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2. (1691) Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales (tome 2)

C’est ici le comble de l’idolâtrie & de l’impureté. […] On m’a promis de me faire, au retour de notre hiverne-ment, une relation de la guerre qui dure encore entre le Mogol & Remraja : celui-ci, pour conserver les conquêtes de son père ; & l ’autre, pour l’en chasser. […] M.de La Chassée en a fait coûter un bordage d’artimon à la Compagnie, & à moi un bon grand flacon de fenouillette : il a le diable au corps sur la lampée. […] M.de La Chassée, son interprète, lui & moi, avalons souvent le petit coup de brandevin. […] Je l’ai dit aussi à MM. de Porrières & de La Chassée.

3. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LIV. Départ de la compagnie. Comment Sancho fit taire le curé. Aventures diverses arrivées à cet infortuné chevalier. »

Départ de la compagnie. […] Le curé en fut, et comme cette fois-là il était instruit de la qualité de nos deux aventuriers, il ne se mit pas sur le pied d’avoir pour Sancho autant de considération qu’il en avait eu la veille. […] Il l’apporta au duc, qui le lui rendit, avec ordre d’aller les attendre de l’autre côté du même ruisseau, à un détour où il fallait encore passer, de se cacher derrière un arbre, d’attacher la bourse à une petite ficelle, et de la laisser en vue du côté où ils étaient, afin que Sancho la vît, et de la retirer lorsqu’il voudrait la reprendre. […] Il eut le front de lui demander la permission d’aller la trouver seule dans sa chambre. […] On ne leur en demanda pas davantage, et toute la compagnie, c’est-à-dire les ducs et le comte espagnols, et les deux Français prirent le chemin de la plaine ; on chassa tout le matin avec assez de bonheur, et le soleil commençant à être ardent, on prit le chemin d’un petit bois pour se mettre à l’ombre.

4. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre LI. Le jaloux trompé »

Une conduite si sage et si retirée aurait remis l’esprit de tout autre que d’un jaloux ; mais la jalousie est la maladie de l’esprit la plus cruelle et la moins curable. […] Il eut de l’ombrage du propre père de sa femme, et eut le front de le lui découvrir, et de la prier de faire en sorte de lui interdire l’entrée de chez eux, sans qu’il parût que cela vînt de lui. […] Il se mit à la porte de la paroisse de Sotain à demander l’aumône en italien le propre jour de Noël, ne doutant pas que Sotain ne vînt à l’office, à cause de la solennité du jour. […] La surprise de Célénie ne lui permit pas de l’interrompre, ainsi le cavalier eut le temps de lui dire qui il était, et tout ce qu’il avait fait pour avoir accès auprès d’elle, et pour gagner la confiance de son époux. […] Elle le supplia de la défaire de Julia avant son départ.

5. (1721) Mémoires

Depuis la suppression de l’édit de Nantes, il semble que la main de Dieu se soit appesantie sur le royaume. […] Il n’en est pas de même de l’Acadie, de l’île de Terre-Neuve et de la baie d’Hudson dont la reine Anne a bien reconnu l’utilité. […] Il aurait pris de l’argent de la main du diable s’il lui en avait offert, et aurait sur l’intérêt damé le pion aux fripiers de Paris, quoiqu’on dise que ce soit la quintessence de l’usure et de la juiverie. […] Ainsi il leur était défendu de demander l’aumône et d’approcher de la Cour, et on mettait les hôpitaux hors d’état de les recevoir. […] Elle est digne de la louange et de l’appui de toute la France.

6. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur Des Frans et de Silvie. »

On mêla les intérêts de l’honneur avec ceux de la fortune ; je méprisai tout. […] Il la priait de retirer cet enfant, et lui marquait le déplaisir qu’il avait de ne l’avoir pas retirée lui-même, lorsque la mort de ses frères l’avait rendu l’aîné de sa maison ; et s’en excusait sur la honte de l’y avoir laissée si longtemps. […] Je mis de l’huile sur le feu, en faisant semblant de l’éteindre. […] Craignez de n’avoir été entre les mains de Dieu que l’instrument de mon humiliation. […] La suite de l’Histoire de Silvie est plus bas vers la fin de celle de Mr.

7. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur Des Prez, et de Mademoiselle de l’Épine. »

Si le bien de mon père dépend de lui ; s’il a été le maître de me faire exiler de chez vous, le bien de ma mère, le don de mon cœur et de ma foi ne dépendent que de moi. […] Mais comment boucher les yeux de la mère sur la conduite de sa fille ? […] Je lui donnai une autre clef de la chambre, et je sortis de cette maison le plus content de tous les hommes. […] Elle avait un passe-partout qui l’avait empêchée de frapper à la porte ; et la longueur de l’allée l’empêchait d’entendre le bruit qui se faisait en haut. […] La dureté de cette marâtre l’adoucit.

8. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur Dupuis, et de Madame de Londé. »

L’écuyer de Monsieur le duc de Ledune était de ses intimes amis, aussi bien que de mon oncle. […] Je tâchai même de le désabuser de la fausse vertu de sa maîtresse. […] Nous prîmes le chemin de la maison de la Delorme. […] J’entendis le coup de sifflet de mon laquais, signe de l’arrivée de la nymphe. […] Mais encore je lui permets de ne la point épouser puisqu’on ne peut pas l’y forcer selon les lois ; n’est-ce pas l’action d’un fourbe achevé de tromper une femme sous la promesse d’un sacrement, et d’abuser de l’entremise d’un nom si auguste et le profaner, lorsqu’on n’est pas résolu d’y venir ?

9. (1691) Journal du voyage des Indes orientales (à monsieur Raymond)

Le palais de l’Evêque, qui est la maison la plus proche de la mer, est le lieu le plus élevé de la ville et le plus beau. […] Le seul Directeur n’a pas ce train, les autres officiers en ont aussi à proportion de leur rang, et il est de la dignité de la Compagnie de l’augmenter bien loin de le diminuer, les Orientaux ne jugeant de tout que sur l’éclat et l’apparence. […] Cela tient fort de la naissance du Messie et de la persécution d’Hérode. […] Que le capitaine de l’amiral hollandais a eu la tête emportée d’un boulet de canon, et que celui de l’amiral anglais a eu le nez coupé d’un éclat. […] Nous l’avons perdu de vue sur le midi, mais le vent, qui est venu contraire sur les deux heures nous empêche de quitter de vue les terres d’Afrique.

10. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur de Contamine, et d’Angélique. »

Angélique fut surprise au dernier point de le voir dans une maison où elle l’attendait si peu ; mais il le fut bien davantage de voir l’extrême pauvreté de la mère et de la fille. […] Elle devint l’admiration de tous ceux de son voisinage qui la connurent. […] Cette fille l’accepta, et lui fit en allant un portrait si avantageux de la beauté, de l’esprit et de la magnificence d’Angélique sans la nommer, que votre commère eut envie de la voir. […] Je vais parler à la princesse, et je me promets de la mettre de votre côté ; ayez l’esprit en repos de ce côté-là. […] Elle se jeta aux pieds de la princesse, et lui baisa le bas de sa robe.

11. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur Des Ronais, et de Mademoiselle Dupuis. »

Il lui mit le décret en main, mais il ne lui donna point d’argent, de peur qu’il ne voulût le gagner : il lui promit seulement de le payer après la capture. […] Et quoiqu’on dise que l’Espagne est le pays de l’amour, les gens de bon goût sur la galanterie, ont toujours plus de satisfaction d’une femme qui fait acheter ses faveurs, ou qui n’en accorde point du tout ; et c’est cette sagesse plus naturelle à nos Françaises qu’à aucune autre nation du monde, qui fait le sujet de l’admiration et de l’attache de leurs amants. […] Le confesseur nous dit qu’il ne pouvait pas nous donner la bénédiction de mariage sans la permission de l’archevêque de Paris ; mais qu’il ne doutait pas de l’obtenir dans l’état qu’étaient les choses. Nous le priâmes de se donner la peine d’y aller. […] J’avais pris de votre commère toutes les clefs de l’appartement de son père et du sien.

12. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur de Terny, et de Mademoiselle de Bernay. »

Le procès, à force d’être civil, devint enfin criminel, ils s’accusaient l’un l’autre d’être la cause de la mort de la défunte. […] Son avocat l’avait cité de son caractère, et pour lui faire plaindre sa fille avec plus d’emphase, il le revêtait de toute la tendresse d’un bon père, et de la pitié la plus vive. […] Je la piquais de l’honneur de sauver une âme à Dieu en la retirant de la religion du pape ; en un mot, ma lettre était d’un véritable huguenot. […] Le maître d’hôtel de mon père a eu pitié de l’état où j’étais réduite, il m’a donné les moyens d’en sortir. […] Je ne vois dans l’intérieur du couvent que de l’ambition, de l’avarice, et de l’envie.

13. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXVI. Suite de l’histoire de Silvie et de Sainville. »

Suite de l’histoire de Silvie et de Sainville. […] Elle me rassura contre la peur que j’avais de l’avarice de sa mère, et me jura de n’être jamais qu’à moi. […] Le dépit et le désespoir m’ont jetée entre les bras de Deshayes ; je crus me venger de Sainville, et je n’ai fait que le venger sur moi-même de ma facilité à croire ce qu’on me disait de lui, malgré mon cœur qui le justifiait. […] J’allai le trouver, et sans lui dire que Deshayes eût rien de commun avec la baronne, je la lui recommandai comme la meilleure de mes amies, et comme une dame de qualité digne de pitié et accusée à tort, et le suppliai d’employer en sa faveur tout ce qu’il avait d’amis. […] Mes tantes qui ne savent point les raisons de l’obstination de ma mère ni de la mienne, s’en étonnent, et si je puis le dire, le public en est surpris.

14. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur de Jussy, et de Mademoiselle Fenouil. »

Elle sait même de l’astrologie ; mais cette science capable de faire tourner l’esprit d’une autre, ou du moins de la jeter dans le ridicule, ne lui sert que d’amusement. […] Je laissai à nos parents le soin d’ajuster les articles de notre mariage, et pendant ce temps-là je cherchai les moyens de le brouiller. […] Elle en mit les trois quarts dans un gobelet d’argent, versa de l’eau dessus et les brouilla. […] Je ne pouvais m’empêcher qu’avec peine de rire, en voyant l’embarras de l’oncle et de la tante. […] Tout le monde sortit de la salle, et prit le chemin de la chambre de la bonne femme.

15. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LV. Don Quichotte et Sancho vont à la caverne de Montésinos. Ce qu’ils y virent, et comment se fit le désenchantement de Dulcinée. »

C’est la beauté et la vertu même, et le parangon de toutes sortes de bonnes qualités. […] Il était, comme j’ai dit, armé de toutes pièces et à pied, ayant à la main gauche une épée nue et à la droite un fouet de cordes garni de molettes de fer. […] Il s’arrêta dans un espace assez large à plus de huit cents pas de l’entrée de la caverne, et y fit face à notre chevalier qui allait à lui l’épée à la main avec beaucoup de résolution. […] On avait mis dans la représentation de ce corps des vessies pleines d’une liqueur rouge comme du sang, et on les avait percées de sorte que le héros de la Manche crut avoir tué le neveu de Freston, et avoir déjà commencé à se venger de son ennemi. […] En même temps il fit semblant de faire de nouvelles conjurations, et le haut de la voûte s’ouvrit en trois endroits par où la fumée sortit comme par autant de soupiraux.

16. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « ChapitreLII. Le mari prudent »

Elle savait que parmi les gens de sa qualité, ce sont ordinairement le bien et les dignités qui règlent les alliances, sans aucun égard aux inclinations des gens qu’on lie ensemble, qui à proprement parler ne sont que les victimes de l’ambition de leurs parents ; ainsi elle regrettait Verville dans le fond de son cœur ; mais elle laissait à son père le pouvoir de disposer de sa main. […] Il la prit, mais n’y ayant point de nom, elle eut la présence d’esprit de prendre tout d’un coup son parti, et de dire qu’elle écrivait à un parent. […] Justin le crut, ou fit semblant de le croire, et sans se hausser ni se baisser, il n’en fit pas plus mauvais visage à sa femme, et se contenta de la prier de n’entretenir plus de commerce avec Verville, et de cesser de le voir. […] Enfin il la remit entre les mains de Justin, aux pieds de qui s’étant jetée une seconde fois, il la releva les larmes aux yeux, et l’embrassa. […] Le beau-père les obligea peu de temps après à venir demeurer avec lui, tant pour avoir la consolation de les voir, que pour être toujours à portée d’examiner les actions de sa fille.

17. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LIX. De ce qui se passa chez le duc de Médoc après le départ de Dulcinée, et comment Sancho reçut sa femme que la duchesse fit venir au château. »

Ce fut ainsi qu’en s’accommodant aux visions du chevalier on lui ôta de l’esprit l’idée de l’enchantement et de la conquête de l’imaginaire Dulcinée. […] On lui persuada de suivre les ordres de Parafaragaramus et de quitter les exercices de la Chevalerie errante. […] Le curé et son neveu, la nièce de Don Quichotte et les autres, furent reçus comme s’ils n’eussent fait que d’arriver, et ne trouvèrent rien d’extraordinaire dans la personne de notre héros qu’un grand fond de tristesse, dont on se promit de le retirer avec le temps. […] Thérèse le prit par les pieds de derrière, et brisa de la tête le visage de son mari. […] Le point d’hôte est un point de misère ; la bouche donne et le cœur refuse.

18. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLIX. Repas magique. Apparition d’un nouvel enchanteur. Défi fait à Don Quichotte, et ce qui s’ensuivit. »

Crois-tu qu’il suffise à un homme d’avoir de l’esprit et de la science, et que ce soit la seule force jointe à la valeur qui doive régler toutes les actions de la vie ? […] L’enchanteur eut à peine achevé qu’il disparut, et ne donna pas le temps à notre héros de se jeter à ses pieds, parce qu’il lui défendit de descendre de cheval, de le remercier, et de le suivre. […] Sancho aurait assurément répondu et accepté le défi si le héros de la Manche lui en eût donné le temps ; mais celui-ci outré des railleries de l’enchanteur était sauté à l’épée de Sancho, et faisait d’inutiles efforts pour la tirer ; parce que comme on l’a dit, c’était l’épée enchantée qu’on lui avait remise. […] Il descendit armé, et quoiqu’on se doutât bien de son dessein, on ne laissa pas de le lui demander, comme si on l’eût ignoré, et il l’avoua ; et supplia bien instamment la comtesse de se souvenir de savoir tout de Parafaragaramus. […] Les Français et les Espagnols en firent autant, après avoir bien ri de la folie extraordinaire de ces deux hommes.

19. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LIII. Belle morale du seigneur Don Quichotte. »

Oui, poursuivit notre héros en colère, les Français ont à mon sens un fond de générosité et de probité que les Espagnols n’ont, pas ; je l’avoue à la honte de la nation, mais la vérité me force à faire cet aveu. […] Si cela est, par quelle raison prétendent-ils que l’aspect d’un homme ne fasse pas la même impression sur le cœur d’une femme ? […] On avait craint que le héros de la Manche par la citation de ses romans ne se jetât dans les abîmes sans fond de la Chevalerie errante ; mais loin de cela il raisonna toujours, comme on le voit, de fort bon sens. […] Pour l’Ecriture, il est vrai qu’elle ordonne à la femme d’obéir à son mari ; mais elle ordonne aussi au mari de tout quitter pour s’attacher à sa femme, et ne lui permet pas d’en rechercher d’autres ; elle dit que le mari est le chef de la femme, cela est encore vrai ; mais le chef ou la tête n’est pas la plus noble partie du corps, c’est le cœur. […] Adam ne fut formé et pétri que de boue, cette boue s’était amollie par l’attouchement des doigts de Dieu, et par le mélange de la salive de Dieu.

20. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LVI. De ce qui suivit le désenchantement de Dulcinée. »

De ce qui suivit le désenchantement de Dulcinée. […] Le malheureux Cardénio avait besoin de subsistance et de nourriture, et tu lui ôtas les moyens d’en trouver, en le volant de guet-apens. […] L’as-tu fait, et as-tu même eu aucune envie de le faire ? […] Attendu que les crimes dont l’accusé est prévenu et convaincu, sont d’avoir voulu satisfaire Dieu et les hommes d’une belle apparence qui n’est que de la fumée, et qui provient d’un cerveau gâté qu’il faut purger ; ordonné qu’il sera parfumé de deux cassolettes d’enfer dans le moment. […] Parafaragaramus leur dit de le suivre, et pour cet effet ils le prirent par la main, et étant dans la même salle où ils avaient vu Dulcinée en paysanne, il parut tout d’un coup de la lumière, et au lieu du spectacle affreux du tribunal de Pluton, il ne se présenta rien à leurs yeux que d’agréable à la vue.

21. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LVIII. Des tristes et agréables choses que Parafaragaramus apprit au chevalier de la Manche. »

Pardonnez-moi ce vœu, que le désespoir m’a fait faire ; je suis mille fois plus à plaindre que vous ; vous ne perdez dans moi qu’une princesse malheureuse et infortunée, et je perds en vous la fleur de la Chevalerie, le miroir de la vraie valeur, le prototype de la fidélité, et un parfait modèle de toutes les vertus. […] Il voulut de plus obliger les officiers du duc de recevoir de lui quelques présents ; mais comme ils avaient des ordres contraires ils le remercièrent, et pour l’empêcher de les en presser davantage, le duc fut obligé de lui dire, que le premier qui prendrait de lui la moindre chose ne resterait pas une heure à son service. […] Le duc qui ne voulait plus donner à notre héros aucun sujet de se fâcher, ne fit pas semblant de prendre garde à ce que Sancho disait, et l’ayant pris par la main, il l’emmena dîner où tout le reste de la compagnie les attendait, et Sancho les suivit. […] Elle le remercia encore de la liberté qu’il lui avait procurée, et le pria de trouver bon qu’elle allât accomplir son vœu. […] Le duc de Médoc lui présenta la main et la conduisit jusqu’à son carrosse, d’où elle regarda encore le désolé chevalier et lui défendit de la suivre.

22. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLV. Pourquoi la maîtresse d’une hôtellerie voisine du château venait souvent demander des nouvelles de Sainville et de Silvie. »

La maîtresse de l’hôtellerie voisine du château de la Ribeyra, où Sainville et Silvie avaient été premièrement portés, ne manquait pas de venir les voir tous les jours, et de s’informer de leur santé, surtout de celle de Silvie et de Sainville, mais avec tant d’empressement et d’assiduité, qu’on en soupçonna une autre cause que la civilité ; aussi y en avait-il une. […] Elle avait de lui tout le soin possible, et voyant que sa santé bien loin de se rétablir s’affaiblissait de jour en jour, elle craignit que ce ne fût la faute du chirurgien qui le pansait, ce qui l’obligea de prier celui qui avait soin de Valerio et de Sainville de venir le voir, et de vouloir bien en entreprendre la cure. […] Ce n’était cependant pas la discrétion qui l’en empêchait, mais bien la vue de l’aimable Provençale qu’il n’avait pu s’empêcher d’aimer avec toute l’ardeur et la sincérité possible. […] La marquise qui vit bien que sa parente ne demandait pas mieux, y consentit de la meilleure grâce du monde, bien persuadée que la vertu et la sagesse de cette aimable Provençale était un garant certain de sa conduite et du respect de du Chirou. […] On avait résolu de faire arriver chez le duc les aventures les plus surprenantes, et d’y faire désenchanter Dulcinée, et cependant on s’était diverti de Sancho, comme je vais dire dans le chapitre suivant.

23. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLVII. Suites agréables de la victoire remportée par le chevalier Sancho, et du projet que forma Don Quichotte pour le faire repentir de son indiscrétion. »

Il revint donc à son écuyer qu’il trouva tout réjoui, non seulement de la fuite de l’enchanteur, qui lui avait laissé l’honneur du combat, mais aussi du recouvrement de son bon cheval et de ses armes. […] Toute la compagnie fit semblant d’être étonnée de cette vision, excepté Eugénie qui les rassura en disant qu’elle le connaissait, et que c’était un des satyres de la forêt, qui servait de valet de pied à Parafaragaramus son bon ami. […] Il se résolut pourtant de faire dédire le téméraire écuyer, et pour cela de le combattre sous le nom d’un chevalier inconnu. […] Traître, s’écria-t-il, est-ce là la récompense que je devais attendre de toi, après t’avoir armé chevalier, et mis dans le chemin de l’honneur et de la fortune ? […] La belle Mademoiselle de la Bastide le fit souvenir de son défi pour le lendemain à tous les chevaliers, pour l’honneur de la comtesse, qui fit semblant de le prier de n’y point aller, et lui dit qu’elle lui avait assez d’obligation sans y ajouter celle-là, et qu’elle ne méritait pas qu’il s’exposât pour elle à de nouveaux dangers ; mais elle l’en pria d’une manière à l’y engager encore plus fortement ; aussi répondit-il qu’il ne manquerait pas à l’assignation.

24. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLVI. Pourquoi Sancho perdit ses armes enchantées, et du terrible combat qu’il eut à soutenir pour les recouvrer. »

Nos chevaliers fermaient toujours la porte de la chambre sur eux, en ôtaient la clef, et après cela se couchaient et dormaient, si les visions de Don Quichotte le leur permettaient. […] Ce coup étant fait, il alla avec les Espagnols et les Français, qui le suivirent au même endroit où il avait déjà fait le personnage de Parafaragaramus, et où il le contrefit encore de la même manière. […] Son maître ne cessait de l’animer de la voix, et la présence de tant de spectateurs lui remettant le cœur au ventre, et outre cela Parafaragaramus, qui avait ordre de se laisser vaincre, lui faisant beau jeu, Sancho se releva, et l’enchanteur lui donnant le temps de se jeter sur lui, il ne le perdit pas. […] Les ducs et tous les assistants prièrent notre héros d’aller délivrer le chevalier Sancho des mains de ce démon, mais il le refusa, leur disant que c’était un combat égal de corps à corps, et qu’outre les ordres de la Chevalerie, qui lui défendaient de le secourir, il lui avait aussi été défendu par Parafaragaramus de le faire. […] Sancho moulu de coups ne laissa pas de se lever et de le suivre la massue sur l’épaule ; mais à son grand étonnement il le vit tout d’un coup abîmé dans la terre et disparaître à ses yeux, ne laissant après lui qu’une grande flamme qui s’évanouit dans le moment, et qui fut suivie d’une noire et épaisse fumée qui sentait bien fort le soufre.

25. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LVII. Du repas magnifique où se trouva Don Quichotte, et du beau et long discours qu’il y tint. »

Dans ce moment les filles de Balerme vinrent le désarmer, ce qu’il ne souffrit qu’à la prière de Dulcinée. […] L’intégrité de leurs jugements fut admirée ; la vénalité des charges, qui donnent à un homme le pouvoir de disposer de la vie et des biens de son prochain, fut détestée ; on y maudit le juge qui achetait en gros le droit de vendre à son choix l’injustice en détail ; le babil inutile des avocats, qui ne fait qu’obscurcir la vérité ; cette multiplication infinie de procédures et de chicanes, qui donne le tort dans les formes à un homme à qui le fond donne gain de cause ; tout cela fut blâmé ; on condamna les ambitieux ecclésiastiques qui recherchent et briguent les dignités de l’Eglise ; on se moqua de l’hypocrisie de ceux qui ne disent que des lèvres, Nolo episcopari l’avidité de ceux qui ont plusieurs bénéfices, dont un seul pourrait suffire aux besoins de la vie, et à faire leur salut, parut exécrable, aussi bien que le faste outré de ceux qui dissipent dans de vains plaisirs un bien qui n’a été destiné qu’aux pauvres, et dont ils ne sont que les économes et les dispensateurs, et non pas les propriétaires. […] Les dignités étaient les récompenses des services et de la vertu, et ne s’acquéraient point à prix d’argent. […] Les villes étaient mieux défendues par la valeur de leurs habitants, que par la force de leurs murailles. […] Les moines ne sortaient point de leur couvent pour courir parmi le monde, et s’y mêler de mille choses qui ne les regardent pas, surtout de mariages et de procès.

26. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLI. Don Quichotte et Sancho s’arment pour aller combattre les brigands. Ces deux chevaliers font des actions de valeur inouïes. »

Il parla encore pendant le repas de la pesanteur de ses armes. […] Il contrefit l’étonné de les voir si bien armés. […] Pendant cette manière de conseil de guerre, Sancho avait plié bagage, et avait mis le pâté et le pain d’un côté à l’arçon de la selle de son cheval, et la bouteille de l’autre. […] La croyance qu’eurent les bandits de les avoir tués, fut ce qui leur sauva la vie. […] On les y suivit à pied, l’épée d’une main et le pistolet de l’autre.

27. (1713) Les illustres Françaises « Les Illustres Françaises. Histoires Véritables. »

La bonne mine de ce cavalier le fit regarder par tous les gens des carrosses, dont il était environné. La crainte qu’ils eurent du danger qu’il courait, les obligea de lui offrir place. […] Cependant Des Ronais qui était le plus intime ami de Dupuis, quoiqu’il fût brouillé avec sa cousine, le fit avertir de l’arrivée de Des Frans. […] Vous me surprenez, dit Des Frans, de l’accuser d’infidélité, elle dont on vantait tant autrefois la sincérité et la candeur. […] Le tailleur qu’on avait envoyé quérir, et qui arriva dans le moment, les empêcha de poursuivre.

28. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXV. Du tour ridicule et malin que fit Parafaragaramus au chevalier Sancho, et des événements tristes qui le suivirent. »

Le duc et la duchesse d’Albuquerque, qui savaient pour lors qui elle était, ne l’avaient point quittée, et la joie où elle était elle-même d’être échappée à son beau-frère et de se voir en sûreté, l’ayant tout à fait remise, elle allait monter dans le carrosse de Don Fernand avec Dorothée et Gabrielle pour retourner chez elle, lorsqu’en descendant de la chambre où on l’avait portée, et passant devant celle où était Sancho, elle entendit sa voix. […] Ce valet était un officier déguisé qui aimait Silvie depuis longtemps, et qui croyant, comme beaucoup d’autres, que Sainville l’avait enlevée, s’était mis avec Deshayes pour courir après, dans la résolution de venger sur son rival son amour méprisé, et pourtant de sauver la vie de sa maîtresse en la dérobant à la rage de son mari qui était parti dans la résolution de la poignarder partout où il pourrait la trouver. […] Valerio ne les écouta presque pas, tant il eut de joie de voir chez lui le duc d’Albuquerque et son épouse ; il les combla de civilités, et ils y répondirent en gens de qualité espagnols, c’est-à-dire le mieux du monde. […] Il ajouta que s’il était en état de sortir de sa chambre il irait les voir et les assurer qu’ils étaient absolument les maîtres chez lui, et en même temps pria la comtesse d’aller donner ses ordres pour que rien ne leur manquât. […] De lui, on tomba sur Don Quichotte qu’on dit n’avoir point été vu de la journée.

29. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre L. Dissertation sur la différente manière d’aimer des Espagnols et des Français. »

Avant que de sortir tout à fait du château de Valerio, et finir les aventures de Don Quichotte et de Sancho, qui se terminèrent chez le duc de Médoc, il paraît à Ruy Gomez, qu’après avoir rendu compte des actions et des paroles de deux fous, il doit dire aussi ce que d’honnêtes gens qui avaient de l’esprit, avaient fait lorsque la santé des uns et la douleur des autres leur avait permis de se rejoindre ensemble, et de former une espèce de société. L’on a dit plusieurs fois, qu’excepté les visions sur les chevaliers errants, le héros de la Manche n’avait rien que de raisonnable, ainsi il était appelé dans leurs conversations, ou du moins y était souffert, et sa présence n’y apportait point d’autre circonspection que celle de ne point parler du tout de lui que par les beaux endroits, et jamais sur rien qui fût propre à redoubler ses accès, à moins que cela ne fût nécessaire pour le divertissement que la société avait prémédité d’en tirer. […] Les Français convinrent, que l’amour semblait être né en Espagne, où généralement tout le monde y était porté, qu’il semblait même que les Espagnols aimaient d’une manière plus sérieuse que les Français, puisqu’il paraissait qu’ils faisaient de leur amour une des principales occupations de leur vie ; mais que cependant les Français aimaient d’une manière plus engageante, et que si on ne trouvait pas parmi quelques-uns d’eux autant de constance qu’aux Espagnols, on y trouvait du moins plus de feu et de vivacité. Les Espagnols répliquaient, que par le consentement général de tout le monde, l’amour qui n’était point accompagné de la constance n’était point un véritable amour, et qu’ainsi les Français n’aimant pas avec constance, on pouvait dire que leur amour n’était point un amour, mais seulement un feu de paille. […] Toute la compagnie ayant prié Sainville de commencer son récit, il le fit en ces termes.

30. (1713) Les illustres Françaises « Préface. »

Je fais chanter à Silvie sur le boulevard de la Porte Saint-Antoine un air de l’opéra de Proserpine, et je pose la scène à Paris plus de dix ans après : cependant je dis que le quai Pelletier n’était point encore bâti. Je l’ai fait, afin de détourner d’autant plus les curieux des idées que la lecture de ces histoires pourrait leur donner. […] J’en ai vu d’autres qui ont trouvé que cet endroit était le plus sensible et le mieux touché de tout l’ouvrage, et qui m’ont avoué même, qu’il rapportait des vrais sentiments de la plus grande partie de leur sexe. Les unes et les autres sont ce qu’on appelle des femmes de vertu ; d’où vient donc leur contrariété ? […] Quoi qu’il en soit, le destin de celui-ci réglera le destin de l’autre ; je le donne au public de bonne volonté, sans y être forcé par personne.

31. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLIII. De l’accident qui arriva au chevalier Sancho, en tirant une arme à feu. Remède pire que le mal. »

L’inquiétude de la duchesse ne l’empêcha pas de rire d’un si beau saut, mais elle se retint en voyant la rage et la fureur qui montèrent tout d’un coup au visage de Don Quichotte, qui courut à son écuyer, et le trouva, comme j’ai dit, presque mort, grillé, roussi et rôti, et la mâchoire toute en sang. […] Que maudit sois-tu de Dieu et de ses saints, malheureux instrument, dit-il en le cassant sur une roche de toute sa force, arme de l’invention du démon et de ses mauvais anges. Il en voulait faire autant de ceux que tenaient les gens de la comtesse, et l’aurait fait si elle ne l’avait retenu. […] Valerio, Eugénie, le duc d’Albuquerque, son épouse et les Françaises, avaient fait leur possible pour empêcher le duc de Médoc de se charger de l’exécution de l’entreprise, et l’avaient supplié de s’en reposer sur le lieutenant, ou un de ses officiers, et de ne se point commettre avec des gens désespérés, de sac et de corde, en un mot des bandits indignes de sa présence et du péril où il allait se précipiter. Valerio et Sainville de leur côté l’avaient supplié presque à mains jointes de remettre la partie à une autre fois, et d’attendre quelque temps qu’ils fussent en état de le seconder et de l’accompagner.

32. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXIV. De l’arrivée de plusieurs personnes dans l’hôtellerie. Qui étaient ces personnes. Nouvel exploit de Don Quichotte. Sanglants combats. »

De l’arrivée de plusieurs personnes dans l’hôtellerie. […] Aussitôt qu’il fut parti, notre héros avait été se promener, et du parc de Valerio était entré dans la forêt, dans l’intention d’observer si le nouveau chevalier exécuterait bien toutes les cérémonies de l’Ordre : il l’avait cherché fort longtemps, et n’avait garde de trouver en faction un homme qui était au cabaret. […] L’officier de Valerio qui faisait le personnage de Parafaragaramus, les avait fait avertir du lieu où ils étaient Sancho et lui, pour leur en donner la comédie. […] Le duc qui le vit dans le plus grand embarras où il eût été de sa vie, lui remontra qu’il n’était point en état de s’exposer. Notre hardi chevalier n’en voulut point démordre, il prit le cheval de celui qui emportait Eugénie, qui était libre, et se saisissant de l’épée de ce scélérat, il se mit après les ravisseurs malgré le duc et Dorothée qui le firent suivre par quatre cavaliers de crainte d’accident ; mais comme il ne suivait que sa tête et ses visions, ceux-ci qui le perdirent bientôt de vue, revinrent sans autre fruit que d’être bien fatigués.

33. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LXI. Comment Don Quichotte et Sancho sortirent du château pour s’en retourner chez eux ; de ce qui leur arriva sur la route. Mort de Don Quichotte ; et ce qui s’ensuivit. »

Pour Don Quichotte, quelques égards que tout le monde eût pour lui dans le château, il ne pouvait sortir de la profonde mélancolie que lui causait la perte de sa princesse. […] Les chevaliers tournèrent la tête du côté qu’ils entendaient le murmure de l’eau, et eurent d’autant plus de joie d’apercevoir une fontaine, qu’ils se sentaient extraordinairement altérés. L’écuyer pressé par sa soif se préparait à la satisfaire sans façon ; mais Don Quichotte se mit en tête que cette source d’eau était la fontaine de Merlin. […] Enfin elle lui sembla telle qu’Angélique parut à Renaud de Montauban, après que ce paladin eut bu dans les Ardennes de l’eau de la fontaine de Merlin. […] On fit de superbes funérailles au héros de la Manche, et son écuyer reprit son premier métier, et passa commodément le reste de ses jours avec le bien qu’il avait mis en dépôt entre les mains du curé.

34. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLII. Comment Don Quichotte sauva la vie à la duchesse de Médoc. Nouveaux exploits des deux chevaliers. »

Heureusement pour elle Don Quichotte et Sancho étaient à l’entrée de la forêt de ce côté-là. […] Notre héros coupa chemin à un des fuyards, et ayant appris de lui qu’on venait d’assassiner la duchesse de Médoc, il tomba comme la foudre sur les bandits, qui n’avaient pas encore eu le temps de monter à cheval. Deux de ces malheureux, dont les mousquets étaient chargés, l’attendirent de pied ferme, et sitôt qu’il fut à portée ils les tirèrent. […] Notre héros lui dit, qu’il était le plus heureux de tous les chevaliers, de ce que la fortune lui avait fourni l’occasion de lui rendre service. […] Il n’en voulut pas dire davantage, de crainte d’être entendu de son maître, qui présenta la main à la duchesse, pour la faire descendre de carrosse, pour en ôter le corps de son écuyer.

35. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXVIII. De l’arrivée du duc de Médoc, et de la mort touchante de Deshayes. »

De l’arrivée du duc de Médoc, et de la mort touchante de Deshayes. […] Ils y allèrent, et elle leur représenta de nouveau l’étrange situation où elle était, à cause des entreprises et de la mort de ses beaux-frères. […] La duchesse et Eugénie emmenèrent la marquise et Silvie dîner avec le reste de la compagnie auprès du lit de Valerio. […] On eut toute la joie possible de le voir, et après les premiers compliments, avant que de se mettre à table, le duc d’Albuquerque s’acquitta de la promesse qu’il avait faite à la marquise. […] Il montra ses lettres avant que de les cacheter, qui étaient écrites avec tant de zèle, qu’il n’aurait pas pu se servir de termes plus pressants quand il aurait été question de la vie de son propre fils ; et enfin il acheva de mettre en repos l’esprit de la marquise, qui fit partir deux courriers dans le moment même, pour les porter à leur adresse.

36. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXIX. Du grand projet que forma le duc de Médoc, et dans lequel Don Quichotte entra avec plus de joie que Sancho. »

Ce ne fut pas sans élever la valeur de notre chevalier au-dessus de celle de Roland et de Renaud. […] Le duc ne manqua pas d’envoyer le lendemain chercher le lieutenant avec ordre d’amener main-forte ; il envoya encore quérir plusieurs gens de justice pour voir tout d’un coup la fin de l’aventure. […] Le comte demeura comme frappé de la foudre à ce discours ; mais le duc sut si bien le tourner et le convaincre, qu’il lui rendit sa tranquillité d’esprit, à la confusion près, d’être d’un sang qui avait pu produire de si mauvais garnements. […] Le reste de la journée se passa dans le château avec assez de joie, par rapport à la situation où tout le monde était. La maîtresse de l’hôtellerie vint encore s’informer de la santé des Françaises, et surtout de celle de la nouvelle veuve.

37. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLVIII. Du combat de Don Quichotte contre Sancho, et quelle en fut la fin. »

Sitôt qu’il y fut, ils l’entendirent faire son défi de tous les quatre côtés du monde à tous les chevaliers errants, Maures, Arabes, Castillans et autres, et puis après se recommander à la bonne grâce de sa mauricaude et à celle de la comtesse Eugénie, qu’il suppliait de l’aider, puisqu’il ne s’exposait que pour son honneur. […] Don Quichotte qui avait cru prévenir Sancho, fut fâché de ce qu’il en était arrivé autrement, et choqué de cette avance de son écuyer, qui pourtant était selon le cérémonial de l’Ordre. —  Eh ! […] Ils revinrent tous deux l’un sur l’autre en portant la main sur la garde de leurs épées ; mais tous deux furent également surpris de ne pouvoir pas la tirer du fourreau. […] tu l’avoueras, quand tous les diables d’enchanteurs s’en devraient mêler, lui répliqua Sancho, en lui baillant sur l’oreille un coup de poing de toute sa force. […] Leurs spectateurs ne pouvaient respirer à force de rire à la vue du plus ridicule combat qu’on puisse se figurer, de deux hommes à cheval armés de toutes pièces, et l’épée au côté, qui se battaient comme des crocheteurs, et dont les trois quarts des coups ne frappaient que l’air par le mouvement de leurs chevaux qui étaient toujours dans l’agitation, parce qu’ils suivaient l’inclination de la bride, qui suivait celle de la main, que nos chevaliers ne pouvaient pas tenir ferme, à cause du mouvement de leurs corps.

38. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLIV. Ce qui se passa dans le château après cette expédition. »

Ce lieutenant et son greffier, après avoir été amplement récompensés de leur peine par le comte, eurent encore le butin des bandits qu’ils retournèrent chercher dans la caverne, où ils l’avaient laissé, sans parler de leurs chevaux, sur lesquels ces malheureux n’avaient pas eu le temps de monter. Pour ne plus parler d’objets si affreux, justice fut faite d’eux tous, et ils furent envoyés border les grands chemins, excepté celui à qui le duc de Médoc avait promis la vie, et à qui non seulement il donna la liberté, mais encore une somme d’argent suffisante pour le conduire hors d’Espagne, et mener ailleurs un train de vie plus honnête ; on l’avait mis exprès dans un endroit d’où il lui fut facile de se sauver, et on dressa un procès-verbal de son évasion pour la décharge du geôlier et des autres qui pouvaient en être inquiétés. […] On ne voulut pas défendre davantage la négative crainte d’irriter notre chevalier, qu’on ne contredisait en rien, et pour qui on avait toute sorte de complaisance sur les sujets qui avaient quelque rapport à la Chevalerie errante, et pour ne pas en avoir de sujet chacun prît le chemin de sa chambre. Comme Sancho en confiant son butin à son bon maître de peur qu’on ne lui prît pendant son sommeil, l’avait prié de le compter ; Don Quichotte l’avait déjà fait, et lorsque Sancho commença d’ouvrir les yeux il le lui rendit, et lui dit qu’il y avait dedans plus de huit cents pistoles. […] Laissons-le se reposer, et rendons compte d’un de nos acteurs.

39. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LX. De l’aventure qui arriva au malheureux Sancho peu de temps après qu’il fut hors de chez le duc de Médoc, et de plusieurs autres choses qui ne sont pas de grande importance. »

De l’aventure qui arriva au malheureux Sancho peu de temps après qu’il fut hors de chez le duc de Médoc, et de plusieurs autres choses qui ne sont pas de grande importance. […] Le hasard voulut qu’à l’entrée d’une petite ville à une lieue de là, il rencontra un enterrement. […] Un des parents de la défunte entre autres, s’approcha de l’indiscret consolateur, et lui porta un coup de poing dans le ventre, dont il se fit à lui-même plus de mal qu’à Sancho, parce qu’il avait frappé sur le corselet dont le chevalier était armé. […] Sancho avait repris toutes ses forces lorsque les ducs de Médoc et d’Albuquerque, le comte de la Ribeyra, la marquise, la belle La Bastide, le comte du Chirou, Sainville et Silvie partirent pour Madrid. […] Il ne resta au château que les duchesses de Médoc et d’Albuquerque, la comtesse Eugénie et les deux chevaliers.

40. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXVII. Des offres obligeantes que fit le duc d’Albuquerque aux dames françaises ; de la reconnaissance de Valerio et de Sainville, et de la conversation particulière que Don Quichotte eut avec Sancho. »

Des offres obligeantes que fit le duc d’Albuquerque aux dames françaises ; de la reconnaissance de Valerio et de Sainville, et de la conversation particulière que Don Quichotte eut avec Sancho. Le duc d’Albuquerque à qui l’agréable Française avait adressé la parole, la remercia au nom de toute la compagnie de la peine qu’elle s’était donnée ; il l’assura de faire ses efforts et d’employer toutes choses pour ne point tromper la bonne opinion qu’elle, la marquise, et Silvie avaient de lui. […] Où est donc l’honneur de la Chevalerie ? […] Toute la compagnie alla voir la marquise, Silvie et les malades ; ils trouvèrent la première auprès du lit de Sainville, où elle reçut les offres de service qu’on lui fit en femme de qualité, et les charma par son esprit et ses civilités. […] Le chirurgien qui l’avait pansé les pria de lui laisser quelque repos jusques au lendemain, n’étant point du tout en état de parler ni de voir qui que ce fût.

41. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XL. Des armes enchantées que les deux chevaliers reçurent de Parafaragaramus, avec des chevaux infatigables. »

Ecoute-moi, brave Don Quichotte, vrai miroir de la Chevalerie errante, honneur de la Manche, modèle de tous les chevaliers passés, présents et futurs. […] Tu trouveras demain à l’entrée de la forêt, au même endroit où tu as retiré la comtesse des mains de ses ravisseurs, un cheval que je te destine, que monta autrefois le fameux Largail, des armes dont se servit Rodomont, et l’épée de Roger ; elles te serviront contre tous les enchantements, et par elles tu seras toujours victorieux dans les plus grandes aventures de ta vie. Le chevalier Sancho trouvera aussi un cheval, des armes et l’épée de Pinabel. […] Dame de mes pensées, s’écria-t-il, illustre Dulcinée du Toboso, votre chevalier aura donc le bonheur de rompre l’enchantement qui vous retient. […] Il connaissait assez la bravoure et l’intrépidité de notre héros, pour savoir jusques où son courage le porterait dans la forêt ; il prévoyait bien aussi que Sancho ne le quitterait pas d’un pas ; il aurait bien voulu ne les point exposer contre des bandits ; mais dans le fond, outre que Don Quichotte n’aurait pas trouvé bon que l’affaire se fût passée sans lui, le duc voyait bien qu’il lui serait d’un grand secours, et qu’après tout c’était la mort la plus glorieuse qui pût arriver à deux fous, que de perdre la vie en servant le public ; d’un autre côté il voyait bien que l’occasion serait chaude et de fatigue, et que les chevaux de nos aventuriers n’étaient point assez forts pour la supporter, ni leurs armes assez bonnes pour résister au mousquet et au pistolet ; ainsi il avait jugé à propos de les armer par cette voie étant bien persuadé que l’estime qu’ils feraient de leurs armes et de leurs chevaux, qu’ils croiraient tenir de la main d’un enchanteur, leur ami, les animerait davantage, et relèverait le courage, surtout de Sancho, qui lui paraissait abattu par la conversation qu’il avait eue avec Don Quichotte, et que lui et Parafaragaramus avaient écoutée.

42. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXIII. Comment on a découvert ces nouvelles aventures qu’on donne au public. »

Cid Ruy Gomez, l’ami à qui Zulema, ou Henriquez de la Torre, avait confié ce qu’il avait pu ramasser de l’histoire admirable de Don Quichotte, et qu’il avait prié de la continuer, était un de ces hommes particuliers, qui ne sont bons que pour eux- mêmes, ou tout au plus pour quelques-uns de leurs amis, et qui ne comptent pour rien le reste du monde, surtout le public, qu’ils regardent, sinon avec mépris, du moins avec beaucoup d’indifférence. […] On dit même que son dessein était de tout jeter au feu, et qu’il n’en fut empêché que par la mort qui le surprit. […] Quelques Espagnols lui jurèrent l’affirmative, et le maître de celui qui avait la suite de l’histoire, dit au Français, que tout ce qu’on en avait écrit, et qui était devenu public, n’était que des bagatelles en comparaison du reste. […] Pour la lui faire trouver meilleure, on lui en fit mille difficultés ; et enfin le Français ardent comme un Français, offrit un si beau présent, que le valet espagnol le prit au mot, et crut assez gagner au change, en lui donnant en même temps les mémoires de Ruy Gomez et ceux d’Henriquez. […] Comme l’idiome espagnol est devenu à la mode en France, et que tout le monde en veut savoir un peu, un de mes amis, qui l’apprend, m’a fait voir quelques endroits qu’il a traduits de la suite de Don Quichotte ; ce que j’en ai lu m’est resté dans la tête, et ne m’a pas déplu ; et, sans doute aussi fou que le Français qui l’a achetée, j’ai fait en sorte de l’avoir de ses mains, et comme je le lui ai promis, je l’ai traduite.

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