(1897) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 12
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(1897) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 12

REVUE

DE

L'HYPNOTISME

ET DE LA

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE

DOUZIÈME ANNÉE

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L'HYPNOTISME

et de la

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE 9 1 4 9 8

Paraissant tous les mois

PSYCHOLOGIE — PÉDAGOGIE — MÉDECINE LÉGALE MALADIES MENTALES ET NERVEUSES

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Rédacteur en chef: Docteur Edgar BÉRILLON

PRINCIPAUX COLLABORATEURS

MM. les Docteurs AZAM, prof, àla l'acuité do Bordeaux; R. ARTHUR (de Sydney); AUBRY (de St-Briouc); BARETY (de Nieo); DE BEAUVAIS, méd.de Mazas; BBRNHBIM. prof, à la Faculté de Nancy; J. BOUYER (d'AngouIéme); P. BONNIER; BREMAUD (de Brest); BRIAND, mcd. de l'Asile do Villojuif; CRUISE (de Dublin); CHARCOT, prof, à la Faculté de Paria, mombro do l'Institnt

CUILTOFP, prof, à l'Université do Kharkoff; GUIMBEAU ; W. DEKHTEREFF (de Saint-Pétersbourg); A. FOREL (de Zurich); Eugène DUPUY; DUMONTPALUER, médecin do l'HÔtel-Diou; Van EEDEN (d'Amsterdam); P. PAREZ; GRASSET, professeur à la Faculté do Montpellier; LAGELOUZE; KINGSBURY (de Blackpool), W. IRELAND (d'Edimbourg);P. JOIRE (de Lille); LACASSAGNE, prof, à la Faculté de Lyon ; LADAME (de Genève); L1ÉBEAULT (do Nancy); LEGRAIN, méd. de l'Asile de Vaucluso ; Henry LEMESLE ; LIÉGEOIS, prof, à l'Univ. do Nancy; LLO YD-TUCKE Y (do Londres); O.JENNINGS; LETOURNEAL", prof, â l'Ecolo d'Anthropologie; MASOIN, prof, à l'Univ. de Louvain MANOUVR1EK; MESNET, méd. de l'Hûlel-bhm: MlWi BRAMWELL (do Londres) MABILLB, méd. de l'Asile de Lafond; Paul MAGNIN ; MOLL (de Berlin); Max NORDAU MOR8ELLI (de Génos); DE PACKIEW1CZ (de Riga); RAFFEGEAU (duVésinet; Félix REGNAULT;Von SCHRENK-NOTZING (de Munich); SPERL1NG de Berlin; EEMAL (de Monsi; Aug. VOISIN, médecin de la Salpâtriere, otc; STEMBO (do Vilaa»; 0. WETTICRSTRAND de (Stockholm); MM. A. L ALAN DE, agrégé de l'Univ.; LlHOKOiS, prof, k la Fac. de Droit de Nancy BOIR AC, agrégé de l'Univ.; DELDŒUF, prof, à l'Univ. de Liège; Pierre JANET, agrégé de l'Université; Max DESSOIR (do Berlin); Max NORDAU ; A. DE ROCHAS; Jules SOURY, etc., etc.

le numéro : 75 cent.

Rédaction : Administration :

14, rue Taitbont 170, rue Saint-Antoine

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Rédacteru en chef: Docteur Edgar BÉRILLON

PRINCIPAUX COLLABORATEURS

MM. les Docteurs AZAU, prof, à la Faculté de Bordeaux; R. ARTHUR fde Sydney); AUBRY (de St-Brieuc); BARETY (deNlco); DE BEAUVAIS, méd. de Mazas; BERNHEIM, prof, a la Faculté de Nancy; 3. BOUYER (d'Angouléme); P. BONNIER; BREMAUD (de Brest); BRIAND, méd. de l'Asile de Villejuif; CRUISE (de Dublin); CHARCOT, prof, à la Faculté de Paris, membre de l'Institut

CHILTOFP. prof, à l'Université de KharkolT; COLLINEAU; W.DEKHTEREFP (de Saint-Pétersbourg); A. FORELfde Zurich); Eugene DUPUY; DUHONTPALLIER, médecin de l'Hotcl-Dieu; Van EEDEN (d'Amsterdam); P. FAREZ; GRASSET, professeur k lm Faculté do Montpellier; LAGELOUZB; KINGSBURY (do Blackpool), W. IRELAND (d"Edimbourg);P. JOIRE (deLille); LACASSAGNE, prof, à la Faculté do Lyon ; LADAME (do Genève); LIÉBEAULT(deNancy); LEGRAIN, méd. de l'Asile de Vaucluse; Henry LEMESLE; LIÉGEOIS, prof, à l'Univ. deNaney;LLOYD-TUCKEY;dcLofidros]; 0.JENNINGS; LETOURNEAL-, prof, à l'Ecole d'Anthropologie; MASOIN, prof.à l'Univ. de Louvaic; MANOUVRIER; WESNET, méd. de l'Hotel-DIou : Miiab BRAMWELL (de Londres); MABILLE, méd. del'Asile de Lafond;Paul MAGNIN ; MOLL (de Berlin); Max NORDAU; MORSELLI, professeur â l'Université de Gènes; RAPFEGEAU 'du Vésinet); Félix REGNAULT;Von SCHRENK-NOTZING (de Munich); SPERLING de Berlin; SïïMAL (de Mons); Aug. VOISIN, médecin de la Solpétriôro, etc.; STEMBO (de Vilna); P. VALENTIN; O. WETTERSTRAND de Stockholm); MM. A. LALANDE, agrégé do l'Univ.; LIÉGEOIS, prof, à la Fac. de Droit de Nancy BOIRAC, agrégé de l'Univ.; DELBŒCP, prof, a l'Univ. de Liège; Picrro JANET, agrégé de l'Université; Max DESSOIR (do Berlin); Max NORDAU ; A. DE ROCHAS ; Jules SOURY, etc., etc.

le numéro : 75 cent.

Rédaction : Administration :

14, rue Taitbout f 170, rue Saint-Antoine

REVUE DE L'HYPNOTISME

expérimental thérapeutique 12e année. — n°1. Juillet 1897.

BULLETIN

L'Institut psycho-physiologique de Paris

Au commencement de 1888, M. le Dr Bérillon était autorisé parle Conseil supérieur des Facultés à faire à l'Ecole pratique de la Faculté de médecine, pendant le semestre d'été, un cours libre sur les applications thérapeutiques de l'Hypnotisme. Cette autorisation avait été accordée sur l'avis favorable exprimé par M. le professeur Brouardel, doyen de la Faculté de médecine, au libéralisme duquel nous sommes heureux de rendre hommage.

En exprimant à M. Bérillon sa satisfaction de voir inaugurer à l'Ecole pratique un enseignement qui n'avait pas encore été donné à la Faculté, le doyen lui conseilla de borner son cours à des leçons théoriques et de s'abstenir, dans l'enceinte de l'école, de toute démonstration pratique d'hypnotisme. C'est de ce conseil qu'est né l'Institut Psycho-physiologique.

En effet, après avoir, devant un nombreux auditoire, passé en revue les acquisitions faites dans le domaine de l'hypnotisme, M. Bérillon pensa qu'il ne pourrait faire passer ses convictions dans I'eprit de ses auteurs, s'il ne complétait son enseignement par des démonstrations expérimentale s. C'est alors qu'il créa, en 1888, rue Saint-André-des-Arts, 55, une clinique de psychothérapie, la première fondée à Paris, destinée comme celle du Dr Liébeault, à. Nancy, à l'étude des applications médicales de l'hypnotisme.

Cette création répondait tellement à un besoin, que bientôt on vit affluer à la clinique de la rue Saint-André-des-Arts, non seulement les malades désireux de bénéficier des services de là psychothérapie, mais aussi un nombre considérable de

médecins et d'étudiants, avides de s'initier à une méthode thérapeutique pleine de promesses. En présence du succès de cet enseignement, M. le Dr Bérillon dut transférer ses services de sa clinique au n° 49 de la rue Saint-André-des-Arts, dans l'hôtel qu'elle occupe aujourd'hui.

Insensiblement, le programme primitif s'élargit et, sous le titre d'Institut Psycho-physiologique de Paris, la clinique devient à la fois une véritable école pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie. D'éminents collaborateurs viennent partager la tâche du docteur Bérillon, et en janvier 1892 commence la première série de conférences. Elles étaient faites par MM. les Drs Bérillon, Collineau, Armand B. Paulier, Saint-Hilaire et Oscar Jennings.

Depuis lors, chaque année fut marquée par un progrès sensible. Un corps de professeurs se constitue. Les conférences de MM. Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, P. Valentin, Collineau, Caustier, Armand B. Paulier, Henri Lemesle, Harten-berg, Gaube (du Gers), Maurice Dupont, Paul Farez, attirent un auditoire nombreux. Bien mieux, un cours annexe de l'Institut, professé par M. le Dr Paul Joire, est inauguré à Lille en 1894. Aux professeurs viennent se joindre un groupe de chefs de travaux, de préparateurs et d'assistants zélés.

Les divers services ont été l'objet de perfectionnements successifs. Au dispensaire neurologique et pédagogique qui avait constitué tout d'abord le fondement de l'institution, sont venus se joindre le laboratoire de psychologie, la bibliothèque, le musée. L'outillage expérimental comprend déjà un grand nombre d'appareils, utiles pour les recherches psychologiques et pour l'enseignement de l'anatomie du cerveau.

L'organisation du musée de psychologie a été inspirée à la fois par l'idée qui a présidé à la création du musée psychologique du professeur Mantegazza, à Florence, et à celle du musée de psycbiatric criminologiquc du professeur Lombroso, à Turin.

Ce musée, commencé en 1894, est destiné, en principe, à recueillir tous les documents relatifs a l'histoire du magnétisme, de l'hypnotisme et de la psychologie. Parmi les objets qu'il possède actuellement, nous pouvons citer:

1° Un assez grand nombre de portraits de psychologues (Char-cot, Dumontpallier, Charles Iîichet, Mesnet, Licbeault, Ber-nheim, Wundt, Moll, Krafft-Ebing, Forel, Lloyd-Tuckey, Hack Tukc, Mycrs, Stùmpf, etc.). 2° Un certain nombre de gravures documents relatifs à l'histoire du magnétisme et du mesmé-

risme).3° Des médailles, médaillons, bustes, instruments divers, dessins, etc., etc. Une place importante est réservée à la psychologie expérimentale et aux initiatives qui se sont manifestées dans la création d'appareils enregistreurs et autres.

Les libéralités et les dons de M. Luys, ont constitué le point de départ de l'organisation du musée. Parmi les récentes acquisitions, nous devons citer le grand cerveau construit par Buchi (de Berne), la collection des pièces en pâte molle construites par le D' A. Paulier pour l'étude de Tanatomie du cerveau et une collection de 800 documents (dessins, estampes, etc.), ayant trait à l'histoire de la pénalité et de la criminologie.

Les travaux originaux publiés par les professeurs et les élèves sont nombreux. Ils ont paru presque tous dans la Hccue de l'Hypnotisme et de la psychologie physiologique, fondée en 1886 et qui est dirigée par M. le Dr Bérillon. L'Institut Psycho-physiologique a été représenté par ses collaborateurs à un grand nombre de congrès internationaux. D'importantes communications ont été faites par eux au congrès international de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique en 1880, aux congrès de psychologie expérimentale de Londres et de Munich, aux congrès d'anthropologie criminelle do Bruxelles et de Genève, aux congrès des aliénistes et des neurologistes français et au congrès de renseignement supérieur de Lyon, en 1894, etc La plupart des travaux de l'Institut sont présentés â la Société d'hypnologie et de psychologie de Paris qui leur fait toujous l'accueil le plus libéral.

D'ailleurs, dès sa création, l'œuvre nouvelle a pu compter sur le concours des psychologues et des médecins les plus éminents. Parmi les encouragements les plus précieux quelle a reçus, nous sommes heureux de citer au premier rang ceux de MM. Dumontpallier, Charles Ptichet, Mesnet, Luys, Albert Robin, Liébeault, Bernheim, Liégeois, Auguste Voisin, Tarde et Jules Soury. Ces appuis spontanés ont donné à l'institution le crédit moral indispensable à une œuvre de celte nature.. Ils ont également permis de placer l'Institut psycho-physiologique sous les auspices d'un comité de patronage dont la composition suflit à indiquer le but et le programme de l'institution.

Actuellement, l'idée qui a présidé â la création de l'Institut Psycho-physiologique est réalisée. Son organisation en fait une véritable école de psychologie, d'un caractère propre et bien

différent de celui des laboratoires de psychologie expérimentale créés depuis quelques années sur le modèle de celui de Wundt, à Leipsig(1)- Tandis que ces laboratoires sont presque exclusivement consacrés aux recherches de psychologie pure, l'Institut Psycho-physiologique serait plutôt un laboratoire de psychologie appliquée. En effet, une part considérable y est réservée à l'enseignement et à la pratique de l'hypnotisme thérapeutique. Mais en même temps les recherches expérimentales sont poursuivies à l'aide de toutes les ressources que peuvent fournir : 1° l'hypnotisme employé comme méthode d'investigation psychologique ; 2° la clinique des maladies nerveuses et mentales ; 3° la pédagogie clinique; 4° tous les procédés d'analyse et de psychométrie mis en usage dans les laboratoires de psychologie. En un mot, l'Institut Psychophysiologique est organisé de façon à donner aux médecins et aux étudiants en tous ordres, un enseignement pratique permanent sur toutes les questions qui relèvent de l'hypnotisme, de la psychothérapie et de la psychologie appliquée. , Le nombre des médecins et des étudiants qui se sont fait régulièrement incrire pour suivre les travaux de l'Institut psycho-physiologique, s'est élevée en six années à plus de six cents.

Assez fréquemment, des expérimentateurs ont demandé à soumettre leurs expériences à l'examen et au contrôle des professeurs de l'Institut Psycho-physiologique. Ils ont toujours été libéralement accueillis.

L'institut Psycho-physiologique n'astreintses collaborateurs, dans leurs recherches, à aucune discipline dogmatigue.

Chacun poursuit avec indépendance ses recherches personnelles dans la voie particulière qu'il s'est tracée. Les résultats qu'ils ont déjà obtenus démontrent d'une façon éloquente ce que peut faire l'initiative privée mise au service de la libre recherche do la vérité. Désireux de contribuer à la diffusion des résultats positifs acquis dans le domaine de l'hypnotisme et de la psychothérapie, ils s'inspirent de la définition qu'un maitre éminent, M. Lépine, de Lyon, donnait récemment du professeur moderne: « Professeur veut dire chercheur. Faire des découvertes, est la meilleure manière d'enseigner.»

(1) Les principaux laboratoires de psychologie sont, en Europe: ceux de Leipsig, de ÔcetUiiguo, de Bonn, dû Berlin, de Genève, de Paris (à la Sorbonne), de Cambridge; ot en Amérique: de New-York. de Worcester. de Cambridge, de Cbicago, de New-Haven, Princeton, de Providence, de Madison.

l'hypnose fortuite ï

L'HYPNOSE FORTUITE

Par M. le Dr Desplats, professeur à la Faculté libre de Lille

Vous serez peut-être surpris, Messieurs, que j'attache une si grande importance à l'hypnose fortuite, dont il ne vous est jamais parid dans les livres et dont, faute de la connaître, on ne tient pas compte d'ordinaire. C'est que, depuis nombre d'années, j'ai eu l'occasion de l'observer et que, grâce à elle, plusieurs fois j'ai eu l'explication de phénomènes jusque-là inintelligibles.

Il y a 25 ans, c'était en 1872, (l'hypnotisme n'avait pas encore d'existence légale, et ceux qui l'acceptaient devaient le cacher), j'endormais fréquemment une jeune fille, atteinte do tuberculose péritonéale, dont la lucidité m'apprit bien des choses que je n'aurais jamais soupçonnées.

Un jour qu'elle avait eu une crise nerveuse, dont elle n'était pas coutumière, et qui me paraissait tout à fait inexplicable, je lui demandai, pendant son sommeil, de me dire pourquoi elle avait eu cette attaque et elle me répondit: Je m'étais endormie toute seule lorsque mon oncle est entré et m'a touché. Cela a suffi pour me faire tomber. » Et comme je lui demandais si elle tombait souvent ainsi, elle me répondit': « Oui, assez souvent. » Depuis, mon attention a été appelée sur ce phénomène, et plusieurs fois j'ai pu constater que des crises nerveuses s'étaient produites par ce mécanisme. Permettez-moi de vous en citer un exemple:

Il y a quelques années, j'étais appelé, dans un établissement dont je suis le médecin, à voir un jeune domestique de 19 ans, qui se plaignait de maux do tête et d'une grande fatigue. Je lui fis une prescription banale, n'attribuant à ce fait aucune importance. Quelques jours après, à, mon retour d'une petite absence, j'appris que la céphalée s'était accrue, qu'il s'y était ajouté de la photophobie, du ralentissemant du pouls et, à plusieurs reprises, de petites criaos convulsives. Un confrère appelé avait porté le diagnostic de méningite. Je revis le jeune homme, qui présentait le3 mêmes symptômes que la veille, aussi mon diagnostic fut-il le même que celui de mon confrère. Pendant plusieurs jours, je vis lo malade, toujours avec les mêmes accidents, et jamais il n'eut, devant moi, des convulsions. Elles revenaient tous les soirs, à la même heure, et

présentaient des caractères qui me paraissaient singuliers. Un jour, je me rendis à la maison, à l'heure de l'accès, et je trouvai le malade poussant des cris provoqués par la violence de la céphalée.

Plusieurs personnes l'entouraient pour le secourir et le maintenir en cas de besoin ; mais c'est surtout le supérieur de la maison qui s'occupait de lui : constamment il appliquait sur son front des compresses calmantes, en même temps qu'il lui adressait de douces paroles et, sous son action, l'agitation s'apaisait. A un moment donné, pour un motif quelconque, le supérieur s'écartait et un autre assistant renouvelait les compresses et touchait le malade. C'est alors que commençaient les crises convulsives et que tout le monde intervenait pour maintenir le malheureux dont l'agitation ne faisait que croître. J'étais au pied du lit ne disant mot et observant, et dans mon esprit naissait la pensée que je me trouvais en présence d'un cas d'hypnose fortuite, produite par le supérieur avec ses compresses constamment renouvelées et ses douces paroles et que les convulsions étaient dues à l'intervention inopportune des assistants. Pour vérifier mon hypothèse à un moment donné, j'écartai tout le monde, je soulevai la tête du malade et, soufflant sur ses yeux, je lui disai impérieusement : « Réveillez-vous ». Il ouvrait aussitôt ses yeux étonnés et se précipitait vers son supérieur : mais appliquant ma main sur son front je le retenai sur son lit en lui disant : « Dormez ». Il s'endormait aussitôt d'un sommeil très calme. A partir de ce jour il n'eut plus de crises. Sa convalescence fut courte. J'aurai l'occasion de vous en parler plus tard.

II est donc vrai que certains sujets peuvent être hypnotisés, sans qu'on s'en doute, parles manoeuvres et les manipulations des gens qui les entourent ou par les objets mêmes. Cette hypnose, que j'appelle fortuite, est beaucoup plus commune qu'on ne pense, surtout chez les sujets entraînés, et elle peut être l'occasion d'absences, d'actes inconscients, d'accès convul-sifs, etc.

C'est par l'hypnose fortuite que j'explique l'état d'esprit singulier de notre jeune malade, ses pertes de mémoire, son somnanbulisme diurne et ses crises.

L'efficacité du traitement suivi, que je vous exposerai à la prochaine leçon, confirmera la légitimité de mon interprétation.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 17 Mai 1897. — Présidence de M. Dunontpallier.

La séance est ouverte à 4 h. 50.

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.

Le Secrétaire-général fait part à la société de la publication d'articles, publiés pur le R. P. Coconnier, dans la Reuue Thomiste, professeur à l'Université de Fribourg, sur la question de l'hypnotisme envisagée dans ses rapporls avec la religion. Les conclusions de l'auteur sont favorables à la théorie psycho-physiologique de la suggestion : il proclame qu'il n'y a rien là de « prœternaturel » ni de « diabolique ».

M. le Secrétaire général analyse un travail de M. le docteur Milne Bramwel intitulé : Hypnotic Anestésia, qui contient un grand nombre d'observations de grande et de petite chirurgie, pratiquées avec succès pendant le sommeil hypnotique.

M. Bérillon fait ensuite une communication documentée sur le frac des chanteurs, qui constitue une nouvelle contribution à l'étude qu'il a déjà publiée sur les phobies professionnelles d'origine neurasthénique.

A propos de la communication lue par M. Valcntin à la séance précédente, M. Dumontpallier insiste, en apportant de nouvelles preuves à l'appui de sa thèse, sur la nécessité de n'opérer, en cas do troubles abdominaux, que les affections vraiment chirurgicales, celles dont la suggestion ne suffit pas à venir à bout.

La séance est levée à 6 heures.

L'hypnotisme franc n'est pas en soi diabolique

Par le P. Cocotier, professeur a l'Université catholique do Fribourg.

Trois conditions sont requises pour qu'il y ail hypnose, l'une qui regarde le sujet, l'autre l'opérateur ; lu troisième le moyen que celui-ci emploie. Dans le sujet, il faut un état d'âme où l'exercice des facultés de contrôle et de gouvernement personnel soit actuellement très diminué ou même tout à fait suspendu ; avec aptitude, dans les facultés inférieures, à subir, en l'acceptant, une influence et une direction venues du dehors ; il faut, de la part de l'opérateur, une influence et une direction efficaces, exercées sur les facultés du sujet; enfin, le moyen par lequel l'opérateur exerce cotte influence et cette direction, doit être la parole articulée. Si ces trois conditions sont réunies, il y a hypnose ; si l'une d'elles manque, l'hypnose n'existe plus. Voilà pourquoi la télépathie, le magnétisme, le spiritisme, l'occultisme n'appartiennent pas, par définition, à l'hypnotisme franc.

L'hypnose ordinaire, sous sa forme classique, pour ainsi dire, est accompagnée du sommeil avec les caractères extérieurs .que tout le monde connaît au sommeil. Pourtant, il peut y avoir hypnose sans sommeil, au sens ordinaire et selon toute la compréhension du mot. L'on rencontre, en effet, des sujets qui sont suggestibles et ne sont pas endormis. Toutefois, ces sujets, bien qu'ils paraissent éveillés, présentent, sous l'influence de la suggestion, les deux signes principaux que nous avons dit accompagner le sommeil : fonctionnement irrégulier des sens, contrôle insuffisant et direction inefficace de la partie rationnelle. Il se peut donc que leur état, en hypnose, soit un sommeil vrai, quoique incomplet : en tout cas, c'est un état fort semblable au sommeil.

Cela supposé, nous pouvons dire que l'hypnose est un sommeil ou un état analogue au sommeil, dans lequel l'activité psychique d'un sujet est influencé et dirigé du dehors par suggestion verbale.

Au moyen de l'hypnose, renfermée dans ces limites précises, Ton a obtenu les effets les plus divers, allant de l'hallucination simple jusqu'aux exsudations sanguines, jusqu'à l'hémorragio instantanée. Nous avons examiné dans le détail les plus remarquables de ces phénomènes, invoquant tour à tour les principes de la psychologie thomiste et les découvertes de physiologie contemporaine ; le résultat de notre examen a été que plusieurs de ces phénomènes n'offrent, pour un psychologue, aucune difficulté, que le pouvoir scientifiquement constaté de l'imagination les explique presque tous, enfin qu'il n'en est aucun qui soit disproportionné aux énergies connues de l'Ame humaine. Les grands théologiens eux-mêmes sont venus rendre témoignage en faveur de cette interprétation naturelle des faits.

Donc, au nom de la théologie comme de la philosophie, nous concluons que :

L'hypnose, telle que nous l'avons définie, n'est, en soi, ni préternatu-relle, ni diabolique.

En ce qui concerne la question de moralité, nous observons que ce n'est point une perfection due à la nature de l'homme qu'il ait toujours actuellement l'usage do la raison et la maîtrise de soi, ni qu'il ait toujours actuellement conscience de ce qu'il dit et de ce qu'il fait: nous observons encore que ce n'est point à l'homme une perfection due, qu'en toute chose et toujours il se dirige lui-môme d'une direction qui s'étende jusqu'aux détails ; mais, au contraire, que souvent son ignorance et son impuissance lui imposent, en matière de science, d'affaires, de santé, de vie morale, le devoir comme la nécessité d'accepter et de suivre ponctuellement, et sans pouvoir les discuter, les enseignements et les prescriptions d'autrui ; qu'en bien des cas, c'est faire acte de clairvoyance parfaite que d'obéir aveuglement : enfin, que l'homme, parce qu'il se confie, ne se livre pas. Dès lors, nous ne voyons plus pourquoi un homme qui voudrait se faire hypnotiser et un autre qui l'endormirait, poserait un acte immoral, en soi et de soi. L'acte, sans doute, sera immoral si le sujet n'a pas de motif raisonnable de se faire

hypnotiser, s'il s'adresse à un operateur inexpérimenté ou malhonnête, s'il se propose une On mauvaise, s'il ne s'assure pas, par la présence de témoins intelligents et dévoués, que la suggestion ne dépassera pas les limites que son bien réclame ; mais alors l'acte deviendra délictueux pour l'une ou l'autre des causes que je viens d'énumérer, de lui-même, il n'est ni bon, ni mauvais.

Que si l'on veut, à toute forçe, que l'hypnotisation, active ou passive, de soi et en général, soit un acte mauvais au sens philosophique et théologique du mot, nous avons démontré que cette acte, de soi et en général mauvais, peut, comme beaucoup d'autres, devenir légitime par le fait de certaines circonstances « honestari potest ».

Et c'est pourquoi nous concluons que :

L'hypnose n'est pas toujours défendue, mais est permise quelquefois.

Comme conclusion de notre longue élude, que je crois pouvoir appeler consciencieuse et impartiale, je dirais donc aux médecins religieux, aux familles chrétiennes et aux directeurs d'âmes, que ce problème préoccupe si vivement et à si juste titre :

L'hypnotisme franc n'est pas, de soi, diabolique ;

L'hypnotisme franc est permis quelquefois.

Séance du '21 Juin 1807. — Présidence de M. Dumontpalmeir.

La séance est ouverte à 4 h. 40.

Le procès-verbal de la séance précédente est lu par iM Valentin, secrétaire, et adopté.

M. le Dr Bérillon fait une communication sur un cas de phobie professionnelle de nature neurasthénique.

M. le Dr Valentin lit une observation sur un cas d'hypochondrie consécutive à une hystéro-neurasthénie d'origine toxi-infectieusc, guéri en cinq séances de suggestion sans hypnose.

M. le Dr P. Farez communique ses idées personnelles au sujet d'un enfant extraordinaire déjà étudié en Allemagne par M. Stumpf.

La séance est levée à 6 heures.

Phobies professionnelles traitées avec succès par l'hypnose.

Par M. le Dr E. Bérillon, Médecin inspecteur des asiles d'aliénés de la Seine.

Ayant eu l'occasion d'observer un certain nombre de phobies chez des neurasthéniques, j'ai signalé le caractère nettement professionnel qu'elles présentent habituellement. Ce caractère se manifeste toujours au début, et c'est la responsabilité encourue par le malade dans l'exercice de sa profession qui est le point de départ de l'état d'angoisse caractéristique de cette affection.

Les deux observations suivantes présentent ce caractère de la façon la plus manifeste.

La première observation est celle d'un négociant âgé de 44 ans. Ses antécédents héréditaires sont chargés. Son père était irritable, nerveux. Sa mère avait 49 ans lorsqu'elle le mit au monde. Il reste seul d'une famille de 6 enfants.

Sa descendance comporte deux morts. L'un de ses enfants est mort à 2 mois, un autre à 9 mois. 11 a encore un fils de 16 ans et une fille de 19 ans.

Quant à lui, il a eu une jeunesse délicate, entourée de soins minutieux. Elevé sans gaieté, par des parents enclins au pessimisme, il ressentit très vivement le contre-coup de tous les deuils de la famille. 11 fut encore poussé dans la voie de l'hypocondrie par ses deux tantes, portées au pessimisme et toujours hantées par des scrupules excessifs.

Bien portant jusqu'à 21 ans, il se marie à cet âge. très préoccupations familiales viennent se joindre aux autres. Il devient enclin à des accès de jalousie qui surviennent sans motif.

Vers 30 ans, il change de profession. De mégissier, il devient employé principal dans une maison de nouveautés. La vente au détail dont il est chargé, comportait une surveillance incessante. De ce fait lui incombait une certaine responsabilité. II était surtout surchagé de besogne au moment de l'inventaire : il était alors chargé du métrage et de l'estimation des coupons mis en vente.

Depuis 1883, il avait des idées de doute et d'anxiété. Il craignait de ne pas accomplir son travail consciencieusement et recommençait le même métrage deux et trois fois. A force de volonté, il arrivait cependant à terminer les mesures, mais avec une difficulté toujours croissante.

En 1893, il lui devient impossible de mesurer les étoffes. Il oublie à la fin d'une pièce !a longueur qu'il a mesurée; il recommence jusqu'à 25 fois. Son sentiment d'angoisse et d'anxiété est poussé à l'extrême. 11 appelle le concours des autres employés ; mais, malgré leurs affirmations, il doute encore. Lorsqu'il s'agit de mesurer, il n'a plus de notions précises. Il est obligé d'abandonner le métrage.

Arrivé chez lui, il retrouvait un calme relatif en faisant à sa famille le récit de ses souffrances de la journée. Il s'endormait paisiblement, son réveil était excellent et il se croyait guéri jusqu'au moment où il reprenait son mètre : le doute reparaissait aussitôt.

Il consulte tous les médecins de la contrée. Enfin M. Planlier, d'An-nonay, nous l'envoie.

Son éducation psychothérapique étant préparée, il fut très facile à endormir. Il fu:. soumis pat nous à des séances de sommeil provoqué assez prolongées. Pendant quelques jours, nous lui suggérons seulement d'être calme. Puis nous lui faisons mesurer du fil, du ruban en lui assurant qu'ii s'acquitte bien de ce travail et qu'il fera de même pour ses étoffes.

Il part satisfait et peut reprendre son travail. 11 est amélioré à tous les points de vue : c'est ainsi que ses accès de jalousie ont disparu. Un peu avant l'inventaire annuel, il craint une nouvelle attaque et revient passer 15 jours à Paris. Le traitement exerce un effet des plus favorables et lui permet de s'acquitter de ses obligations professionnelles. Il agit de même depuis 3 ans, et, non seulement maintenant la vie lui est devenue supportable, mais il se considère comme guéri.

La deuxième observation nous est fournie par un jeune prêtre qui ne pouvait plus monter en chaire sans être pris d'angoisse et d'anxiété : il balbutiait sans pouvoir articuler une parole. Cet état durait depuis quelques mois, il en fit part à ses supérieurs hiérarchiques. Le traitement par la suggestion hypnotique fut à ce sujet, dans le milieu ecclésiastique, l'objet de nombreuses discussions et controverses. Enfin l'évêque du diocèse, plus libéral, lui conseille de recourir au traitement-

Il sel laissa plonger dans l'état d'hypnotisme avec la plus grande facilité. Pendant qu'il dormait, nous avions recours à l'artifice suivant: nous lui représentions la scène de la prédication telle quelle devait se jouer. Nous lui disions qu'il était sur le point de monter en chaire, et qu'il n'éprouvait aucune émotion. Apres un certain nombre de ces représentations mentales, faites dans l'état d'hypnose, il sentit qu'il éprouvait un changement appréciable dans son état d'émotivité. La guérison s'est maintenue.

Dans ces deux cas, le traitement a été constitué par l'emploi de la suggestion associé à des séances prolongées de sommeil provoqué.

Hypocnondrie consécutive à- une hystéro-nenrasthénie d'origine toxi-infectieuse. Guérison en cinq séances de suggestion sans hypnose.

Par M. le Dr P. Valentin.

L'observation dont je vous apporte le résumé constitue une nouvelle contribution en faveur de la thérapeutique psychique appliquée aux psycho-névroses les plus rebelles, en apparence, à l'influence suggestive.

Il s'agit d'une dame, âgée de trente-huit ans, fille de nerveux et d'alcooliques, devenue éthylique elle-même après son second mariage avec un dipsomane invétéré, surmenée par plusieurs grossesses pathologiques et complètement épuisée enfin par l'invasion successive de maladies infectieuses redoutables : pelvi-péritonite blennorrhagique, variole, influenza.

C'est en 1892, à la suite de celte dernière maladie, que s'aggravèrent tous les symptômes d'une hystérie déjà ancienne, sur laquelle vinrent se greffer des troubles d'ordre neurasthénique bientôt compliqués d'hy-pochondrie. Pendant quatre ans, la malade se refusa énergiquement à consulter un médecin, persuadée que rien ne pouvait remédier à sbo

maux, et il fallut presque employer la force pour l'obliger à me recevoir le jour où sa famille, justement effrayée de son amaigrissement et craignant une tuberculose prochaine, me fit appeler, en août 1896.

A l'examen, je trouvai de la bronchite chronique avec sommets suspects, une dyspepsie atonique avec crises gastralgiques et constipation opiniâtre, une rétroversion utérine avec adhérences et péri-métrite douloureuse, du tremblement éthylique des mains et de la langue, de l'anesthésie totale à droite, de l'byperesthésie du cuir chevelu, une céphalée en casque avec plaque frontale et insomnies fréquentes, alternant avec des cauchemars caractéristiques (rats, chats, animaux férocos, précipices, etc.), tout le tableau en un mot d'une déchéance nerveuse et organique profonde, bien faite pour servir de base à des obsessions hypochondriaques dans un cerveau d'ailleurs prédisposé.

Emotive incroyable, phobies variées, amnésies, aboulies, sensation très pénibles de vide intra-cérébral avec obnubilation permanente de la pensée, dégoût do la vie poussé à ses extrêmes limites : tels étaient les traits les plus saillants de l'état mental de la malade. Mais ce qui dominait tout, c'était la notion, solidement ancrée dans son esprit, d'une absolue et irrémédiable incurabilité. C'est contre cette idée, nourrie avec un soin jaloux pendantquatrean3, que s'étaient inutilement heurté jusque-là tous les efforts de ceux qui, parents ou amis, avaient tenté d'amener la malade à se faire soigner. La suggestion, tout indiquée en pareil cas, pourrait-elle enrayer cette obsession ? J'en étais convaincu; mais il fallait trouver le moyen de l'imposer.

Une tentative d'hypnotisation par le procédé de Liébeault n'obtint aucun succès : la malade ne voulait à aucun prix être endormie. Sans insister, je lui rappelai les merveilleux effets du magnétisme, et, dans la môme séance, opérant dans le silence et une demi-obscurité, je tins pendant près de trois quarts d'heure les mains appliquées sur le front du sujet. Durant tout ce temps, je ne cessai d'affirmer la disparition de la céphalée et de harceler de mes questions la malade, jusqu'à ce qu'elle eût consenti à déclarer qu'elle se trouvait mieux. La partie était désormais gagnée. Persuadée que j'exerçais sur elle une influence occulte irrésistible, la malade revint de son propre chef se soumettre au môme mode de traitement. Mes suggestions furent désormais acceptées et réalisées. Et c'est ainsi que, du 31 août au 16 septembre, en cinq séances prolongées de psychothérapie intensive à l'état de veille, j'obtins la disparition successive des accidents mentaux et des symptômes somatiques les plus gênants.

Je dois ajouter, d'ailleurs, que, dès le début du traitement psychique, j'avais pu faire accepter le régime lacté, des cachets eupeptiques et des pansements vaginaux à la glycérine salolée.

En moins de trois semaines, l'appétit était revenu, les nuits étaient bonnes, le caractère s'était transformé. La malade, moins souffrante du côté du tube digestif et des organes génitaux, tenant sa promesse de ne plus boire ni vin pur ni alcool, engraissait à vue d'œil. Elle revint me

consulter encore, à des intervalles de plus en plus éloignés ; et ainsi, sans que j'eusse besoin de recourir à de nouvelles séances de suggestion méthodique, elle acheva de se rétablir complètement. Je l'ai revue ces jours derniers : elle continue à se porter très bien.

Cette observation s'ajoute à d'autres, non moins probantes, publiées sur des cas semblables par un petit nombre de chercheurs, moins préoccupés du respect de la tradition que de la libre poursuite de la vérité. Elle me confirme une fois de plus dans l'opinion si souvent exprimée à cette tribune, que la psychothérapie bien entendue n'a pas seulement pour domaine les manifestations classiques de l'hystérie, mais qu'elle est encore — et avant tout peut-être — le traitement de choix de tous les troubles dynamiques du système nerveux, quelles qu'en soient les formes cliniques et les complications d'ordre somatique ou d'ordre mental.

Séance annuelle de la Société d'Hypnologie et de Psychologie

tenue à Paris, le 19 Juillet 1897.

Présidence de M. Dumoxtpallier.

La séance est ouverte à 4 h. 10.

Le procès-verbal do la séance précédente est lu par M.Valentin, secrétaire. Il est adopté.

La correspondance manuscrite comprend des lettres d'excuses d'un certain nombre de membres de la Société, qui ne peuvent assister à la séance : MM. les professeurs Ch. Richct, Ebbinghans (do Breslau), Mourly Vold (de Christiania), Linaker (de Florence); MM. les Drs Luys, Ferrand, membre de l'Académie de médecine, Bianchi (de Parme), Marcelin, Cazeux, H. Lemesle, J. Voisin, médecin de la Salpêtrière, Zéligson (de Cleveland, Ohio), de Mouchy (de New-York), Deny (de Bicêtre), Le Menant des Chesnaies ; MM. Achille, Camille Martinet, do Fontenay, Dumestc, etc.

Elle comprend, en outre, une lettre de M. Von Korsakoff, vice-président de la section de neurologie et de psychiâtrie au Congrès do Moscou, invitant la Société à élire des délégués au Congrès. Sont désignés: MM. les Drs Auguste Voisin, Bérillon, Maurice Bloch (de Paris); MM. les P'1 Bernheim (de Nancy) et Grasset (de Montpellier).

La correspondance imprimée comprend, en dehors des journaux habituels, une brochure de m. le Dr Charles Binet (d'Angers), intitulée : La méthode en anthropologie subnormale.

M. Colas, trésorier, présente le compte-rendu de la situation financière de la Société. Ces comptes sont ratifiés à l'unanimité.

Le reste de la séance est occupé par la lecture des communications suivantes :

1. M. Dumontpallier.— De l'action de l'idée en pathologie et de la puissance de l'idée en thérapeutique.

2. M. E. Bérillon. — Interprétation physiologique de l'action curalive

du sommeil provoqué.

3. M. P. Valentin. — Considérations psychologiques sur la nature et

le traitement des phobies. 4. M. Auguste Voisin. — Manie intermittente catanémiale suspendue par la suggestion à l'état de veille.

5. M. P. Hartenberg. — Un cas de neurasthénie psychique guéri par

la dynamogénie suggestive.

6. M. P. Farez. — Névrose trémulante guérie par la suggestion hyp-

notique.

7. MM. Darier et Bérillon. — Strabisme avec diplopie guéri par la

suggestion hypnotique.

8. M. Baraduc. — Radiographie humaine.

9. M. P. Joire (de Lille). — Nouvelles expériences de suggestion

mentale.

10. M. Bourdon (de Méru). — Suggestion à l'état de veille.

11. M. Bernard Leroy. — Extériorisation de la sensibilité.

12. M. Gorodichze. — Dyspnée nerveuse guérie par la méthode édu-

cative.

13. M. H. Aymé (de Nancy). — Tic facial guéri par suggestion.

Les admissions de M. le Dr Bonjour (de Lausanne), de M. le Dr Caza-las (de Bagnères-de-Bigorre), de M. Tarde, chef de statistique au Ministère de la Justice, proposées par le Bureau, sont ratifiées à l'unanimité.

La séance est levée à 7 h. 35.

De l'action de l'idée en pathologie et de la puissance de l'idée en thérapeutique (spécialement dans les prétendues affections utérines et péri-utérines).

Par M. le Dr DuMONTPALIER, membre de l'académie de médecine.

Il est d'obsevation courante que toute personne qui a été antérieure-rement hypnotisée par différents procédés peut l'être de nouveau par la seule injonction de dormir: il suffira de dire à ses sujets : dormez, pour qu'aussitôt ils soient endormis et que pendant ce sommeil ainsi provoqué, on puisse leur faire toutes les suggestions.

De plus, les mêmes sujets peuvent être mis en état d'hypnose à distance, c'est-à-dire que, par une lettre qui leur est adressée, ils peuvent, après l'avoir lue, tomber en hypnose, et se suggestionner à eux-mêmes toutes les suggestions qui leur sont données par lettres.

On peut encore leur recommander de s'endormir tel jour à telle heure, pendant une durée déterminée, et le réveil a lieu, sans aucune crise, au moment qui a été indiqué. Les sujets hypnotisés, quel que soit le degré de l'hypnose, ont pendant leur sommeil une notion vraiment remarquable de la durée du temps.

A l'appui de ces remarques je puis rapporter une observation des plus intéressantes: Une jeune dame mariée depuis sept années, a été soignée par plusieurs médecins accoucheurs de Paris, pour des douleurs qu'elle éprouvait dans le3 régions utérines et annexielles. Cette jeune femme était très malheureuse de n'avoir pas d'enfants, et comme il avait existé, me dit-elle, une endoinétrite, elle avait subi l'opération du curettage; mais il lui était resté des douleurs péri-utérines, surtout du côté droit, et l'on avait pensé que peut-être il existait une ovarite ou une salpingite. La question de la laparotomie avait été agitée. Cette jeune femme continuait à souffrir, surtout au moment de chaque période menstruelle, et était condamnée à garder le lit pendant toute cette période, et même plusieurs jours avant et après la venue de l'écoulement menstruel. Puis étaient survenus des troubles d'estomac, avec dilatation stomacale: le repos après chaque repas avait été jugé nécessaire, si bien que cette jeune femme passait ia moitié do sa vio diurne sur uno chaise longue ou au lit. Elle ne pouvait faire aucun exercice de quelque durée sans éprouver des douleurs abdominales, principalement localisées dans la région iliaque droite. Celte douleur était devenue une véritable obsession, et avant de se déterminer à accepter une nouvelle intervention chirurgicale, cotte jeune femme voulut prendre mon avis. .Elle vint donc à Paris.

Je lui rendis visita le 7 mai 1897 et je ne tardai pas à être convaincu que celte jeune femme était une nerveuse, je ne dis pas une hystérique classique, parce qu'elle ne présentait que de faibles stigmates de celte névrose (anesthésie légère à gauche et ovarie à droite) et que ce qui dominait c'était l'obsession de la douleur, la phobie d'une affection de la matrice ou des ovaires et de la peine extrême de n'avoir pas d'enfants. L'isolement relatif dans lequel elle vivait en province lui était très pénible et ses douleurs et !a crainte continuelle de souffrir l'empêchaient de prendre aucune distraction ; si bien qu'elle était sans cesse hantée par l'idée de la souffrance et par l'idée de n'avoir pas et de ne pouvoir pas avoir d'enfants.

Cette jeune femme était pour moi une nerveuse, et son nervosismo, quelle qu'eut été son origine première, peut-être de grandes émotions et grands chagrins de famille, ce nervosisme, d:s-je, était entretenu par l'idée dominante d'une affeciton utérine et l'habitude de la douleur.

Cela étant, et la malade étant placée dans les conditions les plus favorables pour un examen méthodique et complexs des organes dont el le disait souffrir toujouïs, je constatai que l'utérus avait sa position normale, qu'il était parfaitement mobile, libre de toute adhérence périutérine, qu'il n'existait aucun engorgement périutérin et que les régions ovariennes n'étaient le siège d'aucune tuméfaction appréciable. Le col utérin était normal et il n'existait aucun écoulement. Les règles venaient régulièrement chaque mois, duraient de trois à quatre jours et, n'était la douleur dont sa plaignait la malade à ce moment, on pouvait affirmer

qu'il n'existait aucuns affection utérine ou périutérine motivant une nouvelle intervention chirurgicale.

Après cet examen, j'affirmai à la malade qu'il n'y avait dans la région examinée aucune affection, aucune lésion. J'ajoutai que l'idée de la douleur et l'habitude de cette idée constituaient toute la maladie et que, si elle consentait à accepter le traitement hypnotique, elle guérirait certainement, et qu'elle pourrait avoir des enfants. s Je n'ai jamais été examinée avec autant de soin et je suis bien heureuse de vous entendre affirmer que je ne suis pas malade de ce côté; c'est la première fois que je commence à croire ce que l'on m'avait déjà dit, mais jamais on ne me l'avait affirmé avec la même force et la même conviction. »

On fit venir le mari à Paris pour avoir son consentement à faire usage du traitement hypnotique. Et, ce consentement obtenu, le traitement fut immédiatement commencé.

Dès la première séance, Mme X... s'endormit facilement, après que je lui eus recommandé de fermer les yeux et de penser à ce qu'elle éprouvait lorsqu'elle s'endormait naturellement. J'ajoutai qu'elle sentait déjà un engourdissement envahir tout son corps, qu'elle ne pouvait plus ouvrir les yeux, et que maintenant elle dormait, que toute douleur avait disparu et qu'au réveil elle n'aurait plus de douleur, qu'elle pourrait sortir dans la journée, qu'elle ne serait plus obligée de se mettre sur une chaise longue après ses repas et qu'elle était guérie de tous ses maux : « Dormez, vous allez dormir pendant dix minutes et au réveil vous serez guérie. Vous m'entendez bien ? » « Oui, je vous entends, et je me trouve bien. » « Dormez, dormez, et dans dix minutes vous vous réveillerez. Il est entendu que vous aurez de l'appétit, de bonnes digestions, des garde-robes régulièrement chaque matin. Le jour, vous sortirez et ne souffrirez pas ; le soir, vous vous mettrez au lit à 10 heures et vous vous endormirez avec l'idée que le sommeil réparera bien vos forces, calmera vos nerfs ; et vous ne souffrirez plus, vous êtes guérie. Dormez, dormez, et lorsque les dix minutes du sommeil que je viens de provoquer seront écoulées, vous vous réveillerez. »

Après dix minutes Mme X... se réveillait et déclarait ne plus souffrir : son étonnement, celui de sa mère et de son mari, qui assistaient h la séance, étaient grands. — a Comment cela se fait-il ? je ne souffre plus. » — « Ce comment importe peu, madame, ce qui importe c'est que vous soyez guérie, et vous êtes guérie. » — Et je me retirai en prévenant que je reviendrais le lendemain.

A mon arrivée, le lendemain, Mme X... en présence de son mari et de sa mère, me déclarait qu'elle n'avait pas souffert, qu'elle était sortie â pied et en voiture dans l'après-midi, que sa digestion s'était faite sans qu'elle en eût conscience, que son ventre n'était plus douloureux, pesait encore un peu à droite quand elle y pensait, mais son état n'était plus comparable à ce qu'elle n'avait cessé d'éprouver depuis de longues années et elle avait passé une bonne nuit.

« C'est à n'y rien comprendre, ajoutait-elle. — « Peu importe

madame, vous ne souffrez plus et vous ne souffrirez plus. » — Nouvelle séance devant le mari et la mère de la malade, « Dormez, madame, dormez, vous allez "dormir dix minutes, vous entendez bien, dix minutes, et tout le temps de votre sommeil vous penserez que vous êtes guérie. Vous pourrez presser sur votre ventre sans ressentir de douleur. Dormez, dormez, et la nuit prochaine, les rapports que vous redoutiez si vivement autrefois pourront avoir lieu sans aucune souffrance et sans aucune fatigue consécutive. Dormez, dormez. »

Après dix minutes, la malade se réveillait comme la veille et répétant : « Je crois vraiment que je suis guérie. » Nouvel étonnement de la famille. Tout ce qui avait été suggéré pendant l'hypnose s'était réalisé, et le lendemain j'apprenais que Mme X..., avait été au théâtre dans la journée du dimanche, que la nuit s'était passée à la satisfaction de tout le monde. Il en fut de même le jour et la nuit qui suivirent (14 et 15 mai).

Les mêmes suggestions furent répétées les jours suivants, toujours avec le môme succès, et je prouvais à la malade, par les palpations répétées des régions autrefois douloureuses, qu'il n'y avait plus de douleur, et Mme X... ayant déclaré qu'elle croyait que les palpations, sous forme de massage, lui confirmeraient sa guérison, je répétai le massage chaque jour, persuadé qu'il renforcerait la puissance de la suggestion verbale.

Le mari de Mme X... ayant été obligé de quitter Paris et Mme X..., m'ayant confié que la présence effective de son mari lui avait été, croyait-elle, très favorable, je lui suggérai, devant sa mère, qu'elle pourait pendant le sommeil naturel, rêver que son mari serait à côté d'elle, lorsqu'elle le désirerait.

Avant de continuer le récit de cette observation, je dois faire remarquer, comme je le disais au commencement de cette note, qu'il avait suffi, après la première séance d'hypnotisation, de dire h la malade: Dormez, dormez, pour qu'elle entrât immédiatement on état d'hypnose, sans qu'il fût besoin d'avoir recours à aucun procédé que celui de la suggestion verbale : dormez, dormez. — De plus, ce sommeil provoqué durait chaque fois le temps marqué, et Mme X... se réveillait spontanément et exactement après dix minutes. Elle avait donc pendant le sommeil une notion parfaite de la durée du temps.

Du 13 au 31 mai, je faisais chaque jour visite ù Mme X..., et toutes choses se maintenaient dans un état entièrement satisfaisant: digestions faciles, promenades régulières, bon sommeil ; et, à dater du 1er juin, je ne fis plus de visites que tous les deux jours : même suggestion, même résultat. Mais, le 20 juin, Mme X..., qui avait l'habitude, sur ma recommandation, de se reposer et rie dormir .en état d'hypnose, quelques minutes, sur sa chaise longue et cela dans l'après-midi, fut réveillée subitement par un coup de sonnette un pou violent. Elle fut contrariée de ce réveil subit et, après la visite de la personne amie qui avait été introduite à la suite du coup de sonnette, Mme X... fit sa promenade habituelle ù pied, mais, en revenant, elle se sentait fatiguée, ce qu

n'avait pas eu lieu les jours précédents. En remontant à son appartement, elle se sentit mouillée et, aussitôt, elle crut que, si elle était devenue enceinte après la visite de son mari, qui avait eu lieu le 14 ou le 15 mai, elle allait faire une fausse couche. Je lui conseillai le repos au lit.

Je dis à la mère de la malade qu'il n'y aurait pas de fausse couche et je constatai, le lendemain matin, qu'une garniture de ouate hydrophile n'offrait qu'une petite tache noirâtre ; il n'y avait pas eu d'hémorragies, il n'y avait pas de coliques utérines ni de douleurs de reins, je rassurai Mme X... et sa famille, et je conseillai le repos au lit. Trois jours après cette alerte, il n'était plus question de fausse couche. Le repos au lit, cependant, fut maintenu jusqu'au 30 juin.

Pour être bien fixé sur toute chose, il convient de mentionner que Mme X... avait régulièrement ses époques à la fin de chaque mois, que les dernières régies étaient venues le 30 avril et que j'avais fait ma première visite suggestive le 13 mai, en présence du mari. Ce dernier était resté près de sa femme les 11 et 15 mai. J'avais autorisé les rapports conjugaux: la malade n'avait éprouvé aucune fatigue. Le 30 mai, les règles n'étaient pas venues et ne devaient pas venir les jours suivants, si bien que Mme X... pensait qu'elle pouvait être enceinte, puisqu'elle n'avait jamais eu de suppression de règles, si ce n'était quelques retards antérieurs très rares, de six à dix jours, depuis sept années de mariage.

Je lui dis qu'il était possible qu'elle fût enceinte, mais j'eus grand soin, dans mes suggestions, pendant l'hypnose, de lui dire que, si elle était enceinte, l'avenir nous le dirait, et je me gardai bien de lui suggérer que ses règles pouvaient revenir à l'époque habituelle.

Ma suggestion sur ce point était donc passive, je ne voulais, en aucune façon, agir sur sa fonction utérine. La malade était ou n'était pas enceinte. L'avenir seul devait parier.

Nous étions arrivés au 30 juin. Depuis quelques jours, les seins étaient plus tendus que d'habitude, l'aréole mammaire offrait des saillies papil-laires très accusées, le mamelon était saillant et il semblait à la malade qu'elle éprouvait un travail, une congestion dans les organes du petit bassin. Mme X... est brune de peau, ses cheveux et ses yeux sont noirs. Son mari, qui était reveuu à Paris dans le courant du moi de juillet, me faisait remarquer qu'il existait une raie noire sur le trajet de la ligne blanche de l'abdomen, depuis le pubis jusqu'à l'ombilic. De plus, je constatai que la peau des deux régions ovariennes, qui avait été antérieurement criblées do pointes de feu, était le siège de dépôts pigmentaires. Déjà des veines bleuâtres se dessinaient sur la peau des seins, et certainement il se faisait, du côté des glandes mammaires, un travail sympathique de la fonction utérine.

Cela étant, en présence du mari, le 14 juillet, je me décidai à pratiquer le toucher vagino-utérin et je constatai que l'utérus n'avait plus la mobilité que javais constatée lors do mes premières visites, l'utérus avait en apparence la grosseur d'un œuf de dinde. S'il y avait grossesse,

celle-ci datait de deux mois, c'est-à-dire du 14 ou du 15 mai dernier.

J'ai revu Mme X... le 18 juillet, et toutes choses restent dans l'état susmentionné : très bon état général, signes rationnels et objectifs d'une grossesse très probable datant de deux mois.

Quelle a été la part du traitement suggestif à cette observation? Mme X.., depuis sept ans, souffrait du ventre ; elle avait subi l'opération du curettage six mois après son mariage ; depuis, elle n'avait cessé de souffrir dans les régions ovariennes, et, bien que la menstruation fût restée régulière, il avait été question, l'année dernière, de pratiquer une laparotomie dans le but de constater l'état des ovaires et des trompes utérines. Un des chirurgiens consultants avait cependant conseillé d'attendre et avait prescrit l'usage des pointes de feu sur les régions ovariennes. La jeune femme pratiquait elle-même cette petite opération chaque fois qu'elle souffrait et plusieurs fois par mois depuis une année. Cependant la marche était restée pénible ; après chaque repas la malade devait rester étendue sur une chaise longue pendant une ou deux heures. Les rapports conjugaux étaient douloureux, et rappelaient les douleurs ovariennes, à ce point qu'après chaque rapport, Mme X... devait rester deux ou trois jours au lit.

Mme X... passait donc, comme je l'ai dit, la moitié de sa vie diurne dans l'immobilité. Les digestions étaient lentes, lourdes, la constipation opiniâtre. Tous ces troubles persistaient donc, lorsque, sur l'avis d'un accoucheur des hôpitaux, son mari me fit appeler près d'elle. Comme je l'ai déjà dit, un examen attentif, minutieux, de l'état général et de l'état local, me permit d'affirmer, dès ma première visite, que Mme X.- n'était nullement malade et que l'Idée habituelle de souffrir avait entretenu la souffrance.

J'ajoutai que tous les organes étaient sains, et que Mme X... pouvait immédiatement reprendre la vie de toute femme bien portante, qu'elle pouvait prendre ses repas sans être obligée de se reposer après chacun d'eux, qu'elle pouvait se promener à pied, en voiture, aller dans le monde, au théâtre, qu'elle n'était pas malade et qu'elle pouvait avoir des enfants.

Le jour même, il y eut un changement à vue ; et les jours suivants, les semaines suivantes, cet état de santé parfaite se maintint et ne fut momentanément entravé que le jour où Mme X... avait craint de faire une fausse couche après le vingt-quatrième jour d'une conception possible.

Vous savez, d'après mon récit, l'état dans lequel se trouve aujourd'hui cette jeune femme. Voilà ce qu'a fait la psychothérapie ; cette observation doit être classée ù la suite dû celles que je vous ai rapportées il y a une année, et de celles analogues, très remarquables, do notre confrère, M. le Dr Paul Valentin, qui nous ont montré quelle était la part des obsessions et des phobies dans les troubles de siège utérin ou péri-utérin, lors même que ces organes avaient été enlevées par le chirurgien.

Plus tard, je compléterai cotte observation de Madame X... en vous communiquant ce que sera devenu cette grossesse inespérée, et l'état nerveux de mon intéressante malade. Je termine en disant qu'il a suffi d'affirmer à Madame X... qu'elle n'était pas malade et qu'elle pouvait devenir enceinte pour qu'elle soit devenue enceinte aussitôt qu'elle en eut l'occasion toute naturelle, ce qu'elle avait toujours désiré, et cela sans succès, depuis sept années de mariage.

Interprétation physiologique de l'action curative du sommeil provoqué basée sur l'examen de la tension artérielle.

Par M. le Dr E. Bébillos.

L'influence des doctrines de l'Ecole de Nancy qui attribue à la suggestion un rôle exclusif dans le mécanisme des guérisons par l'hypnotisme a fait méconnaître la valeur curative du sommeil provoqué, employé systématiquement comme agent thérapeutique.

M. Pitres s'est fait le défenseur de cette opinion dans les termes suivants : « L'agent réellement actif de la guérison n'est pas le sommeil provoqué, mais la suggestion. » D'autres auteurs, en particulier Wetterstrand et Bonjour, ont soutenu l'opinion contraire. Or, la question de savoir si l'état de sommeil provoqué est doué, per se, d'une action curative, ne peut être résolue que par une étude attentive des modifications qui surviennent, sous l'influence de l'hypnose, dans l'état physiologique des sujets.

Déjà des examens sphymographiques nous ont permis de constater que, sous la seule influence du sommeil provoqué, des modifications importantes se manifestent dans la circulation des hypnotisés. Après quelques instants de sommeil, le pouls se régularise, le dicrotisme s'accentue et le nombre des pulsations augmente. Depuis, nous avons complété ces recherches en comparant, chez un grand nombre de sujets, la tension artérielle dans l'état de veille et dans l'état de sommeil provoqué. Pour ces examens nous nous sommes servi du sphygmographe de Bloch, modèle Verdin.

Nous avons constaté que, d'une façon générale chez les sujets qui présentaient do l'abaissement permanent de la tension artérielle, la production du sommeil provoque avait pour effet de relever la pression sanguine d'une façon très appréciable : ainsi il est fréquent de noter que la tension artérielle s'éléve déjà de plus de 100 grammes après quelques minutes de sommeil, cette augmentation s'accroît progressivement. Elle persiste non seulement pendant toute la durée du sommeil, mais encore pendant assez longtemps après le réveil. Chez certains sujets dont la pression artérielle est à peine perceptible, il peut arriver que la tension artérielle n'apparaisse qu'un certain temps après la production du sommeil. Dans ces cas, les séances d'hypnose devront être prolongées pendant une ou plusieurs heures. Chez les sujets

dont la tension artérielle est normale, le sommeil provoqué détermine également une élévation de tension, mais cette élévation est moins accentuée et plus longue à se manifester que chez les malades dont l'hypotension est permanente et dont la dépression sanguine est tros accusée.

Le sommeil provoqué n'exerce cette action favorable sur le système circulatoire que lorsqu'il est établi dans des condions qui le rapprochent le plus possible du sommeil normal. Cet état ne peut être obtenu qu'en s'abstenant rigoureusement de toutes interventions expérimentales susceptibles de mettre en jeu l'activité psycho-motrice des sujets. L'hypnotiseur devra se borner à provoquer l'apparition du sommeil par les procédés habituels: suggestion associée ou non à l'emploi des agents physiques. Ensuite il régularise le sommeil par des formules évoquant l'idée de calme et de repos, telles que les suivantes : « Dormez comme si vous étiez endormi la nuit dans votre lit ; dormez sans être agité, sans rêver; dormez uniquement pour vous reposer, et surtout dormez le plus profondément possible ; isolez-vous du monde extérieur, sans être influencé par les mouvements et les bruits du dehors. » Le sommeil, une fois obtenu, devra être prolongé le plus longtemps possible.

Les cas dans lesquels l'emploi du sommeil provoqué et prolongé nous a donné les résultats les plus frappants sont les états pathologiques-caractérisés par des sensations d'épuisement, de fatigue générale, de dépression, et ceux dans lesquels dominent l'anémie, la misère physiologique et les troubles généraux de la nutrition. Par des séances prolongées, nous avons obtenu chez plusieurs malades atteints de rhumatisme chronique déformant une modification frappante des lésions locales, en même temps qu'une amélioration marquée de l'état général.

Chez les neurasthéniques, les séances de sommeil provoqué amènent la disparition des états d'anxiété, le relèvement des forces, la suppression des sensations douloureuses et le réveil de l'énergie. Chez les chloro-anémiques, on constate la régularisation des fonctions digestives, de la menstruation et le retour de la coloration normale des tissus. Dès que le sommeil est établi, la pâleur du visage fait place à uno coloration rosée. Plusieurs cas de névrose traumatique, remarquables par l'abaissement do la tension artérielle, ont bénéficié d'un prompt relèvement de la pression sanguine et du chiffre physiologique. La ménopause, avec son cortège de troubles ncuropathiques,est également justiciable de ce procédé thérapeutique, et nous en avons pu recueillir des observations fort concluantes.

Les séances de sommeil prolongé constituent également chez les hystériques, les choréiques, les surmenés et les dégénérés, un moyen précieux pour activer la nutrition générale et modérer l'irritabilité du système nerveux.

Chez les convalescents de maladies graves, l'action du sommeil

provoque est également indiquée pour régulariser les fonctions diges-tives et favoriser le retour du sommeil normal.

Enfin nous avons pu constater que chez les enfants dont le développement physique subit un arrêt, les séances de sommeil provoque ont une action évidente sur l'augmentation du poids et l'accroissement de la taille. L'emploi du sommeil provoqué favorise certainement la croissance des enfants et des adolescents. Il exerce une action heureuse sur l'établissement de la puberté.

C'est un fait sur lequel nous insistons et que nous considérons comme hors de doute.

Dans notre pratique, la durée moyenne des séances de sommeil provoqué est d'environ une heure. Les malades, qui se rendent compte de l'action utile exercée par ces séances, ne se plaignent que de la limitation de leur durée.

L'entraînement du sommeil provoqué ne peut exercer qu'une influence favorable pour l'emploi complémentaire de la suggestion, lorsque l'on trouve utile de l'appliquer au traitement de certains symptômes localisés.

En résumé, le sommeil provoqué, envisagé dans ses manifestations les plus élémentaires, est, de même que le sommeil normal, le résultat d'une inhibition de l'activité intellectuelle. Le sommeil provoqué aurait même, dans certains cas, sur le sommeil normal l'avantage d'obtenir une suspension plus complète du travail mental. Il serait à ce point de vue doué de propriétés plus réparatrices. Cette inhibition des fonctions de la vie psychique et de la vie physique est corrélative de l'apparition de phénomènes de dynamogénie dans la sphère de la vie végétative. Ces phénomènes de dynamogénie sont surtout appréciables dans le système circulatoire où ils se manifestent par une augmentation de l'énergie des mouvements cardiaques et par une élévation de la tension artérielle.

On assiste donc, sous la seule influence du sommeil provoqué, à un véritable transfert de force, comme si l'unité des actes était régie par une loi générale de balancement et d'oscillation régissant les relations réciproques des divers éléments de l'organisme. En effet, il apparaît que les augmentations de propriétés et d'activité dans certaines fonctions sont compensées par des diminutions de propriétés et d'activité dans d'autres fonctions.

Les différentes fonctions de l'organisme seraient donc liées entre elles par un pacte social d'après lequel les organes, dont la fonction est ralentie ou suspendue, ne pourraient reprendre leur vitalité qu'autant que d'autres organes leur abandonneraient une partie de la force utilisée pour leur fonctionnement. C'est ce qui se passe dans l'état de sommeil provoque pendant lequel, à l'inhibition des fonctions mentales, correspond de la dynamogénie des fonctions de la vie végétative et, en particulier, de la circulation générale. L'examen comparatif des sujets dans l'état de veille et dans l'état d'hypnose nous fournit donc une interprétation rationnelle de l'action curative du sommeil provoqué.

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Tic facial guéri par suggestion à l'état de veille.

Par m. te Dr Henry Aimé, de Nancy.

Mlle T... me fut amende en mars dernier. Elle est âgée de dix-sept ans, d'une constitution délicate, de taille très moyenne. L'an passé elle fut traitée, pour une chlorose suspecte, par les toniques de toutes sortes, le grand air, l'hygiène. Sa mère est morte tuberculeuse. Actuellement, cette jeune fille a repris des forces, mange bien, n'a plus de céphalées ; ses règles, autrefois surabondantes, sont aujourd'hui régulières et normales. A l'âge de six ans, Mlle T... aurait eu une chorée qui se serait amendée sous l'action des bains froids. Los chocs émotifs provoquent, parfois encore, quelques mouvements arythmiques du bras et de la main gauche. L'impressionnabilité est grande. La malade se prête avec une certaine appréhension à mes questions. Intelligence nette. La mémoire, peu exercée, est infidèle. Quant au tic, il est assez peu marqué ; il semble, le premier jour, que l'idée d'aller trouver un médecin ait influencé dynamiquement sa manifestation. II consiste en ceci : la malade successivement plisse le front, relève les ailes du nez, ferme et ouvre les paupières, enfin, abaisse les commissures labiales. Tout cela avec rapidité. Ce tic, nous dit-on, se produit une quarantaine de fois par jour, lorsque la malade ne se sent pas surveillée, surtout lorsque, pour un motif banal, elle est surexcitée. Il s'est développé sans cause connue ; cependant, la malade croit se rappeler avoir commencé de tiquer, il y a dix mois, au cours d'accès persistants de céphalalgie. Dans la station debout, l'attitude de la malade est défectueuse; le dos est courbé en avant, les omoplates infléchies, les bras pendants diminuent la largeur thoracique.

Dans une première séance, j'essayai l'hypnose. Je n'obtins qu'un som-. meil léger au premier degré. Je suggérai à la malade de no plus grimacer, de se tenir bien droite, la poitrine tendue.

Le lendemain, pensant que le laisse-raller, l'attitude molle de Mlle T... pouvaient être sous la dépendance d'une sorte d'inertie psychique, d'un défaut d'énergie nerveuse, morale, je résolus d'appliquer une stimulation vigoureuse, systématique, qui serait un dérivatif heureux de son tic facial. Je lui représentai les dangers qui résulteraient de sa mauvaise façon de se tenir ainsi pliée en deux ; je lui dis qu'à l'époque de développement organique où elle était, cette habitude aurait un effet défavorable à l'amplitude normale de sa respiration, et peut-être plus encore. En un mot, je l'impressionnai par des raisonnements simples et méthodiques. Une seule fois le tic facial se produisit. Immédiatement je la gourmandai ; je la pris par l'amour-propre, la vanité, la coquetterie. Puis je la fis marcher, la poussant devant moi, mes deux pouces écrasant les omoplates, tandis que mes autres doigts tiraient en arrière les épaules afin d'élargir le thorax. Cet exrcice, accompagné d'encouragement verbal impératif, dura une demi-heure. Pareil entrainement psychique actif à l'état de veille fut continué

pendant douze jours. Le quatrième jour, je ne constatai pas le tic facial une seule fois. La personne qui conduisait Mlle T... décclara que, dans la journée, elle ne le faisait plus qu'une dizaine de fois, surtout lorsqu'elle revenait de l'école. A la dixième séance, la malade se tenait plus droite, était très docile, avait toute confiance en mes paroles. Je prescrivis quelques lotions froides, et une préparation ferrugineuse pour seconder le traitement moral. Le onzième jour, on me dit que depuis trois jours, le tic ne s'était plus montré. La malade faisait de grandes promenades. Elle n'allait en classe que le malin. Je lui permis d'y retourner le surlendemain, en recommandant de prier la maîtresse de la surveiller quant à son altitude. Je lui affirmai qu'elle était guérie, mais qu'il fallait, à tout prix, ne pas retomber dans les anciennes habitudes. Enfin, je l'engageai à revenir me voir dans cinq jours, puis dans huit, puis dans quinze. Je lui fis même briller l'espoir d'une récompense, un cadeau que sa sœur ainée avait l'intention de lui faire si elle conservait son bon maintien présent dont la réalisation progressive avait ruiné son tic disgracieux de la face.

Elle est revenue aux époques fixées. L'attitude est bonne. Le tic n'a plus reparu une seule fois.

La longueur minutieuse de cette banale observation dispense de commentaires. On se rend compte aisément des bienfaits d'un traitement par la dynamogénie psychique active d'un trouble dynamique, souvent rebelle et récidivant, tel que le tic de la face. Le seul inconvénient de ce mode psychothérapique est d'exiger une énergie patiente et continue de la part du médecin.

RECUEIL DE FAITS

Astasie-abasie guérie par suggestion à l'état de veille.1

M. Ginestous. J'ai l'honneur de présenter à la Société d'Anato-mie un cas d'astasie-abasie guérie par la suggestion à l'état de veille.

V... (Jeanne), domestique, dix-sept ans, entre à l'hôpital Saint-André le 24 décembre, salle 1, parce qu'elle ne peut plus marcher.

Apres examen, elle est transférée salle 3, lit n° 7, le 16 janvier 1897, dans le service de M. le Dr Rondot.

Antécédents héréditaires. — Père vivant, quarante-cinq ans, bien portant. Mère morte à ; trente-un ans, suite de couches. Sa mère était nerveuse. Deux frères ou sœurs sont morts, l'un en naissant, l'autre à neuf mois, cause inconnue. Trois frères ou sœurs vivants, bien portants.

(1) Communication faite à la Société d'anatomie et de physiologie de Bordeaux.

Antécédents personnels. — Toujours malade depuis sa naissance.

A deux ans, elle eut toute la tète brûlée par une lampe à pétrole ; à la suite de cette brûlure, elle ne put pas ouvrir les yeux pendant un an. Après cette guérison, elle eut une epistaxis et du mal à la figure. Elle signale encore une coqueluche suivie de fluxion de poitrine; mais elle n'a pas été gravement malade jusqu'à l'âge de -douze ans. A cette époque, elle fit dans les escaliers une chute sur le dos. Elle resta huit à dis mois sans souffrir; mais au bout de ces dix mois, elle lut prise de douleurs dans la région lombaire, dans les cuisses et dans les jambes, douleurs exagérées par les mouvements et par la chaleur du lit. Ces douleurs lui donnèrent l'idée de s'examiner, et elle découvrit une gibbosîté à la colonne vertébrale. C'est alors qu'elle entra, en 1891, à l'hôpital des enfants dans le service de M. le Dr Boursier, qui lui fit des pointes de feu sur la colonne vertébrale. Elle sortit un mois après de l'hôpital sans amélioration. Quatre ou cinq jours après sa sortie de l'hôpi-pital, elle ne put plus marcher. Elle vit M. le Dr Lauga, qui lui fil une nouvelle application de pointes de feu ; puis M. Gandron qui lui plaça pendant deux ans un appareil en plâtre. Grâce à ce traitement, au bout d'un an, la marche revint peu à peu, mais à la condition qu'on l'accompagnât. Enfin, en janvier 1896, elle est beaucoup améliorée et elle marche seule.

En octobre 1896, elle recommença à travailler. Mais les douleurs recommencèrent. Vers le 20 décembre 1896, il lui fut impossible de marcher et, le 24, elle dut rentrer à l'hôpital. Au point de vue nerveux, elle est très impressionnable. Elle a eu une crise nerveuse à la suite d'une visite de ses parents ; une seconde crise à la deuxième visite et pour le même motif. Elle n'a jamais perdu connaissance dans ses crises.

Examen de la malade (19 janvier). — C'est une jeune fille assez intelligente, répondant bien aux questions qu'on lui pose. On trouve à la partie supérieure de la colonne lombaire une gibbosité de cinq centimètres de longueur, vestige d'un mal de Pott. Pas de signe de dégénérescence ; lobule de l'oreille non adhérent, voûte palatine légèrement excavée. Perte de l'appétit. Pas de dilatation de l'estomac. Pas d'hypenrophie du foi ni de la rate. Rien à signaler du côté du cœur ni de l'appareil respiratoire ; pas de souffles aux jugulaires.

Motilité. — La malade remue aisément les jambes dans son lit. Il n'y a pas d'atrophie musculaire. Les articulations tibio-tar-siennes, du genou, de la hanche, fonctionnent normalement et sans douleur. Cependant, si nous prions la malade de se lever, il lui

est impossible de se tenir debout. Ses jambes fléchissent. « Ses reins, dit-elle, n'ont pas assez de forces pour la soutenir. » La station à genoux est possible, et la malade marche fort bien « à quatre pattes d.

Sensibilité. — Légère hyperesthésie dans toute la moitié droite du corps. Sensibilité au contact, a la chaleur, au froid, conservée, mais également exagérée légèrement du côté droit. Pas de troubles de l'ouïe, de l'odorat, du goût.

Réflexes. — Tous les réflexes sont conservés, sauf le réflexe pharyngien qui est aboli.

Examen électrique des muscles (note remise par M. le professeur Bergonié). — Conservation de l'excitabilité faradique pour tous les muscles du tronc.

Champ visuel : rétréci.

Traitement. Guérison. — Le 4 février, nous essayons de mettre la malade dans le sommeil hypnotique. La pression des globes oculaires ne donne aucun résultat. Lui faisant regarder un objet brillant, la malade, au bout de cinq à six minutes, a tout d'abord les yeux larmoyants, puis commence à perdre connaissance. Cette expérience donne la certitude qu'elle est hypnotisable. M. le Dr Rondot ordonne de l'endormir après la visite et de lui suggestionner, à l'état de sommeil, qu'elle peut marcher. Maïs ses voisines lui donnent le mauvais conseil de ne pas se laisser endormir en lui disant qu'on veut se moquer d'elle. Et, en effet, toute nouvelle tentative pour la mettre dans le sommeil hypnotique demeure sans résultat, la malade refusant de fixer tout objet brillant. Les choses demeurent ainsi jusqu'au 8 février. On décide de traiter la malade par suggestion, à l'état de veille, au moyen du bleu de méthylène; mais, à ce moment-là, M. !c Dr Mongour ayant examiné !a malade donne l'idée de lui placer autour du corps un semblant de corset, « afin de lui maintenir les reins qui, dit-elle toujours, ne sont pas assez forts pour la porter. »

Suivant ce conseil, on fait autour du corps de la malade cinq ou six tours de bandes en tarlatane. Aussitôt, la malade déclare qu'avec ce « corset » cite va pouvoir marcher. Et, en effet, elle s'habille et elle se lève. Elle marche. Elle va tout d'abord, titubant tant soit peu, au lit voisin, puis s'enhardit, traverse la salle, à condition toutefois qu'on la suive. Au bout de quelques minutes d'apprentissage, elle va à droite et à gauche, sans secours. On lui remet alors une ordonnance pour la pharmacie, et on la prie de la porter au destinataire. Elle sort de la salle, traverse les couloirs de l'hôpital, accomplit la commission qu'on lui a confiée, accompagnée

simplement par quelqu'un qui l'aide a monter les marches. Elle revient à la salle 3 sans difficulté, simplement un peu essoufflée à la suite de cette première promenade, après quatre mois de repos au lit.

ÉTUDES BIOGRAPHIQUES

JAMES BRAID : 1son œuvre et ses écrits

Par M. le docteur Milse Bramwsll, (de Londres) (suite)

Il en référait, à plusieurs reprises, aux oppositions presque incroyables qu'il avait à combattre contre les orthodoxes praticiens de la médecine et du mesmérisme ; et il se plaignait de ce que, ayant été attaqué dans le Zoist, les éditeurs de ce journal ne lui avaient pas permis de répliquer dans leur feuille. Il envoya sa réponse au Journal de l'Association médicale, considérant que ce dernier serait le plus naturel intermédiaire de la défense d'un membre de l'Association provinciale, mais, là encore, elle fut refusée.

« D'un bout à l'autre de mes enquêtes, dit-il, mon principal désir a été de découvrir ce qui pourrait être rendu plus pratiquement utile au soulagement ou à la guérison des maladies; et je n'hésite pas à dire que, dans les mains d'un habile médecin qui comprend à fond les différentes méthodes que j'ai exposées et qui est capable d'en varier les effets, selon les différents cas, l'hypnotisme, quoique étant la méthode la plus rapide de déterminer la condition somnambulique, demeure, néanmoins, la plus capable d'achever tout le bien qui peut être attendu des procédés ordinaires du mesmérisme, et d'accomplir môme bien davantage..... »

Il est, dans mes opinions, un point qui rend l'hypnotisme moins appréciable aux yeux d'une certaine classe de la société, c'est que je ne prétends, en aucune façon, produire do merveilleux et transcendants phénomènes, ni ne crois pas les faire résulter d'aucun pouvoir spécial. »

« Or, c'est l'amour du merveilleux qui a fait la faveur du mesmérisme et, d'après cela, je comprends que la pratique de l'hypnotisme, pour laquelle je réclame la connaissance approfondie de l'anatomie, de la physiologie et de la pathologie, ne jouisse pas du même succès que la pratique du mesmérisme, qui repose sur le mystérieux pouvoir de la nature magnétique de l'opérateur.»

« ... Toutes les origines des nouvelles idées sont semblables au point de vue des luttes qu'elles imposent à ceux qui veulent les mettre en faveur; les sceptiques, qui ne concevaient pas la différence qui existe entre ma méthode et celle des mesméristes et qui ne mesuraient pas la limite de mes prétentions, étaient aussi hostiles à l'hypnotisme qu'ils

l'avaient été au mesmérisme ; et les mesméristes, pensant que leur art était en danger et que leur mystique idole pourrait être déchue de quelques-unes de ses gloires par la venue d'un nouveau rival, se bouclaient dans leur armure et prouvaient bientôt que l'odium mesmerium était aussi invétéré que l'odium theologicum. »

Historique

Braid mourut subitement, le 25 mars 1800, d'une apoplexie, suivant certains rapports, d'une maladie de cœur, suivant d'autres ; il laissait une femme et deux enfants : un fils et une fille. Il soutint jusqu'à la fin son actif intérêt pour l'hypnotisme ; et, trois jours avant sa mort, il envoya son dernier manuscrit au Dr Azam et y ajouta l'inscription suivante : « A M. Azam, en témoignage d'estime et de respect. — James Braid, chirurgien. — Manchester, 22 mars 1860. » — Les plus sympa-tiques notices, sur la mort de Braid, parurent dans les revues locales et dans différents journaux médicaux, tous témoignaient chaleureusement de son mérite professionnel et de l'élévation de son caractère. Le Lancet rapportait le fait que, quoiqu'il fût surtout connu dans le monde médical par sa théorie et sa pratique de l'hypnotisme, il avait aussi obtenu de remarquables résultats dans les opérations du pied-bot et d'autres difformités, et sa réputation était assez répandue pour qu'on lui amenât des malades de tous les points du royaume.

En 1852, dans la préface de la troisième édition de Magie, Witchcraft, etc..., Braid disait qu'il était alors en mesure de donner ses théories concernant toutes les questions relatives à l'hypnotisme et au mesmérisme, et qu'il espérait, par ce moyen, suppléer en une certaine mesure au délai que réclamait la publication d'une nouvelle édition de son ouvrage sur l'hypnotisme, édition depuis longtemps attendue du public. « J'espère, dit-il, être bientôt également en mesure de répondre à cette attente, et je le ferai avec toute l'abondance de détails que mérite l'importance du sujet; je m'y étendrai plus particulièrement sur tout ce qui a rapport à son application pratique au soulagement et à la guérison de certaines formes de maladies ; et j'y ajouterai un grand nombre d'exemples intéressants. »

A la conclusion de The Physiology of fascination, etc., il disait aussi: « J'ai l'intention do publier prochainement un volume intitulé : Psycho-plujsiology, embrassant l'hypnotisme. le monodéisme et le mesmérisme. Cet ouvrage comprendra, dans une forme suivie et condensée, l'ensemble de tous les résultats de mes recherches dans le domaine de cette science, et il sera en outre augmenté d'un aperçu des maladies dans lesquelles le traitement hypnotique peut être appliqué avec le plus d'efficacité ; et d'un exposé des principales manières de l'adapter, suivant les cas et les circonstances. »

Peu de temps avant sa mort, Braid méditait de publier en France sa seconde édition de- Neurologie, ce qui ne fut jamais fait, et les deux

derniers ouvrages étaient destinés à ne jamais voir la lumière. Tous les livres et articles de Braid sont épuisés; on trouve encore et seulement les volumes 2, 3, 4, G et 7 à la librairie de British Muséum. Je possède, pour ma part, les volumes 1, 2, 4, 5, fi et 8, ainsi que la plus grande partie de ses articles et deux longues lettres adressées à M. Highficld, esq,, chirurgien, datées respectivement du 23 octobre et du 16 novembre 1842. Ces lettres contiennent un intéressant résumé des opinions de Braid, concernant la nature subjective des phénomènes hypnotiques; quelques rapports d'hypéresthésie des sens spéciaux et des références aux cures obtenues, jointes aux dénégations de l'hypnotisme et de l'automotisme du sujet.

En 1859, lu Dr Azam, de Bordeaux, familiarisé avec les ouvrages hypnotiques de Braid, commença à étudier le sujet par lui-même, et un rapport de ses expériences personnelles, avec beaucoup de références à Braid, parut dans les Archives de Médecine en 1860. A peu près à la même époque, Broca, qui avait obtenu de merveilleux résultats avec les méthodes de Braid, lut, devant l'Académie des Sciences, un compte rendu sur l'Hypnotisme qui fut fort remarqué, et Velpeau présenta à la même Société un exemplaire de Neurologie. Une commission composée des membres des quatre sections de l'Institut fut alors formée pour examiner le sujet, et Braid adressa à l'Académie uno lettre dans laquelle il exprimait, avec toute sa satisfaction des brillants résultats obtenus par Azam, tout le plaisir que lut avait causé l'action de la Société.

A partir de cette époque, la France ne perdit pas un instant de vue la cause de l'hypnotisme ; mais ce ne fut pas moins de quarante ans après sa première publication que Neurologie parvint jusqu'à elle par l'entre-mise du Dr Jules Simon, qui disait que « les recherches de Braid lui avaient attiré de nombreux ennemis que ce dernier persuadait, en dépit d'eux-mêmes avec la persuasion du génie, et qu'il était capable d'ajouter le somnambulisme artificiel à la pathologie du système nerveux, chapitre que les investigations du plus grand nombre des neuro-pathologistes modernes ont confirmé, »

Le premier traducteur de Braid fut M. W. Preyer, Professeur de Physiologie à l'Université de Gênes, qui publia en 1881, La découverte de l'Hypnotisme. Cet ouvrage était un résumé de Neurologie et la traduction du pamphlet, envoyé par Bra;d à Azam en 1860, lequel était parvenu à Preyer après avoir été en la possession du Dr Bcard de New-York. Le même pamphlet est aussi traduit en français et forme un appendice à la publication de Neurologie faite par Jules Simon 1883. Enfin, en 1832, Preyer publia un livre intitulé l'Hypnotisme qui consistait en une traduction complèto de tous les ouvrages de Braid, à l'exception de Neurologie et de Satanic Agency.

Je ne me propose pas de faire, dans cet article, la critique des

opinions de Braid ; je désire seulement les comparer brièvement à celles des derniers investigateurs de l'hypnotisme.

En premier lieu, Braid croyait à l'origine purement physique des phénomènes hypnotiques et soutenait que ceux-ci pouvaient être déterminés par des moyens mécaniques dans des sujets qui étaient absolument ignorants de l'hypnotisme ou du mesmérisme. Celte doctrine est encore soutenue par Heindenhain et par certains membres de l'Ecole de la Salpétrière. L'auteur disait: « Les gens qui n'ont jamais entendu parler .d'hypnotisme et qui ne connaissent rien des expériences auxquelles ils sont appelés, peuvent être hypnotisés. La condition hypnotique peut être produite sans le concours d'une chose existante, mais simplement par certaines stimulations physiques, déterminées. » Charcot et Gilles de la Tourette disent : « L'hypnotisme peut être déterminé par des moyens purement physiques, et une personne peut être hypnotisée, dans une langue qui lui serait inconnue. » Auparavant, Braid appréciait l'influence mentale dans l'hypnose, ce qui l'avait porté à croire à la phrénologie ; la même cause semble avoir conduit à l'erreur l'Ecole de la Salpétrière, relativement à l'action des aimants, des métaux et des médecines contenues dans des tubes cachetés. Braid démontra que toutes ces choses devaient leurs vertus à la suggestion ; en dépit de cet fait que les métallo-thérapeutiques de Burq étaient ressuscites par Charcot et ses disciples et que le Dr Luys jouait encore avec ses poupées de gomme élastique et le professeur Bénédikt avec ses aimants.

(à suivre)

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, du Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

La prochaine séance do la Société aura lieu les lundis 18 Octobre et 15 Novembre 1897, à 4 heures et demie.

Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités ù y assister.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place

Jussieu.

Les magnétiseurs et l'exercice de la médecine.

Le tribunal d'Angers vient de rendre une décision qui fixe l'application des principes de la lot de 1802 sur l'exercice de la médecine.

Un sieur Mouroux. établi magnétiseur à Angers, était poursuivi par le parquet de cette ville, qui lui reprochait de nombreux faits d'exercice illégal de la médecine.

Le syndicat des médecins d'Angers se portait partie civile. Après des débats assez mouvementés, la décision suivante vient d'être rendue et fait suffisament connaître les faits :

« Attendu qu'il résulte de l'instruction et de l'audience que le prévenu s'est borné vis-à-vis des personnes qui sollicitaient ses soins à pratiquer sur elles et par-dessus leurs vêtements des passes magnétiques et à fournir à quelques-unes de la ouate aimantée ;

« Attendu que les notes remises par Mouroux à quelques-unes des personnes qu'il a soignées, n'ont aucunement le caractère d'un certificat médical ;

« Qu'il est d'ailleurs établi que Mouroux n'a jamais pris le titre de docteur, mais s'est toujours donné comme magnétiseur à ceux qui le consultaient ;

« Attendu que si la loi du 30 novembre 1892 admet comme passible des peines qu'elle édicté ceux qui, sans être munis de diplôme, prennent part habituellement ou par direction suivie au traitement des maladies ou affections chirurgicales... en exceptant les cas d'urgence avérée ;

« Attendu qu'il ressort du rapport fait sur cette loi à la Chambre par M. le député Chevandier, que jamais il n'est entré dans l'intention de la commission de viser les masseurs et les magnétiseurs, les articles punissant l'exercice illégal de la médecine ne pouvant leur êtro appliqués, ajoute le rapporteur, que le jour où ceux-ci sortiraient de leurs pratiques habituelles et, sous le couvert de leurs procédés, prescriraient des médicaments et chercheraient à réduire des luxations ou des fractures;

« Attendu que Mouroux en se livrant sur diverses personnes aux pratiques magnétiques ci-dessus indiquées et en donnant de la ouate aimantée ne peut être considéré comme ayant exercé un traitement ou prescrit un médicament de nature à entraîner contre lui la peine édictée par la loi du 30 décembre 1392 » ;

Par ces motifs, le tribunal d'Angers, après plaidoiries do Mes Comby, du barreau de Paris, qui se présentait pour le prévenu, et de Me Cheneau. du barreau d'Angers, qui se présentait pour le syndicat des médecins de Maine-et-Loire, a déclaré mal fondé dans ses conclusions M. Grippât, président du syndicat, partie civile, et acquittant de la prévention lo magnétiseur Mouroux en le renvoyant des fins de la poursuite sans dépens.

Le syndicat des médecins d'Angers a interjeté appel.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destine à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

La maison de traitement annexée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc.. Elle permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterslrand.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le D'Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiquesde l'hypnotisme.Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Hartenberg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.

Pendant le semestre 1896-1897, des cours et des conférences, sont faits, les jeudis à cinq heuros, par MM. Ie3 D" Dumontpaliier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, Maurice Dupont, Gaube (du Gers), etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le D' Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise â la disposition des étudiants inscrits.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoino.

Paris, Imp. A. Quelqueieu, rue Gerbort, 10.

REVUE DE L'HYPN0TISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

12e ANNÉE. — N° 2. Aout 1897.

L'HYPNOTISME AGENT THÉRAPEUTIQUE

par M. le Dr Desplats, Professeur de clinique médicale a la Faculté libre de Lille.

C'est, en effet, un bien précieux agent thérapeutique que l'hypnotisme, et, dans certaines circonstances, ses vertus tiennent du miracle, tant leur action est rapide et l'effet disproportionné à la cause. Permettez-moi de vous en citer quelques exemples :

Il y a cinq ans je voyais entrer dans mon cabinet une fillette de 12 ans, portée sur les bras de son père, et qu'on m'amenait d'une ville voisine. Elle était malade depuis trois mois et atteinte, disait-on, d'une arthrite du genou gauche survenue à la suite d'une chute. On avait appliqué force vési-catoires et pommades et, finalement, un appareil. Le tout sans profit. La fillette paraissait bien portante, malgré ses trois .mois de maladie. Un examen rapide me montra que tout le membre inférieur étais contracture. Quant à l'articulation, il ne m'était pas permis de l'examiner à cause des douleurs. Sans parler, je fis poser l'enfant sur un fauteuil et, après l'avoir regardé fixement pendant deux minutes, je lui dis: « Dormez. » Aussitôt elle s'endormit et rapidement son sommeil fut profond. Prenant alors sa jambe entre mes mains, il me fut facile de faire disparaître la contracture et sans douleur d'exécuter tous les mouvements. Puis posant les pieds par terre, je dis: « Levez-vous », et elle se leva; » marchez », et elle marcha; « mettez-vous à genoux », et elle s'agenouilla. Plusieurs fois je lui fis renouveler les mêmes actes et ne cessai que lorsqu'ils s'accomplirent sans aucune hésitation. Je me fis alors dire comment l'accident était survenu: C'était après une chute sans importance, qui n'avait été suivie, ni de

plaie, ni d'ecchimose, et l'articulation n'avait jamais été gonflée. 11 n'y avait donc pas de doute, cette enfant était seulement atteinte de contracture hystérique, d'origine tramnatique. Je l'assurai qu'elle était bien guérie, qu'elle marcherait parfaitement et n'aurait plus de douleur et lui défendis d'avoir une contracture semblable si jamais elle faisait une nouvelle chute ou recevait un coup. Puis m'étant bien assuré qu'elle n'éprouvait aucune douleur et qu'elle se souvenait bien de tout ce que je lui avais dit, je la réveillai. La séance avait duré 20 minutes. Je renonce à peindre la stupéfaction de l'enfant lorsqu'elle se vit debout, au milieu de mon cabinet et sans douleur. Elle n'avait d'égale que l'émotion de son père, à qui je n'avais dit un mot de mes intentions, et qui avait assisté, muet, à la gué-rison de sa fille. Les larmes coulaient le long de ses joues et il n'avait pas de paroles pour m'exprimer sa reconnaissance. t- Quand faudra-t-il revenir, Monsieur? — Il est inutile de revenir, voire enfant est guérie. — Et que faudra-t-il faire? — Rien, il faut seulement, si de nouveau elle tombe, qu'elle ne laisse pas sa jambe se reprendre. Ce fut tout, et l'enfant, qui était venue de la gare en voiture, qu«'on avait portée de la voiture dans mon cabinet, s'en retourna à pied, ne donnant pas même le bras à son père.

Deux mois après, la même scène se renouvelait. La même enfant était reportée, sur les bras de son père, dans mon cabinet, avec les mêmes accidents. Ils dataient seulement de 3 ou 4 jours. Et comme j'exprimai mon étonnement de cette rechute: « Oh, Monsieur, ce n'est pas du même côté », me dit l'enfant. La contracture, en effet, occupait le côté droit et s'était produite par le même mécanisme que la première fois, à la suite d'une chute.

J'hypnotisai et, en quelques minutes, contracture et douleurs avaient disparu. Je renouvelai mes assurances de guérison complète et affirmai qu'il n'y aurait plus de rechute sous aucune forme. C'est ce qui est arrivé. Depuis, cette enfant est menstruée et sa santé est restée parfaite. Il y a quelques mois, pour la première fois depuis l'origine, ses parents me l'ont conduite à cause d'une petite toux qui les inquiétait, et j'ai pu constater que, malgré les accidents auxquels elle n'a pas plus échappé que ses compagnes, jamais, sous une forme quelconque, les troubles ne se sont reproduits.

Le second exemple que je vous citerai est celui de ce jeune domestique atteint de pseudo-méningite, dont je vous ai déjà

parlé. Témoin des accidents convulsifs qu'il présentait et que j'attribuais à une hypnose fortuite, je l'endormis deux fois, à un jour d'intervalle, et à partir de ce jour les accidents disparurent et la santé fut parfaite pendant deux ans. Je l'avais perdu de vue et il habitait même très loin de Lille, lorsque, sous l'influence de causes qui m'échappent, il fut pris de crises très violentes d'hystéro-épilepsie. On le conserva pendant une quinzaine de jours, et comme les crises devenaient de plus en plus fortes, on se décida à le transporter à Lille pour me consulter. Le soir des deux jours qui suivirent son arrivée, il .eut deux crises extrêmement violentes qui nécessitèrent l'emploi du chloroforme. Je ne le vis que le troisième jour ; en dehors de sa crise je l'hypnotisai et lui défendis d'avoir une crise ce jour-là et les deux jours suivants. Il n'en eut pas.

Le troisième jour je l'endormis et lui assurai encore un répit d'une semaine, au bout de laquelle je l'hypnotisai une dernière fois, et ce fut fini. Ce jeune homme n'eut plus de crises pendant plusieurs années. Depuis, je l'ai perdu de vue.

Je pourrais vous citer encore d'autres exemples; mais j'ai hâte de revenir au jeune homme qui a été l'occasion de cette leçon et dont je dois vous rapporter l'intéressante cure. >

Lorsqu'il entra à l'hôpital, il avait une céphalée continue, des crises nerveuses fréquentes et une telle sensibilité qu'un objet brillant quelconque ou l'intervention d'un élève suffisait à l'endormir. . i

La principale cause de ses crises et de sa céphalée était l'hypnose fortuite à laquelle il était sujet, l'indication première était donc de le délivrer de celle sensibilité. C'est ce que je fis; dès le premier jour. Je l'endormis avec la plus grande facilité, et je profitai de son état pour calmer ses douleurs de tête et obtenir de lui des renseignements sur son passé, particulièrement sur les manœuvres auxquelles il avait été soumis. Dès le premier jour il se montra suggestionnante au plus haut point et c'est avec une vraie satisfaction qu'il se livra devant nous à ses exercices professionnels, qu'il chanta et qu'il joua du violon. Avant de le réveiller je lui défendis de se laisser endormir par tout autre que par moi et surtout de s endormir à la vue des objets brillants. Le succès de ma défense fut complet, et depuis ce jour il n'a été hypnotisé que par moi et toujours dans un but thérapeutique.

Dès le second jour do son entrée, sa céphalée disparaissait.. Quant à ses crises nerveuses, il n'en eut plus jamais. }

C'est la disparition de ces deux phénomènes si importants et si anciens à partir du jour où il fut hypnotisé par moi seul, qui m'a fait les attribuer à l'hypnose fortuite. Quiconque s'est livré à la pratique de l'hypnotisme sait, en effet, que les hypnotisés, abandonnés à eux-mêmes pendant leur sommeil ou seulement négligés, donnent des signes de mécontentement et de souffrance, qu'ils se plaignent surtout de maux de tête ; que les mêmes troubles se montrent et souvent plus accusés lorsque, pendant leur sommeil, ils sont obligés d'exécuter des actes qui leur répugnent et que ce malaise et cette céphalée persistent au réveil, si on n'a pris la précaution de les dissiper.

Il suffit même que le réveil ait été provoqué brusquement, sans préparation, pour que le patient reste comme tout hébété, pendant un temps plus ou moins long, et que les personnes et les objets qui l'entourent soient pour lui une cause de malaise et même d'accidents. On conçoit, dès lors, qu'un sujet susceptible de s'endormir et do se réveiller fortuitement, soit toujours dans l'état que je viens de dire, en accuse les malaises et en présente les accidents. On conçoit aussi que tout disparaisse dès le jour où il passe sous la direction d'un hypnotiseur éclairé qui a seulement son bien pour but et dont le premier soin est de le délivrer de l'hypnose fortuite.

Pendant les premiers temps de son séjour j'endormis ce garçon tous les deux ou trois jours, pour faire disparaître certains accidents morbides, assurer son sommeil, son appétit, sa bonne humeur, sa docilité. Le succès fut complet, et ainsi, peu à peu, les séances purent être plus espacées. Il est un point sur lequel mes suggestions échouèrent constamment, permettez-moi de m'y arrêter, pour vous montrer ce qu'il faut penser de la puissance suggestive des hypnotiseurs sur leurs sujets.

À en croire certains auteurs, particulièrement ceux de l'École de Nancy, la puissance suggestive serait sans limite et irait jusqu'à pouvoir inspirer et faire exécuter de véritables crimes.

Depuis quelques années il n'est pas de séances de démonstration où l'on ne fasse accomplir à un sujet entraîné, le simulacre d'un crime : tantôt on fait donner à un assistant, qui le plus souvent est un parent ou un ami, un coup de poignard, d'autres fois c'est un coup de pistolet, peu importe le procédé. Ou bien c'est un vol que l'on inspire et que l'hynoptisé exécute, après avoir hésité plus ou moins longtemps ; d'autres fois, c'est un faux témoignage ou une signature qu'on lui fait donner.

L'acte importe peu, c'est la nature de l'acte qui a de l'intérêt. Or, à en croire les hpnotiseurs psychologues ou juristes, l'hypnotiseur est le maître de l'hypnotisé et peut lui ordonner et lui faire exécuter ce qu'il veut. Cette opinion est loin d'être admise sans conteste.

Sans doute, on ne nie pas que M. X.... ou M. Z.... puissent être contraints à donner un coup de couteau ou à signer un papier compromettant; mais qui peut assurer qu'ils ne se rendent pas compte que ces actes sont simulés et n'ont aucune valeur ? La preuve que cette objection a une valeur réelle, c'est qu'il est des cas où, chez les sujets très suggestionnables, on ne peut obtenir leur adhésion à des actes qui leur répugnent. C'est ainsi, par exemple, que, lorsqu'on veut endormir un sujet pour lui faire subir une opération et qu'il est prévenu, le jour de l'opération venu on ne peut l'endormir.

Pour notre jeune homme, la résistance à la suggestion est d'autant plus remarquable que, sur tous les autres points, il était d'une docilité absolue. Ainsi il jouait du violon, avec un naturel parfait, lorsqu'on lui en donnait l'ordre et qu'on mettait entre ses mains un instrument quelconque; il chantait avec une application et une conviction remarquables. Il nous donnait des représentations de pâtissier auxquelles rien ne manquait. II renonçait à ses antipathies ou faisait le sacrifice de certaines choses qui lui étaient chères ; mais nous ne pûmes jamais obtenir qu'il prit son parti d'être à l'hôpital. Tous nos efforts furent vains pour le changer, et chaque fois qu'il était endormi il demandait à s'en aller eu menaçait de sortir malgré moi. Cette dispostion donna même lieu à deux scènes singulières que je veux vous raconter: Un jour qu'il avait été endormi pendant la visite du matin (il était au 2° étage) et qu'il nous donnait une représentation musicale qui lui causait un grand plaisir, il s'approcha, tout en jouant, de l'escalier et descendit prudemment quelques marches, nous le suivions à courte distance pour voir ce qu'il allait faire. Il descendit ainsi lentement jusqu'au premier, puis, tout à coup, il prit son élan, descendit du premier aurez-de-chaussée, traversa les couloirs et s'échappa sur le boulevard, courant avec une grande vitesse, tandis que les plus agiles du service le poursuivaient. On le ramena et j'eus beaucoup de peine à le calmer.

Quelques jours après il était sorti avec une de ses parentes et devait rentrer dans la journée. Au lieu de cela, il vint chez moi pour me demander de signer son billet do sortie. Comme

je ne pouvais le décider à rester, je l'endormis espérant être plus heureux; mais rien n'y fit et j'en fus réduit, pour le faire rentrer, à user d'artifice et à le ramener dans ma voiture, sans le réveiller, en lui promettant que je signerais son billet à l'hôpital. Chose curieuse! ce garçon qui sollicitait toujours sa sortie pendant son sommeil et qui essaya même une fois de s'évader, était toujours parfaitement docile et ne mérita jamais de reproches.

Son état général s'étant beaucoup amélioré, il n'avait plus de crises ni de maux de tête, il dormait et mangeait bien, les séances d'hypnotisme avaient été graduellement espacées; rien ne nécessitant donc plus son séjour à l'hôpital, je me décidai à le laisser sortir. Dans une dernière séance, je lui renouvelai la défense de se laisser endormir par un autre que moi et d'assister aux séances publiques d'hypnotisme, comme il s'en donnait alors, de temps en temps, à Lille. Je ne me souviens plus si cette défense, faite pendant le sommeil, fut renouvelée après. Depuis S ou 9 ans, j'avais perdu ce garçon de vue lorsque, il y a quelques jours, je reçus la visite d'un jeune caporal infirmier. C'était lui. Il me raconta sa vie depuis sa sortie de l'hôpital. En quelques mots, je vais vous résumer les faits intéressants.

Dans le courant de l'année qui suivit (1888), Donato était venu à Lille donner des séances publiques ; sans penser à la défense qui lui avait été faite, notre jeune homme voulut se rendre un soir à l'Hippodrome ; mais, arrivé à la porte, il essaya en vain d'entrer, une force intérieure le retenait. «J'eus beau faire, dit-il, je ne pus entrer, on aurait dit qu'il y avait quelqu'un pour me barrer le passage. » C'était l'effet de ma dernière suggestion.

¦

« Quatre ans après, c'était à Charleville, j'assistais un jour, au théâtre, à une séance où Pickmann donnait une représentation; Mon patron me dit : « Tiens, il faut te faire endormir. » Je ne dis rien, mais Pickmann était déjà près de nous cherchant des amateurs. Il essaya de m'endormir, mais il n'y parvint pas. »

Cependant ce garçon, s'il a cessé d'être hypnotisable, n'a pas cessé d'être hystérique. « Depuis ma sortie de l'hôpital, m'écrit-il; j'ai eu deux crises, il y environ 3 ans, qui sont survenues à la suite de mouvements de colère, parce que je ne pouvais me battre contre dos individus qui m'avaient insulté. J'ai eu aussi au mois de janvier, à la suite do la grippe,

de petites crises que le major prenait pour de l'hystérie. II me donna du bromure et, depuis, je n'ai jamais été indisposé. »

L'histoire de ce jeune homme montre, d'une manière frappante, et combien est dangereux l'hypnotisme pratiqué dans un but de curiosité et sans règle, et combien il est précieux comme agent thérapeutique, lorsqu'il est appliqué méthodiquement et dans le seul intérêt du malade.

Certainement, par aucun moyen, ce garçon n'eût été aussi rapidement délivré de ses accidents et peut-être même, sans l'hypnotisme, n'eût-il jamais été délivré.

Inutile, Messieurs, de multiplier les exemples, vous êtes maintenant convaincus que, contre les accidents nerveux, l'hypnotisme peut être employé et rendre de grands services pourvu qu'il soit confié à des mains prudentes.

Est-ce là sa seule indication et, contre les maladies infectieuses, les traumatismes ou les troubles organiques tenant à une cause matérielle, ne peut-il rendre des services?

C'est là une question importante, qui s'est posée certainement dans vos esprits et devant laquelle je n'ai pas le droit de me dérober. Je m'en occuperai d'autant plus volontiers que, tout récemment encore, vous avez pu assister au traitement par l'hypnotisme d'une malade qui, en même temps qu'elle présentait des accidents nerveux, portait une grave lésion rénale. ,

Il s'agit de la nommée Valentine K... Cette femme a 24 ans. Elle a eu deux enfants dont l'un est mort. Pendant sa première grossese elle fut traitée à Paris dans le service do M. le Prof. Tarnier pour albuminurie, et soumise, pendant plusieurs mois, au régime lacté intégral. Les suites de son accouchement furent favorables et son albuminurie disparut; mais, quelques mois après, elle dut rentrer à l'hôpital, où on lui trouva encore de l'albumine dans les urines. De nouveau elle fut soumise au régime lacté et s'en trouva bien. Pendant sa seconde grossesse, mêmes accidents à allure très capricieuse. Depuis son accouchement elle n'a presque pas quitté les hôpitaux de Paris ou de Lille. Elle a passé chez nous au moins un an, de sorte que nous avons pu l'étudier à loisir. Comme signe de lésion rénale, nous avons constaté l'existence d'une douleur localisée au niveau du rein gauche, notoirement augmenté de volume, des hématuries et de temps en temps, après des crises de douleur plus vives, l'évacuation d'un abondant dépôt ayant les apparences du pus. Cette éva-

cuation se reproduisait chaque fois pendant plusieurs jours.

Comme symptômes de névropathie elle a présenté des crises nerveuses, de l'aménorrhée, de l'anuriequi a duré une fois!7jours, des vomissements, de la céphalée, des troubles de la sensibilité, etc., etc.

Le hasard m'ayant fait découvrir que cette fille était facilement hypnotisable, je résolus d'en profiter pour son traitement. A divers intervalles je l'endormis et toujours il en résulta pour elle la disparition de quelque symptôme pénible, un soulagement temporaire. Ainsi, à certains moments, elle accusait ou une céphalée pénible, ou des douleurs très vives dans le côté gauche, ou des nausées incessantes, ou une insomnie rebelle. L'application de ma main, pendant le sommeil provoqué, sur la partie intéressée, suffisait à faire disparaître ces divers symptômes et toujours, pendant les heures qui suivaient la séance, il y avait un soulagement marqué.

Frappé de ces résultats, j'ai essayé de les rendre durables en prolongeant la durée du sommeil et isolant la malade de son milieu, qui était pour elle offensant. Pour cela vous m'avez vu la placer dans un cabinet spécial où je l'endormais d'abord pour quelques heures, plus tard pour tout un jour, enfin jusqu'au lendemain. Voici alors comment je procédais. Le matin à la fin de la visite, je l'endormais ; toujours je consacrais un certain temps à la délivrer de ses douleurs et de ses malaises et je ne la quittais que lorsqu'elle accusait un véritable bien-être en lui donnant l'ordre de ne se réveiller que le soir, au moment de la visite de l'interne, pour dîner. Après le diner elle devait prendre un demi-verre d'eau, que je préparais, et se rendormir jusqu'au lendemain matin. A mon arrivée à l'hôpital je la réveillais et elle pouvait se lever, faire sa toilette et prendre son repas jusqu'à la fin de la visite, où je l'endormais de nouveau.

Sous l'action de ce traitement, un mieux sensible s'était produit, non seulement dans la santé, mais même dans le caractère, et je ne désespérais pas d'arriver à une guérison complète, lorsque des circonstances fortuites m'obligèrent à interrompre le traitement que je pus ensuite reprendre, la malade ayant dû quitter le service pour des motifs d'ordre intérieur.

Il vous paraîtra peut-être surprenant de voir entreprendre le traitement des lésions organiques par des moyens purement suggestifs ; cependant, vous verrez, en y réfléchissant, que

rien n'est plus rationnel. A quoi se borne l'action thérapeutique dans les maladies contre lesquelles nous ne possédons pas un traitement spécifique? A combattre quelques symptômes et à rétablir l'harmonie fonctionnelle compromise, et c'est par ce fonctionnement harmonique de tous les organes que la guérison est réalisée. La douleur, l'insomnie, l'excitation nerveuse ou l'atonie, les troubles circulatoires digestifs ou urinaires, sont combattus par des moyens appropriés, et puis à la nature est laissé le soin de la guérison. On fait tout cela, lorsqu'on a recours à l'hypnotisme, puisqu'on délivre le sujet hypnotisé de tous les symptômes pénibles, qu'on rétablit, mieux que par aucun autre moyen, le fonctionnement harmonique des organes, et qu'on modère ou supprime l'action offensante du milieu.

Arrêtons-nous un moment â ce dernier point, qui a une si grande importance. Le milieu pour un malade, quel qu'il soit, joue un rôle prépondérant, et le médecin ne saurait trop s'en préoccuper. L'air, la lumière, la température, le bruit, les odeurs, les voisinages de toute sorte, avec leurs manifestations perceptibles pour les sens, importent pour le malade retenu chez lui, nul ne l'ignore, et on a l'heureuse habitude de s'en préoccuper pour les installations.

Les aliments, les boissons, les vêtements, sièges, couchages, etc., importent aussi et ils sont l'objet d'une attention spéciale de la part des médecins et des familles. C'est qu'ils contribuent, comme l'air, la lumière, la chaleur, etc., à constituer le milieu.

A côté de ces conditions matérielles, dont tout le monde apprécie l'importance, il en est d'autres plus négligées et qui parfois deviennent prépondérantes. Je veux parler des conditions morales crées par l'entourage.

Oh! sans doute tout le monde sait qu'il ne faut pas fatiguer les malades et qu'on doit leur éviter les préoccupations et les visites, aussi, autant que possible, place-t-on â côté d'eux, quand ils sont très malades, des gardes expérimentés, toute autre personne étant écartée avec soin. C'est là un moyen de défense précieux qu'on ne doit pas négliger, mais combien il est insuffisant pour qui sait observer ! Un enfant, une femme, un mari, un soldat, peu importe, est très malade. Il a même du délire et semble ne connaître personne de son entourage ; pourquoi a-t-il passé quelques heures ou même une nuit si calme, lorsque, pendant le jour précédent, il était

si agité? Au contraire, pourquoi le lendemain a-t-il été si agité lorsque la veille il était si calme ? Ne cherchez l'explication ni dans les aliments, ni dans les boissons, ni dans les remèdes. Ils n'ont pas changé. Elle est dans le caractère, dans la vertu de la personne qui a passé la nuit ou la journée à côté du malade. Quoique ce dernier eût l'air de ne pas la connaître, il l'a sentait et éprouvait de sa présence une action bienfaisante, calmante ou bien, au contraire, un véritable malaise.

L'enfant qui pleure au départ de sa bonne ou de sa mère et demeure inconsolable jusqu'à son retour n'est pas toujours un petit despote qui veut tout plier à son caprice, c'est souvent un petit sensitif, dont tout l'être souffre lorsque s'éloigne de lui sa mère, en qui et par qui il vit. Beaucoup de malades sont comme cet enfant et certaines personnes de leur entourage leur sont nécessaires. Découvrez-les et ne les éloignez pas; d'autres les troublent, écartez-les avec soin. Vous aurez ainsi fait œuvre médicale et créé un milieu moral favorable. Combien cette œuvre est difficile et peu comprise ! Aussi peu de médecins s'en préoccupent.

L'hypnotisme, judicieusement employé, peut donc être utilisé, non seulement pour faire disparaître d'une manière plus ou moins brusque des accidents nerveux; mais aussi comme mode de traitement de toutes les maladies: il peut être tour à tour ou simultanément, pour les sujets sensibles, l'hypnotique qui endort, le sédatif qui calme, le laxatif qui purge, le tonique qui fortifie, etc. Il est surtout le seul agent capable de rétablir l'harmonie fonctionnelle détruite ou pervertie.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Síance armuelle du 19 Juillet 1897. — Présidence de M. Dumontpallier.

(suite)

Un cas de neurasthénie psychique guéri par la dynamogénie

suggestive,

Par M. le Dr paul Hartexberg.

La « dynamogénie suggestive » vient do me procurer un beau succès thérapeutique, dont les conditions particulièrement intéressantes méritent d'être exposées avec quelques détails.

Voici l'observation très résumée de mon malade. C'est un homme de

quarante et un ans. exerçant la profession d'artiste, qui, par surmenage et mauvaise hygiène, souffre depuis trois ans de dyspepsie modérée, sur laquelle sont venues se greffer certaines représentations autosuggestives, telles que céphalée, abattement, tristesse, insomnie. A l'examen je ne constate aucune lésion, sauf un certain degré de dilatation d'estomac et un état général défectueux. L'eau de Vichy, les reconstituants, l'hydrothérapie, conseillés par plusieurs médecins, n'avaient produit aucune amélioration sensible.

Comme il m'était adressé pour subir un traitement hypnotique, j'essayai, dès la première visite, d'obtenir le sommeil. Mais mes efforts répétés n'obtinrent aucun succès. Le malade était nerveux, inquiet, agité, secoué par des tressaillements musculaires, et il m'était absolument impossible de fixer son attention. Je lui maintenais les paupières abaissées, en lui suggérant le sommeil, mais dès que je m'écartais de lui, il ouvrait les yeux et se mettait à parler. Néanmoins je l'engageai à ne pas se décourager ; je lui affirmai qu'une première tentative était rarement suivie de résultat et qu'il était nécessaire de recommencer l'expérience. II revint ainsi trois fois, et je ne fus pas plus heureux.

Mais pendant ces trois visites, j'eus le loisir de l'examiner plus longuement et plus attentivement; je pus étudier d'une façon plus précise, et son caractère normal, et le mécanisme psychologique de sa névrose.

Lorsqu'il arrivait chez moi et que je lui demandais des nouvelles de sa santé, il partait aussitôt dans une description de sa maladie, me contant son histoire et les symptômes éprouvés avec une abondance de paroles extraordinaire.

Tout en causant, il se promenait à grands pas dans mon cabinet, s'animait peu à peu, accompagnait son récit de gestes amples et dramatiques, absolument comme s'il eût joué un rôle sur la scène, au théâtre. « Ah ! docteur, me disait-il d'une voix vibrante, comment vous exprimer tout ce que j'éprouve? A l'estomac, c'est une douleur, continue, horrible, intolérable, comme si un animal me rongeait les entrailles. Mon cœur est si serré qu'il me parait écrasé dans un éteau ; ma tête est à la fois vide et lourde comme si elle était remplie avec du plomb : il me semble que mon crâne va éclater : Parfois je suis si triste, si découragé, que j'ai des idées folles et que je pense à chercher la mort. Ah! comme je souffre, comme je souffre! » En prononçant ces derniers mots, il s'arrêtait rie marcher, prenait sa tète entre ses mains, dans un geste à la Monnet-Sully, et restait ainsi, dans une altitude tragique, complètement absorbé en lui-même, isolé du mo:ide extérieur, au point qu'il oubliait et ma présence et le lieu où il se trouvait. D'un mot je le rappelais à la réalité. Et, tout étonné, comme s'il sortait d'un rêve, il me faisait des excuses de sa distraction.

L'analyse et l'interprétation de la conduite do mon malade, m'amenèrent à envisager d'une façon toute spéciale la nature de ses accidents nerveux. Evidemment, il s'agissait là d'une neurasthénie psychique,

par auto-suggestion, développée à la faveur d'une dyspepsie et d'une fatigue du système nerveux, ainsi que je l'avais affirmé dans mon diagnostic primitif, mais un élément individuel inaccoutumé intervenait pour donner une physionomie toute spéciale à la névrose. C'était la profession d'acteur.

Cet homme se jouait véritablement à lui-même ia comédie de son mal. Alors que les neurasthéniques vulgaires de cette catégorie se contentent d'éprouver passivement leurs impressions douloureuses, celui-ci les rendait actives, les objectivait, les vivait pour ainsi dire en les exagérant pur une part considérable d'imagination et d'émotion. Chez lui, comme chez tous les artistes de théâtre, le dédoublement de la personnalité était une habitude professionnelle. Lorsqu'il me racontait sa maladie, il se dédoublait évidemment en deux personnages : l'un qui parlait, souffrait, gesticulait ; l'autre qui entendait, regardait, observait.

Je fus heureux de trouver récemment dans un article de M. A. Binet, de curieux détails fournis par d'éminents artistes sur ce phénomène' psychologique (1)

Mme Bartet, de la Comédie-Française, dit: « Toujours je me vois et je m'entends jouer ; j'assiste à mon jeu, je me dédouble assez pour discerner le son et les intonations de mes paroles, la suite de mes attitudes, de mes mouvements et de mes gesles...» Ailleurs, elle fait celte remarque que «l'émotion artistique a deux caractères bien particuliers.: 1° elle reste toujours agréable ; 2° elle est soumise à la volonté ». Or, la particularité des émotions do mon malade est qu'elles no pouvaient être arrêtées par la volonté : ¡1 est clair que, s'il avait pu les supprimer à son gré, il cessait aussitôt de souffrir. Et quand je faisais appel A son jugement sain, à sa raison, quand je lui demandais énergiquement : « Eles-vous réellement malade, vous pensez-vous sérieusement atteint, avez-vous des raisons suffisantes pour croire à l'existence de vos dou-lours, pour souffrir, pour vous désoler, pour être triste et désespéré ? i il me répondait bien franchement: « Non, je ne crois pas que je sois malade, je sens bien que c'est mon imagination qui fait tout !e mal, mais je ne peux pas m'empêcher d'être ainsi. »

Maïs, d'autre part, je crus remarquer que pendant son dédoublement, mon malade éprouvait, a coté de l'émotion douloureuse, une certaine pari d'émotion agréable. Lorsqu'il s'abandonnait ù son jeu passionné, au point d'oublier ma présence et le lieu où il se trouvait, il me j.arut, de même que s'il avait sur la scène interprété un rôle convenu de désespoir, ressentir de la satisfaction à exprimer sa souffrance par la voix et par le geste.

Ce singulier mélange de plaisir et de douleur n'est ni aussi anormal, ni aussi rare qu'on pourrait penser. On le constate selon des proposions diverses, dans nombre d'épisodes affectifs de la vie psychique. 11 est fréquent de voir des Intellectuels qui se désolent et se félicitent à la

(1) A. Binet. L'Emotion chez les acteurs. Réflexions sur le paradoxe de Diderot.— n Année psychologique. Tome III (1897).

fois de leurs tortures morales. Mais c'est chez les femmes hystériques Burtout que l'observation en est facile, chez ces grandes joueuses de comédie par excellence, où il est souvent si malaisé d'établir où finit la sincérité et où commence le simulacre. A celte comédie qu'elles jouent, elles trouvent un sensible plaisir, même quand ce sont des symptômes douloureux dont elles manifestent l'existcnce.

Dans leur état de conscience, où de prime abord parait régner exclusivement un sentiment pénible, coexistent des éléments émotifs secondaires, qui ont un caractère plutôt agréable. Telles sont la satisfaction de se faire plaindre par leur entourage, la vanité de voir tout le monde s'empresser autour d'elles et prompt à contenter leurs moindres caprices: en un mot, le plaisir de se sentir intéressantes: et peut-être aussi un singulier orgueil de la souffrance même, qui est considérée par certains esprits comme une aristocratie do la sensibilité.

Sans doute y eut-il dans le cas de mon malade un phénomène semblable, et que le théâtre, où la douleur est embellie et presque divinisée par l'exemple des grands héros de l'histoire et do la légende, lui avait appris que souffrir est une émotion noble.

Des que je fus bien pénétré de ces considérations, je modifiai complètement ma ligne de conduite : « Puisque cet homme, me dis-je, se joue une comédie de maladie, il faut, pour le guérir, lui faire jouer une comédie de sanLé ». Je cessai de m'obstiner à vouloir à tout prix obtenir le sommeil hypnotique. Je divisai les séances en deux parties. Dans la première, je le faisais asseoir dans un fauteuil, me contentant do lui tenir les yeux fermés pour éviter toute distraction visuelle, et sans aucua ordre de dormir, je l'engageais seulement ù bien concentrer son attention, à bien se pénétrer des paroles que j'allais lui dire. Je lui affirmais d'abord la bénignité et le peu d'importance de son mal. « Lui-même d'ailleurs sentait parfaitement que ses souffrances et ses inquiétudes n'avaient aucune base, et que sa volonté suffirait à les anéantir, si elle était assez puissante. C'est donc la décision volontaire, la maîtrise de soi-même qu'il fallait développer chez lui. a Je lis l'éloge de la volonté ; je montrai comment elle élève et ennoblit le caractère, tandis qu'au contraire la douleur le rapetisse et l'avilit, « Les malaises nerveux, les bobos, les vapeurs, laissons cela aux femmes ; mais que l'homme soit ferme, énergique et courageux. » Et je fortifiais mes affirmations par des exemples, en montrant la beauté morale des héros du répertoire depuis Eschyle jusqu'à Victor Hugo, « Et c'est un homme comme ceux-là qu'il faut devenir! *

Dans lu deuxième partie, je faisais réaliser et passer en acte les suggestions précédentes. Conformément à ce principe que l'attitude physique détermine par association des états psychiques correspondants, je commandais à mon sujet une série d'exercices, tels que : exécuter des mouvements autoritaires, marcher avec une allure assurée, débiter des tirades héroïques de Ruy-Blas. Je m'efforçais de faire donner à sa physionomie une expression calme et décidée. En même temps, je le

stimulais de la voix et du geste : a Imaginez-vous, lui disaîs-je, que votre volonté est un général tenant sous sa domination tous les nerfs de votre corps, qui doivent lui obéir aveuglément. Ils ont tenté de se révolter. Les laisserez-vous agir? Accepterez-vous cette rébellion? Non pas: il faut les contenir, les raailriser, les réduire à l!obéissance entière. »

Puis me plaçant en face de lui, et lui serrant énergiquement les poignets, je lui disais :« Levez la téte, redressez le buste, avancez la poitrine, regardez-moi bien en face, hardiment, sans crainte, sans timidité; tenez-vous avec assurance, parlez avec fermeté, vivez avec confiance ». Et je le faisais encore aller, venir, parler, agir.

Chaque jour je répétai, pendant une heure, les différents exercices de gymnastique morale. Naturellement, je prescrivis contre la dyspepsie un régime sévère et je relevai l'état général par une hygiène appropriée.

Au bout de vingt-cinq jours, je pus considérer le malade comme guéri.

Ce que j'ai fait en cette occasion, c'est de la dynamogénie suggestive,— selon la méthode du profr Bernheim, que j'ai exposée autrefois, — de la suggestion active, appropriée à l'individualité psychique du sujet-Car voici le grand secret, lorsqu'on veut réussir en psychothérapie : c'est de savoir adapter la suggestion à la personnalité normale et morbide du malade. Il ne s'agit plus ici d'hypnotisme distribué à dose massive et brutale, indistinctement et uniformément à tous les malades, quelles que soient les variétés de leurs névroses, mais d'une thérapeutique autrement subtile et complexe, basée sur le diagnostic psychique du sujet, sur l'étude raisonnée de son caractère, sur la recherche du mécanisme intime de ses accidents nerveux et qui appelle à son secours à la fois le jugement, la représentation mentale et l'émotivité.

Ceci n'enlève rien de sa valeur à l'immense pouvoir du sommeil provoqué.

Quelque opinion qu'on aie sur sa nature, sur son mécanisme psycho-physiologique et sur ses rapports avec le sommeil normal, il reste toujours le merveilleux auxiliaire qui permet une action si rapide et si profonde de l'esprit sur l'esprit ; et nul plus que moi n'en saurait être un partisan convaincu.

Mais, malgré tant de mérites, la pratique nous apprend qu'il est des cas où il est impossible, et des cas où il échoue. C'est alors, lorsqu'il s'agir de guérir quand même le malade, qu'il faut bien s'adresser à d'autres procédés de suggestion, et qu'on doit avoir recours à d'autres états psychologiques, de ceux que Liébeault appellerait « analogues », et Durand de Gros « hypotaxiques », et qui me paraissent intervenir pour une grande part dans la dynamogénie suggestive.

La méthode est délicate et malaisée ; elle met on jeu toute l'ingéniosité et toute la patience du médecin : mais elle procure quelquefois des succès remarquables et des satisfactions intéressantes. Cette observation m'en parait un exemple significatif.

La photographie des états hyper vibratoires de la vitalité humaine Méthode de Radiographie humaine

Par M. le Dr Hipp. Baraduc, de Paris.

Ma méthode de Radiographie humaine à distance et sans contact pelliculaire, c'est-à-dire sans contact du corps avec la face sensible de la plaque, repose sur un fait capital indéniable que j'ai démontré dès 1895 dans une brochure intitulée: Différence graphique des fluides électrique, vital, psychique, où je résumais mes travaux commencés en 1893.

Ce fait continuellement confirmé depuis est le suivant :

La plaque photographique actuelle (type Lumière) est impressionnée, c'est-à-dire a ses sels d'argent réduits, par une double manifestation de la vitalité humaine. Ces deux phénomènes d'observation possible et enregistrable sont :

I. — La Force Courbe ou les vibrations de l'Ether Cosmique attirées dans une zone périphérique au corps humain, lorsque nous sommes en un état lujpervibratoire de contraction do resserrement, de condensation

FORCE COURBE. — tourbillon d'étheu

N° 1. —Force courbe cosmique.— ???? de colere. — Tempête fluidique produite sur une plaque mise, face verre, sur le front d'une personne prise d'an violent accès de colore rentrée, Sans électricité. — Durée : 7-minutes. C. D.). Un cliché-analogue a été obtenu par moi au moment de l'agonie mortelle d'un pigeon que Je n'ai pas, par suite, osé tuer.

intérieure. Les vibrations de î'Ether nous pénêtrcntalors, nous envahissent en raison de la contraction de notre vitalité sur elle-même, lorsque nous disons que les nerfs se nouent, se contractent.

Cette force donne des empreintes des formes les plus variées, depuis les lignes à courbures peu accentuées jusqu'à celles qui sont fermées

comme l'ellipse, l'anse, le demi-cercle, le vorlex et même le tourbillon nettement dessiné. Les empreintes obtenues peuvent se diviser en catégories suivant le degré de fermeture de la courbe et l'épaisseur du trait en plusieurs aura d'éther (').

A) Ether plastique, se fragmentant en une sorte de neige ou facules lumineuses correspondant à une période de réfection de notre vitalité intime après une fatigue, par exemple; c'est le travail réparateur. FORCK COURBE. — ÉTHER subtil

N" — Force courbe cosmique.—Aura de comeatsio.— Cette épreuve photographique a été obtenue an moment où'la vibration intime de l'enfant plaignant la mort du faisan a fait vibrer 1e cosmos autour d'André en une zone fluidique d'anses fines supé-rieuremeiit ilirigccuau-dcssusdcsa lete, et en un tissu réticule de sensibilité cosmique autour de l'oiseau. (Sans électricité.)

B) Ether en tourbillon, lorsque notre état d'àmc est angoissé, très impressionné (n° 1).

C) Ether subtil lorsque notre esprit vibre d'uno façon élevée (n° 2). — Ces vibrations cosmiques extérieures à nous semblent correspondre à nos propres vibrations internes ; il y aurait une sorte d'induction ou

(3) Le mot d'aura désigne la zone fluidique externe, l'atmosphère vîscatoire d'une personne très vibrante intérieurement.

de synchronisme vibratoire entre notre vitalité et la vie universelle La photographie des vibrations de l'éther, des différentes ,aura de la force courbe qui sont produites par dos états d'âme différents, angoissés compatissants, élevée, recueillis, a été présentée à la Société de Biologie dans la séance du 3 juillet 1897; on peut ainsi résumer cette communication : L'Elher cosmique périphérique à ??us, vibre quand

AURA D'EXPANSION HUMAINE

émanations VOLONTAIRE

n° 3. — Perles volontaire, — des émanations fluidiques humaines ont été produites par une personne tres énergique en face d'un appareil photographique mis préalablement au point. L'obscurité faite, b ?ersonne durant un quart d'heure projette sa voiculé sur 1? pl*juo qu'elle veut, à travers la lentille, impressionner de sa décharge psvolitqoe. (Nombreux clichés.)

et comme nous vibrons nous~mêrne intérieurement; il présente une ligne courbe différents de la ligne droite brisée électrique.

IL — Le fluide humain et les émanations vitales extériorisés du corps humain lorsque nous sommes en un état hypervihratoire d'expansion ou de décondensalion n° 3) La plaque a donc ses sels-réduits par cette

double manifestation de notre vitalité, elle est ainsi devenue le témoin irrécusable de tout un ordre de phénomènes qui aident puissamment à la connaissance de soi-même. Ces phénomènes s'observent, s'enregistrent d'après une méthode scientifiquement établie, dont j'ai fait l'exposé dans une note cachetée, déposée à l'Institut dans la séance du 21 juin 1897 et inscrite sous le n° 5927.

Cette méthode consiste en l'impression de la plaque, sans contact aucun, ni direct, ni indirect de la pellicule, par la main ou le corps humain. Cette photographie dans le noir, est faîte â sec, sans contact pelliculiaire, ou â distance avec appareil photographique, mais le plus souvent sans cet appareil. Elle prend nos propres vibrations, ou celles que nous produisons dans une zone qui nous entoure, lorsque nous éprouvons une suractivité vibratoire, vitale, émotive, volontaire ou imaginative. On obtient alors dans ces moments, ou avec les gens doués de tempérament excessivement vibrant, l'impression de ces vibrations sur des plaques, en mettant celles-ci dans ce que l'on peut appeler la photosphère humaine; notre atmosphère vibratoire facilement obtenue dans l'obscurité, peut aussi se manifester au demi-jour, lorsqu'elle est très intense.

Il y a un double procédé â la méthode :

i* Procédé de Laboratoire. — On opère dans une chambre noire, à la lumière rouge, avec ou sans appareil : A), la main au-dessus de la

plaque-, ou le front mis en rapport avec la face verre de la plaque ; Bj, en mettant au point une personne que l'on plonge dans l'obscurité avant d'ouvrir le châssis de l'appareil photographique. Il faut nécessairement que cette personne soit en état vibratoire, volontaire ou émotif.

Ce procédé de laboratoire bien installé m'a servi pour toutes les nombreuses expériences faites chez moi.

2° Procédé portatif. — Jl consiste â employer des plaques préalablement occluses dans un double portefeuille ou mises, dans un châssis léger, recouvert d'un verre arrêtant les rayons solaires. Il faut mainte-

nir la face verre séparée de la peau par l'épaisseur de l'enveloppe en contact avec la surface du corps, au moment de la période vibratoire ; la plaque occluse mise dans un petit appareil de contention, constitue le Radiographe portatif, qui enregistre les mouvements dits de l'âme ou de notre vitalité vibrante.

Le mouvement vibratoire interne a lieu : il est expansif et ia vitalité s'extériorise, ou contractif et la vitalité condensée attire les vagues, les ondes, les anses, les tourbillons de l'Ether de la force Cosmique.

Les clichés prouvent ces états hypcrvibratoires, qu'ils soient pris à la tète chez une extatique, au front pendant la méditation, au cœur dans la passion, à l'estomac pendant la fièvre et le frisson, à la rate dans l'hallucination obsédante, aux organes génitaux durant l'imprégnation du coit.

Ces quelques exemples au milieu de bien d'autres suffisent amplement pour démontrer le bien fondé de la méthode radiographique humaine tant comme méthode d'observation que comme technique opératoire, dont je rappelle ici les principaux termes :

1" Agir à dislance cl sans contact pelliculaire : A) dans le laboratoire noir; B) avec une plaque occluse.

2° Eliminer les plaques piquées ou a vacuoles, défauts de préparation.

3° Se garer des fautes manipulatoires, provenant de la pression des doigts, des taches, des érafiures, de la graisse, du défaut d'homogénéité, de la révélation sensible, des bavures du lavage, du défaut d'agitation des bains.

4° N'avoir qu'une confiance modérée, dans l'examen des épreuves sur papier sensible, car celui-ci reproduit aussi bien les fautes techniques dues à la gélatine, que les empreintes dues â la réduction des sels d'argent.

Que le mécanisme de la réduction des sels d'argent soit physique ou chimique, elle se produit; qu'elle soit plus ou moins intense, superficielle ou profonde, effectuée de la face libre à la face verre de la plaque ou inversement, cette réduction est le critérium de la manifestation physique do lu vibration invisible dent on peut vérifier lu direction et le sens de; nous à ce qui n'est pas nous, en observant le cliché.

C'est donc le cîicbé qu'il faut voir pour croire et non l'épreuve qu'on en a tirée, dans la stricte observation scientifique. — Ainsi la plaque occluse devient le fidèle témoin des échanges vibratoires qui se passent réciproquement entre l'homme et l'univers : elle ouvre pour ainsi dire un monde nouveau à nos investigations, celui des vibrations communes à fa vie universelle et à la vitalité particulière de l'homme dans cette zone qui nous entoure et nous met en rapport avec le Cosmos invisible, zone que l'on peut appeler la photosphère humaine.

Ces phénomènes réputés extraordinaires s'éloignent donc du mystère et de la négation pour rentrer dans l'expérimentation physique.

La plaque prise comme témoin irrécusable des vibrations humaines, enregistrées dans l'obscurité, montre que l'homme est un centre de

consommation non seulement de substances solides, liquides ou gazeuses empruntées à notre planète, mais encore un foyer, un centre de vibrations lumineuses qu'il entretient pour son existence, en puisant et en rejetant tour à tour dans le Cosmos invisible, la force Courbe de l'Ether attirée par lui, et les parcelles de sa vitalité vécue qu'il rejette, qu'il expire volontairement ou involontairement dans l'espace.

Ainsi se trouvent démontrées les relations intimes qui existent entre nos petites vitalités particulières et l'immensité des forces cosmiques invisibles, dont nous ressentons le bienfait, comme le contre-coup manifeste.

C'est ainsi que certaines aura, certaines crises envahissantes peuvent rendre compte des troubles nerveux consécutifs observés, et rentrent du fait même dans un chapitre spécial de maladies fluidiques et et vitales, sine rnateria organique, mais de cause cosmique invisible.

Considérations psychologiques sur la nature et le traitement des phobies.

Par M. le D' P. Valentin.

Les communications faites par M. Iîérillon k nos deux dernières séances ont remis à l'ordre dujourde la Société l'intéressante question des phobies. Je profile de l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour revenir sur ce sujet et pour soumettre à votre bienveillante attention quelques réflexions personnelles sur la psychologie clinique et thérapeutique de ces troubles, dont la palhogénie est loin d'être, à l'heure actuelle, complètement élucidée.

Ce qui frappe tout d'abord, quand on consulte les auteurs, c'est la divergence de leurs opinions, touchant le mécanisme intime qui ptéaide à !a genèse et à l'évolution des phobies. Tous, sans doute, signalent avec raison le phénomène d'angoisse ou d'anxiété qui domine 1« scène, mais, quand il s'agit d'interpréter ce symptôme et d'eu préciser la nature, les contradictions sont flagrantes.

Les uns — les aliénistes — sans insister sur l'importance réservée au facteur émoti!', rangent toutes les phobies sans exception dans !e cadre élastique de la folie héréditaire des dégénérés : ils en font, tantôt une variété d'obsession irrésistible, tantôt un délire émotif, tantôt une folie raisonnante ; et, pour la majorité d'entre eux, toute phobie n'est guère que le premier stade d'une monomanie future : folie du doute ou du scrupule, délire des contacts ou du toucher.

D'autres confondent aussi les phobies avec les obsessions, maïs veulent bien reconnaître, comme M. G. Ballet, qu'au fond, « quelle que soit la physionomie qu'elles revêtent, les phobies décèlent toutes le même état mental sous-jacent, c'est-à-dire émotivité excessive des individus qui les présentent » : j'ai nommé les neurcpathologistes.

Deux thèses importantes écrites par MM. Bouveret et Lcvillain sous l'inspiration de Chareot, mentionnent les phobies à titre de complication de la maladie de Bcard.

Dans son livre sur la neurasthénie, M. A. Mathieu se heurte à plusieurs reprises au problème des phobies, sans arriver, semble-t-il, à se faire une opinion bien claire de leurs rapports respectifs avec la dégénérescence mentale et l'épuisement nerveux. Pour lui, en effet, la phobie n'est d'abord « qu'une des nombreuses variétés de la folie du doute. » 11 la rapproche des phénomènes normaux d'* angoisse psychique », de « susceptibilité anxieuse »,d' « inquiétude exagérée ». Quand elles sont très marquées, il les tient pour absolument étrangères à la neurasthénie : « elles seraient alors fonction de dégénérescence héréditaire. » Mais • on n'est pas en droit, dit-il plus loin, de rejeter du cadre de la neurasthénie les laits dans lesquels les phobies sont à l'état rudimen-taire ». Ces phobies, de nature neurasthénique, lui semblent résulter « du simple affaiblissement de la volonté et du contrôle personnel » ; il y voit encore a une période cette confiance en soi » qui,chez l'homme normal, est le fruit de l'éducation et de l'habitude.

Plus récemment, il est vrai, dans une étude critique de la thèse de Morrel, M. A. Mathieu insiste davantage, avec l'auteur, sur les phénomènes d'angoisse, et les considère comme traduisant « une véritable crise nerveuse, non plus dans le domaine de la motricité, mais dans Celui de la sensibilité. » Il persiste d'ailleurs dans son ancienne conviction que « l'obsession n'est, en quelque sorte, que la phobie à l'état chronique » ; et il affirme à nouveau que, « suivant leur degré ou leur durée, les phobies peuvent être un signe de neurasthénie ou un stigmate de dégénérescence. »

Morrel attache déjà plus d'importance aux troubles d'ordre purement émotif. En psycho-physiologiste attentionné, il a bien vu qu'à côté de la diminution de la faculté de contrôle et de coordination, il y a surtout chez les phobïquss ? une augmentation morbide do l'excitabilité nerveuse ». De là cette constatation si juste que « dans la phobie, il n'y a pas nécessairement débilité primitive de la volonté ». La déséquili-bration psychique de ces malades vient de ce qu'ils « perçoivent vivement les choses » et a qu*ils sont plus que les autres impressionnés par le danger ». Fort bien ; mais pourquoi Morrel n'a-t-il pas cru devoir pousser jusqu'au bout l'analyse de cet élément émotionnel? . J'adresserai lu même remarque a M. Edgar Bérillon, qui, du ???1?, dans ses intéressantes études sur les phobies professionnelles, semble s'être beaucoup moins préoccupé de la théorie que de la pratique. « Ces états, écrit-il, sont caractérisés par un ensemble de sensations émotionnelles, au milieu desquelles la sensation de l'effroi, de ia peur irréfléchie et angoissante, paraît toujours dominer. » Mais i! est, lui aussi, hanté par le creû*0 si cher à l'Ecole de la Salpêtrière, et il ajoute : « II est peu de neurasthéniques chez lesquels ces peurs, aussi dérai-

sonnées qu'indéfinissables, n'existent à un degré variable. » Dans un autre passage du m Sine article, il est frappé surtout de l'irrésolution, de l'indécision, du manque d'initiative des phobiques, et se pose uniquement la question de savoir si, oui ou non, n les phobies neurasthéniques s graves méritent d'être comptées parmi les symptômes de l'aliénation mentale. Enfin, le « trac des chanteurs » ne relêve-t-il pas pour lui d'un seul grand facteur étiologiquc : la neurasthénie, qui « chez les artistes se complique souvent d'anxiété ? »

Ainsi donc, neurasthénie d'une part, dégénérescence mentale de l'autre, tels sont les deux pôles autour desquels tourne la discussion, dès qu'il sagit d'interpréter le dynamisme psychique morbide dont la mise en jeu constitue les phobies. L'élément émotif, reconnu partons les auteurs que j'ai cités, n"est analysé à fond par aucun d'eux. Il n'existe, à ma connaissance, qu'une seule monographie où l'émotion, considérée comme facteur prépondérant des phobies, ait été étudiée de près au triple point de vue de ses causes, de ses effets et de ses rapports avec les autres éléments du syndrome ; je veux parler de la communication faite par MM. Pitres et Régis au Congrès de Nancy (1896) sur la psychologie physiologique de 1' « Ereutophobie. »

S'inspirant avec raison des idées nouvelles émises par W. James et Lange sur la nature de l'émotion, ils envisagent d'une façon générale les phobies comme « des peurs morbides ayant essentiellement pour objet une des manifestations plus ou moins directes de la fonction vaso-motrice, telles que la rougeur, la pâleur, la sueur, etc. » L'émotion devient pour eux la conscience pure et simple des violentes modifications neuro-vasculaires qui s'accomplissent, à la faveur d'une excitation élective, dans les profondeurs viscérales de notre organisme. L'idée fausse qui intervient dans la constitution des phobies, n'est plus, dans celte hypothèse, qu'un élément surajouté d'ordre intellectuel, analogue seulement à l'obsession, dont elle n'est que l'équivalent affectif et qui doit en être soigneusement distinguée. Ainsi comprises, les phobies se présentent comme des états physiologiques en réalité très complexes, où se mêlent, suivant les cas, dans uue proportion inconstante, des phénomènes de trois ordro3 — vaso-moteur, émotif, intellectuel — mais dont l'élément fondamental, sinon toujours primitif, est bien l'élément émotionnel, véritable « hypermnésie systématique de la mémoire affective », selon l'heureuse expression des auteurs.

Je me rallie, pour ma part, d'autant plus volontiers à cette opinion de MM. Pitres et Régis, que j'étais arrivé moi-même à des conclusions presque identiques, lu jour où j'ai pris connaissance de leur mémoire.

Après avoir en effet renoncé à comprendre, d'après les psychographes nommés plus haut, le mécanisme intime des phobies, j'avais délibérément résolu de demander aux psychologues de profession le fil conducteurs que les cliniciens ne pouvaient me fournir. C'est ainsi que je fus amené :i iire successivement les pages consacrées à l'analyse de la

peur, par Ch. Darwin, Mantegazza, Mosso, Preyer, A.lîain, H. Spencer et Maudsley. Enfin, avec M. Th. Ribot pour guide, j'inîcrprétai la théorie de W. James et de Lange, sur la nature des émotions. J'arrivai par là, peu à peu, à me donner une explication de plus en plus cohé-' rente et plausible de !a genèse des peurs morbides.

Pour aujourd'hui, je me bornerai à vous communiquer le résultat sommaire de ces recherches pcrsoiineUes, me réservant de compléter bientôt cette théorie psycho-biologique des phobies, pardes observations cliniques, sans oublier la contre-épreuve thérapeutique qu'elles comportent et qui en garantit la légitimité.

Voici donc, résumées en quelques propositions substantielles, les conclusions de ce travail :

1° Si, faisant abstraction, pour un temps, des opinions d'ailleurs contradictoires des neurologistcs et des psychiatres, on étudie les faits à la lumière impartiale de la psychologie clinique et thérapeutique, on en vient à regarder les phobies comme des processus psycho-physiologiques très complexes, dont il est souvent difficile, dans la pratique, de classer, dans leur ordre naturel de dépendance, les divers facteurs constitutifs. Seul, un examen approfondi et raisonné du dynamisme psychique des malades peut, en pareille matière, apporter au médecin les éléments d'un diagnostic autorisé ;

2° Les phobies sont des peurs pathologiques, pouvant survenir chez tout individu en imminence de fatigue ou de déséquilibration nerveuses, mais affectant de préférence les psycho-névropathes, qu'ils soient ou non entachés de dégénérescence mentale. Loin de faire nécessairement partie des symptômes de complication de la neurasthénie, les phobies manquent souvent chez les neurasthéniques le plus gravement atteint. Elles sont fréquentes, par contre, dans l'hystérie et même dans le simple nervosisme sans détermination précise. On les trouve enfin, à titre de paroxyme épisodique, chez des dégénérés héréditaires, exempts de tout stigmate neurasthénique ou hystérique confirmé ; 3° Tous les éléments de l'activité psychique peuvent jouer un rôle dans la naissance et le développement des phobies. Mas le facteur prépondérant est toujours l'élément émotionnel, subslratum en quelque sorte pathognomonique du syndrome, qui traduit subjectivement l'hyperexcitabilitd fondamentale du système neuro-vasculaire. C'est en effet à une perturbation, congénitale ou acquise, des fonctions vaso-motrices, qu'il faut rapporter l'origine de l'émotivilé morbide des phobiques. Ce rùle principal dévolu aux centres circulatoires, tant médullaires que sympathiques, rend compte à merveille des troubles si variés par où s'affirme la réaction émotionnelle pathologique : troubles vaso-constricteurs, vaso-dilateurs, termiques, trophiques, glandulaires, etc. De là aussi le retentissement forcé des sensations viscérales ou cénesthésïques sur l'affectivité morale, qui en est comme la représentation corticale supérieure ;

4° Cet élément émotionnel est primitif ou secondaire : primitif, il constitue un terrain éminemment favorable à l'invasion des idées auto-sug-gérecs d'impuissance fonctionnelle ou motrice; secondaire, il intervient à litre de complication d'un trouble préexistant de l'intelligence et du

caractère.

Il s'agit, dans le premier cas, d'une crise intermittente de la sensibilité physique et morale, compatible avec un retour complet à l'équilibre des fonctions psychiques. L'aboulie qui en résulte rentre dans la cutégorie de ces aboulies de transmission si fréquentes chez les hystéro-neuras-théniques : elle est déterminée, non par un trouble réel de l'appareil d'élaboration des actes volontaires, mais par une inhibition des cellules motrices proprement dites. La conception claire et logique de l'acte désiré n'cs't pas toujours absente ; en tout cas, elle reste possible. L'intégrité du contrôle et de la coordination psychique, pour ne pas se manifester, n'en est pas moins latente : c'est un pouvoir virtuel que la suggestion réalise, en suppprimant d'une part l'image inhibitricc, en calmant d'autre part l'hypcresthésie de la sphère affective, qui entretient l'auto-suggestion, la renforce et en multiplie les effets.

Rien de semblable dans le second cas. Ici, la phobie n'est qu'une modalité spéciale de l'illogisme héréditaire des dégénérés : il n'y a plus qu'un phénomène de psychasthénie passagère; c'est une paranoïa partielle, trop souvent incurable et tendant ù s'organiser sous la forme d'une monomanie. L'unité synthétique du moi n'est plus seulement compromise par une désagréation psychologique momentanée : le ressort môme de la régulation mentale est faussé. D'où une variété d'aboulie extrêmement grave, produite par une représentation aiguë des motifs de en pas vouloir, négative non seulement de la réalisation motrice automatique, mais de la décision même qui la commande. Au lieu d'aboutir à une détermination trop faible, mais juste, tout l'effort volontaire se perd dans une dédale d'idées absurdes et de sentiments déraisonnable. L'anxiété qui envahit le malade est la conséquence naturelle de l'impossibilité où il se voit d'imaginer une solution à ce combat intérieur, qu'il n'a pas déchaîné et dont il est le douloureux témoin. Ce trouble conscient du jugement est logiquement antérieur, ù l'émotion qui le souligne. On se trouve là en présence d'une sorte de tic mental, qu'on a compare à une o bouffée délirante » et qui guérit quelquefois de lui-même, quand il ne conduit pas le malade aux portes de l'asile.

5« Entre ces deux termes extrêmes — la phobie par auto-suggestion et la phobie par obsession, correspondant, l'une au type affectif, l'autre au typû intellectuel — il y a place pour une foule d'états intermédiaires, non pas indemnisables, comme on l'a dit mais plus difficile à définir, et dont il faut cependant dissocier tout prix les éléments, si l'ont veut rendre service au malade.

C'est dans des cas de ce genre que le médecin psychologue aura /occasion de faire valoir celte connaissance particulière de l'état mental

JURISPRUDENCE MÉDICALE

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des psychopathes que M. G. Ballet regrette de ne pas voir plus répandu parmi nos modernes thérapeutes.

Averti de la confusion possible, il ne rattachera pas aux syndromes épisodiques des dégénérés tel trouble relevant d'une névrose latente ou nettement caractérisée. A côté des douteurs, des inquiets, des irrésolus, il verra les timides, les pusillanimes, le3 appréhensifs. 11 fera la part qui revient à la perception et à la sensation, au jugementet à l'émotion, à l'idée et au terrain.

6° Du diagnostic gxact de la variété de la phobie dépendront alors les indications thérapeutiques.

A. Tout ce qui, dans la peur morbide, relève d'un trouble de l'automatisme psycho-émotionnel, est justiciable de la suggestion. L'entraînement psychique à l'état de veille, doublé d'une plaidoirie appropriée à l'individualité normale et pathologique du sujet, réussira souvent là où la suggestion hypnotique aura échoué. De même, le sommeil provoqué fournira plus d'une fois à la dynamogénie suggestive un auxiliaire des plus précieux.

B. Chez les phobiques obsédés, on observe un mélange de phénomènes dus, les uns, à la psychose primitive, les autres, à des complications de nature névropathîque. La suggestion, en débarrassant le malade des symptômes auto-suggérés, réduira à leur minimum les troubles de la personnalité et du libre arbitre. Peut-être même, dans certains cas favorables, scra-t-il permis d'espérer d'une direction morale bien entendue, un retour plus rapide à l'équilibre ou l'éloigncment progressif des récidives. Mais c'est alors, plus que jamais, qu'une patience à'toute épreuve eera indispensable au succès de la cure.

JURISPRUDENCE MEDICALE

Testament. — Incapacité de recevoir. — Charlatans. Magnétiseurs. - Empiriques. — Auto-suggestion. — Hypnotisme.

L'incapacité de recevoir, édictée par l'article 909 du Code civil, doit-elle s'étendre à toute personne qui a exercé un traitement médical sur un malade pendant sa dernière maladie? — Oui.

Un tribunal peut-il trancher la question de savoir si l'on peut, après avoir placé une personne dans l'état d'hypnose, lui impeser sa volonté de telle sorte que, soit pendant le sommeil, soit au réveil, elle exécute, comme une machine, les actes qui lui auront été commandés ?— Non.

Ces deux questions, qui nous mettent en présence do problèmes extrêmement intéressants, se sont produites dans les circonstances suivantes :

Une dame Marie Gourgu, veuve Guindraud, était décédéc à Lyon,

18, rue Royale, son domicile, le 23 mai 1893, en laissant un testament en date du 7 du même mois, lequel contenait, outre un certain nombre de legs particulier*, les deux dispositions suivantes:

« J'institue, pour mon légataire universel, M. Ansclmo Jouve, demeu-« rant à Lyon, 5, rue Terme, à la charge par lui d'exécuter les legs sui-« vants. » Et : « Je donne à ma gouvernante, Félicle Palais, veuve c Aubert, demeurant chez moi, si elle est encore ù mon service au mo-s ment de mon décès, la somme de 20.000 fr. Elle devra soigner et « nourrir mon chien jusqu'à sa mort. »

Nécessairement, les héritiers naturels de la défunto ne furent pas satisfaits de ces dernières volontés, et les consorts Périer [c'était leur nom), bénéficiaires d'un legs de 15.000 fr. et. héritiers du sang, en leur qualité de cousins germains de la veuve Guindraud, demandèrent la nullité de ces deux dispositions ; de la première : 1° pour cuusc d'incapacité do l'institué ou do son conjoint, par application des articles 909 et 911 du codo civil ; 2° par cause de captation et d'auto-suggestion par' l'application de l'article 901 du môme Code ; — do lu seconde, ù raison de la complicité do la veuve Aubert dans ces actos do captation et d'auto-suggestion.

Nos lecteurs savent que les articles cités sont ainsi conçus :

Art. 901. — Pour faire une donation entre vif* ou un testament, il « faut être sain d'esprit. »

Art. 909. — « Les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers « de santé et les pharmaciens, qui auront traité une personne pendant « la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre « vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur, pendant le « cours de cette maladie... »

Art. 911. — « Toula disposition au profit d'un incapable sera nulle, « soit qu'on la déguiso sous la forme d'un contrat onéreux, soit qu'on le « fasse sous le nom de personnes interposées. Seront réputés personnes « interposées les père et mère, les enfants et descendants, ot l'époux de « la personne incapable. »

La premîèro question était soulevée par les consorts Péricr, parce que les époux Jouve exerçaient, la femme, la profession de somnambule et de cartomancienne, prédisant l'avenir et indiquant des remèdes à ceux qui venaient la consulter ; le mari, celle de masseur et même de magnétiseur.

• Pour que les juges saisis annulent le legs fait aux époux Jouve, il fallait que :

1° L'article 909 s'appliquât aux empiriques, magnétiseurs et autres

charlatans ;

2° Que les époux Jouve fussent compris dans cotte catégorie ;

3° Qu'ils aient traité la veuve Guindraud pendant la dornière maladie dont elle est morte ;

Que le testament, qui les instituait légataires universels, ait été fait pendant le cours de cette maladie.

Disons de suite que le tribunal de Lyon, d'abord, le 20 juin 1895, la Cour de Lyon, ensuite, le 17 juin 1896, ont bien admis que l'article 909 s'appliquaient aux empiriques, magnétiseurs et autres charlatans, mais a jugé que les circonstances de la cause ne permettaient pas d'admettre aucune des prétentions dès consorts Périer.

« Attendu, disent les considérants qui nous intéressent, que l'încapa-« cité de recevoir, édictée par l'article 909 du Code civil, ne doit pas

¦ être limitée aux seuls docteurs en médecine ou en chirurgie, officiers t de santé ou pharmaciens mentionnés dans cet article, mais doit « s'étendre à toute personne qui aura exercé un traitement médical sur « un malade pendant sa dernière maladie ; qu'elle s'applique notam-« ment aux empiriques, charlatans, magnétiseurs, qui, exerçant l'art « de guérir sans titre légal et sans aucune garantie de savoir ni de « moralité, acquièrent, sur l'esprit simple ou superstitieux de ceux qui .. ont foi en leur science, une influence plus complète et plus dange-« reuse que celle que pourraient obtenir les médecins et les pharma-« ciens....

...« Attendu que, suivant les consorts Périer, le testament du 7 mai' « aurait été inspiré et obtenu â l'aide des pratiques de l'auto-suggcstion « auxquelles les époux Jouve se seraient livrés sur la personne de la « veuve Guindraud, et au moyen desquelles, substituant leur propre « volonté à la volonté do celle-ci, ou tout au moins dirigeant cette « volonté, ils l'auraient contrainte ou amenée à tester en leur faveur; « et dès lors, ce testament, qui n'est plus l'expression d'une volonté c libre et réfléchie, est entaché de nullité (art. 901, C. Civil).

« Attendu que la question de savoir si l'on peut, après avoir placé « une personne dans l'état d'hypnose, lui imposer sa volonté de telle

• sorte que, soit pendant le sommeil, soit au réveil, elle exécutera»

¦ comme une machine, les actes qui lui auront été commandés, est un t problème scientifique, sur lequel la lumière n'est pas encore faîte « complètement ; que s'il est une école, celle dite de Nancy, qui pro-« clame que toute personne peut subir les effets de l'auto-suggestion, Il i en est une autre, celle dite de la Salpêtrière, qui enseigne que l'auto-« suggestion n'est réalisable que sur des sujets hystériques ou névro-

• pathes, et, qu'à côté de ces deux écoles ainsi divisées sur la question t importante de l'application de l'auto-suggestion, il est même des « médecins, des savants pour lesquels les phénomènes hypnotiques ou « les effets du magnétisme n'existent pas ;

o Attendu, qu'en cet état, le Tribunal ne saurait, sans une certaine « inquiétude, trancher une question si grave et si troublante... »

Gaston Thomas, Avocat, Docteur en droit.

ÉTUDES BIOGRAPHIQUES

JAMES BRAID : son œuvre et ses écrits

Par M. le docteur Milne Bramwell, (de Londres) (suite)

Un rapport du Dr Péterson, concernant l'action des aimants et l'exposition expérimentale de leur influence illusoire, lu à New-York, devant l'Académie de Médecine, ressemble strictement à tout ce qui avait été dit et fait par Braid lui-môme. Suivant le professeur Béncdikt: « Certaines formes d'hystérie sont mieux traitées par les aimants que par l'électricité, l'hydropathie et les drogues. Lorsqu'un aimant est appliqué, môme à travers les vêtements, sur la vertèbre sensible, d'un malade atteint d'hystérie, on voit les muscles se détendre graduellement, la respiration devenir gémissante, la conscience disparaître lentement et la résistance des nerfs moteurs devenir enfin absolue. Les deux pôles ont différents effets, et l'aimant doit ôtre employé avec discernement pour ne pas être préjudicablc au malade. Ces effets étaient expérimentés en Amérique, où des aimants d'énorme puissance étaient couramment employés à des expériences sur des hommes et sur des animaux. Un jeune chien fut ainsi soumis, pendant cinq heures, à l'influence magnétique; mais, au lieu d'être paralysé par a surcroit de résistance des nerfs moteurs «, il fut reconnu, après l'expérience, plus agile qu'auparavant. Les expérimentateurs en concluèrent que l'organisation humaine n'était d'aucune manière apprcciablemcnt affectée par les aimants les plus puissants, qu'aucun magnétisme direct ou inverse n'exerçait d'influence perceptible ni sur le fer contenu dans le sang, ni sur la circulation, ni sur la sensitivilé ou motion des nerfs, ni enfin sur le cerveau. Les aimants ordinaires dont il est fait usage en médecine, disent-ils, ont un effet purement subjectif ou purement psychique et, selon toute probabilité, ils agiraient aussi efiicacement s'ils étaient en bois. »

Les théories de l'Ecole de Nancy ressemblent exactement aux dernières théories de Braid, et leur point do vue est le môme en ce qui regarde l'origine psychique des phénomènes hypnotiques. Elles diffèrent cependant en certains points ; et, bien que des deux côtés !a plus grande importance soit attachée aux « idées dominantes » et à la « suggestion a, Braid considère simplement la dernière comme une méthode propre à déterminer les phénomènes et insiste sur les préliminaires changements qui peuvent être apportés dans le système nerveux, tandis que l'Ecole de Nancy soutient que la suggestion explique tous les phénomènes de l'hypnose. Bernhcim considère, par exemple, qu'il n'y a dans l'hypnotisme que le nom. et dit: « L'hypnotisme ne

crée, en réalité, aucune nouvelle condition, et il n'y a rien, dans le sommeil déterminé, qui ne puisse se rencontrer dans îa condition de veille, d En ceci, M. Frédéric Myers est du môme avis, et il démontre clairement que la suggestion n'explique pas les phénomènes de l'hypnose, mais qu'elle est simplement l'artifice employé par l'opérateur dans le but de les évoquer.

Braid est en opposition avec l'Ecole de Nancy en ce qui concerne la suggestion des crimes et ce qui a été appelé l'automatisme du sujet hypnotisé. Il est sur ce point plus en accord avec l'Ecole de la Salpê-trière, et ses vues avancées ont été grandement approuvées par les observations de Dclbœuf et des autres. M. Frédéric Myers dit à ce sujet: « Observons ce qu'est le ton moral du somnambule lorsqu'il est laissé à lui-même et tenu aussi loin que possible de toute suggestion. Il est en quelques points importants la précise opposition de l'ivresse; tandisquecellc-ci, paralysant apparemmentles plus hautes conceptions, rend les hommes vantards, impudiques et querelleurs ; celle-là, par une tendance a paralyser les centres les plus inférieurs, produit un effet contraire. On note constamment l'accroissement de raffinement et de gaieté qui est produit dans le somnambule invétéré, et il est un point indiscutable qu'aucun somnambule n'a jamais été pris à dire un mensonge ; et, autant que je connaisse, jamais aucune colère ni aucune action impure ne s'est spontanément produite dans l'état hypnotique, »

Mes propres observations sur cette question m'ont conduft à des conclusions plus avancées encore que celles de Braid. Car si je suis convaincu qu'il est impossible de commettre ou de suggérer un crime durant la période vigilante de l'hypnose, rien de ce que j'ai vu ne m'a fourni la moindre raison de supposer qu'un crime pouvait être commis durant la période profonde. Dans la relation de quelques opérations dentaires, que j'exécutai en 1890 durant l'état d'anesthésic hypnotique, j'attirais l'attention sur ce fait qu'il n'y avait là aucune atteinte â la volonté du sujet.

Braid, comme nous l'avons vu, établissait d'importantes distinctions entre le sommeil naturel et le sommeil déterminé. Ces distinctions ne sont pas reconnues par l'Ecole de Nancy. Bernheim dit: « Selon moi, le sommeil déterminé ne diffère absolument en rien du sommeil naturel. » Il admet cependant le point de différence suivant : « Dans le sommeil ordinaire, dit-ii, aussitôt que la conscience est perdue, le sujet est seulement en parenté avec lui-même, tandis que dans le sommeil déterminé, l'esprit du sujet conserve la mémoire de la personne qui l'a endormi, de là provient le pouvoir de l'hypnotiseur de jouer sur son imagination ou de lui suggérer des songes; et enfin, de le diriger dans des actions qui ne sont pas aussi vivement contrôlées par la volonté alors seulement affaiblie ou bien complètement détournée. * En ce qui regarde la parenté entro l'hystérie et l'hypnotisme, Braid est d'accord avec l'Ecole de Nancy et en opposition avec l'Ecole de la Sal-pètrière.

Braid et l'Ecole de Nancy différaient au point de vue du « rapport » existant entre l'opérateur et le sujet. Suivant Carpenter, qui expliquait les opinions de Braid dans un article publié par. Quarterly Rewiew, ce rapport pourrait reposer entièrement sur le principe des « idées dominantes ». Le sujet croyait que l'opérateur avait seul pouvoir sur lui, ou que lui seul pouvait communiquer avec lui, et ceci établissait le rapport. Le rapport ne fut découvert que longtemps après la vogue de la pratique du mesmérisme : il était demeure inconnu à Mesmer et à ses premiers disciples, et les phénomènes auxquels il donna lieu acquirent seulement de la constance et de la fixité, lorsque ses lois furent émises et adoptées. Les mesméristes. ignorant ce fait, produisaient une grande variété de phénomènes remarquables et, quoiqu'ils obtinssent la plus immédiate évidence du rapport, par la transmission de leurs propres pensées dans l'esprit de leurs sujets, ils ne le découvrirent jamais. Toutes les expériences du docteur Carpenter en portaient témoignage et semblaient indiquer son existence; soit que les idées préalables aient été présentes, soit qu'elles aient été sensiblement suggérées par les méthodes employées à déterminer le somnambulisme mesmérique. Mais dans un grand nombre d'autres cas, dans lesquels les sujets n'étaient pas habitués aux séances mesmériques, leur concicnce n'était pas bornée à l'operateur ou à ceux qu'il plaçait en rapport avec eux, mais était également étendue à tout ce qui l'environnait.

Braid, somme - nous l'avons déjà vu, observait qu'un somnambule, supposé comme étant seulement en rapport avec l'hypnotiseur, entendait les prédictions faites par une troisième personne et y obéissait. A une date beaucoup plus ancienne, Liégeois attirait l'attention sur ce fait que, lorsque vous avez suggéré à un somnambule qu'il ne peut pas vous entendre, celui-ci demeure quand môme capable de le faire. II dit ; « Si vous vous adressez directement à lui, il ne répliquera rien et n'exécutera pas votre suggestion; mais, si vous lui parlez, non plus en votre propre nom, mais d'une voix sourde et à la troisième personne, vous le verrez exécuter la suggestion. Si je dis par exemple en m'adressant à Camille : « Camille a soif, Camille ira à la cuisine et y demandera ur. verre d'eau ; je suis immédiatement obéi. » Liébcault dit, d'autre part : — « 11 est généralement observé quo tous les somnambules artificiels sont, par leur sens, en relation directe et unique avec ceux qui les ont endormis. Le sujet entend tout ce que l'opérateur lui dit, mais il n'entend que lui, à condition cependant que le sommeil soit suffisamment profond. Il entend seulement l'opérateur lorsque celui-ci s'adresse directement à lui et non pas lorsqu'il parle à la troisième personne. Ce rapport s'étend à d'autres sens. « Suivant Liébcault, le sujet est donc mis (en rapport) avec l'hypnotiseur parce qu'il s'endort en pensant à lui, et ceci ne diffère en rien de ce qui se produit dans le sommeil ordinaire. Une mère qui s'endort près du berceau de son enfant ne cesse pas de veiller sur lui durant son sommeil, mais elle

veille seulement sur lui, et bien qu'elle entende ses plus faibles cris, elle demeure sourde à tous les autres bruits. La concentration de l'attention du sujet sur l'opérateur, et le souvenir qu'il garde de celui qui l'a endormi, est la cause du rapport.

De ceci, il devient évident que Braid croyait que le rapport était entièrement le résultat de la suggestion, tandisque Liébeault le considérait comme étant dû à la concentration de l'attention qui résultait naturellement de l'induction ù l'hypnose. Mes observations personnelles me portent à conclure dans le sens de Braid. Dans des sujets qui n'avaient aucune connaissance de ce qui était attendu d'eux et à qui il n'avait été fait aucune suggestion directe ou indirecte relativement au rapport, cette condition ne se présentait pas, et ils entendaient, au contraire, quiconque s'adressait à. eux et obéissaient à tous les ordres, de quelque part qu'il vinssent. De semblables résultats ont été observés par le « Comité hypnotique de la Société des Recherches psychiques, » Ces faits désapprouvent apparemment la conclusion de Bernheim, qui établit que la seule différence qui existe entre le sommeil naturel et le sommeil artificiel est la concentration de l'esprit du sujet sur l'opérateur, expliquant par lit, non seulement le rapport, mais aussi le pouvoir que possède l'opérateur d'influencer le sujet. (à suivre)

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie

¦ Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie do médecine.

Les prochai nés séances de la Société auront lieu les lundis 18 Octobre et lÔNovembre 1897, à 4 heures et demie.

Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sontinvités à y assister.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Le Banquet de la Société d'Hypnologie

Comme les années précédentes, le banquet de la Société a groupé autour de M. Dumontpallicr, membre de l'Académie de Médecine, qui présidait, un grand nombre de convives. Parmi les assistants, nous devons citer MM. Auguste Voisin, médecin de !a Salpètrière ; Boirac, professeur de philosophie au lycée Condorcct; Bérillon, inspecteur des asiles d'aliénés ; A. Colas, M. le D' Vogt, directeur du Zeitschrift fur hypnotismus, de Leipsig; MM. les docteurs Le Menant des Chesnais, Baraduc, Bilhaut, Darier, Bourdon, do Méru ; Desjardins de Régla,

P. Vaîentin, Hartenberg, Archambault, Bonnot, P. Joire, de Lille ; Farman, de Luxembourg; P. Farez; M. Julliot, avocat, etc., etc...

A la fin du dîner, des toasts nombreux ont été portés au succès de la médecine psychologique, et M. le Dr Vogt a présenté quelques expériences d'un grand intérêt.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psycîiologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 40, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, Fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dûpemaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

La maison de traitement annoxée au dispensaire permet d'y suivre un certain nombre de malades qui doivent être soustraits, pendant quelque temps, à l'influence de leur milieu habituel : tels sont les morphinomanes, les dipsomanes, les enfants vicieux ou arriérés, etc... Eile permet également d'appliquer la méthode hypnotique de Wetterstrand.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.Il est secondé danssesdémonstrations cliniques par MM. Wolf, Lagelouze, Hartenbcrg, Lajoie, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.

Pendant le semestre 1SÛ6-Î897, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Dumonlpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Valentin, Henri Lemesle, Maurice Dupont, Gaube (du Gers), etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un . cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOUiïIOT #

. -__170, rue Saint-Antoine.__

Paris, Imp. A. Qcklcdejec, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL 'ÊT THÉRAPEUTIQUE

12e année. — N° 3. Septembre 1897.

BULLETIN

L'hypnotisme au Congrès de Moscou.

L'année 1897 a été particulièrement fertile en congrès médicaux. Aux congres annuels et au congrès international de Moscou, dont la réunion était prévue, sont venus se joindre une série de congrès organisés à l'occasion de l'exposition de Bruxelles. Dans toutes ces réunions scientifiques, l'hypnotisme et la psychothérapie ont tenu une place importante. Mais c'est surtout au congrès de Moscou que les débats sur l'hypnotisme ont eu toute l'ampleur que comporte une question aussi intéressante. Les organisateurs du congrès avaient décidé de mettre au nombre des rapports prévus un rapport sur Fkyprudisme et la suggestion dans leurs rapports avec la médecine légale, et M. le professeur Bernheim avait été naturellement désigné pour la rédaction de ce rapport. Voici quelles étaient les conclusions de ce travail magistral :

¦ 1" La suggestibilité est une propriété physiologique du cerveau humain: c'est la tendance du cerveau à réaliser toute idée acceptée par lui.

2° Toute idée acceptée est une suggestion. L'hypnotisme n'est pas un état particulier, c'est !a mise en activité de la suggestibilité, avec ou sans sommeil.

3- La suggestion peut faire réaliser à quelques personnes des actes criminels, soit par impulsion instinctive, soit par hallucination, soit par perversion du sens moral.

4° La suggestion ne peut détruire un sens moral robuste, ni le créer quand il est absent ; elle peut développer les germes bons ou mauvais existants.

5° Un viol peut être commis par suggestion sur une femme, soil dans le sommeil hystérique d'origine émotive consécutif aux manœuvres

hypnotiques, soit par perversion instinctive et excitation sensible en condition seconde, soit par insensibilité psychique suggérée au sujet.

6° La Suggestion, c'est-à-dire ridée, d'où qu'elle vienne, s'imposant au cerveau, joue un rôle dans presque tous les crimes.

7° La faiblesse congénitale du sens moral et une grande suggeslibilité facilitent les suggestions criminelles.

8° Un acte dôlicucux ou criminel peut être commis dans un état de condition seconde ou vie somnambulique, d'origine hétéro ou autosuggestive.

9° Un faux témoignage peut être fait de bonne foi par auto-suggestion donnant lieu à des souvenirs fictifs.

ÎO Le libre arbitre absolu n'existe pas. La responsabilité morale est le plus souvent impossible à apprécier. La société n'a qu'un droit de défense et de prophylaxie sociales.

il* L'éducation doit intervenir pour neutraliser les germes vicieux et opposer aux impulsions natives un contrepoids de suggestions coerci-tives. »

Après la lecture du rapport de M. Bernheim, le Congrès, avant de passer à la discussion générale, entendit diverses communications relatives à l'hypnotisme. D'abord, M. le D' Tokarsky donna lecture d'itn travail ayant pour titre : De l'application de Vhypnntwne au traitement des maladies mentales, et M. le Dr Bérillon fit deux communications : l'une, i° sur Les applications de la suggestion hypnotique à la pédagogie des dégénérés héréditaires; l'autre, 2° sur L'hypnoli»me associé aux narcotiques et aux anesthêsiques.

Ces divers travaux ont provoqué l'ouverture d'une longue discussion à laquelle ont pris part MM. Orchansky (de Kharkow), Lagoudakis (d'Athènes), de Packiewicz (de Riga), Mierziewski (de Saint-Pétersbourg), Régis (de Bordeaux), Lombroso (de Turin), Tokarsky (de Moscou), Bérillon et Bernheim. Enfin, M. Pitres, de Bordeaux, a résumé les débats d'une façon fort heureuse en rappelant les services rendus par Charcot et par les diverses écoles et en démontrant que, la période des interprétations théoriques ayant pris fin, il n'y avait plus qu'à déterminer l'étendue des applications de la psychothérapie. Dans le cours de la discussion, M. Mierziewski ayant formulé quelques réserves au sujet des applications pédagogiques de l'hypnotisme, M. Bérillon n'a pas eu de peine à démontrer que les moyens d'action utilisés par les médecins étant d'ordre purement persuasif, il n'y avait aucun accident à redouter de leur emploi.

D'autres communications relatives à la psychothérapie ont

été également faites, à la section des maladies mentales et nerveuses : par M. A. de Joug (de La Haye), sur le traitement des obsessions par l'hypnotisme; par M. Gorodichze de Paris), sur la psychothérapie cUi7i$ les différentes variétés du délire émotif; par M. Galli (de Binasco, Italie), sur L'action curatke de certaines idées; et par M. de Packiewicz (de Riga), sur La réglementation de la pratique de l'hypmlisme en Russie. Ajoutons que, dans leur rapport sur les obsessûms, MM. Pitres et Régis ont consacré plusieurs pages à la psychothérapie à l'état de veille et dans l'état d'hypnose. Dans son rapport sur le traitement du tabès, M. Grasset accorde également une part importante à l'influence thérapeutique de la suggestion. L'hypnotisme, qui obtenait pour la première fois, dans la douzième session du Congrès international de médecine, les honneurs d'un rapport officiel, a acquis ainsi ses lettres de grande naturalisation dans la science médicale. Ce résultat est dû au libéralisme des organisateurs de la section des maladies nerveuses et mentales, MM. les professeurs Kojénikoff, von Korsakoff, W. Roth, Minot et Serbsky.

D'une façon générale, on peut reconnaître que les efforts de nos confrères de Moscou ont été couronnés d'un plein succès, et nous devons rendre un juste hommage à l'autorité scientifique et à la courtoisie avec laquelle le P* Kojénikoff a dirigé les travaux de la section. Les réceptions organisées au Club des chasseurs et dans les cliniques ont été des plus cordiales et laisseront aux membres du Congrès un souvenir ineffaçable de l'hospitalité russe. Il en sera de même du banquet offert à un grand nombre de neurologistes et d'aliénistos français, par notre aimable confrère, le docteur Tokarsky, de Moscou. A Saint-Pétersbourg, notre collègue Dekhtereff, adjoint au maire de la ville, s'est multiplié pour offrir aux congressistes la réception la plus somptueuse.

Nous aurons terminé ce rapide exposé du rôle joué par la médecine psychologique au Congrès de Moscou, quand nous aurons énumére la liste de nos collègues de la Société d'Hyp-nologie et de Psychologie qui se sont rencontrés au Congrès.

MM. les Drt Bernheim (de Nancy), Grasset (de Montpellier), Auguste Voisin, Bérillon, Gorodichze, Grîmoux, Maurice Bloch (de Paris), A. de Joug (de La Haye), Stembo (de Vilna), de Packiewicz (de Riga), Lombroso (de Turin), Dekhtereff (de Saint-Pétersbourg), Tokarsky (de Moscou). Cette énumération montrera mieux que tout autre fait, l'importance prise par

les études sur l'hypnotisme et la vitalité de la Société d'Hypno-logie et de Psychologie- Nous devons encore ajouter que nous avons admiré, sans réserves, l'organisation des nouvelles cliniques de Neurologie (professeur Kojénikofî) et de Psychiatrie (professeur von Korsakoff) récemment construites, grâce aux libéralités des bourgeois et des grands commerçants de Moscou. II y a là un exemple de générosité éclairée que nous voudrions voir imiter dans notre pays, il nous a été également donné d'apprécier une œuvre philanthropique « la maison des étudiants pauvres o,dont l'idée et l'organisation font le plus grand honneur à nos amis de Moscou qui l'ont conçue. Nous leur demanderons la permission de la signaler à nos lecteurs d'une façon plus complète. Si nous résumons nos impressions sur Moscou, nous dirons que l'organisation matérielle du Congrès a été parfaite, et que, dans toutes leurs réceptions particulières, les médecins Russes et les habitants de Moscou ont rivalisé d'empressement et de cordialité.

B. •

TRAVAUX ORIGINAUX

Le traitement psychothérapique de l'hystérie infantile (')

par M. le D' Edgar Bébillok.

Après de nombreuses discussions, inspirées surtout par des appréciations théoriques, la valeur de la suggestion hypnotique a été acceptée sans conteste dans le traitement de toutes les formes de l'hystérie chez l'adulte. Par contre, l'emploi de ce procédé dans le traitement de l'hystérie infantile soulève encore des objections d'ordres divers. Cela tient à ce que les auteurs s'inspirent encore des théories que l'Ecole de la Salpêtrière avait émises sur la production et sur la nature de l'hypnotisme. Or, depuis les recherches de Charcot, les idées ont évolué et l'hypnotisme, tel que l'envisagent aujourd'hui les médecins qui s'adonnent à la pratique de la psychothérapie, n'a rien de commun avec l'hypnotisme tel qu'on le connaissait à la Salpê-trièrè. Actuellement les psychothérapeutes n'ont plus recours, pour arriver à la production de l'hypnotisme, qu'à un procédé absolument inoffensif qui est d'ordre persuasif. Ils se bornent à suggérer au malade de s'abandonner au sommeil le plus sim-

(1) Commuiiicaiiou faite au Congrès des aliénistes et neurologistes de Toulouse

(août 1897).

plement du monde. Ils l'invitent à s'endormir d'un sommeil analogue à celui de la nuit. Ils lui vantent les avantages de cet état de repos, de passivité. Lorsqu'ils jugent que le sujet est arrivé à un état de somnolence appréciable, ils s'appliquent par des suggestions appropriées à modifier les habitudes automatiques, à provoquer le réveil de l'énergie volontaire, à la créer lorsqu'elle fait défaut. Ils tiennent au sujet plongé dans le sommeil provoqué le même langage que d'autres lui adressaient à l'état de veille. La suggestion faite, ils ne négligent jamais de procéder, avec le plus grand soin, au réveil du sujet. Bien plus, les médecins adonnés à la pratique de la psychothérapie savent qu'il convient de réveiller le malade sur des idées agréables. La mise en œuvre de la psychothérapie, en apparence assez simple, nécessite cependant de la part de celui qui l'applique, une certaine compétence et l'exercice de certaines aptitudes. C'est ce qui peut laisser supposer que ceux qui s'attardent encore à discuter la valeur thérapeuthique de la suggestion hypnotique sont peut-être inspirés par leur défaut d'expérience personnelle sur la question. N'est-il pas essentiellement humain de dédaigner les arts dans lesquels on n'excelle point ? Les objections que l'on a soulevées contre l'emploi de la suggestion dans le traitement de l'hystérie infantile sont les suivantes : « Vous allez créer chez les sujets une attitude spéciale à être hypnotisés par le premier venu. » C'est exactement le contraire qui est l'expression de la vérité. Tout psychothérapeute vraiment digne de ce nom ne manque jamais de limiter les inconvénients que peut présenter pour un sujet une suggestibilité naturelle excessive, en lui suggérant d'être désormais à l'abri de toute autre influence suggestive que celle du médecia agissant dans un but purement thérapeutique. D'ailleurs, il faut le déclarer hautement, il n'y a pas d'hypno-manie, comme il y aune morphinomanie, une chloralomanie, etc ... C'est à peine si deux ou trois faits ont été publiés, et encore un médecin compétent aurait su guérir le sujet en une seule séance d'hypnotisation. Ce qui est plus exact, c'est qu'il y a chez un certain nombre de médecins une véritable hypno-phobie. Il est juste de reconnaître qu'elle ne sévit que chez ceux qui ne se sont jamais occupés spécialement d'hypnotisme et qui ne se rendent aucun compte de la psychothérapie, telle qu'elle est pratiquée par un grand nombre de médecins en France et à l'étranger. Une autre objection est la crainte souvent exprimée que ce

tpaitement hypnotique n'ait pour effet de réveiller l'hystérie en puissance et de provoquer l'éclosion de nouveaux symptômes-Cette supposition serait légitime, s'ils ajoutaient que ces accidents seront imputables aux médecins qui auront appliqué l'hypnotisme sans avoir la compétence voulue ou à ceux qui, dans un but de curiosité, provoquent chez leurs sujets des expériences de dissociation mentale, qui leur font réaliser des hallucinations. Entre les mains des médecins qui appliquent la suggestion hypnotique en se conformant rigoureusement aux enseignements de l'Ecole de Nancy, on n'a jamais vu survenir à la suite de leur traitement le moindre symptôme d'hystérie. Cela est tellement vrai qu'à Nancy, où les malades ont été hypnotisés par milliers, la grande attaque d'hystérie n'existe pas. Les neurologistes les plus éminents qui s'adonnent d'une façon courante à la pratique de l'hypnotisme en arrivent à nier l'existence des stigmates de l'hystérie tels que les a décrits l'Ecole de la Salpêtrière, parce que, malgré leurs recherches, ils ne Jes observent jamais. Partout où l'on s'occupe couramment d'hypnotisme, la grande hystérie, autrefois si commune, disparait et les malades de cette catégorie deviennent une véritable rareté. Et encore lorsqu'on rencontre une malade chez laquelle survienne des crises complètes d'hystérie, avec l'arc do cercle et les convulsions toniques et cloniques, on n'est jamais surpris d'apprendre que cette malade a fait autrefois un séjour plus ou moins prolongé à la Salpêtrière. Ce qui surprend le plus en cette circonstance, c'est de constater que l'objection qui consiste à accuser l'hypnotisme d'être un agent provocateur de l'hystérie, émane ordinairement d'un représentant de l'Ecole qui a provoqué pendant longtemps chez les grands hystériques les expériences les plus capables de déséquilibrer l'état mental. Ceux qui soulèvent également cette objection sont ceux qui administrent toujours sans hésiter, de la façon la plus libérale, les doses massives do bromures associés et d'autres médicaments qui composent ce que les anciens thérapeutes désignaient sous le nom de médication altérante de la cellule organique. Nous ne craignons pas d'affirmer que quelques grammes de bromure, de chloral, de morphine ou d'autres stupéfiants ont sur la cellule nerveuse une action beaucoup plus délétère que le procédé thérapeutique qui repose uniquement sur la persuasion employée pour créer des états de conscience conformes au besoin manifeste du malade.

Lorsque l'on envisage la suggestion hypnotique comme la

conçoit l'Ecole de Nancy, l'indication de ce traitement est encore plus formelle lorsqu'il s'agit de la névrose hystérique chez l'enfant que lorsqu'on est en présence de la névrose de l'adulte. Pourquoi ce qui peut être utile au second deviendrait-il dangereux pour le premier? Ne s'agit-il pas là, comme pour toute les médications, d'une question de posologie? Il appartient au psychothérapeute de doser la durée du sommeil provoqué, l'intensité de la suggestion, d'en varier les formules selon les aptitudes, Page, le degré d'intelligence, les réactions individuelles, de même qu'il appartient au chimiàtre de déterminer les doses des médicaments en s'inspirant des conditions dans lesquelles se trouve le malade. Malgré toutes les considérations théoriques, la comparaison entre les résultats de la méthode psychothérapique et ceux de la méthode pharmacologique donnera le succès de la première. L'hypnotisme étendu à ses applications expérimentales les plus extrêmes n'a jamais provoqué le moindre accident mortel. Les accidents les plus graves auxquels son emploi a donné lieu n'ont jamais dépassé les limites d'un simple mal de tête ou d'une somnolence passagère, susceptibles de disparaître sous l'influence d'une nouvelle suggestion. On nous parle de sujets que l'expérimentateur n'aurait pu réveiller. Pour notre part, dans le cours de milliers d'expériences, nous n'avons jamais constaté rien de semblable. Toujours le sujet se réveille sous la simple action des mots consacrés: « Eveillez-vous. » Aucun élève de l'Ecole de Nancy ne s'est heurté à une difficulté de cet ordre. Si l'hypnotisme de la Salpêtrière comporte quelques dangers, comme l'affirmait récemment M. le Pr Joffroy dans une de ses leçons cliniques à Sainte-Anne, nous affirmons par contre que l'hypnotisme de l'Ecole de Nancy n'en comporte aucun, d'aucune sorte. Il nous semble qu'il est souverainement injuste de faire retomber sur le second les méfaits imputables au premier. Une objection tirée de ce fait qu'un certain nombre d'adultes ne sont pas hypnotisâmes n'a plus de valeur lorsqu'il s'agit de la suggestion hypnotique au traitement des maladies infantiles. La sugges-tibilitédea enfants est telle que, sur dix enfants de six à quinze ans, pris dans toutes les classes de la société, huit sont sucep-tibles d'être plongés dans le sommeil provoqué dès la première ou la" seconde séance. Contrairement à l'opinion courante, les difficultés pour provoquer chez l'enfant un sommeil réel sont d'autant plus grandes que l'enfant présente des tares héréditaires plus accentuées. Les idiots sont absolument réfractaires

à toute tentative d'hypnotisation et les imbéciles ne réalisent pas les suggestions qui leur sont faites.

Par contre, les enfants hystériques se montrent très bypno-tisables : ce qui n'a rien de surprenant, car ils sont généralement doué d'une intelligence assez vive. La suggestibilité de l'enfant, faculté normale, est en rapport direct avec le développement intellectuel du sujet. Suggestibilité est, en fait, synonyme d'éducabilité.

Toutes les formes de l'hystérie peuvent se rencontrer chez l'enfant, mais il est exceptionnel de constater l'existence des stigmates classiques de l'hystérie. L'hystérie convulsive chez l'enfant est aussi très rare, et quand nous l'avons observée, nous avons pu nous assurer qu'elle était le résultat d'une contagion nerveuse, l'enfant ayant assisté à des crises d'hystérie. Par contre, l'hystérie se révèle fréquemment par l'apparition de troubles psychiques qui sont, par ordre de fréquence, le défaut d'attention, la mobilité des idées, l'esprit de contradiction, une émotivité exagérée, le mensonge, la simulation, la perversion des sentiments; chez les petites filles, la coquetterie est également une des manifestations de l'hystérie précoce. En un mot, l'instabilité mentale des enfants hystériques semble calquée sur celle que présentent les adultes atteints d'hystérie vulgaire.

L'éducation défectueuse joue dans l'étiologie infantile un rôle beaucoup plus important que l'hérédité des caractères acquis. L'action préventive et curative du traitement psychothérapique en fournit la démonstration la plus frappante. Il appartiendra au médecin de montrer qu'il n'est pas étranger aux enseignements de la psychologie moderne et de procéder à une véritable rééducation mentale de l'enfant. II ne dérogera pas en prouvant qu'il est capable déjouer le rôle d'éducateur. L'enfant hystérique, livré à lui-même, abandonné au désordre de son imagination, se déséquilibrera de plus en plus. Chez certains d'entre eux, le défaut de résistance aux impulsions instinctives est poussé si loin, qu'il est possible de les considérer comme des malades dignes d'être rangés dans la catégorie des dégénérés héréditaires. Mais si l'enfant hystérique est dirigé avec autorité, s'il est habitué à opposer une résistance effective aux impulsions instinctives, dont le développement est favorisé par la faiblesse et la complaisance du milieu, non seulement l'état mental se modifie, mais les troubles spasmodiques et les perturbations fonctionnelles disparaissent. L'éducation de la volonté, l'utilisation de cette faculté suffit pour réaliser ces

heureux effets. Mais il faut reconnaître que l'emploi de la suggestion hypnotique permettra seul de créer des centres d'arrêt psychiques destinés à fournir au malade un point d'appui suffisant pour l'application de sa volonté. L'action de la suggestion peut évidemment être renforcée par l'emploi des moyens d'ordre psycho-mécanique, par des artifices dont la technique est familière à tous ceux qui appliquent la psychothérapie. En résumé, l'emploi de la suggestion est nettement indique dans le traitement de l'hystérie infantile. Les cas dans lesquels l'indication a été établie par dos faits nombreux, rigoureusement contrôlés, sont les suivants : 1® Les troubles symptomatiques de l'hystérie, associés ou isolés, tels que les tics, la choréc hystérique, le tremblement, les contractures, les anesthésies, les parésies, le hoquet, l'aphonie, le mutisme et la toux hystériques, le blépharospasme, le strabisme hystérique, l'incontinence nocturne d'urine. 2° Les habitudes automatiques, l'onanisme irrésistible, l'habitude de se ronger les ongles (onychophagie). la kleptomanie, etc. 3° Les troubles psychiques relevant de l'émotivité exagérée, pusillanimité, mensonge, terreurs nocturnes, somniloquie, etc. 4° Les troubles psychiques survenant dans le cours des maladies aiguës, en particulier l'insomnie, l'agitation et le délire nocturnes, l'incontinence d'urine et de matières fécales.

Dans tous les cas, lorsque la suggestion sera appliquée rationnellement, avec patience et douceur, quand on évite de faire des suggestions expérimentales pour se limiter aux suggestions nettement indiquées par l'état du malade, surtout lorsqu'on ne néglige pas de procéder avec soin au réveil du sujet, nous affirmons l'innocuité complète de ce procédé thérapeutique. De plus, l'emploi de la suggestion hypnotique éclairera souvent le diagnostic et le pronostic en permettant de différencier les troubles fonctionnels qui dépendent de l'hystérie infantile de ceux qui relèvent de la dégénérescence héréditaire.

De l'application de l'hypnotisme au traitement des maladies mentales (').

Par A. A. Tokaksky, privat-doceot à l'Université de Moscou.

1) Le sommeil hypnotique est un état physiologique spécial qui se caractérise par l'abolition presque complète do l'activité psychique.

(1) Communication faite au Congres de Moscou.

2) Dans beaucoup de cas, cet état est accompagné de la plus grande suggestibilité.

3) Mais l'état hypnotique et la suggestibilité ne dépandent pas l'un de l'autre immédiatement et on peut rencontrer des cas où la grande suggestibilité se manifeste malgré l'absence du sommeil hypnotique et vice versa.

4) Au point de vue thérapeutique, l'état hypnotique a autant de valeur que la suggestion.

5) L'état hypnotique ne peut produire que l'abaissement de la fonction du système nerveux, et par conséquent il agit comme un sédatif.

6) La suggestion peut produire ' l'abaissement ainsi que l'exagération de la fonction dans une direction1 déterminée.

7) L'excitation du système nerveux parla suggestion ne peut être que de courte durée.

8) Par conséquent, au point de vue thérapeutique, l'état hypnotique et les suggestions négatives ayant caractère de défense, ont la plus grande importance. Il ne faut pas oublier que l'excitation apparente de la fonction, faisant disparaître les paralysies hystériques, n'est en effet que l'abolition des impulsions morbides qui arrêtaient la fonction.

9) Ainsi l'application de l'hypnotisme à la thérapeutique donne les meilleurs résultats au traitement des états d'excitation générale du système nerveux, quelle que soit la cause de cette excitation.

10) Comme règle générale, on peut observer que l'influence sédative del'hypnotisation se manifeste plus ou moins, dès le commencement du traitement.

11) D'où il suit que l'application de l'hypnotisme est indiquée dans les douleurs de toutes espèces et dans toutes les excitations du système nerveux chez les neurasthéniques, dans tous les états affectifs, dans tous les cas d'irritabilité exagérée, dans les insomnies, etc.

12) On obtient les meilleurs résultats chez des personnes saines d'esprit.

13) L'application de l'hypnotisme chez des personnes atteintes de maladies mentales n'a qu'une importance secondaire.

14) L'individualité des malades yjoue un rôle aussi grand que dans l'autre cas, et si on peut dire que, par l'hypnotisme, ont été guéries certaines maladies mentales, telles que des impulsions et des obsessions morbides, mélancolies, manies des confusions mentales — on ne peut* pas en conclure que de

l'application de l'hypnotisme dans les maladies en question, on pourrait toujours obtenir des résultats favorables.

En étudiant les cas de l'influence favorable de l'hypnotisme qui sont assez nombreux, — on peut tirer les conclusions suivantes.

15) Ce n'est que dans les maladies mentales, qui se caractérisent par l'excitation générale du système nerveux et du cerveau en particulier, qui produit divers symptômes, comme des obsessions, des idées fausses, hallucinations, illusions et même des confusions de la connaissance,—qu'on puisse obtenir des résultats favorables par l'application de l'hypnotisme.

16) Tandis que, dans les cas où les mêmes symptômes dépendent de l'affaiblissement de l'activité du cerveau de l'origine organique (dégénérescence mentale, démence consécutive) l'application de l'hypnotisme ne peut^donner que des résultats passagers.

17) Par conséquent on ne peut faire disparaître les symptômes isolés par lesquels une maladie mentale se manifeste que sous la condition de l'amélioration de l'état général du système nerveux. Par exemple : la disparition des idées impulsives est toujours accompagnée par la disparition de l'excitation générale, de l'insomnie, de l'état affectif, inappétence, etc.

18) A l'application de l'hypnotisme au traitement des maladies mentales, il ne faut pas perdre de vue qu'au début des maladies mentales aiguës la succeptibilité à l'hypnotisation et la suggestibilité diminuent, et même des personnes qui étaient très susceptibles avant leur maladie deviennent complètement réfractaires. La susceptibilité revient de nouveau dans la période de convalescence. Ce fait explique pourquoi on obtient les meilleurs résultats par l'application de l'hypnotisme dans les périodes où la maladie commence à devenir stationnaire.

19) En ce qui concerne les formes des maladies mentales, l'hypnotisme peut donner des résultats favorables avec des restrictions mentionnées dans la neurasthénie, des obsessions, la mélancolie, manie légère, abus d'alcool, morphinisme et d'autres impulsions morbides ainsi que dans la perversion sexuelle.

20) Dans toutes ces formes l'influence favorable de l'hypnotisme se manifeste depuis le commencement du traitement, — ne fût-ce qu'à degrés très faible.

21) On peut dire que l'application de l'hypnotisme n'est pas

indiquée si après quelques séances on n'obtient aucune amélioration notable.

22) L'application du chloroforme pour faciliter l'hypnotisa-lion ne peut être pratiquée qu'à titre d'essai. ' 23) L'effet nuisible de l'hypnotisation dans la plupart des cas est produit par l'inexpérience de l'hypnotiseur et on ne peut observer que rarement des cas où l'hypnotisation provoque uuo espèce d'excitation générale du système nerveux qui est toujours passagère, mais qui peut quelquefois empêcher l'application thérapeutique de l'hypnotisme.

24) Au point de vue médico-légal, on ne peut pas nier la possibilité des crimes sous l'influence des suggestions hypnotiques, mais en même temps il faut obliger les experts à exposer catégoriquement s'il y a eu lieu à une hypnotisation avec des suggestions déterminées ou non, et de s'abstenir de suppositions vagues sur des suggestions probables, parce que la plupart des suggestions indirectes et à l'état de veille rentrent dans le domaine de l'influence morale d'un individu sur l'autre et n'ont rien de commun avec des suggestions hypnotiques proprement dites.

25) Ainsi dans le traitement des maladies mentales on ne peut pas mettre l'hypnotisme au dernier plan, malgré son application assez restreinte, parce que tous les autres moyens thérapeutiques, même les plus efficaces, restent très souvent sans aucune influence sur les maladies mentales, et il y a beaucoup de malades qui ne peuvent être guéris que par l'hypnotisme. Quant au traitement des maladies nerveuses, l'hypnotisme et la suggestion doivent être regardées comme un moyen thérapeutique puissant qui a d'autant plus de valeur, qu'il agit quelquefois dans des cas où tous les autres remèdes sont restés sans aucun résultat.

Forme particulière d'obsession chez deux héréditaires

L'érytropnoble (1).

Par M. le D1 BotrcBEn.dc Rouen.

Au premier Congrès Français annuel de médecine mentale tenu à Rouen en 1890, nous avons signalé un cas singulier d'obsession caractérisé par uue crainte excessive do rougir, déterminant des troubles dans l'état général et des idées de suicide.

(1) Communication faite au Couvres de Moscou.

En 1896, nous avons eu l'occasion de revoir un cas analogue, objet de l'étude actuelle. Rapprochant ces deux faits, nous croyons qu'il s'agit là d'un état mental particulier dont la place se trouve nettement indiquée à côté des troubles mentaux, tels que la claustrophobie, l'agoraphobie, etc., constatés chez des héréditaires et paraissant du môme ordre.

Voici le résumé de cette observation : Madame X... âgée de 30 ans, actuellement enceinte de 8 mois et demi, est née d'une mère nerveuse et impressionnable, après une grossesse difficile,toute remplie d'émotions pénibles, occasionnées d'abord par l'incendie de la maison d'habitation qu'occupait la famille, et ensuite par de nombreux revers de fortune.

La grand'mère du côté maternel, très nerveuse, serait morte d'un transport au cerveau, avec grande agitation. S'agit-il d'une attaque d'apoplexie ? Rien de spécial pour le père qui est mort à 40 ans d'une affection de cœur et n'était point alcoolique.

En ligne collatérale : un frère mort phtisique à 35 ans après des excès de toutes sortes ; garçon mal équilibré, extrêmement nerveux et sujet à des crises d'agitation. Une sœur un peu plus âgée, non mariée, très émotive et ne pouvant, par un sentiment instinctif, dit-elle, rester dans une pièce dont les fenêtres et les portes sont fermées. Dans ces conditions elle a peur d'étouffer. En entrant dans un appartement, elle regarde toujours avec appréhension si l'on ferme la porte derrière elle, et est fortement impressionnée quand ce fait se produit.

En ligne descendante, Madame X... a deux petites filles très nerveuses de 9 et 8 ans. Les deux enfants sonts surveillées avec le plus grand soin par la mère à cause de leur tendance à l'onanisme. A la suite de la première couche. Madame X... fut très fatiguée. Pendant G semaines, en proie à l'insomnie, elle s'imaginait qu'elle allait couper le cou de son enfant, et cette pensée prenait tant d'empire sur son esprit qu'on dut la garder attentivement, car. nous dit le mari, elle aurait mis à exécution son idée fixe,

Avec le retour progressif des forces, cette obsession diminua, mais son émotivité naturelle qui se traduisait par une facililé extrême à rougir, bien qu'elle ne soit pas particulièrement timide, commença à la faire souffrir. C'est ainsi qu'elle rougis-saitdans des circonstances généralement désagréables. Venait-on à parler devant elle d'un acte indélicat, d'un vol, d'un abus de confiance, aussitôt les joues s'empourpraient, ce qui lui

causait ensuite un grand trouble, car elle pensait qu'on la soupçonnerait d'être de connivence avec celui ou ceux qui avaient commis cet acte. Mais son état ne tardait pas à empirer. Entrait-il dans la maison un domestique, un fournisseur, un employé, gens subalternes pour lesquels elle avait un certain mépris et auxquels elle donnait ses ordres d'une façon impérieuse, elle conservait son calme et ne se troublait point.

Tout autre était la situation quand elle recevait des hommes appartenante sa position sociale, des amis de son mari par exemple. Dès leur entrée elle se sentait envahie par une rougeur pénible accompagnée de sueurs à la face, à la poitrine et sur le dos, avec un sentiment de suffocation qui lui étranglait la voix dans la gorge. Néanmoins elle faisait les honneurs de la maison comme elle le devait, mais ensuite seule elle pleurait de rage en se tenant le raisonnement suivant : On m'a vu rougir ; donc on va supposer que cet homme est mon amant, et lui-même, cet homme, va conclure de mon état que si je me trouble ainsi à sa vue, c'est que je désire être sa maîtresse. Après la seconde grossesse, le mal augmenta encore en ce sens que, tout le temps, cette femme fut préoccupée de cette idée, rougissant même seule à la pensée que telle ou telle personne avait pu la remarquer.

Jusqu'en ces derniers temps, le mari et les enfants avaient prêt é peu d'attention à cet état, lorsqu'il y a environ 2 mois, la plus jeune des petites filles fit simplement cette réflexion : Maman, tu es rouge. Aussitôt Madame X... qui se promenait alors dans la rue, fit le raisonnement suivant : Tel individu est passé à côté de moi, il m'a regardée et cela m'a fait rougir ; cette enfant va croire que cet homme est mon amant et ma fille va être scandalisée sur mon compte. Rentrée chez elle, elle refuse de dîner, et repassant continuellement dans son esprit l'incident de la journée, elle a une nuit fort agitée. Les circonstances de la vie, ramenant à chaque instant la cause de son obsession, elle finit par se nourrir très irrégulièrement; les nuits sont mauvaises, elle maigrit, pleure une partie du jour et il y a lieu d'être préoccupé sur l'issue de sa 3e grossesse.

Cependant l'intelligence de cette femme paraît intacte, elle raisonne sans difficulté sur un sujet quelconque et elle tient bien sa maison. Elle ne présente aucun trouble de parole, aucune incohérence dans les expressions qu'elle emploie. Toutefois, son caractère a subi de notables modifications. Très gaie jadis, elle est maintenant triste, sombre, préoccupée ; elle ne

parle de rien moins que de se suicider» et l'on doit de nouveau la surveiller de peur qu'elle ne mette son projet à exé-culion.

La sensibilité est normale et l'hystérie hors de cause. Rien de spécial dans les appareils respiratoire ou circulatoire. Les digestions sont le plus souvent laborieuses, et la constipation habituelle.

Pendant la nuit. Madame X... a des transpirations abondantes. Les règles sont très régulières, il n'y a dans les urines ni sucre ni albumine; le résidu, après evaporation, permet de constater au microscope la présence de phosphate terreux et de prismes de phosphate ammoniaco-magnésien.

En résumé, voici une malade héréditaire névropathique de par la lignée maternelle avec une sœur atteinte de claustrophobie, un frère mal équilibré, et présentant en outre une forme spéciale d'obsession qui se caractérise de plus en plus à chaque grossesse.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance annuelle du 29 Juillet 1897. — Présidence de M. Domontpallier.

(suite)

Nouvelles expériences sur l'influence du psychique sur le physique.

Par le Dr Bonjour, de Lausanne (Suisse).

Les expériences psychothérapeutiques ont été faites en si grand nombre qu'il semble qu'on pourrait être fixé sur ce que nous pouvons attendre de la suggestion hypnotique, et. cependant, jusqu'à ces dernières années, les médecins hypnotiseurs ne pouvaient consulter aucun ouvrage pouvant les renseigner sur ce qu'ils devaient attendre du traitement hypnotique dans des cas spéciaux et parfois difficiles ; aussi, chacun en était-il réduit à tenter des essais qui, souvent, ont été la source de succès aussi surprenants qu'inattendus.

Un des livres les plus féconds, à notre avis, en renseignements sur la valeur de la thérapeutique suggestive, est celui de Lôwenfeld, de Munich, « Die psychothérapie ». Mais son auteur ne conseille l'hypno-thérapie qu'après que l'on aura épuisé la série des traitements suggestifs, ce qui ne contrihuera pas à propager la méthode hypnotique qui compte encore trop peu d'adeptes en Allemagne et en Suisse. La pratique nous a convaincu, au contraire, que la suggestion et la

suggestion hypnotique constituent le plus efficace de tous les traitements, et nous avons voulu en donner de nouvelles preuves.

Dans une première série d'expériences, nous avons voulu expérimenter la guérison des verrues par la suggestion, sans artifice ni mise en scène, et nous avons simplement suggéré à nos sujets la disparition do leurs verrues.

Nos conclusions, après ces expériences, sont encore plus précises qu'il y a un an. Non seulement nous avons toujours réussi a guérir tous les cas de verrues par une seule séance de suggestion, sans hypnose, mais nous avons constaté que, pour obtenir la guérison, il ne suffit pas de détruire, par la suggestion, l'habitude de gratter et couper les verrues, comme le font tous ceux qui en sont atteints ; il Faut suggérer la disparition des verrues et, alors, même ceux qui continuent à les gratter et à les couper se guérissent, bien que plus lentement.

Si la suggestion guérit les verrues, le plus souvent c'est elle qui contribuent à les propager, et nous partageons l'opinion des chirurgiens qui les croient dues, dans la plupart dès cas, à une irritation périphérique quelconque.

Dans une seconde série d'expériences, nous avons voulu nous rendre compte du rôle que peut jouer la suggestion dans les accouchements.

Nous savons tous combien les fonctions de l'utérus sont en rapport étroit avec le cerveau. Partant de la possibilité de provoquer les règles à une "heure suggérée, nous nous sommes demandé si on ne pourrait pas suggérer de même l'accouchement à un jour fixé d'avance et, pour rendre nos observations plus concluantes, nous nous sommes proposé de provoquer l'accouchement plus tôt que le calcul des probabilités ne le ferait prévoir. Outre les avantages immédiats que posséderait cette méthode, elle pourrait être aussi de quelque utilité quand il s'agit de provoquer un accouchement prématuré, par exemple dans le cas d'un rétrécissement du bassin.

Nous n'avons que trois observations à communiquer et nous allons les résumer avec l'espérance que d'autres reproduiront des expériences identiques et que, dans quelque temps, les données sur ce sujet seront encore plus concluantes que celles que nous allons fournir.

Observation I. — Mme T..., multipare, croit être enceinte do 9 mois. Femme nerveuse ; plus clic a d'enfants, plus ses grossesses sont pénibles. Elle souffre de l'estomac et de maux de téte ; vomissements incoercibles qu'aucun remède n'a pu soulager. Insomnies, fatigue assez prononcée. Ses accouchements durent de plus en plus longtemps ; le dernier a duré deux jours. Elle ne se rappelle pas quand elle a eu ses dernières époques; d'après l'examen elle est enceinte de 8-9 mois.

Dès la première séance, plus de vomissements, douleurs moins intenses. A la troisième séance, somnambulisme; dès lors, les douleurs cessent presque complètement. Mme T... commence à craindre que nous la fassions accoucher trois semaines trop tôt et croit que cela rendra

son accouchement encore plus pénible. Comme elle ne se rappelle pas quand elle a senti remuer l'enfant et que nous n'avons aucun renseignement pour nous éclairer sur la date probable de la conception, nous renonçons à suggérer une date pour l'accouchement. Nous continuons à l'hypnotiser une fois par semaine et lui suggérons un travail plus rapide et moins pénible. A la fin de mars (4 semaines plus tard que la date où nous aurions voulu la faire accoucher), Mme T... nous fait appeler. Il est huit heures du soir, à cinq heures les douleurs ont commencé à se faire sentir. Elle est énervée parce que son mari est en voyage et ne pourra revenir à Lausanne à cause de la grève du chemin de fer Nord-Est Suisse. Trois essais d'hypnotisation échouent ; elle nous dit qu'elle ne pourra dormir aujourd'hui. La sage-femme qui l'a accouchée les dernières fois nous fait remarquer que l'enfant ne naîtra que le lendemain. Le .col laisse passer deux doigts. Cependant, à trois heures du matin, l'accouchement est terminé. Il a été moins pénible que les autres et n'a duré que neuf heures. Pendant les jours suivants, pas de douleurs, au grand étonnement de l'accouchée.

Observation II. — Mme D..., 22 ans, deuxième grossesse. Il y a un an nous avions essayé de l'hypnotiser à cause de douleurs d'estomac ; nous n'avions obtenu qu'un peu de lourdeur. Dernières règles, fin novembre 1895 ; d'après le calcul, elle doit accoucher le 7 septembre 1896.

Dès la première séance, somnambulisme ; suggestions : l'accouchement commencera le 27 août à 1 h. du soir ; il se fera sans douleurs et dès que les contractions seront plus fortes, l'accouchée s'endormira spontanément. Cinq séances en tout ; la dernière le 15 août.

Le 27 août, à 2 h. de l'après-midi, premières contractions sans douleurs. A 5 h., les contractions se font mieux sentir, pas de douleurs: l'accouchée s'endort et dort profondément jusqu'à 11 h. du soir. De 11 h. à 2 h. 1/2 du matin, pas do douleurs; de 2 h. 1/2 à 3 h., très fortes douleurs, l'enfant est né. Pas de douleurs après l'accouchement.

Observation III. — Mme B..., multipare, prétend ne souffrir que fort peu pendant la dernière demi-heure de l'accouchement. Dernières règles le 13 mai 1896, l'accouchement doit avoir lieu le 18 février 1897. Au commencement de janvier, première séance : cette femme parait difficilement hypnotisable, c'est pourquoi nous lui suggérons d'accoucher au jour indiqué par le calcul, le 18 février.

En tout, sept séances ; le sommeil est devenu très profond.

£8 Février. Mme B..., éprouve aujourd'hui une singulière sensation : « Comme des tranchées sans douleurs », dit-ellc._A 4 h. après-midi, le col laisse passer trois doigts. Nous suggérons des contractions. Mme B... pousse du ventre, nous le lui défendons, et alors, au toucher, on sent de légères contractions. Malheureusement, nous sommes obligé de laisser la malade seule jusqu'à 9 h. du soir. Quand nous revenons,

elle nous dit que l'accouchement n'a pas avancé, mais qu'elle sentait qu'elle aurait été délivrée si nous étions resté près d'elle. Nous lui disons que nous voulons la laisser afin de voir quand elle accouchera, car les autres fois elle n'a senti de douleurs qu'une demi-heure avant d'accoucher ; et il nous parait que les contractions d'aujourd'hui sont produites par nos suggestions antérieures.

Du 18 au 24 Février. Cette femme éprouve continuellement la sensation de contractions sans douleurs, mais le travail avance fort peu. Ce qu'elle éprouve la surprend ainsi que sa famille ; clic a l'air hypnotisée à un léger degré. Le 24 février, les contractions deviennent plus fortes. Pas de douleurs. La tête est bien engagée ; hypnose peu profonde; la malade est énervée par les jours précédents. Bientôt elle commence à souffrir ; la suggestion enlève les douleurs. Nous lui faisons remarquer que, sans l'hypnose, elle souffrirait comme les autres femmes. La téte est à la sortie. Chaque contraction est rendue presque indolore par la suggestion. Nous la réveillons pour voir comment elle se comportera ; immédiatement elle commence à crier ; encore trois contractions douloureuses et l'enfant est né.

Les résultats que nous avons obtenus ne sont pas très remarquables ; ils nous permettent cependant d'en tirer quelques conclusions intéressantes.

Nous dirons d'abord que Bienfait, dans sa thèse de 1895, et A. Schwab, dans son article (Presse médicale, 16 décembre 1895) sur le traitement des vomissements incoercibles de la grossesse, parlent de tous les remèdes et procédés connus, excepté du traitement hypnotique.

Dans notre Observation I, nous voyons que tout a été employé sans succès pour calmer l'état gastrique de cette femme ; seule la suggestion hypnotique la délivra de ses douleurs et do ses vomissements ; et, de plus, il est intéressant de constater que le travail de l'accouchement a été considérablement accéléré par les suggestions.

Dans l'Observation 11, l'accouchement a commencé presque à l'heure suggérée ; dans l'Observation 111, les douleurs ont paru au jour indiqué. Nous pensons que ces faits suffisent pour écarter la question de coïncidences.

Dans l'observation II, nous avons pu faire avancer l'accouchement de dix jours sur la date présumée.

Donc, il paraît presque certain que l'on peut suggérer l'accouchement à terme, et, bien probablement, provoquer, par la suggestion, un accouchement prématuré de dix jours, et, en s'y prenant de bonne heure, arriver peut-être à un avancement de deux, trois et peut-être quatre semaines.

Avant de terminer ce travail, deux remarques nous restent à faire.

Premièrement: de ces trois femmes, une seule avait été hypnotisée avant sa grossesse et elle s'était montrée difficilement hypnotisablc. En état de grossesse, il a suffi de quelques secondes pour la mettre en somnambulisme profond. Nous avons obtenu, avec la seconde, un

sommeil très profond ; et la troisième est devenue somnambule ù la troisième séance.

Nous avons observé, chez d'autres femmes enceintes, cette même facilité à s'endormir. Si cette remarque a déjà été faîte et si elle possède un caractère de généralité, cela faciliterait les expériences du genre de celles que nous venons de relater.

Deuxièmement : il est heureux de constater que les séances de suggestion, avant l'accouchement, ont été suffisantes pour empêcher ces trois femmes de souffrir après.

Les causes des actes sociaux.

Par M. le Dr Félix Regnault.

Bianchi, Tarde et Max Nordau ont montré, avec raison, l'importance de l'imitation dans la vie des sociétés, mais ils ont eu tort de se cantonner exclusivement dans cette cause, et de vouloir tout juger d'après elle.

Sans doute, l'imitation joue un grand rôle et est la raison d'être de la société. Le fait est bien net dans les sociétés animales où tous obéissent à un vieux mâle charge d'assurer la sécurité du troupeau : ils obéissent passivement à ses mouvements de progression ou de fuite, et n'ont, par la suite, point la peine de veiller à leur conservation.

L'imitation permet aussi aux hommes réunis en société de profiter de l'expérience des ancêtres, ils peuvent combiner leurs efforts vers un but unique, et donner à la nation une force énorme. De même, Tarde l'a bien montré, lorsque l'imitation est persistante, on arrive au règne de la coutume.; l'acte seul persiste, la cause qui l'a déterminée disparait. La société s'immobilise alors et tout progrès est impossible. Elle ne peut plus évoluer que par contact guerrier ou pacifique avec les nations voisines, amenant de nouveaux actes à imiter.

Le progrès peut encore s'effectuer par imitation de la classe dirigeante ; celle-ci modifierait ses actes sous l'influence de causes diverses, la foule suivrait aveuglément: c'est le règne de la mode ; la mode dans le costume en fournit un bon exemple; quelques personnes donnent le ton, les autres les copient.

Mais la mode ne constitue pas nécessairement le progrès, comme a écrit Tarde. Elle ne l'amène que si la nouvelle mode est supérieure à l'ancienne, c'est-à-dire, si les gens qu'on imite modifient leurs actes d'une façon raisonnable.

La théorie de l'histoire, concentrée dans los grands hommes, explique de cette manière le progrès.

Les classiques ont toujours voulu étudier l'histoire d'une nation d'après celle de ses grands hommes, sans s'inquiéter de celle du peuple. Max Nordau fournit l'argument de la suggestion au concept de ces

historiens: Ces grands hommes façonnent le peuple, forment leur caractère, leur donnent des idées, le peuple se borne à les suivre passivement, son histoire se résume donc en celle des grands hommes.

C'est pousser bien loin le rôle de l'imitation. La cause des actes d'une société est en réalité bien plus complexe ; ces actes obéissent aux mêmes lois que ceux d'un individu. Or, nous avons vu ici même (la cause des actes, déc. 1896), combien ces causes étaient nombreuses.

Faisons pour la société ce que nous avons fait pour l'homme et examinons successivement les causes des actes, nous verrons que toutes ces causes agissent sur la société comme sur les individus.

Passons rapidement sur le besoin, l'inslinct qui est le primum movens de la société comme de l'individu. Par exemple les famines amènent un exode, les peuples du désert sont pillards....

"L'esprit d'exagération modifie l'imitation : la royauté aboutit au despotisme absolu, les guerres de conquête s'éternisent, l'esprit religieux devient du fanatisme.... de môme les ornements et les costumes exagèrent leur dimension et revêtent des formes extraordinaires.

L'esprit d'opposition se manifeste aussi chez les peuples. Il amène les révolutions, fait passer d'une coutume à une autre diamétralement opposée.

Enfin, quoique assez rarement, une nation est capable d'acïes raison-nés, que ceux-ci soient bien ou mal raisonnes. Pour prendre un exemple typique, les premiers qui adoptèrent la bicyclette, l'automobile ou montèrent en chemin de fer, le firent parce qu'ils trouvaient la chose utile. Les décisions prises dans les séances du forum athénien ou romain l'étaient souvent en vertu de raisonnements qui, d'ailleurs, n'étaient pas toujours justifiés.

Un individu qui reçoit entièrement la suggestion et imite d'une façon absolue l'acte qu'on lui offre, est un passif sans caractère. S'il exagère l'acte qu'on lui a montré en modèle, si par esprit d'opposition il commet l'acte inverse, ou si cet acte devient le point de départ d'un raisonnement vrai ou faux, il fait preuve de caractère.

Le caractère existe chez les nations comme chez les individus, G. Le Bon [Lois psychiques de l'évolution des peuples) l'a montré. Mais, il a eu le tort, comme les autres sociologues, de vouloir tout faire rentrer en cette cause unique. Tel peuple est énergique et tenace, tel indolent et mou. Telles qualités sont très persistantes : le caractère romain gouvernemental et centralisateur qu'on retrouve chez les Italiens et les Français, le caractère espagnol fier et indépendant qu'on retrouve chez les républiques hispano-américaines. D'autres qualités disparaissent rapidement quand elles n'ont plus occasion de s'exercer: telle l'initiative, l'énergie, l'esprit d'entreprise qui se développent dans des circonstances favorables et disparaissent quand elles deviennent défavorables, par exemple à Venise, à Lisbonne...

Max Nordau nie le caractère national sous prétexte qu'il change. Mais, ce changement est dû à l'action du milieu qui se modifie lui-

même et non de quelques individualités comme il voudrait le persuader.

Ces individualités ont, il est vrai, une action sur la foule, mais elles-mêmes sont créées par un milieu, un besoin nouveau, et ne trouvent d'expansion que parce qu'elles parlent au nom de ce besoin nouveau.

Si le peuple anglais, au premier tiers de ce siècle buvait sec, sacrait, paillardait et étalait ses vices au grand jour, la raison en est aux guerres de l'empire qui avaient donné la prééminence aux traineurs do sabre. Thackeray, dans ses snobs, en fait une bonne description qui, aujourdhui n'a plus raison d'être. Sans doute, les grandes figures de Thistoire peuvent suggestionner un peuple, mais à condition que ses suggestions s'accordent avec ses tendances.

Si les Germains ont admiré les chevaliers du Saint-Graal et de Winhelrieds, c'est qu'à cette époque ils étaient sauvages et ne prisaient rien tant que la force. Si Confucius a créé un peuple couard, c'est qu'il s'adressait à des cultivateurs tenant à leur peau. Napoléon I" n'a fait que synthétiser toute une ère de guerre, il a reçu de la Révolution une armée admirablement exercée, outil unique entre les mains d'un conquérant.

D'ailleurs, Nordau reconnaît que certains peuples obéissent avec fougue aux suggestions de ses grands hommes, les autres non. Mais, il s'agit bien là de caractère et non de suggestion. Les premiers dépassent l'exemple à imiter, ils exagèrent ; les autres, au contraire, tiennent à la coutume et se laissent difficilement imprégner par une nouvelle idée.

En d'autres termes, la nation fait les grands hommes et ceux-ci ne peuvent influer sur elle que s'ils trouvent un terrain préparé: ils ne font qu'ajouter aux tendances existant déjà.

PÉDAGOGIE PSYCHOLOGIQUE

A propos d'un enfant prodige.

(Lettre de M. le Professeur Stuwpf, de Berlin.)

Nous recevons de M. le professeur Stumpf, la lettre suivante, que nous nous empressons de publier. Cette lettre confirme les observations que nous avions exprimées à la Société d'hypnologie et de psychologie, à la suite de la communication do M. Paul Farez. Connaissant la haute autorité et la grande compétence de M. le professeur Stumpf dans toutes les questions philosophiques et pédagogiques, nous l'avions loué de son initiative. Le caractère de M. le professeur Stumpf, auquel les psychologues allemands rendaient récemment un unanime hommage en le nommant président du Congrès de psychologie de Munich, en 189G, nous était un sûr garant que l'enfant Pcehler recevrait une éducation conforme aux règles de la sagesse et de la bonté la plus éclairée. En se chargeant de l'éducation de cet enfant, M. le professeur Stumpf a

accompli une bonne action et nous pouvons l'assurer qu'il a obtenu l'approbation de tous les hommes de cœur. {Note de la Rédaction.)

A Monsieur le Dr Edgar Bérillon, Directeur de la « Revue de l'Hypnotisme ».

Les remarques critiques que M. le Docteur Farez a publiées dans votre Revue à propos de mon article sur l'enfant extraordinaire, Otto Pcehler, ainsi que les articles parus dans divers journaux français qui se sont occupés de la question, me décident à prendre encore une fois la parole dans ce débat.

Mon article sur le petit Pcehler, publié dans le « Vossische Zeitung » du 10 janvier, a été traduit, sur le désir de M. le Professeur Binet, dans la Revue Scientifique du 13 Mars 1897. Malheureusement le traducteur a omis de traduire le passage où j'expliquais quels devaient être les devoirs présents du professeur, et je les donne ici :

« Ce précepteur devra, selon mon opinion, penser avant tout au déve-« loppement physique de l'enfant ; il devra veiller à ce qu'il ait une « nourriture plus végétarienne que celle qu'il avait eue jusqu'ici, à « ce qu'il séjourne au grand air, etc. Il devra ensuite s'efforcer de lui « faire acquérir une plus grande tranquillité et assiduité d'esprit ; puis « aider à l'agrandissement de sa sperc d'intérêts, au développement de i l'imagination et du cœur, à la soumission de sa volonté. Il lui donnera * en passant, et comme passe-temps, quelques notions d'instruction « élémentaire, et lui fera faire quelques exercices manuels, tout cela « sans hâte et sans fatigue. Quand viendra le temps de l'école, on verra ce à qu'il faudra faire. »

Voilà, telle que je l'avais exprimée, ma conception des devoirs du précepteur souhaité. On verra par cela que j'avais prévu les dangers inhérents au développement d'une seule faculté, au détriment des autres, au surmenage intellectuel, à l'affaiblissement corporel, sur quoi votre collaborateur, M. le Docteur Farez, a parlé avec beaucoup de compétence. Je n'ai pas eu d'autre intention que celle d'empêcher les fautes commises généralement par l'entourage de tels enfants, et qui, malheureusement aussi dans ce cas, l'avaient été longtemps avant que j'eusse même entendu parler du petit Otto.

On avait exposé cet enfant, alors à peine âgé de deux ans, dans le Panoptikum de Berlin, où, du matin jusqu'au soir, on lui faisait . montrer ses talents pour la lecture. Ensuite, on avait voyagé avec lui dans toute l'Allemagne et même en Autriche, dans l'espoir de trouver un protecteur qui voulut bien se charger de son éducation rationnelle, car les parents eux-mêmes s'en reconnaissaient incapables. J'ai tout â fait conscience de la grande responsabilité que j'assume en acceptant cette tâche. Dès les premiers moments, j'ai compris l'étendue de mon devoir, qui consiste a remédier autant que possible au mal déjà causé et en prévenir le retour.

Je serais tout â fait satisfait si l'on pouvait ramener cet enfant peu à peu dans la voie normale; si Ton pouvait développer chez lui les forces corporelles en même temps que les facultés de l'esprit et le protéger contre la vanité et toutes les causes de perdition jui menacent toujours les enfants prodiges. Je serais aussi très heureux si l'on pouvait l'aider à devenir un homme intelligent et utile à la Société. J'ajoute que l'enfant est maintenant à la campagne avec ses parents et sous la direction d'une jeune institutrice intelligente. Il est aussi bien portant et

aussi heureux qu'un enfant de son âge peut l'être. Il s'amuse, court en pleine liberté, et il prend part aux jeux do son âge.

Par tout ce qui précède, j'espère avoir réussi à dissiper les appréhensions de M. ic Dc Parez et à persuader en même temps les auteurs de quelques articles de la presse française que la psychologie scientifique ne comporte pas nécessairement la perte du sens commun.

Le petit Otto est maintenant tout à fait retiré du public. Puisse aussi toute discussion a son sujet avoir une trêve.

Veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur, l'assurance de ma hauto considération et me croire votro bien dévoué C Stumpf Berlin, le 4 Août 1897.

ÉTUDES BIOGRAPHIQUES

JAMES BRAID : son œuvre et ses écrit?

Par M. le docteur IÏilxe Bbauwell (de Londres) (suite et fin)

11 est intéressant à noter que Braid, de même qu'Esdailc, reconnaissait une analogie entre l'hypnose et certains états produits par le Cannabis Indica. La référence à ces observations a été trouvée dans Schrenck-Notzing's monograph, Die Bedentung narcotischer Mittel fur den Hypnotismns, qu'il rapproche cependant des expériences de O'Shaughnessy.

Quelques légères différences existent entre les opinions de Braid et celles du professeur Forel sur la valeur des passes, etc. Lorsque Braid croyait que leur influence était principalement suggestive, il maintenait encore qu'elles étaient capables de produire des effets physiques, mais que ceux-ci pouvaient être détruits ou renversés par la suggestion directe. Forel, d'autre part, nie l'influence physique des procédés mécaniques par le fait que la suggestion est capable d'altérer leur action supposée. 11 dit : « L'action dc souffler sur la figure ne réveillait pas aussi rapidement mes sujets, lorsque je leur suggérais que ceci diminuerait leur mal au lieu de leur suggérer que cette action devait les tirer du sommeil. » Il en conclut que l'action de souffler ne produit aucun résultat physique ; mais serait-il également logique dc dire que la pointe d'une épingle ne produisait aucun effet physique, parce que, le patient ayant été rendu insensible à la souffrance par la suggestion, avait été porté à regarder la piqûre de l'épingle comme un signal destiné à évoquer quclqu'autrc condition?

Braid devança Bernhcim en découvrant la valeur du traitement hypnotique dans la paralysie organique et le pouvoir des attouchements dc l'opérateur de favoriser la concentration mentale du patient et do rappeler ainsi la mémoire perdue. Berheim dit : « Si je pose ma main sur le front du sujet, celui-ci pense profondément pendant un instant, sans s'endormir cependant, et tous les souvenirs latents surgissent, » Ceci, conformément aux faits observés et aux explications données, est

!a reproduction presque exacte des ouvrages de Braid. Les opinions de Iïcrnheim relativement au rôle joué par la suggestion, dans la médecine ordinaire, étaient depuis longtemps exprimées par Braid de la manière la plus claire et la plus étendue. De semblables idées ont été récemment émises par le Dr. Wilks, le nouveau président du « Royal Collège of Physicians o un des penseurs les plus capables du corps médical. Selon lui « s'asseoir journellement sur sa propre chaise et écrire sur une feuille de papier pour chaque maladie sans exception, le nom de la drogue quelconque qui se propose à notre observation est, dans le présent état de la médecine, une pure absurdité et une simple condescendance à la faiblesse humaine. Je ne dis pas que les drogues ne sont pas utiles dans un sens moral, je prétends seulement que la méthode n'est pas scientifique, quoique nous la qualifions généralement ainsi. Je ne connais pas de plus habile praticien que William Gull, et son traitement était rationnel, mais il no faisait cas de quelque drogue que ce soit, que dans la mesure des propriétés que le malade consentait à lui attribuer. Ses prescriptions ne consistaient souvent qu'en une certaine quantité d'eau colorée de quelque inofiensive substance. » Le docteur Wilks cite un « sixpenny docteur » d'un dispensaire à bon marché qui voyait en moyenne 70 malades par soirée et dont la mixture, composée de sulfate de magnésie, du sucre brûlé et d'une infusion de quassia, et qui disait: o J'ai l'habitude de toujours donner des médecines qui produisent d'appréciables effets; par conséquent cette mixture doit également réussir, et lorsque celle-ci a une mauvaise odeur, le malade s'en trouve plus satisfait. » Le docteur Wilks objecte contre la tentative qui est faite de traiter les maladies sur principes lorsque nous ne possédons aucuns principes : « Nous ne connaissons pas suffisamment, dit-il, la véritable action des drogues, et nous connaissons encore moins la signification des symptômes que nous traitons. Par rapport aux changements qu'éprouvent les opinions pathologiques d'une maladie quelconque, il ajoute : « La méthode entière de ses traitements change et rechange encore, et quelque nouvelle connaissance chimique nous montre fréquemment que les drogues que nous employons ne possèdent pas les qualités que nous avions l'habitude de leur attribuer. La médecine commence comme une superstition enveloppée par des théories imaginaires et indigestes. On arrive à se débarrasser de celles-ci, mais le fait nren demeure pas moins réalisé que de vielles idées demeurent attachées à la profession ».

Le docteur Hack Tuke dit, en parlant de Mr. André Clark : « Sa drogue favorite était îe bicarbonate do potasse et une plante amère; mais, ni les drogues, ni la diète ne formaient la principale base de son traitement, ni n'expliquaient ses succès. » La suggestion était lu source de tous les cilels bienfaisants de sa médication ; le mot .« suggestion » est, en ce cas, trop faible, à moins de le prendre.dans toute son acception actuelle. Bref,. Sir. Andrew, fut. le plus remarquable, hypnouste de son temps.

Quelles que soient les différences qui existent entre les théories de Braid et celles, plus récentes, auxquelles j'ai cru devoir justement en référer, il est indiscutable que ces dernières demeurent, en grande partie, d'accord avec les vues du plus ancien investigateur de l'hypnotisme, et mes observations personnelles, jointes à une étude approfondie des écrits de Braid, m'ont amené à conclure que la plupart des progrès réalisés depuis consistent en une estimation plus précise de ce qu'il reconnaissait comme « double conscience * et en un développement des idées qu'il avait opposées à l'automatisme et qui maintenait l'individualité du sujet hypnotisé. Il est par-dessus tout important de noter comment Braid, par ses expériences prématurées, repoussa tout à la fois et les sophismes alors si en faveur des mesméristes et les attaques si injurieuses et xi peu scientifiques de la presse médicale.

La meilleure et la plus claire expression des vues dernières se trouve dans les écrits de Mr. Frédéric Myers, et, plus spécialement, dans : The Subliminal Consciousncss. En parlant de l'hypnotisme, l'auteur dit avec justesse : « Xous avons affaire à quelque chose de plus et à autre chose qu'à la pure production de catalepsie; à quelque chose de plus et à autre chose qu'aux simples phénomènes de fascination, d'imitation et de rigidité qu'on rencontre dans chaque plan du mesmé-riseur ambulant, — nous avons affaire à l'accroissement de l'esprit et à son pénétrant contrôle sur l'organisme. Les discussions sur la circulation cérébrale, sur la diminution et l'augmentation de la for;c sont utiles et nécessaires aux fins du problème; elles peuvent nous donner la conception pr/cise de la condition dans laquelle les plus extrêmes phénomènes commencent; mais elles ne peuvent expliquer les nouveaux pouvoirs auxquels ces phénomènes nous assimilent. »

Comment se fait-il que les dernières théories de lïraid aient été presque entièrement ignorées ? Il serait difficile de répondre à cette question. La vérité est que ses ouvrages sont depuis longtemps épuisés dans ce pays et on ne les trouve pas au complet môme dans le a Brilish Muséum. » D'autre part, ses conclusions étaient largement adoptées par les savants de son temps. Ce que prouvent les derniers ouvrages des docteurs Carpenter et John Hughes Bennett. Le premier donne, dans la C° édition des Principles of Mental Physiology, parue à Londres en 1881, une entière exposition des opinions de Braid. Et ces dernières sont également exposées dans Mesrnerism, Spiritualism, etc., et autres ouvrages du même auteur. Le passage suivant, pris dans un article paru en septembre 1853 dans la Quarterly Review, montre que le docteur Carpenter comprenait l'importance que Braid attachait à la suggestion. « Le fil de la merveille ,'le mesmérisme} fut bieoiot trouvé par Mr. Braid dans l'opération concentrée du principe de suggestion... et sous la direction de cette idée il a conséquemment poursuivi '.'investigation avec une grande intelligence, ne mettant aucun mystère dans ses procédés, mais étendant ses recherches dans toutes les voies pos-sibles.a Le professeur Bennett donne, dans son Textbook of Physiology,

l'explication de» Brairtisme», terme qu'il avaitemployé lepremieren 1851, et auquel il fait signifier camp physiologique et psychologique. Ceci fait partie du compte-rendu d'une lecture sur l'hypnotisme qu'il faisait annuellement à ses étudiants, et dans laquelle il insistait sur l'importance d'un sujet destiné à révolutionner la théorie et la pratique de la médecine.

Autant que je puisse savoir, le seul écrivain anglais contemporain qui ait signalé aux derniers ouvrages de Braid, est C. W. Sulton qui dit, dans le Dictionnaryle of National Biograptiy, que plusieurs d'entre eux ont été traduits en français et en allemand. Indépendamment des traductions de Preyer, les théories avancées de Braid semblent être peu connues en Allemagne et, aussi loin que j'ai pu pousser mes recherches, je n'ai trouvé aucune mention de Braid, si ce n'est dans un article do Moll paru en décembre 1892 dans Zeitschrîft fur Hypno-lismus, où il parle chaudement de la dettede reconnaissance contractée par l'Allemagne vis-à-vis de Prcyer pour ses traductions, et il dit que les derniers ouvrages de Braid constituent un progrès sur « Neurologie », surtout dans l'explication psychologique des phénomènes hypnotiques. A cette époque, il ne semblait pas avoir l'idée que Braid eût anticipé la « suggestion », théorie de l'École de Nancy. Il admet cependant que plusieurs investigateurs ont eu la notion de la valeur de ses écrits et que la plupart des ouvrages modernes sont, en une certaine mesure, la continuation de l'œuvre de Braid.

Les dernières théories de ce dernier sont également ignorées en France où il est rare de rencontrer, mémo parmi les plus intéressés à la question, quelqu'un qui se souvienne qu'une traduction des derniers articles fut publiée en 1883 comme supplément à Neurologie, lequel contient plusieurs de ses théories avancées, de nombreuses références à la suggestion verbale et l'explication précise et claire des raisons qui l'ont déterminé à remplacer le terme hypnotisme par celui do mono-idéisme. Bcrnheim cite cependant celte publication, sans paraître toutefois être bien convaincu de son importance, et dit simplement qu'il partage avec Brown-Sequart l'opinion que Braid ne se gardait pas sut-fisamment contre la suggestion ; puis il ajoute :« 11 semble que, vers la fin de sa vie, Braid éprouva quelques doutes à l'égard de ses expériences concernant le Phreno-Hypnolism et, en 1860, au moment môme des recherches d'Azam et de Broca, il adressa à l'Académie des Sciences un dernier mémoire, remarquable résumé de ses ouvrages, dans lequel il passe sous silence toutes ses découvertes phreno-hypnetiques. » Bernheim mentionne aussi l'ouvrage intitulé par Braid : The Power of the Mind over tha Body, mais comme se rapprochant seulement des « recherches électro-biologiques de Grimes. »

Bien que j'aie cru d'un certain intérêt historique et d'un absolu devoir de justice de démontrer comment Braid avait devancé beaucoup des plus importâmes observations do l'Kcole de Nancy, je n'en apprécie pas moins les services de cette dernière et je rends tout spécialement hom-

mage à ceux de son fondateur. Les recherches de Braîd furent indiscutablement la cause de la renaissance hypnotique en France; mais, à cette époque, à l'exception de Neurologie, on ne connaissait que peu ou point ses autres ouvrages ; et son dernier article n'y fut publié qu'en 1883. Nous devons à Liébeauli l'entier développement de l'hypnotisme moderne. C'est lui qui conclut que l'importante condition de l'hypnose était une condition mentale et que le premier agent de ses phénomènes était la suggestion. C'est enfin lui qui combattit, avec le plus grand succès, les erreurs de l'Ecole de la Solpètrière. 11 y a cependant une distinction remarquable à faire entre la carrière de Braid et celle de Liébeauli. Tandis que le premier voyait ses ouvrages si rapidement vendus, qu'il ne parvenait pas à suffire à leur publication ; tandis que les journaux médicaux retentissaient de son nom et lui faisait une renommée qui rendrait jaloux le plus connu de nos investigateurs actuels, le second voyait son classique ouvrage : Du sommeil et des états analogues, demeurer sans aucun succès (six exemplaires seulement furent vendus lors de sa publication}, ses opinions qualifiées de specticisme, ses méthodes de traitement rejetées comme incapables et lui-même, enfin, bafoué et dédaigné.

Pendant plusieurs années Liébeauli se voua volontairement à la pauvreté, refusant de tirer quelque bénéfice que ce fût des méthodes dont la valeur était si peu appréciée. Même dans ses derniers jours, la fortune ne vint jamaisà lui,et sesservices.qu'ildécrivait lui-môme avec une véritable modestie, comme la plus petite pierre d'un grand édifice, commencèrent seulement à être appréciés lorsque l'âge l'obligea à se retirer de la vie active. Bien que les recherches de Liébeauli aient été vulgarisées, il est certain qu'elles n'ont pas été estimées à leur juste valeur et qu'une génération plus jeune a recueilli la récompense que ne put obtenir une existence toute dévouée à la lui préparer.

NÉCROLOGIE

M. ïe Docteur J. LUYS

Nous avons appris avec un vif sentiment de regret la mort inopinée de notre éminent maître M. le Dr Luys, décédé subitement, à Divonne-les-Rains, pendant le mois d'août. Les obsèques ont eu lieu le 25 août. L'absence d'un grand nombre de ses élèves et de ses amis a empêché que ses funérailles eussent toute la solennité voulue.

Depuis le jour où il avait été reçu au doctorat avec une thèse très remarquée sur les Maladies héréditaires (¡837), les étapes parcourues par le Dr Luys avaient éié rapides et brillantes.

Médecin des hôpitaux en 1862, il avait été chef de service â l'hospice de la Salpêtricre, à l'hôpital de la Chanté et était devenu

92 revue de l'hypnotisme

directeur de la maison de santé d'Ivry. En dehors de ces magistrales études sur l'hypnotisme (il avait publié en 1888 les Emotions chei les hypnotiques et, en 1889, les Leçons cliniques sur tes principaux phénomènes de l'hypnotisme), ses travaux s'étaient particulièrement concentrés sur la pathologie du système nerveux cérébro-spinal chez l'homme et sur l'anatomie comparée du système nerveux central chez les vertébrés; on lui doit la découverte de deux régions grises du cerveau non encore décrites et auxquelles on a donné le nom de corpus Luysii.

Son Traité clinique et pratique des maladies mentales (1881) avait été couronné par l'Institut (Prix Laltemand, 1882).

Dans le même ordre d'idées, il avait encore public, à différentes époques, les ouvrages suivants : Recherches sur le système nerveux cérébro-spinal, sa structure, ses maladies (1865, in-8°); Iconographie photographique des centres nerveux (1872, 2 vol., 70 pl.); Des aciions réflexes cérébrales (1874, in-8°) ; Leçons sur les maladies du système nerveux (1875, in-S*} ; Des conditions palhogémques du développement de la paralysie générale (£878); Le cerveau et ses fonctions ((878); Traitement de la folie (1894); etc. Il avait, en outre, dirigé deux revues importantes : {'Encéphale et les Annales de Psychiatrie et dhypnologU.

Il faisait partie de plusieurs assemblées savantes, entre autres : de l'Académie de médecine (1877), de la Société de biologie; il avait été l'un des membres fondateurs delà Société d'hypnologie et de psychologie, dont il avait suivi les séances tant que l'état de sa santé le lui avait permis, etc. Chevaiier de la Légion d'Honneur dès 1877, il avait été promu officier dans ces dernières années (1895).

Depuis quatre ans, le Dr Luys avait dû prendre sa retraite comme médecin des hôpitaux. Atteint par la limite d'âge, mais se sentant toujours plein de vigueur et de jeunesse intellectuelles, il ne s'était résigné qu'avec peine à abandonner le champ de bataille, sa clinique hospitalière.

On peut dire que ce laborieux est mort les armes à la main, puisqu'il y a deux mois à peine, il communiquait à l'Académie des Sciences et à la Société de Biologie ses travaux sur la photographie des effluves digitaux.

La loyauté et l'affabilité du Dr Luys lui avaient conquis, de son vivant, de solides sympathies, et sa brusque disparition a causé dans le monde médical une émotion réelle. Il laisse après lui des regrets sincères et unanimes.

Nous consacrerons prochainement une étude détaillée à l'oeuvre scientifique de Luys, et la Société d'hypnologie et de psychologie ne manquera pas de donner à sa mémoire le tribut d'admiration et de regrets auquel il a droit.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont Jieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 38, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 18 Octobre et 15 Novembre 1897, à 4 heures et demie.

Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sontinvités à y assister.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, cl les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Les onychophages illustres.

A la suite de la publication du travail du Dr Bérillon intitulé l'Ony-chophagie, sa fréquence chez les dégénérés, la Chronique Médicale, rédigée avec tant d'érudition par notre savant confrère le Dr Cabanes, a

recherché si quelques grands hommes n'avaient pas été atteints de l'habitude de se ronger les ongles. Voici les réponses qui lui sont parvenues à ce sujet;

Onychophages illustres. — J'ai vu quelque part cités comme onychophages Tallsyrand et Lamennais, mais je ne puis reproduire aucune pièce à l'appui de cette assertion. B. R.

— J'extrais de îa biographie de Dupuytren par Is. Bourdon {Illustres médecins et naturalistes) ces lignes qui répondent à votre question :

a Quand Dupuytren entrait dans un appartement, que la pièce fût grande ou exiguë, publique ou non publique, salon ou auiphitéâtre, il portait a sa bouche la main gauche et rongeait un ou deux de ses ongles jusqu'au sang ; la main droite restait libre a tout événement, pour la contenance et pour le geste oratoire... » Dr Ant. G.

— "Mlle de Lespinasse grondait souvent Condorcet « de manger ses ongles, ce qui est indigeste, disent les médecins » ; c'est du moins ce qui nous est rapporté par Emile Colombey dans son curieux ouvrage : Ruelles, salons et cabarets, t. II, p. 177. A. D.

— Itobespierre était, lui aussi, un onychophage, du moins s'il faut en croire ce passage d'une lettre de M. Sardou :

« Dans ce milieu reconstitué à l'aide des souvenirs de Mme Lebas, on voit son cher Maximilien tisonner son feu, ronger ses ongles, griffonner ses discours, les déclamer tout haut, grisé par sa réthorique; et l'on songe à tout ce qui a été médité, projeté, comploté, dans cette petite chambre, 30us ce plafond bas et ce crâne étroit... »

Cette lettre a été publiée par le Gaulois en 1896.

D' Bernard.

— En lisant dernièrement l'ouvrage de Mlle d'Arjuzon sur Hortense de Beauharnais, j'ai relevé ces lignes;

«... Tout autre est Berthier, que le Premier Consul honore tout particulièrement de sa oonliance et de son amitié. Il a une grosse tête, un petit corps disgracieux, de vilaines mains, dmt il ronge continuellement les ongles^ et des cheveux crépus, mais il plaît quand même, malgré ces désavantages qui ne l'ont pas empêché de faire des passions... »

L'onychopliagie deviendrait-elle la caractéristique du génie? Qu'en pense lo Dr Toulouse ? B. R.

— N'est-ce pas dans les Mémoires de Constant qu'on lit que Napoléon se rongeait souvent les ongles, légèrement, il est vrai. C'était chez le grand homme presque toujours un signe d'impatience ou de préoccupation.

G. A.

Le traitement des alcooliques et la suggestion.

M. Forsl, directeur de l'asile du « Burghdbli », â Zurich ('}. — 1. Il n'y a qu'un moyen efficace de traitement de l'alcoolisme chronique et de la dipsouianic"; ce moyen, c'est l'abstinence totale, et pour la vie. de toute boisson distillée ot fermentec, en un mot de tout ce qui contient de

(i) Comniunlcaiton au Congrès contre l'alcoolisme (Bruxelles).

l'alcool. Tous les autres moyens sont inefficaces ou ne donnent que très rarement des succès, presque toujours passagers. Pour arriver à l'abstinence totale d'un alcoolisé ou d'un dipsomane, il faut:

a) D'abord l'y habituer pendant plus ou moins longtemps (six mois est une bonne moyenne), dans un asile spécial ou sous une surveillance suffisante, en y joignant l'exemple et l'instruction. La suppression brusque de l'alcool n'offre aucun danger, mémo dans le delirium tremens.

b) L'exemple du médecin de la famille ou d'un ami.

c) Gréer un milieu de sociabilité abstinente à l'aide de sociétés d'abstinence totale s'occupant du relèvement des buveurs et leur donnant de l'émulation (Bons Templiers, Croix-Bleue, etc.).

d) Créer des restaurants où les boissons distillées et fermenlées sont absolument exclues.

e) L'exclusion des boissons fermentées est absolument nécessaire, car l'alcoolisé retombe régulièrement lorsqu'il veut prendre modérément du vin, de la bière ou du cidre.

2. L'hypnolisme, c'est-à-dire la suggestion, est, dans beaucoup de cas, un excellent moyen adjuvant pour arriver à l'abstinence totale, mais ne réussit qu'en suggérant cette abstinence totale.

3. Les résultats obtenus dans les asiles pour alcoolisés varient selon la façon dont les asiles sont tenus. La condition sine qua non de réussite est que le chef de l'asile soit un abstinent convaincu et que pas une goutte de boisson alcoolique n'entre dans la maison. Tous les habitants de l'asile doivent être abstinents de boissons distillées et fermentées.

Les Neorologistes russes et français.

M. Raymond, professeur de clinique des maladies nerveuses à la Faculté de médecine de Paris, a reçu du professeur Beohteref, de l'Académie militaire de médecine de Saint-Pétersbourg, la dépêche suivante :

« Saint-Pétersbourg.~- A l'occasion de joyeuse rencontre du président « de la République française, permettez-moi d'exprimer à vous-même et « à tous neurologues français les sentiments d'amitié fraternelle, dévouement cordial et considération profonde. » Bkchtsiief.

M. Raymond a répondu parle télégramme suivant : ¦ En ces jours mémorables où les cœurs français et russes battent à c l'unisson, je vou3 exprime, à vous personnellement, à tous les neuro-« logues russes, au nom des neurologues français ^et au mien propro, « la joie que me cause voire dépêche ; et je tiens à vous dire en quelle c haute estime nous tenons la sience neuropathologique russe person-« nifiée en vous, son digne représentant. Hommage profondément « cordial, amical et fraternel. » Raymond.

NOUVELLES

Enseignement de Phypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique do Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses [dispensaire neurologique et pédagogique), est.annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le DT Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'éléj par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.11 est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Paul Parez, Rchns. et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.

Pendant le semestre 1897-1898, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les DM Dumonlpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Henri Lemeslc, Paul Farez, G. Kaynaud, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le D' Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Avis. — Cour3 pratique de psychothérapie et d'hypnoloffie. — M. le D' Bérillon commencera un cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie, à l'Institut psycho-physiologique, 4y, rue Saint-André-des-Arts, le jeudi 23 octobre, à dix heures etdemie. J! le continuera les. jeudis suivants, à la même heure. Plusieurs conférences seront consacrées à l'étude-pratique des applications de la suggestion hypnotique à la pèàagogie.el à Véducation des dégénérés héréditaires.

L*Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT ^ 17Ù, rue Saint-An loi ne. . .

Paris, Imp. Â. Qcelqi ruo Gerbert, 10.

REVUE De L'HYPN0TISME

expérîmental et thérapeutique

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12e- année. — N° 4. Octobre 1897.

LA QUESTION DES SUGGESTIONS CRIMINELLES

ses origines, son état actuel (1). Par M. Liégeois, professeur à l'Université do Nancy.

§ 1- Le criminel malgré lui.

M. Deibceuf, professeur à l'Université de Liège, a prononcé le 15décembre 1894,devant !a Classe des sciences de l'Académie royale de Belgique, un discours sur l'hypnose et tes suggestions criminelles. Ce discours est tout entier consacré à la réfutation de la thèse soutenue à ce sujet, depuis 1884, par le rapporteur, d'abord dans un Mémoire lu à l'Académie des sciences morales et politiques de l'Institut de France (a), ensuite dans un ouvrage postérieur (*) et un article de la Revue philosophique (*).

Cette thèse, qui est celle de l'École de Nancy, et qui contredit les opinions soutenues à Paris, à la Salpêtrière, par le professeur Charcot et MM. Brouardel, Motet, Ballet, Gilles de la Tourette, peut se résumer ainsi :

Chez toute personne susceptible d'être mise en somnambulisme profond, l'on peut produire, par suggestion verbale, un véritable automatisme. Dans cet état, le patient, soumis à l'expérimentateur, aussi bien sous le rapport moral que sur le rapport physique, ne voit que ce que celui-ci veut qu'il voie,

(1) Analyse du rapport présenté au Congrès international de Neurologie, de Psychiatrie, d'électricité médicale et d'hypnologie, tenu à Bruxelles, du 14 au 20 septembre 1807.

(2) De la suggestion hypnotique, dans ses rapports avec le droit civil et le droit criminel. Séance et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques 1884 , 2- sem., p. 220.

(3) De la suggestion et du somnambulisme, dans leurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale. 1 vol. Rr. in-18. Paris, 1«S9. 0. Doin, éditeur.

(4) a Hypnotisme et criminalité». Revue philosophique, mars 1892. Alcan,éditeur.

ne sent que ce qu'il lui dit de sentir, ne croit que ce qu'il veut lui faire croire, ne fait que ce qu'il lui dit de faire. L'effet de la suggestion peut être reportée, même après le réveil, à une date plus ou moins éloignée (M. Liégeois a réussi une expérience à 365jours d'intervalle). Le somnambule peut être, sans le savoir, rendu auteur inconscient d'actes délictueux ou criminels, même de meurtre ou d^mpoisonnement. En pareil cas, l'auteur du fait matériel est irresponsable, comme ayant agi sans aucune liberté; seul, l'auteur do la suggestion est recherché et puni.

Le rapporteur s'efforce de combattre l'argumentation de M. Delbceuf à la mémoire duquel il rend d'ailleurs un hommage mérité, et dont il a donné une biographie des plus élogieuses dans la, Revue de l'hypnotisme (décembre 1896 et janvier 1897).

I. M. Liégeois avait rendu compte, en 1884, d'une expérience dans laquelle il avait produit, chez une jeune fille, Mlle E. P.-, un état de somnambulisme si profond, d'automatisme si complet, qu'il lui avait fait tirer un coup de pistolet sur sa mère. M. Delbceuf, qui avait d'abord conclu dans le même sens que l'École de Nancy, a ensuite changé d'opinion. — Raisons qu'il invoque, en 1894, pour motiver et justifier ce revirement. M. Liégeois critique, à son tour, cette critique : il montre que M. Delbceuf a mal compris les conditions dans lesquelles MIU E... aurait pu être rendue criminelle, sans le savoir, si le pistolet remis entre ses mains avait été chargé.

Le rapporteur tire argument contre M. Delbceuf des résultats que ce dernier a lui-même constaté dans sa brochure sur l'Origine des effets curatifs de l'hypnotisme, et, en outre, de ce qu'il avait su produire, chez une femme qui avait été à son service et s'était ensuite mariée, une insensibilité telle qu'on avait pu la faire accoucher sans douleurs.

IL Une deuxième expérience de M. Liégeois, critiquée par M. Delbceuf, concerne un grand jeune homme de 25 ans, Th..., à qui l'on avait suggéré l'idée d'empoisonner une tante qu'il aimait beaucoup. L'essai fut, en effet, réalisé, d'après le témoignage de la victime imaginaire. Le rapporteur, ici encore, s'efforce de réfuter son contradicteur. Il entre dans tous les détails nécessaires et rappelle que le sujet mis en expérience avait pu, par l'effet de la suggestion, être transformé, à ses propres yeux, en nourrice, et qu'on lui avait fait manger, comme poire savoureuse, une pomme de terre

crue. La rupture du souvenir était telle que, réveillé, alors qu'il tenait encore on main la pomme de terre entamée, Th... ne voulut jamais croire qu'il y eût porté la dent.

III. M. Delbœuf, après avoir critiqué les expériences qui précèdent, en a voulu faire à son tour, pour démontrer que les premières étaient « suspectes ». Il a voulu faire croire à une jeune fille honnête qu'il était son mari, et elle s'est refusée à l'admettre. Mais M. Liégeois a obtenu, à Nancy, un résultat tout contraire, ce qui détruit l'argument tiré d'une expérience négative.

IV. Le regretté professeur de Liège avait voulu vérifier également si l'on pouvait, par suggestion, faire commettre un meurtre. Et il fait le récit suivant, que nous abrégeons. M"» D... et une amie sont occupées à découper des journaux ; M. Delbœuf fait venir sa domestique J..., « l'hypnotise d'un geste » et lui commande de tirer un coup de revolver sur les deux jeunes filles, qu'il représente comme étant des voleurs qui viennent le dépouiller de certains papiers de valeur. Refus de l'hypnotisée; insistance de l'hypnotiseur : nouveaux refus, dont ne peut triompher aucune objurgation.

V. Discussion de cette expérience, d'après le récit même de l'auteur. — Qu'elle a été mal organisée, et qu'ainsi elle ne prouve rien. Que l'état de J... n'était pas le degré profond de somnambulisme dans lequel, seul, se réalisent les suggestions d'actes, même les plus graves. Delbœuf avoue lui-même que J... n'était pas « absolument arrachée au monde réel », qu'elle a pu « penser naturellement qu'il s'agissait d'une fiction, qu'il n'avait garde de la faire tirer sur son propre enfant », etc.

VI. Argument tiré aussi, contre Delbœuf, de l'analogie qu'il a, plus d'une fois, reconnue entre le somnambulisme naturel et le sommeil provoqué. Citation empruntée à son live sur Le sommeil et les rêves. Cette citation vient à l'appui de la doctrine de Nancy, adoptée d'abord et ensuite combattue avec une persévérance digne d'une meilleure cause.

VII. Fait judiciaire, prouvant l'exactitude de la thèse soutenue par le rapporteur. N..., excellent somnambule, a reçu d'un D' X..., imprudent et expérimenté, la suggestion indéfinie de voler. Il se livre, en conséquence, à une série de vols, qui finissent par amener son arrestation. Il avoue tout ; il a volé

des faux-cols, des cravates, des vêtements, des cartes de visite; il a noté exactement tous ces larcins sur un carnet qu'il porte partout» et. il explique, au commissaire de police, les hiéroglyphes par lesquels il a eu soin de préparer ainsi, pour la justice, des moyens certains d'accusation. Il est condamné à deux mois de prison par» le tribunal correctionnel de Nancy (1886). Ce fait démontre que l'hypothèse d'une « comédie », que joueraient toujours les somnambules, dans les « crimes de laboratoire », doit être écartée définitivement.

§ 2. La femme violée sans le savoir.

En état de somnambulisme, soit spontané, soit provoqué, des femmes, des jeunes filles, pourraient être violées sans le savoir, sans le sentir, sans en conserver aucun souvenir. En dehors de ces crimes, dont les conséquences seraient parfois terribles, elles pourraient, par suggestion, se voir inspirer les sentiments les plus bas, les penchants les plus vils, les actions les plus honteuses. Il n'est pas de famille, si haut placée qu'elle soit, fût-elle princière ou même royale, qui puisse se croire à l'abri de ce danger, car il n'en est pas où les femmes, les jeunes filles, né soient souvent exposées au contact, à la présence de gens de moralité douteuse : domestiques, cochers, etc.

I. Cette thèse, sur laquelle l'École de Nancy est unanime, est combattue notamment par M. le Dr Erouardel. Le savant doyen nous oppose une expérience dans laquelle il n'a pu persuader à une somnambule quelle était près d'une rivière et qu'elle devait se déshabiller. Elle eut une attaque de nerfs. Critique de cette opinion.

Expériences contraires de M. le Dr Forel, professeur à l'Université de Zurich.

II M. Brouardel n'admet la possibilité du viol que quand les sentiments secrets de la femme seraient d'accord avec l'acte suggéré. Exemple — emprunté au Dr Bellanger— d'une femme que son médecin posséda dans ses accès de somnambulisme, qui devint enceinte et qui accoucha, sans connaître la cause de sa grossesse. Aussi devint-elle folle.

III. Le rapporteur maintient la possibilité, même en dehors de tout penchant secret, du viol commis à l'insu de la victime. Il se fonde d'abord sur ce qu'on a pu faire accoucher sans

douleurs certaines somnambules, qui, réveillées, n'avaient gardé aucun souvenir de leur délivrance. Ensuite, il rappelle l'affaire Castellan, dans laquelle un mendiant vieux, difforme, repoussant, a pu, par de véritables manœuvres hypnotiques, s'emparer d'une jeune fille jusque là très honnête, l'enlever à ses parents, la posséder, en faire une sorte d'esclave, subissant une puissance irrésistible. La Cour d'assises du Var (France) a condamné ce misérable à 10 années de travaux forcés.

IV. Autre affaire, en 1879, dans laquelle M. Brouardel fut choisi comme expert. Un sieur Lévy, dentiste ambulant, avait violé, dans son cabinet, à Rouen, une jeune fille de 20 ans, venue pour se faire arracher quelques mauvaises dents. La mère avait assisté aux agissements de Lévy, sans s'en rendre compte, parce qu'il lui avait demandé de lui tourner le dos. La malheureuse Berthe B..., devenue grosse, porta plainte au parquet, où d'abord on se moqua d'elle. Le criminel cependant, se rencontrant inopinément, au Palais, avec les femmes B..., avoua son crime. M. Brouardel constata que la fille B... pouvait être mise en somnambulisme; mais, de propos délibéré, il ne voulut pas — ce que le rapporteur croit qu'il eût dû faire — interroger la plaignante sur les détails du fait reproché à Lévy. Mise de nouveau en somnambulisme, elle eût retrouvé le souvenir de tout ce qui s'était passé et ainsi éclairé la justice. En somme, sans l'aveu du coupable, il eût été impossible de l'atteindre. La Cours d'assises condamna Lévy à 10 années de réclusion.

V. En 1895, se produisit en Allemagne une affaire qui eut un grand retentissement, et qui fut, comme on Ta dit, lepremier crime d'hypnotisme. Un sieur Czvnski, magnétiseur de bas étage, parvint, quoique marié et père de famille, à séduire, par des manœuvre de suggestion hypnotique, la baronne de Z... de L..., appartenant à une famille riche et puissante de l'aristocratie prussienne. Il lui persuada de se donner à lui, puis de consentir à l'épouser, après qu'il aurait divorcé d'avec sa première femme. Le rapporteur entre dans des détails de nature à confirmer l'opinion qu'il a adoptée. Czynski va en Suisse, avec la baronne de Z...; il envoie des « billets de fian-çailles », puis entraine sa dupe à Munich, où il fait procéder, dans une chambre d'hôtel, à un simulacre de mariage religieux, par un complice déguisé en pasteur. A la fin, le père et le

frère de la baronne de Z... déposent une plainte contre O.ynski. On l'arrête à Munich, où s'ouvrent les débats judiciaires, et il est condamné à trois ans de prison.

VI. Opinion de MM. Binet et Féré, confirmant la thèse de M. Liégeois. Possibilité de donner les suggestions les plus graves, les plus redoutables, en quinze secondes, (le rapporteur avait dit, en 1884, un quart de minute).

VIL M. Liégeois rappelle que, à la même époque, il donnait des conseils de prudence aux personnes qui, rêvant souvent à haute voix, semblent, a priori, plus faciles à suggestionner que beaucoup d'autres. Observation conforme faite par M. X... Femme du monde, endormie dans une salle d'attente et donnant, par écrit, en vertu d'une suggestion, rendez-vous à un inconnu.

VIII. Opinion de M. le Dr Déjerine : « On peut faire commettre à échéance plus ou moins éloignée, n'importe quel acte, dans n'importe quel domaine. » Défi qu'il a porté à nos contradicteurs et aux siens. Durée possible des suggestions efficaces; M. Liégeois en a fait à 365 jours d'intervalle. Il a, en outre, en 1895, sur une jeune personne, autrefois endormie à la clinique de M. Liébeault, retrouvé, après dis années, l'empire absolu qu'il avait acquis, en 1885, sur ses sensations, ses volontés, ses sentiments, ses actes, etc.

IX. Tous ces faits judiciaires, toutes ces observations scientifiques paraissent à M. Liégeois, démontrer suffisamment le caractère inquiétant des dangers qu'il a signalés et qui menacent, au moins, 4 ou 5 p. 100 de la population, soit 20,000 personnes environ à Bruxelles, 100,000 à Paris, 200,000 à Londres !

Heureusement il y a un moyen de conjurer le péril.

En effet, l'on peut suggérer à un individu très suggestible que personne ne pourra, à l'avenir, le mettre en somnambulisme, ni lui donner des suggestions irrésistibles. M. Liégeois en donne pour preuve une expérience qu'il a faite, en 1888, à Liège, à l'hôpital de Bavière, sous les yeux de MM. de Laveleye, Delbceuf, le Dr X.., médecin de l'établissement. Le succès en fut complet. I! en a été de même, souvent, à Nancy, pour les Dr Liébeault, Bernheim et Beaunis.

Sa conclusion est la suivante : Il serait prudent que toute personne, homme, femme, jeune fille, sût exactement à quoi

s'en tenir sur le degré de suggestibilité dont elle est susceptible. Pour cela, il faut essayer de se faire mettre en somnambulisme par un homme compétent. Si l'on arrive alors au somnambulisme profond, il est absolument indispensable de se faire suggérer qu'on ne pourra être hypnotisé par personne et par aucun moyen. C'est ce que le rapporteur appelle : la suggestion atténuée ; c'est une sorte de vaccination morale.

M. Liégeois eût pu, ajoute-t-il, s'il avait été, à temps, mis à même de le faire, suggérer: i° à Mme Gr..., de Constantine (Algérie),de ne pas subir les suggestions de Chambige, qui lui ont coûté la vie, en même temps que l'honneur ; 2' à MM Weiss, l'empoisonneuse d'Aïn-Fezza (Algérie), de ne pas obéir à son amant, de ne pas empoisonner son mari, de n'avoir pas d'hallucinations, de ne pas se suicider dans sa prison ; 3° à la baronne de Z... de ne pas se laisser hypnotiser, de ne pas se donner à Czinski « pour sauver son âme », et de ne pas consentir à l'épouser ; 4° à ces quatre malheureuses femmes qui viennent (juillet 1897) de se suicider ensemble à Paris, de ne pas subir la fascination de la mort d'une actrice qui, quelques jours auparavant, avait discuté, avec des amies réunies à sa table, quel genre de suicide elle choisirait.

M. Liégeois termine son rapport par quelques considérations générales sur le rôle de l'hypnotisme et de la suggestion en philosophie, en histoire, en médecine, en jurisprudence; il montre comment cette science nouvelle explique des faits déjà anciens restés longtemps obscurs et inexplicables : maléfices des sorciers, apparitions, extases, stigmates, etc. M. Liégeois estime que toute vérité est bonne, par essence; mais toute puissance donnée à l'homme peut être tournée au bien ou au mal. Nous devons donc nous appliquer à éclairer la conscience humaine, pour amener le progrès de la justice et do l'humanité.

Après la lecture de ce rapport, qui n'a pas duré moins de deux heures et a provoqué de nombreux, applaudissements, M. Liégeois a été appelé à l'honneur de présider effectivement ie Congrès durant la seconde partie de la séance du 17 septembre.

Les idées qu'il a développées et qui représentent la doctrine de l'Ecole de Nancy, sur la grave question des suggestions criminelles, n'ont rencontre aucune contradiction sérieuse. Elles ont été au contraire nettement approuvées par M. le Dr Van Renterghem

d'Amsterdam et par M. le Dr Crocq père, membre de l'Académie de Médecine de Belgique.

De l'aveu de presque tous les médecins présents au Congrès, les théories de l'Ecole de la Salpêtrière rencontrent, chaque jour, de moins en moins d'adhérents.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance annuelle du 22 Juillet 1897. —Présidence de m. Dumoktpaluer.

{suite)

De la suggestion mentale : expériences nouvelles. Par le Dr P. Joire (de Lille).

Outre les cours d'hypnologie que je fais à Lille sous la seule direction et comme annexe de l'Institut psycho-physiologique de Paris, j'avais institué cette année des conférences pratiques dans lesquelles j'exerçais mes élèves à la pratique de l'hypnose et où je faisais avec eux des expériences de psycho-physiologie. Quelques-unes de ces expériences ont présenté un intérêt assez grand qui m'engage à les relater ici.

Un certain nombre d'auteurs qui s'occupent d'hypnologie avaient souvent exprimé le regret de ne pouvoir se procurer des observations personnelles exactes, faites dans l'état hypnotique. La difficulté venait de ce que le sommeil hypnotique profond rend en général l'observation personnelle impossible à cause de l'amnésie qui y règne. Même quand il s'agit d'hypnose légère qui n'exclut pas toute mémoire, il est difficile de se procurer des renseignements de personnes sincères et habituées à l'observation psychologique. Enfin, la plupart du temps l'on n'a affaire comme sujet qu'à des malades, tout au moins des névrosés qui ne voient dans les expériences qu'un prétexe à la mise en scène et dont par conséquent les témoignages sont toujours fort sujets à caution. Il résulte de là qu'il semblait presque impossible d'analyser la suggestion, ou du moins certains genres de suggestion, la manière dont elle est perçue par le sujet et le mécanisme par lequel il l'exécute. Je pense être arrivé à écarter ces difficultés, d'abord en ne prenant pas des malades comme sujets, mais des personnes habituées aux études physiologiques et aux analyses exactes ; ensuite en simplifiant autant que possible les suggestions, de façon que des phénomènes accessoires ne viennent pas y prendre une part prépondérante et masquer le phénomène principal ; enfin, en plaçant le sujet dans un état qui, s'il n'est pas l'état de veille normal, n'est pas non plus un état profond d'hypnose, tout au moins dans lequel il conserve absolument toute sa liberté d'esprit, ses facultés

d'attention et d'analyses, enfin où la mémoire n'est ni abolie ni même affaiblie.

Considérant aussi que le trop grand nombre d'auditeurs ou de spectateurs est nuisible souvent à la réussite de ces expériences, et presque toujours à l'exactitude rigoureuse dos observations, j'ai divisé mes élèves en plusieurs groupes que j'ai appelés successivement à prendre part à ces cxpériencos, de façon à n'admettre jamais à ces conférences plus d'une quinzaine de personnes à la fois. Il faut, en effet, pour bien réussir ces expériences, que les spectateurs soient attentifs au résultat que l'on veut obtenir. Tout au moins, il ne faut pas qu'ils puissent distraire, de quelque façon que ce soit, l'opérateur ou le sujet. Or, il est quelquefois nécessaire d'attendre, pendant un temps plus ou moins long, la manifestation de l'expérience en cours, et il faut pendant ce temps éviter le bruit ou les distractions qui résulteraient de conversations particulières ; il faut éviter aussi les contre-suggestions venant des spectateurs, car celles-ci, sans être un obstacle invincible, nuisent considérablement à la réussite de l'expérience.

Nous nous réunissions donc par groupes, comme je l'ai indiqué, et ces réunions avaient lieu à 8 heures et demie du soir dans une grande salle, située au premier étage et éclairée au gaz. J'indiquerai du reste pour chaque séance les conditions particulières dans lesquelles nous nous trouvions.

Première séance, le 7 mai à 8 heures et demie du soir. Étaient présents : M. le docteur Chrétien et seize étudiants appartenant, la plupart à la Faculté de médecine, quelques-uns aux Facultés de droit et des lettres.

M. C..., étudiant en médecine, se présente pour servir de sujet pour les expériences de suggestion mentale, je lui couvre les yeux avec un bandeau qu3 j'ai fait confectionner exprès pour cet usage. Ce bandeau, en drap noir double, affecte à peu près la forme du masque appelé loup. Une fente pratiquée pour laisser passer le nez s'applique exactement sur lui, et de chaque cété un gros bourrelet de drap vient s'appuyer entre les pommettes et l'os du nez et combler complètement ce creux pour empêcher de voir par en bas.

Le sujet ainsi préparé se tient debout au milieu de la salle. Je lui fais alors des passes longitudinales devant la ligure, puis tout le long du corps, et je termine en lui tenant pendant quelques instants les mains dans les miennes et le regardant fixement.

Je m'éloigne alors et je me liens debout devant lui, à trois ou quatre mètres environ. Je lui fais à ce moment la suggestion mentale de lever le bras gauche. Au bout de quelques secondes, ce bras qui pendait le long du corps se montre le siège de quelques petits mouvements successifs. On dirait les contractions légères que produirait un faible courant électrique passant dans les muscles fléchisseurs de la main et pronateurs. Après ces quelques mouvements, le bras s'écarte franche-

ment du corps et se soulève d'une seule pièce, comme mû par un ressort invisible, jusqu'à prendre la position horizontale.

Pendant que le bras gauche est ainsi levé, je suggère mentalement au sujet de lever le bras droit, et bientôt celui-ci exécute le même mouvement, sans indécision, avec une précision remarquable.

Par une suggestion mentale analogue, je fais revenir les bras à leur position première et ils retombent ensemble lentement, toujours avec ce même mouvement automatique et non pas comme des membres inertes et fatigués qui retomberaient par leur propre poids.

Tout ceci se passe, bien entendu, en pleine lumière et dans le plus grand silence.

Cetto première expérience terminée, je m'approche du sujet et je lui débande les yeux.

Il nous rend compte alors des sensations qu'il a éprouvées.

D'abord, pendant les passes faites sur la tete et le long des membres, avant de commencer les suggestions, il a éprouvé une sorte d'engourdissement général ou de vertige dont il ne se rend pas bien compte. Plus tard, il a senti le bras gauche qui subissait l'influence d'une impulsion étrangère, et qui était entraîné par une force qui le portait en avant et en haut. Ensuite cette force a cessé de se faire sentir et le mouvement du bras s'est arrêté.

La même force a été ressentie aussi nettement par le sujet, s'exerçant sur le bras droit et le portant dans une direction analogue en avant et en haut. Après quelques instants cette force s'est exercée sur les deux bras à la fois et en sens inverse et a déterminé l'abaissement des bras et leur retour à la position normale.

Seconde expérience faite le même soir.

M. B..., étudiant en médecine, se présente pour servir de sujet. Je n'insisterai pas sur les préparatifs qui sont exactement les mêmes. On lui applique le bandeau et les passes habituelles lui sont faites.

Le sujet est placé debout au milieu de la salle, bien en lumière, je me tiens à trois mètres environ en face de lui. Je m'appuie avec les mains sur le dos d'une chaise placée derrière moi. Ma suggestion mentale porte sur la jambe droite du sujet que jo veux foire lever et porter en avant. Pendant que je lui suggère mentalement le mouvement, je l'esquisse moi-même avec ma jambe. J'agis souvent ainsi parce qu'en fixant plus profondément dans mon esprit le mouvement que doit accomplir le sujet, cela donne plus de force à la suggestion. Au bout de 15 à 20 secondes, on voit le sujet porter le poids du corps sur la jambe gauche, puis son genou droit se fléchit légèrement en se soulevant sur la pointe du pied, enfin le pied droit quitte le contact du sol et se porte nettement en avant.

J'enlève le bandeau du sujet et lui souille sur les yeux. Il nous rend compte de ce qu'il a éprouve. Il n'insiste pas sur l'engourdissement qu'il aflirmo pourtant avoir ressenti avant la suggestion, mais il a senti nettement une contraction inattendue et involoutaire des muscles anté-

rieurs de la cuisse, qui a amené le mouvement de soulèvement du genou dont nous avons parlé. Il a senti ensuite ce mouvement s'accentuer et, le pied complètement soulevé, la jambe se porte en avant. Remarques sur ces deux expériences :

Ces premières expériences, très simples en apparence, empruntent la plus grande partie de leur intérêt à ce fait que c'étaient les premières expériences de ce genre que je faisais avec ces élèves. Aucun des spectateurs qui se trouvaient là, n'avait assisté à mes expériences des années précédentes et aucun d'eux n'avait vu ailleurs non plus d'expériences de ce genre.

Par conséquent, aucun des sujets que je prenais là au hasard, parmi ces élèves, ne pouvait avoir l'idée préconçue, ni se douter en aucune façon de ce que j'allais lui commander mentalement. Aucun d'eux, pas plus les spectateurs que ceux qui servaient de sujet, ne pouvait imaginer à l'avance ce qui allait se passer, par conséquent, il n'y avait pas d'auto-suggestion possible. Ces premières suggestions ont pourtant réussi de la façon la plus complète, car il n'y a pas eu la moindre hésitation de la part des sujets, qui ont accompli immédiatement et avec la plus grande exactitude le mouvement que je leur suggérais de faire.

J'ajouterai encore ceci : le fait d'opérer avec des sujets absolument neufs me fait attacher la plus grande importance au récit qu'ils me font de leurs impressions et de leurs sensations, car n'ayant jamais entendu d'autres personnes faire de récit analogue, et eux-mêmes éprouvant ces phénomènes pour la première fois, je suis autorisé à admettre que ce qu'ils me racontent est bien l'expression exacte de ce qu'ils ont éprouvé. Quand je rapproche ces témoignages de ceux qui m'ont été donnés par d'autres sujets dans des expériences antérieures, et vous allez voir qu'il en est de même dans les expériences suivantes dont nous allons parler, la concordance est véritablement frappante.

Seconde séance, le 14 mai à 8 heures et demie du soir. Même salle, fenêtres fermées, éclairage au gaz. Présent: M. le Dr Chrétien, onze étudiants.

Je prends d'abord un des jeunes gens qui m'a servi de sujet la semaine précédente. Lui ayant bandé les yeux et fait les passes comme d'ordinaire, je me place à trois ou quatre mètres de lui et veux lui faire la suggestion de croiser les bras sur la poitrine. H porte d'abord très nettement les deux bras en avant et les soulève en suivant fidèlement le mouvement que j'accomplis moi-même, puis, les bras parvenus à la position horizontale, il les rapproche l'un de l'autre, et fait un mouvement pour les fléchir. Après avoir commencé ainsi le mouvement, il s'arrête et ne va pas plus loin dans la suggestion qui lui est faite. On voit que la suggestion n'est plus assez forte, le sujet est distrait, il laisse tomber les bras en disant qu'il ne sent plus rien et reprend son état normal.

Je m'approche de lui et je lui fais de nouveau quelques passes pour le

remettre en état de suggestionabilité. Après avoir repris ma place à trois mètres environ devant lui, je lui fais mentalement la suggestion de porter les deux brus en arrière. Ce mouvement est assez difficile à exécuter, cependant au bout de quelques instants, on voit le sujet relever légèrement les coudes en arrière, et alors il se met à reculer de plusieurs pas.

Je l'arrête et, après lui avoir été le bandeau, je lui demande ce qu'il a éprouvé. Il déclare qu'il s'est senti comme tiré en arrière par les deux bras, et c'est alors qu'il a reculé. Celte sensation correspondait bien à la suggestion qui était faite pour porter les bras en arrière, mais le sujet a suivi en totalité l'impulsion partielle qui était donnée aux membres. Nous verrons du reste, dans d'autres expériences, qu'il n'est pas rare qu'un sujet fasse un mouvement plus étendu que celui qui lui est suggéré, en généralisant une impulsion partielle.

Un étudiant en médecine, M. X..., qui n'assistait pas à la première séance et qui voit ces expériences pour la première fois, me dit qu'il n'est pas convaincu de la réalité de l'impulsion que prétendent éprouver les sujets en expérience. Il ne suspecte leur bonne foi en aucune façon, mais il pense que, par une sorte d'auto-suggestion, ils accomplissent spontanément un mouvement quelconque et que ce mouvement se trouve être par hasard celui qui a été voulu par moi, mais qu'il pourrait être tout autre. M. X... ne cache pas du reste qu'il émet cette explication parce que, imbu des idées de la science officielle actuelle, il ne peut admettre que la volonté puisse produire ainsi une force qui se transmette à distance, en dehors de tout conducteur matériel.

Je suis très heureux de cette objection faite d'une manière aussi franche et précise. En effet, si je fais ces expériences devant un petit nombre de spectateurs et en petit comité, pour ainsi dire, c'est aussi, pour beaucoup, afin de provoquer de la part de mes auditeurs toutes les objections qui peuvent être faites et qui leur viennent à l'esprit, non pas afin d'imposer magistralement une doctrine, ce qui est souverainement ridicule, mais afin de reprendre avec eux les expériences qui ont pu laisser quelques doutes dan3 leur esprit, et de ne les abandonner que lorsque les auditeurs sont spontanément convaincus par l'évidence des choses.

J'aurais pu répondre aux objections de M. X... par des raisonnements, mais j'aime mieux le convaincre d'une autre façon qui aura aussi, pour moi et pour les autres spectateurs, un grand intérêt. Je lui propose donc de reprendre l'expérience avec lui, il est sceptique et bien prévenu contre l'auto-suggestion ; l'expérience, si elle réussit, n'en aura que plus de valeur. J'applique donc le bandeau à. M. X..., qui me déclare encore pendant celle opération qu'il n'est pas nerveux du tout et qu'il est bien persuadé que tenter une expérience avec lui est peine inutile. Après lui avoir bandé les yeux, je lui fais les passes habituelles sur la tète et le corps, et en même temps je lui recommande

de ne pas se laisser aller à imiter par souvenir ce qu'il a vu faire ; mais, d'un autre coté, de ne pas apporter une résistance voulue, s'il sent une impulsion nette et précise dans une direction déterminée et s'exerçant sur une partie du corps bien définie.

Je m'éloigne alors à environ deux mètres du sujet et je commence une suggestion mentale énergique à laquelle je donne pour objectif l'écartement du bras gauche du sujet, dans un plan parallèle au plan du corps, puis la flexion de l'avant-bras sur le bras. Au bout de très peu de temps, le mouvement se produit, mouvement automatique, lent, mais exempt de toute hésitation, exactement comme il avait eu lieu chez les autres sujets.

Aussitôt après avoir enlevé le bandeau des yeux de M. X..., je lui demande pourquoi il a fait ce mouvement. Ii avoue avec un étonnement visible, qu'il a senti une force s'exerçant sur son bras et l'attirant dans le sens du mouvement qu'il a suivi. Il a d'abord résisté quelques secondes, mais cette impulsion continuant à agir et devenant tout à fait évidente pour lui, il a laissé le mouvement s'exécuter. Il se montre lui-même très étonné de la sensation qu'il a éprouvée et qu'il ne s'explique pas. 11 répète qu'il était absolument sceptique et incrédule tant qu'il avait vu faire ces expériences sur d'autres, mais qu'il est obligé de se rendre à l'évidence, et il se déclare convaincu depuis qu'il a senti lui-même l'impulsion.

Je prends alors un des sujets qui m'a servi dans la séance précédente et je l'emmène hors de la salle. Pendant ce temps, les personnes restées dans la salle doivent tracer sur le plancher une ligne à la craie ; cette ligne aura une direction que je ne connais pas à l'avance et des sinuosités, nombreuses. Je mets le bandeau sur les yeux du sujet en dehors de la salle et quand tout est préparé à l'intérieur, je rentre avec lui en le guidant par la main.

Je place le sujet à l'extrémité de la ligne, les pieds exactement de chaque côté de la ligne et je me tiens à un pas environ derrière lui, sans contact avec lui. Je fixe bien attentivement mes regards sur la ligne qu'il doit suivre. Cette ligne commence à quelques pas de la porte, décrit d'abord une courbe à gauche, puis tourne à droite et décrit de nouveau une grande courbe sur la gauche.

Le sujet en expérience suit la ligne pas à pas, très exactement, il tourne à gauche en suivant la ligne, s'arrete de temps en temps, semblant hésiter un peu, surtout quand il se trouve près d'une courbe. Il tourne à droite, et suit la grande courbe à gauche. Vers le milieu de cette dernière courbe, un élève avait placé un chapeau sur la ligne ; le sujet heurte du pied ce faible obstacle et il semble que cette sensation inattendue le fasse sortir de i'élat d'attention dans lequel il était, il parle ainsi que d'autres personnes et arrête là l'expérience.

Observations générales sur ces diverses suggestions mentales :

Je n'ai lait que des expériences très simples que j'ai réduites au nombre de cinq ou six tout au plus, mais j'ai tenu à répéter plusieurs

fois les mêmes expériences avec des sujets différents. La simplicité de l'action suggérée rend en effet plus facile l'analyse de la suggestion ; de plus, cela me permettait de recueillir les diverses impressions des sujets, dans des conditions absolument identiques. Cette manière d'opérer m'a donné des résultats très remarquables ; vous avez pu voir, en effet, que tous les sujets ont éprouvé les mêmes sensations, les ont analysées de la même façon et traduites presque dans les mêmes termes.

Le fait a la plus grande importance, étant donnée cette circonstance, quo plusieurs des sujets, pris dans des séances différentes, n'avaient ni vu les expériences, ni entendu les sujets qui en avaient rendu compte précédemment. Ils ne pouvaient donc pas agir par imitation ni par autosuggestion ; les sensations qu'ils signalaient devaient donc être exactes et se trouvent corroborées par leur concordance parfaite.

Il est encore du plus grand intérêt, dans ces expériences, de rechercher dans quel état se trouvent les sujets au moment où ils reçoivent et exécutent les suggestions mentales. En apparence, les sujets sont en état de veille, et de fait, si vous les interrogez après l'expérience, unanimement ils vous repondront qu'ils n'ont pas dormi. En réalité, ils ne dorment pas, en ce sens qu'ils ne sont pas dans un sommeil profond, mais ils ne sont pas non plus dans l'état de veille normale. Pour le prouver, il suffira de nous rappeler ce que la plupart des sujets ont signalé de leurs impressions quand on leur failles passes au début des expériences. Us constatent qu'ils éprouvent un changement d'état, quelque chose qui les isole de tout ce qui les entoure (c'est leur propre expression), ils signalent une sorte d'engourdissement vague de tous les membres, quelques-uns indiquent des fourmillements.

Le sujet se trouve placé là dans cet état que j'ai décrit sous le nom d'état médianique passif. Son attention pour tout ce qui vient du sug-gestionneur se trouve exaltée à un point qu'elle ne pourrait pas atteindre s'il était dans l'état normal, s'il ne se trouvait pas, comme il le dit, isolé des autres choses environnantes. C'est cotte modification du sujet qui permet d'établir entre lui et le suggestionneur un état de communication ou de rapport, grâce auquel il peut être impressionné par une influence purement psychique. Si, dans certains cas, comme nous l'avons vu, des influences extérieures ou certains troubles physiologiques des sujets sont capables de diminuer ou de supprimer l'influence du suggestionneur sur le sujet, ces expériences négatives viennent encore s'ajouter aux preuves de cette relation psychique qui existe entre eux.

J'ajouterai que cette correspondance psychique entre plusieurs individualités ne me parait pas constituer un fait anormal ni même spécial à cet élat d'hypnose. Mais, dans l'état médianique, qui est un veritablo état d'hypnose, il y a une orientation particulière de cet influx nerveux, et en même temps concentration de toutes sas forces vers un même individu. J'ai constaté, en effet, que la présence d'une autre personne

entre le suggestionneur et le sujet, ou même une personne trop rapprochée du sujet, surtout si elle fait un effort contraire à la suggestion, trouble considérablement les expériences et peut même les empocher complètement de réussir.

Au sujet de la manière de faire les suggestions mentales, je dirai qu'elles demandent, de la part du suggestionneur, un effort considérable de volonté, effort qui doit être soutenu sans interruption pendant tout le temps que doit durer la suggestion, si l'on veut qu'elle réussisse.

Avec un de mes bons sujets, j'ai pu constater des efforts nouveaux de volonté qui étaient faits pour accentuer une suggestion. Dans une chambre tout à fait obscure, je fui faisais la suggestion très simple de plier les bras, et, de parti pris, après un effort de suggestion considérable, je laissais la volonté s'affaiblir pour la reprendre par à-coups successifs. Mon sujet put chaque fois me prévenir de l'impresssion qu'il ressentait au moment où je faisais un nouvel effort de volonté.

J'ajouterai que cet effort constant de la volonté, cette fixité de toute l'attention concentrée sur un même objet, n'est pas chose aussi facile qu'on pourrait le croire et demande une certaine éducation qui se perfectionne par l'entraînement. Ainsi, quand je suggère une action, qu'elle soit simple ou plus ou moins compliquée, je décompose l'acte en un certain nombre de mouvements et Chaque mouvement en une série de contractions de groupes musculaires. C'est pourquoi j'ai donné à ces expériences le nom de suggestions mentales et non pas de transmission de la pensée. En effet, je n'ai pas cherché ici (ce qui pourrait se faire et ce que je me propose de faire dans d'autres expériences) à imposer à mon sujet l'idée de l'acte à accomplir en lui laissant ensuite la liberté des moyens à employer pour accomplir cet acte ; mais je le conduis à l'exécuter inconsciemment et en détail par une série de suggestions mentales successives.

Manie aiguë intermittente, coïncidence des accès avec les périodes menstruelles. — Arrêt de ces accès par la suggestion à l'état de veille.

Par M. le Dr Auguste Voisin, médecin de la Salpétrière.

MM0 M..., 23 ans, est entrée dans mon service le 9 mars 1896. La malade n'a pas connu ses grands-parents. D'après son frère ils n'étaient pas nerveux. Son père alcoolique s'est suicidé sans qu'on ait su le motif. 8a mère est rhumatisante et nerveuse mais sans crises hystériques ou épileptiques. Elle a eu cinq frères et sœurs : un est mort à l'âge de 18 jours. Les autres vivent; ils sont bien portants et aucun n'a eu de maladie nerveuse ou mentale. La malade a eu la fièvre typhoïde, vers l'âge de 15 ans. Réglée depuis l'âge de 1G ans à peu près régulièrement. Mariée à 18 ans, elle a eu un enfant Tannée suivante.

La malade dit qu'elle était très nerveuse mais qu'elle n'a jamais eu de crises hystériques. Elle dit qu'elle est folle depuis le 28 décembre 1895.

Sa belle-mère lui était devenue absolument désagréable.

Elle a été internée à Vaucluse, puis à Sainte-Anne, d'où on l'a conduite à la Salpètrière.

Front normal, crâne bien fait, pupilles égales, orthognathe, voûte palatine normale, oreilles bien formées, pas de goitre, sensibilité aux membres supérieurs, inférieurs et à la face normale.

Pas de réflexes patellaires. Pas de zones hystérogènes, pas de troubles de la motricité. La physionomie de la malade est gaie, elle rit souvent ; elle est d'une très grande loquacité. Cette nuit elle a chanté jusqu'à 3 heures du malin. Elle ne reste pas un instant en place et se livre à des exercices gymnastiques.

Elle aurait eu dans le courant du mois de juillet 1895 (renseignement donné par le mari) une crise de nerfs qui aurait duré deux heures. C'est depuis ce moment que la malade a commencé à changer de caractère. Devenue apathique, elle maigrissait et avait des idées de suicide.

L'agitation n'a commencé qu'au mois de décembre. A cette époque, elle dépensait tout son argent. Elle ne dormait pas la nuit, cassait tout chez elle, courait toute la journée, chantait. Elle a même cherché une fois à se jeter par la fenêtre. Elle ne demandait pas son enfant. Quand l'agitation a commencé au mois de décembre, la malade n'avait pas eu ses règles depuis deux mois. a Vaucluse, elle les a eues une fois pendant deux jours. Elle mange bien.

Son mari donne sur elle les renseignements suivants : « elle a toute jours été très nerveuse, exaltée et môme parfois très violente. Elle a « de grandes qualités. Elle avait été très malheureuse dans sa jeunesse i et avait su se diriger et marcher droit.

c Nous avions de fréquentes discussions, et à la suite d'une très vive ¦ que nous avions eue en présence de mes beaux-frères et belles-sœurs, « j'étais résolu à la quitter. Ce n'est que sur leurs instances que je a restai. Dans la nuit ma femme eut une crise de nerfs effroyable. »

L'agitation a repris depuis huit jours et va en augmentant. Commencement du traitement morphinique.

20 avril 1897. — Le traitement n'a pas eu d'influence sur les accès de manie.

Description d'un de ces accès de manie : 24 juin. — La malade est très agitée, lorsqu'on la fait venir de la salle do bains dans la cour des agités, elle vient en gambadant, en sautant, en chantant ; elle ne peut rester deux minutes en place ; elle parle continuellement avec une incohérence absolue dans son langage. Elle est avec nous d'une familiarité exagérée: * Bonjour, papa Voisin, et elle me donne une lape sur le ventre ; elle veut embrasser l'un de nous. Elle ne profère aucune injure, ni aucun mot grossier. Lorsqu'on lui pose une question sérieuse, elle répond immédiatement, correctement, puis reprend son discours

décousu. Dans ce qu'elle dit, il y a des souvenirs anciens ; parfois elle chante des airs qu'elle a appris autrefois. Elle dit qu'elle fait comme Sarah Bernhardt, qu'elle est faite pour jouer la comédie, qu'elle est maniaque et que je dois noter qu'elle est maniaque. Dans cet état d'excitation, elle dérobe à ses camarades différents objets qu'elle cache soit sur elle, soit sur les autres malades.

« Oh ! la pendule ! Oh ! mon cochon ! C'est vous qui avez réussi. On « me présente. La vessie beile-sœur. Vous mettrez de la levure et du « bromure. Ça pique. M. Martin a un chapeau spécial. Vous pourrez « faire une enquête. Si on pensait aux morts on ne vivrait plus « Elles sont toutes comme ça à la maison. A quelle heure étiez-vous. Ah « l'interne ! son tablier lui va comme à une vache. Il marche toujours, « lui. M. Martin, chef aliéniste. On estime du monde. Si j'en pince pour

« lui, ça ne vous regarde pas. II a pris ses jumelles pour mieux voir. « Si vous l'avez mis par-dessus le pont de Neuilly, tant pis. Une femme « comprend ces choses-là. M. Apollinaire habite lui. Laissez le père « tranquille. Mon frère est en zouave, il n'est pas en culotte courte. « Je ne m'occupe pas de votre beau-frère. Vous pouvez faire votre « lettre vous-même, Mme Rémy. On pique son fard facilement, sans être

« une fille pour cela. Oh ! des douleurs névralgiques. Mais non, Berthe,

« ce n'est pas ça. Les contributions payables en 8 jours, si je les paie « en trois semaines, ça ne regarde personne. Vous êtes une bonne « femme, M106 Rémy. C'est comme Don Quichotte, on lui fait couper la « tète. Je ne tiens pas à faire passer un jeune homme en conseil de " guerre. On rit entre femmes. Faisons une partie de dominos. Vous

« faites des comparaisons. M. Boulanger, il s'est tué pour sa..... assez.

« Moi, jamais je ne me suis affichée. A Sainte-Anne, j'étais comme « chez moi. C'est celui-là mon parrain. Qu'est-ce que ce doigt-là, l'an-« nulaire ? Un laisser-passer ; je veux rentrer à neuf heures. Il avait « bien calculé. Système Polin. Nez aquilin. Voulez-vous ma carte? »

Depuis juin 1896 elle a eu des accès de manie semblables, tousjes mois aux périodes menstruelles ; ces accès durent de 12 à 15 jours et ses règles huit jours.

8 mars 1897.— Date du mois qui correspond à la période menstruelle. Nous lui avons suggéré do dormir jusqu'à ce que nous lui touchions le menton et d'être tout à fait calme jusque-là. Elle n'a pas dormi du sommeil hypnotique mais elle est restée calme ; elle a dormi les nuits. Nous lui disons de continuer à rester dans son lit dans la position du sommeil. Il lui sera donné comme pendant les périodes menstruelles des autres mois, 5 gr. de bromure et un centigramme et demi de morphine. Elle est restée comme engourdie jusqu'au 19 mars. Chaque fois que je suis entré dans son dortoir, clic a fermé aussitôt les yeux et elle n'a pas bougé tout le temps que je restai près d'elle. Elle ne dormait pas ; était sensible aux piqûres d'épingles.

Dès que j'étais sorti de la salle, elle parlait aux employées et aux

élèves. Elle a mangé les aliments qu'on lui apportait pendant ces 11 jours ; elle descendait de son lit pour satisfaire ses besûins et pour faire sa toilette.

La sortie de cet état a été obtenue par le toucher du menton suivant la suggestion qui lui avait été faite.

De même en avril, à partir du troisième jour avant les règles et jusqu'au deuxième jour après. En mai, la suggestion a été faite trop tard, les règles ayant déjà commencé et un peu d'excitation existant déjà. L'accès maniaque a eu lieu et il a duré 12 jours.

En juin, la suggestion a été faite à temps. Pseudo-sommeil de 12 jours. Pas d'accès maniaque. Durée des règles, huit jours.

27 juin. — Elle est sortie en congé de 36 heures chez son mari.

En juillet, pseudo-sommeil depuis le premier jour des règles jusqu'au troisième jour après leur terminaison. Le résultat a été aussi satisfaisant qu'en mars, avril et juin, et l'état mental de la malade est absolument normal dans l'intervalle des règles.

En résumé, il nous a paru intéressant de vous relater ce fait, que je crois unique, d'accès de manie aiguë à forme intermittente et de cause cataméniale qui ont pu à plusieurs reprises être arrêtées par une suggestion à l'état de veille.

Criminels aliénés.

par ie Dr Henry Lemesle, avocat à la Cour de Paris.

.- C'est comme à regret que, sacrifiant 3ux nécessités présentes, nous accolons les deux mots qui précèdent, car, un jour prochain, cette expression de criminels aliénés faite de la veulerie des uns et de l'ignorance des autres, ne sera plus qu'un pléonasme. Mais le progrès de l'idée est incessante et la lâcheté des convictions, si elle en retarde l'éclosion, du moins ne la peut empêcher ; d'ores et déjà criminel est synonyme d'aliéné.

Quoi qu'il en soit, dire qu'il y a des aliénés dont l'état mental est méconnu par la justice et que chaque jour voit grossir ia population des prisons est, même auprès du grand public, une assertion incontestable, et si la vieille théorie do la répression quand même, la théorie de ceux qui, en commentant le code, scrupuleusement je pense, ont décidé qu'il n'y a de fous nulle part, trouve encore des adeptes, il fauê bien l'avouer, ceux-là nient la lumière.

La question entre désormais dans une phase nouvelle ; dans ces derniers temps s'est formé un courant d'opinions auquel nous sommes lier d'avoir contribué. Cette question des irresponsables devant la loi, si elle n'est pas résolue, est nettement indiquée, et si elle n'a point encore franchi l'onecinto de nos assemblées législatives, du moins nous sommes autorisé à croire et à dire qu'elle fait antichambre.

Trop a été dit pour que nous nous attardions ici à de stériles et vaincs

discussions : aux arguments de haute fantaisie de nos adversaires noua ne répondons que par des chiffres auxquels nous laisserons leur rigoureuse et décisive éloquence.

Établissons d'abord, par la statistique, qu'il y a des aliénés, beaucoup d'aliénés dans les prisons. — En France, l'étude que nous avons faite précédemment nous dispense d'insister, qu'il nous suffise de rappeler l'enquête suggestive de M. Henry Monod. — En Angleterre, les aliénés des prisons représentent en moyenne de 6,4 %. — En Italie, Rossi donne un minimum de 5,2 %, tandis que le professeur A. Marro, que nous avons eu la bonne fortune de rencontrer lors de notre séjour à Turin, nous accuse presque 32 % — En Allemagne, Mendel nous indique 12,9 % et Krohne, à la prison de Moabit (Berlin) a trouvé 10 % ; d'autre part notre éminent ami le Dr Nœcke, de Leipzig, nous dit que parmi les aliénés qu'il reçoit de la prison il y en a de 20 à 25 % dont l'aliénation était antérieure à la condamnation. — Une statistique déjà ancienne ¡1884-1885 faite par Langreuter en Prusse, a montré que sur 1.200 criminels aliénés dans les prisons, 33 % étaient malades avant le crime. — Mendel croit devoir élever cette proportion à 75 %.....

Qu'il soit, après cela, nécessaire de rechercher d'autres statistiques, nous ne le pensons pas.

En second lieu, une allégation dont la fortune a été grande mais dont il convient aujourd'hui de faire bon marché, est la suivante: S'il y a des fous dans les prisons, a-t-on dit, ce n'est pas que les tribunaux condamnent des irresponsables; le régime pénitentiaire est seul en cause, en rendant aliénés des détenus en principe sains d'esprit et très responsables. Une fois de plus la magistrature était sauve ; malheureusement cette théorie est aussi fausse que séduisante, nous Talions démontrer.

Et d'abord, la prétendue folia pénitentiaire longtemps admise par des esprits do toute bonne foi reconnaissait trois causes: — Io l'hygiûne défectueuse des prisons;— 2° l'alimentation insuffisante;— 3° ¿a détention en elle-même.

Pour co qui est des deux premières causes, j'en appelle ici au témoignage de ceux qui connaissent l'économie des prisons; qu'elles s'appellent maisons d'arrêt' ou maisons centrales, chacun sait le soin qui préside à leur tenue hygiénique et les efforts incessants pour réaliser la.ration alimentaire physiologique. Ces tentatives n'ont pas été stériles et leurs résultats sont si parfaits qu'en visitant les détenus et en comparant leur situation à celle des prolétaires agricoles ou ouvriers, les adeptes, convaincus de la responsabilité morale, doivent être indignés de cette inégalité sociale et de son immoralité. —- Bref, si l'hygiène et l'alimentation ont jamais été défectueuses, aujourd'hui il n'en est rien, et cependant les prisons nous offrent un contingent d'aliénation plus fort qu'autrefois.

Interrogeons donc la troisième cause inculpée comme génératrice de

folie. La détention en elle-même mérite d'être prise en considération comme facteur étiologique dans la question qui nous occupe. — Il nous faut différencier dans ce but les criminels d'occasion et les criminels d'habitude, et en second lieu, les effets de l'emprisonnement collectif et ceux de l'emprisonnement individuel.

Les délinquants d'occasion perçoivent vivement les différents chocs moraux de l'emprisonnement : l'angoisse, la honte, le remords les hantent et les obsèdent ; si ces délinquants sont de ceux que l'on étiquette prédisposés, l'emprisonnement individuel ou seulement collectif provoqueront peut-être la folie, nous ne le contestons pas, mais aussi ce que nous tenons à dire c'est qu'une inspection médicale aurait écarté de la prison ces prédisposés qui, après tout, sont déjà des aliénés, et des irresponsables. Là encore, l'emprisonnement n'aura pas créé une psychose, il aura seulement rendu manifeste une entité morbide latente.

Quant aux délinquants d'habitude, aux récidivistes qui souvent recherchent la prison à cause des satisfactions matérielles qu'ils y goûtent, ceux-là sont des émoussés, des indifférents, à la prison ils sont un peu chez eux, et aucune réaction mentale fâcheuse n'est à craindre.

Deux aliénistes d'ailleurs viennent, de leur hante compétence, nous prêter le singulier appui; — c'est d'une part le Dr Ncecke qui estime que: en général, ceux qui ne sont pas prédisposés ne deviennent pas aliénés à la suite de la détention, mais bien les prédisposés dont les causes minimes de la vie d'une prison bien tenue suffisent même pour développer la psychose ; — c'est d'autre part, notre maître, le Dr Aug. Voisin, qui, à la suite de son étude sur l'emprisonnement cellulaire en Belgique, étude à laquelle il faut toujours se référer en pareille matière, conclut que tous les condamnés étudiés, devenus aliénés après séjour en cellule, étaient atteints, h un degré quelconque, de troubles mentaux à leur entrée. — Au point de vue de l'emprisonnement cellulaire et à fortiori pour l'emprisonnement collectif, la question est done jugée.

A chaque Dauphin jadis, était adjoint, avec un précepteur, un petit page, et quand le fils de Francs méritait quelque punition, le petit page était là pour recevoir les taloches. — Ainsi a-t-on fait pour des criminels reconnus enfin aliénés ; il fallait bien innocenter la magistrature des erreurs par elle commises, la psychose pénitentiaire a été un toujours prêt et merveilleux prétexte, et l'administration des prisons a joué le rôle du petit page d'autrefois.

Mais les responsabilité sont maintenant réparties et la conclusion est inéluctable : que l'on n'envoie plus d'aliénés dans les prisons, que l'on nous accorde l'Inspection mediente, de tous les inculpés et la folie pénitentiaire aura vécu.

Quand donc, magistrature, descendras-tu de ton siège pour fcmplir les yeux et l'esprit du spectacle qui s'impose ? Hier encore, un avocat

général à la Cour de Paris le disait dans un discours de rentrée: « Pour « nous, magistrats, nous voyons s'agiter au-dessous de nous, les pas-« sions humaines et la lutte des intérêts. » — Le mal, le voilà, c'est au-dessous, trop au-dessous de vous que s'agitent les passions humaines ; il vous faut désormais abandonner les templa serena où la tradition vous confine: au soleil levant de l'Anthropologie criminelle, se dissipe l'auréole des Burgraves. Soyez comme ce Guillaume de Lamoignon dont vous venez d'entcntre l'éloge, « qui tout en restant par l'esprit de corps, un « homme du passé, fut souvent en avance sur les idées de son siècle par « la perception très nette dos abus à corriger et des réformes à accom-« plir et qui, à ce titre, a le droit d'être classé parmi les précurseurs. »

Loin de vous diminuer ainsi, vous recevez un augment de considération en acceptant des théories physiologiques qui, pour n'être pas vos filles, n'en sont pas moins établies à jamais au firmament de la pensée humaine.

Quand donc les subtiles spéculations du Corpus juris feront-elles place, suivant le mot heureux de Benedikt, à la connaissance du Corpus humanum et de ses lois de psychologie morbide ?

Quand donc surtout, législateurs, cédant enfin au flot grandissant des erreurs judiciaires, viendrez-vous, en édictant l'Inspection médicale des inculpés, mener les funérailles de la magistrature classique et lui adresser ces paroles par lesquelles la République de Gènes donnait congé à ses doges : Vostra serenita a finito suo tempo, vostra eccelenza sene vada a casa ?

Névrose trémulante guérie par la suggestion hypnotique. Application pédagogique du traitement psycho-mécanique.

Par m. le D' Paul Farez.

Messieurs, j'ai l'honneur de vous rapporter, au nom de M. Bérïllon et au mien, l'observation suivante, qui a trait à un jeune homme de 15 ans, élève dans une école de la Ville de Paris.

Ce jeune homme, Pernand F—, est très intelligent; il satisfait d'ordinaire ses maîtres par son travail et il occupe régulièrement l'une des premières places dans les diverses compositions. Or, vers le mois de décembre dernier, il s'étonne de voir son écriture devenir légèrement tremblotante et sa main mal assurée ; il n'y prend pas garde tout d'abord, mais bientôt cela s'aggrave et le gène beaucoup; par exemple, pour tracer la lettre F, initiale de son nom, il est obligé de s'y reprendre à plusieurs fois, de procéder par soubresauts, par saccades, et de faire ensuite de nombreux raccords, tantôt anguleux, tantôt arrondis. II est ainsi réduit à ne plus pouvoir prendre des notes ni écrire sous la dictée. En outre, il doit, en classe, faire assez souvent des dessins géométriques, mais il se trouve incapable de se livrer encore à ce genre de travail, car il ne peut plus faire usage du tire-

ligne, ni tracer une ligne droite. De plus, !e programme de son école comporte des travaux manuels de menuiserie et de serrurerie ; notre jeune homme était arrivé à y acquérir une certaine habileté, mais, par suite de son tremblement, il est devenu maladroit et hésitant, il ne parvient à travailler son fer et son bois qu'au prix d'une application extraordinairement intense, laquelle le fatigue beaucoup; encore les résultats obtenus sont-ils très médiocres et lui causent-ils du dépit. A tous ces égards, les études de Fernand F... sont gravement compromises, d'autant plus que ce tremblement progresse de jour en jour, sans doute lentement, mais sûrement.

Ce n'est pas tout. Plusieurs fois par jour, notre jeune homme est sujet à des hallucinations auditives, principalement lorsqu'il fixe très fortement son attention sur un objet bien déterminé; ces hallucinations sont en rapport avec le genre d'études qui l'occupe à ce moment-là et elles surviennent plus particulièrement quand il s'applique à la géométrie. Parfois, il lui semble qu'un de ses maîtres se tient là derrière lui et lut parle impérieusement; le plus souvent l'hallucination n'est pas extériorisée, la voix qu'il entend ressemble à une parole intérieure grave et sévère ; elle accapare toute l'attention dont notre jeune homme est capable, elle le subjugue et l'obsède ; pendant ce temps, il a les traits immobiles et le regard fixe; il apparaît comme hébété ou plongé dans une sorte de torpeur intellectuelle. Après quelques secondes, parfois après quelques minutes, il se rend compte qu'il est le jouet d'une illusion, il se ressaisit, se lève, fait quelques pas et renaît à la vie commune. Une fois qu'il s'est affranchi de cette hallucination, il ne se rappelle plus les paroles qu'il a entendues; leur sens mémo lui échappe-; il a nettement conscience que cette voix revêt un caractère rude et impérieux et, cependant, il n'oserait pas affirmer que, pendant cette sorte de rêve subit, les paroles lui soient réellement apparues comme distinctes. En tous cas, il se rend compte le plus souvent que cette voix ne vient pas du dehors, qu'elle est en lui et qu'elle a une origine purement subjective ; il sent bien que son cas est anormal et même pathologique; il incrimine, en effet, selon son expression, - le dérangement de son système nerveux m.

Fernand P..., très incommodé par son tremblement et par ses hallucinations, prend, au commencement du mois de février, la résolution -de se faire soigner. Il vient, dans ce but, à la Clinique des maladies nerveuses, qui est annexée à l'Institut psycho-physiologique ; c'est là que j'ai pu l'étudier puis le traiter de concert avec M. le D' Bérillon, à la bienveillance duquel je suis heureux de pouvoir, ici, rendre hommage.

Ce jeune homme est très sobre de détails en ce qui concerne ses antécédents héréditaires; la plupart des membres de sa famille habitent la province et il ne les connaît guère ; il n'a pas entendu dire que jamais on eût constaté chez ses collatéraux ou ses ascendants des troubles mentaux ou des tares uévropathiques quelconques. Il n'a ni

frère, ni sœur ; son père et sa mère sont bien portants, âgés l'un de 50, l'autre de 40 ans ; sa mère, à ce qu'il raconte, est très nerveuse, elle présente une émotivité exagérée, un rien la fait pleurer; cependant, elle n'est ni vive, ni emportée, ni colère; elle offre, au contraire, une grande égalité d'humeur ; elle est en outre crédule et confiante à l'excès. Notre malade ressemble à sa mère à la fois au point de vue mental et au point de vue physique : il a été très bien portant pendant son enfance; il n'a fait, prétend-il, aucune maladie, ni manifesté aucun accident nerveux.

Bien qu'il n'ait que 15 ans, il parait facilement en avoir 17 ou 18 ; il est grand et, d'après son squelette osseux, on peut présumer qu'il est vigoureux et solide ; cependant il éprouve un sentiment de faiblesse et de lassitude, surtout dans les membres ; il reconnait, en outre, sans difficulté, qu'il est loin d'être aussi fort que les apparences extérieures semblent le faire supposer. Le crâne cérébral est, ici, anormal et asymétrique ; il est plus développé qu'à l'ordinaire et les bosses frontales sont très saillantes, celle de droite un peu plus que celle de gauche ; en outre, une dépression s'étend sur le haut de la tête, en arrière des bosses frontales, dans la région qui correspond aux sutures parîélo-frontales et au tiers antérieur de la suture bipariétale : cela fait penser à une synostose prématurée. La bosse frontale droite porte la trace d'une contusion déjà très ancienne; en outre, sur le haut de la tôle, immédiatement en arrière de la bosse frontale gauche, assez près de la ligne médiane antéro-postérieure, on remarque une cicatrice relativement récente, longue de deux centimètres : quelques mois, en effet, avant l'apparition des symptômes rapportés plus haut, notre jeune homme a reçu, à cet endroit, une pierre lancée avec assez de force pour qu'à la suite du coup il restât plusieurs heures sans connaissance.

Fernand F... est d'un caractère tranquille et doux, il est môme assez timide; d'ordinaire il apparaît comme sérieux et grave, ainsi que le serait un homme mûr; il n'est ni expansif, ni cependant trop concentré, il ne rit pas souvent, mais, quand il rit, il le fait d'une manière quelque peu immodérée ; il a horreur des batailles et des coups ; si quelque parole désagréable lui est adressée, il se garde bien d'y répondre, quitte à en être très froissé, à en souffrir cruellement et même à en pleurer abondamment en secret ; il n'est ni capricieux, ni changeant, ni fantasque ; il montre beaucoup de patience et de persévérance, ses études paraissent être son unique préoccupation ; toutefois, quand il en parle, il s'anime, et les moindres détails de sa vie d'écolier acquièrent pour lui une importance considérable. En outre, il manifeste une très grande impressionnabilité ; par exemple, dès l'entrée en classe, il est en proie à une très vive anxiété ; sa face se congestionne, des bouffées de chaleur lui montent au visage, une sueur abondante lui couvre tout le corps ; à chaque minute, il s'attend à être interrogé: il craint que la question posée ne le prenne au dépourvu ; il a peur de ne pas bien répondre et de se voir infliger une mauvaise note ; il subit ainsi une

véritable torture morale, laquelle cesse, puis est suivie d'un immense sentiment de bien-être, dès que la récitation des leçons a pris fin ; il éprouve la même angoisse le jour où l'on doit lire les places de composition, tant il a peur de n'être pas classé dans les premiers. Notons que, dans ces derniers temps, sa mémoire a diminué, et qu'en outre il n'est plus capable de travailler longtemps sans en éprouver de la fatigue ; toutefois, comme il est très courageux, il passe outre à cette fatigue et s'applique à ses études, non seulement pendant toute la journée, mais encore très avant dans la nuit : 11 se surmène donc très manifestement. Quand il est à table, pour ne pas enlever trop de temps à ses études, ¡1 mange très vite et très gloutonnement, c'est à peine s'il mâche ses aliments, et il se remet au travail ^immédiatement après le repas; en outre, il absorbe une quantité relativement considérable de viande ; c'est un très gros mangeur, aussi sa digestion est défectueuse et donne lieu à des fermentations anormales ; celles-ci sont révélées: 1° par la grande quantité d'indican que contiennent les urines ; 2° par une acné sébacée très abondante, laquelle est, d'ordinaire, en rapport avec la surcharge alimentaire et les intoxications d'origine gastro-inlestinale. Cette éruption est assez clairsemée sur les bras, la poitrine et le dos, mais les éléments acnéîques deviennent très nombreux et très rapprochés les uns des autres sur toute la région frontale ; quelques pustules aberrantes ont gagné le pourtour des lèvres et le menton.

Cela pose, revenons au tremblement. Celui-ci n'apparaît pas comme très caractéristique ; si Ton n'était pas prévenu de son existence, il pourrait même, à certains moments, passer inaperçu, et, pour le bien mettre en évidence, on doit donner à la main l'attitude de la prestation du serment; de toute manière, on perçoit les trépidations bien mieux par la palpation que par l'inspection. Ce tremblement se compose d'oscillations peu amples, à rhythme moyen et régulier ; très peu apparent au repos, il s'exagère à l'occasion des mouvements volontaires et en particulier lorsque le malade se met à écrire ; dans le sens transversa!, de gauche à droite ou de droite à gauche, l'écriture offre des hachures, des hésitations, des reprises ; de haut en bas. par contre, dans les boucles et dans les longs jambages, ce sont des ondulations rapides, peu amples et presque toujours régulières, des sortes de dentelures à pointe arrondie.Notre malade tremble plus lorsqu'il s'applique à écrire lentement et à main posée que lorsqu'il écrit vite, plus aussi vers la fin de la journée que le matin, et, en général, beaucoup plus après une fatigue ou après une émotion quelconque. Cette trémulation n'est pas uniquement localisée aux membres supérieurs ; elle apparaît aussi aux membres inférieurs, elle semble même se manifester par intervalles aux lèvres et aux paupières; mais c'est surtout à la main que notre malade l'a bien constatée, ù cause de la gène qu'il éprouve dans l'accomplissement de ses devoirs scolaires ; elle s'est întallée très lentement, existait déjà bien avant le coup de pierre reçu à la tête, mais elle était extrêmement légère et ne devenait nettement perceptible

qu'à la suite d'une fatigue ; notre malade n'en était pas incommode outre mesure, il n'y a pas fait grande attention et il ne saurait plus aujourd'hui préciser la date à laquelle il Ta remarquée pour la première fois ; cependant, il l'a vue progresser peu à peu, et maintenant il y trouve un sérieux obstacle à la continuation de ses études.

En somme, quelle est la nature de ce tremblement? Est-il hystérique ? Mais les stigmates classiques de l'hystérie font presque complètement défaut et l'on ne pourrait guère invoquer en faveur de cette névrose que l'émotivité excessive de notre jeune homme. — Est-il héréditaire ? On ne saurait l'affirmer, puisqu'on n'a pas pu savoir s'il a existé ou s'il existe chez quelqu'un des ascendants ou des collatéraux. — Est-ce un tremblement dit sénile ? Sans doute, celui-ci peut bien se rencontrer chez les hommes jeunes, mais, d'ordinaire, il affecte de préférence la tète et le cou ; il revêt la forme du branlement à type soit affirmatif, soit négatif, ce qui n'est pas le cas ici. — Dirons-nous qu'il est - .tel, idxopathiquc ? Mais ces qualificatifs ne servent qu'à masquer notre ignorance des causes. D'ailleurs, rappelons-nous l'opinion émise l'an dernier au Congrès de Nancy par M. Pitres : d'après lui, sur cent individus normaux, on rencontre en moyenne quarante trembleurs qui sont ou des émotifs ou des névropathes. En outre, à ce même Congrès de Nancy, MM. Parizot et Meyer ont montré, à l'aide d'un appareil très sensible, que le tremblement est physiologique et que nous tremblons tous ; si, à ce point de vue, nous différons les uns des autres, c'est seulement pur l'amplitude des vibrations ('). D'ailleurs, les différents types de tremblement sont mal définis ; il y a entre eux de nombreuses formes de transition, et, d'une manière générale, leur valeur séméiologique est très variable. Par conséquent, nous nous bornerons prudemment à dire qu'il s'agit d'une névrose trémulinte d'abord légère qui s'es( ensuite exaspérée, puis accompagnée d'hallucinations auditives chez un jeune névropathe, arrivé à la période de la puberté, surmené intellectuellement, intoxiqué par la voie gastrointestinale, lequel présente enoutre les traces d'une contusion frontale ancienne et d'une contusion crânienne récente.

Passons maintenant au traitement.

Le jour même où Fernand F.... vient pour la première fois à la Clinique, on lui fait fixer quelques instants un fauteuil déterminé; on affirme énergiquement qu'il va subir de la part de ce fauteuil une sorte de fascination, qu'il se sentira attiré vers lui, qu'il ira s'y asseoir en vertu d'une force irrésistible et qu'une fois assis, il s'y endormira profondément. Et cela se réalise en quelques minutes. Dès lors on est persuadé que l'on se trouve en face d'un sujet très sensible à la suggestion. En effet, à chaque séance, il s'est endormi par la suite avec une extrême facilité ;à peine cst-il endormi que l'on peut produire très nettement

(1) Comptes-rendus du congrès des médecins aliénistes et nourologistcs de France et des pays de langue française ; Septième session, tenue à Nancy du 1" au 5 août 1896, vol. 2, p. 118. Paris, Masson, 1897.

chez lui le phénomène de l'allochirie ; son sommeil correspond au quatrième degré de la classification de Liébcault.

Pendant quM est soumis au sommeil hypnotique, on fait à ce jeune homme les suggestions appropriées à son cas. On lui persuade qu'il a manqué jusqu'alors d'empire sur lui-même et que, s'il tremble en écrivant, c'est qu'il n'a pas assez d'énergie pour fixer fermement son attention sur son travail ou pour refréner toute trémulation. On lui affirme catégoriquement que, par le moyen de l'hypnotisme, on lui donne l'énergie morale qui lui manque; dorénavant il sera tout à fait maître de ses mouvements, il les dirigera avec pleine conscience et pourra empêcher ses mains de trembler. En outre, il aura la force de concentrer son esprit sur le seul objet auquel il s'appliquera et il ne sera plus jamais distrait ou obsédé par aucune espèce d'hallucination. Déplus, la lassitude générale disparaîtra et les muscles parviendront à recouvrer leur vigueur normale. En même temps on fait rapidement le simulacre d'une sorte de massage général des membres supérieurs et inférieurs ; puis, pour renforcer encore la suggestion, on ajoute que par des passes spéciales on va répandre dans tout son corps des a effluves magnétiques » grâce auxquelles tout ce qu'on vient de lui annoncer se réalisera.

L'intervention pendant l'hypnose ne s'est pas bornée à la suggestion psychique: on a associé à cette dernière un traitement mécanique. Pendant que notre jeune homme continue à dormir, on lui prend la main droite, on la tient solidement et on la dirige de manière à lui faire accomplir, sans qu'elle tremble, les mouvements qui correspondent au tracé de certaines lettres; puis on abandonne le malade à lui-même et on lui ordonne de tracer dans l'espace tels mots qu'on lui dicte : il le fait aussitôt avec une grande assurance ; on lui demande même, toujours pendant le sommeil hypnotique, alors qu'il a les yeux tout à fait clos, d'écrire avec une vraie plume sur du vrai papier : les lettres sont remarquables de netteté et de correction.

Ce double traitement a été appliqué une fois par semaine pendant trois mois et, à la fin de chaque séance, une notable amélioration a été constatée. Au bout de ce temps, l'on a pu tenir ce jeune homme pour guéri. D'ailleurs, Fernand F... est redevenu l'excellent élève qu'il avait été jadis ; sa mémoire est plus facile et plus prompte . il ne se fatigue plus au moindre travail ; il est capable de s'appliquer avec fruit à sa besogne scolaire ; son écriture est ferme et courante ; ses dessins géométriques sont exacts et précis ; il a recouvré son ancienne habileté aux travaux manuels ; en outre, les hallucinations ont complètement disparu. On voit donc l'étendue des multiples services que l'hypnotisme a rendus à potre jeune écolier.

Sans doute un traitement auxiliaire est intervenu ; on a recommandé à ce jeune homme de ne plus se surmener, de manger avec lenteur et modération, de mâcher et de mastiquer avec soin tous ses aliments, de ne pas se mettre au travail immédiatement après ses repas ; on a com-

battu ses fermentations gastro-intestinales ainsi que ses éruptions acnéiques. Il est hors de doute que tout cela ne lui ait été très salutaire, mais il ne faut voir dans ces prescriptions hygiéniques et médicamenteuses que de simples adjuvants ; elles ont préparé, favorisé, aidé la guérison, elles ne l'ont pas causée. En effet, bien que ce régime ait été suivi scrupuleusement tous les jours, c'est plus particulièrement au sortir des séances d'hypnotisme et pendant les quelques jours suivants que notre jeune homme s'est trouvé le plus amélioré. En outre, bien avant que ces recommandations hygiéniques lui eussent été faites, l'on avait déjà, par le soul hypnotisme, pu réaliser un progrès dont il est facile de se rendre compte en jetant les yeux sur les deux spécimens d'écriture reproduit ci-contre ; le premier a été tracé immédiatement avant le sommeil hypnotique, l'autre au réveil. A ce moment l'on n'avait pas encore obtenu la guérison définitive, mais seulement une amélioration très manifeste.

Ajoutons une remarque. Au début du traitement, les améliorations obtenues par chaque sommeil hypnotique ne sont pas devenues tout de suite et du même coup définitives; le progrès se maintenait régulièrement pendant trois, quatre ou cinq jours après chaque séance, mais il tendait à s'atténuer la veille ou ''avant-veille du jour fixé pour U séance suivante. Pour être plus clair, faisons appel à une comparaison. Lorsque, par exemple, un accumulateur a été chargé d'une grande quantité d'électricité, il est capable de suffire à un travail considérable, mais tout travail devient impossible lorsque l'énergie potentielle précédem-

ment emmagasinée a été complètement utilisée. De même, chaque jeudi notre jeune homme venait, pour ainsi dire, chercher une nouvelle provision d'énergie morale, laquelle, se dépensant peu à peu pendant la durée d'une semaine, avait besoin en quelque sorte d'être renouvelée le jeudi suivant. En effet, un certain jeudi, il n'a pas pu venir à la clinique, et quinze jours se sont écoulés sans qu'il fût soumis aux effets bienfaisants de l'hypnose, c'est-à-dire, pour continuer notre métaphore, qu'il est resté quinze jours sans être * chargé à nouveau ». Or, au bout de ce temps, il est revenu dans l'état où nous l'avions trouvé quinze jours plus têt, avant de l'endormir. Par conséquent, l'amélioration ne s'était pas maintenue, puisqu'elle avait eu tout le temps de se perdre et que rien ne l'avait empêchée de rétrocéder.

Ainsi, la guérison de notre jeune homme n'a pu être que lente et progressive ; on l'a obtenue à force de patience, de persévérance et de ténacité ; il n'a pas suffi de gagner du terrain et do réaliser chaque fois de nouveaux progrès ; il a fallu aussi les conserver, les maintenir et les fixer. C'est pourquoi, dès que le résultat que l'on s'efforçait d'atteindre a été obtenu, les séances d'hypnotisme n'ont pas été brusquement interrompues du même coup; on les a encore continuées pendant quelques semaines, précisément pour transformer en conquêtes définitives ces résultats satisfaisants.

Il y a plus ; ces jours-ci, notre jeune homme a dù subir un examen ; il y avait donc lieu de craindre pour lui les mauvais effets du surmenage et de l'angoisse émotive ; aussi a-t-on pris soin de le soumettre de nouveau au sommeil hypnotique et au traitement psycho-mécanique, dans ûn but de prophylaxie, afin de prévenir une rechute. Or, grâce à cette intervention, la guérison s'est maintenue en dépit des circonstances défavorables que vient de traverser Fernand F...

Donc, dans des cas de ce genre comme dans beaucoup d'autres d'ailleurs, non seulement l'hypnotisme améliore, non seulement il guérit, non seulement il rend la guérison stable, mais encore il est un procédé de choix qui permet de prévenir les récidives et de lutter efficacement contre les conditions favorables à un retour offensif de l'affection.

Enfin, pour terminer, quel est le rôle du traitement mécanique associé à la suggestion ? Toute habitude motrice peut se ramener à ce qu'on appelle une « association de mouvements synergiques » ; ces mouvements font partie en quelque sorte d'un môme mécanisme ; ils concourent tous à un but unique ; ils entrent en jeu ensemble et n'ont de sens qu'en vue de ce but précis pour lequel ils ont été associés. Or, il peut arriver que ces mouvement perdent leur netteté, leur précision, leur fixité, qu'ils se dissocient et cessent d'être synergiques ; ou bien, il se peut que des mouvements supplémentaires et inutiles se surajoutent, se superposent à ceux-là seuls qui sont indispensables. Dès lors, l'habitude motrice est pervertie ou déviée, il convient de la redresser, de lui rendre la fixité et la régularité premières, en un mot, d'en faire la rééducation. Or, cela s'obtient vite et sûrementpendant l'hypnose par le traitement mécanique; celui-ci soumet les divers mouvements à une discipline efficace, il leur rend leur rôle et leur place dans le consensus commun, il crée à nouveau l'association un moment brisée. Par conséquent, nous possédons un traitement des diverses habitudes motrices perverties. Il y a plus ; on peut avoir recours à cette intervention, non seulement pour le redressement, mais encore pour la conservation et même pour la création de toute habitude motrice quelle qu'elle soit.

Depuis la sensationnelle communication faite en 1886 à Nancy par M. le Dr lïérillon, on a pu se rendre compte que les psychothérapeutes sont les auxiliaires naturels et souvent indispensables des éducateurs de profession ; on n'en est plus à compter les brillants résultats dont la pédagogie est redevable à l'hypnotisme; le cas qui vient d'être rapporté est un nouvel exemple de la fécondité de la méthode suggestive. Ainsi l'hypnotisme n'est pas seulement un merveilleux instru ment d'orthopédie mentale et morale. Il est capable d'assurer, non seulement l'éducation de l'intelligence, de la volonté et du caractère, mais encore celle de la précision, de l'adresse et de la dextérité dans le domaine moteur.

CONGRÈS ET SOCIÉTÉS SAVANTES

Quelques caractères des hallucinations de Ponte dans la démenae sénile délirante (I).

M. Pierre Parisot (Nancy). — Les hallucinations de l'ouïe sont fréquentes dans la démence sénile délirante ; elles accompagnent plus spécialement le délire avec idées de persécution.

(1) Congrès d'alienistes et neurologistes : Toulouse, 1892.

Élémentaires, communes, auditives-verbales, elles sont quelquefois combinées, auditlves-verbales et motrices.

Elles concernent des fuits anciens ou des personnes connues depuis longtemps, affectent souvent le caractère triste ou injurieux et leur reproduction monotone témoigne du défaut de mémoire et d'imagination du dément sénile.

Au début des troubles délirants, elles se manifestent de préférence la nuit et, quand la démence a fait des progrès, c'est encore la nuit qu'on les retrouve plus nombreuses ; l'hypnose naturelle rend manifestes des phénomènes psycho-sensoriels qui resteraient latents à l'état de veille.

Les hallucinations auditives ont besoin parfois pour éclore d'une impulsion ; il suffit d'un mot ou d'un nom bien connu prononcé devant un dément délirant ou bien d'un sifflement ou de quelques bourdonnements produits par une lésion de l'oreille si commune à l'âge avancé.

La suggestion à l'état de veille permet souvent de faire renaître ou d'arrêter, au gré de l'observateur, des hallucinations auditives, mais elle ne peut en créer de nouvelles ; ces hallucinations provoquées se manifestent avec plus ou moins de netteté suivant le degré de suggestibilité ou de démence des sujets.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Sooiété d'hypnologie et de psychologie

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 15 Novembre et 20 Décembre 1897 à 4 heures et demie.

Les séances Boni publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, !, place Jussïeu.

De l'influence du sommeil hypnotique sur les gastralgies du tabos dorsal. (M. Eai. Spalikowrki).

On connaît les crises gastralgiques terribles auxquelles sont sujets les axatiques, dans ce que l'on est convenu d'appeler la première période du tabes, bien que, dans le cas dont je m'occupe, ceci ait eu lieu dans la seconde période !

Jusqu'ici les moyens thérapeutiques usités restaient sans efficacité: la morphine était un remède trop dangereux, surtout chez les névropathes.

Je me suis donc décidé à employer le sommeil hypnotique, qui m'a donné d'excellents résultats.

Il s'agit d'une dame de 46 ans, atteinte de tabès dorsal depuis dix ans ; elle a éprouvé tous les syptomes classiques de la première période, et, de plus, elle souffre au moment de ses règles, qui se montrent régulièrement encore, de violentes crises gastriques qui durent de cinq à dix minutes et se répètent généralement toutes les six heures pendant deux ou trois jours. Je m'empresse d'ajouter qu'il n'existe chez cette malade aucun symptôme d'hystérie.

Les crises étaient si douloureuses, au début, que la patiente déchirait ses draps et tout ce qu'elle rencontrait sous sa main. J'ai donc essayé de l'endormir à l'aide de passes, et le sujet est devenu tellement sensible que, maintenant, il me suffit de présenter devant ses yeux les deux doigts index et médius de la main droite, étendus et écartés! pour que le sommeil ait lieu.

C'est ce que j'ai fait à chaque crise gastrique.

La suggestion aidant, les crises avortaient ; elles sont devenues de plus en plus rares et, aujourd'hui, la malade n'a plus que de légères crampes que lo sommeil hypnotique suffit à calmer aussitôt:

Le traitement a duré trois mois

Il est impossible de méconnaître l'influence bienfaisante de la suggestion; elle a amélioré considérablement l'état de la malade, ot je suis d'avis qu'on peut commencer une série de recherches basées sur les effets de l'hypnose dans le tabès.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycuo-physiologique de paris, 40, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses [dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à.l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h, à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique"de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pedagogiques de l'hypnotisme. Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Paul Farez, Rehns, et

dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.

Pendant le semestre 1897-1898, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les DM Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Henri Lemesle, Paul Parez, G. Raynaud, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de 1 Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Avis. — Cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie. — M. le D' Bérillon a commencé un cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saïnt-André-des-Arts, le jeudi 28 octobre, à dix heures et demie. Il le continuera les jeudis suivants, à la même heure. Plusieurs conférences seront consacrées à l'étude pratique des applications de la suggestion hypnotique à la pédagogie et à Vèducation des dégénérés héréditaires.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

0. Amoëdo. — Traitement immédiat des dents mortes. Brochure in-4» de 7 p. Majesté et Bouchardau, 2, rue Gutenberg. Châtcauroux, 1897.

G. Picot. — Jules Simon. Notice historique. Brochure in-8, 108 p. Paris, 1897. .

Cesare Lombroso. — Les Anarchi$tes. Un vol., broch. in-8, 258 p. Paris. (Traduit par MM. Marie et Hamon.)

Milne-Brahwell. — On the évolution ofhypnotic theory. Un vol. broch. in-4e, .->68 p. Londres, 1896.

E. Du ? iep. — VAbbé de VEpèe et l'Education des sourds-muets. 1 petit vol. in-12 broch., 74 p. Paris.

Dr 0. G. Wette?stuand. — Hypnotismus and Us application lo praticai medicine. Un vol. in-4°, ÌQ4 p. Putnam's sons, Londres, 1897.

Dr» Ch. Barbaud et Ch. Lefêvre. — La puberté chez la femme. Un vol. in-8, 282 p. Prix : 4 fr. A. Maloine. Paris, 1897.

Dr P. Garkault. — Le traitement chirurgical de la surdité et des bourdonnements. 1 broch. in-8, 44 p. A. Maloine. Paris 1897.

D'P.-A. Desjardins de Régla. — La dosimetrie. Broch. in-8. Paris.

A- ? inet. — L'année psychologique. Un vol. in-8. Paris, 1897.

Rodolf Moller. — Hypnotismus und objective Seelenforschung. 1 broch. in-8. Arwcd Strauch. Leipzig.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT ? 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quelqcejku, rue Gerbcrt, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

12° ANNÉE. — N° 5.

Novembre 1897.

LA VALEUR THÉRAPEUTIQUE

DE L'HYPNOTISME ET DE LA SUGGESTION

Par M. le Dr Milne Bramwell, de Londres (1).

Lorsque je fus invité à remplir la tâche de rapporteur dans ce Congrès, je trouvai que mon devoir était non seulement de traiter de la valeur de l'hypnotisme comme agent curatif, mais aussi de formuler mes opinions quant à la théorie des phénomènes, en les comparant à celles d'autres observateurs. On connaît peu, sur le continent, les travaux anglais; je saisirai donc cette occasion pour indiquer ce qui a été fait par les successeurs d'EUiotson.

L'hypnotisme, comme science, date du 13 novembre 1841, le jour où Braid commença ses recherches sur le mesmérisme. A cette époque, surtout grâce à l'influence d'EUiotson, ces pratiques avaient pris un développement considérable en Angleterre. On avait établi des hôpitaux spéciaux et on publiait des résultats favorables dans diverses maladies. On mesmé-risait pour obtenir l'anesthésie chirurgicale; pendant six années, Esdaille opéra ainsi dans les hôpitaux du Gouvernement des Indes. Il enregistra ainsi près de 300 grandes opérations, et plusieurs milliers de petites, faites sans douleur; il réduisit la mortalité, dans les extirpations d'énormes tumeurs éléphantiasiques, de 50 à 5 pour cent.

De 1841 à 1860 Braid, employa l'hypnotisme avec le plus brillant succès, dans des maladies fort diverses. Après sa mort,- ces pratiques ne furent pas poursuivies en Angleterre. Les expériences de Charcot rappelèrent l'attention sur ce point, mais ses résultats ne furentpas confirmés dans ce pays.

1. Rapport au Congres de Neurologie de Bruxelles, 1897.

Le mouvement actuel est dû, à l'exception de mes propres travaux, à l'influence de Liébeault.

Vint d'abord le D'Lloyd Tuckey, qui pratiqua l'hypnotisme après sa visite à Nancy en 1888; ses ouvrages les plus importants sont : Psycho-TherapcuUcs et The Value of Uypnotism in chronic Alcoolisai. Cet auteur fut suivi des D" Kingsbury, Outlerson Wood, "Woods, en Angleterre ; Felkin, Iïobertson et Kcrr en Ecosse; sir Francis Cruise en Irlande.

En 1891, un comité fut nommé pour l'investigation des phénomènes, et deux ans plus tard un rapport unanime lut présenté en faveur de l'authenticité des phénomènes, et de la valeur thérapeutique de l'hypnotisme.

Les meilleurs travaux théoriques publiés en Angleterre le furent sous les auspices de la Société « for Psychical Research » par MM. Mycrs, et feu M. Gurney.

Quant à ce qui me concerne personnellement, je commençai à hypnotiser en mai 1889. Mon premier malade fut un homme de bonne éducation qui souffrait d'une fistule urinaire. Un état mental était survenu, qui rendait la guérison à peu près impossible. D'abord il n'eut aucune difficulté à passer la sonde; mais bientôt l'idée seule d'uriner produisait une contraction de la vessie, et un écoulement par la listule. Je ne connaissais alors de l'hypnotisme que ce que j'avais appris des théories et des méthodes de Braid pendant mes études à Edimbourg. Je ne cachai pas mon ignorance à mon malade ; cependant, je l'hypnotisai rapidement et ses symplômes disparurent bientôt.

J'eus bientôt d'autres cas ; un des plus intéressants fut celui d'une dame âgée de 49 ans, qui souffrait d'eczéma et de prurit volvaire rebelle à tout traitement depuis quatre ans. Je l'hypnotisai après G7 séances et elle ne tarda pas à se guérir complètement.

Je découvris bientôt que je pouvais anesthésier par suggestion, et plusieurs opérations furent faites sur mes malades à Leeds; le 2S mars 1890, entre autres, l'extraction de 16 dents chez une jeune fille délicate, et l'extirpation d'une exoslose du gros orteil d'un garçon, entraînant l'arrachement de l'ongle. Dès lors tant de malades me furent adressés, que je dus abandonner la pratique ordinaire, et me dévouer entièrement à l'hypnotisme.

La susceptibilité individuelle varie beaucoup. Parmi mes premiers malades, j'eus peu de cas de maladies nerveuses graves ; et je réussis dans ma première centaine de cas dont

48 passèrent dans la phase somnambulique. Plus lard, lorsque j'eus affaire presqu'cxclusivement à des névroses de longue durée, cette susceptibilité devint plus rare. Ainsi, dans 100 cas consécutifs, j'en comptais 22 réfractaires ; et 29 seulement passèrent à l'état de somnambulisme.

La difficulté d'hypnotiser et do guérir augmente avec la gravité et la durée de la maladie, et avec l'instabilité. Cependant la durée de la maladie n'empêche pas toujours d'obtenir un résultat rapide. Par exemple, Miss A, 28 ans, fut prise, il y a cinq ans, de douleurs intenses dans lahanche etla région postérieure de la jambe gaucho avec difficulté de marcher. En juillet 1896, la douleur était constante; depuis deux ans elle n'a pas marché 100 mètres. Insomnie, constipation, dépression mentale.

La maladie avait résiste à la médication interne et externe telle qu'électrisation, massage, bains, repos prolongé, pointes de feu (70 tous les jours pendant 10 mois). Le 1G juillet, une légère hypnose fut produite à la première séance ; après la seconde tous les symptômes disparurent. Huit jours après, la malade partit faire un voyage en bicyclette, qu'elle avait appris à monter pendant le traitement. A l'heure qu'il est (Juillet 1897), elle est en parfait état. Je n'ai jamais vu le moindre inconvient résulter de l'hypnose, quelque méthode que j'aie employée. La fixation prolongée, accusée par quelques auteurs, m'a paru innocente. J'ai eu de bons résultats dans de nombreux cas, entre autres dans les maladies suivantes : Insanité morale, mélancolie, alcoolisme, morphinisme, cocaïnisme, hystéro-épilepsie, hoquet, tremblements hystériques, neurasthénie, insomnie, migraine, chorée, obsessions, incontinence d'urine, névralgie faciale, aménorrhée, dysménorrhée, ménor-rhagie, surdité, mal do mer, rhumatisme articulaire chronique, constipation, hyperhydrose, prurit, eczéma.

Je ne puis ici donner des détails sur tous les cas; je me bornerai à indiquer les trois grandes classes do maladies où l'hypnotisme est surtout eilicace.

J'ai guéri nombre de malades des deux sexes. Chez certains l'habitude avait duré plus de vingt ans et il y avait des antécédents héréditaires. Un malade avait eu trois attaques de delirium tremens, et six crises épileptiformes. Souvent l'abstinence forcée n'avait pas eu de résultat, même répétée et prolongée pendant une année. Les malades mènent mainte-

nant une vie saine, active et utile, sans rechute depuis sept ans, dans quelques cas.

Un des malades, médecin, avait usé de la morphine pendant deux ans, en y ajoutant la cocaïne pendant un an, prenant jusqu'à deux grammes de cocaïne par jour, et 30 centigr de, morphine le soir. Il était hanté d'hallucinations, entendant des voix parlant de lui, et se croyant infesté de vermine. Il ne prenait presque plus de nourriture, et passait jusqu'à quatre nuits par semaine sans sommeil. II avait eu quelques convulsions avec aggravation des symptômes mentaux. Je l'hypnotisai, il y a quatre ans, et depuis lors il est guéri. • M. B..., 25 ans, fortement musclé, me consulta en mars 1890. Sa mère est morte en 1.888 d*un cancer du sein ; il commença à craindre cette maladie et arriva à s'en croire atteint au sein gauche. Insomnie, dépression, dyspepsie. II ne sortait plus et portait son bras en écharpe. Il fut hypnotisé d'emblée et se trouva guéri en huit jours.

; Mmc G..., 50 ans, somnambule dans sa jeunesse. Après la naissance de son premier enfant, elle craignit de lui faire mal en marchant pendant son sommeil. Elle s'attachait une jambe au pied du lit chaque soir. Au bout de treize ans, cette idée fixe s'aggrava ; craignant de défaire ses propres nœuds, son mari pendant trois ans dut la lier solidement tous les soirs. En mai 1894, je lui fis une suggestion, pendant une légère hypnose, et je la délivrai complètement de cette obsession.

M. J...,:34 ans, avait été d'une constitution forte et athlétique: En 1877, après une fièvre typhoïde, il commença à s'affaiblir. Je le vis en juin 1890, après huit ans d'invalidisme chronique. Anémie, mélancolie avec impulsion au suicide (un essai); insomnie et dyspepsie. Le moindre effort produit une douleur vive au bas des reins. Il ne peut marcher un kilomètre sans souffrances aiguës. Toujours en traitement sans résultat. Hypnotisé le 2 juin 1890. Guérison complète jet per-sistanlc.après deux mois de traitement. Il peut marcher 60 kilomètres sans faticrue.

Mnic K..., 41 ans, 28 mars 1892 : Neurasthénie de longue durée, constipation, dyspepsie, dysménorrhée, insomnie. Périodes de dépression profonde depuis dix ans. Migraines violentes et fréquentes dès l'âge de 12 ans. Légèrement hypermétropique, mais ce défaut est plus que compensé par un spasme ciliaire qui la rend myope. Somnambulisme profond dès la première séance; fous les symptômes morbides,—

y compris les oculaires — disparurent immédiatement. Plus tard, extraction de toutes les dents sous l'anesthésie suggérée.

Tandis qu'Elliotson et Esdaiie attribuaient les phénomènes de l'hypnotisme à une force mystérieuse, à un iluide émané de l'opérateur, ou de métaux, Braid prouvait leur origine subjective.

Peu de personnes connaissent les travaux do Braid en dehors de la Neurypnologie ; cependant ses autres travaux, dont j'en ai retrouvé 36, sont des plus importants et enseignent beaucoup de choses qui ne doivent pas être oubliées. Ainsi la démonstration des erreurs de l'école de la Salpêtrière par Bernheim et ses collègues, sont une reproduction des controverses dp Braid avec les mesméristes. Les théories de Burcq reprises par Charcot avaient depuis longtemps été détruites par Braid. Il avait montré que l'influence des aimants, des métaux, des substances renfermées dans des tubes fermés, était de nature suggestive, et que des faux aimants produisaient les mêmes effets que les vrais, si le malade ignorait leur nature.

Braid démontra que le sommeil hypnotique ne pouvait être produit par des moyens mécaniques seulement, sans que le sujet se doutât du but en vue ; il dissipa l'erreur que les hystériques seuls pouvaient être hypnotisés.

Braid substitua le mot hypnotisme à celui de mesmérïsme, et créa la terminologie actuelle. Plus tard, il rejeta le mot hypnotisme, qui impliquait l'idée de sommeil ; et il énuméra les nombreuses différences qui séparent ces deux états, différences que ne reconnaît pas l'école de Nancy.

Selon Braid, la condition hypnotique est un état de concen: tration, de monoidéisme, tous les phénomènes dépendant.des idées dominantes produites dans l'esprit du sujet. Un des énoncés les plus clairs de cette théorie fut publié en iSoi par John Hughes Bennett, professeur do Physiologie à l'Université d'Edimbourg. Au point de vue physique, les phénomènes sont dus à des altérations dans l'activité fonctionnelle des fibres nerveuses de la matière blanche des hémisphères cérébraux-. Une portion de ces fibres seraient paralysées par des excitar lions continues et monotones, tandis que l'action Vautres libres subirait une exaltation correspondante.. Ces changements produits dans les organes reliant les cellules, dissocieraient les fonctions des centres cérébraux. Exprimés en termes psychologiques, les effets seraient explicables pur l'action des idées prédominantes, non soumises à l'inhibition ; d'autres

idées, lesquelles normalement les auraient tenues en échec, étant abolies. Cet étal psychique correspondrait à la suspension de l'influence de certaines parties du cerveau dont les fibres associationnelles ne fonctionneraient plus.

Heidenhain revint, longtemps après, sur le côté physique de cette théorie, tandis que Bernheim en reprit la partie psychique. Selon lui, l'attention dans l'hypnose peut ôtre dirigée d'un point sur un autre; mais la concentration persiste.

Le monoidéisme n'explique cependant pas tout, puisque plusieurs phénomènes très différents, tels que la rigidité musculaire» l'analgésie cutanée, l'hypercsthésic tactile, peuvent être évoqués simultanément chez le sujet. Ce fait prouve qu'on ne peut expliquer l'hypnose par la concentration de l'attention sur un point donné. Si loule l'attention est nécessaire pour la production d'un effet, et si d'autres peuvent être provoqués simultanément, d'où provient la somme d'attention surnuméraire que la théorie demande pour leur production?

Braid hypnotisa, d'abord, par la fixation du regard, puis essaya certaines manipulations. Plus tard, il abandonna les méthodes physiques en faveur de la suggestion verbale. Selon lui, les diverses méthodes physiques ne sont que des méthodes de suggestion indirecte. « Supposez, dit-il, que l'opérateur, pendant qu'il fait des passes, parle et prédise ce qui va arriver ; la manifestation verbale peut être assez forte pour que l'effet prédit puisse se réaliser, au lieu de ce qui eût autrement clé le cas ». Après avoir hypnotisé ses malades, il affirmait avec confiance les résultats qu'il désirait obtenir; et chez certains sujets il trouva que ceux-ci pouvaient être modifiés simplement par le ton de la voix. 11 ne considérait cependant pas la suggestion comme constituant et expliquant l'hypnose; il la regardait comme un moyen d'exciter les phénomènes. En ceci il différait de la doctrine de Nancy, à laquelle on pourrait objecter que îe succès de la suggestion ne dépend pas de la suggestion elle-même, mais des conditions inhérentes au sujet lui-même, telles que le désir et le pouvoir d'accepter et de mettre en action la suggestion. Ainsi on peut suggérer l'analgésie en termes identiques à trois sujets et obtenir des résultats différents chez chacun. La condition essentielle dans l'hypnose n'est pas la méthode employée, mais l'état spécial qui permet aux phénomènes de se manifester. -La suggestion n'explique pas plus ces phénomènes, que le coup de pistolet

n'explique une course à rames; tous deux ne sont que des signaux, des points de départ, rien de plus.

Selon Braid, la condition do l'attention dans l'hypnose favorise la réponse aux suggestions externes, mais non la suggestion faito par une personne déterminée ; il est possible de créer par la suggestion un état artificiel dans lequel le sujet n'est en rapport qu'avec l'opérateur, mais cette condition n'est qu'apparente.

Bernheim et Liébeault croient, au contraire, qu'il y a un rapport réel entre le sujet et l'agent, et que cela découle, naturellement, des méthodes employées pour obtenir l'hypnose. Non seulementce rapport existe, dit Bernheim, mais l'influence de l'agent en dépend. Liébeault est du même avis, mais diffère sur un autre point. Tandis que Bernheim croit que le rapport est le seul point qui différencie le sommeil hypnotique du normal, Liébeault cherche d prouver, par le rapport même, une analogie entre les deux étals.

Selon Braid, l'hypnose est caractérisée par des phénomènes mentaux et physiques, particuliers à cette condition. L'hypnotisé a acquis des facultés diverses et nouvelles qu'on ne retrouve pas en dehors de cet état, mais il n'a pas perdu sa volonté et son sens moral.

Braid croit avoir prouvé que personne no peut être affecté en aucune façon par l'hypnotisme, sinon de son propre gré. Ses sujets étaient dociles et obligeants; mais malgré cela ils refusaient toute suggestion criminelle, ou même développaient un sens des convenances supérieur à celui qui leur était naturel.

Bernheim et d'autres membres de l'Ecole de Nancy diffèrent entièrement de ces idées. Ils tiennent la volonté du sujet pour affaiblie, ou détruite, et le considèrent comme un simple automate. Sans discuter si la condition qu'ils appellent automatisme mérite cette désignation, considérons l'état voiilionnel et moral du sujet.

Au commencement, je croyais que l'hypnotisé était entièrement â la merci de l'opérateur; mais je découvris bientôt que des malades qui avaient été profondément somnambulisés et avaient subi sans douleur des opérations chirurgicales, refusaient quelquefois de se rendre à des suggestions, môme indemnes de toute tendance immorale. Le cas de résistance le plus frappant que j'ai vu, est précisément celui de la célèbre somnambule de Liébeault, Camille. Elle refusa une suggestion

non criminelle, apparemment par pur caprice, vu qu'elle en accepta une semblable avant et après l'expérience en qucslion.

Le soi-disant automatisme est basé surtout, sinon exclusivement, sur des crimes de laboratoire. Bernheim et Liégeois prétendent que le sujet croit que le crime est réel, parce qu'étant hypnotisé, il est incapable de distinguer entre le vrai et le faux. Delbœuf affirmait qu'il est assez conscient pour savoir ce qu:il fait. Mais ni les uns, ni les autres, ne semblent avoir demandé au sujet lui-môme ce qu'il pensait de la chose.

J'ai questionné plusieurs hypnotisés dans le somnambulisme complet, plusieurs très-intelligents et capables de s'observer eux-mêmes exactement, et je les ai tous trouvés en possession d'une connaissance de leur état mental et du monde extérieur, aussi claire qu'à l'état de veille. Je suggérai à une hypnotisée de soustraire une montre après le réveil ; la suggestion ne fut pas acceptée ; sur quoi elle fut rehypnotisée et questionnée. Elle dit n'avoir pas pris la montre parce que cela aurait été mal de le faire. D'autres questions révélèrent le fait qu'elle avait parfaitement compris que la suggestion était de nature expérimentale. A la question : pourquoi elle n'avait pas obéi, puisqu'elle savait que c'était une expérience, elle répondit : « Je ne prendrais pas une montre, même si je savais que la suggestion était expérimentale, p«.rce que ce serait prétendre commettre un crime. Cependant, je mettrais un morceau de sucre dans la tasse d'une amie, si j'étais sûre que ce fût du sucre, même si quelqu'un m'avait dit que c'était de l'arsenic, parce qu'alors je ne prétendrais pas commettre un crime ». Une distinction aussi subtile n'aurait pas été possible au sujet dans son état normal.

Il est à espérer que dans l'avenir on parlera moins de l'état mental * automatique », et que les crimes du soi-disant laboratoire ne seront plus cités à l'appui de cette thèse, sans que le sujet ait été questionné dans l'hypnose pour découvrir la réalité. Selon Delbœuf, la conscience secondaire qui existe dans l'hypnose, et qui est capable de modifier les organes et les fonctions, non soumis au contrôle de la volition, est l'analogue de celle des animaux inférieurs. Malgré l'insuffisance de cette explication, quant à l'origine de cette faculté, la conception de l'hypnose qu'elle implique est plus correcte que la théorie automatique du sujet.

Je désire, en finissant, exprimer mon appréciation sur les

services rendus â la science parle regretté professeur Delbceuf, dont la mort prématurée est déplorée par tous les travailleurs dans le champ de l'hypnotisme. Peu, depuis Draid, ont eu une conception aussi claire de l'état mental et moral du sujet et ont plus fait pour démasquer les apparences trompeuses des crimes suggérés et des expériences de laboratoire. Son explication de l'origine possible des effets curatifs de l'hypnotisme, dans des lésions organiques, constitue un progrès scientifique et- original plein de promesses pour l'avenir de nos études.

A PROPOS DE L'ÉTUDE SUR JAMES BRAID

Par le Dr MILNE Bramwell Et de son rapport lu au Congrès de Bruxelles,

Par le Professeur Bernheisi, de Nancy.

Dans son rapport sur la valeur thérapeutique de l'hypnotisme et de la suggestion lu au Congrès de Bruxelles et dans son intéressante étude sur James Braid publié dans cette Itepuc, le Docteur Milne Bramwell me prête diverses opinions queje n'ai jamais émises, qui n'ontjamais été miennes.

« Braid, dit-il, croit avoir prouvé que personne ne peut être affecté en aucune façon par l'hypnotisme, sinon de son propre gré. Ses sujets étaient dociles et obligeants, mais malgré cela, ils refusaient toute suggestion criminelle... Bernheim et d'autres membres de l'École de Nancy diffèrent entièrement de «es idées. Us tiennent la volonté du sujet pour affaiblie ou détruite et le considèrent comme un simple automate, etc... »

Je n'ai pas soutenu cette doctrine, à aucune époque ; depuis mes premiers écrits sur la question en 1883, jusqu'à mon dernier (Piapportau Congrès de Moscou sur la suggestion dans ses rapports avec la médecine légale, 1897), j'ai toujours affirmé le contraire. Tout mon enseignement écrit et oral proteste contre la conception d'automates purs attribués aux hypnotisés. Voici quelques citations que je pourrais multiplier:

« Je ne saurais trop le répéter en présence de ces faits : le sujet hypnotisé n'est pas un cadavre inerte ou un corps en

léthargie. Même alors qu'il reste inerte, il entend, il a sa cons- . cience; souvent il donne signe de vie; il peut faire des réflexions sur son état, etc. (1). »

a Les somnambules pendant leur sommeil témoignent d'une parfaite conscience de leur être ; ils répondent aux questions qui leur sont adressées; ils savent qu'ils dorment. Quand je dis à S... qu'il est sur le champ de bataille, il évoque le souvenir des scènes auxquelles il a assisté ; un vrai travail intellectuel actif s'accomplit en lui ; ses idées, souvenirs remémorés consciemment, deviennent des images auxquelles il ne peut se soustraire... J'ai fait un halluciné; je n'ai pas fait un automate organique (2). »

« L'hypnotisme ne coule pas tous les sujets dans un même moule ; il ne supprime pas l'individualité psychique. Un cerveau hypnotisé n'est pas un cerveau inerte dans lequel on peut mettre ce que l'on veut (3). »

« D'autres somnambules résistent aux suggestions qu'on leur impose ; car, les somnambules ne sont pas tous des êtres dépourvus de résistance, livrés corps et âme à l'hypnotiseur. Ils conservent une certaine initiative; il en est qui ne réalisent que les suggestions qui leur sont agréables ou indifférentes. Voici une excellente somnambule endormie. Je veux la découvrir : son sentiment de pudeur se révolte ; elle rougit et réagit comme si elle était éveillée. Je lui ordonne de voler une montre ; elle refuse : elle n'est pas voleuse. J'ai beau chercher à lui suggérer une autre personnalité, à lui dire qu'elle est pervertie, qu'elle n'a aucun scrupule; elle pourra accepter passionnément mon dire, mais je n'arriverai pas à lui faire commettre un vol, je ne pourrai briser sa résistance »

Que le Dr Milno Bramwell veuille bien lire la Leçon VIII de ce livre, il se convaincra qu'il m'a prêté sur la question des suggestions criminelles une conception erronée queme prêtent, je ne sais pourquoi, tou3 ceux qui n'ont pas lu mes œuvres; je n'aijamais dit que tous les crimes de laboratoire peuvent être assimilés à des crimes réels ; je n'ai jamais dit que tous les hypnotisés ou tous les somnambules deviennent fatalement et automatiquement criminels par suggestion ; j'ai dit, et cela est

(1) De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique, 2e édition, page 19. (2) Ibidem, page 191.

(3) Revue de l'Hypnotisme, 8e année, 1894, p. 297.

(4) Hypnotisme, Suggestion, Psychothérapie, p. 140.

hors do doute, qu'il y a des crimes par suggestion, que certains sujets peuvent être amenés au crime, etj'ai étudié les conditions dans lesquelles cette suggestion peut devenir efficace, et celles dans lesquelles elle reste impuissante.

Le Dr Milne Bramwell m'accuse d'avoir méconnu l'œuvre de Braid : « Le passage suivant, dit-il, pris dans la Psychothérapie, publiée en 1890, démontre qu a cette époque, Bernheim ignorait encore absolument les théories avancées de Braid. » — « Braid, dit Bernheim, faisait usage de la suggestion sans la connaître, car il faut descendre jusqu'à la date de 1860, pour trouver la doctrine de la suggestion complètement débarrassée de tous les éléments qui la falsifiaient dans les écrits de Braid lui-même et appliquée de la manière la plus simple à la thérapeutique, etc. »

La phrase ainsi conçue ne se trouve dans aucune de mes publications. Je n'ai jamais dit que Braid faisait usage de la suggestion sans la connaître; j'ai dit au contraire :

« Si la doctrine de la suggestion a eu des précurseurs, elle n'a été définitivement établie et démontrée qu'en 1841, par James Braid, de Manchester. C'est à lui qu'est due la découverte de l'hypnotisme; et les mots de braidisme, suggestion braidique sont restés dans la science pour consacrer la doctrine nouvelle qu'il a élevée en face du mesmérisme.

« Braid a prouvé qu'il n'existe aucun fluide magnétique, aucune force mystérieuse émanant de l'hypnotiseur. L'état hypnotique et les phénomènes qu'il comporte ont leur source purement subjective qui est dans le système nerveux du sujet lui-même. La fixation d'un objet brillant avec fatigue des rele-veurs de la paupière supérieure et concentration de l'attention sur une idée unique détermine le sommeil ; le sujet peut s'y plonger lui-même sans influence extérieure, par sa propre tension d'esprit. Dans cet état, son imagination devient si vive que toute idée développée spontanément ou suggérée par une personne à laquelle il accorde d'une façon particulière attention et confiance, prend chez lui toute la force de l'actualité, de la réalité. Plus on provoque ces phénomènes spontanément, plus il devient facile et commode de les provoquer, telle est la loi de l'association et de l'habitude. La volonté de l'hypnotiseur, si elle n'est pas exprimée par la parole; ses gestes, s'ils ne sont pas compris par le sujet, ne déterminent aucun phénomène... Celte partie de l'œuvre de

Braid reste inattaquable : l'observation la confirme de tous points. »

Plus loin, je dis encore : « Braid, qui a le premier établi, sur des bases inébranlables, la doctrine de la suggestion, un moment entrevue par Bertrand, ne songea plus à l'appliquer dans son mode le plus naturel, la suggestion par la parole, pour réaliser l'hypnose et les effets thérapeutiques. Il provoqua le sommeil par fixation des yeux sur un objet brillant, il provoqua les effets thérapeutiques par des manipulations spéciales.

« Ces manipulations sont basées sur ce fait que la rigidité catalepliformc d'un membre produirait, suivant Braid, une accélération du pouls, qui devient petit et concentré. Cette accélération du pouls pendant l'effort pour tenir les membres étendus pendant cinq minutes serait beaucoup plus grande à l'état d'hypnotisme que pendant le même effort normalement. Si l'on fait reprendre aux muscles leur état flaccide pendant que le sujet est encore en hypnotisme, le pouls descend rapidement au chiffre où il était avant l'expérience et même au-dessous... lime semble démontré, ajoute Braid, que le succès (thérapeutique) dépend en partie de l'impression produite par les modifications dans la circulation.

« Braid relate une soixantaine de faits de guérison ou d'amélioration obtenus par son procédé. Si les faits restent, ses vues théoriques sont certainement erronées. Je n'ai pu confirmer l'exactitude de ses assertions relatives aux modifications de l'activité cardiaque produites par la catalepsie.

« Il est assez singulier qu'après avoir si bien établi que la source de tous les phénomènes hypnotiques est dans l'imagination du sujet, que tous ces phénomènes sont purement psychiques, Braid n'ait pas songé à expliquer par cette même influence psychique les effets curatifs obtenus. L'initiateur de la doctrine suggestive, Braid, oubliant son idée directrice, a fait encore, comme tous ses prédécesseurs, comme beaucoup de ses successeurs le font encore actuellement, de la suggestion sans le savoir. Les malades savaient qu'ils étaient hypnotisés dans un but curatif ; ils conservaient cette idée pendant leur sommeil ; les manipulations faites sur eux, ils savaient qu'elles les devaient délivrer de leurs maux ; la suggestion thérapeutique se faisait dans leur cerveau. »

N'avais-je pas raison d'ajouter ceci : « Il faut arriver en réalité jusqu'en 1860 pour trouver la doctrine de la suggestion

entièrement dégagée de tous les éléments qui la faussaient entre les mains de Braid lui-même et appliquée de la façon la plus simple à la thérapeutique 0). »

Entre Braid et Liébeault, la différence est celle-ci :

Braid connaît bien la suggestion, sa vertu dormitive et sa vertu curative; il sait que l'idée seule du sommeil peut le provoquer; il sait que l'attention portée sur un organe ou une fonction peut modifier cette fonction. Mais cette notion si simple, Braid ne songe pas à l'appliquer systématiquement à la production du sommeil et au traitement des malades. Encore imbu de ses idées physiologiques relatives à la fatigue des releveurs de la paupière par fixation d'un point brillant, et relatives aux effets sur la circulation obtenus par certaines manipulations, il n'arrive pas encore à dégager entièrement l'hypnotisme des manœuvres qui en obscurcissent quelque peu la conception et la pratique.

Depuis Braid jusqu'à Liébeault, hypnotiser voulait dire endormir par fixation du regard. Braid n'eut aucun successeur dans son pays ; la vertu thérapeutique de l'hypnotisme resta méconnue après lui; et lorsque, plus tard, en 1859, le professeur Azam ressuscita le braidisme en France et lui donna un grand mais éphémère retentissement, on n'y vit que la chose suivante : sommeil anesthésique obtenu par fixation du regard; quelques sujets, rendus analgésiques, dans cet état, peuvent subir, comme dans l'anesthésie chloroformique, des opérations chirurgicales. Et ce fut tout.

Il faut arriver au Dp Liébeault, en 1856, pour trouver un successeur à Braid. A Liébeault revient l'honneur d'avoir achevé de dégager l'hypnotisme, le braidisme des manipulations et des théories physiologiques qui l'embarrassaient encore et de l'avoir réduit à ce qu'il est réellement: la suggestion simple. Liébeault, à l'exemple de l'abbé Farta, produit le sommeil sans procédé physiologique, par suggestion verbale; par la parole seule il fait entrer l'idée du sommeil et l'idée de guérison dans le cerveau du sujet. Telle est la grande découverte de Liébeault; à la thérapeutique hypnotique par manipulation, il a substitué la thérapeutique hypnotique par suggestion méthodique; il est le premier initiateur de la thérapeutique suggestive.

Mais la doctrine et la pratique de Liébeault passèrent inaper-.

(1)De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique. 2e édition, p. et suite p, 189 et suivantes.

ques; l'hypnose continua à être étudiée comme un état anormal» pathologique, comme une névrose provoquée; objet de curiosité, sans aucune application thérapeutique.

Ce n'est qu'en 1884, depuis le jour où parut ma première publication : De la suggestion dans l'état hypnotique et dans l'état de veille; et surtout depuis l'année 1886, où je publiai mon livre: De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique, que la méthode de Liébeault fut connue; c'est depuis cette époque que la doctrine et la pratique de la suggestion thérapeutique se répandirent dans tous les pays du monde. Le mouvement actuel, parti de Nancy, continuera jusqu'à ce que la vérité soit définitivement et officiellement reconnue.

La conception de Liébeault restait cachée dans les considérations théoriques de son livre : Du sommeil et des états analogues considérés surtout aupointdevue de l'action du moral sur le physique; elle ne se dégageait pas encore en assez gros caractères pour être accessible au public médical. J'ai été assez heureux pour la révéler.

La définition du mot hypnotisme n'est pas la même chez Braid et chez Liébeault. L'un et l'autre avaient reconnu que son procédé hypnogène, fixation des yeux, suggestion vocale, ne produit pas chez tous un sommeil profond. « A peine un patient sur dix, dit Braid, arrive jusqu'à la phase du sommeil profond; les autres n'ont qu'un degré d'engourdissement ou d'assoupissement variable. » Tous ces degrés divers, Liébeault les englobe sous le nom d'hypnotisme ; Braid proposait, au contraire, de réserver le nom d'hypnotisme à la production du sommeil artificiel, «quand il y a perte de la mémoire, de façon qu'au réveil le patient n'ait aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant le sommeil, mais qu'il se souvienne cependant lorsqu'il est plongé dans le même degré de l'hypnotisme (1) »

Ce n'est là au fond qu'une question de mot ; il y a plus, cependant. J'ai démontré, en effet, que la mémoire n'est jamais abolie après Thypnose profonde; que chez tous les sujets, on peut, par simple affirmation, sans les remettre en état d'hypnose, réveiller les souvenirs momentanément absents : ils peuvent aussi renaître spontanément. L'amnésie seule ne peut servir à définir l'hypnose.

Braid admet aussi un coma hypnotique, c'est-à-dire « une phase de sommeil plus avancé, dans lequel le patient n'a

(1) Neurohypnohgie. Traduction de. Jules Simon, chapitre additionnel écrit eu 1360, page 245.

aucune connaissance des impressions extérieures où il a perdu toute volition, et où les suggestions d'autrui, faites soit par parole, soit par action, peuvent lui revenir à l'esprit au réveil ou à une étape quelconque d'une hypnotisation ultérieure (1) »

Nous n'avons jamais observé de sommeil inconscient. Même alors que le sujet reste inerte, sans réagir, comme en léthargie, sans souvenir apparent au réveil, on peut toujours s'assurer pendant le sommeil qu'il conserve sa conscience ; on arrive, en l'excitant, à le faire manifester par gestes et à répondre aux questions ; on arrive, au réveil, à lui faire raconter tout ce qui s'est passé, tout ce qu'on lui a fait; on peut toujours le sortir de sa torpeur ; à moins qu'il ne s'agisse d'un hystérique auquel l'éraotivité, actionnée par la tentative d'hypnotisme, ait donné une crise de sommeil hystérique qu'il-ne faut pas confondre avec le sommeil hypnotique. • Je le répète: à tous les degrés de l'hypnose, le sujet garde sa conscience; le coma hypnotique de Braid n'existe pas.

Malgré ces divergences, Braid reste le père de la doctrine suggestive ; l'Ecole de Nancy procède directement de lui. Mais cette doctrine n'est pas restée stationnaire depuis Braid, et Liébeault a fait plus que ressusciter le braidisme : il a substitué le sommeil et la thérapeutique par l'idée au sommeil et à la thérapeutique par manipulations; il a substitué la psychologie pure à la psycho-physiologie de Braid.

Je suis allé plus loin, ou du moins j'ai examiné les choses à un point de vue un peu différent. J'ai cherché à démontrer que l'état dit hypnotique avec suggestibilité, hallucinabilité, etc..., n'est pas un état spécial, anormal, artificiellement provoqué par le sommeil braidique ou suggestif ; que ce sommeil n'est pas nécessaire pour obtenir ces phénomènes dits hypnotiques ou des effets thérapeutiques ; ils existent à l'état do veille chez certains sujets, ce que Braid avait déjà montré en 1846. J'ai établi que tous les sujets, sans exception, qui les réalisent dans le sommeil vrai ou apparent provoqué, les réalisent aussi par affirmation simple ou entraînement suggestif à l'état de veille ; j'ai établi, d'autre part, que la suggestion ne produit que rarement le vrai sommeil, mais, chez la plupart et même chez les meilleurs somnambules, seulement l'illusion suggérée du sommeil.

(1) Seurohypnologie, Ibidem.

Ce qu'on appelle hypnotisme n'est autre chose que la mise en activité d'une propriété physiologique du cerveau, la sug-gestibilité- Il n'y a pas, je le répète, d'état spécial méritant le nom d'hypnotisme ; il n'y a que des sujets suggestibles plus ou moins, auxquels peuvent être suggérés des idées, des actes, des hallucinations. Certains états d'âme susceptibles de se produire spontanément ou d'être provoqués peuvent exalter cette suggestibilité ; le sommeil lui-même, qui fait prédominer l'automatisme et les facultés d'imagination sur les facultés de raison, l'exalte : les rêves sont les auto-suggestions du sommeil physiologique.

Rien n'est merveilleux, rien n'est anormal. Quand Mesmer, à la suite de certaines manipulations ou passes, constata l'extase, l'hallucinabilité, l'analgésie, les vertus thérapeutiques, etc., il crut à un état nouveau de l'organisme, créé par ses manipulations, et qu'il appela état magnétique.

Braid remplaça l'ancien magnétisme par l'hypnotisme; c'est la fixation d'un point brillant et l'attention concentrée qui créent un sommeil artificiel dans lequel existent la suggestibilité, l'hallucinabilité, etc., dues à l'imagination seule du sujet.

Liébeault remplaça l'hypnotisme de Braid par le sommeil suggestif. C'est la suggestion seule qui fait le sommeil, qui développe la suggestibilité, qui fait les guérisons.

Enfin, je crois avoir dégagé la suggestion du sommeil provoqué artificiel, suggestif ou braidique, et avoir montré que les phénomènes dits hypnotiques ne sont pas fonction d'un état particulier de l'organisme artificiellement créé, mais d'une propriété normale du cerveau, plus ou moins développée suivant les sujets : la suggestibilité.

Je suppose, ai-je dit, que la découverte, au lieu d'être faite à la suite des pratiques grossières du magnétisme ou même de celles plus simples et plus scientifiques de l'hypnotisme, eût été faite directement; on aurait établi que tel sujet, actionné par l'affirmation, peut réaliser de la catalepsie, de la contracture, de l'analgésie, des actes divers de la docilité automatique, de l'obéissance passive, des hallucinations, des actes organiques, du sommeil, des effets thérapeutiques; on aurait constaté et étudié directement la suggestibilité de chacun, telle qu'elle existe ou telle qu'elle peut être accrue par diverses influences; la suggestibilité eût été découverte, et la découverte existerait sans être associée aux mots hypnotisme et magnétisme. Ces mots n'auraient aucune raison d'être; on

ajouterait tout simplement que certains sujets peu suggestibles à l'état de veille le deviennent davantage quand on peut leur suggérer préalablement l'idée de sommeil; mais que chez les sujets très suggestibles, cette suggestion préalable n'est nullement nécessaire. L'idée de suggestibilité ne serait pas associée â celle d'hystérie, et la doctrine de la suggestion ne serait pas obscurcie par l'idée mystérieuse et anti-physiologique qui s'attache aux mots magnétisme et hypnotisme.

La thérapeutique dite hypnotique est remplacée par la psychothérapie, qui consiste â actionner cette suggestibilité avec ou sans la suggestion préalable du sommeil, soit par la parole, soit par des manœuvres incitant le cerveau à faire acte de dynamogénie psychique dans un sens utile au malade.

Telle je conçois, en quelques mots, l'évolution qu'a subie la doctrine de la suggestion jusqu'à nos jours. J'ai voulu rectifier quelques assertions du Dr Milne Bramwell et mettre la question au point. Proclamons hautement avec lui que Braid est le premier initiateur de la doctrine que l'Ecole de Nancy a recueillie et perfectionnée après lui, grâce à la sagacité pénétrante d'un homme modeste, dont le nom vivra à côté de celui de Braid : le Dr I.iébeault; je remercie notre confrère anglais de lui avoir rendu justice.

L'ÉTAT PHYSIQUE DES ALIÉNÉS. - LE SOMMEIL.

Par le Dr P. Keraval, médecin en chef de l'asile d'Armenlières.

Examiner le fonctionnement du système nerveux et des viscères des aliénés, n'est pas moins utile que de déterminer l'état de leur activité mentale ; car, non seulement cet examen donne souvent la clef des troubles intellectuels, mais il n'est pas rare que les perturbations névropathiques ou splanchni-ques constatées, venant s'agréger aux premiers, fournissent les éléments du diagnostic. Et, quand même il n'en serait pas ainsi, pourrait-on, en conscience, négliger l'examen du système nerveux dont l'activité mentale apparaît comme le produit le plus élevé? Serait-il pardonnable de laisser de côté l'ensemble des foyers organiques dont le but suprême est, en ce qui concerne l'homme, de concourir â la fabrication des facultés intellectuelles ?

Les troubles des fonctions nerveuses communes doivent

donc être recherchés dans les trois manifestations principales de celles-ci : le sommeil, la sensibilité, la motilité.

Comment dorment les aliénés? Comment sentent-ils, au sens ordinaire, physiologique du mot? Comment se comporte chez eux le système musculaire ?

L'insomnie est l'un des premiers symptômes de la folie; chez les aliénés chroniques, elle peut persister ou se transformer en un sommeil agité. Les rêves et les cauchemars sont, dans tous les cas, des phénomènes fréquents. On doit dire, d'une manière générale, qu'on éprouve une peine infinie à faire dormir ces malades et que ce n'est pas un des moindres étonnements de l'aliéniste à ses débuts que de noter parfois que tels agités qui dorment, continuent à parler pendant leur sommeil, et à faire, la nuit, un bruit fréquemment supérieur à celui qu'ils font pendant le jour. Cette perpétuelle idéation, continue, irrefrenable, de la manie chronique en particulier, vient démontrer l'existence d'un des symptômes les plus extraordinaires de la folie, connu sous le nom d'automatisme cérébral. La suractivité constante, en pareil cas, de l'ensemble des facultés psychiques est telle, que les images mentales successivement produites par l'écorce du cerveau n'impressionnent en rien la conscience du sujet ; pendant le jour, il répond à peu près aux questions élémentaires qu'on lui pose tout en lâchant continuellement les propos logorrhéiques qu'enfantent les images suractives de son cerveau démuni de son régulateur. Celles-ci n'ont, pour ainsi dire, pas le temps d'actionner les fibres qui ont pour mission d'impressionner le Moi, tandis que ce que vous lui dites agit sur le système complet des rouages correspondants et détermine les réponses en rapport avec les images conscientes. Ainsi s'évanouit la théorie d'après laquelle le délire ne serait jamais qu'un rêve. S'il est des cas dans lesquels le délire est débité comme est débitée la pensée normale, dans lesquels, en un mot, le malade ne rêve pas éveillé, il en est d'autres cependant où, manifestement, le malade est dans un état de somniation, de rêvasserie persistante; exemples: certaines formes du délire hystérique, du délire épileptique (obnubilation crépusculaire des Allemands) ; il en est enfin dans lesquels le rêve nocturne survit au réveil, le malade confondant co qu'il a rêvé la nuit avec ses conceptions normales ou avec ses conceptions délirantes. Cette dernière catégorie de faits a son pendant chez nous, qui ne sommes point des aliénés; quelquefois, surtout lorsque, circonstances exeption-

nelles, nous avons été en proie à des hallucinations ou à des illusions hypnagogiques, il nous arrive de ne pouvoir préciser l'origine de nos idées. Qui de nous, à la suite d'un travail prolongé, sous l'influence d'excitants, n'ayant par conséquent pas bien digéré et ayant, par contre, surmené le système nerveux, préoccupé du lendemain, n'a subi l'agitation d'un sommeil entrecoupé de rêves et de cauchemars ; le lendemain matin, confondant les événements du sommeil et ceux de la veille, ne vous est-il pas arrivé, alors, d'inscrire les résultats d'élucu-brations nocturnes pour mettre la dernière main à un travail pressé ? De là à confondre la genèse de certains événements, il n'y avait qu'un pas. Un degré de plus, et nous entrons dans l'histoire des troubles neuropsychiques de quelques malades. Tout le monde a observé des alcooliques hallucinés qui, quoique éveillés, ressemblent à des dormeurs, et qui, rêvant en outre en dormant, conservent le souvenir de leurs rêves comme s'ils avaient pensé ou agi les choses dont ils parlent à l'état de veille; ils passent, en définitive, de longues périodes de temps dans une sommation automatique pendant laquelle ce qu'ils croient être le rêve est l'hallucination, et le produit de leurs rêves est confondu par eux avec le résultat de leurs hallucinations ; la dissociation des formes de l'activité cérébrale se traduisait ici, en réalité, par la suractivité nébuleuse des images mentales. Faut-il encore parler des terreurs nocturnes des jeunes enfants? Le cauchemar, engendré chez eux par les images terrifiantes du sommeil, survit pendant plusieurs minutes au réveil, et, pour quelques instants, donne naissance à du délire qui n'est réellement que la continuation du rêve ; ils voient sur le mur, à côté de leur lit,l'image qui a causéleur crainte et les a réveillés en sursaut. C'est ce qui, de temps à autre, arrive aux mieux organisés des gens normaux, au milieu de graves événements de leur vie.

Les exemples précédents suffisent pour caractériser les éléments de la fonction du sommeil chez l'aliéné et pour faire comprendre comment l'agité maniaque et le déprimé mélancolique sont, au début de leur maladie, d'ordinaire privés de sommeil. Le retour du sommeil est en général bon signe, mais à la condition que le reste de l'état mental s'améliore parallèlement. Sinon le pronostic est singulièrement grave : l'aliéné qui, restant aliéné, recouvre le sommeil, est d'ordinaire devenu un chronique.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance annuelle du 22 Juillet 1897. — Présidonce de M. Duuontpallier.

Un cas singulier d'illusion de dédoublement.

Par M. Eugène-Bernard Leroy.

Le phénonomène psychologique objet de cette note est probablement rare à l'état complet, car nous n'en avons trouvé la description nulle part.

La malade chez laquelle nous l'avons observe, manifestement hystérique depuis son enfance, a présenté, avant la période .actuelle, les accidente névropathiques les plus divers: attaques d'hystérie nettement caractérisées, gastralgies nerveuses, crises de larmes, accès d'angoisse, tics convulsifs, contractures durables de la face et des membres.

Actuellement âgée de 33 ans, elle se présentait, le 3 mars 1897, à la Salpetrière, à la consultation de notre maître M. le Dr Voisin, pour des accès de fausse angine de poitrine, et des troubles mentaux divers non systématisés.

Le début de la maladie remontait au mois de septembre 1896. A cette époque, à la suite de chagrins de famille, E. N. perdit complètement le sommeil. Elle affirme que pendant trois mois, l'insomnie fut absolue, qu'il lui fut impossible de s'endormir un seul instant.

C'est le matin, après ces nuits blanches, et peu de temps après son lever, que survenait le phénomène en question. Pendant qu'elle était occupée à faire le ménage (elle était femme de chambre) elle voyait apparaître devant elle, à trois ou quatre mètres, sa propre image, tenant un balai, comme elle, et accomplissant exactement les mêmes actions qu'elle-même. Cette hallucination se présentait comme l'image de la malade vue dans une glace, c'est-à-dire, que le côté droit de l'image était à droite de la malade, et le côté gauche à gauche.

En même temps, E. N. avait l'impression d'être comme transportée hors de son corps véritable. 11 lui semblait qu'elle assistait comme simple témoin au déroulement de ses propres actes, mouvements, pensées, sentiments, comme elle aurait assisté à ceux d'une personne étrangère, ? il lui semblait qu'elle n'était plus elle-même a.

Le phénomène a toujours été d'assez courte durée, de trente secondes à une minute. Souvent la vision ne faisait, suivant l'expression de la malade, que lui passer devant les yeux. D'ailleurs, dès que le phénomène avait atteint une certaine intensité, la malade était prise de tremblement, et fondait en larmes.

Si nous analysons ce symptôme étrange, nous voyons qu'il implique deux erreurs simultanées :

La première est une illusion, une impression de dédoublement; la seconde est une hallucination véritable.

Plusieurs cas d'illusion de dédoublement ont été signalés, par Kri-shaber, à titre de phénomènes accessoires pouvant accompagner le syndrome qu'il a décrit sous le nom de névropathie cérébro-cardiaque. «Constamment, disait un de ses malades ('), il m'a semblé que mes jambes n'étaient plus à moi ; il en était à peu près de même de mes bras.... Il me semblait que j'agissais par une impulsion étrangère à moi-même, automatiquement. Parfois je me demandais ce que j'allais faire ; j'assistais, en spectateur désintéressé, à mes mouvements, à mes paroles, à tous mes actes. 11 y avait en moi un être nouveau, et une autre partie de moi-même, l'être ancien, qui ne prenait aucun intérêt à celui-ci. Je me souviens très nettement de m'étre dit quelquefois que les souffrances de ce nouvel être m'étaient indifférentes.... j'étais un autre, et je haïssais, je méprisais cet autre ; il m'était absolument odieux, il est certain que c'était un autre qui avait revêtu ma forme et pris mes fonctions. » M. Norlh, professeur de Physiologie à l'hôpital de Westminster, éprouva cette même impression, étant influencé par la fixation du regard : « Je n'étais pas inconscient, dit-il, mais il me semblait que j'existais en double ; je me figurais que mon moi intérieur était tout à fait vivant pour tout ce qui se passait, mais ne s'appliquait pas à s'immiscer dans les actes du moi extérieur, ni a les contrôler. La répugnance, ou l'incapacité du moi intérieur, semblait s'accroître à mesure que la situation se prolongeait d'avantage (3).» Tout récemment, une description analogue se trouvait dans une nouvelle de M. Paul Adam : a Le bruit de nos pièces, écrit-il, celui des pierres écroulées, les cris fous des artilleurs, les ordres émis à voix furieuse dans l'ombre blanche des fumées, nous étourdirent plus que la peur.... je perdis moi-même toute personnalité. Les injonctions du capitaine frappèrent mon oreille de telle sorte que je m'imaginais ne pas être désigné par elles. J'assistais moi-même â mes gestes, à mes efforts pour paraître calme et froid, pour détacher avec soin les syllabes de mes commandements, je fis traîner un arbre sur le corps de mes deux artilleurs. Ma conscience s'étonna de l'acte, loua ma prudence, comme si un autre eût prescrit cette mesure (3). » Enfin, nous-mèn;c avons noté l'existence de cette impression chez un grand nombre d'individus sains ou malades, surtout chez des personnes sujettes à une autre impression non moins bizarre, l'impression de fausse reconnaissance.

L'une d'elles nous écrivait les lignes suivantes : « Mes fausses reconnaissances sont accompagnées d'une véritable sensation de dédoublement : l'une des individualités no fait qu'agir, tandis que l'autre voit l'acte, et éprouve les sentiments afférents à cet acte. »

(1) Kmshaber: De la névropctl.ie cérébro-cardiaque, Paris. 1S73. Obs. 3S.pp. 151, et sq. — Taine : De l'intelligence, Paris, 1SS3, t. II, p. 4*1 et iTl. (Auto-observation du malade de Krishabcr).

(2) Hack Tuke : On The mental condition in hypnotîsm.lJournal of Mental Sciencet Avril 18S3, vol. xxix, p. 67. Londres, 18S4.)

(3) P. Adam: Le fer sijjlc, {Le Journal, mardi M septembre 1897, 6" anuee, n'1813, p. 1, 4- col.)

Il s'agit certainement, dans tous ces cas, d'une impression semblable ou très analogue à celle qu'éprouve notre malade, mais nulle part nous n'avons trouvé d'observation, où, comme chez E. N., cette impression s'accompagnât d'un clément hallucinatoire.

Cependant, le3 hallucinations de ce genre, que l'on pourrait appeler a hallucinations anto-hétérotopiques », ne paraissent pas très rares à l'état isolé, c'est-à-dire sans aucune impression de dédoublement :

Micheaf) a rapporté le cas d'un aliéniste allemand, le Dr Brosius (de Bendorff) qui raconte avoir produit à volonté sa propre image. Cette image posa devant lui pendant quelques secondes.

Taine (a) raconte qu'à la fin d'un rêve assez long, sa propre figure lu' apparut, assise dans un fauteuil, avec une robe de chambre à raies noires: « elle s'est tournée vers moi, dit-il, et l'effroi a été si grand que je me suis réveillé on sursaut. »

Uibot (3) rapporte le cas d'un médecin qui,durant un sommeil pénible, se vit faisant sa propre autopsie.

Enfin, nous avons entendu soutenir que c'était une hallucination de ce genre qui avait inspiré à Alfred de Musset l'idée de la Nuit de Décembre.

« Du temps que j'étais écolier

Je restais un soir à veiller;

Dans notre salle solitaire.

Devant ma table vint s'assoir

Un pauvre enfant vêtu do noir

Qui nie ressemblait comme un frcre(') ».

On remarquera que dans aucun de ces cas n'est signalée l'impression si étrange de dédoublement : le sujet se voit double, mais ne se sent pas double.

En outre (mais ceci est peut-être de moindre importance), dans

(1) Michéa : Discussion s:tr tes hallucinations. Soc. Medico-psychol., 28 janvier 1856, (Annales Medico-psychol, 3' strie, t. II, pp. 3S9, 390).

(2) Taise : De l'intelligence, t-1, p. 94, Note 1. Paris, 1883, in-16.

(3) Ribot: Maladie de la personnalité, p. 132. Paris, 1S85, in-16.

(4) On trouverait certainement des récits analogues dans la plupart des auteurs de contes fantastiques: «Dans le Cœur de pierre, de Hoffmann, un grave conseiller aulique raconte qu'en ouvrant la porte d'un pavillon, il y a trouvé son double : o C'était moi-même Tandis qu'il regardait et écoutait avec une curiosité naturelle ce que faisait et disait son autre moi, il vit entrer le double d'une de ses amies..... C'était a peine extraordinaire pour Hoffmann. On lit dans son journal, qu'un soir, à un bal, s'étant amusé â se figurer que tous les assistants étaient odes moi » multipliés et diversifiés, il s'était aussitôt senti responsable de leurs faits et gestes, et disposé à s'en irriter. Hoffmann n'aurait pas eu besoin d'un grand

aucun de ces cas, l'image hallucinatoire ne reproduisait les gestes et les attitudes du sujet. Le cas d*E. N. méritait donc d'être signalé.

Reste à l'interpréter.

Tout d'abord, chez E. N., l'élément hallucinatoire ne nous parait pas être primitif :

Avant d'avoir été hallucinée, E. N. avait fréquemment, à ce qu'elle nous dit, éprouvé l'impression de dédoublement, et plusieurs fois, elle l'avait éprouvé dans les mêmes circonstances exactement, c'est-à-dire le matin, en faisant le ménage, jamais d'autre part elle n'a vu l'hallucination sans éprouver l'impression.

Tout porte donc à admettre que l'hallucination « auto-hétérotopique » résulte d'une auto-suggestion ayant son point de départ dans l'impression de dédoublement.

Quant à la nature et aux causes de cette impression elle-même, il faudrait, pour les élucider complètement, pouvoir faire une étude portant sur un grand nombre de cas analogues, et dépassant de beaucoup les -limites de cette note.

Ce qui nous parait certain actuellement, c'est que cette impression n'a que de lointains rapports avec le dédoublement de la personnalité. Le dédoublement de la personnalité, loin d'être purement subjectif comme l'impression en question, n'est même jamais connu du sujet que d'une façon indirecte par l'observation d'actes qui lui paraissent plus ou moins en contradiction avec son état d'esprit actuel.

A notre avis, l'impression de dédoublement doit avoir des rapports assez étroits avec toute une série d'autres impressions non moins bizarres et mal connues telles que les impressions d' « isolement » d' * étrangeté du monde extérieur », de «jamais vu ». Peut-être faudrait-il en rapprocher également l'impression de « déjà vu » dont nous avons déjà parlé plus haut, et sur laquelle nous préparons un travail Spécial (').

Il n'est pas rare de voir ces différentes impressions coexister chez un même sujet, et toutes ont peut-être pour base des troubles passagers de l'attention.

effort pour prendre son idée tout à fait au sérieux, en supposant même qu'elle ne lui ait pas été suggérée par une hallucination ». (Arvede Barinb : Essais de littérature pathologique, I. Le vin ; Hoffmann : Revue des Deux Mondes, lxv" innée, 4« période, t. 132-, p. 337 (15 novembre 1895).

(1) Voir le Questionnaire relatif aui « fausses reconnaissaoces > que nous avons publié dans la présente Revue (mars 1897).

CONGRÈS ET SOCIÉTÉS SAVANTES

De l'incontinence d'urine dans ses rapports avec l'hystérie infantile {1).

M. A. Cuilerre. — L'incontinence infantile d'urine est un phénomène d'origine psychique ; c'est le signe d'un état mental incorrect. Je vais plus loin et je pose en fait que cette affection est une manifestation appartenant en propre ù l'hystérie ou une prédisposition formelle à celte maladie.

Ia L'étiologic de l'incontinence d'urine ne diffère pas de celle de l'hystérie. Elle se développe toujours sur un terrain préparé par l'hérédité (hystérie, alcoolisme, névroses, psychoses). Les causes occasionnelles ne jouent que le rôle d'agents provocateurs (émotions vives, traumatismes, maladies infectieuses). Enfin, les époques où le développement des centres nerveux subit une poussée sont favorables à l'éclosion de l'incontinence d'urine aussi bien que de l'hystérie (maximum de fréquence : de 7 à 13 ans).

28 Môme parallélisme en ce qui concerne la pathogénie. Bien que toujours physiologique, le mécanisme des accidents hystériques n'est pas unique ; toutefois, il repose invariablement sur cette double base ; le rétrécissement de la conscience personnelle et la suggestibilité exagérée.

Chez certains petits incontinents, tout so passe comme si le centre cérébral de la miction n'existait pas ou était paralysé. Chez d'autres, la sensation de besoin no stimule qu'insuffisamment ce centre : pas assez pour déterminer le plein effet do son action d'arrêt sur la moelle; assez, cependant, pour éveiller des idées subconscientes relatives à la fonction urïnaire, notamment des rêves directement mictlonnels ou des cauchemars agités ayant pour conséquence indirecte une émission d'urine. Tous ces phénomènes trahissent une personnalité diminuée, ou tout au moins désagrégée.

Quant à la suggestibilité excessive des petits malades, elle est évidente. L'influence curativo de la suggestion thérapeutique en est une preuve. Presque toujours, cette suggestibilité est mise enjeu par les parents, dont la sollicitude intempestive ne fait que confirmer le jeune malade dans son état.

3° Au point de vue du diagnostic, la nature hystérique des accidents urinaires s'afflrme encore par la coexistence d'autres symptômes d'hystérie. Plus tard, cette incontinence du jeune âge peut se transformer on polyurie essentielle de l'adulte. Les deux affections reconnaissent la même origine névropathique.

4° La guérison spontanée de l'incontinence d'urine, fréquente à la

1. Congrès d'aliénistes et neurologistes (Toulouse 1897).

puberté, la rapproche encore de l'hystérie au point de vue du pronostic. Quelquefois aussi, comme dans l'hystérie monosymptomalique, il y a des cxaccrbations persistantes qui font le désespoir du médecin.

. 5° Enfin, la suggestion, si utile comme traitement de l'hystérie, guérît dans les trois quarts des cas l'incontinence infantile d'urine. Son succès dépend de la gravité du cas et de l'état mental du sujet.

Je crois donc pouvoir conclure en résumant de la façon suivante : il existe une affinité étroite entre l'incontinence d'urine chez les enfants et l'hystérie. T,a moitié des jeunes incontinents est hystérique ; l'autre moitié est hystérisable.

L'hypnotisme dans ses rapports avec la criminalité. (1)

M. le D' Camille More au (de Charleroi). —Les faits à propos desquels la justice a dû tenir compte de l'influence des étals hypnotiques sur l'accomplissement de crimes ou de délits ont été jusqu'ici fort rares. Là question est cependant si importante, étant donné l'état actuel de nos connaissances, qu'il est tout naturel qu'un Congrès de médecine légale ait porté la question à son ordre du jour, afin de bien fixer l'étendue du domaine acquis et, le cas échéant, l'agrandir encore par l'apport de nouveaux faits. D'autre part, bien que les discussions théoriques sur ce sujet aient été fréquentes et qu'elles aient permis aux opinions les'plus contradictoires de se faire jour, il n'y a pas à entrer dans ces controverses, car il n'est pas à prévoir qu'une solution pouvant compter tous les suffrages saurait être fournie. Pratiquement il faut laisser de côté les divergences d'écoles, ne pas chercher des explications plus où moins admissibles et sujettes à variations successives; il faut s'en tenir à des faits précis au sujet desquels ne peut plus se produire aucun désaccord sérieux. Suivant celle règle pour la recherche des rapports certains que l'on peut considérer comme existant actuellement entre l'hypnotisme et la criminalité, M. Moreau s'est attache à l'examen de quelques cas qui ont été spécialement bien étudiés.

Que l'on fasse remarquer que semblables faits d'accomplissement de délits ou de crimes suggérés formeront toujours heureusement exception, soit ; mais il importe cependant au plus haut point que l'attention des magistrats de tous les pays soit constamment attirée sur leur éventualité possible, car, il ne faut pas se faire illusion, malgré tous les travaux et toutes les discussions qui se sont multipliés à propos des suggestions criminelles depuis plus de 15 ans, les trïbunnux sont restés en général fort sceptiques et hésitent toujours à laisser pénétrer dans leur enceinte ces idées nouvelles. C'est dans íe bul de contribuer de toutes nos forces à ébranler ce scepticisme opposé à l'administration de

(1) Congres de Médecine légale: Bruxelles, 1877.

la justice, telle qu'elle doit être comprise de nos jours, que M. Moreau n'a pas hésité à faire remarquer que peu à peu les faits se sont accu" mules et si bien mis en relief, qu'il est désormais imposssible qu'ils ne s'imposent pas à l'examen attentif des magistrats aidés par les données médico-légales résultant d'une étude minutieuse spéciale à chaque cas-

Un cas de tic rotatoire guéri par la psychothérapie (1)• W. Van Renterghem (d'Amsterdam),

Le malade dont il s'agit est un homme de 42 ans, de sauté robuste, bien constitué, non hystérique, exempt d'antécédents nerveux héréditaires. Comme antécédents personnels, il convient de noter qu'il a présenté pendant assez longtemps des spasmes cloniques du cou, dans le cours d'une méningite, en l'année 1875. Parfaitement rétabli de cette maladie, il a joui d'une excellente santé depuis ce temps. En effet, il n'avait pas eu d'indisposition sérieuse depuis vingt ans, lorsqu'il fut atteint, en novembre 1895, d'une lymphadénite cervicale très grave. Convalescent de cette maladie, il se sentit incommodé, vers le commencement de février 1896, de tremblement d'abord, puis de spasmes cloniques dans la partie droite du cou et de la nuque. Ces spasmes s'accentuèrent de plus en plus, se produisirent bientôt par petits accès avec des intervalles libres et affectèrent la variété connue sous le nom de tic rotaloire de la tète.

Successivement on eut recours au courant faradique, au massage, aux bromures, au courant continu, sans obtenir la moindre amélioration; un repos au lit prolongé, pendant quelque temps, sembla atténuer quelque peu le mal, mais la guérison se laissant attendre, le malade résolut d'aller faire un traitement dans un des hôpitaux d'Amsterdam.

Il choisit l'hôpital dit Buroerziehenkuis, et fut admis le 28 mai suivant dans le service du docteur Stephan, qui a eu la bonté de me donner un résumé de la médication suivie et des résultats obtenus par le malade.

On le soumit à une cure de repos, aux applications do douches chaudes sur la région eervicale, aux bains généraux tièdes, enfin au massage des muscles entrepris. Aucun changement favorable ne se produisant dans l'état du malade, on procéda le 2 i juin à l'élongation du nerf accessoire de Willis : l'opération fut répétée le 1er juillet, mais ne produisit pas d'effet.

Après cette seconde opération une fièvre intermittente se déclara. Quoique portant le cachet pyémique, cette fièvre ne se trouvait nullement justifiée par les altérations de la plaie. Quelques doses do quinine en eurent enfin raison, et dès le 16 juillet la température ne dépassa plus

(1) Congrès de Neurologie, Bruxelles, 1807

la normale. Les spasmes alors diminuèrent en fréquence et en énergie ; amélioration fugace, bientôt suivie d'aggravation. Quelques médicaments nervins qui furent alors prescrits ne changèrent rien à l'état de choses. On eut en dernier lieu recours à l'orthopédie et on fit construire un appareil devant servir à fixer la tète et à réprimer les mouvements morbides. Le II août, muni de cet appareil, le malade quitta l'hôpital-Les premiers jours les mouvements spasmodiques semblaient diminuer sensiblement; bientôt cependant ils reprirent de plus belle. Aussi, lorsque le malade se présenta le 21 septembre au docteur Stephan, celui-ci dut constater que le tic restait rebelle à l'appareil comme aux autres médications. Le docteur engagea néanmoins le malade de continuer à porter encore quelque temps l'appareil. Or le malade considéra cet avis comme une confession tacite d'impuissance de la part du médecin et s'en alla en consulter un autre.

Celui-ci, spécialiste en chirurgie, visa, avant de recourir à quelque autre mode opératoire, d'essayer l'hypnotisme. Le malade vînt me trou, ver le 4 octobre. Le jour même je commençai le traitement psychique, traitement qui fut continué jusqu'à guérîson complète, c'est-à-dire jusqu'au commencement de mars 1897.

Ainsi le tic rotatoire a cédé à la psychothérapie grâce une cure d'une durée de 5 mois, une cure dont la suggestion hypnotique a fait les principaux frais.

J'ai revu différentes fois depuis lors mon malade et j'ai pu m'assurcr que la guérison persiste.

La rééducation suggestive de la volonté (1).

MM. P. Valentin et P. Hartehberg (de Paris). — Parmi les nombreuses formes d'aboulies que nous avons étudiées et interprétées conformément aux théories hislologiqucs et physiologiques les plus récentes (Pitres, Grasset, Flechsig, etc.), nous ne voulons considérer dans ce travail que deux groupes bien différents. —A. Les aboulies occasionnelles, qui surviennent accidentellement, sont curables et doivent être attribuées à un trouble passager du dynamisme psychique. Trois variétés: 1'celles qui sont consécutives aux maladies graves; 2* celles qui sont dues à une diminution de conductibilité des voies motrices de l'arc réflexe psychique ; 3- celles qu'entretiennent une peur auto-suggérée de la douleur. — B. Les aboulies constitutionnelles, qui sont intimement liées au caractère des malades. Trois variétés: 1" par apathie ; 2* par irrésolution ; 3" par émotivité. Ces trois variétés peuvent se combiner chez le même sujet. De plus elles se montrent à des degrés très variables ; et à leur degré le plus grave elles se confondent avec les psychoses : mélancolie, folie du doute, phobies. — Traitement. La

1. Congres d'aliénislcs et de neuroiogîsles. Toulouse, 1697.

suggestion opposée aux troubles d'une fonction essentiellement active, telle que la volonté, doit être avant tout active. On emploiera la dyna-rnogénie-suggestive, complétée au besoin par le sommeil provoqué. Pour les malades du groupe A, la méthode consistera à les faire lever, marcher, se mouvoir. Cette gymnastique a deux conséquences favorables : d'abord, ellle stimule le cerveau et rétablit l'habitude du mouvement, ensuite elle rassure l'émotivité des malades, en leur montrant, par exemple, que leurs craintes sontvaines. La guérison est habituelle. Pour les malades du groupe B, il faut moins un traitement momentané et curatif qu'une direction morale continue. Si on le peut on prendra les sujets dès l'enfance, on leur imposera une éducation conforme à leur caractère, on les guidera dans le choix d'une carrière, on cherchera même, dans le mariage, à unir des époux dont les tendances respectives à l'action puissent se compléter heureusement. D'autre part, au cours de certaines crises paroxystiques d'aboulie, survenant chez les malades sous des influences physiques ou morales, on aura recours à la suggestion adaptée aux circonstances et à la personnalité du sujet. ii est impossible de donner ici cette méthode en détail. Nous le ferons dans un travail ultérieur, plus complet, consacré à la môme question.

L'éducation de la volonté et la lutte contre la dégénérescence. (1),

M. le Dr BéaiLLON. — Les dispositions du caractère présentent de grandes variétés individuelles. Chez les animaux, de même que chez l'homme, ces dispositions évoluent entre ces deux termes : docilité et méchanceté. Cnez l'enfant, l'analyse du caractère est difficile et l'on peut observer un nombre infini de modalités. Cela tient à ce que les aptitudes transmises par l'hérédité sont contrariées par les diverses influences exercées par le milieu. Ces influences jouent le rôle prépondérant dans la constitution de la personnalité ; cependant, abstraction faite de toute influence de milieu et de toute action éducative, tandis nu'un certain nombre se montrent naturellement dociles et doux, un assez grand nombre d'autres méritent d'être classés dans la catégorie des vicieux et tics méchants.

Il est très intéressant de rechercher les conditions dans lesquelles apparaît la tendance à la méchanceté chez les enfants. La plupart des auteurs ne voient dans ces tendances que la manifestation de la dégénérescence héréditaire. En réalité, pas plus chez l'homme que chez les animaux, la méchanceté n'est l'apanage de la dégénérescence. Des individus très robustes, de race très pure, sont d'emblée méchants; d'autres, très dégénérés, sont très doux. Quelle que soit la cause originelle ce la méchanceté de l'enfant, il convient de recourir, pour la modifier, à une éducation spéciale et à un véritable dressage.

Le but de ce dressage sera surtout de créer chez l'enfant de véritables

(1) Communication faite au Congres de l'Association française. St-Ètienne, 1897

centres d'arrêt psychique et de procéder à une éducation systématique de la volonté. L'absence de la volonté d'arrêt conduit fatalement l'individu à la dégradation par la satisfaction exagérée des besoins instinctifs. Par extension, l'absence de la volonté d'arrêt chez les individus devient donc un facteur important dans la dégénérescence de l'espèce.

La méthode pour l'éducation systématique de la volonté consiste dans l'emploi de la suggestion hypnotique. Les résultats de cette méthode sont extrêmement frappants. Elle permet en peu de temps d'obtenir la transformation des sentiments pervers, des habitudes automatiques, des impulsions irrésistibles qui mettent les enfants qui en sont atteints dans une situation dangereuse au point de vue de leur évolution dans la société.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie

C Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, ù 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallîcr, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 20 Décembre 1897 et 17 Janvier 1898 à 4 heures et demie.

Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.

Adresser les communications à M. le D' Bérillon, secrétaire général, 14, rueTaitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, I, place Jussieu.

Mangez avant de dormir.

Nombre de personnes, bien que non malades, sont faibles et maigres. Cela tient en partie au long espace de temps qu'elles laissent entre le déjeuner et le dîner et surtout à la vacuité de l'estomac pendant le: sommeil, qui amène l'insomnie et une faiblesse générale. . La physiologie nous apprend que, pendant la veille tout aussi bien que pendant le sommeil, il se fait un continuel échange entre ncs tissus. Il semble donc logique de penser qu'un supplément de nourriture doit être continué surtout pendant le moment où notre organisme est sous l'empire de la faiblesse.

Si l'exercice corporel est suspendu pendant le sommeil, par. contre la digestion, l'assimilation et l'activité nutritive persiste ; les aliments fournis pendant cette période produisent plus d'éléments que ceux qui sont détruits et augmentent le vigueur générale en même temps que le poids.

. Tous les êtres, sauf l'homme, sont gouvernés par un instinct naturel.

Ceux qui ont un estomac mangent avant de dormir. L'enfant, guidé par cet instinct, téte fréquemment, le jour et la nuit, et si son estomac est vide pendant quelque temps, il crie et pleure. La digestion n'a pas besoin d'intervalle de repos, et si la quantité de nourriture que Ton prend pendant vingt-quatre heures ne dépasse pas la limite normale, il n'y a aucun inconvénient à ce que les intervalles entre les repas soient courts, car, chez les personnes délicates, une grande faiblesse est la conséquence d'une trop grande distance entre eux.

Les faibles, les émaciés et les personnes sujettes à l'insomnie doivent prendre quelque chose avant de se mettre au lit, par exemple, du pain, du lait, des biscuits, etc. On arrive ainsi à augmenter le poids et la vigueur d'un malade et à améliorer la santé générale. Les personnes pléthoriques doivent suivre un régime contraire.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de parts, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le h- Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à. l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Paul Farez, Hehns, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.

Pendant le semestre d'hiver 1897-1898, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Henri Lemesle, Paul Farez, G. lîaynaud, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspon-

dant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de rhypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

M. le docteur Bianchi a fait !c jeudi 25 novembre, à l'Institut psychophysiologique, des démonstrations cliniques de phonendoscopie.

M. le docteur Dagincourtù fait le jeudi 2 décembre, à l'Institut psycho-physiologique, des démonstrations cliniques de radioscopie et de radiographie.

Conférences annuelles de l'Institut psvcho-physiologique. — Les conférences commenceront le jeudi 13 janvier 1898, à cinq heures, 49, rue Saint-André-des-Arts.

La première conférence sera faite par le Df Bérillon sur le sujet suivant : Le grand hypnotisme et l'Ecole de Paris (Charcoi, Mesnet, Luys et Dumontpallier). Cette conférence sera accompagnée de démonstrations cliniques expérimentales et de projections à la lumière oxy-drique.

Les conférences suivantes seront faites par MM. Dumontpallier, Max Nordau, Ai-mand l'aulier, E. Causticr, Paul Parez, Jules Bois, Henry Lemesle, Dagincourt et Georges Raynaud. Le programme en sera publié dans le prochain numéro.

Avis. — Cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie. — M. le Dr Bérillon a commencé un cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts, le jeudi 28 octobre, à dix heures et demie. Il le continue tous les jeudis, à la même heure. Plusieurs conférences sont consacrées à l'étude pratique des applications de la suggestion hypnotique à la pédagogie et a l'éducation des dégénérés héréditaires.

Collège de France. — Psychologie expérimentale et comparée. — M. Ch. Ribct traitera des Conditions générales de la conscience et de l'inconscient, les lundis ù 3 h. 1/2; les jeudis, à3 h. 1/2, il étudiera les Diverses foi~mes de l'imagination.

Sorbonne. — M. Jules Soury, maître de conférences, étudie, les vendredis et les lundis, à cinq heures, la Psychologie physiologique.— H étudiera spécialement la Localisation des phénomènes sensitifs.

Conférences de psychologie. — MM. les docteurs P. Valentin et P. Hartenberg font, les jeudis à partir du 2 décembre, à 8 h. 1/2, à l'Ecole psychothérapique, 21, rue Cujas, des conférences de psychologie. — M. Valentin traitera la Psychologie des émotions, et M. Harlenberg, la Psychologie de la volonté.

Facultés étrangères. — Nous apprenons avec plaisir que notre émi-nent collaborateur, M. le Dr Max Dessoir, est nommé professeur de

Psychologie à l'Université de Berlin. — M. le Dr Roncati est nommé professeur ordinaire do clinique psychiatrique à la Faculté de Bologne. — M. le Dr- Al. Grigorjev est nommé professeur de médecine légale à la Faculté de Varsovie.

NÉCROLOGIE

W. Preyer

La mort prématurée du célèbre professeur de physiologie Guillaume Preyer, enlevé, à 59 ans, à ses amis et à la science, inspire des pages éloquentes à Albert Eulemburg, l'émînent médecin à qui l'on doit la grande encyclopédie allemande des sciences médicales. Preyer, né en Angleterre, était une des autorités les plus écoutées dans le domaine physiologique. Il avait un admirable talent d'exposition et ses œuvres jouissent encore aujourd'hui d'une grande popularité. Son ouvrage sur lMme de l'enfant, traduit dans toute les langues de l'Europe, lui a valu une notoriété universelle. Il a été l'un des plus ardents promoteurs des recherches sur l'hypnotisme.

M. Preyer, alors professeur à l'Université de Gènes,publia le premier, en 1881, une traduction des principales œuvres de Braid sous le titre : La découverte de l'hypnotisme. Cet ouvrage était un résumé de Neurypno-to/j'y et contenait le mémoire envoyé par Braid à Azara en 1860. Ce mémoire lui était parvenu après avoir été en possession de Béard de New-York. Preyer s'était occupé beaucoup de l'hypnotisme au point de vue médico-légal. C'est ainsi qu'il a publié un mémoire sur la fascination exercée dans un butcrimincl et collaboré avec le D'SchreDk-Kotzing à un important travail sur le procès Czinski.

Heidenhain

Au moment de paraître, nous apprenons la mort d'un éminent physiologiste allemand,' Keidenhain, professeur à l'Université de Breslau.

Heidenhain, né le 29 janvier i834àMarîenwerder, avait publié en 1880 les premiers travaux sur l'hypnotisme scientifique parus en'Allemagne. La valeur des études d'Heidenhain le rangent au nombre de ceux auxquels la' science de l'hypnotisme doit le plus de reconnaissance, et nous publierons dans notre prochain numéro une notice biüographique sur ce savant professeur.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT y 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quëlqubjbu, rue Gerbcrt, 10.

revue de l'hypnotisme

EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE

12e année. — N° 6. Décembre 1897.

LES PRINCIPES DE LA PÉDAGOGIE SUCGESTIVE

Par le D' Edgar Bérillon Médecin inspecteur des aliénés de la Seine.

Lorsqu'en 1886, à Nancy, au Congrès de l'Association française pour l'avancement des Sciences, dans la section de pédagogie, nous avons eu l'honneur de soulever la grave question de l'emploi de la suggestion comme moyen d'éducation, dans une communication ayant pour titre : De la suggestion envisagée aupoint de vue pédagogique, aucun fait d'application pédagogique de la suggestion n'avait été publié. Aucune observation relative à l'emploi de la suggestion comme agent moralisateur ou comme procédé de redressement des enfants réfractaires à l'éducation normale, n'avait encore été soumise au contrôle d'une société savante.

La question était donc absolument neuve. Plusieurs psychologues éminents, auxquels nous avions soumis le sujet de notre communication, ne nous avaient pas dissimulé les inquiétudes que leur inspirait la hardiesse de notre proposition. Ils n'avaient rien négligé pour nous décourager dans nos premiers efforts pour appeler l'attention des éducateurs sur des déductions auxquelles leur esprit était loin d'être préparé. Ils considéraient l'idée de tenter l'introduction de l'hypnotisme dans le domaine pédagogique comme utopique et paradoxale, exprimant la crainte qu'elle ne soulevât une vive opposition dans les milieux universitaires et, en particulier, dans la section de pédagogie de l'Association française.

Il importait donc, dans l'intérêt de la méthode dont nous proposions l'application, de tenir compte des objections, tant d'ordre moral que d'ordre purement sentimental qui nous étaient annoncées. C'est pourquoi nous jugeâmes prudent de de nous cantonner, dans cette première communication, sur un terrain inattaquable, celui de la pédagogie clinique. Tel fut le sentiment qui nous inspira dans la rédaction de nos conclusions, que nous jugeons utiles de reproduire ici :

« Lorsqu'on aura, disions-nous, à se préoccuper de l'avenir d'enfants vicieux, impulsifs, récalcitrants, incapables de la moindre attention et de la moindre application, manifestant un penchant irrésistible vers les mauvais instincts, nous pensons qu'il n'y aura aucun inconvénient à provoquer l'hypnotisme chez ces créatures déshéritées.

« Pendant le sommeil hypnotique les suggestions ont plus de prise. Elles ont un effet durable et profond. Il sera possible dans bien des cas, en les répétant autant que cela sera nécessaire, de développer la faculté d'attention chez ces êtres jusqu'alors incomplets, de corriger les mauvais instincts et de ramener au bien des esprits qui s'en seraient écartés infailliblement.

En terminant, nous déclarions que, autant il y aurait d'incon* vénients à pratiquer l'hypnotisme chez des sujets excellents, bien portants, autant il y aura d'avantages à l'appliquer, comme moyen pédagogique, à des sujets mauvais, vicieux ou malades ; et nous nous empressions d'ajouter que l'emploi de ce procédé devrait être surtout réservé pour les cas où tous les autres moyens rationnels d'éducation auront échoué. « 11 devra toujours être appliqué sous la direction d'un médecin compétent et exercé. »

Les objections théoriques devaient naturellement perdre beaucoup de leur valeur dans un débat limité aux applications médico-pédagogiques de l'hypnotisme. Il est dilïicile de discuter le droit qu'a le médecin, lorsqu'il est consulté sur un cas qui relève de sa compétence, de recourir à la médication physique ou psychique qu'il considère à la fois comme la plus inoffensive et la plus utile. C'est à cette tactique qu'il faut attribuer l'approbation accordée à notre proposition par des pédagogues, des juristes et des médecins, d'un esprit élevé comme MM. Perroud, Félix Ilément, Liégeois, Leclaire, Liébeault, Ladame, Netter, etc.

Une note discordante avait été donnée par un universitaire, M. Blum, professeur agrégé de philosophie. Ce professeur, partisan de la théorie des idées innées, considérait que le fait d'hypnotiser un enfant pour modifier son caractère ou le guérir d'un vice était porter une grave atteinte à sa liberté morale. Il nous reprocha de méconnaître les principes de la morale de Kant et de détruire les bases fondamentales de l'éthique. Sa protestation resta sans écho.

Nous devons reconnaître que, plusieurs années après avoir

violemment combattu nos idées dans la Critique philosophique de Renouvier, il a modifié ses sentiments de la première heure en présence de guérisons morales, dues à la suggestion hypnotique, dont la réalisation l'avait vivement impressionné.

Fort do la décision votée par la section de pédagogie du Congrès de Nancy, qui déclarait que nos conclusions étaient acceptables et qu'il était légitime de recourir à l'hypnotisme comme agent de moralisation et d'éducation, nous continuâmes l'œuvre entreprise.

Le résultat le plus appréciable de notre communication fut de nous fournir les moyens d'appuyer nos idées théoriques sur des faits précis et frappants ; aussi, dès l'année suivante, en 1887, au Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, à Toulouse, dans une communication ayant pour objet : De la suggestion cl de ses applications à la pédagogie, non seulement nous formulions un certain nombre d'indications précises de la suggestion hypnotique en pédagogie, mais aussi nous démontrions que les principes de la. pédagogie suggestive et préventive reposent sur les données scientifiques et des faits positifs rigoureusement observés. Le premier, nous donnions des observations de kleptomanie, de mensonge, de troubles du caractère d'onanisme irrésistible, d'onychophagie, de pusillanimité, de terreurs nocturnes, d'impulsion à la débauche, etc., guéris par la suggestion.

Nous donnions l'exposé de notre méthode opératoire, en établissant d'une façon minutieuse les détails de l'application delà suggestion hypnotique à la pédagogie. Dès lors, un certain nombre de médecins et de pédagogues, en se mettant dans des conditions expérimentales identiques à celles que nous avions formulées, purent confirmer, par leurs observations, les données de notre pratique.

Dans notre seconde communication, nous abordions déjà le domaine de la pédagogie pure en indiquant des applications faites dans le but de stimuler et de développer la faculté d'attention et d'aptitude au travail. Ces applications avaient été faites chez des élèves des lycées et des écoles dont les progrès ne donnaient pas toutes les satisfactions désirables, et qui étaient menacés d'être rendus à leur famille.

Un an après, nos expériences nous ayant appris qu'on pouvait, dans l'état d'hypnotisme, modifier les idées de l'enfant; transformer son caractère; corriger les habitudes acquises; en créer de nouvelles ; accroître l'énergie de l'attention et de la

mémoire ; éveiller et développer les aptitudes naturelles ; faire varier l'intensité et la modalité des perceptions ; éclairer la conscience, nous pouvions aflirmer au Congrès d'Oran qu'il y avait, dans l'hypnotisme, les éléments d'une véritable pédagogie expérimentale.

Lors de noire première communication, un des auditeurs, prévoyant tout l'avenir de la méthode pédagogique, avait exprimé l'espoir de voir bientôt le pédagogue et le médecin s'associer dans la création d'une science dont le véritable nom serait VOrthopùdic morale. Durand, de Gros, en 1 SCO, avait exprimé le même souhait lorsqu'il écrivait : « Le rachitisme de l'intelligence, les déviations du caractère trouveront dans l'hypnotisme leur orthopédie. »

Durand de Gros en était resté à celte assertion platonique. La méthode d'application ne pouvait se dégager que de l'observation de faits nombreux. Aussi nous ne craignons pas de dire que ce sont nos expériences de pédagogie clinique, entreprises en 1886 et poursuivies par nous sans relâche jusqu'à ce jour, qui ont permis de faire passer la pédagogie suggestive dans le domaine de la pratique. C'est par nos travaux personnels sur cette question, que l'orthopédie mentale est devenue une science positive.

Mais il ne suflisait pas de soumettre les applications pédagogiques de l'hypnotisme au contrôle de la méthode expérimentale la plus rigoureuse, il fallait encore former des élèves, vulgariser nos idées et les faire accepter par tous les esprits exempts de parti pris. C'est à cette tâche difficile que, depuis dix ans, nous avons consacré toute notre activité. Grâce à l'enseignement pratique que nous avons donné depuis 1889 d'une façon permanente et de la façon la plus libérale à l'Institut psycho-physiologique de Paris, à l'Ecole pratique de la Faculté de Médecine et dans de nombreuses conférences; grâce aux discussions que nos communications ont provoquées dans les sociétés savantes et dans les congres, un mouvement de plus en plus favorable s'est dessiné. Nous avons vu successivement venir à nous, des hommes qui, comme MM. Marion, Buisson, professeurs à la Sorbonne, Henry Joly, IL Monod, le P. Didon,Tardc, Max Nordau, etc., s'intéressent passionnément à la science de l'éducation. La persévérance et la continuité de nos efforts a fini par triompher des résistances injustifiées de certains esprits et de l'indifférence des autres. Mais notre tâche n'est pas encore terminée.

Nous prévoyons tous les dangers que peuvent faire courir à une science nouvelle des imitateurs insuffisamment préparés à son application. Intervenant à la période de l'utilisation pratique, ils dédaignent d'étudier cette science dans les différentes phases de son évolution. Aussi, s'exposent-ils, non seulement à commettre des erreurs de doctrine, à plagier inconsidérément leurs devanciers, mais surtout à outrepasser les déductions logiques que comportent les résultats obtenus.

Isolée des principes, toute science s'égare dans des faits de détail ou dégénère en routine. C'est pour éviter ces écueils aux expérimentateurs novices que nous croyons devoir rappeler les principes de la pédagogie suggestive que nous avons déjà exposés, en 1896, au Congrès de Psychologie de Munich ('). Nous pensons également leur rendre service en publiant la bibliographie de nos recherches sur le même sujet.

Les principes de la pédagogie suggestive

Le but de la pédagogie suggestive est d'arriver, soit à la correction des impulsions instructives et des habitudes automatiques chez les enfants, soit au développement des aptitudes normales arrêtées dans leur évolution. Ce but est atteint, selon le cas, par deux procédés différents : 1° La création de centres d'arrêts psychiques et la culture du pouvoir d'inhibition volontaire ; 2° L'exercice et l'excitation automatique de l'énergie psychique et de la fonction excito-motrice.

Ces résultats ne peuvent être obtenus sans l'application do plusieurs principes fondamentaux qui découlent de l'observation des faits :

Le premier principe consiste dans la nécessite aVétudier préalablement la suggestibilité naturelle dessujets, c'est-à-dire de faire le diagnostic de la suggesiibilitè. Pour cela, il faut, à l'état de veille, leur faire la suggestion d'exécuter, malgré eux, une série d'actes très simples. Le résultat de la suggestion donne la mesure de leur suggestibilité. Cette expérience ne sert pas sculcmentà mesurer le degréde suggestibilité de l'enfant ; elle devient un moyen d'investigation et d'exploration psychologique d'une très grande précision. Elle donne des résultats inattendus et révèle chez certains enfants une suggestibilité très supérieure à celle qu'on pourrait leur attribuer au seul aspect do leur physionomie. On comprendra l'importance de

(1) Bérillon : Les principes Je la pédagogie suggestive et préventive. (Comptes-

rendus du Congrès de psychologie do Munich, 1896, p. 474.)

l'expérience quand on aura constaté la réalité de ce fait auquel nous donnons la valeur d'une véritable loi psychologique, à savoir, que « la suggestibilité est en rapport direct avec le développement intellectuel du sujet- »

Le.second principe est de provoquer cites Venfant létal d'hypnose ou tout au moim un ètalpatsif, c'est-à-dire un état physiologique caractérisé par la suppression et la diminution des diverses activités de son esprit, et par l'augmentation del'au!.jmatisme.

Le troisième principe, le sujet étant dans l'état d hypnose ou dans l'état passif, est d'associer à il suggestion teibalcune action psycho-mécanique. — Dans les cas où il s'agit de corriger une impulsion plus ou moins irrésistible, ou une habitude automatique, l'action psycho-mécanique aura pour but la création d'un centre d'arrêt psychique' Cet effet sera réalisé soit en mettant mécaniquement le sujet dans l'impossibilité d'exécuter l'acte indiqué, soit en provoquant chez lui, par suggestion, une paralysie psychique. On répétera ces manœuvres jusqu'à ce que l'image de l'arrêt soit fixée dans le cerveau du sujet. — Dans les cas où il s'agira de modifier un état d'inertie mentale, on arrivera par l'image du mouvement et par un entraînement automatique, répété autant de fois que cela est nécessaire, à déterminer le réveil de l'énergie psychique. Le quatrième principe est de formuler les suggestions avec précision et clarté. Il faut que les images visuelles, auditives ou motrices, exposées devant le cerveau, soient nettement limitées.

Le cinquième principe est, après avoir provoqué la réalisation automatique et inconsciente des actes suggérés (phénomènes d'arrêt ou d'action) d'éveiller progressivement la conscience par la suggestion associée aux diverses excitations périphériques, et de réaliser les mêmes phénomènes avec la participation consciente du sujet.

Enfin, le sujet étant complètement réveillé, il n'y a plus qu'à s'assurer qu'il peut déterminer la résistance définitive à l'impulsion ou l'exécution complète de l'acte mental, par la seule intervention de son pouvoir inhibiteur ou de sa volonté d'action.

Par l'observation rigoureuse de ces principes, l'opération psychologique de l'hypnotisme pédagogique, qui apparaît au début comme un asservissement de la conscience, se traduit, finalement, par un développement de la personnalité consciente.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE. PÉDAGOGIE PSYCHOLOGIQUE ET CLINIQUE

1* Bérillox. — De la suggestion envisagée au point de vue pédagogique. — Brochure do 10 pages. Paris, 1886, et Comptes rendus de l'Association française pour l'avancement des Sciences, 1886.

2" I; v \. — Guérison par suggestion post-hypnotique d'une habitude vicieuse datant de dix ans. (Revue de l'Hypnotisme, 1.1., p. 218}.

S* Bérillos. — Do la suggestion et de ses applications à la pédagogie. — Brochure in-8*, 16 pages, avec quatre figures. Paris, 1888.

*• Bérillos. — Essai de pédagogie expérimentale. — (Comptes rendus de l'Association française pour l'avancement des Sciences, 1888).

5" Bérillos. —Los applications do la suggestion à la pédiatrie et à l'éducation mentale des enfants vicieux ou dégénérés. (Comptes rendus du Congres international de l'hypnotisme en 1880, p. 167 et brochure in-8. Doin, Paris, 1800).

6* Bérillox. — De la dipsomanic et do son traitement par la suggestion. (Revue de l'Hypnotisme, 1891, 5« année p. 47).'

7* Bérillox.—Les applications de la suggestion hypnotiqneà la pédiatrie et à l'éducation. International Congress of expérimental psychology. Londres, 1802, p. 16G.

8* Bérillox. — La suggestibilite des enfants. (Revue de l'Hypnotisme, 1802, 6' année, p. 51).

tr Bérillox. — Do quelques suggestibilités particulières ; phénomènes moteurs suggérés. (Revue de l'Hypnotisme, 1893, 7* année, p. 268).

10* Bérillox. —L'onychophagie, sa fréquence chez les dégénérés et son traitement psychothérapique. (Revue de l'Hypnotisme, 8* année, p. I, et brochure in-8", Maloine, Paris, 1891).

H* Bérillox. — Une observation d'enfant menteur. (Revue de l'Hypnotisme, 1891, 8* année, p. 17. Observation prise à l'Institut Psytho-physiologique).

12* Bérillox. — Habitudes vicieuses associées chez une petite fille. Onanisme et onychophagie traités avec succès parla suggestion. (Revue de l'Hypnotisme, 1891, 8* année, p. 90).

13* Bérillox. — Le traitement psychique de l'incontinence nocturne d'urine. (Revue de l'Hypnotisme. 189*, S* année, p. 359).

11* Bérillos. — Action psycho-mécanique associée à la suggestion. Création d'un centre d'arrêt. (Revue de lHypnotisme, 1895, 9* année, p. 306).

15* Bémllox. — Les indications do la suggestion hypnotique en pédiatrie. (Revue de r Hypnotisme t 1896, 10* année, p. t, et Comptes rendus du Congrès do Médecine, Lyon, 1895, p. 677.

16* Bérillos. — Le traitement psychique de la kleptomanie chez les enfants dégénérés. {Revue de PHypnotisme, 1896, 10* année, p. 237).

17* Bérillos. — Les principes de la pédagogie suggestive et préventive.{Comptes-rendus du Congrès de psychologie de Munich, 1896, p. 174.)

18* Bérillon- — Deux cas de pusillanimité traités avec succès par la suggestion. (Revue de l'Hypnotisme, 1897, 1, II* année, p. 337).

19- Bérillox. — Le traitement psychothérapique de l'hystériejnfnntilc fCongrès des aliéiiistes et neurologisles. Toulouse, 1897, et Revue de VHypnotisme, 12* année, p. 68.)

20* Bérillox. — L'éducation du caractère et la lutte contre la dégénérescence (Comptes rendus de l'Association française pour ravancement des Sciences, 1897.)

21* Bérillos. — Les applications de la suggestion hypnotique à la pédagogie des dégénérés héréditaires (Congres international de médecine, Moscou, 1897.]

ÉTUDE MÉDICO-LÈGALE

DE L'HYPNOTISME & DE LA SUGGESTION (0

par M. le Dr Paul Joire (de Lille)

Professeur à l'Institut psycho-physiologique de Paris Chargé du Cours annexe d'hypnologie à Lille.

L'abus que l'on fait de l'hypnotisme dans le monde extramédical est un danger pour la santé publique qui nous est démontré par la fréquence des accidents nerveux que provoquent les manœuvres intempestives des magnétiseurs de toute catégorie. A notre époque de nervosismi ce danger est plus à craindre que l'emploi criminel de cette force. Toutefois, à cause même de cette faveur plus grande que j'aurais accordée à l'hypnotisme extra-médical, il est nécessaire de faire entrevoir la possibilité du crime, et de rechercher quelles seront les règles qui devront guider le médecin légiste pour se garer également de la simulation et de l'erreur.

H est incontestable que l'hypnotisme peut être employé d'une manière criminelle. L'hypnotisme peut être considéré comme une force, une puissance considérable mise enjeu par un individu et déterminant dans un autre homme des troubles profonds, des modifications importantes de l'organisme. Or, l'existence d'un agent de cette sorte entraîne toujours et nécessairement la possibilité de nuire : d'une façon plus ou moins dangereuse, suivant le mode d'action môme de l'agent; plus ou moins fréquente, suivant la facilité avec laquelle les criminels pourront s'en servir. Dans le cas actuel, d'une part, l'agent étant très puissant peut être très redoutable ; d'autre part, il est entre les mains d'un grand nombre, car il sera aussi facile aux gens mal intentionnés de l'étudier que de rechercher dans un traité de chimie les effets et les caractères des différents poisons.

Ceci étant donné, de quelle manière l'hypnotisme pourra-t-il être employé d'une façon criminelle, et comment le médecin légiste aura-t-il à intervenir ?

L'individu hypnotisé doit être considéré, au point de vue médico-légal, dans deux conditions absolument différentes: à l'état passif, comme victime d'un attentat ; à l'état actif, comme auteur d'une action coupable.

(1) Communication faite au Congrès do Neurologie de Bruxelles, 1607.

Dans le premier cas, il se plaindra d'un attentat commis sur sa personne ou sur ses biens, à la faveur de l'état d'inconscience et d'impuissance dans lequel il s'est trouvé par le fait du sommeil provoqué ; il sera accusateur. Le tribunal demandera à l'expert de l'éclairer sur l'authenticité des phénomènes physiologiques qui servent de base à sa plainte, et sur la possibilité de l'acte criminel qu'il dénonce.

Dans le second cas, c'est lui qui sera l'accusé ; il aura accompli un acte criminel, mais il prétendra n'en avoir pas conscience ; il dira avoir été privé de son libre arbitre par celui qui l'a plongé dans le sommeil hypnotique. Le juge d'instruction demandera au médecin de déterminer le degré de responsabilité du prévenu, au moment où il a accompli l'acte criminel.

Les attentats dont peut être victime une personne plongée dans le sommeil hypnotique peuvent être dirigés contre ses biens ou contre sa personne.

Nous étudierons donc successivement :

1° Les cas de vol à la faveur du sommeil hypnotique.

2° L'emploi de l'hypnose pour faire perdre la mémoire d'une scène dont le sujet aurait été témoin et se débarrasser ainsi du témoin gênant d'une action coupable.

3° La possibilité d'obtenir du sujet en état d'hypnose des révélations ou des renseignements qu'il refuserait à l'état de veille ou de lui arracher des secrets de toute nature.

4e Signatures fausses ou compromettantes, attestations fausses ou reconnaissance de dettes fictives obtenues par le moyen du sommeil hypnotique.

5° Viol dans l'hypnotisme.

Seconde partie : l'hypnotisé joue un rôle actif, il est l'auteur d'actes coupables et poursuivi comme tel.

Nous étudierons ici successivement :

1° Les crimes ou actes délictueux dans lesquels la personne hypnotisée peut devenir le sujet actif par le fait d'hallucinations suggérées.

2° Les crimes ou actes délictueux qui peuvent être suggérés directement pendant le sommeil hypnotique.

3° Crimes ou actes délictueux suggérés à l'état de veille.

4° Crimes ou actes délictueux suggérés pendant le sommeil et exécutés à l'état de veille, à une époque plus ou moins éloignée ; suggestion post-hypnotique.

CONCLUSION

Dans certaines circonstances, le sujet qui a subi un entraînement hypnotique suffisant, ou qui se trouvait préalablement dans un état pathologique, subit un asservissement qui peut s'étendre non seulement au sommeil hypnotique, mais aussi à l'état de veille; il peut exister non seulement pour les suggestion^ les plus simples, mais pour toute espèce d'actes, même les plus compliqués et les plus criminels, et les conséquences les plus sérieuses peuvent résulter de cet asservissement à la volonté d'un autre.

Il ne faut ni exagérer ni nier le fait pour chercher a en atténuer la gravité, il faut l'envisager sous son véritable jour et tel qu'il est en réalité, et cette réalité c'est, dans certains cas, mais seulement dans les cas rares et biens déterminés, le pouvoir absolu de l'hypnotiseur sur l'hypnotisé. Mais il faut aussi ajouter que la connaissance plus approfondie de cette partie de la physiologie et son étude scientifique, nous mettant à même de dévoiler les coupables, les arrêtera dès maintenant dans cette voie où ils ne trouveraient ni facilité pour accomplir les actes criminels, ni sécurité devant la justice.

L'expertise médico-légale, en s'entourant de toutes les précautions nécessaires pour étudier à fond l'état mental du sujet qui lui est soumis, ne manque pas de données certaines pour éclairer la justice sur son état de responsabilité,

L'ÉTAT PHYSIQUE DES ALIÉNÉS - LA SENSIBILITÉ

Par le Dr P. Kéraval, médecin en chef de l'asile d'Armentières.

Comment fonctionnent les modes physiologiques habituels de la sensibilité nerveuse commune chez l'aliéné?

L'examen n'est pas toujours commode, parce que, à l'inverse ce qui se passe chez l'homme qui a conservé la plénitude de ses facultés intellectuelles, le centre cérébral est fortement atteint. Il est donc difficile d'avoir des réponses exactes, ou de conclure des réactions qui semblent traduire nettement l'action de l'instrument explorateur à la réalité des sensations perçues. On ne s'attachera pas par conséquent à la finesse des résultats. On enregistera simplement les réactions brutes, sauf à tenir compte, quant à l'appréciation seméiologique, de l'état mental du patient.

Dans les limites du cadre où nous nous plaçons, il y a lieu de diviser la sensibilité en trois genres : i° la sensibilité d'origine externe ; 2° la sensibilité d'origine organique; 3° la sensibilité réflexe.

1° Sensibilité d'origine externe

Les nerfs et organes sensitifs généraux et spéciaux qui transmettent l'action des agents extérieurs aux centres nerveux, déterminent, à l'état normal, la sensibilité cutanée, douloureuse, thermique, électrique, gustative, olfactive, auditive, visuelle, chromatique.

L'hypercsthèsie des téguments soumis à l'épreuve du compas de Weber, des corps froids ou chauds, des courants électriques, est fréquente dans les folies toxiques, la manie, les délires systématisés. Cette hyperesthésie forme le pendant rationnel des hallucinations de la sensibilité générale de la peau que nous avons relevée dans l'état mental des aliénés.

En revanche, on constatera de l'anesthésie à l'égard des mêmes agents, et principalement de l'analgésie dans la stupeur, la mélancolie torpide, la paralysie générale, et chez quelques dégénérés, en particulier chez les idiots.

Tout le monde connaît maintenant l'action de l'aimant et la mètalloscopie chez l'hystérique (Charcot, Burcq). On a, dans l'espèce, obtenu des signes physiques capitaux et l'on ne saurait contester qu'il ne fût désirable de doter l'aliénation mentale de pareils éléments de diagnostic. Séglas et À. Vigou. roux l'ont tenté en recherchant les allures de la résistance électrique du corps humain ; cette résistance à la pénétration du fluide électrique, qui est normale, est augmentée chez les mélancoliques.

Le contrôle physique des hallucinations et des illusions des sens spéciaux comportait, tout naturellement, les recherches du fonctionnement matériel des organes en question. Le goût a été trouvé tantôt exagéré, tantôt diminué, tantôt supprimé dans la folie toxique, la mélancolie avec refus de la nourriture. Chez les mélancoliques aussi, surtout chez ceux qui étaient en proie à des hallucinations, on a noté de la perversion du goût. Chez l'hystérique, dans la démence organique (par lésions cérébrales en foyers), dans la démence paralytique, dans la folie systématisée, et chez les maniaques, on a alternativement enregistré : de l'exagération, de l'affaiblissement, de la suppression de l'odorat. L'hémianosmie de A. Voisin, dans la

paralysie générale, constitue un important jalon pour l'histoire de cette maladie ; elle rappelle l'hémianesthésie totale, y compris précisément les sens spéciaux du goût, de l'odorat, de la vue, de la couleur dans l'hystéro-épilepsie, de Charcot. Toute la sensibilité est, en ce cas, paralysée du côté où il y a ovarie. Quand l'ovarie est double, il y a anesthésie bilatérale : elle explique comment ces malades vivent dans un monde à part où il n'y a plus ni couleur, ni relief, où les impressions sont faibles, presque nulles, comment, par suite, dans leur esprit, tout prend une tournure macabre, comparable à celle des perceptions que nous obtenons quand, dans l'obscurité, nous faisons flamber un bol de punch, où mieux, lorsque nous éclairons au sodium : c'est bien pis quand on a préparé le milieu de façon à ce que les rayons Rœntgen, laissant certains corps invisibles, éclairent d'autres objets enduits de platinocyanure ou de tungstate de chaux, et produisent la fluorescence de verres ou de porcelaines taillés d'une certaine manière ('). Ces expériences de sensations fantastiques nous font pressentir l'état mental de ces aliénés dont la sensibilité spéciale est déformée et disjointe, à leur insu, sans recours. S'ils sont hallucinés ou illusionnés, ces anomalies sont préparées ou remplacées, â certains moments, par des perversions de la sensibilité, notamment de l'odorat. L'ouïe fournit également son contingent de troubles fonctionnels physiques. C'est l'hyperacousie, la suracuité de ce sens, à la période extatique et hypnotique de la grande hystérie, et dans la manie aiguë, tandis qu'il est affaibli chez le mélancolique en stupeur et dans les cas de lésions en foyer de l'encéphale; perverti chez Thypochondriaque et l'halluciné, il transmet incorrectement au cerveau les sons et les voix réels ; de là à l'illusion auditive, il y a, évidemment, peu de distance,

L'examen des yeux des aliénés abonde en importants symptômes. L'amblyopie et l'hémiopie sont aujourd'hui devenues familières; elles apparaissent encore chez les déments, les paralytiques généraux, les épileptiques, elles sont monnaie courante du tabes, des folies toxiques, de l'hystérie, et aboutissent, en vertu souvent de mécanismes très nets, exposés partout, à Tamaurose. L'achromatopsie, ou la dyschroma-topsie, le daltonisme de la folie alcoolique et de l'hystérie, que nous avons déjà mentionnés, se montrent parfois aussi dans

(1) Voyez La Nature, n° 1240, j>. 218 : il" 1245, p. 302, 1897 : Apparitions lumineuses ; nouvelles propriétés des rayons X. — Illustration, 20 avril 1897: le néo-occultisme.

le délire systématisé et l'épilepsie. Nous avons, en ce qui concerne la vision des couleurs, fait des recherches personnelles, que nous avons fait reprendre il y a quelques années par M. Croustel ; il est arrivé à une première conclusion d'après laquelle la perception du violet disparaîtrait chez les déments. Combien il serait utile de déterminer les conditions des perturbations physiologiques des sens, et leurs rapports mathématiques avec les hallucinations et des illusions des mêmes sens ! Il convient de s'acharner à l'étude de la sensibilité générale et spéciale de l'aliéné. C'est d'autant plus indiqué qu'il n'est pas rare de rencontrer des hallucinations chez ceux-qui souffrent de lésions classées d'un appareil sensoriel ; ainsi en est-il dans les otites moyennes qui s'accompagnent quelquefois d'hallucinations unilatérales du même côté que l'oreille atteinte.

2° sensibilité d'origine organique

Tous les organes du corps sont reliés au cerveau par le grand sympathique. Le cerveau est donc continuellement renseigné par des vibrations spéciales sur l'activité fonctionnelle des organes, sur leurs besoins, leur état de santé, leur état de maladie. Il est probable que c'est par cette voie que normalement on éprouve un sentiment général synthétique qui s'appelle la conscience que l'on a de vivre, la conscience de son existence, de sa personnalité, de son individualité, sans ressentir le cahot, de choc (Selbstgcfûhl). La vie normalement s'écoule sans secousses, sans que le corps vous en avertisse bruyamment, sans même qu'il paraisse vous en avertir. Un estomac qui fonctionne bien ne fait pas sentir sa fonction; il s'emplit, digère, et se vide, sans malaises ; de même, le cœur se contracte, et la circulation s'effectue sans palpitations. Il n'empêche que le sentiment de la vie fluante, dépourvue d'im-portunités, existe. C'est le sentiment ou la sensation d'origine viscérale, d'origine organique, normal. Qu'une anomalie se produise dans un système organique, ou dans un viscère, les vibrations du grand sympathique seront différentes des vibrations ordinaires, et l'on éprouvera des sensations anormales qui rentreront dans l'histoire des symptômes des maladies du foie, de la respiration, de l'estomac, du cœur, etc.

Pourquoi n'arriverait-il point que, en dehors de toute affection matérielle grossière de l'un des foyers organiques de l'économie, il se produise un trouble moléculaire dans le grand

sympathique, qui, dès lors, transmettant mal ou pas les vibrations normales, ou bien les altérant, fasse croire au patient des choses qui n'existent pas, tout comme le lui font croire les nerfs de la sensibilité générale ou spéciale d'origine externe dont nous venons de nous occuper? C'est ce qui se passe certainement quand les aliénés vous affirment qu'ils se sentent tout changés en eux, qu'il leur semble qu'il n'ont plus de cœur, plus d'âme, plus de bouche, que les aliments ne passent plus, ne leur profite plus, qu'ils sont bouchés, qu'ils sont morts. Les neurasthéniques, les mélancoliques, et surtout les hypochondriaques, certains paralytiques généraux et tabétiques à idées mélancoliques rendent bien compte de ce phénomène qui explique l'origine des illusions cénesthé-tiques(l) (Ko:vo( aicûv)C!ç) dont nous avons antérieurement fait la description. Les assertions précédentes feraient croire que la sensibilité viscérale ne fonctionnerait plus du tout; il y aurait acènesthésie. D'autres malades, profondément atteints, souvent très affaiblis, disent au contraire qu'ils jouissent d'une vigueur et d'une santé parfaites ; vous en avez un frappant exemple dans l'espoir inaltérable de bon nombre de phthisiques arrivés au dernier période de leur affection ; cette euphorie paradoxale s'observe encore chez les paralytiques généraux expansifs, dans l'excitation maniaque ; on peut admettre alors que le sentiment général de la personnalité est exagéré, et qu'il y a hypercènesthésie. Un mécanisme analogue ressortit aux sensations de besoins de l'organisme, en particulier à celle de la faim et de la soif, parfois extrême chez l'agité maniaque, qui rappelle la boulimie, le pica des gastriques, souvent, au contraire, trop diminuée chez le dyspeptique et le mélancolique. Enfin, cette sensibilité viscérale ou cènesthésie, quand elle est pervertie, détermine des sensations étranges qui bientôt feront naître un délire communément répandu du reste chez les peuples dont l'intelligence est peu développée. Nous voulons parier de l'idée que des animaux possèdent l'homme; cette conviction fort en vogue au moyen âge, chez les Japonais, chez les noirs de l'Afrique, existe chez quelques aliénés. Nous faisons de même allusion aux hypochondriaques qui sentent qu'on ronge leur abdomen, aux possédés qui affirment que les démons se sont introduits dans leur corps (démonomanie, démonolalrie), aux femmes qui se disent enceintes de l'œuvre

(1) Voir Echo médical du uord. n° 21. 1897.

des esprits ou des animaux qui se sont infiltrés dans leur économie, dans leur utérus. Et nous voilà ramenés aux illusions déjà mentionnées. Nous avons déjà dit que ces perversions du sens intime viscéral étaient quelquefois liées à des affections organiques, de l'intestin et de l'utérus, par exemple.

Le setis musculaire, lui aussi, est le résultat d'une somme de vibrations se traduisant par un sentiment spécial. Il nous semble être l'adaptation cérébrale d'un groupe d'activités sensibles partant des muscles et allant aux centres où se forment : la notion de poids, de déplacement, de localisation, d'existence des membres du corps ; le jugement et l'interprétation de la gravité des fardeaux, de l'effort correspondant à fournir; le sentiment de l'individualité somatique par les composants articulés. Le sens musculaire est dit exagéré chez l'agité qui, pendant des mois et des années, dépense ses forces sans accuser de fatigue ; diminué, chez le mélancolique vigoureux qui, pendant un laps de temps considérable, demeure immobile, prend des attitudes invraisemblables et les conserve comme s'il était congelé (catatonie), ou dans la catalepsie vraie ; caractérisé par cette [lexibilitas cerea du muscle rigide, capable de conserver presque indéfiniment la situation que le médecin lui impose en le modelant entre ses mains. Les perversions du sens musculaire ne sont pas moins curieuses ; les malades s'imaginent que leurs membres ont grossi en des proportions parfois démesurées, qu'ils pèsent un poids exagéré ; d'autres les croient réduits à la dimension d'allumettes; tels les disent changés en bois, en métal ; de là leur état de stupeur, leur délire intense, simultanément entretenu par de véritables hallucinations.

Le sens de l'équilibre est encore le fruit d'une élaboration nerveuse d'origine organique qui se rattache, comme on sait, à l'expérimentation intra-cérébrale des canaux semi-circulaires, et domine, de même que le sens musculaire, la pathologie nerveuse. Les tabétiques qui perdent leurs membres dans le ïit, parce qu'ils n'ont plus le sens de la localisation des membres (altération du sens musculaire) présentent aussi des troubles de l'équilibre (signe de Rornberg). Au point do vue mental, au sens de l'équilibre confine le sens de l'appréciation du lieu où l'on se trouve, du temps que l'on doit calculer et apprécier, de l'espace que l'on* a à reconnaître pour se guider. Ces notions, qui prennent leur source dans le sentiment de l'individualité et de ses rapports avec le monde extérieur,

servent à l'orientation de la personnalité. Elles s'affaiblissent ou s'anéantissent chez les déments, les stupides, les hallucinés, sont perverties chez les délirants chroniques systématiques-Les questions de dates, d'époques, de lieux n'existent plus ou sont confondues. Nous nous rappelons un dément qui avait dressé un calendrier à son usage, établi d'après les événements vrais ou supposés qui lui étaient arrivés pendant la longue période où il avait déliré activement.

3° sensibilité réflexe

Bien des travaux contemporains ont mis en relief les réflexes chez les névropathes. A ce titre l'aliéniste doit les chercher et en noter l'état pour formuler un diagnostic complet, mais nous ne croyons pas que, pour le moment, ils puissent servir au diagnostic psychopathique pur. Tout le monde les connaît, de même que tout le monde sait ausculter.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 18 Octobre 1897. — Présidence de M. Pau de Sajkt-Mahtin.

La séance est ouverte à 4 h. 50.

Le procès-verbal de la séance précédente est lu par M. Valentin, secrétaire. Il est adopté.

La correspondance manuscrite comprend une lettre de M. Boirac, vice-président, empêché d'assister à la séance, qui remercie les membres do la Société de la sympathie qu'ils lui ont spontanément témoignée dans un deuil récent. Sur la proposition de M. le Sccréiaire général, la Société en corps adresse à M. Boirac l'expression de ses plus vives condoléances.

La correspondance imprimée comprend une brochure de M. le Dr Ar-maignand sur « La ligue préventive contre la tuberculose ».

M. le Dr Bérillon, après avoir constaté la part de plus en plus grande prise par la Société d'hypnologie dans les divers Congrès médicaux en France èt à l'Etranger, présente un malade atteint d'abolition partielle du pouvoir d'inhibition volontaire. Il ajoute quelques observations personnelles sur un cas de a simulation hystérique chez une fillette do 12 ans ».

M. le Dr P. Archambaud rappelle des faits semblables dont il a été le témoin, il y a plusieurs mois, à Valence-on-Brie.

La séance est levée à 6 heures.

Abolition partielle du pouvoir d'inhibition -volontaire

Par M. le D' Edgar Berillon.

La fonction d'inhibition volontaire est une des plus importantes du système nerveux. La volonté d'arrêt, fonction essentiellement psychique, est extrêmement variable selon les individus. Créée par l'éducation et soumise à l'influence du milieu, elle peut rester à l'état rudiraentaire ou acquérir une puissance extrême. Placée sous la dépendance des cellules nerveuses, elle en partage toutes les vicissitudes. Très active dans l'état de santé, la fonction d'inhibition volontaire s'abolit ou s'éteint dans les divers états pathologiques qui intéressent le cerveau. L'abolition de la volonté d'arrêt est extrêmement frappante dans certains psychoses où les malades dépourvus de tout pouvoir inhibiteur cèdent à toutes les impulsions automatiques instinctives.

Mais il est plus rare d'observer des cas dans lesquels l'abolition de l'inhibition volontaire est partielle et limitée a l'influence d'une idée particulière. C'est le cas des malades dont je viens vous entretenir.

Le premier est un homme de soixante ans, mécanicien, doué d'ap-tudes musicales très développées.

II nous fut adressé par notre confrère M. le Ur Delineau. Marié très jeune, il a perdu sa femme il y a un an. Pendant les quarante ans qu'a duré son mariage, sa femme a été malade durant trente-neuf ans. Elle a donné le jour à quatre enfants et n'a pas eu moins de vingt-deux fausses couches. 11 a supporté courageusement les nombreux chagrins domestiques qui l'ont assailli, en particulier, la mort de ses quatre enfants. Mais immédiatement après la mort de sa femme, il présente des crises de larmes d'une extrême violence, qui s'accompagnent d'étouflements et de gêne respiratoire. La crise de désespoir prend de telles proportions qu'il pousse des gémissements qui s'entendent à une assez longue distance. Ces crises se répètent chaqne fois qu'on lui parle de sa femme. Elles surviennent aussi à l'occasion d'un souvenir se rattachant à quelque fuit de l'existence de sa femme. 11 est donc facile de donner à la Société une démonstration de la production de ses crises.

Ce qui est particulièrement intéressant chez ce malade, c'est que l'abolition de son pouvoir d'inhibition est nettement limité & une idée particulière, à un souvenir relatif a une personne déterminée. Pour tous les autres actes de la vie, il est parfaitement maître de lui-même. Il sait très bien résister à tous les entraînements, à toutes les impulsions. Son calme habituel, l'égalité de son caractère excluent l'idée d'hystérie. Si les crises de larmes étaient sous la dépendance de l'hystérie, i! présenterait d'autres manifestations psychiques de la névrose.

Soumis à un traitement psychothérapique rationnel auquel nous avons associé diverses actions psycho-mécaniques tendant à neutra-

liser un des éléments de la crise de larmes, le spasme musculaire, et à reconstituer l'éducation du centre d'arrêt atteint, le malade a guéri.

Nous pensons qu'il serait possible de donner de ce fait l'interprétation suivante: Pendant les premiers jours de son deuil, le sujet avait donné libre cours à sa douleur : il a favorisé d'une façon inconsciente le développement de l'impulsion émotive à laquelle il cède si facilement aujourd'hui. Le centre d'arrêt qui correspondait chez lui à l'inhibition volontaire de fonction lacrymale s'est aboli par suspension prolongée de son râle. 11 est donc indiqué, dans le traitement, de neutraliser l'habitude automatique qui s'était développée par la création d'une habitude d'abord automatique, puis consciente, agissant dans le sens de la résistance à l'impulsion.

Le deuxième cas est celui d'un homme tres estimable, qui fut pendant de longues années, maire d'une ville assez importante. Il perd un fils unique, dont la mort fut pour lui l'objet d'un profond chagrin. 11 en reste inconsolable, et tous les matins, pendant plus de vingt ans, il assiste à une messe pendant laquelle il prie pour son fils. Chaque jour à la même heure, au moment de l'élévation, il est pris d'une crise de sanglots qu'il ne peut réprimer. Chez ce malade, l'abolition du pouvoir d'inhibition volontaire était partielle, car dans tous les actes de la vie il se montrait normal, ayant beaucoup d'empire sur lui-même et ne présentant aucune autre manifestation d'émotivitémorbide.

Dans un troisième cas, dont M. le docteur Sabathé nous a communiqué l'observation, il s'agit d'un chantre d'église dont le fils est mort dans une ville dont le nom se retrouve dans les chants latins. Il s'agit d'une simple consonnance. 8on peu d'instruction ne lui permet pas de saisir d'autre analogie entre le nom de la ville et le mot latin que celle d'une presque similitude. Or, depuis de longues années, chaque fois que le mot en question revient dans son chant, il éclate immédiatement en sanglots dans l'église, ou môme ailleurs à l'occasion. Il lui est absolument impossible de se retenir. Dans ce cas, il s'agit encore d'une abolition partielle de l'Inhibition volontaire, cardans toutes les autres circonstances, même douloureuses, il est capable de retenir ses larmes.

Nous avons recueilli d'autres observations, dans lesquelles l'abolition partielle ne porte pas sur les larmes, mais sur le rire. Nous reviendrons sur ces faits capables de jeter quelque lumière sur le mécanisme intime de l'émotion.

SuggestibLUtè à l'état de veille et dans l'hypnose. Faits cliniques.

Par ie docteur Bocnnoa, de K-ira (Oise).

« La suggcstibilité, dit Bernhoim, est une propriété physiologique du cerveau humain : c'est la tendance du cerveau à réaliser toute idée

acceptée par lui. L'hypnotisme n'est pas un état particulier, c'est la mise en activité de la suggestibilité, avec ou sans sommeil.

« Toute idée introduite dans le cerveau et acceptée est une suggestion. »

Or, la suggestion joue dans les choses de ce monde un rôle plus grand qu'on ne croit généralement; et sans aller jusqu'à dire, avec le philosophe, que a du berceau jusqu'à la tombe, la vie n'est qu'une vaste suggestion », en ce qui nous occupe on peut affirmer qu'elle lient une grande place dans la thérapeutique.

Quoi qu'il en soit, et si tout n'est pas dans la suggestion, comme le prétend avec raison Durand (de Gros) dans son livre sur Le merveilleux scientifique, il faut convenir que son rôle est considérable.

Les observations suivantes tendront à le démontrer.

I. — Affection rhumatismale ancienne, guérie par la suggestion k

l'état de veille.

Jules C. est un Breton de 34 ans, fort gaillard, père d'une nombreuse famille, ouvrier d'une usine de tabletterie, de santé ordinairement robuste, sans tare héréditaire, névropathique ou autre. Il n'est pas alcoolique et n'avait jamais été malade auparavant.

Depuis plus de quatre mois, raconte-t-il, il est traité par deux médecins pour un empoisonnement du sang, avec tremblements, agitation, etc., qui ne lui laissent le repos ni jour, ni nuit. » C'est tout ce qu'on peut tirer de l'histoire de sa maladie.

Il a été six semaines, dit-il, à ne boire que du lait. Quoi qu'il en soit, et finalement, il reste aujourd'hui et après de longs mois avec des douleurs lombo-abdominales, s'irradiant vers les hanches, surtout à gauche, et qui lui rendent impossible la flexion des reins et du tronc. Pas de sensibilité au toucher d'ailleurs, ni de l'épine dorsale, ni des Ïambes, ni du ventre, ni sur le trajet du sciatique, ce qui ne l'empêche pas de croire qu'il a une sciatique incurable, ayant résisté à tous les traitements. Il est désolé de ne pouvoir travailler, ayant une nombreuse famille.

C'est dans ces conditions que, voyant que je n'allais pas le voir, malgré la prière de certains parents et croyant que je ne voulais pas m'oc-cuper de lui, il vient un jour me trouver, fort péniblement soutenu et traîné, en quelque sorte, par les bras de sa femme et de sa sœur. Il vient avec le ferme espoir, la conviction que je puis le guérir si je veux bien m'en occuper.

Quoique très affaibli par la maladie, il a les apparences de la santé. Rien de notable du côté des urines, pas d'albumine. Les fonctions rénales et intestinales s'accomplissent assez bien. L'appétit est médiocre. Il n'y a pas de fièvre, pas de céphalalgie, ni d'envies de vomir. Rien de bien caractérisé. De quoi s'agissait-!! donc en réalité? Sans doute d'une affection rhumatismale, d'origine infectieuse ou non. localisé en dernier lieu sur la région lombo-abdominale et les hanches.

Toujours est-il que, après un traitement fort long, qui l'avait dégoûté des médicaments, (dont il ne voulait plus entendre parler sous aucune forme), il continuait à souffrir, comme nous l'avons dit, et à être agité nuit et jour. Voilà pourquoi il venait avec tant de confiance, espérant que je le guérirais, sans médicaments, comme j'avais guéri une de ses sœurs.

Comptant donc sur un automatisme suffisant, je songeai tout d'abord à utiliser cet état d'esprit pour la suggestion hypnotique, qui me semblait devoir être le plus puissant moyen. Mais i) ne voulait pas être endormi. Je songeai à la suggestion à l'état de veille, et prenant gravement un pinceau que je trempai dans l'eau, j'en badigeonnai les parties malades et j'appliquai par dessus un morceau de papier jaune (sorte de papier bulle), en lui affirmant que cela allait le guérir.

La confiance rayonnait sur son visage, il sortit heureux de mon cabinet, si heureux qu'il pleurait de joie en s'en allant, marchant déjà beaucoup mieux, plus libre et alerte qu'il était venu, ayant moins besoin des bras qui l'avaient amené.

Je dois avouer que n'ayant qu'une demi-confiance dans ce moyen, un peu employé par moi pour me débarrasser de ce malade, j'avais oublié de lui dire de revenir et même de l'aller voir. Il ne revint que huit jours après, presque guéri et disant. « qu'il avait éprouvé une sensation de chaleur particulière qui, chaque jour, lui permettait d'avantage, racontait-il, les mouvements qu'il ne pouvait faire auparavant. »

A cette seconde visite, je lui répétai la même opération et, au bout de quelques jours, il était complètement guéri, ce qui faisait en tout une quinzaine de jours à peine. Mais il travaillait déjà le douzième jour.

La guérison s'est maintenue complète et se maintient après plus d'un an.

II. — Hystéro-neurasthénie ancienne, guérie par la suggestion

à l'état de veille.

Mme D., âgée de 37 ans, mariée à 18 ans, a eu la fièvre muqueuse, puis typhoïde, suivie de grands maux de tête, dans son enfance; a toujours été bien réglée, un peu nerveuse, sans offrir toutefois des stigmates d'hystérie bien caractérisés ; n'a jamais eu d'enfants. Pas de tare héréditaire, névropathique apparente, est malade depuis fort longtemps. Il y a sept ans, à l'âge de 30 ans, à la suite d'une inondation qui avait tout emporté chez eux, elle avait déjà éprouvé une grande émotion, un saisissement qui, trois ou quatre jours après, avait été suivi de tiraillements dans la jambe gauche surtout, partant des doigts du pied, avec douleurs vive montant, dit-elle, jusqu'au cœur, c'est-à-dire au-dessous du sein gauche ; l'estomac était serré, elle ne pouvait plus manger; les aliments ne passant pas, comme elle avait des nausées, elle prit un vomitif.

Huit jours après, il y avait engourdissement du membre, anesthésie

partant du pied, puis douleur dans la région antérieure, le tout montant progressivement jusqu'au genou, puis, de la cuisse, dans le côté gauche du ventre et des reins, jusqu'à la ceinture, sous le sein gauche, avec éruption herpétiforme dans l'aine, etc. Ceci dura pendant six ou sept ans.

Elle n'avait jamais été guérie, lorsque deux ans après, uue nouvelle inondation survient. Elle fut moins malade que la première fois. Seulement, au mois de janvier 1896, il lui vient en outre à la même jambe gauche, une sorte de phlyetène, qui, dit-elle, dégénéra en ulcère (?) dont on eut de la peine à la guérir, etc.

Cette malade vient donc me trouver en octobre 1896, ne pouvant marcher et présentant les symptômes indiqués plus haut de subparalysie, avec engourdissement, demi-anesthésie du membre inférieur gauche, de Thypocondre et du côté gauche des reins, jusqu'à la ceinture et sous le sein. Elle ne peut dormir, elle a des idées noires, etc.

Après avoir fait tous mes efforts pour agir sur son esprit, qui ne semble pas très développé, je lui applique le fameux papier jaune sur les parties les plus malades, tout simplement cette fois, et sans l'avoir fait précéder du badigeonnage d'aqua fontis, lui affirmant gravement et avec assurance que c'est ce papier qui la guérira.

Elle s'en va en marchant déjà mieux et avec une confiance qui parait augmentée. Huit jours après, elle revient marchant beaucoup mieux encore, et enfin une troisième fois, sans bâton et presque guérie. Mais comme elle ne l'est pas tout-à-fait et que nous savons que la suggesti-bilité est singulièrement exallée par l'état hypnotique, pour avoir un effet plus complet, j'essaie de l'endormir : le sommeil n'est qu'apparent.

Actuellement, elle est tout à fait guérie ; et pour consolider cette gué-rison, dont elle est si heureuse, elle continue avec confiance l'application du papier, répétant que tout le monde est étonné de la voir ainsi marcher sans bâton, comme si elle n'avait jamais été malade.

Ce résultat est plutôt dû à la suggestion à l'état de veille, qu'à la suggestion hypnotique, tout en reconnaissant l'influence d'un sommeil môme léger et en apparence insignifiant.

III. — Tumeurs diverses guéries par la suggestion à l'état de veille.

Il y a quelques années, à l'aide des plaques électroïdes du Dr Chaza-rain (cuivre et zinc), j'avais guéri une dame atteinte d'un fibrome utérin assez volumineux ; je lavais guérie, dis-je, d'abord d'hémorrhagies causées par cette tumeur, puis de la tumeur elle-même qui, par l'application continuée des plaques ;la nuit seulement}, avait fini par disparaître en moins de trois mois.

Emerveille du résultat, comme j'en parlais à un de mes amis, ennemi des interventions chirurgicales audacieuses, ¡1 me raconta qu'à l'aide d'un morceau de papier il avait, en moins de deux mois, obtenu le même résultat chez plusieurs femmes atteintes, soit de tumeurs abdo-

minales, soit même de tumeurs du sein, et que, toutes, l'on devait opérer.

Or, comme moi-même j'ai obtenu, dans l'espace de six semaines, la disparition d'une tumeur du sein de la grosseur d'un petit œuf de poule, par l'application d'un morceau de papier, on pourrait se demander si, dans un cas comme dans l'autre, la guérison n'a pas été opérée par la suggestion et l'auto-suggestion, agissant avec les plaques métalliques comme avec le papier, ou pour la suggestion aidant l'action électrique des plaques dans le premier cas et par la suggestion seule dans les autres cas... ?

Ce qui est certain, c'est que dans les cas où le papier seul a été appliqué, ce n'est sans doute pas lui qui a fait la guérison, mais bien le cerveau de l'opérée, de même que ce n'est pas, comme on l'a dit avec raison, l'aliment qui nourrit mais bien l'usage que les organes digestifs en font. Toutefois, ce sont là des exemples où la psychothérapie montre sa puissance.

iv.— Trouble mental, idée obsédante, guérison par la suggestion dans le sommeil hypnotique et à l'état de veille.

Madame B., 42 ans, mariée en secondes noces, a eu trois enfants et de mauvaises couches, suivies de péritonite, etc. C'est une nerveuse et, probablement, une hystérique, bien qu'elle n'en offre pas les stigmates bien accusés ; de mère nerveuse qui, abandonnée par son mari, avec plusieurs enfants, au moment de la ménopause, a dû, parait-il, entrer à l'asile de Charenton pour en sortir bientôt tout à fait guérie puisqu'elle vit encore aujourd'hui, avec la tète bonne, dit sa fille, et capable de la soigner elle-même. Quant à elle, Mme B., elle a eu beaucoup de contrariétés, de peurs et de misères de toutes sortes.

Elle m'arrive donc un jour, pour la première fois, il y a cinq ou six mois environ, dans un grand état d'agitation, les cheveux quelque peu en désordre, les yeux hagards et brillants, d'une expression particulière. Avec volubilité elle me raconte que son mari a commencé par haïr ses enfants, que le fils aîné, influencé par cette haine, s'est battu avec son beau-frère, que son mari, dégoûté d'elle, s'entend avec une autre femme, poussé qu'il y a été par une somnambule, ce qui Ta conduite, elle aussi, à aller voir une somnambule pour la consulter à ce sujet, etc., etc. On a beau la détourner de ses idées, elle répète toujours la même chose. Il s'agit d'une idée caractérisée.

La malade ne se prête qu'avec mauvaise grâce au traitement psychothérapique, et d'ailleurs la mobilité de son regard rend impossible l'hypnotisation. Elle me prie de recourir à un autre traitement. C'est alors que j'instituai le traitement médical approprié. En même temps je m'attachai à agir de mon mieux sur son moral et, pour augmenter cette action, je lui appliquai le fameux papier, avec l'assurance qu'il la guérirait, lui recommandant de le poser tantôt sur l'estomac, tantôt sur la tête. Elle partit satisfaite, beaucoup plus calme et accusant un grand

soulagement. Quelques jours après elle viont me dire qu'elle se trouve mieux : mais si on t'interroge, elle recommence aussitôt le récit interminable des mêmes histoires, toujours obsédée par la même idée, ce dont il faut la détourner à tout prix. Elle avoue que le papier et la pensée de ce que je lui avais dit la calmaient tout de suite, la rendait plus forte contre l'obsession et faisait rentrer les choses dans l'ordre.

Elle revint ainsi plusieurs fois, toujours un peu plus calme. Le mieux se continuait et s'accentuait tout de même, avec la confiance qui augmentait, avec la suggestion qui s'opérait à l'état de veille. Mais si Ton s'avisait de l'interroger sur le passé pour avoir des explications, la tendance à l'idée fixe reparaissait encore, quoique moins accusée.

Car, il ne faut pas oublier qu'ici on a à lutter contre une auto-suggestion tenace et rebelle qui existe presque toujours dans ces cas et qui même constitue, ainsi que ledit tout justement M. de Jong(de la Haye), le fond môme de cette maladie.

Il n'est pas probable, en effet, que les causes des obsessions et des idées fixes soient des altérations anatomiques, pathologiques du cerveau. Elles dépendent plus d'une influence psychique, elles sont des auto -suggestions.

D'après MM. Pitres et Régis (de Bordeaux), l'obsession peut être considérée comme un état ou syndrome morbide intermédiaire entre la névropathie et la vésanie et dans lequel on peut reconnaître une forme constitutionnelle ou degenerativo et une forme accidentelle et non degenerativo avec variétés neurasthénique et hystérique.

« Ce n'est, dit M. Tokarsky (de Moscou) que dans les maladies qui se caractérisent par l'excitation générale du système nerveux et du cerveau en particulier, produisant des symptômes comme des obsessions, des idées fausses, hallucinations, illusions, etc., qu'on peut obtenir des résultats favorables par l'application de l'hypnotisme... »

On peut en obtenir encore dans d'autres cas ; mais, c'est parce que j'étais pénétré de toutes ces raisons et bien persuadé que lasuggeslibilitè est exaltée par l'hypnose, que je ne tardai pas y revenir et à la tenter de nouveau, malgré l'insuccès du début. Bien m'en prit, car le vendredi 2 juillet, ayant essayé tout doucement et un peu contre son gré, je réussis cette fois à l'endormir d'un sommeil peu protond, il est vrai, mais suffisant dans bien des cas.

Je lui fis íes suggestions appropriées à la situation, lui affirmant que ce qu'avait fait la somnambule n'avait pas de valeur ; et comme elle ne peut ou ne veut admettre l'oubli complet de ces choses, je lui dis que si, par hasard, elle y pense encore, c'est pour s'en moquer, attendu qu'elle est la plus forte, qu'elle sait bien que ce sont des mensonges, etc. Le mardi suivant 0 juillet, nouvelle séance avec sommeil un peu plus profond. Elle est plus tranquille et plus confiante ; elle espère la guerison complète, elle dil qu'elle est la plus forte, qu'elle se moque pus mal de tout cela, etc. Mais il faut éviter de la questionner, de la remettre sur le récit ou les détails de son histoire, il faut éviter de lui en parler à

l'état de veille, sans quoi, elle ne tarde pas à s'animer, â se perdre en divagations toujours les mêmes. Pour ne pas perdre le terrain gagné, il faut s'attacher à faire l'oubli.

Elle revient le vendredi suivant 9 juillet, se trouvant beaucoup mieux, et après cinq ou six séances encore, le mieux augmentant chaque fois, elle a l'air d'être guérie, elle en est convaincue et ne sait comment me témoigner sa reconnaissance ; mais je me propose de continuer encore un peu mon action pour assurer tout à fait le résultat, craignant toujours qu'il ne soit pas définitif.

Mes craintes, en effet, n'étaient que trop fondées, puis qu'un jour, à quelque temps de là, elle arrivait fort agitée, avec son mari et son fils qui ne la quittaient pas depuis quelques jours. Elle veut un certificat, qu'elle me dicte en constatant « qu'elle n'est pas une femme vendue, qu'elle n'est responsable d'aucune faute, qu'elle n'a servi de maîtresse à personne, qu'elle n'a donné aucune des choses qu'elle pouvait posséder, rien de ses propriétés, qu'elle a bien laissé tout à ses enfants, qu'elle a été guérie par la suggestion... »

L.'idée fixe, l'obsession reparaissait, avec conceptions plus ou moins délirantes.

Je dus m'exécuter parce qu'il ne fallait pas la contrarier. Elle parlait d'un ton menaçant et serait devenue facilement furieuse. Le certificat eut le don de la calmer.

Depuis lors, je ne l'ai revue que deux fois pour lui répéter mes suggestions, et tout est rentré dans l'ordre. Est-elle guérie ? Elle en a du moins toutes les apparences, mais est-ce bien la réalité? Il faut l'espérer, mais peut-être serait-il téméraire d'en répondre. II y a depuis ce temps environ deux mois d'écoulés, ce qui fait espérer un résultat sérieux et définitif. Toutefois convient-il de la tenir encore en observation, ce qui sera fait. Ce qui rendait ici la tâche plus difficile et insuffisante, la suggestion à l'état de veille, c'est l'auto-suggestion pour ainsi dire invétérée et permanente ou toujours renaissante, auto-suggestion qu'il fallait détruire chez la malade.

De ces faits, il faut conclure au rôle puissant de la suggestion en général, à l'état de veille comme dans l'hypnose, suggestion s'exerçant quelquefois même à notre insu?

Mais ce que ne fait pas la suggestion à l'état de veille, la suggestion dans le sommeil hypnotique, elle, le réalise sûrement et dans des conditions qui sembleraient quelquefois impossibles.

Aussi, faudrait-il toujours la tenter, dans les cas difficiles, rebelles aux autres moyens et, en apparence, désespérés ; il faudrait n'en jamais négliger l'application, tant sont efficaces les services qui peuvent être rendus par ce moyen, non pas seulement dans le domaine des maladies nerveuses et mentales, mais dans celui de la rnédecine en général.

Séance du 15 Novembre 1897. — Présidence de M. Dumontpallier.

La séance est ouverte à 4 h. 40.

Le procès-verbal de )a précédente séance est lu par M.Valentin, secrétaire. Il est adopté.

La correspondance manuscrite comprend une lettre de M. le Dr Iîianchi, adressant le montant de ses cotisations ; des lettres de MM. les D" Cotte et Bourdon (de Méru), s'excusant de ne pas assister à la séance ; une lettre de candidature de M. Stembo (de Vilna). Cette candidature est mise aux voix ; elle est acceptée à l'unanimité.

M. Dumontpallier prononce l'éloge funèbre du D* Luys, décédé pendant les vacances, et adresse, en son nom et au nom de la Société toute entière, un respectueux hommage à sa mémoire.

M. Paul Hartenderg lit une communication sous le titre : « l'hypnotisme n'existe pas «.dans laquelle il donne une interprétation personnelle de la thèse soutenue au récent Congrès de Moscou par M. le professeur Bernheim. Cette communication amène un échange de vues sur la valeur expérimentale et thérapeutique de l'hypnotisme entre MM. Dumontpallier, Voisin, Boirac, Dérillon, Archambaud, Colas, Ilartenberg et Valentin.

La question de l'utilité pratique du sommeil provoqué est mise à l'ordre du jour de la Société. La séance est levée à 6 h. 1/2.

Eloge du Dr J. Luys.

Par M. Dumontpallier, membre de l'Académie de Médecine.

Messieurs,

Je viens, aujourd'hui, rendre hommage à la mémoire de notre collègue, le Dr Luys, qui a succombé subitement à Divonne pendant les vacances de notre Société.

Luys, ancien interne lauréat des hôpitaux, lauréat de l'Académie de médecine, de la Faculté de médecine et de l'Académie des sciences, médecin des hôpitaux et membre de l'Académie de médecine, avait consacré plus de quarante années de sa vie à l'étude de l'anatomie, de la physiologie et de la pathologie du système nerveux.

Il avait débuté en affirmant la part qui revient à l'usage du miscros-cope dans les travaux de la médecine clinique.

C'est à lui que nous devons la première description microscopique des lésions do la moelle épinièro dans la maladie de Duchenne. Les enseignements de la Salpùtrièrc ont confirmé les découvertes de notre regretté collègue.

Deux fois il prit part au concours de l'agrégation ; dans la première

de ses thèses il établi que l'ancienne doctrine de la fièvre puerpérale devait être remplacée par l'interprétation anatomo-pathologique de l'infection purulente en tout identique chez les accouchées aux accidents purulents ou putrides qui s'observent dans les cas de traumatisme.

Plus tard, il fut le premier à consigner les altérations microscopiques du quatrième ventricule du cerveau dans le diabète sucré et le diabète insipide.

En 1865, il obtenait, sur un rapport du professeur Longct, un prix à l'Académie des sciences pour ses recherches sur le système nerveux cérébro-spinal, dont-il décrivit la structure, les fonctions et les maladies.

Bientôt cette œuvre importante était suivie de la publication de son Iconographie photographique des centres nerveux a Vétat pathologique.

. Directeur de la maison d'Ivry, il se montra, comme administrateur et comme médecin, le digne successeur d'Esquirol, deMoreau de Tours et de Baillarger ; et c'est dans cet asile qu'il put recueillir les observations qui lui permirent de rédiger son livre des maladies mentales.

Je ne saurais oublier de rappeler que Luys fut un des membres de la Commission qui fut chargée par Claude Bernard, à la Société de biologie, d'étudier expérimentalement les phénomènes physiologiques et thérapeutiques du Burquisme.

Il est juste de faire remarquer que ce fut à partir de cette époque, 1877 et 1878, que commençaient à la Salpétrière et à l'hôpital de la Pitié les éludes sur l'action des métaux et des aimants dans l'hystérie.

Ce fut aussi h la suite des rapports de la Commission de la Société de Biologie que l'on inaugura les recherches sur l'hypnotisme, et personne de nous n'ignore que dans les dernières années de sa vie, à l'hôpital de la Charité, le D' Luys fit de nombreuses et retentissantes expériences sur des sujets en état d'hypnose.

Quelques-unes de ses recherches et de ses publications sur le sujet furent jugées avec une critique trop sévère. II est une bienveillance discrète dont on ne devrait jamais se départir quand il s'agit de juger les actes et les théories d'un savant, qui put se tromper, mais qui resta toujours très consciencieux.

Quant à nous, nous gardons un souvenir respectueux pour l'homme dont la vie entière fut consacrée à l'étude de la médecine, et qui fut un des premiers par ses recherches, son enseignement et ses publications, à encourager les travaux de la Société d'hypnologic et de psychologie.

J'ai suivi le D' Luys dans sa carrière de médecin des hôpitaux pendant de longues années, et c'était pour moi un devoir de rendre à sa mémoire la justice que lui méritent la valeur de ses travaux scientifiques et l'aménité de son caractère.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-patlicr, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 17 Janvier, 21 Février et 21 Mars 1898, à 4 heures et demie.

Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.

Adresser les communications ù M. le D' lîérillon, secrétaire général, 14, rucTaitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussicu.

Conférence sur l'hypnotisme de l'Association française pour l'avancement des Sciences.

Cette année, l'Association française pour l'avancement des Sciences a mis l'hypnotisme et la suggestion au nombre des sujets qui seront Irailés dans les Conférences de cet hiver. M. le D'lîérillon a été désigné pour faire cette Conférence. Il retracera les grandes étapes d'une scionce arrivée actuellement à la période véritablement scientifique de son histoire. La décision de l'Association française donnant à l'hypnotisme une place dans son programme, est instructive à plus d'un titre. Elle indique nettement que les efforts réalisés par les Maîtres des diverses écoles ont porte leurs fruits et que les préventions qui avaient longtemps relardé l'acceptation de l'hypnotisme comme moyen d'investigation psychologique et comme agent thérapeutique sont aujourd'hui dissipées.

La Conférence aura lieu au siège social, Palais des Sociétés Savantes, le jeudi 20 Janvier, à 8 h. 1/2 du soir. Les cartes d'entrée sont délivrées au Secrétariat de l'Association.

Un nouveau remède contre l'insomnie.

Le Dr Learned ayant perdu le sommeil à la suite d'une chute de voiture, avait vainement essayé tous les moyens usités et préconisés en pareil cas, somnifères variés, eau froide et eau chaude à l'intérieur et à l'extérieur, frictions, sur et sous-alimentation, exercices gymnas-tiques, inspirations profondes, etc.

De guerre lasse, il eut recours à la méthode suivante, un peu compliquée, mais qui a du moins un mérite, c'est d'avoir réussi à son auteur.

Le principe de cette méthode est de fatiguer le système musculaire par une série d'exercices accomplis dans le lit même.

Le patient s'étend d'abord tout de son long en se raidissant de la tête aux: pieds. Il'soulève alors un peu la tète d'un demi-pouce, et respire lentement et profondément, en faisant environ 8 inspirations par minute, el il les compte.

Au bout d'une vingtaine d'inspirations, la tête qui commence à s'alourdir est reposée sur le lit. Le patient, tout en continuant à se raidir en long et àt compter ses inspirations, lève le pied droit, puis le laisse retomber quand il est fatigué. Même manœuvre pour le pied gauche.

On laisse alors reposer les muscles qui font effort pour raidir le corps el on le soulève tout entier de manière qu'il ne prenne appui que sur la tète et sur les talons.

Puis on se retourne sur le côté droit, et on reprend toute la série des exercices précédents. On recommence ensuite sur le côté gauche.

Il y a ainsi huit positions successives à prendre pendant lesquelles on ne cesse de faire manœuvrer ses muscles. Et l'auteur ajoute : « Si, le cycle achevé, le sommeil n'est pas venu, tout est à recommencer autan1 de fois qu'il est nécessaire. »

La durée du sommeil.

Pour vivre longtemps, faut-il dormir peu ? faut-il dormir beaucoup ? Il faut dormir le temps nécessaire, répond M. James Sawyer, qui a développé cette question dans une conférence faite à Birmingham sur la longévité.

Encore convient-il do savoir ce qu'il faut entendre par le a temps nécessaire ». Un tiers des vingt-quatre heures, nous dit M. Sawyer; réponse qui satisfera sans doute les partisans des trois-huit.

Si cette dose de sommeil est nécessaire à la moyenne de l'espèce humaine, il faut reconnaître que beaucoup de grands travailleurs n'en ont pas eu besoin pour atteindre un âge avancé.

Et M. Sawyer cite l'exemple du Dr Legge, professeur de chimie â Oxford, qui vécut jusqu'à l'âge de 82 ans et qui se levait cependant régulièrement à 3 heures du matin, ne s'accordant que 5 heures de sommeil. Brunei, le célèbre ingénieur, pendant une grande partie de sa vie, travaillait près de 20 heures par jour. Vers la fin de la nuit, il sommeillait trois ou quatre heures dans un fauteuil, et se trouvai1 ensuite frais et dispos pour le travail de la journée.

Dans un des derniers numéros de Cosmopolis, le professeur Max Muller rapporte une conversation qu'il eut avec Alex, de llumboldt sur cette question du sommeil. — Quand j'ai commencé à vieillir, dit llumboldt, j'ai eu besoin de plus de sommeil, quatre heures au moins. Mais dans ma jeunesse deux heures me suffisaient.

C'est une erreur, ajoutait-il, erreur très répandue, que nous avions

besoin de 7 ou 8 heures de sommeil. A votre âge, je me jetais simplement sur un canapé, je baissais ma lampe et, après deux heures de sommeil, je me trouvais aussi dispos qu'auparavant. Et Humboldt mourut à l'âge de 89 ans.

Littré a commencé son dictionnaire à 40 ans ; il en avait 72 quand l'ouvrage fut terminé. Or, pendant ces 32 ans, il travaillait régulièrement et quotidiennement jusqu'à 3 heures du matin et ne dormait que 5 heures. Il est mort à près de 80 ans.

Cela ne veut pas dire que, pour vivre longtemps, il faut dormir le moins possible; mais cela prouve au moins que peu de sommeil et longue vie ne sont pas choses toujours incompatibles. Cela tendrait également à prouver qu'il faut tenir compte non seulement de la quantité, mais de la qualité du sommeil.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont Heu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours ù l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM.WoIf, Paul Farez, Faure, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.

Pendant le semestre d'iiiver 1897-1898, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" DumontpalUer, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Henri Lcmesle, Paul Farcz, G. Raynaud, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspon-

dant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise â la disposition des étudiants inscrits.

Chaque année, un certain nombre d'étudiants trouvent d'importantes contributions à leur thèse de doctorat dans les travaux de l'Institut psycho-physiologique.

Avis. — Cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie. — M. le D" Bérillon a commencé un cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts, le jeudi 28 octobre, à dix heures et demie. Il le continue tous les jeudis, à la même heure. Plusieurs conférences sont consacrées à l'étude pratique dos applications de la suggestion hypnotique à la pédagogie et à l'éducation des dégénérés héréditaires.

COURS ET CONFÉRENCES DU SEMESTRE D'HIVER 1897-98 à. l'Institut psycho-physiologique

49, rue Saint-Andrè-des-Arts, 49

conférences

Jeudi 13 Janvier, à cinq heures, M. le D- Bérillon, inspecteur adjoint «les asiles publics d'aliénés, fera une conférence sur : Le grand hypnotisme et l'Ecole de Paris (Ch. Richet, Charcot, Mesnet, Luys et Dumontpallier.) Cette conférence sera accompagnée de projections à la lumière oxy-drlque.

Jeudi 20 Janvier, à cinq heures, M. le dr Dumontpallier, membre de l'Académie de médecine, fera une conférence sur ; Comment j'ai été conduit à l'étude de l'hypnotisme. — La métallothérapie et les expériences de la Pitié. {Cette conférence sera accompagnée de projections à la lumière oxydrique.)

Jeudi 27 Janvier, â cinq heures, M. le Dr Tison, docteur ès sciences, fera une conférence sur : La physiologie du neurone. — Applications des travaux de Branly à l'étude de la conductibilité nerveuse.

Jeudi 3 Février, à cinq heures, M. le D' Bérillon fera une conférence sur : La pédagogie suggestive et l'orthopédie mentale. (Cette conférence sera accompagnée de démonstrations expérimentales.)

Jeudi 10 Février, a cinq heures, M. !e D' Paul Farcz, licencié en philosophie, fera une conférence sur : L'hypnotisme considéré comme procédé d'expérimentation en psychologie.

Jeudi 17 Février, à cinq heures, M. Jules Bois fera une conférence sur: De la suggestion dans les grimoires et dans les documents relatifs à l'ancienne magie (évocations, incantations, philtres, charmes et envoûtements.)

Jeudi 24 Février, à cinq heures, M. Eugène Caustier, professeur agrégé de l'Université, fera une conférence sur : Psychologie comparée ^'évolution sexuelle et les combats des animaux pour la suprématie. (Cette conférence sera accompagnée de projections à la lumière oxydrique.)

Jeudi 3 Mars, à cinq heures, M. le D' Max Nordau fera une conférence sur : La paralysie générale : signes précoces et formes frustes de la paralysie générale.

Jeudi 10 Mars, à cinq heures, M. !e Dr Bérillon fera une conférence sur : La psychologie de la vision it l'évolution de la fonction visuelle. (Cette conférence sera accompagnée de démonstrations des Rayons de Rœntgen, par le Dr Dagincourt.)

Jeudi 17 Mahs, à cinq heures, M. le Df Henry Lcmcsle, avocat à la Cour d'appel, fera une conférence sur : Les aliénés criminels.

La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.

Faculté de Médecine. — Cliniques des maladies nerveuses: M. le professeur Raymond, les mardis et vendredis, à 9 h. 1/2 (Salpétrière).

Clinique des maladies mentales : M. le professeur Joffroy, les mercredis et samedis, à 9 h. 1/2 (Asile Ste-Anne).

Hôpitaux — Salpétrière: M. le Dr Déjerine : consultations les mercredis à 9 heures.

— M. le Dr Bérillon a fait le vendredi 10 décembre, dans le service de M. le Dr Albert Robin, à la Pitié, une conférence sur les applications thérapeutiques de l'hypnotisme.

Conférences. — M. le Dr Bérillon fera, dans la salle de la Médecine moderne, 100. boulevard Saint-Germain, le mardi 11 janvier, à 9 heures du soir, une conférence sur : l'hypnotisme et Vorthopèdie mentale. (Cette conférence sera accompagnée de démonstrations expérimentales).

— M. le Dr Bérillon fera, le jeudi 20 janvier, à 8 h. 1 /2 du soir, à l'Association Française pour l'avancement des Sciences, 28, rue Serpente, une conférence sur l'Hypnotisme et la suggestion (avec projections).

Prix. — Dans la liste de prix de l'Académie de médecine, nous relevons les récompenses suivantes :

Prix Herpin : M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière, pour son livre sur l'Epilepsie 'y — Prixltard: MM. les D" Grasset, professeur à la Faculté de Montpellier, et Raugier.

Nous adressons à nos collaborateurs nos vives félicitations.

— Nous sommes heureux d'apprendre que notre collaborateur, M. le Dr Rafîegeau, directeur de l'établissementhydrothéraphique du Vésinet, a obtenu une médaille d'argent à l'Exposition universelle de Bruxelles, section d'hygiène.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Abricossof. — Uhystêrie aux il" et ifi* stèctes (étude historique et bibliographique). Steinhel, in-8, 144 pages. Paris, 1897.

Gasc Desfossés. — Magnétisme vital. Expériences récentes d'enregistrement, suivies d'induction scientifiques et philosophiques, avec une préface par M. le professeur Boirac. Société d'éditions scientifiques, in-12, 335 pages. Paris, 1897.

Rodolphe Muller. — Nalurwissenscheftliche seelenforschung. Ar-wed Strauch, Leipsig, 1G8 pages, 1897.

Marage. — Etude des cornets acoustiques par la photographie des flammes de Kœnig. Masson, Paris, 25 pages, 1897 (avec 10 planches).

Max Nordau.— Psycho-physiologie du génie et du latent. 1G9 pages, in-12, Alcan. Paris, 1897.

Maurice de Fleury. — Introduction à la médecine de l'esprit. in-8°, 476 pages, Alcan. Paris, 1897.

Paul Sollier. — Genèse et nature de l'hystérie, 2 vol. in-8°. Alcan. Paris, 1897.

0. Amoedo. — Traitement immédiat des dents mortes. Brochure in-4° de 7 p. Majesté et Bouchardau, 2, rue Gutenberg. Châteauroux. 1897.

* G. Picot. — Jutes Simon. Notice historique. Brochure in-8, 108 p. Paris, 1897.

Cesare .Lombroso. — Les vinarc/iistes. Un vol., broch. in-8, 258 p. Paris. (Traduit par MM. Marie et llamon.)

Milne-Bramwell. — On the evolution of hypnotic theory. Un vol. broch. in-4% b68 p. Londres, i89G.

E. Duiiief. — VAbbè de VEpèe et l'Education des sourds-muets. 1 petit vol. in-12 broch., 74 p. Paris.

Dr 0. G. Wetterstrand. — Hypnotismus and Us application to praticai medicine. Un vol. in-4°, 160 p. Putnam's sons. Londres, 1897.

Dr* Ch. Barbaud et Ch. Lefèvre. — La puòerfé chez la femme. Un vol. in-8, 282 p. Prix : 4 fr. A. Maloine. Paris, 1897.

Dr P. Garxaült. — Le traitement chirurgical de la surdité et des bourdonnements. 1 broch. in-8, 44 p. A. Maloine. Paris 1897.

DrP.-A. Desjardins de Régla. — La dosimetrie. Broch. in-8. Paris.

A. Binet. — L'année psychologique. Un vol. in-8. Paris, 1897.

Rodolf MuLLEn. — Hypnotismus und objective Seelenforschung. I broch. in-8. Arwed Strauch. Leipzig.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT y 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbcrt, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPERIMENTAL ET THERAPEUTIQUE

12° année. — N° 7. Janvier 1898.

DE L'EXTÉRIORISATION DE LA SENSIBILITÉ.

Par M. le Dr Paul Joire (de Lille).

Il y a une quinzaine d'années, lorsque je faisais mes premières expériences d'hypnotisme, j'avais observé à plusieurs reprises un phénomène étrange et nouveau, qui m'avait d'autant plus frappé qu'il n'avait, jusqu'alors, jamais été signalé par aucun des auteurs qui commençaient à cette époque à étudier scientifiquement les différents phénomènes de l'hypnose. Dans un traité d'hypnologie que j'ai publié en 1892, voici comment j'ai signalé ce phénomène dans le chapitre consacré au sommeil hypnotique.

« Je dois décrire ici un phénomène qui n'est guère signalé par les auteurs. Ce phénomène peut cependant avoir une certaine importance dans la pratique de l'hypnotisme. On le dévoile au moyen d'une pointe, métallique de préférence, comme une branche de ciseaux ou de compas; tout autre objet légèrement pointu comme un crayon, un morceau de bois ou de baleine taillé en pointe donnent aussi des résultats analogues, quoique un peu moins accusés.

« Dans ces conditions, le phénomène se produit, même à l'état de veille somnambulique, chez un certain nombre de sujets, et se révèle avec une intensité beaucoup plus grande dans le sommeil hypnotique.

« Si, en tenant un de ses instruments entre les doigts, à la manière d'une plume à écrire, on en dirige la pointe entre les deux yeux de la personne que Ton soumet à l'expérience, celle-ci perçoit exactement, dans le point visé par l'instrument, une sensation de fourmillement et de pesanteur bien accusée. Quand on a obtenu cette première sensation en laissant, pendant quelques secondes, l'instrument immobile à une petite distance

de la surface cutanée, on peut, en le maintenant toujours à la même distance et le promenant lentement dans diverses directions, le présenter successivement en regard des différents points du visage et même des différentes parties du corps chez les personnes les plus sensibles. Le sujet, à qui on aura fermé les yeux depuis le commencement de l'expérience, pourra suivre exactement tout le trajet parcouru par la pointe, et à tous les instants, préciser exactement le point en regard duquel on aura arrêté l'instrument.

« La distance à laquelle cette sensation peut être perçue, de même que l'étendue de la surface sensible, varie essentiellement avec la sensibilité nerveuse de la personne en expérience ; et c'est même là un bon moyen pour reconnaître rapidement à quel degré une personne serahypnotisable. J'avais trouvé que la distance sensible varie en moyenne de un à dix centimètres; de sorte que chez la plupart des personnes facilement hypno-tisables on pouvait obtenir ce résultat en présentant la pointe à environ un centimètre de la peau.

« Je trouvai que cette sensibilité spéciale se développe et s'accroît parallèlement à la sensibilité hypnotique et comme elle par l'entraînement. »

Ce phénomène, que je désignai sommairement à cette époque sous le nom de sensibilité à distance, a été dans ces dernières années bien étudié et décrit par M. Rochas sous le nom d'extériorisation de la sensibilité ; dénomination qui lui convient beaucoup mieux.

« Dès qu'on magnétise un sujet, dit le colonel Albert de Rochas, la sensibilité disparait chez celui-ci à la surface de la peau. C'est là un fait établi depuis longtemps ; mais ce qu'on ignorait, c'est que cette sensibilité s'extériorise; il se forme, dès l'état de rapport, autour de son corps une couche sensible séparée de la peau par quelques centimètres. Si le magnétiseur ou une personne quelconque pince, pique ou caresse la peau du sujet, celui-ci ne sent rien ; mais si le magnétiseur fait les mêmes opérations sur la couche sensible, le sujet éprouve les sensations correspondantes. De plus, on constate qu'à mesure que l'hypnose s'approfondit, il se forme une série de couches analogues, à peu près equidistantes, dont la sensibilité décroit proportionnellement à leur éloignement du corps. »

En résumé, comme on le voit, ce phénomène d'extériorisation de la sensibilité consiste en ceci, que, en même temps que

l'anesthésie se produit par suite de l'état hypnotique, la sensibilité, qui a disparu de la surface de la peau, ne se perd pas, mais se trouve reportée à l'extérieur du sujet.

Ce phénomène serait déjà assez remarquable tel que nous venons de l'énoncer, mais il est rendu bien plus frappant encore et bien plus extraordinaire dans les expériences plus précises dont nous allons parler. Dans ces expériences, la sensibilité du sujet ne reste plus vaguement distribuée dans une couche d'air, plus ou moins rapprochée de la surface cutanée du sujet, mais on peut la diriger à volonté et la fixer dans des objets divers. L'on pourra ainsi, en faisant varier la nature, la forme et la position de ces objets, ou en les éloignant du sujet, produire des expériences beaucoup plus concluantes et qui pourront défier toutes ces objections. Ici donc, nous allons voir un corps bien défini, absolument distinct et indépendant du corps du sujet, se charger de sa sensibilité, de telle sorte que le sujet ressentira d'une façon très nette et distincte toutes les choses qui impressionneront ce corps, absolument comme si ces impressions étaient directement parties au contact de son propre corps à l'état normal.

Le sujet qui a bien voulu se prêter à ses expériences, est un sujet très hypnotisable. La première fois que je l'hypnotise j'obtiens d'emblée l'état léthargique, puis, par les procédés habituels, il m'est facile de le faire passer en catalepsie et, dans cette phase de l'hypnose, j'obtiens la fascination, ce qui indique une suggestionnailité très grande. De la catalepsie je le ramène rapidement à la léthargie pour le faire passer ensuite en somnambulisme. Mon sujet arrive très rapidement au somnambulisme du troisième degré, état dans lequel il est insensible à toutes les excitations venues du dehors, mais il est en communication directe avec moi, il m'entend et me répondra si je lui en donne l'ordre. Il est essentiellement suggestionnable, il exécute inconsciemment, involontairement, les suggestions que je lui fais ; il exécutera de même les suggestions posthypnotiques, en un mot, sa personnalité a complètement disparu ; enfin il sera amnésique à son réveil.

Tel étant l'état du sujet, je constate d'abord son insensibilité absolue en piquant vivement la peau en divers points du corps avec une épingle, je constate qu'il y a partout anesthésie complète. Je place alors un verre rempli d'eau entre les mains du sujet, tandis qu'une personne, placée derrière, lui tient les

mains hermétiquement appliquées sur ses yeux. Je pique alors avec une épingle la surface de l'eau contenue dans le verre et aussitôt mon sujet, par l'expression de sa physionomie et par un mouvement involontaire, témoigne qu'il ressent une douleur. Je lui demande alors ce qu'il éprouve et il me répond : « Vous me piquez à la main gaucho. » J'appuie alors la pointe de mon épingle sur la paroi extérieure du verre, no touchant pas Peau, le sujet n'exprime aucune sensation ; j'enfonce de nouveau mon épingle dans l'eau sans toucher le verre en aucune façon ; aussitôt le sujet me répète : « Vous me piquez la main gauche. » L'expérience est répétée à plusieurs reprises; chaque fois que je pique le verre, le sujet ne sent rien ; quand au contraire je pique l'eau qu'il contient, il ressent instantanément la piqûre et finit par me dire avec une certaine impatience: « Vous me faites mal, vous me piquez. »

Je ferai simplement remarquer, au sujet de cette expérience, que, lorsque je pique le verre, j'appuie mon épingle assez fort sur ses parois, le sujet peut donc ressentir dans les mains un certain ébranlement, une sensation de contact; s'il y avait là une auto-suggestion, elle se révélerait certainement à ce moment, et pourtant il ne sent rien. Quand je pique la surface de l'eau, au contraire, j'ai soin de ne pas toucher avec les doigts la paroi du verre ; aucun ébranlement mécanique ne peut lui être transmis, c'est alors qu'il ressent nettement la piqûre.

J'ajouterai encore que, la première fois que j'ai fait cette expérience avec ce sujet, je n'avais prévenu ni le sujet ni les assistants do ce que j'allais faire, et cela pour une bonne raison, c'est que je ne lo savais pas moi-même. L'idée de tenter l'extériorisation de la sensibilité ne m'était venue que lorsque j'avais vu le sujet arriver si facilement au plus haut degré de somnambulisme, et je l'avais mise à exécution sans rien dire.

Dans une expérience, après avoir placé le sujet dans le même état de somnambulisme et lui avoir d'abord, comme précédemment, mis entre les mains le verre d'eau dans lequel j'avais extériorisé sa sensibilité, je pris moi-même le verre et le tins moi-même devant le sujet à une petite distance, mais sans qu'il y ait aucun contact avec lui : il ressentit de même la piqûre, mais il me sembla que l'impression était un peu moins forte. Le verre d'eau placé ensuite sur une table devant le sujet, les résultats furent identiques.

Dans cette même séance, je fis une nouvelle expérience: au lieu de piquer la surface de l'eau avec une épingle, j'enfonçai

légèrement dans l'eau l'extrémité du pouce et de l'index et, les doigts ainsi placés, je les serrai vivement l'un contre l'autre. Le sujet témoigna comme précédemment qu'il ressentait une douleur, mais avec cette différence que, interrogé sur ce qu'il éprouvait, il répondit aussitôt : Vous me pincez, et non pas : Vous me piques, comme les autres fois.

A plusieurs reprises, je piquai et je pinçai l'eau alternativement ; il n'arriva pas une seule fois au sujet de se tromper ; il disait : « Vous me piquez, « chaque fois que j'enfonçai l'épingle dans l'eau, et € Vous me pincez, » chaque fois que je pinçai l'eau avec les doigts.

J'ai voulu essayer de charger différentes substances autres que Peau de la sensibilité du sujet en expérience. J'ai pris d'abord une petite plaque de verre que j'ai recouverte de velours. Le sujet étant mis comme précédemment en état de somnambulisme et anesthêsié, la plaque préparée fut placée entre ses mains ; il ressentit aussi nettement les piqûres qui étaient faites à l'étoffe qui recouvrait la plaque de verre.

Le carton ne m'a pas donné de résultats bien appréciables. Dans les circonstances du moins où je l'ai expérimenté, il ne m'a pas semblé se charger facilement de la sensibilité du sujet.

Le bois s'est montré plus favorable à cette expérience. Des planchettes mises pendant quelques instants au contact du corps du sujet se sont chargées de la sensibilité, de telle façon que, même après qu'elles avaient été éloignées de lui, il ressentait les piqûres qui étaient faites dans le bois.

J'ai expérimenté aussi avec une boule de mastic à laquelle j'ai donné vaguement la forme du sujet en la fixant sur une plaque de verre. J'ai sensibilisé le mastic en l'approchant du corps du sujet auquel je faisais tenir la plaque de verre entre les mains. Après quelques instants, tenant moi-même la plaque de verre à une petite distance du sujet, celui-ci ressentait, soit dans la tête, soit dans le corps, soit dans les membres, les piqûres qui étaient faites dans les fragments de mastic représentant ces différentes parties du corps. Ayant ensuite coupé quelques cheveux du sujet pendant son sommeil, et les ayant implantés dans la portion de mastic représentant sa tête, il se plaignait vivement lorsqu'on les tirait, disant qu'on lui arrachait les cheveux.

Pour me rendre compte de la manière dont la sensation arrivait au sujet, et de la rapidité avec laquelle elle était perçue, j'instituai l'expérience suivante :

Le sujet rais en somnambulisme, le verre d'eau fut placé entre ses mains et chargé de sa sensibilité, comme dans les premières expériences. Je constatai alors qu'il éprouvait instantanément la sensation de piqûre lorsque je plongeais l'épingle dans l'eau. Un de mes aides, dans ces expériences délicates, M. Leuliette, tenait attentivement les yeux fixés sur un chronomètre, tandis que deux autres aides lui signalaient l'instant précis où je piquais la surface de l'eau avec l'épingle, et celui où la physionomie du sujet exprimait la sensation de douleur. Aucun temps appréciable ne peut être relevé entre ces deux actions. Je fis alors prendre le verre d'eau par un aide qui le tenait de la main gauche et qui de la main droite tenait la main gauche du sujet. On peut alors constater qu'il s'écoulait une fraction de seconde entre le moment où je piquai l'eau avec l'épingle et l'instant où la physionomie du sujet exprima la sensation. Faisant alors une chaîne de deux, trois personnes, se tenant par la main entre le verre d'eau et le sujet, je constatai un retard progressif de la sensation. En employant cinq personnes j'obtins un retard de près de deux secondes entre le moment où l'épingle touchait la surface de l'eau et l'instant où le mouvement de physionomie du sujet indiquait qu'il éprouvait la sensation.

J'arrive à une expérience plus curieuse encore que celle que je viens de raconter. Le sujet étant endormi et placé comme d'habitude en somnambulisme, toute sa surface cutanée est complètement anesthésiée, je fais placer devant lui une autre personne à l'état de veille tout à fait normale et celle-ci prend dans ses deux mains les mains du sujet endormi, de façon que sa main droite tenait la main gauche du sujet et sa main gauche la main droite du sujet endormi. Les choses étant ainsi disposées, je fais, par suggestion, passer la sensibilité du sujet dans la personne placée devant lui, c'est-à-dire que je suggère au sujet, qui ne ressent plus rien lui-même, qu'il ressentira ce qui sera fait à la personne placée devant lui.

Je pique alors avec une épingle la jambe droite de la personne en état de veille, le sujet me dit aussitôt : Vous me piquez à la jambe gauche. C'est, en effet, celle qui se trouve en regard. Je pique le sujet éveillé au bras gauche, le sujet endormi me dit : Vous me piquez au bras droit. Je pique la personne éveillée à l'oreille, le sujet me dit: Vous me piquez à la tête; je fais alors cette remarque, que, sous l'influence de la piqûre, la personne en état de veille fait un mouvement involontaire ; le sujet endor-

mi ressent, par l'intermédiaire du contact des mains, une contraction musculaire qui le prévient du moment où la piqûre est faite. Admettons, pour un instant, cette hypothèse, comment pourra-t-on expliquer que le sujet différencie la piqûre faite au bras droit ou à la jambe gauche, de celle faite à la jambe droite ou au bras gauche ou à la tête?

Mais il y avait un moyen beaucoup plus simple de réduire à néant l'objection qu'on aurait pu tirer des mouvements inconscients de la personne à l'état de veille, communiqués au sujet endormi, c'était d'interrompre toute communication entre les deux sujets. C'est ce que j'ai fait dans les expériences suivantes. Après avoir fait passer la sensibilité du sujet en état de somnambulisme au sujet à l'état de veille, je fis lâcher les mains du sujet endormi. Les deux sujets se trouvaient ainsi complètement séparés l'un de l'autre, ïl n'y avait plus entre eux aucun point de contact matériel. Je piquai alors les membres de la personne éveillée, le sujet ressentit les piqûres dans les membres correspondants, c'est-à-dire placés en regard, le côté droit correspondant au côté gauche, ainsi que celles faites à la tête. Si au lieu de piquer il m'arrivait de pincer un membre, le sujet faisait très bien la différence entre les deux sensations et disait : Vous me pincez, au lieu de dire : Vous me piquez, comme il le faisait les autres fois.

Je vous citerai en dernier lieu une expérience qui a été aussi bien intéressante. Après avoir mis mon sujet en état de somnambulisme, je le conduisis devant un mur et je disposai les lumières de façon que son ombre fût projetée exactement sur la muraille. Je lui suggérai alors que sa sensibilité serait reportée tout entière sur son ombre, c'est-à-dire qu'il ressentirait tout ce qui serait fait à l'image projetée par son ombre sur le mur. Je piquai alors le mur autour de l'ombre du sujet en différents points, il ne bougea pas et n'exprima aucune sensation. Je piquai alors sur l'ombre elle-même, aussitôt le sujet fit un mouvement brusque et se plaignit vivement. Je recommençai en différents points, en dehors de son ombre, le sujet ne sentait absolument rien, mais dès que l'ombre était touchée, la sensation parut plus vive que dans la plupart des autres expériences. Le sujet se plaignait de la tête lorsque je piquai l'ombre de la tête, et ressentait la douleur dans le bras ou la jambe dont je piquai l'ombre sur le mur ; et quant, à un momentdonné, je passais la main sur le mur où était l'ombre de sa tète, il disait : Vous me grattez.

Les expériences crue je viens de décrire doivent donner lieu à quelques remarques intéressantes. D'abord l'extériorisation de la sensibilité au degré que je viens de décrire est un phénomène assez rare, soit qu'il ne se témoigne que dans un état d'hypnose auquel peu de sujets sont succeptibles d'arriver ; soit plutôt qu'il constitue une de ces facultés spéciales encore peu connues plus ou moins développées chez certains sujets, mais qui n'atteignent un très haut degré que dans un petit nombre de cas. Je n'hésite pas à me rattacher à cette dernière hypothèse; en effet, le sujet que j'ai observé présente ce phénomène dans le troisième et môme dans le deuxième degré du somnambulisme. Or ces phases de l'hypnose, sans être fréquentes, se rencontrent de temps en temps et c'est la première fois que je rencontre cette extériorisation de la sensibilité depuis plusieurs années que je la recherche.

Je ferai observer, en second lieu, que ces phénomènes ne se présentent pas toujours avec la même intensité. Chaque fois que j'ai opéré avec ce sujet, j'ai toujours obtenu l'extériorisation de sa sensibilité, mais quelquefois ses sensations étaient vagues et manquaient de netteté, soit qu'il fût moins bien disposé avant l'hypnose et que le sommeil se développât moins bien, soit que quelques circonstances extérieures aient pu contrarier les expériences. Ainsi, dans certains cas, sous l'influence de la piqûre, il éprouvait bien une douleur, mais il ne pouvait pas dire de quelle nature elle était. Il disait : « Vous me faites mal », mais il ne pouvait pas distinguer si on le piquait ou si on le pinçait.

Dans d'autres cas, il distinguait bien le genre de sensation et la nature de la douleur, mais il n'arrivait pas à la localiser dans la région qui devait correspondre au point touché sur l'objet ou la personne. Ainsi, dans une des séances d'expériences, la sensation, qui pourtant était bien nette, fut constamment perçue à la main gauche. Dans d'autres expériences, c'était à la tête que le sujet ressentait les piqûres et les impressions qui étaient faites à l'objet chargé de sa sensibilité. Dans d'autres circonstances, il arrivait à une certaine localisation des sensations, mais encore un peu imparfaite. C'est ainsi qu'il attribuait à la tête tout ce qui était fait à la tête et à la partie supérieure du corps de l'autre sujet, et au corps tout ce qui était fait au tronc et aux membres. J'ai constaté aussi que, dans certains cas, lorsque les sensations étaient vagues et mal localisées, si j'éveillais le sujet et si je l'hypnotisais de

nouveau, j'obtenais des sensations très nettes avec une localisation d'une précision remarquable.

Dans certains cas, en affirmant au sujet, par suggestion, que sa sensibilité a disparu et se trouve reportée dans l'objet ou la personne sensibilisée, on obtient des phénomènes plus nets. Bien entendu, cette suggestion n'est faite qu'avant de commencer ces expériences, et l'on a soin, au moment sérieux des expériences, que le sujet ne puisse être prévenu des différents mouvements effectués.

Comment maintenant pourrons-nous expliquer ces phénomènes de l'extériorisation de la sensibilité ? Je dirai de suite que j'ai constaté le phénomène, et que je l'ai fait constater par de nombreux témoins ; mais je n'en trouve jusqu'ici aucune explication satisfaisante. Je veux seulement répondre ici à quelques objections ou à quelques interprétations que l'on pourrait être tenté d'en donner, et qui doivent être rejetées.

D'abord la supercherie: je crois qu'il est inutile de la discuter ; les personnes qui ont été témoins de mes expériences et des conditions dans lesquelles je les ai faites ne peuvent garder aucun doute à cet égard.

La connivence inconsciente du sujet serait une objection plus sérieuse. On sait que les sujets en somnambulisme jouissent d'une acuité extrême de tous les sens, le sujet pourrait voir à travers les paupières, il pourrait se rendre compte, par les sens de l'ouïe, de ce qui se passe et réagir inconsciemment ou se faire une auto-suggestion. L'objection de connivence inconsciente et d'auto-suggestion de la part du sujet peut se réunir en une seule et les arguments que je vais donner répondront à l'une comme à l'autre.

1° Je rappellerai que dans la première expérience que j'ai faite, le sujet ne pouvait pas savoir ce que j'allais faire, puisque je ne le savais pas moi-même. Je n'ai eu l'idée d'essayer sur lui l'extériorisation de la sensibilité qu'après qu'il était déjà en somnambulisme.

2° Quand le verre d'eau n'est plus entre ses mains, mais est placé derrière lui, il ressent la piqûre et pourtant il ne peut rien voir. Il ne peut rien entendre non plus, car le mouvement d'enfoncer l'épingle dans l'eau ne produit pas d'autre bruit que tout autre mouvement à la suite auquel il ne réagit pas.

3° Quand le sujet tient le verre d'eau entre les mains, si je pique parmi les parois du verre, le sujet éprouve certainement une sensation de contact. S'il y avait de l'auto-suggestion,

c'est alors qu'elle devrait se développer. Il n'en est rien pourtant, il ne sent rien, mais si je pique l'eau sans toucher le verre, c'est-à-dire sans qu'il puisse éprouver la moindre sensation directe, il témoigne qu'il ressent la piqûre.

Je ne m'appesentirai pas longtemps sur l'objection qui a été faite il y a un certain temps devant la Société d'hypnologie par M. Mavroukakis. Notre collègue montrait à la Société une personne hypnotisée, tenant entre les mains un verre d'eau, et tout en piquant le verre d'eau il lui disait: Je vous pique à la tête, je vous pique au bras, je vous pique à la jambe. Le sujet éprouvait évidemment toutes les sensations qui lui étaient ainsi suggérées. Il faut n'avoir jamais été témoin des expériences d'extériorisation de la sensibilité pour leur assimiler de pareilles manoeuvres.

Personne n'a jamais nié que l'on peut, à un sujet hypnotisé, suggérer une sensation de piqûre, de brûlure ou autre, dans un point déterminé. Le verre d'eau, ici, n'ajoute rien à la chose, et cette expérience ne fait que démontrer la suggestion verbale que tout le monde connaît.

Dans l'extériorisation de la sensibilité, au contraire, nous prenons toutes les précautions voulues pour que le sujet ne soit prévenu en aucune façon du moment oû l'on va piquer l'objet qui est chargé de sa sensibilité. On a soin de faire des manœuvres analogues sur des objets environnants ou semblables à celui dans lequel on a reporté sa sensibilité. C'est ce que nous avons démontré dans l'expérience du verre, où l'on pique les parois du vase ; et pourtant le sujet, sans être prévenu manifeste clairement qu'il éprouve les impressions portées sur l'objet chargé de sa sensibilité, et il ne les éprouve pas dans les environs ou sur les autres objets.

Une autre interprétation m'avait pendant un certain temps semblé plus plausible, et cependant, comme vous allez le voir, j'ai dû aussi l'abandonner à la suite de certaines de mes expériences.

Cette interprétation consistait à supposer que l'opérateur qui pratiquait la piqûre sur l'objet sensibilisé faisait inconsciemment une suggestion mentale qui était reçue et comprise par le sujet hypnotisé. Cette hypothèse rendrait compte en effet de ce fait que le sujet éprouve et distingue les différents genres de sensations, piqûres, brûlures, pincements, etc. Elle expliquerait aussi qu'il les localise dans telle ou telle partie du corps, quand ces sensations sont éprouvées par un sujet placé

en face de lui ; et même, dans ce cas, la suggestion mentale pourrait venir aussi bien du sujet impressionné que de l'opérateur.

Cette hypothèse elle-même s'est montrée insuffisante quand j'ai constaté, dans certains cas déterminés, un retard régulier et progressif de la sensation chez le sujet hypnotisé. Que le verre d'eau soit tenu parle sujet lui-même, ou qu'il soit tenu par trois, quatre ou cinq personnes en communication avec le sujet, la sensation devrait être aussi rapidement perçue par lui si l'hypothèse de la suggestion mentale est directe, elle serait donc instantanée dans un cas comme dans l'autre et ne pourrait présenter le retard régulier que nous avons constaté dans certaines circonstances. Ce phénomène si curieux de l'extériorisation de la sensibilité ne peut donc pas être expliqué maintenant par la suggestion mentale, pas plus que par les autres hypothèses que nous avons examinées. Le fait bien constaté par un certain nombre d'expériences faites devant de nombreux témoins ne peut plus maintenant être révoqué en doute, mais nous devons reconnaître que, dans l'état actuel de nos connaissances il reste encore, actuellement, totalement inexplicable.

LES SUGGESTIONS HYPNOTIQUES CRIMINELLES

Dangers et remèdes.

Par M. Jules Liégeois, professeur à l'Université de Nancy.

Au premier siècle de l'ère chrétienne, vivait à Oxyrrhinque, l'une des villes secondaires de l'Egypte moyenne, un magicien dont le nom ne nous est pas connu, mais dont nous pouvons aujourd'hui reconstituer la vie. Ce personnage avait rédigé, pour ron u»age personnel, un livre de formules, sorte de rituel, dont une partie a été conservée au musée de Leyde et l'autre au British Muséum. M. GrofF vient d'en publier une analyse complète, dont M. Maspero a rendu compte dernièrement dans le Journal des Débats (1).

Voici comment Ton procédait habituellement, pour arracher aux divinités égyptiennes les services, souvent criminels, que l'on attendait de leur intervention, a Le sorcier prenait une lampe qui n'eût jamais « servi ; il la garnissait d'uno mèche neuve et d'une huile pure ; puis il

(1) Etudes sur la sorcellerie ou le Rôle que la Bible a joui chez les sorciers. (Extrait des Mémoires de F Institut égyptien). — Iri-4* — Le Caire, 1897 —Maspero. Le livre d'un magicien égyptien vers le premier siècle de notre ère. — Henri du Parville : Revue scientifique du Journal des Débats du 3! juillet 1897.

« se retirait dans une pièce isolée, complètement obscure ; ¡1 y consa-« crait la lampe et il rallumait. Sitôt qu'elle brûlait d'un éclat constant, « il installait devant elle un enfant de dix à douze ans », du concours « duquel il ne pouvait jamais se passer; « il lui recommandait de fixer « son regard sur la flamme et récitait la prière qui avait la vertu

« d'attirer les dieux..... L'enfant ne tardait pas à voir une image se

a dessiner, soit à côté de la flamme, soit dans la flamme même, et il la « signalait à l'opérateur. Celui-ci déclamait alors une oraison nouvelle « et requérait l'aide de l'être qui se dévoilait en faveur du client pour « lequel il travaillait. »

Ces procédés étaient familiers aux conspirateurs, envoûtant un roi dont il voulaient se défaire, aux amoureux, voulant obtenir que l'objet de leur passion répondit à leurs vœux, aux héritiers pressés do se défaire d'un parent dont la succession devait les enrichir, et à bien d'autres encore.

Comment nous pouvons expliquer ces suggestions criminelles, usitées il y a 1800 ans, c'est ce qui ressortira de l'ensemble de cette étude.

Le 15 décembre 1894, la Classe des Sciences de l'Académie royale de Belgique tenait, à Bruxelles, sa séance publique annuelle. M. Delbœuf, professeur à l'Université de Liège, y prononça un discours sur YHypnose et les suggestions criminelles, qui fut très remarqué et provoqua autant d'intérêt que de curiosité.

C'est à la réfutation de la doctrine que je soutiens depuis treize ans sur les Suggestions criminelles, que le discours de mon honorable ami et savant adversaire est entièrement consacré. Il s'est efforcé de montrer que la thèse de l'Ecole de Nancy, ne repose sur aucun fondement sérieux; que mes expériences ne prouvent rien ; qu'on ne fera jamais, par suggestion, commettre un crime ou un délit à un individu moral et honnête; que, dès lors, les périls que j'ai signalés; comme pouvant menacer certaines personnes et la société tout entière, sont purement chimériques et qu'il n'y a pas lieu de s'en préoccuper.

Je vais discuter, pied à. pied, les objections qui me sont opposées. Personne, d'ailleurs, no pourra ressentir une peine plus grande que la mienne, à ne plus avoir en face de moi le savant éminent, le noble caractère, la haute intelligence qu'a été Delbœuf!

I

Delbœuf s'attaque au Mémoire que, dix ans auparavant, j'avais eu l'honneur de lire, devant Y Académie des Sciences morales et politiques de YInstitut de France, sur La suggestion hypnotique dans ses rapport avec le droit civil et le droit criminel {'}.

(1) Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques, t. CXXII, 188Ï, 2* semestre, p. 220. — Voyez aussi, pour l'analyse de la discussion et la réponse aux objections : J. Liégeois : De la suggestion et du somnambulisme, dans

eurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale. 1 vol. gr. in-18. Paris.

O. Doin, éditeur, 1889

Il reconnaît, cependant, qu'il était d'abord entré dans les vues que, le premier parmi les jurisconsultes, j'avais développées, en 1884.

Il écrit, en effet, en 1886 : « Le somnambule, entre les mains de son « hypnotiseur, esc mieux que le cadavre auquel doit ressembler le « parfait disciple d'Ignace. C'est un esclave qui n'a plus d'autre volonté « que celle qu'on lui inspire ; qui, pour accomplir les ordres qu'on lui « impose, poussera la précaution, la prudence, la ruse, la dissimulation, « le mensonge jusqu'aux extrêmes limites.

a ... Il se souviendra de ce qu'on voudra, il oubliera ce qu'on voudra.

a Il accusera, en justice, de la meilleure foi du monde, un innocent____

a En théorie, tout au moins, une pareille puissance est tout ce qu'il y a a au monde de plus dangereux (1). »

Et comment avais-je moi-même formulé d'abord la théorie à laquelle Delbœuf avait primitivement adhéré ? J'avais essayé de montrer, paides expériences qui étaient, comme on l'a dit, des crimes expérimentaux, que toute personne, mise en somnambulisme profond, devient, entre les mains de l'expérimentateur, un automate, tant sous le rapport moral que sous le rapport physique. Elle ne voit que ce que celui-ci veut qu'elle voie, ne sent que ce qu'il lui dit de sentir, ne croit que ce qu'il veut lui faire croire, ne fait que ce qu'il lui dit de faire. Cet automatisme somnambulique constitue, pour ceux qui en sont susceptibles, un danger des plus sérieux. Ils peuvent être rendus auteurs inconscients de crimes ou de délits qui leur ont été suggérés. En pareil cas, l'auteur du fait matériel doit être considéré comme irresponsable, et son acquittement s'impose à la conscience des juges ou des jurés. Seul, l'auteur de la suggestion doit être recherché et puni.

On le voit, nous étions bien d'accord !

Comment cet accord a-t-il cessé? Comment mon éminent collègue de Liège en est-il arrivé à l'antagonisme irréductible, qui, sans affaiblir en rien notre amitié, nous a si profondément divisés, jusqu'à la fin de sa vie ? C'est ce qu'il nous faut examiner rapidement.

Delbœuf, d'ailleurs, se montrait d'autant plus attaché à son opinion nouvelle qu'il avait d'abord plus chaleureusement embrassé l'opinion contraire : o Je suis, disait-il, d'autant plus à l'aise pour juger en toute « liberté d'esprit.... que mes propres observations et réflexions m'ont a fait, en quelque sorte, passer d'un camp dans l'autre. La thèse nan-« céenne a trouvé en moi, d'abord un adepte, puis un adversaire. (2) »

Et à quelle école se ralliait-il ? A l'Ecole de la Salpêtrière, qu'il avait d'abord combattue. Mais il s'y ralliait seulement en ce qui concerne les suggestions criminelles, restant encore nancéien sur une foule d'autres points.

On sait, en effet, que l'Ecole de Paris a toujours été opposée à la doctrine de Nancy. Charcot et ses disciples (excepté toutefois MM. Hinet et

(l) Article publié dans la Revue de Belgique et intitulé ; Une visite à la Salpê-tnire, p. 35 du tirage à pari.

(2) Discours prononcé à l'Académie royale de Belgique, p,6.

Féré) niaient la possibilité de faire commettre des crimes par suggestion hypnotique. M. le Dr Gilles de la Tourette a publié dans ce sens, en 1887, un ouvrage dont M. Brouardel a écrit la préface {'). « L'auteur y formule cette proposition : « L'hypnotisme peut rendre de grands ser-« vices ; H peut être la cause ou le prétexte de grands dangers : ce n'est a pas dans la suggestion que résident ces derniers (p. 382). »

Il est vrai qu'il a écrit, dix pages plus haut : * La suggestion hypno-« tique est certainement une arme dangereuse (p. 37!) ».

De son côté, M, Brouardel professe, à son cours de médecine légale de l'Université de Paris, que o les somnambules ne réalisent que les a suggestions agréables ou indifférentes que leur offre un individu « agréable (*). »

Voyons ce que nous devons penser de ces propositions.

II

Dans sondiscours à l'Académie royale de Belgique, Delbœuf s'empare de deux des expériences décrites dans mon Mémoire de 1884, et reproduites dans l'ouvrage que j'ai publié en 1889, sur la suggestion et le somnambulisme. Il lui a paru, sans doute, qu'elles étaient celles dont j'avais voulu tirer les conséquences les plus importantes, et, en même temps, celles dont il lui serait le plus facile de montrer la fragilité.

Il s'agit, d'abord, d'une jeune fille, M"" E. P.., chez qui j'avais produit, en quelques secondes, par suggestion verbale, un automatisme si absolu, une disparition si complète de toute liberté, de tout sens moral, que je lui fis tirer, sans sourciller, un coup de pistolet à bout portant, sur sa mère.

Et alors, le professeur de Liège de s'écrier : a A qui fera-t-on croire « qu'une jeune fille qui, sans émotion, tire sur sa mère un coup de pis-« tolet, ne se doute pas que la scène est arrangée, que son arme est « inoffensive et son acte sans conséquence? Elle sent que tous ceux qui « sont là sont momentanément des comédiens, et c'est sans scrupule « qu'elle fait la comédienne. Pourquoi, d'ailleurs, s'y refuserait-elle ? « Ne voit-elle pas sa mère y tenir un rôle et les spectateurs suivre son « jeu avec une curiosité haletante (3). »

Je crois que, si mon ami et contradicteur avait assisté à cette expérience, s'il avait seulement consenti à ce que je la renouvelasse devant lui — je le lui ai souvent offert, mais en vain — le jugement qu'il en a porté eût pu être très différent.

L'argument par lequel on prétend faire tomber les conclusions que j'ai cru pouvoir tirer du fait précité, doit être envisagé à deux points de vue: d'une part, il est purement sentimental; de l'autre, il impliquerait, une fois admis, des conséquences qui dépasseraient de beaucoup la pensée de son auteur.

(1) Gilles de la Tourette : L'hypnotisme et les étals analogues, au point de vue médico-légal, 1 vol. in-8.

(2) Galette des Hôpitaux, Paris, 1887, p. 1125.

(3) Delbœuf: Discours, p. 14.

Il est, disons-nous, purement sentimental, et, à ce titre seul, il doit être écarté d'une discussion vraiment scientifique. Car il revient à dire : « Quoi ! cette jeune lille aura donc, sur quelques paroles prononcées à « son oreille par un étranger, tellement oublié ses devoir de piétéfiliale, « de respect, d'affection envers sa mère, qu'elle aura été instantane-« ment transformée en criminelle, en parricide ? Non, non ! C'est impos-« sible ! Elle a jugé que vous vouliez vous jouer d'elle, et elle s'est « jouée de vous.»

Eh! bien, qu'il me soit permis do le faire remarquer tout d'abord, c'est là trancher la question par la question ; c'est résoudre le problême, avant même d'en avoir étudié et compris les éléments. C'est une pure et simple affirmation. C'est, au plus haut degré, une pétition de principe, dénuée de toute valeur logique. Le second aspect sous lequel on peut considérer l'objection, semble, à un premiere! superficiel examen, être plus sérieux, maisl'étudc attentive que nous en allons faire va nous montrer qu'il n'est que spécieux.

Et d'abord, je n'avais pas, de pfano, dit à Mlle E. P.. «Vous allez tuer votre mère ! d Je l'avais, très facilement et très rapidement, mise en somnambulisme profond et je lui avais fait, à peu près, la suggestion que voici : « Une fois réveillée, vous allez voir là, près de vous (en lui « désignant sa mère) une personne que vous ne connaissez pas, qui a « voulu, à plusieurs reprises, vou6 fairo du mal, et vous tirerez sur elle « un coup de pistolet! »

Et alors, comme M"° P.. était une très bonne somnambule, comme elle recevait, dans le sommeil provoqué, et réalisait ensuite toutes tes suggestions possibles, tant intra-hypnotiques que post-hypnotiques, elle a fait, sans hésiter, ce que je lui avais dit de faire.

Mais j'avais ajouté, dans mon Mémoire de 1884 :« presque sans transition, sa mère lui reprochant d'avoir voulu la tuer, M"* E. P.. répond : a Je ne t'ai pas tuée puisque lu me parles ! » C'est de ces paroles mémos que Delbccuf prétend tirer la preuve de la « comédie » à laquelle se serait prêtée la jeune fille.

Ici, il méconnaît absolument, et il néglige un fait de la plus haute signification, un fait que nous avons toujours constaté, à Nancy, que beaucoup d'expérimentateurs ont, après nous, reconnu exact, tant en France qu'à l'étranger : je veux dire la rupture complète, totale, absolue du souvenir, ohez le sujet, qu'on ramène à la vie normale, en le tirant du sommeil provoqué, de la condition seconde, dans laquelle il a accompli l'acte suggéré — condition analogue à celle de la célèbre Félida X.. du D' Azam, de Bordeaux (').

Est-ce que, justement, cet oubli au réveil n'explique pas, de la façon la plus complète, la plus satisfaisante, la réponse si sensée de la jeune fille à sa mère?

Je sais bien que o'esl une des thèses favorites de Delbœuf que les

(1) Sur la Condition seconde, vov. J. Liégeois : De la suggestion et du somnambulisme, etc., chap. ix, 355-403.

somnambules, contrairement à ce que nous soutenons à Nancy, se souviennent, au réveil, de ce qu'on leur a dit, fait ou fait faire, dans le sommeil provoqué. Mais il est, sur ce point, en désaccord avec la presque unanimité des savants de toute nationalité les plus compétents en matière d'hypnotisme. Je n'y insiste donc pas.

Je crois, d'ailleurs, connaitre la cause de l'opinion erronée professée par mon contradicteur. C'est que, avec ses somnambules — en fort petit nombre, car elles se sont souvent bornées à ses deux domestiques — il avait l'habitude d'engager, pendant le somnambulisme même, de véritables conversations, je dirais presque des discussions physiologiques et psychologiques. Or, ces colloques suivis, les empêchant de tomber dans le mono'idéisme, essentiel à la production d'un état favorable aux suggestions d'actes — viciaient, par là même, les essais qu'il a pu faire, pour contrôler nos expériences, celles de MM. Durand de Gros (1860), Liébeault (1866), Bernheim, Beaunis, Forel, etc.

D'ailleurs, l'argumentation de Delbœuf irait beaucoup plus loin qu'il ne parait s'en douter. Si nos sujets, si tous les sujets mis en expérience, jouent toujours la comédie, dans les suggestions d'actes, comment expliquer qu'ils ne la jouent pas, quand on agit par suggestion, sur les fonctions de la vie organique ? « Comment la suggestion peut-elle être « alors employée avec succès, comme succédané des purgatifs, des « vomitifs, des diurétiques, des sudorifiques, des emménagogues, des « hémostatiques, des vésicants, des cicatrisants. » « La vésication sug-« gestionnetlc, dit excellement Durand de Gros, sur un point déterminé « et circonscrit de la peau, me laisse beaucoup plus perplexe que « l'assassinat suggestionnel (1) ».

Et comment Delbœuf a-t-il pu croire à la comédie jouée même parles très bons somnambules en matière de suggestions criminelles, — ce qui n'irait à rien moins qu'à renverser l'édifice entier de l'hypnotisme et de la suggestion — lui qui, dans sa brochure sur l'Origine des effets curatifs de l'hypnotisme, nous a si bien décrit l'action du moral sur le physique"? « Un jour, pour satisfaire à la curiosité de quelques collè-« gues, il obtint que sa domestique, J..., se prêtât à des épreuves qui, « normalement, eussent été des plus douloureuses. L'un des assistants, « non content de lui avoir enfoncé à plusieurs reprises des aiguilles dans « le bras, manifesta le désir de faire à J..., des piqûres à la langue. « Alors, à J..., éveillée, on demanda d'avancer la langue, et on la lui « perça plusieurs fois avec une aiguille à bas, qu'on fit aller et venir, « sans que la jeune fille donnât le moindre signe de douleur, ou fit a mine de la retirer, »

Si la simple suggestion verbale est capable de produire de tels effets physiologiques, pourquoi serait-elle impuissante dans tous les cas, à produire des effets psychologiques analogues à ceux du rêve? (Nous reviendrons plus loin sur cette assimilation]. Pourquoi ne pourrait-on

(1) Doband de Gros : Suggestions hypnotiques criminelles, p. 7. Extrait de la Revue de l'Hypnotisme, 1895, Alcan, éditeur.

obtenir l'automatisme des actes même criminels, quand, par suggestion — Delbœuf l'a fait lui-même — on peut faire accoucher, sans douleur, une femme, qui, l'œuvre accomplie, n'en garde aucun souvenir?

Et enfin, conclurons-nous sur ce point avec Durand (de Gros) : « Que « dira M. Delbœuf, si on le prie de remarquer que, ce pouvoir de « l'action morale sur le moral — qu'il nie, parce qu'il lui semble « énorme, — certains agents physiques le possèdent au plus haut degré?

« Il ne peut pas se faire à l'idée que la suggestion puisse transformer « momentanément un agneau en loup; mais il suffit, pour cela, d'un « verre d'alcool... Vous rejetez, comme absolument inadmissible, que « la suggestion puisse faire, d'un honnête homme, un criminel, et, « d'autre part, vous admettez que l'ingestion d'un breuvage peut réaliser « ce prodige ! » (p. 7)

En dernier lieu, le Dr Durand (de Gros), qui a été, en France, l'initiateur des études hypnotiques, compare, avec beaucoup de raison, l'état mental dans lequel nous avons pu mettre M"' E.. P.. transformée expérimentalement en parricide, à l'état que la nature a malheureusement produit d'elle-même, chez MlloAmelot, qui, sans aucun motif, assassina, à Paris, M. l'abbé de Broglie, et chez qui l'on a constaté « une stupé-« fiante impassabilité devant le cadavre sanglant de sa victime, et l'ab-« sence totale de tout souci de sa conservation personnelle, avec laquelle « elle a été se remettre aux mains de la justice, » (p. 9).

III

a La seconde expérience de M. Liégeois, a dit Delbœuf, m'est tout « aussi suspecte, et pour des raisons tout à fait semblables. »

Quelle était donc cette expérience? La voici, telle que je l'avais résumée en 1884 :

Th... étant mis préalablement en somnambulisme, je lui dis : « Faites « bien attention à ce que je vais vous recommander. Ce papier contient « do l'arsenic. Vous allez tout à l'heure rentrer chez votre tante. « M™' M..., ici présente. Vous prendrez un verre d'eau ; vous y verserez « l'arsenic, que vous ferez dissoudre avec soin ; puis, vous présenterez « lo breuvage empoisonné à votre tante. — Oui, Monsieur. » — Le soir même, je recevais de M°" M... un billet ainsi conçu: « Mme M... a l'hon-

» neur d'informer M. Liégeois que l'expérience a parfaitement réussi. « Son neveu lui a versé le poison. » — Et la tante ayant voulu lui faire boire à lui-même le verre d'eau qu'il avait préparé, il s'y était énergi-quement refusé.

Une fois le fait accompli, le criminel ne se souvenait de rien, et l'on eut beaucoup de peine à lui persuader qu'en effet, il avait voulu empoisonner sa tante, pour laquelle il a une profonde afTection. L'automatisme avait été absolu.

Le jeune homme mis en expérience, âgé de 25 ans, grand et vigoureux, était un des meilleurs somnambules que j'aie jamais rencontrés. Chez lui, l'oubli au réveil était tel que, lui ayant un jour, durant le

sommeil provoqué, fait manger une pomme déterre crue, que la suggestion transformait pour lui en une poire fondante très savoureuse ; réveillé par moi, et tenant encore dans sa main la pomme de terre fortement entamée, il refusa obstinément de croire qu'il y eût porté la dent, malgré mes affirmations répétées et celles des témoins de cette petite scène.

Delbœuf avoue qu'il avait d'abord admis, comme valables, l'expérience et la conclusion que j'en avais tirée. Mais, en 1894, il ne peut s'empêcher d'y voir un cercle vicieux. On conclut à tort, suivant lui, de l'absence de souvenir, que le somnambule est un automate, et qu'il « gobe » tout ce qu'on lui dit. a Mais pourquoi ne veut-on pas qu'il fasse a des réflexions sur la nature de la chose qu'on lui demande? Pourquoi a Th... ne se dirait-il pas, tout endormi, qu'il s'agit d'une expérience à « faire ; que le papier ne contient pas d'arsenic ; que M. Liégeois ne « peut pas avoir l'idée de lui faire empoisonner sa tante, etc., etc. « Encore une fois, un hypnotisé n'est pas un idiot, au contraire »{p.20.)

Ici, j'avoue ne plus comprendre comment Delbœuf tient si peu de compte des conditions essentielles, et bien connues, de l'état de somnambulisme profond. Th... était à ce point suggestible que, môme à l'état de veille, je lui faisais voir, entendre, dire et faire tout ce que je voulais. Un jour qu'il était venu chez moi m'apporter un dessin bizarre que je lui avais suggéré de tracer chez son oncle, il me suffit de lui dire simplement, sans l'endormir: « Voyez donc mon jardin! Comme il est « bien fleuri ! Il est rempli de roses ! Regardez cette pièce d'eau et ces a beaux cygnes qui nagent si gracieusement ! » Et ii voyait des cygnes et des roses qui n'existaient pas; rentré chez lui, il sentit, tout le reste du jour, l'odeur exquise des fleurs que je lui avais fait voir.

Bien plus, une autrefois, une jeune femme, également très suggestible et que mes expériences intéressaient au plus haut degré, fabrique, avec un peu de coton et quelques morceaux d'étoffe, l'effigie grossière d'un nouveau-né. Je place le poupon entre les bras de Th.., et je lui suggère qu'il est, non plus un homme, mais une nourrice. Aussitôt, il prend son rôle au sérieux, à tel point que, à un moment donné, il tire son mouchoir de sa poche pour essuyer son nourrisson. Puis, il ouvre délicatement un corsage imaginaire,pour en tirer un sein fictif, et médit pudiquement : « Je me tourne, parce qu'il y a du monde ! »

Et c'est à des sujets présentant de telles facilités à la suggestion, à toutes les suggestions imaginables, que Delbœuf prétend conserver les facultés de raisonnement, de a réflexions », de contrôle, de liberté morale, de résistance, que sais-je ? Le somnambule n'est pas un a idiot », dites-vous ? Non, certes! Mais il ne raisonne et n'agit que dans le cercle d'idées où la suggestion a enfermé et comme emprisonné son activité morale et physique. Il ne suit et ne peut suivre que l'idée qu'on lui a suggérée ! Pour la réaliser, il déploiera, vous l'avez dit vous-même, de l'ingéniosité, de l'adresse, de la dissimulation, do la ruse ! Oui, sans doute! mais il n'en déploiera que pour atteindre le but qu'une volonté

supérieure lui a assigné. Tout lo reste, hommes et choses, idées et faits, émotions et sentiments, lui est devenu absolument étranger ! Il n'a plus qu'une idée, une seule qu'il tranformera en acte, — comme le somnambule naturel, l'homme à idée fixe, l'aliéné!

Pourquoi, avez-vous ajouté, Th... ne se dirait-il pas, « tout endormi», qu'il no s'agît que d'une expérience, d'un jeu.. ? Pourquoi? Mais vous avez vous-même fait la réponse: c'est parce qu'il est « fout endormi » selon votre propre expression, et qu'un somnambule endormi — du moins comme nous les endormons ! —ne se livre pas à toutes les « réflexions», ne fait pas les raisonnements compliqués, ne tire par les déductions subtiles auxquels vous avez, vous, M. Delbœuf, habitué vos sujets, et, en particulier, J... et sa sœur! La réponse est, je crois, péremptôire.

Parlant un peu plus loin (p. 22), d'une autre expérience dont je ne dirai rien, parce qu'elle n'ajoute aucune force à sa discussion, mon honorable adversaire ajoute, à propos d'une seconde criminelle fictive: o II eût été intéressant de la réveiller au milieu de l'action n (c'est ce que j'ai montré tout â l'heure, au sujet de la pomme de terre crue) o pour voir si elle aurait pu retrouver les pensées qui traversaient son esprit, au moment où elle donnait â boire à M. D... Je ne sais pas si elle n'aurait pas répondu, comme M,,e E. P..., qu'elle ne doutait nullement que l'empoisonnement était simulé et la scène imaginaire. *

Eh ! bien, j'ai regret à le dire, — et d'autant plus, hélas ! qu'il n'est plus là pour me répondre ! — mais, par les deux lignes que je viens de citer, Delbœuf montre qu'il n'a absolument rien compris à mon expérience avec M11" E. P... En effet, cette jeune fille n'a pas dit : « qu'elle ne doutait nullement que l'empoisonnement était simulé et la scène imaginaire. » Réveillée, et ayant, comme c'est la règle, perdu tout souvenir de ce qu'elle avait fait étant endormie, elle a pu croire, quand sa mère lui disait qu'elle avait failli être tuée par elle, qu'il s'agissait là d'une simple plaisanterie. Elle a répondu, avec un parfait bon sens : • Je ne t'ai pas tuée, puisque tu me parles ! »

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du Lundi 15 Novombro 1897 — Présidence de M. Dumontpallier.

Il n'y a pas d'Hypnotisme.

Par M. le Dr Paul Hartenberg. I

Dans son rapport au dernier Congrès international do Moscou, M. le professeur Bernheim (de Nancy) s'est fait le défenseur d'une opinion qu'il vient de soutenir encore, dans un récent article de la Revue ency clopédique. Cette opinion, il la résume en quelques mots ; « Il n'y a pas d'hypnotisme. »

La thèse, un peu paradoxale au premier abord, n'a pas été comprise par la majorité des lecteurs, bien que l'exposition admirablement précise et nette, ne soit guère capable de prêter à la méprise.

Je suis mieux placé que personne, sans doute, pour connaître la pensée intime du maître de Nancy puisque j'ai suivi de près ses recherches, que j'ai pu assister, pour ainsi dire, à l'évolution de ses idées, et que, par de longues causeries, j'ai pu apprendre de lui-même les motifs de sa conviction actuelle.

En écrivant : l'hypnotisme n'existe pas, M. Berheim n'a nulle intention de nier la possibilité de faire réaliser, par des sujets, un sommeil artificiel ; il ne veut pas nier davantage que dans cet état de sommeil provoqué, on puisse faire exécuter par les sujets les actes qu'on leur suggère ; il ne nie enfin aucune des propriétés curatives du sommeil provoqué : mais ce qu'il veut affirmer, c'est que la production artificielle du sommeil n'est pas un phénomène exceptionnel et unique en son genre, et que ce sommeil lui-même n'est pas un état extraordinaire antiphysiologique, pathologique môme, comme on a voulu le dire.

Ce que M. Bernheim s'efforce de démontrer, c'est tout simplement que le sommeil suggéré ne doit pas être distingué des autres phénomènes suggérés, tels qu'un mouvement ou l'expression d'une émotion. Le sommeil provoqué n'est que l'idée du sommeil, plus ou moins fidèlement réalisée par le sujet, comme les mouvements ou les émotions suggérés sont la réalisation par le sujet des idées de mouvements ou d'émotions.

Il n'y a donc pas lieu de faire une classe à part des faits de sommeil suggéré, comme il n'y a pas lieu d'en faire une pour chaque espèce d'autres faits suggérés. Sommeil, mouvements, émotions, sont au même titre des faits de suggestion. On n'a jamais songé à dire que les mouvements suggérés étaient du « motilisme », les émotions suggérées de 1' « émotionisme », il n'y a pas lieu davantage de qualifier le sommeil suggéré d'« hypnotisme. »

M. Bernheim ne fait en somme que réduire à leur juste valeur les phénomènes de sommeil provoqué ; il les replace au même plan que les autres phénomènes de suggestion, il détruit ainsi le caste des faits groupés sous le nom d' « hypnotisme » et auxquels on avait accordé faussement une prépondérance sur les autres faits de suggestion.

Ainsi interprétée, la thèse de M. Bernheim est parfaitement juste, et il est vrai de dire : « L'hypnotisme n'existe pas. »

Mais en revanche, toute importance doit être accordée à la suggesti-biltté. La suggeslibilité, c'est-à-dire la propriété physiologique du cerveau humain, qui consiste à accepter l'Idée et a la réaliser, voilà la condition fondamentale de toute suggestion, aussi bien de ta suggestion du sommeil que de celle des émotions, des mouvements, etc. (Je choisis surtout comme terme de comparaison avec le sommeil, les mouvements et les émotions, parce que ces derniers phénomènes se manifestent objectivement et peuvent être observés directement: j'aurais pu aussi

bien citer des sensations tactiles, des hallucinations visuelles ou auditives, des sentiments, etc.)

Et la meilleure preuve de la priorité qui revient à la suggestibilité dans la production de toute suggestion est celle que M. Dumontpallier, notre éminent président, me formulait, il y a quelques jours encore: à savoir, que pour suggérer le sommeil à un sujet, il faut avant tout que celui-ci soit suggestible.

¦ •

Ce qui induit en erreur certains observateurs et les conduit à considérer le sommeil provoqué comme un phénomène exceptionnel, c'est que, pendant ce sommeil provoqué, la suggestibilité est exaltée chez le dormeur. Mais ce fait n'est pas toujours vrai et un sujet n'est pas nécessairement plus suggestible en état de sommeil qu'en état de veille.

Je vois en ce moment nne malade, suivie depuis trois ans et traitée actuellement à notre clinique, par mon collaborateur et ami, le Dr P. Valentin, et chez laquelle il applique la méthode du sommeil prolongé pour obtenir la sédation du système nerveux. Or, pendant ce sommeil, qui est du degré le plus profond, la malade est infiniment moins suggestible qu'à l'état de veille. De sorte que c'est à son réveil seulement, qu'on lui fait les suggestions directement opposées à ses autres phénomènes morbides.

De plus, il aurait pu se faire, au moins est-il permis de le supposer hypothétiquement, que le sommeil provoqué n'eût jamais la propriété d'exalter la suggestibilité. Alors il n'y aurait plus lieu d'endormir le malade avant de lui faire sa suggestion curative et le sommeil perdrait évidemment toute son utilité pratique. On ne l'emploierait jamais. Et le mot « hypnotisme ¦ ne serait sans doute jamais né, et la grande importance qu'on lui accorde n'aurait pas été soupçonnée. Mais le sommeil perdant toute sa valeur, la suggestibilité ne perdrait rien de la sienne. L'homme continuerait à être suggestible et on pourrait lui suggérer toujours des sensations, des émotions, des mouvements et même du sommeil.

Mais alors, n'ayant pas recours au sommeil, on aurait utilisé sans doute d'autres états qui possèdent aussi la propriété d'exalter la suggestibilité. Le sommeil, en effet, n'est pas le seul à jouir de ce privilège. Tous les états que Liébeault a appelés des « états analogues au sommeil, en sont également pourvus : tels l'imitation, la fascination, la méditation, la distraction, la rêverie, les émotions vives, signalées, par ce dernier auteur. Et il en existe encore beaucoup d'autres.

Dans tous « ces étals analogues », états physiologiques, qui appartiennent à la vie psychologique normale, le cerveau se trouve en monoï-déisme. c'est-à-dire que toute l'activité cérébrale est fixée sur un seul point, sur une seule idée : il en est de même dans le sommeil artificiel. Et en les déterminant, on pourra, aussi bien que par le sommeil, exalter la suggestibilité du sujet.

Liébcault, au début de ses recherches, utilisa surtout le sommeil provoqué, comme moyen d'exaltation de la suggestibilité, parce que le sommeil est un des états les plus faciles à produire, qu'il est familier à tout le monde etquc l'idée de dormir est, par suite, toujours bien comprise, et enfin, parce que le sommeil esL un des états qui exaltent le mieux la suggestibilité.

Mais il est un a état analogue a qui a fait et pourrait encore actuellement faire concurrence au sommeil : c'est la fascination. Braid découvrit et employa largement la fascination. Un individu fasciné est tout aussi suggestible qu'un individu endormi ; dans l'un et l'autre cas, le cerveau est monoîdéisé ; ici, l'esprit est en arrêt sur l'idée de dormir, là il est en arrêt sur la sensation visuelle.

Les circonstances ont fait que les expérimentateurs qui ont utilisé la fascination ne s'en sont pas servi directement : c'est-à-dire, qu'au lieu de faire leurs suggestions à la faveur de l'état de fascination, ils ne profitaient de celui-ci que pour produire secondairement le sommeil. Ils fascinaient le sujet d'abord, ils l'endormaient ensuite. Pendant le sommeil, ils suggéraient alors d'autres phénomènes, catalepsie, hallucinations, rires, pleurs, etc.

Ils faisaient ainsi passer l'esprit du sujet par une série d'états, dont la réalisation de chacun était facilitée par la suggestibilité exaltée qne le précédent entretenait.

Mais il serait tout aussi facile de renverser l'ordre des phénomènes, de prendre le sujet éveillé, do lui suggérer d'abord les pleurs, puis les rires, puis les hallucinations, puis le sommeil, et de terminer enfin par la fascination.

Actuellement, nous savons que la fascination n'est pas nécessaire pour produire le sommeil : nons savons de plus que le sommeil n'est pas nécessaire pour prodairo les hallucinations et les autres phénomènes. Tous ces états ne sont, en somme, que des états équivalents, au point de vue théorique au moins, et dont aucun n'est la condition indispensable pour la production des autres. En pratique, il est vrai, certains d'entre eux, comme le sommeil et la fascination, sont plus faciles et plus utiles à obtenir, on les emploie de préférence. Mais ceci n'infirme en rien l'exactitude de la doctrine.

*

* *

Quant à la nature môme du sommeil provoqué, je n'ai pas à l'étudier ici. Je dirai seulement que chaque sujet réalise à sa façon l'idée de dormir qui lui est suggérée. Certains, malgré l'apparence du sommeil qu'ils présentent, malgré leur attidude de repos, leur immobilité, les paupières closes, ne dorment pas du tout. Ils réalisent, souvent par complaisance pour le médecin, une forme do sommeil que nous avons coutume, le Df Valenlin et moi, d'appeler le sommeil conventionnel. Ils n'en sont pas moins suggostibles, et on peut obtenir chez eux des hallucinations, des anesthésies, des contractures.

D'autres ne dorment pas davantage, mais ils croient dormir : ils ont comme dit Bemheim, l'illusion du sommeil.

D'autres enfin, se rapprochent du sommeil naturel : ila dorment presque réellement. Et même quand on les abandonne à eux-mêmes, ils peuvent s'endormir véritablement, ronfler, rêver. Mais à ce degré, le sommeil provoqué n'est plus un sommeil artificiel : c'est le sommeil naturel, tout simplement.

Car, par définition, le sommeil provoqué ne doit pas être confondu avec le sommeil naturel. De sommeil provoqué est un sommeil incomplet, puisque jamais l'activité cérébrale n'est éteinte sur tous les territoires de la sphère psychique, puisque celle-ci est en rapport, par au moins un de ses points, avec le monde extérieur et le suggestionneur, ce qui est la condition de la suggestibilité. Le sommeil provoqué est un état de monoidéisme.

Dans le sommeil naturel profond, l'activité cérébrale est éteinte sur tous les territoires de la sphère psychique : celle-ci est absolument isolée du monde extérieur. Le sommeil naturel profond pourrait être appelé un état d'anidéisme (1).

II

Mais si la thèse du professeur lîernheim me parait exacte au point de vue théorique, elle me parait profitable aussi au point de vue pratique-

En battant en brèche la légende de l'hypnotisme, M. Bemheim fait non seulement œuvre de vérité, il fait aussi œuvre d'utilité.

Car ce qui, selon moi, a fait plus de tortà la " suggestion », c'est I' « hypnotisme. »

Ce mot d'hypnotisme répandu dans le public et entouré d'une atmosphère inquiétante et mystérieuse, a empêché et empêche encore bien des malades de demander secours à la suggestion thérapeutique. C'est qu'ils redoutent cet hypnotisme, qui, leur a-t-on dit, est une maladie, une pratique dangereuse, et à la faveur duquel on peut leur faire commettre les actions les plus délictueuses.

Telle femme nerveuse refuse absolument de se laisser traiter par la suggestion hypnotique, par crainte qu'on n'aille abuser d'elle pendant son sommeil, mais ne s'inquiète nullement de flirter avec un Monsieur, de se laisser faire la cour, c'est-à-dire des suggestions persuasives, à l'inûuence desquelles elle finit souvent pour céder jusqu'au bout.

De même on discute sans fin sur les crimes possibles par suggestion hypnotique, sans interpréter à leur juste valeur tous les crimes, autrement nombreux et dangereux, commis par suggestion à l'état de veille ; tels ceux des anarchistes qui sont pourtant assez frappants.

Ce vocable malheureux d'hypnotisme et la peur que certains en

(1) Je prends pour type le sommeil naturel profond, le ropos absolu et total du cerveau psychique, sans activité subconsciente et sana rúves. Car il est des degrés aussi dans le sommeil naturel. Je ne puism'etendre ici sur cette question.

entretiennent habilement dans le public, voilà les plus grands obstacles de ceux qui pratiquent la suggestion thérapeutique, pourtant si efficace et si inoffensive.

Aussi est-ce avec peine que j'ai pris connaissance d'un article paru il y a quelques jours dans un grand journal du matin, intitulé: « une controverse » et consacré précisément à la thèse soutenue par M. Bernheim. Il n'y a pas d'hypnotisme. »

L'auteur de cet article rapporte l'opinion de trois savants interrogés: MM. Gilles de la Tourette, de Rochas et Bérillon. Ceux-ci ne sont pas d'accord, naturellement, avec M. Bernheim.

C'est un danger, je crois, d'ouvrir ainsi, sur des questions aussi délicates, un débat de personnalités devant le grand public et dans les colonnes de la grande presse. En effet, le public est un mauvais juge et le reporter est un greffier infidèle. Ainsi, l'article qui nous occupe est émaillé d'erreurs et de fausses interprétations. L'auteur affirme, en particulier, qu'un traité de M. Gilles de la Tourette, paru en 1889, fait encore autorité en la matière chez nous et à l'étranger. Cette autorité est certainement moins absolue qu'on voudrait nous le faire croire. J'ignore auprès de quelles personnes cette autorité peut subsister encore, mais je crois que la plupart des spécialistes dont l'opinion seule importe se sont, depuis longtemps, affranchis des erreurs de la Salpètrièrc. J'ai eu l'occasion, au dernier Congrès international de Bruxelles, de rencontrer un certain nombre de représentants étrangers qui pratiquent la suggestion : tous se rallient à la doctrine de l'école de Nancy.

Les idées soutenues dans cet ouvrage de 1889 — à savoir que l'hypnotisme est un phénomène pathologique et dangereux — sont encore actuellement, suppose l'auteur de l'article, celles que soutiendrait M. Gilles de la Tourette. Cela est fort probable ; car je ne sache pas que M. Gilles de la Tourette ait trahi ses convictions anciennes, et sans doute contïnue-t-il à cultiver précieusement son grand hypnotisme et ses trois phases théâtrales. Mais nous sommes édifiés sur ce qu'il reste de ces vieilles théories, lorsqu'on les compare aux faits exactement et impartialement observés, et en dehors de la Salpétrière.

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M. de Rochas n'est ni psychologue, ni médecin. Je me défierais donc tout d'abord de sa déposition dans un débat qui se livre précisément sur le terrain de la psychologie et de la médecine. M. de Rochas me parait, en effet, tomber dans une regrettable confusion entre la suggestion et le magnétisme animal. Ce sont deux choses absolument différentes. J'ignore encore actuellement quelle part de vérité se cache sous les intéressantes expériences de M. de Rochas.

Loin d'être de ceux qui accueillent avec un sourire ironique tout résultat nouveau et encore inexpliqué, je ne songe nullement à nier, à priori, — car la négation à priori est un procédé anti-scientifique, — ni les résultats de M. de Rochas, ni ceux mêmes de William Crookes.

J'attends seulement des preuves irréductibles, pour me faire une opinion dans un sens ou dans l'autre. Mais ce dont je crois pouvoir Ôtre absolument certain, c'est que la force psychique de M. de Rochas n'a rien de commun avec la suggestibililé, telle que le comprend M. Bernheim. La première est du domaine du biodynamisme, la seconde est du domaine de la psychologie, au même titre que le jugement ou la représentation mentale.

Après ces deux opinions regrettables, je me réjouissais de lire celle de M. Bérillon, qui est un praticien de la suggestion thérapeutique, et qui, pensais-je, allait rétablir la vérité. De M. Bérillon, j'attendais la bonne parole qui allait réparer tout le mal. Mais cette bonne parole, j'ai regret de le dire, n'est pas venue.

Tout d'abord, je relèverai une inexactitude, échappée sans doute à M. Bérillon : * M. Liéboault, dit-il, pense que le sommeil provoqué est indispensable pour la réalisation des phénomènes d'hypnotisme. » Phénomènes de suggestion faut-il dire, je pense, car autrement la phrase n'aurait plus aucune signification et serait une véritable tautologie.

M. Liébcault n'a, je crois, jamais été aussi catégorique à cet égard. Il pense, non que le sommeil est indispensable, mais seulement que le sommeil est utile pour exalter la suggestibililé. N'cst-il pas d'ailleurs le premier qui ait mis en valeur les propriétés des « états analogues au sommeil » ?

M. Bernheim est très éclectique dans ses opinions: il traite certains malades à l'état de veille, lorsqu'il pense que leur suggestibilité et l'affection dont ils sont atteints lui permettent de les traiter à l'état de veille. Mais, s'il juge nécessaire de les endormir, il n'hésite pas à le faire. Je le répète, en niant l'hypnotisme, il n'a pas voulu nier la possibilité du sommeil.

Quant au désaccord que M. Bérillon laisse supposer entre MM. Lié-beault et Bernheim, je crois qu'il existe plus dans les mots que dans la réalité des faits. Si M. Bernheim diflère de M. Licbeault pour certaines questions d'adaptation pratique, si M. Bernheim préfère l'emploi de la suggestion à l'état de veille, tandis que M. Liôbeaul préfère celui de la suggestion à l'état de sommeil, tous deux pensent absolument de même en ce qui concerne le fond de la doctrine, la suggestibilité. Or, c'est cette doctrine qui est attaquée par MM. Gilles de la Tourette et de Rochas. L'école de Nancy est d'accord pour riposter à ses adversaires.

M. Bérillon parait enfin reprocher à M. Bernheim, en n'endormant pas ses sujets, de n'obtenir que des phénomènes superlicicls. Or, c'est précisément le plus grand mérite que j'accorde à la méthode de M. Bernheim. Car le problème ne consiste pas ;ï obtenir des phénomènes profonds, mais avant tout à guérir ses malades. Or, M. Bernheim, et nul de ceux qui l'ont vu à l'œuvre ne me contestera, est un admirable

psychothérapeute. Il fait preuve dans sa pratique d'une psychologie perspicace, et d'une habileté technique remarquable. Et le meilleur souhait qu'on puisse faire à un suggestionneur, c'est d'égaler son talent et d'obtenir ses résultats.

Car, en somme, l'intérêt véritable et l'utilité sont dans la thérapeutique. C'est vers les applications pratiques de suggestion qu'il faut dirriger les efforts. Multiplier les procédés, perfectionner les méthodes, étudier les moyens d'adaptation individuelle, voilà quels doivent être les buts de nos recherches actuelles. L'ère des expériences de laboratoire est close ; l'ère de la psychologie clinique et thérapeutique promet d'être féconde.

DISCUSSION

M. Bérillon. — La dissertation que M. Hartenbcrg vient de lire à la Société doit être divisée en deux parties. Dans la première, il se borne à paraphraser un récent article de M. Bernheim, paru dans la Jïeuue Encyclopédique. Sans chercher à discuter l'opportunité de cette répétition, je me garderai de rien exprimer qui puisse jeter une ombre sur la pureté de ses intentions. Elles sont le fait d'un excellent élève, justement infatué d'un maître éminent.

Si j'ai éprouvé quelque surprise, c'est en constatant que M. Harten-berg, qui sait cependant si bien associer le culte de la philologie à celui de la psychologie clinique et thérapeutique, s'était mis dans le cas d'être accusé de battologic (1).

Dans la seconde partie, notre collègue, s'érigeant en censeur sévère, adresse quelques reproches à MM. Gilles de la Tourettc et de Rochas. Je ne sais comment ces savants dont les travaux ont eu quelque retentissement, apprécieront des attaques appportées à la tribune d'une Société dont ils ne sont pas membres. En ce qui les concerne, le dernier mot doit ici, par la force des choses, rester à M. Hartcnberg.

Notre collègue, à propos d'une phrase que je n'ai pas rédigée, prononce le mot de tautologie. En réalité, M. Hartenberg s'est trompé. Il n'y a nullement tautologie dans le fait de dire que le sommeil provoqué est indispensable pour la réalisation des phénomènes d'hypnotisme. Le mot hypnotisme comprend tout un ensemble de phénomènes dans lesquels rentrent les faits de suggestion. L'hypnotisme, c'est l'automatisme expérimental. M. Liébeault et, à sa suite M. Bernheim (a), ontdéclaréque les phénomènes essentiels de l'hypnotisme (automatisme et hallucinations) n'apparaissaient dans toute leur intensité que chez les sujets qui ont été préalablement endormis. C'est ainsi que M. Bernheim avait présenté les faits lors de sa communication à la Société de Biologie sur la Suggestion à l'état de veille. S'il n'en était pas

(1) Voyer. Littré.

(2) M. Bernheim, dans son dernier mémoire, page 9, s'exprime ainsi : « On désigne sous le nom d'hypnotisme, tin sommeil provoqué par suggestion, fixation d'un point brillant, fascination, sommeil spécial dans lequel le sujet est susceptible de réaliser divers phénomènes dits hypnotiques. » Que l'inculpation de tautologie, si tautologie il y a, soit donc reportée à M. Bernheim, par son élève M. Hartonberg.

ainsi, il suffirait que M. Hartcnberg prit la parole, pour que nous fussions tous suggérés. Non, la suggestion à l'état de veille n'est pas douée de cette puissance.

C'est donc une querelle de mots que nous a'cherché M. Hartcnberg. Comment se défendra-t-il, lui qui est philologue, d'être tombé dans une véritable logomachie, compliquée de tautophonie et de cataglottisme. Dans tous les cas, je persiste à penser que sa dissertation n'était, justifiée par la production d'aucun fait nouveau, le même sujet ayant été épuisé jusqu'à ta corde en 1892, au Congrès de psychologie de Londres. Personne, sauf lui et M. Bernheim, ne demande la révision de ce procès. Ce qu'il faut retenir de ce que nous a dit M. Hartcnberg, c'est que le mot suggestion comprend tout, résume tout. Il est à la fois la fin et les moyens, l'effet et la cause, le tout et la partie, lu matière et l'objet fabriqué, le particulier et le général. N'est-ce pas tomber de la synecdoque dans la métonymie.

D'une formule incisive, tranchante comme l'acier, M. Hartenberg supprime les travaux de Braid, de Durand (de Gros), de Liébeault, de Charcot, de Dumontpallier, de la Salpètrière, de l'Ecole Allemande, de l'Ecole de Paris, du Congrès de l'hypnotisme. Ce sont les procédés de l'anarchie appliqués à la science. A ce sujet, on nous permettra bien de rééditer avec une légère variante, le décret célèbre rédigé par Rochcforl : « Article premier: Il n'y a plus rien. — Article 2 : M. Hartenberg est chargé de l'exécution du présent décret. »

S'il m'était permis de formuler un dernier reproche à l'adresse de notre collègue, je le convierais à ne plus introduire dans le débat des questions subsidiaires qui ne sont pas susceptibles d'être soumises à la discussion. Quand il nous dit que M. Bernheim fait preuve dans sa pratique d'une psychologie perspicace et d'une habileté technique remarquable, nous n'avons évidemment qu'à nous incliner.

Incidemment M. Hartenberg nous parle de l'effroi que le seul mot d'hypnotisme provoque dans quelques âmes timorées. Le même reproche est exactement applicable à la suggestion. Littré donne du mot suggestion la définition suivante : Insinuation mauvaise. Plus loin, comparant la suggestion à l'instigation, il ajoute « Ces deux mots ont de communs qu'ils attachent un sens mauvais à l'impulsion que l'on communique à autrui. Mais suggestion exprime quelque chose qui s'insinue. » Ainsi Lîllré n'admet pas que la suggestion puisse avoir un but utile. Dans ces conditions, ne serait-il pas indiqué de changer le mot de suggestion par celui plus scientifique â'idêoplastie proposé par Durand de Gros et qui n'est encore terni par aucune imputation calomnieuse ?

S'il est vrai qu'il soit si facile d'obtenir la réalisation des suggestions faites à l'état de veille, qui nous répondra que notre collègue ne parle pas sous l'influence d'une suggestion?

Il ne voit plus l'hypnotisme, et il traduit son impression pur ces mots: « l'hypnotisme n'existe pas. » C'est peut être simplement le résultat d'une hallucination négative suggérée.

M. Dumontpallier. — M. Bernheim et son élève savent aussi bien que moi qu'il est des sujets, hommes, femmes ou enfants qui dans l'état de sommeil provoqué sont plus suggeslibtes qu'à l'état de veille. Donc, au point de vue pratique, thérapeutique, qu'il s'agisse de spasmes, de contractures, de paralysies, de phobies, de certains troubles psychiques, etc., etc., il est opportun souvent d'avoir recours à la suggestion hypnotique.

I) ne faut donc pas rayer de notre vocabulaire le mot hypnotisme, puisqu'il exprime un état physique qui favorise la suggestion en augmentant la suggestibilité des sujets, et sur ce point, M. Bernheim est assurément de mon avis, parce que certainement sa grande expérience de clinicien lui a démontré le bien-fondé de mon affirmation.

Gardons donc l'hypnotisme qui est un moyen, un procédé d'une grande utilité thérapeutique. Que M. Bernheim puisse, avec sa grande habileté de suggestionneur, n'y avoir recours qu'exceptionnellement, je veux bien le lui accorder: mais je crois que la majorité des suggestion-neurs trouvera toujours dans la suggestion hypnotique un procédé dont ils n'auront qu'à se louer, à la condition, bien entendu, qu'ils aient appris à bien s'en servir et qu'ils se soient inspirés du grand enseignement pratique de Liébeault qui, dans une de ses dernières publications: Confession d'un médecin hypnotiseur, ne néglige aucun des conseils utiles pour ceux qui marchent dans la voie qu'il a ouverte. Ces conseils peuvent être résumés dans ces deux phrases :

« Sachez endormir vos malades n ; « Sachez les réveiller ».

Quelque théorie que l'on veuille donner de l'état du cerveau dans l'hypnotisme, quelque doctrine que l'on veuille soutenir sur la suggestion, restons sur le terrain pratique, et si j'ai obtenu des succès avec la suggestion, verbale ou écrite, parce que a la foi guérit *, j'ai obtenu des succès plus remarquables et plus constants avec la suggestion hypnotique. C'est donc un devoir pour moi de rester fidèle à l'hypnotisme dans la pratique de certains cas déterminés où la suggestion à l'état de veille est souvent insuffisante.

Certes, je pourrais citer beaucoup d'observations à l'appui de ma confiance dans l'hypnotisme. Je ne rappellerai que trois de ces observations. L'une a trait à une malade qui depuis deux années était affectée de coxalgie hystérique et chez laquelle l'aulo-suggcstion et tous les appareils appliqués dans un service de clinique chirurgicale n'avaient déterminé aucune amélioration, La suggestion dans Vèlat d'hypnose a fait disparaître rapidement là' coxalgie, et cette jeune fille est restée guérie.

Une jeune dame, affectée de mélancolie avec tentatives répétées de suicide, et maintenue dans des maisons de santé pendant plusieurs années, a été guérie parle sommeil provoque. M. le professeur Bernheim a vu cette malade à Nancy, et cela sur ma recommandation.

Une dame de 37 ans, nerveuse depuis plusieurs années, parêsique droite avec contracture des fléchisseurs des doigts de la main droite,

contracture si prononcée que la pression des ongles était imprimée sur la paume de la main, et que la tension de la peau, au niveau des articulations métacarpophalangiennes, menaçait de se rompre. Cette malade n'avait retiré qu'une amélioration passagère de la suggestion a l'état de veille, mais rapidement la suggestion dans l'état d'hypnose lui permit de marcher, de se servir de son bras, et la contracture ne tarda pas à disparaître. '

Peut-être sera-t-on tenté de conclure que dans cette dernière observation, j'ai été malhabile dans l'emploi de la suggestion à l'état de veille, et que lors de l'usage de l'hypnose, j'ai été au contraire heureusement favorisé par la malade elle-même qui désirait être endormie.

Je suis tout disposé à faire semblable concession à mes adversaires et je me contententerai de leur répondre que les très habiles sont rares, et qu'un procédé qui donne de si beaux résultats à des maladroits est un procédé à conserver pour les malades, qui nous en seront reconnaissants.

Et je conclus : la suggestion à l'état de veille a une action thérapeutique indéniable; la suggestion hypnotique a une action thérapeutique encore plus grande.

FOLKLORE

Oraisons et conjurations des paysans vosgiens. — Les sorciers médicaux se rencontrent dans toutes les régions de la France et même à Paris. Voici une des oraisons qui sont souvent employées dans les Vosges pour conjurer diverses maladies :

Conjurations contre les coliques. — « Tranchée vive, tranchée rouge, tranchée blanche, quel sorte de colique, tranchée, miserere que tu puisses être, je te conjure et commande, de la pan des onze mille vierges, de sortir du ventre deN..., {désigner la personne par ses nom et prénoms).

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 21 Février et 21 Mars 1898, à 4 heures et demie.

Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, l-l, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Nouvel attentat contre le Df Charpentier.

Voici, sur le nouvel attentat dont a failli être victime M. le Dr Charpentier, le rapport adressé à l'administration par M. Pinon, directeur de Bicètre :

« Le Dr Charpentier a été, dans la matinée du 6 décembre, l'objet d'une nouvelle tentative de meurtre de la part d'un de ses malades. Il traversait les cours de l'hospice à neuf heures, lorsqu'en passant sous la voûte du bâtiment de l'infirmerie, il a été assailli par un homme dissimulé derrière un pillîer. L'agresseur lui a porté un violent coup de poing qui l'a fait tomber, et sortant aussitôt de sa poche un poids en fonte de un kilogramme, il allait l'asséner sur la tête du docteur, à demi étourdi de sa chute. Un auxiliaire permanent, M. Pélissier, est accouru à cet instant même, a donné une forte bourrade à l'agresseur et lui a fait lâcher prise.

« Le Dr Charpentier s'est relevé avec plusieurs blessures de peu d'importance. Le sang qui en tombait ruisselait sur son plastron et sur sa redingote. Il venait d'échapper au plus grand danger, grâce à l'opor-tune intervention et à la courageusse résolution d'un employé...

« C'est un malade de son service, le nommé H..., P.-F., âgé de 49 ans, qui a commis cette tentative de meurtre. Entré à Bicêtre en 1892, il avait des antécédents caractéristiques, Après un premier internement à l'asile de Ville-Evrard, il avait été mis en liberté, et son premier soin avait été de tuer sa femme dans un accès de délire causé par la jalousie. Considéré comme irresponsable, il avait été envoyé à l'asile de lïicêtre et le l)r Charpentier rédigeait au bout de quelques mois ce certificat à Un de sortie :

« Admis comme atteint d'alcoolisme chronique ou de délire de persé-« cution, II... n'a présenté aucun signe d'aliénation mentale. A sa sortie « d'un asile d'aliénés, il a tue sa femme par vengeance et jalousie. « Toutes ses facultés intellectuelles sont conservées. 11 a un .caractère « violent et s'emporte facilement. Nous proposons de ne pas garder dans « notre service ce sujet qui n'est pas aliéné. »

« La Préfecture de Police ne donnapas suite à ce certificat. II... resta ainsi plusieurs années dans l'asile réclamant sa liberté et du travail sans donner de signes d'égarement. Le docteur finit par lui signer un bon de travail et je l'occupai dans divers ateliers, en dernier lieu à l'épluchage. Il était devenu si calme et en apparence tellement inofiensif qu'il faisait en liberté des courses dans l'hospice. C'est grâce à cette licence qu'il avait pu, après avoir dérobé deux poids au service de l'épluchage, se porter sur le passage du Dr Charpentier.

« Il a été immédiatement enfermé à la Sûreté, Je viens de le questionner sur le mobile de son attentat. Il m'a déclaré qu'il nourrissait depuis quelque temps son projet contre le directeur ou le docteur, mais qu'il avait jeté son choix sur ce dernier, comme étant le plus responsable de sa longue séquestration. »

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destine à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladiesnerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. Wolf, Paul Farez, Faure, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. Charles Verdin et Branly.

Pendant le semestre d'hiver 1897-1898, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Dr* Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Henri Lemesle, Paul Farez, G. Raynaud, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Chaque année, un certain nombre d'étudiants trouvent d'importantes contributions à leur thèse de doctorat dans les travaux de l'Institut psycho-physiologique.

cours pratique dh psychothérapie et d'hYPXOLOGIB

M. le Dr Bérillon a commencé un cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie, à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arts, le jeudi 23 octobre, à dix heures et demie. Il le continue tous les jeudis, à la môme heure. Plusieurs conférences sont consacrées à l'étude pratique des applications de la suggestion hypnotique à ta pédagogie et à Véducation des dégénérés héréditaires.

conférences

Jeudi 27 Janvier, à cinq heures, M. le Dr Tison, docteur es sciences, fera une conférence sur : La physiologie du neurone. — Applications des tra~ vaux de Branly à Vétude de la conductibilité nerveuse.

Jeudi 3 FÉvniER, à cinq heures, M. le D' Bérlllon fera une conférence sur : La pédagogie suggestive et l'orthopédie mentale. {Cette conférence sera accompagnée de démonstrations expérimentales.)

Jeudi 10 Février, à cinq heures, M. le D' Paul Farez, licencié en philosophie, fera une conférence sur : L'hypnotisme considéré comme procédé d'expérimentation en psychologie.

Jeudi 17 Février, à cinq heures, M. Jules Bois fera une conférence sur : De la suggestion dans Us grimoires et dam les documents relatifs à l'ancienne magie [évocations, incantations, philtres, charmes et envoûtements.)

Jeudi 24 Février, à cinq heures, M. Eugène Caustler, professeur agrégé de l'Université, fera une conférence sur : Psychologie comparée .'L'évolution sexuelle et les combats des animaux pour la suprématie. (Cette conférence sera accompagnée de projections à la lumière oxydrique.)

Jeudi 3 Mars, à cinq heures, M. le Dr Max Nordau fera une conférence sur : La paralysie générale ; signes précoces et formes frustes de la paralysie générale.

Jeudi 10 Mars, à cinq heures, M. lo Dr Bérillon fera une conférence sur : La psychologie de la vision et révolution de la fonction visuelle. ICette conférence sera accompagnée de démonstrations des Rayons de Rœntgen, par le Dr Dagincourt.)

Jeudi 17 Mars, à cinq heures, M. lo Dr Henry Lemeslc, avocat à la Cour d'appel, fera une conférence sur : Les aliénés criminels.

La plupart des conférences seront accompagnées de présentations de malades, de démonstrations cliniques de psychothérapie, de démonstrations expérimentales et de présentations d'appareils.

UAdministrateur-Gérant : Emile BOURÏOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Qcelqcbjeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

_EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE_

12e année. — N° 8. Février 1898.

LES MAITRES DE L'HYPNOTISME

M. le Dr MESNET, Membre de l'Académie de Médecine

M. le Dr Mesket (de Paris).

Le D' Mesnet, membre de l'Académie de Médecine, médecin honoraire des hôpitaux, officier de la Légion d'honneur, a succombé le 13 janvier 1898 aux progrès d'une maladie de eccur qui, depuis deux ans, avait suspendu son activité, interrompu ses travaux.

Il était né à Saumur, en 1825. C'est a l'Ecole de Médecine

d'Angers qu'il commença ses études médicales, il en fut un des meilleurs élèves et l'un des lauréats (1844).

En 1851, il était interne de Briquet; c'est là qu'il prit le goût de.l'étude des maladies nerveuses: il recueillit dans ce service les matériaux de sa thèse inaugurale (1852) sur les Paralysies hystériques. Certes, on avait parlé de «es troubles de la sensibilité générale chez les hystériques, l'attention était éveillée sur eux depuis les travaux de Gendrin, de Briquet, de Macario, de Beau, de Lan-douzy, de Bezançon, mais on était loin d'être d'accord, et avec des modes d'examen différents, on niait ou on affirmait, sans que la vérité se dégageât. Avec la thèse de Mesnet qui avait examiné, sous la direction de Briquet, un nombre considérable d'hystériques, s'établit la notion précise de la valeur symptomatique de l'hémia-nesthésie, et surtout de l'hémianesthésie gauche chez les hystériques.

Devenu médecin des hôpitaux, Mesnet s'occupa avec une prédilection marquée des maladies du cerveau et du système nerveux. En 1856, il publia dans les Archives de Médecine une étude tout à fait originale sur la folie rhumatismale. En 18G0, parut, dans les Archives de Médecine, sous le titre de : « Somnambulisme pathologique », une observation qui montrait, de la manière la plus certaine, le dédoublement de la personnalité. Sujette à des accès de somnambulisme, a périodicité régulière, la malade qui, dans la journée, était réduite à l'immobilité par une paraplégie hystérique, retrouvait la nuit toute la liberté de ses mouvements pendant deux heures et accomplissait une série d'actes plus ou moins coordonnés, pouvant sembler appartenir à une volonté réfléchie et consciente, et cependant en contradiction formelle avec le caractère, les sentiments d'une jeune femme qui multiplia les tentatives de suicide, les préparant pendant une nuit et, dans la nuit suivante, cherchant à les réaliser. Il va sans dire qu'au réveil la perte de souvenir était complète.

Poussée très loin, l'étude médico-psychologique de ces phénomènes a beaucoup servi plus tard à Mesnet, lorsqu'il eut l'occasion d'observer d'autres faits de somnambulisme naturel associé au somnambulisme provoqué. Les deux faits de Didier et de Four-nioux sont les plus complets que nous connaissions, et ne le cèdent pas en intérêt au fait si curieux de Féiida X..., rapporte par Azam. Suivant sur cette voie, Mesnet a réuni un assez grand nombre de cas, et, en 1894, il a fait paraître un volume sous le titre: « Le somnambulisme provoqué et la fascination », qui résume les opinions auxquelles ses patientes recherches l'avaient amené. On y

trouvera des considérations médico-légales de nature à éclaircir certains points obscurs, et surtout à mettre en garde contre des affirmations trop absolues. Mesnet avait trop vu, ci trop bien vu, pour ne pas rester dans une réserve prudente, sage. Il a tout demandé à l'observation; il n'a rien avancé qu'il n'eût contrôlé; c'est son mérite, et il est grand, d'avoir, précisément à propos des considérations médico-légales dans lesquelles il est entré, insisté sur la réserve que doit toujours garder le médecin interrogé par la justice, « en l'absence de preuves suffisamment confirmatives ». C'est un ensemble de preuves de ce genre qu'il apporta à la Cour d'appel dans l'affaire Didier. Rien ne fut plus simple et plus facile pour lui que de démontrer l'innocence de cet homme. Cette démonstration, qu'il fut permis par M. le Président de la Chambre des appels de police correctionnelle, l'honorable M. Manau, de faire dans la chambre du Conseil, impressionna vivement les magistrats qui en furent les témoins. Si « extraordinaires » que dussent leur paraître les manifestations qui se produisaient devant eux, il ne pouvait leur rester des doutes quand ils eurent pu se convaincre que le sujet, en état de somnambulisme provoqué, était, lorsqu'il l'avait placé directement sous la domination de chacun d'eux, aussi docile à leurs ordres qu'il l'avait été à ceux de Mesnet.

Une des études les plus curieuses que Mesnet ait publiées, c'est celle de l'homme dit : Le Sauvage du Var. En 1864-1865, Mesnet, pour des raisons de santé, avait passe l'hiver à Hyeres. On lui avait signalé l'existence, dans la forêt de Pierrefeu, d'un individu qui vivait seul, s'éloignant systématiquement de tout commerce avec ses semblables. Il n'était pas d'un abord facile. Mesnet parvint, non sans peine, à l'approcher, a obtenir ses confidences. Il trouva là un misanthrope, qui, voulant vivre seul, dans une indépendance absolue, aflranchi de toute obligation vis-à-vis des hommes, s'était proposé « de ne rien devoir qu'à la terre libre, qu'on doit aimer sans abuser d'elle, sans la fatiguer par une culture exagérée ». Cet homme poursuivait, sans se laisser distraire, un but fixé dès longtemps. Il voulait être l'homme de la nature, et c'était à elle seule qu'il voulait tout demander. Il laissait croître sa barbe et ses cheveux pour se fabriquer, avec ce qu'il appelait la récolte de son corps, un vêtement qu'il ne devrait qu'à lui-même. Deux fois par mois, il recueillait les poils caducs ; il enduisait d'une espèce de poix, de sa fabrication sa chevelure et sa barbe, et il attendait patiemment que sa récolte fût assez abondante pour qu'il pût tisser un vêtement sans pareil. Nulle idée de prosélytisme; tout au contraire. Rien de plus qu'une conception, bizarre à coup

sûr, mais respectueuse de la liberté de chacun, et nullement de nature à troubler l'ordre social. Cerise, qui fut chargé par l'Académie de Médecine d'analyser la très intéressante communication de Mesnet, terminait ainsi son rapport:

« Cet homme doit son bonheur, sa force, sa santé, sa paix inaltérable, sa vertu même, à l'utopie satisfaite de la misère selon la nature, l'idée inflexible, étrange, folle, la monomanie, si l'on veut, plus ou moins contenue dans les limites physiologiques ; voila l'élément des existences exceptionnelles. Une individualité remarquable, sinon puissante, pourrait tout aussi bien surgir de cet élément, si, à l'idée stérile et personnelle, se substituait l'idée féconde et impersonnelle d'un réformateur, apparaissant sur un sol préparé et à l'heure propice. »

C'était parler, dans un langage philosophique élevé, d'un être fort singulier qu'on appellerait aujourd'hui un dégénéré, sans aucune supériorité. Qui le croirait, cette étude si consciencieuse de Mesnet, qui n'avait eu pour mobile que sa curiosité scientifique, fut vivement critiquée par un médecin qui ne manquait ni de verve, ni d'esprit, et chez lequel la combativité était la faculté maîtresse. Il prétendit qu'on avait pas le droit d'aller troubler les gens qui vivaient, comme le sauvage du Var, à leur guise sans gêner personne. Ce médecin était plus radical encore que le sauvage du Var, qui se prêta avec une assez vaniteuse complaisance à l'examen que Mesnet fit de lui avec toute la discrétion possible.

A ces appréciations de l'œuvre de Mesnet, exprimées par un de ses élèves, dont nous aurions cité le nom avec plaisir si sa notice biographique avait été signée, nous devons ajouter que Mesnet fut pour nous, lors de la fondation de la Revue de l'Hypjiotisme, le plus bienveillant des maîtres. Sa précieuse collaboration nous fut toujours acquise, et nos lecteurs n'ont pas oublié les magistrales études que nous avons publiées. Nous ne pouvons songer, sans une profonde émotion, aux longues séances que nous avons passées dans son service à l'Hôtel-Dieu, admis, dans une cordiale intimité, aux expériences d'hypnotisme les plus consciencieuses et les plus scientifiques que nous ayons jamais vues. Mesnet donna sans réserve son adhésion au premier Congrès international de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique que présida, à l'Hôtel-Dieu, son ami Uumontpallier. Depuis lors il fut un des membres d'honneur de la Société d'hypnologie et de psychologie. Le souvenir

de Mesnet restera gravé d'une façon impérissable dans le cœur de ceux qui ont connu l'honnête homme, le maître éminent et le travailleur acharne que fut Mesnet.

E. B.

La plupart des travaux de Mesnet relatifs au somnambulisme et à l'hypnotisme, ont été publiés dans la Revue de l'Hypnotisme. En voici l'énumération :

— Etude médico-légale sur le somnambulisme spontané et le somnambulisme provoqué. » Revue de l'Hypnotisme, 1" année, 1887, p. 302.

— Un accouchement dans le somnambulisme provoqué. — Déductions médico-légales. » Revue de l'Hypnotisme, 2' année, 1888, p. 33.

— Spasmes de l'urèthre et troubles nerveux — guérîson par l'hypnotisme. » Revue de VHypnotisme, 3" année, 1889, p. 119.

—'Troubles fonctionnels des sens et des sensibilités dans l'hypnotisme. » Revue de l'Hypnotisme, 3' année, 1889, p. 257.

—Autographisme et stigmates.» Revue de l'Hypnotisme, 4eannée, 1890, p. 321 (3 figures).

— Caractères différentiels des deux somnambulismes : le provoqué et le spontané, * Revue de l'Hypnotisme, 8e année, 1894, p. 161.

— Le sommeil provoqué et la fascination, » Rueff, éditeur. Paris 1893.

ASSIMILATION DELA CONDUCTIBILITÉ NERVEUSE

à la conductibilité électrique discontinue

Par M. le D'Edouard Branly (i).

Dès les premières recherches sur le fonctionnement du système nerveux, il a paru naturel d'admettre entre la conductibilité nerveuse et la conductibilité électrique une ressemblance qui a été exprimée par le terme de courant nerveux. Le système nerveux passait alors pour constituer un tout dont les différentes parties étaient continues. Mais dans ces dernières années, les recherches histologiques ont fait voir que le système nerveux est formé de neurones, éléments indépendants, sans soudures entre eux, qui ne sont en rapport que par leurs

(1) Cette assimilation, annoncée par M. Branly dans une communication présentée le 6 décembre 1897 à l'Académie des Sciences, a été développée par lui dans une deuxième communication du 27 décembre. Un article de M. Tison dans VActualîté médicale du 15 Décembre traite le même sujet d'après des notes qui lui ont été remises par M. Branly.

extrémités ramifiées et par contiguïté. Il en résulte que l'onde nerveuse se propage par contiguïté et qu'elle est arrêtée par un défaut de contiguïté. L'assimilation du système nerveux à un système de conducteurs métalliques n'est plus possible, mais une analogie frappante se présente entre le fonctionnement du système nerveux et les propriétés d'un conducteur discontinu, propriétés que j'ai fait connaître en 1890 et 1891 et que je vais d'abord résumer.

Conductibilité électrique d'un conducteur discontinu

On sait que les courants électriques traversent très facilement les métaux tandis qu'ils sont arrêtés par les corps dits isolants, tels que l'air, le soufre, la paraffine, les résines. Soit un circuit fermé comprenant un élément Daniell, un galvanomètre et des conducteurs métalliques, le galvanomètre est très fortement dévié, la déviation est au contraire nulle si une couche même très mince d'un isolant est intercalée dans le circuit. Outre ces deux classes bien distinctes de substances: métaux etisolants,onpeut en considérer une troisième, celle des substances conductrices discontinues, telles que des mélanges de matière isolante et de poudres métalliques où les grains métalliques ne se touchent pas et sont séparés par une matière isolante dans laquelle ils sont noyés. Ces assemblages complexes paraissent tout d'abord se comporter comme des isolants et arrêter complètement le courant d'un élément de pile. Toutefois, lorsque la proportion de la matière isolante est suffisamment petite, ces mélanges^ peuvent devenir conducteurs sous diverses influences électriques, et leur conductibilité présente des caractères qui la rendent spécialement intéressante.

Pour étudier cette conductibilité, formons encore un circuit avec un élément Daniell, un galvanomètre et une petite épaisseur d'un conducteur discontinu intercalée entre deux tiges métalliques qui la rattachent au reste du circuit, le courant de l'élément de pile ne passe pas et la partie mobile du galvanomètre se maintient à son zéro. Si l'on vient alors à relier la substance discontinue aux deux pôles d'une pile d'un grand nombre d'éléments, ou si l'on y fait passer une petite étincelle de bobine d'induction ou même si l'on fait éclater dans le voisinage et à dislance (parfois à vingt mètres et plus) une décharge de condensateur, c'est à dire une décharge oscillatoire, la substance discontinue cesse d'arrêter le courant de

l'élément Danieil, elle se laisse môme traverser facilement par des courants très faibles; sa résistance s'est abaissée de plusieurs millions d'ohms à quelques ohms.

Cette conductibilité ne cesse pas immédiatement avec l'effet qui lui adonné naissance, elle persiste souvent plusieurs jours; la rapidité du retour à l'état primitif dépend de l'énergie de l'action productrice et de la nature des substances. Certaines circonstances physiques peuvent hâter singulièrement le retour, par exemple une élévation de température, mais particulièrement !c choc et quelquefois un choc extrêmement faible. Si le choc est violent, la résistance de retour devient supérieure à la résistance qui précédait l'action électrique.

Lorsque, par un choc modéré, on a rétabli la résistance initiale et que le galvanomètre qui sert aux mesures est revenu au zéro, la conductibilité est reproduite et aussi accentuée que la première fois par une action électrique notablement plus faible que celle du premier départ (par exemple par une étincelle à distance beaucoup plus faible que la premiére).II y a donc eu sensibilisation par un premier effet.

En raison de l'action exercée sur cette conductibilité par le rayonnement électrique d'une décharge de condensateur, on peut donner à ces substances le nom de radioconducleurs, nom qui rappelle leur propriété la plus inattendue.

Les substances conductrices discontinues constituent un groupe très varié et extrêmement étendu : poudres, limailles et grenailles métalliques, plaques'de verre métallisées ou p!om-baginées, mélanges pulvérulents de matières isolantes et métalliques, pastilles solides formées de poudres métalliques incorporées par fusion dans une substance isolante, feuilles de collodion imprégnées de poudres métalliques, feuilles métalliques très minces, feuilles métalliques vernies ou oxydées, etc.

Par suite de leur usage récent dans le récepteur de la télégraphie hertzienne sans fil, les limailles métalliques sont les plus connus des radioconductcurs, la matière isolante qui sépare les grains de limaille est dans ce cas Pair interposé.

Les radioconducteurs se relient aux conducteurs continus par des intermédiaires tels que les lames métalliques minces qui n'offrent qu'à un faible degré les variations de conductibilité si considérables des limailles métalliques et des agglomérés à gangue isolante. En réalité, il n'y a pas de séparation absolument tranchée entre les deux groupes de conducteurs,

continus et discontinus, et le conducteur discontinu à grains contigus noyés dans un milieu isolant peut être regardé comme le type du conducteur quel qu'il soit. Dans un bloc métallique, la compression a extrêmement réduit le milieu isolant qui entoure chaque grain et les variations de conductibilité ne s'observent plus que sous l'action de la chaleur. Dans les conducteurs visiblement discontinus, la matière isolante maintient les grains conducteurs à une distance appréciable les uns des autres, et lorsque la matière isolante est en proportion suffisante, les variations de conductibilité, au lieu d'être persistantes, comme elles le sont, eh général, avec les limailles métalliques, disparaissent immédiatement après avoir été provoquées par l'étincelle; enfin, pour une proportion plus grande encore de l'isolant, elles finissent par ne plus avoir lieu, même par l'application directe de violentes décharges.

Assimilation avec la conductibilité nerveuse

Si l'on compare le système nerveux à un conducteur discontinu, un neurone se comporte comme un grain métallique d'un conducteur discontinu.

« Plusieurs raisons, déduites de la comparaison dans certains cas du fonctionnement des conducteurs discontinus et de celui des neurones, paraissent justifier cet essai d'assimilation.

« De même que le choc affaiblit et fait même disparaître la conductibilité des conducteurs discontinus, de même le traumatisme produit l'anesthésie et la paralysie hystériques, dues aune suppression de la transmission, soit sensitive, soit motrice, de l'influx nerveux et par conséquent, à un défaut de contiguïté des terminaisons nerveuses.

« D'autre part, de même que les oscillations des décharges électriques établissent la conductibilité des substances conductrices discontinues, ne voyons-nous pas ces décharges agir de la façon la plus efficace pour guérir l'anesthésie et la paralysie hystériques, ce qui conduirait à penser qu'elles ont pour effet de déterminer clans l'un et l'autre cas la contiguïté ou une modification équivalente à la contiguïté des éléments.

« Le parallélisme entre les effets du choc et des étincelles sur les radioconducteurs et sur le système nerveux hystérique se poursuit dans la susceptibilité de réagir sous une action faible après qu'une action forte a produit un premier effet (sensibilisation par un premier effet.)

« Les décharges de haute fréquence et les oscillations électriques qui les accompagnent sont éminemment aptes à rendre conducteurs les conducteurs discontinus; nous les voyons, d'autre part, d'après les observations de MM. d'Àrson-val et Apostoli, exercer un effet thérapeutique manifeste sur les affections causées par le ralentissement de la nutrition. Si ces alïections sont nerveuses et peuvent être attribuées à une transmission imparfaite de l'influx nerveux, on est autorisé à supposer que les oscillations électriques agissent en rétablissant entre les éléments nerveux une contiguïté qui était devenue insuffisante.

« J'ai montré que des courants continus d'une force electro-motrice suffisante produisent, par leur transmission dans les radioconducteurs, les mêmes effets que les décharges électriques à distance ; cette action des courants continus est soumise aux mêmes lois générales que l'action des décharges électriques : persistance, disparition par le choc et parla chaleur; en outre, une première excitation par une pile d'une grande force électromotrice détermine également, après le retour, la susceptibilité d'excitation par une pile d'une force électromotrice notablement moindre et graduellement décroissante (sensibilisation). Les courants continus agissant également sur le système nerveux, il y aurait lieu de rechercher si leur mode d'action dans les affections où ils ont été reconnus efficaces présente les mêmes particularités que sur les radioconducteurs.

« Je n'insiste pas sur le rôle de la substance intermédiaire entre les neurones et entre les grains métalliques, ni sur le mécanisme par lequel s'établit la transmission ('). L'incerti-

(i) Pour matérialiser le phénomène de la transmission dans les conducteurs discontinus, je suppose que chaque grain est entouré par une gaine d'éther ; à l'état normal, pour une épaisseur convenable du milieu isolant, les gaines d'éther ne se louchent pas- SI une étincelle électrique vient à jaillir dans le voisinage, les gaines d'élber se rcnûcntct c'est de leur pénétration mutuelle que résulte la conductibilité électrique. Cette pénétration se maintienttant qu'un choc n'a pas fait rétracter les gaines. Si l'on augmente la quantité do matière isolante intercalée entre les particules métalliques, la pénétration des gaines d'éther n'a pas Heu. clic se réduit a un simple contact que le moindre ébranlement supprime. En augmentant encore la quantité de matière isolante, le contact ne peut plus se produire et la conductibilité devient impossible.

Cette théorie peut être critiquée quant à la forme, en raison de l'incertitude où nous laisse notre ignorance de la constitution de la matière, mais elle est exacte quant au fond, car elle ne fait que traduire le fait de l'établissement de la conductibilité et de sa disparition.

On peut admettre pour les neurones des prolongements jouant un rùle analogue à ceux de l'Ether qui envelopperait les grailla métalliques.

tude est trop grande dans le cas des neurones, aussi bien que dans le cas des conducteurs discontinus, pour que la concordance des hypothèses offre de l'intérêt.

v Ces quelques aperçus ne sont pas de nature à permettre d'affirmer autre chose qu'une analogie d'effets, mais ils sont susceptibles de guider dans le choix des modes électriques à employer dans différents cas (effluves, étincelles, etc.) et de provoquer des interprétations dont TÉlectrothérapie pourrait tirer parti. »

L'HYPHOTISME ET SA RÉGLEMENTATION LÉGALE

Par M. le Dr de Packiewicz (de Riga). (1)

Dans tous les pays, les pouvoirs publics ont souci, non seulement de l'intérêt des citoyens bien portants, mais aussi de celui des citoyens malades. Ce dernier soin se manifeste par un contrôle médical exercé par le gouvernement sur tous les médicaments nouvellement proposés et dont l'admission au Codex n'est adoptée que sur l'avis d'une commission compétente.

Regardant l'hypnotisme comme un médicament, les gouvernements de quelques pays ont mis des entraves à son application comme méthode curative. En France, par exemple, la pratique de l'hypnotisme, et. de tout ce qui s'y rattache de près ou de loin, est entièrement interdite aux médecins militaires.

En Russie, cette pratique est permise aux médecins, sans aucune exception, mais à la condition que deux médecins assistent à toutes les expériences de l'hypnotiseur. Celui-ci doit, en outre, immédiatement après, rendre compte au bureau médical des moyens employés par lui ainsi que des résultats obtenus ou qu'il cherche à obtenir, et faire connaître les noms des confrères qui l'assistaient.

L'identité de pareilles mesures de précaution avec une interdiction complète est incontestable. Vu ceci, ainsi que la nécessité absolue de lutter contre les éléments psychiques dans les maladies parle moyen de la suggestion hypnotique, et vu, dans beaucoup de cas, les résultats brillants que donne cette

(1) Communication faite au Congres de iioscou, 1897.

méthode curative, je me permets d'attirer l'attention de l'assemblée si éminente, qui constitue la section des maladies nerveuses et mentales, sur les mesures de restriction en question et de demander surtout à nos maîtres de l'hypnothé-rapie, tels que (je cite ici seulement les présents au Congrès): Bérillon, Bernheim, Eulemburg, de Jong, von Krafït-Ebing, Lombroso, Obersteiner, Pitres, Tokarski, Voisin, si ces mesures de précaution sont nécessaires ou non.

La réponse à cette question est d'une double importance : ou elle calmera l'esprit des médecins, troublés dans leur pratique par la loi ci-dessus et les dirigera ainsi sur les voies plus utiles à l'humanité souffrante, ou elle rendra la liberté aux médecins neuropathologues qui le méritent vraiment, au moins autant que les médecins des autres spécialités.

Si l'on me permet de donner ici ma propre opinion sur les prétendues conséquences fâcheuses pour la santé, je dois dire qu'en hypnotisant pendant onze ans, et ayant eu plus de trente mille séances hypnotiques, j'ai acquis la conviction que l'hypnothérapie est le moyen thérapeutique le plus innocent et qu'il ne présente pas le moindre danger. D'ailleurs, actuellement, je dois reconnaître que l'opinion contraire n'est plus soutenue couramment. Si elle l'est encore, c'est par des médecins qui n'ont aucune compétence en matière d'hypnotisme et qui se font, de mauvaise foi, les détracteurs de nos études.

Quanta la valeur thérapeutique de l'hypnotisme, celui-ci est, d'après mes onze ans de pratique de l'hypnothérapie, un moyen très puissant qui, très souvent, donne des résultats brillants et permanents et dont un médecin spécialiste pour les maladies nerveuses ou mentales ne peut pas et ne doit plus se passer aujourd'hui.

Les neurologistes compétents que j'ai pu interroger ont tous exprimé une opinion conforme à la mienne, à savoir que l'hypnotisme, entre les mains des médecins, est absolument inoffensif. Parmi ces neurologistes, dont on ne mettra pas en doute la compétence, je puis citer MM. Bérillon, Bernheim, Dani-lewski, Delhceuf, Dumontpallier, Eulemburg, Forel, Janet, de Jong, von Kraft Ebing, Liébeault, Mcebius, Moll, Morselli, Obersteiner, von Schrenk-Notzing, Tokarski, Lloyd ïuckey, Wetterslrand, Vogt, Aug. Voisin. Tous ces savants appliquent couramment l'hypnotisme et aucun n'a constaté d'accident dans sa pratique.

Par contre, je n'ai rencontré aucun neurologiste s'étant

occupé d'hypnotisme d'une façon suivie qui exprime une opinion contraire. Dans ces conditions, puisque tout le monde est actuellement d'accord pour reconnaître que la pratique de l'hypnotisme appliquée au traitement des maladies ne comporte aucun danger pour les malades, j'estime que les mesures prises en Russie par le gouvernement, et qui n'ont d'ailleurs été prises par aucun autre gouvernement, pourraient être rapportées, pour le plus grand bien des malades et pour le progrès de la science.

LES SUGGESTIONS HYPNOTIQUES CRIMINELLES

Dangers et remèdes.

Par M. Jules Liégeois, professeur ù l'Université de Nancy.

(cuite)

IV

Delbœuf, qui ne croit pas beaucoup aux expériences on général, et surtout à celles d'autrui, s'est cependant laissé aller à en Taire quelques-unes, d'où il tirera cette conclusion que les sujets auxquels on fait des suggestions criminelles, ou bien ont assez de conscience pour se refuser à les exécuter, ou bien savent qu'elles n'ont rien de sérieux, qu'elles ne feront de tort à personne, que les pistolets ne sont pas chargés, que les poignards sont en carton et qu'il n'y a aucun inconvénient à jouer la comédie, à se prêtera l'inoffensive manie des expérimentateurs.

Il s'agit d'abord d'un jeune garçon à qui l'on avait suggéré de voler une montre, et qui regarda le tentateur avec horreur, puis se sauva à toutes jambes.

Une autre fois, Delbceuf, ayant endormi une jeune fille, a voulut lui faire croire qu'elle était mariée et qu'il était son mari ; l'hypnotisée n'a jamais voulu accepter cela. Dans le journal fa Meuse, du 28 mai 183S, un rédacteur, rendant compte de ia conférence dans laquelle l'argument avait été produit, ajoutait, en parlant du sujet : « M. Delhœuf n'était peut-être pas son Idéal I a

Or, j'ai obtenu, à la clinique de M. Liébeault, un résultat tout contraire. Faisant à des jeunes filles fort honnêtes, la mùmo suggestion quia échoué à Liège, j'ai trouvé, plusieurs fois, que cette idée était pleinement acceptée au réveil. L'une des jeunes filles entra si bien dans son rôle que, réveillée, elle dit : « Que je suis donc contente ! Il y a si longtemps que je désirais me marier ! » Puis se tournant vers moi, elle ajouta: « Demain nous nous lèveroïis tard, n'est-ce pas? J'aime tant à rester au lit le matin ! »

Voici enfin une expérience dont mon contradicteur a cru pouvoir tirer

des conséquences diamétralement opposées à la thèse que je soutiens :

Le 24 mars 1888, Mlle D... et une de ses amies sont devant une table, découpant des articles de journaux qu'elles mettent en liasses. Delbceuf appelle J,.., et à l'instant où elle ouvre la porte « il l'hypnotise d'un geste. — t J...f lui dis-je d'un ton ému, voilà des brigands qui m'enlèvent « des papiers ! — J... s'approche vivement, et se tournant vers moi : —r-« Non! monsieur. Ils jouent avec. — Ils les enlèvent, vous dis-je. » J... c va tout près d'elles résolument, leur arrache les journaux, les pose sur " la table, et. d'un ton impératif : N'y touchez plus ! — Mais vous « n'allez pas laisser ces malfaiteurs dans la maison ! Courez prendre o mon revolver. » Il était dans la chambre attenante, J... y court sans « hésitcr. EIle revicnttenantrarmcets'ari'ôteàlaporte. «Tirez! luicriai-« je — Monsieur, il ne faut pas tuer! — Mais si ! des brigands ! — Non,

* Monsieur, je ne tirerai pas. — 11 le faut. — Je ne veux pas ! — Elle « recule, tenant toujours le revolver; je la suis, en réitérant l'ordre avec «vigueur: «je ne veux pas. je n'irai pas, je ne tirerai pas! » Elle « dépose le revolver par terre avec précaution f). Elle recule encore. «J'insiste en la poursuivant : « Je ne le ferai pas. » Acculée dans un « angle, elle me repousse avec violence. Je juge prudent de la réveiller

* Réveillée, elle sourit comme à l'ordinaire. Il lui revient vaguement « quelque chose de la scène, quand elle voit le revolver par terre. Elle « n'est nullement émue »

Et l'orateur d'ajouter, triomphant : « Voilà ce que l'on peut appeler « une expérience concluante. » Sans doute il ajoute : « si jamais une

« expérience négative pouvaitl'ôlre. » Ce qui ne l'empêche pas d'ajouter : « Commentons-là! »

Mais, pourrais-je objecter, si une expérience négative ne peut jamais être concluante, ce qui est vrai d'ailleurs, pourquoi la commenter ? Dans quel but? Avec quel résultat possible?

Eh ! bien, faisons cette concession, et, nous aussi, à notre tour, commentons-la !

Et d'abord, l'expérience invoquée mesemble avoir été trop imprudemment, trop légèrement organisée pour avoir aucune signification. Ainsi Delbceuf dit lui-même que. J..., ouvrant la porte, «il l'hypnotise d'un geste ! » Mais ce n'était peut-être pas, disons mieux, ce n'était certainement pas suffisant, pour produire de piano, h supposer qu'elle en fût susceptible, le somnambulisme profond, auquel nous rattachons exclusivement la possibilité des suggestions criminelles. Ce qui nous le fait penser, c'est ce que Delbœuf nous dit, un peu plus loin. Il a souvent interrogé J..., à propos des illusions qu'il lui donnait. Celle-ci lui a répondu qu'elle voyait toujours sa figure véritable, comme dans un nuage derrière la figure qu'il avait évoquée, par exemple celle d'un jeune homme à la chevelure abondante et à la barbe noire. Nous

(1) Souligné par Delbœuf lui-même.

(2) Discours cité, p. 25.

n'avons jamais trouvé rien de pareil à Nancy, chez nos bons somnambules.

Notre contradicteur ajoute : « Il est donc fort probable qu'elle recon-« naissait ma fille et son amie, dans les personnages que je lui « désignais comme voleurs ! » (p. 26, in fine).

L'on conviendra que c'est une étrange somnambule, au point de vue d'une expérience sur les suggestions criminelles, que celle qui, au cours de l'expérimentation, reconnaît, dans les voleurs qu'on lui ordonne de tuer, qui? précisément la fille de son maître, pour laquelle elle a depuis longtemps beaucoup d'affection et de dévouement!

« J.., continue Delbœuf, savait donc qu'elle jouait la comédie, avec la « conscience cependant qu'elle avait de représenter un personnage « déterminé. » Mais, répondrons-nous, si, en effet, elle joue la comédie, sachant qu'elle la joue, pourquoi cette résistance contre laquelle vient se heurter la suggestion? Pourquoi, ayant consenti à aller chercher le revolver, refuse-t-elle d'en faire usage? Si elle sait, si elle voit que Delbceuf lui ordonne de tirer sur sa fille, et non sur des voleurs, pourquoi ne •fait-elle pas semblant d'obéir, sachant bien que son maître est incapable de lui prescrire un crime aussi horrible? Pourquoi dire que J..., a dû croire, qu'elle a cru que le revolver était « chargé, » comme toujours, et que c'est pour cela « qu'elle le dépose k terre avec précaution ? » Toutes ces propositions ne sont qu'un tissu de contradictions, et elles prouvent précisément le contraire de ce qu'on prétend leur faire dire.

Et je poserai à Delbceuf ce dilemme: Ou bien J..., n'est pas une de ces somnambules chez qui le monoïdéisme se produit avec toutes ses conséquences d'automatisme et d'obéissance passive; ou bien, si elle a joué la comédie, sachant qu'elle la jouait, elle devait tirer surMIle D... et son amie, sachant fort bien alors que le revolver n'était pas chargé.

Car, il est au moins singulier que Delbceuf, qui ne veut pas, dans mon expérience avec Mlle E... P..., que celle-ci ait pu croire que mon pistolet pouvait être chargé, trouve tout naturel d'admettre que J..., a cru forcément que son revolver, à lui, était chargé!

Notre% adversaire a bien vu l'objection, mais avec sa dialectique subtile, il essaye de s'en faire un argument nouveau, o Même, dit-il, si « J..., avait tire, on n'aurait pu en conclure qu'elle était de complexion « à commettre un meurtre; car, comme elle n'était pas absolument « arrachée au monde réel, elle pouvait assez naturellement penser « qu'il s'agissait d'une fiction, que je n'avais garde de la faire tirer sur « mon propre enfant, et que, par conséquent, elle ne pouvait éprouver « aucun scrupule à exécuter l'ordre que je lui donnais. » (p. 28)

Ici, vraiment, la réfutation devient trop facile.

J'examinerai tout à l'heure la question de savoir si des expériences négatives peuvent jamais prouver quelque chose contre des faits positifs. Mais, même laissant ce point en suspens, pourquoi Delbœuf a-t-il fait une expérience qu'il a d'abord qualifiée de « concluante »

puisque, de quelque manière qu'elle tournât, qu'elle amenât J..., à tirer ou à ne pas tirer sur Mlle D..., ni lui ni ses adversaires n'en devaient pouvoir déduire aucune concluison légitime?

Etpourquoi, à Nancy, avons-nous obtenu des résultats tout contraires? C'est que nous n'avons jamais expérimenté que sur des sujets que nous avions, au préalable, mis en somnambulisme profond, et dont on ne pouvait pas dire, comme de ceux de Liège « qu'ils n'étaient pas absolument arrachés au monde réel (Delbceuf). »

« L'homme, dit Liébeault, qui est parvenu dans le sommeil au plus « haut degré, par celamème est nécessairement privé de toute commu-« nication avec son entourage, de toute initiative, et reste sans volonté, « l'esprit immobilisé dans un monoîdéisme complet; celui-là va à son « but, par auto-suggestion ou par suggestion, comme la pierre qui « tombe. Ce n'est que lorsque l'homme est rentré dans le sommeil de « plus en plus léger qu il regagne peu à peu de son pouvoir volontaire, « et qu'il peut offrir alors aux hypnotiseurs inexpérimentés des argu-« ments de fait, contre la possibilité des suggestions suivies d'effets « criminels. Ne trouve pas qui veut un somnambule au plus haut degré « de concentration d'esprit; je n'en ai rencontré que quatre ou cinq sur « cent, parmi les sujets que j'ai soumis à l'hypnotisation, sujets par « l'intermédiaire desquele on aurait pu sûrement faire commettre les « crimes les plus épouvantables, et que l'on n'exécute que dans certains « états de folie (1). »

V

Le moment est venu maintenant d'insister sur la règle à laquelle j'ai déjà fait allusion. Cette règle, posée par Claude Bernard, et rappelée par M. Paul Janet, dans la discussion de mon Mémoire à VAcadémie des sciences morales et politiques, c'est que les expériences négatives ne prouvent rien, et que, très .souvent, comme Ta maintes fois remarqué Pasteur, une expérience ne réussit pas parce qu'on n'a pas su s'y prendre, parce qu'elle a été faite dans des conditions où elle ne pouvait pas réussir. Dès lors, de ce que MM. Delbœuf, Brouardel et Gilles de la Tourette n'ont pu obtenirles résultats que nous avons, cent fois, produits à Nancy, l'on ne peut légèrement tirer cette conséquence que nos conclusions sont entachées d'erreur. Avec une parfaite bonne foi, Delbœuf avait reconnu la valeur de l'objection. Dans sa brochure sur le Magnétisme animal, il disait, en 1889 : « M. Liégeois me dira : que a des expériences négatives ne prouvent rien ; cela est incontestable ! » Alors, peut-on se demander, à quoi bon bon le discours de 1894 ? Mais, nous consentons à ne pas nous en tenir à cettte tin de non-recevoir.

Dans un autre passage, il me concède sans peine que MM. Brouardel

(1) Libbeaclt. Suggestions criminelles Itypnotiques. Arguments et faits à l'appui-Revue de l'hypnotisme, avril 1805 (p. 296).

et Gilles de la Tourette lui paraissent aller trop loin, quand ils nient même la possibilité du viol. Ici, il est tout à fait de mon avis.

Mais, où il ne peut me suivre, c'est quand je tire argument des actes des somnambules naturels. « Qu'un père, dit-il, croyant tuerune béte « fauve qui veut dévorer son fils, tue celui-ci ; qu'une mère qui rêve « d'un incendie, jette par la fenêtre le berceau où dort son enfant, cela a s'est vu et se verra malheureusement encore. Mais ce sont là des cas « pathologiques très rares. Qu'il y ait des sujets qui, plongés dans le a somnambulisme artificiel, puissent en arriver là, il serait aventureux - de le nier catégoriquement; pour ma part, je ne voudrais pas le faire. « Mais une chose me paraît certaine, c'est qu'ils doivent être également « très rares ('}. »

Mais, nous n'avons jamais affirmé, à Nancy, que ces cas fussent très nombreux. Nous avons vu, tout à l'heure, que M. Liébeault évalue à 4 ou 5 pour cent, les somnambules à qui l'on peut faire commettre des crimes par suggestion. Cela est donc assez rare. El pourtant, cela représente, pour Bruxelles, plus de 30.000personnes, pour Berlin 80,000, pour Paris 100.000, pour Londres 200,000! Il vaut la peine d'y réfléchir!

Dans le discours qui nous occupe, Delbœuf semble même regretter la concesssion qu'il nous a faite, cinq ans plus tôt. Il a, dit-il, demandé à un grand nombre de personnes, à des amis, à des magistrats, s'ils avaient jamais rêvé qu'ils commettaient des vols ou des meurtres. Tout le monde lui a répondu : Non ! Eh ! bien, c'est là une enquête fort incomplète, et, dès lors, non probante. J'ai consulté M. Liébeault, et il m'a dit avoir rêvé plusieurs fois, qu'il commettait un meurtre ; un jour même, il fit en rêve un repas composé de chair humaine ! Et, pour qui connaît mon savant et illustre ami, ce serait peut-être s'avancer beaucoup que de dire qu'il ne rêvait que de choses qu'il eût été plus ou moins disposé à exécuter à l'état de veille!

Toutetois, je ne m'en suis pas tenu là. J'ai voulu aussi consulter un autre de mes amis. Et je veux rapproche!* son témoignage de ce passage de son discours o ù Delbœuf dit ne pouvoir mieux rendre sa pensée que par la formule suivante : « On ne fera exécuter au sujet que les actes qu'il v lui arriverait d'exécuter en rêve! » (p. 28.) Et, quels sont ces actes ? L'auteur d'une brillante et substantielle étude sur le sommeil et les rêves va nous l'apprendre:

« Chaque jour, nous sommes, pour ainsi dire, ravis à nous-mêmes, « par un génie fantastique, bizarre et capricieux, qui se fait un malin « plaisir de confondre les contraires, le bien et le mal, le vice et la « vertu. A certaines heures de la journée, le plus juste des hommes » commettra sans remords les plus abominables forfaits; il deviendra « voleur, assassin, incestueux, parjure ; la jeune et chaste épouse se « livrera aux actes les plus indécents, la nonne pudibonde laissera

(1) Le Magnétisme animal (p. 97).

« tomber de ses lèvres d'immondes paroles ; emporté par la passion ou « la fantaisie, le pieux lévite ne reculera devant aucun sacrilège (1). »

Et qui a dit cela? C'est notre très savant, très cher et très regretté Delbœuf !

VI

Ne pouvant effectivement faire tuer personne par suggestion — ce dont nos adversaires ont toujours bruyamment triomphé,—je rapporterai ici un fait judiciaire, qui montre comment se traduisent, dans la réalité, les théories que je soutiens depuis près de quatorze ans. Delbœuf Tacite de mémoire dans son Discours à l'Académie de Belgique, mais ses souvenirs l'ont mat servi. M. Liébeault et moi avons été, mieux que personne, en situation de savoir, jusque dans les moindres détails, comment les choses se sont passées.

Noussommesen 1886. N..., est un jeune employé de commerce, très bon somnambule, que j'ai rencontré à la clinique de M. Liébeault, et avec qui j'ai pu, Tannée précédente, réaliser une suggestion à l'échéance de 365 jours.

Au mois d'Octobre, le Dr Liébeault reçoit la visite du DrX..., qui lui exprime le désir d'assister à une expérience de suggestion criminelle.

N..., se trouvant là précisément, l'on convint de lui faire commettre un vol, dans les conditions de contrôle les plus rigoureuses. Un ami de la maison, M. F..., venait de sortir ; sans le prévenir, on résolut de lui faire jouer le rôle de victime, dans le délit qu'il s'agissait de faire commettre. M. Liébeault dit à N..., préalablement endormi: « Vous irez « demain, à 11 heures du matin, chez M. F... Vous serez reçu dans une « chambre, où vous verrez deux statuettes sur la cheminée ; vous vous « en emparerez avec adresse, et vous les emporterez, cachées sous vos « vêtements. Mais, le surlendemain, vous vous repentirez et, pris de « remords, vous reporterez les statuettes à M. F..., vers la même « heure. » Pendant que M. Liébeault se préparait à réveiller l'hypnotisé, le Dr X... dit à ce dernier, en appuyant ses paroles d'une intonation énergique : « Et vous volerez ! Entendez-vous ! Vous volerez (aj ! »

Quelques jours plus tard, M. F..., à la clinique qu'il fréquentait depuis longtemps, raconta, sans se douter acunement de la suggestion faite à son sujet, et en les trouvant fort étranges, les faits qui s'étaient passés chez lui exactement selon le programme arrêté à l'avance. N.., avait, pris du remods suggéré, renvoyé les deux statuettes à leur propriétaire, par l'intermédiaire d'un enfant.

Malheureusement, là ne devaient pas se borner les suites de l'expérience superposée par le Dr X..-, à celle de M. Liébeault.

(1) Delboecf. Le sommeil et les rives, p. v, Paris, Àlcan éditeur, 1885.

(2) Liébeault. Suggestions criminelles hypnotiques, arguments ei faits à l'appui. Revue de l'Hypnotisme, avril et mai 1895, p. 2«9 et 330. il. le Professeur Masoin m'a, par erreur, attribué, dans les faits qui ont amené la condamnation de N..., une participation qui n'a jamais existé, ainsi qu'on le verra plus loin.

Peu de temps après, N... pénètre dans une maison de Nancy; en plein jour, sans se cacher, il dérobe un pardessus, accroché à un portemanteau, puis il l'endosse et sort tranquillement delà maison, sans que personne l'ait vu. Une autre fois, au même endroit, N... dérobe encore un second pardessus et deux pantalons.

Bientôt arrêté, il est reconnu par un brocanteur, à qui il a essayé de vendre quelques-uns des objete volés. Interrogé par le Commissaire de police, il avoue non seulement les vols qui lui sont reprochés, mais encore quelques autres larcins sans importance; il avoue tout ce qu'on veut. — On lui eût fait avouer qu'il avait vole les tours de Notre-Dame de Paris !— Il a volé, à un commerçant chez qui il était employé, des faux-cols, des cravales. Enfin il a encore dérobé du papier à lettres, de vieux livres dépareillés, et, ce qui dénote évidemment un malfaiteur dangereux, des cartes de visite au nom de son patron !

Bien plus, N... porte constamment un carnet sur lequel il a soin de noter tous ses vois1. Ainsi ce carnet porte : « A la Dépêche — Demande — Mo...[*) 2 Ps. IPn. iPsb.» Interrogé sur le sens de ces hiéroglyphes, il explique aussitôt bénévolement ce qu'il a pris soin de noter. « Je suis o allé au journal La Dépêche, demander un emploi. Les abréviations ¦ veulent dire : deux pardessus, un pantalon, une paire de snow-boots. " (Le volé ne s'était même pas aperçu de ce dernier méfait! ) J'ai pris « cette paire de snow-boots chez M. Mo..., dans l'armoire où j'ai volé. « Ces chaussures sont à la maison. » Le Magistrat lui demande alors dans quel but il a commis tous ces vols, et il répond : « Afin de me pro-« curer de l'argent, pour mes menus plaisirs. Mes parents me nourrissent « et m'entretiennent. »

Signé: N... etR..., 0" de police.

Informé de l'arrestation de ce malheureux jeune homme, à qui je portais beaucoup d'intérêt, je demandai au Parquet l'autorisation de le visiter dans sa prison, pour le soutenir de mes conseils, et me rendre compte de son état, au point de vue de sa liberté morale et de sa responsabilité pénale. Cette autorisation me fut refusée.

N... fut condamné, par le tribunal correctionnel de Nancy, à deux mois de prison, malgré les efforts désintéressés d'un de mes amis, M* Louis Lallement, qui avait bien voulu, sur ma prière, lui accorder le secours de son talent.

« Pendant plusieurs années après cette condamnation, a dit, à ce « sujet, M. le D' Liébeault, j'en attribuai la cause, etje ne pouvais faire « autrement, aux suggestions hypnotiques faites par moi et surtout « par le DT X... Maintenant même que je suis mieux informé, il me reste « encore la conviction que l'idée générale de voler, suggérée par le « Dr X..., suggestion en quelque sorte indéfinie, fut pour beaucoup « dans les actes délictueux du somnambule N...(2J. »

(1) Nous empruntons ces indications aux documents du procès, « Mo... a est le nom du propriétaire des vêtements dérobés. Il est en toutes lettres sur le carnet

(2) Liébeault, /oc, cit. p. 335.

Nous continuions à croire, M. Liébeault et moi, qu'il y avait des raisons suffisantes d'admettre l'innocence de N.., à cause de l'état de somnambulisme si facile à produire en lui — un mot, un geste y suffisaient — et des suggestions qu'il avait reçues ou pu recevoir.

Nous souhaitions de pouvoir le mettre de nouveau dans le sommeil provoqué, et l'interroger, dans cet état, sur les circonstances qui avaient amené cette malheureuse affaire. Mais son père lui avait défendu d'aVoir aucun rapport avec nous, et notre désir ne put être réalisé que quand N... fut devenu majeur, quelques années plus tard.

Endormi par moi, N... nous révéla les faits suivants, qui sont de nature à le décharger de toute culpabilité consciente.

Vers l'époque où se produisirent les vols dont nous avons parlé, le Dr X.., ayant rencontré N.., l'avait entraîné dans un café, et l'avait mis en somnambulisme devant quelques habitués ; puis il lui avait suggéré l'idée de dérober quelques petits objets : montres, porte-monnaie, gants, etc. et probablement aussi des cartes de visite, ce qu'il accomplit exactement. Mais, surtout, N... s'empara, en vertu d'une suggestion formelle, d'un pardessus suspendu au mur et s'en revêtit.

Ici, je laisserai encore la parole à M. le D' Liébeault, la plus grande autorité en matière de suggestion :

a Nous ne pûmes, sur ces points divers, en apprendre davantage : cè « fut suffisjinl, à la rigueur, pour nous ouvrir entièrement les yeux.

o Nous comprimes que si N... avait pu puiser, pour une part, son a impulsion au vol, dans l'expérimentation faite par moi, avec le » Dr X.., il avait surtout, pour l'autre part, puisé le choix de ses petits « vols, indiqués sur son calepin, elle choix du vol d'un pardessus, dans « la séance si singulièrement improvisée dans un café. Tous ces vols, « petits ou grands, eurent lieu ensuite ; — car on ne peut sonder le « mystère possible de l'idée qui aurait pu être imposée à N... de ne « plus se souvenir d'avoir été suggestionné à mal faire, après son « réveil, — tous ces vols se manifestèrent parle contre-coup d'une « imitation se répétant de l'esprit sur lui-même, qui, chez N.., se forma i d'une manière intestine, et se joignit à l'impulsion énergique et « vague, causée par les mots impérieux: « Et vous voterez ! » Ces mots « englobèrent toutes les paroles du même genre qui lui avaient été « suggérées, dans des buts semblables et divers ('}. »

Et alors, tirant la moralité de cette malheureuse affaire, je dirai à mes contradicteurs : Est-ce un vrai somnambule ou un comédien, Celui qui se laisse ainsi condamner à la prison ?

Vous demandiez un crime ou un délit véritable !

Le voilà !

J'ai ainsi fait la preuve que vous réclamez à l'appui de ma théorie !

[à suivre)

(1} Liébeault, Ioc. cit., p. 336.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du Lundi 20 Décembre 1897 — Présidence de M. Auc;. Voisin,

Les Asiles d'Italie et le manicomio de Rome. (1)

Par m. le docteur Henry Lemesle, Avocat à la Cour d'appel de Paris.

Considérés au point de vue de leur disposition architecturale, les manicômes italiens revêtent deux types principaux : — Le type des pavillons, ceux-ci en rapport plus ou moins direct et symétrique avec le bâtiment central). —Le type de l'asile-village dont la seule indication est une définition. — Il y a de plus, pour la honte de ceux qui l'ont imaginé, un troisième mode représenté par une unité, le manicomio de Gènes ; c'est le système que l'on pourrait appeler rayonnant ; un édifice circulaire, situé sur un terrain assez restreint, pour qu'une élévation de six étages ait été nécessaire ; une manière de rotonde dont l'administration occupe la partie centrale, tandis que les différents secteurs sont attribués aux aliénés. Ces derniers y sont agglomérés de telle sorte qu'ils se donnent pour ainsi dire en spectacle les uns aux autres et que d'une cour l'on entend les cris provenant d'une autre cour. — Il est vrai d'ajouter que cet asile doit être transformé en prison cellulaire, seule destination à laquelle, selon nous, il eût jamais dû être adapté.

Parmi ceux que nous avons visités, les manicômes de Quarlo-al-Mare, de San-Salvi à Florence, de Saint-François de Sales à Naples, de Brescia, de Bergame, d'Imola. répondent au premier type, tandis que le second est représenté par ceux de Sienne, de Reggio et d'autres.

Le manicomio de Rome participe à la fois d'un système et de l'autre ; il se compose en effet de deux parties profondément dissemblables : La Lungara et Les Villas.

De l'asile de la Lungara, bordé d'un côté par le Tibre qui en baigne les murs, tandis que la via délia Lungara le limite d'autre part, nous ne dirons rien, n'en voulant point parler mal ; nous ne dirons pas l'encombrement qu'on y trouve, l'état défectueux des dortoirs et des cellules, l'organisation rudimentaire de l'hydrothérapie, la séparation incertaine des différentes catégories de malades, la méconnaissance des principes d'une hygiène même embryonnaire, l'insuffisance en un mot de l'établissement, insuffisance dont le personnel médical ne doit pas être tenu responsable, car il la subit et la déplore. — Cette partie qui aujourd'hui est encore utilisée pour le traitement (?) de 500 aliénés doit disparaître, nous a-t-on dit, pour faire place à la Passegiata del

(1) Rapport de mission à M. le Ministre de l'Intérieur.

lungo Tevere ; nous voulons espérer que la Province et le Municipe de Home, feront pour une promenade publique les dépenses qu'ils n'ont pas cru devoir faire pour leurs aliénés ; cependant il y a vingt ans, que d'année en année, le grand asile doit être désaffecté sans que jamais l'on passe à l'exécution. On ne le montre plus que comme une ruine, un cadavre, mais ce cadavre sent mauvais.... A quand les funérailles ?

Il n'en est pas de même des Villas. Assises sur le Montorio, au sommet de l'ancien Janicule, elles sont reliées au vieux manicomio. Une magnifique allée bordée de cactus et d'aloès et qu'ombragent des pins parasols, y donne accès : — la villa Gahrielli pour les hommes ; pour les femmes, la villa Barberini et la Casa Homana composent le pensionnat. Par une attention qu'il convient de reconnaître, chaque autre section est indiquée comme hôtel (Albergoj; il y a les hôtels: du Pin, de l'Espérance, du Repos, de la Paix. Cette dénomination présente aux aliénés l'illusion d'un séjour transitoire. — Une colonie, une ferme, des ateliers (sparterie, menuiserie, etc.,) où nous avons vu de beaux travaux effectués par les malades, complètent cet ensemble. — Ajoutez que l'espace n'a pas été ménagé, que chaque bâtiment, parfaitement dissimulé dans de luxuriantes frondaisons, est ombragé et aéré au mieux. Pour horizon, l'inoubliable panorama de Rome, depuis Saint-Pierre et le château Saint-Ange jusqu'au Cœlius et à l'Aventin, avec les monts Albains à l'arrière plan, tandis que la Campagne Romaine s'étend à droite, coupée par le Tibre qui fuit à la mer*

Malgré cette situation exceptionnelle, les statistiques ne semblent pas indiquer que les malades bénéficient de tous ces avantages : cependant, à défaut de mieux, l'hygiène y trouve son compte.

Nous ne voulons pas faire ici l'historique du manicôme de Rome, le plus ancien de l'Italie, ni redire les phases successives, intéressantes cependant, de son évolution.

Du remarquable Rendi conto clinico-statistico dcl manicomio, publié il y a quelques années par le directeur d'alors, le Dr Fiordispini, nous ne retiendrons qu'un point qui a rapport aux traitements des aliénés au xvn* siècle :

Dans un règlement édicté en 1635, par le cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII, règlement concernant le rôle du maître des fous (.Yfaestro dei pazzi), nous trouvons que :

c Le maitre des fous a pour devoir de surveiller tous les aliénés * constamment. Il doit s'assurer chaque jour du traitement qui leur « convient : savoir s'ils doivent être laissés libres par îa maison, ou liés « dans la chambre avec les fers aux pieds, ou enchaînés au lit ou dans « la chambre delà paille. II les traitera selon leur état d'agitation et de " calme.

« Il ne se séparera jamais de son nerf de bœuf, et il lui est recom-« mandé de ne point frapper avec un autre engin...

a II s'attachera à remplir ses fonctions avec charité et discrétion. a C'est chose facile, en elîet, de se départir du sang-froid nécessaire, et

alors il advient que les pauvrets sont souvent malmenés, indiscrète-o ment bâtonnés, ou attachés trop étroitement à la paille ou ailleurs.

« Quant aux femmes, il se rendra auprès d'elles sur l'invitation de la « supérieure, si une furieuse rend son intervention nécessaire.

« Il n'oubliera pas de faire réciter avant le diner et le souper les a litanies de la^Vierge et de faire bénir la table. »

Le règlement Barberini resta en vigueur jusqu'en 1795, et. pendant plus d'un siècle, les aliénés connurent l'argument du nerf de bœuf, dont les coups, il est vrai, étaient administrés avec charité et discrétion, entre les Litanies et le Benedicite. — Il est regrettable que la peinture ne nous ait pas transmis l'aspect d'un quartier d'agités à cette époque et des corps-à-corps dont il devaitétre le théâtre, alors que les pauvrets, quand ils voyaient une main levée sur eux, ne savaient si elle s'ouvrirait pour bénir ou se fermerait pour frapper.

Pour des considérations tout autres, nous regrettons de ne pas avoir la statistique clinique du traitement Barberini, car, bien qu'on en ait dit, il n'en demeure pas moins établi que la thérapeutique suggestive trouve son indication dans certains cas de folie. Les observations, il est vrai, ne sont pas légion, mais il en existe déjà bon nombre publiées par notre maître, M. le D' Aug Voisin. — Et, dès lors, n'y a-t-il pas lieu de se demander si, à côté de désastreux effets, la peur des coups n'avait pas, chez certains malades, et par suggestion indirecte, ce résultat de produire l'inhibition suffisante pour modifier favorablement les conceptions délirantes.— L'expérience n'est pas à renouveler, mais, puisqu'elle a été faite, ne scrait-i! pas curieux d'en connaître les effets, en particulier, chez certains paranoïques?

Observation d'anesthésie hypnotique dans un but chirurgical.

Par M- le D' Uoxtoya, de Médellin (Colombie).

J. D. R-. âgé de vingt-deux ans, agriculteur. Rien de particulier dans les antécédents de famille. Personnellement, il n'est ni alcolique ni syphilitique. Il y a trois ans on lui donna un coup de poignard sur la tète (région pariétale gauche) Ce jeune homme était courageux et entreprenant; après la blessure, il devint taciturne et pusillanime; il parait — selon ce qu'on dit—qu'il perdit la connaissance pendant un certain temps, et qu'il resta fou pendant trois mois ; aussitôt ii a eu des attaques dans lesquelles il perd connaissance, devient furieux et tombe dans des convulsions, etc. ; —et il ne conserve pas le moindre souvenir de ce qui est arrivé, jusqu'au point qu'il voulait tuer sa propro mère dans un de ces accès, et il le sait parce qu'on le lui a raconté.

Etat actuel : esprit pusillanime, niveau intellectuel très bas, caractère versatile, aucune initiative propre, alternatives de tristesse et de placidité sans motif, céphalée permanente, beaucoup d'insomnie, fatigue générale. Il .*>. des attaques convulsives durant lesquelles il perd

connaissance et tombe comme un corps inerte ; dans certaines occasions sa furie est terrible et quatre hommes ne peuvent le contenir et doivent l'attacher parce qu'il est très dangereux, d'après ce que disent les infirmiers.

Il a la sensibilité générale quelque peu diminuée; il tombe en léthargie hypnotique avec facilité, il reste alors complètement inerte et analgésique à un grand degré, car on peut lui traverser les muscles avec une épingle sans qu'il le sente : il perd jusqu'au réflexe pal-pébral comme dans la troisième période de l'anesthésie chlorofor-mique ; mais on ne peut le faire passer à l'état de catalepsie, et pour le réveiller cela coûte quelque peine ; il ne se rappelle rien de ce qu'il a fait pendant le sommeil hypnotique.

Notre diagnostic fut celui d'une hystéro-épilepsie traumatique, plus épilepsie qu'autre chose.

Le 23 Octobre on fit la trépanation sur le point de la cicatrice.

Par le procédé de la Salpétriêre, on le plongea dans une léthargie profonde (tandis qu'on le tondait et qu'on le rasait il se perdit une demi-heure du meilleur sommeil nerveux) ; aussitôt après commença l'opération, en présence des élèves de ma clinique ; le malade ne donnait pas le moindre signe de douleur ni même qu'il sentit ce qu'on lui faisait; on rugina l'os, et quand je me préparais à lui appliquer le trépan, mais sans le toucher encore, le malade se réveilla, non à cause de la douleur, car il ne se plaignait pas, mais parce qu'il allait mourir de l'opération (suggestion des infirmiers?) ; j'insistai pour qu'il dormît ; mais son esprit avait, évidemment, subi une suggestion contraire, déjà par la vue des instruments ou bien par les insinuations de ses amis, et comme on ne pouvait perdre de temps, on lui donna quelques grammes de chloroforme et l'opération se termina. On doit remarquer que l'os conservait au dehors une cicatrice de deux centimètres, mais au dedans il était normal et on ne voyait ni arêtes ni rien de semblable.

Six jours après, on faisait le premier pansement et on enlevait les sutures; la blessure s'était fermée par première intention, et nous permîmes que le malade se levât, car son état général était bon.

Deux jours après avoir été opéré, il eut dans la nuit une tentative d'accès quijlui dura une demi-minute, quelques convulsions, et rien de plus ; il continua à être bien, et trois jours après, les convulsions se répétèrent ; mais il est évident que l'attaque se commença et se termina sans la violence épouvantable de celles qu'il avait eues avant d'être opéré. La céphalée l'a quitté, la physionomie est plus expressive et il ne demeure pas taciturne comme avant.

Nous ne pouvons juger du bienfait que ce malade obtiendra, parce qu'il serait nécessaire de laisser passer quelques mois ; mais, parce que l'on voit, il ne sera pas à dédaigner.

Séance du 17 Janvier. — Présidence de M. Dumontpallier.

Sont élus Membres de la Société : M. le Dr Vogt, de Berlin, directeur du Zeitschrift für Hypnotismus, présenté par MM. Bérillon et Paul Farez; M. le D' F. Laraya, de Rio de Janeiro, présenté par MM. Montoya et Bérillon; de M. Cointreau, chevalier de la légion d'honneur, présenté par MM. Colas et Bérillon. Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.

Rapport sur la candidature du Dr Vogt (de Berlin) Par M. le Dr Paul Faret., licencié ès lettres (philosophie)

Messieurs,

Vous m'avez fait l'honneurde me charger de vous présenter un rapport sur ta candidature de M. Vogt au titre de membre de notre Société. Je viens m'acquitter de cette tâche.

M. le Dr Oscar Vogt (de Berlin) a déjà publié un certain nombre de travaux très substantiels parmi lesquels je liens à vous citer :

1° Des recherches anatomiques sur les fibres du corps calleux; ces recherches ont été faites à Iéna dans le laboratoire du professeur Bins-wanger, communiquées à la Société des médecins aliénistes de Dresde et publiées ensuite dans le Neurologisches Centralblatt;

2° Une étude d'ensemble ayant trait à la théorie de Flechsig sur les centres d'association ;

3° Un article sur lesomnambalismc spontané pendant l'hypnose;

4° Un autre article sur les représentations suggérées ;

5° Un long travail sur l'importance psychologique de l'hypnotisme ;

6° Une très importante communication faite en 1896 au Congrès de psychologie de Munich sous le titre suivant: La méthode expérimentale psychologique directe dans les états hypnotiques conscients.

Ces cinq derniers travaux ont paru dans la Zeitschrift fur Hypnotismus.

Si M. Vogt s'est livré à de très minutieuses études d'anatomie cérébrale, c'est dans le but de préciser et d'accroître par là notre connaissance de certains phénomènes phychologiques. Car il est avant tout psychologue et, à ce titre, il a pris en Allemagne une position très nettement caractérisée.

Alors qu'en France de nombreux savants (tels que MM. Ch. Richet, Beaunis, Pierre Janet, Binet, Bérillon, d'autres encore) ont montré combien l'expérimentation psychologique devenait féconde dès qu'elle avait recours à l'hypnotisme, — en Allemagne, au contraire, une école puissante, celle de Wundt, prétend que l'hypnotisme n'a jamais été et

ne sera jamais d'aucune utilité en psychologie. C'est contre celte affirmation de Wundt que M. Vogt a la courageuse hardiesse de protester ; il reprend et fait siennes les opinions des divers psychologues français cités plus Tiaut ; souvent môme il les dépasse ; en tous cas, il oppose à ses adversaires une doctrine très cohérente, des explications solides et des faits rigoureusement observés.

Ainsi, les deux principaux reproches que Wundt adresse à l'introduction de l'hypnotisme dans les recherches psychologiques sont les suivants :

i° L'hypnotisme rend impossible l'observation subjective de l'état de conscience présent, car le sujet est un automate qui ne se rend compte ni de ce qu'il perçoit, ni de ce qu'il sont ;

2e L'hypnotisme rend impossible l'observation subjective de l'état de conscience passé, car l'amnésie existe toujours au réveil.

Or, voici précisément ce que M. Vogt soutient avec beaucoup de force. Non seulement îl est possible que l'hypnotisé conserve pendant l'état de veille le souvenir des suggestions à lui faites pendant le sommeil provoqué, — mais encore, pendant ce sommeil, le sujet n'est pas un automate et peut avoir pleinement conscience de ce qu'il ressent. Bien plus, à la faveur de l'hypnotisme, M. Vogt développe chez ses sujets, outre une exaltation de la suggestibililé, une concentration plus grande de l'attention : il diminue en eux l'étendue ou, comme il le dit, ? « ex-tensitc » de la conscience, pour accroître du môme coup l'intensité de cette dernière ; il crée certains états hypnotiques conscients parmi lesquels il dislingue les états de dissociation systématique partielle et les états de veille systématique partielle ; puis, interrogeant ses sujets, il les amène à s'observer et à donner eux-mêmes une exacte analyse psychologique des divers sentiments qu'ils éprouvent, et cela, au moment môme où ils les éprouvent. Donc, non seulement l'hypnotisme, ainsi entendu, rend possible l'observation subjective, mais encore il en accroît la portée, puisqu'il confère à l'introspection une finesse et une acuité qu'elle ne saurait guère atteindre pendant l'état de veille. En ce qui me concerne, j'estime que M. Vogt a pleinement raison contre Wundt.

La personne de M. Vogt ne nous est pas inconnue ; il a, en effet, le 20 Juillet 1897, assisté à la séance annuelle de notre Société; il a été notre convive, lors du banquet qui a suivi cette séance ; on se rappelle qu'il y a porté un toast très chaleureux aux maîtres français de l'hypnotisme et en particulier à notre vénéré président M. le D'DumontpalIier; il a pris soin aussi, le môme jour, de nous présenter le sujet si dévoué sur lequel il expérimente d'ordinaire. De plus, il a bien voulu, le jeudi suivant, à l'Institut psycho-physiologique, reproduire pour M. Bérillon et pour moi, quelques expériences caractéristiques dont furent aussi témoins un certain nombre d'étudiants de la Faculté de médecine de Paris. Mais, à cause du peu de temps dont il disposait alors, M. Vogt n'a

pu nous donner qu'un exposé très incomplet de ses idées. Aussi, ài-je l'intention de mettre prochainement en lumière, pour les psychologues français, ce que ses travaux contiennent d'essentiel.

Quoique relativement jeune encore, M. Vogt possède un bagage scientifique très estimable : après avoir été en anatomie, en psychiatrie, et en hypnologie l'élève du professeur Forci, il dirige, sous le patronage de ce dernier, une revue très importante, la Zeitschrifft fur Hypnotis-mus; enfin, si j'ajoute qu'il est un savant consciencieux, méthodique, érudit, profondément sincère, passionné pour les études psychologiques, j'en aurai dit assez pour vous convaincre qu'il mérite d'être accueilli avec faveur parmi nous.

Je vous propose donc d'admettre M. le Dr Vogt (de Berlin) au titre de membre de la société d'hypnologie et de psychologie.

Sur une classification naturelle des caractères

Par M. le D' Félix Rkgsault.

Les variétés des caractères sont si nombreuses qu'il est impossible de les étudier, si on n'adopte, pour le faire, une classification naturelle.

Les philosophes ne me paraissent pas avoir trouvé cette classification, car chaque auteur a son mode de classement qui lui est spécial, au moyen duquel il vous décrit une série nombreuse de caractères, sans qu'on y perçoive aucun lien naturel.

Sans entrer dans la critique des classifications proposées par Azam, Fouillée, Paulhan, etc., nous voulons en indiquer une, basée sur l'ana-tomie et la physiologie du système nerveux.

Nous avons vu ici même ('J-le parti qu'on peut tirer du réflexe nerveux dans l'étude de la volonté et des causes des actes.

Ce réflexe décompose les phénomènes nerveux en trois phases :

1) La sensation arrive au cerveau ;

2) Elle met en branle le cerveau et y parcourt un circuit varié ;

3) Elle provoque un acte.

Les phénomènes psychiques que manifeste un individu, son caractère par conséquent, doit être étudié dans ces trois phases : Quelles sensations il perçoit, comment fonctionne son cerveau, quels actes il commet.

C'est ce qui n'a pas été fait. On se contentait souvent d'une phase pour déterminer un caractère : on disaiî, par exemple, qu'il était sensible ou non (I,c phase), sentimental ou logique (2' phase), actif ou lent (3e phase) ; ou encore on se contentait de deux phases en négligeant la troisième.

Traduisons ces qualités par des lettres. Nous dirons que la lro phase de l'individu peut être a ou b ; la 2°, c ou d ; la 3' e ou f. En réduisant à deux le nombre dos variétés, nous voyons la quantité

(1) Soc. d'hypnologie, 17 février 1S36 et 25 juillet 1896.

de caractères différents avec les combinaisons possibles de ces six lettres. Nous aurons ace ou b d f ou a d f ou b c e ou a c f on b d e ou a d e ou 6 c f. On voit combien il est plus simple d'étudier les éléments que de s'arrêter à ces combinaisons, et combien on comprend mieux les combinaisons quand on connaît les éléments.

L'étude des caractères d'après la classification ci-dessus va nous faire mieux comprendre encore ces avantages.

1. — Sensations.

a) La sensation est perçue faible ou intense, on aura des apathiques ou des sensibles.

^) Un sens perçoit d'une manière intense, les autres faiblement.

Si le sens qui perçoit est inférieur, nous aurons des gourmands (goût], des gloutons (faiml, des sexuels.

S'il s'agit de sens supérieurs, nous aurons des visuels, des auditifs ; division dont Charcot a tiré un si grand parti.

Notons que souvent la grande intensité des sensations perçues par un sens peut être méconnue ; car ce sens peut être maîtrisé par le cerveau, qui l'empêche de s'exercer en proporlion de son intensité.

Un gourmand peut être sobre par raison ; un sexuel, chaste pour des motifs spéciaux, etc.

ii. — Cerveau.

Rappelons ce que nous avons dit à propos de la cause des actes :

La sensation peut traverser le cerveau sans provoquer ni sentiments ni idées et amener un acte suggéré.

Le cerveau peut réagir et provoquer un acte d'opposition.

La sensation met en action un groupe de cellules, éveille un sentiment.

La sensation excite plusieurs groupes de cellules, d'où plusieurs idées. Un groupe plus important amène !:acte, qui est ainsi raisonné. Appliquons ces données à l'étude des caractères.

a) La sensation provoque un acte d'imitation.

Ces suggestionnés fourniront les menés par opposition aux meneurs ; les disciples en opposition aux maîtres.

La suggestion peut être de longue durée, on a les obstinés, les têtus ; ou n'avoir qu'une durée éphémère et être remplacée par d'autres aussi rapides : c'est le caprice.

b) Le cerveau non seulement accepte la suggestion, mais l'exagère. Cette action est fréquente chez bien des sujets; c'est ainsi que les disciples exagèrent les principes du maître, que tous les actes sociaux sont exagérés: coutumes, modes, croyances, etc.

c) La sensation détermine un acte d'opposition.

Ce sont les esprits contradicteurs, les critiques.

On peut ranger dans ces caractères ceux qui détestent, par moment, les.ôlres qu'ils aiment le plus, leurs femmes, leurs enfants. Les littérateurs nous ont souvent offert ces caractères.

Alfred de Musset, dans les Confessions d'un enfant du siècle, aimait et haïssait tour à tour sa maitresse.

On peut y ranger encore ceux qui tombent amoureux de vieilles femmes, de souillons répugnants, bien qu'ils estiment cet amour indigne d'eux.

M. Tissié a bien différencié les suggestionnés et les contradicteurs dans son étude sur le sport ('J.

Un entraîneur sait qu'il doit parler différemment à l'entraîné, suivant son caractère. L'entraîné, près d'arriver au but, est harassé. Il suffit de reconnaître son caractère, pour le déterminer à un dernier effort. Son cerveau est alors comme une machine dont il suffît de presser le bouton, le tout est de le trouver. L'un est passif : on le suggestionnera en lui commandant impérativement. L'autre a l'esprit de contradiction, aussi émettra-t-on un doute sur son succès, en disant: a Tu ne pourras pas. » Enfin, il y a l'affectif ou sentimental, chez qui il faudra agir par persuasion amicale.

Nous allons étudier ce dernier.

d) La sensation excite un groupe de cellules facile à faire vibrer: ce sont les sentiments.

Les sujets qui vibrent toujours de même sous le choc des sensations sont les sentimentaux. Ce groupe varie à l'infini suivant la nature du sentiment: les uns sont vaniteux, coléreux, ambitieux, amoureux.

Ces sentiments sont, soit héréditaires, soit acquis par l'éducation.

Nous rangerons dans les sentimentaux, en les qualifiant d'inférieurs, ceux qui se laissent guider dans leurs goûts et leurs actes par des ressemblances futiles. Tels ceux qui ont bonne ou mauvaise impression d'un homme d'après son habit, la manière de se présenter, etc.

L'élude du sentiment lui-même nous fournira diverses catégories. Si le sentiment est intense, nous aurons les émotifs ; si le sentiment est unique, nous aurons un caractère constant (religieux, affectif, vaniteux, etc.). Quant un sentiment prédomine intense, il suffit de le connaître pour agir avec certitude et déterminer l'acte qu'on désire chez ces natures très simples.

Les sentiments peuvent varier, on a un caractère changeant. Ce caractère se note surtout chez les hystériques, où les sentiments sont souvent multiples, divers et incohérents.

Etudions les rapports des sentiments avec l'acte, nous verrons autant de caractères différents que ces deux facteurs varient.

L'acte suit rapidement le sentiment : il s'agit de passionnés, impulsifs, c'est le caractère des sauvages, que la raison ne retient pas.

(1) Arch. de physiologie, Oct. 1804.

Les expressions de physionomie traduisent les sentiments ; le caractère est impressionnable.

Le sentiment ne se traduit par aucun mouvement: maître de lui-même, sang-froid.

e) La sensation excite plusieurs groupes de cellules. Ce sont les raisonnants.

Ici encore on peut distinguer : ceux qui associe peu d'idées : les esprits simples ; ceux qui associent mal leurs idées : les esprits faux ; ceux qui associent bien leurs idées : les intelligents. Cette bonne association peut se pratiquer de manières diverses chez : les littéraires qui ont beaucoup d'idées, mais les associent d'une façon faible : les scientifiques qui ont peu d'idées mais les joignent fortement ; les philosophes enfin, qui, pour être dignes de ce nom, doivent relier fortement un grand nombre d'idées. L'intelligence peut être enfin spécialisée à une branche très restreinte de l'activité humaine. Pour persuader ces intelligents, il faut leur tenir des raisonnements en [rapport avec leur nature.

Suivant que l'intelligence se combine avec les sentiments pour amener l'acte on a des caractères différents : on peut être très sentimental, et réfréner ces sentiments par la raison de manière qu'ils n'aboutissent pas à des actes.

L'acte peut être accompli par le sentiment malgré la raison qui reste impuissante. Ainsi cet Italien qui était forcé de se faire attacher à une chaise pour ne point aller chez sa maîtresse.

L'acte peut provenir de la réflexion, avec arrêt des sentiments. Ce caractère nous est merveilleusement fourni par Stendhal (').

Tous mes propos d'amour avec elle ont été joués, écrit cet auteur, il n'y en avait pas un de naturel. Tout ce que je lui disais était du Fleury tout pur ; j'aurais presque pu indiquer la pièce où je prenais chaque geste, et cependant je l'aimais ; fiez-vous ensuite à l'apparence.

III. — Acte centrifuge.

Suivant la nature de l'acte on peut distinguer le lent ou flegmatique, le rapide ou vif, le violent et le modéré.

L'acte traduit le travail cérébral. C'est par lui que ce dernier nous est dénoncé. C'est donc en étudiant la sensation et l'acte, qu'il faut reconnaître le travail cérébral.

La chose n'est pas si simple qu'elle parait au premier abord. Un même acte déterminé par une sensation peut être dû à des motifs cérébraux très différents.

Soit quelqu'un qui donne à un pauvre. Il peut être charitable parce que : il a vu faire la charité par un autre (suggestion); il l'a vu refuser (opposition), par ostentation, vanité, pitié, charité (sentiments); calcul des

(1) Stendhal: Mon Journal, page 141.

chances qu'a ce malheureux de mourir de faim, nécessité sociale à l'empêcher (raisonnement).

Tous les actes humains peuvent être susceptibles d'interprétations aussi variées. Pour agir sur ces actes, pour les modifier, il est de toute nécessité de connaître leurs causes, on voit combien le problème est complexe.

On peut encore aller plus loin, et rechercher pourquoi un tel est sentimental, un autre suggestionablc, un autre contradicteur, un autre logique. Ces caractères sont dus soit à l'hérédité, soit à l'éducation et au milieu, soit, enfin, au tempérament et à l'alimentation que l'on prend.

La connaissance de ces causes premières nous permettra non seulement de modifier les actes (comme permet de le faire la connaissance du caractère) mais de modifier le caractère lui-même; sans doute, le caractère héréditaire est difficile à changer ; de même l'éducatif quand le sujet est âgé. Mais le médecin a toute puissance sur le tempérament. Qu'un arthritique se livre aux exercices physiques, il sera moins préoccupé, de meilleure humeur. Qu'un dyspeptique se traite, son hypocondrie disparaîtra. Guérissez un goitre exophtalmique et sa colère disparaîtra. Donnez du corps thyroïde à un myxcedemateux, de lent il deviendra vif.

Le médecin agira encore mieux par l'alimentation : il supprimera le vin et les alcools aux irritables, aux emportés; il donnera le café aux lents et aux mous, interdira tout excitant aux sensibles, etc., etc., recommandera l'huile de foie de morue aux lymphatiques lents et indécis.

il y a là toute une étude médico-psychologique qui débute à peine.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à A heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 21 Mars et 18 Avril 1898, à 4 heures et demie.

Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1,'place Jussieu.

Avis important : La Société, aGn de hâter la publication des comptes-rendus, a décidé que les notes manuscrites et les mémoires communiqués à la Société, doivent être remis au secrétaire général, aussitôt après la communication faite, ou au plus tard, sur le bureau avant la lecture du procès verbal, à la séance suivante. Les observations présentées au cours des discussions par les membres de la Société seront imprimées également dans les comptes-rendus si elles sont remises au secrétaire général, rédigées par leurs auteurs, dans le délai indiqué ci-dessus.

Une épidémie d'hypnomanie en Amérique.

Nous lisons dans le Progrès Médical que les habitants de la ville d'Orange, dans l'Etat de New-Jersey, sont depuis quelque temps atteints d'une manie singulière : la maladie de l'hypnotisme. On peut même dire que c'est une véritablo folie, car on ne rencontre plus par les rues qu'hypnotiseur ou hypnotisés, hommes et femmes, enfants et vieillards. La cause immédiate de cette folie d'un genre nouveau est un jeune médecin de l'endroit qui a inventé, paraît-il, un appareil permettant à toute personne d'un tempérament nerveux de s'hypnotiser elle-même en deux ou trois minutes au maximum. On peut également, à l'aide de cet appareil, hypnotiser les autres avec la plus grande facilité, 'à condition toutefois qu'il n'y ait pas résistance formelle du sujet à la volonté de l'opérateur. — Le globe hypnotique, tel est le nom de l'invention, se compose essentiellement d'une petite boule en verre de quatre centimètres teintée en bleu et au centre de laquelle est fixée une aiguille d'acier. Cette boule est placée sur un support de bois. Il suffit de braquer ses yeux à une distance de quinze centimètres et, pendant deux ou trois minutes, sur la pointe de l'aiguille, pour goûter aussitôt toutes les sensations, agréables ou pénibles, de l'hypnose.

Si tout cela est vrai, cela tendrait à prouver que les habitants du nouveau continent sont très hypnotisables. Il y a là une carrière ouverte pour les psychothérapeutes français désireux de s'expatrier.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme, de la psychologie physiologique et de la pédagogie suggestive.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pé-

dagogique], est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis a y assister et sont exercés a la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiquesde l'hypnotisme.Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. les D'* Henry Lemesle.F. La-raya, Coatarmanach, Faure, Wolf, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. les D" Paul Farez, A. Guimbeau, Branly et par M. Charles Verdin.

Pendant le semestre d'hiver 1897-1898, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Dr' Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Henry Lemesle, Paul Farez, Tison, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs a l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Chaque année, un certain nombre d'étudiants trouvent d'importantes contributions dans leur thèse de doctorat dans les travaux de l'Institut psycho-physiologique. _

cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie

M. le Dr Bérillon a commencé un cours pratique de psychothérapie et d'hypnologie, it l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arls, le jeudi 28 octobre, à dix heures et demie. 11 le continue tous les jeudis, à la même heure. Plusieurs conférences sont consacrées à l'étude pratique des applications de la suggestion hypnotique à la pédagogie et à l'éducation des dégénérés héréditaires.

conferences

Jeudi 3 Mars, a cinq heures, M. Eugène Caustier. professeur agrégé de l'Université, fera une conférence sur : Psychologie comparée : L'évolution sexuelle et les combats des animaux pour la suprématie. (Cette conférence sera accompagnée do projections k la lumière oxydriquc.J

Jeudi 10 Mars, a cinq heures, M. le l)' Bérillon fera une conférence sur: La psychologie de la vision et l'évolution de la fonction visuelle. iCettc conférence sera accompagnée de démonstrations des Bayons de Rœntgen, par le Dr Dagincourt.j

Cours a l'École pratique. — Le Conseil de l'Université de Parif vient d'autoriser M. le Dr Bérillon à continuer, pendant le semestre d'été 1897-1S9S, son cours libre à l'Ecole pratique de la Faculté sur le sujet suivant : Psychologie physiologique et pathologique. — Applications cliniques de l'hypnotisme.

Co Cours commencera lu mardi 19 avril, à cinq heures, et continuera les mardis et samedis suivants à la môme heure.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imp. A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPERIMENTAL ET THERAPEUTIQUE

12e année. — N° 9.

Mars !898.

DE LA SUGGESTION PENDANT LE SOMMElL NATUREL

dans le traitement des maladies mentales.

Par M. le Dr Paul Farez.

Justification historique et psychologique de cette intervention.

Jusqu'à ces dernières années, on croyait communément que la suggestion hypnotique n'est d'aucun secours dans le traitement des maladies mentales et que même tous les aliénés sont réfractaires au sommeil provoqué. C'est à M. Auguste Voisin, médecin de la Salpêtrière, que revient l'honneur d'avoir réfuté cette double erreur. En effet, dès 1880 il a fait connaître que, grâce à la suggestion hypnotique, il avait pu guérir une aliénée atteinte de manie aiguë; depuis lors, il a poursuivi dans ce sens de patientes recherches, obtenu des guérisons nombreuses et préservé de la séquestration perpétuelle des malades jusqu'alors réputées incurables f1). D'autres auteurs, en France, entre autres MM. Séglas, Dufour, Grasset, Jules Voisin, Burot, Roubinovitch et Bérillon ont suivi la direction marquée par M. Aug. Voisin et ont publié tour à

(1) Cf. Revue de l'Hypnotisme : 1,4, 41, 78; — 11,328. 339; - III, 316, 353; —IV, 121, 140, 152, 202; - VI, 267; — VJL 211; —VIII, 55; — X, 341; —XI, ». — Cf. surtout la communication faite le 10 août 1889 au Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique : « l*es indications formelles de l'hypnotisme et de la suggestion hypnotique dans le traitement des maladies mentales et des étals connexes. » (IV, 149.) — Quant aux diverses guérisons obtenues par M. Aug.Voisin, elles portent sur les cas suivants : manie, lypémanie, hypocondrie, mélaucolic, idées fausses oa fixes, conceptions délirantes, illusions, hallucinations, obsessions; délire erotique, mystique, furieux ; idées de persécution, de mort, de suicide ; len-tauves de suicide ; excitation générale du système nerveux, insomnies, gâtisme, relus d'aliments et de médicaments, douleurs viscérales, dipsomanie, incohérence des paroles et des actes, perversité morale, impulsions irrésistibles au mal, etc., etc.

tour des observations tout à fait probantes(1). A l'Etranger, MM. Lombroso, Burckhardt, Repoud, Ladame, van Renter-L-hcm, van Eeden, Schrenck-Notzing, Krafft-Ebing, Tokarsky fournissent à l'opinion de M. Voisin l'appoint précieux de leur autorité (2). Ainsi, à l'heure actuelle, sur la foi des auteurs précédemment cités et sous la garantie de leurs observations authentiques, il est permis de formuler cette double vérité :

I» De nombreux aliénés peuvent être plongés dans le sommeil hypnotique (2) ;

2° De nombreux aliénés peuvent être guéris ou, tout au moins, améliorés par la suggestion pendant le sommeil hypnotique^).

Dès lors, comme l'écrivait tout récemment M. Pierre Janet, « l'aliéniste n'a pas le droit de négliger de parti pris un agent « aussi puissant (») » ; aussi l'hypnotisme devra occuper, à l'avenir, une large place dans le traitement et la prophylaxie des maladies mentales, comme un auxiliaire d'autant plus précieux que, d'ordinaire, il intervient efficacement après l'échec de toutes les diverses tentatives thérapeutiques, a Rien n'est, en effet, satisfaisant comme d'avoir un moyen d'enlever en très peu de'temps, parfois même en deux ou trois séances, à un aliéné ses idées délirantes et ses hallucinations; il y a là de quoi désarmer l'incrédulité des médecins qui n'ont pas foi dans l'art de guérir (6). »

(1) Seolas, Archiv. de Neurol., nov. 1885. — Pufoor, Société médico-psychologique, mai 1886. — Grasset, Sem. méd., 19 mai 1886. — .Iules Voisin, Rev. de VHypnot., IL 242. — Burot, id.. Hl, 336. — Ro&binovitch, id., IV. 244. — Bèril-lon, id., V, 108- — En 18'JO, M. Bérillon avait déjà guéri par la suggestion hypnotique: 3 cas de dipsomanie ; 5 cas de morphinomanie; 11 cas d'obsession, d'autres cas de lypémanie, de mélancolie anxieuse, de délire partiel. 1 cas de refus complet de nourriture datant de 23 jours. 3 cas de sitiophohie, 1 cas d'inversion sexuelle, etc. {Rev. de VHypnot., V, 108.)

(2) Lombroso, cité par Aug.Voisin. Rev. de VHypnot., I, 48. — Bürckhardt, id., III, 56. — Hbpodd, id., IV, 152. — La»axe. M.. IV, 67; V, 130. — vàK Renterghem et van Eeden, id., IV, 84. — Schrenck-Noizing, id., IV, 172; V, 15. — Krafft-Ebing, Traité de Psychiatrie, trad. Emile Laurent, Paris, Maloine, 1897, 333. — Tokarsky. Communication faite au Congrès de Moscou, Rev. de VHypnot., XII. 216.

(3) Même pendant l'excitation maniaque et pendant le cours de la folie lypéma-niaque des plus intenses. (A. Voisin, Congrès pour l'avancement des sciences, Nancy.) Cf. Rev.de VHypnot., I, 78.

(4) En 1880, M. Voisin a donné des nouvelles de diverses malades dont les guéri-sons remontaient a. trois, quatre et même cinq ans : sur 22 cas, 19 étaient restées complètement guéries. — Cf. Rev. de VHypnot.. III, 355.

(5) Pierre Janet : Traitement psychologique de l'hystérie, dans le Traité de thérapeutique de Albert Itobin, fase. XV. 169. De même, plus loin (p. 173!, M. Pierre .l3nct écrit que l'hypnotisme • forme une ressource extrêmement précieuse, la seule peut-être que nous ayons pour rétablir l'intégrité de Vesprit. »

(6) A.VoisiN, Rev. de VHypnot., IV, 149.

Toutefois, il se trouve que dans la pratique de nombreuses difficultés surgissent. Tel aliéné, par exemple, n'a pas conscience de sa maladie ; il affirme qu'il est en parfaite santé, il repousse tout secours médical, à plus forte raison opposera-t-il à l'hypnotiseur une obstination parfois invincible. Mais, d'autre part, si le malade ne résiste pas opiniâtrement, la cause n'est pas gagnée pour cela: s'il s'agit d'un obsédé, la suggestion verbale sera peut-être impuissante à atteindre, surtout à surpasser en intensité les représentations exclusives dont la conscience de l'aliéné est à chaque instant la dupe ; — si, au contraire, le malade est instable et distrait, son attention dispersée pourra ne pas se maintenir suffisamment sur l'idée du sommeil. Ainsi, de toute façon, la suggeslibilité des aliénés pendant la veille est considérablement diminuée.

Ce n'est pas tout. Les procédés habituels d'hypnotisation sont, la plupart du temps, frappés d'insuffisance: par exemple, l'aliéné ne peut fixer spontanément, pendant une durée assez longue, les yeux ou le doigt de l'hypnotiseur; celui-ci est obligé de s'ingénier avarier et à perfectionner sa technique ; c'est ainsi que M. Aug. Voisin a eu recours à des écarteurs palpé-braux pour maintenir les yeux d'un sujet ouverts en regard d'une lampe au magnésium, etc.

Il y a plus.. Même dans les cas finalement favorables, l'hyp-notisation des aliénés ne s'obtient guère qu'au bout d'un temps souvent considérable. Il n'est pas rare de rester auprès du malade pendant deux ou trois heures avant de parvenir à l'endormir; il faut même, dit M. Voisin, « recommencer fréquemment jusqu'à dix-huit ou vingt fois les séances avant de renoncer au succès (') ».

On conçoit donc que beaucoup de malades aient été considérés comme incapables d'être hypnotisés, par cette seule raison que le médecin, trop vite lassé, a manqué de persévérance et de ténacité. Néanmoins, M. Aug. Voisin lui-même (dont la patience et le dévouement aux malades pourraient bien être égalés, mais non surpassés, je pense) a estimé à 10 pour 100 la proportion des aliénés qu'il a pu soumettre au sommeil hypnotique. C'est beaucoup, si Ton songe qu'avant lui tous étaient réputés réfractaires ; c'est peu, si l'on consi-

(1) A.Voisin, Rev. de VHypnot., i, 6; IV, 150.

dère le grand nombre des malades que l'on pressent devoir être améliorés par la thérapeutique psychique et devant lesquels on enrage de demeurer impuissant, faule de pouvoir les suggestionner.

Or, à ce qu'il me semble, après que la production du sommeil artificiel a été vainement essayée, tout espoir d'action efficace n'est pas interdit par cela même; la psychothérapie ne doit pas si tôt abdiquer ni confesser son impuissance. Il reste, en effet, un mode d'intervention que je ne sache pas avoir encore été employé d'une manière systématique, mais qui cependant mérite, à mon sens, d'occuper une large place dans le trailement des maladies mentales. Ainsi, lorsque l'aliéné n'est pas accessible à la suggestion, c'est, nous l'avons vu, parce qu'il est distrait, c'est-à-dire insuffisamment concentré sur lui-même — ou parce qu'il est obsédé, c'est-à-dire trop exclusivement concentré — ou parce qu'il s'obstine à refuser de se laisser influencer. Dès lors, la suggestion aura prise sur l'aliéné si elle s'impose à lui avec force en dehors de son consentement, à son insu et pour ainsi dire malgré lui, dans un moment où il sera presque sans défense et n'essayera guère de résister. Or cet état favorable existe, il est physiologique, il est normal, c'est le sommeil naturel.

L'emploi systématique de la suggestion pendant le sommeil naturel dans le traitement des maladies mentales n'a certes rien d'illégitime ou d'irrationnel ; il se justifie au point de vue théorique et au point de vue pratique, à la fois par l'analyse psychologique et par certains faits nettement constatés.

Tout d'abord, de nombreux faits établissent que, chez certains aliénés, les délires, impulsions, obsessions, etc., n'ont d'autre origine qu'un rêve survenu pendant le sommeil naturel. En voici quelques exemples : pendant trois nuits consécutives, une femme entend une voix qui lui dit : « Tue ta fille ! » l'idée persiste pendant la veille et la malheureuse immole son enfant ('); une dame rêve que son mari a l'intention de la quitter, et elle en est tellement désolée qu'elle aime mieux mourir: trois fois en douze jours, elle essaie de se suicider, on l'arrête au moment où elle va se jeter à la Seine (2) ; une autre femme

(I) Macario, Ann. méd. psyelt.. VIII, 176.

(2j Faire, Arçh. de méd., I, 1876, 554.

rêve qu'elle tue son mari et sa fille : une fois éveillée, elle s'a! tache les mains pour ne pas accomplir son crime ('); un gendarme rêve qu'il est condamné à mort et qu'on va le guillotiner : au réveil il tente de se suicider pour échapper à l'exécution publique (-); une malade refuse absolument de manger depuis six semaines parce que sa mère, morte récemment, lui apparaît en rêve et lui ordonne de ne plus manger, en punition d'une faute qu'a commise la malheureuse fille; une dipso-mane guérie depuis un an se remet à boire parce qu'elle a vu en rêve sa sœur et que celle-ci l'a invitée à reprendre ses habitudes alcooliques (4) ; un homme rêve la nuit qu'il est un voleur et, au réveil, il s'empare de choses qui lui sont des plus inutiles ; quand on l'arrête, il prétend ne pas savoir ce qu'on lui veut("). Les exemples abondent et l'on n'a que l'embarras du choix.

Or, « l'agent qui fait, défait ». Dès lors un trouble mental causé par un rêve déterminé ne pourra-t-il pas être supprimé par un nouveau rêve antagoniste du premier? Cela, certes, l'hypnotisme est très capable de le faire. — Mais nous nous occupons précisément ici de malades qu'il a été impossible d'hypnotiser! Eh bien, alors, est-il donc si difficile d'influencer par suggestion une personne naturellement endormie?

Lorsqu'une personne dort du sommeil naturel, son ouïe n'est pas nécessairement insensible à tout bruit extérieur; certains comprennent et gardent dans leur souvenir les conversations que l'on a tenues sans défiance auprès d'eux pendant qu'ils dormaient; et M. Bernheim a eu bien raison d'écrire : « Ne dites jamais de secrets devant une personne endormie, si elle ne doit pas l'entendre. Elle peut l'entendre et l'enregistrer. Défiez-vous des gens qui dorment (fi). » En oulre, on a remarqué que-l'on pouvait modifier un rêve par quelques mots adressés au dormeur et même créer expérimentalement chez ce dernier des obsessions, des idées fausses, des souvenirs illusoires, des faux témoignages, elc.(T). Ce sujet vit alors son rêve, il accepte sans contrôle et prend pour des réalités les

(1) Ciuslin, Du rûle dos rêves dans les délires. Thèse de Paris, 1887.

(2) Taise, De Cintelîigence, Paris, Hachette, 18S3.T. I, p. 119.

(3) Pierre Jakbt, Rev. de l'Hypnot., IX, 353.

(4) Ksory (d'Odessa), id., 337.

(5) FaDRE, toc. citât., 563.

(6) BERSiiEiM, Rcv. de l'Hypnot., V, 170. M. Bernheim fait surtout allusion à ce qui se passe pendant le sommeil provoque, mais ccia est vrai aussi du sommeil naturel, quoique à un moindre degré.

(7) Tissié, Les Rêves, thèse de Bordeaux. 1890

images qui ont occupé sa conscience en dehors de la veille normale ; comme le dit M. Renouvier, « il ajoute des jugements de réalité aux séries de l'imagination et de la mémoire (1) ». Dès lors, ce que l'on a pu réaliser ou constater soit par hasard, soit par amusement, soit dans un but purement expérimental, pourquoi ne le rechercherait-on pas d'une manière systématique ? Pourquoi, par exemple, ne s'appliquerait-on pas à utiliser dans un but directement thérapeutique cette persistance possible de la conscience du sommeil au-delà même de la période du sommeil physiologique? Sans doute, on devra prendre garde à certaines difficultés pratiques ; il faudra avoir recours à une technique spéciale, peut-être très délicate ; mais en principe, il semble tout à fait légitime de penser que les conceptions délirantes des aliénés sont justiciables de la suggestion pendant le sommeil naturel.

D'ailleurs, avant d'exposer le détail de l'intervention elle-même, je vais prendre soin de préciser le côté proprement psychologique de la question.

» ».

La conscience (*) peut, à ce qu'il semble, être considérée par métaphore comme une sorte de « champ » dont « Paire », ainsi que disent les Anglais, est, à un moment donné, occupée par telles ou telles représentations ou images. Toutes les diverses représentations qui se rapportent à nos séries successives d'états de conscience ne possèdent pas un égal degré de clarté, d'intensité et surtout d'actualité. Les unes, après avoir été conscientes, tombent dans l'oubli, au moins relatif; les autres, susceptibles d'être facilement remémorées, demeurent cependant loin de la conscience présente; d'autres s'approchent de ce que, par métaphore encore,.on appelle le « seuil » de la conscience, mai3 ne le franchissent pas ; d'autres franchissent ce seuil, abordent le champ de la conscience, mais n'en occupent, pour ainsi dire, que le pourtour ; d'autres encore parviennent jusqu'au centre môme de ce

(1) ResocviEH, 2- Èss-, 2- éd., 11,27-

(2) Ai-je besoin de spécifier qu'il ne s'agit pas dô cette conscience, dite morale, laquelle serait à ia fois le conseiller, le guide, le témoin et Je juge de toutes nos actions, sous lu point de vue du bien et du mal? La conscience, dite psychologique, dont il s'agit Ici est celle que nos voisins d'Outre-Manche et d Oulre-lthin appellent Cunsciousncss(el non conscience},-Beiwwsrsffin (et non oewissen). Elle comprend tous les phénomènes qui, à uu momeut donne, constituent notro ludividu psychique et dont nous prenons connaissance par intuition directe, par «perception immédiate.

« champ », s'ajoutent aux représentations déjà en possession du premier plan, à moins qu'elles n'éclipsent ces dernières ou ne se laissent éclipser par elles; quelques-unes, particulièrement intenses et vivabes, parviennent à déloger bu ù entraver toutes les autres, à accaparer pour elles seules toute l'énergie psychique, à se constituer enfin comme exclusives- Chaque état de conscience se ramène donc à une sorte de cbmplexus formé du groupe systématisé des représentations qui, à un moment dorme, nombreuses ou non, sont parvenues à occuper soit la pénombre, soit la pleine lumière de la conscience. A vrai dire, toute la vie psychologique s'explique par ce jeu des diverses représentations qui « luttent pour la vie », rivalisent entre elles et S'évoluent, s'appellent, s'exaltent, s'atténuent ou se remplacent. Dès lors, la volonté est, scmhle-t-il, toute mentale; elle n'agit que sur des représentations; l'être véritablement libre et celui qui peut, à son gré, susciter et maintenir les unes, éloigner et repousser les autres

? l'état normal, nbus possédons ce pouvoir que les Grecs déjà, et en particulier Epicure, appelaient /.pôei* ??????? c'est-à-dire l'usage de nos représentations, la libre direction de nos pensées (*). Chez les personnes affectées de maladie

(Il Cette théorie est, dans ses grandes lignes, celle qu'a si nettement exposée M. Renouvier. Cf. a- Ess-, 2' éd., 1, 326-108; II, 1-54. — A ce propos, il n'est pas mauvais de rappeler ipour ceux qui paraissent l'avoir oublié et de dire pour ceux qui ne l'ont jamais su) que, des 1859, à une époque où l'on ne soupçonnait pour ainsi dire pas tous les merveilleux effets que l'on devait obtenir, par la suite, grâce à l'hypnotisme, M. Ch. Renouvier a, par avance, donné de tous ces laits une interprétation purement psychologique, la plus simple, la piiis complète, la plus cohérente et, à mon sens, la seule véritablement explicative. Ces profondes et minutieuses analyses psychologiques nous changent un peu de toutes ces théories qui. usurpant la qualification de scientifiques, ne sont trop souvent que do fragiles constructions de métaphysique fantuisistc. —Cf. en particulier tout ce qui concerna le « vertige mental ». Ess.,2° éd., II, 8-41.} Peut-être, dans un prochain travail, aurai-je l'occasion de revenir sur ce point.

(2) Epicure, ce grand calomnié de l'histoire, prétendait que lo sage, pleinement maître de ses représentations, j>out, au milieu des plus cuisantes douleurs, chasser loin de son esprit là pensée de la souffrance actuelle et même supprimer la sensation présente, tandis qu'il susciu* l'image intense de jouissances passées, et qu'il concentre sur elle toute l'énergie de sou attention. C'est ainsi que le sage, même torturé, même enfermé dans le taureau de Pbaturis se déclare parfaitement heureux ! — Cf.: Si uratur sapiens, si crucietur..., ? Phalaridis lauro si erit, dicet : « Quam suave est, quant hoc non euro! » (Tusc. disp. Il, 7, 17.) * Ouice est et ad me nihil perlinct. a (Sénèque, Lpiatol., 66, 18.) Ille dixerit sane idem in Phalaridis taurà, qùod. si esset in lectulo. ? (Tusc. disp., 11, 7, 17.) Quant aux images pénibles, voici comment il convient de les traiter: obscurar*, restinguere, obruere, fundutus ejicere, evertere. detrahere. diripere, exanimis pcllcre, circumeidere et am-putàre, etc. — On voit par là combien déjà étaient exactes les analyses psychologiques du grand philosophe que fut Epicm e. En tous eus, il a devancé tout ce qu'on a pu écrire sur l'anesthésiè provoquée par ce que nous appelons aujourd'hui {'autosuggestion.

mentale, que devient cette maîtrise de soi ? Pour nous en rendre compte, comparons l'attentif avec, par exemple, l'obsédé ou le distrait.

Qu'un individu soit fortement attentif ou qu'il soit obsédé, l'état psychologique est le même dans les deux cas. Dans les deux cas, en effet, une représentation unique (ou un groupe unique et bien systématisé de représentations) a envahi complètement le champ de la conscience à l'exclusion de toutes les autres représentations antagonistes ou simplement indifférentes, souvent même à l'exclusion aussi de certaines sensations d'origine véritablement objective; l'unité (au moins relative) remplacelamultiplicité, l'intensité succède àal'extensité», c'est-à-dire à l'étendue ; l'énergie psychique moins dispersée se concentre sur un objet restreint.

Mais, quand nous sommes attentifs, c'est de notre plein gré que nous avons fait choix de telle représentation et que nous l'avons suscitée, maintenue, exaltée dans notre conscience; c'est volontairement aussi que, par contre, nous avons atténué, écarté puis rejeté tout ce qui était un obstacle à la représentation que nous avions décidé de rendre exclusive ; c'est encore en vertu d'une décision volontaire que nous pouvons faire cesser notre attention ou la faire porter sur un autre objet. Cette attention est, si l'on veut, une obsession, mais passagère et délibérément consentie.

Il n'en est plus de même chez l'obsédé. Celui-ci, en effet, est un malade incapable de faire aucun choix ; il ne peut à son gré ni susciter, ni éloigner des images quelconques; une représentation qui n'a pas été librement appelée s'installe dans la conscience; elle s'hypertrophie, pour ainsi parler, au détriment des autres, puis devient exclusive et tyrannique ; elle se maintient en dépit du sujet, lequel la subit et ne saurait s'en affranchir pour lui en substituer une autre. L'obsession est donc, cette fois, involontaire, pathologique et permanente.

Quanta celui dont l'attention est pathologiquement mobile et distraite, il nous apparaît lui aussi comme un esclave, mais il est esclave, lui, de la dispersion et de la multiplicité plus ou moins incohérente des images qui se succèdent sans trêve; on pourrait lui appliquer le -ivr* péei du vieil Heraclite, car tout passe et tout s'écoule sans que rien de saillant afl'ecte une telle vie psychique.

Ainsi, tous deux ont perdu la pleine possession d'eux-mêmes, l'empire sur leurs représentations, le libre usage de

leurs pensées ; et c'est cela même que la thérapeutique psychique doit s'efforcer de restaurer en eux. Mais, au préalable, il convient de s'attaquer aux symptômes morbides : chez l'obsédé on suscitera des « états forts », des images vivaces, intenses, exclusives, capables de « réduire » l'obsession pathologique; on substituera donc à cette dernière une obsession artificielle et salutaire ; — chez le distrait, de même, on fera que telle représentation utile devienne prépondérante, et qu'ainsi s'installe peu à peu une attention de plus en plus capable de se fixer et de se concentrer. Dans les deux cas, le médecin psychologue éveillera chez le malade des représentations que ce dernier aurait été incapable de faire naître spontanément ; il lui imposera cette direction psychique qui est si nécessaire, ainsi que l'a très bien montré M. Pierre Janèt. Ensuite seulement, on s'occupera de la rééducation mentale, proprement dite, de manière que le sujet en arrive à prendre l'initiative de susciter librement et à bon escient ces mêmes représentations que jusqu'alors on lui avait imposées du dehors.

Pour cette restauration mentale, l'hypnotisme (ou le sommeil provoqué, comme on voudra (je ne veux pas ici chicaner sur les mots), offre d'ordinaire des ressources inépuisables. D'une manière générale, en effet, le malade que l'on endort se trouve dans des conditions psychologiques excellentes : il se sait malade et il a nettement l'idée des services qu'on va lui rendre pendant son sommeil; son siège est fait, et, non seulement il admet de non cœur l'intervention de l'hypnotiseur, mais iï la désire ardemment ; plein de confiance et d'espoir il s'abandonne à son guérisseur et lui offre une sorte de réceptacle tout prêt à recueillir « la bonne parole ». Aussi, lorsque l'hypnotiseur n'est pas un ignare en psychologie, les suggestions facilement faites et facilement acceptées se réalisent-elles le plus facilement du monde. Or, cette hypnotisation devient particulièrement difficile quand on se trouve en présence d'un aliéné ; on l'a montré plus haut. Mais si, chez cet aliéné, l'hypnotisation échoue radicalement? Dans ce cas encore, j'estime que l'on peut néanmoins appliquer efficacement une certaine forme du traitement psychothérapique, grâce à la suggestion, pendant le sommeil naturel.

Après avoir développé ces préliminaires et défini le but qu'il convient de rechercher, je dois maintenant exposer quelle est la technique qui me parait la plus simple, la plus rapide et la plus féconde. Ce sera l'objet d'un prochain article.

HISTOIRE

DES SUGGESTIONS RELIGIEUSES DANS LA FAMILLE PASCAL

Par M. le Dr Charles Binet-Sanglé

I

DE LA CRÉDIVITÉ

I. LES SENSATIONS ET LA CROYANCE.

Les hommes ont une inclination native à croire, et croient, pour l'immense majorité, que nos sensations ont une cause objective, et qu'en dehors du moi il existe un monde. Les sensations internes, tactiles, gustatives, olfactives, auditives, visuelles, nous en sont, par elles-même et immédiatement, la plus évidente des preuves.

Les pseudo-sensations, illusions et hallucinations, n'infirment pas cette croyance, car nous savons, d'une part qu'elles procèdent de sensations réelles, d'autre part qu'elles n'apparaissent que dans un état anormal ou pathologique.

II LE RAISONNEMENT ET LA CROYANCE.

Le jugement et le raisonnement reposent sur les sensations. Tout jugement est la traduction dans le langage d'une sensation, d'une image simple, d'une image composée ou d'une idée. Or, l'image simple est le souvenir de la sensation, l'image composée une combinaison d'images simples, et l'idée le résultat do l'abstraction s'exerçant sur les images. Ces jugements supérieurs tels que : « Tout effet a une cause » appelés principes ou axiomes, sont le résumé et comme le schéma d'un nombre considérable de constatations sensorielles, par l'individu lui-même et par ses ascendants.

Dire qu'on hérite d'un jugement, et par conséquent de l'ondulation cérébrale correspondante, est incompréhensible. Mais on hérite d'une constitution cérébrale particulière, où certaines cellules et certaines fibres ont été si souvent parcourues dans un sens donné, par des vibrations d'amplitude et de vitesse données, qu'elles sont comme des chemins frayes. Ces principes que nous disons innés ont été acquis par nos pères, et nous les acquérons nous-mêmes, mais incomparablement plus vite, dans la première enfance, et inconsciemment.

Plus un jugement s'écarte de la constatation sensorielle, plus il perd de son évidence. Qu'on tente de transporter nos lois dans un autre mondo, elles nous paraîtront moins certaines. Lorsque nous voulons nous convaincre de leur réalité, nous imaginons un des cas particuliers qu'elles enferment; nous revenons à l'une des sensations originelles, o Notre intelligence, dit Pascal, tient, dans l'ordre des choses intelligibles, le même rang que notre corps dans l'étendue de la

nature (¦). » Et en effet elle est modelée par nos sensa'ions. a On ne devrait faire aucune assertion universelle, dit-il encore, que par la générale cnumération de toutes les parties et de tous les cas différents (?).b

Ce qu'il faut savoir, c'est que, les principes de la raison procédant des sensations, les sens et la raison se soutiennent et se corroborent. C'est par le raisonnement qu'on corrige une illusion, c'est par le raisonnement qu'une hallucination est discernée ; et d'autre pari, une seule sensation suffit pour faire apparaître la justesse ou la fausseté d'un raisonnement.

Aussi la croyance aux conclusions d'un raisonnement se rapproche— t-ellc beaucoup de la croyance aux constatations sensorielles, encore que l'évidence des premières, étant médiate, est moins frappante.

III. — LE SENTIMENT ET LA CROYANCE.

Le degré supérieur de l'évidence des vérités sensorio-rationnelles les a fait distinguer par le nom de connaissances, et l'on a réservé le nom de croyances aux données fournies par ailleurs.

Pascal, à la fin de sa vie, ne faisait point cette distinction.il y a, selon luij a trois principes de nos connaissances, les sens, la raison et la loi - . » Et il entend que la foi est la croyance fournie par l'amour, o II faut... mettre notre foi dans le sentiment; autrement, elle sera toujours vacillante(4). » Il va jusqu'à dire que les principes de la raison nous sont fournis par le cœur.

La vérité, c'est que l'homme doit au sentiment un grand nombre de sescroyances. « Tout ce qu'il y a d'hommes sont toujours emportés à croire, non par la preuve, mais par l'agrément (5). » On croit aisément ce qui plait, ce qui est conforme à ses inclinations, à ses aspirations, à ses désirs, à ses préférences.

Mais l'évidence des croyances sentimentales est, pour l'immense majorité des hommes, très inférieure aux autres évidences. Dès qu'un homme normal et libre perçoit et raisonne, il n'hésite pas à sacrifier les croyances sentimentales aux vérités sensorio-rationnelles.

Alors en effet que celles-ci se tiennent et se soutiennent l'une par l'autre, les pseudo-vérités sentimentales sont desunies et souvent en contradiction. Jamais — et nous avons vu pourquoi une vérité fournie par le raisonnement ne va à rencontre d'une vérité sensorielle, — jamais une sensation n'infirme la conclusion d'un raisonnement normal. C'est ce qui explique la cohésion admirable de la science. Mais comparez entre elles les religions, les morales et les politiques, toutes choses où entrent encore pour une si grande part les pseudo-vérités sentimentales. Comparez même entre eux les divers dogmes d'une même doctrine, et

(1) Pensées.

(2) Préface du Traité du vide.

(3) rS' lettre à un Provincial, (i) Pensées.

(5) De l'Art de persuader.

vous ne trouverez que désordre et conflit. Ce n'est pas que les théologiens par exemple répugnent à user du raisonnement, bien qu'au besoin ils en discutent les bases. Ils s'efforcent, labeur pénible et vain, de coordonner leurs croyances. Mais toutes leurs tentatives, d'où une bibliothèque considérable est sortie, aboutissent en définitive au « Credo quia absurdum » d Augusiinus.

IV. — LA CRÉDULITÉ.

Soit par défaut de connaissances primordiales, soit par faiblesse ou paresse du raisonnement, soit par impuissance de vérifier, beaucoup d'hommes croient une chose par cette seule raison qu'un autre homme la leur déclare vraie. Celte croyance procède des inductions suivantes : « Cet homme fut véridique auparavant ; donc il l'est encore » ; ou bien a Cet homme présente tel ou tel signe que présentaient des hommes savants et sincères ; donc, il est savant et sincère. »

Ces inductions peuvent tomber juste, si leurs majeures sont prudentes, mais la prudence n'est pas le fait de la foule. « Le peuple, dit Pascal, raisonne ordinairement ainsi ; Une chose est possible, donc elle est; parce que la chose ne pouvant être niée en général, parce qu'il y a des effets particuliers qui sont véritables, le peuple, qui ne peut pas discerner quels d'entre ces effets sont les véritables, les croit lous^J. » Et c'est ainsi, de son propre aveu, que le peuple croit aux divinations, aux prophéties et aux miracles.

Cette croyance « par oui-dire », dont s'est tant gaussé Rabelais, touche à la fois aux croyances sensorio-rationnelle et sentimentale, de sorte que son évidence tient de l'évidence de celles-ci.

V. — LA VOLONTÉ ET LA CROYANCE.

Il arrive aussi qu'on croie parce qu'on veut croire. Cette forme est peu différente de la croyance sentimentale, et c'est à peine si elle s'en sépare. En effet, on ne veut en général que ce qu'on désire, et la volilion n'est le plus souvent qu'une étape de l'amour à l'action. Si, en religion, il arrive qu'on veuille croire, dans la crainte des peines menaçant les incrédules, c'est encore un sentiment, la crainte, qui est au premier plan.

Pascal, quant à lui, ne sépare pas la croyance sentimentale de la croyance volontaire. « Il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l'âme..., l'entendement et la volonté... La plus ordinaire est la volonté {-). » a La volonté est un des principaux organes de la croyance... parce que les choses sont . : .les ou fausses, selon la face par où on les regarde (3) », déclaration qui révèle assez l'anarchie intellectuelle du Pascal d alors.

(1) Pensées.

(2) De l'Art de persuader.

(3) Pensées.

VI. —la suggestibilité.

• La dernière forme de la croyance que nous avions à examiner est la croyance par suggestion qu'on pourrait presque appeler la croyance forcée. La faculté de la recevoir rentre dans cette disposition commune à tous les hommes par laquelle le système nerveux central de chacun est apte à recevoir, par l'intermédiaire des divers ordres de signes, l'influence des autres systèmes. C'est la suggestibilité.

Les grands suggeslibles peuvent être soumis à toutes les modifications nerveuses. On suscite en eux des algies et des analgésies, des images et des anesthésics de tous les sens, des idées, des jugements, mouvements, des raisonnements, des émotions, des sentiments, des volitions, des des actes, de la contracture musculaire, des actions inhibiirices se traduisant par del'aboulie ou par des paralysies de toute localisation. On fait naître ces modifications et on les supprime. On agit même en eux, par l'entremise du cerveau sur des systèmes soustraits à leur volonté, sur les nerfs thermiques, sur le cœur, sur les vaisseaux qu'on peut faire, en des points déterminés, se dilater jusqu'à la vesica-tion et l'hémorrhagie.

Ces phénomènes, dont les derniers seuls sont rares, se produisent le plus souvent au cours du sommeil provoqué. Or, ce sommeil peut être obtenu, d'après Liébeault, sur environ 96 '/• des sujets. Bernheim hypnotise presque tous ses malades, et estime que les réfractaires sont en petit nombre (20 "/*)• Charles Richet, Brémaudet Bottey pensent que personne n'est absolument réfractaire à l'hypnose. C'est aussi mon avis.

Au demeurant, la suggestibilité, qui est plus complète au cours du sommeil provoqué, n'est pas le résultat de ce sommeil, puisqu'il faut être suggestible pour pouvoir être endormi. « La suggestion, a dit Bernheim, domine l'hypnose ('). »

D'autre part, Braid('), Bernheim (3), Philips et Charles Richet(*) ont montré que beaucoup de sujets étaient suggestibles à l'état de veille. Les analgésies, les hallucinations et les anesthésies, et, moins aisément, les mouvements, les contractures et les paralysies peuvent être obtenus chez des sujets éveillés, raisonnables et volontaires.

Ce sont là les grandes manifestations de la suggestibilité hors du sommeil. Mais il en est d'autres moins frappantes sinon moins considérables. La suggestion des idées, des émotions et des sentiments est si courante qu'elle passe inaperçue dans la plupart des cas. Elle est de tous les rapports humains et de tous les instants. Pascal l'a constatée lui-même. « L'homme est ainsi fait, dit-il, qu'à force de lui dire qu'il est un sot, il le croit(^).

(1) De la suggestion.

(2) The powerof the mindover the body.

(3) Communication au congrès de Rouen, de 1883.

(4) De la suggestion sans hypnotisme.

(5) Pensées.

En fait, les hommes qui constatent, qui raisonnent, qui ne s'émeuvent, n'aiment, ne haïssent, ne craignent et ne veulent qu'à bon escient sont relativement rares. Ceux là ont l'esprit scientifique. L'esprit scientifique, c'est l'esprit maître de soi.

On suggère aussi des hallucinations des sens dits inférieurs dans les rapports ordinaires. C'est ainsi qu'on peut, en se grattant, provoquer du prurit chez une autre personne, lui donner, en bâillant ou en éternuant, les sensations prémonitoires du bâillement ou de I'éternue-ment, faire percevoir une odeur ou une saveuren parlant de la substance qui la produit. Tous ces phénomènes relèvent de la suggestibilité.

La suggestibilité est encore l'élément principal de cette croyance par coutume dont parle Pascal : « La coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues ; elle incline l'automate qui entraine l'cspritsans qu'il y pense... C'est elle qui fait tant de chrétiens, c'est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. » « La coutume est notre nature qui s'accoutume à sa foi, la croit et ne peut plus ne pas craindre l'enfer, et ne croit autre chose. » C'est ainsi, qu'en cet étrange Pascal, on trouve des armes contre lui-même.

Il dit encore que, pour arriver à croire, il faut faire comme si l'on croyait, a en prenant de l'eau bénite, en faisant dire la messe, etc. Naturellement cela vous fera croire et vous abêtira. » Il faut a s'offrir par des humiliations aux inspirations qui seules peuvent faire le vrai et le salutaire effet ('). » « La grâce, écrit de son côté Jacqueline Pascal, est particulièrement accordée à la prière (%). » Ces phénomènes, connus sous le nom de phénomènes d'auto-suggestion, rentrent, à proprement parler, dans les croyances volontaires étudiées plus haut.

Nous avons vu que la suggestibilité variait avec les individus. Elle paraît un peu plus grande chez la femme que chez l'homme. Elle est au maximum chez l'enfant, dès qu'il peut comprendre. C'est ainsi qu'entre sept et quatorze ans, Liébeault trouve 55,3 sujets hypnotisantes pour 100. La suggestibilité, elle, diminue avec l'âge, et l'on ne trouve plus, à partir de cinquante ans, que 9 hypnotisables en moyenne pour 10Û. a Sur dix enfants de 6 à 15 ans pris dans toute les classes de la Société, écrit Edgar Bérillon, huit sont susceptibles d'être endormis profondément dès la première ou la seconde séance (3). » Elle est plus grande chez les émotifs, les sentimentaux, les névrosés, et les gens qui pensent peu, comme les gens du peuple, les gens habitués à l'obéissance, comme les militaires. Dès que la volonté et le raisonnement d'un homme s'affaiblissent, sa suggestibilité augmente. La suggestibilité est moins grande chez les penseurs, les gens froids et les volontaires. Enfin, quand plusieurs sujets très suggeslibles sont réunis, il semble que la suggestibilité augmente chez chacun d'eux. Ce phénomène est remarquable dans certaines foules.

(1) Pensées.

(2) Lettre du 5 novembre 1648.

(3) L'Hypnotisme et Vorthopédie mentale (Rueff, 1893).

II

DES CROYANCES RELIGIEUSES

I. — LA VOCATION ET LA CONVERSION.

Les idées religieuses s'installent dans l'esprit 1° par suggestion, 2° par oui-dire, 3° par sentiment. Chez l'enfant c'est le premier mode qui est le plus ordinaire. Chez l'adulte il y a un appoint considérable de sentimentalité. Selon Pascal, cela seul qu'elle est un don de Dieu distingue la foi des croyances sentimentales. En général, ces trois modes se combinent dans l'ordre suivant. Les idées religieuses sont communiquées à un sujet par la parole ou par le livre. Ce sujet peut les accepter d'emblée, s'il se trouve dans les conditions que nous avons définies au sujet de la croyance par oui-dire. S'il jouit au contraire d'une certaine supériorité psychique, ces idées ne pénétreront que par l'effort répété des agents. Il y aura suggestion. Enfin un sentiment, amour ou crainte, pourra faciliter l'acclimatation de ses idées et les affermir en lui. Des suggestions répétées et une vive sentimentalité, tels sont donc les deux éléments principaux de la vocation religieuse. Quant au phénomène connu sous le nom de conversion, il résulte souvent d'une transformation brusque, sous des influences diverses, de l'état général et particulièrement de l'état nerveux d'un sujet, transformation au cours de laquelle sa suggestibilité et sa sentimentalité se sont accrues. Dans la plupart des conversions, une transformation physio-psychique précède la pénétration ou l'affermissement des idées religieuses. Avant la conversion religieuse, il y a eu conversion organique.

II — LES IDÉES RELIGIEUSES.

On sait que les idées religieuses ont évolué constamment depuis leur apparition dans l'humanité. Elles furent d'abord fétichistes, polydémo-nistes, naturistes. L'homme, assimilant toutes choses à lui-môme, attribuait des idées, des sentiments, une volonté bienveillante ou malveillante à des objets que nous considérons, aujourd'hui, sans plus de raison, comme absolument matériels. Dans une seconde période dite de l'animisme, il sépare des objets l'âme qu'il leur attribue et invente les esprits. Dans une troisième période, où, la généralisation et l'abstraction apparaissent, il donne un chef à chaque groupe de phénomènes naturels, et les esprits deviennent les dieux, créés à son image, et ayant la plus haute influence sur sa destinée. Enfin, après avoir établi une hiérarchie parmi ces dieux, il les mot sous les ordres d'un Dieu suprême, et en arrive à ne plus croire qu'à ce Dieu seul. C'est le monothéisme dos métaphysiciens actuels. Il est intéressant de remarquer que l'évolution de la société divine a été parallèle à l'évolution de la société humaine qui, partant de la famille pour aboutir sans doute un jour aux états-unis terrestres, a présenté

un travail de concentration continuel. Au père de famille correspondait le dieu familial, an chef de la tribu le dieu de la tribu, au chef de la patrie, au roi chef des vassaux le dieu de la patrie chef des dieux éponymes. L'humanité contemporaine, qui marche à l'internationalisme, reconnaît, au-dessus du Christ, de Mahomet et de Bouddha, le même Dieu suprême.

Cependant, même à ce degré de perfection, la religion reste en dehors de la science. L'existence de Dieu, tel que les métaphysiciens le définissent, n'est qu'une hypothèse probable. En disant que l'univers a eu un commencement et une cause, et qu'il a été créé par Dieu,on ne fait que reculer le problème posé. Dieu éternel est aussi incompréhensible que l'univers éternel. Dieu infini est aussi incompréhensible que l'univers infini. Dieu moteur de l'univers est aussi incompréhensible que le mouvement de l'univers sans commencement ni fin. Au demeurant, que l'univers soit infini et éternel, c'est ce qui n'est pas évident. L'infini n'est pas moins incompréhensible que le fini. Nous ne percevons d'ailleurs ni l'infini dans l'espace, ni l'infini dans le temps. L'infini n'est qu'une idée, à laquelle nous arrivons, comme le dit Ribot, en ajoutant o des états de conscience les uns aux autres ». Infini, éternité, matière éternelle en mouvement perpétuel, ou créée et mise en mouvement par un Dieu éternel, autant de problèmes irrésolus.

En fait, l'idée qui domine toutes les religions et toutes les métaphysiques, idée qui passe dans l'esprit de tous les hommes, est celle de l'existence d'une ou de plusieurs forces de nature psychique en dehors de nous. Loin de pouvoir définir ces forces, la science commence à peine à les soupçonner. Encore est-il impossible d'asseoir une conviction sur les quelques travaux scientifiques, tels ceux de Crookes eldcGurney, Myers etPodinore qui se rapportent à cette question. Il faut avoir confiance dans la science, et attendre ses conclusions, ou, si Ton veut aller plus loin qu'elle, no pas oublier qu'on réve.

III. — LE SENTIMENT RELIGIEUX.

Les sentiments qui facilitent la pénétration des idées religieuses, ont été remarquablement étudiés par Ribot (*). Ces sentiments suivent deux gammes. « L'une, dans le ton de la peur, se compose d'états pénibles, dépressifs : la terreur, l'effroi, la crainte, la vénération, le respect... L'autre, dans le ton de l'émotion tendre, se compose d'états agréables etexpansifs: admiration, confiance, amour, extase. » D'Holbach était en effet trop absolu lorsqu'il écrivait en tête de son Histoire naturelle de la superstition : « L'homme n'est superstitieux que parce qu'il est craintif, b Ces deux gammes se succédèrent dans l'humanité. C'est ainsi que le culte des dieux manvais, accompagné de sacrifice sanglants, a fini par disparaître.

Le sentiment religieux ne tarda pas à entrer en coalcscence avec le

(1) Hallucinations télipathiques.

(2) Psychologie des sentiments.

sentiment moral. Tout d'abord le sentiment religieux ne Tut que la préoccupation dusalut individuel. Quand les grands sentiments altruistes apparurent, les religions se modifièrent. Elles s'enrichirent du dogme des récompenses et des peines futures accordées ou infligées selon la moralité de la vie terrestre. Et les dieux devinrent les gardiens de la morale.

Cependant, à mesure qu'on tentait un rapprochement entre les idées religieuses et les vérités aensorto-rationnclles, le sentiment religieux déclinait. « En effet, dit Rihot, on peut ériger en loi ce qui suit : De la perception à l'image et de l'image au concept, l'élément émotionnel con-comittant va toujours en diminuant... Du sentiment religieux proprement dit. il ne. survit que le respect vague de l'inconnaissable, d'un X, dernière survivance de la peur, et une certaine attraction vers 1 idéal, reste de l'amour dominant durant la seconde période!1). Aussi voyons-nous toutes les religions aboutir à une sèche philosophie religieuse, et les dogmatisles l'emporter peu à peu sur les mystiques.

Ces mystiques, qui, « malgré la différence des temps, des lieux, des races, des croyances..., ont tous un air de famille, et se ressemblent singulièrement entre eux(3) », sont des émotifs, des sentimentaux et des suggeslibles. Ils sont pour les germes religieux des terrains excellents. Les croyances passent de l'un à l'autre comme par contagion ; et de même qu'il est des épidémies de névroses, il est des épidémies religieuses. On conçoit que la contagion sera plus aisée entre les membres d'une même famille, où les terrains sontanalogucs, et en intime contact. Ainsi s'explique la fréquence des groupes religieux qu'on peut désigner par un nom familial, les Le Maistre, les Arnauld, les Pascal.

Nous allons relater une de ces épidémies religieuses. Elle est d'autant plus intéressante et instructive, que les rôles secondaires du drame furent tenus par des personnes d'une intelligence supérieure, et que le héros principal est un des plus grands génies français.

(à suivre)

(1) Kibot. I-oe. cit.

(2) ibid.

LES SUGGESTIONS HYPNOTIQUES CRIMINELLES

Dangers et remèdes.

Par M. Jules hitarxtxr, professeur à l'Université de Nancy.

(suite)

VII

Divers états hypnotiques sont de nature à favoriser certains attentats d'une nature particulièrement grave, parles les terribles conséquences qu'ils peuvent entraîner.

En état de somnambulisme provoqué ou spontané, ou de condition

seconde, des femmes, des jeunes filles peuvent être violées, sans le savoir, sans le sen'-ir, sans en garder le moindre souvenir une fois revenues à l'état normal. En dehors de ces crimes, plus odieux encore que l'assassinat, elles pourraient — sans avoir aucun moyen de s'y soustraire — se voir Inspirer, par suggestion dans le sommeil profond, les sentiments les plus bas, les penchants les plus vils, les actions les plus honteuses! Et il n'est pas de famille, riche ou pauvre, opulente, prin-cière, royale même, qui puisse se croire à l'abri de ce danger; car, il n'en est pas où les femmes, les jeunes filles ne soient exposées au contact, à lu présence, souvent prolongée, de gens de moralité douteuse : domestiques, valets de chambre, cochers, etc.

Cette thèse, sur laquelle nous sommes tous d'accord, à Nancy, MM. Liéheault, Bernheim, Beaunis et moi, est, je le sais, contestée par quelques-uns des représentants de l'Ecole de la Salpélrlère, et notamment par M. le Dr Brouardel, doyen de la Faculté de Médecine de Paris.

M. Brouardel fonde son opinion sur l'expérience suivante : « Il a vu « une somnambule à qui on avait d'abord suggéré qu'elle était près « d'une rivière ; on a voulu lui persuader de se déshabiller : elle a eu « aussitôt une attaque de nerfs. »

Je ne saurais admettre la conclusion que l'on prétend tirer de ce fait. Il me semble évident que, si M. Brouardel avait donné à son sujet une hallucination négative ; s'il lui avait dit, non pas qu'elle était au bord d'une rivière, mais qu'elle était dans une salle de bains, toute seule, sans que personne put la voir, le résultat eût été différent. Surtout, et très probablement, l'on n'y a pas mis assez de persévérance: persuadé, à l'avance, que l'expérience devait échouer, et ne la voyant pas réussir du premier coup, l'on y a renoncé trop vite.

D'ailleurs, à celte opinion du savant professeur de médecine légale de la Faculté de Paris, nous avons plus d'une objection à opposer.

D'abord, je trouve ce qui suit dans une note manuscrite qu'a bien voulu me remettre, à Paris, lors du premier Congrès de l'Hypnotisme, en 1889, M. le D' Forel, professeur de psychiatrie à l'Université de Zurich, directeur de l'asile public d'aliénés du Canton. Il s'agit d'une infirmière qui, par une suggestion verbale, a lève ses jupes devant le directeur et un étranger, et découvre sa nudité. Or, cette fille était de mœurs très honnêtes, très « prude même, au point qu'elle o avait toujours refusé de se laisser ausculter. »

Autre expérience : « M. Forel suggère à une infirmière l'idée suivante: « Cet étudiant en droit, que vous voyez près de vous, esi un insolent, « qui vous regarde insolemment; vous allez lui donner une gifle! » Elle l'insulte, le menace et lui applique «unegifle distinguée. »

Je ne rapproche ces deux observations que pour montrer comment le scnlimenl de la pudeur avait pu, par l'action toute-puissante de la sug-

(1) Ces faits sont rapportés en partie dans : Forbl, Der Jiypnotismus.

gestion, être stimulé dans le second cas, et, au contraire, entièrement aboli dans le premier.

Rappellerai-je, puisque l'occasion s'en présente, que M- Forel a su, par suggestion, dresser les infirmières chargées,dans l'asile qu'il dirige, du soin des agitées, à dormir quand ces malheureuses ne font que se plaindre ou crier sans nécessité, et à s'éveiller seulement quand elles ont besoin d'être protégées et défendues, soit contre elles-mêmes, soit les unes contre les autres?

M. Brouardel se refuse à reconnaître la possibilité du viol à l'insu de la victime, parce que, dans une circonstance donnée, une somnambule absolument « lucide (?) se révolta comme dans la veille », et que les misérables qui voulurent « la posséder furent obligés de sp mettre à « deux pour la bâillonner (2). » Et il ajoute : « Si, au contraire, les sen« timents et les actes offerts par le magnétiseur à son sujet correspon-« dent aux sentiments intimes de celui-ci, il obéit facilement. Le « Dr lîellangcr rapporte le fait dune femme qui, après avoir fait à son « médecin, dans des crises répétées de somnambulisme, des aveux et « des déclarations, qu'elle ne faisait pas dans l'état de veille parce « qu'elle était honnête, se vit, à sa grande surprise, devenir enceinte. « Elle a fini dans un asile d'aliénées, et le Dr X... a été obligé de « s'expatrier. »

L'observation dont il s'agit, que nous avions déjà mentionnée dans notre Mémoire de 1S84, et qui présente un cas très curieux de condition seconde, avait été publiée par le Dr Bcllangcr, dans un volume paru en 1854 sous le titre: Magnétisme, .vérités et chimères de cette science occulte. Cette pauvre femme, qui s'était livrée à son médecin dans un état psychologique — l'un de ceux que je m'efforce de faire pénétrer dans le droit criminel et la jurisprudence des cours d'assises — où sa raison, endormie, laissait la place libre aux élans de son cœur, cette femme, restée pure et chaste devant sa conscience normale, vit, avec un étonnement et une douleur inexprimables, se prononcer, chaque jour de plus en plus, un état de grossesse dont elle ignorait la cause!!! En l'absence du mari, c'était le déshonneur. Elle devint folle, en même temps qu'elle devenait mère. Tant était grande, complète, absolue, dans son esprit, la rupture de la mémoire, entre la condition seconde et l'état normal ! Ah ! nous ne sommes plus ici en présence de la comédie qu'on nous reproche de faire jouer à nos sujets, mais bien plutôt d'une tragédie digne du génie d'un Shakespeare !

Quant à la possibilité du viol à l'insu de la victime, même on dehors de tout penchant secret éprouvé par elle, nous croyons devoir la maintenir énergiquement, malgré l'avis de M. lïrouardel.

Ne pourrions-nous pas déjà tirer un argument à fortiori de ce qu'on a pu, à différentes reprises, — Delbœuf l'a fait lui-même, à propos de J..., — faire accoucher sans douleur des femmes mémo primipares; et

(2) Gazette des Hôpitaux, 8 nov. 1887, col. 2, in fine.

de ce fait que, une fois délivrées, elles n'avaient conservé aucun souvenir de l'accouchement, tâtant leur ventre avec stupéfaction, et se demandant ce qu'était devenu leur enfant?

Puis, nous invoquerons la fameuse affaire Castellan, qui s'est déroulée, en 1865, devant la Cour d'Assises du Var et dont nous avons parlé fort en détail, dans une publication antérieure(J. Ce Castellan était un vagabond, vieux, difforme, hideux, qui sut, à l'aide de manœuvres que nous appellerions aujourd'hui Ivypnotiques, s'emparer d'une jeune paysanne, jusque là parfaitement honnête, la forcer à quitter la maison paternelle, à se livrer à lui... en un mot, substituer entièrement sa volonté à la sienne et en faire une véritable esclave. La puissance ma-gnétique(?) dont la nature avait, au dire des experts, doué Castellan était telle, que le procureur impérial, chargé de soutenir l'accusation, sembla craindre, un moment, d'être hypnotisé par l'accuse !

Mais voici encore une autre alîuire criminelle absolument typique. Elle présente d'ailleurs cet avantage que M. lïrouardel lui-même fut charge de l'expertise médico-légale, sur laquelle devait s'appuyer l'accusation.

A la fin d'avril 1879, une femme B... déposait, au Parquet de Rouen, une plainte contre un sieur Lévy, dentiste-ambulant, qu'elle accusait d'avoir violé sa fille et de l'avoir rendue enceinte.

Toutefois, la plaignante déchirait avoir été présente pendant tout lo temps qu'avait duré la visite de sa fille et ne s'être nullement doutée des actes coupables auxquels Lévy avait dû se livrer.

Tant de naïveté autorisait bien quelque scepticisme ; mais, dès la première confrontülion avec Lévy, le doute ne fut plus possible. Devant le juge d'instruction, il lit cet aveu étonnant: « Oui, vous étiez pure, « vous étiez vierge, vous avez cru, dans votre naïveté, que ce que je « faisais était nécessaire, et vous n'avez pas résisté. Sauvez-moi ! Sau-a vez ma femme et mes enfants ! Dites que je ne vous ai pas violée ! et « je vous donnerai tout ce que je possède (*). »

Nous avons discuté ailleurs [3; l'expertise médico-légale de M. Brouar-del. Selon nous, l'expert eût pu, et même dû, après s'être assuré que la fille B... était susceptible d'Ôtrc mise en somnambulisme, l'interroger sur les circonstances du crime. Ces circonstances dont elle avait, une fois réveillée, perdu tout souvenir, eussent reparu dans tous leurs détails, en vertu de ce principe bien connu, à savoir : que le somnam~ bule, qui a tout oublié au réveil, retrouve, une fois remis de nouveau en sommeil provoqué, la mémoire de tout ce dont il a été — pendant les sommeils précédents — i'acïeur, le témoin ou la victime.

En somme, sans l'aveu du coupable, le crime n'eût pu être ni prouvé, ni puni. Mais je ne veux pas revenir longuement sur cette question, que j'ai déjà élucidée ; je n'en veux, en ce moment, retenir que ceci : Lévy

(1) Jules Liégeois : De la suggestion et du somnambulisme, etc., p. 537.

(2) Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 1879, 3e série p. 44.

(3) J. Liégeois : De la suggestion et du somnambulisme, p. 550.

avait pu violer sa victime après l'avoir rapidement hypnotisée, et il l'avait fait, chose inouïe, en présence de la mère de sa victime qui, sur sa recommandation, lui tournait le dos ! Lévy fut condamné à dix ans de réclusion.

Enfin, nous pouvons citer un fait judiciaire très récent à l'appui de noire thèse, sur le danger que peuvent présenter certaines manœuvres ou certains états hypnotiques, pour les femmes ou les jeunes filles les plus honnêtes et les plus pures. Il s'agit d'un procès qui a eu en Allemagne un grand retentissement, mais qui semble être resté presque ignore dans les pays de langue française.

C'est, lit-on dans une brochure à laquelle j'emprunte les renseignements qui suivent, la première fois qu'un tribunal allemand a eu à juger un crime d'hypnotisme (*). Si l'exactitude des faits n'était garantie par une instruction et des débats judiciaires, ils paraitraient relever plutôt du roman et de la fantaisie que de la réalité.

L'accusé, un sieur Czynski, polonais d'origine, a mené une vie très aventureuse. En dernier lieu, il donne, à Berlin, des représentations publiques d'hypnotisme et traite par la suggestion les malades qui réclament ses soins. Sa moralité laisse beaucoup à désirer ; marié, père de famille, il vit avec son médium, dont il a eu un enfant. C'est à cet homme, qu'elle ne connaît d'ailleurs en aucune façon, que s'adresse, pour se faire guérir de douleurs de tête et d'estomac, la baronne Hed-wig de Z... de L..., personne riche, très honnête, très religieuse, âgée de 38 ans et non mariée.

Czynski ne larde pas à acquérir, par de nombreuses hypnotisations, un empire absolu sur sa volonté. Il conçoitle hardi projet, lui.déjàmaric, de la séduire et de la déterminer à l'épouser, après qu'il aura divorcé d'avec sa première femme. Le temps me manque pour entrer dans tous les détails de celte histoire, aussi étrange que doulourense. Je me bornerai à relever, soit d'après l'accusation, soit d'après les déclarations de la victime, ce qui semble établir que Czynski a pu, par ses manœuvres hypnotiques, ses ruses et ses mensonges, abolir la raison et la liberté de la baronne de Z... et la violer moralement.

Après un certain nombre de suggestions, pratiquées dans un but plus ou moins thérapeutique, Czynski déclare son amour à sa cliente; il se donne comme un hommo très malheureux, appartenant à une famille princière de Lilhuanie, dont certaines circonstances politiques ne lui permettent pas de se réclamer ouvertement. Selon toute vraisemblance, il lui fait des suggestions appropriées à son but. Emue, troublée, croyant à ses impostures, suggestionnée en un mot. la baronne de L..., qui n'avait, d'elle-même, songé à rien de pareil, finit pur enlrer dans les vues de Czynski, moins par amour que par pitié, pour sauver son âme, comme elle le dira plus tard.

Des relations intimes s'établissent entre le magnétiseur et sa riche et

(1) Dcu Prozess Czynski. Stuttgart, Verlag ton Ferdinand Enke, 1895.

noble cliente. Ils se rendent en Suisse, d'où l'on envoie, à diverses personnes, des billets de fiançailles. Czynski, ayant abjuré le catholicisme, se rend à Munich ; il y fait venir un complice, qu'il qualifie de ministre protestant, qui en prend le costume et procède, dans une chambre d'hôtel, à un prétendu mariage. Après ce simulacre de cérémonie religieuse, Czynski montre à sa malheureuse dupe un télégramme de féli-citation que vient, dit-il, do lui adresser M. le comte Kalnoky, ministre d'Autriche-Hongrie. 11 est vrai que ce tétégramme ne porte aucune signature !

Cependant, le père et le frère de la baronne de Z... ont appris la comédie du mariage secret. Ils déposent une plainte contre Czynski ; on l'arrête, et des poursuites criminelles sont engagées contre lui.

Dans les débats, qui s'ouvrent à Munich, pour le jugement de l'affaire, l'accusé reconnaît avoir traité la baronne de Z... par suggestion; mais il nie lui avoir jamais suggéré ni de l'aimer, ni de l'épouser. Elle n'est jamais, selon lui, tombée dans un état hypnotique tel qu'il ait pu annuler sa volonté et son libre arbitre.

Interrogée à son tour, comme témoin, hors la présence de l'accusé, la baronne de Z... ne montre plus pour lui aucune sympathie. Connaissant maintenant les machinations auxquelles il a eu recours pour la perdre et s'emparer de sa fortune, c'est plutôt de la répulsion qu'il lui inspire. Nous citerons seulement les déclarations suivantes :

Un des experts lui demande s'il y a eu des moments où elle ne se rendait plus compte de tout exactement? — Rép * Tout était très clair ¦ pour moi, même quand j'étais dans un état voisin du sommeil. A « Luga, Czynski me traita aussi ; mes yeux s'appesantirent encore da-« vantage... Une fois, il me dit que, s'il pensait vivement à moi, il pou-« vait m'influencer, mémo de loin. S'il le voulait, au moment fixé, je «* devais m'asscoir sur le sepha, et je serais influencée par lui, comme « s'il était là. 11 a lixé l'époque. Je me suis assise et je suis tombée . « endormie... Avant mon réveil, il souffla sur moi. »

Et plus loin : * Réellement, je ne ressentais aucun amour pour lui. Il a m'accabla de lettres, me tourmenta et, pendant les traitements suite vants, ne parla que de son amour. Par contre, il ne me recommanda « pas de ne rien savoir de ce qui était arrivé (?). Je n'ai pas répondu « positivement à son amour. Mais, comme il s'était passé a quelque « chose de triste », je me demandais si je l'aimais et si je devais lui i procurer une nouvelle vie. Je me disais alors : Oui, car je me suis i donnée à lui et je ne sais pas comment ce fut possible. Ce fut vite x fait. Tout cela est terrible, et je ne pouvais pas autrement. A cause de cela, je me suis résolue à l'épouser, parce que j'avais pitié de lui ; « je croyais avoir trouvé en lui un bon fonds et je voulais sauver son « âme. Je n'avai3 vraiment jamais pensé à l'épouser, et je ne lui mon-* trui, jusqu'à sa déclaration d'amour, que de l'intérêt pour ses capa-

a Cités. 9

Une autre fois, Czynski avait dit à la baronne qu'elle devait sauver

son âme. « Il lui avait donné un nom propre, Utsarpini, qui devait « signifier une personnalité revenue sur la terre pour, d'après la tradi-« tion indienne, conduire au ciel une autre âme, le Punar-Bheva ; mais « pour cela, il faut que Utsarpini se donne, sans résistance, à Punar-« Bheva. Il ne lui avait pas donné d'amulette, mais une bague avec de « la cire, qui provenait d'Egypte, et qui portait bonheur, aussi long-« temps qu'on la portait au doigt. »

« Le sentiment devenait un peu plus vif, surtout après qu'elle eût « porté la bague. Elle avait eu te sentiment du manque de résistance et « tout accepté comme un sorti (1).

Czynski fut condamné à trois ans de prison, et l'on trouvera sans doute que cette condamnation était absolument justifiée !

(à suivre)

SOCIÉTE D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du Lundi 17 Janvier 1898. —Présidence de M. Dumontpallier.

Eloge de M. le D' Mesnet.

Par M. Dumontpallier, président.

La Société d'hypnologic et de psychologie vient de perdre un de ses membres les plus autorisés. Notre très regretté collègue et ami le Dr Mesnet a succombé le 13 janvier dernier à une maladie qui depuis deux grandes années le tenait éloigné des Sociétés savantes auxquelles il appartenait.

Mesnet était un travailleur consciencieux, un observateur sagace qui, un des premiers, se livra avec grand succès à l'étude des maladies nerveuses qui font le sujet principal des travaux de notre Société.

Dans ces dernières années il publia un travail important sur le somnambulisme provoqué. Ceux d'entre nous qui ont lu ce travail ont pu se rendre compte de la prudence, de la sagesse avec laquelle Mesnet poursuivait ses observations cliniques.

Dans ce travail se révèle la science profonde que Mesnet possédait des différentes variétés de l'hystérie.

Dans la préface de cet ouvrage, Mesnet nous promettait un second volume où il se réservait de publier le résultat ses observations sur le somnambulisme* spontané. îl m'avait confié quelques-uns de ses manuscrits sur cette importante question. De nombreuses observations y démontraient l'existence delà double personnalité chez certains sujets. C'est avec un grand regret que nous avons appris que Mesnet n'avait pas eu le loisir de rédiger complètement ce dernier travail. Espérons qu'une de ses dernières volontés aura été de confier son manuscrit à un colla-

(1) Der Prozess Czynski, passim.

borateur autorisé- Alors l'œuvre de Mesnet sur le somnambulisme sera complétée et un hommage mérite pourra être rendu au clinicien savant qui eut le courage d'affirmer l'existence de faits qui portent en eux un grand enseignement.

La Revue de l'Hypnotisme a publié une notice sur les principaux travaux de Mesnet *, mais c'est un pieux devoir pour nous de rappeler que Mesnet a toujours encouragé nos efforts et que l'aménité de son caractère, la solidité de ses affections et la valeur de ses travaux justifient la grande douleur qu'ont ressenti ies travailleurs à la triste nouvelle de sa mort.

Biathèse de contracture. — Guérison d'une contracture par le transfert dans l'état d'hypnotisme.

Par M. le D' Bérrillon.

Charcot a désigné, sous le nom de diatkèse de contracture, l'aptitude singulière que présentent certains hystériques à être atteints de contractures musculaires sous l'influence de causes diverses et en particulier de traumatismes ('). II a considéré avec raison que l'existence de cette diathèse de contracture constituent un des stigmates les plus sûrs de la grande hystérie.

Ces contractures peuvent êlre localisées à un muscle ou à un groupe de muscles. Elles peuvent intéresser tous les muscles d'un membre. On sait avec quelle facilité on peut provoquer artificiellement ces contractures chez les sujets hystériques plongés dans l'état d'hypnotisme. Dans certains cas la suggestion peut suffire pour en amener l'apparition, dans d'autres il est nécessaire de recourir à l'emploi de procédés mécaniques tels que percussion répétée des tendons,tractions exercées sur les doigts, application d'un diapason en vihrution sur les muscles ou sur les tendons, faradisation. De tous les moyens mécaniques, le plus efficace est assurément l'application circulaire de deux ou trois tours de la bande d'Esmarch ou d'un lien quelconque. lïcrbez a constaté, à la suite d'applications de la bande d'Esmarch, faites sur soixante-dix sujets hystériques, que la contracture provoquée est, dans un membre, d'autant plus accentuée et d'autant plus durable après la cessation de la constriction, que l'expérience est plus souvent répétée et plus tongtemps prolongée (*).

Ce qu'il faut retenir, c'est que les contractures provoquées chez les hystériques, soit dans l'état d'hypnose, soit à l'état de veille, ne disparaissent pas toujours sous l'influence de la suggestion. II faut souvent, pour en amener la résolution complète, associer à la suggestion l'cm-

(1) Charcot: De l'influence des lésions traumatises sur le développement des phénomènes d'hystérie locale. Mataaies du sysième nerveux. T. 1, p. 449.

(2) : Sur la diathèse de contracture et sur la contracture produite par

l'application d'une ligature {Progrès Médical, 9 octobre 1886).

ploi de moyens mécaniques divers et, en particulier, de frictions légères portant sur lesmuscles contractures ou sur leurs antagonistes.

Le pronostic de la diathèse de contracture est assez sérieux. Il est l'indice de l'hystérie confirmée et l'accompagne assez souvent d'autres manifestations graves telles que les crises d'hystéro-épilepsie.

Chez certains malades, les contractures ne disparaissent d'un membre que pour reparaître dans un autre. Lorsqu'elles apparaissent dans certains muscles, elles constituent une infirmité des plus pénibles.

Chez une malade que nous avons observée, les contractures occupèrent successivement l'orbiculaire des paupières à gauche (pendant treize mois), le trapèze, les stcrno-cleido-mastoîdiens, les muscles de la cuisse gauche, les muscles jumeaux de la jambe gauche. Enfin, les muscles fessiers furent pris dans leur ensemble et la malade qui pouvait marcher, se trouvait dans l'impossibilité absolue de s'asseoir. ' Elle était obligée de rester continuellement dans la station debout.

Toutes ces contractures cédèrent finalement à des séances répétées d'hypnotisation profonde. La suggestion à l'état de veille s'était montrée complètement impuissante.

Les contractures récidivantes ne cèdent qu'à un traitement psychique dont l'hypnotisme est la base. Pour fixer leur guérison, il est nécessaire de recourir à divers artifices, en particulier d'imposer au malade divers exercices et et un véritable entraînement gymnastique pendant l'éiat de sommeil hypnotique.

Dans un cas observé récemment, la contracture était localisée aux muscles de la jambe gauche et déterminait un pied-bot varus equin très accentué. Celte contracture mettait la malade dans l'impossibilité de marcher. Elle fut plongée facilement dans le sommeil hypnotique profond. Dans cet état, nous lui fîmes sans succès la suggestion de la disparition de la contraction. C'est alors que, nous souvenant d'un cas analogue traité à la Pitié, par notre maître M. Dumontpallier, qui n'avait obtenu la guérison qu'en suggérant à la malade le transfert de la contracture d'une jambe à l'autre, nous eûmes l'idée de recourir au même procédé.

A dix ans d'intervalle, nous assistâmes à la reproduelion de ce spectacle saisissant du transfert qui nous avait tant frappé la première fois que nous l'avions eu sous les yeux. Sous l'influence de la suggestion dans l'état d'hypnose, nous pûmes constater que, à mesure que le pied-bot disparaissait dans le pied gauche, on le voyait apparaître dane le pied droit. La malade réveillée garda la contracture à la jambe droite. Le résultat obtenu était en réalité négatif, le pied-bot étant passé d'un pied à l'autre. Mais la malade fut hypnotisée de nouveau, et cette fois il fut convenu qu'elle serait réveillée au moment précis où les deux pieds seraient dans l'état de parallélisme. C'est ce qui fut fait. Après le réveil, la contracture ne se roproduisit pas et la guérison s'est maintenue.

Ces faits confirment l'opinion que nous avons déjà si souvent exprimée,

que le principal intérêt de la psychothérapie résidé dans la découverte des artifices d'ordre physique ou mécanique par lesquelles on arrive à renforcer l'action de la suggestion hypnotique. Tous les jours ôh constate que les effets de la suggestion verbale sont très limités, pour He pas dire absolument nuls, et qu'à eux seuls, ils ne sauraient constituer les éléments d'une thérapeutique méthodique. C'est surtoutenccS études qu'il faut se souvenir de l'aphorisme, si judicieusement fdrmulé par Bacon : Nec manus nuda, nec intelleclus sibi perfnissus, multum valet.

Séance du 21 Février. — Présidence de M. Dumontpallier.

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.

La correspondance imprimée comprend un travail dépo^é par M. Béril-Ion. Ce travail a pour tilre : L'hypnotisme et l'orthopédie mentale.

La correspondance comprend une lettre de M. le D'Francisco Laraya, remerciant la Socïété de son admission et envoyant le montant de sa cotisation et du droit d'admission, et des lettres de candidature de MM. le Dr Yturriaga, de Mexico ; de M. le D' Basile Agàpinos, de CohStantinople ; de M. Guimbaud ; do M. le D' Coatarmanach ; de M. Paul Landon ; de M. Lépinay, médecin vétérinaire à Paris; de M. le D' Peyré, ancien interne de l'asile de Nantcrre.

La Société se forme en comité secret.

La séance est levée à G h. 1/4,

Avant de lever la séance, M. le président, dans le but de hâter la publication des comptes rendus, rappelle que les notes manuscrites et les mémoires communiqués à la Société doivent être remis au secrétaire général, aussitôt après !a communication faite, ou au plus tard, sur le bureau avant la lecture du procès-verbal à la séance suivante. Les observations présentées au cours des discussions par les membres de là Société seront imprimées également dans les compics rendus si elles sont remises au secrétaire général, dans le délai indiqué ci-dessus1.

De l'action de l'idée en thérapeutique.

Par M. Ddmontpalubr, membre do l'Académie de Médecine.

Dans la séance du 19 juillet 1897 ('), je communiquais à la Société l'observation d'une jeune femme qui, mariée depuis sept années, était obsédée par l'idée qu'elle n'aurait pas d'enfants. Au début de son mariage on avait cru utile de pratiquer un curettage de hi matrice ; à la suite de cette opération les douleurs utérines avaient persisté, et, après six années.de souffrances physiques et morales, la question d'une laparotomie avait été agitée afin de reconnaître s'il n'existait pas quelque maladie des ovaires. — Toutefois, un accoucheur de Paris

(1) Revue de l'Hypnotisme, Xll- année, 1693, p. 14.

avait engagé la malade à me demander mon avis sur l'opportunité de l'intervention chirurgicale et principalement sur la part que l état nerveux de la malade pouvait avoir dans la persistance des douleurs utérines et péri-utérines.

Un examen complet des régions douloureuses me permit d'affirmer qu'il n'existait aucune lésion organique. La malade était bien réglée et mon diagnostic fut que les douleurs éprouvées étaient la conséquence de l'état nerveux ; que l'habitude do l'idée de la douleur entretenait les impressions douloureuses locales et que la persistance de la même idée avait créé et entretenu l'obsession de ne pouvoir avoir d'enfants. J'ai raconté antérieurement dans quelles conditions je pratiquai la suggestion hypnotique et j'ai dit comment je fus conduit a diagnostiquer l'existence d'une grossesse deux mois après auotr ru fa malade pour la première fois. J'ai promis à la Société de compléter cette observation et je le fais aujourd'hui en informant la Société que celte jeune femme a mis au monde une petite fille dans la nuit du 13 au 14 février 1898, c'est-à-dire neuf mois après que j'avais suggéré à la malade qu'elle était dans les conditions de devenir enceinte et que très probablement elle le deviendrait puisqu'elle était elle-même persuadée, après mon affirmation, qu'il n'y avait pas d'obstacle organique à la grossesse.

Cette observation n'a pas besoin de commentaires et est un nouveau fait à l'appui de l'action de l'idée en pathogénie et de la puissance de l'idée en thérapeutique.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à A heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumonl-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 18 Avril et 16 Mai 1898, à 4 heures et demie.

Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, I, place Jussicu.

Avis important : La Société, afin de hâter la publication des comptes-rendus, a décidé que les notes manuscrites et les mémoires communiqués à la Société, doivent être remis au secrétaire général, aussitôt après lu communication faite, ou au plus tard, sur le bureau avant la

lecture du procès verbal, à la séance suivante. Les observations présentées au cours des discussions par les membres de la Société seront imprimées également dans les comptes-rendus si elles sont remises au secrétaire général, rédigées par leurs auteurs, dans le délai indique ci-dessus.

De la suggestion dans les grimoires et dans l'ancienne magie.

Jusqu'ici nous avions toujours cru que Mesmer et ses disciples, le baron du Potet, Puységur et Lafontaine, c'est-à-dire les magnétiseurs, furent les initiateurs de l'hypnose etde la psychothérapie. Mais de même que Charcot, en expérimentant à la Salpôtrière, retrouva dans les crises de la grande hystérie les différentes phases de la possession et du démonisme au Moyen-Age, M. Jules Bois, l'auteur du Satanisme et la magie, du Miracle moderne, a découvert dans les anciens magisles, tels que Cornélius Agrippa et Paracelse, les théories de l'hypnose formulées par Charcot, et la doctrine de la suggestion dont M. Liébeault de Nancy est l'incontesté révélateur.

A l'institut psycho-physiologique, M. Jules Bois, par deux fois devant un nombreux public, a cité des passages du De Ente Spirituum de Paracelse, et de la Philosophie occulte d'Agrippa, où les nobles devanciers, chassant déjà touie superstition, malgré l'intolérance de leur temps, déclarent trouver dans la volonté de l'homme l'origine de ses maladies et de ses cures, et recommandent àcette volonté, pour s'exercer, les différents moyens employés aujourd'hui dans les cliniques modernes.

Ici interviennent les grimoires, manuscrits, la plupart du temps, rédigés au seizième ou au dix-septième siècle, qui relatent d'anciens procédés pour les charmes, les philtres, les envoûtements d'amour ou de haine, les évocations du diable on d'autres esprits. Après avoir fait la critique historique des livrets de sources ambiguës, ainsi que de documents précieux, M. Jules Buis nous a montré l'efficacité possible do leurs formules et do leurs rites souvent étranges, par la loi d'analogie d'association des idées. Ils jouaient le rôle d'hallucinatoires, d'excitants psychiques, créaient une foi et une exaltation propices au développement et à l'cxcercice de la volonté.

Là-dessus, M. Jules Bois nous a fait pénétrer dans les appartements secrets d'un mage du quinzième siècle, rappelant assez la clinique de nos psychotérapeutes, mais avec des engins plus perfectionnés encore. Le miroir à alouettes était devancé parle miroir magique, le diapason et le gong de la Salpètrière et de la Charité par la lyre ou encore le rhombe, toupie monstrueuse au ronflement hypnotisant. Les paroles de la suggestion étaient rythmées et chantées, afin de pénétrer mieux le cerveau ; les murs étaient recouverts de peintures symboliques préparant un état d'esprit favorable, tandis que l'odorat lui-même était surpris par les parfums variés selon les opérations. Il a reconstitué aussi la scène ou la magicienne s'essaie à faire revenir par ses incantations

l'amoureux fugitif et où l'ancien nécromant avec ses statuettes et ses blasphèmes croyait occire son lointain ennemi. Enfin, il a établi la puissance des rites anciens correspondant à l'hypnose et de la foi aujourd'hui tant diminuée et qui correspond à la suggestion. 11 a vu dans les grimoires le germe de la plupart des études psychiques modernes, telles que la télépathie et le spiritisme.

Nous avons vu recommencer selon les indications de M. Jules Bois les évocations du diable par les sujets de la clinique. La suggestion dans l'état d'hypnose en fait tous les frais. Le cercle magique est tracé, l'esprit qui existe pour le sujet et que le sujet construit selon son imagination et sa mémoire apparaît et répond aux questions qui lui sont adressées. Ces scènes sont assez dramatiques et le public s'est intéressé beaucoup aux évocations de Lucifer.

M. Jules Bois a terminé en montrant que si les anciens grimoires déployaient surtout leur habileté pour assouvir les passions, les modernes thérapeutes emploient au contraire leur science à une orthopédie morale. Ils corrigent les vices des enfants parla suggestion, augmentent la santé, redonnent du courage, de l'énergie, chassent les obsessions et les maladies, augmentent la tension vitale chez les hommes et les femmes atteints par la vie à outrance de notre époque; et il a terminé en félicitant le docteur Bérillon de perfectionner déplus en plus une étude aussi élevée et aussi pratique, utile à toute l'humanité.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'élude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme, de la psychologie physiologique et de la pédagogie suggestive.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladies nerveuses {dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. les D™ Henry Lemesle.F. La-

raya, Coatarmanach, Faure, Wolf, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. les D™ Paul Farcz, A. Guimbeau, Branly et par M. Charles Verdin.

Pendant le semestre d'hiver 1897-1898. des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand Paulier, Henry Lemesle. Paul Farez, Tison, etc. sur les diverses branches de la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de rinslitul psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hyp-nologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Chaque année, un certain nombre d'étudiants trouvent d'importantes contributions dans leur thèse de doctorat dans les travaux de l'Institut psycho-physiologique.

Institut psycho-physiologique de Paris.

Cours annexe professé a Lille par le Dr P. Joire.

Programme des cours de Vannée Í898.

1re Partie : Physiologie des états hypnotiques. Causes et formes de l'hypnotisme. Suggestion. Auto-hypnotisât ion.

2e Partie : Etude clinique et médico-légale de l'hypnotisme et de la suggestion.

3e Partie : L'hypnotisme et la suggestion au point de vue clinique. Psychothérapie.

4e Partie : Etats médianiques. Télépathie. Extériorisation de la sensibilité. Suggestion mentale. Transmission de la pensée. Extériorisation de la motricité et de la force. Le cours est public et a lieu tous les mercredis, a 8 h. 1/2 du soir, au

local de l'Union des Etudiants, rue Nicolas Leblanc 54. (Les dames y sont

admises.)

Des conférences complémentaires et exercices pratiques sur les questions qui relèvent de 1 hypnotisme et delà psychologie physiologique auront lieu pour les élèves de toutes les facultés, à des heures qui seront fixées ultérieurement.

Cours du 16 mars : Applications de l'étude des phénomènes hypnotiques et de la psychologie expérimentale à la philosophie, à la médecine légale, à la thérapeutique, à la connaissance des phénomènes psychiques.

23 mars: Hypnotisme. Braidisme. Méthoded'hypnotisation.Sujet. Léthargie. Catalepsie. Somnambulisme. Degrés et phases de l'hypnose.

30 mars : Somnambulisme provoqué. Suggestion. Suggcstionabilité. Suggestion à l'état de veille. Suggestion à l'état de sommeil. Suggestion post-hypnotique. EiTct de a suggestion sur la vie organique.

6 avril : Sommeil hypnotique et phénomènes divers de l'hypnose.

13 avril : (Congé de Pâques.)

20 avril: Hystérie. Etude clinique de. l'éjal mental des hystériques. L'hystérie

et la médecine légale. 27 avril : Etude de la suggestion au point de vue criminel. Danger des

suggestions criminelles. Remède aux suggestions criminelles.

4 mai : * Etude médico-légale de l'hypnotisme et de la suggestion. De la

responsabilité des hypnotisés.

11 niai : Emploi thérapeutique de l'hypnotisme. Différentes méthodes. Règles à observer. Suggestion thérapeutique. Psychothérapie.

18 mai : Applications de la thérapeutique hypnotique et suggestive au traitement des manifestations diverses de l'hystérie.

25 mai : La thérapeutique hypnotique et suggestive dans les maladies générales et organiques; dans les troubles d'origine psychique.

1" juin : (Congé de Pentecôte.)

5 juin : L'hypnotisme et la suggestion employés contre la douleur en général.

Comme anesthésique dans l'accouchement en particulier. 15 juin : Etats médianiques de l'hypnose Etat médianique actif, et médiani-

que passif. Phéaomènes télépathiques. 23 juin : Extériorisation de la sensibilité. Sensibilité à distance. 29 juin : De la suggestion mentale. Transmission de la pensée.

6 juillet: Extériorisation de la motricité et de la force.

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR LIBRE

COURS A L'ÉCOLE PRATIQUE DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE Semestre d'été 1897-1898

M. le D' Bérillon, médecin inspecteur des asiles publics d'aliénés, directeur de la Revue de l'Hypnotisme, commencera le mardi 19 Avril, à cinq heures, à l'Ecole Pratique de la Faculté de médecine (amphithéâtre Cruvcilbier), un cours libre sur les applications cliniques et thérapeutiques de l'hypnotisme.

II le continuera les samedis et les mardis suivants, à cinq heures.

PROGRAMME DU COURS

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE ET PATHOLOGIQUE — HYPNOTISME THERAPEUTIQUE

Mardi 19 Avril. — Introduction à l'étude de l'hypnotisme. — Le sommeil et les états analogues.— Le somnambulisme et les états passifs. — L'hypnose et le sommeil provoqué, — L'inhibition et la dynamogénie dans les états hypnotiques.

Samedi 23 Avril. — L'œuvre psychologique de Lïébeault. — Du mécanisme intime des guérisons pendant le sommeil. — Considérations générales sur l'art d'endormir et de faire la suggestion. — L'hypo-taxîe et l'idéoplaslie de Durand de Gros.

Mardi 26 Avril. — La technique de l'hypnotisation. — Le diagnostic de la suggestibilité. — Proportion des hypnotisables — Les procéd»:-pour provoquer l'hypnose : L'action psychique et les agents physiques. — Action spécilique de la musique dans les états hypnotiques.

Samedi 30 Avril. — Etude physiologique de l'hypnotisme. — Les lois de la suggestion. — Les degrés et les états profonds de l'hypnotisme. — La circulation et la respiration chez les hypnotisés. — Les phénomènes somatiques. — Influence du la suggestion hypnotique sur les fonctions de la vie organique et les sensations Internes,

— L'hypnotisme et la psychologie de la douleur, — l,es paralysies psychiques.

Mardi 3 Mai. — Les principes de la psychothérapie. — Applications de la suggestion hypnotique à la thérapeutique générale. — L'auto-hyp-notisation thérapeutique. — Névroses et psychoses suggérées. — Interprétatation physiologique de l'action curative du sommeil provoqué. — La méthode de Wetterstrand. — Les ancsthéslqucs et les narcotiques envisagés comme adjuvants à l'hypnose. — Les artifices destinés à renforcer l'action thérapeutique : Le transfert : les changements de personnalité ; les actions psycho-mécaniques, etc..

Samedi 7 Mai. — Les névroses convulslves. — Rôle de l'éducation dans l'étiologie de l'hystérie. — Le traitement psychothérapique de l'hystérie. — L'hystérie mentale. — Action complémentaire de la suggestion hypnotique dans le traitement de l'épilcpsle.

Mardi 10 Mai. — Les névroses par épuisement nerveux. — La neurasthénie anxieuse. — Les obsessions et les phobies neurasthéniques.

— Le traitement psychothérapique de la neurasthénie. Samedi 14 Mai. — Applications de la suggestion hypnotique au traitement de certaines formes de l'aliénation mentale. — Le traitement psychothérapique de la morphinomanie et de la dfpsomanie.

Mardi 17 Mai. — L'hypnotisme et l'orthopédie mentale. — Traitement de la kleptomanie, de l'onychophagie, des habitudes automatiques.

— Applications de l'hypnotisme à Ta pédiatrie.

Samedi 21 Mai. — Conclusions générales sur la valeur de l'hypnotisme comme moyen d'Investigation clinique et comme agent thérapeutique. — L'hypnotisme et le somnambulisme envisagés au point de vue médico-légal.

N. B. — Le cours sera accompagné de présentations d'appareils. Il sera complété par des démonstrations cliniques à l'Institut psycho-physiologique, 49, rue Saint-André-des-Arta (le jeudi, à 10 h. 1/2).

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Abriccssof. — L'hystérie aux il' et iS* siècles (étude historique et bibliographique). Steinhel, in-8, 144 pages. Paris, 1897.

Bérillon. — L'hypnotisme et l'orthopédie mentale. In-8, 48 p., 1898, Rucff, éditeur, 104, boulev. Saint-Germain. Prix : 4 fr.

Gasc DtSFOSSÉs. — Magnétisme vital. Expériences récentes d'enregistrement, suivies d'induction scientifiques et philosophiques, avec une préface par M. le professeur Boirac. Société déditions scientifiques, in-12, 335 pages. Paris, 1897.

L'Administrateur-Gérant : Ehile BOURIOT Q 170, rue Saint-Antoine.

l'an s, Jmp. A. Quelouejec, rue Gerbcrt, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE

12e ANNÉE. — No 10.

Avril 1898.

LES MAITRES DE L'HYPNOLOGIE ET DE LA PSYCHOLOGIE

M. le Dr LIÉBEAULT (1).

M. le Docteur Liébeault (de Nancy).

Heureux qui a pu vivre assez longtemps pour voir ses idées riompher. Ceux qui ont innové et agrandi le cercle de nos connais-

(1) Nous sommes heureux d'emprunter au Correspondant médical la biographie

sances, n'obtiennent généralement qu'une satisfaction posthume. Liébault a eu la patience, il a su attendre, et il peut assister dans sa vieillesse au triomphe de sa doctrine.

Le Dr Liébcault est, en effet, aujourd'hui universellement reconnu comme le créateur d'une méthode thérapeutique nouvelle, la psychothérapie.

Sans doute il a eu des précurseurs ; parmi eux, citons Braid, de Manchester, et Puel, de Paris. Cabanis et bien d'autres médecins avaient constaté les liens qui unissent le moral au physique ; de tout temps on a disserté sur les rapports de l'âme et du corps. Maïs tout génie a eu des précurseurs.

Liébeault, né en 1823, à Favières (Meurthe), étudia la médecine à Strasbourg. Il fut de bonne heure attiré vers l'étude de l'hypnotisme. Pendant son internat, il fut frappé d'une observation faite par son maître Gros : celui-ci avait vu un sujet endormi saigner du ne/, quand on le lui ordonnait. Il lut avec avidité le manuel du magnétiseur de Teste.

Reçu docteur, il alla exercer dans un bourg, à Pont-Saint-Vincent. Sur ces entrefaites, Azam faisait un rapport à l'Académie sur la somnambule Félida et sur l'hypnotisme.

Liébeault se décida, quitta Pont-Saint-Vincent et vint s'établir à Nancy comme médecin hypnotiseur. Il installa à la rue de Bellevue, n°4, une clinique gratuite où l'on n'ordonnait pas de remèdes, mais on endormait les malades et on leur persuadait la guérison. Hardie tentative rapidement couronnée de succès vis-à-vis du public. Tous les matins 5o à 70 malades allaient consulter ce sorcier diplômé qui ne demandait pas d'argent.

Maïs ses confrères ne le regardaient pas du même œil. Malgré ses convictions et sa patiente aménité, Liébeault fut traité de charlatan et d'imposteur. On s'arrangea pour l'écarter de la Société de médecine de Nancy.

Il est naturel que tout homme qui apporte une formule nouvelle soit mis en suspicion. Pourtant Liébeault ne s'en tenait pas à la pratique, il réfléchissait et écrivait. En 1806, il publia son merveilleux traité sur le « Sommeil et les états analogues considérés surtout au point de vue de l'action du moral sur le physique (1). »

Ses théories y étaient développées longuement et appuyées sur quantités d'observations précises. On a bien peu ajouté depuis aux

dti D' Liébeault- Le pseudonyme du D* Laveyssîère dissimule la personnalité d'un psychologue les plus éradits auquel nous adressons nos sincères félicitations pour rbomnikgo qu'il vient de rendre û notre éniiueut collaborateur, le D* Liébeault.

(1) Félix «dit Paris 1866.

unes et aux autres II indiquait les procédés employés pour obtenir le sommeil hypnotique ; distinguait celui-ci en léger et en profond, y rattachait les faits de catalepsie et de lithargie, de fascination et de somnambulisme Dans cet état hypnotique, la volonté du( sujet disparaissait, on pouvait le sugestionner, lui inculquer les idées qu'on voulait. Et Liébeault rappelait l'importance psychologique de l'imitation qui règle les sociétés animales et humaines. Il expliquait par l'état hypnotique les tables tournantes, la baguette divinatoire, le spiritisme, les possessions et les hallucinations.

Les fatras de rhétorique des psychologues officiels et des professeurs en Sorbonne de cette" époque auront disparu depuis longtemps, l'œuvre de Liébeault subsistera inébranlable ; car elle est la base certaine sur laquelle on peut bâtir l'édifice psychologique.

Mais ce n'était la, pour lui, que l'avant-propos de l'œuvre décisive, « la psychothérapie. »

Grâce à l'hypnotisme, Liébeault guérissait les névralgies, les lumbagos 'es migraines. Il insensibilisait les patients pour les opérations chirurgicales. Il arrêtait les vomissements des femmes enceintes, les métrorrhagies, les convulsions, guérissait les fièvres, la dyspepsie. Il arrivait même à améliorer les symptômes des maladies organiques telles que l'incoordination de l'ataxie, le tremblement de la sclérose en plaques, la paralysie consécutive à l'apoplexie.

Pendant de nombreuses années, Liébeault continua son modeste rôle de guérisseur. En 1881, M. Dumont, chef des travaux physiques de la Faculté de Médecine, eut l'idée de suivre ses consultations. Il fut convaincu de la réalité des phénomènes observés, expérimenta à l'asile de Maréville et guérît une contracture hysteii-que datant de trois ans et des attaques convulsîves se répétant cinq à six fois par jour.

Bernheim, professeur à la Faculté de médecine de Nancy, expérimenta à son tour dans son service d'hôpital. Il commença, avoue-t-il, avec sceptiscime, mais fut bientôt convaincu, et publia en 1884 un ouvrage devenu classique: « De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique.»

Beaunis, alors professeur à Nancy, suivit bientôt avec son livre sur le somnambulisme provoqué (1886) et Liégeois, professeur à la Faculté de droit, reconnut les rapports de la suggestion et du somnambulisme avec la jurisprudence et la médecine légale (1088). L'Ecole de Nancy était fondée.

D'ailleurs, de nombreux savants venaient à Nancy s'inspirer de la méthode du maître. Delbceuf, de Liège ; Forel, de Zurich ;

Schrenk-Notzing, de Munich; Lloyd-Tuckey, de Londres ; Van Renterghem, de la Haye; Kingsbury, de Blackpool; Auguste Voisin et Bérillon, de Paris, etc., etc.

Aujourd'hui, la méthode de Liébeault est universellement répandue. Partout se sont fondés des instituts psychothérapiques. Des professeurs éminents le regardent comme un Maître. Mais qu'a fait la société pour celui qui a honoré la France?

A des cliniciens bruyants, on donne des chaires et des honneurs, à des chirurgiens audacieux on décerne les rubanset les triomphes. Liébeault n'a eu ni les apothéoses publiques, ni les récompenses officielles. Seuls, en 1890, ses élèves se sont réunis pour manifester en son honneur, et parmi ses élèves, les plus nombreux étaient des étrangers. Les adhésions étaient venues de Paris, de Berlin, de Vienne, de Liège, de Bruxelles, d'Amsterdam, de La Haye, de Londres, de Rio-de-Janeiro, de Boston, de San-Francisco, etc— pour honorer celui qu'avaient méprisé, si longtemps, nos officiels.

Après eux, nous voulons encore élever notre voix modeste pour honorer un savant encore ignoré de beaucoup. On prône tant de demi-valeurs et de valeurs douteuses, qu'on est heureux de leur opposer la biographie d'un vrai savant.

D' Léon Laveyssière.

DE LA SUGGESTION PENDANT LE SOMEIL NATUREL

dans le traitement des maladies mentales. Par M. le D' Paul Farez. (suite)

I I

Technique de l'intervention.

Le but que je me propose est, on se le rappelle (0, de montrer comment, chez un aliéné réfractaire à l'hypnotisme, il est possible de faire des suggestions efficaces pendant que ce malade dort du sommeil naturel. Toutefois, quelques écueils menacent de nous barrer la route.

En effet, supposons tout d'abord que notre sujet dort profondément sans rêver à quoi que ce soit ; sa conscience alors sera, pour ainsi dire, inerte et vide : aucune représentation

(1) Voyez la Revue de l'Hypnotisme du mois de mars, pp. 257-256.

antagoniste ne viendra, semble-t-il, se mettre à la traverse de notre suggestion. Or, en fait, si je m'exprime à voix basse, je ne parviendrai peut-être pas à me faire entendre de mon malade et à le faire sortir de sa torpeur momentanée : je dépenserai donc en pure perte et mon temps et ma peine ; si, au contraire, je parle haut, le dormeur ne restera pas insensible à ma voix, mais, brusquement impressionné, il risquera fort de s'éveiller tout à fait, d'autant plus qu'en général le sommeil des aliénés n'est pas très profond. Ce réveil inopiné sera doublement regrettable : d'abord, ce sera peut-être en vain que noire malade essaiera de s'endormir à nouveau; ensuite, notre présence l'avertira du piège thérapeutique que nous lui tendons; parfois, il s'emportera contre nous, dès qu'il s'apercevra que nous méditons d'instituer à son insu un traitement contre lequel, d'ordinaire, il se sera déjà insurgé pendant l'état de veille.

Admettons cependant que nous avons pu éviter ce réveil malenconireux. Que va-t-il se passer si, d'autre part, le sujet dont il s'agit est en train de rêver? Dans ce cas, sa conscience se trouve accaparée toute par des représentations, délirantes ou non, qui se succèdent ou s'enchevêtrent ; intenses et exclusives, à ce qu'il semble, elles ne se laisseront pas aisément déloger; aussi faudra-t-il s'en rendre maitre avant même de songer à agir sur l'état mental lui-même.

Donc, nous devrons, au préalable, nous préoccuper, non seulement de nous faire entendre du malade sans l'avoir éveillé, mats encore de créer en lui, en éloignant les images du rêve, un certain état de docilité et de réceptivité, sorte de terrain fécond où germera la suggestion curative.

Comment peut^on réaliser ce stade préparatoire? C'est ce que je vais exposer brièvement ; du moins, voici la pratique dont je me suis bien trouvé.

¦» * ¦

A la date convenue, je me rends le soir auprès du malade, une demi-heure ou une heure après qu'il s'est tout à fait endormi. Je m'approche de son oreille (') et je commence à

articuler les syllabes dor—mez....., dor—mes....., suivant un

rythme lent et monotone, dune voix qui, d'abord très basse

(I) Que l'on évite toutefois de trop s'npproeher de l'oreille : l'air expira à chaque émission de voix pourrait provoquer, sur le pavillon ou sur la joue, une sortr de chatouillement et d'agacement qui seraient une nouvelle cause de réveil possible.

et même presque imperceptible, s'élève peu à peu suivant des degrés pour ainsi dire insensibles : ainsi le son parvient, sans soubresaut et sans heurt, à atteindre le « seuil » de la conscience. Suivant une progression régulière, je continue à accroître l'intensité de ma voix qui patiemment répète dor—

mes....., dor—mes.....; la sensation auditive, d'abord vague, à

peine existante, s'installe ainsi peu à peu, puis devient de plus en plus nette, passe de la pénombre à la pleine lumière, jusqu'à ce qu'enfin elle atteigne la vivacité des représentations purement imaginatives du rêve. Or, l'excitation sensorielle

extérieure produite par Je d«r—mes....., dur—mes....., n'a cessé

d'être maintenue et régulièrement accrue ; la sensation persiste donc comme un « état fort » et, de plus en plus vivace, elle ne tarde pas à devenir prépondérante ; elle « réduit » donc peu à peu les aulres états qui auparavant occupaient toute « l'aire de la conscience; ceux-ci deviennent alors de plus en plus faibles, s'atténuent, se « dégradent », jusqu'à ce qu'ils tombent sous le seuil de la conscience et soient ainsi tout à fait écartés. A ce moment, il ne subsiste plus guère chez notre sujet que la seule sensation auditive

causée par le dor—mes....., d>r—mes.....; tous les autres états

antagonistes ont disparu devant ce seul état réducteur des précédents.

Ce n'est pas tout. On sait que la conscience ne peut rester longtemps identique à elle-même; elle comporte véritablement, à certains égards, « la perception d'une différence »; aussi ne tarde-t-elle pas à se voiler et à s'obscurcir dés que son contenu cesse d'être successif et nettement différencié. Or,

je persiste à répéter le dor—mes....., dor—mes....., avec une

intensité non plus progressivement croissante,mais, cette fois, maintenue à dessein uniforme et constante. Dès lors, la qualité et la quantité du phénomène conscient ne variant plus, cette sensation auditivo simple, homogène, toul à l'heure pleinement consciente, va devenir de moins en moins consciente, puis subconsciente, c'est-à-dire pratiquement inconsciente. A ce moment, la vie psychique est, pour ainsi dire, vide de tout contenu ; elle réalise cet état de réceptivité et de malléabilité dont nous avons besoin; le sujet pourra donc être influencé comme s'il était plongé dans le sommeil hypnotique; celte sorte « d'anidéisme » artificiel permeltra de réaliser par suggestion le « monoidéisme » ou, pour être plus exact, un « oligoidéisme » nettement circonscrit.

. Mais est-on jamais sûr d'avoir obtenu un pareil état? A quel caractère peut-on le reconnaître ? Afin d'articuler, suivant un rythme isochrone, les deux

syllabes drr—mes....., je m'applique à les rendre synchrones

aux mouvements respiratoires du sujet ; en d'autres termes, chaque syllabe dor... est énoncée pendant chaque inspiration, chaque syllabe mcz... pendant chaque expiration. Or, j'ai remarqué que si, au bout d'un temps certes variable, je modifiais légèrement le rythme de mes paroles, le rythme respiratoire du malade était modifié de même, accéléré ou retardé, suivant que mon rythme vocal était lui-même accéléré ou retardé.

Lorsqu'ainsi j'ai pu agir indirectement et comme à volonté sur les mouvements respiratoires du sujet, j'estime qu'il se trouve « à point » et que le moment est propice pour la suggestion ; la période préparatoire est terminée, la phase véritablement active commence.

Les suggestions curatives, on le conçoit, varieront avec les individus. On étudiera donc, au préalable, la psychologie du malade ; on analysera avec soin son état mental ; et alors seulement on fera les suggestions spéciales appropriées à chaque cas particulier. Quant à ces dernières, tout psychothérapeute qui sait son métier ne sera guère embarrassé pour déterminer exactement leur contenu. Ce n'est pas là que réside la difficulté, aussi je passe rapidement sur ce point. Je tiens cependant à insister sur l'utilité des suggestions générales faites concurremment avec les suggestions spéciales, et même souvent avant ces dernières : le sujet, en effet, sera d'autant plus influencé par la thérapeutique psychique, que nous aurons mieux su redresser ses sentiments affectifs, stimuler son désir d'être, à l'égard de son entourage, agréable, utile et obéissant, régler son emploi du temps dans les moindres détails, faire naître en lui la confiance en une guérison entrevue d'abord comme possible, puis comme probable et enfin comme certaine. Voilà pour ce qui concerne la « qualité » ; mais le point de vue « quantitatif » n'importe pas moins. Combien, par exemple, faudra-t-il faire de suggestions spéciales dans une même séance? La « dose » devra-t-elle être massive dès le début ou, au contraire, d'abord réfractée, puis progressivement croissante? Sur ce point je n'ai qu'à citer

textuellement M. Aug. Voisin (') : « Il faut procéder lentement, n'agir d'abord que sur une conception délirante, sur une hallucination, puis sur d'autres. Il ne faut pas faire trop de suggestions pendant une même séance, sans quoi l'on détermine un malaise évident qui se traduit par des crispations de la face et on n'obtient pas au réveil l'exécution précise des injonctions. »

Si, ayant parlé du contenu des suggestions, je passe à leur forme, je répéterai encore avec M. Aug. Voisin qu'elles doivent toujours être exprimées avec netteté, conviction et autorité. Mais j'entre davantage dans le détail : il est très avantageux que, au moins au début, chacune des syllabes de chaque mot soit nettement distincte des autres et soit articulée suivant le rythme des mouvements respiratoires ; grâce à cet artiíice, j'ai pu, je pense, intervenir plus efficacement et utiliser dans un but thérapeutique la notion du temps de présence psychique (') Je m'explique.

Lorsque, par exemple, nous assistons à une conversation tenue dans une langue étrangère que nous lisons et écrivons, mais que nous n'avons pas l'habitude de parler, il nous semble que nos interlocuteurs articulent trop vite et nous ne comprenons pas nettement tout ce qu'ils nous disent; cela signifie que la vitesse de leur élocution n'est pas adéquate à notre pouvoir d'attention et de synthèse mentale, au moins pour cet

(1) Rev. de l'Hypnot., I, 49. Toutes les recommandations que M. Au?. Voisin a formulées à propos de la suggestion pendant le sommeil hypnotique s'appliquent exactement et bien plus nécessairement encore à la suggestion pendant le sommeil uaturel.

(2) D'après M. William Sterk, on a grand lort de considérer la simultanéité comme fondement de l'unité de conscience. Par exemple, quand je prononce un mol de trois syllabes, celles-ci ne sont pas simultanées dans la conscience et cependant l'on ne j»eut pas dire qu'elles soient données à trois moments divers ; de même, les noies d'une mélodie sont successives et, malgré cela, elles sont perçues comme un tout; i! peut donc y avoir liaison indissoluble de parties non simultanées, autrement dit, l'unité synthétique de l'acte de conscience n'exclut pas la non simultanéité. Ainsi, le temps tel que le conçoit l'abstraction logique n'est pas celui qu'exige l'aperception immédiate; ce dernier n'est ni le point mathématique, ni le point mouvant, ni la limite entre le passé et l'avenir; — « le présent réellement perçu n'est pas un tranchant do couteau, mais un dos de selle d'une certaine largeur » (James);—i! implique une étendue dans le temps; il comprend l'ensemble des déterminations de temps et d'espace qui sont susceptibles de perception directe, cl c'est cela qu'on appelle le « temps de présence psychique >. [Zeitschrift fur Psychologie und Physiologie der Sinnes organe, t. XIJI, fév. 1897.) Voyez, pour de plus amples détails, le compte rendu analytique qu'en a publié M. Pierre Janet dans la Revue neurologique (1898, n* 1, p. 19). — Voyez aus^i. a ce sujet, l'étude si intéressante que m. Ch. Hicekt vient de publier da s la Revue philosophique (Avril 1898, pp. 337-3510 Dans cet article. M. Ricliet définit ce qu'il appelle la période réjractaire, c'ost-à-Jlrc le temps pendant lequel le système nerveux, qui vient d'ôlre excité, demeure inexcitable; il y démontre également qu'il y a, quant au temps, une unité psychologique élémentaire.

objet déterminé ; si ces mêmes paroles avaient été énoncées moins vite, nous en aurions probablement saisi le sens. De même si, pour parler à notre aliéné endormi, nous conservons le rythme ordinaire de la conversation, nous risquerons de ne pas être compris de lui, car nous aurons trop présumé de sa puissance de synthèse mentale et réalisé un « temps inadéquat ». Parlons donc très lentement à ce malade : il aura ainsi le temps de prendre connaissance de chaque syllabe, de chaque mot, de chaque phrase ; nos paroles ne glisseront pas sur lui comme sur une surface lisse ; elles se graveront, au contraire, et laisseront une trace durable. Et puis, malgré cette recommandation, le suggestionneur peut bien se laisser entraîner et en arriver à parler beaucoup plus vite qu'il ne convient : il sera défendu et garanti contre lui-même, s'il veut bien s'astreindre à cette règle du synchronisme dont il a été question plus haut.

Soit, dira-ton, les diverses syllabes deviendront conscientes pour le sujet en tant qu'unités distinctes et successives; mais, une phrase ainsi fragmentée demandera, pour être complètement énoncée, un temps assez long, et qui sait si notre sujet sera capable de synthétiser dans son esprit tous ces mots éparpillés et d'en appréhender le sens? Tout à l'heure, nous risquions de ne pas atteindre le « temps adéquat », n'allons-nous pas, cette fois, le dépasser? — Pour obvier à cet écucil, nos suggestions devront être énoncées en phrases brèves, concises,, martelées, réduites au strict minimum, affranchies de toute digression, longueur ou superfétation.

Il y a plus. Le temps de présence psychique est fonction, de trois facteurs : 1° et 2° la qualité et la quantité du contenu de la conscience, 3° l'intensité de l'énergie psychique du sujet. Les deux premiers sont ici, grâce à la suggestion, presque totalement sous notre dépendance ; le troisième est ce qu'il est, suivant les individus-, c'est sur lui que nous allons nous efforcer d'agir, afin de le modifier utilement.

Notre sujet se trouvant dans l'état décrit plus haut, n'est distrait par aucune représentation hostile ; dès lors, dans le but de comprendre le sens de nos paroles, il reste en suspens, il attend la dernière syllabe de nos mots ou les derniers mots de nos phrases. Or, cette attente est une forme de l'atlention En outre, grâce au synchronisme, sur lequel j'insiste tant, chaque syllabe succède à une autre après que s'est écoulée une durée sensiblement isochrone ; par conséquent cette

attente est régulière., uniforme ; répétée avec insistance, elle crée l'accoutumance et constitue pour l'attention du sujet un entraînement des plus efficace... Ne nous arrêtons pas en chemin: après avoir habitué notre malade à entendre une syllabe à chaque mouvement respiratoire, nous l'amènerons à en entendre deux à la fois, puis, s'il se peut, trois... Nous en arriverons ainsi peu à peu à lui parler suivant le rythme de la conversation ordinaire. Donc, grâce à cette gymnastique minutieuse, nous aurons réveillé, stimulé, développé et dirigé son attention ; il sera devenu capable de saisir un plus grand nombre de choses dans le même temps ou le même nombre de choses dans un temps moindre; son « temps de présence psychique » et, par conséquent, sa puissance de synthèse mentale auront été ramenés dans les limites de la moyenne normale.

Signalons maintenant quelques autres détails qui ont leur importance.

Il m'est arrivé, au cours de mes suggestions, de constater que mon sujet faisait mine de s'éveiller, parfois même de le voir s'éveiller réellement, d'une manière inattendue. Si l'on n'est pas prévenu de cette possibilité ou si l'on est trop exclusivement préoccupé de renonciation des suggestions, le malade risquera d'entendre à son réveil la dernière syllabe d'un mot que l'on aura commencé pendant qu'il dormait encore ; il en sera alors étonné, troublé, déconcerté. Est-ce avec son consentement préalable que nous opérons sur lui? Le réveil n'aura pas, il est vrai, de conséquences bien fâcheuses ; la séance, cependant, deviendra pour ce jour-là inutile, car le malade ne sera pas souvent disposé à se rendormir aussitôt ; mais, si nous opérons à son insu et même malgré lui, notre présence à cett« heure insolite lui sera du même coup révélée et il importe d'éviter ce contre-temps. Donc, de toute manière, tenons-nous prêts aux éventualités, soyons circonspects et sachons nous taire au moment opportun.

En outre, pendant qu'on lui parle, le malade parait bien ne pas être tout à fait indifférent; il ne réalise pas complètement cette pure réceptivité que l'on imagine abstraitement pour la commodité des explications. Certaines suggestions qui heurtent sa mentalité morbide lui sont, à ce qu'il semble, particulièrement pénibles; on dirait qu'il s'efforce de leur résister ou bien qu'il les subit à contre-cceur et qu'il en souffre : en effet, sa

respiration peut, à un certain moment et suivant les cas, devenir sonore, stertoreusc. précipitée ; parfois même il esquisse un mouvement de défense. Prenons garde alors de trop insister, car de nouveau nous pourrions courir le risque de l'éveiller; accordons-lui quelques minutes de répit et, quand il aura recouvré le calme, nous reviendrons à la charge : avec des ménagements, de la discrétion et une persévérance inlassable, nous l'amènerons peu à peu à accepter docilement telles ou telles représentations qui, dès l'abord, lui répugnaient.

Et puis, lorsque je juge qu'il est opportun de terminer la séance, j'ai soin, avant de quitter mon malade, de lui rappeler en détail l'emploi du temps auquel il devra se conformer pendant les jours suivants; je lui défends de s'éveiller avant telle heure déterminée ; de plus, je lui ordonne de dormir toute la nuit d'un sommeil calme et, pendant toute la durée de son sommeil, de rêver uniquement à tout ce que je lui ai prescrit. Occupant ainsi sa conscience pendant toute la nuit, mes suggestions deviennent vivaces et se réalisent bien plus sûrement.

« «

Combien de temps doit durer une séance? On ne peut sur ce point formuler aucune règle précise, car les conditions de l'intervention varient d'un sujet à l'autre L'appréciation de cetle durée sera donc laissée à l'initiative du médecin; et celui-ci devra agir différemment, suivant que lui-même sera ou ne sera pas fatigué, que le malade demeurera placide ou paraîtra énervé, que les suggestions précédentes auront bien ou médiocrement réussi, qu'on sera au début ou à la lin du traitement. Toutefois, je puis bien dire qu'une séance comme je la conçois, avec l'observance de toutes les recommandations ci-dessus énoncées et les inévitables périodes de repos, ne peut guère comporter moins d'une demi-heure.

Faut-il espacer les séances ou les faire à intervalles très rapprochés? Cela encore dépend des cas. Toutefois, comme il est urgent d'exercer sans tarder une action efficace, il ne me parait pas exagéré d'intervenir quotidiennement, au moins dès le début. Dans la suite, on espacera plus ou moins les séances, suivant la gravité ou la complexité de la maladie, suivant aussi le degré de l'amélioration obtenue.

Enfin, quelle doit être, en général, la durée de ce traite-ment? Ne nous le dissimulons pas, elle sera longue. En prin-

cipe, les séances devront être maintenues non seulement jusqu'à la guérison. mais encore bien au-delà, car il faudra se prémunir contre les rechutes, et il est d'observation courante qu'un traitement trop tôt interrompu ne donne guère qu'une amélioration passagère. A ce propos (bien que dans ce travail je m'applique uniquement à exposer un mode général d'intervention), je tiens à citer comme un exemple très instructif le cas suivant où le traitement que j'avais entrepris a dû être prématurément délaissé.

Pendant le mois d'août dernier, je me trouvais en province et j'eus à m'occuper amicalement d'une jeune dame dont je connaissais depuis longtemps la famille ('). Après avoir étudié avec soin cette malade, je résolus de la soumettre à la thérapeutique psychique, et je me mis en devoir de provoquer chez elle le sommeil hypnotique ; mais j'eus beau, pendant près de deux heures, user de tous les artifices d'une savante diplomatie : quoique peu capable de fixer son attention sur un objet déterminé, cette jeune dame me résistait avec une obstination farouche. J'aurais pu, ainsi que le conseille M. Aug. Voisin, revenir à la charge de nombreuses fois et peut-être, à la fin, lasse de la lutte, aurait-elle cédé ; mais ce que l'on peut faire à l'hôpital est parfois diffìcile dans la pratique privée ; d'ailleurs, je risquais fort de ne pas réussir et, pendant tous ces essais infructueux, l'état mental eût menacé de s'aggraver. Or, désireux de ne pas perdre de temps, je préférai tenter immédiatement la suggestion pendant le sommeil naturel. Cette intervention, acceptée par la famille, fut commencée le soir même.

Durant quinze jours, je fis une séance chaque soir ; puis j'ai dû m'absenter pendant douze jours ; enfin, à mon retour, j'ai fait encore une douzaine de séances pendant une nouvelle période de quinze jours. Au bout de ce temps, l'état de la malade était devenu tel que son entourage la croyait véritablement sur le chemin d'une guéridon définitive; en effet, on pouvait souvent entretenir avec elle une conversation suivie ; elle montrait du bon sens dans ses réparties; elle était redevenue docile, soumise, prévenante, normalement affectueuse; elle recouvrait l'équilibre mental et la possession d'elle-même;

(1) Celte dame présentait une complexité morbide dont s'inquiétait à boi endroit son entou âge: excitation manUque, perversion de l'amour maternel, délire mystique, hallucinations religieuses, obsessions, idées fixes, crises de désespoir lamentations, verbigeration, etc., etc.

parents et amis ne pouvaient manquer de constater ce succès manifeste.

Et il n'y a pas eu là une amélioration fortuile, indépendante du traitement psychothérapique. C'est bien à ma suggestion, pratiquée pendant le sommeil naturel, qu'il convient de rapporter de tels résultats, comme on rapporte un effet à sa cause. D'ailleurs, voici les fondements de ma conviction: i*en faisant varier le rythme de mes paroles, j'ai pu, de très nombreuses fois, accélérer ou retarder le rythme respiratoire de celte malade; 2° lorsque je lui faisais des défenses ou des recommandations qui devaient, apparemment, lui être pénibles, sa respiration devenait anxieuse et haletante ; 3° lorsque, dans la même séance, j'interposais, entre deux suggestions pénibles, une période de repos, la respiration redevenait promptement tout à fait calme.

Il est donc clair que cette dame a élé, d'une certaine manière, influencée par ma présence et par mes paroles. Il y a plus, cette influence a eu une portée directement thérapeutique, ainsi que le prouvent les considérai ions suivantes :

i" Lors de ma première intervention, je n'avais pas, comme bien on pense, entrepris de modifier d'emblée l'état mental de ma malade, car des suggestions trop nombreuses se nuisent et il convient de sérier les difficultés. A chaque séance, je renouvelais les suggestions antérieurement faites et auxquelles le sujet était déjà quelque peu habitué, puis j'en ajoutais de nouvelles, de façon à réaliser chaque fois un progrès nouveau. Or, une amélioration s'est manifestée quelques jours après ma première intervention ; elle s'est accentuée de plus en plus, en suivant exactement l'ordre que je m'étais imposé dans ma lutte contre les divers éléments morbides ; les suggestions les plus récentes ne se sont réalisées qu'en dernier lieu.

2° Je traitais cette malade depuis quinze jours lorsque j'ai dû faire un voyage. Après mon départ, l'amélioration est demeurée stationnaire pendant quelques jours, puis s'est mise à rétrocéder peu à peu. Cette rechute progressive paraît donc bien avoir été * fonction » de ma non-intervention.

3° De retour au bout de douze jours, je reprends les séances presque chaque soir: le terrain qui avait été perdu pendant mon absence est vite regagné et le mieux s'accentue à grands pas.Comme disaientles scolastiqucs: iterum allata cuusa,iltrum aflertur effeclus. La mère de notre malade, interrogée à cette époque sur l'état de sa fille, se montre enchantée et fait cette

réponse que je reproduis textuellement : « On dirait qu'elle n'a jamais rien eu ! »

4° .Mais nous étions à la fin des vacances, il me fallut abandonner cette malade et rentrer à l'aris. Je dois à la vérité de dire que la guérison ne s'est pas maintenue ; les bons effets précédemment obtenus se sont mis à rétrocéder comme lors de ma première absence ; éloigné de celte malade, je n'ai pas pu cette fois m'opposer au retour offensif de la maladie. Toutefois, cette rechute n'a rien qui doive étonner: sublata causa, tollitur eflcctus.

Cet exemple me parait comporter un double enseignement : par son côté positif, il permet de présumer que si j'avais pu continuer mon intervention, j'aurais maintenu, fixé et accru les bons résultats signalés plus haut; par son côté négatif, il montre que les meilleurs effets ne peuvent être définitifs que s'ils jouissent de la consécration du temps. Je dirai donc et aux psychothérapeutes et aux familles: ne vous découragez pas trop tôt ; soyez persévérants et tenaces ; accordez un long crédit au traitement psychique, car la tâche est rude : c'est en effet une véritable rééducation mentale qu'il faut opérer, laquelle comporte une reconstruction patiente, consécutive à une dissociation minutieuse et souvent malaisée. Mais, que de fois on sera amplement récompensé de ses efforts !

Dans un nouvel article qui, je l'espère, sera le dernier sur cette question, je discuterai les diverses critiques qu'on ne saurait manquer d'opposer à l'intervention que je préconise.

histoire

DES SUGGESTIONS RELIGIEUSES DANS LA FAMILLE PASCAL

Par M. le Dr Charles Binet-Sanglé (1) CHAPITRE PREMIER

La RELIGION en france, EN auvergne ET a ClERMONT-FeKRaND,

au temps des Pascal.

Biaise Pascal naquit le 19 juin 1623. Sa sœur Gilberte le 7 janvier IG2ii. Sa sœur Jacqueline, le 5 octobre IC"2c. Les Pascal habitaient Cler-mont-Ferrand et étaient originaires d'Ambert.

LVglise catholique était alurs inQniinenl plus puissante qu'elle n'est aujourd'hui. Louis XIII, maladif, asiliéniquc, atteint de tristesse chronique, élevé par des prêtres, était très dévot. On le voxail des-

(1) Voir la Revue de mars 1898. p. 266.

cendre de carrosse, et s'agenouiller au passage du Saint-Sacrement, ou gagner les jubilés à pied, dans une attitude recueillie, accompagné des princes. Il ordonnait ??? gens de sa cour d'aller à confesse et de communier. Il fondait des églises. Sacré par un archevêque, il était gouverné par un cardinal. Les confesseurs recevaient leur mot d'ordre de Richelieu.

La centralisation des pouvoirs étant presque achevée, Richelieu tenait la France. Toutes les charges étaient confiées à de bons catholiques, plusieurs à des membres du clergé, qui comptait des La Rochefoucauld cl des Noailles parmi ses grands dignitaires. Un La Rochefoucauld était mort éveque de Clermont en 1614.

D'ailleurs le sentiment religieux était en recrudescence; et plus que jamais, les filles et les cadets de famille emplissaient les monxstères.

De nouvelles communautés surgissaient de toutes parts. Bérulle amenait les carmélites d'Espagne et fondait la Congrégation de l'Oratoire, destinée à former des docteurs en théologie et des prédicateurs. Acarie introduisait les Ursulines. qui, vouées à l'éducation des filles, ne tardaient pas à posséder en France plus de trois cents couvents. François de Sales, l'auteur de VIntroduction à lu vie dévote, et Mme de Chantai fondaient l'ordre des Visilandines. Enfin Vincent de Paul, avec des hommes de basse condition, la Congrégation des Lazaristes destinée à propager l'instruction religieuse et morale dans les campagnes. Une pièce du temps 1 donne le dénombrement du clergé français. Les prêtres séculiers, y compris les chanoines, abbés et prieurs commendataircs, étaient plus de cent mille. Il y avait quatre-vingt-sept mille moines et qualre-vingt mille religieuses. Beaucoup de ces ecclésiastiques travaillaient, et il publiait un nombre considérable d'ouvrages pieux.

L'Eglise qui, par la faculté de théologie, avait droit de censure sur lous les livres, était la haute directrice de l'enseignement. Los vingt-quatre Universités d'alors étaient gouvernées tantôt par les évéques, tantôt par les parlements, tantôt par les deux ensemble. Mais les pédagogues étaient en majorité ecclésiastiques. Les autres ne pouvaient exercer sans l'approbation de l'Eglise. On lit en effet à l'article M de l'Edit sur les plaintes el remontrances du clergé français assemblé à Paris en décembre ItiOb' : « Les régens, précepteurs et maislres d'école des petites villes el villages seront approuvez par les curés des paroisses ou personnes ecclésiasliques qui ont droit d'y nommer; et où il y aurait plaintes des dits maislres d'école, régens où précepteurs, il sera pourvu par les archevesques et évesques, chacun en leur diocèse. (a) » Chaque évèquc avait auprès de lui un c&piscol, où écoldlre, chargé de l'administration des petites écoles. Au demeurant renseignement était tel, qu' ¦ un ouvrier, un paysan, un soldat sachant

(1) Archives curieuses, 1re série., t. xiv, p. 431.

(2) Isambert. Anciennes lois françaises.

Iire, était regardé comme une rare exception (')» Le peuple devait rester « dans sa condition; n c'était là un dogme.

Avant tout, l'Église s'ingéniait à imprimer dans les jeunes esprits ce qu'elle appelle « les vérités de la foi ». Or ces idées religieuses, qui étaient celles de la foule et celles-des hommes qui en imposaient par leur situation et leur richesse, pénétraient d'autant mieux les enfants qu'elles n'avaient à lutter avec aucune idée scientifique contradictoire. Et puis, l'esprit des élèves d'alors était-il capable de critiquer l'esprit du maitre ? — « Que diriez-vous, Sire, si vous aviez vu dans vos pays de Guyenne et d'Auvergne, les hommes paitre l'herbe à la manière des hôtes?» avait dit à Louis XIII, en 1615, Jean Savaron, général de la sénéchaussée d'Auvergne, parlant au nom du Tiers. Le peuple était misérable, pensait peu, s'occupait de vivre. Or les idées religieuses, qui peuvent subjuguer de grands esprits, s'installent mieux encore dans les âmes pauvres ou inactives.

Les Auvergnats sont crédules, enclins à la superstition, opiniâtres. L'Auvergne est demeurée une des provinces les plus religieuses de France. A peine les chrétiens étaient-ils entrés à Clermont-Ferrand que les quartiers et les faubourgs prenaient des noms sacrés et que des églises et des chapelles s'élevaient de toutes parts. Il y en avait cinquante quatre, vers 950, tant dans la ville qu'aux environs. En dépit des Visigoths et des incendies, il en restait encore trente-six, en 1662. Or, Clermont était loin d'avoir alors, les 38-000 habitants qu'on y constatait en 1869. Cette ville eût longtemps son évoque pour chef politique et judiciaire. Dos te commencement du siècle, clic possédait un collège de Jésuites. Les prêtres de l'Oratoire s'y établirent en 1618, les Ursulincs en 1620, les Minimes en 1630. les Carmes déchaussés en 1635, les Sœurs hospitalières en 16'r2, les Petites Bernardines en 1647, les Visi-tandincs en 16-19, les Bénédictines de l'étroite observance en 1650, les Auguslins déchaussés entre 1651 et 1664.

Les Pascal se trouvaient donc dans un milieu très religieux.

CHAPITRE II Etat religieux des Pascal jusqu'en 1646.

La famille Pascal était une famille de fonctionnaires, c'est-à-dire une famille bonne catholique, « aussi fidèle à Dieu que fidèle à son prince, » dit Jacqueline.

Etienne Pascal, faisant son droit à Paris, avait été en relation avec Arnauld d'Andilly, que nous retrouverons parmi les solitaires de Port-Royal. Il avait un a très grand respect de la religion 1 a et croyait à ln sorcellerie. C'est ainsi qu'en 1G21, il manda une prétendue sorcière auprès de Biaise, malade.

Sa femmo, Antoinette Begon, ne partageait pas cette superstition, mais était très pieuse.

(1) Jules Simon. L'Ecole.

Quand elle mourut, Gilbertc avait six ans, Biaise trois ans, Jacqueline un an. Leur père, qui les aimait tendrement, se chargea de leur instruction et de leur éducation, et s'y appliqua. Ce très grand respect qu'il avait de la religion, il leur inspira dès l'enfance. Il donnait à lîlaise pour règle ¦ que tout ce qui est l'objet de la foi ne le saurait être de la raison, et beaucoup moins y être soumis. Ces maximes, qui lui étaient souvent réitérées par un père pour qui il avait une très grande estime, et en qui il voyait une grande science accompagnée d'un raisonnement fort net et forl puissant, faisaient une si grande impression sur son esprit que, quelque discours qu'il entendit faire aux liber-lins, il n'en était nullement ému____ Et ainsi, cet esprit si grand, si vaste

et si rempli de curiosité, qui cherchait avec tant de soin la cause et la raison de tout, étiiit en même temps soumis à toutes les choses de la religion comme un enfant: et cette simplicité a régné en lui toute sa vie 1 ».

Dès lors, il n'est point douteux qne les petits Pascal n'eussent subi les pratiques religieuses que le catholicisme rend obligatoires sous peine de péché à ses fidèles. Ils furent baptises, se confessèrent, communièrent, assistèrent, les dimanches et jours fériés, à la messe et aux vêpres.

Il n'est personne, quelle que fût sa liberté d'esprit, qui ne se soit senti profondément impressionné par une grande cérémonie catholique. Le catholicisme est la religion artistique par excellence. Or, lorsque nous admirons, a nous ne jugeons plus, nous ne critiquons plus... toute activité cesse (*) . L'admiration détermine une sorte de cristallisation intellectuelle. La contemplation touche à l'extase.

Que le lecteur veuille bien nous suivre à une grand'messe en musique, dans la cathédrale de Clermont. Par une rue sombre, tranquille, mélancolique, nous arrivons devant un vaste monument gothique de pierre volcanique. Déjà, nous voici remués par le luxe de ia façade, par cette profonde voussure du porlail finement fouillée, par celte galerie de baluslres grêles, par cette rose aux meneaux ciselés, fleur fantastique, pétales multicolores, par ce clocher du cinquante mètres, aux longues baies gothiques, laissant tomber trois notes profondes, lentes, toujours pareilles, qui vous plongent dans une sorte de torpeur.

On sait que la répétition de certains sons peut déterminer la léthargie cérébrale et même Thypnose. Le tic-lac d'une montre sufiità endormir certains sujets. Toutes les religions ont mis en pratique cette propriété. Les charmes des anciens (carmina) consistaient en la récitation de vers d'un rythme monotone. Charles Hichet( )a constaté, dans les cafés du Caire et de Damas, l'effet de somnolence produit par une récitation monotone entrecoupée d'un refrain musical toujours le même.

(1) Gilberte Pascal. Loe. cit.

(2) Souri - . La suggestion dans l'art.

(3) L'homme et l'intelligence.

A. de Rochas obtint l'extase chez un de ses sujets en lui faisant répéter plusieurs fois une phrase quelconque, comme Ora pro nobis. — Le timbre de la cloche était une grosse question au moyen-âge, el l'art de la cloche un art important qui eût sa bibliothèque spéciale.

Quand on pénètre dans la nef, l'impression s'accentue. Le passage brusque du jour à l'ombre atténuée parle vitrail ou la veilleuse, suscite Pidée vague du mystère et un sentiment imprécis de crainte. Les colon-nettes ténues et les piliers fins montent en lignes parallèles vers une voûte indécise, et évoquent le concept toujours un peu terrifiant de l'infini. Les murailles sont ornées du relief des arceaux, de rosaces aux découpures de dentelle qui sont comme des joyaux enchâssés dans la pierre, de fresques et de tableaux où l'artiste religieux a concrétisé ses rêves, en a fait l'apparence tangible de la vérité, a imposé en quelque sorte la légende à l'histoire. Des chimères se glissent, dans un lacis d'arabesques, sur les entrecolonnements de la clôture du sanctuaire.

Mais les yeux se portent surtout sur les vitraux et sur les flammes des cierges, qui produisent une sorte de fascination dans la pénombre. Les vitraux sont admirables. Il semble, aies regarder, que les nimbes des dieux et des anges, que les auréoles des saints et des prophètes, que la splendeur des apparitions, des résurrections, des ascensions, des descentes de colombes et de langues divines, sorte peu à peu de l'irréel. Les scènes qu'ils représentent nous subjuguent par l'éclat et la vivacité de la couleur. Ils rehaussent par l'ait, en la décomposant, la lumière du soleil, le premier des dieux.

Cependant, devant l'autel constellé, le drame de la messe se déroule. Le célébrant orné de l'amict, de l'aube, de la ceinture, de la manipule, de l'étole et de la chasuble, de vêlements amples, réguliers, rigides, majestueux, flamboyants, sous lesquels disparaît sa forme, avance, recule, se retourne, s'incline, s'agenouille, se prosterne, en des attitudes d'onction, de vénération, d'adoration, lentes, rythmiques, harmonieuses. Son geste est réservé el grave. Ses paupières sont baissées. Sa face est impassible. El la tendance à l'imitation fait que les assistants copient un peu sa physionomie et ses attiiudes. II est assisté d'un chœur, semblable au chœur du théâtre antique, d'un diacre, parfois d'un ou de deux prêtres et de thuriféraires, qui se meuvent autour de lui.

Dès lors, les yeux sont pris par l'art de l'arch.tecte, par l'art du sculpteur, par l'art du peintre et par l'art du mime. Les impressions auditives reçues des cloches sont accentuées par l'admirable musique de plain-chanl, par la voix grave des préires et des chantres, par les accords émouvants de l'orgue. C'est cette musique qui, de Marana, seigneur espagnol débauché, fil tout à cuup un saint. L'Introît, les exclamations répétées du Kyrie, le Gloria in exceltis, les Oraisorts, le Chunt de l'Épure, le Graduel, YAllduia, le Trait, le Chant de lÊc&n-gile, le Credo, qu entonnait autrefois toute la multitude, l'Offertoire, la Préface, ce dialogue émouvanl, enlre le prêtre et la foule, l'avertissement du Sa?ictus, le Puter, l'Hymne de l'Agnus Dei, la Corn-

s

munion. les dernières oraisons, et Vite missa est, renforcent considérablement l'action de ce drame, d'une magnificence incomparable, où la personnalité des acteurs se confond intimement avec le rôle que la société leur accorde, où les spectateurs, plongés dans les senteurs hypnotiques de l'encens, se communiquent leur émotion par les voies ignorées de la transmission des états d'âme, où la foule, enfin, s'individualise, et n'est plus qu'un seul êlrc, presque halluciné, en adoration devant la légende.

Il est remarquable que les diverses religions aient employé empiriquement les mômes procédés de suggestion. C'est toujours la même ombre dans le temple, les mômes lumières sur l'autel où convergent tous les regards, la môme lenteur imposante dans l'accomplissement des rites, la même musique monotone et grave depuis le gong des pagodes jusqu'au bourdon des clochers, les mêmes parfums enivrants. Dans l'Inde, on allait jusqu'à griser les fidèles avec le soma, boisson alcoolique tirée de l'orge.

C'est ainsi que l'on endort la volonté, que l'on supprime l'attention dans le travail cérébral, qu'on substitue la rêverie au raisonnement, qu'on augmente lu suggestibililé, qu'on livre des esprits tout à l'heure indépendants en proie aux esprits étrangers. Alors le bonze ou le mufti peut parler. Le prêtre peut monter en chaire, et déployer cette éloquence spécieuse qu'est l'éloquence sacrée. S'il a la parole, le geste, la physionomie, le regard d'un Bossuut, il n'aura plus devant lui des fidèles, mais à vrai dire des esclaves.

Un homme volontaire, énergique, raisonnable, élevé dons l'amour de la science, est déjà vivement louché par une grande cérémonie catholique. II a tendance à remplir les vides de ses connaissances avec les légendes offertes. Quelle ne sera pas l'impression" produite sur un homme antérieurement suggestionné, sur un homme Imaginatif, émotif, sentimental, sur une femme, sur une jeune fille, sur un enfant !

Chez les enfants, les suggestions religieuses s'opèrent encore dans la religion catholique, par les leçons catéchisliques, la confession, et les retraites qui précèdent la communion. Le premier catéchisme l'ut composé par le concile de Tiente, tenu en IMS. Dans su '24* r>ession, il imposait par décret solennel à chaque pasteur, l'obligation d enseigner avec soin, au moins los dimanches et jours fériés, les éléments de la foi chrétienne aux enfants : puercs in singulis parocliiis fidei rudimenta... diligenter... doceri curabunt. La France s'associa particulièrement à cette impulsion par les décisions du concile de Besançon (1571), du concile do Bourges, des synodes de Metz, de Rouen, d'Orléans, etc., sur l'enseignement caléchisïiquc.

Ce fut le catéchisme du concile de Trente, sanctionné par Pie V, qu'apprirent les pelils Pascal. « Catholique par son objel cl par sa foi, dil un auteur, il fut reçu cutholiquement, c'est-à-dire partout. »

On y lit : « Celui qui possède celte connaissance céleste donnée par la foi, se sent délivré du désir clés învesUgatjpns curieuses; car lorsque

Dieu nous a ordonné de croire, il n'a pns prétendu nous livrer ses décrets divins à scruter, ni leurs raisons et leurs motifs à examiner; mais il nous a commandé cette foi immuable en vertu de laquelle l'esprit se repose, content, dans la connaissance qu'il a de la vérité éternelle. Notre foi doit donc, non seulement bannir l'incertitude, mais même le désir des démonstrations. » D'ailleurs, ce désir des démonstrations eût été vain, car les dogmes enseignés dans ce catéchisme, celui de la trinilé, par lequel l'infini supposé revêt la nature du fini, « chose aussi absurde, dit Spinoza, qu'un cercle revêtant la nature du carré », ceux de l'incarnation, de la rédemption et de l'eucharistie, qui sont en contradiction avec le dogme de la toute-puissance divine, celui du péché originel qui est en contradiction avec le dogme de la justice, sont non seulement indémontrables, mats incompréhensibles, a Dites à un enfant, écrit Fénelon, qu'en Dieu trois personnes égales ne sont qu'une nature ; à force d'entendre et de répéter ces termes, il les retiendra dans sa mémoire, mais je doute qu'il en conçoive le sens. » Nous étendons ce soupçon aux adultes.

La confession fut rendue obligatoire, dès 1215, par le concile de Latran, dont Ie21r canon enjoint à a toute personne de l'un et de l'autre sexe, parvenue à l'âge de discrétion, de confesser tous ses péchés, au moins une fois l'an, à son propre prêtre. » Cette décision fut reproduite par le concile de Trente, qui fit en outre un devoir aux curés de la lire au prône chaque année à l'ouverture du temps pascal.

Quant à la première communion, qui n'est donnée qu'aux enfants dont l'instruction religieuse et la foi ont été jugées suffisantes, elle a lieu entre dix et douze uns, et est précédée d'une retraite, où le prêtre agit sur de jeunes esprits, dont l'énergie volontaire a été au moins légèrement atténué par la solitude. Les communions suivantes sont obligatoires au moins une fois l'an, et doivent être précédées d'une bonne confession. La confession, qui se fait dans l'ombre et le silence, et la communion, où l'on est sensé absorber la personne de Jésus-Christ, sont des cérémonies non moins troublantes que la messe.

Nous ne savons rien de précis sur les idées et le sentiment religieux de Gilberte Pascal avant l'année 16i5. Mais nous trouvons la marque d'un esprit dévot dans les poésies que Jacqueline composait dès l'enfance.

Voici des strophes qu'elle écrivit à treize ans, en 1638:

« Père de ce grand univers,

Si l'ardeur de faire des vers

Par de puissants ressorts tient mon âme enchantée,

J'avoue humblement devant tous

Que je tiens celte ardeur de vous,

De vous, dis-je, ô mon Dieu 1 sans l'avoir méritée.

Oui, je tiens de votre bonté

Ce beau don, si fort souhaité

Par les ardents désirs de tant de belles âmes ;

Et par un secret jugement

Mon jeune et faible entendement

Est par vous éclairé de ces divines flammes.

Seigneur, un cœur méconnaissant

Ne peut pas paraître innocent

A votre sainte face : est-il donc pas bien juste

Qu'éprise d'un divin brandon

J'use de votre même don

Pour rendre compliment à votre nom auguste?

Comme les torrents, les ruisseaux,

Les fleuves et toutes les eaux

Retournent à la mer, lieu de leur origine.

Ainsi, grand Dieu, mes petits vers,

Sans souci de tout l'univers,

Retourneront a vous, vous, leur source divine. »

A quatorze ans (novembre 1638), ayant été atteinte d'une variole grave qui lui laissa des cicatrices faciales, elle composa les stances suivantes, pour en remercier Dieu:

« Moteur de ce grand univers. Inspirez-moi de puissants vers. Envoyez-moi la voix des anges, Non point pour louer les mortels, Mais pour entonner vos louanges -Et vous remercier aux pieds de vos autels.

Votre souveraine bonté Du haut du ciel a visité Le plus chétif verde la terre. Et garanti du coup fatal Un corps plus fragile que verre Parmi tous les excès d'un incroyable mal.

Ainsi l'on voit qu'en vérité Grand Dieu, votre bénignité S'est montrée à moi bien extrême, Me garantissant d'un péril Où, sans votre bonté suprême, Mes ans allaient finir dans leur plus bel avril.

Oh I que mon cœur se sent heureux Quand au miroir je vois les creux Et les marques de ma vérole ! Je les prends pour sacrés témoins, Suivant votre sainte parole, Que je ne suis de ceux que vous aimez les moins

Je les prends, dis-je, ù souverain !

Pour un cachet dont votre main

Voulut marquer mon innocence ; Et cette consolation Me fait avoir la connaissance Qu'il ne faut s'affliger de cette affliction.

Mais, grand Dieu, mon travail est vain ; Il faut un esprit plus qu'humain Pour bien raconter vos merveilles. Et ce grand excès de bonté, Charmant les yeux et les oreilles, Excède mon pouvoir et non ma volonté. »

Au demeurant, il semble que la piété de Jacqueline augmenta sensiblement depuis cet accident qui lui enlevait quclque-uns de ses espoirs déjeunes filles.

A quinze ans (février 1640) elle rimait le sonnet de dévotion suivant :

« Grand et parfait auteur de la terre et de l'onde, Créateur et soutien du moindre des mortels. Je viens avec respect au pied de tes autels Implorer la bonté qui maintient tout le monde. C'est là qu'avec raison tout mon espoir se fonde Et c'est là qu'attendant les décrets éternels, Je brave les démons et leurs desseins cruels, Et que j'entends sans peur le tonnerre qui gronde. Mais la force du mal qui m'accable les sens Rend mon cœur abattu, mes desseins Impuissants. Et modère le feu qui ranimait mon zèle. Grand Dieu ! si je finis dans ces froides longueurs. Conserve pour le moins mes sincères ardeurs. Et fais que mon amour ne puisse élrc mortelle. »

En décembre IG40, elle remportait, avec une pièce dont nous citons des extraits, le prix de poésie proposé par la ville de Rouen sur la Conception de la Vierge :

Exécrables auteurs d'une fausse créance Dont le sein hypocrite enclôt un cœur de fiel, Jetez vos faibles yeux sur l'arche d alliance. Vous la verrez semblable à la reine du ciel. Comparez leurs beautés et leurs effets étranges, Et puis vous confessez avec soumission Que la Mère de Dieu, cette reine des anges, No peut être que pure en sa conception. L'arche ancienne conduite en un lieu plein de vices Dès l'abord qu'elle y vient renverse les faux dieux. Elle en fait sa demeure, et réputé à supplice D'habiter en un lieu si peu chéri des deux. Si donc une arche simple et bien moins nécessaire Ne savait habiter dans un profane lieu,

Comment penserez-vous que celte Sainte Mère.

Etant un temple impur, fut le temple de Dieu?»

En novembre 1640, elle dédiait celte épigramme à sainte Cécile :

• Noble fille du ciel, quand ton cœur généreux, Après avoir franchi mille pas dangereux, Se sentit consumé d'une divine flamme, Un esprit transporté trouva son feu si doux Qu'à l'instant tu voulus en brûler ton époux ; Tu lui fis bonne pari des ardeurs de ton âme ; Et toutefois ton zèle allait toujours croissant, Mais cessons d'admirer cette sainte aventure : L.e feu qui te brûlait est de celte nature Que plus su le prodigue et plus il se ressent. *

Enlin. à dix-neuf ans (mai 16S5). elle écrivit une « Consolation sur la mort d'une huguenote » ou Ton lit:

.....« Grand Dieu ! l'amitié

Peut émouvoir votre pitié Pour un chef d'œuvre sans exemple,-Oyez les vœux que désormais Nous irons faire en votre temple Pour celle qui n'y fut jamais.

Mon Dieu, je ne pénètre pas Dans les secrets dont ici-bas Vous nous ôtez la connaissance ; Mais j'espère en votre équité Et crois que votre providence Suit les lois de votre bonté. *

Cependant, à ce moment, Jacqueline ne pensait pas encore à se faire religieuse. Elle av.iit pour cet élat, nous dît Gilhertc, « un grand éloigne-menl et même du mépris, parce qu'elle croyait qu'on y pratiquait des choses qui n'étaient pas capables de satisfaire un esprit raisonnable. »

LES SUGGESTIONS HYPNOTIQUES CRIMINELLES

Dangers et remèdes.

Par M. Jules Likgrois. professeur à l'Université de Nancy.

(fin)

VIII

MM. Binet el Férè, bien que se rattachant, en général, à l'Ecole de la Salpétrière, comme interprétation physiologique des faits hypnotiques, se rapprochent, au contraire, de la doctrine de Nancy, en ce qui concerne les suggestions criminelles et les attentats donl les somnambules du sexe féminin peuvent être victimes.

« Un sommeil de très peu de durée, disent-ils, peut être suffisant « pour donner une suggestion. Nous avons observé que dans l'espace

« de quinze secondes, — nous avions dit nous-mème, antérieurement, « un quart de minute, — nous pouvions endormir un de nos sujets, « lui donner une suggestion d'actes et le réveiller. Il pourrait donc

« arriver qu'un individu profitât de quinze secondes, pendant lesquelles « il se trouve seul avec un sujet hypnotlsable, pour lui inculquer une « idée, une hallucination ou une impulsion (jj... Il est possible, dans « l'état de somnambulisme provoqué, de suggérer des idées fixes, des

« impulsions irrésistibles, auxquelles l'hypnotique, réveillée, obéira « avec une précision mathématique. On pourra lui faire commettre tel « crime que Von voudra imaginer.

« Ces faits montrent que l'hypnotique peut devenir un instrument de « crime d'une effrayante précision, et d'autant plus terrible que, immé-« dialement après l'accomplissement de l'acte, tout peut être oublié, « l'impulsion, le sommeil et celui qui l'a provoque. »

Déjà, en 1884, j'avais dit moi-même, dans ma lecture à l'Académie des sciences morales et politiques : « Les personnes qui révent souvent « à haute voix et qui semblent, a priori, plus hypnotisables que les « autres, agiront prudemment en ne regardant pas trop longtemps et « avec une trop grande fixité des étrangers, des inconnus, avec lesquels « elles se trouveraient seules, par exemple, dans un compartiment de « chemin de fer, une salle d'attente, etc. »

Cette appréciation ayant paru alors plus qu'étrange, un de mes amis résolut d'en contrôler l'exactitude. M. X..., chef d'un important établissement commercial de Nancy, rencontra une femme du meilleur monde, dans un train qui devait le conduire en Alsace. La conversation s'engagea, et il arriva ensuite que les deux voyageurs durent stationner dans l'une des salles d'attente de la gare de Belfort, où ils se trouvèrent seuls. M. X... avait cru remarquer que sa compagne de voyage pourrait être facilement hypnotisée; en effet, il n'eut qu'à la regarder quelques instants pour la mettre en somnambulisme. Et alors, il lui suggéra de lui écrire, deux jours plus tard, à une adresse qu'il indiqua, pour lui donner un rendez-vous, à tel hôtel, dans telle ville. Trois jours après, il recevait, timbrée de Genève, une lettre qui, parlant d'une impulsion « aussi irrésistible qu'incompréhensible » pour elle-même qui y cédait, lui donnait très exactement le rendez-vous prescrit. Or, dans la pensée de l'expérimentateur lui-même, il s'agissait d'une personne fort honnête, qui eût été, dans l'état normal, incapable de se livrer à une démonstration aussi compromettante.

En 1891, M. Déjcrine, professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris a, dans La Médecine moderne, pris nettement position avec l'Ecole de Nancy contre l'Ecole de la Salpèlrière. Il a expliqué, comme nous l'avions fait, mes amis et moi, l'erreur dans laquelle sont tombés, en 1878, Charcot et ses élèves, par l'ignorance où l'on était encore, à Paris, des travaux de Durand (de Gros), publiées en 1855 et 1800, et de ceux

(1) BlNET et Fére: Le Magnétisme animai, p. 273. Paris, Alcan, editeur.

de Liébeault, parus en 1866. La suggestion était inconnue à la Salpê-trière, quoiqu'elle eût été for m . ' magistralement par les deux savants que je viens de nommer. — Mais c'étaient des savants de province, et l'on sait qu'en France rien ne vaut ce qui vient de Paris ! — On y annonçait tout haut, devant les sujets,ce qui allait se produire; on était persuadé gu'ils n'entendaient rien. Or, nous avons démontré, à Nancy, — je l'ai fait moi-même plus d'une fois, — que les somnambules qui paraissent ne pas entendre entendent, mais d'une façon inconsciente, puisqu'il est possible de raviver en eux le souvenir, qui paraissait d'abord tout à fait aboli. Donc, le professeur Charcot et ses disciples, chaque jour maintenant plus clair-semés, faisaient de la suggestion sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose.

Et j'opposerai M. Déjerine à MM. Brouardel et Gilles de la Tourelte.

« La démonstration du crime, dit-il, n'est pas encore faite, je suis le « premier â le reconnaître. Il n'existe pas encore, dans les annales « judiciaires, d'exemple d'assassinat ou de vol ('), dans lequel il ait été œ prouvé que le criminel ait agit en automate, obéissant à une sugges-

0 tion hypnotique antérieure. Mais cette objection est loin d'avoir la « valeur que lui prêtent certaines personnes. Nous ne pouvons, en effet, « expérimenter que dans les limites du possible, et s'il faut, pour con-« vaincre ceux qui doutent encore, une expérience réelle, il est évident « qu'on ne les convaincra jamais. Pour moi, ma conviction est faite b. « cet égard. Je crois que, chez certains hypnotiques, je ne dis pas chez c tous (nous disons, à Nancy, quatre ou cinq sur cent), on peut faire

1 commettre, à échéance plus ou moins éloignée, n'importe quel acte, a dans n'importe quel domaine. »

El répondant à l'objection, tirée de la comédie jouée par les sujets mis en expérience, objt-ction ressassée, nous l'avons vu, par Delbceuf, le savant professeur de Paris, ajoute :

« Je ne crois pas que, parmi ceux qui nient ou qui doutent encore, il ¦ en soit un seul qui, de propos délibéré, se prêterait à une expérience i de ce genre, avec des sujets analogues à ceux que j'ai actuellement « dans mon service, même lorsque cette oxperience serait réglée de « manière à lui faire encourir le minimum de danger. Pour ma part je « l'avoue, je ne consentirais guère à une expérience semblable, trop a convaincu d'avance combien seraient désastreux les résullals(3j. s

Citant déjà, dans la Bévue philosophique, en 1892, le passage qui précède; je disais : « M le Dr Déjerine peut se rassurer, personne ne « relèvera ce défi ! » Les faits m'ont donné raison. El je crois pouvoir répéter encore: « Non, personne ne relèvera le défi, même parmi nos « adversaires les plus obstinés! »

M. Déjerine vient de nous dire que des suggestions, même fort graves, pourraient être réalisées à une échéance plus ou moins éloi-

(1) Ceci était écrit en 1891. Nous avons vu plus haut que ce ne serait plus aujourd'hui absolument exact, au moins pour le vol J. L.

(2) D* Déjerine : Hypnotisme et suggestion». Voy. La Médecine moderne, 1891, p.79

(3) Revue philosophique, 1852, p. 262.

gnée. Je rappellerai, à cette occasion, que j'ai, le premier, obtenu l'accomplissement de suggestions, il est vrai sans gravité, à 365 jours d'intervalle. Et ce délai d'une année ne peut évidemment être considéré comme un maximum, au-delà duquel les suggestions resteraient inefficaces. Ajoutons que le sujet, mis alors en expérience, était précisément ce jeune homme qui, plus lard, devait si malheureusement payer de deux mois de prison les agissements coupables d'un jeune médecin inexpérimenté ot maladroit.

Récemment, en 1895, il m'a été donné de vérifier si, après plusieurs années, je conservais encore sur M"* H..., que j'avais autrefois hypnotisée, le même pouvoir de commandement suivi d'obéissance passive, qu'elle avail subi à la clinique de M le D' Liéheault. Me trouvant de ¦passage à Sedan, je revis, en présence de son mari, M"' H.... devenue M"" D..., que je n'avais pas rencontrée depuis plus de dix années. Dès l'abord, je pus me convaincre qu'un mot, un geste, un regard suffisait encore à manifester le pouvoir absolu que j'avais conservé sur les idées, les sensations, les volontés, les actes de M"" D... J'aurais pu, de nouveau, la rendre instanlanément puralylique, sourde, muette, aveugle, lui donner toutes sortes d'hallucinations, évoquer devant ses yeux l'image des parents qu'elle a perdus, lui inspirer de la haine contre son mari, — qu'elle aime, — lui faire former une demande en divorce, que sais-je? L'on pourrait presque dire qu'il n'y a pas de limites assignables au pouvoir de l'expérimentateur. Ce pouvoir incroyable que je me trouvais ainsi posséder encore, après dix années écoulées, me parut, à moi-même, avoir quelque chose d'effrayant, presque de surhumain !

Si, maintenant, nous rapprochons ces fails de la facilité avec laquelle mon ami, M. X..., a hypnotisé et suggestionné, à Delforl, une femme honnèle pour laquelle il n'était qu'un inconnu ; si nous réfléchissons que de semblables agissements peuvent être réalisés, dans un grand nombre de circonstances, peut-être comprendra-t-on l'intérêt de premier ordre qui s'attache aux questions que nous nous efforçons depuis longtemps d'élucider.

Nous croyons maintenant pouvoir, à bon droit, considérer comme acquise la proposition que nous avons émise, à savoir: la possibilité de faire, aux femmes el aux jeunes filles, à certaines d'entre elles tout au moins (4 ou 5 pour 100). soit dans le somnambulisme provoqué, soit dans des états hypnotiques spontanés, des suggestions pouvant amener pour elles d épouvantables conséquences.

De telles manœuvres pourraient parfois être pratiquées sur des personnes qui n'ont point encore été hypnotisées. Tels étaient ces deux anciens soldats, que M. Déjerine a trouvés suggeslibles, même â l'état de veille, la première fois qu il Us a vus !

C'est là évidemment un grand danger, et if est d'autant plus redoutable que personne ne peut être aasuié.à l'avance,d'y échapper, quelles que puissent être la santé dont on jouit ou la force de caractère dont on est doué.

Quelles inquiétudes, dès lors, ne pourrait-on concevoir s'il n'existait aucun moyen de parer à ce péril, que l'on m'a, plus d'une fois, accusé d'exagérer à plaisir, mais que je me borne, en toute conscience, à montrer tel que je le vois.

Heureusement, il n'en est pas ainsi.

Et j'indiquerai, tout de suite, un remède, un préservatif, comme on voudra Tappeler.que je crois très efficace et qui peut s'appliquer à tous, le plus facilement du monde.

Lorsque, après avoir endormi un individu très suggestible, on lui suggère que personne ne pourra plus l'hypnotiser, ni lui faire .des suggestions quelconques, le résultat annoncé se produit invariablement. Tout autre que l'expérimentateur essayerait en vain, désormais, d'acquérir ou de conserver, sur la personne ainsi suggestionnée, une domination quelconque. C'est un moyen que M. Liébcault et moi, et, avec :nous,MM. les professeurs Bernheim et Beaunis, avons souvent employé, avec succès, en vue de prémunir nos meilleurs « sujets », contre l'abus qui aurait pu être fait de leur extrême suggestibilité.

Je citerai, à l'appui de cette proposition l'observation suivante :

En 1888, je me trouvais à Liège. Mon ami, M. Delbœuf, voulut me montrer, à l'hôpital de Bavière, un jeune homme qu'il traitait, par suggestion, pour une affection très grave de la vue. Voici l'expérience que j'eus l'idée de réaliser. J'endormis, en quelques secondes, le sujet qui m'avait été présenté; je lui suggérai que personne ne pourrait plus le mettre en somnambulisme, puis je le réveillai. Ce fut en vain, dès lors, que Delbceuf s'escrima pendant quinze ou vingt minutes pour endormir le jeune malade, qu'il avait antérieurement hypnotisé un grand nombre de fois. Il ne put y parvenir qu'après que, de guerre lasse, il m'eut demandé de lever la prohibition que j'avais formulée. Je n'eus pas plus tôt consenti à donner l'autorisation nécessaire, que le sommeil fut de nouveau produit, très rapidement.

Donc, il est extrêmement facile d'empêcher un sujet très suggestible d'être mis, par n'importe qui el par n'importe quel moyen, en étal de somnambulisme provoqué. L'on pourrait d'ailleurs, évidemment, — cela ne fait pas lu moindre doute, — faire la même chose ei obtenir le même résultat, pour les suggestions à l'état ae veille.

Et voilà comment j'aurais pu — si j'avais passé seulement avec elles une demi-heure, en présence d'un de leurs proches — suggérer:

1* A M"" Gr..., de Constantine (Algérie) de ne plus tomber en somnambulisme spontané, et de ne recevoir aucune suggestion, ce qui eût empêche que celte pauvre femme — jusque lu épouse et mère irréprochable — fût livrée sans défense aux entreprises de Chambige, qui lui devaient coûter la vie en même temps que riionneur(f) ;

2° A M"" Weiss, l'empoisonneuse d'Aîn-Fczza (Algérie), de ne pas obéir aux suggestiom. de Roques, son amant, qui lui ordonnait d'empoi-

(1) Der Fait Chambige, in Zeitschrift far Hypnoiismus, 1893.

sonner son mari, et, en outre, de ne plus avoir d'hallucinations et de ne pas se suicider {');

3° A la baronne de Z... de ne pas se laisser hypnotiser, ou, tout au moins, de résister aux suggestions de Czynski, qui l'a forcée à se donner à lui — et c'est là une sorte de viol moral — et à consentir ensuite à l'épouser;

4° A ces quatre malheureuses femmes qui viennent (juillet IS9V de se suicider en même temps, à Paris, dans la chambre de l'une d'elles, de ne pas subir l'attraction, la fascination pour ainsi dire, de la mort d'une actrice qui, quelques jours auparavant, s'était tuée,après avoir discuté, avec des amies réunies à sa table, les divers genres de suicide entre lesquels elle aurait à faire un choix.

De tout ce qui précède, nous tirerons les conclusions suivantes: Il serait de la prudence la plus élémentaire que toute personne ; homme, femme, jeune lille, sût exactement jusqu'à quel point elle est suggestible, dans quel degré de sommeil provoqué elle peut être plongée. Or, on ne peut être fixé à cet égard que si l'on a essayé de se faire mettre en somnambulisme par un homme honnête et compétent. Si l'on arrive alors à l'état de somnambulisme profond, il eut abiulumeni IndiaspenHable de se faire suggérer qu'on ne pourra être hypnotisé par personne et par aucun moyen, et qu'on ne recevra, ni n'exécutera aucune suggestion. El l'on pourrait, au besoin, renouveler celte prescription impérative une ou deux fois chaque année.

Voilà ce que j'appelle la suggestion atténuée. C'est une sorte de vaccination morale, de nature à prévenir les dangers que nous avons signalés.

Quelques mots encore, à titre de conclusion:

Nous nous sommes attachés, dans les pages qui précèdent, à l'examen de ces deux questions :

1° Dans certaines circonstances données, un honnête homme peut-il élre rendu criminel malgré lui ? a

2° Une femme peut-elle être violée sans le savoir, sans le sentir et sans on garder aucun souvenir?

¦ II nous a semblé que c'était là deux points sur lesquels il y a non seulement nécessité, mais urgence à appeler l'attention du grand public. Si nous avons réussi à faire la démonstration que nous nous sommes proposée, peut-être reconnaîtra-1-on qu'il ne faut pas se borner, comme l'autruche, à fermer les yeux sur les dangers que je signale. II vaut mieux indiquer, par des bouées, les récifs qui rendent dangereux les abords d'un port ou d'une rade que de les dissimuler.

Mais, si graves que suient les questions ainsi abordées, elles ne donneraient cependant qu'une idée incomplète du vaste champ que l'Hypnotisme et la Suggestion ouvrent à nos regards surpris.

(1) The female poisoner oj Ain-Fcçça. International Congress of expérimental psychology. 1892, Second session. — London, p. 169.

En Philosophie, ils fournissent à l'étude de l'esprit humain ce que j'ai, le premier, appelé en 1884 un admirable instrument de vivisection morale et intellectuelle.

En Médecine, c'est toute une révolution, qui jette des lumières nouvelles sur les rapports du moral et du physique ; qui montre l'idée conçue ou suggérée, agissant sur le cerveau, sur le système nerveux, sur les fondions de nutrition, de respiration, de circulation, sur la marche et le dénouement d'un grand nombre de maladies (').

En Histoire, la doctrine de la suggeslion, indépendamment de la magie égyptienne,explique tout ce qui concerne les sybillcs. les oracles, les guérirons par le sommeil dans les temples de l'antiquité, les prodiges des thaumaturge*. Laclance disait déjà de ceux-ci, il y a quinze siècles « qu'ils font ooireequi n'est paset empêchent de voir ce qui est ». Or, ce sont là précisément nos hallucinations positives et négatives.

Puis la Sorcellerie n'a plus, pour nous, de secrets. La science avait, jusqu'à ses derniers temps, imprudemment pris, à cet égard, une position très simple sans doute, mais très orgueilleuse et très fausse. Elle niait purement et simplement qu'il eût jamais pu y avoir aucune réalité objective dans les crimes et les abominations reprochés aux sorciers. Nous avons démontré, au contraire, que ces êtres plus ou moins malfaisants — en tant du moins qu'on les croyait et qu'ils se disaient eux-mêmes suppôts de Satan — ont pu, par des suggestions plus ou moins conscientes, mais en somme efficaces, produire parfois de graves maléfices: paralysies, cécité, surdité, mutisme (au moins temporaires), trau-matismes, fractures, pertes de la mémoire, paroles incohérentes, cris désordonnés, nouement de l'aiguillette, envoûtement (3J, hallucinations terrifiantes, évocation des images des morts — toutes choses que nous pourrions produire aujourd'hui, le plus facilement du monde, chez nos somnambules profonds.

En Religion, le caractère miraculeux des apparitions, des extases, des stigmates s'évanouit. Ces prodiges, bien faits pour frapper l'imagination, rentrent aujourd'hui dans les cadres élargis de la vérité scientifique, sans diminuer en rien, d'ailleurs, les mérites, la vertu, la sainteté de nos grands extatiques, comme saint François d'Assise ou sainte Thérèse. Naguère encore, en 1875, s'élevaient des controverses passionnées, à propos de Louise Luteau ; et Wirchow, de Berlin, adressait aux catholiques ce dilemme: Supercherie ou miracle? laiseant voir, quel cote il penchait. Mieux éclairés, aujourd'hui, par là, de nous pouvons échapper à ce dilemme en disant : Ni supercherie, nimïracle i}} !

(1) Nous avons pu, en 1892, M. Liébeault et moi, guérir, par suggestion verbale, un» femme de 3C ans, deux fois veuve, que poursuivait l'idée du suicide, iorUflêc encore par une tendance héréditaire. La guénsou s'est maintenue depuis cinq ans.

(2) Pourvu, bien entendu, que l'envoûte crût à 1 elficacité du maléfice.

(3) Voy. notamment l'expérience remarquable de vesicatoire par suggestion hypnotique, de Ai. Kocaehon, rapportée p. 1&: de noire ouvrage : De la suggestion ci du somnamoulisme, dans leurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale.

Une science qui. née d'hier, a déjà donné de tels résultats, ne mérite pas le ddd.iin qu'un lui a parfois lé noigné. Elle a dès maintenant, elle aura chaque jour davantage, une place d'honneur dans l'admirable mouvement scientifique qui a signalé la seconde moitié du xix* siècle.

L'hypnotisme csl au magnétisme animal ce que la chimie moderne est à l'alchimie. Il répand une vive lumière sur des phénomènes naturels restés longtemps obscurs ou inconcevables, ou même niés purement et simplement, comme pour la sorcellerie.

II peut dissiper beaucoup d'erreurs, détruire de regrettables préjugés, ouvrir des voies nouvelles à l'étude de l'esprit humain, à la jurisprudence, à la thérapeutique, aux sciences historiques, à la controverse religieuse.

S'il a des côtés troublants et obscurs, nous avons montré comment on y peut remédier, par quels moyens on peut le rendre, non-seulement inoffensif, mais encore éminemment bienfaisant.

Ne repoussons donc pas cette force nouvelle! Ne croyons pas qu'il puisse exister des vérités malfaisantes. Tonte puissance donnée à l'homme peut être tournée au bien ou au mal. C'est donc à éclairer la conscience humaine que doivent tendre nos efforts. Répandons à flots, autour de nous, les clartés d'une science toujours plus scrupuleuse, plus prudente, plus assurée d'elle-même, et nous pourrons espérer avoir travaillé, dans la mesure de nos forces, au progrès de la justice et de l'humanité ! J. Liégeois.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 21 Janvier. — Présidence de M. Dumontpaluer.

Rôle de l'éducation dans i'étiologie de l'hystérie infantile.

Par le D* Kdgar Berillom.

Toutes les formes de l'hystérie peuvent se rencontrer chez l'enfant, mais il est exceptionnel de constater l'existence des slignates classiques de la névrose. Le plus souvent l'hystérie infantile se révèle par (apparition de troubles psychiques qui sont par ordre de fréquence, le défaut d'attention, la mobilité des idées, l'esprit de contradiction, les troubles du caractère, une émotivité exagérée, le mensonge, la simulation, la perversion des sentiments ; chez les petites lilles, une coquetterie exagérée, la minauderie, sont égalemrnt une des manifestations de l'hystérie précoce. En un mol, l'instabilité mentale et les tendances impulsives des enfants hystériques semblent calquées sur celles que présentent les adultes atteints d'hystérie vulgaire.

Certains auteurs ont cru qu'il fallait considérer comme des manifestations de l'hystérie les troubles convulsifs du premier âge. C'est ta une question qui nous parait demander une démonstration plus précise que

celles qui ont été fournies jusqu'à ce jour. L'hystérie convulsive chez l'enfant est très rare, et comme nous le disions au Congrès des alié-nistes, à Toulouse, en 1897 {'), quand nous l'avons observée, nous avons pu nous assurer qu'elle était le résultat d'une contagion nerveuse, l'enfant ayant été témoin de crises d'hystérie. L'observation suivante vient démontrer, d'une façon éclatante, le rôle important que l'imitation inconsciente peut jouir dans lu production des troubles hystériques chez les enfants :

Hystérie convulsive che\ une petite fiille de neuf ans. — Troubles du caractère. Terreurs nocturnes, — Gu-rison par la suggestion hypnotique.

Les antécédants héréditaires de l'enfant. Jeanne P..'sont très clvirgés. Son père est névropathique : il grince des dents la nuil en dormant. Sa grand-mère paternelle était impulsive; dans un accès de colère, elle blessa son fils avec un couteau. La mère est très nerveuse. Elle a présente longtemps de grandes attaques d'hystérie dont elle no nous a pas parlé lorsqu'elle nous a amené sa fille. Le grand-père maternel était épilcptique : il est mort alcoolique ù (iO ans. Une tante maternelle a été atteinte de mélancolie.

L'enfant a eu des convulsions à l'âge de 10 mois, au moment do l'apparition des premières dénis. Son sommeil est troublé par des terreurs nocturnes ; dans ce cas là, elle se lève droit sur son lit et pousse des cris perçanls. Elle a suriout des troubles de caractère. Elle emportée, violente. Duns ses colères clic injurie sa mère et se sert d'un vocabulaire grossier. Elle jure el elle sacre et répète tous les mots grossiers quelle a entendu proférer par son père dans des étals d'emportement. Les expressions de ¦ sacré nom de Dieu! ¦> sont les plus anodines dont élit; fait usage. Tl lui est arrivé dédire: « Sij'avuis un couteau, je te lucrais ». Ses colères durent assez longtemps. Tantqu'elle n'a pas obtenu satisfaciion, elle grince des dents, pousse des cris: se roule par terre. Ses colère.*! re\ienncni souvent sans motif. Par exemple, quand on la contrarie, quand elle est embarrassée pour tailler une robe à sa poupée, quand elle est en retard pour aller à l'école. Elle n'est pas triste cependant. Elle est très ardente aux jeux de son âge. très turbulente. Elle chante constamment. Sa coquetterie e>t excessive. Elle n'est pus égoiste, ni gourmande. Elle est très peureuse. Elle est prête à s'évanouir lorsqu'un cheval tombe. Très paresseuse, elle n'aime pus aller à l'école.

Enfin, elle a de temps en temps des crises inquiétantes. Elle tombe à lu renverse, toute ruide, ayant toute l'apparence d'une personne qui a perdu connaissance. Le diagnostic d'épilepsie avait été porté par plusieurs médecins ; cependant, tous les signes pathogénomoniques de l'attaque d'épilepsie faisaient défaut. Le traitement par la suggestion hypnotique fut appliqué pendant quelque temps sans aucun succès.

Un jour, au moment où je commençais à douier de l'utilité de mes efforts, je fus édifié sur les causes delà maladie de l'enfant par une lettre anonyme dont voici les principaux termes :

(1) Bùiullon : Le traitement psychothérapique de l'hystérie infantile. — Comptes reytdus du Congrès des aliènistes, Toulouse, 1ô9S.

« M0" X.., la mère de l'enfant que vous soignez, a elle-même des crises terribles, dont elle ne veut parler à aucun médecin. Elle a encore plus besoin d'être soignée que son enfant, car elle est extrêmement malheureuse à cause de sa maladie. Vous pourrez en savoir plus long en la questionnant. »

Munis de ces renseignements, ma tâche était simplifiée. Il fut facile d'obtenir de la mère l'aveu de ses crises don'- les manifestations correspondaient exactement à celles que j'avais pu observer chez l'enfant.

L'enfant, témoin des grandes crises d'hystérie de la mère, les reproduisait fidèlement. Elle était, si l'on peut s'exprimer ainsi, le « miroir » neuropalhologiquc de sa mère.

Il importait donc de soumettre la mère à un traitement psychique capable de reconstituer chez elle le pouvoir d'inhibition volontaire dont elle était complètement dépourvue. Après quelques séances de suggestion dans l'état d'hypnotisme, ce résultat était obtenu. Parallèlement, nous assistions non seulement à la guérison des crises convulsives chez l'enfant, mais aussi à celle des autres manifestations de l'hystérie. Ce double succès s'est maintenu.

L'éducation défectueuse joue dans l'étiologie infantile un rôle beaucoup plus important que l'hérédité des caractères acquis. L'action préventive et curative du traitement psychothérapique en fournit la démonstration la plus frappante. Il appartiendra au médecin de montrer qu'il n'est pas étranger aux enseignements de la psychologie moderne et de procéder à une véritable rééducation mentale de l'enfant. Il ne dérogera pas en prouvant qu'il est capable de jouer le rôle d'éducateur. L'enfant hystérique, livré à lui-même, abandonné au désordre de son imagination, se déséquilibrerait de plus en plus. Chez certains d'entre eux, le défaut de résistance aux impulsions instinctives peut être poussé si loin, qu'ils revêtent l'allure de malades dignes d'être rangés dans la catégorie des dégénérés héréditaires. Mais si l'enfant hystérique est dirigé avec autorité, si on l'habitue à opposer une résistance effective à ses impulsions instinctives, dont le développement est favorisé par la faiblesse et la complaisance du milieu, non seulement l'état mental se modifie, mais les troubles spasmodiques et les perturbations fonctionnelles disparaissent. L'éducation de la volonté d'arrêt, l'utilisation de cette faculté suffira pour réaliser ces heureux effets.

La statue de Charcot.

Le sculpteur Falguière aété désigné, parla3- commission du Conseil municipal, pour exécuter la statue de Charcot, qui s'élèvera à l'intérieur de l'hôpital de la Salpétriêrc, près la grande porte d'entrée.

L'éminent artiste a promis de donner une première maquette vers la fin de ce mois.

L'Admïaistrateur-Gêranl : Emile BOUKIOT y 170, rue Saint-Antoine.

i'aris, Imjj. A. ¦ :-.i.'.- i—^N. rue Gerbe rt, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL DE THÉRAPEUTIQUE

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12e annEe. — N° 11 Mai 1898

L'ÉTAT DE VEILLE ET LES ÉTATS D'HYPNOSE

Par M. le Dr Liébkault, do Nancy.

La vie psychique, plus ou moins en activité, se présente sous deux formes ou manières d'être qui alternent entre elles.

La première est caractérisée par le pouvoir que l'on a de faire des efforts volontaires et libres pour créer la pensée. La veille en est l'expression reconnue.

Dans cette forme, la force d'attention, omniprésente partout où il y a de la substance nerveuse, rayonne du cerveau, et, par un mouvement centrifuge, préside à la formation des impressions dans les sens, à la transformation de ces impressions en sensations, puis en idées, et par suite en actes, que ces idées soient imagées ou non ; bref, elle crée toutes ces opérations de l'esprit, dont elle est le moteur.

Dans la seconde forme, les efforts volontaires et libres qui, dans la première, sont à la base des actes pensants et les créent, ces efforts d'expansion s'arrêtent ou au moins se ralentissent dans leurs mouvements. De cette inertie qui se développe alors et est plus ou moins grande, il résulte que le sujet qui en est l'objet perd de son initiative, il s'isole du monde ambiant, partiellement ou complètement. Le sommeil naturel est l'expression la plus parfaite des états passifs qui dépendent de cette dernière manière d'être.

Il en est de deux sortes : les uns sont partiels, les autres sont généraux, et ils naissent les uns et les autres par représentation mentale. Tous ont leurs fondements dans les phénomènes pensants de la veille, dont ils sont des compléments fonctionnels.

Dans, le nombre, on distingue la propension à imiter, la méditation, l'abstraction, les sentiments émotifs : joie, colère, tristesse, crainte, amour, etc. ; et parmi les états passifs les plus généraux, on remarque les sommeils ordinaire et artificiel ('), le somnambulisme nocturne et diverses névroses qui ne sont que des sommeils morbides.

Toutes ces manifestations de passivité, si différentes entre elles, ont pour cause commune une concentration initiale de l'attention sur une ou plusieurs idées. Et l'on ne peut expliquer celte diversité de phénomènes sous l'influence d'une môme cause, qu'autant qu'on admet le polizoïsme du docteur Durand (de Gros): c'est-à-dire une indépendance relative de ces centres ayant pourtant chacun, outre leurs propriétés propres et spéciales, des propriétés communes à tous. Et si l'on trouve des signes de passivité de l'esprit pendant la veille, et des signes de sa grande activité pendant les états passifs, la cause en est due certainement à ce que les centres nerveux agissent souvent indépendamment les uns des autres.

a mesure qu'apparaissent et augmentent les marques distinclives du sommeil : idées fixes et, par suite, insensibilité, isolement, catalepsie, etc., et tout cela en raison directe de la profondeur de la concentration d'esprit sur une ou plusieurs idées, parallèlement et à l'inverse, peu à peu les signes de la veille s'amoindrissent et disparaissent. Il s'établit comme deux courants simultanés et opposés, dont l'un, de diminution et d'affaiblissement des signes de la veille, et dont l'autre, d'augmentation des signes du sommeil.

Dans les états passifs, l'attention, plus ou moins ralentie, et par cela même renforcée, se reporte chez les sujets sur les idées déjà déposées au cerveau pendant la veille, et les y fait réapparaître par une représentation mentale vive de l'esprit, au moyen d'un procédé psychique particulier. Dans ces états, il devient possible, grâce à l'accumulation de l'attention

(1) Lo sommeil artificiel ou provoque est uii état passif expérimentai. Le nom d'hypnotisme sert à désigner ces états passifs expérimentaux et à les distinguer des états pa i ' spontanés.

amenée par ce ralentissement, d'agir séparément ou en masse, sur toutes les parties du corps, au moyen d'idées acquises auparavant.

Ce procédé psychique, ou plutôt ce mécanisme -qu'on emploie maintenant dans le but d'agir favorablement sur n'importe quels organes du corps, se nomme suggestion quand, par son moyen, on actionne autrui, et autosuggestion quand on s'actionne soi-même. Un état de sommeil artificiel bien établi est la condition essentielle pour qu'on obtienne ainsi sur l'organisme des effets physiologiques curatifs ou autres.

On a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de la suggestion à l'état de veille, et les quelques disciples du professeur Delbœuf qui ont admis, avec lui, cette opinion irréfléchie sur la possibilité de l'efficacité d'une telle suggestion, sont allés même jusqu'à dire qu'elle est, dans ce cas, plus puissante sur l'organisme qu'elle ne peut l'être pendant le sommeil. Ils se sont grandement trompés. S'ils ont eu des succès, ces succès ont dû être peu importants, et ils ont été uniquement les fruits d'un sommeil partiel et spontané ; jamais ces succès n'ont pu être élevés à la hauteur de ceux que l'on peut produire par exemple dans le somnambulisme profond. Et les résultats qu'ils ont oblenus ainsi n'ont dû être bien marqués que sur des sujets qui tombent facilement en certains sommeils partiels ou qui sont disposés naturellement à accepter l'affirmation suggestive, en vertu de la propriété qu'ils ont de la recevoir aisément et vite.

Si, dans la veille, l'esprit est en polyidéïsme, s'il va continuellement de la création de sensations et d'idées à la création d'autres sensations et d'autres idées, dans le sommeil il est en monoidéisme, ce qui est tout opposé et tout différent. L'esprit ne peut rien créer ainsi. Dans cet état l'esprit reste inerte, sans initiative; mais pour peu qu'il y soit sollicité, il se fixe plus ou moins sur une ou plusieurs idées qu'il accepte sans résistance et suit en aveugle. C'est ainsi que se trouve réalisé, grâce à la production des états passifs, et en particulier de l'état d'hypnotisme, le mécanisme de la suggestion.

DE LA SUGGESTION PENDANT LE SOMMEIL NATUREL

dans le traitement des maladies mentales- (1) Par M. le D' Paul Farez. (Suite et fin)

III

Objections et Réponses ; Indications de ce Procédé.

La psychothérapie (qu'elle ait recours à la suggestion directe ou à la suggestion indirecte, pendant l'état de veille ou pendant le sommeil provoqué) rencontre encore aujourd'hui de nombreux détracteurs, principalement parmi les médecins. En effet, disent quelques-uns, prétendre que l'on puisse guérir avec de simples paroles, n'est-ce pas le comble de l'aberration? — Mais, leur objecte-t-on, le traitement moral a réalisé des merveilles !... Ils les ignorent de parti-pris ou les nient délibérément. — Toutefois, à une maladie psychique, c'est bien, semble-t-il, un traitement psychique qui convient?... Il n'y a pas, répondent-ils, de maladie psychique: tout est organique, tout est somatique. Aussi les voit-on, par exemple dans des cas de troubles nerveux ou mentaux, prescrire les potions ou les pilules les plus compliquées et les plus variées ; quand un médicament a échoué, ils en ordonnent un second, puis un troisième, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'ils aient épuisé toute la série de ces prétendus remèdes dont la routine a consacré l'usage, en même temps que l'inefficacité. Il est vrai qu'ainsi Ton s'expose à délabrer quelque peu les estomacs ; mais on gagne du temps, les semaines se passent et parfois la maladie se passe, elle aussi, a la longue—, à moins qu'elle ne persiste. Alors, lassé de cette lutte stérile, le médecin est bien obligé, un beau jour, de confesser piteusement au malade découragé l'impuissance de la thérapeutique médicamenteuse. Que de fois même n'a-t-il pas laissé échapper ces paroles à la fois stupéfiantes et démoralisantes : « Je ne reviendrai plus ; il n'y a rien à faire pour voti*e cas! *> Pensez-vous que celte expérience l'a instruit ? Le cas échéant, il recommencera avec le même succès la même administration des mêmes drogues coutumières.

Avouons qu'en effet bon nombre de médecins de la généra-

(1) Voyez: Revue de l'Hypnotisme, numéro do mars (257-266), numéro d'avril (292-302).

Quant à ceux qui refusent de se renseigner, et qui, contempteurs de ce qu'ils ignorent, n'opposent aux faits que des négations systématiques ('), il est clair que les meilleurs arguments ne sauraient triompher de leur évidente mauvaise foi. Ceux, d'autre part, qui avouent ne pas comprendre que souvent « l'esprit gouverne et le corps obéit », que la medicina mentis est non seulement aussi et même plus importante que latnidi-cina corpuris, mais souvent seule efficace, ils donnent la mesure de leur étroitesse ou de leur infirmité intellectuelle. Les uns et les autres, de même qu'ils ont repoussé toutes les diverses formes du traitement psychothérapique, ne sauraient manquer de condamner également et dans tous les cas la suggestion pendant le sommeil naturel. Tenterai-je de les convertir? Mais comment montrer la lumière à qui mainlient ses yeux obstinément clos ? Peut-on discuter de couleurs avec des aveugles ou de sons avec des sourds? Nous négligerons donc des adversaires passionnés, incompétents ou injustes ; nous ne nous laisserons émouvoir ni par leurs moqueries, ni par leurs dédains, et nous poursuivrons avec ferveur notre œuvre bienfaisante, nous souvenant du proverbe arabe : « Les chiens aboient, mais la caravane passée) ! »

(1) Tels les astronomes de Pise lorsqu'ils refusaient de regarder dans la lunette de Galilée les satellites de la planète Jupiter.

(2) Tandis que lo public .vlrn-i assez facilement la thérapeutique psychique, il est étrange que, précisémeut, ce soient les médecins qui la rejettent. On se rappelle la lôsistunce obstinée quo.penianl près d'un deiui-siécle, l'Académie de Médecine a opposée à tout ce qui était du ressort de l'bypnoti -me ; il ne fallut pas moins de l'insistance et du l'autorité de Charcot pour que cet ostracisme rigoureux se relâchât quelque peu. D'ailleurs, le D' Liebeault, le chef incontesté et vénéré de l'école do iSaucy, n'a t-il pas été repouss-i par ses confrères lorsqu'à Nancy môme il demanda a faire partie de la Société do médecine de cette ville ? En même temps, ii Pans, au sein de la Société médico-psychologique, d'autres médecins s'appiiq-iaient à mettre à l'index son méraoraole livie sur Le sommeil provoqué et tes étals analogues. Ne sont-cc pas dos médecins encore qui combattirent avec acharnement les vtccinaiions ji-nnérieniie et pastorienne? Ht de mém>: qu'on avait traite Harvcy d'Imposteur quand il avait pnrlé do la ciiculalion du song. n'a-t-on pas prétendu aussi q»o Ouchonue (de Boulogne) était un charlatan lorsqu'il pré-coiiisait l'élccire-diagnostic et lVlectrothéinpie ? De tout temps, les médecins ont manifeste une méfiance systématique pour tout ce qui s'écarte dos ornières de la routine. Prennent-ils la peine d'examiner ce qu'on leur propose? Chereh*nt-ils à s'en rendre compte? — Son. — Par une sorte d'instinct, ils condamnent sans jugement et sans appel; co qu'ils ignorent, ils le nient catégoriquement: c'est ainsi que la thérapeutique suggestive compte si peu de partisans ci tant d'advorsuires irréductibles; en somme, les médecins sont rldélcs à leur rôle historique en refusant droit de cité au traiiemeni psychique. Certains qui, autrefois (en vertu du travers d'esprit signale plus hautj, ont condamné >>ans résene la psychothérapie, persi-lent à so dec»arer ses euuemis, encore aujourd'hui, pour ne t oint confesser qu'une lois on leur vio ils ont pu se tromper! Ils tiennent, à ce qu'il semble, le « plaisant raisonnement.. dont il est fait mention dms la Logique je Port-Royoi et que l'on pourrait ainsi paraphraser: Si la psychothérapie était légitime, j'aurais eu tort de la combattre jadis et « je ne serais pas un habile homme »; — « or,

Heureusement, à côté de ces adversaires obstinés, il existe quelques esprits curieux et sincères qui consentent à reconnaître les bons effets de la psychothérapie, mais ils y apportent de nombreuses réserves et veulent en restreindre singulièrement la portée. Par exemple, on a dit longtemps et bien à tort que seuls les hystériques étaient hypnotisablcs ; plus récemment, on a reproché à M. Aug. Voisin de n'avoir guéri par l'hypnotisme que des folies hystériques : on ne manquera pas de rééditer le môme reproche au sujet de la suggestion pendant le sommeil naturel.

Or, ainsi que l'a déjà répondu M. Aug. Voisin, quand bien même les seules folies d'origine hystérique seraient justiciables de l'hypnotisme, ce ne serait pas déjà un si mince avantage, car des aliénés hystériques, faute de traitement approprié, sont devenus incurables, déments et dangereux ('). En outre, MM. Dufour, Repoud et Bérillon, ainsi que M. Aug.

jo suis un bahile homme ¦ ; — donc la psychothérapie u'est pas légitime. D'autres, que l'on voit sourire, hausser les épaules ou même fulminer, suivant les jours, au seul nom de l'hypnotisme, exercent souvent sur leurs malade* une influence suggestive manifeste, quoique parfois détestablo. Comme preuvo de ce qui précède, jo liens ù rapporter le fait suivant : Une jeune fille, incapable de marcher, est transportée a l'hôpital ; le médecin diagnostique nue paraplégie hystérique, puis, au litmému de la malade, fait une très inlerossantc causerie sur ces sortes d'affections, ot, parlant du traitement, s'exprime ainsi. a Ces « machines » là sont extrêmement capricieuses et tenaces...; on ne sait jamais quand cà finira...; on ne peut pas grand" -chose sur elles.,. ; les divers moyens qu'on a recommandés restent la plupart du temps inefficaces... Essayons cependant, par acquît de conscience, de donner des douches, p — Or, les douches ne produisent aucune amélioration. Quelques jours après, le mérne médecin (encore, bien entendu, en-présence «le la malade) dit: ¦ Cctêchec n'a rien d'étonnant ; ces « affaires » là sont tellement rebelles Essaye^ du massage: si çà ne fait pas de bien, çà ne fera toujours pas de mat. » — Or, la jeune li Ile restait toujours infirme : « FaiteS'Iui donc quelques iéances d'électricité, reconnu and e-l-on une autre fois, on verra bien ce que çà produira. Mais ne soyc^ pas surpris. Messî'Urs, de nos insuccès; ils sont dans l'ordre... Et puis, si l'électricité ne réussit pas, nous chercherons autre chose... » Eh bien ! ce médecin, en nllirmant devant la malade et le caractère tenace de l'affection et l'échec probable de l'intervention proscrite, a, je n'hesile pas à le dire, retardé et empêché la guérison ; il a fait maiiife>temcnt de la suggestion, mais à rebours oi au détriment de la malade; par sa contre-suggestion, il a entretenu la paraplégie et rendu cette jeune Mie impotente pendant plusieurs mois. — alors que. d'ordinaire, par la suggestion, l'on « cueille v cette paraplégie comme si. avec la main, on détachait de l'arbre un fruit mur ; il n'est pas rare, en effet, qu'une hystérique paralytique, amenée eu voiture et portée dans lo cabinet du psychothérapeute, s'en retoui-ne tranquillement ù pied chez elle, après un très petit nombre do séances de suggestion, ou mémo après une séance unique. Mats, pour certains praticiens, mieux vaut cent foi» respecter religieusement une paraplégie que la guérir par un traitement qui a le malheur do n'être pas « bien en cour ». Déjà, pour les médecins de Molière, il importai' peu que lo malade mourût, pourvu qu'au moins il le fit suivant le cérémonial officiel el dans les fornies prescrites !

(1) Cf. Revue de l'Hypnotisme, II, 329.

Voisin ('), attestent formellement que, grâce à l'hypnotisme, ils ont obtenu de bons résultats chez des aliénés qui n'étaient nullement hystériques : il faut donc bien que Ton s'incline devant les faits. Quant à la suggestion pendant le sommeil naturel, telle que je la recommande, son mérite consiste précisément en ce qu'elle intervient lorsque l'hypnotisme n'a pu être employé; elle permetainsi d'imposer aux malades, même malgré eux, et sans qu'ils s'en doutent, des volontés extérieures; elle étend à perte de vue la portée du traitement psychique ; en effet, qu'il soit hystérique ou non, le dormeur nous est livré sans défense; il ne nous résistera pas si nous y apportons quelque habileté et quelque discrétion. Ace point de vue, on ne conçoit même pas pourquoi un individu quelconque, aliéné ou non, malade ou sain, serait réfractaire à ce mode de suggestion; il semble que tous, indistinctement, quoique à des degrés divers, en soient justiciables.

•Te sais bien que l'on va m'arrêter pour me dire : « Soit, vos suggestions seront entendues, acceptées même, mais seront-elles efficaces? Leur réalisation ne dépend pas du sujet lui-même et, dans le cas particulier de l'aliénation, comment voulez-vous que votre suggestion modifie la lésion? » L'objection paraît redoutable; ne nous laissons cependant pas intimider, et déterminons exactement sa valeur.

En bonne logique, l'argument repose sur ce principe, non énoncé mais facile à formuler, à savoir que dans les maladies mentales il y a toujours une lésion organique, que toujours aussi cette dernière précède le trouble psychologique et en est par conséquent la cause. Il est donc clair que le traitement psychique, ne pouvant agir sur la cause, sera impuissant à modifier l'effet.

Or, la lésion peut bien être non pas seulement antécédente, mais encore concomitante ou même consécutive aux troubles mentaux. Les trois hypothèses sont légitimes, au moins logiquement; de quel droit, alors, éliminer a priori les deux dernières au bénéfice de la première? N'y a-t-il pas là un vice de méthode... et, disons le mot, un sophisme? En outre, non seulement les deux hypothèses de la simultanéité et de la postériorité sont admissibles (au même titre que celles de l'antério-

(1) Dufour : Société médico-psychologique, mai 1886. — Repoud (de Fribourg): Revue de l'Hypnotisme. IV, 152. — Berillon: id., v, 108. — Aug. Voisin: id., ii. 329 ; IV, 152.

rité), mais elles paraissent se réaliser dans certains cas. « Nos aliénistes supposent arbitrairement : Io Que les premiers termes de la série des désordres sont de nature exclusivement biologique, toujours; 2° Que les faits de perversion du jugement sont des conséquences nécessaires de l'état pathologique proprement dit. Cependant, sur le premier point, l'observation permet d'admettre des cas où la déviation mentale précéderait les perturbations organiques et pourrait en devenir la cause. Sur le second, rien ne prouve que certains symptômes représentatifs ne puissent être éludés ou supprimés par une éducation ou par une médication de même nature, c'est-à-dire-intellectuelle et morale, tandis que la maladie suivrait peut-être son cours avec les symptômes physiques et vitaux qui lui appartiennent en propre ('). » Et puis, ne l'oublions pas, les lésions sont inconstantes; même quand elles existent, elles peuvent n'être que contingentes. D'ailleurs, donnons, sur ce point, la parole à un médecin psychologue dont la compétence en ces matières ne saurait, je pense, être mise en doute: « Les études anatomiques, his-tologiques ou même chimiques sur l'état des centres corticaux, dit M. Pierre Janet, ne sont pas assez avancées pour donner la raison des symptômes cliniques, et nous disons simplement que, pour le moment, ce sont les phénomènes mentaux qui, mieux connus, expliquent les faits que l'on observe et jouent le principal rôle dans l'interprétation de la maladie. Il est d'ailleurs facile, si l'on ne craint pas les hypothèses un peu aventureuses, de traduire les observations psychologiques en langage anatomique, mais il faut bien savoir qu'en dehors des constatations directes anatomiques et histolo-giques qui n'ont pas été faites, ce langage n'est qu'une traduc-tvm. Malgré ses apparences anatomiques, ce n'est qu'une explication psychologique qui cherche à se dissimuler » 11 y a près d'un demi-siècle déjà, M. lienouvier, de son côté, écrivait: « L'autopsie ne révèle pas de désordres organiques bien sensibles chez certaines classes d'aliénés, et, si ces désordres existent, comme on doit bien le présumer, ils ont pu être acquis ou aggravés à la suite des déviations représentatives, et pourraient alors s'amender en même temps que ces dernières »... « L'action mentale est un moyen à la fois légitime et efficace de résit-

(1) Ch. IÎkxodvieb: 2' Ess., s' Ed., ii. 13.

(2) Pierre Janet: Traitement psychologique de l'hystérie, dans le Traite de tlié-rapeutique de Albert Robin, fcisc. XV, 141. [C'est moi qui souligne).

tance à l'aliénation, en ce qui concerne, bien entendu, la sphère mentale ('). »

Ainsi, le principe qui sert de base à l'argument tiré de l'anatomie pathologique ne saurait logiquement avoir une valeur absolue; c'est un postulat, et un postulat arbitraire en ce qu'il a d'exclusif; il n'infirme pas la possibilité des deux autres hypothèses inconsidérément écartées. La médication intellectuelle et morale a donc le droit de revendiquer sa légitimité dans le domaine de l'aliénation : l' Pour empêcher que des désordres psychologiques n'entraînent à leur suite et ne fassent naître à la longue des lésions organiques non encore constituées; 2° Pour dissocier les troubles psychiques qui accompagnent la lésion, évoluent parallèlement à elle et, pour ainsi parler, l'entretiennent; 3" Enfin (lorsque véritablement la lésion est primitive ou causale), pour éviter que le progrès de ces troubles psychiques n'aggrave la lésion, n'accélère l'évolution morbide ou ne retarde le processus réparateur. Quand l'hypnotisme est applicable, il se charge de ce triple soin ; quand il ne l'est pas, il trouve dans la suggestion pendant le sommeil naturel une sorte de succédané, lequel constitue une arme nouvelle et efficace à la disposition du praticien qui, sans cela, se trouverait tout à fait désarmé (a).

Oes objections, d'ordre plutôt théoi'ique. une fois examinées, passons aux reproches tirés des inconvénients et les difficultés que présenterait la pratique de la suggestion pendant le sommeil naturel.

« D'abord, dira-t-on, le praticien, après toute une journée de fatigues, a droit à un repos bien gagné. Comment voulez-vous qu'il accueille avec faveur, sans hésitation et sans répugnance, une médication qu'il devra employer seulement la

(1) Ch. Renouvier : op. cit., 37 ; 12. (C'est encore moi qui souligne).

(2) Lorsqu'une fonction se trouve supprimée, les régions psycho-motrices cérébrales qui y corresponden; sont frappées d'atrophie lente et progressive. (Cf V. Acqci-sito et F. Pusateri : Sul centro motore corticale doit' arto inferiore dell' uomo. Giorn. ai pat. nervosa c mentale, inni-aolït 1897, Païenne.) — Est-il irrationnel de peièser que lo rétablissement àe la fonction normale amène dans es régions, non pas seulement l'anét de l'atrophie, mais encore un réveil organique, un surcroît de vitalité et, partant, une sort» de restitutio ad integrum 9 C'est quelque chose d'analogue que le traitement psychique peut, dans c-rtaiiis cas favorahh-s, réaliser A l'égard de ci-s lOî-ionsdoiK on .postule l'existence dans les cas d'aliénation mentale. C'est encore -lu un intéressant exemple de l'action et de la réaction réciproques qu'exercent l'un sur l'autre l'organe et la fonction.

nuit, ou tout au moins, à une heure assez avancée de la soirée? » — Mais, je ne sache pas que les médecins refusent, d'ordinaire, d'entreprendre, par exemple, un accouchement, sous prétexte qu'il les tiendra éloignés de chez eux pondant une partie ou même toule la durée delà nuit; et, d'autre part, même arrachés à leur sommeil au milieu de la nuit, ils n'hésitent pas non plus à se lever pour aller porter le secours de leur art à ceux qui le réclament. Pour la suggestion pendant le sommeil naturel, il s'agit, en somme, d'inlervenir à une heure convenue, avant que l'on ait songé à se mettre au lit; et il ne- serait pas digne qu'un praticien refusai de tenter cette intervention pour de simples raisons de bien-être ou de convenance personnelle. Il semble qu'au contraire, stimulé par le désir de se dévouer au soulagement du malade, on devrait s'estimer trop heureux de pouvoir utiliser un traitement qui, en regard de l'impuissance coutumière, laisse au moins quelque espoir et apporte parfois la guérison tant souhaitée !

« Cette intervention, pourra-t-on objecter encore, sera bien inconstante dans ses résultats: beaucoup y échoueront ou n'en tireront pas grand parti. » — Or, qu'on ne l'oublie pas, ici, plus que partout ailleurs, le traitement vaut ce que vaut le médecin et, avant de condamner ce procédé, demandons-nous si les échecs ne viennent pas de ceux qui l'emploient et de la manière dont ils en usent. C'est qu'en effet ce mode de suggestion est long, délicat, parfois malaisé; il comporte une manière d'opérer, non pas uniforme pour tous les cas, mais, au contraire, variable avec les sujets et les circonstances; il faut donc que le médecin fasse preuve de prudence, d'initiative et de sagacité, qu'il sache s'ingénier, chercher et talonner; il faut aussi que les insuccès ne le rebutent ni ne le découragent, qu'au contraire il revienne à la charge, se corrige avec sincérité, améliore sa technique, fasse ainsi patiemment son apprentissage et devienne à lui-même son propre maître; sans doute, il n'arrivera pas du premier coup à posséder pleinement cette méthode, mais, avec l'entraine-ment, l'accoutumance, la foi et la ferme volonté d'aboutir, il aura bientôt acquis une habileté suffisante.

D ailleurs, lorsque les praticiens estiment qu'ils n'ont ni assez d'expérience, ni assez de loisir pour instituer dans tous ses détails un pareil traitement, pourquoi n'appelleraient-ils pas à leur aide ceux qui fout de ces sortes de choses leur étude

et leur occupation spéciales? Quand on souffre d'une affection oculaire, c'est l'oculiste qu'on va trouver de préférence ; pourquoi, quand la ùs/f, est malade, n'aurait-on pas recours au psycholhérapeule? Recourir à ce dernier pour qu'il enlève, par exemple, une idée fixe, est aussi légitime et salutaire que de s'en remettre au chirurgien pour l'extirpation d'une tumeur; le praticien qui trouve tout naturel de « passer la main » quand une laparotomie s'impose, devrait-il hésiter davantage à s'effacer quand il s'agit de dissocier minutieusement puis de réédifier tout un état mental? Pour paraphraser le similia similibus curantur, nous dirons donc qu'une maladie psychique réclame un médecin psychique.

Mais, en supposant que le traitement suggestif soit appliqué toujours par une personne experte, n'échouera-t-il jamais? Certes, il lui arrivera parfois de n'êlre suivi d'aucun effet nettement appréciable; cependant, même dans les cas réputés incurables, il pourra au moins, dans une certaine mesure, améliorer la mentalité morbide, par exemple, rendre dociles et paisibles des malades qui, d'ordinaire, par leurs exigences deviennent une très lourde charge pour tout leur entourage. N'est-ce donc rien que cela? Notons, en outre, que, d'autres fois, il fera merveille. Or, dans tels cas déterminés, on ne saurait dire à l'avance si le traitement est appelé à échouer ou à réussir; pour s'en rendre compte, il faut l'appliquer. D'ailleurs, que risque-t-on? Dût-il rester complètement inefficace, son innocuité demeure complète Ainsi, tous les traités de pathologie mentale recommandent l'intervention morale..., intellectuelle..., psychique; — mais, la suggestion pendant le sommeil naturel en constitue le procédé par excellence, à la fois le plus commode, le plus expédilif et le plus inoffensif. Il n'exclut certes pas les essais de redressement psychique que l'on tente d'ordinaire pendant l'état de veille, au prix de quelle abnégation et de quelle persévérance! Il s'y ajoute, les corrobore et les dépasse de beaucoup en fécondité («).

*

**

La suggestion pendant le sommeil naturel n'est pas seulement, pour ainsi parler, le succédané ou le substitut de la

(1) Lorsque, tout récemment, j'ai exposa cette question à la tribune delà Société d'hypiiotogie et de psychologie, noire honora vice-président. M. Aug. Voisin, lequel nous présidait ce jour-là, a bien voulu reconnaître Ja légitimité du traite-

suggestion hypnotique chez les aliénés non hypnotisantes; appliquée chez des aliénés qu'à la longue on parviendrait à soumettre au sommeil provoqué, elle permet de gagner un temps considérable, sans que l'efficacité y perde.

Il va plus: ce procédé d'intervention peut encore être très fécond en dehors de l'aliénation mentale ; en principe même, il se justifie dans toute l'étendue du domaine psychothérapique. Toutefois, je me garderai bien de le recommander d'une manière exclusive : l'exclusivisme est un stigmate d'ctroitesse d'esprit. En effet, les suggestions ne doivent être faites ni toujours pendant la veille, ni toujours pendant l'hypnose, ni toujours pendant le sommeil naturel. Ces trois procédés, loin de se combattre en frères ennemis, viennent au secours l'un de l'autre et se prêtent un mutuel appui. Toutefois, la suggestion pendant le sommeil naturel comporte un certain nombre d'indications spéciales. Aussi elle pourra ou devra être systématiquement employée :

1" Chez toute personne qui, aliénée ou non, mais susceptible de bénéficier du traitement psychique, se sera montrée réfractaire à toute tentative d'hypnolisaiion. Ce sera ainsi une « planche de salut » dans un cas d'ordinaire considéré comme désespéré.

2° Chez toute personne qui ne pourrait être hypnotisée qu'après un long entrainement et de nombreuses séances. Dans ces conditions, en effet, le malade est souvent découragé par la lenteur des effets curalifs, et, d'autre part, le médecin perd un temps précieux, outre que parfois il se lasse et désespère trop tôt du résultat final. On fera donc, pendant le* sommeil naturel, des suggestions qui auront pour but d'amener ce malade à dormir ultérieurement pendant le jour, à telle heure déterminée, à tel signal, à la suite de telle pratique ; on rendra ainsi très vite et très facilement hypnotisantes des individus qui, sans cet artifice, eussent paru quoique peu réfractaires à la thérapeutique suggestive.

3° Chez les gens pusillanimes qui apprécient tes bienfaits de l'hypnotisme, mais n'osent s'y confier à cause de craintes ou de préventions puériles ; certains, en effet, ne voient encore dans cet agent qu'une sorte de fluide mystérieux,

ment que je préconise ici ; il a même promis do l'expérimenter dans son service d'aliénés à la Salpélriére ; j'ai la très ferme conviction qu'appliquée par un ici praticien, la suggestion pendant le sommeil naturel portera tous les fruits qu'elle promet.

de force supranaturelie, de pouvoir satanique ; d'autres vont jusqu'à redouter qu'après les avoir endormis, on ne puisse plus les réveiller ! Il est manifeste que rien de pareil ne saurait être allégué au sujet de la suggestion pendant le sommeil naturel.

4* Chez les enfants affectés de névroses, d'incontinence d'urine, de kleptomanie, d'onychophagie, d'onanisme, de terreurs nocturnes, de mouvements automatiques, d'impulsions mauvaises, de troubles du caractère, d'indiscipline, de perversité ou d'atrophie du sens moral, etc., — en un mot, dans toute l'étendue du domaine de la pédagogie clinique, de l'orthopédie mentale et de l'hygiène morale (').— En effet, des enfants, qui n'ont besoin que d'être soignés à propos, sont le plus souvent réprimandés, punis ou frappés sans que cela les améliore en rien. Des parents et des pédagogues, toutefois, déconseillent alors l'hypnotisme par crainte qu'on ne déforme la personnalité de l'enfant ou qu'on n'attente à sa liberté. De telles appréhensions seront réduites à néant quand on verra que le traitement consiste en quelques paroles adressées à l'enfant pendant qu'il dort paisiblement dans son lit.

5* En pédagogie courante (et non plus anormale ou pathologique), par exemple, quand il s'agit de stimuler ou de développer une mémoire peu facile, peu tenace ou peu prompte. C'est ainsi que, tout récemment, j'ai rendu service à un bon petit élève qui enrageait de ne pouvoir parvenir à savoir très bien ses leçons. Je lui ai considérablement facilité la tâche en les lui faisant apprendre suivant le procédé dont j'ai plus haut exposé le détail.

Enfin, pour terminer, il est un point que je veux seulement signaler: c'est que la suggestion pendant le sommeil naturel constitue un précieux procédé d'expérimentation psychologique ; grâce à elle, on pourra parvenir à jeter quelque lumière sur cette période qui comprend, en somme, le tiers de notre vie psychique ; des états de conscience pourront être

(1) Pour ce qui concerne tes applications du traitement suggeslirala pédagogie, voyez: Bémllon: Les principes de la pédagogie suggestive, Rev. de l'Ifypn.. décembre 1-s97, 162;— Bérillox: L'hypauti-ino et l'orthopédie mentale, Paris, RueiT, I8&S. - En outre. M Lefrlletieb a, dans un long article consacré à « L'or-thopedie enfantine ». ruis en vive lumière les remarquables résultats obtenus par M B-rillon ù l'institut psyciio-physiologiquo.(Cf. Revue philanthropique, février 1896.) — J'ai moi-même publié une petite brochuro au sujet d'un j'-imc h rame que j'ai traiiô do coûcort «vec M. BCrillon. (Gf; Pau! FaRes : Applicution pédagogique du iraiiement psycho-mécaniquo. Pari», Maluine, 1&*8.)

suscités et dissociés, l'observation interne et la mémoire au réveil exaltées, etc. La psychologie en général et la psychologie du sommeil en particulier feront de nouvelles conquêtes ; et, en même temps que la science se développera, par contrecoup la pratique psychothérapique y gagnera aussi, tant il est vrai, comme le disait Bacon, que notre pouvoir ost en raison de notre savoir, tantum possumus quantum scimus.

histoire

DES SUGGESTIONS RELIGIEUSES DANS LA FAMILLE PASCAL

Par M. le Dr Charles Binet-Sangle (1)

(suite]

CHAPITRE III.

LES SUGGESTIONS DE 1646.

En Janvier 1C46, Pascal le père, qui depuis six ans habitait Rouen comme commissaire député par le roi pour l'impôt, la levée des tailles, les subsistances, les étapes des troupes, etc., fit une chute sur la glace, et se brisa la cuisse ou se démit la hanche.

Deux frères, deux gentilshommes normands, dévots et exerçant gratuitement la médecine par charité, vinrent lui donner leurs soins. C'étaient La Bouieillerie et Des Champs des Landes, qui eut plus tard un fils et une fille à Port-Royal.

Lo médecin peut prendre une autorité considérable sur le malade. Cela tient au respect que ses connaissances inspirent, â l'amitié et à la confiance que lui attirent son dévouement, à, l'Intimité nécessaire qui s'établit entre le malade et lui. Dans toute société, le médecin a toujours un grand nombre de volontés sous la sienne. Aussi ne faut-il point s étonner outre mesure de l'influence qu'eurent alors sur Etienne Pascal et, par contre-coup, sur sa famille, La Bouteillerie et Des Champs des Landes. Ils restèrent trois mois dans la maison, car le mal ne fut pas exempt de complications. Etienne Pascal, alilé, ne pouvait avoir d'autre distraction que la lecture, ou la conversation avec ses enfants et ses médecins. Pour ces derniers : leurs discours édifiants et leur bonne vie que l'on connaissait, écrit Gilberte, donnèrent envie à mon père, à mon frère, à ma sœur devoir les livres qu'on jugeait qui leur avait servi à parvenir à cet état. Ce fut donc alors qu'ils commencèrent tous à prendre connaissance des ouvrages de M. Jansénius, de M. de Bainl-Cyran, de M. Arnauld et des autres écrits dont ils furent très édifiés a. » « Les ma-

(l) Voir la Revue de mars |838, p. 2GG.

(2) GILBERTE Pascal, Vie de Jacqueline Pascal : Bibliothèque nationale, Supplément français, n° 1485, et Bibliothèque de Troyes, n° 2203.

ladies et les revers livrent chaque mortel à ceux qui lui parlent de la divinité », a dit d'Holbach

Il est nécessaire de donner un aperçu du caractère et des ouvrages de ces trois hommes dont parle Gilberte. Corneille Jansen, dit Jansenius, et Du Vergier de Hauranne, plus tard abbé de St Cyran, avaient été tous les deux élèves do Juste Lipse à l'Université do Louvain. Jansen, atteint d'une maladie grave, était allé respirer l'air de France, et s'était fixé à Paris. Il s'y lia avec Du Vergier, qui lui fit avoir une place dans une famille noble, puis l'emmena à Bayonne.sa ville natale. Du Vergier fut nommé chanoine de la cathédrale, tandis que Jansen prenait la direction d'un collège récemment créé. Là, durant six ans, les deux théologiens étudièrent ensemble les Pères, les Conciles et la tradition. Ils crurent y trouver le fondement d'une nouvelle doctrine de la grâce. Jansen. de retour dans les Pays-lias, fut nommé professeur à l'Université de Louvain, puis évéque d'Ypres. Du Vergier regagna Paris.

Jansen s'était pénétré particulièrement des idées d'Augustin, qu'il mettait au-dessus de tous les génies, et, pendant vingt ans, il s'efforça d'interpréter sa doctrine. Ses deux livres les plus célèbres sont le Discours de la Réformation de Vhomme intérieur, qui fut traduit en français par Arnauld d'Andilly, et V Augustinus,dontvoici la thèse:«Depuis le péché originel, le libre arbitre n'existe plus pour l'homme, qui est par lui-même impuissant à produire autre chose que le mal. Il est sous la dépendance absolue de la grâce divine qui suscite seule les bonnes œuvres, et qui est invincible. Cette grâce n'est pas accordée à tous. Dieu désigne à l'avance ses élus, et la rédemption ne vise que ces élus seuls.» Jansen mourut en 1638. V Augustinus parut en 1640, fut condamné par une bulle d'Urbain VIII, et eût fait peu de bruit sans la propagande de Du Vergier.

La Roche-Pozay, évéque de Poitiers, s'était pris d'affection pour cet homme taciturne, orgueilleux, turbulent, farouche, inflexible, intolérant, sectaire, de manières bizarres et d'une étonnante austérité. Il l'avait emmené dans son diocèse, lui avait donné un canonicat et résigné, en 1020, l'abbaye de St-Cyran, dont il était titulaire. Du Vergier y rétablit dans toute sa rigueur la règle de Benoit, et critiqua même si acerbement le clergé poitevin qu'on dût le renvoyer à Paris. Là, son affectation de simplicité et la rigidité de ses mœurs lui attirèrent quelques fidèles. Arnauld d'Andilly, dont il avait fait depuis quelque temps la connaissance, le mit en relations avec la nombreuse et puissante famille des Arnauld, qui tenait l'abbaye de Port-Royal, réformée par un de ses membres. C'est ainsi que Du Vergier connut Zamet, évéque de Langres et directeur spirituel des religieuses de Port-Royal. Ce Zamet conçut une telle admiration pour lui qu'il lui céda cette dernière fonction. Du Vergier et l'abbesse Angélique Arnauld s'entendirent à merveille. Ils réformèrent à nouveau la maison de Paris et la maison des Champs,

1. Histoire naturelle de la superstition.

près Chcvreuse, éloignèrent de gré ou de force les religieuses qui tenaient pour l'ancienne direction, et évincèrent Zamct lui-même. Soutenue par la famille Arnauld, la réputation de Du Vergier grandit rapidement. C'était un convaincu, un volontaire, un obstiné, un grand suggcstionneur, un grand propagandiste. « Le royaume du ciel est aux violents, disait-il. » Il comptait, parmi ses pénitents et ses disciples, des magistrats, des ministres d'Etat, des évéques. Il était patronné parle cardinal de Bérulle et par Vincent de Paul, auquel il déclarait un jour que Dieu lui avait donné de u grandes lumières, n II le fut mémo un temps par Richelieu, qui disait de lui plus tard au père Joseph : « Il est basque, et il a les entrailles chaudes et ardentes par tempérament. Cette ardeur excessive lui envoie à la tête des vapeurs dont se forment ses imaginations mélancoliques, et qu'il prend pour des réflexions spéculatives ou des inspirations du Saint-Esprit, n II mourut d'une attaque d'apoplexie, le 11 octobre 1643. Son cadavre fit des miracles, comme il fallait s'y attendre, et on se le partagea. Le cœur alla à Port-Royal dos Champs, les entrailles à Port-Royal de Paris, et les mains échurent à Angélique Arnauld. Six évoques assistèrent à ses funéraiiles.

Il avait composé, en un style lourd, diffus, ennuyeux, trente-deux volumes d'oeuvres qui eurent la même fortune que sa personne et purent influencer des Racine, des Boilcnu et dos Pascal. C'était la Théologie familière, où il défendait la théorie de Jansen sur la grâce. C'était le Petrns Aurélius, approuvé et réimprimé par les assemblées du clergé de France, où il déclarait que Dieu ne veut pas sauver tous les hommes, que les bonnes œuvres de ceux qui sont hors l'Eglise sont semblables aux bienfaits des démons, qu'un prêtre et un évèque perdent K-ur litre par le seul fait d'un péché mortel contre la chasteté, que l'Eglise est une aristocratie sous la conduite des évéques. C'étaient les Lettres chrétiennes et spirituelles, où, en exaltant la fonction du prêtre, il montre l'importance de la prédication. « C'est par elle, dit-il, qu'on engendre et qu'on ressucite les âmes à Dieu. » C'était Y Apologie pour Henri-Louis Châteignier de la Iïoche-Pozay,où il est dit que les religieux peuvent se servir des armes pour le triomphe de la foi. Conformémei.l à cotto morale, un disciple de Du Vergier, Nicole le Tardif, tua son neveu pour venger une injure faite à la divinité. C'était {'Explication dès cérémonies de la messe, où l'on voit qu'il faut exclure de l'eucharistie ceux qui ne sont pas entièrement parfaits et irréprochables. Du Vergier fut le créateur des directeurs de conscience.

En 1646, au moment où ses ouvrages tombèrent entre les mains des Pascal, Antoine Arnauld avait trente-quatre ans. Il était d'origine auvergnate. Son père. Arnauld l'avocat, subvenait de ses deniers aux besoins de Port-Royal. Sa mère, femme très dévote, ayant été vivement émue par un sermon prononcé aune prise de voile, se fit religieuse, après la mort de son mari, et entra dans cette abbaye, où elle avait fait déjà des retraites. Elle eut six filles, dont l'abbesso Angélique Arnauld, six petites filles, trois fils et plusieurs petit-fils en religion.

Antoine Arnauld devait sa vocation à Ou Vergier, qui était l'ami de sa mère Tandis que Lescol lui enseignait on Sorbonne ta théologie scolastique. Du Veigier lui faisaii lire les opuscules d'Augustin sur la grâce, et le déterminait à se dépouiller de son bien en faveur de Port-Royal.

D'autre part, sa mère, étant sur le point de mourir, lui avait fait dire qu'elle t'exhortait à défendre toujours la religion. Il atteignit au grade de docteur on théologie, et en 1641, à cause de sa « rare piété » eldesa « capacité extraordinaire », la Sorbonne l'eût reçu comme associé, bien qu'il ne remplit pas les conditions exigées, sans le veto de Kichelieu. Mais, on !G43, après le succès considérable de la Fréquente communion, qui parut avec 1 approbation do seize évéques ou archevêques, elle put lui ouvrir ses portes. »

On lisait dans cet ouvrage, écrit avec une fermeté digne d'une meilleure cause, que la grâce est inséparable de l'exercice des devoirs religieux, et que l'on doit refuser ta communion à ceux a qui n'ont pas l'amour divin pur, et sans mélange. » L'auteur y regrettait le temps où l'on faisait pénitence publique des péchés môme secrets. Ce livre fut attaqué par les Jésuites. Arnauld leur répondit par la Théologie morale des Jésuites, ouvrage qui accrut encore sa renommée. En 1644, it écrivait la Tradition de l'Église sur la pénitence, d une Analyse du liore de saint Augustin : Delà correction et de la grâce, où il émettait sur cette question les mêmes idées que Jansen.

Il compo-ait encore deux Apologies de M. Jansènius, évolue d'Y pies et de la Doctrine de Saint Augustin, expliquée dans son livre Augusti-nus.

On voit que ces trois hommes, Jansen, Du Vergier de Ilauranne et Antoine Arnnuld procédaient en quelque sorte l'un de l'autre et qu'ils s'étaient communiqués leurs croyances. Comme des germes morbides reprenant une vitalité nouvelle sur des organismes à terrain favorable, ces idées religieuses deviendront plus actives en passant par eux, et feront un nombre incalculable de victimes.

Non contents de leur action personnelle et de ta suggestion par le livre, La Douteillerie et Des Champs des Landes mirent les Pascal on relations avec un ardent propagandiste, Jean Guillebcrt. docteur en théologie de la faculté de Paris, élève de D.u Vergier, ami d'Antoine Arnauld, défenseur de la doctrine janséniste sur la grâce, et curé de Rouville, près Rouen. Il avait alors quarante et un ans. 11 s'était fait un certain renom en donnant des leçons de théologie, et le Nécrologe de Port-Royal parle de « ses talens pour la conduite des âmes. » Humble, doux, onctueux, zélé, il af irait les fidèles, el fit dans le Kouennais un si gr.»nd nombre de prosélytes qu'ils formèrent une secic spéciale. Ce furent les lîou vil listes, du nom de la paroisse do Guillebcrt. Au reste. l'opinion publique fut sévère pour eux et pour leur chef. « On traita de rigorisme extravagant, dit le Supplément au Nécrotoge, son exactitude dans le

gouvernement des âmes; on qualifia de foux, ceux qui vivoient sous sa direction, a Des Champs et La Bouteillerie étaient des convertis de Guillebcrt. ¦ S'insinuer dans leur amitié fut sa première attention; et, s'étant acquis quelque crédit sur leur cœur par cette onction de la charité qui régnait dans tous ses discours', » s aidant aussi du livre de la Fréquente communion qu'il leur mit entre les mains, il les amena au rigorisme religieux, aux austérités, d'un mot, à c la voie étroite », nom qu'on donnait alors à la dévotion où domine la crainte.

L'action combinée de Des Champs, de La Bouteillerie, de Guillebcrt, des ouvrages de Jansen, de Du Vergier et d'Antoine Arnauld fui fatale à la famille Pascal. Tous les caractères changèrent d'orientation.-Ce fut une conversion générale. Uilberte, mariée depuis I6il avec Florin Périer, commissionné pour les finances en Normandie, était alors à Rouen avec son mari, o Ils firent leur renouvellement *o entre les mains du curé de Rouville. Gilbcrle renonça aux fréquentations mondaines et à la parure pour elle-même et pour ses enfants, sur lesquels elle commença à pratiquer des susgestions religieuses. Quant à Florin Périer, il se livra ¦ aux mortifications de la chair », mettant une planche dans son lit. el portant une ceimure de fer garnie de pointes. Ce fut chez lui, en sa maison de Bienassis, que se réunirent plus lard les jansénistes de Clermont, entre aulres Montorcier, Ouerrieret Domat. — Mais les plus touchés furent les moins normaux, les plus émotifs et les plus sensibles. Biaise et Jacqueline, l'un vraimenl malade, l'autre maladive, tous les deux dans un état mental particulièrement favorable à la réceptivité des idées religieuses. Guillcberi s'attacha surtout à Biaise, déjà célèbre, et dont la conversion devait fatalement en amener d'autres. « Il forma avec un soin tout particulier le jeune Biaise Pascal 3. »

« II y a, dit Ribot*. des maladies graves qui, en changeant la constitution, transforment le caractère. » La neurasthénie est une de ces maladies-là. Biaise était atteint d'une neurasthénie grave. Souffrant, triste, tourmenté, très impressionnable, il présentait une diminution de la force volontaire et cette prédisposition particulière à la peur, celte crainte chronique des neurasthéniques qui les pousse si aisément dans la voie étroite.

L'excessive dévotion est en effet fréquente chez ces malades, qui tournent fréquemment à la folie mystique. Bcrnlu'im, il est vrai, a vu qu'ils sont malaisément hynontisables. Mais on peut être suggestible sans l'être au point de pouvoir être endormi. D'ailleurs, M. Valentin4 a guéri un certain nombre de neurasthéniques avec ou sans hypnose.

Quant à Jacqueline, elle ne dépassa jamais le nervosisme, cette souche commune de la neurasthénie et de l'hystérie. Mais elle penchait vers la

1. Nécrolope de Port-Royal.

2. Supplément au Nécrologe de Port-Royal.

3. Wécrologe des défenseurs de la vérité.

4. Loc. cit.

5. Semaine médicale, 20 juillet 1896.

neurasthénie, si l'on en juge par le sonnet de 16Í0, que nous avons cité.

« Sur la lin de l'année 1616, écrit Gilberle *, M. de Bel ley faisant ses ordres a Rouen, ma sœur, qui n'avait pas encore été confirmée, voulut recevoir ce sacrement Elle s'y prépara selon ce qu'elle en apprenoit dans les petits traités de M. de Saint-Cyran. L'on peut croire qu'elle y y reçu le Saint-Esprit, car depuis celte heure-là elle fut toute changée. »

L'évolution de Biaise Pascal n'avait pas été moins soudaine. « Il renonça à toutes les autres connoissances pour s'appliquer uniquement à l'unique chose que Jésus-Christ appelle nécessaire. » Et d'emblée, ce passionné devint un sectaire, comme on en pourra juger par l'affaire désormais célèbre du frère Saint-Ange.

PSYCHOLOGIE RÉTROSPECTIVE

L'emploi de la psychothérapie dans le traitement des maladies de l'esprit n'est pas a..ssi nouveau qu'il paraît l'être. Un de nos amis. M" Eugène Delattre, qui fut l'un des avocats les plus éminents du barreau de Paris, nous indique le passage suivant des Mémoires secrets de Bachaumont, dans lequel se trouve une observation fort bien décrite de névrose provoquée d'abord par action morale, puis guérie par le môme procédé :

« Un particulier se promenait aux Tuileries, il y a quelque temps, un inconnu l'aborde, le salue et lui dit qu'il a d -s choses importantes à lui communiquer dans un tete-â-téte. Le premier s'écarte de sa compagnie et reste seul avec l'étranger. Celui-ci lui déclare qu'il se connaît à l'avenir; qu'il lui voit sur la physionomie les choses les plus heureuses à lui apprendre, et qu'il ne doute pas qu'il ne lui sache gré de son intention. L'autre, f.iible et crédule, sans doute, se livre à la charlatanerie de cet imposteur, qui, après les simagrées ordinaires, après avoir visité ses mains, observé tous les traits du visage du patient, lui étale et lui pronostique une longue suite de prospérités. La dupe enchantée remercie fort le devin, lui donne un écu de six livres, et s'en va fort contente. Le bohémien, piqué d'avoir fait tant de frais pour une si légère récompense, rappelle cet homme, lui ajoute qu'il y a quelque chose qu'il ne lui a pas dit, parce que ce n'est pas un événement aussi heureux que les autres ; «jue toute réflexion faile, il est pourtant essentiel qu'il en soit prévenu pour y remédier s'il est possible. II lui confirme alors toute la bonne fortune dont il Ta flatié ; mais il lui annonce qu'il aura à trois époques différentes, très prochaines, trois accès de convulsions, dont le dernier sera si teirible qu'on ne sait pas s'il en réchappera ; que s'il est

1. Vie de Jacqueline Pascal.

(ij Mémoires secrets de Bachaumont, p. 287. Paris, A. Dclahays, 4-G, rue Voltaire (J1S69.

assez heureux pour en revenir, il entrera dans un cours de félicités qui durera le reste de ses jours. Le prétendu sorcier quitte à ces mots le pauvre diable, et pari comme un trait. Ce malheureux, frappé, retourne à ses amis, auxquels il raconte son aventure : ils veulent en vain le rassurer. II revient chez lui dans une consternation dont il ne peut so remettre, et, après avoir eu successivement les deux accès de convulsions pronostiqués, il entre dans le troisième, si terrible que tous les médecins n'y peuvent rien. On a recours à M. Petit, philosophe encore plus que médecin et qui joint à de grandes connaissances d'anatomie les talents d'un mime consommé.

D'après l'exposition de l'état du malade, il se dispose à jouer une farce, dont il attend plus de succès que de ses remèdes. Il se revêt de tout l'appareil d'un bohémien, accoutrement singulier, longue barbe, extérieur malpropre, baguette à la main, rien n'est omis ; et s'étant bien mis au fait de toutes tes circonstances de l'aventure, il se rend chez le convulsionnaire, auquel il en impose d'abord par sa hardiesse et l'étalage de son érudition, Il écoule le récit du malade : il convient de l'habileté du devin qui lui a prédit sa maladie ; mais ce n'est encore qu'un élève dans l'art de la nécromancie, el il n'a pu voir tout ce qu'un grand maître peut découvrir. Il fait alors montrer au malade sa main : il lu, répète tous les heureux pronostics du premier sorcier; il en ajoute d'autres ; enfin il en vient aux signes diagnostics des convulsions, et. après bien des recherches, il trouve qu'elles ne seront pas mortelles. Il dit cela avec tant d'emphase et de confiance, qu'il frappe l'imagination du malade. 11 lui prescrit quelques remèdes simples, auxquels il joint des formules précises et bizarres qui annoncent toute la profondeur de son art. Bref, après avoir fait quelques visites à cet hypocondre, il ranime son espoir au point de faire cesser les accidents funestes qui étaient survenus. Il lui administre quelque dose de gaieté de temps à aulrc.et te guérit radicalement, au point que l'homme est comme à son ordinaire.

Les docteurs moroses ont voulu critiquer la conduite de M. Petit : ils ont prétendu qu'il avait avili sa profession par un rôle indécent et malhonnête; comme si leur première science n'était pa^ de gérir! comme si le plus habile médecin n'était pas celui qui emploie le moins de remèdes. Celle cure fait infiniment d'honneur au moderne > nancien

auprès des philosophes et des amis de l'humanité.

REVUE CRITIQUE.

Par M. le Dr Paul Fabez.

L'année psychologique, — par A. Binet, avec la collaboration de MM H. Beaunts et Th. Ribot, 3* année, Schleicher, 1897. — La première partie de ce gros volume de 825 pages comporte douze mémoires originaux signés de MM. Kibot, Binet, Courtier, Vicior Henry et Vas-

chide. La plupart de ces travaux reposent sur de minutieuses recherches de laboratoire faites avec des instruments de précision. C'est ainsi que, à l'aide du pléthysmographe, on a mesuré aux diverses heures de la journée les effets du travail musculaire, du iravail intellectuel et de la vie émotionnelle sur ic:s modifications du pouls capillaire et de la pression sanguine. Signalons aussi des recherches expérimentales sur la localisation des souvenirs el des sensations tactiles, — le résultat d'une enquête faite par questionnairesur les premiers souvenirs de l'enfance, — l'étude des facteurs généraux qui interviennent pendant un travail continu soit physique, soit intellectuel, à savoir: l'exercice, la fatigue, l'entrain el Tentrainement Enfin, M. Binet, outre des réflexions sur le paradoxe de Diderot, expose les résultats dune bien curieuse enquête entreprise par lui auprès d'un grand nombre d'élèves d'école primaire el de personnes adultes, au sujet de la description d'un Objet; il conclut à la différenciation de cinq types principaux : descripteur, observateur, érudit, émotionnel el idéaliste. La seconde partie de ce volume comprend l'analyse de nombreux ouvrages récemment publiés par divers psychologues français ou étrangers; la troisième partie csl une table bibliographique de tous les travaux qui ont paru dans les diverses Revues d'Europe et d'Amérique.

Un tel ouvrage représente une somme de travail considérable; il montre combien est grande la vitalité du Laboratoire de Psychologie physiologique de la Sorbonne; il fait le plus irrand honneur à M. Binet ainsi qu'à ses collaborateurs (el, à ceux précédemment cités, il convient d'ajouter les noms de MM. Bourdon, Parr.md, Flournoy, Philippe et Warrenï ; enfin, par l'abondance des renseignements de toute sorte qu'il contient, par les nombreux services qu'il est appelé à rendre, ce livre à sa place marquée dans la bibliothèque de tous ceux qui, à un titre quelconque, s'oeccupent de psychologie.

La perception visuelle de la profondeur, — par B. Bourdon, Revue philosophique, xun, p. (2'j-56). — Dans ce très intéressant article, M. Bourdon expose les nombreuses ot ingénieuses expériences qu'il a faites sur la perception visuelle de la profondeur. Ceux d'entre nos lecteurs qui s'intéressent aux recherches de psycho-physiologie nous sauront gré. je pense, de leur résumer ici les conclusions auxquelles est arrivé le savant professeur do l'Université de Rennes.

D'après M. Bourdon, la oision monoculaire ne donne pas, entre deux points inégalement éloignés, la sensation d'ouïe différence de profondeur; c'est là un fait certain, d'où l'on j)cut tirer celle conclusion probable que la sensation de profondeur, en général, n'est pas donnée par la vision monoculaire: au delà d'un mètre, une différence de profondeur, si grande sojt-ellc, ne peut plus être reconnue si l'on regarde avec un seul œil et si l'on lait abstraction des moyens auxiliaires de perception de la profondeur, tels que la perspective, la répartition de d'ombre et de -la lumière, etc.

La vision binoculaire produit la sensation de profondeur sous l'action de la convergence et par suite de la fusion d'images rétiniennes de forme différente. Mais une perception délicate do la piofondeur n'est possible que pour la vision birétinùnnc.

L'espace normal est, au sens le plus strict du mot, un phénomène visuel. Les mouvements des yeux, de la tête, du corps no nous aident vraisemblablement à percevoir l'espace que de la même manière qu'ils nous aident à percevoir les couleurs, c'est-à-dire qu'ils ne produisent pas plus la sensation d'espace que celle de couleur.

tën outre, noire perception de la profondeur ayant une limite, l'espace visuel doit nous apparaître par cela même comme limité; c'est pour celle raison que nous voyons les étoiles comme si elles étaient situées sur une même surface spherique dont tous les points seraient également distants de nous.

The new psychology, — par E. W.Scbipture ; Londres, Walter Scott, 1897. — Ce livre est surtout une œuvre de vulgarisation ; il sera principalement utile à ceux qui ne sont guère au courant des méthodes et des travaux récents de psychologie expérimentale. Il contient, en effet, de précieux renseignements sur l'observation, la statistique, la mesure et l'expérimentation, puis un cerlain nombre d'éludés parmi lesquelles il convient d'en signaler spécialement deux: l'une sur les modifications de l'énergie en fonction de l'acte volontaire, du mouvement actif, du mouvement passif, de la fatigue, de la résistance, de la pesanteur, de la pression, de la douleur, du son et de la couleur, — l'autre sur les divers types d'espace (corporel, tactile, monoculaire, binoculaire). On y lira aussi avec intérêt le résumé de divers travaux entrepris par des savants comme Cattell, Sanford, Bolton, Mosso, Lombard. Goldscheider, Witmer, Cohn, Stern, König, Dieterici, Mach, Krohn, Heymans et par M. Scripture dans son laboratoire de Yale. Enfin la situation actuelle de la psychologie expérimentale en France y est résumée par M. Binet lui-même, et cette partie du livre de M. Scriplure n'est certes pas la moins intéressante.

Et maintenant, quelle est cette « nouvelle psychologie » telle que la conçoit M. Scripture ? C'est, d'après lui, celle qui, fondée non pas seulement sur l'observation, mais aussi sur l'expérimentation, permet la mesure. Or, ne l'oublions pas, ce que l'on mesure, c'est toujours un phénomène physiologique; ce que l'on s'efforce d'atteindre, c'est une relation constante entre ce dernier phénomène et un phénomène psychologique antécédent, concomitant ou conséquent; voilà quel est l'objet de la psycho-physiologie. Mais, pour établir une relation entre deux termes, il faut, au préalable, connaître séparément chacun de ces deux termes ; ainsi la psycho-physiologie suppose à la fois la physiologie el la psychui¦ i_: ¦ ; elle a un objet propre, tout ii fait légitime, onuis distinct de celui de la psychologie ; elle est une science de rapports, incapable par conséquent de supprimer et de remplacer la psychologie

proprement dite qui, elle, est une science de réalités. Ainsi la psychologie, pour ne pas sortir de son domaine, ignore et exclut de parti pris tout ce qui est physiologique ; elle étudie seulement les faits de conscience; elle comporte toutefois une expérimentation laquelle pourra et devra être non seulement indirecte, mais surtout directe ; en effet, les états de dissociation et de veille partielles systématisées permettent d'exalter considérablement l'introspection et, en outre, de décomposer un complexus psychique en ses unités constituantes, de même que l'on résout en ses atomes élémentaires un corps chimique quelconque. La v nouvelle psychologie » ou, pour mieux dire, la psychologie (sans épithète) sera donc celle qui, affranchie, bien enlendu.de toute attache métaphysique, portera seulement sur les phénomènes psychiques, mais qui, en outre et grâce à une expérimentation féconde, substituera à l'analyse causale des deux éléments du couple psycho-physiologique, l'analyse élémentaire des états de conscience (*).

L'insomnie par idée fixe subsconsciente, — par le Dr Pierre Janet. La Presse Médicale, 1897, n° 61, p. 41.— Une femme de trente-sept ans, fille d'une mère hystérique, a perdu il y environ trois ans son enfant -unique; elle en a éprouve un très grand chagrin. Quatre mois après elle est atteinte de fièvre typhoïde grave, puis, à peine est-elle entrée en convalescence que le regret de la mort de son enfant devient pour elle une idée fixe, la |uelle s'accompagne de gémissements continuels et de véritables hallucinations visuelles. Au bout d'un mois ou deux, cette obsession semble s'évanouir, mais la malade se plaint constamment d'avoir sommeil: en effet, cellç-ci pendant toute la nuit reste étendue sur son lit les yeux ouverts, sans parvenir à s'endormir. Cette insomnie persistante dure depuis deux ans et demi ; elle a résisté à tous les médicaments soporifiques.

M. Pierre Janet, malgré certaines difficultés, parvient â hypnotiser cette malade ; mais, une fois qu'elle est ainsi artificiellement endormie, elle ne tarde pas â s'agiter convulsivement, à ouvrir les yeux avec une expression de terreur et à se réveiller. Qu'est-ce à dire ? L'hypnotisme n'a-t-il pas, une fois encore, mérité ce prétendu reproche de provoquer des crises ?... Interrogée une autre fois pendant le sommeil hypnotique, elle raconte ceci : dès qu'elle s'est endormie, un rêve, toujours le même, qu'elle ne se rappelle plus à l'état de veille, s'empare do son esprit ; elle assiste à la mort, à l'enterrement de son enfant, etc. ; ce spectacle ne tarde pas à la bouleverser, à l'épouvanter, et aussitôt elle se réveille. . Toutes les fois qu'au début de sa maladie celte femme s'était efforcée de s'endormir naturellement, elle avait été ainsi réveillée en sursaut au

(1)Tellos soat, dumoins, les idées que je me suis efforcé de mettre en lumière e de défendre dans une conférence que J'ai faite le mois dernier a l'Institut psycho-physiologique; peut-être trailerai-jo avec plus de détails ce sujet en lui-même dans un prochain numéro do la Revue.

bout de quelques instants ; c'est même pour éviter ce réveil terrifiant qu'elle avait fini par ne plus même essayer de s'endormir. Ainsi l'obsession, nettement conscicnlc pendant la convalescence de la fièvre typhoïde, avait semblé disparaître, inalselle était devenuesubconsciente et ne se développait complètement que pendant les instants de sommeil : sous cette nouvelle forme, l'idée fixe avait déterminé un symptôme en apparence tout à fait nouveau, l'insomnie.

Une fois le diagnostic étiologique posé, le traitement va devenir efficace, surtout s'il est dirigé par un maître hypnotiseur comme l'est M. Pierre Janet. Grâce aux divers procédésdela thérapeutique suggestive, l'idée fixo est dissociée, le rêve terrifiant est atténué; puis supprimé; bientôt la malade peut dormir la nuit sans être exposée à un réveil brusque et terrifiant. En même temps, tous les autres symptômes morbides disparaissent. Sans doute l'idée fixe aura des tendances à renaître; aussi, ne faudra-l-il pas abandonner trop tôt de telles malades et conviendra-t-il de les soumettre longtemps encore aux pratiques de la psychothérapie.

Dans ce même article, M. Pierre Janet rapporte neuf autres observations qui comportent aussi divers troubles consécutifs à une idée fixe survenue pendant le sommeil; là encore, l'hypnotisme fit merveille. Enfin les conclusions suivantes terminent cette importante étude; je tiens à les citer textuellement: 1° l'insomnie persistante peut-être un phénomène hystérique; 2' elle détermine un affaiblissement énorme des phénomènes de synthèse mentale, qui se manifeste surtout sous forme d'aboulie et d'amnésie continue; 3" cette insomnie se rattache dans certains cas à des phénomènes de somnambulisme plus ou moins complet : 4* elle peut dépendre, comme les somnambulismes eux-mêmes, de la persistance de certaines idées fixes subconscientes, plus ou moins méconnues ; 5" enfin, elle est guérie facilement par !e traitement des idées fixes elles-mêmes (c'est-à-dire par un traitement psychologique.

Recherches expérimentales sur l'excitation et la dépression, par le D' G. Dumas, Revue philosoph. XLIil, 623-635. —La liaison causale

des émotions et de la circulation sanguine périphérique, par F. Pan",

de Bergen fNorwègej, Revue philosoph. XLIil, 51)4-507. — Remarques

sur les rapports ue la représentation et du sentiment, par Marcel

Diouin, Revue de métaph. et de mor., janvier 1898, 103-112. — Le Dr G. Dumas a fait dans le laboratoire de psychologie de Sainte-Anne, sur des malades du service de M. le P' Joffroy, de très intéressantes recherches qui ont donnné 'les résultats suivants : Chez les malades circulaires, le début d'une période d'excitation se manifeste par de Vhypoglobulie, — le début d'une périodo de dépression par de \"nyi>er-globulie. Qu'est-ce à dire? Dans le premier cas, il y a vaso-dilatation périphérique : des divers tissus il se fait vers le système artériel un appel d'eau; et ainsi, tandis que la partie liquide du sang s'accroit, la

proportion des globules sanguins diminue. Dans le second cas, il y a vaso-constriction périphérique, par conséquent gêne de la circulation et engorgement des vaisseaux; la partie liquidodiminue et la proportion des globules augmente.

Ainsi que M. Dumas l'a très ingénieusement mis en lumière, cette numération des globules constitue une véritable méthode psycho-physique dont l'importance est à la fois pratique et théorique.

Au poinl de vue pratique, elle permet de prédire l'imminence d'un certain état émotif ou la fin prochaine d'un autre, comme aussi d'être renseigné sur l'intensité d'une émotion. L'observateur peut donc être prévenu avant le malade que la période de dépression va remplacer la période d'excitation ou inversement. Par exemple {p. 630), « Marie croit en avoir encore pour longicmps de sa dépression ou de son excitation, lorsque le microscope nous annonce déjà un changement prochain. Quand on la prévient, en lui disant suivant les cas : demain vous serez gaie ou demain vous serez triste, elle proteste toujours; aucune modification mentale no s'est encore produiteque l'organisme est déjà changé; son système nerveux vaso-moicur est ému avant elle. »

Ces recherches expérimentales semblent birn apporter en outre une précieuse confirmation à la doctrine des émotions telle que l'ont formulée M. Lang, M. Ribot et M. Dumas lui-même. D'après eux, les états organiques précédent les états mentaux, le phénomène de l'émotion est donné objoctivoment avant de l'être subjectivement; la variation vaso-motrice y est primitive et antérieure à la variation psychique; donc l'état émotionnel est l'expression directo et immédiate de la vie végétative, il est soumis à un déterminisme physiologique très précis, il est la conscience d'un étal vasculaire déterminé.

Qu'il paraisso bien en être ainsi chez les individus sur lesquels a expérimenté M. Dumas, nous ne ferons aucune difficulté de le reconnaître. Mais, ce qui est vrai de malades dont l'organisme est alTecté palhologiquemcnt, à ce qu'il semble, le sera-t-il nécessairement, toujours et chez tous? Autrement dit, l'émotion suppose-t-elle comme condition inéluctable une variation vaso-motrice antérieure à toute variation de l'état mental ? MM. P. Parr et Marcel Drouin répondent résolument par la négative.

Sans doute, les troubles de la circulation peuvent précéder et causer les désordres do la pensée; sans doute encore, en modifiant l'état organique, on modifie par contre-coup l'état émotionnel, mais l'inverse est vrai aussi. Les cas sont nombreux où les émotions de joie et de tristesse sont produites autrement que ne l'explique lliypothese circulatoire et ont pour point de départ un élémenl intellectuel (image ou association). Et nous en avons chaque jour la preuve dans la pratique psychothérapique. Par exemple, grâce à la suggestion hypnotique, nous pouvons facilement agir sur les vaso-motours; pour cela, nous suscitons d'abord la représentation exclusive de l'étal émotionnel... elles modifications circulatoires que oe dernier comporte ne tardent pas à se manifester:

mais elles ne sont que consécutives, sinon chronologiquement au moins logiquement; elles dépendent d'un phénomène intellectuel initial; dune il n'est pas vrai que l'émoiion soil toujours irréductible à l'intelligence. Accordons qu'il y a concomitance constante de certaines émotions eL de certains états circulatoires; convenons même que l'émotion, pleinement constituée, est un complexus duquel participent toujours les vaso-moteurs, mais des deux éléments (circulatoire et représentatif), tantôt l'un entre on scène le premier et tantôt l'autre. C'est que des faits apparemment identiques peuvent avoir des causes très différentes; ainsi l'émotion serait dans ce sens « polyétique » ou tout au moins a duoétique ». La théorie vasculaire et la théorie intellectualiste semblent donc être vraies l'une et l'autre lorsqu'elles donnent l'explication rigoureuse de telle émotion particulière; mais elles sont fausses quand l'une et l'autre séparément prétendent exprimer toute la vérité et s'imposer comme exclusives. D'ailleurs, Leibnitz n'a-t-il pas dit : a Toul système est vrai par ce qu il affirme et faux par ce qu'il nie ».

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des sociétés savantes, 28, rue Serpente, snus la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances de la Société auront lieu les lundis 18 Juin et 11 Juillet 1898, à 4 heures et demie.

Les séances sont publiques. Les médecins et les étudiants sont invités à y assister.

Adresser les communications à M. le Dr ïîérillon, secrétaire général, i-i, rue Tailbont, ci les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, !, place Jiissieu.

Séance annuelle de la Société d'hypnologie

La séance annuelle de la Société d'hypnologie aura lieu le lundi H Juin, sous la présidence do M. Dumontpallicr, à 4 heures précises, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente.

Comme les années précédentes, la séance annuelle sera suivie d"un banquet.

L'élection du professeur Charles Rlchet à l'Académie

de médecine.

L'élection du professeur Charles Kiehet à l'Académie de Médecine a été accueillie dans le monde scientifique et philosophique avec une

vive satisfaction. M. Charles Richet, par la droitesse de son caractère, par son amour du progrès scientifique, s'est concilie la sympathie et l'admiration de tous les hommes de bonne foi.

Nous sommes heureux de reproduire les termes dans lesquels notre confrère le D' Maurice de Fleury, rédacteur scientifique du Figaro, a acueilli le nouveau succès de M. Richet :

a Fils du professeur Didier-Dominiquc-Alfred Richet. membre de l'Institut, beau-frère de M. Buloz, le nouvel académicien est presque un jeune encore.

Grand, avec une forte tête osseuse au vaste front, la ligure barrée d'une longue et rude moustache, avec des yeux de rêveur, de philosophe un peu distrait, on le trouve ordinairement entrain de fumer familièrement sa pipe en devisant avec le docteur Héricourt, son excellent chef de laboratoire, son collaborateur constant.

Son œuvre, déjà considérable, sort, tout à fait de la banalité. Elle est médicale, physiologique, philosophique et littéraire.

Nous possédons de lui un beau volume de Leçons sur la physiologie des muscles et des nerfs, un Essai de psychologie générale, un bel ouvrage sur rHomme et l'Intelligence.

Non content d'avoir fondé et de diriger la Revue Rose, M Charles Richet a pris la rédaction en chef d'un Dictionnaire de physiologie qui sera un monument. Dès Ï888. en collaboration avec M. Héricourt, c'est lui qui a imaginé la méthode de vaccination par le sérum d'un animal immunisé, méthode féconds d'où venait découler, plus ou moins directement, la décou* ¦ verte du vaccin du croup. Nous lui devons enfin un volume de jolies fables enfantines, un curieux essai sur la société future en l'an 2000, et un roman, la Douleur des autres, fort dramatique et tout fourmillant de nobles idées sociologiques.

M. Charles Richet a l'esprit généreux, l'imagination ardente et le cœur excellent.

D'aucuns lui reprochent de s'être un peu témérairement aventuré sur le périlleux terrain de la télépathie, de la transmission à distance delà pensée. -

Peut-être, en effet, lui cst-il arrivé de trop joindre ic rêve à la science, l'imagination à l'observation pure. Pourtant, qui sait si, quelque jour, ce n'est pas lui qui aura raison des sages et des prudents qui ont critiqué son audace ?

Moi je ne puis me défendre vis-a-vis de lui d'une sympathie particulière, . premièrement parce qu'il a su s'affranchir des bornes eoutuinières, parce qu'il a médité sur ce qu'il voyait, parce qu'il a eu des idées générales, et parce qu'il s'est autorisé à devenir un romancier, un fabuliste, un philosophe et un poète, sans cesser d'être un de nos plus distingués savants. »

Nous ajouterons à ces paroles l'expression de nos vives félicitations au maître pour lequel nous professons la plus vive afleelion. En hypnotisme, M. le professeur Charles Richet est un véritable initiateur, et nous n'hésitons pas a déclarer que nous le considérons comme un de nos guides les plus sûrs dan.-ï nos éludes sur l'hypnotisme et la psychologie physiologique.

Trentième anniversaire de la fondation de la clinique des maladies mentales à Saint-Pétersbourg.

A cet e occasion, deux musées de neurologie et de psychiatrie seront ouverts et contiendront:

1° Les plans et photographies des asiles et cliniques neurologiques ou psychiatriques; les photographies des médecins spécialistes.

2° Les costumes, moyens de contention, etc., en usage chez les aliénés ; leurs œuvres (écrits, travaux manuels) ; les photographies des malades ; des crânes, des cerveaux et autres préparations anatomiques.

3° Les appareils usités dans les cliniques spéciales.

4° Les documents concernant l'histoire de l'assistance des aliénés el l'histoire sociale parallèle.

Une jeune fille insensible-

La presse médicale américaine s'occupe beaucoup en ce moment d'un cas absolument extraordinaire et qui déroute les connaissances de tous les physiologistes et de tous les savants du Nouveau-Monde, aussi bien que de l'Ancien. Il s'agit d une jeune fille, de sang mêlé, Evatima Tardo, chez laquelle le sens du loucher n'existe pas. Non seulement aucune partie extérieure do son corps ne semble éprouver la sensation physique d'un contact quelconque; mais, ce qui est plus étonnant encore, c'est que la sensibilité fonctionnelle organique n'existe pas davantage. Aussi, dans les différents amphithéâtres ou elle a été présentée à l'examen des médecins, on a pu la brûler au fer rouge, la piquer avec une aiguille et même— chose inouïe — lui tirer â bout portant un coup de feu qui lui a traversé le bras de part en part, sans qu'elle en ressente autre chose qu'un léger choc. — Evalima Tardo joint â cette particularité celle d'être â l'épreuve des microbes et de tous les poisons, quels qu'ils soient. L'arsenic, le cyanure de potassium sont sans action sur son organisme, et plusieurs fois elle s'est liissê inoculer les bacilles du typhus, du choléra cl de la tuberculose. L'effet produit était absolument nul. Une autorité médicale américaine, M. le Or Playfair; qui s'est toujours occupé spécialement des troubles des centres nerveux, prétend que lu jeune fille en question est à l'abri de toute espèce de maladie et pourra vivre jusqu'à un âgo très avancé, la seule cause, d'ailleurs accidentelle, de mort qu'elle ait à craindre étant une blessure grave au crâne ou à la colonne vertébrale. D'après ce spécialiste; l'abolition de la sensibilité, qui se produit parfois et temporairement dans les cas do névrose, ne se renconlie jamais à l'état permanent chez un individu en pleine santé comme Evatima Tardo, et provientalors d'une sorted'atro-phie des nerfs sensitifs, les nerfs moteurs restant indemnes.

Cette femme-phénomène, également insensible au froid, à la chaleur,

à la souffrance, ainsi qu'à toutes les impressions physiques agréables ou pénibles, e*-t née à l'île de la Trinité, la plus inporlanle des petites Antilles, en 1870. Elle a donc aujourd'hui vingt-sept ans.

Les instituts scientifiques en Russie.

On a beaucoup écrit, â l'occasion du voyage présidentiel et du dernier congrès international de médecine, sur les Russes, sur leurs mœurs, leurs sentiments religieux, leur manifestation d'art, leur état psychique. Mais ce qu'on n'a peut-être pas suffisamment indiqué, c'est, qu'on nous passe l'expression. Yintellfctualitédu peuple russe envisagée dans les classes moyennes ou plus élevées de l'ordre social, abstraction faite des couches profondes qui sont encore plongées dans la plus noire ignorance.

Au cœur même de la Russie, à Moscou, la ville sainte, l'impression qui se dégageait du milieu ambiant, pendant >|uc se tenaient les assises du Congrès, était celle d'un enthousiasme passionné pour tout ce qui touche aux diverses branches de ta science et d'une vénération ardente pour tous ceux, à quelque nationalité qu'ils appartiennent, dont le nom marque un progrès dans l'évolution des connaissances humaines.

De cet amour de la science qui anime le peuple russe, nous ne voulons pour preuve que la magnificence des monuments universitaires qui s'échelonnent â travers la ville, presque aussi nombreux que les églises aux dômes resplendissants.

Le prodigieux essor qu'ont pris les universités russes dans le courant de ces dernières années n'est pas dû seulement â l'intervention éclairée de l'Elut, qni n'a rien ménagé pour assurer la prospérité de l'enseignement supérieur, mais encore et surtout à l'appui financier de donateurs généreux.

En France, il est exceptionnel que les établissements d'instruction ou de recherches scientifiques reçoivent des legs d'autres personnes que d'anciens universitaires; la plupart des dotations ont pour mobile un sentiment très louable de charité et s'adressent aux œuvres de bienfaisance et d'assistance publique, aux hôpitaux, aux académies.

En Russie comme en Amérique, l'attrait des grandes découvertes, le souci du progrès scientifique entrent plus souvent en jeu pour solliciter la générosité de nombreux Mécènes qui ne se préoccupent pas exclusivement, comme dans nos pays latins, de protéger les belles-lettres et les arts. Des instituts grandioses, dont la création émane do l'initiative privée, fondés et subventionnés par de riches bienfaiteurs, s'élèvent en quelques mois et donnent asile, dans des laboratoires admirablement aménagés, à une légion d'hommes qui n'ont qu'un but, celui d'aller plus avant dans le domaine des sciences pures et appliquées et de contribuer par leurs travaux a. la gloire de ta patrie et au bien de l'humanité.

Ces réflexions nous sont suggérées parce^ue nous avons vu au cours

de notre voyage et par la comparaison que nous avons faite entre les ressources de toutes sortes qu'offrent â l'enseignement des sciences biologiques les universités russes et celles plus modestes qu'on peut trouver dans les inslitulions similaires de noire pays.

Scoliose suggérée chez un hystérique

Nous avons publié déjà un certain nombre de cas de névroses et de psychoses suggérées. Cette fois, il s'agît d'une scoliose suggérée par M. le Dr MiraHié, de Nantes, chez une hystérique. Cette malade était atteinte depuis quelques jours d'un blépharospasme. Pour juger de sa suggestibilité, M. V: i rallié dit, en passant devant elle, que les attaques de blépharospasme s'accompagnaient souvent d'une attaque de scoliose, laquelle guérissait en quelques jours, et donna à la malade pendant un instant l'inclinaison que donne cette scoliose. Le blépharospasme disparut les jours suivants, mais reparu huit jours plus tard, et en même temps survint une scoliose des plus marquées, avec douleur très vive si on voulait redresser la malade. Cette scoliose, ainsi que le torticolis qui l'accompagnait, disparut au bout de quelques jours. Mais elle reparut au bout de peu de temps, s'ac'compagnànt de douleurs extrêmement vives. Ayant annoncé devant elle que les douleurs disparaîtraient après l'emploi d'une potion très violente, M. Mirallîé lui fil demander une potion â I p. 100 d'hypophosphite de soude. L'effet ne se fit pas attendre. Elle détermina tout d'abord des douleurs extrêmement violentes, maïs amena la guérison en quelques jours.

Une troisième attaque de scoliose se produisit quelque temps après, mais cette fois sans être accompagnée de blépharospasme. Elle guérit par le même moyen que la précédente. M. Mîrallié a publié ce fait intéressant dans la Reoue d'orthopédie.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1889 pour l'élude des applications cliniques, médico-légales el psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné â fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme, de la psychologie physiologique et de la pédagogie suggestive.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait â la fois une Ecole pratique de psychothérapie el un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique de maladie» nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique)^ est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations

gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Tous les jeudis, â 10 heures et demie, M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme. Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par M M. les D" Henry Lemcsle.F. La-raya, Coatarmanach, Faure, Wolf, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. les D" Paul Parez, A. Guimbeau, Branly et par M. Charles Verdin.

Pendant le semestre d'hiver 1897-1898, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les D" Dumontpallier, Bérillon, Max Nordau, E. Caustîer, Armand Paulier, Henry Lemesle, Paul Farez, Tison, etc., sur les diverses branches de la psychologie physiologique et paihologïque. M. le Dr Paul Joirc, correspondant de l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hyp-nologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Chaque année, un certain nombre d'étudiants trouvent d'importantes contributions dans leur thèse de doctorat dans les travaux de l'Institut psycho-physiologique.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Abricossof. — L'hystérie aux tlc et 18e siècles (étude historique et bibliographique). Steinhel, in-8. 144 pages. Paris, 1897.

Bérillon. — L'hypnotisme et l'orthopédie mentale. In-8, 48 p., 1898, Rueff, éditeur, 10Î, boulev. Saint-Germain. Prix : \ fr.

Gasc DtSFOSSÉs. — Magnétisme vital. Expériences récentes d'enregistrement, suivies d'induction scie nu* tiques et philosophiques, avec une préface par M. le professeur Büikac. Société d'éditions scientifiques, in-12, 335 pages. Paris, 1897.

Rodolphe Muller. — Nalurwissenscheftliche seelenforsckung. Ar-wed Strauch, Leipsig, 168 pages, 1897.

Marage. — Etude des cornets acoustiques par la photographie des flammes de Kœnig. Masson, Paris, 25 pages, 1897 (avec 10 planches).

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT # 170, rue Saint-Antoine.

Paria, Imp. A. Quelquejeu. rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPERIMENTAL ET.THERAPEUTIQUE

12e ANNÉE. — N° 12. Juin 1898.

JAMES BRAID ET LA SUGGESTION

Réponse à M. le Professeur Bernheim (de Nancy) par M. le Dr Milne-Bramwell (de Londres)

Grâce à l'obligeance du Directeur de la Revue de l'Hypnotismet j'ai déjà pu présenter à mes confrères de France la traduction de mon étude sur James Braid.

Dans le numéro de novembre 1897, M. le profr Bernheim critique mon travail et prétend rectifier mes assertions afin de placer la question sous son véritable jour. Ainsi, dit-il, Braid produisait le sommeil hypnotique par la fixation du regard et la fatigue du muscle releveur de la paupière supérieure; il s'imaginait que ses résultats thérapeutiques étaient dus à des modifications circulatoires ; il n'avait pas la moindre idée d'une explication psychologique de l'hypnotisme ; il ne soupçonnait pas que la suggestion verbale était capable de produire naturellement l'hypnotisation ; il était imbu de conceptions physiologiques sur la fatigue des muscles oculaires.

« Il faut, continue M. Bernheim, arriver au Dr Liébeault, en 1856, pour trouver un successeur à Braid. A Liébeault revient l'honneur d'avoir achevé de dégager l'hypnotisme, le brai-disme, des manipulations et des théories physiologiques qui l'embarrassaient encore et de l'avoir réduit à ce qu'il est réellement : la suggestion simple... Il (Liébeault) est le premier initiateur de la thérapeutique suggestive. »

Si la critique de M. Bernheim est justifiée, ce que j'ai exposé comme étant l'essentiel dans la doctrine de Braid (à savoir :

l'emploi réfléchi de la suggestion verbale) est absolument faux. Dès lors, Braid n'a pas pu traiter ses malades, comme je l'ai dit expressément, « par des suggestions auditives, faites d'un ton de voix convaincu ». Je me suis trompé également quand j'ai affirmé qu'il décrivait les passes et toutes les autres méthodes physiques comme des suggestions indirectes, lesquelles n'avaient de valeur que par F état psychique produit, lesquelles aussi étaient facilement neutralisées par des suggestions directes « lorsque l'opérateur parlait à haute voix et prédisait ce qui allait arriver. »

La divergence de nos opinions est donc manifeste, mais, tandis que je cite toutes les sources d'où j'ai tiré mes informations, M. Bernheim se contente de me contredire, sans citer une seule phrase en faveur de son allirmation. Je me propose de donner, à la fin de cet article, une liste des travaux sur lesquels je m'appuie ; mais comme ceux-ci ne sont pas à la portée de tous, je désire rappeler à mes lecteurs qu'un compte rendu des dernières idées de Braid se trouve dans l'appendice à la traduction française de sa Neurypnologie, ainsi que dans l'édition de Preyer (Der Hypnotismus, Ausgewählte Schriften von James Braid, Berlin, 1882).

Il est vrai qu'au début de sa carrière Braid a exposé les vues que lui attribue M. Bernheim. Mais, comme je l'ai montré, il a bien vite abandonné ses théories et ses méthodes physiques, pour adopter l'hypothèse psychique. Déjà, en 1844, il expliquait comment on peut produire l'hypnose par la suggestion. En 1845, il citait un cas, le premier, dans lequel la défécation avait été obtenue par la suggestion verbale ; et dès lors, nous le voyons traiter de cette manière les mêmes maladies dont s'occupent les hypnotiseurs d'aujourd'hui. Je ne puis ici que citer quelques exemples : dans un cas de déviation de l'épine dorsale, qui avait été traité pendant six ans sans résultat, il enleva les appareils et, par la suggestion, mit en catalepsie les muscles parésiés. Il affirmait pouvoir guérir ainsi les cas récents et estimait que les appareils étaient nuisibles parce qu'ils affaiblissaient les muscles. En outre, Braid considérait la suggestion hypnotique comme le meilleur remède capable de régler les fonctions menstruelles et de guérir les manifestations morbides qui en dépendent.

M. Bernheim renie une assertion que je lui attribue, â savoir1: que Braid employait la suggestion sans la connaître, a La phrase ainsi conçue ne se trouve, écrit-il, dans aucune de mes publications. Je n'ai jamais dit que Braid faisait usage de la suggestion sans la connaître. » Or, la citation se trouve dans ses Suggestive Therapeutics (London, Pentland, 1890, p. 206). Les termes textuels sont: « He (Braid) made use of suggestion without knowing it », (c'est-à-dire : Braid faisait usage de la suggestion sans le savoir). Il est imprudent de nier si catégoriquement ce que tout le monde peut vérifier si facilement. En outre, à la page suivante, M. Bernheim reproduit la même assertion : « L'initiateur de la doctrine suggestive, Braid, oubliant son idée directrice, a fait encore comme tous ses prédécesseurs, comme beaucoup de ses successeurs le font actuellement, de la suggestion sans le savoir. » La seule différence est que le traducteur de mon article a rendu les mots anglais : without knowing it, cités ci-dessus, par sans la connaître, tandis que M. Bernheim se sert de l'expression sans le savoirt ce qu'exprime d'ailleurs plus exactement encore la phrase anglaise.

« Il faut arriver au Dr Liébeault, en 1856, pour trouver un successeur à Braid, » dit M. Bernheim ; cela est inexact : Braid ne mourut qu'en i860, et à cette date, à laquelle notre auteur lui confère un successeur, Braid était en pleine pratique médicale et hypnologique.

Selon Braid, l'amnésie qui suit l'hypnose profonde peut être généralement supprimée par des suggestions dans des hypnoses subséquentes ; lorsqu'elle ne pouvait pas l'être, il invoquait une sorte de « coma hypnotique », ce qui est une expression impropre. M. Bernheim, lui, affirme que la conscience persiste toujours pendant toutes les phases de l'hypnose. Pour le prouver, il dit que, chez des sujets plongés apparemment dans une hypnose profonde, des manifestations de conscience peuvent être obtenues si on stimule ces sujets par des questions, et qu'ensuite ils peuvent raconter ce qui s'est passé. Ces assertions ne sont pas en accord avec les faits. Il est vrai que par la suggestion on peut toujours, dans n'importe quel état d'hypnose, exciter l'activité mentale et, en agissant ainsi, on empêcherait assurément la production du phénomène

décrit par Braid. Mais on peut observer, chez deux catégories de sujets, une amnésie que ne peuvent supprimer les hypnoti-sations postérieures :

U Dans des cas opératoires, où Tanesthésie suggérée se réalise. Ici il est impossible d'obtenir que les malades se rappellent rien de ce qui a rapport à l'opération ; si l'on a suggéré l'analgésie seule, le malade peut faire revivre les sensations tactiles sans retrouver le souvenir des sensations douloureuses. Ce qui prouve que cette inhibition de la douleur est bien réelle, ce sont : l'absence de choc, la persistance de l'analgésie après le réveil par suggestion post-hypnotique, et la rapidité anormale de la guérison ;

% Lorsqu'on suggère à un bon sujet de s'endormir profondément, et d'être inconscient de tout, jusqu'à ce que l'opérateur le réveille, on ne peut pas toujours raviver sa mémoire par la suggestion. Il est vrai que le sujet peut être excité par la parole de l'opérateur, ou par des essais d'expériences désagréables de la part d'autres personnes. Mais si rien de ce qui le concerne directement n'a eu lieu, je trouve parfois qu'il est incapable de se souvenir de ce qui s'est passé pendant l'hypnose et que les suggestions les plus pressantes ne peuvent en faire revivre la mémoire.

Tandis-que M. Bernheim affirme que la mémoire peut toujours être rappelée, il décrit dans son ouvrage {Suggestive Thérapeulics, p. 8) un état que je n'ai jamais observé, et dont ¡1 nie maintenant Pexistence. Parlant des somnambules, il dit: « D'autres tombent dans un profond et lourd sommeil, et ne se souviennent de rien après le réveil». Ils peuvent être questionnés, tourmentés de questions, pendant ce sommeil, et toutefois restent inertes. »

M. Bernheim m'ayant accusé d'avoir faussé ses opinions sur l'automatisme hypnotique, je désire attirer son attention sur un article : « L'évolution de la théorie hypnotique » {Brain, 1896) dont je lui ai adressé un exemplaire. Dans ce travail, je montre que la doctrine de Nancy sur l'automatisme a récemment subi de considérables modifications. Il y a quelques années, on insistait surtout sur l'obéissance absolue. Liébeault disait qu'on pouvait postuler comme un premier principe, qu'un sujet dans l'état de sommeil magnétique est à la merci

de l'opérateur ; et il attribuait à l'accomplissement des suggestions la fatalité de la pierre qui tombe- Aujourd'hui, on accorde aux hypnotisés une bien plus grande force de résistance. Liébeault et Liégeois affirment qu'il n'y a que 4 ou 5 pour cent des sujets auxquels on pourrait suggérer un crime avec certitude. Selon ce dernier, il y aurait à Paris 100.000 personnes susceptibles de telles suggestions. M. Bernheim apparemment est d'accord avec ces idées, puisqu'en admettant que beaucoup de sujets peuvent résister aux suggestions criminelles, il affirme qu'un certain nombre ne le peuvent pas, et sont susceptibles d'être amenés à commettre un crime actif ou passif. Mais il n'a pas le droit de dire qu'il n'a jamais décrit l'hypnose comme un état d'automatisme. Par exemple, dans Suggestive Tkerapeulics, nous lisons, p. 8 : a Dans le somnambulisme profond, ou sixième degré, le sujet reste endormi, devenant un automate parfait, obéissant à tous les commandements de l'opérateur ». — Page 29 : « Les sujets plus profondément influencés par l'hypnotisme passent dans une condition de somnambulisme. De nouveaux phénomènes apparaissent. L'automatisme est complet ; l'organisme humain est devenu presque une machine, obéissant à la volonté de l'opérateur». — Page 125: « Le caractère le plus frappant du sujet hypnotisé est son automatisme. »

Malgré leur confession que 95 pour cent des sujets peuvent repousser les suggestions criminelles, plusieurs disciples de l'école de Nancy continuent à regarder l'automatisme et l'affaiblissement de la volonté comme plus ou moins caractéristiques de l'hypnose. Ainsi Forel maintient que le sujet doit être sous la domination de l'opérateur et avoir perdu la faculté de concentration et d'attention. Moll dit des hallucinations hypnotiques : « Les phénomènes dépendent de l'affaiblissement de la volonté et de la dépendance du sujet. Le fait que plusieurs suggestions motrices irrésistibles ont été faites, rendent d'autres suggestions plus faciles ». M. Bernheim (loc. cit., p. 139.) dit lui-même : a Dans l'hypnose, toute idée reçue est immédiatement transformée on action, sans que les centres cérébraux supérieurs de contrôle puissent empêcher cette transformation ». Durand de Gros va plus loin, et affirme que si les crimes suggérés étaient reconnus comme expérimentaux

par le sujet, ce fait détruirait entièrement l'hypnotisme. « Est-il possible, demande-t-il, que la suggestion ait la puissance de produire des changements physiques extraordinaires, sans affecter à la suite l'état moral ? » Existe-t-il cependant une relation nécessaire entre un effet physique, comme l'altération du rythme cardiaque, et le meurtre de son prochain ? Ne serait-il pas également justifié de supposer, qu'un sujet à l'état normal, qui à votre demande ferait de la musique ou peindrait un tableau, serait également prêt à commettre un sacrilège?

Les arguments de M. Bernheim en faveur du crime suggéré n'entraînent pas la conviction. Ils sont presque entièrement basés sur les faits suivants : 1° Ou bien un acte non criminel a été considéré comme criminel par le sujet, parce que l'opérateur l'avait suggéré; 2* Ou bien le sujet hypnotisé a donné un consentement qu'il aurait également donné à l'état normal.

Le défaut radical de tous les crimes de laboratoire consiste en ce que l'état mental du sujet n'a pas été étudié par des questions pendant l'hypnose. Mes expériences sur ce sujet ont été décrites dans mon article sur l'évolution de la théorie hypnotique déjà cité (Brain, 1896) ; il en est dit quelque chose dans le résumé de mon rapport au Congrès de Bruxelles (Revue de l'Hypnotisme, Novembre 1897, p. 129.) Il suffira ici de dire que j'ai toujours trouvé que les sujets réalisaient la nature expérimentale des crimes suggérés et les acceptaient ouïes refusaient de leur propre volonté. Ils étaient capables, durant l'hypnose, d'analyser leur condition mentale et d'attribuer des raisons logiques à leurs actions. Lorsque j'ai tenté de forcer un sujet à se soumettre à une expérience désagréable, la suggestion a toujours été repoussée. Lorsque M. Bernheim déshabille un malade en présence de ses aides sans rencontrer d'opposition, il se peut parfaitement quelle en ait vu examiner d'autres, et qu'elle considère la chose comme habituelle à l'hôpital.

M. Bernheim compare le soi-disant automatisme hypnotique à celui de la vie normale et cite comme exemple la marche inconsciente pendant que l'esprit est distrait par des pensées diverses (Suggestive Thérapeutes, p. 125). Un acte automatique est simplement la reproduction inconsciente d'une action qui a été volontaire. Cet acte doit avoir été fréquemment répété, de

telle sorte quo le mécanisme nerveux n'offre plus aucune résistance à sa mise en œuvre. Il y a une grande différence entre des actions de ce genre et l'accomplissement d'un crime suggéré, lequel ne peut avoir été habituel, et n'est pas supposé être inconscient; M. Bernheim, lui-même, affirme que chez le sujet hypnotisé la conscience persiste, quelle que soit la phase du sommeil. Le fait est que le crime soi-disant automatique n'est pas seulement différent de ce que l'on entend par automatisme, mais qu'il est absolument opposé à cette notion.

Il esta espérer qu'à l'avenir on parlera moins de cet état soi-disant automatique et que les crimes qualifiés de « laboratoire • ne seront plus cités à l'appui de cette thèse, sans que le sujet ait été interrogé pendant l'hypnose, précaution grâce à laquelle on pourra découvrir la vérité.

D'après M. Bernheim, la suggestion est tout, et il n'y a au fond aucun état spécial qui mérite le nom d'hypnose. Tl considère cela comme un progrès de la théorie scientifique à laquelle il a tant contribué. Et pourtant des suggestions pressantes sont repoussées à l'état de veille, alors qu'elles sont immédiatement acceptées pendant l'hypnose; dans d'autres cas, la guérison n'est obtenue quo si un état hypnotique prolongé a été obtenu.

Je ne connais aucune théorie qui embrasse tous les phénomènes de l'hypnose ; la plus raisonnable est celle qui cherche à les expliquer par le réveil d'une conscience secondaire, subliminale. La suggestion n'est qu'un artifice de l'opérateur pour produire les phénomènes hypnotiques ; elle ne les explique pas plus que le coup de feu n'explique une course de bateaux. L'un et l'autre ne sont que des signaux, et n'indiquent que le point de départ, rien de plus.

Je ne puis accorder à M. Bernheim que ses théories soient un progrès sur celles de Braid. Los erreurs mesmériques mises à jour par Braid, sont encore plus ou moins partagées par cet auteur et ses partisans ; et on peut dire la môme chose du «rapport ». Enfin, tandis que Braid, longtemps avant la controverse entre Naficy et la Salpêtrière, démontrait que l'action des métaux, des aimants, dos tubes bouchés, etc., était purement suggestive,sa conception olaireet scientifique delà suggestion

n'a pas été saisie par M. Bernheim, qui emploie ce terme de telle sorte qu'il est parfois impossible de le distinguer de la force odyliquc des mesméristes.

BIBLIOGRAPHIE

Voici, parmi tous les ouvrages et articles que Braid a écrits sur l'hypnotisme, ceux que j'ai pu découvrir :

1. « Satanic Agency and Mesmerism reviewed, in a letter to the Rev. II.

McNeile, A. '¦!., in Reply to a Sermon preached by him ¦¦ (1842, 42mo.)

2. « Ncurypnology, or the Rationale of Nervous Sleep, considered, in Relation

to Animai Magnetism, illustrated by numerous cases of successful application in the Relief and Cure of Disease ¦ (1843, 12 mo, pp. 281.)

3. « The Power of the Mind over the Body, an Experimental Inquiry into the

Nature and Cause of the Phenomena attributed by Baron Rcichenbach and others to a « New Imponderable ». (1846.)

4. « Observations on Trance or Human Hybernation » (1850.)

5. « Electro-Biological Phenomena, considered physiologically and psycho-

logically », from the Monthly Journal of Medical Science for June, 1851, with Appendix.

6. « Magic, Witchcraft. Animal Magnetism, Hypnotism and Electro-Biology ;

being a Digest of the latest Views of the Author on these Subjects. » Third Edition, greatly enlarged, embracing observations on J. C. Col quboun's History of Magnetism. (1852.)

7. « Hypnotic Therapeutics, Illustrated by Cases, with an Appendix on Table-

turning and Spirit-rapping ». Reprinted from the Monthly Journal of Medical Science for July, 1853.

8. « The Physiology of Fascination and the Critics criticised. (1855). The

second part is a reply to the attacks made In the Zoist.

9. Observations on the Nature and Treatment of Certain Forms of Paralysis.

(1855.)

Articles in The Medical Times:

10. - Animal Magnetism ». Vol. V., 1841-42, p. 283.

11. « Animal Magnetism ». Vol. V.. n. 308.

12. a Neuro-Hypnotism » v ¦!. VI . : ¦>!.!. j». 230.

13. « Phreno-Mesmerism ». Vol. IX., 1843-44, p. 74.

14. « Mr. Braid on Mesmerism ». Vol. IX., p. 203.

15. « Observations on some Mesmeric Phenomena ». Vol. IX., p. 225.

16. « Observations on Mesmeric and Hypnotic Phenomena » Vol. X., 1844, pp. 3i and 47.

17. . Case of Natural Somnambulism and Catalepsy, treated by Hypnotism ; with remarks on the phenomena presented during spontaneous Somnambulism, as well as that produced by various artificial Processes ». Vol. XI., 1844-45. pp. 77, 95, and 134.

18. « Experimental Inquiry whether Hypnotic and Mesmeric Manifestations can be adduced in Proof of Phrenology » Vol. XI., p. 181.

19. b Magic, Mesmerism, Hypnotism, etc.. Historically and Physiologically considered ». Vol. XI., pp. 201, 224, 270, 296, 399, and 439. '

20. * Caso of Natural Somnambulism », etc. Vol. XII., 1845, p. 117. (Article giving further history of case already reported.)

21. « The Fakirs of India ». Vol. XII., p. 437.

22. « Dr. EMotson and Mr. Braid ». Vol. XIII., 1845-46, pp. 99,120 and Ml.

23. » On the Power of the Mind over the Body ; an Experimental Inquiry Into the Nature and Cause of the Phenomena attributed by Baron Reichen-bach and others to a. « New Imponderable Vol. XIV., 1846, pp. 214, 252, and 273-

34. « Facts and Observations as to the Relative Value or Mesmeric and Hypnotic Coma, for the Mitigation or entire Prevention of Pain during Surgical Operations ». Vol. XV., 1846-4", p. 381 ; continued : Vol. XVI., 1847, p. 10.

25. « Observations on the Use of Ether for preventing Pain during Surgical operations, and the Moral abuse it is capable of being converted to. » Vol. XVI, p. 130.

26. « Mr. Braid and Dr. Elliotson >. Vol. XVII., 1847-48, p. 106.

27. a Mr. Braid and Mr. Wakley ». Vol. XVII., p. 163.

28. « Observations on Trance or Human Hybernation VoL XXI., 1850, pp. 351,401, and 416.

In The Lancet:

29. o Queries respecting the alleged Voluntary Trance of Fakirs in India ». Vol. II, 1845, p. 325.

In TTie Monthly Journal of Medical Science :

30. « Hypnotic Therapeutics, Illustrated by Cases Vol. VIII., Third Series, 1853, p. 14.

In The Edinburgh Medical and Surgical Journal:

31. o The Power of the Mind over the Body; an experimental Inquiry into the Nature and Cause of the Phenomena attributed by Baron Reichen-bach and others to a.. New Imponderable ». Vol. LXVI., 1846, p. 286.

32. « Facts and Observations as to the relative Value of Mesmeric and Hypnotic Coma, and Ethereal Narcotism, for the Mitigation or entire. Prevention of Pain during Surgical Operations d. Vol. LXVII., 1847 p. 588.

33. « On the Use and Abuse of Anaisthetio Agents, and the best Modes of rousing Patients who have been too intensely affected by them ». Vol. LXX.,1848. p. 486.

34. « On the distinctive Conditions of Natural and Nervous Sleep » Manchester. Decemberl7 th, 1845. A manuscript first published InaGerman translation in Preyer's book « Der Hypnotismus », 1890.

35. « Account of a Case of total Deafness successfully treated by Hypnotism » Manchester Times, September 1 st. 1842.

36. o Abstract report of a course of six lectures on the physiology of the nervous system », with particular reference to the states of sleep, somnambulism {natural and induced) and other conditions allied to these, delivered at the Royal Manchester Institution, in March and April, 1833 by Williiam B. Carpenter. Manchester Examiner and Times of April 30th. 1853. By James Braid.

37. e On Table-moving : a letter to the Editor of the Manchester Examiner and Times ». This letter appeared on June 22nd 1853 and was afterwards published as a pamphlet.

38- a A Manuscript on Hypnotism by James Braid a, January, I860. Translated into French by Dr. Jules Simon as an Appendix to « Ncurypnolo-gle o and into German by Preyer In « Die Eutdeckung des Hypnotismus »

HISTOIRE

DES SUGGESTIONS RELIGIEUSES DANS LA FAMILLE PASCAL

Par M. lo Dr Charles Binet-Saxolr (i) (Suite)

CHAPITRE IV L'affaire Porton.

Un de ses amis, Biaise Pascal avait alors vingt-quatre ans, Dumesml. lils de M. de Montflavier, conseiller du roi el maître des requêtes à Rouen, reçut, le 1" février 1647, étant avec un nomme Auzoult, la visite d'un capucin qu'il désirait connaître ¿1 cause du renom qu'il avait dans la y\\\c. C'était Jacques Forton, dit frère Saint-Ange. Forlon vint en compagnie d'un gentilhomme.

Au cours de l'entretient Pascal entra. On lui résuma les propos que venait de tenjr le frère 3a.ip(-;\nge, qui prétendait pouvoir démontrer la trinité et arriver à la connaissance raisonnéc des autres mystères de la religion. Fqrton. eonOnna ces dires, cl lut plusieurs pages de son livre sur L'alliance de la foi et du raisonnement II ajouta que Jésus-Christ n'était pas homme de la même façon que nous, qu'il n'était pas un animal raisonnable, ce qui, impliquant pour elle l'insensibilité de Jésus-Christ, choqua l'assistance. Il dit aussi que le corps de Jésus n'était pas corruptible, que la Vierge élait d'une espèce à part, qu'Adam serait mort et que son corps se serait corrompu lors môme qu'il n'aurait pas péché, toutes choses qui surprirent fort. Il affirma, enfin, qu'il avait la science des décrets de Dieu, et qu'il existait deux grâces, l'une, la grftce du salut, dévolue k chacun pour son salut propre, l'autre, la grâce du ministère, donnée pour le salut des autres, cette dernière seule étant efficace. La grâce du salut était égale pour tous les hommes. La grâce du ministère était inégale ; elle n'était donnée qu'aux évéques et aux personnes publiques.

Quand Forton s'en alla, on lui dit qu'on serait aise de s'entretenir encore avec lui, et qu'on lui rendrait sa visite.

Le 5 février donc, Dumesnil, Auzoult. Biaise Pascal et Le Cornier, docteur en Sorbonne, se rendirent chez Porlon. Au cours de cette séance, il lut un ouvrage sur le péché originel, où il montrait que chaque portion de la matière est affectée à une âme, et que l'âme d'Adam,, par l'effet du péç^é, corrompit son corps qui vicin f-nsuite par contact toute la masse matérielle. Selon lui, les aliments que nous prenons n'ét-ùent pas assimilés, et Jésus-Christ avait été formé d'une matière nouvellement

(1) Voir la a' 4e mars 1 v. p. 266 ; avril, p. 30Ï; luui. p. 335.

créée et entée sur le corps de la Vierge. La Vierge, constituée elle-même d'une matière nouvellement créée, avait contribue à notre rédemption par l'oblation de sa mort et de son obéissance.

Les auditeurs de Forton s'avisèrent que de telles idées constituaient un danger public chez un homme qui s'occupait d'instruire la jeunesse. Ils l'en avertirent d'abord, et comme il ne tint pas compte de leur avertissement, ils firent tenir l'exposé de ses croyances à M. de Belley, qui remplissait alors les fonctions épiscopales en remplacement de Tarchovcque de Rouen. De Belley, ayant voulu étouffer l'affaire, ils allèrent trouver l'archevêque à sa maison de campagne de Gaillon, près Rouen, et ils lui dépeignirent l'hérésie de Forton sous des couleurs telles qu'il écrivit à son suppléant d'informer avec soin, et de donner satisfaction à Biaise Pascal et à ses amis.

Ceux-ci firent une nouvelle déposition écrite confirmant la première, mais que Forton déclara inexacte. Ce n'était point là, selon lui, le sens de ses paroles. On lui demanda alors une profession de foi. Elle fut catégorique, et satisfit tant de Belley qu'il crut l'incident terminé, il n'en était rien. Pascal et ses amis insistèrent auprès de l'archevêque qui, pour plus ample information, donna Tordre de revoir l'affaire et de faire déposer les accusateurs devant le grand vicaire in pontifical!bus et le prédicateur. On demanda à Forton une déclaration nouvelle qui ne fut pas moins expresse que la première. Cependant les accusateurs ne s'en contentèrent que grâce à l'intervention très active de Belley qui fit écrire à l'archevêque par Etienne Pascal. Encore le prélat craignait-il que cette solution ne fût pas définitive, car il écrivit à son suppléant : « Pascal pourra bien trouver quelque chose à réformer à ce calendrier. Je m'en remets à ce que vous lui pourrez faire dire ». Cette affaire fut enfin définitivement close par un mandement du 4 avril 1647. Pascal s'y révélait fanatique.

Peu de temps après, au reste, l'état général de Pascal devint des plus mauvais. La neurasthénie se manifestait par un affaiblissement si considérable qu'il ne pouvait parler sans fatigue, par uno paraplégie incomplète, par de l'œsophagisme, par une céphalalgie oontinue et par d'autres douleurs.

Toute la famille, on le conçoit, devait subir le contre coup de la conversion de l'auteur du Traité des sections coniques et de la Machine arithmétique^ du précoce, de l'extraordinaire, du déjà célèbre Biaise Pascal. Remarquons ici qu'en lui l'homme de science n'avait pas encore disparu, et qu'il unissait alors, à la rigueur du mathématicien et à la prudence du physicien, la fantaisie et la sentimentalité du mystique : «Tel, dit Ribot, (') qui, en matière de preuves scientifiques est intraitable, sera, en religion et en amour, d'une ingénuité et d'une candeur sans pareilles. »

(1) Loc. cit.

CHAPITRE V

Action de Blaise Pascal sur sa famille.

« L'amour de la perfection chrétienne, dit Gilberte, l'enflammoit de telle sorte qu'il se répandoit sur toute la maison. Mon père même, n'ayant pas honte de se rendre aux enseignements de son fils, embrassa pour lors une manière de vivre plus exacte par la pratique continuelle des vertus jusqu'à sa mort, qui a été tout à fait chrétienne ; et ma sœur, qui avoit des talents d'esprit tout à fait extraordinaires, et qui étoit dès son enfance dans une réputation où peu de filles parviennent, fut tellement touchée des discours de mon frère qu'elle se résolut à renoncer à tous les avantages qu'elle avoit tant aimés jusqu'alors pour se consacrer à Dieu tout entière ('). »— « Toutes les lectures et tous les discours firent une si féconde impression dans son cœur, que peu à peu elle se trouva, à la fin de Tannée 1647, dans une résolution parfaite de renoncer au monde : et comme elle se rencontra lors à Paris, y étant allée accompagner mon frère qui avoit besoin d'y être pour ses indispositions, ils alloient souvent entendre M. Singlin, qui prechoit à l'église de Port-Royal de Paris, f3) » Ils suivirent ses sermons sans doute à l'instigation de Guillebcrt.

Antoine Singlin, qui avait alors quarante ans, fut successivement confesseur et supérieur de Port-Royal. D'abord employé chez un marchand de drap, il avait été poussé à la prêtrise par Vincent de Paul. Il devint confesseur à l'hôpital de la Pitié, y connut Du Vergier de Hauranne, prit, à sa parole, dit-il lui-même, a comme l'allumette au feu », devint un de ses disciples, et suivit ses conseils pour la direction des âmes.

C'était un homme humble, timoré, intelligent, opiniâtre, d'une timidité entêtée et qui disait: « Je suis prêt à rompre avec tout le monde plutôt que de me relâcher des vérités que je connais. » Sa parole onctueuse, et familière attirait, parce que chaque auditeur croyait qu'il ne parlait que pour lui. On courut à ses sermons, dont Antoine Arnauld et Le Maistre de Saci lui préparaient la matière. C'était surtout un propagandiste vigilant, « un cœur, lit-on dans son épitaphe, tout occupé de Dieu et fécond à lui engendrer des saints o, un homme a qui possédoit parfaitement le don de la persuasion », « qui étoit, selon M- de Sainte-Marthe, tout à tous pour sauver autant qu'il le pouvoit tout le monde (3) », qui prenait un grand soin a à l'avancement spirituel des âmes(4J », qui no craignait quo leur perte, qui avait pour elles 1 un amour de jalousie (-) », a qui souhaitoit de voir un grand nombre de

(1) Gilberte Pascal, Vie de Biaise Pascal.

(2) Gilberte Pascal, Vie de Jacqueline Pascal.

(3) Supplément au Nécrologe.

(4) Nécrologe.

(5) Id.

serviteurs fidèles conduire les âmes à Jésus-Christ('] », en un mot, un de ces hommes inappréciables quand ils possèdent la vérité et singulièrement néfastes lorsqu'ils sont imprégnés d'erreur. « Il porta un grand nombre de personnes à se retirer dans le désert de Port-Royal », ajoute le Néerologe des défenseurs de la vérité. Pendant la persécution de l'ordre, il ne cessait de voir en secret les religieuses, et, directeur de conscience de Madame de Longueville, il allait chez elle sous un déguisement. Il mourut des austérités auxquelles il se livra pendant le carême de 1664.

Jacqueline, nous dit Gilberte, « voyant qu'il parloitde la vie chrétienne d'une manière qui remplissoit tout à fait l'idée qu'elle en avoit conçue depuis que Dieu l'avait touchée, et considérant que c'étoit lui qui con-duisoit la maison de Port-Royal, elle crut dès lors, comme elle me l'a dit en propres termes, qu'on pouvoit être là-dedans religieuse raisonnablement. Elle communiqua cette pensée à mon frère qui, bien loin de l'en détourner, l'y confirma, car il étoit dans les mêmes sentiments. Cette approbation la confirma de telle sorte que depuis ce temps-là elle n'a jamais hésité un instant dans le dessein de se consacrer à Dieu. Mon frère, qui l'aimoit avec une tendresse particulière, étoit tout ravi de la voir dans cette sainte résolution, de sorte qu'il ne pensoit à autre chose qu'à la servir pour faire réussir ce dessein. » Il s'efforçait de lui faire comprendre qu'on ne peut allier ensemble l'esprit du monde et l'esprit de pitié.

L'influence de Biaise sur Jacqueline devait être d'autant plus grande que deux ans d'intervalle seulement les séparaient qu'ils se ressemblaient non seulement par le visage, mais encore par l'esprit et qu'ils s'aimaient enfin d'un vif amour fraternel. II existait entre eux cette entente qui détermine si souvent dans les familles des groupements où il semble que la suggestion réciproque soit plus aisée. « Dieu, écrit Jacqueline à son frère le 7/9 mars 1652, s'est servi de vous pour me procurer les progrès des premiers mouvements de sa grâce. »

Pour l'aider à entrer à Port-Royal, Pascal s'avisa d'employer Guille-bert. * II le fut voir, dit Gilberte, et y mena ma sœur, et M. Guillebert l'ayant entretenue, en fut si satisfait qu'il la mena lui-même à la mère Angélique qui la reçut avec beaucoup de satisfaction et d'agrément. Depuis cela, ma sœur y alloit le plus souvent qu'elle pouvoit. » Elle y rencontrait encore la mère Agnès.

CHAPITRE VI

Entrée en religion de Jacqueline Pascal.

Jacqueline Arnauld, dite la mère Angélique, et Jeanne Arnauld, dite la mère Agnès, âgées, l'une de cinquante-sept ans, l'autre de cinquante-cinq ans, étaient filles d'Arnauld l'avocat, et sœurs d'Antoine Arnauld,

(1) Supplément au Nécrologe.

qui fut, après Du Vergier de lïaurannc, le principal suggestionneur de cette célèbre famille, où la contagion religieuse fit de tels ravages qu'elle jeta dans la prêtrise ou le monachisme dix-huit de ses membres.

Arnauld l'avocat, ayant beaucoup d'enfants, avait décidé que ses filles Jacqueline et Jeanne entreraient en religion le plus lot qu'il se pourrait. Il les mit d'abord, pendant huit mois, à l'abbaye de Saint-Cyr. Jacqueline (Angélique), en sortit coadjulrico de l'abbesse de Port-Royal des Champs à sept ans el demi, et Jeanne (Agnès), fut nommée abbesse de Saint-Cyr à cinq ans. Angélique fut envoyée au monastère de Maubuisson, qui dépendait comme Port-Royal de l'Ordre de Citeaux, et Agnès, assistée d'une religieuse adulte, remplissant les fonctions abbatiales, resta à Saint-Cyr.

Ce fut le 20 octobre 1600, à l'âge de neuf ans, qu'Angélique ût profession. Le 5 juillet 1602, elle prenait succession, de l'abbesse de Port-Royal. A seize ans, en juillet 1607, à la suite dune grande maladio qui rompit ses habitudes et changea ses relations, elle voulut se marier. Mais son père, ayant surpris ses intentions, lui extorqua lu signature d'un renouvellement et d'une ratification de ses vœux, tandis quo sa mère plaçait auprès d'elle une religieuse chargée de la surveiller et de compléter son instruction religieuse. Ainsi préparée, elle fui vivement émue par un sermon qu'un capucin, le Père Basile, vint faire à Port-Royal, et, prise d'humilité et d'un grand désir do mortification, elle résolut de réformer le monastère. La voilà donc qui se prive de viande, qui s'habille d'un drap grossier, qui ne repose plus que sur une couche dure, et qui veille dans la prière. Une nuit, même on la surprend faisant couler sur ses bras nus de la cire bouillante. La santé s'altère. Elle tombe dans une mélancolie profonde. Elle souffre encore d'une /lèvre quarte due au voisinage d'un étang. Le jour de la Toussaint 1608, un sermon sur la béatitude de coux qui sonl persécutés pour la justice, et dont plusieurs points s'appliquaient à son état présent, la remua encore Plus que jamais déterminée à instaurer la réforme, elle parvint à rallier à ses idées austères les plus anciennes religieuses. Elle obligea ses ouaillesà porter des chemises de serge, prescrivit l'abstinence complète de la viande, fit mettre les biens en commun, et fit observer la clôture, si sévère sur ce dernier point qu'elle empêchait son propre père d'entrer à l'abbaye. Elle subissait d'ailleurs l'action de divers directeurs de conscience. Enfin elle relira sa secur de Saint-Cyr, et la fit entrer à Port-Royal des Champs; et quand, en février 1618, elle fut chargée, par le général del'Ordre, d'aller instituer ses réformes au monastère de Maubuisson, ce fut Agnès qui la remplaça dans ses fonctions d'abbessc. Angélique rendit, plus lard, celte dignité éligible, et les deux sœurs l'obtinrent lour à tour, dclelle sorte qu'en réalité, Port-Royal des Champs avait deux abbesses, Angélique et Agnès.

Toutes les deux étaient intelligentes, instruites, humbles, austères. Angélique, d'une émotîvité excessive, élait tourmentée de la terreur de la mort. Agnès, fréquemment malade cl sujette aux congestions

cérébrales, vivait dans la tristesse et dans l'Inquiétude, toule à la pénitence et au mépris d'elle-même. « La parfaite mortification, lit-on dans une de ses épitaphcs, a été en elle une qualité singulière: » Elle jeûnait à l'excès, et il fallait, tant elle aimait l'office, l'emmener du chœur toute pleurante. L'une et l'autre, enflammées d'amour religieux et pénétrées de crainte religieuse, étaient îles propagandistes passionnées»

Chez Angélique c'était une « charité ardente qui étoit tendre et vigou^ reuse tout ensemble, n'y ayant rien qu'elle ne put renverser par sa force et rétablir par sa bonté », et « un zèle,., pour le salut de toul le monde » qui ° lui faisoit oublier, dans les occasions, qu'elle n'étoit chargée que de la conduite d'un monastère ('; ». Les religieuses l'aimaient et la vénéraient, Douée d'une éloquence Onctueuse, d'» un talent particulier à toucher les cœurs el à leur faire aimer la sainte sévérité de la vie religieuse, lorsqu'elle les exhortoit en commun, c'étoit avec une si grande effusion de cœur el des manières si patbétiquesq'elle persuadoit aisément ce qu'elle disoit 2 ». Nous la voyons recevoir gratuitement trente filles pauvres au monastère de Maubuisson et se les attacher à tel point, qu'au moment où Madame d'Estrées, précédemment abbessc de ce couvent, la voulut chasser, ces filles la défendirent contre des gentilshommes l'épée nue, et se cramponnèrent aux roUes du carrosse qui allait l'emporter. Plus d'un an après, en 1623, quand elle retourna à Port-Royal des Champs, elle dut sur leurs supplications les emmener avec elle dans des voitures que fournit Madame Arnauld mère. Elle avait sur elles un tel ascendant qu'elle leur imposa le silence pendant neuf jours après leur entrée à Port-Royal, et que ce silence fui observé. Plus on est de dévotes, plus la dévolion augmente. « Ce grand nombre de filles, dit la mère Angélique de Saint-Jean, qui accrut toul à coup la communauté de Port-Royal, ne fit qu'y allumer une plusgrande ferveur; comme quand on jette une grande quantilé de bois clans un grand feu il s'embrase .davantage (3) ». Nous voyons enfin la mère Angélique attirer, à Port-Royal des Champs, tant de converties, pauvres et ignorantes pour la plupart el dont plusieurs ne savaient pas écrire, qu'il fallut fonder à Paris une autre maison que Madame Arnauld mère paya de ses deniers.

Chez Agnès, c'était « une gravile accompagnée de douceur qui ins-piroit la confiance et le respect f4) » « un recueillement, une modestie extérieure qui portait à Dieu tous ceux qui ta voyaient. Il semblait que l'onction intérieure, dont son cœur était rempli, était comme une huile mystique dont elle était toujours disposée à faire part aux autres pour remplir leurs lampes », « pour animer les âmes â s'avancer dans les

(1) Nécrologe de Port-Royal.

(2) ld.

(3) Nécrologe de Port-Royal.

(4) Id.

voies de Dieu(i)». « Elle a enfanté en Jésus-Christ, lit-on dans une seconde épitaphe, toutes celles qui demeurent ici (-), et les mères de plusieurs communautés sont aussi ses lilles. Non moins vigilante sur elle-même que sur les autres, elle n'a préféré ni son propre salut à celui des autres, ni le salut des autres au sien propre... Si le salut des âmes fut tout ce qu'elle désirât, leur perte fut tout ce qu'elle craignit ». Vers 1634, un de ses frères, M. Le Maistre, songeant à se marier, elle lui écrivait : * Autant que vous m'avez été cher, vous me serez indifférent ». Lorsqu'elle en avait pris possession elle n'abandonnait pas aisément les âmes. Aussi, quand le gouvernement intervint dans les affaires de Port-Royal, sommée par lo lieutenant civil de retirer l'habit à sept nonnes auxquelles elle l'avait donné récemment, menacée de voir les portes du monastère enfoncées etd'être tenue responsable devant l'accusation, * cette mère demeura inébranlable »

(à suivre)

(1) Supplément au Nécrologe.

(2) Port-Royal.

(3) Nécrologe de Port-Royal.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 21 Mars 1898. — Présidence de M. Dduostpalmer.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

La correspondance manuscrite comprend une lettre de M. le D' Ytur-riaga (de Mexico) qui envoie le montant de ses cotisations.

M. Aug.Voisin offre à la Société un travail imprimé ayant pour titre : Traitement de quelques formes de l'aliénation mentale par la suggestion hypnotique.

M. le Secrétaire général fait part de la mort de M. le Dr Armand Paulier, ancien interne des hôpitaux, qui fut un des membres fondateur de notre Société.

M. Farez, secrétaire, donne lecture d'un rapport sur les candidatures de M. le Dr Yturriaga (de Mexico), de M. le Dr Coatarmanach, de M. Guimbeau, de M. Paul Landon, de M. le Dp Agapinos (de Constanti-nople), de M. Lépinay, médecin vétérinaire.

Ces candidatures, mises aux voix, sont adoptées à l'unanimité.

M. le Dr Bérillon présente une malade sur laquelle il a étudié l'action spécifique de la musique dans l'état d'hypnotisme.

La Société se forme en comité secret.

La séance est levée à 6 h. 1/2.

La prise du regard dans l'état de fascination.

Par le Dr Bérillon.

Un des phénomènes qui avaient le plus frappé les anciens magnétiseurs était celui qui a été désigné sous le nom de prise du regard.

Chez certains sujets, on constate une disposition particulière à tomber dans l'état de fascination sous l'influence de l'action du regard, par une action analogue à ce qui se passe chez certains animaux placés dans l'état de fascination. Tel est le cas de la malade que je présente â la Société.

Lorsqu'on enjoint à cette personne de vous regarder dans les yeux avec toute l'attention dont elle est capable, ses yeux demeurent grands ouverts. Les pupilles se dilatent, et les yeux présentent un singulier état de fixité. On dirait qu'il n'y a plus dans le cerveau du sujet qu'une idée fixe, celle de ne pas perdre de vue les yeux de l'opérateur. En effet, si celui-ci se lève, le sujet se lève. Si l'hypnotiseur détourne la tète, le sujet se penche et s'applique à ne point quitter de vue le point lumineux des yeux.

C'est en traitant cette jeune malade par le sommeil hypnotique, que nous avons constaté, dès la première séance, l'apparition spontanée de ce phénomène assez rare. Aucune suggestion relative â ce phénomène ne lui avait été faite. La malade, artiste peintre, était atteinte, depuis plusieurs années, d'une habitude automatique qui consistait à porter à la bouche, pour les mieux affiler, les pinceaux dont elle se servait. Il en était résulté une intoxication saturnine. Aucune recommandation, aucun effort de sa propre volonté n'avaient pu la débarrasser de cette habitude. Dès la première séance, le but thérapeutique fut dépassé; nous avions dit à la malade : « Vous ne pourrez plus porter vos pinceaux à votre bouche, et quand vous voudrez vous livrer à cet acte, votre bras sera comme paralysé. »

Or, il advint que la malade, en revenant à la clinique, se plaignit d'avoir ressenti un engourdissement persistant qui lui empêchait de porter ses pinceaux à sa bouche, mais qui la gênait aussi pour dessiner. Aussi, dans une seconde séance, nous fimes les suggestions nécessaires pour que le sujet pût continuer à peindre sans pouvoir toutefois porter ses pinceaux à la bouche. Actuellement il ne nous reste plus qu'à développer chez cette personne les facultés de la mémoire visuelle et l'habileté manuelle qui sont si nécessaires dans la pratique de son art. C'est une tâche qui sera facile à réaliser étant données les aptitudes naturelles de cette personne. En effet, elle appartient nettement au type vituel et elle est douce au plus haut degré de la mémoire visuelle. Cette observation nous confirme dans l'opinion que les sujets susceptibles d'entrer dans l'état de fascination et de présenter le phénomène de la prise du regard, le doivent à la facilité avec laquelle elles concentrent leur attention spontanée et leur

attention volontaire dans la fonction visuelle. La fixité des yeux que l'on détermine lorsqu'on réalise la prise du regard, n'est que l'exagération expérimentale d'une fb?ë de l'attention. est vraisemblable que des phénomènes identiques pourraient être provoqués chez des sujets appartenant au type auditif en provoquant!'appel do leur attention sur des bruits agréables et captivants.

De la suggestion pendant le sommeil naturel (1). Par M. le Dr Paul Fakkz.

Contrairement à certaines opinions courantes, les aliénés ne sont pas tous réfractaires à l'hypnotisme et l'on doit à ce dernier des guérisons authentiques de maladies mentales (Aug; Voisin, Tokarsky). Toutefois, dans les cas de ce genre, l'hypnotisation est très difficile à obtenir, parfois même impossible. La psychothérapie ne doit pas abdiquer pour cela, car il lui reste un procédé d'intervention que je ne sache pas avoir encore été employé d'une manière systématique, mais qui, à ce qu'il me semble, promet de rendre de très grands services ; c'est la suggestion pendant le sommeil naturel.

Certes, il est beaucoup plus difficile de faire accepter une suggestion pendant le sommeil naturel que pendant le sommeil provoqué ; on peut toutefois y arriver assez aisément si l'on prend certaines précautions, si l'on s'applique à éviter certains écueils, sl l'on montre assez de prudence et de circonspection.

Cette suggestion pendant le sommeil naturel doit être faite, le plus souvent, en dehors du consentement du malade et à son insu; elle suppose que la conscience du sujet qui dort a pu être, au préalable, affranchie de toutes les représentations imaginatives du rêve et qu'on a pu créer une sorte de réceptivité analogue a celle des hypnotisés ordinaires; cela s'obtient, grâce au jeu des * états forts » et des états faibles n et conformément aux lois delà n dégradation de la conscience, »

L'intervention en elle-même devra comporterdes suggestions nettement articulées, faites de telle sorte qu'il y ait synchronisme entre les émissions de voix du psychotérapeute et les mouvements respiratoires du malade; il conviendra de Suspendre momentanément l'intervention toutes les fois que le sujet fera mine de s'éveiller ou que sa respiration deviendra haletante. La suggestion ne sera jamais brusque, ni soudaine: son début et su fin devront être l'un progressivement croissant, l'autre progressivement décroissante, mais tous deux énoncés, à dessein, d'une voix traînante et monotone, Lorsque la suggestion sera terminée, le sujet devra continuer à dormir tout le restant de la nuit, rêver aux choses suggérées et ne s'éveiller que le lendemain à telle heure déterminée!

(I) Cette communication a été publiée in extenso il.ins la Revue de F Hypnotisme. Mars. Avril. Mal 1898, p. 537, 3SÎ. H- «nilee.

La suggestion pendant le sommeil naturel n droit à une tres large place dans le traitement des maladies mentales; elle trouve aussi se indications dans les dlvernes branches du domaine psychothérapique, mais de préférence: 1° chez, ceux qui se sont montrés tout à fait réfrac-taires au sommeil provoqué ou à la suggestion à l'état de veille ; — 2* chez ceux .qui, par pusillanimité, appréhendent de se soumettre à l'hypnotisme franc. — Enfin, ce mode d'intervention pendant le sommeil naturel est, en lui-même, un excellent procédé d'expérimentation psychologique (directe ou indirecto). Grâce à lui, la psychologie du sommeil pourra s'enrichir de connaissances nouvelles; et, par contre-coup, la pratique y gagnera encore, car plus la psychologie fera de progrès, plus aussi s'accroitra le pouvoir des psychotérapeutes : tanlum possumus, quantum scimus.

Séance du 18 Avril 18118. — Présidence de M. Domontpallier.

La séance est ouverte à \ h. il).

M. Ic Secrétaire général présente des observations au sujet du procès verbal do la précédente séance et la Société décide qu'elle se formera en Assemblee générale et en comité secret à la séance du mois de mai.

M Lépinay présente un livre de M. Ad. Guénon, vétérinaire en premier au 15* chasseurs ; il fait l'analyse de cet ouvrage qui a pour litre : « L'influence de la musique sur les animaux et en particulier sur le cheval. »

M. le Dr Béri lion présente un appareil vibratoire destiné à provoquer de l'inhibition auriculaire chez certains sujets. La séance est levée àUh. 10.

Assemblée générale du lundi 16 Mai 1898.

Présidence de M Dumontpallier.

La séance est ouverte à 4 h. 1/2.

Après avoir discuté les propositions faites par le Bureau, la Société d'hypnologie a adopte les résolutions suivantes:

« Le premier Congrès de l'Hypnotisme expérimenUil ci thérapeutique qui s'est réuni à l'Hôtel-Dieu do Paris en 1880, avait désigné, dans sa séance du 12 août, MM. DumoiUpullier, président; Bérillon, secrétaire général ; Gilbert-Ballet, Bernheïm, Grasset, Ladame (de Genève) ; Levillain, Liégeois, Masoin (de Louvain ctAuguste Voisin, pour constituer lu commission chargée d'organiser le deuxième Congrès.

« Cette commission iiyant délégué ses pouvoirs au bureau de la Société d'hypnologie, la Société d'hypnologie, réunie en Assemblée générale

le 16 mai 1898, décide que le second Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique aura lieu à Paris, au mois d'août 1900, immédiatement après Ja clôture du Congrès international de médecine. »

Le bureau du comité exécutif est ainsi constitué : président, M. Du-montpallier ; vice-présidents, MM. Iîoirac (de Dijon), Grasset (de Montpellier), Liégeois (de Nancy), Auguste Voisin ; secrétaire général, M. Bérillon ; secrétaire général adjoint, M. Paul Farez; secrétaires, MM. Henry Lemeslc, Félix Regnault, Julliot, Lépinay. Elle a choisi, comme présidents d'honneur, MM. les professeurs Azam, Raymond, Charles Richet et MM. les D" Durand (de Gros), Liébeault et Jules Soury.

Les communications reçues au Congrès seront divisées en quatre groupes :

P Applications cliniques et thérapeutiques de l'hypnotisme et de la suggestion. — 2° Applications médico-légales. — 3° Applications psycho-physiologiques. — 4° Applications pédagogiques et sociologiques.

Les questions suivantes seront l'objet de rapports généraux :

1. Rédaction d'un vocabulaire concernant la terminologie de l'hypno-

tisme et des phénomènes qui s'y rapportent ;

2. L'hypnotisme devant la loi du 30 novembre 1892, sur l'exercice de

la médecine. — Intervention des pouvoirs publics dans la réglementation de l'hypnotisme ;

3. Les rapports de l'hypnotisme avec l'hystérie;

4. Les applications de l'hypnotisme à la thérapeutique générale ;

5. Les indications de l'hypnotisme et de la suggestion dans le traite-

ment des maladies mentales et de l'alcoolisme ;

6. Les applications de l'hypnotisme à la pédagogie générale et à l'or-

thopédie mentale ;

7. Valeur de l'hypnotisme comme moyen d'investigation psycholo-

gique ;

8. Responsabilités spéciales résultant de la pratique de l'hypnotisme

expérimental et thérapeutique.

Toutes les communications relatives au Congrès devront être adressées à M. le Dc Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout.

La Société s'est formée ensuite en comité secret et la séance a été levée à 6 h.

REVUE CRITIQUE

Les neurones, l'hypnose et l'inhibition, par M. le Professeur Bombarda (de Lisbonne), (Revue neurologique, 1897, n° 11. p. 298.) — On sait que le système nerveux central est considéré de nos jours comme

un assemblage de neurones, c'est-à-dire de cellules nerveuses à prolongements mobiles. En invoquant les vibrations de ces neurones, l'excitabilité de leurs prolongements, la plus ou moins grande facilité do leurs articulations et désarticulations, on a pu déjà donner une théorie du sommeil et rendre intelligibles, à ce point de vue, les principaux phénomènes de In vie psychique. L'hypnotisme, lui aussi, va s'expliquer par une modification de ces mêmes prolongements neuroniques, lesquels seront alors non plus paralysés (comme dans le sommeil naturel), mais cette fois artificiellement contractés.

En effet, quand on veut provoquer l'hypnose, on s'applique le plus souvent à produire l'excitation persistante de l'un des organes des sens ; les prolongements protoplasmiques excités d'une manière continuelle ne tardent pas à présenter l'état de tétanisation que l'on constate, par exemple, dans un muscle lorsque, par des excitations répétées, on est arrivé à réaliser en lui le fusionnement des secousses. Dès lors, cette contraction des dendrites périphériques se propage par tout l'enchaînement des neurones ; ainsi se trouve obtenue cette immobilité qui constitue le sommeil.

L'hypnose est donc un fait d'inhibition du cerveau, laquelle se traduit par de la tétanisation. Pendant l'état de veille, la suggestion est rendue plus confuse, plus pénible, moins sûre, à cause du jeu des associations latérales. Pendant le sommeil provoqué, au contraire, il y a enchaînement direct et exclusif entre la zone périphérique réceptrice, le centre psycho-moteur et l'autre région périphérique où le mouvement doit s'effectuer. L'acte suggéré s'accomplira avec exactitude parce que les prolongements neuroniques, en état de contracture, seront très fortement influencés. C'est que « des traits dessinés sur le sable s'effacent au moindre souffle ; des traits tracés sur un grain de sable sont indélébiles. La suggestion dans l'hypnose, c'est la gravure sur le grain de sable... De même, une corde tendue vibre avec plus de force et garde plus longtemps la vibration qu'une corde lâche. »

Un cas d'hystéro-épilepsie traité par l'électricité, par M. le Df Ferrand [Limousin médical, avril 1897, p. 54). — Un élève d'école communale perd subitement connaissance pendant la classe ; il roule sous la table, se débat pendant un quart d'heure au milieu de convulsions cloniques, puis reste trois quarts d'heure plongé dans une sorte de coma. Huit jours après, la même scène se renouvelle. Bientôt les crises apparaissent tous les deux jours, puis deux et même trois fois par jour ; elles sont annoncées par des vertiges et de violentes contrictions stomacales ; quand le jeune homme revient à lui, il ne se rappelle lien de ce qui vient de se passer. Comme on le pense bien, tous les médicaments qui sont de tradition en pareille circonstance ne manquent pas d'être prescrits : ils ne modifient en rien l'évolution périodique des crises. C'est alors que le Dr Ferrand a recours à l'hypnothérapie. Noire jeune homme est endormi à l'aide du miroir rotatif de Luys : des la première

séance lescrises disparaissent. Mais les vacances arrivent, et M. Ferrand doit s'éloigner de ce malade après la troisième séance d'hypnotisation, et les crises ne tardent pas à se reproduire ; l'hypnoplérapie, on effet, n'a pu, en si peu de temps, réaliser une guérison définitive ; toutefois, elle a dans une certaine mesure produit une influence favorable, car les nouvelles crises ne se manifestent plus que tous los deux jours ; elles durent moins de temps, sont moins violentes et ne provoquent plus la chute du malade.

A la fin des vacances, informé de cette récidive, le l)r Ferrand se met en devoir d'appliquer à nouveau l'hypnothérapio qui, une première fois, a eu des effets si rapides, quoique peu durables; mais, nous dit-il, ses efforts sont vains : il lui ost devenu impossible d'endormir ce jeune homme, lequel présente a une anesthésic ot une insensibilité incroyables ». C'est alors que, pour réveiller et régulariser cette sensibilité, il a recours à l'électrothérapie courants continus sans inler. mittence). A partir de ce moment, le malade n'a plus aucune crise et la guérison se maintient sans défaillance depuis six mois. Qu'est-ce à dire? Sommes-nous en présence d'un succès imputable à la seule électricité ou bien véritablement àia suggestion indirecte? Je penche bien plus volontiers pour la seconde hypothèse, car ce jeune homme est très suggestible, et puis la technique seule suivie par le D' Ferrand a été bien suffisante pour faire naître la pleine confiance dans l'officacilé du traitement électrique ; en effet, chaque séance d'électrîsation a régulièrement une durée déterminée à l'avance, les deux plaques cheminent de chaque côté de la colonne vertébrale, mais les pôles sont intorverlis toutes les cinq minutes, ensuite l'une des plaques passe sur le devant de la poitrine pour glisser insensiblement tout le long du sternum, depuis lo creux épigaslrique jusqu'aux clavicules... Ce n'est pas tout : une douche électrique termine chacune de ces séances. Chez le malade dont il s'agit, un pareil traitement, appliqué avec tant de précision, de soins et de conviction ne pouvait manquer de réussir; la a failli healing » réalisa ici encore la guérison tant espérée ; comment en douter, * le malade était, nous dit M. Ferrand, rat» de ce traitement ». C'était, en somme, dans l'esprit du sujet que résidait ici la vertu du a fluide électrique. »

Certes, je me garde bien de refuser à l'électricité toute valeur thérapeutique, ce serait nier l'évidence : — mais, ne nous est-il pas arrivé d'obtenir des guérisons manifestes en simulant d'intervenir avec un appareil électrique, alors que le courant ne passait pas"? Chacun ne sait-il pas que l'on peut réaliser des effets en apparence merveilleux avec des « mica panis » ou des potions au « proiuxyde d'hydrogène »? Ce n'est cependant ni an courant absent, ni à l'un ou â l'autre de ces prétendus médicaments qu'il convient d'attribuer ces succès. Sans doute une imposante machine électrique agit sur le moral du malade : elle accroît la suggeslibilité et facilite la guérison ; l'électricité est donc un procédé auxiliaire qu'il conviendra de ne pas négliger eu psycho-

thérapie ; mais ne nous faisons pas illusion sur l'efficacité intrinsèque des courants électriques : hicn souvent leur vertu curative n'est qu'un effet de suggestion indirecte. D'ailleurs, que le succès soit imputable à la seule électricité ou â la seule suggestion, ou mémo aux deux à la fois (ce qui est encore très vraisemblahle), l'essentiel est que le malade guérisse... Or, précisément, les cas traités avec succès sont légion!

Inobservation du D* Ferrand parait très instructive à plusieurs égards. D'abord, la rechute constatée dès le début des vacances n'offre rien d'étonnant; il fallait s'y attendre : il en sera le plus souvent ainsi lorsque le traitement suggestif aura été brusquement et prématurément interrompu. On s'explique moins qu'à la fin des v&canoes ce malade n'ait pu être endormi à nouveau ; en tous cas, pour éviter un semblable échec et pour rendre efficaces les suggestions ultérieures, on devra faire aux hypnotisés une suggestion spéciale analogue à celle-ci : « à l'avenir, si j'ai besoin, dans un but thérapeutique, de provoquerehez vous le sommeil hypnotique, vous vous endormirez vite et sans résistance, dès que je vous aurai soumis à telle ou telle pratique. * M. Ferrand eût. sans doute, évité son échec s'il avait pris cette précaution que trop souvent, il i:st vrai, on néglige d'observer. Enfin, si la guérison s'est maintenue sans défaillance depuis six mois, tout le mérite en doit revenir à M. Ferrand, qui a su répartir et espacer méthodiquement les séances : celles-ci, en effet, eurent lieu d'abord tous les deux jours, puis deux fois par semaine, puis une fois seulement par semaine, puis tous les quinze jours, toutes les trois semaines, — en dernier lieu tous les mois. Il conviendra même de les espacer davantage avant de les suspendre tout à fait. On ne saurait trop s'attacher à ce détail; il est un des éléments les plus importants du succès et l'on ne peut que féliciter M. Ferrand de l'avoir scrupuleusement observé.

Neuropatologib viscérale, par le D' Fernand Lcvillain (de Nice), Paris, Maloine, 1898. — Le Dr Levillain, qui a déjà écrit, sur diverses questions relatives au système nerveux, de nombreux travaux appréciés, vient d'entreprendre la publication d'un important « Manuel clinique de Neuropathologie ». Ce manuel est en cours d'impression ; il comprendra en tète de chaque chapitre, de chaque partio et même de chaque paragraphe des tableaux synoptiques très complets et très variés ; ce sont ces derniers que l'éditeur Maloine vient de publier eu extrait sous le titre de a Neuropathologic viscérale ». Co travail comporte six chapitres dont les cinq premiers sont consacres à la neuropalhologie des divers appareils cardio-vasculairu, plouro-pulmonaire, gaslro-hépato-intcsti-nal, génito-urinaire, cutanéo-ostéo-articulaire ; le sixième traite de la auuropathologie des diatbèses et dyscrasies- Chacun de ces chapitres comporte deux subdivisions ; les troubles viscéraux d'origine nerveuse et les troubles nerveux d'origine viscérale.

L'auteur n'a pas eu la prétention de faire une classification norogra-

phique ; il a rassemble, condensé et groupé en une étude d'ensemble des documents éparpillés çà et là ; il s'est proposé d'être utile au clinicien qui est aux prises avec les difficultés de la pratique journalière ; ¡1 a voulu, sous une forme simple et lumineuse, donner la solution des graves problèmes que soulèvent le diagnostic, le pronostic et la thérapeutique des maladies nerveuses;:., il peut se flatter d'y avoir réussi. On ne saurait, en effet, s'imaginer comme les diagnostics différentiels deviennent faciles dès que l'on prend pour guide le travail de M. Levillain. Mais ce livre n'est pas de ceux qu'on analyse ; qu'il nous suffise de sigaler les services qu'il est appelé à rendre non seulement au praticien qui fait de la médecine générale, mais encore au spécialiste en neuropathologie.

Hypnotism and its application to practical medicine, par Otto Georg Wetterstrand, traduction anglaise par Henrick G. Petersen, New-York, London, G. P. Putnam's Sons, 1897. — L'ouvrage de Wetterstrand a paru d'abord en langue suédoise ; ensuite, en 1890, il en a été publié une édition allemande considérablement augmentée; c'est elle que le D' Dal a traduite en russe en 1893 et que le Dr Petersen (de Boston}, vient de traduire également en anglais.

Wetterstrand n'a pas voulu écrire un manuel d'hypnotisme ; son but a été de montrer par de nombreuses observations cliniques toute l'importance d'un agent thérapeutique qui justifie d'une manière si lumineuse la vérité de cette parole : « l'esprit gouverne, le corps obéit. » Ce qu'il s'efforce de vulgariser auprès des médecins des différents pays, c'est la méthode inaugurée par l'homme éminent qu'est M. Liébeault; c'est à M. Liébeault en effet qu'il a dédié son livre a en témoignage de sa profonde admiration »; c'est encore une parole de M. Liébeault qu'il prend pour ... ne : « Par la pensée nous portons dans notre cerveau la santé et la maladie, la faiblesse et la force, nous créons en nous le calme et la tempête aussi facilement parfois que nous faisons succéder dans la nuit la lumière aux ténèbres. »

Les principaux cas dans lesquels la médecine psychologique a donné à Wetterstrand de remarquables succès sont les suivants : insomnies et autres troubles du sommeil, — maux de tête, — névralgies. —paralysies de nature organique, — ataxie locomotrice. — épilepsies et convulsions épileptiformes, — chorée, — mouvements spasmodiques, — bégaiement, — neurasthénie, — psychoses, — hystérie, — amblyopieet sunrdité nerveuses, — alcoolisme chronique, — morphinisme, chlora-lisme et nicotinisme, — anémie et chlorose, — maladies rhumatismales,

— hémorrhagies, — phtisie, — asthme et toux nerveuse, — maladies, de cœur, — congestions locales, — maladies d'estomac, diarrhées, — mal de Lïright, — incontinence d'urine, — névralgie du col de la vessie,

— maladies des enfants, — troubles menstruels, — maladies externes ; — enfin la thérapeutique suggestive a donné aussi de bons résultats en chirurgie et en obstétrique.

Comme appendice à cette traduction de l'ouvrage de Wetterstrand, on pourra lire quelques lettres adressées, il y a quelques années, à divers journaux anglais par le Df Petersen, alors que ce dernier étudiait les maladies nerveuses et mentales à Paris, à Nancy, â Zurich et à Vienne ; l'auteur y expose en particulier l'état actuel de la thérapeutique psychique d'après des faits cliniques observes chez MM. Aug. Voisin, Berheim, Forel, von Krafft-lihing ; de ces lettres, l'une des plus intéressantes est celle qui a trait à quelques guérisons obtenues par M. Aug. Voisin, lequel, comme on sait, a le premier appliqué l'hyno-tisme au traitement des maladies mentales (').

UN APPAREIL NOUVEAU POUR L'ÉTUDE DES TREMBLEMENTS. LE PSYCHOGRAPHE ; par M. Sommer, L'intermédiaire des biologistes, n° 8, 20 fév.

189S, p. 176. — Dl UNO INSTRUMENTO PER IiACCOLIERE LE GRAFICHE DEI MOVIMENTI DELLE DITI NELLA SCRITTURA, GRAFOGRAFO ; par M. G. Obici,

Rivista di patologia nervosa e mentale, juillet 1897. — M. Sommer, professeur de Psychiatrie à l'Université de Giessen, décrit un appareil qu'il a fait construire dans le but d'enregistrer les tremblements et, d'une manière générale, les mouvements inconscients de la main dans les trois dimensions. Grâce à un ingénieux système de leviers, cet appareil inscrit simultanément sur un cylindre enregistreur les trépidations qui se produisent de droite â gaucho, d'avant en arrière et de haut en bas. Les trois graphiques, indépendants l'un de l'autre, sont très nets et donnent sur la direction, ainsi quo sur la forme des tremblements, des détails qu'on ne saurait observer directement. Cet appareil sera très utile en neuropathologie; il permettra non seulement d'éclairer le diagnostic et de préciser l'évolution de la maladie, mais encore de suivre les diverses étapes du traitement et de constater les effets bienfaisants que laisse d'ordinaire après elle, chaque séance de suggestion ; c'est à ses divers titres que j'ai tenu â le signaler1.

Mais pourquoi donc appeler cet instrument un psychographe ? Les divers instruments qui permettent d'étudier les modifications de la tonicité musculaire, de la pression sanguine, du pouls capillaire, des battements du cœur, etc., nous renseignent autant que les tremblements sur les états psychiques. Us sont donc, à ce titre, eux aussi des psychographes. En somme, « psj'chographe » devrait être un terme générique dévolu à tous ces divers instruments de psycho-physiologie et, entre beaucoup d'autres, la dénomination de « trémographe », par exemple, conviendrait bien mieux, semble-t-il, à l'appareil de M. Sommer. Je n'y insiste que pour une raison de clarté; il n'est pas mauvais que le nom d'un objet fasse quelque peu présumer de son utilité.

(t) Les références relatives i colto question so trouvent dans les noies d'un orticlo que j'ai publtû dans la Revue de l'Hypnotisme du mois do mars tSüS ; cf. p. 2â7 et sq.

(1) il est construit par le mécanicien Schmidt, à Giessen (Scllcrs \Vc¡rJ, au prix de 85 marks.

M. G. Obici n'a pas encouru Je même reproche, car, se proposnnt de décrire un instrument susceptible d'enregistrer les mouvements des doigts dans l'acte dn l'écriture, il ?? tout naturellement appelé gra-phographe. Un porte-plume très mince, tenu par trois doigts, est relié à trois leviers qui par des tambours et des tubes en caoutohouc sont en rapport avec un cylindre enregistreur. Le mérite et la particularité de ce graphographe consistent en ce que l'avant-bras est immobile; c'est le papier qui se déplace : ainsi les mouvements des doigs sont seuls transmis et enregistrés. Grâce à cet appareil, on pourra éclaircir un certain nombre de problâmes relatifs à la physiologie et à la pathologie de l'écriture; M. Obici l'a d'ailleurs déjà utilisé pour l'étude de deux questions spéciales, l'écriture chez les jeunes enfants et chez les déments paralytiques.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Séance annuelle de la Société d'hypnologïe

La huitième séance annuelle de la Société d'hypnologic et de psychologie aura lieu le Lundi 11 Juillet 1898, à quatre houres précises, au Palais des Sociétés Savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le, V)' Dumontpallier, membre de l'Académie de Médecine.

Les auteurs sont invités à adresser, dès à présent, les titres de leurs communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général. 14, rue Taitbout.

Ordre du jour:

1. Compte-rendu de la situation morale et financière de la Société;

2. Communications et lectqres ;

3. Présentation de malades ;

4. Vote sur l'admission de nouveaux membres ;

5. Elections;

6. Rapport de la commission executive sur le deuxième Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique. » Désignation des rapporteurs.

Après la Séance annuelle, un Banquet aura lieu à sept heures, comme les années précédentes, au restaurant Lapeyrouse, quai des Grands-Augustins.

N--B. — Les membres de la Société sont inrÀlés à prendre bonne note que la date de la séance annuelle est fixée au Lundi 11 Juillet, a quatre heures.

Election a l'Académie de Médecine. — Nous apprenons avec un grand plaisir l'élection à l'Académie de Médecine de M. le Dr Paul Richer, qui

fut un des élèves les plus autorisés de l'Ecole de la Salpétrière. M. Paul Richcr, professeur à l'Ecole des Beaux-Arts, est l'auteur d'un travail considérable sur la grande hystérie et le grand hypnotisme, ainsi que d'études fort remarquables sur l'hystérie dans l'art.

NECROLOGIE

M. Auguste Voisin.

Nous apprenons avec un vif sentiment do regret la mort de M. le Dr Auguste Vqisln, médecin de la Salpètrière. Nous rappellerons dans notre prochain numeróles travaux scientifiques de ce maître éminent. M. Auguste Voisin laisse en hypnologie des travaux considérables, et sa perte sera péniblement ressentie par tous les collaborateurs de cette Revue dont il fut un des fondateurs.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

L'Institue psycho-physiologique de paris, fondé en 1889 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme, de la psychologie physiologique et de la pédagogie suggestive.

L'organisation de l'Institut psycho-physiologique en fait à la fois une Ecole pratique de psychothérapie et un laboratoire de psychologie expérimentale.

Une clinique rie maladies nerveuses (dispensaire neurologique et pédagogique), est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 1Û h, à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie,

Tous les jeudis, à 10 heures et demie, II, le ])' Bérillon, médecin inspecteur des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique de là faculté de médecine (semestre d'été) par des conférences sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.Il est secondé dans ses démonstrations cliniques par MM. les D" Henry Leincsje, F, La-raya. Coatarmanach, Faurc, Wolf, et dans ses démonstrations de psychologie expérimentale par MM. les I>" Paul Farcz, A. Guimbcau, Branly et par M. Charles Verdin,

pendant le semestre d'hiver 1897-1898, des cours et des conférences sont faits, les jeudis à cinq heures, par MM. les JJ" Duniontpallicr, Bérillon, Max Nordau, E. Caustier, Armand P^uljer, IJepry Lemesle, Paul Farez, Tison, etc., sur leS diverses branches 4c la psychologie physiologique et pathologique. M. le Dr Paul Joire, correspondant de

l'Institut psycho-physiologique, fait, à Lille, un cours annexe d'hypnologie.

Un musée psychologique contient un nombre considérable de documents relatifs à l'histoire de l'hypnotisme et de la psychologie. La bibliothèque est mise à la disposition des étudiants inscrits.

Chaque année, un certain nombre d'étudiants trouvent d'importantes contributions dans leur thèse de doctorat dans les travaux de l'Institut psycho-physiologique.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Bérillon. — L'hypnotisme et l'orthopédie mentale. In-8, 48 p., 1898, Rueff, éditeur, 104, boulev. Saint-Germain. Prix : 1 fr.

Abricossop. — L'hystérie aux il* et ÎS" sièdes (étude historique et bibliographique). Steinhel, in-8, 144 pages. París, 1897.

Gasc-Despossés. — Magnétisme vital. Expériences récentes d'enregistrement, suivies d'induction scientifiques et philosophiques, avec une préface par M. le professeur Boirac. Société d'éditions scientifiques, in-12, 335 pages. Paris, 1897.

Dr Gelineau.— Les déséquilibrés des jambes. Soc, d'éditions scientifiques. 1898.

Dr Gilles de la Tolrette.—Les èlatsneurasthéniques. J.B.Baillière. 1898. 92 pages.

Jules Bois. — Le satanisme et la. magie. Chailley. Paris. 3 fr. 50.

dr Laurent Cázalas. — Traitement de la tuberculose pulmonaire par l'éducation del'hygièneet la morale pratique. Doin. in-12. 3 fr. 50.

Dr Lefêvre. — Un voyage au Laos. Pion, in-12. 1898.

Rodolphe Muller. — Naturwissenscheftliche seelenforschung. Ar-wedStrauch, Leipsig, 168 pages, 1897.

Mar age. — Etude des cornets acoustiques par la photographie des flammes de Kœnig. 25 pages, (avec 10 planches). Masson, Paris 1897.

Max Nordau.— Psycho-physiologie du génie et du talent. 169 pages, in-12, Alean. Paris, 1897.

Maurice de Fleury. — Introduction à ta médecine de l'esprit. in-8o, 476 pages, Alean. Paris, Î897.

Paul Sollier. — Genèse et nature de l'hystérie^ 2 vol. in-8°. Alean. Paris, 1897.

Cesare Lombroso. — Les Anarchistes. Un vol., broch. in-8, 258 p. Paris. (Traduit par MM. Marie et Hamon.)

Milne-Bramwell. — On the évolution pf hypnotic theory. Un vol. broch. in-4°, 068 p. Londres, 1896.

d'o. G. "Wetterstrand. — Uypnolismus and its application to praticai medicine. Un vol. in-4", 166 p. Putnam's sons. Londres, 1897.

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

Abolition partielle du pouvoir d'inhibition volontaire, par le Dr Bérillon, 177.

Actes sociaux (les causes des), par le D' Regnault, 83.

Action de l'idée en thérapeutique, par le D' Dumontpallier. 282.

Action de l'idée en pathologie, par le Dr Dumontpallier, 14.

Affection rhumatismale, guérie par la suggestion, par le Dr Bourdon, 179.

Alcooliques et la suggestion (le traitement des), 94.

Aliénés criminels, 114.

Aliénés (l'état physique des), par le Dr Keraval. 145, 170.

Anesthésie hypnotique dans un but chirurgical (observation d'), par le D' Montoya, 246.

Année psychologique (1'), 341.

Anniversaire de la fondation de la clinique des maladies mentales à Saint Pétersbourg, 349.

Application de l'hypnotisme au traitement des maladies mentales (de l'), par par M. Tokarsky, 73.

Application pédagogique du traitement psycho-mécanique, par le D'Farez, 117.

Asiles d'Italie et le manicomio de Rome (les), par le D' Lemesle, 244.

Assemblée générale de la Société d'hyp-nolsgie et do psychologie, 371.

Assimilation de la conductibilité électrique discontinue, par le Dr E. Bran-ly, 229.

Astasie-abasie guérie par suggestion,

par le Dr Ginestous, 24. Attentat contre le Dr Charpentier, 222.

Banquet annuel de la société d'Hypno-logie, 63.

Braid (James), par le Dr Milne Bram-well, 27, 60, 87, 129, 353.

Cas singulier d'illusion de dédoublement (un), par le Dr Leroy, 148.

Causes des actes sociaux, par le Dr Regnault, 83.

Charcot (la statue de), 320.

Classification naturelle des caractères (sur une), par le Dr Regnault, 250.

Conductibilité nerveuse et conductibilité électrique discontinue, par le Dr Bran-

ly, 229.

Conférence sur l'hypnotisme de l'Association française pour l'avancement des Sciences, 187.

Considérations psychologiques sur la nature et le traitement des phobies, par le Dr Valentin, 52.

Contracture (guérison par le transfert), par le Dr Bérillon. 280.

Cours et conférences du semestre d'hiver 1897-1898 a l'Institut psycho-physiologique, 190.

Cours libre à l'école pratique de la faculté de médecine (programme), 287.

Criminels aliénes, par le Dr Lemesle, 114.

Dédoublement (illusion de), 148.

Dégénérescence (la lutte contre la), par le Dr Bériilon, 156.

Diabolique (l'hypnotisme n'est pas), par le P. Coconier, de Fribourg, 7.

Diathèse de contracture, par le Dr Bériilon, 280.

Education dans l'étiologie de l'hystérie infantile (rôle de 1'), par le D'Bérillon, 318.

Education de la volonté, par le Dr Bériilon. 156.

Eloge du Dr J. Luys, par le Dr Dumontpallier, 185.

Eloge du Dr Mesnet, par le Dr Dumontpallier, 279.

Enfant prodige (a propos d'un), par le Dr Stumpf, 85.

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, 32, 64, 96, 127, 158, 189, 223, 255, 285, 351, 379.

Erytrophobie (l') par Ie Dr Boucher, 76.

Etude sur James Braid, par le Dr Milne Brarowell (à propos de l') par le Dr Bernheim. 137.

Etude médico-légale de l'hypnotisme et de la suggestion, par le Dr Joire, 168.

Etat physique des aliénés, par le Dr Kéraval. 145, 170.

Etat de veille et les états d'hynose (l'), par le Dr Liébeauit, 321.

Expériences sur l'influence du psychique sur le physique (nouvelles), par le Dr Bonjour, 79.

Extériorisation de la sensibilité {de l'), par le Dr Joire, 193.

Folklore, 221.

Grimoires et ancienne magie, 284.

Haidenhain, nécrologie, 160.

Hallucinations de l'ouïe dans la démence sénile délirante, par le Dr Parlsot, 125.

Hypnomanie en Amérique (une épidémie d'), 255.

Hypnose fortuite (l'), par le Dr Desplas,

Hypnotisme et sa réglementation légale, par Packiewicz, 234.

Hypnotisme et de la suggestion (étude médico-légale de l') par le Dr Joire, 168.

Hypnotisme dans ses rapports avec la criminalité (l'), par le Dr Moreau, 153.

Hypnotisme franc n.'est pas en soi diabolique (1'), par le P. Coconier, 7.

Hypnotisme agent thérapeutiquo (1'), par le D' Desplats, 33.

Hypnotisme au Congrès de Moscou (l'J, 65.

Hypnotisme et de la suggestion (la valeur thérapeutiqne de l'), par le Dr Milne Bramwell, 129.

Hypnotisme (il n'y a pas d'), par le Dr Harlenberg. 211.

Hypochondrie consécutive à une hys-téro-neurasthénie. suggestion sans hypnose, par le Dr Valentin, 11.

Hystérie infantile (rôle de l'éducation dans l'étiologïe de 1), par le Dr Bérillon, 318.

Hystérie infantile (le traitement psychothérapique de l'), par le Dr Bérillon, 68.

Hystérie infantile (de l'incontinence d'urine dans ses rapports avec 1'), par le Dr Cullerre. 152.

Hystéro-neurastbénie ancienne, guérie par la suggestion, par le Dr Bourdon, 180.

obsédante, guérison par la suggestion, par le Dr Bourdon, 182

Idée en thérapeutique (action de l'), par le Dr Dumontpallier, 282.

Incontinence d'urine dans ses rapports avec l'hystérie infantile, par le Dr Cullerre, 152.

Inhibition volontaire (abolition partielle du pouvoir d'), par le Dr Bérillon, 177.

Insensibilité d'une jeune fille, 349. Insomnie (un nouveau remède contre 1'), 187.

Insomnie par idée fixe subconsciente, 314.

Institut psycho-physiologique de Paris (l'), 1.

Instituts scientifiques en Russie (les), 350. Interprétation physiologique de l'action

curative du sommeil provoqué, par le

D* Bérillon, 20.

James Braid et la suggestion, par le Dr Milne Bramwell, 353.

Jurisprudence médicale, par le Dr Thomas, 57.

Liébeault (M. le Dr), par le Dr Laveys-sière, 289.

Luys (éloge du Dr), par le Dr Dumontpallier, 185.

Liuys (nécrologie), 91.

Magie et grimoires (de la suggestion

dans la), 281. Magnétiseurs, 57.

Magnétiseurs et l'exercice de la médecine (les), 31.

Maladies mentales (de l'application de l'hypnotisme au traitement des), par le Dr Tokarsky, 73.

Manie aiguë intermittente, pendant, les périodes menstruelles, traitement par la suggestion, par le Dr Voisin, 111-

Mesnet (M. le Dr). 225.

Mesnet (éloge de M. le Dr). par M. le Dr Dumontpallier, 279.

Neurasthénie psychique guérie pur la dynamogénie suggestive, par le Dr Harlenberg. 42.

Neurologistes russes et français (les). 95.

Névrose trémulante guérie par la suggestion hypnotique, par le Dr Parez, 117.

Obsession chez deux héréditaires (forme particulière d'), par le Dr Boucher, 76. Onychophages illustres (les), 93. Oraisons et conjurations, 221.

Pédagogie psychologique et clinique (index bibliographique), 167.

Pédugogie suggestive (les principes de la,, par le Dr Bérillon, 161.

Peretption visuelle des profondeurs (la), 342.

Phobies professionnelles traitées avec succès par l'hypnose, par le Dr Bérillon, 9.

Photographie des étals hypervibratoires de la vitalité humaine, par le Dr Baraduc, 47.

Preyer, nécrologie, 160.

Principes de la pédagogie suggestive (les), par le Dr Bérillon, 161.

Prise du regard dans l'état de fascina-nation (la), par le Dr Bérillon, 369.

Psychologie rétrospective, 340.

Psychology (the new), 343.

Puissance de l'idée en thérapeutique (la), par le Dr Dumontpallier, 14.

Radiographie humaine (méthode de), par le Dr Baraduc, 47.

Recherches experimentales sur l'excita-tion et la dépression, 345.

Rééducation suggestive de la volonté, par les Dr Valentin et Hartenberg, 155.

Richet (Charles), à l'Académie de médecine (élection du professeur), 317.

Richer (Paul) Election à l'Académie de Médecine, 378.

Scoliose suggérée chez un hystérique, 351.

Séance annuelle do la Société d'hypnologie et de psychologie, 13.

Sensibilité (la), par le Dr Kéraval, 170.

Sensibilité (extériorisation de la), 194.

Société d'hypnologie et de psychologie, 7. 13. 42 , 79, 104, 148, 176, 185, 211, 244, 279, 318, 368.

Sommeil (le) par le Dr Kéraval, 145.

Sommeil (la durée du). !88.

Sommeil hypnotique sur les gastralgies du tabes dorsal (influence du), par le Dr Spalikowski, 126.

Sommeil naturel (de la suggestion pendant le) par le Dr Parez, 257, 292, 324. 370.

Suggestibilité a l'état de veille ot dans l'hypnose, par le Dr Bourdon, 178.

Suggestions criminelles (la question dea), par le Dr Liégeois, 98.

Suggestion mentale : expériences nouvelles (de la), par le Dr Joire, 104.

Suggestion et hypnotisme (leur valeur thérapeutique) par le Dr Bramwell, 129.

Suggestions hypnotiques criminelles, dangers et remèdes (les), par le Dr Liégeois, 203, 236. 273, 311.

Suggestion pendant le sommeil naturel, par le Dr Parez, 257 , 292, 324.

Suggestions religieuses dans la famille Pascal (histoire dos), 266, 302, 335, 302.

Tabes dorsal (suggestion dans te), 126.

Tension artérielle et action curative du sommeil, par le Dr Bérillon, 20.

Testament, incapacité de recevoir, 57.

Tic facial guéri par suggestion, par lo Dr Aimé, 23:

Tic rotatoire guéri par la psychothérapie (un cas de), par le Dr van Ron-terghem, 154.

Traitement psycho-thérapique de l'hystérie infantile (le), par le Dr Bérillon, 68.

Trouble mental, guérison par la suggestion dans le sommeil hypnotique, par le Dr Bourdon, 182.

Tumeurs diverses guéries par la suggestion à l'état de veille, par le Dr Bourdon, 181.

Valeur thérapeutique de l'hypnotisme

et de la suggestion, par lo Dr Milne

Braimwell, 129. Veille et les états d'bypnoso (l'état de)

par le Dr Liébeault, 321. Vogt (rapport sur la candidature du Dr),

par le Dr Parez, 248. Volonté (éducation de la), 156. Voisin (Auguste) Nécrologie, 379.

FIGURES CONTENUES DANS LE TEXTE

Porce courbe (Baraduc). 18.

Aura d'expansion humaine (Baraduc), 49.

Luys (portrait), 92.

Tremblement (cliché), 123, 124.

Mosnet (portrait), 225.

Liébeault (portrait), 289.

TABLES DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS

Aimé (Henri), 23.

Bachaumont, 340. Baraduc, 47.

Bérillon, 9, 20, 65, 68, 156, 161, 177, 218,

280, 318, 369. Bernheim, 137. Binot (A), 341.

Binet-Sanglé, 266, 302, 335. 362. Bois (Jules), 284. Bombarda, 372. Bonjour, 79. Boucher, 76. Bourdon, 342. Bourdon, de Méru, 178. Branly (Edouard), 229.

Coconier (le p.), 7. Cullerre, 152.

Desplats, 5. 33. Dumas (G), 345.

Dumontpallier, 14, 185, 220, 279, 282, 365, 368. 369.

Farez (Paul), 117, 168, 248, 258, 292 , 324,

335, 341, 370. Ferrand, 373. Forel, 94.

Ginestous, 24.

Hartenberg, 42, 155, 211.

Janet (Pierre), 344. Joire (Paul), 104, 168, 193.

Kéraval, 145, 170.

Learned, 187.

Lemesle (Henry), 114, 244.

Leroy (Eugène-Bernard), 148.

Levillain, 375-

LiÉbeault, 321.

Milne Bramwell, 27, 60, 87, 129, 353. Mirallié, 351. Montoya, 247. Moreau (Camille), 154. Obici, 377.

Packiewicz (de), 224.

Parisot, 125.

Pcterzen (Henrick), 376.

Regnault (Félix), 83. 250. Rcnterghem (van), 154. Richet (Charles), 347. Richer (Paul), 378.

Sawyer (James), 188. Scripture (W), 343. Sommer, 377. Spalikowski, 126. Stumpf, 85.

Thomas, 57. Tokarsky, 73.

Valentin, 11, 52, 155. Voisin (Auguste), 111. Wetterstand. 376.

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