(1858) Leçons cliniques sur les maladies chroniques de l'appareil locomoteur : professées à l'Hôpital des enfants malades pendant les années 1855, 1856, 1857
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(1858) Leçons cliniques sur les maladies chroniques de l'appareil locomoteur : professées à l'Hôpital des enfants malades pendant les années 1855, 1856, 1857

LEÇONS CLINIQUES

SUR

LES MALADIES CHRONIQUES

DE

L'APPAREIL LOCOMOTEUR

PROFESSÉES A L'HOPITAL DES ENFANTS MALADES pendant les aimées 1855, 185G, 1857;

PAR

M. LE DOCTEUR H. BOUVIER,

MÉDECIN DE L'HOPITAL DES ENFANTS, MEMBRE DE L'ACADÉMIE IMPERIALE DE MÉDECINE, 1JE LA SOCIÉTÉ DE CHIRURGIE, ETC.

PARIS J.-B. BAILLIÈRE et FILS,

LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE, rue Hautefeuille, .19.

IiOntlrc* 9 Vcw-York

n. BAILLIÈRE, 219, Regent-Street. ï II. BAILLIÈRE, 290, Broadway.

madrid, c. bailly baillièrerCalle del principe, 11.

1858

L'auteur et les éditeurs se réservent le droit de traduction.

AVERTISSEMENT.

Je réunis dans ce volume les trois années de mes Leçons cliniques, recueillies en 1855 par M. le docteur Bailly, en 1856 par M. le docteur Richard Maisonneuve, en 1857 par M. Moilin, interne de mon service. Je suis heureux de trouver ici l'occasion de remercier publiquement ces jeunes médecins de leur collaboration active et éclairée.

La suite de ces Leçons forme aujourd'hui une sorte de Traité pratique sur les principales difformités des systèmes osseux et musculaire. Il n'y manque qu'un autre ordre; mais j'ai, cru devoir conserver celui dans lequel les faits ont été présentés à mes auditeurs.

J'ai fait mon possible pour être concis. Si je n'ai pu éviter des développements souvent nécessaires lorsqu'il s'agit de matières neuves ou étudiées par

un petit nombre de personnes, c'est que je devais me proposer tout à la fois de mettre en lumière des connaissances trop peu répandues et de combattre des erreurs accréditées. Je me suis efforcé de remplir cette double tâche, en résumant aussi brièvement que je F ai pu les résultats de trente années d'observations et de recherches spéciales.

J'ai puisé en grande partie les matériaux de ces Leçons clans un Mémoire très-étendu, encore inédit, que j'ai présenté, en 1856, au concours ouvert par l'Académie des sciences, qui a bien voulu distinguer honorablement mon travail. J'avais déjà consigné antérieurement quelques-uns des faits principaux qu'il renferme dans plusieurs thèses soutenues à la Faculté de médecine de Paris (1), dans les articles Pied bot, Vertébrale (déviations de la colonne), etc., du Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques. Je me suis attaché depuis à compléter, à rectifier au besoin, à vérifier

de nouveau des doctrines aujourd'hui confirmées *

(1) Voyez entre autres : Goussy, Déviations de la colonne vertébrale, 1828; Loret, même sujet, 1829; Loir, Propositions d'anatomie, dephysioloçjie et de pathologie, 1834.

par le temps et par des luttes qui ont eu quelque retentissement.

J'ai ajouté à mon texte, pour l'année 1857 seulement, un Atlas de vingt planches, toutes relatives aux déviations de la colonne vertébrale. A l'exemple de Delpech, j'ai évité d'établir une liaison forcée entre les figures et le corps de l'ouvrage, de sorte que l'Atlas, tout en servant de complément à celui-ci, n'est nullement indispensable pour l'intelligence du texte.

Novembre 1857.

Quelque soin que l'on ait apporté à l'impression de ces feuilles, il s'y est glissé des erreurs typographiques; les plus essentielles sont corrigées dans l'errata suivant :

Page 127, ligne 24, au lieu de : « des extenseurs du tronc; il résulte », etc., lisez : « des extenseurs du tronc ou des muscles abdominaux ; dans le premier cas, il résulte », etc.

Page 332 , note (l), au lieu de : « pages 283 et 285 », lisez : « pages 283 et 298 ».

Page 336 , note (3), au lieu de : Déviation, lisez : Déviations. Pages 361, 363 et 364, au lieu de : anormale, lisez : anomale. Page 384, ligne s , au lieu de : « deux courbures régulières », lisez : « deux courbures d'abord régulières ».

Page 480, ligne 31, au lieu de : « comme on l'a vu » , lisez : « comme on l'a cru ».

LEÇONS CLINIQUES

SUR LES MALADIES CHRONIQUES

de

L'APPAREIL LOCOMOTEUR.

PREWIKBE ANNÉE, 1855.

GÉNÉRALITÉS.

Messieurs ,

(1) L'objet de notre réunion est l'étude clinique des maladies chroniques de l'appareil locomoteur, c'est-à-dire du système nerveux , du système musculaire, du système osseux (y compris ses annexes, ligaments, cartilages, membranes synoviales). Ces trois systèmes organiques forment une sorte de trilogie hiérarchique; ils se commandent l'un l'autre dans l'ordre physiologique, comme dans l'ordre pathologique.

Dans l'acte normal de la locomotion, de même que dans les troubles morbides de cette fonction, trois faits s'enchaînent : le nerf excite le muscle, le muscle agit sur l'os, l'os est mis en mouvement.

(1) Première leçon, 18 mai 1855.

bouvier. 4

Ainsi, toute affection du système nerveux locomoteur fait sentir ses effets dans les systèmes musculaire et osseux. Tout état morbide des muscles exerce une influence sur le squelette.

Il y a donc une série de désordres du système osseux qui dérivent des lésions des muscles, une série d'affections musculaires et osseuses dont la source est dans le système nerveux.

Mais ce principe de subordination n'est pas absolu ; le système osseux peut être affecté en lui-même, indépendamment des systèmes nerveux et musculaire, de même que les muscles peuvent l'être indépendamment du système nerveux. De là une autre série de lésions osseuses et musculaires, les lésions qu'on peut appeler indépendantes, qui, à leur tour, réagissent sur les systèmes supérieurs à celui qu'elles affectent.

L'ordre de dépendance des phénomènes est alors renversé ; l'influence morbide se propage des os aux muscles et aux nerfs, des muscles au système nerveux.

Nous aurons, pour chaque maladie, à déterminer à laquelle des deux classes elle appartient, de quel système organique elle tire primitivement son origine.

Considérées dans l'enfance en particulier, les affections de l'appareil locomoteur diffèrent, à plusieurs égards, des maladies de l'âge adulte qui ont le même siège. On en trouve la raison dans la différence des conditions anatomiques et physiologiques des organes du mouvement à ces deux époques de la vie. Le système nerveux de l'enfant se distingue par un développement proportionnel beaucoup plus grand que chez l'adulte. Son cerveau est, en moyenne, une fois et demie aussi volumineux relativement au reste du corps. D'un autre côté, la substance nerveuse est plus molle, plus délicate, plus pénétrée de sang ou de liquides séreux. L'activité de ce système est caractérisée, dans l'enfance, par une grande impressionnabilité, une grande rapidité d'action, mais aussi par une faible énergie, par une grande mobilité, une courte durée des phénomènes produits , une étonnante facilité à passer d'un état quelconque à l'état contraire.

Le centre cérébral est, comme toute la tête, le siège d'une circulation active , d'une sorte de fluxion physiologique, déterminée par les besoins de son propre développement et par la formation et l'éruption des dents.

Les propriétés, toutefois beaucoup moins développées, du système musculaire sont en rapport avec celles du système nerveux. Les muscles de l'enfant sont mous, peu colorés, faibles, et contiennent peu de matières solides ; mais ils sont doués d'une vive irritabilité, et leur nutrition est très-active.

Les caractères du système osseux, chez l'enfant, sont des plus remarquables. Une partie du squelette est constituée par des cartilages qui ne se rencontrent plus chez l'adulte. La substance osseuse elle-même est plus souple, plus molle, plus poreuse, arrosée d'une plus grande quantité de sang, moins encroûtée de sels calcaires. On trouve entre cette substance et les cartilages des couches d'une matière de nature intermédiaire, propre à cet âge. La vitalité de ce système est à son maximum au point de vue de la vie végétative, de la formation et de l'accroissement organiques.

Avec de pareilles données, fournies par l'état physiologique, on s'explique aisément pourquoi l'enfance est l'âge de prédilection des maladies convulsives aiguës et chroniques; pourquoi les affections cérébrales compliquent presque toutes les maladies de cet âge; pourquoi les convulsions, les contractures, tous les spasmes musculaires , la paralysie, éclatent alors si soudainement, si inopinément; pourquoi ces affections ont une marche si rapide, tantôt emportant les petits malades en quelques heures, tantôt disparaissant avec la même promptitude, d'autres fois anéantissant à jamais une partie des fonctions locomotrices. On comprend la fréquence des arrêts de développement, des désordres nutritifs des os et des muscles, celle de toutes les affections irrilatives du squelette. On comprend les troubles de l'ostéogenèse qui constituent le rachitisme , et qui ne pouvaient guère se montrer qu'au moment où a lieu le travail de l'ossification.

L'organisation générale de l'enfant, son mode de vitalité propre et les états pathologiques qui en dépendent, impriment encore des caractères spéciaux aux maladies chroniques de ses organes locomoteurs : ainsi sa constitution lymphatique, la diathèse scrofuleuse qu'elle détermine, la diathèse tuberculeuse, si commune dans l'enfance, jouent un grand rôle dans les affections dont nous devons nous occuper.

On pourrait croire que les maladies chroniques épuisent plus promptement ces organismes débiles que l'organisation plus robuste

4.

de l'adulte, que la terminaison de ces maladies doit être plus souvent fatale que dans un âge plus avancé ; on serait dans l'erreur, au moins pour une foule de cas.

Un grand fait physiologique nous est révélé par l'observation et l'expérimentation directe : c'est que les fonctions vitales sont plus indépendantes les unes des autres, moins solidaires dans les jeunes animaux que dans l'âge adulte; de sorte que l'une d'elles peut être gravement compromise ou même suspendue à une époque rapprochée de la naissance, sans que les autres en souffrent au point que la mort s'ensuive, comme chez l'animal adulte ; et quand la mort arrive dans ce cas, elle est généralement plus tardive ; la résistance vitale paraît plus grande, parce qu'elle est moins concentrée. De là, ces mutilations spontanées, ces désorganisations profondes qu1 s'accomplissent sans porter atteinte à la vie, chez un grand nombre de fœtus monstrueux. De là, la guérison plus facile à la suite des grandes opérations chirurgicales dans l'enfance.

Or, ce fait se reproduit souvent dans les affections chroniques de l'appareil locomoteur. Sans doute les sympathies organiques sont promptement éveillées chez l'enfant, la fièvre s'allume instantanément par une cause même légère, divers organes s'affectent rapidement sous l'influence de la lésion primitive d'un seul, et l'on a pu dire avec vérité, sous ce rapport, que l'unité vitale était plus caractérisée chez l'enfant que chez l'adulte. Mais très-fréquemment, dans les maladies chroniques, ces troubles ne sont que passagers, et des désordres locaux et étendus parcourent toutes leurs périodes, atteignent celle de la réparation et de la guérison sans que la vie soit aussi sérieusement menacée qu'elle l'est en pareilles circonstances chez les adultes. Même quand l'issue est funeste, la vie persiste en général plus longtemps, et l'on peut dire que, dans ce cas, les enfants sont véritablement lents à mourir.

Cette résistance vitale, produite par l'indépendance relative des organes essentiels à la vie, convertit parfois des maladies habituellement mortelles chez l'adulte en maladies curables chez l'enfant. Nous aurons occasion, je l'espère, d'en voir plus d'un exemple.

Cependant, ne nous faisons pas illusion, la mortalité est grande sur le terrain où nous nous trouvons. Cela tient à deux causes : 1° aux éléments dont se compose notre population hospitalière; 2° aux conditions engendrées par le séjour même de l'hôpital.

MM. Rilliet et Barthez(l) ont décrit avec beaucoup de soin un état cachectique de l'enfance, surtout commun dans les premières années. C'est une sorte d'étiolement, une langueur de toutes les fonctions provenant de faiblesse congénitale, d'une mauvaise hygiène , de maladies successives. Les familles pauvres sont embarrassées de ces enfants; elles nous les amènent. Quelquefois ils se raniment; plus souvent ils ne font que végéter quelque temps, s'affaissent de plus en plus, sont réduits pour ainsi dire à l'état de momie, et s'éteignent ou sont enlevés par la moindre affection intercurrente. Quand nos maladies chroniques se rencontrent chez de pareils sujets, il n'y a guère lieu d'espérer que leur terminaison soit favorable.

Le seul séjour de l'hôpital est une autre cause de mortalité, même chez les enfants doués de meilleures conditions organiques. L'air vicié au sein duquel ils vivent finit par altérer leurs fonctions, surtout s'ils sont forcément astreints à garder le lit. Ils perdent l'appétit, maigrissent, pâlissent, contractent des diarrhées interminables , souvent se tuberculisent, comme on le voit aussi chez l'adulte placé dans un milieu semblable. La cachexie, que la maladie chronique tend à produire, est ainsi favorisée, aggravée. Puis, ces malheureux enfants sont exposés pendant des mois, des années, à toutes les épidémies, à toutes les contagions qui sévissent autour d'eux, à la coqueluche, au croup, aux gangrènes, aux maladies éruptives. Toutes ces influences sont assurément plus que suffisantes pour réduire le chiffre de nos guérisons.

Je bornerai à ce peu de mots les remarques générales que j'avais à vous présenter sur les faits communs aux maladies chroniques de l'appareil locomoteur, spécialement considérées chez les enfants admis dans cet hôpital.

L'ordre à suivre dans l'élude particulière de ces maladies est en quelque sorte tracé d'avance. Il faut les examiner successivement dans les trois systèmes organiques qui concourent aux fonctions locomotrices. S'il s'agissait de nosologie, nous devrions commencer par le système nerveux, point de départ des principales manifestations physiologiques et d'un grand nombre des manifestations pathologiques des deux autres systèmes. Mais la clinique est soumise

(1) Traité clinique des Maladies des enfants, t. ior, p, 27, 2e édit., 1853;

à d'autres exigences, à celle du hasard, qui rassemble plutôt, à un moment donné, les malades de telle catégorie que ceux de telle autre. Par ce motif, je commencerai par les maladies du système osseux.

Il est naturel de diviser les maladies chroniques du squelette en deux classes, suivant qu'elles ont leur siège dans la continuité des os ou dans leur contiguïté ; mais ici encore nous ne nous astreindrons à aucune classification systématique, et nous grouperons les lésions osseuses, tantôt d'après leur siège, tantôt d'après leur nature, selon l'avantage que nous y trouverons pour l'observation des faits particuliers qui seront à notre disposition.

ARTICLE PREMIER.

DU MAL VERTÉBRAL DE POTT.

La colonne vertébrale, ce centre d'où rayonne tout le reste du squelette, premier objet de vos études anatomiques, fixera d'abord notre attention.

La principale maladie chronique du rachis est celle qui a reçu le nom de mal vertébral ; c'est comme si l'on disait l'affection vertébrale par excellence. Je lui laisserai cette dénomination vague; on en verra bientôt la raison. Le nom de mal de Pott consacre une injustice ; on serait tout aussi fondé à dire mal de Camper, de Hu-naud, de Séverin, et de tant d'autres qui ont parlé de cette maladie avant le célèbre chirurgien anglais.

Définition et nature de la maladie. — On peut définir le mal vertébral : une affection des ligaments intervertébraux et du corps des vertèbres, qui détruit leur substance dans une étendue variable, et qui est suivie de la formation d'un nouveau tissu osseux, véritable cicatrice comblant le vide, unissant les bords do la solution de continuité produite.

Malgré de nombreuses recherches anatomo-pathologiques, on n'est pas d'accord sur la nature de la lésion primitive qui constitue le mal vertébral et qui amène la destruction des disques osseux et fibreux du rachis. On a pendant longtemps rapporté cette lésion à la carie; mais les vertèbres malades ne présentent, pas ordinaire

ment les caractères physiques de la carie ; le stylet ne les pénètre pas aisément; elles conservent une dureté assez grande, et ce serait là une carie d'une espèce toute particulière dont il resterait à déterminer la nature. On a dit ensuite que c'était une ostéite ; il existe, en effet, assez souvent des traces évidentes d'inflammation de l'os au voisinage ou au fond de la solution de continuité ; mais il n'est nullement prouvé que cette lésion constitue généralement toute la maladie dans le principe.

Aujourd'hui, l'opinion la plus généralement répandue est celle de Delpech, qui attribuait la destruction des vertèbres à une affection tuberculeuse. C'est là effectivement une forme très-commune du mal vertébral, surtout à l'hôpital des Enfants. Cependant il est des cas où l'on ne trouve pas de trace de tubercules, de sorte qu'il reste quelque incertitude sur la nature constamment tuberculeuse de cette affection.

On a aussi décrit une altération des ligaments intervertébraux qui se rapporterait à l'arthrite chronique, et qui entraînerait la destruction de ces ligaments, la lésion des vertèbres et toutes les suites du mal vertébral ; mais on ne peut évidemment généraliser ces faits, si l'on tient compte des cas où la maladie, commence manifestement par le corps des vertèbres, détruit dans son intérieur par un tubercule enkysté, par exemple.

Ce qu'il y a de plus vraisemblable, c'est que l'affection vertébrale n'est pas toujours de la même nature, que c'est tantôt une ostéite, tantôt une maladie tuberculeuse, d'autres fois une arthrite, ou même la réunion de plusieurs de ces lésions. Il faut ajouter que la nécrose y joue également son rôle ; car on rencontre fréquemment dans les excavations du rachis des séquestres presque toujours , à la vérité, consécutifs. Les efforts des observateurs doivent tendre à établir les formes symptomatiques qui correspondent à ces diverses altérations, afin que l'on puisse parvenir à les distinguer pendant la vie. En attendant, nous les confondrons provisoirement dans une description commune, et l'on comprendra maintenant pourquoi nous n'adoptons pas encore les dénominations plus précises, mais, à notre avis, trop exclusives, de cavie vertébrale, à'ostéite vertébrale, de tubercules vertébraux, d'arthrite vertébrale, que l'on a imposées à la maladie qui nous occupe. Si maintenant j'abordais l'exposé dogmatique de l'étiologie, de

la symptomatologie, de la marche, des terminaisons, de l'anato-mie pathologique, du diagnostic, du pronostic, du traitement du mal vertébral, je manquerais l'objet de nos réunions, je ne ferais plus de la clinique : ce serait une leçon de pathologie. Ce sont les faits particuliers qui sont du ressort de la clinique; ils doivent passer sous vos yeux comme autant d'exemples, de démonstrations sensibles des vérités générales dont s'est enrichie la science. C'est donc maintenant par l'observation des faits isolés que nous allons procéder, sauf à les rapprocher, à les classer, à les grouper dans un ordre quelque peu méthodique, de manière à nous élever plus facilement, à leur occasion, aux déductions générales, aux principes, aux idées synthétiques, dont l'acquisition est, en dernière analyse, le but final de l'observation dans les sciences naturelles.

§ Ier. — ànatomie pathologique.

Je mettrai d'abord sous vos yeux une série de pièces pathologiques qui vous représenteront toutes les phases du mal vertébral sur le cadavre ; puis je vous ferai voir une série de malades qui vous offriront le tableau vivant de la maladie. Le simple rapprochement de ces deux séries vous donnera l'explication de l'une par l'autre, et, par conséquent, une connaissance aussi complète que possible de la nature et des effets de cette affection.

lre période. Invasion de ta maladie. — La maladie peut commencer par les ligaments ou par les os.

Avant même la publication de travaux récents, on avait déjà dit que l'affection a son siège primitif dans les ligaments. D'autres ont prouvé qu'elle débute souvent par les os. Dans la pièce que je vous présente, on voit manifestement que les ligaments ont été le point de départ de la lésion; le dernier ligament intervertébral a disparu. Quand les choses se passent ainsi, la substance ligamenteuse se ramollit ; elle est détruite molécule à molécule, et finit par disparaître entièrement. Ceci s'applique à toutes les articulations des vertèbres, sauf ce qu'il y a de spécial dans celles de l'atlas avec l'axis et l'occipital, qui présentent dans leurs surfaces de contact et leurs moyens d'union des conditions anatomiques différentes.

L'altération débutant par l'os peut commencer à la surface ou dans l'intérieur du cylindre osseux. Dans le premier cas, il existe un

ulcère de la vertèbre. Vous voyez sur cette pièce une érosion circulaire et une excavation superficielle de l'os ; sur cette autre, une destruction des faces supérieure et postérieure du corps vertébral.

Outre les disques osseux et fibreux, il y a dans l'enfance des disques cartilagineux en nombre double de celui des vertèbres. Ces cartilages sont le rudiment des épiphyses; ils doivent se pénétrer de sels calcaires et former les faces supérieure et inférieure des corps vertébraux. L'atlas-, dont le corps est remplacé par un tubercule osseux, ne présente pas ces lames cartilagineuses ; l'axis n'en offre qu'une seule à sa face inférieure; par cette raison, leur nombre se trouve réduit à quarante-cinq. Intimement unis au disque osseux, dont ils tirent les éléments de leur nutrition, ils s'en détachent souvent lorsqu'un travail morbide a envahi ce dernier; on les trouve alors flottant au milieu d'une collection formée de pus et de détritus osseux, et conservant en partie leurs propriétés physiques, telles que consistance et coloraiion. Un dépôt tuberculeux est quelquefois versé entre le corps vertébral et l'une ou l'autre de ses lames cartilagineuses, et donne lieu à la séparation de ces organes. Une ostéite peut aussi s'emparer de cette surface osseuse et provoquer le décollement du cartilage, comme la chose a lieu dans les articulations des membres.

Nous trouvons sur cette pièce une excavation profonde au centre de la vertèbre; ici, la maladie a débuté par l'intérieur de l'os; elle a dû être causée par un tubercule enkysté, qui, dans sa marche envahissante, a détruit la substance spongieuse et converti en une coque mince le corps de la vertèbre. C'est là un des effets ordinaires de cette forme de la maladie.

Je me résume : on distingue dans la production des lésions ana-tomiques deux genres de début, dont l'un se subdivise en deux espèces secondaires, d'où trois modes d'invasion : 1° début par les ligaments intervertébraux; 2° début par la surface de l'os, dépendant soit d'un dépôt tuberculeux qui déprime l'os et le détruit, soit d'une carie, d'une ostéite, d'une nécrose; 3° début par l'intérieur de l'os.

2e période. Destruction. — La destruction des parties constituantes du rachis fait des progrès. Les excavations deviennent plus larges, plus profondes; les corps vertébraux rongés disparaissent

et laissent à leur place une solution de continuité étendue. Cette solution de continuité, toutefois, n'existe que partiellement ; les parties postérieures de l'épine, les apophyses épineuses, les arcs vertébraux, formant ce que j'appellerai la colonne postérieure, subsistent ; mais comme ces parties sont réunies par des ligaments flexibles, quelquefois même altérés par la maladie, il y a plus de mobilité dans ce point de la colonne vertébrale.

Sur cette pièce, nous pourrons étudier.les caractères de l'excavation; j'insiste en premier lieu sur les effets physiques, mécaniques qu'elle produit. Le rachis formant la pièce la plus importante de la charpente du corps, il est impossible qu'il soit aussi profondément lésé sans entraîner de grands changements dans la forme du tronc. Un rapprochement s'opère entre les vertèbres supérieure et inférieure à celle qui est détruite. Le poids du corps produit ce résultat; mais une autre cause réside dans l'action musculaire. Il y a, en effet, des sensations douloureuses qui invitent le malade à contracter ses muscles pour mettre les parties dans les rapports les plus favorables à la cessation des douleurs.

D'après ce que je viens de dire, le rachis perd sa forme ; il décrit ordinairement des angles. Nous voyons sur cette pièce un angle très-obtus ; c'est l'exemple d'une affection commençante. La déformation peut même manquer, la lésion restant bornée à la surface ou au centre du ligament ou de la vertèbre. Si la maladie fait des progrès, l'inclinaison augmente et la colonne vertébrale peut décrire un angle droit ou même un angle aigu. Un exemple de cette disposition nous est offert par cette colonne dont huit corps vertébraux ont disparu ; par cette autre, où neuf disques osseux sont détruits en totalité ou en partie.

De là une convexité postérieure, une concavité antérieure. La première est ce qu'on appelle la gibbosité. Les anciens ne connaissaient que la courbure postérieure de la colonne , et avaient décrit la maladie sous le nom de gibbosité, bosse, gibbus, ôëoç.

La gibbosité dépendant d'une affection vertébrale est, en géné -ral, comprise tout entière dans le plan médian antéro-postérieur du corps. Toutefois ce caractère n'est pas constant. Chez quelques malades, l'affaissement de la colonne est en même temps antérieur et latéral. On voit ici plusieurs pièces sur lesquelles l'inclinaison du rachis a lieu dans le sens que j'indique.

Il est beaucoup plus rare que la flexion se fasse tout à fait de côté, soit à droite, soit à gauche. Un bel exemple de cette disposition nous a été offert récemment par une enfant amenée à notre consultation, et chez laquelle le rachis décrit un angle droit ouvert à gauche.

Je ne connais pas d'exemple bien constaté d'une convexité antérieure du rachis.

Cette bosse présente encore d'autres caractères. Elle est plus ou moins courte, suivant qu'un plus ou moins grand nombre de vertèbres sont détruites. Ordinairement aussi elle est anguleuse; elle offre une partie centrale formant une pointe, qui apparaît dès le début de l'affection. Souvent la colonne vertébrale ne présente encore qu'un léger angle, et déjà une pointe existe ; mais ce caractère n'est pas constant. Sur cette pièce, où l'altération est très-avancée, il n'y a qu'une courbe régulière, point de saillie anguleuse. Sur cette autre, nous voyons plusieurs pointes. On peut, en effet, distinguer deux cas au point de vue de cette disposition exceptionnelle. Dans le premier, il existe une courbe régulière au lieu d'une pointe ; il n'y a point de saillie anguleuse. Dans l'autre, l'exception au principe n'est qu'apparente, parce que la courbe, composée en quelque sorte de plusieurs angles, présente une ou plusieurs pointes distinctes. L'exception réelle, constituée par le premier cas, peut avoir lieu au début et à la fin de la maladie. Il n'y a d'abord ni angle ni même de courbe au cou et aux lombes, quoique la déformation ne fasse pas exception au fait général de l'affaissement; mais, à cause de la forme de la région, il a d'abord pour seul effet le redressement de la courbure naturelle et une rectitude anormale. On remarque au début, dans ces mêmes régions, des inflexions arrondies, en forme d'arcs réguliers, appartenant à un cercle d'un très-grand rayon, particulièrement chez les jeunes enfants. Cela dépend d'une longueur et d'une obliquité des apophyses épineuses moindres que dans la région dorsale et chez les adultes. A la fin de la maladie, la courbe peut encore être régulière, lorsque plusieurs vertèbres étant en partie détruites, aucune ne forme d'angle bien prononcé.

Tel est l'aspect de la colonne vertébrale, considérée à sa partie postérieure. Vue par sa face antérieure, elle représente un vide rempli par le ligament vertébral commun antérieur, par le tissu

cellulaire tuméfié, des débris osseux et tuberculeux, du pus, des exsudations de différentes sortes. Au fond de l'excavation, on aperçoit le canal vertébral et la colonne postérieure, après l'enlèvement de la moelle et sur les pièces sèches. Ces changements dans la configuration de l'épine entraînent des changements analogues dans tout le tronc; il y a raccourcissement, diminution de la taille.

(1) J'ai décrit deux périodes du mal vertébral : l'une de lésion, d'altération des tissus; la seconde de fragmentation, pendant laquelle la colonne se coupe au niveau du point malade. J'aurai à poursuivre la lésion dans les parties autres que la portion du rachis affectée; mais je termine auparavant ce qui est relatif au siège principal de la maladie, en vous parlant des moyens à l'aide desquels la nature répare les désordres qu'elle a produits.

3e période. Réparation. — Vous trouverez dans Pott et dans d'autres auteurs moins excusables que le chirurgien anglais, que le mal vertébral est une affection ordinairement mortelle, que les abcès par congestion auxquels il donne lieu sont constamment suivis de mort. C'est là une grave erreur. Du temps de Pott on pouvait méconnaître la puissance médicatrice de la nature; la chose n'est plus possible de nos jours. Non, la maladie n'est pas ordinairement mortelle; ces pièces vous offrent des exemples de guérison, et bientôt plusieurs d'entre elles passeront sous vos yeux. Étudions donc de quelle manière s'accomplit le travail réparateur, par quelle voie la nature arrive à produire une cicatrice solide au sein des parties lésées.

Dans le mode de l'altération osseuse, trois cas se présentent :

Ier cas. — Il consiste en une érosion superficielle de la surface de l'os. Cette érosion se répare souvent. La réparation consiste, non dans la reproduction de la substance détruite, mais dans la formation d'une lame compacte , mince, sur la surface de la plaie osseuse ; plusieurs de nos pièces nous montrent cette lame mince de tissu compacte. Delpech en a également présenté des exemples.

Pourquoi n'y a-t-il pas le plus souvent reproduction de l'os lui-

(1) Deuxième leçon, 25 mai 1855.

même? C'est que les tissus fibreux, les ligaments sont détruits, et qu'ils sont indispensables à cette reproduction. Les os, en effet, reproduisent peu les os ; ce sont surtout les tissus voisins qui sécrètent le plasma qui revêtira plus tard les propriétés du tissu osseux en se pénétrant de sels calcaires. Serait-ce pour ce motif qu'on observe plus rarement la guérison des caries superficielles étendues, espèce distincte que Boyer a séparée à tort du mal vertébral, auquel elle appartient évidemment?

IIe cas. — Il s'agit ici de cavités qui n'altèrent pas la forme extérieure de la vertèbre, qui ne font que la perforer pour l'évacuation du tubercule, et qui subsistent ensuite avec une paroi de substance compacte résultant d'une reproduction partielle, d'une cicatrisation ou d'une sorte d'ossification du kyste, comme on le voit dans certaines guérisons de tubercules pulmonaires où l'on trouve des kystes tuberculeux vides, à parois dures, fibreuses ou fîbro-cartilagineuses.

IIIe cas. — Un troisième cas, où la période de réparation succède à la séparation, va nous occuper. C'est ici surtout que nous apparaîtront les efforts de la nature pour remédier aux effets de l'altération du rachis.

Je voudrais pouvoir vous faire assister, au moins en idée, aux merveilleux phénomènes de ce travail réparateur. Qu'est-ce ici que la réparation? C'est un cal. Il succède à la solution de continuité du rachis, laquelle est entièrement assimilable aux fractures trau-matiques, si ce n'est que cette fracture est spontanée.

Pour que le cal se produise, deux conditions sont indispensables : il faut deux extrémités saines, une élimination complète des parties altérées. Il faut, en outre, un rapprochement, une coaptation des fragments. Celle-ci s'effectue de deux manières : 1° par le simple affaissement du rachis et par le rapprochement des faces des vertèbres qui se correspondent normalement; 2° par une flexion telle de la colonne, que la face antérieure des vertèbres supérieures vient s'adosser à la partie supérieure du fragment inférieur. Ce dessin nous offre l'exemple d'une coaptation survenue par l'inclinaison en avant du fragment supérieur du rachis.

Dans le premier cas, il y a adossement de fragments en forme de coins. Les extrémités de la colonne conliguës au foyer morbide

figurent alors deux biseaux, dont les surfaces obliques, en s'incli-nant l'une vers l'autre, finissent par entrer en contact.

Dans le second mode de coaptation, le fragment supérieur, en partie érodé à sa face antérieure, est renversé sur l'extrémité supérieure du fragment inférieur taillé en biseau, et formant, comme dans le premier mode, une sorte de coin dont la base est tournée en arrière. Cette coaptation est en général irrégulière ; la ligne suivant laquelle les surfaces nouvelles se réunissent est flexueuse et inégale ; il est rare que la coaptation soit parfaitement exacte ; quelquefois se produisent des déplacements latéraux, des subluxations.

Le cal, dans l'affection vertébrale, présente, comme celui des fractures, plusieurs périodes dans son évolution. Ce qui le produit, c'est une inflammation adhésive, un plasma exhalé par les parties qui entourent l'excavation et s'organisant en tissu osseux, après avoir passé par l'état fibreux et par l'état fibro-cartilagineux.

La colonne vertébrale, divisée par une affection des disques osseux qui la composent, se réunit au moyen de deux cals: l'un, extérieur, prend naissance dans les tissus fibreux extérieurs; le deuxième est dû à la production osseuse qui s'effectue entre les fragments, comme dans beaucoup de fractures. Le premier consiste dans ces ponts étendus d'une vertèbre à l'autre, dans ces masses osseuses surajoutées, ces stalactites d'autant plus étendues qu'il y a subluxation, déformation plus complète du rachis.

Le second cal, intérieur, réunit les deux extrémités osseuses. Voici une des plus admirables pièces sur lesquelles on puisse étudier la conformation du cal intérieur. Elle provient d'une fille de 27 ans, morte à la Salpêtrière, pendant que j'étais médecin de cet établissement. La malade a succombé à une phthisie pulmonaire, compliquée de pneumonie du sommet du poumon droit. Je n'ai pas connu cette femme dès son enfance; mais ses compagnes m'ont fait part de ce qui lui était arrivé. Elle fut prise de mal vertébral à 8 ans ; elle eut une paraplégie et recouvra le mouvement deux années après. Il n'y avait plus trace de son affection ancienne lorsqu'elle fut admise dans mon service. Il n'existe sur sa colonne aucun vestige de la ligne de coaptation ; on ne voit qu'un seul os formé par les fragments de vertèbres soudés et composé d'un tissu spongieux, ayant l'aspect normal et d'une grande solidité.

Ce cal intérieur peut n'être que partiel ; dans ce cas on peut

croire la maladie guérie ; il n'en est rien cependant ; après plusieurs années, des abcès par congestion se produisent et témoignent de la persistance du travail pathologique dans quelques points.

Cette colonne vertébrale nous offre une variété curieuse de consolidation osseuse. Les vertèbres supérieures du fragment inférieur, fortement déjetées en arrière, reçoivent dans une gouttière, creusée à leur face antérieure, la base du fragment supérieur, auquel elles servent, en quelque sorte, de gaine dans une certaine étendue.

Lésions concomitantes. — Voilà ce que j'avais à vous dire sur-la réparation de l'affection vertébrale. Je passe aux lésions existant dans un point autre que le siège même du mal.

Ce qui doit m'arrêter d'abord, c'est la déformation du rachis au-dessus et au-dessous du point lésé. On observe d'abord des changements de direction; ils sont dus à la réaction musculaire. Les muscles agissent alors pour soutenir la tête ; ils la relèvent, redressent la région dorsale. En voici plusieurs exemples fournis par ces pièces. On y voit que des déformations heureuses, des courbures de compensation se produisent, en sorte qu'on n'a pas ordinairement une inclinaison du tronc égale à celle qu'indique l'angle produit dans la colonne.

Les pédicules des vertèbres, leurs apophyses transverses, peuvent être détruits dans une étendue plus ou moins considérable. Les apophyses articulaires se soudent quelquefois; il en est de même des apophyses transverses et des arcs vertébraux.

Passons aux autres parties du tronc. Les côtes présentent des changements remarquables dans leur forme : elles sont plus convexes en arrière ; leur courbure diminue en avant ; elles se rapprochent et deviennent plus obliques.

Le sternum, repoussé en avant, donne souvent naissance à une gibbosité dont le sommet correspond tantôt à l'appendice xyphoïde, tantôt plus haut. Le diamètre vertical de la poitrine diminue, ainsi que son diamètre transversal. Il y a augmentation du diamètre antéro-postérieur. En définitive, il y a diminution de la capacité totale du thorax. De grands changements s'opèrent donc dans la statique du tronc. Il ne faut pas confondre ces lésions avec celles que produit le rachitisme.

rapprochement des parois antérieure et postérieure. Ce rétrécissement peut être porté au point d'étrangler le centre nerveux médullaire. La compression a lieu encore parfois par un autre mécanisme : elle est due à une arête saillante dans le canal et correspondant au sommet de l'angle décrit par le rachis. Cette pièce représente une arête aiguë produite de cette manière; le malade n'avait point de paralysie cependant à l'époque où je l'ai connu. Une arête des plus prononcées existe sur cette autre pièce ; à l'autopsie, nous avons trouvé une impression de l'os sur la moelle; pendant la vie, des phénomènes de paralysie avaient été observés.

Dans leur trajet intra-rachidien, les racines nerveuses peuvent participer aux altérations de la moelle, ramollissement, inflammation, destruction, par suite de la compression qu'exercent sur elles les produits morbides renfermés dans le canal vertébral. A leur passage à travers les trous de conjugaison, il est fréquent de les voir atrophiées, réduites à de simples filets à peine distincts de l'enveloppe fibreuse que leur fournit la dure-mère. Il existe même une solution de continuité des cordons nerveux dans les cas où il y a effacement des trous intervertébraux ou rétrécissement très-considérable de leur diamètre.

L'aorte accompagne constamment la colonne dans les flexuosilés qu'elle décrit. Sur cette figure, l'artère principale du corps offre une convexité droite très-prononcée et un pli à gauche et en avant.

Les poumons s'adaptent à la forme du thorax et se modifient dans leur configuration. Il en résulte ordinairement, dans leur dilatation , une gêne à laquelle se rattache l'oppression presque constante dans le mal de Pott.

Les viscères abdominaux présentent bien aussi quelques changements dans leur situation et leur forme ; mais, moins importants que ceux des organes thoraciques, ils ne doivent pas nous arrêter.

§ II. — Diagnostic.

Occupons-nous maintenant du sujet vivant, et cherchons à lui appliquer les données du cadavre. Voyons comment on reconnaît pendant la vie les lésions révélées par l'autopsie ; c'est l'objet du diagnostic anatomique.

bouvier. 2

Je distinguerai ici trois périodes, différentes de celles de la lésion anatomique.

1" période. — Une première période, que j'appellerai latente, est celle qui ne se traduit pas à l'extérieur par des signes physiques. Elle a quelquefois une longue durée, et peut persister jusqu'à la fin de la maladie, si l'ulcération reste superficielle. Comment reconnaître cet état latent? C'est à l'aide des symptômes. Vous fonderez le diagnostic sur la douleur, l'attitude, l'état des mouvements, l'existence des abcès, la paralysie.

La douleur est un signe vague, car elle peut dépendre de beaucoup d'autres causes. Elle existe ordinairement dans le point malade, ou à l'épigastre, vers l'un des flancs ; elle manque quelquefois ou est difficile à découvrir. On parvient à la produire au moyen de mouvements divers imprimés au tronc. En observant le malade attentivement, on surprend parfois des cris arrachés par des élancements passagers. La rigidité des mouvements est un symptôme assez constant. On tire d'utiles renseignements de la manière de se tenir debout, de marcher, du malade ; on remarquera, dans quelques cas, une inclinaison antérieure ou latérale du tronc, un soin particulier d'éviter les mouvements qui provoquent de la douleur, l'immobilité habituelle. Il faut explorer le malade dans toutes les positions.

Ces signes sont équivoques; ils se rencontrent dans des états morbides autres que le mal de Polt. Les abcès, la paralysie ont plus de valeur ; ils servent à éclaircir le diagnostic dans celle période. Dans tous les cas, on devra s'éclairer des antécédents, de l'état général.

2e période. — Les signes sont encore peu marqués au début. La déformation consiste souvent dans une pointe légère, comme la saillie normale exagérée d'une apophyse épineuse, dans un arc presque insensible, d'un très-grand rayon, décrit par la colonne vertébrale, dans le redressement d'une convexité antérieure ou la rectitude anormale des régions cervicale et lombaire, le premier effet du rapprochement antérieur des vertèbres de ces deux portions du rachis étant d'effacer leur courbure naturelle.

Cette période est d'un diagnostic quelquefois difficile. Ne confondez pas ce léger degré de déformation avec une disposition or

ganique, des variétés de saillie des apophyses épineuses. On peut trouver cette conformation physiologique unie à des symptômes de maladie, d'où l'obscurité très-grande du diagnostic.

Avec de l'attention , on distingue une déformation dépendant du mal vertébral d'un simple défaut naturel de cambrure du cou et des lombes.

3e période. — Deux moyens d'exploration, la vue et le toucher, permettent d'arriver au diagnostic dans cette période, où la déformation bien manifeste présente des aspects divers. On en jugera par les faits particuliers que je vais présenter. Les enfants soumis à votre examen rendront sensibles ces différentes formes de gibbosité, que j'ai déjà signalées dans l'anatomie pathologique.

Voici un mal cervical; on en distingue deux espèces : Io le mal qui frappe les cinq dernières vertèbres du cou, et qui est, au fond, semblable à celui des autres régions ; 2° l'affection des deux premières vertèbres et de l'occipital ou le spondylarthrocace, qui diffère du mal vertébral proprement dit, dont nous nous occupons en ce moment. Cette enfant est atteinte du mal vertébral ordinaire. Nous constatons le redressement de la courbure cervicale normale, une gibbosité en pointe formée par la septième vertèbre du cou et l'inclinaison légère de la tête à droite. Il est impossible de confondre cette maladie avec aucune autre. Cette enfant, strumeuse, nous a offert un abcès ganglionnaire sur le côté gauche du cou. Elle ne présente point de paralysie ni d'abcès par congestion. Le seul symptôme dans l'état fonctionnel est une douleur, quand on cherche à redresser la tête.

Si nous résumons les divers aspects de la gibbosité sur les différents malades que vous avez sous les yeux, et dont l'affection occupe les régions dorsale ou lombaire, nous pourrons établir les variétés suivantes :

Io Une seule apophyse épineuse soulève les téguments sous la forme d'une pointe plus ou moins saillante. La colonne vertébrale se redresse au-dessus et au-dessous de ce point, de manière à conserver dans son ensemble une direction à peu près normale. Il semble, comme le croyaient les anciens, qu'une seule vertèbre ait été repoussée en arrière en abandonnant ses rapports avec les vertèbres voisines; mais ce n'est là qu'une fausse apparence qui ne

2.

pouvait en imposer et faire croire à une luxation (Ambroise Paré emploie encore cette expression), qu'à une époque où l'on n'avait pas de notion exacte sur l'anatomie pathologique de cette maladie.

2° Il existe une seule pointe comme dans le cas précédent ; mais le rachis s'incline en avant, et représente deux lignes droites formant un angle dont l'apophyse saillante est le sommet.

3° La gibbosité figure une courbe régulière, courte, d'un rayon variable. Cette forme se voit surtout à la région lombaire.

h° La gibbosité présente également une forme arrondie, parce qu'elle comprend plusieurs vertèbres. Mais l'une d'elles, ou plusieurs d'entre elles, plus saillantes, s'élèvent en pointe, et la courbe est pour ainsi dire formée de plusieurs lignes droites brisées ou de plusieurs angles. Les apophyses saillantes sont situées, dans ce cas, tantôt au milieu, tantôt à la partie supérieure ou inférieure de la gibbosité. Cette variété appartient spécialement aux périodes les plus avancées ; elle peut succéder à chacune des trois autres formes.

(1) J'ai fait passer sons vos yeux, dans la précédente séance, plusieurs enfants présentant différentes formes de bosse.

Nous avons à examiner quelle est la valeur diagnostique de la gibbosité. La première condition pour savoir tirer parti de ce signe, c'est d'aller à sa recherche, c'est de ne pas négliger d'explorer la colonne rachidienne, lorsque vous avez quelque motif de soupçonner une affection vertébrale. Il y a un fait qui montre entre tous à quel point il est utile de ne pas négliger cet examen : Un homme qui a tenu longtemps le sceptre de la chirurgie à Montpellier, Lallemand, avait opéré une fistule à l'anus ; étonné de la persistance de la suppuration, il jette les yeux sur la colonne vertébrale, et découvre que la fistule tenait à un abcès dépendant d'une carie des vertèbres. Laënnec auscultait tous les malades et découvrait des affections thoraciques qui avaient passé inaperçues. Explorez donc les vertèbres, et vous trouverez souvent des lésions qui auront échappé à d'autres médecins. Les parents, les mères elles-mêmes , pourtant si clairvoyantes sur tout ce qui touche leurs enfants, méconnaissent le plus ordinairement le début de l'affection

(1) Troisième leçon, lpr juin 1855.

vertébrale. Voici un enfant qui confirme ce que je viens de vous dire ; il fut présenté dernièrement à ma consultation. La mère me dit seulement qu'il éprouvait des douleurs dans le dos. Soupçonnant l'existence d'une maladie des vertèbres, j'examine la colonne, et je découvre une petite pointe d'apophyse épineuse. Ce cas se rapporte non à l'état latent, mais à cette période de déformation équivoque qui lui succède. Quand l'enfant se tient droit, vous ne voyez qu'une légère arqûre de la région dorsale ; mais en faisant courber le dos et en ramenant les épaules en avant, vous apercevez une petite saillie que les parents n'avaient pas reconnue.

Valeur diagnostique des différentes formes de gibbosités. — Toutes les fois qu'une vertèbre est soulevée en pointe et isolée des vertèbres voisines, ce signe est pathognomonique ; on ne l'observe que dans le mal vertébral.

Nous avons distingué deux formes de gibbosités en pointe. Une première forme représente, en quelque sorte, un angle géométrique ; la colonne figure deux droites inclinées l'une à l'autre, le sommet de l'angle étant formé par une pointe. Dans la deuxième forme de gibbosité, l'angle est plus effacé; des concavités décrites par le rachis au-dessus et au-dessous du point malade redressent le tronc. L'une et l'autre de ces formes ont la même valeur au point de vue du diagnostic. Il y a en outre, comme nous l'avons dit, des gibbosités en forme d'arcs plus ou moins étendus. Si, dans cette courbe générale, vous découvrez une ou deux pointes, ce signe conserve toute sa valeur diagnostique, il est pathognomonique; mais on voit des gibbosités en arc régulier, sans pointe sensible. Ce buste en plâtre en est un exemple. Cette forme n'a pas la même valeur diagnostique que les précédentes ; vous pourriez vous tromper, si vous n'aviez égard qu'à la gibbosité.

Diagnostic différentiel. — Je passe au diagnostic différentiel des cas qui offrent quelque analogie avec ce que nous voyons sur celte pièce.

1° Déviations latérales du rachis. •—Il y a deux espèces de gibbosités, deux classes de bossus qu'il faut distinguer à tout jamais. Les différences qui séparent ces deux catégories vont vous sauter aux yeux. Je mets en regard deux bosses appartenant à cha

cune des deux classes. Assurément, il n'y a pas à s'y tromper : sur ce premier moule, nous voyons une bosse médiane ; sur le second, une gibbosité postéro-latérale. Qu'est-ce qui forme cette bosse latérale? Ce sont les côtes fortement courbées par suite de la torsion du rachis, dévié d'ailleurs en forme à'S en deux sens opposés, à chacun desquels correspond une gibbosité placée du côté de la convexité des courbures vertébrales.

Si je n'avais eu rien de plus à vous dire touchant ces deux catégories de gibbosités, assurément je ne vous en aurais point parlé. A la vue simple, on apprécie facilement leurs caractères distinctifs. Sur le vivant, dans la rue, à travers les vêtements, vous pouvez distinguer ces deux genres de bosses. Mais le diagnostic différentiel n'est pas toujours aussi facile. On rencontre, d'une part, des courbures latérales essentielles de l'épine sans gibbosité, et, d'une autre part, des courbures latérales se voient dans le mal de Pott ; l'erreur est alors possible ; j'en ai vu commettre, j'en ai moi-même commis au début de ma pratique.

Des courbures latérales, sans gibbosité bien apparente, prennent naissance dans deux circonstances : 1° dans quelques déformations essentielles du rachis; 2° dans certaines affections étrangères aux déviations essentielles ; ce sont alors des attitudes. Ces dernières reconnaissent pour cause une action réflexe de la moelle, une contracture ou une contraction instinctive du malade pour éviter la douleur; tel est le torticolis symptomatique, par exemple. Cette attitude est ordinairement de peu de durée ; mais tant qu'elle persiste, il y a matière à erreur.

Dans le mal de Pott, on observe aussi des courbures latérales, Dien que quelques auteurs considèrent cette disposition comme un mythe; ce sont encore des attitudes. En voici deux exemples; l'un d'eux offre le plus beau cas de courbure latérale dans le mal de Pott. Ces courbures latérales diminuent ou disparaissent à la mort ; elles résultent de la douleur, du siège du mal, d'une complication, d'un abcès placé dans un côté.

% ^Nous pouvons distinguer ces cas. Je mets en regard ces deux moules, qui se ressemblent en apparence; nous y voyons même siège de la déformation , deux courbures longues, étendues, sans gibbosité : ce sont deux lésions entièrement différentes. Cette colonne est celle d'un sujet dont les vertèbres n'ont jamais été mala

des; cette autre provient, au contraire, d'une jeune fille qui a succombé lentement à une affection vertébrale.

Comment distinguerons-nous ces deux affections? Dans la déviation essentielle du rachis, on n'observe jamais de collection ossi-fluente; c'est le fait du premier sujet. Chez le second, atteint du mal de Pott, existait un énorme abcès par congestion. De plus, dans la courbure latérale essentielle, on observe , en général, une deuxième courbure compensatrice dirigée en sens inverse de la première. Nous pouvons, sur la première des deux colonnes, laquelle présente une courbure principale à convexité droite, distinguer une deuxième courbure supérieure à convexité gauche. Ce signe pourrait manquer. La deuxième courbure est parfois si peu marquée , qu'elle échappe à la vue lorsqu'on ne considère que le trajet du rachis ; mais alors examinez les côtes du thorax, vous trouverez souvent une convexité des côtes répondant à la courbure de la colonne que vous n'aperceviez pas, et placée en sens inverse de la première. Quand vous voyez une seule courbure, elle n'est presque jamais essentielle ; aussi n'existe-t-il pas alors de gibbosité latérale. Ici, la région dorso-lombaire est bien un peu bombée d'un côté, déprimée du côté opposé ; mais il n'y a pas là de gibbosité proprement dite.

Dans l'affection vertébrale, vous retrouvez ordinairement notre petite pointe. Si elle n'apparaît pas tout d'abord, faites courber le malade, vous aurez alors la saillie que vous cherchez. Supposons enfin que la gibbosité postérieure manque, nous avons, comme moyen de diagnostic, les symptômes de la maladie. Quand le malade est un enfant et qu'on le soulève, avant qu'il soit détaché de terre, il crie, il y a des contractions musculaires énergiques, peu ou pas de souplesse dans le tronc. Je n'entre pas dans l'énuméra-tion de tous les autres symptômes, oppression, douleur épigastri-que, paralysie, etc., qui différencient le mal de Pott de la déviation essentielle du rachis.

Malgré ces signes, la confusion est quelquefois possible. C'est ainsi qu'un de mes collègues de l'hôpital Beaujon m'appela un jour pour voir une femme de son service, atteinte, disait-on, de déviation de la taille ; il existait une grande courbure du rachis à convexité droite. Ce ne fut qu'après un examen long et minutieux que je pus constater par la forme de l'inflexion, par la douleur

produite dans les efforts de redressement, par l'état général du sujet, etc., qu'il s'agissait d'un mal vertébral.

2° Rachitisme. — Le rachitisme n'est pas la déviation essentielle de l'épine dont je viens de parler; beaucoup de médecins confondent à tort ces deux états.

Le rachitisme est propre à l'enfance ; c'est une maladie générale ; l'autre affection ne s'accompagne d'aucune altération du tissu osseux et tient seulement à une inégale distribution des forces nutritives.

Le rachitisme peut produire une gibbosité médiane ; je vous en offre un cas clinique des plus intéressants. Supposez un enfant de cet âge atteint du mal de Pott ; avec une gibbosité semblable, vous auriez une pointe : ici, pas de pointe. En renversant le bassin en arrière, je ne produis pas de douleur; la courbure, il est vrai, ne s'efface pas dans ce mouvement, elle ne fait que diminuer. Mais regardez ce thorax : voyez-vous cette double dépression latérale, cette série de nodosités à l'union des côtes avec leurs cartilages? ces signes ne laissent aucun doute sur l'existence du rachitisme.

Il y a deux cas de courbure rachitique postérieure simulant un mal de Pott :

a. La courbure postérieure est produite par le relâchement des parties ligamenteuses et musculaires; c'est le cas le plus commun. Vous verrez des enfants rachitiques qui se courbent fortement en avant lorsqu'ils sont assis; on observe alors une longue courbure, mais pas de déformation des vertèbres. J'ai pourtant trouvé des cautères sur le cadavre d'un enfant atteint d'une déformation de ce genre. Ces cautères, un médecin dont j'ignore le nom les avait appliqués. Il n'y avait aucune trace de mal vertébral ; il n'y avait pas non plus de courbure permanente. Chez ces malades, en renversant le bassin, vous effacez l'arc qui existe, et vous pouvez même faire décrire à la colonne une courbure inverse.

b. La courbure ne disparaît pas chez quelques malades ; elle diminue seulement. Que trouve-t-on sur le cadavre de ces sujets? La partie antérieure des corps vertébraux est plus mince que leur partie postérieure; aussi n'y a-t-il pas moyen d'effacer immédiatement l'arc vertébral; impossible alors de dire, au premier abord, si l'on a affaire à un rachitisme ou à un mal de Pott. La courbure pourtant est, en général, moins longue, moins régulière. Les extré

mités de l'arc sont plus saillantes dans le mal vertébral ; elles se continuent, au contraire, sans ligne de démarcation bien tranchée avec le reste de la colonne dans le rachitisme. Ces signes peuvent être insuffisants; on diagnostique alors la maladie par l'examen du reste du corps. On trouve des signes de rachitisme dans un cas, et non dans l'autre.

Les deux affections pourraient être combinées ; on aurait alors comme moyen de les reconnaître la douleur du mal vertébral, qui manque dans le rachitisme simple, les cris de l'enfant dans le renversement du tronc en arrière, la douleur épigastrique, si l'enfant était d'âge à en rendre compte, l'attitude caractéristique du tronc, les abcès, la paralysie, dans le cas où ces complications existeraient, etc.

3° Voussure par débilité des enfants et des vieillards. — Dans des cas rares comme celui-ci, l'erreur est possible. Voici une pièce qui semble, au premier coup d'œil, se rattacher au mal vertébral.

La colonne décrit un angle droit ; le bassin et les côtes sont bien conformés. Remarquez l'analogie d'aspect de cette pièce avec cette autre qui offre des traces non douteuses de mal vertébral. Ce sont les symptômes concomitants, l'étiologie, l'âge, qui établissent la distinction.

J'aurais à vous parler d'une foule d'autres affections qui offrent quelques traits de ressemblance avec le mal de Pott dans l'état latent : le lumbago, les maladies des reins, de l'estomac, certaines névralgies, l'anévrisme de l'aorte, les maladies de la moelle ; je n'insisterai pas sur les éléments d'un diagnostic souvent difficile à établir; il me suffira d'avoir indiqué que l'erreur est possible.

Diagnostic de la lésion. — Encore un mot sur la diagnose de la lésion qui constitue l'affection vertébrale; on a ici plusieurs points à éclaircir. On se propose, en premier lieu, de reconnaître la nature de l'altération. Si nous savions bien distinguer chaque lésion qui peut provoquer la destruction des vertèbres, nous décririons plusieurs maladies vertébrales de Pott au lieu d'une seule ; la chose n'est pas possible aujourd'hui. Il y a pourtant quelques indices qui peuvent faire présumer à quelle lésion on a affaire. Boyer va plus loin : quand il existe des abcès sans déformation, le mal

est, suivant lui, une carie superficielle ; quand il y a déformation, c'est une affection en partie différente et profonde. Cette distinction ne me paraît pas complètement en rapport avec les faits.

Constate-t-on l'existence de tubercules dans quelque partie du corps? il est presque certain que l'affection osseuse est de nature tuberculeuse.

Chez l'adulte, la destruction des vertèbres a quelquefois une origine rhumatismale ; elle peut aussi, à tout âge , se développer à la suite d'une lésion traumatique, d'un coup, d'une chute; probablement alors, une affection ligamenteuse marque le début des accidents. Mais la violence peut, dans ce cas, n'être qu'une cause occasionnelle de production de tubercules.

Il faut également reconnaître les cas de mal double, triple ; je veux parler des foyers pathologiques multiples, séparés par des vertèbres saines. Je signalerai encore les cas où une altération profonde se trouve réunie à une altération superficielle ; ils peuvent être dus à l'affection tuberculeuse. On les distingue, en général, à l'intensité des symptômes, lesquels ne sont point en rapport avec la gibbosité.

g III. — Abcès par congestion.

Quelle que soit la nature de la lésion, quel que soit son siège, elle tend à produire du pus. Ce pus résulte souvent de la fonte de tuber cules; d'autres affections, l'ostéite, l'arthrite, la carie, en produisent également. On a pourtant décrit un mal vertébral sec. Tant que le tubercule est à l'état de crudité, on n'observe pas d'abcès, et alors, si l'on veut, le mal sera sec; mais je ne sache pas qu'il présente cet état dans d'autres cas.

Le pus existe en quantité variable ; s'il est peu abondant, il ne donne pas lieu à un abcès ; dans d'autre cas l'abcès existe, mais il est confiné à la surface des vertèbres ou dans l'excavation morbide. D'autres fois le pus est trop abondant pour être contenu sous le grand surtout ligamenteux; il éprouve une migration, s'éloigne des vertèbres à mesure qu'il se produit; il se forme ce qu'on appelle un abcès par congestion, dont nous avons à nous occuper.

Je conserve cette dénomination ancienne que tout le monde 'comprend. On dit aussi abcès symptomatique; cette expression

est peut-être moins convenable, beaucoup d'abcès symptomatiques ne présentant pas les caractères des abcès par congestion.

Ces collections se forment spécialement dans quelques circonstances encore mal connues. On trouve à ce sujet des distinctions peu fondées dans les auteurs. Des lésions toutes semblables peuvent entraîner ou non des abcès par congestion. Toutefois ce qui les produit surtout, ce sont les cas d'érosion profonde ou superficielle, mais très-étendue. Ces abcès, se voient plutôt dans l'affection tuberculeuse; mais d'autres lésions, la carie, la nécrose, l'ostéite, leur donnent également naissance.

Quel est le mécanisme de la production de ces abcès? Il est facile à expliquer en prenant pour point de départ l'anatomie. Vous connaissez le tissu cellulaire et sa facilité à se laisser traverser par les corps étrangers solides ou liquides. Le pus presse et détruit les cellules, il les agrandit, creuse des canaux. Voici un canal de ce genre terminé par un renflement en cul-de-sac; remarquez ici une enveloppe membraneuse ; elle est due aux changements qu'éprouve le tissu cellulaire. Ce tissu refoulé s'enflamme, s'indure, et finit par s'organiser en membrane ; il se forme une poche, l'abcès s'enkyste.

Je ne décrirai pas le trajet très-varié que suit cet abcès depuis son origine jusqu'au lieu où il vient faire saillie au dehors. MM. Bourjot Saint-Hilaire, Tavignot, Nélaton, ont étudié avec soin cette partie de l'histoire des abcès par congestion. D'une manière générale, je vous dirai que les lames aponévrotiques de la région, l'influence de la pesanteur, les pressions extérieures, celles des muscles, déterminent la direction du pus. Réfléchissez au défaut de résistance des tissus autour des vaisseaux, des nerfs, et vous saurez d'avance où doivent se trouver les abcès.

La pathologie, toutefois, ne se soumet pas servilement à ces données anatomiques; les membranes voisines résistantes se percent, et vous avez des aboutissants que l'anatomie ne prévoyait pas.

C'est ainsi qu'on a vu des abcès par congestion ouverts dans les bronches, le poumon, l'œsophage, le côlon, le rectum, le vagin, la vessie, etc.

Passons à l'examen des cas cliniques.

I. Abcès ilio-fémoraux. — Un premier type d'abcès se pré

sente; il est le plus commun : ce sont les abcès ilio-fémoraux. Je les appelle ainsi parce qu'ils commencent par aboutir à la région iliaque, et vont en dernier lieu occuper la région fémorale. Leur source est ordinairement la portion lombaire de l'épine ou la région dorsale inférieure. Je distingue trois degrés dans ces abcès.

1" Degré. — La collection n'est pas sensible à la vue; aussi échappe-t-elle souvent au médecin ; il ên résulte que ces collections sont beaucoup plus communes qu'on ne le dit généralement. Il faut les chercher avec soin pour les découvrir. Je conviens, du reste, qu'elles sont quelquefois difficiles à trouver. On a quelques difficultés à surmonter, quelques précautions à prendre. La paroi abdominale étant déprimée avec les doigts au niveau de la fosse iliaque, on rencontre un premier obstacle dans la contraction instantanée des muscles abdominaux. Il faut alors user de patience , calmer l'enfant, saisir le moment d'une inspiration; en enfonçant alors les doigts, vous sentez l'abcès ; il se présente sous la forme d'une tumeur cylindrique, arrondie à son extrémité et traversant obliquement la fosse iliaque interne. Chez cet enfant, nous sentons cette tumeur cylindrique, et en disposant les doigts de chaque main transversalement à sa direction, nous avons pu percevoir la fluctuation. La percussion médiate peut servir à reconnaître l'existence de ces abcès.

Il y a dans ces collections du premier degré, comme dans les autres, une'circonstance que je vous fais remarquer ici, et qui est bien propre à éveiller l'attention : c'est un léger degré de flexion de la cuisse du côté malade. Le muscle psoas, contracture par l'irritation que cause le contact du pus, produit cette attitude. Rien qu'en voyant marcher ce malade, on peut, avec quelque habitude, reconnaître qu'il existe un abcès dans la fosse iliaque droite.

2e Degré. — L'abcès a augmenté de volume. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit de la flexion de la cuisse. Ici, la palpation superficielle révèle une tumeur volumineuse, globuleuse. Elle n'est plus cylindrique, remplit la fosse iliaque et descend jusqu'à l'arcade crurale. Ne croyez pas qu'on ait toujours ce deuxième degré à la suite du premier : l'abcès peut se résorber; il peut rester profond.

Cette jeune fille présente un abcès iliaque formant un léger relief sur la paroi abdominale ; la vue suffit presque pour le reconnaître. Voici ce qu'il offre d'intéressant : il est double. Le pus, à partir de sa source, marche dans deux directions, et va se colliger dans les deux fosses iliaques internes ; dans celle du côté gauche, la collection est moins volumineuse et appartient au début du second degré.

3e Degré. — La vue peut ici, jusqu'à un certain point, remplacer le toucher. Le pus, chez cet enfant, a franchi l'arcade crurale; l'abcès est devenu fémoral; il est volumineux; tout le monde le voit. C'est un abcès par congestion , car on peut non-seulement sentir la fluctuation dans la fosse iliaque, mais même renvoyer le flot de la cuisse dans la région de l'ilium.

On peut considérer comme un quatrième degré la période d'ouverture de ces abcès. Le malade n° 28 de la salle Saint-Marcou en est un exemple. C'est un enfant dont les abcès sont tous ouverts. Je vous ai montré tout à l'heure un abcès double ; ici, il est triple ou quadruple; il existe plusieurs diverticules; le pus s'est porté dans différentes directions. Nous voyons, d'une part, un abcès lombaire; j'entends par là un abcès ouvert aux lombes, et non, d'après le sens des auteurs anglais, un abcès dont le pus vient des lombes. Plusieurs ouvertures existent sur chacune des deux cuisses. Enfin quelques fistules se remarquent sur l'abdomen, à droite ; il y a eu là abcès abdominal.

IL Abcès ischio-fémoratjx. — (1) Après les abcès ilio-fé-moraux viennent les abcès ischio-fémoraux. Le pus, dans celte seconde variété, passe par la grande échancrure sciatique, suit quelquefois les vaisseaux fessiers et apparaît à la région fessière, qu'il soulève; plus souvent il descend sur le trajet du nerf scia-tique; on l'a vu se porter jusqu'au creux du jarret.

III. Abcès ilio-abdominaux. — Le pus s'engage entre le péritoine et les muscles abdominaux, après avoir percé le fascia-iliaca, et se fait jour à travers la paroi antérieure de l'abdomen; la suppuration peut suivre le trajet du canal inguinal, parvenir jusque dans le scrotum et simuler une hernie.

(1) Quatrième leçon, 8 juin 1855.

On a vu le pus pénétrer dans le petit bassin, percer les organes qui y sont contenus, vessie, rectum, etc., et être rejeté au dehors par les ouvertures naturelles de ces réservoirs, ou bien s'amasser en dehors de ces organes et soulever la peau du périnée ou de la marge de l'anus. Ces abcès pelviens peuvent provenir directement des vertèbres inférieures malades.

IV. abcès de la région postérieure du tronc. — Ils siègent dans les régions cervicale, dorsale ou lombaire. Ordinairement descendants, on les a vus quelquefois suivre un trajet ascendant.

Le pus passe à travers les trous de conjugaison en suivant les racines postérieures des nerfs, à travers les intervalles des apophyses transverses, puis en dedans des scalènes ou entre les vertèbres et les muscles intercostaux, en dedans ou en dehors du carré des lombes, et vient en dernier lieu à la partie postérieure du tronc, où il forme les abcès cervicaux postérieurs, dorsaux et lombaires. Leur forme est peu régulière ; en général elle est globuleuse. Les abcès dorso-lombaires sont les plus fréquents.

V. Abcès thoraciques. — Ces abcès sont le plus souvent renfermés dans la poitrine et siègent dans le voisinage des vertèbres malades; mais ils peuvent, abandonnant le lieu où ils ont pris naissance, parvenir dans d'autres régions. Le pus franchit la paroi thoracique, soit en arrière, soit sur les parties latérales ; on cite même un cas où il aurait paru à la partie antérieure de la poitrine, en contournant les côtes le long des vaisseaux et nerfs intercostaux ; on l'a vu aussi remonter le long des vaisseaux sous-claviers et pénétrer jusque dans l'aisselle.

VI. Abcès cervicaux antéro-latéraux. — Ils sont formés par la migration du pus produit à la surface ou dans l'intérieur des cinq dernières vertèbres cervicales. Le pus fuse le long des racines antérieures des nerfs et vient former une tumeur dans le creux sus-claviculaire, en arrière des muscles sterno-cléido-mastoïdiens, ou bien, descendant au-devant des scalènes, il vient se collecter sur la ligne médiane, en arrière des cavités du pharynx et du larynx, où il se révèle à l'inspection directe et par les troubles fonctionnels auxquels il donne lieu.

VII. Abcès dorso-cervicaux antérieurs. — Ces abcès sont rares; ils proviennent de la région dorsale, remontent sur les côtés

de la colonne vertébrale et viennent aboutir au creux sus-clavicu-laire, en passant au-devant des muscles scalènes. J'ai observé trois cas de ce genre; dans l'un, le pus provenant des quatrième et cinquième vertèbres dorsales s'était fait jour, d'une part, dans l'aine et aux lombes, et, d'autre part, au-dessus de la clavicule, en suivant le trajet rétrograde que je viens d'indiquer.

Diagnostic des abcès par congestion. — Il faut reconnaître l'origine de ces abcès, leur nature. Ils offrent des caractères différents suivant la profondeur à laquelle ils sont placés. Sous ce rapport, ils peuvent être divisés en trois catégories : Io ils sont sous-cutanés ou superficiels; 2° plus profonds, mais accessibles au toucher; 3° profondément situés et inaccessibles au toucher.

Io Les abcès superficiels sont indolents, fluctuants, sans changement de couleur à la peau ; ils n'offrent pas, en général, d'inflammation. Leur forme est variable, ordinairement globuleuse. Leur siège peut aider au diagnostic. Un autre bon signe est celui-ci : en pressant sur ces abcès, on fait refluer vers la colonne vertébrale le pus qu'ils renferment.

2° Dans le second cas, l'abcès est plus profond ; la vue ne distingue pas bien la tumeur, la fluctuation est obscure; on peut pourtant déterminer l'existence d'une collection par la palpation et la percussion. Ce dernier moyen a été présenté par M. Piorry comme propre à faire reconnaître le mal vertébral et les abcès qui en dépendent. Ce professeur a constaté, en effet, des matités anormales dans les points du rachis malades ; mais il ne faut rien moins que sa grande habitude de la plessimétrie pour tirer partie de ce signe. Nous n'admettons pas d'ailleurs, avec notre savant collègue, que la matité provienne, dans ce cas, du gonflement des vertèbres affectées ; un pareil gonflement ne s'est presque jamais rencontré dans les autopsies. L'étendue de la matité nous paraît causée plutôt par la présence du pus ou des tubercules, par le soulèvement et l'épaisbissement des parties molles correspondant au foyer du mal.

Relativement aux abcès, c'est surtout au niveau des fosses iliaques que la percussion peut fournir des renseignements utiles.

3° Les abcès profondément situés peuvent avoir pour siège les diverses cavités ; ils ne sont point perceptibles par la vue. La percussion peut parfois les faire soupçonner; il en est de même de

l'auscultation, qui pourrait être employée avantageusement dans certains abcès thoraciques. On a découvert du souffle sous les clavicules dans un cas de compression des bronches, un mélange de gargouillement et de souffle chez un malade dont les poumons étaient comprimés par un foyer purulent dépendant d'une lésion des vertèbres.

Dans la plupart des abcès par congestion, le pus est très-abondant, plus abondant que le volume de la tumeur ne l'indique. Il n'a pas ordinairement l'apparence du pus des abcès phlegmoneux; il est séreux, mélangé de flocons d'apparence caséeuse ou albumineuse, et parfois de parcelles osseuses éburnées. Ce pus devient ordinairement fétide peu de temps après l'ouverture de l'abcès. Une fois ouvert , le foyer reste le plus souvent fistuleux ; son orifice se fronce et se couvre de bourgeons charnus; les parties molles se dépriment circulairement et forment un godet au fond duquel apparaît l'extrémité cutanée de la fistule ; plusieurs orifices, plus ou moins rapprochés les uns des autres, se voient quelquefois au fond de la dépression circulaire dont je viens de parler.

Diagnostic différentiel. — Les abcès symptomatiques du mal vertébral peuvent être confondus avec quatre espèces d'abcès.

A. Abcès phlegmoneux. — Les abcès par congestion offrent quelquefois une grande ressemblance avec les abcès phlegmoneux. Ils présentent alors, comme ceux-ci, les signes d'une forte inflammation, rougeur, chaleur de la peau, douleur, fièvre. On a vu des praticiens éminents s'y tromper. On peut arriver à un diagnostic précis en examinant les fosses iliaques, en voyant s'il n'y a pas un point douloureux à la colonne vertébrale. Lorsqu'il y a une gib-bosité, le diagnostic devient plus facile.

B. Abcès froids. — On a vu des abcès migrateurs être pris pour des abcès froids ; un chirurgien très-distingué de Paris commit cette méprise. Il s'agissait d'une vaste collection ilio-fémorale, qui fut méconnue et ouverte largement avec le bistouri. On reconnaît les abcès froids à l'absence de douleur, de saillie caractéristique de la colonne vertébrale, et en ayant égard à la constitution du sujet.

C. Abcès ganglionnaires. — Les abcès dorso-cervicaux, dont les auteurs ne parlent pas, peuvent être confondus avec les abcès

ganglionnaires. Une cause particulière d'erreur résulte de ce que les ganglions sont soulevés par le pus, la fluctuation étant d'ailleurs très-obscure au début. J'ai vu, dans un cas de ce genre, les ganglions se mortifier par la présence du pus et paraître au dehors sous la forme de champignons. L'orifice de l'abcès ne devint manifeste qu'après la chute de la masse gangrenée.

J'ai été consulté pour un jeune homme qui avait un mal de Pott de la région dorsale. Après avoir été traité pendant plusieurs années, ce jeune homme parut guéri; il ne ressentait plus de douleurs et tous les symptômes fâcheux avaient disparu ; aucune tumeur n'apparaissait au dehors ; seulement le malade, en dormant, était pris subitement d'accès de suffocation. Peu après parut au cou une petite tumeur qui fut prise d'abord pour un abcès ganglionnaire ; des symptômes graves se déclarèrent ; la respiration devint plus difficile, l'oppression plus grande. Je soupçonnai qu'il s'agissait d'un abcès dorso-cervical antérieur, et bientôt, en effet, on vit le pharynx soulevé par la collection purulente.

D. Abcès ossifluents. — D'autres abcès, produits par diverses lésions osseuses ayant un autre siège que le corps des vertèbres, peuvent donner lieu à l'erreur ; tels sont les abcès dépendant d'une coxalgie. Celte maladie complique quelquefois le mal de Pott, et, lorsqu'il existe un abcès dans ce cas, on éprouve de l'hésitation à déterminer à laquelle des deux affections doit être rapportée la production du pus.

D'autres maladies, qui ne sont pas des abcès, la hernie, l'ané-vrysme, le bubon vénérien, des tumeurs profondément situées dans les fosses iliaques, etc., peuvent être des causes d'erreur. La demi-flexion de la cuisse, caractère à peu près constant des abcès par congestion de la région iliaque, peut être prise pour un effet du psoïtis, pour une simple contracture, ou bien être attribuée à une névralgie, à la coxalgie, etc.

§ IV. — Lésions de l'innervation. — Paralysie.

Ces lésions consistent en troubles de la motilité et de la sensibilité ; elles sont presque aussi constantes que la présence du pus et s'expliquent facilement par les conditions nouvelles où se trouve placé le centre nerveux. La moelle épinière, en effet, n'est-elle bouvier. 3

pas, ainsi que les racines nerveuses qui en émanent, entourée par tous les produits de l'altération des vertèbres ? N'est-elle pas souvent comprimée, contuse, déchirée par des fragments d'os, baignée par le pus, etc. ? Ces troubles sont variables dans leur intensité, et ils varient, du reste, avec la gravité, la profondeur des lésions de la moelle et des nerfs. La moelle est quelquefois à peine lésée, à peine comprimée, effleurée seulement à sa surface par les produits de l'altération vertébrale ; les symptômes sont alors peu marqués. Toutefois les troubles fonctionnels ne se trouvent pas toujours en rapport avec la lésion matérielle.

Il y a une sorte d'antagonisme entre les abcès et la paralysie, et rarement on rencontre ces deux phénomènes sur le même sujet. C'est que les circonstances qui donnent naissance à ces deux symptômes ne sont pas de la même nature, n'ont pas une origine exactement semblable. Dans les lésions superficielles, il y a peu de désordres fonctionnels ; si elles sont profondes, les troubles nerveux, en général, sont plus graves.

On observe deux sortes de lésions de l'innervation dans le mal de Pott : tantôt il y a excitation, tantôt affaiblissement de l'action nerveuse ; on voit des contractures (hypersthénie), ou bien de la paralysie (asthénie, acinésie). L'anesthésie (diminution ou perte de la sensibilité) se rencontre quelquefois; je ne sais si l'on a observé l'hy-peresthésie ou l'augmentation de cette faculté.

Le phénomène le plus commun est la paralysie. Elle porte sur le sentiment ou sur le mouvement; dans certains cas, sur les deux à la fois. La paralysie isolée du mouvement est la plus commune ; je ne connais qu'un seul exemple de la paralysie isolée du sentiment ; il est dû à ML Tavignot. La paralysie est quelquefois combinée avec des contractures.

La paralysie siège dans les parties inférieures au point de la moelle lésé ; elle varie donc suivant la hauteur du mal vertébral. Lorsque ce point réside dans la région cervicale, il y a ordinairement paralysie des membres supérieurs et des membres inférieurs; cependant on a vu la paralysie n'affecter que les membres supérieurs seulement. La moelle, dans ces cas, devait être saine dans une partie de son épaisseur. Cette explication me paraît plus probable que celle d'Ollivier (d'Angers), qui attribue cette particularité à ce que la moelle aurait, par elle-même, la faculté d'entretenir le

mouvement volontaire au-dessous du point où sa communication avec le cerveau est interrompue. Le défaut d'action nerveuse peut aussi se faire sentir aux organes contenus dans le bassin, au rectum, à la vessie, etc.

Ces paralysies surviennent d'ordinaire lentement; quelquefois elles débutent brusquement. Il y a d'abord diminution de contrac-tilité des muscles, simple affaiblissement, qui peut n'être que passager. Ces phénomènes augmentent graduellement jusqu'à la paralysie complète.

I. Mouvement réflexe. — Cette forme de la propriété excito-motrice qui produit l'action réflexe de la moelle, constatée par l'expérimentation directe chez les animaux inférieurs, se manifeste aussi, comme on le sait, spontanément chez l'homme. Prochaska l'a signalée le premier ; plus tard, Lallemand, M. Calmeil, et tout récemment MM. Marshall-Hall et Millier s'en sont occupés.

Il y a deux sortes de mouvements musculaires produits par les centres nerveux : Io les mouvements volontaires, dont le point de départ réside dans les lobes cérébraux ; 2° les mouvements involontaires produits par une cause dont nous n'avons pas la conscience, et qui réside plus spécialement dans la moelle crânienne et rachi-dienne; on peut appeler motricité involontaire cette propriété excito-motrice du centre nerveux. Ce second ordre de mouvements peut être spontané, automatique, c'est-à-dire provoqué par le centre nerveux, sans impression sensitive antérieure: exemple, l'occlusion des paupières pendant le sommeil. Dans d'autres cas, il succède à une impression portée sur les organes et transmise au centre nerveux ; celui-ci réagit et réfléchit en quelque sorte l'excitation sur les nerfs moteurs, d'où elle arrive aux muscles. C'est ce qu'on appelle mouvement réflexe; le clignement presque continuel des paupières pendant la veille en est un exemple des plus sensibles.

Tous les nerfs moteurs ne communiquent avec les lobes cérébraux que par l'intermédiaire de la moelle. Il en résulte, d'après les données physiologiques qui précèdent, deux sortes de paralysie : dans l'une, les lobes cérébraux seuls cessent d'agir sur les nerfs, les fonctions propres de la moelle restant intactes au-dessous du point malade; c'est la paralysie cérébrale de Marshall-Hali; dans

3.

l'autre, il y a, en outré, abolition de l'action de la moelle elle-même ; c'est la paralysie spinale du même auteur. La première est la paralysie de la motricité volontaire seulement; la deuxième celle des motricités volontaire et involontaire.

La pathologie reproduit donc ici les résultats des expérimentations faites sur les animaux. Dans un cas comme dans l'autre, la simple solution de continuité dans l'action nerveuse de l'axe cérébro-spinal laisse persister l'influence de la moelle sur les muscles, la motricité directe involontaire ; c'est ce que l'on observe dans le mal vertébral, lorsque l'action de la moelle n'est troublée que dans le point malade. Le mouvement volontaire est seul aboli dans les parties situées au-dessous de ce point ; la fonction conductrice du cordon rachidien est seule éteinte; les mouvements automatiques et réflexes subsistent; il y a paralysie cérébrale dans le sens donné à ce mot par Marshall-Hall, sens équivoque, qui pourrait faire croire à l'existence d'une affection cérébrale proprement dite, tandis que le physiologiste anglais n'a voulu désigner par là qu'un état dans lequel les nerfs sont privés de l'influence du cerveau en conservant celle de la moelle.

Vous avez sous les yeux un jeune garçon, le n° 29 de la salle St-Marcou, qui présente à un haut degré ces phénomènes du mouvement réflexe. On observe sur ce malade une contracture du triceps de la jambe; le tendon d'Achille est fortement tendu; un tremblement nerveux du pied et de la jambe se manifeste dans les mouvements de flexion forcée imprimés au pied. La sensibilité est conservée, quoiqu'un peu altérée ; le malade apprécie mal le lieu et le mode des sensations qu'on lui fait éprouver. L'application de corps chauds ou froids, le pincement, la piqûre ou la simple pression avec un instrument mousse déterminent sur-le-champ des mou-vements involontaires très-prononcés de toutes les parties du membre. Il est à remarquer que, quel que soit le point touché, ces mouvements ont presque toujours lieu dans le même sens, bien que, dans quelques cas, on puisse reconnaître certains rapports entre les muscles qui se contractent et le point des téguments sur lequel on agit. Généralement, ce sont plutôt les fléchisseurs qui entrent en contraction que les extenseurs, à moins que ceux-ci n'éprouvent des contractures passagères dont l'excitation cutanée provoque le retour. Vous êtes témoins, sur celte petite fdle affectée

d'acinésie volontaire complète et d'anesthésie incomplète, d'une contraction subite des abducteurs de la cuisse au moment où je pince les téguments, quoique l'enfant n'accuse point de douleur. Ce mouvement automatique de projection du membre en dehors rappelle tout à fait celui qu'on voit exécuter aux grenouilles dans les expérimentations physiologiques. Dans l'état sain, ces attouchements auraient un effet bien moins sensible, parce qu'il serait masqué et souvent remplacé par les mouvements volontaires de l'individu.

£n général, le mouvement réflexe sera d'autant plus prononcé que la paralysie du mouvement volontaire sera plus complète ; au contraire, l'intensité du phénomène réflexe semble d'autant plus grande que la sensibilité est mieux conservée. En d'autres termes, on pourrait établir en principe que, dans la paralysie dépendante du mal vertébral, le mouvement réflexe est en raison directe de la sensibilité et en raison inverse du mouvement volontaire. Je n'ai pas encore eu l'occasion de m'assurer si l'action réflexe disparaît entièrement lorsqu'il y a à la fois abolition complète de la sensibilité et de la motricité volontaire. M. Nélaton dit l'avoir rencontrée chez quelques sujets qui étaient paralysés du sentiment et du mouvement; mais il serait important de savoir si, dans ces cas, les malades étaient insensibles à tous les genres d'excitation.

On remarquera que le savant confrère que je viens de citer ne parle que d'un petit nombre de sujets sur lesquels il aurait observé les phénomènes réflexes : c'est qu'en effet ces mouvements, longtemps inaperçus, n'ont pas encore été considérés comme un phénomène général. M. Tavignot, qui les a signalés un des premiers, n'avait reconnu leur existence que sur un seul malade , et regardait ce cas comme un fait particulier. Il n'en est pas ainsi. Ce remarquable phénomène s'observe chez tous les malades, sauf les modifications que lui impriment les conditions indiquées plus haut ; il mérite sous ce rapport de devenir l'objet d'études sérieuses.

IL Degrés de la paralysie. — On peut distinguer trois degrés dans la paralysie produite par le mal vertébral. Dans le premier, les malades marchent encore, mais avec peine ; les genoux fléchissent souvent sous le poids du corps, et la fatigue arrive promple-ment. Les membres sont le siège de fourmillements, d'engour

dissements, quelquefois de contractures involontaires. Tous le? mouvements qui exigent quelque énergie musculaire, tels que 1 saut, la course, sont à peu près impossibles.

Dans le deuxième degré, la paralysie est encore incomplète; le enfants ne peuvent plus se tenir debout ni marcher ; mais ils peuvent encore imprimer des mouvements aux membres inférieurs, lorsqu'ils sont assis ou couchés.

Enfin, dans le troisième degré, tout mouvement volontaire est aboli; les membres inférieurs sont des masses inertes, obéissant passivement à l'action de la pesanteur et à toutes les impulsions extérieures.

Les deux membres peuvent être inégalement affectés, de manière que la paralysie présente un degré plus avancé d'un côté que de l'autre. Je place sous vos yeux plusieurs malades qui offrent ces différentes nuances de paralysie. Vous constatez chez tous l'existence du mouvement réflexe, plus ou moins marqué en raison de l'état de la sensibilité et de la motilité.

Une de ces petites malades nous présente une paralysie du deuxième degré, qui a succédé au troisième, dont elle était d'abord affectée ; c'est qu'en effet la maladie parcourt de nouveau, en sens inverse, quand la guérison a lieu, les différentes périodes par lesquelles elle a passé une première fois à son début. Il existe, pour ainsi dire, dans ces cas, un deuxième et un premier degré de retour.

(1) — Je vous ai fait connaître, dans notre dernière réunion, les différents degrés de paralysie déterminés par le mal vertébral. Vous avez vu que le troisième degré offre plusieurs nuances ; je vous ai présenté des exemples de ce qui se produit ordinairement, et j'ai été conduit à établir qu'il y a abolition du mouvement volontaire, avec conservation du mouvement réflexe.

J'ai comparé ces malades aux animaux sur lesquels les physiologistes expérimentent ; ils se trouvent dans les mêmes conditions que les reptiles dont on a coupé la moelle, et qui, sous l'influence d'un excitant douloureux, exécutent des mouvements. Remarquez que je n'ai pas voulu dire que les malades se trouvent dans le même état physique, matériel, que ces reptiles; il n'y a pas, chez eux, sec-

(1) Cinquième leçon, 15 juin 1855.

tion de la moelle, mais une interruption d'action plus ou moins complète des fibres nerveuses.

En effet, la lésion qui correspond aux différents degrés de paralysie que j'ai montrés n'intéresse ordinairement qu'une faible portion du cordon médullaire.

Les différentes nuances du troisième degré répondent à divers états de l'altération nerveuse. Il existe un rapport constant entre l'altération de la moelle et les troubles fonctionnels.

Dans ce troisième degré, le sentiment, ordinairement conservé, peut être plus ou moins aboli. Prenez-y garde cependant, on peut s'en laisser imposer par un examen superficiel; appliquez sur la peau tous les genres de stimulation avant de croire à la perte de la sensibilité.

L'irritabilité musculaire, qui persiste le plus souvent, peut également être abolie, de même que le mouvement réflexe. Nous n'avons pas assez de faits pour décider si ces deux effets se produisent toujours conjointement. Le mouvement peut être conservé, le sentiment étant seul aboli ; il est également possible que l'irritabilité musculaire persiste, alors que le mouvement réflexe est perdu.

M. Duchenne de (Boulogne) a publié un cas dans lequel il y avait perte complète de l'irritabilité musculaire; mais il ne dit rien de l'état réflexe.

On observe encore, dans ce troisième degré, des différences produites par des contractures, qui compliquent quelquefois la paralysie , par l'état des viscères du petit bassin, lesquels peuvent participer aux phénomènes paralytiques.

Les contractures atteignent les diverses séries de muscles ; ordinairement fixées sur les fléchisseurs, elles n'occupent souvent que les extenseurs. Elles se manifestent à l'occasion d'une émotion morale, ou naissent sous l'influence des efforts des malades. Ces contractures, lorsqu'elles sont durables, laissent quelquefois à leur suite un raccourcissement des muscles affectés ; c'est ce qu'on observe surtout aux muscles du mollet. Une jeune fille de nos salles a conservé un léger degré de rétraction des muscles atteints.

Les viscères pelviens, les sphincters vésical et anal, peuvent participer à l'affaiblissement des membres abdominaux. On observe alors la rétention ou l'incontinence de l'urine et des fèces, suivant que la paralysie porte sur les puissances expultrices ou rétentives.

Dans les nuances les plus avancées, l'utérus lui-même a perdu sa contractilité ; on l'a vu rester inerte au moment de l'accouchement (Brachet).

III. Causes de la paralysie.—Ces différents degrés de paralysie correspondent à des lésions plus ou moins profondes de la moelle.

1° Compression. — La simple courbure de l'épine peut-elle produire seule la paralysie? On l'a cru longtemps; Pott l'a nié le premier; Nichet, depuis, a soutenu que la déformation des os n'avait pas pour effet de comprimer la colonne nerveuse. Je ne puis admettre cette opinion exclusive. Je vous ai montré des pièces offrant un rétrécissement du canal, et des arêtes qui produisaient une impression sur la moelle. Plusieurs faits de compression tenant à cette cause ont été constatés par nous à l'autopsie. Cependant beaucoup d'auteurs expriment, comme Nichet, une opinion contraire. La grande objection qu'ils font valoir est la suivante : vous avez, d'une part, disent-ils, de faibles courbures avec paralysie ; et d'un autre côté, de fortes incurvations ne sont point accompagnées de phénomènes paralytiques; et d'ailleurs, ajoute-t-on, la paralysie disparaît souvent, quoique la courbure persiste. L'argument est spécieux. Les faits qu'on invoque sont exacts; mais ils montrent seulement qu'il existe d'autres causes de paralysie que celle dont il est ici question, et qu'une compression lente de la moelle n'est pas toujours incompatible avec la persistance de ses fonctions. Si l'on n'observe pas toujours des accidents de compression dans les cas de forte courbure du rachis, cela peut tenir à la destruction de l'arête osseuse. Il n'est pas impossible non plus que la moelle, dont la surface aurait été lésée, recouvre son action ; qu'il s'opère en elle une transformation organique, qui rende la courbure compatible avec l'intégrité des fonctions du cordon rachidien.

Il y a, ai-je dit, d'autres causes de compression de la moelle que l'arête osseuse dont il a été fait mention ; toutes les matières qui passent dans le canal rachidien, le pus, les séquestres, la matière tuberculeuse, sont autant d'agents qui peuvent comprimer la moelle. Les symptômes sont les mêmes que dans le cas de compression par le seul fait de la courbure. La paralysie peut, dans l'un et l'autre cas, rétrograder; de là des améliorations, des rétablissements momentanés ou définitifs.

Je présente une pièce qui nous offre un exemple de compression produite par une substance étrangère ayant pénétré dans le canal vertébral. Elle provient d'un jeune homme de dix-huit ans, ayant un état pénible, —il était mécanicien,—adonné de plus à la masturbation. Il n'a été pris des premiers symptômes de sa maladie qu'à la fin de l'année dernière ; ils consistaient, à l'époque de son admission à l'hôpital Necker, en quelques douleurs dans les reins et en un affaiblissement assez considérable des membres inférieurs. Huit jours après, il ne marchait plus. La colonne vertébrale fut explorée avec soin par M. Monneret; il n'existait point de gibbosité. Le mal avait son siège vers le milieu de la région dorsale ; mais la douleur étant rapportée aux lombes, c'est en ce point que deux cautères furent appliqués de chaque côté de l'épine. Des escarres se produisirent bientôt au niveau du sacrum, des trochanters, et le malade succomba aux suites de la gangrène. On a trouvé, comme cause de paralysie, un amas de matière tuberculeuse sur les vertèbres que vous voyez à nu. Le produit morbide se trouvait placé entre les vertèbres et le ligament commun postérieur. De chaque côté de la moelle, on voyait, de plus, un foyer tuberculeux communiquant par le trou de conjugaison avec la cavité du thorax. Ainsi, point de doute : il s'agit ici d'une affection tuberculeuse entourant les vertèbres, et les ayant nécrosées; comprimant, en outre, le cordon rachidien.

2° Altération de ta moelle. — Il existe des lésions plus graves, correspondant à des degrés plus avancés de la maladie. Ces lésions sont celles de la substance même de la moelle, telles que myélite, ramollissement ; des pointes osseuses viennent quelquefois irriter les membranes ; ces organes peuvent être le siège d'une inflammation chronique qui les épaissit. Nichet a publié le résultat d'autopsies des plus intéressantes, offrant cet ordre de lésions. Si la moelle est malade, les symptômes sont généralement plus intenses. D'après M. Duchenne (de Boulogne) (1), la lésion de la moelle est grave s'il y a abolition de l'irritabilité musculaire. Nous ne possédons encore sur ce point que des connaissances peu étendues. Ces sujets sont à l'étude ; on ne s'occupe que depuis peu de temps de l'irritabilité musculaire, du mouvement réflexe et autres phénomènes physiolo-

(1) De l'électrisation localisée, p. 750,

giques de ce genre. Je dirai même, relativement au principe posé par M. Duchenne, que le malade dont il a parlé a guéri. Ainsi, il est probable que l'altération nerveuse était peu profonde chez ce sujet.

Suivant le siège de la lésion, la paralysie affecte une étendue différente de parties. Vous le comprenez facilement. Si l'extrémité inférieure de la région lombaire se trouve atteinte, comme la moelle n'existe plus en ce point, non-seulement la paralysie n'affectera que les nerfs de la queue de cheval et s'étendra à un moins grand nombre d'organes, mais encore on n'observera plus les phénomènes réflexes, et l'irritabilité musculaire pourra être plus ou moins altérée.

La forme la plus ordinaire de paralysie consiste, comme on l'a vu, dans l'abolition des mouvements volontaires, et coïncide avec la lésion des parties antérieures de la moelle. Vous savez, en effet, — les expériences de Charles Bell, celles de MM. Magendie et Longet nous l'ont appris , — que les cordons antérieurs sont chargés de la motilité, les faisceaux postérieurs présidant à la sensibilité. La lésion plus fréquente des parties antérieures du centre nerveux s'explique facilement, quand on réfléchit qu'elles sont précisément en rapport avec la portion du rachis altérée.

Diagnostic différentiel de la paralysie. — Voici un jeune enfant qui offre un affaiblissement considérable des membres inférieurs ; il y a, de plus, une légère saillie des apophyses lombaires : eh bien, ce n'est pas un cas de mal vertébral. Cet enfant est ra-chitique. Quant à la lésion des membres abdominaux, on pourrait se tromper sur sa cause si l'on n'avait vu auparavant la courbure des tibias ; il n'y a ici qu'un affaiblissement musculaire rachitique.

Il ne faut pas non plus confondre la paralysie avec la difficulté de marcher, dans le mal de Pott, tenant à la douleur ou à une faiblesse générale ; avec de l'attention , on évitera cette méprise.

On peut aussi confondre la paralysie tenant au mal vertébral avec les paraplégies dépendant d'une autre cause, spécialement avec les paralysies essentielles de l'enfance. Je vous renverrai, pour ces dernières, à l'ouvrage de M. Duchenne (1), qui aide puissamment à ce diagnostic souvent difficile.

(1) De Vélectrisation localisée et de son application à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique. Paris, 1855.

On peut enfin rencontrer de grandes difficultés à distinguer la compression de la moelle par le mal vertébral des autres compressions, de celles qui sont produites par l'anévrysme de l'aorte, par une tumeur osseuse de nature syphilitique, un carcinome ou des tubercules, des acéphalocystes développés dans le canal rachidien.

§ V. Traitement du mal vertébral.

Vers la fin du siècle dernier, dans la même année, en 1779 , parurent deux opuscules, qui traitaient du mal vertébral. Les auteurs de ces dissertations s'ignoraient l'un l'autre ; ils écrivaient au même moment, l'un à Londres, l'autre à Rouen. L'un jouissait d'une des plus hautes positions chirurgicales de l'Europe et du monde entier; l'autre était un modeste chirurgien de l'ancienne capitale de la Normandie, de beaucoup inférieur d'ailleurs, par l'âge comme par la renommée, à celui qui fut le premier maître de Hunter. Dans l'un de ces opuscules, on lisait :

« Je publie un détail du bon succès qui a suivi la méthode particulière de traiter une maladie que tous les efforts de fart

n'ont encore pu guérir..... Le motif qui m'a fait publier cet

ouvrage..... est le désir de perdre le moins de temps possible à indiquer les moyens de secours pour un mal qui a résisté à tous

les remèdes avant que celui-ci fût connu..... Les patients de

tout âge que j'ai traités au commencement de la maladie ont tous été guéris. »

Dans l'autre ouvrage, on lisait :

« Une maladie aussi grave, dira peut être quelqu'un, est au-dessus des ressources de l'art et des efforts de la nature; gardons-nous de prononcer aussi légèrement, et d'assigner à celle-ci des bornes qu'elle ne s'est pas prescrites; elle nous offre des caries de

vertèbres dorsales guéries par ses seuls bienfaits..... Serait-il

étonnant que la nature, après s'être servie du pus pour dissoudre les pièces osseuses, le rappelât dans les voies générales de la circulation?.... Quant aux os primitivement affectés, ils ne sont pas plutôt 'débarrassés de ces débris, qu'ils commencent à reprendre de la solidité, et si plusieurs vertèbres, par exemple, ont participé aux désordres, elles forment entre elles une masse commune d'ossification qui termine cette grande curation qui, comme l'on

voit, doit être l'ouvrage de la nature, du temps et du repos. »

Lequel de ces deux textes est le plus conforme à nos connaissances actuelles? Lequel décèle l'observateur profond et attentif, l'interprète judicieux, exact des procédés curatifs de l'organisme malade? Lequel, en un mot, est d'un vrai médecin, uniquement attaché à pénétrer les mystères de la nature pour y puiser les véritables ressources de l'art? Lequel, au contraire, semble émané d'un de ces guérisseurs plus ou moins convaincus de la toute-puissance de leurs remèdes, mais voulant surtout imposer cette conviction à leurs semblables?

Ne croiriez-vous pas que l'obscur chirurgien normand doit avoir écrit les phrases que j'ai citées en premier lieu, et que l'éminent professeur de la Grande-Bretagne est l'auteur des autres?

Non, on l'a déjà deviné, c'est justement le contraire. Le premier passage, cousu d'assertions fausses ou hasardées, est de l'illustre Pott (1) ; le second, de David (2), le modeste chirurgien rouen-nais, qui n'a pas même songé à écrire ex professa sur la carie vertébrale; l'ouvrage où il en parle est une simple dissertation sur les effets du mouvement et du repos.

Cependant qu'est-il advenu ?

La renommée l'a emporté sur la vérité. Les illusions ou les van-teries de Pott ont été traduites dans toutes les langues.. S méthode, qui n'était autre que celle des Arabes et de leurs successeurs immédiats, celle que M. A. Séverin avait déjà tenté de faire revivre, sa prétendue méthode a régné jusqu'à nos jours, elle règne encore après soixante-seize ans! Et le livre de David?... Le livre de David est resté enfoui dans la poussière des bibliothèques, d'où je l'ai tiré par hasard. Personne ne l'a lu, bien peu du moins. Mon savant maître, Boyer, ne l'avait pas lu lorsqu'il écrivait que : « Pott n'a pas seulement décrit le premier avec exactitude cette maladie, il a encore ta gloire d'en avoir indiqué le traitement. » L'érudit Palletta,

(1) Pott, Remarks on that kind of palsy ofthe lower limbs, etc. Loh-don, 1779, in-8°. —- Traduit dans ses OEuvres chirurgicales. Paris, 1792, 3 vol. in-8°.

(2) David, Dissertation sur les effets du mouvement et du repos dans les maladies chirurgicales. Paris, 1779, in-12.

de Milan, ne l'avait pas lu, quand il a reproduit et adopté les idées de Pott dans son excellente dissertation sur la cyphose paralytique (1).

C'est à peine si nos derniers maîtres, les Dupuytren, les Roux, les Marjolin, les Cloquet, ont commencé à soulever le voile jeté par l'ombre de Pott sur les grandes vérités exprimées par l'humble chirurgien normand.

Un traitement banal, disait Auguste Bérard dans une leçon clinique sur le mal vertébral, un traitement banal est en usage ae-puis Pott; il consiste dans l'application de cautères autour de la gibbosité. Après douze ans, on peut répéter cette phrase. Quels que soient les symptômes, le degré de la lésion, que le malade soit jeune ou vieux, homme ou femme, faible ou robuste, la méthode est invariable : des cautères, et toujours des cautères; il semble que la conduite du médecin soit stéréotypée d'avance.

Ce n'est pas ce plan de traitement que nous vous tracerons. Nous reviendrons à David, à l'observation de la nature; c'est à cette source précieuse que l'art puise ses meilleures inspirations.

Nous distinguerons trois cas dans le mal vertébral, au point de vue du traitement. Dans le premier, il n'y a ni paralysie, ni abcès; dans le second, il y a seulement de la paralysie; dans le troisième, il existe des abcès visibles, ordinairement sans paralysie. Je n'aurai en vue que les abcès extérieurs visibles, toutes les fois que je vous parlerai d'abcès par congestion ; je me suis expliqué plus haut sur l'existence presque constante des foyers cachés.

Les trois formes de mal vertébral que je viens d'indiquer sont regardées par presque tous les auteurs comme constamment mortelles. Cependant nous voyons beaucoup de malades guérir. Il faut bien remarquer que plusieurs causes de mort sont liées au mal vertébral, mais ne lui sont pourtant pas inhérentes. L'on meurt par diathèse tuberculeuse : des enfants bien portants sont enlevés par des tubercules du cerveau ; des adultes deviennent phthisiques. On peut aussi mourir par épuisement ; la terminaison funeste est bien causée ici par le mal vertébral, mais c'est un peu la faute de la constitution : la maladie survient chez des sujets trop faibles pour

(i) Sulla cifosi paralitica, dans ses Adversaria chirurg. prima, 1788.

la supporter; en sorte qu'elle est moins mortelle par elle-même, qu'en raison des circonstances dans lesquelles elle se développe. Des lésions consécutives, telles que des escarres, des hydropi-sies, l'anasarque, emportent quelquefois les malades. Des maladies fébriles, pneumonie, rougeole, variole, survenant dans le cours d'un mal vertébral, enlèvent plus facilement les malades, parce qu'ils sont affaiblis. La maladie des vertèbres tue donc moins souvent par elle-même qu'on ne le dit généralement.

Entrons dans le détail des trois cas que nous avons établis, et voyons quels moyens thérapeutiques il convient de leur opposer.

Ier cas : Absence de paralysie et d'abcès par congestion. — Cet état peut durer de longues années. Il faudrait, pour arrêter la maladie osseuse, favoriser l'évolution des phases curatives de la lésion qui existe, ostéite, carie, nécrose, tubercules, et empêcher l'extension du mal. Il n'existe pas de spécifiques qui permettent d'atteindre sûrement ce double but. Les spécifiques sont rares en médecine; nous sommes trop heureux quand nous en avons à notre disposition.

Nous ne connaissons aucun moyen d'arrêter sûrement les progrès de la maladie vertébrale; ils s'arrêtent cependant; mais la nature fait le plus souvent à elle seule les frais de la guérison; il ne faut pas attribuer exclusivement à la thérapeutique la limitation du mal, puisque nous la voyons survenir naturellement.

Ainsi, cette première catégorie de cas peut non-seulement rester stationnaire, mais encore guérir par elle-même, après avoir causé une déformation énorme de l'épine.

En faisant tous ses efforts pour borner la lésion, on remplit en même temps une deuxième indication; on prévient l'abcès et la paralysie. Je ne connais pas de moyen constamment efficace d'obtenir ce dernier résultat. On croit généralement que les cautères sont ce moyen ; l'observation d'un grand nombre de malades m'a fourni la preuve du contraire. Deux séries de malades étant données, si dans l'une on emploie les cautères et non dans l'autre, on trouve, en dernière analyse, dans ces deux catégories, autant de cas dans lesquels il est survenu des abcès, de la paralysie, autant de cas dans lesquels les malades ont succombé.

Telle est mon opinion, fondée sur l'ensemble des faits qui me

sont propres et des faits publiés qui sont à ma connaissance. Je ne doute pas qu'elle ne soit l'expression générale de la vérité, bien que je ne puisse fournir à cet égard de démonstration complète, n'ayant pu, vous le comprenez aisément, compulser la pratique de tous mes confrères.

Les deux exemples que je mets sous vos yeux sont relatifs à la catégorie de cas dont je parle. Ce premier enfant est depuis deux ans à l'hôpital. Il s'est passé à son égard une chose assez piquante : cet enfant a eu un abcès de la cuisse qui n'était pas, je crois, lié à la lésion des vertèbres. Comme il appartenait à une salle de scro-fuleux, où les malades ont l'habitude de se lever avant l'arrivée du chef de service, on a méconnu pendant deux années l'affection vertébrale; aucun traitement local n'a été dirigé contre elle. Cet enfant s'est promené, a joué comme les autres, et n'a reçu que le traitement général antiscrofuleux. 11 n'est survenu ni abcès ni paralysie. Il est évident que ce malade n'est pas entièrement guéri, puisqu'il éprouve encore des douleurs lombaires dans le renversement du tronc ; je vous le présente toutefois comme exemple d'une affection qui, quoique abandonnée à elle-même, a suivi une marche assez heureuse.

Ce second malade est encore plus curieux ; il habite un village éloigné, et a été atteint, il y a huit ans, des premiers symptômes d'un mal de Pott. On a d'abord fixé une latte dans la région dorsale pour la redresser; mais l'éclisse, devenant douloureuse, a été bientôt abandonnée. Des médecins consultés se bornèrent à prescrire l'huile de foie de morue, dont l'enfant consomma plusieurs bouteilles. La mère nous a raconté que le malade marchait primitivement en appuyant les mains sur les genoux, que les douleurs très-vives qu'il éprouvait d'abord ont ensuite disparu ; jamais il n'est survenu d'abcès, de paralysie. C'est là certainement une terminaison heureuse. Aujourd'hui, je crois l'enfant complètement guéri. 11 conserve toutefois une gibbosité considérable, qui serait sans doute moindre si l'art était intervenu.

Est-ce à dire, en effet, qu'il ne faille rien faire chez les malades de cette première catégorie? Non, assurément. Sans parler des nouveaux remèdes dont vous-mêmes pourrez doter l'avenir, on peut, dans l'état actuel de la science, tenter avec fruit l'emploi de divers moyens pour aider la nature dans son travail de limitation et

de réparation, pour empêcher une fâcheuse difformité et améliorer l'état général. En un mot, on agit ici dans l'unique but de placer les sujets ou de les maintenir dans les meilleures conditions possibles pour l'accomplissement du travail naturel de la guérison. Ce qu'on peut faire se rapporte à deux points : 1° soigner l'état général ; 2° soigner l'étal local.

Sous le rapport de l'état général, il y a des diathèses qui peuvent empêcher ou retarder la guérison : telle est la diathèse syphilitique. Si vous avez pu en découvrir les signes, opposez-lui un traitement convenable; vous guérirez du même coup l'affection vertébrale.

Dans nos hôpitaux d'enfants, la diathèse scrofuleuse est celle qui domine: la médication antiscrofuleuse , excitante, l'iode, le fer, le quinquina, l'huile de foie de morue, sont donc indiqués. Il importe surtout de soutenir les forces digestives à l'aide des médicaments employés généralement dans ce but.

On a proposé le phosphate, le carbonate de chaux, qui devaient hâter la consolidation des os, en leur fournissant un de leurs éléments constitutifs. Les résultats n'ont pas répondu aux espérances qu'on avait conçues de l'efficacité de ces agents.

Un Anglais, Jarrold, a aussi vanté contre le mal vertébral l'extrait de jusquiame, et il a cité des guérisons qui prouvent, une fois de plus, le pouvoir de la nature ; car il serait difficile de dire de quelle manière peut agir ce médicament, et de quelle utilité il peut être contre la maladie des vertèbres.

On stimule les fonctions de la respiration, de la circulation, de la nutrition, en employant les bains sulfureux, les bains salés, les bains de mer.

Vous trouverez un adjuvant puissant dans les eaux minérales. Le travail de limitation s'opérera d'autant mieux, que vous améliorerez davantage l'état général.

Les frictions sont encore un bon moyen. Antoine Dubois prescrivait avec avantage les frictions avec le Uniment ammoniacal camphré le long de l'épine dorsale.

L'hygiène vous offrira les plus grandes ressources. Je ne vous énumère pas les conditions dans lesquelles doivent être placés les malades; l'air de la campagne, de la mer, leur sera surtout favorable.

L'exercice soulève une question délicate. Faut-il faire marcher les sujets atteints de mal vertébral? Le repos a été regardé, à une époque, comme le grand moyen de guérir cette maladie ; on en a fait une méthode de traitement qui vaut bien la méthode de Pott. David a rapporté les faits les plus curieux de guérisons obtenues par ce moyen. Vous trouverez dans son ouvrage un éloge mérité du repos dans les maladies chirurgicales, et en particulier dans le mal vertébral. D'autres sont venus depuis qui ont fait du repos, vous disais-je, une méthode curative. Baynton a écrit un livre sur ce sujet. Il fait remarquer que les malades de Pott étaient constamment couchés, en sorte qu'il est permis d'attribuer à l'immobilité une large part dans les guérisons que ce dernier a citées. Earle, élève de Pott et partisan de sa méthode, n'a pas nié l'influence du repos chez les malades guéris par son maître. Je n'adopte pas entièrement, toutefois, les opinions de Baynton ; le repos absolu étiole les enfants, altère les fonctions. Baudelocque laissait courir et jouer les petits malades. D'un autre eôté, Nichet a attribué à la station verticale la destruction de plusieurs vertèbres, qui se produit par les progrès de la maladie. C'est là sans doute une opinion exagérée ; mais on ne peut nier que le poids des parties supérieures du corps n'augmente la courbure de l'épine ; il est donc important de combiner, dans une proportion convenable, l'exercice et le repos. Il faut assez d'exercice pour stimuler les fonctions digestives, assez peu pour ne pas augmenter la courbure.

On a fait également de l'emploi des moyens mécaniques la base d'une méthode de traitement. On ne voyait que dans la courbure rachidienne la cause de paralysie, et l'on disait : redressons l'incurvation du tronc, remédions à la semi-luxation des vertèbres, la paralysie cessera; de là l'emploi des corsets à tuteurs. Camper s'est montré partisan ardent de cette méthode. Auran, qui écrivait en 1772, rapporte les observations les plus curieuses de guérisons du mal vertébral obtenues par la position horizontale et l'usage d'un corset compresseur. Malgré cela, aussitôt que Pott se fut élevé avec raison contre l'opinion qui attribue uniquement la paralysie aux courbures de l'épine, un concert unanime de réprobation se fit entendre contre les appareils mécaniques. Cependant Béclard a communiqué à la Société d'instruction médicale un fait dans lequel on voit qu'un enfant qui ne pouvait faire usage de ses membres bouvier. 4

inférieurs marchait facilement à l'aide d'une ceinture. C'est sans doute en faisant cesser la douleur qu'on obtenait ce résultat.

Vous voyez qu'il y a quelque chose à prendre dans cette méthode; il y a aussi quelque chose à laisser. Il faut suivre les indications : si l'enfant est trop jeune ou trop délicat, de manière qu'on puisse redouter les effets de la compression du thorax, si l'état de station n'augmente pas sensiblement la courbure, n'employez pas le corset, qui pourra, au contraire, être très-utile dans les circonstances opposées.

On a fait plus, dans ces dernières années, au point de vue mécanique. Depuis vingt-cinq ans que l'orthopédie est en faveur, après avoir été créée par Andry dans le siècle dernier, on a cherché à redresser les courbures produites par le mal vertébral. Pour juger de la valeur de ces tentatives, il faut voir les faits. Harrisson a écrit un volume sur le redressement de ces courbures (1). Il a employé un vieux procédé, qui consiste à faire coucher le malade sur le ventre et à exercer des pressions sur la colonne pour affaisser la gibbosité. On applique ensuite des bandelettes de sparadrap pour maintenir cet affaissement. Son ouvrage contient des gravures qui montrent, en effet, la bosse très-affaissée ; malheureusement on ne peut leur accorder la même confiance qu'à la vue des malades eux-mêmes. Sur le continent, on a moins bien réussi. J'ai moi-même tenté le redressement de plusieurs courbures semblables ; un seul cas m'a satisfait. Il s'agissait d'une jeune fille atteinte de gibbosité lombaire, sans abcès ni paralysie. Des pressions modérées sur l'épine, des exercices gymnastiques, les corsets, la position horizontale accompagnée d'une légère extension mécanique, furent les moyens employés. Ces deux bustes en plâtre représentent l'état de la colonne avant et après le traitement ; il y a eu réellement amélioration. M. Ferdinand Martin a fait également connaître plusieurs cas, dans lesquels il s'est bien trouvé de l'application de l'orthopédie au traitement du mal vertébral. D'un autre côté, David plaça chez un jeune homme un simple traversin sous la gibbosité. Ce malade, animé d'un grand désir de guérir, dissimula ses douleurs. Lorsqu'on s'en aperçut, il n'était plus temps; la maladie avait fait

(1) Pathological and practical observations on spinal diseases. Lon-don, 1827.

des progrès; le malade succomba. Je ne crois pas qu'il faille, à l'exemple de David, accuser exclusivement le traversin d'une terminaison qui s'explique mieux par l'évolution naturelle de la maladie.

En résumé, je suis disposé à proscrire, pour le plus grand nombre des cas, les moyens mécaniques dans la position horizontale , chez les sujets atteints du mal vertébral. Si ces moyens sont employés dans les premières périodes du mal, ils peuvent causer des distensions fâcheuses, et aggraver les accidents ; appliqués plus tard, ils rencontrent dans le cal commençant une résistance qu'il serait dangereux ou inutile de vouloir surmonter. J'admets, au contraire, les supports dans la station verticale et dans la marche. Je proscris d'une manière absolue les exercices gymnastiques, qui exercent des tiraillements sur le point du rachis malade et peuvent aggraver la lésion. Au surplus, si l'on voulait recourir à l'orthopédie dans un cas pareil, on se guiderait d'après l'observation attentive des effets produits, et l'on ne courrait aucun risque en s'ar-rêtant, dans les efforts de redressement, aux moindres sensations douloureuses ressenties par les malades.

(1) Nous avons supposé trois cas différents dans le mal de Pott, au point de vue du traitement : dans le premier, il n'y a ni paralysie ni abcès ; dans le second, il existe de la paralysie ; dans le troisième, on voit des abcès, ordinairement sans paralysie. Je ne parle pas de ces abcès qui sont bornés à la surface des vertèbres malades, et qu'on a appelés assez exactement sessiles, mais bien des véritables abcès par congestion, des abcès migrateurs.

Nous avons terminé l'histoire du traitement pour le premier cas, en ce qui concerne la lésion vertébrale proprement dite; ce traitement s'applique également aux deux autres cas, puisqu'il faut traiter la maladie osseuse en même temps que les accidents dont elle s'accompagne.

Vous avez vu que je ne partage pas l'opinion qui règne encore de nos jours sur l'efficacité des cautères dans le mal vertébral de Pott; ils ne mettent pas à l'abri des abcès ni de la paralysie. Je vous ai fait voir, en outre, que la guérison des cas où la maladie

(1) Sixième leçon, 22 juin 1855.

ne se complique pas de ces deux accidents a souvent lieu sans l'emploi de ce moyen. Il me reste à compléter ce que j'ai dit à cet égard.

Quand une erreur persiste des siècles, elle renferme sans aucun doute un coin de vérité : elle ne subsisterait pas aussi longtemps sans cette condition de durée. Cette remarque est entièrement applicable à la méthode curative du chirurgien anglais; elle nous explique comment celte méthode a pu vivre soixante-seize ans, comment elle est parvenue jusqu'à nous. D'où vient donc l'erreur de Pott et des médecins qui l'ont imité? Elle provient de ce que les cautères jouissent d'une efficacité réelle contre certains symptômes dominants de l'affection vertébrale.

Nichet a pratiqué trente autopsies dont il a tracé le tableau ; il est arrivé à cette conclusion : que la maladie est le plus ordinairement de nature tuberculeuse, que, par conséquent, les cautères sont impuissants à guérir la lésion , bien qu'ils soient utiles contre quelques-uns de ses symptômes.

Parmi ces symptômes, le premier est la douleur. Dans beaucoup de cas, cette douleur se calme après une application de cautères. C'est là un des motifs qu'on fait valoir pour prouver leur efficacité dans le mal de Pott. Ce fait n'a pas la valeur qu'on lui prête : la douleur peut cesser, en effet, et cependant la maladie n'en continue pas moins ses ravages. Mais le grand argument contre l'emploi constant des cautères, c'est qu'on enlève la douleur par des moyens beaucoup moins pénibles pour les malades que les cautérisations profondes. Le premier de ces moyens, c'est le temps ; la douleur disparaît souvent par la marche spontanée de la maladie; le second, c'est le repos; le troisième, enfin, est la révulsion extérieure, mais plus douce que celle qu'exercent les cautères.

Les moyens révulsifs doux dont je parle en ce moment, vous les connaissez tous : ce sont les sinapismes promenés le long de la colonne vertébrale, l'emplâtre stibié, les frictions avec l'huile de croton, les ventouses sèches laissées en place jusqu'à vésication. Sur ces deux malades, nous employons un autre révulsif, la teinture d'iode. Vous avez pu juger par vous-mêmes des effets de cet agent ; il produit d'abord un léger érythème, puis un soulèvemeni et une desquamation de l'épiderme, et enfin une vive irritation d la peau sans suppuration, si l'on réitère dans le même endroit les

applications du caustique. Le repos, quelques bains ont suffi pour calmer la douleur chez ces autres enfants, dont plusieurs vous ont été déjà présentés. Il y a encore un moyen révulsif que je ne dois pas omettre ; ce sont les vésicatoires volants. Appliquez-en successivement plusieurs autour de la gibbosité, vous calmerez ainsi les douleurs.

Si, de nos jours, on a encore fréquemment recours aux cautérisations profondes, il y a cependant dans leur emploi un progrès que je constate avec plaisir. Pott voulait de larges ulcérations, entretenues longtemps à l'aide de plusieurs pois placés simultanément dans la plaie. Aujourd'hui, les cautères sont superficiels; on n'y met plus de corps étrangers, et on évite de les entretenir. Les moxas ont été préférés par d'autres chirurgiens; on pourrait y avoir recours, ainsi qu'aux cautères volants dont je viens de parler, chez les malades vigoureux , et seulement lorsque les autres agents révulsifs moins pénibles auraient été sans résultat. Les raies de feu sont dans le même cas; je leur préfère toutefois la cautérisation pointillée superficielle avec un stylet plus ou moins chauffé à la lampe, l'allumette de Gondret, la pommade ammoniacale et autres moyens semblables.

On a encore employé les caustiques liquides, les acides concentrés. La cautérisation produite par ce moyen ne m'a pas paru préférable aux précédentes; elle ne produit pas, d'ailleurs, des plaies moins profondes que les cautères ordinaires. Il y a cependant une manière d'employer les acides que je dois vous faire connaître : c'est sous forme de Uniment; leur action est alors amoindrie par le mélange des huiles. Neuf parties d'huile, une partie d'acide sulfu-rique, forment le Uniment de Brodie, qu'on emploie en frictions sur les points douloureux. Ce Uniment agit à la manière de la teinture d'iode. Je lui préfère toutefois cette dernière, parce qu'elle sèche rapidement, et qu'il est plus facile de limiter son action.

IIe CAS : MAL VERTÉBRAL AVEC PARALYSIE. — Quelle est la

marche spontanée de la paralysie produite par le mal vertébral? Abandonnée à elle-même, elle peut guérir; je vais vous en montrer deux exemples :

Voici une jeune fille de 12 ans, atteinte d'une gibbosité énorme, et chez laquelle la paralysie a débuté il y a deux ans. J'ai employé

une foule de moyens : ventouses, vésicatoires, créosote ; j'ai mis des sinapismes, et j'ai donné le seigle ergoté à l'intérieur. Tous ces remèdes ont échoué; j'allais essayer la strychnine, quand une pleurésie intense se déclare. En peu de jours l'épanchement devient si considérable, que nous nous sommes demandé un instant si la thoracentèse ne devait pas être pratiquée. Cependant la malade guérit sans cette opération. La convalescence fut longue ; plusieurs mois s'écoulèrent sans amener un changement notable dans l'état de la motilité, lorsqu'au mois de janvier dernier la malade put faire quelques petits mouvements ; l'amélioration continua, et l'enfant parvint successivement à marcher et à courir. Elle a conservé seulement un léger degré de rétraction des muscles du mollet.

L'autre enfant, avant d'entrer à l'hôpital, fut traité par les cautères. Malgré cette révulsion énergique, les jambes s'affaiblirent, la paralysie augmenta et devint complète. L'amélioration ne se fit sentir que longtemps après la cicatrisation des plaies du dos, en sorte qu'elle ne peut être attribuée à l'action du remède; c'est un cas de guérison spontanée. L'enfant n'a point eu d'abcès.

Vous voyez la marche favorable de l'affection abandonnée à elle-même chez ces malades. Que pensez-vous maintenant des cas où l'on a mis quarante cautères dans l'espace d'une année? Ne pourrait-on pas dire que la destruction du derme a été superflue dans ces cas, que la maladie a guéri spontanément? Assurément, cette opinion pourrait être soutenue.

Disons cependant que l'on a vu parfois l'application des cautères ou des moxas être promptement suivie d'une grande amélioration ; j'admets qu'ils ont eu une action réellement efficace dans ces cas.

Mais si les cautères sont utiles chez quelques malades, ils ne sont pas indispensables. La guérison peut être obtenue par les révulsifs plus doux déjà mentionnés ; et lorsqu'elle survient après l'application des cautères, on est en droit de supposer qu'elle aurait souvent pu avoir lieu sans eux. Je le répèle, ne les employez qu'après les moyens révulsifs d'une énergie moindre.

La paralysie dépendant du mal vertébral présente, dans sa marche, des irrégularités qui la différencient des autres paralysies. C'est qu'en effet les causes qui la produisent sont, en général, mobiles et passagères: c'est un engorgement des méninges, une compression produite par des esquilles, du pus, des tubercules, etc.

Les améliorations momentanées qui surviennent dans ce cas ne doivent pas être attribuées aux moyens thérapeutiques.

Une autre cause influe sur la marche de la paralysie. On ne voit pas, en général, survenir ce symptôme quand il existe un abcès par congestion ; et, quand la paralysie existait déjà, elle diminue ordinairement ou disparaît dès que l'abcès vient à se former. Il y a, comme je l'ai dit, une sorte d'antagonisme entre ces deux phénomènes. Il est probable que lorsque le retour des mouvements coïncide avec l'apparition d'un abcès, c'est parce que le pus, en s'éloignant du canal vertébral, fait cesser la compression qui était exercée sur la moelle, soit par ce liquide lui-même, soit par les séquestres, les fragments de matière tuberculeuse, etc., qu'il entraîne avec lui.

Chez un enfant actuellement soumis à notre observation et atteint pour la troisième fois de paralysie dépendant de mal vertébral, tous les moyens avaient échoué, lorsqu'un abcès parut sur le côté du cou ; à dater de ce moment, la paralysie, qui était complète, a diminué, et aujourd'hui l'enfant peut se tenir debout et marche avec facilité.

Aussitôt qu'une amélioration se fait remarquer dans l'état des mouvements, on peut souvent cesser tout traitement. C'est qu'en effet l'expérience a appris, et M. Duchenne (de Boulogne) l'a imprimé dans un de ses derniers ouvrages, que, lorsque la paralysie a reçu, pour ainsi dire, un coup de fouet, qu'elle commence à diminuer, l'amélioration peut continuer d'elle-même, sans l'emploi d'aucune médication.

Les moyens que je viens d'indiquer ne sont pas les seuls auxquels on ait eu recours pour combattre le symptôme qui nous occupe. Nous lisons dans Desault qu'un paralysé a été guéri par l'émétique donné en lavage; M. Duchenne (de Boulogne) a fait connaître un fait de guérison par l'électricité ; quelques malades ont été rétablis par la noix vomique combinée avec l'électricité (Ollivier), les bains de mer, les eaux minérales. Du temps de Pott, on avait déjà cité des exemples de guérisons obtenues par l'emploi de ces eaux.

De tous ces moyens, aucun n'a toujours réussi; aucun n'a été sans succès. Que résulte-t-il de ce fait? C'est qu'il faut connaître tous ces moyens pour y recourir à l'occasion successivement, lorsque les premiers auront échoué.

Comme exemple de l'application des préceptes que je viens de poser et des résultats qu'elle procure, je place sous vos yeux un enfant de huit ans, nommé Morin, atteint de mal vertébral siégeant au bas de la région cervicale, et ayant éprouvé à trois reprises, depuis un an, une paralysie des membres supérieurs et inférieurs. Les deux premières attaques ont cédé graduellement à l'emploi successif des cautérisations épidermiques, des sinapismes et autres révulsifs superficiels, sans cautères. J'ai cité plus haut ce qui est arrivé à la suite de la troisième atteinte, dans laquelle le rétablissement a coïncidé avec le développement d'un abcès cervical.

Une fille de cinq ans, encore dans nos salles, offre un cas analogue au précédent, tant par le siège de l'affection osseuse que par celui de la paralysie. Celle-ci est en voie de guérison; les seuls moyens employés ont été les sinapismes et les applications de teinture d'iode.

Deux autres malades de la même salle, affectées de mal vertébral dorsal et de paraplégie, sont traitées par le seigle ergoté ; le résultat a été complètement nul sur l'une d'elles; les mouvements commencent à reparaître chez l'autre.

IIIe CAS : MAL VERTÉBRAL AVEC ABCÈS PAR CONGESTION. — NOUS

avons peu de ressources certaines contre ce symptôme; la marche en est plus grave que celle de la paralysie.

Abandonnés à eux-mêmes, les abcès par congestion se terminent quelquefois d'une manière heureuse ; ils peuvent guérir sans s'ouvrir. Le petit livre de David contient la première observation connue de guérison spontanée ; l'abcès volumineux que portait une jeune fille a guéri sans traitement. Depuis, un cas analogue observé par Dupuytren a été consigné dans ses leçons orales : trois ans après la disparition du foyer par congestion, le malade succomba. On fit l'autopsie et l'on trouva l'abcès réduit à une poche d'un très-petit volume, et ne contenant qu'une matière grasse très-consistante. On trouve encore dans la science quelques faits épars d'une terminaison semblable.

Dans la première période des abcès migrateurs, la guérison spontanée est probablement plus fréquente qu'on ne le croit généralement. C'est un fait capital, d'où découle clairement cette indication thérapeutique, qu'il faut toujours tenter la résorption du pus.

Le plus souvent les abcès augmentent de volume , s'étendent, fusent dans différentes directions, et finissent par s'ouvrir. Presque toujours alors surviennent des accidents terribles. Il est ordinaire de voir des enfants, des adultes, dont l'abcès volumineux troublait à peine la santé, éprouver, aussitôt qu'il a été ouvert, delà fièvre, des douleurs vives, une inflammation étendue, s'affaiblir graduellement et même mourir. En même temps le pus s'altère ; inodore dans le principe, il devient plus tard d'une extrême fétidité. Quelques malades échappent à ces accidents primitifs ; beaucoup y succombent.

La mort peut être causée par les accidents secondaires, c'est-à -dire par l'intensité des douleurs, la fièvre, l'abondance de la suppuration , le marasme.

Malgré ces causes d'épuisement, on voit encore survenir des gué-risons spontanées. David rapporte l'histoire d'un malade dont l'abcès s'était ouvert; la suppuration fut de longue durée, mais finit par se tarir. Trois ans après, le malade est emporté par une péripneu-monie, et David constate, à l'autopsie, l'existence d'une cicatrice solide à la place du trajet fistuleux, et l'effacement complet du foyer. Je puis vous montrer un exemple d'une guérison semblable survenue chez l'un de nos enfants. Vous voyez cette cicatrice enfoncée, qui indique l'existence d'une ancienne fistule. L'enfant a eu dans ce point un abcès volumineux, qui s'est ouvert spontanément. Au bout d'un temps assez long, la suppuration s'est tarie; la guérison a eu lieu. Plusieurs mois après, un second abcès s'est développé à la partie antérieure de la cuisse. Cet abcès est isolé ; nous n'avons pas trouvé qu'il communiquât avec la fosse iliaque ou l'intérieur du bassin. C'est probablement un de ces abcès dont parle Abernethy, et qui résultent d'une sécrétion de pus dans le tissu cellulaire qui contenait autrefois l'abcès migrateur ; peut-être aussi y a-t-il eu anciennement communication de la poche avec la colonne vertébrale, puis scission par l'oblitération du canal intermédiaire.

Bien que nous n'ayons eu en vue jusqu'à présent que la marche des abcès par congestion, nous avons déjà recueilli beaucoup d'indications précieuses pour leur traitement. Deux méthodes curatives nous sont révélées par l'observation de la nature : l'une doit tendre à faire résorber le pus, l'autre à l'évacuer.

A. Méthode d'absorption. — Faire résorber le pus! C'est assurément un résultat bien désirable, puisque les troubles fonctionnels sont nuls tant que l'abcès reste fermé. Aussi doit-on toujours tenter cette méthode. Diminuer et tarir la suppuration, activer l'absorption à l'intérieur du foyer, tels sont les deux moyens de faire disparaître la collection purulente.

1° Diminuer l'abondance de la suppuration. — La membrane du kyste d'une part, l'affection osseuse de l'autre, sont les deux sources de la sécrétion du pus. Pour la diminuer, nous n'avons pas de moyen plus direct que de traiter l'affection vertébrale. Je ne pourrai donc que répéter ici ce que j'ai dit des moyens qui s'adressent à cette affection elle-même, en parlant du premier cas, c'est-à-dire du mal vertébral non compliqué d'abcès ni de paralysie. La plupart des praticiens mettent leur confiance, en pareil cas, dans l'emploi des révulsifs, et particulièrement des cautères ou des moxas. Cependant Boyer, grand partisan des cautères, convient qu'il ne font que tourmenter le malade en pure perte, quand il existe un abcès par congestion. Que peut, en effet, la suppuration extérieure contre celle des os? Nous ne sommes plus au temps où l'on croyait à l'utilité d'un écoulement d'humeur contre la maladie profonde des os. La stimulation extérieure est ici le principal, sinon le seul mode d'action des révulsifs, et c'est le cas de répéter avec Stoll : Stimulus, non suppuratio prodest. Lorsque l'affection est tuberculeuse, cas le plus ordinaire parmi nos enfants, il est évident que les révulsifs extérieurs ne peuvent guère modifier la suppuration. Nous comprenons toutefois que, lorsque la marche de la maladie donne des inquiétudes sérieuses malgré le repos, le traitement interne et les ressources de l'hygiène, on ait recours aux révulsifs, à défaut de moyens plus efficaces, pour tarir la source du pus, mais alors on commencera du moins par les révulsifs les plus doux, tels que les vésicatoires, etc., et si l'on emploie les cautérisations profondes, on en suivra attentivement les effets, afin de prévenir les inconvénients souvent fâcheux qu'ils entraînent, surtout dans l'enfance, relativement à l'état général des sujets.

Je puis appuyer ici le jugement que je porte relativement à l'emploi des cautères dans les différentes espèces et dans toutes les périodes du mal vertébral, sur le témoignage d'un compatriote de

Pett lui-même, du docteur Armstrong, de Sunderland. Ce médecin a rapporté, en 1813, avoir eu l'occasion d'observer beaucoup de maladies de l'épine dorsale, avec ou sans paralysie. « Le plus grand nombre des sujets, dit-il, ont guéri sans l'emploi d'exutoires K et le peu qui ont été traités d'après la méthode de Pott n'ont pas recouvré plus tôt leur santé, et ne sont pas restés moins difformes que ceux qui se sont rétablis par les seuls efforts de la nature. » Le même auteur ajoute plus loin : « Pour ne parler que de mon observation personnelle, durant l'espace de neuf ans, je n'ai jamais vu les caustiques être d'un avantage positif et non équivoque. » Enfin Armstrong termine son mémoire par ces paroles : a Je suis tellement convaincu de leur inefficacité, que si j'avais moi-même un enfant attaqué de cette maladie, très-certainement je ne lui appliquerais pas de cautères. »

Les résultats de mon expérience personnelle sont pleinement d'accord avec l'opinion du médecin anglais, qui ne méritait pas, à mon avis, l'air de dédain avec lequel Palletta l'a cité.

2° Activer i' absorption. — Ici la thérapeutique est moins pauvre ; les moyens dont elle dispose pour agir sur l'absorption dans d'autres cas sont applicables aux abcès par congestion. Larrey a rapporté trois cas de guérison d'abcès par résorption ; Abernethy en a cité deux. Les trois premières guérisons ont été obtenues entre les mains de Larrey par les moxas. Abernethy employait des vési-catoires dans le voisinage de la gibbosité, des vomitifs et des purgatifs. Palletta a parlé aussi de l'emploi des purgatifs.! David s'est borné à conseiller le repos. MM. Clairat et Morpurgo ont fait constater par plusieurs chirurgiens éminents de Paris la disparition d'un abcès par congestion qui avait doublé le volume de la cuisse; on avait employé les moxas et la compression; celle-ci ne fut mise en usage que lorsque le pus cessa de refluer dans le bassin ; car on comprend qu'il y aurait de l'inconvénient à comprimer un abcès fémoral, si l'on ne faisait que refouler le liquide dans la fosse iliaque.

J'ai dit que nous possédons plusieurs moyens d'activer l'absorption du pus ; ceux que je propose sont employés en médecine pour obtenir la résorption des liquides de l'hydropisie, des tumeurs : les purgatifs, les diurétiques, l'iode. Ce dernier médicament détermine la résolution des goitres ; pourquoi ne pourrait-il pas également faire

disparaître des abcès par congestion ? Cette prévision peut fort bien se réaliser. On pourrait administrer à l'intérieur la teinture d'iode suivant la méthode de M. Paterson, déjà employée avec succès par M. Trousseau dans un cas de mal vertébral accompagné de paraplégie.

B. Méthode d'évacuation. — Avant d'indiquer les procédés divers de la méthode par évacuation du pus, permettez-moi de rechercher dans l'histoire de l'art si l'on ne rencontre pas quelque chose qui nous enseigne l'art lui-même. Vous trouvez dans Benjamin Bell, dans Ledran, que les abcès par congestion doivent être ouverts, soit avec le bistouri, soit avec les caustiques. C'est encore David qui, le premier, reconnaît les funestes effets des larges ouvertures. Il dit : « J'ai toujours vu mourir les malades dont les abcès ont été ouverts avec l'instrument tranchant ; il faut s'abstenir d'ouvrir ces abcès. » Ailleurs pourtant il ajoute qu'il ne les ouvrirait qu'avec un trocart. Ainsi deux méthodes de traitement sont indiquées déjà dans les écrits de David, qui nous ont appris tant de choses.

Abernethy fit connaître un peu plus tard sa méthode d'évacuation. Il faut, dit-il, ouvrir l'abcès par une raison qui, au premier abord, semble paradoxale, pour qu'il reste fermé.

Abernethy établit en principe qu'il ne faut pas attendre l'ouverture spontanée de l'abcès, afin d'empêcher cette ouverture de rester permanente. 11 attribue des effets funestes à l'entrée de l'air, et prescrit des soins minutieux pour les prévenir, ainsi que pour obtenir la prompte occlusion de la petite pla,ie. Son procédé consiste à glisser obliquement l'instrument dans la paroi de l'abcès de manière à piquer la peau et la membrane du kyste en deux endroits différents ; on presse ensuite le foyer de manière à obtenir un jet continu; on fait au besoin tousser le malade pour favoriser la sortie du pus. Après l'évacuation complète de ce liquide, on ferme aussitôt l'ouverture avec un emplâtre adhésif. « Un abcès traité de cette manière, dit Abernethy, est aussi exempt d'inflammation qu'il l'était avant d'être ponctionné. » En effet, Abernethy attribue à l'introduction de l'air dans l'abcès l'inflammation du foyer et l'altération du pus. Ce sont là encore les idées actuelles. Le chirurgien anglais ne s'est pas borné à des aperçus théoriques ; il a produit des faits de guérison à l'appui de sa méthode. Je vous fais longuement cet exposé, parce que les travaux d'Abernetby sont peu connus en France. Ce grand chirurgien ne s'est pas vanté de ses succès ; il dit

modestement que sa méthode a échoué plusieurs fois ; que, malgré les avantages qu'elle présente, les abcès par congestion restent une maladie fort grave.

La méthode d'Abernethy devint générale à l'étranger. A l'époque où il écrivait, on avait peu de communications avec l'Angleterre : aussi son procédé fut-il quelque temps ignoré en France. Boyer inventa de nouveau, au commencement du siècle, la méthode d'Abernethy. Au lieu du trocart ou de la lancette à abcès, il se servait du bistouri; il recommande bien que les deux ouvertures ne soient pas parallèles. Sa pratique ne fut pas aussi heureuse que celle du chirurgien de Londres ; il n'obtint pas de guérison , et retarda seulement l'époque de la mort.

La marche de l'abcès n'est pas toujours la même après l'emploi de cette méthode. La collection peut se reproduire plusieurs fois en diminuant d'abondance, et finir par disparaître ; ou bien l'ouverture reste fistuleuse; l'inflammation peut s'emparer du foyer et s'accompagner des accidents généraux les plus graves.

Larrey, avec une autre méthode, obtint également quelques gué-risons. L'abcès, percé de part en part avec un fer rouge, était traversé par un séton ; trois malades ont été guéris par ce moyen.

On a obtenu pendant plusieurs années, en France, peu de succès par la méthode de Boyer. Parmi les chirurgiens, les uns revinrent à la méthode des incisions larges et directes; d'autres, à celle de David, qui abandonnait la maladie à elle-même. M. Bégin (1) a ouvert largement des abcès par congestion, sans se préoccuper de l'entrée de l'air dans le foyer, et a guéri deux malades.

Quelques médecins cherchèrent à perfectionner la méthode dite de Boyer, en y ajoutant l'aspiration du pus d'après une idée déjà mise en pratique par M. A. Petit, qui appliquait une ventouse sur l'ouverture pour aspirer le pus. On connaît deux instruments en forme de pompe plus ou moins compliqués, imaginés dans ce but. Dans l'un, qui appartient à Pelletan, le corps de l'instrument renferme une lame tranchante, au moyen de laquelle on ouvre l'abcès avant de faire le vide.

On en était là lorsque, vers 1841, la méthode d'Abernethy fut

(1) Mémoire sur l'ouverture des collections purulentes et autres développées dans l'abdomen (Journal univ. hebdomadaire de médecine, Paris, 1830 , t. V\ p. 417).

inventée pour la troisième fois, sous le nom de méthode sous-cutanée. On se servit d'un trocart dont la canule était munie d'un robinet et pouvait se visser à une seringue avec laquelle le pus était retiré.

C'est le seul perfectionnement qu'ait reçu la méthode d'Abernethy vers l'époque indiquée; mais on y a ajouté l'annonce pompeuse de résultats merveilleux. La mort, disait-on, avait été jusqu'ici la règle; elle allait devenir l'exception. C'est là une exagération déplorable dont les annales de l'art nous fournissent plus d'un exemple. Il est avéré aujourd'hui que la méthode d'Abernethy a été bien jugée par son auteur, qu'elle sauve plus de malades que les autres, mais non le plus grand nombre. Cette méthode a même encore été repoussée dans ces derniers temps. M. le docteur Michel, professeur à la faculté de médecine de Strasbourg (1), revient, à l'exemple de M. Payan (d'Aix), aux incisions directes, au moins pour la plupart des cas.

Après cet exposé, je dois vous indiquer ce que je vous conseille de faire, ce que je fais moi-même. J'éprouve quelque embarras à poser ici des règles formelles. La science marche, et la question n'est pas assez complètement résolue à mes yeux pour que je sois assuré de lui donner la même solution d'ici à quelques années. Une. nouvelle méthode curative a surgi ; c'est celle des injections iodées. Déjà indiquée par Lugol, elle a été reprise et perfectionnée de nos jours par M. Boinet; elle s'est annoncée avec les mêmes prétentions que le traitement de Pott, et que la méthode d'évacuation dite sous-cutanée. Je crains bien qu'elle ne reçoive de l'expérience le même démenti. Vous savez en quoi elle consiste : le pus est évacué avec les précautions ordinaires, puis une certaine quantité de teinture d'iode est portée dans la poche, dont on cherche à enflammer les parois, pour en déterminer l'adhésion. Celte méthode a des inconvénients ; mais elle a aussi des avantages. Elle est encore à l'étude. Les résultats obtenus jusqu'à ce jour permettent toutefois de la placer dès à présent sur la même ligne que les autres méthodes.

Je termine en vous montrant trois malades; ils me conduiront à

(1) Son intéressant travail, destiné à être publié dans les Mémoires de la Société de chirurgie, m'a fourni des renseignements précieux, dont je me plais à reconnaître ici la source.

vous exprimer le fond de ma pensée sur le traitement par évacuation des abcès par congestion.

Cette fille a un abcès par congestion ilio-fémoral depuis trois ans; je puis même dire qu'elle en a deux, car une seconde collection volumineuse existe dans la fosse iliaque du côté gauche. L'état général est excellent. Ce fait vient à l'appui de ce que je vous disais plus haut, que l'abcès, tant qu'il n'est pas ouvert, n'altère pas l'état fonctionnel. On n'a encore rien tenté pour la guérison de l'abcès de la cuisse. M. Guersant se propose de faire ici une application de la méthode de M. Boinet, de pratiquer une ponction et une injection iodée.

Voici un autre malade qui n'est pas dans les mêmes conditions. L'abcès volumineux de la cuisse remonte jusque dans la fosse iliaque. A l'époque où j'ai reçu ce malade, venant du service de M. Blache, son corps était amaigri; il toussait souvent, avait de la diarrhée. Aujourd'hui il a pris de l'embonpoint, n'a plus ni diarrhée ni toux. L'abcès a été traité dans le but d'en obtenir la résorption; j'ai fait des applications nombreuses de révulsifs sus-dermiques; la tumeur n'augmente pas, ne devient pas sous-cutanée. Je ne crois pas qu'il faille renoncer à l'espoir de la voir se réduire peu à peu, d'autant plus qu'un diverticule, qui s'était présenté dans l'autre membre, a déjà disparu. Si la résorption n'a pas lieu, si l'abcès devient plus superficiel, qu'il menace de s'ouvrir, je pratiquerai une ponction sous-cutanée suivant la méthode d'A-bernethy (1).

Voici un dernier malade. Ce pauvre enfant est presque dans le marasme; il vient d'éprouver des privations nombreuses, a été soumis à l'action de causes débilitantes qui l'ont épuisé. Il porte un abcès dorso-lombaire ; nous avons assez rarement l'occasion d'observer cette variété, moins grave que les abcès cruraux. La flexion permanente de la cuisse me fait penser que la collection a un prolongement dans le ventre. L'abcès est rouge, chaud, douloureux ; il est évident qu'il ne tardera pas à s'ouvrir. Que faire dans cette circonstance? Abernethy a dit avec raison que, dans un cas pareil, les révulsifs peuvent agir comme excitants, et augmenter la sécré-

(1) Cet abcès a été complètement résorbé depuis, comme je l'ai dit ailleurs (Arch. de mèd., janvier 1856, Obs. d'Em. Goizet) ; mais un nouvel abcès s'est formé au bout de huit mois (juillet 1857).

lion du pus ; nous nous en abstiendrons. Ce que nous pouvons faire , c'est une petite ponction oblique qui préviendra l'ouverture directe et fistuleuse qui se produit dans la marche naturelle de 1; maladie.

(1) J'arrive à l'examen des questions principales relatives à l'ouverture des abcès par congestion.

Premier point. — Faut-il ouvrir ces abcès de bonne heure ? Je réponds : non, en général. On ne doit ouvrir de bonne heure que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque les abcès produisent des accidents graves par la compression qu'ils exercent sur les organes voisins; tels sont les abcès rétropharyngiens, qui pressent sur le pharynx et le larynx et en gênent les fonctions, ou ceux qui sont sur le point de s'ouvrir dans une cavité séreuse, le péritoine ou la plèvre. Ces cas sont rares. Comment doit-on pratiquer l'ouverture dans ces circonstances ? On ouvrira de manière í produire un écoulement rapide du pus ; on fera, à l'aide du bistouri, une incision suffisamment large, sans se préoccuper de l'entrée de l'air, qui n'a pas toujours des conséquences aussi funestes qu'on le croit généralement encore de nos jours; l'important est de faire sortir le pus rapidement.

Dans les autres cas, il ne faut pas ouvrir de bonne heure ; l'époque où l'on doit le faire est d'ailleurs subordonnée à des considérations particulières à chaque cas. Il y a des inconvénients à attendre; il y en a également à donner trop tôt issue au pus. Les inconvénients auxquels on est exposé en différant d'ouvrir sont les clapiers, les diverticules, qui se forment dans l'abcès, le trajet plus long qu'il décrit, par conséquent l'étendue plus grande de la membrane pyogénique et des parties affectées. Un autre inconvénient consiste dans l'ouverture possible de l'abcès dans les cavités principales du corps, dans la poitrine, l'abdomen, l'intestin, la vessie, etc.

Tels sont les deux grands inconvénients qui résultent d'une ouverture trop tardive des foyers par congestion; mais il en est d'autres prenant leur source dans l'état général des sujets, dans la douleur vive que cause le foyer.

(1) Septième leçon , 29 juin 1855.

D'un autre côté, il y a aussi inconvénient à ouvrir trop tôt, parce qu'on n'est jamais sûr de limiter l'inflammation et de se rendre maître des accidents consécutifs. On peut avancer de cette manière la mort des malades.

Ainsi vous êtes placés dans une alternative souvent embarrassante. U faut peser toutes les circonstances de l'état des malades, balancer les chances bonnes et mauvaises de l'ouverture, et vous diriger d'après le résultat de cet examen.

Je vous ai montré par des exemples l'application de ces règles.

Deuxième point. — L'opération étant décidée, comment doit-on y procéder? La méthode préférable est celle d'Abernethy, soit seule, soit combinée avec l'aspiration. Les avantages de l'incision oblique sous-cutanée pure et simple sont de présenter une ouverture suffisante pour l'issue du pus, des flocons; cette ouverture se ferme mieux que celle qu'on fait avec un trocart à dimensions égales. La plaie est moins sujette à s'enflammer, elle se cicatrise plus vite. Quand on emploie le trocart en y joignant l'aspiration, on a l'avantage de pouvoir pratiquer l'ouverture de la peau plus loin de celle du kyste; on est alors moins exposé à l'entrée de l'air dans le foyer. Toutefois quelques millimètres de plus ou de moins n'ont pas une grande influence sur les suites de l'opération. Il y a cet autre avantage dans la ponction avec le trocart suivie d'aspiration, qu'on est plus sûr d'évacuer la totalité du pus. Quand les tissus sont épais, le trocart expose moins à l'infiltration du pus dans le tissu cellulaire sous-cutané. Le bistouri convient mieux quand les téguments sont amincis.

11 y a donc, vous le voyez, de bonnes raisons pour employer le procédé d'Abernethy; il y en a d'autres également bonnes pour recourir au trocart. Dans tous les cas, le trajet décrit par l'instrument dans la paroi de l'abcès doit être oblique, de manière à former une double valvule qui devient paroi du canal d'une part, de l'autre, paroi du kyste; les pressions exercées en sens inverse par l'atmosphère et le liquide du foyer maintiennent le trajet fermé. C'est ce qui a fait donner depuis longtemps, à l'étranger, le nom de méthode valvulaire, valvuïar method, au mode d'évacuation inventé par Abernethy.

Lorsque, après plusieurs ouvertures successives, l'abcès s'est bouvier. 5

reconstitué, il faut le traiter de nouveau et en tenter encore la résorption. Abernethy a eu recours, dans ce but, à l'électricité; il produisait des secousses à l'aide d'une bouteille de Leyde appliquée sur l'abcès ; il a obtenu par ce moyen plusieurs guérisons.

Lorsque l'ouverture spontanée ou artificielle des abcès reste fis-tuleuse, c'est le cas de recourir aux injections iodées. Les auteurs de cette méthode vont plus loin : ils veulent qu'on ouvre de bonne heure l'abcès, et qu'on pratique de suite une injection. Je rejette en général cette manière d'agir, qui n'est pas justifiée par un nombre de faits suffisant. Comme je vous l'ai déjà dit, cette méthode est à l'étude ; l'avenir fera connaître ce qu'on doit en attendre.

L'indication des injections iodées, que je regarde comme incertaine quand on vient d'ouvrir l'abcès, devient plus positive lorsqu'il s'est formé une fistule. L'iode remplit alors plusieurs indications : il prévient la putridité du pus, en facilite l'écoulement, agit sur les parois du foyer, et en amène le resserrement. L'iode, au reste, n'est pas le seul agent qui fasse perdre au pus sa putridité ; l'eau pure ou créosotée, l'eau chlorurée, la lui enlèvent tout aussi bien.

J'ajoute que la putridité du pus n'est pas toujours consécutive seulement à l'ouverture du foyer. J'ai observé récemment, sur un des malades de mes salles, l'ouverture spontanée d'un abcès dont le pus offrait une extrême fétidité au moment de sa sortie. L'état général de cet enfant s'est maintenu bon depuis cette époque ; il n'a pas de diarrhée, n'éprouve plus de douleurs. De plus, la quantité du pus et sa fétidité diminuent chaque jour. Ici donc il est bien évident que l'altération primitive du produit morbide n'est pas due à l'introduction de l'air dans le foyer.

Le voisinage des cavités muqueuses et les inflammations gangreneuses survenues dans l'intérieur de l'abcès sont les deux seules causes connues de putridité du pus, avant que l'abcès communique au dehors. La première cause est peu probable chez l'enfant dont je viens de parler ; je crois plutôt à l'existence d'un point gangreneux des parois de l'abcès.

On sait que l'état fistuleux des abcès par congestion se prolonge en général assez longtemps. S'il n'existe point alors de symptômes d'altération du pus, de pyohémie ou d'inflammation du foyer, l'office de l'art se borne à favoriser l'écoulement du pus et le resser

renient des parois du kyste, à vider les clapiers qui pourraient se former, et à soutenir les forces du sujet.

Abernethy a fait connaître un effet consécutif spécial des abcès par congestion, consistant dans la formation de collections purulentes entièrement séparées de l'ancien trajet et de la source primitive du pus. Ce sont alors de simples abcès froids que l'on peut traiter, à l'exemple du chirurgien anglais, par les larges incisions, le séton, les injections irritantes, etc.

Je termine ici ce que j'avais à vous dire sur le mal vertébral ; mon intention n'a pas été de vous donner une description complète de cette maladie; j'ai voulu seulement appeler votre attention sur les points cliniques les plus pratiques. J'aurai atteint le but que je me suis proposé, si j'ai pu faire ressortir devant vous l'influence des efforts de la nature pour réparer les désordres causés dans le rachis, et la large part qu'elle prend à la guérison des malades. Ces connaissances sont d'autant plus importantes à acquérir qu'on y puise des indications précieuses pour le traitement.

Relativement aux médicaments internes qu'on peut employer dans le mal vertébral, j'ai fait une omission que je veux réparer avant d'abandonner ce sujet.

L'étiologie doit être toujours consultée dans l'affection vertébrale. J'ai déjà dit que si l'on trouvait une diathèse syphilitique, on pouvait, en donnant le mercure, remédier aux accidents de la maladie et à la maladie elle-même. C'est dans cette même circonstance, ainsi que dans la diathèse scrofuleuse, que M. Chrétien (de Montpellier) a vanté les préparations d'or, qui ont été également conseillées à Paris par M. Legrand ; je ne sache pas que ce médicament se soit montré supérieur à aucun de ceux qu'on a opposés directement à l'affection des vertèbres; néanmoins il faut tenir compte des cas de guérison consignés dans les ouvrages des praticiens que je viens de nommer.

Je dois encore vous dire un mot de la méthode de Bampfield , inventée en Angleterre sous le nom de Prone system. Elle consiste à faire coucher les malades en pronation, dans le but d'empêcher une incurvation antérieure trop grande de l'épine dorsale. La position horizontale est en effet une chose utile, et que je conseille ; mais je ne crois pas aux merveilleux résultats du Prone system.

o.

Avant de passer à un autre sujet, je mets sous vos yeux une pièce provenant d'une jeune fdle de 7 ans, morte dans nos salles la semaine dernière. Sa maladie était une affection vertébrale dont vous voyez ici les traces. Cette enfant n'avait présenté ni abcès ni paralysie. Elle a succombé à une phthisie pulmonaire ; le poumon gauche était infiltré de noyaux tuberculeux, dont quelques-uns déjà ramollis. Les bronches ont été trouvées remplies de pus provenant probablement de la fonte des tubercules.

La lésion a détruit presque entièrement deux vertèbres, les 10e et 11e dorsales; il en restait seulement les arcs et les apophyses épineuses, qui ont été enlevées pour mettre à nu la moelle épi-nière. La maladie s'étend plus loin : les 9e et 12e vertèbres dorsales sont réduites de volume et converties en coins osseux dont la base est postérieure. Cette altération est causée par des tubercules. Ce produit existait dans le corps de la 8e vertèbre dorsale à l'état d'infdtration caractérisée par la présence, dans un point circonscrit du tissu spongieux, d'une matière jaune, compacte, justement comparée par plusieurs chirurgiens au mastic des vitriers.

Ce que cette colonne présente de plus curieux, c'est un dépôt tuberculeux situé à la partie postérieure des corps des deux premières vertèbres lombaires; la dure-mère, très-amincie, est soulevée et perforée en un point, et le tubercule s'est propagé par cette ouverture à l'un des nerfs de la queue de cheval. Deux côtes, la dixième et la onzième, n'ont plus d'articulation postérieure.

Les symptômes ont présenté ceci de remarquable, qu'ils ont été réduits en quelque sorte à un seul, indépendamment des déformations qui sont communes à toutes les maladies de ce genre : c'était une vive douleur abdominale qui arrachait des cris à la malade quand on l'asseyait ou quand on fléchissait sa colonne ; plus tard, elle ne pouvait même plus s'asseoir. Si l'enfant eût pu rendre compte de ses sensations, elle aurait sans doute décrit une douleur sous forme de ceinture, ressentie à la base du thorax. Cette douleur et une oppression habituelle chez cette enfant s'expliquent facilement par la compression des nerfs et la gêne des mouvements du diaphragme, résultant du rétrécissement des cavités splanchniques.

Plus d'un enseignement peut être déduit de la connaissance de ce fait : 1° la confirmation de cette vérité sur laquelle j'ai déjà insisté , à savoir, qu'il y a des destructions très-étendues du rachis

sans abcès ni paralysie; 2° ce cas est également une démonstration de cette autre vérité, que la maladie est rarement mortelle par elle-même. Ici la malade a succombé à l'affection du poumon ; elle a passé par tous les degrés du marasme; elle a été véritablement lente à mourir.

Encore un mot de la lésion osseuse chez cette malade. Il n'y a pas ramollissement des corps vertébraux ; les débris des vertèbres ne sont altérés qu'à leur surface. Leur tissu, à une certaine profondeur, est plus dense qu'il ne l'est dans l'ostéite.

ARTICLE II.

MAL VERTÉBRAL SUPÉRIEUR OU SOUS-OCCIPITAL.

Nous avons laissé de côté une région de la colonne vertébrale pour en examiner les affections à part; c'est la partie supérieure ou les deux premières vertèbres du cou et leurs articulations entre elles et avec les condyles de l'occipital.

L'anatomie nous montre dans cette région, des conditions organiques très-différentes de celles du reste du rachis. Il en résulte que ses maladies présentent aussi des différences marquées. Cependant, comme il existe en même temps de l'analogie entre ces vertèbres et les autres au point de vue anatomique, il y a aussi entre elles analogie morbide.

La principale différence entre les deux premières vertèbres et les suivantes résulte de la disposition diarthrodiale de leurs surfaces articulaires et de la disparition de l'élément amphiarthrodial ; de même, dans l'ordre pathologique, on observe une prédominance de l'affection diarthrodiale.

Une première classe d'affections de la région sous-occipitale comprend l'arthrite des surfaces articulaires de l'atlas et de l'axis, l'inflammation de l'articulation de l'apophyse odontoïde avec l'arc antérieur de l'atlas, celle de l'articulation occipito-atloïdienne; ce sont là des lésions que nous ne retrouvons, dans le reste de l'épine, qu'aux apophyses articulaires, et à un bien moindre degré. Les affections osseuses, cartilagineuses et ligamenteuses forment la deuxième catégorie. Cette seconde forme de la maladie a reçu différents noms; on l'a nommée luxation spontanée

sous-occipitale. C'est une mauvaise dénomination; elle a nui au progrès de la science et à la description de la maladie; la luxation n'est ici qu'un effet secondaire. Le nom de carie sous-occipitale est incomplet. Le mot arthr algie est moins exclusif; mais il s'applique aussi à la première forme. Le nom de spondy lartfirocace a pris domicile dans la science et peut être conservé, parce qu'il n'a qu'un sens vague, de même que celui de tumeur Manche sous-occipitaie.

§ 1er. Anatomie pathologique.

L'anatomie pathologique permet de distinguer deux maladies sous-occipitales, ainsi que je l'ai établi plus haut : la synovite et l'affection osseuse.

I. Synovite. — Je commence par l'étude de la synovite, c'est-à-dire de l'inflammation de la membrane synoviale des diverses articulations sous-occipitales. L'affection atteint plus particulièrement celle de l'atlas et de l'axis, dont les surfaces articulaires étendues servent au mouvement de rotation de la tête. Elle peut avoir également pour siège les autres articulations. On ne connaît bien les lésions de la synovite sous-occipitale que par l'autopsie de cas plus graves, à côté desquels se trouvait une altération moins avancée. La membrane synoviale est rouge, injectée, épaissie ; elle sécrète des liquides en plus grande quantité que dans l'état naturel et plus ou moins altérés. Cette synoviale peut s'ulcérer, se perforer. La thèse de M. Tessier (de Lyon) est le premier travail où ces altérations soient décrites ; c'est encore dans cet auteur qu'on rencontre une des premières descriptions des symptômes de la synovite sous-occipitale. M. Bonnet (1) a brièvement indiqué, en les rapportant au rhumatisme , les lésions anatomiques et les phénomènes observés pendant la vie.

Le siège de la maladie est tantôt bilatéral, tantôt unilatéral, c'est-à-dire qu'il peut y avoir affection des articulations droite et gauche ou d'une seule. La maladie peut occuper l'intervalle de deux ou trois os.

Diverses lésions accessoires accompagnent parfois cette synovite : des fongosités passant entre les os les soulèvent, repoussent les sur-

(1) Traité des maladies des articulations. Paris, 1845.

faces articulaires, et font saillie dans le tissu cellulaire environnant.

Les ligaments peuvent participer à la maladie; on les trouve épaissis, indurés ou ramollis, détruits en totalité ou en partie. On les a vus être le siège exclusif du mal. Les nerfs sont plus ou moins compromis. Comprimés à leur passage entre les vertèbres, ils sont le siège de névralgies, de névrites.

Le tissu cellulaire ambiant, les ganglions lymphatiques peuvent offrir des altérations secondaires.

II. Affection osseuse. — Les lésions primitives qui lui donnent lieu sont, comme dans le mal vertébral, de différente nature. C'est souvent d'abord une altération superficielle, qui tend à devenir de plus en plus profonde. La maladie débute quelquefois par l'intérieur des os ; c'est le cas de tubercules se développant dans les masses de l'atlas, de l'axis. Quand la maladie procède de l'extérieur à l'intérieur, elle peut être le résultat d'une synovite qui se propage aux tissus voisins et les altère. On trouve les cartilages de revêtement et d'ossification fréquemment altérés. Ces organes peuvent-ils être le siège de lésions vitales ? N'y rencontre-t-on que des lésions mécaniques? Les chirurgiens sont divisés d'opinion à ce sujet. La plupart d'entre eux refusent d'admettre l'existence de lésions vitales, et ne voient dans les maladies des cartilages que des altérations physiques, telles que ramollissement, variations de volume, de coloration, dues à la différence des liquides qui imbibent leur tissu, et non à l'injection de leur substance. Tout en admettant l'origine physique de la plupart de ces altérations, je pense que les cartilages, vivant à leur manière, sont susceptibles de lésions pathologiques vitales, différentes toutefois de celles que l'on rencontre dans les organes jouissant d'une vitalité plus prononcée. Le décollement des cartilages est un phénomène fréquent; mais avant qu'il ait lieu , on voit une lésion des os qui les supportent, ostéite, carie, nécrose.

L'altération, la destruction des os peut avoir lieu de différentes manières, de l'extérieur à l'intérieur et vice versa; elle est quelquefois produite par érosion , par ramollissement, par écrasement de l'os sous le poids de la tête ; elle peut être causée par un séquestre qui se détache ou se détruit molécule à molécule. Ce dernier mode de destruction s'observe fréquemment dans certaines

maladies générales, la syphilis, la scrofule. Les ligaments sont la plupart du temps détruits avec les os. Suivant le siège de l'altération , la région occipito-vertébrale revêt des aspects divers ; tantôt la lésion réside dans les masses latérales de l'atlas ; il en résulte une inclinaison de la tête ; tantôt il y a destruction des ligaments transverse, odontoïdiens; l'atlas entraîné par le poids de la tête se porte en avant ; la tête et la première vertèbre pourront se porter en arrière, si l'arc antérieur de l'atlas se trouve détruit.

La desiruction osseuse donne lieu à des effets différents, suivant qu'elle est unique ou bilatérale. Elle produit, dans le premier cas, l'inclinaison latérale de la tête; dans le second, son inclinaison dans le sens antéro-postérieur.

La rotation de la tête est un autre phénomène de l'arthralgie sous-occipitale. On n'en a fait mention que pour les cas d'affection osseuse; mais on l'observe plus souvent encore dans la synovite. Cette rotation dépend de deux causes : 1° de ce que la synovite est unilatérale, ou du moins beaucoup plus prononcée d'un côté que de l'autre; 2° de la destruction des ligaments d'un seul côté.

Lorsque la synovite n'affecte qu'un seul côté, il existe souvent un torticolis dû à l'action musculaire, provoquée elle-même par un mouvement réflexe de la moelle. Ce torticolis offre des traits de ressemblance avec celui que produit une simple affection musculaire; nous verrons comment le diagnostic peut être établi entre ces deux états.

Mais ce n'est pas toujours sous forme de torticolis que se présente, dans la synovite, le mouvement réflexe; cela dépend du siège de la lésion. L'action réflexe des muscles produit, suivant les cas, diverses altitudes, renverse la tête en arrière ou l'incline à droite ou à gauche, etc.

Des luxations sont le résultat des destructions osseuses dont je viens de parler. Ces luxations se produisent surtout dans l'articulation atloïdo-axoïdienne, parce qu'elle est la plus mobile.

Voici deux pièces : la première est un exemple de luxation de l'atlas et de la tête en avant, avec destruction de l'apophyse odon-toïde. Remarquez que la première vertèbre, dont l'arc postérieur rétrécit le canal vertébral, a conservé la position horizontale. Il y a, en effet, deux formes de luxation; l'une où l'atlas est incliné, l'autre où il est horizontal. L'apophyse odontoïde peut être détruite ;

mais le ligament transverse peut être détaché, cette apophyse étant intacte; l'atlas, avec la tête, est alors incliné en bas et en avant, et la mort est l'effet immédiat du déplacement.

Cette pièce est un autre exemple de luxation plus incomplète; j'y reviendrai dans une autre séance ; je ne vous fais remarquer, dans ce moment, que la luxation unilatérale droite de l'atlas sur l'axis. La première vertèbre dépasse la seconde en avant.

On peut observer une rotation permanente de la tête, un torticolis, chez certains malades non affectés de luxation ; il s'agit alors d'une attitude vicieuse, qui se rapproche des subluxations et dont la cause réside principalement dans l'action musculaire.

Je reviens aux luxations; on en observe parfois d'atloïdo-occipitales ; elles sont rares. Sur cette pièce, qui figure au musée Du-pnytren sous le n° 613, nous voyons une soudure de l'occipital et de l'atlas, mais sans luxation, et une destruction de la partie moyenne de l'arc postérieur de l'atlas. Il y a un affaissement à droite, et la hauteur des os est sensiblement diminuée de ce côté. Cette lésion est, à mon avis, l'effet d'une maladie de la nature de celles qui nous occupent, et non d'un simple vice d'ossification, comme l'indique la description du catalogue du musée Dupuytren.

(1) Nous avons étudié, en terminant la dernière séance, les destructions partielles qui sont produites par l'affection sous-occipitale. Ces destructions déterminent des effets analogues à ceux que produit le mal des autres régions, des affaissements, qui se distinguent toutefois en ce qu'ils peuvent s'effectuer en différents sens, en avant, en arrière et sur les côtés, chose rare dans une autre partie du rachis ; mais vous avez vu que d'autres causes dérivant de la seule action musculaire peuvent également suffire à produire des inclinaisons en divers sens, sans destruction osseuse.

Ce qui différencie l'affection sous-occipitale du mal vertébral proprement dit, c'est surtout la facilité avec laquelle se produisent les luxations. Vous en avez vu la cause ; elle réside dans la disposition diarthrodiale des articulations.

On a cru remarquer que les destructions partielles unilatérales sont plus fréquentes à gauche qu'à droite ; mais les faits présentés

(1) Huitième leçon, 6 juillet 1855.

par Rust ne sont pas encore assez nombreux pour qu'on puisse regarder comme bien établie cette fréquence relative.

Dans !e mal des deux premières vertèbres, on observe, comme dans les autres régions de la colonne vertébrale, des destructions plus étendues que celles dont j'ai parlé jusqu'à présent. On a vu, très-rarement il est vrai, l'atlas disparaître en presque totalité et l'axis entrer en contact avec l'occipital. Je dois à l'obligeance de M. Duheaume, interne de mon excellent collègue M. Gillette, une pièce où l'on constate une lésion encore plus considérable. L'enfant sur laquelle elle a été recueillie a présenté une flexion si complète de la tête, que le menton a formé une empreinte sur les téguments du thorax. La malade a eu de la paralysie, des fistules cervicales, et a succombé à une maladie intercurrente. A l'ouverture , on a constaté une absence complète de la première et de la deuxième vertèbre du cou. Une collection contenant des débris de tubercule existait sous l'occipital. Il est regrettable qu'on n'ait point recherché si ce foyer contenait des parcelles osseuses. La pièce a été macérée pendant plusieurs semaines, et, quand on l'a examinée de nouveau, on n'a plus trouvé trace des troisième et quatrième vertèbres. Si la disparition de ces os est bien réellement due à l'affection osseuse, ce fait serait unique dans la science. Malgré ces désordres, l'enfant a vécu pendant plus d'une année ; peut-être un adulte aurait-il succombé plus promptement. Il y avait de la paraplégie, mais, chose surprenante, pas de paralysie des membres supérieurs. La moelle était comme ramassée et revenue sur elle-même.

L'affection osseuse sous-occipitale ne peut durer quelque temps sans donner naissance à du pus. La collection peut .rester latente, se résorber, et le malade guérir ou mourir sans abcès, comme la chose a lieu dans le mal des autres régions. Les abcès peuvent également s'accroître et apparaître au dehors; ceux-ci semblent moins fréquents que dans le mal vertébral proprement dit.

La collection, quand elle existe, vient faire saillie dans plusieurs régions : à la nuque, sur les côtés du cou, en avant, derrière le pharynx. Ce caractère lui est commun avec les abcès des régions du rachis les plus voisines. Le pus peut aussi s'épancher dans le canal vertébral, et cette terminaison est rendue plus facile par le siège primitif de l'affection, lequel est plus rapproché de la dure-mère,

Là moelle épinière souffre nécessairement, et plus dans ce mal vertébral que dans l'autre, des changements qui surviennent dans son enveloppe osseuse. Il se peut néanmoins qu'elle ne soit ni déformée ni comprimée; d'autres fois, elle échappe à la compression en passant sur les côtés du canal. Enfin, elle peut être déformée, aplatie, et s'étendre dans un autre sens, de manière à conserver l'intégrité de ses fonctions. La compression survient de différentes manières, rapidement ou avec lenteur; elle est violente ou légère. Dans le premier cas, il y a interruption brusque des fonctions nerveuses et mort subite, comme on l'observe quand l'atlas se renverse en avant et que l'apophyse odontoïde se rabat avec force contre la moelle, qu'elle écrase. Deux fois, au Val-de-Grâce et à Montpellier, on a vu la mort causée de cette manière dans le transport de malades par des infirmiers. Si la compression est moins étendue, si elle est lente, les fonctions de la moelle peuvent ne pas être lésées, ou bien l'on voit seulement de la paralysie comme dans le mal vertébral ordinaire.

La compression de la moelle est possible dans tous les sens dans le mal sous-occipital, tandis que, dans l'affection des vertèbres inférieures , elle n'a lieu ordinairement qu'en avant. Il serait intéressant de rechercher, en faisant le relevé des observations publiées jusqu'à ce jour, siTanesthésie se montre plus souvent dans le spon-dylarthrocace que dans le mal de Pott du reste de l'épine. Si les idées récemment exprimées par M. Brown-Séquard sur le rôle des cordons médullaires postérieurs ne renversent pas la doctrine physiologique admise jusqu'à ce jour, la paralysie du sentiment devrait être plus fréquente, la compression des parties postérieures de la moelle, qui président à la sensibilité, étant plus souvent observée dans cette seconde espèce du mal vertébral.

La moelle peut éprouver d'autres lésions; on a publié un fait d'hémorrhagie centrale du cordon rachidien survenue à la suite de l'affection des premières vertèbres.

Mécanisme de la guérison. — Après l'anatomie pathologique de la maladie, étudions celle de la guérison. La lésion si grave qui nous occupe, développée dans le voisinage d'un point important, le nœud vital, n'est pas constamment mortelle. Elle peut même guérir dans sa forme la plus profonde et la plus grave.

Voici une pièce provenant de mon service. L'atlas s'est déplacé en avant par glissement ; la tête se trouvait dans l'extension et inclinée sur le côté. Après plusieurs mois de vives souffrances, l'enfant allait mieux. Il marchait avec hésitation ; mais cela paraissait plutôt dû à un reste d'affaiblissement général, à l'appréhension de la douleur, qu'à une véritable faiblesse musculaire. Le malade a été pris de rougeole, puis de pneumonie, et a succombé. Sans toutes ces complications, l'enfant eût probablement guéri. L'autopsie a permis de constater une destruction complète de l'apophyse odontoïde, du ligament transverse, et l'existence d'une collection de matière jaunâtre, demi-concrète, située à la face postérieure de l'axis et de l'atlas. Dans le foyer se trouvaient contenus quelques débris osseux et les cartilages d'encroûtement des facettes correspondantes des deux premières vertèbres. L'altération s'étendait à l'atlas, qui présentait une érosion étendue, et à l'occipital, dont le condyle droit était le siège d'une ostéite caractérisée par l'abondance du sang contenu dans les cellules de l'os et la friabilité de son tissu.

La matière jaunâtre, concrète, dont il vient d'être question, examinée par le docteur Ch. Robin, ne renfermait pas, d'après ce micrographe éminent, d'éléments tuberculeux, mais seulement des globules de pus disséminés au sein d'une matière amorphe qui serait constituée, suivant lui, par la portion séreuse du pus épaissie.

La guérison, disais-je, s'observe dans les deux formes de l'ar-thralgie sous-occipitale. Dans la synovite, elle est la règle à peu près constante; elle a lieu par résolution dans l'espace de quelques semaines ou même de quelques jours. MM. Bonnet (de Lyon) et Tessier l'ont indiquée brièvement.

La résolution laisse ordinairement les articulations dans leur état normal ; mais, si la maladie a duré plusieurs mois, il reste de la rigidité; une partie des mouvements est limitée, soit que des liens se soient établis entre les surfaces articulaires, soit qu'il y ait eu destruction des cartilages, éburnation des surfaces, formant obstacle au glissement. Si des épanchements s'étaient formés entre les vertèbres , ils sont résorbés.

L'affection osseuse sous-occipitale guérit, comme le mal vertébral des autres régions, par le rapprochement, la réunion des restes osseux.

Il y a affaissement d'un côté ou de l'autre de la colonne verte

brale, ou bien une déformation qui se trouve consacrée par la production du cal. De là résulte une ankylose, et conséquemment une perte des mouvements. Celte terminaison, toute défectueuse qu'elle est, est néanmoins fort heureuse; les fonctions générales n'en souffrent pas, la santé n'éprouve pas d'atteinte.

Les déformations de la moelle peuvent également se trouver consacrées par la forme pathologique du canal, sans lésion des fonctions du système nerveux.

L'ankylose a lieu sans déplacement des surfaces osseuses ou avec luxation des vertèbres. Elle est rare dans l'arthrite simple. Je vous ai montré un exemple de cette guérison; c'était une pièce tirée du musée Dupuytren, et offrant une soudure de l'atlas et de l'occipital, sans perte de substance de ces deux os. L'ankylose peut être partielle ou générale entre deux os ou dans les trois que comprend la région occipito-vertébrale.

Une autre forme d'ankylose est la suivante : il y a glissement de l'atlas sur l'axis et soudure des deux os dans cette position. Cette forme est la plus fréquente ; les faits de Duverney, celui de Dau-benton, décrit dans l'Histoire naturelle de l'homme, par Buffon, sont de cette espèce. Elle produit un rétrécissement considérable du canal vertébral, parfois compatible avec l'intégrité des fonctions nerveuses et la conservation de la vie. L'ossification se fait non-seulement entre les portions contiguës des os, mais même à l'aide d'ostéides, de ponts osseux, entre des parties maintenues à distance. Dans une pièce décrite par M. Tessier, un ostéide s'étendait de l'apophyse odontoïde à l'atlas, malgré leur écartement.

On a observé d'autres formes d'ankylose ; elles sont dues à des déplacements latéraux des os, ordinairement combinés avec un peu de rotation. L'atlas déborde l'axis d'un côté ou réciproquement. L'apophyse odontoïde met des limites à ce genre de déplacement ; si elle est détruite, le chevauchement latéral est plus étendu. Il peut y avoir combinaison de déplacements dans les deux articulations sous-occipitales.

J'arrive à une quatrième forme de déplacement, qui consiste dans la rotation simple des os. Cette pièce nous en fournit un bel exemple; elle a été recueillie sur une petite fille de sept à huit ans. En faisant l'histoire de cette enfant, je décrirai celte forme d'ankylose. La déformation résulte ici de ce que l'affection est uni

latérale, ou du moins occupe principalement un des côtés. L'affaissement latéral est énorme. Le plan tangent aux deux condyles de l'occipital forme un angle aigu avec l'axe du cou ; il y a eu rotation de la face à gauche. A cinq mois, l'enfant a été prise de spasme général, d'abord douloureux, puis indolent ; la tête s'est ensuite penchée à droite. Quand on m'a présenté la malade, elle n'offrait aucun symptôme grave ; elle tenait seulement le cou roide, la tête inclinée à droite, la face tournée à gauche. Le muscle sterno-cléido-mastoïdien droit était raccourci. J'ai pris ce torticolis, je vous l'avoue, pour une rétraction musculaire essentielle. Je fus frappé cependant de la rigidité de la tête; on ne pouvait même pas lui imprimer un mouvement de rotation du côté op-i posé au muscle sterno-mastoïdien rétracté. Diehenbach se trouvait alors à Paris ; je lui montrai cette malade ; il l'examina, et me dit : Le cas ne me paraît pas clair ; je n'opérerais pas. J'ai suivi son conseil. La section n'aurait point rétabli l'attitude normale de la tête ; cependant elle aurait pu modifier quelque peu l'altitude du sujet. On l'a conseillée depuis dans le torticolis symptomatique. L'enfant fut prise de fièvre typhoïde, et elle succomba. Nous avons trouvé à l'autopsie cette disposition : destruction de la moitié droite de l'atlas ; l'axis rapproché de l'occipital en ce point ; soudure étendue entre la deuxième et la troisième vertèbre du cou ; soudure semblable entre l'apophyse odontoïde et l'atlas ; rétrécissement du trou occipital, qui, cependant, est encore suffisant pour loger la moelle.

Enfin, un mot d'une cinquième variété de l'ankylose occipito-vertébrale. M. Gloquet a recueilli un fait de guérison par ankylose survenue entre l'axis et l'occipital. Il ne restait plus qu'un point osseux de l'atlas en arrière.

DÉFORMATION DE LA TÊTE ET DU RAGHIS. — Les lésions causées par l'affection sous-occipitale ne se bornent pas à produire seulement les effets dont je viens de parler dans la région qu'elles occupent; elles en produisent de fort remarquables dans d'autres parties, la tête et le rachis.

La nutrition et la forme de la tête sont modifiées. Lorsque l'affection dure quelques années et produit une inclinaison latérale, ce qu'on observe surtout fréquemment dans la forme unilatérale,

il se fait uû arrêt de développement dans les moitiés de la face ci du crâne correspondantes. Vous voyez sur ce buste une moitié de la face moins longue que celle du côté opposé, le sourcil droit moins élevé, le menton fuyant à droite. La mâchoire offre du même côté un volume moins considérable.

Cet arrêt de développement se manifeste rapidement. Quand cet autre enfant a été moulé, la maladie ne datait que de quelques mois; il est néanmoins facile de reconnaître une inégalité de développement entre les deux moitiés de l'extrémité céphalique.

Un autre effet de la maladie sous-occipitale, c'est la déformation du rachis ; celle-ci consiste dans des courbures latérales qui sont dans le principe le résultat d'une attitude vicieuse, et qui plus tard deviennent permanentes; le sujet ne peut plus alors rétablir la rectitude du tronc.

g IL — Diagnostic.

Le diagnostic de l'affection sous-occipitale comprend celui de la synovite et celui de l'affection osseuse. Il est basé sur les symptômes suivants :

I. Douleur. — Elle se rencontre dans les deux formes du mal. Elle commence ordinairement d'une manière sourde, devient ensuite plus vive, arrache des cris au malade le jour et la nuit, et le prive de sommeil. Parfois son début a lieu brusquement. Elle siège à la nuque et latéralement vers les régions mastoïdiennes, mais ne se borne pas à ces points ; elle a des irradiations en différents sens, revient par accès, se propage le long des branches nerveuses cervicales. Comme ces branches s'étendent à la tête, atteignent le sinciput, descendent sur les côtés du cou, la douleur se fait sentir dans toutes ces directions. De là la forme névralgique que présente généralement la douleur dans le mal des premières vertèbres. Ollivier, en 1826, avait déjà signalé cette particularité.

La douleur décroît ordinairement d'elle-même; elle cesse pendant le repos, et n'est plus ressentie que pendant les mouvements. Ceux-ci sont surtout très-douloureux dans l'affection osseuse; la moindre secousse, la marche sont une cause de souffrance. On observe chez ces malades les phénomènes dont Rust a parlé; quand ils se lèvent, ils sont obligés de tenir la tête solidement fixée avec les mains pour éviter un ébranlement pénible.

II. Modifications des attitudes et des mouvements du sujet. — Nous allons les indiquer, en faisant passer sous vos yeux les malades de nos salles atteints de l'affection sous-occipitale.

Ier cas. — Garçon de treize ans. Il y a un an, il s'endormit un jour en plein air, se refroidit, et à son réveil éprouva une émotion vive. Il s'ensuivit une chorée qui dura quelques mois. Cette affection a reparu il y a cinq à six mois, et a obligé l'enfanta un séjour de deux mois à l'hôpital Sainte-Eugénie. Huit jours après sa sortie, douleur à la région mastoïdienne gauche; la tête s'incline du côté gauche. Admis deux mois après dans le service de M. Guersant, l'enfant sort au bout de huit jours, soulagé par une application de ventouses scarifiées à la nuque ; mais les douleurs ne tardèrent pas à reparaître, et ce fut alors que le malade entra dans nos salles. On a signalé une connexion entre la chorée et le rhumatisme; ce garçon offrirait une confirmation de cette remarque. La rotation de la tête est normale par l'étendue, mais elle se fait lentement; il semble qu'il y ait un obstacle au glissement des surfaces articulaires. Cet état était plus prononcé lors de son entrée à l'hôpital. L'amélioration a été obtenue par des applications de teinture d'iode et des manipulations. Il reste de légers mouvements choréiques(l).

IIe cas. — Ce malade présente une différence légère dans l'attitude de la tête; il y a presque rotation pure, peu d'inclinaison. Lorsqu'il veut regarder de côté, ses yeux tournent et non sa tête. Ce qui domine chez ce malade, c'est donc la rotation ; on peut en induire que l'affection réside dans une des articulations de l'atlas avec l'axis. La douleur est forte, surtout du côté gauche; il s'agit probablement ici d'une synovite. Des applications^de teinture d'iode, des bains sulfureux, des manipulations ont été les moyens de traitement auxquels j'ai eu recours. Le malade est en voie d'amélioration.

IIIe cas. — Fille de cinq ans. Lors de son entrée, sa maladie était un cas modèle. La tête était penchée sur l'épaule gauche, la rotation à droite très-prononcée. Les douleurs spontanées, très-vives, réveillaient souvent l'enfant. Aujourd'hui on peut imprimer à la tête des mouvements de rotation très-étendus sans causer de

(1) Ce torticolis a été complètement jjuéri; la chorée a reparu celte année cl a de nouveau cessé après deux mois de durée (juillet 1857).

douleurs, et le torticolis est beaucoup moins prononcé. Je n'ai pas employé d'autres moyens que le repos, les manipulations et quelques bains.

IVe cas. — Chez ce jeune enfant, une première atteinte de la maladie eut lieu au mois d'août dernier; elle n'a duré que quinze jours. Le mal était de l'espèce la moins grave; il a cédé à l'application d'un vésicatoire. En mars suivant, récidive de l'affection, qui, cette fois, se montre plus tenace. La tête, penchée d'abord à gauche, s'est ensuite inclinée en arrière. L'enfant dort très-peu, est réveillé fréquemment par des douleurs; mais ses pleurs se calment quand la mère lui présente le sein; malgré une constitution en apparence bonne, il s'est beaucoup affaibli, la diarrhée est continuelle. Remarquez l'attitude de la tête : elle est renversée en arrière ; on peut la redresser au prix de vives souffrances, mais elle retombe aussitôt. La nuque forme un pli considérable, au fond duquel on aperçoit deux reliefs musculaires dus aux trapèzes qui se contractent fortement. Il est impossible de dire quelle est la disposition des vertèbres, s'il y a là simple mouvement physiologique, ou s'il existe un déplacement des os. On n'observe point de difficulté de la déglutition. Pour bien se rendre compte de l'état des parties, il faudrait explorer le pharynx, voir si on sent une luxation, une tumeur purulente. L'enfant marchait à onze mois; depuis trois mois, la progression s'est effectuée avec peine, et aujourd'hui l'enfant ne peut marcher, ce qui tient en partie à la maladie du cou, et probablement aussi à l'affaiblissement général. Cet enfant nous offre de plus une incurvation de l'épine par relâchement ligamenteux; elle disparaît très-facilement par un mouvement d'extension du bassin.

Ve cas. — Ce qui domine chez cette enfant, c'est un renversement considérable de la tête ; l'inclinaison latérale est peu sensible. La nuque, très-affaissée, forme un pli profond. Les muscles postérieurs, fortement tendus, se contractent davantage par moments. L'affection sous-occipitale n'est pas ici la seule cause du renversement de la tête; il en existe une autre. Remarquez cette petite pointe à la partie inférieure du cou : c'est une gibbosité dépendant d'un mal vertébral ordinaire. Cette lésion suffirait seule pour expliquer l'attitude de la tête; aussi notre diagnostic a-t-il été quelque bouvier. 6

temps incertain. Les vives douleurs ressenties par la malade, cette contraction musculaire énergique, l'attitude vicieuse exagérée et permanente de la tête, ont pu seules nous porter à admettre l'existence concomitante d'une affection sous-occipitale.

Quand tous les ligaments sont détruits, il n'y a plus d'attitude fixe; la tête peut se porter indistinctement dans tous les sens; elle a un excès de mobilité. Cependant, même dans ce cas, on n'observe pas, en général, de déplacements très-étendus; les muscles se contractent avec force et suppléent, jusqu'à un certain point, aux ligaments qui n'existent plus.

Quelles sont les causes de ces attitudes diverses de la tête et du cou dans l'affection sous-occipitale? J'ai parlé du mouvement réflexe; c'est là une première cause. On a voulu déduire tous les symptômes de ces affections de ce qu'on a appelé paralysie organique, phénomène auquel on rattache aussi les arrêts de développement. Je ne puis admettre cette théorie. Les lésions de circulation sanguine sont la cause principale des arrêts de développement consécutifs aux arthrites chroniques. Sans doute, outre l'influence évidente des lésions de circulation sur les arrêts de développement et sur l'inégalité des deux moitiés du corps, on peut admettre une influence de la lésion de l'innervation produisant ce qu'on appellera, si l'on veut, paralysie organique ou nutritive. Celle-ci pourrait être rapportée particulièrement aux filets nutritifs, en supposant que leur existence vienne à être démontrée. Mais on ne peut évidemment attribuer à cette paralysie organique la plupart des phénomènes secondaires des arthrites chroniques, et notamment la contracture musculaire, que l'on a voulu présenter comme le dernier terme de la paralysie.

Outre l'action musculaire, il est une autre cause des attitudes pathologiques, indiquée très-heureusement par M. Ferdinand Martin pour expliquer certaines attitudes et notamment la rotation en dehors du tibia, dans les affections chroniques du genou : c'est la rétraction des ligaments ; ils se raccourcissent par une contraction tonique, et entraînent les os dans un certain sens. La même explication pourrait s'appliquer aux attitudes produites par l'affection sous-occipitale , si l'on constatait anatomiquement le fait très-probable d'une rétraction des ligaments correspondante au sens dans lequel les os se sont inclinés.

III. Déformation (i). — J'ai exposé deux des principaux symptômes de l'affection sous-occipitale, la douleur et les modifications de l'attitude et des mouvements du sujet ; je vous les ai fait connaître par des exemples. J'arrive au troisième caractère, la déformation du cou.

La déformation du cou se voit particulièrement à la nuque. Vous en avez vu déjà des exemples. Cette région présente ordinairement, dans les deux formes de la maladie, un sillon profond, plus marqué s'il existe une luxation de l'atlas. Le plus souvent, il y a renversement de la tête en arrière, augmentation de la convexité antérieure de la colonne cervicale. Cette région est quelquefois encore déformée par des tumeurs fongueuses qui, après s'être fait jour entre les vertèbres malades, parviennent jusque dans le tissu cellulaire sous-cutané. Des abcès altèrent également, dans certains cas, la forme du cou.

Ce qui doit nous arrêter surtout et ce que nous devons chercher à reconnaître, c'est la position des os. On peut souvent, en ayant égard à l'état des parties, présumer qu'il y a luxation ou subluxation. Supposez, par exemple, que l'atlas se soit porté en arrière, vous pouvez sentir obscurément l'arc postérieur de cet os entre les trapèzes tendus de chaque côté de la nuque. Supposez, en deuxième lieu, que le même os ait glissé en avant ; la dépression qui correspond à cet arc postérieur sera augmentée ; l'apophyse épineuse de l'axis sera devenue plus saillante.

N'accordez pas toutefois trop de valeur à ces signes ; ils varient du pins au moins et sont presque toujours insuffisants pour établir le diagnostic d'une manière positive.

Supposez, en troisième lieu, qu'il y ait rotation de la tête ; vous aurez une saillie des apophyses transverses du côté opposé. Les affaissements latéraux des vertèbres malades seront indiqués par une diminution de hauteur d'un des côtés du cou.

Dans la subluxalion par rotation, la saillie de l'axis n'est plus en rapport avec la protubérance occipitale externe; ces deux éminen-ces osseuses ne se trouvent plus situées sur une même ligne verticale. Ce signe a de la valeur et doit toujours être recherché.

Le toucher par le pharynx fera quelquefois reconnaître l'altération sous-occipitale; mais il n'est pas toujours praticable.

(1) Neuvième leçon, 13 juillet 1855.

6.

IV. lésions nerveuses. — Les signes fournis par la lésion de la moelle et du cerveau ajoutent aussi aux moyens de diagnostic. Ce sont ordinairement ceux des congestions : vertiges, céphalalgie, éblouissements. Les symptômes du côté de la moelle sont encore plus importants ; ce sont des engourdissements, des fourmillements, ou bien des mouvements convulsifs, de la paralysie. La paralysie affecte plus souvent les membres supérieurs que dans le mal vertébral des autres régions; quelquefois elle les affecte seuls. L'hémiplégie a été signalée dans plusieurs cas d'arthrite sous-occipitale.

v. Abcès. — Les abcès peuvent fournir des signes d'une grande valeur, lorsqu'ils se développent du côté du pharynx, des fosses nasales ou du larynx. Us produisent un rétrécissement de ces conduits et une gêne de leurs fonctions : dysphonie, dyspnée, dyspha-gie. La dyspnée n'est pas seulement produite par les abcès qui compriment le conduit aérien; elle reconnaît également pour cause l'altération des nerfs respiratoires émanés du bulbe. Aussi les fonctions respiratoires sont-elles fréquemment compromises.

Je n'insiste pas sur les renseignements que fournissent les fistules, la nature du pus, etc.

Diagnostic différentiel. — Une première maladie qu'on peut confondre avec l'arthralgie sous-occipitale, c'est la contracture des muscles du cou. Deux cas de ce genre sont décrits dans l'ouvrage de MM. Rilliet et Barthez. Il existait, dans l'un, un renversement très-prononcé de la tête en arrière; dans l'autre, un torticolis. La contracture, dans le premier cas, était bornée aux muscles de la nuque ; dans le second, elle était générale ; cette circonstance servit à fixer le diagnostic.

Quand la contracture des muscles du cou existe seule, vous comprenez qu'on puisse être dans le doute sur la véritable nature du mal. C'est surtout en ayant égard à la marche des deux affections, qu'on peut résoudre ce problème. La contracture revient par accès ; il n'en est pas de même du mal sous-occipital. On peut bien voir plusieurs attaques de synovite sur un même sujet; je vous ai cité l'exemple d'un enfant qui a été pris de synovite l'an passé, qui en a été repris dernièrement ; mais ces atteintes diverses se font sentir à de longs intervalles. La forme d'accès est donc un des meilleurs caractères distinctifs des deux maladies.

La contracture essentielle persiste, quelle que soit l'attitude donnée à la tête ; la contracture symptoniatique d'une lésion articulaire ou osseuse est intermittente ; elle est subordonnée à la douleur, à la position de l'extrémité céphalique.

Je passe à un autre genre de lésions, dont je parlerai d'abord d'une manière générale, afin de mieux préciser le diagnostic : il s'agit du torticolis. Je désigne sous ce nom une inclinaison insolite du cou et de la tête, ordinairement accompagnée de rotation. Je continue à me servir de cette dénomination banale de torticolis, parce que tout le monde la comprend; ceux d'entre vous qui désireraient une expression moins vulgaire, adopteront celle d'ohstipité.

Il faut distinguer le torticolis en une foule d'espèces; je le diviserai, d'une manière générale, en torticolis physiologique et torticolis pathologique.

1° Torticolis physiologique. — Il présente une sous-division ; il est involontaire, ou, ce qui a lieu le plus souvent, dépendant de la volonté.

a. Le torticolis physiologique involontaire dépend de plusieurs causes qui portent les malades, dans leurs actes, à tenir la tête inclinée d'un côté ; tels sont les enfants chez lesquels les deux yeux sont de force inégale.

b. Le torticolis volontaire est lié aux différents états de l'âme. Le cou, en effet, concourt avec la tête à l'expression des passions, des affections de l'âme humaine. Différents moralistes, des poètes ont parlé depuis longtemps de cette variété de torticolis. Suétone, voulant peindre l'attitude hautaine de la tête de Tibère, disait : Incedebat cervice rigida et obstipâ.

Horace nous en parle encore, lorsqu'il dit de ceux qui cherchent à capter des testaments, qu'ils doivent tenir la tête penchée et simulant la crainte :

.........Davus sis comicus atque

Stes capite obstipo, multum similis metuenti.

Ici, c'est l'humilité qu'exprime ce torticolis.

Rabelais, flétrissant la fausse humilité par des épithètes dont il se montre d'ailleurs si prodigue, nomme les hypocrites cagots, cafards, torticolis.

Perse, faisant le portrait du philosophe qui médite, le représente la tête penchée, obstipo capite.

On s'est aussi quelquefois donné un torticolis par genre, par bon ton. Dans Lucien, il est parlé des petits maîtres qui penchent la tête de cette manière.

Ce torticolis, d'abord volontaire, peut devenir ensuite involontaire; le cou, fréquemment incliné, conserve ce pli. Je crois qu'on ne confondra pas ce cas avec notre affection sous-occipitale.

2° Torticolis pathologique. — Cette seconde espèce est produite par une maladie, ou bien par un vice de conformation du squelette.

A. Le torticolis inhérent à la première cause comprend à son tour deux variétés : dans l'une, il n'y a pas lésion des organes locomoteurs ; dans l'autre, ces organes sont plus ou moins profondément atteints.

a. La première se rencontre pour ainsi dire tous les jours. Un enfant nous arrive ayant un cou tellement tordu, que je crus voir un cas clinique des plus intéressants de mal sous-occipital ; la rotation était portée au plus haut degré. Sur le côté du cou, cependant, existait une adénite; toute cette partie était gonflée et douloureuse; des sangsues sont appliquées et le torticolis s'évanouit. Vous comprenez ce qui avait lieu : c'était une attitude déterminée par la douleur. Mais, faites-y attention, une cause semblable, si elle se prolonge, peut donner naissance à un torticolis permanent.

h. Le torticolis produit par des lésions de l'appareil locomoteur est aigu ou chronique, osseux ou musculaire ; celui-ci, à son tour, est continu ou intermittent. Ce dernier est une affection nerveuse, spasmodique, dans laquelle des mouvements se répètent à des intervalles rapprochés; c'est une sorte de tic, de chorée rhythmi-que. Ces deux variétés sont quelquefois réunies chez le même sujet.

Il s'agit de distinguer ces différents cas. J'ai insisté précédemment sur les caractères spéciaux que présentait la maladie d'un enfant; ils vont nous servir pour distinguer l'affection osseuse du torticolis musculaire continu. Ce que je vous dirai de l'affection des os s'applique également à la synovite unilatérale.

Le torticolis musculaire présente une attitude fixe, des formes

spéciales, inhérentes aux muscles affectés et en rapport avec le mode d'action de ces muscles ; l'affection osseuse donne lieu à une attitude différente, telle que celle qui résulte de l'action combinée de plusieurs muscles : l'inclinaison de la tête en avant, son renversement en arriére, etc. Elle peut produire aussi une inclinaison latérale; mais souvent alors on observe une rotation de la tête du même côté que l'inclinaison; cette coïncidence ne se voit jamais dans le torticolis musculaire.

Les symptômes propres de l'affection osseuse vertébrale sont aussi un moyen de diagnostic.

Si vous examinez le sujet vivant, vous voyez un muscle contracté d'une manière permanente, lorsque l'affection est purement musculaire; dans le torticolis osseux, au contraire, les muscles ne se contractent que par moments. La différence est moins sensible lorsque la rétraction réside dans les muscles profonds ; c'est alors le toucher plus que la vue qui permet de distinguer ce cas. La douleur est un phénomène commun aux deux affections; dans un cas elle a pour siège les muscles, et les articulations dans l'autre. Ce siège sera souvent difficile à déterminer, en raison du voisinage des deux organes : cependant la douleur musculaire existe dans le corps même du muscle, et non à ses attaches ; la douleur osseuse est plus profonde que le muscle; elle est réveillée surtout par les tentatives de redressement de la tête. Ces efforts produisent, dans le torticolis musculaire, une tension extrême du muscle, et une tension moins forte dans l'affection osseuse; dans celle-ci on peut, avec de la douceur, obtenir un relâchement des agents du mouvement. Si, dans l'autre maladie, la douleur siège aux attaches des muscles, le diagnostic peut être douteux.

B. Nous venons d'examiner le torticolis pathologique sans vice de conformation des organes locomoteurs ; je passe à la seconde variété, celle qui s'accompagne d'altération de la forme de ces organes. Le torticolis est souvent produit par un simple vice de conformation , qui peut être la suite d'une affection des muscles ou d'une maladie articulaire. Celle-ci laisse quelquefois après elle un état des os qui maintient l'attitude pathologique : des liens fibreux peuvent se développer entre les surfaces articulaires, qui peuvent aussi être réunies par ankylose. Ce torticolis est congénital ou accidentel,

L'obslipité par vice de conformation acquis est la suite de la rétraction du muscle sterno-cléido-mastoïdien ou d'une affection articulaire ayant produit une simple rigidité ou l'ankylose. A l'aide des symptômes, on peut reconnaître ces deux origines. Dans le torticolis d'origine musculaire, la rigidité existe dans un seul sens; elle est égale dans toutes les directions s'il y a eu lésion articulaire. Supposons qu'il y ait ankylose, on le reconnaîtra en ayant égard à la disposition des apophyses épineuses et transverses dans les divers mouvements, qui se passent dans la partie inférieure du cou, et non dans les articulations sous-occipitales. Rien de semblable ne se voit dans le torticolis musculaire; on trouve seulement un muscle tendu et raccourci. Parfois cependant il existe entre ces deux affections un certain rapport; c'est qu'à la longue elles donnent lieu aux mêmes altérations matérielles; ainsi l'affaissement de la légion sous-occipitale succède aux tractions du sterno-cléido-mastoïdien , et de même l'affection osseuse donne souvent lieu au raccourcissement de ce muscle. Avec de l'attention, on évitera une méprise.

Le torticolis congénital est assez curieux à étudier, parce qu'il est peu connu et peu décrit. Il peut être la suite des mêmes causes qui le produisent après la naissance : le fœtus peut être atteint d'une affection musculaire, d'un mal sous-occipital; il peut naître avec les suites d'une maladie guérie dans le sein de la mère; il est sujet, dans cette période de son existence, à des inflexions, des tiraillements, des lésions nerveuses. On a reconnu, chez les monstres, des torticolis dus à cette dernière cause. Les effets seront les mêmes que dans l'obstipité acquise; je ne connais, dans ce cas, d'autre moyen diagnostique que les renseignements fournis par les parents sur ce qui existait à l'époque de la naissance. Cette même variété peut encore tenir à une simple inégalité de développement des deux moitiés de la tête et du cou. Nous avons vu cet état être la conséquence des torticolis musculaire et osseux. Ce qui, dans un cas, est effet, peut devenir cause dans un autre. En voici un exemple : vous êtes frappé de la différence qui existe dans le volume des deux moitiés de cette tête; elle est, de plus, un peu inclinée en avant et à droite.

Cet autre buste nous offre la même disposition à un moindre degré; il a été moulé d'après le buste du musée des antiques,

connu sous le nom d'Hermès Alexandre; on présume que c'est une copie du portrait d'Alexandre le Grand, dû au ciseau de Ly-sippe, contemporain du conquérant de l'Asie. M. Dechambre a écrit un mémoire important sur ce sujet. C'est lui qui, le premier, a étudié, au point de vue médical, l'inégalité des deux moitiés de cette tête et son inclinaison à droite.

Ce torticolis doit être soigneusement distingué des autres ; il réclame un traitement tout différent. Il existe, en Europe, deux personnages éminents qui ont un torticolis de cette espèce. J'ai connu l'un personnellement, l'autre par le signalement qu'en ont donné, à une époque, les journaux politiques. On a proposé la section du muscle sterno-mastoïdien pour l'un d'eux, et sans l'énergique résistance du chirurgien ordinaire, l'opération aurait eu lieu. Il y a des bistouris que rien n'arrête, et qui n'eussent pas même épargné le cou d'Alexandre le Grand, pour peu qu'il s'y fût prêté.

L'inégalité de la face prédomine sur l'inclinaison de la tête dans cette variété de torticolis congénial ; dans les autres, l'inclinaison est le phénomène principal. On n'observe rien, dans les muscles, qui indique une rétraction.

La douleur articulaire manque dans cette forme.

La plupart de ces caractères peuvent exister dans une affection arthralgique ancienne, et le diagnostic serait alors difficile. Qui nous dit que le sujet représenté par ce buste n'ait point eu d'affection articulaire dans le sein maternel? Cela est possible; cependant la faible inclinaison de la tête me donne à penser le contraire. Ajoutons que, dans l'inégalité primordiale des deux moitiés de la tête, la rigidité du cou est toujours moins prononcée.

D'autres affections pourraient être confondues avec le mal vertébral sous-occipital. Je dois au moins vous les nommer, ne pouvant m'étendre longuement sur leurs caractères distinctifs. Ce sont les abcès froids, les luxations traumatiques, les polypes du pharynx, les maladies de la base du crâne, exostoses, tumeurs fongueuses, etc. Dans un cas cité par Ollivier, l'arc de l'axis, considérablement tuméfié, comprimait le cordon rachidien. L'anesthésie fut le premier symptôme de la lésion médullaire.

Quand il rencontre l'une de ces affections, le chirurgien peut souvent rester dans le doute.

§ III. — TRAITEMENT.

Je le divise en traitement de la synovite et traitement de l'affection osseuse. Ce que j'ai à vous dire s'appliquera à chacune de ces affections présumées seules. Vous savez, en effet, qu'elles se trouvent fréquemment réunies chez le même sujet, et qu'il n'existe pas de moyen de les distinguer toujours sûrement.

I. Traitement de la synovite. — Le traitement de la synovite ¦ soulève une question de doctrine que j'examinerai avant d'aller plus loin. Un écrivain qui prend quelquefois pour de la profondeur l'ambiguïté du langage, prétend qu'il ne faut pas donner à cette première forme de la maladie le nom d'arthrite, mais celui $arthralgie, parce que la lésion n'est pas bornée aux articulations et qu'elle porte à la fois sur tous les organes de la région, tels que les nerfs, les muscles, etc. Mais les tissus articulaires sont évidemment le point de départ des symptômes et le siège constant de la maladie primitive. Je déclare que je ne connais pas d'affection sous-occipitale occupant d'abord exclusivement les muscles ou les nerfs. Le nom à'arthralgie ne pourrait désigner qu'une névralgie des articulations elles-mêmes, et il n'existe pas d'exemple d'une affection semblable offrant les symptômes de la synovite sous-occipitale. Le mot arthralgie ne peut être conservé que dans le sens vague que l'on donne déjà au mot coxalgie, c'est-à-dire pour dénommer d'une manière générale des lésions articulaires très-diverses, qui se traduisent par des symptômes analogues. Il n'y a presque jamais d'affection nerveuse articulaire simple.

Je distinguerai quatre formes dans la synovite au point de vue du traitement, suivant qu'il y a prédominance de l'élément inflammatoire, rhumatismal, nerveux ou enfin scrofuleux.

1° La prédominance inflammatoire est rare; on peut l'observer surtout chez les sujets jeunes, vigoureux et sanguins; elle sera combattue par les applications de sangsues, les bains, les cataplasmes, et bien rarement par la saignée générale.

2e Quelques auteurs ont voulu faire du rhumatisme une affection tout à fait inconnue dans sa nature ; pour moi, c'est une forme de phlegmasie sui generis.

On dit : le rhumatisme n'a rien de fixe dans son siège ; il ne

suppure pas; c'est vrai, mais l'inflammation ne se termine pas constamment par la suppuration. Plusieurs affections, l'érysipèle, l'ophthalmie simple, auxquelles on ne peut refuser le caractère inflammatoire, ne suppurent presque jamais. Quant à la mobilité du rhumatisme, elle se voit également dans les phlegmasies. La délitescence, la métastase, ne sont-elles pas des terminaisons de l'inflammation que vous connaissez tous?

L'élément rhumatismal nécessite dans le traitement de la synovite sous-occipitale des modifications qui peuvent s'appliquer à toutes les articulations du corps. Vous emploierez surtout la sudation , le traitement hydrothérapique, les vésicatoires, les émol-lients, les résolutifs.

3° L'élément nerveux offre ce caractère particulier, qu'il y a peu de douleurs à la pression et dans les mouvements, soit actifs, soit communiqués, mais des souffrances spontanées vives, ressenties souvent pendant le sommeil. Les calmants, les antispasmodiques, les révulsifs doux sont indiqués; l'électrisation cutanée, entre les mains de M. Duchenne, de Boulogne, a dissipé des douleurs datant de plusieurs mois.

k° L'élément scrofuleux est le dernier dont j'aie à parler; i! prédomine dans cet hôpital ; c'est presque le seul que nous ayons à combattre chez les enfants qui y sont admis. Les préparations ferrugineuses et iodurées, les révulsifs locaux sont les moyens de traitement qu'il faut lui opposer.

En ne nous adressant qu'à l'élément morbide lui-même, nous n'avons rempli qu'une seule indication; il faut, en outre, faire disparaître les effets secondaires, traiter le torticolis. J'emploie avec avantage, dans ce but, les manipulations, c'est-à -dire les mouvements par lesquels on porte la tête en sens inverse de celui où la maladie la dirige; elles sont surtout utiles quand le torticolis est passé à l'état chronique, ou à son début. Mauchard avait déjà indiqué ce moyen, que Récamier a fait revivre de nos jours. Une observation intéressante, tirée de la pratique de cet éminent professeur et publiée par M. Séguin comme un cas de torticolis musculaire, me paraît un exemple de synovite sous-occipitale guérie par les manipulations. MM. Martin et Bonnet ont publié des faits analogues.

Dans le torticolis osseux, on devra user des plus grandes précau

tions dans l'emploi de ce moyen. Au début, les manipulations ont souvent une heureuse influence sur la maladie osseuse. M. Bonnet a émis ce principe général, que l'on améliore constamment la lésion des os en rendant aux parties leur attitude normale. Ce principe m'a paru vrai dans certains cas de maladie sous-occipitale; mais il s'en faut de beaucoup qu'il soit applicable à toutes les articulations du corps.

Dans l'état chronique, aux manipulations il faut ajouter des supports, tels que cols en carton, qui soutiennent la tête. Dans les cas de difformité plus prononcée, on emploie des machines et autres moyens orthopédiques ; il ne faut pas agir toutefois avec la même force que dans le torticolis musculaire.

II. Traitement de l'affection osseuse. — La lésion osseuse sous-occipitale est traitée généralement par cette méthode de Pott dont j'ai longuement parlé dans les précédentes leçons. J'ai encore à exprimer ici la même opinion contre cette méthode ou plutôt contre son abus. Je repousse les destructions profondes du derme ; les motifs de cette exclusion sont fondés sur le raisonnement et l'expérience ; je n'y reviens pas. Si vous observez bien la marche de la maladie, vous verrez qu'elle est exactement la même, qu'on ait employé ou non les cautères. Dans quelques cas, on a vu une amélioration marquée suivre de près l'emploi des cautères, je ne le nie pas; Ollivier en a cité un exemple. Les cautérisations profondes améliorent quelques symptômes dominants, je l'ai déjà accordé.

Que faire donc en face d'une affection osseuse sous-occipitale? Recourir aux mêmes moyens révulsifs que dans le mal des autres régions : vésicatoires, applications de teinture d'iode, électricité, pommade stibiée et tous les moyens de cautérisation superficielle que j'ai déjà énumérés.

Ces moyens ne doivent pas être employés indistinctement ; dans certains cas, il faut produire une irritation légère, mais continue ; dans d'autres, une révulsion plus énergique, mais passagère. Les manipulations se présentent ici comme moyen adjuvant ; mais il faut y avoir recours avec plus de précautions que dans la synovite. On doit mettre en usage la position, les supports, qui s'appliqueront sous la mâchoire et sous l'occiput, afin de prévenir la déviation de la tête et d'obtenir l'attitude la plus favorable dans le cas où

la maladie se termine par ankylose. Ainsi, par l'emploi des supports , on aurait pu, chez cette enfant dont je vous ai présenté la pièce, éviter un affaissement aussi considérable de la région sous-occipitale droite.

Le traitement interne a la même importance que dans l'affection vertébrale du reste de l'épine. Il consiste dans l'emploi des mêmes moyens. Je n'y reviens pas.

La maladie est-elle devenue chronique, il s'agit surtout d'obtenir le redressement de la tête; on conseille alors les moyens orthopédiques. Certains auteurs vont plus loin et proposent de réduire les luxations, quand elles se sont effectuées. Cette méthode n'est pas exempte de tout danger. Il y a dans la science un fait de réduction, ou du moins de réduction présumée, qui a été communiqué par M. Tessier (de Lyon). Ce fait, je ne le rejette pas entièrement; mais les signes de la luxation sous-occipitale sont en général assez peu certains pour que je conserve quelques doutes sur la réalité d'une réduction dans ce cas. J'ai été surpris de voir M. Malgaigne l'accepter sans critique dans son excellent ouvrage sur les luxations (1). M. Tessier a posé quelques principes sur l'opportunité des tentatives de réduction. Il fait remarquer avec raison que ces manœuvres n'offriraient pas de danger, lorsque la tête se trouve dans la flexion et qu'il s'agit de l'étendre ; qu'elles en auraient beaucoup dans l'attitude et le mouvement contraires. Vous comprenez que la réduction des luxations spontanées de la tête n'est pas produite instantanément. C'est par des extensions douces et lentes, par des pressions ménagées sur les points saillants , tels que l'axis, qu'on peut espérer de rétablir les parties dans leurs rapports physiologiques. Je serais peu disposé, je l'avoue, à tenter de pareilles réductions.

Enfin le traitement de l'affection sous-occipitale comprend aussi ctlui de l'abcès, de la paralysie consécutive. On peut recourir aux cautérisations profondes, aux moxas, au fer rouge, pour combattre ce dernier symptôme, mais seulement dans le cas où l'emploi des révulsifs moins puissants serait demeuré sans succès. Le traitement général peut suffire dans certains cas. M. Legrand a rapporté deux guérisons d'affection sous-occipitale avec paralysie, par l'emploi du

;I) Traité des fractures et des luxations, t. IL

stannate d'or et des pilules de Belloste; les cautères ne furent pas employés dans l'un de ces cas, et ils restèrent appliqués très-peu de temps dans l'autre.

Lorsqu'il existe un abcès, les indications sont les mêmes que dans le mal des corps vertébraux. Les abcès symptomatiques ou par congestion rétro-pharyngiens réclament une attention spéciale; ils exposent à des accidents de compression, et doivent être ouverts aussitôt qu'ils sont devenus bien apparents. Un malade du service de M. Martin-Solon est mort suffoqué par un de ces abcès qu'on avait trop tardé à ouvrir.

ARTICLE III.

PSEUDARTHROSES COXO-FÉMO RALES.

(1) Nous avons terminé l'étude des affections vertébrales. Arrêtons-nous ici un instant pour porter nos regards en arrière, et résumer les conséquences générales des faits que nous avons examinés.

Quoique je n'aie traité que de quelques maladies du rachis, nous pouvons cependant trouver, dans les faits qui nous ont passé sous les yeux, des considérations applicables à un grand nombre de lésions. Ainsi, en vous faisant connaître les affections du corps des vertèbres, j'ai eu l'occasion d'exprimer des faits généraux qui s'appliquent également aux maladies des os courts des autres parties du squelette. Nous avons en effet, dans cet hôpital, une salle consacrée aux sujets scrofuleux; suivez la marche de leur maladie, et vous observerez des phénomènes analogues à ceux dont j'ai parlé.

Les généralités exposées à l'occasion des affections articulaires du rachis sont de même applicables aux affections articulaires du reste du squelette. J'ai aussi indiqué un grand ordre d'affections osseuses à propos du diagnostic de l'affection sous-occipitale; les considérations auxquelles le torticolis a donné lieu peuvent s'appliquer à la plupart des difformités du corps.

Nous avons abordé un autre ordre de faits. En décrivant le mal vertébral supérieur, je vous ai parlé des luxations et des ankyloses

(1) Dixième leçon, 20 juillet 1855.

qui succèdent à ces lésions; elles donnent naissance à une déformation qui se rattache à la grande classe des difformités produites par déplacement dans les articulations diarthrodiales.

âiu lieu d'une ankylose, terminaison presque constanle des luxations sous-occipitales, on observe très-souvent à la suite de luxations survenues dans le reste du squelette une fausse articulation, une pseudanhrose. Nous allons nous occuper de ces pseudarthroses, qui consistent en des articulations nouvelles formées dans une région plus ou moins éloignée du siège de l'articulation normale. Ce nom de fausses, qui nous vient des anciens, est inexact, en ce qu'il désigne une articulation très-réelle; il est justifié cependant, en ce que ces jointures nouvelles s'éloignent des conditions des articulations naturelles.

Classification. — Ces nouvelles articulations, nearthroses de M. Gruveilhier, se forment dans deux circonstances; elles succèdent : 1° aux fractures non consolidées; 2° aux luxations. J'élimine de suite les nearthroses dues à la première cause. Les secondes se divisent en deux catégories, déterminées par le genre de luxations qui leur ont donné naissance, et sont ou acquises ou congénitales. Les luxations acquises se subdivisent elles-mêmes en deux classes, d'où trois ordres de pseudarthroses :

1° Pseudarthrose, suite de luxation traumatique.

2° Pseudarthrose, suite de luxation par maladie ou pathologique; on les appelle encore, luxations consécutives ; mais ce terme fait équivoque, parce qu'il est déjà consacré aux déplacements consécutifs qui arrivent dans les luxations traumatiques. On les a également nommées spontanées ; mais les luxations congénitales sont aussi spontanées.

3° Pseudarthroses comprenant des difformités des plus intéressantes qu'on appelle luxations congénitales, bien que cette expression ait l'inconvénient de préjuger la cause de la maladie; il serait mieux de dire, à l'exemple de Pravaz, malformation congénitale.

J'aurai principalement en vue dans ma description les luxations congénitales; chemin faisant, j'aborderai l'histoire des deux autres classes; je prendrai comme type de pseudarthrose par luxation la pseudarthrose de l'articulation coxo-fémoralc.

Le sens dans lequel se fait le déplacement de la tête du fémur est variable ; la chirurgie vous l'a déjà enseigné ; je ne fais que vous le rappeler ici. On divise ordinairement ces luxations et les pseudarthroses consécutives en plusieurs espèces, d'après le sens dans lequel elles se sont effectuées ou semblent s'être effectuées, d'après le lieu où se trouve le nouveau contact, la néarlhrose.

On peut diviser les luxations coxo-fémorales en centrale et en périphériques.

1° Luxation centrale. — La tête, dans la luxation centrale, passe par le centre de la cavité cotyloïde . et pénètre dans le bassin. Ce déplacement se voit surtout dans la coxalgie; il est rare dans les luxations traumatiques; on ne l'observe pas, que je sache, dans celles qui sont congénitales.

2° Luxations périphériques. — En établissant quatre points cardinaux aux extrémités des diamètres vertical et horizontal de la cavité cotyloïde, et en plaçant supérieurement deux points intermédiaires , l'un antéro-supérieur, l'autre postéro-supérieur, on se représente facilement les six directions dans lesquelles peut se faire la luxation coxo-fémorale. On a ainsi : 1° la luxation en haut, vers l'épine iliaque antéro-inférieure, ou la luxation sus-cotyloïdienne; 2° la luxation en bas, ou sous-cotyloïdienne. Deux luxations sont antérieures : le pubis partage en deux parties la région qui est au-devant du colyle; dans un cas, la tête passe au-dessus de cet os ; dans l'autre, elle passe au-dessous, ce qui donne naissance : 3° à la luxation sus-pubienne; et k° à la luxation sous-pubienne ou ovalaire. En arrière, nous trouvons également deux luxations qui forment : 5° l'iliaque, ou postéro-supérieure ; et 6° l'ischiatique, ou posléro-inférieure.

Si l'on voulait rapporter les déplacements de la tête fémorale aux trois pièces de l'os coxal non soudées dans le jeune âge, on aurait, pour l'os iliaque, deux luxations, la sus-cotyloïdienne ou supérieure, et l'iliaque ou postéro-supérieure; deux correspondraient au pubis, les sus et sous-pubiennes; deux à l'ischion, la sous-cotyloïdienne et l'ischiatique. Je dois signaler, dans cette nomenclature, une légère inexactitude. Nous avons nommé sus-pubienne l'une de ces luxations ; c'est à tort. La tête fémorale ne repose pas sur le corps du pubis, comme ce nom semblerait l'indiquer, mais

bien sur l'éminence ilio-pectinée et dans l'échancrure qui la sépare de Tépine antéro-inférieure, comme on le voit sur cette pièce du inusée Dupuytren.

La fréquence relative de ces divers déplacements est très-différente ; on le comprend facilement en examinant une articulation normale; la résistance de la capsule articulaire n'est pas la même dans tous les sens ; les causes de déplacement n'agissent pas non plus indifféremment dans toutes les directions. La luxation iliaque est la plus commune dans les trois espèces indiquées, traumatique, pathologique, congénitale; la tête se place dans la fosse iliaque externe. Après celle-ci vient la luxation ovalaire; elle est rare dans les luxations congeniales, plus fréquente dans les luxations trauma-tiques et pathologiques. La fréquence est à peu près la même pour les luxations ilio-pubienne et ischiatique; toutes deux sont très-rares dans les déplacements antérieurs à la naissance, ainsi que dans les luxations traumatiques; elles le sont moins dans les déplacements palhologiques. La science possède deux ou trois faits à peine des deux autres luxations fémorales, la sus-cotyloïdienne et la sous-cotyloïdienne. La tête du fémur repose, dans cette dernière , sur la gouttière qui se voit entre le cotyle et l'ischion.

En considérant les différences que présentent les luxations coxo-fémorales par rapport à l'étendue du déplacement, on peut distinguer trois cas :

a. Il peut arriver que la tête du fémur, quoique luxée, soit encore contenue dans la cavité colyloïde ; on observe cette disposition dans deux circonstances qui appartiennent toutes deux aux luxations pathologiques. Dans l'une, la tête du fémur, exerçant une pression constante sur un côté du cotyle, s'y creuse une dépression renfermée dans la circonférence de la cavité cotyloïde. En voici un cas qui ne laisse aucun doute : vous voyez l'endroit où siégeait la tête fémorale. Dans l'autre cas, la cavité cotyloïde s'est pour ainsi dire déplacée avec la tête du fémur ; en voici un exemple des plus curieux : le déplacement est ici très-étendu; il semble que la cavité cotyloïde ait cheminé en bas et en avant. Celte déformation est la suite d'une arthrite sèche ; il y a usure de l'os, luxation sur le trou ovale, et cependant la cavité nouvelle est contenue dans la même circonférence que l'ancienne ; il ne reste qu'un rudiment imperceptible du cotyle. On voit une production osseuse hémisphérique

bouvier. 7

correspondant à la tête fémorale ; c'est le ligament ovalaire ossifié qui s'est porté du côté du bassin.

Pour fixer les idées par un nom, j'appellerai ces luxations in-tra-cotyloïdiennes; ce sont celles qui offrent le déplacement le moins étendu.

h. Un deuxième ordre comprend les luxations dans lesquelles le déplacement est plus étendu, mais où cependant la nouvelle articulation est rapprochée de l'ancienne. J'appelle ces luxations juxta-cotyloïdiennes. Voici une très-belle pièce de ce genre. La pseudarthrose est congénitale, la cavité nouvelle très-voisine de l'ancienne.

c. Les luxations les plus communes, surtout parmi les luxations traumatiques, sont celles que j'appellerai uîtra-cotyloïdiennes, parce qu'elles présentent le déplacement le plus considérable. J'ai hésité quelque temps avant d'adopter cette expression ; je suis prêt à en accepter une autre, si l'on en trouve une meilleure. Les pseu-darthroses produites par ce troisième genre de déplacement se voient dans les trois classes de luxations, dans les traumatiques, les pathologiques, les congénitales ; on les rencontre dans toutes les variétés que nous avons établies d'après le sens du déplacement.

On peut encore diviser les pseudarthroses coxo-fémorales, suite de luxations, d'après le mode d'union des os. Ceux-ci peuvent se trouver unis de trois manières différentes : dans le premier mode, c'est une diarthrose, constituée par des surfaces articulaires et des ligaments périphériques ; l'articulation nouvelle ressemble donc à l'articulation normale; elle est le siège de mouvements étendus. Dans le second mode d'union, l'article est doué de mobilité comme dans le premier cas, mais la diarthrose n'existe plus; des liens fibreux, étendus d'un os à l'autre, maintiennent leurs rapports; en voici un très-bel exemple ; je donnerai le nom de syndesmose, union fibreuse, à cette disposition.

Breschet a établi, pour les fractures, une classification que nous pouvons appliquer aux luxations congeniales. Ainsi nous donnerons le nom de pseudarthroses de continuité à celles qui offrent le deuxième mode d'union des os, et aux précédentes celui de pseudarthroses de contiguïté.

Le troisième mode d'union est quelquefois une amphiarthrose, d'autres fois une fusion des surfaces osseuses. Ce dernier mode

d'union est, comme ©n l'a vu, le seul qui succède à la luxation sous-occipitale; on le voit aussi dans la pseudarthrose coxo-fémo-rale. Les mouvements sont extrêmement limités dans l'amphiar-throse ; dans la synarthrose, il n'en existe plus, il y a ankylose complète. Celte terminaison se voit fréquemment à la suite des luxations pathologiques, bien que ces lésions puissent présenter d'autres formes de pseudarthrose ; on ne la rencontre jamais dans les luxations congeniales. La syndesmose, au contraire, n'appartient pour ainsi dire qu'à ces dernières. La diarthrose enfin peut se rencontrer dans toutes les classes de fausses articulations.

§ I. — anatomie pathologique.

Les divisions que je viens d'établir nous ont fourni des faits qui nous serviront de guide au milieu des obscurités de ce sujet. Je fondrai dans une description commune les diverses espèces de pseudarthroses ; mais j'insisterai surtout sur celles qui sont congénitales. J'aborde l'étude de ce sujet en examinant une à une les parties qui concourent à former l'articulation coxo-fémorale, et d'abord la capsule articulaire, qui en est la partie la plus importante , et de laquelle dépendent la forme et les mouvements de la nouvelle articulation.

I. Capsule fibreuse. — Elle peut présenter deux états différents : Io un état d'allongement; 2° un état de perforation.

A. Allongement de la capsule. — Il doit être considéré au début ou dans l'état imparfait de la fausse articulation, et à une époque plus avancée ou dans son état parfait, si je puis ainsi dire. L'allongement est propre à deux formes de la maladie, les luxations congénitales et les luxations pathologiques; il n'a pas encore été observé dans les luxations traumatiques; au moins je n'en connais pas d'exemple.

Examinons d'abord l'allongement de la capsule dans les luxations pathologiques. Une idée hypothétique d'un grand chirurgien, de J. L. Petit, est devenue de nos jours un fait incontestable. J. L. Petit avait dit que, dans les luxations spontanées, la tête du fémur était chassée de la cavité cotyloïde par une hydarthrose. On voit, en effet, des luxations par allongement de la capsule dues à une accumulation de liquide dans la cavité articulaire. MM. Parisè, Bonnet,

7.

Gruveilhier, en ont cité des exemples irrécusables. Qu'arrive-t-il dans ce cas? Le liquide distend la capsule, augmente sa capacité; la tête alors peut sortir, prendre la place du liquide, qui occupe à son tour la cavité cotyloïde. Mais pourquoi ce déplacement de la tête ? Il tient à la grande loi générale de l'attitude des membres dans les affections articulaires. Les coxalgies sont douloureuses et produisent une contraction involontaire de certains muscles. Le fémur obéit à ce mouvement et déplace le liquide. Ce premier pas fait, la luxation se produit rapidement; on l'a vue s'accomplir en quinze jours.

D'autres causes, des fongosités, le gonflement du paquet graisseux de l'articulation, peuvent produire le déplacement de la tête, l'allongement de la capsule, et par suite la luxation.

Les choses se passent-elles de la même manière dans la luxation congénitale? Malheureusement nous l'ignorons. Cette première période est infiniment moins claire dans ce dernier ordre de lésions. Le déplacement est déjà opéré à l'époque de la naissance, et il n'est pas facile de savoir ce qui s'est passé dans l'utérus antérieurement, d'autant plus que la luxation congénitale est encore imparfaitement connue sous le rapport anatomique. Vous comptez en très-petit nombre les faits d'examen anatomique de l'articulation de la hanche chez le fœtus, et déjà, dans ces cas, la luxation était complète. On n'a bien observé.que la deuxième période de la luxation; je ne connais que trois ou quatre autopsies détaillées de luxations congeniales chez le fœtus ou peu après la naissance. Le premier fait publié est de Palletta (1). Cet auteur est tombé du premier coup sur l'espèce la plus rare. Depuis cette époque, quelques observations nouvelles ont été recueillies par divers chirurgiens. Le fait de Palletta est resté pendant dix ans encore inconnu à Dupuytren, qui croyait avoir découvert les luxations congeniales du fémur. Pravaz fait la remarque très-curieuse que Delpech lui-même ne découvrit pas ce fait dans ses recherches pour rendre à Palletta, au détriment de Dupuytren, le mérite d'avoir fait connaître ce genre de déformation. Mercer Adam, Chaussier, MM. Cruveilhier, Levieux, ont publié plusieurs observations analogues; ce sont les seules qui renferment une description complète de l'état de l'articulation. M. Jules

(1) Exercitationes pathoïogicœ. Mcdiolani, 1820, t. I.

Guérin en a de son côté indiqué quelques-unes; mais ces faits, observés sur des monstres, sont dépourvus des détails nécessaires pour les apprécier.

Vous comprenez les doutes nécessaires, les obscurités que j'ai à vous exprimer au sujet de la période initiale des pseudarthroses congénitales de la hanche. C'est une tendance naturelle de notre esprit de supposer les faits qui nous sont inconnus. On a donc dû suppléer ici à l'observation directe par diverses inductions.

Les suppositions varient suivant l'opinion étiologique que l'on se forme de la maladie. On admet, dans un cas, qu'il n'y a jamais eu d'articulation normale. Dans un autre, on suppose qu'à une époque il a existé une articulation bien conformée; il se serait alors produit une véritable luxation, qui rentrerait dans celles de l'enfant et de l'adulte, dont elle ne différerait que par l'époque à laquelle elle aurait pris naissance. Reste à savoir, dans celte hypothèse , comment la luxation s'est opérée ; trois explications aujourd'hui sont en présence :

a. La luxation est due à des pressions extérieures ; elle s'est opérée d'une manière mécanique, et est analogue, jusqu'à un certain point, aux luxations traumatiques de l'adulte.

b. Elle est causée par l'action musculaire ; ce mécanisme diffère de ce qui a lieu après la naissance. Cependant on possède plusieurs faits authentiques de luxation de la hanche, volontairement produite par l'action musculaire, avec réduction opérée de la même manière. On cite un chirurgien qui jouissait de ce singulier privilège.

c. Le déplacement de la tête fémorale, chez le fœtus, tient à une maladie de l'articulation de la hanche : c'est une luxation pathologique. Pourquoi pas, en effet ? Le fœtus est sujet à des maladies dont le résultat peut être le même pendant la période intra-utérine qu'après la naissance.

Tout cela est plausible ; voyons quelle est la valeur de ces diverses explications.

1° La luxation est due à des pressions extérieures. — M. Cruveilhier l'admet (1). Dans le fait qu'il a cité, ce professeur présente des considérations qui le portent à croire que la position

(1) Anatomie pathologique du corps humain, avec planches, t. I.

du fœtus dans l'utérus explique la double pseudarthrose qui s'était produite. Je vous dirai que l'on rejette généralement cette opinion. On admet que la pression peut prédisposer à la luxation, mais non qu'elle suffise à la produire. Je ne repousse pas toutefois complètement cette explication; on comprend que la tête fémorale abandonnant en partie la cavité de réception sous l'influence de certains mouvements physiologiques, des pressions extérieures puissent augmenter cette disposition, allonger la capsule, et faire sortir la tête du fémur de la cavité cotyloïde.

2° La luxation est due à l'action musculaire. — Cette opinion, émise par Chaussier, a été développée par M. Jules Gué-rin. Chaussier admet que des convulsions peuvent produire un déplacement des os ; il a cité un fait de luxation du coude déterminée par cette cause, et un autre de luxations multiples, dans lesquelles il voit, avec quelque vraisemblance, l'effet d'un trouble général de l'innervation. M. J. Guérin a étendu cette théorie et l'a appliquée à toutes les luxations congénitales. Quoique plausible, cette opinion ne peut pas non plus être admise dans la généralité des cas. On manque, en général, de renseignements sur les accidents de la grossesse; la luxation a été constatée à une époque où les muscles étaient à peine formés ; l'action musculaire ne produit de déplacements, après la naissance, que secondée par d'autres causes qui n'existent pas généralement dans la période de l'inclusion fœtale. Mais le grand argument contre l'opinion de M. J. Guérin, c'est qu'on ne retrouve pas de rigidité des muscles après la naissance. Rien, dans l'état des muscles, n'indique ces contractions énergiques dont il reste ordinairement des traces, lorsqu'elles ont eu une longue durée.

o° Le déplacement de ta tête du fémur est dû à une maladie de l'articulation, à une coxalgie. — Cette explication est très-sérieuse; il ne s'agit plus de l'opinion d'une seule personne; plusieurs sont partisans de cette théorie; elle est spécieuse et elle possède des faits. C'est, je crois, M. Parise qui l'a présentée le premier; depuis, MM. Broca, Verneuil, Morel-Lavallée ont fourni des faits à l'appui de cette manière de voir. Sur une pièce recueillie par M. Verneuil, et que vous avez sous les yeux, on voit une articulation normale du côté droit; à gauche, existe un dépla

cernent de la tête du fémur constituant une luxation juxta-cotyloï-dienne. M. Verneuil a constaté sur cette pièce la présence d'un liquide séro-purulent remplissant l'articulation, des fongosités dues à l'épaississement de la synoviale. Ces signes sont évidemment ceux d'une coxalgie; il n'existait point d'altération osseuse; le membre avait une attitude fixe ; les mouvements étaient bornés. En disséquant la jointure, on trouva la capsule étendue, allongée, ce qui avait permis à la tête de se loger au-dessus du rebord cotyloïdien. Il s'agit donc évidemment ici d'une luxation congénitale par altération de la capsule. Je crois que M. Verneuil a raison d'attribuer ce déplacement à une cause pathologique. M. Morel-Lavallée a communiqué à l'Académie de médecine des exemples d'altérations encore plus profondes, de véritables suppurations de la hanche chez des nouveau-nés ; ils établissent d'une manière positive l'existence, pendant la vie intra-utérine, de coxalgies pouvant donner lieu à la luxation.

Avons-nous mis le doigt sur ce que nous cherchons? Est-ce bien là la première période de la luxation congéniale? La solution de cette question est ardue. Je vous exposerai bientôt les raisons qu'on peut faire valoir pour et contre cette troisième explication.

D'autres lésions, telles que le gonflement du tissu graisseux du fond de la cavité cotyloïde, ont été invoquées pour expliquer le déplacement de la tête fémorale. On a eu tort de rapporter à cette cause le fait de Pallelta. Le gonflement n'était, dans ce cas, que secondaire; la graisse s'accumule partout où il y a un vide à combler.

M. Sédillot a parlé encore de relâchement, de ramollissement de la capsule, permettant à la tête de s'éloigner peu à peu de l'os coxal. Ce mécanisme est possible. Ne voit-on pas après la naissance des luxations produites par relâchement ligamenteux?

Quelle est la valeur des faits de M. Verneuil et des autres chirurgiens qui regardent la coxalgie comme la cause des pseudar-throses congénitales? Que peut-on objecter à cette doctrine, qui a beaucoup de tendance à se répandre de nos jours? Le voici : il n'existe pas de pièces qui établissent que des luxations complètes à l'époque de la naissance doivent leur origine à une maladie de la hanche. Que représentent les pièces sur lesquelles on s'appuie? Des maladies articulaires survenues peu de temps avant la nais

sance; elles ne prouvent pas que les luxations débutent de la même manière chez le fœtus moins âgé; il faudrait des pièces datant d'une époque plus reculée. Qu'on prouve qu'il existe, à la naissance, des signes de coxalgie ancienne, on pourra croire alors à cette origine.

On a encore attribué la luxation congénitale à un déplacement du fémur pendant les manœuvres de l'accouchement. Il est bien prouvé que ce n'est là qu'un cas exceptionnel ; mais il est vrai de dire que ces luxations, qu'on peut appeler traumatiques, doivent beaucoup ressembler plus tard aux vraies pseudarthroses congénitales.

Je passe à l'autre ordre de suppositions relatives à l'étiologie des pseudarthroses congénitales : il n'y a jamais eu d'articulation normale. Dans cette hypothèse, il n'a jamais existé de capsule normale; celle que l'on voit s'est formée en même temps que la fausse articulation. L'opinion de Dupuylren se présente la première; il attribuait la disposition anormale de l'articulation à un défaut du germe. Il n'y aurait pas eu contact de la tête et de la cavité cotyloïde; la capsule serait restée trop lâche. Dans l'opinion de Ereschet, un arrêt de développement serait la cause première des accidents. Cette supposition ne doit pas nous arrêter, parce qu'il est démontré aujourd'hui que l'état du cotyle est toujours consécutif, et qu'il est probable qu'à une époque de la vie embryonnaire , cette cavité avait une conformation à peu près naturelle.

L'hypothèse de Dupuytren mérite plus d'attention. Je ne ferai que reproduire l'argument de M. Alph. Robert en sa faveur. Cet argument se tire de l'hérédité. On voit en effet plusieurs enfants hériter de ce vice de conformation ; des faits de ce genre, très-curieux, sont consignés dans les leçons orales de Dupuytren. MM. Parise et Malgaigne nient la valeur de cet argument, et admettraient plutôt une prédisposition héréditaire à l'hydarthrose, à la coxalgie, causes de la luxation congénitale. C'est l'hypothèse poussée dans ses derniers retranchements. L'hérédité des vices de conformation est aujourd'hui un fait bien constaté. L'explication de Dupuytren me paraît encore la plus plausible, et si l'on admet des pseudarthroses héréditaires tenant à la première organisation du germe, on ne voit pas pourquoi cette organisation défectueuse ne se reproduirait pas dans d'autres circonstances, sans prédisposition héréditaire.

Je dirai, en terminant, que, parmi les objections faites à cette théorie, celle qui a le plus de valeur est tirée de la ressemblance, de la presque identité des lésions, dans les luxations congénitales et les luxations accidentelles non réduites ; dans certains cas, c'est à peine si l'on perçoit quelques légères différences entre ces deux ordres de lésions.

Ce qu'il y a de plus vraisemblable, c'est que les pseudarthroses congénitales ne sont pas le produit d'une cause unique; qu'elles peuvent être la suite tantôt d'un vice de développement originel, tantôt d'une maladie embryonnaire, d'autres fois d'une influence mécanique, combinée .avec des contractions musculaires anormales , etc.

(1) Nous avons vu que la capsule articulaire présente dans les luxations anciennes et congénitales du fgmur deux états distincts : l'état d'allongement et l'état de perforation. Le premier se rencontre dans deux phases des luxations, l'état imparfait et l'état parfait; nous avons examiné ce qui se passe dans l'état imparfait. Pour résumer ce que j'ai dit relativement à l'origine des pseudarthroses congénitales, je vous rappelle que trois explications sont en présence. On admet, dans la première, que l'enfant renfermé dans le sein de la mère a été soumis à une influence mécanique extérieure. Dans la seconde, on suppose que le déplacement de la tête du fémur est dû à une maladie de la hanche. Les auteurs qui ont présenté la troisième opinion pensent qu'il n'y a jamais eu d'articulation normale, et que, dès la première période du déplacement, la capsule présente l'allongement que l'on constate dans la suite. J'ai dit vers quelle opinion je penchais, et cependant je répète qu'il est probable que ces luxations peuvent être produites par plusieurs causes.

Dans la deuxième période, c'est-à-dire à l'état parfait de la luxation , la capsule allongée se présente sous deux aspects : à l'état de simple allongement, sans déplacement des insertions normales, ou bien à la fois à l'état d'allongement et de déplacement des attaches. La première forme donne lieu à cette disposition articulaire que j'ai nommée une syndesmose ; nous en trouvons un exemple

(1) Onzième leçon, 27 juillet 1855.

dans l'anatomie normale; l'os hyoïde est suspendu par des liens fibreux à la base du crâne. Le fémur est de même uni, par syn-desmose, à l'os iliaque dans les pseudarthroses dont il s'agit en ce moment; ses fonctions sont conservées en grande partie. Dans cette première forme, la capsule, parfaitement intacte, renferme la tête du fémur tout entière ; elle empêche un contact immédiat des deux os et établit entre eux un moyen d'union solide. L'allongement de la capsule n'est pas, dans ce cas, de la même nature que celui qu'on observe dans certaines paralysies accompagnées du relâchement des ligaments et des muscles, comme on le voit dans l'articulation de l'épaule à la suite de la paralysie du deltoïde. La tête du fémur est solidement fixée dans la place qu'elle occupe ; cette disposition conserve les fonctions du membre.

Cette union ligamenteuse est propre aux pseudarthroses coxo-fémorales congénitales et forme un signe précieux pour différencier ces lésions des luxations traumatiques anciennes. J'ai le regret de me trouver, sur ce point, en désaccord avec un auteur que vous estimez à juste titre, M. Malgaigne. Ce savant chirurgien admet que la disposition de la capsule dont il est ici question peut se rencontrer également dans les luxations traumatiques anciennes. Cela n'est pas exact, je dois le dire ouvertement. Sur quoi est fondée l'opinion de M. Malgaigne? Sur un seul fait que voici : Dupuytren, dans ses leçons, a décrit un cas de pseudarthrose coxo-fémorale double qu'il a considérée comme congénitale en se fondant sur la mobilité des articulations. Vingt ans plus tard, M. Malgaigne retrouve à Bicêlre ce même malade, qui raconte que, dans son enfance, il était sur le point de tomber des bras de la personne qui le portait lorsque, retenu brusquement, il éprouva un tour de reins douloureux et ensuite de la difficulté dans la marche et de la claudication. Le récit assez vague de cet homme, contredit d'ailleurs par le récit tout différent qu'il a fait à Dupuytren, a suffi à M. Malgaigne pour détruire d'un trait de plume le premier diagnostic. Je n'hésite pas, à défaut même de renseignements positifs, à soutenir, d'après la description anatomique de M. Malgaigne lui-même , qu'il s'agissait bien là d'une luxation congénitale ; le célèbre chirurgien de l'Hôtel-Dieu ne s'était pas trompé.

Le caractère que je viens d'indiquer, à savoir, la grande étendue des mouvements de l'articulation, ne se rencontre pas dans toutes

les pseuclarthroses congénitales ; mais, s'il existe, on peut affirmer que le fait qu'on observe se rattache à la catégorie des syndesmoses.

Voici plusieurs exemples de la disposition que je signale. Ces pièces offrent des débris de capsule formant syndesmose. La plus belle est due à M. Broca.

Je ne connais pas de faits appartenant aux luxations traumatiques ou pathologiques, dans lesquels on ait rencontré cette disposition. M. Parise et Pravaz semblent présumer qu'elle peut exister dans ces deux classes de lésions, parce que la tête, d'abord intra ou juxta-cotyloïdienne, peut, par le tiraillement de la capsule, l'allonger, la déplacer et produire une syndesmose; ce ne serait là, en tout cas, qu'une conjecture.

Pour mieux étudier les changements qui surviennent dans la capsule, je distinguerai trois portions dans cet organe : une portion cotyloïdienne ; une portion fémorale ; une portion intermédiaire ou libre.

a. La portion cotyloïdienne est insérée au pourtour du cotyle ancien ; elle ne présente pas toutefois la disposition naturelle ; elle se resserre, s'applique sur la cavité, et la ferme à la manière d'un rideau.

b. La portion fémorale est remarquable en ce que les fonctions de la portion cotyloïdienne lui sont dévolues ; c'est elle qui contient la tête du fémur. Ses attaches à la base du col n'offrent rien d'anormal. Sa surface interne est en rapport immédiat avec la tête et le col, et lubrifiée par la synovie. Sa surface externe est en contact avec l'os iliaque, tapisse l'excavation cotyloïdienne nouvelle, et joue le rôle des ligaments inter-articulaires que l'on observe normalement entre l'extrémité interne de la clavicule et le sternum, entre le condyle de la mâchoire et la cavité glénoïde du temporal, etc. Cette portion de la capsule adhère à Pilium par des liens fibreux, une synoviale ; elle éprouve ainsi un double glissement. Le petit fessier double la capsule ; ce muscle est souvent atrophié, mais sa portion fibreuse persiste et suffit pour donner plus de solidité à cette connexion. Tous les muscles voisins entourent la portion fémorale de la capsule ; ses rapports avec eux varient d'ailleurs suivant le siège de la tête fémorale.

c. La portion intermédiaire ou libre est plus ou moins longue ;

elle est assez courte dans la pièce de M. Broca, la pseudarthrose étant juxia-cotyloïdienne ; lorsque la tête est plus éloignée de sa cavité, la portion libre de la capsule a plus de longueur. Cette portion, tendue entre les deux autres, présente une conformation bizarre, que vous voyez sur cette pièce ; elle est étroite et arrondie, terminée par deux renflements conoïdes qui ont fait comparer la capsule entière à un sablier, à une bourse à double poche. D'abord assez largement ouverte chez l'enfant, la partie médiane se fronce ensuite, se plisse longitudinalement, figure un canal dans lequel circule la synovie. Plus tard, les plis s'effacent en adhérant ensemble , en sorte qu'une partie de la circonférence de la capsule se trouve épaissie, transformée en un cordon solide, confondu par ses bords avec le reste du ligament capsulaire. Peut-il arriver que le conduit de cette portion intermédiaire s'oblitère entièrement ? Je n'en connais pas d'exemple ; la synovie qui baigne incessamment la surface interne, empêche une adhérence des points opposés du canal. Au reste, cette oblitération, si elle avait lieu, ne changerait rien aux conditions de solidité et de mobilité du membre.

La surface extérieure de la portion libre est, comme la portion fémorale, en contact avec les muscles rotateurs qui entourent l'articulation, obturateurs, jumeaux, pyramidal, fessiers, dont les rapports avec la capsule varient suivant la position de la tête du fémur ; leurs tendons viennent encore fortifier le ligament capsulaire et rendre plus étroite l'union des deux os.

Voyons quelle est la structure de la capsule dans ces trois portions ; cette étude nous fera connaître des faits précieux pour la physiologie, la pathologie et même la thérapeutique de cette affection. Cette structure rappelle celle de l'ancienne capsule ; on remarque seulement des différences dans la force et la direction des faisceaux fibreux; les uns sont atrophiés, les autres épaissis. L'amincissement de la capsule n'est pas toujours en rapport avec sa dilatation; l'augmentation d'épaisseur coïncide quelquefois avec l'accroissement de capacité. Vous avez rencontré des exemples de ce fait dans d'autres organes, tels que le cœur, etc.

Les faisceaux les plus remarquables par leur organisation et leur influence sur l'état des mouvements sont ceux que j'appellerai faisceaux en X; ils ont leur point de départ dans l'état naturel. La capsule, en effet, dans l'état normal, est renforcée par des trous

seaux fibreux, résistants; l'un d'eux, partant de l'épine iliaque antéro-inférieure, vient s'insérer à la base du col fémoral vers le petit trochanter, et a reçu le nom de ligament de Berlin, bien qu'il ait été décrit avant cet anatomiste. Ce ligament reste très-fort dans la pseudarthrose coxo-fémorale par syndesmose; mais sa direction se trouve un peu modifiée et devient oblique de haut en bas, de dedans en dehors. Vous voyez de suite l'influence de cette disposition sur la mobilité du fémur; elle limite l'abduction du membre, et l'empêche de s'abaisser par son propre poids ou par les tractions directes exercées par le chirurgien.

Un deuxième faisceau est situé en arrière du précédent. Les fibres qui le composent naissent en arrière et au-dessous du cotyle ancien, se portent en haut et en dehors, et s'attachent au grand trochanter. Ce ligament croise le premier faisceau, dont il est séparé par le col du fémur, et s'oppose à l'ascension de cet os.

Vous comprenez maintenant que la rétraction du tissu fibreux, le resserrement de la capsule variant aux différents âges, la fixité du fémur doit varier dans la même mesure. Vous saisissez bien ce qui différencie cette disposition articulaire nouvelle d'une simple diastase. Vous avez dans le premier cas une organisation unitive, qui maintient la tête du fémur dans une position fixe.

Nous pouvons déduire de la connaissance des faits anatomiques le degré de solidité et de mobilité des syndesmoses congénitales.

Examinons d'abord la solidité. Les conditions d'équilibre dans la station, chez les sujets atteints de pseudarthrose congénitale, ne sont plus les mêmes que chez les sujets sains. Dans la station verticale et à l'état normal, les fémurs se trouvent compris dans le plan transversal passant par la colonne lombaire, et, par conséquent, sont dans la direction du poids des parties supérieures. Dans le cas que nous examinons, la tête de ces os est située plus en arrière et tendrait h remonter le long du bassin, si les capsules ne s'y opposaient; elles remplissent le même rôle que les soupentes qui soutiennent la caisse des voitures. Par suite de ce déplacement , le tronc tend à tomber en avant ; mais il est retenu par l'action musculaire. La flexion souvent considérable du bassin, chez ces malades, a été attribuée au muscle psoas, qui serait rétracté et exercerait des tiraillements sur la colonne vertébrale. En parlant des abcès par congestion, j'ai indiqué celle influence du psoas sur

la position des membres inférieurs; mais je le crois le plus souvent étranger à l'attitude du corps dans le cas dont il est ici question.

Il semble que l'absence de cavité énarthrodiale devrait rendre les parties plus mobiles, plus vacillantes. La mobilité n'est pourtant pas aussi considérable que vous pourriez le supposer ; elle est bornée par les deux ligaments en X dont j'ai parlé.

Je vous laisse à déduire plus complètement les conséquences de l'état anatomique de la jointure par rapport à la mobilité du fémur dans ces pseudarthroses congénitales, et je passe à la seconde forme des altérations de la capsule dans l'état parfait de la pseu-darthrose; je l'appelle, cette disposition, capsule déplacée, refoulée.

Dans les pseudarthroses coxo-fémorales avec refoulement de la capsule, il y a contact articulaire, diarthrose, tantôt énarthrodiale, tantôt seulement arthrodiale. Les luxations intra - cotyloïdiennes, et quelques-unes de celles qui sont juxta - cotyloïdiennes, nous offrent seules l'exemple de cette disposition, qu'on ne rencontre pas dans les pseudarthroses ultra-cotyloïdiennes, lorsqu'elles sont bien caractérisées ; on éprouve quelquefois, il est vrai, de la difficulté à établir une ligne de démarcation précise entre cette dernière catégorie de déplacements et la classe des luxations juxta-cotyloï-diennes. Il est souvent impossible, dans cette forme, de décider ti le déplacement est congénital, ou s'il résulte d'une luxation ancienne non réduite.

Les phénomènes dont nous nous occupons s'observent dans les luxations congénitales et pathologiques. Se voient-ils dans le;s luxations traumatiques? C'est douteux.

Je vous présente plusieurs exemples de cette seconde forme ; celui-ci est le plus bel échantillon que je possède; les deux cavités sont séparées par une arête bien apparente; la pseudarthrose est j uxta-cotyloïdienne.

Dans cette variété, la capsule embrasse les deux cotyles ; c'est un de ses caractères distinctifs ; par quel mécanisme a lieu le déplacement dans ce cas? Nous le savons pour les luxations pathologiques. La tête du fémur se creuse à l'intérieur du cotyle une dépression nouvelle, qui empiète ensuite sur le bord de la cavité normale; le manchon fibreux refoulé s'éloigne avec la portion osseuse qui lui donne insertion; il présente un étranglement au

niveau de l'arête, et décrit ainsi un 8 de chiffre, dont les deux cavités figurent les anneaux. Le cotyle ancien, d'abord plus large que le nouveau, finit par lui devenir inférieur en étendue.

M. Parise a publié un fait dont j'ai déjà parlé, et sur lequel je dois revenir. Ce fait, recueilli sur un enfant et cité par l'auteur à l'appui de sa théorie , pourrait recevoir une autre interprétation. Je n'ai pas trouvé dans l'observation de preuves de l'existence d'une coxalgie. M. Parise se fonde sur l'abondance de la synovie; mais ce signe est insuffisant pour caractériser l'arthrite coxo-fémorale. Ce cas est peut-être un très-bel exemple de luxation congéniale, appartenant à la catégorie que nous examinons.

Aux pseudarthroses par refoulement de la capsule se rattache un autre genre d'altération, consistant en un énorme accroissement de la capacité du cotyle. Cette disposition, qu'on serait tenté de rapporter à l'arthrite sèche, se voit dans les luxations congeniales ou non congeniales. En voici un très-bel exemple, emprunté à l'ouvrage de Sandifort. Il devait exister primitivement une pseu -darthrose intra-cotyloïdienne. Les deux colyles ont été convertis, par la destruction de l'arête, en une immense cavité, dans laquelle joue la tête du fémur. Ce genre de déformation, déjà interprété de cette manière par M. Parise, est en quelque sorte intermédiaire entre la luxation et la conformation normale de la jointure.

La disposition de la capsule est différente dans cette forme de luxation et dans là* syndesmose. Dans le premier cas, elle est moins longue et plus serrée ; ses deux extrémités ne sont point séparées par une portion intermédiaire isolée. Les trousseaux fibreux appliquent exactement l'un contre l'autre l'ilium et le fémur.

B. Perforation de la capsule. — Une autre forme d'altération , la perforation de la capsule, se voit dans les trois espèces de luxations, traumatiques, pathologiques, congénitales. Cette lésion est la règle dans les luxations traumatiques, et se rencontre dans un certain nombre de déplacements pathologiques, lorsque, par exemple, un abcès s'est formé dans l'articulation. Dans les pseudarthroses congénitales, cette perforation n'existe pas à la naissance ; mais elle se produit souvent dans un âge plus avancé. On peut confondre cet état avec la luxation par refoulement de la capsule. En voici un exemple : vous voyez une vaste cavité séparée en

deux par une arêle visible. Il est probable que le manchon fibreux, d'abord aminci, s'est ensuite perforé, et que le contact ayant eu lieu entre les deux os, cette cavité s'est creusée. Du côté opposé, l'os iliaque présente une simple dépression sans cavité.

Dans toutes les pièces de diarthroses congénitales que j'ai eu l'occasion d'observer, l'excavation avait lieu dans un point rapproché de l'ancien cotyle.

Sandifort a représenté sur les deux articulations d'un mêmr sujet un bel exemple d'une disposition semblable, qu'il a décrite minutieusement, sans toutefois indiquer que son origine était antérieure à la naissance. Sans cette omission, la Hollande eût ravi à la France et à l'Italie la gloire d'avoir découvert les luxations congénitales du fémur (1).

L'état de la capsule est ordinairement analogue, sinon identique, à celui des pseudarthroses par refoulement; elle est formée dee débris de l'ancienne capsule.

Je terminerai ce que j'ai à dire de la capsule en parlant des modifications qu'elle présente suivant les âges. On a cherché à savoir à quelle époque de la vie elle commence à revenir sur elle-même et à se resserrer ; à quelle époque la tête fémorale peut repasser dans le cotyle normal; quand ce passage ne peut plus s'effectuer. M. Malgaigne a indiqué la vingtième année comme l'époque à laquelle la translation de la tête d'un cotyle dans l'autre n'est plus possible. Cette indication n'est pas parfaitement exacte. Il y a des exemples d'enfants âgés de moins de 12 ans chez lesquels la tête fémorale était déjà invariablement fixée dans ses nouveaux rapports. Les observations faites dans le jeune âge ne sont pas assez nombreuses pour trancher aujourd'hui cette question. Tout ce que l'on peut dire à cet égard, c'est que ce n'est probablement qu'à une époque plus ou moins rapprochée de la naissance que les dimensions de la capsule permettent le libre retour de la tête vis-à-vis de l'ancien cotyle ; que toutefois il existe sous ce rapport de nombreuses variétés individuelles.

J'ai pu, sur la pièce que je vous présente, et qui provient d'un

(1) Malgré les quelques mots d'Hippocrate et d'autres écrivains sur la luxation de la hanche de naissance, on attribue ici aux modernes la découverte des luxations fémorales congénitales; le lecteur comprendra aisément pourquoi.

sujet adulte, amener la tête du fémur sur la cavité cotyloïde, et M. Sédillot a rapporté un cas semblable; mais il faut remarquer que ce résultat n'était obtenu qu'au moyen d'une attitude forcée et violente, nécessaire pour relâcher les trousseaux fibreux de la capsule.

II. Ligament rond. — Le ligament rond existe généralement dans les luxations congeniales par allongement. Il est aminci, rarement épaissi, quelquefois divisé, ordinairement allongé et comme rubané; il contribue à maintenir ouverte la portion libre de la capsule ; il est quelquefois détruit en totalité ou en partie, principalement lorsqu'un contact articulaire s'est établi entre les os.

III. Os, muscles, etc. —Le cotyle normal, devenu vide, se rétrécit suivant la même loi physiologique qui fait que les alvéoles, l'orbite, s'oblitèrent après la chute des dents et l'ablation de l'œil, et en général les cavités naturelles, lorsqu'elles sont privées de leur modificateur habituel. Sa forme se modifie, change; de rond, il devient triangulaire. Ses angles et ses bords sont toujours disposés de telle sorte que les premiers répondent à l'une des trois pièces de l'os coxal, tandis que deux de ces mêmes pièces concourent à former chacun des trois bords. La partie supérieure du cotyle reste la plus profonde ; l'oblitération se prononce surtout en bas.

La réduction de capacité du cotyle peut commencer de très-bonne heure ; dans certains cas, l'effacement est très-marqué à l'époque de la naissance. Vrolick a vu cette cavité considérablement rétrécie chez un sujet âgé de 8 ans; elle ne pouvait plus recevoir la tête du fémur, et présentait déjà la forme triangulaire. Il est au contraire des cas où l'étendue de la cavité reste plus longtemps en rapport avec le volume de la tête du fémur.

Des changements considérables s'opèrent dans la forme de la tête et du col : la tête diminue souvent de volume, s'allonge, s'aplatit; le col peut se raccourcir, s'abaisser de manière à former un angle plus rapproché de l'angle droit avec le corps de l'os. On a observé, dans des cas fort rares, une destruction complète de la tête et du col; en voici un exemple qui m'a été remis par un de nos externes, M. Fauvel. Ces cas sont des exceptions qut s'expliquent par des maladies survenues dans ces pseudarlhroses, ou bien par des vices de conformation considérables, comme ceux

bouvier. 8

qu'on observe chez les monstres. Ce n'est pas cette classe de luxations que nous rencontrons habituellement dans la pratique.

Le bassin des sujets atteints de luxation congéniale du fémur présente des caractères qui le différencient de l'état normal ; il est irrégulier, asymétrique, même lorsqu'il existe une double luxation. On remarque en général une diminution du diamètre transverse du détroit supérieur et un élargissement du même diamètre du détroit inférieur, dû à l'écartement des ischions. On remarque aussi une diminution de hauteur de la ceinture osseuse ; elle esi comme écrasée. Les iliums sont, au contraire, relevés.

Cette pièce est un bel exemple de la disposition que je signale ; elle montre l'influence des pressions mécaniques sur la forme des os. Les muscles ne jouent qu'un rôle secondaire dans la production de ces changements.

Dans la luxation simple, l'irrégularité est plus grande; un arrêt de développement se remarque dans l'os iliaque d'un côté ; la tubérosité sciatique du même côté est déjetée en dehors. Le détroit supérieur offre une déformation que M. Lenoir a rapprochée avec raison de la disposition des bassins obliques ovalaires de Naegele.

Même dans le cas où il n'y a point contact immédiat entre les os , la tête du fémur, en comprimant l'os iliaque, y détermine à la longue une dépression plus ou moins marquée. Cette dépression coïncide quelquefois avec une saillie arrondie, proéminant dans la fosse iliaque interne, et rappelant, suivant la juste comparaison de M. Malgaigne, le refoulement produit par le marteau dans certaines pièces métalliques.

Enfin, il se fait presque toujours des changements dans la nutrition du membre ou même de toute une moitié du corps; un arrêt de développement apparaît dans les os, dont la longueur est plus ou moins réduite. Les muscles, souvent atrophiés, deviennent en partie graisseux avec l'âge. Ceux qui sont en rapport immédiat avec la nouvelle articulation semblent parfois avoir subi la transformation fibreuse.

g IL — Diagnostic.

(1) Dupuytren a le premier tracé avec détail le tableau des signes de la luxation congénitale du fémur sur le sujet vivant. On ne peut lui reprocher que deux erreurs que je signalerai bientôt.

I. Raccourcissement du membre. — Le fait qui frappe tout d'abord lorsqu'on examine le malade debout ou couché, c'est un raccourcissement du membre, constant dans la luxation iliaque, mais variable quant à son étendue, depuis qnelques millimètres jusqu'à plusieurs pouces, mesuré d'ailleurs par la distance verticale qui sépare le centre du cotyle du point que la tête fémorale occupe dans sa position vicieuse. Ce raccourcissement se trouve naturellement en rapport avec le déplacement de la tête ; plus elle est remontée, plus aussi le membre inférieur présente de brièveté. Il se peut cependant qu'un déplacement considérable ne s'accompagne pas d'une diminution notable de longueur du membre abdominal luxé ; c'est lorsque la tête, déviée en arrière et un peu en bas, près de l'échancrure sciatique, se trouve encore sensiblement placée sur une ligne horizontale passant par le centre de la cavité cotyloïde. L'âge apporte aussi des modifications dans l'étendue du raccourcissement ; il augmente en général d'une manière absolue, à mesure que le sujet se développe ; cela tient à ce que, dans l'enfance, la nouvelle articulation, réduite à de faibles dimensions, est pour ainsi dire en miniature ; quelques millimètres seulement séparent le centre de la cavité cotyloïde du siège de la pseudarthrose. Plus tard, sans que cette tête se soit élevée davantage et par le seul fait de l'accroissement proportionnel des os, leur écartement augmente, et le raccourcissement absolu devient plus sensible.

On peut constater de plusieurs manières la diminution de longueur des membres abdominaux chez les sujets dont une des hanches se trouve luxée ; d'abord par la vue simple. L'œil est en général un bon appréciateur; il saisit souvent des différences peu sensibles à la mensuration. Pour constater l'existence d'un raccourcissement à la vue simple, on prend des points similaires sur le bassin et les membres abdominaux, et l'on compare la distance

(1) Douzième leçon, 3 août 1855.

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qui les sépare. Si le sujet est couché, par exemple, on dispose le bassin de manière que les épines iliaques soient sur une même ligne transversale, perpendiculaire à l'axe du corps. Dans cette attitude, si la luxation est unilatérale, les parties semblables des deux membres, malléoles, rotules, etc., sont situées à une hauteur inégale, et la ligne qui les unit est oblique par rapport à la ligne des épines iliaques. Si, au contraire, le sujet étant debout, ces différentes parties sont placées horizontalement, que d'ailleur s la longueur propre des os des membres soit la même, on détermine une obliquité prononcée du bassin, et les épines iliaques apparaissent sur deux étages différents. Voilà un premier moyen, qui convient surtout si la différence de longueur des deux membres est considérable. Lorsqu'elle est faible, au contraire, on a recours à la mensuration. Ce mode d'appréciation est d'un emploi souvent difficile, et les renseignements qu'il nous donne manquent quelquefois de précision, surtout chez l'enfant, qui offre de l'embonpoint et dont les formes sont arrondies. On détermine, quand on y a recours, un point fixe du bassin et un autre point bien apparent des membres inférieurs, l'une ou l'autre des malléoles, pat-exemple; l'épine iliaque antéro-supérieure est le point du bassin auquel on donne la préférence, parce qu'elle est facilement sentie à travers les parties molles.

Les deux membres doivent être bien perpendiculaires à l'axe transversal du bassin ; il faut encore qu'ils soient étendus au même degré; une flexion légère d'un côté introduit des différences dans les résultats. Une lésion articulaire détermine-t-elle une attitude fixe de l'un des membres? il faut donner à l'autre membre une altitude semblable, si l'on veut que les données de la mensuration soient comparables.

L'instrument dont on se sert pour cet objet est le plus ordinairement un ruban-mètre. On parvient au même but avec un compas dont les pointes sont enveloppées d'une petite boule de cire. Cet instrument a l'avantage d'indiquer les distances en ligne droite, au lieu des lignes courbes que décrit le ruban en s'adaptant à la forme des parties molles intermédiaires aux points dont il s'agit d'apprécier l'écartement. On a imaginé des instruments plus compliqués pour mesurer le raccourcissement des membres luxés. M. Ferdinand Martin, présent à notre réunion, en a construit plusieurs; il a

consenti à nous seconder de ses lumières dans l'intérêt de votre instruction, et veut bien faire devant vous l'application de son dernier appareil, qui, comme vous le voyez, peut rendre service dans des cas douteux par la précision qu'il procure.

Je ne ferai à cet égard qu'une seule réflexion : c'est que les causes d'erreur dépendent moins de l'instrument que de la manière dont on l'emploie. L'essentiel est de donner une bonne position au bassin et aux membres abdominaux, et d'appliquer l'instrument de chaque côté sur des points parfaitement correspondants. Chez l'enfant, qui offre une couche épaisse de tissu adipeux sous-cutané et des éminences osseuses arrondies, cette précision est souvent difficile à obtenir.

Une autre cause d'erreur dépend des arrêts de développement par suite desquels un des deux fémurs s'accroît moins que l'autre ; il faut donc mesurer la longueur des os de chaque membre, et si l'on trouve égalité entre eux, le raccourcissement doit être attribué à la pseudarthrose.

Dans les luxations iliaques doubles, on manque des renseignements tirés de la comparaison des deux membres; le diagnostic est alors plus embarrassant. Cependant, à la vue seule, on peut encore découvrir la lésion ; on est frappé de la brièveté des cuisses ; si l'on compare leur longueur à celle des jambes, on a un rapport différent de celui qui s'observe naturellement. Il existe, en effet, entre ces deux sections du membre inférieur, dans l'état sain, une différence de 1 centimètre à l'avantage de la cuisse. Si celle-ci se montre plus courte, une cause pathologique a dû intervenir, à moins que la brièveté ne soit due à un arrêt de développement. Quelquefois la différence est énorme ; chez un de nos enfants, ta longueur des jambes mesure 35 centimètres, celle des cuisses 25 centimètres seulement; la réduction est d'un peu plus du quart.

II. Caractères tirés de la disposition des fémurs. — Après le raccourcissement, nous avons à nous occuper de la disposition des fémurs. Cet os se trouve caché dans la plus grande partie de son étendue; mais certains points sont accessibles au toucher: tel est le grand trochanter ; c'est lui qui nous fournira les signes nécessaires pour apprécier exactement le déplacement de l'os. Le

trochanter est élevé ; il est écarté de l'axe du bassin ; il est enfin reculé en arrière.

1° L'élévation du grand trochanter le rapproche de la crête de l'os des îles; elle peut être portée au point que la saillie trochanté-rienne se trouve au niveau ou même au-dessus de l'épine iliaque antéro-supérieure. L'ascension du fémur, si elle est prononcée, se reconnaît facilement. Il suffit de déterminer la situation relative des épines iliaques et des trochanters en plaçant les doigts indicateurs sur les premières, et les deux pouces sur les seconds. La distance qui sépare les deux doigts de chaque main est très-différente d'un côté à l'autre dans les luxations unilatérales. Vous en avez la preuve par ce qui a lieu chez ce malade. L'élévation trochantérienne est en rapport constant avec le raccourcissement du membre et dépend des mêmes conditions anatomiques, à supposer, bien entendu, que les fémurs présentent la même conformation à droite et à gauche.

2° L'écartement du grand trochanter résulte de ce que cette éminence osseuse se trouve séparée de la ligne médiane du corps, chez les sujets atteints de luxation congéniale, par une distance plus grande que dans l'état normal. Cet écartement est le plus ordinairement proportionnel à l'étendue du déplacement. Quelquefois il n'en est point ainsi ; l'existence d'une cavité dans laquelle s'enfonce la tête, le raccourcissement de cette tête et du col créent des exceptions à cette règle générale. On reconnaît à la vue l'écartement latéral du grand trochanter; en considérant la cuisse de face, on voit que son côté externe, le galbe de la hanche, comme disent les peintres, offre une convexité plus marquée ; nous en avons un exemple dans ce buste, qui présente une différence très-manifeste d'un côté à l'autre.

La saillie que forme le grand trochanter du côté luxé est quelquefois peu marquée, ou même moindre que celle du côté sain, à cause des modifications que les os ont éprouvées dans leur forme. Deux autres causes d'erreur ont leur source dans la position an-téro-postérieure de l'os dépendant de la rotation du membre, et dans la direction des fémurs , lorsqu'elle n'est pas perpendiculaire à l'axe transversal du bassin. La mensuration ne peut pas toujours faire apprécier complètement ce genre de déplacement.

3° La troisième espèce de déplacement du trochanter consiste

en ce qu'il s'est porté sur un plan postérieur à l'ancien cotyle. La projection en arrière de l'éminence osseuse est, en outre, en rapport avec la rotation du membre en dehors. Si, sur cet enfant, j'applique les pouces sur les épines iliaques, les doigts indicateurs sur les trochanters, vous voyez que l'un de ces derniers doigts est placé fort en arrière par rapport à l'autre. La distance qui sépare le grand trochanter de la ligne médiane du coccyx est moins considérable du côté luxé.

Un autre caractère de la luxation se tire de la position de la tête du fémur. Dans l'état physiologique, elle est profondément située et échappe à l'investigation. Lorsqu'il existe une luxation, elle devient accessible aux sens de la vue et du toucher, forme souvent une saillie arrondie et facilement reconnaissable en dehors de l'épine iliaque antéro-supérieure. Dans la forme la plus ordinaire des luxations, son siège est rapproché de l'ancien cotyle.

Dans le plus grand nombre des cas, toutefois, la tête fémorale ne peut être sentie lorsque le membre est étendu ; mais au moyen de certaines attitudes, telles que la rotation du membre en dedans, combinée avec la flexion, on la rend superficielle et visible. Le résultat est plus manifeste dans le cas de syndesmose que dans la pseudo-diarthrose, parce que dans la première, la tête, n'étant pas reçue dans une cavité, peut se promener librement sur l'os iliaque et décrire un arc de cercle plus ou moins étendu.

Dans le mouvement de flexion, la tête du fémur descend au-dessous des muscles qui la recouvrent et soulève les parties molles à travers lesquelles on la reconnaît facilement par le toucher ; elle devient également apparente dans une rotation en dedans, qui l'écarté de l'os iliaque ou la fait sortir en partie de la cavité où elle peut être renfermée. Ce caractère, ai-je dit, n'existe pas toujours; il peut être difficile à constater chez les femmes pourvues de beaucoup d'embonpoint, et manquer complètement lorsqu'il s'est formé une cavité profonde. Dans ce dernier cas, on parvient quelquefois à sentir la tête en avant, près de l'épine iliaque, lorsqu'on imprime au membre placé dans l'extension des mouvements alternatifs de rotation en dedans et en dehors. En général, avec de l'attention et un peu d'habitude, il est rare qu'on ne finisse pas par trouver la tête du fémur, surtout dans la luxation simple, où l'on peut saisir les moindres différences de conformation d'un côté à l'autre. Ce

signe peut être plus obscur si la luxation est double. Si la saillie de la tête en arrière, dans la flexion de la cuisse, est alors peu prononcée, on est exposé à la confondre avec la saillie qu'une articulation normale peut présenter dans la même attitude. Remarquons toutefois que celle-ci est plus basse que celle qui appartient à la luxation.

La totalité du fémur a changé de direction ; le membre luxé se rapproche du membre opposé dans la station verticale ; il en résulte une obliquité très-prononcée des cuisses dans les luxations doubles ; elles se portent à la rencontre l'une de l'autre; les genoux se touchent ou même se croisent. A cette obliquité vient s'ajouter un certain degré de rotation. Ici paraît la première erreur de Du-puytren. Suivant ce chirurgien, la rotation aurait lieu en dedans, tandis qu'au contraire elle s'effectue plus généralement en dehors; la rotation en dedans ne se rencontre qu'exceptionnellement dans le cas d'attitude vicieuse. Souvent une légère flexion permanente de la cuisse accompagne la rotation du membre en dehors.

III. Conformation du membre. — Dans la luxation simple, le membre affecté diffère dans sa totalité de celui du côté opposé : le refoulement des parties molles donne un volume plus considérable à sa partie supérieure ; inférieurement il est plus grêle. Ce membre présente dans l'aine une dépression située à la hauteur des vaisseaux cruraux; cette dépression est plus ou moins prononcée, quelquefois peu apparente.

On a dit qu'en appliquant le pouce dans le creux inguinal et en imprimant des mouvements de rotation au membre luxé, on ne sent plus la tête rouler sous les doigts. Mais on ne la sent guère davantage clans l'état sain; le déplacement des muscles qui recouvrent l'articulation a pu faire croire à cette sensation. Même en répétant l'expérience sur le cadavre, on n'obtient la sensation de roulement qu'après avoir dénudé la capsule; la raison en est due à ce que la tête fémorale, même clans les mouvements de rotation les plus étendus, déborde fort peu la cavité qui la contient.

Quelques différences se remarquent dans la conformation de^ deux fesses; celle du côté luxé est élargie transversalement et apla tie. Le pli de la fesse est plus élevé et quelquefois déformé.

Le reste du membre présente des particularités que je dois si

gnaler. On y remarque un arrêt de développement dont les effets se prononcent à mesure que le sujet avance en âge ; la circonférence et la longueur du membre restent moins considérables de ce côté. Tous les tissus profonds participent à cette infériorité. Mor-gagni a connu ce fait ; il a signalé le moindre développement des vaisseaux cruraux dans les membres anciennement luxés.

IV. Disposition du bassin. — Le bassin présente des déformations quelquefois reconnaissables pendant la vie : les crêtes iliaques sont rapprochées, les tubérosités sciatiques offrent plus d'écarte-ment; avec le pelvimètre, on peut se faire une idée des différents diamètres. Toutes ces circonstances sont importantes à connaître au point de vue des accouchements. Vous serez consultés par des parents qui vous demanderont si leur fdle peut, sans courir danger de mort, se marier et devenir mère. Ne répondez qu'après un examen attentif. L'accouchement s'est effectué, en général, avec facilité chez les femmes atteintes de double luxation. Dans la pseu-darthrose unique, l'irrégularité est plus forte ; l'enfantement est-il plus laborieux dans ce cas? On l'a dit ; mais on n'a cité qu'un seul fait, celui de M. Pacoud, dans lequel l'accouchement se fit heureusement, mais avec l'intervention de l'art. Il existe d'ailleurs de nombreux exemples de pseudarlhroses congénitales unilatérales qui n'ont pas mis obstacle à la parturition. On comprend toutefois qu'en raison des prévisions fondées sur la dissection des parties, on devra, dans cette seconde forme, s'expliquer avec plus de réserve que dans la première.

Le bassin, pris dans sa totalité, présente des caractères qui sont relatifs à sa position sur les fémurs et qui dépendent des attitudes de la ceinture osseuse et des mouvements du membre inférieur. Pour bien apprécier les attitudes, vous devrez examiner successivement les sujets debout et couchés; dans la station verticale, le bassin se renverse en avant ; on ne voit à cette règle que de rares exceptions. Les épines iliaques sont rapprochées du plan antérieur des cuisses. Celte circonstance a fait dire à Dupuylren, — en cela consiste sa deuxième erreur, — qu'il y a glissement, ascension de la tête sur l'os iliaque; il n'en est rien cependant; la capsule supporte tout l'effort et maintient des rapports constants entre les os.

Le bassin, verticalement dirigé, forme une croupe saillante,

surmontée d'une concavité ordinairement très-forte de l'épine, qui constitue l'ensellure de la région lombaire. Cette conformation est due à l'action des muscles sacro-spinaux, qui se contractent pour combattre la tendance du tronc à tomber en avant, et pour ramener le centre de gravité du corps au - dessus de la base de sustentation.

Dans les luxations simples, le bassin s'incline surtout latéralement; l'inclinaison en avant est moins prononcée. L'inclinaison latérale aurait pour effet de rendre oblique l'axe vertical du corps, si la colonne ne se redressait à l'aide d'un mouvement dont le centre est dans les articulations lombaires et sacro-vertébrale ; la portion lombaire de l'épine forme alors avec le bassin un angle aigu d'un côté, obtus de l'autre côté. La région lombaire, et même dans certains cas presque tout le rachis, décrit une courbe dont la convexité répond au membre luxé. Le malade peut atténuer les effets de l'inclinaison du bassin, soit par le soulèvement du talon et l'allongement du membre luxé, soit en fléchissant le genou du côté sain. Cet artifice peut non-seulement rendre au bassin sa direction normale, mais encore déterminer une inclinaison en sens inverse.

V. État des mouvements. — Tels sont les signes de la pseu-darthrose fémorale à l'état de repos; ce sont les signes anatomi-ques ; nous avons aussi des symptômes physiologiques, déduits de l'état des mouvements. Parmi ceux-ci, les uns sont moins étendus que dans l'état normal, les autres le sont autant. La flexion de la cuisse offre clans les deux cas la même amplitude ; Pravaz a même écrit que cette amplitude est plus grande. L'adduction, chez les sujets atteints de pseudarthrose, est fort étendue ; elle l'est autant et même plus que dans l'état sain. Les mouvements opposés, par contre, sont fort bornés. L'abduction est faible ; elle manque complètement quand l'articulation est serrée. La rotation en dehors est la plus facile, contrairement à l'opinion de Dupuytren.

On se figure trop généralement que les sujets affectés de luxation congéniale présentent une grande incapacité de mouvements : c'est une erreur; les mouvements généraux de la locomotion sont en général faciles ; nous allons en avoir des exemples. Lorsque la pseudarthrose est simple, le bassin bascule dans le sens latéral et s'abaisse à chaque pas du côté sain ; les sujets rejettent le corps du

côté opposé ; la hanche de ce côté paraît s'élever. De là une claudication à double mouvement, qu'on observe encore lorsque la luxation est double, surtout quand il existe dans la position de la tête fémorale quelque différence d'un côté à l'autre. C'est principalement dans la luxation congéniale que l'on observe ce mode de déambulation ; il en est caractéristique.

1er cas. — Celte petite fille est affectée d'une double luxation coxo-fémorale ; elle offre un cas remarquable en ce qu'elle est une exception très-rare à la règle de l'ensellure ; elle a un autre mode de station. Vous voyez sa région dorsale ; elle est à peine excavée ; le bassin proémine fort peu.

2e cas. — Ce cas est intéressant pour vous ; il est souvent méconnu, même de la part de médecins habiles. Mes deux pouces étant placés sur les crêtes iliaques, la ligne qui les unit est transversale à l'axe du corps. Vous voyez au contraire que la ligne qui va d'un trochauter à l'autre est fort oblique ; tout le monde est frappé de cette différence ; il doit en résulter pour le membre luxé un raccourcissement que vous constatez en voyant l'inégalité de hauteur des deux rotules. Nous pouvons étudier sur ce sujet les autres caractères de la luxation : le galbe est plus arrondi à droite qu'à gauche ; le grand trochanter droit est plus reculé, plus éloigné d'une ligne verticale abaissée de l'épine antéro-supérieure que le trochanter gauche. La tête du fémur ne soulève plus les parties molles de l'aine; mais, en fléchissant la cuisse, je la retrouve sur la face externe de l'os des îles. Les autres signes sont rationnels; celui-ci est pathognomonique ; beaucoup de médecins méconnaissent ces luxations, faute d'opérer ce mouvement. Voici encore un autre caractère : le pli fessier du côté droit est plus élevé.

3e cas. — Chez cette enfant de quinze ans et demi, les caractères de la luxation sont prononcés. Vous apercevez la dépression inguinale, l'écartement des trochanters; l'abduction est très - limitée ; la concavité lombaire ou l'ensellure est bien marquée ; les corps des fémurs présentent une direction oblique. Vous êtes témoins du genre de claudication que j'ai indiqué. Les têtes fémorales sont senties par la main, sans qu'il soit besoin de recourir à une manœuvre spéciale, et elles se trouvent assez loin des épines iliaques; dans la position penchée, elles deviendraient plus apparentes. On

peut aussi remarquer le déplacement qu'elles éprouvent dans les différents mouvements ; elles décrivent un arc de cercle étendu sur les iliums. Nous avons certainement affaire, chez cette fille, à une pseudo-syndesmose. Si la tête se trouvait renfermée dans une cavité, elle ne pourrait éprouver une oscillation pareille.

4e cas. — Ce nouveau cas est des plus remarquables sous le rapport du diagnostic. Il faut que vous sachiez que certains sujets boitent fort peu. J'ai été consulté dernièrement pour un enfant qui avait été examiné quelque temps auparavant par un de vos professeurs , homme très-habile, qui a méconnu la luxation, pourtant bien caractérisée. La claudication n'avait pas échappé à la mère de cet enfant. Dans ces cas, le raccourcissement est léger. Chez l'enfant que je vous présente, l'épine iliaque gauche n'est que légèrement abaissée; avec un peu d'art, celte fille ne boiterait pas.

5e cas. — Voici un cas exceptionnel que je n'ai rencontré que deux ou trois fois dans ma pratique. Il est impossible de sentir les têtes des fémurs, et cependant nous avons des signes de luxation évidente. Cette enfant est courte des cuisses, dont la longueur est réduite d'un cinquième ou d'un quart. Le sommet des trochanters s'est élevé au niveau de l'épine iliaque supérieure. Nous voyons les aines déprimées, les trochanters saillants, l'abduction très-bornée. La tête doit se trouver au-dessous de l'épine iliaque.

6e cas. — Le dernier cas exceptionnel est celui-ci : c'est une luxation double des plus considérables, avec attitude vicieuse, gêne extrême des mouvements ; il n'y a presque pas de mobilité du côté gauche. On sent les têtes fémorales dans l'extension ; l'ensellure lombaire est bien caractérisée.

(1) J'ai fait passer sous vos yeux, dans la précédente séance, douze sujets affectés de luxation, parmi lesquels se trouvaient dix filles et deux garçons; c'est qu'en effet la pseudarthrose coxo-fé;no-rale congéniale se montre beaucoup plus fréquemment dans le sexe féminin. Dupuytren avait signalé ce fait; Morgagni, avant lui, avait remarqué une plus forte proportion de femmes que d'hommes parmi les sujets boiteux dont il avait examiné les articulations des hanches.

(1) Treizième leçon, 10 août 1855.

Diagnostic différentiel des luxations coxo-fémorales.— On peut confondre avec ces lésions différentes dispositions ana-tomo-pathologiques du fémur, dont on a fait une classe à part sous le litre de pseudo-luxations. Cette dénomination est vicieuse en ce qu'elle repose sur des caractères purement négatifs; on doit fonder la nomenclature des choses sur ce qu'elles sont, non sur ce qu'elles ne sont pas.

La pseudarthrose iliaque traumatique ancienne, pathologique ou coxalgique, congéniale, peut être confondue avec d'autres lésions qui produisent un raccourcissement du membre, et dont la cause réside aux environs de la jointure. J'ai déjà parlé de la luxation centrale, constituée par le passage de la tête à travers le fond de la cavité cotyloïde. La tête fémorale elle-même peut être détruite, et le col de l'os entrer en contact avec le cotyle. Ce col a quelquefois une brièveté insolite ; le grand trochanter et la tête du fémur sont alors moins distants l'un de l'autre que dans les os normalement conformés. Parfois encore on observe une incurvation du col, qui se trouve réduit dans sa longueur ou présente des dimensions normales; s'il est abaissé de manière à former un angle droit avec l'axe du corps de l'os, il s'ensuit un raccourcissement dans le membre correspondant. La fracture ancienne, consolidée avec raccourcissement de l'os, est aussi une cause de brièveté du membre. Voilà donc quatre cas déterminés par une lésion ayant son siège au voisinage de la cavité cotyloïde, et dont le résultat est une réduction dans la longueur du membre.

Un caractère des vraies luxations manque pourtant dans chacun de ces cas : c'est l'écartement du grand trochanter de l'axe médian du corps. Disons toutefois qu'on pourrait le rencontrer lorsque le col fémoral, ayant d'ailleurs sa longueur normale, est fortement abaissé et horizontal; cette direction suffit pour écarter le trochanter de l'os des îles. Chez un enfant très-jeune, à une époque rapprochée de la naissance, on peut facilement confondre cette conformation avec une pseudarthrose iliaque.

Dans certains cas, la tête du fémur est plus basse que le grand trochanter; vous comprenez qu'alors cette dernière éminence puisse s'élever au niveau des épines iliaques antéro-supérieures, comme dans la pseudarthrose. Ce qui distingue ces cas, ce sont les faits relatifs à la tête fémorale : la dépression inguinale fait dé

faut; on ne sent pas le relief et le déplacement de la tête sur l'ilium, etc. Vous voyez donc l'importance de cet examen de la tête du fémur. La saillie formée par cette tête vient-elle à manquer, le caractère tiré de l'existence d'une dépression dans l'aine reste seul. Les particularités relatives à la rotation et à l'abduction du membre n'ont ici qu'une utilité secondaire : elles peuvent exister au même degré dans d'autres lésions.

Je ne m'arrête pas à quelques causes de raccourcissement des membres inférieurs, telles qu'une fracture du corps du fémur, qu'on peut facilement reconnaître avec de l'attention ; mais il en est d'autres dont la distinction est moins facile, et sur lesquelles je dois insister. Le rachitisme produit quelquefois une apparence semblable à celle des luxations congeniales : ensellure de la région lombaire, incurvation du fémur, inclinaison et abaissement du col, écartement et saillie du trochanter, et si l'altération existe d'un seul côté, le membre correspondant peut offrir moins de longueur que l'autre. Examinez alors avec soin l'articulation, l'état général du sujet. La déformation du fémur est ordinairement facile à reconnaître ; cependant je puis vous citer à ce sujet une erreur d'un de nos maîtres, du Dupuytren de Montpellier, de Delpech (1). Ce savant professeur décrit chez un jeune sujet tous les signes d'une luxation de la hanche, ensellure lombaire, proéminence postérieure du bassin, élévation et écartement des trochanters, etc., et pourtant il attribue la déformation à un rachitisme du bassin. C'était évidemment une pseudarthrose. Ce fait montre les difficultés de ce diagnostic dans certains cas,

La luxation est simulée parfois encore par une simple attitude vicieuse provenant de deux causes : d'une coxalgie qui a laissé à sa suite une ankylose incomplète du fémur, ou bien de contractures des muscles qui entourent l'articulation. Dans le premier cas, nous trouvons une attitude particulière; c'est souvent une flexion et une adduction de la cuisse que le malade ne peut changer, et qui s'accompagnent de claudication; avec de l'attention, cette cause d'erreur ne vous échappera pas. Si la pseudarthrose est double , le diagnostic n'offrira plus en général de difficulté ; il pourra cependant y avoir une ensellure lombaire causée par la flexion des cuisses, si la coxalgie a été double.

(1) De l'orthomorphie par rapport à l'espèce humaine. Paris, 1829.

La contracture produit aussi une attitude vicieuse analogue à celle des luxations. En voici un exemple : voyez cette rotation en dedans des membres inférieurs, ce rapprochement considérable des genoux; la pseudarthrose pourrait faire naître cette attitude, causée par une simple contracture des adducteurs et des fléchisseurs. Ici, l'ensellurc lombaire n'existe pas, non plus que l'inclinaison du bassin en avant; la causeen est dans la flexion considérable des genoux dans la station et dans la marche. Si l'enfant maintenait droits ses membres abdominaux, vous verriez se produire immédiatement et le renversement du bassin et l'excavation lombaire.

Je signale un dernier cas dans le diagnostic différentiel. La paralysie peut produire des phénomènes analogues en apparence à certains caractères des luxations congeniales, et qu'on peut ranger en deux catégories. Ce dessin, qui se rattache aux faits de la première catégorie, représente une fdle à laquelle j'ai donné autrefois des soins à l'Hôlel-Dieu. Il existait une paralysie étendue des muscles , tant de la partie antérieure que de la partie postérieure du tronc. La malade offrait cette énorme ensellure, cette saillie considérable du ventre; la station, la marche, n'étaient possibles qu'à cette condition.

Les faits de ce genre ont été étudiés depuis par M. Duchenne (de Boulogne) (1); il a reconnu que l'attitude du malade dépendait d'un affaiblissement des extenseurs du tronc ; il résulte de cette paralysie incomplète que le malade, menacé de tomber en avant dans la station droite, renverse fortement le tronc en arrière pour assurer son équilibre. On voit dans ce cas, au lieu de la concavité générale de la région lombaire qui caractérise la luxation fémorale, une sorte de flexion brusque, en arrière, de la région inférieure du rachis.

La seconde catégorie de paralysies pouvant simuler la luxation comprend celles dans lesquelles Vacinésie occupe tout un membre, mais est tellement incomplète qu'on la reconnaît à peine. Elle peut donner lieu à un raccourcissement atrophique du membre , à la claudication, et l'on pourrait croire à une luxation ; examinez alors l'articulation avec soin : elle ne présente pas les caractères d'un déplacement de la hanche.

(1) De l' électrisation localisée.

Il reste encore à examiner d'autres points relatifs au diagnostic. Il faut déterminer si la luxation est traumatique ancienne, si elle est coxalgique, congénitale ; je ne m'arrête qu'à un point : distinguer la luxation congeniale des luxations traumatique ou pathologique anciennes.

L'hérédité, lorsqu'on obtient des renseignements positifs à cet égard, est une circonstance qui peut faire pressentir que la luxation est congeniale. Un de nos enfants, atteint de luxation du membre abdominal droit, est né d'une mère affectée d'une double pseudarthrose coxo-fémorale. Un négociant du quai Voltaire m'a consulté dernièrement pour sa fille, encore enfant, chez laquelle j'ai constaté une luxation simple de la hanche ; une grandmante de l'enfant portait une lésion semblable. La luxation est sans doute congeniale dans ces deux cas.

La duplicité des luxations est une autre circonstance qui met sulla voie du diagnostic : elle doit faire supposer que la maladie date de la naissance , les luxations doubles accidentelles étant beaucoup plus rares que les congénitales.

Les caractères locaux fournissent des éléments de diagnostic d'une certaine valeur. Ce n'est que dans la luxation congeniale que vous observez une grande liberté des mouvements du membre, de grands arcs de cercle décrits sur l'ilium par la tête fémorale.

A ces signes physiques s'ajoute le commémoratif fourni par les parents. La pseudarthrose est-elle congénitale, la claudication s'est manifestée dès que l'enfant a marché ; il n'a existé à aucune époque d'état douloureux du membre, suivi de raccourcissement et de claudication ; il n'y a point eu de chute ayant déterminé une impotence du membre telle que celle qui succède à une luxation traumatique. Dupuytren a mis en relief, avec raison, la valeur de ces signes négatifs. M. Malgaigne exigerait en outre, pour qu'ils ne fussent point équivoques, que la mère ou la nourrice eussent remarqué, dès les premiers temps de la naissance, quelques différences dans la conformation, l'attitude, les mouvements de la cuisse. Cette condition ne me paraît point indispensable, et il est en effet bien plus facile de comprendre que ces caractères, si peu saillants à cet âge, échappent aux familles, que de supposer qu'elles ne se soient point aperçues des douleurs et de l'impotence inséparables d'un état pathologique ou traumatique du membre.

Morgagni a fait la dissection d'un lainier, porteur d'une luxation effectuée dans le bas âge, et il a pu aisément recueillir le récit de l'affection qui l'avait produite. C'est ce qui arrivera toutes les fois qu'on pourra s'adresser aux personnes qui ont élevé l'enfant.

Les antécédents constituent donc un élément important de diagnostic ; il est même des cas où cet élément est le seul que l'on possède. Ainsi, dans les diarlhroses, même pièce en main, on reste presque constamment dans le doute relativement à l'origine de la luxation, si le commémoratif n'établit pas l'état antérieur du sujet. Cette pièce est un exemple de l'obscurité qui enveloppe le diagnostic différentiel des deux ordres de lésions, si l'on ne possède d'autres caractères que ceux qui sont tirés de l'état anatomique; elle provient du service de M. Chassaignac, et a été présentée à deux sociétés savantes, au sein desquelles on a émis des opinions diverses relativement à son origine. Les uns l'ont considérée comme une luxation traumatique ancienne ; d'autres l'ont rapportée à la luxation congéniale. Le plus grand nombre s'est rattaché à l'idée qu'elle est coxalgique, parce que la cavité cotyloïde a conservé des dimensions étendues. On ne voit là ni le rétrécissement du cotyle ni la forme triangulaire-de cette cavité, caractéristiques d'un déplacement antérieur à la naissance. Vous voyez du reste en quoi consiste le déplacement : la pseudarthrose est juxia-cotyloïdienne. On a recueilli les renseignements suivants : l'enfant, qui avait atteint sa seizième année, avait fait une chute à trois ans ; il ne boitait pas avant cette époque; mais, à dater de ce moment, il a marché en boitant. Quelques personnes ont pu croire que la luxation était traumatique; mais, après une lésion de cette nature, les fonctions sont plus fortement compromises qu'elles ne l'ont été dans ce cas ; la marche devient impossible. Il est plus probable que la chute a donné lieu à une coxalgie, à la suite de laquelle la tête du fémur est sortie de sa cavité. Une analogie frappante rapproche ce fait des cas de luxation coxalgique survenue dans l'enfance, cités par MM. Levieux et Verneuil.

Le diagnostic doit encore faire reconnaître, s'il est possible, l'état anatomique de l'articulation sur le vivant, comme, par exemple , la disposition articulaire de la luxation intra-cotyloïdienne qui succède souvent à l'arthrite sèche, et dont voici un cas em-bouvier. 9

prunté au magnifique ouvrage de Sandifort (1). La luxation intra-cotyloïdienne a des signes propres ; si vous avez affaire à une tête qui ne remplisse pas la cavité cotyloïcle, vous pourrez l'élever ou l'abaisser. Kerkring avait remarqué cette mobilité du fémur sur sa petite nièce; il trouva, après la mort de l'enfant, un cotyle de dimensions énormes. Ces faits sont rares; il faudra les distinguer des autres cas de luxations fémorales. Il faut également préciser la position de la tête du fémur relativement au cotyle, reconnaître si la luxation est juxta ou ultra-co'yloïdienne; on peut y parvenir par un examen attentif. On doit aussi essayer de déterminer quel est l'état de la tête et du col fémoral, s'il y a syndesmose ou diarthrose. Je vous présente une pièce sur laquelle on voit une luxation sus-cotyloïdienne. Pendant la vie, on ne pouvait distinguer la tête du fémur. Comment reconnaître que cette tête est détruite? On ne peut avoir que des présomptions à cet égard ; on ne sera jamais sûr du fait. On ne sentira pas la tête, dira-t-on : cela est vrai; mais elle échappe dans les pseudarthroses profondes avec production d'une cavité nouvelle. Le trochanter sera très-élevé ; mais il l'est dans d'autres cas.

On présumera pendant la vie qu'il y a abaissement du col, si la tête fémorale est située sur la même ligne que le trochanter. L'étendue des mouvements de la tête du fémur fournira le signe distinctif principal entre la syndesmose et la diarthrose coxo-fémorale ; libres et étendus dans la première, ils seront plus ou moins limités dans la seconde.

§ III. — Traitement des pseudarthroses coxo-fémorales.

Il est de deux sortes : curatif ou palliatif.

I. Traitement curatif. — La guérison de la pseudarthrose, c'est la réduction de la luxation, le rétablissement de l'articulation normale. Dans les luxations traumatiques anciennes, cette cure devient difficile au bout d'un petit nombre de jours. On rencontre, lors même que la lésion ne date que de dix jours , des obstacles dont le principal consiste dans la conformation de la capsule; on en trouve dans l'ouvrage de M. Malgaigne un exemple remarquable

(1) Muséum anatomicum. Lugduni Bat., 1793-1836, 4 vol. in-fol.

puisé dans la pratique de Lisfranc. La luxation ne datait que de onze jours. Les efforts infructueux pour la réduire développèrent une inflammation et une suppuration profondes, et le malade succomba. M. Malgaigne a trouvé à l'autopsie une luxation iliaque peu élevée, presque sciatique; la capsule présentait une ouverture en bas, vers l'ischion. La tête pouvait être ramenée au niveau de la cavité cotyloïde ; mais elle rencontrait la capsule tendue comme un rideau au-devant du cotyle, et formant un obstacle qualifié d'in-vincible par mon savant confrère. La réduction ne fut possible sur le cadavre qu'en imprimant à la cuisse un mouvement de flexion énorme. M. Malgaigne éprouva lui-même, dans un autre cas, un accident d'un genre différent produit par une cause semblable. La résistance des parties fut telle que le col du fémur fut brisé, malgré les avantages du procédé employé. Avec le temps ces obstacles deviennent plus grands; on cite cependant des cas de réduction obtenue à l'aide d'une extension lente chez des sujets affectés de luxation traumatique ancienne ; plus souvent on produit des accidents ou l'on éprouve un insuccès.

Dans les luxations coxalgiques, je distinguerai deux périodes sous le rapport de la réductibilité du déplacement (1). Dans la première, les phénomènes inflammatoires n'ont pas complètement disparu ; ménagez alors le malade, sans quoi vous vous exposez à déterminer des accidents; on peut tenter par des mouvements doux de ramener la tête dans sa cavité de réception ; on y a réussi, mais la luxation se reproduit fréquemment. Dans la deuxième période, alors que l'état inflammatoire est passé, il reste une luxation, et souvent la tête s'est déjà creusé une cavité nouvelle. On a très-souvent essayé de réduire le déplacement clans ces circonstances, et ces tentatives paraissent avoir été un peu plus fréquemment couronnées de succès que dans la première période ; on n'est pas toujours parvenu^ il est vrai, à maintenir la réduction. Il faut d'ailleurs

(1) Dans toutes les maladies chroniques des os ou des articulations, je distingue deux phases successives, la période douloureuse de l'affection et la période indolente. C'est ce qu'on a déjà vu dans l'histoire du mal vertébral, et c'est ce qu'on retrouve dans la coxalgie, dont il est ici question. La première période de la luxation coxalgique fait partie de la période douloureuse du coxarthrocace ; la deuxième constitue la période indolente des variétés de coxalgie qui sont suivies de luxation.

se méfier des diagnostics : ils peuvent être erronés. Humbert a présenté plusieurs faits de réduction de luxations coxalgiques, mais ils sont très-contestables sous ce rapport. Heine a publié quatre observations semblables; j'y trouve les détails les plus probants en faveur de la réduction. Il y a, du reste, des circonstances plus ou_ moins favorables au succès ; je ne m'y arrête pas, ayant hâte d'arriver aux luxations congénitales.

La question de la réduction est encore moins facile à trancher dans les luxations congénitales. Il y a un peu plus de cent cinquante ans, Verduc le fils imprima la phrase que voici : « Avant que de faire des extensions, examinez bien quelle est la nature de la luxation, car si c'est une personne boiteuse dès la naissance, vos extensions ne serviront de rien qu'à faire voir votre ignorance (1). » Cette assertion est-elle l'expression de la vérité, ou bien devons-nous réformer aujourd'hui le jugement de Verduc? C'est là une grave question, fort débattue depuis quelques années et non encore résolue pour le plus grand nombre des médecins. Il faut d'abord convenir que Verduc ne parlait pas en parfaite connaissance de cause : à l'exception du fait de Kerkring qu'il cite, et qui n'est pas un cas de pseudarthrose véritable, il ne connaissait aucun exemple de dissection des parties dans la luxation congénitale du fémur. On est plus avancé de nos jours; cependant nous avons vu que l'analo-mie pathologique des pseudarthroses laisse encore à désirer sous ce rapport. En effet, l'anatomie pathologique montre bien de grands obstacles à la réduction du déplacement, obstacles qui résident surtout dans la disposition de la capsule articulaire et de la cavité cotyloïde ; mais elle ne nous a pas encore appris jusqu'à quel point ces obstacles sont constants, soit par rapport à l'âge des sujets, soit par rapport aux variétés individuelles de ce vice de conformation.

On a vu qu'en général la capsule est étroitement appliquée contre les os ou sur elle-même, de manière à assurer la fixité de leurs nouveaux rapports. On a vu, d'une autre part, que, le plus souvent, le cotyle est déformé, effacé en partie, de manière à ne pouvoir plus loger la tête osseuse. Quelques auteurs ont avancé, il est vrai, que cette tète, étant réduite en proportion, pouvait ordinairement être reçue dans la cavité articulaire ; c'est une erreur qui repose sur des observations partielles. Nous avons vu en effet que, (1) Verduc, Les opérations de chirurgie avec une pathologie, 1739.

dans un petit nombre de cas seulement, et presque toujours chez des sujets très-jeunes, les dimensions de la tête et du cotyle sont restées en relation de volume. Il faut également admettre que, dans quelques cas très-rares de pseudarthrose, la capsule n'est pas resserrée au point d'empêcher le retour de la têle du fémur dans la cavité de l'ilium. Je ne range pas parmi ces faits celui de M. Sé-dillot ni celui qui m'est propre, et dans lesquels on ne replaçait le fémur sur le cotyle qu'en donnant au membre une position forcée, et même impossible pendant la vie.

Que conclure de tout cela ? C'est que, d'après les recherches anatomiques faites jusqu'ici, ce sera un grand hasard si l'on tombe sur un cas où la capsule ne constitue pas un obstacle considérable à la réduction, où l'oblitération partielle du cotyle ne soit pas un autre empêchement non moins grave à la reconstitution de l'articulation normale.

Voilà les renseignements qui nous sont fournis par l'anatomie pathologique. Voyons ce que nous apprend l'observation des sujets vivants. Je vais faire repasser sous vos yeux quelques-uns des enfants qui vous ont été présentés dans la précédente séance.

Dupuytren a dit, et en cela consiste sa deuxième erreur, que je vous ai déjà indiquée, que, lorsque le sujet affecté de pseudarthrose est couché, pour peu qu'on tire sur le membre luxé, on ramène la tête du fémur au même niveau que la tète du côté opposé; on peut ainsi, dit-il, lui faire parcourir sur l'ilium un espace de un, deux ou trois pouces. Longtemps on a cru Dupuytren sur parole. Il ajoute qu'en refoulant la cuisse de bas en haut, on fait parcourir à la tête fémorale un trajet inverse, parallèlement à l'axe du corps. On est revenu aujourd'hui de cette erreur, que je crois avoir été un des premiers à signaler.

Voici un premier sujet chez lequel la différence de longueur des deux membres abdominaux est considérable. Si j'exerce une forte traction sur le membre luxé, le trochanter s'abaisse à la vérité, mais en même temps le bassin est entraîné, en sorte que ses rapports avec le sommet du fémur n'ont pas changé. C'est là ce qui a trompé le célèbre chirurgien de l'Hôtel-Dieu et lui a fait croire au glissement de la tête fémorale. Si nous prenons la précaution de fixer le bassin à l'aide de la main appliquée contre la tubérosité sciatique, l'abaissement du trochanter n'a plus lieu.

Cet autre enfant a une pseudarthrose simple, héréditaire, de la hanche droite ; la mère était affectée d'une double luxation. Par des mouvements inverses, j'abaisse ou je relève le niveau de la rotule droite; mais ici encore c'est le bassin qui produit, par son inclinaison, l'allongement et le refoulement apparents. Ne voulant pas m'en rapporter uniquement à une conviction basée sur plusieurs années d'observation, j'ai prié M. Guersant, chirurgien de notre hôpital, d'examiner ces deux enfants, et, afin de réduire la résistance aux parties fibreuses, nous avons fait usage du chloroforme. Les muscles ont été mis dans un relâchement complet ; néanmoins mon collègue n'a pu obtenir rallongement du membre luxé. Y a-t-il des exceptions à celte fixité du fémur dans le sens vertical? La chose est possible. Je recherche avec soin , chez les enfants soumis à mon observation, si je rencontrerai cette mobilité de la tête; je ne l'ai pas encore trouvée. Il se peut que, dans certaines luxations juxta-cotyloïdiennes, la capsule soit assez lâche pour permettre à la tête de rentrer dans sa cavité. Ces cas sont favorables aux tentatives de réduction ; on pourra réussir dans des cas pareils à replacer la tête fémorale dans le cotyle, mais on éprouvera de très-grandes difficultés à l'y maintenir.

On convient a peu près généralement de ces faits et de l'impossibilité d'une réduction immédiate ; mais les partisans de la méthode de Pravaz ne s'y arrêtent pas: « La capsule résiste, disent-ils, on l'allongera; il n'y a plus de cotyle, on en formera un nouveau. » Il semble que ce soit chose aussi facile que de creuser une cavité dans une pièce de bois avec un taraud. Les auteurs dont je parle se sont servis, en effet, de cette comparaison.

J'admets un moment qu'il soit possible de faire prêter lentement la capsule, de refaire une cavité. Je passe sur les objections que soulève une telle prétention; ici les faits sont tout; voyons en quoi ils consistent.

Je ne m'arrêterai pas à ceux de Humbert (1). Il est reconnu que ses guérisons n'ont rien de réel. La seule dissidence qui se rencontre entre les chirurgiens qui ont examiné les malades traités par lui porte sur la question de savoir s'il a laissé la luxation dans son

(1) Essai et observations sur la manière de réduire les luxations spontanées ou symptomatiques de l'articulation ilio-fémorale. Paris, 1835, in-8°.

état primitif, ou s'il a produit d'autres déplacements. Blandin et Pravaz ont dit : la luxation était iliaque; Humbert a fait descendre la tête dans la région ischiatique ; il y a là une amélioration. Sur deux sujets que j'ai examinés, je n'ai rien trouvé de semblable : la tête du fémur, luxée dans la fosse iliaque externe, occupait la même place après le traitement.

Mais Pravaz doit être pris plus au sérieux; son ouvrage (l), remarquable pour la forme et pour le fond, contient dix-neuf observations , presque toutes de guérison. Son successeur a encore grossi ce nombre, et a réuni vingt-deux exemples de luxations réduites. Tous ces faits, revêtus des attestations de la faculté lyonnaise, se présentent avec toutes les conditions désirables d'authenticité. Ce n'est pas tout : à Paris, un rapport de M. Gerdy à l'Académie de médecine (2) constate qu'un enfant traité par Pravaz est guéri. Il y a plus : une commission nommée par l'Académie des sciences proclame les succès de Pravaz, sans néanmoins affirmer qu'il ait constitué une articulation normale; la dissection, dit cette commission , aurait été nécessaire pour confirmer la réalité des réductions.

Il ne fut bruit, à Lyon et dans tout le Midi, que de ces guéri-sons; le professeur Lallemand y crut comme les autres. A Marseille , la conviction fut telle qu'un honorable confrère de cette ville a cru dernièrement qu'il ne pouvait y avoir d'autre motif aux doutes de ce pays-ci, qu'un esprit de critique pas suffisamment désintéressé.

Assurément rien ne manque à cet ensemble de preuves, et peu d'observations médicales sont aussi bien appuyées. Et pourtant, — ceci semblera incroyable, tant c'est véritablement prodigieux, — tout cela paraît le produit d'une illusion, d'un mirage, et, pour parler sans métaphore, d'une simple erreur de diagnostic. On n'a pas su reconnaître les luxations fémorales congéniales qui persistaient après qu'elles avaient été traitées par Pravaz. Pravaz lui-même les a crues guéries parce qu'il ne les retrouvait plus après son traitement, c'est-à-dire parce qu'il n'en apercevait plus les signes. Voilà ce qui résulte d'une lecture attentive des observations du chirurgien de Lyon, de la lecture des attestations qui les accompagnent,

(1) Traité théorique et pratique des luxations congénitales du fémur. Lyon, 1847, in-4°.

(2) Bulletin de VAcadémie de médecine. Paris, 1839, t. IV, p. 121.

et surtout de l'examen des sujets prétendus guéris qu'il nous a été donné de voir à Paris, de ceux que le hasard a fait voir à plusieurs de nos confrères des hôpitaux. La luxation persiste, comme dans les faits de Humbert, telle qu'elle était avant le traitement, sans même que la situation de la tête du fémur ait été modifiée !

Ce n'est pas une rechute qui a eu lieu dans les cas dont je parle; en voici une preuve. En 1841, une demoiselle fut présentée à l'Académie de médecine par Pravaz, comme étant guérie d'une double luxation congénitale. Il demanda pour l'examiner une commission dont je fis partie. Je trouvai la tête du fémur dans la fosse iliaque externe, ainsi que je l'avais constaté avant tout traitement.

Après de pareils faits, il m'est permis, je pense, quelle que soit ma profonde estime pour les lumières de mes savants confrères de Lyon, de Montpellier, de Marseille, de vous exprimer une défiance légitime à l'égard des faits analogues provenant de la même source :

Amiens Plato, sed magis arnica veritas.

D'autres praticiens ont-ils été plus heureux que Pravaz? Non, Messieurs. Dans cet hôpital même, la méthode des incisions sous-cutanées réunies aux extensions lentes, aux tractions violentes faites en divers sens, dans différentes attitudes, a échoué.

D'autres praticiens de Paris et moi-même avons essayé sans succès de réduire le déplacement congénital de la tête du fémur.

Heine dit avoir, dans quatre cas, produit un abaissement du fémur, mais non la réduction.

M. Ferdinand Martin assure avoir produit de l'amélioration dans l'état des sujets qu'il a soumis à un traitement mécanique et à des manœuvres appropriées. Je n'ai pu constater l'abaissement de la tête du fémur chez ceux de ces sujets qu'il a pu me montrer.

Que produira l'avenir? Je le réserve pour mes confrères et pour moi-même, et surtout dans l'intérêt des malades. Il se peut qu'on obtienne dans la suite un résultat qu'il nous a été impossible d'atteindre jusqu'ici. Mon incrédulité a des bornes; qu'on me fasse voir un seul fait de réduction; je ne demande qu'à être converti.

En attendant, on ne peut donner beaucoup d'espoir aux familles. Si elles insistent pour qu'on tente la guérison de difformités semblables , on peut se prêter à leur désir, mais avec prudence. Il faut d'ailleurs examiner avec soin les sujets qu'on veut soumettre à des

essais de réduction, et exclure ceux qui se trouvent dans des conditions formelles d'incurabilité. S'il s'agit d'une diarthrose profonde, par exemple, abstenez-vous de tout traitement.

Je termine en vous parlant des moyens auxquels vous aurez recours si vous devez tenter celte réduction. Ils sont inspirés par l'histoire même des luxations; ils doivent être lents; on retiendra le bassin par des liens doux, pour éviter qu'il ne se renverse sous l'influence des forces extensives. Quand on juge l'articulation assez relâchée, on procède à des manœuvres de réduction calquées sur celles des luxations traumatiques. Les efforts manuels, les pressions sur le grand trochanter sont nécessaires pour creuser un nouveau cotyle. Je veux bien admettre, malgré l'insuffisance des preuves produites jusqu'à ce jour en faveur de ce fait, qu'il ne sera peut-être pas impossible de creuser une cavité nouvelle sur l'ilium, en supposant que l'on ail pu préalablement ramener la tête en contact avec le lieu de l'ancien cotyle (1).

(2) Je vous ai dit que si les familles qui vous consulteront pour leurs enfants insistaient pour que vous fissiez quelques essais de réduction d'une pseudarthrose congénitale, et que d'ailleurs aucune circonstance complètement défavorable à la réussite ne parût s'y opposer, vous pourriez tenter de reconstituer l'articulation normale, mais en usant de ménagements, car des accidents peuvent être la conséquence de ces tentatives. La seule immobilité, quand elle se prolonge, suffit pour altérer les fonctions. Pravaz l'ajustement senti, et il a fait tous ses efforts pour pallier cet inconvénient. Les manœuvres employées pour allonger le membre ou pour réduire agissent souvent d'une manière fâcheuse par le violent tiraillement qu'elles exercent sur les parties molles et par les inflammations profondes qui peuvent en être la suite. Pravaz a fait connaître plusieurs accidents de ce genre, et bien qu'ils n'aient pas eu de

(1) Au moment où l'on imprime ces feuilles, un nouveau fait de réduction est produit par M. Gillebert d'Hercourt. M. Lenoir, chirurgien de l'hôpital Necker, a vu l'enfant et croit à la réduction. Cette guérison s'évanouira-t-elle, comme tant d'autres, devant un examen plus approfondi? L'enfant, malheureusement, n'habite pas Paris.

(2) Quatorzième leçon, 17 août 1855.

suites graves, je ne puis admettre avec lui qu'ils soient favorables au but qu'on se propose.

Une dernière recommandation à ce sujet : il faut éviter les erreurs d'observation. Si vous êtes appelés à tenter la réduction des luxations anciennes du fémur ou à constater le résultat de ces tentatives, vous saurez vous défendre de toute illusion, vous vous efforcerez d'apprécier exactement l'étal du membre avant et après le traitement. Vous saurez vous prémunir contre la tendance naturelle que nous avons à voir les choses comme nous voudrions qu'elles fussent. Vous ne donnerez pas une interprétation forcée aux faits qui contrarieraient vos vues à priori. Vous ne nierez pas la persistance de la claudication, parce qu'elle paraîtra un peu diminuée. Vous ne méconnaîtrez pas une tête fémorale qui continuera d'être mobile sur la face externe de l'ilium, et vous ne prétendrez pas que c'est une tête à demi enfoncée dans le cotyle, quoique ces deux choses se ressemblent beaucoup, au dire de mon savant et éminent collègue, M. Malgaigne. Si le raccourcissement du membre subsiste, vous ne serez pas aveuglés au point de le rapporter à une déformation du bassin, dont il n'aura pas été question avant le traitement. Enfin, avertis par les erreurs commises par vos prédécesseurs, vous ne croirez à la réduction qu'après en avoir constaté la réalité.

IL Traitement palliatif. — Le traitement palliatif, dont nous abordons l'histoire en ce moment, est d'autant plus utile à connaître, qu'il est presque le seul auquel on puisse avoir recours dans la plupart des cas. Il suffit généralement à améliorer les symptômes les plus incommodes des pseudarthroses de la hanche. Il se présente deux cas qui nécessitent l'emploi des moyens qu'il comprend.

1° L'articulation nouvelle peut être trop serrée; les muscles qui l'environnent peuvent être trop courts ; l'adduction d'un ou des deux membres exagérée. L'inclinaison du bassin produit un raccourcissement apparent qui s'ajoute au raccourcissement réel et augmente la claudication. Parfois aussi on voit une flexion permanente des cuisses, et l'ensellure lombaire est plus forte qu'elle ne doit l'être dans une pseudarlhrose moins défavorablement constituée. Dans ces cas, on peut, avec des moyens mécaniques, amé-

liorer l'état des sujets, diminuer la claudication, accroître la liberté des mouvements. La ténotomie s'ajoute quelquefois utilement aux moyens mécaniques. Le fait suivant confirme ce que j'avance elativement à l'utilité des moyens palliatifs.

Le sujet de cette observation est un garçon de quatorze ans. Ce jeune homme ne pouvait monter à cheval; il avait une ensellure lombaire énorme; l'écartement des cuisses était très-borné. J'ai pratiqué la section des muscles adducteurs et fait ensuite usage d'un appareil tendant à écarter les genoux. La flexion considérable des cuisses a été combattue par la section du tendon des psoas-iliaques. J'avais déjà pratiqué cette dernière opération sur une jeune fille dont je vous ai parlé, sans aucun accident immédiat ni consécutif. Le jeune garçon dont il est maintenant question éprouva une hémorrhagie veineuse abondante, des syncopes; le trombus considérable dû à l'épanchement sanguin s'est dissipé peu à peu , et cet accident n'a pas eu d'autre suite. Le résultat général du traitement a été que ce garçon a beaucoup moins d'cnsellure, qu'il écarte assez facilement les jambes et se trouve plus libre dans ses mouvements. Les deux dessins que je place sous vos yeux représentent l'état des membres avant et après le traitement. J'ai revu ce jeune homme longtemps après ; il n'avait rien perdu des avantages que la ténotomie lui a procurés.

2° L'articulation , au lieu d'être trop serrée, présente parfois une laxité trop grande. Celle-ci peut dépendre de la faiblesse musculaire, qu'on devra traiter par l'exercice modéré, les excitants locaux, le massage, l'usage des bains, des douches, des frictions, etc.

Si le relâchement articulaire est au contraire dû à la laxité des ligaments, ce qu'on peut reconnaître en ayant égard à l'état des mouvements, on doit chercher à remédier aux deux inconvénients qui en sont la conséquence : la liberté trop grande de la tête fémorale dans l'exercice physiologique de ses fonctions; la possibilité du déplacement successif de cette tête sur la face externe de l'os des îles. Voici un exemple de ce déplacement emprunté à l'ouvrage de Sandifort. On voit sur cette pièce trois cotyles superposés : le premier, très - rétréci, est la cavité ancienne; le second a été occupé momentanément par la tête; le troisième est celui sur lequel elle reposait en dernier lieu. Palletta a donné la description de

pièces semblables. Toutefois, ces cas sont plus rares qu'on ne le croit généralement. Dupuytren a conseillé de porter une ceinture pour maintenir l'extrémité supérieure du fémur appliquée contre le bassin; c'est en effet un moyen applicable au cas particulier dont je m'occupe, à celui où une articulation trop lâche nuit aux fonctions du membre et fait craindre une aggravation de la malformation. Dans les autres cas, cette ceinture est en général peu nécessaire, surtout après l'enfance. L'articulation se resserre ordinairement par les progrès de l'âge, de sorte que ce moyen devient inutile au bout d'un certain temps; il y a seulement des cas exceptionnels dont il faut tenir compte. M. Chassaignac a observé un adulte chez lequel la laxité des articulations était telle, que la tête du fémur pouvait être portée dans plusieurs directions par la seule action musculaire. Cet homme était bateleur, et utilisait sur les places publiques sa singulière faculté. La laxité des ligaments indique encore l'usage des fortifiants qui conviennent contre la faiblesse musculaire. Le repos de l'articulation, soit par le seul effet de l'immobilité du malade, soit au moyen d'appareils immobilisants, peut encore favoriser le resserrement graduel de la pseudarthrose.

C'est à peu près aux moyens précédents que se réduit pour le moment la véritable thérapeutique des pseudarthroses coxo-fémo-rales congénitales. C'est par une action analogue à la leur que s'expliquent les améliorations survenues après l'emploi du traitement de Pravaz, améliorations qui n'ont pas toujours été durables.

Divers moyens peuvent diminuer la claudication, qui a des inconvénients physiologiques, outre ce qu'elle offre de désagréable à la vue. Elle peut en effet donner lieu à une déviation de la colonne vertébrale. La véritable ressource contre ce symptôme des luxations congénitales, c'est la prothèse, l'élévation de la chaussure du côté malade. Les malades savent quelquefois dissimuler leur claudication ; mais le moyen dont ils se servent peut avoir pour effet de produire une difformité nouvelle. Vous voyez l'attitude du pied, dans la marche, chez cette jeune personne qui est affectée de luxation coxo-fémorale droite : la pointe seule repose sur le sol. Grâce à cet artifice, on s'aperçoit à peine qu'elle boite ; mais le talon s'est élevé, et une disposition au pied-équin s'est établie; il y a déjà un raccourcissement sensible des muscles extenseurs. Une

autre déformation tend à se produire. M. Duchenne (de Boulogne) a observé, dans les infatigables recherches qu'il poursuit avec tant de bonheur, que le muscle long péronier latéral, congénère des extenseurs, tend à produire dans des cas pareils, outre l'équi-nisme , un excès d'abduction. Nous en avons la preuve par ce qui se passe chez cette jeune fille ; le bord interne du pied commence à être plus abaissé que le bord externe. Autre inconvénient : cette malade incline le bassin du côté sain ; le pouce droit placé ainsi que le gauche sur l'épine iliaque supérieure, est évidemment plus élevé. On peut espérer que l'exhaussement de la chaussure fera disparaître cette déviation, en habituant cette jeune personne à poser le pied à plat.

Enfin il est une complication possible des pseudarthroses du fémur : c'est l'existence d'une coxalgie. Cette lésion était regardée, avant Dupuytren, comme la cause unique des luxations non trau-matiques : aussi couvrait-on de cautères et de moxas l'articulation de la hanche chez des sujets affectés de pseudarthrose congénitale; Dupuytren en a été souvent témoin; lui-même, dit-on, avait d'abord commis cette faute. Vous éviterez maintenant une pareille erreur.

Cette enfant, atteinte de luxation congénitale double, me paraît présenter la complication que j'indique : la flexion des cuisses et leur adduction sont considérables; je ne puis les étendre sans causer de la douleur. Une pseudarthrose simple ne produit pas cette attitude. Il y a là, je crois, une coxalgie avec rétraction des muscles antérieurs et internes de la cuisse; c'est un état qu'il faut traiter par les moyens qu'on oppose généralement aux phlegmasies articulaires chroniques.

Je clos ici, pour cette année, l'étude des affections chroniques du système osseux. Mais je désire ne pas me séparer de vous sans avoir au moins abordé l'histoire clinique des maladies musculaires, sans vous avoir au moins présenté un spécimen de ces intéressantes affections.

Un fait capital se remarque dans le mode d'activité du système musculaire : c'est le phénomène physiologique de coordination nécessaire à l'action régulière des muscles.

De l'existence de ce phénomène dérive un groupe de troubles

pathologiques consistant dans un vice de coordination de l'action musculaire, dans des contractions désharmoniques substituées à l'harmonie normale de l'action de ce système.

C'est une affection de cette nature qui va faire l'objet de nos études.

Je la prends dans une région formant à elle seule tout un appareil locomoteur, et où se retrouve comme un abrégé complet de toutes les formes de maladies musculaires.

Cette affection est le strabisme.

ARTICLE IV.

STRABISME.

Dans l'état physiologique, il doit y avoir, et il y a en effet, action coordonnée, harmonique, des muscles des deux yeux, contraction simultanée des muscles droits supérieurs, droits inférieurs, des muscles latéraux, non pas internes, externes, mais droits et gauches; je ne parle pas des obliques; l'énigme de leur action n'a pas encore trouvé son Œdipe.

La vision, pour être parfaite, exige deux conditions : 1° pour chaque œil, que l'image se forme dans le prolongement de l'axe antéro-postérieur ; 2° pour les deux yeux, qu'elle se forme dans les points identiques des rétines, c'est-à-dire dans ceux qui se toucheraient si on superposait les deux membranes en déplaçant l'une d'elles parallèlement à elle-même.

Ces deux conditions sont remplies quand les axes oculaires convergent et se réunissent vers l'objet qu'on regarde.

Pour obtenir ce résultat, l'accord des quatre muscles latéraux est indispensable. Lorsque cet accord vient à manquer, il y a strabisme, du grec cTpscpw, tourner.

§ I. Pathogénie et symptomatologie bu strabisme.

Définition. — On définit souvent le strabisme un défaut de parallélisme des axes visuels ; c'est à tort. Dans la vision naturelle, toutes les fois que le regard est fixe, il y a convergence et non parallélisme des axes oculaires.

Je définis le strabisme un vice de coordination de l'action des muscles de l'œil, s'opposant à la convergence des axes optiques sur l'objet qu'on regarde.

I. Variétés du strabisme. — Cette affection présente nécessairement des différences nombreuses au point de vue de son siège, de la direction des yeux, de son étendue, de sa durée, etc.

1° Relativement à son siège, le strabisme affecte l'œil droit ou l'œil gauche ; il est quelquefois bi-oculaire alternatif, la déviation passant tour à tour d'un œil à l'autre ; mais il y a aussi un strabisme double simultané, les deux yeux étant déviés en même temps de leur direction normale.

2° Le strabisme varie quant à sa direction. Tous les muscles peuvent en être le point de départ. Le strabisme latéral, le seul dont nous nous occuperons, est interne ou convergent, externe ou divergent, suivant la prédominence de l'adduction ou de l'abduction. Le premier de ces mouvements étant à l'état physiologique plus habituel que le second, et le muscle interne plus exercé que l'externe, il en résulte une fréquence relative plus grande du strabisme convergent. A ces deux formes j'ajoute le strabisme parallèle simple ou double, qui consiste dans un simple défaut de convergence des axes optiques lorsqu'on fixe des objets placés à une faible distance.

3° Par rapport à son étendue, il y a un strabisme total, c'est-à-dire existant dans toutes les positions des yeux et dans toute l'étendue du champ de la vision ; il est le plus fréquent ; il y a aussi un strabisme partiel, dans lequel on observe un accord des deux yeux dans une portion du champ visuel, et une désharmonie dans l'autre (strabisme droit de M. L. Corvisart).

U° Le strabisme, relativement à sa durée, est éphémère, passager ou permanent. Le strabisme momentané se reproduit à des intervalles rapprochés. Cette division est importante au point de vue de l'élude des lésions de l'action musculaire; on la retrouve dans les autres muscles du squelette.

5° Les degrés de la déviation sont très-différents. Elle est quelquefois peu sensible, et les parents se montrent alors peu disposés à la reconnaître :

.......strabonem

Pœtum appellat pater,

a dit Horace. Dans le monde, on appelle faux trait de la vue ce léger degré. Dans un deuxième degré, l'iris est plus dévié ; il atteint le milieu de l'espace qui, normalement, sépare le centre de la pupille d'un des angles de l'œil. Enfin l'iris, dans le troisième degré , se porte dans l'un des angles et s'y trouve caché en totalité, ou plus souvent en partie seulement.

Il faut ajouter aux variétés du strabisme fondées sur le degré de la déviation, une espèce assez fréquente, dans laquelle ce degré est variable, de sorte que la déviation peut être très-légère dans certains moments, et très-considérable dans d'autres; c'est ce que nous nommerons le strabisme variable, changeant, par opposition à celui qu'on peut appeler égal ou uniforme.

II. Nature de la lésion musculaire. — Quelle est la lésion musculaire à laquelle se lie la déviation des yeux ? Elle est de deux sortes : il y a un strabisme par contraction musculaire, et un strabisme par rétraction.

1° Strabisme par contraction. —Le strabisme par contraction ne laisse pas de traces sur le cadavre ; il est dû à deux états principaux des agents du mouvement : dans un cas, un muscle est plus fort, plus exercé que son antagoniste; il n'y a pas là maladie à proprement parler, mais une supériorité acquise ou congénitale. Dans l'autre cas, le strabisme est causé par une maladie réelle, une lésion nerveuse, un spasme qui dépend lui-même de causes très-multipliées, convulsions, maladies cérébrales, etc.

Je ne parle pas des cas de paralysie musculaire partielle, donnant lieu au strabisme parce que l'œil n'obéit plus qu'à l'action des muscles sains; la déviation n'est alors que symptomatique, et son étude rentre dans celle de la paralysie elle-même. On ne confondra pas d'ailleurs cette affection avec la faiblesse consécutive au strabisme, que peut présenter le muscle opposé au muscle devenu prédominant.

Une autre variété de strabisme résulte des habitudes de l'individu et de l'usage qu'il doit faire de sa vue : tel est le cas d'une personne dont un œil est myope, l'autre presbyte. Les deux organes ne peuvent servir en même temps; l'un ou l'autre est employé suivant la distance des objets. Qu'arrive-t-il? C'est que le malade porte toute son attention sur l'œil le plus utile, et aban-

donne au hasard le second œil, qui, n'ayant pas de but déterminé, se dévie à la longue.

On a admis un autre strabisme nécessité par les besoins de la vision. On a dit : lorsqu'il existe un obstacle au passage des rayons lumineux, tel qu'une tache de la cornée, le globe oculaire se tourne de manière à présenter une portion de la membrane cor-néenne qui puisse donner accès à ces rayons. J'ai vu peu d'exemples de strabisme dû à cette cause ; ordinairement, dans ces cas, c'est plutôt la tête qui se tourne que le globe oculaire.

L'ophthalmie, les troubles de la vision sont indiqués comme pouvant produire le strabisme; ils sont loin d'avoir constamment cet effet. L'ophthalmie peut amener de plusieurs manières la déviation des yeux; elle agit, d'une part, en irritant les muscles et les conlracturant, par une action analogue à celle que les inflammations des parties latérales du cou exercent sur les sterno-mastoïdiens; et, d'une autre part, par les efforts qu'elle suscite dans ces mêmes muscles pour soustraire la cornée à l'excitation de la lumière.

Les troubles de la vision contribuent à dévier les axes optiques de leur direction naturelle. Un des yeux sert moins que l'autre ; l'attention est moins portée de son côté, et il cesse à la longue d'accompagner son congénère dans ses mouvements. Si l'un des yeux est entièrement perdu , l'effet est encore plus marqué.

2° Strabisme par rétraction. — Le strabisme par rétraction succède souvent au strabisme par contraction. Celui-ci, lorsqu'il a quelque durée, détermine une altération de nutrition du muscle et un raccourcissement permanent. Il faut savoir reconnaître ces deux formes pendant la vie. Dans le strabisme par contraction, si l'on vient à fermer le bon œil, l'autre se redresse et peut alors parcourir tout le champ de l'ouverture des paupières. IVIais on observe souvent dans le même œil un mélange de contraction anormale et de rétraction. Lorsque la pupille se porte vers l'angle des paupières opposé à celui dont elle se rapproche habituellement, on voit dans cet œil une lutte et une série de saccades, le muscle qui agit alors ne pouvant surmonter que pendant de courts instants la résistance totale de son antagoniste.

La rétraction du muscle est-elle portée à un haut degré, il y bouvier. «0

aura fixité du globe oculaire ; les mouvements en seront perdus ; je nommerai cette deuxième variété strabisme fixe; la première, que j'appellerai strabisme mobile, permet, comme son nom l'indique, une assez grande mobilité de l'œil.

Le strabisme fixe pourrait être confondu avec la paralysie : il s'en distingue en ce qu'il s'accompagne encore de quelques mouvements; on pourrait dire, il est vrai, dans un cas pareil, qu'il s'agit d'une paralysie incomplète; la distinction est difficile, et ne saurait être établie qu'à l'aide des phénomènes concomitants, par exemple, à l'aide des symptômes de la paralysie des autres branches du même nerf.

L'anatomie pathologique confirme ce que je viens de dire de la lésion musculaire; j'ai fait plusieurs autopsies, et j'ai trouvé les muscles raccourcis dans quelques cas, non dans d'autres.

Outre l'appareil musculaire de l'œil, il est un organe qui joue un rôle important dans la production du strabisme par rétraction : c'est la membrane décrite par Tenon sous le nom de nouvelle tunique de l'œil. Elle s'attache directement au pourtour de l'orbite en dedans et en dehors, et, dans sa partie moyenne, elle y est fixée par l'intermédiaire des cartilages des paupières. Appliquée exactement sur la moitié postérieure du globe de l'œil, elle est percée de plusieurs trous pour le passage du nerf optique, des muscles droits et obliques, auxquels elle fournit des gaines fibreuses. Les portions interne et externe peuvent se raccourcir à la manière des ligaments, et contribuer à fixer l'œil dans une position vicieuse.

III. État de la vision. — Le strabisme ne saurait avoir quelque durée sans influer sur la vision. Ainsi que je l'ai dit précédemment, l'affaiblissement de celle-ci est quelquefois primitif.

On est frappé d'une chose, dans l'œil strabique, c'est que les rayons lumineux ne tombent directement que sur les parties latérales de la rétine, et frappent obliquement sa partie centrale. La vue, dans cet œil, peut être comparée à la vue latérale dans un bon œil, c'est-à-dire qu'elle est très-imparfaite. Les ophlhalmolo-gistes n'ont, du reste, pas pu apprécier anatomiquement ce qui produit l'altération de la vision; la myopie n'en est pas la cause la plus ordinaire ; cette faiblesse pourrait plutôt être rapprochée de l'amblyopie.

L'état de la vue doit aussi être examiné dans les deux yeux à la fois. La portion du champ de la vision qui appartient à l'œil louche est très-bornée.

La diplopie est un symptôme curieux de l'affection dont je m'occupe. Vous savez comment on explique la vue simple avec les deux yeux dans l'état physiologique : les images se peignent sur des points correspondants, identiques des rétines, c'est-à-dire sur ceux qui seraient en contact si l'on déplaçait latéralement les deux membranes sensitives et qu'on les superposât. Celte condition de la vue simple existe, non pas seulement, comme on l'a dit, pour le point sur lequel se réunissent les axes optiques, mais encore pour tous les points de l'horoptère (de ô'poç, limite, et o7rro;jMxi, je vois), surface circulaire qui varie suivant la distance de l'objet fixé, étant déterminée par trois points, savoir, le point de réunion des axes optiques et ceux où les rayons lumineux se croisent dans chaque œil (Millier). Les mêmes conditions n'existent plus dans le strabisme, qui donne lieu par cette raison à la vue double, laquelle peut même être observée dans le strabisme parallèle. Les poisons, l'ivresse, et probablement aussi les autres influences qui donnent lieu à une diplopie passagère, n'agissent habituellement qu'en produisant un strabisme parallèle.

La diplopie ne se produit pas dans toutes les positions de l'œil; quelques-unes la font cesser; elle n'est pas non plus en rapport avec le degré de la déviation. On l'observe principalement quand les deux yeux sont d'égale force, et le strabisme récent ; elle est à peu près constante dans la déviation de cause paralytique. Ordinairement passagère, on l'a vue persister jusqu'à un âge avancé.

Les malades que nous allons examiner compléteront ces notions générales sur les caractères du strabisme, en même temps qu'ils établiront ce qui est relatif au diagnostic de cette lésion.

jer caSi — cc premier malade est un garçon de onze ans, admis dans une des salles destinées aux affections chroniques, pour y être traité d'une tumeur blanche du genou droit. Il offre un strabisme interne de l'œil gauche, du deuxième degré, uniforme dans tous les instants, dont le début remonte à la première enfance et qui est probablement héréditaire; le père, en effet, était strabique

10.

dans son enfance et louchait encore il y a quelques années. Aucun nuage, aucune lâche n'obscurcit la transparence des cornées. Le malade peut lire avec l'œil gauche des caractères de moyenne grandeur, mais non ceux d'un texte ordinaire ; l'œil droit, au contraire, distingue bien les lettres de toutes les dimensions. L'abduction de l'œil gauche s'effectue complètement, sans saccades. Le strabisme n'augmente que très-légèrement quand le malade fixe attentivement un objet.

IIe cas. — Cette petite fille, âgée de deux ans, est couchée au n° 23 de notre salle Sainte-Geneviève. A un an, elle fut prise d'une maladie fébrile qui dura deux mois, et dont la nature n'a pu être précisée. En même temps s'est déclarée une ophthalmie intense qui maintint les paupières de l'œil gauche fermées pendant quatorze jours. Quand l'enfant recommença à les ouvrir, elle louchait.

Le strabisme est convergent, double, alternatif, c'est-à-dire que la déviation porte alternativement sur les deux yeux. L'œil gauche, toutefois, est le siège habituel de la difformité.

Voici par quel moyen nous constatons la mobilité du strabisme : si l'œil gauche se trouvant dévié, je viens à fermer celui du côté opposé, et qu'en même temps j'engage le malade à fixer un objet, le strabisme cesse immédiatement à gauche et occupe l'œil droit, même après que celui-ci a été ouvert et jusqu'au moment où, à l'occasion d'un mouvement brusque, d'un regard porté latéralement, la déviation repasse du côté gauche, c'est-à-dire sur l'œil qu'elle occupait d'abord.

Tantôt, dans ces strabismes alternatifs, les deux yeux se dévient avec une égale facilité ; tantôt, et c'est le cas le plus ordinaire, l'un de ces organes est plus fréquemment et plus habituellement le siège de la direction vicieuse; c'est ce qu'on observe chez notre petite malade. L'abduction, chez cette enfant, est limitée de chaque côté; l'iris ne peut atteindre les angles externes ; l'adduction, au contraire, peut être portée très-loin, l'iris disparaissant en partie dans le grand angle ; c'est un strabisme du deuxième degré.

IIIe cas. — Ici, strabisme interne droit, variable, bien marqué au moment où le malade fixe un objet. Nous constatons facilement, en effet, que le degré de la déviation est tout différent suivant que

le malade considère des objets plus ou moins volumineux, plus ou moins éloignés.

L'état des yeux date de la première enfance; le malade a éprouvé des convulsions à deux ans, et louche depuis cette époque; la difformité a été plus prononcée qu'elle ne l'est actuellement. L'abduction est égale des deux côtés. Les cornées sont intactes. L'enfant, âgé de huit ans, lit avec la même facilité de l'œil droit et de l'œil gauche.

IVe cas. — Un cas qui présente de l'analogie avec le précédent, bien qu'il s'en distingue sous un rapport, nous est offert par cette jeune fille, employée comme infirmière dans l'une de nos salles.

Le strabisme est interne et occupe l'œil gauche; il date, dit-elle, de l'âge d'un an. Habituellement assez légère, la déviation devient plus forte par moments, et rentre dans le troisième degré quand la malade fixe attentivement un objet, qu'elle essaye, par exemple, d'enfiler une aiguille.

La vision est très-faible de l'œil gauche, qui distingue à peine de gros caractères d'imprimerie et nullement ceux d'un texte ordinaire.

Dans le regard à droite, l'iris gauche se cache au quart ou au tiers dans le grand angle de l'œil; l'abduction est assez complète, l'iris atteint l'angle externe.

Ve cas. — Autre exemple; c'est un strabisme interne de l'œil droit, et du second degré. Le malade a six ans ; il a été brûlé à la joue gauche et présente un léger ectropion. Le globe oculaire de ce côté est sain. L'œil droit, affecté de staphylôme ancien, distingue seulement la clarté des ténèbres. Le strabisme augmente lorsque le malade fixe un objet, circonstance d'autant plus remarquable que l'œil louche est à peu près inutile à la vision. Cet œil est le siège de quelques mouvements de nystagmus, c'est-à-dire d'oscillations fréquentes et peu étendues; il paraît jouir d'une abduction complète.

VIe cas. — Nous avons l'exemple d'une déviation interne de l'œil gauche, du second degré, chez cette jeune fille de onze ans, devenue strabique il y a cinq ans, à la suite d'une ophthalmie intense. Les cornées, celle du côté droit surtout, présentent des taches légères. L'enfant lit des deux yeux, mais plus facilement de l'œil

droit; l'abduction est plus difficile et moins durable à gauche qu'à droite. L'enfant louche par moments des deux yeux; elle fait naître à volonté un strabisme double en regardant son nez ou des objets très-rapprochés.

VIIe cas. — Chez cette autre enfant du même âge, le strabisme, placé à droite, est divergent, du second degré, et se redresse spontanément lorsque la malade fixe un objet peu éloigné.

VIIIe cas. — Le strabisme dont nous sommes témoin chez ce garçon, qui nous vient de la salle Saint-Ferdinand, existe à droite; il est interne, variable et bien marqué seulement lorsque l'enfant fixe quelque objet ; il rentre alors dans le second degré. Les cornées sont exemptes de taies. L'œil droit n'aperçoit qu'une ligne noire là où l'œil gauche distingue nettement des caractères d'imprimerie.

Dans le regard ordinaire, le malade louche faiblement ; il aperçoit souvent les objets doubles, le doigt, par exemple; la deuxième image est toujours située à sa droite.

Le mouvement d'abduction paraît à peu près égal des deux côtés.

IXe cas. — Ce jeune homme est un sujet des plus intéressants, en ce qu'il offre un exemple de strabisme d'abord volontaire.

A neuf ans, à l'instigation d'autres enfants de son âge, il se livre à des efforts persévérants pour voir double les objets sur lesquels se porte sa vue. Le moyen employé pour atteindre ce but consistait à faire converger fortement les axes visuels, de manière à donner naissance à une double image de ces objets. Dans le principe, les yeux retournaient facilement à leur direction normale après la cessation des efforts de strabisme ; mais neuf mois environ après l'époque où l'enfant avait commencé à se livrer à son bizarre exercice, et pendant la nuit, l'œil droit se dévie de lui-même en dedans, et conserve désormais cette direction vicieuse. A son réveil , le malade voit sans peine les objets doubles, et ses efforts pour rendre la vision simple n'aboutissent qu'à faire cesser le strabisme pendant quelques heures. L'œil retourne opiniâtrement à l'attitude nouvelle qu'il a prise. Huit jours après, un médecin, consulté pour cette difformité , fait appliquer un bandeau sur l'œil gauche, espérant par ce moyen ramener l'axe visuel de l'œil droit dans sa direction primitive et naturelle. L'enfant enlève son bandeau

au bout de deux jours, et l'on constate que le strabisme persiste à droite. Nouvelle occlusion maintenue pendant quatre jours ; la déviation est encore la même. A partir de cette époque, le strabisme s'est trouvé confirmé, et l'enfant n'a pu le faire cesser, même pendant quelques instants.

En raison de la diplopie qui a persisté d'une manière permanente, la lecture est devenue impossible, et le malade a dû se livrer à des occupations ne nécessitant pas une grande netteté dans la vue ; toutes les fois que ses travaux ont exigé de la précision dans la vision, il s'est trouvé obligé, pour ne voir qu'une seule image, de maintenir l'œil droit fermé.

Lorsque le malade fixe un objet placé en face de lui, et à la distance visuelle, l'iris du côté droit se porte en dedans, mais reste à trois millimètres de l'angle interne de l'œil. Dans l'adduction portée au plus haut degré, une partie de l'iris disparaît dans le grand angle, mais la pupille reste encore apparente. Les autres mouvements, l'élévation, l'abaissement, l'abduction, ont l'amplitude naturelle.

La vue est meilleure à gauche qu'à droite ; mais la supériorité visuelle de l'œil gauche est peu marquée. Des deux images qui se forment en même temps, la première, donnant la notion exacte de la situation des objets, prend naissance dans l'œil gauche; la seconde, variable dans sa position, est située à droite de la précédente , et à une distance d'autant plus grande de celle-ci, que l'objet fixé est lui-même plus éloigné des rétines. Ces deux images se rapprochent l'une de l'autre à mesure que l'objet se rapproche des yeux, et elles coïncident enfin lorsqu'il n'est plus distant que de quelques lignes du dos du nez. *

Si l'on ferme l'œil gauche, on rend à l'œil opposé sa direction naturelle ; mais le strabisme se reproduit aussitôt que l'occlusion vient à cesser.

(1) Il résulte de l'examen des malades que j'ai placés sous vos yeux, que, pour arriver à un diagnostic complet du strabisme, on ne doit pas se contenter de constater la position relative des yeux dans le regard fixe ; il faut encore observer les yeux dans des positions variées. Il sera bon de fermer l'œil sain, afin de s'assurer de

(1) Quinzième leçon, 24 août 1855.

l'étal des contractions musculaires dans l'œil affecté. On n'oubliera pas non plus de faire regarder le malade de près et de loin, de lui faire considérer, tantôt des corps volumineux, tantôt de petits objets, précautions indispensables pour arriver à la notion complète de l'état de la vision.

Je n'insiste pas sur les moyens de reconnaître l'existence d'un strabisme ; le diagnostic se fait ordinairement à la première vue. Cependant on rencontre quatre cas dans lesquels l'esprit du chirurgien peut éprouver quelque incertitude relativement à la véritable nature de la lésion.

1° Dans le premier de ces cas, il s'agit du strabisme variable d'intensité, ou même cessant par moments. Une grande attention est nécessaire pour saisir l'instant où il se produit ou devient plus marqué. On en constate surtout l'existence ou le degré par l'exercice de la vue appliqué à de petits objets. En donnant, par exemple, une aiguille à enfiler à un malade, on fait naître ou on accroît la déviation d'une manière notable, lorsqu'elle est interne.

2e La détermination du strabisme double alternatif peut présenter aussi quelques difficultés; on devra, pour s'éclairer en pareil cas, recourir à l'expérience qui consiste à clore les paupières de l'œil sain, de manière à permettre à l'œil malade de se redresser ; s'il conserve encore la situation normale malgré la réouverture de l'autre œil, on en pourra conclure que la déviation existe des deux côtés.

3° Le nystagmus pourrait être confondu avec le strabisme variable ; ce diagnostic demande de l'attention. Dans la première de ces deux affections, on remarque des oscillations de l'œil plus ou moins rapides, mais toujours*très-fréquentes. Au contraire, dans le strabisme variable, les mouvements ont lieu à intervalles éloignés.

4° Le dernier cas embarrassant est la paralysie d'un des muscles latéraux de l'œil. J'ai exposé précédemment les caractères qui la différencient du strabisme. Ces caractères ne suffisent pas toujours pour distinguer d'une véritable paralysie primitive la faiblesse des antagonistes consécutive à la rétraction des muscles affectés.

§ II. — Traitement du strabisme.

« Le strabisme, a dit Buffon, est non-seulement un défaut, mais une difformité qui détruit la physionomie, et rend désagréables les

plus beaux visages. » Cette difformité est surtout fâcheuse chez les personnes du sexe, où les agréments extérieurs contribuent si puissamment au bonheur de la vie. Il y a plus; comme le dit encore Buffon, « les personnes qui ont la vue courte ou qui sont louches, ont beaucoup moins de cette âme extérieure qui réside principalement dans les yeux; on juge ces personnes défavorablement quand on ne les connaît pas, et quand on les connaît, on a encore de la peine à revenir du premier jugement qu'on a porté contre elles. »

Le strabisme a d'autres inconvénients : le langage des yeux est en défaut chez les strabiques ; la vision est altérée ; l'un des yeux devient inutile, et les malades sont pour ainsi dire affectés d'une demi-cécité. Ces inconvénients sont, d'autant plus prononcés que la déviation des axes optiques est plus considérable.

A un très-faible degré, le strabisme n'est pas sans agrément; c'est ce qu'on appelait autrefois Y œil ci la Montmorency. Les anciens attribuent ce léger trait dans la vue à la déesse de la beauté : si pœta est, dit Ovide, Veneri similis. Ce n'est que dans un degré plus avancé que le strabisme a de fâcheux effets et qu'il convient d'y remédier. On a conseillé, dans ce but, l'emploi de divers moyens qu'on peut ranger en quatre ordres : ce sont les moyens, Ie médicaux; 2° orthopédiques proprement dits, bandages, etc.; 3° gymnastiques; U° chirurgicaux. Les moyens orthopédiques sont peu applicables au traitement du strabisme; on ne peut, en effet, saisir l'œil et le maintenir à l'aide d'un bandage. Toutefois, les fils passés dans la conjonctive oculaire, pour fixer l'œil dans une position déterminée, constituent une sorte de moyen orthophthalmique qui rentre dans cette classe des agents orthopédiques ; mais ce n'est que par exception, et surtout après la myo-tomie, qu'on y a eu recours. Je ne m'arrête donc pas à cet ordre de moyens; j'insisterai sur les autres et d'abord sur les moyens médicaux.

I. Moyens médicaux. — Quand le strabisme est symplomati-que, on peut espérer de le voir cesser en détruisant la cause qui lui donne naissance. Lors même qu'il est essentiel, on emploie avec avantage certains agents dont la médecine fait habituellement usage. L'électricité cutanée ou musculaire a donné quelques suc

ces. On doit y recourir avec de grandes précautions, d'après M. Duchenne de Boulogne, qui a vu des accidents graves résulter du passage d'un courant électrique à travers la rétine. Dieffenbach a fait cesser la difformité en cautérisant la conjonctive avec le nitrate d'argent, vis-à-vis du muscle affaibli.

L'hygiène est elle-même à considérer; elle offre des ressources précieuses dans quelques cas. Chez les enfants louches, il faut user de quelques précautions qui viendront en aide aux efforts instinctifs que la nature leur suggère pour redresser leurs axes optiques déviés. On empêchera qu'ils ne considèrent des objets trop rapprochés, trop brillants ou trop petits, qu'ils ne soient exposés à une lumière latérale ; qu'ils ne soient tristes ou ne se mettent en colère ; les émotions vives peuvent en effet causer le strabisme ou l'augmenter s'il existe déjà.

L'imitation est aussi une cause de strabisme. Vous avez entendu un malade vous raconter qu'un de ses yeux s'est dévié à la suite d'efforts pour voir les objets doubles; on doit donc empêcher un pareil exercice. Les enfants qui sont élevés par une nourrice ou des parents louches, ont de la tendance à contracter une difformité semblable ; il sera donc prudent de les soustraire à la présence de personnes strabiques.

II. Moyens gymnastiques.—Ce sont les exercices orthophthal-miques ; on se propose un double but en les employant : redresser l'œil strabique par l'exercice et rétablir Faction des muscles inactifs. Ces moyens ont été anciennement connus. Paul d'Égine a indiqué, pour le redressement des yeux déviés, les loucheltes, qui consistent en un double opercule percé d'un seul petit trou pour le passage des rayons lumineux ; on tire partie ici de la direction forcée du regard. Les lunettes à verres prismatiques ou de Don-ders, celles de Wollaslon, les besicles de Verduc, sont fondées sur le même principe. Tous ces instruments ont le même inconvénient : c'est que, tandis que l'on croit l'œil louche bien dirigé, il reste dans sa position vicieuse ; on devra donc, quand on les emploiera , visiter souvent les yeux et s'assurer qu'ils ont, au moins par moments, une meilleure direction.

Il est un autre moyen préconisé par Buffon et déduit de la théorie de ce naturaliste sur la cause du strabisme : il consiste à couvrir

l'œil sain d'un bandeau afin de le rendre inactif, et de restituer ainsi à l'autre œil sa direction normale en égalisant la puissance visuelle. Mais ordinairement alors la déviation passe du côté opposé , et l'état de la vision reste le même; cependant, dans quelques cas rares, on a réussi de cette manière à rétablir l'équilibre musculaire.

Ces moyens échouent, en général, chez l'adulte. Un de nos maîtres s'est proposé comme exemple d'une guérison due à l'emploi de l'orthophthalmie; malheureusement il s'est fait illusion; nous avons été unanimes à reconnaître chez lui la persistance du strabisme , seulement quelque peu diminué.

En s'efforçant de fixer dans un miroir l'image de chaque œil avec l'œil correspondant, on a espéré rendre au globe oculaire sa direction normale. C'est à cet exercice, depuis longtemps décrit par Andry, qu'avait eu recours l'éminent chirurgien dont je viens de parler.

Les moyens qui forcent l'œil à se porter sur un objet peuvent être employés avec avantage. Voici celui que Darwin avait imaginé chez un de ses malades : celui-ci regardait les objets situés en face d'un œil avec l'œil opposé, et offrait, par conséquent, une convergence extrême des pupilles. Darwin plaça en avant du nez un diaphragme noir fixé au front et aux tempes, et formant un obstacle invincible au regard croisé; le malade s'exerçait à considérer en même temps deux objets situés de chaque côté du diaphragme. On pourrait utiliser pour le même objet le stéréoscope, instrument ingénieux à l'aide duquel l'individu peut s'assurer s'il regarde avec un œil ou avec les deux yeux. Un miroir ordinaire, auquel serait adapté un diaphragme, remplirait le même but, mais moins efficacement peut-être.

III. Moyens chirurgicaux. — Le troisième ordre de moyens doit nous arrêter plus longtemps que les précédents : il s'agit de la myotomie oculaire. M. Verhaeghe, médecin belge opéré par Dief-fenbach, a écrit un livre pour engager les personnes affectées de strabisme à se faire opérer. Il dit dans cet ouvrage : « On ne pourrait citer aucune opération en chirurgie qui ait produit plus d'enthousiasme que celle du strabisme. » Cela est vrai. A peine Dief-fenbach, mettant à exécution le projet de Stromeyer, eut-il pratiqué ses premières opérations en 1839 et 1840, que partout on s'em

pressa de l'imiter. L'engouement du public fut bientôt à son comble. Des légions destrabiques faisaient queue à la porte des opérateurs, envahissaient leur cabinet pour se soumettre à la myotomie oculaire.

Cette ardeur dura peu, et depuis longtemps elle est remplacée par une indifférence qui a gagné jusqu'aux médecins eux-mêmes.

Disons-le sans détour : on a procédé, à cette époque, d'une manière peu scientifique et avec une précipitation regrettable. Au lieu d'étudier avec maturité les faits particuliers, avant d'en étendre le cercle, on n'a cherché avant tout qu'une chose; on ne s'est attaché qu'à multiplier les opérations dans le plus court espace de temps possible, qu'à faire assaut de masse et de vitesse.

Il nous reste aujourd'hui à profiter des erreurs, des fautes commises. Comme les généraux le lendemain d'une bataille, comptons nos pertes, pénétrons-en les causes pour nous assurer à l'avenir un triomphe plus certain, des conquêtes plus durables.

Le point de départ de l'opération du strabisme, à savoir, la téno-tomie pratiquée dans les autres parties du système musculaire, est en partie vicieux, et a conduit naturellement à des déceptions. On n'a point fait attention que les conditions de l'appareil moteur de l'œil sont toutes différentes de celles qui existent dans le reste de l'économie. Il suffit, dans un membre, de rétablir l'attitude normale, de rendre, par exemple, au membre inférieur sa rectitude pour assurer l'exercice à peu près régulier de ses fonctions. Mais dans l'œil, il n'en est pas de même ; la précision des mouvements est nécessaire à l'exercice régulier de la vision. Le strabisme ne dépend pas seulement de la longueur du muscle; il peut aussi être l'effet d'un degré de contraction spasmodique habituel, que l'opération ne peut pas toujours faire cesser; il faut agir moins profondément dans ce genre de strabisme que dans celui par rétraction.

MM. Bonnet (de Lyon), Amussat et Lucien Boycr, à qui nous devons une connaissance plus complète de l'aponévrose orbito-ocu-laire, ont aussi indiqué les effets de sa rétraction sur la direction de l'œil. Avant eux, on n'avait pas tenu compte de cette influence; il en est résulté que des déceptions nombreuses ont suivi des opérations de strabismcs dont la véritable origine avait été méconnue. Des difformités considérables, produites par les procédés de redressement, ont été vues du public et l'ont effrayé. Les premiers

yeux redressés avaient attiré la foule des strabiques; les premiers revers ont éloigné les malades.

L'aponévrose, ai-je dit, joue un grand rôle dans la déviation des yeux : elle se rétracte comme les muscles. Des liens physiologiques l'unissent d'une part au globe oculaire, et de l'autre aux muscles qui lui empruntent des g.iînes et avec lesquels elle fait corps. Suivant que la section porte sur des points du muscle plus ou moins éloignés de son attache antérieure, suivant que l'aponévrose est divisée dans une plus ou moins grande étendue, le résultat est tout différent. Ce sont là des faits, non prévus d'abord, qui expliquent bien des insuccès. Il y en a encore d'autres. Les autres muscles contribuent à produire un strabisme interne ou externe ; MM. Amussat et Lucien Boyer en ont cité des exemples. Les strabismes convergent et divergent ne sont pas maintenus par des liens de même force. L'état du muscle opposé à celui qui produit la déviation est variable ; suivant qu'il est fort ou affaibli, la section a des effets très-différents.

Plusieurs procédés ont été proposés pour l'opération du strabisme; je décrirai le plus suivi, celui dans lequel on incise verticalement la conjonctive. Malgré les reproches qu'on lui a adressés, il me paraît encore, comme méthode générale, préférable à tous les autres. L'opération a été divisée en trois temps.

Premier temps. — A l'aide des ophthalmostats, on ouvre l'œil largement en écartant en sens inverse chaque paupière et en évitant de comprimer le globe oculaire avec l'instrument. Suivant M. le docteur Caffe, qui s'est soumis à la strabotomie, la pression des paupières dans ce premier temps lui a causé la plus forte douleur qn'il ait ressentie pendant l'opération. Chez quelques sujets dociles ou peu sensibles, les doigts suffisent pour produire l'écar-teinent des paupières ; on obtient le même résultat en se servant du double ophthalmostat à ressort, lorsque les aides font défaut.

Deuxième temps. — L'œil étant ouvert, on procède à sa fixation. A cet effet, on pique la conjonctive tout près de la cornée avec un crochet très-aigu et très-fin. Un second crochet semblable saisit la muqueuse oculaire à quelque distance du premier, de manière à former un pli transversal ; il est confié à un aide. L'opérateur tient lui-même le crochet qui est implanté près de la cornée,

et, à l'aide de ciseaux courbes sur le plat, incise le repli conjonc-tival. Le muscle sous-jacent est alors mis à découvert et saisi au moyen d'un crochet mousse plus fort que les précédents et introduit de haut en bas, ou de bas en haut, sous la bandelette musculaire.

Troisième temps. — Lorsque le muscle est saisi, on l'incise à l'aide des ciseaux courbes et par petits coups successifs. La section peut porter sur différents points du muscle, en avant ou en arrière du crochet. M. Philippe, de Bordeaux, a conseillé de couper le muscle loin de son attache antérieure; c'est à tort : la section faite en ce point a des effets fâcheux dont il sera question bientôt. J'établirai, au contraire, en règle générale, qu'il vaut mieux diviser le muscle au-devant du crochet à son insertion même à la sclérotique. Avant de faire la section, on devra souvent prendre quelques précautions, telles que de décoller le muscle sur ses bords ou à sa face interne, d'introduire, par exemple, au-dessous de lui, comme je l'ai vu faire à M. Phillips, de Liège, l'extrémité fermée des ciseaux, pour détacher les liens fibreux qui l'unissent au globe oculaire; suivant que la face interne du muscle est dénudée dans une plus ou moins grande étendue, le résultat de l'opération est très-différent. On le comprend facilement quand on réfléchit que les adhérences de la portion postérieure du muscle sectionné forment plus tard sa nouvelle insertion à l'œil. La section une fois complète, on aperçoit la teinte blanche de la sclérotique, et on retire les instruments.

Après l'opération, tout n'est pas fini; il faut regarder les yeux et s'assurer de leur direction. Il peut arriver que le strabisme persiste au même degré. Si le patient peut tourner son œil en dedans tout autant qu'avant l'opération, celle-ci n'a rien produit. Il faut alors reprendre les instruments, faire des recherches dans la plaie, dans son fond, à ses angles supérieur et inférieur, et voir s'il ne reste pas quelque portion musculaire non divisée, qu'on incisera à petits coups. S'il en est besoin, on décollera le muscle dans une plus grande étendue, mais en y mettant beaucoup de réserve, et on examinera de nouveau la direction des yeux et l'état de la vision. Une condition essentielle de succès, c'est que le muscle conserve , au moins en partie, son action après l'opération ; il faut que

le malade puisse diriger son œil en dedans, seulement dans une moindre étendue. S'il y a redressement, avec persistance de la très-légère convergence qui constitue l'état normal, le succès est à peu près assuré. Il faut encore que le muscle antagoniste recouvre la plénitude de son action, si elle était diminuée par le fait du strabisme ; c'est ce que vous voyez sur cet opéré, chez lequel le muscle droit externe a retrouvé toute sa puissance.

On procédera de la même manière à l'opération du strabisme externe. Toute la différence dans les conditions anatomiques que présente l'œil du côté externe, relativement à la strabotomie, consiste en ce qu'il est un peu plus couvert par les paupières. Le manuel opératoire présente la même facilité d'exécution dans les deux cas.

Dans le strabisme externe, il y a moins d'inconvénient, et il peut y avoir plus d'avantage à décoller largement le muscle que lorsque la déviation est interne ; on ignorait ce fait il y a quelques années, et c'est en partie de la sorte que s'expliquent les revers des chirurgiens à cette époque.

On a reproché à l'opération du strabisme, telle que nous venons de la décrire, de produire une plaie extérieure, de détruire les liens fibreux de l'œil dans un trop grand espace; de là le procédé sous-conjonctival de M. J. Guérin, qui consiste en une ténotomie cachée, par simple piqûre. Dans un autre procédé, dû à M. L. Boyer, on introduit un crochet mousse à travers une incision horizontale pratiquée à la muqueuse oculaire, on attire le muscle au dehors et on l'incise. Le seul avantage de ces deux méthodes est d'exposer peut-être moins à détacher l'aponévrose du globe de l'œil dans une trop grande étendue. Le même avantage se retrouve dans le procédé de M. Velpeau, qui, au lieu de découvrir le muscle par l'incision préliminaire de la conjonctive, le soulève avec elle à l'aide de pinces à griffes, et divise en même temps la membrane et le muscle dans le pli qu'il a formé.

Les suites de l'opération sont généralement simples. Elle est accompagnée d'un écoulement de sang ordinairement insignifiant, mais quelquefois assez abondant, donnant lieu à des ecchymoses considérables, surtout si l'on a eu recours à l'un des deux procédés qui empêchent le sang de s'écouler librement au dehors.

On n'observe point de fièvre en général; il s'en développe ce

pendant dans les cas malheureux où apparaissent des phénomènes inflammatoires, tels que rétinite, ophthalmie intense, etc., qui peuvent entraîner la perte de l'œil. On n'observe guère de pareils accidents que par suite d'imprudences des malades, comme cela a eu lieu chez une comtesse opérée par Dieffenbach, et qui passa, dit-on, une partie de la nuit à écrire après l'opération.

La plaie cachée sous les paupières est une fente ou boutonnière qui s'efface en partie par le rapprochement de ses bords, en partie par la formation d'un nouveau tissu muqueux. Il reste assez souvent une légère dépression au grand angle de l'œil, entre cette cicatrice et la caroncule lacrymale. La suppuration est ordinairement à peine sensible. Elle peut s'accompagner de la formation d'un bourgeon cellulo-vasculaire, qu'il faut quelquefois exciser, quand il ne disparaît pas de lui-même.

Il est intéressant de rechercher ce qui se passe dans l'orbite et dans le muscle divisé à la suite de l'opération du strabisme. On sait ce qui arrive après la section sous-cutanée des muscles : un lien fibreux réunit les portions divisées. Les choses se passent différemment dans les muscles de l'œil ; il paraît que les deux bouts ne se réunissent jamais ; du moins c'est ce qui se trouve démontré par les autopsies de MM. Lenoir, Bonnet, L. Boyer, Hewett, Guer-sant, et par celle qui m'est propre. Ni ces observateurs, ni moi-même, nous n'avons vu l'union des deux moitiés du muscle; mais nous avons constaté la soudure du bout postérieur à l'œil; ce bout se greffe en quelque sorte à la sclérotique, le tissu cellulo-aponé-vrotique qui l'unit à cette membrane s'organisant en aponévrose d'insertion. L'extrémité antérieure du muscle se flétrit et disparaît à la longue. On n'a jamais démontré par la dissection la réunion du muscle bout à bout que l'on prétend obtenir dans certains procédés , tels que le sous-conjonclival. Le cas dans lequel M. Bonnet a cru voir celle réunion nous paraît prouver le contraire; et quant aux observations faites sur le vivant lorsqu'on a opéré de nouveau à la suite d'une première section, elles ne sauraient établir le fait d'une manière péremptoire. On comprend que le bout antérieur, surtout s'il a une certaine longueur, puisse adhérer à l'œil près de la nouvelle attache du bout postérieur, avec lequel il peut se confondre en apparence; mais cela ne changerait rien au résultat physiologique.

De ces faits découlent des conséquences physiologiques importantes : c'est que plus le muscle s'insère en arrière, plus son action est diminuée ; il cesse d'agir si son insertion nouvelle est très-rapprochée du nerf optique ; celle-ci a-t-elle lieu dans un point voisin de l'attache normale, le muscle a presque autant d'action qu'avant la section. Les premiers opérateurs ignoraient ces faits. On peut en quelque sorte régler à l'avance le degré de cette action restante du muscle, en agissant sur un point plus ou moins rapproché de son extrémité postérieure, en favorisant plus ou moins sa rétraction.

Les résultats consécutifs et définitifs de la strabotomie dépendent d'une espèce de lutte qui s'établit entre le muscle coupé et son antagoniste; si l'opération a été bien faite, l'équilibre succède en général à cette lutte, que l'on a cherché à diriger par des moyens orthophthalmiques, à l'aide d'un bandeau appliqué sur l'œil sain , par exemple, ou bien par un fil de soie passé dans la conjonctive de l'œil opéré. Je ne sais si ces tentatives ont été couronnées de succès; à priori, j'y vois quelques inconvénients au point de vue de l'irritation et de l'inflammation qui peuvent en résulter.

On peut diviser en quatre catégories les résultats définitifs de la strabotomie.

Io L'œil est complètement redressé ; ses mouvements ont leur étendue naturelle ; c'est, en un mot, un œil tout à fait normal. Ce résultat parfait s'obtient rarement.

2° On peut dire qu'aujourd'hui le deuxième résultat dont nous allons parler est la règle; c'est une quasi-perfection. H reste un peu trop d'ouverture des paupières, le pli en dedans est un peu trop marqué, le globe oculaire un peu plus saillant que son congénère; mais ces différences sont à peine sensibles. Les yeux, vus de face, sont presque normaux; si le malade les porte latéralement, ils sont d'accord dans une grande partie du regard, c'est-à-dire que leurs rapports restent les mêmes dans leurs divers déplacements.

3° Le strabisme n'est pas redressé, bien que le muscle ait été incisé dans toute sa hauteur. Quelquefois dans ce cas, quoiqu'on n'ait d'abord obtenu qu'une légère amélioration, un changement, consécutif s'effectue dans l'organe de la vision, et en détermine le redressement. Le contraire peut aussi avoir lieu, c'est-à-dire qu'après bouvier. H

un redressement en appparcnce satisfaisant, le strabisme se reproduit en tout ou en partie.

Les sections multiples auxquelles on a eu recours pour prévenu les résultats de cette troisième catégorie, pour faire cesser le strabisme, lorsqu'il résiste à la section complète d'un seul muscle et à un large débridement de l'aponévrose oculaire, présentent des dangers; elles exposent à l'exophlhalmie, à un excès d'écartement des paupières, au strabisme opposé, à la fixité de l'œil. Elles ne seraient guère admissibles que si la vision était presque détruite par un strabisme horrible, et qu'on eût l'espoir de rétablir cette fonction en donnant aux yeux une meilleure situation.

Zi° L'opération produit un strabisme opposé à celui qui existait, le muscle antagoniste attirant trop fortement l'œil de son côté. Cet accident, facile à produire dans le strabisme interne, est excessivement rare dans le strabisme externe. Dans quelques cas, malgré cette déviation nouvelle, les malades éprouvent de l'amélioration ; leur vue est meilleure, ou bien le strabisme opposé est moins prononcé que celui qui existait auparavant. Cet accident peut être consécutif.

L'immobilité complète du globe oculaire dans le sens du muscle coupé est encore un fâcheux résultat que les chirurgiens ont observé à la suite de la division d'un des muscles de l'œil, dont l'action se trouve perdue par l'effet de quelqu'une des circonstances déjà mentionnées, une section faite trop en arrière, un trop grand décollement de l'aponévrose. Il n'est pas toujours au pouvoir du chirurgien d'éviter ces inconvénients, d'autant plus qu'ils peuvent se développer après une opération suivie du meilleur résultat immédiat, et par le seul défaut d'équilibration consécutive de l'action musculaire; aussi doit-on se faire une règle de ne pas opérer les strabismes légers, dans lesquels il est plus facile encore de produire la prédominance du muscle antagoniste sur le muscle affecté, trop affaibli par l'opération. On évite ces inconvénients, a-t-on dit, en opérant par la méthode sous-conjonctivale; j'ai vu des faits qui contredisent cette assertion ; ce sont là des prétentions exagérées ; vous en trouverez la preuve dans une observation de M. Peyré {Traité du strabisme, p. 88, 1842).

On pourrait recommencer l'opération lorsqu'elle a échoué une première fois. Ces opérations nouvelles ont presque toujours des

suites fâcheuses; je vous engage à ne pas opérer deux fois le même malade.

Un mot sur les résultats de la ténotomie oculaire relatifs à la vision. Elle s'améliore souvent, en même temps que l'œil se redresse ; la rétine retrouve sa sensibilité ; la diplopie, qui empêchait la netteté de la vision, diminue et disparaît immédiatement ou avec le temps.

En somme, et malgré la diversité de ses résultats, la strabotomie est une opération qui restera, qui rendra toujours des services incontestables, et l'Académie des sciences à bien jugé en décernant, en 18i2, des récompenses à M. Stromeyer et à Dieffenbach pour avoir, l'un proposé, l'autre pratiqué cette opération.

Examinons maintenant un certain nombre de malades pris parmi ceux que j'ai soumis à l'opération du strabisme.

Ier cas. — Voici un jeune homme de vingt-cinq ans que j'ai opéré en 1851. Il avait un strabisme externe de l'œil droit, qui persiste encore aujourd'hui, mais qui est beaucoup moins prononcé qu'avant l'opération ; il est à peine du deuxième degré. J'ai peu détaché le muscle abducteur, l'œil me paraissant suffisamment redressé au moment de la section. Vous voyez, dans le mouvement d'abduction, un léger intervalle entre l'iris et l'angle externe de l'œil du côté droit ; l'adduction s'exerce parfaitement ; il y a accord entre les deux yeux dans ce mouvement. Si j'eusse porté plus loin la section de l'aponévrose et le décollement du muscle, j'aurais obtenu un redressement plus complet du globe de l'œil ; mais le mouvement d'abduction, déjà insuffisant, eût été encore plus limité. Dans les cas de ce genre, on se trouve placé entre deux alternatives, et il est presque impossible d'échapper à l'une d'elles. Il est arrivé chez ce malade que l'action du droit interne s'est montrée consécutivement insuffisante pour empêcher le droit externe de reproduire en partie le strabisme.

IIe cas. — Cette jeune fille, âgée de dix-huit ans, a été opérée aussi en 1851. Ses yeux ont une direction normale; je considère ce résultat comme un succès. Il s'agissait d'un strabisme interne de l'œil gauche du troisième degré. L'autre œil participait à l'affection ; il y avait presque strabisme double. Les mouvements latéraux sont bien d'accord ; l'adduction est à peine diminuée ; le bord

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interne de l'iris atteint la caroncule lacrymale. La vue, très-faible avant l'opération, s'est beaucoup améliorée.

IIIe cas. — Le résultat obtenu chez cette femme, qui a trente-quatre ans, n'appartient pas tout à fait à la deuxième catégorie; il est moins satisfaisant. Nous allons en voir la cause. L'opération a été faite en 1845, à la Pitié; la déviation était interne, droite, congénitale et du deuxième degré. Une sœur jumelle éprouvait la même infirmité. L'incision du muscle droit interne et de l'aponévrose a été trop étendue ; il y a affaiblissement du pouvoir adducteur ; le bord interne de l'iris n'atteint plus la caroncule lacrymale. L'accord des deux yeux est parfait dans le regard à droite ; ils cessent d'être harmoniques lorsqu'ils se portent à gauche, et surtout à la fin de leur course.

IVe cas. — Les deux yeux ont été opérés chez celte autre malade; elle avait un strabisme interne, gauche, du troisième degré, passant souvent à droite et par conséquent double alternatif. Après la section du muscle droit interne gauche à son attache, pratiquée en 1842, le redressement du globe oculaire était presque complet, l'abduction normale, l'adduction conservée ou peu diminuée. Les yeux se trouvaient d'accord, excepté dans des mouvements extrêmes ; la vision avait beaucoup gagné. La seconde opération a nui au résultat. Le muscle droit interne du côté droit, divisé avec beaucoup de précaution, huit jours après la première opération, a perdu son action, et a fait naître un strabisme divergent. Il aurait fallu, pour ce second œil, se borner aux moyens orthophthaliniques, ou ménager encore davantage l'aponévrose oculaire, dût le redressement rester incomplet.

Ve cas. — La malade que je vous présente occupait un emploi à la Salpêtrière lorsque j'étais médecin de cet établissement, en 1841; elle était sous-surveillante et supportait avec peine une difformité qui excitait les plaisanteries des aliénées. Le strabisme, externe et situé à gauche, appartenait au troisième degré; le bord de l'iris atteignait la commissure externe des paupières. Le mouvement d'adduction avait une étendue presque normale; il existait peu de raccourcissement absolu du droit externe. La vision était un peu affaiblie à gauche. Cette lésion étail peut-être congénitale

peut-être aussi était-elle le résultat d'attaques d'épilepsie auxquelles la malade a été sujette jusqu'à dix-neuf ans.

Le 11 août 1841, je pratiquai la section du muscle droit externe sans presque obtenir de changement. Je débridai largement alors, au-dessus et au-dessous de l'insertion du muscle, et j'obtins un redressement satisfaisant ; l'étendue de l'abduction était peu diminuée ; l'adduction s'exécutait complètement. L'année suivante, on constatait un très-léger défaut de convergence des yeux dans le regard vague, un accord dans les mouvements latéraux droit et gauche, excepté à la fin de ce dernier mouvement; l'abduction de l'œil gauche restait incomplète. Aujourd'hui on ne voit plus, ou difficilement, le défaut de convergence dont je viens de parler; l'abduction paraît complète comme l'adduction.

VIe cas. — Cette malade, qui est âgée maintenant de trente-neuf ans, présentait un strabisme externe, gauche, du deuxième degré; elle avait eu une variole à trois ans; une taie s'était formée sur l'œil et avait été suivie d'une déviation du globe oculaire. Celui-ci, avant l'opération, jouissait encore de mouvements étendus; mais l'adduction s'arrêtait à deux millimètres de la caroncule lacrymale. En outre l'œil gauche était un peu plus grand que l'œil droit. Le 19 mars 1841, la section du muscle droit externe fut pratiquée sans amener de changement dans l'état de l'œil; de larges débridements eurent pour résultat son redressement, l'étendue complète de l'adduction, mais aussi une perte de l'abduction, qui se trouve réduite de moitié. La vision, déjà faible avant l'opération, n'a rien gagné depuis.

VIIe cas. — Nous avons ici l'exemple d'un strabisme interne gauche du troisième degré. La malade a dix ans. D'un à trois ans, elle fut atteinte de convulsions, avec un strabisme qui apparaissait d'abord seulement pendant les attaques, puis, plus tard, persistait après qu'elles avaient cessé.

Le mouvement d'abduction était presque normal ; il y avait peu de rétraction du muscle droit interne. La vision était affaiblie à gauche.

Au mois de juin 1854, la section du muscle droit interne, pratiquée à son attache antérieure, a produit un redressement salis

faisant de l'œil; l'étendue de l'adduction est très-peu diminuée. La vision s'est notablement améliorée.

VIIIe cas. — Le dernier de nos opérés présentait, comme le précédent, un strabisme interne de l'œil gauche, dont la cause nous est inconnue; nous savons seulement que ce jeune homme, âgé aujourd'hui de vingt-cinq ans et militaire, ne louchait pas avant six ans. Quand nous l'avons vu pour la première fois, à neuf ans, les pupilles étaient bien semblables, et l'abduction était complète. Le malade nous disait voir moins bien de l'œil gauche ; toutefois la vue, de ce côté, était encore bonne. Quand on couvrait l'œil droit, on observait un redressement subit de l'œil gauche. Les efforts du malade parvenaient à maintenir cet œil redressé après la réouverture des paupières à droite; mais abandonné à lui-même, l'œil gauche retournait à sa position vicieuse.

En lisant, l'enfant ne paraissait regarder que de l'œil droit, l'œil gauche restant toujours dirigé en dedans. Le doigt, placé en face des yeux, et de près, était vu double ; la deuxième image se trouvait située à gauche de la première : aussi, quand le doigt était porté à gauche, le malade voyait-il la deuxième image devant l'autre. Le doigt, placé à droite, ne donnait pas lieu à la vue double.

Le 12 avril 1842, j'incisai le muscle droit interne gauche à petits coups, près de la cornée, et après l'avoir décollé avec l'extrémité fermée des ciseaux. Immédiatement après l'opération, le malade ne voit plus double ; l'œil est redressé ; mais quelques instants après, le strabisme se reproduit. Le crochet introduit dans la plaie rencontre une bride résistante, probablement formée de fibres charnues, que j'incise. L'œil reste alors bien redressé; l'adduction est étendue : l'iris atteint presque l'angle interne; il n'en est distant que d'une demi-ligne.

Aujourd'hui, l'état des yeux est satisfaisant; seulement le gauche est un peu plus grand que le droit. L'iris approche très-près de l'angle^interne dans l'adduction, mais un peu moins près qu'autrefois ; il en reste éloigné de plus d'un millimètre. L'œil gauche est assez bien d'accord avec le droit dans le regard à droite, excepté pourtant à l'extrême adduction. L'harmonie existe d'abord entre les deux yeux dans le regard à gauche, mais elle diminue et cesse en dehors.

La vue est un peu meilleure à droite, et cette différence devient surtout sensible quand le sujet cherche à lire des caractères qu'on tient éloignés.

En résumant les faits qui viennent d'être soumis à notre observation , nous voyons que la myotomie oculaire a permis d'obtenir un redressement complet de l'œil dans quatre cas, et dans trois de ces cas une amélioration notable de la vision ; qu'elle a donné un demi-succès dans deux autres cas ; et qu'enfin elle a laissé les yeux dans un état très-imparfait chez les deux derniers malades. Ce résultat général, que je ne donne pas comme pouvant fonder à lui seul une statistique qui exigerait des faits plus nombreux, est néanmoins satisfaisant, et confirme l'opinion que j'ai exprimée plus haut sur le mérite de cette opération.

DEUXIÈME ANNÉE * 1*56.

ARTICLE V.

DU PIED BOT.

(1) L'objet de notre réunion vous est déjà connu; nous poursuivons l'étude clinique, commencée l'année dernière, des maladies chroniques de l'appareil locomoteur. Nous avons terminé la clinique de 4855 par la description du strabisme; aujourd'hui, nous allons étudier le pied bot.

Nomenclature. — Malgré les grandes dissemblances qui séparent le pied et l'organe de la vision, on peut cependant établir un rapprochement entre eux, au point de vue des vices de direction qui frappent l'un et l'autre, et si l'on a nommé le strabisme pied bot de l'œil, on pourrait, avec non moins de raison, appeler le pied bot strabisme du pied.

Strabisme, en effet, vient de crps'cçio, je tourne; ce mot a la même origine, le même sens étymologique que arpocpv), et Galien a dit diaslrophê de la cuisse, du rachis, pour désigner la courbure de ces parties.

Un auteur contemporain s'est servi du verbe cxplcpto pour désigner la difformité du pied bot, qu'il appelle stréphopodie, et à l'aide des particules endo, exo, ano, etc., il dénomme toutes les variétés.

On avait précédemment appelé le pied bot kxjllopodie, kyllose, d'après le langage des anciens, qui nommaient le dieu Vulcain Kyllopodô, c'est-à-dire pied courbe, tortu. Hippocrate et Galien se sont servis du mot kullosis pour désigner la courbure des membres , et en particulier le pied bot.

(I) Première leçon, 23 mai 1856.

Pour nous, nous conserverons le vieux terme pied bol, déjà en usage avant Ambroise Paré. Suivant certains élymologistes, pied bot se dit pour pied botté; mais l'adjectif bot a un sens bien plus expressif; il signifiait, dans l'ancien français, mousse, obtus, tronqué. Cet adjectif, qui a disparu de notre langue, se retrouve dans le hollandais bot, dans l'allemand butt, dans l'espagnol boto, mots qui ont le même sens. Son antiquité remonterait bien plus loin que celle des noms grecs ou latins, si l'on admet avec M. Louis Delâtre que ce mot bot nous est venu de l'Inde, de la langue des anciens brahmanes, que sa racine est le verbe sanscrit badh, frapper, blesser, d'où pied bot, pied contrefait, difforme (1).

Définition. — Quoi qu'il en soit de ces étymologies, nous entendons aujourd'hui par pied bot tout vice de direction permanent, toute déviation persistante des pieds.

Les déviations de ce genre résultent d'une inclinaison des axes des os du tarse, du métatarse et des orteils, inclinaison déterminée et maintenue par la disposition vicieuse des ligaments, des muscles et très-souvent des os eux-mêmes.

Mouvements physiologiques du pied. —Cette inclinaison a pour point de départ celle qui se produit dans les mouvements normaux des articulations du pied. Ces mouvements sont au nombre de quatre, l'extension, la flexion, l'adduction et l'abduction, auxquels il faut ajouter des mouvements intermédiaires qui résultent de l'association de la flexion et de l'extension avec l'adduction ou l'abduction; en tout huit mouvements simples ou composés.

Des quatre mouvements simples, la flexion et l'extension seules se passent entre l'astragale et les os de la jambe; dans les deux autres, adduction et abduction , l'astragale est immobile, et tout le pied pivote autour de la tête de cet os par un mécanisme assez compliqué, que j'ai décrit il y a déjà bien des années. Le siège des mouvements d'adduction et d'abduction réside donc exclusivement dans l'articulation astragalo-calcanieune et dans l'articulation mé-dio-tarsienne. Quant aux mouvements associés, ils ont lieu à la fois dans ces jointures et dans l'articulation tibio-astragalienne.

Les puissances musculaires qui produisent ces divers mouve-

(1) L. Delâtre, La langue française dans ses rapports avec le sanscrit. Paris, 1854, t. I, p. 146.

ments n'ont pas toujours été exactement appréciées. Des recherches récentes de M. le docteur Duchenne (de Boulogne) ont rectifié à cet égard, sur plusieurs points, les idées généralement admises (1). C'est d'après ces nouvelles observations, dont j'ai moi-même vérifié l'exactitude, que je vais résumer brièvement ce point de mécanique animale.

Six muscles sont les agents essentiels des huit mouvements indiqués précédemment; ce sont : le triceps sural (jumeaux et soléaire), le long péronier latéral, lejambier antérieur, le long extenseur des orteils, le jambier postérieur et le court péronier latéral.

Les quatre premiers muscles, quand ils agissent seuls, ne produisent que des mouvements mixtes ou composés : le triceps sural est extenseur-adducteur ; le long péronier latéral, extenseur-abducteur ; lejambier antérieur, fléchisseur-adducteur ; le long extenseur commun des orteils, fléchisseur-abducteur.

L'extension directe résulte de l'action simultanée du triceps sural et du long péronier latéral; la flexion directe, de l'action réunie du jambier antérieur et du long extenseur des orteils.

Le jambier postérieur produit l'adduction simple du pied ; il devient un peu extenseur quand le pied est fortement fléchi.

Le court péronier latéral ne produit de même que l'abduction directe, quand le pied a été préalablement amené à l'angle droit.

Chacun de ces deux muscles peut s'associer à ceux des quatre autres qui agissent dans le même sens, pour produire des mouvements composés.

Le péronier antérieur, quand il existe, concourt au mouvement de flexion-abduction avec le long extenseur des orteils, dont il n'est qu'un appendice.

Le long extenseur du gros orteil et le long fléchisseur commun des orteils ne secondent ou ne suppléent que dans des cas particuliers, le premier le fléchisseur-adducteur, le second l'extenseur-adducteur du pied.

Le long fléchisseur du gros orteil ne paraît concourir à l'exten-sion-adduction que dans des cas pathologiques.

Je n'ai considéré jusqu'ici que les mouvements de totalité du pied. Je ne m'arrêterai pas aux mouvements partiels de sa moitié

(1) Voyez Archives générales de médecine, numéros de juin et juillet 1856.

antérieure, tels que certains mouvements isolés de l'articulation médio-tarsienne, ceux des os cunéiformes, des os du métatarse, des phalanges, bien qu'il leur revienne une part d'influence dans les déformations du pied bot. Mais je ne puis me dispenser de signaler une action du long péronier latéral, toute spéciale, méconnue de la plupart des anatomistes, très-sommairement indiquée par Sœmmering, et décrite d'une manière plus précise par M. le docteur Duchenne. Cette action s'exerce sur le premier métatarsien ; le long péronier latéral abaisse avec force l'extrémité antérieure de cet os, et entraîne en même temps en bas les os cunéiformes, le scaphoïde et même le cuboïde. Ce mouvement donne au pied plus de voussure dans son milieu, augmente en ce point la concavité plantaire et détache davantage l'espèce de talon antérieur formé par la saillie sous-métatarsienne du gros orteil. Nous verrons cette action du long péronier devenir la source de déformations particulières, soit en acquérant trop d'énergie, soit, au contraire, en s'affaiblis-sant au-dessous du rhythme normal.

Variétés du pied bot. — Je viens de vous exposer brièvement les mouvements normaux du pied, et l'influence qu'il faut attribuer à chaque muscle dans ces actions simples ou composées. Vous comprenez maintenant que le sens de ces mouvements va déterminer les principales variétés du pied bot.

D'abord, aux huit mouvements du pied correspondent huit déviations possibles, huit sortes de pieds bots. Ce seront les déviations par extension, flexion, adduction, abduction, extension-adduction, extension-abduction, flexion-abduction, flexion-adduction.

Mais ce n'est pas tout, car la nature n'est point enchaînée dans ses écarts par les règles de l'ordre physiologique. Ainsi, dans la flexion, dans l'extension normales, tout le pied suit le mouvement de l'astragale et du calcanéum; les orteils seuls se meuvent quelquefois dans une direction opposée. Mais, dans l'état pathologique, la rangée antérieure du tarse peut s'incliner en sens contraire du mouvement de la rangée astragalo-calcanienne ; de là des déviations composées qui diffèrent des précédentes. De même, dans l'adduction et l'abduction physiologiques, le calcanéum et la rangée scaphoïdo-cuboïdienne se meuvent toujours, sinon dans la même étendue, du moins dans le même sens. Il peut arriver, au con

traire, dans les déviations pathologiques, que ces os exécutent des mouvements opposés, que le calcanéum se porte dans l'abduction et l'avant-pied dans l'adduction, et vice versa. Ce sont encore là des déviations tout à fait distinctes.

On pourrait donc, comme on le voit, établir douze ou quinze variétés de pieds bots.

Mais, pour plus de simplicité, je rattacherai toutes ces variétés à quatre groupes, division consacrée par le temps.

Le premier groupe comprend tous les cas où la pointe du pied est tournée en dedans, c'est le varus; le deuxième groupe, tous les cas où la pointe du pied est tournée en dehors, c'est le valgus.

Varus a désigné d'abord, chez les Romains, toutes les difformités des pieds qui rendaient boiteux ; plus tard, on réserva ce mot pour les difformités qui dirigeaient la pointe du pied en dedans, en l'opposant à valgus, qui se disait de toute déviation des pieds en dehors. Celte phrase de Celse explique très-bien cette différence : « Si in interiorem partem prolapsum est, crus longius altero, et valgius est : extra enim pes ultimus spectat. Si in ex-teriorem, brevius , varumque fit, et pes intus inclinatur (1). » « Si la cuisse est luxée en dedans, le membre est plus long que l'autre, et il devient valgus ; car le bout du pied se tourne en dehors. Quand la luxation est en dehors, le membre se raccourcit et devient varus ; le pied s'incline en dedans. »

Ces expressions varus, valgus, s'entendaient toutefois aussi bien des courbures des jambes, qui rapprochent ou écartent les pieds, que des pieds bots eux-mêmes. C'est dans ce sens que Luci-lius a dit dans une de ses satires :

Compernem aut varam fuisse Amphitryonis acoitin Alcmenam, atque alias, Helenam ipsam denique, nolo Dicere....... (Lucil., Frag., 1. 17, 1.)

« Dirai-je qu'Alcmène, la moitié d'Amphitryon, et d'autres, la belle Hélène elle-même, avaient les genoux cagneux ou les jambes courbes? »

On trouve encore dans des écrits publiés à l'étranger les expressions de genu varum et genu valgum; mais en France, on

(1) Dere medicâ, 1. Viir, xx. Ed. Fouquier, Paris, 1823, p. 403.

n'applique aujourd'hui qu'au pied bot les noms de varus et de valgus.

Dans le troisième groupe de pieds bots, le pied, dans l'extension forcée, ne touche le sol que par les orteils ou l'extrémité des métatarsiens : c'est le pes equinus, pied équin.

Dans le quatrième groupe , le pied est dans la flexion forcée; il touche le sol seulement par le talon : c'est le talus.

Cette division des pieds bots en quatre classes se prête parfaitement d'ailleurs à la création de noms composés applicables aux déviations multiples. Ainsi nous dirons : varus équin, équin valgus, varus valgus, valgus talus, etc., en commençant toujours par le nom de la déviation la plus prononcée ou la plus importante , ou bien en les nommant d'arrière en avant, si elles sont d'égale valeur.

g Ier. — Histoire pathologique des pieds bots.

Elle comprend deux périodes : 1° la période de formation ou de déviation commençante ; 2° la période de déviation confirmée.

I. Première période du pied bot. — Elle peut être considérée dans le pied bot accidentel, acquis, et dans le pied bot natif ou congénial.

A. Première période du pied bot accidentel. — Nous assistons en quelque sorte à la formation du pied bot, quand il se développe après la naissance. Son début diffère suivant la cause qui le produit, cette cause peut résider dans les os, les ligaments, les muscles, dans les tissus morbides.

1° Le pied bot accidentel, de cause purement osseuse, est rare et toujours symplomalique. Il succède à la destruction partielle des os par la carie, par exemple ; le rapprochement des os restés intacts incline nécessairement le pied du côté malade ; les muscles ne se rétractent que consécutivement. On comprend qu'une tumeur osseuse pourrait produire le même effet en sens inverse.

2° Les ligaments peuvent se raccourcir dans des arthrites chroniques, dans le rhumatisme, la goutte, et dévier le squelette du pied en rapprochant leurs deux attaches. Mais on observe plus souvent l'allongement, le relâchement des ligaments du pied; il coïncide ordinairement avec la faiblesse des muscles.

3° Les ulcères, les plaies, surtout celles qui sont produites par les brûlures, donnent lieu à des productions nouvelles, remarquables, comme l'on sait, par leur force de rétraction graduelle, qui peut entraîner les os et déformer toutes les parties du squelette. Vous jugerez des difformités que le pied peut contracter sous l'influence de cette cause par le bel exemple de talus que je place sous vos yeux.

h° Le pied bot primitivement musculaire est de beaucoup le plus commun. Ce pied bot, de même que le strabisme, n'est qu'un fait particulier d'un phénomène très-général, que nous retrouverons dans l'étiologie d'une foule de difformités du squelette; je veux parler de la rupture de l'équilibre musculaire par des causes pathologiques. Dès que cet équilibre est rompu, les muscles prédominants inclinent, dévient les parties auxquelles ils s'insèrent. C'est surtout depuis les recherches modernes sur la ténotomie et sur les paralysies que cette loi a été mieux connue. Cette myologie, dont l'étude vous a sans doute souvent causé bien des ennuis, devient ainsi une science du plus haut intérêt par ses nombreuses et utiles applications à la pathologie, à la thérapeutique. Gardons-nous pourtant de toute exagération, et n'allons pas conclure, sur la foi de certains systèmes, que presque toutes les difformités osseuses ont une origine musculaire. Nous verrons, en effet, qu'un grand nombre de ces difformités ont leur principe dans le système osseux lui-même.

Quoi qu'il en soit, le pied, plus peut-être que toute autre partie du corps, a besoin d'un parfait équilibre des puissances musculaires qui l'entourent. Vacillantes par elles-mêmes, ses articulations ne présentent au corps une base solide dans la station, qu'à la condition d'être également soutenues de tous côtés par les muscles. Or, une foule de causes peuvent détruire cet équilibre musculaire. Si vous maintenez longtemps les muscles d'un membre raccourcis ou allongés, l'équilibre est rompu dans les puissances musculaires, et il surviendra des déviations dans le sens des muscles raccourcis. C'est ce qu'on voit après l'immobilité qu'entraîne le traitement des fractures de jambe ; si l'on a laissé la pointe du pied s'abaisser et les extenseurs se raccourcir par l'effet de cette attitude , il se forme un pied équin.

L'usage des béquilles trop élevées a quelquefois déterminé le

même effet à la longue, en obligeant les malades à s'appuyer constamment sur la pointe des pieds.

Camper (1) assure que, quand les dames de son temps quittaient leurs chaussures à talons élevés, elles ressentaient de vives douleurs aux mollets, à cause du raccourcissement des muscles jumeaux et soléaire.

Le poids du corps, dans la station continuelle, surtout avec port de fardeaux et efforts musculaires, suffit quelquefois chez les jeunes apprentis de certaines professions pour allonger les muscles et les ligaments dans un sens, et amener une inclinaison des os dans le sens opposé. Cette cause agit encore bien plus efficacement si les os offrent des courbures rachitiques.

Un effort de la volonté, qui incline pendant longtemps le pied dans la même direction, peut finir par rompre l'équilibre musculaire et par produire un pied bot. C'est ce qui arrive dans certaines claudications ; les sujets prennent l'habitude de marcher sur la pointe du pied, la flexion devient très-bornée, un pied équin se développe.

Bruckner (2) a vu deux varus causés par des ulcérations superficielles au côté interne du pied, par suite de l'effort continuel des malades pour marcher sur son bord externe.

La contraction involontaire, incessante, de certains muscles dans beaucoup de maladies douloureuses du pied ou de la jambe, produit des effets analogues. C'est ainsi, par exemple, que, dans les abcès, les ulcères scrofuleux ou autres du mollet, l'action involontaire du triceps sural détermine souvent le pied équin.

Mais la source la plus fréquente de ce genre de déviation des pieds réside dans les affections des muscles eux-mêmes, soit qu'elles proviennent de leurs lésions propres ou des lésions du système nerveux. Ces affections ont pour conséquence immédiate l'excitation de la contraction musculaire, ou l'affaiblissement, l'abolition de cette contraction. Dans les deux cas, si tous les muscles ne sont pas atteints ou s'ils le sont à des degrés différents, l'équilibre est rompu.

Une maladie assez fréquente dans cet hôpital, c'est la contrac-

(1) Diss. sur la meilleure forme des souliers, 1781, p. 28.

(2) Ueber, etc., ou Des causes et du traitement des pieds bots, p. 51, Gotha, 1796.

ture des extrémités, qui se présente sous la forme aiguë ; les pieds sont portés dans une telle adduction qu'on croirait voir des pieds bots varus. Quand les enfants guérissent, il ne reste ordinairement rien de celte attitude. Mais ces contractures peuvent se présenter à l'état chronique et amener de véritables pieds bots.

Mais c'est surtout la paralysie qui est la cause la plus fréquente de déviation des pieds, et c'est surtout par les paralysies qu'elles laissent à leur suite, que les maladies cérébrales et les convulsions-de l'enfance sont une cause si fréquente de pied bot. La marche de la maladie est, dans ce cas, presque uniforme. Un enfant est pris tout à coup, avec ou sans fièvre, d'une paralysie plus ou moins-étendue; au bout d'un temps assez court, le mouvement reparaît, peu à peu, mais inégalement; certains muscles demeurent plus, faibles que d'autres, et le membre est entraîné dans le sens des. plus forts.

Notons enfin, parmi les causes de la perte d'équilibre musculaire, l'atrophie graisseuse progressive. M. Broca(l) a montré plusieurs exemples très-intéressants de pieds bots provenant de cette cause.

Quelle que soit la cause du pied bot accidentel, son mode de formation est toujours à peu près le même : ce n'est d'abord qu'une attitude comparable aux altitudes physiologiques, mais sans permanence, fugace ; peu à peu elle se prononce davantage ; le? muscles cèdent encore, on peut ramener le pied à sa position naturelle , mais il faut déjà une force étrangère ; enfin le raccourcissement est permanent, le pied ne peut plus être ramené immédiatement dans sa position naturelle, malgré la force qu'on emploie ; c'est le pied bot confirmé.

Je vais faire passer sous vos yeux plusieurs enfants atteints de paralysie incomplète, provenant du mal vertébral ou d'autres lésions , et qui offrent divers exemples de pieds équins en voie de formation.

Ier et IIe cas. — Voici deux enfants de la salle Saint-Louis, paraplégiques par suite du mal vertébral ; sur les deux, vous voyez un commencement de rétraction du triceps sural coïncidant avec une paralysie du jambier antérieur. La position du pied est celle de

(1) Bulletin de la Société anatomique, 1851.

l'extension chez les deux enfants, mais on parvient aisément à le ramener dans la flexion ; il suffit même pour cela, chez l'un d'eux, d'un effort peu considérahle, parce que le muscle n'est encore que faiblement rétracté. C'est en quelque sorte un premier degré de cette lésion musculaire. Chez le second, le triceps sural résiste davantage, quoiqu'il finisse également par céder à l'effort des mains; c'est un deuxième degré de contracture. Vous remarquerez sur les deux malades une contraction énergique de l'extenseur du gros orteil, lorsqu'ils font effort pour fléchir le pied. Dans les cas de ce genre, ce muscle tend, en effet, à suppléer le jambierantérieur, privé de toute action.

IIIe et IVe cas. — Ces deux filles de la salle Sainte-Geneviève sont des cas analogues. Le n° 5 offre une paralysie du jambier antérieur à droite seulement; la contracture du triceps est légère; l'extenseur du gros orteil fait encore ici effort pour suppléer le jambier antérieur. Vous voyez le gros orteil se relever fortement en arrière chaque fois que l'on dit à l'enfant de fléchir le pied, quoiqu'elle ne parvienne pas à exécuter ce mouvement.

Chez le n° 8, la rétraction est beaucoup plus prononcée du côté droit ; on arrive avec peine à dépasser l'angle droit ; il y aura bientôt pied bot équin si la cause pathologique persiste ; la paralysie des muscles antérieurs est générale.

Ve et VIe cas. — Enfin, chez ces deux garçons de la salle Saint-Augustin, l'un atteint de paralysie générale, avec contractures multiples, l'autre de coxalgie, le triceps sural est affecté de la même manière que chez les précédents, quoique par des causes différentes; chez l'un, le foyer de la maladie est dans la moelle, sans affection vertébrale; chez l'autre, la tendance au pied équin ne résulte que de l'effort volontaire pour soulever sur la pointe du pied le membre raccourci.

A côté des pieds bots proprement dits se trouvent certaines anomalies de conformation du pied qui ne gênent point la locomotion, et qu'on peut considérer comme des déviations arrêtées à leur début ou qui sont restées à leur première période. C'est à ce titre que je les décris ici. Je veux parler des pieds plats et des pieds creux.

Pied plat. — Dans le pied plat, la voussure tarso-métatarsienne est aplatie, les os sont en quelque sorte étalés; mais, en outre, on bouvier. 12

trouve souvent un changement de direction du pied. Le calcanéum est tourné en dehors, entraînant dans ce mouvement le scaphoïde et le cuboïde, qui eux-mêmes s'inclinent dans le même sens sur le calcanéum et l'astragale. C'est une abduction permanente, qui constitue un léger degré de valgus. Vous pouvez voir cette disposition sur le squelette que je vous présente. Ce pied a été recueilli à Rennes, et envoyé à la Société de chirurgie par M. Lacour (1). Avec quelques personnes, on peut appeler pieds larges les pieds plats de la première espèce, aûn de les séparer nettement de ceux qui ont un si grand rapport avec le valgus.

Le pied plat est ordinairement congénital; quand il est accidentel, il dépend de l'allongement des ligaments, de l'affaiblissement musculaire, surtout de la diminution d'action du long péronier latéral. Je vous ai montré au commencement de cette leçon l'action qu'il fallait attribuer à ce muscle, qui est comme une sorte de ligament actif, maintenant en place la voussure plantaire.

Quand cette conformation a duré longtemps, elle laisse des traces profondes dans le squelette du pied. Ainsi, sur ce pied de M. Lacour, qui appartenait à un sujet âgé, la tête de l'astragale est déprimée du côté externe, ce qui change la direction de l'articulation astragalo-scaphoïdienne.

L'anomalie qui constitue le pied plat n'a point d'inconvénient sensible pour la marche, quand ce n'est qu'un pied large, ou quand l'abduction n'est pas trop prononcée. Les sujets ont seulement parfois un peu moins de facilité à se soulever sur la pointe du pied, et l'on observe que, dans cette attitude, le pied porte très-peu du côté interne, vis-à-vis la saillie sous-métatarsienne du gros orteil, parce que le long péronier agit avec moins de force que dans la conformation normale. Le pied plat nuit aux fonctions du membre lorsqu'il est très-prononcé; mais ce n'est plus alors une simple anomalie de conformation, c'est un véritable valgus.

Il importe de distinguer dans la pratique les pieds plats qui tendent à s'accroître, au point de devenir une difformité nuisible, de ceux dont il vient d'être question , et qui ne constituent qu'une simple variété de conformation, variété souvent héréditaire, comme les traits du visage, ainsi qu'on le savait déjà du temps des Ro-

(1) Voyez la Gazette des hôpitaux, numéro du 6 mai 1856.

mains, qui appelaient scaurus celui dont les malléoles saillantes dénotaient cette légère anomalie.

Voici sept enfants, trois filles et quatre garçons, offrant des exemples de pieds plats à différents degrés, qui la plupart paraissent être congénitaux.

Ier cas. — Chez l'un, pourtant, le pied plat est évidemment l'effet d'une paraplégie incomplète dépendant du mal vertébral ; le long péronier étant un des muscles les plus affaiblis, la voûte tarsienne s'affaisse sous le poids du corps, qui, dans tous les cas de cette espèce, tend par lui-même à abaisser le bord interne du pied et à renverser la plante légèrement en dehors.

IIe cas. — Un effet analogue s'est produit chez une petite fille que vous avez sous les yeux, par la seule influence d'une faiblesse musculaire générale sans paralysie.

Chez presque tous ces enfants, la pointe du pied est plus ou moins portée en dehors ; la saillie du cou-de-pied plus ou moins effacée ; le talon se dévie aussi en dehors, et le tendon d'Achille décrit une légère courbe à concavité externe ; la malléole interne est plus saillante que l'externe ; le bord interne du pied est plus ou moins rapproché du sol.

IIIe et IVe cas. — Chez ce garçon, vous voyez ce bord interne toucher le sol dans toute sa longueur; il en est de même chez cette fille. Aucun des enfants que je vous présente n'accuse de souffrance dans la marche, et ces deux derniers peuvent fournir une course de plusieurs lieues sans douleur.

(1) Pied creux. — Il y a deux sortes de pied creux : dans l'une, la concavité plantaire est augmentée uniformément du talon à l'extrémité des orteils; il y a effacement de la saillie sous-métatarsienne. Cette forme résulte d'une forte contraction des fléchisseurs des orteils, s'efforçant de suppléer le long péronier affaibli ou paralysé. On l'observe rarement seule, mais le plus souvent avec d'autres vices de direction du pied.

L'autre forme du pied creux s'éloigne moins de la conformation naturelle; elle vient de l'excès d'action du long péronier latéral. Elle a pour caractères : une augmentation de la concavité du mi-

(1) Deuxième leçon, 30 mai 1856.

12.

lieu de la plante du pied, une exagération de la saillie sous-métatarsienne; le dos du pied est plus bombé, son extrémité antérieure plus rapprochée du talon, lequel est un peu abaissé; la rangée tarsienne antérieure s'incline en sens inverse, s'abaisse en avant avec le métatarse pour replacer la pointe du pied sur la même ligne que le talon. A ce degré, les mouvements normaux du pied sont peu modifiés ; l'adduction est parfois un peu exagérée, une action plus prononcée des adducteurs se trouvant associée à celle du long péronier. L'extension, un peu moins étendue, s'opère surtout par l'abaissement de l'avant-pied, le talon s'élevant moins qu'à l'ordinaire.

Le pied creux dispose au talus, peut-être même au varus. Beaucoup plus rare que le pied plat, il est, comme ce dernier, congenial ou acquis. Mais, hors les cas de paralysies partielles et de contractures, on a encore peu étudié les causes qui le produisent.

B. Première période du pied bot congénital. — La période de formation du pied bot congénital s'accomplit dans l'utérus; elle échappe à l'observation directe. Cependant la pensée, guidée par l'analogie, peut quelquefois l'atteindre. Un enfant naît avec un spina bifida, qui entrave plus ou moins l'action musculaire de la moitié inférieure du corps; plus tard, la contraction inégale des muscles détermine peu à peu des pieds bots suivant le mécanisme que vous connaissez maintenant. D'autres enfants naissent aussi avec un spina bifida, mais ils portent des pieds bots en venant au monde. N 'est-il pas à peu près certain qu'il est arrivé à ces enfants, dans l'utérus, ce qui s'est passé chez le premier hors de l'utérus? que la difformité a été dans les deux cas la conséquence de l'action musculaire pervertie par le trouble de l'action nerveuse?

On peut faire le même raisonnement toutes les fois que l'enfant né pied bot porte en outre des marques d'une lésion nerveuse ou musculaire, analogue à celles qui produisent cette difformité après la naissance. C'est ainsi que le pied bot paralytique, lorsqu'il est congénital, doit être attribué aux causes qui le produisent après la naissance.

Cette interprétation acquiert une nouvelle force quand des difformités semblables, des contractures simples ou paralytiques, se répètent dans plusieurs parties du corps, et dans une étendue en

rapport avec le siège et l'étendue de la lésion du système nerveux. L'étude des monstruosités encéphaliques a fourni, dans ces derniers temps, des exemples remarquables de ce fait.

Mais le pied bot peut se montrer, à la naissance, sans traces de lésion primitive du système nerveux ou musculaire. Gomment déterminer alors la cause de cette difformité? Nous entrons ici dans le cbamp des hypothèses.

Rudolphi, en 1823, a supposé que le fœtus avait eu des convulsions, et que les mouvements spasmodiques produits par cette affection étaient la cause du plus grand nombre des pieds bots natifs, comme ils sont la cause d'un certain nombre de pieds bots acquis(1). Cette idée, développée à l'étranger par divers auteurs, a été reproduite plus tard en France sous le nom de théorie de ta rétraction musculaire convulsive. Mais d'autres causes que les convulsions peuvent entraîner, avant comme après la naissance, la rupture de l'équilibre musculaire et l'inclinaison du tarse qui constituent les pieds bots.

Hippocrate expliquait la formation des pieds bots natifs par la pression de l'utérus sur le fœtus (2), à laquelle, plus tard, on a ajouté la pression du fœtus sur lui-même. Je ne veux pas donner trop d'importance à cette explication, bien qu'elle ait été soutenue de nos jours par M. le professeur Cruveilhier (3) et par M. F. Martin (Zi) ; mais on ne peut nier que, dans certains cas, la pression des membres du fœtus paraisse réellement donner lieu à des inclinaisons permanentes des os, à des raccourcissements musculaires consécutifs.

L'enroulement du cordon ombilical autour de la jambe a été aussi invoqué comme produisant des contractions musculaires irrégulières , et par suite la torsion du pied. Cela semble indiqué par des cas de déviations avec sillons circulaires profonds à diverses

(1) Grundriss der, etc., ou Eléments de physiologie, t. II, pages 319 et 323. Berlin, 1823.

(2) OEuvres à"Hippocrate, trad. par Littré, Paris, 1851, t. VII, p. 445, 483.

(3) Anatomie pathologique du corps humain, avec planches, t. Ier, lre livraison.

(4) Mémoire sur l'èliologie du pied bot. Paris, 1839, et Bulletin de VAcadémie de médecine, t. Ier, p. 196.

hauteurs du membre ; ce plâtre vous en offre un bel exemple. D'autres causes produisent, à la vérité, des sillons semblables.

Enfin, on a signalé des cas de pieds bots natifs déterminés par l'absence congéniale de certains os, de certains muscles du pied. Palletta parle de deux talus produits par l'absence du triceps sural, qu'il n'a observés, à la vérité, que pendant la vie. Sur cette pièce, l'absence congéniale du scaphoïde, du cuboïde et des os cunéiformes a été la cause primitive de l'inclinaison des pieds. Ce sont là, j'en conviens, des cas rares, encore faut-il en tenir compte.

Mais il n'est pas besoin de causes mécaniques ou pathologiques pour rompre l'équilibre du développement musculaire. Une force inconnue dans sa nature, mais démontrée par ses effets, créée avec la vie dans l'acte de la génération, détermine la situation , les proportions des organes qui naissent successivement dans l'embryon. Cette force, qui se lie à l'organisation insaisissable du germe, donne des produits variables suivant son origine. De là, la ressemblance des enfants avec les parents, les dispositions héréditaires, les anomalies transmises dans les familles de génération en génération. Les pieds bots sont une de ces anomalies. On voit des enfants qui les tiennent de leurs parents. Cela ne veut pas dire que les pères et mères pieds bots engendrent nécessairement des enfants pieds bots ; et il ne faudrait pas raisonner ici comme ce vannier cité par Bruckner, et qui, pied bot lui-même, et déjà père de trois enfants pieds bots, accusa sa femme d'infidélité parce qu'il lui vint un quatrième enfant bien conformé (1).

Ce genre d'hérédité n'est pas plus constant que les autres ressemblances de famille; mais il s'observe trop fréquemment pour qu'on n'y voie qu'une simple coïncidence due au hasard.

Quelles suppositions fera-t-on dans ces cas d'hérédité? On ne peut invoquer constamment l'action d'une maladie convulsive intra-utérine, qui serait l'effet d'une prédisposition héréditaire; il est plus vraisemblable que le pied bot héréditaire résulte simplement d'un mode de développement du pied qui répète, chez l'enfant, la disposition des organes du parent; les os, les muscles, etc., se sont irrégulièrement développés dès leur première formation.

Mais, s'il en est ainsi, l'analogie conduit à penser que, dans certains cas, sans hérédité, il peut se produire des pieds bots

(1) Loc. cit.y p. 49,

spontanément par la simple aberration primordiale des forces qu animent le germe.

En résumé, il y a pour moi deux modes principaux de formation du pied bot congénital. D'une part, il peut être la suite de divers états pathologiques, surtout d'affections du système nerveux ; d'autre part, il peut dépendre d'une anomalie de développement primitive, dont la cause réside dans le germe lui-même après sa fécondation.

Au point de vue clinique, on peut s'éclairer sur l'origine du pied bot natif, non-seulement par l'examen du membre et de l'état général de l'enfant, mais encore à l'aide du commémoratif fourni par les parents. Si la mère, durant sa grossesse, a senti tout à coup des mouvements violents du fœtus, si elle-même a éprouvé de vives émotions morales, si l'enfant a, depuis sa naissance, line grande susceptibilité nerveuse, une disposition aux convulsions, on peut présumer, en l'absence d'une cause héréditaire, que le pied bot a été produit par une affection convulsive intra-utérine.

Si l'exploration des organes et la recherche des antécédents ne font rien découvrir, on est réduit aux conjectures, on ne peut rien affirmer de positif.

II. Deuxième période du pied bot. — Vous savez que nous avons rattaché les pieds bots à quatre groupes ; commençons par les varus.

A. Varus. — On en distingue quatre variétés :

Io Le varus direct, simple adduction exagérée, 2° Le varus èquin ou adduction-extension. 3° Le varus talus ou adduction-flexion. Ix° Le varus vatgus ou adduction-abduction.

a. Varus direct. — Cette forme est rare, surtout dans les déviations congeniales. Elle n'atteint jamais un très-haut degré, sans passer à la seconde forme. Voici ses caractères : les deux muscles jambiers, le postérieur surtout, sont raccourcis et tendus; le court péronier latéral est particulièrement allongé et affaibli; le long péronier et l'extenseur des orteils participent aussi à cet allongement. Le pied est dans une forte adduction ; son bord externe est arrondi et abaissé, son bord interne concave et relevé ;

sa pointe se dirige en dedans et la plante regarde dans le même sens, ainsi que le talon; mais celui-ci n'est pas plus élevé qu'a l'ordinaire. Le dos du pied, incliné en dehors, présente une saillie osseuse formée par la tête de l'astragale, et une autre moins prononcée qui appartient à l'extrémité antérieure du calcanéum. Le scaphoïde et le cuboïde, en se portant en dedans, abandonnent en partie les deux premiers os, et laissent ainsi à nu leurs extrémités antérieures. Il en résulte une sorte de rotation de l'avant-pied sur l'arrière-pied. La malléole interne s'efface; l'externe devient plus saillante. Les ligaments dorsaux et externes du pied sont allongés, ceux de son bord interne et de sa face plantaire raccourcis.

Cette difformité change les conditions d'équilibre du corps sur sa base de sustentation. Le pied portant sur le sol principalement par son bord externe, le poids du corps distend les ligaments déjà allongés, tend à accroître la déviation, et la station est moins solide qu'à l'état normal, ce qui expose le sujet à des entorses, à des chutes, et l'empêche d'accomplir une longue marche. Enfin la peau, comprimée douloureusemeut vis-à-vis la saillie du cinquième métatarsien, se couvre de durillons; il se développe au-dessous d'elle une bourse muqueuse.

{?. Varus èquin. — Cette forme est beaucoup plus commune que la précédente. Elle constitue le varus commun ou ordinaire , dans lequel l'extension de l'arrière-pied est une règle tellement générale, qu'on se dispense souvent de dire varus èquin et qu'on dit varus tout court.

Depuis la simple adduction exagérée, associée à une légère extension, jusqu'au point où le pied est replié sur le côté interne de la jambe, il y a bien des degrés ; nous en établirons trois principaux.

Dans le premier, l'avant-pied forme avec l'axe normal du pied un angle obtus.

Dans le deuxième, l'axe de l'avant-pied et celui de la jambe se rencontrent à angle droit.

Dans le troisième, ces mêmes axes forment un angle plus petit que l'angle droit. Le renversement du pied est si considérable que son dos repose sur le sol.

1° Premier degré, — Les caractères du premier degré sont

ceux que nous venons d'assigner au varus direct, plus ceux qui résultent de l'élévation du talon. Le calcanéum, outre sa rotation en dedans autour de son axe antéro-poslérieur et son pivotement autour de son axe vertical, présente une inclinaison qui abaisse son extrémité antérieure; le talon est porté à la fois en dedans et en haut; l'astragale est également abaissé en avant, sa poulie se découvre en partie et se trouve à nu sous les parties molles du cou-de-pied.

Ce mouvement des os de la rangée postérieure du tarse abaisse non-seulement la pointe du pied, mais aussi son bord externe, déjà entraîné en bas par le mouvement d'adduction. Le dos du pied est tourné en avant en même temps qu'en dehors, et sa plante regarde en arrière et en dedans. Dans la station, le poids du corps ne porte que sur la partie antérieure du bord externe et sur le sommet de l'angle qu'il forme avec le calcanéum. Cet angle tend à se fermer davantage ; il n'est maintenu que par la rencontre des os et par la résistance des ligaments et des muscles allongés.

2° Deuxième et troisième degrés. — Le deuxième degré, auquel je réunis le troisième, est le pied bot varus par excellence ; aussi y insisterai-je plus longuement.

Dans ce deuxième degré, la flexion de l'avant-pied en dedans et en bas, sa rotation de dehors en dedans, sont portées à un tel point, que le pied est à la lettre plié en deux. L'astragale et le calcanéum, malgré leur inclinaison, ont en effet, comme à l'ordinaire , leur grand axe dans un plan assez exactement antéro-posté-rieur, tandis que le reste du pied a son axe dans un plan transversal , et fait avec la rangée posléro-tarsienne un angle à peu près droit.

Cette déformation si considérable du pied provient des désordres de l'articulation médio-tarsienne. Il s'établit dans cette articulation une véritable luxation, comme l'avait déjà dit Hippocrate, luxation incomplète, il est vrai, sub-luxation , mais enfin changement très-réel des rapports articulaires. Ce changement est surtout remarquable dans le scaphoïde; le grand diamètre de cet os, de transversal qu'il est normalement, est devenu antéro-postérieur ; sa facette articulaire concave est tournée en dehors ; celle qui porte les os cunéiformes est en dedans ; son tubercule, ordinairement

saillant au bord interne du pied, s'enfonce et disparaît au-dessous de la malléole interne. La plus grande partie de la tête astraga-lienne est ainsi mise à nu sous les parties molles. Le cuboïde suit ce mouvement; il abandonne presque entièrement la facette du calcanéum, pour s'articuler plus bas et plus en dedans avec cet os.

On comprend aisément le sens et l'étendue du déplacement du scaphoïde, en se rappelant la disposition des muscles jambiers postérieur et antérieur, qui s'insèrent, l'un au scaphoïde et au premier cunéiforme, l'autre à ce dernier os et au premier métatarsien , et qui sont les agents essentiels de la luxation astragalo-scaphoïdienne.

Il est moins facile de déterminer les agents du déplacement du cuboïde. Le poids du corps contribue peut-être à ce déplacement, mais son mouvement doit surtout résulter de ce qu'il est entraîné par les os voisins.

L'angle médio-tarsien se traduit sur le vivant par la sailiie de la tête de l'astragale au dos du pied, par celle de l'extrémité antérieure du calcanéum vers son bord externe. On retrouve sur ce bord externe du pied les deux côtés de l'angle, perpendiculaires l'un à l'autre, se rencontrant à l'articulation calcanéo-cuboïdienne. Ces deux côtés sont formés, l'un par le calcanéum, l'autre par le cuboïde et le cinquième métatarsien. Ces deux derniers os sont eux-mêmes un peu coudés l'un sur l'autre, de manière que l'extrémité postérieure du cinquième métatarsien forme une troisième saillie osseuse sur le côté convexe de l'angle médio-tarsien.

Du côté rentrant, cet angle, très-distinct sur le squelette, est beaucoup moins marqué sur le vivant ; le vide qu'il présente au bord externe est comblé par les parties molles de la plante du pied, et il en résulte une surface triangulaire empiétant plus ou moins sur la face dorsale ou plantaire, et d'une grande importance pour la locomotion, car c'est elle qui constitue la nouvelle base de sustentation.

Mais, quelles que soient les déformations profondes causées par les nouveaux rapports des articulations tarsiennes, elles ne constitueraient pas encore le pied bot complet, s'il ne venait s'y ajouter l'extension forcée de l'articulation tibio-astragalienne. Le rôle de cette extension dans la production de cette difformité n'a peut-être pas été suffisamment compris.

Quand l'extension vient à agir sur un pied ainsi déformé, voici ce qui arrive : l'avant-pied exécute un quart, un tiers de révolution sur son grand axe, pendant que l'arrière-pied s'incline en avant, se relève en arrière; il en résulte une forte inclinaison en avant du dos du pied, et la plante regarde en arrière.

Si l'extension est très-considérable, comme dans le troisième degré, le pied se tourne sens dessus dessous ; sa plante regarde directement en haut, et sa face dorsale repose sur le sol. C'est la réunion de l'adduction forcée du pied avec cette extension plus ou moins étendue, qui produit ce qu'on appelle Y enroulement du pied. Le mouvement de la poulie astragalienne sur la mortaise péronéo-tibiale peut dépasser, comme celui du scaphoïde, les limites de l'extension normale et constituer de même une sub-luxa-tion. Le tibia repose alors en arrière sur la face postérieure de l'astragale; il peut même se trouver en rapport avec le calcanéum.

Il résulte de cette extension du pied, s'ajoutant au varus direct, que le talon ne porte plus sur le sol. A la longue, il se forme un autre talon au sommet de l'angle médio-tarsien. Ce talon occupe une étendue plus ou moins grande du bord externe de la face plantaire et même de la face dorsale du pied. Il répond au cuboïde et à l'extrémité postérieure du cinquième métatarsien, et même, quoique plus rarement, à l'extrémité antérieure du calcanéum et à la tête de l'astragale. La peau de cette région devient épaisse, calleuse ; le tissu cellulaire s'épaissit ; il s'y développe une véritable bourse muqueuse.

Je n'ai point parlé jusqu'ici des os placés au-devant du scaphoïde et du cuboïde ; ils suivent le mouvement de ces derniers. Cependant ils peuvent aussi être attirés par leurs muscles propres, s'incliner en dedans, augmenter ainsi la courbure du pied, en la rendant plus générale, et rapprocher encore davantage le gros orteil du côté interne de la jambe, comme on le voit surtout chez les nouveau-nés. Le pied peut perdre alors complètement ta forme allongée, devenir en quelque sorte circulaire, comme vous en avez un exemple sous les yeux. C'est là le vrai pied bot dans le sens primitif du mot, le pied rond, tronqué, obtus. Enfin, il y a aussi des déviations des orteils : ils se renversent souvent sur Pavant-pied et passent les uns sur les autres.

Voici plusieurs enfants porteurs de pieds bols, sur lesquels nous allons examiner les différents caractères que je viens de vous exposer.

Ier cas. — Cette petite fille porte un pied bot congénial ; sa mère nous dit qu'elle s'est beaucoup fatiguée pendant sa grossesse. L'enfant n'a pas éprouvé de convulsions depuis sa naissance ; elle est forte et intelligente. Elle avait un pied bot du deuxième degré il y a trois ans; la section du tendon d'Achille , faite à celte époque, a transformé ce pied bot en varus du premier degré. Le pied forme un angle obtus avec la jambe ; le talon porte à peine; la base de sustentation est constituée par la partie antérieure du bord externe, sur lequel s'est déjà développée une bourse muqueuse. Remarquez aussi l'atrophie des gastrocnémiens de ce côté, comparés aux muscles de l'autre jambe. La mère nous dit que la jambe du pied bot est plus courte que l'autre. Les abducteurs continuent d'agir ; il y a de légers mouvements latéraux, mais la flexion et l'extension sont presque abolies, bien qu'il n'y ait pas de paralysie. Le pied est court, ramassé. Dans ce cas, nous ne trouvons pas de cause héréditaire, ni d'autres causes faciles à apprécier.

IIe cas. — Voici un garçon porteur d'un léger degré de varus commençant ; c'est à peine si le bord externe est courbé ; le talon ne porte pas sur le sol. Ce varus n'est pas congénial ; il s'est développé après des accès de fièvre suivis d'une paralysie dans laquelle la contractilité électrique est conservée, ainsi que l'a constaté M. Duchenne. De l'autre côté existe un pied plat pathologique.

IIP cas. — Sur cet autre garçon, vous voyez une élévation du talon si considérable qu'on pourrait placer au-dessous l'épaisseur de deux doigts ; c'est presque un simple pied équin. Il a été primitivement varus, car l'enfant marchait d'abord sur le bord externe. L'autre pied était dans le même état, mais il a guéri seul, et il s'est fait un grand développement spontané des péroniers latéraux, ce qui prouve qu'à la naissance il y avait contraction et non rétraction. De l'autre côté, la déviation était plus avancée; il y avait déjà raccourcissement des adducteurs, qui n'ont pas entièrement cédé; le triceps sural a également résisté à ses antagonistes. La peau du talon est fine et douce.

IVe cas. — Voici une petite fille qui vous offre le pied bot clas-

sique, presque le deuxième degré. Il est congcnial ; il y a abaissement de la partie antérieure du calcanéum, extension très-marquée dans l'arrière-pied, et grande élévation du talon.

Ve cas. — Chez ce garçon, c'est un pied bot double du premier degré. Cet enfant a subi deux opérations ; dans une première, on a coupé quatre tendons, et vous voyez que le résultat est bien imparfait, ce qui prouve que l'opération n'est qu'un adjuvant. Dans la deuxième, on a coupé deux tendons. Il reste encore, malgré cela, un pied bot du premier degré.

VIe cas. — Cette jeune fille, qui est très-nerveuse, a un pied bot double et congénital. Cette enfant, opérée deux lois, à huit mois et à quatre ans, offre aujourd'hui des formes qu'on peut appeler artificielles. M. Duchenne a découvert que, chez elle, l'extenseur des orteils, qui est fléchisseur-abducteur, s'est déplacé et est devenu, comme vous pouvez le voir, fléchisseur-adducteur. C'est un varus direct fait par l'art ; le talon porte bien.

VIP cas. — Enfin, voici un garçon affligé d'un pied bot héréditaire double, du deuxième degré au moins. La mère a aussi un double pied bot. L'enfant appuie sur le bord externe de chaque pied ; le talon est relevé. Dès les premières semaines, un chirurgien chercha à redresser ces pieds à l'aide d'attelles de bois; ce traitement, continué jusqu'à l'âge de deux ans et demi, a amené des changements dans la déviation et l'a presque convertie en un simple pied équin.

(1) Nous allons commencer cette séance par l'examen d'un certain nombre de femmes d'un âge adulte, et qui ont la plupart des pieds bots varus à divers degrés. Chez presque toutes, les déviations résultent de convulsions survenues dès le bas âge ; ce sont des pieds bots acquis.

Ier cas. — Madame Elard, quarante-huit ans, a joui d'une bonne santé jusqu'à vingt-cinq ans ; à cette époque, elle fut atteinte d'un rhumatisme articulaire aigu, qui passa à l'état chronique. 11 en est résulté une déformation des membres supérieurs et inférieurs, déformation qui n'empêcha point la marche jusqu'à l'âge de trente

(1) Troisième leçon , 6 juin 1856.

ans. Mais, depuis ce moment, les difformités n'ont fait que s'accroître. Vous voyez , dans le membre supérieur, comme une subluxation du cubitus en arrière, conséquence des paralysies et des contractures des muscles de l'avant-bras. Les pieds sont devenus courbes ; quand ils portent sur le sol, ils tendent à se renverser en dehors. La paralysie n'est pas complète dans les muscles de la jambe, car il y a encore quelques mouvements latéraux. Les orteils sont deux fois fléchis sur eux-mêmes; la première phalange s'est renversée sur la face dorsale du pied ; la seconde et la troisième sont repliées sur la première. C'est une déformation tout à fait comparable à celle des doigts, lorsqu'ils prennent la forme de griffes , suivant l'expression de M. Duchenne. Cet état s'explique, comme à la main, par un excès d'action des extenseurs et des fléchisseurs des orteils, et par l'affaiblissement des muscles interosseux.

Il y a chez celte femme une légère disposition au varus et au pied creux. C'est un exemple de pied bot produit par une maladie articulaire; mais le poids du corps a dû contribuer à augmenter cette déviation.

IIe cas. — Madame Meuriot, quarante-neuf ans, est un exemple de pied bot équin varus à droite, survenu à la suite de convulsions qui ont paru à l'âge de dix-huit mois. On fît, dès l'âge de deux ans, une tentative de traitement par l'application d'appareils, mais sans résultat heureux.

Remarquez, chez cette femme, l'élévation considérable du talon et l'abaissement de la pointe du pied, qu'il est presque impossible de relever. Les saillies osseuses sont bien marquées au dos du pied. Les mouvements ne sont conservés que dans les deux premiers orteils, et bien légèrement. On sent encore les muscles de la jambe, mais ils sont déjà bien atrophiés. Le poids du corps tend à augmenter la déviation, parce qu'il ne porte que sur la partie antérieure du bord externe ; vous comprenez quelle marche vacillante doit en résulter.

La main n'est pas déformée, parce que la faiblesse musculaire a été égale dans tous les muscles.

IIIe cas. — Madame Lecouteux, vingt-huit ans, a eu des convulsions à l'âge de dix huit mois. Elle porte un pied bot varus droit et une main bot du même côté. Vous voyez que, chez cette

femme, la déformation existe au membre supérieur comme à l'inférieur. Remarquez la forme arrondie du poignet; la paume de la main s'appuie presque sur l'avant-bras; en cachant pour un moment les doigts, on dirait un pied bot valgus. Les mouvements sont complètement abolis dans cette main, en sorte que la paralysie porte même sur les muscles qui ont agi avec excès, qui se sont contractures. Le pied n'a conservé, lui aussi, aucun mouvement. Le gros orteil est dans une extension continue, par suite de la contracture de son long extenseur.

Chez cette femme, la marche n'est pas difficile comme chez la précédente, parce que la base de sustentation est plus en arrière, vers l'articulation médio-tarsienne, qui est très-résistante. La marche se fait chez elle comme avec un pilon ; aussi y a-t-il dans ce point une grosse callosité.

IVe cas. — Madame Doidan, cinquante-sept ans, porte un pied bot équin gauche et une main bot du même côté. Cette femme assure que ces difformités sont congénitales. Jamais on ne lui a dit qu'elle ait eu des convulsions. Elle a commencé à marcher vers trois ans et demi, et déjà la déviation existait. La main, qui est une main bot valgus, a conservé quelques mouvements; mais, au pied, ils sont abolis ; il y a une demi-ankylose des articulations tarso-mé-tatarsiennes, et la marche s'exécute sur la pointe du pied ; on voit une large callosité sur la saillie sous-métatarsienne. La locomotion est moins imparfaite que chez les précédentes, en raison de l'inclinaison directe du pied, de la largeur et de la fixité de la base de sustentation, qui, bien que réduite, est jusqu'à un certain point normale.

Ve cas. — Madame Moysant, soixante-huit ans, est atteinte d'un pied bot varus équin, suite d'une fièvre aiguë avec délire survenue à l'âge de sept ans. La paralysie a été primitivement une paraplégie; mais, avec le temps, le membre droit a recouvré une grande partie de ses mouvements. A gauche, la paralysie a persisté et a produit le varus ordinaire. Cependant l'aspect de ce pied suffit pour affirmer que ce n'est pas un varus congénital, parce que la saillie de l'astragale et du calcanéum est moindre que dans cette dernière espèce de pied bot. L'extrémité du cinquième métatarsien offre une callosité ; le talon n'agit plus ; le mouvement d'adduction

est exagéré par l'action du jambier antérieur. La sustentation se fait ici comme dans le varus; seulement elle est très-pénible en raison de la sensibilité générale du pied et de la faiblesse extrême des muscles : aussi ne voyez-vous pas ici de talon surnuméraire; la peau est restée fine et devient douloureuse dans la station.

Chez cette malade, la rotule ne répond pas exactement à l'intervalle des malléoles, elle se trouve plus en dedans. Il semble que le tibia ait éprouvé une torsion semblable à celle qu'on observe sur une pièce du musée Dupuytren.

VIe cas. — Madame Lefèvre, cinquante-sept ans. Chez cette femme, nous trouvons un pied bot varus droit, avec une atrophie du membre supérieur gauche, et, comme antécédents, des convulsions à l'âge de trois ou quatre mois : c'est une paralysie croisée. Mais le mouvement est revenu en partie dans le membre supérieur, tandis qu'au pied la paralysie est complète ; il y a un varus légèrement équin et un certain degré de pied creux. Vous voyez que le bord externe est fortement courbé. Il y a une grande laxité dans les articulations postérieures ; elle est beaucoup moindre dans les antérieures. Il n'y a pas de callosités sur ce pied, parce que cette femme ne marche pas.

Étude des éléments anatomiques du pied bot. — Jusqu'ici, en poursuivant l'étude du pied bot varus, nous n'avons envisagé le pied que clans son ensemble. Mais, pour avoir une idée complète des transformations qu'il subit, il nous faut le considérer aussi dans ses parties constituantes, et d'abord dans le squelette.

Déformation des os. — L'astragale est assurément, de tous les os du pied, celui qui subit le plus de déformation dans le varus, comme l'a déjà remarqué M. Cruveilhier. Dans le varus congénital, cette déformation existe déjà à la naissance. Voici des dessins représentant les os du tarse de quatre enfants pieds bots, morts peu après la naissance ; vous serez frappés de la déformation de la tête et du col de l'astragale. Mais il y a divers degrés dans cette déformation.

Dans le premier, on ne voit qu'un léger déplacement de la facette scaphoïdienne, indiqué par un petit rebord qui traverse la tête cartilagineuse, et par l'empiétement de cette facette sur le côté interne du col.

Dans un deuxième degré, la tète n'a déji plus la même forme; elle est un peu rélrécie et tend à devenir pointue, tandis que dans un os normal, la tête de l'astragale déborde le col.

Enfin , dans un troisième degré, cette tête finit par ne plus former que le sommet mousse de l'éminence conique que représente le col. La facette destinée au scaphoïde est alors entièrement située au côté interne de ce cône ; elle s'étend de son sommet à un point très-rapproché de sa base.

Plus tard, l'astragale, devenu osseux, perd jusqu'au poli de sa surface, là où le scapboïde l'a abandonné; ce qui reste de sa tête , du côté externe, devient une sorte de tubérosilé saillante et raboteuse. C'est ce qui se voit sur toutes les pièces que vous avez sous les yeux.

En voici deux, néanmoins, qui offrent une disposition différente. Elles proviennent des deux pieds d'un sujet âgé. La tête de l'astragale, au lieu de se partager en deux portions, dont une seule demeure articulaire, est restée articulaire dans toute son étendue; mais elle est portée en totalité en dedans du corps de l'os; de plus, elle est inclinée en dedans par l'obliquité plus grande du col, que le muscle jambier postérieur a dévié au lieu de luxer le scaphoïde. Ce col de l'astragale s'est affaissé, raccourci ; il a cédé plus tôt que les ligaments astragalo scaphoïdiens.

Il y a une autre diposition exceptionnelle de l'astragale : je vous ai dit que la déviation du pied en dedans se produit dans les articulations médi -tarsienne et calcanco-astragdienne ; mais l'astragale est quelquefois taillé en biseau, comme affaissé du côté interne, de manière que son plan inférieur, tourné en dedans, augmente encore la déviation du calcanéum. L'un des deux pieds que je viens de mettre sous vos yeux en est un exemple.

Voici encore une autre disposition : l'articulation tibio-astraga-lienne est ordinairement étrangère au mouvement du pied en dedans; quelquefois, pourtant, elle concourt à ce mouvement. En effet, l'astragale, malgré son enclavement dans la mortaise péro-néo-tibiale, peut participer au mouvement de rotation du calcanéum; alors ses côtés, inclinés en sens contraire, font effort sur les deux malléoles; toutes ces parties se moulent les unes sur les autres; l'inclinaison de l'astragale devient permanente et s'ajoute à bouvier. 13

celle du calcanéum pour produire un varus. Blandin a observé un fait de ce genre sur un pied d'enfant.

On voit donc qu'il peut y avoir une triple cause de déviation du pied en dedans.

Le calcanéum, quoique moins déformé que l'astragale, présente des particularités non moins remarquables. Il éprouve une légère augmentation de courbure an té ro-postérieure, et, de plus, une torsion résultant d'un effort qui porte sur sa tubérosité. Vous voyez, sur ce pied, que le p!us grand diamètre de la tubérosiié calca-nienne est devenu oblique de haut en bas, de dehors en dedans, et que le calcanéum est comme tordu sur lui-même. L'effort qui a porté sur ce point est souvent indiqué par l'allongement de la substance osseuse, sous forme d'une apophyse styloïde, à l'angle inférieur interne de celle tubérosité.

Les facettes articulaires astragaliennes et cuboïdienne du calcanéum changent de forme et de situation, par l'effet de la rotation de l'os sur son grand axe et de l'inclinaison du cuboïde. La facette cuboïdienne est en paitie convertie en tubérosité comme la tête de l'astragale.

Nous avons déj'i vu que le calcanéum s'articule quelquefois en arrière avec le tibia; il peut aussi s'articuler en dedans, par sa petite apophyse, avec la malléole interne, ou bien encore avec le scaphoïde.

(1) Les déformations osseuses que nous avons étudiées dans la précédente séance, se déduisent assez facile.nent des causes mécaniques qui agissent sur le squelette, des pressions, des tractions qu'il supporte de la part des muscles ou par l'influence de la pesanteur, des déplacements qui en sont la suite.

Mais il est une altération du calcanéum qui ne se rat'ache pas aussi bien aux causes précédentes, et qu'on observe quelquefois dans le varus congénital; elle consiste dans un développement ira-parfait de sa grosse tubérosité. A la place du talon, on ne trouve quelquefois qu'un tubercule à peine saillant. On pourrait cependant attribuer encore à l'effet de la pression l'atrophie de celte épiphyse cartilagineuse.

(t) Quatrième leçon, 13 juin 1856.

Quant au scaphoïde, je ne noierai que sa petitesse relative, dont ces dessins vous donneront une idée, et le rétrécissement de sa facette a^ragalienne, qui se prolonge moins du côté de son tubercule interne, devenu postérieur. Son déplacement rend raison de ce dernier changement, comme la compression de l'os explique le premier.

Le cuboïde, les cunéiformes, les os du métatarse et les phalanges, n'éprouvent que des déformations peu importantes; je ne m'y arrêterai pas.

Toutes ces déformations osseuses sont plus prononcées dans le varus congénial, parce que les os résistent davantage, si le pied bot ne se produit qu'après leur entière ossification.

Les os de la jambe peuvent participer aux déformations du squelette du pi- d ; je vous en ai cité un exemple qui se voit au musée Dupoytren; sur cette pièce, le tib;a paraît avoir éprouvé une torsion, et la rotule ne répond plus à l'intervalle des malléoles. On rencontre une disposition semblable sur ces os d'adulte, de ma collection. La malléole interne est quelquefois raccourcie, atrophiée.

État des ligaments. — Après les changements éprouvés par les os du pied, nous arrivons à ceux qui portent sur leurs liens fibreux.

Les ligaments présentent des changements de direction qui peuvent modifier leurs fonctions. Ils sont, en outre, disposés de manière à fixer h s os dans leur nouvelle situation. Les plus importants, sous ce rapport, sont ceux qui unissent le calcanéum, l'astragale, le scaphoïde et le cuboïde; tels sont : le ligament interne ou deltoïdien de l'articulation tibio astragalienne, dont les fibres s'étendent jusqu'au calcanéum et au scaphoïde ; les fibres internes propres aux articulations astragalo-scaphoïdienne et astragalo-calca-nienne; les ligaments calcanéo-scaphoïdien interne et inférieur; les fibres scaphoï lo-cuboïdiennes; le fort ligament calcanéo-cuboïdien inférieur; enfin les ligaments po térieursdésarticulations tibio-tar-sienne et astragalo-calcanienne, les expansions des tendons allant d'un os à l'autre , ainsi que les gaines fibreuses qui renferment les tendons des jambiers antérieur et postérieur, du long fléchisseur des orteils, etc. Voici deux dessins représentant un exemple de varus, où vous pouvez voir les modifications éprouvées par les ligaments.

13.

D'autres altérations viennent encore gêner la mobilité du pied. Il se développe autour des articulations des végétations osseuses; on a rencontré sur les surfaces articulaires elles-mêmes de semblables productions, qui s'engrenaient réciproquement. On voit le cartilage s'user, la lame compacte subjacente se perforer, et enfin le tissu spongieux des surfaces articulaires s'unir et former ankylose.

État des muscles. — Les altérations qu'offrent les muscles dans le pied bot portent sur leur longueur, sur leur direction, leur contractilité et leur substance propre.

Le raccourcissement des muscles rétractés offre plusieurs degrés. Il n'y a sous ce rapport qu'une nuance entre la fin de la période de formation du pied bot accidentel, et les premiers instants du pied bot confirmé. Le raccourcissement permanent est d'abord peu prononcé.

Certains pieds bots congénitaux eux-mêmes sont sur la limite des deux périodes ; ils semblent encore en voie de formation à l'époque de la naissance, et on peut alors effacer celte difformité par un léger effort de la main ; c'est ce qui fait comprendre certains redressements spontanés effectués après la naissance par le seul effort des muscles, dont les mouvements deviennent plus libres alors que dans l'utérus.

Il ne faut pas oublier qu'il y a deux sortes.de raccourcissement musculaire dans le pied bot.

On a longtemps discuté pour savoir si la rétraction musculaire existait avant ou après l'inclinaison osseuse dans le pied bot. Les uns ont soutenu , d'après Duverney (1), que la rétraction musculaire, étant le fait primitif, précédait toute altération articulaire ou osseuse; les autres ont dit, avec Scarpa (2), que le raccourcissement des muscles était l'effet du rapprochement de leurs attaches, qu'il était par conséquent consécutif à la torsion du pied.

Mais il faut s'expliquer sur ce qu'on entend par rétraction ou raccourcissement musculaire. Il y a en effet, dès l'origine, une contraction plus forte de certains muscles; mais ce n'est pas un raccourcissement permanent. Qu'on appelle cela rétraction si l'on

(1) Maladies des os, tome II, c. 3.

(2) Mémoire sur la torsion congéniale des pieds des enfants, dans Mémoires de chirurgie pratique, par A. Fcarpa et J. B. Lé veillé, Paris, 1804, in-8".

veut; mais alors il faudra distinguer deux sortes de rétractions : la simple contraction anormale, et la perte de longueur constante des muscles, celle qui les fait résister à la manière des ligaments. Pour moi, je préfère ne donner le nom de rétraction qu'à ce dernier état. Or ce raccourcissement permanent ne s'établit qu'à la longue; il ne précède pas nécessairement, comme la contraction simple, les altérations ligamenteuses ou osseuses; il est consécutif à la torsion comme ces dernières.

On voit que les deux doctrines ont à la fois tort et raison, parce qu'elles n'ont pas assez distingué les deux sortes de raccourcissement, la contraction et la rétraction des muscles. Ces deux états sont, à la vérité, généralement associés. Us se traduisent sur le vivant par des apparences semblables, par la tension, le soulèvement, la dureté des muscles et de leurs tendons, quand on fait effort pour redresser le pied. Mais une force étrangère peut vaincre instantanément la résistance due à la contraction; le muscle rétracté se rompt, au contraire, plutôt que de céder à l'extension. La contraction disparaît par moments; elle cesse pendant le sommeil, par l'effet du chloroforme. La rétraction est invariable dans tous les instants; elle persiste seule sur le cadavre, ce qui fait que le pied bot y est moins prononcé que sur le vivant.

La rétraction des muscles et celle des ligaments n'existent pas au même dgré; la première est presque toujours supérieure à l'autre. Plus le pied bot est ancien, moins cette différence est prononcée, parce que les articulations sont plus profondément lésées. C'est surtout dans le pied bot congénial que la rétraction des ligaments est le plus marquée par rapport à celle des muscles. Au contraire, certains pieds bols paralytiques ne présentent presque que la réiraction musculaire. Vous devinez les conséquences qui résultent de toutes ces variétés pour les effets de la ténotomie.

L'ancienneté du pied bot, outre qu'elle augmente l'étendue de la rétraction musculaire, accroît encore le nombre des muscles rétractés. On a en effet distingué avec raison les muscles primitivement rétractés, qui sont les agents essentiels de la déviation, et les muscles qui ne se rétractent que secondairement par le seul effet du rapprochement de leurs attaches. Les muscles de la plante du pied, par exemple, ainsi que l'aponévrose plantaire, appartiennent généralement à cette dernière catégorie.

Disons un mot des muscles allongés dans le varus. Ils se présentent dans un état de tension dû à cette tendance continuelle des muscles au resserrement, qu'on appelle leur tonicité. Ils résistent, en vertu de celte force, à la distension qu'ils éprouvent, réagissent comme des ressorts sur les parties auxquelles ils s'insèrent, et produisent des déplacements tt eles déformations secondaires qui s'ajoutent aux effets immédiats de la rétraction. C'est ainsi que les orteils peuvent être entraînés par leurs longs extenseurs distendus. Sur une des femmes que vous avez vues ici dans la dernière séance, je vous ai fait remarquer les phalanges des ortei s repliées sur elles-mêmes en forme d'S, ce qui était dû en partie à cette influence de la tonicité des muscles distendus.

Des changements singuliers dans la situation et la direction des tendons transforment plus ou moins les fondions spéciales de certains muscles. Je me bornerai à trois exemples de ce genre.

Le tendon d'Achille ne s'insère plus de la même manière à la tubérosité calcanienne; son attache s'est déplacée par suite delà rotation de cette tubérosité et de son obliquité permanente. Le muscle, qui tend toujours à se diriger en ligne droite, s'est trouvé porté à son côté interne et supérieur, ainsi qu'on le voit sur plusieurs de ces pièces sèches et sur ces dessins. Il en résulte que le triceps sural devient plus adducteur que dans l'état normal, et qu'il tend à augmenter encore la déviation du pied en dedans et le renversement du ta'on dans ce sens. Le poids du corps doit contribuer avec les muscles à ce déplacement du calcanéum.

Le tendon du jambier antérieur, lorsque le déplacement du sca-phoïde est très-étendu, est attiré en dedans, et il se réfléchit sur le tibia de manière à perdre en partie son action normale d'adduction; il tend plutôt alors à diminuer la torsion du pied en dedans.

Enfin le long extenseur des orteils, quand le pied se porte en dedans, décrit, par ^n tendon, une courbe de plus en plus forte, tend à se déplacer au sommet de celte courbe, entraîne sa gaîne fibreuse, se rapproche de l'extenseur du gros orteil, et d'abducteur qu'il était, devient adducteur. Vous avez vu ce muscle relever le bord interne du pied sur une jeune malade de M. Du-chenne ; j'avais moi-même observé autrefois ce fait sur une pièce anatomique.

Mais d'autres circonstances modifient plus puissamment encore l'exercice de l'action musculaire dans le varus.

D'abord la cause môme de la difformité peut avoir laissé à sa suite des paralysies plus ou moins étendues. Ces paralysies sont de deux sortes : dans l'une, le mouvement volontaire est seul perdu, les muscles affectés ont conservé leur irritabilité et se contractent sous l'influence de l'électricité; dans l'autre, celte contraction elle-même n'a plus lieu; toute propriété motrice est éteinte dans la fibre musculaire. Ces deux étals ont été décrits par M. Duchenne (1), le premier sous le nom de paralysie cérébrale, le second sous le nom de paralysie atrophiaue de Venfance. Cette dernière est la paralysie spinale de M. Marshall-Hall.

Mais, de quelque façon que s'exerce dans l'origine l'action musculaire, elle s'affaiblit peu à pou, d'abord dans les muscles allongés, puis dans les muscles raccourcis. Cet affaiblissement musculaire est produit par des circonstances variées, qui toutes déiivenl de la difformité elle-même : trop grand rapprochement des attaches pour certains muscles, éloignement trop grand de ces attaches pour d'autres, direction des leviers changée pour la plupart, enfin résistance des articulations devenues peu mobiles par l'excès même de leur mouvement.

Vous comprenez quelle atteinte reçoivent, à la suite de semblables altérations, les fonctions locomotrices. Si des sujets nés pieds bots marchent avec aisance, même dans l'âge adulte, comme je vous en ai cité des exempes, c'est là l'exception. L'extrémité difforme n'est plus pour eux qu'un pilon qu'ils meuvent tout d'une pièce; la démarche est mal assurée, souvent douloureuse, quand la peau, exposée à des frottemi nts répétés, s'excorie et devient le siège de cal'osités; les articulations s'enflamment souvent et condamnent les sujets à une immobilité absolue. On voit même des ulcères rebelles, la carie des os, être amenés par ce vice de conformation.

Une altération plus profonde ajoute encore, avec les années, à l'impotence du membre : c'est la transformation grais euse des muscles. Cette transformation, d'abord partit lie, fi;;it par envahir tout à la fois les muscles allongés et les muscles raccourcis.

(1) De l'électrisation localisée. Paris, 1855. pag,711, 837,

On a dit aussi que certains muscles, dans Je pied bot, devenaient fibreux. Je n'en connais pas d'exemple bien constaté. On a pu observer cette apparence sur des monstres, où ces muscles n'avaient peut-être jamais existé, et se trouvaient remplacés par du tissu fibreux.

Atrophie générale du membre. — L'atrophie, l'arrêt de développement qui atteint un membre pied bot, porte sur toutes les parties de ce membre, os, muscles, vaisseaux, nerfs. Cet état persiste toute la vie et s'aggrave même avec l'âge, surtout prn-dant la période d'accroissement du corps. La cause de cet arrêt de développement se trouve, tantôt dans un état pathologique antérieur, dans une lésion nerveuse primitive, tantôt principalement élans l'inertie forcée des muscles.

M. Michon rappelait dernièrement, à la Société de chirurgie, un phénomène qui fait bien comprendre l'influence de cette dernière cause : c'est qu'après l'amputation de Chopartou après l'ampu'a ion sus-malléolaire, les muscles de la jambe, n'ayant plus lieu d'exercer leur action, s'atrophient et deviennent graisseux.

Complications du varus. — On trouve le pied bot associé à d'autres difformités. Celles-ci peuvent êtie sa cause, comme le spina-bifida, l'absence des os du pied ou de la jambe; ou bien un autre effet d'une même cause, comme la main bot, produite avec le pied bot par une affection cérébrale hémiplégique. D'autres fois, il n'y a pas de rapport évident entre les deux difformités; par exemple, dans le cas d'existence simultanée du bec de lièvre ou d'une iniperforation du rectum et du pied bot. Ce qu'on peut dire alors, c'est que, par une loi générale, les imperfections tendent à s'associer; aussi le pied bot est-il très-commun dans les monstres, même sans lésion du système nerveux.

c. Varus talus. — Le varus fléchi ou varus-talus est une variété rare, du moins comme difformité primitive. Jamais cette difformité n'atteint un haut degré sans que le varus ou le talus devienne prédominant. On la rencontre dans deux circonstances. Ainsi on la produit quelquefois par un traitement incomplet du varus ordinaire, si le pied vient à être ramené dans la flexion, tout en restant contourné en dedans. Elle peut se produire à la suite de paralysies portant à la fois sur les extenseurs et sur les abducteurs.

Ses caractères sont faciles à saisir : le talon est abaissé comme dans le talus; la pointe et la plante du pied sont portées en dedans, le bord externe est abaissé, l'interne relevé, comme dans le varus.

d. Varus-vatgus. — Dans le varus-valgus, la pointe du pied est portée en dedans, le talon en dehors, le bord externe est convexe, le bord interne concave. Le pied décrit dans son ensemble la forme d'un S. C'est ce que vous observez sur ce moule, qui, vu en arrière, offre l'aspect d'un valgus, tandis que l'avant-picd est dirigé comme dans le varus. Le poids du corps est, chez ce sujet, la seule cause du renversement en dehors du calcanéum, et l'adduction exagérée paraît résulter de la contraction des fléchisseurs des orteils. Presque tous les autres muscles sont, en effet, paralysés. Delpech (1) a déjà fait connaître des cas analogues.

Voici une enfant qui offre un exemple remarquable de ces coïncidences d'un pied bot avec des vices de conformation multiples, dont je vous parlais il n'y a qu'un instant. Celle enfant est venue au monde avec un bec-de-lièvre et une gueule de loup; de plus, le pied droit est imparfait; les orteils ne sont pas détachés les uns des autres; sauf le gros orteil, ils sont tous réunis et indiquas seulement par un léger sillon. L'absence d'un sillon fait supposer qu'il manque un orteil.

En outre, cette enfant offre du même côté un pied équin à peu près direct. Ce pied est paralysé, et tout le membre est atrophié jusqu'à sa partie supérieure. Une bride très-large et très-solide, étendue du mollet à la fesse, maintient la jambe fléchie sur la cuisse; à la naissance, il y avait même coniact de la cuisse avec le mollet. Deux fois, à six semaines et à trois mois, on lit une section de la bride, mais sans résultat complet.

A l'âge de dix-huit mois, on fit, à l'hôpital de la Charité, une nouvelle tentative pour diviser la bride, et on coupa en outre le tendon d'Achille.

Le résultat total de toutes ces opérations a été de ramener à un angle obtus la flexion considérable de l'époque de la naissance. De plus, le pied, qui était tourné en dedans et probablement à l'état de varus équin, est devenu un pied équin simple.

(1) Orthomorphie, tome Pr, page 168.

Depuis quelque temps, un chirurgien orthopédiste imprime fréquemment à ce membre des mouvements avec la main , et il en est résulté jusqu'ici quelque amélioration. L'enfant marche sur la pointe du pied.

Il ne s'est rien passé, durant la grossesse de la mère, qui puisse expliquer ces nombreuses difformités.

B. Pied bot valgus (1). — Les valgus ou pieds bots externes sont bien moins fréquents quelesvarus. Quelquefois on rencontre, d'un côté, un varus, et de l'autre, un valgus, des muscles différents ayant été affectés à droite et à gauche. Vous en voyez un exemple sur ces deux moules qui représentent les jambes d'un sujet atteint de spina-bifida.

Nous distinguerons trois variétés de valgus : 1° le valgus direct; 2° le valgus talus; 3° le valgus équin. Les deux premiers sont presque toujours congénitaux; le troisième est ordinairement accidentel. Je réunirai les deux premières variétés dans une seule description, sous le nom de valgus commun; la troisième sera décrite dans les pieds équins.

Valgus commun. — De même que le varus se complique habituellement de l'extension du pied sur la jambe, le valgus tend généralement à s'associer un certain degré de flexion ; et cela se comprend si l'on fait attention à la réunion naturelle de l'extension à l'adduction, de la flexion à l'abduction, dans l'exécution des mouvements physiologiques.

Les agents musculaires de cette déviation des pieds en dehors sont les antagonistes de ceux qui produisent le varus. Ce sont spécialement le court péronier latéral et le long extenseur des orteils, puis le long péronier; enfin secondairement, l'extenseur du gros orteil, et le jambier antérieur, pour la flexion.

Les muscles al'ongés sont ceux qui se trouvent raccourcis dans le varus, savoir : le jambier postérieur, le triceps sural, les fléchisseurs des orteils.

Remarquez que deux troncs nerveux distincts, le nerf scialique poplité externe et le scialique poplité interne, correspondent à ces deux ordres de muscles affectés; el'où la division des pieds bots,

(1) Cinquième leçon, 20 juin 1856

proposée par RI. Bonnet (1), en pied bot poplité interne et pied bot popliié externe, division qui serait bonne s'il n'y avait que des varus et des valgus.

Je décris trois degrés principaux dans le valgus commun. Dans le premier, le pied forme avec son axe normal un angle très-obtus; le bord interne porte sur le sol dans toute sa longueur; c'est presque le pied plat de la deuxième espèce. Vous en voyez des exemples sur ces pièces sèches et sur ces moules. Le renversement qui se voit dans le pied plat est ici exag'ré; les saillies de la malléole interne, du côté interne de la tôle astragalienne et du sca-phoïde, sont plus prononcées, ainsi que la dépression sous-malléo-laire externe. C'est celte déformation qu'on observe souvent chez les jeunes apprentis qui travaillent debout; elle finit par amener un état très-douloureux du pied par la distension des ligaments dans un sens, et par la compression qui a lieu dans le sens opposé.

Les deuxième et troisième degrés ressemblent à un varus retourné. L'angle est encore obtus dans le deuxième degré; le bout du pied commence à se détacher du sol, et le bord interne appuie surtout par sa partie postérieure. Dans le troisième, l'angle est presque droit, la déformation plus prononcée; l'avant-pied peut être fléchi sur le côté externe de la jambe, comme il l'est dans le varus sur son côté interne ; le bord interne ne pose plus que dans sa région tarsienne.

Examinons le déplacement qu'éprouvent les os du pied dans le valgus.

L'astragale est à peine modifié dans sa situation. Comme dans le varus, ce n'est que dans des cas exceptionnels qu'il se contourne de manière que sa face inférieure regarde en dehors. Le calcanéum, au contraire, est contourné de manière que la concavité de sa voûte regarde en bas, la partie inférieure du talon en dehors. En outre, le grand axe du calcanéum est oblique, son extrémité antérieure portée en dedans, la postérieure en dehors. Ce déplacement peut être tel qu'il y ait articulation entre le calcanéum et la malléole externe, comme on le voit sur celte pièce. M. Laugier a cité un fait semblable recueilli par M. Marjolin fils.

Le scaphoiJe présente une subluxation en dehors et en haut; il

(i) Traité des sections tendineuses. Paris, 1841, pag. 434.

laisse à nu la tête de l'astragale en dedans et en bas. En même temps il éprouve une rotation qui incline la face dorsale du pied en dedans.

Le cuboïde éprouve aussi une subluxation , mais dans une direction contraire à celle qu'il prend dans le varus.

C'est cette rotation du calcanéum , du scaphoïde et du cuboïde, qui produit celle du pied tout entier.

La conséquence de ces déplacements est, comme dans le varus, la formation d'un angle médio-tarsien. Seulement ici, le côté saillant est en dedans, le côté rentrant en dehors. Sur le côté saillant, on voit trois éminences osseuses; l'une est formée par la malléole interne, l'autre, située plus bas, par la tête de l'astragale; la troisième, moins proéminente, est formée par le tubercule du scaj hoïde.

Le côté rentrant présente un creux très-profond, qui répond au cuboïde et au calcanéum.

La base de sustentation est triangulaire; un côté est formé par le calcanéum , un autre par le scaphoïde, le premier cunéiforme et le bord interne du métatarse, un troisième par le côté interne de la plante. Cette base de sustentation est bien plus défavorable que celle du varus; aussi la marche est-elle moins assurée et plus pénible que dans celui-ci. La difficulté de la locomotion varie d'ailleurs suivant le degré de renversement du pied. Quand ce renversement est considérable, le sujet ne marche plus que sur le côté interne du calcanéum, du scaphoïde, de l'astragale et même sur la malléole interne.

S'il y a valgus talus, le poids du corps porte principalement sulle talon , qui fournit un point d'appui plus solide ; mais i'avant-pied devient presque inutile pour la sustentation.

La face plantaire est ordinairement aplatie dans le valgus. Les muscles abducteurs et fléchisseurs ont une tendance à aplatir le pied en l'élargissant. Cependant j'ai vu le contraire.

Je vous ai parlé de l'absence congeniale de quelques os dans certains pieds bots; or une coïncidence remarquable s'observe sur presque toutes les pièces de valgus que je vous montre; il y manque un ou deux orteils, et ce sont ceux du côté externe; dans un de ces cas, il n'y a pas de péroné. 11 existe certainement un rapport entre l'absence de ces os et la déviation du pied; on peut comprendre que les muscles du côté externe du membre n'ayant pas

trouvé la même résistance que ceux du côté interne, ont entraîné le pied dans leur sens.

Tout ce que j'ai dit des déformations osseuses, des changements subis par les ligaments et les muscles, dans le varus, s'applique également au valgus. Il faut seulement tenir compte de la direction opposée de la déviation.

L'ankylose ne paraît pas très-rare dans le valgus ; vous en voyez ici plusieurs exemples.

C. Pied équin. — Les pieds équins sont les plus communs des pieds bots accidentels, et les plus rares des pieds bots congénitaux. Je parle de l'équinisme pur ou dominant, et non de l'équinisme accessoire qui accompagne presque tous les varus de naissance. Delpech, qui avait reconnu ce dernier fait, en avait conclu que le varus congénital n'était d'abord qu'un pied équin se compliquant plus tard de déviation en dedans. Cette opinion ne repose sur aucune preuve.

Une cause fréquente du pied équin accidentel est la formation d'abcès, d'ulcères au mollet, produisant la rétraction du triceps sural.

Les principales variétés du pied équin sont : 1° le pied équin direct; 2° le pied équin varus; 3° le pied équin valgus, que je réunis au valgus équin.

Suivant la forme et la direction de l'avant-pied, le pied équin est encore dorsal ou plantaire, plat ou creux.

a. Pieds équins en général; — pied équin direct. — Le caractère général des pieds équins est l'extension de l'articulation tibio-astragalienne par la rétraction du triceps sural seul ou associé au long péronier, plus rarement à d'autres muscles.

Cette extension offre divers degrés dépendant de l'étendue du raccourcissement musculaire. J'en distinguerai trois principaux :

1° Dans un premier degré, la flexion du pied sur la jambe est seulement bornée; elle atteint l'angle droit ou un angle très-voisin du droit, mais ne le dépasse pas. Le pied est d'ailleurs bien conformé; on ne s'aperçoit pas de ce léger défaut dans la station simple, la jambe étant dans une direction verticale; toute la plante du pied pose sur le sol; le talon est à peine soulevé. Mais, dans la marche, la jambe ne peut accomplir en entier son mouvement

d'arc de cercle d'arrière en avant sur l'astragale ; le talon est presque continuellement soulevé ; les sujets atteints de cette déviation ne peuvent pos*r le pied à plat en gravissant un plan ascendant ; le tendon d'Achille est fortement tendu dans tous ces efforts de flexion , de même que dans ceux qu'on exécute avec la main ; sa résistance est insurmontable, et sa distension forcée est souvent même accompagnée de douleur.

2° Le deuxième degré du pied équin est caractérisé par le soulèvement continuel du talon dans la station , par l'extension permanente du pied, qui forme avec la jambe un angle obtus.

3° Dans le troisième degré, cet angle est complètement effacé, l'axe du pied est dans la direction de l'axe de la jambe ; le talon est encore plus élevé au-dessus du sol.

L'astragale s'abaisse en avant dans les deuxième et troisième degrés, comme nous avons vu qu'il s'abaisse dans le varus commun. Mais, dans le troisième degré, l'inclinaison de cet os est portée encore plus loin ; son axe dénient presque vertical et sa tête regarde presque directement en bas. Sa poulie, en grande partie découverte , fait saillie au-dessous du tibia.

Il semblerait que le calcanéum dût toujours suivre simplement l'astragale dans son déplacement. Cela se passe ainsi quelquefois; mais le plus souvent le calcanéum concourt de deux manières à l'extension du pied. D'une part, il s'abaisse avec l'astragale; le talon se rapproche de la jambe; la peau se plisse en travers, au niveau du tendon d'Achille ; la facette cuboïdienne se dirige en bas, comme la tête de l'astragale. Mais, d'une autre part, il se produit dans l'articulation calcanéo-astragalienne un mouvement singulier, qui donne au calcanéum une situation un peu différente de celle de l'astragale. Les facettes réciproques de l'astragale et du calcanéum s'inclinent en avant ; le calcanéum est comme écrasé à sa partie antérieure. Il résulte de ce nouveau mode de jonction des deux os, très-apparent sur ces pièces, que leurs axes forment un angle plus ouvert au lieu d'approcher du parallélisme normal, que le calcanéum est moins dévié en bas que l'astragale, moins relevé en arrière; qu'en un mot il participe moins que l'astragale à l'extension exagérée du pied. Le,poids du corps tombant obliquement sur la partie antérieure du calcanéum, produit sans doute ce changement en affaissant peu à peu celte partie de l'os et en lui donnant une

coupe plus oblique. Suivant la résistance du calcanéum à cet affaissement, son parallélisme avec l'astragale est plus ou moins conservé; de là les variétés qu'on observe sur ces moules. Le talon est élevé sur les uns en proportion de l'extension du pied, et non sur les autres, le calcanéum étant, sur les premiers, à peu près vertical comme l'astragale, et se rapprochant davantage, dans les seconds, de la position horizontale. Voici une pièce sur laquelle le déplacement de l'astragale par rapport au calcanéum a été porté si loin, que les axes de ces deux os forment presque un angle droit, et que la face inférieure de l'astragale s'articule avec la face antérieure du calcanéum.

Dans les degrés extrêmes d'ex'ension, le calcanéum peut se trouver en contact, non-seulement avec le tibia , mais encore avec le péroné. M. Chassaignac l'a vu articulé avec la partie postérieure du péroné, et nous observons la même disposition sur une de nos pièces; on y voit l'astragale, chassé en avant, en partie luxé sur le calcanéum, dont la facette supéro-postérieure répond en arrière aux os de la jambe.

Le reste du pied ne présente quelquefois aucun signe de déformation, comme vous le voyez sur ce moule. Son aspect ne diffère pas de celui d'un pied normal qui serait constamment soulevé sur la pointe, c'est-à-dire qui poserait uniquement sur les orteils et sur les têtes des métatarsiens; c'est ce qu'on peut appeler le pied équin simple.

Mais, pour peu que la rétraction soit ancienne, elle entraîne d'autres changements dans le reste du pied.

L'articulation médio-tarsienne s'infléchit à la longue vers la plante. Le scaphoïde est porté en bas, au delà du mouvement que lui imprime déjà dans ce sens l'inclinaison de l'astragale; la tête as-tragalieune se trouve à nu au dos du pied; vous voyez la saillie qu'elle fait sur tous ces cas de pieds équins. Voici un moule où celte saillie est tellement prononcée, que la luxation semble complète.

Le cuboïde s'incline de la même manière sur le calcanéum.

Il y a donc ordinairement, dans le pied équin, un angle médio-tarsien comme dans le varus et le va'gus, mais autrement dirigé. Son côté saillant répond directement en haut, à la têie de l'astragale; le côté rentrant, en exagérant la concavité de la plante du

pied, lui donne l'aspect du pied creux. Aussi le pied équin est-il habituellement un pied creux. Le long péronier paraît êlre l'agent principal de cette déformation ; ce muscle étendant son action jusqu'au métatarse, il en résulte que cette partie du pied participe aussi, quoique légèrement, à la courbure de la région tarso-métatarsienne.

Passons aux changements de direction des orteils. Us se rapportent à deux dispositions. Dans la plus commune, les orteils se relèvent par l'action de leurs extenseurs, aidée par la pression du sol; ils se renversent plus ou moins sur le métatarse; la région métatarso-phalangienne est donc courbée en sens inverse de l'inflexion médio-tarsienne. A la concavité exagérée de la plante, en arrière, succède l'exagération de sa convexité en avant. Le pied, vu de côté, offre alors la forme d'une S. C'est cette partie antérieure, fortement convexe et saillante, qui constitue essentiellement la nouvelle base de sustentation. Le talon antérieur sous-métatarsien supplée au talon normal. La peau et le tissu cellulaire de celte région s'organisent en conséquence.

Les orteils, posant par leur face inférieure et fortement appliqués au sol par les petits muscles de la plante du pied, agrandissent en avant celte base de sustentation. Vous les voyez, sur ces moules, étalés, aplatis, élargis par l'effet de la pression.

Le pied prend ainsi une configuration particulière ; il est large à son extrémité, ramassé, arrondi; c'est celte disposition, plutôt encore que l'élévation du talon, qui l'a fait, dans l'origine, comparer à un pied de cheval. Pline le Naturaliste avait dit des habitants de certaines îles qu'ils passaient pour avoir des pieds de cheval , ce qui les avait fait nommer hippopodes , equinis pedibua homincs. A l'exemple de Pline, Andry, dans son Orthopédie, n'a entendu désigner par le nom de pied équin qu'une forme particulière du pieel. Il ne fait pas même mention de l'élévation du talon, dont il traite dans un autre article.

Des déviations particulières des orteils peuvent se joindre à cette forme commune du pied équin. La plus fréquente est l'extension forcée de la première phalange du gros orteil avec flexion de la seconde. Quand plusieurs orteils ont cette forme, cela produit l'apparence de griffes, comme dans la déviation analogue des doigts.

Le pied équin direct est plantaire, dans cette première disposition des orteils, comme le pied équin simple. Comment est-il

maintenu clans celte situaùon? C'est par l'effet d'un consensus entre le triceps sural et le long péronier; c'est le résultat d'une égalité d'action entre ces deux muscles. J'adopte pleinement ici les vues exposées récemment par M. Duchenne, dans la première partie de son mémoire sur les muscles moteurs du pied. Le triceps sural fait porter le pied sur le côté externe de la saillie sous-métatarsienne ; le long péronier a pour fonction spéciale d'abaisser et de tourner un peu en dehors le premier métatarsien et les os qui le supportent ; c'est presque la seule extension qu'il produise, car il n'agit que très-faiblement sur le ta'on. Il corrige donc l'obliquité d'action du triceps sural et fait appuyer le côté interne de la saillie sous-métatarsienne, comme le triceps son côté externe ; d'où la sustentation directe du corps.

Dans la seconde disposition des orteils, qui est exceptionnel'e, toute la région métatarso-phalangienne est courbée vers la plante, le pied tout entier est roulé de haut en bas sur lui-même, il y a une concavité générale du talon à la pointe ; ce n'est plus le pied creux du long péronier, c'est le pied creux des fléchisseurs des orteils. On peut l'appeler pied équin enroulé, ou encore pied équin dorsal, parce que c'est le dos du pied, vers son extrémité, qui pose sur le sol. On l'a appelé par la même raison pied èquin en dessous.

Celte forme de pied équin dorsal est rarement directe, mais elle est fréquemment compliquée de varus; elle peut l'être de valgus postérieur. Elle rend ordinairement la station et la locomotion fort difficiles.

Si les fléchisseurs des orteils ne l'emportent pas assez sur le long péronier pour empêcher la sustentation sur les têtes du métatarse, il peut arriver qu'ils se bornent à recouiber l'extrémité des orteils, qui ne sont plus relevés par les extenseurs. L'extrémité des dernières phalanges est alors pressée sur le sol, au point que les ongles en sont usés et raccourcis.

i . Pied équin varus. — C'est un pied bot dans lequel, l'extension étant le caractère dominant, la pointe du pied et sa plante sont en outre plus ou moins déviées en dedans. Il résulte, dans son plus léger degré, de la rétraction isolée du triceps sural ; dans un degré plus avancé, la rétraction de ce muscle est augmentée de celle du jambier postérieur et des fléchisseurs des orteils. bouvier. 11

Ses caractères se composent de ceux du pied équin et du varus au premier degré. La base de sustentaiion est beaucoup plus défavorable que dans requin direct plantaire, les orteils se trouvant refoulés et même luxés.

Certains pieds bots sont à la fois équins varus et varus équins, suivant qu'ils sont abandonnés à eux-mêmes ou pressés par le poids du corps. Voici un cas de ce genre, qui était en même temps valgus postérieur. Ce plâtre représente un équiu varus, parce que le pied a été moulé dans la position horizontale. Quand le corps était dans la station verticale, le pied se pli.iit en deux entre les deux rangées du tarse, et devenait un varus équin; sa pointe regardait directement en dedans et en arrière ; le poids du corps reposait sur le talon supplémentaire, qu'on voit du côté externe à la face dorsale. Le talon, déjà un peu tourné en dehors dans la première attitude du membre, se renversait encore davantage, comme dans le valgus, en sorte que ce pied bot est un véritable équin varus valgus.

c. Le pied équin valgus et le valgus équin, dont il me reste à vous parler, offrent la réunion de l'extension et de l'abduction. Le long péronier ne peut seul produire ces formes de pieds bots, parce que, seul, il ne peut pas soutenir le talon élevé. Il faut la participation du triceps sural pour que l'équinisme ait lieu. L'abduction qui s'y ajoute peut résulter de la seule action du poids du corps, quand les adducteurs n'ont pas assez de force pour soutenir les articulations du côté interne. Cette abduction est plus souvent l'effet de la rétraction des muscles abducteurs, associée à celle du triceps sural.

11 suffit, pour se faire une idée des caractères de l'équin valgus et du valgus équin, de combiner les caractères de l'équin et du valgus.

Pour terminer, nous allons examiner trois enfants atteints, les deux premiers, de pieds équins, le dernier de valgus.

Ier cas.— Chez le premier, il serait survenu, à l'âge de quatre ans, une hémiplégie incomplète à gauche, sans causes apparentes. C'est depuis lors que son pied a pris la forme d'un pied équin. Remarquez comme le talon est élevé; cela fait croire, au premier abord, à un grand raccourcissement des muscles du molltt ; mais que l'enfant

essaye d'appuyer complètement le pied sur le sol, vous voyez disparaître aussitôt ce raccourcissement ; le pied devient alors légèrement valgus et pied plat. C'est donc un cas de rétraction légère accompagnée d'une forte contraction anormale. Ainsi, sur le même pied, nous trouvons un pied équin à peu près direct, quand l'enfant marche; un valgus, quand il appuie à terre; et enfin, quand la jambe est soulevée, il y a un équin légèrement varus. Le triceps sural a plus d'action que le long péronier latéral ; le b:ird externe est abaissé; les muscles antérieurs agissent à peine , mais les mouvements d'adduction et d'abduction sont assez sensibles. Quant aux orteils, vous voyez une rétraction très-forte du premier orteil, qui, néanmoins, cède assez facilement. L'enfant marche en partie sur les orteils, dont les ongles sont usés.

IIe cas. — Sur cet autre garçon, atteint aussi, il y a quelques années, d'une hémiplégie gauche, la main ne conserve aujourd'hui qu'un peu de faiblesse musculaire; mais le pied offre un léger équinisme. Il est susceptible des mêmes remarques que le précédent, mais c'est uu cas beaucoup moins prononcé.

IIP cas. — Le troisième malade est une petite fille de trois ans, dont le système nerveux est resté profondément ébranlé à la suite d'une maladie convulsive intra-utérine, ou survenue dans la première année; nous manquons de renseignements certains. On remarque un affaiblissement général de l'innervation; le crâne est très-petit, déprimé, l'intelligence en partie détruite. Il y a chez elle plusieurs rétractions musculaires. Ainsi les fléchisseurs des genoux l'emportent sur leurs extenseurs, et le membre s'étend avec peine. Aux pieds, nous trouvons des valgus légèrement éqi.ins. Mais la plante du pied, chez cette enfant, a conservé sa concavité habituelle, ce qui indique le peu d'influence qu'a eue le long péronier.

Il y a une forte tension dans le long extenseur commun, dans le court péronier et dans le triceps sural, presque pas d'action dans le jambier antérieur, et fort peu d'adduction volontaire.

Remarquez qu'il y a encore ici plutôt contraction que rétraction permanente. On fait céder assez facilement les muscles en apparence rétractés, et la déviation s'efface en grande partie. Elle se reproduit ensuite à un haut degré par la contraction involontaire

14.

des muscles prédominants, et l'on observe alors tous les caractères d'un valgus très-prononcé : saillie du côté interne de l'astragale, déviation de la pointe du pied en dehors, renversement de la plante, concavité du bord externe, dépression sous-malléolaire près de ce bord, etc.

D. Talus (1). — Jusqu'ici, je vous ai décrit trois groupes de déviations du pied, les déviations en dedans, en dehors et en bas.

Nous allons étudier maintenant la déviation en haut, ou pied bot talus.

C'est la plus rare des déviations des pieds. Cependant le valgus congénital est presque toujours en même temps talus; la flexion y est même dominante ; mais le talus accidentel est beaucoup moins fréquent que le valgus.

Les variétés du talus qui vont nous occuper sont : 1° le talus direct, 2° le talus valgus ou talus commun, 3° le talus pied creux.

a. Talus direct; — talus commun. — Le talus direct est extrêmement rare; je ne le crois pas impossible, comme l'a dit M. Bonnet. Il st d'ailleurs des cas qui approchent tellement du talus pur, que c'est à peine s'ils méritent le nom de talus valgus. On voit sur cette planche de M. Little un exemple de talus direct, le plus concluant que je connaisse; l'auteur dit formellement que le bord externe du pied n'était pas relevé; seulement, il a omis d'indiquer la direction du talon (2).

En général, un certain degré de valgus se joint donc au talus, comme dans le cas publié par M. Scoutetten en 1838 (3), comme dans celui que j'ai décrit la même année (4), comme dans les exemples qui sont sous vos yeux. C'est là le talus commun.

Ce talus commun nous offre à considérer plusieurs degrés.

1° Premier degré. — Dans un premier degré, la pointe du pied ne peut pas s'abaisser au delà de l'angle droit, l'extension est limitée, tandis que la flexion est plus étendue que dans l'état nor-

(1) Sixième leçon, 27 juin 1856.

(2) W. J. Little, On the, etc., ou Traité du pied bot. Londres, 1839, p. 263.

(3) Mémoire sur le pied bot. Paris, 1838.

(4) Bulletin de l'Académie de médecine. Paris, 1838, t. III, p. 231.

mal. Le corps ne peut être soulevé sur la pointe du pied, et le talon pose bien plus que celle-ci dans la marche. Les tendons des fléchisseurs se soulèvent et se tendent quand on s'efforce d'abaisser la pointe du pied; le tendon d'Achille est relâché et peu saillant.

2° Deuxième et troisième degrés. — Dans un deuxième degré, la flexion du pied sur la jambe produit un angle moindre que l'angle droit. Enfin, dans le troisième degré, cet angle devient si aigu que l'axe du pied est bien près d'être parallèle à l'axe de la jambe.

Ces deux derniers degrés résultent d'un affaiblissement du triceps sural et d'une forte rétraction des fléchisseurs du pied. Il s'y joint un certain degré d'abduction dû à plusieurs causes, à savoir ; Je poids du corps, la prédominance d'action de l'extenseur des orteils sur le jambier antérieur, et enfin la rétraction du court péronier latéral s'ajoulant à celle des fléchisseurs.

L'articulation tibio-astragalienne est le siège essentiel de la déviation. L'astragale s'enfonce d'avant en arrière sous la mortaise tibiale ; il y cache une partie de son col. Sa poulie abandonne le tibia en arrière et reste en partie à découvert sous les ligaments et les tendons de la région postérieure. Ce déplacement peut aller jusqu'à constituer une subluxation de l'astragale en arrière.

Le calcanéum suit le mouvement de l'astragale. Ces deux os, relevés en avant, prennent une direction oblique, approchant de la verticale, comme dans le pied équin, mais dans un sens opposé. Dans les cas anciens, il se fait, en outre, un commencement de subluxation du calcanéum sur l'astragale , comme on le voit sur cette pièce de talus pied creux. La facette postérieure du calcanéum est en partie à nu derrière l'astragale, et les axes des deux os forment un angle ouvert en arrière, comme dans certains cas de pied équin, quoique par une causi agissant dans un sens opposé.

Par suite du double déplacement de l'astragale et du calcanéum, le talon n'est plus saillant au delà du tibia ; il est reporté en dessous de la jambe, à laquelle il fait suite, et qu'il termine comme l'extrémité d'un pilon. Au lieu d'appuyer par son plan inférieur, la tubérosité calcanlonne pose sur le sol par sa partie inféro-posté

rieure, dans le point qui donne attache au tendon d'Achil'e; c'est à cet espace étroit que se réduit la base de sustentation. De la le nom de calcanien qu'on a donné à ce pied bol (Scoutetten, Little).

L'avanl-pied ne fait guère que suivre la direction de l'astragale et du calcanéum ; cependant il se manifeste un léger mouvement de bas en haut qui diminue l'angle médio-tarsien et la courbure naturelle du pied. Il peut môme se produire une faible convexité à la plante du pied. C'est ce qui a eu lieu sur cette pièce de talus, dans un cas où, à la vérité, il manquait plusieurs os du tarse, ce qui a beaucoup diminué la résistance de la voûte tarsienne.

Les os sont primitivement moins altérés dans le talus que dans les autres pieds bots, et surtout que dans le varus. Voici un dessin qui représente en ngard les os du tarse d'un enfant de six semaines, qui portait un varus au pied droit, un talus au pied gauche; les os du talus ne diffèrent pas sensiblement de l'état normal ; ceux du varus sont très-notablement déformés. Toutefois la forme des os se modilie également à la longue. Ainsi, ce calcanéum d'adulte n'a plus sa figure normale; sa grosse tubéiosilé s'est déprimée dans le haut, sans doute par suite de son inclinaison et de la pression du tendon d'Achille; tout l'os paraît allongé et se termine en arrière par une extrémité conique.

De la flexion généra e du pied sur la jambe, de l'abduction légère qui s'y joint, dérivent les caractères extérieurs du talus commun. La pointe du pied est plus ou moins élevée au-dessus du sol, plus ou moins rapprochée de la jambe ; elle peut être plus ou moins déviée en dehors. La région du talon est aplatie; à peine sent on le tendon d'Achiile; c'est peut-être un cas de ce genre que Palletta a pris pour une absence complète de ce tendon. La face plantaire est allongée; la face dmsale, plus courte, se rapproche du côté antéro-exlerne de la jambe. Elle lui est même souvent accolée à la naissance; mais cet excès de flexion disparaît de lui-même dès les premières semaines. Enfin, la direction, la forme des bords du pied sont déterminées par le degré de valgus qui complique le talus.

On comprend que, dans le talus commun à un haut degré, l'étroitesse de la base de sustentation gêne beaucoup la locomotion, qui est mal assurée.

b. Talus pied creux. — Le talus pied creux n'est qu'un demi-talus ; c'esi-à-dire qu'en arrière existe la disposition du talon que nous venons de décrire; en avant, au contraire, l'avant-pied, au lieu de suivre la direction de l'astragale et du calcanéum, se replie en bas et ramène la pointe du pied sur le sol. De là l'exagération de la concavité plantaire, le pied creux ajouté au talus.

Je ne connais pas d'exemple de talus pied creux congénital; mais il pourrait s'en présenter.

Cette forme de pied bot s'est montrée jusqu'ici liée à la paralysie ou à un affaiblissement extrême du triceps sural, et à la rétraction concomitante des fléchisseurs du pied et du long péronier ou des longs fléchisseurs des orteils.

Pourquoi se produit-il tantôt un talus droit, tantôt un talus creux? M. Duchenne a donné la raison de ce fait; dans le talus droit, il n'y a pas paralysie du triceps. Voici trois moules provenant de sujets que j'ai connus moi-même; chez aucun d'eux, il n'existait de paralysie du triceps, mais seulement une moindre résistance de ce muscle, accompagnée d'un spasme très-prononcé des fléchisseurs du pied. Dans le talus creux, au contraire, la paralysie existant toujours, il suffit, pour l'emporter sur le triceps, d'une légère rétraction des fléchisseurs du pied, qui ne résistent alors que très faiblement aux fléchisseurs de l'avant pied.

Ces derniers muscles sont sollicités à agir par deux causes; d'un côté parla volonté, d'un autre côté, parce que leur contraction est provoquée par la tension que leur imprime la flexion de la rangée postéro tarsienne. C'est ce que vous saisirez aisément, en jetant un coup d'œd sur ces muscles artificiels adaptés à un membre de squelette par M. le docteur Duchenne.

Les mu cles de la plante du pied et l'aponévrose plantaire se raccourcissent consécutivement dans le talus pied creux. Je pense, avec M. Duchenne , que leur rétraction n'est point primitive.

Les caractères extérieurs du talus pied creux médio-tarsien, ou du long péronier, sont ceux du talus commun, dans la région du talon, et du pied creux, dans la région antérieure du pied. Cette dernière déformation est tout à fait semblable au pied creux que l'on observe dans le pied équin commun. L'identité est telle, dans les deux cas, qu'on distingue à peine les squelettes de ces deux espèces de pieds bots, placés l'un à côté de l'autre; ils ne diffèrent

que per ia manière dont ils se joignent aux os de la jambe. Seulement, dans le talus pied creux entier, on remarque un pli profond à la plante, et la saillie sous-métatarsienne est moins prononcée que dans le pied équin.

L'exagération de la voussure tarsienne finit par déformer les os, comme dans le pied équin. On voit, sur cette pièce, le scaphoïde et le cuboïde amincis du côté de la plante et taillés en forme de coin , comme les pièces d'une voûte.

L'autre espèce de talus pied creux, celui des fléchisseurs des orteils, présente, comme la variété correspondante de pied équin, une concavité plantaire moins prononcée et générale, avec effacement de la saillie sous-métatarsienne, et une courbure uniforme de la face dorsale. De plus, le bord interne du pied est un peu relevé comme dans un léger varns, parce que les longs fléchisseurs des orteils sont en même temps adducteurs. Le pied creux du long péronier présente une disposition contraire.

Les orteils peuvent être diversement déviés dans le talus. Us offrent la forme de griffe dans le talus pied creux, quand les muscles inierosseux sont paralysés. Us sont dioits ou relevés vers le dos du pied, lorsque ces muscles sont sains.

La sustentation est plus assurée dans le talus pied creux que dans les autres formes de pied bot. Les fonctions du membre sont cependant plus ou moins lésées par la paralysie du triceps sural.

Je n'ai distingué que deux sortes de talus pied creux, suivant que la courbure exagérée du pied est produite par le long péronier ou les longs fléchisseurs des orteils; mais il en existe une troisième, dans laquelle les Dois muscles sont associés. C'est ce qu'on peut appeler le talus pied creux direct.

Voici un jeune garçon qui vous montre un exemple de cette dernière variété. Cette déviation est la conséquence de convulsions survenues à l'âge de dix huit mois, et suivies de la paraly ie du triceps sural. Vous voyez que le talon ne se relève pas; j'ai constaté moi-même que l'électricité n'a pas d'action sur le muscle paralysé. Il y a un pli très-pofond à la piaule, et un grand élargissement du talon. 11 ne paraît pa , aujourd'hui, y avoir de valgus avec cette déviation ; mais cette complication existait primitivement; sa disparition est due au traitement mécanique que l'enfant subit depuis un an. La base de sustentation se fait sur toute la plante, les orteils

ne présentent point de griffes, le fléchisseur des orteils agit fortement, ainsi que le long péronier; il en résulte que le pied n'est ni relevé ni abaissé à son bord interne, comme cela a lieu dans la rétraction isolée de chacun de ces muscles.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DU PIED BOT. — Il semble tout

d'abord que le diagnostic des pieds bots ne peut présenter aucune difficulté; c'est une difformité qui frappe les yeux.

Cependant la vue peut tromper en pareil cas, et le diagnostic différentiel de ces déviations des pieds mérite que nous nous y arrêtions quelques instants.

Quand la déviation passe les limites des mouvements physiologiques et qu'elle va jusqu'à la subluxation, nul doute que la vue suffise pour la reconnaître. Mais il n'en est pas de même quand elle consiste en une simple attitude exagérée, tout à fait semblable à celles qui se produisent dans les mouvements physiologiques.

La déviation peut être simulée; on a vu des conscrits feindre le pied bot, et la vue ne suffit pas pour déjouer cette manœuvre. La difformité peut aussi dépendre de causes pathologiques, d'une simple contraction involontaire, temporaire, liée à la circonstance qui l'a fait naître, au lieu de représenter un état permanent, local.

Au commencement de ma pratique, je fus appelé dans une famille pour une jeune fille qui marchait sur la pointe du pied; je crus avoir affaire à un pied équin, mais un de mes maîtres que j'avais appelé en consultation diagnostiqua une maladie de la moelle, et il se trouva avoir raison.

Une autre fois je fus consulté, avec un de mes collègues des hôpitaux, par une dame qui trouvait quelque chose d'insolite dans la démarche de sa fille. Notre diagnostic fut négatif; plus tard, nous trouvâmes sur la jeune fille un abcès par congestion.

La contracture hystérique, la contracture rhumatismale, la contracture aiguë des enfants, des nourrices, etc., pourraient en imposer de la même manière. C'est surtout par l'ensemble des symptômes, et en observant la marche de ces affections, qu'on distinguera leur effet local du vrai pied bot.

Même quand le mal est borné au pied, et que l'enfant l'apporte en naissant, il peut n'être qu'une contracture passagère, comme on le voit après certains accès d'éclampsie.

Il faut, dans tous ces cas, s'attacher à distinguer la contraction de la rétraction.

On déterminera avec soin à quel moment de sa formation se trouve le pied bot, s'il présente un mélange de contraction et de rétraction , à quel degré la rétraction proprement dite est parvenue.

On devra ensuite passer en revue tous les éléments qui constituent le pied bot. Ainsi, il faudra explorer l'état de la contractilité des différents muscles, l'état de leur nutrition ; s'assurer de la conformation des os accessib'es à la vue et au toucher, et déterminer la situation de chacun d'eux ; reconnaître les déviations composées; examiner enfin le pied sous toutes ses faces et dans les positions diverses du membre.

Puis on appréciera la disposition des articulations, leur degré de mobilité, les rapports de leurs surfaces.

Le membre inférieur tout entier doit être lui-même l'objet d'un examen particulier.

On a, en effet, à constater quelles sont la conformation, la direction des os de la jambe et de la cuisse, leur longueur comparée à celle de l'autre membre, la force et la disposition des muscles qui les meuvent. On verra si la situation des malléoles répond à celle des condyles du fémur, si le genou n'est point flé hi, éiendu, dévié d'une manière permanente, si l'articulation de la hanche est dans l'état normal.

§ II. — Traitement du pied bot.

Jusqu'ici nous n'avons envisagé le pied bot que comme un objet d'histoire naturelle, que sous le rapport graphique. Ces notions préliminaires étaient indispensables pour arriver à la thérapeutique, qui est le but vraiment utile de cette étude.

Voyons donc ce que l'art peut faire contre les pieds bots.

Et d'abord je ne mets pas en question s'il importe de guérir le pied bot. Ce n'est pas assurément une lésion qui menace la vie ou quelque grande fonction ; mais c'est une infirmité fâcheuse au point de vue de l'esthétique, ainsi qu'au point de vue physiologique.

Il y a bien un vieux proverbe grec qui dit que apiara ^wXoç otysi, c'est-à-dire, opiîmè ctauclus ramvenereamagit, et Montaigne

cite un proverbe italien où clauda est substitué à claudus. On dit que c'est par suite de cette opinion vulgaire que les anciens ont donné la déesse de la beauté en partage à un dieu kvllopo le.

Il s'est encore trou\é au dix-septième siècle un auteur nommé Mutins Floriatus, qui, boiteux lui-même, a vanté d'un ton moitié sérieux, moitié plaisant, les avantages de la claudication dans une dissertation ayant pour litre : Epistola apolo^etica in quâ de-fenditur comrnenda turque claudiias, et dédiée magno claudorum principi Vulcano.

Mais ces compensations, en les supposant réelles, consolent peu les boiteux. Quelle amertume le pied bot n'a-t-il pas répandue sur la vie de lord Byron !

Dieffenbach assure que sur un grand nombre de femmes qu'il a traitées pour cette difformité, une seule était mariée; les autres étaient condamnées par leur infirmité à un célibat forcé (I).

Au point de vue physiologique d'ailleurs, vous savez que beaucoup de pieds bots nuisent à la locomotion et la rendent quelquefois impossible. Dans les cas les plus favorables, ce n'est que dans la jeunesse que le membre remplit passablement ses fonctions; les progrès de 1 âge aggravent le mal; il peut même survenir des ulcères , des caries.

Cet état fonctionnel du membre pied bot prive les pauvres d'une foule de travaux manuels et restreint ainsi considérablement leurs moyens d'existence. Dans toutes les classes, il est un obstacle h l'exercice de beaucoup de professions. Le trop célèbre ïalleyrand fut condamné par son pied bot à embrasser l'état ecclésiastique, pour lequel il avait, je crois, peu de vocation. Vous le voyez, quelquefois le sort de toute une existence est dans nos mains quand nous sommes appelés à remédier au pied bot.

Les anciens, si soigneux de tout ce qui touche à la beauté du corps, l'avaient bien senti. Ils faisaient tous leurs efforts pour corriger les déviations des pieds. On trouve dans le ïraiié rapt apOpwv, ou des articulations, de la collection hippocratique (2), des

(1) Dieffenbach, Ueber, etc., ou De la section des tendons, p. 76, Berlin, 1841.

(2) OEuvres d'Hippocrate, trad. par E. Littré. Paris, 1844, t. IV, pag. 78 et suiv.

précoptes admirablement tracés sur le traitement des pieds bots. Ils furent complétés plus lard par le Commentaire de Galicn.

Malheureusement les arts mécaniques, alors dans l'enfance, ne répondaient qu'imparfaitement aux vues si judicieuses de l'école d'Hippocrate.

Cetle branche de l'art de guérir tomba plus tard dans un profond oubli. On abandonna longtemps la thérapeutique des pieds bots aux rebouteurs, aux bandagistes, comme si elle eût été au-dessous de la dignité médicale. Malgré les tentatives louables d'Am-broise Paré(l), de Fabrice de Hilden et de quelques autres, le trai-tem- nt do pied bot fit si peu de progrès, que Dionis, il n'y a pas plus de cent cinquante ans, déclarait que « quand le pied est mal fabriqué dès la première conformation , on emploie toutes sortes de moyens sans pouvoir corriger ce défaut (2). » A la fin du siècle dernier, Camper déclarait encore que, malgré le mérite de certaines machines, il était obligé de confesser qu'il n'avait que très-rarement réussi à retires er les pieds bots (3).

Des médecins, des chirurgiens éminents, comprirent enfin le tort qu'avaient eu leurs prédécesseurs. A l'exemple de Cheselden, les Scarpa, les Boyer, les Dupuyiren consacrèrent quelques-uns de leurs loisirs au perfectionnement du traitement des pieds bots. Des artistes ingénieux les secondèrent ; d'honorables praticiens devinrent eux-mêmes artistes, et les méthodes se multiplièrent.

Cependant l'application de l'orthopédie au pied bot resta encore concentrée entre les mains d'un petit nombre de spécialistes, jusqu'à l'invention de la lénotomie.

Il faut avoir médité sur la marche de l'esprit humain , il faut se rappeler que Fulton fut presque traité de visionnaire, pour comprendre avec quelle lenteur se développa l'invention de la téno-tomie.

Après des essais informes de praticiens ignorés, Dclpech pratique, en 1816, la première secion du tenion d'Achille qui ait reçu quelque publicité. Il réussit; mais son procédé était mauvais; on le critique, on le blâme, et l'idée reste stérile.

(1) OEuvres complètes, nouvelle édition, par J. F. Malgaigne. Paris. 1840, t. II, pag. 613.

(2) Dionis, Cours d'opérations de chirurgie, p. 530, Bruxelles, 1708.

(3) Sur la meilleure forme des souliers, p. 51, 1781.

Cependant Delpech, dès 1823, écrivait ces lignes remarquables , qui renfermaient tout l'avenir de la ténotomie : « Nous sommes pleinement convaincu aujourd'hui que cette opération est très-praticable dans toutes tes régions où des tendons s'opposent à l'attitude naturelle des membres, quelle que soit l'origine de la difformité (1). »

Malgré cette conviction, Delpech ne répéta pas lui-même son opération ; dix-huit années se passèrent ainsi. Il fallut que la méthode nous revînt d'Allemagne, rajeunie, transformée par Slro-meyer, pour être enfin accueillie comme elle le méritait.

Depuis, on a bien réparé le temps perdu; la ténotomie, poussée quelquefois même jusqu'à l'abus, est devenue une partie importante du traitement du pied bot.

Ce traitement se compose, en effet, de trois ordres de moyens : 1° les moyens mécaniques; 2° les opérations ténotomiques; 3° les diverses médications dirigées contre les causes, effets ou complications de la difformité.

On divise aussi le traitement en préservatif et curatif. Le traitement préservatif est celui de la première période ou période de formation, pendant laquelle les muscles sont contractés et non rétractés. Les moyens à employer dans ce cas sont les mêmes que dans les plus légers degrés du pied bot confirmé; nous les retrouverons donc dans le traitement curatif.

I. Moyens mécaniques (2). — La ténotomie ne suffit pas pour amener la guérison des pieds bots; dans presque tons les cas, il faut joindre à l'opération l'emploi des moyens mécaniques, sous peine de manquer le but. Quelquefois même, ces moyens sont les seuls applicables.

La première condition des moyens mécaniques, c'est d'agir en sens inverse des muscles qui ont produit la déviation.

Il faut aussi considérer dans l'application de la force mécanique le lieu d'application , l'intensité et la direction de cette force.

Relativement au lieu d'application, il faut se rappeler que les différentes lignes articulaires du pied sont affectées de diverses manières. Les principales de ces lignes sont les lignes tibio-tarsienne

(1) Chirurgie clinique de Montpellier, t. Ier, 1823.

(2) Septième leçon , 4 juillet 1856.

et médio-tarsienne. Mais il faut aussi tenir compte des lignes astra-galo-calranienne et tarso-métaiarsienne, ainsi que des orteiK

Les déviations sont simples quand elles n'affilient qu'une de ces lignes, composées lorsque plusieurs sont atteintes.

Dans les déviations composées, la force mécanique doit agir sur toutes les lignes articulaires déviées, sur toutes les déviations élémentaires dont se compose le pied bot.

Ces déviations élémentaires se trouvant tantôt dans le même sens, tantôt dans un sens alternativement opposé, ou enfin dans des plan? différents, comme l'exlt nsion et l'adduction du varus commun , la force qu'on leur oppose doit agir dans des directions en rapport avec ces variétés.

Quant à l'intensité des forces mécaniques, elle doit être en rapport avec l'intensité des résistances à vaincre.

Ces résistances diffèrent suivant le lieu qu'elles occupent. Elles peuvent siéger uniquement ou principalement dans les muscles; elles consistent alors dans une espèce d'attitude; elles peuvent encore siéger dans les os et les ligaments, comme dans les subluxations.

En général, dans les déviations tibio-tarsiennes, la résistance principale est dans les muscles, tandis qu'elle provient souvent des ligaments et des os dans les déviations médio-tarsiennes.

L'intensité de la résistance varie encore suivant la nature des muscles; la plus considérable provient de la rétraction du triceps sural dans la déviation tibio-tarsienne.

L'ancienneté de la déviation augmente aussi cette résistance; de là le précepte déjà indiqué par Uippocrate, et développé surtout par Dupuytren (1), de traiter les pieds bots le plus tôt possible, et même dès les premières semaines de l'existence. Pour moi, j'adopte pleinement l'opinion de Dupuytren; et si quelque motif grave fait relarder le traitement, je pense qu'il faut du moins employer quelques moyens préservatifs pour empêcher la résistance de s'organiser plus complètement.

Enfin le pied bot accidentel cède plus facilement aux moyens mécaniques que le congénital.

Examinons, d'après ces données générales, les effets qu'on peut

(1) Leçons orales de clinique chirurgicale, 1839, t. II, p. 127.

attendre des trois sortes de puissances employées dans le traitement des pieds bots, savoir : 1° la main; 2° les bandages; 3° les machines ou appareils mécaniques.

A. Emploi de la main. — La main est la première de ces forces. Elle peut agir seule, et, de plus, son emploi est un préliminaire indispensable des autres procédés mécaniques. Aussi l'article d'Hippocrate dont j'ai parlé indique-t-il déjà la manière de s'en servir pour redresser le pied bot. De nos jours, Brûckner (1) et M. Mellct (2) sont entrés dans de nouveaux détails sur cette manœuvre, spécialement pour le varus. Rien de plus simple que ces manœuvres, si le pied bot est simple et la résistance peu considérable. Ainsi, dans le pied équin simple, dans le talus, dans le varus et le valgus directs, il suffit qu'une main fixe la jambe, tandis que l'autre agit sur le pied et l'attire ou le repousse en sens contraire de la déviation.

La chose est un peu plus compliquée si la déviation est complexe et s'il y a subluxation. Ainsi, dans le varus prononcé, il ne faut pas seulement porter la pointe du pied et la rangée antéro-tar-sienne en dehors, il faut encore abaisser celle-ci du côté interne, relever le côté externe du pi d, pour remédier en même temps à la rotation que, suivant l'expression de Scarpa, le scaphoïde et le cu-boïde ont éprouvée sur leur petit axe. Puis, avec la même main qui appuie sur le côté externe de l'astragale et du calcanéum, il faut faire un autre effort, du côté interne, sur l'articulation aslra-galo-calcanienne pour reporter le talon en dehors. Il faut enfin fléchir l'articulation libio-tarsienne.

Mais il est difficile de produire tous ces mouvements à la fois, et on recommande généralement, pour peu que les déviations soient étendues, la résistance forte, de ne s'occuper de la flexion qu'après avoir ramené le pied suus l'axe de la jambe, ou l'avoir dérouté, comme on dit, c'est-à-dire après avoir effacé les inclinaisons des os dans les lignes astragalo-calcanienne, médio-tarsienne et tarso-métatarsienne.

Dans le valgus, on procède comme dans le varus, mais en sens contraire. Une main repousse le talon en dedans et presse sur le

(1) Loc. cit., p. 67.

(2) Manuel d'orthopédie, 1835, p. 433.

côté interne antérieur de l'astragale et du calcanéum, tandis que l'autre main ramène la pointe du pied en dedans, abaisse son bord externe et fait tourner la rangée antéro-tarsienne de haut en bas et de dehors en dedans.

Mais on a encore affaire ici le plus souvent à une déviation composée. Il faut, tout en redressant le valgus, remédier au talus, produire l'extension du pied sur la jambe. C'est ce qu'on opère, comme dans le varus, simultanément quand cela est possible, en deux temps dans les cas graves. La même règle est applicable au valgus équin, dans lequel il faut fléchir le pied au lieu de l'étendre.

Les déviations multiples du pied équin creux, ou du pied équin enroulé, peuvent être aisément attaquées par un même effort des mains, parce qu'elles se font dans le même sens. Il n'y a d'exception que pour la déviation des orteils en haut, dans le pied creux du long péronier ; il faudra les abaisser.

Les déviations alternatives du talus pied creux exigent une manœuvre plus difficile. On a, dans ce cas, à étendre l'arrière-pied, par conséquent à abaisser en avant la rangée postéro-tarsienne, et à relever en même temps l'avant-pied , trop fléchi dans l'articulation médio-tarsienne. On y parvient en relevant fortement le talon et en pressant à la fois sur la convexité du cou-de-pied et sur la saillie sous-métatarsienne.

Tous ces efforts manuels doivent être faits avec douceur, ménagement, lenteur; on doit les continuer longtemps et répéter les manœuvres plusieurs fois par jour. La coaplalion des subluxations du pied ne peut être obtenue ici qu'à la longue, et non sur-le-champ comme dans les luxations ordinaires.

L'emploi de la main a, sans contredit, un grand avantage sur les autres procédés mécaniques. Guidé par la volonté, c'est un instrument intelligent, doux et puissant tout à la fois, qui satisfait immédiatement à toutes les indications à mesure qu'elles se présentent.

Mais son action est nécessairement intermittente , et son effet se perd en grande partie pendant les intervalles de repos. Une autre difficulté, c'est de trouver des personnes propres à exécuter ces manœuvres aussi longtemps que cela est nécessaire. L'application de la main ne saurait constituer à elle seule une méthode curative générale; elle ne réussirait que dans des cas isolés.

M. Stoltz a vu un jeune garçon qui se guérit lui-même par des efforts soutenus, en exerçant les muscles de son pied et en le redressant très-fréquemment avec la main.

J'ai moi-même observé un enfant pied bot de naissance, dont le varus avait été réduit à l'équinisme par le dévouement d'une tante qui lui tenait lieu de mère. Cette dame allait jusqu'à tenir le pied dans sa main la nuit, tout en dormant.

Des praticiens habiles, M. Mellet, à Paris, un orthopédiste de Lyon cité par M. Bonnet, se sont très-bien trouvés de ces manipulations unies à l'action des machines.

Il ne serait pas exact, toutefois, de prétendre que cette association soit généralement nécessaire. Je ne puis admettre, avec M. Mellet, que, sans les manipulations, la guérison soit très-imparfaite, et que le membre reste demi-ankylosé ; je n'ai jamais rien vu de semblable clans ma pratique.

B. Bandages. — Dès le temps d'Hippocrate, on reconnut l'insuffisance des procédés manuels, et les bandages employés pour le pansement des plaies, des fractures, furent aussi appliqués au traitement des pieds bols. L'invention des machines n'a pas même fait disparaître les bandages, et beaucoup de chirurgiens en ont continué l'usage, poussés par le désir de s'affranchir de l'intervention obligée des mécaniciens. La découverte de la ténotomie donna l'espoir d'y parvenir. Voyons jusqu'à quel point cet espoir est fondé.

Les bandages sont simples ou composés.

Une simple bande roulée peut ramener la pointe et la plante du pied en dehors, et l'y maintenir, dans le varus des enfants très-jeunes , si l'on a soin de donner aux tours de bande une direction contraire au sens de la déviation. Hippocrate avait déjà dit : « Les tours du bandage marcheront dans le sens du redressement opéré par les mains. » C'est ce qu'on obtient dans le varus, en appliquant la bande de gauche à droite pour le pied droit, et de droite à gauche pour le pied gauche.

Briickner a décrit et représenté un bandage de ce genre : il commence par faire plusieurs tours de bande au bas de la jambe, et laisse pendre à son côté interne un premier chef d'une certaine longueur ; il continue les tours de bande dans le sens convenable,

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de façon que l'autre chef se trouve au bord externe du pied; il réunit alors les deux chefs en les croisant sur la face dorsale, et termine en les fixant au-dessus des malléoles.

Bruckner assure avoir obtenu des effets très-avantageux sur des nouveau-nés, et même sur des enfants plus âgés, en associant à l'emploi de ce bandage des manipulations fréquentes et des onctions avec des corps gras.

Si on ajoute à ce bandage simple des corps solides, comme des attelles, des plaques métalliques, ou si on rend le bandage lui-même solide, inflexible, par la dessiccation des matières dont on le pénètre, on a le bandage composé.

Le bandage d'Hippocrale était un appareil composé. Il y entrait plusieurs bandes, des compresses, une semelle en cuir ou en plomb qu'on plaçait entre les bandes. Celles-ci étaient enduites d'un cérat contenant une forte proportion de résine, « pour mieux adhérer à la peau, dit Galien, et pour mieux tenir les parties immobiles dans la position qu'on leur a donnée. » Le bandage appliqué, on cousait à sa surface inférieure, du côté du petit orteil, le bout d'une bande qu'on tirait en haut et qu'on arrêtait solidement au-dessus du mollet pour empêcher le pied de retomber.

Il y a plus de cent ans, Cheselden employait dans le pied bot et les fractures un bandage composé de bandelettes trempées dans un mélange de farine et de blanc d'œufs. Cette idée lui fut suggérée par un souvenir de son enfance. Un bandage du même genre lui avait été appliqué avec succès, pour une fracture de l'avant-bras, par un praticien de Leicester nommé Cowper (1).

De nos jours, on emploie, outre les appareils solidifiables, un bandage qui ressemble à celui deDupuytren pour la fracture du péroné.

Voici une attelle coudée, portant une semelle de bois, qui forme avec elle un angle obtus. En fixant le pied sur la semelle, on se sert de l'attelle comme d'un levier pour redresser le varus, et d'autres tours de bande maintiennent le membre dans celte situa-lion. Mon collègue, M. Guersant, a employé ce moyen avec quelque avantage. Il s'est aussi servi, dans le pied équin, de cette

(1) Cheselden, Anat. of the hum. body, 7e édit. p. 37. Lond., 1750; et Opèr. de chir. de Ledran, trad. par Gaiaker, avec des remarques de Cheselden, p. 452, 1757.

gouttière en bois, articulée avec une semelle sous un angle que l'on fait varier au moyen de liens qui traversent des fentes pratiquées sur les deux pièces de cet appareil.

Les bandages amidonnés de M. Seutin, les appareils dexirinés de M. Velpeau, si souvent employés dans le traitement des fractures , ont été aussi appliqués à celui des pieds bots. Dieffenbach étendit aux pieds bots l'usage de ses moules en plâtre, qu'à l'exemple des Indiens, il avait imaginés pour les fractures, et cette méthode a paru chez nous assez importante pour devenir l'objet d'une communication à l'Académie des sciences.

Nous avons eu depuis les appareils en stuc de M. Richet, les bandages plâtrés de M. Alathyssen, les plaques de gutta-percha, appliquées molles sur le pied redressé avec les mains, et presque instantanément solidifiées par le refroidissement; M. Giraldès a particulièrement tiré parti de cette substance dans le traitement des pieds bots.

Quelle est la valeur de tous ces bandages? Les premiers, les bandages simples, se dérangent facilement, et le pied tourne dans ces bandes. Ils sont d'ailleurs incapables de résister aux puissances qu'ils doivent vaincre , pour peu que celles-ci soient fortes.

Les bandages inamovibles sont assez puissants pour vaincre de grandes résistances, mais ils ont des inconvénients d'un autre genre. Mal appliqués, ils produisent des paralysies, des gangrènes. On ne peut visiter le pied aussi souvent qu'il le faudrait, ni relâcher ou augmenter à volonté les pressions, en varier le siège suivant les indications journalières. En outre, jusqu'au moment où l'appareil est complètement solidifié, le pied peut être dérangé de la position qu'on veut lui donner. On peut craindre aussi les effets de cette immobilité trop absolue pour les mouvements et la nutrition du membre.

En résumé, les bandages même composés ne peuvent, à mon avis, remplacer avantageusement les machines dans le plus grand nombre des cas. Us peuvent réussir, lorsqu'on n'a point à remédier à des subluxalions anciennes ou à la rétraction permanente de muscles puissants. Us conviennent particulièrement après la téno-tomie, lorsqu'on n'a point de bonnes machines et que le squelette participe peu à la déformation (1).

(1) Voyez , pour le parti que l'on peut tirer, dans ce cas, des bandes

15.

C. Machines. — Les machines ou appareils mécaniques applicables au traitement des pieds bots ont singulièrement varié depuis le brodequin en cuir bouilli d'Ambroise Paré, depuis les lames de fer que Fabrice de Hilden fit forger par un serrurier de village, jusqu'aux appareils luxueux de tous les pays qui ont figuré à notre exposition universelle.

Je ne veux point vous décrire tous ces appareils; ce n'est pas leur nombre, mais leur degré d'utilité qui nous importe ici, et je dirais volontiers avec notre fabuliste :

Le trop d'expédients peut gâter une affaire ;

N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon.

Ces machines peuvent se ranger en deux classes : les unes forcent le malade à rester immobile ou sur un siège ; les autres ne s'opposent pas d'une manière absolue à la déambulation. Je ne m'occuperai que de ces dernières, les seules généralement en usage.

Les machines doivent répondre à deux conditions principales : continuer l'action des mains ou la remplacer, être assez puissantes pour exagérer le redressement du pied, pour lui donner un commencement de déviation dans le sens opposé, double principe déjà exprimé par Hippocrate.

Un médecin suisse, Venel, a, le premier, bien compris le moyen d'atteindre ce double but. Malheureusement il n'a pas décrit lui-même son appareil, aussi en a-t-on eu longtemps une fausse idée. Voici un appareil dit de Venel, longtemps décrit comme tel, et que ses successeurs renient. C'est une chaussure en fer, offrant sur chaque bord une plaque mobile mue par une vis. L'une de ces plaques repousse le côté externe, l'autre la partie antéro-interne du pied.

MM. d'Ivernois et Mellet ont rétabli les faits à cet égard; ils ont décrit le véritable appareil ou sabot de Venel, comme on l'appelle. C'est à peu près le modèle que je mets sous vos yeux. La chaussure diffère notablement de la précédente; c'est une semelle de bois, portant à son côté externe une plaque de fer et percée de deux fentes vis-à-vis du talon. Ces fentes livrent passage aux cour-

plâtrées : Michaux, sur les pieds lots, dans le Bulletin de l'Académie de médecine de Belgique, t. XV, n° 8, 1856.

roies d'une lalonnière, qui se fixent à des boutons, et qui retiennent le pied sur la semelle avec une autre courroie appliquée sur la face dorsale. La pièce principale de l'appareil est d'ailleurs, comme dans celui qu'on a faussement attribué à Venel, une tringle placée dans une douille fixée à la plaque qui correspond à la malléole externe. Cette tringle, c'est le levier de Venel. On donne à ce levier des courbures diverses, et l'on a ainsi un écartement variable de son extrémité supérieure en dehors et en avant, suivant la direction et la courbure du pied. Ce levier se retrouve dans presque tous les appareils construits depuis.

J'ai réuni sous vos yeux les machines pour pieds bots de plusieurs fabricants de Paris. Je vais tâcher de vous en donner une idée sommaire. Je désignerai chaque appareil par le nom du fabricant, sans rien préjuger toutefois relativement aux questions d'invention et de priorité.

Tout appareil de pied bot se compose de deux parties; l'une embrasse le pied comme une chaussure, c'est la pièce podale ou pédienne; l'autre est placée le long de la jambe, c'est la pièce jambière ou tibiale.

1° Partie podale. — Dans l'appareil le plus simple, la pièce podale n'est autre que le sabot de Venel; on y retrouve une lalonnière , morceau de cuir embrassant le bas de la jambe, fermé en avant par un lacet, et terminé par deux courroies destinées à s'opposer à la sortie du talon. Seulement, le côté interne de la semelle porte en arrière une seconde plaque de fer, et les courroies de la talonnière passent par des fentes qui traversent ces deux plaques latérales.

Dans l'appareil de M. Ferdinand Martin, le pied est fixé très-solidement sur une simple semelle plate, sans rebord. C'est par l'art avec lequel il sait disposer les courroies croisées en divers sens autour du pied, que M. F. Martin supplée à tout autre moyen de contention.

M. Jules Martin ne fixe pas non plus le talon à l'aide d'une talonnière. Le pied est emboîté dans une chaussure à bords peu élevés, dont la partie postérieure est munie d'un épais bourrelet qui maintient le talon en place, conjointement avec les courroies placées sur le cou-de-pied.

On construit, pour les cas de fortes courbures médio-tarsiennes latérales, des semelles brisées dans leur milieu par une articulation à mouvements latéraux, mécanisme déjà décrit par Boyer.

Dans cet appareil de M. Cotlin, le mouvement de cette articulation est produit par une vis sans fin qui fait marcher une pièce à engrenage.

Comme exemple de l'emploi des appareils mécaniques dans la première enfance, je vous présente un enfant âgé de quatre mois et demi, qui porte à droite un varus congénial du premier degré, et à gauche un valgus; vous avez ainsi sous les yeux deux appareils agissant en sens contraire pour les deux formes principales du pied bot. La mère de cet enfant a fait une chute pendant le cinquième mois de sa grossesse. Il est probable qu'il est survenu chez l'enfant une affection convulsive durant la vie intra-utérine, affection qui a eu pour résultat un affaiblissement des muscles fléchisseurs abducteurs du côté droit et des muscles opposés du côté gauche. Le valgus du pied gauche a presque disparu depuis l'emploi des machines, et il ne reste guère aujourd'hui qu'un premier degré de talus. Il y a eu en même temps, chez cet enfant, une paralysie incomplète du membre supérieur.

Cet autre enfant est un exemple curieux des difformités multiples dont je vous ai entretenus précédemment. Les membres supérieurs, paralysés presque complètement, sont dans l'exten?ionj les mains fléchies sur l'avant-bras. Les membres inférieurs, écartés très-largement, sont dans la rotation en dehors; on éprouve de la résistance quand on veut rapprocher les genoux. Ceux-ci sont fléchis, et la rétraction des muscles fléchisseurs ne permet pas de leur donner l'extension normale. Les rotules sont rudimentaires. Sur le devant des genoux existe une dépression assez profonde, dont l'apparition, d'après la mère, aurait coïncidé avec l'embonpoint de l'enfant. Le peu de laxité du tissu cellulaire en ce point a probablement empêché la peau de se laisser distendre par le tissu adipeux, comme cela est arrivé dans les parties voisines. Aux pieds, nous trouvons des pieds équins enroulés, fait rare parmi les congénitaux. Du côté droit, il y a un léger degré rie varus; à gauche, l'équin est presque direct. Le triceps sural est fortement rétracté. A la plante du pied, vous pouvez remarquer un pli assez

profond qui ordinairement appartient au pied creux du long péro-nier latéral, mais que nous retrouvons ici, quoique le long fléchisseur des orteils soit également rétracté; car le pied creux est direct, et les orteils sont aussi recourbés. Dans le traitement, il faudra agir dans le même sens pour toutes les lignes articulaires.

La mère de cet enfant nous dit que, à un mois de sa grossesse, elle eut avec son mari une violente querelle, et fut même frappée. Il est probable que l'enfant a éprouvé dans l'utérus une affection convulsive. Avant cette grossesse, la mère a eu neuf enfants, tous bien constitués. Ce fait dépose évidemment en faveur de la théorie de la rétraction musculaire convulsive, antérieure à la naissance, théorie dont je ne combats que l'exagération.

(1) Avant de poursuivre l'élude des machines employées dans le traitement du pied bot, examinons un enfant affecté d'un pied bot double compliqué d'une difformité remarquable des genoux.

Cet enfant, âgé de cinq ans, est le onzième de sa famille; ses frères et sœurs sont tous vivants et bien conformés. Nous n'avons pas de renseignements sur cette dernière grossesse.

A droite, vous voyez un pied équin enroulé. Le pli plantaire est aussi prononcé que dans le pied creux du long péronier ; ce pied creux est probablement, en raison de l'égale inclinaison des deux bords du pied, de ceux qui dépendent à la fois du long péronier et des fléchisseurs des orteils. Si on cherche à redresser le pied, on éprouve une grande résistance.

A gauche, il y a un équin valgus, légèrement enroulé. Vous remarquez la saillie de la tête de l'astragale au côté interne du pied ; le talon et la pointe du pied sont portés en dehors ; le pli plantaire est assez prononcé. Il y a ici rétraction des deux péroniers latéraux, et moins sensiblement qu'au pied droit, rétraction des fléchisseurs des orteils.

Quant aux genoux, on peut les porter dans une extension tellement exagérée, qu'on forme un angle rentrant en avant, tandis que le jarret devient bombé. A droite, la déviation est, en outre, latérale, et ce genou est cagneux. La rotule droite est très-peu développée; on la trouve en dehors, sous forme d'un petit tuber-

(1) Huitième leçon, 11 juillet 1856.

cule osseux. Celle du côté gauche est plus volumineuse, et l'angle du genou de ce côté est très-peu prononcé.

Des deux côtés, on ne peut communiquer aux genoux qu'un mouvement de flexion très-borné, et la flexion volontaire est complètement abolie. M. Duchenne a constaté que les fléchisseurs du genou paralysés ne répondent même pas à l'excitation électrique.

Ce fait est un exemple rare de la rétraction du triceps crural, compliquant le pied bot. C'est ordinairement la rétraction des fléchisseurs de la jambe qu'on observe dans ce cas.

Revenons à la description des machines.

2° Partie jambière. — Nous avons parlé de leur partie podale ou pédienne. La partie jambière ou libiale se compose d'une ou de deux tiges métalliques, qui rappellent le levier de Venel. Elles en diffèrent par la manière dont elles sont jointes à la semelle : au lieu d'être fixe, la tige est mobile sur l'équerre appelée étrier, qui fait corps avec la semelle. Le point de jonction de cette articulation métallique correspond à peu près au niveau des malléoles.

Le levier lui-même est ordinairement divisé en deux parties articulées à peu de distance de sa jonction avec l'étrier.

Ces deux articulations sont disposées de manière que leurs mouvements, réglés par une vis, inclinent la sandale, par rapport à la partie supérieure du levier, sous un angle variable à volonté. L'une des articulations produit une inclinaison dans le sens antéro-postérieur ; l'autre en produit une dans le sens transversal.

Dans les appareils placés sous vos yeux, il y a deux genres de mécanisme qui conduisent à ce but. Dans l'un, chaque articulation est une charnière; l'une des pièces a un prolongement qui dépasse cette charnière. Une vis traversant l'autre pièce presse sur ce prolongement et fait mouvoir ou basculer la première; si celle-ci résiste, elle fait mouvoir la seconde. C'est ce mécanisme très-simple que vous voyez dans ces appareils de MM. Charrière, Lebel-Jeguic, etc. Dans ces appareils, le mouvement de l'articulation n'est arrêté que dans un sens ; il peut être aussi étendu que l'on veut dans le sens opposé à la déviation. Le second mécanisme ne laisse subsister aucune mobilité dans les deux articulations. La

vis est une vis sans fin ; elle fait marcher une partie dentée qui forme l'extrémité de la pièce opposée. Tel est le mécanisme de l'appareil de M. F. Martin, de plusieurs appareils postérieurs de MM. Charrière, Lebelleguic et Cottin, que vous avez sous les yeux.

Vous comprenez que le haut du levier étant fixé au-dessous ou au-dessus du genou, les mouvements des deux brisures de ce montant agissent sur la sandale, comme le levier courbé ou coudé de Venel. Les mouvements du second mécanisme font même plus : comme ils inclinent les pièces du montant à égal degré des deux côtés, ils peuvent renverser sa courbure de façon que le même appareil tourne à volonté la semelle et la plante du pied en dehors ou en dedans, élève ou abaisse la pointe, et par conséquent s'applique également au varus et au valgus, au pied équin et au talus.

Je trouve en outre, dans ces appareils de MM. Charrière et Cottin, une vis qui fait tourner toute la sandale horizontalement sur la pièce jambière comme sur un pivot. Cela peut servir pour redresser la pointe du pied dans certains cas.

Dans la plupart de ces appareils, les montants sont composés de deux pièces à coulisse, afin de pouvoir s'allonger et se raccourcir à volonté.

Je me sers habituellement de l'appareil de M. Jules Martin. Il a deux montants articulés en nœud de compas avec l'étrier ; il existe, en outre, une charnière à l'union de chacune des branches verticales de l'étrier avec sa portion horizontale. L'un des montants sert de tuteur, l'autre de levier. Le montant interne, s'il s'agit d'un varus, est un tuteur qui reste placé le long de la jambe; il est attaché en haut par une jarretière formée d'un demi-cercle métallique terminé par une courroie et portant une seconde courroie pour fixer le levier. Une rondelle, placée à son extrémité supérieure, lui donne un point d'appui sur le côté interne du genou. Le montant externe sert de levier; une vis, qui traverse l'étrier près de la charnière, règle l'inclinaison latérale de ce levier, en l'écartant plus ou moins de la sandale.

Les deux montants portent de longues vis qui traversent des pièces à écrou fixées sur la semelle, et qui servent à faire varier l'angle de leur articulation avec l'étrier. Les pièces à écrou ont des coulisses qui conservent à cette articulation quelque mobilité dans le sens de la flexion. L'extrémité supérieure du levier est fixée à la

jambe, non immédiatement comme dans les autres appareils, pourvus d'un seul montant, mais au moyen de la courroie que porte le cercle métallique du tuteur interne; ce qui offre deux avantages : d'une part, l'appareil est moins exposé à tourner, à se déplacer; de l'autre, l'effort du levier porte moins directement sur le tibia, et tend moins à le courber.

Pour le valgus, l'appareil est le même, sauf que le tuteur doit être en dehors, et le levier en dedans. Nous avons vu que l'appareil de M. F. Martin et d'autres conviennent tout à la fois aux différentes espèces de déviations. On n'a qu'à changer le sens du mouvement de la vis, pour avoir un appareil à varus ou un appareil à valgus.

Un mécanisme plus simple est employé dans le pied équin et dans le talus. Il suffit de l'articulation destinée à produire la flexion ou l'extension du pied sur la jambe. Je préfère, dans ce cas, deux montants articulés à un seul ; leur extrémité supérieure est réunie à un demi-cercle rembourré, prenant son point d'appui à la partie supérieure de la jambe, en arrière dans le pied équin, en avant dans le talus. Il est bon toutefois qu'un mécanisme quelconque donne la facilité d'incliner la sandale en dedans ou en dehors, afin de prévenir le renversement du pied d'un côté ou de l'autre.

C'est à l'aide de pressions, au moyen des coussins et des courroies, que l'on combat la courbure «xagérée du pied équin et du talus pied creux, en agissant sur l'astragale saillant au cou-de-pied et sur les deux extrémités de la face plantaire.

Mode d'application des appareils mécaniques. — L'application de ces appareils est en général facile, quand on connaît leur manière d'agir. Je vais appliquer devant vous celui de M. Jules Martin, dont je fais habituellement usage.

Supposons un cas de varus : on commence par redresser le pied avec la main, et on le pose à plat dans la sandale ; en même temps qu'on maintient le pied et la sandale bien appliqués l'un sur l'autre, on place deux coussins, l'un sur le côté interne de l'articulation métatarso-phalangienne du gros orteil, l'autre sur le sommet de la courbure médio-tarsienne. La courroie correspondant à chaque coussin est fixée aux boutons de la semelle ; si le pied ne paraît pas suffisamment fixé, on peut ajouter d'autres courroies. On relève

alors le tuteur, de façon que sa rondelle porte sur le condyle interne du fémur, et on le fixe. Il ne reste plus qu'à ramener le levier vers le côté externe de la jambe, dont on l'approche plus ou moins suivant la résistance du pied; on le maintient au moyen de la courroie qui lui est destinée.

L'habitude fait connaître le degré de constriction qu'il faut donner aux courroies. Si elles sont trop lâches, le talon ne reste plus au fond de la sandale, il se soulève; le pied tourne tout entier et répond à la semelle par son bord externe et non plus par sa plante. Si elles sont trop serrées, on a à redouter l'arrêt de la circulation et ses suites. La couleur des orteils doit être un guide dans cette manœuvre ; s'ils deviennent trop pâles, ou s'ils prennent une teinte violacée, c'est que la pression est trop considérable.

Dans les premiers temps, on ne laisse l'appareil en place que pendant quelques heures ou toute une journée, suivant la tolérance. Mais il faut arriver à le laisser appliqué continuellement, jour et nuit. Seulement on doit le visiter souvent, s'assurer de l'état de la peau dans les points où elle supporte le plus de pression, où elle est mince et collée aux os, aux tendons, sur la tubé-rosité postérieure du calcanéum et le tendon d'Achille, sur les saillies osseuses de l'astragale et du calcanéum, vis-à-vis l'extrémité postérieure du cinquième métatarsien, au côté interne de l'articulation métatarso-phalangienne du gros orteil. On diminue, on adoucit ou on change les points de pression, dès qu'on aperçoit des rougeurs permanentes. Cette précaution est encore plus nécessaire, s'il se forme une phlyctène.

Lorsqu'on n'a pu éviter la formation d'une escarre, on se hâte de supprimer toute pression dans ce point. Si l'escarre est superficielle, celte lésion peut encore guérir sans suppuration; il se forme une croûte sèche, qui laisse, en se détachant, une cicatrice toute faite. Si l'on n'a pu prévenir la suppuration, il faut suspendre le traitement mécanique jusqu'après la guérison de la plaie.

On a fait aux appareils mécaniques le reproche d'exposer les malades aux ulcérations du derme. J'ai essayé autrefois de les remplacer par les bandages en plâtre coulé de Dieffenbach ; ceux-ci se moulent en effet très-exaclement autour des parties, leur pression est uniforme; mais nous avons vu qu'ils avaieni d'autres inconvénients. J'ai employé aussi les coussins à air, sans en être

bien satisfait. En voici de nouveaux, perfectionnés par M. Gariel. Ce sont des bourrelets élastiques, dans lesquels on peut doser à volonté la quantité d'air qu'ils renferment ; il est facile alors de varier la pression sans toucher aux courroies ni à l'appareil. J'espère pouvoir en faire l'essai prochainement.

Si l'on n'a pas été arrêté par les accidents dont il vient d'être question, on augmente par degrés l'action de l'appareil, en inclinant de plus en plus le levier. Quand le redressement latéral est assez avancé, on commence à porter le pied dans la flexion. Cette seconde partie du traitement est plus longue que la première, plus difficile, et c'est surtout alors que la ténotomie devient utile.

On ne se borne pas à amener le pied à la rectitude normale ; on pousse la flexion jusqu'au point où la sandale forme avec les montants un angle aigu. Il faut toutefois éviter de tomber dans un excès nuisible. Si l'on n'y faisait pas attention, on pourrait convertir en valgus permanent certains varus très-souples, produire trop d'aplatissement de la plante, déterminer la perte de l'extension et un véritable talus, surtout après l'emploi dé la ténotomie.

Le redressement peut être entravé par trois obstacles : 1° la douleur causée par l'application des appareils; 2° l'indocilité du malade ; 3° la résistance des parties.

La douleur est en rapport avec la résistance des tissus et la sensibilité du sujet; l'indocilité est une conséquence de la douleur.

On peut distinguer trois âges, eu égard aux difficultés que je signale.

Dans la première année, et même dans la seconde, si le pied bot est au premier degré, la résistance est faible; il n'y a pour ainsi dire pas de douleur, si l'on procède avec la douceur convenable. Le deuxième et le troisième degrés ne se redressent pas sans douleur à cet âge, si le pied bot est congénial. L'équinisme du varus surtout ne cède alors qu'avec des pressions plus ou moins pénibles au cou-de-pied, h la plante, au talon. Cette gêne finit par être supportée par certains enfants; mais chez d'autres, dont le système nerveux est plus irritable, ce sont des cris continuels, c'est une insomnie fatigante; les digestions peuvent se déranger; il peut survenir de la diarrhée. Si l'on insiste avec trop d'opiniâtreté, l'exaspération des petits malades peut aller jusqu'à produire des convulsions. La dentition vient quelquefois ajouter son influence à celle

du traitement et retarder encore la guérison. Aussi la cure marche-t-elle souvent avec beaucoup de lenteur, lorsqu'on se borne aux moyens mécaniques. Dans ces cas, la ténotomie nous vient en aide; en diminuant les résistances dans une proportion considérable , elle réduit les pressions à celles qu'exigerait un pied bot du premier degré.

Après trois ans, les difficultés croissent, si le pied bot est con-génial. La douleur est constante, même avec la ténotomie, quand il s'agit d'un varus très-prononcé. C'est alors que les manipulations peuvent rendre des services réels. Leur action, plus douce, plus mesurée que celle des machines, repose les enfants et leur fait ensuite mieux supporter l'action des appareils.

Dans cette période de l'enfance, l'indocilité des malades peut être si grande, qu'après avoir employé tous les moyens de persuasion , il faut arriver à la contrainte physique. On enferme alors le membre dans une enveloppe qu'on fixe solidement au genou.

Si le pied bot est accidentel, les douleurs sont beaucoup moindres , mais cependant en rapport avec l'ancienneté de la lésion.

Dans l'âge adulte, les douleurs causées par l'application des machines sont toujours intenses, si le pied bot est congénial, et très-vives aussi s'il est accidentel et ancien. Le malade éprouve des sensations de déchirement, de torsion, d'arrachement. Il ressent dans le membre une chaleur si incommode, qu'il le laisse à découvert la nuit, même dans les saisons froides. Aussi trouve-t-on rarement à cet âge, après la ténotomie, des malades assez courageux pour compléter les avantages qu'ils ont retirés de l'opération, en se soumettant à un traitement mécanique capable d'amener une guérison aussi parfaite que l'état des parties le permet. Je n'ai guère rencontré ce courage que chez des femmes animées du désir de sortir de cet isolement mentionné par Dieffenbach, ou soutenues par une vocation ardente pour la vie religieuse, à laquelle s'opposait leur infirmité.

Appareils contentifs. — Quand on est arrivé à un redressement à peu près complet, il faut conserver ce redressement et prévenir les récidives. Dans cette intention, on emploie les divers brodequins mécaniques.

Le but de ce genre de chaussures est de borner les mouvements

du pied dans le sens de la déviation dont il était atteint. Déjà par elle-même, la tige du brodequin tend à retenir le pied dans une bonne situation; mais, ordinairement, ce n'est pas suffisant, et on ajoute au brodequin divers mécanismes destinés à augmenter sa résistance à une nouvelle torsion. Vous en avez sous les yeux plusieurs modèles : tous présentent, comme les appareils de redressement, un ou deux montants, articulés avec un étrier rivé entre les deux cuirs de la semelle. La résistance de ces branches met obstacle aux mouvements latéraux exagérés du pied.

En outre, presque tous ces appareils sont disposés de manière à limiter l'extension du pied et le soulèvement du talon, afin de s'opposer à une nouvelle rétraction du triceps sural dans le varus et le pied équin. On peut se servir d'une simple vis, fixée dans une des pièces de l'articulation des montants et logée dans une fente en quart de cercle que présente l'autre pièce; cette vis, tout en permettant une flexion étendue, renferme le mouvement d'extension dans d'étroites limites. Mais, presque toujours, c'est à une force élastique qu'on a recours pour produire cet effet. Le ressort le plus usité est le ressort des batteries de fusil, employé d'abord par Delacroix et d'Ivernois. Vous le voyez sur ces appareils de MM. Charrière, Lebelleguic et autres. Sa disposition est telle que, relâché dans la flexion, il se tend dans l'extension, qu'il borne plus ou moins.

On peut encore faire servir à cet usage des bandes de caoutchouc, des élastiques de bretelles, etc. Voici un brodequin de cette espèce construit par M. Charrière.

Il est souvent nécessaire d'ajouter à ces moyens contentifs une construction particulière du brodequin lui-même : on met des contre-forts du côté où le pied tend à se dévier. On emploie quelquefois un autre artifice, déjà indiqué par Amb. Paré ; il consiste à donner à la semelle une épaisseur inégale sur ses deux bords. Dans le varus, le bord externe sera plus élevé; dans le valgus, il faut une disposition inverse. En outre, dans cette dernière forme, à l'aide d'une seule branche externe, d'une sorte de tuteur courbe, on repousse le pied en dedans. Dans le pied équin, il suffit du ressort élastique dont j'ai parlé.

Une étude approfondie des paralysies, et en particulier des paralysies du mouvement, a conduit M. le docteur Duchenne à employer

un système de déligation, qui a un certain rapport avec ces appareils mécaniques à ressorts. Il se compose de cordons élastiques, représentant la direction, les attaches des muscles, et destinés à remplacer ceux dont l'action est affaiblie ou perdue.

Déjà M. Rigal de Gaillac avait imaginé de redresser les pieds inclinés en divers sens, à l'aide de liens de caoutchouc agissant suivant la direction des muscles affaiblis. C'est celle même idée que M. Duchenne poursuit avec ténacité, dans une application plus étendue.

Hippocrate avait déjà posé le principe, en disant: « Il faut coudre les bandes diversement, suivant la manière dont la partie doit être soutenue. »

Ce qu'il y a de particulièrement neuf dans les recherches de M. Duchenne, c'est la détermination plus précise des muscles affectés ; d'où l'indication plus nette des moyens appelés à les suppléer. Il reproche aux appareils en usage de n'agir qu'en masse, de ne représenter que grossièrement les effets de la contraction musculaire, et il s'est efforcé de reproduire ces effets en détail, en prenant muscle par muscle.

Les deux malades que vous allez voir vous donneront une idée des moyens qu'emploie M. Duchenne.

Ier cas. — Sur cette jeune fdle, voici le bandage tel qu'il est appliqué. Les pieds sont enfermés dans un chausson. Il n'y a ni montant métallique, ni étrier, ni vis ; mais une molletière en cuir, qui supporte des boutons ou des agrafes auxquels viennent s'attacher des ressorts de bretelles qui simulent la puissance, le muscle; ces ressorts se terminent au chausson par une ou plusieurs divisions représentant les tendons des muscles. Mais l'insertion supérieure des muscles sur les os est fixe, tandis qu'ici cette insertion est mobile. Aussi M. Duchenne a-t-il cherché à fixer la molletière en haut par une jarretière. Ceci ne suffisant pas encore, M. Duchenne a uni la jarretière à la molletière par deux tiges métalliques. C'est déjà, vous le voyez, un retour vers les appareils mécaniques.

IIe cas. — Mais cela est encore plus frappant sur ce jeune homme. Ici vous trouvez deux tiges solides ajoutées à la molletière et aboutissant à un étrier placé sous le chausson. Les muscles

sont représentés, comme précédemment, par des ressorts de bretelles.

Je ne jugerai pas définitivement du mérite de ce procédé, qui sera sans doute encore perfectionné ; mais, quand bien même il ne répondrait pas entièrement aux espérances de son auteur, il en restera certainement quelque chose d'utile.

(1) Nous avons terminé l'étude des forces extérieures appliquées au redressement du pied bol. Il en est une autre pourtant, qu'on a conseillée comme adjuvant des premières : c'est l'action de la pesanteur. Dans un petit nombre de cas, en effet, par exemple dans le pied équin, dans le talus, le poids du corps, en allongeant les muscles rétractés, peut venir en aide aux autres moyens. Mais, en général, il faut soustraire le membre à son action, qui, en raison de la position du pied dans le varus et le valgus, tend à augmenter la déviation, et à contrarier l'action de l'appareil, loin delà seconder, comme on l'a prétendu.

Des trois ordres de moyens que nous avons indiqués, les appareils mécaniques sont supérieurs aux deux autres; ils peuvent toujours remplacer ceux-ci, qui, au contraire, dans beaucoup de cas, ne peuvent leur être substitués. On a dit que les appareils mécaniques ne pouvaient pas être employés dans la première année de l'enfance; je ne partage pas cette opinion, car on peut toujours mettre leur force en rapport avec la délicatesse des organes.

Au reste, dans le traitement ordinaire du pied bot, tous les moyens concourent : main, bandages, machines.

II. Ténotomie. — Vous avez vu quelles difficultés peuvent arrêter le chirurgien quand il emploie uniquement les moyens mécaniques, quelle persévérance ce traitement réclame, tant de sa part que de celle des familles et des malades eux-mêmes. Beaucoup de mères ne peuvent se résigner aux longues souffrances de leurs enfants. Lord Byron enfant fut confié pendant quelques mois aux soins de Sheldrake, à Londres; sa mère ne put supporter la vue de ses douleurs; elle renonça à le guérir.

Trancher ce nœud gordien était donc chose bien désirable ; c'est ce qu'a fait la ténotomie.

(I) Neuvième leçon, 18 juillet 1856.

Il suffisait de savoir que le pied est retenu dans sa position vicieuse par des muscles raccourcis, pour que l'idée vînt de les couper. On avait devant les yeux l'exemple du torticolis, guéri par la section du muscle sterno - mastoïdien dès le temps de Tulpius, médecin hollandais du dix-septième siècle. C'est sans doute cet ordre de faits observés au cou qui inspira la ténotomie du pied aux médecins dont parle Thilenius, et plus tard à Sartorius, à Mi-chaelis, à Delpech lui-même, ainsi qu'aux vétérinaires de notre temps, qui ont leur part à réclamer dans l'invention de la ténotomie.

On ne divisa d'abord que le tendon d'Achille. Michaelis seul, qui, à la vérité, ne faisait que des sections partielles, étendit ce procédé à d'autres tendons du pied, et même à d'autres parties du corps. C'est longtemps après lui que son idée fut reprise, et que la ténotomie fut appliquée successivement à presque tous les muscles moteurs du pied.

Aujourd'hui, deux méthodes sont en présence. L'une a pour principe de diviser, dans chaque forme de pied bot, tous les tendons des muscles qui l'ont déterminée par leur rétraction. C'est une application de ce qu'on nomme la généralisation étiologique de la ténotomie. L'autre méthode établit une distinction entre les muscles rétractés. Elle ne touche pas à ceux qui cèdent facilement aux machines; elle coupe seulement ceux qui sont réfractaires à leur action. Je suis partisan de cette seconde méthode.

A. Procédés de ténotomie. — Les procédés de ténotomie ont parcouru plusieurs phases avant d'arriver à l'état où ils sont aujourd'hui.

D'abord, on a coupé simplement la peau et le tendon d'Achille en travers, suivant le procédé de Tulpius pour la section du sterno-mastoïdien. Plus tard, le tendon fut mis à nu par une incision longitudinale, comme dans le procédé de Boyer pour la section de l'extenseur du gros orteil rétracté. On fît ensuite une pareille incision de chaque côté du tendon (Delpech), puis on réduisit ces incisions à la largeur nécessaire au passage d'un bistouri étroit; ce fut la ténotomie sous-cutanée. Elle mérite encore mieux ce nom depuis qu'on a supprimé l'ouverture de sortie, et qu'une simple piqûre donne accès à un ténotome plus exigu, comme dans les

BOUVIER. '16

expériences de Hunter, qui divisa le tendon d'Achille sur des chiens avec une aiguille à cataracte.

Ténolomes. — La forme des instruments a quelque peu varié. Sauf de rares exceptions, il n'y a aucun avantage à donner à la lame une courbure quelconque. Plus cette lame est étroite, plus la plaie des téguments est insignifiante et prompte à guérir. On peut ainsi, chez les enfants, réduire l'ouverture extérieure aux dimensions d'une piqûre de sangsue ou de vaccine. Cependant il faut une lame un peu plus forte pour les sections sous-tendineuses, et quand l'instrument doit raser le? os. Il est bon que la partie tranchante soit très-courte, pour éviter d'agrandir, pendant la manœuvre, l'ouverture extérieure. II est indifférent que le ténotome soit à manche fixe ou mobile, que ce manche soit dans le même plan que la lame ou dans un plan opposé.

Les uns se servent d'un ténotome à pointe aiguë pour traverser la peau et diviser le tendon; d'autres ne font avec cet instrument que l'incision de la peau, et, pour la section tendineuse, ils emploient un ténotome, non boutonné, comme on l'a dit, mais à pointe mousse. On manœuvre ainsi avec plus de sécurité. Un des premiers, j'ai proposé ce procédé, que plusieurs chirurgiens ont adopté depuis; je me sers, pour la piqûre des téguments, d'une petite pointe en fer de lance qui termine une tige non tranchante.

Sections sus et sous-tendineuses. — La section sous-cutanée se pratique de deux manières : ou bien l'instrument est conduit de la face cutanée du tendon à sa face profonde , c'est la section sus-tendineuse, ou bien il le divise de sa face profonde à la superficielle , c'est la section sous-tendineuse.

Le choix de ces deux procédés est quelquefois indifférent. La section sus-tendineuse convient surtout pour les tendons très-saillants, entourés d'un repli de la peau que l'on risque moins d'entamer par ce procédé. Toutes les fois qu'il est applicable, ce mode de section offre l'avantage de borner plus exactement l'incision sous-cutanée à l'organe que l'on veut diviser.

Mais quand le tendon est peu saillant, comme chez les petits enfants, quand on ne reconnaît sa situation qu'au toucher, il vaut mieux pratiquer la section sous-tendineuse. On est plus sûr alors de diviser le tendon en entier. Ce procédé est aussi préférable, en

général, pour les tendons accolés à des os ou voisins de vaisseaux et de nerfs importants qui se trouvent mieux protégés contre le tranchant de l'instrument.

La section se pratique dans le lieu où le tendon est le plus superficiel, le plus saillant, le plus isolé, et s'il se peut aussi, le moins volumineux.

La piqûre des téguments se fait vers le bord du tendon qui répond à la main droite de l'opérateur, assez près de ce bord dans la section sous-tendineuse, un peu plus loin dans la section sus-tendineuse. Quelquefois le voisinage de vaisseaux, de nerfs, ou quelque autre circonstance, commande d'introduire l'instrument plutôt d'un côté que de l'autre; on se place alors de manière que la main droite réponde au côté indiqué.

On peut donner à la petite incision des téguments deux directions. Avec une incision transversale, si l'on se sert d'un ténotome pointu, on pénètre du même coup sous le tendon et on le divise presque en même temps, s'il est peu volumineux; manœuvre plus rapide. Mais je préfère l'incision longitudinale, parce que ses bords sont ensuite moins écartés, lorsque le pied est fléchi par l'appareil mécanique ; elle est aussi plus commode pour la section sus-tendineuse.

Section du tendon d'Achille. — Rien de plus simple avec ces données que le manuel opératoire à suivre, quand les tendons sont suffisamment distincts des parties qui les avoisinent (1).

Le tendon d'Achille, le plus gros de tout le corps, est peut-être le plus facile à diviser. Sa saillie postérieure, en le plaçant sur un plan tout à fait séparé, l'isole des vaisseaux et des nerfs profonds. Sa double gaîne fibro-celluleuse, le tissu graisseux abondant qui l'entoure, surtout en avant, donnent la facilité de l'attaquer en quelque sorte de tous côtés, sans léser autre chose que des veinules et des filaments nerveux insignifiants qui longent ses bords ou ses faces. Ces dessins, que j'ai fait faire d'après nature sur des sujets pieds bots, vous inspireront toute sécurité à cet égard.

(1) Voyez H. Bouvier, Mémoire sur la section du tendon d'Achille dans le traitement des pieds bots (Mémoires de l'Académie de médecine. Paris, 1838, t. VII, pag. 411 et suiv.)

46.

Cependant il faut tenir compte ici de l'âge du sujet et des changements causés par la déviation.

La petitesse des parties, considérablement réduites chez les enfants très-jeunes, efface les distances. Le peu de saillie du talon , à cet âge, place le tendon d'Achille presque sur le môme plan que les parties profondes. Dans le varus, le déplacement du calcanéum rapproche ce tendon des vaisseaux tibiaux. La veine saphène externe, assez peu distante, chez l'adulte, du bord externe du tendon, l'avoisine de très-près chez l'enfant; on est exposé à la blesser si on fait l'incision trop loin du bord tendineux. On peut aussi atteindre l'artère tibiale et le nerf, en portant le ténolome trop au delà de la limite du tendon. Cette lésion serait plus grave que celle de la veine saphène.

Voici d'ailleurs comment on procède pour pratiquer la section du tendon d'Achille.

Le malade étant couché sur le ventre et convenablement maintenu , un aide fixe le pied, prêt à faire effort pour le ramener dans la flexion, afin de tendre le tendon au moment de la section. Alors, dans un premier temps, le chirurgien fait une piqûre longitudinale à la peau, près du bord externe du tendon, si on opère le pied droit, près de son bord interne, si c'est le pied gauche. Si l'on tenait à porter le ténotome dans le même sens pour les deux membres, soit afin d'être plus sûr de diviser le plantaire grêle, soit pour mieux protéger les vaisseaux, on se placerait, pour l'un des pieds, de manière à tourner le dos au malade. M. Bonnet ayant vu survenir un abcès après une incision faite au côté externe du tendon , est resté disposé à recommander les incisions internes.

La piqûre faite, on change d'instrument, et, dans un deuxième temps, on introduit le ténotome mousse à plat, soit entre la ped*i et le tendon, soit sous ce dernier. Il faut prendre garde que l'extrémité de l'instrument ne sorte par l'autre côté. Enfin, dans le troisième temps, on tourne le tranchant du côté du tendon, qu'on divise en entier par des pressions mesurées, sans laisser échapper le plantaire grêle. On retire alors le ténotome. Dans toutes ces manœuvres, il faut faire en sorte de ne pas agrandir l'incision des téguments. Un craquement assez fort accompagne ordinairement la section du tendon.

On reconnaît que celle-ci est complète au défaut de résistance, à l'écartement immédiat des deux bouts du tendon, à la dépression, au vide que l'on sent entre eux. La gaîne fibreuse forme souvent une bride de chaque côté de cet intervalle; il ne faut pas prendre ces brides pour des portions de tendon non divisées. S'il restait quelques fibres tendineuses intactes, on introduirait de nouveau le ténotome pour les diviser.

S'il s'amasse sous la peau et dans la gaîne du tendon une certaine quantité de sang, on l'exprime autant que possible et on le fait sortir par la piqûre, afin que le trombus soit moins volumineux.

Je ne vous parle pas de la précaution puérile d'appliquer les doigts sur la petite plaie cutanée, pour s'opposer à l'introduction de la moindre bulle d'air.

Le pansement consiste à couvrir la piqûre d'un morceau de taffetas adhésif, à appliquer sur la section une compresse, imbibée au besoin d'eau froide, et maintenue par une bande. Cette piqûre se ferme dans les premières vingt-quatre ou quarante-huit heures.

On peut indifféremment, aussitôt après l'opération , replacer le pied dans l'appareil mécanique, si l'enfant l'a déjà porté, ou remettre au lendemain l'application de cet appareil. En tout cas, on a soin de ne point exercer d'efforts d'extension dans les premiers moments.

Section des autres tendons du pied. — Passons sommairement en revue la section des autres tendons du pied.

Les trois muscles fléchisseurs du pied, jambier antérieur, extenseur du gros orteil et extenseur commun, peuvent être facilement atteints par le ténotome. C'est sur le cou-de-pied, dans le point où leur rétraction les rend le plus saillants, qu'on divisera ces muscles. Le jambier antérieur peut être divisé dans certains varus ; l'extenseur commun dans certains valgus talus. On prendra garde, dans ces cas, de blesser la veine saphène externe ou l'artère pé-dieuse.

Les tendons des péroniers latéraux, rétractés dans le valgus, présentent un peu plus de difficulté, en ce qu'ils sont bridés sur des os par des aponévroses ou de fortes gaines fibreuses, et qu'ils soulèvent peu la peau. On les divise au bas de la jambe ou au côté externe du pied, suivant le relief qu'ils présentent dans l'un

ou l'autre point. Le long péronier peut être divisé seul dans les deux régions, tandis que le court ne peut être coupé isolément qu'au pied.

A la jambe comme au pied, la section sous-tertdineuse est peut-être préférable. Il faut se rappeler que le court péronier n'est pas seulement tendineux au-dessus de la malléole, mais qu'il est aussi accompagné de fibres charnues qu'on devra diviser.

Au pied, le tendon du court péronier se trouve sur le trajet d'une ligne étendue du bord postérieur de la malléole externe à l'extrémité postérieure du cinquième métatarsien. Si le sujet est assez âgé pour comprendre le mouvement qu'on lui indique, on augmentera la saillie du tendon, en faisant porter le pied dans l'abduction ; si c'est un enfant trop jeune pour comprendre ce qu'on lui demande, l'électricité pourra servir à produire le même effet par la contraction du muscle.

Les mêmes moyens rendront plus visible le tendon du long péronier, qui se trouve placé en arrière et au-dessous du court péronier, sous le sommet de la malléole externe. Mais il est souvent difficile de le diviser en ce point, et la présence d'un os sésamoïde dans l'épaisseur du tendon, chez l'adulte, peut augmenter les difficultés; aussi vaut-il mieux l'attaquer plus haut, à la jambe.

Aucune partie importante n'avoisine immédiatement ces muscles. Il faut éviter seulement d'entamer les articulations du tarse, bien que leur ouverture sous-cutanée ait en général peu de gravité.

La section isolée du tendon du jambier postérieur est bien plus difficile. Ce muscle, en effet, est accolé au long fléchisseur des orteils jusqu'au-dessous de la malléole, et si on fait la section à la jambe, au-dessus ou en arrière de la malléole, on divise presque à coup sûr en même temps le long fléchisseur commun ; on a aussi à redouter la blessure de l'artère tibiale postérieure, qui n'est pas loin. M. Bonnet pense avoir ouvert plus d'une fois ce vaisseau, mais sans suites graves.

C'est pour obvier à ces inconvénients, qu'en 1839, M. Vel-peau (1) conseilla de couper le tendon au pied. On le trouve sur une ligne étendue du scaphoïde à la malléole interne; il devient très-

(1) Médecine opératoire. Paris, 1839, t. Ier, p. 570, 2e édit.

manifeste le long de cette ligne, quand le sujet porte fortement le pied dans l'adduction. Une dépression qui se produit alors entre ce muscle et le jambier antérieur, montre clairement où il faut porter l'instrument. C'est encore à la section sous-tendineuse qu'il faut avoir recours ici.

Malheureusement ce procédé , le plus souvent, n'est que difficilement applicable, parce que la déviation du pied qui réclame cette section change toutes les conditions anatomiques. Dans la subluxation du varus, en effet, la ligne que j'indiquais tout à l'heure disparaît, le scaphoïde venant se placer contre la malléole interne; ce qui reste du tendon est enfermé dans un pli profond, où il est très-difficile de l'atteindre sûrement. En pareil cas, c'est donc encore à la jambe qu'il faut faire la section.

Il nous reste à parler des longs fléchisseurs des orteils. Quoique ces muscles aient été divisés à la jambe, ils y sont trop profondément placés pour qu'il convienne de les chercher dans cette région. Ce n'est qu'au pied, principalement sur les premières phalanges, qu'on pratique ordinairement leur section. Le long fléchisseur du gros orteil a pu aussi être aisément divisé sur le bord interne de la plante du pied, où sa rétraction le rend souvent saillant.

On a encore pratiqué dans les pieds bots la section de l'aponévrose plantaire, de l'adducteur du gros orteil, du court fléchisseur des orteils; rien de particulier dans le procédé. Mais on n'a plus, comme pour les muscles précédents, des cordes nettement circonscrites; on coupe ces parties où elles font bride, et, autant que possible, du côté externe et en arrière, pour éviter les vaisseaux et nerfs plantaires.

B. Phénomènes de réparation après la ténotomie. — Phénomènes de réparation après la section du tendon d'Achille. ¦— Étudions maintenant les phénomènes de réparation qui succèdent à la section des tendons. C'est surtout dans les divisions du tendon d'Achille que ces phénomènes ont été bien suivis.

Immédiatement après la section, les deux bouts du tendon laissent entre eux un intervalle plus ou moins grand, occupé par le tissu cellulo-aponévrolique qu'on nomme gaîne du tendon. Cette gaîne, entamée par l'instrument, forme une sorte de canal cylindrique , adhérent aux deux bouts. Vous pouvez voir cette disposition

sur ces pièces préparées à l'amphithéâtre, et sur cette planchéele M. Pirogoiî, savant chirurgien russe. C'est dans cette enveloppe, dans cette sorte de péritene, que se passe le curieux phénomène de la réparation, comparable à celui dont le périoste et le péri-chondre sont le siège dans les fractures des os et des cartilages.

Ce phénomène de réparation comprend deux périodes : Io la période d'inflammation ; 2° la période de réunion.

La période d'inflammation ne manque jamais. Vous entendrez parler d'une prétendue organisation immédiate des plaies sous-cutanées , sans inflammation préalable. Tout ce qu'on a dit à cet égard n'est qu'un roman.

L'inflammation se développe, comme dans toutes les lésions traumatiques des tissus vivants chez les animaux à sang chaud, plus ou moins promptement après la section; plus lard chez les sujets paralytiques, à circulation faible. Dans les cas ordinaires, cette inflammation est peu intense et n'a rien d'aigu. Ses symptômes sont : un léger gonflement dans la gaine, une sensibilité morbide et une injection vasculaire dans le même lieu.

Mais l'effet spécial de celte inflammation, c'est une exhalation abondante de lymphe plastique, de plasma. Cette matière organi-sable se voit quelquefois à l'œil nu chez le cheval. Tous les observateurs l'ont vue, au microscope, dans les expériences sur des chiens et des lapins. Je l'ai moi-même constamment rencontrée dans une suite d'observations microscopiques que j'ai faites avec M. Mandl.

Ce plasma, plus ou moins distinct du sang épanché, se trouve à l'intérieur de la gaine, dans son épaisseur, à la surface des bouts tendineux, enfin dans toute la sphère de la plaie sous-cutanée.

Suivant l'époque où on l'examine, il offre un aspect différent. 11 subit, en effet, des transformations analogues à celles du blas-lème, dans la formation normale du tissu cellulaire. 11 augmente peu à peu de consistance, se pénètre de vaisseaux, devient fibreux, et s'unit aux deux bouts du tendon et au tissu primitif de la gaine, à laquelle il donne une densité nouvelle.

C'est alors la deuxième période de la réparation. Le plasma est organisé; un lien nouveau s'est formé, réuni aux deux extrémités tendineuses, qui sont renflées; c'est un véritable cal tendineux. Le renflement de ces extrémités s'efface plus tard, et on ne peut

plus les distinguer. Cependant, à l'examen d'une coupe comprenant le tendon et la cicatrice, on voit une ligne de démarcation entre le tissu nouveau et le tendon. Les fibres du premier sont grisâtres ; elles tranchent avec l'aspect nacré, brillant des fibres tendineuses; elles ne sont point fasciculées en lignes parallèles, mais finement entrelacées en tous sens.

Avec l'âge, cette cicatrice devient de plus en plus dense ; on vue comme cartilagineuse. A la mort de Hunter, qui s'était rompu le tendon d'Achille quinze ans auparavant, on trouva la cicatric osseuse.

Je vais maintenant opérer devant vous deux enfants de nos salles.

Ier cas. — L'un est cette petite fille de six ans et demi qui arrive de la campagne. Elle a un pied équin à gauche, avec pied creux du long fléchisseur des orteils; le pied est dans l'adduction, les muscles fléchisseurs du pied sur la jambe sont paralysés, et ne se contractent même pas par l'excitation électrique. Cette paralysie a succédé, au dire des parents, à une chute arrivée pendant un accès de fièvre à l'âge de vingt-deux mois ; il est plus probable qu'elle a été produite par la fièvre elle-même.

Je vais faire la section du tendon d'Achille, en appliquant le procédé que je vous ai décrit. Avec l'aiguille en fer de lance, je fais, à quelques millimètres du bord interne du tendon, une incision longitudinale qui ressemble à une piqûre de vaccine. J'introduis le ténolome mousse entre la peau et le tendon; je retourne l'instrument, et, par des pressions successives et de légers mouvements de scie , je divise le tendon. Vous entendez le craquement du tissu qui cède. La section du tendon d'Achille est complète, et vous pouvez constater immédiatement le vide considérable que laisse Pécartement des bouts. Cependant le plantaire grêle a échappé à l'instrument; je réintroduis celui-ci, qui le divise facilement. Il s'est à peine écoulé quelques gouttes de sang ; une compresse et quelques tours de bande sont appliqués, après qu'on a recouvert la petite incision cutanée d'un morceau de taffetas adhésif. On va replacer aujourd'hui même le pied dans l'appareil que portait déjà l'enfant.

II* cas. — L'autre enfant est un garçon de dix ans et demi, que

je vous ai déjà présenté dans la cinquième leçon; il est atteint d'un pied équin creux, avec un léger degré de varus. Quand l'enfant est debout, le poids du corps suffit pour ramener le pied à angle droit sur la jambe; mais aussitôt que le pied est soulevé ou qu'il n'est plus maintenu, le triceps sural se rétracte fortement, et l'enfant ne touche plus le sol que par les orteils et la saillie sous-métatarsienne. Les causes de cette déviation du pied sont un peu obscures : à quatre ans, l'enfant aurait eu une lièvre qui se serait terminée par une hémiplégie. Peu à peu les mouvements se rétablirent, mais irrégulièrement, et il est resté la déformation du pied dont je viens de parler, et une flexion considérable du coude et de la main , du côté gauche.

Je vais pratiquer, comme chez la petite fdle, la division du tendon d'xlchille, et par le même procédé, par la section sus-tendineuse, parce que la conformation du talon est la même. L'incision cutanée se trouve un peu plus grande, aussi s'introduit-il un peu d'air ; vous savez que je n'y attache pas d'importance, dès que l'occlusion de la piqûre ferme toute communication avec l'extérieur. Mais l'un de vous me fait remarquer que la section ne lui paraît pas complète, qu'il trouve sous le doigt une bride assez résistante, et il m'engage à la diviser, en introduisant de nouveau le ténotome. Je suis bien aise que vous soyez témoins de cette petite difficulté. Ce qui trompe quelquefois, en effet, comme je vous l'ai dit, c'est la résistance qu'offre au doigt la gaîne cellulo-fibreuse du tendon. Quand il reste réellement une portion du tendon, il ne se fait pas un écartement aussi considérable des deux extrémités tendineuses; ici, au contraire, vous sentez nettement les deux bouts très-distants l'un de l'autre, la section est bien complète (1). Même pansement que dans le premier cas.

Phénomènes de réparation après (a section des autres tendons. — (2) Nous avons étudié, dans le tendon d'Achille, les phénomènes de réparation qui succèdent à la ténotomie.

Il se passe des phénomènes analogues après la section des autres

(1) La bride signalée ci-dessus a, en effet, disparu le lendemain, avant l'application de l'appareil mécanique ; ce qui ne serait pas arrivé si elle avait été formée de fibres restées intactes.

(2) Dixième leçon, 25 juillet 1856.

tendons du pied, sauf quelques différences qui tiennent aux tendons eux-mêmes et à la disposition des parties qui les entourent.

Pour les péroniers latéraux, les phénomènes sont les mêmes que pour le tendon d'Achille ; seulement leur accolement réciproque et la proximité de l'os les exposent à contracter plus facilement des adhérences qui peuvent gêner leurs mouvements, en les empêchant de glisser l'un sur l'autre ou à la surface du péroné.

Les fléchisseurs du pied sont dans des conditions un peu moins favorables, et leur réunion, après leur section sur le cou-de-pied, peut être aisément entravée par un trop grand écartement des extrémités tendineuses ou par des mouvements trop répétés.

Ces deux circonstances nuisent, en effet, au travail de réparation; le tendon d'Achille lui-même ne se réunit pas ou ne se réunit qu'imparfaitement, quand il existe entre ses bouts un écartement de plusieurs pouces, ou quand ils sont exposés à des mouvements continuels.

Mais c'est surtout au jambier postérieur, aux péroniers en arrière et au-dessous de la maléole, aux fléchisseurs des orteils dans leurs coulisses phalangiennes, que le travail de réparation ren-conire des obstacles qui n'existent pas au tendon d'Achille. Les tendons renfermés dans des coulisses ostéo-fibreuses ne sont pas environnés de tissu cellulaire, et le plasma doit provenir alors, soit des deux bouts du tendon, soit de la synoviale. Si les tendons sont très-grêles, et leurs bouts trop éloignés après la section, la production plastique peut être insuffisante pour combler leur intervalle; si l'exhalation plastique s'éiend au feuillet pariétal de la membrane synoviale, il y aura des adhérences dais la coulisse ostéo-fibre use, et le mouvement du muscle sera aboli ; les tendons accolés pourront aussi s'unir, et leur action isolée sera compromise.

Sans cloute, on diminue ces chances fâcheuses, en ayant soin de ne diviser la gaine fibreuse que dans le plus petit espace possible; de ne pas dépasser les limites du tendon; de maintenir les bouts tendineux suffisamment rapprochés; d'empêcher tout mouvement nuisible. Mais, malgré toutes ces précautions, on n'est pas certain, la plupart du temps, d'obtenir une réunion complètement satisfaisante dans plusieurs des cas que je viens de mentionner.

C'est ce qui résulte des faits produits dans une discussion mémorable de l'Académie de médecine, en 1842, à l'occasion de la

présentation de quelques tendons que j'avais divisés sur des chiens, tués plus ou moins longtemps après la section. Il s'agissait, à la vérité, des muscles de la main ; mais les mêmes considérations s'appliquaient évidemment au pied, pes altéra manus. C'est ce que M. Velpeau fit très-bien ressortir, en posant, à l'égard des muscles du pied, des principes analogues à ceux que je viens de développer devant vous (1).

Au reste, la doctrine de la ténotomie est loin de posséder, pour les tendons dont il s'agit, des données anatomo-pathologiques aussi précises que pour le tendon d'Achille. Il faudrait des expériences multipliées sur les animaux, dans des conditions diverses, des recherches nouvelles sur l'état anatomique et physiologique des muscles divisés chez l'homme, pour fixer la science sur ce point. C'est une lacune sur laquelle j'appelle l'attention de nos candidats au doctorat; déjà l'un de leurs devanciers', M. Acher, s'est attiré de justes éloges par une très-bonne thèse sur la réunion des tendons, à une époque où la ténotomie ne fournissait aucun des faits qui pullulent aujourd'hui de toutes parts.

En attendant qu'un travail analogue nous apporte de nouvelles lumières, je ferai remarquer que, heureusement pour le praticien, les fonctions du pied n'exigent pas la même précision de mouvements que celles de la main. Il en résulte que l'on peut souvent, sans préjudice pour les malades, et même à leur avantage, pratiquer au pied des sections qui affaiblissent ou détruisent l'action de certains muscles, si c'est le seul moyen d'obtenir une rectitude indispensable aux fonctions du membre.

C. Accidents de la ténotomie. — Je vous ai décrit ce qui se passe après la section des tendons dans le plus grand nombre des cas; mais les suites de la ténotomie ne sont pas toujours aussi simples ; la fièvre traumatique, des symptômes nerveux, l'érysipèle, la phlébite, et surtout l'inflammation phlegmoneuse, la suppuration , tels sont les accidents qui peuvent suivre, exceptionnellement il est vrai, les sections tendineuses.

Le moins rare de ces accidents est la suppuration. Celle-ci se déclare, tantôt d'emblée, dans tout le trajet parcouru par l'instru-

(1) Velpeau, Discours sur la ténotomie ( Bulletin de l'Académie de médecine, t. VIII, p. 353.)

ment; tantôt elle commence à la petite plaie du tégument et s'étend de là aux parties profondes. Quelquefois enfin, la piqûre se ferme comme à l'ordinaire, et la plaie profonde suppure; le pus se fraie alors un passage par la piqûre, qui se rouvre, ou par un autre point des téguments.

Si la suppuration n'envahit que la petite plaie cutanée, le seul inconvénient qu'elle produit, c'est de gêner pendant quelque terni s l'application de l'appareil. Mais si la suppuration est profonde, elle peut compromettre le résultat de l'opération en faisant ajourner forcément la suite du traitement. Elle peut aussi s'accompagner d'un état fébrile qui, surtout chez les jeunes enfants, est susceptible de produire une maladie sérieuse.

Différentes circonstances peuvent amener cette suppuration : la trop grande étendue de la plaie des téguments, sa communication trop large ou trop directe avec la plaie du tendon, l'écartement forcé, le tiraillement, le frottement de ses bords, la pression de quelque pièce d'appareil. Une extension trop forte, exercée prématurément sur les tissus divisés, suffit quelquefois pour transformer l'inflammation plastique en inflammation suppurative. Il en est de même d'une idiosyncrasie, d'un état cachectique, de la scrofule, d'une maladie aiguë intercurrente. C'est ce qui vient de se passer sur la petite fille opérée dans la séance précédente. Chez cette enfant, l'opération a été exécutée très-régulièrement; la piqûre n'était pas plus apparente qu'une piqûre de vaccine; il n'est pas entré d'air dans la petite plaie; et cependant, aujourd'hui, il y a un abcès clans la plaie tendineuse, et il sort du pus par la piqûre. Cette inflammation est causée par une scarlatine qui s'est déclarée quarante-huit heures après l'opération. On ne nous avait pas prévenu, en nous amenant cette enfant, qu'elle toussait un peu et qu'elle se plaignait déjà d'une légère céphalalgie; la maladie était alors évidemment à sa période d'incubation.

La suppuration peut encore être la suite d'un épanchement sanguin trop considérable; habituellement néanmoins, un trom-bus, même volumineux, finit par être résorbé, et la cicatrice du tendon se forme comme à l'ordinaire; seulement la cavité de cette cicatrice s'efface plus lentement, et on y trouve, longtemps après la section, les restes du coagulum décoloré. Ce coagulum ne joue

ici que le rôle de corps étranger. Prétendre avec M. Ammon (1) que ce sang fournit à la nouvelle substance des matériaux organisâmes, c'est énoncer une opinion qui ne repose jusqu'à présent sur aucune preuve; ajouter avec MM. Pirogoff (2) et Kœrner (3) que la cicatrice est d'autant plus forte qu'il y a plus de sang épanché, c'est avancer une erreur démentie par des faits journaliers.

Plusieurs des causes de suppuration que je viens d'indiquer résultent, comme on a pu le voir, de la manière dont la ténotomie a été pratiquée et des soins consécutifs.

Il y a donc des conditions propres à assurer généralement, sinon constamment, l'innocuité des opérations de ténotomie. Ce sont : une piqûre de la peau aussi petite que possible et une prompte occlusion de celte ouverture; une séparation aussi complète que possible entre la piqûre et la plaie des tendons; un contact immédiat des tissus ; l'éloignement des causes d'irritation et la surveillance attentive des applications mécaniques.

On a beaucoup disserté sur les effets de l'influence de l'air dans les plaies sous-cutanées, et on y a attaché beaucoup trop d'importance. Si l'air ne se renouvelle pas, s'il est simplement emprisonné sous la peau , il est rapidement absorbé, et sa présence momentanée ne produit pas le moindre accident. C'est ce que j'ai observé bien des fois, et ce que M. Malgaigne ( ) a constaté par des expériences directes sur les animaux. Chez le jeune garçon opéré dans la précédente séance, l'incision cutanée a été un peu plus large que chez la petite fille; il y est entré de l'air, donnant la sensation d'une crépitation sous-cutanée. Malgré cela , l'opération a suivi son cours habituel, et aujourd'hui c'est à peine si, en pressant l'intervalle de la section, on fait naître une légère douleur.

On traite les lésions accidentelles qui se manifestent après la ténotomie comme lorsqu'elles surviennent par d'autres causes. En général, elles n'ont pas de conséquences graves. Je ne connais pas de cas de mort à la suite de la ténotomie pratiquée pour le pied bot.

Malgré ces accidents, la réparation se fait de la même manière

(1) Physioloyia tenotomice; voyez l'Expérience, n° du 20 déc. 1837.

(2) Ueber, etc., ou De la section du tendon d'Achille, Dorpat, 1840, fol.

(3) Annales de la chirurgie franc, et étrang., t. VII, p. 270, 1843.

(4) Voyez Bulletin de l'Académie de médecine, t. VIII, p. 718.

que quand ils ne se sont pas présentés. On a observé au tendon d'Achille une foule d'exemples de cette réunion chez l'homme et chez fis animaux; la cicatrice tendineuse ne différait pas, dans ces plaies suppurantes, de celle qui se produit dans les cas ordinaires. Quelquefois seulement la réunion est précédée de l'exfolialion d'une partie du tendon , et après la guérison , la cicatrice conserve en général des adhérences avec la peau et les parties profondes.

D. Mode d'action de la ténotomie dans les pieds bots. — On comprend le mode d'action de la ténotomie dans la cure des pieds bots. Mais une question diversement résolue est celle-ci : comment la réunion des tendons divisés ne reproduit-elle pas la déviation? Stromeyer l'expliquait en disant que la section du tendon faisait cesser le spasme musculaire, qui ne s'opposait plus dès lors à l'allongement du muscle; mais il n'admettait pas que cet allongement fût dû à la présence d'une substance de nouvelle formation, car la réunion se faisait, selon lui, presque bout à bout.

Cette opinion n'est plus soutenable devant les faits nombreux qui en démontrent l'inexactitude. L'allongement du muscle résulte, en effet, de l'interposition de la nouvelle substance entre les deux côtés de la section. Le bout supérieur du tendon ne descend jamais au-dessous du lieu où la section a été faite, comme cela devrait être, s'il y avait allongement du corps charnu; il remonte, au contraire , dans beaucoup de cas, par la rétraction des fibres musculaires. Quant au bout inférieur, il descend et s'éloigne du supérieur en proportion de l'abaissement de son point d'insertion, abaissement qui résulte de l'influence du traitement mécanique sur la position des os. C'est ce qu'il est facile de constater, par exemple, au tendon d'Achille, attiré en bas avec le talon, que les appareils ramènent au contact avec le sol.

Aussi qu'arrive-t-il si les moyens mécaniques ou l'action des muscles antagonistes ne rétablissent pas la position normale du pied? Le bout inférieur n'étant pas écarté suffisamment du supérieur, la cicatrice tendineuse est trop courte et le muscle est presque aussi rétracté qu'avant l'opération.

Ce résultat nul de la ténotomie se voit aussi dans les cas où le traitement mécanique, convenablement employé au commencement, n'a pas été assez longtemps mis en usage; le tissu cicatri

ciel, que l'on a cessé d'étendre avant son entier développement, se rétracte, comme tous les tissus cicatriciels, et la difformité est reproduite en tout ou en partie.

Ce fait répond victorieusement à ceux qui reprochent à la téno-tomie de trop affaiblir le muscle en rallongeant, puisque, si cet allongement n'est pas suffisant, le muscle a encore assez de force pour reproduire la déviation. Sans doute, en exagérant l'extension, on peut amener une débilité du muscle ; c'est au médecin à agir dans les limites convenables.

E. Section des ligaments. — On ne s'est pas borné à couper les tendons dans les pieds bots, on a encore divisé les ligaments. L'idée est rationnelle en théorie; est-elle réalisable dans la pratique? La plupart des chirurgiens ne l'ont pas cru sans doute, car cette opération a peu cours aujourd'hui. M. Velpeau a bien parlé, dès 1839, de la section des ligaments latéraux de l'articulation tibio-tarsienne; mais il ajoute qu'il est douteux que l'indication d'une opération semblable puisse se présenter au pied (1).

Cependant cette opération a été pratiquée depuis un certain nombre de fois. On a divisé, dans le varus, non-seulement une partie du ligament interne ou deltoïdien, mais encore les fibres ligamenteuses internes des articulations astragalo-scaphoïdienne et scaphoïdo-cunéennes. On a peu fait connaître les détails et les résultats de ces opérations; il paraîtrait môme qu'on n'a pas toujours bien su ce que l'on coupait, car, dans quelques observations isolées, on nomme des ligaments inconnus dont on aurait fait la section, tels qu'un ligament tibio-calcanien externe, un ligament astragalo-scapkoïdien qu'on trouverait au bord interne du pied.

Au surplus, de graves objections s'adressent à cette méthode. Quelles que soient les connaissances anatomiques et l'habileté de l'opérateur, il ira le plus souvent au hasard; des tendons qu'il serait préférable de respecter seront coupés; des vaisseaux et des nerfs pourront être atteints; souvent la section des fibres ligamenteuses aura une étendue insuffisante. Il faut aussi tenir compte de l'ouverture des articulations. Bien que ces tentatives aient fait connaître le peu de danger de ces plaies articulaires, quand elles sont

(1) Velpeau, Médecine opératoire, 2e édit., t. I.

sous-cutanées, on ne peut être assuré de leur constante innocuité. Ces différents motifs doivent engager, en définitive, à s'abstenir en général d'une opération dont les avantages sont le plus souvent problématiques. Si, dans un cas donné, on se décidait à y recourir, le procédé serait le même que pour la section des tendons.

F. Section des brides accidentelles. — On a quelquefois à diviser, avec les tendons, des brides cutanées ou fibro-cellulaires, qui ne peuvent s'étendre par la seule action des moyens mécaniques. C'est ce qui a été pratiqué avec succès par Vallin (de Nantes) dans un talus dont je vous ai déjà parlé. Le second moule en plâtre que je vous présente montre à quel point cette opération a modifié la difformité représentée par le premier moule.

G. Indications de la ténotomie. — Quelles sont, dans le pied bot, les indications et les contre-indications de la ténotomie?

Je poserai d'abord en principe que, malgré son innocuité presque constante, la section des tendons, comme toute autre opération chirurgicale, ne doit être pratiquée que lorsqu'un traitement plus doux ne peut conduire au même résultat.

Ainsi, dans la rétraction commençante, même congénitale, quand le muscle cède à l'extension, la ténotomie est, en général, superflue; il faut se borner à l'emploi des moyens mécaniques continué pendant un temps suffisant.

Dans les rétractions plus anciennes ou plus avancées, la ténotomie est la règle, même dans la première enfance; le traitement mécanique exclusif est l'exception. Mettez en balance, d'un côté, la durée du traitement quatre ou cinq fois plus longue, la somme de douleurs qu'il produit, les insomnies , les chances d'excoriations, de gangrène même, et de l'autre , la rapidité de la cure, la faible douleur de l'opération, ses suites ordinairement si simples, et vous n'hésiterez pas dans le choix.

L'utilité de la ténotomie est encore démontrée par deux autres avantages. Quand on n'employait que les moyens mécaniques, la flexion du pied, dans la guérison du varus, du pied équin, dépassait rarement l'angle droit, au moins d'une manière durable ; c'était un résultat imparfait. Avec la ténotomie, on obtient un mouvement de flexion plus étendu. En second lieu, les muscles fortement rétractés, lorsqu'ils sont simplement allongés par l'extension, ont bouvier. 47

beaucoup plus de tendance à se rétracter de nouveau, que s'ils ont été divisés et allongés par une substance intermédiaire.

J'ai dit que le traitement du pied bot congenial devait commencer à la naissance. La ténotomie est-elle également applicable à cet âge? Quand j'ai eu à la pratiquer dans la première année, son innocuité m'a paru la même que dans un âge plus avancé. Cependant il me paraît sage, en général, d'attendre quelques semaines ou même quelques mois après la naissance. Pendant ce temps, on s'assure de la santé générale, de la force, des chances de vie de l'enfant ; on en profite aussi pour reconnaître sa tolérance à l'égard des moyens mécaniques, pour s'assurer du degré de rétraction des muscles. Suivant le résultat de ces observations, on avance ou on recule le moment d'agir. C'est cette pratique que je suis relativement à cet enfant que vous avez déjà vu. Il est âgé de dix-neuf jours, et affecté d'un varus congenial gauche. Son état général est très-satisfaisant. Vous voyez que son pied est maintenu dans l'appareil de M. Jules Martin, et l'enfant le supporte assez bien. Je pratiquerai ¡a ténotomie quand j'aurai la certitude qu'il y est tout à fait habitué.

Jusqu'à quel âge la ténotomie peut-elle être utile dans le pied bot?

C'est moins de l'âge que de l'ancienneté et du degré de la difformité qu'il faut tenir compte dans le pied bot accidentel. On peut opérer avec succès à tout âge, quand la déviation ne date que d'un petit nombre d'années.

Dans le pied bot natif, il est rare qu'on obtienne un bon résultat au delà de quinze ou vingt ans. Cette limite est toutefois surbor-donnée à l'espèce de déviation. La seciion des tendons est plus longtemps efficace dans le pied équin, dans le talus; elle est bien plus tôt contre-indiquée par l'âge dans le varus et même dans le valgus. Tout dépend du plus ou moins de développement des éléments de la difformité. Tant que l'élément musculaire prédomine, la ténotomie peut réussir ; si c'est l'élément fibreux ou osseux, l'opération est contre-indiquée dans les pieds bols très-anciens. Dans ces conditions, on est exposé par l'opération à détruire des dispositions anatomiques nouvelles , créées par la nature pour suppléer aux dispositions normales; et, à supposer qu'on arrive à procurer au malade un membre moins difforme, il peut se faire qu'il soit moins propre à remplir ses fonctions.

Doit-on opérer le pied bot paralytique?

Cette question si simple rappelle des souvenirs brûlants. En iSUS , ces indications des sections tendineuses passionnèrent toute la presse médicale. Un de vos plus brillants professeurs actuels, M. Malgaigne, dut les discuter devant un tribunal assurément peu compétent en pareille matière. Il en sortit avec les honneurs du triomphe.

Mais la question médicale ne fut peut-être pas jugée alors avec tout le recueillement nécessaire.

Voici, à mon avis, la conduite à tenir : si les paralysies et les contractures sont telles qu'après la ténotomie, la marche doive devenir plus facile, il faudra opérer; il en sera de même quand, la progression étant peu gênée, on pensera que les progrès de la déviation la rendront à la longue plus difficile. Mais si vous avez affaire à une paralysie trop étendue pour que le membre, une fois redressé, serve à la locomotion, abstenez-vous de toute opération.

La brièveté du membre, dans le pied équin, est-elle une contre-indication au traitement? Cette déformation devient utile , a-t-on dit, en ce qu'elle rétablit la longueur du membre. Cela est vrai, et on ne devra pas opérer, si la déformation du pied ne fait pas de progrès. Mais si celle-ci augmente au point de devenir plus nuisible que la brièveté du membre elle-même, l'opération sera utile.

La ténotomie étant indiquée, il reste à déterminer quels sont les muscles qu'on doit diviser. J'ai déjà dit que, dans mon opinion, il ne faut diviser que ceux qui ne cèdent pas facilement à l'action des machines. Vous lirez telle observation de pied bot où l'on a pratiqué dix ou douze sections musculaires ou ligamenteuses sur des enfants de neuf ans, de cinq ans : c'est l'abus d'une bonne méthode.

C'est presque toujours le tendon d'Achille qui présente une résistance sérieuse ; c'est lui qu'il faut le plus souvent couper. Cette section est généralement la seule qui soit indiquée dans le varus des enfants, dans le pied équin, même compliqué de varus léger, de pied creux. Après la première enfance, c'est encore le triceps sural qui produit une résistance capable d'empêcher la guérison. Les autres muscles du pied et l'aponévrose plantaire s'étendent le plus souvent par la seule action des machines. Si pourtant, après l'emploi des moyens mécaniques, l'extension de ces parties n'est pas suffisante, on sera toujours à temps de les diviser, après avoir

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bien constaté quelles sont celles qui résistent encore. On suivra la même règle dans le talus et dans le valgus. Les fléchisseurs du pied, les péroniers latéraux réclament, en effet, bien moins souvent que le triceps sural l'emploi de la ténotomie.

Une dernière question à résoudre, c'est de savoir s'il faut pratiquer une nouvelle section, quand la déviation se reproduit après une première opération, ou encore quand, par une cause quelconque , celle-ci n'a eu qu'un résultat incomplet.

Si la cicatrice tendineuse est demeurée extensible, si elle cède facilement aux moyens mécaniques, une nouvelle section est inutile. Mais si cette cicatrice a déjà acquis trop de consistance, ce qu'on reconnaît aisément aux premiers essais de traitement mécanique, il faut pratiquer une nouvelle section.

III. Moyens médicaux. — Les longs détails qui précèdent, touchant les moyens mécaniques et les procédés ténotomiques appliqués à la cure du pied bot, vous ont peut-être fait perdre de vue une troisième série de moyens, faisant partie de ce traitement : ce sont les moyens spécialement dirigés contre les causes, effets ou complications de cette difformité. Je ne vous en dirai qu'un mot.

M. le docteur Dancel, dans une brochure publiée en 1843, disait : « La compression nous a parfaitement réussi à enlever la rigidité, la contraction permanente, qui existaient chez deux personnes qui avaient eu l'articulation tibio-tarsienne longtemps sans mouvement (1). » L'auteur rapporte les deux observations; il y avait des pieds équins accidentels. Un bandage compressif a suffi pour faire cesser le spasme des muscles du mollet.

C'est là un exemple des indications particulières qui dérivent de la considération des causes, dans la cure des pieds bols.

L'atrophie du membre, effet constant de la difformité, n'est point effacée par les moyens mécaniques ni par la ténotomie. Elle réclame l'emploi des stimulants locaux les plus propres à activer la circulation et la nutrition du membre ; tels sont : l'exercice musculaire, le massage, la percussion, la flagellation, les frictions excitantes, les bains et les douches d'eau froide, d'eau de mer, l'emploi des eaux thermales, sulfureuses, des bains de sable, de l'électricité, etc.

(1) Dancel, Traitement des fausses ankyloses. Paris, 1843, p. 43.

La paralysie partielle, complication si fréquente du pied bot, sera combattue par des médications analogues ; mais on s'attachera à les appliquer uniquement aux muscles affaiblis, en localisant autant que possible l'effet de ces moyens. La faradisation, suivant les ingénieux procédés de M. Duchenne (de Boulogne), rend ici de grands services.

RÉSULTATS DU TRAITEMENT DES PIEDS BOTS. — Les résultats

définitifs du traitement des pieds bots, en général satisfaisants, ne le sont pas également dans tous les cas. Dans les guérisons même les plus complètes, le pied réunit rarement tous les caractères de l'état normal, surtout si la déviation était congénitale. Sa forme conserve quelque chose de l'état primitif, ou s'altère par l'effet même des moyens de traitement. Le pied équin creux peut conserver en partie sa courbure exagérée; le varus complètement redressé perd au contraire la cambrure naturelle et devient pied plat, sans que cela nuise à ses fonctions ; le valgus pied plat ne recouvre que rarement la courbure normale, et la déviation en dehors ne disparaît même presque jamais entièrement, pour peu que le traitement ait été tardif. Les mouvements du pied laissent souvent à désirer. Leur étendue est moindre dans un sens ou dans l'autre, et fréquemment dans plusieurs sens à la fois. A-t-on trop forcé la flexion du varus, de l'équin, on perd dans le sens de l'extension; a-t-on trop peu fléchi, la flexion est insuffisante. Les deux mouvements perdent à peu près également en étendue, si l'on a tenu le milieu entre ces deux extrêmes.

Quelles que soient ces légères imperfections, il suffit que la direction du pied soit à peu près normale, qu'il pose à plat sur le sol, qu'il se meuve de manière à accomplir le mécanisme de la progression, pour que le sujet retire de grands avantages de sa nouvelle conformation. Sa démarche devient assurée, sa claudication moindre ou nulle, et de plus, il échappe à toutes les chances fâcheuses que lui réservait l'avenir.

Nous allons terminer cette longue étude des pieds bots, en vous montrant d'abord une série de moules en plâtre pris, sur chaque sujet, avant et après le traitement; puis un certain nombre de jeunes malades que j'ai soignés moi-même il y a plus ou moins

longtemps. Tous aurez ainsi une idée exacte du pouvoir de l'art dans la cure du pied bot.

Parmi les moules, ceux-ci sont remarquables par leur origine : ils représentent les jambes de l'unique sujet opéré par Delpech, en 1816. Ce malade avait alors six ans, et portait à droite un pied équin, avec pied creux. Delpech a fait dessiner le pied trois ans après l'opération. J'ai pu retrouver le sujet vingt ans après, et c'est le moule fait à cette époque que vous avez sous les yeux. Il vous offre donc un exemple très-probant de la persistance de la guérison. Remarquez de chaque côté du tendon d'Achille ces cicatrices de deux ponces d'étendue ; sur le dessin de Delpech , elles n'ont qu'un pouce de longueur, ce qui prouve qu'elles ont participé à la croissance de tout le corps. Le tendon offre un relief très-prononcé , mais égal dans toute sa longueur, malgré l'exfolialion qui vint retarder la guérison. J'ai pu constater, sur le sujet, que la flexion du pied ne dépassait pas l'angle droit. Du reste, il y avait succès complet quant au rétablissement des fonctions locomotrices, malgré une petite déviation du pied en dehors que vous observez encore sur le moule. La jambe est restée atrophiée, et sa gracilité contraste, comme vous le voyez, avec le volume de la jambe gauche, qui est normal.

Voici des moules de plusieurs jeunes sujets atteints de varus compliqué d'équinisme, comme à l'ordinaire. Vous voyez à côté les heureux résultats du traitement : il y a réduction des subluxations médio-tarsiennes ; seulement la plante du pied est légèrement aplatie; le talon est abaissé; le pied a une direction parfaite; il pose bien sur le sol. L'angle aigu, que l'articulation tibio-tarsienne présente sur ces moules, vous montre l'étendue de la flexion, qui permettait aux malades d'exécuter régulièrement les divers temps de la marche.

Un exemple de varus plus prononcé est celui-ci : c'est le moule du pied d'un petit malade de l'hospice des Enfants-Trouvés. L'enfant marchait presque sur le dos du pied, comme le prouve cette large callosité qui faisait l'office de nouveau talon. Malgré une si grande difformité, vous voyez, par l'autre moule, que le redressement a été complet. Remarquez ces plis de la peau, là où existait le talon supplémentaire, complètement effacé maintenant.

Enfin, sur cette pièce sèche, vous pouvez mieux saisir encore

les grandes modifications qu'apporte le traitement dans les déviations du pied. C'est le pied droit d'un enfant atteint de varus con-génial double du deuxième degré. Ce moule représente la conformation du pied avant le traitement. Le petit malade avait quatre ans et demi, lorsque je fis la section du tendon d'Achille; le traitement consécutif amena le pied à la position représentée par ce second moule. L'enfant mourut cinq ans après d'une méningite tuberculeuse. Vous pouvez voir sur le pied qui m'a été remis, qu'il n'y a plus de subluxations ; le calcanéum est placé horizontalement; le cuboïde forme seulement une légère saillie à la plante, et le bord interne du pied est un peu trop élevé. Remarquez aussi que le tendon d'Achille n'offre plus à l'extérieur de traces de la cicatrice, tant la réparation a été complète. L'abandon dans lequel l'enfant est resté dans les dernières années de sa vie, explique ce qui peut manquer à celte guérison, déjà très-satisfaisante.

Passons maintenant à l'examen d'enfants que j'ai opérés il y a quelques années. Ces exemples vivants vous frapperont encore davantage.

Ier cas. Georges Watts, âgé de deux mois, était atteint d'un varus congénital à gauche ; je fais la section du tendon d'Achille le 15 septembre 18^3 ; pendant trois mois l'appareil est appliqué par la mère, mais avec beaucoup de négligence ; aussi, au bout de ce temps, la flexion du pied n'arrive pas encore à l'angle aigu. On cesse alors tout traitement jusqu'en 185i; dans le courant de cette année, c'est-à-dire après onze années d'abandon complet, le traitement est repris, et l'appareil porté nuit et jour. Au mois d'octobre, le pied était complètement redressé et la flexion se faisait à angle aigu. En juin 1855, je constate que la guérison se maintient. Aujourd'hui (25 juillet 1856), vous voyez que l'étendue des mouvements est presque normale; ce garçon fléchit le pied à angle aigu, et il l'étend de manière à pouvoir marcher sur la pointe ; le pied a conservé sa concavité normale. Ce fait vous montre à quel point, dans certains cas, la cicatrice tendineuse conserve son extensibilité, puisque, onze années après l'opération, il a suffi d'employer les appareils mécaniques pour obtenir une guérison si parfaite.

IIe cas. — Marie Pavard porte un varus double, du premier degré à droite, bien plus marqué à gauche. A cinq mois, je fais la

section des deux tendons d'Achille, le 26 février 1855. Le traitement mécanique est suivi avec soin, et, dès le 5 juillet, le pied droit est bien redressé, et la guérison très-avancée à gauche. Trois mois après , l'enfant marchait seule, les pieds bien à plat ; la flexion atteignait des deux côtés un angle très-aigu. Vous voyez aujourd'hui que les mouvements des-pieds sont très-étendus ; il reste à compléter la guérison par des soins consécutifs.

IIIe cas. — Adrien Cottereau, atteint d'un varus gauche, est opéré à huit mois, le 2 mai 1850. Au mois de juin, l'enfant contracte une pneumonie, et on ne peut reprendre le traitement mécanique qu'au milieu de juillet. Au mois d'octobre, le redressement est complet, et l'enfant abandonne l'appareil en juin 1851. Aujourd'hui, la conformation du pied est un peu moins régulière ; ses mouvements sont un peu moins étendus que chez les enfants précédents; la guérison est moins complète, ce qui tient à la pauvreté de l'enfant, au défaut de soins des parents, à la difficulté d'avoir de bons appareils, vu leur prix élevé.

IVe cas. — Léon Deshayes, âgé de six ans, vient dans mes salles le 10 juillet 1855, pour être traité d'un pied bot varus gauche congénial. La difformité est très-prononcée ; la plante du pied est tout entière dirigée en arrière, et le pied ne pose que par son bord externe. La jambe est un peu atrophiée. On applique aussitôt l'appareil redresseur ; mais diverses causes obligent à en suspendre souvent l'usage ; il survient une phlyctène au côté interne du pied, et un peu plus tard, l'enfant est atteint d'une scarlatine, suivie de convulsions qui menacent sa vie. Enfin, le 20 janvier 1856, je coupe le tendon d'Achille, et depuis ce moment le pied est maintenu dans l'appareil. Je vous montre ce cas comme un exemple des difficultés que fait éprouver au chirurgien l'indocilité des malades. Cet enfant, malgré tous nos soins, a relâché presque chaque jour les courroies de l'appareil ; aussi le redressement est-il encore incomplet. C'est peut-être un de ces cas où il est indiqué de recourir à la section des ligaments, en raison surtout des difficultés qu'une surveillance continue rencontre dans la pratique des hôpitaux.

Tous les cas dont je viens de parler n'ont trait qu'au varus. Voici deux moules qui représentent le pied droit d'un enfant atteint de

talus, avant et après le traitement. Cet enfant, né le 30 mai 1839, portait un talus valgus double, congénial ; mais la difformité était bien moins prononcée au pied gauche. L'un de ces moules vous montre le degré de flexion du pied droit au moment de la naissance. J'appliquai les appareils vers la fin du mois suivant, et dès le mois d'août, les pieds avaient déjà gagné en extension. Mais le traitement fut négligé à ce moment ; on laissait les pieds libres pendant plusieurs semaines. En janvier 1841, les pieds posaient à plat dans la marche; mais le résultat était encore imparfait ; l'extension ne dépassait guère l'angle droit, et la flexion était encore très-étendue; les pieds, surtout le droit, étaient plats et un peu renversés en dehors. Quoique le traitement n'ait pas été suivi depuis avec plus de régularité, le succès a été complet. Je restai quinze ans sans revoir le malade, et ce moule, qui a été pris ces jours-ci, dix-sept ans après le premier, vous montre la conformation actuelle du pied. Le membre a été moulé dans sa plus grande extension , et vous pouvez voir que celle-ci est assez considérable pour que le jeune homme puisse marcher sur la pointe du pied. La flexion atteint un angle un peu moins aigu qu'à l'état normal; la plante du pied a sa concavité naturelle. Le pied gauche a conservé une légère inclinaison en dehors, qui n'est pas assez forte pour gêner les mouvements.

Ce fait confirme deux principes que j'ai établis dans le traitement des pieds bots, savoir : qu'on peut le plus souvent éviter la section des tendons autres que le tendon d'Achille, et qu'il y a grand avantage à commencer l'application des appareils peu de temps après la naissance.

ARTICLE VI.

DU RACHITISME.

(1) Entre le pied bot et le rachitisme, tout est contraste.

La première de ces deux affections est une lésion purement mécanique , qui n'affecte que la surface des os, qui frappe presque uniquement les articulations, et qui est presque toujours consécutive à une lésion du système musculaire.

(1) Onzième leçon, 1er août 1856.

L'autre est une lésion dynamique, vitale, qui s'attaque au cœur même de l'os, qu'elle frappe dans sa continuité, dans sa diaphyse ; c'est une affection primitive des os.

Définition. — Je définirai le rachitisme : un vice d'ossification avec ramollissement, courbure et déformation des os.

Nomenclature. — D'où vient le nom qui désigne cette maladie? Quelle est sa signification?

Il y a environ deux cents ans, vers 16Zt5, huit médecins du collège de Londres mirent en commun leurs observations sur le ramollissement des os dans l'enfance ; ils chargèrent trois d'entre eux, mais principalement Glisson, de rédiger ces matériaux en un corps de doctrine; bel exemple de concorde et de désintéressement à imiter! dit Van Swieten.

Il fallait un nom pour désigner cette affection, que les nouveaux observateurs ne trouvaient décrite nulle part. « L'un de nous, raconte Glisson (1), tomba sur celui de rachitis, qui nous plut aussitôt. » C'était un mot simple, court; et quoiqu'il ne fût pas exact de dire qu'il désignât la principale partie affectée au début de la maladie, l'événement donna gain de cause à Glisson et à ses collègues ; le nom a été accepté et conservé jusqu'à nous.

On a bien tenté de lui en substituer d'autres, celui de cyrto-nose, par exemple, celui d'ostéomalacie; mais le premier est oublié, et le second n'est employé que pour désigner le ramollissement des os chez les adultes.

Ancienneté de ia maladie. — Mais si le nom de rachitis était nouveau au dix-septième siècle, la maladie qu'il désigne l'était-elle aussi? Glisson le croit: le rachitis, d'après cet auteur, aurait paru dans certaines contrées occidentales de l'Angleterre, une trentaine d'années avant l'époque où il écrivait, « autant, dit-il, que lui et ses collègues ont pu s'en assurer par les renseignements qu'ils ont recueillis (1). • Il est évident que cette assertion, sans preuves à l'appui, n'a pas une grande valeur.

(1) De rachitide, tractatus opéra primo ac potissimùm Glissonii con-scriptus, adscilis in operis societatem Date et Regemorter, p. 5. Lond., 1650.

(2) De rachit., p. 3.

Glisson a trouvé le rachitis désigné vulgairement dans les contrées où il l'a observé sous le nom de the rickets, tes nœuds. Il n'a pu savoir à quelle époque, ni par qui cette dénomination a été introduite. Frappé de la ressemblance de rickets avec rakitis, il se demande si l'expression populaire ne viendrait pas de quelque érudit qui l'aurait dérivée, comme lui, du grec ra his. Rien ne prouve donc que ce mot, et par conséquent la chose qu'il exprime, ne soient pas beaucoup plus anciens que Glisson ne l'a supposé.

M. le professeur Trousseau, dans une de ces brillantes leçons que vous connaissez (1), a rappelé le vieux mot français riguet, qui ressemble tant à l'anglais rickets, et qui signifie bossu. Son antiquité plaide en faveur de celle du mot rickets, soit qu'il dérive de celui-ci, soit que les Anglais nous l'aient emprunté, ou bien que les deux mots, comme on l'a aussi supposé, tirent leur origine de l'allemand Rücken, dos, que le peuple prononce Ricken.

Le grand motif de Glisson pour croire à la nouveauté de cette maladie, c'est qu'on n'avait pas décrit le rachitis avant l'époque où il l'a observé. Mais vous comprenez que la maladie pouvait exister, bien que les médecins ne l'eussent pas décrite.

On trouve d'ailleurs quelques traités antérieurs à celui de Glisson, qui est de 1650 ; je ne veux que les citer : une thèse de Leyde de 1645 , par "Whistler, et portant pour titre The rickets; un article de Bootius, qui a décrit le rachitis en 1649, sous le nom de tabès pectorea, dans son traité De affectibus à veteribus omissis; le traité de M. A. Severin De gibbis, vaigis, varis; l'auteur était presque contemporain de Glisson.

Outre ces auteurs, on trouve une foule d'observations éparses, bien antérieures au dix-septième siècle, et qui démontrent d'une manière irrécusable l'existence du rachitisme dans des temps fort reculés.

M. Beylard a présenté quelques-uns de ces faits dans son excellente thèse (2). M. Stanski (3) a cité, d'après Reiske, un cas de ra-

(1) Gazette des hôpitaux, du 17 juillet 1856.

(2) Beylard, Du rachitis, de la fragilité des os, de l'ostéomalacie. Paris, 1852.

(3) Des maladies des os désignées sous le nom d'ostéomalacie. Paris, 1851.

mollissement des os chez un adulte, qui remonte au temps des Arabes. On lit dans Fernel qu'un soldat avait les os des jambes, des bras, des cuisses, mous et flexibles comme de la cire (1). Du temps de Houllier, contemporain d'A. Paré, il y eut à Paris une femme dont tout le corps, mou et flexible, n'avait point d'os solides (2). Les auteurs allemands des quinzième et seizième siècles ont décrit une affection cardiaque de l'enfance, dans laquelle ils mentionnent une mollesse et des déformations des os, qui ne sont autres que celles du rachitisme (3).

Mais à quoi bon fouiller les œuvres des savants? Le mot chartre, de carcer, prison, qui désigna longtemps les maladies de langueur de l'enfance, et en particulier le rachitisme, n'était-il pas d'un usage vulgaire bien avant Glisson? Toutes les langues d'Europe n'avaient-elles pas dès leur origine des mots répondant à ceux de bancal, cagneux, raibos, btaisos des Grecs, varus, valgus, compernis des Latins, pour exprimer les difformités qui sont l'effet du rachitisme?

Quant à trouver dans Hippocrate, Celse, Galien, la description de cette maladie, c'est aller trop loin. Dernièrement M. Castagne, dans une thèse bien faite d'ailleurs, voyait le rachitisme dans un passage du traité des Articulations qui se rapporte manifestement au mal de Polt.

Mais l'ancienneté du rachitisme n'en est pas moins bien établie , et Van Swieten n'était pas fondé à opposer à Zéviani les nombreuses lacunes des faits et des descriptions antérieurs aux travaux de Glisson. Il n'était pas besoin de la réunion de tous les symptômes du mal pour prouver qu'il avait existé, alors qu'on trouvait des marques certaines de son passage.

Les historiens et les poètes nous fournissent, à cet égard, d'aussi fortes preuves que les médecins eux-mêmes.

On connaît ce passage d'Horace :

.... Hune varum distortis cruribus (appellat pater )...

t Un père dit que son fils a les pieds un peu en dedans, quand ses jambes sont toutes tordues. »

(1) Fernel, De abditis rerum causis ,1. II, c. 9.

(2) Hollerii, De morbis internis, rara quœdam, p. 717, in-4°. Paris, 1611.

(3) Camerarius, Disput, de rachitide, Tubing., 1735.

Est-ce que ce distortis cruribus ne démontre pas clairement l'existence du rachitisme chez les Romains?

Quoi de plus convaincant encore que celte épigramme de Martial :

Cùm sint crura tîbi simulent quae cornua lunœ, In rhytio poteras, Phœbe, lavarc pedes.

« Tes jambes, Phcebus, ressemblent au croissant de la lune, tu pourrais les baigner dans un cornet à bouquin. »

Je ne vous cite pas le Thersite d'Homère, l'Ésope du moine Pla-nude, qui personnifie si bien une classe entière d'individus difformes, le Policinello de la renaissance des lettres, parce qu'on pourrait voir ici autre chose que des difformités rachitiques.

États qu'il faut distinguer du rachitisme. — Nous devons, en effet, limiter notre sujet. La déviation latérale du rachis peut dépendre du rachitisme, mais elle se rencontre très-souvent aussi sans le moindre ramollissement des os, même antérieur à la déformation. Dans le mal vertébral, la déformation du thorax est un effet mécanique. L'ostéomalacie des adultes n'est pas le rachitisme des enfants. Je reconnais toutes les analogies signalées depuis longtemps entre ces deux états et invoquées de nouveau par MM. Stanski et Beylard; mais je ne puis admettre leur identité complète. J'en dirai autant du ramollissement des os produit par le cancer, le scorbut, ou par des causes toutes locales; des courbures liées à l'arrêt de développement de certaines parties des os chez le fœtus, etc.

J'écarte toutes ces lésions qui ont plus ou moins d'affinité avec le rachitisme, pour ne m'occuper que de la maladie que Glisson a décrite de main de maître.

§ 1er. — anatomie pathologique du rachitisme.

I. Lésions du système osseux. — Le fait le plus général, dans l'histoire du rachitisme, celui qu'on peut appeler primitif, c'est le trouble du grand acte de la nutrition qui crée la substance osseuse; c'est la marche anormale de l'ossification, de la formation des os ; ce sont les lésions de texture qui en dérivent dans presque toutes

les parties du squelette. C'est par l'examen de ce fait fondamental que nous commencerons l'étude du rachitisme.

Les altérations de la substance osseuse dans cette maladie présentent divers degrés qui forment autant de périodes successives, lorsque le mal ne s'arrête pas à son début, et qui, dans le cas contraire, constituent des formes ou des états différents.

Je rattacherai toutes les nuances du rachitisme à deux états des os qui caractérisent les deux périodes principales de la maladie ; et comme !c système osseux se présente sous une troisième forme quand la guérison a lieu, j'établirai en tout trois périodes, répondant à trois états distincts, bien que ceux-ci ne se succèdent pas nécessairement.

Première période : état atrophiquc, ou résorption interstitielle des os.

Deuxième période : état fibroïde ou cartilaginiforme, ou de ramollissement. Troisième période : état éburné.

A. Première période.—La première période est caractérisée par l'atrophie, par la raréfaction de la substance osseuse. Cette atrophie est plus sensible à l'intérieur qu'à l'extérieur des os. Elle résulte de la résorption interstitielle de la substance osseuse, qui n'est point remplacée par une nouvelle substance, comme dans la nutrition normale. Les aréoles du tissu spongieux s'agrandissent, ses lamelles s'amincissent ou disparaissent, et ce tissu lui-même devient moins abondant à l'intérieur des os longs, dans les os courts et dans l'épaisseur des os larges. Le tissu compacte forme sur tous ces os une couche plus mince ; mais il offre une disposition particulière dans la diaphyse des os longs; il se creuse de cellules et prend en partie l'aspect du tissu spongieux. La paroi du canal médullaire se trouve ainsi divisée en plusieurs lames de substance compacte, séparées par ce tissu aréolaire. L'os devient alors plus léger, plus souple et plus fragile. Cette atrophie peut être rapprochée de celle qu'on observe chez les vieillards, où elle ne produit que la fragilité des os; chez les enfants, elle les rend plutôt flexibles, parce que le tissu osseux est différent dans les deux âges.

La souplesse de l'os rachilique, dans cette première période, peut encore être accrue par un commencement de prédominance

de ses éléments organiques. Je n ai pu, à la vente, constater la diminution de l'élément calcaire dans quelques analyses que j'ai fait faire d'os pris à cette période; mais ces faits sont trop peu nombreux pour faire loi.

Le travail d'accroissement des os longs, qui se fait principalement aux extrémités de la diaphyse, n'est point interrompu; mais il est imparfait. Il n'y a que peu de temps que l'on connaît bien les phénomènes qui se passent dans cette circonstance, et ce sont surtout les nouvelles recherches de M. Broca qui ont jeté une vive lumière sur cette question. Ce que je vais vous dire ne sera presque qu'un résumé des travaux de M. Broca; je suis heureux de pouvoir mettre sous vos yeux, pour l'élucidation de cet ordre de faits, des pièces et des dessins que je dois à la complaisance de ce chirurgien distingué.

Le tissu spongieux, incessamment produit dans l'état normal entre le corps des os longs et leurs extrémités épiphysaires, se développe incomplètement dans le rachitisme. Il s'arrête à l'une des phases de son évolution progressive.

En effet, d'après les observations de M. Broca (1), le changement du cartilage en os résulte ici de plusieurs transformations successives, démontrées par la présence de deux couches de nature différente entre la diaphyse et le cartilage épiphysaire des os des membres, de même qu'entre les côtes et leurs cartilages, et dans quelques autres points du squelette.

L'une de ces couches est du côté du cartilage; M. Broca la nomme tissu chondroïde. L'autre est voisine de l'os; il lui conserve le nom de tissu spongoïde, qui lui a été donné par M. Jules Guérin (2) dans le rachitisme, où M. Rufz, ancien interne de cet hôpital, l'avait déjà signalée (3). Il vaudrait peut-être mieux l'appeler tissu ossiforme ou ostéoïde.

Entre ces deux couches, il en est une troisième, intermédiaire, formée par des prolongements de la première couche qui pénètrent dans la deuxième : aussi cette couche intermédiaire a-t-elle été nommée chondro-spongoïde.

(1) Recherches sur le rachitisme, extrait des Bulletins de la Société anatomique. Paris, 1852.

(2) Gazette médicale, 1839.

(3) Gazette médicale, 1834.

Les couches chondroïde et spongoïde sont très-minces et se voient difficilement à l'œil nu dans l'état normal; mais dans le rachitisme, leur épaisseur devient très-sensible, parce que les nouvelles couches se produisent plus vite que les anciennes ne s'ossifient. Vous les voyez très-distinctement sur ces pièces, et ces dessins faits d'après nature en donnent aussi une très-bonne idée.

A l'extrémité des côtes, on en trouve aussi de très-épaisses; sur cette pièce, en voici de 2 à 3 centimètres d'épaisseur.

La texture de ces couches est très-curieuse à observer au microscope. Je ne veux point entrer ici dans de longs détails graphiques; je me bornerai à mettre sous vos yeux quelques-unes des figures de M. Broca et à vous retracer en peu de mots les apparences principales de chaque tissu, depuis le cartilage jusqu'à l'os.

1° Cartilage : le microscope y montre des corpuscules cartilagineux, disséminés ou logés dans des cellules particulières, au milieu d'une gangue amorphe.

2° Couche chondroïde : les cellules précédentes, ainsi que leurs granules, sont groupées d'abord en forme d'îlots à grand axe longitudinal. Ces îlots finissent par former des boyaux, séparés par des traînées transparentes, amorphes, dont les plus voisines de l'os commencent à devenir fibreuses : ce sont les rivières de M. Broca.

3° Couche spongoïde : Élargissement des boyaux de la couche précédente, effacement des rivières par le contact des boyaux, structure fibreuse plus prononcée.

U° Os : Structure aréolaire, corpuscules osseux remplaçant les corpuscules cartilagineux.

Le tissu spongoïde normal présente d'abondants dépôts de substance calcaire et n'a pas de porosités ; celui des rachitiques renferme , au contraire, fort peu de matières salines, et est criblé de fines porosités.

Notons encore que, dans le rachitisme, les granules des deux couches ont des formes bizarres et beaucoup plus irrégulières que dans les os sains.

Il est évident que la persistance, l'étendue, la mollesse de ces formes transitoires du tissu osseux, concourent puissamment à lui ôter sa solidité. Nous verrons ces circonstances jouer un grand rôle dans les déformations si prononcées du thorax.

Il n'est pas moins manifeste que les autres caractères atrophi-ques, précédemment indiqués, diminuent également la résistance des os, les rendent à la fois plus flexibles et plus fragiles. Aussi cet état des os, dans le rachitisme, joint à leur souplesse naturelle dans l'enfance, suffit-il pour déterminer, dès cette première période , des courbures plus ou moins considérables dans diverses parties du squelette. Peut-être aussi, comme je l'ai déjà dit, le tissu osseux est-il, en outre, déjà plus mou par la prédominance de la matière organique sur les principes calcaires ; mais, en général, cette prédominance n'est bien sensible que dans la deuxième période.

Un autre caractère général des os rachitiques dans la première période, c'est l'abondance des vaisseaux sanguins. On a voulu voir dans ce fait une cause active de la plupart des modifications subies par le système osseux. Je n'ai rien observé qui soit de nature à me faire admettre cette opinion ; je n'ai pas vu non plus les prétendus épanchements sanguins sous-périostique et sous-médullaire auxquels on a prêté un grand rôle dans l'évolution du rachitisme.

Cette première période du rachitisme répond à ce degré de la maladie qui constitue les enfants noués, ainsi nommés des nœuds ou renflements formés par les extrémités osseuses ou cartilagineuses. Ces nœuds n'existent pas toutefois dès le commencement de cette période. Il y a un moment où la seule altération osseuse consiste dans l'excès de développement des tissus chondroïde et spongoïde, sans aucune manifestation extérieure : c'est ce que M. Broca appelle la période latente du rachitisme.

B. Deuxième période. — La deuxième période a pour caractère un état fibroïde des os. J'emploie ce mot fibroïde, pour ne pas dire fibreux, expression qui, en anatomie générale, a un sens équivoque. Le défaut de clarté qui en résulte était senti depuis longtemps, et c'est pour cela qu'on avait proposé les mots desmeux, albugineux, qui n'ont point été acceptés. Par transformation d'un tissu à l'état fibroïde, il faut entendre que ce tissu devient semblable aux tissus blancs analogues aux ligaments et aux aponévroses. Ceci posé, voyons ce qui arrive dans la deuxième période du rachitisme.

bouvier. 18

Il y a une décomposition chimique bien plus prononcée que dans la première période. L'os se déphosphate; ce qui persiste n'est pas du vrai cartilage, c'est un tissu souple comme un ligament, c'est le parenchyme organique, fibro-celluleux, de l'os.

Cette décomposition a lieu surtout dans la diaphyse des os longs, mais elle se passe également dans les os plats et les os courts.

Sur la diaphyse des os longs, on voit se former des couches qui ne contiennent plus de matières salines, soit que ces couches en aient été privées dès leur formation, soit qu'il y ait eu résorption des sels calcaires par l'action directe du rachitisme. On a prétendu que ces couches étaient surajoutées à l'ancien os. Il est très-vrai qu'elles se forment successivement à l'extérieur de l'os, dont la partie solide finit par se réduire à un mince étui du canal médullaire ; mais on doit plutôt les considérer comme le produit d'une altération des couches osseuses normales, que comme une production pathologique nouvelle.

Quoi qu'il en soit, on peut obtenir un dédoublement de ces lames, comme si l'os avait macéré dans un acide. Elles sont d'autant plus molles qu'elles sont plus superficielles. Vous voyez un exemple de ce dédoublement sur le fémur que renferme ce bocal. La faible lame solide qui entoure la moelle finit souvent par céder; elle se brise, se courbe vers son milieu. Quelquefois, il ne reste même plus de couches intérieures du vieil os, qui est transformé tout entier en un ligament.

Quand lesdiaphyses présentent des courbures, c'est surtout du côté de la concavité que s'amassent les couches de matière organique fibroïde ; elles refoulent le canal médullaire du côté de la convexité, le rétrécissent et peuvent aller jusqu'à l'oblitérer.

En même temps qu'a lieu la décomposition dont nous venons de parler, un travail analogue s'opère dans les os courts et larges, qui perdent leur matière calcaire. Ces os s'épaississent en passant à l'état fibroïde ; le tissu spongieux augmente de volume par une sorte de dilatation de ses aréoles et de gonflement de ses lamelles ramollies. De là l'épaississement qu'on remarque surtout dans certains os larges, aux omoplates, au bassin, dans quelques parties du crâne, etc. Voici une omoplate qui a subi cette modification, et vous voyez qu'outre le ramollissement, il y a un épaississement très-notable.

Vous comprenez qu'à ce degré de la maladie, l'analyse chimique ne trouve presque plus de phosphate calcaire dans les os. C'est ce qui résulte d'un grand nombre de travaux, dont vous pourrez voir la substance dans la Chimie pathologique de MM. Becquerel et Rodier.

(1) Je vous ai décrit les changements que le tissu osseux éprouve dans les deux premières périodes du rachitisme; les membranes qui entourent ce tissu et la graisse qu'il contient, subissent aussi quelques altérations que je dois vous signaler.

Vous savez que, d'après la théorie de Duhamel (2), étayée de nouvelles preuves par M. Flourens (3), le périoste sécréterait l'os dans l'état normal; beaucoup d'auteurs ont pensé qu'il avait la même propriété dans le rachitisme. Tout récemment, M. Vir-chow (4), qui a décrit, après MM. Kœlliker, Mayer, Broca, l'état microscopique des os rachitiques, a reproduit la comparaison de Boerhaave entre le cartilage épiphysaire et le périoste, produisant l'un et l'autre des couches qui, au lieu de s'ossifier, restent molles dans le rachitisme.

Pour moi, je n'ai rien vu dans le rachitisme qui justifie cette opinion. Ainsi, je n'ai pas trouvé le périoste épaissi, adhérent, injecté, à la surface des os rachitiques; je n'ai pas trouvé, au-dessous de cette membrane , ce liquide plastique qu'elle aurait versé et au sein duquel se formeraient des vaisseaux. MM. Henoch et Remak (de Berlin) n'ont pas été plus heureux que moi en recherchant cette substance organisable (5). Cependant on trouve, par exception, de la périostite avec sécrétion de globules purulents. Quelquefois le périoste est tellement adhérent dans certains points, qu'en le détachant, on enlève avec lui une lame fibroïde superfi-

(1) Douzième leçon, 8 août 1856.

(2) Mémoires de l'Académie des sciences. Paris, 1743, in-4°. — Fou-gerpux, Mémoires sur les os. Paris, 1760, in-8°.

(3-) Théorie expérimentale de la formation des os. Paris, 1847, in-8°, avec planches.

(4) Virchow's Archiv., v, 4. 1853.

(5) Henoch, Klinische, etc., ou Faits cliniques recueillis à la Polyclinique de Berlin, 1846.

18.

cielle de l'os. En général, il adhère plus fortement au tissu fibroïde de la concavité des courbures.

Je dirai de la membrane médullaire ce que je viens de dire du périoste; elle ne présente point d'altération propre au rachitisme.

La graisse des os rachitiques ne paraît pas différer de celle des os normaux; elle est souvent un peu plus abondante, parce qu'ici comme ailleurs, son rôle est de remplir les vides. Il ne faudrait pas prendre, comme on l'a fait quelquefois, pour un état graisseux dû au rachitisme l'état gras observé sur les os des vieillards gibbeux et qui dépend uniquement des progrès de l'âge.

Les os altérés par l'effet du rachitisme ne sont pas seulement devenus plus flexibles; ils sont aussi plus fragiles, propriété qu'on a désignée à l'étranger sous le nom un peu dur d'ostéopsathyrosis. Dans cet état, le moindre effort, une chute légère, une faible pression, suffisent pour produire des fractures des membres et des côtes. Ces fractures peuvent être incomplètes, comme l'a déjà indiqué J. L. Petit (1) ; la portion fibroïde de l'os ne fait que plier et maintient l'adhérence des fragments.

Les manœuvres de l'accouchement peuvent donner lieu à des fractures multiples dans le rachitisme congénital. On voit même des enfants apporter en naissant des fractures déterminées dans l'utérus par les pressions que les os peuvent y subir, fractures dont les unes paraissent récentes, tandis que d'autres sont en voie de consolidation plus ou moins avancée.

Il faut toutefois faire ici une distinction importante, et ne pas admettre l'existence de fractures dans tous les cas de celte espèce. Voici un dessin de Chaussier, représentant un fœtus sur lequel on a trouvé cent treize solutions de continuité. Eh bien ! la plupart ne sont pas des fractures, mais résultent d'un simple arrêt de développement osseux, qui interrompt la continuité de l'os. Cet arrêt de développement, déjà entrevu par Daubenton (2), a été très-clairement démontré par M. Depaul (3). Il suffit de comparer des sque-

(1) Maladies des os, t. II, p. 548.

(2) Buffon, Histoire naturelle de l'homme, t. II, Description des os du Cabinet, n° 132.

(3) Bulletin de l'Académie impériale de médecine, t. XVI, p. 378, 1851.

lettes offrant cet état particulier avec d'autres atteints de fractures réelles, pour bien distinguer ces deux cas.

La consolidation des fractures chez les sujets rachitiques est subordonnée à la période, au degré du rachitisme. Tantôt elle se fait très-lentement, tantôt aussi vite que dans les os normaux.

C. Troisième période.—J'arrive à la troisième période. Je vous ai dit que c'était la période de guérison, de reconstitution de l'os, de réossification; c'est, en un mot, la reprise du travail de l'os-téose, suspendu ou ralenti dans les autres périodes.

Quand ce travail succède à la période atrophique, il a pour effet de combler les vides anormaux, de faire cesser Yostéoporose exagérée des os, de rétablir la densité du tissu compacte, des lamelles du tissu spongieux, enfin d'achever l'ossification suspendue dans les couches chondroïde et spongoïde accumulées au voisinage des cartilages épiphysaires.

Si la lésion était peu avancée, la guérison peut être complète, sans qu'il en reste de traces dans le squelette. Certaines courbures osseuses disparaissent même à la longue par les progrès de l'ossification.

Il est rare néanmoins qu'il en soit ainsi. Outre les déformations qui persistent, le tissu osseux nouveau diffère souvent de l'ancien. Il peut arriver deux choses : d'une part, l'atrophie, la raréfaction, peuvent subsister en partie et l'os rester plus faible ; ces deux os de la jambe, tirés de la collection de M. Broca, en sont un exemple ; d'autre part, l'os peut devenir plus épais, plus dense, qu'il ne l'était primitivement.

Mais c'est surtout après la deuxième période que le nouvel os est très-différent de l'ancien.

Le travail de réparation se fait par couches successives. Dans les os longs, on voit ces couches s'incruster de matière calcaire, des parties profondes à la superficie de la diaphyse. Vous voyez sur la coupe de ce péroné, du côté concave de la courbure, des couches dont l'organisation osseuse est d'autant plus avancée qu'elles sont plus profondes; c'était un rachitisme en voie de guérison.

On peut comparer ce travail à la formation du cal, à la production d'un nouvel os dans la nécrose, à l'ossification, chez les vieillards , de certains tissus normalement mous. Il y a là quelque chose

qui s'éloigne de l'ossification régulière, normale ; aussi le produit est-il, en définitive, tout autre que celui de l'ostéose naturelle. Son caractère le plus saillant est sa densité, comparable à celle de l'ivoire ; d'où les noms de 'période d'éhurnation, d'état ébumé, que j'ai adoptés plus haut. Cet état se voit surtout là où le tissu cartilaginiforme était le plus abondant, comme à la concavité des courbures les plus prononcées ; c'est ce qui a fait dire que les os rachitiques acquéraient le plus de force précisément dans les points où ils étaient le plus faibles (Stanley). L'éburnation est moins marquée dans les os courts et les os plats que dans les os longs ; cependant elle y conserve ses caractères.

Cette éburnation des os consacre définitivement les formes, les dimensions, que la maladie leur avait données. Leurs courbures les plus bizarres sont comme stéréotypées par cette sorte de pétrification de leur moule organique. Les parties osseuses épaissies conservent leur excès de volume, et on observe dans ce cas une véritable hypertrophie rachitique. Vous en avez plusieurs exemples sous les yeux. C'est à cette hypertrophie, qu'il faut rapporter l'élargissement, l'aplatissement des os longs, qui les fait ressembler à des lames de sabre, et qui tranche tellement avec la rondeur des uns et la gracilité naturelle des autres.

L'intérieur des os longs participe à cette réossification ; il se passe quelque chose d'analogue à ce qu'on voit dans le cal ; le canal mé-dulaire, presque effacé dans la seconde période au point culminant des courbures, ne se reproduit pas et disparaît même plus complètement dans cette exubérance de la matière osseuse.

Ces changements anatomiques dans la structure des os modifient puissamment leur vitalité; leurs vaisseaux sont étouffés par la matière calcaire. Il en résulte un phénomène déjà indiqué par Glis-son (1) : c'est l'arrêt de développement en longueur des membres, d'où la petitesse de la stature. Déjà, dans les deux premières périodes , l'accroissement en longueur est ralenti ; mais cet accroissement est bien plus entravé quand les os ont subi la transformation éburnée. A ce moment, l'allongement des membres devient presque impossible; car il se fait une soudure précoce entre le cartilage diarthrodial et la diaphyse. Or vous savez que le dévelop-

(1) De Rachitide, c. 21, p. 270, édit. de 1650.

pement de la stature résulte surtout de rallongement des diaphyses à leurs deux extrémités. Aussi les membres affectés de rachitisme présentent-ils, sur beaucoup de sujets, des dimensions en rapport avec l'âge auquel cette altération a eu lieu , et hors de proportion avec les parties du squelette qui en ont moins souffert. M. J. Gué-rin a constaté ce fait par la mensuration d'un certain nombre d'individus (1).

Les mêmes phénomènes que nous voyons se produire après la naissance, peuvent avoir lieu aussi avant la naissance. Le rachitisme peut guérir dans l'utérus. M. Houel attribue avec raison, je crois, à des causes de ce genre, un arrêt de développement fort singulier. Vous pourrez l'observer sur ces deux squelettes que je dois à l'obligeance de M. Depaul, sur le squelette de fœtus hydrocéphale du musée Dupuytren, pièce n° 514 , et enfin sur un enfant vivant que nous examinerons à la fin de la séance.

Voici les principaux caractères de cet arrêt de développement intra-utérin. Les os de la plupart des membres sont d'une brièveté extraordinaire, plus ou moins courbés, aplatis, déformés, et d'une consistance êburnée dans leurs diaphyses. La matière osseuse manque au contraire dans divers points. Les chairs ramassées, boursouflées, manquent d'espace pour se loger; les téguments, également trop étendus, sont plissés en travers clans plusieurs points. Ne voyez-vous pas là un rachitisme intra-utérin, ayant parcouru jusqu'à sa période d'éburnation dans l'utérus, et ayant ainsi forcé les os à conserver des dimensions très-analogues à celles qu'ils présentaient au moment de l'envahissement de cette maladie? Je n'aurais, pour ma part, aucun doute à cet égard, si je ne me trouvais en opposition avec un observateur aussi distingué que M. Depaul. Ses idées sont consignées dans un mémoire déposé à l'Académie de médecine, et qu'il n'a pas encore publié. Je suis donc obligé d'attendre l'impression de ce travail pour savoir si je dois modifier mon opinion.

L'une des principales raisons qui empêchent M. Depaul de considérer cet arrêt de développement comme un effet du rachitisme, c'est que, dans ce cas, la matière calcaire n'a jamais été déposée dans les points où l'os est interrompu, tandis que le rachitisme

(1) Gazette médicale, 1839.

consisterait dans le ramollissement d'os déjà formés. Mais vous avez vu que souvent le rachitisme agit aussi en s'opposant à une première formation de matière osseuse, en arrêtant le dépôt des principes calcaires. Des courbures analogues à celles du rachitisme se rencontrent avec ces arrêts de développement, et elles fournissent une nouvelle preuve en faveur de l'identité des deux affections.

Si tous les rachitiques congénitaux n'ont pas les caractères que nous venons d'énoncer, c'est que, d'après la théorie que je suis disposé à adopter, l'affection se développe dans l'utérus, chez un certain nombre d'entre eux, à une époque plus tardive.

Ainsi, le rachitisme recule d'abord l'ossification, puis la fait marcher trop vite; il change doublement la nature des os dans l'enfance ; après les avoir ramenés à l'état fœtal, il en fait, avant l'âge, des os d'adultes ou même de vieillards, et, par cette transformation anticipée, il bouleverse toutes les conditions de leur nutrition et de leur accroissement normal.

Rachitisme des différentes régions. — Suivons maintenant ces effets dans les différentes régions du squelette.

Pour plus de clarté, j'examinerai, comme s'ils étaient indépendants les uns des autres, les rachitismes : 1° de la tête, 2° du ra-chis, 3° du thorax, k° du bassin, 5° des membres thoraciques et abdominaux.

a. Rachitisme de la tête. — Le rachitisme du crâne se manifeste par la lenteur de l'ossification de ses parois; de là la longue persistance des intervalles membraneux qui séparent primitivement les os du crâne. Or, comme le cerveau continue de s'accroître, le crâne s'étend surtout dans ses parties membraneuses, qui sont plus larges proportionnellement que dans les sujets sains.

On a depuis longtemps signalé la largeur et la persistance des fontanelles dans le rachitisme. Nous avons constaté dans cet hôpital, par l'examen d'un grand nombre d'enfants, que la fontanelle fronto-pariétale est généralement fermée vers l'âge de deux ans ou deux ans et demi, lorsqu'il n'existe point de rachitisme, tandis que, chez la plupart des rachitiques, elle est encore distincte à cet âge et persiste souvent jusqu'à trois ans et au delà. Nous avons vu dernièrement, sur un enfant qui avait près de deux ans, les

espaces membraneux se prolonger même entre les bords des os, qui ne se joignaient pas.

Les sutures, dans le rachitisme du crâne, se forment donc tard et restent longtemps imparfaites. Celles qui doivent disparaître, comme la suture frontale, s'effacent plus tardivement.

M. Baillarger (1) faisait remarquer dernièrement l'influence du volume du cerveau sur le développement du crâne. Il rappelait l'ossification imparfaite de la tête des hydrocéphales, qui a tant de rapport avec celle de nos enfants rachitiques. Réciproquement, le défaut de résistance du crâne paraît influer sur le développement du cerveau, ainsi que sur la formation de l'hydrocéphalie. La grosse tête de beaucoup de rachitiques, même abstraction faite de la petitesse des autres parties du corps, la saillie des protubérances et en particulier des bosses frontales, la fréquence de l'hydrocéphalie dans le rachitisme, voilà trois faits déjà reconnus par Glisson (2) et qui tendent à démontrer cette influence.

Le rachitisme intra-utérin est souvent accompagné d'hydrocéphalie, comme on en voit un bel exemple dans la pièce n° 514 du musée Dupuytren, et il est plus rationnel d'attribuer, dans ce cas, l'hydrocéphalie à l'arrêt de développement des os que d'admettre l'explication inverse.

De même que dans l'hydrocéphalie, l'ossification du crâne des rachitiques se fait souvent par points multiples. Non-seulement les os wormiens se multiplient, mais les rayons osseux eux-mêmes sont décomposés en petites aiguilles séparées par des intervalles membraneux. Ce fœtus, présenté autrefois par M. Houël à la Société anatomique, offre ce caractère à un haut degré.

Dans celte ossification irrégulière, quelques points membraneux peuvent subsister plus tard, et c'est de cette manière que se seront formés les ouvertures et les points transparents qui se voient sur ce crâne de jeune sujet.

L'état d'imperfection des os du crâne peut aller encore plus loin. M. Elsesser et d'autres médecins allemands ont décrit un rachitisme crânien qui porte surtout sur l'occipital. Dans cette variété, qu'ils nomment occiput mou, le rachitisme est beaucoup plus prononcé au crâne que dans le reste du squelette.

(1) Bulletin de l'académie de médecine, 1856, t. XXI, p. 954.

(2) De Bachit., c. 20, 21.

Dans l'examen du rachitisme crânien, il faut, comme pour les autres os, tenir compte des périodes parcourues. L'éburnation est fort rare dans le crâne. Si le rachitisme s'est montré de très-bonne heure, il peut se faire que l'ossification soit avancée, que les fontanelles se ferment avant le terme ordinaire.

Ce fait devrait être distingué de ceux où l'ossification précoce des fontanelles dépend uniquement, comme l'a dit M. Baillarger (1), de la microcéphalie. Le hasard nous amène un exemple de ce dernier ordre, qui offre d'autant plus d'intérêt, que M. Baillarger lui-même n'a pas eu l'occasion de rencontrer une preuve aussi directe du phénomène qu'il a fait connaître. Ce phénomène est, en quelque sorte, l'opposé de ce qui se passe dans le rachitisme, et le contraste qu'il forme avec cette dernière affection vous rendra plus sensibles encore les faits que nous éludions.

L'enfant qui nous offre cet exemple est âgé de quatre mois. Sa mère a eu deux autres enfants; l'un est mort, et l'autre, âgé de trois ans et demi, est idiot. Celui que vous voyez a le corps bien conformé ; il est grand, et ses membres ne présentent pas de courbure sensible. Le thorax est légèrement déprimé sur les côtés. La tête est très-petite, le front déprimé, et si vous cherchez la place des fontanelles et des sutures, au lieu de trouver des parties molles et membraneuses, vous ne sentez sous les doigts que des os. La fontanelle antérieure, les sutures frontale, lambdoïde, sont déjà soudées. Autant qu'on peut en juger à cet âge, le développement intellectuel ne paraît pas aussi avancé que chez un autre enfant.

Le rachitisme crânien n'est pas un des plus communs. Ce n'est guère qu'à une période avancée de l'altération générale du système osseux, qu'il existe à un degré bien prononcé. Néanmoins nous avons pu, cette année, diagnostiquer souvent un rachitisme en considérant l'état des fontanelles relativement à l'âge de l'enfant.

Les os de la face sont rarement altérés par le rachitisme, au moins d'une manière sensible. On a dit cependant que la mâchoire inférieure était quelquefois trop peu développée pour loger les dents, qui poussent alors irrégulièrement. En général, l'évolution des dents est tardive; elles sont souvent noirâtres, cariées, et elles tombent prématurément.

(1) Loc. cit.

b. Rachitisme des vertebres. — Le rachis est plus rarement affecté de rachitisme que les autres pièces du squelette, bien qu'on se soit servi de son nom pour désigner la maladie. La région lombaire est celle qui est le plus souvent déformée.

L'altération la plus fréquente est le relâchement des ligaments du rachis, en partie produit par la faiblesse des muscles, qui leur laissent supporter tout le poids du tronc. Il en résulte, quand les enfants sont assis, une courbure à convexité postérieure, simulant parfois une véritable gibbosité, mais passagère. C'est une courbure de ce genre qui existait sur celte colonne vertébrale que j'ai recueillie, en 1827, dans cet hôpital. On crut à un mal vertébral, et on appliqua des cautères. Vous voyez que les vertèbres ont la même épaisseur en avant et en arrière. La courbure provenait uniquement de la laxité des ligaments; elle disparaissait dans l'extension.

Quand les vertèbres elles-mêmes sont ramollies, elles s'affaissent à leur partie antérieure ou sur leurs côtés, et il se produit des déformations consécutives de deux sortes, des courbures antéro-postérieures et des courbures latérales. Dans ce cas, les courbures sont persistantes. Ces pièces et ces squelettes de divers âges vous donneront une idée de ce genre de désordres. Vous y verrez les corps vertébraux taillés en forme de coins, de manière à décrire par leur réunion des arcs diversement dirigés.

Les courbures latérales rachitiques sont semblables aux courbures latérales essentielles de l'épine, dont j'espère vous parler un jour. En voici plusieurs exemples; il est impossible, en prenant l'une de ces colonnes, de dire qu'elle appartient à un sujet rachi-tique, si on ne voit pas en même temps les membres.

Voici une colonne rachidienne d'un jeune sujet de deux ans et quatre mois, qui présente un cas fort rare de soudure rachitique de deux vertèbres (les 2e et 3e lombaires). L'affaissement des vertèbres en avant, la destruction du ligament inter-vertébral, les ont mises en contact immédiat, et leur substance spongieuse est devenue continue. J'ai hésité entre celte explication et la supposition d'un mal de Pott, d'une affection tuberculeuse ou d'une carie qui aurait guéri par soudure osseuse. Mais les caractères anatomiques des os, la considération des symptômes qui ont existé pendant la

vie, m'ont convaincu que ce ne pouvait êlre qu'une courbure ra-chitique.

c. Rachitisme du thorax. — On rencontre chez les rachiti-ques des déformations du thorax qui ne sont qu'un effet mécanique des déformations et de la torsion du rachis, comme dans la courbure latérale essentielle de la colonne vertébrale ; je ne vous en parlerai point en ce moment. Je ne m'occuperai que de celles qui résultent de l'influence directe du rachitisme.

Le véritable rachitisme du thorax est sa dépression latérale, indépendamment de toute déviation du rachis. C'est une altération osseuse tout à fait propre au rachitisme, comme l'a fort bien dit Glisson, qui toutefois n'a insisté que sur les degrés extrêmes (1).

Cette déformation dérive de l'altération rachitique qui se produit à l'extrémité antérieure des côtes, à leur union avec leurs cartilages, altération de même nature que celle des extrémités de la diaphyse des os longs.

Dans son premier degré, le rachitisme thoracique ne consiste que dans une série de renflements ou nodosités déjà mentionnés par Glisson (2) et Mayow (3), et produits par un léger gonflement de l'extrémité antérieure de chaque côte et de l'extrémité correspondante de son cartilage, ainsi que par un angle légèrement saillant des articulations chondro-costales : c'est ce qu'on appelle le chapetet rachitique. Il existe déjà, à ce moment, entre la côte et le cartilage, une couche de tissus chondroïde et ostéoïde un peu plus épaisse qu'à l'état normal.

A un degré plus avancé, les articulations chondro-costales deviennent de plus en plus lâches; elles arrivent à n'être plus que des syndesmoses très-mobiles. Dès lors, les côtes n'étant plus soutenues en ce point, il s'y fait une flexion permanente. Quelquefois la côte reste saillante et le cartilage s'enfonce au-dessous d'elle; mais le plus souvent, c'est la côte qui rentre en dedans, et le cartilage se luxe sur sa face externe tout en continuant à lui adhérer par le ligament nouveau. Les côtés du thorax sout alors creusés d'une gouttière verticale, superficielle d'abord, puis plus pronon-

(1) De Rachit., p. 272.

(2) Ibid., p. 12, 59, 278.

(3) De Rachitide, p. 36 et 43, Leyde, 1680.

cée et formant une sorte de rainure profonde, ce qui fait ressembler le thorax à la carène d'un navire ou à la poitrine d'un oiseau.

A l'intérieur de la poitrine, on trouve vis-à-vis cette rainure une série de nodosités, une sorte de chapelet interne ; ce sont les extrémités des côtes saillantes dans le thorax.

Il est aisé de se rendre compte de ce qui se passe ici. La paroi thoracique supporte sans cesse la pression atmosphérique dans le mouvement d'inspiration. Elle ne peut plus résister à cette pression , qui l'enfonce et la déprime plus ou moins. Aussi ne voit-on presque plus le thorax se soulever à chaque mouvement inspira-toire. Il s'affaisse plutôt dans le fond de sa double rainure, par suite de sa mobilité nouvelle dans ce point.

On comprend les conséquences d'une telle déformation : la capacité thoracique est moindre qu'auparavant, car l'augmentation du diamètre antéro-postérieur n'est pas une compensation suffisante; les poumons diminuent également de volume, et la respiration devient gênée.

Le premier degré du rachitisme thoracique, le chapelet, existe dès le début de l'affection ; on le trouve chez tous les rachitiques sans exception, et dans les cas les plus légers. On pourrait dire qu'il constitue ce signe pathognomonique unique, que Glisson semble avoir renoncé à trouver. La dépression se rencontre aussi dans un grand nombre de cas, mais elle n'est profonde que dans les plus graves.

Nous allons retrouver sur ces enfants la plupart des faits que je viens d'exposer :

Ier cas. — Enfant âgé de quinze mois; c'est l'exemple que je vous ai annoncé, de cet arrêt de développement intra-utérin décrit par M. Depaul.

La tête, chez cet enfant, n'est pas volumineuse, et la fontanelle fronto-pariétale est petite; le rachitisme crânien est donc peu prononcé. Remarquez la brièveté et la solidité des membres, le boursouflement des chairs, les plis profonds et nombreux qui les sillonnent transversalement. Les jambes offrent une légère courbure congeniale ; vous voyez au thorax une double dépression latérale ; le chapelet est interne. Pour moi, cet enfant est un rachitique qui

a passé par l'état d'éburnation dans le ventre de sa mère, au moins en ce qui concerne les membres.

IIe cas.— Garçon de vingt-huit mois; les membres inférieurs forment la parenthèse; ils sont courbés en dehors, surtout les os des jambes. D'après la mère, cette courbure serait congénitale. Les fontanelles sont fermées, la tête est peu volumineuse et les bosses frontales ne sont pas saillantes. Aux membres supérieurs, pas de courbures ; le rachitisme ne s'y décèle que par le renflement des poignets. Le chapelet du thorax existe, mais sans dépression notable ; rien au rachis.

IIIe cas. — Garçon âgé de quinze ans, ayant la taille d'un enfant de dix ans.

Aucune trace de rachitisme crânien ; pas de saillie exagérée des bosses frontales; volume ordinaire de la tête; chapelet à peine sensible au thorax, ce qui vient de l'ancienneté de l'affection et de sa guérison partielle. Au rachis, vous voyez une double déviation latérale en S, ce qui produit une saillie dorsale droite et une autre lombaire gauche. Il est probable que cette courbure de l'épine date de peu d'années. Membres supérieurs bien conformés; les inférieurs sont un modèle du distortis cruribus d'Horace; les fémurs sont courbés en dehors et en avant ; les genoux sont déviés ; le tibia et le péroné des deux côtés courbés en dedans et en avant ; les tibias élargis en lame de sabre. Il y a évidemment là éburnation des os.

IVe cas. — Enfant de quatre ans et trois mois. Tête un peu grosse, fontanelle ossifiée ; le thorax est déprimé latéralement ; le rachis paraît infléchi, il y a une déviation dorsale latérale droite, avec saillie des côtes du même côté. Les membres inférieurs sont fortement courbés en X, et les genoux se touchent. Les membres supérieurs ont seuls échappé à l'envahissement du rachitisme, qui ne s'y décèle que par le gonflement des poignets.

V« cas. — Enfant de cinq ans ; il vous offre un bel exemple de l'ensellure lombaire par cause rachitique, dont je vous entretiendrai bientôt. La taille est petite, la tête grosse, le thorax déprimé latéralement, avec chapelet bien marqué. Le rachis est droit; le bassin paraît régulier. Les membres supérieurs n'offrent pas de

courbures, mais les poignets sont très-renflés. Les membres inférieurs sont déformés comme chez le précédent, et les genoux déviés en dedans. Nous avons là un cas de rachitisme à la fin de la deuxième période, car il ne reste qu'une très-légère flexibilité dans les os longs.

d. Rachitisme du bassin. — (1) Le rachitisme du bassin participe du rachitisme vertébral par le sacrum, et de celui des membres inférieurs par les os coxaux.

Les déformations du bassin qui dépendent du rachitisme, sont assez rares ou peu considérables dans la première enfance ; elles se manifestent surtout vers l'époque de la puberté, si l'influence du rachitisme se prolonge jusque-là.

Même après la guérison de la maladie, le développement du bassin peut être entravé avec celui du membre inférieur par les causes que j'ai déjà indiquées. Les courbures du rachitisme vertébral, une claudication causée par un ancien rachitisme des membres inférieurs, peuvent aussi, avec l'âge, déformer le bassin ; mais alors ce n'est point par l'influence directe du rachitisme sur cette partie du squelette, ou cette influence n'y concourt que pour une faible part.

Enfin, le rachitisme peut être une prédisposition à l'ostéomala-cie, et l'on sait que les plus grandes déformations du bassin sont produites par cette dernière affection.

Je distinguerai quatre espèces de déformations rachitiques du bassin :

1° Le rétrécissement antéro-postérieur direct; 2° Le rétrécissement oblique ; 3° Le rétrécissement bi-antéro-latéral; l\° Le rétrécissement transversal.

Pour comprendre comment se forment ces variétés de rétrécissements, on peut se représenter le bassin comme un cercle à plan presque vertical, qui serait comprimé dans trois points de sa circonférence, à peu près également distants. Ces trois points correspondent au rachis et aux cavités cotyloïdes.

Dans la première variété, la ceinture osseuse tend à se resserrer

(1) Treizième leçon, 16 août 1856.

de haut en bas, ou clans le sens du diamètre antér o-postérieur, la pression du rachis étant diamétralement opposée à la résultante des pressions exercées sur les cavités cotyloïdes; les pubis se rapprochent du sacrnm. Il ne se fait pas un allongement transversal équivalent, parce que l'arrêt de développement réduit en outre le bassin dans tous les sens. Si la pression est égale à droite et à gauche, si la moitié antéro-inférieure de la ceinture cède également, le bassin reste symétrique et sa circonférence prend la forme d'une ellipse transversale plus ou moins allongée, quelquefois reniforme ou en huit de chiffre, suivant le plus ou moins de saillie du sacrum, le plus ou moins d'enfoncement du pubis.

Dans la deuxième variété , la pression est inégale des deux côtés, l'arrêt de développement frappe surtout une des moitiés latérales. Vous en voyez un exemple sur ce bassin, qui est rétréci du côté gauche. Cette variété des rétrécissements rachitiques du bassin est analogue au bassin oblique ovalaire de Naegele (1), vraisemblablement dû à d'autres causes que le rachitisme.

Dans la troisième variété, les pressions latérales sont assez égales, mais le ramollissement du squelette est inégalement réparti; le corps du pubis résiste plus que les cotyles, qui, cédant à la pression des membres inférieurs, s'enfoncent plus ou moins dans l'intérieur du bassin. Il en résulte un rétrécissement bi-antéro-latéral qui constitue, à un léger degré, le bassin cordiforme, et à un degré plus marqué, le bassin trilobé ou en feuilles de trèfle.

Enfin, dans la quatrième variété, le bassin se resserre directement d'un côté à l'autre. Le sens de ce rétrécissement peut tenir à l'habitude de coucher les enfants sur le côté ou à l'action musculaire. Assez rare ou peu prononcé dans le rachitisme pur, on l'attribue plutôt à l'ostéomalacie, quand il est très-marqué. C'est sans doute à cette dernière affection qu'on doit rapporter cette forme de resserrement transversal que vous avez sous les yeux, et dans laquelle les pubis, inclinés en dedans, se prolongent en avant parallèlement l'un à l'autre, de manière à n'intercepter entre eux qu'un espace très-étroit.

En général, il n'y a point de déformations rachitiques du bassin

(1) Dts principaux vices de conformation du bassin, et principalement du bassin oblique, trad. par A. Danyau. Paris, 1840, in-8°.

sans courbures des membres inférieurs ou de la colonne vertébrale , et elles sont des plus prononcées quand le rachitisme porte à la fois sur les membres et sur le rachis. Vous en voyez un exemple dans ce dessin d'un squelette de la collection de Clamart, frappé de rachitisme général à un haut degré. Le côté gauche du bassin est tellement déformé, qu'il ne reste que deux millimètres d'intervalle entre la base du sacrum et la région cotyloïdienne gauche.

L'influence mécanique des courbures du rachis sur les déformations du bassin dans le rachitisme, et même hors les cas de rachitisme, appartient spécialement aux courbures des dernières vertèbres lombaires. Yoici une série de dessins de courbures latérales du rachis, la plupart non rachitiques, dans lesquelles le bassin est peu ou point déformé, parce que les dernières lombaires ne sont point déviées. Vous voyez le contraire sur ces autres figures qui représentent des déviations de la région lombaire. Il y a rétrécissement oblique du détroit supérieur à gauche, si les dernières vertèbres s'inclinent à gauche; à droite, si elles s'inclinent à droite.

Les effets du rachitisme pelvien se font sentir sur d'autres points que le détroit supérieur. Ainsi, la marge du bassin, l'excavation pelvienne, le détroit inférieur, participent plus ou moins à ces déformations. Habituellement, il existe dans le détroit inférieur un rétrécissement analogue à celui du détroit supérieur; quelquefois pourtant, malgré les déformations du détroit supérieur, l'inférieur est à peine altéré. On l'a même rencontré élargi dans certains sens, comme sur ce bassin de la fille Moselle, où le diamètre bi-scia-tique mesure treize centimètres, c'est-à-dire deux de plus que dans l'état normal. Bùchner (1) cite une jeune fille rachitique et qui était peut-être consécutivement atteinte d'ostéomalacie, chez laquelle les tubérosités sciatiques étaient si rapprochées, qu'on pouvait à peine introduire le doigt dans l'anus.

Je ne puis m'appesantir sur ces détails, pour lesquels je vous renvoie aux traités spéciaux, notamment aux Traités d'accouchements de M. le professeur Moreau, de M. Cazeaux, à la livraison déjà publiée de l'ouvrage entrepris par mon collègue M. Le -noir, au Manuel danatomie pathologique, contenant la Description du musée Dupuytren par M. Houël.

(1) De Rachitide perfectâ etimperfcctd. Argentorati, 1754.

BOUVIER. 4 9

Je vous signalerai seulement les conséquences fâcheuses de ces rétrécissements rachitiques du bassin dans l'acte de l'accouchement. Ces déformations sont quelquefois si considérables, qu'elles s'opposent au passage de l'enfant, et la femme ne peut être délivrée qu'à l'aide d'opérations toujours graves. La fille Moselle, dont vous voyez le bassin, avait subi l'opération césarienne. Ce bassin, assez irrégulier et petit dans tous les sens, est resserré d'avant en arrière au point que le diamètre antéro-postérieur du détroit supérieur n'a que quarante-sept millimètres. La fille Bourée, morte à cinquante-neuf ans à la Salpêtrière, et dont vous voyez le squelette , n'avait pu être délivrée dans deux grossesses que par le broiement de la tête de l'enfant. Le détroit supérieur n'a que six centimètres, au lieu de onze, dans son diamètre antéro-postérieur. La symphyséotomie a été pratiquée sur cet autre bassin, qui est réduit dans tous les sens, et dont le diamètre sacro-pubien n'a que sept centimètres.

e. Rachitisme des membres. — Le rachitisme des membres est sans contredit le plus constant ; celui du thorax peut seul lui être comparé sous ce rapport.

1° Siège des déformations. — Les différentes sections des membres ne sont affectées ni avec la même fréquence, ni à la même époque de la maladie, ni au même degré.

Glisson (1) avait déjà établi que les parties le plus fréquemment et le plus fortement atteintes étaient les os de la jambe ; puis venaient les os de l'avant-bras, et en dernier lieu le fémur et l'humérus.

Depuis Glisson, divers auteurs ont modifié cet ordre de fréquence.

Il faut distinguer, à cet égard, les trois altérations rachitiques principales des os des membres, savoir : 1° l'accumulation des couches chondroïde et ostéoïde; 2° les nœuds des extrémités articulaires ; 3° les courbures des diaphyses ramollies.

D'après les observations de M. Broca $ l'accumulation des couches chondroïde et spongoïde se fait simultanément dans les membres supérieurs et inférieurs, mais en des points différents, qui correspondent aux points où chaque os présente le développement le plus actif; ainsi, à l'extrémité inférieure du fémur, du péroné,

(1) Loc. cit., cap. 21, p. 270.

du radius et du cubitus, à l'extrémité supérieure de l'humérus. Les extrémités opposées des mêmes os s'affectent un peu plus tard. M. Broca a aussi constaté que c'est dans le voisinage des extrémités atteintes les premières que les diaphyses perdent d'abord leur consistance; elles s'altèrent plus tardivement dans le sens opposé. Enfin, c'est à une époque encore plus avancée que ces couches chondroïde et ostéoïde s'accumulent à l'extrémité des métatarsiens, des métacarpiens et des phalanges.

Le renflement des extrémités articulaires, qui constitue la nouure, se manifeste d'abord aux poignets et aux malléoles; il s'étend ensuite aux genoux et même aux coudes.

La courbure des diaphyses est plus fréquente, comme l'avait déjà dit Glisson, aux membres inférieurs, où elle précède, en général, celle des membres supérieurs. Mais elle se voit à peu près aussi souvent au fémur qu'à la jambe; seulement celle-ci subit ordinairement de plus grandes déformations. L'avant-bras se courbe avant l'humérus, et bien plus souvent que lui; l'omoplate se déforme peu et rarement; mais la clavicule s'infléchit peut-être plus fréquemment que l'avant-bras.

Ce peu de mots vous permettra de juger de la valeur réelle d'une prétendue toi d'après laquelle « les déformations rachitiques procéderaient successivement de bas en haut, » depuis les os de la jambe jusqu'aux membres supérieurs, au rachis et au crâne. Vous savez déjà que la déformation du thorax, le chapelet ra-chitique, accompagne toujours et précède souvent toute courbure des membres. Depuis que je vous ai signalé ce fait, j'ai été heureux d'apprendre, en lisant la thèse de M. Beylard, que M. Trousseau considère, ainsi que moi, la déformation des côtes comme un symptôme constant, comme un signe pathognomoniquedu rachitisme; que l'éminent professeur attribue, comme moi, l'absence de ce signe, dans certains cas de rachitisme ancien, à ce qu'il a disparu dans la période de rêossification.

Cette exception à la loi de bas en haut n'est pas la seule; le crâne se déforme avant le rachis, celui-ci avant le bassin, la clavicule avant l'humérus.

II ne reste donc de cette prétendue loi que ce que Glisson avait déjà reconnu , savoir, que les membres inférieurs se courbent avant les supérieurs, et, dans les uns et les autres, le segment inférieur,

19.

la jambe, Pavant-bras, avant le segment supérieur, le bras, la cuisse; encore faut-il probablement faire une réserve pour le fémur.

Je n'insisterai pas davantage sur une erreur dont il me serait facile de montrer les causes; il sera plus utile de jeter un coup d'œil sur les conditions qui déterminent les points sur lesquels le rachitisme porte son action.

Deux circonstances semblent décider, en général, du lieu où le mal sévit avec le plus d'intensité ; ce sont : 1° l'état de l'ossification au moment du début de la maladie ; 2° l'intensité d'action des forces extérieures susceptibles de modifier la conformation des os.

Au premier point de vue, on peut dire, en donnant un peu plus d'extension à la loi de M. Broca, que, toutes choses égales d'ailleurs, le rachitisme affecte principalement, à son début et pendant sa durée , les régions qui offrent la plus grande activité de développement aux époques correspondantes de l'état physiologique, tandis que les os dont le plus grand développement est antérieur ou postérieur à l'invasion de la maladie en ressentent moins les effets. Je citerai comme exemples : les vertèbres, ossifiées de si bonne heure dans leur partie centrale, et, d'un autre côté, le bassin qui s'accroît si lentement dans le jeune âge, les os du carpe et du tarse, dont l'ossification est si tardive, et que le rachitisme atteint à peine.

Au second point de vue, il est évident qu'à égale diminution de résistance, les parties les plus altérées par le rachitisme sont celles que les puissances extérieures tendent le plus à déformer. Voilà pourquoi le thorax, les membres abdominaux, siège tout à la fois d'un développement actif et d'efforts mécaniques puissants, sont les parties les plus maltraitées par la maladie. Le crâne se trouve dans les mêmes conditions.

Il résulte de ces influences, jointes aux causes spéciales de la maladie, plusieurs associations ou combinaisons de déformations osseuses qu'on rencontre le plus communément et qui sont autant de formes symptomaliques du rachitisme. 11 est aussi des combinaisons exceptionnelles, dans lesquelles on voit apparaître certaines déformations habituellement tardives, sans qu'elles soient accompagnées de la plupart de celles qui les précèdent dans l'évolution la plus ordinaire de la maladie.

Il ressort de tout ceci que l'âge doit influer sur le siège spécial

des déformations osseuses. Sur 16k enfants rachitiques dont j'ai fait autrefois le relevé, 3 seulement présentaient des courbures de l'humérus. Mais sur ce nombre, il ne se trouvait que 6 enfants au-dessous de deux ans. Il n'est pas douteux qu'il se fût trouvé plus de courbures du bras, si les enfants avaient été plus jeunes. La marche a une influence réelle sur le développement des courbures rachitiques aux membres inférieurs; mais il ne faut pas exagérer cette influence, et je ne sais si l'on peut dire avec M. Rufz (1) que, avant la marche , la déformation porte plus souvent sur les membres supérieurs que sur les inférieurs. Les vingt exemples de rachitisme rassemblés par cet excellent observateur ne me paraissent pas assez nombreux pour renverser l'ordre établi par Glisson. Même dans le rachitisme congénial, il peut arriver que les membres inférieurs soient les seuls déformés. Ce fœtus de huit mois vous présente des courbures très-prononcées aux membres abdominaux, et une rectitude presque complète des membres thora-ciques. Les cas de rachitisme congénital éburné, que vous avez vus dans la précédente séance, et le sujet dessiné de Chaussier, offraient des déformations aussi étendues aux membres inférieurs qu'aux supérieurs.

2° Causes, sens des courbures. — On a longtemps discuté sur les causes de la courbure des os dans le rachitisme. Les théories opposées de Glisson et de Mayow sont trop exclusives. A mon avis, J. L. Petit, malgré des erreurs de détail, a bien indiqué ces causes, qui sont, dit-il, au nombre de quatre, savoir : la mollesse des os, la contraction des muscles, le poids du corps et la courbure naturelle des os. Il faut y ajouter seulement les pressions extérieures et certaines modifications de nutrition qui ne peuvent s'expliquer par les autres causes.

Nous allons examiner rapidement les courbures de chaque os des membres en particulier, en faisant ressortir quelques faits généraux relatifs à la constance plus ou moins grande de certaines déformations.

La clavicule suit une loi bien simple dans sa déformation. Ses courbures s'exagèrent par la pression que supportent ses deux extrémités. De plus, sa courbure interne, à convexité antérieure et

(1) Gaz. méd., 1834.

un peu supérieure, s'accroît près de l'extrémité sternale, en changeant un peu de direction. 11 se produit, dans ce point, une flexion plus ou moins brusque à sinus inférieur et postérieur, quelquefois un angle, simulant un cal vicieux. Il est impossible de ne pas voir, dans cette disposition, l'effet du poids du membre supérieur agissant de haut en bas sur l'extrémité externe de l'os, appuyé et fixé sur le sternum par l'extrémité opposée.

L'omoplate offre souvent une déformation le long de son épine; elle présente aussi des renflements partiels. Voici un scapulum plié en deux d'arrière en avant, vers le milieu de la fosse sous-épineuse. Le sujet était âgé, atteint de déviation vertébrale et probablement rachitique.

L'humérus se courbe dans un sens à peu près constant. C'est ordinairement un peu au-dessous de sa partie moyenne , rarement plus haut, que se produit la courbure, dont la convexité est dirigée en dehors, ou en avant et en dehors, ou quelquefois plus directement en avant. C'est la direction qu'elle présente sur ces os d'enfants, ainsi que sur la plupart des pièces décrites par Daubenton (1) et par M. Lacroix (2), comme sur celles de M. Trousseau dont il est question dans la thèse de M. Beylard. Il peut cependant arriver, par exception, que la convexité de cette courbure regarde en dedans; le n° 500 du musée Dupuytren en serait un exemple, d'après la description de M. Lacroix.

Il n'est pas facile de trouver dans la seule action musculaire la cause de cette courbure de l'humérus. La flexion de l'os répond à son bord interne, et il n'y a pas de muscle qui puisse le courber dans ce sens. Je crois que c'est le poids du membre qui tend à fléchir l'humérus dans les cas de ce genre, quand le bras est soulevé par le deltoïde. Mais les muscles triceps-brachial, grand pectoral et grand dorsal, peuvent concourir plus directement à l'inflexion de l'os dans quelques variétés de courbures.

L'avant-bras se fléchit généralement d'arrière en avant, du côté dorsal au côté palmaire. En voici un cas où la courbure est aussi anguleuse que dans une fracture. Il paraît naturel d'attribuer cette

(1) Buffon, Histoire naturelle de l'homme, t. II, Description du Cabinet , os difformes.

(2) Musée Dupuytren. Paris, 1842, 2e partie, p. 676.

courbure à la prédominance d'action des muscles fléchisseurs sur les extenseurs. La légère courbure normale des os dans ce sens favorise encore cette action. On a vu les deux os courbés inégalement, ou même l'un rester droit, tandis que l'autre était infléchi, légèrement à la vérité.

Le fémur, coudé supérieurement, infléchi dans toute sa longueur, tordu sur lui-même, présente une exagération de toutes ces courbures naturelles. Son col devient horizontal, quelquefois même il forme un angle aigu ; le grand trochanter est dirigé en arrière ; la diaphyse décrit une grande courbure à convexité antérieure ou antéro-externe ; cette convexité peut aussi être tournée directement en dehors. Il en résulte que l'axe de la tête du fémur n'est plus en rapport avec celui du cotyle, et que la tête tend à se luxer vers le trou ovalaire. Cette situation de la tête fémorale, l'obliquité augmentée de la partie supérieure de la diaphyse, forcent le bassin de s'incliner en avant; le sacrum se relève en arrière; de là cette conformation en forme de croupe, cette ensetlure lombaire que je vous faisais remarquer dernièrement sur un de nos enfants.

Les courbures de la partie inférieure du fémur, quand elles sont considérables, changent tout à fait la situation de son extrémité articulaire et donnent aux condyles, et par suite aux genoux, les directions les plus bizarres.

Chez les enfants qui marchent, il est facile d'expliquer toutes les inflexions du fémur par l'action du poids du corps, à laquelle s'ajoute, dans certains cas, la contraction des muscles. Chez les enfants qui ne marchent pas, cette contraction doit être le principal agent des courbures. Il faut aussi tenir compte, dans ce dernier cas, et même dans le premier, du poids de la partie inférieure du membre, lorsque la cuisse est soulevée par l'action de ses muscles, du psoas-iliaque par exemple.

C'est à la jambe qu'on observe le plus de variétés dans la courbure des os, courbure presque toujours semblable au tibia et au péroné. J'en distinguerai six espèces.

La courbure en dedans est la plus commune; elle peut être parr tielle ou générale- Quand les deux jambes sont ainsi conformées, et que les fémurs sont en même temps courbés en dehors, les membres ont la figure de deux S. Si tout le membre abdominal est dévié en dedans, des deux côtés, ils ont la forme de la lettre X.

Dans ce cas, les genoux se touchent ou même se croisent, et les pieds sont fortement écartés.

La courbure en dehors est également assez fréquente ; elle peut aussi être partielle ou générale. Si elle fait suite à celle du fémur, les deux membres inférieurs, arqués dans toute leur longueur, ont l'aspect de deux grandes parenthèses. Dans celte variété, les pieds sont portés à la rencontre l'un de l'autre.

La courbure en avant est un peu moins commune; celle en arrière est encore plus rare.

Les courbures peuvent aussi être concentriques, opposées aux deux membres, en forme de guillemets.

Quelquefois enfin, il existe une double courbure en S dans un seul membre ou d'autres formes plus bizarres. Sur les fœtus atteints de ce que j'appellerais volontiers le rachitisme congenial éburné, au moins sur les pièces que j'ai pu voir, le tibia et le péroné de la même jambe sont courbés en sens contraire, comme l'a déjà fait remarquer M. Depaul. Les os de chaque jambe dessinent ainsi la lettre O, ou une sorte de D, la courbure du péroné étant moins marquée que celle du tibia.

Les causes des courbures des jambes sont variées. Nous retrouvons encore ici l'influence du poids du corps, des courbures naturelles, l'action musculaire, et l'effet produit par le poids du pied quand le membre est soulevé.

Les articulations participent plus ou moins à ces déformations. Les ligaments sont distendus; il se fait même des subluxations, à la cuisse, par exemple. Les genoux éprouvent deux sortes de déviations, en dehors et en dedans. Ces déviations résultent d'un affaissement partiel des extrémités articulaires du fémur et du tibia. Des déviations semblables peuvent se produire sans rachitisme, par des causes purement mécaniques.

3° Effets des déformations. — Vous comprenez tous les effets fâcheux de ces difformités pour la locomotion. D'une part, la direction vicieuse des os fait porter obliquement le poids du corps sur les surfaces articulaires et sur la base de sustentation, ce qui rend la station plus ou moins pénible. D'une autre part, l'inégalité des courbures à droite et à gauche peut entraîner l'inégalité de Ion-

gueur et produire la claudication. Certains individus sont réduits à l'état de cul-de-jatte par l'énorraité de leurs déformations.

L'examen que nous allons faire d'un certain nombre d'enfants vous fera juger de la diversité des combinaisons que les déformations rachitiques peuvent former.

Ier cas. — Le premier est un enfant de nos salles, âgé de quatre ans et demi. La tête est assez volumineuse, les bosses frontales sont un peu saillantes, les fontanelles fermées. C'est un rachitisme crânien guéri. La colonne vertébrale est droite; l'omoplate normale ; les clavicules sont courbées presque angulairement des deux côtés, à leur partie interne. Au thorax, le chapelet est peu marqué. L'humérus gauche est presque droit; l'autre humérus présente une courbure prononcée, mais qui provient d'une fracture; les avant-bras sont légèrement courbés, les poignets très-renflés. Enfin les membres inférieurs offrent, de haut en bas, une courbure en S. L'enfant marche, mais se fatigue promptement.

IIe cas. — Ce second enfant vous a déjà été montré comme exemple des nombreuses difformités qui peuvent compliquer les pieds bots {voyez page 231). Aujourd'hui, je veux vous faire remarquer la courbure antérieure de ses tibias, courbure rachitique qui a succédé à la contracture des triceps suraux. Il est rare que la courbure provienne d'une semblable cause.

IIP cas. — Voici un enfant de quatre ans et demi, qui a beaucoup souffert en nourrice. La mère nous dit qu'il marchait à huit mois; mais, depuis ce moment, il n'a pu se tenir sur ses jambes. Aujourd'hui, il commence à faire quelques pas sans soutien. Cet enfant n'a pas de signes de rachitisme crânien ; la colonne vertébrale est droite; les clavicules sont courbées, la droite plus que la gauche; bras et avant-bras courbés, nœuds peu considérables; thorax déprimé latéralement, avec chapelet; les membres inférieurs offrent la disposition de guillemets.

IVe cas. — Chez cet autre, âgé de quatorze mois, nous trouvons les particularités suivantes : fontanelles très-larges, tête assez volumineuse; rien aux clavicules; rachis très-déformé, courbure à convexité dorsale gauche, produisant une gibbosité postéro-latérale. La courbure ne s'efface pas entièrement par la suspension.

Au thorax, chapelet volumineux, aplatissement latéral. Rien aux bras; légère courbure aux avant-bras. Aux membres inférieurs, il y a une légère courbure des fémurs; les jambes sont presque droites et les genoux déviés en dedans. Cet enfant n'a pas encore marché.

On sait que la courbure dorsale latérale présente ordinairement sa convexité à droite ; le contraire est une exception rare. Mais cette règle ne s'applique qu'aux déviations essentielles; les courbures à gauche sont beaucoup plus communes dans les inflexions rachitiques de la première enfance. Cet enfant vous en offre un exemple.

Ve cas. — Voici un garçon âgé de treize ans et demi, qui n'a marché qu'à huit ou neuf ans. Il n'y a plus chez lui de rachitisme crânien; les clavicules et le rachis n'offrent pas de déformations. Au thorax, le chapelet est à peine sensible, mais il a dû être bien plus marqué. Les humérus sont courts relativement aux avant-bras. La déformation porte principalement sur les membres inférieurs; la courbure antérieure des fémurs est exagérée; mais l'en-sellure existe à peine, parce que ce garçon se tient fortement penché en avant. Les tibias, élargis en lame de sabre, sont courbés en dehors et en avant ; les rotules sont placées en dehors.

VIe cas. — Chez cette petite fille, âgée de quatre ans, la déformation porte surtout sur le thorax, qui est très-déprimé latéralement ; le sternum est saillant en forme de carène. Les membres sont à peu près droits; la clavicule gauche est courbée; le rachis offre une courbure lombaire à convexité postérieure, qui se redresse presque entièrement dans l'extension.

VIIe cas. — Enfin, chez cet enfant âgé de dix-neuf mois, nous trouvons la fontanelle presque fermée; il n'y a donc pas eu ici de rachitisme crânien. La maladie s'est portée sur les poignets, qui sont renflés, sur le thorax, qui est un peu déprimé latéralement; chapelet très-prononcé; le rachis droit; les deux jambes, courbées en dehors, forment la parenthèse; les fémurs sont peu courbés; les membres supérieurs droits.

II. Lésions des parties molles. — (1) Nous avons étudié les altérations que produit le rachitisme dans le tissu osseux et dans

(1) Quatorzième leçon, 22 août 1856.

toutes les parties du squelette; voyons ses effets dans les autres organes.

Ces altérations portent tantôt uniquement sur les propriétés physiques extérieures des organes, tantôt sur leur texture intime. La plupart sont des effets consécutifs des lésions osseuses. Quelques-unes précèdent ou accompagnent ces lésions, soit à titre de complications, soit parce qu'elles se lient à l'action des causes qui ont produit la maladie.

A. Le cerveau n'est modifié que dans son volume, qui est en rapport avec le développement du crâne. C'est une sorte d'hypertrophie de la masse cérébrale, qui semble due à la résistance moindre de son enveloppe solide. Dans l'ordre physiologique, l'antagonisme du cerveau et de sa boîte osseuse est marqué, chez le foetus et le nouveau-né, par la prédominance de l'expansion cérébrale, tant que le crâne est en grande partie membraneux. Le crâne l'emporte à son tour, et borne l'accroissement du cerveau, quand ses diverses pièces acquièrent plus de densité. Or, le rachitisme crânien prolonge l'état fœtal et l'exagération du développement cérébral.

Glisson (1) a déjà noté que le cerveau est souvent parfaitement sain dans ce cas; il n'a signalé que chez quelques enfants un épan-chement séreux plus ou moins abondant. Cet épanchemenl, quand il ne constitue pas une hydrocéphalie, n'est pas inhérent au rachitisme; il se rapporte plutôt à la maladie qui a fait mourir l'enfant.

Il va sans dire qu'on n'observe pas ce grand développement du cerveau si le rachitisme affecte peu le crâne. Vous avez pu constater avec moi que c'est surtout quand la maladie se montre de très-bonne heure, qu'il y a rachitisme crânien, et par conséquent excès de développement cérébral.

Cet état du cerveau a pour conséquence physiologique la prédominance fonctionnelle du système nerveux; de là une vive irritabilité nerveuse, une disposition aux affections cérébrales; de là aussi cette intelligence précoce attribuée aux rachitiques, mais que leur refuse Buchner (2), et qui est en effet beaucoup moins constante qu'on ne le croit généralement.

(1) Loc. cit., cap. 2, IV.

(2) Loc. cit., § 13, p. 16.

B. On a dit que le cou est plus court chez les enfants rachi-tiques, le larynx plus petit et plus étroit. Mais il faut des recherches plus nombreuses et plus précises, pour accepter ces résultats.

J'en dirai autant de l'augmentation de volume des artères carotides et des veines jugulaires observée par Glisson (1) dans ses dernières autopsies. Je ne sache pas que d'autres observateurs aient porté leur attention sur cette particularité.

C. Les viscères thoraciques sont modifiés d'une manière remarquable dans le rachitisme très-prononcé des côtes et du sternum.

Le thymus, dit Glisson (2), est veut-être plus développé ; on n'a pas, je crois, examiné cet organe sous ce point de vue, depuis Glisson.

Le cœur est plus rapproché de la paroi thoracique, ce qui donne lieu à une matité plus étendue du côté gauche et à une absence du bruit respiratoire dans des points où on l'entend ordinairement. MM. Rilliet et Barthez(3) ont vu, en outre, le cœur quelquefois déformé, plus souvent dévié ; déformé, quand les nodosités costales internes s'impriment sur sa surface ; dévié, lorsqu'elles repoussent son bord gauche en avant et font tourner l'organe sur son axe, de manière à diriger sa face antérieure à droite. Les mêmes auteurs citent deux cas d'hypertrophie du cœur, paraissant produite par la compression que ce déplacement, porté fort loin, lui avait fait subir.

Ce sont surtout les poumons qui portent les traces de cette pression des parois thoraciques. Les renflements costaux s'enfoncent dans leur tissu, y creusent une sorte de rainure verticale, au niveau de laquelle le poumon est aminci, d'une couleur plus foncée ; il est aussi plus dense et moins aéré qu'à l'état normal. Cette altération s'étend plus ou moins loin, suivant le degré de dépression des côtes ; les poumons deviennent emphysémateux dans d'autres points.

Les conséquences de cet état des voies aériennes se comprennent facilement : la respiration est courte, haletante, plus ou moins

(1) hoc. cit., c 2, IV, p. 16.

(2) Cap. 2, III, p. 15.

(3) Déformations de ta poitrine , dans le Journal des connaissances mèdic.-chirurg., avril 1840.

gênée. On entend souvent, au lieu du murmure respiratoire, un souffle presque bronchique qui pourrait faire croire à une pneumonie. Les sujets sont exposés à de fréquentes affections de l'appareil respiratoire, maladies toujours graves, parce qu'elles portent sur des sujets débiles; les petits enfants rachitiques de cet hôpital y meurent très-souvent de pneumonie. Cependant on ne doit pas toujours, dans ce cas, juger de la gravité de l'affection pulmonaire par le degré de la dyspnée, parce que la déformation du thorax ajoute à la gêne de la respiration.

D. Les viscères abdominaux paraissent volumineux ; mais le développement de l'abdomen en forme de globe est dû à trois circonstances : à l'abaissement du diaphragme, au resserrement des côtes , à la flexion antérieure du rachis, qui réduisent la capacité abdominale et poussent les viscères en avant. La portion abdominale du thorax osseux, soulevée par ces viscères, est plus dilatée que sa portion pulmonaire, et c'est aux fausses côtes que commence ce contraste entre le volume de la poitrine et celui de l'abdomen. Les gaz intestinaux , toujours abondants chez les enfants, le sont encore un peu plus, comme le dit Glisson (1), chez les rachitiques , et augmentent la tension de la paroi abdominale.

On a dit que le foie était plus développé qu'à l'état normal, et Glisson (2) ajoute que, quoique plus volumineux, en général, il n'est pas autrement altéré. Je ne connais pas d'observations modernes faites sur ce point.

Les lésions du tube digestif n'ont d'ailleurs rien de spécial dans le rachitisme. L'entérite, le ramollissement de la muqueuse intestinale, l'engorgement des ganglions mésentériques, ne paraissent pas plus fréquents dans cette affection que dans d'autres conditions de l'organisme.

E. On observe des tubercules chez les rachitiques. Glisson (3) avait déjà noté ce fait. Portai (4), qui l'a également observé, en a conclu qu'il y avait un rachitisme scrofuleux; mais il a eu le tort d'y comprendre le mal vertébral de Pott. Lugol a été plus loin; il range

(1) De Rachitide, cap. 2, II, p. 13.

(2) Cap. 2, II, p. 12.

(3) Cap. 2, II, III.

(4) Du Rachitisme, p. 74, 78 et suiv., 1797.

simplement le rachitisme parmi les affections scrofuleuscs. Les tubercules et les scrofules peuvent, en effet, déterminer le rachitisme dans certains cas; mais, dans d'autres, ils lui succèdent au contraire ou l'accompagnent comme une complication ou une simple coïncidence. On ne voit pas plus de tuberculeux chez les rachi-tiques que chez les enfants non rachitiques, ni plus de rachitiques parmi les enfants scrofuleux que parmi les autres.

MM. Rufz (1) et Guersant (2) ont même avancé que les tubercules étaient moins fréquents dans le rachitisme que chez les enfants qui succombent à d'autres maladies. Mais les vingt cas recueillis par M. Rufz ne suffisent pas pour justifier cette assertion.

M. Hervieux (3), de son côté, a été frappé de l'existence du rachitisme chez le tiers des enfants tuberculeux qu'il a examinés au nombre de 31, depuis la naissance jusqu'à l'âge de trois à cinq ans. Il est regrettable que ce laborieux observateur n'ait pas recherché en même temps la proportion des rachitiques parmi les enfants non affectés de maladies tuberculeuses. Les tubercules sont rares, en effet, de la naissance à l'âge de trois ans ; le rachitisme règne au contraire précisément dans cette période. Il est donc possible que la forte proportion de rachitiques parmi les tuberculeux de M. Hervieux , dépende de la fréquence du rachitisme dans les premières années de la vie. C'est peut-être par la même raison que M. Rufz n'a trouvé que 6 tuberculeux parmi ses 20 rachitiques, dont 13 avaient moins de deux ans et demi.

MM. Décès et Brûlé, internes de nos services de scrofuleux, ont bien voulu, sur ma demande, relever le nombre des enfants de leurs salles qui portent des marques de rachitisme actuel ou ancien. Ils n'en ont trouvé que trois ou quatre sur cent. Cette proportion n'est certainement pas supérieure à celle qu'on trouverait dans toute autre réunion d'enfants non affectés de scrofules.

En définitive, il n'existe pas une liaison nécessaire entre le rachitisme et les scrofules ou les tubercules. Mais il n'y a pas d'antagonisme entre ces affections ; je dirai même qu'il y a une certaine

(1) Gaz. méd., 1834.

(2) Dict. de médecine, article Rachitis, 2eédit., t. XXVII, 1843.

(3) Mémoire inédit, et : Barthez et Rilliet, Maladies des enfants, t. III, p. 333 et 366, 2e édit., 1854.

affinité qui les rapproche souvent, principalement au point de vue étiologique. Cette affinité est surtout manifeste lorsqu'on voit les mêmes enfants, atteints de rachitisme dans leurs premières années, l'être plus tard de scrofules ou de tubercules. Il semble que les mêmes causes puissent engendrer les scrofules ou les tubercules h une époque de la vie, et le rachitisme à une autre époque, comme elles paraissent, dans des cas exceptionnels, produire à la fois les premières lésions et la seconde.

F. Le système musculaire des enfants rachitiques offre deux genres d'altérations. D'une part, il souffre dans sa nutrition; les muscles sont mous, pâles, amincis ; d'autre part, ce système participe aux vices de direction et de configuration des os.

C'est surtout aux membres que le système musculaire est ainsi profondément modifié. Le temps a fait justice de la bizarre hypothèse de Mayow (1), qui expliquait mathématiquement la courbure des os par le défaut d'accroissement des muscles, devenus trop courts pour la distance de leurs extrémités d'insertion. Ce qui est vrai, c'est que les muscles, après avoir concouru activement par leur contraction à la déformation des os, s'accommodent à la longue, en vertu de leur force tonique de rétraction, aux dimensions inégales des espaces qu'ils parcourent, s'étendent, s'allongent sur la convexité des courbures, et se raccourcissent dans le sens de leur concavité ; ils tendent à former la corde des arcs osseux du côté de la concavité.

Mais, dans ces modifications qu'éprouve le système musculaire, il faut distinguer les muscles profonds et les superficiels. Les premiers , adhérents aux os dans presque toute leur longueur, ne peuvent s'en écarter et leur restent parallèles. Telle est la disposition du vaste interne du bras, dans la courbure de l'humérus en dehors; du fléchisseur profond des doigts, du long fléchisseur du pouce, par rapport à la courbure du cubitus et du radius ; celle des muscles fixés le long de la ligne âpre, dans la courbure du fémur; des muscles de la couche profonde de la jambe, dans les diverses courbures du tibia et du péroné, etc.

Les muscles superficiels, au contraire, faiblement bridés par leurs aponévroses d'enveloppe, s'écartent des os et se tendent

(1) DeRachitide, p. 46 et suiv,, Leyde, 1680.

entre les deux extrémités de l'arc osseux, en décrivant des courbes beaucoup moins prononcées que celles des os.

Cette disposition des muscles concourt avec le changement de configuration des os à transformer totalement l'aspect extérieur des membres. En voici un exemple sur ce dessin d'une femme morte à la Salpêtrière, à l'âge de soixante-neuf ans. La déformation considérable des membres inférieurs avait réduit sa taille à un mètre. Les jambes sont non-seulement contournées, mais encore aplaties et étalées en travers, tant au niveau des os que dans leur portion charnue.

Il faut remarquer néanmoins que les muscles ne sont pas toujours raccourcis, dans leur totalité, en proportion de la brièveté qu'ils présentent vis-à-vis des os déformés, parce que les articulations sur lesquelles ils passent sont souvent infléchies en sens inverse du membre incurvé, et que l'élongation qu'ils éprouvent par suite de cette circonstance compense le raccourcissement que la courbure osseuse leur a fait subir. Vous avez vu, dans la dernière séance, le triceps sural ainsi allongé par la flexion exagérée du pied dans une forte courbure de la jambe en avant.

Une brièveté absolue, suffisante pour produire la tension et la résistance des muscles lorsqu'on veut effacer la courbure des os, est donc un fait moins commun qu'on ne pourrait le croire au premier abord. J'ai vu cette tension principalement dans les muscles insérés par leur extrémité inférieure à l'os incurvé, tels que le rond pronateur, à l'avant-bras, le pectine, les premier et second adducteurs, à la cuisse, etc.

Les muscles éprouvent encore des déplacements partiels qui ne sont pas sans influence sur leur action, et qui, en général, tendent plus ou moins à gêner leurs fonctions. La pièce n° 509 du musée Dupuylren présente un tibia du côté gauche qui est droit dans ses deux tiers supérieurs, fortement courbe en arrière à son tiers inférieur, et, de plus, tordu sur lui-même dans son quart inférieur, de manière que la malléole interne se dirige en arrière, et la facette pé-ronière du tibia en avant et en dehors. Les tendons de la partie inférieure de la jambe décrivent, dans un cas pareil, des spires, avant de parvenir à leur destination. Le triceps crural est déplacé de même dans les déviations du genou en dedans; la rotule est alors entraînée en dehors et à moitié luxée sur le fémur; cette dis-

position change tout à fait l'action des extenseurs de la jambe.

G. Chez les rachitiques, les vaisseaux et les nerfs, beaucoup moins retráctiles que les muscles, suivent plus ou moins exactement la courbure des os. Les artères, en particulier, décrivent, en outre, des flexuosités comparables à celles des vaisseaux du même ordre dans l'état de vacuité des organes creux ou très-mobiles, susceptibles de varier de dimensions, comme l'estomac, l'utérus, la langue, l'iris, etc. Vous voyez cette disposition sur cette préparation du squelette et des artères d'un enfant rachitique de deux à trois ans.

III. Origine des lésions rachitiques. — L'anatomie pathologique n'est pas seulement l'étude de la nature morte ; elle a aussi pour mission de rechercher l'origine des désordres qu'elle signale. a ce point de vue, nous avons à nous demander maintenant comment s'accomplissent les altérations analomiques, et, en particulier, les transformations du tissu osseux qui constituent le rachitisme.

Glisson (1), et presque tous les auteurs après lui, ont cherché avec raison au delà des os les causes de leur ,vice de nutrition ; car l'opinion qui fait consister le rachitisme de l'enfance en une inflammation locale n'est pas soutenahle. Je ne parle pas de l'ostéomala-cie des adultes, à laquelle l'inflammation prend peut-être plus de part.

Malheureusement, les desiderata de la science nous laissent encore dans une grande incertitude sur ces causes premières du rachitisme ; aussi les hypothèses n'ont-elles pas manqué à ce sujet.

Il y a juste cent ans, le médecin Navier (2) se livrait, après Ruysch, à de nombreuses expériences sur le ramollissement des os par les acides, à l'occasion de la curieuse observation de la femme Supiot, qui venait d'être publiée par Morand (3). Navier concluait que la maladie de la femme Supiot avait été produite par des principes acides, sortes de levains rachitiques mêlés à toutes les humeurs. C'était d'ailleurs l'opinion de Morand lui-même ; Boerhaave

(1) hoc. cit., c. VI, p. 58.

(2) Observations sur ramollissement des os. Paris, 1755.

(3) Histoire de la maladie singulière et de l'examen d'une femme devenue en peu de temps contrefaite par un ramollissement général des os. Paris, 1752, in-12.

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professait également, dans ses Éléments de chimie, que le ra-chitis dépendait de ce que les sels acides de l'estomac ne subissaient pas, comme à l'ordinaire, la transformation alcaline en passant dans la masse des humeurs. Beaucoup d'autres depuis ont proposé la même explication; on l'a appuyée, à l'exemple de Morand, sur le fait de la présence du phosphate de chaux en plus grande abondance dans les urines, fait qui aurait besoin lui-même d'être vérifié et dont il faudrait surtout mieux déterminer les conditions spéciales.

Il est vrai que les sels calcaires manquent dans les os rachitiques ; mais est-ce parce qu'ils manquent dans le sang, ou parce qu'ils sont éliminés par d'autres voies? Ou bien parce que le tissu vivant de l'os est devenu incapable de les retenir et de se les approprier? Questions à peu près insolubles dans l'état actuel de nos connaissances. Quant à la prétendue dissolution des os par des humeurs acides, elle n'appartient plus qu'à l'histoire de la science.

Ce que nous savons, c'est que la grande fonction de Yostéose, dans l'enfance , exige une activité fonctionnelle spéciale, une énergie particulière de tous les organes qui servent à la nutrition, un concours favorable des éléments du dehors introduits dans l'organisme. Quand ces conditions manquent, la formation osseuse est suspendue, il y a rachitisme.

M. Broca (1) a trouvé les premiers caractères anatomiques du rachitisme, ce qu'il nomme le rachitisme latent, sur presque tous les enfants affaiblis, amaigris, au-dessous de quatre ans, dont il a eu occasion d'examiner les os. Aussi est-il très-disposé à ne voir dans le rachitisme, avec Portai (2), avec Pinel (3), qu'un effet symptomatique de toutes les maladies capables de troubler la nutrition dans l'enfance. Toutefois M. Broca réserve l'avenir, et nous pensons qu'il agit sagement. Des faits nouveaux nous dévoileront peut-être un jour la spécificité du rachitisme. Si, en effet, la débilité joue un grand rôle dans la production de cet état pathologique, elle n'en est pas l'élément unique. Sans cela, on ne verrait pas, dans cet hôpital, des enfants minés par une maladie chronique,

(1) Recherches sur le rachitisme, p. 53 et 75.

(2) Du rachitisme, introduction, p. 7.

(3) Nosographie philosophique, 5e édit., 1813, t. III, p. 391.

réduits au dernier degré de marasme, ne présenter encore que les lésions du rachitisme latent; tandis que d'autres, dont la constitution est beaucoup moins altérée, ont le système osseux profondément déformé.

Quoi qu'il en soit, le seul fait qui nous soit bien connu , dans l'étiologie du rachitisme, c'est celui qui se rattache à cette doctrine d'un simple arrêt de la production osseuse par la diminution de la vitalité générale de l'organisme. C'est le seul mode d'action que nous puissions saisir dans les causes déterminantes du rachitisme.

Ces causes sont : l'hérédité, les maladies de l'enfance, l'humidité et autres conditions atmosphériques insalubres, une mauvaise alimentation.

A. Quand des parents rachitiques dans leur enfance donnent le jour à des enfants chétifs et rachitiques à leur naissance ou peu après, quand des parents scrofuleux, vénériens, d'une faible constitution ou trop âgés, donnent des produits semblables, l'influence héréditaire paraît incontestable. Le rachitisme congénital ne peut dépendre que de causes de cette nature ou de circonstances propres à la mère pendant la gestation, ou enfin des conditions particulières qui gênent le développement du fœtus dans l'utérus, comme la compression du système vasculaire de l'un des fœtus dans les grossesses doubles, etc.

B. Rien de plus commun que de voir le rachitisme se développer à la suite des maladies éruptives, des fièvres aiguës, des entérites et autres affections du tube digestif, ou bien après les orages de la dentition. Ce sont encore des causes débilitantes, comme les tubercules et les scrofules, dont j'ai parlé précédemment.

C. On peut en dire autant de l'humidité, de l'insalubrité de l'air et des habitations, de la malpropreté, qui entrent certainement pour beaucoup dans la production du rachitisme si fréquent chez les enfants pauvres des cités populeuses.

D. La mauvaise alimentation a toujours été considérée comme une cause très-active du rachitisme. C'est celle, en effet, qui influe le plus directement sur la composition du sang et sur les phénomènes nutritifs qui en dépendent, tels que le développement et l'accroissement des os. Le rachitisme n'est alors qu'un fait particulier du trouble général de la nutrition.

Mais on a dit, en outre, que la composition, la nature des aliments , exerçaient une influence directe sur la formation des os, que certaines nourrices, par exemple, dont le lait contenait une faible quantité de sels calcaires, pouvaient produire le rachitisme chez leurs nourrissons. Sans nier cette influence d'une manière absolue, je ne connais pas un seul fait qui prouve qu'elle soit réelle. On a cité des expériences sur des oiseaux, qui seraient devenus rachitiques par l'usage exclusif d'aliments dépourvus de sels calcaires. Ces expériences sont trop délicates pour qu'on puisse en bien apprécier la portée, avant qu'elles aient été répétées et vérifiées par plusieurs observateurs.

On a prétendu encore que la nourriture animale était une cause de rachitisme chez les enfants très-jeunes; et on aurait rendu de petits chiens rachitiques en les nourrissant de viande au lieu de lait. La chose est possible, mais elle prouve seulement qu'il est un âge où une semblable alimentation exclusive convient peu aux organes digestifs. Il ne s'ensuit pas que ce résultat tienne à une modification spéciale de la composition du sang ; l'animal a été mal nourri, voilà tout.

La pathologie comparée nous fournit des expériences toutes faites, qui jettent quelques lumières sur ces différentes questions. Les porcs deviennent souvent rachitiques ; ce qu'on attribue surtout à l'humidité de leurs étables et à une mauvaise nourriture, lorsqu'au lieu de glands, on leur donne, en trop grande abondance, des restes de lait formés presque uniquement de sérum. Behrs (1) a décrit, en 1847, une maladie de ce genre, compliquée de tumeurs lymphatiques, strumeuses, qui attaquait les porcs de Westphalie. Le régime animal ne paraît pas agir sur ces quadrupèdes comme sur les petits chiens dont nous avons parlé. M. Leblanc m'a affirmé que des équarrisseurs ont réussi à élever des porcs avec de la viande de cheval ; ces animaux ne sont pas devenus rachitiques; mais leur chair était trop ferme, et on les refusait aux marchés. Les jeunes chiens contractent souvent des courbures des jambes, surtout au train de devant, qui porte plus directement le poids du corps. D'après les observations de M. Leblanc, ces

(1) Journal vétérinaire et agricole de Belgique, 1847, p. 498, extrait de : Magasinfur die gesammte Thierheilkunde, etc., 1847.

courbures se voient principalement chez les fortes espèces, à corps gros et lourd, chez les chiens de Terre-Neuve, par exemple, beaucoup plus rarement chez les lévriers. Elles se produisent ordinairement quand ces animaux sont atteints de ce qu'on nomme la maladie des chiens. On les observe également chez les chiens qu'on fait courir trop tôt à la chasse.

Dans ces espèces, le rachitisme parcourt très-rapidement ses périodes, ce qui est en rapport avec la promptitude de l'ossification chez ces animaux. Voici une portion de l'avant-bras d'un chien de six mois environ, recueillie par M. Leblanc ; la paroi du canal médullaire est amincie , l'os courbe et déjà éburné. Ce fait peut être rapproché de ce qui se passe dans le rachitisme congénital éburné observé par M. Depaul ; la rapidité de la maladie coïncide aussi, dans ce cas, avec la rapidité du développement physiologique.

Des causes analogues à celles que je viens de mentionner produisent le rachitisme chez nos oiseaux de basse-cour. On assure que les oies que l'on tient immobiles et que l'on gave pour obtenir des foies gras, deviennent rachitiques.

Behrs dit que la maladie des porcs de Westphalie était héréditaire. Daubenton (1) se demande si les formes osseuses produites par un rachitisme ancien et guéri ne pourraient pas aussi se transmettre par la génération, et si ce ne serait pas de cette manière que se seraient perpétués les bassets à jambes torses, par suite d'une affection rachitique des premiers individus de cette variété.

Terminons cette séance par l'examen de quelques malades.

Ier cas. — Voici un enfant d'un an, fils unique de parents bien portants, qui habitent un logement humide. Sa mère , qui le nourrit encore, nous affirme que jusqu'à cinq mois, sa santé était très-belle; seulement sa tête était plus volumineuse qu'elle ne l'est actuellement. Vous pouvez voir que les bosses frontales sont développées ; la fontanelle fronto-pariétale est déjà fort rétrécie; elle se trouve située à gauche de la ligne médiane, sur laquelle on sent une saillie osseuse qui appartient au pariétal droit. C'est là un exemple d'un fait que l'on rencontre quelquefois, l'inégal développement des deux moitiés du crâne des rachitiques. L'enfant n'a

(1) OEuvres de Buffon, description du chien, par Daubenton.

encore aucune dent ; les clavicules et les humérus ne sont pas déformés, mais les avant-bras sont légèrement courbés et flexibles, et les poignets renflés ; le thorax est déprimé, plus à droite qu'à gauche; on y trouve le chapelet bien prononcé. Au rachis, existe une courbure postérieure qui ne disparaît pas complètement dans l'extension. Les membres inférieurs ne présentent qu'un peu de courbure des fémurs. Chez cet enfant, le rachitisme est donc léger, et dans le crâne il est déjà arrivé à la période de guérison.

IIe cas. — Je vous présente cette petite fille comme un type de rachitisme. La mère a eu six autres enfants, dont un seul, venu à terme, a vécu jusqu'à trois ans; il était noué. Cette petite fille, venue au monde en bon état, était maigre, débile en sortant de nourrice, à neuf mois ; mais il paraît qu'elle avait encore les membres droits. Aujourd'hui, elle est âgée de deux ans, et voici ce que nous constatons : tête de volume normal, fontanelle persistante, onze dents saines; le chapelet est marqué jusqu'aux dernières côtes, dont le large évasement contraste avec la dépression des parties latérales du thorax. Les clavicules sont courbées à angle en avant, vers l'extrémité interne ; la courbure est plus forte à droite qu'à gauche. Les humérus offrent une courbure convexe en dehors dans leur partie inférieure, et les avant-bras une concavité du côté de leur face palmaire ; ces os sont flexibles. Le ventre est développé comme une outre. Le rachis, un peu convexe en bas et en arrière, perd complètement cette convexité dans l'extension. Le bassin paraît bien fait. Les membres inférieurs sont courbés en dehors et ont la forme d'une S. Les pieds ont la direction des valgus. Cette enfant ne peut pas se tenir seule debout.

IIIe cas. — Voici une autre petite fdle, âgée de trois ans, dont la santé a été bonne jusqu'à quatorze mois. A cette époque, elle commence à languir, et à dix-huit mois on s'aperçoit que ses genoux se portent en dedans. Elle offre l'exemple d'un rachitisme presque localisé dans ce point : en effet, il n'y a pas de rachitisme crânien, les dents sont saines, le chapelet n'est plus guère appréciable qu'à droite, le thorax n'est pas déprimé. Les membres supérieurs sont droits et offrent seulement le gonflement épiphysaire. Mais les genoux, surtout le gauche, sont fortement déviés en dedans.

§ II. — Diagnostic du rachitisme.

Le diagnostic du rachitisme se déduit de ses caractères anatomi-ques et physiologiques.

I. Signes anatomiques.— (1) Les signes anatomiques vous sont déjà connus : ce sont toutes les lésions rachitiques, osseuses ou autres, perceptibles à l'extérieur. Le chapelet, le thorax en carène, les courbures des membres, sont des signes pathognomoniques, quand ils existent. Après eux viennent : le volume disproportionné et la configuration spéciale de la tête et de l'abdomen, les nœuds articulaires, une forte convexité des lombes en arrière dans la station ou l'attitude assise, la petitesse de la taille et surtout la brièveté des membres, l'évolution tardive et l'altération des dents, la flexibilité des os.

Aucun de ces signes n'avait échappé à Glisson, si ce n'est le dernier, la flexibilité des os, qu'il appelait signum fabulosum (2) ; et pourtant Glisson connaissait le ramollissement des extrémités épiphysaires, qu'il disait être moiliores et spongiosiores (3). Cette flexibilité des os est d'autant plus sensible, en général, que leurs courbures sont plus fortes, tant que la lésion n'est pas entrée dans sa troisième période.

L'âge exerce une influence marquée sur la nature des signes que l'on observe. Le grand volume et la mollesse de la tête, la flexion du rachis en avant, se voient plus fréquemment chez les enfants au-dessous de deux ans. Les nœuds articulaires, la brièveté des membres, sont plus prononcés chez les sujets un peu plus âgés.

IL Signes physiologiques. — Les signes physiologiques sont constitués par les troubles fonctionnels qui se produisent pendant la vie. Les principaux sont : des changements dans la physionomie et l'habitude extérieure du corps; des troubles de la locomotion; des lésions de l'innervation, douleurs, exaltation de la sensibilité; un état fébrile; la perturbation des fonctions respiratoires, diges* tives.

(1) Quinzième leçon, 29 août 1856.

(2) Loc. cit., cap. 21, p. 272; voy. aussi le chap. 13, p. 138.

(3) Loc. cit., cap. 13, p. 134.

A. Le faciès des enfants rachitiques est souvent tout à fait caractéristique. Outre l'exagération des proportions relatives du crâne et de lû face propres à l'enfance, outre le contraste des régions frontale et orbitaire, très-développées, avec les régions maxillaires, qui le sont beaucoup moins, l'expression de la physionomie est triste, chagrine ou tout au moins sérieuse ; vuttus mugis com-positus et severus quàm celas postularet, a dit Glisson (1).

On trouve chez ces enfants tous les caractères extérieurs des maladies de langueur : pâleur et bouffissure de la face , téguments flasques, décolorés, chairs molles, membres grêles, amaigrissement général, disposition aux sueurs.

B. La locomotion est considérablement entravée chez les enfants rachitiques. La faiblesse musculaire, le ramollissement et la direction vicieuse des os, les empêchent de.se tenir debout. Ils cessent de marcher, s'ils marchaient déjà au moment de l'invasion de la maladie. Les très-jeunes enfants ont même de la peine à se tenir assis, à soutenir leur tête, qu'ils laissent tomber de côté et d'autre.

C. Pujol (2) a parlé d'un état aigu du rachitisme ; cet état est réel et paraît lié à la période de ramollissement des os. C'est alors que l'enfant ressent des douleurs quelquefois spontanées dans les os ramollis. Le mouvement, la pression des membres lui arrachent des cris, quand on le soulève par les bras. En général, la sensibilité des os à la pression se lie à leur flexibilité ; obscure lorsque la souplesse des os est peu marquée, celte sensibilité se montre d'autant plus vive que le tissu osseux a moins de consistance. Elle est également excitée par le redressement imprimé aux os incurvés et par l'exagération de leurs courbures. Elle peut durer des années ou se reproduire à divers intervalles, si la réossification se fait longtemps attendre. Nous avons vu un enfant de huit à dix ans, couché dans mes salles l'année dernière, rachitique dès le bas âge, qui éprouvait encore de vives douleurs quand on imprimait des mouvements à ses tibias, fortement courbés et restés mobiles vers leur milieu.

(1) hoc. cit., cap. 21, p. 267.

(2) OEuvres diverses de médecine pratique, Castres, 1802, et Boyer, Maladies chirurg., t. III, p. 626, 1814.

D. L'état aigu est accompagné d'une fièvre d'abord passagère. puis continue, qui paraît coïncider avec le moment du plus grand ramollissement des os. Celle fièvre cesse dès que le squelette reprend un peu de consistance.

E. Je ne reviens pas sur ce que je vous ai dit de l'influence de la déformation du thorax, sur les phénomènes respiratoires. Il suffit quelquefois de voir respirer un enfant pour deviner qu'il est atteint de rachitisme, lorsque les voies aériennes sont saines d'ailleurs.

Les fonctions digestives sont dans un état variable. L'appétit est souvent diminué, mais quelquefois il est porté jusqu'à une sorte de voracité. Le plus souvent la digestion est pénible et fréquemment accompagnée de diarrhée.

Diagnostic différentiel. — Cet ensemble de symptômes suffit pour distinguer le rachitisme des autres cachexies de l'enfance, telles que celles qui sont produites par les tubercules, les scrofules, l'entérite chronique, le carreau. Il permet aussi de ne pas le confondre avec les accidents de la première dentition et les affections vermineuses, si communes dans l'enfance.

Quand l'existence du rachitisme est démontrée, il faut encore déterminer s'il est essentiel, et pour cela explorer avec soin tous les organes, s'assurer qu'il n'y a pas de lésions plus importantes que celle des os. C'est surtout lorsqu'il n'y a pas de proportion entre le degré du rachitisme et l'intensité des symptômes généraux, qu'on doit être porté à croire à l'influence d'un autre état morbide qui constitue l'affection principale.

Il est des déformations du squelette qui ressemblent à celles du rachitisme, quoiqu'elles dépendent d'autres causes. Telles sont : la dilatation du crâne dans l'hydrocéphalie , la déviation essentielle du rachis, quelques déformations du thorax par simple irrégularité de développement, la courbure des os par un cal vicieux, les déviations accidentelles des articulations, celles du genou par exemple, certaines courbures des os dues à un travail organique purement local. Les circonstances étiologiques suffisent, dans plusieurs de ces cas, pour établir la nature du mal.

Quand l'hydrocéphalie n'est pas considérable, qu'il n'y a pas de fluctuation manifeste du liquide inlra-crânien, il n'est pas toujours facile de distinguer cette maladie du rachitisme céphalique.

MM. Rilliet et Barthez (1) rapportent un cas où l'on crut à une hydrocéphalie et où il n'y avait qu'un rachitisme. M. Fischer, de Boston, a parlé d'un bruit de souffle qu'on entendrait dans l'hydrocéphalie (2). M. Rilliet, au contraire, n'aurait trouvé ce souffle que dans le rachitisme (3). De nouvelles recherches me paraissent nécessaires pour fixer la valeur de ce signe. Les symptômes de compression, dans l'hydrocéphalie, peuvent éclairer le diagnostic.

On distingue la déviation essentielle du rachis de celle qui est due au rachitisme, à ce qu'elle se monire ordinairement plusieurs années au delà de l'époque où on observe cette dernière affection , et à ce qu'elle n'est accompagnée d'aucun autre phénomène appartenant au rachitisme. Les courbures vertébrales de la première enfance sont généralement rachitiques ; celles qui se développent plus tard le sont rarement. Il en est de même de certaines irrégularités du thorax, qui sont ou non rachitiques suivant l'époque à laquelle elles se manifestent, et suivant l'état général du système osseux.

J'en dirai autant des déviations du genou et d'autres articulations.

On est souvent disposé à attribuer à la seule action du poids du corps les courbures des jambes qui affectent des enfants jouissant, en apparence, d'une santé florissante. J'ai presque toujours trouvé chez ces enfants quelques traces de rachitisme, le chapelet, par exemple.

L'ostéomalacie est une affection très-analogue au rachitisme; mais il existe des différences entre ces deux maladies. Bien qu'on cite des cas d'ostéomalacie dans la première enfance, c'est surtout une maladie des adultes; en outre, les altérations anatomiques sont complètement différentes, comme vous pouvez vous en convaincre en jetant les yeux sur ces planches de M. Stanski (4). Figurez-vous les diaphyses des os longs renflées, réduites à une coque presque membraneuse, renfermant, au lieu de canal médullaire, d'énormes cellules remplies d'une bouillie rougeâtre, de sorte

(1) Maladies des enfants, 2e édit., t. II, p. 170.

(2) Barthez et Rilliet, ibid., t. II, p. 158, 2 -' édit.

(3) Ibid., p. 159.

(4) Recherches sur l'ostéomalacie. Paris, 1851.

qu'après une courte macération dans l'eau, ces os ressemblent à l'intestin côlon. Ces caractères et les symptômes généraux établiront le diagnostic. Je conviens que l'ostéomalacie peu avancée se rapproche davantage du rachitisme ; mais, pour admettre l'identité de ces deux affections, il faudrait mieux connaître leur nature intime.

§ III. Traitement du rachitisme.

En abordant le traitement du rachitisme, je commencerai par exprimer un vif regret, celui de ne pouvoir m'associer à des paroles sorties d'une bouche autrement autorisée que la mienne. Un homme pour qui je professe une haute estime, M. le professeur Trousseau, disait en 1848 : « Le rachitisme confirmé était considéré comme très-difficile à guérir et comme ayant toujours une durée énorme. Depuis quelques années, le traitement de cette affection a fait des progrès considérables (1). » Quels sont ces progrès ? Ils dateraient de l'introduction de l'huile de poisson, de l'huile de foie de morue, dans la cure de cette maladie.

Depuis bien des siècles, de pauvres pêcheurs du nord de l'Europe faisaient boire à leurs enfants malades de l'huile de poisson ; ce remède se répandit dans le peuple. On raconte qu'en 1778, une foule empressée se rendait à Elberfeldt, en Prusse, et se jetait avidement sur l'huile fétide employée dans une tannerie à la préparation des cuirs.

Des essais isolés furent tentés avec cette substance par divers médecins, de 1790 à 1822; mais le moment n'était pas venu, leur voix fut à peine écoutée.

Mais, à dater de 1824 ou 1825, les médecins allemands se mettent à l'œuvre, puis les hollandais, les belges, et, beaucoup plus tard, les médecins français et anglais. Des muids d'huile de foie de morue inondent l'Europe, le monde entier ; on pince le nez à des millions d'enfants pour leur entonner le précieux remède. L'huile du corroyeur, ce mets d'Esquimaux et de Lapons, s'introduit partout, dans les palais comme dans les chaumières ; elle est

(1) Gazette des hôpitaux, n° du 8 juin 1848; voyez aussi la Gazette des hôpitaux du 6 novembre 1856, et le Journal des connaiss. mèdic. du 10 novembre 1856.

accueillie jusque sur les marches des trônes. Fortune étrange assurément , si l'homceopathie n'avait parcouru les mêmes voies !

On dira peut-être que j'ai mauvaise grâce à venir m'élever contre une vogue fondée sur l'opinion unanime , sur des observations mille et mille fois répétées. Fort bien ; mais, — cela est triste à dire, — il y a des modes en médecine, et la mode est souvent bien absurde, quoiqu'elle gouverne le monde.

Est-il vrai que le rachitisme fût considéré comme très-difficile à guérir et comme ayant toujours une durée énorme, avant qu'on lui opposât l'huile de foie de morue ? Je n'hésite pas à répondre non.

Écoutez De Haen : « Je ne puis assez louer, disait-il en 1765, les testacés dans le rachitis ; pris en poudre à la dose de deux ou trois scrupules par jour (secondés par une bonne hygiène), Us guérissent PROMPTEMENT presque tous les enfants. In rachi-

tide............satis nequeo ostracodermata laudare :

si enim bis, ter die, pulveris hujus scrupulus quotidiè detur..........propemodum omnes citô... curantur (1). »

Avant De Haen, Boyle (2), cité par Van Swieten, affirmait avoir guéri plus de cent enfants « réduits par le rachitisme à un état désespéré , » en leur administrant chaque jour quelques grains d'cns veneris, probablement un chlorure de cuivre ammoniacal, quoique Van Swieten le croie plutôt un composé ferrugineux. Ce remède fut généralement considéré en Angleterre, à cette époque, comme un excellent spécifique, specifîcum certissimum, contre le rachitisme (3).

Boerhaave commence l'exposé du traitement par ces mots apho-ristiques : Curatio optima fit, la maladie se traite heureusement (4).

Van Swieten assure avoir guéri un grand nombre de rachitiques, numerosos rachiticos (5), et ne dit nulle part que cette gué-rison soit très-difficile.

(1) De Haen, Ratio medendi, t. V, p. 182. Paris, 1765.

(2) Exercitationes de utilitate philosophie naturalis, exercice V, cap. VI, 1692.

(3) Van Swieten, Comment, t. V, p. 627. Leyde, 1772.

(4) lbid., p. 615.

(5) lbid., p. 630.

Je vous fais grâce de la ciguë, qui a réussi à Storck (1) ; de la garance, qui a compté de nombreuses guérisons entre les mains de Levret (2) et de beaucoup d'autres ; des bains froids employés avec un grand succès par Floyer (3), tellement persuadé de leur efficacité , qu'il attribuait la fréquence du rachitisme à ce que, dans la cérémonie du baptême, on ne plongeait plus les enfants dans l'eau froide.

Portai (U) dit avoir vu Bouvart obtenir les plus étonnants succès, dans le rachitisme, avec le sirop mercuriel de Bellet. Il a eu lui-même beaucoup à se louer de cette préparation, employée seule ou associée à d'autres remèdes suivant les indications; il rapporte plusieurs cas de guérison. Salmade (5), son parent et son élève, a ajouté de nouveaux faits à ceux que son maître avait publiés.

Ainsi à chaque médecin célèbre, à chaque époque son remède, et tous réussissent! La plupart, bien entendu, rabaissent ceux qui les ont précédés ; ainsi fait-on à propos de l'huile de morue.

Prétendrait-on récuser le témoignage de nos devanciers, les taxer de prévention, d'inexactitude? La postérité, qui n'est pas loin, se chargerait de répondre, en pesant dans la même balance les assertions, les observations des praticiens de nos jours et de ceux des temps passés.

Qu'est-ce à dire donc ? Tous les remèdes sont-ils bons pour le rachitisme? J. L. Petit et mon vénéré maître Guersant vont vous expliquer cette singularité : « Quand la maladie est dans son état, dit J. L. Petit, l'art a moins de part à sa guérison que la nature (6). » — « Le rachitisme, disait Guersant en 1827, guérit de lui-même par les seuls efforts de la nature, lorsque la constitution se fortifie à mesure que le développement a lieu (7). »

Je ne veux pas dire que l'huile de morue soit un remède inerte;

(1) Libellus secund. de cicutd, 1761.

(2) L'art des accouchements, 1753, § 1431.

(3) History of Cold-Bathings, 1732.

(4) Nature et traitement du rachitisme. Paris, 1797, p. 279.

(5) Observations pratiques sur les maladies de la lymphe. Paris, 1810.

(6) J. L. Petit, Maladies des os, t. II, p. 564.

(7) Dictionnaire de Médecine, lre édit., t. XVIII, p. 168.

on a vu des rachitiques guérir par son usage après l'emploi inutile d'autres remèdes. J'accorde ces faits, pourvu qu'on ne veuille rien exagérer.

Ce que je nie, c'est que nous possédions plus qu'autrefois un spécifique du rachitisme, c'est que l'huile de morue soit un remède merveilleux contre cette maladie , que son action y soit réellement prodigieuse, suivant l'expression de M. Taufflieb (1).

I. Soins hygiéniques. —Je place bien au-dessus de l'action de l'huile de poisson et de tous les autres agents pharmaceutiques l'influence salutaire des soins hygiéniques, celle de l'air, de l'aliment, du mouvement.

A. On a remarqué que, pendant l'été et sous l'influence d'un air pur, la maladie marche moins vite. Il est donc important de transporter, pendant l'hiver, les enfants rachitiques dans un climat tempéré , de les faire vivre à la campagne et dans un air sec. Lordat (2) a observé un sapajou qui était devenu rachitique, ce qui était dû sans doute à l'influence d'un climat moins chaud et plus humide que le sien.

B. L'alimentation des plus jeunes rachitiques a donné lieu , dès le siècle dernier, à des divergences d'opinions qui se sont reproduites de nos jours. Zeviani (3) proscrivait le lait ; Benevoli (4), à la même époque, recommandait l'allaitement prolongé. J. L. Petit (5) rangeait le sevrage prématuré parmi les causes du rachitisme, et ne voulait pas qu'on privât les enfants du sein avant qu'ils eussent la plus grande partie de leurs dents. Cullen (6) ne voyait pas d'inconvénients à faire concourir le lait à l'alimentation des enfants rachitiques; il ne les faisait sevrer que dans des cas particuliers. Cependant l'opinion de Zeviani a longtemps prévalu. Guersant, en 1827, conseillait encore de ne pas allaiter les rachitiques trop longtemps, et d'exclure le lait du régime de ceux qui ne tenaient

(1) De l'huile de foie de morue. Paris, 1853, p. 43.

(2) Dictionnaire des se. méd., art. Rachitis, t. XLVI, p. 607.

(3) Della cura dei bambini attaccati dalla Rachitide. Vérone, 1761.

(4) Dissertazioni e osservazioni, p. 236. Florence, 1747, et Van Swieten, Comment., t. V, p. 627.

(5) Maladies des os. Paris, 1741, t. II, p. 535 et 565.

(6) Médecine pratique, trad. de Bosquillon. Paris, 1787, t. II, p. 600.

plus (1). Il s'est fait depuis une réaction en faveur de l'opinion de Benevoli, et on a été jusqu'à proscrire la nourriture animale.

La vérité se trouve entre ces exagérations. Imitons la sage conduite de Cullen ; dirigeons-nous ici àjuvantibus et lœdentibus. En général, il faut donner à l'enfant un aliment en rapport avec son âge. On insistera sur l'allaitement, tant que la dentition sera peu avancée, maison associera de bonne heure au lait d'une bonne nourrice quelques aliments plus substantiels, préparés avec le lait de vache, les bouillons gras, le pain, les fécules, les œufs, etc. On se gardera bien de proscrire la viande, dès que l'enfant pourra la mâcher. On aura soin d'ailleurs de modifier ce régime suivant les indications particulières qui se présenteront. On s'attachera, pardessus tout, à entretenir le bon état du tube digestif. La nutrition générale, celle des os en particulier, est évidemment subordonnée à cette condition plus qu'à toute autre.

C. Le mouvement favorisera le développement musculaire et la formation du tissu osseux; malheureusement, il doit souvent se réduire à un mouvement passif, la gestation, le balancement, etc. Glisson (2) a donné sur cette gymnastique d'excellents préceptes que l'on consulte avec fruit encore aujourd'hui. Dès que les enfants sont un peu plus forts, on les amène graduellement à pratiquer des exercices actifs. La gymnastique de Ling peut trouver ici une application utile.

Une précaution indispensable, c'est de ne pas exposer les os à des efforts qui dépassent leur résistance. On ne permettra pas la marche aux enfants dont les tibias sont flexibles, à moins que les membres ne soient étayés par des supports artificiels.

II. Moyens pharmaceutiques. — Les agents pharmaceutiques ne doivent tendre qu'à seconder l'effet des moyens hygiéniques, et surtout à exciter l'appétit, à faciliter les digestions, à activer la nutrition. C'est dans ce but que depuis longtemps on a utilisé l'huile de foie de morue, le quinquina, le fer, l'iode, les amers, les antiscorbutiques, le vin, les substances aromatiques, les stimulants extérieurs, frictions diverses, bains salés, sulfureux, bains de mer, eaux thermales, etc.

(1) Dictionnaire de méd., t. XVIII, p. 169.

(2) Loc. cit., cap. 35, p. 397 et suiv.

Les sels calcaires, tour à tour vantés et proscrits dans le traitement du rachitisme, paraissent depuis quelque temps reprendre faveur. Je ne connais pas de preuve positive de leur utilité; il est peut-être bon de les expérimenter de nouveau.

En définitive, nous ne possédons pas, dans l'état actuel de la science, de médicament capable de durcir les os des rachitiques; mais nous pouvons favoriser le retour de leur consistance naturelle par des moyens dont l'action se porte sur l'organisme entier et principalement sur les organes digestifs.

III. Traitement des difformités rachitiques. — Les difformités , les courbures, les affaissements partiels des os, déterminés par le rachitisme, réclament souvent l'emploi de moyens redresseurs. Les machines n'ont qu'un effet très-borné dans la période d'éburnation. C'est surtout pendant la période de ramollissement que leur action peut être utile ; mais elles ont l'inconvénient de gêner la circulation et les mouvements; aussi faut-il les exclure le plus souvent chez les enfants très-jeunes et affaiblis. En général, il ne faut les employer que lorsque les enfants sont en état de marcher.

Quand il y a indication d'employer un de ces appareils, il faut qu'une pression porte sur la convexité des arcs osseux, et une autre à chaque extrémité de l'arc, du côté de la concavité. On obtient d'assez beaux résultats, quand il y a eu seulement affaissement des surfaces articulaires, dans les déviations des genoux, par exemple. Mais ces appareils agissent moins efficacement sur la continuité des os longs, ainsi que dans les déviations rachitiques de l'épine.

Quand les machines ne peuvent plus avoir d'effet, on a proposé, pour les remplacer, la ténotomie, la rupture des os et l'ostéotomie. En général, la ténotomie est peu utile. Quant aux deux autres moyens, ce sont des opérations graves, à peine tentées par deux ou trois personnes en Europe, et dont tous les résultats sont incomplètement connus. Pour moi, je ne pourrais me décider à ces opérations que chez un sujet assez âgé pour jouir de la plénitude de sa volonté, et assez infirme pour que sa difformité rendît son existence très-pénible.

L'ostéotomie consiste, tantôt dans une simple section sous-cutanée de l'os, totale ou partielle, tantôt dans la résection de pièces

cunéiformes (1). Le redressement opéré, on applique le même traitement que pour les fractures.

Nous avons encore, pour clore cette dernière séance, à vous montrer un certain nombre de malades.

Ier cas. — Voici une petite fille âgée de six ans, qui n'a jamais marché. Sa tête a un volume normal, et la fontanelle est complètement fermée; le rachitisme crânien a du être peu marqué chez elle. Les clavicules présentent des courbures; à gauche, la courbure est plus saillante et plus rapprochée du sternum qu'à droite. Le sternum est bombé sur presque toute sa longueur; le thorax, déprimé sensiblement sur ses côtés, offre un chapelet prononcé. Il y a au rachis la courbure lombaire postérieure qu'on rencontre si fréquemment ; cette courbure s'efface en partie. Le ventre est volumineux. Les membres supérieurs n'ont de particulier que le renflement des poignets. Aux membres inférieurs, vous voyez les fémurs convexes en dehors, et les tibias convexes en dedans. Il y a rapprochement des genoux.

IIe cas. — Garçon de dix-huit mois, n'ayant jamais marché. Sa fontanelle a la dimension d'une pièce de cinq francs. L'enfant a huit dents très-saines; les clavicules sont normales; au rachis existe une courbure lombaire, qui s'efface complètement; elle n'est due qu'au relâchement des ligaments , sans affaissement des vertèbres. Le chapelet est prononcé , le ventre volumineux. Les membres supérieurs et inférieurs offrent de légères courbures, à peine marquées. La flexibilité des os est peu étendue, mais douloureuse. C'est un cas où la maladie est encore dans la période de ramollissement.

IIIe cas. — Petite fille âgée d'un an. Fontanelle très-grande; il n'y a que trois dents; le thorax est très-déprimé, et vous voyez qu'il ressemble bien à la poitrine des oiseaux. Vous êtes étonnés peut-être de rencontrer, chez un si jeune enfant, un chapelet aussi peu marqué : c'est qu'il est interne et saillant du côté des poumons.

(1) Voyez, sur cette résection, A. Mayer, de Wiirzbourg, sur l'Ostéotomie , dans la Deutsche Klinik, n°? des \ 5, 20 mars, 19, 26 avril 1856. BOUVIER. -1

Le rachis offre une grande convexité en arrière. Les clavicules, les os longs des membres sont peu déformés; ces os sont flexibles, presque sans douleur, ce qui fait supposer que la période aiguë est passée.

IVe cas. — Voici un cas bien différent des précédents, par l'âge du sujet et par l'étendue de la déformation. C'est une fdle de quatorze ans, qui ne marche plus depuis six ans. Les membres inférieurs sont tellement déviés, que les jambes forment avec les cuisses un angle droit saillant en dedans ; il y a un croisement considérable des genoux dans la station. Malgré une si grande difformité, cette jeune fdle peut, au moyen d'une rotation des membres, rapprocher assez les pieds pour marcher, en prenant de chaque côté un point d'appui. La poitrine et le rachis sont bien conformés; les clavicules sont courbées, surtout la gauche, mais l'exagération de courbure de celle-ci tient peut-être à une ancienne fracture. Les humérus sont courts relativement aux avant-bras; leur courbure est située au bord externe , dans le tiers supérieur de l'os, tandis qu'habituellement elle siège beaucoup plus bas. Les avant-bras sont droits, mais leur extrémité est très-renflée.

Chez cette malade, le rachitisme a passé depuis longtemps à la période d'éburnation ; on ne peut presque plus rien attendre de l'emploi des machines, et, vu l'étendue de la difformité, il est permis de se demander si ce n'est pas là un cas où l'ostéotomie peut trouver une application convenable.

Ve cas. — Petite fille âgée de deux ans. Chez elle, la fontanelle offre encore l'étendue d'une pièce de deux francs. Le chapelet existe, la dépression latérale du thorax est peu prononcée; le rachis est droit ainsi que les membres ; cependant les membres inférieurs présentent une légère courbure en dehors dans leurs deux sections. Dans ce cas, le rachitisme porte donc principalement sur le crâne et les membres inférieurs.

VIe cas. — Voici une petite fille âgée de trois ans et quatre mois, qui paraît forte et bien portante. Elle n'offre qu'une déviation très-prononcée d'un genou en dedans. On peut se demander si cette déviation est de nature rachitique. L'âge de l'enfant fait déjà présumer que telle est en effet sa cause; puis nous trouvons le

chapelet des deux côtés et une légère courbure en dehors des fémurs.

VIIe cas. — Sur cet enfant qui n'a que deux mois, le rachitisme n'a encore affecté que le thorax et les jambes; celles-ci sont courbées, bien que l'enfant n'ait pas encore marché. Le chapelet est très-prononcé; il n'y a rien au crâne ni au rachis.

VIIIe cas. — Voici une petite fdle de six ans et demi, sur laquelle vous pouvez apprécier le bon effet du traitement mécanique employé contre la déviation rachitique des genoux. Au volume encore considérable de la tête, à la forte saillie des bosses frontales, vous jugez que le rachitisme crânien était très-développé. Il reste encore des traces de la dépression latérale du thorax ; le ventre est volumineux ; il y a un peu d'ensellure lombaire. Celte fdle avait le genou gauche fortement dévié en dedans. Une longueur de k centimètres séparait le côté externe du genou d'une ligne droite tirée du grand trochanter à la malléole externe; le genou a été ramené à une rectitude complète. Ce résultat, qui se voit journellement, a été obtenu au traitement externe du bureau central.

IXe cas. — Examinez cette petite fdle, âgée de deux ans. Elle a l'apparence d'une santé florissante; la tête a un volume ordinaire et la fontanelle est complètement fermée; le rachis est droit, ainsi que les membres supérieurs. L'enfant marche, et vous ne pensez probablement pas trouver sur elle de traces de rachitisme. Voici pourtant un chapelet très-prononcé, des poignets renflés, un genou droit dévié en dedans, avec une très-légère courbure du fémur en dehors. C'est un de ces cas de rachitisme léger, que l'on peut confondre avec les déviations analogues produites par la seule action mécanique de la pesanteur et de la contraction musculaire.

Xe cas. — Je termine en plaçant sous vos yeux, comme exemple de l'emploi des machines, cette petite fdle , âgée de dix-neuf mois, à tête volumineuse, à bosses frontales saillantes. Je lui ai fait appliquer, pour une déviation en dedans du genou gauche, un appareil redresseur. Il consiste en un montant externe, articulé vis-à-vis du genou et fixé, d'une part, à rétrier d'un brodequin, de l'autre à une ceinture en peau. Une large courroie presse le côté interne du

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genou, et se fixe sur ce montant. On a ajouté un second montant au côté interne de la jambe, pour donner plus de fixité à l'appareil. Il importe, dans ce cas, que le montant externe soit assez résistant et assez écarté du genou pour ne pas céder à l'action de la courroie dite fronde, qui est destinée à porter le genou en dehors.

TROISIÈME ANNÉE, 1859.

ARTICLE VII.

COURBURES ANTÉRO-POSTÉRIEURES DU RACHIS.

DIVISION DES COURBURES PATHOLOGIQUES DU RACHIS (1). —

Le pied bot et le rachitisme, qui ont fait l'objet de mes leçons de 1856, me conduisent assez naturellement à vous entretenir cette année des courbures pathologiques du rachis.

J'ai parlé en 1855 des courbures symptomatiques du mal vertébral. Ce n'est pas de celles-là qu'il s'agit maintenant.

Les courbures vertébrales dont nous allons nous occuper se produisent sans érosion du tissu des vertèbres ou des ligaments intervertébraux. Cet état du rachis est moins une maladie, dans le sens ordinaire de ce mot, qu'un simple vice de conformation, qu'une difformité comparable jusqu'à un certain point au pied bot.

Les courbures pathologiques du rachis dérivent en grande partie de ses courbures physiologiques. Or celles-ci sont de deux sortes. Les unes sont le produit du mouvement réciproque des vertèbres, et disparaissent avec ce mouvement; ce sont les inflexions normales fonctionnelles du rachis. Les autres sont permanentes, et résultent de la conformation même de cette tige osseuse; ce sont les courbures normales proprement dites.

De là aussi deux genres de courbures pathologiques : 1° la courbure que j'appellerai par flexion, produite par l'inclinaison réciproque des vertèbres , dont la mobilité est simplement mise en jeu ; 2° la courbure par déformation, résultant de la forme particulière des pièces du rachis.

(1) Première leçon, 22 mai 1857.

Dès le temps d'Hippocrate, on a divisé les courbures de l'épine en plusieurs espèces, selon le sens dans lequel elles ont lieu. Trois noms grecs nous ont été transmis par les anciens pour désigner trois genres de courbure ; ce sont les noms de Jmphosis, lordosis et scoliosi*, ou cyphose , lordose, scoliose , c'est-à-dire courbures en arrière, en avant et sur le côté (1).

Je ne sais pourquoi ces dénominations, très-usitées à l'étranger, le sont encore peu chez nous, quoique déjà, au seizième siècle, Da-léchamps (2) et Ambroise Paré (3) les aient rappelées dans des ouvrages écrits en langue vulgaire, comme on disait alors. C'est peut-être parce qu'elles sont de pure convention, et que chacune d'elles aurait pu avoir un sens contraire, aussi bien que le sens qu'on lui a attribué. Et, en effet, ce sens paraît avoir varié chez les GreGs mêmes : SxoXiWiç désigne quelquefois une courbure vertébrale quelconque, même dans les œuvres hippocratiques (Zj) ; AopSoxiiç signifiait, dans le langage ordinaire, non une courbure à convexité antérieure, comme dans les écrits d'Hippocrate et de Galien, mais l'inclinaison de la partie supérieure du corps en avant. C'est ce qu'en voit par certains passages d'Aristophane (5), du scoliaste de Théo-crite, de Procope (6), qui dit de l'impératrice Théodora , femme de Justinien : « Sœpe, cum vestes inter mimos exuisset, in mediis stdbat lumbos incurvata (XopSouasv/]). » Aussi, dans les temps modernes, Sauvages (7), et, après lui, Palletta (8), ont-ils étendu le nom de lordose à toute espèce de courbure des os, ce qui pourtant n'est pas à imiter.

Je distinguerai les courbures pathologiques du rachis en celles qui sont comprises dans un plan antéro-postérieur et celles qui se font d'un côté à l'autre.

(1) Voy. Œuvres d'Hippocrate, Des articulations, trad. de Littrc, t. IV, p. 177 et suiv. ; et Galien, Comment, sur ce traité, édit. de Kiihn, t. XVIII, lre partie, p. 492 et suiv.

(2) Chirurgie française, Lyon, 1570.

(3) OEuvres complètes, édition Malgaigne. Paris, 1840, t. II, p. 365.

(4) Loc. cit., p. 200; et Comment, de Galien, loc. cit., p. 553.

(5) Dans sa pièce des Harangueuses.

(6) Procopii Historia Arcana, 9.

(7) Nosologie méthodique. Paris, 1771, t. I, p. 205.

(8) Exercitat. pathol., cap. 10, art. 6, 1820,

DES COURBURES ANTÉRO-POSTÉRIEURES EN GÉNÉRAL. — Jetons

d'abord un coup d'œil sur les courbures physiologiques; nous pourrons étudier ensuite avec plus de fruit les courbures antéro-postérieures pathologiques.

Courbures physiologiques. — Le rachis du fœtus décrit dans l'utérus une courbe à concavité antérieure, mais il est droit lorsqu'on le pose sur un plan horizontal. Les courbures antéro-posté-rieures normales ne se forment que lentement après la naissance. Elles sont dues à l'action combinée de plusieurs causes, qui presque toutes se rattachent à l'état de station propre à l'homme.

L'équilibre de la colonne vertébrale dans la station est un problème de mécanique que je ne puis exposer ici; je me bornerai à rappeler les points suivants.

Cet équilibre résulte d'une égalité d'action entre deux puissances placées au-devant du rachis, la pesanteur, l'action des fléchisseurs de la tête et du tronc, et deux résistances placées en arrière, la résistance passive ou élastique des ligaments, la contraction des extenseurs. Pour être complet, je devrais ajouter aux forces situées en arrière la pesanteur, qui se contre-balance elle-même en grande partie dans l'équilibre de la tête sur la colonne vertébrale.

L'équilibre est le mieux assuré quand les principales sections du squelette sont placées directement les unes au-dessus des autres, et un instinct admirable, guidé par la sensation du poids des parties et par la perception de l'action musculaire, apprend à l'enfant lui-même à leur donner cette situation. L'attitude droite, attribut de notre espèce, est la plus convenable pour la station, la progression, ainsi que pour l'exercice d'une foule d'autres actes des organes des sens et du mouvement. Il suit de là que, de même que dans cette ligne brisée que vous avez sous les yeux , s'il se produit un angle dans une des brisures du squelette, il se formera un angle opposé dans une autre brisure pour corriger l'inclinaison qui en résulte et pour conserver les mêmes conditions d'équilibre. Cependant, dans plusieurs circonstances, nous adoptons de préférence une équilibration anormale vicieuse, tendant à déformer le squelette. Je ne parle pas encore des cas où nous pouvons être forcés de recourir à une équilibration semblable.

C'est par ce mécanisme des compensations des courbures que

s'expliquent les inflexions physiologiques du rachis, et notamment la courbure à convexité antérieure de sa région lombaire, qui est surtout déterminée par la situation du bassin.

On a cru longtemps le bassin autrement situé dans la station qu'il ne l'est réellement. On lui a attribué une inclinaison telle que son articulation avec le rachis se trouvait plus en arrière que ses articulations avec les fémurs. C'était une erreur. Déjà, dans sa thèse inaugurale, mon bien regrettable maître Béclard avait établi le contraire. Naegele (1) et MM. Weber (2) ont mis depuis ce fait hors de doute. Le bassin, chez l'homme debout, est placé de telle sorte que l'articulation sacro vertébrale correspond directement au-dessus d'une ligne qui joindrait les deux têtes des fémurs.

Or, dans cette attitude du bassin, la base du sacrum s'incline fortement en avant, et elle entraînerait le rachis dans le même sens si les vertèbres lombaires n'étaient reportées en arrière afin de rester dans le prolongement de la verticale élevée sur la ligne interfémorale. De là la courbure lombaire, qui relève les vertèbres sur le sacrum en formant un angle avec la courbe inverse décrite par les vertèbres sacrées.

Cet angle et la courbure lombaire elle-même sont peu marqués chez l'enfant, parce que le bassin est encore très-peu développé et le sacrum presque vertical. En même temps que se prononce l'am-pliation de la cavité pelvienne, l'action des muscles résiste de plus en plus à la tendance produite par la direction du sacrum , et la courbure lombaire devient de plus en plus manifeste.

La courbure en sens contraire de la région dorsale augmente d'ailleurs manifestement la courbure lombaire, en exagérant l'inclinaison en arrière des premières vertèbres des lombes.

Il est difficile, malgré l'opposition de Bichat (3), reproduite par M. Hirschfeld (U), de ne pas attribuer la courbure dorsale au poids des membres supérieurs, de certains viscères et de la tête elle-

(1) Des principaux vices de conformation du bassin. Paris, in-8°, 1840.

(2) Encyclopédie anatomique. De la mécanique des oryanes de la locomotion, traduit par Jourdan, in-8°, 1843, p. 312 et suiv.

(3) Anatomie descriptive, 1820, t. Ier, p. 130.

(4) Sur les conditions anatomiques des courbures de la colonne vertébrale. Gazette des hôpitaux du 4 août 1849.

même, agissant dans la station sur les vertèbres dorsales supérieures de manière à les attirer en avant. Les muscles postérieurs n'ont pas, en effet, une action tellement constante qua le poids porte toujours également sur les parties antérieure et postérieure des vertèbres dorsales et des ligaments intervertébraux.

L'action musculaire courbe la région cervicale dans le même sens que la région lombaire, et par une raison semblable, pour ramener le centre de gravité de la tête dans la verticale avec laquelle doit coïncider l'axe du tronc.

Les trois courbures normales, dans le sens àntéro-postérieur, ne sont d'abord que des flexions passagères que subissent les parties flexibles de la colonne vertébrale. Elles disparaissent avec leurs causes, quand l'état de station vient à être remplacé par le décubitus horizontal, à moins qu'elles ne soient maintenues ou reproduites par la seule action musculaire. Mais, à la longue, ces courbures deviennent permanentes; les pressions constantes exercées par l'action musculaire au cou et aux lombes, par la pesanteur au dos, modifient la nutrition du côté concave des courbures; les os et les ligaments prennent moins de hauteur dans ce sens, et le rachis devient fléxueux par sa propre conformation, après l'avoir été uniquement par l'effet de sa mobilité.

Cette déformation physiologique, qui augmente avec l'âge , est pour ainsi dire un commencement de l'état pathologique. Nous l'avons trouvée le moins prononcée chez des nègres, qui, plus que nous, se rapprochent de la nature primitive.

On a fait des recherches intéressantes pour déterminer dans ce cas l'état anatomique des pièces du rachis. MM. Wcber (1) ont reconnu qu'au dos, c'étaient surtout les corps vertébraux qui perdaient un peu de leur hauteur en avant ou du côté concave de la courbure; tandis qu'au cou et aux lombes, ce sont principalement les disques ligamenteux qui s'affaissent en arrière. C'est ce que vous pouvez constater, quant aux corps vertébraux, sur cette moitié de rachis scié longitudinalement. Cette figure de MM. Weber montre l'exactitude de leurs assertions, quant à l'état des ligaments. Elle a été faite d'après une pièce enveloppée de plâtre

(1) hoc. cit., p. 293.

coulé et sciée avec son enveloppe, afin qu'il ne pût y avoir le moindre changement dans la disposition des parties.

D'après les expériences de M. Ludovic Hirschfeld (1), les ligaments jaunes jouent ici un rôle actif, dont on ne s'était pas douté : resserrés sur eux-mêmes au cou et aux lombes, ce sont eux principalement qui maintiennent les vertèbres de ces régions inclinées en arrière les unes sur les autres. Sépare-t-on- par un trait de scie la série des corps vertébraux de la série des arcs formés par les lames et les apophyses, on voit les convexités cervicale et lombaire s'effacer en grande partie par le ressort des ligaments intervertébraux, jusqu'alors comprimés par l'action des ligaments jaunes.

Même après que le rachis a définitivement contracté ses trois courbures alternatives, il subit encore dans la station l'influence de la pesanteur et de l'action musculaire, qui ajoutent un surcroît de courbure par flexion à la courbure par conformation, devenue inhérente à l'épine dorsale. On peut en effet déduire des expériences de M. Chassaignac (2), que les courbures normales du rachis augmentent par la pression de haut en bas qui agit sur lui dans la station, et qu'elles diminuent lorsqu'il est soustrait à cette pression par l'effet de la position horizontale. Ainsi s'expliqueraient la diminution de la taille le soir et son augmentation le matin, observées par divers auteurs dès le commencement du siècle dernier, et étudiées avec un soin particulier par i'abbé de Fontême (3).

Courbures pathologiques. — Les courbures antéro-postérieures pathologiques sont le plus souvent l'exagération des courbures normales ; plus rarement elles ont lieu dans une direction opposée et résultent du renversement des courbures physiologiques.

Trois conditions sont nécessaires pour que le rachis conserve sa direction naturelle :

1° L'intégrité de l'organisation et des propriétés de ses parties constituantes ;

2° L'activité normale des muscles qui le meuvent ;

3° L'état physiologique des autres sections du squelette, qui concourent avec la colonne vertébrale à l'équilibre de la station.

(1) Loc. cit.

(2) Bulletin de la société anatomique, 1834.

(3) Mémoires de l'Académie des sciences, 1725.

C'est en détruisant l'une ou l'autre de ces conditions qu'agissent toutes les causes de courbures anormales.

g Ier. — Cyphose.

L'une des courbures les plus fréquentes, si ce n'est même la plus commune, parmi les antéro-postérieures, c'est l'exagération de la courbure dorsale physiologique. On peut la regarder comme le type de la cyphose ou courbure en arrière, dont nous allons nous occuper.

Il faut ici prévenir une équivoque. Je désigne chaque courbure par le sens de sa convexité. Delpech faisait le contraire ; pour lui, la cyphose était une courbure en avant. Cette manière de rapporter les déformations à leurs centres de courbure n'est pas moins correcte ; cependant le langage opposé a prévalu, et je m'y conformerai, quoiqu'il soit peut-être moins exact. Il n'en est pas de même pour le mot flexion, que l'on détermine par le côté de la concavité, par le centre de flexion.

Au lieu de cyphose, quelques-uns disent excurvation. Pravaz, Delpech , à l'imitation des auteurs anglais , ont introduit cette expression. Elle nous fournira un synonyme. Mais je ne puis accepter le mot incurvation, opposé à excurvation, et désignant la lordose. Il en résulterait de la confusion , ce mot, de même que le latin incurvatio , se prenant depuis longtemps dans le sens plus général de courbure, sans qu'on ait égard à la direction.

La cyphose est encore appelée voussure, dos voûté, lorsqu'elle est étendue et d'un degré moyen. Est-elle circonscrite et irès-pro-noncée, c'est une bosse, une gibbosité. Mais cela se dit de toute saillie analogue, quels que soient son siège et sa direction, de même que le Soç des Grecs, et le gibbus des Latins, dont on voit tout de suite la ressemblance avec les mots français correspondants.

Je distinguerai une cyphose spontanée, et une cyphose sympto-matique.

Eu égard à l'âge où elle se manifeste, la cyphose est encore : Io infantile ; 2° juvénile ; 3° sénile. J'examinerai, en particulier, ces trois formes, puis la cyphose symptomatique.

I. Cyphose infantile. — Elle est presque toujours symptomatique du rachitisme quand elle ne dépend pas du mal vertébral. J'ai

parlé de ces courbures, et j'en ai montré des exemples dans mes leçons sur le rachitisme (1). Déjà, en 1855 (2), j'avais parlé de la cyphose rachitique, en la comparant à celle que produit le mal vertébral. J'ajouterai donc ici peu de chose à ce sujet.

Le siège spécial de cette cyphose rachitique est à la réunion des régions dorsale et lombaire. Cela tient à plusieurs causes : 1° c'est, après la région cervicale, le point le plus mobile du ra-chis; 2° il a à supporter plus de poids que les parties situées au-dessus; 3° cet inconvénient n'est pas encore compensé, chez l'enfant, par l'augmentation du volume des vertèbres lombaires, comme cela se vo/t chez l'adulte ; U° les courbures physiologiques sont alors peu marquées; la région dorsale n'a pas la même tendance que chez l'adulte à s'infléchir en avant, et la région lombaire ne présente pas, parsa configuration, la même résistance à se fléchir dans ce sens. On pourrait admettre que le ramollissement rachitique est plus prononcé dans les vertèbres infléchies que dans les autres ; mais je ne crois pas, d'après mes observations, qu'il en soit ainsi.

Comme je l'ai montré dans mes leçons de 1856 (3), la cyphose rachitique n'est d'abord qu'une courbure par flexion ; plus tard, quelques corps vertébraux, quelques disques intervertébraux perdent de leur épaisseur en avant, et il s'établit une courbure par déformation. On distingue le premier cas du second à ce que la flexion disparaît complètement, tandis que la déformation persiste au moins en partie, quand on renverse avec précaution le bassin en arrière. Cet enfant, qui a une cyphose rachitique, n'est encore qu'à la première période, et vous voyez qu'à l'aide de la manœuvre que j'indique, j'ai pu faire disparaître la convexité du rachis, et même produire un commencement de lordose.

Chez cet autre enfant, la lésion est plus avancée, et la même manœuvre ne peut réduire entièrement la déformation.

La faiblesse des muscles sacro-spinaux concourt, avec la lésion rachitique, à la production de celte forme de cyphose. Ces muscles sont incapables de maintenir la rectitude du tronc, surtout dans la

(1) Voy. p. 283 et 285.

(2) Voy. p. 24.

(3) Voy. p. 283.

position assise; car alors le bassin bascule facilement en arrière, et pour que l'équilibre soit maintenu, il faut que le corps se fléchisse en avant, ce qui augmente la cyphose. La position horizontale , au contraire, rétablit plus ou moins la rectitude.

Cette attitude du tronc, dans la cyphose rachitique, est une des causes qui gênent les mouvements de progression ; elle diminue l'espace occupé par les viscères et contribue ainsi au volume du ventre, au peu d'amplitude de la respiration. Elle peut laisser à sa suite une difformité incurable; souvent elle s'efface d'elle-même à mesure que les 03 reprennent plus de consistance, les muscles plus de puissance contractile. Il importe seulement dans ce cas de placer le tronc le plus possible dans la position horizontale. Les autres indications thérapeutiques ont été développées à propos du rachitisme.

II. Cyphose juvénile. — Elle n'est que l'exagération de la légère voussure dorsale qui s'établit dans la période d'accroissement du corps. Cette déformation reconnaît pour cause la plus ordinaire la flexion habituelle du rachis en avant, qui détermine une pression plus considérable sur la partie antérieure des vertèbres et des disques intervertébraux, et qui met plus fortement en jeu l'extensibilité des ligaments postérieurs. Or, cette flexion antérieure du cou et du dos, ou seulement d'une de ces régions, est une attitude qu'une foule de causes tendent à produire chez l'enfant et surtout chez l'adolescent.

La plus fréquente est la faiblesse de constitution primitive ou acquise, qui dispose les muscles extenseurs du rachis à se fatiguer promptement, surtout si la croissance est rapide, la stature élevée, le corps mince et grêle. La simple convalescence d'une maladie aiguë, à fortiori la débilité qu'entraîne une maladie chronique, peuvent avoir le même résultat. La constitution moins robuste des filles les expose plus que les garçons à subir l'effet de ces influences.

Dans tous ces cas, la déformation est favorisée par un manque de tonicité musculaire, et causée par le poids du corps. D'autres fois, la déformation est active et dépend de contractions musculaires. Ceux qui ont la vue courte baissent la tête pour regarder les objets de plus près ; d'autres le font par un excès de

timidité. Un sentiment exagéré d'humilité produit le même effet dans quelques maisons religieuses. Certaines occupations trop prolongées, telles que l'écriture , le dessin, la broderie, etc., peuvent faire contracter aux enfants l'habitude de cette voussure.

Quelquefois, c'est une disposition héréditaire, qui, soit par une conformation particulière du squelette, ou par un mode spécial de l'action musculaire, développe la cyphose juvénile.

Une souffrance viscérale, même légère, peut amener à tout âge, lorsqu'elle se prolonge, une déformation persistante du rachis.

Comme la courbure normale, comme la courbure rachitique, la voussure des jeunes gens commence par une simple flexion physiologique. Elle peut ne pas aller plus loin et disparaître avec le retour des forces, le développement naturel du sujet, le changement de ses habitudes. Mais si les causes morbides persistent, la déformation se produit, la partie antérieure des vertèbres et des disques intervertébraux s'amincit, s'atrophie , et c'est alors une véritable difformité, ce qu'on a appelé le dos voûté.

Cette cyphose ne porte qu'accessoirement sur les vertèbres cervicales ; la région lombaire y participe rarement ; sa courbure physiologique s'exagère même quelquefois pour rétablir l'équihbre.

L'aspect de tout le tronc se trouve changé par la cyphose juvénile ; en arrière, tout le dos décrit de haut en bas une convexité assez régulière, plus marquée dans le haut au voisinage du cou. Les épaules sont élevées, portées en avant à leur partie supérieure, saillantes et soulevées vis-à-vis l'angle inférieur des omoplates; elles sont, comme l'on dit, ailées.

A la région antérieure, le cou est tendu obliquement en avant, le menton abaissé sur le sternum; les moignons des épaules sont saillants ; ils tendent à se rapprocher, ce qui fait paraître la poitrine comme rentrée et plus étroite ; le ventre est reporté en arrière ou en avant, suivant la direction qu'affecte la région lombaire. On voit des enfants rejeter le tronc en arrière, tout en inclinant sa partie supérieure en avant, de manière à présenter à la fois, la saillie abdominale de la lordose et la voussure de la cyphose.

Cette conformation n'est pas seulement disgracieuse; elle est, de plus, peu favorable au jeu du cœur, des poumons, de l'estomac, et en tout cas elle tend à s'accroître avec l'âge et à atteindre un degré peu compatible avec l'exercice régulier des fonctions.

Quand la cyphose juvénile n'est pas héréditaire et qu'elle n'est pas liée à la souffrance de quelque organe intérieur, il est facile de l'arrêter à son début ; il est moins aisé de rétablir la conformation naturelle quand la déformation est confirmée, mais on peut du moins en ralentir ou en suspendre les progrès.

Lorsqu'il y a débilité générale, la seule indication est dé fortifier la constitution , et en particulier le système musculaire, au moyen des bains stimulants, des douches, des frictions, du massage et de la gymnastique générale.

Lorsqu'il n'y a qu'une habitude vicieuse , il faut supprimer les causes qui lui ont donné naissance , puis chercher à faire contracter les muscles extenseurs du tronc de manière à corriger la déformation. Mais ce n'est pas toujours chose facile ; la débilité chez les uns, l'indocilité chez les autres, l'inattention et la légèreté chez tous, sont des causes qui perpétuent l'attitude que l'on veut détruire, indépendamment de la résistance des parties, lorsqu'il existe une déformation.

On ne réussit donc dans ce cas que par une grande persévérance, une surveillance assidue, une certaine habileté à exciter la volonté, l'amour-propre des enfants, pour les amener à corriger d'eux-mêmes leur maintien , à redresser peu à peu, par le seul effort des muscles, un rachis déjà courbé d'une manière permanente.

La gymnastique rend ici de grands services ; je ne décrirai pis les nombreux exercices qui conviennent en pareil cas; vous les trouverez dans les ouvrages spéciaux de Clias (1), de M. Laisné (2), notre habile professeur de l'hôpital des Enfants, et dans ceux de quelques autres gymnasiarques. Je dirai seulement que des exercices très-efficaces peuvent être pratiqués sans gymnase, sans instruments, au sein de la famille. Ce sont surtout ceux-là que le médecin doit connaître, parce qu'il peut les prescrire partout.

On sait depuis longtemps que l'escrime , l'exercice militaire , la natation, même certains jeux de l'enfance , sont dans cette circonstance de très-bons moyens de redressement.

Je ferai une dernière remarque générale à ce sujet. Ne vous

(1) Gymnastique rationnelle. Genève, 1853.

(2) Gymnastique pratique, in-8°. Paris, 1850.

laissez pas trop guider par des vues théoriques dans la prescription de ces exercices ; ne vous contentez pas déjuger à priori de l'effet qu'ils doivent produire ; assurez-vous toujours de l'effet réellement obtenu.

Andry, le créateur de l'orthopédie (1), et après lui Shavv (2), Pravaz (3), Delpechi (4), ont donné, dans la cyphose, le conseil très-rationnel d'exciter les contractions des extenseurs du cou en leur faisant surmonter la résistance d'un poids tendant à fléchir la tête en avant; j'ai moi-même fait construire plusieurs appareils ayant le même but ; mais ici les prévisions de la science sont démenties par les faits; bon nombre d'enfants, fatigués sans doute par l'effort du poids, ne redressent nullement la tête et conservent leur position vicieuse, ou même l'aggravent.

La gymnastique suédoise (5) fournit des procédés utiles dans l'ex-curvation juvénile, celui-ci, par exemple :

Une personne, appuyant la main sur l'occiput de l'enfant , l'engage à la repousser en arrière par un effort des extenseurs de la tête, en répétant ce mouvement plusieurs fois de suite ; la main oppose alors une résistance croissante de manière à augmenter l'intensité des contractions , et l'on comprend que cet exercice finisse par accroître la puissance des muscles et par vaincre leur inertie habituelle. Le même moyen peut s'appliquer aux muscles des épaules, du dos, des lombes, etc.

L'attitude du corps pendant la nuit doit favoriser le redressement produit pendant le jour. Le lit sera assez résistant et assez droit pour ne pas faire décrire une courbe au rachis, et on veillera à ce que, dans le décubitus, le tronc soit autant que possible dans la rectitude.

Il peut devenir nécessaire de recourir à des bandages, à des moyens mécaniques, pour effacer la courbure du rachis, particulièrement dans la station, et en même temps de placer le corps dans la position horizontale une partie du jour.

(1) Andry, l'Orthopédie. Bruxelles, 1743, t. 1er, p. 80.

(2) On the distorsionsof the spine. London, 1823, p. 212.

(3) Déviation de la colonne vertébrale, 1827, p. 164 et suiv.

(4) De Porthomorphie, 1828, atlas, p. 100.

(5) Voy. Neumann, Heilgymnastik ou Gymnastique thérapeutique. Berlin, 1852, p. 384.

Ce mode de traitement, qui peut se combiner avec l'emploi de la gymnastique , est particulièrement applicable lorsque les exercices paraissent insuffisants à cause de la résistance des parties, ou bien lorsque leur effet n'est que momentané, et qu'on ne peut obtenir quelque continuité dans les efforts des muscles. En maintenant alors la tête ou le tronc dans une meilleure attitude par des liens ou des supports artificiels, on modifie peu à peu les résistances du squelette , on rompt l'habitude vicieuse des muscles, et on fait prendre en quelque sorte aux organes un nouveau pli. Les mêmes moyens conviennent encore comme palliatifs, si la courbure n'est pas de nature à céder aux efforts de l'art; ils maintiennent au moins le statu quo.

A la tête, on emploie spécialement des bandeaux qui la tirent en arrière, des cols qui la soutiennent et la relèvent. L'appareil connu sous le nom de Minerve, quoique plus compliqué, est parfois préférable comme étant d'un effet plus sûr.

Au tronc , on a recours à des corsets, qui agissent : 1° sur les épaules , en les tirant en arrière , en pressant sur leur partie inférieure ; 2° sur le rachis, en repoussant sa convexité en avant; 3° sur tout le tronc, en soutenant sa partie antérieure et supérieure, et en la repoussant en arrière.

Il ne faut pas se dissimuler d'ailleurs les inconvénients très-réels reprochés par les médecins de tous les temps à l'usage de ces moyens mécaniques. On ne les emploiera donc qu'avec réserve, et seulement sur des indications formelles ; on surveillera leurs effets, et l'on sera toujours prêt à y renoncer pour peu que leurs avantages ne semblent pas évidents. Mais ce serait, je pense, tomber dans une exagération fâcheuse que de les proscrire aveuglément, et de se priver ainsi des services qu'ils rendent incontestablement dans certains cas.

III. Cyphose sénile. —La cyphose sénileest une suite nécessaire de l'affaiblissement du système musculaire. Le rachis, mal soutenu par ses extenseurs, retombe en avant comme il retombe chez l'enfant débile; mais rien de plus variable que le degré de courbure qui se produit et l'âge auquel il apparaît. Indépendamment des circonstances accidentelles qui peuvent, chez l'adulte, déterminer la flexion antérieure du rachis, on sait que l'habitude exerce à cet égard une bouvier. 22

puissante influence ; que les militaires , par exemple, qui se sont longtemps exercés à tenir l'épine dorsale dans la rectitude, restent droits fort longtemps ; tandis que ceux qui, par état, se sont tenus habituellement penchés en avant, comme les gens de bureau , les laboureurs , les vignerons , etc. , se voûtent de très-bonne heure. Chez les femmes, l'usage des corsets , dont on a dit tant de mal, contribue certainement à conserver longtemps la rectitude du tronc. Wiuslow (1) et Portai (2) ont fait, il y a longtemps, la remarque, souvent vérifiée depuis, que les femmes sont très-sujettes à contracter la cyphose au moment où elles cessent de porter des corsets.

La cyphose sénile peut atteindre un degré considérable et réellement pathologique, si des causes actives de courbure ou une conformation irrégulière dès la jeunesse s'ajoutent aux circonstances amenées par l'âge. Vous en voyez ici plusieurs exemples.

L'un est la colonne vertébrale de Séraphin , personnage très-connu, victime du travail incessant auquel il se livrait pour l'amusement de notre enfance. Cet homme, toujours courbé dans son petit théâtre d'ombres chinoises, finit par arriver à cette énorme cyphose, accompagnée en outre de l'ossification des ligaments extérieurs, de la fusion de quelques corps de vertèbres, de la plupart des arcs vertébraux, et de la soudure des côtes avec le rachis. Cette colonne vertébrale est encore remarquable par la grande régularité de son unique courbure (3).

Sur cette autre colonne, la déformation est limitée à un petit nombre de vertèbres ; mais elle est encore plus considérable , et forme presque un angle droit dans la région dorsale supérieure.

Voici un exemple d'une déformation intermédiaire aux deux précédentes.

Vous voyez que le siège de la déformation est variable ; elle portait tout à l'heure sur les cervicales inférieures et les premières dorsales; ici, au contraire, elle affecte les dernières dorsales.

Voici un dernier exemple fort curieux : les courbures normales sont simplement exagérées, et la cyphose dorsale est compensée par une lordose lombaire; de plus, il y a, comme chez Séraphin, ossification des ligaments vertébraux.

(1) Mémoires de l'Académie des sciences, 1740.

(2) Ibid., 1772.

(3) Voy. l'Atlas, pl. 1, fig. 1.

Enfin, vous trouverez au Musée Dupuytren, sous les n05 533 et 534, deux pièces fort remarquables sous ce rapport.

Sur plusieurs de ces pièces, la cyphose est compliquée de scoliose.

Un caractère particulier à ces cyphoses considérables , c'est la perte de l'équilibre du tronc. Le vieillard simplement voûté conserve encore son équdibre ; il lui suffit de porter le bassin en arrière par la demi-flexion des cuisses et des genoux. Dans les cas graves, il n'en est plus de même : le centre de gravité tombe en avant et fort au delà de la base de sustentation; la marche n'est plus possible qu'à l'aide d'un bâton ; parfois même les muscles ne peuvent maintenir l'équilibre.

La cyphose, à ce degré, déplace et déforme tout lé tronc ; la tête touche au sternum , les regards fixent la terre , ou même sont dirigés en arrière; le cou est horizontal, recourbé; la démarche fort gênée. Vous verrez à la Salpêtrière et à Bicêlre de ces pauvres vieillards ; leur squelette tout entier participe à la déformation ; les côtes sont rapprochées, le thorax rétréci transversalement, raccourci, projeté en avant; le sternum est souvent courbé sur lui-même, comme on le voit sur cette pièce et sur le n° 538 du Musée Dupuytren.

De pareils spectacles donnent à réfléchir, et l'on comprend l'empereur Anlonin qui, sur ses vieux jours, plaçait sur sa poitrine une planchette de sapin , un vrai buse , pour prévenir des désordres semblables (1).

IV. Cyphose symptomatique. —La cyphose symptomatique sa rapproche de l'excurvation sénile par l'étendue de la courbure. Je fais abstraction de la cyphose produite par le mal vertébral, que j'ai examinée à part.

La cyphose dont nous nous occupons est symptomatique dans trois circonstances principales :

1° Dans les paralysies — je ne fais que les mentionner, elles produisent plutôt la lordose —;

2° Dans les contractures;

3° Dans le rhumatisme.

On a cité dans des ouvrages déjà anciens des cas de contracture (1) J. Capitolinus, Vie de l'empereur Antorwi.

22.

subite ou lente occupant les fléchisseurs de la tête et du tronc, et donnant lieu à une cyphose persistante. On a signalé une contracture des muscles abdominaux s'opposant au redressement de la colonne vertébrale. Ces faits sont rares; mais il faut en tenir compte.

Le rhumatisme est une cause importante de la cyphose; il est musculaire ou articulaire : dans le premier cas, il agit tantôt à la manière des contractures, tantôt par suite des altitudes du malade pour éviter la contraction des muscles douloureux. Le rhumatisme articulaire, rare dans la colonne vertébrale , s'y limite le plus souvent à un petit nombre d'articulations; cependant il devient quelquefois général. La courbure tient à l'état douloureux des jointures; Delpech a rapporté un bel exemple de cette courbure, dont je fais passer la figure sous vos yeux (1). Si les douleurs persistent, la colonne venébrale peut finir par s'ankyloser; mais cet accident, qui est assez fréquent aux membres , est très-rare au rachis, et c'est d'une tout autre manière que se font les ossifications séniles de la colonne vertébrale ; c'est par l'effet d'une sorte de diaihèse calcaire, jointe à l'influence de l'immobilité, bien démontrée par M. Teissier, de Lyon (2).

Je me borne à cette indication sommaire relativement à la cyphose symptomatique, l'attention du médecin devant se porter ici, avant tout, sur l'affection principale.

§ IL — Lordose.

(3) Je distinguerai, comme pour la cyphose, une lordose spontanée et une lordose symptomatique. Je considérerai la première, en particulier, dans les trois régions du rachis , mais surtout au cou et aux lombes ; car, de même que la cyphose est beaucoup plus fréquente aux vertèbres dorsales, disposées à cette forme de courbure par leur direction normale, de même la lordose se voit bien plus souvent aux régions cervicale et lombaire, à cause de leur

(1) Orlhom., Atlas, p. 52.

(2) Mémoire sur les effets de l'immobilité des articulations. Gazette médicale, 1841.

(3) Deuxième leçon, 29 mai 1857.

convexité naturelle en avant, dont ce genre de courbure n'est que l'exagération.

I. Lordose cervicale. — Cependant la lordose cervicale spontanée est peu commune ; on ne la voit guère que passagèrement, chez des enfants au maillot, dont la tête volumineuse, ne pouvant être encore soutenue par ses muscles, retombe en arrière quand elle n'a pas de support, comme elle retomberait dans tout autre sens si les enfants n'étaient pas placés sur le dos. Le progrès des forces suffit pour faire disparaître celte disposition permanente à une courbure par flexion. Elle n'exige d'autres soins que de donner jusque-là à la tête un support artificiel.

II. Lordose lombaire. — La lordose lombaire, ou plutôt lombo-sacrée, existe plus souvent par elle-même; elle se confond par dés nuances insensibles avec les variétés individuelles de cambrure que présente la région lombaire, de sorte qu'il est difficile de dire quelles sont ici les limites de l'état normal, et où commence la courbure réellement pathologique. La lordose n'est évidente que dans son degré le plus prononcé.

Cette conformation du rachis peut se développer graduellement par suite d'une disposition originelle , comme tout autre trait de la forme extérieure du corps , comme les traits du visage , par exemple.

Elle peut être due à des causes accidentelles, à un excès de contraction des muscles sacro-spinaux, au relâchement des ligaments.

C'est ce qu'on voit chez les marchandes ambulantes, chargées d'un éventaire qui les oblige de renverser le corps en arrière. La courbure par flexion qui se produit alors, temporaire d'abord, devient plus tard permanente, surtout chez les jeunes sujets; il y a dans ce cas raccourcissement des ligaments postérieurs du rachis, notamment de ces ligaments jaunes dont l'influence a été démontrée par M. L. Hirschfeld , et de plus, amincissement exagéré de la partie postérieure du corps des vertèbres lombaires et des ligaments inter-vertébraux.

"Wenzel (1) parle d'un homme qui contracta une lordose pour

(1) Krankheiten, etc., ou Maladies de la colonne vertébrale, in-folio. Bamberg, 1824, p. 334.

avoir reçu aux lombes , dans son enfance , de fréquents coups de poing dont son père avait coutume d'accompagner ses réprimandes.

L'espèce de lordose physiologique déterminée par l'état de grossesse ne laisse pas ordinairement de traces sensibles après l'accouchement. Mais si cette influence se répète, si la constitution générale donne peu de résistance aux systèmes osseux et ligamenteux, si l'état de grossesse est accompagné de travaux pénibles , de station prolongée, la colonne lombaire peut se déformer et la lordose pathologique se produire.

Dans deux cas rapportés par M. Maisonabe (1), cette lordose de la gestation, persistant après l'accouchement, était accompagnée de douleurs aux lombes , d'une inclinaison du corps en arrière, qui rendait l'équilibre difficile et déterminait des chutes fréquentes sur le dos.

L'articulation sacro-vertébrale, celles des dernières vertèbres lombaires étaient-elles alors le siège d'un ramollissement et d'un relâchement analogues à ceux que les symphyses pelviennes subissent si souvent dans la grossesse? De nouvelles observations seraient nécessaires pour résoudre cette question.

Dans la lordose lombo-sacrée , la colonne lombaire décrit un arc plus prononcé que dans l'état normal ; sa différence de hauteur en avant et en arrière devient plus marquée ; les apophyses épineuses, les la líes, sont rapprochées, serrées les unes contre les autres ; les apophyses transverses sont séparées par des intervalles moins étendus ; les apophyses articulaires ont moins de hauteur. Au contraire, les corps vertébraux sont écartés par l'allongement de la partie antérieure des ligaments inter-vertébraux, et ils forment une courbe très-étendue, très-saillante du côté de l'abdomen, où elle a été prise quelquefois pour une tumeur d'une .autre nature. Les dernières vertèbres dorsales peuvent faire partie de la courbure, qui est en général d'autant plus élevée qu'elle est plus considérable.

Les premières vertèbres du sacrum continuent inférieurement l'arc lombaire en se relevant fortement en arrière ; la face inférieure de la cinquième vertèbre lombaire est coupée encore plus obliquement qu'à l'ordinaire, et le ligament qui la sépare de la

(1) Journal des difformités, a0 2, 1825.

première pièce du sacrum offre une disposition cunéiforme plus prononcée. L'angle sacro-vertébral est rendu ainsi plus saillant à l'intérieur du bassin, et plus profond en arrière ou du côté rentrant.

Il résulte de là que le bassin tout entier change de direction ; son inclinaison, comme on l'appelle, augmente, c'est-à-dire que le plan qui passe par sa circonférence approche davantage de la verticale ; la ceinture pelvienne bascule sur les têtes des fémurs, de manière que sa partie postérieure s'élève en arrière, tandis que l'antérieure ou la région pubienne s'abaisse.

Le mécanisme de cette inclinaison du bassin est fort simple. Pour que l'équilibre ait lieu dans la station, il faut que la verticale du centre de gravité tombe sur la ligne qui joint les deux cavités cotyloïdes. La lordose porte le centre de gravité en arrière de cette ligne; il faut donc qu'un mouvement inverse le reporte en avant, et c'est ce qui arrive quand le bassin prend la position que j'ai indiquée.

Les parties molles suivent ces divers déplacements ; le ventre, poussé en avant ,¦ est très-saillant, fortement convexe ; les fesses sont portées en arrière, relevées en forme de croupe; leur partie supérieure, presque horizontale, augmente encore la concavité lombaire. Cette concavité est telle que, lorsque le sujet est couché sur le dos, un grand vide existe entre les lombes et le plan qui supporte le corps. Cela donne à celte région l'apparence d'une selle ; de là le nom à'ensellure, sous lequel on désigne cette conformation. Cette expression est empruntée à la médecine vétérinaire. La lordose se voit en effet chez les animaux comme chez l'homme, et en quelque sorte par des causes analogues. Les jeunes chevaux que l'on monte de trop bonne heure , ou que l'on charge trop tôt de lourds fardeaux, les génisses que l'on fait vêler trop jeunes, contractent un excès de concavité supérieure de la région lombaire, et même dorsale, du rachis, que l'on attribue au poids extérieur qui presse sur les vertèbres, ou au poids intérieur, à celui des viscères, qui les attire de haut en bas (1).

Les viscères pelviens s'inclinent avec le bassin; les organes génitaux, l'anus se dirigent plus en arrière ; l'utérus gravide penche

(1) Wenzel, loc. cit., p. 331.

davantage en avant par sa partie supérieure , et les femmes sont plus exposées à cet excès d'inclinaison antérieure de l'organe , qui peut constituer un obstacle à la parturition.

Les muscles se moulent, comme les ligaments, sur les espaces qui les circonscrivent. Ceux de la paroi abdominale, les psoas , habituellement distendus, s'allongent ; les sacro-spinaux se raccourcissent en même temps qu'ils s'enfoncent dans la concavité lombaire avec les vertèbres auxquelles ils s'insèrent.

Le haut du tronc, la tête, les épaules, tout le membre supérieur, sont droits ou portés en arrière dans la lordose lombaire, à moins qu'elle ne soit compliquée de cyphose dorsale.

On a parlé de troubles des fonctions digestives, d'indispositions, de malaises produits par la compression que les vertèbres lombaires exerceraient sur les viscères abdominaux; j'ignore jusqu'à quel point cette remarque est fondée; il est plus certain que la lordose, à un degré considérable, nuit à la démarche et rend le sujet peu agile dans ses mouvements.

Ce vice de conformation, quoique lié dans le principe à un excès de mobilité dans les vertèbres lombaires, finit par gêner leurs mouvements. La flexion en avant perd de plus en plus de son étendue; l'inclinaison croissante des vertèbres les unes sur les autres s'oppose à leurmouvementderotationetmêmedeflexionlatérale. L'extension ou la flexion en arrière atteint à la longue des limites qu'elle ne peut dépasser. Avec le temps, l'immobilité des pièces du rachis est suivie, comme dans la cyphose, d'ankjlose des vertèbres , ankylose périphérique d'abord, puis par fusion, tant aux arcs et aux apophyses qu'aux corps vertébraux eux-mêmes. Duverney, dans ses Maladies des os, Wenzel (Maladies de la colonne vertébrale), ont décrit chacun un fait de cette espèce. A. Roy, élève de Sandifort, en a fait connaître, en 1774, un troisième qu'il tenait de son maître (1). Ces cas sont beaucoup plus rares que dans la cyphose, soit parce que la lordose est une déformation moins commune, soit parce que la mobilité du rachis subsiste plus longtemps aux lombes qu'au dos. On ne voit pas non plus la courbure parvenir à un degré aussi considérable que dans la cyphose, ni affecter, comme dans celle-ci, sans érosion, sans mal vertébral, une forme presque anguleuse.

(1) A. Roy, De Scoliosi, p. 61.

L'un et l'autre fait trouvent leur explication dans la résistance de la partie postérieure des vertèbres , qui ne se laisse pas affaisser ni déformer aussi aisément que leur partie antérieure , et qui n'est pas d'ailleurs exposée aux mêmes pressions.

Il est plus facile de prévenir la lordose lombaire que de la guérir. La nature de ses causes indique d'elle-même ce qu'il faut éviter pour empêcher qu'elle ne se développe. Lorsqu'on ne peut éloigner complètement ces causes, on atténue ou on neutralise leur influence.

Ainsi, dans la grossesse, une lordose commençante sera arrêtée dans sa marche si la femme a soin de rester peu debout, de se reposer souvent couchée ou assise , le dos soutenu , les cuisses relevées, à demi-fléchies, pour ramener le haut du bassin en arrière et effacer la cambrure lombaire.

Les exercices du corps convenablement dirigés sont un excellent moyen de remédier à un excès de cambrure lombaire , tant qu'il consiste en une simple attitude habituelle plutôt qu'en un véritable vice de conformation.

L'auteur du plus ancien traité d'orthopédie, Andry, a déjà établi, il y a plus de cent ans, les principes qui doivent nous guider dans l'emploi de ces exercices. « Si la taille fait un creux, dit-il, en sorte que l'épine soit tournée en dedans, ce qui est le contraire de la bosse du dos, faites souvent courber l'enfant. Jetez-lui pour cela des cartes ou des épingles sur le plancher, il se fera un plaisir de les ramasser. La situation qu'il sera obligé de prendre pour en venir à bout contraindra , à la longue , l'endroit creux de son épine à revenir en devant (1). »

Le môme écrivain montre ailleurs comment il faut comprendre, dans ce cas, l'effet des poids ajoutés à la masse du corps. « Lorsqu'un enfant avance trop le ventre, dit Andry, on croit bien faire de lui mettre sur le ventre un plomb ou quelque autre poids; mais on oblige par là l'enfant à se renverser encora davantage... Il faut, au contraire, lui charger le derrière. Il ne manquera point alors de reculer le ventre, et il ne se renversera plus (2). »

Les modernes n'ont fait qu'étendre et dêvelopperPapplication de

(1) Andry, VOrthopédie. Bruxelles, 1743, t. I, p. 125. (S) Loc. cit., t. I, p. 73.

ces principes, fondés sur l'observation et la connaissance des lois de l'équilibre dans le corps de l'homme. C'est ainsi que l'on a conseillé, pour remédier à la cambrure exagérée des lombes, de faire gravir un plan incliné, qui force à pencher le corps en avant. En le descendant à reculons, on est encore obligé de conserver la môme altitude. Dans la cyphose, au contraire, on ferait descendre ce plan en avant et on le ferait monter à reculons. Les cloches muettes, ou dumbells, agissent d'une manière analogue; c'est ce que les anciens appelaient haltères. Ce sont des masses en bois ou en métal, rétrécies dans le milieu, renflées aux deux bouts. On en charge les mains; et, suivant que les mouvements exécutés par les membres supérieurs portent ces poids en avant ou en arrière du tronc, en haut ou en bas, on produit la flexion du rachis en avant ou son renversement en arrière. On exerce ainsi à volonté les muscles antérieurs ou postérieurs de la colonne vertébrale.

La gymnastique dite suédoise, la gymnastique de Ling, est applicable ici comme dans la cyphose ; seulement, au lieu de faire effort contre la partie postérieure de la tête ou du tronc de l'enfant, c'est en avant que les mains lui présentent une résistance que l'on varie suivant le besoin, et qu'il doit surmonter en contractant les fléchisseurs du tronc. Placez, par exemple, vos mains contre les siennes, dans une position telle qu'il soit obligé de faire effort de haut en bas avec les membres supérieurs dans l'attitude du scieur de long placé au-dessus d'une pièce de bois, vous donnerez au rachis une courbure contraire à celle de la lordose.

Malheureusement, quand la lordose lombaire est devenue permanente à cause des changements anatomiques qui se produisent dans le rachis, les exercices sont loin d'être aussi efficaces; ils peuvent même nuire, en déterminant une courbure dorsale dirigée en sens contraire de la courbure des lombes , en ajoutant une cyphose à la lordose. On préviendra cet inconvénient en observant attentivement l'attitude du sujet pendant les exercices, en examinant la région postérieure du tronc, afin de reconnaître la forme qu'ils lui impriment. On peut quelquefois , dais ce cas, arriver à combiner les efforts de manière qu'ils s'opposent à un excès de courbure du dos en arrière, tout en effaçant en partie la courbure des lombes en avant.

L'attitude du bassin et les mouvements des membres inférieurs

dont elle dépend fournissent encore ici un secours utile. En effet, nous avons vu que la situation des vertèbres lombaires influe immédiatement sur la direction du bassin ; réciproquement, la position du bassin exerce une influence directe sur celle de la colonne lombaire.

Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer la direction de cette partie du rachis successivement dans la station debout et dans l'attitude assise. Le bassin se reporte en arrière, son inclinaison diminue, lorsqu'on est assis, et en même temps le creux des lombes disparaît en tout ou en partie. L'effet est encore plus marqué et une convexité est substituée à la concavité des lombes, si l'on est assis très-bas, si les membres inférieurs sont allongés sur un même plan horizontal, s'ils sont relevés et fortement fléchis sur le tronc, si l'on est accroupi comme dans la marche des nains d'Amoros, comme dans certains exercices de voltige. On peut tirer parti, dans le traitement de la lordose, de toutes ces altitudes et des exercices susceptibles de les produire.

L'orthopédie proprement dite sera associée avec avantage aux exercices quand ceux-ci seront insuffisants j elle devra même être employée seule lorsqu'ils seront à peu près inapplicables, comme chez les femmes récemment accouchées.

La position horizontale est déjà dans ces sortes de cas un très-bon moyen orthopédique. En soulageant les vertèbres lombaires du poids des parties supérieures, en faisant cesser les contractions musculaires nécessitées par les besoins de l'équilibre , elle diminue notablement la courbure du rachis. Vous savez déjà que la courbure normale s'efface ainsi en partie par le repos de chaque nuit. Pour ajouter à l'action du décubitus, on place le corps sur un lit mou, où il tend à décrire une courbe inverse de celle de la région lombaire ; on élève la tête, et surtout le bassin et les membres inférieurs.

On peut, dans cette attitude, fixer le bassin d'une part, la tête, le haut des membres supérieurs ou la poitrine, de l'autre, et exercer sur ces parties de légères tractions continues dirigées en sens opposé, de manière à faire effort, au moyen de poids ou de ressorts, pour étendre les extrémités de l'arc lombaire et pour diminuer sa courbure. C'est ce qu'on appelle Yextension du rachis ; les lits disposés à cet effet sonl les lits à extension ; j'aurai occasion de vous

en parler de nouveau dans la suite ; ces lits sont également applicables à quelques cas de cyphose.

On peut encore placer une large bande de toile ou de peau sur l'abdomen et le bas du thorax, en même temps que la région des épaules et le bassin sont relevés et appliqués sur des plans résistants; la courbure lombaire est ainsi soumise à des efforts perpendiculaires opposés, qui tendent à la redresser. Il est clair que ce petit appareil ne peut agir avec beaucoup de force, à cause du peu de résistance de son point d'appui antérieur et des graves inconvénients qu'entraînerait une trop forte pression de l'abdomen. Il peut, du moins, servir à prévenir des mouvements contraires au but qu'on se propose.

Des bandages analogues à ceux qui conviennent dans la cyphose, mais agissant en sens inverse, sont aussi employés dans la lordose. Les corsets forment déjà par eux-mêmes une sorte d'étui rigide s'opposant jusqu'à un certain point aux courbures exagérées du tronc. Ils doivent être construits, dans la lordose, de manière à presser à la fois sur la partie antérieure du tronc, vis-à-vis la convexité lombaire, et sur sa partie postérieure, vis-à-vis des points les plus capables de transmettre l'effort aux deux extrémités de l'arc , du côté de sa concavié , c'est-à-dire sur la région dorsale et les épaules d'une part, et sur la partie postérieure du bassin de l'autre. Je mets sous vos yeux le dessin d'un appareil de ce genre. Tout en reconnaissant, comme je l'ai dit à l'occasion de la cyphose, que ces moyens ont une action bornée, qu'ils peuvent présenter des inconvénients dans certains cas, tout en professant que le traitement gymnastique leur est, en général, préférable , je répète que ce serait réduire les ressources de l'art que d'en proscrire entièrement l'usage.

Quelques auteurs ont conseillé des onctions huileuses relâchantes sur les mmcles des lombes, comme d'autres en ont pratiqué sur les muscles abdominaux dans certains cas de cyphose avec rétraction musculaire. Ce moyen ne serait indiqué que si la contraction et la tension des muscles paraissaient de nature spasmodique , et si elles persistaient dans la position horizontale.

Secondé, dans la jeunesse, par une bonne hygiène, par les médicaments appropriés à l'état général des sujets, par les forces de la nature et le développement spontané des organes, ce traitement

conduit souvent à une conformation régulière et prévient ainsi les suites fâcheuses que la lordose peut entraîner avec l'âge , surtout chez les femmes.

III. Lordose dorsale. — Il n'est pas démontré que la région dorsale soit jamais atteinte primitivement de lordose spontanée ou essentielle.

Une pièce de Duverney que j'ai déjà citée semblerait un exemple de lordose générale primitive ; mais la description en est trop incomplète pour dissiper tous les doutes. Duverney se contente de dire : « J'ai vu la portion d'une épine courbée de cette manière ; elle contenait les vertèbres du dos, des lombes et de l'os sacrum.....Les cartilages de toutes les vertèbres étaient ossifiés, et

elles ne faisaient qu'un corps continu courbé en devant, et tout à fait inflexible (1). » Les côtes existantes étaient aussi soudées aux vertèbres, comme dans la colonne de Séraphin.

Je ne comprends pas qu'on ait cité comme un exemple de lordose dorsale (2) la description, communiquée à Renard parSiebold, d'un squelette rachitique de la collection de Wurtzbourg, description dans laquelle ce qui a trait au rachis se réduit à ceci : « La colonne vertébrale est courbée à la première vertèbre dorsale très-considérablement en arrière (3). »

Delpech a publié comme un cas de lordose dorsale l'observation d'un jeune homme de seize ans, d'une taille démesurée, atteint de courbure vertébrale avec déformation du thorax et affection pulmonaire chronique. Quinze mois de traitement rétablirent la rectitude du tronc, ainsi que la santé générale (ti). Mais il est aisé de voir, par la description du torse et par la figure qui l'accompagne, que c'était un cas de scoliose à courbure latérale triple, et non une lordose.

Mon excellent collègue, M. flouel, a désigné une des pièces du musée Dupuytren, le n° 539, sous le titre de «colonne affectée de

(1) Duverney, Maladie des os, 1751, t. II, p. 117.

(2) Humbert et Jacquier, Traité des difformités, 1838, t. I, p. 175.

(3) Cl. Renard, Ramollissement des os d'une femme. Mayence, 1804, p. 15.

(4) Delpech, Orthomorphie. Paris, 1828, t. I, p. 350; et Atlas, p. 19.

lordose générale (1). » Je dois à sa complaisance de pouvoir mettre cette belle pièce sous vos yeux. Il manque le sacrum, cinq vertèbres cervicales et quatre lombaires. On ne possède point de renseignements sur l'origine de cette pièce. Il est donc possible qu'il ait existé dans un autre point du rachis une déformation qui aurait précédé celle de la région dorsale, et qui en serait la cause déterminante.

D'après les seuls faits qui soient à ma connaissance , je ne puis, vous le voyez , vous parler de la lordose dorsale essentielle ; .je ne vous entretiendrai que de la lordose dorsale symptomatique.

IV. Lordose symptomatique. — Je réunis dans une description commune les lordoses symptomatiquesdu cou, du dos et des lombes.

Je ne fais que rappeler la lordose cervicale, produite par le mal sous-occipital. J'en ai parlé dans mes leçons de 1855.

Je ne ferai également qu'indiquer la lordose dépendant de cicatrices vicieuses; toutes les formes de courbure du rachis peuvent être déterminées par cette cause, fréquente surtout à la région cervicale. Mais leur histoire se rattache dans ce cas à celle de ces cicatrices elles-mêmes.

Je ne considérerai ici que trois sortes de lordoses symptomati-ques : la lordose par contracture ; la lordose de compensation; la lordose paralytique. Je dirai, en terminant, quelques mots de la lordose congénitale, qui me paraît rentrer dans la même catégorie.

A. La-contracture des muscles de la nuque est assez commune chez nos enfants ; elle donne lieu à une véritable lordose cervicale. Mais c'est une affection aiguë dans laquelle la difformité, l'inclinaison de la tête et des vertèbres ne jouent qu'un rôle très-secondaire. Cette contracture se montre-t-elle à l'état chronique sous la forme permanente? La chose est possible, mais je n'en connais pas d'exemple. Les rétractions des muscles du cou sont généralement latérales, et non directement postérieures.

La contracture du dos et des lombes est fort rare, même à l'état aigu, lorsqu'elle ne dépend pas du rhumatisme; je ne m'y arrêterai pas. Le spasme tonique de l'opisthotonos, malgré la lordose qu'il produit, est manifestement étranger à mon sujet.

(1) Houel, Manuel d'anatomiepathologique. Paris, 1857, p. 756.

B. La lordose la plus fréquente de toutes est sans contredit la lordose de compensation. Je donne ce nom à celle qui doit son origine aux efforts destinés à compenser une autre inclinaison du squelette pour la conservation de l'équilibre.

A la région cervicale , cette lordose symptomatique est ordinairement l'effet du mal vertébral des premières vertèbres dorsales.

Hippocrate disait déjà que « les individus atteints de gibbosité sont forcés de tenir le cou saillant en avant, XopSov, afin que la tête ne soit pas pendante (1). » Et Galien explique clairement dans son Commentaire, qu'en raison de l'inclinaison des vertèbres dorsales dans ce cas, les malades auraient la tête penchée vers la terre s'ils ne relevaient le cou en arrière (2). C'est, en effet, autant pour l'exercice de la vision que pour l'équilibration du corps, que la lordose cervicale se produit dans le mal vertébral avec cyphose du haut de la région dorsale.

Le renversement de la tête est alors d'autant plus prononcé, que la lésion est plus rapprochée du cou et l'inclinaison en avant plus considérable. Un pli profond se forme à la nuque, qui est très-courte ; la face est dirigée en haut ; le larynx et le corps thyroïde font saillie en avant ; les jugulaires externes sont gonflées ; toutes les parties molles de la région antérieure du cou sont tendues ; l'allongement, le rétrécissement des voies aériennes et alimentaires gênent la déglutition, rendent la respiration difficile.

Malgré la gêne de cette attitude, elle se maintient avec tant de persistance, que la lordose ne tarde pas à être confirmée par l'accommodation des vertèbres et de leurs ligaments à cette nouvelle position. C'est ce que l'on voit sur ce squelette, où la partie inférieure du cou décrit une forte courbu/e permanente, qui change brusquement la direction du rachis, fortement incliné dans la région dorsale.

Il faut souvent quelque attention pour ne pas confondre cette altitude, chez les enfants, avec celle qui dépend de l'affection sous-occipitale.

La lordose dorsale se voit presque uniquement dans les cas de cette espèce, lorsque la cyphose occupe les régions cervicale ou

(1) Œuvres d'Hippocrate, trad. par Littré, t. IV, p. 178.

(2) Galeni Opéra, édit. de Kiihn, t. XVIII, part. 1, p. 503.

lomba:re, ou bien un point de la colonne dorsale elle-même.

Vous en voyez ici plusieurs exemples. Je range parmi eux le n° 539 du Musée Dupuytren, quoique j'ignore, comme je l'ai déjà dit, la véritable cause de. la courbure dans ce cas.

Cette lordose dorsale sjmptomatique présente des caractères assez semblables à ceux de la lordose lombaire, si ce n'est que la courbure ne devient pas, en général, aussi considérable, étant, ordinairement limitée par les résistances qu'elle rencontre, notamment par la pression réciproque des apophyses épineuses.

C'est assurément une chose merveilleuse que de voir la ^eule action musculaire renverser ainsi la courbure naturelle du racbis, changer la configuration, non-seulement des ligaments , mais des vertèbres elles - mêmes , affaissées en arrière , — comme on le voit sur ces pièces, — et faire enfin d'un dos naturellement un peu voûté, non pas seulement un dos plat, mais encore un dos creux. Rien ne saurait mieux nous donner une idée de la puissance des muscles pour modifier les os ; rien n'est plus propre à nous inspirer une juste con'iance dans l'efficacité des mouvements bien dirigés, lorsqu'il s'agit de corriger, chez les jeunes sujets, les défauts de conformation du squelette.

L'influence de la lordose sur la figure du thorax , sur sa cavité, sur les viscères thoraciques et leurs fonctions, a été fort exagérée par certains auteurs. On s'est appuyé sur des observations qui n'avaient rien de général. On ne rencontre ces complications que dans quelques cas. Le sternum peut être déformé, mais moins fréquemment que dans la cyphose.

La lordose symptomatique de la région lombaire se produit dans la cyphose sacrée, dorsale ou même cervicale. Dans ce dernier cas et dans le premier, elle existe avec la lordose dorsale et lui fait suite.

Elle se produit encore toutes les fois que le bassin vient à changer de direction. Il y a, comme nous l'avons dit, entre le bassin et la colonne vertébrale , une réciprocité parfaite ; les déviations de l'un sont corrigées par les déviations de l'autre , quel que soit le siège de la lésion primitive.

Les causes qui agissent en premier lieu sur le bassin sont nombreuses. Ce sont toutes celles qui produisent un certain degré de flexion permanente des cuisses, attitude dans laquelle les fémurs ne

peuvent être placés verticalement sans que le haut du bassin s'incline en avant. Telles sont les coxalgies, les luxations du fémur non ré -duites ou congénitales, les courbures rachitiques des membres inférieurs, les abcès par congestion, les rétractions musculaires, etc., siégeant d'un seul côté ou des deux ; la lordose est plus marquée dans ce dernier cas. La déformation du rachis n'arrive alors que lentement, parce que la cause qui la produit est intermittente et n'agit que pendant la station. Cette cause est le plus souvent facile à reconnaître, pour peu qu'on la cherche avec soin ; elle se trahit par les signes de l'affection primitive.

Voici quelques exemples de lordose de compensation :

Ier cas. — Ce malade me fournit l'occasion assez rare de compléter une observation. C'est le nommé E. Goizet, dont j'ai parlé dans mes leçons de 1855 (1), et dans un mémoire sur l'absorption des abcès par congestion (2). Je l'ai cité comme un exemple de guérison d'un abcès de ce genre par l'absorption du pus. Aujourd'hui il présente un nouvel abcès dans la même région, dans la fosse iliaque droite ; mais je ne désespère pas de le voir encore se résorber. Pour revenir au sujet qui nous occupe, vous voyez que cet enfant présente une lordose lombo-dorsale causée par la flexion permanente de la cuisse; en le faisant asseoir et courber en avant, vous remarquez qu'il ne se forme plus de voussure physiologique.

IIe et IIIe cas. — Ces deux autres enfants présentent chacun une lordose lombaire ; chez l'un, elle est due à une cyphose de la partie supérieure du dos; chez l'autre, c'est la partie inférieure de cette région qui a été primitivement affectée.

IVe cas. — Chez ce quatrième malade, la cyphose occupe les lombes et le sacrum, et la lordose est à la hauteur de la région des reins.

Ve cas. — Cet autre présente la disposition contraire. La cyphose est au niveau des premières lombaires, et il y a deux lordoses, l'une au-dessus, l'autre au-dessous de la lésion.

(1) Voy. p. 63.

(2) Archives générales de médecine, janvier 1857,

BOUVIER. 23

VIe cas. — Chez cet autre enfin, le mal vertébral occupe un siège très-élevé, les premières dorsales. Il y a également deux lordoses de compensation, l'une au cou, l'autre aux lombes. Cet enfant présente en outre une disposition remarquable du thorax qui est liée à la cyphose dorsale. Ce sont deux gouttières assez profondes situées de chaque côté du thorax, et dues à la saillie et au déplacement de deux côtes. Celles-ci, basculant avec leurs vertèbres, ont passé en dehors et au-dessus des côtes qui leur étaient naturellement supérieures, et ont donné lieu à l'apparence bizarre que vous remarquez.

VIP cas. — Enfin, chez cette petite fille, vous voyez un exemple de lordose symptomatique d'une coxalgie. Celle-ci est unique et siège à droite. Lorsque l'enfant est debout, le bassin se relève en arrière, à cause de l'obliquité de la cuisse en avant, et il se produit une lordose lombaire très-marquée ; mais lorsque l'enfant est assise, tout disparaît; lorsqu'elle se courbe en avant, il se forme une cyphose dorsale physiologique, ce qui prouve que le rachis n'est point encore altéré dans sa conformation.

C. (1) J'entends par lordose paralytique celle qui est produite par une paralysie du tronc, paralysie qui porte sur les muscles extenseurs ou fléchisseurs de la colonne vertébrale. Je dois à mon excellent confrère et ami M. le docteur Duchenne (de Boulogne) la communication de faits intéressants à ce sujet.

Je vous parlerai bientôt peut-être des paralysies en général ; je me bornerai pour le moment à ce qui a trait à nion sujet.

Les muscles abdominaux, principaux fléchisseurs du rachis, peuvent perdre leur contractilité, alors que les extenseurs, les sacro-spinaux conservent la leur; et réciproquement les sacro-spinaux peuvent être atteints à'acinésie complète ou incomplète, tandis que leurs antagonistes, les fléchisseurs, restent sains.

Chacun de ces états opposés donne lieu à une attitude spéciale.

Les muscles de l'abdomen sont-ils paralysés, les sacro-spinaux agissent avec trop d'énergie dans la station et renversent le rachis en arrière ; il se produit une lordose lombaire avec les caractères que vous lui connaissez, avec le renversement du bassin en avant,

(1) Troisième leçon, 5 juin 1857.

nécessaire à la conservation de l'équilibre. Il arrive alors, en effet, le contraire de ce qu'on observe dans la lordose de compensation occasionnée par l'inclinaison exagérée du bassin : dans ce dernier cas, c'est parce que le bassin s'incline en avant que le rachis se courbe et se renverse en arrière; dans la paralysie des fléchisseurs du tronc, c'est parce que le rachis s'infléchit en arrière que le bassin bascule et s'incline en avant sur les fémurs. Le résultat est le même en définitive, et la configuration du torse diffère peu dans les deux cas, quoique produite par un mécanisme inverse. Aussi est-on exposé à confondre ces deux sortes de lordose, si l'on n'en recherche pas attentivement la cause.

Voici le moule d'une femme qui a reçu les soins de M. le docteur Duchenne pour une acinésie occupant une partie des muscles du tronc et, en particulier, ceux de l'abdomen. Vous reconnaissez la lordose lombaire, l'ensellure portée à un haut degré (1).

Même aspect sur cette figure, qui représente une jeune fille que j'ai soignée autrefois à l'Hôtel-Dieu, sans savoir alors la véritable cause de l'attitude extraordinaire qu'elle présentait dans la station (2). J'ai dit un mot de ce fait dans mes leçons de 1855 (3).

Cette lordose ne diffère en rien de celle que je vous ai fait voir dans des cas d'inclinaison primitive du bassin. Mettons à côté de ce moule cette figure d'un jeune garçon parfaitement musclé, dont la lordose dépendait d'une luxation congénitale des deux fémurs, qui faisait basculer le bassin en avant dans la station ; nous ne verrons pas de différence dans la conformation apparente des lombes.

Si ce sont les muscles sacro-spinaux que le mal a envahis , on observe un singulier phénomène découvert par M. Duchenne, et qui m'a fort étonné la première fois qu'il a bien voulu m'en rendre témoin.

On s'attendrait dans ce cas à voir, comme chez les vieillards, la faiblesse des muscles postérieurs suivie de flexion en avant, de cyphose. Point du tout ; c'est encore une lordose qui se produit, et voici comment.

Menacé incessamment de tomber en avant, entraîné irrésisti-

(1) Voy. Duchenne, Electrisation localisée, p. 312.

(2) Voy. pl. 1, fig. 2.

(3) Voy. p. 127.

23.

blement dans ce sens par la moindre surcharge, par un léger mouvement des membres supérieurs qui déplace le centre de gravité , le malade réunit toutes ses forces pour rejeter le tronc en arrière jusqu'à ce que son propre poids le porte dans cette direction , jusqu'à ce que les muscles antérieurs valides soient appelés à leur tour à maintenir l'équilibre , à prévenir la chute en soutenant l'effort de la pesanteur. Les rôles sont alors intervertis ; ce sont les fléchisseurs qui deviennent les principaux agents de la station , et les extenseurs sont déchargés d'une fonction qu'ils sont hors d'état de remplir. De là la lordose.

Mais ce genre de lordose diffère de celles dont je vous ai entretenus jusqu'ici : son aspect est tout autre; au lieu d'une courbe assez régulière, assez uniforme, les vertèbres lombaires présentent une flexion brusque, une sorte d'angle arrondi, au-dessus duquel le rachis forme une ligne presque droite , fortement inclinée en arrière. C'est ce que vous voyez dans cette photographie d'un porteur de la halle observé par M. Duchenne (1).

Remarquez bien qu'ici il n'y a pas d'ensellure ; le bassin est porté en avant et les fesses sont effacées (2) ; au contraire, sur le moule de la femme à la paralysie abdominale, Pensellure est considérable et le bassin fait saillie en arrière.

Il en résulte qu'un fil à plomb qui part de l'occipital tombe au-dessus du bassin même dans la première variété, et en arrière de cette cavité dans la seconde.

La lordose paralytique disparaît dans la position horizontale, comme la lordose provoquée par l'inclinaison du bassin ; l'attitude assise la modifie également. En un mot, ce n'est qu'une courbure par flexion ; mais cette flexion paraît dépasser les limites de l'état normal, et elle pourrait, à la longue, être suivie de déformation.

Guérir la paralysie est l'indication essentielle à remplir dans cette forme de lordose. Ne laisser le sujet debout que le moins possible, le soutenir au besoin par des supports artificiels, tels sont les seuls soins que la courbure réclame par elle-même.

La paralysie des fléchisseurs ou des extenseurs du cou, considérée en particulier , se comporte comme celle des muscles du tronc

(1) Loc. cit., p. 834,

(2) Voy. pl. 1, fig. 3.

et donne lieu à des inclinaisons toutes semblables de la tète et des vertèbres cervicales. La cyphose résultant de la paralysie des extenseurs, très-pénible pour les malades, lorsqu'ils ne peuvent la prévenir, est transformée de même en lordose. Je place eous vos yeux la photographie d'un malade de M. Duchenne , dont la tête est ainsi renversée par suite d'une paralysie de ses extenseurs. Cet homme n'évitait la flexion forcée de la tête et la suffocation qui en eût été la suite, qu'en la laissant tomber en arrière de tout son poids dans l'attitude de la lordose cervicale. Un support factice, un collier convenablement rembourré, serait utile en pareil cas.

D. La lordose congénitale est en général une circonstance très-accessoire d'états fort complexes ; on l'a principalement rencontrée sur des monstres, où elle était presque toujours réunie au spina bifida.

On voit la lordose lombaire dans des cas d'éventration avec développement imparfait des viscères abdominaux , la lordose cervicale dans des monstruosités partielles de la tête.

Tl est une lordose congénitale générale, remarquable en ce qu'elle forme à elle seule le trait le plus saillant de la monstruosité. Il n'y en a encore que peu d'observations, mais elles se ressemblent toutes; on les dirait calquées sur le même modèle. Jetez les yeux sur ces figures de M. Bouteiller, qui a publié une observation de ce genre (1). Vous y trouverez les mêmes caractères que dans une observation analogue de Dugès (2), que dans une autre de Gerdy (¿5), les mêmes que dans un cas observé par M. Gi-raldès (U) et dans d'autres recueillis par des auteurs plus anciens. Cependant ces observations sont restées à l'état de faits isolés, bien qu'elles constituent réellement un genre dont un des caractères est la lordose générale du rachis.

En effet, dans tous ces cas, la colonne vertébrale, ouverte à sa partie postérieure, est relevée en arrière et recourbée au point que le sacrum remonte derrière l'occiput et que le coccyx atteint l'in-

(1) Bulletin de la société anatomique, 1855.

(2) Des altérations intra-utérines de l'encéphale, dans Ephém. méd. de Montpellier, t. II, juillet 1826.

' (3) Bulletin de la Faculté de médecine, t. VI, p. 346. (4) Observation inédite.

tervalle des pariétaux. Les pièces de l'occipital séparées laissent entre elles un écarternent occupé par les vertèbres, qui forment ainsi une partie de la paroi crânienne. Le thorax , renversé en arrière par sa partie inférieure, est sous la base du crâne. Les membres inférieurs sont suspendus sous la tête à des os iliaques imparfaitement développés et séparés du sacrum. D'autres anomalies compliquent ces désordres. Le cerveau est en partie déplacé en arrière. C'est Yiniencéphale de M. Is. Geoffroy-Saint-Hilaire (1) (cerveau à l'occiput, de ïviov , nuque). Dans le cas de M. Bouteiller, il y avait de plus transposition des viscères. Le cerveau a paru normal, mais la pièce était trop altérée pour qu'on pût étudier complètement sa disposition.

Comment expliquer ce renversement bizarre du rachis? Quel est ici le rôle des muscles?

D'abord qu'est-ce qu'un monstre ? Dans beaucoup de cas, ce n'est autre chose que le produit d'une altération pathologique, d'une maladie embryonnaire ; et, pour le cas particulier qui nous occupe , il est bien difficile de ne pas se ranger à l'opinion de Daller (2) et de Morgagni (3), si bien développée par mon maître, Bé-clard (4), et par Dugès (5); il est difficile de ne pas voir avec ces auteurs, dans l'état d'imperfection du crâne et du rachis, les suites d'une hydropisie crânio-rachidienne. La colonne vertébrale, privée de résistance et facile à courber en tous sens, suivant la juste remarque de Wenzel (6), quand elle est réduite ou à peu près aux corps vertébraux, a aisément obéi aux impulsions qui tendaient à la rapprocher du crâne, avec lequel elle a contracté d'étroites connexions, et celles-ci ont apporté un nouvel obstacle au développement du squelette.

Il serait assez naturel de penser que les muscles postérieurs du tronc contribuent par leur contraction tonique, peut-être par un spasme dépendant de la lésion encéphalique , à attirer l'un vers l'autre la'tête et le train inférieur du corps, et à amener au contact

(1) Histoire des anomalies, 1836, t. II, p. 308.

(2) Bemonstris, op. minora, 1768, t. III.

(3) Epist. XII.

(4) Bulletin de la Faculté de médecine, t. V, p. 506.

(5) hoc. cit. dans Ephém. de Montpellier, t. I et II.

(6) hoc cit., p. 333.

l'occiput et la région du dos, des lombes et du sacrum. Cependant quelques objections s'élèvent contre cette interprétation.

Déjà, en 1826, Dugès (1) lui opposait, à l'occasion d'un fait.de lordose fœtale moins considérable, le changement de direction des muscles, rejetés sur les côtés avec les lames vertébrales, et leur état de relâchement comparé à la tension des muscles antérieurs. Il est difficile de comprendre comment l'extrémité des sacro-spinaux pourrait à elle seule renverser la courbure du sacrum et du coccyx, et les accoler à la partie postérieure du crâne. La pression du liquide céphalo-rachidien repoussant les vertèbres en avant, alors que la poche n'est point encore rompue, exerce une influence pour le moins aussi réelle que celle dés muscles. Ne faut-il pas aussi tenir compte de la rétraction de la poche elle-même après son évacuation?

Une pièce décrite par M. Houel (2) et déposée au Musée Dupuy-tren sous le n° 160 (lésions de l'appareil digestif), semble encore démontrer la réalité des influences mécaniques dans les cas de ce genre. C'est une lordose du sacrum, devenu convexe en avant dans un spina-bifida des vertèbres sacrées. Cet os, probablement repoussé en avant par la tumeur aqueuse de l'hydro-rachis, est venu se mettre en contact avec le pubis, et il en est résulté un défaut de développement de la paroi abdominale et une exstrophie de la vessie. En même temps les membres inférieurs ont éprouvé une rotation en dehors d'une demi-circonférence, dont la raison se trouve dans le déplacement du sacrum, qui a changé la direction des os coxaux. Ainsi voilà toute une série de désordres qui paraissent dériver d'une même cause, d'une pression mécanique !

ARTICLE VIII.

COURBURES LATÉRALES DU RACHIS.

On réunit sous le nom de scoliose toutes les courbures latérales du rachis, que leur convexité soit tournée à droite ou à gauche. Je n'en excepterai que les courbures de la région cervicale avec

(1) Loc. cit.

(2) Loc. cit., p. 28; et Bulletin de la Société anatomique, 1849.

rotation de la têle et de l'atlas sur la deuxième vertèbre du cou; elles constituent une affection distincte, le torticolis. J'en ai indiqué les espèces dans mes leçons de 1855 (1), et j'espère y revenir plus tard.

Je décrirai séparément la scoliose par flexion et la scoliose par déformation, qui diffèrent plus l'une de l'autre que les formes correspondantes de la cyphose. Ces deux espèces sont, à la vérité, très-souvent réunies ; mais il nous sera facile de tenir compte de cette circonstance, tout en les étudiant chacune en particulier.

§ Ier. — Scoliose par flexion.

La courbure latérale par flexion mérite à peine le nom de scoliose, qu'il faudrait peut-être réserver pour la courbure permanente qui se lie à l'état anatomique du rachis.

Cette fausse scoliose n'est en effet qu'une simple attitude semblable à/celles qui se produisent dans les mouvements ordinaires du tronc; elle ne tend même pas d'une manière absolue à devenir une scoliose vraie, quoiqu'elle favorise le développement de la courbure par déformation.

Une connaissance exacte des attitudes physiologiques de la colonne vertébrale, produites par ses inflexions latérales, est nécessaire pour l'intelligence de cet ordre de faits.

I. Flexions latérales physiologiques. — Les inclinaisons latérales du rachis diffèrent suivant que l'on est assis, debout ou couché; suivant que le tronc n'a pour support, dans la situation droite, que sa base de sustentation inférieure, ou qu'il est, en outre, soutenu par des appuis latéraux; suivant que la base de sustentation est horizontale ou inclinée, unique ou composée de plusieurs plans; suivant les positions diverses, le repos ou l'action des membres supérieurs, etc.

Le rachis, cette carene du squelette, comme l'appelle Galien, est d'ailleurs, vous le savez, étroitement lié dans tous ses mouvements aux autres sections du corps et surtout à la tête, au thorax, aux membres supérieurs et au bassin.

A notre point de vue, ce qui nous intéresse spécialement, c'est

(1) Voyez page 85.

la forme, la direction de l'axe du rachis dans ses divers mouvements.

Or cet axe peut se courber latéralement dans sa totalité ou seulement vers une de ses extrémités céphalique ou pelvienne; sa courbure est simple, en forme de C, ou double, en forme d'S ; elle peut être verticale ou plus ou moins oblique, cette direction étant appliquée non pas à l'arc que représente la courbure, mais à la corde de cet arc, c'est-à-dire à la ligne qui joint ses deux extrémités. La courbure verticale se termine donc par ses deux extrémités sur une ligne verticale. La courbure oblique a son extrémité supérieure en dehors de cette ligne verticale ; elle est oblique droite, oblique gauche, suivant qu'elle se dirige à droite ou à gauche, en partant du bassin. Celui-ci, dans tous ces cas, peut conserver sa direction normale ou s'incliner sur l'axe du corps, soit dans le sens où cet axe s'incline, soit en sens contraire.

Les attitudes du tronc qui résultent de ces inflexions latérales de l'épine sont, les unes régulières, habituelles, les autres anormales, accidentelles; je ne m'arrêterai qu'aux principales.

A. La plus simple consiste dans la flexion latérale de la partie supérieure du tronc, à droite ou à gauche, toutes les vertèbres étant inclinées dans le même sens. Le rachis décrit un arc très-oblique, à courbure un peu inégale, comme vous le voyez sur ces dessins et sur cette pièce anatomique (1). La région cervicale s'infléchit le plus, puis vient la région lombaire ou plutôt dorso-lombaire ; car, suivant la remarque de plusieurs anatomistes, confirmée par les recherches de M. "VYeber (2), les dernières dorsales et les premières lombaires sont plus mobiles que les autres vertèbres ; mais, d'après ces mêmes recherches , la flexion latérale des dernières lombaires sur elles-mêmes et sur le sacrum est pour le moins aussi prononcée que celle de la région dorso-lombaire, de sorte qu'il y a comme deux angles dans la partie inférieure de la courbe, angles très-peu marqués à la vérité, l'un dorso-lombaire et l'autre lombo-sacré. On comprend d'ailleurs que, suivant la volonté du sujet ou d'autres circonstances, la flexion peut être plus prononcée au cou ou aux lombes.

(1) Voy. pl. 2, fig. 1 et 4.

(2) Journal complém. des sciences mèdic, t. XXIX, p. 271, 1828.

On remarquera que, dans ce mouvement du rachis, les vertèbres s'inclinent directement sur le côté, sans tourner le moins du monde autour de leur axe. Les courbes antérieure et postérieure, comme vous le voyez sur cette pièce , sont exactement parallèles ; la courbure a la même étendue et la même forme, que l'on considère le rachis du côté des corps vertébraux ou du côté des apophyses épineuses (1). C'est une erreur de Pravaz (2) d'avoir cru à priori à une torsion du rachis dans ce cas, d'après la direction des apophyses articulaires. La torsion physiologique de la colonne vertébrale est un mouvement tout à fait distinct de sa flexion latérale.

Dans cette attitude du tronc, la tête, le cou, l'une des épaules, un côté du thorax s'abaissent et se rapprochent du côté correspondant du bassin. L'autre épaule, la moitié opposée du thorax s'élèvent et s'éloignent, au contraire, de l'os iliaque. D'un côté, le flanc rentre et s'efface, les espaces intercostaux diminuent, l'abdomen et le thorax perdent de leur capacité, les mouvements respiratoires deviennent plus bornés, les viscères thoraciques et abdominaux sont comprimés. Du côté opposé, le flanc s'étend, les côtes s'écar-, tent, le diamètre des cavités s'accroît, les viscères se dilatent ; la mensuration fait reconnaître une plus grande circonférence du demi-thorax dans ce second sens que dans le premier. Un des côtés du dos est un peu plus bombé que l'autre ; les muscles des gouttières vertébrales sont soulevés, tendus d'un côté, ramassés et effacés de l'autre ; les téguments forment un ou plusieurs plis au-dessus de la hanche du côté où penche le tronc (3).

Si le bassin reste horizontal d'un côté à l'autre, le haut du corps s'éloigne considérablement de son aplomb (4). Si le bassin se relève d'un côté et concourt ainsi à la flexion du rachis, l'arc est moins incliné, à égalité de courbure, et l'équilibre est moins compromis (5). L'arc peut même devenir tout à fait vertical lorsque le bassin est très-oblique, comme sur ces deux plâtres de filles bien conformées que j'ai fait mouler autrefois dans cette attitude.

(1) Pl. 1, fig. 4 et 5.

(2) Des déviations de la colonne vertébrale, 1827, p. 96.

(3) Pl. 2, fig. 1.

(4) Pl. 2, fig. 1 et 4.

(5) Pl. 2, fig. 2.

La flexion latérale de la partie supérieure du tronc est une attitude anormale dans la station, à moins que le membre supérieur abaissé ne trouve un appui; elle est moins rare dans l'attitude assise avec supports latéraux ; mais elle est surtout très-régulière et habituelle dans la position horizontale, quand le corps, par exemple, est soulevé à demi sur un coude, attitude familière aux anciens dans leurs repas et dans d'autres circonstances. Vous en observerez tous les détails sur plusieurs figures représentées couchées dans nos musées et nos jardins publics.

B. Il peut arriver, même sans que le bassin s'incline, que l'arc décrit par les vertèbres soit droit, que sa corde soit perpendiculaire au sacrum. Il suffit pour cela que la cinquième lombaire seule, ou en même temps la quatrième, se meuvent latéralement et s'inclinent sur le bassin en sens contraire de la flexion des autres vertèbres. Cette flexion est moins prononcée que dans l'attitude précédente ; elle ne fait que ramener l'extrémité supérieure de la courbe à la ligne médiane. Les enfants, les femmes encore jeunes prennent aisément cette pose ; les hommes adultes ne la produisent guère qu'en étendant à toutes les lombaires le mouvement d'inclinaison des dernières vertèbres de cette classe sur le sacrum. C'est une attitude anormale dans l'état physiologique ; mais elle joue un rôle important dans l'état pathologique.

C. Ajoutez à une légère flexion latérale, en C vertical, un petit mouvement du bassin qui la rend plus facile, vous aurez une attitude des plus communes, que chacun de nous prend sans cesse dans la station : c'est le hancher, comme disent les peintres (1). Toutes les fois qu'on reste quelque temps debout immobile, on ne tarde pas à ressentir de la fatigue aux lombes, et pour se soulager, on fait porter le poids du corps alternativement sur chacun des membres inférieurs ; l'autre membre est alors légèrement fléchi et porté un peu en avant ; le bassin, abaissé du côté de ce membre, incline dans le même sens l'extrémité inférieure du rachis. Le mouvement qui se produit pour ramener les vertèbres sur la ligne médiane donne lieu à une courbure verticale, formée surtout par les vertèbres inférieures. L'équilibre est assuré par cette pose, dont le nom vient de la saillie de la hanche du côté où le tronc s'inflé-

(1) Pl. 2, fig. 3.

chit, c'est-à-dire du côté du membre qui soutient le corps. Elle a en outre pour effet de déprimer le flanc correspondant et d'élever l'épaule opposée. Le soulagement qu'elle fait éprouver résulte de ce que l'action de la pesanteur est principalement contre-balancée par les muscles d'un seul côté, ce qui repose ceux de l'autre côté, et aussi de ce que cette action est en partie supportée par la résistance des tissus fibreux.

D. Si l'on se hanche fortement, et si en même temps on penche la tête du côté de la hanche qui s'abaisse, on pourra faire décrire au rachis deux courbures opposées mais inégales, la supérieure cervico-dorsale étant toujours moins marquée que la dorso-lom-baire (1). C'est là une altitude anormale.

Shaw (2) et Pravaz (3) se sont mépris en admettant cette disposition du rachis dans l'attitude habituelle du hancher. Il vous sera facile de constater, sur le vivant comme sur le cadavre, et dans toutes les œuvres d'art qui offrent cette pose, qu'il ne se forme généralement alors qu'une seule courbure.

E. Cette courbure en S, qui ne se montre qu'accidentellement dans l'action de se hancher, caractérise une autre attitude, anormale aussi, il est vrai, mais intéressante pour la pathologie. On la produit en inclinant les lombes sur une hanche, le bassin étant droit comme dans la flexion latérale simple du tronc, et en ramenant en sens inverse le haut du corps vers la ligne médiane ; ou bien en courbant d'abord le haut du corps et en redressant, par un mouvement inverse des lombes, la courbure oblique qui a été ainsi formée (4). C'est cette attitude que l'on obtient le plus souvent chez l'homme adulte, au lieu delà courbure simple, verticale, dont j'ai parlé tout à l'heure, sans doute à cause de la souplesse moindre des ligaments des dernières lombaires et de l'articulation lombo-sacrée. Il est facile, chez les jeunes sujets, de faire prédominer à volonté la courbure inférieure ou la supérieure, et de rapprocher ainsi la courbure en S de la courbure simple.

(1) Pl. 2, fig. 6.

(2) J. Shaw, Nature and treatment of (lie distorsions. London, 1823, p. 54.

(3) Loc. cit., p. 95.

(4) Pl. 2, fig. 5.

En raison de la différence de mobilité des trois régions* c'est surtout, comme Shaw (1) en a déjà fait la remarque, vers le cou et les lombes que ces deux courbes opposées se produisent. Sur ces figures faites d'après nature, de même que sur ce dessin d'une colonne vertébrale ainsi repliée artificiellement, on voit les deux courbures séparées par une portion intermédiaire, presque droite, qui répond à une partie de la région dorsale.

La forme du tronc tient à la fois, dans ce cas, des courbures droite et gauche qui constituent cette double flexion. C'est l'épaule correspondante à la concavité dorsale qui devient la plus basse ; son abaissement est même nécessaire pour que le sujet puisse prendre cette attitude. Les deux flancs présentent chacun une petite dépression , mais à des hauteurs inégales. La hanche la plus saillante est celle qui répond à la concavité dorsale, par conséquent à la convexité lombaire. C'est le contraire, quand la courbure en S accompagne le hancher.

F. Une dernière figure, parmi celles que vous avez sous les yeux, réunit à la flexion en S un abaissement du bassin du côté de la concavité des lombes (2) : c'est une attitude forcée et exceptionnelle.

IL Flexion latérale pathologique. — Les développements dans lesquels je viens d'entrer sur les attitudes physiologiques produites par les flexions latérales du rachis, me permettent d'être bref en ce qui touche les attitudes pathologiques de la scoliose fausse. Ces dernières sont en effet identiques aux premières ; elles n'en diffèrent qu'en ce qu'elles constituent un fait anormal indépendant de la volonté du sujet.

Nous retrouvons ici à peu près les mêmes distinctions que pour la cyphose et la lordose. Ainsi je diviserai la flexion latérale pathologique du rachis en flexion spontanée ou essentielle et en flexion symptomatique.

A. La flexion latérale spontanée est ordinairement un simple résultat de l'habitude. C'est ce que des auteurs étrangers ont nommé scoliosis habitualis, bien qu'ils aient eu le tort d'y rapporter des faits appartenant à la véritable scoliose.

(1) hoc. cit.

(2) Pl. 2, fig. 7.

Une foule de circonstances, en provoquant la répétition fréquente des mêmes attitudes, finissent par les rendre habituelles. Je citerai l'habitude de pencher la tête en regardant de côté, qui détermine à la longue une inclinaison permanente du cou ; l'élévation répétée ou prolongée d'une épaule, suivie de flexion latérale habituelle de la région dorsale; le port de fardeaux d'un même bras, produisant l'inclinaison du corps du côté opposé pour rétablir l'équilibre, par exemple, chez les jeunes filles qui portent des enfants, comme on le voit sur ce plâtre d'une fille de seize ans qui avait conservé cette attitude à la suite de ce genre d'efforts; l'action de se hancher debout ou assis, trop souvent répétée chez les enfants par fatigue, faiblesse ou nonchalance, et par suite la dépression habituelle d'un des flancs, la saillie de la hanche due à une flexion lombaire devenue presque constante.

Werner, médecin orthopédiste d'Allemagne, trop tôt ravi à la science, affirme qu'une jeune fille de dix-huit ans, à force de se tenir hanchée, parce que cette pose plaisait à son fiancé, contracta une scoliose habituelle des lombes (1).

On comprend qu'un défaut de symétrie, une inégalité de force des deux côtés du corps, des membres ou des organes des sens, puisse donner lieu à ces inflexions latérales habituelles, qui reconnaissent presque toujours une cause interne ou externe et sont moins souvent qu'on ne le croit l'effet d'un tic purement volontaire.

Le caractère commun de ces flexions latérales est de céder instantanément à de légers efforts du sujet ou d'une personne étrangère, sans laisser de conformation anormale, de disparaître même par un simple changement de position du corps. Si elles se reproduisent incessamment, c'est parce que le système nerveux tend à coordonner instinctivement l'action musculaire suivant l'habitude qu'il a contractée.

Rompre cette habitude, tel doit être l'effet des moyens à employer. Ces moyens sont du même ordre que ceux que l'on oppose aux flexions antéro-postérieures. Ils consistent à faire cesser d'abord les actes qui ont provoqué et qui entretiennent l'habitude prise; à

(1) Werner, Grundziige, etc., ou Principes d'orthopédie, p. 64. Berlin, 1851.

substiiuer à celle-ci une habitude contraire par des mouvements et des attitudes opposés; à se servir au besoin de bandages pour vaincre une nature récalcitrante ou pour soutenir un corps débile, jusqu'à ce que le retour des forces les rende superflus.

Tout ce que j'ai déjà dit des exercices gymnastiques et des corsets trouve ici son application ; la direction à imprimer au rachis est la seule chose qui diffère : il faut reporter sur les côtés les influences qui agissaient dans le sens antéro-postérieur. Les membres supérieurs, entraînant l'épine latéralement dans leurs mouvements de totalité, fournissent d'excellents moyens de modifier sa direction à volonté, de changer la hauteur comparative des épaules, etc. Les membres inférieurs, vous l'avez vu, exercent la même influence sur la région lombaire* Tout ce que nous savons maintenant des attitudes physiologiques peut être mis à profit pour combattre, dans ce cas, leurs propres effets.

B. La flexion latérale sympfomatique compte autant de variétés qu'il existe de causes capables de la produire. J'indiquerai les suivantes :

1° Flexion latérale par contracture. — Commune au cou , mais accompagnée de rotation; très-rare aux régions dorsale et lombaire.

2° Flexion latérale par paralysie. — Dans l'hémiplégie, le haut du tronc penche ordinairement un peu de côté ; le rachis décrit une courbure longue et peu profonde, dont la concavité est du côté malade, si le sujet a peu de vigueur, ou du côté sain, comme l'a déjà indiqué Vicq d'Azyr (1), par un effort d'équilibration instinctif et par la prédominance d'action des muscles de ce côté. L'état du membre inférieur influe aussi, dans ce cas, sur l'attitude.

S0 Flexion latérale par douleur. — Très-commune, elle revêt plusieurs formes qui rentrent dans les attitudes physiologiques que j'ai décrites. On la voit dans le torticolis aigu, le lombago, la pleurodynie, dans un grand nombre d'affections thora-ciques et abdominales, à la suite de la pleurésie, — je reviendrai sur cette dernière espèce, — dans le mal vertébral, abstraction faite des inclinaisons dues à la destruction partielle des vertèbres.

(1) OEuvres, recueillies par Moreau, 1805, t. V, p. 360.

U° Flexion latérale de compensation. — Dans toutes les espèces de torticolis qui inclinent la tête latéralement, une courbure de compensation, qui n'est longtemps qu'une simple flexion, s'établit dans la région cervico-dorsale.

Dans toute claudication, quelle que soit la cause de l'inégalité de longueur des membres inférieurs, l'inclinaison du bassin, dans la station, donne lieu à une courbure dorso-lombaire, dont la concavité , de même que lorsqu'on se hanche, regarde le membre le plus élevé. Cette courbure disparaît dès que le malade se couche, s'assied, ou si l'on rétablit par quelque autre moyen la direction normale du bassin.

La durée de ces scolioses symptomatiques est subordonnée a celle de l'affection qui les produit. Elles persistent toute la vie, si cette affection est incurable et si l'on ne peut en pallier les effets statiques; elles disparaissent complètement d'elles-mêmes si leur cause s'évanouit. Cette disparition est quelquefois très-prompte ou même subite dans la flexion latérale par douleur, par contracture, comme on en trouve un exemple remarquable dans un excellent travail de M. O. Landry (1).

Terminons cette séance par l'examen de quelques malades.

Ier cas. — Voici un garçon de douze ans entré récemment dans nos salles. Il présente une lordose paralytique avec inclinaison considérable du tronc en arrière. C'est cette forme que M. Duchenne (de Boulogne) rapporte à la paralysie incomplète des sacro-spinaux.

IIe cas. — Voici une petite fille âgée de treize ans qui vous présente une inclinaison de la tête à droite due à une synovite cervicale , probablement rhumatismale. La région dorsale s'infléchit à gauche avec le bas de la région cervicale; c'est une scoliose de compensation.

IIP cas. — Sur cet enfant, vous voyez une courbure lombo-dorsale de compensation semblable à celle du hancher. C'est une simple attitude habituelle; toute déformation disparaît lorsqu'on fait asseoir l'enfant.

IVe cas. — Sur cet autre enfant, atteint d'une tumeur blanche

(1) Recherches sur les maladies nerveuses, Paris, 1855, p. fit*.

du genou, vous avez encore un exemple d'une scoliose sympto-niatique d'une lésion des membres inférieurs. Le sujet se tient sur la pointe du pied pour compenser le raccourcissement résultant de la flexion du genou. Cette flexion était autrefois plus considérable, et partant aussi la déformation; mais le père, cordonnier de son état, a eu l'heureuse idée de mettre une semelle de plomb au soulier droit, et le membre s'est notablement redressé. Il n'y a ici qu'une simple scoliose par flexion, qui disparaît complètement dans la position assise.

Voici deux enfants qu'on peut regarder comme des modèles de l'état normal, quoique l'un d'eux ait une scoliose très-légère. Je leur fais reproduire les diverses attitudes dont je vous ai montré les dessins (1). Vous reconnaissez la fidélité avec laquelle on a représenté toutes ces poses. Remarquez la saillie, la dureté des muscles lombaires d'un côté, fortement contractés pour soutenir le poids du corps, tandis que ceux de l'autre côté sont effacés et relâchés. Ce phénomène est important, et nous aurons fréquemment l'occasion de le constater dans les scolioses pathologiques, où sa véritable signification a été quelquefois méconnue.

g IL — Scoliose par déformation.

(2) C'est la scoliose vraie, la scoliose proprement dite; on l'appelle encore déviation latérale, courbure latérale de l'épine. Quelques-uns veulent que déviation désigne la difformité de tout le rachis, et courbure chacun des arcs qui la composent; la langue n'autorise pas celte distinction arbitraire, qui n'a pas cours dans la science; on s'accorde à regarder ces mots comme synonymes.

La scoliose par déformation, une fois produite, est inhérente à la constitution du rachis ; elle est permanente, et elle l'est par elle-même , indépendamment de toute circonstance étrangère à l'épine dorsale; elle peut offrir des variations, s'effacer partiellement, mais elle ne disparaît jamais en un instant comme les courbures par simple flexion.

C'est cette scoliose, portée à un haut degré, qui constitue le plus

(1) Planche 2.

(2) Quatrième leçon, 12 juin 1857.

BouviEn. 24

grand nombre des difformités comprises sous le nom de gibbosité ou bosse.

Je n'ai trouvé, ni dans Hippocrate ni dans Galien, la preuve que ce fait fût connu des anciens. Je m'explique : les Grecs avaient leurs bossus comme nous, et ce vice de conformation avait certainement attiré leur attention; mille témoignages l'attestent ; il me suffirait de citer Ésope, s'il ne paraissait démontré que la difformité du célèbre fabuliste n'est qu'une invention de Planude, moine du quatorzième siècle (1). Mais je ne sais si les médecins d'alors avaient reconnu que la gibbosité commune n'est pas médiane, qu'elle est située en arrière et sur le côté, et surtout qu'elle est le produit d'une courbure latérale. Quoique la scoliose soit définie dans le Traité des articulations d'Hippocrate et surtout dans le Commentaire de Galien sur ce traité, l'un et l'autre n'en disent que fort peu de chose. Ils s'étendent, au contraire, sur la cyphose, qui semble être pour eux la même chose que la gibbosité ou bosse. Homère a fait Thersite louche, boiteux et bossu ; or c'est encore une cyphose qu'il lui attribue. « Ses deux épaules, dit-il, ™ Si ol w[/.w, étaient voûtées et se rejoignaient presque sur sa poitrine (2). »

Cependant les anciens connaissaient ce qu'on nomme la grosse épaule, Y épaule haute, témoin ce vers de Y Art d'aimer d'Ovide :

Conveniunt tenues scapulis analectrides àltis (3).

« Il faut aux épaules hautes de légères analectrides. t

Vanalectride ou analectide était un petit coussin destiné à remplir le vide d'un côté du dos et à égaliser, pour les yeux, la saillie des épaules.

Galien, dans un ouvrage autre que celui que j'ai cité, dit plus explicitement encore que, par la mauvaise application des bandes qui tenaient lieu de corsets aux jeunes filles, « le thorax devient proéminent en avant, ou la région opposée, celle du rachis, devient gibbeuse ; qu'il arrive encore quelquefois que le dos est pour ainsi dire brisé et entraîné de côté, de sorte qu'une épaule est sou-

(1) Voy. la Vie d'Ésope, par Méziriac. Bourg en Bresse, 1646.

(2) Iliade, chant n, v. 217.

(3) Ovide, Art d'aimer, ch. m.

levée, saillante et en tout plus volumineuse, tandis que Vautre est affaissée et aplatie (1). » Mais on voit par ce passage même que Galien distinguait la gibbositè de l'épaule saillante et volumineuse, et qu'il ne rapportait pas celle-ci à sa véritable cause, à la scoliose, dont il ne prononce pas même ici le nom.

Ces notions incomplètes furent longtemps les seules que la science eût en sa possession. A. Paré, répétant en cela les anciens, a bien dit que la cyphose était « la bosse relevée en dehors, » la scoliose « la bosse non droite, mais tournée et entorsée, c'est-à-dire jetée à dextre ou à senestre (2) ; » mais immédiatement après il reproduit, en l'aggravant même, l'erreur de Galien. Il ajoute en effet que, par telle faute (d'étreindre la poitrine), les os de la poitrine sont contraints de se jeter trop en devant ou en arrière,-. dont s'ensuit gibbositè et bosse, et quelquefois une épaule ne croit pas et demeure amaigrie, et Vautre croit et s'aggrossit par trop (3). » Ce n'est que dans un autre passage que Paré, qui ne pouvait ignorer les dissections de bossus par Vésale (£), Fallope (5), et d'autres, établit enfin que « les filles deviennent bossues parce que leur épine n'est pas droite, mais en arc ou m figure de S..., (que l'épine) se contourne de côté et d'autre, et se ployé en figure de la lettre S, qui fait qu'elles (les filles) demeurent tortues et bossues (6). »

Il ne fallait en effet qu'une chose pour découvrir la vérité ; il fallait disséquer des bossus, et, comme Morgagni en fait la remarque , c'est ce qui manquait aux anciens. L'anatomie pathologique, à laquelle, malgré ses excès et ses erreurs, nul ne refusera d'avoir tiré la médecine du chaos, devait ici nous apporter ses lumières. Il faut voir dans la vingt-septième lettre de Morgagni comment, les observations se multipliant, la nature de la difformité fut enfin mieux connue.

Ce que les anciens devaient croire faute d'études anatomo-pa-

(1) Des causes des maladies, chap. 7.

(2) OEuvres d'Ambroise Paré, livr. XVI, c. 17,

(3) Ibid.

(V) Epist. de rad. chyn.

(5) Epist 56, n. 36.

(6) hoc. cit., liv. XXIII, c. 8.

u 24.

thologiques, vous l'entendrez dire journellement aux malades et aussi, je ne puis le taire, à beaucoup de médecins eux-mêmes. Les premiers vous parleront de leur épaule qui grossit, d'un côté fort, d'un côté faible; les seconds d'un inégal développement musculaire, d'hypertrophie, d'atrophie, de muscles plus saillants et par conséquent plus volumineux, etc. Vous serez en garde contre ces méprises, guidés par l'anatomie pathologique.

L'état actuel de nos connaissances permet de suivre Xévolution de la gibbosité ou bosse produite par la scoliose, depuis son état rudimentaire jusqu'à son développement le plus avancé, le plus considérable.

Ce que je considère comme l'état rudimentaire de la scoliose, c'est la courbure latérale normale permanente du rachis, qu'il faut distinguer, vous le savez, de la flexion latérale fonctionnelle passagère, liée à ses mouvements physiologiques. Cette courbure latérale normale constitue pour ainsi dire le germe de toute vraie scoliose ; il nous faut donc l'étudier avec quelque soin.

Courbure latérale normale ou scoliose physiologique. — On doit à Sabalier un article court, mais intéressant, sur la courbure dont il s'agit (1). Sabatier, le premier, je crois, avait reconnu que, vers la fin de la crosse de l'aorte, à la hauteur de la cinquième vertèbre dorsale, l'épine décrivait souvent une courbure à concavité gauche, a courbure, dit-il, plus ou moins sensible et plus ou moins étendue, très-marquée en quelques sujets..., pendant qu'en d'autres il n'y avait qu'une sorte d'aplatissement. » Cette courbure, d'après les observations de Sabatier, s'étend de la troisième vertèbre du dos à la huitième ou à la neuvième; souvent aussi elle est bornée à un moins grand nombre de vertèbres. Il attribue cette incurvation à l'action de l'aorte sur les vertèbres; mais il dit avoir rencontré beaucoup de sujets chez qui elle n'existait pas, et se demande si elle ne se produirait pas exclusivement chez ceux « qui ont été faibles et délicats pendant les premières années de leur vie. » Enfin Sabalier ajoute que ce fait fournit une explication naturelle de la fréquence de la gibbosité à droite, puisque « la maladie qui altère la solidité des os doit plu-

(1) Mémoire sur la situation des gros vaisseaux, h la suite de VAnato-mie de Sabaiirr, t. III, p. /(0(i, 179!. : '' ('•dit.

tôt disposer la colonne vertébrale à se courber dans le sens où elle a déjà commencé à le faire, que dans tout autre. »

On a peu ajouté à ces remarques de Sabatier, malgré ce qu'elles laissent encore à désirer. J'ai repris ce sujet il y a une vingtaine d'années et, dans un travail encore inédit, j'ai étudié cette courbure du rachis à un nouveau point de vue.

D'abord, son existence est plus générale chez l'adulte que ne le croyait Sabatier, surtout si l'on tient compte, comme il paraît le faire lui-même, des cas où elle n'est représentée que par une sorte d'aplatissement d'un côté du rachis. Au delà de la vingtième année, c'est à peine si l'on trouve un cas sur cent dans lequel le rachis soit parfaitement symétrique à droite et à gauche. Il en est autrement, à la vérité, au-dessous de cet âge; plus on se rapproche de la naissance , plus les cas de rectitude complète deviennent nombreux, et l'on ne voit plus de courbure chez les enfants très-jeunes, à moins qu'ils n'offrent quelques traces de rachitisme.

Il faut distinguer deux degrés dans cette disposition anatomique : 1° la simple dépression, ou l'aplatissement latéral indiqué par Sabatier ; 2° la courbure proprement dite. La dépression précède la courbure, et lui reste même associée lorsque celle-ci s'est formée; mais la courbure ne succède pas toujours à la dépression, bien que cela arrive à peu près constamment si les sujets vivent assez longtemps. La dépression se voit donc chez les individus jeunes, tandis que la courbure peut être regardée comme constante chez les vieillards.

Au reste la dépression rentre dans la courbure, car elle produit elle-même une courbe, mais seulement du côté où elle existe : aussi ne séparerai-je pas ces deux états dans la description.

Le siège ordinaire de l'un et de l'autre est celui qu'indique Sabatier, l'intervalle des troisième et huitième ou neuvième dorsales; mais, lorsqu'il y a courbure, celle-ci est presque toujours multiple, double, triple et même quadruple. Quand il existe deux courbures, la principale occupe le lieu indiqué; la seconde est ordinairement formée par les dernières dorsales seules ou conjointement avec les premières lombaires, plus rarement par les premières dorsales et les dernières cervicales.

Qu'il y ait simple dépression ou courbure, la concavité de l'arc est généralement tournée à gauche, et répond précisément à l'es

pace dans lequel l'aorte est en contact avec la partie latérale du rachis ; telle est aussi la direction de la courbure principale, lorsqu'il y en a plusieurs. Mais il y a des exceptions à cette règle. La concavité de la courbure unique est quelquefois tournée à droite; cette particularité a été observée dans des cas d'inversion des viscères, l'aorte étant elle-même placée à droite du rachis. M. Grisolles a communiqué autrefois à la Société anatomique deux faits de ce genre (1). MM. Pétrequin (2), Desruelles (3), Brochin (4)', en ont publié depuis quatre nouveaux cas, et il en existe d'autres semblables. Cependant cette coïncidence n'est pas constante; Bé-clard a vu la convexité du rachis dirigée à droite, quoique l'aorte fût placée de ce côté (5). Dans un cas observé par M. Desruelles (6), il n'y avait pas de crosse de l'aorte, et la courbure du rachis avait néanmoins la direction ordinaire. D'autres fois l'aorte conserve ses rapports normaux, et la courbure est renversée; c'est ce que Béclard a vu sur un gaucher (7). J'ai moi-même observé des cas semblables, mais les sujets n'étaient pas tous gauchers.

Quand il existe plusieurs courbures , la principale peut avoir sa convexité à gauche sans qu'il y ait renversement de la déviation. Dans ce cas, en effet, la courbure normale existe, mais elle est peu développée, et c'est une courbure secondaire qui devient alors prédominante. Ce genre d'exception doit être distingué du précédent.

L'étendue des arcs, leur degré de courbure sont loin d'être toujours les mêmes; en général, plus les courbures sont nombreuses, moins il y a de vertèbres comprises dans chacune d'elles. Les plus courtes, qui se voient surtout dans la région dorsale supérieure, ne comprennent que trois ou quatre vertèbres; les plus longues peuvent s'étendre à huit ou dix corps vertébraux. La dépression, simple à son début, n'occupe qu'un petit nombre de vertèbres dorsales supérieures; elle s'étend en longueur en devenant plus marquée.

(1) Bull, de la Soc. anat., 1834.

(2) Gazette médicale du 1er avril 1837.

(3) Gazette des hôpitaux, 23 décembre 1841.

(4) Gazette des hôpitaux, 5 août 1854.

(5) Bull- de la Faculté de médecine, t. III, p. 434.

(6) Loc. cit.

(7) Loc. cit.

Un caractère générique commun à toutes ces petites déviations normales du rachis, c'est que les inclinaisons qu'elles produisent se compensent toujours, de manière que, dans la station verticale, l'extrémité supérieure du rachis répond directement au-dessus de son extrémité inférieure.

La configuration spéciale des parties constituantes du rachis, au niveau de ces courbures, offre des particularités que l'on n'a pas encore décrites , que je sache, et qui sont d'un grand intérêt poulie sujet dont nous nous occupons.

Toutes les courbures que nous avons étudiées jusqu'à présent, — j'excepte celles qui dépendent du mal vertébral, — commencent toujours par une flexion suivie plus tard de déformation. Ici, au contraire, le phénomène primitif est une déformation.

Qu'est-ce, en effet, que cet aplatissement latéral déjà mentionné par Sabatier, et constituant le premier degré de la courbure? C'est une altération de la symétrie des vertèbres, qui préexiste même à la courbure proprement dite.

Mais ce n'est pas tout. Cet aplatissement, qui est tout ce qui frappe lès yeux dans une colonne entière, est accompagné d'autres changements de figure qu'on n'aperçoit distinctement que sur les vertèbres séparées. Prenez au hasard une colonne vertébrale d'adulte désarticulée ; prenez-en dix, cent, si vous voulez, vous aurez bien de la peine à en trouver dont les pièces soient partout exactement symétriques. Vous en jugerez en jetant les yeux sur tous ces rachis. C'est surtout à la région dorsale que l'on observe le plus d'irrégularités, portant à la fois sur le corps des vertèbres, sur leurs apophyses et sur leurs ligaments.

Corps vertébraux. — Si l'on considère par sa face supérieure où inférieure la circonférence du corps des vertèbres déprimées dans une courbure principale, que je supposerai à convexité droite, on voit que cette circonférence est moins courbée à gauche qu'à droite. La vertèbre est comme renflée du côté antérieur droit, comme aplatie du côté antérieur gauche. La courbe, dans ce dernier sens, peut se trouver redressée au point d'être transformée, en tout ou en partie, en une ligne droite, de sorte qu'une surface tout à fait plane, du côté gauche, contraste d'une manière remarquable avec la surface fortement courbée du côté droit. Le milieu de la

face antérieure du corps vertébral éprouve alors un déplacement sensible : à l'état tout à fait normal, et dans les dorsales moyennes, cette partie médiane est le point le plus courbé et forme une saillie très-prononcée en avant; la circonférence des faces supérieure et inférieure offre par là, en avant, la figure d'une parabole dont le sommet répond à cette saillie médiane. Or, par l'effet de la déformation , ce sommet se dévie à droite. Il en résulte que tout le corps de la vertèbre semble dévié dans le même sens; l'axe dirigé suivant sa longueur n'est plus antéro-postérieur ; il devient oblique d'arrière en avant et de gauche à droite. Cette déviation du corps des vertèbres, qui dérive uniquement d'un changement de configuration , produit à la partie antérieure du rachis la même apparence que si la vertèbre avait tourné horizontalement sur elle-même de gauche à droite. Il y a seulement cette différence que son corps a cessé d'être symétrique.

A mesure que la courbure s'accroît, ces modifications du corps des vertèbres deviennent plus prononcées, et il s'établit en même temps une différence de hauteur dans leurs côtés droit et gauche, ainsi que dans les parties correspondantes des ligaments intervertébraux. De même que dans la cyphose et la lordose avec déformation, le côté qui répond à la concavité de la courbure s'affaisse plus ou moins et présente moins d'épaisseur que le côté opposé. Chez les sujets un peu jeunes, et dans les courbures légères, les ligaments éprouvent seuls cet amincissement latéral; mais il est rare que quelque corps vertébral n'y participe pas chez l'adulte, pour peu que la courbure soit marquée.

Arcs apophysaires. — L'arc apophysaire ne reste pas plus symétrique que le corps des vertèbres; une de ses moitiés latérales présente moins de développement, surtout en hauteur. Lame, apophyses articulaires, pédicule , ligament jaune, ont moins d'étendue du côté concave de la courbure. Cette différence précède même, dans certains cas, celle qui se produit dans les corps vertébraux ; on la trouve sur des vertèbres dont le corps n'est encore qu'aplati et dévié latéralement. L'apophyse transverse y participe peu ; elle se dévie seulement, comme nous le verrons tout à l'heure.

L'apophyse épineuse est souvent irrégulière, asymétrique; sa direction est oblique, son sommet s'incline ; c'est ordinairement du

côté de la concavité de la courbure. Cette déviation de l'apophyse épineuse en sens contraire de la déviation du corps vertébral ferait croire à un mouvement de rotation de toute la vertèbre, si l'on n'avait égard qu'à l'obliquité apparente de son axe antéro-postérieur.

Toutes les vertèbres de la courbure principale ne sont pas également déformées et ne le sont pas de la même façon. L'amincissement des ligaments intervertébraux, et surtout du corps des vertèbres, ne se voit guère que vers le milieu de la courbure. La réduction d'une des moitiés de l'arc apophysaire n'a pas de siège aussi déterminé; elle peut être diversement répartie le long de la courbure. La déviation latérale du corps vertébral commence vers la quatrième ou cinquième dorsale, et se prononce de plus en plus jusqu'à la neuvième. La déviation des apophyses épineuses se montre déjà dans les premières dorsales, quelquefois dès le bas de la région cervicale , et on la retrouve jusque dans les dernières dorsales ou même dans les premières lombaires; mais elle semble si peu soumise à des règles fixes, qu'on est tenté de l'attribuer en partie à des anomalies indépendantes de l'influence des courbures.

Cet exposé suffit pour faire comprendre comment ces diverses déformations peuvent s'associer entre elles, former différentes combinaisons, ou se rencontrer isolément dans quelques vertèbres. En général, c'est la sixième ou la septième dorsale qui les réunit en plus grand nombre et de la manière la plus constante, parce que ces vertèbres répondent ordinairement à la partie moyenne de la courbure.

Les petites courbures secondaires placées au-dessus ou au-dessous de la courbure principale présentent des déformations plus ou moins analogues, mais moins prononcées. Ces déformations participent même souvent de celles de la courbure principale. D'un autre côté, il arrive très-fréquemment que les vertèbres des extrémités de la courbure primitive revêtent en partie les caractères des vertèbres appartenant aux courbures secondaires voisines. De ces deux circonstances résulte un état mixte, un mélange de petites déformations appartenant à la fois à la convexité et à la concavité des courbures, propre aux vertèbres de transition qui joignent une courbe à l'autre.

Si l'on examine la colonne vertébrale en arrière, on trouve en

général que la série des apophyses épineuses a une direction différente de celle qu'offre la série des corps vertébraux. Quatre cas peuvent se présenter :

Io La courbure légère de la partie antérieure ne se voit nullement en arrière, où les apophyses épineuses sont placées sur une ligne sensiblement droite. C'est une disposition très-fréquente et presque générale dans les courbures les moins prononcées. Elle résulte de ce que celles-ci sont principalement produites par la déviation des corps vertébraux à droite ou à gauche, l'arc n'éprouvant qu'un très-léger changement de situation. Ce cas dépend encore de ce que les apophyses épineuses se dévient du côté de la concavité de la courbure et reviennent ainsi à la ligne médiane, dont l'inclinaison de la vertèbre tend à les écarter.

2° La courbure des corps vertébraux se reproduit dans la série des apophyses, mais moins prononcée, sa flèche étant, par exemple, la moitié, le tiers de la courbure antérieure. Ce cas est moins fréquent que le précédent ; on le rencontre surtout dans les courbures les plus marquées auxquelles l'arc participe davantage. Il s'explique par une déviation des apophyses épineuses qui les rapproche de la ligne médiane, sans les y ramener complètement. Il est bon d'observer que le siège, les limites des courbures ne sont pas toujours exactement les mêmes en avant et en arrière.

3° La courbure apophysaire est semblable à celle des corps et de même profondeur. Cela est rare ; je n'en ai vu qu'un petit nombre d'exemples. Les apophyses, dans ce cas, ne se sont pas déviées par rapport aux corps vertébraux, ou se sont déviées du côté de la convexité.

U° Les apophyses épineuses sont déjetées alternativement à droite et à gauche, au lieu de décrire une courbe régulière répondant à celle des corps vertébraux. C'est une anomalie assez rare qui tient à ce que ces apophyses offrent des déviations successives en sens contraire. De pareilles déviations peuvent se présenter comme de simples variétés anatomiques, sans courbure latérale du rachis dans le point correspondant.

La direction des apophyses transverses n'est pas toujours symétrique ; l'apophyse du côté de la convexité de la courbure est souvent un peu plus inclinée en arrière, l'autre dirigée un peu plus transversalement. On dirait que la première a été repoussée en ar

rière, de sa ¿ase à son sommet, par le plus grand développement du corps vertébral dans le sens de la convexité de la courbure, ou qu'elle a été attirée par l'apophyse épineuse s'inclinant vers la concavité.

De même que pour le corps, de même que pour l'apophyse épineuse , ce n'est pas là l'effet d'un mouvement de rotation réel de la vertèbre, mais bien le produit d'un changement de configuration qui en déplace les parties principales et les dévie les unes à l'égard des autres* Les apophyses articulaires seules conservent sensiblement leur rapport normal avec l'axe du rachis.

Les apophyses transverses ne peuvent changer de direction sans entraîner avec elles les côtes ; mais celles-ci, fixées par leurs extrémités aux vertèbres et au sternum, ne peuvent suivre le déplacement des apophyses transverses qu'à la condition de se déformer. Leur courbure postérieure augmente du côté où les apophyses se portent en arrière ; du côté où les apophyses conservent leur position ou se portent un peu plus en avant, elle reste la même ou diminue. Or, le premier sens est celui de la convexité des courbures; le second, celui de la concavité. Le thorax cesse donc d'être symétrique ; sa partie postérieure se bombe légèrement du côté convexe de la courbure vertébrale, et paraît légèrement aplatie du côté concave. L'épaule, à son tour, supportée par les côtes, est un peu plus soulevée du côté où leur excès de courbure les rend plus saillantes, et paraît plus déprimée de l'autre côté. C'est là la véritable raison du développement, en apparence plus considérable, de l'épaule droite chez le plus grand nombre des individus. En réalité, sauf quelques exceptions, l'omoplate et ses muscles sont tout à fait étrangers à cette apparente disproportion.

Les courbures secondaires peuvent donner lieu à des effets semblables. Les fausses côtes présentent ainsi une inégalité de saillie en arrière, dans les courbures normales inférieures. Aux lombes, les muscles seuls sont inégalement soulevés par les apophyses transverses , et l'on se gardera bien de prendre pour une inégalité réelle de volume la différence qui en résulte dans la saillie des masses musculaires à droite et à gauche.

On ne reconnaît, pendant la vie, la courbure latérale normale du rachis que lorsqu'elle est indiquée par une légère déviation des apophyses épineuses, ou quand l'obliquité des apophyses trans

verses produit une inégalité de saillie des deux côtés du dos ou des lombes. Cette déviation et cette inégalité sont toujours peu sensibles à l'œil, et il faut quelque attention pour les saisir. La saillie latérale, lorsqu'elle existe seule, n'est un signe de courbure que si elle est circonscrite, bornée à un étroit espace; elle constitue un indice à peu près certain, si elle est accompagnée d'une saillie opposée dans une région voisine. On a quelquefois pris cette saillie pour une anomalie propre au thorax, parce qu'on ne trouvait pas de déviation spinale. Mais vous comprenez maintenant que cette déviation puisse exister sans se traduire au dehors par aucun autre caractère extérieur.

Voici quelques exemples de courbure latérale normale :

Ier cas. —Ce garçon, qui paraît avoir seize ans, bien qu'il n'en accuse que quatorze, présente une légère voussure dorsale à droite et une saillie lombaire à gauche ; le flanc droit est un peu plus échancré. Les trois ou quatre apophyses dorsales supérieures sont alternativement déjetées à droite et à gauche ; mais elles ne décrivent pas de courbe sensible.

IIe cas. — Garçon de onze ans. Légère voussure dorsale droite, qu'on n'aperçoit que lorsque le dos s'arrondit par l'inclinaison du corps en avant ; pas de déviation appréciable des apophyses épineuses.

IIIe cas. — Garçon de seize ans. Légère voussure dorsale droite ; saillie lombaire gauche très-légère, presque inappréciable; ligne des apophyses normale.

IVe cas. — Garçon de onze ans et demi. Voussure dorsale droite ; flanc droit un peu plus échancré ; déviation très-légère des apophyses.

Ve cas. — Garçon de quinze ans. Légère cyphose dorsale; épaules ailées; voussure dorsale inférieure gauche. Les apophyses dorsales inférieures sont un peu déviées à gauche.

VIe cas. — Garçon de quinze ans, bien conformé. Il a une ophthalmie depuis bientôt six semaines et incline la tête à droite; il en est résulté une très-légère voussure dorsale gauche, qui paraît plutôt due à une flexion latérale physiologique qu'à une courbure par déformation.

VIIe cas. — Garçon, douze ans. Très-légère voussure dorsale inférieure gauche ; flanc droit un peu déprimé ; saillie des muscles lombaires droits, due à une courbure secondaire inférieure.

VIIIe cas. — Garçon, neuf ans et demi. Légère voussure dorsale gauche, soulèvement du trapèze gauche, dus l'un et l'autre à une courbure secondaire supérieure gauche, qui s'est développée plus que les autres.

IXe cas. — Garçon, neuf ans. Voussure dorsale droite soulevant l'omoplate. Pas de déviation appréciable des apophyses.

Xe cas. — Garçon, douze ans. Cas analogue au précédent; dos un peu voûlé, épaule droite plus haute, flanc gauche plus plein; pas de déviation appréciable des apophyses épineuses.

XIe cas. — Fille, treize ans. Voussure latérale dorsale droite soulevant l'épaule, très-légère déviation des apophyses à droite, qui disparaît lorsque l'enfant vient à se courber en avant.

XIIe cas. — Fille, treize ans. Ophthalmie et perte d'un œil. Légère voussure latérale gauche par flexion habituelle à droite. Les apophyses forment une ligne onduleuse en S très-peu accusée, qui devient tout à fait droite quand le tronc se fléchit en avant.

XIIIe cas. — Fille, douze ans et demi. Ophthalmie déterminant la flexion de la tête à droite. Très-légère voussure dorsale du même côté.

XIVe cas. — Fille, huit ans. Légère voussure dorsale droite, soulevant l'épaule ; série des apophyses sensiblement rectiligne.

XVe cas. — Fille, onze ans. Légère déviation à gauche des apophyses dorsales inférieures.

XVIe cas. — Fille, dix ans. Voussure légère dorsale gauche, soulevant l'épaule ; pas de déviation des apophyses épineuses.

(1) Quelle est la cause de la courbure latérale physiologique? Bichat (2), Béclard (3), rejetant l'opinion de Sabatier, l'attribuent à la prédominance d'action du bras droit et nient l'influence de l'aorte. Dans cette supposition, une scoliose par flexion précé-

(1) Cinquième leçon, 19 juin 1857.

(2) Anatom. descrip., 1846, t. I, p. 131.

(3) hoc. cit.

derait la déformation. Mais, s'il en était ainsi, la courbure siégerait aux lombes, où la flexion physiologique latérale est la plus grande, et non au dos, où cette flexion est presque nulle; la déformation primitive des vertèbres serait un affaissement, et non un aplatissement latéral.

Pour moi, je partage entièrement l'opinion de Sabatier. Remarquez, en effet, que la courbure se moule en quelque sorte sur l'aorte, et cesse précisément à l'endroit où le vaisseau devient antérieur au rachis. Voici une pièce fraîchement préparée, qui vous montre les rapports de l'aorte avec la colonne vertébrale. Vous voyez que cette artère correspond exactement au côté gauche des Vertèbres , dans le point où se forme la courbure latérale normale. Cette déformation des os âu contact des artères n'est point un fait extraordinaire ; on l'observe presque partout où les artères sont en rapport immédiat avec les os. Cette action est toujours assez lente ; aussi la courbure aortique n'existe-t-elle pas chez les jeunes sujets, où elle n'a pas encore eu le temps de se développer.

On a vu que la transposition de l'aorte retourne la courbure. Les exceptions sont des cas de courbures pathologiques venant renverser une courbure normale.

Au fait du gaucher observé par Béclard, et ayant le rachis courbé à gauche, on peut opposer un certain nombre de faits contraires. L'influence de l'aorte se retrouve dans les animaux, où l'on ne peut admettre celle de l'exercice exclusif d'un seul membre. Voici la colonne vertébrale d'un singe sur lequel s'est produite une courbure correspondant exactement à la situation de l'aorte, telle que vous pouvez l'observer sur cette pièce avec aorte injectée, préparée sur un autre singe.

Au-dessus et au-dessous de la courbure aortique du rachis, se trouvent des courbures de compensation plus petites et dirigées en sens inverse; je leur donnerai les noms de courbures sus-aorti-ques et sous-aortiques.

J'ai rapporté toutes ces courbures à l'état physiologique; on pourrait y voir des courbures pathologiques. La dépression aortique superficielle est certainement un état normal ; mais j'accorderai que l'existence, à peu près générale dans nos contrées, de la courbure qui lui succède peut être liée à l'affaiblissement de l'espèce par l'excès de civilisation.

Idée générale de la scoliose pathologique ; espèces. — Lorsque la scoliose physiologique s'exagère ou apparaît de trop bonne heure, elle devient pathologique. C'est à cette cause que la plupart des bosses doivent leur origine, et non au rachitisme, comme on le dit encore si souvent. Le rachitisme est une maladie du premier âge, qui ne se prolonge guère au delà des deux premières années ; or, la plupart des scolioses ne se forment qu'entre sept et dix ans, chez des enfants qui n'ont plus le rachitisme ou qui ne l'ont jamais eu. Dugès (1), dit alors que le rachitisme est borné au rachis. Pour moi, comme pour Boyer (2), Shaw (3), Delpech (h), cette manière de parler n'est propre qu'à faire naître une fâcheuse confusion.

Il y a quatre espèces de scoliose :

1° La scoliose spontanée ou essentielle, qui n'est que l'exagération de l'état normal ; c'est la plus commune.

2° La scoliose symptomatique ; elle ne comprend que celles qui dépendent du rachitisme et de l'ostéomalacie.

3° La scoliose consécutive, celle qui succède à une flexion latérale prolongée, amenant à la longue une déformation : telle est la scoliose qui est la suite d'un épanchement pleurétique.

h° La scoliose congénitale.

I. Anatomie pathologique de la scoliose.

Je réunirai dans une même description anatomique les trois premières espèces de courbures latérales de l'épine.

A. Rachis. — Les courbures les plus communes présentent les traits fondamentaux de la scoliose normale, tant dans la conformation générale du rachis que dans celle des vertèbres en particulier.

a. Rachis en générai. — Le siège le plus fréquent de ces courbures est à la région dorsale supérieure ou moyenne ; leur concavité est tournée à gauche. Exceptons-en les enfants au-dessous de sept ans, chez lesquels les scolioses dorsales gauches sont

(1) Dict. de méd. et de chir. prat., art. Rachis, p. 78, 1835.

(2) Traité des maladies chirurgicales, t. IV, p. 593, 1814.

(3) Loc. cit., p. 92.

(4) Orthomorphie, t. I, p. 230; t. II, p. 91, et ailleurs.

aussi fréquentes que les droites; chez eux, en effet, la courbure aortique, n'ayant pas encore eu le temps de se développer, ne saurait avoir d'influence sur le sens de la déformation. Passé cet âge, la scoliose gauche est rare; elle est toujours due à une cause accidentelle spéciale, qui a déformé le rachis en renversant ses courbures physiologiques : exemple, la scoliose pleurétique, quand la pleurésie siège à droite.

La scoliose est ordinairement composée de deux courbures régulières, à peu près égales. C'est cette forme que Shaw (1), après Haller (2), appelait serpentine, à cause de ses ondulations alternatives, serpentis in modum, comme disait A. Roy (3). On a préféré depuis la nommer sigmoide avec quelques écrivains étrangers , et cette dénomination est aujourd'hui assez généralement reçue, quoiqu'elle ne soit pas parfaitement exacte, le sigma des Grecs n'étant nullement notre S. On a comparé (U) assez justement cette forme de scoliose à un zêta (£), quand la petite déviation cervico-dorsale en retour est assez prononcée, ce qui rend la scoliose triple (5).

Les courbures de cette scoliose sigmoide se compensent exactement, comme dans la déviation normale ; le rachis, incliné à gauche à partir du sacrum, revient à droite par une inclinaison opposée, s'écarte de la ligne médiane dans ce sens d'autant à peu près qu'il s'en était écarté dans l'autre, et se porte de nouveau à gauche pour regagner la ligne médiane vers la région cervicale, qui ne participe que fort peu à ces changements de direction. L'épine décrit ainsi une sorte de Z dont les angles seraient arrondis et les branches très-ouvertes. La droite qui joint les deux extrémités du rachis forme la corde des deux courbes, qu'elle coupe à leur point de réunion. C'est ce que vous voyez sur cette pièce provenant d'un enfant rachilique, et dont la courbure dorsale est à gauche (6).

Les courbures rachitiques ou autres de la première enfance,

(1) Loc. cit., et Observ. ondefects of the spine, 1827, p. 1.

(2) Opusc. pathol, 1768, Obs. 13.

(3) De scoliosi, 1774, p. 68. Leyde.

(4) Bampfìeld, Diseases of the spine, traduction allemande de Sieben-haar. Leipzig, 1831, p. 194.

(5) Voy. planche 3, fig. 7.

(6) Voy. pl. 1, fig. 6.

souvent sigmoïdes, peuvent aussi être simples, que la convexité soit à droite ou à gauche. Il n'y a dans ce cas qu'un petit angle ou coude peu marqué aux deux extrémités de l'arc, à leur point de jonction avec la ligne verticale. Ces petites courbes en retour, produites par la réunion angulaire d'un arc de cercle avec deux droites, ne se voient pas en arrière, où la série des apophyses épineuses ne décrit qu'un seul arc prolongé par des droites.

On a beaucoup disserté, à une époque, sur l'existence des courbures latérales simples; on les a dites impossibles, parce que la conservation de l'équilibre exige une ou plusieurs courbures de compensation. Mais, quoique rares, on ne peut se refuser à les admettre; on les observe non-seulement chez des enfants rachi-tiques, mais encore dans plusieurs autres circonstances, lorsque, par exemple, la scoliose est la suite d'une flexion latérale qui a fini par déformer le racbis dans le point où elle était le plus prononcée. Dans ce cas, la scoliose affecte d'abord la forme de la flexion physiologique ; les courbures secondaires se montrent plus tard, et encore ne deviennent-elles apparentes que lorsqu'elles sont parvenues à un certain degré. L'équilibre n'est pas nécessairement détruit dans cette courbure simple, pas plus que dans les flexions qui la déterminent, parce que la mobilité du rachis sur le sacrum, surtout chez les enfants, celle des vertèbres supérieures, permettent aux muscles de ramener les deux extrémités de la courbe dans la ligne médiane.

Mais il y a plus : l'équilibre rompu par l'inclinaison du rachis n'est pas inévitablement rétabli par la formation d'une courbure inverse, quoique cette règle, depuis longtemps connue, ne comporte qu'un petit nombre d'exceptions. Certains sujets à muscles débiles ne parviennent pas à relever le rachis, à le courber en sens inverse, ou n'y réussissent qu'imparfaitement; la compensation alors n'a pas lieu, ou bien elle est insuffisante, incomplète, et la partie supérieure du tronc reste inclinée et hors de la ligne verticale passant par le centre de gravité. Cette forme de scoliose se voit surtout dans un âge avancé, et elle est souvent compliquée de cyphose.

Vous avez sous les yeux plusieurs pièces n'offrant qu'une seule courbure latérale.

Ainsi cette pièce que je vous présente offre une courbure dorsale aortique exagérée, presque unique; le bas du rachis est remar-

BOUVIER, -'•"

quable par sa rectitude complète; le cou est seulement un peu incliné à gauche.

Vous voyez, sur cette pièce, une courbure dorsale droite presque unique: si on la regarde en arrière, on n'aperçoit qu'une courbure.

Voici un bel exemple de courbure dorsale simple, ayant succédé à un empyèrae suivi de fistule pleurale. Cette pièce provient de la nommée Churlière, âgée de quinze ans, dont j'ai publié l'Observation en 1837 (1). La courbure, à convexité droite, est d'une régularité remarquable (2).

Ces deux pièces présentent aussi des courbures dorsales droites uniques ou presque uniques.

Sur ces deux autres, la courbure est également simple, mais elle siège aux lombes et au côté gauche.

Voici d'autres pièces où l'on voit plusieurs courbures, mais sans compensation suffisante.

Il existe, sur celle-ci, une forte courbure lombaire gauche et une courbure dorsale inférieure droite secondaire, beaucoup moindre. Ce défaut de compensation fait pencher le cou considérablement à droite et en avant.

Sur cette autre pièce, le cou est également porté à droite ; la courbure est une semi-sigmoïde dorsale droite; la compensation est insuffisante.

Voici deux pièces presque identiques : elles présentent toutes les deux une courbure semi-sigmoïde à lombaire gauche prédominante; le cou est incliné à droite. La compensation est incomplète.

Enfin, voici un dernier exemple où la compensation et même l'équilibre paraissent avoir été impossibles. Le cou, en totalité, est porté à droite, très-loin de la ligne du centre de gravité; le rachis, dans son ensemble, a la forme d'une S qui serait fortement penchée à droite.

On a vu tout à l'heure que la scoliose qui n'est point modifiée par la nature de sa cause , la scoliose type, celle qui suit la marche régulière, comme on dirait d'une maladie aiguë, n'est à son début et longtemps après qu'une simple exagération des courbures latérales normales, se produisant et s'accroissant outre mesure

(1) Bulletin de l'Acad. de mèd., t. I, p. 872.

(2) Voy. pl. 1, Og. 7.

avant l'époque où elles apparaissent d'une manière sensible dans l'ordre physiologique. Mais cette ressemblance, cette quasi identité qui rappelle son origine, se perd en partie avec les progrès de la difformité. Nous ne sommes pas encore arrivés, en effet, à l'état du rachis qui constitue la gibbosité ou bosse. L'évolution n'est pas encore complète.

Si la scoliose continue de croître, il peut arriver que, les deux courbures augmentant également jusqu'à leur plus haut degré, la déviation conserve la forme d'une S régulière (1). Mais cela est rare; la courbure sigmoïde se transforme dans les cas les plus communs. L'une des courbes, ordinairement la dorsale, augmente plus que l'autre et cela dans une proportion telle, que celle des deux courbures qui s'est arrêtée dans son développement n'est plus, de même que la petite courbure cervico-dorsale, qu'une courbure en retour; elle ne fait que ramener à la ligne médiane l'extrémité inférieure de la courbe principale. Il résulte de là des changements importants dans l'aspect du rachis.

L'arc dorsal, en augmentant de courbure, descend et empiète sur l'arc lombaire. Son milieu, au lieu de correspondre à la cinquième ou sixième dorsale, se trouve vers la septième, la huitième ou même la neuvième. La petite courbure supérieure en retour, la cervico-dorsale, se prolonge un peu plus bas; elle retourne le haut de la courbure aortique. (Je double déplacement altère déjà la ressemblance de cette courbure pathologique et de la scoliose normale dont elle procède. Mais une autre modification change complètement la configuration du rachis.

A mesure que les vertèbres de la courbure principale s'éloignent davantage de la ligne médiane, elles entraînent de leur côté les vertèbres des courbures voisines. La corde de celles-ci ne se trouve plus sur la ligne médiane; elle s'incline à droite ou du côté convexe de la courbure dorsale, et, au lieu de se porter successivement à droite et à gauche du plan médian du corps, le rachis serpente d'un seul côté de ce plan, à sa droite, clans la forme que j'ai supposée. Au lieu de trois inclinaisons alternatives à partir du sacrum, on n'en voit que deux opposées, comme dans une courbure simple, l'une qui écarte les vertèbres du plan médian du corps, l'autre qui les

(1) Voy. pl. 3, fig. 2; pl. 6, fig. \.

15.

ramène vers la ligne médiane. La figure du rachis, ainsi fortement courbé dans son milieu et redressé à ses deux extrémités, a quelques rapports avec celle d'un vilebrequin (1). Dans les déviations excessives, comme sur les pièces que je vous présente, les deux côtés de la courbure prennent en partie une direction horizontale. Ce n'est plus un arc de cercle qu'elle décrit, c'est une moitié d'ellipse ou un arc prolongé par deux droites approchant du parallélisme. La colonne vertébrale est parfois tellement repliée, qu'il n'existe qu'une distance de quatre ou cinq centimètres entre ces deux droites.

Celte courbure dorsale, devenue prédominante à divers degrés, est ce qui donne lieu à la gibbosité commune postéro-droite, parvenue à son développement complet.

La gibbosité est-elle posléro-gauche, la forme du rachis est retournée; la déviation procède d'une courbure sigmoïde inverse; ce qui se voit ordinairement à droite se répète fidèlement du côté gauche (2). C'est ce que vous voyez sur ces pièces ; les déviations droites et gauches mises en regard sont exactement symétriques.

Cependant il n'en est pas toujours ainsi : les courbures dorsales dominâmes du côté gauche sont quelquefois produites par le développement d'une de ces courbures secondaires normales primitivement plus marquées que la courbure principale aortique. Dans ce cas, le sommet de l'arc à convexité gauche et le point culminant de la gibbosité sont situés un peu plus bas ou plus haut que dans la courbure ordinaire à convexité droite, et la courbure aortique subsiste raccourcie, remontée, réduite à un rôle secondaire.

Mais ces variétés ne sont pas les seules que l'on rencontre. La courbure sous-aortique, la courbure lombaire gauche, de la forme sigmoïde peut devenir la courbure dominante, la dorsale restant peu développée. La gibbosité est alors lombaire; la courbure n'atteint pas dans ce cas un degré aussi considérable que dans la déviation dorsale; l'espace manque pour que son sommet s'éloigne autant de la ligne médiane (3). Cette pièce est une de celles où la flexion est la plus considérable, et où les deux côtés de la courbure sont le plus

(1) Voy. pl. 3, fig. 1, 3, 4; pl. 4, fig. 1, 2,3, 6; pl. 5, fig. 1, 2, 3, 4, 5, 6, et pl. 7, fig. 1, 2, 3.

(2) Voy. pl. 3, fig. 5 et 6.

(3) Voy. pl. 3, fig. 8; pl. 6, %, 2» 3, 4.

rapprochés l'un de l'autre; leurs directions prolongées se joindraient à angle aigu ; l'équilibre n'est pas rétabli par la courbure dorsale, et il en résulte une énorme inclinaison du tronc.

La convexité de cette courbure lombaire dominante peut être dirigée à droite. Gela arrive de deux manières : 1° Parce que la courbure primitive rudimentaire, puis sigmoïde, était retournée, que la convexité dorsale était à gauche; 2° parce que la cause de la déviation a renversé une courbure lombaire normale, une courbure sous-aortique, qui avait primitivement sa convexité à gauche. Dans ce dernier cas, la courbure aortique se renverse également et passe à gauche, comme vous avez vu la cyphose normale de la région dorsale se changer en lordose par la seule action des muscles pour établir une courbure de compensation. Vous avez sous les yeux plusieurs exemples de courbure lombaire ou lombo-dor-sale dominante à convexité droite. En voici un dans lequel l'équilibre n'est pas mieux rétabli par la courbure accessoire dorsale gauche, que sur plusieurs pièces que vous avez vues tout à l'heure, ce qui produit l'inclinaison du tronc à gauche et en avant.

La prédominance de la courbure lombaire se voit souvent lorsque la scoliose est l'effet d'une flexion latérale pathologique, ou même physiologique, qui s'opère principalement dans le bas du rachis. Telles sont celle qui succède au lombago chronique, celle que détermine la claudication. La convexité delà courbure répond toujours au membre le plus court, à celui vers lequel penche le bassin dans le cas de claudication.

La troisième courbure qui accompagne presque toujours la sigmoïde, la petite déviation dorsale supérieure ou cervico-dorsale sus-aortique, qu'on trouve même dans la scoliose normale, prédomine à son tour dans certains cas.—Voici une pièce de ce genre.— La gibbosité est alors très-élevée; elle est cervico-dorsale (1). Il est extrêmement rare de voir le cou prendre une plus grande part à la scoliose, ou décrire seul, jusque dans ses vertèbres supérieures, un arc latéral, excepté dans les inflexions spéciales, avec rotation, comprises sous le nom de torticolis. Mais la région cervicale est souvent affectée de cyphose ou de lordose, par suite des inclinaisons du tronc dans la scoliose dorso-lombaire.

(1) PL 4, fig. % et 5.

Je suis loin de vous avoir indiqué toutes les variétés, toutes les combinaisons de courbures, qui donnent lieu à autant de formes différentes de scoliose. Dans un travail encore manuscrit, que j'ai composé, il y a plus de vingt ans, sur les difformités, j'avais porté à cinquante-trois le nombre de ces formes diverses, et j'en ai rencontré d'autres depuis. Je vous épargnerai ce détail. Vous vous en ferez d'ailleurs aisément une idée en jetant un coup d'ceil sur ces nombreuses pièces et sur celles que je vous présenterai encore dans notre prochaine réunion.

if. Vertèbres en particulier (1). — Nous avons vu que presque tous les rachis normaux dont l'ossification est assez avancée présentent, dans certaines vertèbres, une asymétrie qui se produit à la fois suivant un plan horizontal et dans le sens vertical. Nous allons retrouver ces caractères dans les vertèbres de la vraie scoliose; mais nous les retrouverons exagérés, amplifiés, compliqués de nouveaux désordres (2). J'examinerai, comme pour la courbure normale : 1° les corps et leurs ligaments, ou la colonne antérieure du rachis ; 2° les arcs vertébraux, ou la colonne postérieure.

1° Colonne antérieure. — La dépression normale du côté gauche des vertèbres dorsales se prononce davantage dans leur scoliose pathologique, quand la concavité de leur courbure esta gauche ; mais cette dépression se perd bientôt dans l'écrasement produit par l'affaissement vertical du côté concave des courbures. Cet affaissement joue ici le premier rôle : c'est lui surtout qui produit le défaut de symétrie des corps vertébraux, et leur déviation apparente par rapport aux arcs apophysaires; car, de môme que dans la courbure normale, le corps des vertèbres ne se trouve plus en face des apophyses épineuses, il est porté du côté de la convexité de la scoliose. Vous en voyez sur cette vertèbre un bel exemple.

L'affaissement vertical des corps vertébraux et de leurs ligaments présente de nombreux degrés, depuis une perte insignifiante de la hauteur des vertèbres jusqu'à l'écrasement qui les réduit à un bord mince, et jusqu'à la disparition complète du ligament interverté-

(1) Sixième leçon, 26 juin 1857.

(2) Voy. pl. 8.

bral. Vous en trouverez parmi ces pièces de nombreux exemples. Cet affaissement ne porte que d'un côté, celui de la concavité; ce qui donne aux vertèbres tantôt la forme des voussoirs ou des pierres qui composent une voûte, tantôt la figure d'un véritable coin interposé entre des pièces plus régulièrement conformées.

Les vertèbres les plus déformées sont ordinairement les 7e et 8e dorsales; l'affaissement des corps et de leurs ligaments va en diminuant vers les extrémités de l'arc.

Le nombre des vertèbres affectées est variable : s'il y en a beaucoup, les déformations se répartissent d'une manière plus égale, et la courbe est assez régulière ; si, au contraire, quelques vertèbres seulement sont affectées, la courbe, comme comprimée à son sommet, se rapproche de la forme angulaire.

Le rachitisme présente, de même que la scoliose spontanée, les deux degrés d'affaissement que j'ai indiqués. L'affaissement cunéiforme n'est pas propre à cette affection, comme le croyait Del-pech (1). L'existence de l'une ou de l'autre forme dépend moins de la nature de la scoliose que de son ancienneté. Les courbures récentes sont toujours.plus allongées; ce n'est que plus tard que la flexion et la déformation se localisent dans les vertèbres qui occupent le milieu de la courbure.

Le côté des corps ainsi déprimé finit par se déformer; il se creuse d'une gouttière transversale que terminent en haut et en bas des bords minces. Ces bords sont le résultat de l'étalement des faces supérieure et inférieure des corps vertébraux, qui sont élargies. On dirait que la substance osseuse comprimée a reflué vers la circonférence de l'os. Toutefois il n'y a pas compensation, comme l'a cru Delpech (2), entre la perte de hauteur de la vertèbre et son augmentation dans le sens transversal. L'élargissement peut être inégal pour les deux faces d'une même vertèbre, ce qui donne lieu à une espèce de biseau.

Il est une autre déformation appelée par Delpech (3) affaissement rhomboïdal ou losangoïde. Elle consiste en ce que les faces supérieure et inférieure du corps vertébral ne sont plus dans

(1) Orlhom.y t. I, p. 297; et Atlas, p. 61 et suiv.

(2) Orthom., t. I, p. 298.

(3) Orthom., t. I, p. 300; et Atlas, p. 62, 64.

les mêmes rapports : l'une d'elles semble s'être portée à droite et l'autre à gauche; de là l'obliquité des côtés de la vertèbre, ce qui lui donne la forme d'un parallélogramme. Il n'y a pas toujours affaissement vertical dans celte variété, qu'il convient mieux de nommer forme rhomboïdate. Elle se rencontre particulièrement dans les vertèbres de transition, qui appartiennent à la fois aux deux courbures inverses qu'elles séparent. La partie supérieure de la vertèbre est attirée d'un côté, et l'inférieure du côté opposé.

Dans l'enfance, et même dans la jeunesse, outre les ligaments intervertébraux, il existe, comme on sait, entre les noyaux osseux des corps des vertèbres de véritables cartilages qui persistent plus ou moins longtemps; ils sont au nombre de quarante-cinq seulement , les deux faces de l'atlas et la face supérieure de l'axis en étant dépourvues. Ces cartilages finissent par se souder aux vertèbres , après avoir formé de petites épiphyses osseuses. On ne sait trop quelles sont les déformations que leur fait éprouver la scoliose ; je les ai vus un peu plus minces d'un côté que de l'autre. Cette déformation m'a paru moins prononcée que celle des noyaux osseux.

2° Colonne postérieure. — Ici les déformations sont encore bien plus prononcées que dans la courbure latérale normale. Vous voyez sur ces vertèbres détachées, et surtout sur les vertèbres médiales des courbures, à quel point les apophyses articulaires, la lame, le pédicule, une moitié de l'apophyse épineuse, l'apophyse transverse même, sont réduits du côté de la concavité. Les échan-crures de la vertèbre et les trous de conjugaison qu'elles forment participent à cette réduction à cause de la moindre hauteur de leurs côtés, et quelquefois aussi à cause de l'étalement du corps en arrière. D'autres fois, au contraire, les trous de conjugaison sont plus grands du côté concave, parce que l'atrophie des pédicules les élargit plus qu'ils n'avaient été rétrécis. Le trou de la vertèbre devient irrégulier par suite des différences survenues dans la direction et la longueur des parties qui en forment la circonférence ; il est oblique, elliptique, quelquefois rétréci, triangulaire.

Les apophyses articulaires présentent deux dispositions différentes : tantôt elles ne font que diminuer d'étendue en tous sens ; tantôt elles sont comme écrasées, élargies, converties en surfaces

planes diversement configurées. Ce dernier mode d'articulation des vertèbres se voit surtout dans les déviations les plus considérables , où les os du côté concave sont pressés les uns contre les autres dans un étroit espace ; les parties osseuses sont alors confondues, refoulées, déviées d'une manière souvent très-extraordinaire. Des articulations accidentelles s'établissent entre les lames, les apophyses transverses, et l'ankylose finit par réunir le tout dans une même masse.

La déviation des apophyses épineuses et transverses est bien plus forte que dans la courbure normale; elle suit du reste les mêmes lois. La rencontre des os et leur pression réciproque donnent quelquefois en outre des directions singulières aux apophyses transverses, en les relevant ou en les abaissant outre mesure.

Dans les vertèbres mediales, l'affaissement vertical a lieu dans le même sens pour les corps et pour les arcs; il en est souvent autrement dans les vertèbres de transition. Presque toujours, dans les fortes déviations alternatives, le corps de ces vertèbres est affaissé dans un sens et l'arc dans le sens opposé, en raison de la double influence qu'elles subissent de la part des deux courbes entre lesquelles elles sont placées.

Toute scoliose permanente présente à un degré quelconque les principales déformations des corps et des arcs vertébraux que je viens de signaler. Elles débutent avec la difformité elle-même et lui sont inhérentes; sans elles, il n'y a pas de vraie scoliose, il n'y a que des flexions semblables aux flexions physiologiques.

On pourrait supposer que l'affaissement latéral des ligaments précède l'affaissement des os. Il y aurait une période de déformation ligamenteuse, dans laquelle la conformation des os serait normale. La chose n'est pas impossible, mais cette période a été jusqu'à présent insaisissable. Lisez tout ce que Delpech a écrit sur des pièces pathologiques avec déformation des ligaments et non des os (1) ; vous verrez que ce sont autant d'erreurs d'observation, comme le montrent les figures mêmes de l'auteur. Je ne m'en suis pas d'ailleurs rapporté aux figures. Toutes ces pièces, hormis une seule, sont de la collection Daubenton, et j'ai constaté, au Muséum, l'exactitude des dessins de Delpech et l'inexactitude de ses descriptions.

(1) Orthomorphie. Atlas, p. 61. et suiv.

Indépendamment des changements de situation des parties de la vertèbre les unes à l'égard des autres, chacun de ces os se déplace en totalité au niveau des courbures. Leur axe ne coïncide plus avec le plan vertical du corps; il s'incline sur lui au point que quelques vertèbres sont placées de champ, comme cela se voit notamment dans les courbures en vilebrequin. Cette inclinaison a lieu, soit d'un côté à l'autre, soit encore, mais plus rarement, dans le sens antéro-postérieur, quand la scoliose est compliquée de cyphose.

c. Torsion. — Il est un autre genre de mouvement qu'exécutent les vertèbres déviées : c'est leur rotation autour de leur axe vertical, d'où résulte une torsion de toute la colonne vertébrale. Mais la torsion du rachis reconnaît encore une autre cause : c'est la déformation des vertèbres, le déplacement ou la rotation partielle qu'éprouvent le corps et l'apophyse épineuse. Dans ce genre de torsion, que j'ai décrit plus haut, la partie antérieure de chaque vertèbre ne correspond plus à sa partie postérieure ; mais l'anneau n'a pas tourné en totalité sur lui-môme, comme dans la torsion produite par une rotation réelle de la vertèbre, analogue à sa rotation physiologique.

Ces deux causes de torsion sont le plus souvent réunies; mais l'une prédomine au début de l'affection; l'autre appartient surtout aux périodes plus avancées.

L'angle de rotation des vertèbres est d'autant plus marqué que la déformation du rachis est plus considérable, et c'est au milieu des courbures qu'il atteint son maximum. Lorsqu'il égale un angle droit, la vertèbre se trouve complètement en travers.

La torsion du rachis, dans la scoliose, bien différente en cela de la torsion physiologique, se reproduit en sens inverse autant de fois qu'il offre d'inclinaisons diverses. Le plus grand effort de rotation des vertèbres que produisent les muscles, ne fait que tourner en sens contraire les extrémités du rachis ou de la portion du rachis sur laquelle ils agissent. Cet effort physiologique ne fait jamais décrire aux vertèbres qu'une seule spire, bien légère d'ailleurs. Au contraire, dans la torsion pathologique, la spirale décrite par les vertèbres change de direction au milieu de chaque courbure.

La rotation totale, comme la rotation partielle, et plus encore que cette dernière, produit une grande disparate entre les arcs de

la scoliose vus en avant, le long des corps vertébraux, et en arrière, le long des apophyses épineuses. Les corps, portés du côté de la convexité, sont en effet la partie la plus excentrique des courbures; les -apophyses épineuses, portées vers la concavité de chacune d'elles, restent toujours plus rapprochées de la ligne médiane. De là résultent les faits suivants :

1° La ligne des apophyses épineuses, dans les courbures multiples, croise la ligne des corps vertébraux une ou plusieurs fois, suivant le nombre des courbures.

2° Dans la scoliose très-légère, il arrive ordinairement, comme dans la courbure normale, que les apophyses épineuses sont en ligne droite, quoique les corps décrivent une courbe manifeste ayant quatre, cinq millimètres de flèche ou davantage.

3° Le nombre des courbes est souvent moindre en arrière qu'en avant, parce que les courbures les plus faibles des corps vertébraux ne se voient pas aux apophyses épineuses.

4° Les flèches des courbes décrites par les corps et par les apophyses ne sont égales que dans des cas exceptionnels de scoliose légère. Dans tous les autres, la flèche de la courbure postérieure n'égale que les deux tiers, la moitié, le tiers, quelquefois le quart ou même le cinquième de la flèche de la courbure antérieure. Cette proportion n'est pas soumise à des lois absolues; je n'en indiquerai qu'une seule : c'est que, à part quelques exceptions, la différence des courbures antérieure et postérieure est d'autant moins grande que les courbures sont plus considérables.

5° Il suit de tout ce qui précède que la colonne antérieure et la postérieure ont une longueur inégale. La seconde est plus longue, et il semble qu'elle ait été forcée de se replier autour d'une ligne plus courte et moins flexible.

La rotation des vertèbres a encore un autre effet; elle change complètement la direction des courbures. Les côtés droit et gauche du rachis se tournant plus ou moins à leur niveau, l'un en avant, l'autre en arrière, la concavité et la convexité, toujours latérales par rapport aux vertèbres, ne le sont plus pour le corps en général: la concavité gauche devient antéro-gauche ou tout à fait antérieure, la convexité droite devient postéro-droile ou postérieure, et, vice versa, la concavité droite est antéro-droite, la convexité gauche postéro - gauche. La courbure devient, en un mot, plus ou

moins antéro-postérieure. On croirait voir une cyphose au lieu d'une scoliose ; c'est là ce qui explique l'erreur dans laquelle sont tombés les anciens.

La concavité antérieure naturelle de la région dorsale favorise cette inclinaison en avant du rachis tordu sur lui-même, dans la scoliose dorsale. Les courbures lombaires, lorsqu'elles ne sont pas très-prononcées, conservent et exagèrent même la convexité naturelle de cette région, en la portant seulement un peu sur le côté. Mais, dans les fortes courbures, la lordose naturelle s'efface et la convexité devient postérieure comme à la région du dos : c'est ce que l'on voit sur ces beaux exemples de courbure lombaire principale. Si les courbures lombaire et dorsale sont toutes les deux excessives, chose rare, la combinaison de leurs inclinaisons opposées avec l'inclinaison antérieure, qui leur est commune, fait tourner le rachis sur lui-même et lui donne la forme d'un tire-bouchon. Vous en voyez un bel exemple sur cette pièce.

La torsion du rachis imprime des caractères particuliers à son ensemble. Dans les fortes courbures, la région antérieure de la colonne est formée par le côté affaissé des corps, par les masses apo-physaires réduites et par les apophyses transverses rapprochées, serrées, quelquefois articulées ou soudées entre elles. A la région postérieure se voient : Io la série des apophyses transverses dorsales, celle des apophyses accessoires lombaires occupant la place des apophyses épineuses ; 2° latéralement, d'un côté, les apophyses articulaires et les corps vertébraux saillants en arrière ; 3° du côté opposé, les apophyses épineuses, devenues presque transversales.

La torsion de la colonne vertébrale, produite par la rotation partielle ou totale des vertèbres, est un phénomène aussi constant que la déformation, dont elle est en quelque sorte inséparable. J'accorde cependant qu'il pourrait se former des courbures latérales sans rotation, mais ce doit être fort rare ; je n'en connais aucun exemple, et les scolioses les plus simples dans leur mode de production, telles que les pleurétiques, m'ont toujours présenté un certain degré de torsion. ;

Arrivons au mécanisme de la torsion qu'on observe dans la scoliose. Je pense qu'il diffère du mécanisme de la rotation physiologique produite par les contractions musculaires. La rotation partielle n'est qu'un effet de la déformation des vertèbres, et la rotation

totale me paraît due à l'inégalité de la pression supportée par les deux côtés du rachis déformé. On ne peut douter de l'influence des pressions sur les vertèbres; celle qui résulte de la situation de l'aorte vous est déjà connue, et l'anatomie pathologique vous a montré à chaque pas, pour ainsi dire, les marques de la pression verticale exercée par la pesanteur et l'action musculaire.

Mais comment l'excès de pression sur un côté des vertèbres les fait-il tourner autour de leur axe vertical? Il faudrait un Euclide pour résoudre complètement ce problème de mécanique : aussi n'ai-je pas cette prétention ; je me bornerai à indiquer quelques données propres à en faciliter la solution.

Swagerman, médecin hollandais cité par A. Roy (1), a déjà dit, en 1767, que les apophyses articulaires, ne permettant pas aux corps vertébraux de s'incliner les uns vers les autres dans les fortes courbures , obligent les vertèbres à tourner les unes sur les autres. Il y a dans ce peu de mots que nous a légués le siècle dernier quelque chose de plus vrai que ce qui a été imaginé depuis, soit par Pravaz (2), invoquant l'action des fléchisseurs latéraux et la direction naturelle des facettes des apophyses articulaires, soit par Delpech, qui croyait à des efforts musculaires instinctifs de nature à tordre le tronc (3).

C'est manifestement sur la colonne antérieure du rachis que portent les premières influences tendant à le courber latéralement ; c'est aussi sur elles qu'agit plus spécialement la pression qui tend plus tard à accroître les courbures. Cette colonne, en partie fibreuse ou ligamenteuse, cède en outre plus facilement à ces influences que la colonne postérieure, dont les os ne sont pas séparés par des couches flexibles et compressibles. De là l'inclinaison des corps vertébraux plus marquée que celle des masses apophysaires dès le début de la difformité. Les pédicules subissent alors une espèce de torsion ; les colonnes antérieure et postérieure, ou, dans chaque vertèbre, le corps et l'arc, cessent de se correspondre exactement. Quand l'un est droit, l'autre penche, et vice versa, comme vous le voyez sur toutes ces vertèbres désarticulées. Ce sont, dans ce cas, les arcs qui, dans l'attitude naturelle du rachis, se rapprochent davan-

(1) Loc. cit., p. 66.

(2) Loc. cit., p. 96, 115, 116.

(3) Loc. cit., t. T, p. 130 et sui'v.

tage de la position normale, tandis que les corps s'inclinent plus ou moins. Cette cause concourt, avec les autres déformations, avec la rotation partielle qu'elles produisent, à l'inégalité des courbures en avant et en arrière.

L'inclinaison relativement exagérée des corps, une fois produite, la force de pression verticale tombe obliquement sur leur plan supérieur; elle tend à les faire glisser horizontalement en dehors, à les chasser de plus en plus du côté convexe de la courbure. Cette impulsion étant beaucoup plus faible aux arcs, la vertèbre reste plus fixe en arrière, tandis que le corps se déplace effectivement dans le sens indiqué ; il entraîne le reste de l'os dans un mouvement circulaire dont l'une des apophyses articulaires devient le pivot. C'est naturellement dans les vertèbres médiales, les plus affaissées, que ce mouvement a le plus d'étendue. Les vertèbres voisines y participent de moins en moins, à mesure qu'elles sont plus rapprochées des parties droites ou des courbes inverses.

Ce mouvement ne consiste pas seulement, comme la rotation physiologique, en un glissement latéral des apophyses articulaires avec légère torsion des ligaments intervertébraux : ces apophyses entraînent celles auxquelles elles correspondent, se déplacent simultanément avec elles et conservent ainsi leurs rapports normaux. Non-seulement les ligaments, mais encore les os se tordent pour obéir au mouvement général du rachis, et l'on voit distinctement sur les corps vertébraux la trace de cette torsion osseuse, qui fait tourner leurs deux faces horizontalement en sens contraire.

B. Thorax. — Nous n'avons encore étudié que la colonne vertébrale dans la scoliose ; mais les faits de courbure normale vous ont déjà fait entrevoir quelles déformations de la cage thoracique doivent être la suite des désordres du rachis.

La seule inclinaison des vertèbres à gauche ou à droite rapproche et affaisse les côtes d'un côté, les écarte et les soulève de l'autre, comme la flexion latérale physiologique; les épaules suivent, dans l'un et l'autre cas, le mouvement des côtes. Mais, dans la scoliose, cet effet se produit dans un espace moindre et avec plus d'intensité, et il se répète presque toujours en sens contraire sur différents points de la hauteur du thorax.

Mais, en outre, la torsion, dont l'influence sur les côtes se fait

déjà sentir dans les courbures normales, joue ici un rôle des plus importants. Le déplacement, la rotation des corps, des arcs et surtout des apophyses transverses, produisent nécessairement un déplacement parallèle des côtes. Celles qui-répondent à la concavité des courbures sont portées en avant ; celles qui tiennent à la convexité se dirigent en arrière. Le changement de courbure qu'elles éprouvent par suite de ce mouvement, ainsi que je l'ai expliqué pour la courbure normale, est ici bien plus prononcé. Les côtes de la convexité se recourbent, s'infléchissent fortement vers leur angle; celles de la concavité se redressent plus ou moins. Enfin les côtes prennent part à l'inégalité de développement que la différence d'espace détermine dans les deux côtés des courbures. Pressées avec les apophyses transverses dans la concavité des fortes inflexions, elles finissent par se toucher, se serrer mutuellement, par s'articuler entre elles, par se souder aux vertèbres et les unes aux autres.

Si l'on ajoute à ces modifications les déformations, les déplacements produits dans les côtes par certains changements de direction du rachis, par les pressions qui les inclinent diversement sur les vertèbres ou qui altèrent leur forme, on comprendra l'étendue des désordres qu'on observe dans le thorax. Un simple coup d'œil sur ces dessins et sur ces pièces vous en donnera une idée. Vous voyez, sur ces deux séries de côtes droites et gauches du même sujet, quelles remarquables différences s'établissent entre ces arcs osseux à la convexité et à la concavité des courbures (1).

Ce qu'il nous importe le plus de connaître, c'est la configuration nouvelle de la région postérieure du thorax. La petite différence de voussure des deux côtés de celte région, dont je vous ai montré des exemples dans la courbure normale, se dessine ici au point de donner lieu , dans un sens, à la saillie de figure diverse, connue sous le nom de gibbosité ou bosse lorsqu'elle s'éloigne très-notablement de la conformation normale (2).

Cette saillie résulte du déjettement en arrière et de l'excès de courbure des côtes dans le sens de la convexité de l'arc décrit par le rachis. Elle est d'autant plus proéminente, que le côté opposé du dos est aplati ou même excavé par suite de l'effacement de la cour-

(1) Voy. la pl. 9.

(2) Voy. pl. 3, %. 4, 6; pl. 4, %. 5; pl. 6, fig. 4, et pl. 7, fig. 2.

bure des cotes dans ce sens et de leur déplacement d'arrière en avant. Dans les très-fortes courbures, les vertèbres elles-mêmes font partie de la gibbosité ; on trouve leurs corps sous les côtes recourbées autour d'eux et parfois adhérentes à leur surface.

C'est donc de la torsion que dérive la gibbosité costale. Une courbure sans torsion produirait une ampliation générale d'une des moitiés du thorax, comme la flexion latérale physiologique, et non une bosse postérieure. C'est surtout le siège, l'étendue, le degré de la torsion qui déterminent la situation, la hauteur, la configuration de la gibbosité posléro-latérale.

Ainsi, autant de variétés de courbures et de torsion, autant de variétés de bosses. Voyons-en quelques-unes.

La forme de déviation la plus commune dans les premières périodes de la scoliose, la courbure sigmoïde, a deux voussures latérales opposées correspondant à la convexité des deux courbes. Si cette forme persiste pendant l'accroissement de la déviation, comme cela est arrivé dans les deux pièces que je vous présente, il se produit deux gibbosités égales ou presque égales, une dorsale ordinairement à droite, une lombaire ou dorso-lombaire à gauche. Les côtes prennent moins de part à la formation de la gibbosité inférieure, qui est surtout constituée par les corps des vertèbres lombaires et par leurs apophyses transverses, accessoires et articulaires; les fausses côtes s'ajoutent seulement à sa partie supérieure.

Si la courbure était bi-dorsale, il y aurait deux gibbosités costales, une à droite, une autre à gauche, situées à des hauteurs différentes.

Si la troisième petite courbure des déviations sigmoïdes prend plus de développement, elle peut donner lieu à une petite gibbosité cervico-costale ; la bosse est alors triple.

Mais la véritable gibbosité est plus souvent simple.

D'abord, elle est simple dans les courbures uniques, telles que celle-ci, dont je vous ai déjà parlé, qui a succédé à un empyème; la saillie est alors plus étendue et moins proéminente, excepté dans des cas rares de courbures uniques bornées à un petit nombre de vertèbres.

Mais la gibbosité est encore simple dans des courbures multiples , lorsque l'une est beaucoup plus développée que les autres. La torsion des courbures secondaires devient insuffisante pour ren-

verser l'effet de la courbure principale; elle se borne à l'atténuer ou à le compenser. Cependant on observe souvent au-dessus et au-dessous de la gibbosité, du côté opposé, un soulèvement des côtes ou des vertèbres lombaires, qui est au moins un rudiment de gibbosité.

Voici plusieurs exemples de cette gibbosité simple , la plus fréquente dans les périodes avancées de la scoliose. Un grand nombre sont des gibbosités latérales droites de la région dorsale. En voici une d'une espèce assez rare, en ce que la scoliose forme presque un angle aigu comme la courbure du mal vertébral (1). Ces trois autres pièces sont des gibbosités dorsales gauches, répétant à gauche les formes qu'on voit le plus souvent à droite (2).

Enfin ces six pièces vous montrent une forme qui n'est pas rare, sans être cependant aussi commune que la gibbosité dorsale droite : c'est la gibbosité lombaire existant seule ou accompagnée d'une bosse dorsale encore rudimentaire (3). Cinq de ces gibbosités lombaires sont à gauche, une seule est à droite. Je remets sous vos yeux, en terminant, cette variété rare de gibbosité produite par une prédominance de la courbure sus-aortique gauche, que j'ai mentionnée précédemment ( ).

(5) En étudiant la gibbosité costale et lombaire, nous avons vu quels désordres la scoliose entraîne dans îa région postérieure du thorax. Il nous reste à examiner la conformation de sa région antérieure et la disposition de sa cavité.

Les côtes, tirées en arrière du côté convexe des courbures, poussées en avant du côté concave, transmettent ce mouvement à leurs cartilages, et ceux-ci changent de forme ainsi que la partie antérieure des côtes qui correspondent aux vertèbres déformées. La convexité antérieure de ces côtes augmente à gauche dans la courbure dorsale droite ; le thorax se déprime au contraire à droite du sternum. Il en résulte une sorte de gibbosité antéro-gauche qui fait pendant à la bosse postéro-droite, comme dans le Pulcinello

(1) Voy. pl. 4, fig. 3.

(2) Voy. pl. 3, fig. 6.

(3) Voy. pl. 6, fig. 4.

(4) Voy. pl. 4, fig. 5.

(5) Septième lrçon, 3 juillet 1857,

bouvier. 20

italien ou notre Polichinelle, si ce n'est que son inventeur lui a donné des gibbosités tout à fait médianes, comme celles de la cyphose.

On observe, en outre, assez souvent la saillie ou la dépression isolée d'une ou de plusieurs côtes, ou de leurs cartilages, soit par suite des irrégularités que la colonne vertébrale peut produire dans la disposition des côtes, soit par quelque anomalie qui s'ajoute à la difformité.

Le sternum peut participer à la déformation; il n'est pas rare de le voir bombé en avant, formant le point culminant de la gib-bosité antérieure ; ce n'est que par exception ou par l'effet d'une complication qu'on le voit excavé, saillant ou enfoncé à son extrémité xiphoïde. Cet os reste ordinairement situé sur la ligne médiane, et n'est plus en face du rachis porté vers l'un ou l'autre côté. Sa direction devient oblique, quand tout le thorax est incliné latéralement dans le sens des vertèbres qui reçoivent le plus grand nombre de côtes. Sa face antérieure regarde quelquefois un peu à droite ou à gauche, du côté de la convexité des parties courbes.

La cavité thoracique est profondément modifiée dans sa forme et dans ses dimensions. Supposons une forte courbure dorsale droite principale. La partie moyenne de la colonne dorsale, en se rapprochant des côtes droites, rétrécit le demi-thorax correspondant dans presque toute sa hauteur, mais surtout au milieu et en arrière (1). Sa cavité se dilate toutefois au delà des corps vertébraux , derrière lesquels on trouve une sorte de cul-de-sac produit par la convexité exagérée des côtes. Cette arrière cavité disparaît complètement, lorsque les côtes sont appliquées sur les corps des vertèbres. Ce même côté de la poitrine est encore réduit : 1° par l'aplatissement des côtes, dont la courbure, augmentée en arrière, diminue en avant; 2° par l'abaissement et l'obliquité plus grande de ces arcs osseux, qui se rapprochent ainsi de l'axe de la poitrine.

Le côté opposé, le côté gauche, dans le cas que j'ai supposé, gagne en largeur par le déplacement du rachis à droite; mais il perd davantage par le déplacement et par l'affaissement des côtes

(1) Voy. pl. 3, %. 1, 2, 3; pl. 4, fîg. 1, 2, 6; pl. 5, fig. 2, 3, 4, 5, 6; et pl. 7, fig. 1 et 3.

de la concavité. Les plus déformées, celles donila courbure est remplacée par une ligne droite, font saillie dans l'intérieur du thorax; elles y forment une sorte de crête ou d'arête qui partage sa moitié gauche en deux loges superposées. Le prolongement antérieur du demi-thorax gauche dans la gibbosité antéro-gauche est loin de compenser la réduction qu'il subit en arrière et sur le côté.

La circonférence du thorax ne décrit donc plus cette belle courbe elliptique, presque régulière, approchant plus ou moins du cercle. Cette circonférence s'est déprimée aux deux extrémités d'un de ses diamètres obliques, et s'est allongée suivant l'autre diamètre oblique. Devenue très-irrégulière, elle offre quelque ressemblance avec une ellipse aplatie sur les côtés, et dont le grand diamètre s'étendrait obliquement d'une gibbosité à l'autre.

La capacité totale de la poitrine est évidemment diminuée; la réduction est plus grande à droite ou dans le sens de la convexité. Les diamètres transverses sont plus courts à presque toutes les hauteurs. Le diamètre oblique postero-droit a augmenté, mais le diamètre opposé est réduit dans une plus forte proportion, et leur moyenne reste inférieure au diamètre oblique normal. Le diamètre antéro-postérieur diminue ordinairement par le mouvement en avant des côtes gauches, qui se trouvent placées à l'oppo-site du sternum; ce diamètre n'augmente que dans la scoliose fortement dirigée en arrière, comme la cyphose; mais alors les côtes, très-prolongées en avant, sont tellement déprimées sur les côtés que le resserrement transversal n'est pas compensé par l'allongement antéro-postérieur. Le diamètre vertical est diminué par le raccourcissement du rachis; il l'est encore plus à gauche à cause du rapprochement des côtes à la concavité de la courbure.

Il est facile de prévoir les différences que ces caractères présentent dans les autres formes de scoliose; un coup d'œil rapide sur ces pièces vous en donnera une idée.

Pour les courbures dorsales gauches, il n'y a qu'à appliquer à la moitié gauche ce que j'ai dit de la droite, et réciproquement (l). Remarquez que l'aplatissement antéro-latéral répond dans ce cas à la région précordiale, dilatée au contraire dans les courbures dorsales droites.

(1) Voy. pl. 3, fio. 5.

Les courbures inférieures principales, ou égales aux supérieures, rétrécissent le thorax à la hauteur des fausses côtes, du côté où le rachis se dévie. L'hypochondre présente alors une gouttière formée par les côtes et le corps des vertèbres, et tout à fait semblable à celle qui existe plus haut dans les courbures dorsales (1).

Si la scoliose est oblique ou sans équilibre, le thorax suit la direction des vertèbres qui entrent dans sa composition; il penche en avant ou de côté, et dans ce dernier cas il peut rencontrer le bassin à la crête ou dans la fosse iliaque. Vous en avez un exemple sous les yeux (2). Cette rencontre des dernières côtes avec le bassin se produit aussi, dans la scoliose verticale, par le seul effet de l'inclinaison et du raccourcissement de la colonne lombaire.

C. Bassin. — La scoliose rachitique est souvent accompagnée de vices de conformation du bassin dus à la même cause que la courbure du rachis, à l'altération générale du système osseux (3). L'ostéomalacie de la jeunesse et de l'âge adulte déforme encore de la même manière le rachis et le bassin. Dans ces deux circonstances, ce n'est pas la scoliose qui produit la déformation de la ceinture pelvienne.

La scoliose spontanée, ou consécutive à des causes accidentelles, n'altère que lentement les formes du bassin. Les individus gib-beux, non rachitiques, parcourent une longue période de leur existence sans que le bassin s'éloigne sensiblement de la conformation normale.

Voilà comment on a pu dire que le bassin n'était déformé, dans la scoliose, que lorsqu'elle s'était montrée dès l'enfance ; comment Shaw (U) a posé en principe que le bassin n'était vicié, chez les sujets gibbeux, que lorsqu'ils présentaient des courbures des membres inférieurs.

Mais, avec l'âge, la scoliose spontanée ou accidentelle elle-même s'accompagne de changements, ordinairement peu considérables , dans, la configuration du bassin.

Le sacrum participe parfois aux déformations de la région lom-

(1) Voy. pl. 3, fig. 8, et pl. 6, lig. 1 et 2.

(2) Voy. pl. 6, fig. 3 et 4.

(3) Voy. pl. 6, fig. 2; pl. 7, fig. 1 et 3.

(4) Lçc. ri!,, p. 127.

baire; coupé obliquement à sa base, d'un côté à l'autre, comme la cinquième lombaire, dévié môme latéralement avec le coccyx, il décrit une courbe opposée à celle des premières vertèbres lombaires, et cette inégalité de développement de ses deux moitiés peut s'étendre aux os coxaux.

La ceinture osseuse formée par les trois os offre assez souvent, chez les sujets âgés, un resserrement antéro-postérieur du détroit supérieur, qui peut lui faire perdre dans ce sens un ou deux centimètres. Ce resserrement est plus prononcé d'un côté que de l'autre. Le côté le plus rétréci est ordinairement celui vers lequel s'inclinent les dernières lombaires ; du moins, c'est là la. règle. Le rétrécissement est en général d'autant plus prononcé que la courbure lombaire est plus considérable. Vous en voyez des exemples sur ces pièces. D'autres fois, exceptionnellement, le rétrécissement du bassin paraît dépendre de la courbure dorsale et siège du même côté. C'est ce que vous voyez sur ces autres pièces (1) ; remarquez que, dans ces cas, la courbure dorsale est prédominante. Somme toute, les déformations du bassin paraissent dépendre de la manière dont le poids du corps est transmis, à travers le bassin, du rachis aux membres inférieurs.

La scoliose rachilique exerce la même influence, comme je l'ai dit en traitant du rachitisme (2), sur le sens des déformations pelviennes causées par cette affection.

Je ne m'arrête pas au plus ou moins de saillie de l'angle sacro-vertébral , au plus ou moins de concavité du sacrum., aux dimensions variables du bassin, qui sont pour nous d'un intérêt secondaire , ou se lient à des causes étrangères à la scoliose.

Le bassin, dans son ensemble, peut s'incliner en arrière, quand la'direction du rachis ressemble à celle de la cyphose. Il semble déplacé, eu égard au plan horizontal, dans les grandes inclinaisons latérales des lombes qui accompagnent les courbures dorsales dominantes ; une des crêtes iliaques s'enfonce au-dessous du thorax, l'autre le déborde au contraire en dehors. Mais ce n'est là qu'un effet du déplacement du thorax lui-même ; les dernières côtes, ayant suivi le rachis, ne correspondent plus directement au-dessus

(1) Voy. pl. 5, fig. 5.

(2) Voy. p. 289.

du bassin. Les crêtes iliaques restent généralement sur le même niveau. Vous entendrez dire souvent qu'une des hanches est plus haute que l'autre; mais, avec de l'attention, il vous sera facile de vous assurer du contraire. Ce n'est que dans des cas particuliers que les os iliaques ont réellement une hauteur différente; par exemple, s'ils ne sont pas symétriques, si l'un est plus développé ou plus droit que l'autre, ce qui est fort rare. Pendant la vie, le bassin supposé régulier n'est abaissé d'un côté que dans la claudication, ou si le sujet a pris l'habitude de se hancher. J'ai vu aussi le tronc incliné entraîner le bassin de manière à soulever l'une des hanches ainsi que le membre inférieur correspondant, qui ne posait que sur la pointe du pied. C'est un cas tout à fait exceptionnel.

On a parlé d'une torsion, ou plutôt d'une rotation du bassin, portant en avant l'une des épines iliaques, de sorte que, dans la progression en avant, le sujet semble marcher de côté; mais cette apparence est plutôt due à un changement de direction du thorax, qui se tourne en effet, dans certains cas, avec la colonne vertébrale.

D. Tête. — La tête, malgré ses connexions et son analogie avec les vertèbres, se ressent moins que le bassin de leur déformation. Cependant elle finit aussi, dans les fortes scolioses, par être modifiée dans sa forme. On observe quelquefois, dès le début, une inégalité de développement, une asymétrie des deux côtés du crâne et de la face ; mais cette inégalité précède le plus souvent la déviation , ou se produit en même temps qu'elle sans en être la suite.

Le crâne n'offre point, en général, de modifications dépendant de la scoliose; sa configuration, ses diamètres, examinés comparativement sur plusieurs squelettes normaux et bossus, n'ont présenté ni à M. Sterne (1), ni à moi, de différences sensibles. Ce n'est que dans la scoliose due au rachitisme que le crâne peut conserver les traces de cet état pathologique.

La face porte au contraire, tôt ou tard, l'empreinte de la difformité du rachis; ses diamètres transverses diminuent dans toute sa hauteur; ses arcades zygomatiques, les pommettes sont plus aplaties, les mâchoires plus étroites. Il en résulte un allongement appa-

(1) Sterne, Observ. anatom. physiol. sur les courbures de l'épine, dans Müller's Archiv., 1834, III.

rent de la face qui a donné lieu à la figure longue, au nez et au menton du Pulcineilo. Mais je n'ai trouvé que dans un petit nombre de cas une augmentation réelle du diamètre vertical, et M. Sterne ne l'a rencontrée dans aucun. La face est même très-souvent racourcie, et c'est alors uniquement son étroitesse qui la fait paraître plus longue. Cette tête d'une jeune fille gibbeuse vous permettra de vérifier ces faits.

E. Membres. — On attribue généralement aux individus gib-beux des membres longs et grêles ; leur longueur ne paraît excessive qu'en raison de la brièveté du tronc , dont la hauteur est singulièrement réduite par les inflexions du rachis. J'ai constaté, après M. Sterne, que cette longueur n'était pas augmentée comparativement à l'état normal. Le peu de volume des membres dépend des parties molles. La brièveté et la courbure des membres inférieurs n'appartiennent qu'à la scoliose rachitique.

F. Muscles. — L'anatomie pathologique de la scoliose n'est pas bornée au squelette; elle comprend encore l'étude des parties molles qui ressentent l'influence des courbures de l'épine.

Les muscles extrinsèques et intrinsèques du rachis suivent les os qui les supportent et auxquels ils s'insèrent; leur situation, leur direction, leur forme, leur étendue subissent de tels changements, que ce serait toute une anatomie à refaire que de les décrire avec les détails qu'ils comportent. Je ne m'arrêterai qu'aux points principaux.

Ici, comme partout ailleurs, les fibres musculaires, en vertu de leur tonicité, tendent à parcourir, suivant une ligne aussi rapprochée que possible de la ligne droite, l'intervalle qui sépare leurs insertions opposées. Là où les attaches deviennent moins distantes, les muscles se raccourcissent : c'est ainsi, par exemple, que les muscles des gouttières vertébrales acquièrent une longueur différente à droite et à gauche, en raison de la différence d'éloignement des os à la concavité et à la convexité des courbures.

Le raccourcissement qui se produit, dans le sens de la concavité doit être distingué de la rétraction primitive ou consécutive des muscles qui meuvent une articulation quelconque. Les articulations des vertèbres ne sont en effet nullement bridées par le sacro-spinal raccourci; on leur imprime tous les mouvements dont elles sont susceptibles par elles-mêmes, sans rencontrer de résistance de la

part des muscles. On peut en conséquence diminuer les courbures, redresser plus ou moins le rachis, en mettant en jeu la mobilité des vertèbres dans un sens opposé à leur inclinaison , sans que les muscles de la concavité se montrent tendus de manière à borner le mouvement, sans qu'ils atteignent les limites de leur extensibilité naturelle, comme on l'observe dans la véritable rétraction musculaire, telle que celle des pieds bots et du torticolis musculaire ancien, etc. : c'est là un fait que j'ai constaté bien des fois, et dont j'ai rendu témoins tous ceux qui ont été désireux de le connaître (1), Je vais en faire l'expérience devant vous. Sur ce rachis scoliotique encore frais et pourvu de tous ses muscles, provenant d'un sujet d'environ vingt-cinq ans, non rachitique, je cherche à redresser les courbures en agissant sur ses deux extrémités. J'y réussis en partie seulement, et il vous est facile de voir que le redressement obtenu n'est pas limité par la tension des muscles,—ceux-ci sont à peine un peu plus tendus,— mais bien par la résistance du rachis lui-même. Si, en effet, on coupe les ligaments qui unissent ces vertèbres, on peut redresser le rachis et tendre les muscles; mais cette section préalable est toujours nécessaire : d'où l'on peut conclure que le redressement de la scoliose est borné par la tension des ligaments, et nullement par celle des muscles.

On a dit qu'en procédant autrement, en suspendant, par exemple, un cadavre gibbeux, on arrivait à tendre les muscles. D'abord, ce n'est pas là une expérience en rapport avec les mouvements physiologiques qui se produisent pendant la vie. L'absence de contraction musculaire, dans ce cas, donne lieu à une véritable dia-stase des articulations vertébrales, comme il arriverait à presque toutes les jointures mobiles du squelette soumises à un pareil effort. Mais, en second lieu, malgré cette traction exagérée, on ne produit, même dans cette expérience, qu'une légère tension musculaire ne mettant point obstacle à l'écartement des os, et les muscles sont loin de faire corde, comme dans un pied bot de cadavre qu'on cherche à mouvoir en sens inverse de sa flexion. Vous allez en juger sur cette pièce à laquelle nous suspendons un poids assez pesant : vous voyez que les muscles sont bien peu tendus. Pour

(1) Voy. Bulletin de l'Académie de médecine, t. IV, VI, VII, VIII; et Annales de la chirurgie française et étrangère, t. III.

rendre l'expérience tout à fait concluante, il faut noter la longueur exacte de la colonne ainsi tendue, puis couper les muscles qu'on suppose résister à cette extension : c'est ce que j'ai fait, et je n'ai observé aucun allongement.

La raison de ce fait est facile à concevoir. Ce n'est pas, comme dans le pied bot, un mouvement articulaire qui infléchit le rachis, qui le raccourcit dans un sens; c'est une réduction des vertèbres elles-mêmes. Les muscles, en s'accommodant à cette réduction, ne doivent pas moins conserver assez de longueur pour se prêter à tous les mouvements articulaires, comme ils le feraient dans un rachis normalement plus court. Je ne vous parle pas encore des apparences de rétraction qu'on a cru voir pendant la vie ; je reviendrai bientôt sur ce point.

Le fait purement anatomique suffit déjà pour vous faire pressentir que l'on ne peut, par la section des muscles de l'épine, lever un obstacle réel au redressement des courbures.

On rencontre exceptionnellement une véritable rétraction musculaire qui concourt à l'inflexion latérale des vertèbres dorsales ou lombaires, si elle ne la produit pas à elle seule. Ces cas sont fort rares, et ils appartiennent plutôt à la scoliose par flexion qu'à celle dont nous nous occupons en ce moment.

Les trois muscles principaux qui composent le sacro-spinal sont inégalement affectés par l'espèce de raccourcissement dépendant de la configuration nouvelle du rachis.

Les plus longs, parmi ces muscles, une partie du long dorsal, du sacro-lombaire, passant presque toujours au moins sur deux courbures alternatives, sont distendus sur la convexité de l'une et raccourcis à la concavité de l'autre ; de sorte que leur longueur totale diffère peu à droite et à gauche. Aussi restent-ils fort relâchés quand on redresse, à la fois, les deux courbures, parce que, si ce redressement éloigne leurs attaches au niveau de l'une, il les rapproche au niveau de l'autre.

Les transversales épineux présentent assez souvent une disposition exceptionnelle signalée par Pravaz (1) qui l'a crue générale, et qui en a déduit une théorie de la scoliose semblable à celle de Mayow et aussi peu fondée : on voit ces muscles, à certaines hau-

(1) Journal de médecine de Lyon, novembre 1844.

teurs, plus courts du côté de la convexité. Les gouttières vertébrales qui logent leurs faisceaux varient, en effet, de forme et de direction. En général, celle qui répond à la convexité est profonde, resserrée entre les apophyses épineuses et transverses ; celle de la concavité est superficielle, au contraire, et comme étalée, quoiqu'en réalité réduite en largeur ainsi qu'en hauteur par le raccourcissement et le rapprochement des lames vertébrales. Néanmoins la distance du sommet des apophyses transverses au sommet des apophyses épineuses, par conséquent entre les extrémités d'insertion des transversales épineux, se trouve, dans quelques points, moindre du côté de la convexité des courbures, et les faisceaux musculaires correspondants sont plus courts que du côté de la concavité. Des mesures prises sur un certain nombre de pièces m'ont fait voir que cette disposition se lie uniquement à la manière dont les os s'inclinent et se déforment dans leurs courbures successives, et qu'elle ne se rattache nullement à une modification primitive dans l'état des muscles.

La plupart des changements que les muscles du rachis éprouvent dans la scoliose sont défavorables à leur action. Les trois portions du sacro-spinal, du côté de la convexité, recourbées sur la colonne vertébrale, déplacées par la torsion, agissent plus obliquement et perdent de leur force pour produire, soit l'extension directe, soit l'inclinaison latérale du tronc. Les faisceaux musculaires de la concavité deviennent d'autant plus inutiles à l'extension du rachis, que la courbure et la torsion sont plus considérables ; ils finissent par n'être plus propres qu'à le fléchir latéralement, c'est-à-dire à augmenter la concavité de la courbure, dont ils représentent en partie la corde. On voit même, dans les courbures extrêmes, le bord interne du long dorsal, du côté de la convexité, attiré du côté de la concavité par-dessus les apophyses épineuses; une partie des faisceaux compris dans le grand épineux du dos deviennent ainsi fléchisseurs latéraux dans une direction opposée au sens habituel de leur action, et congénères, sous ce rapport, des muscles de la concavité.

C'est sans doute à l'inertie croissante des muscles de plus en plus gênés dans leur action , à la diminution , et finalement à l'abolition de la mobilité des os à la partie moyenne des courbures, que sont dues l'atrophie, la décoloration partielle des fibres mus-

culaires, qui finissent par passer à l'état graisseux. Vous voyez sur ces planches coloriées que cette altération commence à la concavité des courbures principales, qu'elle atteint beaucoup moins les muscles de la convexité. Ce n'est que dans un âge avancé que ceux-ci se transforment à leur tour, du moins dans une grande étendue.

Vous remarquerez encore, sur ces dessins, que les muscles extrinsèques eux-mêmes, les muscles larges et superficiels de la région dorsale, participent à la longue à ce défaut de nutrition d'un côté du tronc. Le grand dorsal se montre plus spécialement affecté.

Vous vous ferez aisément une idée des effets de la pression, des froissements exercés par les côtes sur les muscles qui les avoi-sinent ; vous devinez l'atrophie des intercostaux, des muscles resserrés entre les côtes et la crête iliaque, etc.

Quel que soit mon désir d'abréger ces détails, je ne puis passer outre sans vous dire un mot du diaphragme. Ses deux moitiés deviennent souvent très-inégales, comme on le voit sur ces dessins; sa circonférence cesse d'être régulière; la situation relative de ses orifices est changée. Les piliers, couchés le long des vertèbres, sont entraînés dans le déplacement de ces dernières, et prennent dans certains cas une direction presque horizontale. Refoulé par les viscères abdominaux, qui ont peine à se loger entre lui et le bassin, le diaphragme remonte plus haut dans le thorax et réduit d'autant sa cavité propre. Enfin, incliné dans beaucoup de cas en arrière ou de côté avec l'axe de la poitrine, ce muscle n'exerce plus alors, dans ses contractions, un effort dirigé dans le même sens qu'à l'état normal.

G. Viscères. — a. Moelle, épinière. — Parmi les organes renfermés dans les cavités du tronc, aucun n'est aussi intimement lié au rachis que la moelle épinière. Plus que tout autre, elle devait subir l'influence de la courbure latérale de l'épine. Elle change de forme, en effet, avec son étui osseux; elle en suit les ondulations et décrit les mêmes courbures. Ces courbures sont moins fortes que celles des corps vertébraux, et un peu plus fortes que celles des apophyses épineuses. Cela tient, d'une part, à la disposition du canal vertébral, et, de l'autre, à celle de la moelle dans l'intérieur de ce canal.

Le canal vertébral n'est pas symétrique comme dans l'état nor

mal; nous avons vu que les trous des vertèbres qui le forment par leur superposition sont eux-mêmes de figure irrégulière. La paroi antérieure de ce canal, qui appartient aux corps vertébraux, à la colonne antérieure, est tordue comme elle. Elle présente dans sa longueur ce qu'on nomme une surface gauche, comme vous le voyez sur cette pièce formée des corps vertébraux seulement. Cette paroi décrit, par cela seul, des courbures un peu moins prononcées que la partie antérieure des corps vertébraux. D'un autre côté, la paroi postérieure du .canal rachidien, formée par les arcs, décrit des courbes moins marquées que les précédentes, et plus prononcées que celles de la série des apophyses épineuses placées plus près du centre de courbure. La direction du canal se trouve ainsi une moyenne entre la courbure des corps vertébraux et celle des apophyses épineuses.

Pour ce qui est de la moelle, ses courbes ne sont pas parallèles à celles du canal. Il se passe ici, d'une manière permanente, ce qui a probablement lieu passagèrement dans les mouvements physiologiques du rachis. Le liquide de Cotugno ou de Magendie se porte du côté convexe des courbures à mesure qu'elles se produisent, et la moelle reste accolée à leur concavité ; sa direction croise ainsi celle de l'axe du canal en passant d'une courbe à l'autre. C'est ce que vous montrent ces pièces et ces dessins, où l'on voit le canal ouvert et la moelle à nu ou encore recouverte de son étui membraneux, ici distendu par le liquide et remplissant le canal osseux, là desséché et rétracté autour de la moelle, dont il suit la direction.

Vous devinez l'avantage qui résulte de cette disposition : les angles de flexion de la moelle sont adoucis au milieu de chaque courbure, et ses fonctions risquent moins de souffrir de la compression de la substance nerveuse. Ce n'est pas une des moindres causes de l'extrême rareté des troubles fonctionnels de cet organe par l'effet de la scoliose.

Cependant les courbures considérables et anciennes finissent par déformer la moelle ; elle se raccourcit un peu du côté concave des courbures, s'étend un peu du côté opposé. Les nerfs sont plus écartés dans ce dernier sens que dans le premier. La lenteur de ce changement empêche ordinairement qu'il ne porte atteinte à l'action nerveuse.

Les nerfs spinaux restent longtemps intacts dans la courbure

latérale du rachis. C'est à tort que quelques auteurs ont attribué divers effets à leur compression chez les jeunes sujets. Les trous intervertébraux peuvent en effet devenir beaucoup plus étroits à la concavité des courbures, sans que les nerfs soient comprimés, parce que leur diamètre est bien supérieur à celui des nerfs. Ce n'est que dans les déviations du plus haut degré que ceux-ci finissent par diminuer de volume, du côté concave, à la partie moyenne des courbures principales. Il est extrêmement rare qu'ils disparaissent complètement par l'oblitération des trous de conjugaison. Dans les courbures les plus énormes, on retrouve presque toujours, au milieu de la fusion de toutes les parties, des pertuis pénétrant dans le canal vertébral et livrant passage aux nerfs.

b. Poumons (1).—Ce que je vous ai dit du squelette des sujets gibbeux vous a déjà fait pressentir que, dans les scolioses un peu prononcées, les déformations du thorax et de l'abdomen doivent entraîner des changements importants dans les organes mous qu'ils renferment.

Les poumons, les plus compressibles de ces organes, perdent plus ou moins de leur volume presque en tous sens. Leur partie antérieure toutefois change peu : vous voyez sur ces dessins que, sauf leur diminution de hauteur, les poumons, vus en avant, offrent à peu de chose près leur aspect ordinaire (2).

Il n'en est pas de même en arrière. Dans les courbures dorsales droites, le poumon droit est refoulé par les vertèbres. Le bord postérieur du médiastin est porté à droite avec le rachis. Cette cloison devient très-oblique, parfois presque transversale, son bord antérieur restant fixé au sternum ou se déplaçant beaucoup moins. La partie postérieure du poumon droit perd donc de son étendue transversale. Cette réduction, peu marquée dans les déviations les moins considérables, devient énorme dans les fortes courbures. Le poumon ne représente alors en arrière, comme on le voit sur ce dessin (3), qu'une lame mince, qu'une sorte de languette compacte, privée d'air, située entre les côtes et les corps vertébraux,

(1) Huitième leçon, 10 juillet 1857.

(2) Voy. les planches 10 et 12.

(3) Voy. pl. 10, %. 2.

ainsi que dans l'arrière-cavité du thorax qui répond à la gibbosité. Toute la configuration de ce poumon est fort irrégulière ; elle est exactement moulée sur la configuration nouvelle du thorax. Son sommet et sa base, moins réduits, paraissent renflés parce qu'ils correspondent à la concavité des courbures sus et sous-aortiques, tandis que son milieu est comme étranglé vis-à-vis de la convexité de la courbure principale. Sa face externe se déprime par l'aplatissement latéral du demi-thorax droit; sa face interne est excavée pour loger la saillie du rachis.

Le poumon gauche, moins réduit que le droit, s'étend surtout entravers sous la concavité de la courbure dorsale, derrière le médiastin, et en partie derrière le poumon droit. Son épaisseur est diminuée, dans le sens antéro-postérieur, par l'aplatissement des côtes et par leur déplacement en avant ; la dépression est surtout marquée vis-à-vis la crête saillante formée par les côtes les plus déplacées. Le volume de ce poumon est aussi diminué latéralement par la même cause, comme l'indiquent ces figures où la pointe du cœur se montre très-rapprochée de la paroi latérale du thorax (1).

C'est le poumon gauche qui est le plus déprimé, le plus réduit dans les courbures dorsales gauches; il est même moins à l'aise que le poumon droit dans les courbures à droite, à cause de là présence du cœur qui le refoule, ce qui n'est que faiblement compensé par la moindre influence du foie sur le demi-thorax gauche. Il est à peine nécessaire de dire que le poumon droit, dans ces courbures à gauche, offre la disposition qui appartient au poumon gauche dans les déviations à droite.

La réduction en hauteur due à l'ascension du diaphragme est commune aux deux poumons, quoique plus grande à droite. Elle est produite non-seulement par les courbures dorsales, mais encore par les lombaires, qui diminuent la capacité de l'abdomen.

Ce dessin, pris sur le cadavre de la nommée Rose Lacour, morte, à vingt-cinq ans, avec un rachis en vilebrequin que vous avez sous les yeux, montre jusqu'où peut aller la compression des poumons, quand le diaphragme est fortement refoulé par les viscères abdominaux et surtout par un foie très-volumineux (2).

(1) Voy. les pl. 10, fig. 2; 11, fig. 1; 12, fig. 1; 13, fig. 1.

(2) Voy. pl. 11, fig. 1.

On devine combien les résultats de la percussion et de l'auscultation doivent être modifiés par toutes ces particularités de conformation. C'est un point sur lequel j'aurai occasion de revenir.

c. Cœur. — Le cœur échappe, par sa situation dans la région tho-racique antérieure, à la pression directe des vertèbres et de la partie postérieure des côtes; plus résistant que les poumons, il cède moins aux efforts qu'ils supportent en commun. Aussi sa configuration, ses dimensions, ne paraissent-elles pas altérées sur la plupart de ces dessins (1). Cependant, si le rétrécissement du thorax est considérable, si le sternum, la région précordiale, sont particulièrement déprimés, si le diaphragme est très-élevé, le cœur peut être comprimé par la paroi thoracique et par la substance pulmonaire condensée. On le trouve porté à droite dans les déplacements très-étendus du médiastin, et remonté vers le cou dans les grands refoulements du diaphragme. J'ai vu, sur un sujet vivant, le demi-thorax gauche tellement resserré dans le sens antéro-postérieur, que le cœur avait peine à se loger dans l'étroit espace que lui laissait le poumon, et qu'il paraissait fortement appliqué contre les deux parois thoraciques.

Il est fort rare que la pression réduise très-notablement le volume du cœur, comme elle diminue le volume des poumons. La gêne de la circulation tend plutôt à augmenter ses dimensions, comme dans ce dessin, où il est fort élargi (2). Il est quelquefois en partie graisseux ; mais cet état ne m'a pas paru plus fréquent chez les sujets gibbeux que chez les autres.

Les courbures dorsales gauches sembleraient devoir produire une compression du cœur presque incompatible avec la vie, et on l'a cru en effet; il n'en est rien pourtant. Les vertèbres, en se portant dans le demi-thorax gauche, restent en arrière du cœur ; et lorsqu'elles sont arrivées près de la face interne des côtes gauches, le sac du péricarde s'en est éloigné, ne les ayant pas suivies dans leur mouvement. Le cœur est alors entièrement situé à droite du rachis, dans la concavité de sa courbure, où il trouve un espace plus que suffisant pour se loger. C'est ce qui était arrivé chez les deux sujets dont je vous présente les dessins. L'un d'eux était une

(1) Voy. les pl. 10, fig. 2; 11, fig. 1; 12, fig. 1; et 13, fig. 1.

(2) Voy. pl. 14, fig. 2.

femme qui avait atteint l'âge de soixante-dix-neuf ans. J'ai autrefois placé la pièce sous les yeux de l'Académie de médecine (1). Il faut savoir toutefois que les déviations dorsales gauches peuvent, dans certains cas, réduire beaucoup l'emplacement destiné au cœur, parce que, outre la réduction causée par la présence des corps vertébraux dans le demi-thorax gauche, elles produisent encore la dépression antéro-gauche de la poitrine.

d. Vaisseaux sanguins. — Œsophage. — Les divers canaux renfermés entre les deux lames du médiastin postérieur subissent quelques changements.

Plusieurs auteurs anciens qui ont parlé des courbures de l'épine, Haller (2), Morgagni (3), Ludwig (4), A. Roy (5), Watzel (6), et plus récemment Vrolick (7), ont fait la remarque que l'aorte suit les inflexions du rachis dans la scoliose. Vous trouverez au musée Dupuytren sous les nos 481, 482, 481a, 482b, quatre pièces d'aortes injectées dans des cas de scoliose où MM. Houel, Verneuil et Jamain ont rencontré la même disposition. Ces dessins de pièces que j'ai étudiées il y a une vingtaine d'années, vous feront connaître les principales variétés qui se présentent à cet égard. J'examinerai en même temps, sur ces dessins, la disposition des veines principales et de l'œsophage.

Dans les cas les plus ordinaires, où la concavité de la courbure dorsale est à gauche, l'aorte thoracique reste accolée à cette concavité en décrivant un arc concentrique à la courbure vertébrale. C'est ce que l'on voit sur la plupart de ces figures (8). La veine azygos, représentée sur quelques-unes, décrit une courbure semblable (9) : c'est là ce que j'appellerai (a régie quant à la direction de ces troncs vasculaires.

(1) Bulletin de l'Académie de médecine, t. VII, p. 551.

(2) Opusc. pathol. Obs. n.

(3) Lettres 4 et 27.

(4) Observ. in sectione cadav. femin., p. 7 et suiv.

(5) Loc. cit., p. 133.

(6) De efficacia gibbositatis in mutandâ vasorum directione. 1778.

(7) Schroder (sous la présidence de Vrolick), De mutato vasor. de~ cursu in scol. et cypkos. Amsterdam, 1823.

(8) Voy. les pl. 11, 12, 13, 14, 15 et 16.

(9) Voy. les pl. 12, fig. 2; 13, fig. 1 et 2.

Vous remarquerez que l'aorte ne paraît pas toujours située à la gauche des vertèbres dorsales. Elle est quelquefois transportée plus ou moins au-devant d'elles; cela est surtout très-marqué sur ce dessin où la courbure de l'épine est considérable (1). Cela tient à ce que, par l'effet de la torsion, le côté gauche du racbis devient antérieur ou antéro-gauche; l'aorte suit ce côté dans sa rotation.

Au bas de la colonne dorsale, l'aorte change de direction avec le rachis, en le croisant un peu pour se placer sur sa face antérieure; vous la voyez, sur ces dessins, se contourner en sens contraire, comme la colonne lombaire, lorsque celle-ci décrit une courbe très-marquée (2) ; mais le parallélisme n'est pas en général aussi exact que dans le thorax. Si les vertèbres lombaires se portent fortement à gauche, l'aorte se trouve placée sur leur côté antéro-droit. La veine-cave inférieure est recourbée, comme l'aorte, dans le même sens que le rachis. Dans les cas de forte déviation lombaire que je viens de rappeler, cette veine abandonne les vertèbres en se dirigeant à droite, près de son passage derrière le foie (3).

Deux sujets sur quatorze offrent une disposition de l'aorte abdominale et thoracique qui constitue V ex cep lion. Cette artère décrit, dans ce cas, de petites courbures qui ne représentent pas aussi exactement celles du rachis (h) ; cela ne s'observe guère que dans les scolioses peu considérables. Il est moins rare de voir l'aorte abdominale affecter seule cette marche flexueuse.

Si la courbure dorsale est à gauche, — nous en avons trois exemples parmi ces dessins, — la position de l'aorte diffère suivant le degré de la déviation. 1° Dans ce cas de courbure dorsale gauche secondaire, qui accompagne une forte courbure lombo-dorsale droite, l'aorte et l'azygos ont leur situation ordinaire par rapport à la colonne dorsale, et décrivent comme elle un arc peu prononcé à convexité gauche (5); plus bas, l'aorte se replie en sens contraire comme le rachis, et suit la direction de la région lombaire. 2° S'il s'agit, comme dans les deux autres exemples, d'une forte courbure dorsale gauche, les rapports de l'aorte avec le ra-

(1) Voy. pl. 11, fig. 2.

(2) Voy. pl. 12; pl. 14, fig. 1; pl. 15 et 10.

(3) Voy. les pl. 12, 15 et 16.

(4) Voy. pl. 15, fig. 1.

(5) Voy. pl. 17, fig. 1.

BOUVIER. Vi

chis changent complètement ; elle glisse au-devant des vertèbres à mesure que celles-ci se portent à gauche, et finit par se trouver sur leur côté droit, ou même tout à fait à droite, vis-à-vis l'extrémité des côtes de la concavité de la courbure. C'est ce qui se voit sur l'un de nos dessins (1). Ludwig (2) avait déjà publié un cas semblable dans le siècle dernier. L'aorte croise alors la direction du rachis en traversant le diaphragme et suit le côté gauche antérieur de la colonne lombaire, selon la direction qu'affecte cette dernière.

Morgagni (3) a supposé que ces courbures de l'aorte pouvaient gêner le cours du sang. Je crois que cela n'aurait lieu que si elles formaient des angles ou plis profonds. On voit de ces plis sur quelques-uns de nos dessins; mais il est probable qu'ils s'effaçaient par la distension de l'artère.

L'œsophage, plus rétractile, moins adhérent au rachis que l'aorte, se comporte différemment. Ce n'est que dans les petites déviations qu'il conserve à peu près ses rapports normaux avec la colonne vertébrale, comme on le voit sur ces deux dessins (U). Mais, dans presque tous les autres cas, l'œsophage s'écarte du milieu de la courbure, à mesure que celle-ci se prononce davantage ; il tend à former la corde de l'arc qu'elle représente, comme ces dessins en offrent de nombreux exemples (5). De nature musculaire , il se raccourcit à proportion comme un muscle du squelette dont les points d'insertion se rapprochent. Ce raccourcissement ne va pourtant pas jusqu'à le tendre fortement, lorsqu'on écarte les extrémités de l'arc ; je l'ai toujours vu relâché dans ce cas, et on ne risque jamais de le rompre en cherchant à redresser une courbure.

Par exception, voici les figures de deux pièces où l'œsophage se recourbait comme l'aorte, s'il n'a pas été déplacé dans la préparation (6).

(1) Voy. pl. 18.

(2) Loc. cit., p. 7.

(3) Lettre 4, n° 16.

(4) Voy. les pl. 13, fig. 4; 15, fig. 4.

(5) Voy. les pl. 11, fig. 2; 12, fig. 2; 14, fig. 1; 13, fig. 3; 15, fig. 2 et 3; pl. 16 et 18.

(6) Voy. les pl. 10, fig. 2; et 13, fig. 2

e. Organes digestifs. — La courbure lombaire oblique des fortes scolioses dorsales, la courbure lombaire verticale dominante, ou égale à la courbure dorsale, ont pour effet commun de diminuer la hauteur de la cavité abdominale. Le resserrement irrégulier de la base du thorax, dans les déviations dorsales, réduit, en outre, la circonférence des régions abdominales supérieures. L'inclinaison du tronc en avant, quand elle a lieu, ajoute encore son effet à cette double influence. Il en résulte que les viscères abdominaux se portent en bas, vers la cavité pelvienne, et en avant, où ils distendent la paroi musculaire de l'abdomen. Suivant le volume proportionnel des viscères thoraciques et abdominaux, la réduction porte davantage sur les organes centraux de la respiration et de la circulation , ou sur l'appareil digestif. Cette considération n'est pas à négliger pour l'hygiène des individus gibbeux.

L'estomac et les intestins, excepté le duodénum, plus rapproché du rachis, ne ressentent qu'indirectement les effets de sa déformation. Leur situation et leur direction changent néanmoins à la longue ; l'estomac descend plus bas et occupe la région ombilicale. J'ai vu les* intestins grêles ramassés en totalité dans la cavité du petit bassin ; le colon transverse devient quelquefois vertical ; j'ai vu cet intestin remonter au-dessus du foie, entre celui-ci et le diaphragme, disposition déjà observée par M. Cruveilhier, qui toutefois ne dit pas si le sujet était bien ou mal conformé (1).

f. Foie. — Le foie, la rate, les reins, situés plus en arrière, sont modifiés plus directement par la courbure du rachis.

Le volume du foie n'est pas toujours réduit; il est même quelquefois considérable. Mais il ne peut s'étendre en tous sens; ce n'est qu'en longueur, vers l'hypochondre gauche, en hauteur, du côté du thorax et vers l'ombilic, que cet organe se développe. Circonscrit partout ailleurs par le squelette, il se moule exactement sur les os qui l'entourent. De là une configuration presque toujours irrégulière, des déformations parfois bizarres. Vu en avant, vers sa partie moyenne et sa face convexe, le foie paraît peu s'éloigner de l'état normal, ainsi que vous le remarquez sur ces dessins (2). Il en est tout autrement quand on l'examine en arrière, à son extrémité

(1) Cruveilhier, Anaîomie descriptive, 1834, t. II, p. 519.

(2) Voy. les pl. 11, fig. 1 : 13. % 1 ; 15, 6|, 2

droite et surtout à sa face inférieure. La colonne vertébrale s'imprime sur son bord postérieur ; les côtes s'enfoncent dans son lobe droit, et y tracent des sillons plus où moins profonds; le rein droit, déplacé lui-même, creuse sa face inférieure. Vous voyez toutes ces dépressions sur plusieurs de ces dessins (1). En voici un où la crête iliaque elle-même est reçue dans une profonde gouttière creusée à la face inférieure du foie (2). Le lobe droit est celui qui souffre le plus delà pression des organes voisins : diversement tronqué, arrondi ou allongé, quelquefois comme ratatiné ou replié sur lui-même, il affecte les formes les plus variées. Son allongement et la réduction du lobe gauche, dans ce dessin, donnent au foie la figure d'un tricorne. Sur cet autre, au contraire, il forme la petite extrémité de l'organe (3). Plus les vertèbres lombaires s'inclinent à droite, plus le lobe droit est gêné dans son développement. Quand elles décrivent une forte courbure à gauche, la plus grande partie du foie, mais surtout sa moitié droite, trouve plus d'espace dans la concavité de la courbure, comme cela a lieu dans le cas figuré ici (4). Dans celte forme de déviation, le foie s'éloigne des vertèbres , et reste, en presque totalité, à la droite du rachis.

g. Rate. — Plus mobile que le foie, moins profondément enfoncée dans l'bypochondre, la rate fuît plus aisément la pression. On la trouve sensiblement normale dans quelques cas, comme sur quelques-uns de ces dessins ; sur celui-ci, par exemple, malgré l'existence d'une très-forte courbure lombaire gauche (5). Elle a même augmenté de volume dans ces deux autres cas (6) ; mais l'un est une scoliose lombo-dorsale à convexité droite, et la rate a pu s'étendre dans la concavité de la courbure. Dans le second cas, elle n'a trouvé assez d'espace qu'en se déplaçant ; elle est descendue jusque dans la fosse iliaque gauche, qui loge son extrémité la plus renflée.

La rate obéit donc en partie, comme le foie, aux influences mé-

(1) Voy. les pl. 10, fig. 1; 12, fig. 1; 13, fig. 3; 14, fig. 3; 17, fig. %

(2) Voy. pl. 10, fig. 1.

(3) Pl. 10, fig. 2.

(4) Pl. 15, fig. 4.

(5) Pl. 12, fig. 1.

(fi) Pl. 1 1, fig. 2; et pl. 17, fig. \, 2.

caniques produites par la scoliose. Elle porte très-souvent à sa surface, ainsi que le foie, la trace des pressions voisines, des sillons, des excavations superficielles. C'est ce que l'on voit dans les deux cas que je viens de citer et dans plusieurs autres (1). Enfin elle n'a pu échapper, sur d'autres pièces figurées ici, à la réduction, à l'atrophie causée par la pression des vertèbres déviées à gauche (2). Sur l'une de ces pièces, une forte courbure dorsale gauche réduisait l'hypochondre gauche. Les quatre autres présentaient des courbures lombaires ou lombo-dorsales gauches, et la rate était resserrée dans l'étroit espace en forme de gouttière, qui résultait du rapprochement des vertèbres lombaires ou des dorsales inférieures et des dernières côtes gauches. Dans un de ces cas, vous voyez la rate réduite à une simple languette et complètement atrophiée.

h. Reins. — Aucun organe n'éprouve plus que les reins ces effets mécaniques de la scoliose, ce qu'expliquent sa situation profonde et ses rapports immédiats avec le rachis et les côtes. Voici pourtant un cas où les reins -sont à peu près à l'état normal, malgré une forte déviation du rachis (3) ; c'est que les vertèbres inférieures sont très-peu affectées; la courbure est presque bornée à la région dorsale.

Les reins restent en général parallèles à la colonne lombaire , et s'inclinent avec elle; le rein droit est plus bas que le gauche, si les premières vertèbres abdominales penchent à droite, comme cela avait lieu sur ces pièces {h). C'est le rein gauche qui s'abaisse, le droit qui s'élève, quand ces vertèbres penchent à gauche, comme dans ces deux autres cas (5).

Celui de ces organes qui répond à la convexité des fortes courbures lombaires ou lombo-dorsales, pressé entre les vertèbres et les côtes, s'allonge, s'effile et s'amincit; son volume total est réduit ; le rein du côté de la concavité, pressé de haut en bas, se raccourcit et s'élargit; mais il conserve au moins son volume normal. Le contraste est assez sensible sur ces dessins. Il s'y reproduit

(1) Pl. 13, fig. 1; 14, fig. 1.

(2) Pl. 10, fig. 1; 15, fig. 1, 2, 4; et pl. 18.

(3) Pl. 13, fig. 2.

(4) Pl. 11, fig. 2; pl. 16; pl. 17, fig. 1.

(5) Pl. 15, fig. 1 et 4.

en sens inverse, selon que la convexité de la courbure est à gauche ou à droite (1).

Plusieurs de ces reins sont creusés de dépressions ou de sillons, ou divisés en lobes, ce qui se voit dans d'autres circonstances que dans la scoliose. Un certain nombre d'entre eux sont coniques; leur extrémité supérieure, très-rétrécie, finit en pointe, la pression et l'atrophie ayant porté davantage sur cette partie de l'organe. Cette disposition se voit aussi sur des reins situés dans le sens de la concavité, quand leur partie supérieure a été soumise à quelque pression latérale (2).

Scoliose congénitale. — Les faits anatomo-pathologiques que j'ai exposés jusqu'ici sont communs à trois des quatre espèces de scoliose que j'ai établies précédemment; mais la scoliose congénitale présente quelques particularités qui méritent une mention spéciale.

On possède malheureusement peu d'observations détaillées sur la courbure latérale de l'épine chez le fœtus, et je serai obligé, faute de faits, de glisser sur plusieurs points importants.

Cette courbure a été vue, dès la naissance, dans deux circonstances principales : 1° dans le rachitisme congénital; 2° chez des monstres.

Le premier cas rentre dans la scoliose rachitique ; je n'en dirai rien de plus.

La courbure latérale de l'épine, chez les monstres, se lie, comme la cyphose et la lordose, dont je vous ai parlé précédemment, à de grands désordres des cavités spianchniques , spécialement aux lésions des centres nerveux et à celles que l'on connaît sous le nom à'évenlration.

M. Depaul a observé une courbure de cette espèce sur un anencéphale (3). Fleischmann (k) en a cité un cas où la courbure était unique. La loi de compensation ou de balancement des cour-Ci) Voy. pl. 13, fig. 4; 14, fig. 1 ; pl. 12, fig. 1, 2; pl. 15, fig. 2 et 4.

(2) Voy. pl. 12, fig. 1 ; et pl. 18.

(3) Robert, 'Thèse de concours sur les vices congénit. des articul., 1851, p. 45.

(4) De vitiis congenitis circa thoracem et abdomen. Erlangœ, 1810, pag. 6.

bures ne paraît pas ici aussi générale qu'après la naissance ; elle n'est plus nécessitée par l'équilibre de la station.

La torsion, qui implique, vous le savez, la déformation, se rencontre sans doute dans beaucoup de cas, car cette scoliose des monstres est souvent accompagnée de gibbosité. M. Geoffroy Saiut-Hilaire (1) a rappelé que les anencéphales présentent fréquemment des courbures du rachis et même des gibbositês; mais d'autres déviations vertébrales paraissent se rapporter plutôt à la scoliose par simple flexion. On voit aussi des torsions physiologiques semblables à celles que produit l'action musculaire. Fleischmann (2) cite un cas de courbure double, dans lequel la région cervicale était ainsi tordue sur elle-même.

La contracture des muscles du tronc, si rare après la naissance, paraît plus fréquente chez le fœtus, et certaines scolioses intra-utérines semblent dues à cette cause. M. J. Guérin (3) lui a même attribué toutes celles qui se produisent dans les monstruosités. Il dit avoir observé, dans plusieurs cas, une rétraction des muscles du rachis en rapport avec le sens des courbures; ces muscles courbaient la colonne vertébrale en tirant sur elle, comme la corde d'un arc tire sur ses deux extrémités, de même qu'on voit le sterno-mastoïdien, par exemple, tirer sur la tête et la maintenir inclinée par sa seule rétraction. Il est regrettable que la description détaillée de ces cas n'ait pas été publiée, car il est impossible, sur un énoncé aussi vague, d'en déterminer positivement le caractère, et surtout de juger du degré de généralité qu'il convient de leur donner.

L'existence d'une lésion nerveuse concomitante est sans doute un motif de penser qu'il y a eu contracture musculaire primitive, lorsque d'ailleurs on trouve les muscles rétractés. Mais cette lésion manque parfois, dans certains cas d'éventration, par exemple, et il faut alors, ou admettre la lésion nerveuse sans preuves, ou recourir à une autre explication. Fleischmann (4), qui malheureusement ne dit rien de l'état des muscles, suppose que l'éventralion ,

(1) Histoire des anomalies de l'organisation, ou Traité de Tératologie. Paris, 1836, t. II, p. 368.

(2) Loc. cit., p. 6.

(3) Des Difformités chez les monstres, etc., Gazette médicale, 1842.

(4) Loc. cit., p. 8.

toujours latérale dans ce cas, peut produire la scoliose en détruisant l'équilibre par le déplacement des viscères; mais il se demande aussi si, comme le pense Sœmmering (1), l'éventration ne pourrait pas, au contraire, être causée par la courbure de l'épine, ce qui nous rappelle l'explication de M. Houel pour l'éventration dans la lordose sacrée. De même que dans ce dernier exemple, des influences mécaniques indépendantes de l'action musculaire pourraient courber le rachis de certains monstres, et il faut, je crois, de nouvelles recherches pour mieux fixer ce point de la science.

II. ÉTIOLOGIE DE LA SCOLIOSE.

Après avoir étudié la scoliose au point de vue purement graphique , il nous reste à rechercher l'origine des désordres qui la constituent. Vous avez déjà compris que le fait anatomique primitif de la courbure latérale de l'épine est le développement irrégulier, asymétrique, de la vertèbre et de ses annexes. Mais il faut remonter plus haut; il faut découvrir, s'il se peut, les causes de celle asymétrie.

Toutes les hypothèses imaginées à cet égard depuis deux siècles se rattachent plus ou moins directement à l'hypothèse de Glisson (2) ou à celle de Mayow (3). Suivant Glisson, la courbure vient de ce que les matériaux nutritifs se distribuent inégalement aux deux côtés de l'os. Selon Mayow, ce sont les muscles, trop courts pour le squelette, qui le forcent à se courber.

Méry (h) a étendu et quelque peu modifié l'explication de Mayow, en admettant que les muscles de l'épine, contractés avec force d'un seul côté, produisent sa courbure latérale et tous les désordres qui s'ensuivent.

Morgagni (5) complète encore celte théorie, en disant que cette contraction des muscles d'un côté peut dépendre de convulsions ou

(1) Beschreibung, etc., ou Descriptio?/, de quelques fœtus monstrueux. Mayence, 1791.

(2) De Bachitide, 1650. (8) De Bachitide, 1680.

(k) Mém. de l'Acad. des sciences, 1706. (5) Lettre 27«.

d'une plus grande force naturelle de ces muscles, ou encore d'un affaiblissement des muscles opposés par une paralysie ou une autre cause. Morgagni est seulement un peu embarrassé par le fait de l'existence de plusieurs courbures opposées, car alors « on ne voit » pas facilement, dit-il, comment la paralysie alterne. » Il en propose une explication fondée sur la prétendue compression des nerfs dans les trous de conjugaison; mais il termine par ce trait d'une modestie trop rare de nos jours: « Croyez, ajoute-t-il, que cette » explication, qui exige un grand nombre d'observations non-seu-» lement sur des sujets sains, mais encore sur des bossus, a été » ajoutée ici par moi, non pas pour établir quelque chose, mais » pour vous engager à en imaginer une meilleure. »

La plupart des modernes ont suivi la même voie que Mayow, Méry et Morgagni. Shaw (1) a vu la cause principale de la scoliose dans les altitudes habituelles des enfants produites par la prédominance d'action de certains muscles. Pravaz (2), adoptant la même idée, intitule son chapitre de la vraie scoliose : Déviations produites par Vinégale distribution des puissances qui agissent sur la colonne vertébrale; et ces puissances, ce sont les muscles. Notre bien regrettable confrère revint plus tard à l'hypothèse pure de Mayow, et attribua la scoliose à un défaut d'harmonie entre l'élongation du squelette et l'accroissement des muscles (3).

Delpech seul, de nos jours, battit en brèche la doctrine généralement adoptée; il prouva que les attitudes étaient plus souvent l'effet que la cause de la scoliose, et il se rapprocha de Glisson en cherchant dans le rachis même la cause première de sa déformation. Il plaça cette cause dans les fibrorcartilages, —j'aime mieux dire les ligaments, —intervertébraux. Il supposa, plutôt qu'il ne la vit réellement, une affection primitive de ces ligaments, suivie de leur ramollissement et de leur affaissement latéral.

Puis est venue la doctrine de la rétraction musculaire. Reprenant les idées de Méry et de Morgagni, elle appliqua la théorie du pied bot, du torticolis musculaire ancien au plus grand nombre

(1) Loc. cit., p. 54.

(2) Des déviations de la colonne vertébrale, 1827.

(3) Jonrn. de méd. de Lyon, novembre 1844.

des déviations latérales du rachis, qui dépendent, suivant cette doctrine, de la rétraction partielle des muscles de la colonne vertébrale.

Voyons ce que l'observation rigoureuse des faits nous apprend sur ces divers systèmes et sur la formation de la courbure latérale de l'épine.

D'abord, il est bien établi que la scoliose par déformation peut succéder à une scoliose par flexion. L'empyème en fournit une preuve irrécusable, ei Delpech lui-même n'a pas nié l'influence de l'attitude clans ce cas. Rien de plus simple que le mécanisme de cette déformation. Par suite du retrait de la cavité pleurale après l'absorption ou l'évacuation du liquide, les deux extrémités du rachis se rapprochent du côté malade. Si cette inflexion dure longtemps, si elle s'opère dans le jeune âge, la nutrition, l'accroissement des vertèbres et de leurs ligaments sont modifiés par l'inégalité de pression des côtés droit et gauche, et la forme arquée de la tige osseuse devient permanente. Plus tard, l'effort des muscles ajoute une seconde, une troisième courbure à la première.

Les muscles sont-ils, dans ce cas, rétractés, tendus à la manière de la corde qui bande l'arc ? Non : on les trouve, sur le cadavre, mous, relâchés, comme sur la pièce que vous avez eue sous les yeux. Us agissent pourtant ; nul doute, mais ils agissent suivant un mode physiologique, avec des alternatives de relâchement, et non pathologiquement et d'une manière permanente; s'ils se raccourcissent à la longue, c'est consécutivement au raccourcissement d'un côté du rachis, qu'ils ne brident en aucune façon.

Ce qui se voit alors, c'est ce qui se voit dans toutes les flexions latérales habituelles suivies de déformation du rachis. Les muscles concourent par leur action physiologique à la formation de ces scolioses; mais ce n'est pas cette action, transformée en rétraction, qui maintient la courbure de l'épine. Il ne faut ea excepter que certains cas fort rares de contracture rhumatismale, de rétraction primitive par affection nerveuse, analogue à celle de quelques fœtus rendus monstrueux par des lésions du système nerveux.

Cette espèce de courbure qui succède aux flexions physiologiques conserve le cachet de son origine, au moins dans ses premières périodes; son siège, son étendue, sont en rapport avec les mouvements normaux qui l'ont déterminée.

Les convulsions ont souvent été accusées, depuis Morgagni, de donner lieu à la scoliose en laissant les muscles disproportionnés en force, les uns affaiblis, paralysés, les autres prédominants ou même rétractés. Je ne connais pas un seul fait qui prouve que la courbure latérale de l'épine, postérieure à la naissance, se soit jamais produite de cette manière. L'hémiplégie, après les convulsions, peut être une cause de scoliose, mais par le mécanisme des flexions latérales dont je parlais il n'y a qu'un instant.

Mais la scoliose par flexion est loin de précéder toujours la scoliose par déformation; c'est même le plus petit nombre des courbures de l'épine qui succède à la pleurésie, au raccourcissement d'un membre abdominal, au torticolis, à une attitude forcée quelconque. Aucune de ces causes ne préside au développement du plus grand nombre des scolioses. C'est ce dernier ordre de faits que j'ai désigné sous le nom de scoliose spontanée.

Observez ces cas dès leur apparition, interrogez avec soin les parents, vous ne découvrirez rien qui indique dans les enfants, avant les premières manifestations de la scoliose, des attitudes habituelles différentes de celles de centaines, de milliers d'enfants qui ne contractent pas de courbure de l'épine. L'écriture, le dessin, le piano, íes ouvrages d'aiguille, etc., sont donc généralement fort innocents des méfaits qu'on leur attribue dans de pareilles circonstances. J'ai moi-même autrefois accordé trop d'importance aux attitudes dans la production de la scoliose. Des observations plus multipliées m'ont convaincu, comme Delpech, que, la plupart du temps, leur influence est nulle comme cause primitive de la scoliose ; leur rôle n'est que secondaire ; il se borne à favoriser l'accroissement des courbures une fois qu'elles se sont produites.

L'action irrégulière des muscles n'est donc point la condition étiologique de cette scoliose spontanée. Quant à la rétraction, c'est ici un mythe, et ce serait combattre des fantômes que de m'arrêter à repousser une hypothèse qui n'appartient plus qu'à l'histoire de l'art. Dans la scoliose rachitique et dans celle que j'appelle spontanée, les muscles concourent, comme nous le verrons, à déterminer le sens des courbures; dans ce cas, ils agissent par leur contraction et non par leur rétraction.

Est-il plus nécessaire de prouver que les muscles ne sauraient donner à l'épine la forme sigmoïde, inhérente au début même de la

déviation? Faut-il montrer qu'ils ne tordent pas deux fois le rachis en sens inverse , comme on a paru l'admettre? Vous voyez bien que cela est impossible. Faites agir sur une même vertèbre, dans le point où la spirale doit changer de direction , un faisceau rotateur à droite qui la meut, et un faisceau plus élevé, rotateur à gauche, dont elle devra être le point fixe; vous ne verrez aucun mouvement de la vertèbre supérieure, parce que la première sera mobile précisément dans le sens où elle devrait être retenue pour l'accomplissement de ce second mouvement.

Je ne réfuterai pas non plus celte autre supposition, que le rhomboïde, le trapèze, en agissant sur l'épaule clans les efforts du membre supérieur, attirent les vertèbres horizontalement et les écartent de la ligne médiane. C'est une erreur de Levacher de la Feutrie (l), qui n'aurait pas dû être répétée de notre temps.

(2) Si les muscles, soit rétractés, soit contractés irrégulièrement ne sont les agents de la déformation ni dans la scoliose rachitique, m dans la scoliose spontanée, il faut bien revenir à l'hypothèse de Glisson pour ces deux genres de déviations, c'est-à-dire pour le plus grand nombre des courbures latérales de l'épine; il faut chercher clans la colonne vertébrale elle-même les causes du développement asymétrique qui les constitue.

Pour la scoliose rachitique, point de difficulté : les partisan? mêmes du système de la contraction irrégulière des muscles, les partisans du système de la rétraction reconnaissent ici une cause spéciale siégeant clans le rachis : celte cause est l'altération des tissus osseux et ligamenteux, qui diminuent de consistance. Les vertèbres et leurs ligaments s'affaissent sous les pressions qu'ils supportent, ou cessent de croître dans un sens par l'effet de ces pressions. Si colles-ci étaient égales, si le ramollissement était uniforme, le rachis ne ferait que se tasser sans changer de direction. C'est ce qui arrive dans les cas de rachitisme sans courbure avec simple nanisme. Si l'enfant est habituellement penché en avant, si la colonne antérieure est spécialement affectée, et si elle l'est également, c'est une cyphose qui se produit. La scoliose résulte

(1) Du Rakitis. Paris, 1772, p. 178.

(2) Neuvième leçon, 17 juillet 1857.

d'une mollesse plus grande à droite ou à gauche, d'une pression plus habituelle dans un sens que dans l'autre par l'effet d'une attitude qui, sans l'affection du squelette , serait par elle-même incapable de déformer le rachis; la pression latérale de l'aorte sur la tige osseuse altérée exerce sans doute parfois la même influence. La déviation.principale répond aux vertèbres les plus ramollies, à celles que l'action musculaire incline davantage, ou, suivant la remarque de Levacher de la Feutrie (1), aux vertèbres qui ont naturellement moins d'étendue d'un côté à l'autre, et qui offrent le moins de résistance dans le sens transversal.

Mais les choses ne peuvent se passer tout à fait de la même manière dans la scoliose spontanée. Ici, point d'altération sensible, point de ramollissement de la substance osseuse ou ligamenteuse. L'acte physiologique de l'accroissement est lésé sans qu'on en trouve l'explication dans l'état anatomique; les forces seules qui président à cet acte dévient de l'état normal.

Il est des cas où l'on est tenté de croire que, par suite d'une disposition originelle, ces forces, primitivement inégales à droite et à gauche dans un point du rachis, le font croître irrégulièrement : ce sont les cas de scoliose héréditaire, lorsqu'ils n'appartiennent pas au rachitisme. Il n'est pas rare de voir un père ou une mère gibbeux non rachitiques donner le jour à un ou plusieurs enfants, atteints de scoliose spontanée à l'âge où celle-ci apparaît ordinairement, ou même avant cet âge. Portai (2) a vu la scoliose frapper ainsi sept membres de la même famille, et j'ai Observé plusieurs faits semblables. L'hérédité peut provenir aussi d'un aïeul, en sautant, comme on dit, une génération. D'autres fois cette transmission semble se faire en ligne collatérale ou indirecte. Lorsqu'il y a plusieurs enfants, il est rare que la même prédisposition se manifeste chez tous; les garçons y échappent plus souvent que les filles. Comme toutes les autres transmissions héréditaires, celle-ci n'a d'ailleurs rien de constant; il arrive fréquemment qu'elle s'arrête dans une famille, ou qu'elle n'a pas lieu, la gibbosité restant bornée à un individu.

(1) Traité du Rakitis. Paris, 1772, p. 177.

(2) Sur quelques maladies héréditaires, Mémoire in à l'Institut, Paris, 1808, p. 14.

Ce n'est pas seulement au rachis qu'on observe une inégalité originelle. On tient souvent de ses parents un membre plus volumineux que l'autre, une moitié du crâne, de la face, plus développée que Ja moitié opposée. La coexistence, déjà signalée par Delpech (1), de ces anomalies et de celle du rachis, chez un certain nombre de sujets gibbeux, indique leur origine commune.

Les asymétries dont il est question se produisent aussi sans disposition héréditaire, comme par l'effet d'une différence originelle, propre à l'individu , dans la force de développement des côtés droit et gauche. Il peut en être de même au rachis dans certains cas. Je ne rattacherai pas, comme on l'a fait (2), la fréquence des courbures dorsales à convexité droite à la prédominance assez générale de l'accroissement dans la moitié droite du corps, ou dans l'homme droit, suivant l'expression de Mehlis (3) et de M. Moilin (h). La fréquence, au moins égale, des courbures dorsales gauches dans l'enfance détruit celte explication. D'ailleurs, si elle était exacte, la courbure à droite ne serait pas bornée à une région du rachis, et l'on ne verrait pas non plus la réduction d'un côté de la face correspondre tantôt à la convexité, tantôt à la concavité de la courbure.

Il se peut que, dans les faits que je viens de rappeler, la prédisposition héréditaire ou originelle du rachis ne consiste qu'en une plus grande susceptibilité à céder à d'autres causes de courbures latérales. C'est, comme nous allons le voir, à une semblable réunion de deux influences diverses que beaucoup de scolioses spontanées doiveut leur origine.

Je vous ai déjà parlé d'une grande cause d'inégal développement ties vertèbres et de leurs ligaments, la présence de l'aorte au côté gauche du rachis. Il s'établit, pendant l'accroissement, une sorte de lutte entre la force de développement de ce côté gauche et la pression de la colonne sanguine artérielle à sa surface. Dans les

(1) Orthomorphie, t. I, p. 146.

(2) Hemsing, De privilégia lateris dextri. Groning., 1822, p. 99; Serres, Recherches d'anatomie transcendante et pathologique, Théorie des déformations appliquée à Ritta-Christina, 1832, p. 167 et suiv.

(3) De morbis hominis dextri et sinistri. Gotting., 1818.

(4) Quelques considérations sur l'homme droit et sur l'homme gauche. Paris, 1855.

cas ordinaires, la force d'accroissement, la force plastique, l'emporte pendant longtemps, et l'effet de la pression est tardif et peu prononcé : cet effet, c'est la courbure latérale normale. Mais, si la force plastique du rachis est peu énergique, elle est vaincue dans cette lutte; les vertèbres dorsales comprimées croissent inégalement; la courbure est précoce et plus développée : c'est une scoliose.

Cette influence de l'aorte, qui, dans l'état normal, n'est pas sensible pendant les premières années de la vie, s'exerce même chez le fœtus dans des conditions différentes. M. Serres (1) dit avoir vu chez Rilta-Christina, morte dans sa première année, et sur un autre monstre double du même genre, l'empreinte de l'aorte au côté gauche du rachis, dans l'un des êtres ainsi réunis, et au côté droit dans l'autre, dont l'aorte était transposée.

Mais c'est surtout à l'âge où l'accroissement en hauteur augmente, que l'activité de la force plastique peut se trouver en défaut. C'est aussi à cet âge que la scoliose se montre ou qu'elle se prononce davantage, si elle avait paru auparavant.

On comprend, d'après ces considérations, comment toutes les causes de débilité favorisent le développement de la scoliose spontanée. Voilà pourquoi elle est plus commune dans certaines localités que dans d'autres, dans les grandes cités que dans les campagnes, dans la classe riche que parmi les familles robustes d'ouvriers, de villageois , lorsqu'ils sont bien nourris et à l'abri de la misère ou de l'excès de travail. Voilà pourquoi on la voit bien plus fréquemment dans notre vieille Europe que dans les contrées vierges du nouveau monde. « Je n'ai vu, dit M. de Humboldt (2) en parlant des Chay-» mas, aucun individu qui ait une difformité naturelle. Je dirai la » même chose de tant de milliers de Caraïbes, de Muyscos, d'In-» diens, de Mexicains, de Péruviens, que nous avons observés pen-» dant cinq ans. » Un nègre gibbeux est, je crois, chose rare.

On s'explique par les mêmes motifs la fréquence beaucoup plus grande de la scoliose spontanée dans le sexe féminin, chez les enfants délicats, lymphatiques, à constitution détériorée par une cause quelconque, chez les fdles eblorotiques ou dont la menstrua-

(1) Loc. cit.

(2) Voyage a,ux régions êquinoxiales. Paris, 1814.

lion est difficile, son apparition pendant une croissance trop rapide ou dans la convalescence de maladies graves, à la suite de la rougeole, de la scarlatine, de la fièvre typhoïde.

Cependant tous les jeunes sujets débiles ne deviennent pas gib-beux. Pourquoi cela? C'est que la débilité ne produit la scoliose que si elle porte particulièrement sur le rachis. Le rachitisme est assurément une cause très-évidente de courbure latérale de l'épine; néanmoins il laisse la colonne vertébrale parfaitement droite, lorsque l'affection osseuse ne porte pas sur les vertèbres.

Nous ne pouvons plus invoquer la présence de l'aorte dans le petit nombre de cas où la scoliose spontanée offre une convexité dorsale gauche, lorsque la courbure aortique est bien réellement retournée. On trouve quelquefois la raison de cette anomalie dans une disposition héréditaire, dans l'influence d'attitudes répétées dans le même sens, chez des gauchers par exemple, en même temps qu'il existe quelque cause de débilité générale.

En résumé, la scoliose spontanée, régulière, paraît généralement produite par l'action de l'aorte sur un rachis doué d'une force plastique médiocre, action souvent secondée par une disposition héréditaire et quelquefois favorisée par les attitudes habituelles du sujet.

J'ai considéré, dans cet exposé, comme parfaitement distincte l'origine propre de chaque espèce de scoliose ; mais il est des cas mixtes qui participent à la fois de deux ou même de trois espèces, et qui dépendent de causes multiples. Telle est la scoliose consécutive à la claudication chez un sujet rachitique ou placé sous l'empire d'une disposition héréditaire. Le plus souvent même les flexions n'ont d'effet bien prononcé que s'il existe en même temps quelque disposition organique qui favorise leur action, et réciproquement, la simple prédisposition héréditaire, celle qui résulte de la débilité, ont souvent besoin pour éclore de quelque levain rachitique ou du concours de la scoliose par flexion.

III. —- Symptomatologie de la scoliose.

A. Formes extérieures de la scoliose. — La courbure latérale de l'épine se présente, pendant la vie, sous trois états ou à trois degrés différents qui constituent, lorsque la déviation ne s'arrête pas dans sa marche, autant de périodes successives, savoir :

1° A l'état latent, période latente;

2° A l'état de déviation visible, période de déviation confirmée;

3° A l'état de déviation assez avancée pour produire une véritable gibbosité, période de gibbosité.

a. Pe période, état latent. — Cette période se confond par des nuances insensibles avec la courbure latérale normale; les apophyses épineuses sont sur une ligne droite, ou bien leur déviation est si peu sensible qu'on resterait dans le doute sur l'existence de la courbure, si elle n'avait pas d'autres signes.

Comme je l'ai dit pour la courbure aortique, c'est la différence de saillie des deux côtés du dos, des deux côtés des lombes, qui seule permet de reconnaître la déviation.

Ainsi, dans la généralité des cas, la voussure du côté droit du dos, à la hauteur de l'omoplate , la saillie musculaire de la gouttière vertébrale correspondante, sont accompagnées de la saillie du côté opposé des lombes, du soulèvement de la partie inférieure du sacro-spinal gauche, et souvent d'une voussure dorsale gauche à la hauteur des dernières côtes. On voit même assez fréquemment, au bas de la région cervicale gauche et visrà-vis la partie supérieure de l'omoplate, une troisième saillie à peine accusée, due au soulèvement des muscles qui répondent à la convexité de la courbure sus-aortique. Les points opposés à chacune de ces saillies sont déprimés, aplatis, leurs reliefs musculaires effacés. •

Les épaules proéminent inégalement, et c'est la première chose qui attire l'attention des mères ; l'épaule droite semble plus volumineuse, la gauche est comme affaissée. L'angle inférieur de l'omoplate est particulièrement soulevé et saillant du côté droit ; quelquefois pourtant c'est le contraire, lorsque, par exemple, la voussure costale inférieure gauche remonte jusque sous la partie inférieure de l'omoplate. D'autres fois, c'est la partie supérieure du scapulum qui est plus soulevée qu'à droite, parce que la saillie cervico-dorsale gauche descend plus bas qu'à l'ordinaire.

En faisant porter les bras fortement en avant et en haut, ou en les faisant croiser avec force sur la poitrine, en même temps que le tronc se penche en avant, on s'assure aisément que toutes les différences de saillie des épaulrs ne sont que des effets de la diffé-

BOUVIER. 28

rence de forme des plans du thorax sur lesquels elles reposent.

L'épaule droite, outre qu'elle est plus saillante, est ordinairement plus élevée que la gauche ; cependant cela est assez variable selon la proportion et l'importance relative des deux ou trois courbures du rachis, et aussi suivant les diverses attitudes du tronc.

La direction des omoplates diffère : la gauche est plus oblique que dans l'état naturel ; son angle inférieur est relevé en dedans et se trouve souvent plus haut que l'angle inférieur de l'omoplate droite; il en est de même de l'angle interne.

Vus en avant, les moignons des deux épaules, les sillons qui les séparent de la poitrine, sont rarement parfaitement symétriques et présentent des irrégularités en rapport avec celles de la partie postérieure. La clavicule gauche est ordinairement plus saillante que la droite à son extrémité sternale.

On commence assez souvent à voir, dans cette période, des dé- « formations de la région antérieure de la poitrine, notamment une saillie antéro-gauche, soit dans toute sa hauteur, soit à partir du sein gauche ou seulement au-dessous.

Le flanc droit est légèrement excavé, le gauche plus plein et plus droit. Cette disposition fait ressortir la saillie de la hanche droite et diminue celle de la hanche gauche. Cette différence des hanches est encore une de celles sur lesquelles se porte tout d'abord l'attention des mères.

Tous ces traits extérieurs de la difformité sont encore exagérés par les attitudes des sujets. Celles-ci sont un effet de la déviation, et il importe de les distinguer des simples flexions habituelles qui ne sont pas accompagnées de déformation.

Je n'ai pas à vous présenter d'exemple bien caractérisé de scoliose au premier degré. Voici cependant une petite fille de trois ans et demi qui me paraît atteinte d'une scoliose pleurétique commençante. Ses parents sont très-droits; elle ne présente pas de traces de rachitisme. Il y a six mois qu'elle a été atteinte d'une pleurésie du côté droit, et il existe une scoliose par flexion à concavité droite. Les cotes sont aplaties de ce côté, tandis qu'elles sont plus convexes à gauche. Il y a deux centimètres de différence dans la circonférence des deux demi-thorax. Les apophyses épineuses ne sont pas déviées, ce qui, joint à l'absence d'autres signes, indique que la déformation est très-légère; peut-être même n'y a-t-il que simple flexion.

b. IIe période. — Les caractères extérieurs qui se sont montrés dans la première période s'exagèrent dans la deuxième; il s'y joint en outre la déviation visible des apophyses épineuses.

Cette déviation des apophyses présente les caractères de la courbure sigmoide, en S verticale, que l'anatomie pathologique nous a fait connaître, excepté dans un petit nombre de cas où il n'existe qu'une seule courbure. L'effet de la torsion, qui masque entièrement les incurvations du rachis dans la première période, les atténue dans celle-ci, et ce n'est qu'en tenant compte de ce fait que l'on pourra juger avec quelque exactitude de la conformation de la colonne vertébrale par la seule direction des apophyses épineuses.

On apprécie cette direction en tendant un fil de la septième apophyse épineuse cervicale à la crête médiane du sacrum, et en mesurant la distance de cette ligne aux apophyses les plus déviées, ce qui donne la flèche des courbures. Dans les courbures obliques de la troisième période, on obtiendrait ainsi la flèche d'une sorte de courbure composée ou flexueuse, non celle des courbes particulières à direction opposée ; pour avoir celte dernière, il faudrait tendre le fil successivement entre les deux extrémités de chaque courbure.

Je ne reviens pas sur les formes variées que les courbures peuvent revêtir dès la deuxième période : je les ai indiquées dans l'anatomie pathologique.

En même temps que les courbures se prononcent, les gibbosités, qui ne faisaient que poindre dans la première période, commencent à se dessiner peu à peu ; mais elles restent toujours arrondies ; ce n'est qu'une voussure exagérée des côtes qui ne rend pas encore le thorax méconnaissable. Les dépressions correspondantes se creusent à proportion. De là plus d'irrégularité dans les deux côtés du tronc, plus d'inégalité dans la hauteur et la saillie des épaules, une plus grande disparate dans le galbe du torse à droite et à gauche. Dans la scoliose commune, ce galbe ressort à la hauteur du bras droit, qui le rencontre en se rapprochant du tronc; il est, au contraire, échancre à gauche, où le bras reste séparé du côté correspondant par un intervalle plus ou moins marqué. C'est l'inverse à la hauteur des lombes : le flanc gauche, saillant, est sur la même ligne que la hanche; le droit décrit, au contraire, une ligne concave fortement rentrée. Il y a compensation exacte dans ces incli-

28.

naisons opposées du tronc, comme dans les deux courbures qui les produisent ; c'est là un des caractères qui distinguent celte période de la suivante.

Les déformations de la région thoracique antérieure sont plus constantes et plus prononcées dans cette deuxième période que dans la première. Toute la région antéro-gauche, dans la scoliose commune, est plus bombée; elle soulève le sein et le rend plus saillant. La partie inférieure de cette région est quelquefois saillante à droite, du côlé de la convexité de la courbure dorsale, par l'influence de la courbure inférieure, à convexité gauche, sur la conformation des dernières côtes.

c. IIP période. — Elle commence, dans la scoliose commune, au moment où la courbure dorsale, devenant prédominante, entraîne le tronc à droite et fait pencher sa partie inférieure dans ce sens. La difformité change alors d'aspect : l'inégalité des deux côtés du tronc s'accroît dans la région dorsale et diminue aux lombes; la région lombaire, en s'inclinant à droite, se porte sur la hanche correspondante, la couvre, la déborde, en même temps qu'elle s'éloigne de la hanche gauche, qu'elle laisse à découvert. Il résulte de là que le relief du flanc gauche disparaît, que la concavité du côté gauche se prolonge jusqu'au-dessus de la hanche, qui devient de plus en plus saillante; à droite, au contraire, le flanc se relève et la hanche s'efface. Ce n'est qu'en arrière qu'il reste des traces de la saillie du côté gauche des lombes et de la dépression de leur côté droit. Toute la région inférieure du tronc, obliquement dirigée comme le rachis lui-même, n'est plus située d'aplomb sur le bassin , et l'équilibre n'est rétabli que par le retour de la région dorsale supérieure vers le côté gauche, par l'inclinaison de la région cervicale dans le même sens, et par l'abaissement du membre supérieur gauche. La tète revient un peu à droite pour limiter l'effet de cette seconde inflexion.

C'est dans cette troisième période que se montre la gibbosité proprement dite, formée aux dépens d'une grande partie du thorax, complètement défiguré. Jusque-là le sujet pouvait passer pour avoir seulement une épaule forte; il ne peut plus échapper désormais à la qualification de bossu.

Cette gibbosité, fortement proéminente et comme détachée de

la surface du tronc, d'abord arrondie , puis de plus en plus anguleuse par suite de la flexion de l'angle des côtes, est tantôt globuleuse, ramassée, tantôt allongée en forme de côte de melon. L'épaule correspondante la couvre d'abord et en forme le point culminant; mais, à la longue, l'omoplate est rejetée sur son côté externe. Cette bosse monte plus ou moins haut vers la région cervicale, qui peut s'y trouver en partie comprise. Dans d'autres cas, ce côté du cou est au contraire déprimé, et c'est le côté opposé à la gibbosité qui est saillant.

La base de cette sorte de protubérance se confond en dedans avec la ligne courbe des apophyses épineuses ; le milieu de cette ligne est souvent caché sous les muscles de la gouttière vertébrale, situés sur le côté interne des fortes gibbosités.

Les déformations thoraciques antérieures prennent le plus grand développement dans cette troisième période; c'est alors que se voient les dépressions profondes, circonscrites, au niveau des cartilages costaux, les saillies irrégulières de ces mêmes cartilages ou des côtes elles-mêmes, etc. C'est encore à la même époque que le sternum apparaît sous la forme d'une gibbosité médiane, comme dans la cyphose.

Je n'ai parlé que de la scoliose commune, à courbure dorsale principale procédant d'une courbure sigmoide. Une courbure dorsale , primitivement simple, à laquelle s'ajouteraient plus tard des courbures secondaires, suivrait la même marche. Dans les autres formes de déviation, telles que la courbure lombaire ou lombo-dorsale principale, les scolioses à courbures dorsale et lombaire égales, la courbure cervico-dorsale principale, la troisième période ne se distingue de la deuxième que par le degré de la difformité, et surtout par les proportions et la forme des gibbosités.

L'examen de nombreux sujets, gibbeux à divers degrés, va nous servir à compléter ces notions sur les caractères extérieurs de la scoliose dans ses deuxième et troisième périodes.

Ier cas. — Jeune fdle de onze ans et demi. Scoliose rachitique au deuxième degré. Les tibias sont déformés, preuve de rachitisme. Il y a deux courbures disposées en S verticale, une dorsale droite et une lombaire gauche ; cette dernière est un peu prédominante. Il n'y a pas de troisième courbure appréciable. Les muscles

de la région dorso-lombaire gauche sont déprimés dans leur portion supérieure, et forment inféiïeurement une saillie assez considérable. A droite, c'est précisément l'inverse : la saillie est en haut; l'aplatissement siège en bas, à la région lombaire. Celte alternative de saillies et de dépressions est, vous le savez, le signe pathogno-monique de la scoliose quand les apophyses épineuses ne sont pas déviées.

Le flanc gauche est saillant et masque la crête iliaque; le flanc droit est déprimé et fait saillir la hanche. L'omoplate droite est élevée et saillante ; son angle inférieur est soulevé. Vous n'avez pas oublié que cette proéminence de l'omoplate et des muscles lombaires est due aux côtes et à l'épine, qui sont cachées sous eux et qui les soulèvent.

IIe cas. — Fille de cinq ans et demi. Scoliose au deuxième degré, en S verticale. Courbure dorsale à gauche; petite dépression du flanc gauche.

IIIe cas. — Fille d'un an. Petite courbure à convexité gauche ; le côté droit du dos est aplati. Deuxième période commençante.

IVe cas. — Fille de trois ans et demi. Courbure rachitique à gauche. Deuxième période.

Ve cas. — Garçon de sept ans, sujet rachitique. Il a eu une luxation de l'épaule gauche qui a précédé la déviation. La scoliose est au deuxième degré, et présente une S verticale ou plutôt un zêta.

VIe cas. — Garçon de huit ans. Scoliose rachitique, courbure dorsale trèsqjeu étendue. A la hauteur du sein, vous remarquez une saillie antéro-gauche qui est le rudiment de la gibbosité antérieure.

VIIe cas. — Jeune fdle de quatorze ans, au début de la troisième période, présentant une gibbosité dorsale commençante. La courbure dominante est au dos et à droite. Au cou et aux lombes, il y a deux petites courbures de compensation. A gauche, la flèche qui mesure la déviation dorsale est de vingt-sept millimètres environ. Le tronc présente une inclinaison générale de bas en haut et de gauche à droite; c'est la disposition habituelle. Le bassin ne correspond plus à la région moyenne du dos, il semble reporté à

gauche. La hanche gauche offre la saillie qui répond à la courbure dorsale droite principale. La crête iliaque droite est effacée. Les côtes et l'épaule forment une saillie à droite. Ici, il y a peu d'élévation de l'épaule, ce qui indique que la courbure s'étend peu à la région cervicale. L'omoplate gauche est oblique; l'angle inférieur est relevé , l'externe abaissé. Le soulèvement de l'omoplate est évidemment dû aux côtes, qui forment sur chaque côté du thorax des plans différents; les épaules en elles-mêmes sont d'un volume parfaitement égal.

VIIIe cas. — Fille de dix-neuf ans. Troisième degré. Scoliose due à l'influence de plusieurs cause?. Le sujet a été atteint de rachitisme dans son enfance ; la scoliose spontanée s'est développée à huit ans, et a sans doute été favorisée par l'affection rachitique et par une certaine influence héréditaire. Vous voyez en effet que le côté droit de la face est moins développé chez la mère et chez l'enfant.

Ici, nous retrouvons les mêmes caractères que dans le cas précédent, et même plus prononcés. L'omoplate est bien plus chassée sur le côté. Le creux du flanc gauche est également très-prononcé. Remarquez la forme anguleuse des côtes; c'est un des caractères du troisième degré de la scoliose.

IXe cas. — Fille de treize ans. Scoliose au troisième degré. Mêmes caractères que la précédente.

La courbure supérieure est ici assez marquée, et se traduit par une saillie cervico-scapulaire gauche.

Xe cas. — Fille de neuf ans et demi. Rachitisme dans l'enfance. Courbure persistante du fémur. Scoliose du troisième degré commençante. Courbure dorsale droite principale.

XIe cas. — Fille de seize ans. Scoliose rachitique parvenue au troisième degré. La mère Insiste beaucoup sur des convulsions arrivées dans l'enfance, mais je ne trouve aucune trace de rétraction. La courbure, dorsale gauche, a commencé à deux ans.

XIIe cas. — Fille de douze ans et demi. Courbure inférieure gauche principale. Dépression profonde du flanc du côté opposé. C'est une gibbosité dorso-lombaire, une courbure clorso-lombaire principale à sa troisième période.

XIII0 cas. — Fille de deux ans et demi. Courbure à gauche comme dans le IVe cas, mais plus prononcée, approchant de la troisième période. L'enfant est rachitique, comme le prouve la convexité exagérée des fémurs.

XIVe cas. — Garçon de quinze ans. Courbure dorsale gauche. Pas de rachitisme pour expliquer la direction delà courbure, mais l'enfant a eu une pleurésie droite il y a deux ans et demi. Il y a encore des traces de vésicatoire de ce côté. La déviation paraît récente, et n'existait pas, au dire de la mère, il y a quelques mois. Elle se trompe évidemment, la déviation remonte plus haut, mais il est possible qu'elle se soit rapidement accrue depuis peu.

XVe cas. — Garçon de seize ans, rachitique. La déviation remonte à l'âge de quatre ans. Courbure dorsale droite dominante, avec courbure lombaire prononcée. Gibbosité anguleuse considérable; grande obliquité de l'omoplate gauche. Gibbosité costale inférieure gauche. Forte saillie sternale. Ce cas est un exemple de la double bosse antérieure et postérieure du polichinelle. Les organes thoraciques paraissent gênés ; il y a des palpitations et de l'anhélation. Remarquez le peu de hauteur de l'abdomen.

XVIe cas. — Garçon de sept ans. Courbure dorsale gauche analogue à plusieurs des précédentes. La déviation, due au rachitisme, a commencé avec cette affection dès le bas âge.

Ces enfants à courbure dorsale gauche justifient ce que je vous ai dit de l'égale fréquence de la scoliose rachitique à droite et à gauche.

B. Influence des mouvements sur les courbures (1). — Nous n'avons encore considéré clans les sujets gibbeux que les formes extérieures sous lesquelles ils s'offrent à nos regards, et qui se retrouveraient également, sur le cadavre. Nous n'avons guère vu chez nos malades que le squelette revêtu de ses parties molles. Jetons maintenant un coup d'œil sur ce qu'il y a d'animé, de réellement vivant dans ce tableau.

Il faut d'abord tenir compte de ce qui se passe pendant la vie dans les articulations du rachis dévié.

Les courbures de la scoliose varient en raison du mouvement de

(1) Dixième leçon, 24 juillet 1857.

ces articulations. C'est ce qu'on observe dans deux circonstances : 1° dans les mouvements passifs imprimés aux vertèbres par le poids des parties, par des pressions extérieures, etc. ; 2° dans les mouvements actifs déterminés par les muscles.

a. Action de ia pesanteur et des pressions extérieures.— La position horizontale et la station droite du tronc exercent sur les courbures une influence contraire : la première les diminue, la seconde les augmente. Ce double effet est bien plus prononcé ici que dans les variations diurnes des courbures antéro-postérieures normales, dont je vous ai parlé à l'occasion de la cyphose. Il se produit par un mécanisme analogue. Pendant la station, les ligaments intervertébraux sont comprimés à la concavité des courbures par le poids des parties, par la pression des muscles qui font équilibre à ce poids ; dans les articulations diarthrodiales correspondantes, les apophyses articulaires des vertèbres supérieures glissent à proportion, de haut en bas, sur les apophyses articulaires des vertèbres inférieures; les lames se rapprochent du même côte, leur ligament jaune est comprimé. On conçoit que l'inclinaison des vertèbres favorise singulièrement ce mouvement; aussi est-il d'autant plus étendu que cette inclinaison est plus considérable, sauf les résistances qui s'organisent dans les rachis courbés depuis longtemps , et qui diminuent leur mobilité. On comprend à peine comment, dans les cas extrêmes, les ligaments, qui supportent à eux seuls presque tout l'effort de la pesanteur, retiennent encore assemblées des vertèbres couchées de champ. J'ai vu, sur quelques pièces, des corps vertébraux qui avaient chevauché les uns sur les autres par l'effet de cet effort, et qui avaient cessé de se correspondre dans une petite étendue; mais ce mouvement avait été promptement arrêté par des ostéides développées au voisinage de cette subluxation.

La position horizontale, soulageant les vertèbres du poids qu'elles supportent dans la situation droite, fait cesser ces effets immédiats de la pression verticale. Les ligaments s'étendent à la concavité des courbures, les apophyses articulaires glissent en sens contraire et reprennent leurs rapports naturels. La position des parties sur un plan droit et résistant, la pesanteur, qui agit perpendiculairement à l'axe du corps, tendent même à écarter quelque peu les vertèbres dans le sens de la concavité.

Le changement d'aspect produit par le passage de la position horizontale à la position verticale, et vice versa, est surtout très-prononcé chez les jeunes sujets. On voit ainsi, dans certains cas, la même déviation spinale passer en un instant du premier degré au deuxième, et revenir aussi promptement au premier degré; c'est-à-dire que les apophyses épineuses décrivent une courbe sensible dans la station, et n'en offrent pas de distincte dans la position horizontale. De même, des déviations dorsales dominantes de la troisième période, accompagnées, pendant la station, de celte inclinaison latérale du tronc qui ajoute tant à la difformité, semblent rétrograder et repasser à l'état d'S verticale qui caractérise la seconde période, quand la position horizontale vient diminuer la courbure principale et surtout l'inclinaison des vertèbres inférieures. Il va sans dire que, dans les observations de cette nature, on a soin de donner au tronc la même direction antérieure ou postérieure, sans quoi elles ne seraient pas exactement comparables.

Une différence de stature se produit dans ces circonstances en même temps que la différence de forme ; le corps grandit dans un cas, se rapetisse dans l'autre.

Les pressions extérieures d'un plan inégal sur lequel le corps repose, impriment aussi aux articulations vertébrales des mouvements qui, tantôt augmentent, tantôt diminuent les courbures, selon le sens dans lequel ils s'opèrent. Cela est subordonné à la forme du plan et au côté du corps qui lui correspond.

Des pressions agissant sur les côtés du tronc, dans la station, peuvent produire des mouvements analogues, en s'associant à l'action de la pesanteur ou en l'annihilant.

Les articulations du rachis exécutent encore des mouvements passifs qui modifient les courbures, lorsqu'une force étrangère suspend le corps par la tête ou par les membres supérieurs, de manière que le poids des parties inférieures écarte les vertèbres du côté de la concavité. Les effets obtenus, dans ce cas, sont très-analogues à ceux de la position horizontale, et ils seraient encore plus marqués, si les muscles contractés ne bornaient l'écartement des os.

On peut observer la plupart de ces faits sur le cadavre comme sur le vivant, et c'est là un moyen précieux de constater de visu les modifications qui s'opèrent dans les articulations des vertèbres.

C'est ainsi qu'en exerçant des efforts de redressement sur un ra-chis dévié provenant d'une jeune fille de vingt-quatre ans, j'ai pu, dans une communication à l'Académie de médecine (1), faire voir l'allongement des ligaments intervertébraux à la concavité des courbures, et leur extrême tension dans un effort considérable qui ne tendait pas plus les muscles que dans l'expérience répétée dernièrement sous vos yeux.

On devine quel rôle important jouent ces mouvements passifs des vertèbres dans l'accroissement progressif des déviations abandonnées à elles-mêmes, et quel parti la thérapeutique de la scoliose peut tirer de ces données fournies par l'observation.

b. Effets de l'action musculaire. — Le mode et l'influence de l'action musculaire, dans la courbure latérale de l'épine, nous arrêteront quelques instants.

Dès le début de la scoliose, l'action musculaire tend à se coordonner de manière à produire des attitudes spéciales : la tête, une des épaules, le bassin, s'inclinent à droite ou à gauche, surtout dans la station. L'enfant étant debout se hanche presque toujours dans le même sens, du côté de la concavité de l'une ou l'autre courbure. Ces altitudes sont instinctives et en partie involontaires; elles résultent des tendances naturelles du rachis, et le sujet s'y abandonne parce qu'il les trouve plus commodes, parce qu'elles exigent moins d'effort de sa part. Elles augmentent presque toujours momentanément les courbures et favorisent leur accroissement. On ne les confondra pas avec les attitudes qui peuvent précéder la scoliose et contribuer à la faire naître.

Le mode d'action particulier des muscles du rachis a donné lieu à d'étranges méprises. J'ai déjà dit un mot, dans l'anatomie pathologique, des conditions nouvelles dans lesquelles se trouvent les muscles de l'épine. Au lieu d'agir également à droite et à gauche dans la station sur les deux pieds, comme à l'état normal, ils sont, de toute nécessité, inégalement contractés. Ceux qui, dans la forme la plus commune, répondent à la convexité dorsale, sont plus tendus et se contractent avec énergie pour maintenir l'état de station ; ils forment souvent une espèce de corde entre le bassin et le rachis ou les dernières côtes, surtout s'ils font effort pour retenir le tronc

(1) Bulletin de l'Acad. de méd., t. VIII, p. 1010.

penché en avant. Cette corde est encore plus manifesté lorsque, fixant le bassin d'une main, on essaye avec l'autre de soulever le bas du demi-thorax droit, ce qui communique inévitablement au tronc une impulsion de droite à gauche. Le sacro-spinal droit est alors très-dur, fortement contracté, parce qu'il résiste de toute sa force à cette impulsion. Croiriez-vous qu'on a vu là un muscle rétracté ? qu'à défaut de pièces pathologiques propres à démontrer la rétraction dans les cas de ce genre, on a cru en trouver la preuve dans cette observation physiologique? On a fait plus : à l'aide de ce seul fait, on a édifié toute une théorie louchant l'étio'ogie de la scoliose. Ceci est assez curieux pour que je vous en dise deux mots.

Ludwig (1), Shaw (2), ont cru que la double courbure latérale du rachis commençait généralement, par la courbure lombaire; mais cette idée, basée sur des vues spéculatives, n'avait pas été confirmée par les faits; la plupart des auteurs l'avaient rejetée. On a repris cette doctrine, et l'on.a soutenu que, puisque le sacro-spinal droit se montrait rétracté dans l'expérience précédente, c'était lui qui primitivement inclinait la colonne en totalité de son côté; que les autres courbures n'étaient qu'une conséquence de cette première inclinaison (3). On a d'ailleurs quelque peu varié ce thème en plaçant le siège de la rétraction dans divers faisceaux musculaires, et même dans les deux muscles parallèles des côtés droit et gauche (4).

Ainsi, cette énorme courbure dorsale que vous avez sous les yeux, qui nous paraît évidemment primitive, ne serait qu'une suite de cette petite courbure oblique des lombes qui l'aurait précédée et qui, pour nous, n'est qu'une courbure secondaire de compensation ou d'équilibration.

Il ne faut pas de grands frais de logique pour battre en brèche un pareil système. Il suffit de changer la position du sujet, de le placer dans des conditions telles que son sacro-spinal droit ne soit plus provoqué à entrer dans une si violente contraction, et le fan-Ci) Adversar. med.-pract., t. II, part. 3, IV, p. 559, 1771.

(2) Loc. cit., p. 52.

(3) Bulletin de l'Académie de médecine, t. VIII, p. 1064.

(4) Ibid., p. 1155.

tome de rétraction qu'on invoquait s'évanouit, tout l'échafaudage qu'il soutenait s'écroule.

Mettez le malade dans la position horizontale, soulevez le milieu du tronc pour qu'on ne dise pas que les attaches musculaires sont plus rapprochées que dans la station, il vous sera facile d'obtenir la cessation de toute contraction, et vous ne trouverez plus de muscles raccourcis, durs, tendus, et, en apparence, rétractés, quelque attitude que vous donniez au tronc. Naturellement, les muscles se tendront un peu, quand vous éloignerez par trop leurs points d'attache, comme ils le font chez un sujet bien conformé; mais ils se tendront des deux côtés alternativement de la même manière, en raison de l'étendue des mouvements que vous imprimerez à leurs extrémités. Lorsque vous voudrez redresser les courbures, vous ne rencontrerez alors dans les muscles guère plus de résistance que sur le cadavre ; tant que vous parviendrez à faire taire la contraction, aucun ne se présentera sous la forme d'une corde arrêtant l'effort, comme cela arrive dans le pied bot, le torticolis, etc.

Voulez-vous vous assurer d'une autre façon que c'est bien une contraction passagère, et non une rétraction permanente, qui raccourcit et durcit le sacro-spinal dans l'expérience précitée? Au moment où ce muscle est si court, si tendu qu'il semble impossible d'éloigner davantage ses deux extrémités, faites fléchir le tronc en avant; le dos va se voûter, ses muscles vont changer tout à coup de dimensions; ils décriront, comme les os, une courbe, et, en les mesurant, vous trouverez votre sacro-spinal subitement allongé d'un tiers ou des deux cinquièmes, parce qu'il s'est relâché, parce qu'il s'est comporté comme son congénère, comme tout muscle doué d'une longueur en rapport avec celle du squelette.

L'influence évidente de la contraction musculaire sur les courbures latérales de l'épine, — tant que ses articulations sont mobiles, — ne peut être complètement déduite des effets ordinaires de cette contraction chez les sujets bien conformés. Je vous ai fait voir les formes diverses que les fléchisseurs latéraux du tronc peuvent donner à la colonne vertébrale, dans les flexions latérales physiologiques. Or ces formes sont tout autres chez les sujets atteints de scoliose, déjà infléchis latéralement dans deux ou trois

sens. Si le haut du tronc se penche à droite, par exemple, la colonne lombaire déjà inclinée à droite peut bien se fléchir davantage dans ce sens; mais la région dorsale, concave à gauche, ne fait que se redresser un peu et reste plus ou moins fléchie à gauche; sa partie supérieure seule suit la direction des lombes et décrit comme elles une courbe à concavité droite. Si la flexion se fait à gauche, c'est la région lombaire qui ne peut obéira ce mouvement, et la région dorsale seule qui l'exécute. Remarquez que, tandis qu'une des courbures se redresse dans ces flexions latérales, l'autre augmente.

L'inclinaison des lombes sur le sacrum par l'action musculaire peut, comme dans l'état naturel, se produire en sens inverse de la flexion latérale du rachis, lorsque celle-ci s'opère dans le sens de la concavité d'une courbure. C'est ainsi que, dans la courbure dorsale droite dominante, l'inclinaison lombaire peut être augmentée par les fléchisseurs latéraux des lombes, en même temps que les fléchisseurs latéraux opposés de la région dorsale augmentent la courbure dorsale. L'effort contraire, tendant à diminuer l'inclinaison lombaire et à redresser la courbure dorsale, est fort difficile à effectuer, souvent impossible, et ne peut être soutenu au delà de quelques instants.

En appréciant cette influence des muscles sur les courbures, on devra éviter une erreur que j'ai vu commettre : c'est de croire au redressement des courbures, lorsqu'un excès de cambrure du tronc ne fait que les rendre moins apparentes en déprimant la saillie des apophyses épineuses. On n'oubliera pas non plus que la direction de ces apophyses ne représente pas exactement celle des corps vertébraux, et qu'elles peuvent être ramenées à une ligne droite sans que la colonne antérieure cesse d'être courbe.

Il est clair que les mouvements actifs du rachis, comme ses mouvements passifs, peuvent contribuer puissamment, soit à l'aggravation, soit à la cure des déviations vertébrales. Nous verrons, dans le traitement de la scoliose, comment on a tenté d'ajouter encore au pouvoir des muscles du rachis en combinant avec leur action celle des muscles des autres sections du corps, et comment on a également réuni, dans certaines circonstances, l'influence des mouvements musculaires et celle des mouvements passifs communiqués à la colonne vertébrale, dans la suspension par les bras, par

exemple, position qui joint à un exercice musculaire actif les effets de la suspension passive du corps.

C. INFLUENCE DE LA SCOLIOSE SUR LES FONCTIONS. — La plupart des manifestations de la vie se ressentent de la conformation qu'entraîne la scoliose ; de là de nouveaux traits à ajouter au tableau de cette affection , ceux qui dérivent des altérations fonctionnelles.

La première et la deuxième période n'apportent toutefois que peu de changements dans l'état des fonctions; ce n'est qu'au degré qui constitue la gibbosité proprement dite que ces modifications sont bien marquées.

Cependant quelques troubles fonctionnels ont souvent été rattachés à des déviations encore peu avancées. Levacher de la Feu-trie (1) dans le siècle dernier, Delpech (2) dans celui-ci, ont dit avoir trouvé maintes fois dans des courbures de l'épine dont on ne s'était pas aperçu la cause d'accidents divers que rien n'avait pu calmer, tels que : douleur habituelle à l'épigastre ou dans un côté de la poitrine, accès d'asthme , toux, perte d'appétit, trouble des digestions, diarrhée, amaigrissement, lésions diverses de l'innervation , etc. Sans doute on fera bien de suivre la recommandation de ces auteurs, d'examiner la colonne vertébrale quand des symptômes insolites persistent sans cause connue ; mais il m'a paru bien rarement démontré que les accidents de ce genre fussent réellement dus à la scoliose. Ce n'est, la plupart du temps, qu'une coïncidence , qu'une réunion d'effets qui peuvent dépendre d'une cause commune, d'un état général constitutionnel, de la chloro-ané-mie, etc.

La respiration, la circulation sont les fonctions les plus compromises par les progrès de la scoliose.

Non-seulement la capacité des voies aériennes n'est point en rapport avec le volume total du corps, comme vous l'a montré l'anatomie pathologique, mais encore l'acte mécanique de la respiration est rendu imparfait par les changements survenus dans la direction, la forme, la mobilité des côtes, par la difficulté de l'abaissement du diaphragme, que les viscères abdominaux pressent de bas en haut avec plus de force que dans l'état naturel. L'inspi-

(1) Traité du Rakitis, p. 122.

(2) Orthom., t. II, p. 11.

ration est donc doublement insuffisante ; elle n'introduit pas assez d'air pour les besoins de l'organisme. Les sujets y suppléent par une plus grande fréquence des inspirations qui rétablit à peu près l'équilibre fonctionnel dans l'état de repos. Mais au moindre mouvement actif, dans tout effort musculaire un peu prolongé, dans une marche rapide , dans la course , dans les efforts expiratoires ou vocaux, tels que le cri, le chant, etc., l'accélération de la respiration devient pénible ; elle atteint des limites qu'elle ne peut franchir ; l'anhélation est extrême, l'hématose incomplète. Ce n'est que par exception que l'on voit le contraire, comme chez un prêtre sexagénaire dont parle M. A. Séverin (1), et qu'une double bosse n'empêchait pas de chanter à merveille, comme chez un soldat bossu, cité par Ludwig, qui l'emportait souvent à la course sur ses compagnons d'armes, et dans cet autre exemple, dû au même auteur, d'un bossu qui donnait du cor avec une rare perfection (2).

Le caractère particulier des phénomènes respiratoires domine toute la physiologie des individus gibbeux. Il influe directement sur le cœur, dont les cavités droites se débarrassent avec peine du sang veineux qui y afflue; il influe médiatement sur le cours du sang dans les veines et les systèmes capillaires, que ce liquide distend plus aisément. Delà une prédisposition aux hémorrhagies, aux hydropisies, à certaines congestions locales. C'est plutôt à cette cause de gêne dans la circulation pulmonaire qu'à la plus grande proximité du cœur et du cerveau, dont parle Morgagni (3), qu'on doit attribuer la facilité des congestions cérébrales, des apoplexies dans les fortes gibbosités.

Je ne redirai pas, avec un auteur moderne, qu'un des effets du manque d'oxygénation du sang est la prédominance de l'hydrogène et, par conséquent, de la graisse, qui envahirait les tissus et jusqu'aux os eux-mêmes. Je n'ai trouvé les os plus gras, dans la scoliose, que lorsque c'était un effet de l'atrophie osseuse causée par les progrès de l'âge.

L'amaigrissement général est, au contraire, un résultat ordi-

(1) De recond. abscess. nat., L. de gibbis., etc. Leyde, 1724, p. 401.

(2) Ludwig, Adv. med.-pract., vol. II, part. 4, p. 618.

(3) Lettre 4, n° 16.

naire de la gibbosité, et il s'explique facilement par le mauvais état des fonctions nutritives.

Après la respiration, c'est l'action du cœur qui offre les plus grandes perturbations : tantôt ce ne sont que des troubles fonctionnels, tels que palpitations fréquentes, irrégularité dans le rhythme des contractions, disposition à la syncope ; tantôt ce sont de véritables modifications de nutrition, des lésions organiques. Les maladies du cœur sont une des causes de mort les plus fréquentes dans la scoliose.

L'état habituel de la respiration et de la circulation, chez les sujets gibbeux, donne une physionomie spéciale à leurs affections thoraciques. La dyspnée, les phénomènes d'asphyxie sont provoqués, chez eux, par des maladies peu graves en elles-mêmes et, tout en ajoutant aux dangers qu'ils courent, sont souvent hors de proportion avec la bénignité réelle du mal. La compression des poumons et la gêne de leurs fonctions exposent particulièrement ces organes aux maladies congestives et inflammatoires, à l'asthme, à l'hémoptysie. Je n'ai pas vu toutefois que les bossus fussent plus sujets aux tubercules pulmonaires.

La percussion, l'auscultation donnent, dans la scoliose , des résultats qui tromperaient le praticien s'il n'en était prévenu d'avance. On trouve, à la percussion , une matité très-prononcée en arrière, dans une largeur variable, le long de la colonne vertébrale, du côté de la convexité de la courbure dorsale, c'est-à-dire au niveau de la gibbosité. En dehors, c'est le poumon privé d'air qui se trouve sous le doigt; en dedans, ce sont les corps vertébraux, que la torsion a portés dans ce point, et la matité y est plus absolue. La poitrine est sonore partout ailleurs dans les régions occupées par les poumons.

Le souffle respiratoire ne s'entend pas dans les points où se rencontre la matité ; il est normal ou peu affaibli dans les autres régions.

La percussion et l'auscultation du cœur le montrent moins couvert par le poumon gauche et plus rapproché des côtes. Il y a souvent une impulsion plus marquée, qui se fait sentir dans tout le demi-thorax gauche. Le cœur semble quelquefois, sous la main, aussi près de la paroi postérieure de la poitrine que de l'antérieure, bouvier, 29

parce que ces parois se sont singulièrement rapprochées. Del-pech (1) en cite un cas fort remarquable, qu'il a seulement eu le tort, je l'ai déjà dit, de rapporter à la lordose : c'était une scoliose dorsale gauche et lombaire droite, avec enfoncement du sternum et des cartilages des dernières vraies côtes gauches. Le malade a été délivré par un traitement onhopédique des accidents qu'il éprouvait du côté du cœur et des poumons. J'ai observé un cas semblable; mais la jeune fdle a succombé.

Divers auteurs, Delpech (2) entre autres, ont parlé des lésions fonctionnelles de la moelle épinière ou même du cerveau chez les sujets gibbeux, d'engourdissements, de paralysies, de contractures des membres, de vertiges, de cécités, etc., auxquels ils seraient exposés. Ces accidents sont rares; l'innervation n'est pas, en général, troublée directement par la déformation osseuse; nous en avons vu la raison dans l'anatomie pathologique. Au milieu des plus grands écarts de la conformation du rachis, on voit les membres inférieurs conserver leur motilité et leur sensibilité. Les faits contraires sont exceptionnels.

La compression des nerfs entre les vertèbres ou les côtes, le froissement des chairs par le tassement des os du tronc, donnent très-souvent lieu à des douleurs permanentes vers la base du thorax ou les crêtes iliaques, quelquefois à des névralgies le long du trajet des nerfs qui émergent des paires lombaires et sacrées ou de leurs plexus.

Il a beaucoup été question de la grande intelligence des bossus; elle est presque proverbiale. Je crois leur réputation à cet égard un peu usurpée, abstraction faite de l'influence du rachitisme proprement dit. Je n'ai pas rencontré, parmi les nombreux cas que j'ai eus sous les yeux, une plus grande proportion d'intelligences supérieures que chez les sujets bien conformés. Je conviens qu'il y a eu quelques bossus célèbres, sans compter Ésope, dont la prétendue difformité est une fable des temps modernes; mais les grands hommes ne sont pas plus communs dans cette classe d'individus que dans les autres. En revanche, il faut exonérer les bossus du caractère de méchanceté qu'on leur prête ; il ne domine nullement

(1) Orthom., t. I, p. 350.

(2) Orthom., t. TI, p. 17.

chez eux. Il est seulement vrai de dire que leur position sociale développe au plus haut point leur malignité, lorsqu'ils en ont naturellement le germe.

Les viscères abdominaux souffrent moins dans leurs fonctions que les organes renfermés dans le thorax, sans doute à cause de l'extensibilité de la paroi antérieure de l'abdomen. Cependant la compression de l'estomac donne quelquefois lieu à la dyspepsie, à des vomissements; j'ai observé le cancer de cet organe dans quelques cas de gibbosité; n'était-ce qu'une coïncidence? En général, avec les progrès de l'âge et par l'augmentation de la difformité, le tube digestif se resserre ; il est rare que les bossus âgés soient de gros mangeurs, et leur médiocre alimentation n'est pas une des moindres causes de leur maigreur.

Je n'ai pas remarqué de trouble fonctionnel résultant de la compression du foie, de la rate, des reins; des douleurs passagères ont été le seul effet apparent de cette compression. Dans les cas dont j'ai connaissance, le tissu de ces organes était généralement sain, lorsqu'on a eu occasion de pratiquer l'autopsie. Je pense toutefois que ce sujet réclamerait des recherches nouvelles.

Une tradition non moins ancienne que celle qui a trait au développement intellectuel, attribue une grande activité à l'appareil génital des individus difformes. C'est vraisemblablement ce qui a donné lieu autrefois à la fable de Priape, né très-contrefait, avec un pénis monstrueux, et chassé de Lampsaque par les maris à cause de ses succès auprès des femmes (1).

On voit, en effet, de singuliers développements des organes génitaux chez quelques sujets réduits par une difformité congéniale à un torse plus ou moins bien conformé, presque sans membres; mais c'est là un ordre de faits différents de la scoliose. On n'observe pas, comme règle générale, cette prédominance de l'appareil génital dans la courbure latérale de l'épine.

La menstruation est retardée par les courbures assez considérables pour ralentir le développement général de la jeune fille. Les irrégularités, dans les autres cas, ne paraissent pas liées à l'existence de la scoliose.

Rien n'est plus commun que la chlorose chez les filles atteintes

(1) Des divinités génératrices, par J. A. D. Paris, 1825-

29.

de courbure de l'épine; il y a ici généralement coïncidence de deux effets dépendants d'une même cause, d'un état constitutionnel des sujets.

Dugès et Delpech (1) ont déjà fait justice d'une opinion suivant laquelle les femmes gibbeuses seraient peu fécondes. La stérilité n'est pas même produite par les courbures lombaires, comme on l'a supposé d'après trop peu de faits et dans l'hypothèse erronée d'une influence générale de ces courbures sur les fonctions de la partie inférieure de la moelle ou des nerfs qui en émanent.

La gestation peut être rendue difficile par le peu de capacité de l'abdomen, par la saillie des vertèbres qui dévie ou incline l'utérus ; mais ces accidents sont peu communs, et il n'est pas rare de voir des femmes gibbeuses enfanter, sans accidents, un plus ou moins grand nombre de fois, lorsque la déviation n'est pas rachitique , et que par conséquent le bassin est à peu près régulier.

Il résulte de cet exposé que, malgré l'intégrité ou le peu de lésion de plusieurs fonctions, la scoliose d'un haut degré altère plus ou moins profondément les conditions les plus essentielles de la vie; qu'en thèse générale, elle rend l'existence plus ou moins pénible, et tend à en abréger la durée. On voit assurément des bossus parvenir à la vieillesse la plus avancée, je vous en ai moi-même cité des exemples ; mais un bien plus grand nombre meurent encore jeunes. La vie moyenne est certainement plus courte dans la scoliose que chez les individus qui jouissent d'une conformation régulière. C'est ce qu'exprimait déjà ce passage du Traité des articulations d'Hippocrate : « 11 est arrivé que plusieurs » ont porté sans peine et sans maladie leur gibbosité jusqu'à la » vieillesse; cependant, même parmi ceux-là, peu ont dépassé » soixante ans, et la plupart n'y vont pas (2). » Et Galien ajoute judicieusement que ceux qui vieillissent le doivent à leur nature forte, à la douceur du mal et au régime de vie qu'ils observent (3).

Les malades que je vous présente vous donneront l'occasion de vérifier quelques-uns des faits que je viens de vous exposer.

Ier cas. — Fille de treize ans et demi. Elle a les poignets tuiné-

(1) Orthomorph.,t. I, p. 367.

(2) OEuvres d'Hippocrate, trad. par E. Littré, t. IV, p. 181.

(3) Galien, édit. de Kiihn, t. XII, l,e partie, p. 511.

fiés depuis l'âge de deux ans. La scoliose n'a débuté qu'à l'âge de dix ans, et est encore aujourd'hui au premier degré. Sa marche a été lente; ce n'est presque qu'une courbure aortique exagérée, c'est à peine si l'on peut trouver une courbure à la région dorsale du rachis. Cependant nous trouvons les signes pathognomoniques d'une scoliose, la rondeur des côtes du côté droit, la saillie des muscles lombaires du côté gauche. C'est un cas bien caractérisé de scoliose du premier degré.

IIe cas. — Garçon de dix ans; c'est un rachitique. Remar-juez la petitesse de sa taille et la courbure de ses clavicules. La iifformité a commencé à cinq ans. Aujourd'hui il présente une scoliose sigmoïde verticale à deux arcs égaux. La bosse dorsale, située à droite, est encore fort peu prononcée. Nous sommes ici au commencement de la troisième période ou à la fin de la deuxième. Il se hanche sur la hanche droite dans le sens de la concavité lombaire, et ne peut se hancher aisément de l'autre côté; le bassin est abaissé à gauche; cette attitude fait paraître davantage la bosse, et fait passer la scoliose du deuxième au troisième degré.

IIIe cas. — Garçon de onze ans. Il présente une courbure aortique exagérée; le thorax est à peine déformé, le flanc droit légèrement déprimé. Il a eu le rachitisme et ses jambes sont un peu torses.

IVe cas. — Fille de onze ans. Scoliose sigmoïde oblique, penchée à droite, composée d'une courbure dorsale très-longue, d'une courbure lombaire plus petite. La scoliose date de trois à quatre ans; elle est arrivée à la fin de la deuxième période ou au commencement de la troisième. Elle a paru spontanément, longtemps après une attaque très-légère de rachitisme. L'enfant n'a pas eu de maladies graves; elle a une constitution éminemment scrofu-leuse, sa lèvre supérieure est grosse, elle a eu des ophthalmies scrofuleuses. Maintenant elle se plaint de palpitations, d'essoufflement, de faiblesses, qui dépendent peut-être autant de son état général que de sa difformité.

Ve cas. — Fille de quinze ans. Scoliose au troisième degré datant de trois ans. Cependant l'enfant, qui a été rachitique, offre depuis longtemps quelque chose d'irrégulier dans sa conformation.

Vous voyez qu'en faisant courber la malade en avant, on fait disparaître la corde saillante formée par les muscles lombaires au lieu de l'augmenter, comme le voudrait la théorie de la rétraction. Vous voyez qu'on obtient encore le même effet en faisant coucher l'enfant sur le ventre.

Cette jeune fille, qui n'est pas encore menstruée, se plaint de maux d'estomac, de palpitations, d'oppression et d'autres symptômes de chlorose.

A la percussion, nous trouvons partout le son normal, excepté en arrière, au côté externe de la gibbosité, où il est un peu diminué, et à son côté interne, où la matité est complète; en auscultant, on perçoit partout le bruit respiratoire normal, sauf au côté interne de la bosse, où l'on n'entend rien.

VIe cas. — Ce malade, âgé de vingt-six ans, porteur d'une scoliose au troisième degré , nous offre quelque chose de singulier : c'est une anesthésie de la peau qui recouvre les côtes gauches, dépendant probablement de la compression de quelques nerfs intercostaux de ce côté.

VII* cas. —Enfin le dernier malade que je vous présente est fort remarquable au point de vue du diagnostic. C'est une jeune fille affectée à la fois de scoliose et de mal de Pott ; c'est là un fait très-rare. La scoliose, qui est parvenue au second degré, est un type de ce genre de difformité. Le mal de Pott s'écarte un peu de sa forme habituelle : au lieu d'être antéro-postérieur, comme cela se voit ordinairement, il est latéral, ce qui lient sans doute à la déformation scoliotique de l'épine. La saillie exagérée d'une seule apophyse épineuse ne laisse aucun doute sur l'existence du mal vertébral.

(1) VIIIe cas. — Je vous ai parlé des conditions nouvelles de la vie que crée la troisième période de la scoliose, conditions bien moins favorables au libre exercice des fonctions que celles dont jouissent les individus bien conformés. Vous avez pu en juger par l'état fonctionnel que nous ont présenté plusieurs scoliotiques à courbure dorsale droite.

Je place aujourd'hui sous vos yeux une enfant de dix ans atteinte d'une forte courbure dorsale à convexité gauche. Ses viscères et

(l) Onzième leçon, 31 juillet 1857.

leurs fonctions nous offriront des modifications à peu près semblables, mais en sens inverse.

La mère de l'enfant, en la retirant de nourrice à l'âge de quatre ans, lui a trouvé une épaule plus forte que l'autre. Cette déviation remonte donc à la première enfance, et elle est probablement d'origine rachiiique; elle est parvenue à un degré extrême. Le rachitisme n'a pas laissé d'autres traces évidentes dans le squelette ; si les membres ont été courbés, ils se sont redressés.

Le thorax est considérablement déformé, la gibbosité postéro-gauche énorme; la dépression postéro-droite forme une excavation prononcée. Il y a une gibbosité antérieure médiane et non antéro-droite. Vous avez déjà vu cette disposition dans la scoliose à courbure dorsale droite. Le bas du sternum est très-saillant et avance en pointe au delà de la région épigastrique. Les cartilages costaux sont à peu près symétriques à droite et à gauche. Les deux moitiés du thorax, quoique dissemblables en arrière, diffèrent peu en avant; la poitrine, vue dans ce dernier sens, est assez uniformément resserrée d'un côté à l'autre. Ce resserrement est surtout marqué à la hauteur des dernières côtes; les sixième et septième côtes, soulevées avec le sternum , forment de chaque côté un rebord saillant, oblique, qui donne à la gibbosité antérieure une figure triangulaire.

De même que chez les autres sujets que nous avons observés, la respiration est courte, fréquente ; il y a 35 à 40 inspirations par minute. Cette enfant a la courte- haleine; elle ne peut courir comme ses compagnes sans être aussitôt essoufflée, sans être obligée de s'arrêter; les battements du cœur sont alors violents et précipités.

La percussion est sonore, et l'auscultation fait entendre le bruit respiratoire normal, dans la plus grande partie de la poitrine, excepté le long de la gibbosité. On retrouve donc, du côté gauche, les deux sortes de matité que je vous faisais remarquer à droite sur une des malades de la dernière séance, la matité du poumon anère et celle des corps vertébraux tournés à gauche.

Le cœur paraît atsez gros; ses battements sont forts; quoique situé à droite du rachis, il a un peu suivi son mouvement ; il est plus à gauche qu'à l'ordinaire. Le poumon droit l'a en partie remplacé derrière le sternum , et la respiration s'entend dans une plus

grande étendue de la région sternale ; la percussion y rend un son plus clair.

En auscultant comparativement les deux côtés de la poitrine, on reconnaît que le poumon gauche prend beaucoup moins de part à la respiration que le poumon droit. En arrière, au lieu de l'absence de respiration qui se remarque dans une grande partie du côté gauche, on trouve à droite une respiration exagérée, puérile, dans toute l'étendue de l'excavation formée par les côtes déprimées. En avant, le bruit respiratoire, normal à droite, manque dans presque toute la hauteur du côté gauche à cause de la situation élevée du cœur.

L'abdomen, malgré une diminution notable de hauteur, ne présente pas de lésion fonctionnelle sensible; tous ses viscères paraissent dans l'état naturel. Le foie ne dépasse pas les fausses côtes; il trouve à se loger dans la partie inférieure du thorax.

L'attitude habituelle de l'enfant, dans la station, est caractérisée par une légère flexion du genou droit; ce mouvement instinctif, qui incline le bassin à droite, ramène dans ce sens le centre de gravité, que la forte inclinaison du bas du tronc porterait sans cela trop à gauche. Vous pouvez vérifier ici ce que je vous ai dit de la situation des crêtes iliaques : leur hauteur inégale n'est qu'apparente, quand on rétablit l'égalité de hauteur des membres inférieurs; elle dépend de ce que la hanche droite est détachée et saillante, tandis qu'on ne trouve qu'à l'aide du toucher la crête iliaque gauche, beaucoup plus élevée qu'elle ne le paraît à la vue.

Le développement général de cette enfant n'est pas au-dessous de celui de beaucoup d'enfants de son âge, sauf la brièveté du tronc, qui n'est pas proportionné aux membres. La face, tout en conservant quelque chose des formes arrondies de l'enfance, commence à présenter le caractère spécial dont je vous ai parlé, l'allongement apparent dû à son étroitesse d'un côté à l'autre. La maigreur est générale ; les muscles ont partout peu de volume.

Celte jeune fille ne doit pas être d'une forte santé ; nous connaissons peu ses antécédents; néanmoins son existence n'est nullement compromise, au moins pour le moment. Celte enfant paraît même assez vivace. Elle était entrée dans le service de mon excellent collègue, M. Blache, pour une bronchite aiguë, dont elle est bien guérie. On a observé dans le cours de cette maladie un fait

que je vous ai signalé : c'est une dyspnée considérable qui était due en partie à la compression mécanique des poumons, et qui a donné des inquiétudes sérieuses en raison de la fièvre intense dont elle était accompagnée.

A quelles chances la vie de cette enfant est-elle réservée dans l'avenir? Comment se passera la puberté? Il serait intéressant de ne pas la perdre de vue , de suivre, sous ce rapport, l'influence de sa conformation.

Vous remarquerez, en attendant, que la circulation ne présente rien de pathologique. Le teint est naturel; le pouls, régulier, bat 100 à 108 fois par minute. Le cœur ne souffre pas, tant que la respiration n'est pas troublée par des mouvements auxquels elle ne peut suffire. C'est une confirmation de ce que je vous ai dit du peu de différence qui existe souvent, au point de vue des lésions fonctionnelles, de la viabilité, entre les courbures dorsales gauches et droites.

IXe cas. — Cette autre fille, âgée de neuf ans, porte également une courbure dorsale gauche, mais infiniment plus légère ; la courbure lombaire , dirigée à droite, est à peu près aussi marquée. La mère prétend que son enfant n'a pas été nouée; elle dit que son épaule est plus forte depuis l'âge de sept mois. C'est là évidemment une courbure rachitique du deuxième degré.

D. Diagnostic différentiel. — J'ai insisté, à l'occasion de plusieurs de nos malades, sur les signes caractéristiques de la courbure latérale du rachis. Il me reste à passer en revue les différents états que l'on peut confondre avec la scoliose, à établir son diagnostic différentiel.

a. Ce qu'il importe, en premier lieu, de distinguer de la vraie scoliose, ce sont les autres vices de direction du rachis que l'on peut rencontrer.

La simple flexion latérale permanente ou habituelle, ou ce que j'ai appelé scoliose par flexion, peut être prise pour une scoliose par déformation, et vice versa; beaucoup de médecins s'y trompent. Ce n'est pas simplement, comme on pourrait le croire, le degré de la courbure qui fait la différence : telle inflexion, quoique très-prononcée, n'est pourtant qu'une attitude, tandis que telle au're, à peine sensible, est une vraie déformation.

Au seul aspect, on acquiert déjà, sinon la certitude, du moins une forte présomption que la courbure appartient à l'un ou à l'autre ordre.

La simple flexion n'est presque jamais double; son siège, sa forme sont les mêmes que dans la flexion physiologique ; les deux côtés du tronc conservent leur conformation naturelle; leur différence de saillie ou de volume est toujours légère, générale, et non limitée à des régions spéciales. La cause de cette flexion se révèle souvent d'elle-même, quand c'est l'obliquité du bassin par suite de claudication, l'inclinaison du cou par un torticolis, etc.

La vraie scoliose est rarement unique, surtout si la courbure est un peu prononcée; elle occupe généralement un autre siège, se présente sous d'autres formes que la flexion physiologique; elle produit des saillies, des dépressions circonscrites, dans certaines régions déterminées du tronc.

Conserve-t-on des doutes sur la nature de la déviation, veut-on s'assurer, par exemple, s'il ne s'agirait pas d'une scoliose par déformation consécutive à une flexion simple et en ayant encore l'aspect, ou d'une courbure par flexion accompagnée d'une déformation commençante, on cherche à faire cesser l'inflexion du rachis en faisant disparaître sa cause apparente. Ainsi, lorsque la colonne vertébrale ne s'incline que par l'effet de l'obliquité du bassin, il est ordinairement facile de la redresser sur-le-champ, en rétablissant le niveau des crêtes et des épines iliaques. Il suffit, pour cela, d'exhausser le membre court ou de faire asseoir le malade au lieu de l'examiner debout. Le tronc redevient alors parfaitement symétrique, si les vertèbres ne sont nullement déformées; il subsiste quelque irrégularité dans le cas contraire.

On peut encore examiner les malades couchés sur le ventre : la position horizontale rétablit presque toujours la rectitude dans les flexions simples; si la déviation apophysaire vient à s'effacer dans une vraie scoliose, les saillies et dépressions latérales persistent.

On parvient, même dans la station, à redresser la colonne vertébrale en donnant une position convenable à la tête, aux épaules, aux membres inférieurs, quand la flexion latérale n'est produite que par une altitude vicieuse, en grande partie volontaire, passée à l'état d'habitude. On distingue de la même manière les cas où des attitudes analogues exagèrent un léger degré de scoliose.

b. Il est de simples flexions latérales'qui ne s'effacent pas dans le décubitus ou par les autres moyens que je viens d'indiquer. Telles sont souvent les flexions dues à une contraction involontaire des muscles causée par la douleur, celles qui accompagnent le mal vertébral. Le diagnostic est alors fondé sur les caractères extérieurs de la courbure, sur les symptômes de l'affection qui la produit, et sur la résistance même que l'on rencontre en voulant redresser le rachis. Il n'existe, en effet, ni douleur ni rigidité lorsqu'on imprime des mouvements au tronc dans les scolioses des premier et deuxième degrés, les seules que l'on puisse confondre ayec les attitudes dont il est question.

Ce dernier caractère manque s'il y a à la fois scoliose et affection douloureuse du rachis ou des parties voisines. C'est ce qui se rencontrait chez une jeune fille placée sous vos yeux dans la dernière séance; mais la forme en S spéciale de la courbure vertébrale, les caractères extérieurs de la torsion ne laissaient point de doute sur l'existence de la scoliose. L'affection destructive des vertèbres, qui s'y joignait, n'était pas moins clairement indiquée par les signes qui lui sont propres.

Je ne m'étends pas sur le diagnostic différentiel de la scoliose et du mal vertébral de Pott; j'en ai traité avec détail à l'article du mal vertébral (1). Il ne présente d'ailleurs de difficultés sérieuses que lorsque la saillie en pointe de cette dernière affection vient à manquer, en même temps que l'attitude du malade fait décrire au rachis une courbure latérale permanente.

c. Si une courbure par déformation de la région dorso-lombaire était le produit de la rétraction musculaire, comme on le voit au cou dans la rétraction du sterno-mastoïdien, il y aurait rigidité dans un sens, résistance au redressement, et d'ailleurs réunion des signes extérieurs de la déformation et des signes physiques de la rétraction. Je vous ai déjà montré que ce cas, qu'on a cru commun , est excessivement rare.

d. Il est des déviations simulées; ce sont des scolioses artificielles par flexion physiologique. Leurs caractères physiques sont semblables à ceux des simples flexions latérales pathologiques; on peut donc leur appliquer ce que je viens de dire du diagnostic différen-

(1) Voy. p. 21 et suiv.

tiel de la scoliose par flexion et de la scoliose par déformation. Mais il ne suffit pas, dans ce cas, de reconnaître s'il y a ou non déformation des vertèbres, vraie scoliose ; il faut encore découvrir la fraude, si elle existe, ou s'assurer, dans le cas contraire, que la flexion latérale est réellement, indépendante de tout artifice. Or, si le premier problème est en général d'une solution facile, il n'en est pas tout à fait de même du second. Un bon acteur simule, à s'y méprendre, tous les actes qui dépendent du système musculaire; le même fait peut se présenter dans la vie réelle. Voyez Sixte-Quint jouant le calarrhe et une cyphose sénile de façon à tromper tout un conclave !

Vous comprendrez, d'après cela , comment, il y a quelque vingt ans, l'Académie de médecine fut tenue en échec toute une année par la difficulté de résoudre une question semblable; comment la bonne foi d'hommes spéciaux, — j'étais du nombre, — fut d abord surprise au point qu'ils donnèrent des consultations en règle pour une grande et belle fille se disant atteinte de déviation latérale de l'épine.

Aujourd'hui même, malgré les études et les recherches dont ce fait a été l'occasion (1), il n'est pas toujours facile de distinguer si une attitude pareille est purement volontaire, ou si elle est due à une cause pathologique. Sans doute, quand le sujet se tient, sans cause connue, sur la pointe d'un pied pour incliner le bassin et courber la colonne vertébrale, comme le faisait Jenny Guerri, on a tout lieu de croire à une supercherie. Dès 1835, M. Bégin (2) avait signalé cette manœuvre employée par des conscrits. Mais, si une épaule est simplement abaissée, l'un des flancs déprimé, soit que le bassin reste droit ou qu'un des genoux soit légèrement fléchi, si le sujet manifeste de la douleur et se contracte plus violemment quand on fait effort pour redresser le tronc, il n'y a là rien qui ne puisse en effet dépendre d'une affection douloureuse,

(1) Voyez dans les journaux de médecine de l'époque la Discussion de l'Académie de médecine, les Rapports de MM. Bricheteau et Gruveilhier, et de plus : Bouvier, Sur les caractères des déviations pathologiques et simulées, dans le Journal hebdomadaire, 1836; J. Guérin, Des déviations simulées, Gaz. médic., 1839.

(2) Art. Réforme du Dict. de mèd. ctdechir. pratiques, t, XIV, p. 159.

musculaire ou autre, aussi bien que d'une feinte et d'une simulation complète.

La suspension par les bras, la position horizontale, fournissent dans ce cas des données utiles, mais quelquefois insuffisantes. C'est surtout en suivant le malade ou soi-disant tel, en cherchant à mettre en défaut la ténacité de ses muscles, et principalement au moyen d'épreuves morales, que l'on parviendra à découvrir la vérité.

e. Les saillies latérales, seul indice certain de scoliose, quand la courbure ne se voit pas aux apophyses épineuses, pourraient être confondues avec les saillies produites par d'autres causes, comme une voussure circonscrite de la région postérieure du thorax, indépendante du rachis, une voussure latérale dépendant de la courbure aortique normale de l'épine, un plus grand développement d'une moitié de la cavité thoracique ou des muscles d'un côté du dos, etc.

Dans presque aucun de ces cas, on ne voit la saillie alterner à droite et à gauche dans les régions dorsale et lombaire. Cette disposition, lorsqu'elle existe, distingue suffisamment la scoliose de tous les autres états. Il ne peut donc y avoir de doute qu'à l'égard des courbures uniques.

Or, 1° il n'arrive presque jamais que les côtes soient plus bombées d'un côté, en arrière seulement, sans que cela dépende du rachis; les faits de ce genre observés par mon savant confrère, M. le docteur Woillez (1), sont incomplets en ce sens que la direction du rachis n'a été appréciée que par la direction des apophyses épineuses. Au reste, dans une voussure postéro-latérale essentielle, la gouttière vertébrale correspondante et ses muscles ne seraient pas portés en arrière, comme cela a lieu par l'effet de la torsion qui accompagne la courbure de l'épine. Les saillies partielles de la région antérieure sont plus communes; on reconnaît aisément, en explorant la région dorsale, si elles dépendent ou non de la scoliose.

2° Il n'y a d'autre différence que le degré entre la courbure latérale normale et. celle de la scoliose, si, en outre, on tient compte de l'âge. Une courbure dorsale unique, invisible en arrière, mais

(1) De. la mensuration de la poitrine, 1838, p. 333, 338.

avec saillie latérale très-sensible, est un commencement de déformation chez un jeune sujet : c'est une disposition normale chez un adulte.

3° On reconnaît le développement postérieur qui se lie à celui de tout le demi-thorax, à ce qu'il se répète en avant, sur le côté, dans toute la demi-circonférence; ce qui est rare dans la scoliose, 3 moins qu'elle ne succède à la pleurésie, à l'empyème. Le diagnostic peut offrir quelque obscurité dans ce dernier cas. Vous m'avez vu hésiter en recherchant, sur un enfant à thorax déformé par une ancienne pleurésie, s'il y avait déjà scoliose par déformation; j'ai regardé l'existence d'une courbure permanente comme probable, à cause du soulèvement de la gouttière vertébrale et de la torsion qu'il indique.

A0 Le développement des muscles d'un côté, dans l'hémiplégie, par exemple, ou dans la prédominance primordiale ou acquise d'une moitié du corps, n'est pas borné à une région comme la saillie musculaire de la scoliose; il s'étend à toute la longueur de l'épine et, de plus, il est commun à toute une moitié du système musculaire.

f. La situation de l'épaule peut s'éloigner de l'état normal sans qu'il y ait scoliose. C'est ce qu'on observe dans les contractures et dans les paralysies des muscles de l'omoplate, lesquelles, selon leur siège, sont suivies de l'élévation de cet os, de son abaissement, de son abduction, de son adduction, de sa rotation, de la saillie ou de la dépression de son angle inférieur. M. le docteur Duchenne, de Boulogne (1), a réuni plusieurs faits de ce genre dans son travail sur les muscles de l'épaule. Cette photographie et ce moule, que je dois à son obligeance, font voir l'aspect du tronc dans cet ordre d'affections. Une des omoplates est fortement élevée et rapprochée du rachis à son angle inférieur, par la contracture du rhomboïde dans un cas, du rhomboïde et de la partie supérieure du trapèze dans l'autre. L'épine dorsale était droite, sans torsion, le thorax sans voussure latérale; les muscles étaient ramassés, contractés, durs, tendus, lorsqu'on faisait effort pour abaisser l'épaule. Il suffit d'être prévenu de cette particularité pour ne pas s'y tromper.

(1) Electrisation localisée, p. 424.

g. A une période plus avancée, la scoliose pourrait donner lieu à une autre sorte d'erreur; elle pourrait faire croire à des maladies internes graves. Le médecin qui aura observé l'éiat fonctionnel des sujets gibbeux ne le confondra pas avec la phthisie pulmonaire, l'asthme, les maladies du cœur, etc. Cependant certains états complexes réclament un examen attentif pour éviter une méprise. Tel est le cas, cité par Dugès (1), d'un empyème avec courbure de l'épine, qui fut pris pour une carie vertébrale. Telle est la coexistence d'une paraplégie, d'abcès froids, avec une déviation du rachis, qui peut être étrangère à ces accidents ou les avoir provoqués par suite d'une affection morbide des os ou d'une simple compression de la moelle.

Je devrais encore vous entretenir du diagnostic des espèces étio-logiques de la scoliose; mais je crois en avoir dit assez sur les scolioses rachitique, pleurétique et autres, tant dans l'anatomie pathologique qu'à l'occasion des malades présentés, pour ne pas avoir besoin de revenir sur ce sujet.

IV. Traitement de la scoliose.

La scoliose est à peine considérée comme une maladie : on n'y voit qu'une difformité. Et cependant c'est un état plus grave que beaucoup de maladies réputées telles; elle pèse sur toute l'existence ; elle entrave l'exercice des principales fonctions. La prévenir, la guérir, en atténuer les suites, voilà ce qu'on demande journellement à notre art. Jusqu'à quel point nous est-il donné d'y parvenir? Quels moyens doit-on employer dans ce triple but? C'est ce qui va maintenant nous occuper.

Une question préliminaire doit être résolue. Ici, comme dans toute thérapeutique rationnelle, il faut d'abord rechercher quelle est la fin naturelle de l'affection ; il faut examiner s'il n'y a pas une thérapeutique spontanée , et quelle en est la marche.

Beaucoup de médecins s'en remettent au temps, à la nature, à la croissance, du soin de redresser les courbures commençantes. Tous les observateurs s'accordent sur l'extrême rareté de ces gué-risons spontanées. Tous ont reconnu, non-seulement que la sco-

(1) Dict. de méd. et de ehir. prat, art. Rachitis, t. XIV, p. 81.

liose ne rétrograde presque jamais, mais encore qu'elle s'accroît généralement quand on l'abandonne à elle-même. L'idée fausse, que le rachitisme peut seul produire de véritables gibbosités, inspire trop souvent une sécurité fâcheuse, lorsque les jeunes malades ne présentent aucune trace de celte affection. Il faut que les praticiens soient bien pénétrés de cette vérité, que toute déviation spinale du jeune âge, même la plus légère, peut contenir le germe des difformités les plus considérables. J'ai eu maintes occasions de suivre pendant des années la marche croissante de la scoliose, depuis sa première apparition jusqu'à son degré le plus avancé. Je l'ai vue bien rarement disparaître par l'effet de l'accroissement du corps, même au début de la première période. La courbure sigmoïde de la deuxième période ne s'efface jamais d'elle-même. Ce qui a souvent fait croire à des guérisons spontanées, c'est qu'on ne distingue pas toujours avec assez de soin les simples flexions latérales des déformations réelles du rachis; et, vous le savez, rien n'est plus commun que la disparition spontanée de certaines scolioses par flexion.

Mais plusieurs circonstances influent sur la marche de la vraie scoliose, sur la rapidité et la durée de ses progrès.

Une prédisposition héréditaire, le sexe féminin, le rachitisme , le bas âge ou les approches de la puberté, une constitution faible, une croissance rapide, les maladies de l'enfance ou de la jeunesse, les accouchements répétés, les travaux pénibles, surtout s'ils entraînent une action irrégulière des muscles, une vie trop sédentaire, des études trop assidues, favorisent l'augmentation du mal, qui peut ne s'accroître que très-lentement ou même rester stationnai re dans des conditions différentes ou opposées. Voilà comment il arrive que la déviation, après avoir fait longtemps peu de progrès, augmente tout à coup rapidement sous l'influence de quelqu'une des circonstances que je viens d'indiquer, ainsi que cela a eu lieu dans plusieurs des cas qui ont passé sous vos yeux.

Des conditions analogues déterminent la durée, la cessation, le retour des progrès de la scoliose, à différentes époques de la vie. En général, la déviation reste stationnaire après la fin de l'accroissement , dans l'âge de la force, de vingt à trente ou trente-cinq ans. Mais elle s'accroît de nouveau à un âge plus avancé, et n'a souvent d'autres limites, dans la vieillesse, que celles que lui im-

posent la rencontre des parties solides étayées les unes sur les autres, et l'immobilité, l'ankylose des articulations vertébrales.

On le voit, ce n'est pas un objet de luxe, une affaire de pure coquetterie, que l'application de l'orthopédie aux déviations rachi-diennes dès leur principe; il y va de tout un avenir pour les individus menacés de gibbosité. Vous entendrez plus d'une fois les sujets scoliotiques déplorer la confiance dans le temps et la nature, qui les a livrés aux ravages du mal.

Je diviserai le traitement de la scoliose en : 1° préservatif; 2° cu-ratif ; 3° palliatif.

A. Traitement préservatif. — C'est l'hygiène de la colonne vertébrale, considérée spécialement au point de vue des courbures latérales qui peuvent en altérer la forme. Celte hygiène constitue une partie importante de l'éducation physique des enfants. Elle consiste à éloigner les causes de déviation spinale, à placer le rachis dans les conditions les plus favorables à son développement en ligne droite. Elle est particulièrement nécessaire s'il existe une prédisposition connue à la scoliose, dans le cas d'hérédité présumée , d'ancienne disposition rachitique, de faiblesse de constitution, de croissance disproportionnée à l'état des forces., après les maladies longues, pendant une menstruation difficile, dans les flexions latérales liées à la claudication, à l'empyème, etc. Ce traitement prophylactique doit encore succéder au traitement curatif, tant que la courbure a de la tendance à se reproduire.

A l'égard des circumfusa, des ingesta, des excréta, des percepta, l'indication unique est de diriger leur influence de manière à favoriser la nutrition générale, et celle de l'appareil locomoteur en particulier. Faire des os forts, dans le jeune âge, au moyen d'un régime et d'un genre de vie imposés aux enfants, n'est peut-être pas, dans certains cas, un problème d'une solution plus difficile que celui de Y entraînement, à l'aide duquel on parvient à modifier profondément les formes et la proportion des divers systèmes organiques chez les jeunes animaux.

Les appticata, les gesta, ou les vêtements et les mouvements musculaires, exercent une action plus directe sur le rachis. Il importe d'en bien régler l'emploi à ce point de vue spécial.

La nécessité de mouvements musculaires fréquents et inulti-

bottvikr. 30

plies, dans l'enfance, est universellement senlie, et cependant les empiétements de l'éducation intellectuelle ont fini par réduire considérablement les exercices musculaires de la jeunesse. Cela peut être sans inconvénients graves pour beaucoup d'enfants heureusement constitués; mais, il faut que les parents en soient avertis, les enfants, et surtout les filles, prédisposés par une cause quelconque à la courbure latérale de l'épine ne peuvent être sans risque soumis à la même règle. Il faut à ceux-là de longues récréations , des jeux actifs en plein air, sinon leurs muscles deviennent plus débiles, leurs os, leurs vertèbres en particulier, moins résistants; des attitudes irrégulières s'établissent, et une scoliose par flexion hâte le développement d'une déformation qu'on eût pu éviter en sacrifiant moins complètement le corps à l'esprit.

La gymnastique, si heureusement introduite dans cet hôpital, et dont je vous ai déjà montré les avantages dans les courbures anléro-postérieures, dans la courbure latérale par flexion, doit donc également figurer parmi les moyens de prévenir la scoliose par déformation. Ce n'est assurément pas un préservatif infaillible, mais c'est du moins un des plus efficaces.

Remarquez bien que je comprends ici, sous le nom de gymnastique , non-seulement les exercices réguliers enseignés dans un gymnase ou ailleurs, mais encore tous les mouvements capables d'exercer régulièrement le système musculaire. La marche, la course, les mouvements spontanés des enfants dans leurs jeux, tant qu'ils sont conformes aux lois naturelles de l'organisme, ne leur sont pas moins utiles, au point de vue dont je m'occupe, que les tours de force et d'agilité des gymnasiarques.

La direction que l'on donnera aux mouvements, dans tous les instants où ce sera possible, devra tendre à procurer ce qu'on appelle un bon maintien, devra habituer les muscles extenseurs de la tête et du rachis à agir avec une force convenable, devra équilibrer à droite et à gauche l'action de ces muscles et de ceux des membres supérieurs et inférieurs. On préviendra ainsi l'influence des attitudes vicieuses, qui, malgré leur rôle secondaire dans la production de la scoliose, n'en favorisent pas moins le développement chez les sujets prédisposés.

Deux écueils sont à éviter dans celte hygiène particulière des attitudes et des mouvements : il ne faut pas pousser les unes jus

qu'à une contrainte pénible, ni les autres jusqu'à un excès dangereux. Variez les attitudes, afin qu'elles ne deviennent pas une fatigue intolérable, qui produirait un effet contraire à celui que vous voulez obtenir. Proportionnez les mouvements à l'état des forces, et, sous prétexte de fortifier les muscles, ne les exposez pas à des efforts outrés, capables de nuire à leurs facultés contractiles.

Le repos alterne avec les exercices; il faut y suivre les enfants, s'assurer que leurs attitudes sont encore normales, éloigner de leurs études toutes les causes d'action irrégulière des muscles.

La position horizontale est quelquefois nécessaire pendant une partie des heures de repos; on la met en usage chez les sujets débiles, quand on a de fortes raisons de craindre la déformation de l'épine à cause des antécédents, de l'âge, etc. En déchargeant les vertèbres et leurs ligaments du poids des parties supérieures, la position horizontale les place dans, la meilleure condition possible pour croître en ligne droite, et supprime , au moins momentanément , l'une des causes les plus actives d'incurvation.

Les vêtements doivent-ils être serrés, rigides, justes au corps, ou au contraire amples et lâches, chez les jeunes sujets disposés à la courbure latérale de l'épine? Les mouvements sont certainement plus libres, les muscles moins gênés, dans le second cas que dans le premier. Cependant l'usage si général et déjà si ancien des corsets chez les femmes , n'a pas montré que ce vêtement fût nuisible à la rectitude du rachis ; on conçoit même que, modérément serré, il agisse comme une ceinture, à la manière des aponévroses d'enveloppe , et qu'il favorise l'action des muscles en exerçant sur eux une douce compression. Mais d'autres inconvénients ont depuis longtemps fait triompher l'opinion de Winslow et de J. J. Rousseau, du moins parmi les médecins. La plupart proscrivent les corsets dans l'hygiène des jeunes filles, et les défendraient même aux femmes, s'ils ne savaient d'avance que leur voix serait étouffée par le désir de plaire , par ce désir que Jean-Jacques déclare légitime et nécessaire dans le sexe féminin.

J'ai déjà dit, en parlant de la cyphose et de la lordose, ce que je pense des corsets (1) : il ne faut les employer que lorsqu'on ne

(1) Voy. pag. 337 et 348 ; voyez aussi mes Études historiques et médicales sur les corsets. Paris, 1853, in-8°.

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peut s'en passer, mais il faut se garder de les proscrire. Dans la prophylaxie de la scoliose, on y aura recours avec avantage dans les cas de grande faiblesse musculaire ou de grande laxité des articulations du rachis. Us soutiendront alors le tronc et préviendront des attitudes vicieuses, une inclinaison permanente des vertèbres, jusqu'à ce que les muscles et les ligaments aient acquis plus de force. Us seront également utiles à la suite de l'empyème, quand l'épine commencera à s'infléchir dans le sens du demi-thorax rétréci.

Les corsets sont moins efficaces dans les différentes sortes de claudication. Ce qui est alors le plus urgent, c'est d'exhausser la chaussure du membre le plus court pour redresser le hassin, et avec lui le rachis.

(1) Pour compléter ce qui est relatif au traitement prophylactique de la scoliose, j'ajouterai que le traitement de la scoliose par flexion fait naturellement partie du traitement préservatif de la scoliose par déformation, puisque la première tend à produire la seconde. Je renvoie sur ce point à ce que j'ai dit de ce traitement en parlant de la scoliose par flexion.

B. Traitement curatif. — Deux éléments constituent la courbure latérale de l'épine. L'anatomie pathologique nous a appris que la scoliose par déformation doit sa persistance au changement de forme des vertèbres et de leurs ligaments; mais, d'un autre côté, l'observation des sujets vivants nous a montré que l'inclinaison des vertèbres, dans la station du tronc, est due, en outre, à un mouvement qui se passe dans leurs diverses articulations, à une sorte de scoliose par flexion qui s'ajoute à la déformation. De là dérivent les deux indications capitales à remplir pour faire disparaître les courbures latérales du rachis : l'une est de rétablir la forme symétrique des pièces qui le constituent; l'autre, de faire cesser l'inclinaison réciproque de leurs surfaces articulaires.

Je puis le dire par avance, de ces deux indications, la première est beaucoup moins facile à remplir que la seconde.

Nous ne pouvons pas agir immédiatement sur la force de développement des vertèbres; nous ne pouvons pas la modifier directement, par exemple, lorsque l'hérédité la rend inégale à droite et à

(J) Douzième leçon, 7 août 1857.

gauche dans une région de la colonne vertébrale. Les moyens dont nous disposons n'exercent sous ce rapport que deux genres d'influence : 1° ils produisent un surcroît d'activité nutritive favorable à l'accroissement régulier du squelette; 2° ils gênent mécaniquement l'accroissement du rachis à la convexité des courbures, et favorisent mécaniquement la formation osseuse, l'expansion ligamenteuse dans le sens de leur concavité. Ce second ordre de moyens se confond avec ceux qui s'opposent à l'inclinaison des articulations vertébrales.

11 n'y a donc, en définitive, que deux classes de remèdes dans le traitement de la scoliose : 1° des moyens dynamiques destinés à fortifier la constitution, à augmenter l'activité des fonctions; 2° des moyens physiques propres, d'une part, à agir sur les articulations des vertèbres, et, d'autre part, à modifier les conditions mécaniques de l'accroissement des pièces du rachis. Examinons ces deux ordres de moyens.

a. Moyens dynamiques. — La constitution généralement peu robuste des sujets atteints de courbure de l'épine, la part de la débilité originelle ou acquise dans l'étiologie de ces déviations, les avantages des fortifiants hygiéniques dans leur traitement prophylactique conduisent à tenter les toniques à leur début, soit pour suspendre leurs progrès, soit pour rétablir lè développement régulier du rachis. Plus tard, ces agents sont considérés à juste titre comme un utile auxiliaire des autres moyens de traitement.

C'est d'après ces données que l'on conseille, dans la scoliose, les bains d'eaux minérales, les bains de mer et de rivière, l'huile de foie de morue , les préparations de fer, le quinquina , les frictions stimulantes le long du dos, le massage de la même région, etc.

Il faut placer sur la même ligne que ces médications la gymnastique, c'est-à-dire l'exercice musculaire en général, pratiqué dans la mesure convenable pour agir comme fortifiant et non comme débilitant. Le choix des exercices est encore plus essentiel ici que dans le traitement prophylactique. I! en est qui peuvent nuire en raison de la conformation nouvelle du rachis; je reviendrai tout à l'heure sur les exercices spécialement applicables dans ce cas.

On ne doit pas s'abuser sur les effets de ces moyens dynamiques;

deux idées théoriques peu exactes leur font souvent accorder pins de confiance qu'ils n'en méritent.

La première de ces théories ne voit dans la scoliose qu'un symptôme de scrofule, devant céder aux anli-scrofuleux. Cette opinion, très-répandue parmi les médecins étrangers, a trouvé un appui dans l'hypothèse de Delpech sur l'affection primitive des ligaments inter-vertébraux, que cet auteur est disposé à rapporter au vice scrofuleux (1). Mais, vous l'avez vu, la prétendue intumescence des ligaments intervertébraux, au début de la scoliose, n'a jamais existé que dans l'imagination de Delpech. La scrofule n'est pas plus fréquente dans la courbure latérale de l'épine que dans toute autre circonstance; on voit très-peu de scrofuleux dans les établissements qui réunissent un grand nombre de jeunes sujets scolioti-ques, et réciproquement, vous trouverez très-peu de déviations latérales du rachs dans nos salles d'enfants scrofuleux.

La seconde théorie, qui n'a pas moins égaré les médecins, attribue uniquement la courbure de l'épine à une atonie générale, et surtout à la faiblesse des muscles; la conséquence est qu'elle doit guérir par les toniques et par le retour des forces musculaires. Delpech lui-même a très-bien montré le peu de fondement de cette supposition (2). Vous donneriez toute l'énergie possible aux muscles du rachis, que vous ne changeriez rien à la forme des vertèbres et de leurs ligaments; la courbure n'en subsisterait pas moins.

Il est presque aussi rare de voir les bains de mer, la gymnastique, etc., guérir la scoliose, que de la voir disparaître d'elle-même par le seul développement du corps. Il arrive plus souvent que des attitudes vicieuses, qu'une scoliose par flexion, réunies à une légère déformation, s'effacent par l'emploi de ces moyens, ce que l'on prend pour la guérison d'une vraie scoliose.

La méthode dynamique a paru quelquefois suffire pour rendre la déviation stationnaire ; mais ce résultat est loin d'être constant, et, même à ce point de vue, il est préférable de ne pas se borner au seul usage de cette méthode.

J'ai vu Larrey appliquer des moxas du côté concave des courbu-

(1) Orthomorphie, t. Ier, p. 202.

(2) Orthomorphie, t. II, p. 127 et suiv.

res dorsales principales, afin d'activer la nutrition dans ce sens. Vous avez vu , sur un de nos malades, une large cicatrice de cautère sur la gibbosité costale; je me rends moins facilement compte du but qu'on s'était proposé dans ce cas. Un médecin allemand prescrivait, en 1839, d'entretenir longtemps, à la manière de Pott, de larges cautères des deux côtés du rachis, afin d'exciter, disait-il, les nerfs organiques et de ramener ainsi la nutrition au type normal, ce qu'on obtient, suivant lui, dans les cas moins graves, à l'aide de simples frictions avec une pommade d'iodure de fer (1). Tous ces procédés cura tifs ne reposent sur aucun fait bien observé, et je ne m'arrêterai pas à discuter les idées spéculatives qui leur ont donné naissance.

b. Moyens physiques. — Je vous rappelle leur double but; c'est tout à la fois de remédier à l'inclinaison dépendant de la mobilité des vertèbres dans la station, et de changer, par une influence mécanique, la forme de ces os et de leurs ligaments. Ils comprennent : Io la position; 2° l'action musculaire; 3° les appareils mécaniques ou les bandages et machines.

aa. Position. — Duverney, au commencement du siècle dernier, dans un article où il réunit pêle-mêle toutes les sortes de gibbosités et de courbures de l'épine, dit à propos du traitement : « Le premier de tous les remèdes est une situation convenable, » c'est-à-dire qu'il faut que l'enfant se tienne au lit dans une si-» tuation presque horizontale, et couché un peu durement sur une » espèce de planche un peu matelassée (2). » Ce précepie paraît avoir été le point de départ de l'usage des lits dans le traitement de la scoliose, usage spécialement recommandé, à la fin du même siècle, par Wichmann, médecin de Hanovre (3), et par Darwin ( ). Shaw (5) nous apprend que le décubitus continuel sur un plan incliné, ptanum inclinatum, était très-usité en Angleterre, au commencement de notre siècle, dans la cure de la courbure latérale

(1) Hannover. Annalen, Bd 4, hft 1, 1839.

(2) Duverney, Maladies des os, t. II, p. 127, 1751.

(3) Loder's, journal, 1798.

(4) Zoonomie ou lois de la vie organique, trad. par Kluyskens. Gand , 1811, t. III, p. 161.

(5) Lac. cit., p. 156.

de l'épine; on voit encore aujourd'hui, dans des maisons d'éducation, des planches faites à l'instar de ces plans inclinés des Anglais.

La position horizontale diminue les courbures de la scoliose; vous en avez été témoins plusieurs fois. Elle fait cesser sur-le-champ l'inclinaison surajoutée à ces courbures par l'effet de la station. Cette influence est encore plus marquée au bout de quelques heures, sans doute par suite de la réaction progressive des ligaments comprimés dans la station. Cette compression, que les vertèbres partagent, n'est certainement pas une des causes les moins actives de l'atrophie des parties à la concavité des courbures : elle précède et prépare les progrès de cette atrophie, une fois que celle-ci a commencé.

Ainsi, placer le tronc horizontalement, c'est, d'une part, remédier immédiatement à l'excès de courbure dépendant du mouvement des articulations vertébrales, et, d'une autre part, c'est supprimer la pression verticale qui gêne le développement du rachis à la concavité des courbures. C'est donc satisfaire à l'une des indications du traitement de la scoliose, et remplir en partie l'autre indication en modifiant avantageusement les conditions physiques qui influent sur l'accroissement du rachis.

Cependant, la position horizontale constante n'a pas répondu aux espérances qu'elle avait données. Shaw a publié à cet égard des faits péremploires; j'ai eu moi-même occasion d'en observer d'à peu près semblables.

Cela tient à deux causes : la position horizontale laisse la convexité des courbures libre de se développer comme la concavité; elle n'oblige pas le rachis à changer de direction; il peut continuer de croître en ligne courbe, si cette tendance de l'acte formateur persiste. D'un autre côté, le décubitus continuel pendant des mois, des années, finit presque toujours par nuire à l'exercice régulier des fonctions; il débilite le système musculaire, peut amener le relâchement des articulations, diminuer la solidité et la résistance de la substance osseuse. On peut, à la vérité, suppléer au défaut de locomotion par des exercices pratiqués dans la position horizontale; mais ce n'est là, la plupart du temps, qu'un palliatif insuffisant; il ne remédie pas d'ailleurs aux troubles de la circula-lion produits à la longue par une attitude qui change complète-

ment la manière d'agir de la pesanteur par rapport ail cours du sang.

La position horizontale, malgré ses avantages incontestables, ne peut donc êlre employée seule, et ne peut, à elle seule, guérir la scoliose: mais, réunie à d'autres moyens, elle rend de grands services dans la cure de cette affection. En laissant les malades levés pendant un nombre d'heures suffisant pour l'activité du système musculaire et pour l'exercice normal des fonctions, on leur procure une grande partie des avantages du décubitus, et on leur en sauve les inconvénients. Il va sans dire qu'il faut alors, pendant la station, suppléer à la position horizontale par des moyens analogues dans leur mode d'action.

Le plan sur lequel le corps repose peut être un lit ordinaire, auquel on donne un peu d'inclinaison de la tête aux pieds, et un peu plus de fermeté qu'aux lits le plus en usage. Le conseil de Du-verney de se servir d'une planche peu matelassée, a été pris généralement trop à la lettre; cette dureté est inutile, et elle pourrait être nuisible pendant la nuit. Il suffit que le matelas ne puisse décrire une courbe prononcée en s'affaissant sous le poids inégal du corps. On a égard d'ailleurs, en ceci, aux habitudes, à la tolérance , et on procède par degrés lorsqu'on rencontre une susceptibilité nerveuse qu'il faut ménager. Le crin, la laine et les autres matières usitées servent indifféremment à la confection de ces lits, pourvu que ces matières soient suffisamment tassées et soutenues par des sangles ou des ressorts. Les sommiers élastiques offrent l'avantage de moins se déformer. Les lits de fougère, de plantes aromatiques, sont employés dans les campagnes chez les enfants très-jeunes. En tout cas, on aura soin que ces lits ne soient pas trop froids l'hiver; j'ai vu des rhumatismes articulaires aigus causés par l'oubli de cette précaution.

La disposition et la nature du plan ont moins d'importance pour le coucher du jour. On se sert au besoin d'un banc, d'un canapé, d'une planche, d'un parquet, d'une couverture, d'un tapis sur le carreau, d'un gazon bien sec. Cependant un plan incliné est préférable si on a le choix. Lorsque le plan est horizontal, on élève la tête au moyen d'un coussin, surtout chez les sujets prédisposés aux congestions vers les parties supérieures.

Il est quelquefois avantageux de pouvoir augmenter ou diminuer

à volonté l'inclinaison du plan ; on a imaginé pour cela divers mécanismes; peu importe celui que l'on adopte, s'il est commode et peu dispendieux.

L'attilude des jeunes malades, dans le décubitus, doit être conforme au but qu'on se propose ; le corps sera droit et allongé, placé sur le dos autant que possible, plus rarement sur le ventre ou sur le côté. Dans les courbures uniques ou dominantes, le sujet pourra se coucher sur le côté répondant à la concavité, mais non du côté de la convexité, à moins que le plan ne présente une forme spéciale. La rencontre des épaules et du bassin avec le plan tend, en effet, à diminuer la courbure dans le premier cas et à l'augmenter dans le second. Le décubitus sur le côté ne peut convenir s'il y a deux courbures presque égales, parce que le rachis ne se redresserait dans un sens qu'en se courbant davantage dans l'autre.

L'inclinaison du corps sur les lits et les autres plans fait agir le poids des parties inférieures sur le rachis, retenu par le frottement des parties supérieures, de manière à augmenter quelque peu l'écartement des vertèbres à la concavité des courbures.

Cet effet est bien plus marqué encore dans la position droite, si le corps, au lieu de poser sur les pieds, est suspendu par les parties supérieures ; mais cela n'est possible qu'autant que les muscles ou des appareils spéciaux retiennent le haut du tronc.

bb. Action musculaire. — Au lieu de soustraire les vertèbres à l'action verticale de la pesanteur, on a songé à contrebalancer celle-ci par l'effort des muscles, et même h la faire agir, au moyen de cet effort, dans un sens favorable au redressement des courbures. De là des exercices spéciaux, une gymnastique qu'on peut appeler orthopédique, ou orthorachidique, qui joindrait aux effets généraux, dynamiques, de l'exercice musculaire, aux effets particuliers propres à corriger les attitudes vicieuses ou la scoliose par flexion, une action mécanique remplissant la double indication de prévenir les flexions articulaires dans la station, et de substituer un accroissement symétrique à la malformation du rachis. De pareils avantages appellent toute notre attention.

Mais d'abord, il faut élaguer des vues hypothétiques qui ont fait attribuer à la gymnastique des propriétés qu'elle est loin de posséder.

Un. préjugé encore très-répandu, même parmi les médecins, quoique Delpech en ait montré le peu de fondement (1), c'est de croire qu'on remédie à la scoliose commençante en exerçant la main gauche, quand la convexité dorsale est à droite. Les gens du monde y voient un moyen de développer le côté faible; vous savez ce que vaut ce raisonnement. Les médecins supposent que les muscles de l'épaule tirent sur les vertèbres déviées et les rapprochent de la ligne médiane, ou que, dans l'action du membre thoracique, les muscles spinaux du côté droit inclinent le rachis de leur côté et redressent ainsi la courbure. Mais, ainsi que je l'ai rappelé dans l'étiologie, si les muscles de l'épaule tirent sur les vertèbres, ils ne les meuvent pas pour cela tant que l'épaule n'est pas fixée ; et quant à l'inclinaison opposée du rachis, elle n'a lieu que dans certains efforts où nous étudierons bientôt son influence sur les courbures.

Une opinion qui, sans être plus juste, a des racines plus profondes dans la science, veut que la gymnastique guérisse la scoliose en rétablissant l'équilibre musculaire, et spécialement l'action des muscles inertes. Vous avez vu que la vraie scoliose n'est nullement une affection musculaire, et même en admettant que la con« traction des muscles soit inégale, — chose fort peu démontrée, — ce ne serait pas en les amenant à se contracter également à droite et à gauche que l'on remédierait à la déformation de la colonne vertébrale.

Les partisans de la gymnastique dite suédoise ont, à cet égard, une théorie assez étrange : c'est la contre-partie de l'hypothèse de la rétraction. Cette théorie place la cause de la courbure latérale de l'épine dans la débilitation ou la relaxation de certains muscles (2). Vous comprenez que ce fait de la relaxation primitive n'est pas moins imaginaire que celui de la rétraction. Il manque aux inventeurs de cette doctrine ce qui, suivant la remarque de Morgagni, manquait à Hippocrate et à Galien , des dissections de sujets scoliotiques. Est-ce que la déviation latérale du rachis, telle

(1) Orthomorph., t. II, p. 277.

(2) Neumann, Heilyymnastik, ou Gymnastique thérapeutique. Berlin, 1852; Eulenburg, Mittheilungen, etc., ou Mémoire sur la gymnastique suédoise. Berlin, 1854.

que vous la connaissez et si peu avancée qu'on la suppose, ne se retrouve pas sur le cadavre ? Où serait donc alors cette prétendue inégalité de contraction dans des muscles qui ne se contractent plus? Faute de connaître des faits que vous avez touchés du doigt, tels que la liaison nécessaire de la voussure postéro-latérale, de la torsion du rachis et de. sa déformation, même au début de la difformité, on appelle musculaires toutes les déviations encore peu prononcées; on croit la déformation osseuse très-tardive. Cette méprise rejaillit inévitablement sur la thérapeutique.

Je distinguerai.trois ordres d'exercices gymnastiques orthopédiques : 1° les exercices avec station sur les parties inférieures du corps; 2°les exercices avec suspension par les parties supérieures; 3° les exercices dans la position horizontale du corps.

1° Exercices avec station sur les membres inférieurs. — Il en est qui font agir à la fois les extenseurs du rachis droits et gauches. Ils consistent dans des flexions et des extensions alternatives du tronc; ils poussent parfois l'extension jusqu'au renversement en arrière. Ils ne peuvent rien contre la scoliose ; car, s'ils produisent quelques différences apparentes dans la direction des apophyses épineuses en les faisant proéminer ou en effaçant plus ou moins leur saillie, ils ne modifient réellement pas les courbures. Vous vous en convaincrez aisément en voyant le dos à nu pendant que nos malades exécuteront devant vous ces mouvements, et en examinant sur les colonnes déviées les effets de la flexion et de l'extension. Ces exercices pourraient convenir dans la cyphose et dans les attitudes vicieuses qui compliqueraient la scoliose; mais ils ont l'inconvénient de laisser subsister toute l'action de la pesanteur sur les courbures latérales, et ils nuisent sous ce rapport. J'ai dû vous les faire apprécier, parce qu'on leur attribue souvent une utilité qu'ils n'ont pas.

Je ne vous parlerai que pour mémoire des exercices qui impriment au tronc des mouvements de torsion, de rotation ou de cir-cumduction, des exercices qui portent une omoplate en avant pour la rendre moins saillante. Les notions anatomo-pathologiques les plus élémentaires sur le mode de rotation des vertèbres dans la scoliose, sur la cause de la saillie de l'omoplate, montrent suffisamment l'inutilité de ces mouvements au point de vue qui nous occupe.

L'élévation du bras gauche, la convexité dorsale étant supposée à droite, tend à fléchir le rachis à droite, en sens inverse de la courbure dorsale, surtout si le membre thoracique est amené près de la têle, s'il se porte à droite au-dessus d'elle, s'il est lancé avec effort par une extension brusque succédant à sa flexion. De la le conseil de faire tirer de la main gauche sur une corde élevée, comme pour sonner une cloche, comme pour tirer de l'eau d'un puits, etc. De là diverses passes du membre supérieur qui se pratiquent dans les gymnases. On produit encore cette flexion du tronc à.droite dans les efforts de traction du membre supérieur gauche sur un corps résistant, dans l'action de soulever ou de porter un poids, etc.

Si la flexion du rachis, dans ce cas, ne se produisait que dans la région incurvée, elle aurait pour effet de comprimer son côté convexe, d'étendre son côté concave, de manière à favoriser le retour de ses formes normales ; mais il arrive alors ce que vous avez vu sur le cadavre et sur le vivant : la flexion se fait plus aisément au-dessus ou au-dessous de la courbure, et il en résulte la formation de courbures nouvelles, si le rachis n'était dévié que dans un seul sens, ou l'augmentation des courbures inverses qui pouvaient déjà s'être produites.

On évite en partie l'inconvénient que je signale en combinant les mouvements du bassin et du membre inférieur avec ceux du membre thoracique. Par exemple, en même temps que le bras gauche agit, on fait incliner le bassin sur les lombes ou les lombes sur le bassin à l'aide d'un effort des muscles du côté gauche qui s'oppose à l'augmentation de la courbure lombaire, ou même qui la redresse. Ce double mouvement ne permet pas toutefois une flexion latérale aussi étendue, et la diminution des courbures ne dépasse guère le degré de redressement qu'on obtient par la seule position horizontale. N'oubliez pas, en appréciant l'étendue de ce mouvement, que les apophyses épineuses déviées peuvent décrire une courbe inverse sans que cela ait lieu aux corps vertébraux, dont la courbure peut même n'être qu'en partie effacée.

A l'égard de ce redressement, remarquez encore que presque tous ces exercices se composent de mouvements alternatifs opposés; l'un de ces mouvements tend à reproduire les courbes que l'autre redresse; c'est là un désavantage réel. On l'atténue en

limitant le plus possible le mouvement qui a lieu dans le sens de la concavité de la courbure ; mais une position fixe du rachis, dans laquelle on fait mouvoir les membres sans déranger le tronc, est préférable sous ce rapport.

On a cherché à provoquer, d'une manière plus constante, une action musculaire propre à redresser les courbures lombaires, en plaçant le bassin dans une situation oblique au moyen d'un siège incliné d'un côté à l'autre, d'une chaussure plus haute à un pied qu'à l'autre. Ce moyen exerce peu d'influence dans une véritable déformation du rachis; mais il peut être utile dans certaines scolioses par simple flexion.

Delpech (1) a rangé parmi les exercices orthopédiques, en en restreignant néanmoins l'usage, les exercices d'équilibre, comme la marche sur un plan étroit et vacillant; son but était de faire contracter tous les muscles à la fois autant que possible. Il n'y a point à cela d'utilité spéciale eu égard à l'état des parties dans la scoliose ; ces exercices rentrent donc dans la gymnastique générale, et ne seront admis comme un accessoire, dans le traitement de cette affection, que sur quelque indication particulière, et lorsque l'état de station droite qui les accompagne ne paraîtra pas devoir détruire l'effet des moyens de redressement.

Certains exercices avec station sur les membres inférieurs doivent, au contraire, être interdits dans la courbure latérale de l'épine. Tels sont les sauts de toutes sortes, d'autant plus nuisibles qu'ils sont plus élevés, par l'augmentation de pression qu'ils déterminent à la concavité des courbures. Tels sont encore tous les jeux avec port de fardeaux, dont le poids s'ajoute à celui des parties supérieures. On devine qu'il en est de même de tous les efforts étendus ou prolongés, qui exigent des flexions latérales dans le sens de la concavité des courbures, ou qui, d'une manière quelconque, font appuyer plus fortement les vertèbres les unes sur les autres.

Les membres supérieurs, que nous verrons, dans le deuxième ordre d'exercices, substitués aux membres inférieurs pour la sustentation du corps, peuvent, en prenant un point d'appui sur le bassin du sujet lui-même, soulager le rachis d'une partie du

(1) Orthom,, t. II, p. 182 et 211.

poids qu'il supporte dans la station, et diminuer la pression du côté concave des courbures. L'instinct révèle cette propriété aux enfants atteints de mal vertébral, qui manquent rarement, à une certaine période de la maladie, d'appuyer les mains sur les cuisses pour se soustraire au malaise causé par la pression des vertèbres affectées. J'ai particulièrement reconnu que l'inclinaison des lombes à droite, au commencement de la troisième période de la courbure dorsale droite, est singulièrement diminuée par l'effort de la main gauche sur la hanche de ce côté ; sans ce point d'appui, le tronc retombe presque aussitôt à droite, tandis qu'avec l'aide de la main, les muscles du rachis le maintiennent assez longtemps dans une situation plus rapprochée de la rectitude. La courbure lombaire devient alors droite, d'oblique qu'elle était, et la courbure dorsale diminue notablement. Ces effets sont presque aussi marqués que ceux de la position horizontale. Naturellement, c'est la main droite qui fonctionne quand la convexité dorsale est à gauche.

On peut utiliser cette attitude, dans cette forme de déviation, en la faisant répéter très-souvent chaque jour, en la faisant garder pendant d'autres exercices, dans les différentes sortes de marche, par exemple ; car elle remédie à l'inconvénient de la station relativement au poids porté par le rachis, en s'opposant au glissement vertical des facettes articulaires et à l'excès de pression des ligaments intervertébraux.

En somme, sauf quelques applications partielles, on voit que l'effet orlhorachidique des exercices accompagnés de station sur les parties inférieures est assez borné, qu'il n'est pas supérieur à celui delà position horizontale, et qu'il ne satisfait pas plus complètement aux indications mécaniques du traitement de la scoliose; le côté de la convexité n'est guère plus comprimé, et son développement n'est pas plus entravé. Ces exercices sont néanmoins exempts des inconvénients attachés à la position déclive de la tête et à l'inertie musculaire; ils jouissent, au contraire, des propriétés dynamiques de toute gymnastique. Ce qui les rend surtout inefficaces dans la scoliose par déformation, c'est la brièveté de leur action; les muscles se fatiguent promptement d'une contraction aussi uniforme, et c'est à peine si ce moyen peut être mis en usage une heure ou deux chaque jour. Il ne peut donc être avantageux, dans

ce cas, que si son emploi alterne avec la position horizontale, ou s'il est combiné avec les moyens dont j'ai encore à vous parler.

2° Exercices avec suspension par les parties supérieures. — Un médecin allemand, Lentin (1), a conseillé, à la fin du siècle dernier, de faire suspendre par les mains à une perche horizontale, aussi longtemps qu'ils peuvent le supporter, les sujets atteints de.courbure de l'épine : c'est là le principe de tous les exercices dont il s'agit maintenant. Delpech, l'un des premiers, de nos jours, dès 1825, s'est efforcé de donner à ce principe toute l'extension possible. Il ne s'agissait de rien moins que de supprimer pour ainsi dire la sustentation du corps par le sol, d'amener les malades à se soutenir dans les airs tout le temps qu'ils passaient hors du lit. De là le déploiement d'appareils nombreux, à l'instar des grands gymnases modernes, mais tous appropriés au but spécial de Porthorachidie. Ces appareils, qui se voient encore dans la plupart des établissements orthopédiques, sont en effet uniquement destinés à varier les mouvements praticables, sans que les pieds posent à terre, et à les graduer de manière à douer progressivement les enfants de la faculté de suspension prolongée qui leur est nécessaire. Cette suspension a pour effet, comme la position horizontale , de soustraire les vertèbres à la pression exercée sur elles par les parties supérieures. Elle le fait un peu moins complètement , puisque la tête, le cou, le sommet du thorax , pèsent encore sur la région dorsale ; mais, d'un autre côté, elle fait plus en soumettant l'épine à la traction, à l'extension produite par le poids des parties inférieures. Il en résulte une diminution très-notable des courbures, un écartement, une tension des tissus à la concavité, une pression variable, le plus souvent faible ou même remplacée par une légère distension, à la convexité. La contraction musculaire peut bien neutraliser en partie ces effets; mais elle ne les détruit pas entièrement, comme on l'a vu. De même que le décubitus, la suspension ne produit pas sur le rachis, du côté de la convexité, une pression capable de modifier sa forme. Ces faits nous serviront à apprécier son degré d'utilité.

Nous allons vérifier, sur ces deux enfants, plusieurs des faits qui précèdent.

(1) Beitrage, efc, 1787, p. 266.

Ier cas. — Jeune fille de treize ans, d'une constitution scrofu-leuse. Elle a une dureté de l'ouïe due à une otorrhée chronique. Cette enfant, et une autre atteinte de courbure rachitique, sont les seuls sujets scoliotiques que nous ayons trouvés parmi nos scrofuleux, ce qui vous montre bien que la scrofule ne saurait être considérée comme la cause de la scoliose. Pour en revenir à notre malade, elle porte une courbure sigmoïde à la seconde période; la courbure lombaire est très-longue, la courbure dorsale assez courte. En appuyant sur les apophyses épineuses, nous formons une trace rouge qui indique la direction du rachis. Je fais courber la malade, puis je la laisse se relever lentement; vous voyez que la courbure n'a pas été modifiée. Je lui fais lever le bras gauche au-dessus de la tête; la courbure dorsale diminue un peu, mais la courbure lombaire est notablement augmentée. Vous savez que, pour éviter cet effet, il faut faire incliner le tronc sur le bassin. Vous voyez .que, dans cette position, les courbes des apophyses épineuses deviennent moins marquées. En mettant l'enfant dans une position horizontale, je produis également un redressement, un peu moindre toutefois que le précédent. Enfin, en faisant contracter le bras gauche, vous voyez que le rachis n'est nullement attiré de ce côté, et qu'il ne change pas de direction.

IIe cas. — Jeune fille de quatorze ans. Scoliose spontanée dorsale droite, au commencement de la troisième période. En faisant élever le bras et fléchir le tronc sur le bassin, nous Obtenons une diminution des courbures. Si l'on exagère ce mouvement, comme pour renverser la courbure lombaire, on voit augmenter la courbure dorsale. En faisant appuyer la main sur la hanche, on diminue la courbure dominante, et on convertit une scoliose du troisième degré en une courbure sigmoïde du deuxième degré. On peut faire marcher les enfants dans cette position. En couchant la malade , on transforme également sa scoliose du troisième degré en courbure du deuxième. Vous voyez encore que lorsqu'elle se courbe en avant et qu'elle se relève lentement, ou lorsqu'elle contracte fortement le bras gauche, il ne se produit aucune diminution des courbures. .

bouvier » 31

(1) J'ai maintenant à vous faire connaître avec plus de détails ces exercices de suspension, qui ont joué un grand rôle dans l'or-thorachidie moderne.

Au dire de Frank (2), l'homme, obligé de chercher sa nourriture à la cime des arbres à fruits, semble formé par la nature pour ce genre d'exercice. Je crois toutefois l'homme moins propre à grimper que beaucoup d'animaux, tels que les chats et les singes; il lui faut une sorte d'apprentissage pour y devenir habile; la sustentation et l'ascension au moyen des membres supérieurs seuls exigent surtout une pratique spéciale. Aussi les anciens laissaient-ils à peu près cet exercice aux funambules ou danseurs de corde, aux schoinobatai des Grecs. Galien (3) range l'ascension à la corde et à la perche parmi les exercices violents, et, quoique employée dans les palestres comme exercice préparatoire, elle paraît avoir été peu usitée dans les gymnases. Les pierres gravées, dont Mercurialis (4) a reproduit les dessins, ne nous montrent en effet, dans cette partie de l'ancienne gymnastique, que des tours de funambules, les uns en équilibre sur la corde tendue, les autres suspendus le long d'une ou de deux cordes verticales.

Ce sont les modernes qui ont, en quelque sorte, créé cette branche de la gymnastique, en lui donnant une forme pédagogique. C'est surtout aux travaux des Gutsmuths, des Clias, des Amoros, que l'orthopédie a emprunté presque toutes les applications qu'elle a faites de ce moyen.

Ces exercices de suspension offrent à considérer : 1° la matière et la disposition des appareils; 2° les modes de sustentation du corps; 3° les mouvements qui accompagnent la suspension.

On se sert peu des cordes ; elles blessent les mains délicates des enfants et surtout des jeunes fdles. Le fer n'est employé que dans des circonstances particulières ; le bois, dont on fait généralement usage, doit être arrondi, bien uni, mais non glissant; on peut envelopper l'un et l'autre de drap, de peau, de velours. Le volume des supports sera proportionné à l'âge des sujets : trop gros, ils ne

(1) Treizième leçon, 14 août 1857.

(2) Medicin. Polizei. Manheim, 1780, t. II, p. 644.

(3) De sanit. tuendâ, t. VI de l'édition de Kiihn, p. 140.

(4) De arte gymnastkâ, p. 198, Arnsfelod,, 1672.

peuvent être saisis solidement; trop minces, ils ne présentent pas aux mains assez de surface, ou ils plissent la face palmaire et l'exposent à s'excorier. On leur donne ordinairement une forme cylindrique ; s'ils sont plats ou carrés, on évite au moins les arêtes tranchantes.

Ces supports sont, tantôt une ou deux perches rapprochées et parallèles, tantôt des échelles diverses, d'autres fois des barres d'appui, des mâts, quelquefois enfin des cordes.

Leur direction est horizontale, verticale ou inclinée. Ils sont complètement fixes ou mobiles dans un ou plusieurs sens. Leur élévation est relative à la position que les bras doivent prendre, à la taille des malades, à l'espace qu'on veut leur faire parcourir en hauteur. A ce dernier point de vue, remarquez qu'une grande élévation n'est d'aucune utilité dans les applications orthopédiques; et comme elle rend les chutes plus dangereuses, malgré les matelas et le sable doux, on fera bien de donner peu de hauteur aux appareils. A défaut d'appareils, rien n'est plus facile que d'improviser les instruments nécessaires, et de faire ici ce qu'on appelle de la gymnastique de chambre; une échelle, quelques traverses posées sur des meubles, etc., peuvent suffire. Pour les jeunes enfants, il n'est même besoin d'aucun appareil. Les personnes chargées de veiller sur eux, servant en quelque sorte d'instruments de gymnastique, fournissent les points d'appui nécessaires à toutes les manœuvres.

La suspension du corps, dans les exercices, peut avoir lieu de deux manières principales : tantôt les bras sont portés en haut, tantôt ils sont portés en bas, arc-boutés sur les supports, et représentent des colonnes de sustentation entre lesquelles le corps est suspendu. Dans le premier cas, on peut être suspendu par les mains, les avant-bras fléchis, le pli des coudes, par le côté interne des bras, par le dessous des aisselles. Dans le second mode, le corps peut être supporté par la paume des mains, les avant-bras ou les coudes. L'un et l'autre exigent de grands efforts musculaires pour rendre les articulations rigides, inflexibles, et pour faire équilibre au poids du tronc, qui tend à écarter diverses surfaces articulaires ou à les faire glisser les unes sur les autres. Les muscles étendus du bras ou de l'épaule au tronc, trapèze, grand dorsal, grand pectoral, grand dentelé, etc., luttent, en particulier, avec énergie contre l'effort de la pesanteur, afin de maintenir les rapports natu-

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rels du tronc avec les membres supérieurs. Je ne reviens pas sur la conséquence qu'on a tirée de cette contraction pour nier l'extension du rachis par le poids des parties inférieures; j'ai.montré que ces deux faits n'étaient pas en opposition forcée, et l'observation directe tranche, en effet, la question dans ce sens. Le poids se partage entre le rachis et les muscles; les contractions de ces derniers les font simplement résister à la pesanteur du corps et ne sauraient avoir pour effet de courber le rachis ou même de maintenir ses courbures. Le degré de raccourcissement ou d'allongement de ces muscles suspenseurs du tronc déterminera la position des omoplates dans ce genre d'exercice , et leur action doit être bien dirigée sous ce rapport, afin d'éviter une élévation permanente et disgracieuse des épaules.

Pour habituer peu à peu les enfants aux divers modes de suspension , on les soutient d'abord et on ne confie que par degrés le poids du corps aux membres supérieurs. On leur laisse, dans les premiers temps, la possibilité de s'aider des pieds ou d'atteindre le sol avec la pointe des pieds. On les exerce, dans la position horizontale ou inclinée, à s'aider des membres supérieurs pour déplacer le tronc et les membres inférieurs. On s'attache surtout à développer, par des exercices spéciaux, la force d'occlusion des mains, qui les met en état de rester cramponnés aux supports sans les lâcher.

Des mouvements très-variés peuvent être exécutés pendant la suspension; ils sont tout à fait comparables à ceux que l'on exécute dans la station et dans la progression sur les membres inférieurs. Aux exercices sur place des membres inférieurs, connus sous le nom de pas sur place, de piaffer, correspond un exercice de suspension consistant à détacher ou à enlever alternativement chaque main, en la remettant à la même place, ce qui prépare à la progression en avant par les mains. Au plier sur les'membres inférieurs correspond un plier des 'membres supérieurs, c'est-à-dire une flexion suivie d'extension, qui rapproche et éloigne successivement'le tronc du support des mains et qui prépare à l'ascension. Une espèce de saut se pratique sur les mains comme sur les membres inférieurs.

Les progressions ou locomotions se font en ligne horizontale, verticale ou oblique; la progression horizontale, le long d'une perche ou d'une suite de perches, se fait en dévidant ou en au

nant, suivant les expressions de Delpech. On dévide quand on avance les mains, l'une restant toujours derrière l'autre; on aune en passant les mains l'une devant l'autre.

Cette progression se fait sur deux supports parallèles par une suite de pas où chaque main avance à son tour, comme le long de deux perches ou des deux côtés d'une échelle horizontale, — premier mode de suspension; —• ou le long des barres parallèles, — deuxième mode de suspension. — On peut encore avancer par une suite de sauts sur les mains.

.La progression en ligne verticale ou oblique, de bas en haut et de haut en bas, ou Y ascension et la descente, comprend les différentes manières de monter aux échelles et d'en descendre par les membres supérieurs seuls, l'ascension aux mâts, à deux perches verticales ou inclinées,'à une ou deux cordes nues, et l'exercice des bobines décrit par Delpech ; cet exercice consiste à monter et à descendre le long de deux cordes oblicjuement tendues, le corps soutenu sous ïes aisselles par deux cylindres en forme de bobines traversés par ces cordes.

Dans la plupart de ces mouvements de locomotion, les enfants peu exercés ou peu robustes jettent les jambes de côté et d'autre, portent le bassin de droite et de gauche pour se donner un élan à chaque effort des mains. Ces mouvements désordonnés peuvent nuire à l'effet de la suspension pour la direction du rachis. On doit s'attacher à habituer les malades à tenir le plus possible le bassin et les membres inférieurs dans le prolongement de l'axe du tronc. On ne leur permet, en les régularisant, que deux petits élans alternatifs de tout le corps qui rélèvent et l'abaissent du côté de la main qui s'élance.

Un vice opposé à l'exagération des mouvements est le défaut de contraction suffisante ; les enfants livrent alors le poids du corps aux seuls ligaments et à la.tonicité des muscles. Ceci n'a pas moins d'inconvénients; il suffit d'ailleurs d'en être averti pour prévenir ou corriger ce mode vicieux de suspension.

Si les supports sont .mobiles, des mouvements passifs s'associent aux mouvements produits par les organes locomoteurs, ce qui ajoute à la variété des exercices et quelquefois à leur action sur la colonne vertébrale. Le triangle de Clias, — un bâton horizontal suspendu par deux cordes réunies à leur point d'attache— le tra

pèze d'Amoros, — un bâton semblable dont les cordes restent séparées et éloignées jusqu'à leur attache, — fournissent un grand nombre de ces exercices de suspension à la fois actifs et passifs; ils constituent, entre autres, de véritables balançoires brachiales fonctionnant à la manière de l'escarpolette.

Des perches verticales, pendantes et mobiles à leur point d'attache , procurent des mouvements analogues. Un jeu d'enfant, la bascule brachiale, assez élevée pour qu'on y soit suspendu par les mains, joint ici, comme l'escarpolette , l'attrait du plaisir aux avantages de la suspension. Une échelle que j'ai fait suspendre à des ressorts en bois produit un balancement vertical et des secousses favorables au redressement des courbures, pendant les efforts du sujet pour en atteindre le haut. On comprend que rien n'est plus facile que de diversifier ces sortes de mécanismes.

Quelques enfants vont exécuter devant vous les principaux exercices de cette classe; vous en prendrez ainsi une idée plus complète. De plus, comme nous l'avons fait pour les exercices du premier ordre, le dos, mis à nu, nous permettra de vérifier les effets immédiats des attitudes et des mouvements sur les courbures du rachis. Je marque sur la peau la direction des apophyses épineuses , afin de pouvoir constater facilement les changements survenus dans les courbures du rachis. Chez un des enfants, porteur d'une courbure dorsale inférieure assez légère, la suspension fait disparaître celle-ci presque complètement. Chez cet autre, dont la difformité est plus avancée, la courbure ne disparaît pas complètement; mais elle diminue d'une façon très-remarquable, de manière à ne plus présenter qu'une flèche de cinq ou six millimètres environ. Chez les autres enfants, vous voyez de même les courbures diminuer par l'effet de la suspension.

L'action immédiate des exercices de suspension est donc à peu près la même que celle de la position horizontale; mais, de même que celle des exercices du premier ordre, elle lui est bien inférieure au point de vue de la durée qu'il est permis de lui donner. Ce moyen, employé seul, ne saurait évidemment changer la conformation du rachis, parce qu'il agit à de trop longs intervalles et pendant un espace de temps trop court. Sous ce rapport, les exercices de suspension ne sont, ainsi que les exercices avec sta

lion, qu'un adjuvant à peu près impuissant sans les autres moyens curatifs auxquels on l'associe.

3° Exercices dans la position horizontale. — Les exercices qui se pratiquent dans une position à peu près horizontale sont en général assez doux, parce que le corps, ordinairement supporté par un plan, ne fatigue pas les membres de son poids. Ils ressemblent aux précédents en ce que l'on a soin, du moins pour l'objet spécial qui nous occupe, de faire peu agir les membres inférieurs, et en ce que l'on donne presque toujours de l'inclinaison au plan, pour produire un degré quelconque de suspension et pour exercer une traction sur le rachis au moyen du poids des parties inférieures. Les membres supérieurs sont alors employés à mouvoir le corps sur le plan, à le lui faire parcourir s'il a une certaine longueur, à mettre en mouvement des mécanismes qui déterminent la locomotion.

Ce genre d'exercice est très-utile chez les petits enfants, qui ne peuvent guère en pratiquer d'autres, et qui, tout habitués qu'ils sont à rester longtemps couchés, recherchent le mouvement et en ont besoin. On les exerce à se traîner, à ramper à plat ventre en s'aidant des mains et même des pieds, le long d'un banc, d'une planche à laquelle on peut adapter des poignées latérales, ou simplement à terre sur le parquet, où ils peuvent se soulever à moitié, marcher, comme l'on dit, à quatre pattes, se rouler en se retournant sur le dos, etc.

De même que dans l'ordre précédent, les mouvements passifs se combinent quelquefois avec les mouvements actifs du sujet. C'est ce qui a lieu, par exemple, dans le balancement d'un plan mobile autour d'un axe transversal, comme dans les lits de Pravaz, dans le petit lit mécanique de Delacroix, dans les diverses sortes de chars de Delpech, de Pravaz et d'autres, roulant sur des cordes ou des rails et mis en mouvement par les malades eux-mêmes.

Ces exercices participent, quant à leurs effets, de la position horizontale et des exercices de suspension. Ils contribuent à compenser l'inaction du décubitus, et reposent des fatigues de la suspension. Lorsqu'ils sont violents, ils favorisent doublement les congestions vers les parties supérieures par l'attitude et par les efforts qui les accompagnent.

JL'aciion musculaire, dont je viens d'examiner les principaux modes orthorachidiques, ne remplit, en dernière analyse, que d'une manière incomplète l'es indications du traitement de la scoliose par déformation. Elle est principalement utile comme correctif de la position horizontale, quand celle-ci fait la base du traitement. Elle ne peut constituer par elle-même une méthode réellement curative de cette déformation. J'insiste sur ce point, parce que beaucoup de médecins conservent à cet égard des illusions fâcheuses. Delpech a dit qu'il aurait renoncé à l'orthopédie sans la gymnastique (1); il n'avait raison qu'au point de vue des inconvénients d'un repos absolu.

ce. Moyens méganiques. — Agir par une force extérieure sur le rachis pour changer sa forme vicieuse, est une idée qui a dû se présenter de bonne heure et qu'il était naturel de poursuivre à toutes les époques. Aussi Hippocrate nous fait-il déjà connaître des procédés de ce genre qu'on mettait en usage de son temps et avant lui; c'étaient de singuliers procédés : on attachait, par exemple, le malade sur une échelle par la tête et le haut de la poitrine, ou par les hanches et les membres inférieurs, suivant le siège du mal, et on le précipitait du haut d'un toit ou d'un mât, les pieds en bas ou la tête la première, en lâchant une corde de manière que l'échelle tombât droite sur le sol et éprouvât une secousse qui devait replacer les vertèbres dérangées. C'était Yextension ou la succussion, kataseisis. « Elle n'a jamais redressé personne, que je sache, » dit l'auteur du traité des articulations (2). Vous le croyez sans peine; on ne sait pas d'ailleurs bien au juste à quelles lésions du rachis s'appliquait celte manœuvre.

Mais Hippocrate en décrit d'autres qui contiennent le germe de ce qu'on a fait depuis. Ce sont des extensions et des contre-extensions momentanées, dans la position horizontale, accompagnées de pressions sur la [gibbosité (3). Cela paraît concerner plutôt la cyphose que la scoliose; mais vous savez que les anciens ne distinguaient pas clairement ces deux formes.

A. Paré a reproduit le procédé d'Hippocrate pour réduire les

(1) Orthomorphie, t. II, p. 179.

(2) OEuvres d'Hippocrate, trad. par Littré, t. IV, p. 183.

(3) Ibid., p. 203.

vertèbres, qu'il croyait luxées dans la gibbosité par suite de chute; mais il conseille ailleurs un corceiet en fer léger, percé de trous et bien rembourré, pour dresser un corps tortu (1). Les corps à baleines, qu'on croit avoir été introduits en France vers le temps de Catherine de Médicis, furent longtemps presque le seul remède qu'on opposât à la scoliose. Cependant, au dix-septième siècle, Glisson revint à la sufspension des anciens, mais mieux comprise : il imagina Y escarpolette anglaise, qui suspendait les enfants par le dessous des bras, la tête et les mains, pour étendre le rachis par le poids des parties inférieures, quelquefois augmenté par l'addition de plombs aux pieds (2). Le même principe inspira à Nuck, pour les déviations du cou, son collier suspenseur (S) appliqué par d'autres aux courbures dorsales. Mais les préceptes d'Andry (4) montrent que les corsets continuaient de prévaloir vers le milieu du dix-huitième siècle.

Levacher (5), guidé par des essais antérieurs, eut l'idée de pratiquer la suspension et l'extension d'une manière permanente, au moyen d'une tige recourbée au - dessus .de la tête et fixée au corset lui-même.

Ce ne fut que plus tard, dans les dernières années du dix-huitième siècle, que le Suisse Venel (6) et Darwin (7) songèrent à appliquer l'extension d'Hippocrate sur des lits; méthode qui se répandit d'abord en Allemagne, puis en France/et qui jouit bientôt d'une grande faveur.

Cette esquisse rapide des efforts de l'art nous indique déjà qu'il y a deux classes de moyens mécaniques employés dans la scoliose : 1° les moyens mécaniques appliqués dans la position horizontale ; 2° ceux qu'on met en usage pendant la station.

(1) OEuvres d'A. Paré, édition de J. F. Malgaigne. Paris, 1840, t. II, p. 611.

(2) Glisson, De rachitide, cap. 35, 1650.

(3) Nuck, Opérât, et exper. chirurgica. Leyde, 1692.

(4) Orthopédie, t. 1«, p. 123, 125. Bruxelles, 1743.

(5) Levacher, Nouveau moyen de guérir les courbures de l'épine, dans les Mémoires de l'Académie de chirurgie, t. IV, 1768; et Levacher de la Feutrie, Du rakitis, 177g, p. 326.

(6) Mémoires de la Soc. des sciences physiq. de Lausanne, t. II, 1788.

(7) Loc. cit.

a. Moyens mécaniques appliqués dans la position horizontale. — Ces moyens sont de deux ordres : les uns produisent l'extension et la contre-extension du rachis; les autres agissent par pression latérale.

1° Extension et contre-extension. — Nous allons pratiquer, sur ces enfants, les extensions d'Hippocrate, c'est-à-dire des tractions en sens inverse aux deux extrémités du rachis. Vous voyez qu'elles ajoutent quelque peu au redressement obtenu par la position horizontale.

Si la courbure est légère, comme sur cette enfant, elle disparaît complètement en apparence ; la ligne des apophyses est droite, ce qui ne veut pas dire qu'il en soit de même de la ligne des corps vertébraux ; on n'obtient pas ici cette courbure inverse des apophyses qui doit correspondre au moins à un redressement à peu près complet des corps, et qui s'est produite sous vos yeux dans certaines attitudes de la station. En revanche, le redressement s'étend à toutes les courbures, ce qui n'était pas aussi facile à obtenir quand les sujets étaient debout.

Si la déviation est forte, à sa troisième période, comme sur ces autres enfants, la courbure principale est seulement diminuée, mais dans une plus forte proportion que par le seul effet du décubitus. L'écartement de ces deux lignes au crayon, marquant la ligne médiane et la courbe des apophyses, déjà moindre, vous le voyez, dans la position horizontale que dans la station, diminue encore par les extensions. La courbure qui persiste répond aux vertèbres du milieu de l'arc, plus déformées, et dont les ligaments, plus raccourcis à la concavité, résistent davantage. Les courbures accessoires diminuent également et peuvent même s'effacer dans la ligne des apophyses épineuses. L'inclinaison de l'arc lombaire disparaît encore plus complètement que dans la simple position horizontale.

Tout le tronc change d'aspect par suite de ce redressement du rachis. Les côtes, soulevées avec les vertèbres à la concavité des courbures dorsales, sont moins déprimées et moins serrées. Les côtes de la convexité se rapprochent et font moins de saillie; cela tient surtout à ce que le redressement se fait en partie dans le sens antéro-postérieur, ce qui relève les côtes supérieures et fait

rentrer les côtes moyennes, d'où une voussure moins prononcée. La torsion, en effet, n'est pas sensiblement modifiée. Les épaules, les flancs, les hanches, présentent une situation beaucoup plus régulière que dans la station, parfois presque symétrique. La hauteur du tronc augmente naturellement par le redressement des courbures. On comprend que, si cet effet est continué assez longtemps, le côté concave des courbures, ligaments et os, s'accroisse plus en proportion que le côté convexe, et que les formes s'améliorent ou reviennent à peu près à l'état normal.

On a prétendu que l'extension du rachis allonge les ligaments et relâche les articulations au point de produire un diastasis. Je ne connais pas de fait qui confirme cette assertion.

Mais on peut adresser à l'extension un reproche mieux fondé : si elle agit assez fortement sur le côté concave des courbures, elle ne déprime guère plus les vertèbres et les ligaments, du côté convexe , que ne le font la seule position horizontale et les exercices de suspension. Elle ne remplit donc encore qu'en partie l'une des indications de la scoliose.

De plus, l'extension agit peu sur la partie moyenne des courbures , parce que l'effort ne lui est transmis qu'à travers un plus ou moins grand nombre d'articulations mobiles et extensibles. Lorsque, sur ces enfants, nous ne saisissions que la tête pour pratiquer la contre-extension, l'effet était médiocre; il aurait fallu tirer beaucoup trop sur le cou pour que cet effet fût très-marqué dans la région dorsale. Nous étions obligés de faire la contre-extension par les bras, les épaules ou le haut du thorax.

Enfin l'extension rencontre des difficultés assez graves dans l'application. Vous avez pu voir, dans nos essais sur ces enfants, qu'il faut employer une assez grande force pour modifier les courbures plus que ne le fait la simple position horizontale. Or les bandages, les machines, destinés à remplacer les mains, à continuer leur action, ne pourraient exercer un effort semblable d'une manière continue, sans donner lieu à une gêne insupportable, au trouble de quelque fonction et à des accidents de plus d'un genre. C'est ce que l'on n'a eu que trop souvent l'occasion de constater à une époque où les lits à extension faisaient fureur et où leur application était parfois dirigée par des personnes peu éclairées. On est donc obligé de réduire les forces extensives au degré compatible avec la tolé

rance des organes, avec les exigences de l'état fonctionnel, qui, pour le médecin, doivent dominer toute autre considération. De là un déchet plus ou moins considérable dans l'effet produit, qui diffère peu, dans beaucoup de cas, de ce qu'on obtient par le seul décubitus.

On a beaucoup varié le mécanisme des lits destinés à l'extension permanente du rachis ; je ne vous en exposerai pas le détail ; je préfère vous indiquer les règles les plus usuelles de leur construction et dé leur emploi.

Il y a trois choses dans ces appareils : 1° leur support ou le lit ; 2° les bandages ou liens'extenseurs appliqués au corps du malade: 3° les puissances extensives.

Le lit est construit comme je l'ai dit en parlant de la position horizontale. On le fait ordinairement étroit et long pour trouver la place des appareils et pour les manœuvrer plus commodément.

Je ne vous parlerai que pour mémoire d'un sommier à plateaux séparés imaginé par Shaw, modifié par Pravaz, qui avait cru y trouver le moyen de localiser l'extension, de la faire agir plus près du milieu de chaque courbure. L'expérience n'a pas confirmé cette supposition.

Les liens extenseurs et contre-extenseurs s'appliquent sous la base du crâne et le menton, sous les bras et autour des hanches. On a renoncé au bonnet deVenel, qui entourait toute la tête, ainsi qu'aux liens placés sur les membres inférieurs.

Une espèce de collier ou de bourrelet ovale, ferme, mais souple et bien matelassé, bouclé sous le menton, sert à retenir la tête et à lui transmettre la force contre-extensive. Cette pièce, dont je vous présente un modèle, .doit presser aussi également que possible; mais, pour éviter la pression des arcades dentaires, on la fait porter beaucoup moins en avant, sous la mâchoire inférieure, qu'en arrière ; son point d'appui doit se trouver principalement à l'occiput et sur les apophyses mastoïdes. On a soin de surveiller la pression exercée sur la peau de ces parties, pour prévenir les excoriations.

Les liens axillaires, passés sous les bras, sont des courroies douces, matelassées, plates ou en boudins, que l'on fixe sur le sommier ou que l'on fait remonter jusqu'au chevet du lit. Ces liens ont le double inconvénient de comprimer le plexus brachial et de

faire trop remonter les épaules. Je ne m'en sers que pour retenir sur le dos les enfants indociles, ou les sujets de tout âge pendant leur sommeil. On les dispose dans ce but, comme vous le voyez ici, de manière à ne pas exercer de pression sous l'aisselle. Us n'agissent plus alors comme liens contre-extenseurs; tantôt on y supplée par d'autres parties de l'appareil dont nous nous occuperons bientôt, tantôt on se contente de retenir la tête.

La force d'extension agit sur le bassin par l'intermédiaire d'une ceinture telle que celle-ci, qui est en cuir fort afin de ne pas se déformer, garnie d'un coussinet de crin et d'une peau douce, pour ne pas excorier les hanches sur lesquelles elle appuie assez fortement. Il ne faut pas que cette ceinture exerce une constriction pénible sur l'abdomen ; on la serre peu à cet effet. La saillie des hanches et des fesses l'empêche de descendre trop bas. Si elle obéissait trop à la traction, on la serrerait davantage en l'écartant de l'abdomen par un demi-cercle d'acier. Les ceintures dites en cloche, c'est-à-dire évasées par le bas, seraient également utiles dans ce cas. On peut indifféremment fermer ces ceintures par une ou plusieurs boucles, ou par un lacet; mais, dans ce dernier cas, elles exercent une compression comparable à celle des corsets.

Les puissances extensives ne sont invariables que clans un petit nombre de lits extenseurs. On préfère généralement se servir de ressorts ou de poids qui cèdent dans les mouvements des malades, et réagissent l'instant d'après. Cependant, quand l'extension a plutôt pour but de prévenir une attitude vicieuse que d'exercer de véritables tractions, chez les petits enfants, par exemple, on peut se borner à attacher les courroies des liens axitlaires et les courroies de la ceinture à des boucles fixées aux extrémités ou aux bords du lit; on supprime alors le collier.

Les poids ont l'inconvénient de donner des secousses en retombant après avoir été soulevés dans les mouvements. M. Maisonnabe y a remédié en les plaçant sur un plan incliné,. M. F. Martin en se servant de rouages d'horlogerie, comme vous le voyez sur ce petit modèle qu'il a bien voulu mettre à ma disposition. Mais ces mécanismes sont un peu compliqués; je préfère les ressorts.

En voici'de plusieurs formes, depuis le ressort classique de Wurzbourg jusqu'au dynamomètre à aiguille double, qui permet de constater les plus grands efforts que le sujet a eus à suppor

ter pendant une période de temps. Le plus commode est encore le ressort en spirale renfermé dans ce barillet, ou un simple ressort en boudin.

On fixe ces ressorts à la tête et au pied du lit; on fait aboutir à l'un d'eux les courroies du collier, à l'autre celle de la ceinture. On donne à ces courroies une tension déterminée, qui règle la tension de tout le système et la puissance de l'extension. Il faut seulement tenir compte, pour apprécier cette puissance , de la décomposition des forces de la pesanteur par l'inclinaison du lit, ainsi que de la résistance produite par le frottement, résistance que le ressort des pieds a à surmonter. C'est d'abord au bassin que la traction est la plus forte; mais, quand le corps a glissé vers le pied du lit, elle devient plus forte du côté de la tête. L'enfant se remonte alors et le premier état se reproduit. On a soin de régler l'inclinaison du lit pour que ces variations ne soient pas trop rapides. Le glissement du collier et de la ceinture sur les parties où ils sont appliqués, fait encore varier la tension de l'appareil et l'affaiblit au bout de quelque temps. Enfin d'autres variations résultent des mouvements et des efforts musculaires, qui tendent à rapprocher la tête et le bassin et à augmenter la tension des ressorts. On veille à ce que ces mouvements ne soient pas trop brusques. On s'attache surtout à prévenir un excès de pression du collier, et la tendance aux congestions vers la tête qui pourrait en être la suite.

Cette pièce , qui porte un treuil mu à l'aide d'une manivelle, faisait partie des anciens lits à extension ; elle recevait une corde fixée au ressort inférieur. On augmentait et on diminuait ainsi à volonté la tension sans toucher aux courroies de l'appareil.

(1) J'ai posé quelques règles particulières relativement à la disposition qu'il convient de donner à chacune des pièces des appareils à extension; j'ajoute quelques préceptes plus généraux concernant l'emploi de ces appareils.

Pour en retirer quelque avantage, il est à désirer que ces appareils restent appliqués la nuit et une bonne partie du jour ; il suffit de quelques heures de lever et d'exercice pour entretenir le

(i) Quatorzième leçon, 21 août 1857.

bon état des forces et de la nutrition. La durée du coucher sera d'ailleurs subordonnée au degré de la déviation, ainsi qu'à la tolérance des sujets pour cette position.

On habitue le malade par degrés à coucher sur le lit extenseur dans le jour et ensuite la nuit, d'abord sans aucun appareil, puis avec le collier seul ou avec les liens axillaires, et enfin avec la ceinture, dont on tend très-peu les courroies. On augmente celte tension peu à peu, en lui donnant toujours moins de force la nuit que le jour, en essayant d'abord quelques instants chaque augmentation d'action, et en se guidant constamment d'après les effets observés.

Quand la tolérance est bien établie, on veille à ce que l'effort souffre le moins d'interruption possible, en continuant néanmoins à le faire agir d'une manière rémittente, ce qui le rend plus supportable. On peut se servir des mains de plusieurs aides pour pratiquer de fortes extensions momentanées sur les épaules et les hanches. Il est encore plus avantageux d'exercer les malades eux-mêmes à produire des extensions plus puissantes en s'attirant par les mains vers le haut du lit; il résulte de ce mouvement une grande tension des courroies et du ressort inférieurs, sans danger pour la tête et le cou, qui cessent de supporter la contre-extension.

On ne peut fixer d'une manière absolue la force qu'il convient de donner à l'extension; elle varie suivant une foule de circonstances. En général, le maximum de la traction continue, à l'état de repos, ne doit pas dépasser huit à dix kilogrammes du côté de la tête, et dix à quinze du côté du bassin.

2° Pressions. — Les pressions latérales, perpendiculaires à l'axe du corps, étaient employées contre la courbure de l'épine, depuis des siècles, dans l'attitude de la station, qu'on n'avait pas encore eu l'idée de les pratiquer dans la position horizontale, quoique déjà Hippocrate, et d'après lui A. Paré, en eussent fait mention.

On ne trouve, au dix-huitième siècle, qu'un exemple d'application des extensions et des pressions hippocratiques dans le décubitus, et c'est un récit qui tient trop du merveilleux pour être de quelque valeur. Un écrivain étranger à la médecine, Carré de Montgeron, racontant avec enthousiasme les miracles du diacre Paris, dit qu'une bossue, âgée de vingt-sept ans, ayant des membres très

difformes et une taille de deux pieds onze pouces, se fit tirer tous les jours par le cou et les pieds pendant sept ou huit mois, et se fit administrer en même temps quelques centaines de milliers de coups de bûche sur les parties saillantes, si bien qu'au bout de ce temps, suivant l'auteur, sa taille s'était accrue de sept à huit pouces et sa difformité avait considérablement diminué (1).-

Jusqu'à la fin du siècle dernier, les pressions mêmes qu'on pratiquait dans la station étaient peu rationnelles; elles n'avaient d'autre but que de repousser ce qui était saillant. Levacher établit des pressions*plus méthodiques, au moyen d'un fauteuil qu'il imagina peu après son corps à lige de suspension (2).

Les premiers lits à extension, tels que celui de Vene!, n'avaient pas encore d'appareils de pression. Cé n'est qu'au commencement de ce siècle qu'on imita sur les lits le mécanisme adapté par Levacher à son fauteuil.

Les pressions latérales ont à la fois pour objet de modifier la forme du thorax et de redresser les courbures du rachis, comme on redresse un arc en pressant en sens inverse sur son milieu et sur ses deux extrémités. Ces pressions fournissent en outre un moyen de contre-extension pour la partie supérieure du tronc.

Comme nous l'avons fait pour les extensions, nous allons rechercher, sur ces enfants, quels sont les effets immédiats des pressions latérales, seules ou associées aux extensions.

Si, au lieu de tirer sur les extrémités du rachis dans la position horizontale, nous pressons latéralement sur le milieu de la convexité d'une.courbure unique ou principale, en même temps que des aides pressent transversalement sur ses extrémités du côté de la concavité, vous voyez la courbure diminuer ou s'effacer plus facilement que par les extensions parallèles. Nous parvenons, sur certains sujets, à renverser ainsi la courbure des apophyses épineuses , comme dans les attitudes du premier ordre d'exercices; je me suis expliqué sur la signification de ce renversement, je n'y reviens pas. L'effet produit dépend , de même que pour les autres moyens de redressement, du degré de la courbure, de la souplesse

(1) Carré do Montgeron, La vérité des miracles opérés par l'intercession de M. de Paris, in-4°; 1747, t. III, p. 552.

(2) Levacher de Ïn-Fëntrie, du Bahitis, p. 362.

du rachis, par conséquent de l'âge, de l'ancienneté de la déviation, etc.

Chez les jeunes sujets, ces efforts perpendiculaires à l'axe du corps ajoutent presque constamment à l'effet de la position horizontale. Si la déviation ne fait que diminuer par le décubitus, les pressions la diminuent davantage ou la font disparaître aux apophyses. Si la courbure s'efface par le décubitus, comme sur cette enfant que vous avez déjà vue, les pressions courbent en sens inverse la ligne des apophyses épineuses.

On fait une remarque analogue en associant les pressions aux extensions. Après l'effet produit par les tractions parallèles à l'axe du corps, on en obtient un nouveau au moyen des pressions perpendiculaires, le renversement de la courbure, par exemple, quand il est possible ; vous savez que ce renversement ne peut avoir lieu par les seules extensions.

L'inclinaison de l'arc lombaire, que vous avez vue disparaître par les extensions, n'est pas seulement effacée par les pressions latérales; on va jusqu'à la retourner; après avoir changé la courbure lombaire oblique en une courbure verticale, on la rend oblique en sens contraire. Ce mouvement se passe, à la vérité, en grande partie dans l'articulation du bassin avec le rachis.

Les pressions seraient encore plus puissantes si l'on pouvait saisir la colonne vertébrale comme on saisit le pied ou la jambe. Mais, si l'on veut agir immédiatement sur le rachis, on n'a de prise que sur le sommet des apophyses épineuses. Suivant M. Mellet (1), en agissant sur ces apophyses à l'aide des doigts, qu'il faut alors enfoncer dans les gouttières vertébrales, on parviendrait à exercer un certain effort de redressement ; mais, pour obtenir un résultat sensible, il faut que la déformation soit très-peu avancée et que l'épine conserve une très-grande souplesse. "Werner, médecin allemand que j'ai déjà cité, me paraît avoir confondu l'effet direct de la pression, qu'il pratiquait sans aide à peu près de cette manière, avec l'attitude que ies malades sont portés à prendre clans cette manœuvre en se courbant latéralement dans le sens indiqué par l'action des doigts (2). Sans cela il n'aurait

(1) Manuel a"orthopédie. Paris, 1835, p. 207.

(2) Werner, Grundznge, etc., on Principes d'orthopédie. Berlin, 1852, lre partie, p. 133.

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pas, à coup sûr, donné autant d'importance à ce procédé manuel.

Dans l'impossibilité où l'on se trouve ordinairement d'cgir avec quelque efficacité sur les apophyses épineuses, seule partie des vertèbres accessible à l'extérieur, on est obligé de presser sur le rachis par l'intermédiaire des côtes, des épaules, du bassin, des masses musculaires des lombes, et même des viscères mous de l'abdomen. La mobilité de ces parties affaiblit l'effet des pressions, et la sensibilité de plusieurs d'entre elles, les ménagements nécessaires pour ne pas les léser, réduisent encore les efforts que l'on peut exercer sans risque. Une lésion mortelle du colon iliaque succéda, dans les premiers temps de l'orthopédie moderne, à la pression trop forte et trop continue du flanc gauche chez la fille d'un savant célèbre.

Les courbures multiples et à peu près égales cèdent moins aisément aux pressions qu'une courbure unique ou dominante, parce qu'il est fort difficile d'incliner le rachis deux fois en sens contraire. Vous voyez sur cette enfant, atteinte de courbure sigmoïde, qu'en voulant renverser une courbure, nous ne pouvons en même temps redresser l'autre. Cependant, en équilibrant les pressions vis-à-vis des deux convexités et aux deux extrémités de l'S, on ramène plus ou moins les apophyses des deux courbures vers la ligne médiane, de même que par les extensions, si la déformation n'est pas trop considérable ou trop ancienne ; on ajoute même quelque peu aux effets de l'extension, lorsqu'on fait concourir les deux genres d'efforts.

Les pressions ou tractions latérales opposées, considérées au point de vue du redressement du rachis, sont, en définitive, plus efficaces que tous les moyens que j'ai examinés jusqu'ici; elles remplissent particulièrement, d'une manière moins imparfaite, l'indication de déprimer les parties constituantes du rachis du côté de la convexité des courbures.

La plupart des médecins qui se sont occupés d'orthorachidie, ont compris la nécessité de cette dépression mécanique pour obtenir la restauration des formes du rachis ; ils ont vu que le moyen de l'effectuer était la flexion de l'épine en sens inverse de ses courbures, et plusieurs ont cru parvenir à réaliser cette flexion ; leurs procédés se réduisent à des pressions latérales. Mais il faut bien le dire, ce moyen de renverser, de fléchir en sens inverse

une courbure par déformation du rachis, est encore la pierre phi-losopkate de l'orthopédie ; sans renoncer à le découvrir un jour, ne nous abusons pas sur la valeur des procédés connus, ne leur demandons pour le moment que d'amener la colonne vertébrale à la rectitude et de l'y maintenir.

En même temps que les pressions sont dirigées de manière à changer la direction de la colonne vertébrale, on les fait agir de façon à combattre directement la déformation du thorax, déjà diminuée par le redressement du rachis. Si, sur l'un de ces enfants, nous appliquons fortement la main sur la saillie postéro-latéralc des côtes droites, pendant que la poitrine repose sur leur saillie antéro-gauche, ou bien si, l'enfant étant sur le dos, nous passons une main sous la gibbosité dorsale en appuyant de l'autre sur la saillie antéro-gauche, vous aurez une idée de ce mode d'action des pressions latérales. Elles placent le thorax déformé, allongé suivant un de ses diamètres obliques, entre deux forces situées aux deux extrémités de ce diamètre; elles tendent donc à le resserrer dans ce sens et à l'agrandir dans le sens du diamètre oblique opposé, accidentellement réduit. Le poids du corps rend la pression plus forte sur la convexité postéro-droite, et cela est avantageux ; car la saillie des côtes est beaucoup plus prononcée et plus résistante en arrière qu'en avant. Les cartilages cèdent sous la main au niveau de la gibbosité antérieure, tandis qu'on ne voit pas la saillie postérieure modifiée immédiatement par la pression ; ce n'est qu'à la longue que cela peut avoir lieu.

S'il n'existe pas de saillie antérieure ou si elle est médiane, la pression antérieure se pratique sur le sternum ou déborde un peu cet os de chaque côté. On la fait porter spécialement à droite dans les cas rares où la convexité exagérée des côtes est située du même côté en avant et en arrière.

L'efficacité de ces pressions , pour rétablir la forme du thorax, serait certainement très-grande si sa circonférence était homogène et douée partout de la même élasticité. Malheureusement il n'en est pas ainsi; les articulations des côtes, leurs cartilages, résistent moins que ces os eux-mêmes, et cette disposition anatomique borne le pouvoir des pressions sous ce rapport. N'oublions pas non plus que la déformation des côtes droites et gauches n'est qu'un effet de la courbure de l'épine et surtout de sa torsion, qu'elle ne

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peut disparaître complètement qu'avec ses causes. Or, quelques tentatives que l'on ait faites, on n'a pas encore trouvé de moyen de remédier directement à la torsion ; elle ne diminue qu'avec la courbure du rachis. Ce que nous savons de ses causes anatomiques rend aisément compte de ce fait.

Il est facile de comprendre que les pressions latérales, pratiquées en avant et en arrière au niveau du thorax, viennent en aide à la contre-extension; en fixant la partie supérieure du tronc, elles le retiennent et l'empêchent en partie d'obéir à la traction exercée sur le bassin. Elles diminuent, en conséquence, l'effet de l'extension sur la région cervicale et sur le haut de la région dorsale, et elles parent aux inconvénients d'une traction trop forte sur la tête ou sur les aisselles. Elles font porter plus spécialement l'effort extenseur sur le bas du rachis : c'est en cela uniquement que consiste ce qu'on a nommé ta localisation de Vextension.

On n'a guère moins varié les appareils de pression et de traction latérales, pendant le décubitus, que les appareils d'extension ou de traction longitudinale.

Deux systèmes sont ici en présence : dans l'un, le tronc est pris dans des entraves fixes, faisant corps avec le plan qui le supporte, et tout à fait inflexibles; dans fautre, les pièces d'appareil sont simplement posées sur le lit, mobiles et fixées par des ressorts qui se prêtent aux mouvements du malade. Je préfère ce second système ; on lui a reproché sa mobilité ; on peut reprocher au premier son invariabilité.

Obligé de me limiter, je ne m'arrêterai donc pas à vous décrire les appareils à pression fixe, les gouttières de Récamier, de M. Bonnet, etc., espèces d'auges dans lesquelles on immobilise les malades, l'appareil dit à extension sigmoïde , machine assez complexe, dont l'effet répond peu à sa complication et surtout au nom qu'on lui a donné (1). Je ne vous présenterai, comme exemples des appareils de pression , que ceux dont je fais habituellement usage.

Des pelotes de pression, des bandes de peau ou de cuir mince, de longs ressorts fixés aux bords du lit, telles sont les pièces qui composent ces appareils ; vous les avez sous les yeux.

(1) Voy. J. Guérin, Sur l'extension sigmoïde et la flexion, dans la Gazette médicale, 1838.

Les pelotes remplacent la main qui embrasse la convexité postérieure des côtes ou la saillie répondant à la convexité lombaire. Elles sont plus ou moins fermes, plus ou moins larges, plus ou moins bombées ou excavées, suivant l'âge des sujets, la forme de la partie et son degré de sensibilité. Les plus douces sont supportées par ces plaques doubles dites à soufflet, dont la pression est amortie par des ressorts placés entre leurs deux lames métalliques. Les plus dures sont des tampons en crin très-serré, soutenus par une plaque de tôle. On commence au besoin par des pelotes très-douces et très-creuses, et on les change progressivement, s'il y a lieu, pour augmenter leur résistance et leur hauteur. Ces pelotes sont fixées sur le lit de manière qu'on puisse les avancer plus ou moins sous le corps, pour les faire presser avec plus ou moins de force.

On ne met qu'une pelote dans les courbures dorsales principales. Elle doit porter obliquement, et presser à la fois d'arrière en avant et de dehors en dedans. Elle réunit de cette manière les deux modes d'action indiqués, en appuyant sur la convexité exagérée des côtes perpendiculairement à leur surface, et en repoussant, par leur intermédiaire, le milieu de la convexité de la courbure du ra-chis. Si la pression était tout à fait postérieure, elle agirait très-peu sur cette courbure ; si elle était directement latérale, elle tendrait à augmenter la flexion des côtes et leur saillie du côté du dos.

Dans les courbures lombaires principales, la pelote est disposée de la même façon à l'égard des dernières côtes et de la masse charnue des lombes; elle s'étend sur le côté, dans l'espace compris entre les fausses côtes et la crête iliaque. On ne la fera pas presser trop fortement, en raison de la mobilité des fausses côtes et de la sensibilité des parties molles qui la séparent du rachis.

S'il y a deux courbures égales, on emploie deux pelotes; mais on n'en place d'abord qu'une seule, afin d'agir toujours par degrés.

La pression antérieure se fait au moyen de cette large bande de peau douce, solidement fixée sur le lit h une petite distance du corps, et dirigée de manière à presser uniquement dans le point voulu, qui est ordinairement le côté antéro-gauche au-dessous du sein. Si la pression doit s'étendre plus haut, on se sert d'une bande plus large, percée d'une ouverture à la hauteur du sein chez les filles. On n'applique cette bande que lorsque les sujets sont habi

lues à la pression des pelotes produite par le seul poids du corps.

Les tractions latérales, opposées à la pression de la pelote pos-téro-latérale dans la déviation dorsale dominante, s'opèrent à l'aide de ces autres bandes de peau. Pour le bassin, rien de plus simple: cette courroie, large dans son milieu, embrasse la hanche du côté concave de la courbure ; ses deux extrémités, ramenées du côté opposé, se fixent au bord du lit et, par l'intermédiaire du bassin, tirent en travers sur l'extrémité inférieure de la courbe. Une bande semblable pourrait embrasser l'épaule et le thorax du même côté, et tirer parallèlement à la première courroie sur l'extrémité supérieure de la courbure; mais, afin délaisser plus de liberté aux mouvements du bras, je donne ordinairement à cette seconde bande ou épau-lette la forme d'une croupière, dans laquelle on passe le membre supérieur, et qui agit sur le haut du thorax de la même manière.

Si la courbure principale est lombaire, ses extrémités sont repoussées en sens inverse de son milieu au moyen d'une bande pelvienne et de la pelote de la région dorsale ou d'une bande qui en remplit l'office.

Dans la courbure double, les deux pelotes qui agissent sur le milieu des arcs servent en même temps de moyens de répulsion pour leurs extrémités voisines ; les extrémités opposées sont tirées par l'épaulette et la bande pelvienne.

Les ressorts sont ceux du lit de Heine, de "Wurzbourg, quand les ressorts des plaques à soufflet deviennent insuffisants. Ce sont de longues barres d'acier trempé, un peu recourbées, et pouvant être redressées en vertu de leur élasticité ; on les place verticalement dans des douilles plates fixées aux bords du lit. Les longues courroies des plaques à pelote simples, de la large bande pectorale et de l'épaulette, se bouclent à l'extrémité de ces ressorts, qui tendent ou soulèvent plus ou moins ces pièces selon le degré de constriction des courroies.

Les pressions élastiques qui résultent de cette disposition sont évidemment plus douces et plus faciles à supporter que des pressions fixes. Les mouvements respiratoires, en particulier, en sont moins gênés; les ressorts cèdent à l'effort des muscles à chaque inspiration.

Les appareils de pression sont habituellement associés aux extensions; mais on peut aussi les employer seuls. Tout en observant

dans leur usage la même gradation que pour les extensions, on tâche de les faire supporter le plus longtemps possible et, s'il se peut, la nuit ou une partie de la nuit, comme aux heures de coucher du jour, en diminuant seulement leur action pendant le sommeil. On veille d'ailleurs avec soin à leurs effets immédiats sur les viscères de la poitrine et de l'abdomen, notamment sur les poumons , le cœur et l'estomac, et l'on n'augmente la pression et la constriction qu'autant que ces organes n'en ressentent aucune atteinte.

6. Moyens mécaniques employés dans la station. — Ces moyens agissent, comme les précédents, par extension ou par pression, ou bien ils réunissent à la fois ces deux modes d'action.

Io Suspension verticale. — L'extension verticale par la suspension passive, comme avec l'escarpolette de Glisson ou le collier de Nuck, est à peu près abandonnée. Ce n'est que chez les très-jeunes enfants qu'il peut être avantageux de soulever souvent le corps parles mains, par les coudes, par-dessous les bras, dele tenir ainsi suspendu, de le balancer de bas en haut ou horizontalement , en faisant de cela un jeu qui devient un exercice passif utile. On peut même soulever l'enfant par la tête, lui faire , comme on dit vulgairement, voir son grand-père, pourvu qu'on se rappelle cette mort survenue, au rapport de J. L. Petit (1), chez un enfant qui s'agita violemment dans cette attitude. On n'a pas besoin d'appareil dans ces circonstances; les mains suffisent, et les parents eux-mêmes peuvent pratiquer ces manœuvres.

2° Extensions et pressions avec tes mains dans la station. — On a cherché à produire , au moyen des appareils, une demi-suspension, celle des parties supérieures, à les attirer en haut, à les soulever dans la station , pour étendre et redresser le rachis.

L'action des mains va encore nous permettre de nous rendre compte de l'influence immédiate de cet ordre de moyens.

Nous soulevons avec les mains, sur ces enfants, soit la tête, soit les membres supérieurs et le haut du thorax, sans détacher les pieds du sol ou le bassin du siège, quand le sujet est assis. Il en résulte un léger redressement; l'épine est soulagée d'une partie du

(1) Maladies des os, 1741, t. Ier, p. 66.

fardeau dont elle est chargée; mais l'effet est moins marqué que dans la simple position horizontale. Il n'y a pas là d'extension à proprement parler : c'est plutôt une sustentation partielle, qui, en diminuant l'action de la pesanteur, rend un peu moindre l'augmentation des courbures dans la station.

On produit moins d'effet, dans ces expériences, en agissant sur la tête que sur les membres supérieurs. Aussi les appareils à arbre suspenseur de la tête, comme celui de Levacher et les minerves modernes, appareils d'ailleurs très-gênants, ne sont-ils en usage que pour la région cervicale ou dans des cas exceptionnels de courbures cervico dorsales.

Le soulèvement des membres supérieurs par les mains placées sous les aisselles, a l'inconvénient d'élever d'autant plus les épaules que la sustentation est plus complète ; la hauteur des épaules devient extrême si l'on veut soulever en même temps le haut du thorax, et produire un commencement d'extension sur la colonne dorsale.

Cherchons à apprécier de la même manière l'effet des pressions dans l'attitude de la station.

Soit, comme sur cette jeune fille de treize ans, une courbure dorsale principale à droite, parvenue à la troisième période, c'est-à-dire accompagnée d'obliquité de l'arc lombaire. Nous faisons agir les mains sur trois points, — comme clans la position horizontale , — sur la convexité des côtes droites, sur la hanche gauche et sur l'épaule gauche ou sur le côté correspondant du thorax, au-dessous de l'aisselle. Nous effaçons en grande partie l'inclinaison de la courbe lombaire ; nous rapprochons de la ligne médiane le milieu de la courbure dorsale ; il se produit en un mot un effet comparable à ce que nous avons déjà vu dans les attitudes du premier ordre d'exercices et dans les pressions pendant le décubitus. Mais il faut de plus grands efforts que dans la position horizontale, et l'effet est moindre. Cela se comprend, puisqu'on lutte ici beaucoup plus désavantageusement contre l'action de la pesanteur.

Sur les sujets souples , sur cette enfant, par exemple, on peut, comme dans la position horizontale, pousser le redressement de la corde, — non pas de l'arc, — de la courbure lombaire, jusqu'à donner à cette courbure une obliquité inverse, en inclinant son extrémité supérieure à gauche. Cela change tout l'aspect du tronc:

la courbure dorsale paraît beaucoup diminuée et la lombaire augmentée; la déviation, qui était dorsale principale, semble transformée en une lombaire principale, le plus souvent moins choquante. On a appelé cela renverser les courbures, ce qui, vous le voyez, n'est pas tout à fait exact. L'articulation de la dernière lombaire avec le sacrum, quelquefois celle des quatrième et cinquième lombaires, les articulations des vertèbres intermédiaires aux deux courbures, sont seules le siège de ce prétendu renversement, qui ne retourne que l'inclinaison de la courbure lombaire.

Dans les courbures lombaires principales, les pressions latérales, dans la station, produisent un redressement moins marqué, pour peu que la déviation soit prononcée.

On prévoit que les courbures sigmoïdes cèdent encore plus difficilement; ce n'est que dans les déviations commençantes que des pressions opposées, analogues à celles que l'on pratique sur les lits, diminuent légèrement les deux courbures, comme vous le voyez sur cette enfant.

L'association des extensions aux pressions, dans la station, ajoute peu à l'effet produit.

D'après ces faits, on peut établir à priori que les moyens mécaniques employés dans la position verticale, quoique utiles dans certaines limites, satisfont plus imparfaitement que les moyens analogues, appliqués dans la position horizontale , aux indications essentielles du traitement de la scoliose; ils n'opèrent, en particulier, qu'à un degré encore moindre la flexion inverse et la dépression du rachis à la convexité des courbures.

Un seul phénomène, l'inclinaison de la courbure lombaire dans les déviations dorsales principales, peut, dans certains cas, céder aux pressions latérales avec la même facilité dans la station et dans le décubitus. On donne même alors plus d'étendue à l'inclinaison inverse par les pressions, dans l'attitude verticale, que par les extensions employées seules dans la position horizontale.

Je suppose, dans cette appréciation , que les appareils agissent comme les mains; mais il s'en faut que, dans la station, il en soit toujours ainsi.

'ó° Fauteuils ortîiorachidiques, supports divers. — A l'exemple de Levacher et de son homonyme Levacher de la Feu

trie (1 ), quelques modernes ont pris un point d'appui sur des sièges ou fauteuils pour leurs appareils de pression et d'extension ou plutôt de sustentation (2). Ce genre de machines condamne à l'immobilité comme les lits, et il est beaucoup moins supportable; on y a à peu près renoncé. On se sert seulement, avec quelque avantage, de sièges à béquilles qui supportent le tronc sous les aisselles; on ne les emploie que pendant de courts instants, à cause de la compression du plexus brachial qu'ils peuvent produire.

Certains supports mécaniques, quoique ayant un point d'appui hors du corps, accompagnent les sujets dans la progression. Les lisières, les chariots qui soutiennent les enfants sous les bras, agissent de cette manière et conviennent dans la scoliose du bas âge.

Les béquilles portées par les malades eux-mêmes constituent le meilleur support de cette espèce que je connaisse. Vous en jugerez vous-mêmes sur ces enfants, quoique, n'en ayant jamais fait usage, ils sachent à peine s'en servir. Vous voyez qu'en donnant à ces supports une hauteur convenable et non exagérée, en apprenant aux sujets à se souleyer sur les poignets, on évite de donner trop d'élévation aux épaules. Vous remarquez, sur le dos à nu , que la suspension sur les mains produit ici une véritable extension, comme dans les exercices du deuxième ordre ou avec suspension du corps. C'est une gymnastique tout à fait appropriée au redressement du rachis, et qui pourrait à la rigueur dispenser de toute autre. Dans la progression seulement, le corps reste sans soutien au moment où les béquilles sont portées en avant; c'est un instant très-rapide, qui rend l'extension intermittente. La compression du plexus brachial n'a pas lieu dans ce cas comme avec le siège à béquilles, parce que la sustentation ne se fait pas sous les aisselles.

!i° Appareils portatifs. — Mais presque tous les appareils de sustentation ou de pression qui appartiennent à cette catégorie sont fixés,- comme les vêtements, sur le corps du malade; ils y prennent leur point d'appui. On les confond généralement sous le nom

(1) Loc. cit., p. 362.

(2) Voy. Mayor, Dèligation chirurgicale, p. 225, 1832; Delpech, Orthom., t. II, p. 369, et Atlas, p. 104; Humbert et Jacquier, Traité des difformités, t. IV; etc.

de corsets. Cependant ils forment deux ordres distincts. Les uns sont effectivement des corsets d'étoffe , munis de quelques parties rigides qui changent peu la nature de ce vêtement. Les autres sont de véritables machines orthopédiques ; on leur donne souvent le nom de ceintures, parce qu'ils ont presque toujours pour base une partie circulaire fixée autour du bassin.

Les corsets proprement dits, utiles comme moyen prophylactique, sont un moyen de redressement peu efficace. C'est à peine s'ils s'opposent aux progrès de la déviation. Le tronc glisse, s'affaisse, se déverse sous leur enveloppe trop souple pour résister aux inclinaisons des vertèbres. Cependant on leur donne plus de puissance en y ajoutant des tuteurs, lames d'acier peu flexibles, surmontées ou non de petites crosses qui soutiennent le dessous des bras. Au moyen de ces lames et d'autres pièces rigides diversement recourbées, on fait aussi presser les corsets latéralement en sens contraire vis-à-vis le sommet et les extrémités des courbures et, si on les redresse peu, on soutient du moins le rachis et on empêche assez souvent les déviations commençantes de s'accroître.

(1) Les machines orthorachidiqucs portatives, ou les ceintures et corsets orthopédiques, ont pour but, comme l'effort des mains, tantôt de soutenir et de soulever les membres supérieurs et le haut du thorax, tantôt de presser latéralement, d'incliner le tronc en sens inverse des inclinaisons vicieuses du rachis, souvent d'agir tout à la fois suivant l'un et l'autre mode. Je vous ai dit qu'on avait à peu près renoncé à faire agir ces appareils sur la tête et le cou dans la scoliose dorso-lombaire.

Les supports mécaniques du tronc placés sous les vêtements sont ordinairement désignés sous le nom de tuteurs, par comparaison avec les supports employés dans le jardinage pour soutenir ou redresser les jeunes arbres.

On s'est servi, comme tuteur, d'une sorte de demi-cuirasse analogue au corceietàe A. Paré, modelée sur le dos, les hanches et les aisselles, et faite d'un fort cuir ou de lames d'acier minces croisées les unes sur les autres. Un morceau de cuir semblable est

(1) Quinzième leçon, 28 août 1857.

quelquefois placé sur le côté, entre la hanche et l'aisselle. Joerg (1) faisait cette pièce en bois de tilleul; on préfère généralement des tiges d'acier étroites terminées par des croissants qui soutiennent le dessous des épaules comme dans un appareil décrit par Portai en 1772 (2). C'est la béquille, véritable tuteur du tronc, réduite pour s'appuyer sur le tronc même.

Une autre disposition dérive de la croix de Lorraine, qu'on rapporte à Heister (3), quoiqu'il ne s'en attribue pas l'invention et qu'en effet les croix de fer lui soient antérieures, puisque Dionis (4) en parle déjà comme d'une chose connue. Dans les appareils de ce genre, une lame d'acier règne le long du rachis et porte des branches transversales sur lesquelles les épaules étaient autrefois fixées par des courroies, et qui, aujourd'hui, supportent les croissants placés sous les bras, comme vous le voyez sur ce modèle. On a supprimé le haut de la croix qui portait un collier. M. F. Martin emploie encore habituellement ce genre de tuteur.

Quelle que soit la disposition des tuteurs, leur partie inférieure doit trouver un point d'appui solide sur le bassin. Pour cela, on les fixe sur une ceinture qui embrasse les hanches au-dessous des crêtes iliaques et qui s'attache par devant, plus rarement en arrière. Cette ceinture est quelquefois élastique et souple comme un ressort de bandage herniaire; d'autres fois, c'est une simple bande de cuir matelassée comme la ceinture des lits à extension, ou un cercle métallique étroit, léger, mais assez résistant, garni d'un coussin du côté où il touche le corps. Il est bon qu'elle soit un peu évasée inférieurement pour s'adapter à la forme des hanches. Il faut des soins particuliers, dans sa construction et dans son application, pour éviter de froisser la peau ou les nerfs sous-cutanés vers le bord antérieur de l'ilium, de trop comprimer l'abdomen, et pour lui assurer une position fixe. Il est souvent difficile de l'empêcher de descendre trop bas chez les enfants, surtout chez les garçons ; on ajoute alors, vis-à-vis des hanches, des

(1) Ueber die Verkrümmungen, etc., ou Sur les courbures. Leipzig, 1816, p. 108.

(2) Mèm. de l'Acad. des sciences, 1772.

(3) Chirurgie, etc., en allem., Nuremberg, 1718, et Instit. dechir., trad. franc., Avignon, 1770, t. III, p. 203.

(4) Cours d'opérations, 1708, p. 327.

espèces de coques, de goussets en peau douce, tels que ceux-ci, qui appuient sur les crêtes iliaques, ou bien on emploie une ceinture lacée, ou enfin on adapte.les tuteurs à un corset. Une précaution essentielle, qui n'est pas toujours observée par les mécaniciens, est de ne pas faire les ceintures métalliques trop massives , de proportionner leur force et leur poids à l'âge et à la force des sujets. Voici deux échantillons de ce que peut produire l'oubli de ce principe. Celte ceinture à tuteurs est du poids de plus de trois kilogrammes ; elle était appliquée à des jeunes filles, il y a quelques années, dans un établissement qui a joui d'une certaine vogue.

Les croissants ou crosses des tuteurs sont fixés par des courroies ou épaulettes qui font le tour des épaules; des courroies transversales les maintiennent au besoin d'un côté à l'autre. Ces croissants doivent avoir peu d'épaisseur pour se loger facilement entre le haut du bras et le tronc ; leur garniture doit être assez douce ou assez élastique pour ne pas froisser les parties molles de cette région.

Les tuteurs sont ordinairement composés de deux pièces à glissement, à coulisse, pour pouvoir se hausser et se baissera volonté.

Vous savez déjà, d'après les résultats des efforts avec les mains, ce que l'on peut attendre de ce genre de supports. Ils sont utiles dans certaines limites; ils diminuent la pression du rachis en transmettant directement au bassin une portion du poids des parties supérieures ; ils peuvent servir à relever une épaule basse , à abaisser une épaule haute, à soulever un peu les côtes et même les vertèbres du côté concave des courbures. Leur action ne saurait être puissante, parce que les omoplates sont trop mobiles ; les muscles s'allongent plutôt que le rachis ne cède, quand on veut faire agir les tuteurs avec trop de force, et les épaules s'élèvent d'une manière disgracieuse. L'excès de pression des croissants a aussi des inconvénients pour les parties molles de l'aisselle, et surtout pour la veine axillaire et le plexus brachial. On ne peut donc exercer par ce moyen que des efforts très-modérés. Les béquilles appuyées au sol, employées comme je l'ai fait voir, ont plus de puissance; les tuteurs ont seulement sur elles l'avantage de la continuité d'action. On se trouve bien, dans certains cas, de l'usage simultané des béquilles et des tuteurs permanents.

On a supposé autrefois que la pression circulaire du bassin par ce

genre d'appareils pouvait nuire à son développement chez les jeunes

fdles. Je ne connais pas de fait qui justifie cette crainte.

Les appareils à pression latérale ont pour principal moyen d'action une ou plusieurs pelotes ou plaques métalliques minces, ou des bandes de toile, de peau, de caoutchouc, appliquées sur les côtes saillantes, vis-à-vis la convexité des courbures. Les pelotes sont fixes sur les tuteurs ou articulées avec eux, de manière que l'on gradue la pression avec des vis. Les bandes, fixées par une de leurs extrémités sur un tuteur ou un montant analogue, ou bien sur un corset, s'attachent par l'autre extrémité sur un tuteur opposé ou sur la ceinture. Ces pressions agissant suivant une double direction, comme les pelotes des lits, il leur faut un point d'appui antérieur, qui leur est fourni par des bandes fixées au-devant de la poitrine et de l'abdomen ou par un demi-corset allant d'un tuteur à l'autre. Les efforts latéraux en sens contraire qui concourent avec l'effort exercé sur la convexité du rachis, sont opérés par les deux extrémités du tuteur correspondant à la concavité, et au moyen de la résistance de la ceinture sur laquelle ce tuteur est fixé.

Dans la courbure dorsale principale à convexité droite, il suffit d'une pièce de pression à droite, avec ou sans tuteur de ce côté, et d'un tuteur à gauche.

Il importe dans ce cas, de même que dans la courbure inverse à convexité gauche, que l'appareil s'oppose à l'inclinaison de l'arc lombaire qui caractérise celte forme dans la troisième période de la scoliose. On ne se contente pas pour cela de ramener à la verticale la corde de cette courbure lombaire, on l'incline autant que possible en sens contraire. Vous savez qu'on y parvient assez facilement, lorsque l'épine n'offre pas trop de résistance, en repoussant fortement le tronc à gauche; on le maintient dans cette position par la pression de l'appareil sur le côté droit.

La ceinture à levier de M. Hossard, dont vous avez sous les yeux plusieurs modèles, a été faite pour ce résultat particulier. Elle presse sur le côté bombé, supposé à droite, à l'aide d'une large courroie en spirale, que supporte du côté du dos une tige médiane inclinée à gauche, qui est le levier. Cette courroie, après avoir contourné le côté droit, vient se boucler en avant sur la ceinture ou sur un petit montant qui lui est adapté.

Tout autre mécanisme produit un effet semblable, pourvu qu'il

presse d'une manière quelconque sur le côté droit, de façon à empêcher le tronc de revenir à sa première position. Il y a même quelques inconvénients propres à la ceinture à levier, tels que la pression excessive de la courroie sur le flanc droit, la facilité avec laquelle le levier se déplace, etc. Je préfère incliner simplement le tuteur qui porte la plaque de pression, dont on règle d'ailleurs l'action au .moyen d'une vis, de manière à soutenir et à repousser le côté droit du tronc comme avec une main qui lui serait plus ou moins fortement appliquée.

Cependant, il faut le dire, aucun de ces appareils ne remplace parfaitement l'effort de la main. La ceinture, à laquelle ils empruntent en définitive toute leur puissance, cède à l'effort du tronc et se dérange; dès lors l'action s'affaiblit ou s'évanouit, il faut replacer l'appareil. Comme la ceinture éprouve, dans ce cas, un mouvement de bascule qui la fait remonter du côté gauche, on a cherché à la retenir avec des sous-cuisses, déjà employés dans un but analogue par Fabrice de Flilden (1) et par d'autres; mais la constriction d'un sous-cuisse aussi serré qu'il le faudrait n'est pas supportable. On a fixé la ceinture à des tiges métalliques attachées par des courroies le long du membre inférieur ; mais, outre qu'il en résulte une assez grande gêne, cette précaution est à peu près sans effet dans la position assise, et l'appareil est encore sujet à se déranger. Ces points d'appui pris sur le membre inférieur sont d'ailleurs insuffisants, parce que la force avec laquelle le tronc s'incline latéralement enlève le membre lui-même et le détache du sol, ce qui ajoute la claudication à la scoliose, sans remédier à cette dernière. Le mieux est de ne pas demander à ces appareils plus qu'ils ne peuvent donner, et de ne les faire agir que dans les limites imposées par le degré de fixité que l'on peut assurer à la ceinture.

Dans la courbure lombaire principale, dans les courbures doubles avec égalité des deux arcs, les tuteurs portent deux pelotes qui pressent en sens inverse et se fournissent un point d'appui mutuel. On les fait agir inégalement dans le premier cas, également dans le second. La ceinture, placée alors entre deux impulsions contraires, a peu de tendance à se déplacer, et l'action de l'appareil

(1) Observations chirurgiques, trad. du latin. Genève, 1669, p. 335.

pourrait être portée très-loin, si l'on n'était arrêté par les obstacles que j'ai signalés à l'occasion des pressions pratiquées dans la position horizontale.

Il est clair que la ceinture à levier n'est que d'une médiocre utilité dans ces courbures lombaires et sigmoïdes; elle peut même nuire en exagérant les courbures inférieures ou en favorisant une inclinaison à droite, si la courroie est appliquée sur la convexité lombaire gauche. Étendre son usage à ces formes spéciales est un contre-sens dont les praticiens n'ont pas toujours su se garantir. Il faudrait deux courroies agissant en sens opposé, et alors l'action de l'appareil ne différerait point de celle de tous les appareils connus. Je ne m'arrête pas à la supposition que la courroie, placée sur la convexité dorsale et attirée à gauche par le levier, redresse la courbure lombaire en renversant le tronc à gauche, et que l'effort des muscles pour reporter le haut du tronc à droite redresse alors la courbure dorsale. Vous avez vu, et vous pouvez constater encore sur ces enfants, qu'il ne se passe rien de pareil dans ce mouvement horizontal du tronc de droite à gauche, qu'il ne faut pas confondre avec la flexion latérale ou le renversement du rachis sur le côté gauche.

On tombe quelquefois dans un défaut contraire à l'égard des courbures doubles, mais non égales, auxquelles on croit devoir appliquer deux pressions vis-à-vis les deux gibbosités. La pression inférieure devient nuisible dans ce cas, pour peu que la courbure dorsale tende à devenir prédominante, comme cela a lieu le plus souvent; celte pression favorise l'inclinaison de l'arc lombaire. Il faut alors se borner à la pression sur la convexité dorsale ; celle circonstance peut se présenter dans le cours du traitement si, malgré son emploi, la courbure sigmoïde tend à passer à la troisième période, à se convertir en dorsale principale. Il est bon d'être prévenu de ce fait afin de modifier à temps les appareils.

Nous allons faire l'application de ces principes à plusieurs enfants qui portent des ceintures ou des corsets orthopédiques. Nous pourrons nous assurer de visu de la manière d'agir de ces appareils, apprécier leur degré d'utilité, et reconnaître en même temps leurs inconvénients et leurs défauts.

Ier cas. — Jeune fille affectée dp courbure dorsale prédomi-

nante. Elle porte depuis cinq mois un appareil à levier fabriqué par M. Lebelleguic, mécanicien orthopédiste du bureau central. Tant qu'elle conserve l'appareil, il y a une amélioration momentanée; mais on n'a pas pu obtenir l'inclipaison en sens inverse qui est si nécessaire. Lorsque l'on ôte l'appareil, l'inclinaison se reproduit tout entière. Vous voyez que la ceinture a de la tendance à remonter du côté gauche ; le tuteur, qui s'oppose en partie à ce mouvement, comprime l'aisselle gauche, gêne la circulation du bras, et y détermine des engourdissements et des crampes. En avant, la courroie, qui est bouclée sur la ceinture même, comprime l'abdomen. Il sera nécessaire de modifier cet appareil.

IIe cas. — Jeune fille de treize ans et demi, affectée d'une gib-bosité dorsale droite avec inclinaison. Cette malade est remarquable par sa souplesse extrême et par la facilité avec laquelle on redresse le tronc. Elle porte son appareil depuis six semaines, et ce n'est pas sans fruit, car l'inclinaison reste notablement diminuée lorsqu'elle le quille. Celui-ci a été construit, sur mes indications, par M. Jules Martin. Il est léger, ne cause aucune gêne ; la bande est remplacée par une plaque; les tuteurs, terminés par des crosses plus molles et élastiques, ne compriment pas douloureusement le creux axillaire. Mais on n'a pu échapper au vice inhérent à tous ces appareils : la ceinture tend à remonter du côté gauche, et l'on ne saurait s'opposer complètement à ce mouvement ; il faut que le cercle soit souvent redressé.

IIIe cas. — Jeune fille de treize ans, affectée d'une courbure dorsale principale. L'appareil employé est ici un simple corset lacé, garni de tuteurs en acier. Il corrige assez bien l'inclinaison, mais il ne fait pas pencher la région lombaire en sens inverse; dès qu'on ôte l'appareil, la malade reprend son inclinaison primitive.

IVe cas. -—Jeune fille de quinze ans. Déviation double à courbure dorsale plus prononcée. Cette enfant porte un appareil à levier qui paraît bien fonctionner. Il n'y a pas de douleurs, et l'inclinaison est suffisamment corrigée. Dans ce cas, il ne faudrait pas appliquer de pression sur la convexité lombaire, car il y a déjà un commencement d'inclinaison à droite qui serait augmentée par cette manœuvre.

bouvier 33

Je ferai une seule remarque commune à tous ces enfants : c'est que leurs machines n'ont pas une force suffisante pour agir autrement que comme moyen palliatif.

En résumé, quoique inférieurs aux appareils qui agissent dans la position horizontale, les appareils mécaniques employés pendant la station peuvent rendre des services s'ils sont bien construits et convenablement appliqués. Les ceintures à pression et à inclinaison peuvent, dans certains cas, faire la base du traitement ; mais ces appareils sont surtout utiles, associés à d'autres moyens.

Le traitement mécanique de la scoliose est, en effet, presque toujours mixte; la plupart des méthodes curatives sont une combinaison des différents moyens que je viens de passer en revue. Les meilleures sont celles qui font la plus large part à la position horizontale. Est-ce à dire pour cela qu'il faille condamner tous les jeunes scoliotiques à un genre de vie qui, sans être bien pénible, leur est toujours plus ou moins antipathique? Assurément non. Il faut avoir égard aux circonstances de l'affection : si elle est à son début, il faut s'enquérir de sa marche, considérer les antécédents, l'état général, et proportionner les moyens au danger, à l'imminence des progrès du mal. Telle déviation est facilement arrêtée à sa première période par un léger soutien placé sous les vêtements, joint à des exercices appropriés, à quelques instants de décubitus journalier; telle autre augmente insensiblement ou s'accroît rapidement malgré tous les supports de la station, malgré les ceintures à pression ou à inclinaison latérale, malgré la gymnastique la plus savante ou la plus vantée. Le traitement mécanique horizontal, mitigé par l'exercice avec supports ou suspension, est alors la seule ancre de salut. Il ne faut pas trop tarder dans cette circonstance, car c'est surtout ici qu'on peut appliquer le précepte : Venitntvoccurrite morbo, allez au-devant du mal qui menace (1).

(1) Je n'ai rien dit ici d'un moyen chirurgical, d'une opération proposée contre la courbure de l'épine, de la myotomie rachidienne. Lorsque la ténotomie se répandit dans la pratique, il y a une vingtaine d'années, une analogie apparente donna l'idée d'appliquer aussi la section des muscles aux difformités du rachis. M. J. Guérin s'assura la priorité de cette idée

C. Traitement palliatif. — La scoliose devenue incurable par l'âge, le degré, l'ancienneté de la courbure, ne doit pas être

par un paquet cacheté déposé à l'Académie des science» le 6 mai 1838 (1), et la même année, M, Pauli (de Landau) conseilla, de son côté, cette opération (2). Enfin elle fut pratiquée et enseignée par son auteur, à l'Hôpital des Enfants, pendant plusieurs années. Elle fit des prosélytes à cette époque, et des médecins étrangers la répétèrent en Angleterre, en Allemagne et ailleurs.

On divisait, dans cette opération, le sacro-spinal en totalité ou' en partie, d'un côté ou des deux, tantôt plus haut, tantôt plus bas, en ne faisant qu'une petite ouverture à la peau, par la méthode sous-cutanée.

Ce que l'on sait de l'état des muscles dans la scoliose, des véritables obstacles qui résistent au redressement, condamne cette application de la ténotomie, si ce n'est dans des cas rares de courbures dépendant d'une véritable rétraction musculaire sans déformation primitive du rachis ; et il n'existait généralement rien de semblable dans les cas où on a opéré. Cependant on a invoqué des preuves cliniques de l'efficacité de ce moyen ; on a rapporté des observations de redressement après son emploi. Comment interpréter ces faits? D'une manière bien simple..

En lisant attentivement ces observations de myotomie rachidienne (3), on voit que les choses se sont passées exactement comme si l'opération n'avait pas eu lieu. Les moyens mécaniques employés concurremment avec la ténotomie ont agi comme ils l'auraient fait sans elle ; à eux revient tout l'honneur de la guérison, lorsqu'on l'a obtenue. On rapporte bien qu'une diminution immédiate des courbures a suivi de près les sections musculaires; mais on ne dit pas quelle diminution ces courbures pouvaient éprouver instantanément avant l'opération, et mes auditeurs ont été témoins plus d'une fois de la promptitude de ces modifications immédiates dans la direction du rachis, par le seul effet d'un changement d'attitude du tronc, aidé au besoin de légers efforts manuels.

Je ne m'étendrai pas plus longuement sur une méthode à peu près oubliée; je renverrai le lecteur, pour de plus amples renseignements, au tome X du Bulletin de l'Académie de médecine, où se trouvent un ilfe-moire de M. Malgaigne sur ce sujet, un Rapport de. M. Velpeau sur ce mémoire, et la discussion qui a suivi ce rapport.

(1) Gazelle médicale, 1841, p. 476.

(2) f. Pauli, Ueher den grauen Staar, etc., ou De la cataracte et des courbures. Stuttgard, 1838, p. 377.

(3) Voyez entre autres le Rapport sur les traitements orthopédiques de l'Hôpital des Enfants. Paris, 1848,

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abandonnée à elle-même ; il faut encore s'opposer à ses progrès ultérieurs et remédier, s'il se peut, aux troubles fonctionnels qu'elle entraîne. Il importe de prévenir la cyphose sénile qui peut s'ajouter à la scoliose.

Les fortifiants généraux ne sont certainement pas à négliger dans ce cas; mais il ne faut pas perdre de vue les indications mécaniques. Tout en entretenant le mieux possible la vigueur des muscles, et particulièrement celle des extenseurs du rachis, on est obligé de leur venir en aide au moyen de supports artificiels. L'usage des corsets est généralement indispensable aux sujets gib-beux des deux sexes. Un repos horizontal, prolongé ou répété de temps à autre, leur est souvent fort utile, surtout lorsque l'accroissement du corps en hauteur n'est pas terminé. La pression du squelette sur les viscères, sur les nerfs, sur les parties molles extérieures, cause de gêne, de douleurs, de diverses lésions fonctionnelles, est diminuée par l'emploi de ces moyens. La connaissance de ces faits est déjà ancienne. Marc-Aurèle Séverin (1) rapporte qu'une dame bossue ressentait à une cuisse de vives douleurs dont on la guérit en soutenant son épine. Portai (2) insistait sur ces particularités dès la fin du siècle dernier.

Il va sans dire que les individus gibbeux doivent éviter tout ce qui favorise la flexion du tronc en avant ou de côté, tout ce qui peut distendre les muscles spinaux ou augmenter la pression supportée par les vertèbres dans la station. Il ne faudrait pas non plus, pour soutenir ou allonger le corps, l'étendre, le soulever outre mesure, de manière à tirailler des parties habituées depuis longtemps à leur situation vicieuse ; il en résulterait de plus grandes souffrances que celles qu'on voudrait prévenir.

On redoublera de soins chez les femmes, à l'époque de la gestation et de l'accouchement ; la position horizontale pendant une partie du jour leur sera prescrite dans les derniers mois de la grossesse et après les couches, jusqu'à ce que l'on suppose que les ligaments ont repris toute leur solidité.

Résultats du traitement. — J'ai terminé l'exposition du

(1) Portai, Mémoires de l'Académie des sciences, 1772, et Observations sur le rachitisme, 1797, p. 343.

(2) Académie des sciences, 1772.

traitement de la scoliose ; il me reste à vous dire quels sont les résultats de ce traitement.

Deux éléments, vous l'avez compris, donnent naissance aux difformités de la scoliose : la mobilité des vertèbres, le changement de forme des pièces du rachis.

Or, tout ce qui dépend de la mobilité cède facilement aux moyens curalifs ; tout ce qui dépend de la déformation des vertèbres et de leurs annexes cède difficilement et incomplètement.

De là, la rapidité de certaines cures, l'extrême lenteur d'autres guérisons.

M. Maisonabe (1), après avoir pratiqué plusieurs années l'orthopédie, a proclamé l'incurabilité de la courbure latérale de l'épine; il avait pourtant observé et publié des cas assez nombreux de redressement plus ou moins complet du rachis (2); mais l'élément déformation ayant toujours plus ou moins persisté, il n'a été frappé que de ce résultat et n'a pas tenu compte de l'autre élément de la difformité.

L'art est tout-puissant contre les inclinaisons vicieuses des vertèbres produites par les mouvements de leurs jointures, et vous allez voir quels services ce seul mode d'influence rend déjà dans la courbure latérale du rachis.

L'inclinaison la plus étendue, la plus commune, la plus grave par ses suites, est celle de l'arc ou plutôt de FS dorso-lombaire à droite dans la forme ordinaire de courbure dorsale principale. Elle entraîne la partie inférieure du tronc d'un côté, et sa partie supérieure se rejette par compensation du côté opposé, ce qui aggrave considérablement la difformité.

Or, ce genre d'inclinaison diminue ou s'efface immédiatement,— vous l'avez vu dans plusieurs cas, — par l'effet de la seule position horizontale, de la suspension gymnastique, des extensions, des pressions et tractions latérales sur les lits, de la force d'inclinaison des ceintures orthopédiques, par le seul effet même de certains exercices, de certaines attitudes dans la station, par l'action de certains supports. Choisissez parmi ces moyens, combinez-les pour

(1) Mémoire établissant l'incurabilité de la dédation latérale droite de la colonne vertébrale. Paris , 1837.

(2) Journal clinique sur les difformités, 1825 à 1829.

les employer successivement, pour obtenir ainsi un effet continu, et ce qui n'était d'abord qu'instantané deviendra bientôt durable; les inclinaisons opposées des parties supérieure et inférieure du tronc disparaîtront plus ou moins complètement; le rachis sera plus droit, le thorax moins déprimé d'un côté; l'aspect du torse sera entièrement changé.

Il reste pourtant une courbure dans ce cas, mais elle est transformée. Au lieu d'une S à courbures inégales, où la dorsale prédominante entraînait le tronc dans le sens de sa convexité et le défigurait totalement, il n'existe plus qu'une courbure sigmoïde, dont les deux courbes, sensiblement égales, l'une et l'autre peu prononcées, laissent les formes presque intactes ou ne leur portent que faiblement atteinte. '

Pour comprendre toute l'importance de ce résultat, il faut se rappeler que, dans la marche progressive, régulière de la scoliose, la déviation, d'abord sigmoïde, ne prend en général un grand accroissement que du moment où la courbure dorsale commence à devenir dominante, que du moment où la courbure lombaire commence à s'incliner à droite, où la troisième période, en un mot, succède à la deuxième. Le plus ordinairement, la courbure sigmoïde reste stationnaire ou n'augmente que très-lentement, lorsque ses deux courbes conservent leur égalité. La transformation qui ramène la déviation de la troisième période à la deuxième, substitue donc à une cause d'aggravation incessante des conditions beaucoup plus favorables au statu quo.

Sans doute la déviation qui persiste, si légère qu'elle soit, peut reprendre son allure primitive ; l'inclinaison peut se reproduire. Il faut soigner longtemps cette déviation pour prévenir un retour à la troisième période ; mais cela se réduit à un traitement prophylactique, très-simple à ce degré du mal.

J'ai supposé dans tout ceci que l'inclinaison était peu ancienne, qu'elle était presque uniquement produite par le mouvement des vertèbres; car, si la troisième période est plus avancée, si l'inclinaison est en partie maintenue par la forme des vertèbres et de leurs annexes, le résultat est beaucoup plus lent et plus imparfait.

Les inclinaisons alternatives, courtes, multiples et assez exactement balancées des courbures doubles égales, et à plus forte raison celles des courbures triples, ne cèdent pas avec la même facilité

que l'inclinaison lombaire clos courbures dorsales principales, parce que l'élément déformation y prend une plus grande part.

Mais là ne se borne pas le pouvoir des moyens orthorachidiques. La déformation elle-même est attaquée avec quelque succès, et au moins modifiée par ceux de ces moyens qui étendent le mieux le côté concave, qui dépriment le mieux le côté convexe des courbures; ce sont surtout les pressions et tractions latérales inverses, combinées avec les extensions dans la position horizontale.

Les ligaments doivent tendre les premiers à reprendre leurs proportions normales, c'est-à-dire leur égalité de hauteur à droite et à gauche ; les données anatomiques manquent toutefois pour déterminer jusqu'à quel point leur inégalité disparaît. Il est probable qu'à la longue les vertèbres elles-mêmes deviennent, dans certains cas, plus symétriques. Du moins voit-on pendant la vie une diminution permanente des courbures qui autorise à penser qu'il en est quelquefois ainsi. Ludwig (1), en 1771, a justement appelé l'attention, à ce point de vue, sur les différences du rachis suivant les âges, quoiqu'il n'ait pas assez distingué les cartilages d'ossification des ligaments intervertébraux. Dans l'enfance, le noyau osseux des corps vertébraux a peu de volume par rapport aux lames cartilagineuses épiphysaires de leurs faces supérieure et inférieure. Autour de ce noyau se passent des phénomènes actifs de formation osseuse. Tant que cet état persiste, on a plus de chances de voir la nutrition se modifier et l'harmonie se rétablir entre le développement des deux côtés des vertèbres affectées. Ces chances diminuent et finissent par s'éteindre à mesure que, par les progrès de l'âge, les lames cartilagineuses sont envahies par la substance osseuse, et que le travail ostéogénique devient moins actif.-

Il n'arrive que bien rarement que des déformations, même commençantes, s'effacent complètement et qu'on ne trouve plus de traces de la scoliose. On peut même se demander s'il y avait réellement déformation, lorsque cela a lieu. Dans la généralité des cas où le changement de forme des vertèbres est démontré par les saillies latérales alternes de la région dorso-lombaire , il reste toujours quelque chose, après le traitement, de cette irrégularité des deux côtés du dos.

(1) Adversaria med.-pracL, 1771, t. II, part. 2, p. 333.

La première période de la courbure de l'épine, celle dans laquelle il n'y a point de déviation manifeste des apophyses épineuses, résiste donc généralement, an moins en partie, aux moyens de traitement. Ramener la déviation de la troisième période à la deuxième, de celle-ci à la première, est chose souvent facile; faire disparaître les derniers vestiges de la scoliose est impossible. Nous ne pouvons guère prétendre, dans l'état actuel de la science, qu'à réduire la courbure au moindre degré possible, et qu'à maintenir ce degré dans un état stalionnaire le reste de la vie de l'individu.

Il suit de là que les résultats avantageux du traitement sont souvent moins frappants dans les périodes les moins avancées. Cela semble au premier abord assez singulier; mais on comprend qu'une courbure lombaire principale, que deux courbures égales, réduites d'un quart, d'un tiers ou tout au plus de moitié , contrastent moins avec leur état primitif que la courbure dorsale principale de la troisième période, dont Yinctinaison lombaire a pu être complètement effacée en moins de temps qu'il n'en faudrait pour modifier, d'une manière durable , la déformation des autres variétés.

Un autre fait résulte de la résistance différente des éléments divers de la difformité : c'est au commencement du traitement que ces effets sont le plus marqués, parce qu'il agit d'abord sur l'élément mobilité. Les progrès sont ensuite de plus en plus lents, lorsque la déformation reste seule à combattre. Voilà comment des inventeurs d'appareils ont prétendu faire assaut de vitesse, guérir plus promptement que les autres ; ils ne comptaient la durée du traitement que jusqu'aux premiers effets obtenus.

On devine que ces résultats du traitement, que je n'ai exposés que d'une manière générale, doivent varier suivant diverses circonstances. Tout ce qui fait prédominer l'élément mobilité, comme l'enfance, la jeunesse, le sexe féminin, un développement encore incomplet, des formes minces et souples, favorise le redressement. Tout ce qui rend l'élément déformation prépondérant, comme un âge plus avancé, le sexe masculin , un développement achevé, des formes robustes, y apporte plus d'obstacles. Mais l'état général exerce encore un autre genre d'influence. Les moyens mécaniques, ne l'oublions pas, ne font que créer des conditions plus favorables au développement régulier du squelette ; mais c'est la nutrition

qui accomplit seule la restauration des formes, et, sous ce rapport, l'état fonctionnel joue un grand rôle dans les changements que provoque le traitement. Un rachitisme actuel, une cachexie quelconque , rendent les résultats à peu près nuls. Une santé florissante, une constitution valide, ajoutent aux chances de succès. La première enfance, favorable au redressement par la souplesse des parties, s'oppose à ce qu'il soit durable en raison môme de leur excès de mobilité; il faut alors continuer le traitement jusqu'à ce que l'âge ait donné plus de consistance au système osseux, jusqu'à ce que le temps ait arrêté définitivement les formes du squelette; sinon une rechute est inévitable.

La circonstance la plus avantageuse est celle d'une scoliose qui s'est manifestée peu avant la puberté chez une jeune fille, et dont le traitement, appliqué à une époque encore rapprochée du début, coïncide avec l'établissement de la menstruation, avec un développement physique rapide, qui imprime tout à coup aux fonctions nutritives une impulsion *des plus favorables à l'action des moyens mécaniques.

Suivant la nature de sa cause, la courbure de l'épine cède plus ou moins facilement aux moyens curatifs. Cette condition rentre toutefois dans les précédentes. Ainsi l'hérédité rend le succès un peu plus difficile en créant une prédisposition à la désharmonic des actes nutritifs. La scoliose rachitique est souvent plus rebelle, parce que l'élément déformation y prédomine. Par un motif contraire, la scoliose accidentelle, celle qui succède à de simples flexions latérales, résiste moins quand elle est prise à temps.

Je n'ai presque parlé que des changements qui se produisent dans le rachis, lorsqu'on remédie à ses déviations latérales; mais il est clair que tout le tronc participe à ces changements. La stature s'élève par le redressement des inclinaisons ou des courbes; les cavités splanchniques s'agrandissent; les viscères sont plus à l'aise. Le thorax, en particulier, change de forme comme de dimensions; ses deux moitiés s'éloignent moins de la symétrie qui leur est naturelle ; elles ne l'atteignent jamais complètement, parce que la torsion du rachis, inséparable des déviations même les plus légères, n'est jamais complètement détruite. La situation, la forme des côtes se modifient avantageusement, soit par suite de la meilleure conformation de la colonne vertébrale, soit par l'effet direct des

pressions, qui peuvent influer à la longue sur leur nutrition propre. Dans les cas les plus favorables, il reste toujours des traces de leur convexité exagérée d'un côté du dos, de leur aplatissement du côté opposé.

Le redressement de l'épine est très-souvent accompagné d'une amélioration générale de l'état fonctionnel, qui se montre ordinairement dès les premiers moments de l'emploi des moyens mécaniques. Le bien-être causé par la cessation de la pression des organes rend assez bien raison de ce fait. Le repos de la position horizontale, l'activité des organes locomoteurs dans les exercices gymnastiques, peuvent contribuer à le produire.

La menstruation, chez les jeunes fdles, présente des variations singulières. On la voit assez souvent se suspendre plusieurs mois, le plus ordinairement sans trouble dans les autres fonctions, et, d'un autre côté, les premières règles apparaissent souvent pendant le traitement et continuent ensuite régulièrement. D'après les observations faites par M. Brierre de Boismont (1) dans les maisons d'éducation, il y aurait ici des influences en grande partie étrangères au traitement orthorachidique, et dépendant surtout d'un changement dans le régime, le genre de vie, l'habitation, les habitudes, etc.

Comme exemples des résultats du traitement de la scoliose, je vous présente des moules en plâtre tirés de ma collection. Ils représentent avec une parfaite exactitude la partie postérieure du tronc de quatre jeunes filles avant et après le traitement. Deux de ces traitements remontent à plus de vingt ans; les deux autres sont de cette année.

Ier cas. — Ces deux moules (2) appartiennent à une jeune fille. Ils ont été pris au commencement et à la fin d'un traitement qui dura trente-trois mois et demi, depuis le 21 décembre 1832 jusqu'au 8 octobre 1835. La déviation datait de l'âge de huit ans; la croissance s'était arrêtée à neuf ans. Lorsque je commençai le traitement, cette jeune fille, âgée de dix-sept ans, présentait cette forte courbure dorsale principale avec gibbosité costale anguleuse. La taille

(1) Mémoires de l'Académie de médecine. Paris, 1841, t. IX, p. 132 et 228.

(2) Voy. pl. 19, fig. 1 et 2.

ctail d'un mèlre 22 centimètres. Les fonctions étaient languissantes, la maigreur générale, la vie compromise. A la fin du traitement, la malade jouissait d'une santé florissante ; elle avait pris des forces et de l'embonpoint; le corps s'était redressé et la taille avait crû de 19 centimètres. Il ne restait plus qu'une difformité peu sensible. En comparant ces deux moules, on a peine à croire qu'ils aient pu être pris sur la même personne. C'est là un beau succès, que j'ai dans le temps mis sous les yeux d'une commission de l'Académie des sciences. Mais aussi jamais traitement ne fut mieux secondé par la malade. Celte jeune fille, qui possédait au plus haut degré l'une des facultés de Gall, la philogéniture, désirait vivement guérir afin de pouvoir devenir mère. Pendant les trois années que dura le traitement, elle ne posa pour ainsi dire pas les pieds à terre; constamment couchée ou suspendue au-dessus du sol, elle ne pensait qu'à hâter le moment de sa guérison.

J'ai pu m'assurer pendant plusieurs années de la persistance du redressement. Malheureusement cette jeune personne, mariée peu de temps après, mourut à sa seconde couche.

IIe cas. — Ces deux moules appartiennent encore à une jeune fille (1). Le succès, moins brillant que le précédent, est néanmoins très-satisfaisant. Je vous le présente comme un exemple des résultats que l'on obtient dans les déviations en S verticale ; il s'agissait d'une courbure lombaire principale. Le traitement, commencé le 10 mai 1833, dura seize mois. La déviation avait débuté à l'âge de dix ans, était restée stationnaire pendant deux années, puis avait augmenté considérablement à quatorze ans, lors de l'apparition des menstrues. A seize ans, à l'issue du traitement, la courbure avait diminué à peu près de moitié, comme vous le voyez sur le second moule. La taille avait crû de six centimètres et demi.

IIIe cas. — Voici les deux moules d'une jeune fille de quinze ans et demi (2). La déviation remonte à l'âge de douze ans. Le traitement est commencé depuis dix mois. La menstruation s'est établie à quatorze ans; elle a été accompagnée d'une chlorose de six mois de durée. Depuis lors la santé a été parfaite. La courbure était dorsale principale à convexité droite. Vous voyez que Vincli-

(1) Voy. pl. 19, fig. 3 et 4.

(2) Voy. lu pl. 20, fig. 1 et 2.

liaison lombaire a complètement disparu ; il ne reste qu'une légère déviation sigmoïde, et la conformation générale du tronc est à peu près régulière.

IVe cas. — Enfin ces deux derniers moules ont été faits sur une jeune fdle de quatorze ans (1). Le traitement a duré vingt-trois mois, du 27 septembre 1855 au 27 août 1857. C'est encore une courbure dorsale principale, mais un peu plus marquée que la précédente. Le résultat est analogue ; il ne reste qu'une trace de l'inclinaison de l'arc lombaire.

En définitive, les moyens curatifs institués de nos jours contre la courbure latérale de l'épine, s'ils ne possèdent pas toute l'efficacité qu'on pourrait désirer, sont néanmoins d'une utilité incontestable. Comparez, je vous prie, une malheureuse enfant abandonnée à elle-même ou livrée à des soins insuffisants dans une scoliose qui finit par en faire une espèce d'avorton, et une jeune fille soumise de bonne heure et aussi longtemps qu'il est nécessaire aux soins que je vous ai retracés, parvenue au même développement que ses compagnes, jouissant de la même santé, sauf une petite imperfection presque imperceptible, et vous sentirez tout le prix des ressources qui sont à notre disposition, et vous reconnaîtrez les progrès réels de cette branche de l'art. Ouvrez un livre un peu oublié, quoique naguère classique , le Cours d'opérations de Dionis; vous y lirez que, sous Louis XIV, une enfant de huit ans qui appartenait à la famille du grand roi, commença à se dévier. « On lui fit, dit Dionis, de petits corsets de baleine... et un » fauteuil où il y avait des cordons qui, passant par-dessous les » aisselles, supportaient toute la charge du corps et soulageaient les » vertèbres du poids des parties supérieures. » Mais, ajoute l'auteur, on ne put éviter que la taille ne fût gâtée. « Cette personne de qualité » fut en effet bossue. Voilà tout ce qu'on put faire dans le grand siècle pour une princesse du sang; on ferait mieux, dans le nôtre, pour la fille du peuple.

(1) Voy. pl. 20, fig. 3 et 4.

FIN.

TABLE DES MATIÈRES.

PREMIÈRE 1XXÉE. 1855.

Généralités............................ 1

Art. Ier. — Du mal vertébral de Pott................ 6

Définition et nature de la maladie.................

§ Ier. — Anatomie pathologique................. ¦

Première période. Invasion.................. ib.

Deuxième période. Destruction................ 9

Troisième période. Réparation................. 12

Lésions concomitantes..................... 15

1° Denudation de la moelle................ 16

2° Extension de la maladie au centre nerveux........

3° Déformation de la moelle................

§ II. — Diagnostic du mal vertébral............... 17

Première période...................... 1*

Deuxième période......................

Troisième période...................... *'

Valeur diagnostique des différentes formes de gibbosités...... 21

Diagnostic différentiel..................... *k

1° Déviations latérales du rachis............... *k

2° Rachitisme........................ 24

3° Voussure par débilité des enfants et des vieillards...... 25

Diagnostic de la lésion. ,...................

§ III. — Abcès par congestion................. 26

I. Abcès ilio-fémoraux.................... 27

Premier degré.........«............ 28

Deuxième degré......................

Troisième degré...................... ~*

II. Abcès ischio-fémoraux..................

III. Abcès ilio-abdominaux..................

IV. Abcès de la région postérieure du tronc.......... 30

V. Abcès thoraciques.....................

VI. Abcès cervicaux antéro-latéraux..............

VIL Abcès dorso-cervicaux antérieurs............. **•

Diagnostic des abcès par congestion........ • • • ¦ • • *1

Diagnostic différentiel..................... ~

A. Abcès phlegmoneux................... **«

B. Abcès froids...................... ih-

C. Abcès ganglionnaires..................

D. Abcès ossifluent.................... ^3

§ IV. — Lésions de l'innervation. — Paralysie.......... ib.

I. Mouvement réflexe. ¦................... ?*

II. Degrés de la paralysie.................. ^7

III. Causes de la paralysie.................. 40

1° Compression....................

2° Altération de la moelle................ 41

Diagnostic différentiel de la paralysie.............. 42

§ V. — Traitement du mal vertébral............... 43

Ier cas. Absence de paralysie et d'abcès par congestion..... 46

IIe cas. Mal vertébral avec paralysie.............. * 3

IIIe cas. Mal vertébral avec abcès par congestion........ 56

A. Méthode d'absorption................¦• •

1° Diminuer l'abondance de la suppuration........

2° Activer l'absorption.................. **9 ¦

B. Méthode d'évacuation.................. 60

Art. II. — Mal vertébral supérieur ou sous-occipital......... 69

§ Ier. — Anatomie pathologique................. 70

I. Synovite.......................... **•

II. Affection osseuse..................• • • 71

Mécanisme de la guérison................. 75

Déformation de la tête et du rachis............... 78

§ II. — Diagnostic...................... 79

I. Douleur...............:.......• • ib-

IL Modification des attitudes et des mouvements du sujet. ... 80

III. Déformation...................... 83

IV. Lésions nerveuses.................... 84

V. Abcès......................... •

Diagnostic différentiel.....................

1° Torticolis physiologique..............• 85

2° Torticolis pathologique.........,....... 86

§ III. — Traitement....................... 90

I. Traitement de la synovite................. ¦

II. Traitement de l'affection osseuse.............. 92

ART. III. -pseud arthroses coxo-fémorales.............. 94

Classification. . . •......................... 95

1° Luxation centrale........,............ 96

2° Luxations périphériques..................

§ Ier. — Anatomie pathologique................. 99

I. Capsule fibreuse..................... •

A. Allongement de la capsule................

B. Perforation de la capsule................ 111

II. Ligament rond.....................• 1*8

III. Os, muscles , etc....................

§ II. — Diagnostic...................... 115

I. Raccourcissement du membre...............

II. Caractères tirés de la disposition des fémurs......... 117

III. Conformation du membre................ 120

IV. Disposition du bassin................... 121

V. État des mouvements................... 122

Diagnostic différentiel des luxations coxo-fémorales........ 125

§ III. — Traitement des pseudartbroses coxo-fémorales...... 130

I. Traitement curatif.....................

II. Traitement palliatif.................... 138

Art. IV. — Strabisme....................... 142

§ Ier. — Pathogénie et symptomatologie du strabisme....... ib.

I. Variétés du strabisme................... 1*8

II. Nature de la lésion musculaire............... 144

1° Strabisme par contraction............... »*•

2° Strabisme par rétraction................ 145

III. État de la vision.................... 146

§ II. — Traitement du strabisme................ 152

I. Moyens médicaux..................... 153

II. Moyens gymnastiques................... 154

III. Moyens chirurgicaux................... 155

Premier temps (de l'opération)............... 157

Deuxième temps.....................

Troisième temps..................... 158

DEUXIÈME AXXÉK, 1§56.

Art. V. — Du pied bot....................... 168

Nomenclature..........................

Définition............................ 169

Mouvements physiologiques du pied................ » •

Variétés du pied bot....................... 1^1

§ 1er, — Histoire pathologique des pieds bots. ,........ 173

I. Première période du pied bot................ 'b.

A. Première période du pied bot accidentel......... »»•

Pied plat......................... I77

Pied creux........................ 179

B. Première période du pied bot congénital......... 180

II. Deuxième période du pied bot............... 183

A. Varus......................... ib-

a. Varus direct......'..............

b. Varus équin..................... 184

1° Premier degré..................

2° Deuxième et troisième degrés........... 185

Étude des éléments anatomiques du pied bot......... • 192

Déformation des os.................... b.

État des ligaments...................... 195

État des muscles..................... 196

Atrophie générale du membre........,....... 200

Complications du varus. , »...............

c. Varus talus.....................

d. Varus valgus.................... ^01

B. Pied bot valgus.................... 202

Valgus commun....................

C. Pied équin...................... 205

a. Pieds équins en général ; pied équin direct....... **•

b. Pied équin varus................... 2^9

c. Pied équin valgus et valgus équin........... 210

D. Talus......................... 212

a. Talus direct, talus commun............. ib.

1° Premier degré.................. l*«

2° Deuxième et troisième degrés........... 213

b. Talus pied creux................... 215

Diagnostic différentiel du pied bot............... 217

§ II. — Traitement du pied bot................. 218

I. Moyens mécaniques.................... 221

A. Emploi de la main................... 22^

B. Bandages.......................

C. Machines....................... 228

1° Partie podale.................... 229

2° Partie jambière................... 2 32

Mode d'application des appareils mécaniques........ 2^4

Appareils contentifs................... 2^7

II. Ténotomie....................... 240

A. Procédés de ténotomie.................

Ténotomes...................... 242

Sections sus et sous-tendineuses............ *k

Section du tendon d'Achille.............. 24**

Section des autres tendons du pied........... 245

B. Phénomènes de réparation après la ténotomie. — Phénomènes de réparation après la section du tendon d'Achille.. 247

Phénomènes de réparation après la section des autres ten-

dons........................ 25«

C. Accidents de la ténotomie................ 252

D. Mode d'action de la ténotomie dans les pieds bots..... 255

E. Section des ligaments.................. 256

F. Section des brides accidentelles............. 257

G. Indications de la ténotomie............... ib.

III. Moyens médicaux.................... 260

Résultats du traitement des pieds bots............ 261

Art. VI. — Du rachitisme..................... 265

Définition............................ 266

Nomenclature.......................... ib.

Ancienneté de la maladie..................... ib.

Etats qu'il faut distinguer du rachitisme.............. 269

§ Ier. —¦ Anatomie pathologique du rachitisme.......... ib.

ï. Lésions du système osseux................. ib.

A. Première période.................... 270

B. Deuxième période.................., 273

C. Troisième période................... 277

Rachitisme des différentes régions............... 280

a. Rachitisme de la tête................. ib.

/ . Rachitisme des vertèbres............... 283

c Rachitisme du thorax................. 284-

d. Rachitisme du bassin................. 287

e. Rachitisme des membres............... 290

1° Siège des déformations.............. ib.

2° Causes, sens des courbures............ 293

3° Effets des déformations.............. 296

II. Lésions des parties molles................. 298

III. Origine des lésions rachitiques.............. 305

.§ IL —Diagnostic du rachitisme................ 311

I. Signes anatomiques.................... ib.

II. Signes physiologiques................... ib.

Diagnostic différentiel................... 313

g III. — Traitement du rachitisme............... 315

I. Soins hygiéniques..................... 318

II. Moyens pharmaceutiques................. 319

III. Traitement des difformités rachitiques........... 320

TROISIÈME ANNÉE, 185*.

Art. VII. — Courbures antéro-postérieures du hachis. ........ 325

Division des courbures pathologiques du rachis........... »'

Courbures physiologiques..................... 327

Courbures pathologiques............•........ 330

BOUVIER. 34

§ 1er, — Cyphose....................... 331

I. Cyphose infantile.....................

II. Cyphose juvénile..................... 333

III. Cyphose sénile..................... 337

IV. Cyphose symptomatique................. 339

§ II. — Lordose....................... 340

I. Lordose cervicale..................... 341

IL Lordose lombaire....................

III. Lordose dorsale.................... 349

IV. Lordose symptomatique................. 350

A. Lordose par contracture................ ib.

R. Lordose de compensation................ 351

C. Lordose paralytique.................. 354

D. Lordose congénitale.................. 357

Art. VIII. — Courbures latérales du rachis............. 359

§ 1er. — Scoliose par flexion.................. 360

I. Flexions latérales physiologiques.............. ib.

IL Flexion latérale pathologique............... 365

1° Flexion latérale par contracture............. 307

2° Flexion latérale par paralysie.............. ib.

3° Flexion latérale par douleur.............. ib.

4° Flexion latérale de compensation............ 368

§ H, — Scoliose par déformation................ 3G9

Courbure latérale normale ou scoliose physiologique..... 372

Idée générale de la scoliose pathologique; espèces...... 383

I. Anatomie pathologique dé la scoliose............ ib.

A. Rachi3........................ ib.

a. Rachis en général.................. ib.

b. Vertèbres en particulier................ 390

1° Colonne antérieure............... ib.

2° Colonne postérieure................ 392

c. Torsion....................... 394

B. Thorax........................ 398

C. Bassin........................ 404

D. Tête......................... 406

E. Membres....................... 407

F. Muscles........................ ib.

G. Viscères........................ 411

a. Moelle épinière................... ib.

b. Poumons....................... 413

c. Cœur........................ 415

d. Vaisseaux sanguins. — OEsophage.......... 416

e. Organes digestifs.............."..... 419

/ Foie........................ ib.

g. Rate........................ 420

h. Reins........................ 421

Scoliose congénitale.................... 422

II. Étiologie de la scoliose.................. 424

III. Symptomatologie de la scoliose.............. 432

A. Formes extérieures de la scoliose............. ib.

a. I"; période..................... 433

b. IIe période..................... 435

c. III'' période..................... 436

B. Influence des mouvements sur les courbures....... 440

a. Action de la pesanteur et des pressions extérieures. . . . 441

b. Effets de l'action musculaire............. 443

C. Influence de la scoliose sur les fonctions......... 447

D. Diagnostic différentiel................. 457

IV. Traitement de la scoliose................. 463

A. Traitement préservatif................, 465

R. Traitement curatif................... 468

a. Moyens dynamiques................. 469

b. Moyens physiques.................. 471

aa. Position..................... ib.

bb. Action musculaire................. 474

1° Exercices avec station sûr les membres inférieurs. 476

2° Exercices avec suspension par les parties supérieures. 480

3° Exercices dans la position horizontale....... 487

ce. Moyens mécaniques................ 488

a. Moyens mécaniques appliqués dans la position horizontale................... 490

1° Extension et contre-extension......... ib.

2° Pressions.................. 495

£. Moyens mécaniques employés dans la station. . . 503

1° Suspension verticale. . ........... ib.

2° Extensions et pressions avec les mains dans la

station.................... ib.

3° Fauteuils orthorachidiques, supports divers. . . 505

4° Appareils portatifs.............. 506

C. Traitement palliatif................... 515

Résultats du traitement................... 516

fin de la table-

PARIS. — TYPOGRAPHIE DE 1IEXRI PLÖN , IMPRIMEUR DE l'EMPKREUR , RUE GARANCIÈRE, g.