Ce prétendu neveu de Freston était Ginès de Passamont, à qui on avait ordonné de combattre notre héros, avec défense de le blesser sur peine de vie. […] Ces paroles arrêtèrent la fougue de notre héros, qui resta en pied où il était. […] Notre héros y entra et y entendit une musique douce et agréable qui retentissait de ses louanges et le comblait de bénédictions. […] Elle tenait son cœur à sa main, et avec un canif elle ouvrit le côté de son amant et lui remit le cœur dans le ventre en présence de notre héros. […] Notre héros le releva fort honnêtement, et Parafaragaramus les fit tous passer dans la première salle où Merlin était disparu.
Aussitôt qu’il fut parti, notre héros avait été se promener, et du parc de Valerio était entré dans la forêt, dans l’intention d’observer si le nouveau chevalier exécuterait bien toutes les cérémonies de l’Ordre : il l’avait cherché fort longtemps, et n’avait garde de trouver en faction un homme qui était au cabaret. […] Son cheval s’abattit de ses blessures, et notre héros, à qui le péril n’était rien, de son sang froid se trouva sur ses pieds. […] Cette retraite sauva notre héros, et lui donna le temps de voir le péril où était la pauvre Eugénie. […] Il y vint et s’attacha à Don Pedre ; notre héros qui vit ce scélérat assez occupé, le laissa dans un combat seul à seul pour courir après les ravisseurs d’Eugénie. […] Les bandits voyant encore notre chevalier à leurs trousses, s’enfuirent ; mais notre héros n’était pas pour en rester là.
Le héros de la Manche n’avait garde de demeurer muet dans une si belle occasion d’étaler sa morale. […] Oui, poursuivit notre héros en colère, les Français ont à mon sens un fond de générosité et de probité que les Espagnols n’ont, pas ; je l’avoue à la honte de la nation, mais la vérité me force à faire cet aveu. […] Notre héros dit cela avec un visage si content et si rempli de lui-même, que la duchesse de Médoc vit bien qu’il songeait à Altisidore. […] On avait craint que le héros de la Manche par la citation de ses romans ne se jetât dans les abîmes sans fond de la Chevalerie errante ; mais loin de cela il raisonna toujours, comme on le voit, de fort bon sens. […] Cette malice de Sancho interrompit et déconcerta notre héros ; qui devint en un moment rouge comme du feu, et ensuite pâlit de colère.
Il y a dans la vie des héros un terme de bonheur et de gloire où ils doivent s’arrêter, sans vouloir passer outre, de crainte qu’en voulant forcer, pour ainsi dire, les destinées, ils ne tombent dans des malheurs qui leur attirent le mépris des mêmes hommes dont ils auraient acquis toute l’estime. […] Le héros de la Manche et son écuyer après avoir pris congé des dames, et avoir remercié la duchesse, prirent le chemin du Toboso, et couchèrent le premier jour dans une hôtellerie que Don Quichotte prit alors pour ce qu’elle était, et il ne leur arriva rien de particulier ; mais le lendemain s’étant remis en marche, et se trouvant sur le midi fatigués de la chaleur et du chemin qu’ils avaient fait, ils gagnèrent un bois fort épais qui pouvait être à trois cents pas du grand chemin. […] Sur quoi le héros de la Manche fit un long discours moral, que Cid Ruy Gomez a fort sagement fait supprimer. […] A mesure que la pleurésie se formait, nos héros se sentaient accablés de la violence du mal, et ils arrivèrent au Toboso avec une grande fièvre. […] On fit de superbes funérailles au héros de la Manche, et son écuyer reprit son premier métier, et passa commodément le reste de ses jours avec le bien qu’il avait mis en dépôt entre les mains du curé.
J’avertis les curieux qui voudront déterrer les noms de mes héros, et de mes héroïnes, qu’ils prendront une peine fort inutile, et que je ne sais pas moi-même quels ils étaient, ou quels ils sont ; ceci n’étant que des histoires différentes que j’ai entendu raconter en différents temps, et que j’ai mises par écrit à mes heures perdues. […] Presque tous les romans ne tendent qu’à faire voir par des fictions, que la vertu est toujours persécutée, mais qu’enfin elle triomphe de ses ennemis, en supposant néanmoins, comme eux, que la résistance que leurs héros ou leurs héroïnes apportent à la volonté de leurs parents, en faveur de leurs maîtresses ou de leurs amants, soit en effet une action de vertu. […] Il ne me reste qu’un mot à dire, au sujet des noms dérivés de ceux de baptême que j’ai donnés à mes héroïnes, tels que Manon, Babet et d’autres.
Notre héros allait continuer son chemin et sa morale s’il n’avait pas été interrompu par Parafaragaramus, qui parut sortir du mur à ses yeux et devant lui. […] Après quoi Dulcinée lui promit d’aller le remercier sur terre partout où il serait, et notre héros lui promit de la conduire dans tel endroit qu’elle voudrait se retirer. […] Il en était occupé lorsque le duc de Médoc entra dans sa chambre, qui contrefaisant l’étonné d’y voir toute cette vaisselle étendue, et d’en admirer la fabrique et l’art, demanda à notre héros si c’était à lui, et qui la lui avait apportée. […] Pendant qu’on avait fait le troc, Don Quichotte avait été habillé par les officiers du duc qui leur en avait donné ordre, sans que notre héros s’y opposât, parce qu’espérant que Dulcinée viendrait lui rendre visite, et qu’il était naturel de vouloir plaire à ce qu’on aime, il s’était laissé accommoder plus magnifiquement qu’il n’avait jamais été. […] Le duc qui ne voulait plus donner à notre héros aucun sujet de se fâcher, ne fit pas semblant de prendre garde à ce que Sancho disait, et l’ayant pris par la main, il l’emmena dîner où tout le reste de la compagnie les attendait, et Sancho les suivit.
En effet, ç’aurait été une chose digne de pitié, qu’un aussi honnête homme que notre héros fût mort dans ses imaginations ; mais avec ces favorables sentiments pour le maître, ils étaient bien résolus de fatiguer son malheureux écuyer de toutes manières, et d’en tirer tout le divertissement qu’un misérable paysan tel que lui, et avec cela fou à lier, peut donner à des gens de qualité. […] Je laisse à penser au lecteur quels étaient pour lors les sentiments du héros de la Manche et ceux de son écuyer. […] Ah, Seigneur chevalier, dit-elle au héros de la Manche, nous avons besoin de vous pour la pauvre Altisidore ; elle a été emportée cette nuit de son lit jusque dans l’étang du château où elle a pensé mourir de frayeur et de froid : les enchanteurs qui l’ont persécutée sans doute à cause qu’elle vous aime, l’ont traitée avec la dernière rigueur, elle est toute déchirée de coups de fouet, et on vient de la remettre dans sa première chambre plus morte que vive. […] Notre héros, qui profondément enseveli dans ses rêveries ne disait pas un mot, en fut retiré par les félicitations qu’on lui adressa sur le désenchantement de la princesse Dulcinée, et sur le plaisir qu’il aurait de rendre au jour une personne si belle et si parfaite. […] Notre héros ne se sentait pas d’aise, et Sancho qui avait toujours sa bourse en tête, dit qu’il voudrait que la chose fût déjà faite et avoir rattrapé son argent.
Notre héros coupa chemin à un des fuyards, et ayant appris de lui qu’on venait d’assassiner la duchesse de Médoc, il tomba comme la foudre sur les bandits, qui n’avaient pas encore eu le temps de monter à cheval. […] Notre héros reprit sa fureur, en même temps qu’il reprit connaissance, et joignit les bandits l’épée à la main, qui surpris de se voir sur les bras un homme qu’ils croyaient mort, se défendirent avec tout le désespoir de gens qui n’attendent que la roue, et Don Quichotte les attaquait avec toute la témérité d’un chevalier errant. […] Ce malheureux se préparait à porter un coup d’épée à cette dame, et l’aurait assurément percée, si notre héros n’eût fait gauchir le coup, en lui poussant son cheval sur le corps, en sorte que la duchesse en fut quitte pour la peur, et pour une égratignure à la main qu’elle avait portée au-devant du coup. […] Notre héros lui dit, qu’il était le plus heureux de tous les chevaliers, de ce que la fortune lui avait fourni l’occasion de lui rendre service.
A peine le point du jour paraissait que le héros de la Manche se leva, et fit lever Sancho. […] On doit se ressouvenir que ces bandits étaient les diables forgerons que notre héros avait mis en fuite, et qui s’étaient joints aux coupe-jarrets que Don Pedre et Octavio avaient rassemblés. […] Sancho, bien persuadé qu’il était invulnérable, imita son maître le mieux qu’il pût, de sorte que, quelque résistance que ces hommes pussent faire, nos aventuriers en mirent deux sur la place, et des gens du lieutenant étant venus aux coups de pistolets, notre héros leur abandonna les deux autres, et les pria de leur sauver la vie. […] Ils avaient reconnu les couleurs et les bandolières du duc de Médoc, sur le corps de ceux qui étaient venus au secours de notre héros qui les avait attaqués le premier dans leur caverne ; et ils ne doutaient pas que ce ne fût lui qui leur avait dressé cette partie ; et comme ils ne croyaient pas qu’il eût osé entrer dans la forêt, ni se commettre avec des gens comme eux, ils avaient résolu de venger leur mort par la sienne ; ainsi au lieu de se cacher dans leurs retraites ordinaires, ils avaient quitté le bois, et s’étaient jetés du côté du chemin du château de Valerio, et en tournant le dos à ceux qui les cherchaient, ils croyaient trouver le duc seul, ou du moins peu accompagné et hors d’état de leur résister ; mais au lieu de lui, ils trouvèrent la duchesse son épouse.
Cela avait attiré à notre héros des louanges excessives, dont sa modestie s’accommodait assez bien, quoiqu’il parût s’en défendre. […] Notre héros était armé, et Sancho désarmé voulait passer sans rien dire ; mais la duchesse l’arrêta et lui demanda où il allait si vite. […] Nous ne voyons rien. — Je l’anime, Monseigneur, répondit notre héros, contre un enchanteur qui est au pied de cet arbre, et qui est un géant monstrueux. […] Les ducs et tous les assistants prièrent notre héros d’aller délivrer le chevalier Sancho des mains de ce démon, mais il le refusa, leur disant que c’était un combat égal de corps à corps, et qu’outre les ordres de la Chevalerie, qui lui défendaient de le secourir, il lui avait aussi été défendu par Parafaragaramus de le faire.
La malicieuse Provençale, qui avait imaginé de concert avec le comte du Chirou le tour qui devait être joué le lendemain, avait à dessein tourné la conversation sur le défi de Sancho à tous les chevaliers errants, et afin que Don Quichotte en fût scandalisé, elle avait eu la malice de dire à son amant comme en secret, mais pourtant si haut que le héros de la Manche l’avait entendu : Le seigneur Sancho ne s’en dédit pas, et n’excepte pas même l’illustre princesse Dulcinée du Toboso. […] ne le vois-tu pas bien, mon enfant, lui répondit notre héros en se radoucissant, ne sais-tu pas bien que la valeur et la bravoure dans le combat, sont les seuls moyens qu’on doit employer pour remporter la victoire ? […] Sancho se tut, et en peu de temps notre héros l’entendit ronfler comme une pédale d’orgue.
Il s’endormit sur cette pensée, et notre héros passa toute la nuit à songer à son bonheur. […] Il connaissait assez la bravoure et l’intrépidité de notre héros, pour savoir jusques où son courage le porterait dans la forêt ; il prévoyait bien aussi que Sancho ne le quitterait pas d’un pas ; il aurait bien voulu ne les point exposer contre des bandits ; mais dans le fond, outre que Don Quichotte n’aurait pas trouvé bon que l’affaire se fût passée sans lui, le duc voyait bien qu’il lui serait d’un grand secours, et qu’après tout c’était la mort la plus glorieuse qui pût arriver à deux fous, que de perdre la vie en servant le public ; d’un autre côté il voyait bien que l’occasion serait chaude et de fatigue, et que les chevaux de nos aventuriers n’étaient point assez forts pour la supporter, ni leurs armes assez bonnes pour résister au mousquet et au pistolet ; ainsi il avait jugé à propos de les armer par cette voie étant bien persuadé que l’estime qu’ils feraient de leurs armes et de leurs chevaux, qu’ils croiraient tenir de la main d’un enchanteur, leur ami, les animerait davantage, et relèverait le courage, surtout de Sancho, qui lui paraissait abattu par la conversation qu’il avait eue avec Don Quichotte, et que lui et Parafaragaramus avaient écoutée.
. — Comment donc, ajouta Eugénie en riant et en s’adressant à notre héros, vous m’avez promis de ne nous point abandonner que je ne vous donnasse congé, et vous êtes tout prêt à partir ! […] lui demanda notre héros, voyant qu’il n’achevait pas. — Laissez-moi, Monsieur, lui dit Sancho avec chagrin. — Dis-moi ce que tu as, mon pauvre Sancho, je t’en prie, lui dit Don Quichotte. — Eh bien, Monsieur, voyez-vous, lui répondit-il, je suis fâché qu’on ne dira plus de nous que nous sommes saint Antoine et son cochon, puisque nous ne mangeons pas à la même écuelle, et que vous êtes avec des ducs et des comtes pendant que je suis avec des valets.
Le curé et son neveu, la nièce de Don Quichotte et les autres, furent reçus comme s’ils n’eussent fait que d’arriver, et ne trouvèrent rien d’extraordinaire dans la personne de notre héros qu’un grand fond de tristesse, dont on se promit de le retirer avec le temps. […] Dans la bonne volonté où ils se trouvaient tous pour notre héros, ils s’étaient préparés d’éloigner Sancho de lui, sitôt qu’ils auraient vu la réception que celui-ci aurait faite à sa femme. […] Il emmena Sancho dans la chambre de notre héros, à qui le bon écuyer fit le récit de ce qui venait de lui arriver.
Un des Français qui avait suivi ce prince, se trouva dans un festin avec des Espagnols ; on y parla des héros des deux nations.
Don Quichotte qui n’avait garde de demeurer en si beau chemin, reprit la parole après le duc, et après avoir répété une partie de ce qu’il avait dit, il ajouta que l’emploi de délivrer son pays de malfaiteurs et de brigands, était non seulement honorable, mais encore digne d’un roi ; que c’était par là qu’Hercule, Thésée et plusieurs autres héros s’étaient rendus fameux ; que c’était le premier devoir de la Chevalerie errante, puisque c’était délivrer les faibles des torts et des violences que les méchants leur faisaient, et que quand il serait roi, il ne tiendrait point cette recherche au-dessous de lui.
Le duc qui avait amené beaucoup de gens avec lui, en attendait encore d’autres, qu’il ne doutait pas qu’ils n’arrivassent incessamment, et tous ces hommes étant joints à ceux que le lieutenant avait amenés, et aux autres que Valerio pouvait fournir, on résolut de parcourir la forêt dès le lendemain, et de commencer à la pointe du jour, ce qui mit notre héros dans la plus grande joie qu’il eût eu de sa vie.
L’on a dit plusieurs fois, qu’excepté les visions sur les chevaliers errants, le héros de la Manche n’avait rien que de raisonnable, ainsi il était appelé dans leurs conversations, ou du moins y était souffert, et sa présence n’y apportait point d’autre circonspection que celle de ne point parler du tout de lui que par les beaux endroits, et jamais sur rien qui fût propre à redoubler ses accès, à moins que cela ne fût nécessaire pour le divertissement que la société avait prémédité d’en tirer.
Notre héros s’enquit de la bataille de Roncevaux, et ils lui répétèrent tout ce qu’il en avait déjà lu dans ses romans, et eux s’enquirent à leur tour de ce qui était arrivé sur terre depuis leur enchantement.
La marquise ayant par là l’esprit en repos, les ducs et les deux épouses n’ayant eu aucun sujet de chagrin que par rapport à leurs amis, le comte Valerio et son épouse étant contents, Sainville et sa veuve étant dans la meilleure intelligence du monde, aussi bien que le comte du Chirou avec la belle Provençale, Valerio et Sainville reprenant peu à peu leurs forces, Don Quichotte se portant bien, et Sancho en parfaite santé, à quelques brûlures près ; en un mot tout le monde ayant l’esprit porté à la joie et au plaisir on se disposa en attendant le départ, qui n’était retardé que par Valerio, Sainville et du Chirou, à prendre de nos aventuriers tout le divertissement qu’on pouvait en prendre sans s’en railler ouvertement, surtout de notre héros, dont le comte du Chirou admirait la valeur, et à qui il devait la vie, aussi bien que la duchesse et Eugénie, qui outre cela lui devait encore celle de son époux, et peut-être son honneur.
Puisque suivant la règle générale des romans, je dois en véritable héros vous raconter mon histoire après avoir appris toutes les vôtres, je vais le faire, au hasard d’être blâmé dans ma conduite. […] Vous êtes des héros de constance et de bonne foi, vous autres, poursuivit-il, et moi, j’en suis un de libertinage. […] Il n’est pas question, repris-je en hochant la tête, de jouer ici le personnage d’héroïne de théâtre ; il faut parler juste : voulez-vous m’épouser ou non ? […] Il n’a néanmoins pensé aboutir qu’à une tragédie dont j’aurais été le héros, et suivant toutes les apparences il finira par un mariage comme les comédies, et que je voudrais qui fût déjà fait. […] Je la pris pour une aventurière qui attendait son héros sur le pré ; je me trompais, elle n’y était venue que pour déconcerter un rendez-vous.
Il fallut donc me résoudre à quitter la partie, ou à filer le parfait amour en fidèle héros de roman jusques à sa mort, qui arriva environ dix-huit mois après. […] Non, répondit Des Frans en riant, mais j’ai à vous quereller de la part de ma commère, qui est fort innocente de la lettre dont vous l’accusez d’être l’héroïne, et de la part de Madame de Contamine que j’ai laissée chez elle.
Le jaloux trompé Histoire Pour ne point causer de scandale, vous me permettrez de vous cacher le nom des gens à qui l’aventure que je vas dire est arrivée, et même le lieu et la province où elle s’est passée, il suffit que ce soit en France et que le héros soit français.
Tels sont les Illustres Françaises, imprimées chez Abraham de Hondt à La Haye en 1713 et le sixième tome de Dom Quixotte donné au public sous le nom du sieur de Saint-Martin auquel ce livre fait honneur, quoiqu’il l’ait gâté en bien des endroits, surtout à la mort de son héros, qu’il fait mourir dans ses visions à la fontaine de Merlin et que je faisais mourir en honnête homme revenu de ses imaginations. […] Sa friponnerie paraît en ce qu’il se fait honneur d’un ouvrage qui ne lui appartient pas, et qu’il a défiguré par son peu de jugement en faisant mourir D[om] Quixotte de plurésie, et dans ses folies, sans se souvenir qu’il avait approuvé dans son impression ce que j’avais dit, que c’eût été dommage qu’un aussi honnête homme que notre héros fût mort dans ses imaginations. […] Elle me paraît pleine de probité et vraiment héroïque, et en effet si ce Prince n’avait pas été gâté par des flatteurs, il aurait été un prince parfait et un véritable héros. […] Jurieu dit plaisamment dans son Histoire des croisades contre Maimbourg que tous les chefs français et autres étaient des héros en Palestine, et qu’en retournant chez eux, ils y redevenaient des hommes ordinaires. […] Voici ce qu’on a fait à ce sujet : O mort qui cachez tout dans vos demeures sombres, Et par qui les plus grands héros, Dans l’attente d’un plein repos, Demeurent obscurcis dans d’éternelles ombres, Pourquoi venir par un faste nouveau Réveiller à nos yeux la sacrilège histoire D’un scélérat indigne de mémoire, Puisque même il était indigne du tombeau ?
La résolution est d’un véritable héros de roman, reprit-elle, vous m’aimez et vous consentez d’en épouser une autre ; bien plus encore, je comprends que si vous ne m’aimiez point vous ne vous marieriez pas.
Je ne crains pas d’en être le héros, reprit-il, car sitôt qu’ils seront mariés, après avoir vu l’air du gobet, et lui avoir encore tiré quelque plume, je ferai, comme on dit, un trou à la lune. […] Nous nous entretenions ainsi en attendant Valeran : mais Monsieur et Madame, poursuivit Des Frans en s’interrompant lui-même, et en parlant au maître et à la maîtresse de la maison, je ne sais si vous ne vous altérez point à m’écouter ; mais moi je m’altère à tant parler : il faut être plus héros de roman que je ne suis, pour conter une histoire si longue d’un seul trait ; faisons une pause.
Avec le bien qu’il avait de son côté, il lui en vint encore d’autre, par son mariage avec la fille d’un partisan puissamment riche, duquel elle est restée seule héritière ; ses frères et sœurs étant morts avant père et mère, et après le mariage avec le père de notre héros, c’est à présent la belle-mère d’Angélique.
Oui, répondit Des Frans, et sa femme est une héroïne de vertu, comme Madame en est une de constance.
Avertissement L’ouvrage dont on fait part au public dans ces trois volume a été trouvé en manuscrit dans le cabinet de son auteur, après sa mort ; et, comme il est tout rempli de vérités extrêmement intéressantes pour certaines gens au ressentiment desquels on ne s’expose pas d’ordinaire impunément, il y a tout lieu de croire qu’il n’aurait jamais vu le jour si un des intimes amis de l’auteur ne s’en était adroitement emparé à l’insu de sa famille, et n’avait pris soin d’en procurer l’impression. On y verra un journal fort exact et très circonstancié d’un voyage fait aux Indes orientales, pour le compte et par ordre de la Compagnie des Indes orientales de France, et sous la conduite de M. du Quesne, chef d’une escadre de six vaisseaux, depuis le 24 février 1690 jusqu’au 20 août 1691. L’auteur ne se renferme pas tellement dans le simple détail de ce qui regarde son escadre en général, et son vaisseau en particulier, qu’il ne s’égaie de temps en temps sur divers sujets, tantôt de théologie, tantôt de philosophie, tantôt d’histoire, et même assez souvent de galanterie et de chronique médisante. Il aurait sans doute été plus à propos de faire main basse sur quelques-uns de ces derniers endroits que de les publier, parce que la pudeur n’y est pas toujours assez ménagée : mais, on n’en a point été le maître ; et la personne de qui l’on tenait le manuscrit n’a jamais voulu consentir qu’on en retranchât aucune des choses auxquelles l’auteur avait trouvé à propos d’y donner place. Il les a toujours traitées d’une manière également agréable et intéressante ; et, chemin faisant, il débite sur tous ces sujets ses propres opinions, qui sont quelquefois assez singulières, et assez dignes de la curiosité des lecteurs.
Août 1690 [suite] Du samedi 12 août 1690 J’écris, sur les dix heures du matin, pour dire qu’après avoir bien chanté Noël, Noël est enfin venu ; c’est-à-dire que nous sommes à l’ancre devant Pondichéry. L’endroit me paraît beau ; mais je n’y vois point de fort. On dit pourtant qu’il y en a un. Quand j’aurai été à terre, je dirai comme il est fait. Car si j’ai quelque temps à moi, de quoi je ne doute point, j’en lèverai le plan, j’irai voir les pagodes, & j’obéirai à ma curiosité le plus qu’il me sera possible.