REVUE
de
L'HYPNOTISME
et de la
PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
REVUE
de
LE NUMÉRO : 60 CENT.
Rédaction et Administration : 4. rue Castellane, Paris (8e). (Téléphone : 224-01) 1904
L'HYPNOTISME
et de la
PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
Paraissant tous les mois
PSYCHOLOGIE — PEDAGOGIE — MÉDECINE LEGATE MALADIES MENTALES ET NERVEUSES }
Rédacteur en chef: Docteur Edgar BÉRILLON ^fztn/a&S
collaborateurs fondateurs
CHARCOT; DUMONTPALLIER ; LUYS; MESNET ; Aug. VOISIN; ????; DELBŒUF (de Liège); HACKTUKE (de Londres); ClEBEAULT (de Nancy); SEMAL (de Mon?); TOKARSKI, (de Moscou).
principaux collaborateurs
MM. les D*" BERNHEIM, ?' à la Faculté de Nancy ; BABINSKI, méd. de la Pitié; BREMAUD (de Brest); BRIAND, méd. de l'Asile de Villejuif; CRUISE (de Dublin); L. DAUR1AC, prof, à la Faculté des lettres de Montpellier; GUI M BE AU ; W. DEKHTEREFF (de St-Pétersbourg) ; Van EEDEN (d'Amsterdam); GRASSET, prof, à la Faculté de Montpellier: A. de JONG (La Haye); " BlNET-SANGLE;O.JENNINGS,P.JOIRE,(deLillo);JAGUARIBE(San-Paulo); LACASSAGNE, prof, à la Faculté de Lyon; LADAME (de Genève); LEGRA1N, méd. de l'Asile de Vaucluse; Henry LEMESLE ; LLOYD-TUCKEY (deLondies); MANOUVRIER; prof, à l'Ecole d'Anthropologie; MASOIN, prof, à l'Université de Louvain;MiLSE BR AM WELL (de Londres); MA BILLE, méd. de l'Asile de Lafond ; Paul MAGNIN, prof, à l'Ecole de psychologie; MORSELL1 (deGènes); DE PACKIEWICZ (de Riga); ORLITZKY (de Moscou); PITRES, prof.â la Faculté de Bordeaux ; RAFFEGEAU (du Vesinet); Félix REGNAULT; Charles RICHET, prof, à la Faculté de Paris; Van RENTERGHEM, (d'Amsterdam) ; Von SCHRENK-NOTZING (de Munich); SPERLING (de Berlin); J. VOISIN.méd. de la Salpétrière; STEMBO(deVilna); VLAViANOS(d'Athènes); WETTERSTRAND (deStockholm); LIÉGEOIS, prof, à l'Univ. de Nancy; BOIRAC, recteur de G Univ. de Dijon; Pierre JANET, agrégé de l'Université ; Max DESSOIK (de Berlin) ; TARDE ; 8TUMPP, prof. àl'Univ. de Berlin ; Ch. JULLIOT; Max NORDAU ; A. DE ROCHAS. Secrétaire de la Rédaction : Dr Paul PAREZ.
18e Année. —N° 1.
Juillet 1903.
La Société d'hypnologie et de psychologie
Depuis sa fondation, la Société d'hypnologie et de psychologie clôture ses travaux, chaque année, par une séance annuelle. Le but que se propose le bureau est de créer des liens de sympathie et une communauté de sentiments entre tous les membres de la Société. Cette année, un grand nombre de membres résidant à l'étranger et en province avaient répondu à l'appel du bureau et s'étaient joints à leurs collègues de Paris. Leur présence et leurs intéressantes communications ont donné à la séance annuelle un éclat particulier.
Au moment où la Revue de l'Hypnotisme, organe officiel de la Société, entre dans la dix-huitième année de son existence, la constatation du succès de nos études nous est agréable à exprimer.
Nos lecteurs se rappellent que ce fut à la dernière séance du premier congrès international tenu à Paris, en 1889, que la création de la Société fut décidée. La proposition, accueillie avec enthousiasme, réunit de nombreuses adhésions et lorsque la Société s'ouvrit, sous la présidence du regretté Dumontpallier, elle comptait soixante membres. Depuis, beaucoup d'adhérents de la première heure sont morts et l'on pouvait craindre que le zèle des fondateurs ne fût point continué par les nouveaux adhérents. Il n'en a rien été et, sous la direction d'un maître eminent, M. le Dr Jules Voisin, la Société a acquis un degré de prospérité que l'on n'eût pas osé espérer au début. Elle compte actuellement plus de cent cinquante membres et se
compose de médecins, de magistrals, d'avocats, de professeurs de psychologie, de sociologues, de pédagogues à l'esprit pratique comme M. Baguer, membre de l'Institut départemental des Sourds-Muets de la Seine. Elle comprend aussi un groupe de médecins-vétérinaires qui poursuivent avec ardeur, sous l'impulsion de M. Guenon, vétérinaire major, et de M. Hachet-Souplet, directeur du laboratoire de psychologie du Muséum, d'intéressantes études de psychologie comparée. Un grand nombre de nos collègues résident en province et à l'étranger et nous en comptons dans tous les pays du monde. Leur éloigne-ment ne diminue pas leur dévouement à la Société. Au contraire, la séance annuelle leur est une occasion d'exprimer les sentiments de solidarité scientifique qui les unissent àleurs collègues de Paris. Leurs télégrammes et les termes de leurs lettres d'excuses témoignent de l'intérêt avec lequel ils suivent les travaux de la Société. Parmi ceux dont les encouragements méritent d'être signalés, nous devons citer, parmi les fondateurs, MM. les D" Van Velsen, de Bruxelles; LIoyd-Tuckey, de Londres; Arie de Jong, de La Haye; Van Renterghem, d'Amsterdam; et parmi les jeunes adhérents dont l'ardeur dépasse encore celle de leurs devanciers et font bien augurer de l'avenir, MM. les Jaguaribe, de Sao-Paulo; Stadelmann, de Vurtzbourg; Hœ-berlin, de Hambourg; Svoboda, de Vienne; Wijnaendts Franc-ken, de Rotterdam, et enfin Orlitzky, de Moscou, dont le dévouement n'a d'égale que la compétence psychologique.
Le projet soumis, en 1889, au Congrès de l'hypnotisme comportait la formation d'une association internationale d'hypnologie. Elle prévoyait la création de sociétés d'hypnologie s'organisant dans les grands centres universitaires. Beaucoup à cette époque ont considéré cette proposition comme une de ces utopies comme il en surgit dans les moments d'enthousiasme. La création de la Société d'hypnologie de Paris a été le premier fait qui est venu les détromper. Son succès croissant a dû convaincre les plus incrédules de l'importance du mouvement scientifique qui entraine les médecins vers les applications pratiques de l'hypnotisme et de la psychologie. Nous sommes heureux d'annoncer que l'Association internationale d'hypnologie vient de faire un grand pas par la création à Moscou d'une seconde Société d'hypnologie dont le siège sera à Moscou.
Comme le disait en termes éloquents M. le Dr Jules Voisin au deuxième congrès international de l'hypnotisme, en 1900 : * L'hypnotisme, qui est une science d'expérimentation, marche
fatalement en avant, mais son progrès est d'autant plus grand que notre contrôle seraplus sévère. N'acceptons comme exacts et acquis que les faits qui peuvent ê.tre contrôlés par tous les expérimentateurs et par ceux qui s'appuient sur les lois fondamentales de la médecine, de la physiologie et de la psychologie. Le contrôle de ces trois sciences est indispensable si nous voulons faire œuvre durable. C'est grâce à ce contrôle que l'hypnotisme parviendra à être un élément de premier ordre en thérapeutique et un moyen d'investigation des problèmes ardus de la responsabilité individuelle ».
Les paroles du président de la Société d'hypnologie de Paris indiquent nettement quelles sont les tendances rigoureusement scientifiques de la réunion qu'il dirige avec tant d'autorité. Elles expliquent pourquoi le progrès de la Société a été continu. Elles nous donnent la certitude que les études sur l'hyp -notisme, poursuivies avec méthode et inspirées par un déterminisme rigoureux, continueront à mériter l'estime du monde savant.
L'HYPNOTISME ET LA SUGGESTION (1)
(fin)
II
L'hypnose ou état de suggestibility
Par M. le Dr Grasset
professeur à l'Université de Montpellier
5. La famille de l'hypnotisme est constituée par tous les états dans lesquels il y a désagrégation suspolygonale plus ou moins complète.
Dans cette famille, nous trouvons d'abord des états physiologiques comme l'état de distraction et l'état de sommeil avec rêve.
« Les rêves, dit Macario ont une grande analogie avec les distractions, qui sont, pour ainsi dire, le rêve de l'état de veille. Les uns et les autres découlent d'une série d'idées qui naissent, surgissent d'une manière mécanique, sans que l'âme y prête une attention délibérée. »
Chez le sujet en distraction, on provoque des actes sur les-
(1) Voir les numéros de la Revue de l'Hypnotisme de mars, avril, mai et Juin 1903.
(2) Cit. de Janet. Accidents mentaux.
quels il n'exerce pas de contrôle : par des contacts légers, un mot glissé à l'oreille, on détourne un homme distrait (par une pensée ou une conversation) sur un chemin tout indifférent de celui qu'il veut suivre. On lui fait faire des actes qu'il accomplit sans les contrôler avec son centre 0.
De même dans le sommeil, on dirige un rêve par des sensations provoquées ; là encore, on provoque des actes sur lesquels le contrôle libre et volontaire du sujet ne s'exerce pas.
Toute la doctrine de l'École de Nancy est précisément basée sur ces analogies de la suggestion avec divers états physiologiques : nous en avons combattu la généralisation trop grande et la systématisation conduisant à regarder la suggestion comme un phénomène physiologique ; mais on ne peut pas contester l'existence des faits observés.
Grandes encore sont les analogies de la suggestion avec certains états extraphysiologiques, dont j'ai déjà parlé, le cum-berlandisme, les tables tournantes et la partie scientifique du spiritisme.
Dans tous ces cas, le polygone du sujet se laisse, dans une certaine limite, diriger par le centre 0 d'un autre. Dans la vie normale, les centres 0 des deux interlocuteurs communiquent l'un avec l'autre et le centre 0 du sujet contrôle toujours son polygone. Dans les cas dont nous parlons au contraire, 0 ne contrôle plus et 0 du voisin s'adresse directement au polygone du sujet qui obéit.
Enfin il y a des états nettement pathologiques dans lequels on observe également de la dissociation suspolygonale, l'émancipation du polygone par rapport à son centre 0 : tels l'hystérie, le somnambulisme, la catalepsie, l'automatisme ambulatoire...
Dans tous ces cas, comme dans la suggestion, il y a le caractère commun, familial, de la désagrégation suspolygonale, de l'émancipation polygonale.
Ce n'est pas à dire que tous ces états soient identiques et doivent être confondus. A côté de ce caractère commun qui appartient à l'entière famille, il y a des caractères spéciaux qui distinguent chaque espèce. Ces caractères, particuliers à l'espèce, se tirent de l'état du polygone et de son activité propre.
Ainsi dans aucun des états physiologiques dont je viens de parler, le polygone n'est complètement et absolument émancipé et indépendant de 0.
Dans la distraction, 0 ne fait pas attention à son polygone parce qu'il est occupé à autre chose; mais il est toujours là,
présent, et, à la moindre incartade du polygone, à chaque incident même léger, ? reprend la direction et ramène le polygone dans le droit chemin, volontaire et conscient. — Ce n'est pas la malléabilité absolue du polygone en hypnose.
Dans le sommeil, ? est également distrait de sa direction polygonale; il dort; mais la moindre des excitations un peu anormales ou intenses le réveillera et il reprendra le contrôle actif de son polygone. Aussi ne peut-on pas faire faire des choses bien compliquées à un dormeur ordinaire : on l'éveillerait avant de le faire obéir. On peut simplement diriger ses rêves, et encore par des excitations bien superficielles et dans des cas spéciaux-Dans les tables tournantes, ? n'agit pas directement par des mouvements volontaires et conscients; mais il influe puissamment sur l'activité polygonale en la concentrant dans un sens et un but donnés : il n'y a donc pas abdication complète de ? comme dans la suggestion.
Dans le cumberlandisme, le sujet conduit concentre toute l'attention de son centre ? en môme temps que toute son activité polygonale sur les excitations reçues et le sujet conducteur agit avec son polygone comme dans les tables tournantes; mais il doit aussi concentrer volontairement et consciemment sa pensée sur le but à atteindre : ? n'est donc pas réduit au repos et à l'impuissance.
Dans le spiritisme, comme dans l'hystérie et les autres états pathologiques (catalepsie, somnambulisme...) il y a très souvent état de suggestibilité : dans ces cas nous n'avons naturellement pas de caractères différentiels à rechercher. Mais dans ces divers états morbides il y a d'autres caractères distinctifs qui empêchent de les confondre avec la suggestibilité et la suggestion.
Dans le spiritisme, c'est une activité personnelle du polygone beaucoup plus grande : une fois désagrégé de son centre O, le polygone du médium fonctionne par son activité propreet n'est souvent pas malléable du tout.
Dans la catalepsie, le polygone est dans un état tout spécial d'inertie, qu'on ne peut pas confondre avec la malléabilité du polygone de l'hypnose.
Dans le somnambulisme (s'il n'y a pas suggestibilité en même temps) l'activité propre du polygone domine encore et non sa soumission à un centre ? extérieur.
Enfin dans l'hystérie non suggestible (ce qui existe) le sujet
a son polygone nettement et obstinément aiguillé dans un sens donné et il n'est pas facile de le faire dévier de sa direction morbide, à moins de le plonger dans l'hypnose.
On voit qu'il y a là des caractères assez spéciaux pour empêcher de confondre l'hypnose avec les autres états faisant partie de la même famille physiopathologique.
Cependant la confusion a été faite. Nous avons déjà vu l'École de Nancy confondant l'hypnose dans les phénomènes physiologiques et l'assimilant complètement au sommeil naturel (').
Adoptant ces idées, mon distingué collègue Vires (2) dit : « il existe donc un état du système nerveux qui ne se distingue nullement du sommeil naturel. Cet état, c'est l'hypnotisme... »
Et cependant Vires ajoute que l'hypnotisme, « c'est la réunion, la centralisation de tous les éléments sensitifs et intellectuels en le commandement d'un opérateur ». Mais on ne peut rien dire de pareil du sommeil naturel.
Si on élève un peu la voix pour donner un ordre à un homme en sommeil naturel, il s'éveillera au lieu d'obéir. Criez-lui même énergiquement : dormez ; il n'en fera rien et s'éveillera ; tandis que la même injonction autoritaire et bruyante à un hypnotisé accroîtra l'intensité de son hypnose.
Wundt a très bien mis la chose en lumière : « tandis que, dans le rêve, dit-il (3), les représentations sautent sans règle de ci de là, suivant la variation accidentelle des excitations sensorielles dominantes, lesquelles se changent en illusions et auxquelles se relient des associations, la conscience hypnotique n'est presque exclusivement accessible qu'aux excitations qui ont un caractère déterminé en corrélation avec la suggestion à provoquer. » Et il conclut nettement : ß II faut tout d'abord distinguer celle-ci (l'hypnose) du sommeil, conformément à la différence qui se manifeste entre la nature des suggestions hypnotiques et les représentations du rêve. »
Je crois avoir assez développé cette idée pour n'avoir pas besoin d'insister davantage: pour moi, l'hypnose ou état de suggestibilité n'est pas un phénomène physiologique et ne peut pas être identifié au sommeil naturel ; tout le monde dort et tout le monde ne peut pas être mis en hypnose.
De plus, nous verrons dans le chapitre suivant que, dans
fi) Voir: Liébeault. Le sommeil provoque et les étals analogues el B.- ·. m .". De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique.
(2) Vires. L'hypnotisme et les suggest, hypnot. Nouveau Montpellier médical., 1801, p. 25 du tirage à part.
(3}Wundt. Loc. cit., p. 93 et 91.
certains cas, la suggestion est possible à l'état de veille, c'est-à-dire que l'état de suggestibilité ou une certaine forme d'hypnose peut se développer sans aucun des caractères du sommeil naturel, le sujet présentant au contraire tous les signes de l'état de veille. Donc l'hypnose ne peut pas être confondue avec le sommeil naturel.
L'hypnose ne peut pas davantage être confondue avec l'hystérie, le somnambulisme, la catalepsie et en général avec les névroses connues et décrites.
« Les sujets hystériques sont seuls hypnotisables, dit Paul Magnin (1) exposant la doctrine de la Salpêtrière. Entre la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme hypnotique et les états de même nom appartenant à l'hystérie, il n'existe pour M. Gilles de la Tourette que cette différence, à savoir que les premiers états sont provoqués, les autres spontanés (2)... Une seconde raison réside pour le Pr Pitres (3), dans ce fait que tous les symptômes que l'on observe chez les sujets hypnotisés peuvent se rencontrer sur des hystériques à l'état de veille et font éventuellement partie du cortège des symptômes de l'hystérie... Or, si, dit le ?r Pitres, chacun d'eux peut exister isolément chez des hystériques en dehors de l'état d'hypnose provoquée, n'est-on pas en droit de les considérer comme des accidents de nature hystérique, quand ils se montrent réunis à la suite de manœuvres expérimentales... »
« Entre l'hypnose provoquée et l'hypnose spontanée, conclut Pitres, il n'y a aucune différence de nature. Hypnotiser un sujet, c'est lui donner artificiellement une attaque de sommeil; le réveiller, c'est faire cesser cette attaque par des manœuvres expérimentales. Or, nous avons vu précédemment que l'attaque de sommeil n'est qu'un fragment détaché ou tout au moins un équivalent clinique de la grande attaque complète et régulière de l'hystérie. Nous sommes donc amenés à conclure que l'hypnose artificielle a la même signification nosographique. Elle est une des manifestations de la diathèse névropathique, un des symptômes hystériques qui peuvent être provoqués ou arrêtés par des excitations expérimentales. »
Je demande la division de l'article avant de le voter.
J'accepte absolument, avec mon eminent collègue de Bordeaux, que l'hypnose est « une des manifestations de la dia-
(0 Pai:l Maoris, Revue de l'hypnot., juillet 1901, p. 3.
ïî) fîn-i-ES de la TourETTE. Traité c/ïïi. et thérap. de l'hystérie, t. ï, p. 208.
(3) Pitkks. Leç. clin, sur Vhyst. et Vhypnot., t. II, p. 346.
thèse névropathique » ; c'est une idée que nous retrouverons et appliquerons dans le prochain chapitre.
Mais l'hystérie ne contient pas toute la diathèse neuropathi-que (1) et je ne crois pas qu'on puisse identifier l'hystérie et l'hypnose.
Le grand argument de Gilles de la Tourette et de Pitres est que ces deux états nerveux (hystérie et hypnose) sont faits des mêmes symptômes. Rien de plus juste; mais cela ne prouve en rien l'identité des deux états.
Charcot a, depuis longtemps, rappelé, à propos de la neuropathologie, qu'avec les mêmes vingt-quatre lettres on fait un nombre infini de mots différents. Et l'Ecole de la Salpêtrière a, mieux que tout autre, montré que l'hystérie ne doit pas être confondue avec tous les états morbides qu'elle peut simuler.
Certes, les hystériques sont très souvent hypnotisables et les hypnotisables sont souvent hystériques ; mais on ne peut pas dire toujous pour aucune de ces propositions.
Il y a des hystériques qui ne sont pas hypnotisables et il y a surtout bien des sujets hypnotisables chez lesquels on ne trouve pas ces caractères spécifiques de l'hystérie, que Charcot et ses élèves ont si magistralement établis.
De même, il y a des hypnotisables qui ne sont ni des somnambules ni des cataleptiques spontanés et il y a des somnambules et des cataleptiques qui ne présentent aucune suggesti-bilité.
Babinski, qui avait déjà énoncé et développé cette pensée que «l'hypnotisme... se manifeste par des phénomènes... qui sont identiques aux accidents hystériques » vient de revenir sur la question et a développé une conception générale de l'hystérie, qui identifie toujours l'hypnose et cette névrose.
Voici son principal argument :
« Ce qui caractérise, dit-il (2), les troubles primitifs {de l'hystérie), c'est qu'il est possible de les reproduire par suggestion avec une exactitude rigoureuse chez certains sujets et de les faire disparaître sous l'influence exclusive de la persuasion... Au contraire, aucune des affections actuellement bien classées hors du cadre de l'hystérie ne peut être reproduite par sug-
(1) Pitres dit très bien (/oc. cit., t. ii, p. 359) : il y a * les prédisposés, les sim-pics névropathes qui doivent fournir un très fort contingent à la clientele des hypnotiseurs ». C'est parfait. Mais les * prédisposes · et les simples névropathes > ne sont pas des hystériques, au sens vrai et scientifique du mot.
(2) Babinski. Définition de l'hystérie. Soc. de neurol. de Paris. 7 nov. 1901. Revue de l'hypnot., janvier 1902 2, p. 198 et 196.
gestion; il est tout au plus possible d'en obtenir par ce moyen une imitation très imparfaite, qu'il est facile de distinguer de 1'original (')· Que l'on essaie par exemple de reproduire chez un grand hypnotique l'hémiplégie faciale périphérique, la paralysie radiale vulgaire, le sujet en expérience, quelle que soit sa suggestibilité et quelle que soit la patience de l'expérimentateur, ne parviendra jamais au but qu'on se propose de lui faire atteindre...» De même, si toutes les manifestations de l'hystérie peuvent disparaître « sous l'influence décisive de la persuasion » on est au contraire « surpris des échecs que l'on essuie quand on cherche à guérir par persuasion certains malades (non hystériques) sur lesquels ce moyen semble à priori devoir agir efficacement » ; tels, des sujets atteints de la maladie du doute, tourmentés par des phobies diverses, des neurasthéniques, alarmés de leur affaiblissement central, avec de sombres pensées et des idées hypocondriaques... La psychothérapie pourra les améliorer, les empêcher de s'aggraver ; mais, dans aucun cas elle ne sera « le seul agent de la guéri-son », qui nécessitera « l'adjonction d'autres moyens, en particulier d'un repos cérébral plus ou moins prolongé ».
Une discussion complète de ce travail remarquable de Babinski ne serait pas ici à sa place et nous entraînerait trop loin.
Je ferai seulement remarquer que si l'hypnotisme ne peut simuler aucun état organique du système nerveux et ne peut reproduire la symptomatologie d'aucun (ce qui est peut-être discutable), il peut du moins simuler des névroses, comme la chorée ou la neurasthénie, qui ne sont pas l'hystérie. Et d'autre part s'il est impossible de guérir certains neurasthéniques par le seul hypnotisme, il est souvent difficile de guérir certains hystériques par le même moyen.
D'ailleurs, dans le même travail, Babinski envisage l'hypothèse de certains neurasthéniques hypnotisables (p. 197). Donc, l'état de suggestibilité et l'hystériene doivent pas être identifiés.
Je me crois donc autorisé à conclure ce chapitre par les propositions suivantes :
La caractéristique de l'hypnose n'est ni dans l'état de la motilité, ni dans l'état de la sensibilité, ni dans le degré de profondeur du sommeil, ni dans l'état de la mémoire ou de la conscience — mais uniquement dans l'état de suggestibilité.
(1) « J'ai déjà développé cette idée dans mon travail sur la migraine ophtalmique hystérique, paru en 1891 dans les Atchives de neurologie » (Babinski).
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du mardi i? mars 1903. — Présidence de M. le Dr Jules Voisin
La séance est ouverte à 4 h. 35.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance qui comprend : 1° une brochure du Dr Henry Lemcsle sur le traitement des maladies nerveuses et psychiques à l'Institut Liébeault qu'il vient de fonder à Loches; 2° l'ouvrage récent de M. le professeur Grasset (de Montpellier) sur l'Hypnotisme et la Suggestion ; 3° des lettres de MM. les D" Lemcsle et Yv'alcau qui s'excuscnl de ne pouvoir assister à la séance; 4° une lettre par laquelle M. le D' Ledrain, de Loué fSarthe), fait part à la société de la mort du Dr Salomon, de Savigné-l'Evcque. M. le Secrétaire général fait l'éloge de notre collègue et adresse à sa veuve l'expression de nos douloureuses sympathies.
Les communications inscrites à l'ordre du jour sont faîtes dans l'ordre suivant :
M. Hachet-Souplet : Essai sur la psychologie de la vitesse. — Discussion : MM. Bérillon, Paul Magnin, Grollet, Lux, Voisin.
M. BëniLLOS : L'hypnotisme fortuit. —Discussion : MM. Paul Magnin et Sobietschanski.
M. l'aul PaseZ : L'influence des anniversaires sur les récidives d'une psychonévrose traumatique intermittente. — Discussion : MM. Bérillon et Paul Magnin.
La Société délègue, pour la représenter au congrès international de médecine de Madrid, MM. Jules Voisin, Bérillon et Iïatïcgeau.
La suggestion est un phénomène morbide ou au moins extraphysiologique qu'il faut bien distinguer de l'influence physiologique à ses divers degrés et qui ne s'observe pas chez tout le monde.
L'état de suggestibilité est caractérisé par la désagrégation suspolygonale, l'activité ou même Phyperactivité polygonale et la sujétion complète du polygone au centre 0 de l'hypnotiseur (état de malléabilité du polygone) : c'est un polygone émancipé de son propre centre ? et obéissant à un centre ? étranger.
Il faut rapprocher, mais distinguer, l'hypnose ou état de suggestibilité des états suivants : distraction, sommeil naturel, cumberlandisme, tables tournantes, spiritisme, hystérie, som-nambulisme et catalepsie spontanés, automatisme ambulatoire...
Le 3ß? mardi d'avril tombant pendant la semaine de Pâques, la Société, après discussion, décide, sur la proposition de M. le Président, que la séance d'avril n'aura pas lieu.
M. le Président met aux voix les candidatures de MM. le Dr Saklaridès, le D' Rattel et Sobietschanski ; tous trois sont admis à l'unanimité.
La séance est levée à G h. 30.
Aboulie motrice systématisée, traitement par la suggestion hypnotique.
par M. le D' BérillON, Médecin-inspecteur des asiles d'aliénés.
Il y a plusieurs années, je fus appelé auprès d'une dame de 40 ans qu'on disait atteinte d'une paralysie des jambes dont le début remontait à six mois. En réalité il ne s'agissait môme pas d'une paralysie hystérique, car la malade retirait vivement ses pieds lorsqu'on les lui chatouillait ou piquait. Sur mon invitation pressante, elle put accomplir divers mouvements. Malgré cela, elle se déclarait incapable de quitter son lit. sa volonté ne pouvant animer ses jambes. Il s'agissait d'une aboulie motrice systématisée chez une hystérique. Une première tentative d'hypnotisation fut suivie de succès. Dans cet état, je lui fis la suggestion de se lever le lendemain à deux heures de l'après-midi pour aller lire un billet relatif à sa santé et que j'avais eu l'idée de déposer dans un coffret placé sur la cheminée d'une autre chambre. La suggestion devait ainsi se trouver renforcée par la mise en jeu d'une curiosité très naturelle. Je pensais que le désir de connaître ce que j'avais écrit constituerait un excitant capable de provoquer la réalisation de la suggestion. Celle-ci fut réalisée à l'heure dite. La malade se leva, traversa plusieurs pièces et alla ouvrir le coffret. La guerison fut considérée comme obtenue, car elle se leva, depuis, tous les jours et reprit son existence habituelle.
Je l'avais perdue de vue lorsque, cinq ans après, je fus rappelé auprès d'elle. Cette fois, l'aboulie motrice s'était localisée aux membres supérieurs. La malade restait capable d'accomplir tous les mouvements, mais après un très long retard. Elle mettait environ une minute pour saisir et porter à sa bouche une cuillerée d'aliment. Les mouvements ne pouvaient être exécutés que si le poids des objets étaient extrêmement léger. A cet effet, on lui avait confectionné toute une collection d'objets en aluminium. Les mouvements de pression étaient aussi difficiles et la malade ne pouvait exercer sur les touches du piano des pressions suffisantes pour produire des sons. Sous l'influence de la suggestion hypnotique ainsi que d'une gymnastique appropriée et graduée, faite dans l'état d'hypnotisme, la guerison fut promptement obtenue.
• Elle s'est maintenue, et le traitement hypnotique est venu parson efficacité, confirmer notre diagnostic.
Les facteurs psychologiques et les divergences médicales
Par M. Lionel Dauriac, Professeur honoraire de l'Université de Montpellier.
Les désaccords entre médecins dans leurs prescriptions ou leurs défenses sont toujours pour le public profane un grand sujet d'étonne-ment. Les sceptiques ne manquent jamais d'en tirer argument pour exercer leur verve aux dépens de la corporation médicale. Ces désaccords ne sont généralement pas des dissentiments d'origine médicale. Les médecins s'entendent sur le mal et sur ses conséquences, Mais, quand i! s'agit d'interpréter ces conséquences, de formuler des permissions ou des défenses, ils cessent d'être du même avis, parce qu'ils ne sont ni du même caractère, ni de la même humeur.
La question est donc d'ordre purement psychologique et non d'ordre médical. Deux médecins étant absolument d'accord sur les causes d'une maladie, arrivant au même diagnostic et portant le même pronostic, ne formuleront cependant pas le même traitement et n'aboutiront pas aux mêmes conseils, parce qu'ils n'envisagent pas la question avec le même état d'esprit. Le premier, par exemple, se préoccupera principalement des services à rendre à l'individu malade, le second aura surtout en vue la conservation de l'espèce. L'un se placera au point de vue individuel, tandis que l'autre sera inspiré par des considérations d'ordre général.
C'est ce qui expliquera pourquoi le mariage, par exemple, peut être autorisé ou défendu à un syphilitique ou à un tuberculeux, considérés comme guéris, bien entendu, selon qu'il consulte tel ou tel praticien. En résumé, les médecins, d'accord sur la maladie et sur ses conséquences, envisagent la solution du problème au point de vue que leur psychologie leur suggère.
Discussion
M. Paul Magnin. —Sans doute; aussi, c'est à la fois comme médecin et comme homme que, par exemple, je n'hésite pas à interdire le mariage à mes tuberculeux ou à mes syphilitiques, même guéris. J'apporte mes connaissances et mon autorité médicales au service de la société pour épargner à cette dernière des rejetons qui risqueraient de n'être que des non-valeurs à la charge de la collectivité.
M. BÉRILLON. — Cependant Fournier permet le mariage aux syphilitiques après un certain nombre d'années de traitement. Et, pour ma part, je ne désespérerais pas de la descendance d'un tuberculeux guéri ; car, si ce dernier s'est véritablement guéri, c'est qu'en outre de qualités morales de volonté et de persévérance, il offre une certaine résistance physiologique. La solution de la question varie aussi selon la qualité de l'individu qui vous consulte. S'il s'agit d'un grand homme, dont les travaux sont précieux pour la société, il convient, à mon avis, de faire passer les intérêts de l'individu avant ceux de l'espèce. Ainsi,
il eût mieux valu favoriser le développement du génie de Victor Hugo que de se préoccupper de ce que deviendrait sa descendance. La solution eût été différente pour un artisan.
M. Jules Voisin. — Les enfants de syphilitiques guéris peuvent longtemps paraître normaux. Toutefois, j'ai remarqué que, s'ils sont surmenés, ils font très facilement des psychoses de la puberté. Il faut donc tenir grand compte de l'influence héréditaire chez ces sujets et veiller avec prudence sur leur éducation.
Essai sur la psychologie de la vitesse,
par M. Pierre Hachet-Souplet. Directeur du laboratoire de psychologie zoologique du Muséum
Quand nous sommes emportés par un moteur que nous ne dirigeons pas personnellement, notre sensation de la vitesse n'est guère qu'une forme très atténuée du vertige : au contraire, si la force qui nous fait rapidement changer de place est soumise à notre volonté, si nous pouvons en diminuer ou en augmenter les effets, la sensation de la vitesse éveille en nous des idées et des sentiments particuliers. L'homme qui dirige un moteur vivant ou mécanique et qui n'est pas un conducteur professionnel, blasé sur l'exercice de son métier, éprouve d'abord (à moins d'être peureux) un plaisir très nettement caractérisé à sentir qu'il possède des moyens de locomotion puissants ; mais tout ne se borne pas à cette constatation. En imagination, il met au niveau de sa nouvelle puissance toutes les facultés de son être ; il les grossit démesurément; dès lors, il se croit transformé, apte à vivre d'une façon plus intense, et capable, comme l'on dit. d'abattre des montagnes.....
Ce processus psychologique mérite d'être étudié. Il ne constitue certes point un cas isolé ; on peut l'expliquer en le comparant à d'autres phénomènes analogues et plus connus dans notre vie psychique. Il est régi, à vrai dire, par une loi très générale : celle de l'envahissement des centres nerveux par les impressions fortes qui, pareilles à des ondes, toujours agrandies, retentissent au plus profond de l'être vivant et le pénètrent tout entier, déprimant ou exaltant ses forces morales.
L'homme qui va vite rapporte toutes ses facultés, si je puis dire, « à l'échelle » de sa faculté d'aller vite et le voilà gonflé de l'importance d'un titan. Faites place, je vous prie, à l'homme qui va vite! Son visage peut rester impassible, mais c'est un masque; sa respiration s'accélère, son cœur bat et toute cette augmentation de vie physique donne une vigueur particulière, inusitée, à ses instincts : attention! C'est un monstre, un homme primitif, c'est un « écraseur » qui passe !
La première et la plus claire manifestation extérieure de cet état psychologique, qui ressemble fort à une petite folie, est une tendance notoire à la combativité. Que le plus petit obstacle se présente sur sa route, l'homme, emporté par cette fièvre, a peine à contenir sa colère. Elle éclate très souvent! Il maudit la nature pour une branche rencon-
tree; il jure le nom du Dieu auquel il croit, pour un caillou placé sur son chemin; sa haine pour le concurrent qui bloque le passage le fait grincer des dents. (N'est-ce pas des jurons de cocher que Juvénal disait déjà qu'ils réveilleraient « Drusus et les phoques eux-mêmes » ?) Pour un instant, il est méchant. Qu'importe la vie des bons chiens ou des bonnes gens, pourvu qu'il passe!
Le sentiment combatif est commun à tous ceux qui augmentent artificiellement leur vitesse et découle directement de la notion exagérée qu'ils conçoivent de leur puissance physique. Un hypnologue dirait, je crois, qu'il y a.chezeux, « auto-suggestion ». Quoiqu'il en soit, à peine ont-ils arrêté leur bote ou leur machine, qu'ils s'étonnent de la violence dont ils ont donné le spectacle grotesque; si toutefois leur pensée est assez souple pour faire un retour sur elle-même !
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L'homme qui va vite est plein d'orgueil. Mais ce sentiment s'émousse par l'habitude de la locomotion rapide; il a aussi besoin d'être soutenu, aux yeux mêmes de celui qui l'éprouve, par un certain décor d'apparat. Sans doute, le vieux cocher de nos fiacres parisiens est revenu de ces chimères ! Cependant l'orgueil est encore très vif chez quelques conducteurs d'omnibus portant beau et gardant quelque chose des allures du postillon de jadis; il est la caractéristique même de tous nos brillants cavaliers militaires ou civils et de tous les amateurs de la vitesse ; il est prodigieusement exagéré chez certains...
L'illusion nait, ici, de quelque réalité. M. le Dr Maréchal, dans un livre très savant, a montré que l'oiseau est supérieur à l'homme en ce sens que l'oiseau peut s'élever dans l'air et que l'homme ne le peut point. Or une automobile confère, par exemple, à un commerçant, une supériorité de même ordre, puisque grâce à elle il peut conclure des marchés beaucoup plus rapidement que son confrère qui ne possède qu'une modeste voiture hippomobile.
L'homme qui va vite, sur un beau cheval ou dans une belle voiture, est persuadé qu'il est un être au-dessus du commun, d'abord parce qu'il va vite, ensuite parce qu'il ne peut résister à la griserie des regards d'envie que lui lance le passant bénévole!
Le public admire, suns façon d'analyse, en bloc, le conducteur du phaéton signé Belvallette, ou l'automobiliste sur sa machine rehaussée de cuivre, et il les prend pour des grands de la terre. Hérodote ne nous raconte-t-il pas que, quand les Perses virent Cyrus, debout sur un char resplendissant, ils se prosternèrent spontanément devant leur roi?
Les hommes à cerveau cultivé dégustent, eux aussi, la griserie de passer, en coup de vent, à travers les rues. Un docteur à auio habite près de chez moi, j'ai souvent observé le regard de pitié dont il accompagne le trottinement menu d'un confrère, son voisin, qui fait modestement ses visites à pied.
Remarquez l'attitude de ces bons bourgeois fraîchement arrivés de
leur province où ils sont réduits à n'être que des piétons, et, pour un moment, installés dans un modeste fiacre parisien. C'est, pour eux, le grand luxe de la locomotion urbaine. Quelle béatitude, quel air vainqueur, quel attitude de défi pour nous autres qui les regardons d'en bas ! Voyez aussi, dans un autre fiacre, ce jeune homme fumant un cigare d'un sou, renversé, comme un pacha, sur les coussins aplatis par plusieurs générations. Il est en train de s'imaginer qu'il a des rentes ! Il nous écrase de sa supériorité!
Chez le « chauffeur », chez le fanatique du cheval, il y a souvent l'idée de « record n. Le record est un jeu public ; dans la plupart des cas, il coûte cher ; il permet d'afficher une fortune. L'automobiliste, vêtu de peaux d'ours, portant par dessus son masque, les lunettes du casseur de pierres, croit symboliser le progrès et la richesse, la richesse prenant le progrès sous sa protection ; il a peut-être acheté, pour pas grand' chose, une voiture d'occasion, mais il espère bien, en passant dans chaque ville, être pris pour M. X. lui-même, le grand sportman dont parlent les journaux. Il passe, grave et serein, la corne de son auto a la voix brève et impérieuse, elle donne des ordres : « Rangez-vous! » et surtout elle semble dire : « Voilà les classes dirigeantes ! » Il y a de braves gens qui admirent, bouche bée, cet homme bruyant et empaqueté. Par contre quelques farceurs, au tournant des routes où il faut bien ralentir, jettent quelque menue monnaie dans la superbe auto rouge et or, affectant de la prendre pour la a balladeuse » d'un arracheur de dents.
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Une forme très intéressante de l'orgueil, chez l'homme qui va vite, est l'orgueil sexuel.
A la campagne, en blouse bleue et en cravate claire, les doigts dans les crins de ces étalons qui, les oreilles inquiètes, de longs poils à leurs pieds impatients, hennissent aux juments des écuries prochaines, les garçons de ferme font des détours afin de passer devant les fenêtres de leur promise ; et c'est, pour eux, une joie quand le cheval rue, vire, fait l'indocile, puis part à fond de train. Cela met en valeur le mâle audacieux, bien musclé, jouant avec le danger.
Le garçon boucher, frisé, rouge comme un rosbif, « crève » le cheval de son patron, tire des roues de sa voiture, sautant sur les pavés des petites villes, une infernale musique, afin d'exciter l'admiration passionnée de toutes les petites bonnes du quartier. Vous retrouverez la « petite bonne » sur l'impériale de l'omnibus parisien, serrée contre le siège du cocher, attirée là par les claquements du fouet de cet homme qui va vite. Il y a, dans la vitesse, une mâle brutalité qui agit sur les nerfs féminins les moins affinés.
Je néglige l'effet purement physiologique des trépidations qui sont, pour le voyageur, l'une des plus claires manifestations de la vitesse en chemin de fer; car ce voyageur n'ayant aucune action sur la direction du train qui l'emporte ne s'intéresse point à la vitesse qu'il acquiert; je
parle de ces trépidations parce qu'un poète leur a consacré un distique fameux et j'arrive à l'effet aphrodisiaque de la vitesse chez les romanesques.
La femme cultivée aime l'homme qui expose sa vie car. par un retour d'amour-propre égoïste, elle se dit que cet homme aurait pu se sacrifier pour elle ; elle est disposée à admirer, c'est-à-dire à aimer, l'homme qui va vite et qui, pour le plaisir de la bravade, risque de se rompre le cou. Le chevalier du moyen-âge prenait en croupe la belle damoiselle qu'il enlevait : l'automobiliste d'aujourd'hui fait asseoir à ses côtés l'éternelle amante. M. Louis Besse, qui est très renseigné sur les milieux sportifs, a écrit un roman dont le titre bizarre est : «L'amour à pétrole » ; il a bien caractérisé la volupté de cette femme qui, ayant peur, se réfugie dans les bras d'un homme qu'elle croit tout-puissant, parce qu'il brûle le pavé : « Gabrielle eut un effroi à un brusque soubresaut de la voiture passant de la vitesse du cheval au trot à celle du cheval au galop. Mais, vite rassurée, goûtant déjà cette griserie connue de tous ceux qui dévorent l'espace, elle posa sa main sur le bras du conducteur, et lui dit : Plus vite! »
La vitesse de l'automobile n'est pas aussi élégante que celle du cheval d'armes de jadis. Celui-ci donnait une autre allure aux amours romantiques, aux belles chevauchées sous la lune! Le cheval est un piédestal qui marche, il est esthétique. Il embellit le cavalier. II y a des vieillards qui sont superbes à cheval.
Le spectacle de la vitesse ne peut être charmant que s'il est harmonieux. Le cheval de courses, désuni, galopant en quatre temps, le cou tendu, cinglé par la cravache, n'est plus le beau piédestal qui marche ; il ne plaît guère à l'artiste. Il n'y a jamais eu de vraiment belles que les courses de chevaux libres empanachés et marchant aux allures naturelles. Mais cela ne veut pas dire que les courses de jockeys ne sont pas très entraînantes ; je veux dire seulement qu'il ne s'y mêle aucune sensation d'art et que, comme dans les courses de vélocipèdes ou d'automobiles, il n'y a, ici (en dehors de la passion du jeu, bien entendu), que la pure sensation de la vitesse. Le spectacle d'une course quelconque nous plait, parce que notre âme s'installe en l'âme du cocher; avec lui, nous mesurons l'espace, nous volons, nous virons, nous touchons le but ! Relisons Sophocle : « Les héros étaient debout. Et quand le tirage du sort, leur eut assigné des places, ils s'élancèrent, au son cuivré de la trompette. Tous â la fois ils enlevaient leurs bètes ; ils secouaient les guides ; la piste était pleine du roulement de leurs chars. Et tous, mêlés, confondus, ils prodiguaient le fouet. Et les chevaux, le feu aux naseaux, couvraient de boue le dos des cochers et les roues des chars. » Il n'y a pas dix héros qui ? prodiguent le fouet ». il y en a vingt mille, c'est-à-dire autant que de spectateurs. Nous avons une saisissante des-
cription de course dans un roman de Zola : « A présent le peloton arrivait de face, dans un coup de foudre. On en sentait l'approche et comme l'haleine, un ronflement lointain, grandi de seconde en seconde. Toute la foule, impétueusement, s'était jetée aux barrières; et précédant les chevaux, une clameur profonde s'échappait des poitrines, gagnait de proche en proche, avec un bruit de mer qui déferle. C'était la brutalité dernière d'une colossale partie. On se poussait, on s'écrasait, les poings fermés, la bouche ouverte, chacun pour soi, chacun fouettant son che-val de la. voix et du geste.....»
Les romanciers et les poètes ont souvent parlé de la vitesse, mais pour la décrire magnifiquement plutôt que pour dire ce qu'ils en pensaient eux-mêmes. Et pourtant plus d'un furent d'excellents cavaliers et bons matelots amateurs.....
Quel charme un sensitif peut-il trouver à aller vite? Certes, pour voir de beaux paysages, pour jouir de la nature par les yeux, il faut prendre son bâton de voyage et marcher à la découverte, comme le conseille Jean-Jacques. Quand on va vite, on ne voit pas commodément, on arrive même à ne plus rien voir nettement ; il résulte, de toutes les impressions visuelles reçues, une impression mixte qui donne une perspective faussée. Je crois bien me rappeler qu'un versificateur du siècle dernier faisait des vers en omnibus, parce que la musique des roues sautant en mesure sur les pavés, lui donnait le rythme;... mais il ne s'agit pas là d'inspiration poétique.
Ce n'est pas du côté du rythme que produit parfois la vitesse, qu'il faut chercher la raison du goût que plus d'un altiste a manifesté pour elle. Si l'artiste aime à s'élancer dans l'espace, ce n'est pas pour jouir parla vue, ni par l'ouie. Non, c'est d'abord parce que, comme le commun des mortels et plus que lui. il trouve dans la vitesse l'illusion d'une augmentation de sa puissance vitale, c'est surtout parce que, dans la vitesse il y a de l'oubli! En fuyant dans l'espace, il croit fuir aussi dans le temps, laisser derrière lui, comme une auberge mal tenue, la vie sotte et mesquine, ce que Stéphane Mallarmé, dans une des admirables lettres qu'il m'a écrites, appelait : ? La vie! ou ce qu'on laisse subsister sous ce nom! * Le poète, emporté par le cheval fougueux, se sent * un torse d'écuyer et le mépris des lois » ; il laisse des remords et des souvenirs douloureux accrochés à toutes les ronces du chemin ; il part, aspirant un air pur vers des pays inconnus, ou les cieux sont plus profonds et a les fleurs plus larges »!
Je me suis parfois demandé où trouver le moteur vraiment digne d'un tel demi-dieu? D'après moi, ce n'est, ni la bicyclette, ni l'automobile, ni même le ballon. Sans doute le cheval est la monture désignée du triomphateur ? terrien * ; mais c'est décidément le navire, le beau navire qui. le mieux, réalise le rêve du poète ; c'est lui qui, pareil à une mouette.
sait glisser silencieux, balançant la pensée, comme le rythme d'une strophe.
Glisse au sein de la nuit, beau brick de l'Espérance! Terre d'Ecosse, adieu! glisse, fils des forêts!
H arrive très fréquemment toutefois, que les poètes emploient de moins nobles véhicules ; et Victor Hugo, trouvant peu intéressant de dévisager pendant vingt-cinq minutes des inconnus dans l'intérieur d'un omnibus en escaladait souvent l'impériale.
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L'effet psychologique de la vitesse, chez l'homme qui peut la faire varier à sa volonté, est une griserie. Mais cette griserie diffère du simple vertige ; celui-ci, étant une espèce de peur, coupe invinciblement les jarrets des plus forts. La sensationde la vitesse ne déprime que l'homme craintif; ses effets ressemblent en somme, à ceux du vin, qui n'attriste que les hypocondriaques; grâce à l'imagination, elle donne à l'audacieux l'illusion fugitive de la puissance et de la force.
Discussion
M. Bérillon. — Il y a une grande analogie entre l'euphorie de la vitesse et l'euphorie de la morphine. Ceux qui se laissent emporter à faire de la vitesse, pour elle-même, sans aucun but d'utilité, sont, le plus souvent, des dégénérés dépourvus de tout pouvoir modérateur; ils n'ont plus aucun empire sur eux-mêmes et entrent en fureur contre les obstacles même minimes.
M. Paul Magnin. — Qu'il s'agisse de vitesse, de tabac ou d'alcool, on a affaire à des individus qui. de l'usage ne peuvent s'empêcher de tomber dans l'abus; ils sont, en effet, dépourvus de pouvoir modérateur, au point de perdre l'instinct de leur conservation personnelle.
M. Grollet. — L'euphorie de l'auto m obi lis me n'est pas identique à celle du cavalier ; celui-ci doit faire preuve d'art, de compétence et de savoir; il utilise une machine intelligente de laquelle il se fait comprendre et qu'il doit ménager, car il s'agit d'un animal qui n'obéit pas toujours servilement, mais consent à obéir dans certaines limites.
M. Lux. —En Algérie, j'ai été témoin de fantasias arabes. Ce sont des demi-fous grisés par la poudre, emportés par une fureur sauvage ; ils n'ont plus aucune espèce de pouvoir modérateur. Leur euphorie ressemble à celle des automobilistes et gagne aussi les chevaux. J'ai été très frappé par le fait suivant. Un automobiliste, au sortir d'un village, écrase un homme sans s'en apercevoir et continue sa route à toute vitesse. Quelques jours après, il apprend cette mort en lisant les journaux et, d'inductions en inductions, il conclut que c'est lui qui l'a causée. On ne l'avait pas vu. il était sûr de l'impunité ; néanmoins, ses senti-
ments moraux l'emportent, il se dénonce et verse à la famille une forte indemnité. Celte mésaventure ne l'a pas guéri de sa passion; il refait de la vitesse avec la même frénésie que par le passé.
M. Voisin. — Quand une telle catastrophe ne sert pas de !eçon et que son auteur n'est pas guéri pour toujours, c'est qu'il s'agît, comme le soutient justement M. Bérillon, d'un individu dépourvu de tout pouvoir modérateur ; on se trouve en présence d'une véritable obsession.
Séance du lundi 19 mai 1903. — Présidence de M. Jules Voisin.
La psychologie du somnoformisé
par M. le Docteur Paul Faiiez Professeur à l'Ecole de Psychologie
Le plus difficile, en psychothérapie, n'est ni du formuler la suggestion curative, ni de l'approprier à chaque cas particulier; c'est de plonger tout d'abord le malade dans un état rie réceptivité telle que cette suggestion curative puisse germer çt fructiûer. De meme, 1'agriculteur prend soin de bien préparer son champ avant d'y semer le bon grain^ /L'hypnotisation est, de toutes les manœuvres préparatoires, celle qui donne les résultats les plus rapides et les plus durables. Quand l'hypnotisation ne peut être obtenue, nous nous ingénions" à trouver des procédés qui nous permettront d'influencer nos malades et de les rendre aptes à être suggestionnés. C'est ainsi, par exemple, que, il y a quelques années, j'ai préconisé la suggestion pendant le sommeil naturel ou suggestion somnique (·) et que, tout récemment, je vous rapportais mes premières tentatives de suggestion somnoformique f2). Je vous disais que le semnoforme (3) est un précieux agent d'/it/pofi*.vïe, selon l'expression de Durand (de Gros). Grâce à lui, les individus que l'on n'est point parvenu à hypnotiser peuvent être plongés dans un état de passivité plus ou moins accentué; toutes leurs résistances conscientes ou inconscientes disparaissent; dès lors, ils remplissent, à ce qu'il semble, les conditions requises pour subir et même pour accepter la suggestion thérapeutique.
On m'a fait l'objection suivante : « Les sujets que vous somnofor-misez sont dans un état analogue à celui que produit le chloroforme.
(1) Cf. De la suggestion pendant le sommeil naturel dans le traitement des maladies mentales, Paris, Maloine, 46 pages- — Technique, indications et surprises de la suggestion pendant le sommeil ? iturel, 2* congrès internat, de l'Hypn. et Indëpend. mèd. 31 octobre 1900. — Suggestion during natural sleep, The Journal of mental Pathology- New-York, June 1901 et Revue de VHypn. août 1901.
(2) Revue de G Hypnotisme, février 1903, p. 251.
(3) Je rappelle que le produit spécialisé sous le nom de Somnoforme (ou Saîmno-lorme) serait un mélange de chlorure d'éthyle 60 p. 0.0, de chlorure de môthyle 35 p. 0/0 et de bromure d'éthyle 5 p. 0/0.
Sous l'influence de l'anesthésique, ils cessent d'être conscients de ce qui se passe; leur vie psychique est suspendue ; ils ne sentent ni n'entendent rien ; ils sont fermés au monde extérieur ; par conséquent votre suggestion ne peut les atteindre, elle est pour eux lettre morte. »
Je réponds brièvement. Il est faux que les chloroformisés présentent nécessairement l'état qu'on vient de décrire. Même sous le chloroforme on peutavoirdes rêves, entendre ce qui se dit ou ce qui se fait, répondre aux questions, faire des révélations inattendues et recevoir des suggestions précises, tout comme pendant le sommeil hypnotique. Les cas sont assez nombreux et assez répandus dans la littérature spéciale pour que je n'y insiste pas (1).
Si, donc, on veut rapprocher les effets du somnoforme de ceux du chloroforme, le simple raisonnement analogique nous sollicite à inférer que la vie psychique compatible avec l'inhalation chloroformique peut l'être aussi avec celle du somnoforme.
Mais le raisonnement analogique ne peut que servir de lil conducteur ; il suscite les recherches dans un sens rationnel; en aucune manière, il ne saurait tenir lieu de preuve. Dans l'espèce, les preuves ne peuvent être qu'a posteriori ; elles doivent être demandées aux faits. Aussi, pour vous exposer à grands traits la psychologie du somnoformisé, aurai-je bien soin de m'appuyer scrupuleusement sur les observations recueillies au cours des somnoformisations nombreuses que j'ai pratiquées durant ces quelques derniers mois.
Tout d'abord, la vie psychique, loin d'être anéantie ou suspendue pendant la somnoformisatton est, au contraire, le plus souvent, exaltée. Mais les phénomènes psychologiques qu'elle comporte diffèrent suivant les doses employée*, le tempérament du sujet, la teneur des suggestions, la technique même suivant laquelle ces dernières sont formulées.
J'ai en vue, surtout en ce moment, la somnoformisation la plus courante, celle qui, sans plonger le malade dans une sorte de coma, réalise l'analgésie chirurgicale complète. Le somnoformisé dort d'un sommeil qui ressemble fort au sommeil naturel par son mode d'invasion, ses apparences extérieures et son contenu psychologique, lequel comporte des hallucinations hypnagogïques souvent et des rêves presque toujours.
Les hallucinations HVPSAGOGiQUEs (2), on se le rappelle, sont des
{1) La chloroformisation est même considérée comme la ressource suprême en psychothérapie. Toutefois, nombre de praticiens hésitent à utiliser le chloroforme pour faire œuvre suggestive; car cet anesthésique, outre qu'il est d'un maniement délicat, expose à des inconvénients sérieux. Il n'en est pas de même du somnoforme; celui-ci, en effet, peut' être administré sans aide; il procure une narcose rapide, sûre et inoffensive.
(î) Dans mon cours à l'Ecole de Psychologie j'ai fait, en 1902, toute une leçon sur les hallucinations hypnagogiques qui surviennent en pleine santé et, eu 1903, une autre leçon sur les hallucinations hypaagegiques d'origine pathologique. Ces deux leçons seront publiées ultérieurement.
apparitions qui surviennent chez un grand nombre d'individus, à l'état tout à fait normal ; elles constituent une sorte d'intermédiaire entre la pleine veille et le sommeil confirmé ; elles annoncent l'imminence de ce dernier.
Les représentations visuelles qui, chez certains de mes somnoformisés, ont précédé immédiatement l'invasion du sommeil sont de deux sortes. Tantôt, elles se rapportent aux dernières excitations lumineuses qui ont impressionné la rétine avant l'application du masque. Tantôt, elles reproduisent exactement le tableau visuel, toujours à peu près le même, qui accompagne habituellement, chez tel individu, l'entrée en scène du sommeil normal.
Voici un exemple de l'un et de l'autre cas.
Un homme, âgé de 40 ans, va Être envahi par le sommeil somnofor-mique ; à ce moment, il voit un beau ciel étoile : ß des étoiles, peintes en or, se détachent sur un grand fond bleu. » Avant de le somnoformiser et pendant que je faisais tous mes préparatifs, je l'avais prié de fixer le miroir rotatif de Luys. Sur ces impressions rétiniennes l'imagination avait brodé des variations ; elle avait transformé en étoiles d'or les petits miroirs multicolores aux facettes brillantes.
Un homme de 32 ans voit, au moment où le sommeil somnoformique va le gagner, une lueur d'abord sombre, puis rouge, puis jaune ; celle-ci se fragmente en petits carrés qui vacillent, pour devenir bientôt les vagues mouvantes d'une sorte de mer jaune, au-dessus de laquelle notre sujet plane, comme s'il était en ballon, entouré de nuages qui se dépla-centau-dessus de cette mer. Or, cette môme vision survient très souvent au début de son sommeil nocturne ; quand il tarde à s'endormir, il n'a, d'ordinaire, qu'à la susciter pour que le sommeil vienne. Dans la circonstance, les deux sommeils, normal et somnoformique, ont, au point de vue représentatif, exactement le môme mode de début.
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Qu'il y ait eu ou non hallucination hypnagogique, le sommeil somnoformique s'accompagne de rêves dont le contenu varie à l'infini, comme cela se passe pour le sommeil naturel.
Certaines fois, on vient de le voir, ce sont les dernières sensations éprouvées qui fournissent une matière à l'activité onirique, servant ainsi de passage ou de pont entre la veille et le sommeil.
D'autres fois, c'est une sensation réelle, survenue pendant le sommeil, qui conditionne le rêve. Par exemple, une jeune fille somnoformisée entend le bruit fait par l'omnibus « Panthéon-Courcelles » qui passe sous mes fenêtres. Elle se voit elle-même dans un omnibus, puis dans un tramway à traction mécanique, puis dans un train ; elle engage des conversations avec des voyageurs, les uns connus, les autres inconnus d'elle, etc.
Une autre fois, le rêve est en rapport avec l'affection pour laquelle le malade vient se faire soigner. Ainsi, un homme que je traite pour une
impuissance génitale fait plusieurs fois un réve erotique: il rencontre dans la rue une personne... qu'il emmène chez lui.
Tantôt, ce sont les occupations des jours précédents qui entraînent certains rêves. Ainsi, une jeune fille s'imagine qu'elle visite des magasins, qu'elle achète des, objets de toutes sortes, qu'elle contemple des éialages, des devantures... Or cette jeune fille est venue du fond de sa province pour se faire soigner à Paris. Jela vois chaque jour et,tout le temps qu'elle ne consacre pas à son traitement, elle l'emploie à visiter en détail les grands magasins, lesquels représentent pour elle l'unique attraction de la capitale. Ce même rêve se reproduit plusieurs séances de suite.
Tantôt, il s'agit de l'événement qui a précédé immédiatement la somno-formisation. Ainsi, une dame avant de se rendre chez moi, a assisté à un five o'clock. Dès qu'elle est endormie, elle se revoit dans le même salon, avec les mêmes personnes, buvant du thé, entendant la même musique.
Tantôt encore, une circonstance récente qui a fait une pénible impression réapparaît en rêve. Ainsi, un misophobe a, ces jours-ci, découvert sur la manche de son pardessus une vague tache de graisse. Pendant toute la durée de son sommeil il s'acharne à enlever cette tache. A la séance suivante, il fait des contorsions pour éviter que la région contaminée de son vêtement ne prenne contact avec le bras du fauteuil sur lequel il est assis.
Souvent, c'est" un souvenir lointain qui est évoqué, selon les lois de la ressemblance ou de l'analogie. Ainsi, un homme a été jadis, aux colonies, trois fois chloroformisé, dans l'espace de quelques mois, pour subir trois opérations. Il a conservé un très mauvais souvenir du chroroforme. ? sa première somnoformisation, il rèv-e qu'on le chloroformisé une quatrième fois; il éprouve toutes les sensations désagréables qu'il a ressenties jadis, au cours de ses chloroformisations successives; il s'agite, pousse des cris, profère des plaintes, etc. Une autre fois, en rêve, il souffre violemment du ventre ; il ressent les mêmes douleurs que lorsqu'est survenu l'étranglement herniaire pour lequel on Ta, une première fois, soumis au chloroforme^
Parfois aussi/ les images du rêve surgissent dans la conscience d'une manière, en apparence, spontanée, comme pendant le sommeil normal. En y regardant de plus près, on s'aperçoit qu(elles proviennent des couches profondes de notre vie passée; elles exhument des souvenirs latents.jOu bien,/elles traduisent soit un état d'esprit habituel, soit des préoccupations toujours prêtes à reprendre le dessus,! dès que le moi supérieur fléchit et ne leur donne plus la chasse. Si le sujet est un mental, un obsédé, tout particulièrement, — si, d'autre part, pendant tout le cours d'une somnoformisation, on l'abandonne à lui-même sans qu'aucune suggestion n'accapare son activité psychique, alors son subconscient se développe en pleine liberté et apparaît au premier plan ; l'obsession s'installe en souveraine maîtresse. Cela même peut éclairer le
diagnostic et faire dépister des idées délirantes ou des idées fixes, tantôt ignorées de la conscience vigile, tantôt systématiquement cachées au médecin parle malade. Et ainsi apparaît une nouvelle forme de ce procédé psychologique qu'on appelle l'évocation du subconscient. Donnons quelques exemples :
Une femme a l'obsession du suicide; somnoformisée, elle entend une voix qui lui dit : « Va te jeter à la Seine ! »
Une autre femme est convaincue qu'elle est appelée à jouer un grand rôle social; elle ne réalisera rien moins que le désarmement général et la synthèse de toutes les religions en une seule qui sera toute de fraternité et de tolérance. Elle est inspirée par un bon génie qui la conseille et la dirige. Entre eux deux, ce sont, au moins pendant les périodes aiguës du délire, de véritables dialogues par demandes et réponses nettement formulées. Xous sommes dans une période d'accalmie et je la somnofor-mise pour des mouvements choréiformes survenus à la suite de quelques chagrins intimes. Une fois la narcose obtenue, le bon génie reparait, mais, cette fois, il est vrai, pour recommander à la malade d'accepter en tous points ma direction.
Un homme est atteint de phtisiophobie. Il craint que les gens qu'il rencontre ne crachent sur ses habits; il redoute le contact de tout ce qui a touché le sol, car celui-ci, humide ou sec, présente toujours quelque vestige de crachat./ Or, à chaque lois qu'il est somnoformisé, il fait un rêve en rapport avec son obsession. Un jour, il lui arrive de gesticuler et de remuer les jambes ; aussitôt, il est harcelé par le remords de m'avoir, en accomplissant ces mouvements, envoyé de la boue; il est très malheureux de m'avoir contaminé, croit-il, car la boue est toujours une dilution de crachats desséchés. Une autre fois, il rêve qu'un passant l'effleure avec l'extrémité de son parapluie, celle qui touche le sol, et, tout en dormant, il s'essuie avec le coton imbibé de sublimé qui ne le quitte jamais. Une autre fois encore, il rêve qu'il a à la bouche une cigarette allumée; il fume et, après chaque bouffée de fumée..., il crache! Dans ce dernier cas, l'imagination a diversifié les détails ; mais le thème n'a pas varié : c'est le crachat, toujours le crachat.
Ces rêves ne se cantonnent pas toujours exclusivement dans le domaine psychologique; parfois les fonctions motrices y participent activement, et, au fur et à mesure qu'ils se déroulent, ils s'accompagnent de mouvements, de gestes, d'actes, de paroles. Ils sont donc connus non pas seulement par le souvenir qu'ils laissent au réveil, mais encore par les manifestations somatiques qui les traduisent au cours du sommeil.
Tantôt, ce sont des paroles confuses, des sons indistincts, des plaintes, des gémissements, comme, par exemple, chez cet homme qui croit être une quatrième fois chloroformisé pour une hernie étranglée. D'autre fois, au contraire, ce sont des mots bien articulés. L'un s'extasie : « Quel voyage superbe! Oh, le beau voyage! Comme c'est extraordinaire! a
Un autre s'écrie avec dépit : « Je ne peux pas m'enlever de la tète que ce pardessus est sale ! o, — ou bien : « C'est toujours ce satané fauteuil! » En effet, il trépigne et frappe violemment avec la main l'inoffensif fauteuil. D'autres fois, il esquisse rapidement en l'air avec le pouce et l'index quinze, vingt, trente chiquenaudes successives: il se débarrasse ainsi, rêve-t-il, de poussières, de corps étrangers, de boue desséchée. Ou bien encore, croyant fumer une cigarette et rêvant qu'il crache après chaque bouffée, il lance, en effet, par plusieurs fois, avec les lèvres, quelques gouttelettes de salive qui retombent sur ses vêtements, — et cela trois séances de suite.
•
» *
Au réveil, le sujet conserve, d'ordinaire, le soutenir de ses représentations oniriques et aussi des actes ou paroles qui les ont accompagnées. Spontanément, il raconte : - J'ai dû parler... J'ai du dire ceci... J'ai dû gesticuler, me plaindre, cracher,... Je suis vexé, furieux, mais je n'ai pas pu m'en empêcher! »
Quand, au réveil, les tableaux du rêve apparaissent nettement dans la mémoire, il est bon de les faire préciser sans tarder et de les noter avec soin, car très vite ils risquent de devenir confus, puis de s'évanouir.
Parfois, le souvenir du rêve est très vague; le sujet ne retrouve que quelques petits détails, et encore, par bribes. Par exemple, pour l'un de ces nombreux rêves erotiques, l'un de mes malades se rappelle seulement que sa compagne avait une jupe verte. Etait-elle brune ou blonde, grande ou petite...? Il ne se le rappelle absolument pas.
Certaines fois le souvenir est à peu près nul au réveil: mais ultérieurement, à force d'y penser, on ressaisit les différentes scènes et l'on reconstitue le rêve à peu près dans son entier.
D'autres fois, le sujet a la conscience très nette d'avoir révé, mais aucun élément du rêve ne subsiste dans sa mémoire. — « Oui, j'ai rêvé, dit-il, j'en suis bien sûr; il s'est passé quelque chose. Quoi? Je ne le sais; et c'est très bizarre, j'aurais très bien pu le dire avant de me réveiller. »
Dans certains cas, enfin, le malade prétend n'avoir pas rêvé du tout. Et, cependant, certaines paroles, certains mouvements survenus au cours de son sommeil prouvent clairement qu'en dépit de ses affirmations il a présenté un certain degré de vie psychique.
•
L'état psychologique au moment du réveil est souvent fort curieux. Dès qu'il est soustrait à l'action de l'anesthésique, le somnoformisé éprouve, d'ordinaire, quelques instants d'incertitude, d'étonnement, de stupéfaction, d'hébétude même.
C'est que, une fois réveillé, il voit surgir dans son esprit une opposition, un conflit, une contradiction entre, d'une part, la vive image du rêve et, d'autre part, la non moins vive représentation de la réalité vigile. Il lui faut un moment, d'une durée appréciable, pour sortir de
son rêve, pour se ressaisir, pour se reconnaître, pour se localiser dans le temps et dans l'espace.
Quelques-uns. après avoir ouvert les yeux, disent, inquiets : « Où suis-je ? Je ne sais pas où je suis ! » Alors, ils regardent autour d'eux et reconnaissent peu à peu les divers objets qui les environnent; ils me voient, ils m'entendent et comprennent ce qui s'est passé.
Bon nombre de sujets, à peine réveillés, tout penauds, tout confus, me disent cette môme phrase : a Oh, je vous demande pardon ! » C'est qu'ils croient se réveiller dans leur chambre à coucher, comme après quelques heures de sommeil naturel; ils sont tout à fait étonnés de se trouver chez moi et ils s'en excusent comme d'une indiscrétion.
Celui de mes sujets qui fit plusieurs fois un rêve erotique est stupéfait, au réveil, de voir que je suis témoin de ce qu'il croit encore être une véritable aventure galante. Une autre fois, il a l'impression qu'il a commis un impair en amenant sa compagne non pas chez lui, mais chez moi et il s'en excuse humblement. Bientôt, il est vrai, il remet les choses au point, fort étonné, toutefois, que les images oniriques aient pu, à ce point, simuler la réalité.
La jeune fille qui rêve qu'elle court les grands magasins continue à vivre son réve quelques secondes après avoir ouvert les yeux. Il faut que je lui parle pour qu'elle se rende compte qu'elle n'a pas quitté mon cabinet.
D'autre part, un mélancolique, une fois réveillé, se met à rire aux éclats; littéralement, il « se roule » et « se tord » sur son fauteuil, en répétant « Ah, c'est trop fort! Ah, elle est bien bonne ! » Sa crise de rire dure, au moins, cinq minutes pleines, avec une telle intensité qu'il en éprouve une véritable souffrance physique II ne se rappelle rien de son rôve; mais il est bien certain qu'il a rêvé et que c'est son rêve qui a provoqué cette hilarité. Le souvenir, en tant que représentation, a disparu; l'état émotionnel subsiste alors même que sa cause a disparu de la conscience. Un instant, j'ai espéré que je pourrais guérir sa mélancolie en instituant, parce moyen, une véritable cure de rire; mais cette particularité du réveil ne s'est pas reproduite.
(à suivre)
COURS ET CONFÉRENCES
Paralysie intermittente par inaction chez an hystérique (1)
par M. le professeur Raymond.
Ce jeune homme est âgé de seize ans. Son père est mort de la fièvre typhoïde ; sa mère est très nerveuse. II est né avec une cataracte congénitale de l'œil droit. A onze ans, il reçoit sur cet œil un coup de poing
(1) Présentation de malade faite à la clinique des maladies nerveuses à la Salpê-irière.
qui énuclée la cataracte. Une ophtalmie sympathique se déclare à gauche et l'on enlève l'œil de ce côté.
A quinze ans, on le place en province dans une institution d'aveugles, pour qu'il apprenne le piano. Ses études marchentbien, mais il s'ennuie, dort mal, ne mange plus et devient très triste.
Au bout de six mois, un dimanche après-midi, assis sur un banc, il veut remuer le bras droit pour se moucher : sa main et son bras sont complètement paralysés et insensibles. Cette paralysie s'efface bientôt mais reparait le soir même entre sept et huit heures : puis elle revient tous les jours, passe dans le bras gauche et enfin dans la langue. Il ne peut plus alors ni remuer les bras, ni parler, et cela survient à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.
On le ramène à Paris au moment des vacances : sa paralysie ne revient plus que tous les deux ou trois jours, puis elle disparait pendant deux mois. Alors, il retourne en province dans son école. Aussitôt la paralysie reparaît non seulement dans les bras mais aussi dans les jambes : elle dure deux, quatre et même six heures consécutives. Finalement elle ne vient plus que la nuit.
Il y a quelques jours, on s'est décidé à le retirer de son école et à l'amener à la Salpétrière. Vous savez déjà qu'il est né avec une cataracte congénitale ; voyez en outre la conformation de son crâne, de son menton, de ses oreilles : il est marqué par l'hérédité.
Ses crises, notez-le bien, surviennent sans prodrome,, sans aucun signe prémonitoire. L'anesthésie est totale, comme la paralysie. On peut le piquer, le pincer, le torturer : il ne sent rien ; un jour qu'on voulait le réchauffer, on l'a brûlé profondément et aucune douleur ne l'en a averti. La perte de la sensibilité est limitée par des lignes circulaires situées au coude et à la partie moyenne de la cuisse. Les réactions électriques sont normales ; les réflexes tendineux et cutanés sont également normaux.
Il semble bien qu'il s'agisse de paralysie intermittente, laquelle affecte un ou deux bras, une ou deux jambes, la langue, soit simultanément soit isolément. Mais la paralysie intermittente résulte d'une lésion organique : elle survient quand il se prépare de l'endanèrite. Une monoplégie brachiale ou crurale peut être intermittente parce que le débit sanguin devient insuffisant : lorsque les vaisseaux peuvent reprendre leur calibre normal ou que la circulation collatérale a fourni une quantité suffisante de sang, la paralysie cesse. Or, dans ces cas-là, il y a toujours d'autres phénomènes d'artériosclérose et notre malade n'a que seize ans. Sa paralysie est plutôt fonctionnelle, c'est-à-dire, sans lésion connue.
Sommes-nous en présence d'une asthénie bulbo-protubérantielle ? Mais les symptômes ne se présentent pas comme dans le cas actuel, ils augmentent avec les mouvements, ne s'accompagnent d'aucun trouble de la sensibilité et ne disparaissent pas brusquement.
S'agit-il de paralysie consécutive à une attaque épileptique ou épilep-tiforme ? Mais on n'a constaté chez ce jeune homme aucun accident épileptique préparatoire; et puis, les paralysies post-épileptiques ne s'accompagnent pas de troubles de la sensibilité.
Est-ce une paralysie périodique intermittente familiale ? Ces cas ne sont pas nombreux : il n'en a été publié que vingt-deux. Cette paralysie affecte indifféremment l'un ou l'autre sexe, entre dix et vingt ans ; la veille le malade a éprouvé des fourmillements, de l'engourdissement et, le matin, au réveil, il a une brusque paralysie des deux bras, des deux jambes et de la langue ; complètement immobile et inerte, il est incapable de faire aucun mouvement ; il respire par le diaphragme. Mais la sensibilité est normale, les réactions électriques sont totalement perdues et les réflexes ont disparu, ce qui n'est point le cas chez notre malade.
On a signalé des paralysies par trop grande fatigue et par excès de tension des muscles. Inversement, Féré a publié des cas de paralysie par inaction et il les rapporte à l'hystério-neurasthénie. Chez ce jeune homme les troubles de la sensibilité, vous vous le rappelez, affectent des caractères tout particuliers : ils se rapportent à l'anesthésie hystérique. Dans son établissement de province, il a été émotionné, s'est ennuyé, a mal dormi; il a fait de la paralysie intermittente par inaction, de nature ou plutôt sur un terrain hystérique.
Le traitement de cette paralysie sera celui de tous les accidents hystériques de cet ordre ; on tonifiera le malade, on le raisonnera, on lui fera de la suggestion à l'état de veille ou pendant l'hypnose, si c'est nécessaire.
VARIÉTÉS
Visions de l'Inde
par M. Jules Boi»
Nous extrayons du livre que notre collaborateur Jules Dois fait paraître à la librairie Ollendorf, le passage suivant qui traite, non pas des vulgaires prodiges de prestidigitation des fakirs, mais d'un phénomène de suggestion tout à fait supérieure qui a pour lui le Témoignage de l'histoire. Jules Bois qui a voyagé pendant six mois dans l'Inde, tout en restant l'artiste délicat que l'on connaît, s'est montré comme d'habitude un psychologue attentif et un critique éclairé.
Une Viille oui est la suggestion d'un fakir
Mon arrivée à Kattepur-Kîpri est naturellement épiée par la nuée des guides et des tenanciers de bengalows. L'un s'impose, finit par m'en-trainer avec lui. Il a la teigne. C'est un descendant de grands prêtres. Il tousse affreusement et, dans son atmosphère, traîne des parfums rances et l'haleine horrible des phtisiques. C'est un homme-ruine qui me promène au milieu d'autres ruines.
Si jamais ville eut une destinée brillante et courte, ce fut Fattepur-
Kipri. Akbar veut une résidence de plaisir : il bâtit sur une colline entre deux villages, une cité splendide; puis, il s'aperçoit que l'eau n'est pas bonne, et, avec un caprice d'empereur ou de grande courtisane, il rejette ces palais comme on casserait un éventail. D'ailleurs, tout est étrange en cette histoire sur laquelle plane une mystification. Derrière ce décor d'architectures, de gateways, de corniches, de domes, de temples, de subtiles sculptures, l'âme prodigieuse et dérisoire d'un fakir transparait comme la main d'un montreur de marionnettes.
Il était plus ou moins persan, s'appelait Sulim Chesti; et son maho-métisme était teinté de magie. Il habitait dans une caverne et menait cette vie d'ascète qui a encore aujourd'hui sur le peuple hindou un si irrésistible ascendant. Revenant de sa campagne contre les Usbeks révoltés, l'empereur planta sa tente sur le roc entre Fattepuret Kipri. Sa femme, une princesse hindoue de la famille Amber, raccompagnait. Que se passa-l-il entre le couple royal et l'ermite? Toujours est-il qu'Akbar semble avoir subi le prestige du saint. Celui-ci sut le décider à bâtir dans !e voisinage de la caverne, son palais. La belle Rajput dut être pour beaucoup dans le lien qui rassembla ces deux rois de l'Inde, le prince des solitudes et le prince des armées. Elle était lasse sans doute du guerrier qui avait, selon la légende, des bras aussi longs que ceux des singes; elle dut aimer l'homme mystérieux qui lui parlait de l'au-delà et qui parfois, le soir, quand les ombres semblent sortir de la terre, paraissait vêtu des derniers rayons du couchant, comme d'une pourpre triomphale. Tous deux se comprirent et s'attirèrent... Akbar se désespérait de n'avoirpas de fils. La Rajput lui avait bien donné deux jumeaux, mais ils étaient morts en bas âge. Akbar subit une de ces crises de superstitions fréquentes chez les sceptiques.
Il consulte le fakir :
— Quand aurai-je un héritier?
L'homme du silence hoche la tête comme s'il pouvait lire dans le livre occulte du Destin.
— Je donnerais tout au monde pour qu'un enfant mâle naisse de celle que j'aime.
— Un signe dangereux, dit le fakir, menace votre union. Les étoiles sont impitoyables.
— Mais, grand saint, vous êtes plus puissant que les étoiles.
— 11 est vrai; seulement, ma puissance a besoin que vous restiez dans son rayonnement pour que le démon de stérilité et de mort soit chassé.
— Je bâtirai ici une ville et j'y vivrai.
Ainsi fut fait. Agra fut abandonné. Le couple royal ne quitta plus le solitaire. La Rajput devint grosse. Et au bout de neuf mois un prince vint au monde, tant les exercices spirituels du fakir avaient d'efficacité. Ce fils s'appela Sulim, comme l'ascète, — son père dans l'ordre du mystère, — et ce fut lui qui plus tard fut couronné sous le nom de Jahangir...
La Tombe prolifique.
J'entre dans une immense cour où se trouve le plus joli, le plus vénéré aussi des souvenirs de pierre et de marbre. C'est la tombe de ce saint à qui les puissances fécondatrices obéissaient. Je suis, parait-il, trop impur pour visiter le cénotaphe. L'espoir même du bakchich ne fait pas lever la robe de soie qui le cache ; mais je peux constater que le marbre est là serti de nacre, et que des peintures vieillies s'écaillent dans l'obscurité. La balustrade est belle, même à côté de celle qui encadre les tombeaux du Taj, et, dans les galeries qui l'entourent, la formidable lumière de ces contrées est tamisée par des treillis de marbre d'une délicatesse qui n'a sa rivale nulle part. Mon guide m'explique en toussant sur un ton de mélopée traînarde que, même après sa mort, le vénérable Sulim Chèsti garde encore cette faculté du miracle génital qui semblait beaucoup plus explicable pendant sa vie.
Des bribes de linges, des morceaux d'étoffes sont attachés par centaines aux panneaux grillagés qui adornent cette tombe de solitaire aussi exquise qu'un boudoir. Ainsi les épouses superstitieuses espèrent obtenir, comme ta Rajput, l'enfant qui tarde à gonfler leurs entrailles. Que le Fakir n'existe-t-il encore et que ne peuvent-elles lui rendre hommage en personne! Comme elles seraient alors facilement exaucées !
Mais tout est sacré en cette enceinte. Une mosquée splendide dont les arceaux enthousiasment par leur nombre, leur élévation, leur variété, est le témoignage de la grandeur d'Allah, tandis que le portail, le plus beau peut-être dans toute l'Inde avec ses terrasses, ses colonnades, ses minarets, ses escaliers, ses dômes magnifiques, est l'affirmation de la grandeur d'Akbar.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Le banquet de la Société d'hypnologie et de psychologie.-
Le banquet de la Société a eu lieu au Palais des Sociétés Savantes sous la présidence de M. Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Autour de ce maître eminent, qui préside avec tant d'autorité aux destinés de la Société, avaient pris place les trois vice-présidents de la Société, MM. Boirac, recteur de l'Académie de Dijon; Lionel Dauriac, professeur honoraire à l'Université de Montpellier: et Paul Magmn, professeur à l'Ecole de psychologie.
Parmi les convives, nous devons citer M. le Dr Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de médecine, MM. les D" Prosper Van Velsen, directeur de l'Institut de psychothérapie de Bruxelles, Bianchi, professeur agrégé de l'Université de Parme, le créateur de la phoncn-doscopie, M. Guenon, vétérinaire-major au 25' régiment d'artillerie,
M. Baguer, directeur de l'Institut départemental des sourds-muets de la Seine, M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés, M. le Dr Leblond, médecin en chef de Saint-Lazare, M. le Dr Lux, médecin-major de 1" classe, M. le Dr Pottier, médecin-directeur de la maison de santé de Picpus, MM. les D" Félix Hegnault, Bellemanière et Farez, professeurs à l'Ecole de pyschologie. M. le Dr Bilhaut, chirurgien de l'Hôpital international et directeur des Annales d'orthopédie, M. le Dr Aragon, rédacteur en chef des Annales, de médecine et de chirurgie- MM. les DM Paul Joire, de Lille; Salager, de Montpellier; Bourdon, de Méru ; Bernard (de Cannes) ; et un grand nombre de médecins de Paris parmi lesquels MM. les Dr* Le Menant des Chesnais, Demonchy, Bouffé, Bouyer, Perdu, Regnault, Saison, Marmion, Barbier, Petit, M. Louis Favre, direct1 de la bibliothèque des méthodes scientifiques, M. Quinque, professeur d'enfants arriérés. La médecine vétérinaire était représentée par MM. Lépinay, professeur à l'Ecole de psychologie, Grollet, secrétaire général de la Société de pathologie comparée, Carot et Schrader? délégués de la Société de pathologie comparée.
A la fin, de nombreux toasts ont été portés par MM. Jules Voisin, Boirac, Lionel Dauriac, Bérillon, Van Velsen, Bilhaut, Bourdon de Meru, Aragon, Demonchy et Lepinay.
Nous sommes assurés que cette réunion amicale laissera un souvenir ineffaçable dans l'esprit de tous ceux qui y ont assisté. Les liens de sympathie qui unissent les membres de la Société d'hypnologie et en font comme une véritable famille scientifique se sont encore resserrés.Xul doute que ces réunions ne deviennent de plus en plus suivies.
Le surmenage des grands concours
Il parait que les Polytechniciens sont soumis au régime intellectuel le plus surmené qu'on puisse concevoir! Et d'ailleurs bien des fois on a signalé les tendances à la névropathie que développe le régime de l'école chez les élèves. Un proverbe a cours parmi eux: « Passer au treizième », — c'est-à-dire perdre la raison, — par allusion à une statistique établissant qu'un polytechnicien sur treize devient fou ! De fait, une hyperes-thésie dangereuse se développe dans ce milieu où toutes les pensées, tous les espoirs et toutes les passions de la vie se ramènent à l'analyse et à la géométrie.
Ceux qui n'ont pas passé par là ne s'en peuvent faire aucune idée, excepté les internes des hôpitaux et les candidats au professorat de médecine, bien entendu. A ce propos, mentionnons que les internes des hôpitaux, qui deviennent fous jeunes encore, sont presque aussi nombreux, en réalité, que les polytechniciens.
A l'appui de ce qui précède nous empruntons au Journal des praticiens, la situation suivante qui expose d'une façon très nette l'influence néfaste exercée par les concours sur les esprits contemporains :
a En donnant les places au concours, la démocratie s'imagine favoriser le mérite. Elle met au premier rang les facultés de second ordre : ta mémoire, la pente h limitation, l'absence d'initiative, ta subordination à l'opinion d'autrui. Comprimé jusqu'à 18 ans parla vie de collège, étouffé de 18 à 25 ou même 30 et au-delà par l'institution des concours, que peut donner un esprit soumis à un pareil régime ? S'il n'est pas très résistant, il s'effondre, et comme c'est justement dans les carrières libérales ou sévit cette organisation qu'aurait chance de germer l'élite qui imprime l'impulsion et dirige le mouvement, il en résulte que cette élite se trouve de plus en plus réduite, émaciée. incapable d'effort. Si nous souffrons en France, notre malaise vient surtout de ce résultat : l'absence de caractère dans les élites. Pour corriger ce mal, il n'est qu'un remède : bouleversement complet de toutes nos méthodes d'éducation et d'enseignement.
Un arrêté de salubrité
Xotre confrère M. Augagneur, maire de Lyon, a déjà débarrassé les urinoirs des affiches où s'étalaient les promesses les plus belles et aussi les plus trompeuses sur la guérison des maladies vénériennes. Jl continue cette œuvre d'assainissement dont on ne saurait trop le féliciter par la prise de l'arrêté suivant :
« Vu la loi du 5 Avril ! 88i ;
Considérant que certains écussons, enseignes, affiches, attributs, etc., en saillie sur le domaine public, et par suite ne pouvant exister qu'avec l'autorisation de l'autorité municipale, servent à des industries s'exer-çant en violation de In loi. ou constituant de véritables entreprises d'escroquerie ;
¦ Considérant que la commune ne peut, sans être taxée d'immoralité, tolérer ces installations et encore moins en tirer un revenu par la perception de droits de voirie. « Arrête :
Article unique. — Sont retirées toutes autorisations déjà accordées; seront refusées toutes autorisations pour l'avenir, d'établir, en saillie sur la voie publique, les écussons, enseignes, affiches, attributs, etc., à l'usage des rhabilleurs. rhabilleurs-masseurs, magnétiseurs, somnambules, cartomanciennes, chiromanciennes, etc. »
Les aliénés convalescents.
Le Conseil supérieur de l'Assistance publique a été saisi de la question des aliénés convalescents.
M. le D' Legrain, rapporteur, proposait au nom de la 4' section, d'émettre un vœu en faveur de l'établissement de quartiers de convalescents dans les asiles d'aliénés existants, et de la généralisation, dans la
mesure la plus large possible, des sorties d'essai et des congés d'aliénés améliorés et peut-être guéris.
La discussion de ce vœu a pris deux séances. De nombreux orateurs y ont pris part, en outre du rapporteur.
M. Augagneur, maire de Lyon. H. André Lefèbvre, M. Bérenger, sénateur, qui s*est élevé contre l'adoption de ces mesures qui s'inspirent, à sonavis, d'un excès de philanthropie; MM. Ferdinand Dreyfus. Grima-nelli. Bourneville, Henri Michel, Coulon. etc.
Une proposition de M.André Lefèbvre, mise aux voix, a été finalement adoptée.
Elle porte qu'en vue de faciliter le retour des aliénés guéris à la vie libre, les sorties d'essai doivent être multipliées et que des quartiers de convalescents doivent être établis dans les asiles. Les malades bénéficiant de sorties d'essai seront soumis à la surveillance des autorités municipales et à des visites de médecins inspecteurs désignés par l'Administration. Avis des sorties sera donné au Parquet.
La sortie d'essai sera prononcée par le préfet sur avis du médecin traitant et du médecin-inspecteur.
La proposition porte, en outre, que l'on donnera à l'aliéné convalescent, pendant la période qui séparera la sortie provisoire de la sortie définitive, une condition juridique analogue à celle du mineur émancipé.
De l'anesthësie obstétricale par la suggestion hypnotique.
Le cas cité par Khovrine concerne une femme atteinte d'hystéro-épilcpsie. L'application de la métallothérapie conjointement avec la suggestion a notablement amélioré son état avant qu'elle fui devenue enceinte.
Dès les premières douleurs on vit qu'on pouvait s'attendre à une attaque d'hystéro:épilepsie. Alors, on lui suggéra de dormir tranquillement, de ne ressentir aucune douleur pendant les contractions utérines et de se réveiller à la première injonction. La malade s'endormit. Pendant son sommeil on constatait que l'utérus se contractait nettement et que le col se dilatait. On réveilla la malade en lui disant : « Maitenant vous devez vous réveiller, être trèsbien; vous ne ressentirez aucune douleur jusqu'au dernier moment. »
Pendant le cours ultérieur de l'accouchement la malade à chaque contraction perdait connaissance mais revenait rapidement à elle. Enfin, douze ou quinze minutes avant la sortie de la tête elle ressentit tout à coup d'intenses douleurs et se mit à crier.
En somme, dans ce cas, la suggestion a donné un résultat assez favo-rable pour encourager l'emploi de ce moyen dans des circonstances semblables.
L'Administrateur-Gérant : Ed. BERILLON.
18· Année. —Xe 2.
Août 1903.
L'alcoolisme inconscient, par le professeur Pierret, de Lyon.
La lutte contre l'alcoolisme est entrée, du moins à Paris, dans une phase active ; les affiches se succèdent sur les murs, les Chambres, pour une fois, ont effleuré la question et les journaux politiques et mondains en ont rempli leurs colonnes: On a interviewé à gauche et à droite et tout le monde a répondu. Sans prétendre que beaucoup d'hygiénistes de profession ou d'occasion se sont, comme le geai de la fable, revêtus des plumes du paon, nous croyons intéressant de rappeler ici le discours que M. le professeur Pierret, de l'Université de Lyon, prononça au Congrès de la Ligue française de la moralité publique. Dans ce discours, M. le professeur Pierret a traité de la forme la plus redoutable et la plus commune de l'alcoolisme, qu'il dénomme l'alcoolisme inconscient.
« Nous côtoyons tous les jours, dit M. Pierret, des buveurs qui sont pour la société des ennemis plus redoutables que l'ivrogne et l'alcoolique. Ce sont des hommes de toutes classes, plutôt de la moyenne, qui, par des aptitudes assez souvent héréditaires, jouissent vis-à-vis de l'alcool d'immunités singulières. Leur téte est solide ; ils parlent, l'œil brillant, la face rutilante, le verbe haut. Jamais personne ne les a vus en état d'ivresse Pourtant ils boivent: oh! ce sont des alcools de bonne qualité, de fins cognacs, des rhums de choix, de l'absinthe de première marque. Jamais à jeun; c'est à la fin des repas, avec le café, que ces tempérants incompris prennent à très petits coups de très nombreux petits verres. Ils sont deux fois par jour gais, brillants, pleins d'entrain et sortent de
chez eus dans un état d'excitation qui n'est au fond que le premier degré de l'ivresse. Ils vont ainsi sur le chemin qui les mènera, sans qu'ils s'en doutent, non pas vers la folie, pas même vers l'ivrognerie crapuleuse, mais aux scléroses organiques, d'où dérivent une infinité de troubles psychiques, toxiques, sans que l'alcool s'en mêle. Et d'abord, les vaisseaux du cerveau s'indurent, l'organe est mal nourri ; d'autre part, les cellules nerveuses, accoutumées à des excitations artificielles, ne réagissent plus volontiers sans leur toxique préféré. Le malheureux atteint de la sorte est, au fond, semblable au morphinomane régulier, incapable si la seringue est oubliée. De là des incapacités subites, des défaillances incompréhensibles, alternant avec de bruyantes explosions de talents transitoires, d'inspirations extraordinaires, subites et fugaces autant que l'action du poison qui les engendre.
« Qui donc oserait dire si ces hommes qui, du haut en bas de l'échelle sociale, jouent des rôles souvent importants, sont, ou non, des ivrognes? Ivres : ils ne le sont jamais. Quel est leur avenir? Il est des plus tristes. Un jour, ils sentent leur digestion, qui jusqu'alors se trouvait bien des liqueurs absorbées à la fin des repas, se faire de plus en plus mal. Ils constatent avec tristesse que les apéritifs les plus renommés sont impuissants à leur donner quelque appétit. Le matin, ils se lèvent, langue pâteuse, bouche mauvaise, tête lourde, aussi fatigués que la veille. N'ayant envie de rien, ils boivent à la hâte une tasse de café noir et, l'estomac presque vide, s'en vont à leur travail. Ce travail, ils le font mal, sans goût, s'éton-liant de ne plus s'intéresser aux choses qui les passionnaient naguère, souvent sombres et quinteux. Rentrés chez eux, ils mangent du bout des dents et boivent, espérant retrouver tes excitations d'antan.' Peine perdue, la fin du repas est pire, une tendance invincible au sommeil les cloue dans un fauteuil ; l'éveillés, ils se secouent, sortent et sont arrêtés par quelque vertige. C'est l'estomac qui se fâche et dès lors commence pour ce buveur méconnu le long martyr des dyspeptiques. Chez d'autres et souvent chez les mêmes, le foie surmené s'enflamme peu à peu, sourdement. II est plus gros, douloureux. Ses fonctions, qui, nous le savons depuis bien peu d'années, sont, entre autres, de barrer le chemin aux poisons qui, de cet égout, l'intestin, tendent sans cesse à rentrer dans le sang, ses fonctions se font moins bien. Certains poisons passent, qui ont sur le système nerveux des actions nuisibles entièrement diffé-
rentes de celles de l'alcool. Le sommeil se trouble, il est agité de cauchemars ; la personnalité diminue, rendant l'homme incapable de vouloir bien ce qu'il doit vouloir. Les idées prennent une tournure triste, la mélancolie s'installe et les délires s'organisent. Ces fous-là ne sont pas enfermés, ou, du moins, le cas est rare. Ils continuent à vivre, à végéter, traînant dans les cabinets de médecins leurs désolantes appréhensions.
« Qu'on ne m'accuse pas de pousser au noir : D'autres organes peuvent être atteints. Le foie détruit les poisons intestinaux, le rein les élimine. Or, il existe dee néphrites alcooliques, comme il existe des hépatites, des gastrites, des arterites, des encéphalites — que, par politesse, nous appelons éthyli-ques. Dans ce cas encore, les poisons retenus, agissant pour leur compte, vont s'attaquer à des cellules nerveuses, déjà mal irriguées par des artères sans souplesse. L'urémie, avec ses troubles des sens, ses délires impulsifs, ses hallucinations terrifiantes, est là, menaçant le malheureux qui, pourtant n'a jamais été ivre. Il en mourra, peut-être demain, mais en attendant, il est désormais, au point de vue cérébral, un homme dangereux. Dangereux, cent fois plus que l'ivrogne dont on sourit, que l'alcoolique avéré dont on redoute les accès. Quelle que puisse être sa position sociale, il lui sera toujours inférieur, impuissant qu'il est devenu, grâce aux intoxications multiples auxquelles il est exposé par son intoxication primitive.
ß Ici, j'en reviens à mon début. L'homme dont je vous parle, vous le connaissez bien. Dans son beau temps, il remplit les cafés et les cabarets des bruyants éclats de sa voix. Il disserte de tout, sait tout, connaît un remède pour toutes les plaies sociales, ou de sûrs procédés pour s'enrichir. Qui sait ? peut-être ave/.-vous songé à lui pour des fonctions électives. Considérez-le dans sa famille: D'abord aimant et aimé, il se détache peu à peu des siens. Sa femme, qui le sent malade, l'entoure de soins et aussi de surveillance. Il s'en irrite et s'en détache davantage. Les enfants, car il en a, nerveux de par cette hérédité toxique, restent maladifs ou incomplets. De là, des récriminations réciproques entre le mari et l'épouse. C'est une famille perdue, sans avenir et bientôt sans ressources. Dans des cas semblables, j'ai vu l'homicide ou le suicide terminer la scène, trop heureux quand c'est le buveur qui s'exécute. Et pourtant ce buveur n'a jamais été ivre et n'a bu le plus souvent que des alcools choisis.
« Le public se fait une bien étrange illusion quand il s'ima-
gine que l'alcool de vins très pur, aussi pur que le donnerait peut-être un monopole gouvernemental, va faire disparaître tous les dangers sociaux nés de L'ivrognerie. Certes, ils seront diminués, mais ils faut considérer que si l'alcool de vin est moins dangereux que tous les autres, il l'est encore énormément. Il faut savoir que, fabriquât-on de l'absinthe ou de l'arquebuse avec des alcools de premier choix, les dangers de ces solutions toxiques ne diminueraient que fort peu. Des expériences, presque toutes lyonnaises, ont démontré qu;à l'action de l'alcool vient alors s'ajouter celle d'essences végétales, qui aux nombreuses maladies créées par le premier, en ajoutent une dont les conséquences sociales sont terribles, — l'épilep-sie. Je ne dirai rien de plus : Les lois nouvelles qui seront bientôt discutées, les solutions que les élus de la nation auront à rechercher et à trouver, devront être telles quelles puissent tirer le peuple français des griffes des cabaretiers, des cafetiers et des fabricants de liqueurs. »
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGiE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du lundi 19 mai 1903.— Présidence de M. Jules Voisin (suite).
La séance est ouverte à 4 h. 35.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance manuscrite qui comprend des lettres d'excuses de MM. les D'« Lloyd Tuckey (de Londres), Wijnaendts Francken (de La Haye), Jaguaribe (de Sao Paolo, Brésil) et Henry Lemesle (de Paris).
La correspondance imprimée comprend plusieurs livres et brochures, entre autres : Les Phénomènes de suggestion et d'autosuggestion, par le Dr Lefèvre, médecin militaire belge;— L'hypnotisme et la suggestion, par le ?* Grasset, professeur à l'université de Montpellier; — L'esprit scientifique, et la méthode scientifique, par M. Louis Favre; — Les Traditions populaires relatives à la parole, par le D' Chervin ; — deux brochures consacrées à la description, l'une de l'Hypnanim Liébeault fondé à Loches par le D' Henry Lemesle, l'autre à l'Institut psycho-physiologique créé par le Dr Jaguaribe, à Sao Paolo (Brésil); — un article du D*- Ménard où ce dernier étudie l'hypnotisme dans ses rapports avec la morale et la religion ; enfin, — un autre article publié dans la Rivista popolare et dans lequel le Dr Nicephoro (de Lausanne) fait l'éloge des travaux de la Société d'hypnologie et de psychologie de Paris.
Les diverses communications annoncées sont faites dans l'ordre suivant :
M. Valentino. — Le secret médical au point de vue psychologique. — Discussion : MM. Bérillon, Hachet-Souplet, Jules Voisin, de Coynard, Demonchy, Paul Magnin, Félix Regnault et Cazaux 'd'Eaux-Bonnes].
M. Paul Farbz. — La psychologie du somnoformisé.
M. Bérillon. — Obsession oculaire.
M. Rybakoff (de Moscou). — Le traitement de l'alcoolisme par la suggestion hypnotique.
M. Orlitzky 'de Moscou). — L'hypnotisme et la psychothérapie en Russie.
M. Wijnaendts Francken (de La Haye). — La conscience et la conscience de soi.
M. Binet-Sanglé. — Relation de la profession religieuse avec les signes de dégénérescence. — Discussion : M. Félix Regnault.
La séance est levée à 7 heures.
La psychologie du somnoformisé
par M. le Docteur Paul Farez Professeur & l'Ecole de psychologie
(suite et fin)
Tous ces faits, me dira-t-on, présentent surtout un intérêt théorique; ils élucident un problème psychologique, mais n'ont pas grande utilité pratique. Pendant la somnoformisation. la vie psychique n'est pas suspendue ; elle est même parfois exaltée. C'est entendu, on ne le conteste pas. Mais ce qu'il faudrait savoir, c'est :
l° Si le somnoformisé reste en relation avec le monde extérieur;
2° Si, en particulier, il est accessible à la suggestion.
Examinons d'abord le premier de ces deux points.
On se rappelle que les dernières sensations visuelles éprouvées avant l'application du masque peuvent se prolonger sous la forme onirique, créant ainsi un pont entre la veille et le sommeil.
Pendant le sommeil lui-même, des bruits extérieurs peuvent impressionner le somnoformisé et lui fournir une matière qu'il modifiera, au gré de sa mentalité, pour en faire un rêve.
D'autres fois, les bruits extérieurs sont perçus comme tels et rapportés à leur cause par exemple le roulement des voitures, l'avertisseur des automobiles, le pas des chevaux, etc.
Au cours de certaines somnoformisations, j'ai mis en marche le métronome qui me sert souvent quand je veux hypnoliser un malade. Or la plupart de mes sujets accomplissaient, d'une manière automatique, à ce qu'il semble, des mouvements des doigts, de la main, de la jambe ou du pied, tout à fait synchrones au tic-tac du métronome.
(1) Je préviens que j'évite à dessein d'invoquer comme arguments mes résultats thérapeutiques, lesquels, à la rigueur, peuvent être diversement interprétés.
Celui de mes sujets qui s'imagine être chloroformisé pour la quatrième fois, émet de temps en temps des sons inarticulés et plaintifs. — « Eh bien, lui dis-je, qu'est-ce qu'il y a ? Qu'éprouvez-vous donc? » Aussitôt, il bredouille quelques mots, incompréhensibles, il est vrai, mais qui paraissent bien être une réponse immédiate à ma question. Deux fois encore, à de courts intervalles, je lui pose la même question et, immédiatement aussi, il profère des sons tout aussi incompréhensibles mais qui, comme la première fois, sont manifestement provoqués par mon interrogation. A la rigueur, je veux bien accorder que, dans la circonstance, étant donné le degré de narcose assez accentué, ma question n'a pas été entendue en tant que question, avec le sens que comportaient mes paroles ; mais il est clair qu'à l'excitation auditive perçue, mon sujet a réagi au moins par un réflexe moteur d'articulation.
Tout en dormant, un de mes sujets a l'impression d'avoir un casque sur la téte. — « Mais d'où me viendrait ce casque, se dit-il ? Je dois me tromper ; ce n'est pas un casque... Mais, qu'est-ce que je sens donc là?... Ce ne sont pas mes cheveux?... Non !... Serait-ce mon chapeau ?... Oh non ! car je suis sûr que je ne l'avais pas en entrant dans le cabinet du docteur... Cependant, on dirait que j'ai mon chapeau sur la tète !... ß Au réveil, il comprend que c'est le masque qui a provoqué cette sensation tactile et musculaire dont il essayait vainement de retrouver la cause pendant son sommeil.
Donc les diverses sensibilités peuvent être impressionnées : le som-noformisé n'est pas, au point de vue sensoriel, isolé du monde extérieur. Reste à rechercher si la suggestion l'atteint réellement, en tant que suggestion, et non pas seulement en tant que simple vibration sonore. (1)
Une jeune fille, hystérique, est somnoformisëe. Dès que le sommeil l'a envahie, elle ébauche une crise nerveuse, avec crispations, raideurs musculaires, puis agitations dans les membres. Je lui suggère le calme, exactement comme je l'aurais fait si elle avait été hypnotisée et cette simple suggestion verbale suffit à juguler immédiatement la crise.
Un homme a subi, pendant le sommeil somnoformique, les suggestions appropriées à son cas. Réveillé, il ne se rappelle ni avoir révé, ni avoir entendu mes paroles. Mais, deux jours après, il revient me voir et, tout en causant, il me dit : « J'ai réfléchi à notre séance d'avant-hier; le souvenir m'est revenu par bribes: petit à petit j'ai précisé et reconstitué la scène; voici ce que vous avez dû me dire..... » Et il me répète textuellement plusieurs des phrases que j'ai prononcées à son oreille. Sans doute, il connaissait à l'avance le sens général de la suggestion que je devais lui faire ; mais j'avais formulé cette dernière en termes typiques» avec des images très colorées et fortement outrées, avec une crudité même et un réalisme que comportait la situation, mais dont je ne suis pas coutumier. Pour toutes ces raisons, il ne pouvait pas spontanément
improviser les formules précises que j'avais énoncées. Pour lui faire une suggestion rapide, intense et complète, j'avais eu soin, auparavant, de rédiger in extenso ce que je me proposais de lui dire : je confronte ce qu'il me raconte avec ce que j'ai écrit et je constate l'identité sur presque tous les points.
D'autres fois, les faits sont bien plus probants encore. Un malade, bien que complètement somnoformisé, s'écrie : « Je ne sais pas si tout à l'heure je m'en souviendrai, mais, tout de suite, je veux vous dire merci ! » Un autre me serre la main avec effusion et, des larmes dans la voix, me dit-un merci du fond du cœur, sur le ton mélodramatique de quelqu'un à qui l'on sauve la vie. Un autre, à qui j'annonce une prochaine guérison, s'écrie : a Ah! quel bonheur! » Un autre encore, après m'avoir exprimé un chaleureux merci, tend les bras vers le ciel, puis joint les mains et reste ainsi un long moment dans une attitude d'extase, comme abîmé dans une ardente action de grâces. Il est à remarquer que, ni les uns ni les autres, ne se rappellent au réveil les incidents que je viens de relater. Quoi qu'il en soit, il est indéniable que ma suggestion les ait fortement impressionnés.
«
Tout ce que je viens d'exposer se rapporte à une narcose somnofor-mique confirmée, avec sommeil véritable et respiration généralement très calme. Si la dose de somnoforme est plus considérable, il survient une narcose plus profonde, une hypernarcose, dirais-je volontiers, caractérisée par un sommeil plus lourd et plus durable, une respiration rapide, bruyante, stertoreuse, une apparence même parfois comateuse.
Pendant cette hypernarcose, le somnoformisé semble ne plus être en communication avec le monde extérieur ; les sens paraissent engourdis; il ne se rappellera aucunement, ni au réveil, ni plus tard, la suggestion qu'on lui a faite. Notons, toutefois, qu'il ne se rappelle non plus aucun rêve et que, sincèrement, il déclare n'en avoir fait aucun. Cependant, au cours de la somnoformisation, certains actes, certains mouvements, certaines paroles ont clairement dénoté que toute vie psychique n'était point absolument suspendue.
Quoi qu'il en soit, dans cet état d'hypernarcose, le sujet est peu impressionnable, si môme il l'est d'une manière quelconque et j'estime que l'hy-pernarcose est peu favorable au succès de la suggestion. — en tant que suggestion directe, bien entendu.
A l'extrême opposé, nous pouvons obtenir un état d'hypoxarcose, si je puis ainsi dire Contrairement à l'hypernarcose, cette hyponarcose a une importance considérable au double point de vue psychologique et psychothérapique.
Administrons des doses relativement faibles de somnoforme, variables
avec les individus; tâtonnons au début pour savoir quelle quantité convient à chacun, de manière à avoisîner la narcose confirmée, sans l'atteindre tout à fait ; approchons du seuil, ne le franchissons pas ; recherchons une narcose en deçà du seuil et cependant limitrophe, une narcose subliminale, pourrait-on dire, (de même qu'on dit conscience subliminale); et notre sujet sera dans l'état que je vais décrire.
Au point de vue musculaire, il éprouve de l'engourdissement, de l'inertie, de l'impotence. Mais sa conscience subsiste, restreinte sur certains points, exaltée sur d'autres.
Toutes les résistances conscientes ou inconscientes sont brisées. Les obsessions, les phobies, les manies, les arguments d'une raison raisonneuse, tout cela a disparu ; « le terrain est déblayé, la place est libre, table rase est faite de tout ce qui s'oppose à la suggestion; le sujet se sent apte à être influencé; il n'a ni la volonté, ni la pensée de résister; il se sent désarmé, pieds et poings liés, à ma merci ; il ne peut discuter; il faut qu'il accepte ma suggestion ; celle-ci s'impose inéluctable. » (') Il est un récepteur docile, mais dont les fonctions psychiques qui restent en activité sont décuplées. Et de tout cela le sujet est pleinement conscient.
Il présente, tout d'abord, une hyperacuilé auditive qu'expriment des phrases comme celles-ci: ß Je vous ai entendu comme si vous aviez crié... Votre voix résonne jusqu'au fond de mon cerveau... Elle retentit comme un coup de canon... » On conçoit que, dans ces conditions, la suggestion s'impose avec énergie.
La réceptivité centrale n'est pas celle d'un simple appareil enregistreur. Le sujet ne subit point passivement la suggestion ; il la reçoit activement : « il l'appréhende, la détaille, la déguste, pour ainsi dire ; il fait effort pour bien se l'assimiler ; il sent qu'elle se grave, qu'elle s'incruste, qu'elle pénètre triomphalement ; il a l'impression d'une bataille gagnée. *
Souvent, au réveil, il ne se rappelle plus très exactement les paroles qu'il a entendues ; il ne pourrait pas les répéter ; souvent même, il lui semble qu'il les a oubliées ; mais il a pleinementconscience que, au moment où les suggestions ont été formulées, « il n'en a pas perdu une syllabe. » Si quelques bribes sont restées dans sa mémoire, il se les répète dans la veille ultérieure ; elles lui servent comme de « talisman ».
Il y a plus. A entendre les paroles annonciatrices de la guerison, le sujet éprouve une joie intense, une sorte d'« ivresse psychique »,de G > enthousiasme ¦ ou bien une « suave béatitude. ¦ Témoin les phrases suivantes dites au réveil : ? J'éprouve de la jouissance jusqu'à la douleur, tellement ma conscience attend depuis longtemps ce que vous lui donnez.... Je suis emballé sur ce que j'entends... Quand vous avez cessé de parler, je me suis dit : Encore, encore ! Je voudrais bien en entendre encore !... Je bois vos paroles, comme le sable boit la pluie ! »
(1) Dans tout le cours de cet Article, mais plus particulièrement encore en ce qui coaceroe l'hyponarcose, je m'applique a citer les paroles textuelles de mes malades.
Pendant le cours de la somnoformisation, le malade vit véritablement la suggestion, comme s'il s'agissait d'une réalité présente. 11 se dit à lui-mème: « Je n'ai aucun doute que la suggestion n'atteigne son but... Oui, oui, c'est çà, ça y est !... Il ne faut pas en douter, je suis guéri, je le sens.... Je suis certain du résultat ! »
Une fois revenu à la pleine veille, le malade a un regard attendri. Voici les exclamations que j"ai fidèlement notées à propos de malades très différents : « Merci, merci, merci toujours 1... Merci, mille fois, de plus en plus... Merci encore une fois... Je vous remercie plus que jamais... Il faut que je commence par vous dire merci... Merci ! C'est le premier mot qui me vient à la bouche... Je ne peux pas vous dire autre chose que merci... Ah, je vous en dois des remerciements !... Ah, si je vous avais connu plus tôt, que d'angoisses m'auraient été épargnées ! » Il en est qui, pleins d'émotion, font un petit speech bien senti.
Il n'est pas rare que ce besoin de témoigner sa vive reconnaissance survienne au cours de la somnoformisation elle-même. Certains malades font des efforts pour dire merci, pour exprimer d'une manière quelconque leurs sentiments de gratitude ; quelquefois, ils y réussissent ; le plus souvent, ils en sont somatiquement incapables. L'un d'eux se dit : a II faudra que, tout à l'heure, je me jette aux genoux du docteur pour le remercier ! » Ce que, d'ailleurs, il ne fait pas, une fois qu'il s'est pleinement ressaisi.
L'enthousiasme éprouvé au cours de la somnoformisation persiste souvent après que la veille normale a reparu. L'un, émerveillé de ce qu'il a éprouvé, me dît, de l'air le plus persuasif : « Vous devriez vous faire endormir! » Un autre a, chaque fois, l'impression que la séance du jour est une séance type et que c'est la meilleure que nous ayons jamais eue.
*
¦ *
En résumé, l'on peut, avec le somnoforme, produire trois états psychologiques nettement tranchés:
1° L'hypernarcose, avec inconscience, sinon totale, au moins très accentuée ;
2° La narcose proprement dite, avec subconscience et quelques caractères qui permettent de la rapprocher des états seconds ou des états d'automatisme ;
3° L'hvponarcose ou narcose subliminale, avec conscience, hyperacute sensorielle, hyper-réceptivité centrale, exaltation de l'émotivité et de la suggestionnabilité.
Au point de vue psychologique, ces trois états sont qualitativement distincts ; il n'en saurait être autrement. Au point de vue somatique, par contre, ils ne comportent que des différences de degré ; des états intermédiaires surviennent qui servent, pour ainsi dire, de passage entre les états nettement définis que nous sommes obligés de schématiser pour en faire des types.
Bien plus, chez un individu donné, une même dose d'anesthésique, peut, suivant le modus operandi, réaliser soit la narcose confirmée, soit la simple narcose subliminale.
Faisons respirer, par exemple, une dose moyenne de somnoforme, c'est-à-dire environ cinq centimètres cubes.
Si nous abandonnons notre sujet à lui-même, il ne tarde pas à présenter la narcose proprement dite.
Si, à ce moment, nous faisons notre suggestion, celle-ci ne le réveille pas et la narcose persiste.
Si nous commençons à formuler la suggestion avant que la narcose ait pu s'installer, le sujet ne dépasse pas l'état d'hyponarcose aussi longtemps que dure la suggestion.
Si, dans ce dernier cas, nous cessons la suggestion un certain temps avant le réveil proprement dit, cette période silencieuse de la somnoformisation devient de la narcose confirmée.
Si nous formulons nos suggestions sans arrêt, à partir de l'application du masque jusqu'au réveil, la narcose ne survient pas et le sujet reste dans un continuel état d'hyponarcose.
Il y a plus. Etant donné que, chez tel individu, une certaine dose déterminée suffit à produire, sans suggestion intercurrente, la narcose confirmée, il arrivera que, en dépit d'une dose double, cet individu ne dépassera pas l'état d'hyponarcose, si la suggestion est faite, sans aucune interruption, depuis la période initiale jusqu'à la période terminale de la somnoformisation.
Donc la suggestion joue le rôle d'une excitation sensorielle et psychique capable de retarder ou même d'empêcher la suspension de la pleine conscience.
On voit de quelle importance sont ces derniers points surtout en ce qui concerne la technique à suivre.
*
Telles sont les principales observations psychologiques qu'il m'a été donné de faire au cours de ces derniers mois. Je ne hasarde ni théories, ni hypothèses ; dans tout ce qui précède, il n'y a rien qui ne soit l'expression exacte d'un fait scrupuleusement observé; et, dans ma rédaction, je me suis appliqué à transcrire fidèlement les termes mêmes par lesquels mes sujets traduisaient leur état. Loin de tromper l'espérance que j'avais fondée lors de mes premiers essais, ces nouvelles recherches comportent à la fois une justification et un encouragement; aussi, je n'hésite pas à prétendre que, dès maintenant, la suggestion somnoformique a pleinement acquis droit de cité en psychothérapie.
ÎLa conscience et la conscience de soi, r M. le Dr Wijnaexdts Fraxcken (de La Haye).
__La psychologie repose tout entière sur le fait de conscience.En prenant pour point de départ son célèbre « cogito, ergo sum », le fondateur de la philosophie moderne, Descartes, a fait de la pensée la pierre angulaire de sa doctrine, la base de son système. Mais la pensée implique la conscience; aussi Descartes et son école ont-ils vu dans la conscience la marque distinctive fondamentale des phénomènes spirituels, et c'est la raison pour laquelle, considérant les animaux comme dépourvus de conscience, ils ne voyaient en eux que des automates sans âmes. Remarquons en passant, quant à ce dernier point, que Descartes a fait erreur, indépendamment de la question de savoir si les animaux réfléchissent, jugent et pensent au vrai sens de ces mots, en représentant tous les actes instinctifs comme entièrement inconscients, tandis qu'en réalité ce n'est que l'utilité et le but de ces actes qui ne parvient pas jusqu'à la conscience.
L'opinion d'après laquelle tous les phénomènes psychiques sont de nature consciente trouve un grand nombre d'adhérents parmi les psychologues actuels. Munsterberg et Ziehen, par exemple, affirment qu'il n'existe pas de phénomènes psychiques inconscients; par conséquent, d'après eux, tout phénomène non accompagné de conscience appartient, non au domaine de la psychologie, mais à celui de la physiologie, car, soutiennent-ils, la conscience est le seul caractère typique qui dislingue les phénomènes psychiques de tous les autres. Voici une déclaration de Ziehen : « Tout ce qui est donné à notre conscience, et cela seul, est psychique... Pour nous les notions de psychique et de conscient sont à peu près identiques ».
D'autres savants cependant se refusent à accepter une telle limitation du domaine de la psychologie. Ainsi déjà Leibnitz a dit, à rencontre de Descartes : « Du fait que l'âme n'a pas conscience d'une pensée ne découle aucunement qu'elle a cessé de penser... Les disciples de Descartes ont fait erreur en ce qu'ils n'ont compté pour rien les représenta-lions dont on n'a pas conscience ». Des lors d'autres philosophes ont même avancé que les processus conscients n'embrassent qu'une partie restreinte de notre vie psychique, que notre activité psychique inconsciente est beaucoup plus considérable et que, bîologiquement, elle est plus importante.) Nous n'avons conscience que d'une très faible partie de ce qui se passé dans notre système nerveux central; la plus grande partie se produit d'une manière tout à fait automatique, de même que nombre d'impressions reçues par nos organes ne pénètrent pas jusqu'à la conscience, n'ayant pas réveillé l'attention/'et ne s'étant pas reliées aux idées déjà existantes.
De même qu'il se produit, des deux côtés du spectre visible, des vibrations de l'ëther, qui échappent à nos regards, il est, dit Maudsley,
facile de se représenter que les processus qui ont lieu en nous n'entrent dans la conscience que dans une sphère limitée. C'est un fait reconnu que nos meilleures pensées sont justement celles qui jailliësentindépen-damment de notre volonté, tellement qu'elles nous surprennent nous-mêmes. Il en est comme Schopenhauer le dit: « (Nos pensées les meilleures, les plus riches et les plus profondes se présentent subitement dans la conscience comme une aspiration»Il est peu de gens qui n'aient fait dans quelque mesure l'expérience des prophètes, dont la puissance inspiratrice disparait s'ils essaient de jouer leur râle par un acte de leur volonté réfléchie. Les paroles dont il a besoin se présentent d'elles-mêmes aux lèvres d'un orateur^entrainant; il se sent inspiré et se laisse guider par le feu intérieur; où, du reste, prendrait-il le temps de peser et préparer méthodiquement ses paroles? Il en est de même des poètes. J Bien plus fréquemment encore qu'aux penseurs, il leur arrive de s'épuiser en vains efforts et de se voir contraints de suspendre leur travail, pour attendre que leur esprit soit mieux disposé. « Mes pièces, dit Grillparzer, m'ont coulé peu de peine... Celui-là çeul est vraiment pofite en qui ses productions sont faites pour lui n.,Il n'y a pas d'artistes, d'écrivains ou de penseurs qui ne sachent par expérience qu'il y a des moments où, avec toute la bonne volonté du monde, ils sont absolument Incapables de créer quoi que ce soit ; il faut attendre, et voilà.souvent que les idées, les mélodies, les vues sont là, venant on ne sait d'où] et le travail créateur se fait comme /par intuition} Jean Paul a dit : Ce 'qu'il y a de plus puissant dans le poëte et insuffle à son œuvre son âme, bien ou malfaisante, c'est justement l'inconscient ? ; et Haydn avait une pensée analogue, quoique exprimée autrement lorsqu'il s'écria en entendant exécuter sa ? Création ? : « Ce m'est venu d'en haut ».
Revenons à notre point de départ. Il importe peu au fond de décider si l'on doit admettre dans le domaine de la psychologie tels ou tels phénomènes inconscients; en particulier, les questions de méthode seront influencées par les limites que l'on assigne à notre science ('). Ceux qui veulent les élargir ont le plaisir d'étendre la signification d'un mot ; quant aux phénomènes, ils restent ce qu'ils sont.
Ce qui en tout cas est certain, c'est qu'il existe de nombreux états intermédiaires entre la conscience et l'inconscience ; il y a des états demi et sous-conscients^ et souvent la vie psychique est en activité sous des formes inconscientes. La conscience est peut-être une question plutôt de quantité que de qualité ; il est impossible d'en assigner les limites inférieures, là où les processus se confondent avec des phénomènes nerveux, de nature matérielle, auxquels nous ne saurions décerner la qualité de conscients. Ce qui, au début de notre existence, se faisait auto-
(I) On fera bien en tout cas d'avoir aussi peu que possible, recours & « l'inconscient » pour expliquer les phénomènes dont on s'occupe; l'inconscient échappes l'observation ; le contrôle des soi-disant explications est impossible ; on nage en pleine fantaisie.
(1) F.-A. LaSOe. Geschlchte des Materiallsrous. — 3· éd. II, pages t»5 et 401. ;2) Fr. Jool. Lehrbuch der Psychologie. Siuitgart, 189G, p. 8i.
manquement devient souvent plus tard acte conscient ; mais, en revanche, souvent Ides actesj qui ont commencé par être accomplis sciemment, répétés fréquemment,jdeviennentlune habitude/et s'accomplissent d'une ïnanière inconsciente ; l'éducation'-repose en grande partie sur ce fait^ L'exercice et l'expérience créent de nombreuses voies d'association qui rendent superflus l'effort el l'attention dont au début on ne pouvait pas se passer. Ainsi un cavalier doit, lorsqu'il commence à apprendre à monter, rester sur le qui-vive et surveiller mille détails, sous peine de tomber bientôt de son cheval ; plus tard, il n'y pense plus, il conserve la posture nécessaire, ses muscles font leur devoir, et pendant ce temps leur esprit est occupé à tout autre chose. ¦ Le secret de toute virtuosité, dit Lazarus, revient à ceci, que des actes volontaires deviennent involontaires, et que le corps cesse d'être un instrument dont on joue, et devienne un instrument qui joue ».
La conscience est un phénomène primaire, qui se refuse à l'analyse, et Wundt. par exemple, n'a pas eu tort d'avertir que c'est peine perdue que d'en vouloir rechercher l'essence, puisque l'investigation ne peut pas s'étendre plus loin que sur les faits de notre vie intérieure dont nous avons conscience, qui donc sont caractérisés par la conscience que nous en avons, et ne sauraient par conséquent servira caractériser la conscience elle-même.
L'essence de sa nature est donc et reste obscure ; nous savons cependant ceci, que la conscience n'est pas une chose en soi, existant en elle-même et venant s'ajouter à certains processus, mais qu'au contraire elle est inhérente, à ces processus, sans lesquels elle n'existerait pas. Les actes accomplis consciemment et volontairement ne sont pas produits par cette conscience et cette volonté, qui n'en sont pas les causes, mais des phénomènes accessoires. La conscience en soi n'est la cause de rien; elle n'est pas une force créatrice, mais simplement la somme des représentations existantes dans le moment, et souvent on ne saurait découvrir pourquoi elle accompagne des faits physiologiques, qui pourraient tout aussi bien se produire sans elle. En effet, comme déjà Lange le fait remarquer (*), la loi de la conservation de l'énergie est naturellement vraie aussi pour ce qui a lieu dans le cerveau, de sorte que, même en l'absence de l'accompagnement de la conscience, les mouvements et les actions qui résultent de ce qui se passe dans le cerveau devraient nécessairement se produire. 11 est vrai que Jodl a fait remarquer à l'cncontre de ceci, que si la conscience n'était rien de plus qu'une annexe subjective des effets physiologiques objectifs de l'activité du système nerveux central, on aurait lieu de se demander pourquoi, après une apparition fortuite, la sélection naturelle ne l'a pas depuis longtemps fait disparaître de nouveau, puisqu'elle n'a aucune utilité pratique (2). Mais justement cette objection est un indice de plus du fait que la conscience n'est pas
un accompagnement fortuit de certaines fonctions, lequel pourrrait tout aussi bien être absent, mais qu'elle est un élément nécessaire de fonctions psycho-physiques déterminées, qui, à un degré donné de complication, sont nécessairement accompagnées de conscience ; que ceci ait un effet utile ou non.
On voit par là que ce que l'on appelle la conscience n'est autre qu'une notion collective, une conception abstraite résultant de la somme des phénomènes conscients, et qu'elle varie d'étendue, parce qu'elle exprime l'ensemble des fonctions psychiques en jeu dans un moment donné. L'observation interne déjà nous enseigne qu'il n'existe pas une conscience absolue, sans contenu, conception qui n'est qu'une abstraction logique. De même qu'il n'existe pas une volonté substantielle, mais seulement une série d'actions voulues, il n'y a pas une conscience existant en soi, mais une série d'états conscients. Nous ne connaissons pas la conscience, mais seulement des phénomènes conscients ; une conscience sans contenu est un concept vide de sens, de même que ceux de force ou de mouvement sans matière, et ce que l'on attribue à l'action de la conscience n'est autre qu'une modification du contenu de ce qui est conscient. Notre vie consciente se forme par l'accumulation d'impressions et de représentations successives jamais la conscience n'est pas une entité permanente, se développant comme un fil continu à travers la vie.
Jl faut donc envisager la conscience comme une fonction ou un phénomène concomitant d'un petit nombre de processus matériels dont l'organisme est le théâtre. Nous observons que tels ou tels processus ont lieu avec conscience, quoique jusqu'ici il soit impossible de déterminer les conditions qui font que cela soit le cas ou non ; en d'autres termes, de quoi il dépend que l'activité du système nerveux central soit consciente ou non. C'est faire fausse route que de vouloir expliquer la conscience par le mouvement, car conscience et mouvement sont deux notions hétérogènes ( La conscience ne représente pas non plus une force spéciale, puisqu'elle n'est qu'un état fie mouvement ne se transforme pas en conscience, mais certains phénomènes de mouvement dans le système nerveux central sont accompagnés de conscience.
Dans tous les cas, il ressort de ce qui précède que la conscience n'est pas une chose indépendante, agissant librement par elle-même. Si c'était le cas, il serait en notre pouvoir de soumettre à notre volonté l'oubli, les illusions, les visions et autres phénomènes, qui justement donnent la preuve du fait que nos prises de conscience sont indépendantes de notre volonté. De là vient aussi que souvent il surgit en nous des pensées en opposition avec nos inclinations ou notre jugement, ou telles qu'elles nous font horreur à nous-mêmes et que nous en avons honte. De même que l'on peut agir à rencontre de sa propre conviction, on peut penser, se figurer, inventer ce que l'on sait être faux. Nous sommes capables de penser d'une manière consciente, mais nous ne pouvons pas penser comme il nous semble bon ; nous ne sommes point
les maîtres absolus de nos pensées et n'en pouvons pas disposer à notre gré. Cela devient d'une grande évidence dans les cas pathologiques, où le malade est obsédé par des conceptions ou des impressions auxquelles il ne peut pas se dérober, quoique il en reconnaisse l'absurdité.
Les psychologues actuels ne sont point tous d'accord avec les idées que nous venons d'exposer. Par exemple, les adhérents de là doctrine de l'aperception, attribuent, dans beaucoup de cas, à la conscience un rôle considérablement plus actif que nous. C'est Leibnitz qui est le père de l'expression « l'aperception ». Il entendait par là une faculté spéciale de ses monades, qui venait s'ajouter [ad percipere) à la faculté ordinaire d'observation; elle consistait, d'après lui, d'une part, dans le don de coordonner harmoniquement les observations 'séparées, d'autre part, dans la voie conduisant à la conscience. A notre époque, le terme d'aperception a surtout été employé par Wundt, pour désigner une fonction psychique spéciale. Il appelle perception une impression produite sur le champ visuel, et aperception l'acte volontaire par lequel les perceptions sont portées sur le point visuel de la conscience. L'ensemble des processus subjectifs qui accompagnent cette aperception des représentations est réuni par lui sous la notion de l'attention, de sorte que l'aperception et l'attention font partie ensemble d'un même phénomène psychique, comme aussi la volonté et la conscience de soi se trouvent dans un rapport étroit avec la faculté d'aperception. En effet, l'aperception est l'activité positive consistant à fixer l'attention, se distinguant de la simple association involontaire, mécanique, des représentations, laquelle, d'après Wundt, ne suffît pas à expliquer l'apparition de la réflexion véritable et des volontés raîsonnées. Dans les débuts du développement psychique, la vie de l'esprit est constituée de simples fonctionnements associatifs de l'âme; mais cela change: dans une phase plus avancée, les fonctionnements intellectuels d'un ordre plus relevé sont caractérisés par un sentiment net d'activité personnelle: et dans les troubles de l'esprit, un des symptômes principaux consiste en ce que la réflexion logique, c'est-à-dire l'activité intellectuelle dirigée par la volonté, fait place à un jeu irrégulier d'associations incohérentes et inconsistantes.
Ainsi, d'après la doctrine de l'aperception, la volonté consciente ou l'attention interviennent dans la marche physiologiquement déterminée des fonctionnements cérébraux matériels, sans que son existence soit liée à quelque chose de matériel. En effet, toutes les tentatives que Ton a faites pour localiser la faculté de l'aperception dans une partie déterminée du système nerveux central ont complètement échoué. On ne saurait nier que, dans cette manière d'envisager les choses, on fait de l'aperception une sorte de deus ex machina qui intervient dans le fonctionnement, causalement déterminé, des associations, en violation de la loi de causalité strictement maintenue. Sans doute, cette faculté d'aperception qu'admet la doctrine en question vient fort à propos pour aider à expliquer bien des choses que les associations seules
expliquent difficilement ; toutefois on doit se demander s'il existe des motifs suffisants pour admettre l'existence réelle d'une telle faculté spéciale de l'âme, du moment que l'on n'en peut donner aucune preuve immédiate et positive, et qu'en définitive on ne la suppose qu'en désespoir de cause, parce que nous ne sommes pas parvenus à nous rendre un compte suffisant de la marche des fonctions psychiques supérieures.
Quelques brèves remarques, avant de terminer, au sujet de la conscience de soi.
Notre personnalité, consciente d'elle-même, est fort loin d'être notre personnalité tout entière; celle-ci reste pour la plus grande part cachée à notre conscience; elle dépend, pour une part, de notre constitution matérielle et des aptitudes et inclinations qui en découlent, et, pour l'autre part, des traces laissées par le passé que nous avons parcouru. Notre moi n'est pas une unité homogène invariable, mais le complexus composite et changeant du contenu de notre conscience, formé d'éléments multiples et sans cesse variant; car le contenu de notre conscience, à laquelle se rattache notre personnalité, est incessamment changeant. L'histoire du moi d'un individu est l'histoire même de sa vie; son moi se modifie d'instant en instant elle moi toujours identique à lui-même est une pure abstraction.
La conscience de soi, produit d'un long développement, se manifeste lorsque la conscience se dirig» sur elle-même. La conscience de soi est l'idée de nous-mêmes en qualité de sujet concevant, qui est en même temps objet de la conception. Il reste alors bien une différence entre le sujet et l'objet, mais ils s'identifient pourtant, parce que notre faculté de concevoir se porte sur l'acte même de la conception, qui devient contenu de ce que nous nous représentons.
D'après Ribot, le sentiment de notre individualité a pour base une mémoire organique, laquelle se forme sous l'empire d'un sentiment d'identité qu'éprouve l'individu à l'égard d'une série d'états conscients, qui ont laissé chez lui des traces de mémoire. Certainement l'existence d'une mémoire organique est une condition sans la réalisation de laquelle la conscience de soi ne saurait se manifester. En effet, l'enfant n'apprend que par l'intermédiaire de toute une série d'expériences à distinguer son moi du non-moi, et cette distinction suppose qu'il ait l'idée de son propre corps, laquelle se forme par la coordination de modifications expérimentées dans son corps avec des impressions organiques intérieures éprouvées dans le même temps. L'enfant peut, par exemple, commencer à avoir la conception de son moi, par le fait que quand il se touche lui-même, il éprouve, ce qui n'est pas le cas quand il touche ce qui n'est pas lui, une double sensation, celle de ce qui est touché et celle de ce qui touche. A cela viennent se joindre l'expérience organique de mouvements actifs que l'on a accomplis, les images du souvenir d'impressions antérieures, et la conception de rapports avec l'entourage, toutes choses qui concourent à faire naître dans l'esprit de l'enfant un sentiment de personnalité distincte, de conscience de lui, et à lui faire se distinguer de tout ce qui l'environne.
Le secret médical au point de vue psychologique,
par M. Henri Valentino, j
Un jeune docteur, M. Charles Valentino, a publié récemment la thèse qu'il avait soutenue sur a Le secret professionnel en médecine d (1).
Je suis attaché à l'auteur par des liens de parenté trop étroits pour pouvoir louer ou critiquer son travail; je désire seulement, à l'occasion de ce travail, présenter à la Société quelques courtes réflexions sur cette grave question du secret professionnel en médecine, en la considérant surtout au point de vue psychologique qui nous intéresse ici particulièrement.
Le secret médical, qui existe depuis la plus haute antiquité, puisque votre plus illustre ancêtre, Hippocrate, en fait un des principaux devoirs de la profession, a poussé de telles racines qu'il semble bien difficile de l'ébranler. Et d'ailleurs il parait à beaucoup de bons esprits tellement indispensable qu'il constitue pour eux une des bases essentielles de la profession médicale.
Cependant, si on examine d'un peu près cette prescription du secret médical, on reconnaîtra peut-être qu'elle existe surtout, comme beaucoup d'autres choses, parce qu'elle a longtemps existé, mais que les modifications profondes apportées depuis un certain nombre d'années dans les idées sociologiques ne permettent plus de la trouver aussi indiscutable.
En effet, qui bénéficie du secret médical? Le malade d'abord et ensuite le médecin. Mais il existe une autre personnalité dont on se préoccupe beaucoup plus aujourd'hui et qui semble au contraire avoir un intérêt capital à la suppression de ce secret : c'est la société. D'ailleurs, et dans l'intérêt de cette société, la prescription dont nous nous occupons a déjà reçu d'assez rudes atteintes, puisque la loi fait maintenant un devoir au médecin de déclarer un certain nombre de maladies.
Mais je ne veux pas insister sur ce coté de la question mise dernièrement à l'ordre du jour d'une manière retentissante par une pièce interdite par la Censure, ce qui a été loin de nuire à son succès de librairie. Je voudrais seulement examiner avec vous, sous trois autres de ses aspects, la question du secret médical :
1° Nature de la révélation que le malade fait à son médecin.
2° Que pense le malade du secret médical, et l'abolition de ce secret l'empécherait-il de se soigner?
iJ° Quelle est la situation du médecin en présence du secret médical ? Que serait-elle s'il venait à être aboli?
Quelle est la nature de la révélation que le malade fait à son médecin?
(1) D' Charles Valentino. Le secret professionnel en médecine. Sa valeur sociale. Préface par M. Jules Clarelîe, de l'Académie Française. C. Xaud, éditeur. Paris 1903.
Tout d'abord cette révélation n'est pas apportée bénévolement. Elle est pour ainsi dire obligatoire. Le malade ne peut pas s'y soustraire. Il est bien évident en effet que le malade ne va pas dévoiler ses tares, ses infirmités pour le plaisir de faire une confidence à son médecin. Il s'y résout parce qu'il ne peut pas agir autrement, parce qu'il a un besoin impérieux de recouvrer la santé, parce qu'il veut atout prix éviter la décrépitude, fuir la mort! La comparaison qu'on a tentée quelquefois entre le secret de la confession et le secret médical est donc tout à fait inadmissible. Le malade n'est nullement dans la situation du catholique qui confesse ses fautes à un prêtre. Le catholique peut toujours retarder le moment de la confession : l'urgence de ses aveux n'apparaît pas comme pour le malade. On peut penser que si le secret de la confession n'existait pas, le nombre des pénitents diminuerait considérablement : il n'est pas probable au contraire que, le secret médical aboli, la clientèle du médecin se trouvât sensiblement réduite.
Et d'ailleurs, le malade fait-il à un médecin une véritable confidence ? Dans la plupart des cas, il n'en est rien. Ce que le médecin sait, il l'a découvert lui-même. Je ne veux pas tenter la psychologie du malade, car on peut dire qu'il y a autant de psychologies que de malades, mais on sait combien il est difficile au médecin de se renseigner sur l'état de son malade et même sur les manifestations de la maladie. D'abord il est bien peu de malades en état de décrire avec quelque exactitude, même les sensations qu'ils éprouvent ou les douleurs qu'ils ressentent. Savoir faire parler un malade est une des qualités les plus nécessaires à un médecin. D'autre part, un grand nombre de malades, volontairement, trompent plus ou moins leur médecin. L'un n'hésitera pas à lui tendre des pièges pour éprouver sa science ; un autre taira son âge, atténuera ses infirmités, dissimulera ses tares : un autre cachera l'origine de la maladie, que sais-je ?.....
Voilà enfin le médecin qui connaît la maladie de son client. Ce que le malade lui a dit, il l'a dit, contraint et forcé, et le reste — le principal — le médecin l'a découvert lui-même. Or, cette maladie, ou elle ne peut toucher que le malade, et alors c'est bien entendu, le secret doit être gardé, la question ne se pose pas ; ou au contraire, elle intéresse toute une famille ou la société tout entière, et alors, quoi ? il faut encore que le médecin taise cette maladie qu'il a découverte, il faut qu'il assiste impassible au trouble, aux ruines morales et physiques, aux drames qui vont être la suite presque inévitable du mal qu'il a constaté ? Et pourquoi ? Pour assurer la tranquillité d'un individu ! *
Mais, dira-t-on, si le malade n'était pas sûr du secret, il ne se ferait pas soigner. Je ne le crois pas le moins du monde, et j'ai déjà exprimé l'avis que l'abolition du secret ne diminuerait aucunement le nombre des malades qui se font soigner.
Voyons, en effet, ce que peut penser le malade à ce sujet.
Mais, auparavant, faisons une distinction capitale et nécessaire entre le Secrei médical et la Discrétion médicale. Il est bien évident qu'il ne
peut s'agir d'autoriser le médecin à dévoiler sans motif les infirmités cachées de ses clients : il s'agirait seulement de l'autoriser à ne pas garder le secret lorsque l'intérêt d'une famille ou de la société l'exigerait absolument.
Le malade est évidemment partisan du secret médical, tout au moins tant que son intérêt particulier lui paraîtra l'exiger ; et, à son point de vue individuel et égoïste, je le comprends parfaitement, car la situation du malade dans la société est pénible, parce que toute affection constitue pour l'individu une indéniable infériorité qui entraine la plupart du temps une dépréciation morale. Il est tout naturel que cet individu cherchant à cacher une infériorité apprécie le secret médical. — Mais est-ce que ce sont les maladies les plus graves qu'on voudra ainsi dissimuler? — Pas le moins du monde. Le plus souvent ce seront les infirmités que les malades considèrent comme de nature à les rendre ridicules aux yeux du monde. Et, en ce cas, ce que redoutera surtout le malade, c'est l'indiscrétion ; et c'est pourquoi certaines personnes craindront de dévoiler à leur médecin habituel, surtout si elles sont en relations suivies avec lui, certaines affections ou infirmités pas très graves, mais désagréables à faire connaître.
S'il s'agit d'une maladie grave c'est autre chose, et les préoccupations de vanité passent vite au second plan.
Je ne vois pas un malade se disant : « Je suis atteint d'une maladie grave, — mortelle peut-être, car en fait il n'y a qu'une maladie grave qui puisse avoir pour autrui des dangers redoutables — cependant je ne me ferai pas soigner, car je ne veux pas qu'on sache que j'ai celte maladie. Ce malade stoique existe-t-il? C'est possible. Tout existe. Mais ? est une exception unique. Rappelons-nous ce que dit La Fontaine, qui fut un grand psychologue :
____« Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme Je vive, c'est assez, je suis plus que content*.
Oui, le désir de vivre, et de vivre, s'il se peut en bonne santé, est assez iort pour faire négliger toute autre préoccupation.
Qui n'a connu ces fanfarons de santé qui n'ont pas assez de railleries pour la médecine et les. médecins et qui, au moindre bobo, appelleraient à leur aide toute la Faculté. Certes, il en est qui retardent la visite au médecin, les uns par nonchalance, d'autres par appréhension, d'autres par vanité, d'autres — et les plus nombreux — par avarice, mais ils y viennent tous. En réalité, il n'est pas un homme qui ne crie « au secours » quand il est terrassé par la maladie. Tout le monde ne s'adresse pas au médecin : les uns appellent le sorcier du village, d'autres le zouave Jacob ou la demoiselle Couesdon, mais tous invoquent le guérisseur, en qui ils ont confiance et le consulteraient au besoin sur la place publique.
S'il en est ainsi, si l'on n'a pas à craindre la grève des malades, qui pourrait s'opposera l'abolition du secret médical? Serait-ce le médecin?
Messieurs, j'imagine que vous avez dû souvent, en présence de certains cas, vous trouver terriblement angoissés de ne pouvoir crier : « Prenez garde ! » à des malheureux que vous voyiez s'approcher du danger. D'ailleurs, certains d'entre vous se sontinsurgés contre cette prescription du secret, et n'ont pas hésité à déclarer que, par exemple, consultés par un père qui leur demanderait s'il peut en toute sécuri té donner sa fille à un homme qui va la souiller au premier contact, ils désobéiraient à la loi et répondraient : « Non, ne donnez pas votre fille à cet homme ».
Le professeur Brouardel lui-même, qui est un des grands défenseurs du secret médical, s'est trouvé obligé d'y manquer de la manière suivante, que rapporte l'auteur de la thèse qui a motivé celte communication : « Un jour, dit-il, il m'est arrivé de faire rompre un mariage en éveillant les préoccupations financières du père de la fiancée. Le futur gendre avait la syphilis, je n'étais pas sûr de le convaincre et d'arrêter le projet d'union; sa carrière dépendait de son futur beau-père, les familles avaient conclu plus que lui-même. Je ne pouvais arrêter les démarches de sa propre famille sans révéler le secret de mon malade. Je fis remarquer au père de la fiancée que son gendre n'apportait que les espérances d'une belle carrière, qu'il y avait lieu de demander au futur de contracter une assurance sur la vie proportionnée à la dot de la jeune fille. Le père de celle-ci accepta, il exposa sa volonté en ce sens. Le jeune homme ne voulut pas se soumettre à une épreuve dont il ne pouvait ignorer l'issue : le projet fut rompu ».
Sans doute, le professeur Brouardel n!a pas violé, à la lc-ttre, le secret médical, mais n'a-t-il pas trahi la confiance de son client? Comme le fait remarquer le Dr Valentino, il a usé d'un expédient, et « pour quel'eminent professeur Brouardel se soit trouvé réduit aux expédients, il faut vraiment que l'honnêteté et le code aient — en la circonstance — des exigences incompatibles ».
Donc, actuellement, la situation du médecin en présence du secret médical peut souvent être des plus pénibles. Je ne vois vraiment pas pour quel motif le médecin serait opposé à l'abolition de ce secret, sinon qu'il ne pourrait plus se reposer sur ce « mol oreiller de l'indifférence », dont parie Montaigne. Mais le niveau intellectuel et moral du corps médical français est assez élevé pour qu'en fin de compte il ne craigne pas de prendre les responsabilités morales qu'entraînerait sa liberté à ce point de vue.
Le médecin, alors, n'aurait plus qu'à obéir aux suggestions de sa conscience et il lui apparliendrait d'apprécier si les circonstances exigent qu'il signale à qui de droit un danger évident.
Il est bien certain, au surplus, que tout cela devrait être précisé et réglementé, mais ce n'est pas ici le lieu de traiter cette autre partie du sujet, et mon intention était simplement d'appeler l'attention de le Société d'hypnologie sur le côté psychologique d'une réforme qui est à l'ordre du jour.
Discussion
M. Bérillox. — L'abolition du secret professionnel présenterait, dans certains cas spéciaux, des avantages indéniables; mais, il ne faut pas perdre de vue les nombreux inconvénients qui en résulteraient. En fait, dit-on, la loi a déjà, dans une certaine mesure, entamé le secret médical en prescrivant la déclaration des certaines maladies contagieuses; il n'est pas sûr que la loi ait eu raison de le faire.
M. Hachet-Souplet. — Les carnets médicaux, qui tendent de plus en plus à se généraliser dans les familles, pourraient, sans que le médecin manquât au secret professionnel, éclairer ceux qu'il importe socialement de renseigner.
M. Jules Voisin. — Au double point de vue scientifique et social, ces carnets sont fort importants; mais ce n'est pas au médecin, c'est à la famille de les produire, si elle le juge à propos. Le médecin, lui, ne doit rien dire ; il doit garder le secret.
M. de Coynabd. — Vouloir inscrire sur le dit carnet les tares familiales, c'est exercer sur les descendants une suggestion néfaste. Le fils d'un fou, par exemple, pourra être obsédé par la crainte perpétuelle d'un accès imminent d'aliénation.
M. Demonchy. — Dans la pratique courante, l'obligation du secret médical permet de se débarrasser des parents, des amis, des commères, des concierges qui assaillent le médecin de questions indiscrètes au sujet du malade qu'il vient de visiter.
M. Paul Magnin. — Affranchis du secret professionnel, les médecins donneraient des conseils d'après leurs préférences et leur tournure d'esprit; ils jugeraient en tant qu'hommes et non plus en tant que savants; il en résulterait pour le public des vues contradictoires. Ainsi, tel de nos collègues autorise le mariage de ses syphilitiques après un certain nombre d'années de traitement, tandis que moi, par exemple, je l'interdis formellement.
M. Félix Regnault. — On attache trop d'importance au dogme de l'hérédité des maladies, lequel est en train de faire faillite. Si le mariage était interdit toutes les fois qu'il y a une tare quelconque dans la famille, y aurait-il un seul mariage possible, car quelle est la famille qui, de près ou de loin, ne comporte pas une tare quelconque ? Qui par exemple pourrait se flatter que, dans la série de ses ascendants, en remontant jusqu'au XVI· siècle, il n'y a pas eu un seul syphilitique ?
M. Cazaux (d'Eaux-Bonnes). — Je ne crois pas qu'il faille ainsi faire bon marché de l'influence héréditaire. On n'hérite pas de la tuberculose au point de vue bactériologique? Soit; en tout cas l'enfant de parents tuberculeux nait tuberculisable, avec un terrain prédisposé.
Traditions populaires relatives à la parole,
Par le docteur Chekvix.
I
section du filet chez les enfants
M. Paul Sébillot (*) affirme que l'usage de couper le frein, ou le subie est à peu près général dans les campagnes de la Haute-Bretagne.
• *
M. Moiset !a) assure que dans l'Yonne c'est une opinion acceptée par tous, que si Ton omettait de couper le frein aux nouveaux-nés, l'enfant serait muet.
.*
Dans le Poitou, suivant M. Desaivre (3), on s'empresse de couper le lignoux aux nouveaux-nés, dès leur naissance, parce qu'on croit qu'il empêcherait l'enfant de téter et plus tard de parler.
M. le Docteur Desaivre, de Niort, m'a écrit qu'un exemple bien observé lui avait permis de constater, conformément à mes conclusions personnelles, que le développement anormal du frein ne gène ni la succion chez le nouveau-né ni la phonation chez l'enfant. Il s'agit d'un membre de sa famille qui, élevé au sein tétait fort bien et qui, plus tard homme fait, s'exprimait avec beaucoup de facilité. Cependant, il lui était impossible de tirer la langue hors de la bouche ; c'est à peine si elle atteignait le bord des lèvres. Cette langue paraissait plus courte et comme aplatie transversalement.
*
• ·
M. P. Lavenot, curé de Camors, Morbihan :
s Dans ma paroisse, le jour de leur baptême, qui est aussi le jour ou le lendemain de leur naissance, tous les enfants sont présentés à une commère pour l'excision du filet de la langue. Ce filet est examiné et n'est coupé qu'à quelques-uns seulement. Si, plus tard, les autres ne pleurent pas ou ne tettent pas bien, ils sont rapportés à la commère, qui agit alors toujours et se sert de ses ciseaux de travail.
« La même chose se pratique, je crois, dans quelques autres paroisses du pays Vannetois, mais pas dans toutes. »
*
Paris, 1889, dit M. le Docteur Bidault, dans les Superstitions médicales du Morvan, page 66 : « Pour le mot fil, il y a des contradictions dans sa signification exacte.
(1) Coutumes de la Haute-Bretagne. — Maisonneuve, éditeur, 1886, p. 355. (2) Superstitions de l'Yonne, p. 2. (3) Croyances, p. 14.
Pour le suns ce mot désigne le frein de la langue: ils font couper le fil à leurs enfants. Pour les autres, ce mot s'applique aux douleurs lombaires, soit en ceinture (lumbago), soit le long du tronc et du membre inférieur (sciatique). Mais ces contradictions doivent peu nous étonner dans une matière aussi peu précise que les superstitions dont nous parlons* »
*
• ¦
Mme Roy,sage-femme à Sâint-Christophe-en-Brionnais(S.-et-Loire),a dit à M. Hippolyte Marlot que, sur 100 enfants qu'elle mettait au monde, elle faisait environ 15 fois l'Opération. et toujours à la demande des parents.
«
¦ ¦
M. Paul Fagot, le folkloriste attiré du Lauraguais, m'a donné les renseignements linguistiques suivants:
a Le frein de la langue, lorsqu'il est à l'état normal ou un peu prolongé de manière à embarrasser légèrement le fonctionnement de l'organe se nomme :
Fialet (petit fil) Bas-Languedoc. Fiai — Castres. Filet — Castres.
Fissou — environs de Villefranche (Haute-Garonne), a En cas de soudure complète de la langue au plancher de la bouche le filet prolongé se nomme : « Soulenghi ou soulengode sub lingua (environs d'Alais). « Serlengo, surlengo, sabalingo de supra linguam (Lauraguais).
« L'opération a lieu avec l'ongle du petit doigt ou avec des ciseaux ordinaires. La croyance est que cette opération facilite plus tard le bon fonctionnement de la langue, aussi dit-on d'un bavard: Lian coupât le sabalengo. ou hi an coupai le fissou.
Mon ami le DT Bugiel (de Paris) m'a dit avoir recueilli l'affirmation, chez les clients issus de la Vendée et de l'Ille-et-Vilaine, que c'est une coutume très répandue de couper le frein dès la naissance.
Il m'a confirmé qu'à Paris, les sages-femmes le font couramment aussi.
Notre savant collègue, le Dr Fiessinger, d'Oyonnax, dit dans la Thèra~ peutique des vieux maîtres, en parlant de Fabrice d'Aquapendente (1537-1619):
* Des ongles non taillés par devoir professionnel, on voyait cela au xvi· siècle. Les sages-femmes du temps avaient charge de montrer cette curiosité, l'ongle de l'index surtout. Plus long et pointu était-il, mieux l'usage en apparaissait approprié. Car c'était un instrument de chirugie une façon de bistouri corné, cet ongle que les ciseaux n'entamaient pas.
Il ne servait à rien moins qu'à déchirer le filet de la langue chez les nouveau-né. Que des accidents graves fissent suite à cette intervention la sérénité des matrones ne s'en émouvait guère : on leur avait prescrit de déchirer le filet. Quand on opère suivant les règles, on peut laisser mourir les gens. La satisfaction du devoir accompli permet de se retirer tète haute.
« Non pas, protesta Fabrice d'Aquapendente. D'abord il n'est pas nécessaire de couper te filet, et l'opération, par exception, devint-elle indispensable,elle serait pratiquée avec un bistouri courbe.
« Ce médecin, qui ne craignait pas de déchaîner contre lui l'amour-propre des matrones, était professeur à Padoue, où il avait remplacé Fallope en 1565. »
Le Docteur Hofler, de Tolz (Bavière), le très savant traditionnaliste de la médecine populaire, m'a faitl'honneur de m'écrire à ce sujet et de publier dans Monatschrift fur Volkkunde du Dr Krause un très intéressant article sur mon questionnaire.
Le Dr Hofier, m'a confirmé que l'opération de la section du frein se fait également en Bavière chez les nouveaux-nés par le ministère des médecins, en suivant le procédé classique.
?
M. Natchoff, directeurdu Gymnase des Demoiselles à Varna(Bulgarie) m'a envoyé les très intéressants renseignements qui suivent;
La coutume découper le frein (f; est universellement répandue en Bulgarie chez les nouveaux-nés, chez les enfants et même chez des adultes.
Dès qu'un enfant vient au monde, les matrones ont soin d'examiner si la langue est bien constituée, tant au point de vue de la succion que de la parole future.
A Krouchovo (Vilayet de Monastir, Macédoine^, si l'enfant pleure trop, la matrone examine avant tout sa langue, et si elle pense que le frein est trop long, elle ne cherche pas ailleurs la cause des pleurs, l'opération est faite. L'opération a lieu également lorsque l'enfant tette mal.
Dans la Bulgarie centrale, d'après l'ethnographe bulgare bien connu, M. Tsani Guintcheff, l'opération n'alieu que si l'enfant tette mal. On s'abstient alors même qu'il serait kaSSOIEzitchno, c'est-à-dire à la langue courte, ou podwardzano, c'est-à-dire à la langue liée. Mais en grandissant, s'il parle avec difficulté, on l'opère. L'opération, en somme, est redoutée à cause des suites fâcheuses qu'elle parait avoir.
A Prilep. lorsque l'opération n'a pas donné chez les bègues un bon résultat, on la renouvelle plusieurs fois.
(t) Chez les Bulgares de Prllep(Macédoineï.le frein sur la langue s'appelle diviéjik langue sauvage, tandis que tous les autres Bulgares l'appellent iouzditchka, ou plutôt se servent du mot guem, bride.
(1) La pièce d'argent joue en Bulgarie un grand rôle dans d'autres opérations délicates, entre autres pour les organes génitaux des enfants, surtout du sexe féminin.
L'opération est faite te plus souvent par des matrones, mais si elles n'ont pas suffisamment d'expérience, ce sont d'autres vieilles femmes, spécialistes dans l'art de couper les freins de la langue, qui s'en chargent (Gavrovo, Bulgarie centrale ; Kronchovo, Prilep ; Malko-Tirnovo, Vilayet d'Andrinople).
D'après le D[ Radeff, de Varna, les médecins ne font l'opération chez les nouveau-nés que lorsque les parents l'exigent. Dans ce cas, ils se servent, comme partout, de la sonde cannelée et des ciseaux courbes.
L'opération se fait le plus souvent avec une vieille monnaie d'argent (') mince et usée, dont la circonférence est rendue tranchante par un aiguisage prolongé sur une pierre dure.
A Grabovo, c'est le barbier qui fait l'opération sur les enfants et il se sert naturellement de son rasoir.
A Prilep et dans la Bulgarie centrale on se sert de petits ciseaux ou d'une aiguille de pelletier à 3 arêtes, comme le conseillait jadis Avicenne ; le frein est sectionné a l'aide de l'aiguille préalablement introduite entre la langue et le frein.
•Après l'opération, la plaie est quelquefois recouverte de cendres de coquillages, de moules, pour aider à la cicatrisation.
En Pologne, d'après Mme Sophie Kowerska, de Jozwow, qui a bien voulu répondre à mon questionnaire, on coupe le frein de la langue aux enfants qui ne peuvent téter, qui le font avec difficulté ou qui ne prononcent pas distinctement.
L'opération est généralement exécutée par une sage-femme ou un barbier, qui est ordinairement un juif. On soulève la langue avec une petite cuiller et on coupe le frein avec des ciseaux, un couteau bien aiguisé, ou avec un rasoir. Mais, dans ce cas, pour ne pas risquer de laire une coupure trop profonde, on entoure de toile la lame du rasoir en ne laissant que le bout à découvert.
•
Swicteck dit ('} que si un enfant est venu au monde avec un frein développé, on le coupe avec des ciseaux et on oint la plaie avec de l'huile pure.
» *
Mon ami M. Th. Volkov m'a dit que, dans sa jeunesse, l'usage de couper le frein de la langue était très fréquent dans la petite Russie, mais seulement dans les classes supérieures de la société. M. Volkov n'a jamais lu ni entendu dire que cette opération fut pratiquée dans les villages chez les paysans.
C'était également l'opinion de feu M. Dikarev l'ethnographe petit russien bien connu, qui, questionné par M. Volkov, lui a dit que l'usage de couper le frein est très commun, mais seulement dans les familles du
clergé, de la petite noblesse et des marchands. Ce sont les médecins, les chirurgiens ou les sages-femmes qui font l'opération.
Mlu Alex. Rammelmeîer a écrit, par contre, à M. Volkov que l'usage de couper le frein est répandu dans toute la Lithuanie et dans toutes les classes de la société.
M. Wissendorff, de Saint-Pétersbourg, dit que les Lettes ne pratiquent pas la section du frein de la langue.
*
• a
M Thomaz-Pires d'Elva, Portugal, m'a dit que la section du frein se fait, à la naissance par les sagés-ferames avec l'ongle du pouce, qu'elles laissent croître à cet effet.
M. Délacovios dit qu'en Grèce, on ne coupe pas le frein aux nouveau-nés, mais seulement à l'âge de deux ou trois ans lorsqu'ils ne parlent pas.
I
Miss Marian Roalfe Cox, de Londres, me dît tenir de sa mère qu'il est d'usage, dans les villages, que les matrones coupent le filet aux enfants qui tettent mal.
M. Corrado Avolio, de Xoto (Sicile), m'a envoyé les renseignements suivants :
« L'opération de couper le frein de la langue se fait rarement dans nos environs, c'est le chirurgien qui l'exécute dans la première jeunesse lorsque le frein est un obstacle à téter.
« Dans les couches profondes des superstitions populaires, on croit que couper le frein sans nécessité c'est offenser saint Paul, lequel a voulu donner à l'enfant une marque de sa bonté, en lui plaçant sous la langue une tarentule, parce que le peuple voit dans les rameaux veineux une araignée et qu'on pense que saint Paul veut en faire un sorcier (ciaràuli(1) en dialecte napolitain).
« Les ciarauli, suivant la croyance populaire, ont tous une tarentule à la place du frein et jouissent de certaines immunités : les morsures de serpents et d'autres animaux venimeux ne leur font aucun mal, ils peuvent rendre ces animaux inoffensifs, ils devinent l'avenir, chassent les démons et éloignent les fléaux de la terre et, par mille procédés mystérieux, ils vivent aux dépens de l'ignorance et de la superstition du peuple ».
M. Corrado s'est occupé de ces parasites sociaux dans son livre Chants populaires de Noto, p. 345; 365 et 366.
(1) Le peuple des bords de la Raba. — Cracovie, 1897, p. 606.
Voici une manière d'exorciser employée par les ciaràuli .·
Saint Paul le sorcier, Epine de laurier, Epine très aiguë,
Ne me faites pas de mal ni aux autres.
On donne en Sicile le nom de saint Paul à un homme éloquent; et celui de langue de saint Paul à un homme de paroles médisantes D'une personne qui parle beaucoup, on dit qu'elle parle comme un ciaràuli. Il semble qu'on attache à cette tarentule, ou plutôt à cette protubérance du frein, une vertu d'éloquence bien différente du bégaiement.
¦ *
Le Dr Giuseppe Pitre, de Palerme, m'a envoyé des documents d'autant plus intéressants qu'il a lui-même étudié la question.
Et d'abord, au point de vue général, M. Pitre ma dit que la section du frein de la langue s'appelle sgargix et se fait ordinairement par la sage-femme dès la naissance; elle se fait quelquefois plus tard et les mères l'exigent comme étant indispensable au développement futur de la parole.
Les médecins l'exécutent également à l'aide de ciseaux, à la demande des familles.
Les sages-femmes font l'opération en s'enduisant préalablement le doigt de sirop (Palerme; ou de miel (Sicile).
M. Pitre ayant traité cette question dans son ouvrage sur les usages et coutumes de la Sicile, nous donnons la traduction du passage qui nous intéresse particulièrement.
La seciton du frein de la langue en Sicile ('1).
« Beaucoup de sages-femmes ont l'habitude de sgargiari, c'est-à-dire de rompre avec le doigt le frein de la langue du nouveau-né. Pour cela, elles laissent croître leur ongle et trempent ce doigt dans le miel, sans quoi — comme Ta dit un poète du xvi* siècle, Paolo Catania [*] — l'opération ne réussirait pas :
Cu lu meli lu sgàrgia Îa mammana, Senza lu meli, l'opra Sarria uana.
Ce qui veut dire : La sage-femme lui coupera le frein avec le miel, parce que sans le miel l'opération ne réussirait pas. c Catania continue :
In nasciri chi fa l'homu a la luci, Di lapa pigghia lu primu alimentu, A pena chi dat'ha la prima vuci, Lu so licuri è primu civimentu.
(I) Extraits de l'ouvrage de M. le D'Giuseppe Pitre : Usages,coutumes, croyances et préjugés du peuple sicilien (vol. II, p. 146. — Palerme, 18S9). (î) Paolo Cataxia. Teatro délie Humane miserie, I., n. 301, ouvrage du ???.
Ce qui veut dire : L'homme en naissant prend à l'abeille son premier aliment et cet aliment est sen premier repas, après avoir poussé son premier cri.
« C'est une idée populaire confirmée par les littér ateurs [') que cette opération est indispensable pour éviter le bégaiement.
« On désigne sous le nom de sgàrgiu un petit vase d'argent dans lequel on met du julep ou du miel employé lors de la taille du frein de la langue (*).
« Ce petit vase, muni d'un couvercle, repose sur un plateau et fait partie des usages nuptiaux en Sicile; il est conservé religieusement par ceux qui le possèdent et chez qui on l'emprunte quand c'est nécessaire.
« On croit généralement qu'on doit couper le frein de la langue au nouveau-né pour que celui-ci, plus âgé, puisse parler facilement. Pour obéir à cette croyance, la sage-femme trempe son doigt dans un peu de julep recueilli dans le sgàrgiu et coupe le frein de la langue.
« Beaucoup de femmes demanderont compte plus tard de cette opération, si leurs enfants n'ont pas la langue libre ou s'ils bégayent, «
¦
? *
M. F. Corazzinî, de Florence, dit que la section se fait dans les premiers jours de la naissance. C'est la sage-femme qui la fait avec l'ongle du pouce, pressant l'ongle de l'index. On la fait faire quelquefois par le médecin chargé de constater la naissance ; on prétend que l'enfant serait bègue si on ne faisait pas cette opération.
* >
M. Amalfi, de Torre-Annunziata, m'a écrit :
? Chez nous aussi on a l'habitude de couper le frein de la langue, spécialement dans les classes populaires, et cette opération se fait au moment de la naissance de l'enfant. Cortese, écrivain napolitain du ??G siècle, parlant des opérations d'urgence qui doivent être faites par les sages-femmes, s'exprime ainsi : Couper le filet de la langue... (Va-janeide, II, 5}.
« Ce passage est indiqué dans mon opuscule : Le berceau, le lit nuptial et la. tombe dans le Napolitain (Pompei, 1892, p. 9).
« La croyance populaire attache une grande importance à cette opération : le nouveau-né ne parlera pas bien s'il ne la subit pas. Et à quelqu'un qui parle mal on dit qu'il n'a pas eu le frein coupé, de sorte que cette expression : couper le frein, équivaut à commencer à parler. Avoir le filet coupé c'est bien parler.
(11 Un accoucheur des premieres années du xix* siècle écrivait: « \; .? ¦ ne saurio'is trop protester contre l'usage des sages-femmes qui dans leur ignorance, se laissent croître l'ongle du pouce droit pour s'en servir comme d'un couteau pour couper le frein de la langue, sans penser aux dangers graves qui peuvent résulter de cette opération. L'opération finie, la sage-fomme trempera son doigt dans le miel rosé et !e passera sur la pluie de la coupure. » Merulla, Instructions, vol. II, pages 61 et 61.
(2) G. Pitre, Catalogue illustré de l'ethnographie en Sicile, pages 31-32. Païenne, Virgi 0892).
ß Cette opération est tellement enracinée dans le peuple que, parmi les premières recommandations de la nouvelle accouchée, se trouve celle de couper le filet de la langue afin d'éviter le bégaiement chez le nouveau-né. »
Nous venons de citer des cas où la langue est considérée comme trop courte à cause du frein qui la maintient dans la bouche.
Nous pourrions citer des observations absolument opposées, des cas d'hypertrophie en longueur de la langue. Ces cas de macroglossie. lingua propendu la, etc., sont incontestablement très rares. On en trouve un exemple très bien écrit par M. Girod, avec ligure à l'appui, dans la Gazette des Hôpitaux du 3 mars 1900. Il s'agit d'une malade de la Sal-pétrière, dont la langue bien étalée dépassait les arcades dentaires de 7 centimètres et débordait ainsi de l'extrémité du menton. Cette personne présentait des troubles de langage, et la perte de la parole s'était faite progressivement et parallèlement avec l'augmentation de croissance de la langue.
expressions proverbiales
Nous retrouvons à peu près partout la même phrase lorsqu'on veut parler de quelqu'un qui parle beaucoup, qui parle trop ou qui parle bien :
Celui qui lui a coupé le filet n'a pas volé ses cinq sous.
Cette expression devenue proverbiale témoigne, à la fois, de la fréquence de l'opération et du prix habituellement payé à l'opérateur.
II y a naturellement quelques variantes suivant les patois ou les idiomes locaux; mais le sens général est le même. En voici quelques exemples pris tant en France qu'à l'étranger;
Poitou. — Celui qui t'a coupé le lignoux n'a pas volé ses cinq sols.
D' Dcsaivre, de Niort
Bourbonnais. — So garce que l'ayo copa lo fiou a bene gayno so cin sàos (Cannât et environs).
Lo fumel qua copà li fio da so gars asta bene gagna sa cin sàos {La Prugne, La Palice).
(M. Francis Pérot, de Moulins).
Bretagne.— Distagnelet madeo bet gadan amyegnin. Ce qui veut dire : On lui coupé le filet, il parle trop.
(Dr Mauricet, de Vannes).
Autriche. — Einem die Zunge losen. — On lui a coupé le filet.
« L'opération est confiée aux sages-femmes, qui l'exécutent en déchirant le frein avec les ongles du pouce et de l'index. Il existe de nombreuses phrases, qu'on fait réciter aux enfants pour juger de leur
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Hématuries d'origine hystéro-traumatique.
M. R. Bernard, médecin militaire, présentait récemment à la Société Médicale des Hôpitaux, un soldat qui a été atteint d'hématurie. La première crise s'est manifestée à la suite d'une rétention d'urine qui durait depuis quinze jours, et qui était elle-même survenue brusquement, avec perte de connaissance, après un effort. L'origine hystéro-traumatique de ces accidents, que l'on attribua tout d'abord à une affection organique n'a été reconnue que dans ces derniers temps, grâce à la constatation des stigmates habituels de la névrose (hémianesthésie gauche en caleçon rétrécissement concentrique du champ visuel, etc.). Ces stigmates, qui n'existaient pas autrefois, sont apparus récemment à la suite d'une ébauche de crise d'hystérie à forme vertigineuse et syncopale. D'autre part, les renseignements recueillis sur cet homme ont appris qu'avant d'entrer au régiment, il avait été frappé d'un coup de soleil, et que, consécutivement à cet accident, il avait eu une attaque convulsive caractérisée par de grands mouvements cloniques.
M. JoffroY, prenant la parole à propos de ce cas, fait remarquer que les phénomènes présentés par ce malade peuvent être rapprochés de ceux qu'on observe chez les sujets qui ont subi une violente commotion physique ou morale (collision de chemins de fer), troubles qui donnent si souvent lieu à des actions en justice.
Or, tant que ces instances restent pendantes devant les tribunaux, les
prononciation. Telles sont celles recueillies par Molinaro [Ch&nts des populations napolitaines, Naples, Argenio, 1880, p. 45).
(Dp Friedrich Krauss, de Vienne.)
Portugal. — Cortaram-lhe bem ? freio. — On lui a bien coupé le filet.
Nào tem freio na lingua . — Il n'a pas de filet dans la langue.
(M. Thomas Pires, d'Elva, Portugal.)
Belgique.— (Brabant-Wallon). — El cien qui a pindu s'langue a bi gangné ses cin sous.
(M. Georges Williame, de Nivelles.)
Italie. — Se vede che la comare va ben tagià el fileto. — On voit bien que la sage-femme lui a bien coupé le filet.
(Dr Gesare Musatti, de Venise.)
Avere ? non avere lo bene, ? male sciolto . — Avoir ou ne pas avoir le filet bien ou mal coupé.
(Dr Gherardo Nurcci, de Moniale, Pistoia.)
malades ne guérissent pas; lorsque, au contraire, elles sont définitivement tranchées, la guérison ne tarde pas à se manifester. Il faut donc, en pareil cas, informer les intéressés que la guérison du malade est subordonnée à la rapidité de la décision à intervenir ; en ce qui concerne, en particulier, le soldat présenté par M. Bernard, il est certain que sa mise en réforme sera suivie de son complet rétablissement.
La Camphoromanie
Aux États-Unis, règne depuis quelque temps la camphoromanle ! Oui, l'intoxication par le camphre. Après l'opium, après la morphine, après l'ingestion de l'eau de Cologne, des eaux dentifrices, voici venir la mode d'absorber de l'eau camphrée ou même dû camphre à l'état solide. La camphoromanio est spéciale aux élégantes, qui s'imaginent que le camphre en usage interne leur assure la fraîcheur du teint. Peu à peu elles s'habituent à la drogue et Unissent par ne plus pouvoir s'en passer.
Or. l'usage du camphre détermine rapidement des somnolences continuelles, de la torpeur intellectuelle et une faiblesse générale. Le visage des camphoromanes prend une expression apathique et indifférente telle qu'on dirait qu'il est recouvert d'un masque. ? monomanies dangereuses! Souhaitons avec M. Henri de Pavîlle que la camphoromanie ne franchisse pas l'Atlantique.
L'épidémie de prières
La Société qui exploite les naïfs par l'idée de guérir les maladies par la prière a trouvé un concurrent redoutable en la personne du P. Salba-dius.
Celui-ci, nous rapporte un journal du malin, travaille pour son propre compte et envoie des prospectus imprimés sur des cartes postales.
Il est breveté, s'il vous plaît: dans une note, il appelle l'attention sur la marque dont ses invitations sont ornées et prévient le public contre les contrefaçons.
Le P. Salbadius avertit aussi ses clients que ceux qui ne paieraient pas souffriraient à nouveau des maladies qu'il se fait fort de guérir.
Auto-suggestion religieuse
Une vive effervescence règne à Naples parmi les habitants du quartier de la Santé. Plusieurs d'entre eux ont affirmé avoir vu la statue de la madone de la Chapelle verser des larmes de sang.
Le curé a dû bientôt se convaincre qu'il s'agissait simplement d'un phénomène d'auto-suggestion. Mais lorsqu'il déclara qu'il n'y avait aucun miracle, la foule furieuse l'attaqua et le roua de coups. Le pauvre ecclésiastique n'échappa au lynchage qu'en se réfugiant dans sa maison.
La suggestion par le bleu de méthylène
On se rappelle, qu'en plusieurs circonstances des cures suggestives à l'aide du bleu de méthylène ont été rapportées à la Société d'hypnologie et de psychologie : en voici un nouveau cas communiqué par M. A. Souques, à la Société médicale des hôpitaux.
Il s'agit d'un homme de vingt-sept ans qui, depuis une quinzaine d'années, présentait tous les jours et souvent plusieurs fois par jour des crises d'asphyxie locale des extrémités, localisées habituellement à la main gauche, quelquefois aux deux mains. Provoquées par le contact de l'air ou de l'eau froide, plus fréquentes en hiver qu'en été, ces crises vaso-motrices s'accompagnaient d'anesthésie et de douleurs très vive*. Pendant les paroxysmes qui duraient une heure, la température locale s'abaissait de 5° C. Puis la coloration violacée, la douleur et l'hypothermie s'atténuaient parallèlement et disparaissaient progressivement. Ces troubles vaso-moteurs étaient survenus pour la première fois vers l'âge de douze ans, à la suite de plaies tenaces des deux mains. D'abord quotidiens, ils se répétaient depuis un certain temps, plusieurs fois dans la même journée.
L'examen de cet homme ayant révélé, dans son passé et dans son état actuel, des stigmates manifestes d'hystérie, l'auteur eut recours à la suggestion indirecte. On fit prendre au malade une pilule soi-disant fulminante, contenant en réalité du bleu de méthylène; on lui affirma avec conviction qu'il serait guéri si ses urines devenaient bleues, parce que la couleur bleue de la main serait passée dans l'urine. Les urines devinrent bleues, et l'asphyxie locale, ainsi que tous les symptômes concomitants, disparurent rapidement. Depuis quelques jours la guérison se maintient chez ce sujet qui, depuis trois mois, avait huit crises par jour.
Cette observation présente un intérêt à la fois théorique et pratique. Jointe à quelques faits analogues, elle montre, en effet, qu'il existe une forme hystérique de la maladie de Raynaud — forme qui ne semble pas se compliquer de gangrène — et qu'il importe de la savoir dépister car elle est curable par essence.
Les fumeurs d'opium en Sibérie
L'habitude de fumer de l'opium se répand de plus en plus dans la Sibérie orientale et les autorités russes ont dû recourir à des mesures spéciales.
A Vladivostok, la police a découvert trente-deux « fumeries » d'opium, a Xikolsk dix-huit, à Novokiewsk treize et à Irkoutsk quatre.
La passion de l'opium est répandue chez les fonctionnaires et leurs femmes; la classe ouvrière en est encore indemne.
L'Administrateur-Gèr&iù : Ed. BÉRILLON.
18e Année. — ?* 3. Septembre 1903.
BULLETIN
La psychologie et l'hypnotisme au Congrès des aliénistes
et des neurologistes
Le treizième Congrès des aliénistes et neurologîstes de langue française vient de tenir ses assises à Bruxelles. Cette réunion a présenté un intérêt exceptionnel, tant par les communications exposées que par les diverses excursions scientifiques qui avaient été ajoutées au programme (1). Le mérite de ce succès doit être reporté tout entier aux deux principaux organisateurs. Par l'autorité avec laquelle il a présidé le Congrès, mais aussi par son tact parfait et par son exquise amabilité, M. le professeur Francotte s'est concilié d'emblée la sympathie et l'admiration de tous. Quant au secrétaire général, M. le Dr Crocq, il n'y a que des éloges à lui adresser pour la façon remarquable dont il s'est acquitté de la tâche difficile qu'il avait assumée.
? un autre point de vue, nous avons été satisfaits de constater la pénétration dans le Congrès de l'esprit vraiment psychologique, qui ne s'était manifesté que fort timidement dans les Congrès précédents. Déjà, l'année dernière, M. le professeur Bordier, l'éminent directeur de l'Ecole de Grenoble, avait été très heureusement inspiré, lorsque souhaitant la bienvenue aux congressistes, il avait exposé l'influence que les études psychologiques sont appelées à exercer sur les progrès de la psychiatrie et de la neurologie. Cette année, M. le professeur Francotte s'est révélé un psychologue de premier ordre en ouvrant les travaux du Congrès par une remarquable étude sur la timidité. Il aura certainement contribué, par cet exemple, à préparer pour les études psychologiques, la place qu'elles
(1) Nous donnerons dans notre prochain numéro le compte rendu des excursions aux colonies d'aliénés de Gheel et de Lierneux.
méritent d'occuper clans les Congrès d'aliénistes et de neuro-logistes de l'avenir.
Parmi les aliénistes, il en est heureusement un certain nombre qui se tiennent au courant des études sur l'hypnotisme et la psychologie. Mais, par contre, on constate avec étonnementle dédain profond que quelques-uns professent encore pour ces questions. On ne saurait concevoir à quel degré des hommes qui s'arrogent le droit d'apprécier et de définir l'état mental des autres, se désintéressent de tout ce qui de près ou de loin se rattache à la philosophie et à la psychologie. Le connais-loi toi-même, de Socrate, leur est parfaitement inconnu. S'ils redoutent de se l'appliquer c'est peut-être par crainte de constater que l'esprit de routine est surtout la caractéristique de leur propre état psychologique. En réalité, le dédain qu'ils professent à l'égard de l'hypnotisme, de la psychothérapie et de toutes les questions qui se rattachent à l'influence du moral sur le physique, ne proviennent que d'une ignorance trop souvent compliquée de suffisance.
Malgré les oppositions systématiques, les idées nouvelles progressent. On Ta bien vu à ce congrès où les communications relatives à l'hypnotisme ou à la psychothérapie figuraient en grand nombre au programme. Elles avaient pour auteurs MM. Paul Joire (de Lille), Peeters (de Bruxelles), Jules Voisin, Paul Farez, Pierre Janet, Bérillon (de Paris), Huygne (de Lille), Bernheim (de Nancy), M. Lipinska (de Varsovie), Dubois (de Berne).
Nous devons également mentionner une fort intéressante communication de Mme Stéphanowska (de l'Institut Solvay), accompagnée de projections, sur l'hypnotisme chez les grenouilles.
Ce travail nous parait destiné à jeter une vive lumière sur le mécanisme intime delà production des états de l'hypnotisme et nous nous ferons un devoir de le publier dans la Revue de VHyp-notisme, ainsi que les communications des auteurs cités ci-dessus.
Nous devons ajouter que, dans une communication sur la douleur, M. le professeur Brissaud a exposé des idées qui se rapprochent beaucoup de celles qui ont été maintes fois défendues dans cette Revue. A l'occasion de cette communication, M. le professeur Bernheim a justement rappelé que les médecins qui pratiquent l'hypnotisme possèdent depuis longtemps sur ces questions des vues qui apparaissent aujourd'hui comme des révélations à ceux qui commencent seulement à s'en occu-
per. C'est également l'impression qu'ont ressentie ceux qui ont entendu raconter par M. le Dr Gilbert-Dallet, que depuis un an on guérissait couramment, dans son service à l'hôpital, les vomissements incoercibles de la grossesse par l'emploi d'un traitement purement psychothérapeutique.
Cela prouve que nos efforts ne sont point stériles, puisque nous voyons se rallier ainsi à nos opinions, des hommes qui n'avaient pas toujours attaché autant d'intérêt aux applications de la psychothérapie. L'avenir nous révélera de nouvelles surprises à cet égard. Les idées que nous soutenons depuis de longues années dans cette Revue deviendront de plus en plus monnaie courante, à mesure que l'on se rendra mieux compte que la psychothérapie comporte, dans ses applications multiples et variées, l'emploi de méthodes rigoureuses. Pour traiter un malade par l'hypnotisme, il ne suffit pas de vouloir, il faut aussi savoir. Ce savoir est difficile à acquérir, mais depuis quelques années l'enseignement de l'Ecole de psychologie de Paris accroît chaque année le nombre de ceux qui savent. Nous avons été heureux de rencontrer au Congrès de Bruxelles un grand nombre de jeunes confrères belges qui avaient suivi avec assiduité les cours de l'Ecole de psychologie et parmi eux en particulier un des premiers assistants de l'Ecole, M. le Dr Van Velsen, dont l'Institut de psychothérapie obtient à Bruxelles le plus grand succès.
Nous avons constaté également avec plaisir la présence au Congrès d'un grand nombre de membres français et étrangers de la Société d'hypnologie et de psychologie, ils nous ont fourni une fois de plus l'occasion de constater qu'ils savaient associer au plus haut degré les idées de progrès aux sentiments de solidarité et d'affectueuse confraternité.
La suggestion pendant la narcose produite par quelques dérivés halogènes de l'ethane et du méthane (suggestion éthyl-méthylique) (1)
par M. le Dr Paul Parez Professeur a l'Ecole de psychologie.
En thérapeutique nerveuse ou mentale, de nombreux cas paraissent justiciables du traitement moral. Or celui-ci ne remplit pas toujours les espérances qu'on a fondées sur lui. C'est
(1) Communication faite au Congrès des aliénistes et neurologîstes de France et des pays de langue française, xiiie session, Bruxelles, août 1903.
que certains opérateurs, trop pressés ou trop confiants en eux-mêmes, formulent la suggestion, d'emblée, sans avoir préparé le terrain sur lequel elle doit germer ; aussi reste-t-elle inféconde.
L'acte suggestif, en effet, comporte deux moments. Dans une phase préparatoire, on réalise l'hypotaxie ; on développe la suggestionnabilité du sujet; on accroît sa réceptivité; on suspend ses résistances; on le plonge dans un état de passivité, d'inertie, de torpeur, de somnolence ou de sommeil; on l'oriente vers l'anidéisme. Alors seulement commence la seconde phase ou idéoplastie : à la faveur de cet anidéisme, la suggestion installe dans la conscience ou dans la subconscience suivant les cas, un état de monoîdéisme, lequel développe efficacement ses conséquences psychologiques ou somatiques, puisque tout ce qui lui était contraire a été préalablement inhibé.
L'hypnotisation est, de tous les procédés, celui qui réalise le mieux le premier temps, celui de Phypotaxie. Une fois hypnotisé, en effet, le sujet devient tout à fait apte à être suggestionné. Malheureusement, chez certains malades, c'est en vain qu'on s'acharne à vouloir produire l'hypnose ; trop concentrés ou trop distraits, ils sont mal ou peu impressionnés par les procédés psychophysiologiques communément employés- Pour ces cas rebelles, on a proposé, comme ressource suprême, la chloroformisation.
Il est vrai que la thérapeutique morale a enregistré un certain nombre de guérisons survenues à la suite de suggestions faites pendant la narcose chloroformique. Mais le chloroforme est d'un maniement fort délicat ; il comporte, pour nos malades spéciaux, des complications et des inconvénients multiples, surtout au réveil. En somme, nous ne l'employons qu'exceptionnellement et après bien des hésitations.
Pour les malades justiciables de la psychothérapie et réfrac-taires à l'hynotisation, je propose de remplacer le chloroforme par quelques dérivés halogènes (1) de Péthane et du méthane, en particulier par un mélange dont je me sers couramment dans ma pratique, depuis plusieurs mois, et qui est ainsi constitué : chlorure d'éthyle, 65, chlorure de méthyle, 30, et bromure d'éthyle, 5.
^
(1) On appelle halogènes les métalloïdes qui se combinent directement avec les métaux pour former des sels; les produits qui en résultent sont dits : dérivés halogènes; tels sont les chlorures, bromures, etc.
Suivant les doses employées, les cas pathologiques, la mentalité du malade, ses préventions, sa susceptibilité spéciale ou son accoutumance, l'éloignement ou le rapprochement des séances, la technique employée non seulement pour l'administration de l'anesthésique, mais encore pour la formulation même de la suggestion, suivant aussi le contenu de cette dernière et la présence ou l'absence de certaines excitations psycho-sensorielles, je réalise tantôt l'un, tantôt l'autre de ces trois états psychologiques : narcose proprement dite, hyper-narcose, hyponarcose.
La narcose confirmée répond à une sorte d'automatisme psychologique; la pleine conscience est suspendue, mais la subconscience veille; celle-ci est impressionnée parles diverses excitations sensorielles et elle reçoit la suggestion en tant que suggestion. Cette narcose comporte souvent,à sa période d'invasion, des hallucinations hypnagogiques, puis, lorsqu'aucune suggestion ne les contrarie, des rêves, avec ou sans accompagnement de phénomènes moteurs, et souvenir plus ou moins vif au réveil (').
Poussée beaucoup plus loin, cette narcose devient une hfpemacose, avec engourdissement non seulement de la conscience, mais aussi de la subconscience. L'inconscience est,
(1) Pour tout ce 'jui concerne le détail de la vie psychoIoRique compatible avec la. Darcose, l'hypernarcose et l'hyponarcose, ainsi que pour les faits clinique» â l'appui, cf. Revue de l'Hypnotisme, juillet et août 1903.
Ce mélange est utilisé en odontologie sous le nom de Som-noforme. D'après ceux qui l'ont étudié et vulgarisé, il n'est ni caustique, ni irritant pour les muqueuses; il s'administre facilement, sans aide, avant ou après les repas, chez tous les individus, jeunes ou vieux, bien portants ou malades, assis ou couchés, dégrafés ou complètement habillés; il provoque une anesthésie immédiate, sûre et inoffensive, suivie de réveil instantané et complet, exempt de tout malaise.
Mon expérience personnelle confirme tous ces dires. Do plus, la somnoformisation m'apparait comme un procédé prompt, facile et inoffensif d'hypotaxie artificielle, favorable â la suggestion curative. J'estime qu'elle peut et même doit complètement remplacer la chloroformisation dans tous les cas où l'indication de cette dernière pouvait être posée dans un but psychothérapeutique.
sinon totale, au moins très accentuée. Le sujet paraît fermé au monde extérieur; il ne réalise aucune suggestion à échéance ; toutefois, quelques gestes ou paroles témoignent d'une certaine activité onirique; mais l'amnésie est complète au réveil.
Tandis que l'hypemarcose dépasse la narcose proprement dite, Vhyponarcose ne l'atteint même pas; elle en avoisine le seuil mais ne le franchit pas; c'est une narcose subliminale. Dans cet état, la conscience est restreinte, mais exaltée; elle gagne en intensité ce qu'elle a perdu en étendue; toutes les résistances conscientes ou inconscientes sont brisées; devenu éminemment suggestionnable, le sujet présente de l'hyperacuité auditive et de Phyperréceptivité centrale; mais il est un récepteur actif et non point seulement passif; dans une sorte d'ivresse psychique, il fait sciemment effort pour favoriser la suggestion et se l'assimiler pleinement.
Ces trois degrés de narcose permettent, dans certains cas, de projeter quelque lumière sur le diagnostic.
Lorsqu'un individu a respiré les vapeurs du mélange anes-thésique, si on l'abandonne à lui-même et qu'aucune excitation sensorielle ne vient accaparer ou distraire son activité psychique, son subconscient se développe en pleine liberté. Ainsi le médecin peut" surprendre certaines idées-fixes ignorées (lu malade lui-même pendant son état de veille. II y a là, on le voit, une nouvelle forme de ce procédé d'investigation psychologique qu'on appelle l'évocation du subconscient.
En second lieu, soit spontanément, soit à la suite de sollicitations suggestives, le malade somnoformisé peut révéler à son médecin des obsessions, des phobies, des impulsions ou des particularités pathologiques qu'il avait obstinément cachées pendant la période vigile.
En troisième lieu, même les troubles morbides avoués ou diagnostiqués d'une manière générale peuvent être connus d'une façon beaucoup plus précise; en effet, ils se développent sous nos yeux; nous pouvons en saisir la contexture, les complications ou les singularités.
Les trois narcoses ne fournissent pas, au même titre, les éléments susceptibles d'éclairer le diagnostic.
Pendant l'hypernarcose, on note des plaintes, des gémissements, des sons indistincts, des monosyllables, des paroles confuses qu'il est parfois fort difficile d'interpréter. Par contre,
certains gestes sont très clairs et très explicites, ainsi que j'en ai observé de fort curieux exemples chez un misophobe (1).
Pendant la narcose proprement dite, on remarque aussi des gestes, des actes, mais surtout des exclamations ou des phrases, cette fois bien articulées et fort intelligibles. S'il arrive que les représentations oniriques ne se traduisent au dehors par aucun phénomène moteur, elles sont, d'ordinaire, au réveil, remémorées comme telles.
L'hyponarcose, surtout si elle est très légère, met le malade dans un état qui rappelle la lucidité de certaines somnambules ; il se laisse aller, il parle d'abondance; avec un grand luxe de détails et des expressions typiques, il exprime ce qui se passe dans son subconscient ; il répond nettement aux questions qu'on lui pose ; parfois il s'établit une causerie dialoguée entre lui-même et son obsession qui, pour la circonstance, se personnifie, ainsi qu'il arrive souvent dans le rêve.-
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Au point de vue thérapeutique, l'hypernarcose, la narcose et l'hyponarcose comportent chacune des indications spéciales.
I. — Si l'hypernarcose n'est pas accessible à la suggestion directe, par contre, elle se prête à la réussite de la suggestion indirecte. Ainsi, de nombreux malades, des neurasthéniques, par exemple, s'acharnent à réclamer de l'hypnotisme la guéri-son de leurs misères; mais aucun médecin n'a pu les endormir à fond et ils s'en plaignent amèrement; ils sont persuadés, en effet, que seule pourra les guérir la suggestion qui leur sera faite pendant qu'ils dormiront d'un sommeil profond, avec inconscience et, au réveil, amnésie complète. Suggestionnés pendant l'hypernarcose, ils guérissent, non pas, bien entendu, par la vertu de la suggestion elle-même, mais en vertu de la ß faith healing »; ilsontfoien la puissance curative de la suggestion faite dans ces conditions : leur état d'esprit opère la guéri-son.
D'autres fois, un malade se montre peu docile; il résiste, ergote, discute ; il n'admet ni les explications ni les prescriptions de son médecin et il va de mal en pis. Une seule séance (l'hypernarcose peut suffire à le mater et à le rendre, à l'avenir, même à l'état de veille, très docile à la direction du praticien par lequel il s'est senti, une bonne fois, terrassé.
(I) Cf. Revue de l'Hypnotisme, Juillet et Août 1903.
(1) Co sont les expressions mêmes que j'ai recueillies de la bouche de nombreux malades et que j'ai fidèlement notées.
IL — La narcose proprement dite, elle, permet de faire des suggestions spéciales qui sont reçues comme telles et se réalisent, même en dépit du malade. Elle convient donc tout spécialement aux mentaux et aux aliénés qui refusent de se laisser suggestionner par les moyens ordinaires. Quand, pendant l'état de veille, on veut modifier leurs conceptions délirantes ou leurs autosuggestions pathologiques, on les irrite, on les exaspère. Soumis à la narcose, non seulement ils n'e résistent plus, mais encore ils subissent la suggestion appropriée à leur cas. C'est donc, pour ainsi dire, malgré eux, qu'on modifie leur état mental, en agissant sur leur subconscient.
Pendant cette narcose, il est possible aussi de désuggestionner, à leur insu, des individus esclaves d'une suggestion criminelle ou malsaine, qui leur a été imposée soit par un particulier, soit par une collectivité.
Dans cet état de narcose doivent être également suggestionnés ceux qui présentent l'une quelconque des multiples indications de l'orthopédie morale ou mentale.
III. — Quant à l'hyponarcose ou narcose subliminale, elle convient à cette légion d'individus frappés de dégénérescence mentale, douteurs, scrupuleux, inquiets, angoissés, abouliques,' obsédés, délirants, impulsifs, fous moraux. Intelligents et instruits, ils comprennent leur cas et le déplorent, mais ne peuvent s'affranchir des préoccupations qui les harcèlent. Ils consentent à accepter la suggestion: bien plus ils la désirent ardemment. Mais ils sont, d'ordinaire, réfractaires à l'hypnotisme. D'autre part, toute suggestion faite chez eux dans un état insuffisant d'hypotaxie glisse ou s'émousse. Plongés dans l'hyponarcose, ils ont la notion que tous les obstacles sont levés, « le terrain est déblayé, la place est libre, table rase est faite de tout ce qui s'oppose à la suggestion; ils se sentent aptes à être influencés; ils n'ont ni la volonté, ni la pensée de résister; ils sont désarmés, pieds et poings liés; ils ne peuvent discuter; il faut qu'ils acceptent la suggestion : celle-ci s'impose inéluctable ». (*)
L'hyponarcose est particulièrement indiquée dans le traitement de certaines formes d'impuissance génitale. Celle-ci peut être un effet du « trac», ou bien se perpétuer consécutivement au traumatisme psychique causé par un échec antérieur; d'autres fois, elle résulte uniquement de préoccupations mentales. Au
moment de l'acte, tel dégénéré s'observe, s'analyse, s'interroge; il se demande s'il a raison de faire comme ceci, s'il ne devrait point s'y prendre comme cela... et cette activité mentale obsédante inhibe la fonction génitale. Cette impuissance résiste, d'ordinaire, au traitement psychothérapique, ainsi que, d'ailleurs, à toute autre médication. Or la suggestion pendant l'hypo-narcose triomphe de ce trouble fonctionnel.
De toute manière, si les dégénérés mentaux dont il a été question plus haut ne sont pas complètement affranchis de leurs tortures morales, du moins celles-ci sont-elles considérablement diminuées par ce genre de suggestion. Si leur ennemi n'est pas définitivement délogé, ils vivent cependant en bonne intelligence avec lui; au lieu d'en être dominés, ils le dominent, le réfrènent, le canalisent; ils lui imposent en quelque sorte une sourdine; ils se maintiennent dans un état moral très satisfaisant et, dès lors, la vie leur parait à nouveau valoir la peine d'être vécue.
Il reste à signaler une autre indication spéciale de l'hyponar-cose. Certains malades voudraient bien demander à l'hypnotisme la guerison de leurs maux; mais ils ne peuvent surmonter les préventions que leur inspire cet agent thérapeutique : « il leur fera perdre leur libre arbitre, il fera d'eux des machines inconscientes, etc. » De tels malades acceptent sans répugnance l'hyponarcose qui les rendra hypersuggestionnables, tout en leur laissant la pleine conscience de ce qui se passe et la faculté de collaborer activement à leur guerison, de concert avec leur suggestionneur.
En dehors des indications précises énoncées ci-dessus, on peut dire que la narcose somnoformique, avec ses divers degrés, convient non pas seulement aux phénomènes pathologiques qui réclamaient jadis la chloroformisation, mais à la généralité des cas justiciables du traitement suggestif. Elle constitue, en effet, un procédé d'hypotaxie artificielle beaucoup plus facile, plus sûre et plus rapide que celle qu'on obtient avec de simples moyens psycho-sensoriels. Toutefois une remarque est à souligner. Si l'on a affaire à une hystérique, l'inhalation soudaine des vapeurs anesthésiques pourra provoquer, d'emblée, une grande crise, au même titre, d'ailleurs, que le brusque coup de gong, l'étincelle inattendue de l'arc électrique ou la vibration subite d'un diapason gigantesque. Il ne faut point prendre la chose au tragique. Ou bien on s'appliquera à arrê-
Contribution à l'étude de la psychothérapie suggestive en Suède. — La méthode du D' Wetter strand : Sommeil prolongé, hypnose thérapeutique (').
Par M«« la Dr«"« Mêlante Lipinska, Lauréate de l'Académie de Médecine de Paris.
Pendant mon séjour à Stockholm, grâce à l'extrême amabilité du D'Otto Welterstrand, je pus examiner ses malades ; qu'il me soit donc permis de le remercier bien vivement ici et de faire connaître sa méthode thérapeutique.
Le Dr Otto Wetter strand exerce la médecine depuis 1873 ; quant au traitement hypnotique, il s'en occupe depuis 1886. Il a publié ses premières observations relatives à la psychothérapie en 1888 et depuis il s'est voué à cette branche de la médecine avec toute sa persévérance et son intelligence. Le premier compte rendu de ses expériences inséré dans le journal VHygihne était basé sur 753 cas et a provoqué une vive discussion à la Société médicale de Stockholm sur l'hypnotisme et sa valeur thérapeutique. En automne 1S89, M. Wetters-trand a fait une série de conférences devant un auditoire nombreux composé de médecins et d'étudiants en médecine,
(1) Communication faite au Congrès des aliénlstes et neui . .·;>:· - de Bruxelles. Août 1903.
et des leçons cliniques sur la psychothérapie avec présentation de malades.
En 1891, il a publié en allemand un livre sur l'hypnotisme et son application dans la médecine pratique, qui a été traduit en russe, en anglais et en français.
11 a écrit un certain nombre d'articles dans le Zeitschrifi fur Hypuotismus et dans la Revue de ?Hypnotisme. Je dois citer surtout un article dans le Zeitschrifi, intitulé : Le sommeil prolongé. En effet, M. Wetterstrand a employé ce mode de sommeil avec le plus grand succès dans beaucoup de cas.
En 1896, il a parlé sur le même sujet au Congrès de Psychologie à Munich.
Beaucoup de médecins étrangers sont venus chez lui pour apprendre la méthode d'endormir les malades et de faire la suggestion, entre autres, MM. le professeur Forel; le professeur Hirt, de Breslau ; le Dr van Renterghem, d'Amsterdam ; le Dr 0. Coront, de Baden-Baden ; le Dr Tatyn, de Munich ; le Dr Milne Bramwell ; le D' Lloyd Tuckey, de Londres ; le D' Timojeff, de St-Pétersbourg, et bien d'autres encore. Il venait des malades de la Norvège, du Danemark, de la Finlande, de la Russie, de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Suisse, des Etats-Unis, de l'Angleterre et de la Pologne. II est bien difficile d'en faire la statistique, mais, d'après mes renseignements personnels, je crois que leur nombre dépasse 12.000.
Il a traité avec succès plus de 400 alcooliques, des dipsomanes et il affirme avec toute son autorité, qu'il n'y a pas de traitement aussi efficace dans ces maladies, opinion conforme à celle de Lloyd Tuckey et du Dr Bramwell en Angleterre. Une reçoit que les malades qui ont été déjà soignés par les autres médecins thérapeutiques, ce qui rend son rôle particulièrement difficile. Ses écrits et ses leçons ont fait connaître en Suède le traitement hypnotique aujourd'hui appliqué par beaucoup de ses élèves. Comme Liébeault, Forel, Vogt et d'autres encore, il pense que l'essentiel du traitement hypnotique est dans une hypnose profonde. Au début du traitement il ne fait qu'une ou deux suggestions. Il a démontré ce que le sommeil par lui-même peut faire et il affirme qu'on ne peut pas parler d'un traitement psychique sans une hypnose profonde.
LA TECHNIQUE
La technique du sommeil prolongé telle que la conçoit O. Wetterstrand, doit être envisagée d'abord chez les malades
soignés dans des pensions de famille par le docteur lui-même. Il les endort une ou deux fois par jour et pratique sur eux la suggestion pendant le sommeil. Au début, ces suggestions sont peu nombreuses une ou deux seulement, savoir: Soyez calme et tranquille, vos fonctions s'accompliront bien.
Les malades ne se réveillent que pour satisfaire leurs besoins : boire, manger, etc. Ayant une grande confiance en M. Wetterstrand, les malades suivent ses conseils à la lettre.
Au bout de deux ou trois semaines les malades reprennent leurs forces, l'équilibre du système nerveux se rétablit : les malades peuvent alors quitter l'établissement ; ils passent dans la deuxième catégorie. Celle-ci comprend les malades qui se rendent chez le docteur pour se faire soigner. Ils sont reçus à son domicile particulier.
Quatre pièces leur sont destinées, savoir:
1° Une salle d'attente.
2° Un cabinet de travail dans lequel il examine les malades. Cet examen se pratique le matin ou l'après-midi, mais toujours avant les séances de suggestion.
3° Urr petit salon où il n'endort qu'un ou deux malades, ceux qui doivent rester seuls.
4° Un grand salon où tout est disposé pour donner le calme : des fleurs, des tapis épais, des rideaux aux portes et aux fenêtres, des bibliothèques — aux murs des portraits de médecins célèbres, etc.
Les malados sont ainsi déjà suggestionnés par le milieu ambiant avant toute intervention médicale.
Quant à ceux qui sont éveillés il les engage à dormir. Il met sa main droite sur les sinus frontaux et sa main gauche sur la région précordiale. Le malade s'endort alors doucement, le Dr Wetterstrand revient plusieurs fois et applique sur l'organe malade une main ou deux.
Les malades qui ont besoin de soins plus prolongés s'étendent sur des canapés, les autres s'asseoient sur des fauteuils ou des chaises—hommes et femmes, quelle que soit leur condition sociale — comme cela est conforme aux mœurs du Nord. Pourtant, dans des cas spéciaux, on prend soin de pratiquer une séparation qui s'effectue grâce au petit salon dont nous avons parlé plus haut.
La suggestion se fait de préférence dans la langue maternelle .du malade, mais ce qui importe surtout c'est l'intention bienveillante et persuasive du médecin.
Le Dr Wetter strand va d'un malade à l'autre, et à demi-voix suggestionne chacun en passant. La durée du sommeil dépend du genre et de la phase de la maladie.
Dans les affections chroniques il n'obtient de bon résultat qu'au moyen de l'hypnose profonde.
Moins le malade est nerveux, plus il s'endort facilement. Le Dr Wetterstrand regarde comme une erreur de prétendre que les hystériques sont les plus faciles à endormir; au contraire très souvent ces malades ne s'endorment pas du tout, mais ils sont très faciles à suggestionner à l'état de veille.
Les malades se réveillent eux-mêmes sans qu'on leur dise de se réveiller.
Aussi le sommeil de Wetterstrand, comme celui de Liébeault, est plutôt le « Sommeil prolongé » que le « Sommeil provoqué ».
Il importe de dire que le Dr Wetterstrand ne fait pas d'expériences, mais que sa méthode, telle qu'il la conçoit, mérite véritablement le nom « d'Hypnose thérapeutique » ; elle n'a rien de commun avec l'hypnotisme expérimental.
Il l'emploie quelquefois dans toutes les maladies générales, comme moyen d'investigation.
Dans une autre communication, je me propose de donner la statistique des cas traités par le Dr Wetterstrand.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance annuelle, le 16 juillet 1903. — Présidence de M. le D'Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 1/2.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance; celle-ci comprend, entre autres, des lettres d'excuses de MM. les Professeurs Raymond et Déjcrinc, le Dr Paul Richer (de l'Académie de médecine), les D" Doyen, David (de Xarbonne), Lalanne (de Bordeaux), Damoglou (du Caire], Van Renterghem (d'Amsterdam), Arie de Jong (de la Haye), Stadelmann (de Wurtzbourg), Limboussaky (de Constantinople), Orlitzky [de Moscou), Hasberlin (de Wyk, Fœhr), Hamaide (de Plombières', Le-ler (de Rouen), Wateau, etc., etc.
M. le Président prononce une allocution.
M. le D' Bérillon, secrétaire général, fait l'éloge du professeur Tokarsky (de Moscou;, membre-fondateur de la Société. M. le Président annonce à la Société la nomination de M. le Dr Paul
Richer, de l'Académie de médecine, à la chaire d'anatomic artistique de l'Ecole des Beaux-Arts. Il adresse à notre eminent collègue les félicitations unanimes de tous les Membres de la Société.
L'ordre du jour appelle la lecture etla discussion des communications annoncées.
M. le Président met aux voix la candidature de SIM. les D" Doyen. Barbier. Chervin (de Paris], Bernard (de Cannes), Salager (de Montpellier), Routchinski (de 3t-Pétersbourg), Bouyer (de Paris) et de M. Curot, médecin vétérinaire â Paris.
M. le Trésorier fait un compte-rendu de la situation morale et financière de la Société.
La séance est levée à 7 h.
Allocution de M. le Dr Jules Voisin
Messieurs,
Nous célébrons aujourd'hui le 13e anniversaire de notre Société ; nous pouvons être fiers de ses jeunes années.
Née sous les auspices du Congrès international de l'hypnotisme de 1889, clic prit tout de suite une place importante dans le monde scientifique. Ses adhérents sont nombreux et ses séances sont toujours remplies de communications très intéressantes. Notre exemple a été suivi. Plusieurs de nos collègues ont fondé à l'étranger, soit en Europe, soit en Amérique des Sociétés d'hypnologie.
La physiologie, la psychologie et la clinique sont les bases fondamentales de notre institution. Ces sciences doivent sans cesse nous guider. Elles nous permettront et elles nous ont permis de constater des faits de la plus haute importance au point de vue thérapeutique et je ne doute pas qu'avec des collaborateurs aussi consciencieux, notre Société ne parvienne â élucider des problèmes du plus haut intérêt social et pathologique.
Il suffit de lire l'index bibliographique des auteurs et des communications dans la Reçue de l'hypnotisme pour être convaincu du mouvement scientifique que provoque notre Société. C'est elle qui, on 1900, avec le Comité d'organisation, fonda le Congrès internalional de l'hypnotisme et souleva les questions importantes que nous nous efforçons de résoudre.
Nos maîtres de la première heure, Azam, Charcot, Mesnet, A. Voisin, Durand de Gros ainsi que notre président-fondateur Dumontpallier ont malheureusement disparu: mais une nouvelle génération marche sur leur trace. Je rends un hommage de profonde vénération à ces maîtres et je souhaite la bienvenue â nos jeunes collègues. Je leur demande de nous faire profiter de leurs travaux, de soulever des discussions et des controverses ardentes, qui, nous le savons, sont la source du progrès.
L'Hypnotisme en Russie. — Le traitement hypnotique des alcooliques, du Dr Rybakoff
Par le Dr Oscar Orlitzky (de Moscou).
Les débuts de la Société d'hypnologie de Moscou, remontent à peine à un an et celle-ci attire déjà une grande quantité de médecins. Les réunions, animées et prolongées, montrent clairement l'intérêt que l'hypnotisme provoque dans la société russe.
Il y a environ vingt ans, quand en France il était déjà admis par le monde scientifique, l'hypnotisme commençait à peine à paraître en Russie. Des hypnotiseurs adroits, des magnétiseurs habiles, attirèrent les premiers l'attention de la société russe, par des représentations publiques. Des médecins hypnotiseurs surgirent qui appliquèrent l'hypnotisme au traitement des maladies. Mais ils se gardèrent bien de divulguer leur art et, pendant une dizaine d'années, ils formèrent une sorte de caste fermée, défendant jalousement ses intérêts. Celui qui s'attacha à analyser scientifiquement les effets de l'hypnotisme est le Dr Tokar-sky, décédé depuis. Ce dernier appartenait à l'école du célèbre neuro-logiste le professeur Kogewnikoff; il s'occupait de l'enseignement de la psychologie à la Faculté de médecine de l'Université de Moscou. Il fonda le laboratoire psychologique de Moscou et bientôt ouvrit un cours d'hypnotisme qui attira de nombreux auditeurs. Membre fondateur et correspondant de la Société d'hypnologie de Paris, le Dr Tokarsky s'efforçait de rester fidèle aux traditions scientifiques de ses confrères de Paris. Non seulement il intéressait vivement ses auditeurs, mais encore il s'attirait les sympathies de toutes les personnes qui l'approchaient. — 11 fut le pionnier le plus tenace et le plus patient de l'hypnotisme tant au point de vue psychologique qu'au point de vue thérapeutique.
En même temps, le professeur de St-Pétersbourg, Bechterev, faisait de nombreuses observations cliniques qui ouvraient la voie aux applications pratiques d'hypnotisme. Mais Tokarsky est mort, ainsi que son maître Kogewnikoff et peut-être qu'avec eux serait mort l'hypnotisme â Moscou, si les semences, jetées par la main d'un investigateur consciencieux, n'étaient tombées sur un sol fertile.
Ses collaborateurs, en communion d'idées avec la Société d'hypnologie de Paris, viennent de fonder une Société d'hypnologie sur le modèle de la vôtre. L'un des plus actifs artisans de cette création est le Dr Théodore Rybakoff.
Quoique datant à peine de quelques mois, la Société d'hypnologie de Moscou a vu naître ,une série de communications des plus intéressantes, parmi lesquelles nous signalerons celle dans laquelle le Dr Rybakoff rapporte les résultats de 205 cures d'alcoolisme par l'hypnotisme, puis celle du Df Repman sur la première apparition de l'hypnotisme en Russie, et sur les éléments psychologiques de l'hypnotisme, celle du Dr Matveef sur les applications de l'hypnotisme en obstétrique, la mienne sur l'hypnotisme en pédagogie, etc.
Acceptant de grand cœur le rôle de correspondant russe de la Société d'hypnologie de Paris et de la très estimée Revue de l'Hypnotisme, je vous tiendrai au courant des travaux importants qui seront présentés à la société cadette de Moscou. Dès aujourd'hui môme, je vais vous présenter le résumé d'une récente communication du D* Rybakoff: Le traitement de l'alcoolisme par la suggestion hypnotique ; 250 observations.
Cet article est d'autant plus intéressant pour nous, que déjà un article analogue a été publié par un autre distingué savant russe, le Dr Tokarsky; il est intéressant de remarquer que les résultats de l'un et de l'autre auteur diffèrent entre eux.
Le docteur Théodore Rybakoff divise tous les alcooliques en quatre catégories qui sont :
1° Les alcooliques accidentels.
2° Les alcooliques habituels.
3° Les dipsomanes.
4° Les formes mélangées.
En même temps l'auteur distingue deux formes de dipsomanie : la dipsomanie vraie et la pseudo-dipsomanie.
La dipsomanie vraie se rattache à la catégorie des troubles impulsifs ; elle peut être acquise {c'est-à-dire résulter de l'alcoolisme habituel ou accidentel) ou héréditaire comme un des symptômes de la dégénérescence psychique innée du malade.
La pseudo-dipsomanie est l'expression de quelque psychose cachée (le plus souvent de la mélancolie périodique, quelquefois de la manie).
Les alcooliques qui ont été traités pendant les cinq dernières années chez le docteur Rybakoff comprennent 250 hommes. Parmi eux il y a :
58 alcooliques accidentels . . soit 23,2 % du total des malades 102 alcooliques habituels. ... — 40,8% — —
71 dipsomanes......... — 28,4% — —
19 formes mélangées..... — 7,6 % — —
Le nombre des alcooliques accidentels n'est pas considérable ; mais l'auteur fait remarquer que ceux-ci consultent le médecin plus rarement que les alcooliques des autres catégories, car eux-mêmes et leurs parents estiment qu'ils ont accompli une débauche, mais non pas qu'ils présentent un trouble pathologique. Le même point de vue est souvent partagé par leurs parents.
Au point de vue de l'hérédité, l'auteur partage ses malades en trois catégories : ceux qui n'ont pas de prédisposition héréditaire, ceux qui ont une prédisposition héréditaire et les dégénérés. Ces malades se répartissent numériquement ainsi qu'il suit : Sans prédisposition héréditaire 70 hommes ou 28,0 % Avec prédisposition héréditaire 143 — 57,2 % Dégénérés............ 37 — 14,8%
De ces chiffres, l'auteur tire les conclusions suivantes : ceux qui ont une prédisposition héréditaire ont plus de chance de devenir des alcooliques habituels, des dégénérés, des dipsomanes. Ceux qui n'ont pas de prédisposition héréditaire restent toute la vie des alcooliques accidentels; toutefois, avec le temps, ils peuvent devenir des alcooliques habituels.
Passant à la question du traitement des alcooliques par la suggestion hypnotique l'auteur remarque que les alcooliques sont facilement hypnotisés, mieux que beaucoup d'autres malades. Au début du traitement, le Dr Rybakoff hypnotise ses malades tous les deux jours, puis tous les huit jours, ensuite deux fois par mois, une fois par mois, puis, peu à peu il cesse son traitement. Ses résultats ont été les suivants :
À mesure que l'on retarde la cessation du traitement, les chances de résultat croissent suivant une progression géométrique. De 20 à 67 0/0 du nombre général des malades qui peuvent être guéris parla suggestion hypnotique à quelque catégorie qu'ils appartiennent.
La statistique complète du Dc Rybakoff répond au tableau suivant:
Quant aux résultats du traitement, suivant chaque forme de maladie, voici quel est le tableau de l'auteur :
Alcooliquesaccidentels Alcooliques habituels Dipsomanes Formes mélangées
Il en résulte la loi suivante: Pour une forme donnée d'alcoolisme, ceux qui guérissent le plus facilement sont ceux quin'ont pas de prédisposition héréditaire; ceux qui guérissent le plus difficilement sont ceux qui présentent des symptômes de dégénérescence psychique; ceux qui ont simplement une prédisposition héréditaire tiennent le milieu entre les uns et les autres, en se rapprochant toutefois de la première catégorie.
L'auteur conclut que la suggestion hypnotique peut guérir un minimum de 45 pour cent.
Comme la médecine ne connaît aucun remède plus efficace dans le traitement de l'alcoolisme, on peut affirmer que la suggestion hypnotique est le procédé de choix.
Quelques auteurs ont obtenu des résultats plus favorables que le Dr Rybakoff; par exemple, le Dr Tokarsky a observé laguérison complète dans 75 0;0 de ses cas. Mais, d'une part, il n'a fait figurer parmi ses alcooliques ni les dégénérés, ni les personnes qui présentaient une hérédité grave; d'autre part ses conclusions ne reposent pas sur une statistique aussi rigoureuse que celle du Dr Rybakoff et enfin il a pu se trouver en face d'une série favorable de malades.
Alcooliques accidentels Alcooliques habituels Dipsomanes Formes mélangées.
Les dipsomanes donnent les résultats les moins favorables parce que cette catégorie de malades comprend presque toujours des dégénérés ou des personnes qui ont une prédisposition héréditaire; chez eux la guérison complète se rencontre beaucoup plus rarement que chez les alcooliques accidentels. Témoins les deux statistiques suivantes :
Malades qui n'ont pas bu pendant un an :
sur 70 sans prédisposition héréditaire: 24 soit 34,3 % sur 143 avec prédisposition héréditaire: 27 — 18,9% sur 37 dégénérés 1 — 2,7 %
Les malades qui se sont abstenus de boisson alcoolique pendant un an se répartissent ainsi qu'il suit :
Obsession oculaire traitée avec succès par la suggestion
hypnotique,
par M. le Dr Bérillon, médecin Inspecteur des asiles d'aliénés.
* De toutes les fonctions, la vision est celle qui est le plus influencée par les préoccupations nosophobiques. Très fréquemment les oculistes ont constaté le rôle que jouent les émotions dans la production de certains troubles oculaires. Le fait suivant est, à cet égard, des plus démonstratifs.
Le malade, docteur en médecine, a pris soin de rédiger son observation succincte, et nous la citons textuellement :
« Il y a trois semaines environ, sans raison apparente, je m'aperçus que je louchais de l'œil droit, chose qui eût certainement été très passagère et n'eût pas duré, si, ayant beaucoup souffert de ma vue jadis, je n'eus craint de voir persister ce strabisme, cause de fatigue pour mes yeux. Cette crainte devint une obsession ; plus j'y pensais, plus je louchais, tantôt d'un ceil, tantôt de l'autre. Si j'étais absorbé par une préoccupation, je ne louchais plus, mais aussitôt après revenait celte pensée « loucher » et, malgré tous mes efforts pour la chasser, elle s'imposait à moi; ma volonté était impuissante à l'écarter: au contraire, plus je voulais l'écarter, plus elle revenait. Le matin au réveil, c'était ma première pensée — et ceci parce que je craignais pour ma vue ; si j'avais été persuadé qu'il n'y avait là dedans aucun inconvénient pour mes yeux, je suis convaincu que, négligeant ce défaut sans importance, il se fut effacé tout simplement. —"Contrairement aux tics ordinaires, qui se produisent sans qu'on y songe et que l'on peut empêcher en y songeant, c'est seulement quand j'y pensais que je louchais, et. si j'étais distrait, je ne louchais plus, pour recommencer aussitôt après. — Aujourd'hui, après trois séances, je pense beaucoup moins souvent à loucher et surtout il m'est plus facile de repousser cette idée — par conséquent obsession diminuée et volonté plus puissante. »
Quelques jours après, sous l'influence du traitement psychothérapique, l'obsession avait complètement disparu et notre confrère pouvait reprendre l'exercice de la clientèle.
Relation de la profession religieuse avec les signes de dégénérescence
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Par M. le Dr Charles Binet-SanGLÉ. Professeur ? l'Ecole de psychologie.
Dans votre séance du 20 janvier dernier, aux idées émises par moi sur la formation des hiérosyncrotèmes familiaux, le docteur Félix Regnault, dont vous connaissez toute la compétence en la matière, a fait l'objection suivante :
« II faut distinguer, dans les familles qui fournissent beaucoup de membres ayant une vie religieuse :
« i° Ceux qui sont curés, abbés avec de riches prébendes, mais ne manifestent pas autrement leur religiosité. C'est pour eux une profession vers laquelle ils ont penché en voyant de nombreux parents y réussir. La carrière religieuse était très honorifique et très courue jusqu'à la Révolution. Beaucoup de ceux qui la prenaient, loin d'être dévots, professaient môme quelque scepticisme;
« 2° Les convaincus qui font des moines, des missionnaires et, au besoin, des martyrs. Ceux-là seuls sont des suggestionnés et souvent des nerveux ».
Qu'il y ait deux espèces de religieux, les hypocrites et les convaincus, c'est là une chose sur laquelle, je pense, tous les psychologues sont d'accord. Mais ce que je ne saurais admettre, c'est que les curés et les abbés à riches prébendes appartiennent tous à la première espèce, les moines et missionnaires tous à la seconde.
. Dès le début de mes études de psychologie religieuse, j'eus à me poser la question suivante : Quelle est la proportion des religieux qui embrassent leur profession uniquement par intérêt?
Or je n'ai pas tardé à me convaincre, par la lecture des biographies, que cette proportion est extrêmement faible.
Sans doute on rencontre de par le monde des religieux dont le scepticisme ne paraît pas douteux. Mais, pour être guéris, ces sujets n'en ont pas moins été malades. Ils ont été victimes, à une certaine époque de leur vie, des suggestions de la famille dévote, de l'école congréganiste, du curé de la paroisse, du petit ou du grand séminaire, et c'est sous l'influence de ces suggestions qu'ils ont embrassé leur profession. Plus tard, la lecture et les enseignements de la vie les ont délivrés de leurs erreurs, et s'ils continuent d'exercer leur ministère, c'est qu'ils n'ont en main aucune profession, aucun métier qui, à travail égal, rapporte autant que la profession religieuse : voilà la vérité. Mais qu'une révolution éclate, et ils jetteront loin d'eux le froc ou la soutane devenue inutile ou dangereuse, ils dépouilleront leur tunique de Xessus. Le 17 brumaire an II (7 novembre 1793), Jean-Baptiste-Joseph Gobel, évéque de Paris, se rendit au sein de la Convention, accompagné de son clergé et des autorités municipales, et, dans une harangue qu'on peut lire au Moniteur, déclara que la Révolution touchant à son heureux accomplissement, il ne devait plus y avoir d'autre culte pubtic que celui de la liberté et de la sainte égalité, et que, en conséquence, il renonçait désormais, ainsi que son clergé, à l'exercice de ses fonctions de ministre du culte catholique. Après quoi, il déposa sur le bureau de l'Assemblée ses lettres de prêtrise, son anneau et sa croix. Mais si Gobel, évéque, était un sceptique, il est probable que Gobel. séminariste, avait été un convaincu. Et d'ailleurs, sous la Révolution, combien de curés, combien d'abbés à riches prébendes n'ont-ils pas préféré l'exil, la misère ou la guillotine à l'apostasie? Ceux-là n'étaient-ils pas des sincères, n'étaient-
ils pas des suggestionnés? Ma conception des hiérosyncrotèmes familiaux demeure donc entière. La profession religieuse est avant tout affaire d'hérédité et de suggestion.
L'influence de l'hérédité est mise en lumière par la corrélation qui existe, dans une même famille, entre cette profession et certains signes de dégénérescence, en particulier la stérilité et la mort précoce, corrélation que l'étude des généalogies m'a permis de découvrir.
Veuillez en effet considérer les tableaux que je fais passer sous vos yeux, et dont je donne en même temps le commentaire.
Karl II, dit le Chauve, mort à 54 ans, appartient à ce groupe des derniers Carolingiens dont la dégénérescence se révèle à la fois par la mort précoce et par les surnoms. Il resta toujours soumis à Hincmar, archevêque de Reims, et s'institua le défenseur du pape. Sous son règne, la puissance du clergé fut sans bornes.
De sa première femme, Ermentrude d'Orléans, il eut 4 garçons et 3 filles, parmi lesquels : Ludwïg II, dit lè Bègue, mort à 33 ans, protecteur du pape Jean VIII; Lo-tharius, dit ïe Boiteux, abbé de Montier-en-Der et de St-Germain d'Auxerre: Rotrude, religieuse puis abbesse du monastère de Sainte-Croix de Poitiers; Ermentrude, abbesse d'Hasnon, et Karloman.
Ce Karloman, — et c'est là une cause d'erreur qui, à elle seule, légitimerait l'objection du docteur Félix Regnault, et sur laquelle je reviendrai dans une prochaine séance, — fut aussi religieux, mais à son corps défendant. Son père le fit tonsurer de bonne heure, et Hildegarius, évêque de M eaux, le fit diacre de force. Il posséda dans la suite plusieurs abbayes, entre autres celles de 'Saint-Médard, de Saint-Ric-quier en Ponthieu, de Moustier-Ramé et d'Epternach.
Cet abbé malgré lui n'en était pas moins un dégénéré. S'il ne présentait pas cette
Edward l'Ancien, roi des Anglo-Saxons, eut 3 garçons et 7 filles, dont Edward ?, qui noya un de ses frères, Ethelrede morte sans postérité, Elfiede et Ethelhide religieuses.
Hugo [Hugues), dit le Grand, abbé laïque des abbayes de Saint-Denis, Saint-Germain-des-Prés et Saint-Martin de Tours, eut 4 garçons et 2 filles, parmi lesquels: Otto, mort jeune, marié et sans postérité, Emma mariée et sans postérité, Eudo (Eudes) clerc, enterré dans l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés qu'il avait donnée à saint Mayeul, abbé de Cluny, pour y instituer la réforme, Héribert, évéque d'Auxerre, enterré dans l'église Notre-Dame près Auxerre, et Hugo dit Capetus (Hugues Capet) parce qu'il portait la chappe abbatiale.
Protecteur et protégé du clergé, Hugo Capetus eut d'une femme inconnue un enfant nommé Gauzlin. Ce Gauzlin fut mis tout jeune au monastère de Pleury-sur-Loire, et y eut pour maître l'abbé Abbo auquel il succéda. Devenu archevêque de Bourges, il excommunia avec tout son diocèse Jordan, évéque de Limoges, l'un de ses suffragants, qui s'était fait sacrer sans son assentiment coadjuteur de Bordeaux par l'évéque de Saintes. Il fit, à Orléans, la translation du corps de saint Aignan dans une nouvelle église, et fut inhumé dans celle du monastère de Fleury-sur-Loire, qu'il avait fait restaurer.
forme de la dégénérescence qui convient à la profession religieuse, il présentait celle qui convient au crime. En effet, il abandonna l'état ecclésiastique et se mit à la tête d'une troupe de bandits, qui, entre autres exploits, pillaient les églises. Dégradé à Sentis par les évêques de Sens et de Reims, il finit par avoir les yeux crevés par ordre de son père, et fut enfermé dans l'abbaye de Corbie, d'où il s'échappa pour aller mourir à celle d'Epternach.
Karl le Chauve, ayant perdu sa première femme à 46 ans, se remaria l'année suivante avec Richilde d'Arles qui, devenue veuve, se livra à la débauche. Fatigué par tant d'années de despotisme, la progéniture qu'il eut de cette nymphomane fut plus pitoyable encore que la première. Elle comprenait 4 garçons et 1 fille. De la fille nous ne savons rien. Quant aux garçons, les deux premiers Pippin (PépinJ et Dreux moururent jeunes, le troisième Ludwig naquit et mourut la même nuit, le quatrième Karl mourut à quelques mois.
En résumé, sur les 11 enfants que Karl le Chauve eut de ses deux femmes, nous relevons 4 sujets morts précocement, 1 bègue et 4 religieux, dont un boiteux et un criminel, soit en tout 9 dégénérés.
Hugo Capetus eut d'Adelheid d'Aquitaine, qui fit bâtir le monastère de Saint-Frambault de Senlis. un autre enfant, Robert II dit le Pieux. Ce Robert, que le pape obligea de se séparer de sa femme et qui fit un
TABLEAU III
pèlerinage à Rome, menait partout avec lui douze pauvres qui figuraient les apôtres, et composa des proses, des rythmes et des antiphones pour les cérémonies religieuses. Il épousa Constance de Toulouse.
Constance de Toulouse descendait de Raimond de Toulouse III.
Raimond de Toulouse III, qui avait une dévotion particulière à saint Pons, martyr, fonda l'abbaye de Saint-Pons de Tomiers, et assista à la fondation de celle de Chanteuge en Auvergne. .Il eut 3 garçons parmi lesquels : Raimond de Toulouse IV, qui fit une donation à l'abbaye de Conches, et mourut sans enfants bienque marié, et Guillaume de Toulouse I". qui se fit bénédictin.
Celui-ci eut 1 garçon et 2 filles, dont Constance de Toulouse, femme de Robert le Pieux.
Cette Constance de Toulouse, fille d'un bénédictin, était une visionnaire à laquelle Savinien, martyr, était apparu. Elle jeta la discorde
dans sa famille. Excessive dans ses haines comme dans ses affections, elle creva avec un bâton les yeux de son confesseur Etienne, condamné au (eu comme manichéen, el assista à son supplice.
Elle eut de Robert le Pieux 4 garçons et i fille, dont : Henri Ier, qui était tout dévoué aux évêques et fit bâtir le prieuré de Saint-Martin de Tours qu'il dota richement; Eudes, un imbécile qui devint évêque d'Auxerre et mourut jeune ; et Hugues, mort à 19.ans.
Mais peut-être pourriez-vous me reprocher, Messieurs, d'avoir pris mes exemples un peu haut dans l'histoire. Aussi, et pour vous montrer que la corrélation qui nous occupe existe à toutes les époques, (parce que, sur cet arbre immense qu'est l'humanité, il est à toutes les époques des rameaux qui meurent), vous prierai-je de franchir avec moi les sept siècles qui séparent Robert le Pieux de Jules-François de Rohan.
Jules-François de Rohan, frère d'une abbesse, eut 4 garçons et l fille, dont : Armand de Rohan, successivement chanoine de Strasbourg, abbé de Saint-Epvre à Toul, de Marbach et de Lure, coadjuteur de Strasbourg, évéque de Ptolemaîs, cardinal, évéque de Strasbourg, grand aumônier de France, abbé de la Chaise-Dieu, mort à 49 ans; René de Rohan, chanoine de Strasbourg et de Luxeuil, mort à 20 ans; François-Auguste de Rohan, mort à iît uns, inhumé dans l'église des religieux de la Merci, et Marie-Louise de Rohan, morte à. 34 ans, mariée et sans enfants.
Je pourrais multiplier ces exemples.
Discussion
M. Félix Regnault. — J'estime fort les travaux si intéressants du Dr Binet-Sanglé et je saisis l'occasion de lui rendre hommage; mais il me permettra en cette occasion de n'être pas de son avis, car je vois le problème d'une manière bien plus complexe ; j'admets, parmi ceux qui embrassent la vie religieuse, les catégories suivantes :
1° Ceux qui agissent uniquement par intérêt; ils sont, je le crois aussi, très rares; tout au plus les trouve-t-on plus nombreux à quelques époques de l'histoire comme avant la révolution.
2° Ceux qui agissent en même temps par intérêt et par croyance. Ils ont une foi religieuse acquise dans le milieu familial ou provenant de
leur siècle, mais ils ne sont pas passionnés, leurs croyances sont calmes et tranquilles. Ceux-là sont encore extrêmement nombreux parmi nos curés.
3° Ceux qui ont la foi et sont passionnés. Ceux-là peuvent à l'occasion se sacrifier pour la religion.
Ces sujets sont des sentimentaux; ils peuvent être parfaitement sains et normaux, mais on trouvera souvent chez eux des névropathes.
Si, pour une cause quelconque, ces derniers viennent à perdre leur foi, ils mettront à combattre la religion, autant de passion qu'ils en ont mis à la défendre.
De la suggestibilité considérée comme nne faculté : Observations de psychothérapie,
par M. le D' Prosper Van Velsen (de Bruxelles).
Je vous dirai d'abord que voici bientôt 14 ans que je me suis fixé à Bruxelles à l'effet de m'y consacrer aux applications thérapeutiques de la suggestion.
Je ne m'occupe ni de médecine générale, ni de chirurgie et j'ai abandonné en grande partie l'électrothérapie que j'appliquais dans les premières années de ma pratique. Je ne traite que les maladies nerveuses et les symptômes nerveux quelle que soit l'origine de ces derniers.
Je vous dirai encore que c'est à Paris, chez notre dévoué et savant secrétaire général, M. Bérillon, que je me suis initié à la psychothérapie. Pendant huit mois j'ai fréquenté sa clinique et ses cours et ensuite pendant quatre mois ceux de M. Bernheim, de Nancy. Après ces séjours, ma conviction était faite et je fondai à Bruxelles l'Institut psychothérapique dont j'ai l'honneur de vous mettre sous les yeux quelques vues photographiques.
Je saisis l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour affirmer à MM. Bérillon et Bernheim que je garde et garderai toujours vis-à-vis d'eux une profonde reconnaissance.
Je suis convaincu que les membres de la Société d'hypnologie apprendront avec plaisir que le succès a couronné mes efforts, et que, dans mon pays, la psychothérapie acquiert chaque jour de plus en plus de sympathie dans toutes les classes de la Société.
Ce n'est pas que tout cela ait marché sans peine et que la lutte soit finie. Oh! non. Il reste encore bien des préjugés à combattre partout et, disons-le, surtout dans le monde des confrères.
« Les préjugés, a dit Victor Hugo, sont pareils aux buissons que dans « la solitude on brise pour passer. Toute la multitude se redresse et « vous mord pendant qu'on en courbe un. » J'ai appris par expérience personnelle combien sont justes les paroles du grand poète français.
Nous devons cependant dire que nous sommes loin du temps où « The Lancet » de Londres publiait la phrase suivante digne d'être
Après ce préambule, j'aborde le sujet de ma communication. Je crois qu'il n'est pas inutile que nous insistions beaucoup sur le fait de considérer la suggestibilité comme une faculté normale, aussi normale par exemple que la sensibilité. Je m'explique.
En prenant la filiation suivante :
présentation de l'idée au cerveau
acceptation de l'idée par le cerveau
réalisation de l'idée
Nous arrivons à la loi établie par M. Bernheim : Toute cellule cérébrale actionnée par une idée actionne à son tour les fibres nerveuses qui doivent réaliser cette idée.
Il en découle la définition : La suggestibilité est la faculté par laquelle le cerveau accepte et réalise l'idée. J'insiste sur le mot faculté car trop de personnes pensent que la suggestibilité est un phénomène anormal et qu'être suggestible est l'équivalent d'être malade ou détraqué. La faculté de suggestibilité comme celle de la sensibilité peut être normale ou anormale. Il peut y avoir peu ou trop de suggestibilité comme il y a anesthésie et hyperesthésie.
. Dans l'état normal la faculté de suggestibilité présente des variantes selon la personnalité de l'individu. 'Il en est de même pour les sens et autres facultés.)
Y a-t-il trop peu de suggestibilité, on arrive à l'entêtement, qui est un état anormal.
Y a-t-il trop de suggestibilité, on arrive de nouveau à un état anormal comparable à l'hyperesthésie.
En d'autres termes :
A l'état normal : le cerveau accepte avec jugement. A l'état d'entêtement : le cerveau n'accepte pas. A l'état d'hypersugestibilité, de nature hystérique, ou autre : le cerveau accepte trop vite et, par conséquent, réalise trop rapidement.
En considérant la suggestibilité comme une faculté, il est facile de comprendre qu'on peut exalter celle-ci comme on peut exalter les sens et les autres facultés, par la concentration. Expliquons en quelques mots ce qu'est la concentration.
Si nous prenons le chiffre 5 comme représentant la totalité de la force psychique dont nous disposons, il est évident qu'en supprimant un sens,
reproduite : « Nous considérons les partisans de l'hypnotisme comme des charlatans et des imposteurs ; ils devraient être chassés honteusement du corps médical. Le sujet, c'est-à-dire la victime, c'est-à-dire le complice du crime est aussi mauvais que l'opérateur et môme l'homme qui lit des choses concernant l'hypnotisme est une lèpre ! »
la force 5 toujours identique s'éparpille sur 4 sens. Supprimons deux sens la force 5 s'éparpille sur 3 sens et ainsi de suite. Voyez ce qui se passe dans les faits ordinaires de la vie. Voulez-vous voir un objet au loin, vous concentrez toutes vos forces sur les yeux. Pendant ce temps l'ouïe, le tact, etc.. diminuent considérablement, un amateur de musique ferme les yeux, donc supprime un sens, pendant une audition. Les exemples abondent et d'ailleurs le mot même de « concentration ? en indique toute la portée.
Eh bien ! ce qui se produit pour les sens, se produit pour les facultés psychiques ; et je réclame pour la suggestibilité, la place qui lui revient parmi les autres facultés psychiques.
On peut concentrer la force dont on dispose sur la suggestibilité. comme on peut la concentrer sur la mémoire par exemple.
Il faut considérer la plupart des phénomènes hystériques comme résultant de l'exagération de la faculté de suggestibilité.
Il en découle pour la pratique :
Que si on a à mettre en jeu la suggestibilité pour un malade chez qui cette faculté est normale, le suggestionneur n'aura, en général, pas beaucoup d'efforts à faire, dès que le consentement est acquis. 11 s'agit de concentrer la force psychique sur la faculté en question et sur l'idée à faire réaliser. Pour cela il no faut qu'un peu de pratique, mais j'ajouterai que cependant il faut en plus énormément de tact, car il faut toujours considérer la personnalité, la situation, l'intelligence et une foule d'autres circonstances concernant le sujet.
Que si on a affaire à un entêté, il faudra avoir la patience de la goutte d'eau qui finit par creuser le marbre.
Que si on a affaire & un hypersuggeslible (je répète : hystérique ou autre) il faudra annihiler et prévenir l'acceptation des idées conscientes ou inconscientes qui se présentent en foule à son cerveau et tendent à se réaliser instantanément avant que le jugement n'ait pu intervenir. Pour cela il faut ramener la suggestibilité à 1 état normal, et ceci exige souvent beaucoup de diplomatie.
Je ne sais si j'ai été fort clair, mais j'ai du naturellement me résumer le plus possible pour ne pas vous tenir trop longtemps et arriver à vous exposer quelques cas de clinique.
J'ai tenu à venir vous relater très sommairement quelques cas parmi ceux qui comportent un certain enseignement.
• ·
?lle V. M. souffre depuis 6 ans d'une ovarialgie extrêmement douloureuse. On décide l'opération. Sur les instances de la famille on accorde un sursis et j'essaie la suggestion. Dès la 2' séance il n'y a plus aucune douleur et depuis 12 ans il n'y a pas de récidive.
Mlle H. — Ovarialgie grave. Le médecin traitant arrive chez moi avec la jeune fille, très suggestible. La famille, avant de laisser continuer
l'application de la suggestion, consulte un chirurgien. Celui-ci conseille l'opération et la famille consent. L'opération enlève la douleur pendant deux mois. Après ce temps les douleurs reviennent beaucoup plus violentes qu'auparavant et compliquées en plus de démoralisation. Cette fois on recourt à la suggestion qui enlève la douleur en quelques jours mais à laquelle on doit recourir de nouveau de temps à autre pour le symptôme pénible de démoralisation par suite de mutilation inutile.
¦
• «
M. A. est atteint de crises épileptiques environ tous les deux mois. Seulement il est plus malade de la peur d'avoir la crise que de la crise elle-même. Il est arrivé au point de ne presque plus oser sortir de sa maison, de peur d'avoir une crise. Sa profession étantcelle de voyageur de commerce, il est bientôt réduit presque à l'état de misère. Je lui donne la suggestion de ne plus avoir peur, d'avoir l'aura très longue, etc.. Actuellement il voyage sans crainte, sent l'aura la veille de la crise, s'installe dans son lit, subit sa crise et le lendemain recommence ses voyages. Il n'attache pas plus d'importance à la crise qu'il n'en attacherait à une simple migraine. Quant à la crise même, l'effet de la suggestion est nul.
• -
M. C, un confrère, est atteint de paralysie agitante. La suggestion n'a actuellement aucune prise sur celle-ci. Seulement j'ai pu maintenir ce malade pendant près de trois ans dans un état de calme d'esprit étonnant, vu que le patient se savait incurable. ·
Jusqu'à une demi-heure avant sa mort (pneumonie des vieillards), il a éprouvé un calme qu'aucune médication n'était parvenue à lui procurer.
Notre rôle, Messieurs à nous médecins, ne consiste pas toujours à guérir. Nous sommes bien souvent, hélas ! impuissants ; mais soulager et réconforter, voilà un rôle très délicat et que la suggestion remplit à merveille. Permettez-moi de dire, à ce propos, que des confrères ont cru que je me proposais formellement de guérir une paralysie agitante par la suggestion. Cette idée n'a jamais été la mienne.
Au point de vue chirurgical, je ne crois pas que l'application de la suggestion soit de pratique fort courante. Il faut en effet pour obtenir l'anesthésie dans des opérations assez importantes avoir affaire à des personnes extrêmement suggestibles, surtout l'opération comporte une certaine durée. Je vous conterai, parmi plusieurs autres, deux cas intéressants.
Mlle B. est atteinte d'un kyste muqueux volumineux à la levre inférieure. Par suggestion, elle tombe dans l'état de sommeil profond avec anesthésie complète. Un confrère peut faire la dissection de la lèvre de façon à éviter la cicatrice extérieure. Au réveil, Mlle B. ne se souvient de rien. Ce cas date de 10 ans.
Dans un autre cas une jeune fille était terrifiée à ridée d'aller chez un dentiste, chose qui était urgente. Je l'hypnotisai et lui donnai la suggestion de m'accompagner sans crainte. A son réveil, elle me demanda elle-même d'aller chez le dentiste. Celui-ci déclara qu'il fallait enlever deux dents et une racine. J'endormis la personne, et l'opération fut faite avec la plus grande facilité.
Mlle C. présente depuis trois ans une surdité absolue. Tout a été fait et finalement étant donné l'existence de quelques symptômes nerveux, un spécialiste me l'envoie.
En 6 semaines, l'audition était revenue complètement aux deux oreilles et la guérison s'est maintenue depuis six ans.
¦
M1" P. a depuis trois semaines 24 hoquets par minute. Elle arrive chez moi dans un état très inquiétant. Je lui dis de fermer les yeux et elle s'endort instantanément et depuis cinq ans le hoquet n'est revenu qu'une fois. Cette fois d'ailleurs il n'a fallu à nouveau qu'une minute pour le faire disparaître.
Voilà, Messieurs quelques cas parmi une multitude d'autres. Je suis occupé à compulser toutes les observations que j'ai pu faire jusqu'ici et j'espère pouvoir les publier d'ici peu de temps.
Laissez-moi encore vous faire une remarque quant aux effets consécutifs à l'emploi de l'hypnotisme.
Quand on recourt à un moyen qui parait être nouveau, on analyse beaucoup plus ce qui se produit après l'avoir employé que si on usait des moyens ordinaires. Une personne a été hypnotisée, deux jours plus tard elle a un mal de tête : c'est l'hypnotisme ; quelque temps après elle gagne une pneumonie : c'est encore l'hypnotisme. C'est toujours la question de post hoc propter hoc. Je dois dire cependant que j'ai eu de la chance sous ce rapport, c'est-à-dire que j'ai, dans diverses circonstances, échappé au reproche qu'on aurait pu me faire d'avoir tué quelqu'un par l'hypnotisme.
Un jour, je reçois chez moi un monsieur habitant un faubourg de Bruxelles et accompagné de son fils. Le but de la visite était de faire hypnotiser ce dernier. Après examen, je dis vouloir d'abord causer avec le médecin traitant et aviser ensuite. Le malade me quitte, rentre chez lui et meurt subitement.
Une autre fois, je devais aller en province, appelé par un professeur d'université, à l'effet d'essayer l'hypnotisation chez une de ses malades,
Le jour était convenu, mais il se fit qu'un empêchement de la part du professeur fit remettre la séance au jour suivant. Le jour même où j'aurais dû partir je reçus la visite du mari de la malade en question,
qui venait m'cxprimer ses regrets à propos du contre-temps survenu. Il était à peine parti depuis dix minutes que je reçus une dépêche me priant de prévenir M. X... que sa femme venait de mourir subitement. Si donc j'avais été ce jour-là faire une séance de suggestion à C... je n'aurais certes pas empêché cette dame de mourir et beaucoup auraient mis la mort subite sur le compte de l'hypnotisme. Ces deux cas sont typiques. Post hoc propter hoc! sera toujours de croyance courante.
?
Je termine. Messieurs, en vous exposant brièvement ma façon de procéder.
Mon institut est composé d'une série de chambrettes donnant sur une vaste galerie bien aérée. Ces chambrettes sont séparées l'une de l'autre et construites de façon à éviter le plus possible tout bruit venant du dehors.
Chaque malade s'y trouve, selon son désir, seul ou accompagné d'une personne de sa famille.
Une grande salle spéciale est réservée pour les hypnotisations en commun.
Les suggestions sont répétées à chaque malade environ toutes les dix minutes. Je garde chaque malade chez moi pendant une heure au minimum. La séance se prolonge quelquefois pendant plusieurs heures. Et il m'est arrivé il y a 6 ans de tenir une grande hystérique, dans l'état somnambulique, pendant cinq mois sans la réveiller. Aussi la guerison a-t-elle été et reste-t-elle complète.
Je conclus en disant que les résultats sont extrêmement encourageants, et me font oublier aujourd'hui les difficultés souvent pénibles qui ont marqué le début de ma carrière d'hypnotiste.
COURS ET CONFÉRENCES
Hémiplégie droite et aphasie d'origine hystérique,
par M. le Professeur Raymond [*)
Cette femme est âgée de 34 ans. Il y a six mois, après s'être couchée un soir très bien portante, elle se réveille le lendemain matin avec la jambe et le bras droits paralysés; de plus, elle ne peut plus parler du tout. Pendant la nuit, elle a eu la sensation que son bras et sa jambe étaient un peu engourdis. Il n'y a eu aucun phénomène convulsif. Au bout de quinze jours, la parole a commencé à revenir petit à petit.
.Vous sommes donc en présence d'une hémiplégie droite avec aphasie. La première pensée est qu'il y a une lésion dans le cerveau gauche, au niveau de la 3e circonvolution frontale et du centre ovale. Cette femme
(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux de la Salpctriere.
est jeune: elle ne présente rien du côté du cœur; elle n'est pas rhumatisante; il n'y a pas de raison pour supposer qu'il y a eu une embolie. Y a-t-il eu hémorragie, avec perturbation au moment même et amélioration au fur et à mesure que le sang s'est résorbé? L'hémiplégie est-elle organique ou hystérique?
Dans l'hémiplégie hystérique, il y a un trouble cérébral; le souvenir des mouvements est perdu. De plus, la tonicité, la motricité et les réflexes ne sont pas troublés de la même manière que dans l'hémiplégie organique.
Ici, il n'y a pas de déviation du côté de la face ; à l'heure actuelle, elle a recouvré à peu près la liberté de ses mouvements; elle tire bien la langue et peut marcher; les réflexes tendineux sont normaux, à droite et à gauche; le réflexe rotulien semble exagéré, mais c'est une apparence et non une réalité ; il faut se défier des réflexes forts : ils répondent à un véritable tremblement de la tonicité. Il n'y a pas de trépidation spinale ; le réflexe des orteils est en flexion: il n'y a pas de chute de l'épaule, ni de flexion exagérée de l'avant-bras; les deux premiers se contractent également des deux côtés. Je demande à cette femme de se coucher, puis de se relever; vous voyez qu'elle fléchit le bassin sur la cuisse préalablement étendue ; en outre, elle se relève d'un côté comme de l'autre. Nous ne trouvons donc aucun signe de lésion organique et nous devons suspecter le diagnostic d'hémorrhagie.
Par contre, il y a de l'hypoesthésie à droite. Voyez, également à droite, ce sein gros et tombant. C'est ce qu'on appelle le sein hystérique, lequel peut aller jusqu'à l'ulcération. Ces seins ont donné lieu à de grosses erreurs de diagnostic; ils ont souvent été enlevés sans la moindre nécessité, alors qu'on les aurait guéris par la simple suggestion. Sur le pourtour d'un point hystérogène, la peau devient douloureuse ; un gonflement apparaît et il se développe un trouble vaso-moteur analogue à l'œdème hystérique de la main, dont je vous ai déjà présenté plusieurs cas.
Fille d'un père éthylique et d'une mère nerveuse, cette femme épouse, à 26 ans, un veuf qui a une petite fille. Celle-ci se met à torturer sa belle-mère ; elle lui fait tant de misères qu'à ce seul souvenir la malade ne peut retenir ses larmes. Cette enfant s'est jetée à l'eau et elle a accusé sa belle-mère de l'y avoir précipitée. La pauvre femme, obsédée par le souvenir de cette fausse accusation, ne dort plus et, finalement, pour en finir, a voulu se jeter à l'eau à son tour.
Au milieu de toutes ces émotions, elle est frappée d'amaurose pendant quatre ou cinq jours. La veille du jour où s'est déclarée la paralysie, on l'avait conduite à une course de taureaux dans une ville du Midi; elle a été très impressionnée : pendant la nuit suivante, son sommeil est très agité et elle construit sa paralysie.
Le terrain était préparé ; diverses circonstances provoquent l'éclosion de l'hystérie; à la suite d'une émotion violente, survient l'hémiplégie avec aphasie motrice totale. J'ai rapporté également d'autres cas
d'aphasie et de surdité verbale hystériques, sans aucune légion organique.
L'émotion peut donc causer une paralysie purement hystérique. Quelquefois, elle fait plus, elle détermine une véritable lésion organique. J'ai rapporté dans mon quatrième volume de cliniques le cas suivant. Au cours d'une représentation au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, un acteur, pendant qu'il est en scène, est frappé d'apoplexie. Une spectatrice en est très impressionnée; elle rentre chez elle et l'on constate qu'elle a une hémiplégie droite avec hémianesthésie. Il ne s'agissait pas de trouble hystérique, mais d'un véritable foyer de ramollissement. On voit donc que l'émotion peut faire appel à de véritables lésions organiques, quand les vaisseaux sont prédisposés.
Quant à la malade présente, on la guérira par suggestion : mais on aura soin, au préalable, de l'isoler de sa belle-fille.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Suicide chez un médecin
Le Matin a publié l'événement suivant sous la rubrique Faits divers :
« La jeune femme d'un sous-préfet de la Somme se présentait l'autre jour chez le docteur Babinski, médecin à l'hôpital de la Pitié, demeurant 170 bis, boulevard Haussmann. Elle venait le consulter pour une maladie nerveuse dont elle souffrait. Son mari l'accompagnait.
« Elle fut bientôt introduite dans le cabinet du docteur, tandis que son mari restait dans une pièce attenante. Quelque temps après, le docteur Babinski, affolé, entrait dans cette pièce, en s'écriant :
« — Monsieur, votre femme vient de se jeter par la fenêtre.
? En effet, la malheureuse gisait ensanglantée sur les pavés de la cour. Elle s'était tuée net dans sa chute.
« Cet acte de désespoir est attribué à un accès de folie. »
Le dramatique événement qui vient de se passer chez notre eminent confrère le Dr Babinski, est de ceux qui peuvent se produire chez tous les médecins qui s'occupent du traitement des maladies nerveuses et des psychopathies. Avant de songer à l'internement, il est naturel que l'on fasse constater l'état mental du malade par un eminent spécialiste et si le malade est atteint d'idées de suicide, il peut réaliser son impulsion en allant chez le médecin, dans le cabinet du médecin, ou en sortant de chez le médecin. Ce qui est surprenant c'est que le fait ne soit pas plus fréquent.
L'Administrateur-Gérant : Ed. BERILLON
18'An.née. — ?» 4.
Inauguration du monurirënt de Charcot à Lamalou
Octobre 1903.
Le dimanche 27 septembre, la ville de Lamalou (Hérault) était en fête. Elle payait à l'illustre Charcot, auquel elle doit sa
Charcot-(1823-1833)
notoriété, un juste tribut de reconnaissance en inaugurant un monument dû au ciseau de Madame Charcot. Un grand nombre de notabilités scientifiques avaient répondu
à l'appel de la municipalité de Lamalou et parmi les médecins présents, nous devons citer :
MM. les professeurs Landouzy et Raymond, délégués de l'Académie de médecine; le professeur Gaucher, médecin à l'hôpital Saint-Louis; les professeurs Pitres et Régis; le professeur Mairet, doyen de la Faculté de médecine de Montpellier; les professeurs Grasset, Carrieu, Tédenat, de la Faculté de Montpellier; le D' Carron de la Carrière;
MM. les DM Botescu (de Bucharest); Boyd Jold (de Londres); Chantry (de Tournai) ; Dejace (de Liège); Dahl de (Copenhague); Greidanus (de la Haye); Hofstrom (de Stockholm, etc..
L'inauguration avait lieu sous la présidence de M. Trouillot, ministre du commerce.
Tout d'abord, M. Pierre Brun, professeur au lycée de Monte pellier a lu une ode intitulée : « Le siècle à Charcot », puis le maire, M. le Dr Bélugou, dans un discours très goûté a exposé l'œuvre considérable de Charcot :
Créateur et organisateur de l'Ecole de la Salpêtrière, qu'illustra pour jamais son enseignement clinique, et où savants, philosophes, médecins, accoururent de toutes les parties du monde autour de sa chaire, il mérite vraiment le surnom de rénovateur de la neuropathologie.
Enumérer les travaux de Charcot, c'est passer en revue toute la série des conquêtes de la neurologie moderne :
Conquête des localisations spinales, enrichissant la médecine de la conception anatomo-clinique, sur laquelle est établie, désormais, la pathologie de la moelle, et réalisant, d'emblée, la connaissance, tout d'un coup lumineuse, de tant d'espèces morbides, jusqu'alors confondues, ou même ignorées ;
Conquête des localisations cérébrales, apportant à la science la notion nouvelle d'une véritable psychologie expérimentale, avec des précisions topo graphiques sans cesse plus grandes, et des applications cliniques sans cesse plus positives ;
Conquêtes aussi, et combien retentissantes, dans le domaine des névroses, étendant largement les frontières de l'hystérie, décelant son origine psychique, approfondissant ses causes, signalant ses stigmates, dépistant ses formes les plus frustes et ses manifestations les plus obscures ;
Conquête enfin de l'hypnotisme, ce problème si troublant de la responsabilité humaine, arraché aux thaumaturges, et courageusement rendu aux médecins et aux philosophes.
Après ce discours très goûté, le D' Boissier, doyen des médecins de Lamalou, et le professeur Raymond retracent la
vie et la carrière illustre de Charcot. M. Raymond rappelle en particulier comment Charcot fut appelé à donner son puissant patronage à Lamalou. Ces discours, que nous reproduirons, sont très applaudis.
Le ministre prend ensuite la parole. Il établit un rapprochement entre Charcot et Renan et dit qu'ils doivent être mis, l'un et l'autre, au rang des hommes qui ont eu l'influence la
Une leçon de Charcot. — Tableau de Brouille!
plus profonde sur les esprits de leur temps. Leur œuvre si différente offre cependant, dit-il, de bien curieuses analogies. L'un et l'autre, chacun dans sa sphère, s'est acharné à combattre l'erreur.
L'honneur revient à Charcot, dit-il, d'avoir attaqué Terreur dans le plus sûr refuge que lui assurât la crédulité humaine, c'est-à-dire dans le domaine de l'hystérie, de l'hypnotisme, de la suggestion, que l'ignorance séculaire avait jusqu'ici réservé au merveilleux et au surnaturel.
Cette vérité qu'il n'y a pas d'exception aux lois naturelles, qu'il y a simplement des lois naturelles encore inconnues, Charcot Ta mise en indiscutable évidence en rendant à la raison ce service de produire lui-même au gré de sa volonté les phénomènes que la crédulité des peuples avait, de tous les temps, attribués à un pouvoir au-dessus des hommes.
La rencontre est ici bien frappante entre le grand esprit qui vient d'être honoré à Tréguier par l'hommage du monde entier, et le savant auquel votre ville a voulu élever ce bronze, « II n'y a, écrivait Renan,
ni miracles, ni lois intérimaires », et Charcot, exprimant la môme idée en termes analogues, écrit à son tour : * Nous ne pouvons rien contre les lois naturelles. » Il continue par ces lignes saisissantes, qu'on citait le 18 décembre 1900 à l'Académie de médecine, et qu'on ne citera jamais trop, parce que l'éloquence de leurs constatations ne sera pas dépassée :
« On n'a jamais noté que la foi qui guérit ait fait repousser un membre amputé ; par contre, c'est par centaines qu'on trouve des guérisons de paralysie... Les sanctuaires se ressemblent tous, sont tous coulés dans le même moule. A travers les âges, parmi les civilisations les plus diverses, au milieu des religions les plus dissemblables en apparence, les conditions du miracle sont restées identiques. Ceux qui trouvaient la guérison dans l'Asclepeion, ornaient les parvis du temple d'hymnes votives, et surtout de bras, de jambes, de cous, de seins, en matière plus ou moins précieuse, objets représentatifs de la partie du corps qui avait été guérie par l'intervention miraculeuse.
« Au fond du sanctuaire, la statue miraculeuse, parmi les serviteurs du temple, des prêtres médecins chargés de constater ou d'aider les guérisons. De tous les dèmes de la Grèce ceux qu'anime la foi qui guérit s'acheminent vers le sanctuaire pour obtenir la guérison de leurs maux. Dès leur arrivée, afin de rendre le Dieu favorable, ils déposent sur l'autel de riches présents et se plongent dans la fontaine purificatrice qui coule dans le temple d'Esculape. Les siècles ont passé, mais la source sacrée coule toujours. »
C'est ainsi que, partis de points si différents, et si dissemblables eux-mêmes par l'éducation, par le caractère, par la nature de leurs travaux, l'un vivant dans le pur domaine des spéculations philosophiques, l'autre partant uniquement d'expérimentations scientifiques, Renan et Charcot aboutissent à des constatations rigoureuses qu'ils traduisent presque dans les mêmes termes, rendant sensible l'exactitude de la formule un peu modifiée par le temps, d'après laquelle tout chemin mène à la vérité. »
La Revuede l'Hypnotisme a tenu, en reproduisant ces paroles éloquentes, à s'associer une fois de plus aux hommages rendus à la mémoire de Charcot. Elle ne saurait oublier que notre illustre maître voulut bien nous honorer, lors de notre fondation, de son illustre patronage et qu'il tint à collaborer effectivement à ce journal. En agissant ainsi, il nous faisait un honneur dont nous apprécions tout le prix, puisque nous lui reportons la plus grande partie du succès de la Revue de l'Hypnotisme.
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE
L'ascendance de cinq religieuses de Port-Royal,
Par le Docteur Charles Bixet-Sanglé, Professeur à l'Ecole de Psychologie.
Ce travail comprend quatre parties.
Dans la première, j'étudie au point de vue psychologique et plus "particulièrement au point de vue religieux, l'ascendance des religieuses de Port-Royal appartenant à la maison de Mont-fort, sur lesquelles il ne nous reste d'ailleurs que des documents relatifs à l'hérédité.
La seconde est consacrée aux groupes religieux ou hiêrosyn-crotèmes familiaux que comprend cette ascendance.
La troisième aux relations qui existent entre les dévots et les dégénérés.
La quatrième à quelques remarques sociologiques.
La première partie est aride. Mais, dans les questions de cet ordre, il faut se garder de tout commentaire hasardeux.
Psychologiste ou sociologiste, l'homme de science ne doit avoir qu'un but : recueillir des faits, les comparer, en tirer des lois.
Il est temps que la psychologie et la sociologie se séparent de la littérature qui a d'autres moyens et un autre but. Il est temps que l'histoire, qui ne doit être qu'un recueil d'observations chronologiquement groupées, rompe avec l'épopée, l'iambe et la satire. Nous n'y cherchons plus l'agrément d'une heure, mais cette émotion puissante et profonde qui accompagne la découverte de la vérité.
I
ETUDE GÉNÉALOGIQUE (') I
Perhonelle de Montfort
KiiifuL Perronelle de Montfort descendait à'Amaury de Montfort IL Celui-ci souscrivit en 1028 la charte de confirmation des biens de l'abbaye de
(I) Voir Pieuse de Guibours (dit le Père Anselme). Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France. Paris, 1"'î6.
Louis Moreri- — Le grand Dictionnaire historique ou le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane. Paris, 1759.
Dictionnaire de la noblesse. Paris, 1170.
Coulombs. En 1053, il donna à l'abbaye de Marmoustier le village de Senicourt au territoire de Chartres et les églises d'Olmets. de Helmoret, de Rambouillet e*. de Rouvais. « S'étant emparé par la force de la terre de Beine, qui était du domaine de l'abbaye de St-Germain-des-Prés, cette usurpation donna lieu à quelques religieux de ce monastère d'effacer son nom de l'histoire d'Aymoin pour en faire perdre la mémoire ou la rendre douteuse (') ». De sa femme Bertrade, qui consentit avec ses enfants à sa donation de 1053, il eut deux garçons, dont Simon Itr.
Simon de Montfort I" souscrivit en 1058 une charte en faveur de l'abbaye de St-Germain-des-Prés, assista en 1067 à la dédicace de l'église de St-Martin des Champs à Paris, donna en 1072 le prieuré de St-Martin. de Montfort à l'abbaye de St-Magloire de Paris, ce que le roi de France Philippe I" confirma à sa prière, mourut en 1087, et fut enterré dans l'église de St-Thomas d'Espernon. Il épousa Agnès d'Evreux.
Agnès d'Evreux descendait de Robert de Normandie-Evreux (*), archevêque de Rouen, qui eut quatre garçons dont : Raoul, qui conseilla le meurtre de Gilbert de Normandie pour rester seul gouverneur de Guillaume de Normandie, et fit de grands dons à l'abbaye de Jumièges ; et Richard.
Richard d'Eoreux, vivant en 1066, fonda l'abbaye de St-Sauveur d'E-vreux pour des bénédictines, restitua à celle de Ste-Catherine de Rouen la cure de Gravigny que son père avait usurpée, et fut enterré dans l'abbaye de Fontenelle. Il eut de sa première femme un garçon et urie fille: Guillaume, vivant en 1066, qui commença en 1108 la fondation de l'abbaye de Notre-Dame de Noyon-sur-Andèle, mourut d'apoplexie le 18 avril 1118 sans enfants quoique marié, et fut enterré dans l'abbaye de Fontenelle ; et .Agnès d'Evreux, femme de Simon de Montfort I".
Simon de Montfort I" et Agnès d'Evreux eurent quatre garçons et une fille, parmi lesquels : Simon, vivant en 1101, mort sans alliance; Guillaume, élu évêque de Paris en 1092. mort en 1100 ; Richard, enterré dans l'église de St-Thomas d'Espernon et Amauri 111.
Amauri de Montfort 111 consentit à la donation de son père à l'abbaye de St-Magloire de Paris, et assista en 1120 à la dédicace de l'église de l'abbaye de Morigni par le pape Guy de Bourgogne (Calliste II}. Il épousa vers 1120 Agnès de Garlande.
Agnès de Garlande descendait de Guillaume de Garlande l", qui eut cinq garçons et une fille, parmi lesquels : Gilbert, qui alla en Terre-Sainte en 1096, autre Gilbert qui souscrivît plusieurs chartes en faveur des églises de Saint Aignand'Orléans et de Notre-Dame de Paris, desabbayes de Saint-Denis et de Thiron, du prieuré de Saint-Martîn-des-Champs en 1114, 1119, 1120, 1121 et 1122, et de l'abbaye de Saint-Leu-de-Serans en 1126, Guillaume II, qui fut présent en 1120 à la dédicace de l'église
(1) Pieiuuî de Gcibocrs. Histoire généalogique, VI, 71.
(2) Voir Binet-Sanolé. Physio-fsycliologie des religieuses, la archives d'anthropologie criminelle, 15 octobre 1902, p. g07.
d'Emtu.
It Hoithrl.
de Girliodï
de l'abbaye de Morigni, et fut enterré au prieuré (1) de Gournay; Etienne, homme orgueilleux, ambitieux et cruel, successivement évêque de Beau-vais vers 1100, doyen (2) de Saint-Aignan d'Orléans et archidiacre (3J de l'église de Paris, qui se retira en 1137 dans son doyenné, Gt en 1146 sacrer en sa présence son neveu Menasses, évêque d'Orléans, mourut le 14 janvier 1150, et fut enterré dans l'église du prieuré de Gournay; et Anseau, vivant en 1108, tué en (118, et enterré dans l'église du prieuré de Gournay, où il avait fait plusieurs biens, anseau de Garlande épousa iV. de Montlehery-Rochefort.
N. de-Montlehery-Rochefort descendait de Guy de Montlehery I". Celui-ci donna, à la sollicitation de sa femme et du consentement de ses fils Miles I" et Guy, les églises de Chevreuse avec leurs appartenances à l'abbaye de Saint-Pierre-de-Bourgueil, souscrivit en 1065 à la charte de l'abbaye d'Hasnon, fit établir par Hugues, abbé de Cluny,des religieux à Longpont, se joignit à eux, et leur donna, le jour de sa prise d'habit, le moulin de Grotel, par une charte que sa femme et ses enfants Miles I" et Guy posèrent sur l'autel. Il eut trois garçons et cinq filles, parmi lesquels : Guillaume, mort sans enfants; Miles I" dit le Grand, qui restitua à l'église et aux religieux de Longpont la moitié de la Terre de Ver, confirma la donation du moulin de Grotel, et, entre les mains de Baldîa, abbé de Saint-Pierre de Bourgueil, celle des églises de Chevreuse, rétablit l'église de Saint-Sauveur de Bray qui était en ruine, se croisa en 1096 et partit pour la Terre-Sainte où il mourut avancé en ïge; Milsende, qui donna la Terre de Ver aux religieux de Longpont; et Guy de Montlehery-Rochefort
Guy de Montlehery-Rochefort souscrivit en 1065 à la charte de l'abbaye d'Hasnon, se croisa en 1097, reçut en 1107, au nom du roi, le pape Raniéri de Bieda (Paschal II) à son entrée en France, mourut avant août 1108, et fut enterré au prieuré de Gournay qu'il avait fondé. Il eut deux garçons et quatre filles dont : Hugues, qui signa une charte en faveur du prieuré de St-Eloy de Paris en 1107, prit vers 1118, sous l'influence de remords, l'habit de bénédictin dans la congrégation de Cluny, où il mourut sans enfants bien qu'ayant été marié ; Guy II, mort sans enfants en 1111 ou Il 12; et N. de Montlehery-Rochefort, femme à'Anseau de Garlande.
-(1) Le prieuré était un monastère dépendant ordinairement d'une abbaye, parfois d'un collège, d'un hôpital ou de quelque autre établissement pieux, et administra par un prieur (prior inter pares). Dans l'abbaye, l'abbé {abba, en syriaque père ou supérieur) était élu par les religieux, et le prieur nomma par l'abbé, qui le gardait auprès lui comme vicaire ou le détachait dans un prieure.
(2) Primitivement, dans les monastères, au dessous de l'abbé et du prieurétaient es doyens (decanus) charges chacun Ie la surveillance de dix moines. Lorsqu'on soumit le clergé des églises cathédrales et collégiales à un régime analogue & celui les monastères, on établit sur les chanoines, c'est-à-dire sur les ecclésiastiques attachés au service de l'église, et dont l'ensemble constituait le chapitre, un doyen qui venait après le prévôt ou chef du chapitre.
(3) L'archidiacre était le supérieur des diacres d'une circonscription ecclésiastique. Ceux-ci, de condition inférieure à celle des prêtres, étaient particulièrement chargés d'administrer le temporel dos églises et de veiller a l'exécution des rites.
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Anseau de Garlande et N. de Montlehery-Rochefort engendrèrent Agnès de Gat&nde, qui épousa en 1120 Amaury de Montfort III et mourut vers 1143.
Amaury de Montfort III et Agnès de Garlande eurent une fille et deux garçons : Amaury IV, mort sans alliance en 1140, et Simon IL
Simon de MontfortIIt dit le Chauve, qui vivait encore en 1181, épousa en 1165 Amicie de Beaumont, laquelle assigna en 1206 deux cents livres (1) de rente à l'église de Notre-Dame de Chartres, et fit des donations à l'abbaye de Grand-Champ. Il en eut trois filles et trois garçons : Amaury V, vivant en 1200, mon avant sa mère sans postérité de ses deux femmes; Guy, dit le Chauve, mort en 1191, qui accompagna le roi Philippe II en Terre-Sainte, guerroya contre les hérétiques cathares Albigeois), et fut tué le 31 janvier 1229 ; et Simon III.
Simon de Montfort III, dit le Fort ou le Macchabée, né vers 1150, était un homme a d'une riche taille » (3), d'une figure belle et agréable, d'une grande habileté dans tous les exercices militaires, éloquent, opiniâtre, extrêmement ambitieux, irritable, vindicatif, cruel et aussi impitoyable envers les hérétiques que généreux, charitable et prévenant envers ses coreligionnaires. II ne manquait pas du reste de sentiments chevaleresques, et, d'après le Nécrologe de Port-Royal, « il n'avoît jamais tué ni blessé aucun fuiard après le combat. » (3) Au siège de Carcassonne (1209), il alla, avec un seul soldat, relever, sous une grêle de pierres, un blessé dans le fossé de la place. Au siège de Thermes, « il aimoil mieux souffrir la faim que de la voir souffrir aux autres » (4).
Sa dévotion était sans bornes. Il passa sa vie à combattre les infidèles et les hérétiques. En 1198, il conduisit une troupe de chevaliers français en Terre-Sainte. En 1202, il prit part à la cinquième croisade. Mais lorsque le pape Giovanni Lotario Conti (Innocent III) eut fait signifier, par l'abbé Guy des Vaux-de-Cernay, défense aux croisés de continuer cette entreprise, il déclara hautement ne plus vouloir y prendre part. Son exemple ayant été suivi, les Vénitiens exaspérés eussent massacré l'abbé sans son intervention. En 1203, il retourna en Terre-Sainte. En 1208, il fit vœu de prendre part la croisade contre les Cathares, et donna à l'abbaye de Port-Royal-des-Champs un muid de blé de rente sur sa grange de Méri, le bois vif pour bâtir et le bois mort pour brûler à prendre en sa forêt d'Iveline, ainsi que d'autres droits. En 1209, pendant la guerre contre les Cathares, il fut choisi, en tant qu'homme « selon le cœur de Dieu » (3), par l'abbé de Citeaux, légat du St-Siège, deux évêques et quatre des principaux de la noblesse, comme seigneur des pays conquis et général en chef de l'armée catholique. Comme il
(1) La livre valait 0 fr. 9876.
(2) Supplément au nècrologe de Cabbaie de Notre-Dame de Port-Roial-ies-CUamps, ordre de Citeaux, institut du Saint-Sacrement, etc. MDCCXXXV, p. 681.
(3) et (4) Nécrologe de Vabbaie de Notre-Dame de Porl-Roïal-des-Champs, ordre de Citeaux, institut de Saint-Sacrement, etc. A Amsterdam, chez Nicolas Potgieter-Librairie vis-à-vis de la Bourse. MDCCXXIII, p. 253.
(5) Supplément au Nècrologe, p. 682.
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refusait ces titres malgré les supplications du légat, du duc de Bourgogne et du comte de Nevers, « l'abbé de Cîteaux, usant de l'autorité que le pape lui avait mise entre les mains, ordonna à Simon de Montfort en vertu d'obéissance, d'accepter. » (1) Il commença par imposer à ses nouveaux vassaux un tribu annuel en faveur de la cour de Rome, et à prescrire les mesures les plus sévères pour la répression de l'hérésie. Il payait ses troupes en confisquant les biens des hérétiques, dont, sur son ordre, 140 subirent à Minerve le supplice du feu. En 1211, l'abbé de Citeaux et lui députèrent à Raimond de Toulouse VI quatre personnes, dont un archevêque et un évèque, pour le sommer, sous peine d'excommunication, d'interdit et de déclaration de guerre, de livrer aux chefs-des croisés tous les Toulousains que ces députés nommeraient, avec ordre à ceux qui seraient nommés de déclarer leur foi devant toute l'armée. — En septembre 1212, « un jour de dimanche, le comte de Montfort aiant assiste à la messe, et aîant reçu le corps de Jésus-Christ avant que d'aller à Castelnau, un religieux de Citeaux commença à le consoler et à l'animer. Le comte Simon, qui mettait toute sa confiance en Dieu, lui répondit : Quoi! Vous pensés que je craigne! C'est l'affaire de Jésus-Christ que j'entreprens. Toute l'église prie pour moi; je sçais que nous ne serons point vaincus. » (2)
En novembre, il fit assembler à Pamiers les évoques et les barons des terres conquises par l'armée catholique, « afin que l'hérésie en étant bannie, on y établit de bonnes mœurs, de bonnes lois et la paix. » (3) La même année, passant par Bolbonne, il entra dans l'église, mit son épée sur l'autel, et la reprit, disant : « Seigneur vous m'avez choisi, tout indigne que je suis, pour combattre pour vous ; je prends cette épée de dessus votre autel, afin que, combattant pour votre gloire, je le fasse avec justice ». Ce fut aussi en cette année 1212 qu'il investit les religieux des Vaux-de-Cernai de sa terre de Pontrempont. Au commencement de 1214, le cardinal Piétro di Bénévento, légat du pape, l'obligea à rendre aux Aragonais le fils de leur roi qu'il avait en sa garde. La même année, « dans la quinzaine de la Nativité de Notre-Seigneur, le légat du Pape assembla à Montpellier un concile de cinq archevêques et de vingt-huit évêques pour délibérer sur le domaine de toutes les terres conquises sur les Albigeois. Il les adjugèrent toutes d'un consentement unanime et d'une commune voix à Simon de Montfort. Ce qui lui fut ensuite confirmé par le Pape » (4) et par le concile général tenu dans l'église de San Giovanni di Laleranus (Saint-Jean de Latran), en novembre 1215. Vers ce même temps, il eut un différend avec l'ancien abbé de Citeaux, devenu archevêque de Narbonne, qui prétendait au duché attaché à cette ville. En 1216. le prieur de Fontefroide, commis par le pape, l'obligea à négocier une trêve avec le comte de Fois, même année il assiégea Toulouse qui s'était révoltée, et, sous les sugges-
(t) et (2) Supplément au Nécrologe, p. 682· (3) et (4) ibid., p. 6S3.
lions de l'évêque Foulques, traita les habitants avec la dernière rigueur. Ayant laissé ce prélat leur porter de trompeuses paroles de paix, il fit garrotter, à mesure qu'ils arrivèrent, les notables qui, surses promesses, étaient allés au devant de lui. Sur l'ordre des légats du pape, « Montfort les fit tous périr de male mort ? (1). De plus, il fit démolir les principales maisons, les tours et les portes, et imposa la ville à trente mille marcs. Au second siège de Toulouse, dans la nuit du 27 juin 1217 « les ennemis aîant fait une sortie à l'heure que l'on y pensoit le moins, et pendant qu'une partie de l'armée catholique assistait aux divins offices (matines), on en vint avertir le comte qui était lui-même des assistants. Il courut aussitôt aux armes et retourna promtement à l'église pour y entendre la messe. Il prioit avec beaucoup de ferveur, lorsque les ennemis aîant levé l'étendart pour livrer le combat, on vint de nouveau lui dire qu'il n'y avoit plus de tems à perdre, et qu'il fit diligence pour secourir ses gens. Il répondit qu'il vouloit auparavant voir son rédempteur. C'étoit dans le moment que le prêtre allait élever la sainte hostie ? (2). Un instant après, il eut le crâne fracturé par une pierre lancée du rempart, et mourut en « se recommandant à Dieu et à la Sainte Vierge ß (3). 11 avait fait à une date indéterminée des donations à l'abbaye de Grand-Champ. Il se qualifiait « par la grâce de Dieu » et « mettait plus sa confiance en Dieu que dans le grand nombre et la force de ses troupes » (4). « Il alloit toujours à l'église prier avant que d'aller au combat. Il mettoit son épée sur l'autel et après sa prière il la reprenoit... Un jour passant par une église où l'évêqued'Uzez disoit la messe, il y entra, lorsque le prélat disoit le Dorninus vobis-cum devant l'offertoire. Le comte s'approcha à grand hâte, et s'étant mis à genoux les mains jointes devant l'évêque, il lui dit : Je vous donne mon âme et mon corps ? (5). a Il aimoit toutes les choses de la prière » (6). » On entreverrait à peine, dit Fauriel, les côtés superstitieux ou équivoques de son caractère, si l'on n'entendait avec quelle naïveté il manifeste devant les siens sa surprise d'être parfois vaincu, de ne pas être invariablement heureux dans ses projets, lui Simon, lui le champion de l'Eglise et de la foi, lui le fléau de l'hérésie, si l'on ne voyait ce guerrier partout ailleurs si intraitable et si fier toujours prêt à s'humilier devant les puissances ecclésiastiques, et à leur demander pardon des doutes et des impatiences par lesquels il les offense dans ses revers » Simon de Montfort III est le type même du criminel par dévotion. Il fut enterré dans l'église du prieuré de Hautes-Bruières dont il était le principal bienfaiteur. Il épousa, avant 1190. Alix de Montmorency.
(1) Historia de los faicts d'armes de Tolosa dans les preuves justificatives de l'Histoire du Languedoc, p. 1G5. (2) et (3) Nècrohge de Port-Royal, p. 254.
(4) Ibid., p. 253.
(5) Supplément au Nécrologe de Port-Royal, p. 683. (6) Ibid,, p. 681.
(7) Fauriel, Poème sur la guerre des Albigeois par un troubadour contemporain.
Alix de Montmorency descendait de Bouchard de Montmorency I. Bouchard de Montmorency I, vivant en 955, épousa Hildegarde, fille de Thibaut de Champagne et de Lcutgarde de Vermandois [*), et en eut trois garçons dont Bouchard IL
Bouchard de Montmorency IL dit le Barbu, termina en 998 les différends qu'il avait avec Vivien, abbé de St-Denis, et souscrivit, le 25 août 1905, une charte en faveur de l'abbaye de St-Benigne de'Dijon. Il eut quatre garçons dont Bouchard III.
Celui-ci signa en 1028 une charte en faveur de l'abbaye de Notre-Dame de Coulombs près Nogent-le-Roi, et fut présent en 1029 à une confirmation de dons faits aux chanoines de l'église de Notre-Dame de Chartres. Il eut trois garçons et une fille, parmi lesquels : Thibault I, qui souscrivit plusieurs chartes pour les abbayes de Grand-Selve, do St-Jean d'Angely et de Sl-Picrre de Chartres en 1083, 1085 et 1086, et mourut sans postérité vers 1090; Geoffroy, vivant en 1080, qui fit donation à l'abbé Gauthier de l'église du Tour près Montmorency ; -V, qui donna sa terre d'Ainseville au monastère de St-Paul de Beauvaisis, s'y fit religieuse, puis en sortit quelque temps après, avec la permission de l'abbesse, pour retourner en sa maison, où l'évêque de Paris lui permit de faire construire un oratoire, et Hervé de Montmorency.
Hervé de Montmorency autorisa de son seing deux chartes pour les églises de St-Pierre d'Abbevilte et de St-Quentîn de Beauvaisis en 1075 at 1079) donna en cette même année à Sîgon, abbé de St-FIorent de Saumur, les églises de St-Eugène de Deuil, de St-Pierre de Gonesse, de St-Marcel et de Verneuil avec quelque terres à Épinay-sur-Seine, et, lu consentement de sa femme et de Bouchard IV son fils, les deux églises le Marli à l'abbaye de Coulombs, confirma la donation faite à la même abbaye de l'église de Stilly et d'autres biens, et mourut vers 1094. Il épousa Agnès d'Eu.
Agnes d'Eu descendait de Richard de Normandie (s), qui eut pour fils naturel Guillaume de Normandie-Eu. .Celui-ci, vivant en 998, fonda l'église de Notre-Dame d'Eu et y mit des chanoines. De sa femme Leziéline de Turqueoille qui, étant veuve, fonda, du consentement de ses fils Robert et Hugues, l'abbaye de St-Pierre-sur-Dives au diocèse de Séez, il eut trois garçons : Robert, qui contribua beaucoup à la fondation de l'abbaye de St-Pierre-sur-Dive, fonda en 1054 celle du Tréport-sur-Mer, donna la forêt d'Espinayà celle de Ste-Catherine de Rouen, fut présent à la fondation de celle de Caen, ainsi qu'à la donation à celle de St-Denis du prieuré de Dcorhest en Angleterre; Hugues, évêque de Lizieux, qui, en 1050, dédia l'église abbatiale de St-Evroul, en confirma la deuxième fondation et en bénit le premier abbé, assista, en 1055, au concile national tenu dans son église pour la déposition de Maugerde Normandie, archevêque de Rouen,
(1) Voir Archives d'anthropologie criminelle, 15 sept. 1902, p. 544.
(2) Voir Ch. Biset-Sakclé : Physio-psychologie des religieuses in Archives d'an-tropologie criminelle, 15 sept. 1902, p. 536.
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son cousin germain, en 1067 à la dédicace de l'abbaye de Jumiègcs, en 1072 au concile tenu à Rouen, en 1077 aux dédicaces des églises d'Evreux, de Baveux et du Bec, transféra au faubourg de Lizieux les religieux de St-Pierre-sur-Dives, et leur fit bâtir un monastère en l'honneur de Notre-Dame, acheva la grande église de Lizieux à laquelle il fit de grands biens, souscrivit comme témoin presque toutes les chartes accordées de son temps aux églises et abbayes de sa province, mourut le 17 juillet 1077, et fut enterré à l'abbaye de Sle-Marie qu'il avait fait bâtir; et Guillaume.
Guillaume d'Eu, marié en 1058, fut présent en 1067 à la cérémonie de la dédicace de l'église de St-Martin-des-Champs, dont il signa la charte. Il signa aussi celle de. la fondation de l'abbaye de St-Jcan-des-Vignes-Iès-Soissons en 1076. Il vivait encore en 1098. Il eut trois garçons et quatre filles, parmi lesquels : Jean I, vivant en 1131, qui contribua beaucoup ? la fondation du prieuré de St-Pierre-à-Chaux, donna dfx muids (1) de vendange àl'église de Soissons, fit quelques biens à l'abbaye de Notre-Dame de la même ville, et fut enterré au prieuré de Coincy; Manassès, qui fut élu évêque de Soissons en 1103, donna a son église celles de Lucy, Turcy et Courcelles, pour le repos de l'âme de sa mère, fonda à Soissons le prieuré de Saint-Pierrc-à-Chaux, qu'il réunit à celui de Coincy où il voulut être enterré, et mourut le 1" mars 110» ; Renaud, qui donna un four banal à l'abbaye de St-Jean-des-Vigncs et mourut le même jour que sa mère; et Agnès, femme d'Herué de .Vfon/morenc»/.
Hervé de Montmorency et Agnès d'Eu eurent quatre garçons et une fille, dont Albéric, ecclésiastique, et Bouchard IV.
Bouchard de Montmorency IV donna en 1096 au monastère de St-Martin-des-Champs les hôtels d'Ermenonville et d'Ecouen avec la dîme, confirma les donations faites à ce monastère des églises de Montmartre, de Stc-Opportune, do Moucy et de Doomont avec les dîmes et leurs dépendances, approuva quelque temps après celle que son père avait faites des églises de Marly à l'abbaye de Coulombs, céda plusieurs rentes sur le territoire de Franconville aux monastères de Ste-Honorine de Conflans, de St-Martin de Pontoise et de St-Pierre de Cluny, donna à l'église de Notre-Dame d'Amiens des portions qu'il avait dans les terres de Neville et de Riesmainil, augmenta le revenu de l'église de St-Eticnne de Dueil, et confirma toutes les donations faites à l'église de St-Martin-des-Champs. Il vivait encore en 1124. Il épousa Agnès de Beaumoni.
Agnès de Beaumont descendait d'Yves de Beaumont Ier qui souscrivît des chartes en 1028 en faveur de l'abbaye de Coulombs, en 1044 en faveur de celle de St-Maur-des-Fossés, et assista en 1050 à l'ouverture des châsses de St Denis et de ses compagnons. Il eut deux garçons et deux filles, dont : Geoffroy, qui autorisa de son seing une charte en
(1) Le muid de vin valait i hectolitres 60.
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faveur de l'abbaye de St-Denis en 1066, et mourut sans enfants, et Yves IL
Yves de Beaumont II fonda en 1080, avec sa deuxième femme, le prieuré de Ste-Honorine de Conflans pour des religieux de l'abbaye du Bec-Hellouin, et ût en 1082 une donation à cette église pour le repos des âmes de son père, de sa mère, d'un oncle maternel et de son frère Geoffroy. Il eut de sa deuxième femme deux garçons et une fille, Agnès femme de Bouchard de Montmorency IV.
1 Bouchard de Montmorency IV et Agnès de Beaumont eurent deux garçons et deux filles, dont Thibaut, qui se croisa pour le voyage de Terre-Sainte en 1147, et Matthieu I".
Matthieu de Montmorency I" autorisa plusieurs chartes données aux abbayes d'Yerres, de St-Denis, de Longpont. de Notre-Dame de Saintes, de St-Corneille, de Compiègne en 1136, 1139, 1143. 1151 et 1154, assista à l'assemblée des grands tenue à Etampes pour résoudre la deuxième croisade, et mourut en 1160. II épousa A tine d'Angleterre (1) et en eut cinq garçons dont: Henri, mort jeune et avant son père; Thibaud, qui confirma en 1160, en présence de son frère Bouchard V, les donations faites par leur aïeul Bouchard IV à l'église de St-Etienne de Dueil, se croisa pour le voyage de Terre-Sainte, donna en 1173 à son frère Hervé, tout ce qu'il avait à Gonesse et à Montmorency pour en disposer en faveur de quelque église, donna en 1179, avec ses frères Bouchard V, Hervé et Matthieu, h l'église de Notre-Dame-du-Bois-de-Vincennes, le sel qu'ils avaient droit de prendre sur les bateaux qui naviguaient en Seine, et se fit religieux à l'abbaye de Notre-Dame-du-Val, où il vivait encore en 1189; Hervé, doyen de l'église de Notre-Dame de Paris et abbé de St-Martin de Montmorency, mort vers 1192; Matthieu, qui fonda un anniversaire pour l'âme de son frère Bouchard V dans l'église collégiale de St-Martin de Montmorency, partit pour la Terre-Sainte en 1190. donna cinq arpents (2) de vigne situés à la Chapelle et un four près St-Merry de Paris à l'abbaye de Notre-Dame de Livry, lorsqu'elle fut dédiée en 1197, fit en 1202 à l'abbaye de Notre-Dame du Val une aumône de quarante sols (3) de rente sur le cens (4) qu'il avait à Gonesse, se croisa pour la conquête de Constantinople, fut ambassadeur des croisés près l'empereur d'Orient, et mourut en Terre-Sainte en 1204 ; et Bouchard V.
Bouchard de Montmorency V donna aux religieux de l'ordre de Grandmont dits les Bons Hommes, le fond où était bâti le prieuré du Mesnel dit de la Coudraye, autorisa en faveur des chanoines de St-Victor le droit de la dime d'Eaubonnc qui leur avait été engagé, accorda
(1) Fille naturelle de Henri Ier roi d'Angleterre, Ills do Guillaume de Normandie. Voir Archives d'anthropologie criminelle, 15 octobre 1902, p. 600.
(2) Soit 20.230 metres carrés, l'arpent de Paris valant 31 ares, 19 centiares . (.1) Le sol valait à peu pros notre sou actuel.
(4) Redevance en argent ou en nature que certains biens payaient au seigneur du fief dont ils relevaient.
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aux religieux de Doomont deux muids de vin par an à prendre dans les pressoirs de Montmorency, se croisa pour là Terre-Sainte en 1189, mourut peu après, sans avoir fait le voyage, et fut enterré dans l'abbaye de Notre-Dame du Val, où il avait élu sa sépulture. II épousa Laurence de Hayn&ut.
fà suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance annuelle, le 16 juillet 1903. —Présidence de M. le D'Jules Voisix.
Le cœur et les émotions : l'anglnophobie
Par le Dr Ch. FiESSiXGER Membre correspondant de l'Académie dé Médecine.
La divulgation par la presse quotidienne des appellations scientifiques qui désignent une maladie susceptible d'entraîner une mort subite, cette divulgation ne laisse pas de provoquer, sur les sujets atteints ou qui se croient atteints d'une maladie de même ordre, une impression profonde, impression de découragement, d'angoisse, d'affolement désespéré, d'où les malheureux ne se relèveront parfois pas. Une maladie entre toutes expose à ces conséquences : l'angine de poitrine.
Au moment de la mort de Charcot, j'avais à traiter un angineux ; c'était un vieillard de soixante-seize ans. Le nom de sa maladie lui avait été transmis par un membre de sa famille et ce nom, tout d'abord, ne lui avait rien dit. Il ne connaissait pas l'angine de poitrine: savoir qu'il en était atteint ne l'effrayait nullement. Un jour, il lit dans les journaux la mort de Charcot et apprend qu'il a succombé brusquement à une angine de poitrine. Lentement, l'angineux plie son journal et dit aux siens : « Ce sera bientôt mon tour ». La tristesse l'envahit, une tristesse résignée et douce. Le malade, qui était expansif et gai, se concentra en lui-même; dans la vie, il disait les paroles nécessaires, ne songeait plus à plaisanter, comme c'était son habitude ancienne. Toutes les raisons qu'on put lui objecter pour le détourner de sa croyance ne pénétrèrent pas. Sa conviction demeurait inébranlable. Il était angineux, devait mourir subitement. Et, en effet, il succomba subitement deux ans plus tard, alors que la disparition à peu près complète des crises avait pour un moment pu faire croire à la guérison.
Le diagnostic de l'angine de poitrine avait été fourni ici par un membre de l'entourage. L'effet sur le malade se montre, si possible, encore plus aigu quand la nature de l'affection est révélée par le médecin. M. Huchard conte, à cet égard, une anecdote caractéristique. Un angineux, étant allé consulter un médecin de Lyon, vit sur son ordonnance le diagnostic écrit en téte : sténocardie. Inquiet de ce ternie, le malade
en cherche la signification dans un dictionnaire : sténocardie était synonyme d'angine de poitrine. Affolé, le malade courut à Paris consulter M. Huchard. Ce dernier le rassure, lui certifie qu'il ne s'agit pas d'angine vraie, mais d'angine fausse. Le malade écoute, ne se laisse pas convaincre, remercie tout de même des bonnes paroles. Rentré chez lui, il prend un pistolet et se brûle la cervelle. C'était un névropathe, sans doute ; à plusieurs reprises; il avait jadis donné des signes de déséquilibration mentale. N'empêche que pareil exemple est fait pour donner à réfléchir. En France, les cardiaques deviennent aisément émotifs : déjà vibrant à l'état normal, le système nerveux du Français se trouve ébranlé dans le sens d'une émotivité accrue, dès qu'une affection du cœur complique le tableau. L'Anglais, l'Américain semblent parfois moins impressionnables. Je voyais dernièrement un Anglais de passage à Paris. Atteint de cardiopathie artérielle à forme arythmique, il était mourant. Jusqu'à peu d'heures avant sa fin, il conserva son flegme; des bouffées d'humour, de temps à autre, traversaient son impassibilité et c'était pitié de voir ce malheureux, en proie à une dyspnée formidable, plaisanter encore. Au moment de l'agonie seulement, sa voix se fit implorante et une lueur d'augoisse se fixa dans sou regard.
Un Français n'eut jamais attendu si longtemps; il eût pris peur dès le début. Aussi convient-il de ne pas l'effrayer. Certains mots techniques ne doivent jamais être prononcés devant lui. M. Huchard insiste sur la recommandation que jamais le diagnostic d'angine de poitrine ne soit stipulé sur l'ordonnance. Même transposé en un autre terme, comme celui de sténocardie, même abrégé et livré à ses seules initiales : A. P., il risque de produire un effet déplorable.
J'étais appelé, il y a quelques semaines, à voir un artério-seléreux. 11 y a une quinzaine d'années, il eut un jour une crise douloureuse que le médecin traitant qualifia sur l'ordonnance des initiales de l'Angor Pec-todi : ?., P. A la vue de ces majuscules menaçantes, le malade se sentit défaillir de tout son être. Rentré chez lui, il tomba dans un accablement profond d'où il ne sortit que pour courir chez tous les médecins en nom de Paris, espérant trouver chez l'un d'eux la parole rassurante et ferme qui le délivrerait de son angoisse. Peu à peu, il se remit; la crise d'A. P. ne se reproduisit plus. En sorte que le malheureux souffrit pendant des années à l'idée d'une maladie dont la nature ne fut jamais confirmée. C'est dire la précaution que le praticien doit apporter dans l'énoncé d'un diagnostic de cet ordre.
Vis-à-vis des angineux, une règle s'impose : leur dissimuler leur mal, certifier qu'il consiste non en une angine de poitrine vraie, mais en une angine de poitrine fausse. Cette assurance formulée par le médecin est seule capable d'atténuer le sentiment de crainte angoissante, cette véritable anginophobie, comme l'appelle M. Huchant.
En général, l'angineux qui sort du cabinet d'un médecin est calmé : on lui a prouvé de toutes façons que son angine de poitrine est fausse.
Il n'y a donc rien à craindre. La confiance renaît momentanément; elle n'est pas durable. Avec le retour des. crises, l'idée obsédante renaît. On voit reparaître l'angineux souvent avant la fin du traitement qui lui avait été conseillé.
Il a moins besoin d'un changement de médication que d'être rassuré. Il écoute fixement, boit vos paroles, se met à sourire. Un projet lui tenait à cœur; il désespérait de pouvoir le mener à bonne fin. Le voilà consolé. Il viendra à bout de sa tâche.
S'il faut persuader aux angîneux vrais qu'ils ne souffrent que d'une fausse angine de poitrine, à plus forte raison convient-il de remonter le moral des faux angîneux, de ceux qui s'imaginent à tort d'être atteints d'une angine de poitrine vraie. Ici il s'agit en général de névropathes, neurasthéniques, dyspeptiques, fumeurs. Le traitement de la cause morbide calmant le plus souvent les crises, la confiance dans le médecin fera le reste. Car elle est. la confiance dans le médecin, un adjuvant de premier ordre. C'est elle qui permet au système nerveux du malade d'être impressionné, d'être remué et corrigé dans ses tendances déprimantes. Dans les cas de fausse angine de poitrine, il existe d'ordinaire, au niveau du thorax, des points névralgiques douloureux à la pression. Un courant galvanique appliqué sur les points en diminue l'acuité. L'action de l'électricité, immédiate dans ses effets, viendra renforcer l'autorité de la parole médicale et la fera pénétrer plus profondément.
' L'anginophobie, qu'elle appartienne à des angîneux vrais ou des angîneux faux, ne peut être guérie que par une suggestion active, répétée, pressante de la part du médecin. Chez les angineux faux, la guérison se produit aisément, les crises angineuses étant elles-mêmes de cessation aisée. Dans les angines de poitrine vraie, l'amélioration et surtout la guérison complète sont plus ardues à obtenir : sur 400 angîneux par lui traités, M. Huchard compte en moyenne 50 à 80 guérisons complètes.
Pendant les mois et les années que dure la maladie, il appartient au médecin de demeurer â la hauteur de son rôle et, tout en prescrivant le traitement requis, de renouveler, de rajeunir, de rendre chaque fois plus convaincante sa puissance de persuasion.
Considérations psychologiques sur l'hystérie dans l'armée.
par M. le Docteur Emile Lux Médecin-Major de 1'* classe
Messieurs,
L'hystérie dans l'armée ! Question bien délicate ! Terme bien osé ! Il semble au premier abord qu'il n'y aurait pas grand besoin de venir vous parler de choses dont la réalité ne fait doute pour aucun d'entre vous, mais comme elles sont loin d'être suffisamment connues au dehors, j'ai
pensé que vous voudriez bien m'excuser d'avoir désiré vous en entretenir en faveur du mobile qui m'a dirigé, à savoir que chaque nouvel effort contribue à mettre en lumière une situation, dont le tort est d'avoir été laissée dans l'ombre d'une façon par trop délibérée.
Toutefois, avant que d'aborder le fond de mon sujet, je crois qu'il ne sera pas inutile de vous présenter le Corps des Officiers et les Médecins Militaires, la charpente en quelque sorte de l'Armée, cette collectivité importante, parfaitement spécialisée et définie au sein de la nation, dont elle représente une force vive, et pas des moindres, par un nombre, à peu près constant aujourd'hui, de un demi-million d'homme en service actif.
Il n'est pas très certain que la plupart de nos concitoyens aient bien exactement la notion de ce que représente un pareil organisme, qui, par tradition et par principe se tient assez généralement à l'écart du bruit et du tapage, au point d'en avoir reçu la qualification, ordinairement justifiée, de « la Grande Muette ».
Dans ses éléments, aussi divers qu'intéressants, l'armée renferme sans contredit, Messieurs, une somme d'intelligence et d'activité, qui doit réellement être considérée comme inépuisable. A vrai dire, on se prend à regretter que pareille valeur ne soit pas employée d'une manière plus productive pour le bien du pays, car il s'y trouve, en quantité, des laborieux de premier ordre et des intellectuels en tout genre. C'est monnaie courante en effet, que les nombreux officiers consacrent leurs loisirs à devenir des licenciés ès-lettres, ès-sciences, des licenciés en droit, des linguistes savants, des économistes "estimés. J'y ai coudoyé des juristes considérables, des archéologues éminents, des critiques érudits, des musiciens hors ligne, des peintres de valeur, des historiens, des poètes, de véritables hommes de lettres, enfin et — pourquoi non? — jusqu'à deux docteurs en médecine, actuellement à la retraite, l'un comme capitaine de cavalerie. '— il exerce à la campagne, — l'autre comme général; — celui-ci n'a pas cru devoir utiliser son diplôme.
Les médecins militaires, de leur côté, ne sont pas assez connus du public, ni quelquefois, il faut bien en convenir, des médecins civils; leurs confrères. Et comment pourraient-ils s'en étonner ou s'en émouvoir, ayant été si longtemps en tutelle, effacés au point d'être ignorés des Pouvoirs publics eux-mêmes ? Si l'assertion peut sembler exagérée, elle vous paraîtra sans doute moins risquée, Messieurs, lorsque dans un certain rapport présenté en 18.. à l'Assemblée Nationale vous aurez lu l'énormité suivante : a Nous ne pouvons accepter sans réserve la sup-i pression du titre d'officier de santé, qui fournit dans l'armée et dans « nos communes rurales un si large contingent d'hommes utiles à la ¦ pratique de l'art, a
Officiers de santé! Evidemment, ce jour-là, le rapporteur retardait ! Il avait oublié ou bien il n'avait jamais su que les derniers médecins auxiliaires ancien style n'ont pas survécu à la guerre d'Italie ! Aujourd'hui encore bien des gens ignorent que le cadre normal du Corps de
Santé militaire n'est accessible qu'à des médecins pourvus du titre universitaire de docteur en médecine ! Officiers de santé ou docteurs, le titre, d'ailleurs ne fait rien à la chose, s'il reste bien entendu que les médecins de l'armée sont de véritables médecins.
Mais ce comble d'ignorance ou d'injustice, particulièrement regrettable, Messieurs, quand il vient de ceux qui se donnent la mission d'éclairer l'opinion publique après ceux qui prétendent refaire les lois, nous le retrouvons de temps en temps. Certains journaux croient de leur devoir d'établir, à propos des causes les plus diverses et les plus ordinaires, et, pour ainsi dire, périodiquement, contre les médecins de la troupe, un un réquisitoire fulminant, déplacé autant qu'injuste, à rencontre duquel, dans l'immense majorité des cas, s'incrivent en protestation la réalité des faits, d'abord, l'appréciation de l'armée ensuite et, finalement, le sentiment de toutes les personnes intelligentes ou simplement bienveillantes.
Il va sans dire que nous mettons à part l'opinion du monde savant : On y sait le corps de santé militaire presque entièrement composé de praticiens sérieux et modestes, zélés et dévoués au soldat, instruits dans toute la gamme des sciences médicales même spécialisées, à telle enseigne que la docte Université ne dédaigne pas d'y chercher quelques-uns des Maîtres appelés à tenir les chaires de ses Facultés et de ses Ecoles.
Depuis quelque vingt ans, vous ne l'ignorez pas, Messieurs, un gros changement administratif s'est produit, bien lentement toutefois et comme au regret de consacrer une sérieuse évolution sociale vers un ordre d'idées rationnel et nouveau. La médecine militaire, rompant ses entraves, a pu conquérir la place naturelle qui lui est légitimement attribuable ; elle a reçu l'autonomie et l'autorité combien marchandée pourtant ; elle est arrivée, en fin de compte, en acquérant la responsabilité matérielle et morale, à ne plus relever que d'hommes compétents et de ses supérieurs naturels.
C'est de ce moment qu'ont paru et se sont multipliés des écrits, des ouvrages, dont personne n'eût osé jusque-là rêver l'éclosion. L'émancipation de la médecine militaire s'est réalisée au plus grand profit de l'armée et du soldat : si elle a doublé, triplé le labeur et la capacité de travail du médecin militaire, elle a entraîné tout aussitôt une amélioration considérable d'un état sanitaire, depuis cette époque, en progression constante dans l'armée.
11 nous est bien agréable de faire, en même temps, ressortir que, dans une évolution identique et parallèle, le corps des officiers modifiait son genre et prenait la même allure : il met au jour, à chaque instant, sans arrêt ni trêve, des travaux importants, spéciaux ou généraux, d'instruction spécialisée ou de vulgarisation professionnelle, de morale militaire aussi, qui, d'exceptionnels, autrefois, se produisent en abondance à cette heure sous l'autorité bienveillante et approbatrice du haut commandement.
Mais, ni les médecins, ni les psychologues militaires ne paraissent avoir tenu beaucoup à s'occuper dé l'hystérie, dont on a jusqu'à ce jour présent très intentionnellement écarté le nom dans l'armée. .II y a des mots dont on a horreur, sous prétexte qu'ils sont étranges, monstrueux dangereux. On les détourne de leur véritable et réelle signification et, par une injuste prévention, on se refuse à les prononcer. Le gros public et bien des gens instruits mettent facilement dans le môme sac une foule de choses hétéroclites. En la circonstance, hystérie et folie, hallucina-bilité, obsession, hypnotisme et suggestion, tout celà constitue pour eux ou bien des états identiques, que l'on doit cacher, ou bien des pratiques effroyables, qu'il faut mettre en interdit, de peur de conduire au dérangement cérébral, à l'aliénation mentale 1! Mystère et Kabbale, disent-ils presque ! Aberrations, ajoutent-ils !..... Mais alors, pourquoi n'en
pas dire autant du sommeil et des illusions, de l'ivresse et de ses rêves ? Simple affaire d'habitude, évidemment, réduisant les proportions.
Après tant d'ignorants qui ont parlé de travers, bien entendu, de choses qu'ils ne connaissaient pas, la science s'est décidée à intervenir, en vue de ramener à la réalité, à l'absolue vérité, l'opinion publique fourvoyée et faussée. Mais ce n'est point une tâche aisée que de marcher à l'encontre du sentiment public. Qui ne se rappelle le triste accueil fait aux derniers travaux, aux dernières communications de réminent Brown-Séquart ? Lorsque le vieux maître vint apporter aux savants ses observations, ses expérimentations, depuis lors si fécondes en résultats, on ne s'est pas demandé s'il s'agissait d'une découverte réelle; on ne s'est pas davantage inquiété de savoir si le grand physiologiste n'avait fait seulement que reprendre et moderniser, en les vérifiant et les amplifiant, des connaissances venues à nous du Moyen-Age et de l'Antiquité ; on n'a même pas donné à une Société autorisée le temps nécessaire pour émettre et formuler l'expression d'un jugement raisonné. A quoi bon ?
Pourquoi tant de relards ? On était pressé de mieux faire.....Des actua-
lïstes à l'affût, des chansonniers de circonstance sont allés de l'avant, forcenés d'arriver les premiers à présenter le fait nouveau et, sous couleur de le juger, l'ont tourné en ridicule, sans le moindre égard pour son illustre auteur. Ils n'ont vu que le motif à variations plaisantes ou égrillardes, ce à quoi ne songent guère les gens sérieux, et, résultat lamentable, ils ont ainsi, pendant plusieurs années, misérablement déconsidéré et compromis ce qui peut être au moins regardé comme une première et importante manifestation du grand principe de l'opothérapie moderne.
Si nos règlements ont exclu le mot hystérie, Messieurs, des causes d'inaptitude militaire énumérées dans une nomenclature pourtant suggestive : névralgies, paralysies, contractures, spasmes, tremblement, vertiges, épilepsie, catalepsie, chorée, tétanie, somnambulisme, nostalgie, etc., nous en devrons donc attribuer la raison à l'appréhension du ridicule autant qu'à la crainte d'abus trop probables, qu'il eût été peut-être difficile de prévenir, mais certainement désagréable de répri-
mer. On a redouté l'imitation, la simulation et l'exagération, comme aussi les inconvénients de certains faits mis sous les yeux et portés à la . connaissance de la foule. On a voulu ignorer la situation, en attendant que la diffusion des idées et la saine raison se chargeassent de mettre à terre un préjugé d'un autre âge.
Ce n'est pourtant pas que l'hystérie masculine soit une fable ; elle est connue de longue date. « Id quoque viris evenire solet », lisons-nous dans Galien, a cela aussi arrive aux hommes », opinion plus tard adoptée et défendue par Thomas Villis et le grand Sydenham, qui, de plus, rapportaient uniquement à l'encéphale le siège et les manifestations de la névrose, dont l'étude s'est poursuivie jusqu'à nos jours.
Certains observateurs se croient autorisés à affirmer que l'hystérie, névrose purement dynamique, est l'apanage du sexe masculin bien plus fréquemment que le lot du sexe féminin. Sans aller aussi loin, car l'armée ne peut pas raisonnablement être considérée comme renfermant une majorité d'hystériques, nous pouvons à l'aide de statistiques indiscutables établies à l'époque où la pratique de l'hypnotisme n'était pas interdite aux médecins de l'armée et de la marine, nous pouvons évaluer de 4 à 10 pour cent, pas davantage, dans l'armée de terre comme dans le personnel de la flotte, le nombre des soldats et des marins reconnus comme susceptibles de suggestibilité à l'état de veille. Or, tous les suggestibles ne sont pas des hystériques. Nous reviendrons sur cette donnée en parlant, plus loin, de l'aboulie.
On sait aussi que l'intoxication chronique de l'alcool favorise réclusion et la répétition des accidents nerveux ou convulsifs chez le soldat. C'est un fait acquis, nous le constatons, d'abondance, toutes les fois qu'au moment d'un appel les réservistes fêtent leur arrivée par une intempérance de circonstance : pendant deux ou trois jours, on voit se produire, dans le groupe des nouveaux venus, plusieurs attaques con-vulsives ou vertigineuses.
Il est à notre connaissance qu'un de ces dipsomanes s'avisa d'avoir coup sur coup, le jour de son arrivée, plusieurs accès épileptoides. Comme il était de la ville même, on le renvoya immédiatement chez lui, avec ordre d'avoir à faire régler sa situation militaire, s'il ne parvenait pas à se guérir. L'année suivante, notre homme se présenta de la même manière, avec les mêmes accidents. La preuve était faite : quarante-huit heures d'infirmerie au régime du lait et de l'eau, semonce et menace de prison, déterminèrent une guérison radicale pendant les vingt-six jours qui lui restaient à courir.
Le traitement psychique donne de grands résultats chez les buveurs d'habitude, qui peuvent être irascibles, quelquefois violents, détraqués souvent, mais moralement et matériellement responsables de leurs actes; ils sont faciles à conduire, quand on les suit de près et qu'ils sentent, par une surveillance constante, l'action du* pouvoir qui les mettra à hors d'état de se nuire à eux-mêmes.
Vous citerai-je encore un exemple frappant ? Tous ceux qui ont vécu
dans l'armée sont au courant d'un fait banal et bien significatif, la prise du regard, exercée par quelques soldats sur certains autres ; pour n'être pas fréquente, elle a été observée assez souvent et n'est ignorée de personne.
Dans le domaine de la pratique médicale, Messieurs; il n'est pas de médecin militaire qui n'ait eu à connaître de certains états ou symptômes absolument inexplicables en dehors de l'hystérie et, en premier lieu, de ces paralysies bizarres, traumatiques ou non, ou de ces attaques convulsives mal définies, trop fréquemment soupçonnées, dès l'abord, de simulation ou d'exagération. Tenons-nous-en à ces dernières : le tableau en est classique et mérite d'être reproduit:
On vient raconter au médecin de service qu'un homme a perdu connaissance, a roulé à terre; tel camarade l'a vu, tel gradé l'affirme; mais les détails sont vagues et contradictoires; la description n'est guère celle d'une attaque de mal comitial; le sujet, par surcroît, est un soldat médiocre ou mal coté. Grave embarras. La situation existe pourtant. Qu'est-elle ? Que peut-elle être? Dans le doute, on décide une observation à l'infirmerie, à l'hôpital. Les crises alors sont courtes, capricieuses; le médecin n'arrive jamais à temps pour les voir et, désireux de ne rien précipiter, de rester équitable et juste, il remet à plus tard, à plus tard encore, la solution du problème.
Or, qu'il veuille bien songer à l'hystérie, et tout est simplifié; la constatation médicale et directe des attaques convulsives ne s'impose plus Les crises se dérobent? il suffira de rechercher l'existant réel, les symptômes, les stigmates, en conservant, par principe et par devoir une défiance et un scepticisme de bon aloi.
Mais, dira-t-on, ne serait-il pas possible d'imaginer des simulateurs assez instruits et assez héroïques pour inventer, connaître et pratiquer tout ou partie de l'appareil des phénomènes somatiques nécessaires? Xe pourraient-ils pas présenter, sans les avoir réellement, l'insensibilité à la douleur, à la température, les erreurs du sens musculaire avec la persistance de la contractilité électrique, le rétrécissement du champ visuel, l'affaiblissement monolatéral du sens de l'ouïe, l'abolition de certains réflexes avec conservation de certains autres, la pollakiurie, la polyurie, les zones hystérogènes, l'hypersuggestibilité... ? Nous ne le pensons guère. On ne peut pas soutenir qu'un individu d'état psychique normal soit capable de tromper à ce point un médecin forcément prévenu. Si la tentation d'une pareille supercherie peut venir à l'esprit de quelque intéressé, il nous semble que le succès en est bien problématique.
La présence des hystériques dans l'armée étant indéniable, il nous reste à faire, Messieurs, un départ nécessaire, quant à la gravité des cas à étudier. L'hystérie grave et accentuée, celle qui offrirait les symptômes de la grande hystérie, est excessivement rare, absolument exceptionnelle, chez le soldat, parce que, sous une rubrique quelconque, les conseils de révision ont éliminé tous les cas évidents, les cas de notoriété publique, — ce qu'ils n'ont pas pu faire pour les cas frustes.
incomplets, à manifestations atténuées. Ceux-là nous arriventet, malgré la sélection réglementaire régulièrement effectuée, mettent sur les rangs un certain nombre d'hommes, dont l'aptitude militaire n'est ni parfaite ni même satisfaisante à bien des égards.
Les nerveux, les nostalgiques, neurasthéniques ou hystériques sont souvent des hommes dont l'état n'est pas absolument incompatible, avec le service armé. Ils ont tous un état psychique fâcheux, mais tous ne sont pas au même degré, susceptibles d'être traités, améliorés ou guéris par la suggestion.
Les neurasthéniques, par exemple, se laissent très difficilement suggestionner. Tout d'abord, ils présentent un état subjectif, qui n'a rien de commun avec l'état des hystériques. Nous les voyons au point de vue psychique, véritables extracteurs de quintessence, nosomanes et mélancoliques, se plaignant continuellement de tout et de rien : troubles oculaires fréquents ; céphalée en casque ; insomnie continuelle ; inquiétude et malaise indéfinissable à propos de n'importe quoi et, surtout, pour le moindre choc dans la région du genou ; alternatives d'hyperes-thésie génitale et de frigidité excessive ; dégoût fréquent des relations sexuelles ; évanouissement post coîtum. etc.. s'ils résistent victorieusement à la suggestion, c'est par la raison bien simple qu'ils s'auto-suggestionnent eux-mêmes. Il y en a que j'ai vus se reprendre constamment, sans jamais accepter un traitement qui leur déplaisait, une contrainte qui leur répugnait ; ils n'apportaient malheureusement pas le concours de leur volonté à la réalisation de l'œuvre désirée. Or, la suggestion expérimentale ne réussit pas ou ne réussit guère, quand elle est refusée ou combattue par le sujet.
Si les médecins ne l'Ignorent pas, peut-être oublient-ils un peu trop que la multiplicité suffisante des exhortations, la persévérance en un mot, finit par avoir raison du sujet ; elle représente le facteur le plus important du succès.
Nous voici donc familiarisés avec les mots de suggestibilité, suggestion, et nous pouvons les défendre contre ceux qui leur attribueraient encore un sens exclusif ou bien une portée exagérée. Nous demandons en quoi la suggestion éveillée diffère de la persuasion? Sait-on jamais bien ce qu'il y a de spontané ou de suggéré, inspiré par autrui dans les manifestations complexes de notre cerveau ? Tout être qui obéit à une prière, à un ordre, ne fait autre chose qu'accepter une suggestion. Toute idée créant un dynamisme cérébral quelconque est une suggestion. Toute détermination est le fait d'une suggestion devenue le point de départ de volitions et d'actes.
Si nous considérons les orateurs, les professeurs, les journalistes, les marchands, les hommes d'affaires comme autant de suggestionneurs, nous devons reconnaître que la suggestion est fréquente dans l'armée, puisque l'obéissance y est reconnue comme règle fondamentale et nécessaire de la vie militaire. La suggestion est dans tout, dans tout ce qui constitue une impression extérieure ou personnelle au sujet.
L'examen des faits et l'étude do la question nous apprennent la cause de la plus grande docilité des hystériques. Les hystériques atténués — et les autres aussi — se présentent à nous comme des auto-hypnotisé s ; leur état psychique est semblable par certains côtés à l'état psychique des hypnotisés et les phénomènes que l'on provoque chez ces derniers sont analogues aux phénomènes que l'on observe chez les premiers. Il en résulte que l'hypnotisation est le seul remède à opposer aux manifestations hystériques : la crise hystérique la plus violente, avec contracture, catalepsie, est justiciable de la plus simple suggestion communiquée.
Ces considérations théoriques nous amènent à envisager nos hommes au point de vue spécial que nous voudrions, en l'espèce, vous soumettre aujourd'hui, l'aboulie —, état d'esprit particulier méconnu longtemps et, depuis quelques années seulement, signalé à l'attention des observateurs et des psychologues. Sans être légion, ils sont, dans l'armée, relativement nombreux, et ils y font des soldats tout à fait insuffisants, pour peu qu'ils soient méconnus ou vus de travers.
-Remarquez bien. Messieurs, que, respectueux des règlements, c'est convenu, le médecin militaire et l'officier vont, ensemble, d'une action concordante; ils agissent, chacun dans sa sphère, l'un aidant l'autre, sans avoir besoin de recourir, ni à des pratiques défendues, ni à des vocables malencontreux ou proscrits. Il y a tant de façons de faire bien et de faire le bien en silence, quand il y en a si peu de ne mécontenter personne, rien que pour un mot mal à sa place ou supposé tel ! Que de fois les ai-je entendu répéter, ces paroles, que l'on ne médite pas assez : ¦ Mais vous parlez trop ! Agissez donc ! »
Quand nous sommes, médecin de régiment, en présence d'un cas, dépisté et diagnostiqué, d'hystérie légère, à un degré relatif, nous avons facilement constaté l'état mental particulier —, l'hystérie étant, d'une façon absolue, une maladie psychique —- justiciable d'une thérapeutique mentale dirigée contre des idées mal formulées, souvent subconscientes. Que devons-nous faire ? Qu'allons-nous faire ? Rien que de très simple.
Cette faiblesse mentale est le plus souvent, d'ailleurs, le seul stigmate présenté par les sujets dont nous nous occupons, nous en inférons tout aussitôt l'efficacité du traitement suggestif; la voie est donc tracée. La plus complète bienveillance, sans à coups, sans brusqueries maladroites, est de mise à l'égard d'un homme, dont la suggestibilité nous apparaît probable, quelquefois évidente. Notre règle de conduite, nous la formulons ainsi : Nous avisons de la situation un officier, un des supérieurs immédiats du sujet, en lui faisant comprendre qu'il devra pendant un certain temps, s'occuper tous les jours, et souvent de cet homme. L'autorité, dont il est le représentant —, le galon double sa force —, l'autorité a beau jeu en la circonstance ; elle est assurée du succès. Un chef bienveillant et ferme sait tout ce qu'il peut obtenir d'un subordonné confiant. Nous sommes dans le vrai en disant qu'il en fait ce qu'il veut.
L'officier a donc la certitude de ne courir à aucun mécompte ; sans discuter ni mettre en doute ce qui lui est affirmé par le médecin, et sans s'arrêter aux considérations d'aspect et de constitution que peut présenter un homme d'apparence souvent robuste et vigoureuse, bien que d'un équilibre mental insuffisant, il ira droit au but. Son action, tout d'abord, consiste à dissiper l'appréhension du soldat, qui ne sait pas s'il est fautif ou malade, qui ne sait pas trop non plus ni ce qu'il peut, ni ce qu'il veut, qui se laisse ballotter au gré des événements, se persuade de l'injustice humaine et s'en va. indifférent, à n'importe quel sort.
Mais, soudainement, autre tableau : les motifs à punition ne se sont pas reproduits; l'homme se tient mieux ; il relève la tête ; il semble renaître à la conscience du devoir ; il a déjà l'espoir de récompenses éventuelles : tout marche à souhait ; il est sauvé. Que s'est-il donc, passé ? Rien ou presque rien. Rien que l'appui d'un supérieur, appui tout moral, s'entend, a remis le déséquilibré dans son axe naturel. D'un être perdu, désemparé, il a fait un homme confiant et sûr de lui.
Cela, Messieurs, je l'ai vu dix fois, cent fois. Cette thérapeutique, je l'ai pratiquée des années nombreuses avec un succès constant et j'en tire quelque fierté. Je pourrais vous citer des faits probants, de multiples exemples, si cela ne nous entraînait pas trop loin, alors que déjà je crains d'avoir mis votre patience à une bien longue épreuve. Ce qui me reste à dire, le voici : J'aurai toujours en mémoire, dans les circonstances énoncées, ces malheureux soldats ayant mal commencé, paraissant irrémédiablement voués aux réprimandes, aux punitions de toute espèce, déjà regardés comme éléments prochains d'un envoi aux bataillons d'Afrique, et je les verrai toujours reprendre pied subitement, changer du tout au tout, se conduire d'une manière absolument normale et, par leur régularité militaire, leur esprit d'ordre et de discipline, devenir, pour tout un régiment, un sujet d'étonnement et de surprise. Ce changement, ce miracle, disait-on presque, était dû, tout simplement, â l'action du sous-lieutenant, qui, un beau jour, mis au courant des choses, en présence des faits, s'était avisé d'en appeler du jugement général, qu'il estimait prématuré : a Donnez-moi cet homme, avait-il dit ; ne vous occupez plus de lui : j'en fais ? mon affaire ». Et du même coup, encouragé, soutenu, remonté dans sa propre estime, le « protégé de l'officier » s'était, d'un élan, mis à la hauteur des camarades les mieux cotés. Ce n'était qu'un aboulique, -— un aboulique, retiré par la volonté d'un supérieur de la veulerie, de l'apathique indifférence aboutissant au désastre, un aboulique devenu un homme plus énergique, plus attentif, plus intelligent et plus heureux.
L'inertie cérébrale est dangereuse ; les esprits faibles, les esprits bornés, avec leur fatal rétrécissement du champ de conscience, n'ont pas. tant que cela, besoin de repos. Ce qu'il leur faut, c'est une direction morale ; il leur faut aussi l'éducation de l'attention ; il leur faut, enfin, la vie facile ou, pour le moins, la satisfaction.
C'est pour cela qu'un chef, à la hauteur de sa mission, n'oubliera point son patient ; il s'occupera de lui de temps en temps, plus ou moins souvent suivant les circonstances, juste assez pour le tenir en haleine et l'avoir en main; il connaîtra ses craintes et ses phobies, ses appréhensions, ses préférences aussi et ses ambitions, de manière à faire entrer tous ces éléments dans le traitement moral entrepris. Ce n'est pas à dire qu'il ne parlera que de récompense et d'encouragement ; une admonestation, le mécontentement, la menace, peuvent venir à leurs heures et avoir leur action.
Le remède est donc à côté du mal, vous le voyez, Messieurs, et ce n'est plus rien d'une situation, qui deviendrait une intolérable misère militaire et un danger social, pour peu qu'elle se présentât fréquemment! sans espoir ni possibilité de médication.
En résumé, et pour terminer, Messieurs, l'hystérie masculine, admise et reconnue aujourd'hui et depuis si longtemps, n'est pas rare dans l'armée; elle a droit à une place importante dans la nosologie générale du soldat. Ceux qui en sont atteints, et par l'effet même de leur état psychique essentiellement constitué par la faiblesse mentale et l'aboulie, sont exposés à toutes les misères militaires, sans que rien autre les en puisse tirer qu'une intervention d'ordre médical et psychologique. Or, nous savons comment la déterminer, cette intervention, et comment la mettre en œuvre. C'est la seule conclusion que je veuille tirer de celte étude très-élémentaire.
Au cours de cet exposé, Messieurs, vous ne m'avez entendu citer aucun nom d'auteur, invoquer aucune autorité, bien que mon travail ne soit qu'un modeste écho des principes enseignés partant de maîtres, actuels ou disparus. Il est pourtant un devoir auquel je ne saurais me soustraire, c'est de rendre à la Société d'Hypnologie et de Psychologie l'hommage qui lui est dû. Par les études dont elle est coutumière, par l'observation des faits qu'elle constate, qu'elle contrôle et qu'elle enregistre journellement, par la diffusion des idées dont son enseignement spécial poursuit si heureusement la vulgarisation, par toute son action enfin, elle a porté la lumière sur ces questions trop longtemps restées dans l'ombre. A tous ces titres, elle a droit à notre reconnaissance. 11 m'a paru légitime d'étendre les services qui en résultent aux choses de l'avenir, et au bien des éléments très-intéressants qui constituent cette grande agglomération. Je suis doublement heureux de l'en remercier et de lui témoigner ma gratitude de m'avoîr ainsi fourni l'occasion do le faire aujourd'hui.
Idées de doute et phobies portant sur la sphère génitale,
par M. le Dr Edmond Vidal. Directeur des Archives de thérapeutique
Le malade dont je vous soumets l'observation résumée n'avait en rien, jusqu'aux temps derniers, appelé mon attention sur sa sphère nerveuse.
Je le connais depuis plusieurs années ; il est de souche neuro-arthritique sans manifestations pathologiques bien nettes. Agé de 26 ans, il a mené l'existence agréable du fils de famille que rien n'oblige au travail, sans toutefois « faire la féte » au sens mondain du mot. Il a eu des maîtresses, et de l'avis de l'une d'elles, que j'ai eu l'occasion de soigner, s'est toujours bravement comporté.
Cédant aux sollicitations de sa famille en même temps qu'à une vive inclination personnelle, il se décide au mariage, et, pendant la période des fiançailles, qui dure environ 6 mois, vit dans une continence relative. Je le vois quelques jours avant son mariage ; il est nerveux, préoccupé ; au lieu de rechercher la compagnie de sa fiancée, il cherche toute occasion de s'en éloigner, comme s'il craignait son contact.
Il se présente à mon cabinet la veille de la cérémonie religieuse; il a les traits tirés, les yeux brillants, l'air inquiet, et, sans autre préambule, me fait part de ses craintes de n'être pas apte à remplir le lendemain ses devoirs conjugaux. Recherchant les motifs de cette appréhension, examinant le physique et le moral de mon client, j'acquiers bientôt la certitude d'être en présence d'une phobie d'ordre génital. Considérant l'anatomie de l'organisme féminin d'une façon toute particulière, il craint non pas de rester impuissant, — et j'insiste sur ce point qui fait la particularité de cette relation, — mais d'être au-dessous de la tâche qui lui incombe et de ne pas remplir ses devoirs jusqu'au bout. Je le rassure de mon mieux, lui affirmant la parfaite intégrité de ses fonctions et lui conseillant de chercher dans une bonne nuit de sommeil le calme dont il a grand besoin.
Le lendemain, un coup de téléphone me demande rendez-vous pour 5 heures. La cérémonie religieuse avait eu lieu à midi, et le jeune marié s'échappe pour venir me dire qu'il a passé une nuit atroce, hanté par son idée fixe, par sa phobie. Il est moins rassuré que jamais et voit approcher avec terreur l'heure de l' « Enfin seuls ». Il vient me supplier de lui faire une injection de sérum, de lui donner de la cantharide, de la yohimbine, etc. J'ai l'air de céder à son caprice, et, comme thérapeutique suggestive, je lui injecte 1 centimètre cube de solution physiologique.
Le jour suivant, le jeune phobique, tout aussi nerveux, vient à ma consultation avec sa femme. Il entre seul, tout d'abord, me dit qu'il est aussi inquiet que la veille, qu'il ne sait pas s'il s'est convenablement conduit, et me supplie, pour le rassurer, d'examiner sa jeune femme à laquelle il est parvenu à persuader que cet examen est indispensable. Après m'être longuement refusé à la chose, je consens à un examen superficiel, auquel la jeune femme se prête d'assez bonne grâce, et je constate une défloration aussi parfaite que récente. Mon client est rassuré et part le lendemain en voyage.
Je le revois quelques mois après, à son retour. La phobie n'a pas disparu et son attention est toujours portée sur sa sphère génitale. Il a fini par se convaincre que ses rapports conjugaux étaient complets, mais si
la question de quantité est laissée de côté, la question de qualité ne cesse pas de le préoccuper, et il continue à croire sa situation anormale et inférieure à celle de tout autre. Cette préoccupation constante a retenti sur son caractère; gai, affectueux jusqu'alors, il est maintenant sombre, préoccupé. Loin de se complaire auprès de sa jeune femme, il recherche toutes les occasions qui peuvent l'appeler au loin. En sa présence, il a, comme j'ai pu le constater plusieurs fois, l'attitude penaude d'un coupable qui craint l'interrogatoire; sa conversation est faite avec elle de phrases brèves, hachées, alors qu'elle est plutôt agréable avec tout autre.
Je ne me serais pas arrêté à cette observation, si le cas ne m'avait paru capable d'entraîner pour le sujet des conséquences et personnelles et familiales.
La première question qui se pose tout d'abord est de rechercher la cause de cette phobie. Il ne s'agit évidemment pas là d'une phobie symptomatique, le sujet n'ayant présenté, jusqu'au jour où elle éclata, aucun trouble névropathique. Le mariage parait bien en avoir été la cause occasionnelle, et, en étudiant en détail la psychologie du sujet, j'ai cru pouvoir imputer à l'amour-propre excessif, poussé jusqu'à l'état morbide, la création de cette phobie. En effet, la caractéristique du sujet a toujours été, avec un égoisme profond, l'idée constante d'être remarqué et jugé supérieur aux autres. En cette circonstance particulière, le sentiment de pouvoir n'être pas considéré par sa femme comme l'être supérieur qu'il veut rester, l'a préoccupé outre mesure, et, considérant la sphère génitale comme jouant dans le mariage le principal rôle, a créé sa phobie.
Au point de vue familial, les conséquences de cette phobie peuvent être graves. Le sujet a vu naître ses craintes à l'occasion de son mariage; de là à en attribuer la cause à la femme, il n'y avait qu'un pas, et ce pas fut vite franchi. D'où le changement d'attitude dont je parlais tout à l'heure, changement difficile à interpréter par la jeune femme et à rattacher à sa véritable cause. Cet état s'accentuant chaque jour peut devenir la cause de véritables conflits et d'idées de séparation, que je vois déjà poindre à l'horizon.
Au point de vue thérapeutique, quelle conduite tenir ? La phobie étant d'ordre physiologique, c'est à son médecin que le sujet fait part de toutes ses craintes, de toutes ses hantises. J'ai employé tous les raisonnements possibles; j'ai usé d'arguments de toute nature, anatomiques, physiologiques, j'ai fait delà psychothérapie. lîien n'aboutit; mon client sort rassuré de mon cabinet, pour y revenir quelques jours après encore plus préoccupé. Son entourage s'inquiète des modifications subies par son caractère et son attitude, et craint des conséquences somatiques d'un état qui n'est que psychopathique, mais dont la persistance— il y a bientôt un an que je suis le malade — parait tout particulièrement assombrir l'avenir. Je ne crois pas à l'utilité d'une médication nerveuse ; en dehors de sa phobie, le sujet ne présente aucune affection ; tous ses
appareils sont en parfait état, et les fonctions en sont régulières. Peut-être un isolement momentané, — envoi seul dans une station thermale ou climatérique, — pourrait-il être essayé, mais toutefois avec la crainte de voir reparaître, à la reprise de la vie commune, la phobie d'ordre particulier qui a fait l'objet de cette communication.
Guerison de symptômes hystériques spasmodiques graves par suggestion à l'état de veille
Par M. le Dr Stadelmann (de Wurtzbourg).
Il y a six ans et demi, un garçon âgé de douze ans présentait une contracture de l'articulation du genou gauche. La contracture était telle que le talon touchait la peau des cuisses, de sorte que la jambe avait l'air d'un moignon consécutif à une amputation. La peau du genou était hyperesthésique; le malade ne pouvait même pas supporter sa couverture. La plupart du temps, il restait au lit. Pendant six mois il boita, ne marchant que sur un pied et à l'aide d'une béquille.
D'après le récit de ses parents, ce jeune garçon s'était heurté légèrement le genou. Quelques heures après il se disputa avec son frère; craignant une punition, il alla se cacher derrière un buisson où il resta des heures.
Dans cet état d'émotion, l'insignifiante sensation de heurt, d'abord peu observée, devint un symptôme hystérique durable.
L'articulation du genou restait immobile activement et passivement. Après plusieurs traitements divers et vains, on s'en remit à la thérapeutique suggestive.
En un jour et demi, la suggestion à l'état de veille guérit complètement notre malade de son hyperesthésie et de sa contracture. D'un pas ferme, l'enfant retourna chez ses parents et put reprendre ses études.
Il n'y eut pas de rechute.
Une fillette de douze ans qui avait beaucoup travaillé à l'école et qui passait son temps libre à faire des ouvrages, sentit un jour une grande fatigue à la main droite; la fatigue gagna peu à peu le bras entier. La malade ne pouvait saisir aucun objet avec sa main droite; tout ce qu'on lui confiait, elle le laissait tomber au bout de quelques instants. Chaque fois que la malade avait pris un objet de mince épaisseur surtout de métal, sa main et son bras commençaient à trembler; le tremblement ressemblait à une suite de mouvements lançants.
Ce tremblement gagnait déjà la musculature de l'épaule droite, le côté droit de la nuque, la moitié de la face, de la langue et menaçait d'affecter aussi le côté gauche. Il lui était impossible d'écrire, de coudre et de se livrer à aucune occupation de cette nature. Cet état subsistait déjà depuis cinq mois. Il avait pour cause le surmenage scolaire et celui de nombreux ouvrages fins à l'aiguille.
Par une seule suggestion à l'état de veille, ce symptôme disparut.
Après ce court traitement, la petite fille put très bien coudre, écrire, etc., sans fatigue.
Jusqu'à aujourd'hui, un an et demi après le traitement, il ne s'est pas produit la moindre rechute.
Dans ces deux cas, les symptômes furent de nature fonctionnelle et hystérique. Une petite cause provoqua pendant une émotion ou après une fatigue l'état de spasme.
Quoique la suggestion ne puisse anéantir le caractère hystérique des malades auquel ils doivent l'apparition d'un pareil symptôme, on peut regarder le succès par la suggestion à l'état de veille comme une guérison complète.
Les deux malades ont pu être rendus à la vie commune.
COURS ET CONFÉRENCES
Algies du nez et de la langue sur un terrain psychasthénique (1), par M. le Professeur Raymond.
Voici deux malades âgées, l'une de 38, l'autre de 22 ans. L'une a mal au nez, l'autre à la langue. On a fait à leur sujet de grosses erreurs de diagnostic et on a failli les opérer.
La première présente à la racine du nez une raie rouge analogue à celle que fait le lorgnon ; elle y éprouve des démangeaisons, des chatouillements, des frottements, des tiraillements et une foule de sensations anormales ou bizarres. Tantôt, il lui semble que son nez enfle ou qu'il a des vers, tantôt qu'il a disparu ou appartient à une autre personne, etc. En outre, elle a très mal à la tête ; quand elle se coiffe, elle a l'impression que son cuir chevelu se détache. Tout cela exerce sur l'état général une répercussion qui se traduit par de la crainte, du désespoir, des battements de cœur et de l'angoisse.
La seconde, qui est institutrice, accuse dans la langue des sensations de brûlure qui ont débuté par l'estomac, puis sont montées le long de l'œsophage. Il lui semble que sa langue est en bois, qu'elle va lui refuser tout service, que toutes les papilles sont saillantes, etc. Les papilles ont subi d'innombrables cautérisations et, après chaque séance, la malade se trouvait beaucoup plus mal. L'autre malade peut encore travailler; celle-ci en est devenue incapable; elle se trouve dans un état très marqué d'amoindrissement physique et intellectuel.
Bien que l'organe soit différent, l'affection est identique chez toutes deux : le nez, d'une part, la langue, de l'autre, sont complètement sains ; en outre, elles n'éprouvent, l'une et l'autre, que des sensations, sans aucune réalité objective; enfin, dans l'un comme dans l'autre cas, les conditions de production sont analogues.
(1) Présentation de malades faite à la Clinique des maladies du système nerveux de la Salpétrière.
La première avait un fiancé. Un beau jour, elle apprend qu'il courtise une autre jeune fille et aussitôt elle se tourmente. Le jour où elle a appris la fâcheuse nouvelle, elle avait le nez un peu rouge à la base, dès lors, la rougeur du nez lui devient une idée fixe obsédante et c'est cette rougeur qu'elle accuse d'être la cause de son état.
La seconde a un père brutal qui la reçoit très mal et, pour des futilités, la met à la porte de chez lui. Elle devient craintive et émotionnable. Survient un embarras gastrique avec brûlures qui remontent le long de l'œsophage et gagnent la langue : elle se croit atteinte d'une grave maladie qui siège dans cet organe.
Toutes deux se sont tourmentées ; elles sont devenues hypocondriaques et ont pensé au suicide. Or, il s'agit, en somme, d'une affection simplement psychique, d'une obsession, à savoir d'une algie du nez et d'une algie de la langue sur un terrain psychasthénique.
Les affections psychiques rapportées à la langue ne sont pas tout à fait rares. Fournier, à l'Académie de médecine, a communiqué un cas de faux cancer et Galippe un autre de phobie de l'odontalgie. Dans ces deux cas, de nombreuses cautérisations locales avaient entretenu le malade dans cette idée que son affection résidait dans la bouche. La phobie du nez est beaucoup plus rare. Toutefois, tel voit son nez rougir et aussitôt apparaît l'éreutophobie.
Ces malheureuses psychasthéniques sont persuadées qu'elles sont atteintes très gravement. Si un chirurgien avait proposé à notre seconde malade de lui enlever la langue, elle y aurait consenti. On ne compte plus les seins et les ovaires enlevés pour de simples algies psychiques, ni les désarticulations de la hanche dans des cas de pseudo-coxalgie, ni les amputations du poignet pour de faux phlegmons.
D'ordinaire, ces malades guérissent si l'on parvient à lés suggestionner. Il faut qu'ils oublient leur obsession et, pour cela, qu'ils soient complètement isolés de leur milieu habituel. En tous cas, ce sont des cas de pratique que vous devrez bien connaître au double point de vue du diagnostic et de la thérapeutique. Cette dernière comporte principalement le traitement rationnel de la volonté.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La Société d'hypnologie et de psychologie reprend ses séances mensuelles, le mardi 20 octobre 1903, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpètrière.
Communications inscrites :
Dr Doyen : L'état mental des opérés.
Dr Pau de Saint-Martin: Présentation d'un appareil pour l'hypnotisation. Dr Aragon : Psychopathies d'origine utérine.
Dr Bérillon : L'aboulie essentielle et son traitement psychothérapique. Dr Jules Voisin : Traitement par la suggestion hypnotique d'un cas
d'hyperesthésie hystérique. Dr Swoboda : Expériences de psychologie musicale. Dr Paul Farez, Dr Paul Magnin, etc.
Les séances de la Société ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois, à 4 h. et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 4. rue Castellane, et les cotisations â M. le Dr Farez, trésorier, 93, rue de Courcelles.
Hypnotisme anesthésique
Pour la première foisdans l'histoire de la chirurgie, en Angleterre, la suggestion hypnotique a pris la place des anesthésiques ordinaires, au cours d'une opération grave.
L'expérience a été faite par le docteur Frank Aldricht, de Clapton, mercredi dernier, sur une dame de trente-huit ans.
Le docteur nous a fait lui-même le récit suivant :
Il y a deux semaines, dit-il, je fut appelé auprès d'une malade qui souffrait d'un mal ulcéreux dans la région du genou. Dans une opération précédente, on avait extrait une partie d'os. Depuis quelques années, la patiente éprouvait de grandes douleurs et se trouvait en fâcheux état.
On lui avait annoncé que sa vie ne pouvait être sauvée que par une opération; mais la dame craignait le chloroforme, et il était évident, pour moi, que, dans l'état de la malade, il n'y fallait pas songer.
La dame me demanda de l'hypnotiser. Son père y consentit. L'insensibilité arriva, au bout de trente secondes ; alors la malade ne sentait plus la piqûre d'une aiguille.
Je l'hypnotisais tous les jours pendant une demi-heure, en effet. Son père fixa pour l'opération une chambre derrière la maison, et j'amenai avec moi une garde-malade.
L'autre samedi, à onze heures du soir, j'endormis ma cliente. Elle fut transportée dans la chambre préparée. Son lit fut apporté, et, malgré le bruit, elle n'entendit rien. Quand je la réveillai, elle fut tout étonnée de se trouver dans une autre chambre que la sienne.
De nouveau, je l'hypnotisai et lui suggérai de n'éprouver aucune sensation dans la région du genou, quand elle serait réveillée. En effet, quand je fis cesser l'expérience, je lui touchai fortement le genou et elle ne sentit rien.
A quatre heures de l'après-midi du même jour je l'endormis de nou-
veau, sans l'avertir que c'était pour l'opération. On la porta sur la table d'opération. Pendant ce temps, un chirurgien de l'hôpital métropolitain et mon aide arrivèrent.
L'opération commença à 4 h. 50 et finit à 5 h. 10. J'éveillai l'opérée à 5 h. 15 et nous quittâmes la maison à 5 h. 30.
Pendant qu'on coupait la jambe, je lui dis qu'on lui avait coupé ce membre au dessous du genou. Elle rit et dit : a O'est bien, donnez-moi la main ! » Elle me serra fortement quand les nerfs furent coupés.
A une personne ignorant ce qui se passait, elle eût paru consciente, pendant tout le temps.
Quand elle s'éveilla, elle dît : « Je sens des aiguilles et des épingles. »
11 n'y avait aucun symptôme d'émotion. Le pouls et la température n'avaient rien d'anormal. Elle mangea un repas substantiel à six heures.
La garde-malade, qui assistait, dit que c'était la plus étrange opération qu'elle eût vue dans sa carrière.
Je donnai à la patiente un peu de vin de Porto avec de l'eau pendant qu'on faisait l'amputation, et, pendant tout le temps, elle ne cessa de me parler.
Depuis, elle est de fort bonne humeur. Ellemange bien et elle est guérie pour bien des années.
Odeurs et troubles digestifs
Quelques réflexes bizarres d'origine nasale. Nous les empruntons à une publication du docteur Joal : Odeurs et troubles digestifs.
Bartholin a connu une famille dont tous les membres avaient pour le beurre et le fromage une telle antipathie, que les enfants, engagés par des caresses à surmonter leur répugnance pour ces aliments, éprouvaient constamment après en avoir mange, des nausées et des épistaxis.
Il y a des gens qui sont purgés à peu de frais. Smetius rapporte le cas de plusieurs sujets qui étaient purgés par la seule odeur de la boutique d'un pharmacien. Et Schneider a observé une jeune fille qui fut abondamment purgée pour avoir perçu l'odeur d'une potion purgative destinée à sa sœur.
L'odeur d'un mets savoureux « fait venir l'eau à la bouche ». Mais cette sécrétion réflexe peut atteindre chez certaines personnes des proportions qui la rendent bien désagréable pour leurs voisins de table. Magendie a connu un monsieur chez qui l'odeur d'un bon plat déterminait la projection d'un jet de salive à plusieurs pieds de distance.
L'Administrateur-Gérant : Ed. BÉRILLON.
18· Année. —N° 5.
Novembre 1903.
Traitement de la choree arythmique hystérique par l'immobilisation. — De l'influence de la vue comme élément d'auto-suggestion dans la genèse des phénomènes hystériques,
par M. le D' HUYGHE, Ancien chef de clinique médicale à ia Faculté de Lille
Parmi les états pathologiques d'observation courante, il en est peu qui furent l'objet de médications aussi variées que les chorées arythmiques. Elles peuvent se classer en trois groupes : chorée de Sydenham ; chorees chroniques progressives de l'adulte et de l'âge mûr ; chorées symptômatiques. A cette classification peut se ranger la chorée hystérique et ses diverses variétés, elle est en effet la plus répandue, s'observe à tout âge, simule à s'y méprendre les formes antérieurement classées, et parfois même ne peut être décelée faute de repères suffisants. L'auto-suggestion pourra déjà rendre un service réel, celui d'étayer l'opinion du médecin; enfin, s'il s'agit de chorée hystérique, elle amènera une guérison rapide et définitive.
Nous avons employé les méthodes diverses déjà décrites. Hypnose et commandement durant le sommeil provoqué. Les résultats ne furent pas toujours concluants, et en outre cette médication peut avoir ses contre-indications.
Inhalations de chloroforme, alors que l'hypnose était par trop lente à obtenir ou d'une difficulté presque insurmontable; inhalations amenant la résolution, mais non le sommeil complet, commandements durant cette période. Résultats presque nuls. Bleu de méthylène. Bracelets au collodion iodoformé, ou au collodion coloré en rouge ou en bleu, bracelets dessinés sur les membres animés de contractions spasmodiques, résultats incertains.
Nous avons eu enfin recours à une médication qui, jusqu'à
ce jour, ne compte pas d'insuccès : Le malade est chlorofor-misé d'une façon incomplète, après quelques bouffées de chloroforme, l'anesthésie n'étant même pas recherchée, nous opérons quelques frictions sur les membres atteints, frictions perçues par le malade, puis toujours sous chloroforme, les membres sont placés en des gouttières; bras et jambes sont complètement immobilisés, et la gouttière dûment ouatée est complètement close par des bandes de toile. Nous maintenons l'immobilisation durant cinq à six jours, ce temps écoulé, le pansement est enlevé, et en général tout mouvement cho-réïforme a disparu. Mais s'il persistait quelque mouvement, si minime soit-il, de nouveau les membres atteints sont replacés en gouttière et durant le même temps.
Jusqu'en juillet 1901, époque à laquelle nous présentions nos observations à l'Académie de Médecine de Paris, nous avons eu six cas traités par cette méthode. Parmi ces observations, nous pouvons classer trois formes principales de chorées hystériques soignées et guéries, chorée arythmique hystérique unilatérale, chorée gravidique, chorée hystérique franche.
Ce traitement ne peut être appliqué que dans les formes relevant de l'hystérie, il a sur les autres les avantages suivants :
1° Le malade est toujours en auto-suggestion.
2o Le malade ne voit plus ses membres, il oublie donc de bouger. La vue des mouvements choréîques chez l'hystérique en appelle d'autres, tels sont les cas de chorée par imitation, les cas de chorée d'abord bénigne devenant de plus en plus accentuée au point de revêtir les caractères de chorée grave avec agitation intense et continuelle la nuit et le jour, observation vu, aussi nous n'hésitons pas à le replacer de nouveau en gouttière s'il existe encore quelques mouvements, si minimes soient-ils, persuadés qu'ils seraient l'origine d'une rééducation complète.
Enfin la médication est inoffensive, et peut être appliquée dans tous les cas et dans tous les milieux. Parmi nos observations nous citerons le n* vu.
D. E.. 15 ans 1/2, entre à l'hôpital Saint-Sauveur, service de M. le Professeur Lemoine, le 21 mai 1903. Aucun antécédent notable, ni parmi les ascendants ni les collatéraux, pas d'antécédents personnels, sinon quelques crises d'hystérie notées depuis un an, date de rétablissement des règles.
Le 2 janvier, sans cause notable sinon le froid ressenti assez vivement
la nuit de Noel, survint un torticolis douloureux amenant la tête en inclinaison latérale droite.
Le 5 janvier, mouvements choréïformes d'abord notés à la main, avant-bras droit, puis à la tête; la jambe, la cuisse, Je tronc se prirent consécutivement du même côté. Le 9 janvier, la malade se soulevant sur son lit, fut piise de douleurs vives dans le côté gauche, face, membres supérieurs, tronc, membres inférieurs, douleur survenant au moindre mouvement et privant la malade de tout repos, les mouvements choréïques augmentèrent d'intensité à droite. Trismus — l'ingestion et la mastication étaient d'une difficulté telle que, depuis janvier, la malade ne put se nourrir que de lait, d'coufs et de bouillon, ingérés par succion dans un vase en porcelaine en forme de biberon. — A son entrée à l'hôpital, le torticolis existe toujours, mais les mouvements de la tète sont plus faciles, mouvements toujours identiques, et répondant à une déviation brusque de la tête vers la droite, déviation suivie presque aussitôt de retour vers la ligne médiane. Les mouvements du bras consistent en un léger écarte-ment du tronc, puis il se soulève du plan du lit, se rapproche de ta poitrine alors que l'avant-bras tourne sur lui-même d'une façon rapide et que la main se balance à l'extrémité du membre, puis le poignet se ferme et le mouvement s'arrête subitement pour reprendre aussitôt après.
La jambe s'écarte légèrement de la ligne médiane, puis se soulevant du plan du lit, retombe ensuite. Abdomen, tronc, néant, muscles de la face, globes oculaires, glotte néant.
Cessation de tout mouvement pendant le sommeil.
A gauche, parésie flasque, hypéresthésie.
Réflexe rotulien exagéré légèrement à gauche.
Pas de signe de Babinski. — Pas de trépidation épileploïde.
Réflexes, pharyngé, cornéen abolis. — Pas de dermographie.
/ Bras droit......20 cent.
, , \ » gauche..... 19 »
Amyotrophie légère j Jambe droite.....38 D
? gauche .... 36 1/2.
Mise en gouttière le 25 mai selon les prescriptions citées plus haut. Tète et cou sont enveloppés d'un bonnet spécial fait de bandes et d'ouate> mais il ne peut résister aux mouvements continus.
28 mai. — Tout mouvement choréiforme a disparu à droite. Le tronc est agité et la tête mal contenue bouge encore. Nouveau bonnet plus solide, des feuilles d'ouate sont placées sur le ventre, des bandes maintiennent le tronc dans l'immobilité.
2 juin. — Tronc et tête ne bougent plus, le torticolis a disparu, la parésie par un entraînement progressif et le commandement disparait à son tour et le 5 juin la malade est guérie.
L'influence de l'immobilisation et des gouttières ne peut ici être mise en doute, tous les traitements suggestifs, à part
l'hypnose, ayant été employés antérieurement par le médecin traitant, or dans ce cas le sommeil provoqué eût été difficile à obtenir : 1° La malade ne pouvant fixer un point quelconque; 2° Ne pouvant être attentive ni à la parole ni au geste ; 3° La persuasion ne pouvait même avoir d'influence sur son intelligence assez bornée.
Par ce traitement les membres furent donc isolés, et la vue ne put s'exercer pour rééduquer de nouveaux mouvements ou pour entretenir ceux qui existaient déjà, la malade oubliant donc de bouger fut guérie.
Observation VIII. — W. L. Entre à l'hôpital St-Sauveur. service de M. le professeur Lemoine le 15 juin 1903, déjà soignée en 1902 pour toux hystérique, elle présente un type parfait de névrosée. Son retour est provoqué par un œdème des avant-bras, œdème survenu en décembre 1902. W. L. avait une parente atteinte de tumeur abdominale et présentant de l'œdème généralisé, ses visites furent assez fréquentes chez la malade et, un mois après, notre hystérique présentait du gonflement des pieds et des avant-bras, œdème bleu, douloureux ne gardant pas l'empreinte du doigt. Ni anesthésie, ni thermo-anesthésie, aucune variation dans le volume des membres atteints lors des époques, à son entrée à l'hôpital seuls les avant-bras restaient pris. Le médecin traitant avait essayé toutes les médications suggestives, frictions, electrisation, persuasion, médications internes, bleu de méthylène, enfin, fait notable, il enveloppa les membres de bandes de flanelle, mais enveloppement incomplet se relâchant au dire de la malade durant la journée, la malade pouvait défaire elle-même son pansement. Des gouttières furent appliquées, mais gouttières trop courtes ne recouvrant que les avant-bras jusque la partie moyenne, la malade voyait encore son œdème. Le 22 juin, appareil formé de lattes, feuilles d'ouate le tout maintenu par des bandes de toile jusqu'au milieu des bras ; chloro-formisation légère.
Mensuration des avant-bras 7 cent, au-dessus du poignet. — (4 au-dessus du poing. Gauche — 23 c. —27 —
Droit — 25 c. — 29 —
L'appareil est enlevé le 24 juin, puis remis.
7 cent. 14_
Gauche 19 redevenu normal. — 22 redevenu normal. Droit 21 — — 23 —
7 cent, au-dessus du poignet. — 14 au-dessus du poing. Gauche — 19 c. — 22 —
Droit — 19 c.— 22 —
22 juin
24 juin
La guérison est due à l'auto-suggestion, mais, fait notable, l'auto-suggestion ne fut vraiment curative que consécutivement à l'enveloppement complet des membres, en effet : 1° Tous les moyens de traitement avaient été employés; 2° L'enveloppement, voire même l'immobilisation, avaient été tentés mais. — Enveloppement incomplet la malade pouvait voir son œdème. — Gouttières trop courtes, la partie supérieure des avant-bras était visible.
Il est à noter que la cause de la maladie remontait à la vue d'un œdème. La lésion une fois créée, la vue de ses bras cedé-matiés éveillait chez le sujet le réflexe de vaso-motricité qui se maintenait par association d'idées d'une façon permanente.
En conséquence, l'immobilisation amène dans la chorée la sedation des mouvements, nous croyons en outre que dans les états nerveux spasmodiques, et, en général dans toute manifestation hystérique visible pour le sujet, l'enveloppement joue un rôle évident, l'hystérique s'hypnotise sur les lésions et les entretient; supprimer la vue, et par cela même l'association des idées, moteur du réflexe, sera toujours le moyen de les guérir.
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE
L'ascendance de cinq religieuses de Port-Royal
Par le Docteur Charles Binet-Sanglé, (suite)
Laurence de Hay naui descendait doRaynier de Haynaut IL Celui-ci. mort en 917, eut une fille et trois garçons dont : Lamoerf, fait avoué (aj de l'abbaye de Gemblours en 948, et Raynier III.
Raynier 111, vivant en 924 et 930, fut en guerre avec son frère Gislebert. Il donna à l'église de Ste-Gertrude de Nivelle pour lui, sa femme et ses enfants, douze manses (3) ou censes {*) sises à Villiers en Ardenne, avec une église et ses dépendances. De sa femme, qui fut enterrée dans l'église de Ste-Waudrude-de-Mons, il eut trois garçons, dont iLiêch&rd, qui donna à l'église de Nivelle neuf manses, un moulin et une brasserie ; Rodolphe, qui donna à la môme église six manses sises à Lentlo.avec les bois pour le pacage de soixante porcs, et Raynier IV.
(1) Voir le numéro d'octobre 1903.
(2) C'est-à-dire protecteur àcs personnes et des biens ecclésiastiques dulieu. (3) Mesure de terre jugée nécessaire pour faire vivre un homme et sa famille, environ 40.000 mètres carrés. (1) Ferme, métairie. Le doute vient probablement d'un mot mal écrit.
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Raynicr IV, vivant en 924, mort en 977, fut présent à une donation faite à l'église de St-Hubert. Il eut deux garçons : Lambert II, avoué de l'abbaye de Gemblours, lequel fit bâtir l'église de St-Pierre de Louvain, y fonda sept prébendes i), et fut tué le 12 septembre 1015, et Raynier V.
Celui-ci, vivant en 976, mort vers 1013, épousa Hadwige, fille de Hugo dit Capetus (Hugues Capei) et d'Adelheid de Guyenne (2). et en eut une fille et deux garçons : Richard, évéque de Liège en 1036, mort le 26 août 1041, et Raynier VI.
Raynier VI, vivant en 1015, mort vers 1037, obtint que l'empereur d'Allemagne prit l'église de St-Gui!lain sous sa protection; et fit transporter les reliques de Ste Véronne de Lambeck à Mons pour lés soustraire à ses ennemis. De Mahaud, fille d'Herman d'Ardenne lequel se fit religieux en J0*i9 à l'abbaye de Ste-Vanne de Verdun, où il mourut peu après, il eut une fille, Richitde.
Richilde de Haynaut eut avec son premier mari un différend qui fut apaisé en ! 19 par l'entremise du pape Brunon (Léon IX . Devenue veuve, elle rendit à l'eveque de Liège le château de Merowast, et lui engagea les principales places de son comté qu'elle reprit en fief de lui pour une grosse somme. Elle fonda en lOSl l'abbaye de St-Denis près de Broqueroye au diocèse de Cambray pour des bénédictins, ainsi que les églises de Notre-Damc-la-Grande à Valenciennes et de St-Vincent à Beaumont, et obligea Hugues, châtelain de Cambray, à relâcher l'évoque de cette ville, Gérard, qu'elle rétablit dans son siège. Elle mourut le 15 mars 1086, avancée en âge, et fut enterrée dans l'abbaye de Hamon. Elle épousa, en 1051, Baudouin de Flandre V7(*), mort le 17 juillel 1070 et enterré dans l'abbaye de Hamon, qu'il avait fait réparer et fondée de nouveau, et en eut deux garçons : Arnoul dit le Malheureux, tué le 20 février 1071, et enterré dans l'abbaye de St-Bcrtin ; et Baudouin de Haynaut II.
Celui-ci, vivant en 1070. engagea avec sa mère, moyennant une grosse somme d'argent, à Théodwin, évéque de Liège, les principales terres et seigneuries du comté de Haynaut, qu'il soumit à l'église de Liège pour en relever dans la suite. Il participa à la fondation de l'abbaye de St-Denis de Broqueroye, à laquelle il incorpora en 1084 les treize prébendes de St-Pierre de Mons, et à celle de Notre-Dame-la-Grande de Valenciennes, qu'il donna à l'abbaye de Has non en 1086. Il se croisa ensuite, et, pour subvenir aux frais du voyage en Terre-Sainte, vendit, du consentement de sa femme et de ses enfants, à Olbert. évéque de Liège, son château de Cowin. Il fut tué pendant son voyage, en 1098. Il avait épousé en 1084 Ide de Louvain.
(1) C'est-à-dire sept chanoinies avec leurs revenus. La prébende était le droit de percevoir certains revenus dans une église cathédrale ou collégiale.
(2) Voir Ch- Bixet-Saxglé. Physio-psyehologie des religieuses. Archives d'anthropologie criminelle. 15 septembre 1903, p. 530.
(3) Fils de Baudouin de Flandre V. Ibid. p. 600.
. Ide de Louvain descendait de Lambert de Haynaut II {voir ci-dessus), qui eut deux garçons et une fille, dont : Henry I, tué en 1028, et enterré dans l'église de Ste-Gertrude de Nivelle, et Lambert de Haynaut-Lou-vain JÏL
Celui-ci, avoué de Gemblours, fit transporterie 16 novembre 10Î7, les reliques de Ste-Gudulc de l'église de St-Gery en la ville de Bruxelles, par Gérard de Florenne, évèque do Cambray, et fonda des cha-noinies dans l'église de cette sainte. Il signa, le 21 septembre 1062, une charte en faveur des églises de St-Gervais et de Mastrîch. Il eut deux garçons : Raynier, qui souscrivit en 1073 une charte en faveur de l'église collégiale de Ste-Gudule de Bruxelles, et fut tué en 1077, et Henry IL
Henry de Louvain II, avoue de Gemblours et de Nivelle, vivant en 1072, eut trois garçons et une fille : Henry III, avoué de Brabant, qui fonda en 1086 l'abbaye d'Afflinghen au diocèse de Cambray pour des bénédictins, se maria, n'eut pas d'enfants, fut tué en 1095, et enterré dans l'église de Ste-Gertrude de Nivelle; Godefroy dit le Barbu, vivant en 1095, qui fut, le 16 ma'i 1101, témoin à une charte accordée à l'abbaye de Lobbe, donna un parc situé près de Louvain aux religieux de Prémunirent j'établit en 1131 une abbaye de cet ordre dite Notre-Dame du Parc, fit plusieurs biens à divers monastères et églises, entre autres à l'abbaye d'Afflinghen, où il futinhumé, et mourut le 25 janvier 1139; Adatberon, chanoine et primicier de l'église de St-Etienne de Metz, élu évèque de Liège en 1123, mort en 1128, et enterré dans l'église de St-Gilles qu'il avait fondée pour des chanoines réguliers {'); et Ide de Louvain, vivante en 1139, qui, s'étant réfugiée, pour échapper à un de ses ennemis, dans l'abbaye de St-Hubert. et y ayant été bien reçue, donna à ce monastère plusieurs terres à la charge d'un service pour le repos de son âme et de celle de son mari.
. Baudouin de Haynaut II et Ide de Louvain, curent cinq garçons et trois filles, parmi lesquels : .Simon, chanoine de Liège, RichUde, vivante en 1118, qui, devenue veuve, se fit chanoinesse de Maubeugc, et Baudouin III.
Celui-ci, vivant en 1114, mort en 1133, eut deux garçons et trois filles, dont Baudouin IV.
Baudouin de Haynaut IV, vivant en 1139, fut présent, le 6 juin 1161, àla deuxième translation des reliques de Ste Aldegondc, fondatrice des chanoinesses de Maubeuge. fit rebâtir l'église de Ste-Wautrude, qui avait été consumée par le feu, et couvrir de plomb celle de St-Vincent de Soi-gnies, commença les chapelles de St-Servais à Mons et à Bouchain et de St-Jean-Baptiste au Quesnoy, mourut le 8 novembre 1171 des suites d'une chute, et fut enterré devant le grand autel de l'église de Ste-Wau-irude. Il épousa Alix de Namur.
. Alix de Namur descendait de Bèrenger de Namur, vivant en 908 et
(I) Les chanoines réguliers étalent ceux qui faisaient des vœux de religion et vivaient en communauté.
. I:ini3.
ibjuii.
it Viiir.
928, qui do N, fille de ftaynier de Haynaut II, vivante en 924, eut fîatôode I.
Celui-ci, vivant en 973, eut deux garçons : Ratbode II qui, en 1013, secourut Lambert de Louvain contre Baudry de Los, évoque de Liège, et mourut sans enfants, et Albert L Albert de Namur I eut quatre filles et un garçon, Albert II. Celui-ci rétablit, du consentement de sa femme, l'église de St-Alban do Xamur où il élut sa sépulture, et fut tué en 1037. Il eut entre autres enfants : Henry, vivant en 1071, qui signa la charte d'une donation faite à l'abbaye de Si-Hubert d'Ardenne, et Albert III.
Albert de Namur III, nommé parl'évêque de Verdun gouverneur de cette ville, la défendit en 1078, ainsi que l'église, contre les ennemis de ce prélat restituale comté d'Anscronnc àl'abbaye de St-Hubert,reçut en 1099 d'Otbert, évéque de Liège, le comté de Brugeron, et fut présent, le 16 mai 1101. à la confirmation des droits, privilèges et possessions de l'abbaye de Lobbe. Il eut deux filles et quatre garçons, dont Frédéric, prévôt de l'église de St-Lambert de Liège, élu évoque de cette ville et sacré par, le pape Guy de Bourgogne (Calixte ?? en ! î 19, mort empoisonné en 11*20 ou 1121, et enterré dans sa cathédrale ; Henry, qui consentit et fut présent avec ses frères, Godefroy et Albert, à la donation de la terre d'Andenne a l'abbaye de ce nom, alla en Terre-Sainte, et mourut sans enfants quoique marié; et Godefroy.
Godefroy de Namur fut présent en 1131 avec Henry, son fils, à une donation faite à l'abbaye de Gemblours, fit des donations à l'abbaye de Brogue, eut en 1136 un différend avec le duc de Lothier au sujet de l'élection d'un nouvel abbé, brûla la ville à l'exception de l'abbaye, et mourut vers 1139. Il épousa Ermenson de Luxembourg. . Ermenson de Luxembourg descendait de Frédéric de Luxembourg I ('), dont le petit-fils Conrad, mort le 20 août 1086, cuteinq garçons parmi lesquels : Henri, Conrad, Rodolphe et Adalbéron, morts sans postérité, et une fille, Ermenson, vivante en 1101, qui confirma à l'abbaye de Ste-Vanne de Verdun deux églises que son premier mari y avait données, donna elle-même en 1121 avec Godefroy de Xamur, l'église de Floresties à St-Xorbert poury mettre des religieux, et mourut quelque temps après.
Godefroy de A'amuretErmensondeLuxemfcoiirgeurentdeuxgnrçons et trois filles dont : Albert, vivant en 1121, mort avant son perc ; Henry, dit l'Aveugle, vivant en 1121, avoué de St-Maximin de Treves', qui fut en guerre avec l'archevêque de celte ville, auquel il prêta ensuite serment de fidélité et dont il reçut l'absolution, donna en 1152 à l'abbaye de Floresties l'église de Leste avec les lieux d'ûbais et de Marke-sur-Meuse, prît sous sa protection en 1154 l'abbaye de Brogue avec tousses biens, confirma à ce monastère les donations que son père y avait faites, ratifia en ! 182 la fondation de l'abbaye dr Xotrc-Damcdc Luxembourg, et
(I) Voir Archives d'antrofologic criminelle, 15 'ict. 1003, p. 609.
it Liitibenrf.
de Xiiir.
vivait encore en 1189; et Alix de Namur, femme de Baudouin de Haynaut IV.
. Baudouin de Haynaut IV ctAUxde Namur eurent cinq garçons et deux lilies parmi lesquels : Baudouin, mort jeune, Godefroy, mort à seize ans, le G avril 1159, marié et sans enfants, enterré dans l'église de Ste-Wautrude ; Agnès, dite la Boiteuse, vivante en 1166, morte en avril 1173; Baudouin V, dit le Courageux, vivant en 1168, qui, en 1176, rendit à l'église de Lobbes, les biens qu'il eu avait usurpés, en donna d'autres pour réparer les torts et dommages causés, ainsi que pour être absous des censures lancées contre lui par l'archevêque de Keims, acquit, en avril 1183, le droit que l'évêque de Liège avait au comté de Namur, moyennant le délaissement qu'il fit à son église de la terre de Durbuy, promit, en 1192, de défendre l'église de Cambray et les autres du pays de Cambrésis, en reconnaissance du don qu'elles lui avaient fait du droit de garenne (1), fonda la même année cinq prébendes dans l'église de Notre-Dame-la-Grande de Valenciennes, acheva et dota les chapelles de St-Servals a Mous et à Bouchain et celle de St-Jean-Baptisle au Quesnoy, ordonna par son testament plusieurs restitutions et fondations, particulièrement à l'abbaye de Ste-Wautrude de Mons, où il fut enterré, et mourut le 17 décembre 1195; Guillaume, qui fut présent en 1203 a une donation faite à l'église de St-Denis de Broqueroye, et confirma en 1212 à l'abbaye de Ste-Sauve un hôpital hors la ville de ce nom pour y recevoir des pèlerins ; Henry, qui donna quelques biens à l'abbaye de Ste-Sauve en 1199 ; et Laurence, vivante en 1160, morte le 9 août 1181, qui fit avec son mari beaucoup de bien à l'abbaye de Notre-Dame du Val.
¦ Bouc/tard de Montmorency V et Laurence de Haynaut eurent un garçon et deux filles dont: Mathieu II, qui donna en 1226 une charte en faveur des religieux nommés les Bons-Hommes du Bois d'Erloy, se croisa la môme année contre les Cathares (Albigeois), mourut le 24 novembre 1230, et fut enterré dans l'abbaye de Notre-Dame du Val; et Alix, qui épousa avant 1190 Simon de Montfort III, donna, durant son veuvage, en juin 1218, aux religieux de l'abbaye de Notre-Dame du Val dix livres parisis (2) de rente sur le port de Conflans, à charge de prier Dieu pour le soulagement de l'âme de son mari, et, le 19 février 1221, la même somme à l'abbaye de Saint-Antoine-des-Champs pour la pension de sa fille Perronelle qui s'y était faite religieuse, et mourut le 22 février suivant.
. Simon de Montfort III et Alix de Montmorenci eurent quatre garçons et sept filles, parmi lesquels, Robert, mort sans alliance après 1226; Simon, homme ambitieux, avide, irritable, dévot, vivant en 1229, qui alla après 1238 acheter du pape l'absolution du péché commis par sa
îi} Le droit de garenne était le droit de chasser le lapin, le lièvre, la perdris et le faisan.
ß) La livre parisis valait environ 1 fr. 25.
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femme, laquelle l'avait épousé bien qu'ayant fait vœu de chasteté, prit une part active à la croisade de 1240, fut mis après 1245 par Henri d'Angleterre III à la tétc des croisés anglais qui devaient partir pour l'Egypte, puis chargé avant son départ d'une autre mission, eut un dilTé-rendavec l'archevêque de Bordeaux en 1251, lut entraîné dans le parti d'opposition contre Henri d'Angleterre par les dominicains et les franciscains qui demandaient des réformes dans l'Eglise et dans l'Etat, fut excommunié par le Sl-Sicgc, lit saisir et jeter à la mer les huiles qu'on devait fulminer contre lui, et avait pour directeur de conscience Robert Grossetête, évéque de Lincoln ; Gui, tué en 1220 pendant la guerre contre les Cathares, inhume dans l'église du prieuré de Hautcs-Bruièrcs, Perro-nelle, religieuse de l'abbaye de St-Antoine-des-Champs ; Eléonore, bienfaitrice do l'abbaye de Port-Royal-des-Chainps; ctAmaumj VI.
Amaury de Montfort VI, né en 1192, prit part à la guerre contre les Cathares, fut reconnu par le légat cl les croisés comme successeur de toutes les seigneuries acquises parson pire, et fut comme lui le protégé du pape. Le 23 décembre 1222, il fit hommage à l'archevêque d'Ambrun pour les terres de sa femme situées en Amhrunois. En novembre 1225, il empêcha, au concile de Toulouse, Raymond de Toulouse VII de conclure la paix avec l'Église. En 122G, il guerroya contre les Cathares. En avril 1238, il confirma les donations faites à l'abbaye de Grand-Champ par son aïeule Amicie de Beaumont et son père Simon III. En 1239, il partit pour la Terre-Sainte, mourut au retour en 1341 d'un flux de sang, et fut enterré dans l'église de St-Pierre de liome. Il avait épousé en 1214 BétMx de Bourgogne. t. Beatrix de Bourgogne descendait de Robert de France I ['), qui, de Constance de Provence, eut. entre autres enfants, Robert de France-Bourgogne I.
Robert de France-Bourgogne I fit, le l* mars 1043, du consentement de sa femme et de ses fils Hugues et Henry, une donation à l'abbaye de St-Bénigne de Dijon, tua son beau-père, mourut dans l'église de Florcy-sur-Osch en 1075, et fut enterré dans l'église de Semur. De sa femme llélie, sœur de Hugues de Semur (3t Hugues), abbé dcCluny, morte le 29 avril 1109, il eut quatre garçons et une fille, dont : Hugues, mort sans allianceen 1057, et Hcnii.
Henri de Bourgogne, vivanlcn 1059, mort en 10GG, épousaSi/i>i//e, fille dellenaud de Bourgogne Jet a'AdeUûi de Normandie ('), ci eu eut cinq garçons et trois filles, parmi lesquels : Hugues qui fut promis à l'ordre sacerdotal, se maria, n'eut point d'enfants, alla guerroyer en Espagne contre les Maures, se fit, étant veuf, religieux à l'abbaye de Cluny après 1078, devint aveugle, mourut vers 1032, et fut enterré dans la chapelle de Ste-Maric de Cluny ; Roi-..-:, évéque de Langres, qui assista au concile de Troycscn 1104, prit, un peu avant de mourir, l'habit religieux à
(1) Voir Arabes d'AntlivofOlogie criminelle, 1ô août 130Î.
(2) Ibid.
ilBur (o;tt-
Molesme, mourut le 19 octobre 1110, et fut enterré dans la chapelle de ce monastère ; Henry, qui alla vers 1089 en Espagne combattre les infidèles, fut un des douze capitaines nommés par le pape Hubert Privelli (Urbain II) pour accompagner Godefroy de Bouillon en Terre-Sainte, signa en 1102 sur la charte de son frère Eudes en faveur de l'abbaye de St-Benigne de Dijon, mourut ?? 1" novembre 1112, et fut enterré dans la cathédrale de Braga ; Renaud, abbé de St-Pierre de Flavigny de 1085 à 1092 ; et Ernies J.
Eudes de Bourgogne I, vivant en 1078, fonda le II avril 1093les anniversaires de Robert son aieul, d'Henry son père et d'Hugues son frère dans l'église de Saint-Etienne de Dijon, et, à la prière de St Robert, abbé de Molesme, l'abbaye de Citeaux en 1098, partit pour la Terre-Sainte en 1102, après avoir donné la même année une charte en faveur de l'abbaye de St-Bénigne de Dijon, mourut en Cilicie le 23 mars 1103, et fut enterré sous le portail de l'église de Citeaux. Il épousa Muthilde de Bourgogne, morte religieuse à l'abbaye de Fontevrault, et en eut deux garçons et deux filles dont : Henry, religieux de Citeaux, mort le 9 mars 1130 ; Fleurine, qui fit le voyage de Terre-Sainte, et Hugues II.
Hugues de Bourgogne II dit le Pacifique assista, le 16 février 1106, à la dédicace de l'église de l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon faite parle pape Ranieri de Bieda (Paschal II], donna une charte en faveur de cette abbaye, mourut en 1141, et fut enterré ù Citeaux près de son père. Il épousa Mahaud de Turennc.
t. Mahaud de Turenne était fille de Boson de Turenne I.
Celui-ci, mort en 1091, eut quatre garçons et trois filles, parmi lesquels : Raymond/, qui partit pour la Terre-Sainte en 1091, et fit une fondation pour son frère Guillaume dans l'église de Saint-Martin de Tulles; Ebles, abbé de Saint-Martin de Tulles en III 1 ; et Mahaud de Turenne, femme de Hugues de Bourgogne II.
t Hugues de Bourgogne II et Mahaud de Turenne eurent six garçons et quatre filles, parmi lesquels : Hugues dit le Roux, vivant en 1168, qui fit du bien à l'abbaye de Citeaux ; Henry, archidiacre, puis évéque d'Au-tun en 1148, mort le Ie' mars 1178, enterré a l'abbaye de Citeaux ; Robert, sacré évéque d'Autun en 11-40, mort le 18 juillet de la même année, Gautier, doyen de l'église métropolitaine de Besançon, dont il fut élu archevêque vers la fin de 1161, qui renonça à cette prélature pour ne pas se trouver enveloppé dans le schisme qui régnait alors et pour s'unir à son frère Eudes et à Louis de France VII qui tenaient le parti du pape Rolando Bandinelli [Alexandre III), fut ensuite archidiacre puis, avant 1164, évéque de Langres, donna en 1165 et de 1169 à 1172 plusieurs titres de faveur à l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon, mourut le 7 janvier 1179, et fut enterré dans la chartreuse de Lugny qu'il avait fondée en 1777 ; Sybilc, mariée en 1150, enterrée au monastère de la Trinité de la Cave ; Aremburge, religieuse au monastère de Larey, et Eudes de Bourgogne II.
Eudes de Bourgogne II, mort en septembre 1162, enterré dans l'abbaye
ii Tmiif.
de Citeaux, épousa Marie, fille de Thibaut de Champagne IV ('), et en eut un garçon et deux filles dont : Alix, vivante en 1169, morte après 1201, qui, après s'être mariée deux fois, se fit religieuse à l'abbaye de Fon-tevrault, et Hugues de Bourgogne III.
Celui-ci fit en 1170 une donation à l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon, alla en Terre-Sainte en 1171, fonda à son retour en 1172 la Sainte-Chapelle de Dijon, fit un traité avec Jean, évéque de Grenoble; touchant leurs droits sur une maison et sur le mesurage des grains aux foires de cette ville, traité confirmé, le 13 juin 1184, par le pape Ubaldo Allucin-goli (Lucius III), repartit en 1191 pour la Terre-Sainte, où il mourut le 23 août de la même année, et d'où son corps fut ramené en France pour clro inhumé dans l'église de l'abbaye de Citeaux. Il épousa en 1182 ou 1183 Beatrix de Viennois.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance annuelle, le 16 juillet 1903. — Présidence de M. le D'Jules Voisin.
Faits nouveaux de psychothérapie. — Opération chirurgicale évitée. — Orthopédie morale.
Par M. le Dr Bourdon (de Méru).
L'électricité et tous les agents physiques utilisés en médecine, la physicothérapie enfin, qui est aujourd'hui à l'ordre du jour, est certes une branche très importante de la thérapeutique, qu'il faut savoir utiliser largement, et où il entre peut-être aussi une part de suggestion, mais je crois que son importance doit, dans beaucoup de cas, le céder encore à celle de la psychothérapie. de la suggestion hypnotique, non moins puissante, elle, pour l'inhibition que pour la dynamo-génie, pour la guerison de certaines maladies physiques que pour celles des maladies nerveuses et mentales, pour le redressement des fonctions que pour l'orthopédie morale.
La valeur du médecin et du pédagogue en est singulièrement augmentée.
Les annales de la psychothérapie ont déjà, mille et mille fois, lait ressortir cette puissance et les faits nouveaux viennent y ajouter chaque jour; mais il est regrettable, on ne saurait trop le répéter, que son application soit encore aussi négligée des médecins, qu'elle ne soit pas entrée enfin dans la thérapeutique courante.
Des difficultés de divers ordres entravent quelquefois cette appli-
(1) Voir archives d'anthropologie criminelle, 15 oct. 1902, p. 609.
cation; mais si elles sont réelles dans certains cas, elles ont été souvent exagérées et ne sont pas invincibles ; puis, les résultats qu'on peut en obtenir valent la peine de lutter un peu...
I
Prolapsus utérin guéri par la suggestion hypnotique. — Opération chirurgicale évitée.
Mme L., 40 ans, multipare, est une neurasthénique, avec tendance â l'obésité, dont j'ai autrefois rapporté l'histoire ici-même et qui a été, contrairement à ce qu'on avait affirmé, guérie par la suggestion dans le sommeil hypnotique longtemps prolongé et aidé d'une médication appropriée, que n'exclut nullement l'hypnotisme. Elle va donc de mieux en mieux, ayant besoin surtout de continuer de temps en temps le traitement à la fois psychothérapique et médicamenteux.
Mais, dernièrement, cette dame vient de nouveau, me disant qu'elle souffre d'un déplacement de la matrice, dont elle ne m'a jamais parlé et que le pessaire avec ceinture hypogastrique qu'elle porte depuis quelque temps déjà, aidé de l'électricité, ne la guérissent pas et ne l'empêchent pas de souffrir beaucoup ; elle éprouve de la pesanteur, de la douleur à l'hypogastre, des tiraillements dans les lombes, dans les aines, une sensation qui lui fait croire que les viscères du bassin vont tomber, que la matrice, comme un corps étranger, va sortir par la vulve, etc., tous symptômes augmentés par un effort, une fatigue, l'approche des règles, tout ce qui peut enfin congestionner l'utérus et distendre les ligaments.
A l'examen debout, on trouve l'utérus manifestement abaissé et fortement dévié dans l'axe du vagin, avec engorgement du col, qui n'est pas allongé, mais qui est à l'entrée de la vulve, tout prêt à sortir, et dont on aperçoit le museau de tanche , les culs-de-sac sont moins profonds, surtout l'antérieur, le doigt peut refouler l'organe, tandis que, dans le décubitus horizontal, la lésion ne peut presque pas être constatée au toucher, par suite d'une quasi-réduction spontanée.
Il s'agit donc bien d'un prolapsus très prononcé ou descente de la matrice et non d'un allongement hypertrophique du col ou d'une tumeur quelconque, chez une femme peut-être prédisposée par des grossesses multiples, mais dont la lésion a été probablement déterminée par un effort fait en remuant un sac très lourd et auquel n'auront pu résister les ligaments ronds, larges et même utéro-sacrés.
Par suite de la pesanteur à la partie inférieure du rectum et de l'influence sur la vessie, il y a un peu d'épreintes, de constipation et de dysurie.
La dyspepsie que la malade ressentait autrefois, ainsi que d'autres symptômes gastriques, cardiaques et céphaliques, d'ordre neurasthénique et dont elle était débarrassée, menacent de se réveiller, par action réflexe.
De nouveau, j'endors donc celle malade, ainsi que je devais le faire pour consolider la guérison de sa neurasthénie, me proposant aussi de tâcher de remédier à son prolapsus, mais sans grand espoir de succès.
Je lui suggère que les tissus, les ligaments suspenseurs de la matrice, actuellement relâchés et distendus, se resserrent, recouvrent leur tonicité, que l'organe déplacé remonte, se remet en place, reprend sa position normale, que désormais elle n'a plus besoin de pessaire ni de ceinture et que, par suite, elle ne souffre plus ni des reins, ni du ventre, ni de l'estomac, ni du cœur, ni de la tête, qu'elle va bien â la selle et qu'elle urine facilement, qu'elle n'a plus de pesanteur ni de tiraillements, qu'elle ne sent plus rien qui descend et qui veut tomber, etc.
Je répète plusieurs fois les suggestions dans un sommeil prolongé, de deux heures environ, comme j'ai l'habitude dr le faire pour elle, surtout parce qu'elle ne peut venir souvent.
Elle continuera son traitement tonique, médicamenteux [strychnine, arrhénal, glycerophosphates, etc.), sans avoir besoin de rester couchée, mais sans faire d'effort d'aucune sorte.
Elle ne revient qu'au bout de quinze jours. Je n'espérais aucun résultat, surtout après un aussi long intervalle et malgré les succès obtenus jadis dans les cas analogues (eventration de la ligne blanche, dilatation de l'estomac).
Quel n'est pas mon étonnement et surtout ma satisfaction d'entendre son mari me crier tout d'abord : « Mais, Monsieur, c'est extraordinaire, ma femme ne porte plus ni ceinture, ni pessaire, ne fait plus d'électri-sation, et elle ne souffre plus, n'éprouve plus rien de tout ce qu'elle éprouvait ; elle marche bien et travaille sans rien ressentir, sans abaissement de son organe utérin, on dirait que tout est remis en place et consolidé. Nous n'en revenons pas... ? ajoute-t-il.
Moi non plus, je n'en revenais pas, surtout après une seule séance, et restais un peu incrédule.
Nouveau saint Thomas, j'avais hâte de toucher, demi rendre compte. Or, le toucher, que je pratiquai aussitôt, vint me confirmer que ce n'était pas une illusion.
L'utérus était remonté presque à la hauteur normale et ne paraissait pas disposé à redescendre, les ligaments et toutes les annexes avaient suivi le mouvement, les culs-de-sac étaient perceptibles, le col utérin était déjà beaucoup moins gros et moins congestionné, il restait peu à faire pour avoir l'état normal. Il y avait donc un mieux notable réel, inespéré.
Toutefois, il fallait compléter, achever la guérison et dans une 2° séance,jecontinuai les suggestions, répétées avec insistance et toujours dans un sommeil profond et prolongé de deux heures environ. A son réveil, elle se sent comme dans un autre monde.
A son départ, je lui recommande de ne pas se fatiguer, surtout de ne pas faire d'efforts, de penser souvent que tout se remet en place de plus en plus, que de plus en plus ses organes reprennent de la tonicité,
etc., afin d'obtenir une sorte d'auto-suggestion et pour suppléer â la rareté des séances.
Quinze jours après, puisqu'elle ne peut venir plus souvent, se trouvant fort éloignée de Méru, elle et son mari sont heureux de m'annoncer, et toujours à leur grand étonnement, que tout continue à aller très bien, de mieux en mieux, que rien ne bouge et est complètement remis en place. Elle est heureuse d'être débarrassée du pessaire et de tous les symptômes qu'elle éprouvait, mais surtout d'une opération chirurgicale dont on l'avait menacée. Le toucher vaginal et rectal confirme la chose et fait percevoir le col, redevenu normal, à la hauteur voulue et l'utérus à sa vraie place, ainsi que l'existence des culs-de-sac antérieur et postérieur.
Voilà donc un nouveau fait qui montre une fois de plus la puissance dynamogénique de la suggestion hypnotique, surtout dans un sommeil prolongé, lequel n'est sans doute pas étranger à ce résultat, d'autant plus remarquable qu'il a été obtenu en deux séances seulement, sans le decubitus horizontal et qu'il a dispensé d'une opération chirurgicale.
C'est de cette façon, ai-je dit, que j'ai guéri jadis une eventration de la ligne blanche ainsi qu'une dilatation énorme de l'estomac.
II
pédagogie suggestive. — orthopédie morale
Paresse, malpropreté, bavardage, onanisme, onychophagies — Guérîson par la suggestion hypnotique prolongée.
Léon B. a 14 ans; on lui en donnerait 12 à peine, tant il est chétif : maigreur extrême, membres grêles, teint très pâle, légèrement jaune à certains moments, anémie profonde. Il fait l'effet d'une plante étiolée. Il est intelligent, assez instruit, mais il a de nombreux vices ; il est paresseux, malpropre, bavard, se livre à l'onanisme et ronge ses ongles, deux choses qui vont souvent ensemble.
Comme il est hypnotisable, il y a matière à tenter l'orthopédie morale par la suggestion hypnotique. D'emblée, je l'endors assez facilement du sommeil somnambulique, avec paralysie psychique complète. Il parait qu'il a déjà été endormi, mais dans un but de curiosité malsaine que l'on ne devrait pas tolérer.
Je lui suggère qu'il ne peut rester inactif et sans travailler, sans chercher de se rendre utile, qu'il a horreur de la malpropreté, du bavardage, qu'il ne pourra parler que lorsqu'on lui adressera la parole, qu'il a le dégoût des pratiques solitaires auxquelles il se livre sur lui-même et qui compromettent sa santé, qu'il lui répugne de se ronger les ongles et qu'il ne songe qu'à apprendre le métier de coiffeur pour lequel il est en apprentissage, pour lequel il a du goût et auquel il donne toute -sa pensée et toute son attention.
Amnésie complète au réveil. Je le revois le surlendemain ; il y a cer-
tainement du mieux ; son patron l'a remarqué et me dit qu'il s'est mis à travailler et qu'il a cherché les occasions de se rendre utile et. maintes fois, de faire acte de propreté ; il a beaucoup moins parlé et ne l'a guère fait que pour le nécessaire. Il a eu des velléités de se ronger les ongles, mais elles étaient aussitôt réprimées sous l'influence d'un dégoût manifeste et sans doute qu'il en est de même pour la masturbation, ainsi qu'il l'a avoué du moins.
Il y a donc un commencement d'effet produit. Il s'agit de continuer.
Dans une deuxième séance, à laquelle il se prête avec empressement, il s'endort très facilement et, dans un sommeil toujours profond et assez prolongé, les mêmes suggestions sont répétées avec insistance. Même amnésie au réveil. 11 est content et parait éprouver une grande satisfaction à la pensée qu'il va guérir, ce qui est une condition favorable pour le succès.
Deux jours après, on peut constater que l'effet déjà obtenu s'est maintenu et même un peu accentué, ainsi que la chose est affirmée par l'entourage.
Il travaille décidément mieux et est plus propre, il ne bavarde plus et ne parle que pour le besoin, ce qui étonne surtout ses maître et maï-tresse ainsi que ses camarades. On ne l'a pas vu ronger ses ongles; sa mine est meilleure, ses traits moins tirés, ses yeux moins creux, moins cernés semblent indiquer qu'il ne continue pas ses vilaines pratiques solitaires.
Nous sommes à la troisième séance. Même sommeil profond et prolongé. Mêmes suggestions fortes et répétées.
Trois jours après, effet maintenu et progrès de plus en plus marqué.
Les séances sont ainsi renouvelées tous les deux ou trois jours avec persévérance et contentement de la part du sujet et à chacune le mieux se confirme et s'accentue réellement.
Après la quinzième séance, le résultat, de plus en plus confirmé, parait complet.
Notre jeune sujet n'a plus la même apparence, on voit qu'il se porte mieux; il a bonne mine, n'a plus le même teint, a pris même un peu de couleurs ; il n'est plus aussi maigre, il a gagné en poids et n'a plus l'air d'une plante étiolée et languissante. Il parait heureux et reconnaissant. Il a l'amour du travail et de la propreté. Il a horreur du bavardage, de l'oisiveté, de l'onychophagie et de la masturbation.
Il y a donc lieu d'espérer que ce beau résultat va se maintenir, car il est retourné dans son pays, où ses parents ont été stupéfaits de ce changement. Je n'ai pu le suivre depuis lors et n'ai pas eu de ses nouvelles.
C'est là un nouvel exemple assez probant de ce que peut faire en pédagogie la suggestion hypnotique et des cas de ce genre devraient encourager à s'en servir plus qu'on ne le fait.
Autre fait de pédagogie suggestive, d'orthopédie morale obtenue par suggestion dite « à l'état de veille ».
Jules D-, 12 ans, est. avec des apparences trompeuses de gentillesse et de docilité, une espèce de petit garnement qui ne songe qu'à jouer et à courir, sans que l'on puisse savoir où il est passé ; il fait souvent l'école buissonnière et, à l'école, il est dissipé, inattentif, n'apprend rien quoi-qu'intelligent et a toujours de mauvaises notes. A la maison, il est paresseux, désobéissant, ne cherche pas à aider à sa mère, à qui il pourrait rendre des services et ne fait pas ce qu'on lui commande, sans pour cela avoir un mauvais naturel.
Me trouvant, par hasard, un soir, chez ses parents (qui tiennent une fruiterie près de chez moi), et, au moment où arrivaient les mauvaises notes du bulletin scolaire, entendant leurs doléances contre le « petit mauvais sujet » qui, comme un coupable, écoutait tout cela, devant moi, d'un air honteux et quelque peu contrit, il me vint l'idée d'agir ou plutôt de... parler en conséquence, c'est-à-dire d'essayer de faire ce qu'on appelle de la « suggestion à t'état de veille », comme il m arrive souvent de le faire avec les enfants, étant donné qu'ils sont très suggestives.
Après avoir raconté des cas de changement de caractère par la suggestion hypnotique, je commençai devant ses parents étonnés, à parler gravement à cet enfant, (non moins étonné et qui, attentif, les yeux grands ouverts, m'écoutait bouche bée), à lui dire, d'un accent convaincu, qu'il était désormais attentif et studieux à l'école, qu'il n'y causait pas, qu'il écoutait religieusement ses maîtres, qu'il comprenait bien et apprenait bien, qu'il ne songeait plus à courir et à faire l'école buissonnière, que, rentré à la maison, il songeait à faire ses devoirs, à travailler, à se rendre utile à ses parents et à ne plus leur faire de la peine, etc. Sur ce, il partait au lit.
Tous les soirs, pendant plusieurs jours, je vins répéter avec la même gravité, la même conviction, les mêmes suggestions, après lesquelles l'enfant, manifestement impressionné et après m'avoir écouté attentivement, s'en allait se coucher d'un air recueilli. J'avais essayé de jeter une semence dans ce jeune cerveau, c'est-à-dire une idée, mais je ne savais pas si elle germerait, je n'osais pas l'espérer.
Or, il advint que quelque temps après ou mieux quelques jours, les parents m'apprirent avec joie que la semence avait fructifié et que leur enfant n'était plus le même, qu'il était devenu attentif, docile et laborieux, qu'il cherchait toujours à se rendre utile, qu'il ne songeait plus à courir comme auparavant, ni à faire l'école buissonnière, qu'il était appliqué et studieux et que les notes ou bulletins de l'école étaient devenus bons, avec félicitations de ses maîtres étonnés de ce changement
L'enfant était convaincu que je l'avais endormi, il le soutenait à ses parents qui lui assuraient que non. Ce qui semble venir à l'appui de la
Incontinence nocturne d'urine guérie par suggestion pendant le sommeil naturel chez une enfant de vingt-six mois.
par M. le docteur Paul Farez. Professeur à l'Ecole de Psychologie,
La courte observation que je désire vous rapporter présente un double intérêt en ce qui concerne l'étiologie et la thérapeutique.
Une enfant, venue à terme, nourrie au sein, se développe normalement et devient tout à fait propre vers quinze mois.
? deux ans, elle se met à uriner au lit presque toutes les nuits. Consulté à ce sujet, j'entreprends de supprimer cette incontinence par la psychothérapie. Bien entendu, je ne songe pas à hypnotiser cette enfant; elle est beaucoup trop jeune pour qu'on y réussisse. J'ai recours à la suggestion somnique. Je fais des suggestions curatives, chaque soir,
thèse de notre eminent Secrétaire général, le Dr Bérillon qui, avec raison sans doute, soutient que, dans ce qu'on a l'habitude d'appeler « suggestion à l'état de veille », il y a autre chose que la simple suggestion, et qu'en réalité il est probable que, frappés par la mise en scène, volontaire ou involontaire et existant toujours plus ou moins, par le sérieux des paroles prononcées avec gravité, soit aussi parce qu'ils ont entendu raconter des effets de la suggestion hypnotique, ces sujets se trouvent placés dans un véritable état d'hypnose fortuite et « la possibilité de cette hypnose ou de cet auto-hypnotisme spontané peut expliquer l'action thérapeutique, en apparence si merveilleuse, de ce qu'on appelle à tort la suggestion à l'état de veille. En réalité la puissance de la suggestion n'acquiert chez certains sujets une telle intensité que parce qu'ils se sont spontanément et préalablement auto-hypnotisés par la mise en jeu de l'expectant attention.» et, comme il allait au lit ensuite, cet effet se continuait peut-être, chez notre jeune sujet, pendant le sommeil normal.
Quoiqu'il en soit, Jules D.. était convaincu que je l'avais endormi, persuadé qu'il était qu'on ne pouvait obtenir des résultats semblables que par le sommeil hypnotique et peut-être aussi que, comme le dit le Dr Bérillon, « dans ces cas de suggestion dite à l'état de veille, la production préalable de l'influence hypnotique a précédé la suggestion.... »
De plus, on ne doit pas ignorer que les enfants, en général, sont éminemment suggestibles et extrêmement faciles à hypnotiser. Et la mise en scène, quelle qu'elle soit, en tout ce qui frappe et impressionne le sujet, provoque chez lui l'inhibition du pouvoir de contrôle, c'est-à-dire un véritable état d'hypnotisme.
Toujours est-il que notre jeune sujet est tout-à-fait changé et que le résultat se maintient. Ce qui vient aussi prouver qu'en pédagogie, comme en thérapeutique, la suggestion devrait jouer un plus grand rôle, rôle dévolu à l'éducateur aussi bien qu'au médecin. Espérons qu'on finira par le comprendre.
après que notre petite malade s'est endormie du sommeil naturel ; et, chaque matin, l'on constate que l'incontinence n'a pas reparu. Satisfait de ce résultat, je ne tarde pas à interrompre le traitement. Reste à savoir si le succès sera durable.
Or l'enfant se remet à uriner au lit, tantôt plusieurs nuits de suite, 'tantôt une nuit par ci par là. Il est manifeste que la suggestion a été supprimée beaucoup trop tôt. Mais ce n'est pas tout: après m'être minutieusement renseigné, je parviens à dépister la cause de cette incontinence intermittente.
Cette enfant reçoit, malgré mes prescriptions, une nourriture beaucoup trop substantielle; elle mange, par exemple, de la viande deux fois par jour: il en résulte de la tendance à la constipation. J'ai bien recommandé qu'on ne laissât jamais passer plus de vingt-quatre heures sans garde-robe. Sur ce point, la maman se montre fort docile. Quand il n'y a eu aucune selle dans la journée, elle administre un lavement froid à son enfant, quelques instants avant de la mettre au lit. Or ce lavement froid provoque non seulement une évacuation presque immédiate, mais encore, pendant les premières heures de la nuit, une exagération de la diurèse: c'est, comme on le sait, la règle pour ce genre d'enté-roclyse. L'urine, sécrétée en grande abondance, provoque la réplétion vésicale; et la vessie, distendue, se vide spontanément, car l'enfant dort d'un sommeil trop profond pour être capable de contracter son sphincter vesical ; il ne se sent même pas mouillé par l'urine qu'il vient d'émettre.
Je ne sache pas qu'on ait jamais signalé ce facteur dans l'étiologie si complexe de l'incontinence appelée bien à tort « essentielle ». Pour confirmer cette relation causale, je demande que le lavement froid soit donné systématiquement chaque matin, — et non plus le soir. Du môme coup l'incontinence disparaît. Mais, bientôt, la maman se désole à la pensée que peut-être son enfant va s'habituer aux lavements et n'aura plus jamais de garde-robe spontanée ! Elle supprime donc le lavement du matin et pendant la journée appelle de tous ses vœux l'évacuation intestinale... qui ne se produit pas. Force lui est bien d'administrer le lavement, une fois le soir venu; et l'incontinence s'installe à nouveau.
Je reprends donc le traitement suggestif que, cette fois, je continuerai aussi longtemps qu'il le faudra.
J'obtiens très facilement que l'enfant dorme moins profondément, qu'elle prenne conscience de sa repletion vésicale, qu'elle sente nettement le besoin d'uriner et qu'alors, sans se réveiller tout à fait, dans une sorte de demi-sommeil, elle crie: « Maman, pipi! », plusieurs fois s'il le faut, jusqu'à ce que la maman se réveille et l'installe, toujours somnolente, sur le vase de nuit.
Par la suite, un gros progrès est obtenu. Au lieu d'appeler sa mère pour exonérer sa vessie, cette enfant fait, tout en dormant, des efforts efficaces pour empêcher l'issue de l'urine ; elle parvient à se retenir toute la nuit et à ne demander le vase qu'à l'heure du lever. Cette enfant a maintenant plus de trois ans et, depuis mon traitement, pas
une fois elle n'a uriné au lit, bien que, très souvent, un lavement lui soit administré le soir.
De loin en loin, elle demande encore le vase pendant la nuit; mais, pour cela, elle se réveille tout à fait; elle est pleinement consciente quand elle appelle sa mère; et, une fois l'acte accompli, elle se rendort facilement.
Chez cette enfant comme chez la plupart des incontinents, la guérison ne s'obtient que parce qu'à un sommeil d'une profondeur anormale on a fait succéder un sommeil d'une intensité moyenne. Avant le traitement, l'incontinent n'est, pendant qu'il dort, nullement averti de ce qui se passe dans ses organes abdominaux; après le traitement, il a acquis l'habitude d'exercer sur eux. tout en dormant, un certain contrôle qui ne nuit d'ailleurs aucunement à la puissance réparatrice du sommeil. Diminuer l'intensité du sommeil et maintenir la subconscience en éveil pour ce qui concerne la fonction vésicale, voilà tout le secret des résultats extrêmement remarquables de la psychothérapie en face de l'incontinence nocturne d'urine.
De ce cas et d'un certain nombre d'autres que je publierai à l'occasion, il résulte un enseignement précis touchant la technique à suivre.
Nos petits incontinents, avons-nous dit, dorment trop profondément. Si, pendant leur sommeil naturel, on leur fait des suggestions avec les ménagements et la discrétion que comporte ce procédé tel qu'on l'emploie, par exemple chez les aliénés, ils n'entendent rien et, par conséquent, n'en retirent aucun bénéfice.
L'expérience que j'ai acquise sur ce point me permet d'être très catégorique. Pour que nos paroles impressionnent un incontinent, il est indispensable que nous lui parlions à haute, à très haute voix. Souvent même nous devons secouer le dormeur, le tirer des profondeurs de son sommeil, le réveiller à demi, provoquer la mise en jeu de son automatisme psychologique, lui demander formellement d'acquiescer à notre suggestion et même l'obliger à la répéter.
Ainsi, dans le cas actuel, j'ai procédé comme il suit : « Tu m'entends bien, quand tu sentiras le besoin de faire pipi, tu appelleras ta maman. Tu me le promets ? Tu y penseras bien ?... Allons, réponds-moi. N'est-ce pas que tu appelleras ta maman ?» — « Oui ! », dit l'enfant, en se retournant dans son lit, sans toutefois se réveiller. — « Mais, qu'est-ce que tu diras à la maman ? Allons vite, parle ! Qu'est-ce que tu lui diras ?» — « Maman, pipi ! » articule l'enfant, toujours sans se réveiller. — a Tu me le promets ; c'est sûr, bien sur ?» — « Sûr ! ».
Si elle tarde à me répondre, je lui souffle sa réponse : « Tu l'entends bien, lu appelleras, tu crieras : Maman, pipi ! C'est bien entendu, repète-moi ce que tu lui diras ! » Et docilement elle répète : « Maman, pipi ! »
Elle a été impressionnée, elle a acquiescé ; dès lors la suggestion s'est gravée dans son esprit et sera efficace.
Certes, je me garde bien de vouloir déprécier, en aucune manière, la suggestion hypnotique, qui nous rend tous les jours de signalés services
et dont je suis un adepte très convaincu. Toutefois, je puis bien dire que la suggestion somnique est le traitement de choix de l'incontinence d'urine, — tout au moins dans les trois cas suivants :
1° Lorsque les parents, victimes d'appréhensions et de préjugés injustifiés, refusent formellement l'hypnotisation proprement dite ;
2° Lorsque l'enfant, pathologiquement distrait, s'est montré, après plusieurs tentatives, réfractaire à l'hypnotisation ;
3° Lorsque l'enfant est beaucoup trop jeune pour que l'hypnotisation puisse être tentée avec quelque chance de succès.
Je ne crois pas qu'on ait déjà, par le traitement psychologique, guéri un incontinent aussi jeune que celui dont il s'agit ici. On voit que, grâce à la suggestion pendant le sommeil naturel, même les enfants en bas âge peuvent bénéficier de la psychothérapie.
L'hypnotisme chez le cheval,
par M. Lépixay, Médecin-Vétérinaire, Professeur à l'Ecole de psychologie.
L'hypnotisme chez les animaux n'est pas une question nouvelle, et, pendant que des esprits mal inspirés tentaient de le nier chez les humains, on constatait que les cas d'hypnose étaient fréquents chez les animaux de tous genres et de toutes races. Danilewsky faisait une série d'expériences sur les poules, les serpents, les crocodiles, les écrevisses, les langoustes, les grenouilles. 11 lui suffisait d'immobiliser ces animaux pendant un certain temps en faisant sur une partie du corps une pression pour obtenir la perte des mouvements volontaires et l'absence de la réaction. Danilewsky en arrivait d'ailleurs à considérer le sommeil hibernal de certains animaux comme un état hypnotique causé par le milieu et la situation spéciale de ces animaux au moment des grands froids.
Tous connaissent l'expérience de la poule à laquelle on fait fixer une raie blanche tracée sur un milieu noir, et qui reste fascinée pendant plusieurs minutes sans faire un mouvement et sans détacher ses yeux de cette ligne blanche.
La Revue de l'Hypnotisme du mois de novembre 1901 rapporte une observation d'hypnotiseur de serpents ; Kullan est son nom ; il est chargé de recueillir des serpents pour le sérum du Dr Calmette et, pour ce faire, quand il est en présence d'un serpent, il le fixe et se dandine devant lui, lui fait des passes lentes devant les yeux et. quand il l'a ainsi suffisamment hypnotisé, il s'en empare sans danger.
Pour certains auteurs, la simulation de la mort employée par un grand nombre d'animaux, surtout en présence du danger, ne serait pas toujours un état volontaire, mais dans un grand nombre de cas, l'état cataleptique produit par la frayeur. En somme, il existerait bien une simulation, mais il pourrait exister aussi un hypnotisme fortuit. J'ai eu
l'occasion d'observer les deux cas chez une guenon. Cette bête fort intelligente, et qui en arrivait assez facilement à erre mise dans un état d'hypnose peu avancé, mais qui n'en existe pas moins, simule le sommeil quand elle désire donner confiance à son entourage, écarter la surveillance dont elle est l'objet pour s'échapper et aller faire quelques malices. Dans d'autres cas, au contraire, elle tombe dans un véritable état d'abrutissement et de coma quand elle a une frayeur quelconque, car elle est très peureuse sous des dehors braves et décidés.
Les cas de mise en état d'hypnose chez les animaux sont certainement plus fréquents qu'on ne pense et je suis bien convaincu que nombre de personnes qui dressent ou qui soignent les animaux font de l'hypnose sans le savoir. J'ai fait dans cet ordre d'idées un grand nombre d'observations à mon hôpital vétérinaire.
Toute question d'adresse et de savoir mise de côté, il y a des personnes qui ne peuvent jamais aborder un animal ; elles n'ont pas, pour employer un ancien terme, l'ascendant nécessaire sur les animaux; il semblerait môme le contraire. Par contre, il existe des cochers, des palefreniers, des infirmiers, auxquels il suffit de parler à un animal, quel que soit son caractère, pour que cet animal soit rapidement dans un état tel que l'on peut, tout à loisir, le prendre, le palper quelquefois même se livrer sur lui à de petites opérations douloureuses. Il parait bien évident que cet état passif est déjà un degré de l'hypnose. J'ai remarqué que les personnes qui ont sur les animaux ce pouvoir de fascination que, autrefois, on avait appelé force magnétique, sont le plus souvent des gens énergiques, au regard franc et perçant, capables de beaucoup de fermeté, mais aussi de beaucoup de douceur; en général les animaux les aiment et s'y attachent facilement. Ceci expliquerait que chez les animaux comme chez les gens, il faut d'abord que l'hypnotiseur ait la confiance de son sujet.
L'année dernière, à l'Ecole de psychologie, je fis plusieurs leçons sur l'hypnotisme chez les animaux. L'un de mes auditeurs m'adressa l'observation suivante, qui me parait fort intéressante et être une observation d'hypnotisme présentant les différentes formes cataleptiques, léthargiques, somnambuliques.
« J'ai été possesseur, m'écrit cet auditeur, d'une perruche déplaisante et insociable. Je ne la gardais que par déférence pour la personne qui nie lavait donnée. Un jour, je voulus la remettre dans sa cage dont elle s'était échappée; elle me mordit cruellement à la main gauche. Je la saisis par la tête de la main droite et je la serrai sans brutalité, mais de plus en plus fort, jusqu'à ce qu'elle se décidât à lâcher prise. Depuis ce moment elle se montra tout autre avec moi. Elle cessa ses criailleries, elle se laissa loucher sans chercher à me mordre. Elle prit plaisir à se tenir sur mon épaule pendant que je travaillais à mon bureau et à me mordiller l'oreille sans me faire de mal. Quand je lui parlais sur un ton affectueux ou que je la caressais, elle témoignait sa satisfaction en soulevant doucement ses ailes comme une colombe amoureuse, ses yeux
roulaient et perdaient leur éclat, elle s'affaissait peu à peu sur le bâton de sa cage, puis perdant l'équilibre, elle tournait, restait suspendue un instant la tète en bas, enfin, elle tombait au fond de la cage et y restait insensible et inerte jusqu'à ce que je cesse de m'occuper d'elle. » Voici un cas de fascination curieux :
Un commissaire de police me racontait, ces jours-ci, qu'un chien errant avait suivi des gardiens de la paix de son commissariat ; on ne l'avait pas chassé, et, chose remarquable, il continue à faire les tournées avec l'une quelconque des brigades d'agents mais en tenue ; il ne suivra jamais les mêmes agents en civil. Il paraît être fasciné par l'uniforme ; c'est d'ailleurs une fascination constatée depuis longtemps par l'espèce humaine : l'attrait du pantalon rouge et du sabre pour les jeunes filles à marier est légendaire.
Mais si l'hypnose a été observée chez la plupart des animaux jusque dans ces derniers temps, il ne semble pas que le cheval ait donné lieu à des observations analogues. On a fait beaucoup de dressage sur le cheval ; on a remarqué que certains dresseurs, de profession ou non, avaient une influence particulière sur des chevaux au point d'utiliser les animaux les plus rétifs, mais on n'a pas cherché à interpréter ces faits et ces dresseurs eux-mêmes n'ont pas cherché à s'expliquer comment et pourquoi ils étaient arrivés à maîtriser un cheval insociable.
On peut être partisan ou non de l'intelligence du cheval ; personne ne peut nier cependant que ce soit un être excessivement sensible, très nerveux et très peureux. Dans ces conditions, il semble possible d'admettre qu'il puisse être facilement influencé. Si l'on n'a pas fait sur le cheval ; des observations d'hypnotisme, comme on a pu le faire chez les autres animaux, c'est que le cheval est un être moins maniable, qui vit moins dans notre voisinage et qui, en conséquence, nous comprend moins bien, parce que nous n'avons aucune raison ni aucun besoin de nous faire comprendre de lui en dehors d'un service toujours à peu près le même : et puis, pour les animaux comme pour les gens, on est encore à vouloir qu'il n'y ait hypnotisme que lorsqu'il y a un sommeil profond. Il ne faudrait pas oublier, surtout pour les animaux, qu'il peut y avoir fascination, c'est-à-dire un certain degré d'hypnose, chez des sujets en apparence parfaitement éveillés, et chez lesquels, il n'y a pas abolition des mouvements ni de la plus grande partie des réflexes. En somme, si l'on veut bien tenir compte que l'homme n'entre en état d'hypnotisme parfait qu'autant qu'il a confiance dans l'hypnotiseur et qu'il veut bien se prêter à sa mise en état passif, on comprendra que les animaux, et surtout le cheval, s'hypnotiseront lentement et peu profondément, et ne seront jamais mis dans cet état par le premier venu. Il ne faut pas oublier non plus que pour mettre un sujet en état d'hypnose, il n'est pas toujours besoin de lui fixer les yeux, ce qui serait, sinon impossible, mais très difficile chez le cheval. On emploie, en pareil cas, des moyens d'ailleurs usités pour l'homme. Notre savant Secrétaire général, le Dr Bérillon, nous relatait dernièrement nombre de procédés qui lui réussissaient en
dehors de la fixation des yeux, et qui lui réussissaient justement chez des sujets qui avaient la ferme intention de ne pas s'endormir. Il nous citait une observation dans laquelle il arriva à endormir un malade réfractaire, simplement en lui prenant le petit doigt, en le serrant progressivement sans le regarder, et même en tenant une conversation tout à fait en dehors ; au bout de peu de temps, la personne dormait profondément. C'est évidemment par des moyens analogues que nous pouvons, surtout chez le cheval, donner confiance d'abord et le mettre ensuite dans un état de calme favorable à la réception de nos suggestions, de notre enseignement, de notre dressage.
Le vétérinaire major Alix, dans son traité sur VEsprit des bêtes, parle de l'hypnotisme chez le cheval ; il cite notamment les éclatants succès de Rarey dans son dressage du cheval, dressage qu'il n'aurait obtenu que grâce à un pouvoir fascinateur aidé d'ailleurs d'un procédé de contention. Mon eminent confrère se demande si, réellement, on doit bien attribuer à l'hypnose les succès de Rarey ; il ne le croit pas ; il admet tout au plus que l'on puisse les attribuer à la fascination. Je ne connais pas dans leurs détails les dressages de Rarey; je ne peux donc les analyser, mais certainement, à l'heure présente, M. Alix ne les interpréterait plus de la même façon. Il semble en effet dans sa critique faire des états différents de l'hypnotisme et de la fascination; il semble penser que l'on n'obtient ces états que par la fixation d'un point brillant ou par l'action du regard. La fascination est une forme de l'hypnose et, encore une fois, l'état hypnotique, quel que soit son degré, peut être obtenu chez les animaux par des moyens tout autre que le regard ou le point brillant.
Un psychologue des plus érudits, doublé d'un observateur patient et expérimenté, M. le vétérinaire principal Guenon, a touché la question de l'hypnotisme chez le cheval dans ses nombreux et intéressants ouvrages; je crois même et, en cela, je ne pense pas commettre une indiscrétion, qu'il va bientôt nous doter d'un nouveau travail sur l'hypnotisme chez le cheval. M. Guenon ne s'est pas simplement appliqué à soulager les maux des chevaux de régiment qui lui sont confiés ; il a étudié leur mentalité, leur psychologie, leur manière d'être. I! a étudié notamment l'influence de la musique sur le cheval, et de ses études il semble résulter, que la musique peut être utile au point de vue thérapeutique chez le cheval, mais qu'encore, dans un grand nombre de cas, certaines musiques les charment, les calment et paraissent avoir une influence sédative sur les chevaux difficiles et même rétifs. M. Guenon fait remarquer que toutes les musiques ne paraissent pas être agréables au cheval, qu'il semble désirer surtout des musiques douces et mélodiques, et que c'est surtout en présence de ce genre d'harmonie qu'il est charmé. Je me garderai bien de vouloir interpréter les observations de ce savant; il est beaucoup plus qualifié pour le faire que je ne le suis moi-même, mais je suis certain que sans avoir conclu d'une façon nette, il s'est servi de la musique pour mettre le cheval
dans un état d'hypnose, dans un état passif qu'il appelle à ce moment le charme. Chez l'homme aussi on a appelé, pendant longtemps, l'état particulier dans lequel le met la musique, un état de charme et de plaisir, qui cependant n'en a pas moins été considéré par les psychologues comme un état d'hypnose, qu'ils se sont empressés d'utiliser pour procurer le sommeil à certains sujets réfractaires aux moyens ordinaires.
Les observations de M. Guenon sont des plus intéressantes ; nous devons les retenir, et je ne serais pas éloigné de croire que la musique constituera un des moyens les plus précieux pour produire l'hypnotisme chez les animaux. Il nous en reste, d'ailleurs, beaucoup d'autres à trouver et nous ne manquerons pas de les inventer rapidement, si nous voulons nous persuader que les animaux peuvent être mis dans un état d'hypnose ; si nous nous mettons d'accord sur les termes qui désignent ces états, et si, surtout, nous ne cherchons pas à interpréter les phénomènes -que nous observons de toute autre manière qu'on ne les interprèle dans l'espèce humaine. Il me faudra revenir sur cette question insuffisamment développées, et, surtout insuffisamment connue. J'ai simplement voulu chercher à établir que l'hypnotisme existe chez le cheval, comme chez les autres animaux, et que chez ce dernier, encore plus que chez les autres, ces phénomènes demandent à être connus et étudiés car ils peuvent être d'un secours considérable dans le dressage. Certainement, comme je l'ai dit plus haut, l'hypnotisme ou ses états analogues, sont déjà venus à l'aide des dresseurs ; mais, mal connus ou non interprétés, ils n'ont pu être utilisés avec tout le fruit qu'ils étaient capables de produire. Maintenant qu'on les connaît mieux, il est à désirer que les dresseurs les étudient et s'en servent; ils ont devant eux un champ d'observations considérable qui peut nous permettre de mieux connaître la mentalité des animaux et aussi, peut-être, de jeter une lueur sur des phénomènes encore inexpliqués de la mentalité des humains.
Essai sur les caractères distinctifs des actes psychiques dans la série animale. * par M. P. Hachet-Souplet.
Directeur du laboratoire de psychologie zoologique du Muséum
Je voudrais signaler, dans cette courte note, une contradiction qui, selon moi, dépare tout un chapitre de l'œuvre si remarquable des philosophes et naturalistes évolutionnistes : S'ils ne le disent pas toujours nettement, il est clair cependant que, pour la plupart d'entre eux, toutes les espèces animales sont intelligentes; ils croient fermement que les êtres les plus rudimentaires, les protozoaires et les zoophytes, par exemple, manifestent déjà des facultés psychiques élevées et sont capables de penser!
On se demande ce que devient, dans un tel raisonnement, la loi fondamentale de l'évolution. Comment, sans organes de la pensée, des
animaux pourraient-ils être déjà pensants? Il y a là une contradiction extraordinaire et l'on s'étonne do la trouver chez des savants fort recommandantes, à qui nous devons d'estimables travaux. Uniquement préoccupés de rapprocher les animaux de l'homme au point de vue psychologique, ils ont, si l'on peut employer cette métaphore, « amalgamé » toutes les facultés psychiques, cependant si différenciées chez les êtres vivants, pour en faire un tout indivisible, «l'âme» animale, matérielle et sœur de « l'âme d matérielle de l'homme. En le faisant, ils ont cru, comme les anciens adversaires de Descartes, combler le vide creusé" par les spiritualistes entre l'animalité proprement dite et l'espèce humaine.
Ces idées ne sont pas nettement exprimées par Darwin, qui a volontairement glissé sur la psychologie, ni par son disciple Romanes (qui semblait appelé, par ses études embrassant tout le règne animal, à établir une classification psychologique rationnelle des espèces; ; cependant le premier prête des facultés intellectuelles à d'humbles gastéropodes et le second croit que le crabe est doué de raison. Une telle manière de voir a retardé la classification des animaux au point de vue psychologique, autant, peut-être, que l'envahissement prodigieux de la psychozoologie par une foule d'anecdotes fausses et colportées avec le plus grand empressement par tous ceux qu'elles amusent.
Or, il suffit d'observer avec un peu d'esprit critique et surtout à la lumière de la loi d'économie, les actes psychiques dont les animaux donnent le spectacle, pour comprendre qu'une classification rigoureuse de ces actes est possible, nécessaire même. Elle montrerait qu'il existe actuellement, dans la série animale, des états psychiques gradués, suffisamment caractérisés et qu'ils doivent être semblables aux états transitoires par lesquels les facultés psychiques ont passé avant de se développer jusqu'à la pensée et la volonté. Je crois qu'en donnant ces précieuses indications, une telle classification servirait plus sûrement la théorie de l'évolution que le parti pris, en vertu duquel certains scientistes prêtent arbitrairement, à tous les animaux, des facultés supérieures pour les rapprocher, en bloc, de l'espèce humaine.
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Dès que le philosophe cesse d'étudier son moi, dès qu'il abandonne l'introspection, il ne peut plus trouver que des preuves objectives de la conscience des autres hommes et des animaux supérieurs (car le langage humain lui-même est une suite d'actes matériels). Nous disons qu'un homme qui parle raisonnablement et qu'un homme muet qui agit raisonnablement sous nos yeux sont conscients et nous disons de même qu'un chat est conscient quand, par exemple, il fait jouer spontanément un loquet pour ouvrir un garde-manger.
L'intelligence ou conscience, suppose un classement, des combinaisons multiples des éléments fournis par la mémoire et permet, par voie d'abstraction, la formation des idées de cause et d'effet. L'intelligence
agissante est en somme de l'expérience appliquée à l'action, l'expression la plus parfaite de l'expérience. Il ne suffit pas de dire qu'elle s'applique à propos; car le réflexe purement instinctif s'applique, lui aussi, à propos et môme avec plus de sûreté ; il faut dire que la caractéristique de la raison est que cette faculté permet à certains animaux, comme à l'homme, de s'adapter immédiatement à un cas contingent, en grande partie nouveau dans la vie de l'espèce et connu du sujet seulement par voie d'abstraction.
Il y a donc, dans l'intelligence, une certaine apparence, de liberté.
Je n'oublie pas, certes, que tous les phénomènes de la pensée peuvent être ramenés à des opérations mécaniques commandées elles-mêmes par d'autres phénomènes et que, par conséquent, la liberté absolue n'existe pas ; mais l'intelligence confère la plus grande liberté relative possible, parce qu'elle est faite d'un grand nombre de souvenirs et d'abstractions combinées. L'animal instinctif ne peut, en une circonstance donnée, agir que d'une seule façon, tandis que l'anima! intelligent agit dans le sens de la résultante de plusieurs forces, et sa conduite est plus variée, c'est-à-dire, en un sens, plus libre.
A côté de l'intelligence et coexistant avec elle, l'homme constate chez lui-mémo l'existence d'une autre faculté ; elle consiste en une tendance invincible à accomplir certains actes les plus nécessaires à la conservation de la vie de l'individu et de l'espèce : c'est l'instinct.
Or, un certain nombre d'animaux sont doués d'intelligence et d'instinct ; tandis que la plupart des autres ne possèdent que cette dernière faculté. Nous sommes en droit de le proclamer parce que jamais ils ne nous donnent le spectacle d'adaptations immédiates à des faits contingents.
L'instinct est une impulsion obscure qui, dans des circonstances identiques, détermine l'être vivant à accomplir toujours les mêmes actes. L'instinct commande les fonctions de nutrition, de reproduction et de conservation; il peut être considéré essentiellement comme un ensemble de réflexes ; mais ces mouvements seuls ne suffisent pas à rendre compte du fonctionnement de l'instinct. En effet, pour qu'un animal purement instinctif puisse faire agir, dans des circonstances données, tel ou tel organe de la vie de relation, il faut qu'il reconnaisse, dans le monde extérieur, les conditions propres à ce fonctionnement ; il faut donc supposer chez lui une espèce de mémoire inférieure, qui, d'ailleurs, parait être liée, en principe, au retour du besoin de fonctionner des organes et ne laisser aucune image indépendante dans le système nerveux. Nous avons proposé d'appeler cette mémoire, la mémoire fonctionnelle. Son existence a été prouvée expérimentalement par Trêves et Aggazzotti ; et leurs expériences ont montré qu'elle est distincte de la mémoire intellectuelle puisque des pigeons privés des hémisphères cérébraux — considérés comme les organes de l'intelligence peuvent encore contracter des habitudes et, par exemple, regagner une cage dans laquelle ils ont été placés pendant quelques instants.
On s'est demandé si l'intelligence n'est pas sortie de l'instinct par voie de perfectionnement. La plupart des évolutionnistes ont répondu par l'affirmative et ils entendaient que le réflexe môme peut se transformer et s'est transformé de très bonne heure en conscience. Nous voyons de grandes objections à cette théorie. Comment admettre que le réflexe proprement dit devienne de l'intelligence, puisque, dans le réflexe il n'y a rien qui puisse se développer en intelligence? Nous avons été amené par cette raison à penser que l'organe de l'intelligence doit son origine à une transformation d'une partie de ces centres nerveux dont la fonction est, chez les êtres instinctifs, de se souvenir du fonctionnement des autres organes. Nous croyons que l'intelligence est de la mémoire fonctionnelle perfectionnée.
Ainsi considérée, on comprend qu'elle ne peut être appelée à se substituer aux réflexes utiles aux espèces de l'instinct primitif. Elle coexiste avec lui chez les animaux supérieurs et les mouvements nouveaux qu'elle commande, souvent répétés, tendent à devenir des réflexes particuliers qui constituent ce qu'on appelle aujourd'hui des instincts secondaires ; ceux-ci jouent probablement un grand rôle dans le perfectionnement de certaines industries animales.
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Ainsi l'intelligence serait sortie, non du réflexe mais de la mémoire fonctionnelle.
Il faut supposer l'existence de cette mémoire tout à fait à l'aurore de la vie, chez les êtres les plus infimes. Elle a certainement précédé le réflexe qui ne peut se produire sans le secours d'un système nerveux; et elle accompagne déjà les réactions simples propres aux protozoaires. Quand un infusoire remonte un courant d'eau dans le champ du microscope, quand, dans une mesure, il s'affranchit de lois auxquelles sont plus étroitement soumis les corps bruts, et se dirige vers là substance qui nourrit, il montre qu'il possède la mémoire fonctionnelle. Il ne faut pas ici, bien entendu, parler de volonté, c'est-à-dire d'acte raisonné ; mais il y a mémoire des conditions dans lesquelles s'accomplit la fonction et cette mémoire semble inséparable de la matière vivante. Je crois, en le disant, rester dans la voie tracée par mon maître si bienveillant, Ernest Hæckel qui a toujours douté que les protistes soient doués « de conscience, de volonté et de pensée », mais qui leur accorde une irritabilité et des facultés qui sont inséparables de la mémoire simple.
Messieurs, j'ai dû indiquer, ici, seulement les grands traits du tableau que je voudrais dresser des actes psychiques dans la série animale. Les vues que j'ai acquises sur ces questions, par une longue fréquentation d'animaux de toutes sortes, me laissent espérer que des travaux suivis pourront bientôt faire rentrer un grand nombre d'espèces dans les catégories si différentes (et pourtant unies, dans la nature, par tant d'insensibles gradations:. des êtres intelligents, des êtres instinctifs et des êtres doués seulement de mémoire fonctionnelle
J'appelle, en terminant, route l'attention de mes honorés collègues de la Sociètè d'Hypnologie et de Psychologie sur les bienfaits de la méthode expérimentale. Je les prie de se rappeler que, depuis un très petit nombre d'années seulement, l'étude de l'âme des bêtes mérite le nom de science ; et que cette science, maintenant à ses débuts, est encore étouffée sous une masse incommensurable d'anecdotes littéraires, très agréables à conter peut-être, mais que le savant doit repousser de toutes ses forces. Si nous voulons élever les bases d'une science durable là où poussèrent, au hasard, tant de produits de l'imagination, si nous voulons détruire La légende des bêtes, nous devons rejeter résolument les histoires que nous ne pouvons vérifier et surtout nous lancer dans la voie expérimentale.
COURS ET CONFÉRENCES
Contracture hystérique des mâchoires (1)
par m. le professeur Raymond
Voici un garçon de 16 ans qui présente une constriction des mâchoires ; il a les masséters durs, tendus, contractures, les joues aplaties, la lèvre inférieure renversée. Pendant un mois, on a dû l'alimenter avec une sonde introduite par le nez. Il tourne très facilement la tète à droite et à gauche.
Il a eu des convulsions et présente un léger degré d'hémiplégie droite, laquelle est survenue quand il a commencé à marcher. Le pied droit est en v&rus équin par rétraction du tendon d'Achille. La moitié droite du thorax est plus petite que la moitié gauche : il en est de môme du bras et de la jambe; il y a eu arrêt de développement de tout le côté droit. Les réflexes sont exagérés à droite. En somme, il y a eu, au moment des convulsions, une intoxication de la couche corticale gauche et il en est résulté de l'encéphalite, d'où une hémiplégie motrice cérébrale infantile dont vous constatez aujourd'hui les restes.
Ce garçon offre un terrain tout préparé; son hérédité est très lourde ; il a toujours été nerveux. Très intelligent, il était le premier de sa classe. Pendant deux mois, il a aboyé comme un chien. Ces aboiements, de même que les reniflements et les gloussements, surviennent souvent par imitation. Ce sont des accidents laryngés hystériques, comme l'a bien montré Charcot, des spasmes inspiratoires ou expiratoires ou à la fois inspiratoires et expiratoires, suivant la description de Pitres. Ici, le larynx et les muscles respiratoires, à la fois ceux de l'inspiration et de l'expiration, sont pris. Cela est survenu à la suite d'émotions et a disparu au bout de deux mois, malgré l'administration de bromure : je dis
(1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux de la Salpétrière.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 17 novembre 1903, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière.
Communications inscrites : Dr Félix Regnault : Psychologie de l'entraînement dans la course en flexion.
Dr Doyen : L'état mental des opérés.
M. Edouard Crûs : Rapport entre la puissance de l'image visuelle et la
persistance du souvenir: applications pratiques. Dr Aragon : Psychopathies d'origine utérine.
Dr Paul Farez : Le réveil et la mort de la dormeuse de Thenelles, etc. Df de Pewnitzky (de Saint-Pétersbourg, : Traitement de l'alcoolisme à
l'ambulance psychothérapeutique de la clinique du Pr Beckterew.
Les séances de la Société ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois, à 4 h. et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 4, rue Castellane, et les cotisations à M. le Dr Farez, trésorier, 93, rue de Courcelles.
maigre, car le bromure n'est pas le médicament qui convient à ces accidents hystériques.
Notre malade a présenté plus tard à la main gauche un kyste synovial qu'on a essayé d'écraser et on lui a fait mal. Puis on le lui opère à l'hôpital; on ne fait que de l'anesthésie locale avec le chlorure d'éthyle et la cocaïne : il assiste conscient à son opération ; il en est vivement impressionné, il dort mal, revoit son opération en rêve et le lendemain les aboiements recommencent... pour cesser un beau jour. Afin de s'empêcher d'aboyer, il a pris l'habitude de tenir ses lèvres rapprochées et de fermer la bouche avec sa main : finalement il ne peut plus ouvrir la bouche du tout; l'orbiculaire des lèvres est en état de contracture, ainsi d'ailleurs que les masséters ; le maxillaire inférieur est même projeté en avant.
Cette contracture est d'origine hystérique ; il y a aussi un léger degré de contracture du bras et de la jambe gauches ; il existe, en outre, un rétrécissement du champ visuel et des plaques d'anesthésie superposées aux contractures. Quand il dort, cette contracture disparait ; elle disparai-trait aussi pendant le sommeil chloroformique. On guérira ce malade par le massage, la persuasion et, s'il le faut, la suggestion hypnotique.
Ecole de psychologie
Les cours de l'Ecole de psychologie reprendront le lundi, 11 janvier, à cinq heures, au siège social, 49, rue Saint-André-des-Arts. Le programme détaillé des cours sera publié dans le prochain numéro.
Les conférences cliniques sur les applications de l'hypnotisme à la psychothérapie et à îa pédagogie ; reprendront le jeudi 26 novembre, à 10 du matin. Elles seront dirigées par tes D" Bérillon, Magnin et Paul Farez. On s'inscrit les jeudis à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Pouvoir de fascination chez le chat.
La Revue scientifique relate un cas intéressant observé récemment à Madras. Celui qui a été témoin des faits était assis à l'intérieur d'une piece quand il entendit au dehors, sur la véranda un bruit qui lui fit penser que c'était deux animaux qui se battaient. II sortit pour voir de quoi il s'agissait, pensant trouver aux prises un chat et un rat par exemple. Il aperçut bien son chat — un chat blanc — qui était dans l'altitude d'un animal qui se tient sur la défensive ; mais l'antagoniste n'était pas très visible. C'était quelque chose d'assez indistinct, posé à terre, dans l'ombre. Le chat, estimantsabesogne achevée, se retira tranquillement et laissa son maître en présence de l'ennemi, lequel n'était autre chose qu'un serpent, et un serpent très venimeux. Ce qu'il y a de plus curieux dans l'affaire, c'est que le serpent était absolument hypnotisé. Il avait peine à se mouvoir, bien que n'étant nullement blessé; il paraissait endormi. Le chat aurait-il fasciné et hypnotisé le serpent? C'est ce qu'il sembla et, à vrai dire, tout indiquait qu'il en avait été ainsi.
De façon générale, les chats ne redoutent guère les serpents. Ils leur donnent la chasse, et les tuent sans se faire mordre. Il est bien possible que les serpents les mordent, pourtant; mais ils mordent dans la fourrure, et dès lors le geste est sans conséquence. Si, plus tard, ils mordent dans la chair, la dose de venin est faible et l'animal ne meurt point.
Le poids du cerveau et l'intelligence
Les faits récents réunis par Joseph Simms, dans le Popular Science Magazine, viennent combattre la théorie que l'extension des facultés intellectuelles dépend du poids de la masse encéphalique.
Suivant de sérieuses observations, le cerveau le plus lourd, connu à ce jour, serait celui d'un marchand de journaux de Londres, tant soit peu idiot : le poids de ce cerveau était de 2,400 grammes.
Après lui, vient le cerveau de Rostan, un rude campagnard Scandinave, dont le cerveau atteignait 2,340 grammes.
Ensuite vient, avec 2.200 grammes. le cerveau d'une petite naine indienne, ce qui lui donnait encore une supériorité de 70 grammes sur le plus lourd des cerveaux de gens d'esprit, celui du romancier TourguenefF.
Le poids moyen du cerveau varie de !, 500 grammes, selon Austin Flint, à 1,650, selon Krause, de Berlin.
M. Simms trouve que les cerveaux de soixante personnes célèbres donneraient un poids moyen de 1,530 grammes, tandis que le poids moyen de dix cerveaux d'idiots et de cinq imbéciles atteindrait 1,776 grammes. t
Holocauste médical
Une épidémie de petite vérole s'étant déclarée dans les tribus indiennes de G Arizona, les Indiens, suivant leur coutume, ont sacrifié le médecin pour apaiser l'esprit du Mal auquel est due la maladie.
Ouvrages déposés à, la Revue
Béhillon et Farez : Comptes-rendus du 2· Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique, in-S° 350 p. Vigot, édit., place de l'Ecole de Médecine et bureaux de la Revue de l'Hypnotisme. Prix: 10 fr.
Victor Henri : La. magie dans l'Inde antique, in-!2 broché, 286 pages.
Dujarric, éditeur, 1904. Paris. %
Dr J. Grasset : Deux* conférences sur l'Alcoolisme, in-12 broché, 114 p.
Coulet et fils, éditeurs, 1903- Montpellier. J. Maxwell : Les Phénomènes psychiques, in-8° broché, 317 p. Félix
Alcan, éditeur, 1903. Paris. Dr Emile Lâchent : Sad is me et Masochisme, in-12 broché, 260 pages.
Vigot frères, éditeurs, 1903. Paris. D' Paul Sollier : Les Phénomènes d'auloscopie, in-12 broché, 175 pages.
Félix Alcan, éditeur, 1903. Paris. D' Léon Leriche : Etudes médicaies sur les Eaux Bonnes, in-12 broché,
423 pages. P. Lamur et Cu , éditeurs, 1903. Paris. Paul Flasibart : Etude nouvelle sur l'hérédité, in-8° broché, 123 pages.
Bibliothèque Charcornac, 1903. Paris. Dr J. Crocq : Des moyens d'améliorer l'organisation médicale des Asiles
en Belgique, in-8° broché, tiû pages. Henri Lamertin, éditeur,
Bruxelles.
j. Milne Bramwell : Hypnotism, its history, practice and theory, in-8*. 478 p. relic. Grand Richards. London 1903. Prix
: 18 fr.
18· Année. — ?· 6. Décembre 1903.
BULLETIN
Le Congrès de l'hygiène scolaire
Le premier Congrès de l'hygiène scolaire vient d'avoir lieu. Son succès justifie pleinement l'initiative qu'avait prise le Dr Mathieu en créant la Ligue des médecins et des familles pour l'amélioration de l'hygiène physique et intellectuelle dans les écoles.
D'excellents rapports ont été faits par les D" Legendre et Méry sur le rôle des médecins scolaires. Ils ont démontré que les limites de la compétence de ces médecins devraient être étendues. Seul le médecin a l'autorité nécessaire pour réaliser au complet la surveillance de la culture physique.
D'autres questions ont été soulevées, en particulier celle de la durée des classes. Deux partis se sont dessinés dans le Congrès; les uns, avec M. l'inspecteur général Jules Gauthier, se déclaraient partisans de la classe d'une heure, tandis que d'autres, comme M. le professeur Malapert, apportaient des arguments en faveur de la classe de deux heures.
A notre avis, la principale préoccupation doit être de ne rien faire qui puisse entraver la croissance et le développement régulier de l'enfant. A cet égard, les éleveurs de chevaux se montrent plus avisés et plus prudents que les pédagogues. Ils savent que la meilleure manière de compromettre irrémédiablement la valeur d'un jeune cheval, c'est de le soumettre à un travail prématuré. L'organisation actuelle du travail scolaire
est défectueux sur un grand nombre de points. Les programmes trop surchargés imposent aux professeurs l'obligation de soumettre les enfants à un labeur mental excessif. La préoccupation de meubler le cerveau de l'enfant de connaissances dont il ne tirera aucun parti dans le cours de sa vie l'emporte sur celle d'assurer sa dextérité manuelle et son développement moral. On apprend tout à l'enfant, sauf à faire preuve de jugement, à manifester de l'initiative et à perfectionner sa volonté.
Dans la pratique de notre spécialité, nous avons l'occasion de constater la fréquence de l'aboulie et de la neurasthénie chez les jeunes gens qui viennent de terminer leurs études scolaires. C'est dans le cabinet du médecin neurologistc qu'apparaît clairement le fait que les élèves considérés comme les meilleurs ne tiennent pas toujours dans la vie les espérances qu'ils avaient fait naître à l'Ecole.
Le jour où l'avis des médecins sera.plus écouté, le temps consacré aux études sera notablement diminué. Par contre, une part plus considérable sera accordée auxjeuxetaux exercices physiques. De plus, on ne tarderait pas à supprimer les devoirs à faire hors des classes et les devoirs dits «de vacances » qui n'ont pas d'autre effet que de contrarier le repos de l'enfant sans aucune utilité pour son instruction.
Il n'est pas rare qu'un enfant de dix à douze ans, après avoir été enfermé sans bouger toute la journée dans des classes mal aérées, soit soumis à l'obligation de veiller le soir jusqu'à dix heures pour faire les devoirs et apprendre les leçons dont il est accablé.
Le premier congrès de l'hygiène scolaire a eu un premier résultat fort appréciable : il a créé un terrain d'entente sur lequel médecins et pédagogues se sont trouvés d'accord. Le prochain congrès qui aura lieu en 1905 amènera certainement l'accomplissement d'importantes réformes. En prenant la défense de l'enfant s'étiolant dans des écoles sans air et pâlissant sur des bouquins emplis d'un savoir pédantesque, MM. les docteurs Albert Mathieu et Legendre auront rendu un grand service aux générations françaises de l'avenir.
Dr BÉKII.LON.
La grande hypnose chez les grenouilles en inanition,
par Micheline Stepanowska, docteur ôs-sciences de la Faculté de Genève (')·
Avant-Propos
La physiologie de l'hypnose animale a été étudiée surtout chez la grenouille. Les résultats de ces recherches ainsi que leur interprétation présentent une grande discordance. La cause de cette divergence d'opinions réside dans ce fait qu'on perdait souvent de vue la variabilité extraordinaire à laquelle est sujet l'organisme de la grenouille pendant les différentes époques de l'année. En effet, pour cet animal, l'année se décompose en deux>grandes périodes : dans la première, il prend de la nourriture et développe ses forces ; dans la seconde, il jeûne et se repose. Aussi distingue-t-on généralement dans les laboratoires les gi*enouilles d'été et les grenouilles d'hiver. Leur état physiologique est différent dans chacune de ces deux époques, comme de nombreuses recherches l'ont démontré. Ainsi Kronecker (*) a observé déjà, en 1871, que les muscles de la grenouille produisent une somme de travail très variable suivant l'époque de l'année; par exemple, le muscle fémoral chargé de 20 grammes peut exécuter 2.700 contractions en octobre, et 250 seulement en janvier.
Non seulement la somme de travail mécanique fournie par les muscles est inférieure à l'époque du jeûne, mais de plus la forme de la contraction devient alors anormale; le muscle excité par le courant d'induction ne revient que très lentement à sa longueur primitive. Il en résulte une perte au point de vue mécanique. Ce phénomène, appelé contracture de Tiegel f3), a été particulièrement étudié aussi par Kronecker, AI. Schiff et Ch. Richet. La contracture se présente surtout chez les grenouilles ayant séjourné longtemps dans l'aquarium, chez les grenouilles à nutrition languissante ainsi que chez les grenouilles fatiguées. Elle n'a jamais été observée en été. D'après Schiff (*), la contracture est une maladie des grenouilles d'hiver
(1) Travail du laboratoire de l'Institut Solvay, à Bruxelles.
(2) H. Kronecker, Ueber die Ermùdungund Erholungâer quergestreiften Muskeln. (Travaux du laboratoire de Ludwig, 1871.)
(3) TiEûsL. Ueber Muskelcontractur im Gegensatz ru Contraction. (Pftiiaer's Archiv, iST6(BdXlII.)
(*) M. Schiff, Mémoires physiologiques, t. II.
et de printemps, qui présentent des troubles de la nutrition et sont intoxiquées par les produits de la désassimilation musculaire. C'est à l'excitation chimique du muscle par ces produits qu'est dû le phénomène de la contracture.
On sait aussi que la composition chimique des muscles de grenouilles subit des modifications au cours de la période de jeûne; notamment Athanasiu (') a observé que la principale réserve nutritive des muscles, le glycogène musculaire, diminue chez la grenouille vers la lin de l'hiver.
Les échanges respiratoires varient également chez la grenouille suivant les saisons, comme Athanasiu ß l'a démontré. Le quotient respiratoire est plus élevé en hiver qu'en été.
Enfin, nous savons, par les recherches de J. Gaule p)( que, chez la grenouille, le rapport numérique entre le poids total du corps et celui des différents organes est très variable suivant les mois de l'année. Le poids des muscles, du tissu adipeux, de la rate et du foie atteint son minimum vers l'époque de la reproduction. La restauration a lieu ensuite pendant les mois d'été, et le poids des organes cités arrive à son maximum en automne. C'est ainsi qu'aux mois de septembre et novembre, le foie peut être deux fois et demie à trois fois plus grand qu'il ne l'était aux mois de mai et juin. 11 est clair que les échanges nutritifs ne peuvent pas être les mêmes dans les deux cas, et l'on ne sera pas étonné si l'on obtient des résultats différents en soumettant à la même expérience ces deux individus différents.
Xous voyons donc que les échanges respiratoires et nutritifs chez la grenouille varient d'une saison à l'autre et que l'animal fournit une somme d'énergie différente, en rapport avec l'état de ses muscles, qui s'épuisent petit à petit en hiver.
L'étude de l'inanition et de l'épuisement est donc de la plus haute importance pour la réalisation des problèmes d'énergétique biologique.
Il est probable que l'épuisement hivernal et printanier des tissus ne reste pas sans influence sur le fonctionnement du système nerveux. Par conséquent il était intéressant de rechercher comment se comportent les grenouilles dans l'hypnose
ft) J. Atiiaxasic, Ucber den Gehalt des Froschkèrpers an Glvkogen in den ver-schiedenen Jahresjeiten. (Pflugeïs Archiv. 1S99, Bi LXXIV, 8. 561.)
(îj J. Athasasic, Uebcr den Rcspirationswechsel der Frosche in verschiedenen Jahres^eiten. {PJlitgcrs Archiv, Dd LXXIX.)
(3) J. Gaule, Die Veranderungen des FroschorganîsmuSfR. csculcnta) mâhrend des Jahes. {l'flagcrs Archiv, 1901, Bd LXXXVII, SS. 473-537.;
suivant les époques de l'année et surtout après le jeûne hivernal. Afin de rechercher si l'épuisement de l'organisme peut avoir une influence sur l'hypnotisme, j'ai prolongé le jeune hivernal au-delà de l'époque habituelle, et j'ai soumis les grenouilles à l'inanition absolue pendant un temps variable d'un à dix mois.
Les expériences consignées dans ce travail vont démontrer qu'il existe réellement un rapport étroit entre les conditions physiologiques de l'organisme et la prédisposition à l'hypnose.
PREMIÈRE PARTIE. — Historique èt critique
On sait depuis longtemps que les animaux peuvent tomber subitement dans un état de torpeur dès qu'on les place dans une position anormale et qu'on les empêche de se mouvoir. Us continuent alors d'être immobiles, même si on les laisse libres, et gardent souvent des positions peu commodes et peu naturelles pendant quelques instants. Déjà en 1646, le père jésuite Athanasius Kircher décrivit de telles expériences sur la poule domestique et les illustra d'une gravure sur bois. Kircher conseille d'immobiliser préalablement la poule en la liant avec une corde, puis de la placer sur une table et de tracer devant ses yeux une ligne droite avec de la craie. La poule fixe les yeux sur cette ligne et reste immobile, même si on la libère doucement. Ces expériences devenues célèbres sont connues sous le nom de : Experimentum mirabile de imaginatione gallinae.
Cependant Daniel Schwenter, de Nuremberg, parle d'expériences analogues dix ans avant le père Kircher, et il est probable que de tels essais sur les animaux étaient connus du public depuis l'antiquité. Quoi qu'il en soil, le monde des savants dédaigna pendant longtemps d'examiner ce fait curieux, et ce n'est que dans la seconde moitié du XIX· siècle que les anciennes expériences du père Kircher sont pour la première fois analysées par la méthode scientifique.
En effet, en 1873, le physiologiste Czermak (') reprend ces expériences et s'attache â étudier l'état physiologique pendant la torpeur provoquée chez la poule et différents autres oiseaux. De cette façon, l'attention des physiologistes fut attirée sur ces étranges phénomènes et bientôt succédèrent de nombreuses recherches sur ce sujet.
(1) J. Czeruak, Bcobûchtungen uni Versuche Ober e hypnotische Zusiànde >· bei Thîtren. (Pfitiger's Archiv, 1873, Bd VII.)
Czermak remarqua aussitôt qu'il n'est point nécessaire de lier la poule avec une corde, ni même de tracer un trait avec de la craie, comme le faisait Kircher. Il suffit de mettre la poule sur le dos et de la soutenir dans cette position pendant une minute environ pour qu'elle entre dans l'état d'immobilité. Dès lors, on peut la laisser libre, elle continue à rester immobile durant plusieurs minutes sans mouvement ni volonté. Il observa en même temps que les différents individus, ainsi que les mêmes individus aux différentes époques, présentent une disposition inégale pour être plongés dans l'état de torpeur, et que le phénomène lui-même peut être plus ou moins intense et durable suivant les cas. Parfois l'état d'immobilité est très fugitif, dit-il, à peine appréciable chez les poules ; d'autres fois, il ne se-produit même point.
Czermak observa aussi que les oiseaux immobilisés respirent fortement et qu'ils présentent une contraction intense de l'iris ; en même temps, de légers tremblements secouent leur corps.
Czermak entreprit les expériences sur d'autres oiseaux de la famille des Gallinacés ainsi que sur les canards, oies, cygnes, et sur de petits oiseaux chanteurs. Il observa chez eux les mêmes phénomènes que chez la poule domestique. Tous ces oiseaux se laissent endormir facilement si on les renverse sur le dos et si on les maintient dans cette position sur la table.
Ils restent immobiles parfois jusqu'à quinze minutes. Mais les mêmes faits entrepris sur les pigeons ne réussissaient pas au début : les pigeons sursautaient dès qu'on les laissaient libres.
A la fin, Czermak découvrit que ces derniers oiseaux s'endormaient facilement dès qu'on avait approché de leurs yeux un objet quelconque : les doigts de l'expérimentateur, une boule de verre brillant, ou bien un bouchon, une baguette de cire ou une allumette, qu'on collait à la racine de leur bec. Chez les poules, l'état d'immobilité était également facilité par l'objet « fascina-teur » qu'on approchait de leurs yeux. La découverte de cette circonstance favorisant l'état de torpeur chez les oiseaux était une véritable révélation pour Czermak. Elle éclaire d'un jour nouveau les expériences de Kircher, dit-il, et en général toutee mystérieux domaine de neuro-physiologie. La fascination que produit un objet rapproché des yeux des oiseaux, conclut Czermak, est une preuve certaine que les curieux et énigmati-ques phénomènes que nous observons ne sont que « de véritables états hypnotiques chez les animaux_».
L'auteur, ayant ainsi classé ce phénomène, n'entre point dans les détails pour justifier son opinion. Il admet donc une analogie entre l'hypnose de l'homme et l'état de torpeur provoqué chez les animaux.
Bientôt après la publication des recherches de Czermak, Preyer (') fit connaître ses nombreuses expériences sur les cobayes et les grenouilles qu'il a réussi à immobiliser avec facilité. Preyer n'admet pas l'explication que donne Czermak à ce phénomène de torpeur, car, selon lui, on peut immobiliser les poules après avoir exclu l'influence de toute impression visuelle. Preyer cherche donc à expliquer autrement cet état d'immobilité. Pour lui, la peur serait la cause véritable de ce phénomène. Les manipulations qu'on fait subir à un animal pour le maintenir immobile, la saisie subite et l'empêchement de fuite, sont les facteurs qui effraient l'animal au plus haut point et le jettent en torpeur. Il cherche l'analogie dans ce qui se passe chez l'homme : la peur arrête souvent chez lui les mouvements.
Et, quoique nous ignorions quelles sensations éprouvent les animaux, Preyer croit, par analogie, pouvoir admettre dans l'état en question une action inhibitrice, dont la cause serait la peur. Il désigne sous le nom de Katapîexie l'ensemble de ces phénomènes inhibitoires produits par la peur.
(à suivre)
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE
L'ascendance de cinq religieuses de Port-Royal (*),
Par le Docteur Charles Binet-Sanglé (suite)
Beatrix de Viennois descendait de Guigues de Viennois I-Guigues de Viennois I donnaen 1053cequ'ilpossédaitdanslavalléedc Sézane aux chanoines d'Oulx en Dauphiné, et reçut en 1075, des mains ie Saint Hugues, l'habit religieux à l'abbaye de Cluny, où il fut enterré. De sa femme Gothelène, enterrée aussi à Cluny, il eut quatre garçons : Richard et Armand, morts sans postérité ; Guigues-Raymond, qui donna aux religieux de Cluny en 1075 quelques terres situées au pays deForest, et Guigues IL
(1) Preyer, Ueber cine Wirkung der /.ngst bei Thieren. [Centralbtatt fur medic Wiss., mars 1873.) — Die Katapîexie und der thierische Hypnotismus. Jena, 187$. P) Voir Revue de l'Hypnotisme, n0i d'octobre et novembre 1903.
Guigues de Viennois II dit le Gras, donna en 1075. en présence de ses frères, l'église de Saint-Priest-en-Vallée à Saint Hugues, abbé de Cluny, et mourut le 19 janvier 11)80. Il eut un garçon, Guigues IIL
Celui-ci eut plusieurs démêlés avec Saint Hugues, à qui ii céda enfin en 1098 les églises et les dîmes qu'il pouvait avoir dans le Graisivaudan. Il eut un garçon, Guigues IV.
Guigues de Viennois IV, vivant en 1140, mort de blessure en 1142, et enterré dans le cloître de Notre-Dame de Grenoble, épousa Marguerite de Bourgogne.
. Marguerite de Bourgogne descendait de Guillaume de Bourgogne I, qui, d'Eliennette de Barcelone ('), eut entre autres enfants Etienne.
Etienne de Bourgogne ratifia en 1096, en présence de Guillaume IV et de Renaud ses enfants, ce que son père avait donné dans Lons-le-Saulnier à l'abbaye de Cluny, et alla en Terre-Sainte, où il fut tué en 1102. Il eut deux garçons et deux filles dont : Guillaume IV, qui donna, le J4 juin I (47, à Pierre, abbé de Cluny, et à ses successeurs, l'abbaye de la Baume avec ses dépendances pour le repos de son âme et de celles de ses parents, et mourut en 1156 ; et Marguerite, femme de Guigues de Viennois IV, morte le 8 février 1 l63,et enterrée dans l'abbaye de Hayes près Grenoble qu'elle avait fondée.
Guigues de Viennois IV et Marguerite de Bourgogne eurent deux filles et un garçon, Guigues V.
Guigues de Viennois V* établit avec sa femme Mathilde les moines blancs de l'abbaye de Châlons, et mourut en 1162, laissant une fille Beatrix.
Beatrix de Viennois fut présente en 1186 à une donation faite par son mari à l'abbaye de Saint-Benigne de Dijon, et en 1202 à des donations faites aux chartreux de Seillon en Bresse et à l'abbaye d'Ambronay. Elle mourut le 15 décembre 1228, ayant élu sa sépulture dans l'abbaye de Hayes. Elle avait épousé Hugues de Bourgogne. . Hugues de Bourgogne III et Beatrix de Viennois eurent deux filles et un fils, .4ndré.
.André de Bourgogne offrit à l'archevêque d'Ambrun de tenir en fief de lui le comté de ce nom, reconnut en 1223 que les moines blancs de l'abbaye de Châlons avaient été établis par ses aïeuls maternels, attribua diverses prérogatives à l'abbé, voulant que, lorsqu'il viendrait à sa cour, il y fut reçu comme un de ses commensaux et entretenu à ses dépens, accorda plusieurs droits et immunités à ce monastère, établit en 1226, à Champognicr, dont l'évoque de Grenoble lui céda l'église, un chapitre de treize chanoines, dont l'un fut nommé prévôt, donna à ce chapitre la terre de Champagne avec tous les droits seigneuriaux qu'il y avait, le transféra l'année suivante à Grenoble dans l'église de St-André, qu'il fit rebâtir plus grande qu'elle n'était et d'une structure plus régulière, fut
Cl> Archives d'anthropologie criminelle, lô sept. 1902, p. Ô37.
it Boiir[Oflf.
it Ronrfofif.
reconnu chanoine (*) de Lyon en janvier 1230, mourut le 5 mars 1236, et fut enterré dans sa chapelle de l'église St-André, ayant légué un revenu annuel durant trois ans pour achever cette église. II épousa Beatrix de Sabran.
. Beatrix de Sabrân, vivante en 1202 et 1210, descendait de Raynier de Sabran.
Celui-ci épousa Garcende de Forcatquier. . Garcende de Forcatquier descendait de Guillaume de Forcatquier V qui mourut en 1139, laissant deux fils. L'un, Guigues, légua par testament de 1149 la ville de Manosque aux Hospitaliers de St-Jean de Jérusalem.
L'autre, Bertran de Forcalquiei* III, eut une fille et trois fils, dont Guillaume de Forcatquier VI.
Celui-ci, vivant en 1162, confirma des privilèges pour l'abbaye de Lure en 1191, et mourut en 1208. Il eut pour fille unique Garcende de Forcatquier, femme de Raynier de Sabran.
. Raynier de. Sabran et Garcende de Forcatquier eurent deux filles, dont Beatrix, femme d'André de Bourgogne.
. André de Bourgogne et Beatrix de Sabran engendrèrent Beatrix de Bourgogne, femme d'Amauri de Montfort VI.
t Amauri de Montfort VI et Beatrix de Bourgogne eurent un fils et quatre filles, dont : Jean, qui donna à l'abbaye de Port-Royal des Champs, en juillet 1248, « pour le salut de son âme et de celles de ses ancêtres, deux cens quarante arpens de terre en un tenant au territoire du chemin de Pcrrey, avec basse et moienne justice sur les dites terres ¦ (*), en échange de ce que l'abbaye possédait dans la forêt d'Ive-line et d'un muid de blé de rente dans la grange de Meri, accompagna Louis de France IX à son premier voyage d'outre-mer, et mourut dans l'ile de Chypre en 1249; Marguerite et Laure qui confirmèrent cet échange, la première en mai 1256 ; et Perronelle de Montfort, abbesse de l'abbaye de Port Royal des Champs, morte en 1175.
II
X, Pétronillb, Alix et Agnès de Montfort
Le Nêcrologe de Port-Royal fait mention d'un rameau des Montfort que les généalogistes n'ont pu, faute de documents, rattacher à l'arbre principal.
Un certain Guy de Montfort I donna à perpétuité à l'abbaye de Port-Royal des Champs vingt livres parisis de rente annuelle à prendre sur ses revenus de Gometh. Il eut au moins deux filles et deux fils : Pétro-nille et Ar, religieuses à Port-Royal des Champs; Phiîippequi, en 1231,
(1) Certaines églises cathédrales ou collégiales avaient attribué à des laïques le titre de chanoine ad honores transmissible à leurs héritiers.
(2) Supplément au Nêcrologe de Port-Royal, p. 682.
Sa ii'e
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SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance annuelle, le 16 juillet 1903. — Présidence de M. le d* Jules Voisin.
La suggestion et la a nonne aventure a Par M. Martial Vergxolle
En parcourant le livre si intéressant du psychologue Jules Bois. Le Monde invisible, mon attention a été particulièrement attirée par le chapitre « Les marchands d'espoir » et j'ai songé au rôle considérable que jouait la suggestion dans les prédictions des devineresses, cartomanciennes ou autres somnambules plus ou moins lucides.
Il est bien Vrai qu'une diseuse de bonne aventure (j'écris diseuse, car ce sont plus spécialement des femmes qui se chargent d'éclairer les ténèbres du futur), il est bien vrai, dis-je, que ces sorcières modernes, celles, du moins, qui acquièrent une certaine renommée, ne sont pas de vulgaires tripoteuses de cartes, basant votre horoscope sur la disposition accidentelle des figures, interprétée sur un tableau conventionnel. Les sillons de vos mains et le sombre marc de café lui-même ne dictent pas plus à la vraie devineresse les déclarations qu'elle vous fait.
Le rôle principal de cette femme, devant laquelle les sceptiques sentent un Qui Sait? surgir au fond de leur être — et pourquoi pas puisque de grands esprits y croyaient? — consiste d'abord à connaître, aussi exactement que possible, le passé et le présent de ceux à qui elle va dévoiler l'avenir. C'est d'abord dans l'antichambre qu'un compère, vous confesse à votre insu.
Puis c'est la demi-déesse elle-même vous arrachant sans douleur, dans son sanctuaire, les indications précises qui la mettront vite au courant de vos faiblesses, de vos penchants, de vos désirs, en un mot, de votre mentalité. Ses facultés d'observation et son flair intuitif entrent en jeu et celle qui vous a compris va vous annoncer, en évitant la précision, ce qui doit vous arriver à peu près sûrement.
Si vous avez abordé la cartomancienne avec un sourire d'incrédulité,
donna quinze livres de rente à cette abbaye en considération de ses sceurs ; et Guy II.
Guy de Montfort II donna à l'abbaye de Port-Royal des Champs la grange de Mortbois, et mourut en Terre-Sainte vers 1250. Il eut au moins deux filles et un fils : Alix et .Agnès, religieuses en cette abbaye, et Philippe qui lui céda l'amortissement delà grange de Mortbois et lui donna cent vingt livres parisis en monnaie pour la cinquième partie des héritages que ses sceurs avaient apportés en se faisant religieuses. .
(à suture)
votre scepticisme a été bientôt ébranlé par l'exactitude des déclarations qu'elle vous a faites concernant votre passé ou votre présent. Vous ne vous doutez pas que c'est le compère, ou vous-même, qui lui avez fourni ces indices et voilà que la confiance naît en vous et vous dispose à considérer comme fatal l'événement prédit. Et lorsque le premier fait annoncé se sera réalisé, vous ne douterez plus, vous deviendrez un client fidèle, la sorcière connaîtra mieux, chaque jour, votre existence et c'est alors qu'elle sera infaillible dans ses prophéties.
C'est là le procédé habituel des voyantes patentées, de celles qui ouvrent des cabinets de consultations et font de la réclame ; c'est d'ailleurs le système qui permet de gagner plus aisément la confiance de la clientèle.
Mais que l'inspirée soit une ignorante croyant naïvement au langage des cartes, des lignes de la main ou du marc de café, qu'elle soit la fine observatrice que je viens de décrire ou qu'il s'agisse même du cérébral drapé dans son inconscient hiératisme, l'effet produit est identique si votre crédulité atteint un degré suffisant.
Si la plupart des prédictions se vérifient fréquemment, et l'on n'en peut douter, il est intéressant de constater que les sujets aident puissamment à leur accomplissement. C'est ici qu'apparaissent manifestement les effets de .la suggestion.
Ainsi que le sujet conduit inconsciemment, au lieu de le suivre, le prétendu liseur de pensées sur le point où il s'agit d'exécuter un ordre mental, le client suggestionné préparera, par sa conduite et son attitude, la voie que devra parcourir l'événement annoncé.
Il deviendra fataliste, non pas à la façon de l'Oriental qui subit philosophiquement les événements et s'écrie, résigné : « c'était écrit » ; mais en condamné, connaissant d'avance l'inéluctable destin et courbant docilement la tête pour recevoir ses coups.
C'est bien la suggestion vigile dans sa forme absolue et il n'est pas peu curieux de considérer que cette suggestion d'un sujet à l'état de veille peut être pratiquée par une « somnambule », plus exactement par un opérateur plongé dans le sommeil provoqué.
Exposons quelques effets de la suggestion ? divinatoire ».
Tenez-vous de la tireuse de cartes l'annonce vague d'un malheur imminent ? Vous voilà en proie à une inquiétude de tous les instants, obsédé par la fâcheuse déclaration. Survient-il un événement qu'une calme possession de vous-même eût réduit, en temps normal, aux proportions d'un simple inconvénient ? Il prendra vite mauvaise tournure. Votre trouble augmentera en vous répétant : * Voilà bien le malheur annoncé ». Vous ne ferez rien pour le conjurer, vous irez même au devant de lui comme le cycliste novice se précipite sur le tas de cailloux qu'il a trop fixé voulant l'éviter.
Si l'événement ne constitue pas en lui-même un grave revers, il vous rendra suffisamment malheureux par l'exagération avec laquelle vous le jugerez.
(I) Xous ne doutons pas que l'envoûtement du Moyen-Age no devenait efficace dans une certaine mesure que lorsque le patient était au courant des pratiques do son envoûteur.
Inversement, si un événement heureux vous est prédit, le calme et la confiance inspirant vos actes vous éviteront de nombreux déboires, et comme la date de l'événement n'est jamais précisée, au premier avantage qui vous écherra, quelle que soit l'époque et suivit-il plusieurs passes fâcheuses, vous ne manquerez pas de louer la clairvoyance de la pytho-nisse et d'avoir désormais une foi aveugle dans ses déclarations.
La thérapeutique suggestive estsouvent pratiquée dans ces conditions, car c'est aussi pour obtenir la guérison, ou tout au moins des indications sur la marche et la terminaison de certains troubles fonctionnels, que les cartes sont consultées. L'affection jusqu'ici rebelle à divers traitements dans lesquels vous n'aviez qu'une médiocre confiance, disparaîtra à la date indiquée parles petits cartons, parce que vous croirez fermement qu'elle doit disparaître à celte époque. D'ailleurs si les troubles persistaient, vous auriez sans doute mal interprété l'oracle et comme tout passe en ce monde, même nos douleurs ! la prophétie aurait finalement raison.
Envisageons enfin le cas où la tireuse de cartes annoncerait à un faible sa fin prochaine. Le malheureux crédule se trouve alors dans la pénible situation de l'envoûté connaissant le maléfice dirigé contre lui ('). Il attend la mort, se décourage, se déprime, et si un tonique moral ne vient à son secours, si une intervention salutaire ne rompt ? le charme », l'infortuné pourra succomber dans le marasme.
Et voilà comment la « Bonne Aventure » qui fait parfois du bien en berçant les humaines misères, peut devenir funeste quand elle détruit l'espoir et annihile la volonté.
Le traitement psychologique du bégaiement mental et de la timidité
Par M. le Dr Bémllox, Médecin inspecteur des asiles d'aliénés.
Dès 1895, dans une conférence faite à l'Institut psycho-physiologique sous le titre la Psychologie de l'intimidation, nous faisions ressortir les relations étroites qui existaient entre les troubles psychiques qui résultent de l'état d'intimidation et les troubles.de ('elocution.
Dans cette conférence, nous montrions que dans l'état d'intimidation les centres nerveux se trouvent dans des états d'inhibition analogues à ceux que produit l'hypnotisme et nous établissions une identité absolue entre l'intimidation et l'hypnotisme. Pour nous, l'intimidation n'était pas autre chose qu'un état d'hypnose fortuite.
Depuis lors, celte opinion s'est encore confirmée par la constatation que le plus souvent les sujets atteints de bégaiement sont des êtres
extrêmement suggestibles et très hypnotisables. Et ce qui démontre le rôle prépondérant joué par l'intimidation, c'est-à-dire par une influence agissant sur le bègue à la manière d'une influence hypnotique, c'est qu'il ne bégayera pas lorsqu'il parlera seul dans sa chambreun enfant bègue parle nettement lorsqu'il joue avec le chien de la maison ou avec la poupée.
On a noté le cas de bègues qui cessaient de bégayer lorsqu'ils avaient à tenir une conversation dans l'obscurité. Ils échappaient ainsi à l'influence de l'intimidation. D'ailleurs, c'est un fait connu que le bégaiement s'accentue lorsque les bègues se trouvent en présence d'inconnus et surtout lorsqu'on leur adresse une question à l'improviste. Tous ces faits viennent à l'appui de l'opinion que nous avons souvent exprimée, que l'intimidation est une véritable manifestation d'un léger état d'hypnose provoquée fortuitement. Les nombreux bègues que nous avons eu l'occasion d'examiner nous ont tous avoué qu'ils ressentaient au plus haut degré les effets de la timidité et qu'ils étaient extrêmement faciles à intimider.
L'examen de l'état mental des bègues revêt aussi d'intéressantes particularités : ils se plaignaient généralement d'être doués d'un caractère irrésolu et de présenter, en beaucoup de circonstances, des défaillances marquées de la volonté. En un mot, on peut dire que les deux manifestations dominantes de l'état mental des bègues sont l'émotivité excessive et l'aboulie. On peut dire de beaucoup d'entre eux qu'ils présentent l'état d'infériorité mentale désigné sous le nom de puérilisme. Leur caractère en effet n'a rien de viril.
On connaît depuis longtemps le rôle que joue l'association des idées dans la formation du langage et dans l'émission des sons. Les vers fameux de Boileau passés à l'état de proverbe, expriment une vérité indéniable :
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Si les mots n'arrivent pas aisément chez le bègue, c'est qu'un trouble psychologique met obstacle à l'élaboration de sa pensée. Cela est tellement vrai que lorsqu'il n'a pas à associer des idées et qu'il n'a qu'à réciter des choses sues par cœur, il ne bégaye pas. Rien de plus connu qu'un bègue qui chante avec aisance ou débite des vers avec facilité. Le bégaiement aussi est moins accentué dans la lecture et surtout dans la lecture à voix basse.
Tout bégaiement verbal n'est donc que l'extériorisation d'un bégaiement mental. Les hésitations, les défectuosités et balbutiements de la parole chez les bègues ne sont que la résultante de troubles analogues survenant dans l'élaboration de leur pensée.
Les bègues sont aussi fréquemment atteints des habitudes vicieuses qui résultent de la diminution de la volonté, telles que l'onychophagie, l'onanisme, les impulsions irrésistibles.
De ce qui précède, nous sommes donc naturellement amené à conclure qu'à l'application des méthodes rationnelles de correction des troubles de la parole, telles que la méthode Chervin, les bègues étaient justiciables d'un traitement psychologique.
Ce traitement méthodique nous donne les résultats les plus frappants. Il se compose de plusieurs temps :
i* Entrainement hypnotique. — Le sujet doit pendant plusieurs séances, être entraîné à tomber dans le sommeil hypnotique. Cela est d'autant plus facile que généralement, comme nous le disions plus haut, les bègues sont très hypnotisables et par conséquent très suggestibles.
2e Suggestions concernant l'état psychologique. — Pendant l'état hypnotique, le sujet reçoit les suggestions destinées à modifier son irrésolution. On lui apprend, par des exercices variés et, en particulier, par des suggestions réalisées dans l'état post-hypnotique, à exécuter des actes avec décision. On l'exerce à se trouver en présence de personnes avec lesquelles il n'est pas familier, sans ressentir les effets de l'intimidation. On ne tarde pas à constater que sous l'influence de la suggestion, le malade acquiert de la confiance en lui-même. II manifeste de plus en plus d'assurance. Il est évident qu'il se produit dans son évolution mentale comme une sorte de maturation, dont il se rend compte et qui lui est agréable.
3e Exercices méthodiques pour le traitement du bégaiement. — Ces exercices ont été décrits par un certain nombre d'auteurs et en particulier par Chervin. Leur application est d'une incontestable efficacité dans le traitement des troubles fonctionnels de la parole. Après le traitement systématique de l'aboulie, de l'émotivité morbide, des phobies et de la timidité par la suggestion hypnotique, nous conseillerons toujours l'emploi de ces exercices.
Dans certains cas, le traitement psychothérapique et le traitement fonctionnel du bégaiement ont été appliqués parallèlement et les deux traitements se sont utilement complétés.
Nous avons indiqué plus haut la nécessité de commencer le traitement par un entraînement hypnotique assez accentué. A ceux qui mettraient en doute l'utilité de cet entraînement, nous répondrons qu'il est absolument indispensable pour obtenir la guerison.
Lorsque nous avons négligé d'hypnotiser les sujets et que nous nous sommes bornés à faire des suggestion à l'état de veille, nous D'avons obtenu que des résultats incomplets. La production de l'état hypnotique offre le double avantage de diminuer notablement la durée du traitement et de réaliser dans le caractère du sujet une transformation aussi complète que durable.
f~La thérapeutique suggestive en ophtalmologie
Par M. le D' A. Lepmxce, médecin oculiste à Bourges.
Tout médecin possède de par ses fonctions une faculté suggestive dopt, le plus souvent, il ne se rend pas un compte exact. La confiance du malade envers tel ou tel docteur est, la plupart du temps, un effet de suggestion. Aussi est-il rationnel d'employer ces moyens particuliers que la nature met si largement à notre disposition et, lorsque le cas s'en présente, d'user de l'autorité morale que tout thérapeute a sur l'esprit du malade. Il serait évidemment téméraire de pousser à ses limites une telle doctrine ; mais, dans tous les cas de désordre nerveux bien caractérisés, la thérapeutique suggestive peut donner les meilleurs résultats.
J'en citerai quelques exemples frappants. Le premier a trait à une jeune fille de 19 ans, qui présentait par intervalles des poussées conges-tives du côté des poumons. A certaines époques on entendait au sommet des râles, des souffles, et le diagnostic de tuberculose s'imposait. Des pointes de feu avaient été appliquées, de la créosote administrée, sans grand succès d'ailleurs. La malade continuait à tousser, mais ne maigrissait pas, bien que pendant ces crises l'appétit fit constamment défaut. Cet état durait déjà depuis 2 ans et s'améliorait puis empirait de nouveau. Etant en ce moment en vacances, on me demanda de voir la malade.
A ma première auscultation je fus tout surpris de ne rien entendre, pas un râle ; la respiration était absolument normale à droite et à gauche. Le lendemain je l'auscultai de nouveau : ce jour-là on percevait très distinctement des frottements pleuraux au sommet et dans tout le poumon gauche. Ces alternatives se reproduisaient fréquemment, en l'espace d'un mois, et je fus. après un examen attentif convaincu d'être en présence d'une affection hystérique. Je fis cesser toutes les médications et ordonnai un médicament fort énergique, une solution de Xacl dans H*0 distillée. Je recommandai bien à la malade de prendre seulement une cuillerée à café tous les matins, la prévenant iju'au bout de 8 jours elle serait complètement guérie, reprendrait des forces et mangerait comme tout le monde.
La suggestion fut répétée chaque matin par la mère qui lui donnait à boire la solution prescrite, et à la date fixée, la demoiselle était guérie ; depuis, tous les phénomènes ont complètement disparu, ainsi que la toux. Il est bon d'ajouter que pendant un an la suggestion a été reprise tous les mois pendant 8 jours sous forme de solution de Nacl.
Ce cas fort intéressant n'est d'ailleurs pas unique. Je me souviens en avoir constaté un analogue à l'hôpital Xcckcr, dans le service de M. le Dr Huchard, où j'étais stagiaire.
Enfin le 8 novembre 1901, MM. Renon et Sollier rapportaient égale-
ment à la Société médicale des Hôpitaux, un cas de pseudo-phtisie pulmonaire de nature hystérique. (')
Ces observations pour si intéressantes qu'elles soient n'offrent à l'esprit que peu de satisfaction, incapables que nous sommes de fixer exactement et d'une manière palpable les symptômes observés.
Les moyens d'investigation, de contrôle et de notation sont beaucoup plus faciles à employer quand on a la bonne fortune de rencontrer des cas particuliers relevant de la suggestion et affectant l'organe de la vision. La détermination de l'acuité visuelle et du champ visuel permet en effet d'enregistrer fidèlement et aussi souvent qu'on le désire les modifications que la thérapeutique peut apporter à l'organe affecté. Aussi les observations suivantes et en particulier la première, avec les schémas qui l'accompagnent, montreront mieux que toutes les théories tout le parti que l'on peut retirer de la méthode suggestive.
Le 3 avril 1900, se présentait à ma consultation à l'Hôtel-Dieu un enfant de 12 ans conduit par une voisine. Il venait consulter pour un ptosis complet de la paupière supérieure gauche. L'état durait déjà depuis une dizaine de jours. En l'absence de renseignements sur les antécédents familiaux et personnels de l'enfant, je cherchai si je n'étais pas en présence d'un blepharospasme d'origine nerveuse. Les points hystérogènes ne donnèrent aucun renseignement confirmatif de cette opinion.
D'autre part, il existait une atonie complète de la paupière supérieure et même du frontal. Le sourcil gauche était abaissé de 2 cm. 5 et, même en aidant le malade, il était impossible de découvrir plus d'un tiers de la cornée.
J'ordonnai, dans l'expectative, du sirop de Gibert et dis à l'enfant de revenir au bout de quelque temps avec sa mère.
Le 30 avril seulement, la mère amena le petit malade. Son état s'était beaucoup amélioré et il ne subsistait qu'un léger ptosis.
L'enfant, âgé de 12 ans, est le second de quatre enfants tous vivants.
Le père est mort tuberculeux probablement.
L'enfant a eu la rougeole à 6 ans. Il est d'un caractère nerveux, irritable, il pleure facilement et se met souvent en colère.
Grand et fort pour son âge, il a plutôt l'air apathique etsonhabihis est la contradiction totale avec son état réel.
En avril 1898, l'enfant s'était réveillé un matin sans pouvoir ouvrir l'œil.
Des lotions à l'acide borique continuées pendant quatre mois consécutifs lui firent, dit la mère, le pins grand bien ! L'oeil se rouvrit en effet progressivement au mois d'août de la même année.
La mère nous apprend également que depuis très longtemps, plu-, sieurs années, elle a remarqué que son fils ne voyait rien de cet coil.
(t) Galette des Hôpitaux, 12 novembre 19fii, p. 1251.
En présence de ce cas compliqué d'amaurose, un examen plus approfondi s'imposait.
: L'œil droit (sain) ne présente aucune lésion externe ni interne, pas de vice de réfraction à l'ophtalmoscope, ni à l'ophtalmomètre Javal. Néanmoins l'acuité est seulement = 0,6.
Le champ visuel est considérablement rétréci du coté interne et présente une forme rectangulaire inclinée à 30° environ. : Quant à l'œil gauche (amaurotique) son aspect extérieur semble normal. Cependant la pupille est paresseuse. Le fond de l'œil est absolument normal; il n'existe aucune altération des milieux, ni des membranes. Le diagnostic d'amaurose hystérique unilatérale s'imposait donc, bien que la pupille réagit mal à la lumière et à l'accommodation et quoique l'expérience de dédoublement des images parle prisme n'eut pas réussi à différentes reprises.
En conséquence, je fis cesser tout traitement et conseillai à la mère de me ramener l'enfant dès que le ptosis serait complètement guéri.
Le 28 mai, c'est-à-dire quatre semaines après, l'état du petit malade est le suivant : VOD = 0,6.
Le champ visuel est rétréci de tous les côtés, il a diminué en haut et du côté externe, par contre il s'est éloigné du côté interne, et en bas. L'œil gauche est toujours amaurotique.
A partir de ce jour, je commence la suggestion à l'état de veille sur l'œil droit (sain) de façon à amener une amélioration visuelle et un agrandissement du champ.
Le 12 juin, j'ai le plaisir de constater que le champ visuel s'est augmenté sensiblement. Par contre, l'acuité a baissé jusqu'à 0,4.
L'œil gauche, dont je ne m'occupe pas, est toujours dans le même état stationnaire, VOG = 0.
Le 14 juin, le champ visuel s'est encore agrandi.
L'acuité OD est toujours 0,4 et pour VOG =0.
Le 18 juin, nouvel agrandissement du champ visuel.
Acuité : VOD = 0,4; VOG = 0.
Le 21 juin, le champ visuel droit est presque normal. L'acuité est remontée à 0,6.
Je commence alors la suggestion sur l'œil gauche.
J'ordonne un collyre à la cocaïne et j'avertis l'enfant que ces gouttes lui agrandiront les prunelles et lui feront voir clair. Je fais instiller les gouttes dans chaque œil, « pour augmenter la vision de l'œil droit et ramener la vue du côté gauche ».
Quatre jours après, le 25 juin, l'enfant m"est ramené. Le champ visuel de l'œil droit est sensiblement normal.
L'acuité est également augmentée VOD = 0,8.
De l'œil gauche je note VOG = 0,15 et le champ visuel est identique à celui présenté par l'œil droit le 12 juin. Trois jours après, le 28 juin, les champs visuels sont les suivants :
et l'acuité est devenue normale pour l'œil droit VOD = 1, et a monté de 0,15 à 0,6 pour l'œil gauche.
Enfin, le 2 juillet, les deux champs visuels sont normaux et on note : VOD = 1, VOG= 1.
Depuis cette époque, l'acuité visuelle et le champ visuel de l'enfant revu dernièrement n'ont pas changé. On peut donc le considérer comme guéri.
Cette observation présente quelques particularités intéressantes : d'abord l'association du ptosis à l'amaurose ; car bien que le traitement primitif par le sirop de Gibert ait amené (?) la guérison du ptosis, nous sommes absolument convaincu que ce traitement n'a eu qu'un rôle essentiellement subjectif, comme le collyre à la cocaïne ordonné dans la suite.
En outre, il faut remarquer l'association à ce double état de l'amblyo-pie partielle de l'œil droit.
Enfin dans l'état même de ces troubles, on constate l'immobilité relative de la pupille et la neutralisation totale par le cerveau de la seconde image produite par le prisme. Le blépharospasme lui-même en imposait plutôt tout d'abord pour une paralysie que pour un accident nerveux. Il n'y avait ni contraction de l'orbiculaire. ni plissement de la paupière inférieure.
Il y a donc tout lieu de croire à une forme fruste de ptosis-pseudo-p&ralytîque (Parir.aud) associé à une amaurose unilatérale hystérique compliquée d'amblyopie de l'autre œil.
Dans de tels cas, la suggestion à l'état de veille doit être, à notre avis, le procédé de choix surtout chez l'enfant, conservant l'hypnotisa-tion aux sujets plus âgés.
Observation IL — Quelques mois plus tard, se présentait à ma consultation une fillette âgée de 10 ans, qui présentait une amaurose complète de l'œil droit datant déjà de quinze jours environ.
Réactions pupillaires normales VOD = 0, VOG = 1, champ visuel OG normal. La suggestion à l'état de veille aidée de l'instillation de quelques gouttes de solution de cocaïne ramenèrent en vingt-quatre heures l'acuité à 1 de l'œil amaurotique et le champ visuel normal.
Nous avons eu également l'occasion d'observer en octobre dernier, deux cas d'amblyopie hystérique chez des enfants de 11 et 12 ans, tous deux nerveux et présentant d'ailleurs quelques antécédents héréditaires.
L'acuité du premier était OD = 1, OG = 0,2. L'acuité du second OD = 0,5, OG = 0,3.
Il n'existait aucune anomalie de réfraction, quelques gouttes de cocaine associées à une forte suggestion à l'état de veille ramenèrent en une demi-heure V égale à la normale.
Il est bien certain, comme je le disais au début de cet article, qu'il ne faudrait pas abuser de la suggestion ni croire qu'elle peut s'appliquer à tous les cas. Cependant je suis absolument convaincu qu'en ophtal-
mologie, notamment, elle peut rendre les plus grands services. Alors que l'ophtalmoscope ne révèle aucune lésion, et que les moyens d'investigation précieux dont nous disposons ne nous permettent pas d'incriminer une lésion organique ou un vice de réfraction, il est bon d'user de la suggestion.
La médication est simple et à la portée de tous. Elle réussira d'autant plus que le sujet sera plus jeune et nous avons pu par nous-mème en constater les heureux effets sur de nombreux écoliers, en dehors des cas signalés ci-dessus.
L'enfant est en général éminemment suggestible, surtout l'enfant malade ou porteur d'une tare héréditaire ou nerveuse.
CROYANCES RELIGIEUSES ET FOLKLORE
Les Vertus thérapeutiques des Reliques humaines : Le Doigt de saint Jean, à Salnt-Jean-Traoun-Mëriadec (Finistère)
Par M. le D* Marcel Baudouin ()
En Bretagne, dans le Finistère, à 8 kilomètres de Lanmeur, chef-lieu de canton des environs de Morlaix, se trouve une petite bourgade, appelée Saint-Jean-Traoun-Mériadec (3j ou Saint-Jcan-du-Doigt, en breton S&nt-l&nn-Ar-Bis.
Ce village porte ce dernier nom, parce que son église conserve précieusement un doigt d'homme, qui provient, dit-on, de la main de Jean-Baptiste [Iann Badezour, en breton) (s).
C'est, par suite, une relique humaine, dont nous croyons intéressant de débrouiller l'histoire, car elle joue en Bretagne un rôle thérapeutique considérable. Elle est. en effet, l'occasion d'un Pardon fort célèbre, qui a lieu le 23 juin {¦*) et où se rend chaque année une quantité considérable de malades.
I. — Etude de la Relique.
1° Sa nature. — On n'est pas d'accord sur la constitution même de la Relique humaine, qui a été pourtant décrite en prose et en vers [Poème d'Yves Ropartz,), en latin, en breton et en français!
(I) Nous empruntons à la Galette médicale de Paris cet article si documenté de noire confrere le D' Marcel Beaudouin.
(î) Traoun-Meriadecest le nom du vallon où se trouve la ville de Saint-Jean; il est resserré entre deux montagnes abruptes et pittoresques. C'est l'ancienne déno-mlnaUon du village. — Meriadec parait être un saint breton, honoré en ce Heu avant saint Jean-Baptiste.
(3) Xe pas le confondre avec Saint Jean FEvangèliste (Sant lann Aviele, en breton), dont la fôte tombe le 27 décembre, et qui est un saint peu vénéré en Bretagne.
(4) C'est-à-dire la veille de la Saint-Jean, qui tombe le 24 juin de chaque année. Les assemblées profanes ont toujours lieu la veille ou le lendemain des fêtes chrétiennes.
l°)Pour le Père Albert le Grand, le classique hagiographe de la contrée, il s'agirait, non pas du pouce, comme on l'a dît, mais de Vindex.
« Sigebert, afiïrme-t-il ('), en son Chronicon sur l'an 613, et saint Grégoire de Tours [livre I de la Gloire des Martyrs), disent que le Pouce de saint Jean fut apporté par une femme à Saint-Jean de Maurïenne, en Savoye... Et nos lïretons armoricains de la paroisse de Plougaznou, près de la ville de Morlaix, au diocèse de Tréguer, assurent qu'ils ont le Doigt, dont Jésus-Christ fut montré (*), lequel se garde sévèrement et est visité de toute la province en l'église de Saint-Jean-de-Traoun-Mériadec... »
D'ailleurs, d'après la tradition, à laquelle croient tous les Créions, de façon absolue, il s'agit aussi de l'index de la main droite de saint Jean-Baptiste.
2o) Louis ïiercelin (3j s'est demandé s'il ne pourrait pas être question également du médius : ce qui est peut-être aller un peu loin dans le domaine de l'hypothèse!
3") Un paysan a affirmé, en 1893, à L. Tiercelin (*) qu'il avait vu le dit doigt, et que, pour lui, il s'agissait d'un pouce.
o. Le doigt est comme mon pouce, un peu rouge, d'un rouge violet, avec la chair bien vivante (?) à la coupure. »
Cette dernière affirmation permet d'émettre des doutes formels sur la valeur de ce témoignage : et nous n'hésitons pas à le récuser, cet homme a vu le doigt... avec les yeux de la foi !
Une seule personne nous parait avoir regardé de façon approfondie cette relique précieuse; c'est M. Aymar de Blois, en 1805! Voici la description qu'il en donne {*) « C'est évidemment la dernière phalange d'un doigt. Elle est- de couleur noire. On y distingue fort bien l'ongle; la chair parait en être desséchée; un morceau de peau déborde dans la partie inférieure et présente à l'intérieur une couleur et une substance ressemblant à celles de l'amadou. »
Il est regrettable que cet auteur n'ait pas dit quel doigtW a vu, il y a près de cent ans!
N'ayant pas pu examiner nous-méme la pièce analomique eh question, nous devons nous en tenir aujourd'hui, malheureusement, au seul témoignage — trop ancien, hélas! — d'Aymar de Blois, que d'ailleurs Tiercelin considère comme « un baragouin de gentilhomme », auquel
(1) P. Albert Le Grand. — Histoire de la translation miraculeuse du doigt de Saint Jean-Baptiste de Normandie en Bretagne.
(2) Généralement, on ne « montre ? pas une personne quelconque avec le pouce, mais avec Vindex. — C'est donc bien de Vindex qu'a voulu parler Albert Le Grand-— Le pouce serait en Savoie*
(3) Louis Tiercelin. —La Bretagne qui croit. Pardons et Pèlerinages {\- année). — Paris, A. Lemcrre, 1894, in-16% p. 143-
(4) L. Tiercelin. — Loc. cit., p. 172.
(5) Texte cité par Tiercelin [Loc. cit., p. 173).
il préfère.,, la déclaration « mieux dite » du paysan.—Que l'Histoire est donc difficile à débrouiller!
2e Origine. — Nous croyons inutile d'expliquer ici comment, de façon extraordinaire, est parvenu en Bretagne ce doigt unique en son genre (*). — Ce n'est pas très clair d'ailleurs, même dans la légende, car, à l'origine, on parle seulement « d'ossements « du martyr d'Hérodiade (3), c'est-à-dire de squelette (et par suite d'une partie uniquement osseuse). Or, à la fin de l'aventure, on se trouve, d'après Aymar, en présence d'une phalange, c'est-à-dire d'une région anatomique complète(os, peau, ongle, etc. )ï — Il y a eu là, évidemment, dès l'origine, un miracle, ou tout au moins une... substitution de débris humains!
¦
En tout cas, d'après la tradition, un doigt fut remis à Philippe, patriarche de Jérusalem, qui le garda et le confia à ses successeurs. On le conserva un long temps, illustré de plusieurs grands miracles. Mais une jeune vierge (3), nommée Técle, originaire de Normandie, le rapporta dans son pays, et fit édifier une église à Saint-Jean. Elle y déposa le doigt (M. de Kerdanet pense qu'il s'agit de S&int-Jean-du-Day, près Saint-Lo).
Le transfert de Normandie en Bretagne est expliqué par les aventures d'un jeune Breton [*), qui, finalement, découvrit « entre la peau et la chair de son poignet, le saint doigt », qui s'y était logé à son insu, pendant ses décotions à Saint-Jean dans l'église normande f5). Et, un beau
(1) Le Père Albert Le Grand a donné l'indication des endroits où se trouvent les restes de saint Jean. Il serait intéressant de les rechercher et de les étudier, si possible.
I· Tête : A Constantinople d'abord; actuellement à Rome (Eglise Saint-Sylvestre). #Face : Ville d'Amiens (Mais, si la tête est à Rome, 11 est difficile que la face soit à Amiens!)
3° Frontal : Sainte-Chapelle à Paris (Voilà qui est encore plus fort : le coronal devant d'ordinaire se trouver avec la tête!) 4* ? Fragment : Nemours.
Ô' Cendres, après l'embrasement du corps : Saint-Laurent, à Gènes (De plus fort en plus fort : on a brûlé le corps; et il en reste encore la téte, la face, etc). 6e Le pouce : Saint-Jean-de-Maurîenne. "i*Un doigt: Saint-Jeau-du-Doigt (Bretagne). 8* Un autre doigt : Ile de Malte.
Voilà du travail pour les érudïts, qui sont à la recherche des reliques humaines!
(2) On sail que saint Jean-Baptiste fut décapité en l'an 32, sur la demande de la danseuse Salomé, fille d'Hérodiade, saint Jean-Baptiste avait été jeté en prison pour avoir critiqué l'union incestueuse d'Hérode-Antipas avec Hérodiade, sa belle-sœur.
Dans un travail antérieur, nous avons montré que saint Jean était un Essénien du nom de Hanan (de Bétbanie) (M. Baudouin. Jésus médecin et la médecine des Esséniens. — Ga%. méd.de Paris, 9 mai 1903, p. lôSj.
(3) A noter l'intervention d'une jeune femme.' Or, cette intervention avait eu lieu avant l'an 613 (Voir le texte du Chronicon de Sigebert). — Il est bien extraordinaire qu'une jeune Normande ait fait le voyage de Palestine au v* ou vi* siècle!
(4) Cette fois, c'est un jeune homme qui entre en scène. — UA mour a toujours joué an grand role, en ces matières, comme à présent.
(5) Le jeune Breton faisait peut-être des dévotions à la Jeune vierge normande, par l'intermédiaire de l'objet qu'elle était censée avoir rapporté d'Orient.
a ce propos il ne faut pas oublier l'existence du culte phallique ; et, en ces matières, un rapprochement s'impose, quoiqu'il soit fort délicat de l'indiquer ici, le français, dans les mots, ne bravant pas l'honnêteté.
jour, r de la main droite du petit Brelon, qui s'ouvrit (') à la jointure du bras, le doigt de saint Jean s'envola et sauta tout droit sur l'autel de la chapelle de saint Mériadec! ».
Les miracles et les pèlerinages commencèrent ; et on construisit l'église actuelle de Saint-Jean-du-Doigt. On était au mois d'août 1440!
Depuis le début du xv* siècle, le doigt de saint Jean-Baptiste serait renfermé dans un étui en or, argent et émail, exécuté en 1429 (-). On le promène, en procession, sous un petit temple.
3° Annexe thérapeutique de la Relique: Fontaine.— Depuis le début du xvic siècle, une Fontaine a été construite près de l'église: et l'eau des vasques possède désormais toutes les propriétés dont jouit le Doigt. — C'est une façon, bien connue dans l'ouest de la France, de mettre à la portée de tous, fous les jours, les vertus curatrices du Doigt lui-même, qu'on ne peut voir et qui n'opère qu'une fois par an. — C'est ce qu'on appelle faire de la thérapeutique religieuse démocratique.
4» Nature réelle duculte. — Il n'yaurait rien d'impossible à ce qu'il y ait, en cette affaire, non seulement une superposition de culte, qui est ici évidente, mais même une interversion de pratiques religieuses.
Certes nous ne prétendons pas que le culte de fontaine ait été le premier en date, comme cela est d'usage en Bretagne, car on ne peut pas être ici aussi affirmatif; mais nous disons que celte hypothèse n'a contre elle rien d'invraisemblable.
Si elle n'est pas exacte, il est certain, par contre, que ce culte de l'eau, très habituel en Finistère avant le Christianisme, s'est superposé dans ce cas à une pratique chrétienne, en raison de ea force de résistance et de sa survivance en ce pays si attaché aux coutumes préhistoriques.
Gemme nous le signalons plus haut, peut-être même le cuttedece doigt n'est-il qu'une transformation du culte phallique, opérée au début du Christianisme, c'est-à-dire bien avant le récit de Sigebertf3).
Mais on comprend que nous n'insistions pas davantage sur cette nouvelle théorie; car, jusqu'à présent, elle n'a pour elle qu'une analogie matérielle, et pas la moindre preuve, au sens propre du mot.
IL — Mode d'emploi du Doigt et de l'Eau.
1° Doigt. — On n'utilise les vertus thérapeutiques du Doigt que le jour du Pardon, le 23 juin de chaque année(4). On le sort au moment de
(1) Rappelons aussi qu'il ne faut pas s'étonner de voir le dit doigt entrer dans un bras; certaine déesse est bien sortie de la cuisse de Jupiter! (î) Roanne. — Bretagne. Paris, Hachette, 1890, p. 259.
(3) Ne pas oublier, en effet, qu'on est au pays des menhirs. — A noter cet aveu du poète catholique TIercelin : « L'Eglise, qui monte si svelt*-, semble un index géant de pierre, qui montre le ciel ! Le vrai doigt de saint Jean, le voilà, levé vers l'Infini! »
Il faut se souvenir aussi que, le jour du pardon, on dresse a une sorte de menhir d'ajoncs (culte ancien), que surmonte une croix de fleurs (culte catholique), d'où part un cable qui va se fixer à l'un des clochetons du clocher. »
(4) A ce pardon, bien entendu, on vend de YHerbe delà Saint-Jean. — En Bretagne au moins, on désigne sous ce nom : 1* Glechoma hederacea (Linné), ou lierre
la Procession, et le fait figurer, posé dans un petittemple, au milieu des autres reliques (*}.
D'après Tiercelin, le doigt serait placé aujourd'hui dans un étui de cristal.
Au moment voulu, on se fait, au devant de l'autel, donner le doigt ; et il y a alors une bousculade générale entre les malades, qui se précipitent en ce moment vers le piètre, présentant la relique.
* Se faire donner ledoigt » signifie se le faire appliquer sur Vceil par la main du prêtre.
D'après la légende, que racontent sans hésiter les Bretons, il est « certain que la chair du doigt saigne le jour du pardon, et que l'ongle pousse tous les ans ! »
La cérémonie religieuse consiste d'ailleurs dans ce fait que le prêtre doit sortir tous les ans le doigt du reliquaire, et avec de petits ciseaux, lui couper l'ongle, avant de le replacer dans sa boite.
2e L'eau sacrée. — a) L'eau de la fontaine est à la disposition de tous les estropiés, qui, tous les jours, peuvent venir en ootre, ou s'en servir pour se neftoyer les yeux.
b) Dans la nef gauche de l'église, il y a un bassin spécial, « que remplit incessamment une eau où fut plongé le Saint-Doigt (Dour Bis). On s'en frotte les yeux ou le visage ; ou bien on la fait couler sur la partie malade du corps.
III. — Propriétés thérapeutiques du Doigt et l'Eau de la Fontaine.
A l'heure présente, le Doigt de Saint-Jean présente des propriétés thérapeutiques nombreuses, comme le prouvent les différentes sortes de malades qui suivent le pardon.
« On voit là. en effet, dît Pol de Courcy, la plus affreuse réunion à'estropiés que la Bretagne renferme, étalant toute l'horreur de leurs plaies... » Et, on désigne sous le nom de Miraclou (ayant éprouvé l'effet d'un miracle) a les gens guéris dans l'année par l'attouchement du doigt et par l'eau de la fontaine... »
«Je n'ai jamais vu plus beau groupement d'infirmes, dit Tiercelin, réunion plus mirifique de loqueteux, étalage plus prodigieux de béquilles et de bâtons... Une vieille femme aveugle, chante... Plus loin, un beau grand aveugle ; entre ses jambes, son fils, aveugle aussi.... »
Mais, en réalité, comme on vient de le voir, la spécialité du Doigt, c'estl'OpHTHALMOLOGiE (Maladie des Yeux).
terrestre, Labiée bien connue de la famille des Népétées; 2° et le Millepertuis {Hypericum perforatum), qui est dit aussi Herbe de la Saint-Jean en beaucoup de régions de l'Ouest (Voir plus loin). — Le soir on allume partout les feux (tantad) de la Saint-Jean.
(1) Les autres reliques sont : a) Un buste d'argent, contenant une relique de saint Jean (Tiercelin) (?) ; b) Un bras d'argent, renfermant un ossement de saint Mandej ou Mandé (P. de Courcy), autre relique humaine : c) Le chef de Saint-Mériadec (P. de Courcy).
On ne sait vraiment trop pourquoi ; et nous ignorons s'il y a un rapport quelconque entre ces faits et l'expression bien connue : Se mettre le « doigt » dans l'œil !
Toutefois, nous croyons pouvoir risquer l'hypothèse ci-dessous. — D'après la plupart des auteurs, VHerbe de la Saint-Jean, en Bretagne ('), serait surtout une variété de Millepertuis (Hypericum perforatum, L.J. Et, cette plante, cueillie le jour de la Saint-Jean, le 24 juin, époque où elle est déjà fleurie (2J, acquerrait, par ce seul fait, la propriété de guérir les maux d'yeux (Tradition fort ancienne : Médecine préhistorique/.
Les ouvrages de pharmacologie disent d'ailleurs que le Millepertuis [la plante porte ce nom en français parce que ses feuilles, regardées par transparence, semblent percées de mille petits pertuis; genre Hypericum (uîtÎû, dessus ; e????, image), espèce perforatum, perforé, c'est-à-dire à feuilles perforées] a été recommandé en thérapeutique préhistorique (nous préférons ce qualificatif à celui de populaire, car il est plus scientifique!, sinon exclusivement pour les affections oculaires, du moins pour un grand nombre de maladies. C'est, en outre, depuis longtemps une plante douée de vertus surnaturelles ; d'où son nom chrétien de Chassediable. Il ne faut pas confondre cet Hypericum avec VHypericum androsœmum {Androsxmum officinale) ou Toute-saine, autre plante connue en pharmacopée ancienne. L'Hypericum incolatum est d'ailleurs préconisée à l'Ile Bourbon contre la syphilis ; or, on sait que cette maladie a des manifestations oculaires fréquentes en Bretagne.
Pour nous, c'est là l'origine de la vertu thérapeutique du Doigt de Saint-Jean et l'explication de sa spécialisation aux maladies oculaires; et on trouve là encore l'utilisation parla religion chrétienne, dans le but de réaliser un miracle, d'une pratique de médecine populaire, c'est-à-dire d'un culte préhistorique.
Il est indiscutable, en effet, que l'origine des fêtes chrétiennes de la Saint-Jean doit être recherchée dans des fêtes gauloises, avec feux (3), correspondant à peu près à la même époque, c'est-à-dire au solstice d'été (21 juin), et en rapport avec le culte du Soleil, connu dès l'époque mégalithique, et resté en vigueur chez les Gaulois [cuiie de Belen, (analogie avec Baal des Orientaux), dieu solaire de ce peuple].
«
H n'y a pas là, d'ailleurs, que des aveugles et des infirmes : on y rencontre des affections, faciles à diagnostiquer, grâce aux descriptions détaillées des poètes.
Voici, dit Tiercelin, « un bras tortueux qui ressemble à un cerceau
(1) E- Belloc. — Le brandon de la Saint-Jean. — Nature, Paris, 1903, 27 juin, 5S-59-
(2) Elle fleurit de juin à août,d'après Douteau Flort de Vendée, Paris I. B. S., 18S6).
(3) Ces feux sont surtout des feux de joie, encore en usage en Bretagne, en Vendée, dans les Pyrénées, etc.
[Rachitisme]; au bout de cet effroyable cercle de peau humaine, que l'os est prêt de percer au coude, s'allonge une main énorme, qui semble avoir dix longs doigts [Polyd&ctylie].....Pieds difformes, tous bossues, gonflés d'effrayantes purulences [Suppurations chroniques, probablement tuberculeuses], ou d'un rouge lie de vin, prêts à crever au moindre choc qui entr'ouvrirait cette peau reluisante, toute fine, à force d'être tendue [Abcès non ouvert]... Et les jambes, sur lesquelles s'aggloméraient des croûtes jaunâtres et de sanglants boutons [Ulcères variqueux ; affections cutanées diverses, etc.]- »
Plus loin, « un innocent » [c'est-à-dire un feeble-minded, comme disent les Américain !]
iv. — Les Cubes historiques du Doigt.
1° Guérison des Anglais (devenus aveugles) qui avaient vole le doigt, lors d'un débarquement à Primel, point de la côte bretonne peu éloigné [après 1440]. — Fait probablement historique, déformé par la légende.
C'est depuis cette époque que le doigt est vénéré spécialement pour toutes les maladies des yeux.
2e En 1506, la Reine Anne, « incommodée d'une déflexion qui lui était tombée sur l'œil gauche », alla en pèlerinage à Saint-Jean. — On lui montra « à nud » le doigt et a l'appliqua sur son œil ». — La Reine partit sans doute guérie.
On attribue à la munificence de cette reine la fontaine ou château d'eau, désormais objet journalier de la dévotion des pèlerins.
BIBLIOGRAPHIE
Bégaiement et autres maladies fonctionnelles de la parole ('), par M. le Dr Chervin. — vol. de 500 pages.
Les médecins sont quelquefois consultés pour donner leur avis au sujet d'un bégaiement ou de tout autre défaut de prononciation qui inquiète une famille. Comme ces affections ne sont pas décrites dans les traités classiques de pathologie, ceux qui n'ont pas eu l'occasion de s'en faire une idée personnelle sont souvent embarassés pour répondre et môme faire le diagnostic.
Sous ce titre : Bégaiement et autres maladies fonctionnelles de la parole, M. le Dc Chervin, Directeur de l'Institut des Bègues de Paris, dont la compétence est bien connue, vient de rédiger un nouveau résumé des notions cliniques fondamentales indispensables à connaître sur quelques troubles fonctionnels de la parole et notamment sur le bégaiement.
La faveur aveclaquelleont été accueillies les deux premières éditions, les hautes récompenses dont elles ont été honorées par l'Institut de
(1) Société d'éditions scientifiques, 4, rue Antoine-Dubois.
France et par l'Académie de Médecine, montrent assez que ce livre venait à son heure..
Tout en conservant à la troisième édition le caractère élémentaire et abrégé qui a permis d'apporter une très grande clarté dans cette question si complexe, M. Chervin l'a augmentée cependant de nouvelles considérations pleines d'intérêt.
Dans une première partie, après avoir montré le rôle de la parole dans la Société, M. Chervin propose une classification des troubles de la parole, basée sur l'analyse des actes qui constituent le langage articulé.
La deuxième partie est consacrée à l'étude du bégaiement : historique, étymologie et linguistique comparées, statistique, diagnostic du bégaiement proprement dit, traitements divers du bégaiement, historique du traitement par la méthode Chervin, traitement du bégaiement par la méthode Chervin. consultation médicale, le bégaiement au point de vue médico-légal. Ces divers points sont traités avec une clarté et une précision remarquables. M. Chervin insiste tout particulièrement sur les signes du bégaiement vrai, de façon à permettre un diagnostic facile.
La troisième partie est relative à la blésité et à ses variétés : zézaiement, sesseyement, jotacisme, clichement, etc. Ce sont des défauts de prononciation très fréquents, surtout dans le sexe féminin, et qui donnent à ceux qui en sont atteints un air de niaiserie tout à fait fâcheux. 11 est donc important d'indiquer de quelle manière il faut les faire disparaître. Il parle également du grasseyement, de la voix eunukoïde et du nasillement.
Psyehopathologie légale générale, t. II. ; par loPr. PaulKovALEwsKi.CJ
Ce volume, le deuxième de la série des cours faits à l'Université de Saint-Pétersbourg, est consacré à l'étude des déviations pathologiques générales de l'activité mentale humaine, qui prennent contact avec la justice. Après des données générales, l'auteur étudie successivement les divers troubles des organes sensoriels, les troubles intellectuels, les altérations du moi, les troubles affectifs et émotifs (jalousie, pathophobie, goûts dépravés pour les substances alimentaires, perversions génitales, phénomènes impulsifs), les troubles moteurs, les troubles du langage (chapitre très intéressant sur les écrits des aliénés), l'automatisme, l'état hypnotique, le somnambulisme, l'assoupissement, les songes, le réveil, les troubles trophiques et sécrétoires. Partant de la normale pour chaque cas particulier, l'auteur s'attache à démontrer comment cet état normal, se dévie comment il arrive progressivement à l'état pathologique et quelles modifications subit pendant cette évolution laresponsabilité de l'individu. Chaque chapitre est illustré de cas clini-
(I) Libr. Vigot, Paris, 1903.
ques nets et précis puisés dans la littérature médicale et qui gravent d'une façon parfaite dans l'esprit la démonstration de l'auteur.
Dans la seconde partie du volume, Kovalewsky étudie les causes des maladies mentales. Successivement il passe en revue les névroses et psychoses traumatiqucs, l'état puerpéral, la gestation, la parturition, les suites de couches, la lactation. L'aliénation mentale peut-elle être une cause de divorce? Après exposé et discussion des diverses opinions émises, l'auteur n'hésite pas à conclure, avec Charcot et Magnan, par la négative. Vient ensuite la simulation dans les maladies mentales, le volume se termine par l'étude de l'évolution des psychoses, les rémissions, les intermittences, les intervalles lucides.
On voit par ce rapide résumé la somme des matériaux accumulés dans ce volume. Disposés avec ordre, discutés et mis en valeur, d'une lecture facile et attrayante, ils font de cet ouvrage un des plus instructifs et des moins arides des précis de médecine mentale judiciaire et rendront les plus grands services aux médecins experts.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 15 décembre 1903, à 4 heures et demie, au Palais dc3 Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le D'Jules Voisin, médecin de la Salpétrière.
Communications inscrites :
— Dr Le Menant des Chesnais : Observation de vertige delà locomotion
? traitée avec succès par la suggestion hypnotique. ^ Dr Bêrillon : Le bégayement graphique et son traitement psychothérapique.
—- Dr Aragon : Psychopathies d'origine utérine.
—Dr Damoglou (du Caire) : Observations de psychothérapie.
D' Jaguaribe (de Sao-Paulo] : Deux années de pratique psychothérapique à l'Institut psycho-physiologique de Sao-Paulo* —- Dr Paul Farez : L'analgésie obstétricale et la narcose éthyl-méthylique.
Les séances de la Société ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois, à 4 h. et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bêrillon, secrétaire général, •?, rue Castellane, et les cotisations à M. le D' Farez, trésorier, 93, rue de Courcelles.
Banquet du Dr Rivière Discours prononcé par le Dr Bérillon
Il y a quelques jours les nombreux amis du D' Rivière lui offraient un banquet. Sa nomination dans la Légion d'honneur en était le prétexte. La sympathie et l'estime qu'inspire ce médecin distingué et ce bon confrère avaient groupé dans la grande salle du Palais d'Orsay cent cinquante convives désireux de donner à Rivière un témoignage de leur amitié.
La fête était présidée par M. Brunei, député de la Réunion, qui avait à ses côtés. MM. Lancereaux, président de l'Académie de médecine, et Drouhet, sénateur de la Réunion. Dans l'assistance on remarquait un grand nombre de médecins connus et parmi eux le Dr Landrieux, l'émi-nent médecin de Lariboisière, le Dr Bilhaut, chirurgien de l'hôpital international, le D' Herbert, médecin de l'ambassade d'Angleterre, Eugène Dupuy. le collaborateur de Brown-Séquard, Besançon, directeur du Journal de médecine interne, Bérillon. médecin inspecteur des asiles d'aliénés, Philippeau, président du Syndicat des médecins de la Seine, Collet, médecin de la légation de Belgique, de Christmas, médecin de la légation du Danemark, Fort, Peyré, Pioger, de Barbavara. A la fin du banquet de nombreux discours furent prononcés par M Brunet, président, par MM. les D'1 Lancereaux, Besançon, Bérillon, Foveau de Courmelles, Mazery, Cogrel et par M. Edgar Gallet, au nom de la colonie mauricienne de Paris. Tous ces discours furent accueillis par de chaleureux applaudissements, mais le discours du D' Lancereaux fut l'occasion d'une ovation toute spontanée en l'honneur de ce maître eminent et vénéré. Faute de place nous nous bornons à reproduire le discours prononcé par notre rédacteur en chef.
Discours du D' Bérillon
Je suis d'autant plus heureux de prendre la parole dans cette belle réunion que je suis un des plus anciens camarades de Rivière. J'ai passé ma thèse, comme lui, en 1884. C'est donc un camarade de promotion qui lui apporte, par ma voix, le témoignage affectueux de ceux qui l'ont connu et estimé dès le début de sa carrière.
Parlant de ses compatriotes, le grand dictionnaire Larousse s'exprime ainsi : « Les habitants de l'île Maurice, affables, polis, bien faits, sont braves et intelligents ». A ce portrait, j'ajouterai qu'une des caractéristiques du Mauricien c'est la loyauté et la franchise. En effet, sans méfiance à l'égard des compétitions et des embûches des autres hommes, il ne connaît ni la ruse, ni l'astuce, démontrant ainsi, qu'il possède au plus haut degré l'apanage des esprits véritablement civilisés.
C'est l'impression que m'ont donnée les nombreux Mauriciens avec lesquels j'ai eu la satisfaction d'être en relations suivies. Parmi eux je citerai les noms de Brown-Séquard, d'Eugène Dupuy, dont j'ai suivi les enseignements, d'Auguste Guimbeau, qui collabore avec assiduité aux
travaux de l'Ecole de psychologie et, enfin celui de Rivière, dont je m'honore d'être l'ami.
A l'âge où les hommes se montrent uniquement préoccupés de la réalisation de leurs besoins personnels, Rivière présentait à la Faculté de Médecine de Paris, une thèse philosophique où la hauteur des vues s'allie à la hardiesse des conceptions. Dans ce travail intitulé : Du Positivisme en médecine par la fonction nerveuse. Rivière se révélait sous l'aspect d'un esprit novateur et créateur, dégagé des liens qui paralysent les cerveaux inféodés aux doctrines officielles.
Il démontrait que le système nerveux, comme un bon tyran, domine toutes les fonctions de l'organisme physiologique. Il désignait d'un nom heureux la hiérarchie à laquelle sont soumises les fonctions organiques, et, l'Opposant à l'état d'anarchie qui caractérise l'état de maladie, il appelait névrarchie l'ordre et l'équilibre réalisés par le système nerveux.
En 18S4, il était fort audacieux de soutenir do telles idées devant la Faculté de Médecine de Paris. Les questions psychologiques étaient non seulement négligées, mais dédaignées. Rivière, par ses théories devenues aujourd'hui courantes, est de ceux qui ont préparé la réconciliation, si longtemps attendue, de la médecine avec la psychologie.
Soutenu par une foi d'apôtre, il s'applique à convaincre ses juges que le rôle du médecin n'est pas seulement professionnel, mais qu'il est surtout moral et social. Il avait fait sienne la doctrine qui proclame que le médecin doit avec son malade dépenser son esprit et son cœur.
La lecture de quelques lignes de cette thèse remarquable à tant d'égards suffira pour en marquer les tendances générales :
Cette partie de la thérapeutique qui s'adresse au moral, disait Rivière, est peut-être la plus fructueuse, mais aussi la plus difficile. Aussi sommes-nous convaincus que, pour être bon médecin, il faut être profond observateur. Il faut connaître le cœur humain et ses passions, en même temps que l'organisation physique de son client.
Le malade, d'ailleurs, surveille, anxieux l'expression de notre visage : prenons garde de laisser paraître sur nos traits les craintes que nous inspire son état ; appliquons-nous au contraire à le rassurer. Evitons d'encourir le reproche que faisait un client à son médecin : « Vous ne me guérissez pas, vous ne me soulagez pas, vous ne me consolez pas ! »
La corrélation qu'ont entre elles les fonctions nerveuses nous permet de comprendre le fait que nous constatons et nous explique les avantages que nous pouvons retirer de la mise en jeu des actions morales. La vie morale a une si grande influence sur la vie physique, que Claude Bernard a constaté combien les maladies deviennent de plus en plus nombreuses et de plus en plus complexes, à mesure que les facultés psychiques se développent davantage. C'est parce que le moral est dans le. système nerveux et que celui-ci préside aux actes morbides comme aux actes médicateurs, qu'il faut tenir un grand compte de l'action morale au lit du malade.
Rivière concluait de cette action réciproque du moral sur le physique
que la fonction nerveuse 'centres cérébro-spinaux et grand sympathique) lui semblait condenser en elle toute la médecine future.
Après avoir formulé la théorie, il se met sans tarder à rechercher les moyens par lesquels on pourrait régénérer et activer la fonction du système nerveux.
Pendant que d'autres, obéissant aux mêmes préoccupations, s'adonnaient à l'étude des agents psychologiques et moraux, tels que l'hypnotisme, la suggestion, la psychothérapie, Rivière s'engageait dans la voie parallèle en faisant appel à l'action de tous les agents physiques. Bientôt il arrivait à la notion qu'on ne peut obtenir de résultats positifs et durables sans un outillage complet et il voulut être te médecin physicien le mieux outillé de Paris et de l'Etranger. Il est le premier qui ait utilisé simultanément toutes les ressources des agents physiques et ait démontré la puissance et l'efficacité de leur association. A ce point de vue il faut lui reconnaître dans le domaine de la physiothérapie, une priorité que nul esprit de bonne foi ne songera à lui discuter.
La récompense que vient de lui décerner le Gouvernement français arrive à son heure. Elle est la consécration d'une œuvre d'initiative personnelle du plus haut intérêt.
Rivière doit avoir d'autant plus de joie à recueillir nos suffrages que lorsqu'un médecin, indépendant comme lui, reçoit la Légion d'honneur, c'est qu'il doit l'avoir méritée dix fois.
En levant mon verre en l'honneur de Rivière, j'ai donc la satisfaction de porter un toast à la probité, à la droiture, à l'esprit d'initiative c'est-à-dire à cet ensemble de qualités supérieures qui caractérisent le gentleman et l'homme d'honneur.
Charlatanisme et suggestion aux États-Unis.
Trois mille croisés sionnistes de Chicago viennent de séjourner à New-York. Leur chef, le Dr Dowie, qui a pris le nom du prophète Elie, voyageait, avec son état-major, dans le train, magnifiquement installé, qui servit au président Roosevelt, lors de sa grande tournée dans l'Ouest: Ce qui ne concordait guère avec le but de la croisade, qui était dirigée contre l'abus des richesses et contre la « forteresse du capital », c'est-à-dire la Bourse de New-York. Cinq cents sionnistes étaient en uniforme guerrier et formaient la « garde de Dowie » ; six cents choristes en surplis accompagnaient « l'armée ».
Les croisés campaient à Madison Square Garden. Il y avait trois meetings par jour. Le Dr Dowie dans son wagon, spécial, qui avait été rangé sur un garage, imprimait ses manifestes et proclamations et un journal quotidien pour répondre aux quolibets des Newyorkais qui s'amusaient fort de cette équipée.
Le prophète, qui a moins de soixante ans, est d'apparence imposante. Il a la voix forte, l'œil pénétrant et, bien qu'il affecte le maintien grave
de l'emploi, il ne dédaigne pas de sourire et de recourir aux expressions les plus pittoresques pour traduire sa pensée, « Le prophète Elie » devait aller jusque dans la Bourse tenter de convertir les « spéculateurs sans scrupule » et les inviter à le suivre. Mais voilà qu'un autre prophète qui a beaucoup fait parler de lui dans l'Ouest, comme guérisseur, Joseph Schlatter, et qui a pris le nom de Jean-Baptiste, vient d'arriver à New-York et va tenir des meetings pour combattre le prophète Elie et le sionnisme.
On rappelle à ce propos que le Dr Dowie se lança dans une semblable aventure à Londres, il y a quelques années, et s'en tira lamentablement.
Ce n'est pas une personnalité banale que ce D' Dowie, malgré ses allures de charlatan. Il est d'origine écossaise et débuta comme petit employé, sans ressources. Depuis douze ans il a fait parler de lui, et il n'y a qu'un an ou deux il a créé, à proximité de Chicago, la ville de Sion, l'a peuplée de dix mille personnes qu'il a endoctrinées et qu'il mène comme des écoliers. Là où il n'y avait, il y a quelques années, que quelques fermes, s'élève une cité bien ordonnée et prospère, où il est le maître absolu, et l'on dit que, si Dowie se retirait aujourd'hui de la prédication, ce serait avec une fortune faite, qu'on évalue de cinquante à cent millions de francs.
Quand quelqu'un des a sionnistes » est malade, il doit adresser au prophète une lettre demandant qu'on prie pour sa guérison. Dowie prend ces lettres et, avec des gestes rituels plus ou moins impressionnants, les place dans la machine à prier, qui n'est qu'une sorte de presse, d'où elle sort avec cette mention imprimée : « Prière dite à telle heure ». Si, après cela, le sionniste n'est pas guéri, c'est qu'il y met de la mauvaise volonté. D'ailleurs, il n'y a pas d'autre médecin que Dowie dans Sion City où les pharmacies, comme les cabarets, sont inconnues.
Si grand est l'ascendant du « prophète » que jamais il ne s'élève un murmure et, avec cette discipline pourtant absurde, la ville croit et se développe d'une manière extraordinaire. Les affaires y sont très actives ; la principale industrie est celle de la dentelle qui y a été introduite par des emigrants anglais. Si Dowie n'est pas un prophète, c'est en tout cas un grand business man, « un capitaine d'industrie » à sa façon et, à ce titre, les boursiers de New-York, au lieu de repousser l'attaque « d'Elie II », auraient dû lui faire une ovation.
Mais voici que presque la moitié de son armée s'est gravement enrhumée à New-York, grâce à la baisse subite de la température et à la défectuosité de l'équipement des croisés. Des Sociétés philanthropiques se sont occupées de confier ses malades aux soins des hôpitaux. Le Dr Dowie, loin de se décourager, a vu là l'action du ciel qui lui permettra de distinguer « les grains de l'ivraie ». « Ceux qui ne recouvrent pas facilement leur santé, a dit le prophète, manquent de foi et méritent de périr. »
Les faits qui précèdent jettent une certaine lumière sur l'état de suggestibilité que manifestent un grand nombre d'habitants des Etats-
Unis. Ces foules crédules, obéissant à la voix d'un agitateur, se comportent comme si elles étaient composées de représentants de races inférieures et comme si leur civilisation n'était qu'apparente.
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie
Ecole de psychologie. — Cours. — Les cours de l'Ecole de psychologie reprendront le lundi, 11 janvier, à cinq heures, au siège social, 49, rue Saint-André-des-Arts. Le programme détaillé des cours sera publié dans le prochain numéro.
Les cours seront faits par MM. Bérillon, Paul Magnin, Félix Regnault, PaulFarez, Watteau, Lemesle, Caustier, Lépinay.
M. le Dr Legraln, médecin en chef de Vaucluse, a été nommé professeur titulaire et chargé d'un cours de psychiatrie.
Conférences hebdomadaires. — Les conférences hebdomadaires reprendront le vendredi 15 janvier, à 8 h. 1/2 du soir, et continueront les vendredis suivants, à la même heure.
Conférences cliniques. — Les conférences cliniques sur les applications de l'hypnotisme a la psychothérapie et à la pédagogie, reprendront le jeudi 14janvier, à 10 h. 1/2 du matin. Elles seront dirigées par les D" Bérillon, Magnin et Paul Farez. On s'inscrit les jeudis à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Cours a Lille. — M. le D' Paul Joire, professeur correspondant à Lille, a repris son cours d'hypnologie et de psychothérapie le mercredi 4 novembre, à 8 h. 1/2 du soir. Il le continuera tous les mercredis, jusqu'au 26 mai.
Salpétrière. — M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpètrière, reprendra son cours le jeudi, 7 janvier, à 10 heures. Sujet du cours : l'Education des enfants assistés. Ce cours s'adresse aux médecins et aux instituteurs d'enfants arriérés.
Ouvrages déposés a la Revue
Bérillon et Farez : Comptes-rendus du 2e Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique. in-S° 350 p. Vigot, édit., place de l'Ecole de Médecine et bureaux de la Revue de l'Hypnotisme. Prix: 10 fr.
D* Marage : Mesure et développement de l'audition chez les sourds-muets. Masson, Paris. In-4° de 68 pages, 1903.
Dr Bellemanière : Etude de l'action de la photothérapie sur l'adénite et l'arthrite tuberculeuse. In-8° de 77 pages. Jouve. Paris, 1903.
Dr J. Grasset : Le spiritisme devant la science, avec une préface du professeur M. Pierre Janet. Masson, in-12, 4'jû pages. Paris, 1903.
Victor Henri : La magie dans l'Inde antique, in-!2 broché, 286 pages. Dujarric. éditeur. 1904. Paris.
18e Année. — ?· 7- ·
Janvier 1904.
BULLETIN
Les cours de l'École de Psychologie
La réouverture des cours de l'Ecole de psychologie aura lieu le lundi 11 janvier, à cinq heures du soir, sous la présidence de M. le professeur Blanchard, membre de l'Académie de médecine, professeur à la Faculté de Médecine.
La leçon d'ouverture sera faite par notre collègue M. le Dr Paul Farez, sur les Sommeils pathologiques.
Ainsi, tout en restant fidèle à son programme, l'École de psychologie montre qu'elle a le souci des questions d'actualité. En effet, nous entrevoyons déjà dans les communications présentées récemment par M. le professeur Blanchard, à l'Académie de Médecine, sur la maladie du sommeil, des enseignements dont la psychologie ne pourra que s'inspirer. Il est possible que la pathologie, en permettant d'isoler dans la substance cérébrale, le centre du sommeil, confirme une hypothèse exprimée déjà par de nombreux savants et exposée dans la revue La Nature par M. le Dr Cartaz.
C'est pour cela que nous avons demandé à notre maître et ami M. le professeur Blanchard de vouloir bien nous exposer les faits les plus récents qui ont été observés dans la question si importante, même pour les psychologues, de la maladie du sommeil.
Cette année, les anciens professeurs de l'École MM. les Dr Bérillon, Paul Magnin, Félix Regnault, Paul Farez, Wat-teau, Caustier et Lépinay continueront leur enseignement. Nous aurons de plus le plaisir d'inaugurer un nouveau cours, celui de Psychiatrie, qui sera professé par un des hommes les plus compétents en la matière, M. le Dr Legrain, médecin en
chef de Ville-Evrard, dont les travaux sur l'aliénation mentale et sur l'alcoolisme font autorité.
Les cours seront complétés comme les années précédentes, par des conférences hebdomadaires qui auront lieu les vendredis à huit heures et demie du soir, à partir du 15 janvier. Le programme de ces conférences comprend des sujets variés se rapportant à toutes les questions de psychologie. Les conférenciers seront pour 1904, MM. les D" Jules Voisin, Bérillon, A. de Jong (de la Haye], Paul Joire (de Lille), M. le professeur Baron, de l'Ecole d'Alfort ; M. Luisant, examinateur à l'Ecole Polytechnique ; M. Baguer, directeur de l'Institut départe, mental des sourds-muets; M. Valentino, chef do bureau au ministère des Beaux-Arts, et M. Malapert, professeur au lycée Louis-le-Grand.
Comme nous l'avons déjà dit, ce qui caractérise l'École de psychologie ; c'est qu'elle est une œuvre d'initiative absolument désintéressée. Les professeurs et les conférenciers n'ont qu:un seul but, propager des idées saines, continuées par l'expérience, et en même temps mettre le public en garde contre les doctrines dépourvues de contrôle scientifique.
L'enseignement de l'École de psychologie est public. Il s'adresse aux médecins, aux étudiants, aux esprits désireux de connaître les acquisitions scientiliques réalisées dans le domaine de la psychologie positive et de la sociologie. Les lecteurs de la Revue de l'Hypnotisme sont personnellement invités aux cours et aux conférences.
La grande hypnose chez les grenouilles en inanition,
par Micheline Stepanowska, docteur ès-sciences de la Faculté de Genève (suite) (1).
Plusieurs années après la communication de Preyer parut le travail d'Emile Heubel dans lequel l'auteur discute longuement les mêmes phénomènes, en s'appuyant sur ses recherches propres. Il a entrepris de nombreuses expériences sur les grenouilles d'hiver et d'été (Rana temporaria), à la température de la chambre variant de 12° à 19'. Il renverse la gre-
(1) Voir Revue de G Hypnotisme, numéro de Décembre 1903.
(2) E. ! i. Ueber die Abhàngigkeit der waclien Gehirn^ustandes von âusseren Erregungen. {Pflr.ger's Archiv, Us",, Bd XIV.)
nouille sur le dos et l'empêche de se lever. L'animal, après quelques essais de se retourner, se tranquillise en une ou deux minutes ; on le laisse alors libre, mais on tient le creux de la main du côté de sa tête pour empêcher l'influence de la lumière. Alors, en cinq à quinze minutes, la grenouille cesse complètement de se mouvoir et reste dans une immobilité absolue pendant une à six heures. Heubel observe que la durée de cet état est certainement très différente chez les différents individus; cependant les conditions extérieures ont ici une influence prépondérante. Pour que l'expérience réussisse et dure longtemps, il faut éviter tout obstacle extérieur, tout ébranlement de l'animal, et surtout le bruit, même éloigné. Une tranquillité absolue, en particulier pendant la première demi-heure, est nécessaire pour la production d'une immobilité durable chez la grenouille.
Les phénomènes caractéristiques qui accompagnent cet état sont les suivants : les hémisphères cérébraux et les régions sous-jacentes cessent de fonctionner ; les mouvements volontaires n'apparaissent point ; l'animal perd la notion de sa position, ainsi que la faculté de corriger cette position. Ensuite, l'activité de la moelle allongée se montre sensiblement abaissée, car les mouvements respiratoires deviennent plus faibles, le nombre et surtout la profondeur de ces mouvements s'abaissent énormément. Les battements du cœur sont aussi ralentis dans certains cas. Enfin, les fonctions de la moelle épinière s'affaiblissent ; le pouvoir réflexe apparaît plus ou moins diminué, car on peut toucher légèrement avec les doigts les parties molles de l'animal sans qu'il se réveille; de même, il ne réagit pas quand les mouches se promènent sur son corps. De plus les muscles sont constamment relâchés et ce relâchement est d'autant plus grand que le sommeil est plus profond. Chez les grenouilles immobilisées, les paupières sont fermées, la peau est très fortement pâlie. Heubel a observé aussi chez de telles grenouilles les états cataleptiques, toujours au commencement de l'expérience.
Quanta l'explication du phénomène, Heubel lui attribue une signification toute différente de celle que lui donnèrent ses prédécesseurs. Selon lui, cet état d'immobilité n'est autre chose que le sommeil ordinaire plus ou moins profond. Il a observé des faits qui n'appuient pas les considérations de Czermak ni de Preyer sur ce sujet, Czermak déclare, en effet, que l'immobilité provoquée chez les animaux est un vrai état hypnotique, car on peut produire le sommeil par les excitations visuelles. Or le
non fondé de cette opinion peut être démontré par ce fait, dit Heubel, que la soi-disant « hypnose » réussit parfaitement bien chez les animaux aveuglés, chez les grenouilles avec les nerfs optiques sectionnés, ainsi que chez les oiseaux dont les yeux ont été bandés avant l'expérience.
Heubel combat aussi l'opinion de Preyer (la peur) pour les raisons suivantes : Ie il arrive souvent que les grenouilles et les oiseaux tombent dans l'immobilité, sans même opposer la moindre résistance; 2° une grenouille, après l'ablation des hémisphères, tombe dans l'immobilité tout aussi facilement et aussi vite qu'une grenouille normale, et l'expérience possède les mêmes caractères et la même durée que chez les grenouilles normales. De plus, le phénomène réussit même avec les grenouilles privées complètement de toutes les parties du cerveau et qui ne conservent plus que le bulbe et le cervelet.
En s'appuyant sur ces faits positifs, Heubel pense qu'on est ' autorisé à en tirer la conclusion que l'immobilité provoquée chez un animal n'est pas un phénomène de conscience, ni un acte de « peur résignée » comme le veut Preyer. « C'est un sommeil naturel pur et simple. »
Le travail de Heubel renferme donc la description des faits principaux qui caractérisent cet état d'immobilité chez la grenouille. Ces données générales ont été ensuite confirmées par Danilewsky et par moi-même au cours des recherches actuelles. Cependant, je ne puis nullement partager l'interprétation donnée par Heubel à ce phénomène, car des expériences nombreuses m'ont démontré que l'état général de la nutrition de l'animal joue ici le rôle prépondérant, comme nous le verrons dans la suite; ce phénomène rentre plutôt dans le domaine de la pathologie et n'a avec le sommeil naturel qu'une ressemblance éloignée.
B. Danilewsky a également beaucoup étudié cet état de torpeur chez les grenouilles. De même que Czermak, il considère cet état comme comparable à l'hypnose chez l'homme ; les animaux, il est vrai, échappent à la suggestion verbale, mais nous leur suggestionnons de rester dans la position anormale par le fait même que nous mettons obstacle à tous leurs mouvements. L'animal éprouve une forte impression d'avoir été
(1) B. Danilewsky, Ueber die Hemmungen der Reflex-und WillkQrbewegungen. (Pflüger's Archiv, 1881, Bd XXIV, p. 189.) — Voir aussi Recherches physiologiques sur l'hypnotisme des animaux. {Compte-rendu du Congrès international de psychologie physiologique. Paris, 1890.)
saisi et vaincu, et cet état de peur provoque chez lui l'inhibition des réflexes. Danilewsky admet un développement phylogéné-tique de l'hypnotisme; en partant des êtres inférieurs, l'hypnotisme prendrait des formes de plus en plus compliquées chez les animaux supérieurs et chez l'homme. Il a étudié l'hypnotisme animal surtout chez la grenouille, et, d'accord avec Heu-bel, a constaté que chez elle la torpeur est caractérisée surtout par la suppression des mouvements volontaires, par l'abaissement de la sensibilité cutanée et par les symptômes cataleptiques. Nous savons qu'on considère les mêmes phénomènes avec certaines anomalies psychiques, comme caractériques de l'hypnose chez l'homme.
Le grand intérêt des recherches de Danilewsky consiste dans l'analyse du rôle physiologique qui incombe à différentes régions du système nerveux central dans l'hypnose. Voici les faits : On sait qu'une grenouille privée des hémisphères présente une très grande hyperexcitabilité cutanée qui se maintient pendant des semaines après l'opération. Le moindre contact avec la peau, une irritation électrique à peine perceptible à notre langue, parfois même un souffle suffisent pour provoquer des mouvements réflexes chez la grenouille sans hémisphères. On observe la réaction distinctement, surtout aux extrémités postérieures. Or Danilewsky a remarqué que si une grenouille sans hémisphères est apte à tomber, il est vrai, dans l'hypnose tout aussi bien qu'une grenouille normale (fait observé déjà antérieurement par Heubel), il existe cependant une grande différence dans les deux cas. Si l'on examine la sensibilité cutanée chez une grenouille décortiquée avant et pendant l'hypnose, on constate que son hyperexcitabilité n'a éprouvé presque aucun changement. Or, de ce fait Danilewsky conclut que les hémisphères non lésés exercent pendant l'hypnose une influence directe sur l'anesthésie de la peau; au contraire, après l'ablation des hémisphères, la peau se trouve dans un état d'hyperex-citabilité réflexe, même pendant l'hypnose. De là il résulte que l'anesthésie et le maintient de la position anormale chez la grenouille hypnotisée sont deux phénomènes susceptibles d'être séparés l'un de l'autre ; l'anesthésie cutanée se trouve sous la dépendance des hémisphères, tandis que la position du corps dépend des autres parties du système nerveux, peut-être même de la moelle épinière seule.
De cette façon, dit Danilewsky, les recherches ont fourni la preuve que l'inhibition des mouvements volontaires dans
l'hypnose est due à ce fait que le cerveau se trouve en activité. Ainsi il serait démontré, une fois de plus, que les hémisphères exercent une fonction inhibitrice sur les réflexes. L'inhibition concerne aussi bien les excitations douloureuses que tactiles.
En 1891 parut un intéressant travail de Biernacki (';, qui a inauguré une nouvelle série de recherches sur l'hypnotisme. L'auteur s'est proposé d'étudier l'influence de certains alcaloïdes sur les centres nerveux pendant l'hypnose. Dans ce but, il choisit deux substances qui sont irritantes pour la moelle épinière : la strychnine et la thébaïne ; et deux substances qui exercent une action irritante sur l'écorce cérébrale : l'atropine et la cocaïne. Les résultats de ces expériences sont les suivants :
Quand on injecte de la strychnine ou de la thébaïne à des grenouilles profondément hypnotisées, l'action du poison apparaît plus faible que chez les grenouilles témoins. D'autre part, l'hypnose sous l'influence de ces substances tétanisantes devient plus légère, plus superficielle. Il y a donc une double réaction entre l'agent physique et l'état physiologique. Quant à l'atropine, son action irritante sur l'écorce cérébrale a été démontrée par Albertoni. Biernarcki mettait à nu les hémisphères cérébraux et les humectait avec des solutions faibles d'atropine. II a remarqué que l'atropine facilite d'une manière remarquable l'hypnose, lorsqu'elle est employée à doses faibles ; si on l'applique sur le cerveau d'une grenouille non endormie ou d'une grenouille qui dort superficiellement, on constate que l'animal tombe aussitôt dans un sommeil hppno-tique profond. La cocaïne a la même influence sur l'hypnose que l'atropine. En s'appuyant sur l'action de ces différentes substances, l'auteur croit pouvoir conclure, comme Danilewsky, que pendant l'hypnose la moelle épinière se trouve dans un état de dépression ou d'excitabilité amoindrie. L'hypnose agit en réalité comme un narcotique. C'est pourquoi la strychnine et la thébaïne exercent une action plus faible pendant le sommeil hypnotique. Au contraire, le cerveau se trouve pondant l'hypnose dans un état d'excitabilité augmentée ; l'irritation chimique à petite dose de cet organe favorise beaucoup l'apparition du sommeil hypnotique chez la grenouille. Les fortes
(1) Bierxacki, L'hypnotisme chez les grenouilles. (Archives de physiologie. (1891, p. 295.)
doses, au contraire, qui dépriment le cerveau, empêchent l'hypnose profonde.
Ces dernières conclusions de Biernacki, basées sur ses propres expériences, ne doivent cependant pas être généralisées ni étendues à toutes les substances chimiques. Ayant étudié moi-même l'influence des anesthésiques sur le sommeil hypnotique j'ai obtenu des résultats opposés à ceux de Biernacki. En effet, comme nous le verrons plus loin, l'irritation faible du cerveau par les vapeurs anesthésiantes 'dans la phase d'excitation) s'est toujours montrée défavorable au sommeil hypnotique. Au contraire, la dépression du cerveau produite par l'action plus prolongée des vapeurs anesthésiantes favorise beaucoup l'hypnose chez la grenouille. Il est donc certain que les différentes substances chimiques, tantôt favorisent l'apparition de l'hypnose, tantôt lui sont défavorables, mais le sens de l'action quantitative varie avec la substance employée. L'interruption invariable du sommeil hypnotique produite dans mes expériences par les anesthésiques (éther, chloroforme, alcool) ferait plutôt admettre que le cerveau dans l'hypnose se trouve non dans un état de surexcitation, mais qu'il est inactif ou, tout au moins, que son excitabilité est amoindrie et qu'il est nécessaire de stimuler son activité.
L'âge de l'animal et l'état de santé ont aussi une grande influence sur l'apparition de l'hypnose, ainsi que E. Cley (1) l'a observé. Cet auteur a constaté que chez les grenouilles très jeunes, pesant i à 2 grammes, l'hypnose est plus facile à produire et sa durée est plus longue que chez les grenouilles adultes ; de plus, l'hypnose était d'emblée profonde chez les jeunes grenouilles. D'après le même auteur, l'hypnose est favorisée chez les grenouilles malades, ainsi que chez les grenouilles très amaigries, par un séjour prolongé au laboratoire, pendant lequel elles avaient été privées de nourriture.
Mes recherches actuelles appuient cette dernière observation. De plus, il m'a été possible de démontrer que même les grenouilles très rebelles à l'action de l'hypnotisme peuvent être rendues hypnotisables si on les soumet à l'inanition prolongée.
Enfin, en 1898, Max Verworn (2) a donné une nouvelle et inté-
(1} E. Glev, De quelques conditions favorisant l'hypnotisme chef les grenouilles. 'Société de biologie, I8D5. p. 518). — Etude sur quelques conditions fivorisant thypnose eftffr les animaux. 'Année psychologiqae,1895, t. IL pp. 70-78.)
(i) M. Verworn*. Beitrâge rur Physiologie des Ceatralncrvcnssystcms. Die soge-nannte Hypnose der Thiere. Jena, 189S.
L'ascendance de cinq religieuses de Port-Royal ('),
Par le Docteur Charles Binet-Sanglé {suite) II
HIÉROSYNCROTÉMES FAMILIAUX
J'ai appelé kiérosyncrotèrne familial (fipoç-sacré, cuvy-i^ua-groupe) le groupe formé par les membres d'une même famille ayant subi avec succès des suggestions religieuses de même nature.
L'étude généalogique qui précède permet d'en construire un certain nombre. N'y sont compris que les sujets présentant entre eux les rapports de parenté les plus étroits, c'est-à-dire pères ou mères, fils ou filles, frères ou sœurs, neveux ou nièces les uns des autres, et ayant donné des preuves de dévotion, soit en exerçant la profession religieuse, soit en prenant part à des guerres de religion, soit en s'instituant les détenseurs du clergé, soit en fondant ou en dotant des églises ou des monastères. Ceux qui n'ont fait que signer des chartes en faveur de ces institutions, ayant pu le faire par délégation ou en qualité de témoins, ont été volontairement omis.
Chaque hiérosyncrotème est désigné par le ou les noms des familles qui concourent à le former. Il est défini : 1° par les dates entre lesquelles ont vécu l'ensemble de ses membres; 2° par une fraction dont le numérateur représente le nombre de ceux-ci, et le dénominateur le nombre total des membres de la famille depuis le membre initial jusqu'au membre terminal de l'hiérosyncrotème; 3° par sa formule ou tableau hiérosyncrotèmal.
(I) Voir Revue de l'Hypnotisme numéros d'octobre, novembre et décembre 1003.
ressante contribution à l'étude de l'hypnose animale. Il a spécialement attaché son attention sur :
1° La position que prend le corps de l'animal pendant l'hypnose, et
2° Sur l'état des muscles pendant l'immobilité de l'animal. Personne avant lui n'avait fait cette étude, qui jette une lumière nouvelle sur la physiologie de cet état.
(à suivre)
Ces chiffres permettent de se faire une idée du rôle que joue la suggestion dans la formation des hiérosyncrotèmes familiaux. Une des principales raisons pour lesquelles les familles du XIe et du XIIe siècle ont fourni tant de membres ayant fait acte de dévotion, est en effet que ces sujets évoluèrent dans une atmosphère psychique spéciale, qu'ils furent englobés dans ces grandes épidémies religieuses qui ont coûté tant de vies et de force à l'humanité. C'est au XIe et au XIIe siècle que la puissance de l'Église catholique atteignit son apogée.
D'autre part, sur ces 104 membres, je relève 35 religieux de profession et 21 croisés. Des 35 religieux, 12 appartiennent à la maison de Bourgogne, 7 à la maison de Montfort, 3 à la maison Montmorency, 3 â la maison d'Eu, 3 à la maison de Haynaut.
Sur les 21 croisés, 7 appartiennent à la maison de Montfort, 5 à la maison de Montmorency, 4 à la maison de Bourgogne. On voit que ces trois maisons ont été particulièrement frappées.
(à suivre)
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 20 octobre 1903. — Présidence de M. le D' Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 45.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance qui comprend, entre autres, une lettre d'excuses de M. le Dr Doyen et une autre lettre dans laquelle M. le Dr Swoboda (de Vienne) fait part de ses expériences de psychologie musicale; il expose la loi de périodicité suivant laquelle il a enregistré la réapparition spontanée, et non pas associative, des souvenirs musicaux: cette loi est confirmée par les expériences faites sur des hypnotisés; elle n'intéresse pas seulement les souvenirs musicaux, mais encore certaines douleurs, la soif de l'alcool, la passion du jeu, etc.; elle permet de concevoir l'hypothèse d'une certaine périodicité organique. M. le Secrétaire général rend compte du Congrès des Aliénistes et Neurologistes tenu à Bruxelles en août 1903; il présente, enfin, à la Société un livre de M. Victor Henry, professeur à la Faculté des Lettres de Paris : La M&gie dans l'Inde.
Les communications annoncées sont faites dans l'ordre suivant : M. Wiazemsky (de Saratow). — Une application thérapeutique de la
sugggestion pendant le sommeil naturel. M. Voisin. — Hyperesthcsie hystérique, guérie par la suggestion hypnotique.
M. Paul Farez. — Le réveil et la mort de la dormeuse de Thenelles. — Prennent la parole : MM. Bérillon, Voisin et Pau de St-Martin.
M. Bêrillon. — L*aboulie essentielle et son traitement psychothérapique. — Prennent la parole ; MM. Jules Voisin et Paul Magnin.
M. Félix Regnault présente une petite statuette trouvée dans des fouilles faites à Smyrne et qui représente le dieu Bès myxcedémaîeux.
M. Pau de St-Martin présente un miroir hypogénique, de forme cubique et à surface ondulée, tournant autour d'une de ses diagonales prise comme axe. — Prennent la parole : MM. Paul Magnin et Le Menant des Chesnais. La séance est levée à 7 h.
Hyperesthesia hystérique guérie par la suggestion hypnotique,
Par M. le Dr Voisin, ? Médecin de la Salpétrière,/
L'observation de celte malade a fait l'objet d'une communication au Congrès des aliénistes et neurologistes de Bruxelles au mois d'août dernier (1).
Il s'agit d'une malade hystérique qui, depuis 11 ans, avait des crises hypéralgésiques périodiques, durant plusieurs jours de suite (parfois trois jours et trois nuits consécutifs), se répétant régulièrement tous les dix jours, et qui fut guérie par la suggestion hypnotique.
Traitée pour des douleurs rhumatismales ou nerveuses, elle prit du sulfate de quinine, du salicylate de soude, de la valériane et du bromure de potassium, sans aucun résultat.
Dans le cours de l'hiver dernier, elle vint à la Salpétrière et je lui proposai le traitement hypnotique, lui affirmant la guérison. Elle s'y refusa tout d'abord ; mais, quelques jours après, elle vint se confier à moi.
Je l'endormis assez facilement par la fixation du regard et, après plusieurs séances répétées à des intervalles de deux jours, puis de cinq jours, puis de dix jours et enfin d'un mois, la guérison fut complète. Cette guérison, remontant à six mois au moment de la publication de cette observation, persiste encore aujourd'hui. Cette observation est donc des plus intéressantes; elle montre, d'un côté, la nature mentale des manifestations hystériques et, d'un autre côté, l'efficacité de la suggestion hypnotique.
Une application thérapeutique de la suggestion pendant le sommeil naturel,
par M. le Dr Joseph "Wiazemskj (de Saratow).
Une jeune fille de 23 ans vient me trouver le 15 décembre 1900. Elle se plaint d'être sujette, depuis l'âge de 12 ans, à des crises nerveuses accom-
*
(i) Voir Congrès des aliénistes et neurologistes, ?p?· session, Bruxelles 1903.
pagnées de perte de connaissance. A l'approche de la crise, la malade a une sensation d'angoisse et de frayeur non motivée. Ces sensations existaient déjà, dès son jeune âge, sans être toutefois suivies de crises; celles-ci sont apparues 5 l'âge de 12 ans. Elles présentent les symptômes suivants : perte complète de la connaissance, convulsions, quelquefois écume à la bouche. L'accès dure près de ô minutes, puis la malade reprend connaissance et s'endort. Autrefois les crises étaient plus espacées ; mais, à présent, elles se renouvellent plusieurs fois par jour. La malade est irritable, taciturne ; il lui semble que son entourage lui veut du mal. Elle craint qu'il n'arrive malheur aux membres de sa famille. Le sommeil est mauvais, l'appétit moyen, les garde-robes normales. La malade a suivi de nombreux traitements, sans le moindre succès. Les médecins lui ont conseillé d'essayer la cure suggestive, c'est ce qui la décide à venir me trouver à Saratow.
J'essaie de l'endormir parles procédés ordinaires (f) et je n'obtiens aucun effet. J'emploie alors la fixation du regard et la suggestion des symptômes du sommeil; il n'en résulte qu'un certain engourdissement des membres sans aucun résultat thérapeutique. Le troisième jour amène une crise dans mon cabinet de consultation. Pendant la durée de l'accès, la malade reste assise sur sa chaise, la respiration ronflante, les paupières entr'ouvertes, les pupilles convulsées en haut, tout le corps tressaillant. Elle se frotte les lèvres de la main, lève convulsivement le pied droit en le ramenant jusqu'au milieu du corps.
En lui pressant la région de l'ovaire gauche et en lui affirmant que la crise cessera tout de suite, je parviens à arrêter l'accès, qui a duré à peu près une minute ; après quoi la malade s'endort. J'essaie d'entrer en rapport avec elle pendant son sommeil, mais je n'y réussis pas, car la malade se réveille. Je ne peux non plus l'endormir à nouveau par la fixation du regard, car elle craint de s'endormir et ouvre continuellement les yeux. Le lendemain je résous de lui faire respirer quelques gouttes de chloroforme. La première séance amène un sommeil plus profond que sans l'emploi du chloroforme. Les séances suivantes (quatre en tout) amènent la catalepsie suggestive et l'impossibilité d'ouvrir les yeux. En endormant à l'aide du chloroforme, j'obtiens un meilleur résultat thérapeutique. Seulement, dès qu'on lui fait respirer quelques gouttes de chloroforme, la malade est prise d'un accès de rire qui dure 2 à 3 minutes. Pour l'apaiser, il faut augmenter la dose de chloroforme. La dernière séance a lieu le 28 décembre et la malade repart se sentant très bien; elle n'a pas eu de crise depuis le 18 décembre (dans mon cabinet de consultation), elle n'a eu non plus aucune angoisse et l'état moral est bon.
Je revois ma malade le 21 septembre 1901. lorsqu'elle revient à Saratow. Elle me raconte qu'après m'avoir quitté elle s'est bien portée pendant un mois. Ensuite les crises ont reparu, rarement d'abord, puis une
(1) Wiazeuskï. — L'application des suggestions hypnotiques dans les traitements. Wratch n» 18, 1900.
ou deux fois par semaine. Cela a duré jusqu'au mois d'avril ; depuis ce temps. les crises ont cessé sans aucun traitement. La malade se plaint de distraction et de perte de mémoire; mais les paroxysmes d'angoisse durent peu. Sur le conseil de ses médecins elle vient une seconde fois se soumettre à la cure hypnotique.
La fixation du regard ne produit qu'un sommeil superficiel. C'est alors que je me décide à expérimenter la suggestion pendant le sommeil naturel, d'après la méthode du docteur Paul Farez. que je venais d'étudier. Je vais trouver la malade à onze heures du soir: elle est endormie depuis une heure ou deux. Observant fidèlement la technique décrite par le docteur Farez, je lui fais des suggestions pendant son sommeil naturel. Elle ne se réveille pas pendant la séance et j'obtiens facilement l'état de catalepsie suggestive. La séance dure 20 minutes. Le lendemain, la malade vient chez moi et me dit qu'elle a entendu mes suggestions, ce qui prouve qu'il n'y a pas eu d'amnésie. Il est nécessaire d'ajouter que la malade savait que je lui ferais des suggestions pendant le sommeil ; c'est probablement ce qui explique l'absence de l'amnésie. Néanmoins, mes suggestions ont un résultat positif. Le lendemain, je peux endormir ma malade par la seule fixation du regard et réaliser la catalepsie suggestive. Elle retourne chez elle au bout de trois séances.
Le 19 octobre 1901, elle m'écrit: « Les crises n'ont point reparu, les sensations d'angoisse ne reviennent que rarement ; j'espère devenir enfin une personne normale ».
Le cas que je viens de citer se rapporte donc à une forme d'hystéro-épilepsie complètement guérie par l'hypnotisme. Il offre quelque intérêt, car la malade dont il s'agit, est du nombre des personnes peu accessibles aux procédés hypnotiques. Le chloroforme qu'on lui fit respirer préalablement amena un sommeil plus profond et une plus forte suggestibilité. Les suggestions pendant le sommeil naturel amenèrent un sommeil encore plus profond. Après avoir réussi à obtenir pendant le sommeil naturel la catalepsie suggestive, et la réalisation d'actes suggérés, il me fut très facile de l'endormir en employant les procédés ordinaires. La suggestion pendant le sommeil naturel a donc eu pour effet d'augmenter la suggestibilité de la malade. Cette méthode élargit considérablement le domaine des applications de l'hypnothérapie, en permettant à un plus grand nombre de malades de profiter du traitement psychique.
Les impressions ou suggestions paternelles ou maternelles se transmettent-elles aux enfants ?
Par M. Podiapolsky '/
Vice-Président de la Société des Naturalistes de Saratow (Russie)/'
Le fœtus fécondé d'un des animaux supérieurs, soumis à toute une série de métamorphoses depuis la cellule embryonnaire jusqu'à l'âge de la vieillesse et sans cesse agité par ce que Quatrefages appelle fort justement le tourbillon vital, présente peut-être un dos phénomènes les plus admirables de la nature. Il est
probable qu'aucun changement ne saurait atteindre l'un des parents, sans laisser une certaine empreinte sur le fœtus. A part les changements visibles qu'il subit, nous devons supposer qu'il est rempli d'indices invisibles, propres aux deux sexes, aux deux cotés du corps et à toute une longue série d'aïeux paternels et maternels, séparés du temps actuel par des centaines et même par des milliers de générations; et tous ces indices gisent comme autant de caractères tracés sur le papier avec de l'encre chimique, prêts à se manifester sous l'influence de certaines conditions connues ou inconnues.
Darwin
Quelle merveille que cette goutte de sperme dont nous tirons notre origine et qui renferme en elle les empreintes non seulement de la forme corporelle mais aussi des idées et des inclinations de nos pères.
Montaigne
Un cas observé dans ma pratique de l'hypnotisme mérite, à ce qu'il me semble, d'arrêter l'attention et de servir de point de départ ajoute une série d'expériences fécondes qu'il m'est toutefois fort difficile de poursuivre personnellement, vu que je suis naturaliste et non pas médecin.
Il s'agit d'une paysanne âgée de 30 ans. Elle a eu de nombreux enfants, dont cinq sont encore vivants.
Malgré une syphilis ancienne, elle devient grosse tous les ans.
Un jour, avant que je l'hypnotise, elle m'assure qu'elle ne tardera pas à commencer une nouvelle grossesse.
La séance d'hypnotisme a lieu; puis notre conversation a trait, de nouveau, à la remarquable fécondité de cette femme.
Elle me cite un certain nombre de cas de grossesse gémellaire avec jumeaux de sexe différent; puis elle admet pour elle-même la possibilité de donner le jour à la fois à un garçon et à une fille — « Eh bien, lui-je, quand cela serait, quel mal y aurait-il »? Je prononce ces paroles d'un ton péremptoire, non pas pour leur donner une apparence de suggestion, mais parce que je suis pressé et que je veux couper court à la conversation.
Cette femme est une bonne somnambule; elle présente au réveil, non seulement une amnésie complète pour tout ce qui lui a été suggéré pendant le sommeil hypnotique, mais encore, pendant un certain temps, une exaltation de sa suggestionnabilité. Bien que, d'apparence, elle soit tout à fait éveillée, on peut très facilement lui suggérer une hallucination. Par exemple si je lui dis : « X. est venu ». aussitôt elle le voit, tout en s'étonnant de sa présence, car elle n'a pas vu la porte s'ouvrir ».
Aussi, par la suite, je me suis reproché que peut-être, par mon intonation j'avais corroboré ce qui n'était dans son esprit qu'une simple possibilité; mes paroles pouvaient avoir chez elle joué le rôle d'une véritable suggestion.
De nombreux faits appartenant à la catégorie des suggestions hypnotiques prouvent journellement l'influence considérable de l'esprit sur le corps. Les limites de ce champ d'influence ne sont pas nettement définies et chaque jour elles paraissent s'éloigner de plus en plus.
D'autre part, je rapprocherais volontiers de mon cas les faits dits « d'hérédité influencée » et ceux auxquels on donne quelquefois le nom
de télégonie. Sans doute les considérations abstraites sur lesquelles on s'appuie pour nier les faits constatés par de respectables observateurs sont tout à fait insuffisantes. Maintenant que les phénomènes de l'hypnotisme sont bien connus, c'est à eux qu'on doit demander la vérification expérimentale des faits dont il s'agit.
Pour le cas spécial dont je m'occupe, j'avoue que j'ai souvent et longtemps pesé le pour et le contre sans jamais m'arréter à l'affirmative ou à la négative. Mon esprit oscillait, telle une balance dont les deux plateaux montent et descendent alternativement avant que l'équilibre soit définitivement atteint. Quoi qu'il en soit, l'entretien que j'ai mentionné ci-dessus avait lieu au mois de mars 1901 et au mois de février 1902, il se trouva que mes appréhensions n'étaient pas sans fondement. En effet, cette femme mit au monde des jumeaux de sexe différent.
D'après la statistique de la natalité recueillie dans les registres de la paroisse de cette localité (1) au cours des 14 dernières années, sur 2.715 cas de naissances normales, il y a 30 cas de naissances gémellaires, dont 10 cas dans lesquels les jumeaux étaient de sexe différent. Cela fait: t° un cas de naissance gémellaire pour 90,5 naissances simples; 2e un cas de naissance gémellaire avec jumeaux de sexe différent, pour 271,5 naissances simples. Ce qui fait une chance de 1/90 pour le premier cas et de 1/271,5 pour le second (2).
Dans le cas actuel, j'admets difficilement qu'il s'agit d'un simple hasard et j'y vois plutôt le résultat d'une suggestion directe subie dans' un état posthypnotique de suggestionnabilité exagérée.
J'ai prié deux médecins, MM. Wiazemsky et Heine de vérifier, toutes les fois que l'occasion s'en présenterait, l'action de la suggestion sur le fœtus, ne serait-ce que par la provocation d'envies à des endroits déterminés : seules, des expériences bien conduites pourront permettre que, sur cette question, on se fasse des opinions justifiées.
La littérature scientifique comprend un certain nombre de faits qui militent en faveur de cette action de la suggestion. Je vais en citer quelques-uns.
Télégosie. — i. Observations sur les Animaux
La jument de lord Morton, de couleur marron, n'avait pas encore subi d'accouplement; elle fut saillie par un étalon guagga dont elle eut un poulain ressemblant au père. Ensuite, se trouvant chez un autre maître, elle fut accouplée avec un étalon moreau, mais elle continua à produire
(1) Paroisse de Tchémisowka, district d'Atkarsk, du gouvernement de Saratov; registres de la paroisse 1888-1901.
(2) Pour 2.715 couches unipares nous avons 30 couches de jumeaux, dont 20 étaient du même sexe (dans 12 cas les deux enfants étaient des filles, et dans 8 cas les deux enfants étaient des garçons) et 10 de sexe différent.
des poulains rappelant les caractères du guagga qu'elle n'a plus jamais revu (1).
On a relaté des cas tout aussi nets prouvant l'influence du premier producteur sur les portées ultérieures de cochons, de chiens et d'autres animaux domestiques.
Par exemple, une pointer femelle, accouplée une première fois avec un setter, n'a plus jamais produit de véritables pointers quel que fût le producteur (D. D. Romance). Cette influence du producteur a été observée même chez les oiseaux (pigeons) (2).
II. Observations sur les Hommes.
Dans ces cas, ou bien les enfants d'un second mariage ressemblent au premier mari défunt ; ou bien une femme blanche veuve d'un nègre produit des enfants mulâtres quoique mariée à un européen blanc.
On a formulé diverses considérations au sujet des phénomènes télégo-niques. Par exemple, on a cru y voir l'influence exercée sur la mère par le sang du fœtus qui avait subi l'influence paternelle. Le fœtus qui a subi cette influence (par l'intermédiaire du sperme) en infecte pour ainsi dire la mère ; celle-ci devient une source de qualités maritales pour le temps à venir. Quoi qu'il en soit, je rapproche les phénomènes télé-goniques des impressions visuelles, car, qu'elle que soit l'explication véritable de ces phénomènes, elle ne saurait exclure la réminiscence de l'impression visuelle.
Les impressions visuelles de la mère.
Ainsi une femme, au début de sa grossesse, assiste au supplice de la roue, et elle donne le jour à un enfant dont les membres présentent des fractures juste aux endroits où la roue a passé sur le corps du supplicié (Malebranche, Lavater). Lincoln rapporte le fait suivant : Une femme, enceinte pour la troisième fois, donne le jour à une fille qui présentait les particularités suivantes : Toute sa peau était comme brûlée, lisse et luisante en môme temps que dure et résistante comme cela se passe dans un tissu cicatriciel ; elle était en outre plus épaisse à la face, aux mains et aux pieds ; la lèvre supérieure était fendue en biais et retournée vers les ailes du nez. L'intérieur de la bouche et la langue présentaient les mêmes modifications que la peau. Les conduits auditifs externes et les fosses nasales étaient recouverts de tissu, en apparence cicatriciel ; les paupières étaient privées de cils, mais la tête était couverte d'épais cheveux. La recherche des antécédents fit connaître que pendant les premiers mois de sa grossesse, la mère avait appris que son mari venait de mourir victime d'une explosion de chaudière. Les voisines racontèrent cet événement à la mère et décrivirent l'aspect des per(1) Philosoph. Transact., 1821, p. 20-24. (2) Chapuits, Le pigeon voyageur. Belge, 1865, p. 59.
sonnes tuées ; ces récits avaient extrêmement impressionné la femme enceinte. Lincoln rattache ce cas à une violente affection psychique que présentait cette dernière (1).
Je cite ce cas d'après le professeur Iassinsky (2).
Le texte n'indique pas si la femme a vu le cadavre de son mari Si l'on suppose que, pour une raison quelconque, elle ne l'a pas vu. on pourrait y voir l'exemple d'une influence directe exercée sur le fœtus par l'imagination de la mère, grâce à une suggestion verbale.
Toutefois, sans sortir de l'individu donné, la suggestion est en général capable de réaliser les images dont dispose le cerveau de cet individu; c'est pourquoi, appliquant cette règle au cas ci-dessus mentionné, nous pouvons supposer que cette femme, même si elle n'a pas vu les victimes de la catastrophe, a vu un cas de violente brûlure.
Je vais rapporter maintenant un autre cas d'après les paroles d'une accoucheuse de Saratow Mme A.-P. Konstantinow. Elle accouchait uue femme arrivée au terme de sa grossesse; pendant le travail, avant que la téte n'apparaisse à la vulve, la parturiente, très émue, prie la sage-femme de faire attention à l'oreille droite. En effet l'auricule apparut froissée et d'une couleur rouge très intense. Or, au début de sa grossesse, cette femme avait vu de sa fenêtre, un violent incendie; elle en avait été très effrayée, et avait porté la main à l'oreille droite qu'elle avait nerveusement frottée et froissée. Et cela faisant, elle avait craint qu'elle n'exerçât une influence sur l'enfant.
Mme M., personne de ma connaissance, habitait depuis longtemps avec son amie Fanny B. Celle-ci avait un signe bizarre sur le corps; c'était une tache d'un rouge foncé, présentant comme l'empreinte d'une main, avec la paume et les doigts. Cette empreinte était située en partie sur la poitrine, en partie sur le cou. La mère de Fanny B.. grosse de cette dernière, avait été effrayée par un incendie et avait, de même que précédemment, porté la main à son cou.
La femme de mon ami, le docteur T., contracta pendant sa grossesse l'habitude de frotter d'un doigt de sa main droite le côté droit de son nez. Quelqu'un lui dit que cela pouvait exercer une certaine influence sur son enfant. En effet, son fils présenta une raie oblongue, de couleur lilas sur le côté droit du nez.
Les souris ont le don de faire peur aux enfants, ot surtout aux femmes enceintes. Une dame tout à fait digne de foi m'a raconté le fait suivant.
Une jeune femme était en train d'arranger sa vaisselle. Tout à coup une souris lui saute sur l'avant-bras lequel était justement tout à fait à nu. Cette femme était au début d'une grossesse. L'enfant qui naquit ensuite présentait à l'avant-bras une petite eminence velue en forme de dos de souris.
(1) Liscolx. — EIn erwâhnenwerther Fall von intra-uteriner Hauterkrankung. Réf. Centralbl. et gyn. 1885. ?· 19.
(2) P.-A. Iassisscky. — Cours d'accouchements. I" partie. Charkow, 1887. (Texte russe} .
Transmission de l'état maternel
Une femme devenue folle par suite d'abus alcooliques avait depuis son enfance un tremblement généralisé. Sa mère avait une liaison avec son médecin, et tremblait très fort pendant qu'elle trompait son mari, appréhendant toujours l'arrivée de ce dernier. Sa seconde fille, venue au monde plus tard, présentait le même tremblement quoique à un degré moindre
Schneider rapporte le cas d'un fils qui a hérité d'un geste caractéristique de sa mère, morte en le mettant au monde, en sorte qu'il ne peut être ici question d'imitation (2).
Un exemple historique atteste qu'un des enfants illégitimes de Louis XIV, conçu au cours d'une crise de larmes et de repentir par Mme de Montespan, pendant les cérémonies de jubilé, garda toute sa vie un caractère si singulier, que les courtisans l'appelèrent « l'enfant du jubilé ». (Lucas. IL, 504.)
Transmission de l'état patebnel
Un auteur anonyme rapporte dans Cornhill Magazine (juin IS78), le fait suivant : Enervé par les cris de son premier-né, le père se met, la nuit, à le bercer du pied. Bientôt, il s'accoutume à ce genre d'exercice et, même pendant son sommeil, il pousse le berceau du pied. La fille, qui naquit ensuite, manifesta l'habitude suivante : elle se berçait elle-même, en jetant à intervalles réguliers la jambe droite par-dessus la jambe gauche Ce balancement rythmique se continuait assez longtemps, même pendant le sommeil. Le garçon qui naquit ensuite, présenta la même habitude ; il balançait son berceau du pied avec tant de bruit» qu'il réveillait sa sœur qui dormait dans une autre chambre.
Darwin cite textuellement une observation de Galton, que celui-ci considère comme tout particulièrement intéressante, parce que l'habitude dont il s'agit se manifestait pendant un profond sommeil et, par conséquent, on ne saurait en expliquer la transmission par voie d'imitation; cette habitude devait être toute naturelle et innée. L'auteur garantit l'authenticité des détails de son cas, puisqu'il les a minutieusement vérifiés. Cette habitude s'est reproduite pendant trois générations consécutives. Voici ce dont il s'agit : Une femme remarque que son mari a l'habitude, pendant son sommeil, de porter le bras droit au-dessus du front, puis de le laisser retomber avec tant de force, qu'il heurte de la main la racine du nez que souvent il contusionne. Ce mouvement ne se reproduit pas toutes les nuits; il est indépendant de toute cause exté-
(1) Prosper Lucas Clinique de Ste-Anne, 28 juin, 1878. — Un riche recueil de faits ayant trait à l'influence exercée sur la postérité par l'eut des parents, voir son «Traité philosophique et psychologique de l'hérédité naturelle i, Paris, 2 vol., 1817-1850. — Th Ribot, t L'Hérédité psychologique d. Paris, 3· édition, 1887.
(2) Der thierische Wille. V. 417.
rieure ; parfois, il se continue sans relâche, pendant une heure et même plus. Son fils se marie quelques années plus tard et la jeune femme ne tarde pas à observer chez lui l'habitude décrite ci-dessus. Une de leurs filles hérita de la même habitude avec cette variante : la paume de la main entr'ouverte ne tombait pas sur la racine du nez, mais elle tombait de biais sur le nez même et glissait dessus très vite (1). Chez le père, chez le fils et chez la petite-fille l'habitude portait sur le bras droit.
Girou de Buzareingues a connu un homme qui avait l'habitude de dormir sur le dos, croisant la jambe droite sur la jambe gauche ; une de ses filles avait la même habitude depuis sa naissance. Sans cesse, elle prenait cette attitude dans son berceau, bien que cela lui fût rendu difficile par le maillot (2).
J'ai connu un chanteur d'opéra, qui avait des nausées quand il paraissait sur la scène. Il se fit hypnotiser par Krafft-Ebing; on fut, par la suite, obligé de le suggestionner de nouveau â Saratow. Il prétendait que son père présentait la même fâcheuse disposition toutes les fois que ce dernier devait exécuter devant le public un morceau de musique. Et le fils ignorait cette particularité ; l'imitation n'y était donc pour rien.
L'habitude de se servir de préférence de la main droite ou de la main gauche parait bien ne dépendre ni de l'imitation ni d'autres fâcheux motifs extérieurs; elle résulte probablement d'une transmission héréditaire.
On a observé depuis longtemps, dit Quatrefages, que les enfants conçus pendant l'enivrement présentent souvent dans le cours de toute leur vie certains symptômes caractéristiques de cet état, la torpeur des sentiments et une absence à peu près totale de facultés intellectuelles ». II allègue le cas suivant. Dans une famille d'artisans où les parents étaient normaux et avaient quatre enfants, le troisième enfant était imbécile, ayant été conçu pendant l'enivrement du père- « Ce fait n'aurait pas d importance à lui seul, dit Quatrefages, n'étaient ceux que Lucas, Morel et d'autres nous ont fait connaître.
Tout membre, tout organe, tout point vivant de notre organisme capable de fonctionner, tout acte de mécanisme animal doit avoir sa représentation dans notre système nervo-cérébral, de la même manière que tout son émis par un grammophone a sa représentation matérielle dans l'empreinte du phonogramme.
Un acte simplement projeté, pour un avenir plus ou moins lointain, existant uniquement à l'état potentiel ou latent doit avoir son équivalent dans la cellule génératrice, laquelle, un jour ou l'autre, et suivant les circonstances, pourra développer son contenu virtuel.
Dans tous les cas ci-dessus mentionnés nous avons affaire ou bien à une habitude constituée, ayant son équivalent physiologique dans le
(1) Darwin: De l'expression des sensations. T. II. Ch. i, traduction rédigée par A--0- Kowalewsky, édition de Popowa. (Teite russe).
(2) Gmou de Buzareingces : De la génération. Paris, 1828.
cerveau el s'étant fixée souvent pendant le sommeil (ce qui est tout particulièrement remarquable) ; ou bien à une suggestion. La suggestion s'est imposée à la faveur d'une agitation, d'une peur ou d'une émotion sexuelle, alors que le pouvoir de contrôle est affaibli ou suspendu et l'impression nabilité exagérée.
Or, le sommeil hypnotique est précisément de tous les étals de réceptivité psychique celui qui se montre le plus efficace.
Nous avons vu que les états psychiques sont transmis par la mère aussi bien que par le père ; c'est-à-dire que nous pouvons considérer la cellule génératrice (masculine ou féminine) comme recelant et transmettant la suggestibilité : et cela est tout particulièrement vrai en ce qui concerne la transmission de l'état psychique du père à l'enfant (par l'intermédiaire du sperme). Il est indubitable que le même phénomène a lieu par rapport à la mère (par l'intermédiaire de l'œuf). Cependant on ne saurait éliminer l'influence créatrice de l'organisme maternel dans le cours de l'évolution intra-utérine du nouvel être. Par exemple, la matière plastique est, sans relâche, fournie par la mère qui en détermine la quantité et la qualité. Pour peu que ses impressions visuelles soient capables de régler le processus du fœtus, de provoquer des taches et des signes sur le corps ou de déterminer le sexe, il y a là, incontestablement un travail créateur de la part de l'organisme maternel.
L'impressionnabilité inhérente à l'individu, considéré en tant qu'une association de cellules, est probablement inhérente à la cellule vivante en général. Peut-être que les cellules nervo-cérébrales et génératrices sont douées de cette faculté à un degré supérieur; la suggestion n'est pas limitée à l'individu lui-même puisqu'elle se manifeste aussi chez ses enfants et chez les enfants des enfants. L'expérience seule pourra déterminer la part et le degré d'influence qui reviennent à l'un et l'autre parent dans la transmission d'indices innés et héréditaires. Les idées populaires, depuis l'antiquité et jusqu'à nos jours, ont toujours admis l'influence des phénomènes psychiques (surtout de la part de la mère) sur la formation du sexe ; on pourrait les retrouver dans les usages, les croyances et les présages des peuples anciens et modernes.
Avicenne, au commencement de notre millénaire, et Renard, au commencement du siècle passé, admettaient que la formation du sexe dépend de phénomènes psychiques. Erasme Darwin admet que le père exerce une influence psychique sur la formation du sexe.
Les cas desquels découle nettement une influence très accentuée de l'impression parentale sur l'enfant à naître sont rares, il est vrai. Au reste, l'impression ne se transmet que rarement et d'une manière très restreinte à l'état de veille. Pour qu'elle se manifeste, il faut qu'on se trouve en présence d'une réceptivité exaltée. S'il est possible d'expliquer ces faits par la transmission de suggestions acceptées et fixées dans l'appareil nervo-cérébral, il semblerait que, en ce qui concerne la fixation héréditaire, le moment de la conception ne joue pas un rôle prépondérant comparativement à d'autres circonstances émotives. A ce qu'il semble,
les suggestions seraient réalisables avant, pendant et après le moment de la conception, tant que la formation du nouvel être dans l'organisme de la mère n'a pas trop progressé.
Pour résoudre ces questions, il faudrait non pas seulement rassembler des faits saillants, survenus à l'occasion de violentes émotions, mais instituer, avec tout le calme qu'exige la recherche scientifique, des expériences spéciales à l'aide de la suggestion hypnotique. C'est, à ce qu'il me semble, une expérience de cette nature que j'ai réalisée à propos du cas rapporté plus haut.
Note sur un nouvel appareil hypnogène,
par M. le dr Pau de Saint-Martin*.
L'appareii sur lequel j'ai l'honneur d'appeler l'attention de la Société est basé comme le miroir rotatif de Luys, le cube de Bérillon, etc., sur l'état d'hypotaxie ou d'inhibition cérébrale que produit le maintien d'une sensation uniforme, continue, exclusive et rythmée, soit, dans l'espèce, sur la fatigue qui résulte pour la rétine de la réflexion et du choc de vibrations lumineuses suffisamment multipliées.
Son mode de construction est des plus simples. Ses parties essentielles sont constituées par :
1° Un moteur; soil un mouvement d'horlogerie, à marche silencieuse, dissi'mulé dans une boite rectangulaire en acajou de 0 m. 14 de hauteur sur 0,08 de largeur.
2° Une tige en acier qui traverse la paroi supérieure de cette boite et transmet le mouvement à la partie principale, l'appareil de reflexion; elle est elle-même commandée par un crochet d'arrêt de façon qu'on puisse limiter où suspendre la mise en marche du mécanisme.
3° Un cube creux en laiton nickelé et poli, dont les faces, chacune de 0,07 c. de côté, sont marquées de six gaufrures ou cannelures longitudinales et perpendiculaires les unes aux autres, côté par côté. Cette disposition, dont les recherches du dr Bellemanière ont fait ressortir l'utilité, n'enlève rien à l'intensité de la réflexion et a l'avantage de multiplier, de diffuser et de déplacer presque à l'infini les points lumineux. Comme vous pouvez vous en assurer, elle concourt, avec le miroitement des surfaces de révolution engendrées par le tournoiement du cube sur un de ses angles, à provoquer la fatigue de la rétine et la confusion du regard, soit un double effet qui fait naître dans l'organe et, par contrecoup, dans le sujet, le besoin de repos et, en dernier terme, le sommeil hypnotique. Il est évident, d'autre part, que le bénéfice des irradiations augmente avec l'accélération de la vitesse et l'intensité de l'éclairage.
En résumé, ce petit appareil, construit par la maison Gaiffe, sur mes indications, est une arme nouvelle mise au service de la suggestion
armée ; en abrégeant la période de préparation, il permettra, dans quelques cas, de triompher de difficultés qui pouvaient être le fait de la résistance du malade ou de l'inexpérience du praticien.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 20 janvier 1904, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière.
Communications inscrites :
Dr Le Menant des Chesnais : Observation de vertige de la locomotion traitée avec succès par la suggestion hypnotique.
D' Bêrillon : Le bégayement graphique et son traitement psychothérapique.
Dr Aragon : Psychopathies d'origine utérine.
Dr Baraduc : Les vibrations de la vitalité humaine.
Dr Paul Farez : L'analgésie obstétricale et la narcose éthyl-méthylique.
Les séances de la Société ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois, à 4 h. et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bêrillon, secrétaire général, 4, nie Castellane, et les cotisations à M. le Dr Farez, trésorier, 93, rue de Courcelles.
NOUVELLES
Enseignement de Phypnotisme et de la psychologie
Programme des Cours de l'Ecole de psychologie. — La réouverture des cours de l'Ecole de psychologie aura lieu le lundi 11 janvier 1904, à cinq heures du soir, sous la présidence de M. le professeur Blanchard, membre de l'Académie de médecine, professeur à la Faculté de médecine.
ORDRE DU JOUR :
1° D' Bêrillon : L'École de psychologie.;
2° Dr Paul Farez : Les sommeils pathologiques;
3° Allocution de M. le Professeur Blanchard.
Les cours auront lieu tous les jours à cinq heures, à partir du lundi, H janvier 1904.
COURS DE 1904
L'inauguration des cours aura lieu le lundi 11 janvier, à cinq heures, sous la présidence du professeur R. Blanchard, membre de l'Académie de médecine. L'enseignement de l'Ecole de psychologie est public.
Hypnotisme thérapeutique M. le Dr Bérillon, professeur.
Objet du cours : 1° La thérapeutique de l'émotivité morbide : la timidité, la peur et les états d'anxiété. Les lundis à cinq heures, à partir du lundi il janvier. 2° Les applications de l'hypnotisme à la pédagogie. Les lundis à cinq heures à partir du 14 janvier.
'Hypnotisme expérimental
M. le D' Paul Maosin, professeur.
Objet du cours : L'hypnotisme chez les hystériques : Les hyperes-thesies et les contractures. Les lundis et les jeudis à cinq h. et demie à partir du 11 janvier.
Hypnotisme sociologique et anthropologie
. M. le D' Félix Regnault, professeur. Objet du cours : Le rôle social des religions. Les mercredis à cinq heures, à partir du 13 janvier.
Psychologie normale et pathologique
M. le Dr Paul Farez. professeur.
Objet du cours : La psycho-pathologie du rêve.
Les mardis ei samedis à cinq heures, à partir du 12 janvier.
Psychologie du criminel
M. le Dr Wateac, professeur.
Objet du cours : La femme délinquante et criminelle : La législation comparée de l'enfance abandonnée ou coupable. Les vendredis à cinq heures et demie, a partir du 15 janvier.
Psychiatrie M. le Dr Legrain, professeur.
Objet du cours : Les formes curables'de la folie.
Les mardis à cinq heures et demie, à partir du 12 janvier.
Anatomic et Psychologie comparées
M. E. Caustier, professeur agrégé de l'Université. Objet du cours : Les fonctions psychiques et l'expression des émotions dans la série animale. Les samedis à cinq heures et demie, à partir du 16 janvier.
Conférences de 1904
Chaque année, les cours de l'Ecole de psychologie sont complétés par des conférences; faites au siège de l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts. Ces conférences portent sur toutes les questions qui relèvent de la psychothérapie et de la psychologie. Les conférences sont publiques.
les vendj1edis ? huit heures et deuie du soir
Vendredi 15 janvier, à 8 h. 1/2. L'hypnotisme et la suggestion ou point de vue médical, philosophique et social par M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés (avec projections).
Vendredi 22 janvier, S h. 1/2.— 1° La psychologie et Véducation des enfants anormaux, par M. le 1> Voisin, médecin de la Salpêtrière.
2e La pédagogie du sourd-muet, par M. Baguer, directeur del'Insti-lut départemental des Sourds-Muets.
(La conférence sera suivie de présentation d'élèves.)
Vendredi 29 janvier, à 8 h. 1/2. La psychologie des examens, par M, Laisant, docteur ès sciences, examinateur â l'Ecole polytechnique.
Vendredi 5 février, à 8 h. 1/2. Etude psychologique sur le Tarot des Bohémiens, par M. r. Baron, professeur à l'Ecole vétérinaire d'Alfort.
Vendredi 12 février, à 8 h. 1/2. Les maladies de la sensibilité morale : Etude psychologique de la cruauté par le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés (avec projections}.
Vendredi 19 février, à 8 h. \ß. La mélancolie et son traitement psychothérapique, par M. le Dr de Jong, directeur de la clinique psychothérapique de la Haye.
Vendredi 26 février, à 8 h. 1/2. L'hystérie et son traitement hypnotique, par M. le dr Paul Joire. de Lille (avec projections!.
Vendredi 4 mars, à 8 h. 1/2. Lapsychologie du courage militaire, par M. le capitaine Villetard de Laguérie (avec projections).
M. Lf.pinay, professeur.
Objet du cours : Le cerveau dans la série animale. — Psychoses chez les animaux. La rage et les pseudo-rages. Les vendredis, à cinq heures, à partir du Î5 janvier.
Conférences pratiques d'hypnologie et de psychothérapie
Les conférences cliniques sur les applications de l'hypnotisme h l& . psychothérapie et à la pédagogie, reprendront le jeudi 14 janvier, à 10 heures du matin. Elles seront dirigées par les D" Bérillon. Magnin et Paul Farez. On s'inscrit les jeudis à l'Institut psycho-physiologique, 49. rue Saint-André-des-Arts.
Vendredi il mars, à 8 h. 1/?. La suggestion et l'imitation dans l'art, par M. Valentino (avec projections).
Vendredi 18 mars, à 8 h. 1/2. Pédagogie psychologique : La colère chez Venfant, par M. Malapert, professeur au lycée Louis-le-Grand.
Salpétrière. — M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière, reprendra son cours le jeudi, 7 janvier, à 10 heures. Sujet du cours : l'Education des enfants anormaux. Ce cours s'adresse aux médecins et aux instituteurs d'enfants arriérés.
Ecole pratique de la Faculté. — M. le D' Hippolyte Baraduc fera un coûts libre, à l'Ecole de la Faculté de Médecine, sur les Vibrations de la vitalité humaine (Méthode biométrique appliquée aux sensitifs et aux névrosés). Les cours auront lieu tous les jeudis, à 5 heures, à partir du 14 janvier 1904.
Ouvrages déposés à la Revue
Bêrillon et Farez : Comptes-rendusdu 2· Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique, in-S° 350 p. Vigot. édit., place de l'Ecole de Médecine et bureaux de la Revue de l'Hypnotisme. Prix: 10 fr.
Laisant ; L"éducaiion fondée sur la science, avec une préface d'Alfred Naquet. Félix Alcan, Paris. In-12° 154 pages. Prix : 2 fr. 50.
Dr Légué : La messe noire. Fasquelle, édit., Paris. In-12° : 3 fr. 50.
Dr José Ingénieros : SimuÎacion. de la locura. In-8* 500 pages. 1903, Buenos-Ayres.
Dr Maurice Olivier : Etudes cliniques relatives à l'internement des aliénés criminels. Thèse de Paris. Paris, Jean Roussel, édit., 116 pages, 1903.
Dr Jaguaribe : ïnstituto psycho-physiologico de Sào Paulo. In-8* 33 pages. Sào Paulo 1903.
Nous adressons nos meilleurs souhaits de bienvenue à une nouvelle publication périodique de psychologie : le Journal de psychologie normale et pathologique dirigé par MM. Pierre Janet et Dumas. Cette Revue paraîtra tous les deux mois et promet d'être inspirée par le meilleur esprit scientifique.
18e Année. — n° 8. Février 1904.
L'Ecole de psychologie
L'Ecole de psychologie, par M. le D' Bémllox, professeur à l'Ecole de psychologie. — Les sommeils pathologiques, par M. le d' Paul Fabez, professeur à l'Ecole de psychologie. — La psychologie et la médecine, par M. !e professeur R. Blax-chard, membre de l'Académie de médecine.
La réouverture annuelle des cours de l'Ecole de psychologie a eu lieu le lundi 12 janvier, à cinq heures, au siège de l'Institut psycho-physiologique, sous la présidence de M. le Dr R. Blanchard, professeur à la Faculté de médecine.
Aux côtés de M. le professeur Blanchard, avaient pris place : M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière, membre du Comité de patronage et tous les professeurs de l'Ecole : MM. les Dr Bérillon, Paul Magnin, Félix Regnault, Paul Farez, Waleau, MM. Caustier, professeur agrégé de l'Université, Lépinay, médecin-vétérinaire, et M. le Dr Legrain, médecin en chef de Ville-Evrard.
Parmi les personnalités qui assistaient à la réouverture des cours et des conférences, nous sommes heureux de citer MM. Henri Gauthier et Coppinger, inspecteurs généraux de l'Université, M. Honnorat, chef de division à la préfecture de police, MM. Laisant et Hermann Laurent, examinateurs à l'Ecole polytechnique, M. Malapert, professeur au lycée Louis-Ie-Grand, Marcille, professeur au lycée Montaigne, M. le Dr Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de médecine, M. Valentino, chef de bureau de ministère des Beaux-Arts, M. le Dr Berbez, médecin-inspecteur des asiles d'aliénés, MM. les D" Barbier, Marnay, Rivière, Legendre, Salomon, Ribard, Saison, Lux, Tissier, Merkel, Evans, Georges Dreyfus, Hamon, Tricot, Hulmann, Horwitz et Mamelok (de Zurich), Mayr (de Vienne), Osman-Bey (du Caire), M. Grol-
let. médecin-vétérinaire, secrétaire général de la Société de pathologie comparée, MM. Teissier, Blech, docteurs en droit, et un grand nombre de médecins, de professeurs de l'Université, dont nous n'avons pu noter les noms..
Après avoir ouvert la séance, M. le professeur Blanchard donne la parole au D' Bérillon.
L'Ecole de psychologie,
par M. le Dr BÉriLLON
Messieurs,
L'Ecole de psychologie est destinée à fournir aux médecins, aux étudiants des diverses facultés et à tous ceux qui suivent avec curiosité les progrès de l'esprit humain un enseignement théorique et pratique sur toutes les questions qui relèvent de la psychologie.
Les études auxquelles se consacrent les professeurs de l'Ecole se répartissent en huit branches principales :
1° L'analomie et la physiologie du système nerveux.
2° La psychologie expérimentale (hypnotisme expérimental, etc.).
3° La psychologie appliquée (hypnotisme thérapeutique, orthopédie mentale, pédagogie suggestive, etc.).
4° La psychologie de l'enfant.
5° La psychologie de l'homme anormal.
6° La psychiatrie.
7e La psychologie sociologique.
8° La psychologie comparée.
A ces branches fondamentales, il convient d'ajouter un groupe spécial qu'on désigne habituellement sous le nom de Recherches psychiques et qui comprennent tous les faits particulièrement difficiles à interpréter, tels que : fa lecture des pensées, la suggestion mentale, tes hallucinations tèlêpathiqucs, la lucidité, la clairvoyance, les pressentiments, le sommeil à distance, l'écriture automatique, l'extênorisation de la sensibilité, les dédoublements de la personnalité, etc., etc. Nous devons reconnaître que les professeurs de l'Ecole de Psychologie s'intéressent surtout à ces questions dans le but d'exercer utilement leur esprit critique.
Le goût qui pousse uncertain nombre d'esprits vers ces recherches nous est venu de l'Angleterre, où existe une Société fameuse sous le nom de Society for psychical Research. Il faut le reconnaître, les études auxquelles se sont livrés les membres de la Société anglaise n'ont donné aucun résultat positif. Les sujets et les matériaux sur lesquels on comptait, ont fait défaut. Aujourd'hui, beaucoup de nos confrères d'outre-Manche sont revenus à des recherches moins décevantes. Or, tandis que nos collègues anglais reconnaissent qu'ils ont fait fausse route en s'engageant dans la voie du mysticisme psychologique, un certain
nombre de savants français, obéissant à d'incompréhensibles suggestions, se déclarent prêts à recommencer les mêmes tentatives. On nous rendra cette justice que nous n'avons jamais voulu prêter l'oreille à ceux qui nous proposaient de nous associer à leur campagne. Bien mieux, pour marquer nettement notre intention de ne pas être confondus avec ceux qu'inspire un mysticisme mal dissimulé derrière des phrases d'ap-parence scientifique, lors de l'inauguration de l'Ecole de Psychologie, nous nous sommes exprimés ainsi au sujet des Recherches psychiques :
t En abordant ces questions, disions-nous, nous n'aurons d'autre préoccupation que de nous inspirer des méthodes scientifiques si magistralement exposées par les Claude Bernard, les Charcot et les physiologistes contemporains. Le litre de l'Institut psycho-physiologique indique nettement notre tendance à ramener les faits de la psychologie à des lois physiologiques, c'est-à-dire physiques. C'est dire que nous ne risquerons pas de compromettre les études psychologiques par des interprétations hasardeuses ou des hypothèses extra-physiologiques. Nous chercherons l'explication des phénomènes psychologiques dans des rapports matériels, nettement déterminés sans invoquer l'intervention d'aucun élément étranger extra-naturel.
t Nous préférerons attendre que des méthodes nouvelles augmentent la puissance et la précision des investigations, plutôt que de cédera la tentation d'expliquer les apparentes irrégularités que présentent spontanément les phénomènes psychologiques par ce quid dioinum, cause de tant d'erreurs et de suppositions stériles.
« Il est toujours plus difficile de déraciner une erreur que de propager une vérité élémentaire, aussi nous réagirons de toutes nos forces contre la propagation de ce néo-mysticisme psychologique, contre lequel le Professeur Morselli s'élevait récemment avec tant de logique et de courage. Comme lui, nous pensons qu'il faut changer radicalement la méthode employée jusqu'ici, et, au lieu d'étudier les esprits, les pressentiments, les hallucinations télépathiques, l'extériorisation de la sensibilité, les mouvements d'objets sans contact et le flottement dans l'air de personnes, d'objets ou de choses, ?? fnutau contraire soumettre a un examen rigoureux les spiriles et la plupart de ceux chez lesquels se manifeste la hantise de ces questions d'un intérêt fort discutable, ?
Les événements nous ont donné raison. De ces programmes aussi prétentieux qu'alléchants, il n'est absolument rien sorti d'intéressant. Par contre l'Ecole de psychologie, en se limitant à l'étude des faits positifs, capables de résister au contrôle des méthodes rigoureusement scientifiques, n'a cessé de voir croître son succès.
Cette année encore, nous avons le plaisir de vous annoncer que notre enseignement sera encore élargi par la création d'un enseignement nouveau, celui de la Psychiatrie. Dire qu'il sera professé par le Dr Legrain,
le savant médecin en chef de l'asile de Ville-Evrard, dont les travaux sur la dégénérescence et sur les folies toxiques font autorité, suffît pour vous indiquer quelle sera la valeur de ce nouvel enseignement.
Le groupe de nos professeurs correspondants qui, partageant nos doctrines, s'efforcent de propager en France ou à l'étranger nos enseignements psychologiques s'est aussi accru. M. le Dr Arie de Jong, delà Haye, fondateur de la première clinique de psychothérapie créée en Hollande, a été nommé professeur correspondant.
Notre eminent collègue, ancien privat-docent de l'Université d'Amsterdam, ancien médecin en chef de l'asile d'aliénés de Delft, a déjà formé à sa clinique de remarquables élèves. Nos confrères trouveront à la clinique qu'il dirige à la Haye depuis de longues années, un enseignement de la plus haute valeur sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme appliqué à la thérapeutique. Le Dr Arie de Jong viendra à Paris, le vendredi 19 février, nous apprendre, dans une conférence, le traitement psychothérapique qu'il applique avec succès à la cure de la mélancolie.
Notre professeur-correspondant à Sao-Paulo (Brésilj, M. le DrJaguaribe, nous envoie chaque année, un important compte-rendu imprimé des travaux accomplis à l'Institut psycho-physiologique qu'il a fondé il y a quatre ans. Notre collaborateur nous annonce son intention de pro%roquer au Brésil la création d'une ligue contre l'alcoolisme. Au prochain congrès de médecine qui se tient à Buenos-Ayres au mois d'avril prochain, il fera connaître les remarquables résultats qu'il a obtenu dans le traitement de l'alcoolisme et de la dipsomanie. Nous adressons à ce pionnier de nos idées dans le Nouveau Monde, nos félicitations et nos remerciements pour l'intérêt qu'il ne cesse de témoigner à notre Ecole.
Je dois encore vous faire part des nouvelles que nous adressent notre collaborateur le Dr Orlitzky de Moscou. Il nous annonce la création à Moscou, à St-Pétersbourg et à Ekatérinoslaw du dispensaire antialcooliques où les malades viennent en affluence demander de la thérapeutique suggestive la guérison de leur défaillance de la volonté.
Ces nouvelles ont stimulé notre amour-propre et nous vous annonçons la création d'un dispensaire anti-alcoolique. Cette œuvre sera la première de ce genre qui sera installée à Paris. Les malheureux alcooliques, impuissants à résister à leurs impulsions, trouveront à ce dispensaire, non seulement la direction morale, mais aussi les traitements les mieux appropriés à leur état. La suggestion hypnotique, destinée à assurer la rééducation de leur volonté y sera systématiquement appliquée. Nous pensons répondre par cette création au regret souvent exprimé par notre maître, M. le Dr Magnan, le savant médecin de Sainte-Anne, que les alcoolique, ne trouvent nulle part, avant ou après leur sortie de l'Asile, les encouragements ni la direction morale qui pourraient prévenir la rechute dans leur funeste habitude.
L'inauguration du Dispensaire anti-alcoolique aura lieu le dimanche 24 janvier, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière, assisté de M. le Dr Legrain, médecin de Ville-Evrard,
directeur des Annales anti-alcooliques, et de Ml. le Dr Félix Regnault. professeur à l'Ecole de psychologie.
A cette occasion, qu'il me soit permis de remercier du fond du cœur M. le Dr Jules Voisin, membre de notre conseil de patronage, dont la présence à nos côtés, montre l'intérêt qu'il porte à nos œuvres. Que notre maître reçoive par ma bouche le témoignage de la vive affection que lui portent les professeurs de l'Ecole de psychologie.
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Nous avons reçu des membres de notre conseil de patronage, les témoignages les plus flatteurs. M. le Professeur Berthelot, dont l'approbation à notre œuvre constitue pour nous la plus haute des récompenses, nous a écrit une lettre dans laquelle il laisse espérer qu'il présidera l'une de nos prochaines séances d'ouverture.
Nous savons aussi que nous pouvons compter sur le. concours de M. Guimet, le fondateur du musée Guimet, et sur M. Huchard, membre rie l'Académie de Médecine. Ces maîtres éminents, absents de Paris, nous ont exprimé leurs regrets de ne pouvoir assister à cette réunion.
.Les précédentes séances d'ouverture ont été présidées par MM. les professeurs Tarde, du Collège de France ; Albert Robin, do l'Académie de Médecine ; Giard, de la Sorbonne. Les encouragements et les enseignements de ces maîtres ne seront jamais oubliés par nous.
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Il me reste à souhaiter la bienvenue à M. le professeur Blanchard, membre de l'Académie de Médecine. En le remerciant du grand honneur qu'il nous fait en présidant cette année la réouverture de nos cours, qu'il me permette d'évoquer le souvenir d'une bonne et vive amitié née, il y a déjà longtemps, dans le laboratoire de Paul Bert à la Sorbonne.
Je ne lui apprendrai rien en lui rappelant les encouragements que Paul Bert avait prodigué à Dumontpallier, ainsi qu'à ses deux élèves Magnîn et Bérillon, lorsqu'ils entreprirent leurs recherches sur l'hypnotisme. En acceptant la présidence de cette réunion, le professeur Blanchard reste fidèle à la pensée de notre maître Paul Bert, dont il fut si longtemps le préparateur et l'ami, et je lui en exprime notre reconnaissance au nom des professeurs de l'Ecole de psychologie.
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/Les sommeils pathologiques.
Leçon d'ouverture par M. le Dr Paul Farez.^^,/^
Mesdames, Messieurs,
Vous avez tous entendu parler de cette terrible maladie du sommeil qui décime les populations indigènes dans l'Afrique équatoriale.
Après une incubation de plusieurs semaines, ou même de plusieurs mois, surviennent des prodromes insidieux, des malaises vagues, de passagères douleurs de tête, des vertiges, quelquefois aussi quelques
troubles digestifs et une élévation de température. Puis, la maladie s'installe à la période d'état. Le malheureux nègre atteint du « sino comme on dit dans le pays, éprouve une lassitude extrême, toute besogne lui est pénible, tout effort lui coûte. Il devient sombre, mélancolique, morose, taciturne; il évite la société, s'isole, se cache. Il s'endort à tout propos, en toute posture, à toute heure. Au soleil, s'il s'abrite les yeux avec la main et vient à s'endormir, sa main reste ainsi en place, à mi-chemin; ou bien il s'endort sans avoir eu le temps de déglutir les aliments qu'il vient de mastiquer et sa bouche reste pleine jusqu'à ce qu'on le réveille. Une légère excitation extérieure suffit pour le tirer de sa torpeur; sa démarche alors est incertaine et ressemble à celle d'un homme ivre : sa parole est lente, hésitante, difficile. A peine réveillé, il se rendort, terrassé par une invincible somnolence.
La maladie progresse d'une manière continue. Bientôt surviennent des phénomènes somatiques tels que parésie ou paralysie des paupières supérieures, (d'où ptosis complet ou incomplet), de l'enflure de la face, du tremblement de la langue, des mains et des membres, de la tuméfaction ganglionnaire, etc. Puis à l'amaigrissement succèdent l'asthénie musculaire, l'amyotrophie, l'impotence absolue. Lasomnolcnce faitplace insensiblement au coma, puis à la mort, à moins qu'un accès convulsif n'amène une terminaison brusque.
' La maladie du sommeil ne pardonne pas; son pronostic est fatal-dans tous les cas; elle dure. tantôt seulement quelques mois, tantôt une année et même deux; mais elle tue inévitablement celui qu'elle a touché; jus-qu'ici, elle a déjoué tous les artifices de la thérapeutique.
(Cantonnée d'abord sur la côte occidentale de l'Afrique tropicale, aux environs de la baie de Bénin, dans le golfe de Guinée, elle vient de s'installer dans des régions non encore contaminées et a pris, depuis plusieurs années, une extension considérable; dans sa marche envahissante vers la côte orientale, elle a gagné Kisoumou, le point terminus du chemin de fer de l'Ouganda. Dans cette dernière région, située sur la rive septentrionale du lac Victoria-Nyanza, elle a tué en une seule année plus de cent mille individus. Vous le voyez, elle exerce ses ravages à la manière du choléra ou de la peste.
Dans ces régions torrides, le nègre seul peut supporter les fatigues du travail physique. Or ce fléau compromet l'existence même de la race noire. Que va devenir l'expansion coloniale et, avec elle, la cause de la civilisation, si la main-d'œuvre vient à manquer? Et ne sera-ce point un désastre économique si, comme on le craint, l'Egypte, au Nord, et le Transvaal, au Sud, sont menacés? En outre, des existences humaines sont fauchées par milliers; il y a là de quoi émouvoir le cœur de tout philanthrope. Enfin la médecine est totalement impuissante à prévenir aussi bien qu'à guérir le mal; et l'intelligence se révolte à la pensée que cette faillite puisse être définitive.
« Savoir, afin de pouvoir », telle est la devise baconnienne. Pour se rendre maître de l'ennemi, il faut le bien connaître et, pour cela, l'aller
étudier sur place. Or, de notre pays est partie une initiative des plus louables. M. le Professeur Blanchard fît, l'an dernier, des démarches multiples pour que des savants français fussent envoyés officiellement là-bas et, comme de juste, subventionnés. Auprès des pouvoirs compétents, on lui prodigua « eau bénite de cour et monnaie de singe ». La mission fut quand même constituée. En provoquant son départ, en la couvrant de son autorité scientifique, en lui donnant les moyens matériels d'aboutir, M. le Professeur Blanchard a bien mérité à la fois de la civilisation, de la science et de l'humanité. Nous sommes heureux de lui adresser le juste tribut de notre admiration, — et de nos remerciements en tant que Français ; nous nous félicitons d'associer à l'hommage public que nous lui rendons le nombreux et fidèle auditoire de l'Ecole de Psychologie.
M. Emile Brumpt, préparateur de M. Blanchard, est donc parti à Brazzaville; il y a observé de nombreux cas de maladie du sommeil ; quelques autopsies lui ont fourni des matériaux anatomiques précieux ; il a étudié expérimentalement le terrible ennemi par des inoculations aux animaux; enfin il a ramené en France trois malades congolais qui furent admis dans le service du Dr Wurtz à l'Hôpital de l'Association des Dames françaises, à Auteuil, et que M. le Professeur Blanchard présenta à l'Académie de médecine, le ??? octobre 1903. Bobanghi est mort il y a quelques semaines, au cours d'une crise cataleptiforme ; il y a trois jours, Macaia est passé doucement de vie à trépas; ce matin même Salomon expirait à son tour. Aucun de ces trois Congolais n'aura été sauvé. Mais, peut-être, sont-ce des victimes de choix; peut-être, aussi, les études et les expériences dont ils ont été l'objet ouvriront-elles la voie vers une thérapeutique efficace. A ce moment de l'année si fertile en vœux de toutes sortes, souhaitons que les efforts persévérants et compétents de MM. Blanchard, Brumpt et Wurtz soient couronnés de succès; et puisôe la France, si longtemps et sur tous les points du globe le champion de l'émancipation intellectuelle et sociale, émanciper aussi nos frères noirs du fléau qui menace leur existence même.
Ce traitement sera efficace s'il s'attaque à la véritable cause du mal. Comme facteur étiologique, on a invoqué les écrevisses, l'intoxication alimentaire par la farine de manioc, l'anémie, l'insolation, l'abus de la kola, du haschish, voire même des plaisirs vénériens. Ce sont là autant d'erreurs. Pour quelques auteurs, il s'agit d'une maladie microbienne. Si, par bonheur, il en était ainsi, le fléau redoutable serait justiciable de la méthode pastorienne ; un sérum analogue à celui que l'on inocule contre la rage ou contre la diphtérie assurerait à la fois la prophylaxie et le traitement de la maladie du sommeil. Quel est donc ce microbe? Sur ce point quot capita tot sensits, autant d'opinions que de savants : un bacille spécial, un diplobacille, un diplocoque, un streptocoque, un strepto-diplocoque, le pneumocoque lui-même sont incriminés à tour de rôle : cette diversité exclut la prétendue spécificité. D'ailleurs, l'étiologie bacillaire, d'abord simplement hypothétique, est
maintenant tout à fait rejetée. Les recherches de M. Brumpt ont confirmé les résultats déjà obtenus sur ce point par des savants anglais ou italiens. La vraie cause de la maladie du sommeil est un parasite. Ce parasite n'est pas, comme on l'a prétendu, une larve de strongyle ou d'ankylos-tome, ni un embryon de filaire ; c'est un petit organisme très élémentaire, microscopique, ressemblant à un têtard difforme, un protozoaire du genre trypanosome. Notons, en passant, ce détail curieux : lestrypano-somes ont été décrits et ainsi dénommés, en 1845, par un médecin fort habile qui, pendant toute la seconde moitié du xixc siècle, a pratiqué à Paris, avec un très grand succès, sinon ouvertement, au moins en fait, la suggestion thérapeutique, j'ai nommé Gruby.
Le trypanosome est véhiculé par une mouche du genre tsé-tsé, la glossina palpalis : celle-ci inocule le parasite aux malheureux nègres qu'elle pique. Comme le fœtus baigne dans le liquide amniotique, le système nerveux cérébro-spinal baigne, vous le savez, dans le liquide céphalo-rachidien; ce dernier constitue pour les trypanosomes un habitat de prédilection ; c'est là qu'on les trouve en grande abondance; et ils occasionnent, non pas des complications infectieuses ou toxiques, mais de simples désordres mécaniques ou circulatoires à la surface de la masse encéphalo-rachidienne.
Ce n'est donc point par un sérum antitoxique qu'on guérira la maladie du sommeil. Sera-ce en modifiant petit à petit le milieu habituel des trypanosomes, de façon à le leur rendre de plus en plus inhabitable? Y arrivera-t-on eninjectant par la voie lombaire des quantités variables de liquide céphalo-rachidien emprunté à des animaux réfractaires à la maladie du sommeil? Sera-ce en introduisant dans le liquide céphalo-rachidien une substance parasiticide qui ne soit pas en même temps homicide ? La parole reste sur ce point à de plus autorisés.
Dans nos contrées, on observe une forme spéciale de sommeil pathologique dont la symptomatologie rappelle, parfois d'assez près, celle de la maladie du sommeil proprement dite. Les individus dont je parle s'endorment malgré eux, partout où ils se trouvent, au milieu des occupations les plus diverses, et quoi qu'ils fassent pour lutter contre le sommeil.
Pendant une conversation, ils s'arrêtent au milieu d'une phrase et s'endorment debout ou parfois, s'affaissent; au milieu du repas, ils s'endorment la bouche pleine, et laissent tomber leur fourchette, leur couteau, leur verre; s'ils se mettent à lire, au bout de quelques minutes le livre leur tombe des mains; en marchant dans la rue, ils s'endorment, continuent à marcher automatiquement et vont buter dans les réverbères ; d'autres s'endorment dès qu'ils s'arrêtent, dès qu'ils s'assoient, dès qu'ils regardent une gravure, un tableau. Une simple tape sur l'épaule, un pincement, Un appel à haute voix, un bruit, une sensation quelconque les tirent de leur sommeil. Par exemple, un fumeur se
met une cigarette aux lèvres; pour l'allumer, il craque une allumette et s'endort : il se réveille lorsque l'allumette, qui a continué à brûler, lui chauffe les doigts.
Ces pauvres dormeurs sont exposés à quelques mésaventures : certains, terrassés par le sommeil, tombent qui dans une glace, qui dans un escalier et se font des blessures plus ou moins graves. D'ordinaire, ils passent pour des paresseux. La vérité est qu'ils ne peuvent accomplir aucun travail suivi, ni exercer convenablement leur profession : un marchand de vins s'endort au milieu d'une phrase, en servant les clients, un employé de mercerie en mesurant du fil, un cocher en conduisant sa voiture, un couvreur, alors qu'il travaille sur les toits. En interrogeant un malade, tel de nos confrères tombe endormi en travers du lit; se met-il à rédiger une ordonnance, au bout de quelques mots les lettres chevauchent les unes sur les autres, des jambages manquent, la plume ne trace plus que des traits confus, des barres informes, puis lui échappe des mains.
Tous ces malades craignent d'être surpris en train de dormir; ils se surveillent, mais le sommeil est plus fort qu'eux; endormis, ils cherchent à se réveiller, mais ils sont incapables de remuer ou de parler.
Ce sommeil pathologique, toutefois, diffère de l'inexorable maladie du sommeil par certains symptômes ainsi que par sa cause. De plus on s'en guérit presque toujours assez vite.
Ce n'est ni de la somnolence, ni de la torpeur, mais un sommeil vrai, complet, profond, qui s'installe non point petit à petit mais d'une manière brusque, violente, subite, et se termine de lui-même, après une durée variable souvent très courte; et tout est fïni jusqu'à la prochaine invasion. Impérieux, incoercible, il revient par accès qui se renouvellent plus ou moins fréquemment, par exemple, cinq, dix, vingt fois par jour. Dans l'intervalle des accès; le malade a l'intelligence lucide, les idées nettes, la mémoire intacte, il jouit de sa pleine puissance de synthèse mentale. Vous avez tous rencontré dans le monde cet homme très corpulent et très gros mangeur ; à la fin d'un diner copieux, il est irrésistiblement envahi par le besoin de dormir; il dort cinq minutes, dix minutes, un quart d'heure, puis se réveille spontanément ; pour tout le reste de la soirée et jusqu'à très avant dans la nuit, il sera plein de verve et d'entrain.
Ces sommeils incoercibles présentent, suivant les individus, des variétés de brusquerie, de durée, de profondeur, de fréquence. On les rencontre principalement chez des obèses et chez des hépatiques; on les a observés dans de nombreux cas de polyphagie, diabète, ictère, coliques hépatiques, cirrhose, cholémie, angiocholite.
Dans tous ces cas, ou bien la fonction d'un organe essentiel est troublée (et il en résulte directement une intoxication spéciale), ou bien les différents actes du chimisme interne sont pervertis, l'assimilation est viciée, l'élimination des déchets insuffisante : il y a une intoxication notoire. Or, certaines toxines, assimilables en cela aux leucomaines, sont
de vrais narcotiques, au même titre que, par exemple, l'opium, le chloroforme ou l'éther. Comme ces derniers, elles peuvent produire une véritable narcose. Les accès de sommeil narcoleptique auxquels elle donne lieu sont l'expression des décharges toxiques qui surviennent, à intervalles plus ou moins rapprochés, dans l'organisme des malades ci-dessus mentionnés.
En dehors de ces cas bien connus, on a voulu décrire une narcolepsie essentielle, idiopathique, véritable névrose autonome. Or, de nos jours comme au Moyen-Age, entia non sunt prœter nécessitaient multipli-canda; d'ailleurs, en faisant un examen rigoureux, on relève, dans chaque cas de narcolepsie, une tare dyscrasique ou une intoxication, témoin bon nombre d'observations récentes qui se rapportent à des myxcedémateux, des basedowiens, des syphilitiques.
Pour combattre ce sommeil narcoleptique, il suffit, le plus souvent, de supprimer ou de réduire au minimum les causes de fermentation et d'intoxication, de faciliter l'élimination des toxines, de régler l'alimentation comme quantité et comme qualité, d'exclure les agents d'épargne, d'instituer un régime sévère, une hygiène rationnelle, des exercices modérés, de prescrire, enfin, s'il y a lieu, un traitement spécifique ou opothérapique.
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Certains auteurs voient dans ces accès de sommeil narcoleptique des accès frustes ou larvés de crise épileptique, des attaques ébauchées ou avortées du mal comitial. L'identification n'est pas possible : avant l'accès, le narcoleptique pressent qu'il va s'endormir, il le dit, il l'annonce, ses paupières s'alourdissent, souvent il prend le temps de s'asseoir commodément, même de poser son verre ou sa fourchette ; pendant l'accès, il sent qu'on le pince, qu'on le pousse, qu'on le secoue ; il n'offre ni rigidité, ni spasme, ni changement de coloration de la face, ni émission involontaire de l'urine ou des matières: au réveil, il a conscience d'avoir dormi, il se souvient de ce qui s'est passé pendant son sommeil, il ne ressent ni lassitude ni courbature ·. il jouit du bien-être causé par cette courte période de repos.
Donc, quand ces attaques surviennent, avec tous les caractères précités, même chez des épileptiques avérés, on se trouve en présence d'une simple narcolepsie, nettement distincte des accidents épileptiques.
Le mal comitial possède d'ailleurs sa forme spéciale de sommeil pathologique. Dans l'accès complet d'épilepsie, après une première période tonique et une seconde période clonique^ survient une troisième période stertoreuse. Le malade est immobile, les yeux fermés, il respire profondément et ronfle; chaque expiration rejette hors de la bouche une quantité plus ou moins abondante de salive spumeuse et épaisse; l'inconscience est absolue et il est presque impossible de provoquer le réveil. Lorsqu'après une demi-heure, et souvent plus, l'épileplique sort de ce sommeil comateux, il a le regard vague, hébété, il se plaint de lassi-
tude, de mal de tête ; il n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé ; il présente des troubles intellectuels plus ou moins durables, plus ou moins marqués, pouvant aller parfois jusqu'à l'obnubilation. Pour de plus amples détails, je vous engage à lire le livre magistral de M. le Dr Jules Voisin sur l'Epilepsie.
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La crise épileptique comporte donc une période de sommeil ; et celui-ci fait partie intégrante de l'attaque complète. La crise hystérique, au contraire, se termine brusquement avec sentiment de bien-être, gaieté, exubérance, explosion de rire ou même de larmes. Parfois, cependant, le sommeil intervient à titre de variante ou d'équivalent; il remplace alors l'une quelconque des périodes classiques décrites par Charcot, la phase convulsive,de préférence: plus rarement, l'attaque de sommeil constitue, à elle seule, toute la crise d'hystérie; elle survient, d'ordinaire, à la suite d'un traumatisme physique ou psychique.
Quand une hystérique s'est ainsi endormie, on essaie de la réveiller par la pression des zones hystérogènes. lesquelles sont en même temps frénatrices. S'il n'en existe pas, on attend patiemment le réveil, lequel ne manque pas d'arriver... au moins dans l'immense majorité des cas; il a lieu d'un seul coup ou progressivement; il peut être spontané ou provoqué par une circonstance extérieure; il s'accompagne d'amnésie.
La durée de ce sommeil varie suivant les cas ; elle est, d'ordinaire, de quelques heures ou, au plus, de quelques jours. On cite une femme qui s'endormait tous les quinze jours, du mardi au samedi; plusieurs personnes, en proie à l'exaltation religieuse, se sont endormies, chaque année, depuis le premier jour du Carême jusqu'à Pâques.
D'autres fois, ce sommeil dure pendant des années, avec ou sans périodes de réveil. Tantôt, le dormeur ouvre les yeux, dit quelques paroles, fait quelques gestes, puis se rendort ; une jeune fille, par exemple, se réveille, chaque dimanche, juste !e temps de s'habiller et d'aller à la messe ; puis elle rentre chez elle et se rendort pour toute la semaine. Tantôt le sommeil reste ininterrompu pendant de nombreuses années. Nicéphore, dans son ? Histoire ecclésiastique », nous rapporte un cas de sommeil qui aurait duré 37 ans ; mais son récit paraîtra à bon nombre bien plus près de la légende que de l'histoire. Au Moyen-Age, les épidémies de démonopathie ont provoqué de nombreux sommeils prolongés. De nos jours, les cas authentiques, à peu près scientifiquement observés, ne manquent point. On en trouvera la relation dans les recueils spéciaux, en particulier dans la Revue de l'Hypnotisme. C'est, par exemple, la fameuse Eudoxie, qui resta longtemps à la Salpetrière, dans le service de notre maître le Dr Jules Voisin, et au sujet de laquelle Charcot fit plusieurs leçons magistrales ; c'est la dormeuse de Rochefort, qui reçut la visite de Félix Faure, au cours d'un voyage présidentiel, celle de Périgueux, celle de Congosto, en Espagne, celle de St-Spiridion, en Roumanie, et tant d'autres. La plus célèbre pour les neurologistes
de notre génération est celle de Thenelles qui dormit pendant vingt années consécutives. Il y a quelques semaines, dans l'Allemagne septentrionale, une jeune femme, à l'occasion d'un incendie, sortait d'un sommeil qui avait duré dix-sept ans. Je viens de recueillir, sur ce cas, un important dossier que je compte dépouiller pour l'une des prochaines séances de la Société d'hypnologie et de Psychologie.
Ces dormeuses, (ce sont, en effet, le plus souvent des femmes) provoquent la curiosité des foules, des gens du monde, des littérateurs, des dramaturges. Il existe à Paris un amateur qui collectionne les pièces de théâtre sur les sommeils hystériques; il en a réuni le chiffre respectable de 274.
D'ordinaire, on fait de ces cas des récits fantaisistes ; on insiste sur l'état cadavérique, squelettique de ces malades ; on les appelle des mortes-vivantes. Je ne dis pas que cela n'a pas eu lieu dans des temps très lointains; mais il faudrait, aujourd'hui, une précipitation bien grande, un examen bien superficiel, une ignorance bien coupable pour confondre cet état avec -la mort réelle et permettre une inhumation prématurée. Rappelons toutefois la mésaventure d'André Vésale. Il est appelé en Espagne pour faire l'autopsie d'une femme morte d'une « suffocation de matrice » ; et la prétendue morte se réveille, à la première incision.
En dépit d'une alimentation souvent très rudimentaire, ces dormeuses présentent les symptômes d'une vie assez intense. Sans doute elles restent immobiles, étendues sur le dos ; les bruits les plus violents, les aiguilles enfoncées à travers la peau ou les muscles, les vapeurs d'ammoniaque, la glace, la faradisation, le fer rouge du thermocautère les laissent tout à fait insensibles; l'anesthésie est ou, tout au moins, parait complète. Mais la respiration est régulière et le pouls normal. Si l'on soulève un bras, il garde la position dans laquelle on le met, et cela jusqu'à ce que la fatigue physiologique le ramène à l'état de repos. Les muscles présentent une disposition toute spéciale à la contracture, à l'occasion du moindre attouchement. Certains muscles spéciaux sont même le siège de contractures permanentes, au moins au moment où l'on s'approche de la malade. Ainsi, les paupières présentent des contractures spasmodiques manifestées par un tremblement continu, extrêmement rapide, sorte de frémissement vibratoire. D'autre part, les mâchoires sont fortement serrées l'une contre l'autre et aucune force ne peut vaincre le trismus. On comprend alors qu'il soit très difficile d'alimenter ces malades. Parfois une dent manque, ou bien on en fracture une. par mégarde, en essayant d'ouvrir la bouche de force. Par cette brèche, on verse des aliments liquides et le réflexe de la déglutition s'accomplit. Si une contracture du pharynx empêche la déglutition, il reste alors la ressource d'administrer des lavements nutritifs.
A vrai dire, ces hystériques, au cours de leur sommeil prolongé, peuvent, sans grand dommage, s'alimenter très peu. En effet, les dépenses sont réduites au minimum, l'excrétion de l'urée est insignifiante,
la dénutrition très faible. Brûlant peu, elles peuvent vivre longtemps sur leur acquis. A la faveur du sommeil et de l'immobilité, l'autophagîe permet des jeûnes très prolongés que l'histoire a enregistrés en très grand nombre. D'ailleurs, les paysans de la Russie, dans les mauvaises années, ne souffrent pas de la disette, à la condition de dormir pendant tout l'hiver. D'autre part, la marmotte et les animaux hibernants ne restent-ils pas des mois entiers sans absorber aucune nourriture? Aussi l'amaigrissement de nos hystériques endormies n'est-il pas en rapport avec leur faible alimentation ou la longue durée de leur sommeil. Elles peuvent même rester, sans trop en souffrir à ce qu'il semble, des jours et môme des semaines, sans accomplir aucune des évacuations qu'exige l'organisme à l'état normal.
L'hystérie est, avant tout, une ouvrière de dissociation ; certains centres dynamiques sont inhibés, d'autres exaltés- Il se peut que l'anes-thésie ne frappe pas tous les sens et que l'audition, par exemple, subsiste. C'était, semble-t-il, le cas de la malade que Keser a pu faire uriner par suggestion.
Mais supposons une dormeuse anesthésique totale. Lorsqu'il présentait Eudoxie, Charcot disait : a Nous pouvons parler de son cas devant elle; elle ne nous entend pas; en effet elle n'exécute aucune des suggestions qui lui sont faites; elle est fermée au monde extérieur. » L'est-elle complètement, ainsi qu'on le croit et l'enseigne?
C'est cette question que j'ai surtout cherché à élucider, lorsqu'après tant d'autres, après les Dr Voisin et Bérillon, en particulier, je suis allé faire l'inévitable pèlerinage scientifique à Thenelles, en septembre 1902. Je n'ai pas le temps d'insister sur les conditions particulièrement favorables de cette visite ni sur les concours précieux que j'y ai rencontrés. Contrairement à ce qui est arrivé à bon nombre de neurologîstes avant moi, j'ai eu la bonne fortune de pouvoir longuement étudier la malade, sans en être à tout instant empêché par sa mère : le cerbère redoutable avait, ce jour-là, rentré ses griffes. Il fut convenu avec le Dr Charlier (d'Origny-Ste-Benoite} que, pendant les vacances de l'année suivante, c'est-à-dire en 1903, après avoir, à tête reposée, bien mûri la question, je viendrais à Thenelles avec tout un plan de traitement et que nous nous appliquerions à réveiller Marguerite B.... Malheureusement, dès les premiers mois de l'année 1903, la tuberculose se déclara, fit de très rapides progrès et emporta la malade, le 28 mai. Trois jours avant de mourir, elle s'est réveillée spontanément, mais petit à petit et, encore, pas complètement. Elle n'a conservé aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant ses vingt années de sommeil; mais elle s'est rappelé nettement certains faits antérieurs à cette période.
Quoi qu'il en soit, pendant mon examen fait en septembre 1902, je fus frappé de certaines particularités que je suis désolé de ne pouvoir, pressé par le temps, vous exposer par le menu. En tous cas, j'acquis la certitude que si, chez Marguerite B..., la pleine conscience était suspendue, la subconscience persistait pleinement, qu'elle enregistrait,
qu'elle réagissait et qu'ainsi la pauvre dormeuse était accessible aux influences extérieures, comme aussi aux suggestions plus ou moins maladroites de sa famille ou .des visiteurs.
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Dans les sommeils dont il vient d'être question, la contractilité musculaire, les battements cardiaques, les mouvements respiratoires accusent une vie très manifeste. D'autres fois, on rencontre la même immobilité et la même anesthésie apparente ; mais aucune intervention ne peut faire contracturer les muscles s'ils sont relâchés ou les relâcher s'ils sont contractures ; de plus, les battements de cœur et les mouvements respiratoires sont imperceptibles, même pour l'oreille médicale la plus exercée. Tous les signes positifs de la vie ont disparu, S'agit-il d'un état de mort apparente ou de mort réelle ?
Le véritable signe positif de la mort, c'est la putréfaction. Mais, par une illusion ou une hallucination du sens olfactif, les assistants peuvent s'imaginer la sentir, alors qu'elle n'existe pas. Cela est arrivé dans un cas rapporté par Pfendler : la personne qu'on allait enterrer revint peu à peu à la vie.
Combien d'inhumations sont faites avant que la fameuse tâche verte de l'abdomen soit visible ? Souvent, en effet, celle-ci n'apparaît pas avant le quatrième jour, elle tarde encore quand la température est basse. Or, chez nous, les inhumations sont autorisées au bout de vingt-quatre heures ; en temps d'épidémies, le délai est encore abrégé. C'est pourquoi, d'après les statisticiens, la France est la terre classique des inhumations prématurées. Une littérature spéciale a recueilli un très grand nombre de faits authentiques, observés avec toutes les garanties scientifiques désirables et relatifs à des réveils au moment de la mise en bière, ou à l'église, ou pendant l'inhumation, ou sur la table d'autopsie, ou... dans la tombe, mais, avec asphyxie consécutive, c'est-à-dire, cette fois, mort réelle.
Voici, entre tant d'autres, un cas qui remonte à peine à quelques années. Dans l'île de Lesbos, Mgr Nycephoru Glycas, métropolite grec orthodoxe de Méthymne, âgé de 84 ans, s'alite ; son état s'aggrave et bientôt le médecin constate la mort. Conformément aux prescriptions de la religion grecque orthodoxe, le métropolite, revêtu de ses vêtements sacerdotaux, est placé sur un trône dans sa cathédrale. Pendant deux jours et deux nuits, les prêtres doivent le veiller et la foule défile devant lui. Le second jour, tout à coup, à la stupéfaction générale, le métropolite se lève ! Il était donc simplement en état de mort apparente. S'il eut été un simple laïc, on l'eut enterré vivant, car d'après les règlements en usage dans ce pays, i'inhumation doit avoir lieu douze heures après le décès.
Une statistique que j'ai sous les yeux rapporte, pour une durée de 13 années, 94 cas de personnes sauvées, au dernier moment, par des
causes fortuites. On ne cite pas ceux que les circonstances n'ont point servis. Les inhumations prématurées sont donc non seulement possi-bles mais parfaitement réelles ; et il n'y a à cela rien d'étonnant. Les constatations de décès sont, le plus souvent, hâtives, sommaires, précipitées ; elles n'offrent qu'une garantie illusoire. D'ailleurs, attester qu'on n'a pu relever aucune manifestation vitale appréciable n'est point prouver la cessation réelle de la vie. Comme le disait Bichat, « l'interruption des phénomènes extérieurs de la vie est un signe presque toujours infidèle de la réalité de la mort... ? et, plus loin, « l'individu vit encore plusieurs jours en dedans, tandis qu'il cesse tout à coup de vivre en dehors ».
Pour prémunir l'humanité contre les tortures morales qu'entraîne l'inhumation prématurée, on a préconisé divers moyens radicaux, par exemple les suivants : enterrer sans cercueil, faire dégager dans le cercueil des gaz délétères, ou bien faire une injection hypodermique de strychnine, ou encore pratiquer systématiquement la cardiopuncture avant toute mise en bière, ainsi que cela se passe, parait-il, à Gratz. en Autriche. Tous ces procédés tuent sûrement; mais, ils outrepassent le but.
Il serait à la fois plus scientifique et plus humain de rechercher dans tous les cas la preuve positive de la mort et non pas seulement la preuve négative de la vie. Les moyens ne manquent pas ; mais nous ne pouvons nous attarder a les exposer. Retenons toutefois ce point : ce n'est pas sous l'empire d'une crainte imaginaire que bon nombre de vivants demandent, par disposition testamentaire spéciale, qu'avant leur inhumation on fasse la vérification de la mort réelle, môme par des moyens chirurgicaux, non homicides, bien entendu; pour ma part, j'ai reçu de plusieurs personnes la mission formelle de procéder à ce soin et je n'y faillirai pas. ß
, Pendant les préparatifs des funérailles et au moment de l'inhumation, que se passe-t-il dans l'esprit de ces faux morts? Sont-ils conscients ou inconscients, reliés ou non au monde extérieur?
Chez certains, le moi conscient est totalement étranger à tout ce qui l'entoure. S'ils ont le bonheur de se réveiller, ils ne conservent aucun souvenir de-cet état. Ce sont des hystériques qui, gravissant un degré de plus, sont passés du sommeil léthargo-cataleptique au sommeil syncopal.
D'autres, au point de vue psychologique, sont dans un état analogue au sommeil naturel; ils peuvent avoir des rêves, qu'ils se rappelleront au réveil, si celui-ci survient. Comme dans le sommeil normal, les impressions de toutes sortes qui les affectent, même faiblement ou confusément, fournissent des matériaux à la trame de leurs rêves. Avertis, au moins subconscîemment, de ce qui se passe autour d'eux, ils ont donc des rêves en rapport avec leur état de mort apparente. Et, suivant leurs croyances religieuses, ils rêvent, par exemple, que leur âme est transportée dans l'Adès, aux Champs-Elysées, au Purgatoire, en Enfer, au
Paradis. Certains illuminés prétendent, au réveil, que leur âme a véritablement quitté leur corps et accompli un voyage réel. Dans cet ordre d'idées, citons Er l'Arménien, dont Platon rapporte le cas dans son livre De la République, Thespesius le Cilicien dont parle Plutarque, puis Ste Christine, St Sauve, Drithelme, Albéric, des moines de Milbourg et d'Evesham, un soldat, enfin, dont le prétendu voyage extra-terrestre est abondamment raconté dans les Dialogues de 3t Grégoire le Grand.
D'autres fois, ils ont la pleine conscience de ce qui se passe : au milieu de tortures morales inexprimables, ils assistent, impotents et muets, à leurs propres funérailles. Entre tant d'exemples célèbres et authentiques, citons celui du cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux. Voici comment il raconte lui-même son cas, le 27 février 1866, à la tribune du Sénat, lors de la discussion de la loi sur les inhumations.
« En 1826, par une des journées les plus chaudes et dans une église entièrement pleine, un jeune prêtre fut pris en chaire d'un étourdis-sement subit; la parole expira sur ses lèvres, il s'affaissa sur lui-même, on l'emporta, et quelques heures après on tintait son glas funèbre; il ne voyait pas, mais il entendait, et tout ce qui arrivait à ses oreilles n'était pas de nature à le rassurer. Le médecin déclara qu'il était mort et, après s'être enquis de son âge, du lieu de sa naissance, il fit donner le permis d'inhumation pour le lendemain. Le vénérable évéque, dans la cathédrale de qui prêchait le jeune prêtre, était venu au pied de son lit réciter un DeProfundis: déjà avaient été prises les dimensions du cercueil; la nuit approchait, et chacun comprend les inexprimables angoisses d'un être vivant dans une pareille situation. Enfin, au milieu de tant de voix qui résonnent autour de lui, il en distingue une dont les accents lui sont connus, c'est la voix d'un ami d'enfance. Elle produit un effet merveilleux et provoque un effort surhumain. Le prédicateur reparaissait le lendemain dans sa chaire. Il est aujourd'hui, Messieurs, au milieu de vous... »
Si la simple voix d'un ami très affectionné provoque une émotion suffisante pour amener le retour des fonctions motrices, que sera-ce si le faux-mort entend venir à lui un personnage considérable, un thaumaturge vénéré! N'est-ce pas ainsi que Jésus de Nazareth a provoqué le réveil, non seulement de Lazare, mais encore du fils de la veuve de Nain et aussi de la fille de Jahire ? Je dis * réveil * et non pas « résurrection ». En effet, ouvrez les Evangiles, Mathieu IX, 24, Marc V, 39, et vous y trouverez cette parole de Jésus, à propos de la fille de Jahire : « Elle n'est pas morte, elle n'est qu'endormie o. Voyez aussi Jean XI, 11, et vous lirez ceci : « Notre ami Lazare dort, je vais le réveiller». C'est ainsi que le prophète Elie ramena à la vie le fils d'une veuve de Sarepte et Elisée, l'enfant de la femme de Sunein. Asclépiade, Empédocle, Apollonius de Tyane réveillèrent aussi des gens qu'on portait au bûcher. Les apôtres Pierre et Paul passent également pour avoir ressuscité des morts : ils réveillaient des gens en état de mort apparente. L'apôtre Paul n'a-t-il pas dit, à propos de l'un deux : « Ne vous troublez point,
car son âme est en lui », ce qui signifie clairement qu'il ne le considérait pas comme véritablement mort. De même St Rémy, archevêque de Reims, ressuscita, pardon! réveilla, dans sa cathédrale, à la vue de tout un peuple, la propre nièce du dernier roi des Wisigoths, Alaric II.
Ce sommeil syncopal peut survenir d'emblée. Parfois, il succède au sommeil léthargo-cataleptique, à titre d'aggravation, soit spontanément, soit à la suite d'une suggestion : témoin les deux cas suivants, rapportés par Pfendler.
Une femme de 28 ans présente, pendant plusieurs semaines, des séries d'attaques de sommeil qui durent de 48à 68 heures. Dans la dernière de ces attaques, elle est prise pour morte, c'est-à-dire que les battements cardiaques et les mouvements respiratoires ne sont plus perçus. On l'enterre. Le fossoyeur voulant s'emparer des vêtements de la morte ouvre, la nuit, le cercueil et l'inhumée revient subitement à la vie.
Une jeune fille de 15 ans présente des attaques répétées de sommeil avec toutes sortes de phénomènes convulsifs, raideurs musculaires, trismus, rires, hoquets, etc. Les premiers médecins de Vienne sont appelés en consultation ; ils parlent devant elle sans se gêner, puisqu'il est admis qu'elle n'entend rien. On dit, à haute voix, près de son lit, que ses forces sont épuisées, que son état ne laisse aucun espoir, qu'elle n'a plus que quelques jours à vivre. Le lendemain, au moment où Pfendler s'approche de la malade, celle-ci se relève, se jette sur lui pour l'embrasser, sem-ble-t-il, et retombe ensuite comme frappée par la mort. Tous les essais pour provoquer un signe quelconque de la vie restent infructueux. On la considère comme morte. Au bout de 28 heures, on croit déjà sentir un peu l'odeur de la putréfaction. Tout se préparc pour l'enterrement. Après avoir consciemment tout entendu, elle finit par se réveiller en disant : « Je suis trop jeune pour mourir ».
«
Ces divers états d'immobilité, d'insensibilité, d'inconscience et de sommeil ont été, plus d'une fois, simulés dans le but d'éviter le service militaire, la comparution en justice. l'incarcération, etc. Quand ces faux dormeurs sont seuls, ils ouvrent les yeux à la dérobée, ou bien mangent,, boivent et évacuent en cachette.
D'autres fois, un individu dort, à ce qu'il semble, d'un sommeil calme et tranquille ; couché dans le décubitus dorsal, il a les yeux fermés, la respiration régulière, la température ainsi que le pouls normaux ; le tronc et les membres sont dans la résolution musculaire ; parfois, cependant, les maxillaires sont serrés l'un contre l'autre ; il parait anesthé-sique ; si on le touche, le pince ou le pique, on ne provoque aucune réaction ; si, le mettant au bain, on le laisse, à dessein, choir au fond de la baignoire, il ne fait aucun effort pour sortir la tête de l'eau et l'on est obligé de l'en retirer pour prévenir un accident ; toutefois, brûlé au thermocautère, il retire légèrement le membre touché ; quant à l'alimentation par la sonde, elle lui est particulièrement désagréable ;
d'ordinaire, pour y échapper, il lutte et résiste, au point que cela peut provoquer le retour à l'état de veille normale. Cet individu n'est pas, à proprement parler, un simulateur ; c'est un aliéné mélancolique, maladivement absorbé par une idée fixe. Par exemple, l'un est, à propos de quelques peccadilles, harcelé par toutes sortes de scrupules ; il se fait à lui-même le serment de s'isoler complètement du monde extérieur, de faire semblant de dormir, afin d'être tout entier à ses méditations et d'élucider son cas ; il ne se réveillera qu'après avoir trouvé ce qu'il appelle sa justification. Un autre est bourrelé de remords et, par esprit de mortification, se donne les apparences de la mort. Un autre se croit damné et pense accomplir son devoir en s'abstenant de toute manifestation extérieure. Un autre, encore, se croit possédé d'un malin esprit ; il fait un délire à forme religieuse, multiplie les génuflexions et les prières, achète des crucifix, des bénitiers, désire la mort et la craint à la fois, à cause des peines éternelles, réclame les sacrements, etc.; finalement, il se croit mort et reste dans la position du cadavre dans son cercueil. Monoidéisés par leur obsession, tous ces aliénés l'objectivent somatiquement, de même que les hypnotisés objectivent les types qu'on leur a suggérés.
Cette apparence de sommeil, par intoxication psychique, oserai-je dire, peut se perpétuer sous forme de léthargie maniaque, même avec abstinence complète, pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines. Dans certains cas, l'idée délirante a fini par provoquer la véritable attaque de sommeil hystérique. Ainsi, une femme éprouve dans le dos une douleur intercostale. Les traitements conseillés n'amènent aucune amélioration. Alors la malade devient la proie d'une idée fixe : elle est certainement atteinte d'une fluxion de poitrine qui, non moins certainement, la fera mourir; elle refuse de manger et de boire, elle est à l'agonie, elle se dispose à mourir, elle fait ses dernières recommandations, reçoit les sacrements et tombe dans un état analogue à celui d'Eudoxie ou de Marguerite B....
• *
Devant vous parler des sommeils pathologiques, je n'ai voulu vous en donner qu'un aperçu général, car, dans l'état actuel de nos connaissances, toute systématisation serait prématurée. J'ai écarté de mon sujet les sommeils plus ou moins comateux qui surviennent à la suite d'affections fébriles ou de troubles de la circulation cérébrale, tels que congestion, hemorrhagie ou ramollissement. Je n'ai point fait mention non plus de la curieuse observation rapportée par M. Soca et relative à un sommeil de 7 mois consécutif à une tumeur de l'hypophyse. Mais ces cas pathologiques, et leurs analogues, ne sont pas à dédaigner : ils constituent de véritables expériences que la nature nous offre toutes faites et grâce auxquelles il nous sera loisible de lui arracher ses secrets. Par leur étude minutieuse, nous parviendrons, un jour ou l'autre, à éclairer quelques-uns des points les plus controversés de cette psychopathologie du sommeil naturel que j'ai commencé à vous
exposer ici-même, dans les cours des années précédentes. Si, dans cette leçon d'ouverture, j'ai sacrifié à l'actualité, je n'abandonne pas l'objet de nos recherches et, pendant ce semestre, je compte étudier avec vous, les mardis et samedis à cinq heures, la Psychopathologie du Rêve.
La psychologie et la médecine
Allocution de M. le Professeur R. Blanchard Professeur à la Faculté de Médecine, Membre de l'Académie de Médecine
Mesdames, Messieurs,
Il y a un quart de siècle, j'avais l'honneur d'être l'élève de Paul Bert et d'être attaché à son laboratoire en qualité de préparateur. Parmi les auditeurs les plus assidus du cours de physiologie de la Sorbonne, parmi les élèves qui venaient le plus régulièrement assister aux travaux pratiques, se trouvaient deux étudiants qu'on ne voyait jamais l'un sans l'autre et qui se faisaient remarquer par leur attitude réfléchie et méditative. Je sus bientôt que ces modernes Castor et Pollux s'appelaient l'un Bérillon, l'autre Magnin.
Les courts instants que je passais hors du laboratoire, je les dépensais soit à étudier les collections d'histoire naturelle, soit en séances à la bibliothèque du Muséum. La Pitié était tout près: Dumontpallier y faisait alors, avec l'éclat que l'on sait, son enseignement et ses recherches sur l'hypnotisme et les états analogues. Là encore, Oreste et Pylade, je veux dire Bérillon et Magnin, étaient au nombre des fidèles ; le maître ne tarda pas à les distinguer, à les prendre en affection et à en faire les dépositaires de sa méthode et de ses pensées. Voilà sous quels auspices ils sont entrés dans la carrière hypnologique et psychologique, qu'ils n'ont cessé depuis lors de parcourir avec tant de succès. • En sortant de la Pitié, ils venaient, eux aussi, au Muséum, où les attirait l'enseignement de Bouley. Nous nous rencontrions fréquemment à la bibliothèque ou dans les galeries ; nous causions de nos études, de nos rêves d'avenir, et voilà comment sont nées entre nous des relations amicales, qui durent depuis tantôt vingt-cinq ans et que le temps n'a pas affaiblies.
Les souvenirs que je viens d'évoquer vous expliquent, Messieurs, pourquoi j'ai aujourd'hui le grand honneur de présider cette séance de réouverture des cours de l'Ecole de Psychologie. En m'appelant pour un instant au fauteuil de la présidence, après les hommes éminents qui m'y ont devancé, MM. Bérillon et Magnin ont cédé, sans nul doute, aux suggestions d'un passsé déjà lointain, mais imprimé en caractères ineffaçables et toujours lumineux dans leur esprit comme dans le mien; ils ont voulu donner à un ancien camarade une marque particulièrement flatteuse de leur constante amitié. Je leur en suis reconnaissant, ainsi qu'aux autres professeurs de l'Ecole de Psychologie.
Votre Ecole, Messieurs, inaugure aujourd'hui sa quatrième année d'en-seignement. Elle est jeune encore, mais elle a déjà rendu d'éminents services; et la variété des cours, comme la qualité des professeurs, montre à quelle préoccupation vous avez obéi en fondant ce nouveau foyer d'instruction et de recherches. Une telle entreprise était bien digne du succès qui est venu couronner vos efforts; elle ne pouvait laisser indifférents ceux qui, de quelque doctrine philosophique qu'ils soient les adeptes, se préoccupent des graves problèmes relatifs à la psychologie de l'homme et des animaux.
Les maîtres éminents, autant que d'éducation diverse, qui ont occupé ce fauteuil avant moi, vous ont apporté leurs encouragements et vous ont dit quelles espérances on était en droit de fonder sur vous. Je n'ai point l'intention de paraphraser leurs allocutions, mais vous me permettrez bien de vous rendre hommage à mon tour, en raison de l'intelligente variété de vos programmes et surtout à cause du grand exemple que vous avez donné.
En effet, l'un des maux dont on souffre le plus en France, c'est de tout rapporter à l'Etat et de tout attendre de lui. Individuellement, les Maîtres de nos Facultés sont sans doute animés d'intentions louables, ils ne méconnaissent pas les progrès scientifiques et ont le plus ardent désir de favoriser l'évolution des doctrines, la création d'enseignements nouveaux, la promulgation de programmes inédits. Or, quand de telles questions viennent en discussion dans les Conseils universitaires, les opinions les plus divergentes sont émises, les complications les plus inattendues surgissent, les questions de personnes et de droits acquis interviennent, si bien qu'on piétine sur place et que les questions en apparence les plus simples sont souvent les plus insolubles. S'il faut en outre faire appel au concours pécuniaire de l'Etat ou de l'Université, la question se complique encore et les réformes souhaitées par chacun n'apparaissent plus que comme une lueur lointaine, vacillante et que le moindre souffle risque d'éteindre..
Il est certain qu'une association telle que la votre n'aurait pu se constituer sans J'intelligente initiative, sans la foi dans le succès, sans l'activité inlassable dont vous avez tous fait preuve. N'étant liés par aucun programme délibéré dans les hautes sphères administratives, n'ayant le souci d'aucun examen à faire subir, d'aucun diplôme à décerner, d'aucune application professionnelle, vous avez inscrit à votre programme non seulement des chapitres qui relèvent plus directement de la médecine mais encore des questions qui touchent à la psychologie spéculative, au mysticisme religieux, aux croyances et superstitions populaires et même à l'étude de la mentalité des animaux. Voilà peu d'années encore, on n'eût point manqué de crier au sacrilège et de vous dénoncer à l'opinion publique. Aujourd'hui, cette dernière a fait de tels progrès que des études comme celles que vous poursuivez ne peuvent plus offusquer que les esprits timorés ou ceux qui sont trop avancés dans la vie pour consentir à modifier les croyances philosophiques de leur enfance. La
science a fait ses preuves, sa faillite, proclamée par quelques esprits moroses, est en réalité un succès sans précédent; ses découvertes sont en train de révolutionner le monde et les croyances philosophiques auxquelles se trouvent conduits les hommes de bonne foi sont accueillies, sinon comprises, avec respect et déférence.
C'est la tout le secret du succès de votre entreprise : elle eût été téméraire et même dangereuse voilà moins de quarante ans, témoin la dénonciation dont fut l'objet, de la part de l'évèque Dupanloup, un jeune docteur de la Faculté de Paris. Aujourd'hui votre Ecole répond aux préoccupations de l'esprit scientifique et constitue, comme je le disais tout à l'heure, un nouveau foyer de recherches et d'enseignement.
Parmi les questions sans nombre qui s'offrent à vous, il n'en est peut-être pas de plus passionnantes que celles qui ont trait à l'étude expérimentale des fonctions de l'âme. En me servant de cette expression consacrée par l'usage, je n'entends point, vous le comprenez, faire allusion à un principe immatériel, éthéré, impondérable, invisible, insaisissable à nos moyens d'investigation, à ce je ne sais quoi qu'ont imaginé les philosophes spiritualistes, qui pénètre l'organisme humain tout entier ou seulement les centres nerveux, ou, plus simplement encore, une partie de ces derniers, qui les pénètre sans s'y incorporer, qui en fait partie intégrante tant que dure la vie, mais qui s'en échappe avec le dernier soupir, une telle conception, bien que très respectable, en raison de son antiquité, ne répond plus à l'état actuel de nos connaissances.
Au temps où la structure intime du cerveau était inconnue, les philosophes avaient beau jeu pour établir le siège de l'âme en tel ou tel point de l'encéphale. Descartes la localisait dans la glande pinéale, et son opinion se trouvait singulièrement corroborée par l'existence des deux rênes qui, partant de cet organe, lui semblaient être les guides par lesquelles l'âme dirigeait tout l'organisme. L'anatomie a eu raison d'une telle croyance : elle nous a montré que la substance cérébrale renferme un nombre immense de cellules qui s'unissent les unes aux autres comme les divers éléments d'une pile en batterie, et d'où partent finalement, comme autant de fils électriques, les nerfs qui vont se distribuer dans tout le corps ; elle nous a fait savoir, d'autre part, que la fameuse glande pinéale de Descartes, bien loin d'être le siège de l'âme ou un élément noble de la substance cérébrale, n'est pas autre chose qu'un ceil en voie de régression.
C'est donc dans les cellules, ou plutôt dans les neurones, comme on dit maintenant, que siège l'âme; elle n'en est que la manifestation physiologique et matérielle. L'histologie nous enseigne que ces neurones n'ont pas partout la même structure, d'où la conception qu'à des formes particulières doivent être rattachées des fonctions psychiques spéciales. L'anatomie pathologique et la physiologie expérimentale confirment éloquemment ces conceptions théoriques, en ce qu'elles mettent en évidence que les diverses fonctions de l'esprit sont localisées dans des circonvolutions particulières, c'est-à-dire dans des groupements spéciaux
de neurones. L'étude de la psychologie, aussi bien spéculative qu'expérimentale, doit donc tendre à discerner quelles cellules sont dévolues à une fonction particulière de l'âme.
Des assertions de ce genre ne sont acceptées des philosophes que depuis peu d'années; pour les physiologistes et les anatomistes, elles sont l'évidence même depuis un peu plus longtemps. J'ai assisté pour ma part au rapprochement qui, grâce aux progrès de l'histologie, s'est accompli à notre époque entre la biologie et la psychologie. En 1876, j'étais l'un des rares étudiants qui fréquentassent le petit laboratoire d'histologie zoologique, dont Georges Pouchet était alors sous-directeur, et qui se trouvait installé dans un vieil immeuble de la rue du Jardinet. En outre de quelques étudiants, ce laboratoire misérable, mais où j'ai passé deux années qui ont été décisives pour ma carrière, était fréquenté par un jeune philosophe qui venait là pour s'initier à la structure des centres nerveux, cherchant à établir ses croyances métaphysiques sur un substratum anatomique et physiologique. J'ai nommé Théodule Ribot, qui devait par la suite occuper avec tant d'éclat une chaire au Collège de France et fonder la Revue philosophique qui a eu tant d'influence sur l'orientation nouvelle des études philosophiques en France. A la même époque, Wundt s'engageait en Allemagne dans la même direction.
Ces deux penseurs, dont la carrière devait être si brillante, ont été les initiateurs d'un mouvement qui emporte toute la philosophie moderne et dont l'impulsion est bien loin de se ralentir. M. Jules Soury a été en France parmi les premiers adeptes; on sait quels ouvrages considérables il a signés de son nom. A une époque plus récente, on a vu des philosophes venir à la médecine et ne plus se contenter d'études incomplètes, bornées à la connaissance des centres nerveux : les Dr Pierre Janet et Georges Dumas, qui enseignent la philosophie au Collège de France et à la Sorbonne, ne me démentiront pas, si je dis qu'ils ont été guidés vers les études médicales par les préoccupations que je viens d'indiquer. Et parmi les professeurs de l'Ecole de Psychologie, le Dr Paul Farez n'est-il pas lui-même un anciun philosophe, que le désir d'approfondir les graves questions de la psychologie a conduit à la médecine?
Une telle évolution, chez de tels hommes, n'est-elle pas saisissante? Elle démontre, mieux que tout argument, l'influence prépondérante que la médecine clinique et expérimentale a définitivement acquise dans le domaine de la psychologie. Le temps n'est plus, où la philosophie spiri-tualiste et le médecin s'ignoraient réciproquement, où le premier trouvait en lui-même, dans son esprit subtil et dans son simple raisonnement, toutes les conditions nécessaires à ses spéculations. L'analyse psychique pourra rendre encore des services, car toute méthode de travail peut être bonne en elle-même, et le succès dépend bien plus du talent de l'ouvrier que de la qualité de l'outil qu'il manie; mais cette méthode, exploitée depuis plus de vingt siècles, a donné la plupart des résultats qu'on en pouvait attendre. C'est désormais par d'autres voies que la psy-
La grande hypnose chez les grenouilles en inanition,
par Micheline Stefanowska, docteur ès-sclences de la Faculté de Genève {suite) (*).
D'après les nombreuses expériences entreprises sur le cobaye, il apparaît que la singulière attitude du corps de l'animal pendant la torpeur résulte de ce fait qu'il essaie de corriger la position anormale dans laquelle nous l'abandonnons, mais que subitement cet essai de correction est arrêté eu route. -Les différentes attitudes Bizarres que les animaux gardent pendant l'immobilité ne sont donc que leurs attitudes naturelles, qu'ils prennent successivement pour revenir à la position qu'il leur est habituelle. Pour atteindre ce but, les animaux doivent contracter certains muscles de leurs membres et du corps, et cette contraction persiste dans l'état d'immobilité qui est survenu subitement. De là ces poses bizarres et peu équilibrées.
Les photographies qui accompagnent le travail de Verworn représentent bien cet état de choses. Le phénomène se montre surtout net chez le cobaye; chez la poule, il apparaît aussi, mais d'une manière moins typique. Chez la grenouille, la position de correction et la contraction des muscles sont souvent masquées par d'autres circonstances, de sorte qu'il faut recou-
(1) Voir Revue de l'Hypnotisme, numéros de Décembre 1903 et Janvier 1004.
chologie peut progresser : les philosophes éminents, dont je viens de rappeler les noms, l'ont bien compris et ils auront devant l'histoire le mérite de s'être institués résolument les pionniers hardis d'une exploration au début difficile, mais riche de promesses.
L'Ecole de Psychologie peut revendiquer une large part de ce mérite, car elle est le premier groupement de savants qui, en dehors des milieux officiels, s'est donné pour tâche de propager par l'enseignement ces doctrines nouvelles et de les asseoir sur un faisceau d'observations ressortissant à la clinique, à l'anatomie pathologique et à l'expérimentation. Votre succès démontre clairement que vous avez été compris et que votre Ecole répondait à un véritable besoin. Cette journée, qui m'a mis en contact plus intime avec vous et qui m'a permis de vous apporter la très sincère expression de mon admiration pour vos hautes tendances scientifiques, pour l'abnégation dont vous faites preuve et pour le progrès dont vous êtes les instigateurs, sera marquée d'une croix blanche, car elle compte au nombre des meilleures de ma carrière.
rir à certains artifices pour retrouver les mêmes attitudes que chez le cobaye.
Pourquoi l'essai de se relever est-il subitement arrêté chez un animal? Verworn s'est persuadé, à l'aide de la méthode graphique, que quand l'animal entre dans l'état d'immobilité, l'arrêt dans la position de correction provient de ce fait que les impulsions motrices sont insuffisantes pour produire ces mouvements. Ses expériences prouvent qu'à chaque excitation artificielle, les muscles montrent une nouvelle somme de contraction surajoutée, et non point de l'inhibition, comme dans les recherches connues de Heidenhain et Bubnoff (1). Selon l'auteur, la fatigue joue un rôle important dans ce phénomène. La contraction tonique des muscles est surtout favorisée par ce fait que l'animal produit un grand effort pour combattre l'obstacle qui l'empêche de faire des mouvements.
Contrairement à l'opinion de Preyer, Heubel et Danilewsky, Verworn prétend que chez les animaux dits « hypnotisés », les réflexes ne sont point diminués, ou plutôt que la diminution des réflexes dans cet état provient uniquement de l'effet de la fatigue. De plus, Verworn conclut que les organes des sens sont éveillés pendant l'état d'immobilité et qu'on ne peut même constater aucune modification dans l'état de leur excitabilité. Je ne puis souscrire à cette opinion, car de très minutieuses expériences m'ont montré que, dans l'état de torpeur profonde, les réflexes sont toujours très considérablement abaissés, même dans les cas où la fatigue n'entre pas en ligne de compte; quant aux organes des sens, ils sont loin de fonctionner normalement, et souvent ils suspendent complètement leur activité. La divergence qui existe entre les observations de Verworn, d'un côté, et les observations de ses prédécesseurs et les miennes, de l'autre, peuvent s'expliquer uniquement par cette circonstance, que Verworn n'a observé que la première phase de l'hypnose superficielle, quand le sommeil proprement dit ne s'est pas encore établi, tandis que dans l'hypnose profonde, l'état physiologique de l'animal est complètement changé. De plus, les signes caractéristiques de l'hypnose ont été étudiés principalement chez la grenouille ; or Verworn n'a eu sous la main que des grenouilles peu hypnotisables ; il l'avoue lui-même et s'étonne que Heubel et Danilewsky ont choisi cet
(1) Heidenhain und Bubnoff, Ueber Erregungs- und Hemmungsvorgânge inner-halb motorischen Hirncenlren. Pftliger's Archiv, 1881, Bd XXVI.)
animal comme objet de prédilection pour leur3 recherches.
Verworn diffère aussi dans l'interprétation de ce phénomène. Pour lui, cet état d'immobilité chez les animaux ne peut être comparé à l'hypnose chez l'homme, avec laquelle il n'a qu'une ressemblance purement extérieure, en ce sens que dans les deux Cas prennent part les phénomènes de l'inhibition ; mais toute inhibition n'est pas nécessairement l'hypnose. Chez les animaux, le phénomène principal se réduirait simplement à un réflexe tonique de position, lequel prête à l'animal l'attitude extrêmement bizarre.
Quant à la localisation de ce phénomène dans le système ner-veux, Verworn admet que tout se passe dans la station centrale pour les réflexes de la position du corps. Or nous savons que cette station se trouve chez la grenouille dans la partie antérieure de la moelle allongée. Chez les vertébrés supérieurs, cette question n'a pas encore été complètement élucidée, mais on peut admettre que cette station centrale se trouve dans le cervelet; là serait le centre pour les réflexes de position du corps et pour la contraction tonique des muscles. Quant aux sphères motrices de l'écorce cérébrale, elles se trouvent non seulement inactives, suivant cet auteur, mais de plus dans un état d'inhibition plus ou moins prononcé.
Il résulte des travaux que nous venons de passer en revue, que l'hypnose chez les animaux a été examinée à des points de vue variés, et particulièrement l'hypnose chez la grenouille a été l'objet d'études dans les différentes conditions expérimentales. Grâce à la vitalité extrême de cet animal, on a pu découvrir que, même chez les individus décapités, l'hypnose apparaît encore et presque avec les mêmes caractères que chez les animaux non lésés. Si le cerveau exerce une certaine influence sur ce phénomène, il parait cependant acquis, dès à présent, que l'hypnose chez les vertébrés inférieurs est surtout un phénomène bulbo-médullaire. La constatation de cette localisation centrale possède une importance capitale pour la compréhension de ce phénomène énigmatique de neuro-physiologie animale ; car, par le fait même de cette localisation, nous sommes autorisé à admettre que les centres cérébraux supérieurs ne jouent qu'un rôle secondaire dans l'hypnose chez la grenouille. En est-il de même chez les vertébrés supérieurs et chez l'homme? C'est aux recherches futures d'y fournir une réponse.
DEUXIÈME PARTIE. — Recherches personnelles
I. — La disposition pour l'hypnose variable suivant les saisons. La grande et la petite hypnose chez les grenouilles.
Nous avons vu qu'une série de recherches entreprises par les physiologistes ont contribué à éclaircir bien des points dans l'hypnose animale. Cependant un vaste champ reste encore complètement inexploré ; il parait singulier qu'on n'ait pas jusqu'ici recherché s'il existe un rapport entre le sommeil hypnotique et les conditions de nutrition de l'animal. Cette lacune dans la littérature parait d'autant plus frappante qu'on a étudié l'hypnotisme animal principalement chez la grenouille. Or nous avons des preuves nombreuses que l'état physiologique général de cet animal varie énormément suivant les saisons de l'année, parce que ses conditions de nutrition sont différentes. Il y avait donc là matière â rechercher si la disposition pour le sommeil hypnotique ne varie pas aussi avec les saisons.
Parmi les auteurs cités, seul Gley a observé que la maladie et la faim sont des conditions favorisant l'hypnotisme chez la grenouille. D'autres expérimentateurs ne donnent point de détails sur l'état physiologique des grenouilles qu'ils ont utilisées pour l'étude de l'hypnose. Souvent ils n'indiquent même pas sur quel genre de grenouilles ils ont expérimenté, ce qui constitue une lacune considérable, car nous savons que la grenouille verte réagit souvent d'une façon autre que la grenouille rousse. Et pourtant nous trouvons chez les auteurs celte remarque que parmi les grenouilles il existe des individus facilement hypnotisables à côté d'autres qui sont rebelles à ces expériences.
Heubel, ayant étudié l'hypnose chez la grenouille rousse (Rana teinporaria), admet que les grenouilles sont hypnotisables en toutes saisons. Or, en expérimentant moi-même exclusivement sur la grenouille verte (Rana esculenta) durant une année entière, j'ai pu observer que la prédisposition pour l'hypnose est sujette à de grandes variations chez les mêmes individus, et que la saison joue un rôle important dans cette disposition. Sous ce rapport, la différence est énorme entre les grenouilles qui ont été fraichement recueillies dans les marais en automne et celles qui ont passé l'hiver en captivité et, par consë-
quent, ont été privées de nourriture pendant six à dix mois, comme c'est généralement le cas avec les grenouilles qu'on approvisionne pour les besoins du laboratoire. Ces deux catégories de grenouilles se comportent tout à fait autrement si l'on essaie de les hypnotiser. En général les grenouilles fraîchement capturées au printemps, en été et surtout en automne, n'ont pour ainsi dire aucune disposition pour l'hypnose, et sauf les individus malades et amaigris, elles luttent vigoureusement si on veut les maintenir dans des positions anormales, tandis que les grenouilles en inanition, après un jeûne prolongé de plusieurs mois, présentent des sujets excellents pour l'étude de l'hypnose.
• Il y a lieu d'ouvrir ici une parenthèse pour s'entendre sur le sens que j'accorde aux mots: état hypnotique chez la grenouille. Nous trouvons souvent chez les auteurs précédents cette remarque, que la grenouille renversée sur le dos et maintenue de force dans cette position pendant une à quinze minutes, reste immobile dans cette position pendant quelques secondes, voire même pendant quelques minutes, si on l'abandonne librement à elle-même.
Elle se remet ensuite dans sa position habituelle. Or, selon mes observations, cet état d'immobilité momentanée ne constitue pas encore « l'hypnose », laquelle possède des signes très caractéristiques chez la grenouille. En effet, quoi d'étonnant que la grenouille, qui résiste et se débat pendant dix minutes jusqu'à un quart d'heure pour se libérer des mains qui la maintiennent et l'oppressent, se fatigue, s'exténue et cède pour quelques minutes ! Elle a dépensé tant de forces dans de vains efforts pour se relever ; en résistant, elle a éprouvé tant de sensations douloureuses et émotionnelles qu'elle est incapable de lutter pendant quelque temps et reste immobile dans la position anormale, même si on la laisse libre. Le cas est surtout fréquent avec les fortes femelles, qui ont de la peine à se retourner. Mais leur respiration énergique, leurs yeux mobiles, leurs pupilles dilatées prouvent qu'elles ne sont point endormies. Elles sursautent, en effet, au moindre bruit, réagissant au pincement de la peau ; leur sensibilité cutanée est ou bien normale, ou quelque peu abaissée, mais cela peut provenir simplement de l'état de fatigue de l'animal, occasionné par les mouvements musculaires énergiques. C'est probablement à de telles grenouilles que Verworn eut affaire, ce qui l'a conduit à conclure que la grenouille se prête peu à des expériences d'hypnotisme.
J'ai eu moi-même fréquemment l'occasion d'observer qu'on ne parvient point à immobiliser certaines grenouilles vigoureuses et alertes, même après quarante minutes jusqu'à une heure d'essai. Finalement, elles lassent l'observateur par leurs efforts continuels pour se relever. Les grenouilles fraîchement cueillies en automne se montrent les plus rebelles à ces expériences. Elles se trouvent alors dans les meilleures conditions physiologiques, l'état de liberté et la nutrition abondante ayant pour effet de rendre leurs muscles vigoureux, leurs mouvements vifs et rapides.
La résistance à l'hypnose des grenouilles d'automne se continue pendant les premiers mois de l'hiver, puis petit à petit on commence à trouver dans le ranarium des individus chez lesquels il est possible de produire le sommeil hypnotique superficiel et de courte durée, autrement dit, on peut provoquer chez eux, la petite hypnose. Mais à mesure que le printemps approche, on trouve un nombre grandissant de sujets hypnotisables. Les mêmes individus qu'on ne parvenait jamais à endormir vers la fin de l'automne, tombent facilement en hypnose profonde au printemps, et surtout en été, si l'on continue à les garder en captivité. De même, les grenouilles fraîches recueillies dans les marais au printemps et en été résistent à l'hypnose pendant plusieurs semaines. Mais si on les garde au laboratoire de deux à trois mois, sans les nourrir, elles se laissent facilement endormir au bout de ce temps, quoique le sommeil ne soit jamais ni si profond ni si long que chez les grenouilles qui ont subi l'inanition six à dix mois. De plus, il est à remarquer que les grenouilles capturées au printemps ne supportent pas l'inanition de plusieurs mois : elles maigrissent rapidement et périssent en captivité. Pour qu'elles puissent supporter cette longue privation, il faut avoir soin de faire une provision de grenouilles en automne, quand elles ont emmagasiné une grande quantité d'énergie vitale.
En somme, on peut dire que les grenouilles saines et vigoureuses se prêtent peu à l'hypnose, tandis que les grenouilles malades ou épuisées sont hypnotisables en toute saison. Mais l'hypnose devient surtout caractéristique et profonde chez les grenouilles en captivité qui ont été privées de nourriture pendant six à dix mois. De telles grenouilles deviennent d'excellents sujets. L'hypnose présente chez elles les mêmes signes extérieurs qui ont été décrits par Charcot et son école comme étant caractéristiques de la grande hyptose.
La description des expériences dans les chapitres suivants se rapporte exclusivement aux grenouilles capturées en automne et qui ont séjourné l'hiver dans le ranarium.
(à suivre)
L'abondance des matières nous oblige à remettre au prochain numéro la fin du travail de notre collaborateur, M. le D' Tiinet-Sanglé, sur « la Psychologie religieuse et l'ascendance des religieuses de Port-Royal. »
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du 17 novembre 1903. — Présidence de M. Paul Maqxin, vice-président.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le Président communique à la Société une lettre par laquelle M. Jules Voisin s'excuse de ne pouvoir venir présider la séance.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance qui comprend des lettres d'excuses de MM. Fiessinger et Baguer, puis une lettre dans laquelle M. le D' Bernard (de Cannes) relate un cas d'hy-perexcitabilité neuro-musculaire, récemment observé et étudié dans sa clientèle. MM. Paul Magnin et Bérillon prennent la parole à ce sujet.
Les communications portées à l'ordre du jour sont faites ainsi qu'il suit :
; M. Pewnitzky. — Traitement de l'alcoolisme à l'ambulance psychothérapique de la clinique de Bechterew.
M. Crûs. — Rapport entre la puissance de l'image visuelle et la puissance du souvenir ; applications pratiques. Prennent la parole : MM. Bloeh et Bérillon.
M. Félix Kegnault. — Psychologie de l'entraînement dans la course en flexion. Prennent la parole : MM. Bérillon, Demonchy, Btech, Magnin.
M. Bérillon présente deux malades, l'un une jeune fille atteinte de maladie des tics, l'autre un homme de quarante ans qui, à la suite d'un choc moral, présente du mutisme absolu depuis dix-huit mois.
M. Félix Regnault présente deux jarretières dites de Carmélite, rapportées d'Espagne et employées par une mystique pour faire pénitence. Prend la parole : M. Bérillon.
La séance est levée à 6 h. 45.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Le dispensaire anti-alcoolique de Paris.
Le dispensaire anti-alcoolique de Paris, créé par M. le Dr Bérillon, médecin-inspecteur des asiles d'aliénés, a été inauguré dimanche dernier.
L'inauguration a eu lieu au siège du dispensaire anti-alcoolique, 49, rue Saint-André-des-Arts, sous la présidence de M. Jules Voisin, médecin de la Salpétrière, assisté de MM. les D,f Legrain, médecin dc l'asile de Ville-Evrard et Félix Regnault, professeur à l'Ecole de Psychologie.
M. le Dr Jules Voisin, a démontré dans une allocution applaudie, que l'alcool doit être considéré comme l'agent le plus important de la dégénérescence humaine. Il a aussi insiste sur l'accroissement des cas d'aliénation mentale causés par l'abus des boissons alcooliques.
M. le Dr Legrain a fait un exposé très intéressant des œuvres antialcooliques et indiqué le rôle moralisateur des restaurants de tempérance, dont la création récente a obtenu un grand succès dans les milieux ouvriers.
Enfin le Dr Bérillon a expliqué le but du dispensaire anti-alcoolique, qui est de fournir à ceux qui s'adonnent avec intempérance à l'abus des boissons alcooliques la direction morale et les traitements appropriés pour résistera leur-dangereuse habitude. Il a démontré l'importance du traitement psychologique, reposant sur la suggestion hypnotique, qui
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 15 février 1904, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpêtrière.
Communications inscrites :
M. Ch. de Coynard : Le merveilleux et la sorcellerie au xviii* siècle. Dr Bérillon : 1. Le bégayement graphique et son traitement psychothérapique. — 2. Un cas d'écriture automatique. Dr Demonchy : Rapport du caractère avec l'évolution dentaire. Dr Aragon : Psychopathies d'origine utérine. Dr Beaunis : Contribution à la psychologie du rêve.
Les séances de la Société ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois, à 4 h. et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 4, rue Castellane, et les cotisations à M. le Dr Farez, trésorier, 93, rue de Courcelles.
permet d'obtenir la guérison des buveurs par une rééducation de leur volonté.
La création du dispensaire anti-alcoolique, la première œuvre de ce genre créée à Paris, comble une lagune et vient à son heure. Elle évitera certainement à un certain nombre de buveurs immodérés l'ennui d'aboutir à l'internement dans un asile d'aliénés.
Elle présente aussi un grand intérêt sociologique puisqu'elle permettra de lutter contre une habitude que l'on considère à juste titre comme le plus grand dissolvant du milieu familial.
Les consultations du dispensaire anti-alcoolique ont lieu sous la direction du D' Bérillon, jeudis, samedis, de 10 heures à midi, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Epidémie de suicides
Nous extrayons d'un courrier qui arrive d'extréme-Orient, des détails assez terrifiants sur une épidémie de suicides qui sévit en ce moment dans les provinces du sud de la Chine.
Les jeunes filles et les jeunes femmes ont adopté la coutume de s'attacher par groupes de six ou huit et de se précipiter dans la rivière. Six cents jeunes filles ont déjà péri de cette manière.
Les autorités prennent des mesures pour empêcher le développement de ces immolations volontaires qui sont particulièrement nombreuses dans le Kouan-Toung, autour de Canton et dans l'île de Haï-Nan.
On attribue cette folie contagieuse à la sécheresse qui règne en ces régions et que n'ont pu conjurer les prières adressées aux dieux. Les jeunes filles se croient abandonnées par la divinité et préfèrent renoncer à l'existence.
Ces faits constituent une intéressante contribution à l'histoire déjà si documentée du suicide par imitation.
Un sommeil de 96 heures par le trional.
Ce sommeil de 96 heures a été observé sur un médecin russe (Journal russe de mèd. milit.. n° 1, 1903). Il est vrai que ce sommeil n'était pas naturel. Dans un but de suicide, le malheureux avait absorbé 25 gr. de trional. Des injections sous-cutanées de strychnine (2 milligr. toutes les 4 heures furent administrées au bout de 60 heures), elles réveillèrent le dormeur après la sixième injection. II était temps car le malade était tombé dans un état comateux, et la température s'était abaissée à 35°. Cette résurrection prouve que le trional constitue un poison médiocre Vingt-cinq grammes n'entraînent pas la mort. Dans une autre tentative de suicide, le malade avait absorbé huit grammes. Il guérit également.
NOUVELLES
Cours de l'Ecole de Psychologie
Les cours de l'Ecole de psychologie, professés par MM. les Dr Bêrillon, Paul Magnin, Paul Farez, Félix Regnault, Watteau, Legrain et par MM. Caustier et Lépinay, continuent tous les jours à cinq heures, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Les cours sont publics et gratuits.
Conférences pratiques d'hypnologie et de psychothérapie
Les conférences cliniques sur les applications de l'hypnotisme k la psychothérapie et à la pédagogie, ont repris le jeudi 14 janvier, à 10 heures du matin. Elles sont dirigées par les D" Bêrillon, Magnin et Paul Farez. On s'inscrit les jeudis à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Conférences de 1904
Chaque année, les cours de l'Ecole de psychologie sont complétés par des conférences faites au siège de l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts. Ces conférences portent sur toutes les questions qui relèvent de la psychothérapie et de la psychologie. Les conférences sont publiques.
(suite)
les vendredis ? hc1t beches et demie du soir
Vendredi 12 février, à8 h. 1/2. Les maladiesde la sensibilité morale : Etude psijchologiquc de la cruauté par le Dr Bêrillon, médecin inspecteur des asiles d'aliénés (avec projections).
Vendredi 19 février, à 8 h. 1/2. La mélancolie et son traitement psychothérapique, par M. le Dr de Jong, directeur de la clinique psychothérapique de la Haye.
Vendredi 26 février, à 8 h. 1/2. L'hystérie et son traitement hypnotique, par M. le Dr Paul Joire, de Lille (avec projections).
Vendredi 4 mars, à 8 h. 1/2. Lapsychologie du courage militaire, par M. le capitaine Villetard de Laguérie (avec projections).
Vendredi 11 mars, à 8 h. 1/2. La suggestion et l'imitation dans l art, par M. Valentino (avec projections).
Vendredi 18 mars, à 8 h. 1/2. Pédagogie psychologique : La colère chez l'enfant, par M. Malapert, professeur au lycée Louis-le-Grand.
D' Licbeault (de Nancy)
Le fondateur de l'Ecole de psychologie de Nancy vient de mourir. Né à Favlères (Meurthe-et-Moselle) le 16 septembre 1823, il était donc âgé de plus de quatre-vingts ans. Depuis une dizaine d'années, le maître vénéré auquel tant de médecins et de psychologues doivent l'inspiration de leurs doctrines et de leurs principes, vivait dans une retraite complète, entouré des soins affectueux de Madame Liébeault et de sa fille.
18» Année. — ?* 9
Mars 1904.
Nous n'entreprendrons pas aujourd'hui d'exposer l'œuvre de l'homme dont les travaux ont eu pour principal résultat de créer de toutes pièces la méthode thérapeutique qui repose tout entière sur l'emploi de moyens psychologiques et que l'on désigne sous le nom de psychothérapie. Nous nous bornerons à retracer les étapes de son existence si digne et si bien remplie.
Reçu docteur en médecine en 1858, il alla s'installer à Pont-Saint-Vincent, à 13 kilomètres de Nancy. Après y avoir pratiqué la médecine pendant dix ans et avoir acquis dans toute la contrée la réputation d'un praticien judicieux, il commença à se rendre compte de l'importance que joue le moral non seulement dans la production, mais aussi dans la guerison des maladies. Dès lors, sa voie était tracée; il se mit résolument à utiliser l'hypnotisme et le sommeil provoqué dans le traitement d'un certain nombre de troubles fonctionnels. Il a raconté dans divers articles les difficultés qu'il eut à surmonter pour triompher de l'esprit de routine. Ace point de vue, il ne fut pas mieux partagé que Braid auquel la section de médecine de l'Association britannique pour l'avancement des sciences avait refusé la lecture d'une communication ayant pour titre : Essai pratique sur Paction curative de G Hypnotisme,
Liébeault, venu à Nancy pour y trouver un champ d'expériences plus étendu, non seulement ne rencontra aucun encouragement de la part de ses confrères; bien mieux, un certain nombre d'entre eux n'hésitèrent pas à accabler de leurs dédains un médecin dont les théories médicales et la thérapeutique étaient si peu conformes aux traditions officielles.
Doué d'un caractère élevé, inaccessible au découragement, Liébeault vécut à l'écart, en dehors du monde médical, consacrant tout son temps aux malades qui venaient à la clinique qu'il avait fondée rue de Bellevue. En 1866, il publia le fruit de ses observations dans un volume remarquable ayant pour titre : Du sommeil et des états analogues considérés surtout au point de vue de faction du moral sur le physique. Il y exposait les principes dont s'inspirent aujourd'hui tous ceux qui, dans la pratique dé la psychothérapie, sont restés fidèles à la méthode scientifique.
Depuis lors, les travaux et les études du D' Liébeault ont été publiés dans la Revue de l'Hypnotisme, dont il fut un des inspirateurs.
Liébeault a été un chef d'école. Ses élèves sont nombreux et
on en trouve dans toutes les parties du monde. Nous leur demandons.de nous aider à faire revivre la physionomie de l'homme de bien et du savant que fut Liébeault. Nous souhaitons qu'ils nous écrivent leurs impressions sur lui et nous insérerons avec plaisir tout ce qui pourra contribuer à faire connaître le maître regretté aux médecins de la nouvelle génération (').
Nous pensons que la prochaine séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie qui se tiendra le 21 juin prochain pourrait être l'occasion d'une manifestation scientifique importante en l'honneur de Liébeault : l'éloge de sa vie et de son œuvre y serait prononcé par ceux qui l'ont connu. Nous
La cliniquedu docteur Liébeault a Nancy.
espérons que nous retrouverons, pour l'organisation de ce témoignage d'admiration à l'égard du maître regretté, le même élan d'enthousiasme qui s'est révélé lors de la manifestation qui fut inspirée par notre ami, le Dr Lloyd Tuckey, de Londres, et qui eut lieu à Nancy, le 25 mai 1891.
Le Dr Van Renterghem, d'Amsterdam, dont le culte pour Liébeault lui a inspiré la création du magnifique Institut de psychothérapie placé sous l'égide du maître, nous exprime une idée à laquelle nous nous rallions avec empressement, il propose d'ouvrir une souscription dans le but d'élever à Liébeault
(1) Nous reproduirons dans notre prochain numéro les articles que la mort de Liébeault a inspirés à la presse.
un monument digne de lui. Le Dr Van Renterghem s'inscrit le premier pour une somme de cent francs.
La Revue de l'Hypnotisme s'empresse de faire part de cette généreuse idée à tous les amis, à tous les élèves et à tous les admirateurs de Liébeault. Nous sommes convaincus que la ville de Nancy et le département de Meurthe-et-Moselle tiendront à s'associer à cette œuvre de reconnaissance.
Dans le prochain numéro de la Revue, nous publierons la première liste de souscription. La bonté, la générosité et l'élévation du caractère de Liébeault lui avaient assuré une place durable dans le cœur de ses élèves. Il faut qu'un monument perpétue la gloire du savant et apprenne aux générations futures qu'il mérite d'être rangé au nombre des bienfaiteurs de l'humanité.
Dr BÉRILLON.
La grande hypnose chez les grenouilles en inanition,
par M»e Micheline Stefanowska, docteur és-sclences de la Faculté de Genève (suite) (*}.
ii. — Conditions expérimentales et procédé employé pour endormir les grenouilles
Avant d'aborder la description des expériences, il sera utile de mentionner ici que les grenouilles, quoique en captivité, se trouvaient dans de très bonnes conditions. Elles ont été gardées pendant l'hiver dans le sous-sol du laboratoire, dans un vaste bassin en maçonnerie rempli d'une eau, qui était continuelle-ment renouvelée. De plus, les grenouilles pouvaient à volonté sortir du bassin pour séjourner sur un terrain sec qui leur était aménagé. L'air et la lumière pénétraient suffisamment par une fenêtre; la température dans le sous-sol était modérée et la la lumière mitigée.
Au commencement du mois de février, une trentaine de ces grenouilles furent transportées dans la salle du laboratoire et placées dans plusieurs bocaux contenant un peu d'eau. Le corps des animaux n'était donc pas submergé. L'eau était changée rigoureusement tous les jours et les grenouilles recevaient une légère douche rafraîchissante durant plusieurs minutes, ce qui paraissait leur être très agréable. Dans ces conditions, les gre-
(1) Voir Revue de l'Hypnotisme, numéro de décembre 1931 et suivants.
nouilles ont servi aux expériences jusqu'au mois d'août de la même année. Toutes ces grenouilles semblaient jouir d'une bonne santé; au commencement du printemps, elles étaient encore très vigoureuses, à muscles bien fournis, aux mouvements alertes. Mais ces grenouilles se distinguaient au printemps par une grande surexcitabilité; dès qu'on s'approchait des bocaux, elles se mettaient aussitôt en danse folle et poussaient des cris de détresse.
Indépendamment de ce premier lot, pendant tout le printemps et l'été on cherchait tous les mois un nouveau lot de grenouilles au ranarium et on les soumettait aux expériences hypnotiques, afin de comparer leur état avec celui des grenouilles qui avaient séjourné plus longtemps au laboratoire et se trouvaient de ce fait dans des conditions moins favorables que celles venant du ranarium.
De plus, on comparait au printemps et en été les grenouilles en captivité avec celles qui ont été fraîchement capturées dans les marais. Ces séries de comparaisons ont fait ressortir ce fait capital, que la prédisposition pour l'hypnose croit non seulement avec les progrès de l'inanition, mais que de plus elle est favorisée par toutes les conditions qui sont contraires à la vie normale de la grenouille. Le séjour au laboratoire rentre dans ce dernier cas. Remarquons toutefois que, malgré le séjour de plusieurs mois au laboratoire, la mortalité parmi les grenouilles était minimale. Les expériences hypnotiques n'augmentaient pas la mortalité, comme il ressort des expériences comparatives. Parmi les grenouilles en inanition, c'étaient les individus les plus émaciés qui mouraient toujours les premiers. Cependant j'ai pu conserver un nombre considérable de grenouilles jusqu'aux premiers jours du mois d'août. Mais leur maigreur était devenue excessive; elles ne pouvaient plus sauter et rampaient à la manière des crapauds. A la fin même, ces mouvements étaient gênés, et les grenouilles avaient complètement perdu la voix.
Il va sans dire que les grenouilles dans cet état extrême d'épuisement ne présentent plus aucun intérêt au point de vue de l'étude de l'hypnose. Aussi les expériences que je décris plus loin ont-elles été faites à l'époque où les grenouilles en inanition conservaient encore les apparences de la santé.
Procédé employé pour endormir les grenouilles. —Autant il est difficile d'endormir ou même d'immobiliser une grenouille en pleine force physique, autant il est facile de provoquer le
sommeil hypnotique profond chez les grenouilles en inanition. La prédisposition pour l'hypnose va même en augmentant avec les progrès de l'inanition. Les expériences ont toujours été faites en pleine lumière, dans la salle souvent inondée de soleil et dont la température était fréquemment élevée au printemps et en été. On ne prêtait aucune attention aux bruits éloignés. Les grenouilles étaient retirées du bocal et placées sur une table dans la position dorsale ; on les retenait légèrement avec les doigts. Très souvent la grenouille demeurait immobile dans cette position au bout d'une minute, et l'on pouvait dès lors la laisser libre. Dans d'autres cas, si la grenouille montrait de la tendance à se retourner, on lui élongeait doucement les membres postérieurs et on la retenait par des chevilles durant quelques minutes. Les grenouilles en inanition généralement ne luttent point dans cette position. Ces manœuvres étaient tout à fait inoffensives, car elles ne produisaient ni douleur ni fatigue ; cependant la grenouille s'immobilisait presque aussitôt.
Pour plonger la grenouille dans l'hypnose profonde, il a fallu souvent une tranquillité complète autour d'elle pendant plusieurs minutes, mais cette précaution devenait superflue dans les derniers stades de l'inanition ; les grenouilles tombaient presque subitement dans le sommeil profond dès qu'on les renversait sur le dos, malgré le va-et-vient et les conversations dans la même salle.
iii. — La grande hypnose chez les grenouilles en inanition.
Caractères : Respiration; état des pupilles : état des organes des sens; analgésie cutanée; sens kinesthésique.
La respiration. — Placée dans la position anormale, la grenouille se met aussitôt à respirer fréquemment et fortement, comme si elle était excitée ; chez les mâles, ces mouvements respiratoires renforcés produisent l'apparition rythmique des sacs résonateurs ; souvent les grenouilles coassent beaucoup dans cette période, même si on les laisse libres. Mais après quelques minutes, la respiration redevient normale, puis bientôt les mouvements respiratoires s'affaiblissent, deviennent plus superficiels et il ne persiste que les mouvements de déglutition. C'est le signe que le sommeil arrive. En effet, l'état d'hypnose profonde est toujours caractérisé par une respiration ralentie et très faible ; parfois ces mouvements deviennent à peine perceptibles. Il arrive même que la respiration
pulmonaire s'arrête complètement pour quelques minutes, puis elle reprend de nouveau soit spontanément, soit par suite d'une excitation, par exemple si on ébranle la table surlaquelle repose l'animal, ou si on le remue légèrement.
On peut donc dire qu'en général la profondeur du sommeil hypnotique peut être mesurée par le degré de l'affaiblissement respiratoire; si les mouvements respiratoires sont très forts, on a la certitude que l'animal ne dort pas.
L'état des pupilles.— L'état des pupilles est un second signe extérieur qui caractérise l'hypnose. Chez toutes les grenouilles en observation, les paupières ont toujours été largement ouvertes pendant le sommeil hypnotique. Les yeux sont écar-quillés, fortement saillants hors des orbites et complètement immobiles, fixes. Les pupilles changent de forme aussitôt que le sommeil arrive. On sait que chez la grenouille normale les pupilles sont très grandes, presque rondes (sauf une petite encoche dans la partie inférieure de l'œil. Or, dès qu'on endort une grenouille et qu'on observe ses yeux à la loupe, on voit que ses pupilles se rétrécissent fortement et prennent la forme d'une fente allongée dans le sens horizontal. L'immobilité des yeux largement ouverts et le rétrécissement considérable des pupilles donnent au regard de l'animal l'aspect morne caractéristique. On dirait que la vie est éteinte dans cet organisme. Mais dès que la grenouille se réveille, ses pupilles s'élargissent instantanément et reviennent à l'état normal.
J'insiste sur ce changement de pupille, car, pour autant que je sache, personne n'a encore attiré l'attention sur ce fait qui se répète constamment dans l'hypnose profonde. Il m'a été encore possible d'observer pareil rétrécissement des pupilles chez des grenouilles éveillées mais malades, ainsi que chez les grenouilles trouvées engourdies pendant un fort abaissement de température en hiver. Il est vrai que dans la narcose profonde chez la grenouille, les pupilles se rétrécissent aussi, mais modérément et, d'après mes comparaisons, le rétrécissement delà pupille dans la narcose possède un caractère différent: la pupille garde alors sa forme arrondie, seule l'ouverture en est diminuée.
L'état des organes des sens pendant la grande hypnose. — La grenouille hypnotisée parait ne rien voir ni entendre de ce qui se passe autour d'elle ; elle reste complètement inerte et ne réagit pas même aux plus fortes excitations. Ainsi on peut exécuter avec les mains toute sorte de gestes devant les yeux
largement ouverts de l'animal, sans qu'il fasse un mouvement; on peut même toucher sa pupille avec un bout de papier sans provoquer une réaction. La grenouille dans cet état ne réagit pas non plus aux bruits les plus forts : on peut parler, marcher, tousser à côté d'elle, frapper dans les mains, frapper avec un crayon contre la table d'expériences, la grenouille continue à rester immobile.
La peau est devenue insensible au toucher et à la douleur, comme les nombreuses expériences le prouvent. Ainsi, on peut souffler fortement sur la peau des grenouilles endormies, ou bien frotter légèrement leur peau avec la pointe d'une aiguille, chatouiller les lèvres et les narines, sans provoquer un mouvement dans beaucoup de cas ; une petite pluie artificielle, qui tombe sur la grenouille endormie, souvent n'est pas capable de rompre son inertie.
Anesthésie cutanée à la douleur. — L'analgésie est surtout prononcée dans l'état hypnotique. On peut pincer et piquer les parties molles les plus sensibles de l'animal sans le réveiller. Il arrive souvent qu'on blesse les orteils et la membrane interdigitale à l'aide d'une aiguille sans provoquer de réaction ; cependant, dans beaucoup de cas, on réveille la grenouille par ce procédé ; tout dépend du degré de la profondeur du sommeil, lequel lui-même est en rapport direct avec l'épuisement physiologique.
L'exploration de la douleur à l'aide d'une aiguille ordinaire ne nous donne aucune évaluation de la force de la piqûre ; pour parer à cet inconvénient, j'ai eu souvent recours à l'algêsimètre à poids (du Dr Cheron), dans lequel une aiguille indique sur un cadran gradué de combien une pointe fuit et avec quel poids en pression elle s'enfonce dans la peau. Le cadran est divisé en 50 parties, dont chacune correspond à un dixième de millimètre, tandis qu'une seconde échelle graduée, tracée sur la tige verticale de l'instrument, indique en grammes la pression exercée pour enfoncer l'aiguille.
Voici quelques procès-verbaux tirés de mes expériences :
SENSIBILITÉ A LA DOULEUR MESURÉE A l'aLGÉSIMÈTRE
Enfoncement de la pointe dans la peau en dixièmes de millimètres.
Expérience A (13 juillet 1901). — Grenouille profondément endormie depuis dix minutes. Pas de réflexe palpebral. Respiration à peine perceptible. On fait des piqûres avec l'algésimètre à la face ventrale de la cuisse et au tarse à quelques secondes d'intervalle.
/ Première piqûre ... 50 divisions (tour du cadran) pas de mouvement. Cuisse ! Deuxième piqûre. . . 50 — —, —
' Troisième piqûre. . . 50 — — —
La respiration devient plus active.
Tarse : Première piqûre . . . ?5 divisions réveil.
On rendort aussitôt la grenouille et l'on recommence l'expérience.
Tarse: Deuxième piqûre. . . 30 divisions réveil.
Expérience B (15 juillet). — Grenouille endormie depuis quelques minutes. Mouvements respiratoires bien manifestes.
? Première piqûre ... 50 divisions pas de réaction. Cuisse Deuxième piqûre. . . 50 — —
? Troisième piqûre... 50 — —
Tarse : Piqûre........ 30 — réveil.
La peau se montre transpercée dans cette expérience.
Expérience C [17 juillet). — Grenouille endormie depuis quelques
minutes ; ne réagit pas aux excitations auditives. Les pupilles sont
rétrécies et allongées.
Cuisse : Piqûre..... 50 divisions pas de mouvement.
Jambe : Piqûre..... 45 — réveil.
La peau présente des lésions.
Il est à remarquer que ce même algésimètre produit une douleur très appréciable à la main entre 15 et 25 divisions, suivant la région. L'enfoncement de l'aiguille jusqu'à 40 divisions devient pour nous insupportable. Or les expériences précédentes démontrent qu'une grenouille hypnotisée est souvent insensible à la piqûre, qui est très douloureuse pour nous. De même une grenouille à l'état de réveil réagit énergiquement à la plus légère piqûre du même instrument. Cependant, dans ce dernier cas, la sensibilité tactile masque le résultat général et rend difficile une mesure exacte.
Sens kinesthésique. — Le sens kinesthésique est absent dans l'état de sommeil provoqué, l'animal n'a aucune notion de la position de son corps ; grâce à cette circonstance, on peut à plusieurs reprises changer la position de ses membres, on peut même soulever avec précaution l'animal et le transporter dans une autre salle, le placer dans les positions les plus bizarres et les moins équilibrées : il ne se réveille pas. Cet état d'inertie complète, on dirait de mort apparente, peut durer une demi-heure, jusqu'à une heure dans les conditions favorables. Profitant de cet état léthargique, j'ai pu prendre plusieurs clichés photographiques qui représentent les grenouilles endormies et placées pendant le sommeil sur des supports ayant une très petite surface, par exemple un fil de fer horizontal..
IV. — Des positions que prennent spontanément les grenouilles
pendant l'hypnose.
Souvent la grenouille garde la position dans laquelle on Ta endormie. Mais il arrive plus fréquemment que l'animal pendant le sommeil donne à son corps des attitudes différentes. Ainsi, la grenouille profondément endormie essaie tout-à-coup de se relever ; elle soulève brusquement la tête, tend les bras en l'air et s'arrête figée dans cette position comme en extase. D'autres fois, la grenouille en hypnose lève brusquement en l'air un de ses membres postérieurs, le contracte fortement, et dans cette attitude peu commode elle continue à dormir souvent pendant une demi-heure.
Il est curieux de constater que pendant le sommeil hypnotique les grenouilles ne se fatiguent pas facilement, car elles peuvent garder très longtemps les positions les moins équilibrées. Ces changements de position apparaissent souvent spontanément ou bien par suite d'une excitation extérieure, et ils sont surtout fréquents chez les grenouilles au stade avancé de l'inanition.
Les fortes contractions des muscles qui apparaissent durant le sommeil hypnotique n'ont pas lieu au dernier stade de l'inanition.
A cette époque, en effet, les muscles sont tellement épuisés qu'ils se contractent avec difficulté et lentement, même chez l'animal éveillé; le sommeil hypnotique parcourt alors tranquillement, sans changement des positions, les muscles se trouvant à l'état de relâchement complet. Pareil relâchement des muscles s'observe aussi dans l'hypnose des grenouilles en bonne santé, quand leur sommeil dure très longtemps.
Il parait certain que les différentes attitudes que l'animal prend pendant le sommeil hypnotique ne sont que les essais pour revenir à la position normale, comme Verworn l'a établi récemment (1). Mais ce qui nous échappe dans ce phénomène, c'est le mécanisme suivant lequel les impulsions données s'arrêtent à mi-chemin, et le mouvement exécuté manque ainsi son but, car l'animal, au lieu de corriger sa position anormale, la rend moins commode qu'elle ne l'était auparavant. Ces attitudes bizarres, peu commodes et spontanées, accompagnées de contraction musculaire, peuvent être appelées phases cataleptiques. Ainsi l'hypnose chez la grenouille se compose de deux états qui
(1) Loc. cit.
alternent entre eux pendant le sommeil: 1° la léthargie, où les muscles se trouvent dans la résolution, les membres sont flasques, pendants, et, soulevés,retombent si on les abandonne; on n'éprouve aucune résistance à fléchir les membres et à les étendre ; 2° l'état de catalepsie, pendant lequel le sujet est immobile et parait comme fasciné. Les membres et toutes les parties du corps gardent souvent pendant un temps fort long les positions, les attitudes même les plus difficiles à maintenir ; les muscles sont en état de contraction partielle.
V. — Effets de la perte d'eau sur les grenouilles.
L'état de léthargie profonde, si facile à provoquer chez les grenouilles en inanition avancée, peut être encore aggravé par la dessiccation partielle de leur corps. Voici les faits qui le prouvent.
Au mois de juillet, les grenouilles en inanition prolongée, mais conservant encore les mouvements alertes, sont essuyées avec du papier buvard et placées sous une cloche spacieuse en verre. La température de la salle est élevée et sèche. Dans ces conditions, les grenouilles perdent beaucoup d'eau déjà en vingt-quatre heures ; elles peuvent encore exécuter des bonds vigoureux, quoique leur corps soit devenu mou et flasque. La perte d'eau qu'elles ont subie a augmenté leur prédisposition à l'hypnose. En effet, elles tombent du coup en léthargie, qui chez elles est plus profonde et surtout plus prolongée qu'avant la dessiccation. On peut les endormir facilement, même dans la position naturelle, ce qui arrive très rarement dans les conditions ordinaires de l'hypnotisation.
Plus la perte d'eau est considérable et plus la prédisposition à l'hypnose devient prononcée. Une de ces grenouilles, après un séjour de quarante heures sous la cloche par un temps bien chaud, tomba en sommeil provoqué si profond, qu'il fut impossible de la réveiller malgré les plus fortes secousses imprimées à son corps. La croyant morte, je la remis sous la cloche, mais, une heure plus tard, j'avais la surprise de la trouver éveillée et faisant des bonds dans la cage autant que le lui permettait l'état de ses membres émaciés par soustraction d'eau. Or les grenouilles hypnotisées dans les conditions ordinaires peuvent être toujours réveillées si l'on secoue leur corps, même légèrement. Le sommeil des grenouilles desséchées se distingue encore par ce fait que l'état cataleptique manque : les muscles se trouvent dans un état de résolution
(I) Ce fait, que j'ai communiqué au V" Congre? de physiologie, à Turin, a été confirmé ensuite par les observations du DT Vaschide: L'hypnose chef les grenouilles. (Nature, Paris, 16 Novembre 1901.)
constante et tout le corps est flasque, comme il l'était à l'état de veille.
De ces expériences, on est autorisé à tirer la conclusion suivante : Si une grenouille en inanition se troupe longtemps hors de l'eau, la déshydratation de ses tissus la prédispose davantage à l'hypnose, qui arrive plus facilement, est plus profonde et dure plus longtemps que dans le cas oit les tissus sont turgescents.
VI. — Influence des excitations thermiques sur l'hypnose.
Il m'a paru intéressant de rechercher l'influence des excitants thermiques sur les grenouilles en état d'hypnose. Les grenouilles hypnotisées réagissent toujours à une élévation de la température, tandis qu'elles continuent à rester inertes à un abaissement brusque de la température (1). Les procès-verbaux ci-dessous le démontrent clairement.
Expérience 1(17 juillet 1901, 3 heures de l'après-midi). — Journée très chaude ; la température du laboratoire où séjournent les grenouilles est de 29°. Une grenouille est endormie dans un cristallisoir à la température ambiante. On verse à ce moment dans le cristallisoir de l'eau ayant 10°. La grenouille continue à dormir. Pas de trace de respiration. On laisse l'animal dans cette eau pendant quelques minutes et puis on y ajoute progressivement de l'eau chaude. Un thermomètre plongé dans le cristallisoir renseigne sur le degré de chaleur. Lagrenouille continue de rester immobile. Mais, quand la température atteint 33% la grenouille se réveille brusquement en sursaut.
Expérience II. — Le même après-midi, une autre grenouille dort depuis dix minutes dans le cristallisoir. Subitement, on verse dans le vase de l'eau à 10°. La respiration s'accélère aussitôt, mais pas de réveil. On laisse l'animal dans cette eau pendant quelques minutes, en y ajoutant de la glace pour maintenir la température de l'eau à 10°. On verse ensuite de l'eau chaude jusqu'à ce que l'eau dans le vase atteigne 20°. La grenouille se réveille brusquement et se montre très excitée. On la rendort dans l'eau à 20*. Ses muscles présentent une contraction tonique très accentuée. Le sommeil dure depuis dix minutes. On ajoute alors dans le vase de l'eau chaude. La grenouille ne se réveille qu'à 34e.
Expérience III. — La température de l'air ambiant est de 28°. Une grenouille endormie à cette température est placée ensuite dans de l'eau à 10° sans se réveiller. On réchauffe progressivement l'eau à 20°. La grenouille se réveille brusquement. On la rendort dans cette eau et l'on élève encore la température. Le second réveil s'opère à 26°, le troisième à 30°. (à suivre)
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La conclusion à tirer de l'étude des hiérosyncrotèmes familiaux est que la dévotion est une affection mentale contagieuse, et que les idées et les sentiments religieux se transmettent par suggestion.
D'autre part il résulte de l'examen des tableaux de corrélation que les sujets frappés de préférence sont ceux qui sont unis par des liens de parenté avec d'autres sujets présentant des signes de dégénérescence.
De là à conclure que les dévots sont des dégénérés il n'y a qu'un pas que mes études antérieures me permettent de franchir.
Les sujets prédisposés à la dévotion sont en effet ceux que leur émo-tivité et leur sentimentalité exaltées, la faiblesse de leur attention et de leur faculté de synthèse, leur impuissance à observer et à réfléchir livre sans défense à l'erreur religieuse passionnément présentée comme une vérité, ceux, en un mot, qui ont conservé la mentalité des enfants par suite d'un arrêt de développement de l'écorce cérébrale.
IV
QUELQUES REMARQUES SOCIOLOGIQUES
Fondations êt Donations pieuses
L'étude généalogique qui précède permet de se faire une idée de la manière dont se sont formés les biens de mainmorte.
Dans un but utilitaire, en vue d'éviter l'enfer, d'abréger son séjour au purgatoire ou de gagner le paradis, un seigneur fonde une église ou une abbaye. Celte institution constitue pour ses enfants, qu'on eut soin souvent de faire assister à la fondation, et pour leurs descendants un souvenir de famille, et ils la choisissent de préférence à toute autre comme objet de leurs libéralités. Chacune des parties y trouve d'ailleurs son compte, le donateur qui travaille ainsi à son salut, et qui de plus a dans les religieux des apologistes toujours prêts à le soutenir contre les revendications de ses vassaux ou de ses serfs, les religieux qui voient grandir leur richesse, leur bien-être et leur influence, et qui se rapprochent de leur idéal : le règne de Dieu et du Christ sur la terre par l'intermédiaire de l'Eglise, la théocratie universelle.
Voici quelques exemples du développement des institutions congré-ganistes grâce aux largesses d'une même famille.
Bouchard de Montmorency III signe une charte en faveur de l'abbaye de Notre-Dame de Coulombs, à laquelle son fils Hervé donne les deux églises de Marly, donation approuvée par son fils Bouchard IV. La femme de Bouchard IV souscrit une nouvelle charte en faveur de ce monastère.
Robert de France-Bourgogne fait une donation à l'abbaye de St-Béni-gne de Dijon en faveur de laquelle son petit fils Eudes de Bourgogne I et le fils de celui-ci Henry signent une charte. Le petit-fils d'Eudes I, Hugues II, assiste à la dédicace de l'église de cette abbaye et lui accorde
une nouvelle charte. Le fils de Hugues II. Gautier, y ajoute plusieurs titres. Un des neveux de Gautier, Hugues III, fait à la même abbaye une donation, en présence de sa femme Beatrix de Viennois.
D'autres fois la famille prend simplement l'église ou l'abbaye sous sa protection. C'est ainsi que Lambert de Haynaut, son arrière-petit-neveu Lambert II, le fils et le petit-fils de ce dernier Lambert de Haynaut-Louvain I et Lambert de Louvain II, furent avoués de l'abbaye de Gemblours.
Souvent il est passé une sorte de contrat synallagmalique entre le donateur et les religieux. Le premier achète les prières des seconds, les charge de régler ses affaires spirituelles ou celles des siens et de plaider leur cause à la barre du ciel.
C'est ainsi qu'Yves de Beaumont II fait une donation à l'église du prieuré de Ste-Honorine de Conflans pour le repos des âmes de son père, de sa mère, d'un oncle maternel et d'un frère ; et qu'Ide de Louvain donne à l'abbaye de St-Hubert plusieurs terres à la charge d'un service pour le repos de son âme et de celle de son mari.
Le fondateur ou le donateur peut aussi acquérir pour lui ou ses descendants le droit d'être inhumé dans l'église ou l'abbaye qu'il a fondée ou dotée. Son tombeau sera ainsi plus sûrement respecté, et les rites qui se succéderont au voisinage de son corps profiteront, pense-t-il, au salut de son âme. Quant à l'église ou à l'abbaye, la présence sous ses dalles des restes d'un puissant ou d'un riche lui sera une sauvegarde et une source do profits.
Raynier de Haynaut III donne à l'église de Sainte-Gertrude-de-Nivelle pour lui, sa femme et ses enfants, douze manses avec une église et ses dépendances. Son fils Liéchard y ajoute neuf manses, un moulin et une brasserie; son autre fils Rodolphe six manses avec le bois pour le pacage de soixante porcs. Son petit-fils, Henry I, y est enterré. Le petit-fils d'Henry I, Henry de Louvain II, en devient l'avoué. Le fils de ce dernier, Henry de Louvain III, y a sa sépulture.
Baudouin de Flandre VI est enterré ainsi que sa femme, Richilde de Haynaut, dans l'abbaye de Hasnon qu'il avait fait réparer. Son fils, Baudouin de Haynaut II, donne à cette abbaye l'église de Notre-Dame-la-Grande de Valenciennes.
Baudouin de Haynaut IV, ayant fait rebâtir l'église de l'abbaye de Sainte-Waudrude-de-Mons, y est enterré ainsi que son fils Baudouin. Son autre fils Baudouin V fait du bien à cette abbaye.
D'autres fois les libéralités d'une famille envers un monastère sont dues à ce qu'un de ses membres y a fait profession, soit qu'on donne un capital ou une rente pour son entretien, soit qu'on veuille lui attirer la considération des autres religieux, reconnaître les services qui lui ont été rendus, contribuer au développement de la maison ou de la congrégation dont il fait partie, ou perpétuer son souvenir.
Thibaut de Montmorency se fait religieux à l'abbaye de Notre-Dame-du-Val. Son fils, Bouchard V, et la femme de celui-ci, Laurence de Hay-
naut, y font beaucoup de bien. Leur fille Alix donne au même monastère dix livres parisis de rente à charge de prier Dieu pour le soulagement de l'âme de son mari, et leur fils Mathieu II y est enterré.
Guigues de Viennois I se fait religieux à l'abbaye de Cluny. Sa femme Golhelène y est enterrée. Ses fils Guigues-Raymond et Guignes II y donnent le premier quelques terres, le second l'église de St-Priest ; le fils de Guigues II, Guigues III, ses églises et ses dîmes du Graisivaudan. Le fils de ce dernier, Guigues IV, s'allie à une famille qui comptait aussi parmi ses membres des bienfaiteurs de cette abbaye. Le grand-père de sa femme, Guillaume de Bourgogne I, y avait fait des donations ra:i-fiées par son fils Etienne, beau père de Guigues de Viennois IV.
L'entrée d'un membre d'une famille dans un monastère déterminé peut d'ailleurs être occasionnée par des relations préexistantes. Cela commence par une fondation ou une donation, et finit par une prise d'habit.
Guy de Montlehery I fait établir des bénédictins à Longpont. puis entre dans leur monastère. Son petit-fils. Hugues de Montlehery-Rochefort, se fait aussi religieux dans la congrégation de Cluny.
Simon de Montfort III donne un muid de blé de rente, le droit de coupe dans une forêt et divers autres droits à l'abbaye de Port-Royal des Champs. Sa fille Eléonore y fait aussi du bien. Son petit-fils, Jean I, échange, pour le salut de son âme et de celle de ses ancêtres, le muid de blé de rente et le droit de coupe contre 240 arpents de terre avec basse et moyenne justice, échange confirmé parses sœurs Marguerite et Louise. Son autre sœur Perronnelle devient abbesse de ce monastère.
Guy de Monfort I donne à la même abbaye vingt livres parisis de rente annuelle. Deux de ses filles, Pétronille et N, s'y font religieuses, en considération de quoi leur frère Philippe donne quinze livres de rente à la maison. Leur autre frère. Guy II, y ajoute une grange; et deux de ses filles s'y font religieuses.
Eudes de Bourgogne I fonde l'abbaye de Citeaux et y est enterré. Un de ses fils, Henry, s'y fait religieux. Un autre, Hugues II. y est enterré, ainsi que deux de ses fils, Henry et Eudes II. Un autre fils de Hugues II, Hugues, y fait des donations. Enfin Hugues III. fils de Eudes II, y est également enterré.
On le voit, des lois fatales président à révolution des religions comme à celle des maladies épidémiques.
La dévotion est une affection mentale qui frappe de préférence les enfants, les vieillards et les plus faibles parmi les adultes. Elle apparaît chez les peuples vieux aussi bien que chez les jeunes, et elle se transmet des uns aux autres.
Le christianisme germa dans la peuplade juive alors en pleine décomposition, dans les terreaux ethniques de la Palestine, enrichis des déchets de la race aryenne. II pénétra avec les émi-
grants dans la Rome du Bas-Empire, dans les ghettos de la Suburre et du Transtévere ou s'entassaient vingt mille Israélites. De là il se répandit dans tout le monde latin, frappant d'abord les quartiers pauvres et populeux, les artisans et les esclaves. Il envahit ensuite le monde barbare, les nations européennes en formation, où il fit, avec les croisades, les guerres de religion, l'Inquisition, le désordre économique, de terribles ravages.
Puis, à mesure que ces nations grandirent, il perdit de sa virulence. Comme une humeur malsaine, l'erreur apparut à fleur de peau, et il se produisit, lors de ces grandes crises, la Réforme et la Révolution, une sorte de desquamation des dogmes, — jusqu'à ce qu'enfin l'humanité, délivrée par la science des germes de mort qui la rongent, ne songe plus qu'à vivre et à travailler à son bonheur.
SOCIÉTÉ O'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
Séance du mardi 15 décembre 1903. — Présidence de m. Jules Voisin*.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance qui comprend : une lettre par laquelle M. le Dr Le Menant des Chesnais s'excuse de ne pouvoir assister à la séance et demande que sa communication soit inscrite à l'ordre du jour de janvier; l'ouvrage de M. le Professeur Grasset (de Montpellier) sur : Le spiritisme devant la science; une thèse de M. le Dr Maurice Olivier sur Les aliénés réputés criminels.
M. Bêrillon communique à la Société une lettre autographe de James Braid écrite à son fils, étudiant à Edimbourg et datée du 12 mai 1844. Dans cette lettre, Braid interprète avec un remarquable esprit critique quelques faits de prétendue clairvoyance somnambulique. Les communications annoncées sont faites dans l'ordre suivant : M. Demonchy. — Paralysie vésicale, d'origine hystérique, guérie par un procédé psychothérapique. M. Damoglou (du Caire). — Observation de psychothérapie. M. Jaguaribe (de Sao-Paulo, Brésil). — Deux années de pratique psychothérapique à l'Institut psycho-physiologique de Sao-Paulo.
M. Pewnitzky (de St-Pétersbourg). — Traitement hypnotique dans les maladies organiques.
M. Bérillos. — Un cas de mutisme prolongé. M. Paul Farez. — L'analgésie obstétricale et la narcose éthyl-méthy-
l'Iue-1 , >;
Sur la proposition de M; Bêrillon, une commission est nommée pour
étudier l'action physiologique des anesthesiquen. Sont élus membres de la commission : MM. Jules Voisin, président; Paul Magnin, Bérillon, Paul Farez, Demonchy, de Bourgade, Lépinay, Lavaux et Grollet. Ces trois derniers membres, médecins-vétérinaires, institueront des expériences sur les animaux. Un crédit de 100 francs est ouvert pour l'achat des divers anesthésiques qui seront expérimentée. La séance est levée à 6 h. 45.
Maladie des tics convulsifs, traitée avec succès par la suggestion hypnotique
par M. le Dr Bérillon, médecin Inspecteur des asiles d'aliénés.
La malade que je présente à la Société est actuellement âgée de seize ans et demi. Elle fut atteinte à l'âge de dix mois, d'accidents méningi-tiques.A la suite de ces accidents d'ailleurs passagers, l'enfant a présenté des troubles nerveux qui consistaient surtout en crises convulsives qui survenaient sous l'influence de la moindre contrariété. Ces crises étaient violentes et l'enfant paraissait perdre connaissance et devenait toute violacée. Ces crises cessèrent vers l'âge de sept ans mais firent place à des accès de colère indescriptibles. Quand on voulait la soumettre à une discipline quelconque, elle entrait en fureur, brisant tout ce qui lui tombait sous la main et s'exprimait en termes orduriers. Quand elle était en colère, elle poussait des cris terribles qui ameutaient le voisinage et laissaient à supposer qu'elle était victime d'actes de violence. A plusieurs reprises les voisins déposèrent des plaintes chez le commissaire de police et l'enfant fut sur le point d'être envoyée à l'asile Saint-Anne.
Lorsqu'on nous l'amène, il y a un an, nous n'eûmes pas de peine à reconnaître que l'état mental devait être rattaché à l'existence de la maladie des tics convulsifs. En effet, l'enfant était agitée de secousses convulsives qui lui ébranlaient tout le corps, et au moment de ces secousses elle émettait des cris brefs ou des mots injurieux. Le sommeil interrompait le plus souvent les tics et l'émission des mots, mais il n'en était pas toujours ainsi et il lui arrivait de les présenter même en dormant.
Contrairement à toutes les prévisions, la malade, âgée de douze ans lorsqu'elle nous fut amenée, se soumit doucement au traitement psychothérapique. Le sommeil hypnotique ne put être obtenu qu'après un assez grand nombre de séances. Enfin notre intervention patiente fut couronnée de succès. Après des alternatives d'amélioration et de rechutes, les mouvements convulsifs et l'émission des cris ont diminué progressivement. L'état mental s'est transformé et la malade est devenue plus capable de résister aux impulsions de la colère. Bien qu'elle fut de faible complexion, lorsqu'elle était dans l'état de colère plusieurs personnes robustes n'étaient pas capables de la maintenir et ses forces musculaires paraissent réellement décuplées. Récemment sous l'influence d'un accès de grippe, elle a présenté un accès d'excitation avec cris et violences.
La mère sous l'influence des voisins était décidée à la faire interner à l'asile Sainte-Anne. Notre intervention a évité cet ennui à l'enfant, car une seule séance de suggestion a ramené le calme, et l'enfant a repris son travail à l'école. Vous pouvez constater l'heureuse transformation qui a été obtenue et qui est due à l'emploi prolongé de la suggestion hypnotique. Sous l'influence de ce traitement, la volonté d'arrêt s'est progressivement constituée. Elle permet non seulement à la malade de réprimer ses mouvements, de contenir l'émission des cris et des mots injurieux, mais de résister à la colère. Nous lui avons appris à accepter les observations sans s'irriter. Nous lui avons aussi réveillé à l'égard de ses parents les sentiments affectifs qui avaient complètement disparu. Il y a dans ce fait la démonstration la plus éclatante de la valeur d'un traitement psychologique dirigé avec la méthode et la patience nécessaires. Ce cas est d'ailleurs à rapprocher de celui qui fut publié il y a quelques années par le professeur Burot, de Rochefort et à une observation récente du Dr Bournevîlle dans laquelle la guérison des maladies des tics convulsifs a été obtenue par l'application des moyens pédagogiques. Bien entendu, l'état mental de cet enfant présente toujours une grande fragilité et nous ne voudrions pas répondre que l'excitation ne se reproduise pas, si des causes diverses interviennent telles qu'un choc physique ou moral, ou bien une intoxication. Ce que nous pouvons affir-mer, c'est que notre traitement a retardé déjà de deux ans la nécessité du placement dans un asile.
impotentia coeundi, d'origine mentale, guérie par la suggestion
éthyl-méthylique
par M. le Dr Paul Farez Professeur à l'Ecole de Psychologie
Parmi toutes les affections justiciables de la psychothérapie, l'impuissance génitale se montre l'une des plus rebelles, surtout lorsqu'elle est d'origine mentale. Je suis heureux de vous en rapporter un cas bien guéri par cette forme de suggestion que j'ai tout récemment préconisée (1), à savoir la suggestion pendant la narcose éthyl-méthylique.
Il s'agit d'un homme de 30 ans, exerçant avec distinction une profession libérale. Depuis dix ans, il présente une impuissance génitale, survenant dans des conditions toutes particulières.
A-t-il un rendez-vous avec une « femme nouvelle suivant l'expression de Fournier, il éprouve un échec complet; l'inaptitude fonctionnelle est totale et dure aussi longtemps qu'il reste en tète-à-tête avec sa partenaire. Cependant, c'est un grand gaillard, solidement charpenté, bien musclé, d'une santé physique très florissante. Au point de vue soma-tique, l'organe n'est nullement lésé ; et, chose curieuse, la fonction s'accomplit sans hésitation, brillamment même, avec ce qu'on appelle
(1) Revue de G Hypnotisme : 1903, numéros de février, juillet, août et septembre Congrès des Aliénistes et Seurologistes, xiiie session Bruxelles, août 1903;
une « professionnelle ». Mais s'agit-il d'une petite ouvrière ou d'une femme qu'il a connue dans le monde, l'inhibition est complète. Cependant notre homme n'est pas d'une timidité exagérée; il n'a pas. à proprement parler, le trac; il est victime d'une tournure d'esprit spéciale.
Très désireux d'accomplir comme il sied tout ce qu'il entreprend, il se fait des reproches à propos de tout ; il aurait pu, il aurait dû s'y prendre comme ceci ou comme cela: il rumine diverses solutions; il les pèse et prend difficilement un parti; ses préoccupations mentales le rendent scrupuleux, inquiet, irrésolu.
Après avoir donné un rendez-vous à échéance fixe, il se répète à chaque instant : « Pourvu que je réussisse, que je sois brillant, que je ne donne pas une mauvaise opinion de moi ! Si j'allais ne pas réussir ! »
Immédiatement avant le rendez-vous, il échafaude un plan d'attaque; il pense, réfléchît, combine; il prévoit toutes sortes de petites difficultés. « Sans doute, se dit-il, avec une professionnelle, cela va tout seul, je m'y prends comme ceci ; mais avec une femme du monde, c'est bien différent! »
Au moment délicat, il est énervé, indécis, préoccupé : « Ai-je raison de faire comme ceci? Ne devrais-je pas agir comme cela? Il s'observe, s'analyse, s'interroge; et cette activité mentale inhibe la fonction spéciale. Il échoue piteusement; il est vexé, découragé, humilié : l'opinion masculine, et aussi féminine, n'est-elle pas qu'un homme doit être, en toutes circonstances, semper paratus ?
Lorsque sa partenaire est indulgente et que les circonstances amènent une seconde entrevue, l'échecse renouvelle ; la troisième fois, cependant, il remporte un demi-succès et, la quatrième fois, un succès complet. A partir de ce moment, il n'échoue plus jamais : il sait à qui il a affaire ; il n'est plus dépaysé; il s'est acclimaté; rien ne le préoccupe plus et la fonction s'accomplit très normalement.
Mais ces amours ne peuvent être que de courte durée et, quand il doit passer à une autre, il s'épouvante à l'idée d'affronter la femme nouvelle ! Cyniquement il me confie : « Vous n'imaginez pas combien j'ai dû laisser échapper de belles occasions depuis dix ans! Très souvent, dans le monde, j'ai senti que je n'avais qu'un mot à dire ; je ne l'ai pas dit pour ne point aller au-devant d'un échec. Parfois, acculé par les circonstances, je suis obligé d'accepter ou de donner un rendez-vous; lors-qu'arrive l'heure convenue, je fais dire que je suis sorti, je prétexte des empêchements, je fuis, en somme, et je me fais l'effet d'un lâche! Dans la rue, si je rencontre une jolie femme, j'ai plaisir à la regarder, mais, aussitôt je me dis : N'insiste pas, elle n'aurait qu'à te répondre et tu serais bien ennuyé de faire connaître ton infirmité à une personne de plus. »
J'objecte ceci : «—Vous devriez vous féliciter qu'il en ait été ainsi. Alors que beaucoup d'étudiants gaspillent leur temps, leur argent et leurs forces à faire des fredaines, vous, vous avez eu le loisir de bien travailler et de vous faire la très jolie situation que vous occupez.
— Mais, me répond-il, mon caractère s'est assombri; je suis devenu
triste, morose, soucieux; mon front s'est plissé. Quand mes amis me rencontrent, ils me demandent de quelle maladie je souffre et me harcèlent pour que je me fasse soigner. J'endure de véritables tortures morales. »
Il ajoute : « Je suis en âge et en situation de me marier; je ne me déciderai à le faire que si je suis sur que je suis guéri. Sans doute, je sens bien qu'au bout de très peu de temps je serais, à l'égard de ma femme, ce que sont tous les maris; mais, pendant les premiers jours, je serais piteux et grotesque ; c'est ce supplice que je ne puis accepter. »
On lui a, bien entendu, prodigué des conseils de toute sorte, médicaux et extramédicaux ; il a essayé la kola, la coca, la yohimbine, sans oublier la cantharide, toujours sans aucun résultat. C'est alors qu'il vient me demander de le soigner par la suggestion hypnotique.
Très docilement, il se prête à mes exigences. Il reste immobile, les yeux fermés, pendant une demi-heure, trois quarts d'heure, une heure. Les diverses manœuvres hypnogéniques l'assoupissent sensiblement. Au fur et à mesure que les séances se répètent, j'obtiens une hypotaxie de plus en plus grande; les membres sont inertes, il ne saurait les remuer; le corps obéit, mais le mental ne se laisse point dominer; je fais des suggestions très intenses : toujours elles se heurtent à l'obsession morbide. Le sujet sent bien qu'il ne sera guéri que s'il peut être plongé dans un sommeil profond avec suspension de la pleine conscience. Je m'ingénie à varier et à multiplier les artifices opératoires. L'hypotaxie est considérable pour ce qui concerne le point de vue soma-tique: elle est très insuffisante pour tout ce qui concerne la sphère psychologique : la conscience persiste et mes suggestions s'émoussent devant l'obstacle.
De guerre lasse, je lui propose de le soumettre à la suggestion som-nique, c'est-à-dire de profiter de son sommeil naturel pour imposer à son subconscient des suggestions curatives. Il m'objecte toutes sortes de difficultés qui tiennent à la disposition de son appartement, à son entourage, à ses domestiques ; surtout, ajoute-t-il, « j'ai le sommeil extrêmement léger et, dès que vous aurez fait quelques pas dans ma chambre, je serai complètement réveillé ». Je suis bien obligé de m'incliner.
Alors, j'ai recours, ainsi que je l'ai fait souvent, aux hypnotiques médicamenteux, en particulier au trional, que je lui fais prendre dilué dans une infusion très chaude, quelque temps avant qu'il ne se rende chez moi ; pour accroître les chances, je le fais venir dans mon cabinet à une heure assez avancée de la soirée. Subjugué par le médicament hypnotique et, la fatigue de la journée aidant, il sera, semble-t-il, beaucoup plus sensible à la provocation du sommeil. Cette fois encore, la conscience subsiste, l'obsession se dresse et ma suggestion reste impuissante.
Il est bien avéré que la suggestion ne le guérira que si sa raison raisonnante peut être terrassée. Je lui raconte alors les cas dans lesquels la suggestion, faite pendant la chloroformisation, s'est montrée fort effi-
cace. Mais il hésite et tergiverse; il songe aux ennuis, aux dangers même que comporte le chloroforme; il est fort peu enthousiaste.... et, moi aussi, je le confesse.
Finalement, nous cessons de nous voir; son état mental n'est guère modifié. Un an se passe; je suis alors fort satisfait de mes premiers essais de suggestion pendant la narcose éthyl-méthylique. Je lui en fais part et, sans tarder, il accourt se remettre entre mes mains. « Justement, me dit-il, je pense beaucoup à une très gentille jeune fille, d'excellente famille; elle est un parti excellent et je l'aime; mon plus vif désir serait de l'épouser; mais je ne ferai ma demande que si je suis complètement guéri. Aidez-moi à faire ma vie; usez de moi comme bon vous semblera, je me livre à vous! »
Comme il convient, je tâte sa susceptibilité. Bientôt je suis convaincu que l'hyponsrcose, â l'exclusion de la narcose proprement dite et de l'hypernarcose, me permettra d'exercer une action efficace sur sa mentalité.
Pendant l'hyponarcose, surviennent les caractéristiques psychologiques de cet état: à savoir : persistance de la conscience, hyperacute sensorielle, hyperréceptivité centrale, exaltation de la suggestionna-bilité. Le malade sent que toutes ses résistances sont brisées; les représentations obsédantes sont suspendues; le terrain est déblayé, la place est libre; la suggestion l'impressionne,avec une intensité inaccoutumée; elle occupe toute l'aire de sa conscience et lui apparaît comme inéluctable {*).
Au moment même où la suggestion vient de lui être formulée, il se trouve dans un état d'euphorie toute spéciale : très certainement, il guérira; il est sûr d'arriver au but; il le sent, le triomphe est proche; il a l'impression de remporter une éclatante victoire.
Toutefois, dans l'intervalle qui sépare deux de nos séances, il est assailli, de nouveau, par ses craintes; il doute de lui. Bientôt cependant, il acquiert le pouvoir d'éloigner de son esprit ses appréhensions, au fur et à mesure qu'elles viennent le harceler; il se répète spontanément qu'elles ne sont pas fondées et qu'il est certain d'être guéri à bref délai. Quelques séances encore et il n'a plus guère besoin de chasser son obsession, celle-ci ne revenant que de loin en loin et très faiblement; finalement elle nous paraît tout à fait délogée.
Nos séances ont eu lieu trois fois par semaine, puis deux fois, puis une fois. Notre malade reste calme et affranchi de son obsession pendant presque toute une semaine; il est de nouveau harcelé par ses doutes, la veille du jour où doit avoir lieu notre séance suivante; on dirait qu;il est immunisé pour un petit nombre de jours et que, passé ce délai, il est de nouveau tourmenté. Nous reprenons donc nos séances deux fois par semaine et je le trouve bientôt à point pour qu'une expérience soit tentée.
Un rendez-vous ferme a été donné. Il éprouve bien quelque énerve-
(1) Revue de rhypnotisme, août 1903.
ment, puis une certaine inquiétude qui augmente au fur et à mesure que l'heure approche ; toutefois, il se ressaisit presque complètement lors-qu'arrive sa partenaire. Celle-ci se fait beaucoup prier; lui, n'insiste pas outre mesure; elle promet de céder..., la prochaine fois, et il se réjouit presque de voir que les choses ne vont pas plus loin ce soir-là. Quelques jours après, nouvelle rencontre. La belle dame doit venir à 9 h. 11 l'attend patiemment ; comme à 9 h. 1/2 elle n'a pas encore paru, il s'énerve; à 9 h. 3'4,il se dit qu'elle ne viendra probablement pas et il en éprouve presque du soulagement. Quelques minutes après, elle fait son entrée ; aussitôt il se sent très valide, passe outre à une suprême résistance et tout s'accomplit normalement. Cette victoire produit sur notre homme un effet normal des plus salutaires.
Peu de temps après, il se retrouve en présence d'une femme du monde avec laquelle il a subi, deux ans auparavant, trois échecs successifs; et il prend une revanche éclatante. Puis, il rencontre une autre personne qui lui a beaucoup plu jadis et à qui il ne déplaisait pas ; mais il l'avait systématiquement évitée pour ne point s'exposer à la rendre témoin de son infirmité. Cette fois, il se montre très entreprenant : au moment délicat, une petite hésitation survient ; il reprend très vite contenance et chasse toute espèce de pensée, pour n'être plus qu'une « machine à réflexes », ainsi que je le lui ai suggéré.
La guérison est donc manifeste. Tout rayonnant, il fait sa demande et est agréé ; on décide que le mariage aura lieu deux mois après. Il voit souvent sa fiancée, cause en tête à tète avec elle, apprend à connaître son caractère ; bientôt, il me déclare qu'il l'aime passionnément. Malgré cela et en dépit des succès relatés ci-dessus, il est encore harcelé par des doutes. Il vient de réussir, plusieurs fois de suite, c'est entendu ; mais c'était avec des personnes expérimentées ; avec une jeune fille ignorante et naïve comme l'est sa fiancée, ce ne sera peut-être pas commode, etc., etc. Nous continuons donc le traitement sans désemparer ; lorsque la date du mariage approche, nos séances deviennent quotidiennes ; la veille du grand jour, après une séance plus longue et plus intense que toutes les précédentes, il me quitte, content de lui... et de moi.
Le jour du mariage, une toute petite difficulté surgit. Ce point paraîtra puéril à certains ; mais, en psychothérapie, les moindres détails acquièrent parfois une importance de premier ordre. J'avais reçu une invitation pour la cérémonie nuptiale et pour le lunch. Je me devais d'assister à l'une et à l'autre, eu égard aux sentiments très affectueux que nous avions contractés l'un pour l'autre, au cours de nos nombreuses séances. Toutefois, je me dis : Quand il me verra, à quoi pensera-t-il ? Quel effet lui produira ma présence ? Il sera bien capable de se raconter que je ne suis pas très sûr de sa guérison, que je suis venu exprès pour l'influencer une dernière fois ; or, ma seule influence personnelle ne lui avait pas apporté grand secours une première fois, quelle utilité pourrait bien avoir pour lui ma simple présence, lorsque l'hyponarcose ne s'y ajoute pas, etc., etc.
Finalement, je décide de m'abstenir; mais, j'envoie, le soir même, pour m'excuser et présenter mes vœux, un pneumatique qui ne lui parviendra que le lendemain au réveil. Et le lendemain, pendant mon déjeuner, je regois ce mot : « Mille affectueux remerciements : succès sur toute la ligne ! »
La suggestion n'a pas seulement mis cet homme en état de contracter
le mariage qu'il désirait ; elle a profondément modifié son caractère.
Jadis, il prétendait que la vie ne valait pas la peine d'être vécue ; il était
triste et taciturne. Aujourd'hui il trouve que la vie est bonne et douce ;
il manifeste de l'entrain et de la gaieté, il a le visage rayonnant et se
déclare parfaitement heureux.
s _
Traitement de l'Alcoolisme à l'ambulance psychothérapique de la clinique de Bechtereff
par M. le Dr Pewnitzky de St-Pétersbourg.
La clinique psychothérapique de Bechtereff est ouverte à St-Pétersbourg depuis une année. De très nombreux alcooliques l'ont fréquentée dès le premier jour; au bout de trois mois, ils étaient plus de cent. Bechtereff proposa alors d'organiser un service spécial pour ce genre de malades et confia au Dr Behtzki le soin de les traiter par l'hypnotisme.
Comme base générale du traitement, il a rais en vigueur le principe qu'il avait observé lui-même de 1880-1890 à la clinique de psychiatrie de Kasan, c'est-à-dire que, parallèlement à l'hypnose, il faut soumettre le malade à un traitement général qui comporte les bains, les douches, le massage, les bromures, la codéine, quelquefois aussi la strychnine, la digitale et l'adonis vernalis.
Les règlements de la clinique sont sévères; seuls sont admis ceux qui prennent l'engagement de les observer strictement.
Tout d'abord le malade doit se soumettre volontairement à la surveillance d'une autre personne sobre par exemple sa femme, son parent, son ami, et promettre de ne jamais sortir sans son tuteur momentané. D'autre part, on explique bien aux parents que le tuteur ne doit gêner en aucune façon le malade, lequel doit conserver la pleine liberté de tous ses actes. Si le malade n'a pas la force de s'empêcher de boire, il vaut mieux qu'il le fasse, sans se cacher, et que le médecin en soit prévenu. Les alcooliques mêmes les plus invétérés ont de l'argent dans leur poche, afin qu'ils sentent que s'ils ne boivent plus, c'est que leur volonté devient plus ferme et non pas que l'argent leur manque,
Il faut toujours recommander aux parents de relever le moral du malade qui ne doit jamais se sentir un homme perdu ou méprisé des siens.
Le malade écrit lui-même, sur une feuille spéciale, les renseignements qui le concernent. On lui fait alors une première suggestion à l'état de veille, ainsi que l'indique le Dr Bérillon dans son traitement suggestif de l'aboulie des buveurs d'habitude. La suggestibilité du malade est alors connue.
Dès que le malade a été complètement examiné et que le type de son alcoolisme est bien défini il reçoit un régime en rapport avec son état individuel. Tout les matins le malade se frictionne avec de l'eau froide salée et vinaigrée ou il reçoit un bain. La température de la chambre qu'il habite ne doit pas dépasser 15°. Tous les malades prennent des bains salés, au moins deux fois par semaine; leur température descend progressivement de 28° à 25e. Les bains de vapeur sont interdits.
Comme régime alimentaire, on leur donne de la viande et du poisson une fois par jour, du lait et beaucoup de légumes, surtout des farineux. Les médicaments sont donnés avec le lait.
Le plus souvent, le malade cesse de boire après la première suggestion.
Le régime alimentaire rigoureusement observé, ainsi que les médicaments régularisent les fonctions digestives.
Les alcooliques se laissent hypnotiser très facilement. Il n'est pas nécessaire de les endormir très profondément. Un sommeil très léger et même la simple somnolence suffisent souvent. Toutefois les alcooliques qui boivent par accès avec des intermittences plus ou moins grandes sont très difficilement hypnotisés surtout avant les accès et, pour arriver à un résultat, il faut les endormir très profondément. Le traitement est long. D'après Béchtereff il doit durer une année quelquefois même plus. S'il survient des rechutes, le traitement doit être recommencé avec plus de rigueur encore. - '
Voici, pour terminer, la liste des questions auxquelles l'alcoolique doit répondre lui-même, sur la feuille qui lui est remise à cet effet :
1. Avez-vous abusé des boissons alcooliques ? a) Votre père ?
Votre mère ?
Vos frères et sœurs?
Leurs enfants ?
c) Votre grand'père \ ,
6 A". du côté maternel? Votre grand mere ;
d) Vos oncles et vos tantes paternels? C) Vos oncles et vos tantes maternels ?
2. Est-ce que votre père buvait, ou votre mère, ou tous les deux, avant que vous ayez été conçu?
3. Est-ce que votre mère buvait pendant sa grossesse?
4. Est-ce que Ton vous a donné du vin ou de l'alcool pendant votre enfance?
5- Quand avez-vous commencé à boire et comment?
6. Où buvez-vous et qu'est-ce que vous buvez maintenant ?
7. A quel moment de la journée principalement 7
8. Dans quelles circonstances ?
9. Comment dormez-vous pendant l'ivresse ?
10. Comment est votre digestion pendant l'ivresse? 1 i. Comment est l'appétit pendant l'ivresse ?
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 15 mars 1904, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpètrière.
Communications inscrites : Dr Paul Magnin : L'hypnotisme chez la grenouille, d'après l'étude de
M,le Stéphanowska. Dr Bérillon : Le bégayement graphique et son traitement psychothérapique.
12. En dehors de l'état d'ivresse, comment sont le sommeil, l'appétit et la digestion ?
13. Quand travaillez-vous le mieux, sobre ou gris?
14. Est-ce que souvent vous êtes ou vous étiez ivre ?
15. Comment supportiez-vous les boissons alcooliques auparavant?
16. Comment supportez-vous les boissons alcooliques maintenant?
17. Pendant l'ivresse éprouvez-vous de la somnolence ou de l'excitation?
18. Combien vous faut-il boire pour tomber ivre ou causer du scandale?
19. Etes-vous obligé d'augmenter de plus en plus votre quantité de boisson, ou vous énivrez-vous avec peu ?
20. Est-ce que vous buvez toujours ou par accès ?
21. Est-ce que vous avez eu des moments d'abstinence?
22. Est-ce que vous avez eu des accès de delirium tremens ?
23. Que faites-vous étant ivre ?
24. Qu'est-ce que vous avez fait de ridicule ou d'obscène pendant votre ivresse ou après ?
25. Aviez-vous eu des accès ou des hallucinations ?
26. Est-ce que votre mémoire ne s'affaiblit pas?
27. Est-ce que vous continuez vos occupations ?
28. Que vous a coûté votre penchant à boire?
29. Qui boit encore dans votre famille ?
30. Est-ce que vous vous accusez dans votre ivresse ?
31. Est-ce que vous ètes jaloux ou soupçonneux?
32. Est-ce que vous avez souffert sans être coupable?
33. Renseignements sur la famille du malade : a) Fausse couche ou avortement?
6) Enfant vivant?
c) Enfant mort, l'âge et leurs maladies ?
Signature :
Dr Demonchy : Rapport du caractère avec l'évolution dentaire. Dr Aragon : Psychopathies d'origine utérine.
Les séances de la Société ont lieu les troisièmes mardis de chaque mois, à 4 h. et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.
Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 4, rue Castellane, et les cotisations à M. le Dr Farez, trésorier, 93, rue de Courcelles.
L'hypnotisme au théâtre
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M. Victorien Sardou, ancien étudiant en médecine, n'a pas hésité à déclarer dans une interwiew du Figaro : « Lorsque j'étudiais la médecine, je m'occupais beaucoup, en compagnie de camarades, qui, bien avant Charcot, avaient entrevu cette terre inconnue : l'hypno-tisme, de suggestion et de ce qu'on a appelé, depuis, la grande névrose... Ces phénomènes suffisent à expliquer tout ce que le moyen-âge a appelé sorcellerie... Cela me passionnait, et je m'intéressais autant aux gens accusés de sorcellerie qu'à ceux qui les condamnaient. Les uns et les autres étaient des fous... L'idée me vint donc dc démontrer que tout ce qu'on attribuait jadis au diable était du ressort de l'hypnotisme et des phénomènes de la grande névrose. Il n'y a jamais eu de sorciers ou de sorcières ; il n'y a jamais eu que des gens accusés de sorcellerie... C'e&t tout ce qu'il y a de plus scientifique — et c'est de là qu'est sorûo lu Sorcière, jouée chez Sarah Bernardh, actuellement, »
La Sorcière, dont tout le monde est unanime à constater le grand succès, comporte deux scènes d'hypnotisme admirablement jouées par Sarah Bernardh. La façon dont elle provoque le sommeil avant île formuler les suggestions qui doivent amener la suggestion pourraient servir de leçon à plus d'un praticien. On comprend que la mise en scène a été réglée par un homme compétent, tout à fait au courant des études sur l'hypnotisme. Nous sommes heureux de constater que Victorien Sardou, tout en restant le puissant dramaturge, a su tirer le meilleur parti des données scientifiques et qu'il a tenu à donner au grand public des notions exactes sur la puissance de l'hypnotisme.
Traitement empirique de la rage.
On a célébré, le 3 novembre dernier, en Belgique, la fête de saint Hubert. Saint Hubert est, comme on le sait, le palron des chasseurs. Est-ce en cette qualité de chasseur que saint Pierre lui donna le privilège de guérir les personnes atteintes de la rage? Aujourd'hui encore, l'étole du saint évêque, conservée dans l'abbaye de Saint Hubert, continue à faire concurrence à l'Institut Pasteur.
Le curé de Saint-Hubert fait une incision dans le front de l'hydro-
phobe, et y glisse une parcelle de l'étole qu'il fixe par un bandeau. Une neuvaine doit suivre l'opération et les prescriptions en sont singulières.
L'opéré doit coucher nu dans des draps blancs, ou tout vêtu si les draps ne sont pas blancs ; boire dans un verre et non pas aux fontaines ou rivières, boire du vin rouge clair ou blanc, mêlé avec de l'eau, ou de l'eau pure ; ne manger que de la chair de porc mâle ou des chapons et poules, les uns et les autres âgés de plus d'un an, ou des poissons à écailles, le tout froid; ne pas faire sa barbe pendant neuf jours, et ne pas se peigner pendant quarante.
Un rire prolongé.
C'est naturellement chez des Américains que l'on observe ces cas remarquables de rire inextinguible. Le premier cas est celui d'une jeune fille de quinze ans, tellement folâtre, qu'elle se mit à rire d'une façon discontinue pendant quatre jours ! Toute sa famille en pleurait de désespoir. Le père, heureusement, conserva son sang-froid, et dans sa colère jeta un verre d'eau froide à la tète de sa frivole demoiselle. Celle-ci cessa de rire aussitôt. Les deux autres cas sont plus bizarres encore, car le rire dura toute une semaine !
NOUVELLES
Cours de l'Ecole de Psychologie
Les cours de l'Ecole de psychologie, professés par MM. les Dr Bêrillon, Paul Magnin, Paul Farez, Félix Regnault, Watteau, Legrain et par MM. Caustier et Lépinay, continuent tous les jours à cinq heures, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
Les cours sont publics et gratuits.
Conférences de 1904 1
Chaque année, les cours de l'Ecole de psychologie sont complétés par des conférences faites au siège de l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts. Ces conférences portent sur toutes les questions qui relèvent de la psychothérapie et de la psychologie. Les conférences sont publiques.
(suite)
LES VENDREDIS ? huit iîeures et demie DU SOIIt
Vendredi 4 mars, à 8 h. 1/2. Lapsychologie du courage militaire, par M. le capitaine Villetard de Laguérie (avec projections).
Vendredi 11 mars, à 8 h. 1/2. La suggestion et l'imitation dans l'art, par M. Valentino (avec projections).
Vendredi 18 mars, à 8 h. 1/2. Pédagogie psychologique : La colère chez l'enfant, par M. Malapert, professeur au lycée Louis-le-Grand.
Conférences pratiques d'hypnologie et de psychothérapie
Les conférences cliniques sur les applications de l'hypnotisme à la psychothérapie et à la pédagogie, ont repris le jeudi 14 janvier, à 10 heures du matin. Elles sont dirigées par les D" Bérillon, Magnin et Paul Farez. On s'inscrit les jeudis à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts.
NÉCROLOGIE
Le D* Liebeault (de Nancy)
Nous apprenons avec regret la mort du Dr Liébeault, le fondateur et le chef de l'Ecole de psychologie de Nancy. Le Dr Liébeault est né à Ferrières, le 16 septembre 1823. Après avoir fait d'excellentes études à Strasbourg, avoir passé sa thèse sur les désarticulations fémoro-tibiales, il vint s'établir à Nancy où il se livra aux études, qui devaient l'illustrer, sur le sommeil provoqué et les états analogues, sur l'anesthésie par suggestion, sur la suggestion criminelle, sur l'hypnotisme, etc., etc. Les œuvres du Dc Liébeault ont été traduites dans toutes les langues. Elles lui ont acquis une réputation justement méritée.
Cependant le Dr Liébeault — célèbre surtout hors de France — eut à lutter longtemps pour affirmer ses théories que les professeurs di la Sal-pétrière n'acceptaient que partiellement. Le docteur Liébeault assurait que certains états du sommeil provoqué, permettent au cerveau d'agir sur le corps humain au moyen de la force nerveuse accumulée dans cet organe et mise ensuite en mouvement par les idées suggérées à l'esprit. Ainsi agit un multiplicateur électrique.
— Le Dr Liébeault, nous disait ce matin le Dr Raymond, l'éminent professeur de la Salpétrière, estimait que l'hypnose était un état possible chez tous les sujets. Nous estimions, au contraire, que cet état n'était propre qu'à certains individus et témoignait précisément de cerveaux déjà malades.
ß Le docteur Liébeault n'en fut pas moins un savant de rare mérite, et ses travaux sont d'un haut intérêt, a
Nous avons dit qu'il était surtout réputé à l'étranger; un institut scientifique en Hollande porte son nom et, en 1891, une souscription internationale permit d'offrir à ce savant, aussi modeste qu'original, un superbe objet d'art. Les hommes de science qui s'étaient groupés autour de lui à Nancy — il n'était pas professeur à la Faculté mais, exactement, médecin à Plombières — s'associaient à ses études. Il était le maître des Bernheim, des Liégeois, des Beaunis, qui poursuivent sa tâche.
Le Dr Liébeault n'était pas chevalier de la Légion d'honneur.
(Le Temps).
18· Année. — ?· 10.
La souscription pour élever un monument au D'Liébeault. — Le cas de la dormeuse de Thenelles h l'Académie de médecine. — Un hommage au professeur Pitres. — Kant, précurseur de la psychothérapie.
??? AMIS ET AUX ADMIRATEURS DU Dr LlÉBEAULT.
Dans notre dernier numéro, en faisant part à nos lecteurs de la mort du Dr Liébeault, nous annoncions que le Dr Van Renterghem, fondateur de l'Institut Liébeault à Amsterdam, proposait à la Revue de l'Hypnotisme d'ouvrir une souscription pour élever un monument au Dr Liébeault. Notre collègue donnait l'exemple, en s'inscrivant le premier pour une somme de cent francs. La même idée était venue simultanément à plusieurs des admirateurs de Liébeault. M. Bichon, conseiller général à Oran, et le Dr LIoyd-Tuckey, s'inscrivaient également pour cent francs. La Société d'hypnologie et de psychologie de Paris, dont Liébeault était membre fondateur et membre d'honnei:r, votait dans sa dernière séance une somme de cent francs. De plus, les auditeurs et les élèves de l'Ecole de psychologie apprenant l'ouverture de la souscription, s'empressaient d'un élan généreux, d'apporter leurs offrandes. En quelques jours, la première liste s'est élevée à la somme de 700 francs.
Nous publions cette première liste dans le présent numéro. Nos lecteurs liront également avec intérêt les articles élogieux que plusieurs journaux ont consacrés au D' Liébeault. Nous sommes convaincus que les adeptes de la psychothérapie scientifique, si nombreux aujourd'hui dans toutes les parties du monde, s'empresseront de répondre à l'appel de la Revue de l'Hypnotisme.
Déjà, l'Est républicain, dans un de ses derniers numéros, demandait que le nom de Liébeault fut donné à la rue de Nancy, dans laquelle le maître avait installé sa clinique. Nous espérons mieux encore. Bientôt nous pensons que l'on verra s'élever sur une des places publiques de la ville, le monument destiné à perpétuer dans la mémoire de ses compatriotes le nom et la grande ligure du fondateur de l'Ecole de Nancy.
Avril 1904.
BULLETIN
Mardi dernier, le Dr Lancereaux a entretenu l'Académie du sommeil de la dormeuse de Thenelles (Aisne), qui a défrayé la chronique pendant de longues années. Il a rappelé les conditions dans lesquelles cette jeune fille de 22 ans fut prise, à la suite d'une vive émotion, d'attaques convul-sives qui durèrent vingt-quatre heures et après lesquelles elle tomba dans un profond sommeil, accompagné d'anesthésie et de contracture généralisée. Dans l'impossibilité absolue où l'on se trouvait de la nourrir par la bouche, on lui administra des lavements nutritifs au nombre de quatre ou six par jour et composés de lait, de jaunes d'œufs et de peptones. Conservant un point sensible à la partie supérieure du sternum, elle est prise, à intervalles à peu près réguliers, de crises convulsives réflexes, sans jamais recouvrer la connaissance, puis le point sensible ayant disparu, les crises cessent, et elle continue à dormir sans qu'il soit possible de la réveiller. Cela durait depuis vingtannées consécutives, lorsque, à la suite d'une nouvelle crise convulsive, elle s'éveille peu à peu et reprend connaissance. Les facultés intellectuelles reparaissent, à part la mémoire des choses qui ont précédé ses premières attaques, car elle se souvenait parfaitement des choses anciennes. L'auteur a conclu à l'existence d'un sommeil hystérique chez la malade qui succomba à la tuberculose peu de jours après être sortie de ce sommeil pendant lequel l'alimentation, malgré le peu de besoin de l'organisme, avait été forcément insuffisante.
A l'occasion de cette communication, M. le professeur Raymond a rappelé des cas analogues de sommeil qui surviennent toujours chez de grandes hystériques et sont une des modalités de l'attaque.
Ce sommeil se caractérise par de la contracture et des battements des paupières, du strabisme, une anesthésie complète.
On guérit les malades par l'isolement et la mécanothérapie qui sert à réveiller la sensibilité.
Il s'agit donc d'hystériques qui ont un état particulier des centres nerveux tel que ces centres peuvent cesser complètement de fonctionner pendant un certain temps sous certaines influences, et c'est de là que résulte le sommeil.
Il ne doute pas que si on s'était moins occupé d'elle, et si au lieu de cultiver son hystérie on l'avait un peu plus traitée, elle aurait pu guérir.
A ce sujet nous rappellerons que le premier travail publié sur la dormeuse de Thenelles a paru dans la Revue de l'Hypnotisme en 1887. Nous avions eu l'occasion d'observer la malade à Thenelles, en compagnie de M. le Dr Poreaux, qui exerçait alors à Vendeuil, près de Thenelles.
Nos conclusions étaient les suivantes : « La malade est une hystéro-épileptique plongée dans un état léthargique dont les caractères se rapprochent surtout de la période de l'hypnotisme décrite par Charcot sous le nom de léthargie.
? II est possible qu'elle vive encore un certain temps dans cet état,
étant donné qu'elle absorbe quelques aliments liquides et que les excrétions sont à peu près nulles. Cependant la mort par inanition marque ordinairement le terme de ces crises prolongées de léthargie.
ß La nature hystérique de l'affection, révélée par la diathèse de contracture, peut laisser espérer que son état s'améliore un jour, soit spontanément, soit sous l'influence d'un traitement qui ne peut être cherché et appliqué que dans un hôpital. »
Il nous a paru qu'il n'était pas inutile de rappeler que le diagnostic et le pronostic portés par le Dr Lancereaux sont conformes à ceux que nous avions formulés il y a plus de seize ans. Nous reviendrons d'ailleurs sur ce cas si intéressant.
II y a quelques jours, une fête charmante réunissait autour de M. le professeur Pitres ses amis et ses élèves, heureux de lui témoigner leur joie de sa promotion au grade d'officier de la Légion d'honneur.
M. le professeur Demons, chargé par la Grande Chancellerie de lui
M. le professeur Pitres (de Bordeaux).
donner l'investiture officielle, s'est acquitté de cette mission avec une exquise solennité.
Puis M. le professeur Vergely a lu une adresse chaleureuse signée de tous les assistants.
: La lecture achevée, au milieu d'unanimes applaudissements, M. Ver-
gely a offert à M. Pitres un trèsjoli bronze représentant Mucîus Scevola ; sur le socle est gravée une brève dédicace.
En quelques mots émus, M. Pitres a remercié l'assistance. Très modestement il a rapporté à ses anciens maîtres, Gintrac et Charcot, à ses amis, à ses collaborateurs, même à ses élèves les succès de sa carrière, ïl a été surtout un homme heureux, dit-il, et il est confus de tous les hommages qu'on lui rend.
Puis une superbe gerbe de fleurs a été remise à Mme Pitres par le Dr Grenier de Cardenal. ·
Quelques coupes d'excellent champagne ont agréablement terminé cette fête de famille, et on s'est retiré en se disant que si M. Pitres a été réellement un homme heureux, il n'a eu que les honneurs et le bonheur qu'il mérite, comme savant, comme confrère, comme professeur et comme doyen.
A ces hommages, nous joindrons ceux de la Revue de l'hypnotisme, qui s'honore d'avoir compté le professeur Pitres au nombre de ses premiers collaborateurs. Le savant auteur des Leçons cliniques sur l'Hystérie et l'Hypnotisme, n'appartient pas seulement à Bordeaux. Il nous est agréable de rappeler qu'il a appartenu au corps enseignant de la Faculté de Paris, comme chef de clinique du professeur Charcot.
Le 12 février 1804, mourait à Kœnigsberg le célèbre Kant, que la pos,-lérîté a surnommé justement le père de la philosophie contemporaine ». A l'occasion de ce centenaire, on a rappelé les nombreuses anecdotes qui ont trait aux habitudes de cet homme de génie. Levé exactement à cinq heures moins cinq du matin, Kant s'asseyait chaque jour à sa table à cinq heures, prenait soit une ou deux tasses de thé, fumait une pipe, repassait ce qu'il avait fait la veille; de retour chez lui après ses cours, il travaillait jusqu'à midi trois quarts, se levait de son bureau, prenait un verre de vin de Hongrie ou du Rhin, s'habillait et, à une heure, se mettait à table. L'après-midi, il faisait ses promenades célèbres sans dépasser la limite habituelle. Il faisait ses promenades seul, parce qu'il respirait d'après des règles qu'il s'était imposées. Rentré chez lui à cinq heures, il lisait les journaux, puis il s'installait à six heures dans son cabinet où il entretenait constamment une température de 25°, s'asseyait auprès du poêle, de manière à voir les tours d'un vieux château. Puis, à dix heures, il se couchait dans une chambre sans feu, dont les fenêtres étaient fermées toute l'année, se déshabillait avec méthode et se couvrait dans son lit avec une habileté particulière.
On a considéré à tort ces habitudes comme des manies. Elles sont les manifestations du don d'organisation de Kant et de son amour de la méthode poussée à l'excès. Ce souci de régler les moindres mouvements de la vie, aide à mieux comprendre l'enchaînement serre de son système doctrinaire.
Parmi les ouvrages les moins connus de Kant, nous devons signaler :
celui qui a pour titre : De l'empire de l'esprit sur les sentiments maladifs par la seule volonté de les maîtriser.
Dans ce travail, Kant indique comment il arrivait à pratiquer sur lui-même une véritable médecine morale et prétendait en détournant son attention arriver à supprimer les douleurs de la goutte, la toux et à provoquer le sommeil. ? ce titre, Kant peut être considéré comme un précurseur de lapsychothérapie. Des extraits de son œuvre ont été lus à la dernière séance de la Société d'hypnologie et de psychologie. Bientôt, ils seront publiés dans un de nos prochains numéros et nous apprendront à mieux connaître la psychologie du grand philosophe. ?. B.
Problèmes d'esthétique,
par M. le Dr Wijnaendts Franckel, de La Haye.
Véron, dans un ouvrage bien connu, a donné la définition suivante de l'esthétique : c'est « la science qui a pour objet l'étude philosophique des manifestations du génie artistique » (1). C'est un peu vague. Il me semble préférable de dire que l'esthétique est la science du sentiment du beau et du jugement artistique, qu'elle cherche à analyser et à décrire, dont elle veut connaître l'essence caractéristique et marquer les limites. Le sentiment esthétique, qu'on le considère sous sa forme réceptive, chez le spectateur, ou sous sa forme productive, chez l'artiste, n'est point un sentiment simple ; il se compose, au contraire, d'un mélange de sensations diverses ; c'est un écheveau qu'il s'agit de débrouiller pour terminer les rapports réciproques des éléments dont il se compose ; dans ce travail consiste la tâche de l'esthétique.
Etymologiquement le terme d'esthétique signifie simplement « doctrine de l'observation par le moyen des sens » ; c'est Alexandre Baumgarten (1714-1762), qui le premier l'a employé dans le sens qu'on lui donne actuellement. Comme le nom à lui seul l'indique déjà, l'esthétique n'étudie pas seulement le beau, mais de plus tout ce qui peut servir à faire comprendre le sentiment du beau. Ainsi, par exemple, Rosenkranz a écrit une esthétique du laid. Comment, en effet, analyser pour en pénétrer l'essence les émotions que le beau réveille en nous, sans en même temps porter son étude sur les émotions opposées, sans lesquelles on ne saurait bien comprendre et expli-
(1) E. Véron : L'Esthétique, 3· Ed. 1800, p. 132.
quer les autres, ces deux sortes d'émotions ayant une source commune ? En second lieu, le terme d'esthétique nous avertit que nous avons ici affaire à des sentiments de plaisir et de déplaisir produits par des impressions reçues par le sens, en particulier par les sens les plus élevés. Cependant tous les sentiments de plaisir qui se produisent sur ce domaine ne sont pas des sentiments esthétiques, et l'on ne saurait ranger tout ce qui les produit dans la catégorie de l'art. Il est, par conséquent, nécessaire de rechercher quels sont les facteurs qui doivent agir pour faire qu'une sensation soit esthétique. II ne suffit pas en ceci de parler d'un sentiment de plaisir d'ordre supérieur, car c'est donner une appréciation, non pas une explication.
Les artistes procurent d'abondants matériaux à l'étude de l'esthétique; mais cette étude, ce n'est pas à eux en première ligne qu'il faut demander de s'y livrer. Tout d'abord, remarquons qu'elle exige des connaissances physiologiques beaucoup plus étendues que celles acquises par la plupart des artistes, dont l'activité est tournée dans une tout autre direction. En outre, l'artiste se voue d'ordinaire à un art spécial, déterminé par ses goûts et ses aptitudes personnelles; il vit pour cet art, s'enthousiasme pour lui, et, par la force des choses, il voit l'art à un point de vue rétréci ; il lui est bien difficile de s'élever aux conceptions théoriques générales en s'affranchissant de toutes conceptions préconçues. L'exercice de l'art demande de celui qui s'y livre une individualité marquée et une grande concentration d'énergie, tandis que l'étude des problèmes esthétiques suppose l'objectivité du jugement et l'aptitude à reconnaître la valeur de tendances artistiques très diverses, et de manifestations très variées du sentiment du beau.
Au fond, il est heureux que d'ordinaire les artistes se montrent indifférents pour les questions scientifiques et les analyses critiques; il vaut mieux qu'ils ne s'y aventurent pas trop, car cela ferait du tort à leur puissance de production. En effet, tandis que la science recherche l'objectivité, Part est essentiellement subjectif, et la pratique de l'analyse scientifique, bien loin d'encourager le génie créateur de l'artiste, risquerait de l'éteindre. L'artiste qui pense trop, se déshabitue de produire. Ce que l'artiste trouve, il l'a, par une sorte d'intuition, mais le savant porte de propos délibéré sa réflexion sur les problèmes à résoudre. La science veut comprendre; elle a pour principe le besoin de trouver la vérité; mais l'art veut jouir; ce n'est pas
le vrai, mais le beau qu'il désire. L'exactitude scientifique ne contribue en rien à la perfection artistique, et des productions artistiques élaborées sur une théorie scientifique n'en auraient pas une plus grande valeur pour cela ; elles finiraient par vieillir avec la théorie, quelque accréditée que celle-ci puisse avoir été en son temps.
Ceux qui étudient l'histoire de l'art ne sont pas non plus tout désignés par cela pour cultiver l'esthétique. L'historien se préoccupe avant tout des détails de la production des œuvres d'art et de la carrière des artistes; mais tout cela n'a de valeur pour l'esthétique que s'il s'y trouve des indications permettant de mieux comprendre le beau artistique. Ce qu'elle recherche n'est pas comment une œuvre est née historiquement, mais quelles sont les causes et les éléments de la jouissance artistique.
La science de l'art en est encore à ses débuts. Il est vrai que les historiens ont réuni des matériaux innombrables ; mais les faits qu'ils ont mis au jour n'ont pas produit grand'chose en vue d'expliquer le beau ou la manière dont il se produit. De leur côté, les philosophes qui ont écrit sur l'art se sont généralement bornés à des spéculations, dans lesquelles ils se préoccupaient fort peu de savoir si elles s'accordaient avec les faits de l'expérience. Ainsi l'on a, d'un côté, un grand amas de faits, de l'autre côté une collection de subjectifs; mais ce que la collaboration des connaisseurs et des philosophes aurait dû faire naître est resté en souffrance. Le but d'une science de l'art ne saurait être de connaître un certain nombre de faits, mais de comprendre tous les phénomènes relatifs à l'art. Elle a donc besoin de connaître un grand nombre de faits, mais cela ne suffit pas à soi seul. Il faut faire la synthèse de ces faits. En outre, il est nécessaire que celui qui se livre à cette étude sente lui-même vivement la beauté artistique, sans quoi il lui est impossible d'entrer dans l'âme de l'artiste et de se représenter ce qui s'y passe. N'oublions pas, en effet, que la science de l'art ne se propose pas seulement de comprendre le beau esthétique, mais aussi de découvrir de quelle manière naissent les créations artistiques, ce qui constitue le caractère essentiel du tempérament artistique, et dans quelle mesure les particularités qui distinguent un artiste se trouvent en rapport avec les circonstances de sa vie, avec son caractère et ses idées générales. II y a plus. Il ne faut pas seulement élucider ce qui est l'essence des œuvres
d'art et comment elles naissent, mais encore l'impression qu'elles produisent sur les spectateurs. Ici les amplifications rhétoriques sur les effets ennoblissants de l'art sont aussi superflues que les spéculations sur son utilité pour moraliser en plaisant.
Pendant fort longtemps l'esthétique a suivi exclusivement les sentiers de la spéculation. Seule la spéculation a régné durant une longue période, et, maintenant encore, nombreux sont ceux qui suivent cette voie, souvent au détriment de leur capacité de sentir le beau et d'en jouir. On part d'une notion a priori abstraite que l'on nomme » le beau », et l'on en fait la mesure que l'on applique aux choses réelles qui ont de la beauté, sans s'inquiéter des sentiments intuitifs et spontanés de plaisir qu'elles font naître. Les plus féconds en théories, parfaitement incapables de procurer un sentiment profond du beau ou de mettre à même de le comprendre par intuition immédiate, sont ces spéculateurs qui ne peuvent goûter le beau et s'abandonner à son empire, sans lout gâter en interposant mille concepts métaphysiques, qui troublent le jugement. Si, comme on le représente dans l'école en question, le beau physique n'est rien en soi et n'acquiert de valeur que grâce à des éléments venus d'ailleurs, on est en droit de se demander s'il est permis de parler de Part comme ayant une existence propre. On ne pourrait qu'en douter, s'il était vrai que ces éléments surajoutés sont la chose essentielle et si l'impression immédiate que produit une œuvre d'art ne comptait pour rien tandis que les considérations tirées de la spéculation devaient être tout.
L'esthétique spéculative rappelle sous plus d'un rapport la philosophie spéculative dc la nature de Schelling et de son école au commencement du dix-neuvième siècle; et, de même que cette dernière théorie a dû faire place à une science de la nature plus féconde, fondée sur l'observation exacte, il faut s'attendre à ce que l'esthétique purement métaphysique sera peu à peu remplacée par une esthétique tenant compte des données de l'empirisme et s'appropriant les résultats acquis par la psychologie physiologique moderne. La tendance métaphysique dans l'art n'étudie pas en réalité des sentiments esthétiques, mais philosophiques. Du moment qu'elle domine dans les recherches esthétiques, celles-ci perdent tout caractère scientifique et les dogmes que l'on proclame, acceptables uniquement pour ceux qui partagent le point de vue métaphy-
sique de leurs auteurs, ne sauraient aspirer à être universellement considérés comme acquis.
On en viendra, en esthétique comme ailleurs, à remplacer la méthode deductive parla méthode inductive. Avec la première de ces deux méthodes, on part de certaines notions générales vagues désignées par les mots « le beau », « l'art » et d'autres, et de certaines idées relatives à l'idéal, idées que l'on met en relations étroites avec le bien, le divin et l'absolu; puis on se sert de ces choses pour expliquer les faits particuliers. Tout au contraire, la méthode inductive s'élève de l'individuel et du simple au général et au composé, et s'efforce, en partant des faits donnés par l'observation, à établir des règles fixes, des lois. Si, en suivant la première de ces deux voies, on décrète sans preuves concluantes ce que l'on prétend être la vérité, la seconde, plus incommode et ardue sans doute, conduit à de solides résultats; cette méthode peut seule donner l'explication de l'apparition et de la nature des phénomènes esthétiques.
La nouvelle esthétique s'appuie sur sa sœur, la psychologie. Elle sait que, de même que toutes les autres sciences relatives à l'esprit, c'est dans la psychologie seule qu'elle peut trouver une base solide pour ses propres investigations. C'est que les phénomènes dont s'occupe l'esthétique et les faits d'expérience qui lui servent de points de départ, sont de nature exclusivement psychique. Ce que nous nommons beau, noble, charmant, n'existe pas en qualité de propriétés objectives des choses du monde extérieur, mais ces mots traduisent les impressions reçues par un spectateur attentif et sensible, doué d'imagination et de raison, et la manière dont il a pris conscience de ces impressions. L'esthétique cependant ne s'arrête pas là, car il ne s'agit pas seulement d'un sentiment passif, mais aussi d'un jugement actif, basé sur un sentiment d'appréciation. L'esthétique doit étudier la nature de cette appréciation, impliquée dans le jugement prononcé sur le beau, tout en se gardant de vouloir établir des formes inflexibles et appréciables à tous les cas. Cependant ce sentiment d'application repose pour une grande part sur les données qui n'appartiennent pas au domaine propre de la psychologie ; et c'est le motif pour lequel, par exemple Munsterberg, veut que l'on maintienne une limite tranchée entre la psychologie et l'esthétique. Certainement la psychologie est un auxiliaire indispensable de l'esthétique et l'on ne doit sous aucun prétexte la négliger, mais les notions dont use l'esthétique ne peuvent point être
toutes empruntées à la psychologie. Il faut une science générale du beau, justement afin de constater les caractères dis-tinctifs de l'appréciation esthétique et de signaler en quoi celle-ci se différencie d'appréciations d'un autre genre.
Tout aussi bien que l'esthétique, l'éthique est une science portant sur l'appréciation. 11 n:est donc pas étonnant qu'il existe divers points de contact entre les deux. Ainsi, le beau et le bien veulent tous deux augmenter le bonheur de l'homme et ont donc l'eudémonisme en commun. De là vient que l'on donne des louanges au beau et qu:en revanche le bien plait. Mais, tandis que le beau parle plutôt aux sens, le bien est du domaine de la vie intérieure du sentiment, et ce qui détermine le jugement moral n'est point en première ligne une impression agréable pour les sens. Il existe des genres différents d'agrément, qu'il ne faut point confondre les uns avec les autres, bien qu'ils puissent coexister. L'agrément moral est produit par des actes qui satisfont notre conscience morale, et l'agrément esthétique, par des sensations qui plaisent aux sens et par les pensées qui s'y greffent. C'est une erreur que de s'imaginer que le bien et le beau se confondent, ou même sont de nature très semblable; on les a identifiés, moins par un résultat de la réflexion méthodique que dans une intention moralisante. En effet, les sentiments moraux se rapportent au monde de la volonté, tandis que les sentiments esthétique se rapportent à une contemplation désintéressée, sans aucune relation directe avec la volonté. Celui qui fait des efforts en vue du bien, le fait poussé par de tout autres mobiles que celui qui crée quelque chose de beau ou qui en jouit. Naturellement, le beau peut être accompagné du bien, mais son existence ne dépend aucunement de cet accouplement. L'éthique et l'esthétique sont si loin d'être identiques dans l'estime qu'elles font des choses, que souvent il ? a antagonisme entre elles. Le sentiment moral et le sen-timent esthétique peuvent très certainement coexister chez une même personne; pourtant dans un moment donné l'un des deux dominera d'ordinaire aux dépens de l'autre. Les saints ne sont pas artistes et les artistes ne sont pas des saints,
Si donc, par exemple, on reprochait à un poète de peindre des caractères plus nobles et excellents que le sien propre, ce serait aussi absurde que de reprocher à un peintre ou à un sculpteur de représenter des personnages de grande beauté, peuen harmonie avec sa propre apparence extérieure. Souvent, mais à tort, on cherche une harmonie entre l'esprit que res-
pirent les créations d'un artiste et la teneur de sa vie personnelle ou l'impression que l'on reçoit de lui en le fréquentant. Quand les faits vont à rencontre et que le contraste entre les œuvres de l'artiste et sa vie est indéniable, on s'efforce, ne voulant pas abandonner la théorie de l'harmonie, ou bien de démontrer, qu'à y bien regarder, les vices de l'artiste se retrouvent dans son œuvre, ou bien, à force dc sophismes, d'innocenter sa conduite. Dans ces vains efforts, on oublie qu'un contraste entre ce qu'est l'artiste et ce qu'est l'homme n'est point une contradiction logique, mais qu'il provient de ce que l'homme et l'artiste sont deux formes diverses de la manifestation d'une seule et même personnalité. Il va sans dire, du reste, que, lorsque le contraste est très frappant, il produit une impression très pénible, laquelle peut troubler la jouissance esthétique, au point même que le raisonnement, qui montre qu'il n'est pas juste de condamner l'œuvre parce qu'on est obligé de condamner l'homme, ne réussit pas à vaincre la répugnance qui s'est emparée de l'âme.
L'artiste n'est pas moraliste ; s'il exerce une influence moralisante, ce ne peut être qu'indirectement. En ce sens ses créations peuvent agir dons le sens de la morale, car les émotions esthétiques et les émotions éthiques, pour être différentes, ne s'excluent aucunement les unes les autres ; au contraire, la jouissance procurée par une œuvre d'art est souvent accompagnée d'impressions ressortissant à la morale, et inversement le sentiment d'agrément qui provient de choses morales a souvent une grande affinité avec la jouissance esthétique. C'est ce qui a fait que quelques philosophes ont conclu que dans le fond des choses les deux ne sont qu'un. Certainement l'art peut indirectement contribuer à la réalisation de quelque idéal moral, lorsqu'il met sous une forme visible devant l'homme la signification de son existence, le but et la valeur de sa vie, et il le fait mieux que le tableau superficiel et capricieux que déroulent à nos yeux les événements de la vie quotidienne. L'art peut donc contribuer à former la manière dont nous envisageons la vie ; mais il ne faut pas oublier que beaucoup d'éléments de notre conception de la vie ne rentrent pas dans la catégorie de ce qui est bien ou mal ; un grand nombre des émotions qui déterminent la valeur dc l'existence n'appartiennent pas au domaine proprement dit dc la morale. Si par conséquent on voulait n'admettre dans l'art que ce qui influence la morale, on rétrécirait sans motifs suffisants d'une manière
très considérable sa sphère d'activité et on le soumettrait à un joug que rien ne justifie.
On a souvent eu le tort de confondre le sentiment du beau et celui du bien, et l'on a voulu mettre l'art au service de la religion et de la morale. On détruit ainsi la liberté qui est un besoin essentiel pour la création d'œuvres d'art et pour que l'on jouisse de ces œuvres. Ainsi on est parti en guerre contre le nu dans l'art, sous prétexte qu'il provoque l'immoralité. C'est d'autant plus ridicule et évidemment entaché de pharisaïsme, qu'on laisse subsister tant de ballets, cafés-chantants et autres institutions du même acabit, où tout est calculé pour exciter la sensualité et qui ont ainsi un effet directement démoralisant très considérable. Indépendamment de cela, on semble ne pas savoir qu'il est impossible aux artistes de tenir compte de toutes les conséquences imaginables que peut avoir la contemplation de leurs créations. Il est certain que l'on peut condamner certains produits de l'art, parce qu'ils éveillent la sensualité ; mais alors cette condamnation dépend de considérations utilitaires et morales, aucunement esthétiques. Certes, on ne saurait nier que certaines œuvres d'art, excellentes comme telles, n'exercent sur quelques personnes une influence regrettable ; toutefois la faute en est essentiellement à ces personnes elles-mêmes, qui apportent à l'inspection de l'œuvre des éléments étrangers à l'esthétique, dont cette œuvre comme telle n'est pas coupable Tout est pur pour ceux qui sont purs, mais tout est souillé pour ceux qui sont souillés. Les objets les plus utiles peuvent devenir dangereux entre les mains de ceux qui ne sont pas aptes à les manier, mais on n'accusera pas ces objets du mal qu'ils ont servi à causer ; pourquoi donc reprocher à l'art, lorsqu'il a voulu réveiller le sentiment du beau, de produire sur un contemplateur un effet malfaisant, qu'il ne s'est point proposé?
L'artiste n'est condamnable que s'il choisit sa matière dans l'intention d'exciter les sens, spéculant en ceci sur les mauvaises passions des hommes. Il commet alors la grande faute de poursuivre un but étranger à l'art. Ses personnages ne sont plus nus, mais déshabillés. Le chant et la danse ne servent plus à caresser l'oreille ou à déployer de la grâce, mais à orienter la volupté. On dépeint le mal sous des formes captivantes ; on dissimule ses conséquenses désastreuses ; on cache soigneusement sa laideur ; on fait alors, non seulement du mal, à ceux qui ne sont pas purs de cœur, mais aussi on corrompt des âmes encore intactes. (à suivre)
La grande hypnose chez les grenouilles en inanition,
par M"« Micheline Stefanowska, docteur ès-scienccs de la Faculté de Genève [suite et fin)
Toutes les expériences précédentes démontrent clairement que l'élévation de la température occasionne toujours le réveil; elle agit comme un excitant. Faisons toutefois remarquer que ce n'est pas la température en tant que telle qui favorise le réveil, mais que c'est son augmentation (la variation thermique dans le sens de l'augmentation) qui produit cet effet. Une grenouille peut dormir profondément à une température qui produirait le réveil si elle succédait à une température plus basse. Il est donc impossible de fixer la température de sommeil et la température de réveil. Chaque nouvelle augmentation de la température agit comme un nouvel excitant en produisant le réveil.
Par contre, l'abaissement de la température (lavariation thermique dans le sens delà diminution) n'interrompt pas le sommeil hypnoptique. Ce dernier fait ressort encore mieux des expériences suivantes. Plusieurs fois les grenouilles en hypnose profonde ont été placées sur un bloc de glace ou bien entourées de petits fragments de glace fondante; cependant elles ont continué à dormir tranquillement, sans faire un mouvement.
L'abaissement de la température paraît même avoir une action favorable sur l'apparition de l'état hypnotique. Pareille conclusion se dégage des expériences suivantes :
Pendant une très chaude journée de juillet (température de la salle, 28°), deux grenouilles ont été plongées dans de l'eau à 7°. Pendant la première minute, leurs mouvements se ralentissent beaucoup ; elles paraissent lasses, leurs paupières se ferment. La respiration est très ralentie, la peau devient très pâle. Au bout de dix minutes, on les relire de l'eau et on les place dans la position dorsale. Aussitôt les grenouilles tombent en état d'hypnose profonde, précédée d'une phase de catalepsie: les membres sont rigides, la membrane interdigitale tendue. Le sommeil de ces grenouilles dura plus d'une heure; on a dû les réveiller artificiellement. Mais les muscles se sont relâchés au cours de l'hypnose.
VIL — Influence des anesthésiques généraux sur l'hypnose
Il était aussi intéressant de rechercher comment l'organisme, plongé dans l'hypnose profonde, réagira vis-à-vis des anesthé-
(1) Voir Revue de l'Hypnotisme, numéro de décembre 1904 et suivants. . .
siques généraux. L'action de l'agent anesthésique se montre-ra-t-elle indifférente, favorable ou bien défavorable au sommeil hypnotique? Dans le but d'étudier ce point, les grenouilles profondément endormies ont été recouvertes d'une cloche sous laquelle on introduisait une éponge imbibée d'éther sulfurique, de chloroforme ou d'alcool absolu. L'effet de l'anesthésique apparaît instanément, la respiration, qui était à peine perceptible, devient aussitôt très énergique ; au bout de quelques secondes, la grenouille se met à exécuter des mouvements très vifs avec les globes oculaires, qui dans l'hypnose étaient absolument immobiles, puis elle commence à faire des mouvements avec les membres antérieurs, tout en restant encore couchée sur le dos ; elle essaie de se soulever et ne réussit pas du coup, letroncet les membres postérieurs étant encore inertes. Cependant, après quelques mouvements maladroits et fébriles, la grenouille se retourne sur le ventre et accuse une vive surexcitation : elle saute énergiquement contre les parois delà cloche. Cette surexcitation dure de plusieurs secondes jusqu'à une minute, puis viennent la prostration et l'insensibilité, si l'on ne soustrait pas l'animal à l'action de l'anesthésique.
Le réveil produit par les anesthésiques est constant; il réussit toujours, sans exception, et est très rapide; cependant l'éther, à raison de sa volatilité plus grande, agit un peu plus prompte-ment que le chloroforme et l'alcool absolu.
Il est intéressant de constater que le sommeil anesthésique ne peut pas s'ajouter directement au sommeil hypnotique, car le réveil srin-terpose toujours entre les deux états. Cela parait d'autant plus frappant que ces deux sommeils impriment à l'organisme des caractères somatiques presque identiques. Cependant nous voyons qu'il existe un antagonisme entre ces deux états. Cet antagonisme trouve son explication dans ce fait que les anesthésiques, avant de paralyser les centres nerveux, produisent d'abord leur surexcitation. Celte excitation est suffisante pour interrompre le sommeil hypnotique. Or il est certain que, dans ces expériences, l'action excitante de l'anesthésique s'est portée principalement sur le cerveau, tandis que la moelle, beaucoup plus résistante ('), n'a pas encore été influencée d'une manière notable. Le fait est prouvé par la rapidité avec laquelle survient le réveil dès qu'on introduit dans l'enceinte un peu d'éther ou de
(1) J. Ioteyko ei M. Stefanowska, Influence des anesthésiques sur l'excitabilité des muscles et des nerfs. (Annales de la Société royale des sciences médicales et scien-ces médicales et naturelles de Bruxelles, 1901, t. X.)
chloroforme. Cette rapidité est telle que nous pouvons exclure une action quelconque de l'anesthésique sur les centres nerveux inférieurs; d'ailleurs, elle correspond exactement aux premières manifestations d'agitation qu'on observe chez une grenouille normale et placée dans les mêmes conditions d'absorption de l'anesthésique.
Le réveil opéré par les anesthésiques parait donc démontrer que le cerveau dans l'hypnose ne se trouve point dans un état de surexcitation, comme certains auteurs l'ont avancé; bien au contraire, le cerveau semble être dans un état d'assoupissement; il est inactif. Mais dès qu'une excitation vient à l'ébranler, il se réveille aussitôt et envoie des impulsions à la moelle épinière.
D'ailleurs, un certain nombre d'autres expériences que j'ai entreprises tendent à appuyer l'opinion précédente. Les expériences de contrôle prouvent que le réveil rapide dans l'hypnose est réellement dû à l'action excitante générale du cerveau par l'anesthésique, et que le réveil ne peut être attribué exclusivement à l'irritation produite par l'odeur pénétrante de l'éther ou du chloroforme. En effet, toutes conditions égales, les grenouilles en hypnose profonde ne sont point réveillées par l'essence de girofle, de térébenthine, ni par la benzine et le camphre. Elles continuent de rester immobiles, comme si aucun changement ne s'était produit; et pourtant la cloche qui les recouvre est remplie de l'odeur suffocante d'une de ces substances. Les excitations olfactives se montrent donc inefficaces pour opérer le réveil.
Au contraire, dès qu'on introduit sous la cloche quelques gouttes d'ammoniaque, mélangée avec de l'eau, les grenouilles se réveillent aussitôt et se montrent surexcitées. De même agit l'acide formique à 50 °/0, quoique le réveil soit alors plus lent.
Nous voyons donc que l'ammoniaque et l'acide formique produisent le réveil presque aussi brusque que les anesthésiques, et Ton sait que ces deux substances sont des excitants énergiques pour le système nerveux. Nous pouvons conclure de ce fait que les excitants généraux (diffusibles) interrompent le sommeil hypnotique. De même la chaleur, qui agit comme un excitant général énergique, réveille les grenouilles de l'état d'hypnose profonde, tandis que le froid n'interrompt pas le sommeil. De plus, mes expériences citées plus haut démontrent que l'application préalable du froid prédispose même les grenouilles au sommeil hypnotique. Cet effet est certainement
dû à l'action déprimante qu'exerce un fort abaissement de la température sur les fonctions de l'organisme. Pareille action dépressive produisent également les anesthésiques, si leur action se prolonge suffisamment. L'expérimentation m'a, en effet, montré que les grenouilles qui ont séjourné pendant quelques minutes dans les vapeurs d'éther conservent cet état de dépression consécutive assez longtemps à l'état de veille. Or, chez de telles grenouilles étourdies par l'anesthésique, le sommeil hypnotique est favorisé d'une manière remarquable, même chez les individus qui auparavant étaient rebelles à l'hypnose. Nous avons donc ici une preuve nouvelle que tous les agents qui dépriment fortement le système nerveux favorisent en même temps le sommeil hypnotique.
VIII. — Le réveil
Quelle que soit la profondeur du sommeil hypnotique, on peut toujours réveiller instantanément une grenouille (sauf le cas de dessèchement partiel), soit en la secouant par les membres, soit en la piquant fortement dans les articulations, ou bien encore en la retournant vivement dans la position normale. Réveillé brusquement, l'animal recouvre aussitôt l'agilité des mouvements; il parait souvent surexcité et fuit rapidement de la table, en poussant des cris aigus si on le poursuit. Cependant, quelques observations prouvent que, malgré cette agilité exagérée, il persiste encore quelque chose dans l'organisme de l'état précédent; le système nerveux parait ne pas encore fonctionner normalement. En effet, après un long sommeil, les grenouilles, dans les premiers moments, semblent souvent étourdies; elles ne se rendent pas bien compte ni de l'espace ni des objets environnants, et exécutent des fausses manœuvres dans leur fuite. Ainsi, elles font des bonds exagérés, ou bien se buttent fortement contre le mur, ce qui n'arrive jamais à une grenouille normale.
Il existe encore une autre preuve qui démontre la persistance d'un état particulier après l'hypnose. Très souvent, ainsi que je l'ai observé, une grenouille réveillée après une longue hypnose peut être replongée aussitôt dans le sommeil; il n'y a qu'à la renverser sur le dos. De cette façon, on peut rendormir l'animal plusieurs fois de suite, et l'expérience peut se continuer pendant plusieurs heures, même en pleine lumière. Divers auteurs, entre autres Danilewsky, avaient déjà remarqué ce fait que les animaux montrent une tendance à s'endor-
mir plus facilement dans la seconde et la troisième expérience que dans la première. On a nommé « éducation hypnotique » cette facilité acquise de s'endormir. Cependant ce mot n'exprime pas la réalité du phénomène. D'après mes expériences, les grenouilles rendues très « hypnotisables » un certain jour par des expériences répétées, ne conservent pas cette disposition au même degré les jours suivants. En général, la prédisposition au sommeil varie d'un jour à l'autre, même chez les individus très habitués aux expériences, sans qu'on puisse saisir la cause de cette variation, les conditions extérieures étant les mêmes. Souvent des grenouilles très hypnotisables pendant longtemps deviennent tout à coup rebelles à l'hypnose; c'est à peine si l'on peut provoquer chez elles un sommeil superficiel et de courte durée. Laissés au repos pendant quelques jours, ces mêmes individus redeviennent hypnotisables comme devant.
Evidemment, ces variations dépendent d'une cause intraor-ganique (1), mais elles prouvent en même temps que l'éducation hypnotique proprement dite n'existe pas chez les grenouilles.
Je n'ai envisagé jusqu'à présent que le réveil brusque, produit artificiellement. Mais les grenouilles peuvent également se réveiller spontanément, même après une très profonde et longue hypnose. Ce réveil survient d'habitude graduellement, et il est intéressant d'observer les phases successives qui le précèdent. On voit d'abord que la grenouille fait quelques mouvements légers pour se relever, mais ne parvient pas à les exécuter et s'arrête de nouveau immobile pendant quelques instants. Elle fait ensuite des essais plus apparents, par exemple en levant la tête ou bien les membres, et en les laissant retomber de nouveau. Quelquefois ranimai prend même une nouvelle position bizarre et s'immobilise. Parfois les grenouilles coassent doucement pendant ces tentatives. Ce n'est qu'à la suite d'essais multiples que la grenouille se retrouve brusquement dans la position normale.
La surexcitation qui accompagne généralement le réveil est passagère; par contre, après un sommeil assez long, les grenouilles paraissent fatiguées. Quand on les remet dans le vase avec de l'eau, elles se tiennent tranquilles, les yeux retirés dans les orbites, les paupières closes. On sait que pendant l'hypnose
(1) Xous savons à présent, par les recherches de J. Gaule, comment l'organisme de la grenouille varie continuellement d'une saison â l'autre, d une semaine à l'autre et même d'un jour à l'autre.
la peau pâlit fortement chez les grenouilles; elle prend souvent la teinte très claire d'un jaune à peine verdàtre. J'ai souvent remarqué que cette pâleur de la peau persiste après l'expérience jusqu'à une demi-heure, de sorte que la grenouille après l'expérience se distingue nettement de ses congénères par la pâleur de la peau.
Enfin, il y a lieu de mentionner ici que j'ai observé plusieurs cas de paralysie post-hypnotique après le sommeil prolongé. La paralysie intéressait chaque fois les membres postérieurs, parfois un seul membre; elle était toujours passagère et de durée variable; quelquefois la paralysie des membres postérieurs ne durait que plusieurs minutes; d'autres fois, elle persistait pendant des heures chez des grenouilles fortement épuisées par l'inanition.
Nous pourrions peut-être rapprocher cette paralysie posthypnotique de la paralysie post-chloroformique, observée par des médecins après certaines opérations chirurgicales. Les causes en sont peut-être les mêmes dans les deux cas : la position anormale du corps et la circulation gênée produisent facilement l'engourdissement des nerfs, et ce phénomène pourrait être aidé par l'épuisement général.
Résumé et conclusions
Après avoir étudié les grenouilles pendant les quatre saisons de l'année, je suis parvenue à établir que les bonnes conditions physiologiques sont absolument défavorables à la production de l'hypnose chez ces animaux. En général, il est difficile de provoquer cette forme du sommeil chez les individus bien portants et bien nourris. C'est pour cette raison que les grenouilles se montrent le plus rebelles à l'hypnose vers la fin de l'été et en automne, car leur organisme se trouve réconforté pendant la belle saison. Seuls les individus épuisés et visiblement malades se laissent endormir même en automne. La résistance à i'hyp-nose commence à fléchir un peu chez les grenouilles en hiver, saison où normalement elles ne prennent point de nourriture. Leur organisme vivant alors à ses propres dépens s'épuise petit à petit, comme l'ont démontré les recherches de Kronecker, Schiff, Athanasiu, Gaule et d'autres auteurs.
Le nombre de grenouilles hypnotisables augmente en hiver dans le ranarium le mieux installé. Mais l'hypnose est encore assez superficielle et de courte durée ; on peut la désigner sous le nom de petite hypnose.
Par contre, si l'on soumet ces mêmes grenouilles au jeûne absolu pendant les mois de printemps et d'été, on voit que la prédisposition pour l'hypnose augmente chez elles en raison directe des mauvaises conditions physiologiques produites par l'inanition. En apparence, ces grenouilles sont saines et alertes, mais elles tombent subitement dans un sommeil profond, dont les caractères somatiques présentent une analogie frappante avec la grande hypnose, telle qu'elle a été décrite par l'Ecole de la Salpètrière. Nous retrouvons chez ces grenouilles les mêmes phases alternantes de léthargie et de catalepsie avec attitudes bizarres, la même anesthésie des sens généraux cutanés et l'inaction des sens spéciaux, le même ralentissement de la respiration et de la circulation.
Nous voyons donc que l'inanition prolongée est une condition excessivement favorable à V hypnose che% les animaux à sangfroid. A côté de l'inanition, facteur principal, il peut y avoir d'autres facteurs qui, en affaiblissant l'organisme, contribuent à aggraver la prédisposition pour l'hypnose. Je viens d'établir que la soustraction d'eau aux tissus de la grenouille est également une condition favorable à l'hypnose. Enfin, les grenouilles malades, amaigries, surmenées, ainsi que les individus vivant longtemps en captivité, sont plus ou moins prédisposés à l'hypnose. Mais toutes les conditions énumérées ont pour effet de rendre la nutrition défectueuse, par conséquent elles ont un rapport étroit avec l'inanition (J).
En somme, il est certain que l'épuisement des tissus et des organes retentit aussi sur le système nerveux et produit des troubles dans son fonctionnement. L'hypnose apparaît alors avec facilité. D'autre part, les constatations recueillies dans l'hypnose chez l'homme appuient cette manière de voir : on a observé que la production de l'hypnose est favorisée chez les personnes affaiblies.
Une série de faits énumérés dans ce travail permettent de supposer que l'hypnose est favorisée par l'intoxication du système nerveux dans l'inanition chez les grenouilles. De plus, les observations de Bremaud (2) montrent que l'abus des boissons et les excès de tout genre facilitent l'hypnose chez l'homme.
L'hypnose chez les animaux et notamment chez les grenouil-
(1) Voir ma communication préliminaire au V· Congrès de physiologie à Turin : Sur tes conditions favorables et défavorables à rhypr.osechej tes grenouilles. (Archives italiennes de biologie, t. xxxvi, fasc, 1, p. 90.)
(2) P. Bremaud, Société de biologie, S3 mars 1S8Ï, p. ?0.
les est comparable à celle de l'homme. Ses manifestations sont simples chez la grenouille, compliquées et délicatement nuancées chez l'homme et surtout chez les hystériques. Mais les traits fondamentaux restent les mêmes. L'absence de suggestion verbale chez les animaux n'est pas un obstacle pour faire ce rapprochement, car on sait que l'Ecole de Paris admet l'apparition de l'hypnose sans la suggestion, provoquée uniquement par des agents physiques. Mes expériences sur les grenouilles en inanition semblent donc apporter une preuve en faveur de l'origine pathologique de l'hypnotisme, ce qui serait d'accord avec l'enseignement de l'Ecole de Charcot.
REVUE DE LA PRESSE
Les éloges â la mémoire du Dr Liébeault
Un grand nombre de journaux français et étrangers ont publié des articles nécrologiques en l'honneur du Dr Liébeault. Nous en reproduisons quelques-uns, dans lesquels l'œuvre du maître a été l'objet d'éloges mérités.
Dès la nouvelle de sa mort, les journaux de Nancy, et en particulier VEst républicain, ont traduit la douleur que les compatriotes de Liébeault ont ressentie en apprenant sa mort. Nous nous bornerons à citer les plus expressifs.
Hort du Docteur Liébeault
C'est avec une douloureuse émotion que nous annonçons la mort de notre eminent concitoyen, M. le Dr Liébeault, décédé jeudi, à cinq heures du matin, en son domicile, rue de Bellevue, 4.
C'est un grand homme de bien, c'est une noble figure, dans sa modestie et son desintéressement qui disparait avec le chef incontesté de l'école hypnotique de Nancy.
Maître des Bernheim des Liégeois, des Beaunis, le docteur Liébeault était le chef de cette école qui considère l'hypnotisme d'après le côté psychique, école opposée à celle de la Salpétrière, qui l'envisage d'après le côté matériel et mécanique des sensations.
La vie du docteur Liébeault est d'une belle simplicité, tout entière consacrée à l'amour ardent de la science.
Né à Ferrières le 111 septembre 1833, il fait d'excellentes études a la Faculté de médecine de Strasbourg. Interne en 1848, docteur en médecine deux ans plus tard, ayant passé une thèse brillante sur les « Désarticulations fémoro-tibiales », il exerce son art d'abord à Pont-Saint-Vincent, puis vient à Nancy ou 11 se livre à ses études si passionnantes sur l'état organo-psychique déterminé par le sommeil et les états analogues, études intéressant aussi bien le philosophe que le psychologue et le médecin.
Le nombre des malades que Liébeault a guéri par la suggestion hypnotique et incalculable. Il était accessible a tous, à toute heure.
La compétence technique nous manque pour apprécier comme 11 conviendrait toute la valeur des doctrines du Dr Liébeault. Disons simplement qu'il avait pensé que certains états du sommeil provoqué permettent au cerveau d'agir sur le corps humain au moyen de la force nerveuse accumulée dans cet organe et mise ensuite en mouvement par les idées suggérées à l'esprit. Ainsi agit un multiplicateur électrique.
Rappellerons-nous quelques titres des nombreuses études du regretté défunt : Du sommeil provoqué et des états analogues » (136G). — « Ebauche de psychologie t (1873). — a De l'anesthésie par suggestion » (1885). — ? Traité pour le traitement par la suggestion de l'incontinence d'urine ? (1886). — « Suggestion criminelle de l'hypnotisme » (1895), etc., etc.
Les œuvres du docteur Liébeault ont été traduites dans presque toutes les langues. Chose étrange ce grand savant, que relativement peu de personnes à Nancy connaissaient, avait une réputation mondiale. Un Institut scientifique en Hollande, comme nous l'avons indiqué dans ce journal il y a quelques années, porte son nom.
En 1891, une souscription internationale permit d'offrir à l'illustre savant un superbe objet d'art.
Le docteur Liébeault laissera le souvenir d'un savant d'une rare originalité et d'une haute valeur.
11 fut aussi un vaillant exemple de Lorrain énergique. A lui revient l'honneur d'avoir imposé, d'avoir assuré le triomphe d'une théorie scientifique, née en province contre la théorie adverse des professeurs officiels » de Paris.
Au nom des amis du docteur Liébeault, nous avions demandé la croix de la Légion d'honneur pour le modeste savant. La joie ne nous a pas été donnée de lui voir décerner cette décoration qu'il aurait honorée.
Mais, ce qui vaut mieux, le nom du docteur Liébeault est profondément gravé sur le livre d'or de la science — en lettres Indélébiles.
{Est républicain).
Le lendemain, l'Est républicain, dans un second article, faisait ressortir l'immense notoriété dont l'œuvre de Liébeault était entourée.
Le docteur Liébeault
Les Nancéicns se rappellent le tableau de Vierling exposé, il y a deux ans, au Salon des Amis des arts, et représentant le docteur Liébeault. L'artiste avait su comprendre son modèle, il avait su rendre l'expression de ses yeux tournés vers la pensée intérieure, la beauté du vaste front pensif.
Il convient de revenir encore sur la vie du docteur Liébault, à laquelle nous avons consacré hier une rapide notice.
Le docteur Liébeault était né de modestes cultivateurs. Voyant son intelligence précoce et son goût pour l'étude, ils pensèrent qu'il fallait en faire «m prêtre; mais l'adolescent ne sentait pas en lui la vocation sacerdotale: il entra alors à l'Université de Strasbourg.
Quelques années après, installé comme médecin à Pont-Saint*Vincent, près de Xancy, il acquit bientôt une nombreuse clientèle. Mais il était déjà hanté
de l'idée que les guérîsons opérées par les prêtres de l'antiquité, au moyen du sommeil provoqué, pouvaient se reproduire grâce aux procédés mis en lumière par l'Anglais Braid, et il chercha avec ardeur les secrets de la thérapeutique hypnotique et suggestive.
Après avoir constaté un certain nombre de cas fortuits très curieux, ci fail beaucoup d'expériences avec une entière réussite, il n'hésita plus, il vint s'établir ¦à Nancy et se consacra entièrement à ses études favorites.
Il accomplit des cures merveilieuses, mais il connut 1 amertume de l'isolement dans ses croyances; pendant longtemps, il fut l'objet des railleries des savants et du public. Heureusement, il devait trouver à son foyer des encouragements. Madame Liébeault nous pardonnera de la nommer, et de dire qu'elle a constamment soutenu le chercheur dans les heures d'épreuve, de doute, et que sa fermeté, sa foi profonde dans le succès anal furent des plus précieuses à son mari.
Rien ne l'arrêta ; il continua à guérir sans l'adhésion de la science officielle et finit par imposer ses doctrines.
Un grand nombre de médecins éminents du monde entier sont venus à Nancy s'inspirer de ses leçons. Aucun ouvrage scientifique sur la suggestion ne se public sans signaler le nom et les travaux du docteur Liébeault.
Sa notoriété était immense. Nous en avons déjà cité des exemples. En voici encore un: Un de nos concitoyens, le colonel Menjaud, se trouvant en mission en Perse, s'entretint avec un indigène, qui, apprenant que le colonel était de Nancy, lui demanda aussi des nouvelles du docteur Liébeault
Les prêtres de l'Inde mystérieuse, les fakirs, héritiers des secrets profonds des anciens âges, honoraient en lui un maître incontesté.
Tel fut l'homme qui, après avoir éclairé de lumière vibrante l'inconnu de la nature humaine, va entrer dans la paix auguste du tombeau.
Son nom restera parmi ceux des initiateurs qui ont illustré la science au XIXe siècle. [Est républicain).
Dans un troisième article, l'Est républicain demande au Conseil municipal de Nancy de donner le nom de Liébeault a la rue de Bellevue où la Clinique du D' Liébeault a été installée pendant si longtemps.
Dans le Gil Bias et l'Illustration, notre collaborateur Jules Bois a mis en relief d'une façon saisissante la personnalité de Liébeault.
Un Thaumaturge : Le docteur Liébeault
Il est périlleux pour la gloire de disparaître au moment où l'attention universelle est distraite par de graves événements. Le docteur Liébeault, fondateur de l'Ecole de Nancy, praticien eminent de la suggestion, à qui la science médicale doit une de ses méthodes de guérison les plus fécondes, le rival de Charcot, le maître de Bernheim, vient de s'éteindre sans que les journaux lui aient accordé autre chose qu'une note hâtive, à peine remarquée par le grand public.
Voilà une flagrante injustice. Le docteur Liébeault — pourquoi ne pas souligner ce mérite au moment où l'actualité est toute à la guerre et à l'extermination des hommes? — fut un bienfaiteur de l'humanité, une sorte de saint laïque. Il en menait la vie et il en produisit rationnellement les miracles. Ce titre fui donné à Littré, qui ne remplit pourtant que la première condition. Le docteur Liébeault, pendant cinquante ans, prodigua son dévouement régénérateur à
des milliers de pauvres et de malades. « Vincent de Paul, en même temps que savant » — ainsi l'appelait son disciple, M. Maxime Leioy — il faisait se lever et marcher les paralytiques, il chassait les tristesses et les désespoirs, il rallumait le flambeau défaillant de l'intelligence ou de la volonté, il guérissait des vicieux, retardait les ravages du bacille de la tuberculose, endiguait l'évolution de L'ataxie, rendait évangéliquement l'ouïe aux sourds, la vue aux aveugles...
En 1s20, il naquit à Favières, petit village de Meurthe-et-Moselle. Tandis que ses yeux d'enfants s'ouvraient à la vie, les appareils à broyer le chanvre manœuvraient dans la grange voisine. Ses vagissements furent couverts par la rumeur du fer qui mâchait la plante anesthésique. Je l'ai entendu me narrer cette anecdote comme un présage de conte de fées, annonçant au futur thaumaturge qu'il serait un jour le maître de l'hypnotisme, cette science expérimentale de l'anesthésie, qui endort les souffrances et réveille la santé.
Comme Proudhon, il garda les dindons et les vaches. Ainsi, il se fortifia et il apprit la bonté auprès des bêtes, qu'il aimait, disait-il, « comme des erres humains ». Sa famille voulait faire de lui un prêtre, mais il s'orientait vers une vocation moins mystique, et d'une plus pratique efficacité. Il étudia la médecine à Strasbourg.
Un jour, à la clinique, son maître guérit >>:·.. le magnétisme un saignement du nez. Le soir même, intrigué, au restaurant, il lut un rapport de Dubois à l'Académie de médecine, sur les expériences d'Azam, avec la fameuse somnambule Felîda. Ce fut une révélation. Une fois docteur, il s'installa à Nancy, 4, rue de Bellevue; tous lus matins, 50 à 70 malades allèrent consulter ce sorcier diplômé, qui ne demandait pas d'argent.
Naturellement, ses confrères le traitèrent de charlatan et d'imposteur. On l'écarta de la Société de médecine. Il guérissait trop...
En 1866, il publia son lumineux traité, sur le Sommeil et les états analogues, qui fait aujourd'hui autorité.
C'était la théorie de la suggestion hypnotique, entrevue par Braid de Manchester, Puel de Paris, Durand de Gros. Le magnétisme animal, avec ses mystiques croyances en un fluide merveilleux, force du merveilleux et de l'au-delà, devint, grace à lui, l'hypnotisme, la suggestion, la psychothérapie. Liébcault persuadait l'heureuse léthargie au malade, puis, profitant de cette passivité acquise, il le traitait par l'âme, ou, pour parler plus exactement, par le système nerveux, grand maître de nos muscles et de notre physiologie.
Par l'état hypnotique, Liébault expliquait aussi les tables tournantes, la baguette divinatoire, le Spiritisme, les possessions, la sorcellerie, les hallucinations, la magie.
En !.¦¦¦:. M. Dumont, chef des travaux physiques de la Faculté de médecine, suivit ses cours et adopta sa méthode. M. Bernheim, professeur à Nancy, expérimenta, selon les mêmes indications, dans son service d'hôpital. M. Bcaunis suivit bientôt, puis M. Liégeois. L'Ecole de Nancy était fondée. Le fameux procès de Gabrielle Bompart, victime de la fascination d'Eyraud, permit à ces subtils thérapeutes de faire triompher leur découverte, qui modifie profondément aussi bien la médecine que la jurisprudence.
Dès lors, de toutes parts, des savants accoururent à Nancy étudier la suggestion et la psychothérapie. Dclbœuf arrivait de Liège, Forel de Zurich, Schrcnk-Notzing de Munich, Auguste Voisin, Dejerinc, Bêrillon. de Paris.
Et ce traitement nouveau du mal éternel — étincelle magique d'un foyer toujours plus large et plus bienfaisant — est parti d'un petit bourg lorrain,
de la maison rustiqued'un simple médecin de campagne, unissant le dévouement humanitaire au génie.
[Gil Bias). Jules Bois.
Le docteur Liébeault
A propos de la mort du docteur Liébeault, le maître de cette école de Nancy qui fut longtemps opposée à l'école de la Salpëtrîèrc où Charcot donnait son enseignement, le docteur Liégeois a prononcé les mots de a deuil national ». Le savant qui vient de disparaître était en effet, un bienfaiteur de l'humanité. Le document photographique que nous publions !c montre dans sa clinique avec son aide, tous deux debout, au milieu de ses malades endormis. Sa barbe blanche, son attitude simple et familière, dénuée de tout charlatanisme, nous le figurent assez bien, tel qu'il passa la plus grande partie dc sa longue et utile existence, vouée à réconforter, à pacifier, à guérir. Sa modeste maison du faubourg Saint-Pierre, à Nancy, voyait affluer les plus brillantes gloires médicales, avides d'apprendre sa méthode, ainsi que d'innombrables malades, épaves de la vie, qui ne s'en allaient jamais, sans avoir été au moins régénérés et raffermis.
Le docteur Liébeault était né le 16 septembre 1823, à Favières (Meurthe-et-Moselle). Content de peu, après avoir amassé un petit pécule en dix ans d'exercice médical, il se mit résolument à pratiquer l'hypnotisme d'une façon désintéressée. Il soignait gratuitement, levé des avant le jour et ne terminant ses tournées qu'à neuf heures du soir. Entre temps, il rédigea son livre capital: le Sommeil provoqué et les Etats analogues, qui tout d'abord ne trouva point d'acheteurs. Accablé de sarcasmes, traité d'imposteur, il ne se laissa ni émouvoir ni décourager. Ses innombrables guérisons lui assurèrent un tardif triomphe.
Aujourd'hui, la psychothérapie, c'est-à-dire la cure par le sommeil provoqué et la persuasion verbale, est pratiquée dans tous les pays. Non seulement clic parvient à guérir les névralgies, les lombagos, les migraines, à insensibiliser sans danger les patients pour les opérations chirurgicales, à arrêter les convulsions, les fièvres, la dyspepsie, mais clic améliore les symptômes de maladies organiques, telles que l'ataxie, la tuberculose, la paralysie. Son action bienfaisante s'étend même jusqu'au caractère et le docteur Bérillon. fidèle disciple du maître de Nancy, est arrivé, en alliant sa méthode à celle de Dumont-pal lier et d'Auguste Voisin, à corriger des enfants et des adolescents vicieux ou paresseux, à réformer des ivrognes et des kleptomanes... La suggestion qui rend de semblables services, au lieu de paraître comme autrefois un danger, peut venir en aide énergiquement à l'éducation. Elle est moralisatrice et la société lui doit, ainsi qu'à son premier apôtre Liébeault, une attention respectueuse et reconnaissante.
Le fondateur de la Psychothérapie, le D' Liébeault, vient de s'éteindre à un âge avancé.
{Illustration). Jules Bois.
Notre eminent collègue de la Société d'hypnologie et de psychologie, M. le Df Lloyd Tuckey qui applique avec tant d'autorité la psychothérapie en Angleterre, nous adresse la biographie suivante qu'il a fait paraître dans Laneef. Nous sommes heureux d'en donner la traduction. Notre collègue nous annonce que beaucoup d'articles élogieux concernant Liébeault ont paru dans les journaux de médecine anglais.
A A. Liébeault, D.-M.
Le 18 février, le D' Liébeault. doyen de l'Ecole de Nancy, mourait à Nancy, dans sa 8le année.
Il avait étudié la médecine à l'Université de Strasbourg. Après avoir pratiqué la médecine ordinaire pendant quelques années à la campagne, il s'établit à Nancy, en 1860, et fonda une clinique gratuite où il traita les pauvres par un système qui fut bientôt connu sous le nom de traitement par la suggestion.
En 1866, il publia son premier livre : « Du sommeil et des états analogues considérés surtout au point de vue de l'action du moral sur le physique », qui passa presque inaperçu. Liébeault n'en continua pas moins à travailler avec enthousiasme et avec succès. En 1SS1, il réussit à obtenir la collaboration de trois membres de l'Université de Nancy : Bernheim, professeur à la Faculté de médecine, Liégeois, professeur de droit, et Beaunis, professeur de psychologie. C'est ainsi que fut fondée l'Ecole de Nancy, qui a tant fait pour établir la pratique de l'hypnotisme sur des bases scientifiques. Liébeault, quand il se retira, avec une aisance bien modeste, en 1890, reçut un témoignage do reconnaissance, remarquable par son caractère international, d'environ cinquante docteurs de ses amis et ses disciples. La Laucei de cette époque enregistra cette manifestation.
Sa bienveillance, sa modestie l'ont rendu cher à tous, et l'influence immense de son enseignement est une démonstration de la puissance que peuvent avoir la persévérance et la sincérité mises au service d'un noble but.
(The Lancet, London). D' Lloyd Tuckey.
M. le D' Marcel Daudouin, dans la Gazette medicate de Paris, donne comme toujours une biographie fort documentée suivie de l'exposé complet des travaux de Liébeault.
M. le D* Liébeault (de Nancy).
Le fondateur de la Psychothérapie, le D' Liébeault, vient de s'éteindre à un âge avancé.
Am broise-Auguste Liébeault était né à Faviires (Meurthe), le ?? septembre 1823. 11 avait fait ses études à la Faculté de Médecine de Strasbourg. Reçu interne au concours de 1848, il s'était fait recevoir Docteur le 7 février rSso. Sa these a pour titre: Etude sur ?a désarticulation fémoro-tibiale, Strasbourg, 1s50, n° 205, 32 p. Il s'établit à Pont-Sainï-Vincent. Mais après une année de pratique, convaincu par le mémoire que venait de présenter le Dr Azam à l'Académie de Médecine, et frappé, d'autre part, d'un fait qu'il avait observé pendant son internat dans le service de son maître Gros (un sujet endormi saignant du nez quand on le lui ordonnait), il eut le courage d'ouvrir à Nancy une clinique gratuite pour le traitement par la suggestion. Pendant de longues années, jusque vers 1s02, il soigna avec un dévouement sans bornes des milliers de malades dont
il était la providence. Il fut traité d'abord de charlatan et d'imposteur, jusqu'au moment où le Dr Dumont en iSSi, puis les Pn Beraheim, Bcaunis, Liégeois, etc., convaincus de la réalité des phénomènes observés, s'inspirèrent de la méthode du maître pour fonder l'Ecole de Nancy. Aujourd'hui la méthode de psychothérapie de Liébeault est universellement répandue et partout se sont fondés des instituts psychothérapiques : Celui d'Amsterdam, édifié récemment par le Dr van Rcnterghem, porte son nom: Mais Liébeault n'a eu ni les apothéoses publiques ni les récompenses officielles: II n'était fas chevalier de la Légion £ honneur ! Seuls, ses élèves, — et les plus nombreux étaient étrangers — se sont réunis, en iSçji pour manifester en son honneur, et en 1902, pour apposer une plaque commemorative sur la maison natale, à l'occasion du 79e anniversaire de sa naissance. Il avait été élu président d'honneur des 1** et 3* Congrès de l'Hypnotisme.
• *
Enfin le Progrès médical a également rappelé la vah-ur du maître qui vient de disparaître.
Le Dr Liébeault, de Nancy, est mort à l'âge de So ans.
Né à Favières le 16 septembre 1s23, Liébeault fit ses études médicales à l'ancienne Faculté de Strasbourg où il soutint brillamment une thèse de Chirurgie sur les désarticulations fèmoro-tibiales.
II vint ensuite s'établir à Nancy et exerça à Plombières. Délaissant la chirurgie, le Dr Liébault ce consacra plus particulièrement à la pyschologie et fut, un des premiers, à étudier l'hypnotisme, les sommeils provoqués, la suggestion, et l'anesthésie par suggestion. Il émit à leur sujet des idées originales dont on pouvait tirer des conclusions très importantes au point de vue de la responsabilité criminelle. Liébeault a considéré l'hypnotisme et la suggestion comme des phénomènes physiologiques pouvant être provoqués chez l'individu normal.
Ses théories, exposées des 1s66 dans son livre: Du sommeil et de quelques états analogues, antérieures aux travaux de Charcot sur l'hypnotisme, trouvé-rent des adeptes à la Faculté de Nancy Bernheim, Beaunis, Liégeois, les adoptèrent. Il se forma ainsi à Nancy une Ecole psychologique. Elle combattîi les doctrines de Charcot et de l'Ecole de la Salpêtrière, qui considéraient l'hypnotisme et la suggestion comme des phénomènes pathologiques.
Les travaux de Liébeault, bien qu'il soit permis de discuter ses. théories, sont d'un réel mérite, ils ont été d'ailleurs traduits dans presque toutes les langues et c'est peut-être en France qu'ils sont le moins connus.
En 180,1, une souscription internationale fut ouverte en l'honneur du ! Liébeault par ses adeptes pour lui offrir un souvenir.
En Hollande on a donné son nom a un Institut psychologique. Sa modes-tic l'empêcha d'occuper en France la place qu'il méritait et il est mort sans titres officiels, n'étant même pas chevalier de la Légion d'honneur. J. N.
Nous arrêterons là pour aujourd'hui la reproduction des articles qui ont été consacrés à la mémoire de Liébeault. Nous avons pensé que nos lecteurs, dont le plus grand nombre sont des admirateurs de Liébeault et de son œuvre, nous sauront gré d'avoir fait revivre sous leurs yeux le souvenir de l'homme dont les travaux les ont inspirés.
COURS ET CONFÉRENCES
Discours du Df Jules Voisin à l'inauguration du dispensaire antialcoolique
Lors de la récente inauguration du dispensaire antialcoolique fondé par le Dr Bérillon, 49, rue Saint-Àndré-des-Arts, M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétriêre qui présidait la séance a prononcé un éloquent discours que nous sommes heureux de reproduire :
Mesdames, Messieurs,
Si on a pu dire que le xix* siècle était le siècle de la science, je crois que l'on dira plus tard que le xx' siècle sera le siècle de l'assistance.
Le cœur humain est foncièrement bon et si'cet aphorisme parait risqué, je n'ai pour défendre la vérité de ce que j'avance qu'à regarder autour de moi.
De tout temps individuellement l'homme a secouru son semblable, mais ce n'est que depuis peu d'années qu'on a groupé toutes ces bonnes volontés et qu'on s'est réuni pour secourir les Abandonnés, les Malades, les Infirmes, etc.
On a même voulu prévenir les malheurs consécutifs aux maladies, aux accidents. Des lois ont été créées pour fonder l'assurance du travail; les différents métiers se sont groupés pour fonder des mutualités, en même temps des ligues se fondaient contre les trois grands fléaux de l'humanité, : la Tuberculose, la Syphilis et l'Alcoolisme.
Mais si nous voyons autour de nous, des assurances, des mutualités, des sociétés d'assurances par le travail ou d'assistance familiale; si nous voyons des œuvres pour secourir et guérir les tuberculeux nous n'en voyons pour ainsi dire pas pour soigner l'alcoolique.
L'alcoolisme pourtant est un des plus grands fléaux de l'humanité. Dans les salles d'hôpital, sur 5 malades, il y a 4 alcooliques et nos asiles sont au complet.
L'alcool n'attaque pas seulement l'homme qui en fait usage, il entraine encore la dégénérescence de sa race, et les idiots et les épileptiques que vous voyez dans nos hospices sont les produits des alcooliques. La plus grande partie des enfants qui meurent de convulsions en bas âge sont aussi des enfants d'alcooliques.
Je viens, messieurs, de prononcer le mot de dégénérescence. Sous ce nom, je comprends non seulement la dégradation physique du sujet, mais surtout sa dégénérescence mentale. Or, la dégénérescence mentale comprend aussi bien la folie que la criminalité. Ce sont les deux branches d'un même tronc, d'un même arbre, et dans les annales de la science vous trouverez confondus un certain nombre de fous et de criminels. L'alcoolisme engendre donc la folie et la criminalité.
La tuberculose pulmonaire doit aussi, dans un grand nombre de cas, être mise sur le compte de l'alcoolisme. En effet, l'ouvrier buveur n'apporte plus d'argent au foyer domestique ; la femme reste sans pain, sans aucun secours. Les enfants sont privés des choses les plus Indispensables à la vie et la tuberculose s'installe dans la famille.
La misère, mauvaise conseillère, peut à son tour engendrer le vol et le meurtre.
Vous voyez, messieurs, à quelles conséquences fâcheuses entraine l'alcoolisme. Aussi devons-nous lutter de toute notre énergie contre ce fléau.
Des œuvres anti-alcooliques ont été déjà instituées en assez grand nombre et mon collègue, M. le Dr Legrain, va tout à l'heure les passer en revue devant vous. Dans la fondation de ces œuvres une place à part doit être donnée à M. et Mme Legrain et je tiens â vous le signaler dès maintenant, car je crains que leur modestie réduise à trop peu de choses la plus grande part qui leur est due. Je veux parler de l'installation de ces restaurants de tempérance dans le quartier le plus populeux de Paris, le quartier de St-Antoine et qui rend de si grands services.
A côté de ces œuvres, mon ami, M. le Dr Bérillon, dont vous connaissez l'âme généreuse et le dévouement sans bornes pour toute œuvre humanitaire, a voulu, à l'instar de ce qui se fait en Russie, a Moscou et à Saint-Pétersbourg, installer un traitement psychothérapique pour le buveur en créant un dispensaire anti-alcoolique. Le buveur tout en restant dans sa famille, viendra à ce dispensaire suivre son traitement. C'est là, messieurs, une grande innovation, car l'alcoolisme n'a jamais été soigné au début de son intoxication. Ce n'est le plus souvent que lorsque les phénomènes d'alcoolisme sont chroniques que l'on hospitalise le malade ou plutôt qu'on l'enferme dans une maison d'aliénés. Il en est de même malheureusement pour les maladies mentales. Or c'est au début des maladies qu'il faut intervenir. Aussi je suis sûr que ce dispensaire que nous inaugurons aujourd'hui rendra de grands services â la société et diminuera de beaucoup le nombre des alcooliques. La science et le dévouement de M. Bérillon sont une garantie du succès de l'œuvre.
Hystéro-traumatisme et contracture ('), par M. le Professeur Raymond.
Voici un cas de pratique courante. Un procès est pendant depuis deux ans. Un expert est nomme. Il s'agitde faire un diagnostic et de répondre à la question du tribunal-: Quand cette malade sera-t-elle guérie?
Celte femme -exerce la profession de chiffonnière. Un jour qu'elle soulève un ballot très lourd, la personne qui lui vient en aide lâche prise;
' (1) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies du système nerveux dc la Salpetrière-
le fardeau porte alors de tout son poids sur la main droite de notre malade : le pouce est tiraillé, peut-être luxé.
Un médecin maintient la main en extension sur une planchette: la malade éprouve des fourmillements, des douleurs; elle devient préoccupée et dort mal. Petit à petit, en dépit de la planchette, les doigts se fléchissent et se contracturent. Quand on enlève la planchette, la flexion augmente rapidement. Depuis deux ans, la main est complètement fermée ; les doigts sont fléchis au maximum, aucune force ne peut les mettre en extension; au contraire, au furet à mesure qu'on redouble d'efforts, ils se contracturent de plus en plus.
Il n'y a pas de troubles trophiques à la surface de la peau. Celle-ci est tendue, lisse, mais ne présente aucune trace d'œdème. Il existe une aneslhésie totale qui s'étend, de ce côté, depuis l'extrémité des doigts, jusqu'à quatre travers de doigt au-dessus du pli du coude ; c'est une anesthésie segmenlaire, en manchette. Quand la malade a les yeux fermés, elle n'a pas la notion de la position de son autre main. Il y a de l'anesthésie cornéenne, une exagération légère des réflexes et une diminution de la sensibilité. La contracture du poignet est telle qu'on ne peut faire exécuter aucun mouvement de torsion, de pronation, de supination, d'adduction, d'abduction, etc.
Cette contracture est-elle organique ou névropathique ?
Notez que, malgré l'intensité et la durée de la contracture, les ongles ne pénétrent pas dans la peau ; ils n'ont môme laissé sur celle-ci aucune trace de leur contact. Cela est un argument précieux. Les muscles ne présentent aucun trouble des réactions électriques. La disposition de l'anesthésie ne peut faire penser à une paralysie du plexus brachial, ni radiculaire, ni tronculaire. Sommes-nous en présence d'une pachymé-ningite ? Nous aurions d'autres signes et, d'ailleurs, jamais les contractures organiques ne sont aussi intenses. Dans l'hémiplégie organique, par exemple, toujours par des efforts et des malaxations, on arrive à vaincre la contracture. La lésion, si elle existe, devrait être limitée à la corticalité gauche; or, une semblable dissociation n'est pas dans les habitudes de la contracture organique. En réalité, il s'agit ici de contracture hystérique, d'hystéro-traumatisme.
Ce n'est pas un accident banal qui mérite d'etre néglige, puisque celte malade est réduite à une incapacité de travail qui dure depuis deux ans. Après l'accident, il survient une période de méditation; la malade dort mal et, consécutivement à l'entorse, certains centres du cerveau gauche présentent des troubles fonctionnels.
On a, bien entendu, agité la question de la" simulation et on a du l'écarter.
Dans l'espèce, au lieu de laisser l'action en justice s'éterniser, il vaudrait mieux en finir tout de suite, dans le double intérêt des patrons et des malades : tant que le procès reste en suspens, le traumatisé éprouve une inquiétude constante qui lait obstacle à la guérison.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Souscription ouverte par la Revue de G Hypnotisme pour élever un monument au Dr Liébeault.
1M Liste
La Société d'hypnologie et de psychologie de paris....... 100 fr.
M. Bichon, conseiller général à Oran............... 100
D'Van RenterGhem, direct'de l'Instit. Liébeault à Amsterdam ... 100
D' Lloyd Tuckey, de Londres................... 100
Dr Bêrillon, directeur de la Revue de l'Hypnotisme, professeur à
l'École de psychologie................. 100
Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière..... ....... 20
Dp Paul Magnin, professeur à l'École de psychologie. . ..... 20
Dr Paul Farez, professeur à l'École de psyohologie......... 20
D" Gorodichze, à Paris...................... 20
Dr David, membre de la Société d'hypnologie, à Narbonne..... 10
Mlle Lucie Bêrillon, professeur au lycée Molière......... 5
?lle Alice Bêrillon, professeur au lycée Molière.......... 5
Dr Ducor, à Parle. . ........................ 5
M. Fiessinger, Interne des hôpitaux de Paris........... 5
M. Blech, docteur en droit, membre de la Société d'hypnologie. . 5
Les Assistants du Dispensaire neurologique et pédagogique
Dr Mélanie Lipinska..............¦.......... 10
Dr Barbier............................ 5
Dr ?award. ................... 5
M. Guimbeau............................ 5
Dr Marnât........ .............. ..... 2
Me Gen. . .'.......................... 2
M. Boutteville, étudiant en médecine.............. 5
Les Élèves et les Auditeurs de l'École de psychologie
D'Hamm.............................. 10
Miss Trevelyan........................ . 10
m" Sands............................. 10
Dr Albert Brignole........................ 5
?me Rigaut......... . :................ 5
M. Scheck ............... 5
Mme Gautier . . ......................... 5
M. Dencausse, étudiant...................... 3
M. Hermann Kaater, étudiant.................. 3
M"° Grison, professeur au collège Sévlgné.............
M. Tarisien, étudiant.......................
M. Louis Lehmann, étudiant.................... 2
M. Darreau, étudiant.......................
e. jose..........................·.... 2
M. Claude, étudiant........................
L S. de V., étudiant....................... 2
Ct Bellon............................ 2
Mme Morillon...........................
M. Maurice Ribe, étudiant..................... 1
M. JuiGneT, étudiant....................... 1 fr.
M.Dupont, étudiant.....................· ·1
M. Emile Pehcbval, étudiant................... 1
M. A- Robeiit, étudiant...................... 1
?lle Lavabre, directrice d'école................. 1
Mlle Parent, Institutrice......................1
Mlle Brossé, Institutrice.................. - · · 1
?"·?. de Soitroutschone, étudiante...............1
M«" Macger, professeur......................1
M. Fouqckt, étudiant.......................1
M. Camille Brunstein, étudiant.................. 1
Mme C. Tasca........................... 1
M. Grauser, étudiant.......................1
M. Paul Chaux, rédacteur au Petit Journal............1
M. Fernand Thiry, étudiant....................1
?-·- Cornuel, professeur.................... 1
?-· Rot........................*·"*¦· · 1
?me Paris, directrice d'école....................1
M. ?alapert, professeur.....................1
M. Antoine Focacci........................ 0 50
M- Brisset..............· -.......... 0 50
M. H. D., étudiant........................1
?lle de M...........·..................1
M- J. O. F............................ 1
M. M., étudiant......................... 0 50
C. P. S., étudiant........................1
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 19 avril 1904, à 4 heures et demie, au Palais' des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpètriëre.
Communications inscrites : Dr Paul Magnin : L'hypnotisme chez la grenouille, d'après l'étude de
MlleStéphanowska. Dr BériLLON : Le bégaiement graphique et son traitement psychothérapique.
Dr Demonchy : Rapports du caractère avec l'évolution dentaire. Dr Paul Farez : A propos du centenaire de Kant : l'inviolabilité de la
personne humaine, Dr Bonnet, d'Oran : Le mal de mer et la suggestion.
COURS DE PSYCHOLOGIE à l'Ecole pratique de la Faculté de Médecine
Semestre d'Été 1904
M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles publics d'aliénés, directeur de la Revue de l'Hypnotisme, commencera, le lundi 18 avril,
à cinq heures, à l'Ecole pratique de la Faculté de Médecine (amphithéâtre Cruveilhier), un Cours de psychologie appliquée à la médecine. Il le continuera les jeudis et lundis suivants à cinq heures : le Cours est public. ...
Objet du Cours : L'Hypnotisme et la Psychothérapie
- '
Cours pratique :
Le cours public sera suivi par un cours pratique fait par les D" Béril-lon et Paul Farez à l'Ecole de psychologie, 49, rue Saint-André-des-Arts. — Ce cours sera privé ; il comprendra douze leçons et commencera le jeudi 26 mai à 10 heures.— Le droit d'inscription est fixé à 60 francs. — On s'inscrit à l'Ecole de psychologie les mardis, jeudis, samedi, de 10 h. à midi. On peut également s'inscrire par correspondance.
Ouvrages déposés A la Revue
Breuillard : Etude physiologique ei médicale sur la marche. Maloinc.
Paris, in-86, 175 pages, 1904. L. deMilloué: Conférences au musée Guimet, 1899-1900 et 1900-1901,
Ernest Leroux. Paris, in-12, 227 pages, 1903. Dr S. Dubois (de Saujon) : Traîfemeni de VŒsophagisme. Octave Doin.
Paris, brochure, 28 pages, 1903. M. LEFÈvnE : Contribution à l'étude de la Pathogenic des névroses,
Gustave Deprez. Bruxelles. Brochure 50 pages, 1904. d' Foveau de Courmelles : L'Année Electrique, Eleclrothèrapique et
Radiographique. 4e année. Ch. Béranger. Paris, in-12, 336 pages,
1904.
Dr J. Héricourt : Les Frontières de la Maladie. Ernest Flammarion. Paris, in-12, 285 pages, 1904.
Dott. Ugo Viviani : Caia/etftca Guarifa merce Vipnotismo. Arezzo, brochure 56 pages, 1904.
Dr H. Thodex van Velzen : System des religiosën materialismus. D. R. Reisland. Leipzig, in-8, 467 pages, 1903.
Third Annual Repost of the New-York Slate Hospital for the care of Trippled and Deformed Children. — J. B. Lyon Company. Albany. Brochure 28 pages, 1904.
Premier Congres d'hygiène scolaire et de pédagogie physiologique, 1er et 2 nov. 1903. Masson et Cie, Paris in-8. 279 pages. 1904.
18e Année. — N° 11.
Mai 1904.
BULLETIN
La souscription pour élever un monument au D* Liébeault. — La rue du D- Liébeault à Nancy.— L'hypnotisme chez les Japonais.— La colère chez l'enfant. — La mort du D' Arie de Jong (de La Haye}.
AUX AMIS ET ADMIRATEURS DU Dr LIÉBEAULT.
L'appel que, sur la demande de MM. les Dre van Renterghem, d'Amsterdam, et Lloyd-Tuckey, de Londres, nous avons adressé aux amis, aux élèves et aux admirateurs du D' Liébeault a été entendu. Dès aujourd'hui, le total de la souscription pour lui élever un monument digne de son caractère, s'élève à plus de mille francs. Encouragé par le mouvement qui porte tant d'esprits généreux à reconnaître les services que Liébeault a rendus à la psychologie et à la médecine, nous avons voulu placer cette souscription sous l'égide d'un comité de patronage composé des plus illustres représentants de la science. Nous sommes heureux d'annoncer à nos lecteurs que M. le professeur Raymond, successeur de Charcot dans la chaire des maladies nerveuses à la Salpé-trière et M. le professeur Beaunis, professeur honoraire à la Faculté de Nancy, ont bien voulu accepter la présidence de ce comité. Nous leur en adressons, dès aujourd'hui, au nom des admirateurs de M. Liébeault, nos vifs remerciements. Nous publierons dans le prochain numéro la liste des membres du Conseil de patronage.
• *
Une autre nouvelle des plus agréables nous parvient de Nancy, M. le professeur Liégeois, correspondant de l'Institut, nous apprend que, sur sa demande, le Conseil municipal de Nancy vient de décider que la rue de Bellevue où la clinique du Dr Liébeault a existé pendant de longues années, prendrait désormais le nom du Dr Liébeault. Nous félicitons vivement M. Liégeois de son initiative. Nos lecteurs trouveront dans ce numéro le texte de l'éloquente adresse par laquelle M. Liégeois avait appuyé sa demande au Conseil municipal de Nancy. Un fait qui prouvera le degré d'estime que ses compatriotes professaient à l'égard du Dr Liébeault : une pétition signée de 80 habitants de la rue de Bellevue, avait également demandé au Conseil municipal de Nancy, le remplacement du nom de la rue par celui du Dr Liébeault.
La pratique de l'hypnotisme revêt au Japon une forme particulière. Depuis longtemps, les Japonais ont compris l'influence que l'intimidation peut jouer dans les relations sociales — et ils recourent à son emploi d'une façon systématique. — Le Yiujutsu, tel est le nom de cette vieille coutume des Samouraïs de combattre sans armes. 11 signifie « victoire en sachant céder ou plier. » En résumé, le Yiujutsu n'est que la mise en pratique de véritables manœuvres d'hypnotisme, auxquelles ils associent l'emploi de la force physique. Ces procédés sont enseignés dans de véritables écoles désignées sous le nom d'Ecoles du Saule.
La grande Ecole du Saule de Yokohama est bondée chaque nuit d'élèves qui viennent y apprendre « l'art de vaincre les Occidentaux ».
Tous les agents de police de Yokohama, Tokio et Kobé sont tenus d'avoir des notions de Kakouda et de K&outsou; mais au moment de prendre leur première leçon, ils font le serment solennel de ne jamais dévoiler les secrets qu'ils vont apprendre.
Souvent, il arrive que, dans les rues de Yokohama, un agent de police, de taille insignifiante, s'approche d'un matelot étranger, à la carrure de colosse, lui reproche sa turbulence et, après l'avoir à peine touché, ce semble, le ramène à son navire, sans que celui-ci, ahuri et impuissant, fasse la moindre résistance.
Les grands secrets du Yiujutsu ne sont révélés qu'à des hommes d'esprit pondéré et de moralité irréprochable. Cet art entre les mains de ces hommes est plus puissant que l'hypnotisme.
En effet, par un seul attouchement, ils peuvent paralyser le cerveau de leur victime, lui démettre l'épaule ou la hanche, lui distordre un tendon d'un seul coup, toujours porté avec la rapidité de l'éclair, et la rendre absolument inoffensive.
Plus le non-initié offre de résistance, plus sa défaite est rapide, et ce sont les sujets les plus faibles dont l'initié a le plus difficilement raison.
Celui qui possède bien son Yiujutsu a pour premier principe de ne pas se fatiguer, et de ne pas se laisser toucher. Il tend à la partie adverse des pièges et cherche à se faire porter des coups qu'il évitera et saura rendre fatals à celle-ci.
Jamais de corps à corps avec l'initié. Celui-ci suit, dans une impassibilité hypnotisante, les mouvements de l'adversaire pour lui porter au moment propice tel ou tel coup favorisé par tel ou tel mouvement.
Jamais la pratique du Yiujutsu n'a été aussi populaire qu'à l'heure actuelle et l'Etat favorise de son mieux son développement. Tous les officiers de l'armée du mikado sont initiés à ses secrets. C'est là la principale raison de la bonne discipline dans les rangs et de l'audace et de la jactance de ces petits hommes aux yeux obliques.
La supériorité que lui donne l'art du Yiujutsu, supériorité à la fois physique et psychique, est incontestable, aussi le Japonais se compare volontiers au saule qui plie et ne rompt pas.
En résumé, ces manœuvres de Yiujutsu témoignent d'une connais-
Si l'art n'est pas fait pour servir la morale, il n'a pas non plus pour mission d'être l'auxiliaire de la religion. L'art et la religion peuvent certainement s'allier, de sorte que l'art spécifiquement religieux unisse le sentiment esthétique et le sentiment d'adoration. Mais, il n'est nullement besoin que ceci soit le cas pour que l'art soit de l?art. Il en est comme de la morale, qui peut s'allier avec des conceptions religieuses, mais qui peut tout aussi bien en être indépendante ; il faut être imbu de préjugés dogmatiques pour ne pas le reconnaître et pour prétendre que tous les phénomènes moraux ont leur source dans la religion. Qu'il y ait des personnes dont la vie spirituelle est si essentiellement religieuse qu'elles découvrent un élément religieux dans chacun des mouvements de leur âme, cela ne
sance de Tart de l'hypnotisme. Souhaitons que la civilisation apprenne aux Japonais que l'hypnotisme comporte des applications plus morales et plus utiles que celle de vaincre et de dominer son prochain.
¦
La colère chez l'enfant; tel est le titre d'une remarquable étude par laquelle M. Malapert, professeur de philosophie au lycée Louis-le-Grand a clôturé les conférences de l'Ecole de psychologie. Nous ne suivrons pas le conférencier dans ses investigations à travers les enquêtes qui ont été faites sur la colère chez l'enfant. Nous ne retiendrons aujourd'hui que le point suivant soulevé par M. Malapert : Faut-i! toujours condamner la colère? A cette question, il répond catégoriquement : « non »; car la colère est quelquefois légitime, inspirée par des mobiles élevés, généreux. Un enfant qui ne se mettrait jamais en colère témoignerait par là qu'il est incapable d'émotion. Il a ajouté, en faisant allusion à un cas particulier : J'augure beaucoup pour l'avenir d'une petite fille que j'observe et qui ne se met en colère que pour défendre un enfant plus faible ou pour protester contre une injustice. De la conférence de M. Malapert se dégagent beaucoup d'indications pour la direction morale de l'enfant.
Nous espérons pouvoir en donner le texte complet à nos lecteurs.
*
Au moment où la Revue va paraître, nous apprenons avec un vif regret la mort d'un collaborateur et d'un ami. M. le Dr Arie de Jong, membre de la Société d'hypnologie, professeur à l'Ecole de psychologie et fondateur de la clinique de psychothérapie de La Haye, vient de mourir à l'âge de 56 ans. Dans notre prochain numéro, nous rappellerons la vie et les travaux scientifiques de notre regretté collaborateur.
/ Problèmes d'esthétique Le rôle sociologique et psychologique de l'art
Par M. le Dr Wijnaendts Franckel, de La Haye [suite et fin)
leur donne pas le droit de généraliser leur cas particulier, comme si c'était nécessairement celui de tout le monde. Pour ces personnes, l'art peut être subordonné à la religion ; il y en -a d'autres chez lesquelles c'est l'inverse qui est vrai, la religion n'ayant pour elles de valeur que dans la mesure dans laquelle elle satisfait leur sentiment esthétique ; chez ces personnes les œuvres d'art et les splendeurs de la nature prennent la place qu'occupe la religion chez les autres.
Nous ne saurions donc partager les idées de ceux qui demandent à l'art de traduire et de réveiller des sentiments religieux. Ainsi Tolstoï, posant en principe que les sentiments religieux sont plus importants que toute autre chose et méritent par conséquent, au-dessus de n'importe quel autre intérêt, d'être encouragés et nourris, veut que les artistes ne traitent que les sujets qui sont de nature à susciter et à entretenir le sentiment religieux. Cette exigence, non seulement tend à priver l'art dé la liberté sans laquelle il ne peut pas vivre, mais forcerait aussi à condamner les innombrables œuvres d'art que les siècles ont accumulées et qui ne traitent que des sujets profanes. L'on ne pourrait céder à ce que veut Tolstoï, qu'en rétrécissant d'une manière désastreuse le champ d'activité de l'art, ce qui serait destructif de sa fécondité, en limitant autoritairement dans d'étroites frontières la matière de ses productions. Du reste, on se heurterait à des difficultés insurmontables dès que l'on essaierait de mettre cette théorie en pratique, puisque, maintenant moins que jamais, il n'existe de conception de l'univers et de doctrine de la vie universellement acceptées ; nous vivons au sein d'un chaos d'idées et de systèmes religieux et philosophiques disparates ; où serait donc le fil conducteur de l'art? A quelle tendance religieuse l'artiste devrait-il demander son inspiration ? Les exigences des pasteurs seraient tout autres que celles des socialistes, celles des pédagogues moralistes autres que celles des hommes politiques, celles des économistes autres que celles des philosophes.
Justement parce que l'art ne se met pas au service des divers intérêts auxquels les hommes s'attachent, il s'élève au-dessus des opinions personnelles, tellement que même ceux qui ne vont pas d'accord avec les idées qui ont donné naissance à une œuvre d'art peuvent en jouir; c'est possible, même si les idées générales du spectateur sont l'opposé de celles de l'artiste; la chose change si le spectateur n'est pas capable de faire suffisamment abstraction de ses idées personnelles, auquel cas il
se prive de grandes jouissances artistiques et mainte œuvre d'art est pour lui un livre fermé. En effet, il n'est pas capable de sentir la haute et noble mission de l'art, de nous entraîner en dehors de nos préoccupations quotidiennes, de nous arracher en quelque sorte à nous-mêmes. Cela vient de ce qu'il ne permet pas à l'œuvre d'art d'agir immédiatement sur lui; il interpose des conceptions tirées d'une autre source, étrangères au sentiment esthétique, pernicieuses, parce qu'elles détournent l'attention de ce que l'artiste se proposait de faire voir.
Pour que l'art se déploie, il lui faut la liberté, il ne peut se mettre à la suite, ni de la religion, ni de la politique, ni d'aucun autre groupe d'intérêts. Il doit suivre sa propre route et non pas être le véhicule des efforts qui se font en vue de tel ou tel idéal, peut-être fort beau et recommandable en lui-même, mais étranger à la beauté esthétique. Cherbuliez a fort bien dit (1) : « Le paysan qui trouve que la peinture ne sert à rien, est plus près de la vérité que le puritain qui prétend la mettre au service de la morale, que le philosophe qui la charge de nous révéler le verbe ou je ne sais quelles entités métaphysiques. »
Le plaisir que l'artiste prend à travailler à son œuvre, aiguillon de son activité, découle en grande partie de la source de jouissance qui jaillit de tout.travail entrepris par choix. A l'œuvre, l'artiste se sent libre dans l'emploi de ses dons et de ses facultés, et c'est justement le fait que son œuvre n'a point d'autre but qu'elle-même qui lui procure ce sentiment de liberté et d'indépendance.
De son côté, celui qui contemple une œuvre d'art jouit de la liberté d'esprit qui préside à son inspection. Il n'a point d'autre but que de voir, et son esprit s'y abandonne sans aucune contrainte. Si l'on désire goûter une jouissance véritablement esthétique, on doit se garder d'interposer les idées qui n'ont point contribué à la création de l'œuvre d'art. Ce qui peut ranger une peinture parmi les produits poétiques, ce n'est pas tel sens qu'on lui donne, mais l'expérience visible à quiconque comprend la langue du poète de la pensée qui a inspiré l'artiste. Voilà comment il se fait que l'on apprécie grandement des sujets qui n'ont rien d'idéal ni d'élevé, pourvu que l'exécution soit excellente, témoins tant de tableaux des anciens maîtres hollandais, les Jan Steen, les Teniers, les van Ostade, qui reproduisent des scènes souvent grossières ou banales.
(I) Victor Cherbcuez : L'art et la nature. Paris, 1893, p. 6.
mais qui donnent pourtant un plaisir artistique ('). S'il s'agissait de la réalité, on se détournerait de ces scènes avec dégoût; mais la manière dont le sujet est traité, le rendement artistique de ces vilaines choses, ont un attrait irrésistible. Cela ne vient point du tout de ce que ces tableaux font connaître les mœurs d'autrefois et satisfont ainsi notre curiosité historique; si c'était le cas, les œuvres de ce genre n'auraient pu acquérir de valeur esthétique que très longtemps après la mort des peintres.
Il est certain que dans toute jouissance artistique l'idée de but reste à l'arrière-plan. Toute œuvre d'art où cette idée préside, par exemple la poésie didactique, tombe par cela seul au second rang. Sans doute nous pouvons accorder notre sympathie à une œuvre dart en raison d'une intention qu'elle trahit; mais alors notre jouissance n'est plus uniquement esthétique, mais en même temps intellectuelle, morale ou religieuse. Le seul but poursuivi par la création du beau se trouve dans la jouissance qu'il procure; le beau est but en lui-même. C'est justement pour cela qu'il procure un plaisir si élevé et si pur; l'art a cela en commun avec le jeu, qui peut entraîner des conséquences utiles, mais uniquement comme circonstance concommitante, point comme but. Le vrai but de l'art est exclusivement de procurer de la jouissance, de donner du plaisir, non point, comme dans d'autres formes de l'activité de l'esprit, en qualité d'effet accessoire, mais ici en qualité de but primaire et immédiat.
L'utile en lui-même n'implique aucunement le beau. Que des instruments aratoires, ou des ustensiles de ménage répondent admirablement à ce qu'on en attend, personne ne les appellera beaux pour ce motif. Leur utilité n'est pas suffisante pour cela; sans autre, elle ne cause pas de jouissance esthétique. En revanche l'utilité peut être une condition de la valeur artistique. Kant a déjà dit (2) : La beauté est la forme de l'appropriation à son but d'un objet, pour autant qu'on l'observe dans cet objet indépendamment du concept d'un but. Et plus tard Carrière a dit (3) : La beauté est l'appropriation au but, contemplée sous une forme attrayante. En effet, si quelque objet donne l'impression d'être fort mal adapté à son but, prenons un édifice ou objet rentrant dans
(1) Gœlhe dit quelque chose d'analogue delà poésie: a Au fond, dit-il, aucun sujet emprunté à la réalité ne manque de poésie, pourvu que le poète sache en tirer parU ».
(2j Kritik der UrlheÎUkrafl, p. 82. (!) Aesthetik, I, p. 88.
l'industrie artistique, cela peut si fort choquer que tout sentiment esthétique s'en trouve étouffé. L'impression reçue étant pénible, elle détruit celle de plaisir qui sans cela eût été produite. En revanche, l'évidence de l'utilité, peut, par une association de conceptions, contribuer à rendre l'impression agréable, tant par la conception attrayante de la practibilité de l'emploi, que par l'harmonie existant entre le but et la forme de l'objet, et aussi par la vue d'une solution tangible de quelque problème. La beauté des organismes vivants repose elle aussi pour une part sur l'appropriation au but qui se manifeste dans leurs formes. Quand il y a concordance entre la réalité et notre conception de ce qui répond au but. il en résulte un certain sentiment esthétique de satisfaction, et nous parlons de beauté caractéristique, lorsque nous voyons notre conception réalisée. Toutefois l'accord n'existe pas entre ce que l'on voit et quelque donnée objective, mais entre ce que l'on observe et une certaine conception préexistante en nous. De là l'impression de vide et de déception que laisse un naturalisme qui n'a pas d'autre visée que de copier aussi exacte-tement que possible les choses réelles, sans tenir compte des pensées, des sentiments et des besoins intérieurs qui demandent à être traduits dans les œuvres d'art.
L'élément de l'utilité joue un rôle important surtout dans l'architecture. Toute construction doit avant tout répondre au but pratique en vue duquel elle est faite ; l'exécution en est subordonnée à sa destination et donc elle est dépendante de l'utilité. L'architecte doit tenir compte du site, du climat, de la nature des matériaux, des habitudes de ceux à qui le bâtiment est destiné, toutes choses fort importantes, mais sans grands rapports avec la beauté en soi, et il n'est pas libre de s'abandonner simplement à ses goûts et à ses convictions esthétiques. II est forcé de reléguer au second rang la question de beauté. Sans doute, si la construction répond à sa destination, cela peut produire une impression de plaisir, mais ce sentiment n'est plus de caractère purement esthétique ; il ne possède quelque chose de ce caractère que si le bâtiment présente, outre son utilité pratique, un autre élément.
Un caractère de l'art en soi est ainsi qu'il n'a pas de but pratique. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne puisse pas posséder une utilité biologique pour les individus, pris à part ou en groupes. Soit que l'on jouisse d'une œuvre d'art, soit qu'on la produise, cela est accompagné du déploiement d'ins-
tincts et de goûts très utiles aux individus et à l'espèce; seulement il n'est point nécessaire que celui qui jouit de I'ceu-vre ait clairement conscience de cette utilité biologique, d'où il résulte qu'elle ne peut en aucune manière être le but voulu de l'artiste.
En tant que l'art ne poursuit point de but pratique, sauf lorsqu'il s'allie à l'industrie, qui devient industrie artistique, on peut, au point de vue économique l'appeler un luxe. C'est bien, mais alors en même temps il faudra appeler luxe tout ce qui donne à l'existence sa vraie valeur, c'est-à-dire ce qui ne se rapporte pas à nos besoins matériels. En outre, le beau ne saurait être considéré comme un article de luxe artificiellement produit, puisque nous contemplons partout dans la nature la beauté répandue à profusion, réjouissant les yeux et les oreilles, quoique cette beauté ne soit pas une adjonction venue du dehors.
Il y a plus. L'art, superflu en apparence, a une grande importante dans la vie. La division du travail poussée à l'extrême a rétréci le champ dans lequel chacun se meut; la plupart d'entre nous sont renfermés dans un cercle étroit d'occupations journalières, toujours les mêmes, qui n'offrent point de canaux suffisants à maint mouvement de l'âme et à maint sentiment de nature morale, comme le courage, le dévouement, le patriotisme. Le travail spécialisé de l'homme moderne ne fait point appel à toutes ses facultés spirituelles; il a en lui le germe de sentiments et d'émotions qui ne fleurissent pas, faute d'occasion. Mais l'art supplée en quelque mesure cette lacune pour ceux dont les dispositions naturelles ne trouvent pas à se satisfaire au sein des occupations que leur imposent leurs fonctions ou leur métier. L'art complète la vie, et là où la réalité fait défaut, elle la remplace par les créations poétiques de l'imagination. Le monde fictif dans lequel l'artiste nous transporte compense l'étroitesse de la vie; les goûts et les instincts qui n'ont pas pu trouver de satisfaction ailleurs s'y sentent alimentés, et cela plus complètement dans la mesure dans laquelle l'œuvre d'art nous donne l'illusion de la réalité. Suivant les divers besoins psychiques qui demandent satisfaction, nous nous retrempons par le secours des productions de l'art qui répondent le mieux au besoin spécial que nous éprouvons. L'art nous arrache aux choses quotidiennes, aux préoccupations domestiques, aux soucis personnels, et nous transporte au sein d'événements qui nous inlé-
ressent sans nous passionner, puisque nous y sommes personnellement étrangers; et notre jouissance n'en est que plus grande. Le plaisir que procure l'art se trouvant en dehors de nos intérêts et de nos passions, celles-ci se taisent, et l'art nous fait sortir pour un moment de notre moi; nous nous sentons plus libres et plus purs, élevés à une sphère que Ton pourrait nommer surindividuelle.
Ceci est très visible au théâtre ; les spectateurs assistent à une série d'événements, qu'ils suivent en esprit, sans cependant y avoir personnellement part. Cela vient au devant de certains besoins de l'esprit et excite certaines émotions, comme la vie réelle ne saurait le faire. Le bourgeois prend plaisir â voir passer devant lui des princes, des chevaliers, de nobles dames et à assister à des prouesses guerrières ; le riche se complaît au spectacle du monde des petits et des souffreteux; l'homme de conduite austère au déroulement d'aventures amoureuses peu édifiantes, accompagnées de plaisanteries équivoques. Il n'est point nécessaire que les émotions excitées soient exclusivement du genre gai; les sentiments pénibles, tels que la crainte et la haine, la colère et la pitié, trouvent dans le monde fictif de l'art l'occasion de se manifester librement et de donner ce qui leur revient à ces côtés de la vie de l'âme. Ce qui a de l'importance dans la vie des sentiments de l'homme est formé d'éléments qui, pour une part, pris en eux-mêmes produisent du déplaisir. C'est pourquoi la satisfaction de certains besoins de l'âme sous forme de jouissance esthétique peut se trouver dans la vue de tableaux tragiques, et cela en vertu de la liberté d'esprit avec laquelle on les contemple, le spectateur n'y ayant point de part et sachant que ce qu'on lui fait voir ne se passe pas en réalité.
Pour que les événements que l'on fait passer devant nous nous procurent du plaisir, il n'est point nécessaire qu'ils soient idéalisés, ou bien qu'ils soient conformes à ce qu'il nous serait agréable qu'il nous arrivât à nous-mêmes. Nous n'aimerions pas du tout trouver sur notre route dans la réalité les personnages ridicules et ineptes d'une comédie, ou nous trouver mêlés aux drames sanglants d'une tragédie; si cela se produisait, nous éprouverions des sentiments absolument différents de ceux qui composent notre jouissance esthétique lorsque nous les contemplons en spectateurs désintéressés. Il faut que nous nous sachions transportés dans un monde d'apparence pour que l'art exerce une influence libératrice par le
déploiement complet de notre vie émotionnelle et pour que notre imagination, la bride sur le cou, nous arrache aux entraves dans lesquelles d'ordinaire la vie réelle nous enserre. C'est justement que pour beaucoup de personnes la satisfaction de leur sens artistique est devenue un besoin vital, presque plus indispensable que n'importe quelle autre jouissance de l'esprit; sans l'art, la vie perdrait pour elles la meilleure part de ce qui la leur rend attrayante et de ce qui lui donne de la valeur à leurs yeux ; sans jouissances artistiques, elles se sentiraient profondément malheureuses. En réalité, à côté de la science et de la religion, c'est l'art qui ennoblit la vie, parce que, ne poursuivant aucun but de gain ou de jouissance matérielle, il constitue un des plus excellents trésors de l'humanité.
Du reste, on n'a pas dans tous les temps également reconnu l'importance vitale de l'art. Aux époques où il a été florissant, il a joué un grand rôle social, parce qu'il répondait à un besoin généralement senti. On le prenait fort au sérieux et l'on ne songeait pas à ne le considérer que comme un article de luxe, dont l'absence ne causerait aucun dommage à la société. En revanche, à d'autres époques d'autres intérêts ont tellement prédominé, que l'on n'a plus vu dans l'art qu'un amusement d'un petit nombre de personnes qui en étaient entichées et à qui l'on pouvait accorder ce passe-temps ; les artistes alors se trouvaient fort en dehors de la société. De nos jours, on ne peut pas dire que l'art possède l'importance sociale qui lui a appartenu dans d'autres temps; l'intérêt qu'il, excitait s'est en grande partie reporté vers la science et vers les questions sociales de nature moins idéale; le contact entre les artistes et la masse du public est lâche, ce qui est dommageable à l'art, dont les productions trop souvent ne servent qu'à satisfaire une vaine curiosité, les caprices de la mode et la soif d'émotions de ceux dont l'existence frivole a détruit la capacité des jouissances artistiques pures et d'un caractère élevé. On ne saurait non plus considérer l'éducation que l'on donne à la jeunesse de nos jours comme favorisant le déploiement de natures d'artistes. L'enseignement actuel porte presque exclusivement sur l'acquisition de notions intellectuelles aux dépens de l'intuition et de l'exercice de la faculté d'observation, et il n'y a pas de doute que le système actuel ne soit beaucoup plus propre à cultiver l'esprit scientifique qu'à développer le sens et le goût de l'art, et avec eux le talent artistique. La science et l'art peuvent orner une seule et même personne, mais c'est rare,
car les conditions de la culture de l'une sont fort différentes de celles que l'autre réclame, et les circonstances qui servent à développer ces deux tendances sont si peu semblables qu'elles peuvent être contradictoires.
L'élan pris de nos jours par l'industrie n'est pas non plus favorable au déploiement de l'art. L'industrie est basée sur le principe de la division du travail, et cela a rompu le fécond lien qui a existé une fois entre l'art et le métier. Même des œuvres d'art, qui anciennement auraient été produites par une personne unique, se fabriquent actuellement par la collaboration d'une série d'individus, de tempéraments et d'idées divergeantes, qui les uns après les autres accomplissent leur petite part du travail; l'invention est de l'un, l'exécution de l'autre. On atteint ainsi à une grande perfection technique et à une production intense, mais trop souvent aux dépens de la valeur esthétique des produits. On évite certains défauts techniques des anciens maîtres; mais ces légères défectuosités avaient bien leur valeur, car elles imprimaient aux œuvres des artistes un cachet personnel qu'il est regrettable de voir disparaître. . Quoi qu'il en soit, le prix que l'on attache à l'art et le sens artistique varient considérablement d'une époque à l'autre, et aussi la direction que prend l'art à une époque en distinction d'une autre est pour une grande part déterminée par les circonstances sociales et politiques, par la religiosité du moment, par la manière d'envisager la vie qui prédomine, toutes choses avec lesquelles les besoins de l'esprit se modifient. Même le sens des beautés de la nature est loin d'être constant. Les anciens ne le possédaient pour ainsi dire pas, quoique, certes, ils ne fussent pas dépourvus du sens esthétique, et encore au moyen-âge, ce n'est que rarement que l'on a su voir ce que la nature offre d'admirable. Il semble que ce fût réservé à notre époque de découvrir ce genre de beauté, ce à quoi sans doute ont contribué l'augmentation de la population, son amoncellement dans les grandes villes, la lutte pour l'existence plus acharnée, la vie intellectuelle excitée au paroxysme, et d'autres facteurs importants de l'ordre social et psychologique (1).
£1) De là aussi actuellement le culte de la musique, qui offre un débouché au sentiment, trop négligé ailleurs.
Séance du iî novembre 1904. — Présidence de il. le D' Paul MaOSis {suite)
Traitement de la neurasthénie par la course en flexion,
par le Dr F. Regnault. Professeur à l'Ecole de Psychologie. /
• La neurasthénie doit-elle se traiter par le repos absolu ou par l'exercice ? Cette question longtemps agitée est maintenant résolue par un sage éclectisme.
Tout dépend de la nature et surtout du degré de la maladie. S'il s'agit d'une neurasthénie intense, la cure de repos, préconisée par Weir-Mitchell, est indiquée ; le repos sera d'autant plus prolongé que la dépression du malade sera plus grande.
Mais il ne doit pas être absolu ; même alors l'exercice est indispensable, pour tonifier le système nerveux.
Aussi, "Weir-Mitchell recommande, pendant le repos au lit, de faire du massage et des mouvements passifs, mais encore faut-il même que ceux-là soient fails avec méthode, car, pratiqués intensément, ils amènent de la fatigue, comme l'a montré le Dr Lagrange.
Quand le neurasthénique soumis à la cure de repos a repris quelque force, il faut le faire promener, puis l'entraîner graduellement aux exercices physiques. 11 en est de même, mais sans passer par la cure de repos, de ceux qui sont dans un état moins grave.'
Pour tous, il importe que l'exercice n'aboutisse pas à la fatigue et à l'épuisement. De là une double indication et dans le choix du genre d'exercice et dans son dosage.
On ne se bornera pas à prescrire au malade l'exercice ; car les exercices physiques sont infiniment variés, et leurs effets sur l'organisme très différents.
Tout exercice imposant un effort ou une tension d'esprit est contre-indiqué pour le neurasthénique : ainsi l'escrime, la boxe, la savate, etc., tous les sports sont absolument défavorables, la gymnastique suédoise, la marche, sont au contraire utiles.
De plus, tout exercice doit être surveillé et dosé parle médecin ; on ne peut abandonner un nerveux à sa propre initiative^/
De tous les exercices, celui qui m'a fourni les plus brillants résultais est la course en flexion. Elle a été inventée par le commandant de Raoul qui, pendant 25 ans, l'a répandue dans l'armée. Lorsqu'en 1892, je revenais des Indes anglaises, je reconnus que la course en flexion de de Raoul rappelait celle que pratiquaient certains coureurs dans l'Inde ; c'est du reste l'allure et l'altitude que prennent instinctivement tous les coureurs de longue durée, comme on peut le voir sur les photographies
instantanées des vainqueurs de la course dite de Marathon [40 kilomètres) ou celle de Bordeaux-Paris.
L'allure dans la course de longue durée est inverse de celle qu'on prend dans la course de vitesse lorsqu'on ne veut couvrir que quatre à huit cents mètres : le corps est alors droit, on s'élève à une grande hauteur au-dessus du sol, on procède par bonds, et on retombe sur la pointe des pieds.
Dans la course de longue durée, au contraire, le corps est penché en avant ; les pieds s'élèvent très peu au-dessus du sol, on retombe sur les talons. Tandis que, la course de vitesse étant brève, le sujet n'épargne pas sa fatigue ; dans celle de durée, il prend le procédé le plus économique, pour pouvoir continuer jusqu'au but.
L'honneur du commandant de Raoul est d'avoir systématisé la course de durée, d'avoir montré qu'on pouvait apprendre en quelques leçons une allure que les coureurs de fond ne réalisent que par tâtonnements après bien des essais infructueux.
Je fis avec M. Comte, au laboratoire de physiologie du professeur Marey (de l'Institut), les recherches scientifiques nécessaires pour apprécier la méthode de course du commandant de Raoul. Grâce à la chronophoto-graphie on put décomposer les mouvements et les analyser : nous dénommâmes, par suite, du terme en « flexion «ce genre de course ; car, à l'opposé de la course de vitesse où les articulations du genou et du pied se mettent en extension, dans la course de durée elles gardent toujours une flexion assez prononcée.
Ces études firent l'objet d'un livre « Comment on marche », par MM. de Raoul et Regnault, édité par la maison Lavauzelle ('), et qui reçut de l'Académie des sciences le prix du barron Larrey ; rappelons que ce prix est donné aux travaux originaux réalisant une amélioration dans l'hygiène de l'armée.
Sur ces entrefaites, le commandant de Raoul prenait sa retraite (1900) ; il n'avait pu réussir à faire adopter complètement sa méthode dans l'armée : pourtant l'enseignement de la course avait été modifié à l'Ecole de Joinville-le-Pont et les dernières prescriptions s'en rapprochent beaucoup.
Je conseillai alors au commandant, d'essayer sa méthode pour la cure des maladies. Avec l'appui des docteurs Burlureaux, Lagrange, Rodet et Oberthur, il eut bientôt des malades. Le succès dépassa toute attente. La course de durée se révéla une méthode merveilleuse dans la neurasthénie, l'hypocondrie, la mélancolie, toutes les maladies dites par ralentissement de la nutrition. Car, plus qu'aucun autre exercice physique, elle provoquait une sudation considérable et constituait le meilleur exercice respiratoire. C'est en plein succès que le commandant de Raoul fut brusquement emporté.
Venant de reprendre sa succession et m'occupant tous les matins non
(1) De Raoul et Regnault : Comment on marche ; Lavauzelle, éditeur, 10, rue Danton, Paris. Prix ; 5 francs.
fériés de huit à onze heures à faire courir les malades au 12 de la rue Boileau, Auteuil-Paris, je m'y tiens également à la disposition de tout médecin désirant sur la méthode de plus amples explications que celles que je me propose de vous donner. La course en flexion a pour but :
I. — D'éviter la fatigue tout en accomplissant un exercice physique considérable. On' y parviendra :
a) En observant bien les règles de cette course qui consistent avant tout à ne soulever les pieds du sol que juste ce qui est nécessaire pour en éviter les aspérités. Ce qui fatigue en effet dans la course, ce sont les foulées qui élèvent le corps au-dessus du sot.
Quant aux autres règles techniques, je renverrai aux articles et ouvrages spéciaux. Je me contenterai de dire qu'il ne faut pas s'attendre à ce que tous courent d'une manière identique. Chacun apprend les principes, mais il les suit avec quelques légères variantes qui dépendent de sa taille, de la longueur de ses membres inférieurs, du rapport de la longueur de ses jambes à celle de ses cuisses, de son attitude habituelle, etc. Chaque coureur est persuadé qu'il possède le pas classique et se moque de l'allure des autres qu'il croit mauvaise alors qu'elle résulte le plus souvent de l'adaptation des principes du mode de la course à l'individu.
b) A surveiller la progression. On ne laissera jamais partir le sujet â une allure rapide, mais il lui faut l'acquérir, lentement, progressivement et sans efforts. Les pas seront d'abord petits et nombreux; on augmentera progressivement leur longueur. /
On ne doit jamais chercher à accélérer la course ; il faut que les jambes augmentent d'elles-mêmes et peu à peu la vitesse sans que le sujet s'en aperçoive. Au début, on va toujours trop vite. De même, on ne s'arrêtera pas brusquement une fois lancé, mais on diminuera d'une façon graduée la longueur du pas, pendant trois ou quatre minutes avant l'arrêt définitif.
Si, au début, on ressent une fatigue, qu'on ne progresse pas avec aisance, il faut ralentir et au besoin s'arrêter : c'est que l'attitude est mauvaise et la progression trop rapide. De même, l'essoufflement et le point de côté indiquent qu'on a commencé trop vite et mal suivi la progression; il faut ralentir et au besoin s'arrêter.
Inutile de dire que le mode de progression est bien plus lent lorsqu'il s'agit de traiter des malades que lorsqu'on s'adresse à des hommes de sport et à des soldats entraînés.
c) En graduant la durée de la course à la force du sujet, à son degré d'entraînement. Au début, quand le malade ignore encore ce mode de progression, donner des leçons de dix minutes un quart d'heure au plus. Puis quand les mouvements sont connus, augmenter progressivement, tout en restant toujours en deçà de la limite où survient la fatigue.
' d) Ajoutons enfin qu'on peut joindre à la course en flexion des mouve-
ments d'assouplissement avec des haltères légères, la gymnastique suédoise, quelques faciles exercices aux agrès, etc.
II. — Obtenir l'exercice respiratoire que donne la course en évitant l'essoufflement. On y parviendra :
a) En faisant une progression lente, d'autant plus lente que la respiration s'effectue mal chez le malade, comme il a été indiqué plus haut. En allant très lentement, on arrive à faire courir sans s'essouffler des asthmatiques ou des emphysémateux qui, à l'état habituel, ne peuvent même pas marcher.
b) En surveillant l'attitude du corps; il sera penché en avant, mais en conservant sa rectitude, le dos toujours droit et la tète élevée. L'erreur des débutants consiste, lorsqu'on dit de pencher le corps en avant, à n'incliner que le haut du corps vers le sol, ce qui fait un dos voûté et une tête abaissée, et diminue le jeu respiratoire.
Pour maintenir la tête haute et bien dégagée, il est bon, au début, d'exagérer ce mouvement en regardant le ciel.
Pour maintenir les épaules effacées et donner à la poitrine tout le développement qu'elle comporte, on prend un bâton quelconque qu'on tient des deux mains, la gauche à la hauteur des seins, la droite vers la hanche.
c) En pratiquant une gymnastique respiratoire. On respirera lentement et, toutes les cinq ou six inspirations, on en pratiquera une large et profonde. Celle-ci réalise l'oxygénation en introduisant un air nouveau dans la profondeur des vésicules pulmonaires.
On respirera par le nez, mais si celui-ci est étroit et que l'inspiration soit ainsi difficile, on ne craindra pas d'ouvrir largement [abouche pour inspirer.
d) Si le sujet ne peut respirer profondément, on se trouvera bien de faire accompagner l'inspiration de mouvements circulaires des bras étendus en croix.
III. — Obtenir un exercice et comme une véritable gymnastique circulatoire. — Le pouls monte de 70 à 120 et 130 et même plus pendant l'exercice ; le cœur bat plus fort et plus ample. Là je n'insisterai pas sur la gymnastique circulatoire qui a été bien étudiée par Dcèrtel et chez nous par Lagrange et qui est réalisée par la course mieux que par tout autre exercice.
/ IV. — Obtenir une sudation abondante. — Ce point est fort important. ,La sueur en effet élimine des toxines en abondance, et cette propriété 1 est spéciale à la sudation obtenue par l'exercice ; il semble que les contractions musculaires déchargeant dans le torrent circulatoire les toxines accumulées dans l'organisme, celles-ci s'éliminent par la sueur. /
Au contraire, la sudation obtenue par la chaleur, dans les hammams par exemple, est fort peu toxique. Je crois qu'il en est de même de celle produite par certains remèdes tels que la pilocarpine.
Ce point mériterait des recherches précises : malheureusement il est
difficile de se procurer pour l'analyser une quantité suffisante de sueur humaine. On ne peut que rappeler un fait d'observation : la sueur obtenue chez un arthritique par un exercice lui parait fortement acide, elle pique désagrablement les conjonctives ; celle obtenue chez le même sujet au hammam est fade et sans goût.
Parmi les malades, certains suent très difficilement : ce sont généralement les plus déprimés, avec de l'hypotension artérielle. Ils déclarent qu'on n'arrivera jamais à les faire suer. Ce n'est qu'après une course prolongée qu'ils arrivent à transpirer, alors la sudation s'établit peu à peu, en même temps la peau de sèche et jaunâtre qu'elle était, devient plus souple et plus brillante, « plus vivante b, me disait l'un d'eux, et la santé s'améliore en même temps.
On fera suivre la course d'une douche, tiède, froide ou écossaise suivant la susceptibilité du malade. C'est un complément important du traitement.
V. — Enfin, il s'agit d'une véritable cure psychique. L'important est de décider les malades à courir, souvent ils s'y refusent énergiquement et de les faire persister les premiers jours qui sont les plus pénibles, alors qu'il s'agit d'apprendre la méthode et que le malade ne retire encore aucun bénéfice de l'entrainement. Aussi faut-il donner, au début, des leçons très courtes : 8 à 10 minutes, un quart d'heure au plus, et augmenter peu à peu à mesure que le malade s'aguerrit. Il faut absolument éviter la fatigue qui pourrait les rebuter et les persuader de venir tous les jours à heure fixe au champ de course, ce qui est déjà, comme me le disait le Dr Burlureaux. une véritable leçon d'énergie.
Mais la meilleure cure psychique est de leur rendre confiance en eux-mêmes ; j'ai vu des neurasthéniques qui doutaient de leurs forces, et se déclaraient incapables de faire deux pas de suite, s'enthousiasmer de pouvoir sous ma conduite courir pendant plusieurs centaines de mètres.
H nous resterait à examiner les divers cas de guérison obtenus par la course en flexion. Je fais en ce moment sur ce sujet un travail en collaboration avec le Dr Burlureaux. Je me contenterai donc de dire que la course est indiquée dans les diverses formes de neurasthénie, mais il faut savoir la doser suivant les sujets.
Les neurasthéniques à hypertension, arthritiques, goutteux, cholé-miques, demi-alcooliques, petits brightiques, doivent être soumis à une course prolongée. Une fois l'entraînement obtenu, ils supportent très aisément de 40 à 60 minutes de course à bonne allure.
Les neurasthéniques à hypotension, profondément déprimés, au contraire, doivent être traités avec modération : ce n'est qu'au bout de plusieurs semaines qu'ils arrivent à dépasser vingt à trente minutes à petite allure.
L'amélioration est toujours lente et progressive; ce n'est qu'au bout de trois semaines à un mois qu'elle apparaît : il faut se méfier de ceux qui se croient guéris au bout de quelques séances, ils sont victimes d'une illusion qui sera forcément passagère.
On atténue et on arrive à faire disparaître les phobies les plus diverses; il semble bien que ces troubles psychiques soient alors purement fonctionnels et dûs à l'intoxication.
En tous cas, la course en flexion est un adjuvant efficace à la méthode suggestive. Si celle-ci débarrasse des idées maladives, la course, en-fortifiant le sujet, améliore le terrain et empêche le retour des phobies et des obsessions.
Rapport entre la puissance de l'image visuelle et la puissance
du souvenir,
Par M. Edouard Cros, Ingénieur civil des Mines, y*
Si vous voulez considérer que les progrès de nos civilisations s'accomplissent non seulement par les grandes choses, mais aussi au moyen des petites, vous m'excuserez de venir intercaler une idée personnelle et toute spéciale parmi les vues générales et élevées qui vous sont exposées ici par des savants en renom.
C'est surtout l'intérêt pratique attaché à cette idée, dont je poursuis l'application avec persévérance, qui me permet d'espérer pour elle un bienveillant accueil.
Je vais donc vous la signaler ; mais, avant d'entrer en matière, quelques mots de psychologie pratique sont nécessaires.
Trois espèces de caractères graphiques, tant élémentaires que composés, servent à l'incarnation de nos idées :
Les chiffres — les lettres— les figures ou images.
Les chiffres et les lettres, dans les opérations intellectuelles, ont essentiellement la puissance ou faculté d'investigation et d'analyse qui mène l'homme à la vérité.
Les images ont la puissance ou faculté synthétique d'individualisation sensationnelle caractérisée par les avantages suivants :
Instantanéité et certitude de la conscience, suggestion.
Persistance du souvenir par la puissance ou faculté de provoquer les multiples sensations secondaires qui résultent du fonctionnement de ce grand ressort de la mémoire qu'on nomme la liaison des idées.
Cette puissance d'individualisation de l'image, j'ai cherché à l'appliquer utilement à l'industrie des transports, et je suis parti de ce double fait que, non seulement en France, mais dans le monde entier, les voitures composant un train de chemin de fer se ressemblent toutes, et, en ce qui concerne les bagages, il est à remarquer que beaucoup présentent le môme aspect, surtout quand il s'agit de malles sortant de chez le même fabricant.
Mon idée est-elle réellement pratique et répond-elle à un besoin?
Tout le monde aujourd'hui ayant l'habitude des voyages en chemins de fer, vous allez pouvoir en juger en connaissance de cause, en même temps que la Presse française et étrangère qui, depuis trois semaines,
consacre de nombreux articles à l'occasion de l'expérience du Train-image qui circule quotidiennement de Paris à Cherbourg.
Les facilités de locomotion ont prodigieusement accru le nombre des voyages et sont ainsi devenues, pour les générations actuelles, un élément de surmenage se superposant à tant d'autres.
Les chemins de fer — qui s'étendent de plus en plus — ont donc incontestablement leur part de responsabilité, dans le développement de la neurasthénie moderne, par la trépidation des trains, les préoccupations des détails et l'excitation spéciale dont le voyage est le principe générateur.
A l'appui de cette affirmation — bien que l'éducation du public en matière de voyages en chemin de fer ait fait d'incontestables progrès — on peut citer nombre de faits prouvant que les gens, même les mieux équilibrés, sont rarement exempts de surexcitation, dès qu'ils se mettent en route.
Ainsi par exemple :
Un grand nombre de voyageurs, obsédés par la crainte de manquer le train — une fois leur billet pris — s'évadent étourdiment du guichet sans compter leur monnaie ; d'autres oublient de la prendre ('] ;
— Qu'un employé entre dans le buffet, en criant : « Messieurs' les Voyageurs, vous avez encore dix minutes! » Il arrive souvent que cette annonce produit l'effet inverse â celui qu'elle avait pour butd'obtenir. La plupart se précipitent tumultueusement comme si le train se mettait en marche ;
— Les réclamations adressées par les voyageurs aux agents de l'Administration sont presque toujours empreintes de troubles et d'un brouillonnement exubérant, même quand elles proviennent de personnes ordinairement réfléchies ;
— A chaque station d'arrêt, quand il s'agit de retrouver là voiture dans laquelle on est installé, les voyageurs s'élancent à l'aveuglette, et s'agitent le kng du train, bourdonnant anxieusement de portière en portière ;
— A l'arrivée, une confusion de même nature se produit dans la salle de distribution des bagages, et la recherche des colis occasionne beaucoup de soucis et de perte de temps.
Et l'inquiétude de chacun agit sur tous en vertu des influences intermentales qui se produisent au sein des foules. Telle est la psychologie du voyageur en chemin de fer. Certes ! il ne saurait être question de neutraliser artificiellement ces prédispositions névropathiques ; mais on peut les empêcher de se donner carrière, et même de prendre essor, en donnant préalablement satisfaction aux besoins qui les provoquent.
C'est le désir d'atteindre ce but qui m'a suggéré l'idée d'utiliser la
(1) Nous ne disons pas que cette monnaie soit perdue pour le voyageur distrait. Son oubli est, au contraire, le plus souvent, signalé à temps par le distributeur, le surveillant ou les voisins. â
Puissance de l'Image, pour faciliter la recherche des voitures et des bagages.
Le seul point de repère que les unes et les autres présentent actuellement est le numéro matricule, qui est peu secourable. Dans son aspect d'ensemble, en effet, rien n'est moins différent d'une série de chiffres qu'une autre série de chiffres. Le numéro, d'ailleurs, n'a rien de saisissant pour l'œil, ni d'imprégnant pour la mémoire. Il faut un effort pour le lire, un autre pour le retenir.
L'Image, au contraire, impérieusement sensible et suggestive, attire le regard, se distingue par son objet et se grave dans le souvenir, comme malgré soi, tout en amusant l'esprit.
En un mot, si l'on compare le pouvoir d'action du numéro, avec celui de l'image, on constate que :
Le Numéro se fait chercher, tandis que l'Image vous appelle.
Ce principe psychologique est fondé en fait et en raison.
Tels sont les motifs qui ont provoqué l'élaboration des deux systèmes d'application auxquels j'ai donné les dénominations de « Train-Image i> et « Bagage-Image o, dénominations où l'analogie des idées se trouve indiquée par la similitude de désinence.
Train-Image. — Tous ceux qui voyagent en chemin de fer ont pu constater la difficulté qu'on éprouve, dans la presse du départ, à retrouver la voiture où l'on était installé et dont on est momentanément descendu pendant un arrêt du train.
Cette difficulté est devenue d'autant plus grande que presque toutes les Compagnies ont adopté l'uniformité de couleur pour les voitures de toutes classes.
Avec les voitures à compartiments indépendants, le seul moyen usuel et pratique de rentrer en possession de sa place consiste à se repérer par la reconnaissance des petits colis laissés sur la banquette et dans les filets, et surtout par la physionomie et l'accoutrement des compagnons de route dont on s'est trouvé voisin. Mais ces indications — qui n'existent même plus avec les voitures à couloir — reposent sur des données aléatoires. Viennent-elles à faire défaut, il ne reste plus que le numéro difficile à reconnaître et à retenir surtout la nuit, et quand, par suite de manœuvres de gare, le train a changé de place, d'aspect et quelquefois môme d'orientation.
L'expérience de ces inconvénients nous a conduit à marquer les voitures de chemins de fer par des Images, placées en manière d'ar-moirie.
Mais, pour que ces images rendent bien les services qu'on en attend, il faut qu'elles soient très apparentes, réconnaissables de loin, visibles de jour et de nuit.
Ces diverses conditions se trouvent réalisées par :
1° L'emplacement choisi sur la voiture ;
2« La luminosité de la matière employée.
L'image, en effet, étant placée sur les glaces généralement dormantes
ou semi-dormantes, situées aux deux extrémités de la voiture, ne peut être masquée ni par les portières ouvertes, ni par le passage des gens et colis sur le quai d'embarquement. Comme, de plus, elle se détache éclatante de blancheur sur un fond sombre, elle assure la visibilité diurne et nocturne. Ce résultat est pratiquement obtenu au moyen d'un émail blanc, faisant corps avec la vitre, lequel assure, en outre, le double avantage d'être inaltérable et de n'exiger aucun entretien spécial. Dans l'expérience faite quotidiennement entre Paris et Cherbourg la puissance de l'image s'y montre telle, qu'on gagne une à deux minutes sur la durée des réembarquements aux grandes staf:ons d'arrêt. Aussi, un gouvernement étranger a-t-il résolu d'appliquer le système du p train-image » pour le transport des troupes en cas de mobilisation.
Individualisation des bagages, par les images.
Bagage-Image. — Le Bagage-Image est un système de marque des colis destiné à faciliter leur reconnaissance.
Dans l'entassement de la salle de distribution, dans la hâte des voyageurs à rentrer en possession de leurs colis, il est d'autant plus difficile de signaler les objets dont on est en quête, que beaucoup de fabricants de malles adoptent des types ayant le même aspect.
En accompagnant chaque colis d'une image — collée ou flottante — on remédie à ces inconvénients.
L'image, en effet, crée à chacun des colis qui la porte, une sorte d'individualité originale, et abrège ainsi le travail du livreur en facilitant la reconnaissance à première vue. De plus, en cas de fausse direction, elle est d'un grand secours aux employés chargés de la recherche des colis dévoyés, surtout si la partie marginale de l'image, qui porte,
en gros caractères, les mentions : Nom..... Adresse.....est remplie par
le propriétaire du colis.
En présence de ces avantages évidents, les directeurs des grandes compagnies de chemins de fer, ont fait bon accueil à l'innovation, et adressé, à l'inventeur du système, des appréciations toutes approba-tives.
Voici textuellement l'une d'elles : '
« L'idée nouvelle de prier MM. les Voyageurs de coller sur leurs a bagages ou colis expéditionnés une Etiquette-Image est tout à fait « satisfaisante et pratique ; si elle se généralise, elle rendra beaucoup « plus facile la distribution des bagages à l'arrivée, et la recherche des « colis qui auraient pu être dévoyés. »
En outre, les chefs d'exploitation ont adressé aux chefs de gare une circulaire recommandant au personnel, chargé du pesage et de l'étiquetage, d'avoir soin de ne jamais recouvrir les images dont les colis se trouvent marqués, et, si un colis égaré portait une étiquette-image, d'en faire mention, avec indication du sujet sur les avis des colis-en-moins et sur les bulletins de recherche.
Le projet d'utiliser la puissance de l'image, ainsi qu'il a été dit, a été soumis à l'appréciation de plusieurs sommités médicales françaises et étrangères. Les plus autorisées en matière de neurologie ont été d'avis que son application diminuerait d'une façon sensible le nervosisme auquel beaucoup de voyageurs sont soumis.
Pour offrir aux voyageurs des images variées et remplissant le but à atteindre, j'ai créé un répertoire de 500 images. Les sujets — choisis parmi les plus simples et les plus suggestifs — ont été sélectes en parcourant, non seulement le vaste champ du monde physique, mais encore ceux où s'exerce l'activité humaine.
Aux personnages, animaux, végétaux, fruits, fleurs, astres, etc., sont venus se joindre les instruments de musique, d'agriculture, ceux des métiers les plus usuels, et tout ce qu'on peut tirer des engins de locomotion, de guerre, de marine,etc.,etc.
J'ai renoncé à utiliser la couleur comme signe de reconnaissance des voitures et des bagages. Voici pourquoi :
Si la couleur est plus vibratoire et parfois plus frappante que l'Image, elle ne suggère rien, et ne persiste dans le souvenir que par suite de circonstances accessoires et accidentelles.
A un conducteur de locomotives qui apercevra un feu rouge, il ne viendra pas d'autre idée que celle de s'arrêter. Et cette même exclusion de toute autre idée est l'avantage caractéristique du signal coloré.
Mais pour le voyageur les besoins sont autres. Il ne s'agit pas pour lui d'un commandement simple auquel il doit obéissance immédiate, et sans souci de l'avenir. Il faut que sa mémoire soit mise à même d'entrer enjeu pour des circonstances et des opérations futures.
Or l'image d'un coq, d'une guitare, d'un ballon, d'un raisin, d'une barque, ont pour effet de provoquera 1 instant une foule de sensations secondaires, et c'est grâce à celles-ci qu'on se souviendra longtemps et comme malgré soi de l'image, pour retrouver sa place ou son bagage ou pour une réclamation à l'occasion d'un lait circonstancié.
Autre considération. — Si la forme est absolue, la couleur n'est que relative. Jamais une sphère ne paraîtra avec des angles, tandis que l'incidence de lumière, ou même une différence d'intensité suffît pour changer l'éclat et même la couleur. Ainsi, une rose entre 2 dahlias pourpre paraîtra grise; une robe bleue, à la lumière, paraîtra verte. Enfin, il suffit d'une légère couche de poussière pour grisonner une couleur. On peut donc dire :
Souvent couleur varie, Bien fol est qui s'y fie.
Un dernier mot.
Parmi les nombreux articles qui ont été publiés, certains, avec cet esprit qui sert à tout et ne suffit à rien, ne ménagent pas les railleries
et les sarcasmes. L'imagerie peut parfois porter à l'hilarité, mais où serait le mal? Après tout, le rire n'est-il pas hygiénique, et aussi t le propre de l'homme », comme l'a dit Rabelais?
Séance du mardi 9 décembre 1904. — Présidence de M. le D' Jules Voisrs.
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Un cas de mutisme prolongé,
Par M. le Dr Bérillon, professeur à l'Ecole de psychologie.
Le malade que je présente à la Société est âgé de 44 ans. Lors de la mort de sa femme, survenue il y a dix-huit mois, il a été fort affecté. Les premiers jours qui ont suivi les obsèques, on n'a pas été surpris de le voir silencieux et comme absorbé par sa douleur. Mais depuis lors, il n'a plus parlé. Ouvrier bronzeur, il n'a cessé de se livrer régulièrement à son travail. Son patron, qui me l'a envoyé, n'a aucun reproche à lui adresser. Il travaille silencieusement, obéit aux ordres qui lui sont donnés, mais personne ne peut en tirer une parole. Il se refuse même à répondre par écrit. Il comprend tout ce qu'on lui dit, mais il se désintéresse de tout ce qui n'est pas son travail. Il ne lit plus le journal et parait indifférent aux questions d'actualité. Ses yeux expriment quelque vivacité d'esprit et lorsqu'on lui parle, ils expriment qu'il approuve ou désapprouve ce que vous lui dites.
Nous nous sommes demandés, si, en restant silencieux, cet homme ne se conformait pas à quelque vœu. Parmi les nombreuses sectes religieuses de la Russie, il en est une, celle des négateurs, qui considère le silence perpétuel comme la condition principale du salut. Poursuivis en justice, ces fanatiques ne veulent point répondre aux questions qu'on leur adresse sur leur âge, leurs occupations, leur état social ; et tout le temps que dure le procès, ils ne prononcent pas une parole. Ils écoutent avec la plus grande indifférence l'arrêt qui les condamne à l'exil et quittent la salle sans dire un mot. Il semblerait, au premier aspect, que le mutisme de cet homme ait quelque analogie avec celui des sectateurs russes dont je viens de parler.
Bien que cet homme n'accomplisse pas d'actes illogiques, dépourvus de raison, nous pensons cependant qu'il est atteint de mutisme uésa-nique. Le mutisme serait le symptôme fondamental de son état mental qui comporte également d'autres manifestations, en particulier une diminution notable de l'activité intellectuelle et aussi une altération dans les sentiments affectifs et dans l'esprit de sociabilité.
Dans ces derniers temps, quelques changements favorables se sont manifestés sous l'influence certaine du traitement psychothérapique. On l'a vu, à plusieurs reprises, jeter les yeux sur un journal, ce qu'il n'avait pas fait depuis longtemps. Nous avons aussi obtenu de lui qu'il donne sa signature et réponde par écrit à nos questions. Il se borne à écrire
Paralysie véslcale d'origine hystérique guérie par un procédé psychothérapique
par M. le Dr Demonchy.
Il y a plus d'un an, un jeune homme d'environ vingt-cinq ans, marié depuis près de dix mois, vint me trouver. Il avait ressenti au rectum une douleur aiguë et très subite, accompagnée d'une sensation de boule, et s'en inquiétait.
Je pratiquai le toucher rectal et je reconnus un léger gonflement de la muqueuse à la partie ampullaire du rectum, mais ne présentant ni douleur, ni température, ni battement.
Chose curieuse, le malade n'accusait pas à l'introduction du doigt cette défense rectale si appréciable chez la plupart des malades qui se soumettent avec répugnance à cette manœuvre : « Souffrez-vous ? — Non. — Pourtant nombre de malades se contractent et opposent une grande résistance au passage du doigt ? — Non, je ne sens rien, je ne sens même pas votre doigt ? »
J'ordonnai quelques lavages d'eau salée plusieurs fois par jour et, le deuxième jour, on vint m'annoncer que mon malade était guéri.
oui ou non, mais cela n'en constitue pas moins un progrès appréciable.
Nous pensons que le pronostic n'est pas défavorable et qu'il arrivera progressivement à la guérison.
Nous voulons seulement soulever à son sujet une question délicate de médecine légale. Supposons qu'à la suite d'une bagarre, d'une fausse dénonciation ou d'une méprise,il soit arrêté. S'il ne répond pas à l'interrogatoire du commissaire de police ou du magistrat, son mutisme serait-il interprété en faveur de sa culpabilité? Il est certain qu'une expertise médico-légale ramènerait les choses à de justes proportions. Mais il n'en serait pas moins l'objet d'une longue détention préventive, puis exposé à être interné dans un asile, ce qu'il a évité jusqu'à présent grâce à la régularité de son travail et de sa conduite.
Discussion.
M. Voisin. — Ce malade a dû présenter une certaine confusion mentale après la mort de sa femme ; il est maintenant beaucoup moins confus et semble s'acheminer vers la guérison ; il s'est vraisemblablement fait à lui-même le serment de ne plus parler ; il a dû, pour des raisons que nous ignorons, s'imposer ce mutisme comme une punition. Je suis tout à fait d'avis que le traitement psychothérapique auquel M. Bérillon a commencé à le soumettre facilitera la guérison.
Dans tous les cas, ce malade présente un grand intérêt à cause de toutes les questions que soulève son cas qui se présente assez rarement. Les malades atteints de mutisme ne continuent pas à travailler. On les renvoie de l'atelier dès les premières manifestations d'un état mental anormal et ils n'ont pas d'autres ressources que d'entrer à l'asile.
Le surlendemain, sa femme accourt chez moi, affolée. Son mari n'a pas uriné depuis la veille au soir, et il commence à se trouver très incommodé. « Pourvu qu'il ne se paralyse pas ! »
Je rassurai la jeune femme de mon mieux. Je sondai son mari sans aucune difficulté, sans aucun arrêt, et je vidai sa vessie.
Mon malade respirait d'aise, se sentant soulagé. — ? Vous voyez, lui dis-je, il ne faut pas redouter une sonde, cela ne fait pas de mal. — Non cela ne fait pas de mal en effet, et je vous avouerai même que je n'ai pas senti du tout que vous m'introduisiez une sonde. »
Et, en fait, pendant les cinq semaines qu'il fut sondé, jamais il n'accusa la moindre gêne, il ne sentait rien.
Cependant, malgré les sondes, malgré les traitements les plus divers, mon malade n'urinait toujours pas.
Somme toute, je me trouvais en face d'une paralysie vésicale chez un malade jeune, ne présentant ni syphilis, ni rétrécissement, ni maladie vénérienne d'aucune sorte, sans histoire d'aucune maladie passée, à part cet aveu que chez lui l'acte sexuel était plutôt rare.
Ce n'était certes pas un nerveux excité, car les séances de sonde avaient un caractère très extraordinaire. Je le sondais non seulement en présence de sa femme, qui par la suite apprit à le sonder, mais encore devant son beau-père et, qui plus est, devant sa belle-mère. Tout se passait en famille et mon malade n'en ressentait aucun trouble.
Je vous ait dit que mon malade n'accusait aucune maladie passée.
Toutefois, quelque temps après son mariage il était survenu un événement qui, brusquement, avait changé la position du jeune ménage, le menaçant de la ruine complète, chose d'autant plus pénible que la jeune femme était enceinte.
Et, en y réfléchissant bien, la soudaineté des accidents, l'absence de douleur, de sensibilité au doigt et à la sonde dans tes régions explorées et dans les régions voisines, m'amenèrent à penser que c'était là une insensibilité toute spéciale, se présentant par zones, que c'étaient de véritables zones d'anesthésie, et par analogie avec les zones d'anes-thésie chez les hystériques, j'en vins à conclure que mon malade était un hystérique présentant des zones d'anesthésie rectales, anales, uré-thrales, et que la paralysie vésicale était d'origine hystérique.
Le traitement fut vite trouvé et appliqué, ce fut la suggestion.
Et je la fis sans endormir mon malade.
Je le rassurai en lui certifiant que sa maladie m'était parfaitement connue, qu'elle avait une durée limitée, et que, ce délai atteint, il se trouverait brusquement guéri.
Je le mettais dans l'attente de sa guerison à jour fixe.
Le délai fixé pour sa guerison étant arrivé, un soir je fis à mon malade les deux suggestions suivantes : » Demain, à votre réveil vous urinerez ; — et, si vous urinez abondamment, vous serez guéri. » Et j'ajoutai : a Et vous urinerez abondamment. »
Remarquez que je ne dis pas. « Demain vous serez guéri et vous urinerez », il était évident que s'il était guéri il urinerait. Ce qu'il fallait avant tout, c'était qu'il urinât. Et si j'ajoutais la seconde suggestion, c'était pour réagir contre la contre-suggestion de sa femme qui me répondait: « Mais s'il urine une fois, sera-t-il guéri pour toujours ? »
Il me fallait vaincre l'hésitation de l'entourage qui aurait pu agir dans un sens opposé.
Et je prescrivis quelques pilules de bleu de méthylène sur les instances de la femme qui réclamait un signe sensible de la guérison.
En fait, le lendemain matin mon malade urinait, et urinait abondamment ; il se considérait comme guéri et la guérison s'est maintenue.
Avais-je raison de prétendre que mon malade était un hystérique ?
Mon traitement et son succès semblent le prouver. Mais depuis, et cela il y a peu de mois, j'obtins des renseignements décisifs sur ce point.
Mon malade, qui prétendait n'avoir jamais été malade, a deux tuberculeux dans ses proches, dont un frère.
Sa mère est une grande arthritique qui est immobilisée par des rhumatismes articulaires.
Lui-même étant jeune était somnambule et s'asseyait la nuit sur des piles d'assiettes. Le changement brusque de position arrivé au début de son mariage a laissé en lui de tels désordres, que la nuit il saute à bas du lit et réveille sa femme en sursaut pour qu'elle n'oublie par d'aller livrer l'ouvrage. Et il faut lui prouver qu'il n'est pas encore jour, pour qu'il se recouche et finisse sa nuit.
Mon client est donc bien un hystérique, j'ajouterai, sur les confins de la dégénérescence.
Ce qui confirme bien mon diagnostic.
Messieurs, si j'ai porté à votre connaissance cette observation, c'est non seulement pour vous montrer qu'on peut guérir ces sortes de malades sans recourir au sommeil profond, mais aussi et surtout pour attirer votre attention sur ce point, que dans l'ignorance du passé de mon malade et de son état nerveux spécial qu'on m'avait caché, chose très compréhensible de la part d'un jeune marié, je suis arrivé à connaître son état en trouvant chez lui des régions d'insensibilité que je qualifie de zones d'anesthésies rectales, anales, uréthrales d'origine hystérique, observation grosse de conséquences. Car si de pareils faits étaient reconnus, notés et classifies, nous pourrions peut-être les étendre aux organes internes, et expliquer comment certains de nos malades ne sentent plus, qui leur foie, qui leur estomac, et tant d'autres phénomènes que nous pourrions classer sous le nom de zones profondes d'anesthésies hystériques des organes internes. Ainsi nous serions conduits à reconnaître l'hystérie là où l'on ne la soupçonne pas, et à l'affirmer là où l'on ne veut ni la soupçonner, ni l'admettre.
Séance du mardi I9janvier 1904. — Présidence de M. D? Jules Voisin.
La séance est ouverte à 4 h. 40.
L'ordre du jour de la séance précédente est lu et adopté.
M. le Secrétaire général donne lecture de la correspondance.
Les communications annoncées sont faites dans l'ordre suivant :
Ie Dr Le Menant des Chesnais. — Observation de vertige de la locomotion traitée avec succès par la suggestion hypnotique.
Prennent la parole, MM- Bérillon, David (de Xarbonne) et Lionel Dau-riac.
2* Dr Orlitzky (de Moscou). — Infirmeries pourle traitement hypnotique de l'alcoolisme en Russie.
3° M. Podiapoloscy (de Saratow). — Brûlure suggérée chez une femme ayant présenté du mutisme hystérique.
4» D" Bérillon et Marnay. — Note sur le traitement des buveurs français par la suggestion hypnotique.
Prennent la parole, MM. Demonchy, Magnin, Voisin.
5° Dr Delics (de Hanovre). — Influence de la suggestion hypnotique sur les fonctions gastro-intestinales.
M. le Secrétaire général signale la présence à la séance de M. le Docteur David (de Narbonne) et M. le Professeur Osman-Bey Ghaleb (du Caire).
M. le Président met aux voix les candidatures de M. le Dr Marnay, et de M- le Dr Legrain, médecin en chef de l'Asile de Ville-Evrard. MM. Marnay et Legrain sont nommés à l'unanimité,, membres titulaires de la Société d'HypnoIogie.
La séance est levée à 6 h. 45.
COURS ET CONFÉRENCES
Pemphigus hystérique (*)
par M. le Professeur Raymond.
Voici une jeune fille de 18 ans dont le cas offre un gros intérêt. Vous voyez, au tiers inférieur de la région antéro-externe de sa jambe gauche, une large plaque brunâtre, dont la surface présente de la desquamation épidermique et dont le pourtour se confond avec la peau saine. Il y a quinze jours, existait dans cette région une plaie suppurante; ce que je vous montre aujourd'hui est la cicatrice qui en résulte. Cette jeune fille a eu, pendant ces quelques derniers mois, au-dessus et au-dessous des genoux, sur les cuisses, sous les seins, sur le tronc, dans le dos, etc.,
(t) Présentation de malade faite à la Clinique des maladies nerveuses à la Salpêtrière.
des plaies de ce genre, non pas absolument symétriques, mais siégeant cependant aux deux côtés du corps. Ce sont, d'abord, de simples rougeurs, ressemblante une brûlure du 1" ou du 2e degré, avec bientôt des vésicules transparentes, limpides, se conglomérant ensuite en bulles volumineuses et donnant du pus après avoir été infectées.
Dans quelles conditions sont survenues ces plaies et quelle en est la signification ?
Notre jeune fille a 18 ans. Sa mère a eu des attaques hystériques et est morte de bacillose. Enfant, elle est impressionnable, mais sans autre particularité pathologique. A 14 ans, à l'occasion de ses premières règles, elle esquisse quelques petites crises. Il y a deux ans, son père meurt et aussitôt apparaissent des séries de grandes crises: il y a deux mois, elle en avait huit, dix, et môme jusqu'à quinze par jour ; elle était en état de crises subintrantes et présentait un véritable accès de mal hystérique. Ces crises sont, de temps à autre, entrecoupées par des délires, des gesticulations, des sommeils. En outre, les signes somatiques sont très nets : on constate, en effet, de l'anesthésie aux deux côtés du corps, un double rétrécissement du champ visuel presque complet, un point ovarien, etc. C'est de l'hystérie convulsive à son summum. En outre la malade est anorexique.
Il y a un mois et demi, un beau matin, elle se plaint de douleurs dans le poignet gauche. Puis la peau se dénude et offre l'apparence d'une brûlure; bientôt, il s'en écoule un liquide sanicux et même un peu de pus. On croitque, pendant une crise, elle s'est contusionnée et qu'une infection par un microbe vulgaire s'y est surajoutée. On applique un pansement antiseptique. Mais, loin de se guérir, cette plaie augmente en surface; il en parait même d'autres, successivement sous les seins, au ventre, dans le dos, aux cuisses. Elles ont toutes le même aspect : circulaires ou ovalaires, elles se manifestent d'abord par une rougeur, plus foncée au centre ; puis surviennent des vésicules et des bulles ; celles-ci crèvent: il suinte un liquide jaunâtre; une croûte se forme ou bien la suppuration s'établit. Chose curieuse, du même couples crises convulsives cessent, la sensibilité revient, l'anorexie disparaît.
Hardy a publié jadis des observations tout à fait analogues sous le titre de Pemphigus des jeunes /îf/es ; mais, à son époque, la physiologie des vaso-moteurs étaitàpeine esquissée. Il s'agissait de pemphigus hystérique, comme pour cette malade. Chez celle-ci, en effet, il est avéré que les troubles cutanés sont survenus à cause et à propos de son hystérie.
Je vous ai présenté ici même un certain nombre d'exemples curieux de bulles de pemphigus, de sueurs de sang, de plaies diverses qu n'étaient que des troubles vaso-moteurs de nature hystérique. Lisez, à ce propos, la thèse de mon regretté élève Apt sur les Stigmatisés et vous y verrez toutes les diverses manifestations cutanées de la diathèse vaso-motrice, ainsi que l'appelait Charcot.
Quand, avec le doigt, on raie la surface de la peau, on voit apparaître une coloration blanchâtre, à l'endroit touché, et rouge, sur les parties
latérales : on a troublé le jeu des vaso-moteurs. Chez les individus sains, la double coloration blanche et rouge disparait vite et tout rentre dans l'ordre. Mais, lorsque le système vaso-moteur est malade, la coloration subsiste et l'on voit apparaître le dermographisme, si bien étudié par Barthélémy et quelques autres. Comme l'a démontré Renaut, il existe de la contracture artérielle ; le débit veineux se fait moins bien ; et comme il en résulte de la compression au sommet du bourrelet, la fonte cellulaire se produit sous forme d'exsudat. Le dermographisme est le point de départ d'une série de troubles qui peuvent aller jusqu'à la gangrène. Comme exemple, rappelez-vous la jeune fille que je vous ai présentée ici même, l'an dernier, et qui avait un œdème hystérique de Tavant-bras, limité par une ligne circulaire do gangrène -cutanée.
Pour qu'apparaissent les plaies dont je vous entretenais tout à l'heure, il faut, bien entendu, un système nerveux prédisposé; et. alors, que surviennent un traumatisme, une intoxication, des troubles dyspeptiques, et les troubles vaso-moteurs se développent; que la malade gratte ses vésicules ou ses bulles et la plaie s'infectera.
Notez le balancement qui s'est établi chez cette malade. Dès que le pemphigus s'est installé, tous les phénomènes dc grande hystérie convulsive ont disparu. Maintenant que les plaies sont cicatrisées, il y a, de nouveau, tendance aux crises.
En somme, il s'agit d'une hystérie profonde, grave, tenace. On devra tonifier le système nerveux de cette jeune fille, la préserver de toute émotion, puis, par la rééducation de la volonté et la suggestion, la soumettre à une thérapeutique psychique dont je vous ai, bien des fois, exposé les grandes lignes.
MÉDECINE ET RELIGION
61 : 2
Les miracles du curé d'Ars devant la Science (').
Récemment a eu lieu à Rome, au Vatican, une cérémonie pour la déclaration solennelle des miracles opérés par « l'intercession du Vénérable Vianney. curé d'Ars ». Voici, d'après le décret de la Congrégation des Rites, approuvé par le Pape, quels sont les miracles « vérifiés et approuvés ».
« Le premier dc ces miracles se produisit dans la ville dc Saint-Laurent-le-Maçon, en l'année 1862. Claude-Léon Roussat, enfant dc six ans, atteint d'épilepsie, ayant les nerfs malades et épuisés, les membres paralysés et ayant perdu l'usage de la parole, traînait une vie misérable et en était arrivé au point de ne plus pouvoir retenir sa salive. En vain, on avait employé
(1) De la Galette médicale de Paris.
tous les remèdes ; la violence de la maladie croissait de jour en jour, et les médecins avaient perdu tout espoir de sauver l'infirme.
Alors les parents conduisirent l'enfant au tombeau de Jean-Baptiste Vianney, se proposant d'adresser au vénérable serviteur de Dieu une neu-vaine de prières. Le bras paralysé de l'enfant fut approché du sépulcre, et aussitôt la guérison commença: en effet, de cette môme main, l'enfant donne une aumône à un pauvre qu'il rencontre, puis il enflamme des allumettes ; bientôt 11 court sans difficulté jusqu'à sa demeure; enfin, les neuf jours écoulés, il jouit du plein usage de sa langue,.et il a recouvré son ancienne santé.
« L'autre miracle se produisît en l'année 1862, à Lyon, dans l'asile déjeunes filles de Saint-Jean. Adélaïde Joly, âgée de neuf ans, qui, en tombant, s'était heurtée contre un mur, fut atteinte d'une tumeur blanche au bras gauche. Les médecins, désespérant de la guérison, un lacet des souliers du vénérable Jean-Baptiste Vianney fut appliqué sur le bras de la patiente, pendant une neuvalne de prières. La guérison s'ensuivit sur-le-champ et elle fut tellement complète que bientôt il ne subsista plus aucune trace de la maladie.
« Une enquête fut ouverte au sujet de ces deux miracles; les procès apostoliques furent dressés, leur validité vérifiée et approuvée. La discussion eut lieu d'abord au cours d'une réunion antépréparatoire, tenue dans le palais du Rme cardinal Lucido-Maria Parocchi, d'illustre mémoire, le douzième jour des calendes de l'année 1902, puis dans une séance préparatoire, au palais du Vatican, le treizième jour des calendes de mars do l'année dernière, enfin, dans l'Assemblée pléniére, en présence de Notre Très Saint-Père le pape Pic X, le septième jour des calendes de février de la présente année. Dans cette dernière réunion, le Rme cardinal Fran-cois-Désiré Mathieu, remplaçant comme relateur le défunt cardinal Lucido-Maria Parocchi, proposa ce doute : a SI des miracles sont établis, et lesquels, dans le cas et pour l'effet dont il s'agit. » Le Très-Saint Père recueilli! les suffrages des consulteurs et des cardinaux, sans cependant rien décider, afin d'avoir, en une matière si grave, le temps d'implorer le secours divin.
? Aujourd'hui enfin, en ce premier dimanche de carême, le même Très-Saint Père, ayant célébré le saint sacrifice dans sa chapelle privée, ayant fait son entrée dans cette Illustre salle vatlcane et ayant pris place à son trône, ordonne d'appeler et d'amener devant lui les Rmes cardinaux Séraphin Cretonl, préfet de la Congrégation des Saints-Rites, ou, à sa place et en son nom, Louis Tripepi, pro-préfet de cette même Congrégation des Saints-Rites, et François-Désiré Mathieu, relateur de la cause, en même temps que le R. P. Alexandre Verbe, promoteur de la fol, et mol, secrétaire soussigné. Et, en leur présence. Sa Sainteté a confirmé par un décret solennel :'« Que les deux miracles sont établis : le premier, la guérison instantanée et parfaite de l'enfant Claude-Louis Roussat d'une très grave maladie éptleptiquc; — et le second, la guérison Instantanée et parfaite de la jeune fille Adélaïde Joly, d'une tumeur blanche au bras gauche, »
t Et le Souverain Pontife a ordonné que ce décret fût publié et placé dans les actes de la Congrégation des Saints-Rites le dixième jour des calendes de mars de l'année 1904. n
Que dit la Science pour ces divers faits?
1° Le premier est certainement un cas d'hystérie, quoique l'enfant
soit du sexe mâle ; on a noté, en effet, de Vêpilepsie. Ce miracle est donc parfaitement possible; mais il est aussi très naturel.
2° Le second, qui a trait à une jeune fille, est plus discutable. En effet, le texte dit : Tumeur blanche (c'est-à-dire tuberculose) du bras. C'est là un diagnostic des plus vagues ; et, par suite, il nous sera permis de mettre un petit point d'interrogation devant cette observation clinique, qui nous parait, à nous, peu démonstrative.
Toutefois, il est probable qu'il s'agit d'un simple hématome du brasi qui a guéri spontanément en une huitaine de jours. (Il est, en effet, question d'une neuvaine de prières!). — Ce n'est donc encore là que du naturel ; et les miracles de cette nature... courent les rues.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Société d'hypnologie et de psychologie
La prochaine séance de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 17 mai 1904, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 8, rue Danton, sous la présidence de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpètrière.
Communications inscrites : Dr Bérillon: La suggestibilité des alcooliques. Discussion :Dr Legrain,
Félix Regnault, Jules Voisin. Dr Paul Magnin : L'hypnotisme chez la grenouille, d'après l'étude de
M"e Stéphanowska. Dr Paul Farez : A propos du centenaire de Kant : l'inviolabilité de la
personne humaine. Dr Bonnet, d'Oran : Le mal de mer et la suggestion.
Les séances de la Société ont lieu le troisième mardi de chaque mois à 4 h. et demie. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister. Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 4, rue Castellane, et les cotisations à M. le Dr Paul Fârez, trésorier, 93, rue de Courcelles.
Séance annuelle de la Société d'hypnologie.
La séance annuelle aura lieu le mardi "21 juin à 4 heures, sous la présidence d'honneur de M. le Professeur Beaunis. Elle sera suivie d'un banquet et elle leur adresse son appel le plus confraternel. Dans cette séance, la Société se propose de rendre un hommage solennel à la mémoire du Dr Liébeault. Elle espère qu'à cette occasion les membres de la Société résidant en province où à l'étranger répondront, comme les années précédentes, à son appel confraternel. Nous les invitons dès à présent à adresser les titres de leur communication, à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 4, rue de Castellane.
Souscription ouverte par la Retue de l'Hypnotisme pour élever un monument au Dr Liébeault.
2e Liste
M. le Professeur Beaunis.................... 100 fr.
?me A. H............................. 25
D' H. Leuesle. professeur & l'Ecole de psychologie, directeur
de l'Institut psychothérapique Liébeault, à Loches. 25
La Société de pathologie comparée (M. Grollet, Sec. gén.) . 20
La Revue de pathologie comparée (M. Lépinay, directeur) . 20
Dr Orlitzky, Membre de la Société d'Hypnologie........ 20
D'Bianchi, id. ........ 20
M. Leclaire, avocat, id. ....... 10
Dr Grimoux. de Beaufort (Maine-et-Loire;, Membre de la Société d'Hypnologie.................... 10
Dr Laine. Membre de la Société d'Hypnologie......... 10
Dr Le Menant des Chesnais id. ... ..... 5
Dr Bony, Médecin Major, id. ......... 5
Dr Raffbgbau, du Vésinct id........... 5
Dr Fiessinger, Membre de l'Académie de Médecine, ld. . . . 5
Dr Pottier, Membre de la Société d'hypnologie........ 5
Dr Deuoncht, id. ...... 3
Dr Legrain, id. ...... 2
M. Anastav, Président de la Société d'études psychique de
Marseille.......................... 5
M. de Saint-Reyuond....................... 2
Mme Baillion........................... 2
Mme Chauard..........................¦ 2
Mme Marthe Plet, do Laval................... 1
Mme A. Dombrea..........................1
Mme Bouché............................ 1
Mme Blanc............................. 1
Dr Legend.tr............................ 1
M. Salomon............................ 0 50
M. Bouclet............................ 0 50
Total de la 2' liste........... 307
Total de la 1" liste........... 748 50
1.055 50
Adresse de M. le professeur Liégeois au Conseil municipal
de Nancy
Nancy, le /9 Mars 1904·
Monsieur le Maire, Le Dr Liébeault vient de mourir, après une longue et douloureuse maladie.
La ville de Xancy perd en lui un des hommes qui l'ont le plus honorée, par les grands services rendus à la science et à l'humanité.
Il a ouvert à l'art médical des voies nouvelles, en développant magistralement et en appliquant au traitement d'un grand nombre de maladies, la suggestion hypnotique dans le sommeil provoqué.
Pendant plus de trente ans, il a prodigué ses soins à plus de 8.000 malades presque tous indigents, et il a fait plus de 250-000 hypnotisations.
Sa bonté, son désintéressement, sa charité ont fait de lui un véritable bienfaiteur public.
Son livre capital, le Sommeil et les Etats analogues, paru en 1866, méconnu et raillé par la science officielle, provoqua, vingt ans après, plusieurs travaux publiés également dans notre ville et qui, joints à l'œuvre du maître, ont constitué ce qu'on a appelé l'Ecole de Nancy.
La doctrine ainsi formulée, combattue longtemps par le Dr Charcot et son Ecole, a fini par l'emporter tant en France qu'à l'étranger, et aujourd'hui, l'on traite couramment, même à la Salpêtrière, bon nombre de maladies par la suggestion, dans le sommeil provoqué, selon la méthode de Liébeault.
J'ai l'honneur de vous prier respectueusement, Monsieur le Maire, de vouloir bien proposer au Conseil municipal de décider que la rue Belle-vue, où se trouve la maison habitée pendant quarante ans par notre illustre et regretté concitoyen portera, à l'avenir, le nom de rue Liébeault.
En vous remerciante l'avance, en remerciant le Conseil municipal de ce que vous et lui, voudrez bien faire en cette circonstance, je vous prie, Monsieur le Maire, de recevoir l'assurance de ma haute et respectueuse considération.
Liégeois, Correspondant de l'Institut.
Cours pratique d'Hypnotisme et de Psychothérapie
MM. les Docteurs Bérillon et Paul Farez commenceront, le jeudi 26 mai 1904, un cours d'Hypnotisme et de Psychothérapie.
Ce cours sera privé; il comportera des démonstrations pratiques et sera complet en douze leçons ; il se fera à l'Ecole de Psychologie, 49, rue Saint-André-des-Arts, où les inscriptions sont reçues les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. On peut également s'inscrire par correspondance.
Le droit d'inscription est fixé à 60 francs, Les leçons auront lieu aux dates suivantes :
M. le Dr Bébillon, les 26, 28 et 31 mai, les 2, 4 et 7 juin, à 10 heures et demie du malin. M. le Dr Paul Farez, les mêmes jours à 5 h. de l'après-midi.
18e Année. — ?0 i2.
Juin 1901.
BULLETIN
La Revue de G Hypnotisme et de la Psychologie illustrée. — Le Comité de la souscription pour le monument au Dr Liébeault. — L'explorateur Stanley, professeur de volonté. — La mort du professeur Tarde.
La Revue de l'Hypnotisme et de la Psychologie, dans son prochain numéro, entre dans la dix-neuvième année de son existence. Elle doit son succès au dévouement de ses collaborateurs et à la fidélité de ses lecteurs. Dans le but de resserrer les liens qui nous unissent aux amis de cette Revue, nous avons résolu d'étendre le champ de nos études. Aux recherches que nous ne cesserons de poursuivre dans le domaine de l'hypnotisme et de la psychothérapie, nous ajouterons des investigations sur la psychologie des individus anormaux. En faisant ressortir l'importance que présente l'étude de l'homme anormal au point de vue des investigations psychologiques, nous montrerons le rôle prépondérant que la psychologie est appelée à jouer dans la science sociale.
Pour réaliser ce programme une documentation importante était nécessaire. Dans le cours de ces dernières années nous avons recueilli un nombre considérable de documents que nous nous sommes décidés à publier sous forme d'illustrations documentaires. C'est ainsi que la Revue de l'hypnotisme et de la psychologie va devenir une publication illustrée.
Dans notre prochain numéro nous commencerons la série des études psychologiques illustrées par un travail important sur la Psychologie des femmes à barbe, qui comprend environ 25 gravures.
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• +
Dans notre dernier numéro, nous annoncions la constitution d'un comité de souscription pour élever un monument au Dr Liébeault dès que nous aurions reçu un assez grand nombre d'adhésions. Le comité dès à présent est ainsi corn-
posé : Présidents d'honneur : M. le Dr Raymond, professeur de clinique des maladies nerveuses à la faculté de Paris ; M. le Dr Beaunis, professeur honoraire à la faculté de médecine de Nancy. Président : M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière. Vice-Présidents : M. le Dr Van Renterghem (Hollande), M. le Dr Lloyd Tuckey (Angleterre), M. Podiapolski, vice-président de la Société des naturalistes de Saratow (Russie), M. le Dr Hamilton Osgood (Etats-Unis), M. le Dr Jaguaribe (Brésil). Secrétaire : M. le Dr Bêrillon, professeur à l'Ecole de psychologie. Membres du comité: M. le Dc Huchard, membre de l'Académie de médecine, M. le Dr Albert Robin, membre de l'Académie de médecine, M. le Dr Fiessinger, membre correspondant de l'Académie de médecine, M. le Dr Paul Magnin, professeur à l'Ecole de psychologie, M. le Dr Paul Farez, professeur à l'Ecole de psychologie, M. le Dr Henry Lemesle, professeur à l'Ecole de psychologie, M. le Dr Tripier, ancien président de la Société d'électrothérapie, M. Grollet, secrétaire général de la Société de pathologie comparée, M. Bichon, conseiller général à Oran, M. Achille, vice-président du conseil municipal de Paris, m / le dr Orlitzky, membre de la Société d'hypnologie, à Moscou./etc.
De nouvelles adhésions viendront prochainement étendre la liste du comité de souscription et donner à la manifestation en l'honneur du Dr Liébeault toute la grandeur qu'elle mérite. Nous publions dans ce numéro la troisième liste de souscription pour le monument au Dr Liébeault.
La séance annuelle de la Société, qui aura lieu le 21 juin, à 4 heures, sous la présidence d'honneur du professeur Beaunis, sera consacrée en partie à l'apologie du Dr Liébeault.
Stanley, le grand explorateur anglais, vient de mourir à l'âge de 63 ans. Né à Denligh dans le Pays de Galles, en 1841, il resta orphelin à l'âge de trois ans. A l'âge de 14 ans il s'engagea comme garçon de cabine, en partance pour la Nouvelle-Orléans. Là, la vivacité de son intelligence et son énergie frappèrent un négociant du nom de Stanley qui l'adopta. A la mort de son bienfaiteur, il en prit le nom. Nous n'entreprendrons pas de retracer les péripéties de son existence aventureuse, nous rappellerons simplement que c'est en 1870 que le New-York Herald lui confia la mission de retrouver Livingstone, dont on était sans nouvelles depuis deux ans. On sait comment il
réussit. Revenu en Angleterre, il reçut la grande médaille d'or de la Société Royale de géographie, et ne tarda pas à repartir pour l'Afrique. 11 explora la région du Victoria Nyanza. A son retour, il reçut, à la Sorbonne, la croix de la Légion d'honneur. De 1879 à 1882, il établit au Congo belge des stations commerciales, et, en 1887, il retourna en Afrique pour délivrer malgré lui Emin-pacha, alors gouverneur de l'Equatoria.
Il a pris soin de retracer les péripéties de ses explorations dans divers ouvrages dont les principaux sont : Comment j'ai retrouvé Livingstone, A travers le continent noir, Le Congo et la fondation de l'Etat libre, Dans les ténèbres de l'Afrique, A travers l'Afrique australe.
Après son dernier voyage, il se lixa en Angleterre où il se maria avec la sœur de M. Frédéric Myers, le psychologue bien connu, fondateur de la Society for psychical Research.
C'est au Congrès international de psychologie tenu à Londres en 1892 que nous avons eu l'honneur d'être présenté à sir Stanley. Il nous exposa ses vues sur l'hypnotisme d'après les observations personnelles qu'il avait faites au cours de ses explorations. Il nous raconta en particulier les deux faits suivants:
Un jour, entouré par plusieurs centaines de noirs qui s'avançaient contre lui,animés des intentions les plus belliqueuses, il fit tirer sur eux, à peu de distance, un coup de canon Maxim. Au bruit du canon, qu'ils entendaient pour la première fois, tous tombèrent la face contre la terre. Stanley, s'approchant d'eux, constata qu'il ne s'agissait pas seulement là d'une manifestation de la peur, mais bien d'un état d'inhibition nerveuse, provoqué par un choc physique, car ils restèrent quelque temps comme hébétés, engourdis dans un véritable état de stupeur. L'explorateur nous déclara- que pour lui l'état dans lequel avaient été plongés ces nègres était un véritable état d'hypnotisme, car ils étaient comme cataleptisés, gardant l'attitude dans laquelle on les plaçait. Il en retourna quelques-uns du bout de sa botte, sans les réveiller. Il s'agissait là d'un état d'hypnotisme provoqué par un bruit soudain, par un agent physique.
Dans un autre cas, il se vit seul, entouré par une troupe de noirs menaçants, brandissant des armes et vociférant avec fureur. Jugeant toute défense inutile, il jeta ses armes, croisa les bras et s'avança sur eux en les fixant fortement; à son grand étonnement, il les vit se calmer peu à peu, cesser de crier et
de s'agiter et s'incliner devant lui, comme incapables de supporter la fascination de ses yeux. Pour Stanley, ce fut là une manifestation d'hypnotisme qu'il attribuait à la puissance suggestive du regard, de l'impassibilité et de la volonté. A ce sujet, il nous disait: « Pour hypnotiser autrui, ce qui est le plus nécessaire, c'est la volonté. La volonté impérieuse et puissante domine les hommes, paralyse leurs résistances et dirige leurs actes : c'est dans la volonté que réside la puissance de l'hypnotiseur. Sans l'avoir jamais étudié dans les livres, j'ai toujours conçu et compris l'hypnotisme et quand j'ai exercé une influence sur d'autres hommes, j'ai agi par hypnotisme. » Et il ajoutait : « Il doit être difficile de comprendre l'hypnotisme, quand on n'a pas en soi. à un degré si faible que ce soit, le pouvoir d'hypnotiser. »
A la suite de cet entretien, nous demandâmes à Stanley de vouloir bien inscrire une pensée sur un album que nous lui présentions. L'explorateur prit la plume et écrivit :
Whatsoever thy hand findeth to do. Do it with all the might ().
Nous n'avons jamais oublié les paroles de Stanley. Nous y avons trouvé l'explication de certaines opinions et de certains faits. Elles nous ont aidé à comprendre pourquoi certains hommes dédaignaient l'hypnotisme. Comme Stanley le disait justement, on ne saurait concevoir ni apprécier l'hypnotisme quand on n'est pas doué du pouvoir d'hypnotiser.
Toute la vie de Stanley fut celle du véritable homme d'action. Après avoir, comme explorateur, réalisé des efforts surhumains, il termina sa vie en enseignant, par ses écrits, la puissance de la volonté. Il mérite d'être considéré comme un véritable professeur de volonté.
» *
Nous avons appris avec regret la mort de M. Gabriel Tarde, professeur de philosophie moderne au Collège de France et membre de l'Académie des Sciences morales et politiques. Après avoir été longtemps juge d'instruction à Sarlat, il fut appelé aux fonctions de directeur de la statistique au ministère de la Justice. Ses travaux sur la criminologie, sur la philosophie sociale avaient révélé sa haute valeur. Son livre : Les Lois de l'imitation, dans lequel il a résumé sa doctrine, ont une réputation européenne.
(1) Quel que soit l'acte de ta main, fais-le arec toute la puissance dont tu es capable.
Psychologue dans le meilleur sens du mot, il avait compris la valeur de l'hypnotisme comme moyen d'investigation psychologique. Aussi il était venu spontanément à la Société d'Hypnologie et de Psychologie et s'intéressait vivement à ses travaux.
Collaborateur à la Revue de l'Hypnotisme, il a donné à notre œuvre des preuves multiples de sa bienveillance. C'est ainsi qu'il présida la séance d'inauguration de l'École de Psychologie, heureux d'encourager nos études sur l'hypnotisme qu'il considérait comme un des éléments les plus scientifiques de la psychologie inter-mentale.
M. Tarde sera vivement regretté de tous ceux qui avaient apprécié sa bonté, sa courtoisie et surtout la haute valeur de son esprit.
Problèmes d'esthétique : la jouissance artistique
Par M. le Dr Wijnaendts Fbancken. ,
L'on ne saurait voir dans l'art seulement un besoin d'imitation. Il n'y a pas de doute que ce besoin existe dans la nature humaine; les enfants éprouvent une grande joie quand ils sont parvenus à imiter quelque chose à leur satisfaction, et il n'est point impossible que là se trouve le point de départ du sens artistique dans les premières phases de son développement. Mais ceci ne désigne point ce qui fait le fonds essentiel de l'art. Si dans une œuvre d'art on se proposait uniquement de reproduire, de répéter, ce qui est déjà connu, on se demande en vain quel en est le sens. « Si l'art », dit m. Edouard von Hartmann ('), « n'avait à nous offrir rien de meilleur que ce que la nature présente, toutes les peines qu'on y dépense seraient gaspillées et l'art lui-même serait un amusement parfaitement futile. » Prenons la peinture, faisons-en une reproduction aussi fidèle que possible de la réalité, on aura le droit de se demander : à quoi bon? La réalité resterait préférable à l'art, car la copie, quelque bien réussie qu'elle pût être, ne pourrait toujours que se trouver imparfaite et inférieure à l'original.
Ce qui est vrai, c'est que l'individualité de l'artiste transforme la nature, et là se trouve l'excellence de l'art. Il faut certai-
(1) E. von Habtmasx : Philosophie des Schonen, p. 239.
nement que l'art s'inspire de la nature et lui emprunte ses sujets et ses formes, sans quoi il tombe dans le factice et le conventionnel; car, dit fort bien Albert Durer, « l'art est véritablement renfermé dans la nature; celui qui peut l'en extraire, le possède. » Aussi l'art naturaliste a-t-il sa grande raison d'être, en qualité de réaction contre le baroque, le rococo, et contre les écoles qui, au nom d'un faux idéalisme, prétendent corriger la nature; mais il ne faut pas que ce naturalisme dégénère en copie photographique. Même un Zola veut voir un coin de la nature à travers un tempérament. Non seulement la jouissance que procure une création artistique ne saurait être identifiée avec le plaisir que donne une imitation bien faite, ce qui ne serait absolument pas applicable à la musique et à l'architecture; mais de plus la jouissance du spectateur ne peut pas être ramenée à l'approbation d'une imitation, ce qui reviendrait simplement à la conslatation et à l'admiration de l'habileté technique. S'il on était ainsi, il y aurait un grand nombre d'oeuvres d'art qui ne pourraient pas nous plaire, parce qu'elles traitent des sujets qui, dans la réalité, ne nous plaisent aucunement, au contraire nous semblent laids et repoussants. Si donc la valeur de telles œuvres se trouvait seulement dans leur ressemblance parfaite, il ne resterait qu'à s'écrier avec Pascal : « Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des objets, dont on n'admire pas les originaux ! »
Il est réellement impossible de trouver la valeur des œuvres d'art uniquement dans l'excellence de l'imitation. Zeuxis peint des raisins avec tant de vérité que les oiseaux viennent les picoter; cela prouve la perfection de sa technique, nullement celle de son sens artistique. L'art ne se propose point de faire illusion aux sens; s'il en était ainsi, il faudrait considérer les figures de cire, les animaux empaillés, les panoramas, qui font le plus l'illusion de la réalité, comme représentant l'art par excellence et c'est dans ces choses que l'on devrait trouver les plus hautes jouissances artistiques. Si l'habileté dans l'imitation était l'essentiel dans l'art, comment expliquer que des époques remarquables par le grand développement de l'habileté technique puissent s'être montrées fort stériles quant à la production d'oeuvres durables? Certainement tous les grands artistes ont été en même temps grands techniciens et se sont efforcés de perfectionner la technique; mais s'ils en étaient restés là, s'ils n'avaient visé à rien de plus haut, ils se seraient livrés à
un jeu futile et auraient produit, non des œuvres d'art, mais des œuvres d'adresse. La technique est un moyen; elle ne doit pas être le but de l'art.
C'est pour cela que les artistes ne doivent pas pousser trop loin la recherche de l'exactitude des détails. Un Gerard Dou, dont on raconte qu'il employa trois jours à parfaire un manche à balai, ou un Schelfhout, qui dans ses paysages d'hiver n'a pas négligé le moindre reflet de lumière dans la glace, ne sont pas pour cela les plus grands des peintres. Si l'on apporte le même soin, la même exactitude à chaque détail, quelque infime que soit son importance, on court grand risque que la facture attire l'attention aux dépens de l'impression que l'œuvre dans son ensemble devrait produire. Que l'accessoire reste accessoire et serve uniquement à mieux mettre en lumière l'œuvre elle-même et à mieux la faire apprécier. Véron dit justement : « Le peintre qui a du style voit le grand côté même des plus petites choses, l'imitateur réaliste voit le petit côté même des grandes choses ». L'imitateur réaliste se perd dans les détails, tandis que le style dans l'art consiste justement à savoir supprimer en vue de l'ensemble tout ce qui n'y ajoute rien. Il ne faut pas heurter la réalité, mais on n'en doit pas moins mettre en relief ce qui est substantiel et expressif; il ne s'agit point d'une prétention pédante de corriger la nature, mais bien de la débarrasser de ce qui est accidentel, superflu, de ce qui trouble l'effet d'ensemble, pour faire d'autant mieux ressortir ce qui reste. L'exactitude exagérée, anxieuse, peut faire grand tort à l'impression que doit produire une œuvre d'art, et, bien loin de garantir l'illusion de la réalité, l'éloigner.
Les portraits nous offrent un exemple instructif. Ils sont moins exacts que les photographies, et cependant un bon portrait peint fait mieux connaître les traits du sujet que la meilleure photographie. Nous n'insisterons pas sur le fait que d'ordinaire les circonstances dans lesquelles se prennent les portraits photographiques sont peu propres à faire se manifester l'individualité du sujet; mais en outre il y a ce fait que l'appareil photographique, travaillant passivement et d'une façon inconsciente, a l'immense inconvénient de fixer toutes les particularités fortuites et changeantes, qui n'ont rien à faire avec la vraie ressemblance. En revanche, le peintre sait négliger les détails sans signification et secondaires, pour s'attacher à l'important, c'est-à-dire à ce qui est caractéristique, et ceci, l'essentiel, ce qui fait connaître la personne, est mis en relief.
L'artiste peut, ce que la photographie ne peut pas, trouver l'expression qui concentre les éléments de l'être intime de son modèle; il reproduit ainsi une personne vivante et individuelle ; les admirables portraits d'anciens maîtres tels que Velasquez et le Titien, van Dyck et Hais, nous parlent comme si ceux qu'ils ont représentés se trouvaient en personne devant nous; nous jouissons de ces portraits complètement, quoique nous n'ayons jamais vu les modèles et que leurs personnes nous soient parfaitement indifférentes. Nous ne pouvons pas juger de la ressemblance, puisque nous n'avons pas connu les personnes peintes; et cependant nous ne pouvons pas ne pas nous sentir convaincus qu'elles ont existé telles que la toile nous les fait voir, et que le peintre a parfaitement réussi à nous faire voir ce que lui-même voyait. Si l'art est autre chose que limitation, il n'en doit pas moins donner l'impression de la vérité; mais cette impression ne dépend pas en réalité de ce que la réalité soit minutieusement rendue ; la vérité de l'œuvre ne vient pas de là, mais de ce que l'artiste a su mettre dans sa production l'apparence de la vie et du naturel.
Un portrait, tel que les grands maîtres les peignaient, nous fait connaître le modèle, non point dans une imitation servile, mais tel que le peintre le voyait. Il y a quelque chose de personnel dans chaque œuvre d'art, une manière de voir appartenant à l'artiste. Celui-ci se forme une idée de ce qui est essentiel dans ce qu'il veut rendre, il transforme la réalité en conformité de cette idée et l'idéalise en ce sens ('). Que plusieurs peintres de talent égal peignent une même personne, que tous ces portraits soient ressemblants, ils n'en différeront pas moins les uns des autres, parce que chaque artiste a lu à sa manière la figure de son modèle et a conçu à sa manière ce qui le caractérisait.
Toute œuvre d'art a son cachet, qui vient de la personnalité de l'artiste. La science est objective, l'art subjectif. Si dans une œuvre d'art l'on ne découvre rien de personnel, il manque à cette œuvre quelque chose de ce qu'il faut pour la signaler comme appartenant au grand art (2). L'œuvre d'art est et reste
(1) Cf. Take : Philosophie de l'art, II, p. 258.
(2) II est clair que cette personnalité de l'artiste doit avoir assez de poids pour que ce qui émane dans son œuvre puisse éveiller la sympathie. On peut dire de tous les artistes ce que Schiller disait des poètes : «Alles ivas der Dichterunsgeben kann, ist seine Individualitât; dièse muss also iverth sein, vor Welt und Naclmelt aus-gestellt tu werden (le poète ne peut pas nous donner autre chose que son Individualité ; celle-ci doit donc valoir assez pour mériter d'être placée sous les yeux du monde et de la postérité).
une création subjective et individuelle, et elle emprunte sa beauté à ce que l'artiste a su y mettre. L'art est l'expression du subjectif ; plus l'artiste a de génie plus sa personnalité parlera dans ses œuvres ; en revanche les œuvres des talents médiocres peuvent se ressembler entre elles. Il y a déjà quelque chose de personnel dans le choix des sujets traités, et il peut se trouver que ce sujet ne nous attire pas, et que pourtant l'œuvre d'art nous charme, parce que l'artiste lui-même nous y parle et qu'il a su rendre ce qui l'attirait lui-même et lui paraissait caractéristique. I! peut y avoir là une vérité qui nous plaise, mais cette vérité ne git pas en une imitation réussie de la réalité, mais en ce que l'artiste a justement traduit des conceptions existant déjà chez nous relativement à l'objet représenté. Si l'objet tel que nous le concevons présente pour nous un intérêt qui lui donne de la valeur, la traduction de nos sentiments qui nous est offerte par l'artiste nous charmera et nous donnera l'impression du beau, quoique l'objet en lui-même soit laid au sens ordinaire du mot.
La puissance de l'artiste consiste en ceci qu'il sait reproduire la vue personnelle des choses de telle manière que le spectateur se met à voir comme lui ; son œuvre consiste à communiquer ses propres émotions au spectateur, de sorte que celui-ci soit touché de la même manière dont lui aété touché. Si la science sert à étancher notre soif de connaissance et à satisfaire notre besoin de penser, l'art doit donner une expression à nos sentiments. L'artiste s'en sert pour exprimer ce qu'il ne saurait exprimer autrement, et il espère ainsi faire vibrer chez d'autres les mêmes cordes que dans son âme et leur faire éprouver les émotions qui l'agitent. Guy de Maupassant l'a dit : « Les grands artistes sont ceux qui imposent à l'humanité leur illusion particulière ».
Il est clair que pour cela l'artiste doit posséder une forte dose de sensibilité ; en effet toute œuvre d'art naît d'un effort sérieux de reproduire une impression vive, sans quoi il ne pourra pas s'établir de lien sympathique étroit entre l'œuvre et le spectateur. Sans doute, il faut que le sujet qui a produit l'impression d'où naît l'œuvre, devienne pour l'artiste un objet d'étude, ensuite qu'il dépense pour le rendre, une habileté technique considérable ; mais la condition primordiale est l'existence d'une vive impression esthétique, pour que l'œuvre devienne une œuvre d'art, digne de ce nom. De fortes émotions ne peuvent que troubler le savant dans son travail ; mais
il en est tout autrement de l'artiste, que les mouvements de l'âme portent, inspirent, enflamment ; aussi les plus belles œuvres datent-elles souvent de la jeunesse des artistes, c'est-à-dire de l'époque ou ils étaient le plus impressionnables. Cependant l'artiste, pour rendre ses sentiments sous une forme artistique, doit savoir les objectiver, de sortent qu'ils ne le maîtrisent pas ; il doit conserver sa liberté à leur égard. Même les poètes lyriques ne sauraient chanter sans cette condition ; leurs œuvres ne naissent que lorsqu'ils font revivre dans leur esprit la joie ou la douleur qu'ils ont antérieurement éprouvées, mais non pas au moment même où ces émotions les agitent par le fait des circonstances réelles qui se déroulent. Le génie artistique possède à un degré étonnant la faculté de s'identifier avec l'état d'esprit des autres et avec les circonstances dans lesquelles ils se meuvent ; son imagination a le pouvoir d'évoquer tout ce qui peut s'agiter au fond de l'âme humaine et de l'éprouver imaginativement. Mais justement le fait qu'il ne subit pas dans la réalité le sort des personnages qu'il met sur la scène, permet à l'artiste de dépeindre avec l'objectivité voulue les mouvements de leurs âmes, et de conserver pour lui-même une sérénité indispensable, laquelle serait détruite si son âme était réellement en proie à la lutte des passions. Par exemple, un sentiment trop intense de pitié ferait tort à son œuvre, parce qu'il troublerait sa faculté d'observation esthétique calme, et que la commisération n'a pas à être pour lui un motif d'agir mais doit seulement lui fournir un objet de jouissance esthétique.
'Le don caractéristique du véritable artiste est de pouvoir communiquer à d'autres les émotions qu'il a lui-même éprouvées, de telle sorte que des émotions analogues se réveillent chez eux. L'art rend sensible et intelligible par l'entremise des sens ce qu'il aurait été impossible ou beaucoup plus difficile d'exprimer d'une autre manière. La jouissance esthétique du spectateur le met en contact avec des mouvements intérieurs que lui-même ne serait pas en état d'exprimer, de sorte que, quoique ils lui soient précieux, il ne saurait les communiquer; cette révélation, qui lui rend conscient ce qui se trouvait au fond de son être, lui est une jouissance sans nom. De là le grand succès des poètes parmi leurs contemporains, lorsqu'ils savent prêter une forme à leurs sentiments et à leurs aspirations et donner une voix à ce qui vit en eux ; leurs chants trou-
vent alors un écho dans l'âme de ceux qui les entendent ou qui les lisent.
Il est cependant bien clair que, pour obtenir cet effet, l'artiste ne doit s'efforcer de réveiller que les sentiments que lui-même a éprouvés, non pas les sentiments d'autrui, sans écho dans son âme, dont il ne serait que le truchement, sans y avoir part lui-même. Donc les œuvres d'art de commande, sans racine dans l'âme de l'artiste, sont absurdes et ne sauraient jamais être des chefs-d'œuvre. De là aussi le fait que, si l'initiation cherchée auprès de grands maîtres est précieuse, celui qui se fait l'esclave d'une école, et en réalité ne fait que singer autrui, n'est pas et ne saurait être un véritable artiste ; il lui manque la toute première condition, des vues personnelles sur la vie et sur le monde. Là où l'on s'est mis à reproduire des types fixes selon des règles immuables, l'art se trouvait en décadence. Que les créations du génie flottent devant les yeux de l'élève comme un idéal vers lequel il veut s'efforcer de tendre, mais que ce soit pour susciter en lui-même la force créatrice et pour lui inspirer une laborieuse énergie ; quant au génie même, c'est un don, une inspiration ; on ne l'apprend pas comme les sciences ; celui qui n'a pas de génie ne saurait l'acquérir même au prix des efforts les plus persévérants.
Il est clair ensuite que pour communiquer les sentiments qui vivent en lui, l'artiste doit être de parfaite bonne foi ; de faux sentiments ne peuvent pas produire l'effet désiré. Jamais le spectateur ne doit être induit à se figurer que les émotions .dont l'œuvre d'art est l'expression sont factices, simulées, et que l'artiste ne les a pas éprouvées et n'a pas été entraîné par elles. De même non plus on n'éveillera l'admiration par le moyen d'une originalité cherchée et voulue. Ce n'est point faire preuve de génie que de s'affranchir de toutes les règles et de tous les procédés dont une longue expérience a démontré l'excellence ; tout ce que l'on peut obtenir de cette manière, c'est d'acquérir un genre maniéré, extérieur, superficiel, calculé uniquement en vue de l'effet, soit dans ce qui regarde le choix des sujets, soit dans les procédés d'exécution.
Enfin, observons qu'une véritable œuvre d'art fera l'impression qu'elle est destinée à produire, sans qu'il soit besoin pour cela d'y joindre des explications. Si celles-ci sont nécessaires, c'est une preuve de l'imperfection de l'œuvre. Si l'artiste a vraiment mis dans son œuvre ce qu'il éprouvait lui-même, son émotion se reproduira sans peine dans l'âme de spectateurs
impressionnables, qui éprouveront spontanément et intuitivement le sentiment que l'artiste a voulu provoquer, même s'ils ne sont pas en état de l'exprimer clairement au moyen de mots.
Le degré de la jouissance artistique ne dépend cependant pas seulement de l'excellence de l'artiste, mais en même temps des dispositions psychiques des spectateurs. Toute jouissance artistique suppose une attention désintéressée. Cela réclame une certaine sérénité d'esprit. Il faut que le spectateur puisse tranquillement laisser l'œuvre d'art l'impressionner, sans qu'il y mette du sien, sans raisonnements et sans commencer par se placer à un point de vue de critique. On comprend la plainte d'un certain critique théâtral qui se lamentait de ne plus pouvoir jouir spontanément des pièces qu'il voyait représenter, parce qu'en écoutant il ne pouvait se débarrasser de la préoccupation d'avoir à donner son jugement. Ce n'est pas par la ¦ réflexion que l'on jouit d'une œuvre, mais c'est en y entrant et en s'en pénétrant. Aussi perd-on la capacité du plaisir esthétique dans les moments où l'esprit est trop occupé de quelque autre objet ou que l'on pense trop à soi-même. Ayez devant vos yeux le plus splendide tableau présenté par la nature, mais qu'il y ait danger, que l'angoisse s'empare de vous, vous ne vous apercevrez guères que les éléments menaçants soient beaux ; peu de gens sont capables de sentir la majestueuse beauté d'un orage en mer au milieu duquel le vaisseau qui les porte est ballotté.
Indépendamment de cela, la capacité d'éprouver la jouissance artistique diffère d'un individu à l'autre. Elle sera faible chez ceux dont l'esprit est distrait et qui se meuvent de préférence dans le monde des abstractions et des idées générales, sans grand souci de ce qui est spécial, concret, tangible. Elle sera faible aussi dans la classe beaucoup plus nombreuse des gens de sens rassis et positif, sans beaucoup d'imagination, qui n'ont d'yeux que pour les réalités immédiates, et ne peuvent se laisser entraîner dans un cercle d'idées étranger aux choses qui les intéressent : ceux que l'utile seul préoccupe sont peu impressionnables pour le beau, et l'on ne peut pas s'attendre à ce qu'un paysan, qui ne vit que pour la terre et ce qu'elle produit, ait été impressionné par la beauté du spectacle de la nature.
C'est que l'imagination joue un grand rôle dans la jouissance artistique. Aussi faut-il que les œuvres d'art lui laissent quelque chose à faire ; la psyché du spectateur doit être active ;
il doit avoir sa part dans la naissance de ses émotions, et les poètes, pour les prendre en exemple, feront toujours bien de se souvenir du mot de Voltaire: « Le secret d'être ennuyeux, c'est de tout dire. » Le lecteur a un besoin d'activité propre qu'il faut satisfaire. Si l'on décrit par le menu les situations et les états d'âme, si l'on analyse les sentiments et les sensations des personnages si complètement que le lecteur n'y puisse rien ajouter de son chef et n'ait plus qu'à se laisser passivement conduire comme un enfant aux lisières, le poète fatiguera bien plus qu'il n'éveillera les facultés, et rémotion poétique se perd au milieu des détails. Plus les lecteurs ou les spectateurs ont eux-mêmes un esprit actif, plus leurs préférences se porteront vers les œuvres d'art qui agissent suggestivement sur eux et donnent du travail à leur esprit. Ils trouvent une jouissance d'une espèce spéciale dans des œuvres qui ont quelque chose d'inachevé, parce qu'ils achèvent pour eux-mêmes et ainsi ont le sentiment de collaborer avec l'artiste. C'est ce que l'on oublie trop, jusque dans le choix des jouets que l'on donne aux enfants ; on croit leur faire plaisir surtout avec des jouets incriticables sous le rapport du fini, et l'on ne s'aperçoit qu'on fait le contraire, en leur enlevant leur principale jouissance, leur participation personnelle à leur plaisir. Le naturalisme exagéré des jouets prévient l'exercice de l'imagination. Il ne faut pas non plus abuser des jeux dans un but directement pédagogique; le jeu perdra une grande partie de son attrait et ressemblera au travail, sans on avoir le sérieux et l'utilité.
Il y a dans la jouissance artistique une part d'illusion, fait qui se rapproche beaucoup du rôle qu'y joue le besoin de laisser agir l'imagination. Konrad Lange surtout a insisté sur ce facteur ('). D'après lui, ce n'est pas tant la matière de l'illusion ni la forme qu'elle revêt, mais sa force et sa vivacité qui produit la jouissance artistique. Plus l'illusion est puissante, plus nous sommes saisis; là où elle fait défaut, il n'y a en réalité plus d'art. L'illusion en question est quelque chose de conscient, car la différence entre l'œuvre d'art imitative et la réalité est trop grande pour qu'il soit possible de les confondre véritablement. Si c'était possible ce serait regrettable, puisque par le fait la jouissance artistique serait détruite. Prenons le cas du théâtre, qui
(1) Il distingue l'illusion visuelle, l'illusion du sentiment, et l'illusion du mouvement ou de la force. La première se présenterait surtout vis-à-vis de la peinture, la seconde vis-a-vis de la musique et la troisième serait excitée par la danse et par l'architecture.
prête plus que tout autre art à l'illusion ; pour que la jouissance conserve ici son caractère esthétique, il faut que nous sachions que c'est à des apparences que nous nous abandonnons. Si nous étions véritablement trompés, sans doute nous éprouverions de violentes émotions, mais nous n'aurions plus de plaisir artistique. Que l'on croie que les horreurs d'une tragédie se déroulent devant nos yeux avec tout le sérieux effrayant de la réalité, les sentiments qui nous étreindront seront si affreux que nous serons absolument hors d'état de jouir.
La jouissance esthétique ne peut non plus que disparaître, lorsque une forte illusion nous est donnée, mais qu'en même temps nous concevons clairement que le but de ce que l'on nous expose est de tromper nos sens ; ces inventions ingénieuses qui tendent à confondre l'art et la nature, les figures de cire d'un panopticum, les tours de prestidigitation, le cinématographe, peuvent allumer la curiosité et satisfaire un intérêt intellectuel, mais ne peuvent donner de jouissance esthétique. Cela se fait voir clairement par la désagréable déception que nous éprouvons, si, après avoir réellement été induits en erreur par une ressemblance naturelle frappante, nous nous apercevons ensuite de nous être trompés ; tout ce que nous pouvons encore éprouver, c'est un sentiment d'admiration pour l'habileté déployée; « Si on a commencé, » dit Lange (1), « par être véritablement trompé par une œuvre d'art, il est fort improbable qu'après cela nous puissions en jouir. » Kant déjà a fait la remarque que l'imitation du rossignol, par exemple, perd son charme du moment que l'on s'est aperçu que c'est une imitation. De même les fleurs artificielles, quelque parfaitement imitées qu'elles soient, ne peuvent pas procurer de plaisir esthétique de la manière dont les œuvres d'art le font; en effet de deux choses l'une, ou bien on les prend pour de véritables fleurs et par conséquent pas pour un produit de l'art, ou bien l'on voit que ce ne sont pas de véritables fleurs, et le but de l'imitation est manqué.
L'association joue dans la jouissance artistique un rôle non moins important que l'illusion. En psychologie ce facteur était depuis longtemps connu dans sa haute valeur, mais c'est à Fechner que nous sommes redevables de l'avoir signalé en ce qui concerne l'esthétique. Il est probable que l'on en a si longtemps méconnu le rôle, parce que l'on attribuait à l'im-
II) Weten der Kuttst, I, p. 215.
pression directe produite par la forme ce qui en réalité dérive d'une association de conceptions qui vient se surajouter. Partout dans les opérations de l'esprit l'association des idées exerce son influence; comment donc se ferait-il qu'ici il en fût autrement? Non, la jouissance produite par les beaux arts n'est pas exclusivement le fait d'un plaisir des sens; il s'y joint des émotions et des conceptions qui ne sont pas du domaine des sens, et qui forment un tout avec le plaisir éprouvé par ceux-ci. Nous ne voyons pas seulement avec les yeux du corps, mais en même temps avec ceux de l'esprit. Notre jugement esthétique n'est pas subjectif seulement en ce que les impressions que nous recevons dépendent de notre culture, mais il subit aussi l'influence d'un facteur associatif, puisque mille idées et conceptions existantes en nous s'unissent à la vue et concourent à déterminer le caractère de l'impression. Ainsi la vue d'un banc devant une maison ou sous un arbre nous plaît, parce que nous y ajoutons l'image d'un repos agréable ; celle d'un moulin au bord d'un ruisseau au fond dune solitude, parce qu'elle rappelle le souvenir de l'activité humaine ; celle d'une fenêtre lumineuse dans la nuit sombre, parce qu'elle éveille l'image d'une demeure chaude et hospitalière. Voilà pourquoi une même vue produit sur différentes personnes des impressions très diverses. Un planteur, un missionnaire et un peintre voyageur verront chacun un marché aux esclaves avec de tous autres yeux que les deux autres; chacun, en raison de sa vocation, de ses occupations et de l'idéal de vie qu'il se forme, arrêtera son attention sur de toutes autres parties du tableau d'ensemble que les deux autres, et leurs âmes seront remuées de trois manières différentes (1).
Il y a quelque chose d'analogue dans les jugements esthétiques. Un chirurgien parlera d'une splendide opération ou d'une magnifique tumeur, un avocat, d'un beau procès, un professeur, d'un bel examen. .La mémoire latente d'un long passé se réveille au contact d'impressions faites immédiatement sur les sens et exerce une influence, tantôt consciente, tantôt inconsciente, sur notre jugement esthétique ; plus l'expérience est riche, l'âge avancé, plus ce fait s'accentue; les
(1) Ainsi Ri p?t dit dans sa Psychologie de t'attention (page 12) : « La nature de l'attention spontanée chez une personne révèle son caractère ou tout au moins ses tendances fondamentale*. La portière prête spontanément son attention aux commérages, le peintre à un beau coucher de soleil ou le paysan ne voit que l'approche de la nuit ; le géologue aux pierres qu'il rencontre, ou le profane voit des cailloux. b
enfants et les personnes incultes s'abandonnent beaucoup plus simplement à l'impression faite sur leurs sens, car ils n'ont pas une provision d'idées et de sentiments moraux, sociaux ou religieux à y mêler.
Un exemple remarquable de l'influence exercée sur les jugements esthétiques par les idées associées se trouve dans la manière dont la conception de l'utilité agit quand on a cru constater celte utilité. L'utilité sera nécessairement un élément considérable de l'idée de beauté que conçoit un architecte s'il s'agit d'un bâtiment, un homme de guerre s'agit d'une arme, un cavalier s'il s'agit d'un cheval ; quand on est du métier, on peut mieux que ceux qui n'en sont pas, juger si un objet répond à son but, et c'est ce qui fait que, conduits par ce point de vue technique, ils appellent belles des choses où d'autres ne découvrent rien du tout de beau, sans que cela vienne de ce qu'ils sont dépourvus du sens esthétique.
Ces diverses influences ont pour conséquence que les jugements esthétiques, de même que ceux de l'ordre moral, quoique on les présente volontiers comme objectifs et de valeur absolue, sont extrêmement subjectifs. Le goût de chacun dépend de ses dispositions naturelles, de l'éducation qu'il a reçue et de nombre d'autres circonstances extérieures, et n'est point du tout déterminé en première ligne par une démonstration rationnelle. Par surcroit, les jugements esthétiques subissent l'influence suggestive de personnes à qui l'on attribue de l'autorité en la matière et en qui, à tort ou à raison, on croit posséder des experts devant l'opinion desquels on ne peut que s'incliner. En dernière instance, d'après Fechner, le critère du goût gît dans notre conception de ce qui fait le bonheur et le malheur des hommes, de sorte que les jugements esthétiques et éthiques ont leurs dernières racines dans un même sol eudé-monistique. C'est ce qui fait que nous désapprouvons le goût de ceux qui se plaisent aux choses malsaines ou malfaisantes, à celles qui manquent de vérité et ne sont que de fausses apparences, ou aux idées et aux images immorales, lors même que ces choses puissent causer certain plaisir ou certaine jouissance personnelle; car, dit Fechner: « Le goût le plus pur est celui qui fait ressortir en général ce qui est le meilleur pour l'humanité. Et ce qui vaut le mieux pour l'humanité est ce qui se trouve le plus dans le sens de son bien-être temporel et, autant qu'on peut le supposer, éternel. »
Séance du 19 janvier 1904. — Présidence de M. le D'Jules Voisin.
L'analgésie obstétricale et la narcose éthyl-méthylique
par M. le docteur Paul Farez Professeur à l'Ecole de Psychologie.
Voici un nouveau cas clinique dans lequel j'ai fait intervenir efficacement la suggestion pendant la narcose éthyl-méthylique.
Une femme de 24 ans, primipare, est arrivée au terme de sa grossesse. Elle commence à souffrira 3 heures du matin.A 6 heures, examen local : le col est complètement effacé, l'orifice à peine entr'ouvert. A 3 heures de l'après-midi, l'orifice est dilaté comme cinquante centimes. Un grand bain d'une heure est donné à 5 heures du soir. A 6 heures la dilatation est comme deux francs, à 8 heures comme deux francs, à 10 heures encore comme deux francs. La parturiente, énervée par la souffrance, devient intraitable. Couchée sur le côté, en chien de fusil, elle refuse obstinément de se mettre sur le dos; l'orifice étant mal dirigé, les contractions ne portent pas : elles sont irrégulières, douloureuses et sans profit. Son exaspération devient extrême et elle supplie qu'on lui donne du chloroforme. Je m'y refuse, car la dilatation est encore minime, nous avons affaire à une primipare et nous serions obligés de lui en faire trop absorber, ce qui risquerait de provoquer, au réveil, des vomissements abondants ainsi que de violentes secousses du thorax et de l'abdomen. Mais je n'hésite pas à produire la narcose éthyl-méthylique, puisque celle-ci, complètement inoffensive, ne laisse après elle aucun malaise.
La parturiente respire environ cinq centimètres cubes du mélange anesthésique. Instantanément, toute douleur est jugulée. Au bout d'une minute ou deux, l'hypernarcose va faire place à l'hyponarcose qui précède le retour à la veille complète. Cette hyponarcose, ainsi que je l'ai montré ailleurs i1), constitue un état psychologique extrêmement favorable à la suggestion. En effet, par la seule suggestion faite pendant cet état, j'obtiens que cette femme redevienne calme, qu'elle se maintienne sur le dos et qu'elle ne souffre pas.
Au bout d'une demi-heure, la douleur l'emporte sur la suggestion. Je produis de nouveau l'hypernarcose, puis, à la faveur de l'hyponarcose, la suggestion assure de nouveau l'analgésie, le calme et la docilité. Toutes les demi-heures environ, la douleur reprend le dessus ;
(1) Cf. Paul Farez: La suggestion pendant la narcose produite par quelques dérivés halogènes de l'éthane et du méthane (suggestion éthyl-méthylique). Congrès des aliénistes et neurologîstes de France et des pays de langue française, 13* session, Bruxelles, août 1903. — Cf. aussi Revue de fhypnoiisme, février, juillet, août, septembre 1903 et mars 1S04.
SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE
grâce à une nouvelle narcose, la suggestion assure une nouvelle demi-heure de calme et d'analgésie.
Sous l'influence de cette pratique, les contractions deviennent rapidement très régulières.La dilatation, d'abord comme cinq francs à 10 h.1/2, comme une petite paume de main à 11 h., devient complète à 11 h. 1/2. Toujours sans éprouver de douleur, cette femme pousse de toutes ses forces, longuement, d'une manière soutenue, prolongée, ei, par suite, très utilement. L'expulsion du fœtus a lieu à 1 h. 1/2. La jeune maman n'éprouve ni fatigue, ni nausée ; elle est radieuse, déguste un grog avec grand plaisir et célèbre les louanges du procédé qui l'a empêchée de souffrir.
»
• *
L'analgésie obstétricale a déjà fait l'objet de nombreux travaux. L'hypnotisme, par exemple, a souvent permis de faire dès accouchements sans douleur; mais, d'ordinaire, il s'agissait de femmes déjà hypnotisées un certain nombre de fois au cours de leur grossesse, entraînées, éduquées, puis plongées très facilement dans l'hypnose, au début même du travail. Mais, vouloir hypnotiser d'emblée, pour la première fois et en plein travail, une femme qui, de plus, présente l'état d'exaspération dont j'ai parlé plus haut, c'est courir au-devant d'un échec. Le chloroforme ne peut guère être employé que tout à fait à la fin du travail, ou, par exemple, pour une application de forceps, sans compter qu'en pratique courante le chloroforme, d'un maniement délicat, comporte de multiples inconvénients. La narcose éthyl-méthy-lique, elle, est facile, commode, immédiate, inoffensive. Combinée à la suggestion, elle peut, même avec de faibles doses d'anesthésique, procurer l'analgésie complète pendant toute la durée du travail. Elle remplace, en outre, avec avantage le chloroforme dans une application de forceps. Il y a plus. Tout récemment, j'avais à ouvrir un abcès du sein. Seul, j'ai pu, après avoir préparé mes instruments et désinfecté la région, plonger la malade dans la narcose éthyl-méthylique, m'asepsier de nouveau les mains, inciser la peau, faire sourdre abondamment le pus, introduire une longue mèche, faire le pansement, etc., sans que la malade s'éveillât ou manifestât aucun signe de douleur. Au réveil, elle était dans un parfait état de bien-être au physique et au moral.
Tout individu anesthésié garde une certaine subconscience ; il fait souvent des rêves pénibles ou bien entend les paroles qu'on prononce auprès de lui ; au réveil, il présente parfois un état de malaise, de prostration, de souffrance morale en rapport avec ce qu'il arévé ou entendu. Il convient donc de considérer toujours l'anesthésié, non comme une chose inerte, mais comme une personne qui présente encore une certaine réceptivité sensorielle et qui est restée accessible au plaisir ou à la douleur; on devra donc se surveiller devant elle et ne point parler de son cas inconsidérément.
Cela même ne suffit pas. Pour ma part, qu'il s'agisse d'accouchement
simple, d'application de forceps ou d'intervention de petite chirurgie, je superpose systématiquement à la narcose éthyl-méthylique la suggestion proprement dite. J'écarte ainsi les rêves pénibles, j'en provoque d'agréables, et, surtout, ainsi qu'on devrait le faire par simple humanité dans toute narcose chirurgicale, je prépare avec soin le réveil, exactement comme je le fais pour les personnes que j'ai hypnotisées : je suggère d'éprouver tel ou tel sentiment agréable, de ne ressentir aucune douleur ni aucun malaise, de s'éveiller sur une impression de calme, de repos et de bien-être, ce qui ne manque pas de se réaliser.
Telles sont les très brèves considérations que je me proposais de vous exposer touchant une nouvelle application de cette forme de suggestion que j'ai récemment préconisée et qui m'a déjà donné de nombreux succès.
Traitement hypnotique dans les maladies organiques incurables
(Travail de la clinique des maladies nerveuses et mentales de l'académicien W. A. Becrterew. Ambulance psychothérapeutiquc),
par M. le docteur A. A. Pewnitzky (St-Pétersbourg).
Quel sentiment pénible éprouve le docteur lorsque les parents d'un malade, atteint d'une maladie incurable du système nerveux, lui demandent avec angoisse s'il est vraiment possible que la médecine soit impuissante dans ce cas-là! On prescrit généralement à ces sortes de malades un régime tonique, on leur affirme que la maladie, quoique pénible, .peut être néanmoins combattue par un traitement énergique. Mais cela ne console pas le malade pour longtemps, et bientôt il devine confusément qu'on le trompe. Il lui parait, toutefois, peu admissible qu'il soit condamné irrémédiablement, lorsqu'il éprouve encore tant de vigueur. Il essaie tous les moyens, s'adresse à des charlatants ou des empiriques et, grâce au mirage trompeur de quelque cure miraculeuse, en éprouve parfois un soulagement prolongé.
Les malades qui ont pleinement connaissance de leur état se jettent, à corps perdu, vers ce qui leur parait pouvoir leur procurer un soulagement. Dans ce cas ils sont très crédules et faciles à suggestionner. Cette circonstance comporte une indication directe : la suggestion est le traitement qui leur convient, principalement la suggestion dans l'hypnose. En fait, on a trop rarement recours à ce procédé pour les malades dont je parle ici. Plusieurs exemples empruntés à la clinique de l'académicien Bechtérew (année scolaire 1902-1903) montrent ce qu'on peut obtenir dans cette voie.
I. — Voici un malade, jadis télégraphiste, K. S. Il fut admis à la clinique le 1" octobre 1902. Il souffrait d'un fort amaigrissement des mains, de sorte qu'il lui était impossible de s'en servir. Il avait, de plus, des douleurs dans les bras et dans le dos, une constipation opiniâtre, un abattement complet et des hallucinations visuelles. La maladie
avait commencé quatre ans auparavant. La main gauche avait été prise dans un engrenage; un mois après, elle avait commencé à lui faire mal et à maigrir, les mouvements des doigts devenaient de plus en plus difficiles: la peau se couvrit d'abcès sans douleur ; puis, peu à pe.u, la peau des mains et du thorax devint insensible à la douleur et à la température. Plus tard la maladie s'étendit au bras droit et, un an après, il dut renoncer à son travail du télégraphe. 11 est de taille moyenne et de constitution normale ; le teint du visage et des muqueuses est sans pâleur; la peau de la tête, des extrémités et du corps jusqu'à la ligne des mamelles est doublée d'une grande quantité de graisse. Les deux ¦ poignets portent des traces de brûlure ; quelques phalanges des doigts sont complètement déformées. Dans les muscles atrophiés l'examen électrique montre la réaction de dégénérescence; à signaler encore une scoliose marquée des vertèbres dorsales supérieures. Le sens du toucher est normal sur tout le corps ; l'insensibilité à la température et à la douleur est complète notamment dans la peau de la tête, des bras et du thorax jusqu'à la ligne des mamelles. Les exceptions comprennent seulement la région de la 2° branche de la 5e paire gauche où la sensibilité à la température est seulement affaiblie. Rien de spécial du côté des organes des sens, sauf un nistagmus très prononcé et l'affaiblissement de la sensibilité des muqueuses de l'œil, du nez, de la bouche et du pharynx. La déglutition des aliments froids se fait avec difficulté. Les réflexes rotuliens et achilléens sont très nets ; à noter aussi la trépidation épileptoïde du pied, le réflexe simultané de Babinsky et la démarche spastique assez prononcée. La constipation est opiniâtre, l'émission de l'urine légèrement embarrassée, l'érection affaiblie. Tout cela indique clairement que le malade a de la syringomyelie occupant la partie cervicale de la moelle épinière et s'étendant jusque dans le cerveau. Du côté psychique, on remarque tantôt une irritation, tantôt un abattement complet et de l'apathie ; quand le malade est constipé, il a des hallucinations visuelles : des têtes de femmes et des corps nus passent devant ses yeux. Ces visions paraissent plus fortes à la vue des femmes, de sorte que le malade les évite et refuse de se dévêtir en présence de la masseuse.
Pendant le premier semestre de l'année scolaire ! 902-1903, on traita avec zèle les muscles du malade par l'électricité ; on pratiqua des bains de soude et le massage; on lui administra des purgatifs, de la strychnine, etc. Cependant on ne constatait aucune amélioration. Le malade se décourageait de plus en plus, se désolait de son sort, parlait aigrement de la médecine en présence du docteur et pensait au suicide.
En décembre 1902, je commençai à le traiter par l'hypnotisme. Le malade tomba tout de suite dans un profond sommeil, et je produisis facilement les phénomènes suivants : catalepsie, automatisme, diverses hallucinations pendant le sommeil, suggestions post-hypnotiques, fascination. Je suggère alors au malade que sa maladie s'améliore, qu'il a plus de force dans les bras, qu'il n'a plus de douleur ni aux mains, ni au dos.
Je lui suggère ensuite qu'il dormira d'un sommeil réparateur, et qu'il avalera facilement les aliments froids. Le malade, au bout de trois mois, se sent parfaitement bien ; il est plein des plus belles espérances; et, plus le temps s'écoule, plus il devient suggestible. Sans l'endormir on peut lui suggérer tout ce qu'on veut, lui peindre tout sous des couleurs riantes, produire la vision d'un coq se promenant sur la table, l'arrivée d'un orchestre militaire ; on peut lui défendre de voir ou d'entendre les dames qui assistent à la soirée musicale de la clinique ; même, on est encore parvenu à lui rendre la sensibilité de la peau (douleur et température). Il est vrai qu'il y a quelque différence de finesse dans le tact des parties saines et dans celui des parties malades, mais cette amélioration se soutient et le malade reconnaît parfaitement la piqûre d'une épingle. De même la peau redevient normalement sensible au froid et à la chaleur. Quant aux purgatifs qui agissaient difficilement d'abord, ils produisent un meilleur effet. Enfin, il n'y a plus d'hallucinations.
Si le traitement hypnotique n'était pas intervenu, le malade, ne voyant pas d'amélioration dans sa santé, se serait énervé ; son accablement aurait augmenté : il aurait probablement quitté la clinique et, pour quelque temps du moins, aurait cessé de se traiter. Grâce à l'hypnotisme, il a éprouvé le soulagement que je viens de dire.
Je me suis arrêté à un de ces cas. Il y en a beaucoup de pareils, et la sphère de l'application de l'hypnotisme, dans les maladies incurables est très vaste. Cette application n'est pas quelque chose de nouveau. Sans vouloir faire ici une revue de toute la littérature qu'elle comporte, nous voulons dire seulement que les travaux de Bechterew (1), Bernheim (2), Bérillon (a), Liébeault (4), Farez (3) et beaucoup d'autres (6), fourmillent de cas analogues. Cependant le traitement hypnotique dans
(1) M. le Professeur W. M. Bechterew a le premier démontré que, dans les maladies organiques du système nerveux, on peut parfois complètement restituer quelque fonction perdue, en ne se servant que du traitement hypnotique. Voir son travail : * Maladies nerveuses », Tome I, Kazan, 1894, surtout les chapitres : · Compression de la partie lombaire do la moelle épinière, compliquée de crises de somnambulisme et accompagnée de lésions rhumatismales des articulations, traitée avec succès par l'hypnotisme d et a importance de l'hypnotisme comme agent thérapeutique. »
(2) Bernheim. Hypnotisme, suggestion, etc. Paris, 1S91.
(3) Bérillon. Tremblement à forme parklnsonienne traité avec succès parla suggestion hypnotique. Revue de l'hypnotisme, V. 1900.
(4) Liébeault. Thérapeutique suggestive, Paris, 1891.
(5) Farez. Traitement hypnotique d'un cas de névrose trémulante chez une femme de 76 ans. Revue de l'hypnotisme, 1902. III.
(6} Si l'on parcourt la dernière année de la Revue de l'hypnotisme on trouve encore quelques communications sur ce sujet. Par exemple : Dr Stembo (Vilna). Un cas de paraplégie consécutive à une atrophie musculaire d'origine articulaire, traitée par divers moyens et finalement guérie par la suggestion. La guerison dure depuis à peu près quatre ans. (Revue IX. 1903). — D' David. Névralgie ancienne du nerf radial, guérie par la suggestion hypnotique. [Id. X. 1902). — D' Jules voisin. Hystérie traumatique, guérie par la suggestion hypnotique (lb. I. 1903}. Dans tous ces cas le traitement sans l'hypnotisme était complètement Inefficace.
les maladies organiques incurables est encore une chose trop rare, c'est pourquoi je me permets d'y ajouter encore quelques exemples.
II. — Voilà un autre malade. A. J., âgée de 14 ans, souffrant de la même affection que le malade précédent, mais à un moindre degré : même scoliose dorsale, même atrophie des muscles du poignet, de l'avant-bras, du bras et de l'épaule, insensibilité à ta douleur et à la température siégeant à la peau du cou jusqu'à la ceinture et aux bras. On l'a traitée longtemps de la même façon que l'autre malade. La maladie n'empire, ni ne diminue visiblement, mais la guérison attendue si impatiemment par le malade ne s'effectue pas.
Kécemmcnt, au bain, elle s'est brûlé le bras qu'elle a posé sur un tuyau chaud : une plaie se forme sans provoquer la moindre douleur. La malade est plongée assez rapidement dans l'état d'hypotaxie, mais plusieurs séances sont nécessaires pour qu'on obtienne un sommeil plus profond. Maintenant, au réveil, elle a une amnésie complète. La suggestion hypnotique est exécutée exactement et la malade accepte facilement la suggestion ù l'état de veille. Le traitement continue comme auparavant et Mlle J. constate une amélioration manifeste ; elle n'a plus de douleurs, saisit facilement les objets, écrit mieux et, ce qui est essentiel, recommence à sentir la douleur et les changements de température. Il résulte de tout cela que le triste visage de la petite malade prend une expression de gaité ; elle est pleine d'espoir en l'avenir.
III. — Voici encore une malade de 22 ans qui est depuis trois ans en traitement à la clinique. Elle a une méningomyélite transversale lombaire qui s'est développée d'une manière aiguë à la suite d'une fièvre Un traitement persévérant amena d'heureux résultats : elle sait retenir son urine et ses excréments et peut marcher sur des béquilles ; toutefois cela lui devient impossible, si, dans les couloirs, elle rencontre une personne inconnue; elle s'effraie, chancelle et tomberait inévitablement, si on ne la retenait. Outre cela, ses jambes sont encore faibles et celte faiblesse, qu'elle ressent, lui est insupportable. Elle est souvent triste et pleure en secret. On la soumet à l'hypnotisme : on obtient un sommeil profond, suivi d'amnésie. Le résultat est le suivant: la malade est toujours de bonne humeur, marche facilement sans se préoccuper des personnes qu'elle peut rencontrer; elle ne tombe même pas, si on l'effraie exprès et lui dit qu'elle va tomber. Outre cela elfe ne sent plus celte faiblesse importune dans les jambes.
IV. — Un officier de cosaques, âgé de 36 ans, atteint de tabes, peut également, grâce à l'hypnotisme, descendre sans crainte un escalier et marcher dans sa chambre. La maladie l'a réduit à la plus triste situation ; il est complètement épuisé ; des crises gastriques le tourmentent souvent; les articulations métacarpo-phalangiennes du pouce gauche et les cartilages des cotes sont atteints de lésions tabétiques ; les mouvements des jambes sont tout à fait ataxiques ; il éprouve de fréquents accès de douleurs lancinantes. Le sommeil hypnotique est profond: toutefois
ni ses douleurs ni ses crises gastriques ne cèdent à la suggestion ; l'hypnotisme lui permet cependant de marcher sans difficulté et d'être de fort bonne humeur.
Il est très appréciable d'obtenir ce résultat même s'il n'y a rien à faire ou à espérer de plus.
V. — Voilà un jeune officier de 27 ans. Il a une myélite lombaire d'origine syphilitique. Il ne peut retenir ni son urine, ni ses excréments. Par suite d'un catarrhe de la vessie, l'urine a une odeur très désagréable. Malgré toutes les mesures prises pour guérir ce catarrhe, on ne peut s'en rendre maître et l'atmosphère qui entoure le pauvre jeune homme, éloigne de lui les autres malades. C'est avec difficulté qu'il peut marcher sur des béquilles. Il est malade depuis trois ans déjà et n'est marié que depuis quatre. De temps en temps, il arrive que les bains de vapeur, les frictions, etc., donnent un effet satisfaisant mais passager, après quoi la maladie empire. Cela suffit pour que le malade tombe dans le plus grand abattement et soit de mauvaise humeur; il y a des jours où le malade est insupportable et se querelle avec tout le monde.
Séance d'hypnotisme. Léger sommeil sans amnésie. Catalepsie, automatisme, contracture et paralysie suggérés, amnésie suggérée, suggestion post-hypnotique et fascination, tout réussit, mais pas toujours. En se réveillant, le malade change d'humeur, il remercie le docteur en lui serrant la main, est calme et regarde sa maladie en philosophe, comme si ce n'était pas lui qui fût malade : il est très calme et de bonne humeur. Il suffit d'une séance pour une semaine entière.
Il est vrai qu'on pourrait obtenir un pareil effet sans hypnotisme, par exemple en faisant changer le malade de local, en lui ordonnant un nouveau traitement, en lui promettant une foule de choses, mais tout cela est accompagné de tracas et de dépenses; au contraire pour ce qui est de l'hypnotisme, la chose est fort simple, une séance d'hypnotisme dure tout au plus 20 minutes, et c'est suffisant.
Il y a des cas où l'hypnotisme peut faire bien plus qu'aucune autre méthode de traitement; et, parfois, sans l'hypnotisme, le traitement aurait été de toute impossibilité. ¦
VI, — Voici une jeune fille de 25 ans, demoiselle de comptoir dans un magasin. Elle se plaint d'irritabilité, de faiblesse, de maux de tête fréquents, de manque d'appétit, d'insomnie et de tendance à être constipée. Elle se dit malade depuis cinq mois et tousse plusieurs fois sourdement en parlant au docteur. La malade est de petite taille et de faible constitution. Elle est pâle et un peu amaigrie depuis ces derniers quatre mois. La peau est pâle, fiasque, les yeux cernés, les mains froides et moites. La sensibilité à la piqûre est excessive, par places, surtout du côté gauche à la poitrine. Les réflexes conjonctivaux, cornéens et pharyngiens sont nets. Il n'y a pas de rétrécissement du champ visuel (examiné sans périmètre). Les réflexes tendineux sont forts et proportionnellement égaux. A la percussion, la malade ressent une légère douleur au niveau
des vertèbres dorsales. La langue est chargée, les bruits du cœur sont nets, le pouls est mou et bat à 96. Après les mouvements, il monte facilement jusqu'à 114 et même 120. Au sommet des deux poumons, on remarque des râles crépitants qui subsistent malgré une respiration forte et la toux; la sonorité pulmonaire est plus prononcée à gauche. Evidemment nous avons ici affaire à une hystérie associée à une tuberculose commençante. La malade vit uniquement de 25 roubles qu'elle gagne par mois au magasin. Lui conseiller d'aller se traiter à la campagne, de quitter te service qui est assez fatigant, serait simplement l'effrayer: elle ne saurait où aller et n'en aurait pas les moyens. Elle se plaint surtout de fréquents maux de tête, de manque d'appétit, d'insomnie et de constipation. Lutter contre tous ces symptômes, lorsque la malade est forcée de continuer son travail est chose fort difficile. Nous sommes en présence d'un cercle vicieux. La maladie amène de violentes crises de faiblesse, la perte de l'appétit, des maux de tête, et tout cela, en affaiblissant la malade, aggrave la maladie pulmonaire. Je suis porté à croire que la guérison de cette pauvre fille peut s'effectuer seulement avec l'aide de l'hypnotisme (1). J'endors la malade ; comme c'est une hystérique, elle tombe dans un profond sommeil et devient un fidèle instrument entre les mains du médecin. En outre du traitement hypnotique, elle prend du bromure de sodium et de la teinture de convallaria maialis. Cela la fortifie, règle le cœur et écarte l'irritabilité. On lui donne encore du podophyllin contre la constipation. Je lui suggère qu'elle n'a pas de maux de tète, que l'appétit revient et je vois renaître à mes yeux la malade. Il est vrai que je lui conseille de ne pas trop se fatiguer au magasin, d'épargner ses forces, de travailler seulement pour ne pas être réprimandée, de se bien reposer aux fêtes. Le troisième jour du traitement la malade recommence à manger, dort tranquillement, a l'estomac réglé, ne souffre plus de maux de tête ; l'accablement disparait quoiqu'elle n'ait pas absorbé la moindre dose du traditionnel gaîacol. De toux, il n'en est plus question. Ce pendant la tuberculose pulmonaire continue encore (pendant deux mois).
Je crois que, sans l'hypnotisme, on n'aurait jamais pu obtenir un tel changement dans l'état général de la malade, vu l'obligation où elle se trouve de continuer son travail au magasin.
Il est vrai que cet exemple n'est pas entièrement conforme au titre de ma communication. En tous cas cette personne est sérieusement atteinte et se trouve dans des conditions qui ne peuvent qu'aggraver sa maladie.
VII. — Voici encore un autre cas. C'est une demoiselle de 26 ans. II y a deux ans, à la suite d'un état fébrile, elle tombe malade d'une meningo-encéphalite aiguë, dont la conséquence fut une hémianopsie gauche avec une nette réaction hémiopique pour la couleur blanche et
(1) La suggestibilité excessive des phtisiques est notée par M. Bêrillon. Voir les débats au sujet de la communication de M. F. Regnault « La psychologie du tuber-' * leux pulmonaire, ¦ Revue de l'Hypnotisme, 1, 1903.
les autres. La malade vit exclusivement de son travail à la machine à écrire et cette perte du champ visuel gauche la géne excessivement. A cause de cela la tète lui tourne souvent pendant le travail. Elle chancelle en marchant, trébuche et se cogne aux objets qui sont à gauche. Elle a déjà été traitée dans plusieurs cliniques sans aucun résultat. Outre cette maladie elle présente encore des stigmates d'hystérie, par exemple, une hémî-hyperesthésie gauche. Dans l'hypnotisme, en un profond sommeil, on lui suggère que la perte du champ visuel gauche ne l'empêche pas de travailler et la malade travaille aisément depuis plus de six mois.
Une fois par semaine, les jours de fête, elle se présente à l'ambulance psychothérapeutique que je dirige. C'est avec autant de facilité qu'on écarte les autres symptômes. Dans de pareils cas il n'y a que l'hypnotisme auquel on doive recourir et cela procure, d'un coup, tout ce qui est indispensable à la malade.
Pareils exemples sont très fréquents. II est incontestable que, pour la plupart, tous nos moyens thérapeutiques soulagent les malades simplement parce que ceux-ci y ajoutent foi, c'est-à-dire, sont suggestibles à l'état de veille. Pourquoi donc borner notre traitement à une méthode si imparfaite que la suggestion à l'état de veille? Pourquoi recourir à la suggestion armée, ou à des cures toujours coûteuses et difficiles, telles que nouveaux médecins, pèlerinages, voyages, etc.? Il est bien plus simple de suggérer pendant l'hypnose.
Résultats obtenus pendant les deux premières années de l'Institut psycho-physiologique de Sao-Paulo (Brésil), (1)
par M. le Dr Dominges Jaguaribe.
Ouvert en mai 1901, l'Institut psycho-physiologique de Sao-Paulo établi sur le modèle de celui qui existe à Paris, rue Saint-André-des-Arts, a donné en deux ans 8.247 consultations. Parmi les très nombreuses guérisons qui y ont été obtenues, je citerai les suivantes :
Alcoolisme, 269; chorée, 27; dysménorrhée, 29; névralgie et céphalée, 469; rhumatisme, 26; hystérie, 95; neurasthénie, 30; paralysies diverses, 52; diarrhée chronique, 22; incontinence d'urine, 22; mutisme et paralysie de la langue. 3; surdité, 12; trophœdème des jambes, 2; ulcères chroniques, 5; bégaiement, 7; cécité hystérique, 2. Nos malades sont hypnotisés avec une très grande facilité. Seuls, environ 5 pour 100 le sont difficilement ou après un temps plus ou moins long. Nous reviendrons plus tard sur les services spéciaux que nous a rendus la suggestion dans le traitement des ulcères, des verrues et des hémor-rhagies.
(I) Résumé de la statistique établie par M. le Dr Jaguaribe.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie. TREIZIÈME SÉANCE ANNUELLE Le Mardi 21 Juin 1904, à quatre heures précises
La treizième séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie aura lieu le mardi 21 juin 1904, à quatre heures précises, au Palais des Sociétés Savantes, 8, rue Danton, sous la présidence d'honneur de M. le professeur Beaunis, professeur honoraire à la Faculté de Nancy.
Ordre du jour :
1° Compte rendu de la situation morale et financière de la Société ;
2° Allocution de M. Jules Voisin, président de la Société;
3° Eloge du D' Liébeault, de Nancy, membre d'honneur de la Société,
par M. le Dr Van Renterghem (d'Amsterdam) ; 4° Rapport sur le Prix Liébeault ;
5° Communications et lectures (1) — Présentation de malades; 6° Vote sur l'admission de nouveaux membres; 7° Elections complémentaires du bureau ;
Communications déjà inscrites :
Dr Jules Voisin : Phobie {peur du suicide avec angoisse), guérie par la
suggestion hypnotique. Dr Paul Magnin : L'hypnotisme et la suggestion à l'état de veille. Dr Bêrillon : L'onanisme mental et son traitement psychothérapique. Dr Le Menant des Chesnais : La maladie du demi-sommeil. Dr Bêrillon : La suggestibilité des alcooliques. Dr Legrain : La cure actuelle de l'alcoolisme.
Dr Paul Farez : Alcoolique traité avec succès, contre son gré et à son insu, par suggestion pendant le sommeil naturel.
Dr Wiazemsky (de Saratow) : L'alcoolisme et son traitement par la suggestion hypnotique.
Dr Bianchi : L'ectothérapie cérébrale confirmée par les rayons Charpentier.
Dr Paul Joire (de Lille) : Présentation du sténomètre, appareil permettant d'étudier le fonctionnement de la force nerveuse.
Dr Jaguaribe (de Sao Paulo) : La lutte contre l'alcoolisme au Brésil : applications de la suggestion hypnotique.
Dr Fiessinger : Le cœur et les émotions : L'influence de la colère sur la production des affections du cœur.
(1) Avis très important. — Les auteurs sont invités à adresser, des à présent, les titres de leurs communications à M. le docteur Bérillon, secrétaire général, 4, rue Castellane.
Souscription ouverte par la Revue de l'Hypnotisme pour élever un monument au Dr Liébeault.
3e Liste
M. le Professeur Raymond, professeur de clinique des maladies
nerveuses à la Salpétrière............... 20 fr.
M. le Dr HuChard, membre de l'Académie de Médecine .... 20 Ml le Dr Tripier, ancien président de la Société d"électrothé-
rapie de Paris...................... 20
M. le Dr Hamilton Osgood, membre de la Société d'Hypnologie,
Boston (E. U.) . . ,.................". . 100
M. Podiapolski, vice-président de la Société des Naturalistes
de Saratov*, Russie............"....... 100
M. le Dr Jaguaribe, professeur correspondant à l'Ecole de
psychologie, Sao Paulo (Brésil)............ 50
M. le Dr de Groer, membre de la Société d'Hypnologie, Saint-Pétersbourg........................ 15
M. le Dr Stembo, membre de la Société d'Hypnologie, Vilna . 20 M. le Dr Wijnaendts Francken, M. La Haye. 5 M. le Dr Knory, médecin principal de la 15e division d'infanterie, Odessa....................... 10
M. le Dr Zeliqzon. membre de la Société d'Hypnologie, Cleveland Ohio....................... 5
M. Lucien Royer, à Chaumont................. 1
M. E. Ancelot........................... 1
M. Louichon............................ 1
M. Félicien Bounieux, à Aix-en-Provence........... 1
Total............ 369
Total des listes précédentes........... 1.055 50
1.424 50
Dr de Majewska : Délire hystérique traité avec succès par la suggestion
hypnotique. IV Demonchy : Hypnose et sorcellerie.
Dr Lux : Phobies survenant à l'occasion du service militaire. Dr Binet-Sanglé : Le prophète Samuel.
Dr Stembo (de Vilna) : Un cas de mutisme hystérique grave guéri par la suggestion.
Après la Séance annuelle, le Banquet aura lieu à sept heures, comme les années précédentes, au restaurant du Palais des Sociétés savantes.
N.-B. — Le bureau de la Société adresse à tous nos Collègues et en particulier à ceux de l'étranger et de la province, l'invitation de contribuer par leur présence et par leurs communications à la solennité de la séance annuelle.
Il fau^t lire, dans les journaux d'outre-Manche, les a trucs » nombreux auxquels ont recours les « misses » et les « ladies » pour satisfaire leur peu noble passion.
Écoutez cette anecdote édifiante racontée par un docteur d'Oxford :
« Une de mes clientes avait perdu, à la suite d'un accident, l'index de la main droite ; pour cacher cette mutilation disgracieuse, elle se lit faire un doigt artificiel, tout ce qu'on put trouver de mieux, le · dernier cri » du genre. Une large bague dissimulait le point d'union du doigt avec le moignon, et il fallait vraiment être averti d'avance pour remarquer l'artifice.
« Mais, tout de même, ce que no devinaient pas les personnes qui étaient au courant de la supercherie, c'est ceci : le faux index était creux, et quand elle allait dans le monde, la dame le remplissait d'eau de Cologne. Sous l'ongle, à l'extrémité de la dernière phalange, il y avait une petite soupape, que la succion ouvrait. Et lorsque dans un salon, en plein monde la dame portait son index à sa bouche, d'un air innocent et pensif elle satisfaisait tout simplement sa passion furieuse pour l'eau de Cologne. »
On a raconté l'histoire d'une grande dame anglaise qui, s'étant convertie au catholicisme, portait suspendue à son cou une grande croix d'argent. Quelqu'un qui la voyait fréquemment embrasser la croix fit une enquête et s'aperçut que chaque baiser était une lampée de wisky contenu dans la croix.
NOUVELLES
Hôpital de la Pitié.— M. le D'Babinski, médecin de la Pitié, a repris, le samedi 3 mai, à dix heures, ses leçons cliniques sur les maladies du système nerveux. Il les continuera les samedis suivants à la même heure.
NÉCROLOGIE
M. le Dr Gilles de la Tourette.
Au moment de mettre sous presse, nous apprenons la mort de M. le . Df Gilles de la Tourette. Des articles élogieux de M. Jules Claretie, dans le Temps, de M. Georges Montorgueil dans VEcl&ir, ont rappelé la vie et l'œuvre de notre regretté confrère. Dans notre prochain numéro, nous analyserons les travaux de Gilles de la Tourette qui avait consacré d'importantes études à la question de l'hypnotisme.
Supercheries d'alcooliques
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Aboulie motrice systématisée, par Bérillon, p. 11.
Alcoolisme inconscient (L'), par Pierret, p. 33.
Alcoolisme (Le traitement de l'), par
Pewnitzky, p. 283. Adresse de M. le Professeur Liégeois
au Conseil municipal de Nancy, p. 351. Algies du nez et de la langue sur un
terrain psycbastbénique, par Raymond.
p. 125.
Aliénés convalescents (Les), p. 31.
Allocution du Dr Jules Voisin, p. 77.
Anesthésique (Hypnotisme), p. 127.
Appareil hypnogène (Note sur un nouvel), par Pau de Saint-Martin, p. 220.
Arie de Jong (La mort du Dr), p. 323.
Art (Le rôle sociologique et psychologique de l'), par Wijnaendts Franc-ken, p. 323.
Ascendance de cinq religieuses de Port-Royal, par Ch. Binet-Sanglé, p. 83, 101, 133, 167, 200, 269.
Auto-suggestion religieuse, p. 63.
Banquet du Dr Rivière, p. 188.
Bégaiement mental et de la timidité (Le traitement psychologique du), par Bérillon. p. 172.
Bégaiement et autres maladies fonctionnelles de la parole, par Chervin, p. 185.
Caractères distinctifs des actes psychiques dans la série animale, par Hachet-Souplet, p. 153.
Camphoromanie (La), p. 63.
Charlatanisme et suggestion aux Etats-Unis, p. 190.
Chorée arythmique hystérique par l'immobilisation (Traitement de la), par Huyghe, p. 129.
Cœur et les émotions (Le), par Fiessin-ger, p. 110.
Colère chez l'enfant (La), p. 323.
Conférences pratiques d'hypnologie et de psychothérapie, p. 223, 256.
Congrès des aliénistes et neurologistes (La psychologie et l'hypnotisme au), p. 65.
Conscience et la conscience de soi (La), par Wijnaendts Francken, p. 43.
Contracture hystérique des mâchoires, par Raymond, p. 157.
Cours de psychologie à l'Ecole pratique de la Faculté de médecine, p. 319.
Cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie, p.352.
Course en flexion (Traitement de la neurasthénie par la), par Félix Regnault, p. 332.
Dégénérescence (Relation de la profession religieuse avec les signes de), par Binet-Sanglé, p. 83,
Discours du Dr Bérillon au banquet du Dr Rivière, p. 188.
Discours du Dr Jules Voisin a l'inauguration du dispensaire anti-alcoolique, p. 315.
Dispensaire anti-alcoolique de Paris, p. 254.
Divergences médicales (Les facteurs psychologiques et les), par Lionel Dauriac, p. 12.
Dormeuse de Thenelles (Le cas de la), p.289.
Doute et phobies portant sur la sphère génitale (Idées de), par Edmond Vidal, p. 121.
Ecole de psychologie, p. 159, 221, 225. 256, 287.
Ecole de psychologie (Les cours de P), p. 193.
Ecole de psychologie (L'), par Bérillon, p. 225.
Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie, p. 192, 221.
Epidémie de priéres, p. 63.
Esthétique (Problèmes d'), par Wijnaendts Francken p. 293.
Fascination chez le chat (Pouvoir de), p. 159.
Gilles de la Tourette (Nécrologie), p. 380.
Grenouilles en inanition (La grande hypnose chez les), par Stefanowska, p. 163, 194, 247, 260, 301.
Hématuries d'origine hystero-traumanque, p. 62.
Hémiplégie droite et aphasie d'origine hystérique, par Raymond, p. 94.
Holocauste médical, p. 160.
Hygiène scolaire (Le Congres de l'), p. 161.
Hyperesthésie hystérique guérie par la suggestion hypnotique, par Voisin, p. 210.
Hypnotisme et la suggestion (L'), par
Grasset, p. 3. Hypnotisme chez le cheval, par Lépi-
nay, p. 149. Hypnotisme au théâtre (L'), p. 286. Hypnotisme chez les Japonais (L'), p.
322.
Hystérie dans l'armée (Considérations psychologiques sur P), par Lux, p. 112. Hystériques spasmodiques graves par suggestion à l'état de veille (Guérison de symptômes), par Stadelmann, p. 124.
Hystéro-traumatisme et contracture, par Raymond, p. 316.
Image visuelle et la puissance du souvenir (Rapport entre la puissance de l'). par Edouard Cros, p. 337.
Impotentia coeundi, d'origine mentale guérie par la suggestion éthyl-méthyli-que, par Paul Parez, p. 278.
Impressions ou suggestions paternelles ou maternelles se transmettent-elles aux enfants ? (Les), par Podiapolsky, p. 212.
Incontinence nocturne d'urine guérie par suggestion pendant le sommeil naturel chez une enfant de vingt-six mois, par Paul Farez, p. 146.
Inde (Visions de l'), par Jules Bois, p. 27.
Jong (Arie de), Nécrologie, p. 321. Jouissance artistique (La), par Wij-naendts Franken, p. 357.
Kant, précurseur de la psychothérapie, p. 289.
Liébeault (Le Dr) nécrologie, p. 268. Liébeault (La souscription pour élever
un monument au Dr), ?- 289. Liébeault (Les éloges à la mémoire
du Dr), p. 308. Liébeault (Souscription ouverte par la
Revue de l'Hypnotisme, pour élever un
monument au Dr). P. 318, 321, 351, 379. Liébeault (La rue du Dr), p. 321.
Liébeault (Le Comité de la souscription pour élever un monument au Dr), p. 353.
Miracles du Curé d'Ars devant la science (Les), p. 348.
Monument Charcot à Lamalou (Inauguration du), p. 97.
Mutisme prolongé (Un cas de), par Bérillon, p. 342.
Obsession oculaire traitée avec succès par la suggestion hypnotique, par Bérillon, p. 83.
Obstétricale par la suggestion hypnotique (De l'anesthésie), p. 32.
Obstétricale et la narcose éthyl-méthy-lique (L'analgésie), par Paul Farez, p. 369.
Odeurs et troubles digestifs, p. 128-Opium en Sibérie (Les fumeurs), p. 64. Ouvrages déposés à la Revue, p. 160, 192 , 224 , 320.
Paralysie intermittente par inaction chez un hystérique, par Raymond, p. 25.
Paralysie vésicale d'origine hystérique guérie par un procédé psychothérapique, par Demonchy, p. 343.
Pemphigus hystérique, par Raymond, p. 346.
Pitres (Un hommage au Professeur), p. 289.
Poids du cerveau et l'intelligence (Le), p. 159.
Psychopathologio légale générale, par
Kowalewsky, p. 186. Psychothérapie (Faits noureaux de), par
Bourdon, p. 140. Psychologie et la médecine (La), par
Blanchard, p.2 43.
Rage (Traitement empiriquedela), p.286.
Rire prolongé (Un), p. 287.
Reliques humaines (Les vertus thérapeutiques des), par Marcel Baudouin, p. 179.
Résultats obtenus à Sao-Paulo (Brésil),
par Jaguaribe, p. 377. Revue de l'Hypnotisme et de la Psycho-
gie illustrée, p. 353.
Séance annuelle de la Société d'hypnologie, p. 378.
Somnoformisé (La psychologie du), par Paul Farez, p. 19, 37.
Sommeil naturel (Une application thérapeutique de la suggestion pendant le), par Wiazemsky, p. 210.
Salubrité (Un arrêté de), p. 31.
Secret médical au point de vue psychologique (Le), par Valentino, p. 49.
Sommeil naturel (Incontinence nocturne d'urine guérie par suggestion pendant le), par Paul Parez, p. 146.
Sommeils pathologiques (Les), par Paul Farez, p. 229.
Sommeil de 96 heures par le trional, p. 255.
Société d'hypnologie et de psychologie, p. 1, 10, 29. 36, 77, 126. 158, 187, 209, 221, 253. 254, 276, 285, 319. 346, 350, 378.
Stanley (L'explorateur), p. 353.
Suggestion et bonne aventure, par Martial Vergnolle. p. 170.
Suggestion par le bleu de methylene, p.64.
Suggestion pendant la narcose produite par quelques dérivés halogènes de l'éthane et du méthane (Suggestion éthyl-méthylique), par Paul Farez, p. 67.
Suggestibilité considérée comme une faculté, par Van Velsen, p. 89.
Suicide chez un médecin, p. 96. Suicides (Epidémie de), p. 255. Supercheries d'alcooliques, p. 380. Surmenage des grands concours, p. 30.
Tarde Gabriel (Nécrologie), p. 353.
Thérapeutique suggestive en ophtalmologie, par Leprince, p. 175.
Tics convulsifs, traités avec succès par la suggestion hypnotique (Maladie des), par Bérillon, p. 277.
Traditions populaires relatives à la paroles, par Chervin, p. 54.
Traitement hypnotique dans les maladies organiques incurables, par Pew-nitzky, p. 371.
Vitesse (Essai sur la psychologie de la), par Hachet-Souplet, p. 13.
Wetterstrand (La méthode de), par Li-pinska, p. 74.
FIGURES
Charcot (Médaillon), p. 97.
Une leçon de Charcot (Tableau de
Brouillet), p. 99. M. le Dr Liébeault (de Nancy), p. 258.
La clinique du Dr Liébeault à Nancy, p. 259.
M. le Professeur Pitres (de Bordeaux), p. 291.
TABLE DES AUTEURS ET COLLABORATEURS
Aldricht (Frank), 127. Augagneux. 31.
Baudouin (Marcel), 179. Bechterew, 371. Belugon, 98. Bernard, 62.
Bérillon, 11, 12, 18, 53, 83, 172, 188, 277, 342.
Binet-Sanglé (Ch.), 83, 101. 133, 167, 200, 269.
Blanchard (Prof.), 243. Bois (Jules), 27. Bourdon, de Méru, 140.
Cazaux, 53. Chervin. 54, 185. Coynard (de), 53. Cros (Edouard), 337.
Dnurlac (Lionel), 12. Demonchy, 53, 343.
Farez (Piul), 19, 37, 67, 146, 229, 278, 369. Fiessinger, 110.
Francken (Vijnaendts). 43, 293, 323, 357.
Grasset, 3. Grollet, 18. Guenon, 153.
Hachet-Souplet, 13, 53, 153. Huyghe, 129.
Jaguarlbe (Domlngoi), 377. Joal, 128.
Khovrine, 32. Kowalewsky, 187.
Lancereaux, 290. Legrain, 31.
Lépinay, 149. Leprince, 175. Lipinska (Mélanie), 74. Liégeois, 351. Lux, 18, 112.
Magnin (Paul), 12, 18, 53. Malapert, 323.
Orlitzky, 79.
Pau de Saint-Martin, 220. Pewnitzky, 283, 371. Pierret, 33. Podiapolsky, 212.
Raymond (Prof.), 25, 94, 125, 157, 290,
316, 316. Regnault (Félix), 52, 88, 332. Rybakoff, 79.
Simms (Joseph), 159. Souques, 64. Stadelmann, 124.
Stefanowska, 163, 194, 247, 260, 301.
Trouillot, 99.
Valentino, 49. Van Velsen, 89. Vergnolle. 170.
Voisin (Jules), 12, 19, 53, 78, 210, 315. Vidal, 121.
Wetter strand, p. 74. Wlazemsky, 210.