les actes qui nécessitent
un déploiement d'énergie musculaire un peu considérable. Ce sont surtout
les mouvements de la main qui sont gênés. Elle ne peut pas saisir solide-
ment un verre et le porter à sa bouche. Elle a beaucoup de peine à se peigner,
à boutonner sa robe; il va sans dire que cet affaiblissement musculaire n'est
pas seul en cause dans l'incapacité fonctionnelle du membre supérieur
droit. Le tremblement dont il est animé, et que nous allons décrire, entre
aussi pour une bonne part dans l'inhabileté des autres mouvements, surtout
de ceux que nécessitent les actes de coudre, d'écrire, etc.
Il n'y a pas de trace de contracture; les réflexes tendineux du poignet et
du coude sont normaux. Le membre supérieur gauche, les membres infé-
rieurs, la face, la langue ne présentent aucun trouble de la motililé.
Il n'existe aucune zone hystérogène.
La malade n'a jamais eu d'attaques.
Depuis le 29 juin, nous avons réexaminé cette malade à plusieurs reprises.
A cette époque, elle n'avait jamais eu d'attaque; mais le 3 août dernier,
après avoir assisté à une querelle violente que son père eut avec un individu,
elle fut prise presque aussitôt des symptômes classiques de l'aura hystérique :
sensation de boule remontant à la gorge, suffocation, battements dans les
tempes, bourdonnements d'oreilles, etc., après quoi elle perdit connaissance.
Sa mère qui était présente nous a rapporté qu'elle s'était débattue en criant
très fort. Qu'elle « avait fait le pont », c'est-à-dire que son corps décrivait un
arc de cercle en avant, tandis que sa tête et ses pieds touchaient seuls le
plan du lit. Cette attaque qui avait duré un quart d'heure, se termina par des
larmes et des sanglots. Un examen méthodique de la malade pratiqué le 15 sep-
tembre a montré que les stigmates hystériques qu'elle présentait le 29 juin
se sont notablement accentués, complétés. Il existe en effet une hémianesthé-
sie droite, complète, absolue pour tous les modes de la sensibilité; un rétré-
cissement concentrique à 70° du champ visuel de l'oeil droit; une diminution
très marquée de l'acuité auditive de l'oreille droite. ~
Le tremblement du membre supérieur droit que nous allons maintenant
décrire est resté exaclement tel qu'il était lors de notre premier examen,
sans se modifier le moins du monde. Voici quels sont ses caractères :
Tremblement. Le tremblement a été chez cette malade la première
manifestation importante de la névrose hystérique. Il s'est développé
quelque temps après l'accident dont elle a été victime, et, si l'on s'en rap-
porte aux détails de l'observation, d'une façon inopinée, subite, tandis qu'elle
était en train de coudre, nous a-t-elle dit. Il a toujours persisté depuis. Il est
localisé au membre supérieur droit. Il existe au repos et pendant les mouve-
ments volontaires. Les secousses sont surtout prononcées à l'extrémité du
membre. La main exécute de petits mouvements incessants, régulièrement t
rhythmés, dans le sens flexion ou extension.
19G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
La fréquence des oscillations est de 5 à 5 1/2 par seconde, quand la malade
laisse reposer sa main sur une fable ou sur ses genoux.
Si elle saisit un objet pour le porter t sa bouche, ou bien si elle étend son
bras dans l'attitude du serment, les secousses deviennent beaucoup plus
petites, très inégales, mais aussi beaucoup plus rapides, et cela à tel point
que le tremblement prend alors les caractères de la forme vibratoire.
Les oscillations devenant ainsi plus petites, il en résulte que la malade'
accomplit sans difficulté, avec sa main droite, les actes relativement grossiers,
tels que ceux de porter un. verre à la bouche, se boutonner. Par contre, ce
tremblement menu lui rend impossible l'acte de coudre : « elle fait de faux
points et parfois même se pique les doigts. »
La mère de la malade nous affirme que ce tremblemement s'arrête par-
fois, mais un instant seulement, quand cc elle n'y fait pas attention », quand
son esprit est vivement distrait par une circonstance quelconque. Il cesse
pendant le sommeil.
Le 15 septembre, le tremblement persiste sansavoir subi aucune modification.
TREMBLEMENT A LOCALISATION HÉMIPLÉGIQUE
Ons. XVII. Hystéro-épilepsie. Tremblement hystérique des membres
supérieur et inférieur du côté droit.
Le nommé Cah..., Charles, âgé de vingt-deux ans, employé dc commerce,
est entré à la Salpêtrière le 6 juin 1889, salle Priiss, lit n° 8, dans le service
de M. le professeur Charcot.
Antécédents héréditaires. Père alcoolique et de race juive; mère hys-
térique. Le malade a cinq frères, dont deux sont manifestement névropathes :
l'un est mégalomane. L'autre, sans jamais avoir présenté d'attaques, a eu une
fois une contracture (forme hémiplégique gauche), contracture qui a duré
deux mois et qui a disparu brusquement. Sept soeurs : l'une d'elles, morte
de méningite tuberculeuse; deux sont hystériques; l'une de celles-ci a été
traitée à la Salpêtrière pendant deux ans (1879-1880) pour attaques hystéro-
épileptiques.
Antécédents personnels. Avant le début de l'affection actuelle, sa santé
a toujours été parfaite. Une fièvre scarlatine qu'il eut à l'âge de huit ans
constituait tout son passé pathologique. L'hystérie s'est révélée chez ce malade
' dans le mois de mai 1885, dans les circonstances que voici :
Un soir son père rentra chez lui en état d'ivresse furieuse, criant et frap-
pant à tort et à travers sur les membres de sa famille. CaIL.. éprouva une
frayeur très vive. Après celle scène de colère, il passa une partie de la nuit
agité, il finit cependant par s'endormir. Mais le lendemain, en se réveillant, il
était complètement contracture. Son cou était raide, nous dit-il, il ne pouvait
incliner sa tète dans aucun sens; ses membres étaient rigides, immobilisés
en extension parla contracture, les avant-bras en pronation forcée, les poings
fermés, la paume de la main lournéc en dehors. Il avait toute sa connais-
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 193
de nouveau, pour -disparaître encore. Et ce n'est qu'après la première attaque
d'hystérie qu'il s'installa définitivement.
Il existait alors au membre supérieur et au membre inférieur droits.
Depuis quelque temps il a cessé de se montrer au membre inférieur, mais il
a toujours persisté à la main droite, s'atténuant parfois, et subissant à chaque
nouvelle attaque qu'avait le sujet une recrudescence bien marquée. Depuis
le 3 juillet 1889, époque à laquelle nous avons commencé à observer ce
malade, jusqu'à ce jour (15 septembre) ce tremblement a toujours présenté
les caractères suivants : il est localisé à la main droite; celle-ci est animée
de secousses d'extension et de flexion alternatives, bien rhythmées, au nombre
de 6 à 6 1/2 par seconde. Le tremblement persiste à l'état de repos, mais les
oscillations sont plus amples, plus apparentes lorsque le malade place sa
main dans l'attitude du serment.
Ce tremblement peut persister rigoureusement continu pendant des heures
entières. Mais par moments il devient intermittent; alors, si l'on observe le
malade dans l'état de repos, sa main reposant sur ses genoux, ou pendante et
abandonnée à elle-même, on voit de temps en temps le tremblement cesser
pendant quelques instants, parfois très courts, quelques secondes, une minute
ou deux, et reparaître ensuite, sans qu'un mouvement quelconque volontaire
ou involontaire soit venu provoquer le retour des oscillations. Il nous a semblé
que plus l'attention du malade était distraite, plus ces arrêts étaient fréquents
et prolongés.
Parfois, mais non toujours, les mouvements volontaires réveillent le trem-
blement ou le font s'accroître. Le malade a beaucoup de peine alors à couper
son pain, et porter son verre sa bouche sans en répandre le contenu lui
est chose impossible. Il écrit cependant, mais à grand'peine. Pour pouvoir
y parvenir il trace des lettres très grandes; les traits sont irréguliers, fine-
ment tremblés.
La compression de la zone hystérogène détermine l'accroissement de l'am-
plitude des oscillations.
Cas. XVI. Chute, émotion vive, neurasthénie et hystérie consécutives.
Tremblement hystérique du membre supérieur droit.
Armandine Roug..., âgée de seize ans, couturière, s'est présentée à la
consultation externe de la Salpêtrière le mardi 25 juin 1889.
Antécédents héréditaires. Mère très nerveuse, emportée, très colé-
reuse. Une tante du côté maternel a des crises de nerfs. Père bien portant,
pas nerveux, pas alcoolique. La malade et sa mère ne peuvent fournir aucun
renseignement sur les autres membres de leur famille.
Antécédents personnels. - Cette jeune fille avait toujours joui d'une
bonne santé, avant le début de l'affection actuelle. La varioloïde et une
fluxion de poitrine qu'elle eut vers l'âge de cinq ans ou six ans constituent
tout son passé morbide.
Elle a été réglée à treize ans et toujours bien réglée. Elle n'avait jamais
eu de crises de nerfs d'aucune sorte. Elle était seulement très impression-
194 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
nable. Depuis trois ans elle travaille dix heures par jour dans un atelier de
couture. '
Histoire de la maladie. Il y a six mois, en novembre 1888, en traver-
sant la place Vendôme, elle fut bousculée et jetée à terre par un cheval de
fiacre. Elle ne fut touchée, ni par les sabots du cheval, ni par les roues de
la voiture. Elle se releva aussitôt, n'ayant aucun mal, et elle put sans dif'fi-
culté aucune terminer la course assez longue qu'elle avait à faire. Mais elle
avait' éprouvé au moment de l'accident une frayeur très vive, et lorsqu'elle
-rentra à son atelier, une heure après, elle était encore loule pâle d'émotion
et un peu tremblante. On examina si elle était blessée et l'on ne put décou-
vrir sur elle aucune éraflure, aucune trace de contusion.
Quelques jours après cet accident, elle commença à éprouver une série de
troubles qui ont toujours persisté depuis lors et qui sont les suivants :
céphalée tenace, constrictive, généralisée, mais prédominant à la région occi-
pitale ; sensation de gêne, de pression, permanente au niveau de la région
sacrée; diminution des forces; inappétence; digestions difficiles s'accompa-
gnant d'une sensation de poids et de gonflement à l'épigastre et parfois de
suffocation, avec rougeur vive de la face. Plusieurs médecins furent con-
sultés. On lui prescrivit l'usage du fer, du quinquina, le régime lacté, etc.
Tous ces traitements ne produisirent aucune amélioration.
Tel était donc l'état de la malade lorsque, vers le 28 juillet environ, elle
fut prise tout à coup, en travaillant à sa couture, vers trois heures de l'après-
midi, sans qu'elle eût été contrariée, sans motif d'aucune sorte, d'un trem-
blement de la main droite. Ce tremblement, d'abord très faible, s'accrut
rapidement dans l'espace d'une heure ou deux, ;i tel point que la malade ne
put achever sa besogne et qu'elle dut renoncer à coudre avant la fin de la
journée. Ce tremblement, accompagné d'un degré notable de parésie du
membre supérieur droit, a toujours persisté depuis.
Jusqu'à ce jour la malade n'a eu aucune crise nerveuse, aucune syncope.
Seulement il lui arrive parfois de ressentir à la base du cou comme une
boule qui l'étouffé. Dans ces moments-la, nous dit sa mère, « elle pleure
volontiers et ça la soulage ».
Etat actuel (29 juin 1889). Il existe chez cette malade :
1° Sensibilité. Une diminution notable de la sensibilité au contact, à la
douleur et à la température dans toute la moitié droite du corps. Mais le
membre supérieur droit est le siège d'une anesthésie absolue, superficielle
et profonde pour tous les modes de la sensibilité, y compris le sens muscu-
laire.
Cette anesthésie complète s'interrompt brusquement sur une ligne qui
contourne l'épaule et le creux de l'aisselle en empiétant un peu, en avant,
sur la région antéro-latéralc droite du thorax.
Pas d'anesthésie pharyngienne.
Sens. Le goût est aboli à droite.
L'ouïe, l'odorat et la vision sont intacts. Il n'y a pas de rétrécissement du
champ visuel notamment.
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 201
grine beaucoup (mars 1887). Une nuit, vers onze heures et demie du soir,
douleurs, élancements dans toute la tête des deux côtés, autour des yeux,
dans la mâchoire, qui descendaient le long de la nuque et de la colonne
vertébrale jusqu'aux lombes. C'étaient des douleurs avec sensation de batte-
ments, de chocs rhythmés dans les tempes, bourdonnements dans l'oreille
droite, puis au bout de quelques jours de cet état douloureux on lui avait
appliqué des vésicatoires il la nuque. Une nuit vers onze heures, les douleurs
redoublent, la vue se trouble et elle perdit connaissance. La personne qui
était auprès d'elle appela au secours; plusieurs personnes vinrent; elle ne
se souvient de rien. Elle reprit connaissance vers quatre heures du matin.
Le lendemain elle avait la tête lourde, elle put faire son service comme
d'habitude. En juillet 1887, elle devient enceinte, accouchement à terme en
avril 1888 sans complication, ne nourrit pas. Dans les premiers mois de sa
grossesse, elle dut passer par des émotions bien fortes, son amant refusa de
l'épouser; querelles, scènes de colère. Cela provoqua chez elle deux nouveaux
accès « de douleurs névralgiques » avec battements dans les tempes, bour-
donnements dans l'oreille droite; ces deux accès furent de courte durée : le
premier de deux heures après midi jusqu'au lendemain, et le deuxième
deux heures seulement. Jusqu'en octobre 1888, santé parfaite.
Quatrième grand accès de douleurs avec perle de connaissance. En octobre
1888, un soir vers six heures, après avoir travaillé comme vendangeuse toute
la journée, elle fut prise de douleurs lancinantes dans toute la tète, dans la
mâchoire supérieure, elle avait des battements dans les tempes, des bour-
donnements dans l'oreille droite. Ces douleurs descendaient le long de la
nuque jusque dans la région lombaire en suivant la colonne vertébrale. Ren-
trée chez elle, elle se coucha et aussitôt sa vue se troubla et elle perdit con-
naissance.
Elle se réveilla le lendemain ne souffrant' presque plus, n'ayant plus
qu'une sorte de lourdeur de tête qui se dissipa dans la journée. Elle
reprit sa besogne le jour même. Celle fois elle avait uriné dans son lit. Cela
lui est arrivé une autre fois d'uriner dans son lit la nuit, mais sans qu'elle
ait eu une attaque cette fois, au moins à ce qu'elle croit. rendant deux mois,
rien de particulier.
Début du tremblement. - Il y a quatre mois, vers la fin de décembre 1888,
après une altercation vive avec sa mère au sujet de son bébé qu'elle ne vou-
lut plus garder chez elle, elle fut prise d'un léger tremblement de la main
droite. Il était sept ou huit heures du soir. Sa main était agitée d'une série
de secousses de faible amplitude, cela passait et recommençait quelques ins-
tants après.
Le lendemain, le tremblement était un peu plus fort, il se montrait toutes
les vingt minutes ou demi-heures persistant pendant quelques minutes et
disparaissant pour reparaître encore. 11 a toujours persisté depuis avec ce
caractère d'intermittence, mais progressivement il est allé s'accroissant en
intensité et en fréquence. La jambe a commencé à trembler il y a deux mois.
Depuis que ce tremblement existe, le crâne, le fronl et la nuque sont presque
tv. ' 1.1
202 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE L-A SALPÊTRIÈRE.
constamment endoloris. L'oreille droite bourdonne presque sans cesse, le
cuir chevelu est sensible; quand on tire même légèrement ses cheveux en
la peignant, elle souffre vivement. En outre, la . malade présente de
temps en temps, surtout lorsqu'elle est à jeun, un accident assez sin-
gulier.
Tout à coup elle ressent une douleur très forte qui, partant du fronl,
s'irradie d'avant en arrière jusqu'à la nuque; en même temps sa tête
se renverse en extension forcée, l'oreille droite bourdonne plus fort ; cela
dure une minute au plus- Les membres ne se raidissent pas, le tremblement
~ ne s'accroît ni ne cesse. La malade est un peu ébaubie, mais ne perd pas con-
naissance ; cela vient tous les deux ou trois jours.
Tremblement. Ce tremblement est localisé exclusivement au membre
supérieur et au membre inférieur du côté droit. Les membres du côté gauche
ne sont le siège d'aucune secousse, d'aucune oscillation, soit à l'état de repos,
soit pendant les mouvements volontaires. La tôle oscille parfois, quand les
secousses du bras droit sont très prononcées, mais elle ne tremble pas par
elle-même; il s'agit des mouvements passifs, communiqués. Les yeux, la
langue, la face, ne tremblent pas non plus. Le tremblement du membre supé-
rieur droit est en quelque sorte indépendant de celui du membre inférieur.
Les secousses n'apparaissent pas simultanément au bras et à lajambe. ◀Tantôt▶
c'est la jambe qui tremble, le bras restant au repos, et vice versa. Chaque
membre paraît trembler pour son compte, séparément. Il arrive cependant
quelquefois qu'ils tremblent simultanément. C'est au membre supérieur que
le tremblement se montre prédominant et de beaucoup.
Les oscillations rhythmées du membre supérieur n'existent pas constam-
ment. Parfois, que la malade soit assise, debout, ou bien en marche, le
membre supérieur reste en repos; la main droite repose alors sur les genoux,
ou bien la malade la tient derrière son dos, ou bien elle la soutient dans sa
main gauche; rarement elle la laisse pendante le long du corps. -
Si on l'observe attentivement lorsqu'elle est dans cet état de calme parfait,
on ne tarde pas à voir apparaître, au bout d'un temps variable (2, 3, 10 mi-
nutes), des secousses soit du poignet, soit des doigts, soit de l'avant-bras;
ces secousses, bien rhythmées dès leur apparition, sont d'abord très faibles,
mais elles grandissent aussitôt et immédiatement le membre supérieur entre
en danse; le bras, en oscillant, s'écarte et se rapproche légèrement du tronc;
l'avant-bras, en demi-flexion et en demi-pronation, est animé de secousses
dc flexion et d'extension alternantes, le poignet oscille ◀tantôt▶ transversale-
ment, dans le sens abduction-adduction, ◀tantôt▶ dans le sens flexion-exten-
sion, ◀tantôt▶ enfin les mouvements de la main sont composés et le poignet
semble décrire un mouvement de rotation en ellipse. C'est autour du poignet
et du coude que se produisent les principales oscillations.
La main oscille souvent sans que les doigts soient animés de secousses qui
leur soient propres ; mais parfois, au départ des mouvements surtout, ils se
fléchissent et s'étendent alternativement. Ces oscillations, au lieu de se géné-
raliser à tout le membre supérieur, s'éteignent souvent après une série de
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 203
quelques légères secousses de la main ou des doigts. Après une phase de
repos plus ou moins longue, les mouvements reparaissent. Pour arrêter les
secousses qui commencent, la malade applique fortement sa main contre
son ventre, ou bien la serre dans sa main gauche, ou bien la tient appliquée
derrière le dos.
Ces diverses manoeuvres ne réussissent pas toujours à empêcher le trem-
blemenl de se produire.
Presque toujours, quand la malade soulève sa main droite, veut saisir un
objet, ou place sa main dans l'attitude du serment, les secousses, ou bien
s'accroissent si elles existent déjà au repos, ou bien apparaissent si elles fai-
saient défaut. Ansi, il est presque impossible à la malade de prendre un verre
et de le porter à sa bouche, etc. Dans les actes intentionnels, les tracés indi-
quent un accroissement d'amplitude, mais non de fréquence des oscillations
rhythmées.
Cependant il arrive parfois que la main reste au repos, même étendue.
Les mouvements du membre inférieur offrent les mêmes caractères : ils se
passent ◀tantôt▶ autour de l'articulation de la hanche, ◀tantôt▶ dans le genou
(flexion-extension).
11 s'agit d'un rhythme lent de 1/2 à 5 oscillations par seconde.
État de la motilité. Il n'y a pas de trace de paralysie dans le côlé
droit.
La malade boite un peu en marchant, mais cette boiterie est causée par un
état douloureux de la région du cou-de-pied droit. En marchant, la malade
éprouve une légère douleur dans l'articulation tibio-tarsienne à chaque fois
qu'elle pose le pied droit à terre; de là la boiterie. Mais elle se sent aussi
solide sur celte jambe droite que sur la gauche. Elle peut se tenir debout sur
le pied droit, sauter à cloche-pied, etc., aussi aisément sur un pied que sur
l'autre.
De môme avec le membre supérieur elle exécute tous les mouvements
qu'on lui prescrit. Les mouvements de force surtout, car le tremble-
ment entre en scène dès qu'on lui commande un acte ne nécessitant pas
d'effort, mais seulement une mise en altitude, une adaptation plus ou moins
compliquée de la main et des doigts, comme pour saisir un objet léger posé
sur une table, placer la main dans l'attitude du serment, etc. Elle serre éner-
giquement la main qu'on lui présente de sa droite et de sa gauche.
Dynamomètre : main droite, 25 1<ilo;r.; main gauche, 25 kilogr.
Les réflexes tendineux sont normaux.
Face. La motilité des yeux est intacte. La langue est tirée droite. Les
plis du front, les paupières, les sourcils sont bien symétriques.
Mais le sillon naso-génien gauche est plus accusé que le droit.
La commissure labiale gauche est un peu relevée. Le contour de la lèvre
supérieure de ce côté est plus accentué.
Sensibilité. Sensibilité au contact, à la piqûre, à la température
chaude, froide, bien conservée et égale à droite et à gauche.
Sens musculaire partout conservé.
` ? 0 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Par la pression des régions et. des points suivants, on détermine une sen-
sation douloureuse :
Tête; au vertex. Tout le cuir chevelu est un peu hyperesthésiquc.
A la nuque. Dans toute la région la pression est douloureuse, mais il y a
un point il gauche de la ligne médiane qui semble plus particulièrement
douloureux. Points sus-orbilaire et sous-orbitaire des deux côtés.
Membre supérieur. Au membre supérieur droit, tout le côté de la
flexion, depuis l'arliculation du poignet jusques et y compris le creux axil-
laire, le creux sus-claviculaire.
Les points correspondant il l'articulation du poignet, du coude, de l'épaule
(côté de la flexion) sont particulièrement douloureux.
Tronc. Région ovarienne gauche.
Membres inférieurs. Les deux régions inguino-crurales, le creux poplité
droit, la face postérieure du mollet droit, les points rétro-maHeoIaircs interné
et exlerné du côté droit.
Ces zones et trajets douloureux ne semblent pas correspondre tous uni-
quement au trajet des troncs nerveux.
Il s'agit là d'une sensibilité douloureuse qu'une pression profonde, un pen
énergique, révèle seule. La peau n'est pas hypereslhésique. Pas d'aneslhésie
pharyngienne.
Sens. Ouïe, odorat, goût : intacts. Rétrécissement très prononcé, bila-
téral et permanent du champ visuel. L'intelligence el la mémoire sont
indemnes, et la santé générale est parfaite. Rien autre.
11 est clair que ce tremblement présentait une grande analogie avec
les tremblements observés chez quelques-uns de nos hystériques. Cette
particularité et surtout l'existence d'un double rétrécissement concen-
trique du champ visuel, nous firent porter, malgré la bizarrerie des
autres troubles nerveux (crises de douleurs céphaliques accompagnées
de perte de connaissance), l'absence d'anesthésie et de zones liysléro-
gènes, le diagnostic de tremblement hystérique.
Or, dans la nuit du 6 septembre, la malade mourut subitement.
A l'autopsie nous avons pu constater l'existence de deux tumeurs
gliomaLeuses; l'une était siluée dans la partie postérieure de la couche
optique droite; l'autre avait envahi la presque totalité de la couche
optique du côté gauche.
TRAITEMENT
M. Nothnagcl, M. Letulle, M. Pitres, ont cité des cas de guérison
quasi instantanée de tremblements hystériques qui persistaient depuis
de longs mois. Celte disparition subite du tremblement a été constatée
◀tantôt▶ après une séance d'électrisation ou d'aimantation, ◀tantôt▶ après
ÉTUDE CLINIQUE DES TREMBLEMENTS HYSTÉRIQUES. 20j
suggestion (bande élastique). Voici les résultats peu brillants que
nous avons obtenus dans nos tentatives thérapeutiques : tous nos
malades ont été soumis à des séances réitérées d'électrisation, statique
ou galvanique, nous avons à plusieurs reprises appliqué chez chacun
d'eux, et pendant plusieurs heures, un aimant puissant mis en contact
avec la région malade. Souvent nous affirmions aux malades en posant
l'aimant près d'eux que c'était là un agent infaillible, que le tremble-
ment allait cesser, etc.. La suggestion, l'aimant et l'électricité n'ont
jamais produit aucune modification du tremblement. Nous n'avons
pas pu essayer l'effet de la suggestion dans l'état de sommeil hypno-
tique, aucun de nos malades n'étant hypnotisable.
A. DUTIL,
Ancien interne de la Clinique
des maladies du svalème nerveux.
DE L'EXAMEN MORPHOLOGIQUE
CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS'
I
Sommaire. Généralités : des caractères descriptifs et anthropométriques.
De la tète : A. Crâne : ses limites; caractères descriptifs : inspection et pal-
pation. Craniométrie : instruments, points de repère, principales mensura-
tions ; indications fournies par l'examen du crâne. - Principales déformations
du crâne.
Dans les affections qui relèvent du domaine de la médecine générale,
l'examen morphologique des malades est complètement relégué au
second plan. Et si on vient à le pratiquer, on se borne à examiner les
seules modifications de la forme du corps en rapport avec la maladie
existante.
Chez les aliénés, au contraire, cet examen des formes du corps,
doit être fait complètement et en détail, non pas qu'à lui seul il
suffise pour établir le diagnostic de l'affection que vous cherchez, mais
il acquiert de l'importance en ce sens qu'il peut fournir des rensei-
gnements sur le terrain qui a donné éclosion à l'affection mentale, en
nous y révélant les traces d'anomalies diverses, d'états pathologiques
que nous aurons à spécifiera l'aide d'investigations d'un autre ordre.
Effacée et de moindre importance chez certains de nos malades,
cette partie de l'examen somatique acquiert une valeur plus grande
dans d'autres catégories, se composant surtout de ces individus qu'on a
englobés sous la dénomination si peu précise de dégénérés, et parmi
lesquels figurent au dernier rang les idiots. Mais quelque insuffisantes
que puissent être les données résultant de cet examen chez la majeure
partie de nos malades, il n'en doit pas moins être pratiqué; car il
complète l'étude générale de l'organisme, étude qui doit être faite
d'une façon d'autant plus minutieuse que nous avons moins de
(1) Ces leçons sont extraites d'un cours clinique élémentaire sur l'examen général des
aliénés, fait à l'hospice de la Salpêtrière, en août 1889, et rédigées d'après les notes
recueillies par MM. Béchel, interne provisoire, et A. Marie, externe des hôpitaux.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. aul
moyens à notre disposition pour pénétrer la nature intime des
troubles de la pensée.
L'examen morphologique des aliénés a été jusqu'ici fort négligé, au
moins en France, où depuis les travaux de Morel1 cette étude n'a fait
l'objet que de mémoires partiels, épars çà et là dans différents pério-
diques. A l'étranger même, il n'y a guère, du moins à ma connaissance,
de travail d'ensemble sur la question. Et je ne pourrais citer à ce pro-
pos que le livre du professeur ll'Iorselli qui, dans une série de remar-
quables leçons, a étudié en détail toute la séméiologie générale des
affections mentales.
Cette question doit cependant être d'autant moins laissée de côté
qu'elle acquiert depuis quelque temps une plus grande importance par
suite de l'impulsion donnée à l'anthropologie criminelle et du point de
vue particulier auquel est faite aujourd'hui l'étude de la criminalité
dans ses rapports avec la folie et les dégénérescences.
Aussi je crois qu'il est bon de vous exposer immédiatement les
quelques données principales, indispensables pour pratiquer cet
examen et qui pourront il l'occasion vous servir autant en clinique
qu'en médecine légale.
De tous les modes d'investigation qui composent l'examen général
de l'aliéné, celui-là est sans contredit le plus facile; cependant il ne
laisse pas parfois que d'être assez peu praticable à cause de l'agitation
de certains malades, ou de la défiance, ou de l'orgueil de certains
autres qui ne voient là qu'une enquête nouvelle à leur préjudice ou
qu'une atteinte à leur haute personnalité.
Cet examen morphologique de l'aliéné, qui ne comporte pas l'examen
des fonctions des organes, pourrait se diviser en deux parties :
d° Les caractères descriptifs. '
2° L'examen anthropométrique.
L'exposition successive des résultats divers fournis par ces deux
examens nous entraînerait à des répétitions, aussi me semble-t-il pré-
férable de les faire à la fois pour chaque partie du corps prise succes-
sivement. C'est d'ailleurs le plan suivi d'habitude dans ses observa-
tions par mon excellent maître, M. Bourneville, observations dont
vous trouverez de nombreux et intéressants exemples pour la question
qui nous occupe dans la collection de ses recherches cliniques sur
l'épilepsie, l'hystérie et l'idiotie'.
D'un autre côté je me reporterai le plus souvent dans cet exposé en
(1) More), Traité des dégénérescences et Eludes cliniques.
(2) Morselli, Semejolica délie malattie mental,
(3) Bourneville, Recherches sur l'épilepsie, l'hystérie et l'idiotie, 9sus0-1590.
zoos NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ce qui concerne la terminologie, les procédés anthropométriques, aux
indications de Broca1, les plus claires etles plus généralement admises.
1. Tète. Nous commencerons notre étude par l'examen de la
tête, qui est celui qui a toujours été mis en première ligne. Sans
doute nous ne croyons plus aujourd'hui à la correspondance exacte
entre telles irrégularités de l'extrémité céphalique et le développement
ou l'atrophie de certaines facultés. Mais, sans aller jusque-là, il y a
certaines modifications dans la morphologie de la tête qui se repré-
sentent assez fréquemment chez les malades de nos services pour
mériter l'attention et faire l'objet d'une étude spéciale.
L'examen de la tête se divise en deux parties, celui du crâne pro-
prement dit et celui de la face.
A. Crâne. Le crâne, tel que nous avons à l'étudier, est cette
région de l'extrémité céphalique qui commence en avant au-dessus
des sourcils et s'étend en arrière jusqu'à la nuque. Nous n'avons à
nous occuper dans cet examen clinique que de la voûte du crâne, la
base étant inaccessible à nos investigations. D'ailleurs je saisis cette
occasion pour vous dire que je ne m'occupe ici que de l'examen sur
le vivant; plus tard dans des conférences sur l'idiotie, nous verrons
à étudier ensemble le squelette au point de vue morphologique, ainsi,
que les anomalies plus profondes des différents systèmes organiques
(muscles, viscères, etc.). De ce que je viens de dire précédemment
sur les limites du crâne, il résulte ce petit fait, trop souvent négligé
et qui a son importance, c'est que pour l'aliéniste, comme pour
l'anthropologiste d'ailleurs, le front fait partie du crâne et n'a rien à
voir avec la face.
L'examen du crâne comporte trois procédés : l'inspection, la palpa-
tion (caractères descriptifs), la mensuration (craniométrie).
1° Inspection du crâne. L'inspection qui nous renseignera déjà
sur la forme et le volume du crâne comporte l'examen sur quatre
faces et doit se faire par en haut, de profil, en avant, et en arrière.
Par en haut, c'est la méthode de la 7aornaa verticalis ou superior de
Blumenbach, qui, permettant de voir les régions frontales, pariétales,
une partie des régions temporales et occipitales sert il découvrir déjà
certaines malformations telles que la plagiocéphalie, la hrachycé-
phalie, la dolichocéphalie, etc.
La vue de profil, ou suivant la norma lateralis de Camper, montrera
le développement proportionnel de la face et du crâne, la forme du
1. P. Broca, Instructions générales pour les recherches anthropologiques Ii faire sur le
vivant, 1879.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. ? Ol1
front, saillant ou fuyant, l'acrocéphalie, la dolichocéphalie, le degré de
proéminence de l'occipital, etc.. -
La vue de face, suivant la norma anterior, facialis ou fronlalis
(Prichard) montre la hauteur et la largeur du front, la dépression laté-
rale de la région fronto-pariétalc, l'asymétrie frontale, etc.
L'inspection suivant la face postérieure, norma ])ostel'iol' (Laurillard)
ou occipitale, peut donner des indications sur la hauteur des bosses
occipitales, la largeur bimastoïdienne, l'implantation des pavillons
auriculaires.
2° Palpation du crâne. La palpation des diverses parties du
crâne pourra confirmer les résultats donnés par l'inspection et en
outre permettra de se rendre compte de la nature de certaines saillies,
en les faisant rattacher aux parties molles ou aux parties osseuses.
Elle nous permettra d'apprécier la forme générale du crâne, sa gros-
seur, les dépressions craniennes, le volume des bosses frontales, parié-
tales, occipitales; leur situation symétrique ou non (pl : 1giocéphalie),
l'état des sutures craniennes (scaphocéphalie, trigonocéphalie, os
wormiens, hydrocéphalie, encéphalocèle.)
3° Mensuration du crâne. - Si l'inspection et la palpation ont déjà
pu nous donner des renseignements sur la forme, le volume du crâne,
il importe de les compléter à l'aide de la mensuration. Aussi, sans
entrer dans des détails fastidieux, d'ailleurs peu utiles pour l'aliénisle,
permettez-moi de vous donner quelques indications à propos des
mesures craniométriques qu'il est nécessaire de connaître.
Les instruments indispensables sont : 1° le compas d'épaisseur d a
Broca analogue au pelvimètre, et qui sert à prendre les diamètres
maximum du crâne (fig. 49); 2° le mètre à ruban divisé en centimètres
et millimètres et qui sert à l'évaluation des différentes courbes cra-
niennes ; 3° l'équerre flexible auriculaire, formée de deux lames d'acier
flexibles en forme de T.
L'instrumentation est, comme vous le voyez, des plus simples, mais
je ne saurais trop vous recommander de bien vous assurer de l'exacti-
tude et de la concordance de la graduation de vos instruments.
Les points de repère qu'il vous faut connaître sont les suivants (fig. 50) :
Sur la ligne médiane :
a. La glabelle, rendement situé au-dessus de la racine du nez, rem-
placé quelquefois par un méplat, exceptionnellement par une dépres-
sion légère.
b. L'oplaryon (ocppvç, sourcil) au milieu de la ligne transverse sus-
orbitaire ou diamètre frontal inférieur, ligne qui correspond sensi-
blement chez le vivant à l'arc des sourcils.
210 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
c. Le vertex : ce n'est pas un point anatomique, mais l'endroit le
plus élevé du crâne au-dessus du plan horizontal.
d. L'inion (iviov, nuque) ou protubérance occipitale externe.
e. Le point occipital maximum ou le plus reculé.
f. Le bregma céphalométrique dont on détermine la position à
l'aide de l'équerre flexible auriculaire. Un tourillon fixé à la jonction
des deux branches est introduit dans le conduit auditif d'un côté; la
branche horizontale est placée sous la cloison du nez; la branche ver-
ticale est fléchie sur la tête et amenée à l'autre oreille. Son point
d'intersection avec la ligne médiane antéro-postérieure est le bregma
céphalométrique très peu différent du bregma proprement dit.
Sur les parties latérales :
a. Le point sus-auriculaire situé au-devant et un peu au-dessous
de l'insertion supérieure de l'oreille, au niveau de la saillie formée
par la racine transverse de l'arcade zygomatique.
b. Le point le plus saillant des pariétaux.
c. L'apophyse orbitaÏ1'e externe.
Les mesures crâniennes utiles à l'aliéniste sont peu nombreuses.
Voici l'énumération de ces mesures avec la façon de les prendre,
ainsi que leurs dimensions moyennes ; j'emprunte les données
suivantes au travail de la commission anthropologique nommée au
FTG. HJ. - COIJJp8 d'épaisseur.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 211
troisième congrès phréniatrique italien (Reggio lmilia,150) et com-
posée de MM. Morselli, Tamburini, Verga, Virgilio, Amadei.
1° La courbe a7atéro-potérieure ou médiane, ou longitudinale, ou
fI'Ol1to-hlÍaque. Elle se prend avec le mètre a ruban, en fixant le zéro
à la racine du nez, au-dessous de la glabelle et en faisant passer l'ins-
trument sur le milieu du font, sur le vertex, l'occipital, jusqu'à l'inion.
En général la longueur de cette courbe, sur le vivant, oscille res-
pectivement dans les deux sexes autour de 335 (II) et 310 mil-
limètres (F).
FH. 50. - PUillls tic rcpè¡'c pOli l' les menstlraliul1S cl'.1111o-f.lcin)es.
G, Glabelle. 0, OJlh1')On. V, Vertex. I, Inion.- 0 M, Point occipital maximum. - S A, Poinl
sus-aul'icul.1Ïl'c. - B PJ llosse pariétale. - 1\1, Poinl IIlcnlonnicl'. - S A, Poinl otls-nasal. -
Z, Point zygomatique. A, Point auriculaire.
21-2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
2' La courbe transverse ou sus- auriculaire qui va d'un point sus-
auriculaire à l'autre, en passant par le bregma. Cette courhe, chez le
vivant, oscille autour de 340 (II) et 335 (F) millimètres.
^La circonférence horizontale ou maxima.
Elle se prend avec le mètre à ruban en plaçant le zéro à l'ophryon,
contournant le crâne en passant au-dessus de l'insertion supérieure de
l'oreille, puis par le point le plus saillant de l'occipital pour revenir à
l'ophryon en restant de l'autre côté du crâne toujours sur un même
plan. Cette circonférence oscille, chez le vivant, autour de 5G0 (Il) et
520 (F) millimètres.
Elle comporte quatre parties :
a. La demi-courbe antérieure donnée par la mesure du segment
rejoignant les deux points situés au-dessus de l'insertion supérieure
des oreilles en passant par l'ophryon.
b. La demi-courbe postérieure donnée par la mesure du segment t
joignant les deux mêmes points et passant par le point maximum de
l'occipital.
c. La demi-courbe latérale droite allant de l'ophryon au point occi-
pital maximum en passant au-dessus de l'insertion supérieure de
l'oreille droite.
d. La demi-courbe latérale gauche prise d'une façon identique du
côté gauche.
Ces différentes courbes peuvent être dessinées à l'aide de lamelles
de plomb, larges de z1 centimètre, épaisses de 2 millimètres (procédé
de Marcé). Ces lamelles étant bien appliquées suivant le trajet de la
courbe cherchée, les points de repère y sont marqués avec l'ongle.
A leur niveau, on applique les deux branches du compas dont on main-
tient l'ouverture en serrant la vis. On enlève le tout et la lamelle de
plomb étant appliquée sur le papier, on replace les deux pointes du
compas aux points de repère marqués; on n'a plus qu'à suivre avec
une pointe fine le contour de la lamelle pour reproduire la courbe
cherchée. Quelque approximatif que soit ce procédé, c'est encore le
plus simple et le plus commode, les autres plus précis (Mies ', Bene-
dickt2) nécessitant des calculs compliqués et une instrumentation
coûteuse.
>·° Diamètre antéro-postél'ieur maximum ou diamètre longitudinal.
Il se prend au moyen du compas d'épaisseur.
On applique avec une main, en se plaçant au côté du malade, une
branche de l'instrument sur le point le plus saillant de la glabelle; avec
1. Mies, Eine tteue méthode den Sciliidel darz-uslcllen, 1889.
2. l3enedickt, 1\1'IIniometrie und ](epillllo¡¡¡rlrie. Wicli, 1889, trad. française dc Kéarvnl.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 213
l'autre main on fait mouvoir l'autre branche du compas sur la partie
postérieure de la tête, en restant toujours dans plan médian antéro-
postérieur.
L'écartement maximum des deux branches donne la mesure cher-
chée, et la branche postérieure du compas indique alors le point le
plus saillant de l'occipital qui n'est jamais l'inion, lequel est toujours
plus bas et moins proéminent.
Ce diamètre oscille autour de 190 (II) et de 170 (F) millimètres;
c'est d'ailleurs une mesure extrêmemement variable suivant les races.
5° Le diamètre lmnsverse maximum qui se prend également avec
le compas. On fait mouvoir les deux branches du compas sur les par-
ties latérales du crâne; on recherche les points les plus saillants, le
plus souvent les bosses pariétales, en ayant soin que la ligne qui unit
les deux pointes reste toujours dans un plan transversal et rigoureu-
sement horizontal. L'écartement maximum est le diamètre cherché.
Le diamètre transversal maximum oscille autour de 1G0 (H) et z1440
(F) millimètres. Il va sans dire que tous ces chiffres sont des chiffres
moyens, et que pour les prendre aussi exacts que possible il faut avoir
soin, surtout chez les femmes et c'estnotre cas, de déplacer les cheveux
et de mettre les instruments le plus possible en contact avec la peau.
La connaissance de ces deux diamètres nous mène à la détermina-
tion de l'indice céphalique. Vous pourrez le calculer au moyen de la
formule suivante, établie par Broca :
Comme vous le voyez par cette formule, pour obtenir l'indice cépha-
lique, il suffira de multiplier par 100 le diamètre transversal maxi-
mum et de diviser ce produit par le diamètre antéro-postérieur maxi-
mum.
Quant aux divisions de types crâniens fournies par l'indice cépha-
liquc et leur dénomination, je ne puis vous les exposer toutes car
elles sont extrêmemcnt nombreuses; je vous donnerai seulement celle
de Broca et celle plus récente de Topinard.
Division de Broca.
'2H NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Division de Topinard 1.
EXAMEN M.0RPH0L0GIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 21a
savoir si une tête est grosse ou petite, mais cela ne nous renseigne pas
le moins du monde sur la capacité interne du crâne.
Les deux demi-courbes, antérieure et postérieure, indiquent le
développement relatif des moitiés antérieure et postérieure du crâne.
Sans affirmer qu'il y a un rapport constant, ce qui serait une exagéra-
tion, entre le développement de ces deux parties du crâne et des lobes
correspondants du cerveau, il est bon de rappeler cependant que dans
les races inférieures et chez les êtres dégradés, les idiots par exemple,
le développement de la portion occipitale du crâne est supérieure à
celui de la portion frontale. A l'appui de ce même fait, je vous citerai,
sans y insister, les recherches de Broca sur les crânes des infirmiers et
des internes de l'hospice de Bicêtre, recherches qui l'ont amené à
constater chez ces derniers, évidemment plus cultivés au point de vue
intellectuel, un développement plus grand de la moitié antérieure du
crâne.
Les demi-courbes latérales dénotent l'asymétrie des deux moitiés
du crâne. Il est rare de trouver un crâne qui ne présente pas un certain
degré d'asymétrie; ce qui s'explique aisément lorsqu'on réfléchit qu'en
dehors de tout trouble pathologique il suffit pour la produire d'un
décubitus postéro-latéral prolongé chez l'enfant. Cette asymétrie chez
nos malades est fréquente ' et souvent très accentuée; c'est alors
qu'elle prend de la valeur en constituant une véritable déformation, la
plagiocéphalie.
La hauteur du front et le diamètre frontal minimum ont pour but
de renseigner sur le développement de la région frontale. Mais ce
sont des mensurations bien sujettes à caution surtout la première,
parce qu'elle varie beaucoup avec la ligne d'insertion des cheveux.
Je n'insisterai pas maintenant sur les causes diverses des malforma-
tions craniennes que nous étudierons en détail avec l'idiotie. Elles sont
très variables d'ailleurs et tiennent en résumé les unes à un dévelop-
pement anormal de l'encéphale (arrêt de développement, hydrocé-
phalie), les autres à un vice de développement congénital des parties
osseuses (ossification prématurée des sutures, acrocéphalie, scaphocé-
phalie, etc.), ou à des lésions osseuses (syphilis), à de simples troubles
de la circulation sous l'influence d'une attitude vicieuse comme le
torticolis (Broca), il une cause mécanique (décubitus, manoeuvres
artificielles).
Je me bornerai, dans cette conférence, il vous citer quelques-unes des
déformations crâniennes les plus fréquentes au point de vue clinique.
1. l3cuuncvillc et Sullicr, Progrès médical, issus.
210 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
. A. Anomalies du volume du CRAN);1. '1° Dlicrocéplcalie (N.cxp5,
petit), crâne petit, fuyant en arrière, face saillante et développée (PL XX,
g..3)... ? . ? . : - .. , " , .
..... 11 t>. 3).... t - ? - ... :
. 2°'lIIâ-ë1'océphalie (N.uv.,ôc, grand), crâne grand ou /¡éphalonie (Wir-
chow) .. i .
.' 3° Hydrocéphalie, crâne volumineux, en forme de boule, resserre à
,` la base, face petite (PI : XVIII, fig. -I; 3,-3, et pl. XIX, fi'. 2).
1 - B. Déformations r ? rliol,oclus. - 1° Plagiocéplzalie (ru /ccS,
41 oblique), déformation la plus fréquente; crâne oblique ovalaire, for-
\ tement asymétrique, dans lequel la partie antérieure d'un côté et
la.paitic'postérieure. de=l'autre sont plus développées, si bien'que
le; diamètre maximum du crâne n'est pas àntéro-pôslérieur, mais
oblique (PI. XIX, fig. 3).' ' \
; 2 ? Scaphocéplialie (<7Xt<mog, bateau), crâne en forme de toit ou de
carène d'un bateau, allongé dans le sens antéro-postérieur, saillie de
la suture sagittale (Pl.'NIX, fig. 1).
i 3° Acrocéphalie (ccr,ov; sommet), désigne d'une façon générale les
crânes' à voûte élevée (PI. XX, fig. 1 et 2).
° Trigonocéphalie (-.pcyowcv, triangle), crâne à contour triangu-
' région frontale en forme de coin, élargissement des bosses
pariétales. Saillie de la suture média-frontale (PI. XIX, lig. 4).
5° Nalicéphalie, déformation du crâne duc à la s philis héréditaire
(Parrol2) et donnant au crâne l'aspect de ces organes que les latins
désignaient du nom de liâtes.
C. Déformations accidentelles. Elles peuvent être accidentelles
et dues à une attitude vicieuse de l'enfant, dans les premières années,
ou volontaires par suite de pratiques en usage dans certaines contrées
(Déformations ethniques). Ces dernières, déjà étudiées par Gosse, ont
été observées dans certaines régions de la France, telles que la Seine-
Inférieure (Parchappe, Foville), les Deux-Sèvres (Lunier), Toulouse
(13roca), etc.
Ces : déformations artificielles peuvent-elles avoir une action sur le
cerveau et ses fonctions ? .
Si- les manipulations de certaines matrones sur les têtes des nouveau-
nés sont incapables de produire une déformation durable, il n'en est
pas'de même lorsque les compressions sont suffisamment prolongées
sur le même point. Dans ces cas, il se produit souvent des accidents
1. Les planches qui accompagnent ce mémoire et. reproduisent des types de difTércntcs
déformations crâniennes ont été faites d'après des malades de llicèlrc appartenant au
service de notre maître M. liuurncvilfc.
2. Parrot, la Syphilis héréditaire.
UVtLLE Iconographie DE la Salpêtrière T. IV. P.
1 1
Fie. i
Fin. 2
rig. ; -,
Fiv- 4
1TOTYP NÉGATIF A. LONDE > PHOTOCOLLOORAPHID CHtNF La
MALFORMATIONS CRANIENNES
LECROSNIER & BABÉ
Il IC0.0l.AH.... £ LA SALPfTRILRE 1 7V
JOUVELLi : ICONOORAPHI ! : DE LA SALPÊTRIÈRE T ,v
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1
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11
MALFORMATIONS CRANIENNES
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
examen morphologique CHEZ LES aliénés ET LES IDIOTS. 217
mortels par compression du cerveau. Broca a noté des adhérences cir-
conscrites des méninges au crâne dans deux autopsies de déformation
toulousaine; dans d'autres cas, il a trouvé des plaques d'ostéite. Des
accidents sérieux tels que l'hydrocéphalie, la méningite, peuvent chez
l'enfant être la conséquence de ces manoeuvres. Mais il arrive aussi que
l'encéphale s'adapte à la forme excentrique donnée àla boîtecranienne.
Quelles seront plus tard les fonctions de cet encéphale ? La question
n'est pas absolument résolue; seulement il résulte des statistiques
d'aliénés publiées par Foville et Lunier que ces compressions méca-
niques du crâne ne sont pas inoffensives; car elles tendent à amoindrir
la capacité cérébrale, à troubler le libre développement des circonvo-
lutions dans leur lieu d'élection et ne peuvent que favoriser l'éclosion
de maladies cérébrales (l'épilepsie par exemple) chez des personnes
prédisposées.
(A suivre.)
J. SÉGLAS,
Médecin de la Salpètrièrc.
IV.
15
DE L'OPIITHALiIIOPLÉGIE EXTERNE
COMBINÉE A LA PARALYSIE GLOSSO-LABIO-LARYNGÉE
ET A L'ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE
LÉSION SYSTÉMATIQUE DES NOYAUX MOTEURS
(Polioencéphalomyélite)
(Suite') 1)
Nous avons donc dans notre cas la démonstration de ce fait qu'une
lésion symétrique (en partie) des noyaux des nerfs moteurs du cerveau
et de la moelle allongée (polioencéphalitc supérieure et inférieure) peut
se combiner avec une lésion symétrique des noyaux siégeant dans le
renflement cervical et lombaire et dans tout le reste de la moelle
(poliomyélite) et commandant aux muscles isolés des extrémités et aux
muscles abdominaux..
Nous avons donc affaire à une polioencéphalomyélite chronique pro-
gressive.
Ce qui rend notre cas, autant que je connais la littérature sur ce
sujet, absolument unique dans son genre, ce n'est pas seulement la
combinaison de la poliomyélite avec la polioencéphalite, mais c'est
surtout l'analogie qu'il y a entre la lésion nucléaire des muscles spi-
naux symétriques et la lésion nucléaire des muscles symétriques
bulbo-cérébraux (Seelimüller).
Dans l'observation suivante, la paralysie bulbaire inférieure fait, dès
le début, partie intégrante du processus morbide et évolue avec une
telle rapidité qu'elle entraîne la mort de la malade en six mois.
OBS. XXXII. Polio encéphalite supérieure et inférieure avec atrophie
musculaire (Eichhorsl 2).
.11 s'agit d'une jeune fille de dix-neuf ans, polisseuse, qui souffre, depuis
six mois environ, d'une paralysie faciale gauche et de plus a de temps en
temps de la diplopie. Depuis cette époque, rapide diminution des facultés
1. Voy. les ne" 5 et 6, 1890, et 1, 2, 1891. -
2. Eichhorst, Corresp. Blalt f. Scitweiz. Aertv., 1889, n° 14-, p. 432.
DE L'UI'll1'lWL\lUl'LL;UII : EXTERNE. 21'J
intellectuelles, faiblesse progressive des extrémités. Pas de maladie nerveuse
dans la famille. Aucune cause apparente de la maladie.
La malade présente actuellement une paralysie faciale gauche, une parésie
bilatérale de l'hypoglosse, une parésie du vague et du glossopharyngien,
avec ophthalmoplégie externe (paralysie des deux releveurs de la paupière,
du droit interne du côté droit et du droit externe du côté gauche, paralysie
des deux droits supérieurs et des deux obliques inférieurs, de même que des
droits inférieurs et obliques supérieurs). Réactions pupillaires complètement
intactes. Aucune différence entre les pupilles.
Mais la malade présente en outre le tableau typique de l'atrophie muscu-
laire progressive. Le processus morbide s'est manifestement propagé des
noyaux des nerfs crâniens vers les cornes antérieures de la substance grise de
la moelle. 11 s'agit donc d'une polioencéphalite inférieure et supérieure et
d'une poliomyélite.
Sortie de la clinique le 26 mai. Elle avait eu le jour précédent une
attaque apoplectique avec hémi-parésie consécutive encore persistante. Le
transport chez elle (plusieurs heures de chemin de fer) fut bien supporté par
la malade. Quatre jours après avoir quitté l'hôpital, elle mourut subitement
avec des phénomènes de dyspnée. La parole serait devenue encore plus diffi-
cilement intelligible dans les derniers jours et la malade aurait avalé de
travers.
Le cerveau et la moelle furent macroscopiquement trouvés intacts.
L'examen microscopique de ces organes avec description plus complète du
cas sera donné ultérieurement.
Les faits qui précèdent appartiennent les uns à la polioencéphalo-
myélite chronique, les autres à la polioencéphalomyélite subaiguë. Les
premiers, jusqu'ici les plus nombreux, comprennent les cas de Rosen-
thal, Bristowe, Sachs, Seeligmüller ; notre malade, Brau... rentre
également dans cette catégorie dont il ne constitue pas l'un des types
les moins curieux. L'observation de Peyn..., celle du médecin polo-
nais (Obs. XXVII) et celle de Eichhorst sont les seuls exemples de)
polioencéphalomyélite subaiguë que nous connaissions. (
Polioencéphalomyélite chronique z
Les différents faits qui ressortissent à ce groupe ont un caractère
commun, la lenteur remarquable de l'affection. L'invasion de la
colonne motrice se fait ◀tantôt▶ par la moelle, ◀tantôt▶ par le bulbe supé-
rieur ; il existe donc deux modes de début : l'un bulbaire à marche
descendante, l'autre médullaire à marche ascendante.
Début par L'olatloaLnaoplégie. Trois fois sur cinq l'ophthalmo-
220 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
plégie fut la première manifestation morbide. C'est ◀tantôt▶ la chute de
la paupière, ◀tantôt▶ la diplopie, ◀tantôt▶ la diminution de l'acuité visuelle
(paralysie de l'accommodation) qui attire tout d'abord l'attention du
malade. Dès le début, la marche essentiellement chronique de l'affec-
tion s'affirme par la lenteur, l'hésitation avec laquelle la paralysie
oculaire se complète : témoin le cas de Bristowe où le ptosis survint
cinq ans après la diplopie. Même complète, l'ophthalmoplégie est
soumise à des variations soudaines, à des rétrocessions inespérées,
malheureusement passagères. Cette phase oculaire est une première
étape dont la durée varie de quelques mois à cinq ans.
Puis vient une plus ou moins longue période de repos. Après un
temps d'arrêt de six mois, un an, quatre ans même, l'affection reprend
sa marche progressive et gagne la colonne grise antérieure de la
moelle. L'atrophie apparaît alors à la main, au bras et à l'épaule, à la
jambe, d'un seul côté ou des deux côtés à la fois, suivant les diverses
localisations du processus morbide. Dans un cas rapporté par Bris-
towe, l'atrophie secondaire à l'ophthalmoplégie commença par les
épaules et se propagea symétriquement aux bras comme dans le type
scapulo- hmnéral décrit par Vulpian.
Début par l'amyotrophie. Parfois l'atrophie musculaire est le
premier phénomène en date et précède les symptômes oculaires pen-
dant un temps plus ou moins long. Chez Br..., les membres supérieurs
sont tout d'abord intéressés; les mains deviennent inhabiles, incapa-
bles de tenir le pinceau; les éminences thénar et hypothénar s'atro-
phient, l'avant-bras, le bras, l'épaule se prennent tour à tour suivant
un ordre régulier, rappelant la marche graduellement ascendante de
l'amyotrophie dans le type Aran-Duchenne. Dans le cas de Seelig-
müller, les extrémités supérieures et inférieures auraient été envahies
en même temps, à en juger par cette phrase de l'observation : « la
malade souffrait depuis quatre ans d'une sensation de faiblesse et de
pesanteur dans les quatre membres et dans le cou.... » L'atrophie
poursuivit si bien sa marche envahissante, qu'au moment de l'examen,
c'est-à-dire quatre ans après le début, elle était généralisée à tout le
corps.
Cette phase atrophique ne resta pas longtemps isolée chez ces deux
malades : car au bout d'un an, un an et demi, la poliomyélite se com-
pliqua de paralysie bulbaire supérieure.
La localisation essentiellement variable de la lésion spinale entraîne
des différences considérables dans la distribution de l'atrophie, qui
◀tantôt▶ reste cantonnée à un seul membre, ◀tantôt▶ suit une marche
envahissante. Celle-ci ne porte pas également sur tous les muscles : les
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 221
muscles vaste interne, vaste externe et tibial antérieur dans un cas, le
deltoïde, le triceps fémoral et brachial, le sterno-mastoïdien dans
un autre, comptent parmi les muscles les plus altérés. Chez Brau...
l'atrophie est surtout considérable au niveau des éminences thénar
(main de singe), des extenseurs des doigts, du biceps, du deltoïde et
de la portion supérieure du trapèze; par contre, les fléchisseurs des
doigts, le triceps, le grand pectoral, ont conservé leur puissance nor-
male. Les muscles sont pris isolément et non par groupes : on sait
que c'est ainsi que procède l'atrophie dans la poliomyélite chronique.
C'est l'atrophie qui domine la scène et règle le degré d'impotence
fonctionnelle; elle est assez étendue dans certains cas pour annihiler
complètement certains mouvements et faire du malade un véritable
infirme.
Les muscles atrophiés sont flasques, non douloureux à la pression
et animés de contractions fibrillaires. Celles-ci n'existent pas partout;
elles sont surtout marquées au niveau des muscles en voie d'atrophie,
bien qu'elles puissent, ainsi que cela se voit chez Brau... s'observer
également au niveau de parties atrophiées depuis longtemps.
L'examen électrique des muscles fournit des renseignements inté-
ressants, quelque contradictoires qu'ils puissent paraître. On sait qu'il
est de règle de constater dans l'atrophie musculaire d'origine myélo-
pathique l'existence de la réaction de dégénérescence. Des différents
cas précités, celui de Sachs est le seul où cette réaction de dégénéres-
cence soit expressément signalée. Chez le malade de Seeligmùller et
chez Brau... il y avait simplement une forte diminution de l'excitabi-
lité pour les deux espèces de courant, sans inversion de la formule.
Chez ce dernier malade, M. Vigouroux a remarqué que l'anomalie de
réaction se rapproche de la réaction de dégénérescence par un point,
il savoir la non-excitabilité du nerf, mais s'en éloigne sous un autre
rapport. En effet, malgré la non-excitabilité du nerf, la contractilité
faradique et galvanique du muscle est simplement affaiblie; de plus,
l'excitabilité galvanique est moins accusée que l'excitabilité faradi-
que, contrairement à ce que l'on observe dans la réaction de dégéné-
rescence. Dans une affection connexe de la poliomyélite antérieure
chronique, dans la syringomyélie avec atrophie musculaire, là où
l'atrophie est évidemment de cause spinale, M. Vigoureux a constaté
plusieurs fois que cette réaction faisait complètement défaut. L'ab-
sence de ce signe n'est donc pas suffisante pour éloigner l'idée d'une
atrophie de cause spinale dans le cas actuel. « Nous admettrons plutôt
que, parmi ces atrophies musculaires d'origine spinale, les unes, sui-
vant des circonstances non encore analysées, entraînent la réaction de
2M ) NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dégénérescence, tandis que les autres ne l'entraînent pas. Il resterait à
chercher les raisons anatomiques et physiologiques de ces différen-
ces. » (Leçon de M. le professeur Charcot.) Nous reviendrons d'ailleurs
sur ce point plus loin il propos du diagnostic.
Ajoutons enfin que certains muscles sont tellement atrophiés, qu'ils
ne réagissent plus du tout au passage du courant.
- Les réflexes tendineux sont affaiblis ou supprimés au niveau des
parties malades. `
. Les sphincters fonctionnent normalement; la vessie et le rectum ne
sont point paralysés.
Les douleurs un peu vives font constamment défaut; un seul
malade a éprouvé de légers élancements dans les épaules et la partie
supérieure du bras.
Quant à la sensibilité cutanée, elle est intacte dans tous ses modes,
au contact, à la douleur, à la température. Le sens articulaire et mus-
culaire est partout conservé.
L'un des malades est très sensible au froid; au moindre abaisse-
ment de température il éprouve une sensation de refroidissement très
intense dans les membres supérieurs; et cependant la peau n'est ni
froide ni cyanosée.
Enfin, la nutrition cutanée est intacte et l'état général n'est pas
modifié.
. La marche ultérieure de la polioencéphalomyélite chronique est des
plus variables. Chez deux malades, en effet, l'affection remonte à douze
et quinzeans (cas de Bristowe et de Sachs) et semble aujourd'hui éteinte.
Chez un autre malade, tout en procédant avec une extrême lenteur
elle poursuit sa marche envahissante et cela depuis plusieurs années
(cas de Rosenthal). Chez un quatrième, après avoir pour ainsi dire
sommeillé pendant quatre ans, elle paraît se réveiller aujourd'hui; la
paralysie glossolabiolaryngée qui vient de se déclarer ne tardera pas
à entraîner la mort' (cas de Seeli(ymüller). Enfin, Brau... appartient à
un type chronique et progressif; il n'est malade que depuis deux ans,
et déjà la paralysie bulbaire est menaçante.
Polioencéphalomyélite subaigüe
La rapidité avec laquelle l'ophthalmoplégie externe se combine à
la paralysie et à l'amyotrophie, constitue le trait caractéristique de
cette affection, qui peut débuter indifféremment par les accidents
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 223
bulbaires ou spinaux. Les douleurs dans les membres, les troubles
gastriques ou intestinaux, les phénomènes fébriles, signalés dans
certaines observations de paralysie générale spinale antérieure subai-
guë, firent défaut dans les trois observations de polioencéphalomyélite
que nous étudions.
Début par la paralysie bulbo-protubérantielle. Eicchorst rapporte
que sa malade fut atteinte tout d'abord de paralysie faciale gauche et
de diplopie passagère, et que la faiblesse progressive des membres
supérieurs et inférieurs ne vint qu'en second lieu. Il en fut de même
chez notre malade de l'observation XXVII.
Début par la paralysie des membres inférieurs. Chez Peyn... la
paralysie débuta par les membres inférieurs, ainsi qu'il arrive d'or-
dinaire dans la poliomyélite antérieure subaiguë. Ce malade pliait
sur lui-même, avait la plus grande peine à monter un escalier et ne
pouvait se relever lorsqu'il était à genoux. Au bout de quinze jours
l'ophthalmoplégie apparut sous forme de ptosis. Presque en même
temps la paralysie s'étendit aux membres supérieurs, en commençant
par les avant-bras et par les mains.
Contrairement à ce qui se passe dans la polioencéphalomyélite chro-
nique, la paralysie est ici le premier phénomène en date : c'est elle
qui détermine la gêne de la marche et de la station debout, la gêne
des mouvements des doigts et de la main, au début de la maladie.
Bientôt, il est vrai, l'atrophie frappe en masse, un peu partout, les
muscles paralysés, se généralise et envahit successivement ou simul-
tanément les membres inférieurs et supérieurs. Tous les groupes
musculaires ne sont pas pris d'une façon égale. Chez Peyn..., par
exemple, le triceps crural est complètement détruit, alors que les
adducteurs sont intacts et que les fléchisseurs delà jambe sur la cuisse
possèdent encore une certaine puissance; le pouce et l'index sont les
seuls doigts qui puissent encore se fléchir et s'étendre avec quelque
force, les autres doigts tombent d'eux-mêmes entraînés par leur pro-
pre poids, en tout cas incapables de serrer un objet.
Malgré cette inégale répartition de la paralysie et de l'amyotrophie,
l'aflection progressa si bien qu'en trois mois la fixité du regard fut
presque complète, que la marche et la station debout devinrent
impossibles et que les mouvements de la main et du bras se rédui-
sirent au minimum. La planche V montre bien quel degré d'atrophie
les membres supérieurs et inférieurs peuvent atteindre en si peu de
temps.
Les muscles sont le siège de très rares contractions fibrillaires et
présentent à l'exploration électrique l'anomalie dont nous avons déjà
224 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
parlé, c'est-à-dire un affaiblissement parallèle des deux modes d'exci-
tation, sans réaction de dégénérescence.
Les membres inférieurs très légèrement oedématiés ont une teinte
un peu violacée; la température y est en même temps abaissée : le
malade en a conscience et se plaint d'avoir constamment froid aux
pieds et aux jambes.
La perte des réflexes, l'absence de douleurs, de tremblement, de
contracture, de troubles de la sensibilité, complètent le tableau cli-
nique. Il est inutile d'insister sur la valeur de ces signes tant positifs
que négatifs au point de vue du diagnostic de la lésion spinale, diag-
nostic que vient encore corroborer la paralysie de la musculature exté-
rieure des yeux.
Tels étaient les symptômes présentés par Peyn..., à son entrée à
l'hôpital, cinq mois après le dé1lli.Lde..la maladie. La rapidité, on pour-
rait presque dire la simultanéité avec laquelle l'ophthalmoplégie et la
paralysie amvotrophiqusrétaient délar : é.es,.laaxlarche progressive des
accidents permettaient de rapprocher ce cas de celui de Eichhorst. Il
n'en différait que par un point, capital, il est vrai, au point de vue du
pronostic : la non-participation du bulbe inférieur au compo.
bide. Malgré tout, l'avenir de notre malade paraissait bien sombre; et
pouvait-il en être autrement en présence d'une ophthalmoplégie avec
amyotrophie généralisée, c'est-à-dire, dans l'hypothèse où nous nous
placions, d'une affection systématique de la plus grande partie de la
colonne grise antérieure ? On se rappelle quelle fut la fin de la malade
de Eichhorst, comment la paralysie glosso-labio-laryngée entraîna la
mort six mois après l'apparition des premiers accidents. N'allait-il pas
en être de même chez Peyn... menacé de paralysie bulbaire ? Tout en
faisant de justes réserves sur la possibilité de cette complication,
M. Charcot se plaisait à espérer qu'elle ne viendrait pas et que peut-être
même la maladie rétrocéderait; l'avenir lui a donné raison. Peu de
temps après son entrée, le malade commença à aller mieux. Il reprit
peu à peu à l'usage de ses jambes, fit quelques pas à l'aide de béquilles
d'abord péniblement, puis marcha d'un bout de la salle à l'autre, enfin
essaya quelques courtes promenades. Progressivement les forces lui
revinrent; aujourd'hui il se tient debout sans appui et garde bien son
équilibre. Ses yeux sont plus mobiles, le ptosis est moins apparent.
Il n'y a pas la moindre ébauche de paralysie bulbaire. Seuls les membres
supérieurs sont restés à peu près dans le même état; en tout cas
. les mains ne sont pas plus habiles, ne serrent pas davantage et le
squelette de l'épaule est tout aussi saillant qu'autrefois. L'améliora-
tion va-t-elle se poursuivre ou bien l'amyotrophie des membres supé-
DE L'O1'II'PIIALDIOPLÉGIE EXTERNE. 225
rieurs est-elle définitive ? Il est malheureusement à craindre que
l'atrophie des bras ne disparaisse jamais.
La polioencéphalite avec ophthalmoplégie externe et atrophie mus-
culaire pourrait être confondue avec un certain nombre d'autres affec-
tions, avec les maladies amyotrophiques en particulier. Pour la distin-
guer, ce qui doit être toujours possible, sinon facile, on s'appuiera sur
quelques signes, qui, soit isolément, soit dans leur ensemble, pré-
sentent une valeur considérable il ce point de vue.
L'habitus extérieur constitue à lui seul un élément important de
diagnostic. Nous disons l'habitus extérieur tout entier el non pas seule-
ment le facies. On a vu, au cours de notre description, quels caractères
spéciaux donne à la physionomie la présence de l'ophthalmoplégie
externe. Nous ne reviendrons donc pas ici sur le facies d'Hulchinson,
qui dès l'abord, à lui seul, attire invinciblement l'attention.
En ce qui concerne la démarche, il n'y a rien de bien spécial à signa-
ler; c'est celle de tout individu atteint d'atrophie des membres infé-
rieurs. Le trouble peut aller de la simple faiblesse, s'accusant par une
fatigue rapide à la moindre marche, jusqu'à l'impotence complète et
l'usage forcé des béquilles ainsi que cela existait chez un de nos
malades (obs. XXVI). Lorsque l'atrophie a envahi les extenseurs de la
jambe, on observe la démarche de stepper, caractéristique de cette
localisation, mais qui, dans l'espèce, n'acquiert pas une importance
spéciale.
L'hahitus de la partie supérieure du corps présente au contraire
beaucoup plus d'intérêt, eu égard à la localisation la plus habituelle
des lésions. Qu'il soit debout ou assis, le malade a toujours un certain
port de tète, qui, joint à son facies si particulier, ne peut manquer
d'attirer le regard. La tête est immobile, légèrement penchée en avant,
elle tourne difficilement à droite et à gauche, mouvement que cepen-
dant le malade est obligé d'exécuter fréquemment, car c'est le seul
moyen qu'il ait, à cause de l'immobilité de ses yeux, pour diriger ses
regards autour de lui. Lorsque l'atrophie des muscles de la partie
postérieure du cou est très avancée, on voit entre la nuque et les
épaules une sorte de dépression en coup de hache et dans ce cas la
flexion en avant et l'immobilité de la tête sont encore bien plus accen-
tuées. Cet aspect se remarquait chez l'un de nos malades et on peut
s'en rendre compte en regardant la planche III.
Les bras sont « ballants », tombent de chaque côté du corps comme
des masses inertes. Lorsque le malade veut s'en servir, il est obligé
pour les faire parvenir au but voulu, de les lancer, en quelque sorte,
226 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
par un mouvement du tronc et des épaules. Si quelques mouvements
sont encore conservés dans un segment du membre, il ne peut les exé-
cuter qu'en calant le memhre entier soit contre un objet voisin, soit
contre son corps, ou contre ses cuisses. Il ne porte plus sa main à sa
bouche, par exemple, mais bien plutôt sa bouche à sa main. L'un de
nos deux hommes, ne pouvant, à cause de l'atrophie des fléchisseurs,
empoigner comme il faut ses béquilles pour les soutenir, avait imaginé
un petit système de ficelles qui, intriquéesavecles doigts, maintenaient
ceux-ci mécaniquement et leur donnait sinon la force du moins la
possibilité de soutenir sa béquille. Lorsque l'atrophie est suffisamment
prononcée, les malades ne peuvent plus s'habiller eux-mêmes. Passer
les manches de la chemise, rentrer celle-ci dans le pantalon, bouton-
ner un bouton sont autant de mouvements qu'ils ne peuvent pas faire
ou qu'ils n'arrivent à exécuter qu'à l'aide d'artifices de mouvements
que nous ne saurions décrire ici en détails, mais qu'il est bien instruc-
tif d'observer.
Ce sont d'ailleurs des troubles moteurs que l'on rencontre chez tous
les amyotrophiques atteints dans le segment supérieur de leur corps.
On les trouve aussi dans la maladie de Duchenne-Aran, dans laquelle
les localisations médullaires supérieures sont exactement les mêmes.
Là aussi les bras sont ballants et le malade est obligé deles lancer par
un mouvement des épaules vers le but qu'il se propose d'atteindre. Le
cou est également quelquefois immobile, mais cela est plus rare et
l'on remarque moins souvent la dépression sous-occipitale due à
l'atrophie des muscles de la nuque. Mais il suffit de jeter les yeux sur
la face pour voir immédiatement qu'il ne s'agit point de polioencépha-
lite. Point de facies spécial, en effet, dans la maladie de Duchenne-
Aran, pas de chute des paupières, pas d'immobilité des globes ocu-
laires. Cette constatation seule suffirait pour lever tous les doutes, si
l'hésitation était un instant permise.
Il n'en est pas de même dans la sclérose latérale arnyotrophique,
considérée dans son entier développement. Là en effet il existe un
faciès spécial, qui peut même se rencontrer seul, en dehors de toute
amyotrophie du côté des membres, lorsque la maladie débute par le
bulbe. Mais en n'envisageant que les cas complets, nous trouvons
dans la maladie de Charcot très fréquemment le même port de tête que
dans la polioencéphalite. La tète est plus ou moins immobile, penchée
en avant, grâce à l'impotence des muscles du cou, qui est creusé au
niveau de la nuque d'une dépression plus ou moins considérable due
à la disparition des masses musculaires. Les bras sont inertes, pendant
le long du corps, les mains atrophiées en griffes.
DE L'01'IITIIAI.\IOI'LÉC : IC EXTERNE. -227
De plus le malade présente un facies bien particulier. Il a un air
d'hébétude remarquable. Ses lèvres demi-ouvertes et d'où s'écoule
continuellement la salive, sont figées dans une sorte de rire bête, qui
s'accentue notablement quand on lui parle; alors le malade n'en finit
plus de rire. Ou bien la déformation de la bouche, des lèvres et du
menton donne à sa physionomie un air continuellement pleurard. Si
on le fait parler, on s'aperçoit qu'il articule mal les mots et nasonne
considérablement. D'ailleurs il est incapable d'avaler une gorgée de
liquide sans qu'il lui en repasse la moitié par les fosses nasales ou qu'il
lui en tombe quelques gouttes dans le larynx. De tout cela résulte un
habitus extérieur bien frappant, mais bien différent aussi de celui qui
existe dans la polioencéphalite. Ce malade à l'air pleurard et hébété
conserve encore son oeil vif. On le voit promener son regard dans
toutes les directions, et remédier pour ainsi dire à l'immobilité de sa
tête par l'agilité de ses yeux. C'est qu'en effet son bulbe inférieur seul
est pris; son bulbe supérieur reste indemne. Le facies à lui seul pour-
rait donc permettre d'éviter toute erreur, si nous n'avions pas encore
pour nous guider un autre symptôme capital de la sclérose latérale
amyotrophique, l'exagération des réflexes tendineux et en particulier
du réflexe massétérin.
Il existe des cas où ce dernier phénomène acquerra une importance
décisive et pourra seul permettre d'établir le diagnostic. Ce sont ceux
dans lesquels aux phénomènes de paralysie bulbaire inférieure sont
venus s'adjoindre les signes qui caractérisent la lésion de la moitié
supérieure du bulbe, l'ophthalmoplégie externe. Cette association
paraît peu fréquente, il est vrai, mais elle n'est cependant pas si rare
que nous n'ayons pu en observer un exemple, que nous avons relaté
plus haut. On ne la connaît point dans la sclérose latérale amyotro-
phique, caractérisée, d'autre part, par l'exagération des réflexes et la
contracture; elle peut se rencontrer dans la polioencéphalite dans
laquelle il n'existe au contraire aucun symptôme de la lésion des
faisceaux pyramidaux. Il n'est pas besoin d'insister plus longuement
sur l'expression de physionomie qui résulte de l'association du faciès
d'lIutchinson avec celui de la paralysie labio-glosso-laryngée. Qu'on
veuille bien seulement ne pas oublier qu'en présence de cette dernière
on devra toujours porter son attention du côté des yeux, afin de ne
pas laisser passer inaperçue l'ophthalmoplégie externe qui peut s'y
trouver combinée.
Arrivons maintenant il une autre catégorie d'amyotrophies avec
lesquelles on pourrait peut-être confondre la polioencéphalite : la
myopathie progressive, en particulier dans sa forme facio-scapalo-
z)8 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
humérale, L'habitus extérieur est très frappant chez les sujets atteints
de cette maladie. En ce qui concerne les épaules et le segment supé-
rieur des membres thoraciques, ce sont toujours les mêmes bras
« ballants », les mêmes épaules amaigries et tombantes. Mais, ici,
l'examen le plus superficiel suffit pour montrer que les avant-bras ne
sont que peu ou pas atteints et que les mains sont absolument indem-
nes, tandis que l'atrophie prédomine énormément au niveau des mus-
cles de la ceinture scapulaire, l'omoplate étant notablement détachée
du tronc et renversée de façon que son angle supéro-intcrne vienne
faire saillie en arrière et au-dessus de la clavicule. Cela constitue un
caractère important, car nous avons vu que dans la polioencéphalite,
le début avait lieu ordinairement par les éminences de la paume de la
main et par les avant-bras. Mais ce n'est pas tout. Si nous considérons
l'aspect extérieur du tronc, nous voyons que, tandis que chez l'indi-
vidu atteint de polioencéphalite, il n'existe guère de modifications bien
nettes de l'état normal, chez le myopathique au contraire, l'ensellure
dorso-lombaire est absolument constante. Il en résulte une démar-
che particulière, un dandinement des hanches et des épaules qu'on
n'oublie pas lorsqu'on les a observés une bonne fois, et qui permettent
presque de faire à distance le diagnostic de la maladie myopathique.
On peut en dire autant du facies si spécial de la forme facio-scapulo-
humérale de la myopathie. La chose la plus saillante, ce sont les gros
yeux des malades, largement découverts par les paupières dont
l'occlusion complète est même impossible. Mais ils sont vifs, doués de
mouvements dans tous les sens. Ils ressemblent bien peu aux yeux des
sujets atteints de polioencéphalite. Tandis que chez les premiers les
paupières ne peuvent pas se fermer entièrement, chez les seconds
au contraire il est impossible de les ouvrir complètement. Ajoutons à
cela les grosses lèvres des myopathiques, leur espèce de museau si
spécial qui leur donne un rire particulier ; nous sommes loin du faciès
d'lIutchinson. Enfin, chez les myopathiques le front est lisse, exempt
de toute ride, à cause de l'atrophie des muscles. Chez les autres, au
contraire, la contraction constante du frontal qui tend à remédier à
l'insuffisance du releveur de la paupière, ride le front en travers et
ne contribue pas peu à donner aux malades cet air soucieux ou étonné
si différent du facies myopathique.
Il peut se faire cependant que chez certains malades atteints de
polioencéphalite, le front soit lisse et immobile. Ce fait se produira
dans les cas, rares il la vérité, où la lésion bulbaire supérieure, se
propageant à la moelle a atteint au passage le noyau du facial. Nous
avons cité chemin faisant des exemples de cette propagation. On est
/1 DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 229
alors en présence d'une sorte d'association du faciès d'Ilutctlinson et du
faciès myopathique. Ces cas paraissent rares, il est vrai, mais il con-
vient néanmoins de les connaître. En tout cas l'absence dans la myo-
pathie d'une paralysie labio-glosso-laryngée qui ne larderait pas à se
produire dans ces cas complexes de polioencéphalite, ne permettra pas
longtemps le doute.
Nous avons relevé dans les observations publiées de polioencéphalite
et nous avons constaté aussi chez nos malades, deux signes qui sont
constants dans la myopathie et qui sont même considérés comme des
signes diagnostiques de cette dernière affection. Nous voulons parler
de l'absence d'anomalies des réactions électriques des muscles et en
particulier de l'absence de la réaction de dégénérescence, ainsi que
de la présence des rétractions tendineuses. Ces deux phénomènes ne
sont point habituels dans les amyotrophies myélopathiques. Ce n'est
pas une raison pour douter de l'origine centrale de la maladie.
Pour ne parler que des réactions électriques, que voit-on en effet
dans l'atrophie myopathique ? une absence d'anomalie des réactions,
mais une simple diminution de l'énergie des contractions, propor-
tionnelle à la diminution supposable du nombre des fibres muscu-
laires saines. Chez nos malades on trouve une diminution considéra-
rable de l'excitabilité pour les deux courants dans les muscles
atrophiés et, chose remarquable, cette diminution arrive à l'abolition
complète pour certains muscles qui sontpeu atrophiés et qui obéissent
encore à la volonté. Ce n'est point du tout ce que l'on observe dans
l'atrophie myopathique où la contractilité persisle tant qu'il y a une
fibre musculaire saine. Donc l'assimilation absolue entre les deux ne
saurait être faite.
D'autre part dans les atrophies d'origine myélopathique, si la réac-
tion de dégénérescence se rencontre le plus souvent, on sait cependant
qu'elle peut manquer quelquefois. Dans la sclérose latérale amyotro-
phique en particulier, il y a presque toujours un mélange. Parmi les
muscles atrophiés, les uns réagissent normalement, les autres présen-
tent la réaction de dégénérescence. On comprend d'après cela que les
anomalies de réaction puissent manquer complètement, bien que des
cas semblables paraissent devoir être extrêmement rares. Pourquoi
en est-il beaucoup plus souvent ainsi dans la polioencéphalite ? Nous
sommes obligés d'avouer notre ignorance à cet égard. Mais quoi qu'il
en soit, on ne saurait tirer de cette absence d'anomalie des réactions
électriques' des conclusions légitimes contre l'origine centrale de la
1 . Ces considérations au sujet des réactions électriques dans la polioencéphalite ont été
rédigées d'après des notes manuscrites qui nous ont été obligeamment communiquées par
? 3U NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
maladie, démontrée, ainsi que nous l'avons constaté chemin faisant,
par des examens anatomo-pathologiques.
Nous en dirons autant au sujet des rétractions tendineuses.
Chez l'un de nos malades, qui avait été soumis à une, époque de sa
vie à l'intoxication plombique, on aurait pu penser un instant aune
paralysie saturnine (obs. XXV). Mais cette hypothèse ne pouvait tenir
devant un examen un peu minutieux du malade. Tout d'abord cette
absence de troubles dans les réactions électriques dont nous parlions
plus haut ne plaide point en faveur de l'idée d'une polynévrite. De
plus notre malade n'était plus, à l'époque où sa maladie a débuté,
sous l'influence du poison plombique et il n'était plus possible de
penser chez lui à un effet de l'intoxication saturnine. Enfin la marche
de l'atrophie, la durée de son évolution, la présence des troubles ocu-
laires, devaient faire écarter l'hypothèse de polynévrite saturnine. Il
fallait cependant l'examiner et la discuter, car on connaît des cas de
polynévrites dans lesquels l'oeil a été touché.
Il est vrai que quelques-uns de ces cas ne sont nullement caracté-
ristiques au point de vue de la névrite généralisée et qu'on pourrait
aussi bien les ranger dans le cadre de la polioencéphalite que dans
celui des polynévrites. Nous citerons en particulier une observation
rapportée dans la thèse de 111 ? Déjerine-Klumpke, et où il nous paraît
bien difficile d'établir un diagnostic positif.
Il s'agit dans ce cas d'un malade, dont l'âge n'est pas connu, mais
chez qui la maladie semble, en raison des renseignements fournis dans
l'observation, avoir débuté vers quarante ou quarante-cinq ans. Dans
ses antécédents héréditaires personnels, il n'y avait rien à signaler :
pas de syphilis, pas d'alcoolisme, pas de saturnisme. En 1880, il fut
pris, sans cause connue, d'une paralysie des releveurs des paupières,
étendue bientôt aux quatre membres, qui dura sept mois et se termina
par la guérison. Après une période de santé de deux ans et demi, le
malade fut repris en 1883. L'observation faite à cette époque montre
qu'il existait un double ptosis avec ophthalmoplégie externe presque
totale pour l'oeil droit, moins complète pour l'oeil gauche, et diplopie.
On constatait en outre tous les signes d'une paralysie bulbaire infé-
rieure qui s'était développée ensuite : atrophie légère de la langue,
paralysie des muscles du voile du palais et du pharynx, de l'orbicu-
laire des lèvres, troubles de la parole. Enfin les quatre membres étaient
M. le Dr Vigouroux, chef du service cloctrotliérapiquc de la clinique des maladies nerveuses
à la Salpêtrière.
1. Déjeriue-Klumpke, Des polynévrites en général et des paralysies et atrophies
saturnines en particulier. Tli. Paris, 1889.
DE L'UPlll'11.11.\fUl'LliGIG EXTERNE. 231
paralysés et atrophiés en masse, sans prédominance de l'atrophie dans
tel ou tel groupe musculaire et sans troubles de la sensibilité. La con-
tractilité faradique était diminuée, mais non abolie. Cette seconde
attaque de paralysie dura plus d'un an et guérit complètement. Le
malade ne conserva qu'un certain degré de paralysie du droit
externe de chaque oeil, produisant un léger strabisme convergent.
En l'absence de réaction de dégénérescence dûment constatée, il
est presque impossible de se prononcer dans un cas pareil. Cela res-
semble à s'y méprendre aux cas que nous avons mentionnés et dans
lesquels la lésion, ayant débuté dans le bulbe supérieur, s'étend ensuite
plus ou moins rapidement au bulbe inférieur et à la moelle. On devra
donc toujours, en présence de malades de ce genre, penser à la poly-
névrite généralisée. Mais dans certains cas, et le nôtre nous paraît être
de ce nombre, bien que le malade ait été autrefois soumis à une cause
importante de polynévrite, l'intoxication saturnine, ce sera pour
l'exclure et porter le diagnostic de polioencépllalite. La guérison ulté-
rieure du malade ne doit même pas être un obstacle à l'affirmation
d'un pareil diagnostic. En effet on a vu que l'un de nos malades était
en voie d'amélioration à la suite 'du traitement institué et rien ne dit t
qu'il ne guérira pas, sinon complètement, du moins en grande partie.
Existe-t-il d'autres maladies amyotrophiques avec lesquelles on
pourrait confondre à un moment donné la polioencéphalomyélite ?
Nous ne citerons que pour mémoire la pachyméningite cervicale hyper-
trophique dans laquelle l'amyotrophie pourrait peut-être porter un ins-
tant à l'erreur. Mais là il existe en général une habitude particulière
du cou et de la tête, due à ce que le cou est raide, mais nonréellement
paralysé. De plus, la face est indemne, ainsi que les yeux. Enfin on
retrouvera, sinon dans l'état actuel, du moins dans l'histoire du ma-
lade, l'existence de ces douleurs violentes qui caractérisent l'une des
périodes de la pachyméningite cervicale hypertrophique.
La syringomyélie mériterait qu'on s'y arrêtât un instant et qu'on en
discutât le diagnostic avec quelques développements si l'on n'y trouvait
un signe bien caractéristique qui est la dissociation particulière des
troubles de la sensibilité. Chez les malades atteints de polioencépha-
lite, celle-ci est toujours normale; c'est une règle presque absolue, à
laquelle nous ne connaissons point encore d'exception. Au contraire
dans la syringomyélie, à côté de la conservation des sensations de con-
tact, on trouve l'analgésie et surtout la thermoanesthésie qui constitue
un caractère presque pathognomonique de cette affection. Une fois ce
signe constaté on ne sera plus embarrassé pour expliquer l'origine de
l'amyotrophie qui l'accompagne ; la polioencéphalite sera d'emblée
232 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
éliminée, surtout s'il existe en outre quelques-uns des troubles tro-
phiques, bulles, panaris, arthropathies, scoliose, habituels dans la
syringomyélie. Il n'est pas jusqu'aux signes oculaires qui ne permettent
de différencier nettement les deux affections, l'oeil étant immobile
dans l'une et au contraire souvent atteint de nystagmus dans l'autre.
Nous nous bornerons là en ce qui concerne le diagnostic de la polio-
encéphalomyélite. C'est une affection quel'on devra toujours reconnaître
assez facilement en somme, grâce à l'ensemble de ses signes très parti-
culiers et qu'on ne rencontre ainsi réunis dans aucune autre maladie :
faciès d'Hutchinson et amyotrophies.
On sait quelle obscurité règne encore sur l'étiologie de la paralysie
glosso-Iabio-laryngée et de l'atrophie musculaire progressive; on
n'est pas plus éclairé en ce qui concerne la polioencéphalomyélite.
La syphilis, à laquelle Hutchinson attribue la majorité sinon la tota-
lité des cas d'ophthalmoplégie externe, a été invoquée par certains
auteurs comme la cause probable de la poliomyélite antérieure su-
baiguë et chronique. Parmi les sept malades atteints d'atrophie mus-
culaire combinée il l'ophthalmoplégie un seul était syphilitique, un
autre avait eu un chancre de nature douteuse, sans symptômes secon-
daires certains. Chez eux, le traitement antisyphilitique fut appliqué
dès l'apparition des premiers accidents et l'affection n'en poursuivit
pas moins son cours. Enfin nos deux malades ont été particulièrement
examinés à ce point de vue; ils ne présentaient pas les moindres traces
de vérole. Il est donc bien difficile d'accorder à la syphilis quelque
influence sur le développement de la polioencéphalomyélite.
Le saturnisme ne doit pas davantage être mis en cause. Br..., il est
vrai, a eu des coliques de plomb, mais il y a bien des années qu'elles
n'ont point reparu; les signes d'intoxication font défaut; enfin son
atrophie musculaire n'offre pas les caractères de l'amyotrophie satur-
nine. Nous nous sommes expliqués là-dessus à propos du diagnostic.
Le pronostic de l'ophthalmoplégie externe combinée à l'amyotrophie
ne nous arrêtera pas longtemps. Les cas de polioencéphalomyélite
publiés jusqu'à ce jour sont trop peu nombreux pour qu'on soit auto-
risé à formuler une règle générale à ce sujet. Tout ce qu'on peut dire,
c'est que la polioencéphalite supérieure n'est pas faite pour rendre plus
favorable le pronostic de l'atrophie musculaire progressive et inverse-
ment ; dans un cas comme dans l'autre, il y a des chances pour que le
bulbe inférieur se prenne à son tour : c'est ce qui est arrivé chez la
malade de Seeligmùller, morte d'accidents pulmonaires d'origine cen-
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 233
traie; c'est également ce qui est à craindre chez Brau..., qui présente
une ébauche de paralysie glosso-labio-laryngée. A en juger par les
observations de Sachs, de Bristowe, de Rosenthal, il semble que le
début de la polioencéphalomyélite chronique par le bulbe supérieur
entraîne un pronostic moins sévère que le début par la moelle. Il est
juste aussi de faire remarquer que, dans les deux cas où l'amyotrophie
s'et montrée nettement unilatérale dès le début, l'affection est restée
localisée.
Dans la forme subaiguë, la mort parait fatale dès que se manifestent
les premiers signes de paralysie bulbaire. Dans le cas contraire, il est
possible qu'on assiste comme chez Peyn... à la rétrocession partielle
de la maladie : nous n'osons croire a une guérison complète.
La polioencéphalomyélile est donc une affection des plus graves : par
son évolution fatalement extensive dans certaines formes, elle finit par
entraîner la suppression des fonctions indispensables à la vie; et en
supposant même qu'elle s'arrête dans sa marche ou rétrocède en partie,
elle n'en reste pas moins redoutable par les infirmités qu'elle entraîne :
il n'existe en effet aucun cas de guérison définitive.
Quel traitement suivre en pareil cas ?
Les révulsifs appliqués le long du rachis sous forme de pointes dc
feu répétées fréquemment, l'électricité, les reconstituants, l'iodure de
potassium à petites doses doivent être prescrits. Est-ce effet du traite-
ment ? est-ce tendance naturelle de la maladie ? Mais l'amélioration est
très notable chez l'un de nos malades. Nous avouons que nous ne nous
faisons guère illusion sur l'efficacité de nos agents thérapeutiques.
IV
AUTOPSIES S
Jusqu'ici il n'existe dans la littérature médicale aucune autopsie de
polioencéphalomyélite ou de polioencéphalite chronique simple, isolée,
suivie d'examen microscopique; force nous est donc de demander aux
cas d'ophthalmoplégie externe combinée à d'autres maladies du système
nerveux, la démonstration anatomique de l'origine nucléaire des alté-
rations. Cette preuve a pu être faite pour l'ophthalmoplégie avec ataxie
locomotrice, sclérose en plaques, paralysie générale progressive, psy-
chose. Dans ces autopsies il s'agit de lésions atrophiques et dégéné-
ratives des cellules motrices : ce sont les seules dont nous nous
IV. 1G
? 31 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
occuperons, car nous n'entendons parler ni des hémorrhagies, des
ramollissements, des tumeurs ni des abcès que nous avons à dessein
laissés de côté dans le cours de ce travail. Nous terminerons ce chapitre
par l'exposé des lésions dans la polioencéphalite aiguë et subaiguë, de
l'açon à faire ressortir le caractère différent du processus morbide dans
chacun des cas '.
l.~ Dans un cas d'Eisculolir l'autopsie resta négative. Voici un résumé succinct de
l'observation.
Eisenlohr, Ein Fall von Ophthalmoplegia e,t,teroa mil tiellaliuett Sectionsbefund (Soc.
de wétl. de llamboltry, 19 avril 1887). Neltroloyiscltes Cenlralblatt, 1887, n° 1 ? p. 337,
n' 16, p. 3G1.
Une jeune fille de dix-huit ans, migraineuse, fut atteinte, il y a deux ans, dc diplopie,
puis de ptosis gauche; ces deux phénomènes disparurent sous l'influence de l'imlurc de
potassium, bien qu'il n'y eut rien de syphilitique dans les antécédents delà malade. Depuis
cette époque, le ptosis survint de nouveau pour persister malgré le traitement.
{ En juillet 1886, à la suite d'une violente migraine, affaiblissement des deux mains, puis
des IlIle6mlu ? e.s ? riellrsLdyspnée, troubles de la déglutition, embarras de la*po1e**
*Lc I(i*lMÙt*l88(*ou constate un double ptosis; l'oeil gauche est dévié a droite, niais tous
les mouvements des deux yeux sont extrêmement limités. Pas de diplopie, pupilles égales,
réaction normale à la lumière, accommodation normale. Double paralysie faciale complète,
avec paralysie du facial supérieur : paralysie du voile du palais. Affaiblissement des muscles
du cou, de plusieurs groupes des membres supérieurs et inférieurs. Pas de paralysie dc la
langue. Pas d'atrophie. Pas de troubles de la sensibilité. Réflexe rotuliou conservé. Pas de
réaction de dégénérescence. l'as de contractions fibrillaires. Les symptômes bulbaires
Vs'aggravent rapidement. Mort le 20 août.
71 l'autopsie, pas de lésion centrale ni périphérique. Les noyaux oculo-motcurs, les racines
et tous les nerfs bulbaires sont absolument sains. Seules les racines de l'hypoglosse et du
pneumogastrique sont extrêmement grêles, bien que de couleur normale.
L'examen microscopique de préparations fraîches montrait dans les racines de l'hypoglosse,
du lneumo-gastrique et du spinal, du facial, de nombreux faisceaux grêles qui ne dilfé-
r,tient dc la normale que par leur faible diamètre et ne pi éseiitaieiit aucune trace do dege-
rescence. granulo-graisscuse.
Les troncs radiculaires des oculomoteurs.dos abduccutes, examinés sur des coupes trans-
\ CI'sales, après durcissement et coloration, étaient absolument normaux. Ni atrophie des
faisceaux, ni lésions interstitielles.
Rien 1" noter Il l'examen des coupes sériées et colorées suivant le procédé de 11'ei8crt,
coupes 1'01 tant sur le bulbe, la protubérance, la région des noyaux des muscles oculaires.
Les faisceaux radiculaires, les groupes cellulaires des différents noyaux, les autres éléments
enfin ne s'écartaient en rien de l'état normal. Vaisseaux dilatés dans le terl'ltoirc-11cs
noyaux de l'abducens; quelques héniorrliagies de date récente; pas d'altération des parois
v asctT 7^* ? '
Le grand nombre de faisceaux grêles trouvés dans les racines du facial, de l'hypoglosse,
du spinal, ne peut être le fait de la dégénérescence, car, s'il en était ainsi, il y aurait une
destruction de la myéline et une dégénérescence graisseuse.
Les fraîches hémorrhagies capillaires, le gonflement des vaisseaux de la moelle allongée
doivent être regardés comme s'étant formés peu de temps avant la mort.
En somme, l'autopsie est négative, fait d'autant plus surprenant que l'ensemble sympto-
matique était typique. Il est t rai que nos recherches n'ont pas été complètes, puisque tout
l'appareil nerveux n'a pas été examiné histologiquement; nous moutons parler de l'écorce
cérébrale et des ramifications périphériques des nerfs oculaires (et même des nerfs bulbaires
ou spinaux). C'est d'autant plus regrettable que, de jour en jour, deviennent plus nombreux
lies travaux démontrant quc les paralysies et les autres phénomènes en apparence d'origine
centrale peuvent relever de lésions périphériques. En tout cas il n'est pas vraisemblable
qu'il s'agisse ici d'une paralysie multiple périphérique. Le développement éminemment
, chronique des symptômes oculaires, lcur variabilité, les rémissions, sont difficilement com-
patibles avec l'idée d'une névrite périphérique, bien que la parfaite intégrité anatomique
des troncs radiculaires n'aille pas à rencontre de cette hypothèse (Eisenlohr).
! JE L'UI'll'l'ILAL)lUl'L1;G11 : l ? l'1 : 1311;, ? 3.i
Polioencéphalite chronique
, La première autopsie de ce genre appartient à Gowers et se trouve
consignée dans le mémoire d'IIutchinson ('1879). Les altérations cons-
tatées par Gowers au niveau de la partie supérieure du quatrième ven-
tricule sont telles que « les grandes cellules multipolaires des noyaux
d'origine de l'oculomoteur sont pour la plupart détruites, au nombre
de deux à trois seulement sur chaque coupe et que les autres cellules
sont petites, anguleuses, sans prolongements. » -
OBs. XXXI. Tabes avec ophthalmoplégie (IIuLchinson-GolI"ersl).
Le malade qui niait la syphilis, mais dont l'un de ses enfants présentait les
dents et la kératite caractéristiques de la syphilis héréditaire, avait une
ophthalmoplégie interne et externe complète, une parésie de la portion sen-
sitive du trijumeau, une atrophie des nerfs optiques, de violentes céphalées,
des signes d'ataxie et de la paresthésie. Mort après sept ans de maladie.
A l'examen du cerveau, nerfs olfactifs normaux; chiasma des nerfs optiques
uniformément gris, mais de consistance très ferme, les bandelettes optiques
ont par places des traînées d'un blanc brillant. Les oculomoteurs sont gris et
transparents, contiennent très peu de faisceaux sains, mais beaucoup de
noyaux de tissu conjonctif; leurs racines poursuivies dans les pédoncules
ont l'air de tractus conjonctifs ()il l'on voit à peine un tube nerveux; les
grandes cellules multipolaires des noyaux d'origine sont pour la plupart
détruites; on en voit deux à trois sur chaque coupe; les autres sont petites,
anguleuses, sans prolongements. Du trochléairc il ne reste aucune trace et
l'on ne peut le détacher de la pie-mère; ses noyaux sont complètement dégé-
nérés. Les moteurs oculaires externes sont représentés par de fins filets gris
composés principalement de tissu conjonctif et de débris de tubes nerveux
atrophiés ; le noyau situé dans la protubérance est dégénéré, il sa place se
trouvent des granulations, des noyaux et de petites cellules anguleuses. Sous
le plancher du quatrième ventricule, traces d'altérations inflammatoires,
aussi sa surface est-elle quelque peu irrégulière.
OBs. XXXV. Tabès avec ophthalmoplégie et symptômes bulbaires
(Buzzard2).
Un homme de trente-six ans, un syphilitique, offre les symptômes connus du
tabes dorsalis. En même temps que ses yeux devenaient immobiles, il fut at-
teint de surdité très marquée et éprouva de la peine à avaler. Les yeux sont 1
finalement immobiles, les paupières, surtout la droite, abaissées; les globes
oculaires proéminents. Un peu de parésie faciale gauche. Il succomba il des
symptômes bulbaires.
1. Ilutcliinson-Gowcrs, Jlelico-clirur ? Transacl. Cl. LX11, 1879.
2. Buzzard, Brain, avril 15882.
23G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
L'examen histologique fait par M. Bewan-Lewis démon Ira, outre les lésions
ordinaires des faisceaux postérieurs, l'existence de lésions manifestes des
noyaux d'origine des nerfs oculomoteurs. Sclérose marquée des fibres qui
constituent les rubans de Reil. Les vaisseaux bulbaires étaient tortueux,
oblitérés par des caillots et entourés en nombre de points de petites extra-
vasations sanguines.
Uns. XXXVI. Tabes avec °l1/tthalmoplégique externe (Buzzard 1).
Homme de trente-six ans, non syphilitique. Deux ans avant son entrée il
l'hôpital, diplopie et affaiblissement de la vue; depuis six mois, douleurs ful-
gurantes. Outre les signes habituels de l'ataxie, il présente les symptômes
suivants : .. ,
Paupières tombantes, surtout à droite; le malade peut les abaisser, mais il
lui est impossible de les relever. Globes oculaires proéminents, complètement
immobiles, légère divergence des deux axes optiques; insensibilité complète
à la lumière, perte des réflexes pupillaires sans myosis. Simultanément, para-
lysie faciale; le malade ne peut ni siffler ni relenir sa salive; un peu de gêne
de la déglutition. Notable degré de surdité.
Au bout de trois semaines, le malade fut pris un jour d'une quinte de toux,
suivie instantanément d'une dyspnée intense, avec cyanose de la face et des
lèvres et menaces d'asphyxie subite. Au bout de quelques instants la crise
cessa; mais bientôt la maladie fit des progrès; des râles emplirent la poitrine;
finalement il devint délirant et mourut d'asphyxie pulmonaire.
Autopsie. Cerveau normal d'apparence. En enlevant l'encéphale, quelques-
uns des nerfs crâniens ne peuvent être retrouvés, probablement à cause de
leur ténuité atrophiques. Telles sont la 3. paire gauche et la 6- paire.
Histologiquement, lésions spinales très-prononcées, sclérose des cordons
postérieurs sur toute leur étendue; altérations des zones radiculaires surtout
dans la région dorsale, peu dans la région cervicale, très peu dans la région
lombaire. Sclérose dans les cordons de Goll à la région cervicale. '
Dans la substance grise, dégénération des cornes postérieures, cavités kys-
tiques occupant la substance gélatineuse postérieure de la région lombaire.
Corpuscules amyloïdes nombreux au sein de la substance grise.
Examen de la protubérance et du bulbe :
Intégrité des noyaux occupant la partie inférieure du plancher du 4° ven-
tricule (accessoire, hypoglosse, vague et glossopharyngien) ainsi que de l'olive
et des corps resti formes.
A partir de l'origine de la 6- paire, lésions très prononcées. Le processus
initial paraît être une sclérose vasculaire; secondairement se sont pris les
noyaux du nerf abducteur, qui sont détruits ainsi que ses fibres radiculaires.
De nombreux foyers de désintégration, consécutifs à d'anciennes apoplexies
capillaires, se montrent dans la protubérance.
1. Buzzard, On ophthalmoplegia externain conjunction with tabès dorsalis, wilh some
/'emal'ks on gastric crises. Brain, 24 avril 1884 (in Rev. des Se. méd. 1885, t. 25, p. 559).
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 237
L'examen de la 3° paire, au niveau de son origine, n'a malheureusement pu
être fait d'une manière complète.
L'auteur insiste sur la similitude de ces lésionsavec celles qui déterminent
l'atrophie musculaire progressive. Il s'appuie notamment sur ce que chez la
première de ses malades il y avait une atrophie des sterno-mastoïdiens et
des trapèzes qui témoignaient de la lésion au niveau du spinal. Il assimile ce
processus scléreux initial avec celui qui donne lieu à la paralysie labio-glosso-
laryngée et à la sclérose latérale amyotrophique. La localisation de ces lésions
anatomiques établit seule les différences cliniques.
OBS. XXXVII. - Tabès avec ophthalmoplégie (James Ross').
'Homme de trente-cinq ans ayant eu la syphilis.en 1870. Début de la
maladie en 1881, par des crises de douleurs gastriques accompagnées de vo-
missements bilieux qui revenaient presque tous les jours, le matin; pas de
troubles moteurs, sauf une certaine incertitude de la marche dans l'obscurité.
Bientôt après, diplopie, puis prolapsus des paupières et diminution de l'acuité
visuelle, amblyopie progressive. En 188 ? le malade commence à avoir une
respiration laryngée bruyante; de temps à autre surviennent des crises pa-
roxystiques de dyspnée laryngée avec reprises sifflantes comme dans la coque-
luche. Vers cette époque seulement, sans avoir passé par la phase des douleurs
fulgurantes ni de l'incoordination motrice, il perd rapidement ses forces et
devient paraplégique.
Au moment de son admission, c'est un tabétique à la dernière période : im-
possibilité de se tenir debout, anesthésie complète, cécité presque absolue,
crises gastriques et surtout crises laryngées excessives ; bientôt escarres au sa-
crum et mort.
Autopsie. Sur une coupe transversale du bulbe faite au niveau du tiers
moyen de l'olive, on voit que la sclérose a gagné la couche de substance blanche
qui recouvre la surface du noyau cunéiforme et qui est le prolongement su-
périeur du cordon de Goll, ainsi que celle qui est contiguë au noyau triangu-
laire et qui représente la continuation de la zone radiculaire spinale. La
racine ascendante de la 8° paire est manifestement sclérosée. Le fasciculus
rotundus est presque entièrement détruit et un grand nombre de racines du
pneumogastrique atrophiées. Des coupes des pédoncules cérébraux montrent
que les noyaux des 3° et 4° paires sont malades; la substance grise du plan-
cher du 4° ventricule est parsemée d'éléments embryonnaires, et les vraies
cellules nerveuses sont rares, dépouillées de leurs prolongements axiles. Les
fibres de la 3° et de la 4' paire, ainsi que la racine descendante du trijumeau,
sont atrophiées.
OBS. XXXVTII. - Tabes avec ophthalmoplégie (James Ross2).
1. James Ross, On a case of locomolor ataxie tuitlr largngeat crises, and one osprimarit
sclerosis of the cntums of Goll, con plicated roitlr ophthalmoplegia e.rlerna; Braot.
avril 188G, p. 2t.
2. James Boss, loco cilalo, p. 34.
z8 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Homme de trente-cinq ans; soupçons de syphilis dans sa jeunesse, sans cer-
titude; bonne santé jusqu'en octobre 1882. A cette époque, il ressent une
certaine faiblesse autour des genoux. Celte faiblesse s'accroît et rend la marche
impossible. Jamais le malade n'a éprouvé de douleurs fulgurantes ni de
troubles de la motilité.
A son admission (15 avril 1885) c'est un homme encore vigourcux; ila du
ptosis palpébral et de la parésie des muscles de l'oeil, mais les pupilles ont
gardé leur faculté de se contracter et de se dilater. La vision est diminuée, le
sens des couleurs est perdu; l'ophthalmoscope révèle une pâleur notable des
papilles. Le malade bredouille en parlant, et cela depuis peu de temps.
La sensibilité est légèremenl émoussée aux membres inférieurs, mais la
sensibilité articulaire persiste et le malade a la notion de la position de ses
membres. Le signe de Romberg est très net, ainsi que la suppression du réflexe
tendineux. La marche est incertaine, mais nullement désordonnée ni ataxique.
Les douleurs fulgurantes sont nulles, sauf dans les dernières, semaines de sa
vie, où elles se montrent accidentellement. Aucun symptôme cérébral.
Le malade meurt subitement, trois mois après son entrée l'hôpital, em-
porté par une attaque apoplectique, L'autopsie ne donne pas l'explication de
la mort subite, le cerveau était seulement congestionné et les ventricules con-
tenaient plus de sérosité qu'à l'état normal. Les cordons de Goll étaient sclé-
rosés dans toute leur étendue, mais la lésion ne remontait pas jusqu'au bulbe.
Au niveau des 4° et 5° nerfs sacrés, la lésion débordait les cordons de Goll et
paraissait derrière les cordons postérieurs jusqu'au niveau de la zonc radicu-
laire postérieure (colonne dé Burdach). Au niveau de la 4° paire de nerfs
lombaires, la sclérose s'enfonçait presque jusqu'à la commissure postérieure
et s'étendait latéralement jusqu'au voisinage de la zone radiculaire; il partir
de la région dorsale la lésion était strictement limitée aux cordons de Goll.
Dans le bulbe, le faisceau rond était atteint d'un léger degré de sclérose; mais
les racines ascendantes de la 5" paire étaient normales. Dans les pédoncules
cérébraux, le plancher de l'aqueduc de Sylvius était scléreux et quelques
fibres de la 3" paire atrophiées.
En '18M, yVestphali avait trouvé, chez un tabétique avec psychose2
et paralysie oculaire, une atrophie des nerfs oculomoteurs communs,
externes, pathétiques et des altérations nucléaires caractérisées par
la diminution de volume des cellules ganglionnaires et la disparition
de leurs prolongements. Trois ans plus tard, il publia dans les Archiv
sur Psychiatrie und Nervenkrankheiten, un nouveau cas de paralysie
oculaire, un des plus beaux cas, dit-il, en raison du haut degré
1. Westphal, Ueber die Liih1J1l1n{J siimmllicher Augenmuskeln bei Geisleskranken
(Alll/emeitt Zeilschr. ? 7 ? e/t., 1881, XL, S. 2G ! 1) ,
2. Dans un autre cas de psychose avec ophthalmoplégie et symptômes spinaux, Westphal
nota une dégénérescence grise en plaques, vitreuse, d'une grande partie du cerveau, de
la moelle et du bulbe. '
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 239
des lésions nucléaires et signala dans la partie supérieure du noyau
oculomoteur deux amas de cellules ganglionnaires non décrits jus-
qu'alors. L'an dernier' Westphal revint à nouveau sur ce sujet et
décrivit les altérations suivantes comme appartenant à la phase de
début de la maladie, il savoir : l'hyperhémie colossale du noyau
oculomoteur avec une grande quantité de petits extravasats sanguins;
l'atrophie des cellules ganglionnaires composant ce noyau et celui de
l'abducens.
Ons. XXXIX. Tabès avec ophthalmoplégie (Westphal8).
Un homme de quarante-quatre ans a eu, en mars 1881, pendant la nuit,
une attaque qui entraîna une perte de connaissance pendant trois jours. Cinq
mois plus tard, nouvelle attaque; perte de connaissance partielle pendant
deux jours avec la paralysie du bras droit. Troisième attaque, onze mois plus
tard, avec perte de connaissance de trois jours et paralysie du côté droit. A la
suite de cette dernière atlaque, il a été pris d'une sorle de délire de persé-
cution avec hypocondrie.
Au moment où il fut examiné par Westphal (septembre 1882), le malade
présentait l'état suivant : deux cicatrices bien nettes sur le pénis, mais le
malade affirmait ne jamais avoir eu la syphilis; l'expression de la figure
trahissait l'apathie; par moments, dépression cérébrale. L'mil gauche était
en partie masqué par suite de la chule de la paupière supérieure ; la pupille
du môme côté, un peu rétrécie, ne réagissait plus à la lumière; il droite la
réaction pupillaire était insuffisante. Strabisme divergent très prononcé;
mouvements volontaires des yeux complètement abolis; vision excentrique
normale des deux côtés; acuité visuelle diminuée à gauche, intacte à droite.
L'examen ophthalmoscopique ne révéla, en fait d'anomalies du fond de l'tcil,
qu'une pâleur des papilles plus marquée à gauche, et qui alla en se pronon-
çant dans la suite. Le ptosis de l'oeil droit alla également en s'accentuant.
Bref, d'après les résultats des examens ophtlialmoscopiques répétés, on pou-
vait admettre tout au plus une atrophie commençante de la papille.
La physionomie du patient avait quelque chose de particulier, en raison du
froncement transversal de la peau du front, de l'immobilité des yeux et du
rétrécissement des fentes palpébrales. En outre, le pourtour de la bouche était
agile par des' mouvements involontaires, consistant surtout en soulèvement
des lèvres et en production de plis profonds. Il existait une atrophie notable
de la moitié gauche de la langue, un embarras de la parole, de la parésie du
voile du palais. Pas de troubles bien prononcés de la sensibilité générale et
des sensibilités spéciales. Pas d'atrophie des muscles des membres. Abolition
1. \l'eslphll, IJerliner Cesellsclra/Y /'ür l'sgcA. und Nen'enkr,. 14 janvier 1889.
2. Westphal, Ueber ein Fall von progressive)- Lalllli/mg der 111lgenmuskeln (Ophillal-
snoplegin inlerua) nebsl Ilesclrrei6ung ron ( : nnglienellengruhhen in Bereiche des oculo-
M0p<ef/)n t))/e)'nf;)) ! e Hc ! c/;)'e/fnf/ rn; ! niyffeneHen'upe ! ') ! Beieiche des ociilo-
molorius /vernes (Arclr. f P.o/cA. und Neruenkr., XVIII, Heft, 3, p. 84G, 1889. Analyse
in Ilev. des se. mcd., 1888, XXXII, p. 108. 1887).
240 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
du réflexe patellaire à droite. Assez souvent mictions involontaires. Le
malade succomba au mois d'octobre 1883 à la suite d'un oedème pulmonaire.
A l'autopsie, on trouva sur la face inférieure du pont de Varole et de la
moelle allongée, un caillot de sang frais. Pas d'altération microscopique
appréciable de l'encéphale. Les troncs des nerfs oculomoteurs externes
étaient réduits à des filaments grisâtres très grêles. Les nerfs oculomoteurs
communs d'une teinte grise étaient également amincis. Les muscles de l'oeil
présentent les traces d'une dégénérescence graisseuse avec atrophie. Sur la
moelle on découvrait à l'oeil nu une teinte grise des cordons postérieurs qui
commençait au segment dorsal.
Ilistologiquement, dégénérescence considérable des nerfs oculomoteurs.
Atrophie très prononcée des cellules ganglionnaires du noyau de l'ocnlo-
moteur commun; la substance fondamentale paraissait intacte. Dans la partie
supérieure du noyau de l'oculomoteur commun existaient deux amas de cel-
lules ganglionnaires non signalés jusqu'alors. L'un immédiatement contigu
au raphé, s'étendait jusque près de la commissure postérieure et avait une
forme ovalaire à grand diamètre en partie parallèle au raphé, en partie
oblique. L'autre amas était situé il la partie externe du précédent, au niveau
de son extrémité supérieure, il avait une forme ovalaire à grand diamètre
horizontal. Ces deux amas étaient nettement circonscrits. Du premier de ces
deux amas partaient latéralement des fibrilles très fines dirigées pour la plu-
part de haut en bas, et pour se mêler aux fibres radiculaires un certain
nombre de ces fibrilles se perdaient dans le faisceau longitudinal postérieur.
Un réseau de fibrilles se voyait également à la limite externe du second amas,
en arrière, vers la commissure postérieure. Les deux amas étaient coudoyés
par ces fibrilles à direction horizontale.
Les deux noyaux pathétiques avaient leurs cellules ganglionnaires intactes.
Par contre, il existait une atrophie à peu près complète des cellules compo-
sant les amas ganglionnaires non décrits par les auteurs et qui se trouvaient
dans l'entrecroisement des pathétiques. Le locus coeruleus est encore nette-
ment visible; sur leur trajet inlra-médullaire, les nerfs pathétiques étaient en
état d'atrophie complète. Atrophie très prononcée des racines des oculomoteurs
communs et de leurs noyaux, du nerf hypoglosse et de son noyau, à gauche.
Dans le nerf optique, les fibres nerveuses étaient intactes ; à la périphérie exis-
taient les traces d'une prolifération interstitielle. Dégénérescence grise des
cordons postérieurs allant du segment, cervical à la partie inférieure de la
moelle ; cette dégénérescence occupait deux faisceaux distincts séparés par une
couche intermédiaire de substance saine ; elle occupait celte portion des
cordons postérioursdont l'altération, suivant Westphal, entraîne l'abolition du
phénomène du genou.
Nous terminerons la série d'examens microscopiques concernantles
paralysies chroniques et progressives des muscles oculaires par la
relation d'un cas de Poettier. L'analyse minutieuse des altérations
DE L'OPIITHAL1101'LÉGIE EXTERNE. 211
nucléaires donne le plus grand prix à celte observation que nous citons
presque in extenso.
OBs. XL. Paralysie chronique et progressive des muscles de l'oeil.
(Doelliger 1).
Il s'agit d'un homme de soixante-deux ans dont la vue commença il devenir
mauvaise deux ou trois ans avant son entrée à la clinique. Il eut successive-
ment un ptosis droit et gauche, et en 1886 une série de troubles intellectuels
sur lesquels nous croyons inutile d'insister, suivis dans le mois de juillet de
la même année d'une atlaque apoplectique avec convulsions généralisées.
C'est alors qu'il entra à la clinique des maladies nerveuses où l'on constata
ce qui suit. Ptosis double plus accusé à droite, myosis double permanent,
paralysie presque complète de l'oculomoteur et du trochléaire. Mouvements
alaxiques de la pointe de la langue, tremblement des extrémités supérieures,
absence de coordination des membres inférieurs. Oscillation les yeux fermés;
marche en piétinant. Sensibilité paraissant intacte, quelque peu affaiblie dans
le territoire des branches nerveuses du trijumeau au niveau des fosses
nasales. Réflexes augmentés à gauche. Organes des sens : papille gauche un
peu atrophiée et décolorée, goût diminué. Démence sénile. Après une
nouvelle attaque de perte de connaissance avec déviation conjuguée de la tête
et des yeux (novembre), le malade fut pris de nouveaux accidents. Le
17 décembre il passa une nuit fort agitée; le pouls élait fréquent, petit. Le
lendemain, il tomba dans une torpeur profonde et mourut deux jours après.
Bcetticr fait remarquer que la psychose persista jusqu'à la mort.
Autopsie. - Épaississement généralisé de la dure-mère. Ectasie veineuse
dans le territoire de la méningée moyenne. Pachyméningite interne hémorrha-
gique. A l'achnitis chronique avec oedème. Atrophie sénile du cerveau, parti-
culièrement de l'écorce. Bronchopneumonie double.
Examen microscopique. Le processus dégénératif est plus ou moins
accusé dans les divers noyaux. Il est au minimum dans le noyau du facial et
de l'abducens du côté gauche, où les cellules ganglionnaires sont seulement
un peu moins nombreuses qu'à l'état normal bien que l'hypérémie soit
notable. Il est plus marqué au niveau des origines nucléaires du vague et
du glossopharyngien : ici les capillaires sont gonflés, distendus et par places
il existe des corpuscules sanguins épars dans le tissu fondamental. Ce
dernier est en partie raréfié, finement réticulé. Les cellules ganglionnaires
sont clairsemées, groupées en certains endroits, quelques-unes paraissent
ratatinées, dépourvues de prolongements; le réseau fascicule fait complète-
ment défaut. Les faisceaux radiculaires qui en parlent sont colorés d'une
façon claire. Il en est de même du noyau de l'hypoglosse, dont les cellules
manquent tout 11 fait par places ou sont ratatinées et privées de leur noyau.
1. Hoelli¡;cI', Beilrag zut- Lettre von den chronischen progressiven 11 Il ! lenl/1u ? ? eH<f7tt)ftf) ! </e und but feineren "ira Anatomie (Arcli. f. l 'S ! ll'lt, und .\'ernenlranl;lr.,
1890, XXI 1U1., p. 513).
242 Gaz) NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Le noyau du trocliléaire est plus altéré que celui du moteur oculaire
commun. Les noyaux du trochléaire dits postérieurs, à petites cellules, ne se
voient plus; le noyau principal est seulement indiqué il droite, et à gauche il
est composé d'un nomhre de cellules insignifiant. Les racines intramédullaires
sont diminuées de volume, les nerfs qui en sortent présentent des tubes en voie
de dégénérescence. Plus loin, au niveau du territoire oculomoteur, le nomhre
des cellules ganglionnaires de chaque côté est relativement considérable de
chaque côté. Le noyau oculomoteur est très atrophié dans toule son
étendue. Les lésions toutefois ne sont pas aussi avancées que dans le cas de
Gowers qui ne trouvait que deux à trois cellules normales dans chaque coupe.
Ici chaque coupe renferme vingt à trente cellules fortement revenues sur
elles-mêmes, anguleuses, dépourvues de noyau ou de prolongements, enfin
vacuolisées. L'étal vacuolaire des cellules est regardé par Leyden' comme
caractéristique de la myélite aiguë et signalé par Benedild dans la paralysie
bulbaire progressive. Jusqu'ici cette altération n'avait pas été indiquée dans
les examens microscopiques d'ophlhalmoplégie nucléaire. Les vacuoles sonl
très grandes, entourées d'un reste de protoplasma cellulaire, ◀tantôt▶ petites et
alors elles sont au nombre de deux, trois à quatre dans une même cellule. Les
cellules vacuolisées sont d'autant plus rares qu'on approche du cerveau. En
somme, le processus dégénératif a frappé tout d'abord le noyau du trochléaire
droit, puis celui du côté gauche; ensuite, il s'est propagé à peu près symétrique-
ment vers le haut, intéressant toujours le côlé droit le premier. Le réseau
fascicule est altéré dans le noyau oculomoteur tout entier; les racines intra-
médullaires sont diminuées de volume et les faisceaux qui en partent très atro-
phiés. Le tissu fondamental n'est pas particulièrement atteint. L'hypérémie
est considérable dans toute la région. Enfin les noyaux de Westphal présentent
peu d'altérations. La racine ascendante de trijumeau qui a été suivie
depuis l'origine apparente du nerf jusqu'à la hauteur du premier nerf cervical,
a élé trouvée dégénérée. L'auteur discute la cause de cette dégénéres-
cence qui peut dépendre, on bien d'une atrophie des cellules ganglionnaires
composant le noyau de la cinquième paire ou bien d'une complication toute
fortuite et rappelle à ce propos les nombreux travaux qui ont paru sur cette
question.
Polioencéphalite aiguë et subaiguë.
Aux lésions plus atrophiques qu'inflammatoires de la polioencéphalite
chronique on peut opposer les altérations inflammatoires ethémorrha-
giques de la polioencéphalite ai-ïie et subaigÜe. Elles ont été décrites
avec soin par GJ\.¥.e.l,-=-Wernicke, Thomscn, Kojewnikoff.
C'est a Gayet qne revient le mérite avoir le premier donné la
démonstration anatomique de l'origine nucléaire de l'ophthalmoplégie.
1. Leyden, IClinilr rien Riickellmllrkskrankheiten, 13d. 1, S 7fi.
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 243
Voici un résumé succinct de son observation, qui est un bel exemple
de polioencéphalite subaiguë.
uns. XLI (résumée). - Affection encéphalique (encéphalite diffuse pro-
bable) localisée aux étages supérieurs des pédoncules cérébraux et aux
couches optiques ainsi qu'au plancher du quatrième ventricule et aux
parois latérales du troisième (GayeL').
Eugène Perrot, vingt-huit ans; entré à l'Hôtel-Dieu de Lyon le 23 no-
vembre 1874. '
Vers la seconde moitié du mois de septembre, le malade travaillait dans
son usine lorsque soudain non loin de lui éclata le bouilleur d'une chaudière.
Aucun débris ne l'atteignit; néanmoins il resta dans un état d'agitation indes-
criptible. Pendant trois jours il put encore travailler, mais au bout de ce
temps, voulant lire une note, il s'aperçut qu'il n'y voyait plus naturellement ;
obligé d'écrire, il reconnut aussi qu'il lui était impossible de tracer réguliè-
rement ses lignes. C'est alors qu'apparurent cet abattement, cette somno-
lence dont il a été question plus haut, sans troubler cependant la lucidité de
son esprit.
Lorsque Gayet examine le malade, il constate une chute des paupières et
un strabisme divergent avec tendance il l'élévation de la pupille en haut el
en dehors, dus à la paralysie de la troisième paire; enfin l'intégrité de l'ac-
commodation et le resserrement des pupilles. Atonie du système musculaire;
mouvements sans énergie, impossibilité de se tenir debout, titubation. Som-
nolence perpétuelle, progressive jusqu'à la mort qui arrive le 17 février 1875.
La température prise pendant le dernier mois a oscillé entre 37°4 et 38°5.
Autopsie. Intégrité à peu près complète de la portion fasciculée des
pédoncules des deux côtés; de la partie centrale des fibres de l'espace inter-
pédonculaire; de la base des tubercules quadrijumeaux et de la partie ]atÓ-
rale et supérieure du pédoncule droit.
Altération inflammatoire caractérisée par une rougeur assez intense, appa-
rence de sclérose des tissus jointe à un certain degré de ramollissement, le
tout hypérémié, portant sur les points suivants : le locus niger des deux J
côtés, les fibres des pédoncules cérébelleux supérieurs, l'aqueduc de Syl-
vius et son pourtour. Sur une coupe antéro-postérieure on peut voir que :
4° cette lésion part en avant de la commissure postérieure qu'elle enveloppe
complètement, de la partie postérieure du chiasma optique, c'est-à-dire du
corps pituitaire et de la lame criblée, enfin de la région où pénètre le moteur
oculaire commun, pour 2° longer le bord supérieur de la protubérance annu-
laire, envahir suivant une ligne courbe à concavité inférieure toute la portion
la plus élevée du faisceau innommé du bulbe et redescendre sur le plancher
du quatrième ventricule jusqu'au bec du calamus; 3° de là remonter vers les
tubercules quadrijumeaux sous lesquels elle passe, et enfin 4° envahir les
rênes postérieures de la glande pinéale, puis cette glande elle-même et
1. Gayet, Arch. de PGllsioloie,187G, p. 311.
244 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
revenir vers la commissure antérieure que l'on voit se dessiner en blanc à
sa place ordinaire. Enfin les couches optiques tout entières présentent la
même altération. Des coupes microscopiques faites sur la face interne de la
couche optique aussitôt après l'autopsie, ont permis de reconnaître au sein
d'éléments nerveux une grande quantité d'éléments nucléaires colorés en
rouge par la purpurine; et au sein de la préparation une fermentation très
abondante des capillaires sanguins. Si on s'en rapporte, dit Gayet, à cet
examen nécessairement superficiel, il s'agissait la d'une véritable encéphalite
diffuse; -
Les vaisseaux cérébraux examinés avec soin n'ont pas présentéd'altération.
Wernicke a publié dans son Traité les trois premiers faits de polioen-
céphalite aiguë hémorrhagique ; peu de lemps après Thomsen en fit
connaître deux autres, puis un troisième; enfin en 1887, Kojewnikoff
publia une nouvelle observation, ce qui fait au total sept cas. L'histoire
clinique de cette affection peut se résumer ainsi.
Les malades sont de grands buveurs; un malade de Wernicke avait
tenté de s'empoisonner avec de l'acide sulfurique quelques jours avant.
Brusquement ou dans l'espace de quelques jours pendant lesquels ils
ont de la céphalalgie, des vomissements, des élancements dans les
membres devenus faibles, apparaissent les accidents morbides caracté-
risés essentiellement par une paralysie bilatérale plus ou moins com-
plète des muscles oculaires (avec ou sans ptosis) à l'exception des
muscles intrinsèques, par de l'ataxie des membres et de l'obnubilation
intellectuelle avec balbutiement. Le pouls, la température, la sensi-
bilité, la réaction électrique des muscles sont normaux. Le réflexe
rotulien est plutôt exagéré. Cinq fois sur six l'affection s'est terminée
rapidement par la mort dans un laps de temps variable de six à vingt
jours; les malades ont succombé dans le collapsus. Le malade de
Thomsen seul a guéri presque complètement au bout de trois mois.
Les lésions constatées dans les autopsies sont très caractéristiques
par leur concordance sur les points essentiels.
Wernicke a trouvé la moelle intacte, de même que le cerveau à la
seule exception de la substance grise des parois du troisième ventri-
cule, de l'aqueduc de Sylvius et du plancher du quatrième ventricule,
qui était farci d'hémorrhagies microscopiques, au pourtour desquelles
se voyaient des cellules granuleuses. Tous les tissus sous-jacents
(fibres et noyaux oculaires notamment) étaient sains.
Des' deux autopsies de Thomsen l'une a fourni des résultats analogues
tandis que l'autre a révélé des lésions un peu différentes. En effet, il
existait une dégénération portant surtout sur les noyaux du moteur
oculaire externe et de l'hypoglosse, et à un degré moindre sur ceux du
DE L'O1'II'PIIALMOPLÉGIE EXTERNE. 245
moteur commun et du pathétique. Les fibres radiculaires de tous ces
nerfs étaient intactes. En outre, Thomsen, dans les deux cas, a trouvé
comme unique lésion médullaire des hémorrhagies à la face postérieure
de la pie-mère spécialement au niveau de la région lombaire. Le malade
qui a présenté la dégénérescence nucléaire est celui dont la survie a
été la plus longue (vingt jours). L'étiologie alcoolique de ce complexus
morbide ne fait aucun doute pour Thomsen, d'autant mieux que des
paralysies semblables des muscles oculaires ne sont point rares dans
ce qu'on croit être la névrite alcoolique. Thomsen croit en effet qu'une
partie de ces paralysies oculaires sont d'origine centrale. Il cite à
l'appui de son opinion un cas d'accélération du pouls (120) aucours
de la névrite alcoolique, cas dans lequel il a pu constater l'intégrité
du tronc et des fibres radiculaires du pneumogastrique et la dégéné-
rescence profonde du noyau de ce nerf.
Kojewnikoff a signalé des altérations identiques de nature et de
siège à celles qu'ont décrites Wernicke et Thomsen : cette fois les
hémorrhagies s'arrêtaient en bas au noyau du moteur oculaire externe
et étaient entourées d'une zone de ramollissement inflammatoire.
GEORGES GUiNON, EMILE PARN);NT1ER,
Chef de clinique a la Salpêtrière. Interne (médaille d'or des hôpitaux).
(A suivre.)
'« : LES PESTIFÉRÉS DE JAFFA »
t . 1 ' ' l'AIl G10, s
il , f 1 .. ? ,, : t - ' : f 1
Dans notre travail sur les Dillbrnies et les Malades dans l'art', nous
avons déjà cité le célèbre tableau de Gros au musée du Louvre, les
Pestiférés de Jc ? a, et nous avons à ce propos signalé une erreur d'in-
terprétation commise par un critique d'art autorisé et qu'expliquait
seule une; insuffisance. des- connaissances Spéciales relatives à la'- peste.
Qu'il'nous soit permis de revenir aujourd'hui sur ceLLe page impor-
tante, au double poinl de vue de l'art et de l'histoire, puisque, grâce à
l'extrême obligeance de M. le baron- Larrey, nous pourrons comparer
au tableau- définitif (Pl. XXV), la première pensée du maître' traduite
en une esquisse pleine de verve et d'émotion.
Nous empruntons à Ch. Blanc les quelques détails qui suivent :
,cI Ce tableau fut commandé à Gros par le Premier Consul. Mais com-
nientpeindrc la peste de Jaffa sans l'avoir vue et à quinze cents lieues
de la Syrie ? . ,
« L'artiste alla trouver Denon, qui lui raconta la scène comme elle
s'était passée dans la mosquée servant d'hôpital. Gros prend un vaste
carré de papier; il y jette à la hâte la description de Denon ; ce croquis
est aujourd'hui entre les mains de M. le Dr II. Larrey (c'est ce croquis
dont-nous donnons la reproduction, PI. XXVI), et Dclastre possédait à
peu. près la même composition ébauchée en bitume. Ce projet primitif
a été dans la suite complètement modifié par le peintre et-il est infini-
ment curieux de passer par le chemin qu'a parcouru son génie avant
d'arriver au tableau de Jaffa tel que nous le connaissons. Dans ce pro-
jet, le général Bonaparte, comme autrefois saint Louis, prend dans
ses bras le corps d'un pestiféré que soutient un Arabe effrayé de tant
de courage. »
La scène est ainsi rapportée par le comte d'Aure, ordonnateur en chef
de l'armée d'Egypte, dans le livre Bourrienne el ses erreurs volontaires
et involontaires, etc., p. /-4,, t. Leur : ((.le commencerai par la visite à
NOUVELLE Iconographie OL la Salpêtrière. T. IV. PL. XXV
Phototype négatif A. LOND1Î. Piiotocollooraphie L. SAUVE.
Gravure DU Tableau DE GROS, au MUSÉE DU LOUVRE
« LES PESTIFÉRÉS DE JAFFA »
LECROSNIER & BABÉ
- -^, ^ . -r^..^., ...JETEURS ? ?
NOUVELLE ICOSOGRAPIIIP Dh la SALPLT[t]LRL. T IV. PL xxvi
PIIOTOTTPF NÉGATIF A LONDH. PIiOTOCOLLOOIlAP1111 : L SAUVE.
ESQUISSE originale DU Tableau DE GROS
CI LES PESTIFÉRÉS DE JAFFA »
(Appartient A Monsipur le Baron LARAEY)
LECROSNIER & BABE
ÉDITEURS
« LES PESTIFÉRÉS DE J 1F1.1. » ? 7
l'hôpital de Jaffa; elle eut lieu le 31 ventôse, cinq jours après notre
entrée clans cette ville. Le général en chef Bonaparte, accompagné du
D Des ? (,ne[Les, médecin en chef de l'armée, et d'une partie de son état-
major, visita cet hôpital dans le plus grand détail; il fit plus que de
toucher les bubons; aidé d'un infirmier turc, le général Bonaparte
souleva et emporta un pestiféré qui se trouvait au travers de la porte
d'une des salles ; cette action nous effraya beaucoup, parce que l'habit
du malade était couvert d'écume et des dégoûtantes évacuations d'un
bubon abcédé. Le général continua avec calme et intérêt sa visite, parla
aux malades, chercha, en leur adressant des paroles de consolation, à
dissiper l'effroi que la peste jetait dans les esprits, et termina sa longue
visite en recommandant aux soins des officiers de santé les pestiférés
auxquels il avait témoigné tant d'intérêt. »
C'est bien cette scène que reproduit l'esquisse de Gros avec son sen-
timent très juste de l'expression des différents acteurs. L'impassibilité
des traits du général en chef contraste avec l'effroi peint sur les figures
environnantes'.
« Après avoir si naïvement accusé le vrai, ajoute Ch. Blanc au sujet de
l'esquisse de M le baron Larrey, Gros s'en repentit, et ce fut peut-être un
tort. Il crut que le héros de l'Egypte ne devait pas se conduire comme
un simple aide-chirurgien; mais il ne prit pas garde que la crudité du
l'ait, ici, était une beauté de premier ordre, une inconvenance héroïque.
Dans l'esquisse, Napoléon agit; dans le tableau il joue son action...
Qui saura décider si la vérité, dans son énergie, valait mieux que celte
imposante mise en scène de Napoléon devant la postérité ? »
C'est ici que nous demandons la permission d'ajouter il la description
de Ch. Blanc, un trait qui donne au tableau une signification plus élevée
que celle que cet auteur lui attribuait.
En effet, dans le tableau, Bonaparte, dans son geste de dignité un
peu théâtrale, il est vrai, touche non pas la poitrine, ainsi que le pen-
sait Ch. Blanc, mais bien l'aisselle d'un pestiféré qui s'approche de lui.
« Que de naïveté, que de naturel, s'écrie le critique, dans le geste du
malade qui porte involontairement la main il sa chevelure pour saluer
l'illustre visiteur. » Il n'est pas nécessaire d'y regarder à deux fois pour
reconnaître que ce geste ne saurait être en aucune façon le salut d'un
1. M. le baron Larrey a joint à l'esquisse de Gros la notice suivante : « Ce dessin dc
Gros est la véritable scène historique ou la première esquisse do son clicf-d'oeiiM'e. Il re-
présente le général Bonaparte relevant de ses propres mains le cadavre d'un pestiféré pour
ruminer le moral abattu de ceux qui l'entourent. Tous semblent effrayés de son action, lui
seul est calme, comme l'exprime sa figure. Cette scène était plus digne de la gloire du
grand homme que la substitution d'une attitude plus noble en apparence à l'élan vrai d'un
courage sublime. »
248 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
vieux troupier devant le général en chef. Le pestiféré lève le bras droit,
en effet, mais c'est pour découvrir l'aisselle où siège le mal tant re-
douté, la tumeur pestilentielle. Et le geste de Bonaparte acquiert une
signification plus haute, puisqu'il touche non pas une partie quelconque
du corps, mais la région où se concentre pour ainsi dire toute l'inten-
sité du terrible fléau. Si l'on y réfléchit, on trouvera cette interprétation
toute naturelle, et l'on devine la scène qui a précédé. Le médecin, qui
accompagne le général en chef, veut lui faire voir le signe caracté-
ristique du mal, le bubon. Sur son ordre, le pestiféré se dépouille d'une
partie de ses vêtements qu'il retient encore de la main gauche, pendant
que le bras droit soulevé met l'aisselle à découvert.
Ce tableau, lorsqu'il figura au Salon de 1804, fit une véritable révo-
lution dans la peinture. « En son temps, dit avec beaucoup de justesse
Ch. Blanc, où l'école ignorait ou méconnaissait la couleur, c'était de
l'imprévu que ce riche costume du général en chef, cette chaude lu-
mière, ces chairs morbides et la verte pâleur des moribonds, et ces
voyantes écharpes, et ces plumes blanches et ce luxe d'exécution sur
des armes touchées avec amour et reluisant au soleil d'Asie. Au milieu
des immobiles divinités delà Fable apparaissait tout à coup le chapeau
français, l'uniforme et le sabre bientôt consulaires; la nature, franche-
ment attaquée jusqu'en ses altérations, s'offrait à des yeux façonnés
aux conventions de l'Ecole. Gros avait mis du sang dans les chairs, de
l'humidité dans les regards, et à côté de tant de peintres qui donnaient
a la vie l'aspect du marbre, il donnait lui-même à ses mourants l'aspect
de la vie. Aussi jamais enthousiasme ne fut plus vif; sans attendre
l'arrêt de l'opinion, les artistes suspendirent au sommet du tableau de
Jaffa une longue branche de palmier; le public entraîné à son tour
couvrit de couronnes toute la bordure... »
J.-M. CHARCOT et PAUL RICIIER.
Le gérant : Emile LECROSNIER.
4363. - L. Imprimeries idunics, B, rue Mignon, 2. MAY et tïOTTEnoz, directeurs.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
TRAITEMENT CHIRURGICAL
DES RÉTRACTIONS MUSCULAIRES
succédant aux contractures spasmodiques
J'ai déjà publié sur ce sujet en 1888, dans la Nouvelle Iconographie
de la Salpêtrière, un travail intitulé : De l'intervention chirurgicale-
dans certains cas de rétraction musculaire succédant à la contracture
spasmodique.
Dans cette première publication inspirée par M. le professeur Char-
cot, qui m'avait confié plusieurs malades atteintes d'attitudes vicieuses
des membres par rétraction musculaire", j'étais arrivé à plusieurs con-
clusions intéressantes. '
La première et la plus importante est la suivante : lorsque, à la con-
tracture spasmodique de certains muscles, succède un état nouveau
qui est la rétraction indélébile, le muscle a conservé presque intégra-
lement ses propriétés et ne demande pour entrer en jeu que de pouvoir
-^.. se contracter. Par conséquent, si on sectionne ce muscle et si on mobi-
lise l'articulation, la fonction se reproduira et bientôt l'organe repren-
dra sa vigueur normale.
Une seconde remarque, également intéressante, consiste dans ce fait
que, dans cette maladie, les mouvements sont gênés non seulement
par la rétraction musculaire qui entretient l'attitude vicieuse et contre
laquelle il n'y a pas de remède médical, mais aussi par des lésions arti-
culaires oupéri-articulaires.
Ces lésions articulaires paraissent dues principalement à un épaissis-
sement des capsules et du tissu fibreux périphérique. Or, il suffit de
/violenter ces parties indurées, de les tirailler, de les assouplir par des
" massages ou des mouvements forcés, pour rétablir complètement leur
souplesse et par suite la mobilisation de la jointure.
IV. 17
250 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Le traitement chirurgical se résume donc en ces deux formules : sec-
tion du muscle contracturé, mobilisation de l'articulation.
Les exemples que j'ai déjà rencontrés et dont plusieurs ont été pu-
bliés, montrent que, la première de ces deux manoeuvres, la section
portant sur les tendons du muscle ou sur ses attaches osseuses,
suffit pour faire disparaître l'attitude vicieuse et rendre à l'articulation
ses mouvements. Par l'exercice méthodique et l'électrisation appliquée
avec une grande prudence, les muscles retrouveront leur vigueur nor-
male.
Grâce à l'obligeance de M. le professeur Charcot, j'ai pu étudier
deux nouveaux faits qui viennent à l'appui de mon premier travail.
Dans le premier cas, il s'agit d'une double rétraction des muscles de
la jambe et de la cuisse ayant succédé à une contracture due à une
myélite transverse.
La seconde observation concerne une réfraction des muscles de la
cuisse gauche survenue à la suite d'une hémiplégie succédant à une
hémorrhagie cérébrale.
Ces deux malades, qui étaient absolument impotentes ci gardaient
le lit avec une attitude vicieuse et permanente des jambes, sont actuel-
lement guéries et marchent facilement.
UNS. I. Contracture des muscles postérieurs de la cuisse succédant
à une hémiplégie. - Rétraction secondaire des muscles. - Section des
tendons au niveau du creux poplité. Mobilisation du genou. Réta-
blissement de la fonction du membre.
Mme M..., âgée de trente-trois ans, très nerveuse, est venue une première
fois à Paris en 1883. A cette époque, elle présentait des accidents variés
d'hystérie : parésie des membres inférieurs, intolérance gastrique; anémie
très prononcée.
Améliorée par un traitement approprié, elle retourne à Lisbonne en 1884,
où elle reste assez bien portante pendant quelque temps.
En 1887, surviennent de nouveaux accidents plus graves. Une hémiplégie
du côté gauche, probablement causée par une hémorrhagie cérébrale,
apparaît brusquement. Bientôt un goitre exophthalmique se développe, avec
saillie considérable des yeux et troubles' cardiaques très inquiétants. L'oeil
gauche, en particulier, élait tellement sorti de l'orbite, que la cornée
présenta, pendant plusieurs semaines, des ulcérations qui ne guérirent
complètement qu'avec une diminution notable de l'exopUhalmie et laissèrent
d'ailleurs des cicatrices indélébiles.
Dans le courant de l'année 1888, la malade revient à Paris, pour consulter
M. le professeur Charcot el se confier aux soins de M. le Dr ltambault.
A cette époque, l'hémiplégie gauche persistait en partie; le bras gauche
était à peu près complètement inerte. Du côlé du membre inférieur, on
TRAITEMENT CHIRURGICAL DES RÉTRACTIONS MUSCULAIRES. '951
observait les phénomènes suivants : la jambe était entièrement fléchie sur la
cuisse, le pied dans l'extension : un amaigrissement considérable.
Quand on cherchait à étendre la jambe, on oblenait un léger résultat aussi-
tôt limité par la tension des muscles postérieurs de la cuisse. Les tendons
qui limitent le creux poplité étaient rigides comme des cordes.
La région du genou présentait des altérations appréciables : la rotule était
immobilisée et les tissus périphériques de l'articulation étaient indurés.
M. le professeur Charcot conseilla d'opérer la section des tendons et de
redresser la jambe dans un appareil plâtré.
L'opération fut pratiquée le 27 avril 1889, sous l'influence du sommeil
anesthésique. Les tendons du côté externe et ceux du côté interne du creux'
poplité furent sectionnés au moyen d'un petit ténotome mousse. Un redres-
sèment modéré de la jambe fut maintenu provisoirement avec de la ouate et
une bande de tarlatane un peu serrée.
Au bout de huit jours la cicatrisation étant assez avancée, j'appliquai une
gouttière plâtrée, après avoir exercé quelques violences qui procurèrent une
extension intermédiaire entre la flexion a angle droit et l'extension complète.
Cet appareil fut très bien supporté.
Le 20 juin je posai un appareil, semblable après avoir obtenu, par
FIG. 51. - Aspects divers de la jambe gauclie : 1° après la pose du premier appareil;
2" après la pose du second; 3° à l'état actuel.
252 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
des pressions assez fortes, l'extension presque complète. Le sommeil chloro-
formique fut nécessaire pour obtenir ce résultai : la résistance venait en effet,
non plus des muscles rétractés, dont on ne sentait plus les tendons saillants
sous la peau, mais des tissus péri-articulaires épaissis et indurés. Dès lors
l'anesthésie était évidemment indiquée.
Enfin le le septembre une dernière gouttière fut appliquée; l'extension
complète avait été préalablement obtenue sans anesthésie. Cet appareil resta
en place jusqu'au 20 septembre; à cette époque il fut enlevé et la malade
commença à marcher avec des béquilles.
En octobre 1890, M. le Dr Rambault vit la malade et me donna, dans une
note manuscrite, les renseignements suivants sur son état actuel : « La jambe
pouvait s'étendre complètement; les muscles du mollet, très atrophiés l'année
dernière, avaient doublé de volume sous l'influence du traitement électrique
commencé ici et continué à Lisbonne avec persévérance. Enfin la malade
marchait seule à l'aide d'une canne, en hésitant un peu, mais je crois qu'avec
le temps elle arrivera à marcher très bien. » Actuellement, 20 janvier 1891
elle est complètement guérie (fig. z ,
OBs. II. Myélite transverse avec contracture des muscles de la cuisse.
Rétraction musculaire consécutive avec flexion des deux cuisses
sur le bassin et des deux jambes sur les cuisses, les pieds étant en exten-
sion. Section des tendons des muscles rétractés. Extension forcée
maintenue par des appareils plâtrés. Redressement complet des deux
membres. - Rétablissement de la marche.
Mme P..., âgée de quarante-sept ans, habile ordinairement le Pérou, dans
une région marécageuse où régnent des fièvres paludéennes assez graves et
rebelles. Elle a eu trois enfants, dont un est mort à deux ans, en 1872. Depuis
cette époque, elle est atteinte d'une anémie qui a résisté à tous les traite-
ments et même à des voyages prolongés en Europe.
En 1888, pendant le mois de novembre, une douleur névralgique se dé-
clara dans la jambe droite, avec tous les caractères d'une sciatique. On crut
d'abord à une sciatique d'origine paludéenne. Le sulfate de quinine admi-
nistré aussitôt, au bout de quelques mois, procura une amélioration.
Mais les rechutes ne tardèrent pas à revenir, succédant à des accalmies
de quelques "semaines.
Bientôt la douleur s'étendit à la jambe gauche et gagna la région des reins.
En même temps apparaissait une contracture très prononcée des muscles des
deux jambes et des deux cuisses. La malade occupait dans le lit une position
accroupie qu'elle ne pouvait quitter. Tous les mouvements étaient impos-
sibles.
Les jambes demeuraient fléchies sur les cuisses et celles-ci étaient telle-
ment pliées sur le bassin que les genoux touchaient le menton. Les pieds
étaient dans l'extension.
Cet état de douleur et de contracture se prolongea jusqu'en juin 1889.
A cette époque une fièvre pernicieuse assez grave, mais qui guérit après
TRAITEMENT CHIRURGICAL DES RÉTRACTIONS MUSCULAIRES. 253
quelques semaines, laissa après elle une amélioration assez notable dans les
douleurs. Cependant l'attitude vicieuse persistait, résistant à toutes les trac-
tions, il toutes les tentatives de mouvements, et à tous les traitements.
La malade fut alors transportée à Paris, au mois de mai 1890, et présentée
à M. le'professeur Charcot.
M. Charcot, après un examen approfondi, pensa que la myélite, cause de
ces accidents, était guérie; il admit aussi que, à cette contracture des mus-
cles avait succédé un certain degré de rétraction accompagnée de quelques
lésions des tissus fibreux-articulaires. Aussi conseilla-t-il de recourir aux
moyens chirurgicaux et me confia cette malade.
Quand je l'examinai, je la trouvai accroupie dans son lit, comme il a été
dit plus haut. En exerçant quelques tractions légères sur les jambes, on pro-
voquait un léger degré d'extension. Il était facile de constater la tension des
muscles formant sous la peau de la région postérieure de la cuisse des cordes
très appréciables. Au niveau du genou existait un épaississement notable
des tissus sous-cutanés. La rotule était immobile, même dans le sens trans-
versal.
Ces lésions étaient plus manifestes et plus accentuées du côté droit.
Les deux cuisses présentaient aussi une attitude vicieuse, elles étaient à
moitié fléchies sur le bassin, mais l'articulation coxo-fémorale était intacte,
et l'obstacle venait manifestement des muscles antérieurs de la cuisse
qu'on sentait et qui faisaient saillie sous la peau quand on cherchait à pro-
duire l'extension.
Quant aux deux pieds ils étaient maintenus dans l'extension moyenne,
mais encore mobiles; il semblait que le raccourcissement des muscles
postérieurs de la jambe et du tendon d'Achille ne jouaient ici qu'un rôle
peu accentué.
Cette malade était d'une maigreur extrême, et les muscles des membres
inférieurs étaient très-amincis.
On ne pouvait remédier à ces rétractions musculaires cause évidente de
tous ces accidents que par des sections tendineuses portant, premièrement
sur les tendons des muscles postérieurs de la cuisse au niveau du creux
poplité, secondement sur les attaches des muscles antérieurs de la cuisse
au niveau du bassin.
La première opération eut lieu le 21 juin 1890; la malade étant chloro-
formée. '
Une section totale et sous-cutanée porta sur les quatre tendons qui limitent
en dehors et en dedans le creux poplité; cette section fut répétée pour
chaque membre.
. Aussitôt la jambeful faiblement redressée de quinze à vingt degrés, on dut
seulement déchirer quelques adhérences articulaires. Je n'insistai pas
davantage dans la crainte de produire un écartement trop considérable des
tendons sectionnés et d'empêcher ou de retarder la soudure.
Les plaies furent obturées avec du collodion et garnies de ouate.
Au bout de huit jours, il fut possible d'étendre la jambe de 45 degrés en-
254 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
viron et de l'amener ainsi, avec quelque violence, à la demi-tlexion. Elle fut
fixée dans cette position à l'aide d'une gouttière plâtrée solide.
Je mentionnerai de suite que le résultat obtenu fut meilleur pour la
jambe gauche que pour la jambe droite. Le genou droit semblait présenter des
adhérences plus résistantes dont la rupture pouvait provoquer des désordres
sérieux et nécessitait l'emploi du chloroforme.
Ces appareils plâtrés restèrent en place pendant quarante jours et furent
assez bien supportés.
Le 4 août, la malade étant endormie de nouveau, et il me fut possible, en
employant une grande violence, de redresser complètement la jambe gauche.
Pour la jambe droite je renonçai il obtenir un résultat aussi complet.
Le 20 septembre, les gouttières étaient de nouveau enlevées. La jambe
gauche complètement étendue sur la cuisse resta sans appareil. Je fis un
redressement aussi absolu que possible de la jambe droite et la mis pendant
quarante-cinq jours dans une nouvelle gouttière.
J'avais constaté, au cours de ces dernières manoeuvres, que les mouvements
articulaires étaient faciles et s'effectuaient sans craquements; les muscles
fonctionnaient assez bien.
Lorsque les jambes furent suffisamment redressées pour permettre d'essayer
la station debout, je pus me convaincre que la flexion des cuisses était bien
due à la rétraction des muscles antérieurs s'insérant sur le bassin et, dès
lors, que la section de ces muscles était indispensable.
Le 22 novembre la malade fut endormie. A l'aide de ténotomes assez gros,
je coupai profondément et largement les paquets musculaires qui s'insèrent
à l'épine iliaque antéro-supéricure.
Cette section assez pénible et très étendue donna un résultat immédiat par-
fait. Un écartement se produisit aussitôt entre les deux bouts de la corde for-
mée par les muscles sectionnés. Les cuisses furent immobilisées par un
double spica en tarlatane gommée qui fut laissé en place pendant quarante
jours, puis enlevé. A ce moment la malade occupait dans son lit la position
horizontale et commençait aussi à se tenir presque complètement debout.
Actuellement, 10 janvier 1891, la malade marche debout et droite, les
plantes du pied reposent à plat sur le sol. Grâce aux massages, il
emploi de l'électricité sur les muscles de la cuisse, l'action musculaire s'est
améliorée rapidement. La guérison est donc complète.
TCRRILLON,
Chirurgien de la Salpêtrière.
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE
(TYPE MORVAN)
Dans ces deux dernières années, des discussions se sont élevées à
propos des rapports de la maladie de Morvan et de la syringomyélie.
Fallait-il voir là deux espèces morbides distinctes; ne s'agissait-il pas
plutôt de deux formes cliniques d'une même espèce nosologique ? Les
avis étaient partagés; la majorité des auteurs inclinait vers la dualité,
et c'était là, il faut bien l'avouer, une doctrine qui, en l'absence de
preuves anatomo-pathologiques, était parfaitement soutenable.
Mais aujourd'hui que l'anatomie pathologique a parlé, la doctrine
unitaire s'impose avec évidence. C'est à M. Joffroy que revient le mé-
rite d'en avoir donné une démonstration péremptoire, en prouvant
par deux autopsies que la symptomatologie de la maladie de Morvan
pouvait relever tout entière des lésions spinales de la syringomyélie1.
A son tour, notre maître, M. le professeur Charcot, vientd'en donner
la preuve clinique, à propos d'un malade qu'il a présenté à ses audi-
teurs, le 17 mars 4891, dans une leçon qui vient d'être récemment
publiée '. « La querelle me paraît être désormais vidée, dit-il; il n'y a
pas deux maladies distinctes, il n'y en a qu'une, et la maladie de Mor-
van, comme je le disais tout à l'heure, représente seulement, tout
originale qu'elle puisse paraître cliniquement, une forme atypique de
la maladie syringomyélique... Le cas que je me propose d'étudier
devant vous est justement un exemple de ce genre. Il établit en
quelque sorte la transition entre les deux maladies qu'on dit distinctes.
Parmi les partisans de la dualité, les uns diront qu'ils y voient tous les
caractères de la syringomyélie, les autres que les traits distinctifs de
la maladie de Morvan y sont très accentués. Pour nous, il s'agit d'un
cas de syringomyélie anormale, atypique. »
Après ce préambule, M. Charcot établit un parallèle magistral entre
les deux affections, met en évidence leurs analogies, réduit à néant les
soi-disant différences cliniques et anatomo-pathologiques, montre en
1. Joffroy et Achard, Archiv. de méd. expériment., 1890. Joffroy, Soc. métl. des
hôpitaux, 1891.
2. Charcot, Sur un cas de syringomyélie avec panaris analgésique (type Morvan)
(Gnbetla hebdom., 11 avril 1891). .
256 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
en mot qu'il n'est pas un seul caractère du syndrome Morvan qu'on ne
puisse retrouver dans la syringomyélie et conclut en ces termes : « Il
est devenu clair que, de par la clinique comme de par l'anatomie
pathologique, syringomyélie et maladie de' Morvan ne font qu'un.
Toutefois, en raison de leurs caractères spéciaux, certaines formes de
la syringomyélie devront être vraisemblablement signalées à part, et
parmi elles il en est une qui, entre toutes, méritera d'occuper le pre-
mier plan. Il ne sera que juste de la désigner du nom de l'observateur
pénétrant et habile qui a su la faire sortir du chaos et lui donner la vie
clinique. Je vous proposerai, en conséquence, d'appliquer à cette forme
la dénomination de syringomyélie, type Morvan. »
Voici les détails de cette observation. La plupart d'entre eux sont
empruntés à une leçon magistrale de M. le professeur Le Fort dans le
service duquel notre malade avait déjà séjourné avant de venir à la
Salpêtrière. Des deux dessins suivants (fig. 52, 53), dus à la plume habile
de notre maître et ami M. P. Richer, le premier n'est que la reproduc-
tion du dessin qui accompagne la démonstration de M. Le Fort : il
représente la main gauche du malade avant l'amputation du médius.
Le second montre l'état actuel de cette même main.
OBs. Pierre IIerth, vingt-six ans, journalier, entre le 4 février 1891,
salle Prüss n° 7, dans le service de M. le professeur Charcot.
Antécédents héréditaires. Les renseignements fournis par malade à
1. Le Fort, Panaris s;/)'tn;/om;/e/t(;ueej)/e)'c<'e(H médical, 30 décembre 1890).
FiG.52.
Fie. 53.
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE. 257
ce sujet sont très incomplets : il ne sait rien de ses grands-parents et de ses
collatéraux. Ceux qu'il donne, au point de vue nerveux ou mental, sont
négatifs. Son père, âgé aujourd'hui de soixante-trois ans, est bien portant;
c'est un homme sobre qui n'a jamais été malade. Sa mère est aussi en bonne
santé et ne présente rien à noter. Il a un frère plus âgé et une soeur plus jeune
que lui qui n'ont jamais eu de maladies nerveuses.
Antécédents personnels. -- Pierre II... est né à Reims; il n'a eu aucune
maladie de l'enfance ; de six à treize ans, il a été en classe où il a appris à
lire et à écrire, dit-il, d'une manière très élémentaire. A l'âge de douze ans,
il se brûle accidentellement le genou gauche; cette brûlure qui fut très dou-
loureuse a laissé à ce niveau une large cicatrice indélébile.
A dix-huit ans, il eut un chancre de la rainure balano-prépuliale qui dis-
parut, sans laisser de trace, sous l'influence d'un traitement banal et ne s'ac-
compagna point des manifestations secondaires du chancre syphilitique. A
vingt et un ans il tire au sort; son frère présent sous les drapeaux l'exempte
du service militaire.
Début de la maladie actuelle. C'est en 1887, à vingt-deux ans, que
survient le premier accident, sous forme d'un « abcès » indolore de l'index
gauche accompagné d'un oedème du dos de la main correspondante. Cette
sorte d'abcès ne s'ouvrit pas spontanément, il fut incisé par le D' Poirier
(de Reims). Cette incision ne fut pas plus douloureuse qu'une seconde ouver-
ture pratiquée quelques jours après. Du reste l'abcès avait évolué sans aucune
espèce de douleur et la guérison s'effectua au bout de cinq à six semaines,
non sans laisser des déformations du doigt qui persistent encore aujourd'hui.
Un an après, en 1888, sans raison connue, survinrent successivement dans
le côté gauche du corps (avant-bras, bras, épaule et paroi de l'abdomen) une
série « d'abcès furonculeux » indolents qui ont laissé autant de cicatrices blan-
châtres.
L'année suivante, en 1889, toujours sans cause appréciable, aparait une
tourniole à l'auriculaire gauche. Cette tourniole fui indolente et aboutit à un
abcès qui fut ouvert à l'hôpital Beaujon par M. Léon Labbé; l'incision ne
fut pas douloureuse ; la guérison s'ensuivit encore mais avec une déformation
de l'auriculaire. Dans ce panaris, pas plus que dans celui de l'index il n'y eut
nécrose osseuse.
Le 30 septembre 1890, le malade entra à la Pitié, dans le service de M. le
professeur Le Fort, où il séjourna jusqu'au 13 janvier 1891, époque à
laquelle il fut envoyé à Vincennes. Il entrait pour un panaris du médius
gauche qui avait débuté en août sans raison et sans douleur. Voici d'après
M. Le Fort l'état du malade à cette époque :
Le 30 septembre, à l'entrée du malade, le doigt était considérablement
gonflé, troué d'orifices, au niveau de la phalangette et de la phalangine, par
où le pus s'était donné issue; tout mouvement des phalanges était impos-
sible : rectiligne, en massue à son extrémité, le doigt pliait à peine dans ses
articulations; la troisième phalange, nécrosée, était dénudée presque entière-
ment, et M. Tuffier, qui me remplaçait alors, en pratiqua l'extraction. Ce
258 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
n'était pas tout. Il existait a la partie supéro-externe de l'avant-bras, au-des-
sous du coude, à la face postéro-inférieure du bras, à la face postéro-externe
de l'épaule, trois plaques de sphacèle larges au moins comme une pièce de
cinq francs, à demi détergées et bourgeonnantes. Toutes ces lésions étaient
completements indolentes; ni le panaris ni les plaques de sphacèle n'avaient
jamais provoqué la moindre souffrance; ces plaques s'étaient produites, sans
réaction, à la suite de traînées rouges irradiées le long du membre. On
trouvait encore le ganglion sus-épitrochléen un peu gros, mais il n'y avait
rien dans l'aisselle.
La plaque anlibrachiale se cicatrisa peu à peu; à la fin d'octobre elle avait dis-
paru, mais les autres, et surtout le panaris, restaient à peu près stationnaires.
La phalangine était en partie dénudée, et, dans les premiers jours de
novembre, un fragment assez volumineux, correspondant à sa moitié infé-
rieure, se détachait spontanément et tombait dans le pansement.
Aujourd'hui 12 décembre, l'état local est le suivant. Le médius gauche
est volumineux, rectiligne, immobile ; à sa face palmaire, au niveau de la
seconde phalange, un orifice fistuleux laisse sourdre un peu de pus; un autre
occupe l'extrémité du doigt.
L'index a sa phalangette à demi fléchie, il est effilé, d'une coloration
rouge vineux, qui devient souvent violacée; les mouvements en sont aussi
très limités. A la face interne des deux premières phalanges, une cicatrice
marque la trace de l'ancien abcès; a la face palmaire de la phalangette,
d'autres cicatrices plus superficielles et crevassées sont un reste des phlyc-
tènes qui, à plusieurs reprises, y ont paru et se sont rompues. L'ongle est
bosselé, élargi, un peu hippocratique.
Au petit doigt, la phalangette, un peu épaissie, porte une cicatrice sur sa
face dorsale : c'est celle de l'incision que nous avons signalée plus haut.
L'ongle est irrégulier, strié transversalement; l'articulation phalangino-
phalangettiennc a perdu, en partie du moins, ses ligaments latéraux, et le
bout du doigt joue assez largement dans le sens transversal.
Au pouce, à la phalangette encore, et sur la face palmaire, on retrouve ces
mêmes crevasses cicatricielles, indices d'anciens phlyctènes.
L'éminence thénar est assez notablement aplatie l'éminence hypothénar
nel'est que beaucoup moins. Cet état d'atrophie partielle de la main contraste
avec celui du reste du membre, qui a conservé au contraire une robuste
apparence et une forte musculature; la mensuration donne des chiffres iden-
tiques, à gauche et à droite, pour la circonférence de l'avant-bras et du bras.
Mais on retrouve sur ce membre une série de lésions trophiques cuta-
nées. Au bras et à l'épaule, d'abord, ce sont les deux plaques de sphacèle
indiquées plus haut, et qui ne sont plus aujourd'hui que deux faces bour-
geonnantes, d'aspect fongueux.
A la partie supéro-externe de l'avant-bras, dans sa moitié supérieure, on
constate les cicatrices on les restes des cinq tumeurs furonculeuses qui se
sont développées successivement depuis deux mois; une sixième existe,
depuis peu, à la face antérieure du coude; elle est, comme les autres, d'un
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE. - 259
rouge foncé, légèrement saillante ;i son centre, assez dure, sauf encore à la
partie centrale, ramollie et un peu fluctuante. Ces tumeurs s'alfaissent sans
s'ouvrir, ou, plus ordinairement, elles se perforent à leur sommet et lais-
sent échapper un peu de pus et de sang.
La peau du membre, quand il est découvert, se refroidit vite, et se couvre
de marbrures violacées; elle se prête fort bien à la dermographie.
L'exploration de la sensibilité et de ses divers modes donne les résul-
tats qui suivent : le toucher est absolument intact sur toute la surface du
membre; les moindres contacts, le plus léger frôlement, se perçoivent avec
la plus grande netteté. Le sens de pression, le sens musculaire, sont aussi
conservés. Mais il en est autrement de la sensibilité à la piqûre et du sens
thermique. La piqûre est assez bien sentie sur le bras et l'avant-bras, elle
l'est peu nettement à la main et surtout aux doigts. Le fait principal, au point
de vue de l'anesthésie douloureuse, c'est l'indolence complète de ces panaris,
de ces plilyctènes, de ces furoncles, de ces multiples lésions d'allure inflam-
matoire qu'on trouve parsemées sur tout le membre. Il n'y a pas abolition,
mais une perversion très marquée du sens thermique. Cette perversion est
surtout accusée à la main; mais elle existe sur toute la hauteur du membre,
jusqu'à l'épaule, où elle finit brusquement.
De temps en temps le malade donne une réponse exacte; au bout d'une,
série d'explorations, peut-être sous l'influence de l'exercice et de l'attention
prolongée, la distinction du froid et du chaud devient beaucoup plus nette et
plus sûre. De plus, quand on applique un morceau de glace alternative-
ment sur l'un ou l'autre avant-bras, l'une et l'autre main, le malade indique,
et cela ;i plusieurs reprises, qu'à gauche il sent que « c'est frais », à droite
que « c'est froid et mouillé ». La sensation du « mouillé » n'existe pas à
gauche. Enfin, à gauche, la sensation de froid ou de chaud, quel que soit le
corps employé, est toujours beaucoup moins vive qu'à droite.
Nous avons dit que l'éminence thénar est un peu aplatie. Les mouvements
volontaires du pouce et du petit doigt, l'abduction et l'adduction des doigts,
s'exécutent très librement, quoique avec moins de force qu'à la main droite.
Au courant faradique (le pôle -(- étant placé au devant du sternum, le
pôle sur les muscles), les muscles de l'éminence thénar droite réagissent
fort bien; ceux de l'éminence thénar gauche réagissent à peine, et leur con-
tractilité au courant induit, malgré la persistance de la contraction volontaire,
peut être considérée comme abolie, au moins en grande partie.
Au courant continu, avec un nombre égal d'éléments, on obtient des
contractions du côté malade alors que l'on ne produit rien du côté sain; ce
fait, combiné à la disparition presque entière de la contractilité faradique,
constitue un type très net de réaction de dégénérescence. Il ne semble pas
que la secousse soit plus brusque du côté malade que sur les muscles sains.
En appliquant le pôle sur les muscles, on provoque des contractions au moins
égales, sinon plus fortes, qu'en employant, comme à l'ordinaire, un pôle
musculaire. Il faut encore signaler que l'électricité, et surtout l'électricité
faradique, se propage aux muscles de l'avant-bras : quand on applique sur la
260 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
main le pôle z, elle se fléchit brusquement en totalité; ce sont lès muscles
antérieurs de l'avant-bras qui se- contractent, le courant s'étant diffusé jusqu'à
eux. Toutes les observations précédentes ont trait 11 l'éminence. thénar. Les
muscles hypothénariens, moins amaigris, pourvus aussi de leur contractilité
volontaire complète, réagissent moins qu'à droite au courant faradique : ils
ne présentent aucune trace de réaction' de dégénérescence. Quant aux interos-
séux dorsaux, ils répondent d'une façon assez inégale à l'électricité induite :
le' premier et le second réagissent bien, le troisième se contracte à peine, et
le quatrième un peu seulement. La contraction des muscles antéro-
externes de l'avant-bras semble aussi un peu moins énergique, mais il n'y a
là qu'une différence relativement minime, et, du reste, assez mal appréciable.
Ajoutons que l'application du courant faradique réveille, à gauche,' une sen-
sibilité moindre que sur le membre supérieur droit. Quant à l'électrisation
des nerfs, du médian au bras, au pli du coude et au poignet, du radial au
sortir de la gouttière de torsion, du cubital au bras et au coude, elle fournit
des résultats identiques du côté malade et du côté sain. Il n'y a, du reste,
sur le trajet de ces nerfs, aucun point douloureux, aucune trace d'induration ni
d'épaississement. Le réflexe olécrânien (tendon du triceps) est un peu moins
accusé à gauche. Au membre inférieur, du reste parfaitement sain, le réflexe
rotulien est un peu exagéré du côté gauche; il faut ajouter qu'il est très
intense des deux côtés, dans le décubitus et la jambe fléchie au bord du
lit. On ne provoque pas la trépidation réflexe.
L'épaule droite paraît un peu tombante, surtout quand on examine le
malade debout et par derrière; existe à la région inférieure une légère
courbure scoliotique dont la cavité est tournée à droite. Le malade a lui-même
remarqué cette légère déformation de l'épaule, qui aurait toujours existé.
A la face, il n'y a rien à noter : la vue est normale, il en est de même de
l'ouïe et des autres sens. L'intelligence est bien développée, il n'y a pas de
troubles génito-urinaires, toutes les fonctions s'exécutent normalement :
. M. le professeur Le Fort, en présence d'un doigt à jamais impotent,
ankylosé, entravant le fonctionnement de la main, et sur les instances pres-
santes du malade, pratiqua l'amputation du médius sans l'aide du chloroforme.
« On put, dit-il, tracer la raquette à queue postérieure, décoller le lambeau,
désarticuler, faire les sutures, sans que le malade ait donné le moindre signe
de souffrance, sans qu'il ait souffert le moins du monde ; il percevait bien
le contact des instruments, mais la sensation n'était nullement douloureuse. »
De' plus, on remarqua que, malgré l'absence de tout lien constricteur, les
artères collatérales ne donnaient pas; il n'y eut qu'une abondante hémor-
rhagie en nappe qui s'arrêta sous le pansement compressif.' Les suites de
l'opération furent heureuses, aucun accident ne survint; et lorsqu'au cin-
quième jour les sutures furent enlevées, la réunion était complète.
Le 13 janvier 1891, le malade partait à Vincennes en convalescence d'où il
revenait pour rentrer à la Salpêtrière.
ÉTAT ACTUEL(6février 18(1)(t.'XXIX, XXX). -L'examen du malade fournit
aujourd'hui des résultats identiques, et nous avons peu de choses à ajouter à
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. IV. P. XXIX.
PHOTOTYPE négatif A. LONDE
PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne de Longuet.
TROUBLES TROPHIQUES DANS LA SYRINGOMYÉLIE
NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière T. IV. PL. XXX
1
'hototype NÉGATIF A . LONDE
PHOTOCOLLOGRAFHIE CHÈNE & Longuet T
TROUBLES TROPHIQUES DANS LA SYRINGOMYÉLIE
Lecrosnier & BABBÉ
EDITEURS
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE.
261
l'observation si complète que nous venons de rapporter, l'état du malade n'ayant
pas sensiblement varié depuis sa sortie de la Pitié. Pierre H... est un homme
de taille au-dessous de la moyenne (lm60), d'aspect vigoureux et bien portant.
Son crâne est très volumineux, élargi dans son diamètre transversal, d'appa-
rence natiforme. Ses dents présentent des altérations intéressantes : les inci-
sives et les canines supérieures sont petites et offrent, les incisives médianes
une double rangée, les autres une rangée unique de crénelures transversales.
Sur les maxillaires inférieurs on note le même nanisme dentaire. Inci-
sives et canines présentent une ligne crénelée transversale avec usure consi-
dérable de leur bord libre. Enfin il existe chez cet homme une déformation
nasale assez marquée, esquisse du nez en lorgnette.
Le médius gauche fait défaut (fig. 53) et la cicatrisation est régulière et
parfaite.
Examen de la sensibilité. - Pour la sensibilité au contact, l'effleure-
ment, le frôlement très léger d'un pinceau promené sur tout le corps et
262 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sur le membre supérieur gauche est perçu très nettement et sans erreur de
lieu. Cependant il semble, par comparaison avec le membre supérieur du
côté opposé, que les perceptions tactiles soient un peu plus exquises à droite
qu'à gauche. L'analgésie est complète sur le membre supérieur gauche et
délimitée en haut en manche de veste (fig. 54, 55).
La pointe d'une épingle enfoncée dans la peau est perçue comme une
piqûre simple, nullement douloureuse, comparée par le malade à la pointe
d'un crayon. Les piqûres très profondes ne réveillent aucune espèce de dou-
leur. Cette analgésie monoplégique se continue en haut avec une zone inter-
médiaire où la douleur est perçue, mais moins vivement que dans les régions
symétriques du côté opposé. Dans cette zone de transition, les sensations dou-
loureuses deviennent d'autant plus vives qu'on s'approche davantage de la
ligne médiane où elles se montrent normales.
Pour la thermoanesthésie les limites supérieures du chaud et du froid sont
identiques à celles de l'analgésie. Il y a également, pour ce mode de sensi-
bilité, une zone de transition où les perceptions deviennent progressivement
plus nettes jusqu'à la normale. Pour la chaleur, la thermoanesthésie est
absolue au-dessous de 65° ; au-dessus la chaleur est perçue sur le membre
gauche, mais fort peu, et le thermomètre appliqué dans ces conditions suc-
cessivement sur les deux membres supérieurs montre bien cette différence
en provoquant un contraste réactionnel très démonstratif. Ces examens
calorimétriques symétriques laissent en effet sur la peau des traces perma-
nentes du thermomètre, sous forme de brûlures au premier degré, à
gauche (rien d'analogue ne se montre dans les points correspondants du
côté droit), nouvelle preuve que ce membre est placé au point de vue tro-
phique, sous un régime spécial.
Les sens musculaire et articulaire sont normaux. Les sens spéciaux ne
sont point touchés et le champ visuel, en particulier, n'est pas rétréci.
Les troubles vaso-moteurs sont identiques à ceux signalés par M. Le Fort.
La température locale prise au niveau de la face dorsale des deux mains
donne au bout de cinq minutes les résultats suivants :
111. D.=34°; M. G. =28°.
12 mars. Ce matin le malade, en se lavant les mains, s'est aperçu que
la face dorsale de la main gauche et du poignet était gonflée et rouge. En
effet le soir à cinq heures sa main était dans l'état suivant :
OEdème coloré de la face dorsale du métacarpe, du carpe et du tiers infé-
rieur de l'avant-bras. La tuméfaction est dure, assez notable, elle respecte
les doigts; le périmètre de la main gauche pris à la base du pouce dépasse
de 2 centimètres celui de la main droite. La rougeur a une teinte érysipéla-
teuse, elle est un peu moins étendue que la tuméfaction, dont elle respecte le
tiers externe; sous la pression du doigt cette coloration disparaît pour revenir
dès que la compression cesse. Il n'y a aucune espèce de douleur. Par contre,
la chaleur locale est augmentée de deux degrés comparativement à la tem-
pérature du côté opposé.
UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE. 263
Cet oedème coloré, chaud, indolent, dur, aurait autrefois, dit le malade,
précédé l'apparition du premier panaris; d'abord localisé au dos de la main,
il aurait à cette époque gagné l'index où il se serait localisé et aurait précédé
la formation de l'abcès. L'oedème actuel a disparu sans laisser de traces au
bout de quarante-huit heures.
Les considérations intéressantes que soulève cette observation ont
été magistralement exposées par M. Charcot. Nous y renverrons le
lecteur. Il est un détail que nous soulignerons simplement : l'existence
presque certaine, chez ce malade, malgré l'absence d'une enquête de
famille, de l'hérédo-syphilis. Il en porte en effet trois stigmates impor-
tants : les érosions dentaires multiples et symétriques, les malforma-
tions crâniennes, la difformité nasale Sur les deux maxillaires,
ses incises et ses canines présentent toutes une érosion unique hori-
zontale, sauf les deux grandes incisives médianes supérieures qui
offrent le type parfait des dents dites « en gradins ». Le nez représente
à l'état d'ébauche le nez dit « en lorgnette ». Enfin son crâne (front
olympien, augmentation du diamètre bipariétal), rappelle assez bien
le crâne « natiforrne » de Parrot.
Sans vouloir, dans ce cas, établir entre la syphilis héréditaire et la
syringomyélie une relation de cause à effet, il nous a semblé bon, en
présence de la rareté et de l'incertitude de nos données étiologiques
sur la syringomyélie, de relever la présence des stigmates de l'hérédo-
syphilis.
Quant à la conclusion à tirer de cette observation si pleine d'ac-
tualité, nous l'emprunterons à la leçon de notre maître, M. le professeur
Charcot. « Nous sommes, dit-il, en présence d'un cas bien propre à
démontrer cliniquement la légitimité de la doctrine de l'unité. En
somme, il s'agit là d'un cas de syringomyélie présentant quelques
phénomènes atypiques, mais restant douée cependant de ses attributs
fondamentaux. La présence, la prédominance même dans le tableau
clinique des panaris analgésiques ne change rien au fond des choses.
Ce sera le cas ou jamais de désigner l'état morbide dont souffre notre
malade sous le nom de syringomyélie type Morvan 2.
A. Souques,
Interne (Médaille d'or)
de la Clinique des maladies du système nervoux.
1. FonrniCI', la Syphilis héréditaire tardive. Paris, I 86,
2. A propos des rapports de la maladie de Morvan et de la syringomyélie, consulter une
intéressante revue de M. Achard (Gaz. Itebdont., 1890, p. 501), et un travail très remar-
quable de M. Iîernhardt, publié dattb le Ueulsclte /lied, Woch., 1891, et ayant pour litre :
Ueber die sogenaunle Jlorvans'clte Krankheil.
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE
COMBINÉE A LA PARALYSIE GLOSSO-LABIO-LARYNGÉE
ET A L'ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE
LÉSION SYSTÉMATIQUE DES NOYAUX MOTEURS
(Polioencéphalomyélite)
(Suite et fin') t)
' ODS.XLIL-Polietaceplaalitisszaperioracutahenorrlaagica(Kojewnilcofi9).
Le 23 février 1886 entrait à notre clinique Victor G..., coiffeur, âgé de qua-
rante et un ans ; il était atteint de graves symptômes cérébraux ; connaissance
très obscurcie, délire, faiblesse parétique des extrémités et troubles particu-
liers dans les mouvements des yeux.
Nous n'avons pu réunir que très peu de renseignements sur son existence
antérieure, mais nousavons pour sûr que, durant bien des années, G... abusait
beaucoup des boissons spiritueuses et buvait dans les derniers temps jusqu'à
trois bouteilles d'eau-de-vie par jour, sans compter le vin et labière. Mais malgré
cela il jouissait jusqu'à ces derniers temps d'une bonne santé ; du moins il ne
semble pas qu'il ait jamais eu de maladie sérieuse; il n'a jamais été atteint
de syphilis et n'a jamais subi de traumatisme de quelque importance; ce
n'est que dans les premiers jours de février 1886 que sa santé a commencé à
s'altérer : il ressentit des douleurs au creux de l'estomac et une faiblesse
générale. On peut fixer le début de la maladie actuelle au 16 février; à cette
époque il commença à se plaindre de faiblesse dans les jambes, de lourdeur
de tôle; de temps en temps on put remarquer chez lui du délire et, semble-
\t-il, des hallucinations visuelles. Ces symptômes augmentèrent de jour en
jour; ses jambes devinrent si faibles que le malade dut rester constamment
couché; la faiblesse gagna les bras; le délire et les hallucinations devinrent
plus violents; c'est à cette époque qu'on remarqua des troubles dans les
mouvements des yeux; la santé du malade empira de plus en plus, le
23 février, il fut apporté à la clinique dans l'état suivant :
État actuel. Le malade est constamment couché parce qu'il ne peut non
seulement être debout, mais même rester assis. Température 35° 8, pouls, 96,
régulier, mais très faible; on peut remarquer une certaine cyanose à la
figure et aux extrémités. La connaissance du malade est très obscurcie; de
temps en temps il peut encore faire une courte réponse, mais le plus souvent
il prononce des paroles incohérentes; en même temps on peut remarquer
quelque excitation psychique qui se trahit par une certaine loquacité et par
une tendance à gesticuler. Le plus souvent le malade délire; il a indubitable-
ment des hallucinations, car il dit voir du feu, divers animaux, etc. Il a
quelque peine à s'exprimer, prononce les mots d'une manière un peu indis-
1. Voy. les 11" 5, G, 1890 et 1, , 3, 189 1.
2. KojewiiikofT, Ophthalmoplégie nucléaire, Progrès médical, 1887, n01 36 et 37.
DE L'O1'llTIiALdI01'LIsGIE EXTERNE. 265
lincte, les mouvements des jambes sont possibles, mais très faibles; de plus
ils sont irréguliers : il y a jusqu'à un certain point ataxic. Les mouvements
des bras sont libres, quoiqu'ils aient perdu de leur force; mais ils sont
encore plus irréguliers que ceux des membres inférieurs, en raison de la
grande quantité de mouvements superflus. La nutrition des muscles, des
extrémités est normal' l.cw ? co.n1ractilit..é....électr.ique ne s'écarte pas non plus
de l'étal normal. Les réflexes rotuliens sont abolis; mais les réflexes cutanés
des extrémités de la plante des pieds sont exagérés; les réflexes du
crémaster et des muscles abdominaux font défaut. La sensibilité de la peau
a partout persisté, mais elle a quelque peu diminué (il a été impossible de
l'examiner à fond à cause de l'état psychique du patient). La compression
des troncs nerveux et des muscles ne provoque nulle part de douleur; celle
de la colonne vertébrale donne le même résultat. Tous les mouvements de
la langue sont possibles. On ne remarque rien d'anormal dans les muscles
du visage, mais il y a chute de la paupière supérieure des deux yeux, surlout
du droit si bien que le malade ne peut les soulever à volonté (ptosis).
Le malade s'oppose en fermant fortement les yeux aux essais faits dans le
but de les ouvrir; de môme, les paupières se ferment encore davantage sous
l'influence de la lumière; la faculté de fermer les yeux à volonté est intacte.
L'examen des yeux donna les résultats suivants : les deux globes sont
constamment déviés à la fois en haut et en dehors et leurs mouvements dans
tous les sens sont très limités; dans le mouvement en dedans, les yeux
atteignent à peine jusqu'à la ligne médiane ; d'ailleurs les mouvements en
haut et en bas sont aussi très limités, ceux en dehors quoique plus faciles
no sont pas non plus parfaitement libres; tous ces symptômes sont plus
marqués dans l'oeil droit que dans le gauche. Les pupilles égales dans les
deux yeux sont de moyenne grandeur et réagissent indubitablement à la
lumière. La vue ne semble pas avoir souffert; du moins il est incontestable
que le malade voit de l'un et de l'autre oeil; on ne peut pas non plus
remarquer de troubles de l'accommodation. Malheureusement il n'était pas
possible de faire un examen plus complet de la vue et du fond de l'oeil, vu
l'état psychique du patient, quoique nous nous fussions adressés pour cela à
un ophthalmologiste très expérimenté; on n'a pas pu non plus résoudre la
question de savoir si le malade voyait double.
L'appétit a complètement disparu; pas de nausées ni de vomissements;
à la compression, une légère douleur au creux de l'estomac; ventre très
gonflé; pas de selle depuis plusieurs jours; rétention d'urine, vessie disten-
due ; foie dc grandeur normale et non douloureux il la compression; rate un
peu augmentée de volume; rien d'anormal dans les poumons; les battements
du coeur sont faibles, mais réguliers et les bruits en sont normaux.
. On fit sortir au moyen du cathéter environ 1,000 cent. cubes d'urine trans-
parente, très concentrée, sans albumine ni sucre; le soir la température était
de 36 ?
2.1' février. L'état du malade est pire; l'état cyanolique du isi-c et des
mains est plus marqué, la connaissance s'est obscurcie davantage. Respira-
is. 18 H
2go NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
tion '2\); pouls 120, presque insensible. Tous les mouvements sont beaucoup
plus faibles. La chute des paupières est plus accentuée. Les yeux dévient
encore davantage au dehors et leurs mouvements sont toujours plus limités;
quant aux pupilles, elles sont, comme auparavant, de grandeur moyenne et
réagissent à la lumière. La température était le matin de 35°4 et le soir
de 35°8.
25 février. Le malade est tout à fait privé de connaissance ; de temps en
temps il délire doucement. L'état cyanolique est très marqué ; le pouls est
insensible; les bruits du coeur ne sont plus perceptibles. Température 34°5.
L'abaissement des paupières est également accusé des deux côtés; les yeux
sont comme auparavant déviés en dehors et en haut; les pupilles ne réagissent
plus. Au bout de peu de temps, l'agonie commença et le malade expira à midi.
Autopsie pratiquée le 26 février.
Tissu cellulaire adipeux sous-cutané abondant; oedème dans les parties
postérieures des lobes inférieurs des poumons; coeur dilaté, flasque, recou-
vert d'une couche abondante de graisse; mais on ne peut remarquer de dégé-
nérescence marquée du muscle cardiaque, les valvules sont sclérosées mais
suffisantes. Endoaortite athéromateuse. Rate quelque peu hypertrophiée; la
pulpe en est normale. Reins sans altération appréciable. Foie un peu grais-
seux. Catarrhe chronique de l'estomac. Intestins normaux. Calotte crânienne
sans anomalie. Dans le sinus longitudinal, un caillot fibrineux. OEdème de
la pie-mère'cérébrale; les membranes du cerveau s'enlèvent facilement ; elles
présentent par places des opacités. Les vaisseaux de la base du cerveau sont
normaux. Ventricules dilatés par une assez grande quantité d'un liquide
transparent; épendyme épaissie etrecouverle d'une multitude de granulations
(épendymatite chronique granuleuse). Rien d'anormal ne se fait remarquer
à la surface des couches optiques. (Dans notre cas, la commissure grise ou
n'existait pas du tout ou n'était que très peu développée et s'est déchirée
lors de l'autopsie du cerveau : du moins ne l'avons-nous pas trouvée quand
nous avons mis à découvert le troisième ventricule.)
, On fit une section frontale à travers les deux couches optiques, à peu près
/au milieu; on put voir alors que sur leur bord interne tourné vers le
troisième ventricule, passait une bande de couleur grisâtre parsemée de
petits points rouges. Cette bande suivait le bord interne des couches
optiques à environ 4 à 5 millimètres de profondeuret était presque identique
des deux côtés; elle était de consistance plus molle que les parties environ-
nantes. A l'examen microscopique de cette partie (à l'état frais), on trouva
une énorme quantité de globules sanguins plus ou moins altérés et une quan-
tité assez grande de corps granuleux. Toute la partie restante des couches
optiqnes paraissait être intacte et on ne trouva rien non plus d'anormal dans
les autres parties du cerveau. La moelle allongée paraissait aussi en bon
état, mais dans le quatrième ventricule l'épendyme était épaissie et recou-
vert de petites granulations. La moelle épinière et ses enveloppes ne pré-
sentaient rien d'anormal ; ni dans la moelle épinière ni dans la moelle
allongée on ne trouva de corps granuleux. Malheureusement, par inadver-
DE L'OPII'fHILVI01'L$GIE EXTERNE. 2G7
tance les rétines ne furent pas examinées; mais les nerfs optiques, demème
que les bandelettes optiques, furent reconnus normaux, tant à l'examen
macroscopique qu'à l'examen microscopique des coupes.
i Plusieurs nerfs périphériques des extrémités ont été examinés au moyen
l de l'acide osmique et teints au picrocarmin : on n'y trouva rien d'anormal.
Après durcissement dans le bichromate de potasse d'une grande partie
du cerveau, de la moelle allongée et de la moelle épinière, on fit une
quantité de coupes dans les diverses régions de ces parties. En examinant
les coupes frontales faites de la partie moyenne des couches optiques, on
put constater que leurs vaisseaux sanguins regorgeaient de sang; en outre le
) long du bord interne de la couche optique tourné vers le troisième ventricule,
à 4 millimètres de profondeur, le tissu était parsemé d'hémorrhagies capil-
laires. La quantité et l'importance de ces hémorrhagies étaient différentes
dans les diverses coupes, mais la plupart étaient inférieures en grandeur à
une tête d'épingle ; quelques-unes d'entre elles étaient nettement délimitées :
1 on voyait que le sang épanché n'avait pas dépassé l'espace périvasculaire;
(d'autres élaient p 11 us s. n beaucoup d'endroits, le tissu cérébral
était pour ainsi dire raréfié entre les hémorrhagies et là où il y avait beau-
coup de ces dernières, ce tissu était ramolli. Les parois des vaisseaux étaient
un peu épaissies, mais pas plus que dans les autres parties du cerveau.
Quant à la distribution de ces hémorrhagies, elles s'étendaient en bandes
étroites et exclusivement le long du bord interne des couches optiques et ne
pénétraient pas à l'intérieur de celles-ci.; même au bord supérieur de ces
couches, il n'y avait nulle part trace de ces épanchements sanguins. Dans les
deux couches optiques, ces hémorrhagies étaient distribuées d'une manière
remarquablement symétrique. Dans les coupes faites plus en avant, ces
hémorrhagies suivaient le bord interne des couches optiques, atteignaient en
diminuant d'importance et de nombre l'extrémité antérieure de ces dernières
et se retrouvaient encore plus loin, dans les parois môme de l'infundibulc.
Des hémorrhagies semblables se rencontraient dans la même région de la
partie postérieure des couches optiques et allaient sans interruption jusqu'à
l'aqueduc de Sylvius; dans plusieurs coupes elles existaient dans la commis-
sure postérieure elle-même, ainsi qu'au-dessus et au-dessous de cette der-
nière. Dans les coupes faites à travers les corps quadrijumeaux et les
) pédoncules cérébraux des.li-àmorr-ha ? ies-e n-tou 1-pm-ei 1 les entouraient de tous
\ côtés l'aqueduc de Sylvius, mais ici aussi, Pl1P '1" se-trouvaient que dans
les parties les plus voisines des parois de ce, dernier. Dans quelques coupes,
ces liéni6-rtliagies se vovaient aussi daiis-le iioyati lui-même dynerfyteur
oculaire commun. Plus en arrière, ces altérations existaient aussi dans la
partie antérieure de la protubérance; les hémorrhagies y étaient assez abon-
(laiites et étaient accompagnées d'un ramollissement du tissu; mais elles ne
se rencontraient qu'immédiatement sous l'épendyme dans la substance grise
qui forme le fond du quatrième ventricule : elles n'allaient pas plus profon-
dément.
Ces altérations ne se trouvaient que dans la moitié antérieure de la protu-
268 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
bérance ; vers le milieu de celte dernière, elles diminuaient peu à peu, puis
disparaissaient et dans la partie postérieure, le tissu ne présentait rien
d'anormal, de sorte que les noyaux des nerfs de la sixième et de la septième
paires étaient intacts. De plus dans le quatrième et le troisième ventricules, de
môme qu'autour de l'aqueduc de Sylvius, l'épendyme s'était épaissie d'une
manière marquée et en certains endroits on y voyait de petites granulations;
l'examen microscopique démontra qu'elles provenaient de prolifération du
tissu épendymaire. Même au microscope il n'y avait pas d'autres altérations
dans'le cerveau, la moelle allongée et la moelle épinière.
, ?
Pour clore le chapitre d'anatomie pathologique, voici une obser-
vation d'ophthalmoplégie aiguë avec paralysie du voile du palais,
d'origine diphthéritique. Mendel qui fit l'examen microscopique des
centres nerveux et des nerfs trouva des altérations portant sur les cel-
lules d'origine des nerfs et sur les troncs nerveux eux-mêmes. Il exis-
tait en effet au niveau du bulbe et de la protubérance, spécialement
dans la région de l'oculo-moteur, des hémorrhagies capillaires ainsi
qu'une hyperémie considérable; quant aux moteurs oculaires commun
et externe, au pathétique et au pneumogastrique, ils étaient atteints
de névrite parenchymateuse et'interstitielle.
La paralysie toxique de la musculature extérieure de l'oeil ne se
termine pas toujours aussi malheureusement; on sait depuis long-
temps que les paralysies oculaires diphthéritiques peuvent guérir au
même titre que les paralysies des membres; mais jusqu'à ces dernières
années on ne s'était pas attaché à spécifier la forme sous laquelle se
présentaient ces paralysies oculaires. Rappelons en passant que Uhthoff
paraît avoir publié une des premières observations, sinon la première,
d'ophthalmoplégie externe diphthéritique suivie de guérison.
Obs. V. Ophthalmoplégie d'origine diphthéritique (Mendel').
Garçon de huit ans qui depuis deux ans a eu successivement la rougeole,
la scarlatine et une diphthérie pharyngée, guérie le 28 septembre. Dès le
4 octobre, paralysie du voile palatin; le 2 novembre, troubles visuels et fai-
blesse des quatre membres.
Ptose palpébrale double plus marquée à droite. Sur l'oeil droit : paralysie
du muscle droit interne et parésie des droits externe, supérieur et inférieur.
Sur l'oeil gauche : paralysie des muscles droits. Aucun trouble de l'accom-
modation, aucun rétrécissement du champ visuel. Parésie du facial droit.
Paralysie du voile palatin. Parésie des muscles de la nuque. Ataxie légère
des membres supérieurs et considérable des membres inférieurs; le côté
droit est plus fortement atteint. Excitabilité électrique normale. Pas d'autres
troubles de la sensibilité que de l'hyperesthésie des membres inférieurs.
1. Mendel, Zur Lehre l'on der diphtherischen Lâhmungen. llerlin. kl. Loch" 16 juin
1884. (in ¡¡ev, des Se. méd., 1880, t. XXVI, p. 588).
DE L'OPHTHALMOPLÉGIE EXTERNE. 269
Les réflexes tendineux manquent, mais les réflexes cutanés vésicaux et rec-
taux sont intacts. Pas d'autres troubles vaso-moteurs qu'un refroidissement
des membres inférieurs. Pouls à 100 ; température 38°. Catarrhe bronchique.
Albuminurie médiocre. Mort le 11 novembre par aggravation des symp-
tômes existants et paralysie des poumons.
Le cerveau seul a été autopsié. Rien de visible à l'oeil nu. Au microscope,
hyperémie énorme des petites artères et des capillaires. Issue d'un certain
nombre de globules blancs et rouges disséminés; hémorrhagies capillaires
au niveau de la région correspondant au noyau de l'oculo-moteur commun
de la protubérance et du bulbe. Parois vasculaires normales. Névrite inters-
titielle et parenchymateuse du moteur oculaire commun, du moteur oculaire
externe, du pneumogastrique.
En résumé, dans la poliencéphalite chronique, les capillaires sont
dilatés, gorgés de sang, surtout au début (Westphal); les cellules gan-
glionnaires sont petites, arrondies, dépourvues de prolongements, ré-
duites en nombre au point que, lorsque le noyau est atrophié au
maximum, certaines coupes n'en contiennent que 2-3 (Gowers) et par-
fois creusées de vacuoles (BoeL ! iger); le tissu intermédiaire est parsemé
d'hémorrhagies capillaires dans certains cas, de cellules embryonnaires
dans d'autres (Ross) et finit par se scléroser (Ross); enfin les tubes
nerveux qui sortent des noyaux ainsi altérés sont plus ou moins atro-
phiés. -
Quant à la poliencéphalite aiguë, elle consiste principalement dans
le ramollissement ijiflammajoke avec hémorrhagies capillaires de la
substance grise des 3° et à ventricules. « Par leur caractère et leur dis-
tribution, dit Kojewniloff propos de son observation, ces altérations
offrent une analogie parfaite avec celles qui sont connues sous le nom
de poliomyélite aiguë, et si nous tenons ces dernières pour une lésion
systématique, nous devons faire de même pour le processus morbide
de notre cas; s'il en est ainsi, nous pouvons dire que cette région du
cerveau est susceptible de lésion systématique non seulement dans
la forme chronique, mais aussi dans la forme aiguë. »
CONCLUSIONS
De l'étude qui précède nous croyons pouvoir tirer les conclusions
suivantes :
1° L'ophthalmoplégie externe d'origine nucléaire est comparable à
tous égards à la paralysielabio-glosso-laryngée; expression d'une alté-
ration systématique limitée des noyaux moteurs, elle mérite bien le
270 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
nom de paralysie bulbaire supérieure proposé par M. le professeur
1 Charcot, qui réserve à la paralysie labio-glosso-laryngée le nom de pa-
ralysie bulbaire inférieure.
2° Toute curable qu'elle soit dans certains cas, la paralysie double
de la musculature extérieure de l'oeil entraîne néanmoins un pronostic
i réservé que justifie la complication éventuelle de la paralysie labio-
glosso-laryngée. -
t. 3° La poliencéphalite totale, produite par une altération de toute la
lïl^LUA}> colonne motrice bulbo-protubéranticlle; débute ordinairement par la
^jjs- «Un-1^ paralysie bulbaire supérieure, c'est-à-dire par l'ophthalmoplégie. Il est
, ' exceptionnel de voir cette dernière compliquer la paralysie bulbaire
; inférieure.
4° De même que la paralysie labio-glosso-laryngée (poliencéphalite
' inférieure) vient parfois compliquer l'atrophie musculaire du type
, Duchenne-Aran (poliomyélite antérieure chronique), de même l'oph-
thalmoplégie externe (poliencéphalite supérieure) peut se combiner à
une amyotrophie plus ou moins généralisée, à marche ◀tantôt▶ subaiguë,
◀tantôt▶ lente et progressive, donnant ainsi naissance à ce qu'on appelle
i la polioeacéplzaLomélite. ! 5° L'absence de troubles de la sensibilité, de paralysie de la vessie ou
1 du rectum, la perte des réflexes, la présence de contractions fibrillaires
' dans les muscles atrophiés ou en voie d'atrophie, les caractères en un
', mot de l'amyotrophie, joints au facies cl'Hutclaizsoz permettent d'af-
J ! firmer le diagnostic. L'absence de réaction de dégénérescence, plu-
sieurs fois constatée et sur laquelle nous nous sommes suffisamment' ! expliqués, n'est pas faite pour écarter le diagnostic de lésion spinale
l ' et, à plus forte raison, pour admettre celui de névrites périphé-
riques.
1 G° L'amyotrophie se présente ◀tantôt▶ avec les caractères du type Du-
chenne-Aran (poliomyélite antérieure chronique), ◀tantôt▶ avec ceux du
type clinique de la paralysie spinale antérieure subaiguë.
1 7° Quelle que soilla forme de polioencéphalomyélite, subaiguë ou chro-
j nique, le début peut avoir lieu presque indifféremment par l'ophthal-
moplégie ou par l'atrophie musculaire.
t 8° C'est une affection des plus graves qui entraîne la mort ou fait
¡ du malade un véritable infirme : il n'existe jusqu'ici aucun cas de gué-
rison définitive. Son étiologie ne peut être précisée.
, GEORGES GUINON, EMILE PARMENTIEH,
1 Clief de clinique^à li Salpdtcière. Interne (médaille d'or des hôpitaux).
t
VVELLE Iconographie DE la Salpêtrière T. ¡Va PL. XXV
Cliché X. PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne do LONGULT
RHUMATISME NOUEUX INFANTILE. NODOSITÉS D'HEBERDEN.
IDIOTIE.
Lecrosnier & BABÉ
éditeurs
UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE
INFANTILE
rhumatisme d'heberden, rhumatisme NOUEUX
, arrêt DE développement, IDIOTIE
Tout récemment, en visitantlapetiteplage deSaint-Vaast-La Hougue
(Manche), nous avons rencontré un cas remarquable de rhumatisme
chronique déformant chez un jeune mendiant, appelé par les gens du
pays le petit idiot (Pl. XXV.)
L'apparition précoce de son rhumatisme (à l'âge de deux ans), la
coexistence chez un si jeune sujet de la forme noueuse et des nodosités
d'IIeberden, enfin son arrêt de développement osseux et surtout le
degré peu avancé de son intelligence, toutes circonstances, extrême-
ment importantes au point de vue étiologique et pathogénique nous
ont paru dignes d'être relevées.
Voici donc son observation et les reproductions photographiques
que nous devons à l'obligeance d'un aimable touriste de Rennes, M. de
Mire.
Louis-Legagneur, dix-neuf ans et demi, sans profession, mendie dans
les rues de Saint- Yaast, et appartient à une famille de cultivateurs
honnêtes et travailleurs. Le père se plaint surtout de douleurs articu-
laires, pour lesquelles il est souvent obligé de garder le lit pendant
plusieurs jours; il n'a pas de déformations. La mère dit être bien por-
tante, elle a eu sept enfants, dont trois sont morts jeunes (une fille
morte onze ans de méningite, un garçon de sept ans mort également
de méningite et un garçon mort à six ans d'une fluxion de poitrine),
et quatre sont vivants.
Parmi ces quatre enfants, trois (deux filles et un garçon) sont bien
portants, travaillent la terre et n'ont jamais eu de maladie. Le quatrième,
c'est le petit idiot, qui est malade depuis le moment où il a été sevré.
C'est alors (à l'âge de un an) qu'il eut de l'entérite, durant à peu près
six mois; et consécutivement une série de manifestations strumeuses,
pendant toute son enfance, jusqu'à l'âge de la perbuté (on retrouve
encore sur les mains et les jambes les traces indélébiles d'éruptions
successives et presque continuelles d'ectyma). Mais parallèlement à
272 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
cette évolution scrofuleuse, le malade subit, à partir de l'âge de deux
ans, les atteintes de ladiathèse rhumatismale. Tous les hivers les articu-
lations des mains et des pieds, de même que les grandes jointures des
membres inférieurs, étaient le siège de douleurs, gonflement et immo-
bilité, presque permanente. Obligé par cet état à rester couché dès sa
plus tendre enfance, son développement osseux ne s'effectua que tar-
divement et d'une façon vicieuse et asymétrique. Il n'a pas eu de rachi-
tisme, car il n'en présente pas les indices actuels, et pourtant il n'a
commencé à marcher que vers l'âge de cinq à six ans.
Son intelligence a subi également un arrêt de développement. Il a
un peu de mémoire, saisit assez bien tout ce qu'on lui dit, sait lire et
écrire. Mais c'est à peu près tout, car, sans être absolument idiot, il
est très arriéré pour son âge : allure, conversation, raisonnement et
instinct, tout trahit chez lui l'être imparfait et une intelligence très
rudimentaire.
La forme de sa calotte crânienne est pointue, très déprimée du côté
de l'occiput et un peu du côté du front. La figure est asymétrique, le
côté droit étant plus allongé et plus élargi que le gauche, les
arcades sourcilières ne sont pas au même niveau, les ailes du nez
inégalement développées.
En même temps il y a un certain degré de retrait du maxillaire infé-
rieur, dont l'arcade dentaire est dépassée par la supérieure d'à peu
près 4 à millimètres. La lèvre supérieure est aussi plus grosse que
l'inférieure et surplombe celle-ci d'une façon très évidente'.
Les yeux présentent un strabisme convergent très accusé. Toutes
ces particularités donnent à la face du malade un aspect caractéris-
tique, qui devient absolument simiesque dès qu'il essaye de rire ou de
pleurer; car le développement des grimaces ne se fait pas chez lui
d'une façon égale pour chaque côté de la figure.
Le malade ne mesure que lm40 de hauteur. Le tronc présente
une conformation assez normale, il a même des pectoraux assez déve-
loppés, mais il y a chez lui une dépression sternale des plus marquées
(comme celle des cordonniers). Pas de chapelets rachitiques. Pas de
pachydermie. ,
Membres supérieurs. - Bras et avant-bras normaux; pas d'atrophie
musculaire.
(1) C'est déjà pour la troisième fois que nous avons l'occasion do trouver dans le
rhumatisme noueux cette atrophie du maxillaire inférieur, et sans vouloir donner une
explication pathogénique, nous ne ferons ici qu'un simple rapprochement de ce fait avec
les atrophies du maxillaire inférieur, que M. Vallin avait signalées en 1878 chez les tahé-
tiques (Ga7. heGrl., 1878), et avec les maxillaires inférieurs des idiots myxoedémateux, que
M. Bourneville donne dans son dernier mémoire comme très rétrécis, mentons petits et
cachés sous la lèvre inférieure (Progrès médical, 1890, u" 2G, 27, 30, 33, 38).
UN CAS DE RHUMATISME CHRONIQUE INFANTILE. 273
Main gauche. - Epiphyses supérieures du second métacarpien et de
la phalange du pouce augmentées de volume.
Lucation et flexion exagérées de l'articulation métacarpo-phalan-
gienne du pouce, maintenues du côté palmaire par une rétraction
tendineuse du long fléchisseur propre du pouce.
Ankyloses complètes et incomplètes au niveau des articulations pha-
lango-phalanginiennes des autres quatre doigts.
Nodosités d'Heberden au niveau des deux épiphyses phalanginiennes.
Atrophie notable et raccourcissement de presque toutes les phalan-
gettes.
Ongles rudimentaires, durs, cassants et rayés.
Certain degré de rétraction de l'aponévrose palmaire.
Main droite. - Ankyloses complètes ou incomplètes de toutes les
articulations phalango-phalanginiennes.
Nodosités d'He6erdezz à toutes les epiphyses phalanginiennes sans
exception.
Léger degré de flexion des articulations phalangino-phalangelliennes
des quatre derniers doigts.
Atrophie osseuse de toutes les phalangettes.
Ongles rudimentaires et rayés. Même rétraction de l'aponévrose pal-
maire comme à gauche.
Les mouvements d'opposition sont presque impossibles aux deux
mains; la préhension est également très défectueuse.
Membres inférieurs. - Fémur droit 37 cent. et demi, fémur gauche
36 cent. Tibias très courts par rapport à la longueur des fémurs.
La démarche défectueuse est due très probablement à l'inégalité
des deux membres, de même qu'aux déformations des orteils (pas
d'atrophie musculaire, réflexes normaux, sensibilité idem).
Il y a des deux côtés un certain degré de pied plat. Les deux gros
orteils présententdes craquements articulaires, les autres quatre orteils
des deux pieds sont considérablement atrophiés, les ongles ne sont
représentés que par des points rudimentaires.
Le malade dit avoir encore souvent des douleurs passagères dans
les articulations des genoux; et pendant l'hiver, les articulations des
doigts seraient également douloureuses.
Il a souvent des engelures sur les mains et des éruptions ectyma-
teuses et impéligineuses.
L. DI.UL\NTBERGER,
DE L'EXAMEN MORPHOLOGIQUE
CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS' 1
(Suite et fin)
II
Sommaire. De la tôle (suite). 11 : Face. Ses limites, caractères descriptifs, in-
spection et palpation. Prosopométrie : instruments, points de repère, princi-
pales mensurations. Indications fournies par cet examen.
Au point de vue anatomique, la face est la partie comprise entre
l'ophryon et le menton dans un sens, et dans l'autre entre les deux
arcades zygomatiques.
Comme celui du crâne, l'examen de la face comporte trois procédés :
l'inspection et la palpation (caractères descriptifs) et la mensuration
(prosopométrie).
10 Inspection de la face. Elle se fait suivant deux plans ala norma
alerter et la norma lateralis. La première nous montre tout d'abord
l'expression générale de la physionomie en rapport avec l'état ou l'alté-
ration des facultés. Nous aurons l'occasion à propos de chaque forme
en particulier d'étudier en détail les différents masques de l'aliénation.
On peut par ce même procédé se rendre compte du volume de la face
qui, d'une façon générale, varie en raison inverse de celui du crâne.
Très développée chez les microcéphales, la face est petite chez les
hydrocéphales, comme ratatinée chez les crétins. De même, on
jugera ainsi de la forme du visage, ronde, ovoïde, de la forme des
yeux, du nez, de la bouche, du développement des arcades zygoma-
tiques, de la largeur de la mandibule, de la régularité ou de l'asymé-
trie de la face. L'asymétrie faciale est fréquente en effet et parfois très
accentuée chez nos malades.
Faite de profil (norma lateralis) l'inspection servira encore à nous
renseigner sur la forme et le volume de la face en nous permettant
1. Voy. le ne 7, 1891.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 275
surtout de juger du développement de la mâchoire inférieure, et de
l'existence possible du prognathisme.
. D'une façon générale, le prognathisme est l'allongement ou la proé-
minence des mâchoires. Il est double et complet lorsque les deux
mâchoires ainsi que les dents se portent en avant et que par consé-
quent le menton recule. Il est simple et partiel suivant qu'il est maxil-
laire ou alvéolo-dentaire, sur les deux ou sur une seule mâchoire.
Quelques auteurs ont cherché à donner au mot prognathisme une signi-
fication plus générale, celle de développement de la totalité du.maxil-
laire supérieur par rapport à la base du crâne cérébral. C'est alors le
prognathisme facial qui se mesure sur le vivant en calculant l'angle
facial de Camper au moyen du goniomètre facial médian de Broca;
nous y reviendrons tout à l'heure.
Je dois à ce propos vous mettre en garde contre l'existence du pro-
gnathisme artificiel dû à la pression de la langue sur les incisives
(Hamy); ce fait est très fréquent chez les crétins.
Je vous signalerai encore une déformation faciale qui se rapproche
du prognathisme et qui consiste dans un allongement de la mandibule
tel, que le menton et les dents inférieures se trouvent sur un plan
très antérieur à celui du maxillaire et des dents supérieures. Le déve-
loppement de la mandibule se rencontre assez souvent chez nos
malades (idiots, débiles, etc.) etcertains auteurs y attachent une grande
importance (Lombroso) `. Sur la mandibule, vous pourrez encore ren-
contrer une anomalie dite atavique, l'aphophyse lémurienne d'Albrechl,
saillie de l'angle de la mâchoire sur le bord inférieur.
L'inspection de la face comporte également l'examen des organes
des sens, mais cet examen est assez important pour faire l'objet d'une
étude spéciale dans notre prochaine réunion.
2° Palpation de la face. - La palpation nous renseignera sur le
développement des saillies osseuses et sera surtout utile pour nous per-
mettre de dire si, dans les cas d'asymétrie faciale, cette asymétrie est.
due aux parties molles (hémiatrophie faciale, démence hémiplégique)
ou aux parties osseuses. Ces dernières asymétries dues à un développe-,
ment anormal des os de la face ou à des synostoses prématurées des
sutures de la base du crâne sont de beaucoup les plus importantes. Ce
sont celles que Lasègue avait regardées comme caractéristiques de
l'épilepsie dite essentielle.
3° Mensuration de la face. -Les instruments nécessaires sont : 1° le
compas-glissière de Broca, sorte de compas d'épaisseur à branches
1. Lombroso, l'llomme criminel et Progrès de l'Anthropologie criminelle.
276 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
droites, analogue à l'esthésiomètre, et qui sert à mesurer la hauteur
et la largeur de la face (Hg. 5G); 2° Le goniomètre facial médian
oblique de Broca ou la double équerre pour prendre l'angle facial.
Les points de repère à connaître sont les suivants :
Sur la ligne médiane,
a. L'ophryon.
b. Le point mentonnier au milieu du bord inférieur de la mandibule.
c. Le point sous-nasal à la jonction de la cloison avec la lèvre supé-
rieure.
d. Le point alvéolaire au niveau du point d'implantation des deux
incisives supérieures. ,
Sur les parties latérales,
e. Le point zygomatique au niveau de la partie la plus saillante de
l'arcade zygomatique.
f. Le point auriculaire au centre de l'orifice externe dutrou auditif.
A l'aide de ces points de repère vous prendrez les mesures suivantes :
1° Le diamètre bizgonzatiq2ve ou facial transverse maximum, en
appliquant les pointes du compas glissière sur les points les plus sail-
lants de l'arcade zygomatique.
2° La hauteur du visage, en appliquant une pointe du même compas
à la racine des cheveux et l'autre au point mentonnier (on devra se
méfier pour cette mensuration de la possibilité d'une calvitie commen-
çante).
De même que pour le crâne, ces deux mensurations vous donneront
un indice, l'indice du visage, qui s'obtiendra en multipliant le diamètre
bizygomatique par 100 et en divisant ce produit par la hauteur faciale.
C'est ce qu'indique la formule suivante :
Fig. 56. - Compas-glissièro.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CIIEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 277
3° La longueur faciale supérieure ou distance ophyo-alvéolaire, qui
s'obtient en plaçant une pointe de compas glissière à l'ophryon et
l'autre sous la lèvre supérieure, au niveau du point alvéolaire. Cette
longueur multipliée par 100 et divisée par le diamètre bizygomatique,
donnera l'indice facial, d'après la formule suivante' :
.10 L'angle facial. C'est l'angle formé par la rencontre de la ligne
faciale (ophryo-dentaire) allant de l'ophryon au point sous-nasal avec
la ligne auriculo-den taire (plan de Camper) qui est horizontale, paral-
lèle aux axes visuels et allant du point sous-nasal au point auriculaire.
Cet angle peut se mesurer au moyen du goniomètre facial médian
oblique de Broca (Cig. 57). Cet instrument se compose de deux parties :
(1) Un moyen mnémotechnique pour retenir les formules des indices est de se rappeler
que c'est toujours la mesure la plus gnuido qui est prise comme dénominateur.
Fig. 57. Goniomètre facial médian oblique de Broca.
278 NOUVELLE ICONOCKAl'iUË DE LA SALPÊTRIÈRE.
la base, formée d'une lame d'acier élastique représentant la ligne anri-
culo-dentaire et portant à chaque extrémité un petit tourillon mobile
et sur le milieu un cadran gradué ; l'indicateur, composé d'une tige
représentant la ligne faciale, portant un curseur et terminée par une
aiguille disposée obliquement. Pour calculer l'angle facial, on place la
lame d'acier élastique sur la lèvre supérieure, le milieu qui porte l'arc
gradué correspondant au point sous-nasal, et on fixe cette lame en
ajustant les tourillons dans les conduits auditifs externes. La tige de
l'indicateur est placée de telle façon que l'aiguille A corresponde au
point sous-nasal et que le curseur B repose sur l'ophryon.
L'angle facial chez les Européens varie de 80 à 85°.
L'angle facial peut également se mesurer à l'aide de la double
équerre (méthode indirecte) et qui permet en même temps de calculer
le triangle facial de Cuvier (fig. 58).
Cet instrument consiste en une tablette en bois, graduée, portant
du haut en bas un sillon dans lequel s'adapte une équerre horizontale,
également graduée, en millimètres. Sur cette dernière est adaptée une
seconde équerre plus petite, mobile, qui sert à marquer les points de
Fig. 58. - Double équerre.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 270
repère. Le sujet appuie la tête sur la tablette fixée au mur, et regarde
à l'horizon de façon que le plan de Camper, ligne auriculo-sous-
nasal, soit horizontal.
- On peut alors obtenir les éléments principaux des proportions de
la tête :
. 10 La distance OB' du conduit auditif à la planche graduée ou projec-
tion horizontale du crâne postérieur; 2° la distance CB' du point
sous-nasal au même plan ou axe horizontal de la tête; 3° la distance
AB de l'ophryon au même plan ou projection crânienne totale hori-
zontale ; 4" la hauteur BB' ou hauteur sus-auriculaire de l'ophryon.
Pour construire le triangle facial ACO, on tire d'abord la ligne CB'
de longueur connue. A partir de B' on porte au compas une longueur
égale à OB' pour déterminer le point 0 et une seconde égale à AB pour
déterminer le point D. De ce point D, on élève sur BC une perpendicu-
laire sur laquelle on marque au compas une longueur égale à BB' pour
déterminer le point A. Il ne reste plus qu'à tirer les lignes CA et AO
pour avoir le triangle facial de Cuvier ; l'angle ACO de ce triangle sera
l'angle facial de Camper qu'on pourra mesurer au rapporteur.
Ce procédé fournit encore une indication précieuse. En effet, l'axe
horizontal de la tête se trouve ainsi divisé en trois parties qui sont
d'avant en arrière la projection faciale CD, la projection du crâne anté-
rieur DO, la projection du crâne postérieur OB'. La comparaison de
ces trois éléments fournit des résultats intéressants pour le dévelop-
pement respectif des différentes parties de la tête.
En outre le rapport de la projection faciale CD à la hauteur AD
donne l'indice du prognathisme.
Les inconvénients de ce procédé sont que souvent, si le sujet est très
brachycéphale ou bossu, la tête ne peut toucher la muraille sans dépla-
cer le plan horizontal; en outre il exige du sujet une immobilité sou-
vent difficile à obtenir de nos malades. Aussi la mesure directe de
l'angle facial sera-t-elle plus facile avec le goniomètre. Mais dans les
cas où le procédé de la double équerre sera applicable, il a l'avantage,
comme je viens de le dire, de donner le triangle facial et de renseigner
sur les rapports respectifs de la tête.
En résumé, la mensuration des diamètres de la face a pour but de
nous renseigner sur sa forme et son développement; l'indice du visage
faisant connaître la forme générale du visage, allongée ou arrondie,
tandis que l'indice facial au contraire est important pour les compa-
raisons craniométriques.
Quant aux différents types de la face, oi,titon-iiaLliisine,. eurygnatllisme,
prognathisme, ils ont en psychiatrie peu de valeur; seul le progna-
280 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
thisme, lorsqu'il est vrai et très marqué, est important à signaler parce
qu'on l'a regardé alors comme un stigmate d'infériorité. Nous retirons
sa connaissance, comme nous l'avons vu, de l'évaluation de l'angle facial
qui devient de plus en plus aigu à mesure que le prognathisme s'ac-
centue.
III
Sommaire. - Face (suite). Examen descriptif des organes des sens. Pavillon de
l'oreille. Yeux : orhites, paupières, globe de l'oeil. Nez. Bouche :
lèvres, voûte palatine, voile du palais, langue, système dentaire.
C. Organes des sens. Messieurs, l'étude de la tête que nous
avons pratiquée dans notre dernière conférence doit être complétée
par un examen descriptif des différents organes des sens.
1° Oreilles. Pour mieux étudier les déformations du pavillon auri-
culaire, voyons rapidement quelle en est la configuration normale
(fig. 59).
Je ne vous parlerai pas de la situation ni de la forme générale de
l'oreille humaine que vous connaissez tous. Lorsqu'on considère la
face externe du pavillon de l'oreille, ce qui nous frappe à première vue,
c'est le nombre de saillies et de dépressions qu'on y remarque. Les
saillies sont au nombre de quatre : l'hélix, l'anthélix, le tragus, l'anti-
Fig. 50 (d'après Féré et Séglas, in Revue d'nnlropolopie, 1886). - Schéma du papillon
de l'oreille (face externe) :
1, Racine de l'hélix. 2, liélic. 3, Antliélix. 4, Crura furcata. 5, Tragus. G, Anlitragus. -
7, Incisurc intcrtragiennc. 8, Conque. 9, Conduit auditif externe. - 10, Fossette intcrcrurale.-
11, Fossette 5caphoIdc. - 12, Lobule.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. ? S1
tragus; les dépressions au nombre de trois : la conque, la fossette
scaphoïde, la fossette intercrurale.
L'hélix est ce repli saillant qui commence à se dessiner dans la
partie antérieure de la conque au-dessus du conduit auditif externe
(racine de l'hélix) etqui borde ensuite toute la circonférence du pavillon
sauf à la partie inférieure. Son bord libre, recourbé en dedans, doit
être régulier, sans échancrures, ni saillies; il en est de même de la
circonférence.
L'untlzélix borde en arrière la cavité de la conque, faisant face à
l'hélix. A la partie supérieure l'anthélix semble se bifurquer et donne
naissance à deux saillies en forme de fourche (crura furcata), la pos-
térieure verticale, l'antérieure recourbée en avant et formant le bord
supérieur de la cavité de la conque. Ces deux saillies circonscrivent
entre elles une dépression triangulaire à sommet inférieur, la fossette
intercrurale. En arrière de la branche postérieure de la fourche se
trouve une dépression allongée dans le sens vertical et recouverte par
le repli de l'hélix, c'est la fossette scaphoïde.
Le tragus est une saillie triangulaire à sommet postérieur, située au
devant du conduit auditif externe dont il forme le contour extérieur.
Il est séparé en haut de la racine de l'hélix par une échancrure. Au-
dessous et en arrière du tragus se trouve une autre saillie triangu-
laire, à sommet supérieur, l'antitraglls, situé à la partie inférieure de
l'anthélix et sur son prolongement. Il limite en bas et en dehors la
cavité de la conque et est séparé du tragus par l'incisure interlra-
gienne. A l'état normal, le tragus et l'antitragus ne forment pas de
saillie en dehors.
La conque est la grande cavitésituée à la partie moyenne du pavillon
entourée par l'anthélix et la branche antérieure de la fourche, l'anti-
tragus, l'incisure intertragienne et le tragus. A sa partie antérieure
se trouve l'orifice du conduit auditif externe. Le fond de cette cavité
est uni, sauf à la partie antéro-supérieure où se trouve la racine de
l'hélix.
L'extrémité inférieure de l'ovoïde formée par le pavillon est consti-
tuée par le lobule, sorte de masse charnue, musculaire, sensible, ayant
la forme d'un ovoïde aplati latéralement. Libre sur ses deux faces et
en arrière, il se continue en avant avec les ligaments de la face dont il
est cependant distinct par son bord antérieur dans une certaine hau-
leur;-En arrière il se distingue de l'hélix par une sorte de dépression.
La face interne ou crânienne du pavillon offre à l'état normal des
saillies et des dépressions disposées en sens inverse de celles de la
face externe, mais moins marquées.
w. 1. 19
282 t). NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Dans un mémoire fait en collaboration avec notre collègue et ami
le Do Féréi, nous avons étudié en détail les déformations de l'oreille
que nous avons pu rencontrer sur 1,233 sujets. C'est à ce travail que
j'emprunte les documents que je vous expose aujourd'hui.
La situation des oreilles ne subit guère de variations appréciables;
leur direction n'offre à considérer que quelques variations d'obliquité.
Leurs dimensions sont plus sujettes à varier : c'est alors leur exagé-
ration qu'on rencontre le plus souvent. La distance du pavillon au
crâne est très variable, et s'accentue assez parfois pour que l'oreille
prenne la forme d'un entonnoir comme chez les mammifères ou soit
presque perpendiculaire au crâne (oreille en anse).
Quant aux saillies et aux dépressions, il est des cas où, sans présenter
d'anomalies, elles sont plus ou moins exagérées ou effacées. Je vous
signalerai enfin les asymétries des pavillons, asymétries de dimensions,
de forme, d'implantation (de Blainville.)
Dans d'autres cas on a rencontré de véritables irrégularités mor-
phologiques (fig. GO).
Hélix. - La racine de l'hélix, comme nous l'avons vu, forme, à l'état
normal, à la partie antérieure de la conque un contrefort peu saillant
et le fond de la conque paraît plan. Chez certains sujets, cette racine
de l'hélix peut prendre un grand développement, devenir saillante et
se prolonger à travers la conque jusqu'au bord antérieur de l'antllélix
avec lequel elle se confond en formant ainsi le pli transverse de la
conque divisée alors en deux cavités secondaires (Féré et Iluel2,
(1) rcru et Séglas, lievue d'anthropologie, 1886.
(2) Féru et Ilucl, Société de biologie, 1885.
Fig. GO (d'après Féré et SégI.\s., Zoe. ctl.). Déformations multiples de l'oreille.
1, Racine de l'hélix rejoignant ]' : nUhûtt\. 2, Partie supérieure de la conque. 3, Partie inférieure de
la connue. t, Fossette intercriirale. 5, Dédoublement de la branche postérieure de la fourche.
0, Fu..rtte scaphoïde. 7, Nodule de l'hélix qui manque en arrière de la fossello scaphoïde; "<1
racine est très saillante. 8, Absence de lobule. U, Sillon basai. 10, Antilragus rcmergu en
dehors.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 283
Gradenigo1). Nous avons vu cette racine se bifurquer avant de se
souder à l'anthélix.
Certaines lésions pathologiques, telles que l'olhémalome cicatrisé
peuvent simuler cette malformation. Mais dans ce dernier cas, on
rencontre à la face crânienne du pavillon une dépression correspon-
dant à la racine de l'hélix tandis qu'il n'en est pas ainsi dans le cas
d'othématome. '
Nous avons pu constater cette déformation sur un chimpanzé et sur
le moulage d'un macaque du musée Broca.
Dans le reste de son parcours, l'hélix peut présenter encore des
irrégularités. Parfois la partie ascendante seule existe, la partie des-
cendante de la circonférence du pavillon n'est pas ourlée et la fossette
scaphoïde est ainsi à découvert en arrière ou manque. L'oreille est en
quelque sorte déplissée (Morel). D'autre fois, l'hélix présente un déve-
loppement anormal et recouvre la branche postérieure de la fourche
et la fossette scaphoïde. D'autres fois encore, il recouvre en bas la
fossette scaphoïde et se fusionne avec l'anthélix. Chez certains sujets,
le bord libre de l'hélix est comme dentelé et présente des saillies et des
dépressions irrégulières dues à un défaut de développement du bord
du pavillon (Meyer).
Une anomalie plus intéressante est celle qui a été signalée par
Darwin et qui consiste en une saillie développée sur le bord libre de
l'hélix sur la partie postéro-supérieure. C'est le tubercule de Darwin.
Dans les cas assez fréquents où l'hélix se déroule, le tubercule se trouve
rejeté en arrière sur la circonférence même du pavillon qui perd
alors sa forme ovoïde, car l'extrémité supérieure au lieu d'être arrondie,
forme un angle à la partie postéro-supérieure. Il arrive parfois que
cette saillie constitue un nodule mobile, paraissant constitué par un
petit cartilage séparé. Il ne faudra pas le confondre avec les tophus
goutteux développés sur le bord de l'hélix. Pour la majorité des auteurs,
le tubercule de Darwin paraît constituer une déformation atavique
rappelant l'oreille à pointe des mammifères; d'ailleurs chez un grand
nombre de singes, en particulier les babouins et les macaques, on
retrouve aussi l'oreille pointue que l'on rencontre quelquefois chez les
foetus de l'orang et chez les gibbons très jeunes (Hartmann). Chia-
rugi a observé que les deux courants de poils du bord libre de l'oreille
se rencontrent sur le tubercule quand il existe, de même que chez
les animaux les poils sont dirigés vers la pointe. Pour Schwalbe3,
(1) Gradenigo, Giorn. delta ? Acad. di Meil. di Torino, 1889 et ISJO, et Comptes
rendus du Congrès d'otologie de Paris, 1889, p. Mi.
(2) Schwalbe, .\7V° Congrès des neurol. et alién. de l'.111em, dtl S.-0., Analyse in
Archives de neurologie, 1890, p. 56.
281 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
l'oreille darwinienne pointue n'a rien d'atavique, elle émane d'une par-
ticularité normale dans l'espèce humaine, et il dit en avoir constaté
invariablement l'existence chez l'embryon humain de quatre à sept
mois.
Du côté de l'anthélix, outre sa soudure avec la racine de l'hélix,
déjà signalée, on n'observe guère que l'effacement ou plus souvent
l'exagération de cette saillie dépassant alors le plan du pavillon
(Wildermuth, Binder1). -
Les crura furcata, outre leur inclinaison plus ou moins accentuée,
ont parfois une de leurs branches dédoublée, le plus souvent la posté-
rieure et prennent alors la forme d'un trident; par suite il y a deux
fossettes intercrurales. D'autres fois au contraire la branche posté-
rieure disparaît tout à fait, si bien que les fossettes intercrurale et
scaphoïde se confondent.
Le tragus ne présente d'autre fait que d'être plus ou moins saillant;
il en est de même de l'antitragus. Cependant ce dernier peut être
rejeté tout à fait en dehors de telle façon que l'incisure inlertragienne
disparaît et que le bord inférieur de la conque paraît suivre une ligne
régulière. Dans ces cas la racine de l'antitragus forme une saillie dans
l'intérieur de la conque.
Nous avons vu, chemin faisant, les différentes modifications que
pouvaient subir les dépressions ou fossettes du pavillon; elles sont
subordonnées à celles des saillies. Je vous dirai seulement que parfois
l'ouverture du conduit auditif, au lieu d'être ovalaire, se présente sous
la forme d'une simple fente. La cavité de la conque présente des
variations considérables de profondeur et d'étendue en rapport avec
les variétés d'inclinaison et de dimension du pavillon. Cependant- on a
noté chez les aliénés un développement de la conque supérieur à celui
du pavillon surtout dans le sens transversal (Frigerio2).
Le lobule est sans contredit une des parties de l'oreille dont la
conformation varie le plus souvent. Dans certains cas il est très long,
mais plus souvent petit et parfois même absent. Nous avons vu que nor-
malement il était indépendant et soudé seulement la partie supérieure
de son bord antérieur. Or, parfois il arrive que ce bord adhère aux
téguments dans presque toute ou même toute son étendue, ou s'insère
sur la joue à angle aigu. D'autres fois il leur est uni par une sorte de
repli membraneux, il est alors comme palmé. De plus, l'angle posté-
rieur qu'il forme avec l'hélix peut s'effacer, il est alors indistinct. Dans
d'autres cas on peut constater aussi à la base du lobule la présence
(1) l31nder, Arch. ? Psych., vol. XX, Heft 2.
(2) Frigerio, Arch. d'anlhrop. criminelle, 1888.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 285
d'une dépression transversale faisant suite au sillon qui sépare l'hélix
de l'anthélix et placée entre le lobule et l'antitragus qui est le plus
souvent alors renversé en dehors; en même temps le lobule est très
peu développé et membraneux. Lorsque le lobule manque complè-
tement, le sillon qui sépare l'hélix de l'anthélix se continue souvent
en diminuant de profondeur jusqu'à l'insertion antérieure du pavillon
de l'oreille et semble prolonger ainsi la fossette scaphoïde. Quelque-
fois le lobule est bien développé et charnu, mais adhérent, et se dévie
de manière à présenter sa face externe en avant.
Telles sont les principales variations morphologiques du pavillon
de l'oreille. Souvent, comme je vous l'ai déjà dit, elles ne sont pas
symétriques, moins marquées ou absentes d'un côté. D'après les
recherches faites avec M. Féré, ce serait toujours du côté gauche qu'on
les trouverait le plus marquées. Cette particularité a été également
notée par Amadei et par Tonnini'. Au contraire Gradenigo les a notées
plus fréquemment à droite, à l'exception cependant des oreilles en
anse.
Quant à la signification de ces différentes anomalies, il est bien
difficile de se prononcer à ce sujet; beaucoup d'entre elles se rencon-
trent fréquemment chez les anthropoïdes et les singes (absence d'hélix,
tubercule de Darwin, absence d'une branche de la fourche, absence du
lobule, exagération de la racine de l'hélix). Mais les auteurs ne sont
pas d'accord pour savoir lesquelles doivent être rattachées à l'atavisme
ou à la dégénérescence; il n'est même pas, comme vous l'avez vu,
jusqu'à l'oreille darwinienne dont la- signification ne soit contestée.
Quoi qu'il en soit, je vous dirai que, d'après ce que j'ai pu voir avec
M. Féré, c'est que si les malformations du pavillon de l'oreille sont
plus fréquentes chez les épileptiques et surtout chez les idiots, elles ne
sont pas notablement plus fréquentes chez les aliénés que chez les
sujets sains d'esprit. Aussi suis-je tout disposé à me montrer de l'avis
de Schvalbe lorsqu'il dit que, pour qu'une étude statistique compara-
tive des oreilles dites dégénérées chez les individus sains et les aliénés
acquière de la valeur, il faut : 1° qu'on classe les diverses formes
d'oreilles en prenant pour base l'anatomie comparée et l'embryologie;
2° que l'on établisse la statistique des diverses formes d'oreilles obser-
vées dans la population normale du réseau d'où proviennent les
aliénés considérés.
Yeux. Du côté de l'oeil on peut rencontrer des variations nom-
breuses dont quelques-unes sont importantes à connaître. Dans
(1) Tonnini, Deettera ? ione et primilivila (.\ l'cI/. ilal per le mal. nen-), janvier et
mars 1890.
286 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
l'orbite, on pourra noter parfois une saillie exagérée des arcades orbi-
taires, le rapprochement ou l'écartement très accentué des deux cavités
orbitaires. Du côté des paupières, la fente palpébale est plus ou moins
étroite, plus ou moins rectiligne. Vous savez que dans certaines
races, l'oeil revêt un aspect particulier, je veux parler de l'oeil dit
mongolique. Ses caractères peuvent se résumer ainsi : « Il est petit,
un peu oblique, sa commissure externe est effilée et comme pincée,
sa commissure interne est masquée par une bride verticale saillante,
les deux paupières sont comme bouffies et la supérieure semble
dédoublée transversalement. » (Topinard.) Diverses explications en ont
été proposées; la plus soutenable, généralement acceptée, est celle de
Metchnikow attribuant 'les caractères de l'oeil mongolique à la per-
sistance d'un état foetal. -Ces caractères de l'oeil mongolique se ren-
contrent parfois chez les Européens et l'état congénital particulier,
décrit sous le nom d'épicanthus, n'est autre que la bride mongolique.
Je vous signalerai aussi quelques vices de conformation des paupières
dont vous aurez à faire le diagnostic étiologique au point de vue de
l'origine acquise ou congénitale tels que : absence, coloboma des pau-
pières, adhérences au globe oculaire, trichiasis, entropion dû dans
le cas d'origine congénitale à l'absence des cartilages tarses. Quant aux
troubles fonctionnels, blépharospasme, ptosis, etc., je n'ai pas à y
insister actuellement.
Du côté de la conjonctive, on peut rencontrer parfois une injection
très grande comme dans les races noires, et un rudiment de la troi-
sième paupière, trace de la membrane clignotanle des oiseaux, et
affectant la forme d'un simple repli semi-lunaire recouvrant la caron-
cule, comme chez les mammifères supérieurs, comme difformités
congénitales de la conjonctive.
On peut également observer des taches pigmentaires ou érectiles,
des dermoïdes. On a signalé aussi le plérygion congénital (Wardrap,
Beer).
Le globe de l'oeil peut être plus ou moins saillant. Cette saillie ne
tient pas tant aux dimensions mêmes du globe de l'oeil qu'à la dispo-
sition des parties voisines, par exemple l'ouverture de la fente palpé-
brale, la dimension de l'intervalle orhitaire. En tout cas ce détail
mérite de fixer l'attention, car il met souvent sur la voie du diagnostic
d'une maladie qui se rencontre assez souvent chez nos malades, je
veux parler du goitre exophthalmique. D'autre part on a signalé chez
les idiots l'anoplltllalmos congénital.
La cornée peut être altérée congénitalement soit dans ses dimen-
sions qui sont trop petites (microplltllalmie) ou exagérées (hydro-
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 287
phthalmie); soit dans sa forme (anomalies de courbure et astigma-
tisme) ; soit dans sa transparence (opacités congénitales, arc
juvénile). Je vous signalerai d'autre part la présence de l'arc sénile
de la cornée chez quelques-uns de nos malades peu avancés en âge.
Les difformités de l'iris peuvent être acquises et consécutives à
un traumatisme accidentel ou chirurgical, ou à une inflammation du
diaphragme oculaire. Il y en a d'autres qui sont congénitales et c'est
de celles-là seules dont il sera question ici. Telles sont l'absence
congénitale totale ou partielle de l'iris (iridérémie), le coloboma ou
division congénitale de l'iris, l'existence de plusieurs ouvertures à
l'iris (policorie), la situation anomale de la pupille (corectopie), l'irré-
gularité de la pupille (discorie), l'imperforation de l'iris (acorie), la
persistance de la membrane pupillaire de Wachendorff après la nais-
sance pendant quelques années (Wrisberg), ou même toute la vie
(Cheselden), les anomalies de coloration (taches pigmentaires, albi-
nisme), les asymétries de l'iris (stigmate iridien de Féré 1) pouvant
porter soit sur la coloration de l'iris, soit sur la forme, soit sur les
dimensions de l'ouverture pupillaire. Cette dernière, inégalité pupil-
laire congénitale, est importante à retenir, car elle est fréquente
chez nos malades, en dehors même de tout symptôme de paralysie
générale dont elle n'est nullement caractéristique.
Du côté du cristallin je vous signalerai seulement les cataractes
congénitales et l'ectopie congénitale du cristallin : et même les cata-
ractes spontanées dont la constatation est souvent utile pour le dia-
gnostic (goutte, albuminurie, diabète, sénilité précoce).
Enfin l'examen des parties profondes par l'ophthalmoscope, outre
qu'il pourra donner des notions pour le diagnostie de lésions papil-
laires symptomatiques d'affections coexistantes avec la folie (ataxie
locomotrice, sclérose en plaques), décèlera parfois des anomalies
congénitates telles que la décoloration de la choroïde, le coloboma de
la choroïde et de la rétine, la persistance de l'artère hyaloïdienne,
l'implantation anomale de l'artère centrale de la rétine.
Nez. Du côté du nez, il faut noter l'enfoncement ou la saillie de
la racine du nez, la forme du profil du nez, droit, convexe, concave ou
sinueux. La base du nez, regardée en dessous, peut être plus ou moins
écrasée et nous offre à considérer la forme et la disposition des narines
elliptiques, allongées et parallèles dans le sens antéro-poslérieur, ou
transversales et bout à bout, ou plus ou moins rondes et accolées. La
quantité dont elles sont cachées ou découvertes sur le côté est également t
(I) Téré. Progrès médical, 1886, p. 803.
288 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -
à considérer, ainsi que leur mobilité. Tout est harmonique dans les
variations du nez : aussi l'indice nasal du vivant traduit-il les grandes
distinctions. Cet indice est le rapport de la largeur maxima du nez à
sa hauteur prise verticalement de l'épine nasale à la racine du nez.
Suivant le chiffre de cette indice nasal, les individus se classent en
trois groupes : platyrhiniens, mésorhiniens, leptorhiniens. Pour ce der-
nier groupe qui ne comprend que des individus de race blanche,
l'indice nasal est de 63 à 69.
Les difformitôes du nez sont fréquentes chez nos malades ; elles
peuvent être acquises (chutes chez les épileptiques) ou congénitales.
Parmi ces dernières, je vous citerai l'absence de l'organe (Maisonneuve),
son volume exagéré, l'aplatissement extrême de la racine, la déviation
de la pointe en haut, la division congénitale, la déviation latérale con-
génitale ; pour les narines, la déviation de la cloison et le rétrécisse-
ment ou même l'oblitération congénitale des narines.
Bouche. L'examen de la bouche est un des plus importants et ne
doit jamais être négligé chez nos malades; il comprend l'examen des
lèvres, de la voûte palatine et du voile du palais, de la langue, des
mâchoires, des dents.
Pour les lèvres, vous noterez d'abord la forme et la grandeur de
l'ouverture buccale, sa direction, la déviation possible d'une commis-
sure (asymétrie congénitale, contractures on paralysies de causes
diverses), la saillie totale et la proéminence relative des deux lèvres,
le degré d'occlusion de la bouche, laissant écouler la salive (stupeur,
démence, idiotie). Vous pourrez rencontrer parfois une atrésie par-
tielle, congénitale ou accidentelle, de l'orifice buccal (phimosis labial),
l'hypertrophie des lèvres ou au contraire une atrophie plus ou moins
prononcée laissant les dents à découvert; le renversement en dehors
(ectropion) surtout de la lèvre inférieure dû le plus souvent à une para-
lysie del'orbiculaire (idiots, paralytiques); l'exstrophie de la lèvre supé-
rieure dont le bord libre est renversé en dehors et laisse voir derrière
lui un bourrelet transversal formé par la muqueuse (lèvres doubles).
Enfin un vice de conformation très fréquent est le bec-de-lièvre avec
toutes ses variétés (inférieur, supérieur, commissural, simple ou com-
plexe).
Sur la voûte palatine vous pourrez rencontrer également des fissures
plus ou moins étendues, sa forme asymétrique, sa profondeur exagérée
sa disposition ogivale.
Pour le voile du palais, vous pourrez constater sa division congéni-
tale plus ou moins complète, parfois la simple bifidité de la luette, ses
déviations congénitales ou acquises (paralysies de causes diverses).
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 289
Du côté de la langue, outre les déviations paralytiques, le tremble-
ment, vous pourrez trouver des cicatrices par traumatismes (épilepsie)
ou d'affections accidentelles, en particulier la syphilis dont les mani-
festations buccales sont toujours à rechercher avec soin.
Du côté des mâchoires outre le prognathisme dont je vous ai déjà
parlé, vous examinerez l'asymétrie des arcades dentaires, le degré
d'écartement ou de rapprochement (atrésie) des deux moitiés de cha-
cune d'elles, leur forme ellipsoïde ou très fréquemment sinueuse.
Nous arrivons ensuite à l'étude des dénis. Il y a à considérer dans
l'étude des dents la dentition et la denture.
La dentition est une fonction de développement qui comprend la
formation des dents, leur éruption et l'évolution du système dentaire.
La denture est l'état du système dentaire au moment de l'observa-
tion.
En ce qui concerne la dentition, ce sera surtout la recherche des
anamnestiques qui pourra vous renseigner sur l'époque de l'éruption
successive des dents, sur les accidents qui ont pu l'accompagner. Cepen-
dant l'examen actuel, surtout chez des sujets jeunes, peut vous rensei-
gner sur des anomalies d'éruption. C'est ainsi qu'elle peut être précoce,
et certains idiots ont, tout comme Louis XIV et Mirabeau, des dents
à leur naissance (Bourneville). D'autres fois elle est très tardive et les
dents de la première dentition chez certains individus peuvent persister
très longtemps. Ces anomalies d'éruption ont souvent fait croire à
l'existence de dents surnuméraires ou à une troisième dentition. Au
point de vue de la dentition, il est utile de signaler le moment de l'ap-
parition de la dent de sagesse qui se fait entre dix-huit et vingt-cinq
ans. Il est bon de vous rappeler que pour certains auteurs cette dent
est chez l'homme un organe en voie d'atrophie et que son absence, le
retard de son apparition, son peu de développement, sa caducité ont
été regardés comme plus particuliers aux races supérieures (Darwin,
Mantegazza).
Pour l'observation de l'état actuel du système dentaire, la denture,
je vous rappellerai brièvement que chez l'adulte les dents sont de
quatre espèces, se succédant pour chaque demi-arcade dans l'ordre
suivant : deux incisives, une canine, deux prémolaires, trois molaires :
soit trente-deux dents en tout. Ces dents sont numérotées à partir de
la ligne médiane. Pour leur forme, les incisives sont tranchantes, la
cauine conique, la couronne des prémolaires pourvue de deux tuber-
cules (bicuspidées), celle des molaires de plus de deux, généralement
de quatre tubercules (multicuspidées). Dans la première dentition, il n'y
a pas de prémolaires et il n'y a que deux molaires par demi-arcade.
290 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
La formule dentaire (Blainvillc) est la notation du nombre des dénis
par demi-arcades ; la voici pour l'adulte :
2-2 => t) 2-2 3-3
Ine. 2-2 ^ Can, 1-1 PI'Onl. 2-2 Mol. ^- 1 = 32.
Le numérateur représente la mâchoire supérieure et le premier
chiffre il partir de la gauche se rapporte à la demi-arcade droite.
L'état du système dentaire doit être examiné au point de vue de ses
anomalies et des troubles pathologiques. Cette élude dans ses rapports
avec la psychiatrie n'a guère été faite complètement que par M. Bour-
neville1 ou ses élèves9. Mais de nombreux documents existent sur la
question même des anomalies dentaires et dont le principal est sans
contredit le travail de M. Magitol3.
Les anomalies de l'appareil dentaire' sont d'espèces très variées
(fig. 61 et C2) : ce sont :
'1° Des anomalies de formes, telles que la dent est parfois méconnais-
sable ; parfois tout se réduit à une augmentation du nombre des tuber-
cules des molaires : cela est surtout à noter pour la dent de sagesse
qui, normalement, en a moins que les autres molaires.
2° Des anomalies de volume de deux dents homologues ou de plusieurs
dents d'une même série qui peuvent être très petites (nanisme) ou
extrêmement développées (géantisme). Quant au volume relatif des
différentes dents de même espèce, il doit décroître à partir de la ligne
1. Ilourneville, Journal des connaissances médicales 1862 et 1863.
2. )Il' Sollier, Thèse du doctorat, Paris 1887.
3. Magitot, Traité des anomalies du système dentaire chei l'homme el les mammifères.
Fig. Gt et 02. Anomalios denlaiecs multiples (D'après la thèse de ;1 ! ^, Sollier, pages 20 et z).
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 291
médiane, sauf pour les incisives inférieures (loi de décroissance).
3° Des anomalies du nombre frappant le plus souvent les incisives ou
les molaires, telles que l'absence d'une ou plusieurs dents, générale-
ment l'incisive latérale ou la dent de sagesse en haut, ou la dent de
sagesse, la prémolaire, les incisives médianes en bas. Jamais on n'a vu
manquer la canine. D'autres fois c'est une augmentation numérique.
Alors les nouvelles dents sont dites supplémentaires si elles sont bien
rangées : cela serait une anomalie réversive (Darwin) : il s'agit le plus
souvent d'une quatrième molaire. Ou bien, et c'est le cas le plus fré-
quent, elles sont mal rangées soit en avant, soit en arrière près des
incisives; elles sont dites alors surnuméraires. Souvent des dents de la
première dentition persistent avec celles de la première dont elles aug-
mentent le nombre, et constituent alors de fausses dents sltrnnmé-
rmres.
4° Des anomalies de siège (hétérotopie) ; la dent est placée hors de son
siège normal et implantée soit sur le rebord alvéolaire, soit sur la voûte
palatine.
5° Des anomalies de direction qui peuvent porter sur des dents
isolées (antéversion, rétroversion, rotation sur l'axe) ou sur l'ensemble
des dents. Dans ce dernier cas elles peuvent être semblables aux deux
mâchoires, ce qui constitue le prognathisme dentaire ou l'opisthogna-
thisme, ou se présenter en sens inverse sur chaque mâchoire (antéver-
sion el. rétroversion).
6° Des anomalies de disposition telles que les réunions anormales
de dents simulant la dent composée des herbivores ou les divisions
anormales par séparation des tubercules et des racines comme chez les
lémuriens (anomalies réversives); les dispositions vicieuses par atrésie
des maxillaires, écartement des dents par augmentation des mâ-
choires, c'est le diaslème; qui se présente le plus souvent entre
l'incisive et la canine en haut, la prémolaire et la canine en bas.
Cette disposition, normale chez le singe, s'observe aussi dans certaines
races inférieures. Enfin je vous signalerai aussi l'engrènement des cou-
ronnes quand les mâchoires sont fermées, ou l'absence d'adaptation
des dents chevauchant ou laissant parfois entre les deux arcades des
espaces vides (articulation défectueuse).
7° Des anomalies de structure : la plus importante est l'érosion
(Parrot, Fournier) avec toutes ses variétés, terme impropre, car il
s'agirait là d'une lésion de développement '.
1. M. )e D' Crnet, qui a ou l'occasion d'observer, au point de vue du système dentaire, un
grand nombre d'idiots et d'épilcptiques à Ricetre et à la Salpêtrière, considère que les
anomalies n'ont, au point de vue qui nous occupe, de valeur que par leur ensemble et
292 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Telles sont, avec les anomalies de l'éruption que nous avons vues tout
à l'heure, les principales variétés d'anomalies dentaires.
Quant aux accidents pathologiques qui affectent le' plus souvent le
système dentairechez nos malades, c'est d'abord la carie dentaire pré-
coce (idiots, imbéciles, morphinomanes [Combes]); l'ébranlement ou
les fractures des dents (épileptiques). L'usure des dents est fréquente
chez les paralytiques généraux qui ont du mâchonnement; enfin il
n'est pas rare d'observer des mutilations des dents chez les idiots ou
les mélancoliques.
IV
Sommaire. - Tronc et membres : anthropométrie : instruments, points de
repère. - Caractères descriptifs : anomalies de conformation. Organes géni-
taux : examen descriptif. - Peau et appendices cutanés : examen descriptif.
Classification des données de l'examen morphologique.
D. TRONC et membres. L'examen du tronc et des membres sera
fait également aux deux points de vue : anthropométrique et descriptif.
1° Examen anthropométrique . Cet examen fournit en général peu
d'indications utiles àl'aliéniste ; mais cependant comme on peut avoir
besoin de la pratiquer dans quelques cas particuliers, je vous donnerai
brièvement les quelques indications élémentaires et indispensables.
L'instrumentation réduite au strict nécessaire comporte : le mètre
à ruban et l'anthropomètre. A défaut même de cet instrument, vous
leurs combinaisons. Toutes d'ailleurs n'ont pas la même importance : les unes sont acces-
soires, les autres principales. Parmi les accessoires, il range les anomalies de direction
et les anomalies apparentes de l'articulation qui en résultent, les anomalies de forme,
d'éruption, les anomalies dénombre, d'une signification cependant plus grave, puisqu'elles
trahissent un défaut de développement. - Ce sont les anomalies vraies de l'articulation
des dents qui donnent à l'idiot sa physionomie la plus particulière. Ces anomalies vraies
sont celles qui tiennent à la disposition générale des arcades dentaires et a leurs rap-
ports respectifs dans les divers plans; c'est-à-dire que ce sont toutes les variétés de pro-
gnathisme, d'opistognathisme, etc. Parmi ces anomalies de l'articulation, il en estime très
remarquable et que M. Cruct n'a rencontrée que chez l'idiot. Les dents étant d'ailleurs
rangées régulièrement sur l'arcade des deux mâchoires qui décrivent une courbe égale
et dans le même plan, la bouche ne peut se fermer qu'incomplètement, c'est-à-dire que
les dernières molaires se rencontrent seules par le sommet de leurs tubercules et que
les dents antérieures des deux mâchoires s'éloignent d'un angle qui va en augmentant jus-
qu'à la ligne médiane. Lorsque la bouche est fermée, il reste entre les sommets des dents
antérieures un espace vide, dont l'ovale est plus ou moins haut ou allongé. Cette anoma-
lie peut tenir à deux causes : d'une part à ce que la ligne de l'arcade supérieure se re-
lève fortement sur la ligne médiane au niveau des os incisifs ; d'autre part et surtout, à
l'ouverture exagérée de l'angle formé par le corps et la branche montante de la mâ-
choire inférieure. Il en résulte un défaut de parallélisme forcé des deux arcades qui ne
peuvent plus s'appliquer l'une sur l'autre, et l'impossibilité de fermer la bouche. (Com-
munication orale.)
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 293
pourriez vous servir de la double équerre dont je vous ai déjà parlé et
qui a fourni le principe sur lequel sont construits les anthropomètres.
Le sujet est placé debout comme il a été dit pour la tête, regardant
à l'horizon, les bras pendants le long du corps, l'avant-bras en prona-
tion, la paume de la main appliquée à la cuisse, les jambes rappro-
chées, les pieds en équerre; cela fait, vous prendrez les mesures sui-
vantes en vous servant des points de repère indiqués et marqués au
préalable sur la peau. Pour avoir la longueur d'une partie, vous retran-
cherez la plus petite de la plus grande et vous rapporterez ensuite la
mesure trouvée à la taille totale de façon à établir ce qu'on appelle le
canon ou les proportions respectives des différentes parties du corps.
Je ne peux pas entrer ici dans des détails à propos des différents
canons et que vous trouverez dans le traité d'anthropologie de M. To-
pinard 1. Cependant pour vous donner une idée des proportions res-
pectives des différentes parties du corps, je vous citerai quelques
mesures empruntées au canon de M. Paul Richer2 qui, bien que fait
surtout au point de vue artistique, s'accorde cependant avec les canons
anthropologiques et qui a l'avantage d'être plus facile à retenir.
La taille est comme toujours rapportée à 100; c'est la longueur de
la tête qui sert de module ; elle est comprise 7 fois et demie dans la
taille.
La taille =100.
La grande envergure dépasse un peu 100.
Du vertex au menton (tête) 50 - 9 ?
/,oU
Du menton au creux sus-sternal (fourchette), = z113 de tête ;
De la fourchette à l'épine iliaque, 2 têtes;
Du vertex à l'ombilic, 3 tètes;
De l'acromion au bout du médius, un peu moins de 3 tètes 1/ ;
Du point condylien au bout du médius, 2 têtes ;
Du dessus du grand trochanter à l'interligne du genou, 2 têtes;
De l'interligne du genou au sol, 2 têtes ;
Largeur des épaules, 2 tètes ;
Diamètre bi-iliaque (épines), dépasse une tête;
Diamètre bi-trochantérien, il tète 1/'2 ;
Longueur du pied, 1 tôle 1/7.
Voici maintenant les principales mesures à prendre et les points de
repère nécessaires à cet effet :
(1) Topinard, loc. cit.
(2) Paul \licher, Descriptions des formes extérieures du corps humain. Paris, 1890.
291 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Hauteur au-dessus du sol en millimètres :
Du vertex (taille) ;
Du conduit auditif;
Du bord inférieur du menton ;
De l'acromion (omoplate) ; '
De la fourchette sternale;
De l'épicondyle (tubérosité externe de l'humérus, en bas);
~~De l'apophyse styloïde du radius;
De l'extrémité inférieure du médius ;
De l'ombilic;
Du bord supérieur de la symphyse du pubis;
De l'épine iliaque antéro-supérieure ;
Du grand trochanter ;
De l'interligne articulaire du genou (en dehors) ;
Dc la malléole interne.
On peut ajouter la hauteur du vertex au-dessus du sol dans l'atti-
tude assise; le sujet est assis sur un banc de 15 à 20 centimètres dont t
la hauteur est à défalquer, le bassin et le dos doivent être absolument
appliqués contre le mur auquel le sujet est adossé. Diminuée de la par-
tie sus-jacente à l'acromion, cette hauteur devient alors la hauteur
totale du tronc.
Largeur en millimètres :
Grande envergure. De l'extrémité d'un médius à l'autre, le sujet
appuyé contre un mur et les deux bras bien en croix. Elle est il peu près
égale à la taille qu'elle dépasse un peu ;
Circonférence de la poitrine (horizontalement, au niveau des mame-
lons, respiration habituelle, bras abaissés) ; .
D'un acromion à l'autre (en arrière) ;
D'une crête iliaque à l'autre (épine iliaque antéro-supérieure) ;
D'un grand trochanter à l'autre ;
Longueur du pied.
Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, cet examen anthropométrique
a peu d'utilité sauf dans certains cas particulier où la taille et les pro-
portions respectives du corps sont de beaucoup en dehors de ce que
l'on rencontre d'ordinaire.
2° Examen descriptif. --Du côté du tronc, vous pourrez rencontrer
des malformations diverses, telles que le goitre, l'inclinaison du
thorax en avant, la forme tombante des épaules, le thorax comprimé
latéralement avec projection du sternum l'asymétrie thoracique
(Zuccarelli), la saillie exagérée des apophyses épineuses, les déviations
variées de la colonne vertébrale, le spina bilida, le volume dispropor-
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 295
tionné de l'abdomen, les hernies congénitales, l'inclinaison et les vices
de conformation du bassin, l'absence de certains muscles constatable
sur le vivant (Féré1), des amyotrophies dont vous aurez ensuite à
déterminer la nature.
Du côté des membres, outre les difformités consécutives à des trau-
matismes, ou à des affections chirurgicales ou à des maladies antérieures
ou coexistantes (paralysie infantile, amyotrophies ou contractures de
causes diverses, coxalgie), vous pourrez trouver aussi parfois des
difformités congénitales.
Quelques-unes constituent de véritables monstruosités, rares et
dont je ne parlerai que pour mémoire2. Telles sont Veclromélie ou
absence plus ou moins complète d'un membre; l'héminiélie ou
absence plus ou moins complète du segment inférieur d'un membre,
la phocomélie absence plus ou moins complète d'un membre avec
extrémités normales, la symélie ou soudure plus ou moins complète
des deux membres inférieurs. Des vices de conformation plus fréquents
sont ceux qu'on rencontre aux extrémités, et qui engendrent des
anomalies par excès ou par défaut. Parmi les premières je vous citerai
la polydaclilie, augmentation du nombre des doigts, la mégalodaclylie
volume exagéré d'un ou plusieurs doigts, la macrodactylie ou nombre
plus grand des phalanges (pouce). Parmi les secondes, vous trouverez
l'ectrodactylie, diminution du nombre des doigts, la brachydactilie,
diminution du nombre des phalanges, l'atrophie congénitale d'un ou
plusieurs doigts, la syndaclilie, réunion ou soudure plus ou moins
complète d'un ou plusieurs doigts. J'ajouterai encore à cette énumé-
ration les différentes difformités congénitales des articulations (anky-
lose congénitale, diastasis congénital, absence d'une extrémité articu-
laire, déviations et luxations congénitales) et les diverses variétés de
pied bot congénital.
En dehors de ces difformités, il sera bon de rechercher l'asymétrie
ou les anomalies de développement des divers segments des membres,
leurs déviations (rachitisme), la forme effilée ou ramassée des
doigts, leur longueur respective, le peu de longueur de la dernière
phalange, la brièveté du pouce de la main par rapport aux autres
doigts, son peu d'opposabilité, la ligne palmaire unique, la forme
large et aplatie du pied, la saillie du talon, la direction exagérée du
pouce vers le bord interne du pied, les déformations des doigts liées à
l'arthritisme, etc.
1. l'éré, les Epilepsies et les ],,I)ilel)liqites, 1890.
2. J3uurnev illc, Revue phutuyr" 1871. et Progrès médical, 188G.
296 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Organes génitaux. Dans l'examen morphologique du tronc les
organes génitaux méritent une attention toute particulière, eu égard à
la fréquence et à la variété des déformations dont ils sont le siège
chez les aliénés et les idiots (Bourneville et Sollier').
Chez les individus du sexe masculin, il faudra rechercher le déve-
loppement du pénis, qui peut être petit, atrophié ou très développé,
même à l'état de flaccidité, sa direction (torsion de la verge), les
rapports de la verge et du scrotum (verge palmée) ; le volume et la
forme du gland, gland affilé des pédérastes, verge en battant de
cloche des masturbateurs (Bourneville et Sollier); les vices de confor-
mation du prépuce, tels que la brièveté du pénis et le phimosis fré-
quent et parfois très prononcé.
Les testicules sont souvent atrophiés; on peut trouver aussi fré-
quemment des ectopies testiculaires (monorchidie ou cryptorchidie),
l'inversion du testicule, des hydrocèles congénitales, des varicocèles.
L'ouverture du méat peut être anormale; il faut examiner s'il y a
de l'épispadias, ou de l'hypospadias et à quel degré. S'il y a de l'her-
maphroditisme, il sera bon de le décrire et d'en indiquer la nature.
Enfin on devra noter également la présence ou l'absence de poils au
pubis et autant que possible l'époque de leur apparition.
Chez les individus du sexe féminin vous pourrez rencontrer des
anomalies congénitales des organes génitaux externes : atrésie congé-
nitale de la vulve, absence et imperforation du vagin, rétrécissement
et cloisonnement du vagin (Gilson 9), ouverture du vagin dans un lieu
anormal, direction presque horizontale. Il faudra examiner aussi la
forme,des grandes et des petites lèvres, parfois tombantes et formant
ce qu'on appelle le tablier, du clitoris, de l'hymen ainsi que leur
développement relativement aux autres parties et à l'âge du sujet, la
situation et la forme du méat, l'effacement de la fosse naviculaire.
Ces déformations ont une importance spéciale, car leur constatation
peut être l'indice d'habitudes vicieuses si fréquentes chez nos malades.
Cet examen des organes génitaux de la femme est des plus délicats
à pratiquer. Ces constatations, faites la plupart du temps en dehors du
consentement des malades, peuvent être l'origine d'accès d'agitation,
d'interprétations délirantes, d'accusations fausses. Aussi je vous con-
seillerai de ne le faire que dans les cas où il vous paraîtra indis-
pensable et alors même de le pratiquer avec la plus grande discrétion,
avec toutes les précautions possibles et toujours en présence de
témoins.
1. Bourneville el Sollier, Progrès médical, 1888.
2. giton, Encéphale, 1881.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 297
De l'examen des organes génitaux, je rapprocherai celui de l'anus
qui peut être le siège de difformités congénitales (ouverture dans un
endroit anormal) ou de déformations acquises (aspect infundibuli-
forme, effacement des plis radiés) pouvant révéler des habitudes de
pédérastie si répandues chez les malades qui nous sont confiés.
Enfin il sera utile aussi d'examiner les mamelles et en dehors des
tumeurs qui peuvent servir à alimenter un délire, de noter leur déve-
loppement (développement rudimentaire, polymastie chez la femme,
gynécomastie chez l'homme), leur forme et leur position (forme en
poire, insertion à la base du thorax), les caractères du mamelon
(petit, rétracté, parfois sans conduits excréteurs).
Peau et appendices cutanés. L'examen morphologique du corps
devra se terminer par l'étude de la peau. Outre sa couleur variable
suivant la nature de la maladie (manie, mélancolie, stupeur) et sur
laquelle nous reviendrons plus tard, il' sera bon de rechercher dans cet
examen somatique la présence de taches pigmentaires (noevi, vitiligo),
d'éruptions diverses ou les traces d'éruptions anciennes, notamment
la syphilis ; les cicatrices de tatouages dont l'importance chez cer-
tains sujets tels que les fous moraux a été mise récemment en
lumière (Lacassagne, Marro, Lombroso) ; les cicatrices accidentelles
par suite de chutes, de contusions, de brûlures, parfois caracté-
ristiques comme dans l'épilepsie; les cicatrices du cou, du pli du
coude, des organes génitaux révélant des tentatives de mutilations ou
de suicide qui sont loin d'être rares, en particulier chez les mélancoli-
ques ; l'état des ganglions et les cicatrices ganglionnaires (scrofule,
syphilis); la flaccidité de la peau, l'état du tissu cellulaire sous-cutané
(dermatolysis, myxoedème, polysarcie, stéatopygie), les rides parfois
précoces signalées dans la folie morale (Ottolenghi 1) et la sénilité
précoce (Charpentier).
Du côté du système pileux, il est bon de noter son abondance et sa
distribution, comme par exemple l'absence de poils au pubis ou à
l'aisselle à l'âge adulte; la rareté de la barbe chez l'homme, et son
développement chez la femme; la forme des cheveux, plats, ondés,
frisés; leur abondance et leur couleur surtout par rapport à l'âge du
malade (albinisme, canitie et calvitie précoces) ; la forme de la cal-
vitie (syphilitique, arthritique ou due à des maladies locales du cuir
chevelu); l'implantation des cheveux, leur empiètement et leur inser-
tion triangulaire ou circulaire sur le front, la déviation du tourbillon
le plus souvent à droite, la présence du double tourbillon, trace
1. Ottolenghi, 11 rchivio di Psychiatrisa, 1889.
iv. 20
298 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
d'une anomalie du développement de l'extrémité supérieure du canal
vertébral (Féré1); enfin la longueur démesurée des cheveux chez les
hommes et la mutilation de la chevelure chez les femmes en rapport
avec le délire (hypocondrie, grandeur, mysticisme, mélancolie).
Du côté des ongles, sans parler des déformations accidentelles et
professionnelles, on a vu des anomalies de développement coïncidant
avec celles des doigts de la main (absence, atrophie, anomalies de
nombre); on pourra noter aussi leur hypertrophie (vieillards), leur
usure (ongles rongés et macérés des idiots), les lésions trophiques
dont ils peuvent être atteints (arthritisme, syphilis). z
En résumé, vous voyez, messieurs, que l'examen morphologique de
nos malades peut encore nous donner bon nombre de renseignements
et ne doit pas être négligé. D'une façon générale, ainsi^que le fait
remarquer le professeur lIorselli, les notions qu'on en retire doivent
être groupées en plusieurs catégories qui n'ont ni la même impor-
tance, ni la même signification.
A. Une première classe comprendra les caractères simplement
pathologiques traduisant une altération morbide de l'organisme. Nous
rangerons ici : d. les anomalies de développement (asymétries diver-
ses, plagiocéphalie); 2° les stigmates d'une maladie constitutionnelle
(rachitisme, syphilis congénitale); 3° les caractères pathologiques de
cause occasionnelle (traumatismes, hygiène défectueuse de l'enfance,
déformation artificielle).
13. Une seconde classe comprendra toutes ces anomalies qui ont été
plus particulièrement rangées sous le nom de stigmates physiques de
la dégénérescence. Ces caractères dégénératifs peuvent être distingués
en trois groupes :
,in Les caractères de dégénérescence proprement dite amenant les
déviations du type anthropologique normal par exagération ou par
transformation dans le même sens des caractères héréditaires des
parents ;
2° Les anomalies amenant une déviation du type normal qui place
l'individu dans un état d'infériorité relative. Elles dénotent un arrêt
de développement à la période foetale ou infantile (bec de lièvre,
cryptorchidie, monorchidie, permanence des dents de lait);
3" Enfin les anomalies morphologiques dites réversives qui sem-
blent placer l'individu dans un état d'infériorité absolue en amenant
une déviation du type anthropologique normal pour le rapprocher de
celui des races ou des espèces inférieures 2 (scaphocéphalie, progna-
1. Féré, lier. ¡/'ullllirojJ" 1881, p. 183,
2. Voir Ilwclucque et Hervé, Précis d'anthropologie, 1887.
EXAMEN MORPHOLOGIQUE CHEZ LES ALIÉNÉS ET LES IDIOTS. 299
thisme, oreilles en anse, longueur exagérée des bras, etc.). Ce sont les
caractères dits ataviques.
Telles sont les principales variétés de vices de conformation consti-
tuant ce qu'on appelle aujourd'hui les stigmates physiques de dégéné-
rescence. Quant aux caractères pathologiques, si par eux-mêmes ils ne
sont pas des stigmates de dégénérescence anthropologique, cepen-
dant en s'installant d'une façon définitive, ils constituent, suivant
l'opinion de Arndti, autant de troubles de développement et devien-
nent ainsi des signes d'infériorité individuelle.
Néanmoins, à mon sens, il importe de distinguer toutes ces tares,
car elles n'ont pas la même valeur. Ce n'est qu'en étudiant leur nature
et leur cause qu'on peut être éclairé sur leur véritable signification.
Avant de conclure à la nature dégénérative de tel ou tel phénomène, il
est indispensable de s'éclairer sur les causes de sa production qui
peuvent le réduire à un simple fait morbide. L'étude de l'embryologie,
de la pathologie, de l'hygiène même pourra seule nous fournir des
renseignements préliminaires sérieux, constatations premières et
absolument nécessaires avant de conclure à la dégénérescence, mot
vague, d'une élasticité singulière ne faisant guère que cacher notre
ignorance de bien des faits, hypothèse d'une utilité d'autant plus con-
testable qu'elle est devenue aujourd'hui plus mal définie et plus que.
jamais sujette à une foule d'interprétations différentes. C'est là jus-
tement une raison qui doit vous faire comprendre l'utilité chez nos
malades d'un examen morphologique sérieux. Au lieu de noter à la
légère tel ou tel fait qui frappe à première vue, il faut pratiquer un
examen d'ensemble qui seul peut avoir une portée et d'autant plus
grande que les détails en seront soigneusement décrits sous leur
aspect actuel et analysés sous le rapport de leur origine et de leur
nature.
J. SI;GL1S,
Médecin adjoint à la Salpêtrière.
1. Amdl, Traité de psychiatrie.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE
DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS »
. DES MALADIES ORGANIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
(Sclérose en plaques, paraplégie, tabes, amyotrophie et syringomyélie)
(SUITE')
CHAPITRE IV
PARAPLÉGIES HYSTÉRO-SPONTANÉES SIMULATRICES
La paralysie hystérique des membres inférieurs n'a pas besoin d'un
traumatisme pour se manifester. Chez un sujet prédisposé, un agent
provocateur quelconque : intoxication, maladie infectieuse, affection
locale ou générale, peut en favoriser l'apparition. Bien plus, un rêve,
une émotion, suffisent souvent : témoin cette femme dont parle Briquet,
qui, insultée sur un escalier, tomba instantanément les membres
inférieurs paralysés. Parfois même la cause passe inaperçue et reste
ignorée. Dans tous ces faits il s'agit, par opposition aux paraplégies de
cause traumatique, de paraplégie hystéro-spontanée. Mais, en somme,
ces deux groupes de paralysies sont liés par les liens les plus étroits.
Dans les deux cas, il faut de toute nécessité un terrain préparé, une
tare névropathique héréditaire ou acquise. Quelque variable que soit
la paraplégie hystérique quant il ses symptômes, sa durée, son intensité,
sa cause occasionnelle, elle reste toujours une et indivisible quant à
son essence.
Ces notionsgénérales dominent l'histoiredes paraplégies hystériques.
Elles ressortiront avec évidence de l'exposé des observations qui suivent.
OBs. XXX (inédite). llémiparaplégie hystérique simulant une paralysie
d'origine syphilitique. F...nd Louis, menuisier, trente-six ans, vient
en septembre 1890 à la consultation externe de la Salpêtrière.
Antécédents héréditaires. Du côté des grands parents peu de chose à
1. Voy. les n" 1, 2, 1891.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 301
signaler. Grand-père paternel mort d'apoplexie cérébrale. Son père et sa
mère étaient cousins germains. Le père est mort accidentellement; il était
alcoolique. Sa mère est nerveuse, mais n'a pas d'attaques. Du côté de ses
collatéraux, on trouve un cousin germain qui a été aliéné durant dix-huit
mois.
Antécédents personnels. -Dans son enfance, pas d'autre maladie qu'une
affection nen euse ( ? ) à l'âge de deux ans et qui aurait duré un an. Il y a onze
ans (il avait vingt-cinq ans), il a eu la syphilis : chancre il la verge, plaques
muqueuses, etc., soignée en Belgique. Deux ans après, en 1881, il se marie. Il
a eu depuis cinq enfanls (sa femme n'a pas fait de fausses couches); deux sont
morts, l'un du croup, l'autre de rougeole. Les trois autres sont bien portants.
En juillet 1888, il a élé pris, sans cause connue, d'une céphalalgie violente
et prolongée. Ces maux de tète siégeaient surtout du côté droit du crâne; ils
étaient aussi forts la nuit que le jour. Ils auraient duré un an et pendant
quinze jours l'auraient empêché de dormir. Inquiet, il a été presque dès le
début de la céphalalgie consulter le Dr Duboys de la Vigerie. Il avait en
même temps des douleurs périorbitaires et de l'amblyopie. La sensibilité,
dit-il, a été examinée à cette époque, et on aurait constaté une hémianes-
thésie droite complète. Traitement : antipyriae, polybromure et douches
froides.
M. le Dr Duboys de la Vigerie a eu la grande obligeance de nous confirmer
le récit du malade en nous écrivant : « Je l'examinai très attentivement et
je trouvai de l'hémianesthésie de tout le côté droit, face, membres supérieur
et inférieur avec hémianesthésie pharyngée et anesthésie de la muqueuse
anale. L'acuité visuelle était normale des deux côtés; un peu d'astigmatisme
irrégulier à gauche, facilement corrigeable. Je soumis immédiatement le
malade à un traitement par les douches et le ou les bromures à haute dose ;
au bout d'un mois ou d'un mois et demi, j'eus la satisfaction de voir ce
malade sinon guéri, du moins singulièrement amélioré. Les douleurs de
tête avaient disparu et la sensibilité était en partie revenue... Au commen-
cement de cette année, il revint me voir, se plaignant de vue double.
M. Parinaud qui l'examina à cette époque fit le diagnostic de paralysie de la
convergence, et conseilla l'iodure de potassium. Au bout d'un mois ou un
mois et demi, le malade guérit encore de cette nouvelle affection... Enfin,
au mois de juillet de cette année (1890), le malade fut pris d'une autre affec-
tion des yeux. On constata alors une paralysie de l'orbiculaire liée à une
paralysie faciale gauche incomplète, la disparition de la diplopie, et on
songea aune lésion en foyer, probablement vers la protubérance. »
Mais reprenons l'histoire de notre malade. En janvier 1890, il la suite de
l'infiuenza, apparaissent des douleurs et de la faiblesse dans les membres
inférieurs, ainsi que de la céphalalgie analogue à celle qu'il avait déjà éprouvée.
Il rentre alors à l'hôpital Necker dans le service de M. Rendu. On l'a traité
comme un hystérique, et son billet de sorlie, affirme-t-il, portait le dia-
gnostic : hystérie. Il était très amélioré, et, quinze jours après, la guérison
de sa paralysie était complète. Quelque temps après, il fut pris brusquement
302 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
d'une surdité complète de l'oreille gauche, qui persista une dizaine de jours
et guérit absolument à la suite de trois où quatre cathétérismes de la trompe
d'Euslache pratiqués à l'hôpital Lariboisière Il y a deux mois, un jour en
allant à son travail, il ressent, sans cause, au niveau du cou-de-pied droit,
une douleur analogue à celle d'une entorse. Il ne s'en préoccupe nullement
et continue son travail. Le lendemain il éprouva de l'engourdissement et des
fourmillements dans sa jambe droite, qui lui paraissait « endormie ». Néan-
moins, il travailla encore pendant huit jours. Dans ce laps de temps, les
fourmillements avaient fait place à de véritables douleurs; il était survenu
une faiblesse croissante du membre inférieur droit. Il garda la chambre; un
médecin consulté lui fit faire des frictions, de l'électricité et l'engagea à
entrer à l'hôpital.
État actuel. - Troubles moteurs.
Membres inférieurs. - 1° Membre inférieur droit. -Impotence presque
complote; il détache à peine le pied du plan du sol. L'extension volontaire
est difficile et très incomplète, la flexion également. Les mouvements passifs
sont raides. La force musculaire est diminuée; il résiste assez bien aux mou-
vements passifs de flexion, mal à ceux d'extension. Les mouvements des
orteils, du pied, de la hanche, sont également très restreints et sans force.
2° Membre inférieur gauche. - Rien d'anormal à noter. Le réflexe
rotulien est exalté à droite, normal à gauche. A droite, la flexion dorsale du
pied éveille peut-être trois ou quatre secousses, mais pas de trépidation épi-
leptoïde nette. Pas d'atrophie musculaire. La mensuration au niveau des
jambes et des cuisses ne donne aucune différence de volume.
Les membres supérieurs et le reste du corps ne présentent aucun trouble
moteur. Dynamomètre : main droite, 46; main gauche, 43. Lorsqu'on
fait marcher le malade, il va en traînant la jambe droite.
Troubles urinaires. Depuis quatre jours, le malade souffre de paresse
vésicale avec difficulté de la miction. Il n'a pas uriné depuis vingt-quatre
heures. C'est du reste pour cette rétention qu'il est venu consulter. Nous
l'avons sondé séance tenaille, et retiré de sa vessie un litre d'urine d'aspect
normal. La sensibilité uréthrale était conservée. Ces troubles urinaires per-
sislaient encore huit jours après, d'après ce que nous a dit la femme du
malade, qui l'avait conduit à l'hôpital Necker, à la consultation de M. le
professeur Guyon.
Troubles de la sensibilité. - Hémihypoesthésie droite très accusée pour
le contact et la douleur. La température semble pervertie de ce côté; un
corps froid réveille une sensation de chaleur. Anesthésie pharyngée du côté
droit. Le goût est amoindri des deux côtés. L'ouïe et l'odorat sont très
affaiblis à gauche. Le champ visuel n'est pas rétréci, les pupilles sont larges,
égales; elles réagissent normalement. Il existe deux zones douloureuses
profondes, une au niveau de la région vertébrale dorso-lombaire; l'autre très
étendue au niveau des dernières côtes du côté droit. Ces zones ne sont pas
hystérogènes. La région lombaire présente, à l'état très accusé, cette saillie
normale qu'a signalée M. P. Richer. Le sens musculaire et articulaire est
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 303
partout conservé. 11 n'y a en dehors de ces troubles sensitivo-sensoriels
aucune douleur subjective dans les membres inférieurs. En outre, ce malade
présente une ébauche d'hémispasme glosso-labié du côté droit. Jamais
d'attaques convulsives, ni de vertiges. Enfin, au point de vue psychique, cet
homme, gai autrefois, est devenu triste depuis quelque temps.
Il s'agit ici d'un homme de taille moyenne, pâle et un peu amaigri.
Il a eu la syphilis à vingt-cinq ans et a pu, chose extraordinaire, se
marier impunément deux ans après. Puis, il y a deux ans passés, il est
pris un beau jour de céphalée rebelle et tenace qui coïncidait avec une
hémianesthésie droite. Quelque temps après surviennent des troubles
oculaires qui font penseràune affaire spécifique. Il est fort possible que
la syphilis à cette époque ait été en jeu, mais l'hystérie coexistait avec
elle certainement. Dans tous les cas, l'histoire ultérieure de ce malade
relève uniquement de la névrose. Déjà une première fois il éprouve
à la suite de l'influenza de la faiblesse dans les membres inférieurs,
et M. le D' Rendu, dont la compétence est indiscutable, porte le dia-
gnostic d'hystérie. Cette paraplégie guérit pour reparaître sans raisons,
quatre mois après. Entre temps, survient brusquement, sans cause,
une surdité unilatérale qui s'évanouit en dix jours, à la suite d'un
traitement banal. Ne sont-ce pas là les allures ordinaires des manifes-
tations hystériques ? En outre, actuellement, ce malade est porteur de
stigmates scnsitivo-sensoriels. Que faut-il de plus pour affirmer l'ori-
gine hystérique des troubles moteurs et urinaires qu'il présente ?
L'hystérie est en cause, et seule en cause. Il nous semble inutile d'aller
chercher une autre hypothèse que rien ne justifierait; une tumeur de la
protubérance n'expliquerait pas l'intégrité du membre supérieur, la
monoplégie crurale, les troubles vésicaux, etc. Etlaparalysie faciale qui
a pu donner le change n'est autre chose qu'un hémispasme glosso-
labié.
Ces. XXXI (inédite) (Extrait des registres de la Clinique).
Jeanne R...zé, dix-neuf ans et demi, entre dans le service de M. le profes-
seur Charcot en décembre 1885.
Antécédents héréditaires. Père mort de tuberculose pulmonaire à
l'âge de quarante-cinq ans. Sa mère vit encore, elle est sujette ala migraine.
Le grand-père paternel est mort subitement d'une rupture d'anévrysme. La
malade a deux tantes maternelles qui sont mortes d'affections cérébrales
de nature indéterminée. Elle a deux saurs : l'une a des attaques d'lads-
térie, l'autre est migraineuse, et deux frères : l'un est mort de tuberculose
pulmonaire, l'autre est nerveux, sans attaques.
Antécédents personnels. Pas de maladies dans l'enfance. Elle a été
301 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
réglée à l'âge de seize ans; règles régulières depuis lors. A seize ans et
demi, elle a contracté la fièvre typhoïde. Cette fièvre a duré six mois, et au
cours d'une rechute s'est déclaré un rhumatisme articulaire qui a duré
quatre mois. C'est pendant la convalescence que notre malade s'aperçut que
ses membres inférieurs se raidissaient. Ces raideurs allèrent en progres-
sant. Néanmoins elle put quitter le lit. Trois semaines après, elle entra à la
Charité, dans un service de chirurgie, où elle resta dix-sept mois. Là, dit-elle,
on la mil à trois reprises différentes dans un appareil plâtré qu'elle garda
chaque fois un mois. En juin 1885, elle quitta l'hôpital pour entrer à la Sal-
pêtrière.
État à l'entrée de la malade. - Motilité. - Les membres inférieurs
sont raides, en extension incomplète, état qui empêche d'obtenir les réflexes
rotuliens. Lorsqu'on cherche à étendre complètement les membres con-
tracturés, on ne peut y arriver cause de la raideur et des douleurs que l'on
détermine. Ces douleurs partent des genoux et descendent jusqu'au niveau
des malléoles externes. Ces douleurs sont parfois spontanées, mais alors elles
suivent une direction inverse. Les deux jambes sont constamment écartées et
forment un angle aigu de 40» environ. Les cuisses sont presque toujours acco-
lées l'une à l'autre dans toute leur étendue. Les pieds sont légèrement en
valgus. Les orteils sont fléchis et ne peuvent être redressés que d'une
manière relative. Si on insiste, on réveille les douleurs. La flexion comme
l'extension passive des membres inférieurs sont très réduites. Spontanément,
ces deux mouvements sont peu accusés, ce qui donne à la démarche de la
malade une allure toute spéciale. Quand elle progresse, les pieds sont ren-
versés en dehors, les jambes légèrement fléchies sur les cuisses (celles-ci
étant presque dans leur attitude normale), le tronc incliné en avant. Les
membres supérieurs ne présentent rien de spécial à noter.
Sensibilité. Les troubles de la sensibilité, absents à l'entrée de la
malade, se présentent le jour'où elle quitte le service avec les caractères sui-
vants (10 juin 1886) : la sensibilité culanée est abolie dans les régions
symétriques des coudes et des genoux; l'anesthésie forme autour de ces
régions un manchon très allongé. Le sens musculaire est conservé. Anes-
thésie pharyngée totale. Le goût et l'odorat sont abolis du côté gauche. Le
champ visuel rétréci des deux côtés dès son entrée à 50°. Pas de points
hystérogènes. Pas d'attaques. A la sortie, la paraplégie motrice est améliorée,
mais non guérie.
OBS. XXXII et XXXIII (Ozeretzkowsky, in Arcltiv. de Neurologie, 188G).
Dans ces deux observations, la nature hystérique de la paralysie ne
semble pas contestable : les stigmates sensitifs, la guérison dans l'une,
l'amélioration très rapide dans l'autre rendent cc diagnostic certain.
L'auteur n'hésite pas du reste à le formuler, en déclarant qu'on risque
facilement de confondre ces paralysies « avec des lésions organiques
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 305
de la moelle épinière, lorsque la paralysie des membres inférieurs est
compliquée d'une rétention d'urine, de constipation et de douleurs
dans le dos ».
uns. XXXIV (P. Raymond, in Progrès méd ? 8 avril 1888). Paraplégie
hystérique simulant une paraplégie syphilitique et survenue par auto-
suggestion. Guérison à la suite d'une émotion.
Cette observation intéressante est un type parfait de paraplégie
psychique par auto-suggestion. Chez une femme hystérique, peu
intelligente, l'idée fixe d'une paraplégie, puis d'une surdité, a objectivé
ces accidents, reconnaissables du reste à leurs caractères ordinaires.
En se basant sur le début brusque de celle paraplégie, sur la coexis-
tence des stigmates hystériques, sur la guérison de cette paralysie, etc. î
on écarta l'idée d'une myélite spécifique, la nature psychique de l'af-
fection s'imposant avec évidence. Les paraplégies syphilitiques n'évo-
luent pas ainsi; en outre, les troubles de la sensibilité y sont diffus et
irréguliers dans leur distribution.
OBs. XXXV (inédite) (Communiquée par notre collègue et ami M. Thiro-
loix). Rétention d'urine. Flénaiparaplogir. Hystérie. - Maria Des..., trente-
deux ans, plumassière, entre le 9 mai 1887 dans le service de M. le D'Empis.
Antécédents. - Le père de la malade était très irascible; sa mère est
morte hémiplégique. Trois soeurs non nerveuses. Elle-même a toujours été
très nerveuse. Etant jeune, elle se mettait en colère sans raison et avait de
petites crises de nerfs. Eu 1881, elle accouche d'une enfant chétive, et six
jours après contracte une fièvre typhoïde. En 1885, elle fait une chute d'un
cinquième étage, se brise la mâchoire et se fend le sourcil gauche. A la suite
de ce traumatisme, la malade présenta une lté21a2esthésie gauche qui fut
constatée dans le service de M. le professeur Duplay. Guérie de ses blessures,
elle resta bien portante durant un an et demi. Au mois de mai 1887, elle fut
prise d'une pleurésie gauche et entra dans le service de M. Empis. La conva-
lescence commence au mois d'août; la malade se lève pendant trois semaines,
tout en conservant une douleur fixe dans l'abdomen au niveau de la région
ovarienne droite.
Début de la maladie actHëe. Vers la fin d'août, elle eut des crampes
d'estomac, des coliques, et remarqua que son ventre augmentait de volume.
En même temps que se montra cette tympnnite, la malade commença à avoir
des difficultés pour uriner. Elle n'urinait qu'au prix de grands efforts, et, au
bout de quinze jours, on fut obligé de la sonder, retirant chaque fois
500 grammes d'urine. La sonde est bien sentie pendant son passage il travers
l'urèthre, et, au niveau du col vésical, on perçoit une sensation de résistance
très nette. En outre, la malade se plaint de vives douleurs pendant le cathé-
térisme. Le besoin d'uriner est licitement perçu. En décembre 1887, la malade
306 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
est prise de douleurs dans le mollet et la cheville gauches dès qu'elle veut
marcher, et elle se trouve bientôt confinée au lit. Au mois de mars se produit
lentement une contracture de tous les muscles du membre inférieur gauche,
qui s'immobilise en extension. Le' membre droit n'est pas atrophié. Les
réflexes patellaires sont normaux.
. Troubles de la sensibilité. Il existe une hémianesthésie sensitivo-
sensorielle gauche complète. En outre, on trouve des points sus et sous-
mammaires gauches, ovarien et lombaire du même côté. Céphalalgie fré-
quente, surtout frontale. Le sommeil chloroformique fait entièrement
disparaître cette contracture, qui se reproduit aussitôt après le réveil. Malgré
plusieurs tentatives de chloroformisation et d'hypnotisation l'état de la
malade ne s'améliora pas, et elle quitta le service le 15 mai 1887. En janvier
1888 on la retrouva dans le service de M. le professeur Cornil, toujours dans
le même état.
De longues considérations seraient ici superflues. Après un violent
traumatisme, on constate de l'hémianesthésie sensitive gauche. Deux
ans après, pendant la convalescence d'une longue pleurésie, sur-
viennent de la tympanite, de la rétention d'urine et une contracture du
membre inférieur. Les caractères, le mode de début de ces accidents,
la présence de cette contracture sur un côté du corps qui est le siège
des stigmates de la névrose, éloignent toute idée de lésion spinale.
L'hystérie seule est évidemment en cause.
Ces. XXXVI (M. Letulle, in Thèse de Furet, 1888). - Paraplégie hysté-
rique simulant une paraplégie syphilitique.
L'auteur fait suivre cette remarquable observation d'une discussion
contradictoire et conclut à l'hystérie seule provoquée par la syphilis.
Assurément, le diagnostic ne s'impose pas. Un an après le début d'une
syphilis ignorée quant à l'accident initial, survient une paraplégie
bientôt suivie de contracture. Vingt mois après, elle se complique
d'une paralysie des réservoirs. Et depuis cinq ans, cette paraplégie
persiste. Peut-on éliminer ici toute lésion organique ? Les phénomènes
observés sont excessivement mobiles ; un traitement antisyphilitique
énergique ne les a nullement modifiés. D'un jour à l'autre on observe
des différences notables dans l'impotence motrice; la contracture a
disparu brusquement après avoir été absolue pendant dix-huit mois.
L'évolution dans l'espèce donne donc de fortes présomptions en faveur
de l'origine hystérique de cette paraplégie, car la malade est manifes-
tement hystérique.
La névrose semble donc ici seule en jeu; elle s'est développée sous
l'influence d'un agent provocateur puissant : la syphilis, qui, de
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 307
l'avis de M. le professeur Fournier', donne un coup de fouet aux acci-
dents hystériques. Mais il faut avouer que le cas est singulièrement
complexe et que des réserves pourraient sembler légitimes. La paralysie
des sphincters est chose relativement rare dans la névrose; la longue
durée de la paraplégie pouvait faire hésiter. Mais, en somme, ce sont
là deux éléments, qui ne sont pas exceptionnels et qui ne doivent plus
aujourd'hui faire écarter l'hypothèse d'hystérie. L'observation suivante
est un exemple manifeste de la longue durée des paraplégies hysté-
riques.
OBs. XXXVII (Hirt, Deutsche med. Woch., 1887, n° 30).
Cette observation est surtout remarquable par la durée de la para-
plégie, par l'intensité des manifestations hystériques. Aussi l'auteur
n'est-il pas sans inquiétude sur le pronostic; il fait des réserves et
entrevoit même la possibilité d'une terminaison fatale ( ? ) au milieu
d'une attaque. ,
Malgré cette longue durée, le mode de début et les caractères de
paralysie écartent toute idée d'une affection organique de la moelle. Et
pourtant, dans des cas analogues, cette hypothèse a été admise. Deux
ou trois observations prises au hasard, parmi tant d'autres, vont nous
servir de témoignage.
OBS. XXXVIII (L. Brieger, Cha1'ité-Annale, 1887, p. 140).
L'auteur diagnostique une paralysie spasmodique de nature saturnine
due à une lésion des nerfs périphériques ou des muscles. L'anesthésie
cutanée l'embarrasse cependant. Nous ne nous attarderons pas à
démontrer qu'il s'agit d'hystérie, et d'hystérie seule chez un saturnin.
Le plomb a joué le rôle d'agent provocateur; c'est tout ce qu'il faut
admettre.
OBs. XXXIX (A. Marina, in lo Sperimentale, 1883, p. 399). Un caso di
affezione cronica del midollo spinale guarito.
L'auteur discute longuement le diagnostic et admet définitivement
l'existence d'une myélite à frigore des cordons latéraux. Il ne soulève
nullement l'hypothèse d'hystérie, la seule, en réalité, qui soit justifiée
par les caractères et la marche de cette paraplégie.
Cas. XL (G. Zeni, in Ga ? . degli ospitali. llavenna 1888, n° 35). Pa-
raplégie datant de dix-1kuf ans, compliquée de rétention d'urine et de
contracture tardive. Guérison.
Ces. XLI (inédite) (Due il l'extrême obligeance de notre maître M. le
(1) Fournier, Leçons sur la syphilis. Paris, 187.i, p. 816.
30S NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
professeur Charcot). Mlle B... G..., vingt ans, habitant à M...y, est vue le
29 janvier 1881 par M. Charcot avec le Dr Charpentier (de Meaux).
Antécédents héréditaires. Père et mère bien portants, non névropathes.
Dans la famille, plusieurs aliénés, suicidés, originaux. Sa mère avait cinq
ou six frères. Ceux qui ont embrassé la profession de leur père (cultiva-
teur), qui ne demande pas de surmenage intellectuel, n'ont présenté rien de
particulier. Pour les autres, l'un sorti le premier de l'École poly-
technique avait fait un tunnel; le tunnel s'étant écroulé, l'ingénieur
devint fou et quelques mois après, vers 1849, se pendit chez son beau-
frère, père de la jeune fille. Un autre oncle, sorti de l'Ecole normale supé-
rieure, devenait quelques années plus tard aliéné, et finissait ses jours dans
une maison de santé. B... est la dernière d'une famille de douze enfants, et,
à ce titre, élevée moins sévèrement que ses soeurs et que ses frères, jeunes
gens très distingués au collège, puis à la maturité plutôt au-dessous du
niveau commun, sous le rapport intellectuel.
Antécédents personnels. Jeune fille grande et forte, lymphatique. Tou-
jours bien portante; aucune trace névropathique jusqu'à l'époque de l'ac-
cident. En juin 1879, son cheval s'étant emporté, elle fait une chute de
voilure suivie d'une légère commotion cérébrale et d'une plaie au-dessus et
sur le sourcil gauche. On dit qu'il y a eu fracture ( ? ). Quoiqu'il en soit, lorsque
la plaie fut guérie, il persista des douleurs sus-orbitaires pendant plusieurs
mois, pour lesquelles on consulta les D,- Fano et Cusco. On croyait que le
nerf sus-orbitaire était emprisonné dans un cal. A partir de cette époque, la
santé se modifie. En décembre, la malade ressentit une douleur ovarienne
qui existe encore aujourd'hui. Son ventre se ballonna; constipation opiniâtre,
quelques vomissements. On supposa une obstruction intestinale. On assure
même qu'au bout de trois ou quatre jours, il y eut issue de pus par les garde-
robes et, à la suite de cette évacuation, un grand soulagement. Pendant un
mois, les accidents abdominaux persistèrent, marquant la véritable nature
de l'affection. Le Dr Empis consulté porta le diagnostic d'entéro-péritonite,
sans en préciser la nature. M. Empis l'avait vue en avril, août et septembre
1880; ce ne fut qu'assez longtemps après que, la douleur ovarienne persis-
tant, survinrent des crises hystériques caractéristiques, un changement de
caractère (désagréable, difficile à vivre, etc.), une toux aboyante survenant
par accès et sans signe d'auscultation (elle existe encore aujourd'hui).
En mars 1880, elle commence à se plaindre d'une douleur vive vers le
milieu du dos, surtout et même exclusivement, paraît-il, du eôté gauche. On
assure que cette douleur qui existe encore aujourd'hui avait fait songer à
une lésion des vertèbres. Dans ce temps-là, se montra un peu d'affaiblisse-
ment des membres supérieur et inférieur gauches, avec gène dans la marche,
qu'on attribuait surtout il la douleur du dos. A partir de ce moment, la
malade prend l'habitude d'incliner le tronc vers le côté droit, soit qu'elle
marche, soit qu'elle se tienne couchée au lit. C'est une sorte d'attitude
d'adaptation comme pour éviter tout mouvement, tout contact de la partie du
dos hyperesthésiée.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 309
En septembre 1880, les crises nerveuses disparaissent; la toux persiste;
l'hyperesthésie dorsale non seulement persiste mais s'étend à tout le tronc du
côté gauche. La marche devient de plus en plus difficile, et il y a deux mois
environ que la paraplégie occupant surtout le côté gauche mais aussi le
droit s'est montrée telle qu'elle est aujourd'hui. En même temps les règles
ont disparu; elles ne sont représentées que par une exagération de la dou-
leur ovarienne. La malade mange fort peu ; elle a des cauchemars; elle rêve
souvent qu'elle tombe dans l'eau...
État actuel (29 janvier 1881). A la visite non annoncée de M. Charcot,
la malade est prise d'une crise de toux et de trépidation des membres infé-
rieurs (la malade est assise sur un fauteuil, les membres allongés sur un
pliant). Les membres inférieurs sont raides dans l'extension; on a de la
peine à les fléchir, surtout le gauche. La malade elle-même les fléchit volon-
tairement assez bien, surtout à droite. Alors, on reconnaît une exagéra-
tion des réflexes rotuliens, surtout à gauche, et on provoque des deux côtés
la trépidation spinale par le redressement de la pointe du pied. La malade
connaît bien cette trépidation; elle dit qu'elle survient souvent spontanément
à la suite d'une émotion ou quand elle veut changer de position. Les pieds
ne sont pas dans l'attitude du pied bot. Les deux membres inférieurs sont
dans l'adduction ; on les écarte non sans efforts. « En somme, par le seul
examen des membres inférieurs, on a l'impression d'une paraplégie spasmo-
dique organique. » Il existe une douleur ovarienne gauche très accentuée. Il
y a des exacerbations spontanées avec sensation d'aura et de boule à la gorge,
mais les altaques ne se font pas. De plus, quand on presse, on provoque aussi
l'aura en question. L'attitude de la malade au lit est celle indiquée plus haut.
Habituellement, elle a son membre supérieur gauche fléehi derrière le dos,
interposé entre elle et le matelas, l'autre main, la droite, pressant sur les
dernières fausses côtes du côté gauche. Cette attitude paraît amener un sou- z
lagement. Dans l'examen de la sensibilité par le simple contact, frôlement,
M. Charcot remarque une hyperesthésie superficielle très exquise, limitée
exactement par la ligne médiane.
Cette hyperesthésie, surtout prononcée dans le dos à gauche, s'étend à la
région antérieure de la poitrine, à l'abdomen, à la partie supérieure du
bras (l'épaule comprise), à la base du cou. La malade assure que par
moments l'hyperesthésie s'étend par en haut et par en bas ; en haut jusqu'à
la face, en bas jusque dans la jambe. Au-dessus de la limite supérieure,
au-dessous de la limite inférieure, la sensibilité à la piqûre est plus pro-
noncée à gauche qu'à droite : ainsi à la face, au front, sur le cuir chevelu;
en bas à la jambe, au pied et. à la plante du pied gauche. L'application
d'un corps froid permet de reconnaître que la sensation de froid est beau-
coup plus prononcée à gauche qu'à droite, partout, et cette sensation est
très douloureuse au niveau des points hyperesthésiés. Il y a parésie, ou
plutôt hypodynamie du membre supérieur gauche, mais pas de paralysie
véritable; la malade se sert de sa main et de son membre. Pas d'exal-
tation des réflexes (coude et poignet de ce côté). Quand on passe la main
310 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sur les parties hyperesthésiécs du tronc, il y a exagération de la toux et
sensation de boule. Dans l'examen, on voit la trace de gros cautères qui
ont été appliqués sur la région spinale et sur- le côté gauche du dos. La
malade marche inclinée à droite avec l'aide d'une béquille; elle frotte des
pieds sans se renverser en arrière à chaque pas comme dans la paraplégie
spasmodique. Elle dit être prise souvent de trépidation des membres
inférieurs quand elle marche. Depuis quelques semaines, elle a la sensa-
tion de pieds et de jambes en caoutchouc. Quand on lui fait fermer les
yeux, elle a des oscillations assez manifestes et semble menacée de tomber.
La gêne de la marche paraît déterminée par la douleur autant que par la
rigidité des membres. Il est remarquable que le chatouillement de la plante
des pieds ne produit pas de réflexe. Cependant la plante n'est pas insensible;
elle est plus sensible à gauche qu'à droite, bien qu'il n'y ait pas anesthésie
et que la piqûre soit bien perçue, mieux pourtant à gauche qu'à droite.
Constipation opiniâtre. « Tout est-il hystérique dans ce cas ? J'ai soutenu
l'opinion que oui, malgré le caractère si accentué de la paraplégie spasmo-
dique et bien que contrairement à ce qui a lieu dans les contractures hysté-
riques, il n'y ait pas rigidité au maximum, mais simplement demi-
rigidité. »
M. Charcot conseille de continuer à domicile l'emploi de l'hydrothérapie
depuis longtemps commencé, l'application de pointes de feu le long du rachis
et d'essayer l'action de l'aimant. Ces moyens ne donnent aucun résultat. La
malade entre chez Beni-Barde, à Auteuil, le 10 juin 1881, dans le même
état; elle y reste trois mois et en sort sans amélioration aucune du côté des
jambes. Au contraire, dans les derniers temps, elle ne pouvait plus marcher
du tout et avait peine à se tenir debout, le tronc se renversant en arrière ; la
raideur et la trépidation des membres inférieurs étaient extrêmes.
Son père écrivait au Dr Beni-Barde, le 24 novembre 1881, une lettre d'où
nous détachons le passage suivant : « Depuis bientôt trois mois que nous
avions quille votre maison d'Auteuil, nous continuions sans interruption le
traitement hydrothérapique et, jusqu'à lundi dernier, nous n'avions obtenu
d'autre résultat que le maintien favorable de l'état général sans aucune amé-
lioration du côté des jambes. Lundi matin même, vers neuf heures et demie,
lors de la prise de la douche, la marche avait été aussi pénible que de cou-
tume et rien ne faisait prévoir le mieux qui était à la veille de se produire.
Notre chère malade, poussée, paraît-il, par un rêve qu'elle avait fait la nuit,
a profité du moment où elle était seule pour se lever d'abord et ensuite aller
trouver dans la chambre à côté la petite soeur qui est toujours avec nous;
vous pouvez juger de la stupéfaction de cette bonne soeur, qui ne pouvait en
croire ses yeux et est accourue nous annoncer cette heureuse nouvelle.
Notre pauvre fille s'était vue en songe en présence de M. Charcot, qui
l'avait menacée de la séparer de ses parents, de la soeur Saintc-Batliilde
qu'elle aime beaucoup, si elle ne faisait pas tous ses efforts pour marcher; et
c'est stimulée par cette crainte qu'elle a recouvré la souplesse. Le côté
gauche est toujours sensible et elle traîne la jambe; mais nous acceptons
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 311
pour le moment cette nouvelle position avec espérance d'un retour complet à
la santé, dans un avenir prochain. »
Le 28 novembre 1881, le D' Charpentier, qui avait revu la malade, confir-
mait cette amélioration : « la marche se fait régulièrement pour le membre
inférieur droit; le pied gauche traîne sur le sol et ne peut être soulevé sans
qu'aussitôt ne survienne une tendance à tomber. Le membre gauche tremble
sensiblement, mais moins qu'auparavant. Le genou fixé et le pied redressé
brusquement à plusieurs reprises, il se produit une trépidation prolongée de
tout le membre, durant sensiblement le même temps à droite et à gauche.
Au genou, surtout à gauche, une légère percussion du tendon rotulien
provoque des mouvements spasmodiques prolongés. La raideur des membres
est peu prononcée ; au contraire, depuis que la malade marche, l'hémihyper-
esthésie gauche est bien plus prononcée; elle se plaint de la colonne verté-
brale, ce qu'elle n'avait pas fait depuis longtemps. »
Mais, reprenons son histoire. Quand elle est sortie d'Auteuil vers le com-
mencement de septembre, les choses allaient plutôt de mal en pis. Il lui était
impossible de se tenir debout : 1° la raideur, la trépidation, l'adduction des
membres inférieurs avaient augmenté; le train de derrière était d'une seule
pièce; 2° elle avait une sorte d'opisthotonos permanent, on était forcé de la
soutenir en arrière.
Découragée, elle est rentrée chez elle où elle a été vue parM. Empis. Elle
a continué à prendre deux douches par jour, et pas d'autres médicaments.
Les choses en étaient là, lorsque, dans la nuit du 21 au 22 novembre 1881,
jour de la Présentation de la Vierge, elle a rêvé que M. Charcot était pré-
sent et, avec un peu d'emportement, lui disait qu'il fallait qu'elle marche ou
qu'elle serait remise seule à Auteuil. A partir de ce moment, elle s'est
mise à prier mentalement beaucoup la Vierge, en se disant que si la Vierge
voulait elle marcherait. Jusqu'à 10 heures du matin, il n'y eut rien de
changé. Elle était restée seule dans la matinée pendant une heure, lorsque les
personnes qui étaient dans la chambre voisine l'entendirent crier : Je marche,
je marche ! et en effet elle marchait comme aujourd'hui sans appui.
14 décembre 1881 (Etat actuel). La malade est venue chez M. Charcot;
elle marche sans appui, mais en frottant le pied gauche contre le sol. On
constate que sur les membres inférieurs, surtout à gauche, les réflexes rotu-
liens sont exagérés; la trépidation est très manifeste, mais la raideur a dis-
paru. On constate aussi que l'hyperesthésie qui existait du côté gauche a fait
place à une analgésie; il reste une zone hyperesihésique interscapulaire qui
existait déjà autrefois. Elle n'a plus de déviation du rachis ; elle voit les cou-
leurs de l'oeil gauche. Pas d'anesthésie faciale. Elle mange très bien depuis
cinq ou six mois qu'elle fait de l'hydrothérapie. La nutrition est très bonne.
Les règles sont venues huit jours avant le 21 novembre, comme elles viennent
depuis qu'elle prend des douches, avec un peu d'exaspération de l'hyperal-
gésie ovarienne le premier jour. Elles durent huit jours. Il ne s'est passé
rien de particulier cette dernière époque.
La paraplégie dans toute son intensité a duré deux ans moins quatre jours,
312 ) NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
et pendant les cinq derniers mois la raideur était telle, que la malade était
confinée au lit sans pouvoir du tout marcher. La toux nerveuse qu'elle avait
autrefois n'existe plus; cependant, sous l'influence et l'émotion de la visite
de M. Charcot, elle a eu, à plusieurs reprises, une toux rauque particulière.
Habituellement la malade est très calme et ne rêve pas. Son rêve du 21 est
donc quelque chose d'exceptionnel. Elle n'a pas pu dire si elle avait éprouvé z
des sensations particulières daus cette période préparatoire de la disparition
de la paraplégie. Tout se résume dans l'émotion; elle a cru qu'à un moment
ellè pourrait marcher; un effort de volonté l'a conduite à essayer, et elle a
marché. -
24 février 1882. - La jambe gauche est toujours un peu raide en mar-
chant ; toujours un peu d'hyperesthésie dans tout le côté gauche du corps,
même de la face; elle a toujours les réflexes rotuliens exagérés et la trépi-
dation épileptoïde dans les deux membres, surtout à gauche. Elle ne se ren-
verse plus en arrière en marchant. Elle mange et dort bien. En somme, les
caractères de la paraplégie spasmodique persistent à un certain degré, C4 la
douleur ovarienne gauche seulement à l'époque des règles. On a continué
les douches. Les garde-robes sont spontanées et régulières; les digestions
sont faciles.
23 mai 1882. Encore de la trépidation du pied gauche, un peu moins à
droite. Les réflexes rotuliens sont à peu près normaux. Epoques régulières.
Plus de sensibilité dans le dos. Toujours un peu d'exagération de la sensi-
bilité à gauche. Parésie manifeste à gauche. Un peu d'ovarie du même côté.
Depuis cette époque, la malade n'a pas été revue par M. Charcot. Mais
M. le Dr Charpentier, ancien interne des hôpitaux de Paris, à qui nous
nous sommes adressé pour avoir des renseignements sur l'évolution ulté-
rieure, avec une bienveillance dont nous le remercions vivement, a bien
voulu compléter cette curieuse observation en y ajoutant les détails suivants
que nous copions textuellement : « L'année 1883 se passe sans autres acci-
dents qu'une atteinte d'oreillons qui ne présenta rien de particulier. En 1884,
même état satisfaisant. En 1885, la malade se marie, elle épouse son neveu,
continuant les traditions d'unions consanguines qui durent depuis trois siècles
dans la famille, au détriment de la race. Pendant la grossesse, leucorrhée
très abondante, ovarite, vaginisme, sans que rien puisse faire attribuer une
cause spécifique à cette affection. Elle accouche le 26 février 1887 d'un
enfant robuste, bien conformé. L'accouchement avait présenté de l'inertie
utérine et duré trois jours. En 1888, nouvelle grossesse, accouchement rapide
celle fois. En 1890, troisième grossesse; elle accouche d'un troisième garçon
bien portant.
«.Elle n'a plus aujourd'hui aucun des symptômes qu'elle a si longtemps
présentés. »
OBs. XLII (inédite) (Duc à l'obligeance de M. le D' G. Vallet). Para-
plégie hystérique spasmodique avec paralysie des sphincters.
Mlle M... a dix-neuf ans. Elle n'a eu d'autres maladies qu'une pleurésie à
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES <t SIMULATEURS ». 313
sept ans et une rougeole à quatorze ans. Sa mère et son frère sont, parait-il,
nerveux, irascibles. Elle ne connaît pas de malades dans sa famille.
En octobre 1887, elle fut prise subitement de claudication déterminée
par un état de faiblesse du membre inférieur droit. Cette claudication, qui
n'était accompagnée ni de douleurs ni de troubles de la sensibilité, disparut
brusquement après deux mois. Du mois de janvier 1888 au mois d'avril, la
main gauche fut frappée de paralysie survenue tout d'un coup, complète
dès le premier jour et qui disparut comme elle s'était montrée, sans transition.
Un matin, elle s'est aperçue au réveil qu'elle pouvait de nouveau se servir
de sa main. En juin 1889, il se produit une parésie du membre inférieur
droit, qui la fait boiter pendant deux semaines environ. Cette fois encore,
l'apparition et la disparition sont subites. En mai 1890, le membre inférieur
droit est frappé comme les deux premières fois. Une semaine plus tard, la
même chose arrive au membre inférieur gauche. La marche est possible pen-
dant tout le mois de juin; au commencement de juillet, la malade ne peut
plus se tenir sur ses jambes, et dans le commencement du mois on se décide
à l'amener à Paris.
Elle est vue à ce moment par MM. les Drs Charcot et Landouzy qui lui
ordonnent le séjour dans un établissement d'hydrothérapie. La paraplégie
est complète depuis la fin de juin ; aucun mouvement n'est possible. Les
sphincters de la vessie et du rectum sont paralysés. Le pied droit a été
frappé d'abord, le gauche une semaine après, puis la main gauche presque
en même temps que le pied, et enfin plus tard la main droite pendant le
voyage. Mais aux membres supérieurs il ne s'agit que d'une simple parésie;
les mouvements sont hésitants, gauches, saccadés. Si on demande à la malade
de porter le doigt sur un point quelconque du corps, les yeux fermés, elle
n'y réussit qu'après des tâtonnements. Les réflexes tendineux des membres
inférieurs sont exagérés des deux côtés, mais davantage à gauche. De ce
côté, il se produit souvent un tremblement épileptoïde spontané, de longue
durée, et qu'on n'observe pas à droite. Le tremblement s'était déjà produit
pendant l'hiver avanl l'attaque. A gauche, on détermine facilement la trépi-
dation en fléchissant le pied; on y arrive difficilement à droite.
La sensibilité, qui était, dit-on, normale avant l'attaque, est diminuée
dans tous ses modes. Aux membres inférieurs, elle est très obtuse jusqu'à
la partie supérieure des hanches et inférieure de l'abdomen. La malade
ne peut guère localiser, elle se trompe de membre, confond les sensations
diverses. Il y a pour toutes les sensations un retard de une à trois secondes.
Le sens musculaire est moins atteint, elle sait assez exactement la position
imprimée à ses membres. Aux membres supérieurs, la sensibilité est beau-
coup moins altérée sans être cependant intacte. Sur le tronc, elle semble nor-
male. Le sommeil est régulier, de longue durée, tranquille. L'appétit est bon,
il n'a jamais été troublé. Jusqu'à la fin de juillet, les sphincters sont restés
paralysés et la sensation du besoin spécial ne s'est pas produite. Pendant
quelques jours, cette sensation s'est montrée sans que la malade pût se retenir
et au bout de ce temps, la fonction s'est rétablie. L'urine ne renfermait
tv. 21
,314 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
rien d'anormal; la proportion des phosphates alcalins y était d'un treizième
supérieure à celle des phosphates terreux.
Depuis environ cinq ans, celle jeune fille est sujette à de véritables accès
d'asthme; ces accès ne se sont montrés ni pendant les précédentes attaques
de parésie ni depuis le début de la présente affection. Cette malade qui était
menstruée depuis l'âge de treize ans, irrégulièrement il la vérité, n'a pas eu
de règles depuis le commencement de juillet.
Chaque jour, les mouvements sont moins discordants et plus assurés aux
membres supérieurs. La malade se sert des mains avec plus d'adresse et peut
serrer avec plus de force. Elle peut soulever le corps en s'appuyant sur le
bras, le déplacer ainsi, se retourner dans son lit, toutes choses qu'elle ne
réussissait pas à faire d'abord. Au membre inférieur gauche, y a, pour la
jambe, un certain mouvement d'extension et de flexion. La malade est
capable de soulever cette jambe d'une vingtaine de centimètres au-dessus
du sol et de la ramener à elle quand elle a été étendue ; elle peut aussi
opposer une résistance appréciable aux mouvements communiqués. Ces
effets sont à peine indiqués au membre droit. Cette jeune personne qui a
été traitée par les douches froides, les courants continus et les courants
interrompus a quitté Paris, en voie d'amélioration marquée.
C'est surtout en cherchant dans le passé et dans le mode de début
qu'on arrive à un diagnostic ferme. Car il faut bien avouer qu'une
paraplégie qui se présente avec impotence complète, paralysie des
sphincters vésical et rectal, exagération des réflexes rotuliens et trépida-
tion spinale, pouvait bien éveiller l'idée d'une lésion organique de la
moelle. Mais elle avait été précédée, depuis trois ans, d'accidents
analogues qui étaient survenus avec brusquerie, sans cause appréciable,
et avaient disparu de même sans laisser de traces de leur passage.
D'autre part, les derniers accidents paralytiques avaient débuté, il y a
trois mois, brusquement, dans des circonstances assez étranges. Ils
se sont amendés très notablement, sous la seule influence de l'hydro-
thérapie et de l'électricité. Si on considère enfin que cette jeune fille
présente en plus des troubles de la sensibilité cutanée, on arrivera, il
nous semble, à une conviction absolue et à cette conclusion inatta-
quable : la névrose hystérique est seule responsable de tous les méfaits.
Ons. XLIII (inédite) (Extrait des registres de la clinique). Lucie
D......ville, dix-neuf ans, domestique.
Antécédents héréditaires. Inconnus de la malade.
, Antécédents personnels. A sept ans, rougeole; à quinze ans, fièvre
typhoïde. Un mois après son complet rétablissement, elle tombe accidentel-
lement dans une rivière. Le lendemain, elle a son premier accès de suffoca-
tion, qui, d'après ce qu'elle raconte, aurait été analogue à ceux que l'on
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 315
observe aujourd'hui. Trois jours après, elle s'est plainte de douleurs articu-
laires dans les membres, et à partir de ce moment, la marche est devenue
difficile. Cette difficulté a augmenté peu à peu. Ce premier accès a eu lieu
le 12 janvier 1884.
Depuis lors, tous les mois, très régulièrement à l'époque de ses règles,
elle est prise d'une attaque semblable, qui ne dure jamais moins de
deux jours et jamais plus de trois. Ces attaques sont précédées des prodromes
que nous décrirons plus loin. Quinze jours après la première attaque, elle
ne pouvait plus marcher du tout; ses jambes, complètement molles, ne
pouvaient la soutenir. En outre, elle ressentait d'assez vives douleurs. Elle
est entrée à l'hôpital de Pouilly, où on lui a appliqué des pointes de feu et des
vésicatoires. Elle y est restée deux ans. Pendant la première année, les
membres inférieurs sont seuls atteints. Au commencement de 1885, les
articulations des membres supérieurs sont douloureuses, et bientôt les .mou-
vements deviennent impossibles. En 188G, elle commence à recouvrer l'usage
de ses bras, qui depuis n'ont plus été pris. Seule la paraplégie a persisté.
En 1887, pendant dix mois, les membres inférieurs sont complètement
raides, puis ils sont redevenus mous et flasques.
État actuel (20 février 1888). La malade est grande et d'aspect vigou-
reux. Néanmoins, elle est très impressionnable; elle tressaute au moindre
bruit, et la moindre émotion provoque un tremblement accentué dans les
mains. Entrée le 20 février au soir dans le service de la clinique, elle avait
le lendemain une attaque que l'on peut caractériser en un mot d'accès
laryngé : visage cyanose, dyspnée considérable, cornage, creux sus-clavicu-
laire déprimé à chaque respiration; pas de tirage abdominal. Avec ses mains,
la malade écarte sa chemise de son cou, comme si elle étouffait; les yeux
restent entr'ouverts.
1° Troubles moteurs. Les membres supérieurs sont parfaitement
mobiles, mais les mains sont animées d'un tremblement menu, rapide, avec
quelques mouvements choréiformes dans le bras droit. Les membres illfé-
rieurs sont complètement raides. Signe de Brodie au niveau des articula-
tions du genou. Depuis trois ans, pendant ses attaques laryngées, on est
obligé de la sonder.
20 Troubles de la sensibilité. - La sensibilité est'normale dans tout le
corps, sauf des zones d'hyperesthésie aux deux genoux et au cou-de-pied
de chaque côté. Le réflexe pharyngien existe. La sensibilité de la cornée est
perdue. L'ouïe est normale, mais la malade dit ne rien entendre à certains
jours. Le goût est aboli. L'odorat persiste. Le champ visuel est rétréci des
deux côtés.
. 9 avril 1888. Depuis une semaine environ, la malade commence à
marcher. En même temps, son caractère s'est transformé; auparavant
apathique, molle, sans énergie, elle est devenue plus vive et enjouée.
Aujourd'hui, elle présente une chorée rhythmée des membres supérieurs. Les
attaques sont devenues plus rares.
316 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
La démonstration de l'origine hystérique de cette paraplégie, ressort
avec évidence de l'histoire de cette malade. Elle nous semble inatta-
quable, quoiqu'on ait songé, à l'hôpital de Pouilly, à une lésion médul-
laire. L'hystérie n'est pas douteuse, la nature hystérique de la para-
plégie ne l'est pas davantage.
OBs. XLIV (inédite). Paraplégie hystérique simulatrice d'une para-
plégie par mal de Pott.-Julia B..., seize ans, repasseuse, entre le 8 décem-
bre 1885.
Antécédents héréditaires. Père mort, il y a cinq ans, de tuberculose
pulmonaire. Mère morte de ( ? ). Une soeur hystérique (attaques convul-
sives).
Antécédents personnels. Dans son enfance, la malade n'a jamais fait
de maladies, mais elle était toujours chétive, frêle, sujette aux migraines, aux
palpitations et aux bronchites. Il y a douze mois, elle a éprouvé de vives
douleurs dans la colonne vertébrale, au niveau de la région lombaire et de
la région dorsale. Ces douleurs duraient toute la journée; elles l'empêchaient t
de se relever quand elle était couchée sur le dos; elle ne pouvait porter le
moindre fardeau sur la tète sans les réveiller. A la même époque, ses jambes
sont devenues raides insensiblement et faibles; il lui arrivait souvent de
tomber par terre. Elle éprouvait aussi des fourmillements et des engour-
dissements dans les membres inférieurs. Durant un mois, elle a gardé com-
plètement le lit, ne pouvant se tenir sur ses jambes. Elle a pu ensuite se
relever et marcher, mais avec difficulté; dans la marche, les membres infé-
rieurs et la région lombaire étaient le siège de fortes douleurs; « elle ne
faisait qu'un cri », suivant sa propre expression. Elle a remarqué quelque
temps après qu'elle était voûtée. Les troubles de la marche ont été en pro-
gressant peu à peu, de sorte que, lorsqu'elle est entrée à l'hôpital, elle présen-
tait les phénomènes suivants :
Etal actuel. Paraplégie spasmodique. La marche est très difficile ; la
malade ne progresse qu'avec l'aide d'une chaise qu'elle pousse devant elle.
Elle présente au niveau de la région lombaire une déformation de la colonne
vertébrale assez étendue avec une dépression au-dessus. Son dos est couvert
de pointes de feu. Pas d'abcès par congestion. Rien aux poumons ni dans les
divers viscères. La sensibilité est très affaiblie dans tout le côté gauche du
corps, pour tous ses modes. En outre, il existe à la main gauche des troubles
trophiques très marqués. La main entière est augmentée de volume, violacée,
comme une main présentant des engelnres. Elle présente en effet des ulcé-
rations, des crevasses, qu'elle a, dit-elle, tous les hivers, depuis quelques
années. L'été, ces crevasses disparaissent, la peau redevient lisse, mais garde
sa coloration violacée. En outre, la malade est très émotive; elle tremble à la
moindre émotion, au moindre interrogatoire. Elle a, tous les huit jours
environ, des tremblements qui durent de dix à quinze minutes et quelquefois
plus. Pas d'attaques de nerfs. La recherche des stigmates sensoriels n'a pas
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 317
été faite. Le champ visuel a été examiné, mais la note où il était consigné n'a
pas pu être retrouvée par nous.
Juillet 1886. La malade est prise d'épistaxis, de céphalalgie, de fièvre, de
troubles cérébraux ataxiques. On pense d'abord, étant donné ses antécédents
héréditaires, étant donné le diagnostic supposé de mal de Pott, à une ménin-
gite tuberculeuse. L'apparition de taches rosées fit songer à la fièvre typhoïde ;
néanmoins, même ce diagnostic, à cause des antécédents, resta en suspens.
La malade mourut, et, à l'autopsie, en dehors des lésions intestinales de la
dothiénenlérie, on ne trouva absolument rien. Les vertèbres étaient saines
dans toute leur étendue. La moelle fut retirée et examinée macroscopique-
ment. A l'oeil nu, on ne constata aucune altération appréciable. L'examen
microscopique ne fut pas fait.
Nous avons rapporté cette observation telle que nous l'avions con-
signée dans nos notes de cette époque. Elle est assurément incomplète;
mais, telle qu'elle est, il nous semble qu'elle comporte un enseigne-
ment précieux. La malade était morte de fièvre typhoïde; les divers
viscères, le cerveau étaient normaux. La colonne dorsale ne présentait
aucune altération ; la moelle était saine à l'oeil nu, et, très évidemment,
l'aurait été au microscope. Si l'on veut bien considérer qu'il est noté
dans l'observation que la malade avait de l'hémianesthésie gauche, que
les mains présentaient vraisemblablement ce que M. Charcot a désigné
depuis sous .le nom d'oedème bleu, que si la recherche des stigmates
hystériques avait été faite méthodiquement on les aurait vraisembla
blement trouvés, que Julia B... avait. des crises de tremblements et une
émotivité manifeste, qu'une de ses soeurs avait des attaques d'hystérie,
qu'on n'a trouvé à l'autopsie aucune lésion, on peut en conclure avec
certitude rétrospective qu'il s'agissait d'une paraplégie hystérique
spasmodique. On avait songé, à cause de la paraplégie douloureuse,
de la gibbosité, à un mal de Pott que les antécédents paternels ren-
daient très vraisemblable. Les troubles trophiques et la sensibilité
furent mis très vraisemblablement nous en avons perdu le souvenir
sur le compte de l'hystérie venant compliquer le mal de Pott.
Aujourd'hui, tout nous semble parfaitement explicable, et nous
pensons, avec de bonnes raisons, que tout était hystérique chez notre
malade. On nous objectera peut-être que l'examen microscopique
de la moelle aurait pu révéler des altérations capables de tout expliquer.
C'est une objection qui ne nous paraît pas valable. La malade était
manifestement hystérique et nous sommes entièrement convaincu
que tous ces troubles qui existent dans l'hystérie relevaient de
la grande névrose.
Du reste, on a, depuis lors, signalé des faits de pseudo-mal de Pott
318 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
hystérique. M. le professeur Charcot en a rapporté des exemples dans
ses Leçons du mardi.
M. Audryi en a cité deux cas remarquables, et, l'an dernier, dans sa
thèse, M. Merlin" a fait de cette question nne étude qui, quoique in-
téressante, n'ajoute rien de nouveau à la matière.
Ce sont là des faits qui se présentent assez souvent dans la clinique,
et qui donnent lieu à des méprises appelées à devenir périlleuses, la
trépanation rachidienne étant à l'ordre du jour dans certaines para-
plégies par tuberculose vertébrale.
La gibbosité du mal de Pott n'est pas constante; les abcès froids
peuvent manquer. La paraplégie peut en être longtemps la seule
manifestation ; mais cette paraplégie se présente d'ordinaire avec des
pseudo-névralgies intercostale et sciatique, avec des points douloureux
à la percussion des vertèbres cariées, sans anesthésie cutanée en
segments, etc. C'est sur tous ces caractères pris en particulier, sur
l'ensemble, sur les antécédents héréditaires et personnels du malade,
sur le début et la marche de l'affection, qu'il faudra se baser dans les
cas difficiles. Il est ici absolument nécessaire d'arriver à un diagnostic
certain.
Ons. XLV (inédite) (Extrait du Registre de la Clinique). - Angel... D...,
vingt-sept ans, piqueuse de bottines, enlre le 4 juin 1887 dans le service de
la Clinique.
Antécédents. - Rougeole et scarlatine pendant son enfance. Depuis l'âge
de douze ans, elle travaille à piquer des chaussures à la machine, métier
assez fatigant. Réglée à treize ans, et toujours très irrégulièrement. En 1870,
aurait eu peur à la suite de l'arrivée des Prussiens; après cette peur, elle eut
une fièvre ? qui s'est compliquée d'accidents cérébraux. En 1881, elle com-
mence à marcher difficilement, ressentant de la faiblesse dans les jambes, de
sorte qu'elle est obligée de quitter son métier. Elle dit avoir par moments,
depuis cette époque, des douleurs très aiguës et très rapides dans les cuisses.
Une note paraissant datée de l'entrée, constate « un rétrécissement du
champ visuel, affaiblissement de la vue à droite, diplopie ». Pas d'atrophie
des membres inférieurs mais exagération des réflexes sans trépidation
spinale.
11 juillet 1887. Transfert suivant le procédé de M. Babinski. Amélio-
ration très sensible et presque immédiate. Elle est hypnotisable et sugges-
tible. 13 juillet. Pas de rétrécissement du champ visuel. Pas de lésions
oculaires. 13 novembre. La malade est confinée au lit; elle ne peut
marcher que très difficilement. Elle accuse des douleurs sur le trajet du
sciatique et du crural, surtout du côté droit, sans que la pression de ces
1. Audry, Lyon médical, 1887.
2. Merlin, Du pseudo-mal hystérique de Pott. Th. de Paris, 1889.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 319
nerfs paraisse déterminer rien de spécial. Les membres inférieurs ne sont
pas atrophiés. Les réflexes rotuliens sont exagérés surtout à droite. Pas de
trépidation spinale. Le pied a de la tendance à se mettre en pied-bot interne.
Elle soulève difficilement les jambes au-dessus du plan du lit. La démarche
est spasmodique; elle frotte du bout des pieds, mais peut encore marcher.
Du côté de la sensibilité, analgésie du côté droit, dans toute la moitié du corps,
comparativement surtout avec le côté gauche. Sensation très marquée de froid
aux pieds, objective et subjective. Pas d'insensibilité profonde des membres
dont la torsion est douloureuse. Le sens musculaire est peut-cire légèrement
affaibli dans la position des membres du côté droit. Anesthésie pharyngée.
La percussion de la colonne vertébrale ne semble pas douloureuse; pas de
zones douloureuses. Rien aux yeux. `1cJ novembre 1887. La malade quitte
l'hôpital dans le même état.
Que l'hystérie soit en jeu chez cette malade, cela n'est pas douteux ;
que tout chez elle relève de la névrose, c'est ce qui nous paraît à peu
près certain. Nous n'oserions l'affirmer n'ayant pas observé nous-même
cette malade. Nous avouons volontiers que cette observation présente
quelques contradictions, mais les troubles oculaires constatés à deux
reprises différentes semblent périodiques et l'examen final mentionne
explicitement leur absence.
OBs. XLVI (inédite) (Recueillie dans le service de M. le professeur
Dieulafoy, et communiquée par notre collègue et ami M. Poulalion). Para-
plégie hystérique avec incontinence d'urine. -Adeline J..., vingt et un ans,
mécanicienne, entre le 6 mars 1890, salle Monneret, 30, dans le service
de M. le professeur Dieulafoy, à l'hôpital Necker.
Antécédents héréditaires. Père, mort à trente-neuf ans de tuberculose
pulmonaire. C'était un alcoolique renforcé, qui, avait des crises de nerfs
caractérisées par : perte de connaissance, chute, écume à la bouche, gesticu-
lations nécessitant plusieurs personnes pour le maintenir. Mère, vit
encore; elle a cinquante ans. Elle aurait été durant trois ans, à la suite de
la variole, complètement aveugle. Elle tousse beaucoup et crache du sang.
Elle a des idées noires. Frères et saurs : au nombre de quatre. Deux sont
morts en bas âge ; l'un du croup, l'autre des convulsions. Il lui reste un frère
et une soeur. Le frère, âgé de vingt-six ans, est épileptique ; la soeur est
hystérique; elle a uriné au lit jusqu'à l'àge de dix ans. Tous les trois ou
quatre mois, à la suite de contrariétés, elle a des attaques de nerfs, dans
lesquelles elle se mord la langue, écume, s'agite, crie et s'arrache les
cheveux. Grands-parents. Renseignements inconnus. Oncles et tantes,
.une tante paternelle est morte à quarante-sept ans, de tuberculose pulmo-
naire ; elle avait une coxalgie depuis son jeune âge; en outre, elle avait
eu toute sa vie des crises de nerfs, « elle tombait du haut mal », dit la
malade.
Antécédents personnels. Dans les deux premières années de sa vie, elle
3M NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
a eu des convulsions ; une fois, à la suite de ces convulsions, elle aurait eu
les pieds tournés en dedans, et on aurait été obligé de lui mettre quelque
temps un appareil pour les redresser. A trois ans, rougeole ; à quatre ans,
fièvre muqueuse.
Ce n'est qu'à cinq ans, qu'elle a commencé à marcher ; jusque-là elle mar-
chait « à quatre pattes ». Jusqu'à l'âge de six ans, incontinence nocturne
d'urine. A sept ans, à la suite d'une émotion (elle avait craint de ne pas avoir
de prix, crainte qui l'avait vivement impressionnée), la malade a commencé à
avoir des attaques de nerfs. Bientôt après, elle a eu la danse de Saint-Guy (et
les crises convulsives ont cessé), qu'elle a gardée durant plusieurs mois, et
qui a disparu comme elle était venue, tout d'un coup. Jusqu'à l'âge de onze
ans, elle va à l'école. A douze ans, elle a une conjonctivite et une blépharite
d'origine strumeuse, qui dure pendant deux ans. A quatorze ans, elle entre
en apprentissage (mécanicienne pour corsets). A quinze ans, elle est reprise
de crises convulsives ; elle perdait connaissance, se tordait et écumait, sans
se mordre la langue ni uriner sous elle. Depuis l'âge de quinze ans, elle n'a
jamais passé une quinzaine sans avoir d'attaque ; après son mariage, les
crises sont devenues plus rares (tous les mois environ). A dix-huit ans, elle
se marie. A dix-neuf ans, fausse couche de quatre mois, soignée à Laënnec,
par M. H. Martin qui aurait fait photographier ses dents. Elle a, en effet, les
dents d'Ilutchinson; comme elle a de plus une otite, et qu'elle a eu des acci-
dents oculo-palpébraux, il ne serait pas impossible qu'il y eût chez elle de la
syphilis héréditaire. A vingt ans (1889), elle entre à l'hôpital Laënnec, où elle
reste trois semaines. Vue à cette époque par mon ami Poulalion, elle avait
une contracture du genou gauche avec hyperesthésie cutanée et névralgie
faciale du même côté.
A sa sortie, elle reprit son travail et le continua jusqu'au 9 février 1890.
Durant ce temps, elle a eu des crises analogues aux précédentes et revenant
environ toutes les semaines : ces attaques sont précédées d'une sensation de
boule remontant de l'épigastre au cou et l'étouffant; puis elle perd connais-
sance et tombe. Elle ne se débattrait pas, mais pousserait des cris ; elle ne se
mord pas la langue, elle aurait quelquefois uriné sous elle. Ces crises durent
une demi-heure, une heure en moyenne. ,
Début de la paraplégie. La malade souffrait depuis quelque temps de
métrorrhagies, lorsque le 9 février 1890, elle fut prise de paralysie des
membres inférieurs dans les conditions suivantes : le soir en rentrant de son
travail à huit heures, elle trouve en arrivant chez elle son mari ivre et un
couteau à la main,'la menaçant. Elle eut peur et tomba à la renverse en proie
à une attaque qui dura trois quarts d'heure. Lorsqu'elle revint à elle, elle ne
se rappelait plus ce qui s'était passé. On la porta chez sa mère. Le lende-
main matin, elle éprouva en se levant une grande faiblesse dans les jambes,
qui faiblirent : elle tomba sur ses genoux et resta quelque temps sans pou-
voir se relever ; quand elle se releva, elle ne sentait pas ses jambes, mais
souffrait horriblement. Quoique très gênée, elle put arriver à son atelier.
Là, elle voulut se mettre à la machine, mais ses jambes refusèrent tout ser-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 321
vice, et on fut obligé de la porter chez elle et de la coucher. Depuis lors
elle ne s'est plus relevée.
Le D' J..., appelé, en présence des métrorrhagies, aurait diagnostiqué une
tumeur fibreuse, expliqué la paraplégie par la compression et envoyé la ma-
lade avec ce diagnostic en chirurgie, à l'hôpital Broussais, dans le service de
M. Reclus (vers le milieu de mars). A Broussais, on ne constate aucun corps
fibreux, on diagnostique une métrite, et on parle à la malade de grattage.
Ayant peur de cette opération, elle quitte l'hôpital.
Elle rentre chez elle, ayant toujours sa paraplégie compliquée de constipa-
tion opiniâtre et d'incontinence d'urine continuelle. Le 26 mars 1890, déses-
pérée de se voir dans cette position d'immobilité, se croyant paralysée pour
toujours, elle tente de se suicider en avalant le contenu d'un flacon de tein-
ture d'iode dont elle se servait pour des badigeonnages. On appelle un mé-
decin ; on la fait vomir. Désolée d'avoir échoué, elle aurait essayé de se
couper la gorge avec un couteau. On l'apporte à l'hôpital Necker dans le
service de M. Dieulafoy, où, quand tout se fut calmé, on constata, outre une
paraplégie avec contracture et douleurs vives au niveau des genoux, des
troubles de la sensibilité : hyperesthésie cutanée, allant de la partie
moyenne de la cuisse au niveau du cou-de-pied. En outre, plaques hyperes-
thésiques très sensibles, au niveau de la région sternale et sur le sommet du
vertex ; de plus, quelques plaques sur les bras et dans le dos. Anesthésie des
conjonctives et du pharynx. Rétrécissement assez marqué du champ visuel
des deux côtés, mesuré par le procédé du doigt. Rien du côté de l'ouïe, du
goût et de l'odorat. Rien aux membres supérieurs. Elle présente une métror-
rhagie abondante, des douleurs et du ballonnement du ventre. La paraplégie
était complète avec troubles des sphincters. On essaye, mais sans succès, de
l'hypnotiser ; puis on a recours à la suspension et à l'hydrothérapie. Au bout
de quelques semaines, on constate une amélioration ; peu à peu la paraplégie.
se modifie; la malade remue un peu les jambes dans son lit, et c'est seu-
lement au bout de vingt jours de traitement qu'elle peut, soutenue par deux
aides, faire quelques pas dans la salle : elle a la démarche traînante et sau-
tillante des spasmodiques.
L'amélioration fait des progrès assez sensibles, au point que, en juin, elle
peut sortir seule de l'hôpital : elle marche sans appui, tout en ayant une
certaine raideur. Quinze jours après sa sortie, elle est prise de chorée
rhythmée du bras gauche et d'aphonie qui a duré trois semaines. Après avoir
passé quelques jours à l'Hôtel-Dieu, elle revient à Necker, ayant encore sa
chorée rhythmée. Nous l'avons vue le 10 août 1890 et nous avons trouvé les
signes suivants :
Troubles de la sensibilité. Hyperesthésie en plaques, |pour tous les
modes de sensibilité (conctact, douleur, froid), siégeant à la partie anté-
rieure des deux genoux. Cette hyperesthésie est très vive, et la malade
redoute de se laisser toucher en ces points. La colonne vertébrale dans toute
son étendue, est également hyperesthésiée pour le plus léger frôlement. Elle
porte encore des plaques d'anesthésie sous les deux clavicules et il l'avant-
322 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
bras du côté gauche. Elle dit que ces plaques d'anesthésie et d'hyperesthésie
varient assez souvent de siège. Il existe encore une zone hystérogène dou-
loureuse au niveau de la région ovarienne droite; la pression réveille des
phénomènes d'aura. Quant aux troubles des sens, l'ouïe est abolie du côté
gauche, mais cette abolition relève d'un écoulement purulent qui dure
depuis dix-sept ans. Le goût et l'odorat sont normaux. Pas d'anesthésie
pharyngée. Le champ visuel est rétréci concentriquement et de chaque côté
à 65° en dehors.
Troubles moteurs. 1° Chorée rhythmée classique du bras gauche.
2° Paraplégie.
Examinée au lit, dans le décubitus dorsal, on constate qu'elle peut élever
fort peu les membres inférieurs au-dessus du plan du lit; la flexion des
jambes sur les cuisses est très incomplète et très difficile, douloureuse si
elle est forcée. Les réflexes rotuliens sont difficiles à explorer à cause de
l'hyperesthésie cutanée; ils semblent normaux et égaux des deux côtés.
Pas de trépidation spinale. Pas de troubles trophiques. Dysurie ayant fait
place à l'incontinence. Elle éprouve en outre des douleurs vives dans les
genoux, dans le dos et dans l'abdomen.
Si on lui dit de descendre de son lit, elle transporte avec ses mains ses
jambes sur le bord du lit, puis se laisse glisser jusqu'à terre. Elle se tient
seule debout, sans trépidations, sans oscillations; si on lui dit de soulever
successivement l'un et l'autre talon et de ne reposer que sur la pointe du
pied, elle ne tremble pas, elle ne tombe pas. Si on lui ordonne de marcher,
elle prend une canne ou une chaise, et progresse en frottant le sol, les
membres inférieurs animés d'une trépidation analogue à celle des spasmo-
diques. Elle marche ainsi assez bien. Le saut à pieds joints, n'est pas pos-
sible, pas plus que la marche à quatre mains, etc. Pas d'abasie en un mot.
Outre ces troubles moteurs et sensitifs et ces signes probables d'hérédo-
syphilis, la malade présente un état mental caractéristique; elle rit ou pleure
sans motif sérieux; « il faut, dit-elle, qu'elle fasse l'un ou l'autre »; elle est
d'humeur mobile et capricieuse.
Démontrer la nature hystérique de ces accidents nous semble super-
flu; la succession seule des diverses manifestations, leur mode de
début, leur évolution parlent assez clairement. Nous avons hâte, du
reste, d'arriver au groupe si curieux des paraplégies monosymptoma-
tiques.
CHAPITRE VII
PARAPLÉGIES HYSTÉRIQUES « ! SfONOSYIIPTOVIATIQUES »
Nous arrivons maintenant au groupe des paraplégies « monosympto-
matiques ». Ici, qu'elle soit d'ordre traumatique ou spontanée, flasque
ou spasmodique, la paralysie des membres inférieurs est la seule mani-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 323
fellation actuelle de l'hystérie. Les autres manifestations habituelles
de la névrose : stigmates sensitivo-sensoriels, attaques convulsives, etc.,
font complètement défaut.
Aussi le problème se trouve-t-il singulièrement compliqué. Dans les
cas que nous venons de rapporter, la présence seule des stigmates
constituait de fortes présomptions en faveur de l'origine névropathique
de tous les accidents morbides observés chez le malade. Ici l'existence
même de l'hystérie est en cause; il faut avant tout la démontrer, et
pour cela, se baser sur les antécédents, les anamnestiques, le mode de
début et la marche. Démontrer dans ces conditions difficiles que le
sujet est hystérique, c'est, du même coup, faire voir que tout relève
de la névrose.
Dans les observations suivantes, nous nous efforcerons, en nous
basant sur ces divers éléments, d'arriver à la solution du problème.
OBs. XLVII (inédite). Paraplégie hystérique simulatrice du tabès dor-
sal spasmodique. -Denis ll...al, treize ans, entre le 19 mai 1890, salle Prûss,
n° 1, dans le service de M. le professeur Charcot.
Antécédents héréditaires. Du côté de ses grands-parents, on ne trouve
aucune tare héréditaire névropathique. Son père est mort à trente-quatre
ans de tuberculose pulmonaire. Sa mère est bien portante. Il n'a ni frère ni
soeur. Un oncle et une tante paternels sont morts de tuberculose pulmonaire.
Antécédents personnels. - La plupart des renseignements concernant les
antécédents et le début de la maladie nous ont été obligeamment confirmés par
M. le Dr Sirot (de Beaune) qui avait dès le début donné ses soins au malade.
Dans sa première enfance, Denis n'a eu d'autre maladie que la rougeole et
une fracture du radius. Il y a un an et demi, il vient à Paris avec sa mère.
A peine était-il arrivé qu'il est pris de céphalalgie vive et de vomissements.
En raison de l'hérédité, le médecin qui le vit à cette époque aurait songé Il
un début de méningite tuberculeuse et renvoyé l'enfant à Beaune. M. le Dr Si-
rot qui le soigna constata une céphalalgie persistante, continue, mais entre-
coupée de paroxysmes avec état fébrile et coloration marquée du visage. Il lui
prescrivit l'huile de foie de morue phosphorée. En août 1889, l'enfant fit
une chute à la suite de laquelle il fut pris de douleurs abdominales et testi-
culaires. Vers le milieu de septembre, tout était rentré dans l'ordre et D...
reprenait sa vie habituelle. « Le 22 décembre, écrit sa mère au médecin,
en rentrant de l'école, il se plaignit d'un fort mal de tête; je le mis au lit
croyant que c'était une indisposition; mais pas du tout, le mal 's'ensuivit et de
jour en jour il s'accroissait. Huit jours près, j'ai voulu le faire lever, pensant
qu'il allait mieux, mais aussitôt sur pied, il prend une crise de nerfs et we
reste raide dans les bras, alors j'ai en recours à vous en vous envoyant
chercher. » Le 28 décembre, on constate de la toux, de l'inappétence et de la
faiblesse des membres inférieurs.
324 NOUVELLE ICONOGRAPHIE PE LA SALPÊTRIÈRE.
Dans le courant de janvier 1890, l'enfant allait mieux; apyrexie complète,
mais insensiblement les jambes refusent la marche et la station debout. « Il
y a là, nous écrit M. Sirot, un état paraplégique qui, vu l'antécédent paternel,
me fait penser il l'existence de quelque chose du côté des vertèbres. Un
examen attentif de toute la région vertébrale ne me fait rien découvrir. »
On le traite par l'huile de croton et la cautérisation ponctuée. Pas d'amélio-
ration, au contraire, l'affection progresse : « C'est alors (in) février 1890)
qu'en présence de la parésie, de l'exaltation des réflexes, des spasmes mus-
culaires, des accès'de'trépidation provoquée et de la marche saccadée et
tétanique que je portai le diagnostic de paraplégie spasmodique... Je cher-
chai a établir un diagnostic et je conclus a une sclérose' latérale symétrique
primitive ou 'tabès dorsal spasmodique de Charcot. C'est avec ce diagnostic
que j'adressai l'enfant à M. Charcot. » Et M. le Dr Sirot il qui nous avions
annoncé ! la guérison' brusque et complète de son malade, cherchant dans ses
souvenirs, ajoute : .« Rien, chez le jeune D... ne m'avait révélé, l'hystérie et
en cherchant dans ma mémoire, je ne trouve rien qui eût pu m'y faire
penser.,» , .... - -
Etat' actuel. -Sensibilité - La sensibilité générale et spéciale explorée
avec' soin, il diverses reprises, ne révèle aucun trouble. Le goût, l'odorat,
l'ouïe, le champ visuel, sont normaux. Le réflexe pharyngé est conserve'.
Les membres inférieurs sont contracturés en extension com-
plète. Les cuisses et les jambes sont en adduction forcée, au contact; elles se
laissent difficilement écarter pour reprendre leur position première dès qu'on
les abandonne (PI. XIV). Tous les mouvements volontaires sont abolis sauf
au niveau des orteils où. ils sont très limités. Les réflexes rotuliens peuvent
être obtenus : ils sont très exaltés et la flexion dorsale du pied provoque une
trépidation épileptoïde prolongée qui s'arrête dès qu'on fléchit'le pied dans
la flexion plantaire. Absence de troubles vésicaux ou rectaux. Pas de
troubles trophiques. Rien a noter dans les divers viscères. Les membres
supérieurs sont normaux. L'intelligence est vive,' l'appétit normal, la santé
générale satisfaisante. ' '
. 25'mars, '- Le petit malade en s'éveillant ce matin s'est figuré que ses
jambes allaient mieux; il lui semble qu'il pourrait marcher et en manifeste
le désir à l'infirmière de la salle : on lui dit d'essayer et on se met en devoir
de l'aider. On le lève, on le soutient, et effectivement il peut faire quelques
pas, mais, fatigué par cet effort, il est obligé de se faire recoucher. Deux
heures plus tard, il demande à essayer encore. On l'habille et il fait de nou-
veau quelques pas péniblement et soutenu sous les bras. Dans l'après-midi,
il peut se lever seul et marcher assez facilement dans la salle. Quelques
heures après, il descend seul un escalier de vingt marches et va se promener
1. Nous devons faire remarquer qu'il s'agit ici d'un enfant et que les stigmates sensitivo-
sensoricls font souvent défaut dans l'hystérie infantile. La planche XIV donne une repro-
duction exacte de la contracture du jeune D.... Elle est la reproduction photographique
d'une malade du service atteinte d'une paraplégie analogue.
Nouvelle iconographie DR la SALPÊTRIÈRE £ T. IV. PL. i,
PHOTOTYPE Négatif A. LONGE. PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne LONGUET.
CONTRACTURE HYSTÉRIQUE
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 325 5
dans le jardin, appuyé sur une canne. Le lendemain matin, à huit heures, il
se lève et se met à marcher sans appui avec la plus grande facilité. Il ne
ressentait que quelques douleurs moins accusées que la veille sous les
talons. Nous l'avons fait marcher devant nous : il le fait comme un enfant t
de son âge, il se tient même à cloche-pied mais assez péniblement. 11 plie et
étend ses membres sans aucune gêne. Les réflexes rotuliens sont encore
exagérés, mais la trépidation spinale a disparu. Lesjours suivants, la guéri-
sun ne se dément pas, elle s'accentue; il marche, court, joue avec ses cama-
rades, comme s'il n'avait jamais été paralysé. Les stigmates sensitivo-sen-
soriels sont de nouveau recherchés sans succès.
7 juin 1890. Deux mois et demi après cette guérison, aucune rechute,
aucun nouvel incident n'est survenu et D... quitte la Salpêtrière entièrement
guéri. Les réflexes rotuliens sont égaux des deux côtés, normaux, peut-être
un peu exagérés. La sensibilité est toujours normale.
Il serait difficile de trouver un cas plus démonstratif de paraplégie
spasmodique suivie d'une guérison plus radicale. -
L'hystérie est-elle en jeu ? Oui, assurément. Et cependant tout sem-
blait conjuré pour écarter ce diagnostic. En raison de l'âge du malade,
de ses antécédents héréditaires tuberculeux, des phénomènes méninges
qu'il avait présentés à deux reprises différentes, du mode de début pro-
gressif, on était parfaitement autorisé à songer soit à un mal de Pott
sans déviation, soit à un tubercule de la moelle. On y songea tout
d'abord; plus tard en présence des raideurs, de l'exaltation des
réflexes, de la trépidation spinale et de l'absence de toute autre mani-
festation bacillaire, on fit le 'diagnostic de tabes dorsal spasmodique.
Nous avouons volontiers que l'hystérie ne pouvait pas être soupçonnée
et que, n'était l'événement ultérieur, tous les autres diagnostics pos-
sibles étaient défendables.
Mais aujourd'hui, étant donnée la guérison brusque, il semble
que certain phénomène bizarre aurait pu donner l'éveil. Cette crise
de nerfs, cette perte de connaissance dans les bras de sa mère
semblent bien légitimer les doutes. Et pourtant la recherche métho-
dique des stigmates de l'hystérie est restée infructueuse. La guérison
seule est venue dissiper toutes les incertitudes et confirmer les soup- `
çons. Aussi l'existence problématique d'un mal de Pott, d'une myélite
ne nous parait pas admissible et nous ne discuterons point ces
hypothèses. La guérison brusque, complète, plaide trop en faveur de la
névrose hystérique, surtout si l'on réfléchit aux circontances d'ordre,
psychique qui l'ont amenée. Le jeune D... nous a raconte qu'en quit-
tant Beaune, tout le monde lui avait affirmé qu'il guérirait à Paris
que depuis lors cette idée avait empli son esprit, qu'il ne « pensait
326 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
qu'à ça ». Il en rêvait même sans doute, mais ses souvenirs ne sont
pas très précis à ce sujet.
En somme, il a pensé sa guérison avant de la réaliser. N'est-ce pas
absolument conforme au mécanisme général des paralysies hystériques,
à ce mécanisme psychique sur lequel a si souvent insisté M. Charcot ?
Une idée les produit, une idée les fait disparaître; dépendent on ides,
suivant la juste expression de M. Russel Reynolds.
(A suivre.)
A. Souques,
Interne (Médaille d'or)
de la Clinique des maladies du système nerveux.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. PL. XXXI.
PHOTOTYPE négatif A. LONDE.
PHOTOCOLLOGRAPHIE L. SAUVE.
SAINT EDOUARD LE CONFESSEUR
ROI D'ANGLETERRE
PAR iiAN6 BURGH : 1M[.A.J : R
LECROSNIER & BABÉ
ÉDITEURS
DEUX DESSINS DE LÉPREUX
par IIANS BUIIGK31AI1,
]7 ? fk" ^ " s . ' "r"-~- ? -1
. ? r"... ? 1 .' ....
Nous avons déjà eu l'occasion de.reproduire.ici' une remarquable
gravure'd'Albert Durer dans; laquelle un lépreux se trouve figuré avec
la'plus grande vérité et la plus scrupuleuse exactitude. On reconnais-
sait à première vue les signes caractéristiques de cette terrible maladie.
Sur la figure du malheureux s'étalaient les nodosités de la lèpre tuber-
culeuse ? pendant, que tout le corps portait; les stigmates. d'une autre
forme du mal, la lèpre atrophiques. «
Cette. représentation si fidèle de la lèpre n'est point la- seule; que
nous aient laissée] les artistes. Nous en'avons signalé un certain nombre
dans notre mémoire sur « les Difformes et- les Malades dans l'art o,
oeuvres d'ailleurs d'un mérite inégal, mais parmi lesquelles il convient
de'citer un tableau des plus remarquables de Hans Holbein de Vienne.
Notre intention n'est point de revenir ici sur ces oeuvres déjà étudiées
et que le lecteur que ces faits intéressent retrouvera facilement dans
notre travail déjà cité. Mais nous avons eu connaissance dernièrement
de deux nouveaux dessins de lépreux signés ;d'un maître allemand
justement célèbre, IIans Burgkmair,el nous avons pensé intéressant de
les reproduire- ici en les rapprochant, du' fameux lépreux du chef
incontesté de l'école allemande. On sait que Hans Burgkmair, peintre
et graveur, était l'ami d'Albert Durer 'et même, dit-on, : son élève, bien
que plus jeune que lui de deux années seulement. : - .. . 1
La première, gravure2 (Pl. XXXI) représente' saint Edouard le Con-
fesseur, roi d'Angleterre. Le saint, revêtu des insignes dela royauté, la
tête ceinte du diadème, les épaules drapées du long manteau/tenant
de la main droite le sceptre, emblème de la toute-puissance, étend la
main gauche pour secourir la suprême faiblesse sous les traits d'un
malade, d'un infirme. Et ce malade privé de l'usage de ses membres
inférieurs, assis dans une petite voiture, n'est autre qu'un de ces
malheureux qu'une horrible maladie, la lèpre, mettait au ban de la
société. Comme pour le lépreux d'Albert Durer, le mal est reconnais-
sable à deux signes caractéristiques. On constate, en effet, sur le cou,
1. Nouvelle Iconographie, 1888, n° 1.
2. Ces deux gravures de Hans Burgkmair sont empruntées à l'ouvrage les Grands
Illustrateurs, 1500-1800, public par Goorgcs Hirtli, t. I.
vs NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
la figure, la main et une partie du dos qu'une déchirure du vêtement
laisse à découvert, les plaies ulcéreuses et les tubercules. En second
lieu, les signes de l'atrophie musculaire sont indiscutables. Si l'on doit
deviner celle des jambes que le dessinateur ne montre pas, mais qui
ont certainement perdu toute action, ainsi que le prouve la petite voi-
ture qui sert au malheureux pour se déplacer, l'atrophie du membre
supérieur gauche est clairement exprimée par la position de la main
représentée1 tombante et parla déformation des doigts figurés dans
l'attitude très caractéristique bien connue depuis Duchenne,deBoulogne,
sous le'nom de griffe atrophique des interosseux, Ce malade n'est point
un enfant, ainsi' que le pourrait faire supposer à tort.l'exiguïté de sa
taille proportionnellement celle du saint roi. Ce défaut de proportion,
contraire' aux règles des plus élémentaires de la perspective, est une
vieille tradition léguée par l'antiquité à l'iconographie chrétienne. Elle
a pour but évident de donner aux héros ou aux saints une importance
plus'considérable, en les distinguant par des proportions quasi surna-
turelles'de ceux qui les entourent.' ' '
Dans la'- seconde' gravure dont nous 'voulons parler (Pl. XXXII), on
constate que- la 'même disproportion existe. La sainte est beaucoup plus
gran'déque le groupe'des personnages 'situé à'droite et en somme assez
rapproche- d'elle*. Cette gravure représente B. Adélaïde, reine d'Italie,
puis impératrice d'Allemagne. La bienheureuse est plongée dans une
sorte- d'extase en face de l'image du Crucifié, pendant qu'une servante
distribué1 des pains aux malheureux.' Parmi ces' derniers une femme
assise à terre est atteinte de la lèpre, dont elle porte plus manifestement
les stigmates sur lefmeffibre supérieur gauche, atrophie, griffe des
interosseux et tubercules ou' ulcérations.
Rapprochés du lépreux'd'Albert Dürer, ces deux lépreux de son ami
et disciple, lui sont inférieurs. Ils sont en quelque sorte « moins nature »
et paraissent faits d'après une tradition ou, pour mieux dire, en suivant
des règles plus ou moins conventionnelles déduites de l'oeuvre même
du maître. Il est assez naturel d'ailleurs que, vu la place secondaire
qu'ils tiennent dans la composition, ils soient d'un dessin plus som-
maire. Ils n'en sont pas moins intéressants pour nous, car ils mettent
bien en lumière et cela d'une façon presque schématique deux grands
signes de la lèpre pris sur le vif et si bien représentés au naturel par
Albert Durer, d'une parties tubercules ou les ulcérations, et de l'autre
l'atrophie musculaire. J.-M. Charcot et PAUL Richer.
Le gérant .'EMILE Lecoosami.
4295. L.-Imprimeries rouilles, B, rue Mignon, 2. MAY et Motteroz, directeurs.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. PL. XXXII
PHOTOTYPE négatif A. LONDE.
PHOTOCOLLOGRAPIIIE L. SAUVE.
B. ADELAÏDE, REINE D'ITALIE
puis IMPÉRATRICE D'ALLEMAGNE
PAR HANA BURCi$MA2R
LECROSNIER & Babé
ÉDITEURS
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
D'UNE MALFORMATION SPÉCIALE DE LA POITRINE
(thorax EN entonnoir)
contribution A l'étude DES stigmates physiques DE dégénérescence
La malformation de la poitrine que nous nous proposons d'étudier
est essentiellement caractérisée par une dépression de dimension va-
riable située au niveau de la partie médiane et antérieure du (borax.
Cette dépression est formée par le sternum qui, plus ou moins pro-
fondément incurvé dans sa partie moyenne ou inférieure, décrit ainsi
un arc de cercle à concavité antérieure; il entraîne avec lui en arrière
les cartilages costaux, conslituant une excavation analogue à celle que
l'on produirait en refoulant avec le poing la paroi antérieure et mé-
diane du thorax supposé flexible. Cette dépression très évasée d'abord
-se rétrécit ensuite d'avant en arrière affectant ainsi une forme conique,
d'où le nom de thorax en entonnoir.
Jusqu'à aujourd'hui l'attention des observateurs ne semble pas avoir
été beaucoup attirée sur cette malformation, en France du moins, où
il n'en a été publié à notre connaissance qu'un seul cas il y a une tren-
taine d'années', par un auteur anonyme.
Cas. I (Gaz. desltôpit.). Homme de vingt-deux ans. A la naissance il
existait au niveau de l'extrémité inférieure du sternum une petite fossette
qui, à partir de douze ans, s'excava davantage en forme d'entonnoir jusqu'à
pouvoir admettre une tète d'enfant. Profondeur, 8 à 9 centimètres; lon-
gueur maxima de l'excavation, 20 centimètres; largeur maxima, 18 centi-
mètres. Sommet de l'entonnoir correspondant à l'extrémité inférieure de
l'appendice xyphoïde. Coeur déplacé en haut; bruit diastolique double. Sco-
liose très peu accentuée.
En '18G, Luschka dans son Anatomie signala d'une façon très in-
I. Difformité thoracique (Gazette des hôpitaux, Paris, 1860).
iv. 22 z2
330 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -
complète une déformation thoracique en entonnoir. D'après Flesch, le
cas auquel fait allusion Luschka serait le même que celui cité plus haut.
En '1870, Eggel, décrivit le premier en Allemagne avec quelques
détails la poitrine en entonnoir.
OBS. II (Eggel)1. Homme de vingt-quatre ans, thorax en entonnoir
congénital. Profondeur de l'excavation 6 centimètres. Le sommet de l'enton-
noir est situé à 3 centimètres au-dessous de la ligne bimamelonnaire. Pas de
troubles fonctionnels.
Dans la troisième observation due à Flesch2, la malformation a
débuté à sept ans, en même temps que des accès épileptiques, à la
suite d'une scarlatine.
La quatrième observation a été rapportée par IIagmann3 et concerne
un enfant. La même année un nouveau cas est publié à Vienne'.
En 1880, Ebstein a rassemblé les cas précités, y a ajouté deux obser-
vations personnelles et a fait du thorax en entonnoir une étude inté-
ressante5.
Voici ces cas brièvement résumés :
OBs. VI. Homme. A deux ans « fièvre cérébrale » suivie de paraplégie
plus accusée à droite et de déformation thoracique. A vingt-cinq ans, accès
épileptiques. Pieds bots. Contracture de la jambe gauche. Thorax aplati
dans sa partie supérieure, excavation en entonnoir du corps du sternum.
Longueur maxima de la dépression, 20 centimètres. Largeur maxima,
17 cent. 2. Profondeur 72 millimètres. La pointe du coeur bat au niveau de
la ligne axillaire gauche, dans le cinquième espace intercostal. Il est recou-
vert par une lame pulmonaire. Scoliose droite. Soudure des deuxième et troi-
sième orteils.
Ons. VII. Homme, soixante-deux ans. Taille 1 m. 70. La dépression
du sternum, d'origine congénitale, commence à la partie supérieure du
corps de l'os, formant une fosse de 4 centimètres de profondeur, dont le
fond est à 17 millimètres au-dessous de la ligne bimamelonnaire. Longueur
maxima de la dépression, 18 cent. 5. Largeur, 13 cent. 5. Le coeur n'est pas
déplacé, mais il est recouvert par une lame pulmonaire. Bruits sourds. Aug-
mentation du diamètre thoracique transverse. Cyphose dorsale d'intensité
moyenne. Lordose lombaire accentuée.
Ebstein a étudié un autre cas de thorax en entonnoir sur un mou-
1. Eggel, Eine sellene Missbildung des Thorax (Virchow's Arch., Bd 49; 1870).
2. Flesch, Ueber eine sellene Dlissbildung des Thorax (1'Ï1cholU's Arch., 57; 1873).
3. Ilal;mann, Sellen vorkommende Abnormilât d. Brustkastens. Jcclarb. d. Kinderheill.
Neue Folge, Bd XV; 1880.
4. Eine mer& ! oit)'(<t</6 Difformitàt. Wiener med. Itlüller, 1880, n° 50.
5. Ebstein, Ueber die Trichterbrust. Deutsch. Archiv. sur Min..lIed" t. XXX.
UNE MALFORMATION SPÉCIALE DE LA POITRINE. 331 ! age de la collection de l'Institut anatomo-patholoidue de Gôttingen.
On n'a que peu de renseignements sur le sujet porteur de cette mal-
formation : on sait seulement que celle-ci était congénitale; sa pro-
fondeur était de 7 cent. 3. Enfin l'auteur précédent a examiné un
sternum du même musée présentant la malformation en entonnoir; il
` n'existait que six incisures costales du côté gauche : le cinquième car-
tilage costal était absent.
Servier (1883) 4 se borne à faire allusion à la poitrine en entonnoir
d'Ebstein et ajoute les lignes suivantes : « Chaque année les conseils de
revision refusent un certain nombre de conscrits pourdesvicesde con-
formation caractérisés par une courbure du sternum dont la convexité
est tournée du côté de la cavité thoracique, la concavité étant sous-
cutanée. »
Klemperer, en 1888, a étudié chez trois malades la poitrine en en-
tonnoir qu'il considère comme une anomalie extrêmement rare. Il
n'existait pas de cyphose, mais une augmentation du diamètre thora-
cique transverse. L'un des cas a été observé à l'asile de Dalldorf chez un
épileptique aliéné. Les deux autres cas, d'origine congénitale, ont été
rencontrés chez deux frères, issus d'une famille à nombreuses tares
psychopathiques, mais non aliénés. L'anomalie s'était dans ces derniers
cas montrée durant trois générations.
Eichhorst3 en 1889, rapporte avoir rencontré cette malformation
chez cinq individus du sexe masculin, entre autres chez un idiot micro-
céphale, issu d'une famille où les névroses sont héréditaires.
Nous avons eu occasion d'observer cinq cas de celte anomalie dont la
rareté nous semble avoir été un peu exagérée'. La cause de ce fait
doit être attribuée d'abord au siège même de la déformation, qui
explique que celle-ci puisse passer facilement inaperçue, quand l'atten-
tion des observateurs n'est pas portée de ce côté, et aussi à l'absence
presque constante de troubles fonctionnels qui la laissent parfois
ignorée du malade lui-même. Ajoutons enfin que cette anomalie a pu
également être mal interprétée et attribuée à tort, selon nous, au rachi-
tisme. Nous espérons en effet montrer que la poitrine en entonnoir
n'a rien de commun, comme on est tenté de le croire au premier
1. Dictionnaire encyclop. d. se. médic., art. Sternum.
2. Klemperer, Société méd. int. de Berlin, 2 juill. 1888 (Bulletin médic., 11 juill. 1888).
. 3. Eichhorst, Traité de diagnostic médical (Traduction française de \IVi. Marfan et
Weiss; Paris, 1890).
4. Il existe au musée Dupuytren, dans une vitrine consacrée au rachitisme,'un moulage
non catalogué sur lequel nous n'avons pu avoir aucun renseignement et qui semble bien
être la reproduction d'un thorax en entonnoir. La profondeur de l'excavation dont le som-
met correspond à la ligne bimamelonnaire est d'environ 75 millimètres. Le thorax ne parait
pas présenter d'autre déformation qu'un léger degré de scoliose.
33 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
abord, avec les déformations rachitiques, mais qu'elle doit plutôt être
rattachée aux états de dégénérescence dont elle constituerait un des
nombreux stigmates physiques.' Voici les observations : .
. Ces. VIII (personnelle). T...; quatre-vingt cinq ans, ayant exercé la
profession de journalier. Ce malade, dont les deux soeurs ont été aliénées,
dont les fils ont également présenté des troubles mentaux, a toujours été
regardé comme un excentrique, et, à partir de quarante-sept ans, a eu à
diverses reprises des bouffées délirantes ambitieuses. A son entrée il l'asile de
Vaucluse, il est complètement dément et succombe au bout de peu de temps
à une pneumonie caséeuse.
Taille, 161 centimètres.
. Crâne : plagiocéphalie assez accentuée :
Diamètre antéro-postérieur maximum 101 mm.
. transverse . '13 L
frontal minimum 10 L
Membres supérieurs : Doigts en massue, vitiligo à la main droite.
Organes génitaux : Phimosis, vitiligo du scrotum.
Membres inférieurs : Syndactylie des deuxième et troisième orteils.
Ichthyose généralisée. Un petit-fils du malade a la même atlection.
' La poitrine présente une vaste excavation qui peut loger le poing. Le ster-
num, à partir de la fourchette jusqu'au quatrième cartilage costal, garde une
inclinaison normale; plus bas, il se dirige en arrière suivant une pente
.d'abord douce, mais qui, au niveau du cinquième cartilage, plonge presque
.perpendiculairement au rachis. A l'union du corps du sternum et de l'appen-
dice xyphoïde se trouve une dépression digitale qui constitue le sommet de
l'entonnoir. La paroi de ce. dernier se redresse ensuite en avant et, par une
pente peu sensible, se continue avec la paroi antérieure de l'abdomen. Au
niveau de l'union des fausses côtes avec la septième, il existe, de chaque côté,
une voussure très notable de cette partie du thorax, qui forme les bords laté-
raux de la partie inférieure de l'entonnoir (Pl. XXXIII, XXXIV).
Les mensurations pratiquées sur le thorax ont donné les résultats sui-
vants : -
. Diamètre sterno-vertébral à l'union du corps du sternum et delà poignée,
.180 mm.
Diamètre sterno-vertébral au niveau du fond de l'entonnoir, 130.
Diamètre transverse au niveau du mamelon, 255.
Diamètre transverse maximum au niveau de l'entonnoir, 277.
Longueur maxima de l'entonnoir, 137; largeur maxima, 12G; profondeur
.55.
Distance entre le fond de l'entonnoir et le milieu de la ligne bimamelon-
naire, 40.
Distance entre le fond de l'entonnoir et l'ombilic, 166.
Longueur du sternum, 210; largeur maxima, 40.
Circonférence thoracique, 780.
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE T. IV. PL. XXXIII
PHOTOTYPE négatif' A. LONDE
PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne * Longuet,
THORAX EN ENTONNOIR
LECROSNIER & BABBÉ
ÉDITEURS
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE T. IV. PL. XXXIV.
PHOTOTYPE négatif A. LONDE PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne 4 ! : LONGU1 : .T.
THORAX EN ENTONNOIR
LECROSNIER & BABBÉ
ÉDITEURS
UNE MALFORMATION SPÉCIALE DE LA POITRINE. 333
Rachis normal. Pas de scoliose.
On constata à l'autopsie que le sommet de l'entonnoir répondait à la par-
tie supéro-externe du lobe gauche du foie à 2 centimètres du bord posté-
rieur. La voussure droite correspondait à la partie moyenne du foie ; le coeur
était recouvert par une lame pulmonaire et sensiblement dévié à gauche;
une aiguille enfoncée dans la poitrine au niveau du mamelon gauche tra-
versait la partie moyenne du ventricule gauche. Malgré un examen des plus
attentifs nous n'avons trouvé aucune trace de déformation pouvant être ratta-
chée au rachitisme'.
OBs. IX (personnelle). M..., quarante-deux ans, né en Ecosse, est issu
d'une famille d'alcooliques. Son père s'est brûlé la cervelle. C'est un dégé-
néré supérieur d'une intelligence développée, mais avec de profondes
lacunes morales. Il parle couramment plusieurs langues, a publié en Angle-
terre un volume de poésies, a exercé successivement les professions de mar-
chand de vins, d'architecte, de correspondant de journaux anglais en Orient,
d'agent du gouvernement anglais en Turquie, etc. Il a été interné à plusieurs
reprises. Il présente un délire systématisé ambitieux non hallucinatoire, pré-
tend être l'archiduc d'Esté des Cinq-Étoiles, allié et héritier de cinq familles
souveraines. On constate en outre chez lui des idées hypocondriaques très
accusées.
Taille, 171 centimètres. -
Crâne : Diamètre antéro-poslérieur maximum 193 mm.
transverse 15G.
- frontal minimum '12G. "
Yeux : inégalité pupillaire. Acuité visuelle OD, OG, V = 2/3.
Implantation vicieuse des dents de la mâchoire inférieure.
Voûte palatine ogivale. Pas d'hypertrophie des amygdales.
Aux pieds existe une anomalie caractérisée par un retrait de 3 centimètres
-environ du cinquième orteil en arrière du quatrième.
Hachis normal. Pas dc scoliose.
Diminution généralisée de la sensibilité à la douleur. Léger degré,de der-
mO{fraph ie.
Aucun signe de rachitisme.
La concavité sternale débute au niveau de-l'insertion du quatrième carti-
lage costal, sous forme d'une gouttièra, puis s'accentue davantage pour
former un entonnoir dont le sommet, qui mesure environ 3 centimètres de
diamètre, répond à la jonction du corps du sternum avec l'appendice xyphoïde.
Il existe une voussure très développée et symétrique de chaque moitié de la
partie inférieure du thorax. La pointe du coeur est très difficilement percep-
tible : on aperçoit cependant sur la paroi gauche et inférieure de l'entonnoir
un soulèvement rythmique de- la peau. Le maximum de matité du coeur
correspond à un carré de 4 centimètres de côté, commençant à 3 centimètres 5
1. Un moulage du thorax de ce sujet a été présenté par nous à la Société d'anthropologie
éance du 7 lit ti 1391 ).
331 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.
de la ligne médiane et s'étendant du bord supérieur de la troisième côte au
bord supérieur de la quatrième. Rien d'anormal à l'auscultation.
Diamètre sterno-vertébral à l'union du corps du sternum et de la poignée,
157.
Diamètre sterno-vertébral au niveau de l'entonnoir, 152.
Diamètre transverse au niveau du mamelon, zig1. '
de l'entonnoir, 255.
Longueur maxima de l'entonnoir, 145; largeur, 1gag; profondeur, 32.
Distance entre le fond de l'entonnoir el le milieu de la ligne bi-mamelon-
naire, 40.
Distance entre le fond de l'entonnoir et l'ombilic, 202.
Longueur du sternum, 195; largeur maxima, 50. Appendice xyphoïde
rudimentaire.
Circonférence thoracique, 890.
Une soeur de 11L ? présenterait, d'après lui, une malformation de la
poitrine identique à la sienne.
OBs. X (personnelle). B..., quarante ans, atteinte d'imbécillité, est
internée à l'asile depuis seize ans. Pas de renseignements sur les antécédents
héréditaires. Langage très imparfait; la malade parle nègre. Emotivité
excessive, irascibilité, qui rendent impossibles des mensurations complètes.
Poitrine en entonnoir analogue aux cas décrits ci-dessus, sauf au point de
vue de la profondeur maxima qui ne dépasse pas 25 millimètres. On constate
également chez celte malade une saillie latérale et symétrique du thorax à
sa partie inférieure. Aucun trouble fonctionnel.
Taille, 160,
Diamètre sterno-vertébral au niveau du sommet de l'entonnoir, 140.
Diamètre antéro-postérieur thoracique latéral au niveau du mamelon, 175.
Crâne : globuleux à sa partie antérieure; le front est large, bombé, haut
(hydrocéphalie).
L Diamètre antéro-poslérieur maximum, 187.
transverse 155.
frontal minimum. 108.
Hauteur du front, 73.
Diamètre bizygomatique, 130.
Maxillaires volumineux.
Lobule de l'oreille adhérent.
Les mains, qui sont grandes, présentent des malformations symétriques.
Le deuxième métacarpien n'est représenté que par un osselet de quelques
millimètres de longueur avec lequel s'articule l'index. Celui-ci, considérable-
ment atrophié, est moins volumineux que le petit doigt (longueur G7 milli-
mètres). Son extrémité inférieure esta 70 millimètres au-dessus de l'extré-
mité inférieure du médius et à 1G millimètres au-dessus de l'articulation de-
la phalange avec la phalangette de ce dernier doigt (Pl. XXXV).
Le petit doigt est, en outre, le siège d'une malformation décrite par
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. IV. PL. XXXV.
PHOTOTYPE négatif A. LONDE
Photocollographie Chêne LONGUGT.
MALFORMATIONS DE L'INDEX
LECROSNIER & BABBÉ
ÉDITEURS
UNE MALFORMATION SPÉCIALE DE LA POITRINE. 335
M. Landouzy sous le nom de camptodactylie et considérée par lui comme un
signe d'arthritisme'.
Du côlé gauche, les os de l'avant-bras sont atrophiés (22 centimètres de
longueur au lieu de 26 à droite); le cubitus est incurvé, sa partie concave
est dirigée en avant; on constate en outre une hyperostose de l'olécrane et
une cicatrice consécutive à un abcès.
La malade est sourde; son acuité visuelle est diminuée OD, OG, V== 1/3;
papilles blanchâtres, allongées suivant l'axe horizontal.
Dentition mauvaise : il ne reste que les incisives et les canines inférieures
qui sont petites, érodées, écartées les unes des autres, mal implantées.
Pas de lésions rachitiques. Pas de scoliose.
Cas. XI (personnelle). Nous avons eu récemment occasion de voir un
nouveau cas de cette malformation chez un sujet atteint de maladie d'Addison
dans le service de M. Raymond. Il s'agissait d'un individu exerçant la pro-
fession d'homme de peine qui, comme tous nos malades précédents, ne pré-
sentait point de signe de rachitisme et n'avait subi aucun traumatisme tho-
racique.
Il offrait, au niveau de la partie médiane du thorax, une large excavation
de 2 centimètres environ de profondeur. Ce n'était pas à proprement parler
un infundihulum, comme dans les cas précédents, mais plutôt une fosse
comme dans les cas publiés par Toldï et Ebstein.
Ce malade, alcoolique chronique (hyperesthésie plantaire), d'une intelli-
gence peu développée, était en outre porteur d'autres stigmates physiques de
dégénérescence (malformation crânienne, bec-de-lièvre).
uns. XII (communiquée par notre collègue, le D' Legrain, médecin de la
colonie de Vaucluse). T..., neuf ans, imbécillité très accentuée. Père
déséquilibré, alcoolique. D'autres membres de la famille paternelle font des
excès de boisson. Mère débile avec idées de suicide. Le malade est
apathique, habituellement immobile, il se livre à l'onanisme. Langage rudi-
mentaire. Nombreux stigmates physiques de dégénérescence : crâne informe,
aplati dans le sens vertical, très asymétrique ainsi que la face, strabisme,
oreilles mal ourlées, lobules sessiles, atrésie des fosses nasales, progna-
thisme, implantation vicieuse des dents, qui sont en partie crénelées et
cariées; les arcades dentaires ne se correspondent pas en avant. Les amyg-
dales font défaut. Strume. Cryptorchidie complète. Léger geiiit valgum à
droite. Le thorax en entonnoir que présente ce malade est de tout point con-
forme à la description que nous avons donnée des cas précédents : profondeur
maxima, 12 millimètres ; le sommet de l'entonnoir correspond à la fossette
sus-xyphoïdienne; l'appendice xyphoïde se porte brusquement en avant pour
constituer la paroi inférieure de l'entonnoir.
1
1. Moulage présenté à la Société d'anthropologie (7 mai 1891).
336 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Le coeur bat avec violence dans le cinquième espace intercostal et présente
les signes d'un rétrécissement aortique avec hypertrophie ! .
UNE MALFORMATION SPÉCIALE DE LA POITRINE. 337
Le tableau précédent résume, au point de vue de l'état mental et des
signes physiques de dégénérescence, les traits caractéristiques de
nos observations ainsi que ceux de tous les cas que nous avons pu re-
lever dans les littératures française et étrangères.
Certaines particularités des observations précédentes méritent d'être
étudiées de plus près :
La profondeur de l'excavation est très variable; la plus grande, re-
levée par nous, a été de 55 millim.; la plus petite, de 12 millim.
(cette dernière chez un enfant). Chez les deux sujets d'Ebstein, l'en-
tonnoir mesurait dans un cas 40 millim., dans l'autre 72, de la base
au sommet. La première observation publiée porte que la profondeur
était de 8 il 9 centime z
En général le sommet de l'entonnoir correspond à l'union de l'ap-
pendice xyphoïde avec le sternum (fossette sus-xyphoïdienne), quel-
quefois à l'extrémité inférieure du sternum.
11 ne nous a pas été possible pour les cas que nous venons d'énumérer
d'avoir des renseignements sur la date d'apparition delamalformation,
ce qui permet de supposer que celle-ci était congénitale ou remontait
à la première enfance. Dans les observations rassemblées' par Ebstein,
le thorax en entonnoir était congénital deux fois; chez deux autres
sujets il s'était montré à deux ans et sept ans. Klemperer donne comme
congénitale la malformation de ses trois malades.
Le thorax en entonnoir ne paraît pas entraîner de troubles fonction-
nels sérieux, ni pour l'appareil respiratoire, ni pour l'appareil circula-
toire. Dans l'observation de la Gazette des Hôpitaux on signale bien
l'existence d'un double souffle diastolique, mais le sujet pouvait mar-
cher, courir, monter des escaliers, sans trouble aucun de la respiration.
Deux de nos malades sont des hommes très vigoureux ; l'un est
excellent nageur; les autres ne semblent jamais avoir éprouvé de gène
attribuable à leur déformation. Le rétrécissement aortique constaté
chez le malade de l'observation XII n'est évidemment qu'une coexis-
tence, une malformation de plus à ajouter au tableau déjà si chargé
des signes physiques dégénératifs du malade. Cependant on conçoit
que l'excavation plus ou moins considérable qui caractérise la poitrine
en entonnoir n'aille pas sans une certaine modification dans les rap-
ports réciproques des viscères thoraciques. Le coeur, parfois plus élevé,
est habituellement refoulé à gauche et recouvert par une lame pulmo-
naire, ce qui rend difficile de préciser avec netteté la situation de la.
entonnoir observé chez une femme sourde qui n'en était aucunement incommodée. La
cavité sternale profonde d'environ 6 centim. était assez grande pour admettre le poing
(Soc. d'anlhropolog., -1 mai 1891). -
338 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
pointe. Dans un des cas d'Ebstein, celle-ci battait au niveau de la ligne
axillaire gauche, en un point correspondant au cinquième espace inter-
costal. Ebstein signale comme un phénomène constant le développe-
ment plus considérable du thorax dans le sens transversal; Klemperer
fait la même remarque. Il s'agit là d'une compensation du raccourcis-
sement du diamètre antéro-postérieur thoracique. D'après les auteurs
que nous venons de citer, l'augmentation du diamètre transverse serait
manifeste aux différentes hauteurs de la poitrine. Voici en regard l'un
de l'autre, les chiffres qui représentent le diamètre transverse du thorax
au niveau des mamelons, d'une part chez les sujets à poitrine en enton-
noir, de l'autre chez des individus normaux.
UNE MALFORMATION SPÉCIALE DE LA POITRINE. 339
d'attribuer la malformation du sternum à un arrêt de développement
de l'os en longueur.
La mensuration du diamètre sterno-vertébral, en dehors même de
l'entonnoir, démontre qu'il existe un rétrécissement de ce diamètre
(Ilagmann).
La circonférence thoracique maxima n'est point diminuée. Nous
trouvons dans les observations VIII et IX les chiffres de 78 et de 89;
or Sappey adopte comme moyenne 80 à 84. Ebstein, chez les sujets
qu'il a étudiés, a trouvé pour la circonférence thoracique, 83 et 90.
D'après Ebstein les diamètres thoraciques antéro-postérieurs pris au
niveau du mamelon ne sont pas modifiés. Eggel a obtenu un résultat
contraire.
Le thorax en entonnoir ne saurait en aucune façon être mis sur le
compte du rachitisme. Comme le dit Tripier' à propos du diagnostic
des déformations limitées du squelette, quelle que soit leur ressem-
blance avec celles du rachitisme, le fait seul de leur délimitation per-
met de les exclure. Le rachitisme frappe en effet le système osseux en
son entier et laisse des traces sur la tête (persistance des fontanelles,
déformations de la voûte crânienne, des maxillaires, anomalies den-
taires), le tronc (chapelet rachitique, rétrécissement du thorax avec
double gouttière latérale), l'abdomen (forme globuleuse) et les membres
(nouures articulaires, courbures des os longs).
Aucun des auteurs qui ont étudié la poitrine en entonnoir n'ont
trouvé chez leurs sujets des signes de rachitisme, lundis qu'ils ont pu
constater parfois chez eux, ainsi que nous l'avons vérifié sur nos malades,
l'existence de malformations dont la cause doit, croyons-nous, être
rapportée à une influence dégénérative. D'ailleurs les déformations
thoraciques dues au rachitisme réalisent habituellement un type tout
différent de celui que nous avons observé. Le sternum, au lieu de plon-
ger vers le rachis, proémine fortement en avant; il forme ce qu'on a
appelé la poitrine en carène ou de poulet. Le thorax rachitique coupé
transversalement présente l'aspect d'une poire dont la partie effilée
correspondrait au sternum. Dans le thorax en entonnoir au contraire
une section horizontale au niveau du sommet de la dépression donnerait
une courbe rappelant assez bien la forme d'un rein avec son hile pro-
fondément excavé.
Nous devons encore signaler parmi les déformations thoraciques 'à
différencier du thorax en entonnoir la poitrine creuse des tailleurs
d'habits, qui travaillent assis, le corps courbé en avant. Cette dépres-
1. Tripier, Article Rachitisme du Dictionnaire de Dechambre.
310 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sion résultant de la déformation de la totalité du thorax est surtout
prononcée au-dessous de l'appendice xyphoïde.
Les cordonniers présentent également une déformation thoracique
produite par la pression de la forme sur la poitrine. Au niveau des
articulations chondro-sternales des 6', z' et 8e côtes, immédiatement
au-dessus de l'appendice xyphoïde, existe chez eux une dépression
profonde, circulaire, régulière, nettement circonscrite. Cette dépression
est accompagnée de callosités qui indiquent son origine; elle n'affecte
pas la forme en entonnoir et n'entraîne pas une déformation des car-
tilages costaux voisins.
On sait que l'hypertrophie des amygdales est accompagnée souvent
de déformations du thorax qui ont été étudiées pour la première fois
par Dupuytren (1828) ; cette cause ne saurait être incriminée chez nos
malades dont les amygdales n'étaient pas hyperlrophiées. Au reste
les déformations dues à ce facteur n'ont rien de commun avec le thorax
en entonnoir. C'est le plus habituellement une projection en avant des
cartilages costaux et du sternum, c'est la poitrine en carène. Dans
quelques cas rares, le sternum est creusé d'une gouttière (Balme)1 ou
sillonné par une dépression transversale (Lambron)2.
Nous ne citerons que pour mémoire les déformations consécutives
à des traumatismes (enfoncement du sternum par un projectile, par un
coup de timon de voiture, etc.). Dans la plupart des fractures du ster-
num (efforts musculaires, etc.) le fragment inférieur est porté en avant.
Beauchêne a cité un cas dans lequel un sujet réussit, par des pressions
répétées sur le sternum, à produire la disjonction des deux premières
pièces et à déprimer la seconde. Malgaigne rapporte le fait d'un myope,
habituellement penché en avant, chez quilecorps du sternum s'incurva
en arrière (Servier)3.
Différentes hypothèses ont été faites pour expliquer le mode dc pro-
J. Balme, De l'hypertrophie des amygdales. Thèse de Paris, 1888.
2. Lambron, De l'hypertrophie des amygdales et de ses fâcheuses conséquences Bulle-
tin 1 cad. méd., 18G1).
3. Il est encore une autre déformation acquise qui présente quelque analogie avec la
poitrine en entonnoir. A une certaine période de la myopathie atrophique progressive de
l'enfance (type Landouzy-Déjerine), on constate, dit M. Raymond, une assez curieuse dé-
formation de la poitrine en avant : de convexe qu'elle- est à l'état normal, la paroi tho-
racique antérieure devient plane, quelquefois même concave, le sternum forme alors une
sorte de gouttière dont les parois latérales sont limitées par les cartilages costaux (Ray-
mond, Malad. du syst. neru" Paris, 1889). Chez un malade atteint d'atrophie musculaire
généralisée d'origine articulaire. M. Déjerille a signalé l'existence d'une déformation très
marquée de la cage thoracique, le sujet est voûté, la partie antérieure de la poitrine est-
aplatie et concave en avant dans sa partie supérieure surtout. Le sternum constitue le fond
de cette sorte de gouttière formée par la partie antérieure du thorax. Les pectoraux des
deux côtés sont atrophiés. M. Déjerine émet l'hypothèse qu'il s'agit, dans ce cas, d'atrophie
musculaire d'origine articulaire et comme dans la myopathie progressive, d'une déforma-
tion consécutive a l'atrophie musculaire (Soc. de Biologie, 27 juin 1891).
UNE MALFORMATION SPÉCIALE DE LA POITRINE. 3H
duction du thorax en entonnoir. Plusieurs des cas ayant été remarqués
aussitôt après la naissance, ZuckerKandl admet comme cause de la
déformation la pression du maxillaire inférieur du foetus sur le ster-
num. Schiffer (cité par Flesch) suppose que l'excavation du thorax est
due à la longueur anormale des côtes qui refouleraient en arrière le
sternum. Ilagmann fait intervenir la pression du talon in utero.
D'autres invoquent l'intervention d'une péricardite, d'une médiastinite,
d'un déplacement congénital du coeur à gauche. Eggel croit que, par
suite des troubles de' la nutrition ou du développement, il se produit
une flexibilité anormale du sternum qui résiste à sa partie supérieure,
soutenu qu'il est par les premières côtes, mais qui, en bas, où les
côtes sont plus longues et plus mobiles, s'excave à chaque inspiration
sous l'influence de la pression atmosphérique. Ebstein pense qu'il
s'agit d'un arrêt du développement du sternum qui s'immobilise en
arrière au lieu de se développer et de se porter en avant.
Nous serions assez disposés à admettre cette dernière opinion. Celle
qui se contente de faire intervenir une cause mécanique ne saurait
expliquer le fait de la coexistence fréquente avec le thorax en enton-
noir de malformations d'autres organes. Deux faits incontestables frap-
pent en effet à la lecture et à la comparaison des diverses observations
publiées : c'est, d'une part, cette coexistence du thorax en entonnoir
avec d'autres anomalies; de l'autre, son apparition chez des sujets por-
teurs de tares héréditaires plus ou moins lourdes et dont l'état mental
est lui-même rarement indemne.
Relativement au premier point, nous voyons la poitrine en enton-
noir être accompagnée de syndactylie (obs. VI); d'absence du cinquième
cartilage costal (Ebstein); de plagiocéphalie, de syndactylie, de viti-
ligo, de phimosis, d'icthyose (obs. VIII); d'implantation vicieuse des-
dents, de voûte palatine ogivale, de malformation des orteils (obs. IX);
d'hydrocéphalie, de malformation des doigts, de surdité (obs. X); de
malformation crânienne, de bec-de-lièvre (obs. XI); de difformités
crâniennes, de strabisme, de prognathisme, d'implantation vicieuse
des dents, de cryptorchidie, de rétrécissement aortique (obs. XII).
Cette apparition chez le même individu de déviations multiples du
développement normal ne saurait s'expliquer que par l'existence d'une
cause perturbatrice dont l'action s'est fait sentir dans le cours de la vie
foetale (développement congénital de la malformation) ou dans la pre-
mière enfance. Or nous savons que parmi les plus puissantes des causes
qui peuvent ainsi faire dévier le développement du foetus ou de l'enfant
doivent être comptées les tares nerveuses ou psychopathiques, les in-
toxications des ascendants; puis en seconde ligne viennent les maladies
342 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
du foetus ainsi que celles de la première et de la deuxième enfance. On
ne peut faire que des hypothèses sur le mécanisme par lequel les
atteintes du système nerveux des générateurs retentissent sur le déve-
loppement physique et psychique des descendants; quoi qu'il en soit le
fait est indubitable et, derrière ces malformations, on retrouve habi-
tuellement les tares que nous venons de signaler. Quant aux cas où le
thorax en entonnoir ne s'est révélé que plus tard, ils paraissent dus à
l'influence d'une maladie à localisation cérébrale ayant retenli sur le
développement de la partie inférieure du sternum, dont les points
d'ossification ne se montrent, on le sait, que huit ou dix mois après la
naissance et souvent beaucoup plus tard (méningite à deux ans suivie de
l'apparition de la poitrine en entonnoir, Ebstein. Epilepsie survenue à
sept ans consécutivement aune maladie infectieuse et suivie elle-même
de déformation du sternum, Flesch). ,
D'ailleurs, l'existence de malformations thoraciques en général chez
les dégénérés a été signalée par différents auteurs : Flesch faisait déjà
remarquer la fréquence de l'épilepsie chez les individus porteurs de
déformation du thorax. Bianchi (cité par Lombroso) constate ces ano-
malies chez 61 p. z100 des criminels. Balme a rencontré de nombreuses
malformations thoraciques chez les arriérés de la colonie de Vaucluse :
poitrine en carène, luxation en arrière de la pointe du sternum, sternum
engouttière,incurvation totale du troncen avant, saillie d'une épaule, etc.
Le docteur Ad. Bloch signale la coexistence chez les dégénérés de
déformation de la cage thoracique avec des malformations crâniennes,
des nodosités digitales, de l'hypertrophie cardiaque, etc.1. M. Girau-
deau , dans une étude sur les rapports du rétrécissement mitral con-
génital et de l'hystérie, note chez ses malades un arrêt de déve-
loppement de la taille, une malformation du sternum, un défaut de
développement du système pileux; cette coexistence avec la névrose
convulsive de ces anomalies diverses ne peut relever que d'une influence
dégénérative.
Pour ce qui est de l'état mental on constate aussi, comme nous le
disions tout à l'heure, que les individus porteurs de la poitrine en en-
tonnoir sont souvent aussi mal conformés au point de vue cérébral
qu'au point de vue de leur système osseux. Ce sont pour la plupart des
dégénérés délirants ou non, des débiles, des imbéciles, des idiots, des
épileptiques. « Chez certaines familles, dit Eichhorst, le thorax en en-
1. A. Bloch, la Forme des doigts et les nodosités de Bouchard (Assoc. franc, pour
l'avancement des sciences; loi aoùt 1889).
2. Rétrécissement mitral et hystérie chez l'homme (Archives U6'it. méd" novembre
1890).
UNE MALFORMATION SPÉCIALE DE LA POITRINE. 3M
tonnoir esthéréditaire, et dans ces cas on a remarqué à diverses reprises
que les autres membres de ces familles, et même les individus atteints
de cette anomalie, présentaient des affections psychiques, de l'épilepsie,
ou d'autres difformités. » L'auteur donne la photographie d'un garçon
de douze ans, observé à la clinique de Zurich, porteur d'un thorax infun-
dibuliforme et qui, issu d'une famille où les névroses étaient hérédi-
taires, était lui-même microcéphale et idiot. Klemperer attache égale-
lement une grande importance aux anomalies du système nerveux
central.
En résumé, la coexistence chez les sujets porteurs du thorax en en-
tonnoir d'autres malformations, leur état mental, leurs antécédents
héréditaires psychopathiques, sont autant de raisons qui nous condui-
sent à ne voir dans la poitrine en entonnoir qu'un des nombreux
stigmates physiques de la dégénérescence, qu'une anomalie de dévelop-
pement enrapport avec l'hérédité morbide. En admettant une influence
héréditaire dans la genèse de cette malformation, nous ne voulons pas
affirmer qu'elle soit toujours le résultat d'une transmission héréditaire
similaire, bien que, nous l'avons vu plus haut, Klemperer et Eichhorst
en aient cité des cas. Nous entendons l'hérédité dans son acception la
plus large, nous parlons non pas de celle qui se borne à transmettre
intacte telle ou telle particularité d'une génération à l'autre, mais de
cette hérédité morbide qui, devenue modificatrice et créatrice, inter-
vient pour constituer de toutes pièces les états dégénératifs, les dévia-
tions du type normal de l'espèce.
J. Ramadier ET P. Sérieux,
Médecins-adjoints des asiles de la Seine.
DIATIIËSE DE CONTRACTURE' 1
Je consacre un chapitre spécial à la description d'un désordre
neuro-musculaire qui n'est ni la paralysie ni la contracture et qui
cependant lient de l'une et de l'autre. Il ne se traduit, dans l'état
ordinaire, par aucun signe objectif; le malade qui en est atteint con-
serve foute la liberté de ses mouvements, et les manifestations qui lui
sont propres demandent à être provoquées soit intentionnellement par
le médecin lui-même à l'aide de manoeuvres spéciales, soit acciden-
tellement par un événement fortuit. Nous le désignerons, à la suite de
M. le professeur Charcot, sous le nom de diathèse de contracture-. Cet
état spécial du système neuro-musculaire tient de la paralysie en ce
qu'il coïncide le plus souvent avec un affaiblissement marqué de la
motilité; il tient de la contracture en ce qu'il la renferme en puissance
pour ainsi dire et qu'il suffit de l'excitation souvent la plus légère
pour la faire apparaître. J'ajouterai qu'elle disparaît de même.
La diathèse de contracture existe en dehors de l'hystérie. Elle a été
désignée par quelques auteurs sous le nom d'état d'opportunité de
1. Nous pensons être agréable à nos lecteurs en extrayant ce chapitre d'un ouvrage de
notre collaborateur Paul Richer sur les Paralysies et les contractures hystériques qui
doit paraître très prochainement chez Doin, éditeur. N. D. L. Il.
2. M. Charcot, dans ses conférences cliniques (1878), a le premier employé la dénomina-
tion de diathèse de contracture pour désigner, l'état nerveux dont il s'agit et dont il
plusieurs reprises il a fait ressortir toute l'importance.
Les principaux travaux publiés sur la question sont les suivants :
Brissaud et Ch. nichet, Faits pour servir à l'histoire de la contracture, in Prog.
méd. 1880. ·
Ballet et Delanef, De l'état d'opportunité de contracture, in Gaz-, méd. de Paris,
°-9 juillet 1882.
Brunet, Elude clinique et physiologique de l'état d'opportunité de contracture. Th. Paris,
1883.
Charcot et Richer, Diathèse de contracture chez les hystériques, Société de Biologie et
Progr. met., déc. 1883.
Pierre Descubes, Eludes sur les contractures provoquées chez les hystériques à l'état de
veille. Th. Bordeaux, 1885.
P. Berbez, Sur la diathèse de contracture, in Progr. méd ? 188G, p. 835.
Pitres, Leçons cliniques sur l'hystérie, 1891, t. 1", p. 377.
DIATHÈSE DE CONTRACTURE. 345
contracture. C'est elle que M. Brissaud a décrite chez les hémiplégiques
d'origine organique sous le nom de « contracture latente ».
Ce qui suit s'applique particulièrement à la diathèse de contracture
de nature hystérique.
Ses principaux caractères sont les suivants :
1° Exaltation des réflexes tendineux. C'est là un signe constant.
Je n'ai jamais vu la diathèse de contracture coïncider avec la perte des
réflexes tendineux. Mais le degré de l'exaltation peut être très variable.
D'un autre côté, l'exaltation des réflexes tendineux ne comporte pas
nécessairement l'état de diathèse de contracture.
2° Trépidation épileptoïde (Phénomène du pied). Ce phénomène
existe, mais il est rare dans la diathèse de contracture hystérique. Il
acquiert une importance beaucoup plus considérable dans l'état de
contracture latente des hémiplégiques organiques. Dans l'hystérie, il
est souvent remplacé par cet autre phénomène décrit par Wetsphal
sous le nom de contraction paradoxale.
3° Action de l'électricité. - Les muscles ont conservé leur excitabilité
électrique, mais on observe dans leur façon de répondre à l'excitant
électrique des modifications intéressantes. Nous avons fait à ce sujet
de nombreuses expériences dont je me contenterai d'indiquer ici les
résultats.
A. Propagation de l'excitation électrique (interruptions rapides)
Addition des secousses produites par des interruptions lentes.
a. Lorsque les interruptions sont rapides, les muscles électrisés se
tétanisent, comme il arrive chez les sujets sains, mais chez l'hystérique
on observe parfois que la contraction musculaire ne reste pas localisée
aux muscles directement excités. Ainsi, si l'excitation faradique est
portée sur les fléchisseurs des doigts, la main se ferme presque aussitôt.
Mais l'action ne se borne pas là : bientôt, sans aucune modification
apportée dans l'excitation, on voit le poignet puis l'avant-bras se
fléchir. D'ailleurs, il ne s'agit pas là de contracture permanente, car
toute action musculaire disparait aussitôt que cesse l'excitation.
b. Si les interruptions sont lentes (trois par seconde), elles donnent
lieu à des secousses musculaires qui, d'abord nettement distinctes, em-
piètent bientôt l'une sur l'autre et ne tardent pas à se confondre dans
un même état de contraction tonique analogue à la tétanisation pro-
duite d'emblée par la faradisation à interruptions rapides.
B. Déformation de la secousse musculaire. - a. Les expériences
d'inscription graphique de la secousse musculaire montrent que chez
les sujets prédisposés à la contracture on observe souvent une défor-
m. 23
346 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
mation de la descente de la courbe musculaire caractérisée dans son
ensemble par un allongement de cette descente. Dans une première
partie, la descente est brusque comme dans la contraction normale,
puis s'arrête tout d'un coup pour faire place à un plateau plus ou moins
accidenté, plus ou moins long, et terminé bientôt par un retour à la
normale. Après celte secousse, le muscle est ce qu'il était auparavant.
Il ne reste pas raccourci (fig. 63).
b. Quelquefois une seule secousse faradique suffit pour produire la
contracture permanente. Dans ce cas, la descente de la courbe reste
Fig. 03.
incomplète et le muscle demeure raccourci. Il est en état de contrac-
ture (fig. 64).
c. Mais le plus souvent il est indispensable de répéter un certain
nombre de fois les chocs faradiques pour voir la contracture perma-
nente se développer progressivement. La contracture ne commence à
lm. G6.
se produire qu'après quelques excitations, puis chaque nouvelle exci-
tation en augmente le degré, ainsi que le représente le schéma (fig. 65).
Dans cette circonstance, la contracture ne se limite pas au muscle
directement excité : elle envahit tout ce membre par l'extrémité duquel
elle débute d'ordinaire.
4° Contractures provoquées. La contracture peut être provoquée
par les procédés les plus variés, parmi lesquels je citerai :
a. Le massage musculaire profond, auquel il faut ajouter la con-
striction opérée sur le membre par un son élastique, procédé qui est
d'une grande efficacité;
b. Le choc répété sur les tendons ;
. DIATHÈSE DE CONTRACTURE. 347
c. Le tiraillement des membres ; leur
flexion brusque*;
d. Le froissement des nerfs;
e. L'application d'un diapason vibrant;
f. La faradisation des muscles ou des
nerfs ;
g. L'aimantation;
h. L'excitation superficielle de la peau
consistant en un simple frôlement, ou pro-
duite par un souffle ou un courant d'air
léger;
i. La suggestion à l'état de veille.
Tous ces procédés dont on pourrait aug-
menter la liste n'ont pas la même valeur.
Ils agissent parfois à l'exclusion les uns des
autres.
Il est même fort rare de les trouver tous
également efficaces chez un même sujet. Du
moins, c'est un fait que nous n'avons pas
encore observé jusqu'ici.
En analysant le mode d'action de ces
différents procédés, on constate que, en
laissant de côté ceux dont l'action est com-
plexe, tels que la faradisation, l'aimanta-
tion, la vibration du diapason, les autres
peuvent être classés en deux catégories,
suivant que l'excitation porte sur les parties
profondes, muscles, tendons, os, nerfs, ou
bien qu'elle est exclusivement cutanée. Il
nous a semblé légitime de rapprocher ces
phénomènes neuro-musculaires de ce qui
se passe, au même point de vue, dans les
diverses périodes de l'hypnose, la contrac-
ture survenant à la suite de ces irritations
profondes dans la léthargie, et à la suite des
seules excitations superficielles dans le
somnambulisme, d'où les dénominations
que nous avons proposées, M. Charcot et
1. M. P. Descubes décrit ces procédés sous la dénomi-
nation d'excitations ostéo-fibreuses, en y ajoutant la
pression et la pcrcussion directe des os.
I ? c. 65.
348 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
moi, pour désigner ces deux variétés de la diathèse de contracture*.
La variété de diathèse de contracture dans laquelle les procédés de la
première catégorie seraient seuls efficaces pourrait s'appeler variété
léthargique, pendant que l'autre prendrait le nom de variété som-
nambulique.
La variété la plus fréquente est la variété léthargique. Le mélange
des deux n'est pas rare.
La contracture une fois produite revêt tous les caractères de la con-
tracture hystérique spontanée, elle ne diffère point avec la nature des
manoeuvres qui lui ont donné naissance. Quel que soit le procédé, mas-
sage musculaire profond ou excitation cutanée superficielle, le résultat
est le même. Il ne diffère qu'avec le degré de développement de la dia-
thèse de contracture elle-même. C'est ainsi que dans les cas légers ou
rudimentaires la contracture est peu intense, elle cesse bientôt d'elle-
même. D'autres fois, on ne parvient qu'à provoquer un état de raideur
permettant un certain déplacement des parties comme dans l'état cata-
leptoïde ou fausse catalepsie. Mais lorsque la diathèse de contracture
existe bien accentuée, les contractures provoquées sont fort tenaces,
très intenses et ne permettent aucun déplacement des différents seg-
ments du membre intéressé. Le mode de réaction des muscles à l'exci-
tant diffère suivant les cas. C'est ainsi que parfois la contracture ne se
localise pas à la région directement excitée, elle envahit le voisinage et
gagne tout un membre par exemple, alors que l'excitation n'a porté
que sur un point. Par contre, on observe d'autres fois une localisation
remarquable de la contracture aux muscles directement excités, comme
cela se voit dans la léthargie hypnotique.
Nous avons vu dans certains cas l'excitation mécanique portée sur
un groupe musculaire retentir avec plus d'intensité sur le groupe anta-
goniste. En excitant les fléchisseurs, par exemple, on voyait la main se
contracturer en extension. Nous avons rapporté, M. Charcot et moi, des
faits semblables à propos du phénomène désigné par Westphal sous le
nom de contraction paradoxale=.
Enfin sur des sujets récemment délivrés d'une contracture spontanée
et étant encore en état de diathèse de contracture, nous avons observé
d'une façon constante que les excitations portées sur le membre guéri,
quels que soient leur siège et leur nature, avaient pour effet d'immobi-
liser les parties dans l'attitude exacte de l'ancienne contracture. On ne
1. Communication à la Société de biologie du 15 déc. 1883.
2. Si»' un phénomène musculaire observé chez les hystériques el analogues à la con-
traction paradoxale. Brain, 1886, t. VIII, p. 289, et OEuvrcs complètes de M. Charcot,
t. IX, p. 453.
DIATHÈSE DE CONTRACTURE. 319
saurait trouver une plus élégante démonstration de la nature réflexe de
tous ces phénomènes.
Cette contracture, de même que celle provoquée pendant l'état
hypnotique, est susceptible parfois, mais non toujours, d'être transférée
par l'action de l'aimant. Nous avons observé plusieurs fois qu'une con-
tracture ainsi provoquée dans un membre, à la main par exemple,
pouvait cesser sous l'influence d'une nouvelle contracture produite du
côté opposé, à l'autre main, à la condition toutefois qu'elle intéressât
.exactement le même domaine musculaire.
La contracture produite par un procédé peut céder sous l'influence
d'autres procédés. C'est ainsi que, quelle que soit la manoeuvre
qui l'ait provoquée, la friction et le massage en ont souvent raison.
Mais il n'est pas rare de voir 'une contracture ne pouvoir être
résolue que par un procédé de même ordre que celui qui l'a produite.
Par exemple, une contracture par massage musculaire ne sera réduite
que par le massage des muscles antagonistes, une contracture par
souffle sur la peau ne sera réduite que par le souffle appliqué de nou-
veau sur la face opposée du membre, la contracture par suggestion ne
cédera que sous l'influence d'une suggestion contraire.
L'état hypnotique qui nous offre au plus haut degré cette prédispo-
sition à la contracture dans deux de ses phases, la phase léthargique et
la phase somnambulique, nous a présenté, dans certains cas types, plu-
sieurs exemples de cette sorte de spécificité du procédé employé pour
détruire la contracture provoquée. J'en rapporterai ici un exemple bien
frappant :
10 avril 1883. Bar... n'est plus anesthésique. Elle est hypnotisée par les
procédés ordinaires. Pendant la période cataleptique, son attention est
attirée sur sa main droite pendant qu'on lui suggère, en l'affirmant à haute
voix, que ses doigts se ferment et que sa main se contracture. En même temps
que cette affirmation impressionne le sujet, on voit les doigts de la main
indiquée se fléchir peu à peu, en quelques instants le poing est complètement
,et énergiquement fermé.
Le souffle sur le visage réveille instantanément la malade. La main droite
garde l'attitude qu'on vient de lui faire prendre par voie de suggestion pen-
.dant l'état cataleptique, et l'on peut constater qu'il s'agit là d'une véritable
contracture qui immobilise tous les doigts dans la flexion forcée et les y
maintient avec une énergie que rien ne peut vaincre. La sensibilité n'est
aucunement modifiée; elle existe au même degré qu'avant l'expérience et la
malade se plaint de souffrir de la pression des doigts et des ongles dans la
paume de la main. Elle y ressent une sensation de chaleur anormale. Toutes
les tentatives qui ont pour but de modifier l'attitude de la main sont très
- douloureuses. Le poignet, le coude et l'épaule ne sont le siège d'aucune
350 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
raideur. Ces articulations se laissent facilement mouvoir dans les différents
sens, mais le bras tout entier n'en est pas moins impotent, et la malade elle-
même ne peut le soulever. Un aimant est appliqué les pôles en regard de la
main gauche. Au bout d'un quart d'heure, il ne s'est produit aucune modifi-
cation dans la motilité et dans la sensibilité des parties. La contracture per-
siste toujours dans les mêmes conditions. L'aimant est retiré. ,
La malade est endormie de nouveau. La contracture persiste toujours.
Pendant l'état léthargique, l'excitation mécanique des muscles entenseurs
des doigts n'arrive pas à modifier l'altitude de la main. En excitant tour ;1
tour les muscles de la face antérieure ou postérieure de l'avant-bras, on voit
le poignet se fléchir ou s'étendre, mais les doigts restent toujours fermés de
la même façon et les nouvelles contractures provoquées en vertu de l'hypcr-
excitabilité neuro-musculaire, spéciale de l'état léthargique sont sans
influence sur la contracture existante, et produite par impression psychique
pendant l'état cataleptique. La malade est plongée alors dans l'état somnam-
bulique par la friction sur le sommet de la tête. Dans cet état, l'hyperoxcita-
bilité neuro-musculaire léthargique a disparu, mais les excitations cutanées
légères produisent la contracture qui peut être détruite par des excitations
de même nature. Les nouveaux procédés pour provoquer ou détruire la
contracture demeurent sans efficacité contre la contracture du poing fermé
de notre sujet.
Enfin, le sujet est mis de nouveau en état de catalepsie. On attire alors
son regard sur sa main fermée et on affirme que les doigts s'ouvrent et que
la contracture disparait. En même temps on voit les doigts s'étendre peu à
peu, la main s'ouvrir et la contracture cesser complètement. La malade est
réveillée, il n'y a plus trace de contracture : les ongles ont marqué fortement
leur empreinte dans la paume de la main que la malade dit être douloureuse.
Pendant l'état léthargique, la contracture de la main en flexion est pro-
duite par l'excitation mécanique des muscles fléchisseurs. La malade est
ensuite plongée dans l'état cataleptique. La suggestion est impuissante a
résoudre cette contracture. Le regard du sujet a beau être attiré sur sa main
fermée, on a beau suggérer que la main s'ouvre, la contracture ne bouge
pas.
La malade est réveillée et la contracture persiste. L'application de
l'aimant près de la main non contraclurée produit très rapidement le trans-
fert de la contracture. Ensuite la contracture est détruite par le retour à
l'état léthargique et l'excitation des antagonistes.
Pendant la phase somnambulique, la contracture de la main en flexion est
obtenue par des passes. Au réveil, la contracture persiste. Essai infructueux
de transfert par l'aimant qui reste appliqué un quart d'heure. On hypnotise
à nouveau le sujet. Pendant l'état léthargique, l'excitation mécanique des
muscles ne détruit pas la contracture. Le poignet comme précédemment se-
fléchit ou s'étend, mais le poing reste toujours fermé. La malade est alors
mise en état de catalepsie : le regard est attiré sur la main et la suggestion
vient il bout de cette contracture obtenue par les passes pendant l'état som-
DIATHÈSE DE CONTRACTURE. 351
nambulique. On dit Ù la malade que sa main s'ouvre et en même temps les
doigts se défléchissent, la contracture disparaît.
Je sais que les cas aussi nets et aussi tranchés sont rares. Ils n'en
sont pas moins intéressants. Ils éclairent les autres.
Dans l'état de veille, dans la diathèse de contracture, des phéno-
mènes analogues à ceux que je viens de citer se rencontrent. On ne
saurait certainement en déduire des lois en vertu desquelles toute con-
tracture provoquée ne saurait être détruite que par le procédé qui lui
a donné naissance. Les exceptions seraient vraiment trop nombreuses.
Mais ils n'en méritent pas moins de retenir l'attention parce qu'ils peu-
vent servir de guide à la thérapeutique et rendre compte, pour une
part toutefois, de la résistance qu'opposent les contractures spontanées
aux différents procédés qu'on leur oppose.
La diathèse de contracture n'existe pas dans tous les cas d'hystérie,
tant s'en faut. En comprenant les cas où elle existe il l'état le plus
rudimentaire révélé par la ligature élastique, M. Berbez a trouvé la
proportion suivante. Sur 70 sujets, dont 97 hommes et 43 femmes, la
contracture s'est manifestée sur 19 hommes et sur 33 femmes, soit sur
z sujets. Alors que nous ne connaissions pas ce procédé, le massage
musculaire nous avait semblé le procédé le plus efficace dans un cas
où nous avons vu en quelque sorte la diathèse de contracture se déve-
lopper sous nos yeux ; après la contracture par massage musculaire est
survenue la contracture par froissement des nerfs, et ce n'est qu'ensuite
que la contracture a suivi le choc répété des tendons.
La diathèse de contracture est générale ou partielle. Elle existe il un
égal degré sur tous les muscles du corps ou bien sur les muscles d'un
membre seulement. Souvent elle frappe un seul côté du corps et accom-
pagne l'anesthésie cutanée avec laquelle elle présente des relations plus
ou moins étendues. Les parties anesthésiées sont seules parfois en état
de diathèse de contracture. D'autres fois, il est vrai, la diathèse de con-
tracture existe sans anesthésie ou en dépasse les limites. Ainsi, chez
une de nos malades hémianesthésique, la diathèse de contracture
était générale et on observales coïncidences suivantes : lorsque l'hémi-
anesthésie disparut, la diathèse de contracture de générale devint
hémilatérale et se localisa au côté anciennement anesthésique. Puis,
plus tard, lorsque la malade redevint hémianesthésique, la diathèse
de contracture envahit de nouveau les deux côtés du corps.
J'ai déjà fait ressortir les connexions qui relient la diathèse de con-
tracture il l'amyosthénie. L'affaiblissement musculaire peut être plus
considérable et atteindre presque à la paralysie. Duchenne de Boulogne
3a°3 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
parle d'un état de parésie hystérique s'accompagnant de contracture
temporaire provoquée par une émotion, une excitation quelconque,
d'une manière réflexe, et qui se rapporte évidemment à l'état de
diathèse de contracture. Il cite l'observation d'une malade dont le
membre supérieur droit considérablement affaibli pouvait parfaitement
remplir ses fonctions pour certains usages manuels légers, le travail à
la couture, par exemple. Mais lui fallait-il faire un effort pour lever un
fardeau, tous les muscles fléchisseurs des doigts, du poignet, del'avant-
bras sur le bras se contracturaient avec une force extrême d'une
façon continue pendant plusieurs heures. Chez elle il existait depuis
plus d'une année une contracture des muscles extenseurs du pied sur
la jambe.
La diathèse de contracture, lorsqu'elle est générale, est rarement
également développée sur tout le corps. Il arrive souvent qu'elle est
plus accusée d'un côté du corps que de l'autre et il peut exister aussi
des différences entre les membres supérieurs et les inférieurs.
Dans les cas où les deux variétés de diathèse de contracture coexis-
tent, il peut arriver qu'elles ne sont pas uniformément répandues sur
tout l'individu. Ainsi chez une malade hystérique du service de
M. Charcot nous avons observé ce qui suit sur tout le côté droit qui
était anesthésique profondément avec perte du sens du tact et du sens
musculaire : la contracture pouvait être provoquée par tous les procédés
en usage aussi bien par le massage musculaire, le choc des tendons, que
par le souffle et l'excitation très légère de la peau -les deux variétés lé-
thargique et somnambulique coexistaient tandis que du côté gauche,
qui avait conservé sasensibilité normale, la contracture, variété léthar-
gique, pouvait seule être provoquée, le souffle et le frôlement cutané
restaient sans résultat. D'où l'expérience suivante bien faite pour
détruire tout soupçon de supercherie, s'il était nécessaire. Sur les deux
membres inférieurs découverts et placés côte à côte, nous dirigeons,
après avoir pris la précaution de fermer les yeux du sujet, le vent
d'une feuille de papier légèrement agitée et nous voyons au bout de
peu d'instants le membre inférieur droit qui est anesthésique se con-
tracturer, pendant que le membre gauche demeuré sensible, le seul
par conséquent sur lequel l'impression du vent fut perçue, demeurait
dans le même état qu'auparavant. M. Pitres a signalé des cas analogues
dans lesquels la contracture par souffle était obtenue sur des membres
complètement anesthésiés. Au demeurant, ces faits ne sont pas plus
singuliers que ceux dans lesquels le massage musculaire produit la
contracture sur un membre qui a perdu toute trace de sensibilité et
jusqu'au sens musculaire. Dans l'un comme dans l'autre cas, la con-
DIATHËSE DE CONTRACTURE. 353
fracture se produit, sans que le sujet ait même conscience du procédé
employé.
Nous avons observé plusieurs cas d'anesthésie généralisée et absolue,
dans lesquels les deux formes de la diathèse de contracture étaient
développées au plus haut point.
D'un jour à l'autre, la diathèse de contracture peut subir des varia-
tions d'intensité. La contracture n'est pas toujours provoquée avec une
égale facilité. Elle s'atténue avec la tendance à la guérison. Son
augmentation d'intensité constitue une aggravation de la maladie. Elle
prépare le terrain à la contracture spontanée qui se montre fréquem-
ment et constitue en quelque sorte un phénomène avant-coureur de
la contracture permanente. De même après la guérison de la contrac-
ture permanente, la diathèse de contracture persiste encore quelque
temps et sa présence rend compte des récidives fréquentes : sa dispa-
rition est le signe de la guérison définitive.
La diathèse de contracture se développe spontanément sans cause
appréciable. Parfois au contraire l'existence d'une contracture localisée
à un membre suffit pour la faire apparaître dans d'autres parties du
corps, le plus souvent sous la forme hémiplégique du côté de la con-
tracture primitive.
La diathèse de contracture, au même titre que l'amyosthénie et
l'anesthésie, mérite de prendre rang parmi les symptômes permanents
de l'hystérie.
PAUL Richer,
Chef du laboratoire de la Clinique des maladies
du système nerveux.
NOTE SUR L'ASPHYXIE LOCALE DES EXTRÉMITÉS
CIIEZ LES ÉPILEPTIQUES
ET EN PARTICULIER SUR UN CAS D'ASPHYXIE DISSÉMINÉE
Chez les épileptiques, la circulation périphérique est souvent remar-
quablement ralentie, les extrémités des mains, des pieds, du nez, des
oreilles sont le siège d'un refroidissement souvent douloureux, et les
troubles de la circulation s'objectivent par une coloration bleuâtre,
asphyxique des parties'. Chez quelques-uns, cet état asphyxique s'accom-
pagne d'une tuméfaction générale des doigts et des mains, avec épais-
sissement pachydermique de la peau, assez prononcé pour que les-
mouvements en soient gênes. En général, cet état asphyxique est limité
aux extrémités; aux pieds il n'occupe que les orteils, aux mains il re-
monte quelquefois plus haut, etlatcinte violacée envahit jusqu'au poi-
gnet. Cet état augmente sous l'influence du froid, et il paraît prédisposer
aux engelures : un de mes malades a eu les oreilles gelées et a perdu
une partie de l'hélix à la suite d'une route de nuit dont ses compagnons
n'avaient nullement souffert. Cette asphyxie paraît encore augmenter,
toutes choses égales d'ailleurs à la suite des attaques.
Rarement l'élat asphyxique est plus étendu et remonte aux membres.
supérieurs jusque vers le coude et à la partie postérieure du bras sous
forme de plaques serpigineuses. Dans ces cas, il ne cesse pas d'être-
symétrique, et ne s'accompagne d'aucune paralysie localisée qui puisse
le faire rapprocher des faits de Lereboullct et de Grasset'.
Je ne crois pas que jusqu'à présent on ait signalé de cas dans lesquels-
cet état se soit montré généralisé; aussi l'observation suivante m'ai
paru présenter un certain intérêt.
Epilepsie. Asphyxie disséminée. - Le nommé lI. P. D..., âgé de fllt : 1-
rante-huit ans, garçon de café, d'origine belge, est entré il Bicêtrc dans la
division des épileptiques adultes le 4 mai 1890.
1. Ch. les Epilepsies el les Épileptiques, 1890, p. 587.
2. Grasset, Traité pratique des maladies du système nerveux, 3e éd. 1886, p. 761.
Iuvelle Iconographie de la SnL7·LTRILR6 T IV. PL. XXXVI
555 UNE ÉTUDE PEINTE PHOTOCOLLOGRAPHlI : CHÊNE 4c LONGUET
ASPHYXIE DISSÉMINÉE
CHEZ UN ÉPILEPTIQUE
'V" BABBÉ & C'n
finrrr. rrus
NOTE SUR L'ASPHYXIE LOCALE DES EXTRÉMITÉS. 355
Il a quitté son pays depuis longtemps, et les renseignements qu'il fournit
sur ses antécédents héréditaires sont peu précis; toutefois il affirme qu'il
n'existe dans sa famille aucun cas de maladie nerveuse ou mentale. Il
affirme aussi que lui-même n'a jamais été malade jusqu'à l'âge de quarante
et un'ans. Etant enfant, il n'a eu aucun trouble névropathique, ni aucune
affection scrofuleuse, il n'était pas sujet aux engelures. Il n'a pas eu la
syphilis.' nie toute habitude alcoolique.
C'est sans cause connue que dans sa quarante et unième année il a eu sa
première attaque d'épilepsie, qui a été caractérisée par une chute subite
avec perte de connaissance et miction involontaire, sans aucun trouble
prémonitoire. Depuis cette époque jusqu'à son entrée, il n'aurait eu qu'une
douzaine d'accès. Il prétend que tous seraient survenus pendant l'hiver. 11 a
eu plus fréquemment des vertiges qui le surprennent au milieu de la con-
versation et pendant, lesquels il perd complètement connaissance.
Depuis plusieurs années, les extrémités de ses mains et de ses pieds et son
nez ont pris une teinte violacée, et il a souvent des picotements et de l'en-
gourdissement dans les doigts, mais il est incapable de fixer l'époque du
début de ces troubles. Il a eu, il y a cinq ans, ce qu'il appelle un panaris du
pouce gauche. Cette affection n'a pas été très douloureuse, n'a pas néces-
sité d'opération, et n'a laissé aucune déformation profonde, mais une cicatrice
superficielle et dure de la peau de la pulpe ; elle aurait duré très longtemps.
M. P. D... ne présente aucune malformation notable, sauf des deux côtés
un pied plat dévié, qui peut être en partie la conséquence de son travail
professionnel.
Taille : 'I,G7; envergure, 1,70. Dynanomèlre : main droite, 39; main
gauche, 38; poids : 68 kil.
Sa physionomie frappe par la coloration violacée du lobule du nez et de
l'extrémité supérieure des oreilles. L'extrémité des doigts présente le même
aspect; il en est de même des orteils. Il raconte que de temps en temps les
doigts deviennent complètement blancs et insensibles; mais nous n'avons
jamais constaté ce phénomène.
Il ignorait complètement qu'il existai quelque chose de semblable sur son
corps; il avait seulement remarqué que depuis quelques années il est devenu
extrêmement sensible au froid.
Toute la surface de son corps, aussi bien sur les membres que sur la partie
antérieure et sur la partie postérieure du tronc, sur les fesses, est marbrée
de plaques violacées, d'un ton un peu moins foncé que le lobule du nez et
l'extrémité des doigls, mais tranchant nettement sur la coloration blanche du
reste de la peau (Pl. XXXVI). La partie postérieure des bras et les fesses
. portent des plaques un peu plus foncées. La planche ne peut donner
qu'une idée de la distribution de ces plaques. Cette coloration s'efface mo-
mentanément par la pression. Il y a une différence très nette dans les mêmes
régions, dans la sensibilité de la peau considérée dans les régions saines et
dans les régions cyanosées; il y a à peu près partout une différence de moitié
356 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
pour l'écartement nécessaire pour provoquer deux sensations avec le compas
de Weber en faveur des parties saines.
Pendant les grandes chaleurs de l'été la teinte violacée des plaques diminue
d'intensité, mais il suffit de laisser le malade nu pendant un quart d'heure
pour qu'elle se montre avec son caractère ordinaire. Pas d'induration sensible
des artères.
Depuis le jour de son entrée jusqu'au 12 novembre, M... n'a eu ni accès ni
vertiges, il n'a subi aucun traitement. Il a augmenté de poids; le 10 septembre
il pesait 66 kilos; sa santé générale est excellente, sauf la sensation perma-
nente de froid. Il n'a aucun signe d'affection cardiaque ou pulmonaire. Le
12 novembre dans la nuit, a un accès caractérisé par une raideur tétanique
qui paraît avoir duré plusieurs minutes, avec perte de connaissance complète,
sans cri, sans miction. Après une courte période de stupeur, le malade se
lève pour aller et venir. Abattement peu appréciable le lendemain.
Le 21 janvier, nouvel accès de jour. Il était en train de lire, ses mains se
sont convulsées en froissant le livre, il est tombé dans une raideur tétanique,
puis est revenu il lui; il avait uriné dans son pantalon. Pas de cri, pas d'écume
à la bouche, pas de ronflement. Stupeur peu apparente, il a pu se remettre
à lire au bout de quelques minutes.
Du 12 novembre au G février, il a eu en outre six vertiges de jour. Depuis
cette époque jusqu'à sa sortie, le 19 mai, il n'a plus eu aucun paroxysme.
Le 22 avril, le malade se plaint de souffrir des pieds. On constate que la
teinte cyanique des orteils est beaucoup plus prononcée que d'ordinaire,
surtout au premier et au cinquième orteils, qui ont une teinte violacée
sombre. Sur la face plantaire du gros orteil, il existe trois petites plaques
lenticulaires tout à fait noires à peu près symétriques des deux côtés. Sous
la plante du pied droit, à peu près à l'union du tarse et du métatarse, vers le
bord interne du pied, il existe une plaque noire de la largeur d'une pièce de
un franc; une autre semblable sous le talon. Au côté gauche, le deuxième
orteil présente au milieu d'une plaque bleue une petite eschare superficielle.
Sous le milieu de la piaule du pied, il a une large plaque noire, grande
comme une pièce de deux francs. Ces plaques noires ont une sensibilité très
obtuse.
Le malade reste au lit et prend quatre grammes d'ergoline de Bon,jean par
jour. On profite de son séjour à l'infirmerie pour prendre la température
localesur les plaques asphyxiques et sur les régions voisines. Les thermomètres
de surface dont on s'est servi nous servent depuis plusieurs années et leur
exactitude est bien établie,
27 avril, face postérieure de la fesse droite : plaque asphyxique, T. 29° i;
plaque saine voisine, T. 30 ?
28 avril, face postérieure de la fesse gauche : plaque asphyxique, ` ? J°8;
peau saine voisine, 31°.
29 avril, région lombaire droite : plaque asphyxique, 33°l.; peau saine
voisine, 3 f ? u.
Peu à peu la recrudescence douloureuse de l'état asphyxique des pieds
NOTE SUR L'ASPHYXIE LOCALE DES EXTRÉMITÉS. 357
s'est calmée sous l'influence du repos et peut-être aussi de l'ergotine; et
dans les premiers jours de mai le malade a pu marcher, cependant les plaques
noires n'étaient pas complètement effacées le 18 mai quand il est sorti et la
petite escarre du deuxième orteil du pied gauche n'était pas complètement
guérie.
Dans différentes conditions de température, nous avons examiné le fond
de l'oeil et nous n'y avons jamais trouvé rien d'anormal, aucune trace de
l'état des vaisseaux signalé par Maurice Raynaud dans le cas d'asphyxie
locale. Le même examen a été fait par deux ophthalmologistes compétents,
MM. Valude et Vignes, qui n'ont non plus rien trouvé qui fùt digne de remar-
que.
En somme, chez ce malade, les manifestations épileptiques et les
troubles de la circulation cutanée paraissent s'être développés vers la
même époque, et ils présentent les uns et les autres une prédominance
marquée dans les saisons froides. Il est donc permis d'établir une rela-
tion d'origine entre ces deux ordres de troubles. Cette coïncidence
mérite d'être rapprochée de celle qui a été signalée par M. Rittil de la
folie à double forme avec l'asphyxie locale des extrémités, où il a vu les
troubles circulatoires se manifester exclusivement dans la période dé-
pressive.
Ce fait peut être cité à l'appui de la théorie angio-névrotique ou
sympathique de l'épilepsie, théorie attribuée à Schneevogt par Eulen-
burg et Guttmann et que Alexander fait remonter à Ch. Bell. C'est sur
cette théorie que s'est appuyé Alexander pour pratiquer l'ablation des
ganglions cervicaux supérieurs 9.
Je dois ajouter en manière de réserve que chez cinq autres malades
qui présentent d'une façon bien marquée des phénomènes d'asphyxie
des extrémités je n'ai pas remarqué de rapport évident entre la fré-
quence des accès et la rigueur de la saison.
Cn. Féré,
Médecin de Bicêtrc.
1. Ritti, De l'asphyxie locale des extrémités dans la période de dépression de la folie
ci double forme (AmI. 2éd.-ysch., 1882).
2. W. Alexander, The treatment of epilepsy, Edinb" t8M.
UN CAS D'HEMIPLEGIE ALTERNE
(TYPE MILLARD-GUBLEn)
COMPLIQUÉE DE STRABISME INTERNE BILATÉRAL ET DE GLOSSOPLEGIE
Paul N..., âgé de quatre ans et demi, se présente à la consultation externe
de la Salpêtrière le 18 février 1891, envoyé par notre excellent collègue et
ami M. Lautier.
Sa mère qui le porte sur les bras nous donne les renseignements suivants :
P... est venu à terme, indemne de toute tare héréditaire connue. 11 a com-
mencé il marcher et à parler vers quatorze mois; dix mois plus lard, il cou-
rait et parlait, paraît-il, comme tous les enfants de son âge.' Jusqu'à celle
époque, on n'avait remarqué chez lui ni troubles oculaires ni phénomènes
paralytiques d'aucune espèce (Pl. XXXVII).
C'est à l'âge de deux ans que remonterait le début de la maladie actuelle*.
11 fut opéré alors d'un phimosis dont les suites furent heureuses. Deux mois
après cette opération, l'enfant fut pris un beau jour, sans cause connue, de
vomissements. Ces vomissements, que n'accompagnaient ni convulsions, ni
fièvre, ni céphalalgie, se faisaient sans effort ni douleur; ils étaient fréquents
et aqueux. Après avoir duré une quinzaine de jours ils disparurent spontané-
ment pour ne plus reparaître. Leur disparition aurait coïncidé avec une brû-
lure accidentellé dont on voit aujourd'hui la cicatrice indélébile sur l'avant-
bras gauche, le cou, l'oreille et la joue du même côté. Durant celle période
de brûlure l'enfant avait été obligé de garder le lit. Quand il fut guéri de cet
accident et qu'on voulut le lever, on s'aperçut qu'il était paralysé du côté droit
du corps. On constata aussi, à cette même époque, la déviation des yeux, la
paralysie faciale et les troubles du langage. Ces divers accidents semblent,
au dire de la mère, avoir été à peu près contemporains. Le membre inférieur,
du côté hémiplégie, aurait été le plus fortement intéressé. Le membre infé-
rieur du côté gauche semble avoir été un peu touché. La marche était im-
possible et l'a toujours été depuis. Seul le membre supérieur gauche semble
être resté indemne. Quoi qu'il en soit, les parents ne remarquèrent que
l'hémiplégie droite.
' Des phénomènes d'un autre ordre suivent bientôt celle hémiplégie. Le
1 caractère de l'enfant change; il devient irritable et coléreux. La nuit assez
souvent P... a des cauchemars et pousse des cris; le jour, ce sont des soupirs
et des bâillements. Jamais il n'a eu de convulsions ni de céphalalgie; il se
plaint uniquement, dit sa mère, d'une sensation douloureuse qu'il localise du Lui
r DE LA ,"c ? ? .. ? . XXXVII.
PHOTOTYP1 A. Londe PHOTOCOLLOGRA'CHIE Chêne a Longuet
HÉMIPLÉGIE ALTERNE AVEC STRABISME
INTERNE BILATÉRAL
VVE BABBÉ & C's
EDITEURS
UN CAS D'ItLJIIPL1 : GIE ALTERNE. 359
geste derrière le sternum. Il a eu, toujours depuis le début, des troubles de N
la mastication et de la déglutition. L'intelligence était peu troublée; l'enfant i
comprenait tout ce qu'on lui disait et montrait qu'il avait compris par ses
gestes et par l'expression de son visage. Depuis le début du mal, depuis deux
nus par conséquent, la situation était restée sensiblement la même. Il y a
deux mois, ces accidents se sont aggravés. L'état général, jusque-là indemne, f)
s'est altéré et la somnolence a fait place à l'agitation du début.
État actuel. Hémiplégie complète des membres supérieur et inférieur
du côté droit; le facial inférieur du même côté est respecté. Lorsqu'on pince\
le bras ou la jambe du petit malade, celui-ci témoigne vivement qu'il perçoit J
la douleur, mais les membres restent inertes et immobiles.
Du côté gauche, au contraire, il n'y a que de la parésie dans le membre
inférieur. En effet, si on tend un objet à l'enfant, il avance la main gauche
pour le saisir ; il remue spontanément le bras, ou bien quand on le lui ordonne,
sans trace de paralysie. Si on pince la jambe de ce côté, il la retire, mais
moins vivement et moins facilement qu'un enfant sain. La sensibilité dans
les membres et dans la face n'est pas altérée, autant du moins qu'on peut
s'en rendre compte après une exploration grossière, la seule possible. Les
réflexes rotuliens sont égaux des deux côtés, plutôt exagérés, mais il n'y a
pas de trépidation spinale malgré une certaine raideur des membres du eôté J
droit. En somme, au point de vue moteur, il y a hémiplégie droite complète *
et parésie du membre inférieur gauche. ,
Du côté de la face, les phénomènes morbides sont multiples. Et d'abord,']
on noie une paralysie faciale complète et totale du côté gauche. Celle hémi- (
plégie présente tous les caractères de la paralysie faciale périphérique : dis- I
parition des sillons et des rides, inocclusion de la paupière, etc. (Pl. XXXVII). '
D'autre part, la langue, lorsqu'on dit au petit malade de la sortir, ne peut
être tirée hors des arcades dentaires. Comme, d'autre part, il ouvre incom-
plètement la bouche, il est impossible de constater l'absence ou l'existence "
d'une déviation latérale de cet organe, pas plus du reste que l'état du voile
du palais. En tout cas, il y a glossoplégie, puisque autrefois, raconte la mère,
l'enfant pouvait mouvoir sa langue comme tous les enfants, mastiquer et
avaler d'une manière normale, tandis qu'aujourd'hui la mastication est
impossible (alimentation par des panades et des liquides) et que les mouve-
ments de déglutition provoquent des accès de toux et de suffocation, sans t
retour des liquides parle nez toutefois. En outre il parlait autrefois, et actuel 1
lement il ne fait entendre que quelques bruits sourds et inintelligibles. Et \
cependant il comprendre que l'on lui dit. i
Enfin, du côté des yeux on est frappé par un strabisme double couver- t
gent. Ce strabisme n'existait pas avant la maladie actuelle, ainsi que le I
prouve une ancienne photographie. La comparaison des deux figures réunis- }
sant la planche XXXVII forme un contraste manifeste. L'examen des veux pra-
tiqué par M. le Dr Koenig a donné les résultats suivants : « Dans l'oeil gauche,
il n'y a pas d'infiltration caractérisée de la papille, dont les bords sont cepen-
dant moins nets et un peu diffus; les veines sont un peu plus grosses qu'a
360 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
l'étal normal. Dans l'oeil droit, la papille se, détache mieux sur le fond de l'oeil
il y a un peu de stase. Les pupilles sont égales; elles réagissent bien à la
lumière et à l'accommodation. Diplopie ( ? ) impossible à constater. L'oeil
gauche est saillant et dévié en dedans près du grand angle; il ne peut exécu-
ter aucun mouvement de latéralité, l'élévation et l'abaissement se font assez
bien; lagophthalm6s;'la partie inférieure de l'oeil restant à découvert quand on
le fait fermer. L'oeil droit, quand on sollicite les mouvements de latéralité,
n'en exécute aucun ; il est dévié en dedans et se tient immobile il peu de
distance de l'angle interne; l'élévation et l'abaissement sont libres. En solli-
citant la convergence, les deux globes se mettent en mouvement. La vision est
conservée. »
21 février. Au point de vue physique et intellectuel, le petit malade est
dans un état de torpeur assez accentué. Il ne se tient pour ainsi dire plus; il
ne redresse plus son tronc ni sa têle : les membres du côté droit sont rigides
et immobiles; seul le côté gauche est susceptible de mouvements actifs.
L'intelligence est plus altérée qu'il y a trois jours; cependant on arrive encore
il faire sourire l'enfant, à attirer son attention et il lui faire comprendre ce
qu'on exige de lui. Du côté de la face il n'y a aucune modification il noter.
La respiration est normale comme fréquence et comme amplitude : elle est
de temps en temps entrecoupée par des bâillements et des soupirs profonds
Les divers appareils, circulatoire, respiratoire, ne présentent aucun trouble
appréciable.
Nous n'avons pas depuis cette dernière date revu ce malade. Il est à
craindre qu'une issue funeste, que l'aggravation des accidents et l'approche,
du coma semblaient faire redouter, ne soit survenue.
L'observation que nous venons de rapporter présente quelques
lacunes. Elles ont pour excuse et la complexité du cas et des circon-
stances indépendantes de notre volonté. Cependant telle qu'elle est, elle
est intéressante à plusieurs titres.
Il s'agit ici d'hémiplégie alterne d'origine bulbo-prolubérantielle
ressortissant au type Millard-Gubler. Les troubles des yeux et du lan-
gage qui la compliquent méritent quelques considérations particulières.
L'existence de la glossoplégie n'est pas douteuse; la paralysie de l'hy-
poglosse se traduit en effet par des troubles de la parole, de la mastica-
tion et de la déglutition ainsi que par l'impossibilité de tirer la langue
hors de la bouche. Du reste, cette paralysie n'est pas exceptionnelle
dans le syndrome Millard-Gubler. « Dans la paralysie alterne, dit
Notlinagel', s'adjoint assez souvent à l'atteinte du facial celle d'autres
nerfs crâniens, de l'hypoglosse le plus fréquemment, plus rarement de
l' oCltlo-motetl1' externe. "
1. Nuthnagel, Traité clinique du diagnostic des maladies de l'encéphale. Traduction
française par M. Kéraval, 1885, p. 91.
UN CAS D'HÉMIPLÉGIE ALTERNE. 36t
« La participation de l'hypoglosse se dénote par la difficulté ou l'im-
possibilité d'articuler les mots, ainsi que par la peine à mouvoir la
langue; dans la pluralité des cas, les observations ne permettent pas
de conclure si l'hypoglosse est paralysé du même côté que les extré-
mités ou que le facial, soit que les indications manquent de précision,
\ soit du'il' n'ail pas été possible de les prendre plus exactement. »
Dans le cas que nous venons de relater, en même temps qu'une para-
lysie de l'hypoglosse on constate encore une paralysie de l'abdllcens.
Quoique, au dire de Nothnagel, celle-ci soit plus rare que la précé-
dente, la paralysie de la sixième paire s'adjoint assez souvent à celle du
facial et du même côté. L'an dernier, M. le professeur Charcot en mon-
trait un exemple remarquable dans ses Leçons du -mardi. L'observation
de cette malade a été rapportée ici même par MM. Parinaud et
G. Guinon1.
Chez notre petit malade nous trouvons l'abducens et l'hypoglosse
paralysés simultanément. Dire si l'hypoglosse est pris d'un seul côté et
de quel côté, nous semble impossible dans l'espèce. Quant àl'abducens,
le problème est plus facile à résoudre. Les deux nerfs de la sixième
paire sont intéressés, et c'est là un fait qui méritait d'être souligné.
Cette double paralysie de l'hypoglosse et de l'oculo-moteur externe,
jointe au syndrome Millard-Gubler, ne laisse aucun doute sur l'exis-
tence d'une altérationhulho-protubérantielle. Étant donnés les rapports
hulbo-protubérantiels du facial, de l'hypoglosse et de l'abducens avec
le faisceau pyramidal, il est aisé de supposer le siège et l'étendue rela-
tivement considérable de la lésion. Cette lésion, qui siège avant tout
dans la moitié gauche de la protubérance, doit évidemment dépasser la
ligne médiane et empièter sur la moitié droite dans le domaine de
l'oculo-moteur externe et du faisceau pyramidal correspondant (para-
lysie de l'abducens droit et monoparésie crurale gauche). On pourrait,
il est vrai, soupçonner deux lésions indépendantes; mais cette hypo-
thèse, défendable en vérité, ne nous semble pas nécessaire pour expli-
quer les phénomènes morbides.
Quoi qu'il en soit, la nature de celte altération est fort malaisée à
définir, et nous entrons ici dans le domaine des probabilités. Il semble,
étant donné le jeune âge du sujet et la fréquence relative des tubercules
dans la protubérance, que toutes les vraisemblances soient en faveur
d'une détermination bacillaire.
A. SOUQUES,
Interne (médaille d'or) du service de la Clinique
des maladies du système nCl'\Cl1'1 : .
1. Parinaud et G. Guinon, Note sur un cas de paralysie du moteur oculaire externe et
du facial, etc. (Nouvelle Iconogr. de la Salpêtrière, 1590, li. 223).
IV. ruz
NOTES SUR LA-MORPHOLOGIE DE LA NUQUE
Dans le cours de reclierches sur l'analomie de la colonne vertébrale,
notre attention a été attirée sur les points suivants d'anatomie mor-
phologique, méritant, croyons-nous, une courte mention : 1° l'aspect
tout à fait spécial chez le nouveau-né de la nuque, et plus générale-
ment des régions vertébrales; 2u les anomalies morphologiques de la
nuque, intéressantes par les erreurs de diagnostic qu'elles peuvent
entraîner.
I. Chez le nouveau-né au repos, la colonne vertébrale est unifor-
mément convexe de haut en bas; s'il s'agite, s'il incline la tête en
arrière ou fléchit les cuisses, on voit s'indiquer une concavité cervicale
et une concavité lombaire, la région dorsale restant convexe. Il sem-
blerait qu'alors la longue apophyse de la septième cervicale dut faire
une saillie appréciable. Il n'en est rien, sauf chez les sujets très
maigres, car toute la nuque et la partie supérieure du dos sont occupées
par des bourrelets adipeux jouant un rôle morphologique capital.
Le plus élevé, que son siège permettait d'appeler occipital, n'existe
guère que dans l'extension de la tête. 11 est séparé par une dépression
transversale profonde du bourrelet sous-jacent; celui-ci, bourrelet
proprement dit de la nuque, parfois simple, le plus souvent dédoublé
par une dépression secondaire, est toujours énorme; très net, même
dans la flexion, il comble dans l'extension tout l'espace qui sépare
l'occipital de la partie supérieure du dos; à droite et à gauche il se
perd dans les bourrelets des parties lalérales du cou. Au-dessous de lui
se trouve le bourrelet dorsal supérieur, mal délimité inférieurement,
se continuant souvent de chaque côté, avec des replis semi-circulaires
cernant l'épaule en arrière (Fig. G(i, 67).
Au repos, le reste de la région dorsale et la région lombaire sont
remarquablement uniformes : c'est à peine si la ligne des apophyses
est indiquée par une légère dépression longitudinale. Mais, en soulevant
par les pieds l'enfant étendu sur le ventre, on détermine, il la région
NOTE SUR LA MORPHOLOGIE DE LA NUQUE. 363
dorsale, une série de gros plis cutanés, au nombre de 3, A, 5, descendant
adroite et à gauche de la ligne médiane; ces plis se retrouvent plus
petits, moins longs et moins larges la région lombaire, où ils cachent
les seules saillies apophysaires qu'on trouve chez le nouveau-né au
repos : celles des deuxième et troisième apophyses épineuses lom-
baires.
II. M. Richer étudiait ici même, il y a plus de deux ans, l'anatomie
morphologique de la région lombaire, et signalait à ce propos les
erreurs de diagnostic dues à l'ignorance de la saillie normale produite
par la troisième apophyse épineuse de la région. Depuis cette époque,
notre attention a été attirée sur un certain nombre de faits prouvant
que la saillie normale de la septième apophyse cervicale -peut causer
les mêmes illusions. Elles sont encore plus faciles, au moins plus
excusables, lorsque l'apophyse est ou paraît plus saillante, ou lors-
qu'elle est déviée latéralement.
A. Nous avons, l'an dernier, rencontré à l'hôpital des Enfants-
Malades une fillette de neuf ans, traitée en ville pour mal de Pol t
cervico-dorsal, par les applications locales de teinture d'iode, les fric-
tions mercurielles, même quelque temps par l'immobilisation dans
une claie d'osier. Le médecin avait trouvé « une bosse », et c'est sur ce
l'ic. fi3. - morphologie do la nuque chez le nom eau-né.
361 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
seul symptôme qu'il avait diagnostiqué la tuberculose vertébrale ; or, la
forme de la région est absolument normale; l'enfant depuis un an et
demi vient nous voir assez régulièrement et n'a jamais eu aucun signe
qui puisse faire penser il quoi que ce soit de pathologique dé ce côté.
B. Deux ou trois fois nous avons vu la septième apophyse cervicale,
faisant de par sa longueur trop grande une saillie exagérée, surtout
frappante lors de flexion de la tète. Dans ces cas, du reste, l'anomalie
morphologique n'avait jamais attiré l'attention du sujet.
L'excès de longueur de l'apophyse peut, avons-nous dit, n'ètre
qu'apparent. La saillie parfois extrême tient alors à l'absence plus
ou moins complète du relief formé par les muscles de chaque côté de
la crète apophysaire.Le fait n'est pas très rare sur les malades débilités
et amaigris des hôpitaux : nous l'avons rencontré une fois dans des
circonstances particulièrement intéressantes, où l'existence d'un trau-
matisme antérieur, la constatation actuelle d'une paraplégie, avaient
rait discuter le diagnostic de fracture vertébrale ancienne, et l'utilité
d'une trépanation rachidienne.
Rappelons enfin qu'il est assez commun de rencontrer une ou deux
Fin. 07. - Morphologie do la nuque chez le nouveau-né.
NOTE SUR LA MORPHOLOGIE DE LA NUQUE. 36
apophyses déviées latéralement, hors de la ligne apophysaire; le fait
est signalé par tous les classiques d'anatomie. Nous avons disséqué
une pièce où cette déviation occupait la septième apophyse cervicale :
compliquée d'un allongement considérable de cette apophyse, elle
était, avant la dissection, restée absolument inexpliquée.
A. CIIIPAULT et E. Daleine.
CONTRIBUTION A L'ETUDE
DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS
DES MALADIES ORGANIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
(Sclérose en plaques, paraplégie, tabes, amyotrophie et syringomyélie)
(SUITE')
OBs. XLVIII (inédite) (Communiquée par notre collègue et ami M. Pou-
lalion et recueillie dans le service de M. le professeur Dieulafoy). Para-
plégie hystérique simulatrice d'une myélite tuberculeuse. Geor-
jette D...ot, vingt-deux ans, entre le 22 mai, salle lIonneret, à l'hôpital
Necker, dans le service de M. le professeur Dieulafoy.
Antécédents. Dans l'enfance, la malade a eu la scarlatine, la variole et
la rougeole. A neuf ans, elle a souffert durant deux mois de douleurs rhuma-
tismales dans toutes les articulations. A treize ans, elle contracte une fièvre
typhoïde suivie de rechute qui dure sept mois ; vers quinze ans, elle aurait
eu durant deux mois la fièvre intermittente; à dix-sept ans, pleurésie du
côté droit; chlorose l'année suivante; à vingt ans (en 1887), elle entre dans
le service de M. Dieulafoy alors en vacances, pour une pelvi-péritonite ( ? ) :
vomissements, fièvre, ballonnement du ventre, douleurs abdominales. On lui
applique des sangsues, des ventouses et de la glace sur l'abdomen. Elle
n'était réglée que depuis deux mois et ses règles étaient très douloureuses.
Le 2 mai 1888 (à vingt-deux ans) elle entre à l'hôpital Necker pour des
phénomènes pulmonaires : hémoptysies, râles du côté droit, fièvre, amaigris-
sement. La malade doit avoir eu déjà deux mois auparavant des crachements
de sang. L'hémoptysie qu'elle présentait à son entrée fut très abondante,
accompagnée de toux sèche. Elle se répéta jusqu'au 25 juillet. On lui mit
des vésicatoires, des pointes de feu et on lui donna de la créosote. Le
10 juillet, elle fut prise de phénomènes méningiformes : vive céphalalgie,
fièvre, vomissements. Le 20 juillet, éruption rubéoliforme qui disparait par
la cessation de l'antipyrine. La malade était alors très affaiblie ; elle avait une
forte diarrhée, des maux de tête continucls, des vomissements. Le 2G juillet,
elle veut se lever dans la nuit, ses jambes fléchissent et elle tombe sans con-
1. Voy. les il,, 1, 2, 3 et 4, 1891.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 367
naissance. A partir de ce moment, elle reste quatre jours sans reprendre
ses sens, dans le coma absolu. C'est au cours de ces accidents comateux que
quelques secousses bizarres firent émettre un doute sur la nature tuberculeuse
de l'affection. Au coma fit place une agitation excessive, du délire permanent,
de la raideur dans la nuque. Le délire dura deux mois environ. Durant celle
période délirante, la température atteignit 40°, 41° et même davantage le soir
pour redescendre le matin presque à la normale (Voir courbe ci-jointe).
En septembre, le délire cessa mais la température persista avec ses
caractères irréguliers et intermittents. Elle fut alors reprise de crachements
de sang, de céphalalgie, de sueurs abondantes et de faiblesse extrême.
Le 29 septembre 1888, apparaît un nouveau phénomène : la paraplégie.
Un jour, se sentant un peu mieux, elle voulut essayer de se lever et constata
à son grand étonnement que ses jambes étaient paralysées. On essaya de la
mettre debout mais ses jambes se dérobèrent sous elle, surtout la jambe droite
et elle serait tombée si on ne l'avait soutenue. A dater de cette tentative, elle
reste quatorze mois au lit, les membres inférieurs flasques, paralysés;
Elle peut les remuer à peine mais ne peut les soulever. Les sphincters sont
respectés. En octobre, il se produit provisoirement un mieux sensible dans
l'élat général; mais vers la fin du mois, la céphalalgie reparaît, accompagnée
d'insomnie et d'inappétence. La fièvre avec ses caractères hectiques pour-
suivait son cours. Fin novembre, la céphalalgie un instant disparue reparaît
très violente; des vomissements quotidiens se montrent à nouveau, et ne
cessent qu'en avril 1889. Insomnie. On lui met de la glace sur la tête
durant un mois et demi; la diarrhée intense dura quinze jours. En mars
1889, les phénomènes méningitiques commencent à se calmer; la fièvre
persiste cependant et l'état général est assez mauvais. On essaie de l'élec-
tricité; mais comme, à chaque séance, elle souffre davantage, pn cesse ce
traitement, et en mai, alors que tous ces phénomènes graves se sont calmés
et qu'il ne reste plus pour ainsi dire que la paraplégie, on eut recours à la
pendaison.
En trois mois, on la suspend trente-six fois. A la onzième séance, on note
une légère amélioration ; la malade soutenue par deux aides sous les bras peut
se tenir debout. A partir de la vingt-deuxième séance, elle commença à mal
supporter ce traitement; à peine est-elle soulevée de terre qu'elle se plaint
de douleurs dans les reins et qu'on fut bientôt obligé de renoncer à ce trai-
tement (20 août 1889). Avec ce traitement la paraplégie jusque-là'flasque
change de forme et devient spasmodique : lamaladesoulenue sous les aisselles
peut marcher, mais difficilement, troublée par des trépidations spasmodiques.
7 septembre 1889. 1`O11vC11epollSSl : C llléllllll(Ol'117C avec céphalalgie, vomis-
sements, fièvre et délire durant trois jours. - 2 octobre. Vives douleurs dans
là région lombaire. Pointes de feu réclamées par la malade ci qu'on renou-
velle dans la suite lous les huit jours. « C'est, dit-elle, ce qui me soulage le 0
plus. » 28 octobre. Crise de vomissements incoercibles, jusqu'en janvier
suivant. le' novembre. Amélioration de la paraplégie. La malade peut
marcher dans la salle en se tenant aux lits, mais il lui est impossible dc
368 . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Fig. 68. Fièvre hystérique prolongée (OBS. XLV111).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES cl SIMULATEURS ». 3Cn
Fièvre hystérique prolongée (Suile).
370 . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -
Fièvre hystérique prolongée (Suite).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 371
détacher ses pieds du sol : elle les traîne, surtout le droit, en frottant le par-
quet ; elle a plutôt l'air de glisser. Décembre 1889. Les troubles moteurs
se sont encore amendés un peu; elle souffre toujours de vomissements et de
maux de tète. - '1" février 1890. La 'malade passe comme d'habitude sa
journée sur une chaise ou dans son lit ; quand elle veut marcher dans la salle,
elle a besoin d'être soutenue par deux aides ou de s'appuyer sur le dossier
d'une chaise qu'elle, pousse devant elle. Ses pieds sont appliqués au sol et
frottent. Quand elle détache les talons du sol elle est aussitôt prise de
secousses spasmodiques.
La sensibilité explorée avec soin ne présente aucun trouble sensitif ni
sensoriel. La malade n'accuse du reste aucune douleur; elle est très froissée
d'être soupçonnée d'hystérie.
A partir de ce moment, l'amélioration fait des progrès; elle peut se passer
d'aides et glisser seule d'un lit à l'autre dans la salle. En mars 1890, les
troubles moteurs sont toujours en amélioration croissante. Un jour, ou
la porte au bas de l'escalier et on lui dit de remonter toute seule. « Je ne puis
pas, répond-elle. Mais si vous étiez seule, comment feriez-vous ? »
372 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Et aussitôt la malade se met à sauter à pieds joints et à remonter ainsi
une vingtaine de marches. Quinze jours après, l'amélioration est telle que
la malade peut aisément détacher ses pieds du sol et monter un escalier,
suivant le mécanisme de la marche ordinaire. Elle éprouve toutefois une
certaine difficulté. Les deux mois suivants, les vomissements cessent,
l'appétit revient et, le 27 mai 1890, elle quitte l'hôpital Necker dans un
état général satisfaisant et pourainsi dire complètement guérie desa paraplégie.
Les divers viscères examinés à ce moment ne présentaient aucune lésion; il
il n'y avait aucun stigmate sensitivo-sensoriel d'hystérie.
Depuis la sortie de Necker, nous avons eu l'occasion de revoir cette malade.
Le 15 juin, elle était totalement guérie, elle marchaitcomme tout le monde,
vaquait à ses occupations sans gêne aucune. Nous l'avons même rencontrée
le 20 juillet dans la rue; elle allait demander une place d'infirmière.
Mais le 31 juillet 1890, elle était prise brusquement d'aphonie et de
toux, etc.; le 18 août, elle entrait à l'hôpital Saint-Joseph. Le diagnostic fut
le suivant : tuberculose pulmonaire, myélite et méningite tuberculeuse. Le
5 octobre, nous l'avons vue dans cet hôpital et M. Cailleret, interne du ser-
vice, a bien voulu nous donner des renseignements sur les divers accidents
qu'elle avait présentés. Elle était rentrée pour des hémoptysies, de la fièvre,
de la toux et de l'aphonie ; elle présentait des râles dans la fosse sus-épineuse
droite. On fit le diagnostic de tuberculose pulmonaire. Elle resta dans le même
état jusqu'au 10 septembre. Ce jour-là, elle se leva et sa marche était abso-
lument normale. Le 16 septembre, étant dans le jardin, elle est reprise
d'hémoptysie et de fièvre. Celte hémoptysie cède par l'ergoline. Le 18, elle
veut se lever pour aller aux cabinets, elle s'aperçoit alors que son côté droit
est paralysé, que sa jambe traîne, qu'elle refuse la marche et elle est obligée
de se recoucher. Quelques jours après le membre inférieur gauche se prend
durant trois jours, puis cette monoplégie gauche disparaît. La jambe droite
et le membre supérieur du même côté restent paralysés. On avait songé à une
myélite tuberculeuse. Le 20 septembre, elle se plaint de céphalalgie et de
douleur dans la nuque. Le 25, vomissements, cris de douleur, contractures,
fièvre, 40°, durant plusieurs jours. On diagnostique une méningite tuberctt-
leuse et on lui met un vésicatoire à la nuque. Elle était très mal et on l'a
crue mourante. Cet état a duré jusqu'au 3 octobre.
Etat a2t 5 octobre 1890. Monoplégie brachiale droite complète sans
troubles de la sensibilité. Le mouvement est revenu tout à fait dans le membre
inférieur correspondant. La sensibilité générale est intacte. Les sens spé-
ciaux ne sont pas atteints. L'odorat seul est sensiblement diminué dans la
narine droite. Le sens musculaire est normal. Aphonie. Toux. Râles au som-
met droit. Inappétence. Rien dans aucun autre organe. Intelligence complète,
vive. Etat général parfait. N'était son aphonie, sa monoplégie brachiale et
ses hémoptysies, on ne se douterait pas qu'elle a été malade. Elle n'accuse
aucun phénomène nouveau, ne veut pas entendre parler d'état névro-
pathique et concède simplement un caractère mobile, vif et emporté.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 373
La longue et intéressante histoire de cette jeune fille semble bien
faite en apparence pour éloigner tout soupçon d'hystérie. Tuberculose
pulmonaire, tuberculose méningée, myélite tuberculeuse, tel est le
diagnostic qui semble s'imposer. En effet les phénomènes pulmonaires,
cérébraux, spinaux se succèdent chez elle, alternent et coexistent. Ils
coïncident avec une température élevée qui dure pendant plus d'un
an, avec de la diarrhée, des sueurs, etc. Mais le tableau est trop chargé
pour être vrai. Il ne s'agit pas ici de tuberculose mais bien d'hystérie.
La fièvre avec ses caractères hectiques est assurément l'élément le plus
étranger à la névrose. Cependant divers auteurs, Briquet, Gaoeyl,
Briand 9, Debovel, Barié4, Gliauveaui5, Fabre G, Lorentzen', Jacohi 8, etc.,
en ont mentionné des exemples indiscutables. Il ne saurait être ques-
tion ici de supercherie, la malade étant dans le coma et le délire,
du moins pendant quelque temps. Le diagnostic de tuberculose parais-
sant certain, il a fallu la manifestation de quelques secousses insolites
au cours de ce coma pour éveiller chez M. Dieulafoy l'idée d'hystérie.
En l'absence des stigmates ordinaires de la névrose, la mobilité
des symptômes, leur évolution, etc., imposent le diagnostic. On a songé
récemment, à l'hôpital Saint-Joseph, à une tuberculose multiple; mais
ces derniers accidents semblent fidèlement calqués sur ceux que la
malade présentait deux ans auparavant. Du reste, ils ont guéri.en partie.
La méningite tuberculeuse ne pardonne pas quand elle atteint une si
haute gravité. Il ne saurait être davantage question de paraplégie
tuberculeuse : le début subit, la guérison complète précédée d'une
phase d'abasie s'opposent à cette manière de voir ; la rechute récente
suivie de guérison nouvelle rappelle entièrement les allures de l'hys-
térie féminine.
En résumé, nous nous croyons autorisé à affirmer, même après avoir
constaté la monoplégie brachiale actuelle et les râles du sommet droit,
l'origine névropathique de tous les accidents passés et présents.
OBs. XLIX (résumée) (Pontoppidan, Hystérie hos Mand, Iqospitals
Tidende et Centralblatt sur Nerzenkr., 1886, p. 51).
Ces. L (résumée) (Sperling, in Nenrolog. Centralblatt, 1888). Para-
plégie hystérique simulant une myélite tuberculeuse.
1. Gagey, Des accidents fébriles qu'on remarque chez les hystériques. Th, de Paris, 1869.
2. Briand. Th. de Paris, 1077.
3. Debove, Bullel. de la Soc. méd.. des hôp., 1886.
4. Barié, Bullet. de la Soc. méd. des hôp., 1886.
5. Chameau, Formes cliniques et palllOg. de la fièvre hystérique. Th. de Paris, 1888,
6. Fabre, Conlrib. à l'étude de la fièvre hystérique. Th. dc Paris, 1888.
7. Lorentzen, Cenlralblalt sur klin. Med., 1889.
8. l'utnam Jacobi, Journ. of nerv. and mental diseuses, juin 1890.
374. NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Obs. LI (résumée) (l'otain, in Gazette des hôpitaux, 1819, p. G18).
Paraplégie hystérique simulant une paraplégie spinale syphilitique.-
M. le professeur Polain discute le diagnostic. Après avoir soulevé et
rejeté diverses hypothèses, il conclut en ces termes : « Il ne serait pas
impossible que l'individu étant hystérique et syphilitique, l'une et
l'autre maladies eussent contribué à la production de la paraplégie.
Quant à déterminer quelle est la lésion, nous ne le pouvons encore.
Actuellement la contractilité électrique des muscles est conservée. Nous
avons le droit de conclure qu'il n'y a qu'une névrosepure, que de l'hys-
térie ; mais, si dans quelques jours, la contractilité se perd peu à peu,
il faudra se défier du diagnostic. Vous le voyez, mème.avec une dis-
cussion approfondie de toutes les circonstances du fait, nous n'arrivons
qu'à un diagnostic indécis, et nous sommes obligés d'attendre, pour
nous prononcer, ce que deviendra la contractilité musculaire. »
OBs. LU (résumée) (F. Iluchard, in Thèse de Paris, 1881). Para-
plégie hystérique simulant une paraplégie syphilitique.
« Pour moi, disait M. le professeur Sée, cette malade est probable-
ment atteinte de paraplégie hystérique. Je sais que nulle part ni moi
ni mon excellent chef de clinique, M. Oulmont, n'avons trouvé de
plaque d'anesthésie, si limitée soit-elle. Je sais qu'en ce moment il
n'existe aucun autre symptôme bien caractéristique d'hystérie. Je
sais que la malade a eu la syphilis et que vous tous et mon chef de
clinique lui-même croyez à une paraplégie syphilitique (puisque
déjà à la première atteinte elle a été traitée par le sirop de Gibert),
et cependant je n'en crois rien. Tout, chez celle malade, et le mode
de début de sa paraplégie, et l'absence de tous autres symptômes et
les antécédents personnels de cette malade me portent de plus en plus
vers cette opinion qui serait inacceptable si nous devions en croire
aveuglément nos anciens maitres. Du reste la marche et le traite-
ment décideront de quel côté se trouve la vérité et je vous ajourne à
quelques mois pour trancher la question d'une manière définitive. » Et
le résultat lui donna raison.
- CHAPITRE VIII
DIAGNOSTIC DE LA SIMULATION
Il est des cas complexes où l'hystérie se trouve associée avec une
paraplégie de cause spinale. Nous n'en voulons pour preuve que
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 371-)
l'observation rapportée par M. Charcot dans ses Leçons du, mardi,
1888-'1889, p. 175. Il s'agit d'une femme de quarante-sept ans ayant
eu autrefois une paraplégie par mal de Pott. Elle était guérie de sa
paraplégie depuis vingt ans, lorsque, à l'époque de la ménopause,
apparurent des accidents hystériques simulant un retour du mal
vertébral et de la paraplégie par compression.
Pour savoir si l'on a affaire à un syndrome hystérique, à une para-
plégie spinale ou à une association de ces deux complexus, il faut
considérer séparément les deux ordres de faits qui se présentent en
clinique, à savoir : 1° les paraplégies hystériques avec stigmates;
2° les paraplégies hystériques monosymptomatiques.
A. Paraplégies hystériques avec stigmates. Reconnaître la pré-
sence des stigmates, est une simple affaire d'examen. Mais démontrer
que l'hystérie seule est en jeu comporte un raisonnement serré et une
étude attentive des caractères propres et de l'évolution de la paraplégie.
1 ° Les troubles de la sensibilité sont différents. Dans le cas de para-
plégie organique, les hyperesthésies, les engourdissements, les four-
millements, les sensations subjectives sont la règle. Les douleurs
subjectives sont plus rares dans l'hystérie. L'anesthésie cutanée, au
contraire, accompagne fréquemment les troubles moteurs de la
névrose. Or cette anesthésie se présente avec des caractères et une
délimitation si particuliers qu'on ne la confondra pas avec les anes-
thésies inégales et diffuses des myélites, qui siègent dans le territoire
d'un nerf ou bien sont délimitées par une ligne perpendiculaire il
l'axe du tronc.
2° Les troubles moteurs, l'exagération des réflexes, les trépidations
spinales ne peuvent donner d'indication certaine. On peut les rencon-
trer dans les deux cas.
3° L'examen électrique pourra être un précieux auxiliaire. Les
réactions électriques se troublent assez rapidement dans les paralysies
spinales. Mais il ne faut pas oublier que ces troubles électriques peu-
vent se rencontrer aussi dans les paraplégies hystériques.
A. Les troubles trophiques, tels que esclaccres, ulcérations profondes,
atrophie musculaire, plaident plutôt pour l'origine médullaire orga-
nique. Mais l'atrophie musculaire n'est pas rare dans l'hystérie. Le
décubitus avec signes généraux graves, serait caractéristique de l'orga-
nopalhie spinale.
5° Les acceM<sttco-rec<6[M ? rétention,incontinenced'urine, etc.,
sont communs aux deux affections; l'incontinence est plus rare dans
l'hystérie. La cystite purulente appartient aux lésions organiques; les
376 . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
myélopathiques ne sentent pas le besoin d'uriner, ni le passage de
l'urine ou de la sonde à travers l'urèthre. Les hystériques perçoivent ce
besoin ainsi que le passage du cathéter; ils le témoignent hautement.
6° Si cette étude peut donner des présomptions, c'est surtout dans
les phénomènes extrinsèques : antécédents, commémoralifs, évolu-
tion, etc., que l'on puisera les véritables éléments du diagnostic.
Lorsqu'en fin de compte, on ne constatera aucun signe pathogno-
monique de myélite, et que le malade sera dûment hystérique, on sera
autorisé à diagnostiquer un syndrome hystérique isolé; toute autre
hypothèse ne serait pas justifiée.
B. Paraplégies hystériques monosymptomatiques. L'anesthésie,
comme on l'a cru longtemps, sur la foi de Gendrin, Peau, IIenrot, etc.,
n'estpas inséparable des manifestations hystériques. Déjà Landouzy, Bri-
quet, M. le professeur Jaccoud (Path. inl., t. I, p. 409) s'étaient élevés
contre cette indissolubilité et même contre la grande fréquence de
l'anesthésie cutanée. Il est incontestable que l'anesthésie peut manquer
dans les paralysies hystériques, quoique Spring dise dans son Traité
des accidents morbides : « Ce qui caractérise surtout la paraplégie hys-
térique, c'est qu'elle s'accompagne d'anesthésie. »
Les exemples de paraplégies monosymptomatiques sans anesthésie
ne sont pas absolument exceptionnels, surtout chez les enfants; Rie-
gel en cite trois cas manifestes. M. F. Iluchard en rapporte également
trois observations convaincantes, etc. Non seulement l'anesthésie peut
manquer, mais encore toutes les autres manifestations habituelles de
la névrose peuvent faire défaut. Il faut avouer que, dans ces conditions,
la première idée qui vient à l'esprit, n'est pas celle d'nne paraplégie
hystérique, et qu'on songe fatalement à un mal de Pott, à la tuber-
culose, à la syphilis médullaire, à une tumeur de la moelle, etc. Nous
en avons cité de nombreux exemples. C'est ici qu'il faut tenir grand
compte des éléments extrinsèques qui seuls peuvent donner des pro-
babilités.
I° Les antécédents héréditaires pourront donner l'éveil. Les para-
plégies par compression lente de la moelle n'appartiennent pas direc-
ment à la famille névropathique, et on ne retrouve pas forcément chez
elles, comme dans la névrose, une tare héréditaire nerveuse plus ou
moins chargée.
2° Les antécédents personnels interrogés avec soin permettent de
relever dans le passé du malade un ou plusieurs épisodes hystériques
dont la valeur, dans l'espèce, n'a pas besoin d'être soulignée.
1. Riegel, Zeitschr. pir I;lin..lletl., Berlin, 1883, p. 453.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS D..377
3° Le 1node de début est souvent brusque ou rapide dans la névrose;
sa marche capricieuse, variable. La terminaison par guérison brusque
devra être prise en .considération. Une guérison lente n'aura pas la
même valeur diagnostique, car les paraplégies par compression, dans
le mal de Pott par exemple, peuvent guérir. Mais en réalité, cette
guérison est plus apparente que réelle; la paraplégie est latente,
l'exaltation des réflexes en traduit souvent et les restes mal éteints et
la menace d'une récidive.
4.° Les commémoraii fs permettront d'éliminer les paralysies toxiques
ou infectieuses.
Il faudra encore éliminer les lésions encéphaliques et médullaires.
Ce n'est pas dans les lésions organiques des hémisphères cérébraux
qu'il faudra chercher la cause de la paraplégie. Erard a pourtant
signalé un cas de paralysie des membres inférieurs chez une femme
atteinte de tumeur siégeant dans le corps vitré, sur la ligne mé-
diane et comprimant deux points symétriques. Mais ce sont les affec-
tions organiques spinales qu'il faudra éliminer successivement pour
arriver par exclusion au diagnostic de paralysie hystérique. Les para-
plégies par compression médullaire : tuberculose vertébrale, cancer,
s'accompagnent de douleurs très vives et de pseudo-névralgies ; la
percussion est douloureuse au niveau des vertèbres et la rachialgic
des hystériques n'est pas comparable à ces douleurs osseuses, ainsi
que nous l'avons déjà montré.
L'hémalorachis, l'hématomyélie, débutent brusquement, s'accom-
pagnent de contractures, de convulsions, d'excitations. Le diagnostic,
au début, peut être très difficile.
La syphilis pourrait être soupçonnée; le traitement servira de
pierre de touche, mais à la condition que la guérison soit rapide. Car
l'iodure de potassium réussit dans des cas où la syphilis ne peut être
incriminée, et de plus, tout médicament peut réussir chez un hysté-
rique. On risquera donc de conclure à la syphilis sans quele diagnostic
soit prouvé rigoureusement.
Le rhumatisme est facile à éliminer; l'état des articulations,
l'alternance des manifestations articulaires et spinales permettent
d'éliminer l'hystérie.
Quant aux paraplégies réflexes, elles sont très probablement de
diverses natures, et ne sont pas étayées sur une base bien solide. Il
faudra toujours déterminer quelle est la part de paraplégie qui revient
à l'affection des organes génito-urinaires et la part d'affection génilo-
urinaire qui relève de la paraplégie.
En résumé, mis en présence d'un paraplégique, le clinicien doit
IV.
318 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
toujours rechercher les stigmates de l'hystérie. Les rencontre-t-il ? Il
lui reste à savoir si tout relève d'un syndrome hystérique ou s'il s'agit
d'un complexus hystéro-organique. Ne les trouve-t-il pas ? Il doit
songer à la paraplégie monosymptomatique et procéder par exclusion.
L'étude des signes actuels, des commémoratifs et de l'évolution le con-
duira toujours à des probabilités pour ou contre l'hystérie et quel-
quefois à la certitude.
TROISIÈME PARTIE
DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES SIMULATEURS DU TABES
Il est un certain nombre d'affections morbides qui peuvent offrir un
tableau clinique analogue à celui de la maladie de Duchenne. C'est pour
ces manifestations, multiples d'origine, que l'on a créé la dénomina-
tion univoque de « pseudo-tabes ». Ainsi on a pu décrire les pseudo-
tabes diabétique, cérébelleux, éthylique, diphthérique, neurasthé-
nique..., etc. Et c'est à l'étude de ces faux tabes que M. Leval-Picque-
chef a consacré sa thèse inaugurale ! . Mais il en est un qui ne nous
paraît pas avoir éveillé l'attention des observateurs, et auquel il faudra
désormais accorder droit de cité. Nous avons nommé le pseudo-tabes
hystérique, que nous aurons seul en vue dans ce chapitre.
Ce terme de pseudo-tabes hystérique ne nous semble pas à l'abri de
critiques. Il a, à notre avis, l'inconvénient de faire naître dans l'esprit
l'idée d'une maladie qui n'existe pas en réalité, et surtout d'avoir été
appliquéindifïéremmentàdeux névroses peut-être identiques. Aussi lui
préférerons-nous celui de « syndrome hystérique simulateur» du tabès.
Les faits d'hystérie simulatrice du tabes sont rares. La plupart de
ceux que l'on pourrait rétrospectivement rapporter à la névrose
manquent de données positives. llurd2 cite une observation dont le
titre seul résume la symptomatologie. Yedrène mentionne un cas
d'incoordination motrice disparue à la suite de la guérison des hémor-
rhoïdes qui l'avaient provoquée. Flirt4, Pitres ? Kannenberg0, relatent
1. Lcvat-Picqucchef, Des pseudo-tabes. Thèse de Paris, 1885.
2. Ilurd, Phimosis, incoordination of movement willh loss of équilibration ]lower; cir-
cumcision, recovery (Boston med, Jourre., janvier 1877).
3. Vedrène, Compl. rend, de la Société de chirurgie, janvier 1878.
4. Ilirt, Ueber labes dorsalis mil erltaltenen ]lIt/el/a reflexen (bers. kl. Woch., 1886,
p. 9 ? 3).
,). Pitres, Sur un cas de pseudo-labes (Llrclt, de'neurol., 1888).
6. Kannenberg (Zeilschr. rür klin. Jled., Bd IX, Il. C, p. 588).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS D. 379
des exemples de tabes fort extraordinaires. Ces divers auteurs ne parlent
point d'hystérie. En l'absence de détails circonstanciés, nous ne sau-
rions mieux faire que de les imiter. Par contre, Webb' publie une
observation qu'il intitule hystérie simulatrice du tabes. L'hystérie n'est
pas niable dans ce cas, mais elle ne nous paraît pas seule en jeu; il
s'agit bien plutôt d'une association « hystéro-tabétique ». MM. Lecorché
et Talamon signalent très explicitement le cas d'une hystérique chez
laquelle la démarche ataxique et les douleurs auraient pu faire songer
au vrai tabes. M. Leval-Picquechef rapporte dans sa thèse une obser-
vation très intéressante qui fut de sa part l'occasion d'une méprise.
H. Huchard, qui vit la malade, songea à l'hystérie, et l'événement vint
lui donner raison. C'était un cas d'hystérie avec « phénomènes ataxi-
formes », suivant son expression.
En dehors de ces deux derniers faits exactement diagnostiqués, il
n'existait pas, à notre connaissance, lorsque nous avons entrepris
l'étude de cette question, d'autres cas d'hystérie simulatrice du tabès.
Or, au cours de cette même année, M. P. lIichaut3, élève de M. le doc-
teur Raymond, vient d'étudier le « pseudo-tabes hystérique » dans un
intéressant chapitre de sa thèse inaugurale. Et M. Raymond annonçait,
quelques jours après, à la Société médicale (séance du 9 mai 1890) son
intention de parachever cette étude. « Je pense, disait-il, pouvoir
communiquer bientôt à la Société un travail complet, seulement
ébauché dans la thèse de M. Michaut, sur le pseudo-labes hystérique. s
A son tour, M. le professeur Pitres* vient ces jours derniers de
publier une remarquable leçon sur le même sujet. Notre mémoire, qui
devait être remis le 15 octobre en vue d'un concours, était déjà ter-
miné lorsque cette leçon a paru. Nous voulons aujourd'hui réparer cet
oubli involontaire.
A en juger par la rareté de ces faits, on pourrait croire qu'il s'agit
là d'une manifestation exceptionnelle de l'hystérie. Mais si on veut bien
admettre que.d'autres observations nous les résumerons plus loin
où l'hystérie a été méconnue relèvent, elles aussi, de la névrose, que
nous en possédons trois inédites, il faudra convenir que ce syndrome
hystérique n'est pas exceptionnel, et qu'il mérite bien de constituer une
forme clinique spéciale. Dans tous les cas, quel que soit son degré de
fréquence, sa double importance pronostique et thérapeutique est
incontestable et justifie une étude d'ensemble.
1. \1'cob, Case of hysleria sintutaling locomotor ala.via (J. of. med, Se, ISiG).
2. Lecorché et Talamon, Eludes médicales faites il la maison Dubois, 1881, p. 550.
3. P. Michaut, Conlribut. à l'élude des manifestations de l'hystérie chez l'homme,
Th. Paris, mai 1890.
. Pitres, Du pseudorlabes hystérique (Gaz. méd. de Paris, 20 septembre 1890).
380 . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Presque tous les signes de la série tabétique peuvent se retrouver
dans la grande névrose. Et d'abord l'incoordination motrice. Déjà
Duchenne de Boulogne ! avait longuement étudié l'ataxie due à la perte
du sens musculaire et l'influence de l'obscurité sur sa production.
Briquet', Lasègue 3, M. le professeur Jaccoud', Topinard5, Leyden" 0
traitent de cette ataxie hystérique et en signalent les variétés et le
mécanisme. MM. Charcot et P. Richer7 appellent l'attention sur une
forme particulière d'impuissance motrice dont M. P. Blocqe a donné la
définition suivante : « État morbide dans lequel l'impossibilité de la
marche normale contraste avec l'intégrité de la sensibilité, de la force
musculaire et de la coordination des autres mouvements des membres
inférieurs », et qu'il a désigné sous le nom expressif d'astasie et d'aba-
sie. C'est là un état morbide sur lequel M. le professeur Charcot est
fréquemment revenu dans ses Leçons du mardi et auquel M. Grasset a a
consacré une longue série de leçons. M. Weir-MitcheIJ 10 a décrit aussi
sous le nom d'ataxie motrice hystérique une incoordination analogue.
Il est inutile de faire ressortir les relations de l'astasie-abasie avec
l'hystérie. « Quelquefois, dit M. Charcot Ii, l'abasie s'associe chez le
malade à divers stigmates : hémianesthésie, rétrécissement du champ
visuel, etc., qui révèlent manifestement l'existence de la névrose hys-
térique. Mais telle n'est pas la règle; et bien qu'il s'agisse encore, dans
ces cas-là, fort souvent du moins, de l'hystérie, l'ataxie abasique peut
se montrer isolée, à titre de manifestation symptomatique de la
névrose. nez "
On peut donc, en résumé, rencontrer chez l'hystérique deux ordres
de troubles moteurs :
1° L'astasie-abasie qui fera rarement songer au tabes;
`2° L'ataxie hystérique proprement dite qui, dans certains cas, se
rapproche étrangement de l'ataxie tabétique. Mais l'incoordination
motrice dans la névrose ne serait pas suffisante pour égarer le
1. Duchenne, Traité de l'éleclrisalion localisée, 3° édit., p. 779.
2. Briquet, Traité de l'hystérie, Paris, 1859, p. 477.
3. Lasègue, De l'anesthésie el de l'ataxie hystérique (Irch. gén. de méd., 1864).
4. Jaccoud, Paraplégies et ataxies du mouvement, Paris, 1861. .
5. Topinard, De l'ataxie locomotrice et en particulier de la maladie appelée ataxie loco-
motrice progressive, Paris, 18G4, p. 57.
6. Leyden, Traité clinique des maladies de la moelle. Traduct. française, 1879, p. 85.
7. Charcot ct Il. Richer, Su di.una forma spéciale d'impotenza... (Jledic. conteruh., 1883,
n° 1, p. G).
8. P. 131ocq, Sur une affection caractérisée par de l'aslasie et de l'abasie (Arch.
neural., 1888).
9. Giasset (Montpellier médical, mars 1889).
10. Weir-Milchell, Gecl. of. diseases of the nervous sgstent... Philadelphie, 1885, p. 39.
11. Charcot, Leçons du mardi à la Salpêtrière, 1888-1889, p. 33C.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 381
diagnostic. D'ordinaire, elle coexiste avec d'antres troubles simula-
teurs. Il faut savoir en effet que les douleurs siégeant dans les membres
inférieurs, autour de la ceinture, etc., ne sont pas exceptionnelles dans
l'hystérie, qu'elles peuvent y revêtir un certain caractère de fulgu-
ration ; qu'en outre, les crises viscérales : stomacales, laryngées,
rénales, etc., sont chose fréquente dans la névrose, non moins que
divers autres troubles de la sensibilité : hyperesthésies, anesthésies,
perte du sens musculaire, etc. ; qu'enfin les troubles vésicaux (réten-
tion, incontinence d'urine, par exemple), les troubles oculaires (am-
blyopie, diplopie, dyschromatopsie, etc.), sont des manifestations assez
communes dans l'hystérie. Il n'est pas exceptionnel de trouver dans
la névrose la perle ou la diminution des réflexes rotuliens, le signe de
Romberg, etc.
Il n'en faut pas davantage ponr concevoir, chez un même sujet, une
telle réunion de symptômes simulateurs que l'idée d'un tabès vrai
puisse s'imposer à l'esprit. El, en réalité, ce tableau est assez souvent
réalisé dans la pratique. Non pas que l'on retrouve au grand complet
toute la symptomatologie tabétique dans la névrose. Il est des symp-
tômes, tels que l'induration grise du nerf optique, les arthropathies
déformantes, le signe d'Argyll Roberlson, les fractures spontanées...
qui restent, dans l'espèce, l'apanage du tabes. Mais ces signes spé-
ciaux, ces stigmates sont inconstants dans le tabes. Quant aux symp-
tômes vulgaires, qui, en somme, sont beaucoup plus fréquents, ils ont
tous ou presque tous leur sosie dans l'hystérie.
Si l'on combine les signes de la série tabétique de mille manières,
on aura constitué autant de variétés cliniques du tabes. Ici les
symptômes se dégradent ou s'effacent : ce sont les formes frustes; là
ils coexistent en nombre restreint : ce sont les formes incomplètes,
atypiques. Eh bien, ce sont précisément ces formes frustes, incomplètes
que la névrose simule de préférence. II nous reste à le démontrer.
Après avoir étudié les syndromes hystériques simulateurs du tabes,
nous consacrerons quelques pages à la névrose désignée sous le nom
de « pseudo-tabes », puis nous citerons quelques observations d'asso-
ciation hystéro-tabétique, et enfin nous mentionnerons les principaux
éléments du diagnostic; en un mot, nous suivrons l'ordre ci-dessous :
il' Syndromes hystériques simulateurs du tabès;
2° Névrose dite « pseulo-tabes »;
3' Association hystéro-tabétique ;
4° Diagnostic différentiel du tabes et du syndrome hystérique.
382 . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
CHAPITRE IX
SYNDROMES SIMULATEURS DU TABES
OBs. LUI (inédite). Syndrome hystérique sÜn1Ûalew'du tabes. -Angèle
P... on, trente-sept ans, lingère, entre le 29 novembre 1888, salle Cruvei-
lhier, dans le service de M. le professeur Charcot.
Antécédents héréditaires. Du côté des grands-parents, rien d'inléres-
sant il signaler. Sa mère est morte à l'âge de soixante ans; elle était aliénée
depuis quinze ans. Son père vit encore; il est atleint de rhumatisme chro-
nique déformant. Elle appartient à une famille de douze enfants : l'un est
mort de tuberculose pulmonaire, un autre de péritonite, les autres à la suite
de maladies inconnues de la malade. Il lui reste un frère et une soeur qui
sont bien portants. Dans ses collatéraux, elle n'a jamais connu d'originaux,
d'hypochondriaques, de nerveux. Un oncle et une tante du côté paternel sont
morts subitement.
, Antécédents personnels. - Depuis l'âge de dix-huit mois, Angèle P... a été
élevée dans un orphelinat, jusqu'à vingt ans. Dans sa première enfance, elle
a toujours été chétive et malade; elle a eu la rougeole et la scarlatine, des
abcès strumeux dont elle porte une longue cicatrice indélébile sur le côté
gauche du cou. A dix ans, fièvre typhoïde; à dix-sept ans, fièvres intermit-
tentes durant trois mois. A vingt ans, première menstruation. Elle se marie
un an après (quatre grossesses dont deux suivies d'accouchement avant
terme. Ni syphilis ni alcoolisme). A vingt-trois ans, attaque de rhuma-
tisme articulaire aigu qui dure six mois. L'année suivante, elle est reprise
des mêmes douleurs qui ne l'ont pas quittée, dit-elle, depuis cette époque.
A vingt-cinq ans, pelvi-péritonite d'origine puerpérale. Elle n'a pas été heu-
reuse en ménage; son mari, ivrogne et brutal, la maltraitait et l'obligeait à
travailler sans relâche. Lasse de ces mauvais traitements, elle s'est séparée
de lui en 1882.
Le 25 décembre 1878 (elle avait alors vingt-huit ans) elle est tombée un
jour dans la Marne, poussée par son mari, prétend-elle ; elle en a élé quitte
pour une fluxion de poitrine. Deux ou trois mois après cet accident, elle
s'est aperçue que ses jambes devenaient faibles; elle pouvait cependant
vaquer à ses occupations habituelles.
En 1880, elle à éprouvé des douleurs dans les genoux, les coudes, les
épaules. Ces douleurs survenaient, dit-elle, par crises de quelques minutes,
tous les jours, pendant un an; elles étaient très vives et l'ont obligée à cesser
de coudre à la machine. En même temps la parésie des membres inférieurs
faisait des progrès ; parfois, durant la marche, ses jambes se dérobaient sous
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 383
elle. En 1883, la marche est devenue plus gênée; elle a été obligée de mar-
cher avec un bâton. Les douleurs persistaient, surtout dans les membres
inférieurs, mais elles n'étaient plus continues; elles revenaient une ou deux
fois par mois, par crises de vingt-quatre heures. L'année suivante, elles se
localisent exclusivement dans les membres inférieurs, le long des tibias,
dans les cuisses; elles durent plusieurs jours puis se calment pour recom-
mencer à des intervalles variables ; elles sont atroces et lui arrachent des
cris. C'est à cette époque qu'elle entra à la Salpêtrière ; elle marchait alors,
paraît-il, très difficilement, appuyée sur une canne, jetant ses jambes à droite
et à gauche, le sol donnant à ses pieds une sensation" de mousse. Depuis
1888., elle est entrée plusieurs fois à l'infirmerie au moment des crises de
douleurs qui s'accompagnaient très souvent de vomissements. Les troubles
moteurs étaient si accusés qu'elle faisait à peine quelques pas dans la salle,
appuyée sur deux béquilles. Les douleurs des membres inférieurs étaient
rapides, « comme des éclairs », violentes. Elles coïncidaient avec des dou-
leurs dans la colonne vertébrale et avec des douleurs en ceinture qui enser-
raient la malade « comme dans un corset de fer ». Au mois de novembre
1888, l'impotence motrice est devenue absolue, et depuis lors la malade
n'a plus quitté le lit. Les crises douloureuses surviennent toujours avec leur
caractère de fulguration, de rapidité et de violence; elles s'accompagnent
d'ordinaire de vomissements aqueux ou bilieux et disparaissent au bout de
quelques jours, sans cause appréciable, comme elles étaient venues, laissant
seulement des plaques d'hyperesthésie cutanée. Il y a un an, la vite a com-
mencé à faiblir ; elle éprouve de temps à autre de la diplopie passagère et
une certaine difficulté dans la miction, sans rétention ni incontinence
d'urine.
Étal actuel (février 1890). 1° Troubles de la motricité. - Paraplégie
complète tenant la malade au lit depuis deux ans. Elle ne peut soulever les
membres inférieurs au-dessus du plan du lit; ils restent dans l'attitude
normale du repos, les jambes légèrement fléchies, les pieds en varus équin.
Les mouvements de flexion et d'extension des orteils sont à peine ébauchés ;
il en est de même des mouvements de flexion des jambes sur les cuisses et
des cuisses sur le bassin, ainsi que des mouvements d'extension, d'abduction
et d'adduction. La malade parvient cependantà les remuer et à les déplacer,
mais en faisant des mouvements du tronc, les coudes appuyés sur le lit. En
réalité, les mouvements volontaires des membres inférieurs sont totalement
abolis. Les mouvements passifs au contraire s'exécutent normalement dans
les divers segments articulaires. Les réflexes rotuliens sont égaux des deux
côtés; ils sont plutôt exagérés mais sans trépidation spinale. La force mus-
culaire, dans l'acte de s'opposer à la flexion ou à l'extension passive, est
affaiblie surtout du côté droit.
Membres supérieurs. Parésie plus marquée à droite qu'à gauche. Au
dynamomètre : main droite, 4; main gauche, 9.
La motricité volontaire est conservée. Tous les mouvements sont possibles,
quoique plus faibles qu'à l'état normal; ils sont faciles dans les divers
384 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -
segments (à droite, cependant, la flexion des doigts reste incomplète). En
effet, elle se sert de ses mains, sans gêne appréciable, pour les divers besoins
de la vie. Les mouvements passifs s'exécutent sans raideur, sans craquements
articulaires. Les réflexes tendineux, au niveau du coude et du poignet, sont
normaux et égaux de chaque côté.
2° Troubles de la sensibilité. Dans le courant de cette année, la
malade a eu des crises douloureuses. Ce sont des douleurs fulgurantes, très
rapides, lui donnant à peine le temps de crier : Ah ! Elles se font sentir sur-
tout le long des tibias et sous les deux talons. Parfois elles siègent en même
temps dans les membres supérieurs, au niveau du coude et de la main. La
malade les localise de préférence au niveau des articulations et les attribue
à ses anciens rhumatismes. Jamais ces douleurs ne siègent à la face, mais
par contre elles sont très vives dans la région dorsale et autour de la taille.
Ces crises durent vingt-quatre ou quarante-huit heures. Elles surviennent
aussi au niveau de l'épigastre et s'accompagnent de vomissements aqueux,
glaireux, rarement bilieux. Puis tous ces phénomènes disparaissent. La der-
nière de ces crises violentes a eu lieu au mois de juillet. Dans l'intervalle,
son appélit est excellent, elle digère bien et ne vomit jamais. Elle éprouve
simplement quelques douleurs vagues, sourdes, disséminées dans les
membres. En dehors de ces douleurs, la malade présente des troubles de la
sensibilité caractéristiques : une anesthésie complète distribuée ainsi qu'il
suit. Aux membres inférieurs, l'anesthésie est totale (contact, douleur, tem-
pérature à 100°) et délimitée en avant par le pli de l'aine, en arrière par une
ligne passant au niveau du sillon fessier. Dans les autres parties du corps, la
sensibilité pour tous les modes est très affaiblie, et en particulier aux mains.
Anesthésie pharyngée. Il existe en outre une zone douloureuse au niveau
des régions dorsale et lombaire du rachis, douleur déterminée par le frô-
lement et surtout par la pression, sans phénomènes d'aura, douleur déchi-
rante et horrible. Le sens musculaire et articulaire est complètement aboli
dans les membres inférieurs. La malade n'a aucune espèce de notion de la
position de ses membres ; elle perd ses jambes dans son lit; la nuit, elles
sont quelquefois pendantes, de telle manière qu'on est obligé de lui mettre
des planches pour prévenir une chule. Aux membres supérieurs, le sens mus-
culaire et articulaire est également perdu.
Tels sont les résultats moteurs et sensitifs généraux lorsqu'on examine la
malade au lit. Lorsqu'on la lève et qu'on essaye de la faire marcher soutenue
par deux aides, on voit ses jambes se dérober, rester immobiles et suivre
mécaniquement les divers mouvements imprimés au tronc, comme les jambes
d'un tabétique arrivé à la période paralytique.
Troubles sensoriels. L'odorat, l'ouïe, le goût, sont normaux des deux
côtés. Du côté des yeux, l'examen pratiqué par M. Parinaud a donné les
résultats suivants : Hypermétropie avec astigmatisme. Les pupilles sont
normales. Pas de lésions du fond de l'oeil. Pas de rétrécissement du
champ visuel; un peu de micromégalopsie. Pas de dyschromatopsie. Am-
Myopie :
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 385
V (0. D.) = -15.
5 (14 mat 1890).
V (0. G.) =
Diplopie homonyme apparaissant à un mètre de la malade et persislantau'
delà à toutes les distances. L'écartement augmente un peu dans les déplace-
ments latéraux, mais pas d'une manière bien sensible. Cette diplopie disparaît
par la correction de l'amétropie. Un verre cylindre seul ne la fait pas dispa-
raître ; il est nécessaire pour cela de corriger l'hypermétropie et l'astigma-
tisme ; les verres qui la font disparaître varient selon les différentes distances.
Troubles urinaires caractérisés simplement par un peu de paresse vési-
cale. Ni troubles trophiques ni troubles vaso-moteurs. L'examen électrique
pratiqué par M. Vigouroux a montré l'abolition de la sensibilité électro-
cutanée. La sensibilité électro-musculaire persiste( ? ). Les réactions muscu-
laires sont normales; la résistance électrique augmentée = 7300 ohmes.
Pas d'attaques convulsives; la malade n'en a jamais eues. Etat psychique
spécial caractérisé surtout par une humeur mobile et fantasque. L'état gé-
néral est bon, l'appétit conservé, la digestion facile; la malade est gaie,
d'aspect assez vigoureux et rien ne trahit au premier abord l'impotence mo-
trice dont elle souffre. Ni sucre ni albumine dans les urines dont le taux est
normal. Rien à noter dans les divers viscères.
Il est assurément difficile de rencontrer un complexus symptoma-
tique qui ressemble davantage à celui de la maladie de Duchenne :
d'abord, parésie avec incoordination motrice, puis paraplégie absolue;
douleurs fulgurantes dans les membres inférieurs, autour de la cein-
ture, au niveau du rachis; crises gastriques accompagnées de vomisse-
ments ; dérobement des jambes, perte du sens musculaire, paresse-
vésicale, diplopie, etc. Le diagnostic de tabes qui semblait s'imposer
a réellement été porté à diverses reprises. Or, cette malade est hysté-
rique. L'anesthésie complète des membres inférieurs, l'hypoesthésie
très accusée du reste du corps, l'anesthésie pharyngée, la microméga-
lopsie, les troubles oculaires, la perte totale du sens musculaire et ar-
ticulaire, le prouvent clairement.
. De plus, tout le complexus morbide nous semble relever de l'hystérie
seule. En effet, les troubles de la vue : diminution de l'acuité visuelle,
diplopie, relèvent soit de la névrose, soit plutôt de l'hypermétropie et
de l'astigmatisme; dans tous les cas, ils ne sont pas sous la dépendance
d'une paralysie oculaire ni d'une lésion du fond de l'oeil, tous phéno-
mènes qui font ici défaut. La paraplégie avec son anesthésie si typique
dans ses caractères et sa distribution dépend évidemment de l'hystérie;
elle rend compte aussi du dérobement des jambes et de la perte du
sens musculaire ainsi que du léger degré de parésie vésicale. Il ne reste
386 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
donc en faveur de la maladie de Duchenne que les douleurs. Mais
celles-ci existent dans la névrose avec des caractères de siège et d'in-
tensité analogues : les observations de Iluchard, Pitres, Michaut en
sont des exemples. D'autre part, Angèle P... ne présente aucun des
signes spéciaux du tabes, aucun « stigmate tabétique », à savoir :
atrophie papillaire, signe de Robertson, de Weslphal, etc. Elle n'a du
tabès que les symptômes superficiels sensitifs et moteurs; or, ceux-ci
sont aussi fréquents dans l'hystérie que dans le tabes. Etant donné que
cette malade est hystérique et que l'hystérie seule suffit à l'inter-
prétation de tous les phénomènes, qu'en outre elle ne porte aucun des
« stigmates tabétiques », il est infiniment probable, pour ne pas dire
certain, qu'il s'agit, dans ce cas, d'hystérie simulatrice. La marche de
l'affection, l'état psychique spécial, l'intégrité de l'état général, viennent
encore plaider dans ce sens. Il s'agit d'une femme qui a été malheu-
reuse, maltraitée, chez laquelle les phénomènes ataxiformes ont débuté
à la suite d'un accident émouvant; d'une femme qui est malade depuis
douze ans, c'est-à-dire depuis l'âge de vingt-cinq ans. Or, on sait que les
tabes précoces sont ordinairement des tabes malins. Et ici l'état général
est parfait.
En résumé, il ne peut être question à notre avis d'association
« hystéro-tabétique » ; c'est un syndrome hystérique simulateur du
tabes qui est responsable de tous les méfaits. Donc la guérison est pos-
sible.
Ons. LIV (inédite). Syndrome hystérique simulateur du tabès.
P. Po...cr, quarante-deux ans, journalier.
Antécédents héréditaires. Grands-parents du côté paternel inconnus
du malade; ceux du côté maternel sont morts, l'un de vieillesse, l'autre
d'apoplexie cérébrale. Son père est mort à soixante-quinze ans. C'était un
« original qui sans motif a déshérité ses enfants et placé ses biens en
.rentes viagères. Il n'a pas connu sa mère; il a un frère qui est bien portant
'et une soeur qui est morte d'apoplexie cérébrale. Quant à ses oncles,
tantes, cousins, etc., il ne donne que des renseignements vagues, négatifs au
point de vue nerveux. Il les a peu connus. Une de ses tantes est morte d'hé-
morrhagie apoplectique.
Antécédents personnels. Ni syphilis ni alcoolisme. Le malade a toujours
été bien portant. Il y a sept ans, il entre à l'Hôtel-Dieu pour une fièvre mu-
queuse ; il y reste trois mois et en sort guéri pour rentrer à l'école Massillon
comme garçon de dortoir. 1
Le 2 septembre 1889 il est admis à l'hôpital Andral pour une fièvre
typhoïde; il y reste dix mois. La dothiénentérie aurait été très grave et
duré quatre mois. Au moment de la convalescence, il a été pris de phéno-
mènes paralytiques généralisés mais plus accentués aux membres inférieurs,
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». -387
qui l'ont empêché de se lever. C'était, dit-il, en janvier 1890. Cette para-
plégie était accompagnée de douleurs dans les membres inférieurs. Ces dou-
leurs ont duré trois semaines; elles revenaient tous les soirs vers sept heures
et ne cessaient que vers trois heures du matin; elles étaient vives, rapides et
sillonnaient les jambes, surtout celle du côté droit (il était obligé de sortir
les jambes du lit); elles étaient tellement violentes qu'elles le faisaient pleu-
rer et qu'il désirait et réclamait instamment l'amputation. Ces douleurs
n'étaient pas superficielles et ne laissaient pas de plaques d'hyperesthésie cu-
tanée. Leur siège en effet n'était pas douloureux à la palpation; il se tâtait
souvent sans pouvoir mettre la main sur les points douloureux. Avec ces
douleurs des membres inférieurs coexistaient des douleurs autour de la
ceinture et le long du rachis, à tel point qu'il était toujours courbé en
avant, plié en deux et qu'il restait ainsi immobile, sans oser se redresser, de
peur de les exagérer. Après cette période de trois semaines, ces accidents dou-
loureux se sont amendés; ils ne reviennent plus maintenant que de temps
à autre et ne durent que quelques minutes; ces douleurs sont toujours exquises,
surtout au niveau delà région lombaire et le feraient « tomber », dit-il, s'il
essayait de se redresser.
Vers la fin du mois de mars, il a eu une attaque convulsive. Il venait de
prendre un bain, lorsqu'il a éprouvé des lourdeurs dans les bras et des nau-
sées suivies de toux quinteuse; il a perdu connaissance. Cette attaque aurait
été caractérisée par des secousses dans le bras droit et par des phénomènes
vaso-moteurs dans le côté gauche du corps. Depuis lors, il a eu plusieurs
crises analogues; elles duraient chacune trente minutes, une heure et même
davantage, et venaient tous les deux jours environ, le soir, vers cinq heures.
Un jour, à la suite d'hallucinations de la vue (il avait cru voir sur sa table
de nuit un animal fantastique), il a été pris d'une attaque suivie de phéno-
mènes apoplectiformes qui ont duré quelques heures et de délire avec vision
d'animaux effrayants durant toute la soirée. Ces troubles ont disparu à la
suite d'une application de glace sur la tête. Il aurait eu à la suite de
cette attaque une déviation de la bouche qui aurait disparu avec une nou-
velle crise. Le 4 avril, attaque suivie de rétention d'urine. Depuis ce mo-
men t cette rétention a persisté; il ne peut uriner seul ; au début on le sondait
deux fois par jour, quelque temps après il s'est sondé lui-même (un jour il
a eu un accès de fièvre urineuse). Durant les deux mois de mai et de juin, il
a présenté de l'anorexie : il ne voulait absolument rien manger et on a dû
l'alimenter avec des lavements nutritifs. Il quitte bientôt l'hôpital pour un
motif futile, sous prétexte qu'il n'y avait pas de bains sulfureux ( ? ) et rentre à
l'Hôtel-Dieu; il n'y séjourne que quelques jours et part en déclarant qu'on
ne s'occupait pas assez de lui. Il va alors à la Pitié où il ne fait que passer,
fatigué par les élèves « qui s'exerçaient sur lui ». Enfin il vient échouer à
l'hôpital Necker, marchant très difficilement et affecté d'un embarras de la
parole qui avait fait songer tout d'abord à une sclérose en plaques. Il présen-
tait en même temps un oedème du pied etde la jambe gauches. M. le profes-
seur Dieulafoy fit le diagnostic d'hystérie. Après un court séjour à Necker,
388 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dans un accès de mauvaise humeur il quitta l'hôpital et vint à la Salpêtrière,
envoyé par notre ami M. Poulalion.
État actuel (26 août 1890). Ce qui frappe, à première vue, chez ce
.malade, c'est son incoordination motrice. Il marche péniblement, les mem-
bres inférieurs un peu fléchis, le tronc fortement incliné en avant, à petits
pas, jetantsesjambes en dedans en lesentre-croisant. Il est toujours obligé de
se servir d'une canne et se fatigue aisément. Au lit, il soulève ses jambes
avec peine, brusquement, sans proportionner l'effort à la distance et va à côté
du but. Dans la station debout, appuyé sur sa canne et les yeux ouverts, il se
tient immobile, toujours courbé; si on lui dit de fermer les yeux, il tombe
comme une masse. Les réflexes rotuliens sont normaux et égaux des deux
côtés. En outre, ce malade accuse des douleurs dans les membres inférieurs,
dans le dos, autour de la ceinture. Ce sont des douleurs vives, très rapides, sans
hyperesthésie cutanée, siégeant de préférence autour des malléoles et des
genoux, quelquefois dans l'avant-bras, où il lui semble qu'on lui « tord les os ».
Ce sont des douleurs qui surviennent par paroxysme, le soir, durent une ou
plusieurs heures, quelquefois toute la nuit et le privent de sommeil. C'est
surtout autour de la ceinture et le long du rachis que ces douleurs sont vives;
autour de la taille, il se sent enserré et étouffe; dans la région dorsale,
l'hyperesthésie est à son comble; elle l'oblige à rester immobile, plié en
deux, quelle que soit son attitude. Dans l'intervalle des paroxysmes vespéro-noc-
turnes, les douleurs persistent mais sous une forme très tolérable. La force
musculaire dans les membres inférieurs est diminuée. Lorsqu'on essaye de
fléchir la jambe en extension, on triomphe de cette résistance mais avec assez
de peine et on détermine à la longue quelques secousses épileptoïdes dans le
membre. Aux membres supérieurs, on ne note rien d'intéressant, sauf une
parésie notable. Au dynamomètre : main droite, 19; main gauche, 16. Ce
malade présente encore des troubles vésicaux caractérisés par une rétention
d'urine qui date de plusieurs mois et qui nécessite deux calhétérismes quoti-
diens. Les selles sont régulières.
Les troubles de la sensibilité sont très caractéristiques L'anesthésie cu-
tannée est répartie de la manière suivante : pour le contact, elle est totale et
complète, sauf en deux ou trois points très limités de la face du côté droit
(elle est moins profonde sur le membre supérieur et la partie antérieure du
tronc du même côté). Partout ailleurs elle est absolue. La température
(chaud, froid) n'est pas perçue dans les mêmes régions ; la douleur à la pipûre
est également très affaiblie, presque abolie sur toute la surface du corps.
Anesthésie pharyngée. -Il existe deux zones hystérogènes : l'une dans le
flanc droit, l'autre dans la région dorso-lombaire. En ce point la sensibilité
est exquise au plus léger frôlement, et si la pression est plus forte, on déter-
mine les phénomènes de l'aura et une attaque même si on continuait. Rien
n'est plus redouté du malade que cette exploration.
Troubles oculaires (Examen pratiqué par M. le D,. Koenig). Rétrécis-
sentettt concentrique du champ visuel des deux côtés à 511 (fig. 69). Amblyopie :
le malade ne compte les doigts qu'à cinquante centimètres; il lit difficilement,
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 389
car bientôt toutes les lettres se confondent. En outre, il ne peut longtemps
fixer un objet sans éprouver de la céphalalgie et une menace d'attaque
comme s'il avait des zones hystérogènes sur la rétine. Il a en plus une sorte
de spasme palpébral qui rend l'examen des yeux difficile à pratiquer. Les
deux pupilles, de moyenne grandeur, réagissent mal à la lumière etàl'accom-
modation. Pas de lésions ophthalmoscopiqlles du fond de l'aeil. Achromatopsie.
390 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Le goût et l'odorat sont complètement abolis des deux côtés. -L'ouïeesl
très affaiblie.
Outre ces troubles sensoriels, le malade est sujet à des attaques spéciales.
Il en a eu trois depuis son arrivée dans la salle (en un mois de temps). Ces
attaques sont précédées d'une sensation bizarre dans le flanc droit qui monte
dans la région sternale sous forme de constriction pénible, puis à la gorge
comme si quelque chose l'étranglait; il perd connaissance. Alors, sans bouger
de place il est agité d'un tremblement généralisé, violent, qui dure un quart
d'heure. Lorsqu'il reprend ses sens, il est secoué par quelques secousses de
toux parfois suivies de vomissements.
Ce malade est en général triste, d'humeur assez versatile; il passe tout
son temps au lit. L'appétit est bon, l'état général aussi. Dans les divers
viscères, rien à noter.
Il y a, chez ce malade, assez de symptômes réunis pour qu'on puisse
songer au tabes : incoordination motrice; douleurs analogues aux dou-
leurs fulgurantes, siégeant dans le dos, les membres, autour de la cein-
ture ; rétention d'urine, paresse pupillaire, amblyopie et achroma-
topsie, signe de Romberg, etc.
Et cependant il ne saurait être question de tabès. Le malade est
d'abord hystérique; on nous le concédera sans peine et nous l'avons
suffisamment démontré. En outre, il n'est qu'hystérique. Les troubles
moteurs, l'incoordination motrice ne sauraient donner le change; ils
ne rappellent que de loin ceux du tabes; il y a ici de l'impotence mo-
trice, de la paraplégie qui tient sous sa dépendance l'incoordination et
les troubles vésicaux. La démarche de ce malade qui s'avance courbé
en deux, constamment préoccupé d'immobiliser sa colonne vertébrale,
pour ne pas réveiller ses douleurs rachidiennes, est très différente de
celle du tabétique. L'amblyopie très prononcée qu'il présente ne relève
d'aucune lésion ophthalmoscopique. Il offre de plus une achromatop-
sie complète. C'est la un phénomène qu'on ne concevrait pas dans la
sclérose des cordons postérieurs sans lésions pupillaires. Il est vrai,
et nous devons le faire remarquer, que l'achromatopsie est très excep-
tionnelle dans l'hystérie mâle. Mais elle existe chez cet homme et ne
peut qu'identifier davantage l'hystérie virile avec l'hystérie féminine,
où, comme on le sait, ces accidents oculaires sont fréquents. Le rétré-
cissement du champ visuel est régulièrement concentrique au lieu
d'être inégal comme dans le tabès. Reste, il est vrai, la paresse pupil-
laire, mais la pupille se contracte encore, et c'est aussi là un phéno-
mène névropathique. Les douleurs fulgurantes sont continues, avec
crises presque quotidiennes, sans hyperesthésie cutanée; la rachialgie
présente au suprême degré les caractères de la rachialgie hystérique :
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 391
superficielle, exquise, avec phénomènes d'aura. L'esquisse dé spasmes
saltatoires qu'on provoque chez ce malade relève aussi de la névrose,
quoique ces spasmes puissent se retrouver dans le tabes, ainsi que
M. Charcot l'a depuis longtemps démontré (Thèse de Dubois). Il n'est
pas enfin jusqu'à l'existence des réflexes rotuliens qui ne plaide encore
contre le tabes en faveur de l'hystérie.
OBs. LV (inédite) (Communiquée par notre collègue et ami M. Calbet).
Syndrome hystérique simulateur du tabes. Ernest Ai...es, trente-six ans,
typographe, entre le 17 juillet 1890, salle Laënnec, dans le service de M. Des-
nos, à l'hôpital de la Charité.
Antécédents héréditaires. Rien d'intéressant à signaler.
Antécédents personnels. Pas d'alcoolisme, pas de syphilis, pas d'acci-
dents saturnins. En 187G, le malade étant aux colonies a eu les fièvres inter-
mittentes; qui n'ont pas reparu depuis. A cette même époque, il a éprouvé de
vives douleurs au niveau du foie; on voit encore aujourd'hui les cicatrices
des ventouses scarifiées qu'on lui a appliquées sur l'hypochondre. L'année
suivante, il contracte la fièvre typhoïde. Il y a huit mois environ, il aurait t
éprouvé de gros ennuis, des chagrins sur la nature desquels il refuse de s'ex-
pliquer. Consécutivement, son caractère s'est modifié; un jour, dans un accès
de colère, il a été pris d'une crise de palpitations intense et prolongée. On lui
a conseillé les piqûres de morphine. Ces palpitations se sont renouvelées
souvent depuis et tous les jours il s'est fait six à huit piqûres de 1 centi-
gramme. Il est venu le 17 juillet à la Charité demander une piqûre et, devant
un refus, s'est décidé à entrer. Depuis huit mois, il a eu deux ou trois accès
de palpitations par semaine. Ces accès durent plusieurs heures; ils sont très
douloureux et s'accompagnent d'une certaine angoisse précordiale. Depuis
trois mois et demi le malade présente des douleurs dans les membres infé-
rieurs. Ces douleurs se sont montrées d'abord dans la jambe gauche, sous
forme d'éclairs, parcourant rapidement le membre entier depuis la fesse jus-
qu'au cou-de-pied; puis elles se sonl montrées avec les mêmes caractères
mais sous une forme très légère dans le membre du côté opposé. Autour de
la ceinture il se sentait comme serré dans un étau. Elles survenaient par
paroxysmes de durée variable. Outre ces douleurs fulgurantes des membres
inférieurs, il a eu aussi à diverses reprises des douleurs très vives au creux
épigastrique avec sensation d'un cercle de fer enserrant l'épigastre. Ces
crises gastriques ne s'accompagnent jamais de vomissements.
État actuel. La marche, les yeux ouverts, ne traduit pas d'incoordina-
lion bien nette; elle est un peu hésitante au moment où on dit au malade de
se retourner pour revenir sur ses pas. 11 ne peut se tenir à cloche-pied. Lors-
qu'on lui fait fermer les yeux, la station debout est impossible; le malade
tombe si on ne le retient pas. Il raconte même, il ce propos, qu'un soir en
rentrant chez lui, la lumière qu'il tenait à la main s'étant subitement éteinte,
il est tombé : i la renverse dans l'escalicr et a roulé jusqu'à l'étage situé au-
392 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dessous. C'est là qu'on l'aurait relevé et porté chez lui où il n'a pu expliquer
ce qui s'était passé. Quelques jours après, au moment de l'accident il n'a-
vait ressenti aucune douleur, l'articulation carpo-métacarpienne du pouce
droit lui faisait mal. Actuellement cette articulation est à demi ankylosée. Les
réflexes rotuliens sont complètement abolis, ainsi du reste que les réflexes
plantaires et olécraniens.
L'anesthésie cutanée est complète et totale. Le contact, la douleur, le
chaud et le froid ne sont nulle part perçus. La conjonctive, la muqueuse buc-
cale sont également insensibles. Le réflexe pharyngé est aboli. Sensation de
tapis sous les pieds. Le sens musculaire est complètement aboli; il ne sait
pas, les yeux fermés, la position de ses membres; dans l'obscurité, il lui est
impossible de trouver un objet dont il connaît la place. Toutefois, la sensibi-
lité profonde n'est pas entièrement éteinte. Lorsqu'on comprime fortement
les masses musculaires de la cuisse, il accuse une sensation de contact. En
certains points d'ailleurs celle pression profonde provoque une vive douleur.
Il existe une zone douloureuse dans l'abdomen, qui est le siège d'nne sensi-
bilité exagérée quand on appuie fortement. Il ne semble pas y avoir dans
l'abdomen de douleur localisée à une région ; il est douloureux dans sa tota-
lité. Cette zone ne produit pas les phénomènes de l'aura. Il y a encore deux
zones analogues sur la colonne rachidienne, au niveau des premières et des
dernières vertèbres dorsales.
Les organes des sens sont touchés. Le goût est tout à fait aboli. L'odorat
également. L'ouïe est obnubilée, surtout du côté gauche. Le champ visuel est
rétréci concentriquement des deux côlés; le rétrécissement du côté gauche
est très considérable (il n'a pas été mesuré au périmètre). Dyschromatopsie.
- Le violet, le jaune et le bleu ne sont pas perçus avec leur valeur normale. Le
vert clair semble gris; le vert foncé est perçu ainsi que les divers tons du rouge.
Les pupilles sont égales, moyennement dilatées et réagissent à peine à la lu-
mière. - Amblyopie surtout de l'oeil gauche.-Diplopie monoculaire et mi-
cromégalopsie du môme côté. Le malade n'a,jamais eu de crises convulsives.
Il est enfin porteur d'un goitre exophthalmique bien caractérisé. Il est
entré pour des palpitations; le pouls battait alors 1G0 à la minute; il avait
une douleur assez vive dans la région thyroïdienne avec sensation d'an-
goisse el d'étouffement. Le corps thyroïde est augmenté de volume, du côté
droit surtout, mais d'une façon très modérée. L'eaopUlbalmie est double et
très manifeste, sans signe de de Graefc. Cetle saillie oculaire s'accentue au
moment des accès; elle s'est quelquefois accompagnée de diplopie. Il nous a
semblé aussi qu'il y avait un peu d'ophthalmoplégie, mais on ne saurait être
trop affirmatif à ce sujet, l'examen n'ayant pu être fait aussi complètement
qu'on l'aurait voulu. En outre, ce malade présente un tremblement vibratoire
généralisé. Son caractère s'est modifié; il est devenu irritable et violent. Il l'a
du reste bien montré, car, à la suite d'un mot désagréable qu'il a cru lui être
adressé, il a injurié les infirmiers et quille l'hôpital quatre jours après son
entrée. Pas de lésions cardiaques. Pas de troubles viscéraux. Les urines ne
renferment ni sucre ni albumine.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 393
Il manque à cette observation quelques détails; nous l'avons rédigée
d'après les notes qui nous ont été communiquées par M. Calbet. Nous
avions examiné nous-même ce malade ; son départ brusque nous a
empêché de compléter cet examen, notamment en ce qui concerne
l'exploration du fond de l'oeil, qui n'a pas été faite. Néanmoins le tabes
ne saurait ici être mis en cause. Sans doute, il y a des douleurs fulgu-
rantes dans les membres inférieurs, des douleurs en ceinture, des
douleurs rachidiennes, des crises gastriques, les signes de Romberg et
de Westphal, des troubles oculaires, vésicaux, un peu d'incoordination
motrice, plus de symptômes en un mot qu'il n'en faut pour constituer
la maladie de Duchenne.
Mais, d'autre part, cet homme est un hystérique avéré : les troubles
de la sensibilité générale et spéciale, les hyperesthésies rachidiennes, etc.,
en sont la preuve irréfragable. 11 est de plus atteint d'un goitre
exophthalmique typique, coïncidence qui n'est pas faite pour nous
étonner et que MM. 13arié', Joffroy et G. Ballet3 ont récemment men-
tionnée. Or, l'hystérie et la maladie de Basedow suffisent amplement à
expliquer tous les signes constatés chez ce malade; les douleurs, les
crises gastriques, l'incoordination, le signe de Romberg, se voient assez
souvent dans la névrose hystérique. Reste le signe de Westphal. Mais
on sait que les réflexes rotuliens peuvent manquer chez un sujet sain,
qu'ils peuvent être abolis dans l'hystérie. Quant ladyschromatopsie,
le vert et le rouge sont perçus, ce qui est contraire à l'idée de tabès et
en rapport avec la névrose.
Bref, en tenant ici le raisonnement que nous avons déjà exposé, on
arrive à conclure qu'il s'agit, chez cet homme, d'un syndrome hysté-
rique associé à la maladie de Basedow et que tous les symptômes relè-
vent soit de l'hystérie, soit du goitre exophthalmique. Le léger degré
d'ophthalmoplégie interne, la diplopie, pourraient bien dépendre de
cette dernière affection.
OBs. LVI (Pitres, in Gaz. iiiéd. de Paris, 20 septembre 1890).
M. Pitres considère son malade comme un pseudo-tabétique. cl Il
n'a pas, dit-il, de lésions indélébiles de la moelle épinière. C'est un
de ces faux ataxiques qui peuvent guérir d'un instant à l'autre sous
l'influence de simples émotions morales. »
1. Barié, Tabes dorsal et goitre exophthalmique (Soc. méd. des hop., 14 déc. 1888).
2. Joirroy, Des rapports de l'ataxie locomotrice progressive et du goitre e ? o;)/tt/ia/-
mique (Soc. méd. des hôp., 14 déc. 18sus). '
3. Ballet, Des rapports de l'ataxie locomotrice et du goitre exophthalmique (Soc. méd.
des hôp., 8 févr. 1889).
IV. 26
391 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
OBs. LVII (résumée) (Leval-Picquechef, loc. cit.). 0..., Anaïs, trente-
neuf ans, couturière.
L'amélioration rapide par le seul effet de la suggestion prouve
bien qu'il ne s'agissait pas de tabès ; d'autre part, la malade était hys-
térique et tout chez elle relevait bien de la névrose, ainsi que le démon-
tra la guérison.
Cas. LVIII (Lecorché et Talamon, in Éludes médicales). Albertine
M..., vingt-trois ans, femme de chambre.
OBS. LIX (résumée) (P. Michaut. Thèse de Paris, 1890). Auguste P...,
trente-trois ans, marchand des quatre-saisons.
Les observations précédentes ont trait à des cas de faux tabes hysté-
rique. Elles montrent clairement que l'erreur était possible, qu'elle a
été commise par des médecins expérimentés, mais qu'à l'heure actuelle
un examen attentif et suffisamment répété doit permettre de trancher
les difficultés.
11 nous faut maintenant résumer quelques observations d'hystérie
simulatrice méconnue, pour faire voir qu'on peut et qu'on doit aujour-
d'hui les interpréter d'une manière toute différente.
Ons. LX (résumée) (Mader, in Wien. med. Presse, 1885, p. 143).
M. P..., vingt-six ans, garde-malade.
M. Mader, qui n'a pas songé à l'hystérie, intitule cette observation :
myelitis spontané heilung. Or, il nous semble que l'hystérie existe dans
ce cas et peut tout expliquer. Cette malade, avant son ictère, présen-
tait déjà des douleurs dans la colonne vertébrale, et à la suite de cette
jaunisse une paraplégie est survenue avec troubles dans la sensibi-
lité. L'incoordination motrice, le signe de Romberg, les douleurs dans
les membres inférieurs, les troubles oculaires, etc., pouvaient bien
faire songer à une sclérose des cordons postérieurs, mais la conserva-
tion des réflexes et surtout la guérison spontanée ne s'accordent guère
avec cette idée. D'autre pari, l'hystérie semble démontrée par la zone
douloureuse du rachis, par la distribution de l'anesthésie cutanée, de
telle sorte qu'il pourrait bien s'agir simplement d'un syndrome hysté-
rique qui a guéri comme guérissent les manifestations de ce genre :
spontanément. L'ictère a joué vraisemblablement le rôle d'agent provo-
cateur. On peut se demander, il est vrai, si tout ce complexus morbide
ne relèverait pas d'un état infectieux, d'une névrite toxique; mais
celle-ci ne saurait expliquer la distribution de l'anesthésie, l'absence
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». , 395
de troubles électriques. En somme, il est fort vraisemblable qu'il s'agit
d'hystérie simulatrice méconnue.
Ous. LXI (Grasset et Apollinario, in Gaz. hebdos" n" 8, 1878). Ilénaia-
nesthésie cérébrale et ataxie locomotrice. Contribution à l'étude des
lésions diffuses dans le tabès.
Il serait difficile de trouver une observation plus typique et plus in-
structive. D'un côté, hémianesthésie sensitivo-sensorielle complète,
perte absolue du sens musculaire, rétrécissement du champ visuel... ;
de l'autre, émotion morale vive, douleur « pseudo-ovarienne » dans le
flanc droit s'accompagnant de crises gastriques, puis passant dans le
flanc gauche. Plus tard, un vertige amène une chute et consécutivement
se déclare une paraplégie avec anesthésie cutanée singulière, fugace,
mobile, étendue des pieds aux genoux. Enfin survient une incoordina-
tion motrice analogue à celle du tabes. C'est un ensemble sympto-
matique que la précision et le luxe des détails permettent d'attribuer
sans hésitation à un syndrome hystérique simulateur du tabes.
Et cependant, à une époque relativement peu éloignée de nous, un
neuro-pathologiste du mérite de M. Grasset écarta l'hystérie par ce seul
fait qu'il s'agissait d'un homme. Il ne vit là qu'une sclérose des cordons
postérieurs ayant franchi ses limites spinales et gagné la capsule in-
terne, et il s'évertua à démontrer la diffusion des lésions tabétiques.
« On se fait, dit-il, une fausse idée du tabes en le considérant comme
formé exclusivement par la sclérose systématique des cordons posté-
rieurs ; il résulte de celte observation que l'ataxie locomotrice progres-
sive doit plutôt être regardée comme une maladie diffuse cérébro-
spinale pouvant entraîner des lésions du côté de la capsule interne. »
Si la théorie extra-spinale du tabes n'a que de pareils faits à son actif,
il faut avouer qu'elle est bien précaire. Mais c'est là une question de
doctrine que nous n'avons pas à envisager ici. C'est le seul côté clinique
qui nous intéresse, et, à ce point de vue, la lecture de ce fait démontre,
d'une façon péremptoire, la présence de l'hystérie et de l'hystérie
seule. C'est ce que nous voulions faire ressortir.
Ces. LXI1 (Raymond et Vulpian, in Thèses de Renaut et de P. Michaut).
M..., coloriste, trente-deux ans.
, M. le docteur Raymond, dans un mémoire resté inéditfaisait en 1874,
au sujet de cette observation, la réflexion suivante : « C'est un exemple
bien évident de sclérose des cordons postérieurs chez un saturnin. » Or,
le 28 juin 1886, M. le professeur Charcot démontra que « chez un sujet
396. NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
prédisposé, l'hystérie peut être mise en jeu par le développement de
l'intoxication saturnine ». Aujourd'hui l'hystéro-saturnisme est hors de
doute. Aussi M. Raymond pense-t-il que cette observation ne vaut plus
et qu'il faut n'y voir actuellement que la névrose hystérique.
OBS. LXIII (résumée) (Vulpian, in Maladies du système ne°uezcr, p. 431).
Il y a deux choses qui attirent l'attention dans* cette intéressante
observation. Tout d'abord, il s'agit d'un tabes fruste par excellence,
d'un tabes, suivant l'expression de l'auteur, « un peu irrégulier,
un peu incomplet dans ses manifestations ». En effet, les vraies
douleurs fulgurantes, les troubles oculaires, vésicaux, sont absents.
L'existence du signe de Westphal n'y est pas mentionnée. Par contre, il
y est parlé d'une hémiparésie gauche, de l'apparition des troubles
moteurs à la suite d'une émotion morale, de la disparition de ces
troubles coïncidant avec le retour de la sensibilité plantaire. D'autre
part, la malade est manifestement hystérique. « Celle malade était hys-
térique, dit Vulpian, mais l'affection pour laquelle elle est entrée à
l'hôpital ne parait pas pouvoir être rapporte entièrement Ù la nétrTose. »
Cette restriction, légitime il y a vingt ans, ne nous semble pas aujour-
d'hui justifiée. Et si nous faisons ici le raisonnement que nous avons
déjà fait plusieurs fois dans ce chapitre, nous arriverons très certaine-
ment au diagnostic pur et simple de syndrome hystérique simula-
teur.
Il nous semble inutile de pousser plus loin cette étude rétrospective,
il nous serait facile de relater encore des exemples multiples d'hys-
térie simulatrice. Ce serait superflu. Ceux que nous avons rapportés
nous semblentde nature à entraîner la conviction. Au surplus, la tâche
était aisée, les études faites sur l'hystérie dans ces dernières années
ayant jeté un jour tout nouveau sur les manifestations cliniques de la
névrose'. Il ne nous reste plus maintenant qu'à consacrer quelques pages
aux « pseudo-tabes » et aux associations hystéro-tabétiques.
. CHAPITRE X
DES « PSEUDO-TABES »
M. le professeur Pitres rapportait, il y a deux ans, un exemple fort
curieux d'ataxie locomotrice. Son malade mourut, et, à l'autopsie, on
ne trouva aucune lésion macroscopique ou microscopique du système ner-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 397
veux. L'auteur,rapprochant ce fait des cas de « pseudo-sclérose de W est-
phal, concluait à l'existence d'une névrose spéciale simulant l'ataxie
locomotrice progressive; il la désignait sous le nom de « pseudo-tabes».
. Ons. LXIV (Pitres, in Archiv dc Neunol., mai 1888, p. 337).
Tout récemment, dans une leçon que nous avons déjà citée (Gaz.
méd. de Paris, 20 septembre 1890), M. Pitres, revenant sur son ancien
malade, reconnaît son erreur en ces termes : « En relisant après coup
les détails de l'observation, on reconnaît bien quelques anomalies qui
auraient dû inspirer des réserves; ainsi les réflexes plantaires et rotu-
liens étaient conservés, les pupilles réagissaient normalement à la lu-
mière et à l'accommodation. Mais les grands symptômes du tabès
étaient si nets, que tous les médecins qui ont vu le malade, tous sans
exception, ont porté le diagnostic d'ataxie locomotrice. La même
erreur a été commise dans des cas analogues, par des hommes dont
.l'autorité en matière de neurologie est absolument incontestée. » Et
rétrospectivement l'auteur classe ce cas dans la neurasthénie. On pour-
rait peut-être bien, à notre avis, en faire honneur à la grande simula-
trice, à l'hystérie, dont les stigmates n'avaient pas été suffisamment
recherchés. De cette observation on peut rapprocher le cas sui-
vant :
OBs. LXV (Thomsen, in Arch. sur Psych., 1886, p. 844). Ein Fall roi
tôdtlicher mit auscheinenden IIel'dsymptomen sich combinirendel' Neuro-
psychose ohne allatomischen Betund.
L'existence de l'hystérie était dans ce cas hors de contestation : l'hé-
iiiiancsiliésie sensitivo-sensorielle, les « accès d'angoisse » suivis de
délire, etc., suffisent pour lever les doutes. De ce cas de Thomsen nous
rapprocherions volontiers une récente observation de E. Siemerling1.
Il y est question d'une femme de trente et un ans, atteinte des symp-
tômes classiques de l'hystérie et de troubles psychiques; qui mourut
de tuberculose. Au lieu d'une autopsie négative qu'il espérait rencon-
trer, l'auteur se trouva en présence de lésions étendues de la moelle
cervico-dorsale et du bulbe. Et de pareilles lésions n'avaient donné
lieu durant la vie à aucun symptôme clinique. Siemerling veut bien
attribuer en majeure partie ces altérations à des anomalies congéni-
tales de l'axe bulbo-médullaire, mais ne pouvant établir une relation
de cause à effet entre elles et les stigmates sensitivo-sensoriels de l'hys-
1. SicmcrliI1¡<', Ueber eillen iiiit CeM/MS<u)'U))f/ contplicirlen Fall t'on schwel'el' 1/ste-
rie, welcher durcit congénitale .1 iioiialieii des cenlralnerrensyslents ausgezeichnel tuar.
Chal'ilé-.ll1llalen, AY Jaltrg.
398 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
térie, il constate simplement le fait. Avouant franchement son embar-
ras, il s'interdit toute espèce d'interprétation et se borne à conclure
« qu'il s'agit là d'un exemple très remarquable, mais nullement for-
tuit, d'anomalies congénitales dans les névroses graves ».
Il nous semble cependant que cette intéressante observation est
justiciable d'une interprétation. Il est notoire que toutes les lésions et
toutes les anomalies congénitales du système nerveux central ne se tra-
duisent pas forcément en clinique par des signes révélateurs. D'autre
pari, une malade qui présente de telles anomalies est un sujet émi-
nemment prédisposé aux névropathies, un terrain préparé d'avance
pour les névroses. Que l'hystérie survienne, -c'est ici le cas, - et une
de ces associations hystéro-organiques mises en lumière par M. Charcot
sera créée de toutes pièces. Et pour monlrer un fait analogue à celui de
Siemerling, il nous suffira de rappeler l'exemple typique de maladie de
Friedreich et d'hystérie rapporté, il y a deux ans, par MM. Gilles de la
Tourette, Blocq et IIuet, etde citer le passage suivant : « L'hystérie peut
affecter les sujets atteints de maladie de Friedreich au même titre,
du reste, qu'elle apparaît dans d'autres affections par arrêt de déve-
loppement, les myopathies par exemple. En effet, nous observons en
ce moment dans le service de la clinique deux myopathiques chez les-
quels la coexistence de l'hystérie est indéniable'. »
Nous rapportons nous-même plus loin (obs. LXXI) un cas d'hystérie
associée à l'atrophie cérébrale partielle.
En somme, qu'il s'agisse d'anomalie congénitale, d'arrêt de déve-
loppement du système nerveux central ou bien d'autres affections orga-
niques cérébro-spinales (tabes, sclérose en plaques, syringomyélie,
sclérose cérébrale, etc.), tous ces divers exemples d'association « hys-
téro-organique » sont justiciables d'une interprétation identique, à
savoir que deux membres de la famille névropathique coexistent sou-
vent chez un même sujet, soit que la lésion organique cérébro-spinale
ait provoqué l'hystérie (thèse de G. Guinon, p. 91G et suiv.), soit qu'il
y ait simple coïncidence, la prédisposition du sujet se manifestant de
deux manières différentes.
Mais revenons à l'observation de Thomsen. Tout est-il hystérique-
dans ce cas ? La mort semble se rattacher étroitement, comme dans
quelques faits de pseudo-sclérose, a la maladie elle-même. Aussi l'auteur
discute-t-il la possibilité de la terminaison fatale dans l'hystérie par
l'hystérie. Il rappelle queMcyer2 attribue la mort de trois hystériques
1. Gilles de la Tourette, Blocq, Huct, Cinq Cas de maladie de Friedreich (Nouvelle
Iconographie, 1888, p. 117).
2. Mener, Iciite lorllliche Hystérie (Virchow's ¡lrelt, Bd IX).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 399
observés par lui à la névrose elle-même, et que Levy' rejette au con-
traire cette hypothèse; et, dans l'observation qu'il rapporte, Thomsen
incrimine l'alcoolisme.
Il est admis en effet jusqu'ici qu'on ne meurt pas d'hystérie, et nous
croyons que, chez ce malade, la plupart des accidents relèvent de la
névrose, la mort exceptée. Bien souvent la véritable cause de la mort,
même chez les gens qui étaient porteurs de grosses lésions, reste
ignorée, et, d'autre part, un hystérique n'est pas à l'abri de la mort su-
bite vulgaire. Du reste, ces exemples d'hystérie mortelle sont excep-
tionnels, et, à cette question de savoir s'il n'est pas des cas d'hystérie
grave qui puissent entraîner la mort, nous pensons qu'il est actuelle-
ment impossible de répondre par l'affirmative.
Il nous resterait maintenant à présenter quelques considérations
d'ensemble sur la névrose particulière dite « pseudo-tabes ». Nous
renverrons aux réflexions générales que nous avons faites au chapitre
des « pseudo-scléroses». Elle comporte les mêmes critiques rétrospec-
tives et les mêmes enseignements pour l'avenir.
CHAPITRE XI
ASSOCIATION IIYSTERO-TABËTIQUE
Les cas complexes d'hystérie associée au tabes ne sont pas rares dans
la pratique hospitalière. Déjà Vulpian, en 18793, pouvait dire : « L'hys-
térie me paraît exercer une influence sur la production de l'ataxie loco-
motrice progressive. Il n'est pas très rare effectivement de constater
que des femmes atteintes d'ataxie ont été auparavant pendant des
années tourmentées par tous les accidents de l'hystérie. » Ces succes-
sions morbides ne sont pas rares. Mais il y a plus : les deux affections
peuvent coexister en même temps chez le même sujet. M. le professeur
Charcot, qui a mis en lumière ces associations hystéro-tabétiques, en a
rapporté3 une série d'exemples convaincants. Il fait précéder l'une de
ses leçons de considérations nosographiques que nous voulons citer
textuellement : « Je voudrais, à propos du cas qui va vous être présenté,
relever une fois de plus ce grand fait nosologique, que même, et
peut-être surtout en pathologie nerveuse, les espèces ou types mor-
bides offrent, dans la combinaison de leurs caractères cliniques, une
1. Levy, Aciiies tdrttliclres Irresein (Allgem. Zeilsclir. sur Psych., Bd XLII, p. 96).
2. Vulpian, Leçons sur les maladies du système nerveux, p. 216.
3. Charcot, Leçons du mardi, 1887-1888, p. 423; 1888-1889, p. 151 et 277.
100 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
véritable fixité, une originalité réelle qui permettra à peu près
toujours de les reconnaître, ou de les séparer par l'analyse, alors
même que plusieurs de ces espèces coexisteraient sur un même indi-
vidu où elles peuvent former des complexus très variés. La doctrine
que nous voudrions faire prévaloir en pareille matière est, vous le
savez par ce que nous avons dit maintes fois sur ce sujet, que les com-
plexus nosologiques dont il s'agit ne représentent pas en réalité des
formes hybrides, produits variables et instables d'un mélange, d'une
fusion intime, mais plutôt le résultat d'une association, d'une juxtapo-
sition dans laquelle chacun des composants conserve son autonomie.
Et à ce propos, je vous ferai remarquer qu'il est fort heureux, en pra-
tique, que les choses soient réellement ainsi, car autrement comment
le clinicien pourrait-il apprendre jamais à s'orienter, au milieu de
groupes symptomatiques innombrables n'offrant pas de cohésion
mutuelle et toujours prêts au changement, à la métamorphose ? »
Ocs. LXVI (Charcot, Cas complexe, Tabès et hystérie. Leçons du mardi,
p. 152). Esther M..., cinquante-huit ans, domestique.
Nous avons souligné les symptômes propres à chacun des deux
membres de cette association. Les répéter serait faire double emploi,
tant ils nous semblent évidents.
Uns. LXVII (résumée) (Suckling, in Bril. med. Journ., 10 avril 1886,
p. 691).
L'auteur fit le diagnostic de tabes avec anesthésie hystérique. D'après
lui, cette observation démontre que, dans toutes les affections orga-
niques du système nerveux, on peut voir survenir les symptômes de
l'hystérie. Il pense que la perte des réflexes rotuliens, les phénomènes
pupillaires, les vertiges, etc., ne peuvent ici être rapportés à l'hystérie.
« Je n'ai jamais vu, dit-il, la perte du réflexe rotulien dans la névrose. »
L'existence du tabès dans ce cas ne peut faire de doute. D'autre part,
l'anesthésie cutanée était plus étendue et plus complète qu'elle ne
l'est d'habitude dans le tabès. La nature hystérique de cette anesthésie
est du reste prouvée par sa disparition subite à la suite d'une simple
application de sangsues.
Ces associations « hysléro-t3bétiques» comportent quelques considé-
rations théoriques et cliniques que nous ne pouvons passer sous silence
et qui sont du reste applicables aux associations hystéro-organiques en
général.
1° A cette question de savoir s'il ne s'agirait pas là d'une forme
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 401
hybride, nous répondrons en rappelant.le -passage1 que nous venons
de citer, et que nous compléterons par quelques lignes. « Il n'y a guère
d'hybrides en nosographie, dit M. Charcot. Il y a une centaine d'années
on eût interprété le tout peut-être à la manière usitée par Lorry, par
exemple, dans son livre De mulationibus morborum; on eût parlé, en
d'autres termes, de la transformation d'un syndrome dans un autre.
Aujourd'hui nous sommes tentés, avec nos idées du jour, à ne voir
dans ces changements que la succession peut-être accidentelle d'étals
morbides indépendants l'un de l'autre. »
2° Quel est le rôle de la première affection en date sur l'apparition
de la seconde ? Il faut distinguer. Si la névrose se développe chez un
sujet déjà en puissance de tabes, il est démontré m. Georges Guinon '2
l'a mis en lumière qu'on ne peut refuser au tabes un rôle qu'on
accorde à d'autres maladies et que la sclérose des cordons postérieurs
peut être un agent provocateur de l'hystérie. Lorsqu'au contraire l'hys-
térie préexiste, il ne semble pas qu'elle puisse avoir d'influence sensible
sur l'apparition du tabes. Du reste, dans toute cette question, il est une
cause qui domine toutes les autres, c'est l'hérédité. « Il ne faut pas
oublier, dit M. Charcot, que le tabes et l'hystérie appartiennent l'un et
l'autre à la grande famille neuropathologique, et que bien qu'il s'agisse
là d'espèces morbides distinctes radicalement, elles se tiennent cepen-
dant par les liens de l'hérédité de transformation. » Dans tous les cas,
rien n'est plus délicat que de saisir, à l'état naissant, les premières
manifestations de la seconde maladie. On risquera fort de les attribuer
à l'affection première qui semble seule et qui en réalité n'est que pré-
dominante, à moins qu'on ne préfère les négliger ou en faire abstrac-
tion. Or, c'est là une tendance qu'il faut éviter. Mieux vaut les classer
provisoirement à part, et, si elles ne sont pas suffisamment nettes pour
permettre de soupçonner l'affection dont elles sont les avant-coureurs,
savoir attendre que de risquer des interprétations gratuites et préma-
turées. Le cas rapporté par M. Charcot dans ses leçons de l'année
scolaire 1887-1888, p. '130, en est un témoignage convaincant et
instructif à la fois.
3° Quelle est l'influence réciproque, quant à l'évolution, du tabes et
de l'hystérie associés ? 11 est fréquent de voir, en matière de pathologie
nerveuse, les symptômes d'une affection préexistante s'atténuer, s'effacer
lorsqu'une seconde maladie fait son apparition. Cet te dernière peut, en
effet, se développer au détriment de la première en quelque sorte, gran-
1. Charcot, Leçons du mardi, ISSi-1SSR, p. 133,
1. Georges Guinon, les Agents provocateurs de l'hystérie. Tli. Paris, 1889.
402 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
diret dominer bielitôtliscènomo Pl) ide. Ce fait est possible dans les cas
complexes d'association hystéro-organique, d'hystérie et de tabes, par
exemple. Mais, dans ces cas, une distinction est nécessaire. Le tabès
est-il primitif ? On peut voir exceptionnellement les signes tabétiques
s'atténuer; règle générale ils ne sont pas notablement influencés par
le développement de la névrose hystérique. L'hystérie est-elle la pre-
mière en date ? Dans ce cas, on voit souvent les manifestations delà
névrose disparaître ou s'effacer quand survient le tabes. Ce défaut de
réciprocité forme un contraste qui est bien dans la logique des choses
et en rapport avec l'essence même des deux facteurs qui appartien-
nent : l'un, il la catégorie des maladies organiques, l'autre, à celle des
affections dites dynamiques, c'est-à-dire qui sont l'un mobile et
curable, l'autre immuable ou progressif.
Mais, enrésumé, quelles quepuissentêtreleursinfluences réciproques,
une fois que l'association est formée, que l'hystérie et l'organopathie
spinale coexistent chez un même sujet, les deux affections restent indé-
pendantes, c'est-à-dire qu'elles évoluent côte à côte, parallèlement,
chacune pour leur propre compte.
CHAPITRE XII
DIAGNOSTIC DE LA SIMULATION HYSTÉRIQUE DU TABES
Simulation n'est pas synonyme d'identité. A priori, il est donc tou-
jours possible de saisir les différences de deux maladies analogues.
Nous devons toutefois faire remarquer que l'existence clinique des
syndromes hystériques simulateurs du tabes n'est basée que sur un
petit nombre de faits bien étudiés, et qu'on ne pourrait, sans témérité,
vouloir aujourd'hui fixer, d'une manière irrévocable, les éléments du
diagnostic. Il nous semble néanmoins qu'il est permis, à l'heure
actuelle, de mettre en relief quelques traits distinctifs. Le problème à
résoudre est le suivant : Étant supposé un syndrome hystérique simula-
teur du tabès, quels sont les caractères qui permettent d'éliminer le
tabes, et de tout rapporter à la névrose ? Les éléments de ce diagnostic
doivent se tirer de la double étude des symptômes eux-mêmes et de
l'évolution.
I. Élude symptomatique.
Les deux cas suivants peuvent se présenter :
A. Hystérie et « stigmates tabétiques ». - On peut affirmer l'exis-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 403
tence du tabès, lorsque, chez un malade, on découvre associé ou non
aux symptômes vulgaires de l'ataxie locomotrice progressive, un ou
plusieurs des signes en quelque sorte pathognomoniques du tabès :
« stigmates tabétiques », tels que : atrophie de la papille, signe d'drgyll
Roberlson, signe de Westphal, lésions osseuses et articulaires (frac-
t1res spontanées, al'thropathie typique).
Il s'agit dans ce cas d'une association hystéro-tabétique que nous
n'avons pas à étudier spécialement dans ce travail.
B. Hystérie et absence de « stigmates tabétiques ». Il n'y a ici
que les signes vulgaires, « superficiels » de l'ataxie locomotrice pro-
gressive : douleurs fulgurantes, crises viscérales, incoordination
motrice, troubles vésicaux, etc., tous signes qui peuvent avoir leur
représentant dans la névrose. C'est donc sur les caractères propres
à chacun de ces symptômes qu'il faudra tout d'abord se baser pour
résoudre le problème. Et cette solution ne peut être donnée que
par une étude comparative des manifestations hystériques et tabé-
tiques.
'1° Troubles sensitifs. (a) Les douleurs fulgurantes du tabes se
présentent avec des caractères bien connus ; elles sont paroxystiques,
atroces, courtes, rapides, souvent accompagnées de plaques d'hyperes-
thésie cutanée. Elles siègent de préférence dans les membres inférieurs,
autour de la ceinture, dans le territoire du nerf cubilal, le long du
rachis... Dans les syndromes hystériques, on ne retrouve pas avec la
même netteté ces divers caractères. Ici les douleurs ne s'accompagnent
pas d'ordinaire d'hyperesthésie cutanée, elles n'atteignentpasla sphère
du cubital. '
La rachialgie hystérique est tout à fait spéciale ; elle est représentée
par une zone douloureuse, cutanée ou musculaire plutôt qu'osseuse
occupant souvent deux points superposés du rachis (région dorso-
lombaire, région dorsale supérieure). La peau est sensible d'ordinaire
au plus léger frôlement, et la pression à ce niveau détermine souvent
les phénomènes de l'aura, voire même une attaque convulsive.
(b) Les crises viscérales, gastriques, intestinales, rénales, offrent dans
l'hystérie et dans le tabes de grandes ressemblances. Il faut tenir
compte de leur mode de début, de leur durée, de leur terminaison, de
leur périodicité plus régulière dans la névrose, mais ici nous touchons
à l'évolution.
(c) L'anesthésie cutanée présente dans les deux cas des différences
considérables. Elle est rarement complète dans le tabes, elle y est
en outre distribuée par zones irrégulières, par plaques, avec une cer-
taine symétrie, suivant certaines règles qui ont été bien étudiées par
401. NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
M. Oulmont' au moyen de la méthode graphique. D'après cet auteur,
ces troubles sont fréquents, généralisés, symétriques, et occupent cer-
tains sièges d'élection : à la tête, les joues et les régions sous-orbi-
laires; le cou est rarement atteint; au tronc, elles occupent de préfé-
rence les deux seins, quelques points autour de l'ombilic, les deux
épaules, les deux fesses. Aux membres supérieurs, il y a presque
toujours quelques altérations aux doigts ; l'avant-bras est plus ou
moins touché; au bras, la lésion est moins étendue. Il y a toujours au
pli du coude et la paume de la main des plaques de peau saine. Aux
membres inférieurs, la distribution de l'anesthésie obéit à des règles
analogues : la plante du pied est prise : anesthésie au talon et aux
orteils, hyperesthésie il la voûte. Les jambes présentent des plaques au
niveau des genoux et des malléoles; aux cuisses les lésions sont moin-
dres. Cette distribution semble bien particulière au tabes dorsal. On
ne saurait la confondre avec l'anesthésie hystérique qui, généralement,
est distribuée sans symétrie, limitée à un côté du corps, à un membre,
à un segment de membre, suivant des limites nettes, tranchées, mor-
phologiques. Il est cependant un certain nombre de cas d'hystérie où
la distribution de l'anesthésie rappelle, de primeabord, celle de l'anes-
thésie tabétique. C'est la distributionditeen îlots (fig. 70 et 71). On con-
çoit aisément les difficultés que pourrait présenter, dans tel cas donné,
cette répartition polyinsulaire. Mais quand on y regarde de près, on s'a-
perçoit bien vite que cette répartition ne répond pas aux règles tracées
par M. Oulmont et qu'il n'y a même là qu'une ressemblance assez
grossière. Du reste, les anesthésies plus ou moins étendues des
muqueuses et des organes des sens qui coexistent d'ordinaire avec
cette a anesthésie en îlots » suffiraient, à défaut de tout autre stigmate,
pour faire éviter l'erreur.
(d) Le sens musculaire peut être altéré dans le tabes, la notion de
position des membres faire défaut. Mais la perte du sens musculaire,
accompagnée souvent de celle du sens articulaire que l'on retrouve si
fréquemment dans l'hystérie, est bien différente de celle que l'on peut
rencontrer dans l'ataxie locomotrice progressive. Il nous semble inutile
d'insister sur ce point.
2° Troubles moteurs. (a) L'incoordination des mouvements pré-
sente, dans la grande majorité des cas de tabes, des caractères si spé-
ciaux qu'elle prête rarement à la confusion. Et pourtant les troubles
moteurs, l'incoordination même, ne sont pas exceptionnels dans
1. Oulmont, De la répartition des troubles de la sensibilité dans le labes dorsal, etc.
(Soc. de biologie, 17 février 1877).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 405
l'hystérie. Les mouvements choréiformes, les spasmes sallatoires, les
tics, les tremblements, l'astasie-abasie amènent assurément de l'ataxie
des mouvements, ataxie que l'occlusion des yeux, l'obscurité exa-
gèrent dans certains cas. Mais généralement la méprise est facile à
éviter; il faut savoir que cette incoordination peut disparaître dans la
position horizontale, être exagérée par les émotions, etc., et que,
même dans les cas difficiles, il y a toujours des nuances qui trahissent
la névrose hystérique.
(b) Le signe de Romberg n'est pas un signe différentiel; il existe
dans la névrose et dans le tabès avec des caractères identiques.
(c) L'abolition des réflexes rotntiens est exceptionnelle, si toutefois
elle existe, dans les syndromes hystériques simulateurs du tabes. Du
reste elle ne saurait avoir grande valeur. En effet, c'est là un phéno-
mène qu'on peut rencontrer chez des individus bien portants et qui est
en outre inconstant dans la sclérose des cordons postérieurs.
Fié. 70.
Fig. 71.
Anesthésie en îlots (d'"près Pitres).
406
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
3° Troubles vésicaux. Ici encore la différenciation est malaisée.
La rétention d'urine est très fréquente dans l'hystérie (l'incontinence
même peut s'y rencontrer). Mais dans ce cas, le cathétérisme est d'or-
dinaire perçu et douloureux; le cathéter est souvent arrêté par un
spasme du col vésical. De plus, la rétention d'urine dans la névrose a
une marche très irrégulière, elle peut durer quelques heures, mais
aussi des mois et des années; elle peut débuter brusquement il la suite
d'une attaque par exemple, faire suite à la guérison d'une paraplégie,
comme dans le cas rapporté par Briquet.
4° Troubles oculaires. Les éléments différentiels tirés de l'exa-
men des yeux, ont, dans l'espèce, une importance capitale. Nous ne
saurions mieux faire que de reproduire ici le tableau synoptique
suivant dû à M. le professeur Charcot (Leçons du mardi).
TABLEAU SYNOPTIQUE DES SYMPTOMES OCULAIRES DANS LE TABES ET DANS L'HYSTÉRIE
NOU\).LLE IC0\0GBA1>I ! 1E DE LA SALYtTRü'RF.
r. IV. 1'1. ? XJ ?
tar babie raubcn an bcm Icyb Zie raubcn frcpn bir bic biuici
3fîb<)e ! 'aMrnittbo(c6nyb/ . ! Elnbé6 wcyb bir \'ttÍàlt b.ll; haut.
Mu/t. prmunt jcnium,[inio 'Ullt multal<' ",da. Simodoagnnff61grdfijrnefFaunut.
Ï)< ! mft6tt'tn<t)(nttbtc't' garrairti mat b4rbcyf 1
S £ 6m{xRtvmtetmHaitie$pa\nl Medienb rn(crlcbcn(ry.
I'nororwn Vfcnrn A. LONDE.
hII(7TOCOII()GRAI'IIII : L. SAUVK.
Gravures DE HANS BURGKMAIR
V"' BABÉ & Cil :
EDITEURS
NOU\J 1 le Iconographie de 1 A SALPhTIài ! lil .
r. IV. ]IL. NX\% Ill.
"i(fi\ f ! nbfrancf/b4bs.iun mút 1Doc9 l"Oilr ber haJlcfbair lIIfimm iW/
burvcylbcin(innnodynbbtbcïs/ 601"'tI)¡cb';lI bmbcrd It.¡b.
porte pckç frieri4n quindog, ére nin4bi, DI(c""1 "go p.d" Uu1/1C1'6 rU4 pJ/ . ,
jt)c¡ : ficITc (<1)111CI'1; fo 1 t n : rt : lagcl1l Jct; fit; 111rül)/bab ain \)nbr[cffcnf 1 ! Dx 6<tt) ;11t'bol}al[ tz 1).; libgetragen/ 3(tjo Irrita mail bic jun& ft bic|]ïtw
Phototype Nl-l,Arn- ni- I,OYDE.
flTOC011()GEAYIIIE 1.. SAUVE.
Gravures DE HANS BURGKMAIR
VVE Babé & C'E
EDITEURS
- - - - i ? 1' T ? r ? q ?
QUATRE GRAVURES DE : lh\.NS,BURGKl\IAIR
· ? . t . k , . ''
Nous avons donné, dans le précédent numéro, la reproduction de
deux gravures du célèbre maître allemand Hans Burgkmair. Ces gra-
vures consacrées à l'iconographie chrétienne avaient.pour nous un in-
térèl,tout spécial à cause delà représentation fort habile et très exacte
de deux lépreux. Nous reproduisons aujourd'hui du même maître une
suite.de quatre dessins spécialement consacrés à la figuration des infir-
mités humaines. Ce ne sont point des dessins exclusivement médicaux.
Pour la plus grande satisfaction des yeux et de l'esprit, le pittoresque
y tient une grande place et vient fort heureusement, contrebalancer
l'impression pénible que pourrait produire sur les profanes la vue des
membres déformés et des ulcères. D'ailleurs, ces dessins sont accom-
pagnés de sentences morales et philosophiques qui montrent le but que
s'est proposé l'artiste lorsqu'il a entrepris de traiter de semblables
sujets... ,
Le premier dessin (pi. XXXVIII) nous montre un illustre podagre, avec
les membres inférieurs gonflés par l'oedème, confortablement installé
dans un luxueux fauteuil, les pieds sur de moelleux coussins. Deux valets
le transportent. « Si tu veux relever ton courage, dit le moraliste, songe
au pauvre hère, dénué de tout et qui n'a d'autre soutien ;que ses bé-
quilles. » Ce conseil ne saurait s'adresser qu'aux malades riches. Mais
la sentence' du dessin qui,est au-dessous parle d'autre manière : « Tes
pieds t'ont porté pouf faire le mal, dit-elle, qu'ils apprennent main-
tenant à souffrir. » Et'en effet le malheureux patient dont la jambe est
couverte d'ulcères est en train de subir une opération qui ne doit rien
avoir d'agréable à en juger par le'long outil que le chirurgien tient à
la main. La pose du malade est remarquable de naturel et de* vérité.
La première gravure de la planche suivante (pl. XXXIX) représente,
dans une salle de bain, un homme 11u"çouv..çrl d'ulcères et d'emplâtres,
assis sur un banc, les pieds posés sur le rebord d'un baquet. Il reçoit
les soins d'un aide placé derrière lui. On voit, à la cantonade, Job sur
son fumier, près de lui le chien qui lèche ses plaies et sa femme qui
408 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
vomit des injures, la bête compatissante et la femme sans pitié.
L'inscription est une satire à l'adresse de cette dernière, elle console
le malheureux de son mal en lui en montrant un pire : « Ton corps est
couvert d'ulcères, aimerais-tu mieux une femme méchante ? L'ulcère
te ronge la peau, une mauvaise femme te salera trop ton souper. » La
légende latine que la reproduction a fait disparaître disait avec plus
d'élévation, mais certainement avec moins de sens pratique : « L'ulcère
te ronge la peau, une mauvaise femme te torture l'âme. » .
Enfin sur le dernier dessin un arracheur de dents, au milieu de sa
clientèle habituelle, exerce son métier qui ne doit pas manquer d'être
lucratif il en juger par le monceau de molaires qui jonchent la table.
Malgré le côté légèrement burlesque de cette scène, le moraliste chante
sur le mode grave : « Puisque l'homme a péché, l'homme doit souffrir.
Sachez-le bien, la vie est remplie de misères. »
J.-M. Charcot et PAUL Richer.
Le gérant : Vettc Baué et C ?
43 : ! i. - L.-Imprimeries réunies, B, rue Mignon, 2. MAY et Motteroz, directeurs.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE
DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS »
DES MALADIES ORGANIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
(Sclérose en plaques, paraplégie, tabes, amyotrophie et syringomyélie)
(Suite et pin1)
IL Étude de l'évolution.
L'évolution est un élément capital de diagnostic. Les manifestations
de l'hystérie sont par nature fugaces et mobiles; on peut les voir dis-
paraître et reparaître tour à tour sous la même forme ou sous une
forme équivalente. Les symptômes hystériques débutent d'ordinaire
avec brusquerie, quelquefois à la suite d'une simple émotion ou d'une
cause banale. Mais cette fugacité n'a qu'une valeur relative. De ce
qu'une manifestation est tenace, il ne s'ensuit pas qu'on soit autorisé à
écarter l'hystérie. Cette démonstration estaujourd'hui faite, notamment,
en ce qui concerne l'hystérie virile, et nous aurons maintes fois l'oc-
casion de le constater. En somme, la durée des syndromes simulateurs
est fort variable; elle ne peut être fixée d'une manière précise. Tout
ce que l'on peut dire, c'est qu'ils peuvent durer plusieurs années, sans
modifications notables. Nous en citerons de nombreux exemples.
Quelque rebelles qu'ils puissent être, on ne saurait cependant les
comparer, à ce point de vue, avec les symptômes du tabes. Règle
générale, leur terminaison est favorable : ils peuvent et doivent
guérir. C'est même la guérison seule qui, dans les cas épineux, vient
lever tous les doutes. L'étude du mode de début, de la marche, de la
1. Voy. les n', 9, Z, 4, 5, 1891.
iv. ` : 7
410 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
terminaison des syndromes hystériques s'impose donc. Elle doit être
faite avec le plus grand soin, car elle permettra presque toujours de
recueillir des données précieuses, jugera souvent en dernier ressort
et, dans quelques cas exceptionnels, restera le seul critérium.
Il nous semble inutile d'ajouter que la recherche des antécédents,
des signes concomitants, des anamnestidues est un complément abso-
lument indispensable. -
QUATRIÈME PARTIE
SYNDROMES HYSTÉRIQUES AMYOTROPIHQUES SIMULATEURS
DES AMYOTROPHIES SPINALES
Les formules cliniques ne sont ni immuables ni absolues. Dans la
grande majorité des cas, l'étude d'un syndrome morbide est simple-
ment esquissée du premier coup. Bientôt, les faits se multipliant, les
règles primitives deviennent trop étroites, et des additions, sinon des
corrections, deviennent nécessaires.
C'est là une assertion que l'histoire dc l'amyotrophie hystérique con-
firme pour son propre compte. Vu le petit nombre d'observations
publiées jusqu'ici, l'étude en est à peine ébauchée ; il reste encore bien
dcs lacunes que le présent travail n'a ni le but ni la prétention de com-
bler. Nous croyons simplement que l'on peut sans témérité décrire
aujourd'hui, il côté de la forme primitive, une nouvelle variété d'atro-
phie musculaire hystérique, caractérisée électriquement par la réac-
tion de dégénérescence. Ce nouveau type, en poussant jusqu'à la der-
nière limite la ressemblance avec les amyotrophies spinales, n'est
évidemment pas fait pour faciliter la solution du problème que nous
avons énoncé.
C'est en 1880 que M. le professeur Charcot a démontré, contraire-
ment à l'opinion à laquelle il s'était jûsquc-là rattaché, que l'atro-
phie musculaire peut être une des manifestations de l'hystérie.
M. Babinski ', son clief de clinique d'alors, s'attacha à l'étude de cette
question et en fit l'objet du premier travail original paru sur la
matière. Le 27 novembre 1885, M. Féréol avait, il est vrai, présenté à
la Société médicale des hôpitaux, deux hommes hystériques avec
1. 1,;tljitibhi, De l'atrophie musculaire dans les paralysies hystériques (Progr. méd.,
1886, n° li, cl Archiv de Neurol., n°" a4. et 3 ? 1886),
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». Ail
atrophie musculaire, mais, sur la foi des idées encore régnantes,
n'avait pas vu une relation de cause à effet entre la névrose et l'amyo-
trophie. F. Kalkoff1 avait aussi, dans une thèse inspirée par Seelig-
muller, signalé incidemment l'atrophie musculaire sur un membre
frappé de contracture hystérique.
Dans son remarquable mémoire, M. Babinski traçait les caractères
principaux de cette amyotrophie en ces termes :
« 1° L'atrophie est plus ou moins considérable, mais il faut savoir '
qu'elle peut atteindre d'assez fortes proportions. Chez deux malades,
il y avait une différence entre le plus grand périmètre du bras malade
et celui du bras sain de 3 centimètres, et, chez un autre malade, il y
avait entre les deux mains une différence de 5 centimètres.
« 2° Il n'y a pas de secousses si brillaires;
« 3° L'excitabilité idio- musculaire paraît normale;
« 4° La contractilité électrique est diminuée en proportion du degré
de l'atrophie musculaire, mais il n'y a pas de réaction de dégéné-
rescence. '
« 5° Celte atrophie peut se développer avec une grande rapidité.
Chez une malade, elle est déjà appréciable, tout au plus quinze jours
après le début de la paralysie... La rétrocession de l'atrophie semble
pouvoir être rapide comme son développement. »
L'existence de ce nouveau trouble trophique dans l'hystérie était à
peine signalée que notre maître M. Chauffard, le 14 mai '1886, présen-
tait à la Société médicale un cas vraiment remarquable d'atrophie mus-
culaire et osseuse du membre supérieur gauche, résultant d'une mono-
plégie hystéro-traumatique chez un adolescent. Ces faits ne restèrent
pas isolés. A lcur tour, MM. Massalongo 2, Leroux a, Brissaud4, Blocq5,
Ballet 6, Debove7, Raymond 8, Thibaut0, Chantemesse et Widal10, sont
venus fournir leur contingent d'observations et de travaux. Tous ces
faits nouveaux rentrent, au point de vue électrique, dans le type pri-
mitivement formulé par MM. Charcot et Babinski.
1. Kalkoir, lleilrrrge mr ctillerer2lial Diagnose... Halle, 1881.
2. llassalunâu, L'Ll/ro/ia musculare nette 1)(ii-alisi islerische. Naples, 1886.
3. Leroux, De l'hystérie chez l'homme, monoplégie avec atrophie musculaire (Journ.
des connaiss. méd., 188(i, t. VIII, p. 107, 30 série).
4. Brissaud, Hémiplégie probablement d'origine hystérique avec atrophie musculaire
(Archiv. de phI/s" 1887, p. 338).
5. Blocq, Des rétractions jibro-lendineuses... (Nouvelle Icooogr., t. I, p. 28, 1888).
6. Ballet, Coxalgie hystérique avec atrophie musculaire (Soc. )met. II6p., 28 juin 1886).
7. Debove, Hémiplégie hystérique avec atrophie musculaire survenue ri la suite d'une
diprlrllaérie (Soc. urérl. Il octobre 1889).
8. Raymond, Maladies du sys/. nerveux. Paris, 1889, p. 416.
9. Thibaut, loc. cil.
10. Chantcmosso et Widal, Troubles trophiques liés à l'hystérie... (Soc. urétl.llop., 1890,
28 mars). ,
.i13 ) NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Dans ses leçons cliniques du premier semestre de l'année 1889-1 890,
M. le professeur Charcot a montré qu'on ne pouvait plus actuellement
rester dans les limites de la première description qu'il avait tracée avec
M. Babinski et qu'il fallait désormais tenir compte de quelques nou-
veaux caractères. Deux de ses élèves, MM. Gilles de la Tourelle et
Dutil' ont consigné ces nouvelles données et eu ont tiré les conclu-
sions suivantes : '
1° L'atrophie musculaire d'origine hystérique peut quelquefois
envahir des membres indemnes de paralysie ou de contracture. Géné-
ralement alors elle semble envahir de préférence le côté qui a été le
plus fréquemment le siège de manifestations hystériques, de troubles
de sensibilité en particulier.
2° Il peut exister des secousses fibrillaires dans les territoires muscu-
laires en voie d'atrophie.
3° Dans un cas d'atrophie hystérique des muscles de la main,
l'examen électrique pratiqué par M. Vigouroux a démontré très nette-
ment l'existence de la réaction de dégénérescence. z
Cc sont la trois ordres de faits qui venaient apporter des correctifs
aux règles tracées il l'origine par M. Babinski. Cet auteur semblait
avoir prévu cette évolution presque fatale, lorsqu'il disait : « Nous
devons, du reste, bien faire remarquer que nous ne considérons pas
les caractères que nous allons indiquer comme absolus; les cas observés
jusqu'à ce jour sonl, en effet, trop peu nombreux pour permettre une
pareille généralisation2. » C'est dans le même esprit de prudente ré-
serve que MM. Gilles de la Tourette et Dutil relaient ces notions nou-
velles. Ils pensent qu'il y a probablement plusieurs variétés d'atrophies
musculaires hystériques, mais qu'il serait certainement encore pré-
maturé d'en entreprendre la classification.
Nous avons eu cette année la bonne fortune d'observer, il la Salpê-
trière, trois cas d'amyotrophie hystérique dans lesquels l'examen élec-
trique pratiqué par M. Vigouroux a montré la réaction de dégénéres-
cence. Ajoutés au cas que nous venons de mentionner, ces faits peuvent t
permettre, croyons-nous, de rompre en visière, d'une manière définitive,
avec l'ancienne formule, et de reléguer au rang des préjugés l'absence
de réaction dégénérative dans l'amyotrophie des hystériques. Il faut en
somme prendre les faits tels qu'ils sont, même s'ils nous étonnent et
nous gênent, ce qui est bien le cas dans l'étude « simulatrice » que nous
entreprenons. A côté des secousses fibrillaires, il faut donc faire une place
1. Gilles de l.i et Dutil, Contribution ri l'élude des troubles trophiques dans
2. Babinski, loc. cil., p. 476.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 413
pour la réaction de dégénérescence et désormais la rechercher : on pour-
rait la trouver. Bref, l'amyotrophie hystérique peut présenter des réac-
tions électro-musculaires identiques à celles des atrophies musculaires
spinales. La barrière qu'on avait élevée entre ces deux catégories
d'atrophies n'existe plus, et l'électro-diagnostic ne saurait avoir, dans
l'espèce, de valeur différentielle absolue.
Point n'est besoin, pour expliquer cette réaction de dégénérescence,
d'admettre l'existence d'une névrite périphérique. On peut, ce nous
semble, en donner une interprétation plus logique, plus conforme il la
pathogénie générale des troubles trophiques et à l'expérimentation.
Rien, a priori, ne s'oppose à ce que la lésion dynamique des cornes
antérieures qui produit l'atrophie musculaire ne puisse amener, du
côté des nerfs, des troubles trophiques analogues. M. Mousseuse dans
ses recherches expérimentales sur les amyotrophies d'origine articu-
laire, n'a-t-il pas trouvé des altérations des nerfs ? Ces altérations,
inconstantes il est vrai, n'étant pas en rapport avec l'intensité des lésions
musculaires, l'auteur ne les considère-t-il pas comme des troubles
trophiques survenus dans les nerfs pour la même cause que les troubles
trophiques survenus dans les muscles ? Dans tous ces faits, il a toujours
trouvé la moelle intacte.
Et cependant le rôle pathogénique de la moelle dans la production
de ces accidents ne saurait être mis en doute. La démonstration ana-
tomo-pathologique en a été faite par M. Klippel (B1dl. de la Soc.
anal., 1887), et la preuve expérimentale en a été fournie tout récem-
ment par MM. Raymond, Onanoff et Déroche°. En sectionnant tous les
conducteurs centripètes (racines rachidiennes postérieures des nerfs
lombaires) d'un côté du corps, et en produisant ensuite une arthrite
expérimentale du genou correspondant, ils n'ont jamais constaté chez
l'animal en expérience d'atrophie musculaire autour de la jointure. Au
contraire, du côté opposé, la voie centripète étant laissée intacte et
libre, l'arthrite provoquée s'accompagnait rapidement d'amyotrophie.
Ces expériences ingénieuses démontrent d'une manière irréfragable
la théorie réflexe depuis longtemps défendue par MM. Charcot et
Vulpian, en mettant à l'abri de toute contestation le rôle de la moelle
comme centre trophique. Les nerfs périphériques ne présentaient
aucune lésion. Mais nous devons faire remarquer que ces amyotrophies
articulaires expérimentales, suivant la règle, ne s'accompagnaient pas
1. Moussons, Conlrib. ri l'élude des atrophies musculaires succédant an affections arli-
culaires. Thèse de Paris, ]88 ?
2. Déroche, Contribut. ti l'élude de la pathogénie des amyotrophies articulaires. (le
Paris. 1890. .
4H NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
de réaction de dégénérescence, de telle sorte que cette intégrité des
nerfs vient en somme à l'appui de notre théorie. En effet, la réaction
dégénérative existe dans l'amyotrophie hystérique que nous allons étu-
dier, et c'est précisément à cause de son existence que l'hypothèse de
troubles trophiques du côté des nerfs nous paraît défendable. Cette
hypothèse est du reste en rapport avec les résultats de M. Moussous.
Mais comme en définitive ce n'est qu'une hypothèse plus ou moins plau-
sible, il laquelle il manque la vérification anatomique, serait-elle
erronée que les faits n'en existeraient pas moins et que la réaction de
dégénérescence dans l'amyotrophie hystérique n'en serait aucunement
compromise.
A un autre point de vue, il est juste aussi de faire quelques
réserves. L'amyotrophie hystérique frappe en masse un territoire
musculaire. Or, dans un cas d'atrophie musculaire rapporté par
M. Michaut, il s'agit d'atrophie des muscles de l'avant-bras, rapide
selon l'usage, mais offrant cette intéressante particularité qu'elle se
trouve localisée à une région très limitée : l'union du quart supérieur
et des trois quarts inférieurs de l'avant-bras, le maximum siégeant il
20 centimètres au-dessus de l'apophyse styloïde du radius. M. le
Dr Raymond rappelait le 9 mai 1890, à la Société médicale, à propos
d'une observation de M. G. Ballet', que, depuis la thèse de son interne
M. Michaut, il avait, chez le malade en question, assisté il la fonte de
l'éminence thénar, et il ajoutait : «Ces atrophies circonscrites survien-
nent sans contractions fibrillaires, sans particularités au point de vue
des réactions électriques. » Un autre hystérique de son service était
atteint, disait-il, d'une monoplégie avec atrophie débutant par l'émi-
nence thénar. C'est aussi d'amyotrophie localisée qu'il s'agit dans la
récente communication de M. Féréol 2. L'atrophie porte sur les
muscles de l'épaule droite : biceps, faisceau supérieur du trapèze, sus-
épineux, grand pectoral, sous-épineux, sous-scapulaire, une portion
du grand dorsal. Le deltoïde est resté au moins aussi volumineux que
celui du côté opposé. M. Raymond fit remarquer, il ce propos, qu'il
serait peut-être bon de revoir encore ce malade avant d'affirmer la
nature hystérique de l'atrophie musculaire. Mais si, comme le pense
M. Féréol, cette atrophie scapulaire relève de la névrose, il nous
semble que, étant donnée sa localisation, il serait bien difficile de la
différencier du type myopalhique de Erb. Il est bon d'ajouter que
l'exploration électrique n'a pas été faite.
1. Ballet, Monoplégie brachiale hystérique avec atrophie (Soc. méd. IfÕp, , 9 mai 1890).
2. Féréol, Un Cas el'atrophie musculaire chez une hystérique... (Soc. méd. IIo1)., 1890).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 415
En résumé, malgré le petit nombre de cas d'amyotrophie hystérique
publiés jusqu'à ce jour, il est évident que, au double point de vue de
la localisation et des troubles électriques, ces divers faits ne sont nulle-
ment comparables entre eux. En ne tenant compte que des réactions
électro-musculaires et en nous plaçant au point de vue de l'hystérie
simulatrice, il nous semble légitime d'admettre provisoirement deux
variétés d'atrophie hystérique : '1° l'une pure et simple, sans modifica-
tions électriques, analogue à ce point de vue aux amyotrophies myopa-
thiques ou arlliropatliiqties; 2° l'autre avec réaction de dégénérescence
et avec ou sans secousses fibrillaires, analogue aux amyotrophies spi-
nales et névritiques. La première sérail, si on peut ainsi dire, du type
« myopathiquc p, la seconde du type « myélopathique », les deux pouvant
se présenter indifféremment sous la forme diffuse ou sous la forme
circonscrite. On pourrait les schématiser de la manière suivante :
416 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
CHAPITRE XIII
1\lYOTROPIIIE HYSTÉRIQUE SIMULATRICE DE L'ATROPHIE
MUSCULAIRE SPINALE
OBS. LXVIII (inédite). Amyotrophie hystérique simulant l'atrophie
musculaire progressive (Type Aran-Duchenne). Ernestine Bé...ard.
vingt ans, couturière, vient il la consultation externe de la Salpêtrière le
21 juillet 1890.
Antécédents héréditaires. -Du côté paternel, grands-parents sans lare
nerveuse. Son père est alcoolique.
Du côté maternel, sa grand'mère avail de fréquentes attaques convulsives
(hystérie ou épilepsie); sa mère est hystérique : depuis longtemps elle
éprouve des phénomènes tels que étouffements, constriction il la gorge,
suivis d'une crise de larmes. Il y a trois ans, durant une grossesse, elle a été
prise brusquement d'un accès de mutisme qui a duré trois semaines. Pas
d'autres antécédents névropathiques connus.
Antécédents personnels. Ernestine B... a toujours été assez chétive
mais n'a jamais fait de maladie sérieuse. A quinze ans et demi, première
apparition des règles qui sont depuis venues toujours régulièrement. A seize
ans, attaques d'hystérie convulsive, survenant il la suite d'une émotion,
d'une contrariété; elle éprouvait, dit-elle, au niveau de l'épigastre, une sen-
sation de boule qui remontait jusqu'au cou et l'étranglait : cette sensation
globuleuse s'accompagnait de battements temporaux et palpébraux, puis elle
perdait connaissance, tombait par terre, se débattait en poussant des cris, et
cela pendant un quart d'heure environ. Ces attaques ont duré trois ans; elles
revenaient trois ou quatre fois par mois et toujours dans les mêmes condi-
tions ; elles n'ont cessé que depuis un an. Elles ne l'ont pas empêché de se
marier, il y a trois ans.
Si depuis un an elle n'a plus de crises convulsives, elle est toujours restée
très émotive; elle est prise souvent d'ennuis, de pleurs et de colères sans
motif. Si la crise de larmes ne se produit pas, elle éprouve la sensation du
globe épigastrique ascendant, mais elle ne perd pas connaissance. Au com-
mencement de 1890, à la suite d'une discussion avec ses parents, son lait
s'est brusquement tari, et elle a été obligée de sevrer une enfant qu'elle
allaitait. Depuis ce moment, elle n'a pas été très bien portante. Durant un
mois, elle a été prise, tous les matins, d'asphyxie locale des doigts. Ces
accidents disparaissaient rapidemment. Dans tous les cas, avant le 1G avril,
elle n'a ressenti dans les'mains ni douleurs ni engourdissements, ni parésie
d'aucune sorte.
Le 1G avril 1890, elle est contrariée dans la journée au sujet de son travail :
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 417
l'ouvrage qu'elle avait à faire ne lui plaisant pas, dans un accès de colère,
elle l'a tortillé ci déchiré. Le soir, elle n'y pensait plus, était gaie comme
d'habitude et a même joué à la corde avec des amies. Elle s'est couchée de
bonne heure comme à l'ordinaire, sans rien éprouver de particulier. A minuit,
elle se réveille en proie à une vive douleur dans le dos, entre les deux
épaules; son mari la frictionne avec de l'eau sédative; cette douleur quitte la
région dorsale pour venir se localiser à la partie médiane et supérieure du
thorax : nouvelles frictions el nouvelle métastase douloureuse. Cette fois, la
douleur se porte aux mains qui brusquement se contracturent, en flexion
forcée, le pouce du côté droit replié dans la paume. En même temps que les
deux mains se contracturaient, la malade a ressenti à la gorge une sensation de
strangulation, des éloulfements, et elle a perdu connaissance. Elle ne se sérail
pas débattue, au dire de son mari, mais son facies était si altéré qu'on l'a crue
morte pendant quinze minutes. On lui a fait boire de la « liqueur hygiénique» »
et elle a repris ses sens. A ce moment, ses mains étaient toujours fortement
conlracturées et toutes les frictions n'ont pu triompher de cette contracture.
Le lendemain, les mains étaient dans le même état, la malade se sentant en
outre fatiguée est restée au lit et le surlendemain elle s'est levée. Celte con-
tracture a duré deux mois. Pendant tout ce temps, on a été obligé de l'habil-
ler, de la coiffer, de la faire manger... Tous les jours, son mari essayait de
lui ouvrir la main de force; il n'y arrivait qu'incomplètement et en employant
la violence; dès qu'il abandonnait les doigts, ils reprenaient leur position
première. Les poings étaient entièrement fermés, les poignets inflexibles.
Au bout de deux mois, la contracture à cédé peu à peu, plus tôt et plus faci-
lement dans la main gauche. Vers la fin du mois de juin, elle pouvait remuer
ses doigts qui étaient beaucoup moins raides, mais ne s'étendaient pas com-
plètement. Elle pouvait se servir de ses mains pour les usages ordinaires,
non sans quelque gène ni raideur, mais sans douleur.
La malade s'est en ce moment aperçue que ses mains avaient maigri ; comme
elles étaient sans cesse enveloppées dans l'ouate, elle ne peut préciser exacte-
ment le jour. C'est, dit-elle, quand la main s'ouvrait déjà assez bien, qu'elle
a remarqué que sa main droite avait maigri, que les mouvements du pouce
étaient difficiles, et que la région de l'éminence thénar était parcourue par des
secousses fibrillaires très nettes, analogues à celles que l'on voit encore
aujourd'hui. La parésie et l'atrophie auraient marché rapidement. Dans la
main gauche, elle n'a constaté qu'un peu de faiblesse. Elle a été un jour à la
consultation de l'hôpital Tenon ; on lui a prescrit des douches qu'elle a été
obligée de cesser, sous peine d'avoir des attaques de nerfs. La contracture
était accompagnée de quelques troubles vaso-moteurs; la peau était, parait-
il, rouge et froide « comme les mains de quelqu'un qui a froid ».
État actuel (21 juillet 1890). La malade présente une héntiher'es-
thésie cutanée du côté droit, très manifeste pour les divers modes de la sen-
sibilité (contact, douleur, température et électricité). Les organes des sens
sont normaux; il n'y a pas de rétrécissement du champ visuel, pas de dys-
chromalopsie. Le réflexe pharyngé est conservé. 11 existe deux zones dou-
418 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -
loureuses : l'une dans la région ovarienne gauche, l'autre dans la fosse sus-
épineuse du côté droil.
Atrophie musculaire. - Elle est localisée aux mains (Pl. XL).
Main droite. L'éminence thénar est très aplatie et l'hypolhénar offre
un léger méplat. Les espaces interosseux ne semblent pas très louches en
apparence. Le pouce est sur le même plan que les autres doigts (main de
singe). Les mouvements de la main et des doigts (le pouce excepté) sont peu
altérés; la flexion et l'extension des quatre derniers doigts est possible quoique
limitée; leur écartement et leur rapprochement se font aussi assez nettement
mais sans trop de force. L'opposition du pouce est impossible; son abduction
et son adduction s'exécutent dans une étendue modérée. Secousses fibril-
la ires très nettes dans les muscles de l'éminence thénar. La main tout
entière est en outre animée d'un tremblement vibratoire très rapide et très
menu.
Main gauche. On constate les mêmes caractères objectifs et fonctionnels
mais à .un degré beaucoup moins marqué. Au dynamomètre : main
droite, 17; main gauche, 21. Le périmètre des deux mains pris au-dessous
du pli de flexion du pouce donne les résultats ci-dessous :
Nouvelle iconographie DR la Salpêtrière T. iv. PL. IL.
Phototype A. LONDE. PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne LONOUET,
AMYOTROPHIE HYSTÉRIQUE
VVE BABBÉ & C'E
ÉDITEURS
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 419
hémihyperesthésie, zones douloureuses, crises de pleurs, etc. L'ori-
gine hystérique de son amyotrophie est tout aussi évidente; elle
ressort avec certitude des circonstances mêmes. Une nuit, cette jeune
femme est prise d'une attaque d'hystérie qui se termine par une con-
tracture des deux mains. Au bout de deux mois, lorsque la contrac-
ture est en voie de disparition, elle s'aperçoit que ses mains ont
maigri; cette atrophie évolue avec rapidité, puisque trois mois après
l'attaque, au moment où nous l'avons examinée, elle était extrêmement
marquée. Et cette amyotrophie était accompagnée de secousses fibril-
laires, de réaction de dégénérescence, tous caractères qui, vu la loca-
lisation et la symétrie de la lésion, auraient pu faire songer à une
atrophie spinale, au type Aran Duchenne, par exemple. Cette amyo-
trophie reste donc curable et l'avenir pourrait bien se charger de le
démontrer, comme dans l'observation que nous allons maintenant
rapporter.
Ces. LXIX (inédite). Amyotrophie hystérique simulant l'atrophie mus-
culaire (type Aran Duchenne. M... G...me, vingt-deux ans, brocheuse,
entre le 18 août 1890, salle Cruveilhier, dans le service de M. le professeur
Charcot.
Antécédents héréditaires. Pas de renseignements sur les grands-
parents. Son père est bien portant, il n'est pas alcoolique et n'a jamais eu
de maladies nerveuses ou mentales. Sa mère est asthmatique. Elle aurait eu,
vers l'âge de vingt ans, des attaques convulsives vraisemblablement hysté-
riques. Actuellement les crises ont disparu ; il ne lui reste plus qu'un caractère
coléreux et emporté. M... a eu quatorze frères ou soenrs. Douze sont morts,
la plupart de tuberculose pulmonaire, vers l'adolescence. Elle n'a plus que
deux frères, tous deux atteints de crises convulsives (hystérie ou épilepsie) :
l'un qui a vingt-quatre ans et qui présente en outre des spasmes laryngés,
l'autre âgé de trente ans ayant des crises depuis l'âge de onze ans. Dans ses
collatéraux on trouve : un oncle paternel qui était épileptique et une cousine
germaine, fille de cet oncle, qui est épileptique et aliénée (elle est internée
dans une maison de santé en Algérie).
Antécédents personnels. Dans sa première enfance, elle a eu, vers
l'âge de trois ans, un abcès de la région sus-hyoïdienne dont il reste encore
une petite cicatrice. A quatre ans, elle a eu des convulsions. Pas d'autre
maladie infantile. A dix ans, fièvres intermittentes ( ? ) pour lesquelles elle fut
soignée à l'hôpital Saiute-Lugénic. A douze ans, première menstruation ;
depuis, règles assez irrégulières.
A seize ans, elle rentre pour la chlorose à l'Hôtel-Dieu, dans le service
de Vulpian. C'est la que s'est produite la première attaque convulsive. Dans
la nuit du 1 i. au 15 juillet 1881, sans cause appréciable, en revenant des ca-
binets, elle est tombée dans la salle comme une masse, sans que rien l'eût
420 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
prévenue. Dans cette crise elle s'est mordu la langue et a uriné sous elle; le
matin, au réveil, elle était abattue, courbaturée, et toute la journée elle a
éprouvé du malaise, de la céphalalgie et des vomissements. Elle a du reste
complètement perdu le souvenir de ce qui s'est passé durant cet accès; elle
ne sait que ce qu'on lui a raconté. Le surlendemain, elle quitte l'Hôtel-Dieu
et part au Vésinel en convalescence. A son arrivée, elle contracte la fièvre
typhoïde et est obligée de- rentrer de nouveau à l'hôpital, où elle fait un
séjour de trois mois. Vers la fin de 1884, elle a un second accès convulsif
absolument analogue au premier.
Le 27 juin 1885, la malade éprouve une violente émotion, en voyant mourir
de tuberculose un de ses frères qu'elle affectionnait beaucoup : elle se sent
étouffer et tombe contracturée de tout le corps, avec alternatives de rire et
de pleurs. Celte attaque dura vingt minutes ; elle ne se mordit point la langue;
elle n'urina pas sous elle. Jamais, dit-elle, elle n'avait éprouvé rien de
semblable. On la conduisit le lendemain à la Charité, dans le service de
M. Luys. Là éclatent de franches attaques d'hystérie nécessitant la camisole
de force. A la suite d'une attaque, apparurent un strabisme divergent et
une amblyopie de l'oeil droit, accidents qui persistent encore aujourd'hui. Le
strabisme opéré à diverses reprises se serait un peu amélioré. Elle resta trois
mois à l'hôpital, où elle eut des attaques classiques presque tous les jours.
Une fois, raconte-t-elle, à la suite de manoeuvres hypnotiques, survinrent des
spasmes laryngés effrayants. En février '1886, M... entre à l'hôpital Cochin,
dans le service de M. Gouraud. Elle avait, à cette époque, deux ou trois
attaques (par semaine) de grande hystérie : elle était hypnotisable et sugges-
tionnable. Elle eut encore là quelques accès de spasme laryngé. Outre ces
attaques d'hystérie, la malade présente toujours, de temps à autre, des accès
distincts d'épilepsie analogues à ceux du début (absence d'aura, morsure de
la langue, incontinence d'urine, stertor et courbature). Vers le milieu de
l'année 1886, elle entre à la Salpêtrière, dans le service de la Clinique, où
nous l'avons vue durant quelques mois. C'était une hystérique à attaques
typiques qui présentait les phases du grand hypnotisme. Elle fut prise un joui
d'Iténtoptysies avec toux, amaigrissement, anémie, phénomènes qui firent
craindre le début d'une tuberculose pulmonaire. En 1887, elle va à l'hôpital
Saint-Antoine pour une nouvelle poussée de bronchite suspecte. Elle avait
toujours des attaques. Un jour, dans une expérience de transfert selon la
méthode de M. Babinski, se déclara un spasme laryngé si effrayant qu'on
passa une nuit près d'elle en perspective de trachéotomie. A la fin de l'année,
elle vint pour la deuxième fois dans le service de M. Charcot. Une fois, dans
une attaque, elle se fractura le péroné.
Au mois de novembre, l'atrophie musculaire fit son apparition. Un soir,
elle s'était couchée bien portante comme d'ordinaire; le matin, elle se
réveilla avec de l'oedème et des douleurs dans les deux mains, qui étaient
contracturées en légère flexion. L'oedème était très marqué, non coloré; les
douleurs assez vives, localisées surtout au niveau des articulations, ce qui la
priva de tout mouvement. Aucune autre région du corps ne fut touchée.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTERIQUES « SIMULATEURS ». 421
M... resta une quinzaine de jours dans cet état, puis l'oedème et les douleurs
disparurent peu à peu, beaucoup plus lentement et plus difficilement dans
la main droite. Quelques jours après, elle s'aperçut que cette main droite était
faible et paresseuse, qu'elle maigrissait et qu'il lui était très difficile de s'en
servir. L'atrophie se développa rapidement, « elle voyait sa main maigrir l'
d'un jour à l'autre ». Elle progressa ainsi pendant deux mois, puis resta
stationnaire sept il huit mois pour s'amender peu à peu jusqu'à l'étal actuel.
A cette époque, l'examen électrique fut pratiqué, et nous en avons retrouvé,
sur les cahiers du service' électrothérapique, les résultats que nous consi-
gnerons plus loin, en regard des réactions actuelles.
Vers le milieu de l'année 1888, M... est entrée à l'hôpital Cochin, dans le
service de M. le Dr Gouraud dont nous avions l'honneur d'être l'interne. Elle
avait toujours ses attaques convulsives; elle présentait toujours celte atrophie
musculaire de la main droite avec des secousses fibrillaires;les éminences thé-
nar et hypothénar étaient effacées, les espaces iiiterosseux marqués par des
sillons profonds, les mouvements de la main et des doigts perdus. Progressive-
ment, sous l'influence de l'électricité, des bains sulfureux, de l'exercice,
l'amyotrophie s'est amendée et les mouvements sont revenus, de telle sorte
que, au mois de mai 1889, elle pouvait se servir de sa main droite (elle a même
rempli les fonctions d'infirmière pendant quelque temps). En août, elle est
reprise de phénomènes congestifs du côté du poumon, et elle est traitée par la
glycérine créosotée. Cette année même, au mois de mars 1890, elle est entrée à
la Charité, dans le service de M. Luys, pour des accidents d'ordre psychique.
En revenant du cimetière, dit-elle, elle fut brusquement prise d'hallucina-
lions et de délire : elle accostait les passants pour leur demander des cou-
ronnes. Mal lui en prit, car elle fut mise au Dépôt et de là dirigée sur la
Charité. Là, pour calmer son délire, ses attaques et ses spasmes laryngés,
elle s'habitua à la morphine (10 centigrammes parjour).
En avril 1890, se trouvant dans sa famille, elle fut subitement prise d'une
crise laryngée. On la transporta dans une ambulance urbaine à l'hôpital
Saint-Louis. L'interne de garde, en présence de l'asphyxie menaçante, lui
fit d'urgence la trachéotomie. On en voit aujourd'hni la cicatrice au lieu
d'élection. Depuis deux mois, sans cause connue, elle est agitée par des
mouvements choréiques généralisés. Ces mouvements choréiques rappellent
tout à fait la chorée de Sydenham. L'an dernier, elle aurait déjà éprouvé
des troubles analogues.
État acfMe ? ÏYoMM de la sensibilité. Hémihyperesthésie du côté
droit très nette pour tous les modes de sensibilité (contact, douleur, tempé-
rature). Le courant électrique est aussi très vivement perçu de ce même
côté.
Anesthésie pharyngée. L'odorat est aboli à droite; le goût et l'ouïe
notablement affaiblis du même côté. Troubles oculaires (examen de
M. le D1' Koenig). OEiI gauche pas de rétrécissement du champ visuel. Acuité
visuelle et amplitude de l'accommodation normales. Pas d'anomalies de la
rétraction. 01 ? il droit. Amaurose : l'oeil n'a qu'une vague perception lumi-
4M NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -
neusc. Les pupilles sont égales et réagissent bien à la lumière. Pas de lésions
du fond de l'oeil. Malgré l'amaurose dans la vision monoculaire, il y a réta-
blissement de la vision binoculaire quand on place un prisme devant l'oeil
sain. Pour s'assurer que la malade ne trompe pas et que c'est bien l'oeil
amaurotique qui voit, quand on le couvre on constate que l'une des deux
images disparait, celle qui correspond il la base du prisme. La perception
des deux images est plus nette après quelques sollicitations. L'épreuve de
Stiling donne un résultat négatif. Quand on dit à la malade de fermer les
yeux et de les ouvrir, la paupière droite se relève difficilement et est animée
de mouvements spasmodiques.
Il existe deux zones hystérogènes, l'une dans le milieu de la colonne
dorsale, l'autre sous le sein gauche. Mouvements choréiques, véritable chorée
de Sydenham. Enfin la malade présente des attaques d'hystérie classiques,
et dernièrement elle a eu de véritables accès d'épilepsie (hystéro-épilepsie à
crises distinctes). Depuis son entrée elle a ou quatre ou cinq crises de spasmes
laryngés véritablement effrayantes avec asphyxie menaçante. Ces spasmes
durent plusieurs heures avec pauses et redoublements et disparaissent sans
laisser de traces. Du côté des poumons, aux sommets, il y a peut-être un
soupçon de tuberculose au début ( ? ). Les autres viscères sont sains.
Atrophie musculaire (Planche lII, fig. B). L'atrophie, qui a été au-
trefois considérable, est aujourd'hui, dans la main droite, à peine marquée.
A la vue, l'éminence thénar seule offre un léger méplat; les espaces inter-
rosseu ont leur relief normal ; les mouvements de la main et des quatre
derniers doigts sont possibles et assez faciles. Le pouce seul est à peu près
immobile; il est sur le même plan que les autres doigts (main de singe) et
l'opposition fait défaut. (En somme, la malade peut écrire, faire du crochet,
coudre..., choses qui lui étaient autrefois tout il fait impossibles.) La flexion
des autres doigts est complète, excepté pour l'index, mais moins énergique
que chez un individu normal. Leur écartement et leur rapprochement se font
aussi, mais sont un peu limités. Dans la main gauche, rien d'appréciable.
La mensuration pratiquée au-dessous de la racine du pouce donne :
1 NOUVELLE ! ICONOGRAPHIE DR LA SALPETRIERE . ·
PHOTOTYPE A. LONDE.
T. IV. PL. XLI.
PHOTOCOLLOGRAPHIE CHÈNE & Longuet.
FiG. A
AMYOTROPHIE HYSTÉRIQUE DE LA MAIN DROITE
FIG. B
AMYOTROPHIE HYSTÉRIQUE DE LA MAIN DROITE
(EN VOIE DE GUÉRISON) .
vvr. BABBÉ & C'n
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 123
Examen électrique (pratiqué par M. Vigouroux il deux années et demie
d'intervalle). 1° Examen du mois d'avril 1888. Réaction de dégé-
nérescence dans le premier radial externe droit. Les interosseux et les
muscles du pouce présentent des réactions électriques normales. ? 2. Exa-
men du 19 août 1890. Pas d'anomalies électriques dans les muscles de la main
droite. Le premier radial externe réagit normalement, La résistance élec-
trique prise comparativement du côté droit et du côté gauche fournit : à
gauche 8,000, et à droite 14,000 ohm es. Elle est donc augmentée des deux
côtés (la normale est de 3 à 4,000 ohmes; un ohme représentant l'unité de
résistance), ce qui est la règle dans l'hystérie, mais beaucoup plus du côlé
droit, ce qui est en rapport avec les troubles de la sensibilité qui siègent à
droite.
Il s'agit ici d'une liy3léro-él)ileptique a crises distinctes, hérédité
très fortement chargée. Depuis six ans elle promène à travers les hôpi-
taux de Paris les manifestations les plus variées de la névrose. Brus-
quement, dans la nuit, peut-être à la suite d'une attaque, elle a été
prise d'une contracture des deux mains qui, au bout de quelques jours,
a cédé la place à une amyotrophie de la main droite. Cette atrophie a
évolué rapidement ; elle s'est accompagnée de secousses fibrillaires et
de réaction de dégénérescence. Puis, lentement, l'atrophie a rétrocédé,
les mouvements de la main sont revenus et les réactions électriques
dégénératives n'existent plus deux ans après le début. Non pas que
l'amyotrophie soit complètement guérie, elle est améliorée, très amé-
liorée même à tous les points de vue, si nous comparons l'étal actuel à
celui que nous avons observé il y a deux ans passés.
11 ne saurait être question ici d'amyotrophie organique spinale, type
Aran Duchenne par exemple, les circonstances dans lesquelles èlle s'est
montrée, sa marche rapide, sa rétrocession considérable étant en con-
tradiction avec cette manière de voir. L'évolution seule est un garant
de l'origine. M... est une grande hystérique; c'est de l'hystérie et d'elle
seule que relève l'atrophie musculaire.
Ous. LXX (résumée) (Gilles de la Tourelle et Dutil, loc. cit., p. 257).
- 131...y, Henri, vingt-quatre ans, tailleur de pierre.
Voilà assurément une histoire clinique franchement hystérique.
L'amyotrophie ne peut relever que de la névrose : elle a débuté du
côté droit et a guéri assez rapidement, puis le membre supérieur
gauche s'est pris. Celle atrophie présente comme les deux précédentes
des secousses fibrillaires et de la réaction de dégénérescence.
Par une coïncidence assez étrange, dans ces trois cas, l'amyotrophie
a été précédée par une contracture des territoires musculaires des-
424 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
tinés à l'atrophie. Elle siège exclusivement ou prédomine du côté des
troubles delà sensibilité cutanée. Elle a évolué avec rapiditéct a atteint,
un degré remarquable. Elle semble enfin, après être restée stationnairc,
devoir marcher vers la guérison. Mais celle-ci n'est pas encore complète
dans le cas que nous avons suivi depuis deux ans.
L'amyotrophie hystérique « à type myélopathique » semble donc
comporter un pronostic plus grave que l'amyotrophie pure et simple
du « type myopathiques » décrit par M. Babinski. Et cependant celle-ci
peut durer longtemps. M. Babinski (communication orale) nous disait
récemment qu'il venait de revoir le nommé Mouillent, dont il avait, il
y a quatre ans, rapporté l'histoire. Or, ce malade présentait tou-
jours le même degré d'atrophie musculaire sans secousses fibrillaires,
sans réaction de dégénérescence. Mais l'amyotropllie hystérique peut
guérir, les exemples ne manquent pas ; elle peut guérir complètement
sans qu'on puisse préciser l'époque de la guérison. Celle-ci peut se
faire attendre des années, et l'avenir seul avec de nouvelles observa-
tions pourra tracer quelques règles générales a ce sujet.
A priori, l'atrophie avec réaction dégénérative paraît plus grave que
l'amyotrophie simple. Mais les observations sont trop peu nombreuses
pour qu'on puisse se prononcer encore. Nous ne connaissons que les
trois que nous venons de rapporter. Il nous en faut toutefois signaler une
quatrième. M. Vigouroux nous racontait, ces jours derniers, qu'en i 878
il avait connu il la Salpêtrière une grande hystérique du nom de Van-
delinc. Cette maladeeutun jour une paralysie du, long péronier latéral
qui s'accompagna d'atrophie avec réaction de dégénérescence. Au bout
de dix-huit mois l'atrophie et la paralysie disparurent.
En somme, il s'agit là d'une variété nouvelle d'amyotrophie hysté-
rique, d'atrophie avec réaction dégénérative. Cette variété repose sur i,
quatre observations convaincantes. Il ne faudra donc plus s'autoriser
de l'existence de cette réaction pour éliminer l'hystérie et rapporter les
lésions à une affection spinale ou à une névrite périphérique.
Il nous faut maintenant mentionner un exemple d'atrophie muscu-
laire hystérique simulant l'amyotrophie infantile mais ne s'accompa-
gnant pas de réaction de dégénérescence. En effet, électriquement par-
lant, cette observation rentre dans la catégorie des atrophies simples.
uns. LXXI (inédite), Amyotrophie hystérique simulant l'atrophie mus-
culaire de la paralysie infantile. Cécile Vil..le, seize ans, vient le
24 juin 1890 il la consultation externe de la Salpêtrière.
Antécédents héréditaires. Du côté de ses grands-parents, rien il
signaler au point de vue nerveux ou mental. Son père est un alcoolique
renforcé. Il boit de l'absinthe depuis l'âge de vingt ans (il en a quarante-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 155
deux actuellement) et rentre ivre qualre à cinq fois par semaine. 11 est
très emporté et « ferait n'importe quoi », dit sa femme. Sa mère est bien
portante. Cécile V... a eu quatre frères ousoeurs : l'un est mort de rougeole,
deux sont bien portants et ne sont pas nerveux. L'autre est méchant et
« nerveux ». Du côté des collatéraux, rien à noter.
Antécédents personnels. A l'âge de huit mois, elle a eu des convul-
sions, il la deuxième cuillerée d'un vomitif que lui administrait samère. Ces
convulsions ont élé très violentes; l'enfant « se tordait comme une possédée ».
- Le lendemain on a constaté une hémiplégie avec contracture du côlé droit :
l'avant-bras était fléchi sur le bras, qui restait collé au tronc; si on essayait
de l'étendre, on y parvenait, mais aussitôt abandonné il reprenait sa position
primitive. La jambe droite était aussi dans la flexion, quoique à un degré
moins marquéquel'avant-bras. Laface elle-même aurait été tirée à droite ( ? ).
La mère ne se rappelle plus ni le temps qu'a duré cette hémiplégie ni si elle
a jamais disparu complètement. Dans tous les cas, elle se serait fortement
amendée, puisqu'il paraîtrait que, àl'àe de seize mois, lorsque sa fille a com-
mencé il marcher, la contracture n'existait pas et que, dans la première
enfance, sa fille marchait, jouait, se servait de ses mains, comme les autres
enfants de son âge. 1
Depuis l'âge de seize mois jusque vers six ans, Cécile V... a eu des crises
bizarres. Tout à coup, au milieu de ses jeux, il la maison, dans la rue,
sans cause connue, elle se mettait à pousser des cris horribles qui ameu-
taient les voisins et les passants. Ces crises de cris revenaient tous les
jours, plusieurs fois par jour, et duraient environ dix il quinze minutes.
Elle ne trépignait pas, elle ne s'agitait pas, elle criait simplement. En dehors
de ces crises, elle était d'un naturel très doux.
A sept ans, quand elle a commencé à aller en classe, on a remarqué un
jour que sa figure était de nouveau déviée et que son bras droit était redevenu
raide. Elle ne pouvait s'en servir, laissait tomber les objets qu'elle tenait,
parce qu'elle ne les sentait pas, ce qui l'obligeait à les regarder. Pour la
forcer à se servir de la main droite, on lui a attaché .la gauche après sa
robe, et les mouvements sont revenus mais sont restés un peu plus pénibles
que du côté opposé.
A huit ans, elle a commencé à avoir des accès de somnambulisme. Elle se
levait la nuit, marchant les yeuxouverls, cherchant à grimper le long des ar-
moires. Le lendemain elle n'en avait aucun souvenir. Elle a encore, à l'heure
actuelle, ces crises de somnambulisme précédées de cauchemars et de rêves
parlés : elle parle à ses amies, se chicane avec elles, compte à haute voix,
fait des problèmes, etc., puis se lève et se promène dans sa chambre. Der-
nièrement sa mère l'a trouvée en chemise près de la fenêtre.
Il y cinq ans (elle avait alors onze ans), elle a commencé à éprouver ce
qu'elle appelle des crampes. Souvenl, la nuit, elle sent des tiraillements
douloureux dans la jambe et dans le bras droits puis des battements de
coeur, des nausées. Les membres de ce coté se raidissent et sont agités de se-
cousses. Les doigts de la main droite s'écarlent « comme une patte d'oie ».
iv. 28
426 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S1L1'I : 'l'Pll;ItE.
Au bout de quelques minutes la crise est finie. Elle ne perd pas connaissance,
elle ne se mord pas la langue, elle n'urine pas sous elle. Le lendemain elle est
fatiguée, comme rouée de coups, mais aucun doses membres n'est paralysé.
Il y a quatre ans, en faisant ses devoirs, elle s'est aperçue brusquement L
qu'elle ne voyait plus clair de l'oeil droit. Celle amblyopie a persisté depuis.
Il ct deux ans, elle a passé ses examens pour son certificat d'éludé
et a été très tourmentée ; elle élail anxieuse, inquiète sur un résultat
qu'elle attendait depuis treize jours. Vers quatre heures du malin, sa mère
l'ayant entendue se lever s'est précipitée dans sa chambre. Elle l'a trouvée
debout au pied du lit; elle l'a vue aussitôt tomber sans connaissance, et
sans mouvements, les membres raidis. Elle a essayé de la relever et de
l'asseoir mais en vain à cause de la raideur. Pas de cris, pas de morsure de
langue ni de miction involontaire. Dans la journée, elle a eu quatre crises
analogues, toujours sans mouvements ni grimaces mais toujours raide et
sans connaissance. Chaque crise a duré une demi-heure en moyenne. Les
dernières, au dire de la malade, auraient été précédées (le bourdonnements
d'oreilles, de palpitations et dc nausées. z
Ces attaques de contracture précédées d'aura et généralisées ne res-
semblent réellement pas aux accès épileptiformes qui alternent avec elles.
Ceux-ci sont limités au côté droit, sans perte de connaissance. La malade
les distingue très explicitement. Ces attaques et ces accès se sont toujours
produits depuis lors il des intervalles variables.
Depuis quelques mois (avril 1890), la date n'a pu être précisée, la
mère a remarqué que la main de sa fille devenait « vilaine ». Et depuis (rois
mois, affirmc-t-cllc, l'amaigrissement s'est rapidement prononcé elles mou-
vements sont devenus difficiles (impossibilité de l'écriture, etc., alors qu'au-
paravant elle écrivait avec facilité), lit, depuis deux mois, la main droite est
sans cesse animée d'un léger tremblement vibratoire.
Etat actuel. - Jeune fille bien développée, intelligente. Sa démarche est
normale et ne trahit aucun (rouble moteur.
Troubles de la sensibilité. 7létnàcttestltésie droite complète et totale
(pour tous les modes de la sensibilité), superficielle et profonde. Abolition
du sens musculaire et obnubilation très marquée du sens articulaire.
Abolition du réflexe pharyngé. - Une zone douloureuse, non hystérogène,
au niveau de la tempe droite. L'odorat et le goût sont abolis il droite.
L'ouïe est normale à droite, abolie à gauche. Mais cette surdité tient aune
lésion de l'oreille. A ce propos, M. le D'' Gcllé nous a remis la noie suivante :
« Surdité gauche remontant à deux ans : lésion suppurative, adhérences du
tympan ; audition bonne à droite. » - Troubles oculaires (examen des yeux
pratiqué par M. Parinaud, le 2t juin 1890). - Dans l'ail gauche, l'acuité
visuelle est normale; le champ visuel n'est pas rétréci. Dans l'oeil droit,
diminution considérable de l'acuité visuelle : la malade compte seulement
les doigts. Amaurose droite sans lésions ophthalmoscopiques qui puissent
l'expliquer. Les réflexes pupillaires sont normaux.
l'i-oubles de la motricité. Hémispasme de la face (l'l. XLII). Légère
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière T. IV. PL. 1
Phototype A. Londe PHOTOCOLLOGRAPHIS Chêne & Loua
PSEUDO-HYPERTROPHIE
DU MEMBRE INFÉRIEUR DROIT CHEZ UNE HYSTÉRIQUE
VVE BABBÉ & C`$
ÉDITEURS
Touvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. xv. PL. xlii.
PHOTOTYPE A Londe £ PHOTOCOLLOGRAPHI Chêne & LONGUET
HÉMISPASME FACIAL HYSTÉRIQUE
VVE BABBÉ & CIB
ÉDITEURS
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». d'7
asymétrie due au spasme et aussi il 1111 certain degré d'atrophie du même côté
droit (cette asymétrie se retrouve sur le tronc). La langue est un peu tirée à
droite, la commissure droite relevée, l'oeil du même côté presque à demi
fermé. De temps à autre , il y a des secousses dans l'orbiculaire des lèvres.
Atrophie musculaire. 1° Membre supérieur droit, (a) L'ayant-bras
et le bras sont normaux. (b) Main droite. Le thénar et l'hypolhénar sont
effacés (PI. XLI, fig. A). L'opposition du pouce est impossible (main de
singe); l'écartement el.le rapprochement des autres doigts se font mais
faiblement. Le périmètre au-dessous de la commissure du pouce mesure :
main droite, 1.7 cent.; main gauche, 18 cent. 1/2. Forcedynamométrique : main
droile 1/2; main gauche, 25. La main droite est en outre animée d'un trem-
blement vibratoire. Son squelette (pouce excepté) n'est pas atrophié. Les ré-
flexes du poignet sont normaux et égaux des deux côtés.- % Membre inférieur
droit. Pseudohypertrophie avec parésie assez sensible. Le périmètre donne :
jambes, il droite, 35 cent. z, il gauche, 33 cent.; cuisses, à droite, 42 cent., à
gauche, 41 cent. 1/2. Les réflexes rotuliens sont assez forls, égaux de chaque
côté. Les masses musculaires de la cuisse et du mollet sont fermes et dures. La
force musculaire est il peu près normale du côté des extenseurs, un pcu dimi-
nuée pour les fléchisseurs. Il y a en somme, et par comparaison, avec le côlé
gauche qui est normal, une certaine hémiparésie dont la malade s'est 'du reste
aperçue depuis son enfance (Pl. XLII).
Examen électrique. Pratiqué par M. Vigoureux (24 juin et 31 juillet
1890). 1° A la face, pas de paralysie faciale périphérique. Spasmes du côté
droit, petits mouvements fibrillaires provoqués par le passage du courant.
Aucun trouble électrique. 20 Membre inférieur. Du côté gauche, les réactions
électriques sont absolument normales. Du côté droit, diminution de l'excita-
bilité électrique galvanique et faradique; presque égalité de réaction à
l'anode et à la cathode. Pas de réaction de dégénérescence. 3° Membre sitpé-
rieur droit. Le bras et l'avant-bras sonl normaux comme réactions. Main
droite : le premier interosseux dorsal répond, le deuxième répond très fai-
blement aux deux courants, le troisième est normal, le quatrième aussi, sauf
une prédominance de la contraction a110(IaIC. 'Thénar : faradiqucment le
court abducteur et l'opposant sonlabsents; le court fléchisseur aussi ; il reste
une petite réaction pour l'adducteur, sans anomalie. Hypothénar : faradi-
(Incmcnt répond, ;alvaniqucment est à peu près normal. En somme, atro-
phie simple.
L'observation précédente est un cas extraordinairement complexe.
La présence de l'hystérie ne nons semble pas ici niable ; elle est attestée
.parles stigmates : hémianesthésie conplcte, ane·lhésic hllarynéc, 7011C
temporale douloureuse, perle du goût et de l'odorat d'un côté, amau-
rose sans lésion du fond de l'oeil, etc.1. Mais toute la symptomatologie
1. Cette malade récemment rentrée dans le service présente actuellement tics ,tl,uluc.
428 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
relève-t-elle de la névrose hystérique ? Nous ne le croyons pas, et voici
pourquoi. Les convulsions survenues à l'Age de huit mois et suivies
d'une hémiplégie avec contracture en semblent bien indépendantes;
les accès d'épilepsie partielle lui semblent également étrangers. L'hys-
térie sans doute peut survenir de très bonne heure, et M. le D'' Guyot
en a rapporté un exemple, il la Société médicale, chez une petite fille
de quatre ans; d'autre part, MM. Ballet et Crespin ont bien étudié les
attaques d'hystérie à forme d'épilepsie partielle. Néanmoins, il ne nous
paraît pas qu'ici l'hystérie puisse expliquer les convulsions, l'hémi-
plégie du début et l'épilepsie partielle consécutive.
Nous ne croyons pas davantage qu'il s'agisse d'une lésion spinale,
d'une véritable paralysie infantile avec atrophie. Dans la paralysie spi-
nale de l'enfance, la forme hémiplégique est si rare qu'elle est même
niée par M. Aborde. En outre, cette hémiplégie est flasque, avec
refroidissement et perle des réflexes tendineux du membre. Or, ces
caractères font ici défaut. Il est bien plus vraisemblable d'admettre que
ces symptômes, malgré que le tableau soit incomplet, relèvent d'une
atrophie partielle, d'une sclérose du cerveau qui tient sous sa dépen-
dance les convulsions, l'hémiplégie, l'épilepsie symptomatique et
l'asymétrie de la face et du tronc.
Mais c'est là tout le bilan, pensons-nous, de la catégorie organique.
L'hystérie revendique le reste : peut-être les accès de cris elle ? omna111-
bulismé, dans tous les cas l'amaurosc, les attaques survenues à la
suite des émotions de l'examen, précédées d'une aura et caractérisées
par la perte de connaissance et les contractures passagères. Elle reven-
dique, et c'est là le point capital pour nous, l'amyotrophie de la main.
En effet, nous avons déjà écarté l'hypothèse de lésion organique de la.
moelle. Reste l'atrophie cérébrale. Que depuis l'enfance il y eut un
certain degré d'atrophie reconnaissant pour cause la sclérose céré-
brale, c'est assez vraisemblable. Plus lard, l'hystérie est survenue et
récemment a produit la fonte rapide des muscles et supprimé l'usage
de la main. Autrement dit l'amyotrophie hystérique s'est greffée sur
une région déjà un peu amaigrie et très rapidement l'a décharnée.
Cette seconde étape de l'atrophie ne nous semble pas due à la sclérose-,
cérébrale. Il ne reste donc par exclusion que l'hystérie qui puisse en
rendre compte. Mais ici surgit une difficulté. La pseudo-hypertrophie
du membre inférieur droit reconnaît-elle aussi pour cause l'hystérie ?
Nous a\ouons franchement que la question nous embarrasse et que
d'lyatéric alsulmncut tyliyucs. lillc en plus, de tCIll ? autre, durant la nuit, de l'épi-
tepsiopaitieUe dans les membres du côté droit.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 429
nous sommes obligé, faute de précédents analogues, de la laisser sans
réponse. Elle nous semble relever plutôt de la sclérose du cerveau où
ce fait est signalé par les auteurs.
Quoi qu'il en soit, la sclérose cérébrale a été probablement l'agent
provocateur de la névrose; elle a en outre déterminé la localisation des
manifestations de l'hystérie sur le côté droit déjà hémiplégie. C'est en
effet de ce côté que siègent les troubles sensitifs généraux et spéciaux,
c'est de ce côté que le goût, l'odorat et la vue sont abolis et que se
trouvent l'hémispasme et les troubles amyotrophiques. L'hémianesthé-
sie permanente, suite d'atrophie partielle du cerveau datant de la pre-
mière enfance, est chose exceptionnelle. M. le professeur Charcot en
cite cependant un cas dans ses Leçons sur les maladies du système ner-
veux, t. Il, p. 366; mais l'hémianesthésic chez Cécile V... n'est pas
isolée; si elle faisait défaut, l'hystérie n'en existerait pas moins. Il est
du reste bien certain ici qu'elle relève de la névrose. L'hémispasme en
dépend aussi à n'en pas douter. Quant aux attaques convulsives, les
unes, nous l'avons déjà démontré, relèvent de l'hystérie, les autres de
l'atrophie partielle du cerveau.
En résumé, il s'agit d'un cas très complexe : d'une juxtaposition,
d'une association d'atrophie cérébrale partielle et d'hystérie. La
première, la plus ancienne en date, a déterminé sinon l'apparition, du
moins la localisation des manifestations de la seconde. Celle-ci s'est
développée et a bientôt dominé la scène morbide, en déterminant des
troubles sensitifs, sensoriels, trophiques, et une amyotrophie très
accusée qui aurait pu donner le change et faire songer à une atrophie
d'origine cérébrale ou spinale.
CES. LXXII (inédite) (Due il l'obligeance de notre collègue et ami Bourges,
qui l'a recueillie dans le service de M. le professeur Proust). Amyotrophie
hystérique simulatrice de l'atrophie musculaire spinale : hémiplégie
infantile du côté gauche avec atrophie musculaire spinale; hémiplégie
hystérique du côté droit avec amyotrophie hystérique. Jean Terrasse,
trente ans, comptable, entre le 14 février 1890, salle Saint-Charles, n° 24, à
Pllôlel-Dieu.
Antécédents héréditaires. Père mort il quarante-quatre ans phthisique
et éthylique. Mère vivante mais toujours malade, migraineuse.
, Antécédents personnels. A de trois ans, le malade a été frappé
d'hémiplégie gauche dans les circonstances suivantes : il fut très agité pen-
dant vingt-quatre heures, il poussait des cris incessants; le lendemain, ses
parents le trouvèrent paralysé du côté gaucho. La face paraît être restée
intacte. Cette hémiplégie est restée complète pendant trois mois, et, peu il
peu, les mouvements sont revenus d'abord dans le membre inférieur, puis
430 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dans le supérieur. En même temps, les membres gauches demeuraient plus
faibles que ceux du côté droit, et dans la suite leur développement s'est fait
d'une manière incomplète. Environ six mois après le début de l'hémiplégie,
il a pu commencer à marcher en boitant et à se servir de son bras gauche.
Les fonctions de ces deux membres sont restées les mêmes jusqu'à l'an-
née 1888. A quatorze ans et demi il eu la rougeole, dont il a bien guéri. Plus
tard, à partir de l'âge de dix-huit ans jusqu'à l'âge de vingt-huit ans, le
malade accuse des excès alcooliques, principalement des excès d'absinthe. Il
n'est pas rhumatisant, et on ne trouve pas chez lui trace de syphilis. Il n'a
jamais eu d'attaques de nerfs avant 1888. Il ne paraît pas avoir un caractère
particulièrement irritable et sensible.
Au mois de juillet 1888, à la suite d'excès de table, il tombe subitement
sans connaissance dans la rue. Cette attaque n'avait été précédée d'aucun
prodrome. La perte de connaissance avait été subite et totale et ne s'était pas
accompagnée de convulsions. Dans sa chute, il ne s'est pas fait de trauma-
tisme, ne s'est pas mordu la langue, et les spectateurs lui on dit qu'il n'avait
pas écume. Il resta trois ou quatre heures sans connaissance. Lorsqu'il revint
à lui, le membre supérieur et le membre inférieur droits étaient complète-
ment paralysés. Le malade ne se souvient pas si la face était paralysée. Il
s'écoulait de la salive par la commissure labiale droite. Il comprenait tout ce
qui se disait autour de lui, mais était incapable d'exprimer sa pensée par des
paroles. L'intelligence était restée complètement intacte. Le 1" août 1888, le
malade entre à l'Hôtel-Dieu (service de M. le professeur Proust), dans lo
même élal.
C'est à ce moment qu'on s'aperçut qu'il avait une anesthésiesensitivegéllé-
rclisée. Huit jours après son entrée à l'hôpital, il commença à recouvrer la
parole; dix jours après il parlait aussi bien qu'actuellement; dans les pre-
miers jours, il ne pouvait disposer que d'un petit nombre de mots, dont il se
servait pour désigner des objets complètement différents. Au bout de trois
semaines, il commence à se servir de son membre inférieur droit et, quelques
jours après, les mouvements revenaient incomplètement dans le membre
supérieur. La sensibilité est restée complètement abolie. Pendant tout ce
temps, il n'y eut aucune modification du côté des membres gauches. Le
malade s'était aperçu, à la fin de son séjour à l'hôpital, que sa jambe cl son
bras droits diminuaient de volume. Au bout d'un mois, il sort du service
de M. Proust, pouvant marcher à l'aide de béquilles. Puis il entre à la Pitié
chez M. Jaccoud, où il reste un mois. Il en sort toujours dans le même élal.
Il va ensuite dans le service de M. Blachez, où il reste une quinzaine de
jours, sans modifications. Pendant ce temps, l'atrophie n'avait fait qu'aug-
menter à droite. Le malade s'aperçut que son pied droit tournait en dedans.
Le 15 avril 1889, le malade aune seconde attaque identique à la première,
le matin, dans sa chambre, vers 9 heures. Il reste sans connaissance pendant
une heure et demie, et quand il revient à lui il est de nouveau complètement
paralysé du côté droit et incapable de parler. L'aphasie ne dure celle fois que
deux jours environ; le troisième, il se fit transporter à l'annexe de l'llôlel-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 431
Dieu, où il fut mis dans le service dc M. Ballet. Il y reste deux mois; au boni
d'une quinzaine de jours, il commence il se servir de ses membres droits, et
sort, pouvant marcher à l'aide de béquilles. Le diagnostic porté à cette
époque fut celui d'hystérie. Au mois de septembre z1889, il revient a l'Hôtel-
Dieu dans le service de M. Mesnet, remplacé par M. Ballet, et y reste trois
mois sans amélioration de son état. Le 7 février 1890 il revient à l'Hôtel-
Dieu. Cette fois le malade a eu chez lui une troisième attaque semblable aux
deux premières, qui a duré deux heures. A la suite de cette allaque, il est
resté deux heures sans pouvoir parler et trois jours paralysé complètement
de ses membres droits. Le quatrième jour, ces symptômes s'amendèrent, et il
recommença à pouvoir marcher avec îles béquilles. C'est dans cet état qu'il se
présenta le 1 i. la consultation de M. Proust et fut admis dans son service.
Depuis l'année 1888, l'atrophie a augmenté, toujours marquée surtout à la
main, au bras droit et à la jambe droite. L'anesthésie généralisée n'est com-
plète que pendant les périodes qui suivent les attaques. Entre temps, la sen-
sibilité revient, mais reste toujours émoussée.
Etat actuel. Le malade a l'aspect d'une bonne santé et les principales
fonctions s'accomplissent bien; il ne présente aucun trouble de la miclion ni
de la défécation. Si l'on examine le malade au point de Mie de la motilité,
de la nutrition et de la sensibilité, on constate des lésions nombreuses.
Troubles moteurs et trophiques de la moitié gauche du corps.
(a) Membre inférieur gauche. On doit noter tout d'abord d'une façon
générale que, si le malade peut mouvoir ses jambes dans son lit, elles sont
trop faibles pour soutenir le poids du corps quand il est debout, et il est alors
obligé d'avoir recours aux béquilles; il n'y a pas d'incoordination motrice ni
de trémulation épileptoïde du côté gauche. Lorsqu'on plie la jambe du
malade et qu'on lui dit de s'opposer au mouvement de flexion, il peut encore
opposer une résistance assez considérable; elle est à peu près égale des deux
côtés. Le membre inférieur gauche présente un raccourcissement très sen-
sible sur son congénère. Il mesure 77 centimètres de l'épine iliaque anléro-
supérieure il l'extrémité de la malléole externe, le droit mesure 85 cenli-
mètres. De même, le volume du membre gauche est notablement différent
du droit; à la partie moyenne de la cuisse gauche, la circonférence me-
sure 40 centimètres 1/2, tandis que celui du côté opposé en présente
45 1/2. La jambe du côté gauche a 23 centimètres de largeur, et celle du
côté droit 2G 1/2. Le pied est beaucoup moins développé qu'à droite. La
voûte plantaire exagérée donne au pied l'aspect du pied creux varus. Le
malade ne peut imprimer à ses orteils gauches que des mouvements imper-
ceptibles de flexion; l'extension est impossible : les dernières phalanges sont
d'ailleurs normalement en flexion sur les premières. A la jambe, l'atrophie
est à peu près totale. Le relief du mollet, peu sensible, est presque totalement
produit par de l'adipose sous-cutanée. Les muscles des faces antérieure et
postérieure de la cuisse sont très atrophiés. Le malade fléchit et étend dif-
ficilement le genou, et lorsqu'on vient à contrarier quelque peu l'un de ses
mouvements, il devient impossible. Ici encore l'adipose sous-cutanée est
432 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
considérable et donne au membre la plus grande partie «le son volume. Le e
système pileux est incomplètement développé. Les ongles ne présentent
point d'altération et leur croissance se fait régulièrement et normalement. La
partie inférieure de la jambe et le pied sont toujours refroidis. Les tégu-
ments présentent un aspect violacé dès qu'on les expose quelque temps à
l'air. Ces troubles vaso-moteurs s'exagèrent dès que le malade se tient debout.
(b) Membre supérieur gauche. - Dans ce membre la motilité est faible-
ment conservée. L'atrophie a fait disparaître l'action musculaire, et de ce
cote on ne peut faire de mensuration dynamométrique, la main ne se fer-
mant pas. Cette atrophie est surtout marquée à l'avant-bras et à la main ; il
faut toutefois remarquer qu'il y a un degré d'adiposc sous-cutanée très sen-
sible. L'atrophie des muscles de t'avant-bras laisse la main complètement
inerte et ballottante ; elle est déviée en dehors. Les éminences thénar et hypo-
thénar ont complètement disparu; les doigts sont en griffe, les premières
phalanges étant en extension, tandis que les dernières sont en flexion ; le
malade ne peut écarter les doigts les uns des autres; le seul mouvement
qu'ait conservé le pouce est un léger degré d'abduction ; les autres doigts sont
incapables d'aucun mouvement volontaire. De môme, tous les mouvements de
la main sur l'avant-bras sont abolis : pronation, supination, flexion, exten-
sion.
Lorsqu'on examine la face antérieure de l'avant-bras, on sent que les
muscles épitrochléens sont complètement atrophiés; les muscles épicondy-
liens conservent un léger relief; quant aux muscles de la partie postérieure
de l'avant-bras, on ne peut plus les sentir ri la palpation. Au bras, le deltoïde
n'est pas sensiblement atrophié, le biceps et le brachial antérieur conservant
un certain relief, et la flexion de l'avant-bras est encore possible; mais à la
palpation de la face postérieure, on ne retrouve plus les faisceaux du triceps.
Cette absence de l'antagoniste du biceps explique pourquoi l'avant-bras
tombe brusquement sur le bras lorsque le malade le fléchit et que la flexion
a dépassé l'angle droit. L'avant-bras, alors tombé sur le bras, ne peut abso-
lument plus être remis en extension par le malade. L'avant-bras, mesuré à
trois travers de doigts au-dessous du pli du coude, donne 20 centimètres de
circonférence. Le bras droit mesure 22 cent. 1/2.
(c) Face. A la face les mouvements sont bien conservés, sauf au niveau
de certains muscles peauciers qui ont subi un sensible degré d'atrophie.
C'est ainsi que les muscles qui s'insèrent il l'os malaire et ceux de la fosse
canine ont en partie disparu et forment à cette partie de la fosse un méplat
caractérisé; le buccinateur est aussi atrophié. L'orbiculaire des lèvres ne
paraît pas participer à cet état, quoique le malade ne puisse ni souffler, ni
siffler. On ne constate pas d'atrophie des antres muscles de la face (frontaux,
orbiculaircs des paupières, masticateurs); ni la langue, ni le voile du palais
ne présentent d'atrophie; il y a seulement un degré notable de paralysie des
muscles du voile du palais, elles aliments, soit liquides, soit solides, repas-
sent parfois par le nez du malade.
(d) Tronc. Au tronc, on ne constate point d'atrophie des muscles de la
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS», ,133
partie postérieure. A la partie antérieure, il y a une atrophie très marquée
des grands pectoraux : les espaces intercostaux sonl ici parfaitement sensi-
bles, grâce 1 celte diminution de volume. Au cou, on ne trouve rien de par-
ticulier à signaler.
2» Troubles moteurs et trophiques de la moitié droite du corps.
(a) Membre inférieur droit. On a vu que la résistance à la flexion forcée
était à peu près égale des deux côtés, mais l'atrophie musculaire esl en appa-
rence beaucoup moins marquée qu'à gauche. Le pied est déformé en valgus.
Les orteils sont en griffe, la dernière phalange étant légèrement fléchie sur
la première. La saillie des muscles pédieux a complètement disparu. Les
mouvements de flexion des orteils sont conservés, mais l'extension est limitée
aux dernières phalanges : le malade ne peut pas relever les bords du pied.
Au mollet, les reliefs musculaires sont peu accusés et marqués par un cer-
tain degré d'adipose sous-cutanée, moins prononcée qu'à gauche. A la cuisse,
les mouvements d'extension et de flexion de la jambe sur la cuisse sont plus
aisés qu'à gauche; l'atrophie musculaire y est en effet moins prononcée de
beaucoup. Les muscles de la cuisse sont le siège de trémulations fibrillaires
très marquées; il en résulte même un léger degré de tremblement pour le
membre; il augmente lorsque le malade est debout.
(b) Membre supérieur droit. - A droite, l'action musculaire n'a point
complètement disparu; les mesures dynamométriques donnent le résultat
suivant : pression, 12 kilogrammes. L'atrophie est ici surtout marquée au
bras ; les mesures données plus haut le montrent bien. Il faut remarquer que,
tandis qu'au membre inférieur droit c'est a l'extrémité qu'on constate surtout
l'atrophie, au membre supérieur du même côlé c'est à la racine du memhre
que celte atrophie est surtout prononcée. L'atrophie des éminences thénar et
hypothénar est très marquée, mais moins encore qu'a gauche. La main est
en griffe, mais toutes les phalanges de ce coté sont fléchies plus ou moins,
ce qui indique une atrophie moins considérable de ce côté des interosseux
et des lombricaux que du côté gauche. Les mouvements du pouce sont con-
servés, quoique affaiblis. Le malade peut encore écrire; c'est l'abduction qui
est la plus difficile; au contraire, à gauche, ce mouvement est seul conservé.
L'extension des doigts se fait complètement, tandis que la flexion est incom-
plète pour les troisièmes phalanges qui ne peuvent rejoindre le creux de la
main. Le malade peut écarter les doigts, mais les rapproche difficilement; à
gauche, ces mouvements sont totalement abolis. La pronation est conservée ;
la supination très difficile, ainsi que les mouvements de flexion et d'exten-
sion. A l'avant-bras, les reliefs des muscles sont conservés; il n'y a pas
d'adipose sous-cutanée. Au bras, le relief du deltoïde est parfaitement appré-
ciable ; le biceps est encore capable du mouvement de flexion de l'avant-bras
sur le bras; mais en revanche le mouvement antagoniste dù au triceps a
disparu; il se produit alors de ce côté ce que l'on constate du côté opposé :
lorsque, dans la flexion de l'avant-bras sur le bras, le premier est en angle
droit avec le second, il retombe sur celui-ci de son propre poids, et si alors
le malade peut replacer son avant-bras dans sa position normale, ce n'est
434 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
plus le triceps qui agit, mais les muscles de l'épaule par une espèce d'im-
pulsion particulière qui est un fait d'habitude. La disparition presque com-
plète du triceps explique le volume relatif du bras si diminué par rapport à
l'avant-bras.
3° Examen électrique (dû à l'obligeance de notre collègue et ami M. Aus-
cher, 4 août 1890).
(A) Réactions faradiques- (appareil à chariots de Dubois-Reymond).
a7 Membre supérieur gauche. Le minimum d'excitabilité normale =
12 centimètres. A la main : le court abducteur du pouce, le thénar et l'hypo-
thénar, les interosseux ne réagissent pas. A l'avant-bras : les fléchisseurs
ne réagissent pas; les autres muscles (long supinateur, radiaux, etc.) ont
une diminution notable de l'excitabilité faradique. Au bras : le triceps ne
réagit plus; le deltoïde et les pectoraux réagissent mal (10 et 5 1/2).
b. Membre inférieur gauche. Dans le biceps, le demi-membraneux, le
groupe des adducteurs et le pédieux, diminution des réactions faradiques;
les autres muscles ne répondent plus au courant.
c. Membre supérieur droit. L'excitabilité électrique est diminuée,
abolie dans quelques muscles : le triceps et le court adducteur du pouce.
d. Membre inférieur droit. -Abolition des contractures faradiques dans
tous les -muscles, sauf le vaste interne, les péroniers, les extenseurs des
orteils où elles sont très affaiblies.
c. Muscles du tronc. Réactions abolies à gauche, diminuées à droite
dans le trapèze et le grand dorsal.
(B) Réactions galvaniques (pile de Gaiffe).
a. Côté gauche. - A la main, le thénar et les inlerosseux ne se conlrac-
tent pas avec trente-six éléments NFC > Pl'C. Les muscles é¡1Ícond ! Jliens
se contractent avec seize éléments NFC > PFC. Groupe de la région posté-
rieure de l'avant-bras. L'extenseur propre du pouce, celui de l'index, le
court supiualeur, le long abducteur et le court extenseur du pouce se contrac-
tent dans tous ces muscles NFC>PFC. De plus, la contraction est plus
lente et se maintient plus longtemps que normalement. Bras. Le biceps, le
brachial antérieur, le deltoïde se contractent avec huit et dix éléments et
NrC > PFC.
b. Côte droit. Pas de réaction de dégénérescence.
4° Sensibilité. Les réflexes patellaires et cutanés sont complètement
abolis. La sensibilité dans ses trois modes (tact, douleur, température)
n'existe plus sur toute la surface des téguments. Au niveau des muqueuses
accessibles (buccale, anale, urétrale, nasale), on ne constate aucune mani-
festation sensible. Le réflexe cornéen n'existe plus. Quant aux troubles sen-
soriels, on ne constate que l'absence totale du goût et de l'odorat. Du côté
de la vue, il n'y a ni troubles de la motilité, ni troubles de l'accommodation.
Le champ visuel est légèrement rétréci.
Il nous semble nécessaire de souligner le double intérêt que présente
cette observation. On voit ici coïncider, chez un môme individu, la pa-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES «SIMULATEURS». 435
ralysie infantile et l'hystérie, et, à ce point de vue, ce cas rappelle un
cas analogue étudié l'an dernier par M. le professeur Charcot dans ses
Leçons du mardi 1.
Mais en outre cette observai ion présente un second intérêt. Il y a ici
coexistence de deux amyotrophies distinctes d'origine : l'une relève
d'une lésion organique, l'autre d'une altération dynamique. Le fait
n'est pas douteux, et en voici les raisons :
1° La paralysie infantile spinale avec atrophie remonte il l'âge de
trois ans, et elle est stigmatisée aujourd'hui par son double cortège
moteur et trophique;
2° Les manifestations hystériques ont débuté, il y a deux ans, par
un ictus apoplectiformes suivi d'hémiplégie droiteseasilivo-molt°ice. Sur
ce côté paralysé a apparu, presque aussitôt après, une atrophie muscu-
laire qui a évolué rapidement. Un an après, cet ictus se reproduisait
dans des conditions et avec des caractères identiques. Enfin actuellement
les stigmates sensitivo-sensoriels de la névrose persistent encore de ce
côté. Et cependant le doute semblait autorisé : les (roubles électriques,
les secousses fibrillaires, la préexistence d'une amyotrophie infantile
du côté opposé, pouvaient éveiller l'idée d'une nouvelle altération orga-
nique. L'âge lui-même ne pouvait permettre de trancher la question.
M. Gombault n'a-t-il pas signalé l'apparition de la paralysie infantile à
un âge déjà avancé ? Mais cette hypothèse n'est pas soutenable : la si-
mulation peut être démasquée par la seule évolution des accidents ;
elle ne saurait résister à la lecture de l'observation clinique pas plus
qu'aux divers arguments que nous venons de faire valoir.
CHAPITRE XLIV
DIAGNOSTIC DE LA SIMULATION
Démontrer que l'atrophie musculaire relève de l'hystérie, et de l'hys-
térie seule, et indiquer brièvement les caractères qui permettent de
faire cette démonstration, Ici sera le but des courtes considérations qui
vont suivre.
La solution de ce problème repose sur deux ordres d'éléments : les
uns intrinsèques, les autres extrinsèques.
A. Les éléments intrinsèques doivent se tirer des caractères mêmes de
l'amyotrophie : '
1. Charcot, Paralysie spinale infantile; paraplégie alcoolique. Attaques ? s<cro-61-
leptiques (Leçons du mardi, 20 nov. 1888, y. 83).
43R NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
1° La réaction de dégénérescence dans les masses musculaires
en voie d'atrophie est un signe commun aux amyotrophies spinales
et aux atrophies hystériques. C'est donc la un caractère aujourd'hui
sans valeur;
%" Les secousses fibrillaires communes aux deux catégories hystérique
et organique ont, au point de vue du diagnostic, une valeur tout aussi
négative ; -
3° Le degré de l'amyotrophie donnerait encore moins d'éléments diffé-
renticls, si c'est possible;
4° L'évolution, au contraire, mérite de nous arrêter un instant; elle a
quelque chose de très particulier dans la névrose hystérique. L'amyo-
trophie cncffetévolueiciavecune granderapidité; en quelques semaines
on assiste la fonte des masses musculaires, puis le processus s'arrête et
la rétrocession peut survenir. Mais ce temps d'arrêt, cettephasestation-
naire peut avoir une durée sur laquelle il est impossible d'être encore
édifié. L'étude de cette question en effet ne remonte qu'il quatre ans. Or,
un hystérique amyotrophique, dont l'observation se trouve dans le mé-
moire de M. Babinski, a été dernièrement revu par cet auteur. Et, depuis
quatre ans (communication orale), son amyotrophie n'asubi aucune mo-
dification. Il est donc impossible aujourd'hui de se prononcer défiuiti..
vement sur la durée de l'atrophie musculaire hystérique. Mais il reste
établi qu'elle se développe avec rapidité, atteint vite son maximum,
reste stationnaire ou rétrocède et guérit parfois complètement.
B. Les éléments extrinsèques fournissent des données d'une plus
haute valeur diagnostique. Il existe les relations les plus étroites entre
le siège de l'amyotrophie et la localisation des stigmates de la névrose.
C'est ◀tantôt▶ sur un membre affecté de paralysie ou de contracture, tan-
tôt sur une région anesthésique ou hypel'esthésiquc que se développe
l'atrophie musculaire. Et même lorsqu'elle esl symétrique, comme dans
l'observation LXVIII, c'est encore du côté des troubles de la sensibilité
qu'elle est plus accusée et plus rebelle.
Ce sont là des caractères qui ressortent avec évidence des remarques
de MM. Charcot et Babinski, de celles de Gilles de la Tourelle et
Dutil, de celles enfin que nous avons faites nous-môme. En réalité,
c'est sur les circonstances mêmes dans lesquelles se développe l'atrophie
hystérique, sur sa localisation habituelle dans des régions marquées
pour ainsi dire d'avance par d'autres manifestations de la névrose, sur
la rapidité de sa production, sur la possibilité delà guérison, qu'il fau-
dra se fonder, plutôt que sur les caractères de cette amyotrophie, pour
la distinguer de l'atrophie d'origine spinale. La réunion de ces deux
groupes d'éléments différentiels permettra d'arriver il une juste inter-
ETUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES «SIMULATEURS». 437
prétation aussi bien que de faire la part, comme chez le malade de
l'observation LXXII, de ce qui revient à la névrose hystérique et de ce
qui relève de la myélopathie.
CINQUIÈME PARTIE
DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES SIMULATEURS DE LA SYRINGOMYÉLIE
L'étude de la syringomyélie est de date récente. Non pas que ce nom
soil absolument nouveau, puisqu'il a été créé par Ollivier d'Angers
en 1837 ; non pas que la maladie soit nouvelle, puisqu'il est facile d'en
retrouver des traces dans la littérature ancienne. C'est la un point d'his-
toire et de critique que nous n'avons pas à considérer ici. Nous rappel-
lerons simplement que la « phase clinique» de la syringomyélie est
due il Schùltxoet il Kahler qui, dès 1882, la reconnurent sur le vivant et
en tracèrent les caractères cliniques. La thèse récente de M. Brühl ren-
ferme un historique très complet de cette question'.
En France, M. le professeur Debove, le premier, l'a diagnostiquée
sur un malade dont il communiqua l'observation à la Société médicale
des hôpitaux, le 22 février 1889. Dans la même séance, M. Déjerine en
rapporta un exemple remarquable.
Au cours de la même année (juin et novembre 1889), M. le pro-
fesseur Charcot consacrant à la gliomatose médullaire trois leçons
magistrales, attira le premier l'attention sur la simulation de la
syringomyélie par la névrose hystérique et en montra un exemple très
frappant que nous citerons il son heure. « On a beaucoup discuté déjà,
dit-il, la plupart, des questions relatives au diagnostic différentiel de la
syringomyélie, et, il propos des maladies organiques spinales qui par
plusieurs traits lui ressemblent, on a relevé avec soin certains carac-
tères qui permettent d'éviter la confusion. Toutefois, parmi les membres
de la grande famille neuropatliologique, il en est un qui n'appartient t
pas au groupe des affections organiques et qui peut cependant je
saisirai bientôt l'occasion de vous le démontrer - simuler la syringo-
myélie, dans de certaines circonstances données, de la façon la plus
embarrassante. Ce que j'avance là, je pourrai le prouver, je le répète,
1. Contrib. à l'élude de la syringomyélie. Th. do Paris, 1SJ0.
438 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
par un exemple frappant. Vous avez compris que ce membre de la fa-
mille auquel je faisais allusion n'est autre que la névrose hystérique,
cette grande simulatrice, comme je l'ai dit ailleurs, des maladies orga-
niques des centres nerveux. »
Cette simulation n'a rien d'étonnant. La syringomyélie n'a aucun
symptôme qui lui appartienne en propre; sa symptomatologie n'est
en somme que la marque, visible, extérieure, d'une lésion localisée
à la substance grise de la moelle; elle n'est pas, à notre avis,
pathognomonique d'une gliomatose médullaire. Toute altération :
hydrom5élie, myélite cavitaire, etc., doit très vraisemblablement
la reproduire, pourvu qu'elle siège dans la même région spinale. Au
dernier congrès de Berlin, M. Minor a appelé l'attention sur une affec-
tion encore peu connue, l'hématomyélie, et en particulier sur l'hémalo-
myélie centrale, qui se traduit cliniquement par des signes identiques
à ceux de la gliomatose. Que les lésions de la moelle soient hémorrha-
giquesou gliomatcuses, comme le fit remarduerRemal ? elles doivent
produire les mêmes symptômes si leur topographie est identique. (Bien
plus, Jacoby2, Berger cité par Ziclll3, ont décrit l'existence de la disso-
ciation syringomyélique dans des cas de névrite périphérique.) Et notre
maître, M. Charcot, nous a montré cette année même deux malades,
l'un lépreux, l'autre tahétique, porteurs tous deux de cette même dis-
sociation syringomyélique 1. Il semble donc démontré que le gliome
médullaire n'a pas le privilège exclusif de produire le syndrome syrin-
bomyélique, lequel peut être reproduit par toute destruction de la
substance grise. Eh bien, une lésion purement fonctionnelle, dyna-
mique comme on dit encore, peut réaliser ce même syndrome; l'hys-
térie enfin, pour la nommer, peut simuler la syringomyélie. Et d'abord,
la dissociation de la sensibilité cutanée n'est pas chose rare dans la
névrose; elle s'y présente d'habitude sous deux types :
1° L'un décrit par M. le professeur Titres sous le nom de </terme-
anesthésie hystérique dans les termes suivants. «Voici, dit-il, un jeune
homme hystérique qui présente ce phénomène de la
sur tout le membre inférieur gauche ; on peut plonger indifféremment
son pied gauche dans la glace ou dans l'eau très chaude, sans qu'il en
soit impressionné. On peut, comme,je le fais maintenant, promener le
thermo-cautère rougi sur la peau de la cuisse sans qu'il en éprouve la
1. Dlinor, licmal., Cottrè.s dc Berlin, 1890.
'2. Jacol)y, Ioii)iial of 1leru. and mental diseuse, ISSU, XIV, p. 330.
3. Zichl, lieuisch. med. Woch., Il' 17, 1889 in 11'ien. tncR. Woch., 1872, )1. 786).
4. Parmenticr, Tabès el dissociation sgringomyélique de Insensibilité (Nouvelle Icono-
graphie, 1890, 1). '1 : 3).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 139
moindre souffrance, et, cependant, il sent le contact el se plaint vive-
ment si on le pince ou si on le pique'. »
2° L'autre étudié par M. Charcot et décrit par lui sous le nom de
type syringomyélique : sensibilité tactile conservée, sensibilité à la
douleur et à la température abolie ? Sur dix-sept hystériques hémi-
anesthésiques, hommes ou femmes, M. Charcot en a trouvé onze offrant
le type anesthésique complet, vulgaire, et six chez lesquels les divers
modes de sensibilité étaient dissociés. Sur ces six, il en était deux qui
répondaient au type de Pitres; les quatre autres offraient la dissociation
syringomyélique. « Sur ces quatre cas, ajoute-t-il, deux fois la disso-
ciation du type syringomyélique a été obtenue, le sujet étant hynopti-
sable, par voie de suggestion. Chez les deux autres, elle s'est présentée
telle quelle sans intervention d'aucun artifice. » Ainsi, on pourrait ren-
contrer la dissociation syringomyélique spontanée dans le dixième des
cas d'anesthésie hystérique. Ce n'est pas seulement la dissociation de la
sensibilité cutanée que l'hystérie peut reproduire; elle peut encore en
simuler la distribution. Règle générale, les anesthésies dans la glioma-
tose se disposent, comme dans l'hystérie, par zones géométriquement
délimitées occupant un segment de membre, un membre entier, et sé-
parées des régions intactes par des lignes à contours nets.
Jusqu'ici, la ressemblance entre les troubles de la sensibilité cutanée
dans la névrose et dans la syringomyélie est donc parfaite. Ce n'est pas
tout; ces deux affections ont encore d'autres traits communs. L'atro-
phie musculaire dans l'hystérie peut se présenter avec des caractères
analogues à ceux qu'elle revêt dans la gliomatose médullaire. Cette
atrophie occupe de préférence les membres supérieurs, les mains ; or,
ce sont là également les lieux d'élection de l'amyotrophie gliomateuse.
Elle peut être dans les deux cas symétrique; elle peut acquérir dans
la névrose un degré aussi marqué que dans la syringomyélie. Les se-
cousses fibrillaires, les réactions de dégénérescence peuvent exister
dans l'hystérie; ce ne sont donc ni le siège, ni le degré, ni les troubles
électriques qui établiront une séparation entre ces deux catégories
d'amyotrophie.
Enfin l'hystérie ne s'arrête pas, dans certains cas donnés, à la
reproduction exacte des symptômes poliomyéliques antérieurs et
postérieurs de la gliomatose (dissociation de la sensibilité, amyotro-
phie), elle peut aussi reproduire les symptômes poliomyéliques mé-
dians, à savoir des troubles vaso-moteurs, des oedèmes, la scoliose,
1. Pitres, Des anesthésies hystériques, Rordcatix, 1887, p. 12.
2. Charcot, Leçons du mardi, 28 juin 1889.
.i·0 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
les rétractions (ibro-cicatricielles, etc., elc. Les troubles vaso-moteurs
de toute sorte sont trop fréquents dans la névrose pour qu'il soit néces-
saire de les rappeler. Sydenham, ? cir-llitchell, Trintignan ont étudié
un type d'oedème hystérique. M. Charcot, l'an dernier, a mis
en lumière une variété d'oedème coloré siégeant à la main, qu'il a
désigné du nom imagé et expressif d'oedème bleu du dos de la main.
Or, Schültze et Kahler avaient décrit déjà dans la syringomyélie un
oedème violacé du dos de la main, qui, d'après les remarques de Remak
et de Roth, est un accident fréquent dans la syringomyélie. Enfin, on
sait que les déviations de la colonne vertébrale ne sont pas très rares
dans l'hystérie. Nous ne parlons pas des saillies de la colonne verté-
brale, à la région lombaire notamment, que des médecins ignorants
du « nu » ont souvent prises pour des déformations pathologiques et
qui sont normales et n'ont rien de particulier chez les hystériques;
mais 11. Duret2 ne rapportait-il pas récemment un cas de cyphoscoliose
hystérique ?
En résumé, la dissociation syringomyélique delà sensibilité, l'amyo-
trophie, les oedèmes, les troubles vaso-moteurs, la scoliose, etc., se
retrouvent dans l'hystérie comme dans la gliomatose. La nature se
charge, dans des circonstances données, de grouper plusieurs de ces
symptômes chez un même hystérique et de réaliser une ressemblance
qui offrira de sérieuses difficultés. « Les difficultés que je signale, dit
M. Charcot3 sont réelles; et s'il est vrai, comme le suppose M. Schuitze,
que plusieurs cas rattachés à l'hystérie ont dû plus tard être considérés
comme des exemples de syringomyélie, il est vrai également, je me
crois autorisé à l'affirmer, après m'être livré à la critique des observa-
tions, que, parmi les cas signalés comme appartenant à la syringo-
myélie, il en est un certain nombre qui relèvent de l'hystérie. L'hystérie
peut dans certaines circonstances simuler la syringomyélie au point
de rendre bien embarrassante la situation du clinicien. »
Et découverte, si elle se confirme, bien faite pour accroître l'em-
barras, voici que l'on vient de signaler l'existence d'un rétrécissement
du champ visuel dans la syringomyélie. M. Roth, dans un travail sur le
Diagnostic de la gliomatose médullaire (lloscou, 1890), que les
docteurs Daichline et Miropolsky ont bien voulu nous traduire, rap-
porte un cas de rétrécissement du champ visuel dans la syringomyélie.
l. Il. nicher, Sole sur l'al1alolllie morphologique de la région lombaire (Nouvelle lcv-
nographie, 1888, p. 13).
2. Durci, Déformation de la région lombaire de nature neuro-musculaire, crllluscoliosc
hgslérique (Nouvelle Iconographie, 1888, p. 191).
3, Charcot, loc. cil.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 411
M. Déjerine faisait, le 12 juillet z1890, à la Société de biologie, une
importante communication sur ce même sujet. Dans un plus récent
article de la Médecine moderne ', cet auteur complète ses premières
recherches. Sur sept malades qu'il a eu occasion d'examiner avec M. Tui-
lant, il a trouvé sept fois un rétrécissement du champ visuel pour le
blanc et les couleurs. « Nous nous proposons, disent ces deux auteurs,
de démontrer, dans ce présent travail, que l'on peut rencontrer dans la
syringomyélie un rétrécissement souvent considérable du champ visuel,
sans qu'il existe aucune altération matérielle du fond de l'oeil, d'une
part, et sans que l'on constate aucun symptôme encéphalique, d'autre
part. Ce travail est basé sur l'examen du champ visuel de sept malades
atteints de syringomyélie que nous avons eu l'occasion d'observer dans
notre service de Bicêtre, ainsi qu'à la consultation externe de cet hôpi-
tal. » C'est là une constatation d'une portée considérable et qui, au point
de vue qui nous occupe, en rendant la ressemblance avec l'hystérie plus
frappante, ne peut qu'augmenter les difficultés du diagnostic différen-
tiel. Jusqu'ici, en effet, on s'est basé sur l'existence d'un rétrécissement
concentrique et régulier du champ visuel pour affirmer, sinon l'exis-
tence exclusive de l'hystérie, du moins sa coexistence.
Au cours de cette année, nous avons fait, à ce point de vue, l'examen
de trois malades atteints de syringomyélie et nous n'avons jamais
trouvé de rétrécissement du champ visuel2. Mais il est nécessaire que
nous entrions dans quelques détails justifiés, ce nous semble, par l'im-
portance de la question. Nous avons examiné : 'J ° le champ visuel pour
les couleurs; 2° le champ visuel pour le blanc.
A. Champ visuel chromatique. L'étendue du champ visuel, chez
l'individu sain, d'après les divers auteurs qui se sont occupés de ce
sujet, n'est nullement comparable. Ces auteurs ont obtenu des résultats
très différents, et les limites qu'ils assignent à la même couleur pré-
sentent des écarts prodigieux. 11 suffit de jeter un coup d'oeil sur la
table dressée par MM. de Wecker et Landolt pour avoir une idée précise
1. Déjerine et Tuilant, Sur l'existence d'un rétrécissement du champ visuel dans la
syringomyélie (la Médecine moderne, 28 août 1890).
2. Depuis le commencement d'octobre 1890, date u laquelle nous écrivions ces lignes,
nous avons eu l'occasion de voir à la Salpêtrière trois nouveaux cas de syringomyélie sans
rétrécissement du champ visuel. D'autre part, M. Roth écrivait dernièrement à M. Georges
Guinon (Progrès médical, `31. janvier 1891) que, chez six de ses malades, il avait examiné
avec soin le champ visuel et ne l'avait pas trouvé rétréci. Enfin ces jours-ci, M. Gilles de la
Tourette nous disait que dans le cas de syringomyélie qu'il avait publié (Nouvelle Icono-
graphie, 1889, p. 311) a\cc M. Zagucltnann, le champ visuel avait été examiné et trompe
normal et que, si ce résultat n'avait pas été consigné dans l'observation, c'est parce qu'à
cette époque il n'était pas encore question de rétrécissement syringomyélique. En résumé,
il notre connaissance, il existe au moins treize cas de syringomyélie où V examen du champ
visuel a élé négatif (Note du mois de janvier 1891).
IV. 29
4 3
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
de ces différences. Ainsi pour chaque même couleur on trouve des
écarts de 20°, 30°, 40°, 50° même. Faudrait-il conclure qu'il y ait des
écarts aussi considérables dans les limites du champ visuel chroma-
tique ? Nous ne le croyons pas. Ces différences tiennent à autre chose.
« Les expériences, dit M. Landolt, relatives à la perception des couleurs
aux régions concentriques de la rétine ont prouvé que l'impression
produite par une couleur dépend, sur toute l'étendue de la rétine, de
l'adaptation de l'oeil, de la saturation, de l'intensité et de l'étendue de
la couleur, de l'éclairage, du fond et de l'élat de repos ou de- mouve-
ment de l'objet coloré. » C'est donc vraisemblablement il la différence
de ces conditions matérielles qu'est due la différence des limites données
par les divers auteurs. Du reste, étant données la multi plici té et la diver-
sité des conditions nécessaires, il nous semble presque impossible en
pratique d'arriver à des résultats superposables. Les résultats obtenus
ne peuvent avoir de valeur que pour un même observateur, et encore à
la condition qu'il ait déterminé chez des sujets sains les limites nor-
males du champ visuel, et qu'il ait ensuite exploré dans les mêmes
conditions matérielles le champ visuel de ses malades. De cette seule
comparaison on pourra conclure à l'existence ou à l'absence d'un rétré-
cissement. Mais, nous le répétons, les conclusions qu'on en tirera
n'auront pas de portée générale et ne seront pas comparables à celles
FIG. 72. - Champ ,¡.,lIcl chromatique normal.
- ! -+++ Champ visuel du ruuge Champ usuel du bleu .+ ? l ? Champ visuel du vert.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 413
d'autres cliniciens presque fatalement placés dans des conditions diffé-
rentes.
Pour obvier, dans la mesure du possible, à ces inconvénients, dans
l'examen de nos syringomyéliques, nous avons essayé de remplir les
conditions recommandées par M. Landolt et pris comme terme de com-
paraison son schéma (fig. 72) d'un champ visuel normal. « Ce schéma,
dit-il, ne représente pas la moyenne des résultats des auteurs que
nous avons énumérés. Il représente les champs visuels minima, tels
qu'ils résultent de mes propres expériences pratiques, exécutées à l'aide
de papiers colorés indiqués', qui sont à la portée de tout le monde, à
l'éclairage du jour et à une distance de 32 centimètres de mon péri-
mètre. »
Nous avons toujours pratiqué l'examen du champ visuel il la même
heure du jour, le périmètre placé à la même place, en face d'une
fenêtre, approximativementavec le même éclairage. Nous nous sommes
servi des mêmes papiers colorés (2 centimètres de côté), en ayant soin
de laisser le malade se reposer quelques instants avant de passer d'une
couleur il une autre. Il est notoire, en effet, que la fatigue survient
aisément et que, sans cette précaution, on peut trouver des différences
périoptométriques assez notables. Nous avons fait progresser lente-
ment le papier coloré de la périphérie au centre, et choisi comme limite
du, champ visuel le point où le malade a donné à la couleur son nom
véritable.
Avant d'annoncer la véritable couleur, le malade a commencé par
voir le papier coloré d'abord blanc, puis grisâtre, ensuite dans sa
coloration réelle et enfin avec le ton véritable. Dans ces conditions
nous avons obtenu les résultats suivants (fig. 73, 74, 75).
Ces schémas comparés il celui de M. Landolt (flg. 72) montrent que
chez nos syringomyéliques le champ visuel chromatique n'est pas
rétréci. Mais faut-il encore ajouter que, notre examen n'ayant pas été
pratiqué dans des conditions matérielles absolument identiques il celle ?
de M. Landolt, cette comparaison pèche un peu par la base et que cette
conclusion n'a qu'une valeur approximative. Qu'importe du reste
puisque les limites normales du champ visuel pour les couleurs varient
suivant les auteurs et que pour certains d'entre eux elles sont excessi-
vement étroites (Table de Wcckcret Landolt). En tout cas, elles ne sont
pas définitivement fixées et, pour dire toute notre pensée, le rétrécisse-
ment chromatique du champ visuel ne nous semble pas pouvoir être
démontré péremptoirement tant que nous ignorerons les limites pré-
cises de ce champ visuel il l'état normal. Ce rétrécissement ne saurait
donc avoir de valeur pratique.
·if4 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
B. Champ visuel pour le blanc. Pour le champ visuel du blanc,
il n'en est pas de même; tous les auteurs s'accordent sur les limites
normales. Sur sept syringomyéliques, MM. Déjerine et Tuilant ont
trouvé sept fois un rétrécissement notable du champ visuel. Sur nos
malades examinés il diverses reprises, nous n'en avons jamais trouvé.
Nous ne voulons pas dire par là que le rétrécissement du champ visuel
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 415
pour le blanc n'existe pas dans la syringomyélie, mais nous voulons
et devons conclure de ces examens négatifs qu'il n'est pas constant et
que de nouvelles recherches sont nécessaires pour trancher la question
et décider de sa fréquence.
Quel que soit. le résultat de ces nouvelles recherches, il est, d'après
MM. Dejerineet.Tuiiant, un point qui, même en présence d'un] rétrécis-
446 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sement du champ visuel, pourrait peut-être permettre de dire s'il est
d'origine gliomatcuse ou hystérique. Dans l'hystérie, le rétrécissement
est plus régulièrement concentrique; les limites du rouge sont plus
étendues qu'a l'état normal, son cercle est transposé en dehors; dans la
syringomyélie, cette transposition, n'existerait pas, et le rétrécissement
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES «SIMULATEURS». 447
serait dentelé et assez irrégulier. Mais ce sont la, en somme, des nuan-
ces inconstantes qui ne permettraient pas toujours de trancher le diffé-
rend.
Dans tous les cas, la possibilité de ce rétrécissement syringomyélique
impose aujourd'hui, plus que jamais, la recherche des stigmates de l'hys-
térie ; car il se pourrait, en somme, que ce rétrécissement ne fût, dans
quelques cas, qu'un élément hystérique surajouté. En effet, la coexis-
tence de l'hystérie et de la syringomyélie n'est pas exceptionnelle, et
nous eu citerons des exemples tout à l'heure.
Mais, si l'oeil peut être intéressé, les autres organes sensoriels, si
souvent pris dans l'hystérie, semblent jusqu'ici respectés dans la
gliozczcctose. C'est la un élément de très grande valeur et qui, dans tel
cas donné, permettrait de reconnaitre la névrose.
Il nous faut maintenant étudier en deux chapitres distincts :
1° Les syndromes hystériques simulateurs de la syringomyélie;
1° Les associations de la syringomyélie el de V hystérie.
CHAPITRE XV
SYNDROMES HYSTÉRIQUES SIMULATEURS DE LA SYRINGOMYÉLIE
Étant donnée l'étude toute récente de la syringomyélie, il n'est point
étonnant que la simulation hystérique de la gliomatose ait été peu
rencontrée. Nous ne connaissons que le cas célèbre de M. le profes-
seur Charcot, cas concernant un homme encore à la Salpêtrière et que
nous avons eu la bonne fortune de voir dans tout le cours de cette
année. Cependant, un coup d'oeil rétrospectif permet de reconnaître
l'hystérie dans un certain nombre de faits publiés jusqu'ici sous la
rubrique gliomatose. « Et à ce propos, disait l'an dernier M. Charcot,
je montrerai que peut-être cela est fort possible en somme un
certain nombre d'observations produites par les auteurs sous le nom
de syringomyélie ne sont autres que des cas d'hystérie. » Cette
méprise n'est pas douteuse. Pour ne parler que d'exemples récents,
nous avons trouvé dans le dernier ouvrage de M. Roll des faits qui
répondent à cette manière de voir. Nous allons les citer ici, pour que
le lecteur, ayant sous les yeux les pièces du procès, puisse juger en
connaissance de cause.
1. Roth, Diagnostic de la gliomalose médullaire. Moscou, 1890.
418 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Ons. L1ÎIII (Clarcot, in Leçons du mardi, 1888-1889, p.518). Syn-
drome hystérique simulateur de la syringomyélie. P...eyn, quarante-six
ans.
Cette observation est un type d'hystérie simulatrice. Si, aujourd'hui
que le tableau estall grand complet, lediabnoslic estfacile, il fautavouer
qu'il n'en a pas toujours élé ainsi. Au début, lorsque cet homme n'avait
pas d'attaques, pas de zones hystérogènes, pas dc troubles des sensspé-
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 449
ciaux, l'hystérie ne s'imposait pas en présence de cette paralysie avec
oedème bleu et dissociation syringomyélique de la sensibilité. Une
enquête rigoureuse, un examen minutieux et plusieurs fois répété, ont
seuls permis d'affirmer l'hystérie, et l'événement est venu donner rai-
son à M. le professeur Charcot.
OBs. LXXIV (Roth, in Diagnostic de la gliomatose médullaire. Moscou,
1890). Syndrome hystérique simulateur de la syringomyélie. - V..., moine
prêtre, trente-cinq ans.
Il s'agit évidemment là d'un hystérique. L'auteur incline vers ce
diagnostic qui explique plus facilement le petit nombre de troubles
nerveux. Il pense qu'il n'y a pas de bonnes raisons pour les rattacher à
une autre affection : Et cependant il ne peut se défendre d'une arrière-
pensée. Il verrait volontiers dans ces manifestations hystériques une
complication, un symptôme de la gliomatose. C'est là une manière de
voir sur laquelle nous nous sommes déjà expliqué et que nous ne sau-
rions partager. Nous croyons aux associations hystéro-organiques et non
aux hybrides. Dans tous les cas, il ne s'agit ici que d'hystérie simula-
trice. Le fait suivant nous semble rentrer dans la même catégorie :
Cas. LXXV (résumée) (Roth, in eod. loc.). - B..., trente-quatre ans, fille
du clergé.
Après avoir rapporté cette observation, M. Roth fait remarquer
qu'avant que M. Charcot eût montré l'existence de la dissociation syrin-
gomyélique dans l'hystérie, on n'eût pas hésité à rattacher son cas à la
gliomatose.
Tout en reconnaissant que ce diagnostic devient aujourd'hui douteux,
tont en affirmant qu'on peut invoquer en faveur de l'hystérie un certain
nombre des signes présentés par cette malade, il incline à penser qu'il
s'agi de gliomatose. Et il fonde ce diagnostic sur les raisons suivantes :
1° Sur l'absence de signes franchement hystériques;
2° Sur le caractère névralgique des douleurs ;
3° Sur l'absence de traumatisme ou de tout autre cause extérieure
qui puisse expliquer l'origine et la localisation de ces douleurs. Pour lui,
la douleur et l'anesthésie s'expliquent naturellement par la localisation
du- processus morbide dans la corne postérieure, la coexistence de ces
deux symptômes s'observant assez souvent dans la gliomatose médul-
laire, etc.
Nous croyons, pour notre pari, que cette observation est susceptible
d'une interprétation toute différente. L'hérédité névropathique si
450 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
chargée, les phénomènes nerveux que cette malade a présentés à deux
reprises, son état psychique, le début brusque (quoique ce mode de
début soit possible, dit Roth, dans la gliomatose) de l'anesthésie sans
cause appréciable, nous semblent plaider hautement la cause de
l'hystérie.
L'oedème de la main, accompagné, au dire de la malade, de parésie,
la dissociation de la sensibilité semblent calqués fidèlement sur l'ob-
servation de P...eyn que nous venons de rapporter. Il ne resterait à
l'actif de la syringomyélie que le léger degré de scoliose et les bulles
constatées sur la main droite, mais ce sont là des troubles trophiques dont
l'existence dans l'hystérie n'est plus à démontrer. Et l'absence des
attaques convulsives à laquelle M. Roth attribue une grande voleur ne
saurait avoir cette importance. Les attaques manquent, souvent dans la
névrose hystérique. Du reste un des deux caractères primordiaux de
la yliomatose, l'atrophie musculaire, fait ici complètement défaut. La
dissociation syringomyélique existe en réalité. Mais ne sait-on pas,
depuis les exemples qu'en a cités M. le professeur Charcot, qu'elle est
loin d'être exceptionnelle dans l'hystérie ?
L'hystérie existe donc, à notre avis, dans cette intéressante observa-
tion. Et elle existe seule, croyons-nous; elle suffit à tout expliquer.
Il est inutile de multiplier les espèces morbides, d'admettre ici, par
exemple, une association hysléro-syringomyélique, puisque une seule
hypothèse rend compte de tous les accidents.
En résumé, nous ne pouvons suivre M. Roth dans ses conclusions;
nous préférons nous en tenir aux prudentes réserves qu'il formule dès
le début en inclinant à croire qu'il ne s'agit que d'un syndrome hysté-
rique simulateur.
CHAPITRE XVI
ASSOCIATION II1ST);fIO-S1'IIfNG0111'liLIQUC ¡; :
Maintenant que nous avons étudié la simulation hystérique de la glio-
matose médullaire, il ne nous reste plus, à titre de contraste, qu'à
mettre en relief l'existence et la fréquence des associations hystéro-
syringomyéliques. -
Ainsi envisagée sous ces deux faces, cette étude nous permettra de
mieux saisir les différences de la syringomyélie et du syndrome hysté-
rique qui la simule. Elle nous permettra en outre de fournir la justi-
fication des réserves rétrospectives que nous faisions au début de ce
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 451
chapitre et d'appeler l'attention sur la nécessité de donner aux
recherches futures une orientation nouvelle. Les faits qu'il nous reste
à citer parleront dans ce double sens.
Ons. LXXVI (Roth, in Diagnostic de la gliomatose médullaire. Mos-
cou, 1890). M..., étudiant, vingt-quatre ans.
Telle est en résumé l'observation XII du mémoire de Roth, qui, malgré
l'anesthésie tactile, rejette le diagnostic de maladie de Morvan pour for-
muler franchement celui de gliomatose. Il écarte le diagnostic d'hys-
térie.
Nous acceptons l'existence de la syringomyélie dans ce cas; elle ne
nous semble pas douteuse. Mais nous croyons qu'il s'y est surajouté un
élément hystérique. Si en effet l'hémiplégie gauche avechémianesthésie
complète ne peut relever d'une lésion organique de l'encéphale, et
ici nous partageons l'opinion de l'auteur, de quoi peut-elle être
symptomatique sinon de l'hystérie ? Son apparition brusque, apoplec-
tiforme, est tout à fait analogue aux paralysies hystériques précédées
d'ictus étudiées par MM. Debove et Achard et dont nous avons trouvé
maint exemple au cours de cette étude. La perte du sens musculaire,
la parésie, la prédominance des troubles sensitivo-moteurs du côté
gauche, plaident dans ce même sens. Nous pensons donc qu'il s'agit ici,
comme dans le cas suivant, d'une association hystéro-syringomyélique.
Ons. LXXVII (Roth, in eodem loco).
Sommaire. Atrophie progressive des muscles de la main. Exagération
des réflexes tendineux des membres inférieurs, diminution aux membres
supérieurs. Secousses. Scoliose. Anesthésie étendue en partie dissociée, en
partie complète. Hémianesthésie incomplète. Anesthésie pharyngée. Rétré-
cissement du champ visuel. Ulcération ; panaris et nystagmus rotaloire.
Marie P..., vingt-quatre ans.
L'auteur fait suivre cette observation de cette réflexion : « Selon le
point de vue auquel on se place, on peut voir là un cas d'hystérie, de
maladie de Morvan ou de gliomatose médullaire » ; et il conclut de la
manière suivante : « Quoi qu'il en soit, malgré toute la tentation que
nous avons de voir là de l'hystérie compliquant la gliomatose médul-
laire, nous ne trouvons pas de raisons suffisantes. »
'M. Roth estime qu'il est impossible de nier dans ce cas l'existence
de la syringomyélie. C'est aussi notre avis, mais nous sommes convaincu
et ici notre opinion diffère complètement de la sienne que l'exis-
tence de l'hystérie n'est pas davantage niable. L'hémianesthésie cutanée
du côté gauche, la perte du goût du même côté, l'anosmie, le rétrécis-
452 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sèment double du champ visuel, relèvent à n'en pas douter de la
névrose.
Il s'agit là en résumé d'un cas complexe, d'une association hystéro-
syringomyélique, quelles que soient du reste les relations écologiques
qui unissent la névrose à la gliomatose. Et cette association n'est pas
faite pour nous snrpcndre.111. le professeur Charcot, ne vient-il pas de
publier, dans le Progrès médical une magistrale leçon sur la maladie
de Morvan associée à l'hystérie ? Or, les liens qui relient la maladie de
Morvan à la syringomyélie sont si étroits que nombre d'auteurs ont de
la tendance à identifier ces deux affections. Mais, du reste, l'association
de l'hystérie et de la syringomyélie sera mise hors de doute par les
deux observations suivantes, que vient tout récemment de publier
M. Oppenheim °.
Ons. LXXVIII (Oppenheim... Nettrolog. Centr., 15 août 1890). Hys-
térie et syringomyélie. -1..., femme de trente-neuf ans.
Dans cette même communication M. Oppenheim rapporte un exemple
analogue qui exerça la sagacité de cliniciens très compétents et fit faire
les diagnostics les plus opposés.
Uns. LXXIX (Oppenheim in eod. loc.). Hystérie et syringomyélie.
Le double diagnostic de M. Oppenheim s'impose. A la place de
névrose traumatique, il faut lire hystéro-neurasthénie chez un homme,
en bonne traduction française. Le procès de la névrose traumatique a
été suffisamment instruit par M. le professeur Charcot. « Il n'est point,
dit-il, une seule des affections nerveuses dont l'ensemble forme ce que
j'appelle la famille neuropathologique qui ne puisse apparaître comme
conséquence du « schock » nerveux ressenti dans un accident de chemin
de fer... à savoir : paralysie agitante, vésanie, épilepsie, sclérose en
plaques, etc., etc... Mais dans la règle c'est la neurasthénie et l'hysté-
rie, soit isolées, soit combinées..., qui s'offrent en pareille concurrence
compliquées ou non de lésions organiques*. » Ces quelques lignes
donnent une explication anticipée de la remarquable observation de
M. Oppenheim.
Ces associations « hystéro-syringomyéliques » nous semblent com-
porter un double enseignement. D'une part, elles légitiment des
réserves vis-à-vis des cas insolites de gliomatose où des symptômes
1. Clj,,Licot, Pi-og ? niée., 1890 (Leçon recticillie par il. C,. Ciiiiioii). Ciiiiioil (,t
1. Charcot, Progr. méd., 1890 (Leçon recueillie par M. 1890). G. Guinon et
Dutil, Deux Cas de maladie de Morvan (Nouvelle /co)t0f/r., 1890).
2. Oppenheim, Einiges 16er die Cnmbinalion funclionneller A'oo'Me ? ) mil nl'(/lIl11vc ! trn
E1'krankunflen des Nervensystems (Xeumlnflisches Ce111l'alblatl, n" IG, 15 août 1890).
3. Charcot, Leçons du mardi à la Salpêtrière, 1888-1889, p. 131. 1.
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS D..153
tels que hémiplégie sensitivo-motrice, rétrécissement du champ vi-
suel, etc., sont mis sur le compte de la syringomyélie. L'observation
de M. Roth que nous avons mentionnée plus haut en est un exemple
frappant. D'autre part, elles indiquent le sens dans lequel on devra
diriger à l'avenir les investigations. Le clinicien désormais devra
avoir sans cesse présente il la mémoire la possibilité de ces associa-
tions, et par suite chercher à départager équitablement le complexus
morbide, sous peine d'attribuer à la syringomyélie des signes qui
appartiennent il la névrose hystérique, et réciproquement.
CHAPITRE XVII
DIAGNOSTIC DE L'HYSTÉRIE SIMULATRICE DE LA SYRINGOMYÉLIE
Le syndrome hystérique simulateur de la syringomyélie présente
avec cette dernière affection des analogies si grandes que la confusion
est difficile a éviter. Dans les cas types, la syringomyélie est caracté-
risée par des symptômes intrinsèques : dissociation de la sensibilité,
atrophie musculaire, et par des phénomènes extrinsèques tels que
oedème violacé du dos de la main, troubles trophiques cutanés, sco-
liose, etc... Nous ne connaissons pas, il est vrai, d'exemple d'hystérie
simulatrice ayant présenté ce tableau au grand complet, mais l'avenir
pourrait bien nous réserver des surprises à cet égard. Il n'est du reste
nullement nécessaire que le tableau soit complet pour qu'il y ait si-
mulation et. matière à diagnostic Dans tous les cas, c'est sur les prin-
cipaux éléments suivants qu'il faudra baser ce diagnostic différentiel.
1° La dissociation de la sensibilité dans la syringomyélie présente-
rait, d'après M. Roll, un certain nombre de caractères spéciaux. Les
limites supérieures de cette anesthésie seraient mal tranchées et se
continueraient graduellement avec les régions intactes. Il y aurait là
une espèce de zone de transition graduelle qu'on ne retrouverait pas
dans l'anesthésie des hystériques. En outre, les limites supérieures des
divers modes de sensibilité ne seraient pas exactement supcrposables.
D'autre part, l'anesthésie syringomyélique ne procéderait pas par
segments comme dans la névrose ; elle suivrait souvent la distribution
des nerfs périphériques. Enfin son degré serait éminemment variable.
Ce sont là en vérité des caractères qui n'ont qu'une valeur différen-
tielle très relative : les uns sont controuvés, les autres sont inconstants,
d'autres enfin se retrouvent clans l'hystérie. L'anesthésie syringomyé-
lique procède par grands segments ; elle prend un membre ou un
451 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -
segment de membre, elle est en « camisole » ou en « hémicamisole o ;
ses limites supérieures sont souvent parfaitement nettes, etc. Or, dans
l'hystérie on retrouve une distribution et des caractères identiques. Ce
n'est donc pas, à notre avis, de ce côté qu'il faudra chercher des clé-
ments pour le diagnostic : c'est sur son mode de début, sur sa marche,
sur sa terminaison, sur ses apparitions et disparitions brusques, inex-
pliquées, sur l'influence que peut avoir sur clic une thérapeutique spé-
ciale : oesthésiogènes, massage, suggestion, etc.. Le début brusque
plaidera pour l'hystérie. Cependant Furstncr et Vacher Rossqlimo ,
Roth 3, admettent la possibilité de ce mode de début dans la syringo-
myélie. Quoi qu'il en soit, la guérison brusque; spontanée ouà la suite
d'une cause banale plaidera dans le sens de la névrose isolée ou du
moins associée.
La coexistence de troubles sensoriels exception faite jusqu'à nou-
vel ordre pour le champ visuel trancherait la question. Les douleurs
subjectives sont en réalité plus fréquentes dans la syringomyélie que
dans les syndromes hystériques, mais elles ne sauraient avoir la valeur
diagnostique que leur attribue Roth.
2° L'atrophie musculaire des hystériques ne présente plus, après ce
que nous avons démontré dans un autre chapitre, de caractères spé-
ciaux ; ce n'est ni son siège, ni son degré, ni même ses réactions élec-
triques qui pourrontmettre sur la voie. Sa marche présente un élément
différentiel plus sérieux : elle évolue, nous l'avons déjà dit, très rapide-
ment, frappe souvent d'emblée un membre entier, un segment de
membre, un ou plusieurs groupes musculaires, puis elle rétrocède ou
semble s'arrêter dans une phase stationnaire. Elle atteint les régions
paralysées, contracturées ou anesthésiées. Dans la syringomyélie,
l'amyotrophie est progressive; elle procède par muscles isolés qu'elle
frappe à des degrés divers. Enfin c'est une atrophie sans paralysie ou
avec paralysie secondaire.
3° L'oedème violacé du dosde lama in dans la gliomalose a été signalé
par Remak4 et par Rotlls. Cet oedème est indolent, de teinte vio-
lacée, froid (la température locale est en effet notablement abais-
sée). Or, l'cedénze n'est pas rare dans l'hystérie. 11 se présente sous
deux types :
(a) L'cedènze blanc mentionné par Sydenham, Damaschino", Fabre
1. Ftirglner et 7.aclrer, Archiv (¡il' Psych. 11d XIV, 188 : 1, p. 423.
2. Itossolimo, llrchi/ ! sur l'sI/ch, Bd XXI. Lient 3, 7ur Physiologie (Ici' Schlei[e.
3. Roth, loc. cil.
4. Remak, IJer/ine1" lilin, \Foc ? Il ? 1, 1889.
5. Roth, De la gliomatose médullaire (Archiv. ile Neurol., 1888).
G. 1)aumschino, Troubles trophiques dans l'hystérie (Cas. des //lip" 1880).
ÉTUDE DES SYNDROMES HYSTÉRIQUES « SIMULATEURS ». 155
(de Marseille) 1, et enfin dans un mémoire récent de Weir Milchell3;
(b) L'oedème bleu, sur lequel M. le professeur Charcot a le premier
l'an dernier3 appelé l'attention. Au cours de cette année il est revenu
sur ce sujet et, dans une de ses leçons, en a présenté trois cas
remarquables : deux développés spontanément, un troisième produit
artificiellement par suggestion chez une hystérique hypnotisable. Cette
leçon vient d'être tout dernièrement publiée Enfin, un élève de M. le
docteur Raymond, M. Trintignan, en rapporte un exemple dans sa
thèse\ Cet oedème bleu des hystériques est un oedème dur, cyanose,
avec abaissement de la température locale dans les régions affectées.
D'ordinaire, il apparaît et disparaît brusquement après une durée plus
ou moins longue. «Il disparaît en, général, dit M. Charcot, avec les
phénomènes locaux vulgaires, contractures, paralysies, qu'il accom-
pagne.» Le massage, le transfert par l'aimant, la suggestion hypnotique,
peuvent, dans certains cas, le faire disparaître. Sa disparition spontanée
et brusque est encore un de ses caractères (obs. XXXIII). En somme, si
l'oedème bleu des hystériques présente de nombreuses analogies avec
l'oedème violacé syringomyélique, il offre aussi un certain nombre de
caractères différents que nous venons de rappeler. On ne le rencontre
guère du reste que chez des sujets franchement hystériques.
4° Les troubles trophiques : éruptions cutanées diverses, bulles, vési-
cules, etc., courbure scoliotique, peuvent exister dans l'hystérie et dans
la syringomyélie. Ces troubles trophiques sont cependant l'exception
dans la névrose, la règle au contraire dans la syringomyélie. Nous
devons ajouter cependant que leur inconstance et leur analogie frap-
pante, quand ils existent, leur enlèvent toute portée diagnostique.
Si tous ces caractères différentiels ne permettent pas toujours de se
prononcer à bon escient, c'est encore ici au mode de début, à l'évo-
lution, à la coexistence d'autres manifestations hystériques actuelles
ou passées qu'il faudra recourir en dernière analyse. Et cette méthode,
qui permettra de découvrir la névrose sous le masque trompeur de la
syringomyélie, servira pareillement à reconnaître, dans un cas com-
plexe donné, l'existence d'une association hystéro-syringomyélique. Et
grâce à elle, en résumé, la méprise souvent possiblè, excusable parfois,
n'est jamais inévitable. A. Souques,
Interne (Médaille d'or)
de la Clinique des maladies du système nerveux.
9 : Fabre, Nouveaux 1%ral/nr. de clinique lIIéd. L'hystérie viscérale. Paris, 1S83.
2. \1'cir-1111Lclrell, The am. Jonrn. of med. se, lS8U, p. 94..
3. Charcot, Leçons du mardi il la Salpêtrière, 28 juin 1889.
1. Charcot, l'llsdème bleu des hystériques (proyr, mcW., 11 octobre 1890). Leçon re-
cueillie par G. Guinun, chef de clinique.
5. 'frinüanan, 1)e l'oedèllle hystérique. Thèse de Paris, 1830.
NOTE
SUR UNE ANOMALIE MUSCULAIRE UNILATÉRALE
, CHEZ UN ÉPILEPTIQUE
DONT LES CONVULSIONS PRÉDOMINAIENT DU COTÉ DE L'ANOMALIE
( -'
Parmi les anomalies anatomiques des dégénérés dont on connait
déjà un si grand nombre', beaucoup passent encore inaperçues faute
de dissections suffisantes. Les anomalies musculaires sont de celles qui
sontle moins accessibles. Dans une note publiée dans ce recueil , j'ai pu
cependant donner le portrait d'un épileptique, sur lequel une ano-
malie musculaire, l'absence de grand pectoral du côté gauche, se
montre avec la plus grande évidence, grâce à une déformation consi-
dérable de la région thoracique antérieure et de l'aisselle. Dans cette
même note, je signalais un autre malade chez lequel la partie infé-
rieure du même muscle manquait. La déformation n'était pas suffi-
sante pour se prêter à une représentation démonstrative ; mais ce
dernier malade ayant succombé depuis, j'ai pu disséquer les muscles,
et me convaincre de la réalité de l'anomalie observée sur le vivant
et qui n'avait été qu'incomplètement reconnue.
Quelques points de l'observation de ce malade méritent d'ailleurs
de fixer l'attention.
Le nommé L..., Léopold, âgé de trente-cinq ans, cordonnier, entré à
Bicètrc, le 24 décembre 1888.
Antécédents héréditaires. Grand-père paternel mort à soixante-douze
ans d'un cancer du sein. Grand'mère maternelle morte il soixante-dix ans.
Grand-père maternel mort à quarante-sept ans, un peu buveur. Aurait
élé effrayé en voyant quelqu'un tomber d'épilepsie et aurait eu ensuite une
crise par an dans les cinq dernières années de sa vie. Il perdait connaissance
pendant trois quarts d'heure et restait pendant quelques jours dans un étal
d'excitation délirante avec idées de grandeurs.
1. Cli. 1-'été, les l,I)ilel)sies et les 1,,I)ilepti(lites, 1890, 1). 381.
1. Ch. Féré, les Kpilepsies el les Epileptiques, 1890, p. 381.
2. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1889, p. 91.
UNE ANOMALIE MUSCULAIRE UNILATÉRALE. 157
Grand'mère maternelle morte d'un cancer de l'estomac à l'âge de quarante-
quatre ans.
Un oncle maternel serait mort à trente-sept ans, à la suite d'un accès de
colère violente.
Père mort de bronchite chronique à quarante-six ans, un peu nerveux.
Le père et la mère sont cousins germains. Ils' ont eu sept enfants : 1° fils,
verrier, trente-six ans, atteint de bronchite chronique; 2° fille, née avant
terme, morte à un mois; 3° notre malade; 4° fille morte de convulsions à
dix-sept mois; 5° fils mort phthisique à vingt ans; Go fille morte à quatre
mois de méningite; 7° fille âgée de vingt-quatre ans bien portante, mariée
depuis six ans, pas d'enfants.
Antécédents personnels : né à terme et bien conformé. L... a été bien por-
tant jusqu'à quatre ans. C'est alors qu'il lui arriva de renverser une marmite
d'eau chaude qui lui brûla le pied gauche. Immédiatement après, il eut sa
première attaque convulsive ou plutôt sa première série d'attaques, car les
convulsions auraient duré quatre heures. Jusqu'à l'âge de sept ans, il n'a eu
que quatre autres crises violentes. De sept à douze ans, il avait environ
chaque mois des accès incomplets durant deux ou trois minutes, dans lesquels
il faisait claquer sa langue et ses lèvres, fermait et ouvrait alternativement
les narines et pirouettait sur lui-même deux ou trois fois. A partir de douze
ans, ces crises sont devenues plus fréquentes et se produisaient par séries; il
en avait quotidiennement plusieurs pendant deux ou trois jours de suite,
toujours avec le même caractère, sans chute, mais avec perte de connaissance ;
il n'en gardait aucun souvenir. A dix-sept ans, il dut abandonner la profes-
sion de verrier qu'il apprenait. A vingt-quatre ans, il a eu de nouveau une
grande attaque convulsive avec chute. D'autres se succédèrent, mais souvent
il avait des accès incomplets qui le laissaient debout. C'est à vingt-neuf ans
qu'il entra pour la première fois dans un asile : il est muni de plusieurs
certificats constatant qu'il est atteint d'épilepsie avec délire consécutif aux
attaques ; un autre. porte le diagnostic d'hystéro-épilepsie avec somnambu-
lisme.
Examen physique Taille, 1 m. 05; envergure, 1 m.GB; poids, 62 kilogr. ;
circonférence thoracique, 0,875; capacité pulmonaire, 3,000. Pas de difformité
crânienne appréciable. Oreilles régulières, sauf que l'hélix est peu accentué.
Iris droit plus brun que le gauche. Langue plus mince dans la moitié droite.
Le système pileux présente cette particularité qu'il est beaucoup plus déve-
loppé du côté gauche aussi bien aux membres et au tronc du'1 la face; en
outre, il existe du côlé droit un assez grand nombre de poils blancs : une forte
mèche de la moustache est complètement blanche.
Le bord inférieur du grand pectoral droit s'arrête juste au-dessus de l'aréole
du mamelon, la portion inférieure manque et la partie supérieure paraît
moins épaisse que celle du côté opposé. Tous les mouvements du membre
supérieur se font bien, mais il est cependant plus faible, comme le malade
a pu le remarquer dans de nombreuses circonstances. Le dynamomètre de
Hégnier donne 38 à droite et 41 à gauche. - -
iv. 30
458 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
La sensibilité au froid est nettement plus accusée il gauche qu'à droite.
Les épreuves relatives à la sensation du contact sont douteuses; cependant
les expériences suivantes offrent un certain intérêt à cet égard. Le malade
tient alternativement de la main droite et de la main gauche la presselle du
chronomètre de d'Arsonval et on donne alternativement le signal en tou-
chant le front et le dos de la main, à droite et à gauche. Le sujet réagit dans
les temps suivants : -
L'audition est moins bonne à droite, la montre doit être plus rapprochée
de 50 centimètres environ. Le champ visuel est légèrement rétréci. Le
malade distingue mal les nuances du violet du même côté. Résultats douteux
pour l'odorat et le goût.
Le malade esl généralement prévenu qu'il va avoir un accès par une série
d'éblouissements ou de secousses. Plus rarement, il éprouve un chatouille-
ment du côté droit de la colonne vertébrale suivi de secousses dans les muscles
du dos et dans les membres supérieurs. Au moment de l'accès, il a une sensa-
tion de boule qui remonte du creux épigastrique jusqu'au cou; quelquefois
le malade peut arrêter l'accès à ce moment en faisant de fortes inspirations
ou des mouvements violents. Il est rare qu'il ne perde pas connaissance.
Lorsque cela arrive, il se rend compte que l'avant-bras droit se met en pro-
nation forcée et en demi-flexion sur le bras qui est lui-même fortement attiré
en arrière. Puis il exécute une série de mouvements giratoires de gauche a
droite. Au bout de quelques secondes, ces mouvements cessent, ainsi que la
rigidité du membre supérieur droit. Même après ces excès incomplets, le
malade est fatigué pendant plusieurs jours, il a de la céphalalgie, du dégoût
d'aliments, un mauvais goût dans la bouche.
Quand il perd connaissance, ce qui arrive le plus souvent, les mouvements
giratoires sont suivis de chute et de convulsions générales. Quelquefois
seulement la chute coïncide avec un cri. Il est rare qu'il arrive dans les accès
diurnes. Il est arrivé plusieurs fois qu'il a laissé échapper et les urines et les
matières fécales dans les accès de nuit.
Assez souvent, à la suite du début partiel que nous avons décrit, le malade,
au lieu de tomber en convulsions générales, se met si courir, monte ou
descend un escalier; il lui sérail arrivé de mouler ainsi sur un omnibus et
de se trouver fort étonné au réveil. 11 affirme qu'un jour il lui est arrivé de
UNE ANOMALIE MUSCULAIRE UNILATÉRALE.
159
courir sur le parapet de la plate-forme de l'Arc de Triomphe. A la suite des
accès de nuit, il lui est souvent arrivé de refaire automatiquement son lit la
tête aux pieds. La période de stupeur proprementjdite est remplacée dans tous
les cas par une obnubilation intellectuelle plus ou moins prolongée.
Les vertiges, les éblouissements, les accès incomplets, les grands accès
convulsifs, s'accompagnent en général d'une pâleur extrême.
En général, les paroxysmes qui sont au nombre de cinq ou six par mois sont
assez régulièrement espacés.
9 mai 1889. L... a eu pendant la nuit précédente six accès dans les
intervalles desquels il a repris connaissance, mais qui lui ont laissé une pros-
tration considérable. Il accuse de l'engourdissement dans toute la moitié
droite du corps en même temps qu'une douleur profonde; il lui semble que
« son bras et sa jambe ne sont plus à lui ». Le dynamomètre donne 41 à la
main gauche et 35 à la droite. La sensibilité au froid paraît encore plus obtuse
du côté droit que d'ordinaire. Les temps de réaction sont aussi modifiés.
L'exploration répétée de la même manière que précédemment donne :
Le rétrécissement du champ visuel du côté droil est notablement
augmenté (iig. 77).
FiG. 77. - Champ visuel de L. Champ visuel à l'élat normal.
.... Champ visuel dans une périodo fort paroxystique.
460 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Les réflexes rotuliens sont exagérés des deux côtés, mais plus à droite.
La température de surface prise sur l'épaule de chaque côté est la même à
droite et il gauche = 35°. Le phénomène de la démographie1, qui est très
manifeste à l'état normal chez ce sujet, est exagéré.
L... accuse de lui-même une difficulté de la respiration qui lui paraît plus
marquée du côté droit, mais ce fait n'a pas pu être objectivé : la capacité
thoracique a été trouvée la même qu'au précédent examen. Pas de troubles
'de la parole.
L... raconte qu'en 1883 aussi, il la suite d'accès de nuit,' il aurait eu une
hémiplégie droite qui aurait duré six semaines. Dans le cas actuel, l'engour-
dissement et l'exagération de la faiblesse latérale ont disparu en quatre ou
cinq jours.
L..., quia une répugnance extrême pour le bromure, est soumis, sans résul-
tat d'ailleurs, au borax, dont il prend 2 grammes par jour, depuis le commen-
cement de mai.
4 septembre 1889. Le malade se plaint depuis plusieurs jours de
démangeaisons. On remarque une éruption siégeant symétriquement sur les
parties latérales du thorax, sur la face interne des bras, dans les aines. Elle
se compose de tout petits placards rouges, disséminés, ecz'éiiiatiforities par
places, papuleux dans d'autres. Pour la région interscapulaire, rougeur
diffuse et très prurigineuse. Le phénomène de la démographie est encore
plus marqué que précédemment, même dans la période postparoxystique
dont il vient d'être parlé; il est surtout intense dans la région supérieure du
dos et de la poitrine; sur les membres supérieurs il se manifeste jusqu'au
poignet, il n'existe pas aux membres inférieurs.
L... a quelquefois des nausées lorsqu'il prend son borax à jeun ; mais en
général il n'éprouve aucune gêne spéciale depuis qu'il prend ce médicament.
Les lotions vinaigrées, et les injections sous-cutanées d'ergotine sont
sans effet sur l'éruption.
13 septembre. L'éruption a plutôt augmenté et est devenue plus pruri-
gineuse.
25 septembre. L'éruption s'est généralisée il tout le thorax et s'étend
aux cuisses et au scrotum. On soupçonne qu'elle pourrait être due 'au borax
et on supprime ce médicament.
3 octobre. A partir du moment où le malade a cessé de prendre du
borax, l'éruption s'est rapidement effacée, en commençant par les points les
derniers affectés ; aujourd'hui il n'en reste plus de traces.
La démographie est beaucoup moins marquée 2.
27 mars 1890. Depuis hier, L..., qui n'a pas eu d'accès depuis dix jours,
est tombé dans un état d'apathie. Il ne se plaint d'aucune souffrance particu-
lière, il n'a pas de fièvre, pas de troubles gastriques, mais ses mouvements
1. Ch. Féré et L. Lamy, la Démographie (Noue. lcott. de la Salpêtrière, 11180, p. 282).
z3. Cri. Féré et Il. Lamy, Deux Cas d'éruption eaémaleuse provoquée par le borax
(nous. Icon. de la, Salpêtrière, 1880, p. 305).
UNE ANOMALIE MUSCULAIRE UNILATÉRALE. 461
sont lents et indécis, il a une grande difficulté à se mettre en action, il
répond correctement, mais lentement. Il mange comme d'ordinaire. Il est
difficile de fixer longtemps son attention; lorsqu'on lui a posé plusieurs
questions, il cesse de répondre. L'affaiblissement du côté droit n'est pas plus
marqué que d'ordinaire. Cet état qui n'est pas d'origine toxique, le malade
ne prend aucun médicament, dure jusqu'au 5 avril, puis s'efface graduel-
lement ; il répond à ce que j'ai décrit sous le nom d'apathie épileptique i.
La maladie était restée stationnaire malgré des essais thérapeutiques mul-
tiples. Lorsque, le 22 décembre, il commença il avoir des accès en séries sans
retour à la connaissance, ces accès étaient constitués par des spasmes
toniques commençant par le membre supérieur droit, mais s'étendant à
tout le corps, sans cris, sans évacuations.
T. matin, 38,4; soir, 37,8.
23 décembre. T. matin, 38; soir, 39,8.
21 décembre. T. matin, 39,8 ; soir, 40.
25 décembre. T. matin, 39,6 ; soir, 41,2.
20 décembre. - Mort à 1 heure du matin. Un quart d'heure après la mort,
la température monte à 41,8. Depuis le début de l'état de mal, il avait eu
108 accès,- et depuis le 24 au matin il n'avait pas repris connaissance. Les
convulsions ont cessé le 25 à 4 heures du soir.
Autopsie. Dimensions du crâne : -.
462
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Il n'existe pas d'anomalies notables des circonvolutions, elles présentent
uniformément une teinte rosée de leur substance grise.
L'examen microscopique fait par M. Chaslin a montré que la sclérose
névroglique diffuse était à peu près aussi avancée sur les deux hémisphères
cérébraux.
Les lobes postérieurs des deux poumons sont fortement congestionnés.
Pas d'anomalies des viscères thoraciques ou abdominaux. Coeur, 310 gram-
mes ; foie, 1,180; rate, 135; reins : droit, 125; gauche, 130.
Paroi thoracique antérieure. - L'articulation slerno-claviculaire droite
est plus lâche que la gauche.
Agauche, le grand et le petit pectoral présentent leur disposition normale.
Adroite, le grand pectoral n'a que trois digitations : l'une s'insère il la
clavicule, la deuxième à la première et à la deuxième côte, la troisième à
la troisième côte et ;i une petite partie du bord supérieur de la quatrième.
Ces digitations sont séparées de leur partie interne par deux espaces remplis
de tissu graisseux. Leur insertion médiane ne se fait qu'au bord du sternum,
tandis que le grand pectoral gauche s'insère jusqu'à la ligne médiane sur
la face antérieure de cet os (fig. 78).
Du côté droit le petit pectoral manque complètement (fig. 79).
Ce fait m'a paru digne d'être signalé en raison de cette circonstance
que la localisation de certains symptômes semblait faire prévoir une
lésion localisée dans l'hémisphère gauche du cerveau. Cet hémisphère
FIG, 78. - Dissection du grand pectoral des deux côtés.
UNE ANOMALIE MUSCULAIRE UNILATÉRALE. 4fi3
présente en effet des altérations plus marquées que le droit, mais elles
ne lui sont pas exclusives, et elles ne sont pas localisées il une zone
limitée. Si l'on avait tenté une intervention chirurgicale en se basant
sur les phénomènes observés du côté du bras droit, le chirurgien eût
éprouve un grand embarras, en ne découvrant aucune lésion grossière
dans le point incriminé. L'existence fréquente de ces lésions diffuses,
s'étant manifestée, pendant un certain temps du moins, par des symp-
tômes plus ou moins localisés, doit inspirer une grande réserve dans
les entreprises chirurgicales, tant qu'il n'existe pas de signes de com-
pression.
La coexistence de lésions prédominantes dans l'hémisphère gauche
avec des anomalies de développement des muscles et de la peau du
côté opposé semble en faveur d'un trouble d'évolution remontant
a une époque très précoce.
Cn. Féré,
Médecin do l31cn·Lre.
FiG. 70. Dissection du petit pectoral gauche ; absence de ce muscle à droite.
CONSIDÉRATIONS S
SUR LE
TRAITEMENT DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
PAR LA MÉTHODE DU DOCTEUR MOTSCIIOUTKOVSKY
I
L'application de la suspension au traitement des maladies du système
nerveux a été proposée pour la première fois en 1883 par le docteur
Motschoutkovsky (1). Ayant eu l'occasion d'assister à l'application du
corset de Sayre, l'attention de ce médecin a été attirée sur l'allongement
du corps pendant la suspension. Des mensurations répétées lui ont
montré que l'allongement peut aller de à 5 centimètres et que la
colonne vertébrale y prend une part active.
Ces faits lui ont suggéré les questions suivantes : 1° Quels sont les rap-
ports de la moelle épinière, de ses enveloppes et des racines nerveuses
avec la colonne vertébrale pendant la suspension ?
2° Ne pourrait-on pas espérer obtenir par la suspension une action
favorable sur l'évolution de certaines maladies de la moelle épinière ?
Ayant acquis la conviction que la suspension agit avantageusement
dans l'ataxie locomotrice, le docteur Motschoutkovsky se livre à des
recherches anatomiques et physiologiques qui l'amènent à formuler les
données théoriques sur lesquelles est basée l'action de la suspension.
Il fait connaître cette théorie et ses applications à la thérapeutique au
monde médical russe, mais son travail passe inaperçu; on lercçoitavec
une indifférence complète. Il reste dans l'oubli pendant cinq ans, et il
y serait resté encore longtemps si un hasard heureux n'avait amené à
Odessa, en été 1888, le docteur Raymond.
Ce médecin a importé la méthode de Motschoutkovsky en France. Le
professeur Cliarco (2) après troismois d'étude publie les premiers résul-
tats. Sur 18 malades' traités par la suspension 14 ont été améliorés et
parmi eux Sont bénéficié d'une amélioration très grande.
1. Quatre de ces malades nnt abandonné le traitement dès le début pour des raisons
extra-médicales.
TRAITEMENT DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. 465
Ces résultats obtenus par Charcot ne pouvaient pas passer inaperçus,
et la suspension, qui était menacée de tomber dans un oubli complet
sous la poussière des temps, ressuscite et acquiert droit de cité dans le
monde médical. Peu habitués aux succès de la thérapeutique, les neu-
ropathologistes de l'Europe et de l'Amérique se précipitent avec avidité
sur cette nouvelle méthode de traitement. On fait des essais, les obser-
vations publiées deviennent de plus en plus abondantes, et on com-
mence à signaler de tous côtés des succès, des insuccès et même des
accidents.
Les médecins ne sont pas d'accord. Les uns sont très enthousiastes
de la méthode, très optimistes; les autres, au contraire, sont pessimis-
tes et aux résultats favorables opposent des faits négatifs, aux preuves
anatomiques et cliniques de l'action réelle qu'exerce la suspension
leurs propres recherches cliniques et anatomiques qui tendent à démon-
trer que l'action favorable de la suspension elle-même n'est qu'une fic-
tion et que les résultats qu'on en obtient ne sont dus qu'à un travail
psychique, à une suggestion.
Il serait intéressant de noter qu'on trouve des adversaires de la
suspension qui n'ont pas ou presque pas étudié cette méthode. Et ce
sont ceux-là qui vont jusqu'à l'absurde, voulant à tout prix faire pré-
valoir leur vue a priori. C'est ainsi quele docteur Riggs (G), necroyant
pasàla suspension, prétendait que les médecins qui ont obtenu de bons
résultats du nouveau traitement ne savent pas faire le diagnostic entre
le pseudo-tabes et l'ataxie locomotrice avec lésions organiques.
Le docteur Charlon(30), de l'Amérique, s'estdéclaré également adver-
saire delà suspension, et cependant il n'a pu produire qu'un cas per-
sonnel dans lequel il arrête le traitement à la dixième séance.
Ajoutons encore que non seulement des médecins isolés mais des
sociétés médicales en corps se sont élevés contre la suspension.
Aux Étals-Unis, par exemple, «l'AmericanNeurological Association »
émet l'opinion que la suspension n'est qu'une chimère, et quece traite-
ment est condamné d'avance à disparaître sous peu.
Mais, malgré les avis défavorables des médecins et même des sociétés
médicales, malgré des attaques et des critiques plus ou moins vives
dirigées contre la suspension, les faits sont là pour répondre; si, actuel-
lement, nousne sommes pas assez riches en faits cliniques pour donner
à la suspension une place nettement définie parmi les diverses métho-
des thérapeutiques, nousenavonsaurnoins suffisamment pour affirmer
que la suspension n'est pas une chimère et que son action est positive,
réelle et est loin d'être une fiction.
La suspension a trouvé son application surtout dans le tabès, c'est
466 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
pourquoi les publications concernant le traitement de cette dernière
maladie sont particulièrement intéressantes.
Dans le tableau ci-dessous nous résumons les observations de 3G au-
teurs.
TRAITEMENT DES MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. 4G7
prenons pour témoignage que les statistiques duprofesseur Charcot (2).
Les malades qui se sont mis au traitement à sa clinique étaient au
nombre de ! 14. Dès les premiers jours 64 ont abandonné letraitement.
Sur les 50 qui restaient, 5 n'ont pu continuer le traitement pour diffé-
rentes raisons. Ainsi sur ll1 malades traités par la suspension il n'y
en avait en réalité que 45 qu'on devait prendre en considération dans
la statistique.
Ne serait-il pas arrivé la même chose au professeur IIyrt ? C'est
d'autant plus probable que z103 de ces malades appartenaient à sa clien-
tèle de ville. Il est encore à considérer que le docteur IIyrt, tout en
n'admettant pas des améliorations durables, cite souvent des amé-
liorations passagères. ◀Tantôt▶ il nous signale une amélioration de la
démarche, des fonctions de la vessie, ◀tantôt une diminution des dou-
leurs, etc.; mais ces améliorations n'étant que passagères, il les met
sur le compte de l'auto-suggestion.
Quand on étudie l'action de la suspension, on voit que les résultats
thérapeutiques favorables et défavorables sont variables pour chaque cas
particulier.
Quand la suspension ne réussit pas, les symptômesrestent quelque-
fois tout simplement stationnaires ; d'autres fois il y a au contraire
aggravation des symptômes, crises nouvelles qui ne disparaissent pas
toujours avec la suppression du traitement. Enfin il y a des cas où une
application malheureuse de cette méthode a causé la mort du malade.
L'aggravation des symptômes se rencontre surtout dans les cas de
tabès d'origine récente.
Les accidents tels que le vertige, la cyanose, la syncope, les accès
convulsifs suivis quelquefois d'amnésie, l'oedème des membres infé-
rieurs, la rupture des vaisseaux, la paralysie temporaire des membres
supérieurs, sont imputables en partie à la compression des gros troncs
vasculaires et nerveux, en partie à l'action de la suspension elle-même.
Les cas, très-rares d'ailleurs, de mort doivent être divisés en deux ca-
tégories : dans la première il faut ranger ceux qui sont dus à l'igno-
rance ou à l'imprudence; dans l'autre catégorie, les causes de la mort
doivent être cherchées dansles effets physiologiques de la suspension.
Parmi les observations avec issue fatale parvenues notre connais-
sance, nous en trouvons dans lesquelles la mort a été due à la
strangulation par le collier déplacé.
Parmi ces trois morts, il y en avait un qui était médecin et qui a
pratiqué la suspension sur lui-même (5).
Le D'' Blocq (5) cite le cas d'un tabétique atteint de paralysie générale
des aliénés à qui le médecin a permis, après les premières séances, de
4G8 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -
continuer le traitement sans surveillance. Après une des séances le
malade est tombé dans un état comateux et est mort dans les vingt-
quatre heures.
Un cas analogue est rapporté par Gorecl : i (5). Un tabétique ayant ap-
pris par les journaux la nouvelle méthode de traitement, se faisait
suspendre par son domestique. Une des séances fut suivie de mort au
bout de vingt-quatre heures.
On cite aussi des faits où la suspension pratiquée par des médecins
fut suivie non seulement d'accidents menaçants', mais même de mort.
Ainsi Borsari (29) cite un fait où, après la huitième séance, le
malade eut une crise gastrique suivie au bout de trois jours d'un état
comateux et de mort9.
Erb rapporte un cas analogue : le malade tabétique mourut subite-
ment le cinquième jour du traitement, après la onzième séance de sus-
pension. L'autopsie ne put donner d'indications sur les causes de la
mort.
Les résultats thérapeutiques positifs et négatifs de la suspension peu-
vent être très variables. Dans certains cas, l'amélioration ne porte que
sur des symptômes isolés ou peu nombreux; dans d'autres, elle com-
prend la majorité et même la totalité des symptômes.
Quelquefois l'amélioration est peu marquée; d'autresfois elle est très
prononcée, et le résultat est variable pour différents symptômes.
Tandis que tel symptôme disparaît complètement, tel autre ne s'a-
mende que fort peu. Dans les cas exceptionnels l'amélioration peut t
porter sur tous les symptômes à la fois et peut atteindre un degré tel
qu'il devient permis de penser à une guérison complète.
Un cas de ce genre est publié par Althaus (57). Il s'agit d'un homme
de 57 ans qui, pendantdeux ans, a essayé vainement toutes les méthodes
de traitement du tabes. La suspension a amené la disparition de tous
les symptômes, le réflexe rotulien lui-même a reparu.
Quant à l'influence de la suspension sur les symptômes isolés, il faut
remarquer que les symptômes spinaux s'amendent plus souvent que les
symptômes céphaliques.
Pour les symptômes spinaux, l'action de la suspension sa manifeste,
d'après le professeur Charcot, avant tout par une amélioration de la
démarche et ensuite parla disparition des douleurs lancinantes sur les-
quelles l'action de la suspension est la plus efficace. Dans la majorité
des cas ces douleurs disparaissent complètement.
L'amélioration de la démarche est aussi considérable. Au bout d'un
1. Cas de Skier (5),
2. A l'autopsie on a constaté une méningite cérdliro-sninalc aigur.
TRAITEMENT DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. 4M
certain temps les ataxiques n'ont plus besoin d'aide et ils peuvent mar-
cher sans s'appuyer sur une canne.
Le signe de Romberg et les paresthésies s'amendent considérable-
ment et peuvent même disparaître. Presque tous les malades voient les
symptômes vésicaux s'améliorer et les fonctions génitales éteintes
réapparaître en partie.
Les observations de plusieurs autres médecins confirment ce que
nous venons de dire. S'il y a des divergences c'est sur la question de
savoir si c'est tel ou tel symptôme qui sera amélioré plus souvent et plus
rapidement que tel autre.
C'est ainsi que Michel Clarke (31) insiste surtout sur l'amélioration
de la marche et du signe de Romberg, et ne place qu'en seconde ligne
la diminution des douleurs, le retour de la sensibilité et du sens mus-
culaire.
Eulenburg et Mendel (42) ont observé le plus souvent le retour du
sommeil, l'amélioration de l'état général, du signe de Romberg et des
troubles de la miction. Ils n'ont constaté que beaucoup plus rarement
une diminution des névralgies en général et des douleurs lancinantes
en particulier.
Par sa fréquence, l'amélioration dans la marche ne vient qu'après
les névralgies. Quant aux paresthésie, anesthésie, impuissance, elles
ne disparaissent que dans les cas isolés.
L'amélioration des symptômes céphaliques se rencontre très rare-
ment ; pour s'en convaincre, il suffira de se rappeler due le D` Charcot,
malgré les richesses cliniques qu'il aé sa disposition,n'apu l'observer.
Quelques auteurs cependant en ont rapporté des cas.
Motschoutkovsky (1) a vu réapparaître le réflexe pupillaire, IIam-
mond (5) signale la disparition des céphalalgies et des vertiges, Abadie
et Desnos (1S) l'amélioration de la vue, Mendel et Eulenburg la dimi-
nution de l'amblyopie qui était accompagnée d'une atrophie du nerf
optique et une amélioration de la parésie des nerfs moteurs oculaires
commun et externe. Darier (19) a constaté une amélioration de la vue
dans quatre cas où il existait une atrophie du nerf optique. Dertiliard (41)
signale un cas où la vision double et la surdité ont disparu. Ladame
(13) a vu une diminution du ptosis, etc. Quand la suspension donne
des résultats favorables, ces résultats sont obtenus assez vite, comme
l'ont établi presque tous les observateurs; au début, la durée de l'amé-
lioration est courte; mais, à mesure que le traitement avance, elle
augmente, Souvent on voit la disparition complète de certains symp-
tômes morbides.
Cependant les effets du traitement ne persistent pas, comme l'ont
470 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
constaté Hyrt, Eulenburg, Mendel, lIausalter et Adam, la suspension
une fois interrompue.
En résumant ce que nous venons de dire, nous voyons que la sus-
pension peut être appliquée comme un agent thérapeutique sympto-
matique agissant rapidement et amenant non seulement l'amélioration,
mais quelquefois aussi la disparition de quelques symptômes graves.
L'amélioration porte surtout sur le sommeil, l'état général et les
symptômes médullaires. Les symptômes céphaliques cédentàce traite-
ment moins souvent et à un degré plus faible.
Si même les résultats obtenus ne sont pas durables, si l'amélioration
disparait une fois le traitement fini, on a toujours la ressource de
recommencer les séances de suspension, et alors on obtient une nou-
velle amélioration.
Il n'existe pas d'accoutumance pour la suspension; et comme ce
traitement améliore l'état général, on peut y avoir recours pendant de
longues années et procurer de la sorte une existence supportable à
plusieurs centaines d'ataxiques.
A part le tabes, la suspension a été appliquée dans la neurasthénie,
l'hystérie, l'impuissance, la paralysie agilante, les névralgies et dans
les méningo-myélites. Les observations de ce genre ont été rapportées
par Motschoutkovsky, Charcot, Althaus, Ilausalter et Adam. Ils font
remarquer que dans la paralysie agitante les résultats obtenus ne se
rapportent qu'à l'état général, aux paresthésies, à la rigidité muscu-
laire ; le tremblement n'a pas été modifié.
Dans les méningo-myélites, l'amélioration peut aller jusqu'à un degré
considérable. C'est ainsi que Benzi (28), par exemple, a rapporté un
cas de méningo-myélite chronique dans lequel, sous l'influence de plu-
sieurs séances de suspension, les douleurs ont diminué et la paralysie
s'est suffisamment améliorée pour permettre au malade de marcher.
Dans la sclérose latérale, les résultats sont généralement négatifs;
quand il y a amélioration, elle porte sur les paresthésies, comme l'ont
fait remarquer dans leurs observations Mendel et Eulenburg. Dans les
paralysies spasmodiques les résultat ssont insignifiants; quelquefois,
comme c'est arrive dans la pratique de Charcot et de Motschoutkovsky,
il se développpe de la rigidité qui disparaît d'ailleurs bientôt.
La maladie de Friedreich s'améliore également sous l'influence de la
suspension. Charcot, Jlausalter et Adam citent des cas où ils ont vu
quelques symptômes psychiques, comme l'agoraphobie et l'impulsion
procursive, disparaître.
Dans la mélancolie et l'hypocondrie Ilausalter et Adam n'ont jamais
pu constater d'amélioration.
TRAITEMENT DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. 471
II
Quoi qu'on dise de la suspension, quel que soit son avenir, qu'elle
soit appelée ou non il remplacer les plus fidèles agents thérapeutiques
que nous possédons, un fait est certain : l'expérience démontre que la
suspension a une influence indubitable sur la symptomatologie ; par
conséquent il faut d'abord chercher les causes de son action. Le
Dr Motschoutkovsky explique l'action de la suspension en partie par
l'élongation des troncs nerveux, en partie par l'amélioration de la cir-
culation collatérale qui dépend de l'augmentation de la pression laté-
rale dans les gros troncs vasculaires. MaisIIessing et Eisenlohr (44) obte-
naient des résultats favorables par l'élongation de la colonne vertébrale
sans l'élongation des gros troncs nerveux des extrémités. Quant à la
tension des racines nerveuses pendant la suspension, Motschoutkovsky,
llausalter, Adam et moi ne l'avons jamais observée. L'amélioration
dans la circulation collatérale avec amélioration consécutive de la
nutrition des régions malades ne pourrait avoir lieu qu'au bout d'un
temps plus ou moins long; cependant l'amélioration est déjà constatée
dès les premières séances.
D'après le Dr Popoff (52), le Dr Charcot, qui était tout d'abord disposé
à admettre l'explication donnée par Motschoutkovsky, l'a rejetée
ensuite, surtout parce qu'il a observé plusieurs fois une action rapide
presque momentanée de la suspension. Actuellement il pense qu'on n'a
pas encore de données suffisantes pour formuler une théorie de la
suspension.
Dujardin-Beaumctz (91) explique, tout par l'anémie.
D'après Brown-Séquarl, la compression des nerfs intercostaux pro-
voque l'anémie de la moelle épinière, et, comme, pendant la suspension,
cette compression doit se produire, elle doit amener l'anémie. S'il en
était ainsi, la suspension aurait dû donner de meilleurs résultats dans
les périodes initiales du tabès, tandis que, comme nous l'avons déjà
constaté, c'est dans ces périodes qu'elle aggrave généralement la ma-
ladie.
D'après Altllaus, le tabes s'accompagne d'adhérences des méninges et
pendant la suspension le déplacement de la dure-mère se communique
à la pic-mère et par son intermédiaire à la névroglie, ce qui fait que
les adhérences de la dure-mère sont détruites dans la région des cor-
dons postérieurs; d'autre part, la névroglie soumise à une traction
devient moins dense, ce qui diminue la pression exercée sur les tubes
nerveux et augmente leur conductibilité. Mais alors la suspension
47 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPËTIUËKH.
n'aurait dû agir que sur les malades porteurs d'adhérences des
méninges, et cependant elle agit non seulement sur ces malades, mais
même sur les individus bien portants. -
Chez ces dernier, Onanoff 2) a constaté, sous l'influence de la suspen-
sion, une augmentation de l'appétit génital.
Erb (9) suppose que l'action de la suspension se propage à tout le
système nerveux, et il ajoute que cette action est aussi difficile à expli-
quer que celle de la suggestion.
IIausalter et Adam (10) expliquent les effets de la suspension par la
suggestion. Ils se basent sur deux considérations : 1° chez les ataxiques
on voit souvent certains symptômes s'amender sans raison apparente;
2° les recherches anatomiques n'ont fourni aucune donnée pouvant
.servir à expliquer l'action de la suspension. D'après leurs recherches,
l'élongation de la colonne vertébrale et des membres inférieurs n'est
pas suffisamment prononcée pour pouvoir amener une tension dans les
racines nerveuses, une élongation de la moelle et de la pie-mère avec
ses vaisseaux; ce ne serait que la dure-mère qui se déplacerait, et
encore pas suffisamment pour détruire les adhérences entre la pie-
mère et les cordons postérieurs de la moelle. Sans entrer dans le fond
même de ces intéressantes recherches, nous ferons remarquer seulement
que si, même, elles étaient d'une précision mathématique, elles n'au-
raient pu suffire pour démontrer que les résultats de la suspension sont
obtenus par la suggestion. , .
Ne pas trouver l'explication d'un phénomène ne veut pas dire qu'on
a démontré qu'il est illusoire. D'après Ilausaller et Adam l'appareil lui-
même exerce une grande influence sur les malades. Ils ont cent fois
entendu parler de l'action merveilleuse de la suspension et ont fini par
y croire, et c'est dans la foi qu'il faut chercher l'explication des résultats
obtenus. S'il en était ainsi, on aurait pu comprendre encore pourquoi
les malades guérissent ou s'améliorent, mais comment expliquer alors
les aggravations de leur état ou la mort ? Il faut remarquer en outre que
quand il y a aggravation on constate souvent tous les caractères d'un
processus inflammatoire. Je rapporte ici un cas de ma pratique person-
nelle.
La malade A. E... entre à l'hôpital israélite d'Odessa dans la division
du D' Jousefovitsch le 10 décembre 1889.
Cette malade est atteinte d'une forme classique de tabcs dont le début
remonte il dix-huit mois ou deux ans.
Après les premières séances de suspension la malade se sent très
bien; les douleurs lancinantes dont elle était tourmentée journellement
diminuent d'intensité et la quittent même complètement par intervalles ;
TRAITEMENT DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. 473
elle se tient mieux sur ses jambes et ne souffre plus d'insomnie. Mais
après la huitième séance apparaissent tout d'un coup des douleurs dans
le dos, très intenses, qui n'existaient pas auparavant. Elles durent
quatre jours, puis disparaissent, et le huitième jour on recommence la
suspension. Les deux premières séances se passent sans incident, mais
après la troisième les douleurs dorsales font de nouveau leur appari-
tion, on constate également une hyperesthésie des membres inférieurs,
et le quatrième jour il s'y joint une élévation de la température qui
atteint le soir 38"5 et le lendemain matin tombe à 37°5, pour remonter
le soir à 38°4. Le surlendemain la température redevient normale. Ce
n'est que huit jours plus tard que la malade se débarrasse de ses douleurs
dorsales.
Pour bien établir l'origine de la fièvre qui aurait bien pu être pro-
voquée par une cause accidentelle coïncidant avec la suspension, je
donne à la malade un repos de huit jours, et je recommence la suspen-
sion en m'entourant de toutes les précautions voulues.
Après la première séance la malade éprouve de nouveau ses douleurs
dorsales, et le cinquième jour, le soir, la température est de 38° ; le len-
demain elle redevient normale.
Nous renonçons alors à la suspension et la malade sort de l'hôpital
en nous affirmant qu'elle se sent quand même mieux qu'avant le trai-
tement. -
Quoi qu'il en soit, l'hyperesthésie, les accès répétés de douleursdor-
sales et l'élévation de la température qui ont suivi la suspension nous
forcent à admettre l'existence d'un état inflammatoire localisé proba-
blement dans la pie-mère, ce qui prouve que la suspension n'est pas
une chose indifférente pour la moelle épinière. Dès lors il devient clair
qu'on a tort de considérer comme effets de la suspension les seuls
résultats défavorables.
Ainsi, en nous reportant à ce que nous venons de dire dans ce cha-
pitre, nous voyons qu'on a essayé d'expliquer la suspension de toutes
les façons possibles : les uns la mettaient sur le compte de l'extension
mécanique des différentes parties du système nerveux et des vaisseaux^
les autres faisaient jouer le rôle principal aux méninges, quelques-uns
faisaient tout dépendre d'une action réflexe, enfin il y en a qui l'ont
considérée comme agissant par son influence purement psychique.
Il n'y a qu'une chose qu'on a oubliée dans toutes ces explications, c'est
que dans le canal rachidien, outre le contenu solide il existe un contenu
liquide, et que ce contenu liquide doit avoir une influence directe ou
indirecte sur les fonctions du système nerveux central. La colonne ver-
tébrale représente un tube creux articulé formé par les vertèbres, qui
m. 31
471 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sont réunies entre elles par les disques intervertébraux, les ligaments
jaunes, les ligaments communs et interépineux. La paroi intérieure de
ce canal est tapissée par la dure-mère, qui se présente comme une gaine
sacciforme entourant la moelle épinière et réunie aux parois du canal
par du tissu cellulaire. En haut la dure-mère de la moelle se continue
avec la dure-mère crânienne.
Supposons une extrémité de la colonne vertébrale immobilisée et
l'autre soumise à l'influence d'une force plus ou moins considérable; il
en résultera nécessairement une élongation des ligaments élastiques,
une augmentation des espaces intervertébraux et un allongement de la
colonne vertébrale dans sa totalité. Mais comme la dure-mère est unie
aux vertèbres, l'éca'rtement entre celles-ci ne peut se concevoir sans un
allongement de la dure-mère et une augmentation de capacité de sa
cavité. Or, si cette capacité devient plus considérable, le volume du
liquide restant le même, il doit s'y produire une tendance au vide ou,
plus exactement, une pression négative. Il s'agissait de vérifier ces
données théoriques expérimentalement.
A cet effet, après avoir enlevé les apophyses épineuses des deux pre-
mières vertèbres dorsales et ayant mis ainsi à nu la dure-mère, j'ai
introduit dans sa cavité une canule communiquant, par l'intermédiaire
d'un tube en caoutcliouc, avec un manomètre à mercure. Le cadavre
était placé sur le ventre, reposant sur un plan horizontal auquel il était
fixé par des ficelles qui passaient soit autour du cou, soit autour des
articulations scapulo-humérales. On faisait passer ensuite le plan hori-
zontal progressivement dans la position verticale, le cadavre glissait un
peu en bas en tirant sur les ficelles, la colonne vertébrale s'allongeait
et la colonne de mercure du manomètre montait graduellement en
indiquant de cette façon une augmentation de la pression à l'intérieur
de la cavité.
Celte augmentation de la pression doit être expliquée comme il
suit : le canal rachidien est un tube fermé de tous les- côtés dont le
contenu, le liquide céphalo-rachidien, exerce sur le fond et les parois
latérales une pression qui est en raison directe de sa hauteur; le canal
rachidien présentant un diamètre vertical beaucoup plus considérable
que le diamètre antéro-postérieur, la bailleur de la colonne liquide du
canal rachidien situé sur un plan horizontal sera de beaucoup infé-
rieure à celle de ce même canal placé verticalement, et dans cette der-
nière position la colonne de mercure du manomètre se trouvera sous
une pression infiniment plus grande que dans la position horizontale
du rachis.
Tout ce que nous venons de dire ne doit pas nous empêcher de pré-
TRAITEMENT DES .'MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX.. " 475
sumer que, étant donnée une position toujours verticale du rachis, la
pression qu'accusera le manomètre sera différente quand la colonne
vertébrale sera ou ne sera pas allongée.
Dans le premier cas l'augmentation de capacité de la cavité doit pro-
duire une aspiration de la colonne mercurielle du manomètre; dans le
second, cette aspiration n'existant pas, la hauteur du mercure doit être
moindre que dans le cas où il y a allongement du rachis.
Il ne restait, par conséquent, qu'à mettre le cadavre dans une posi-
tion où cet allongement n'avait pas lieu et à comparer la hauteur de
la colonne mercurielle, notée dans ces conditions, à celle qu'accuserait 1
le manomètre quand l'allongement se serait produit.
Dans ce but, nous faisons passer une corde, dont un bout est fixé
solidement à l'extrémité céphalique de la planche, sous le tronc'et
nous la ramenons entre les deux membres inférieurs en l'appliquant
exactement le long du périnée; nous joignons ensuite le bout libre à
celui qui était fixé en le ramenant vers le bout céphalique de la
planche. Le cadavre se trouve, de cette façon, à cheval sur la corde
qui doit empêcher l'allongement du rachis pendant le passage à la
position verticale. Après avoir fait passer le cadavre dans la position
verticale et après avoir vu le niveau du mercure du manomètre
s'élever à un certain degré, nous nous attendions à voir ce niveau
redescendre, la corde une fois coupée ; en effet, la colonne verté-
brale devait s'étendre, la cavité de la dure-mère augmenter de capa-
cité et la pression subie par le mercure diminuer. Cependant nos
prévisions ne se sont pas réalisées et le niveau du mercure restait le
même. En cherchant une explication de ce résultat inattendu, je me
suis arrêté à la supposition suivante : pour introduire la canule dans
le sac formé par la dure-mère, j'étais obligé de mettre à nu la dure-
mère ; quand nous coupions la corde et que la cavité s'allongeait,
la dure-mère, grâce au vide qui avait tendance à se former, était
aspirée et empêchait l'aspiration du contenu du manomètre. Pour
démontrer l'exactitude de cette supposition, j'ai fait l'expérience sui-
vante : après avoir enlevé les apophyses épineuses de deux ou trois
vertèbres et mis à nu la dure-mère, je remplaçai les parties enlevées
des vertèbres par une gouttière en bois dont la face concave regardait
en bas vers la dure-mère et les côtés s'appliquaient aux côtés du
rachis. Quant aux extrémités découpées en arc, elles entouraient de
trois côtés les vertèbres qui en bas et en haut limitaient immédiate-
ment la dure-mère mise à nu. Ensuite avec de la cire fondue on com-
blait toutes les fentes qui restaient entre les bords de la rigole et ceux
du rachis. La cire une fois durcie, on la couvrait comme tous les tissus
zig NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
qui se trouvaient autour d'une couche épaisse de collodion. On obte-
nait ainsi une cavité hermétiquement close qui, par la dure-mère,
était séparée en deux compartiments; le compartiment antérieur
était limité en avant et de chaque côté par les vertèbres, le postérieur
en arrière et des deux côtés par la rigole. Le premier contenait la
moelle épinière, ses enveloppes, le liquide céphalo-rachidien, le second
rien que de l'air. Rappelons ici qu'avant d'appliquer la rigole on la
perçait d'un trou qui était exactement fermé par un bouchon en
caoutchouc traversé par une canule en verre ou en métal qui établis-
sait une communication entre la cavité de la rigole et un manomètre
à eau dont la grande section avait un demi-centimètre de diamètre.
Tous ces préparatifs terminés, on procédait à la suspension. On
supposait que si, pendant la suspension, la cavité rachidienne, en
s'allongeant aspirait la dure-mère, la cavité de la rigole devrait
acquérir une capacité plus grande et l'air qui y était contenu se
trouverait raréfié. Si, au contraire, la cavité rachidienne n'augmen-
tait pas de capacité, la dure-mère ne changeant pas de place, la cavité
de la rigole resterait la même, comme aussi la densité de l'air. Dans
le premier cas la hauteur de la colonne d'eau du manomètre devait
baisser par suite de la raréfaction de l'air dans la cavité de la rigole ;
dans le second cas, cette hauteur devait rester la même avant et après
la suspension.
Nos prévisions se sont réalisées. Pendant la suspension, la colonne
d'eau du manomètre tombait de 1 1/2 à 3 centimètres, et quand le
cadavre était ramené dans sa position horizontale le contenu liquide
du manomètre revenait à son niveau primitif. Après avoir répété la
même expérience sur quatre cadavres, opérant deux fois dans la région
des vertèbres cervicales et deux fois dans celle des vertèbres dorsales
supérieures', et ayant obtenu les mêmes résultats, je me suis posé la
question suivante : est-il possible que pendant la suspension la raré-
faction ait pu se produire sous l'influence de causes autres que le
changement de place de la dure-mère ? En effet, pour fermer hermé-
tiquement la cavité, nous nous sommes servi de cire fondue et de
collodion. 11 se pouvait que tout ne fût pas bien bouché, que les
fentes entre les parois de la rigole et celles du rachis ne fussent fer-
mées qu'à la surface, et alors il pouvait se produire entre les bords
de la rigole et les tissus environnants une quantité de petites cavités.
Pendant la suspension ces cavités devaient se distendre et enlever
1. Sur le cinquième cadavre l'expérience n'a pas réussi : avant et pendant la suspension
la colonne d'eau du manomètre restait la mono. Je ne suis pas arrivé à découvrir la cause
do cet insuccès.
TRAITEMENT DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. 477
une certaine quantité d'air de la rigole, amenant de la sorte un abais-
sement du niveau d'eau du manomètre.
Pour écarter ces doutes, j'ai fait sur le cadavre une trépanation du
crâne et, ayant mis à nu la dure-mère, j'ai introduit dans l'orifice
osseux ainsi obtenu un tube en bois de largeur correspondante.
L'extrémité supérieure de ce tube était fermée par un bouchon de
caoutchouc laissant passer une canule en verre qui, par l'intermédiaire
d'un tube en caoutchouc, était mise en communication avec le mano-
mètre.
L'espace entre le tube et le rebord osseux était comblé de stéarine
et couvert de collodion. De cette façon, comme dans les expériences
précédentes on obtenait deux espaces séparés : le premier était repré-
senté par les cavités intra-craniennes et rachidiennes; l'autre était
limité par la dure-mère en avant, les parois du tube en bois et par
le bouchon qui le fermait en arrière. Le premier espace contenait
l'axe cérébro-spinal avec ses enveloppes et le liquide céphalo-rachi-
dien, dans le second il n'y avait que de l'air. Le déplacement dans
l'un ou l'autre sens devait faire varier la capacité de l'espace limité
par le tube en bois, et ce changement de capacité devait agir à son tour
sur la densité de l'air qui y était contenu et sur le niveau du contenu
liquide du manomètre.
Dans ces conditions, les résultats de l'expérience concordaient par-
faitement avec ceux obtenus précédemment, c'est-à-dire que l'aspiration
de la dure-mère au moment de la suspension augmentait la capacité
de l'espace limité par le tube en bois et diminuait la densité de l'air
qui s'y trouvait, ce qui amenait un abaissement du niveau du liquide
du manomètre. De cette façon, le fait de l'allongement du rachis et la
formation de l'espace vide, conséquence immédiate de cet allonge-
ment, était parfaitement établi. Il s'agissait de savoir si on pouvait
appliquer à l'organisme vivant les résultats obtenus par l'expérimen-
tation sur le cadavre. Voici ce que j'ai fait pour résoudre ce problème.
Après avoir endormi profondément par le chloroforme (ce qui
s'obtient très facilement après une injection sous-cutanée de mor-
phine) un chien de petite taille, je lui avais trépané le crâne, puis
introduit, comme sur le cadavre, un tube en bois communiquant avec un
manomètre', et je faisais la suspension du chien. A cet effet, on plaçait
le chien sur une planche, on attachait solidement les pattes de devant
avec une corde dont les bouts étaient fixés a la planche. Quand on
faisait prendre à l'animal ainsi immobilisé la position verticale, le
1. Il ne faut introduire le tube que l'hémorrhagie une fois arrêtée, autrement les caillots
bouchent le tube et l'expérience ne réussit pas.
478 ' * NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
niveau du liquide dans le manomètre baissait de 1/2 à 1 centimètre.
Quand le chien restait suspendu de 3 à 5 minutes, le niveau du mano-
mètre baissait encore de à 5 millimètres. Quand on faisait revenir
la planche avec l'animal dans un plan horizontal, la colonne d'eau du
manomètre remontait à son niveau primitif. Il était démontré ainsi
que la suspension a la même action sur l'organisme vivant que sur le
cadavre, c'est-à-dire, dans les deux cas, que, grâce à la pression néga-
tive dans la cavité du rachis, il se produit une aspiration de la dure-
mère mise à nu et privée de son enveloppe osseuse. Chez l'animal non
trépané l'aspiration de la dure-mère qui adhère à la paroi osseuse ne
peut avoir lieu, et la pression négative qui se produit pendant la sus-
pension doit agir comme une ventouse sèche appliquée immédiate-
ment sur la surface du cerveau et de ses enveloppes, ou, autrement, elle
doit produire une dilatation et une richesse sanguine plus grandes des
vaisseaux du cerveau et de ses enveloppes. La même chose devrait se
produire chez l'animal vivant si on pouvait éviter l'aspiration de la
dure-mère ; mais la pression négative qui apparaît pendant la suspen-
sion agit sur la dure-mère beaucoup plus parce que la résistance qu'elle
offre à la pression atmosphérique est plus faible que celle des parois
vasculaires à la pression sanguine; si on intervertissait ces rapports de
pression et de résistance, la pression négative s'exercerait plus facile-
ment sur les parois vasculaires que sur la dure-mère.
Pour en arriver là il s'agissait tout simplement de diminuer la
pression atmosphérique dans l'espace limité par la dure-mère dénudée
et les parois de la gouttière. Mais comme j'avais besoin de diminuer la
pression atmosphérique tout en continuant à faire mes observations
manométriques au même endroit, j'étais obligé de transformer le
manomètre en un appareil satisfaisant aux deux exigences. A cet effet,
je bouchai avec mon doigt le bout libre du manomètre, l'autre bout se
trouvant en communication avec la cavité crânienne, ce qui empêchait
l'entrée de l'air; dans ces conditions, le plus faible déplacement de la
dure-mère vers la cavité crânienne devait amener une raréfaction de
l'air dans le manomètre et par cela même diminuer la pression atmo-
sphérique dans l'espace limité par la dure-mère dénudée. Dans la posi-
tion verticale du chien, et l'air ayant libre accès dans le manomètre, le
niveau de la colonne liquide baissait par la suspension de 3/4 à 1 cen-
timètre sous l'influence de la pression négative et de l'aspiration de la
dure-mère. Mais si, le chien étant toujours dans la position verticale, on
bouchait le manomètre, le niveau d'eau restait sensiblement le même,
d'où il faut conclure que la pression négative n'exerçait pas son action
sur la dure-mère, et alors elle devait agir sur les vaisseaux et amener
TRAITEMENT DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. 479
leur dilatation. Mais comme cette dilatationétaitproduitedansdes con-
ditions artificielles, elle devait cesser, ces conditions une fois disparues.
En effet, quand on débouchait le manomètre et que la dure-mère subis-
sait de nouveau la pression atmosphérique qui venait de recouvrer sa
forme primitive, les parois des vaisseaux se rapprochaient brusquement,
ainsi que le témoignait l'abaissement instantané du niveau d'eau dans
le manomètre.
La grande rapidité avec laquelle diminuait la lumière des vaisseaux
montrait que la dilatation n'intéressait, en grande partie au moins, que
les vaisseaux des méninges. S'il en était autrement, si la dilatation avait
lieu pour les vaisseaux des parties profondes, elle serait accompagnée
d'une dilatation et d'une distension de la substance cérébrale, et, dans
ces conditions, la diminution de la lumière des vaisseaux se serait
effectuée non pas instantanément mais au bout d'un certain temps seu-
lement. Cependant le retrait brusque des parois vasculaires ne s'obser-
vait que quand l'ouverture du manomètre était débouchée immédiate-
ment après avoir mis le chien dans la position verticale; il suffisait de
laisser le chien suspendu pendant trois ou cinq minutes, et on voyait
que le niveau d'eau dans le manomètre ne baissait pas, même après le
rétablissement complet de la pression atmosphérique.
Dans l'espace de ces trois à cinq minutes il se produisait donc un
phénomène nouveau decause inconnue qui empêchaitle r etraitdesparois
des vaisseaux. A priori, on devait attribuer ce phénomène à un gonfle-
ment du tissu cérébral produit par une cause quelconque; sans m'y
arrêter maintenant, je dirai seulement que l'influence de cette cause
n'était que temporaire. II suffisait de remettre le chien dans la position
horizontale pour dix ou vingt minutes et tout rentrait dans l'ordre :
l'hyperhémiedisparaissait etpendantla suspension l'aspiration agissait
de nouveau sur la dure-mère. Il va sans dire que la dilatation et le regor-
gement du vaisseau ne pouvaient passer du domaine de l'hypothèse dans
celui des faits positifs qu'après examen microscopique. 11 fallait par con-
séquent examiner le cerveau de l'animal sacrifié après la suspension.
Un examen de ce genre a déjà été fait avant moi par M. G. Lom-
broso (54). Il a communiqué les résultats auxquels il est arrivé à la
Société médicale de Rome dans sa séance du 18 octobre 1889. Les
lapins^sur lesquels il opérait étaient séparés en deux catégories; ceux
- de la première étaient suspendus d'une façon ordinaire, aux seconds
on attachait encore des poids.
Les premiers ne mouraient pas, et qnand on les sacrifiait on ne trou-
vait rien d'anormal dans le système nerveux. Quant il ceux qui avaient
des poids attachés, ils mouraient généralement après la dixième séance.
480 NOUVELLE CON 0 G n A P Il 1 EDE LA SALPÊTRIÈRE.
L'ouverture du corps faisait constater une hyperhémie généralisée
du système nerveux et des hémorrhagies dans les substances grise et
blanche de la moelle épinière. Cependant les observations de Lombroso
ne me paraissent pas démonstratives. En effet en suspendant les lapins
et leur donnant ainsi une position qui ne leur est pas habituelle,, il les
mettait dans des conditions anormales au point de vue de la circula-
tion, conditions qui pouvaient à elles seules produire les effets qu'on
mettait sur le compte de la suspension. Pour la netteté des observations
il fallait remplacer la suspension par une extension de l'animal mis
dans la position horizontale. C'est ce que j'ai fait. A cet effet, le tronc
d'un chien était entouré en arrière et en avant par deux courroies cir-
culaires dont la première passait immédiatement en avant des racines
des membres postérieurs, et la seconde en arrière des membres anté-
rieurs. Au milieu des moitiés supérieures de chacune de ces courroies
était attachée une lanière dirigée longitudinalement. Le bout libre de
celle qui était en arrière était cloué à une traverse en bois, l'autre
glissait sur une traverse placée à la même distance du sol que la pre-
mière et avait des poids attachés à son bout libre. Ces poids représen-
taient trois fois lepoids du corps de l'animal, qui restait ainsi suspendu
horizontalement dans l'air. Le meilleur moyen pour obtenir les tira-
verses nécessaires à cette expérience, c'est de mettre debout une table
à quatre pieds; les deux inférieurs reposent par terre et les deux autres
servent pour l'expérience. Les poids peuvent être remplacés par un
seau rempli de colle ou de charbon. La durée de l'extension était de
vingt minutes. J'ai eu recours à une extension aussi prolongée et aussi
considérable pour avoir des effets bien nets et arriver dans mes études
microscopiques à des résultats indiscutables. On tuait l'animal, pendant
qu'il était suspendu, par un coup de marteau sur la tête ; la mort était
instantanée; quand les battements du coeur cessaient on enlevait la
moelle et on la plongeait toute entière dans la liqueur de Mùller. Au
bout de deux jours on la coupait en plusieurs tronçons pour hâter le
durcissement. Au bout de cinq semaines on la lavait soigneusement
dans de l'eau et on la plaçait pour vingt-quatre heures dans de l'alcool,
ensuite pour vingt-quatre heures dans de l'essence de bergamote et
pour vingt-quatre heures encore dans un mélange de ce dernierproduit
et de la paraffine; on faisait des coupes qui étaient colorées avec de
l'hématoxyline, de la safranine, du bleu de méthylène et on les exami-
nait au microscope au laboratoire d'anatomie pathologique de l'hôpital
municipal d'Odessa. Le Dr Khentzinsky a bien voulu me prêter dans
cette circonstance son aimableconcours ; qu'il veuille accepter tous mes
remerciements.
i
r
/
TRAITEMENT DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. 481
De ces recherches microscopiques nous avons acquis la certitude :
1° qu'il y a dilatation des vaisseaux et surtout des capillaires et 2° qu'il
se produit des hémorrhagies multiples.
Il estintéressantde constater que la dilatation vasculaire etles hémor-
ragies se retrouvent surtout dans la substance grise et qu'elles se ren-
contrent moins souvent dans la substance blanche et dans les méninges.
Dans la substance grise on voyait des foyers hémorrhagiques autour du Lui
canal central, dans le canal lui-même, dans les commissures grises
antérieure et postérieure et entre les cellules ganglionnaires des cornes
antérieures et postérieures.
Les foyers hémorrhagiques étaient disséminés tout le long de la
moelle épinière, et nous n'avons pas trouvé une seule coupe sur
laquelle ils aient fait défaut.
Les résultats de l'examen microscopique ont confirmé l'hypothèse
que nous avons formulée et d'après laquelle la suspension produit de
l'hyperhémie. S'il n'existait pas de doute que cette hyperhémie doit être
mise sur le compte de la pression négative qui se produit pendant la
suspension, il n'en était pas moins possible d'admettre l'existence
d'autres causes non moins importantes concourant à la prodution de
l'hyperhémie.
Il n'était pas difficile d'élucider cette question. Si, en dehors de la
pression négative, il existe d'autres causes d'hyperhémie, nous devrons
l'obtenir en faisant l'extension même dans des conditions qui empêchent
la pression négative de se produire, sinon cette hyperhémie n'aura pas
lieu. Il était très facile d'éviter la pression négative : il suffisait avant
l'extension de trépaner l'animal et donner de la sorte à l'air libre accès
dans la cavité crânienne. (Pendant la trépanation, qui avait été faite
sans que l'animal fût endormi, le chien a eu une syncope de quelques
secondes.)
La dure-mère a été incisée et la substance cérébrale était à nu. Les
autres détails de l'expérience ne différaient en rien de ceux que nous
avons décrits plus haut.
L'examen du cerveau de ce chien montrait une dilatation considé-
rable des vaisseaux avec hyperhémie et de nombreuses hémorrhagies.
Cependant on ne trouvait des foyers hémorrhagiques que presque exclu-
sivement dans la substance grise; dans la substance blanc ! t ils ne se
rencontraient que très rarement, beaucoup plus rarement que chez le
chien qui n'a pas subi de trépanation.
ALEXANDRA ]3oGROFF,
1 .Médecin de 1.\ tlÎ\iioll p ? l'IlÍ.I(l'iIIIlC
du l'hôpital IIltillicipô1l d'Odessa.
(A suivre.) .
NOUVEAUX DOCUMENTS SATIRIQUES SUR MESMER
Grâce à la libéralité de M. le professeur Charcot, dui bien voulu
nous ouvrir encore une fois les trésors de sa collection particulière,
nous pouvons ajouter à ceux que nous avons déjà publiés de nouveaux
documents satiriques sur Mesmer i. ,
Désireux d'éviter des redites, nous nous bornerons à la simple inter-
prétation des gravures que nous publions aujourd'hui et dont quelques
unes sont de la plus grande rareté.
La planche XLIV représente « le Bacquet de M. Mesmer ». Elle daté
de la fin de 17811l, époque à laquelle la Société de l'Harmonie fut au
complet. Elle était destinée très probablement à être répandue à un
grand nombre d'exemplaires dans le public afin d'attirer le plus de
monde possible à l'hôtel'Bullion. Son texte explicatif est émaillé de
nombreuses fautes d'orthographe, ce qui pourrait bien tenir à ce qu'il
fut rédigé par Mesmer lui-même, qui était d'origine étrangère et très
peu versé dans la langue française. Peut-être éuanc-t-il d'Antoine, le
valet magnétiseur qu'on voit en bonne place sur la gravure.
A gauche, Mesmer armé de sa'baguette magnétique : « La bienfai-
sance respire dans son air et dans tous ses discours, il est sérieux,
parle peu : sa tête en tout temps paraît chargée de grandes pensées. »
A droite, Antoine le valet magnétiseur, qui s'empresse autour d'une
malade en proie à une crise d'hystérie convulsive, résultat ordinaire
des pratiques mesmériennes. Peut-être son geste indiquc-t-il qu'il va'
pratiquer la compression ovarienne, opération déjà en usage il celle
époque, mais appliquée sans règle et parfois pour provoquer les crises
comme le montre une gravure que nous avons déjà publiée.
Au fond et à gauche les musiciens qui aident au fluide par leurs
accords harmonieux. ) '
Au fond et à droite le baquet des pauvres, gratuit pour les indigents
et qui n'a lieu que tous les deux jours. 1
1. Nouvelle Iconographie, t. II, 1889, pp. 59 et 103. I
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. r IV PI. XLIV
Phototype HG.GATIF A. LONDE PH010CULLOGRAPHIF arom FN'kLS
COLLECTION J.-M. CHARCOT
NOUVELLE ICONOGRAPHIE ne LA S . , O&T » 1 1 u R T. IV PL. XLIX IL
PHOTOTYPE NEGATIF A. LONDE
PHo'ruTVPE NÉGATIF' A. LON DE PH010COLLOl.R ? Hlh AFcON FHEklN
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T. IV PL XLVIII
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Nouvelle Iconographie XIV : .A SAW "È"1HIFIH : , T. IV Pu. XLVII
P ? fHOTYP¡" Nhf.ATlt A. LONDE Au.. FHffl
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1.1l..I ? l 01 : . nw ALP¡¡;nH¡¡UI : ? - z - T. IV Pu. XLV
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Phototype NETIF A. LONDE PH ! lnC(lLLo(ÕRAPHII- AHON FRFRFt>
Collection J.-M. CHARCOT
V" BASF, Éditeur
NOUVEAUX DOCUMENTS SATIRIQUES SUR MESMER..183
La planche XLV représente le baquet magique, mais sous une forme
satirique. On peut juger d'après l'attitude des divers personnages des
effets du traitement : vomissements, crises convulsives, prostration qui
suit les attaques d'hystérie. Au fond trois femmes enlacées, dans la
phase « d'attraction passionnelle » qui précédait parfois ou suivait les
crises. - ' ' '
A droite Mesmer, coiffé d'un bonnet d'âne, emporte dans la chambre
des crises un malade que' s'apprête à recevoir son valet magnétiseur.
En haut les signes du Zodiaque couverts de nuages, allusion à la
théorie planétaire et confuse de Mesmer.
A gauche Deslon ou Bergassc, soutenant la tête d'un magnétisé en
proie à des vomissements. Sur le même plan, un sceptique personnage
semble s'écrier mélancoliquement : « Et dire que tous ces gens-la
viennent ici .pour se guérir ! » ? ,
La planché XLVI représente Mesmer sous forme d'un baudet provo-
quant une crise d'hystérie chez « une jeune beauté » bien portante avant
son intervention. En haut et à gauche le Dr Deslon. En haut et à droite
un des abbés adeptes de Mesmer, brûlant d'égaler les Hauts faits du
P. IIcrvier qui, le 6 avril 1784; en pleine basilique de Saint-André de
Bordeaux descendit de sa chaire pour magnétiser une jeune fille que
sa lerriblepcinture deladamnation n'avaitpas peu contribuée jeter dans
une crise d'hystérie convulsive. '
La planche XLVlf, fort rare, est le premier état de la planche XLYI.
La planche LV111 se passe de commentaires. ,
La planche XLIX est fort intéressante. On y voit. Mesmer se livrant à
des passes magnétiques sur. la moralité ou mieux 'l'immoralité des-
quelles le Rapport secret de la' commission royale choisie parmi les
membres de l'Académie des sciences et de la Faculté de médecine va
bientôt s'expliquer. ,
A droite Mesmer et Antoine, « le valet magnétiseur ».
Au-dessous « les phénomènes du mesmérisme .». Ceux-ci sont aussi
désastreux pour la bourse que pour la santé. On voit les membres de la
Société de l'Harmonie apportant chacun à Mesmer, en échange de pré-
tendus secrets qu'il fut toujours impuissant à leur divulguer, et pour
cause, la somme de 100;louis, prix de leur initiation.. llesmer recueil-
lit ainsi de ce seul fait la somme considérable de ` ? c0,000 livres qu'il
emporta fort arrondie en z1785 lorsque, honni et vilipendé, il fut forcé
de' quitter la France.
Mais, nous l'avons dit, le mesmérisme n'étaitpas dangereux que pour
la bourse. Il produisait de violentes crises, ainsi que le montre le
cartouche des « malades au baquet ».
484 NOUVELLE ICONOGRAl'lllE DE LA SALPÊTRIÈRE.
De plus, nous voyons dans le bas de la gravure une rangée de tom-
beaux « parlants ». Au milieu, celui de Court de Gébelin, l'auteur du
Monde primitif, vieux savant que Mesmer s'était vanté d'avoir guéri
d'une « hydropisie des jambes ». Le malheur fut que Court de Gébelin
mourut quelque temps après avoir annoncé sa guérison, urbi et orbi,
chez Mesmer lui-même, qui l'avait pris comme pensionnaire. Un
journal fit part de son décès en ces termes : « M. Court de Gébelin
vient de mourir guéri par le magnétisme animal. » Un anonyme
composa l'épitaphe suivante, dans le goût de l'époque :
Ci-gît ce pauvre Gébelin
Qui savait grec, hébreu, latin.
Admirez tous son héroïsme,
Il fut martyr du magnétisme.
Gébelin avait succombé il une suppuration rénale, ainsi que le
démontra l'autopsie.
A gauche du tombeau de Court de Gébelin, celui de la marquise de
Fleury, une des premières et des plus ferventes adeptes du magné-
tisme. Elle mourut également chez Mesmer des suites d'une paralysie
compliquée de cécité.
A droite, le tombeau de Mme Le Blanc, femme d'un huissier-priscur.
Atteinte d'un carcinome utérin, elle mourut, elle aussi, comme Court
de Gébelin, comme la marquise de Fleury, après avoir annoncé qu'elle
avait été complètement guérie par le mesmérisme.
Nous n'en dirons pas davantage, car aux noms de M. Léchevin, de
M. Bourgade, il faudrait ajouter ceux de M. Cochin, de Mme Nauroy, de
Mino Monginot, dont on mit le trépas sur le compte du traitement par
le magnétisme.
Nous ne serons pas aussi sévère pour Mesmer, à l'actif duquel il
est assez de crises hystériques et d'opérations financières qui frisent
l'escroquerie. La question seule se poserait de savoir s'il croyait son
fluide capable de guérir un cancer de l'utérus ou une paralysie orga-
nique ? Peu lui importait certainement, pourvu qu'il en tirât des béné-
fices, et nous savons que ceux-ci furent considérables.
(A suivre.) GILLES DE LA I'oURETI'E.
Le gérant : L. BATTAILIÆ,
4367. - Imprimeries réunies, B, rue Mignon, 2. - 111AY et llu rrstiot, directeurs.
TABLE DES MATIÈRES
Aliénés (De l'examen morphologique chez
les - et les idiots), par Séglas, 20G.
Durgkmair (II.) (Quatre gravures de), par
.l. M. Charcot et P. Richer, 407.
Craniectomie (De la - chez les microcé-
phales et les enfants arriérés), par Laine-
longue, 89.
Ecrouelles (Les rois de Franco et les-), par
Franklin, 161; sur un buste d'évêque
guérissant les -, par Gilles de la Tou-
rette, lui7.
Contracture (Diathèse de -), par P. Richer,
331,L.
Epileptique (Note sur une anomalie muscu-
laire chez un-), par Féré, 456.
Épileptiques (Note sur l'asphyxie locale des
extrémités chez les -), ), par Féré, 354.
Céromorphisme cutané, par Souques et
.(.-B. Charcot, 169.
Hémiplégie alterne(Un cas d ? compliquée
de strabisme interne et de glossoplégie),
par Souques, 358.
Hypnotisme (De l'influence des excitations
sensitives et sensorielles dans les phases
cataleptique et somnambulique du grand
- ), par G. Guinon et S. \Yoltke, 77.
Hystérique (Contracture volontaire chez un
- ), 17;rSollier et lIalapert, 100; contribu-
tion à l'étude de l'oedème hieu,parl ! oix,
G5.
Hystériques (Contribution à l'élude clinique
des tremblements -), ), par Dutil, 107, 179.
(Contribution à l'étude des syndromes -, -,
simulateurs des maladies de la moelle
épinière), par Souques, 1, 130, 300, 36G,
409.
Idiotie, voy. Rhumatisme.
Idiots, voy. Aliénés.
Lépreux (Deux dessins de -, d'llans Burgk-
mair), par J.-M. Clarcot, ct P. Richer, 327.
Mesmer (Nouveaux documents satiriques
sur -), par Gilles de la Tourelle, 4.82,
Nuque (Morphologie de la -- chez le nou-
veau-né), par Chipault et Dalciue, 362.
Ophthalmoplégie externe (De l'- combinée à
la paralysie labio-glosso-laryngée et à
l'atrophie musculaire progressive), par
G. Guinon et Parmontier, 53, 151, 219.
Pestiférés (Les de Jaffa), par Charcot et
P. Richer, 246. ,
Rétractions (Traitement chirurgical des
musculaires), par 'l'errillon, 249.
Rhumatisme chronique (Un cas de avec
idiotie), par Diamantberger, 271.
Syringomyélie (Un cas de type Morvan,
par Souques, 255.
Thorax en entonnoir (D'une malformation
spéciale de la poitrine -), par Ramadier
et Sérieux, 329.
Traitement des maladies du système ner-
veux (Considérations sur le -), par la mr-
thode de Motschoutkovsky, 464.
TABLE DES AUTEURS
nogrolf, 61.
noix, 65.
Charcot (.1.-B.), 1G9.
Charcot (J.-M.), 246, 327, 4lli.
Chipault, 362.
Daleine, 362.
Dutil, 107. ,
Diamantberger, 21 ! .
Féré, 351, 156.
Franklin, 161. t.
Gilles de la Tourette, 167, 482.
Guinon ((,.), 53, 77, 151, 261.
Lannelongtic, 89.
llalapert, J00.
l'armenticr, 58, 151, 219, : J6-i.
Ramadier, 329.
Richer (P.), 216, 327, 344, 407.
Séglas, 206, 274.
Sérieux, 329.
Sollier, 100.
Souques, I, 130, 10J, 2a.ï, 300, a58, 366, 109.
Terrillon, 24 ?
Woltke, 77.
TABLE DES PLANCHES
nurgkmair. Il. (Qnalre gravures (le ),
38, 39.
Ecrouelles (Buste d'évêque guérissant les
- ), 1G, 17; Henri IV touchant les -, 13,
Epileptique (Asphyxie disséminée chez un
- ), 3G.
Géromorphisme cutané, 21, 22, `33, h..
Hémiplégie alterne avec strabisme interne
bilatéral, 37.
Hystérique (Amyotrophie -), -10, 41; con-
tractnrc-, 14 (p. 324); contracture volon-
taire chez un -, 10, 11, 12, 13; hémis-
pasme facial -, 42; pseudo-hypertrophie
chez une -.
Lépreux (Dessins de -), par Hans Burgk-
' mair, 31, 3,
Malformation de l'index, 35.
Malformations crâniennes chez les aliénés
et les idiots, 18, 19, 20 (p. 216).
Mesmer (Documents satiriques sur -), 45,
45, 4G, 47, 48, 49.
Ophtalmopléyie externe. Voy. : Polioencé-
phalomyélite.
Pestiférés (Les de Jaffa), 25, 26.
Polioencéphalomyélite avec atrophie mus-
culaire 3, 5 ; avec ophtalmoplégie externe,
faciès d'IIudchinson, 1, 2,4.
Rhumatisme noueux infantile , nodosités
d'Heberden, idiotie, 25 (p. 271).
Suggestions par les sens dans la période ca-
taleptique du grand hypnotisme, 6, 7, S, 9. 9.
Syringomyélie (Troubles trophiques dans
'la), 29,30.
Thorax en entonnoir, 33, 34.
Errata. Les planches 27 et 28 n'existent pas;
deux planches portent le n°25; les planches
qui ne sont pas situées à leur rang de nu-
mérotage portent l'indication de la page.
TABLE DES FIGURES
Champ visuel chromatique normal, 12.
Craniectomie (Opérations variées de -), 11,
12. 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21.
Dentaires (Anomalies multiples), 61, 02-
Epileptique (Anomalie musculaire chez un-), ),
18, 79; champ v isucl chez un -, 77.
Hystérie (Schémas de sensibilité dans l' ),
6, 7, 29, 30, 31, 3, 70, 71 ; rétrécissement
du champ visuel dans l' -, 8, 69, 76.
Hystérique (Fièvre prolongée ! , 6 8; oedèmc
bleu-, 9.
Hystériques (Tracés de tremblcments-), 1, 1,
5, 26, 27, 28; écriture dans le tremblement
- .2,3,4.
Mensurations cranin-faciales, 19, 50, 56, 57,
58.
Microcéphale (Cerveau de -), ), 10.
Moelle épinière (Distribution de l'anesthésie
dans une plaie de la -), 46.
Musculaires (Schémas do secousses -), G3,
61,65.
Myélite transverse (Distribution de l'anesthé-
sie dans un cas de -), 17, 48.
Nuque (Morphologie de la - chez le non-
veau-nu),-6G, 67.
Oreille (Déformations multiples de l' -), GO;
schéma du pavillon de l ? 50.
Queue de cheval (Distribution de l'anesthésie
dans diverses lésions des nerfs de la-), 3,1,
34, 35, 3G, 37, 38, 39, -i0, il, 42, 13, 4-1, 45.
Rétractions musculaires. 51.
Respiratoires (Tracés -),°1 ? 23, 24, 25.
Syringomyélie (Champ visuel dans la-), 73,
zut, 75; type Morvan, 52, 53, 51, 55.