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2. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLVIII. Du combat de Don Quichotte contre Sancho, et quelle en fut la fin. »

prépare-toi toi-même à la mort, ou à avouer une chose que je fais avouer à tous ceux que je rencontre. —  Chevalier, lui dit Sancho, puisque je suis ici, ce n’est que pour y combattre à outrance, préparez-vous-y, ou avouez que Madame la comtesse Eugénie est plus belle que toutes les dames des chevaliers errants qui sont dans le monde, de quelque pays et de quelque qualité qu’ils soient. —  Nous ne sommes pas prêts à nous accorder, répondit le chevalier aux armes noires, puisque je prétends te faire avouer qu’une dame, que je ne veux pas te nommer, est non seulement plus belle que toutes les dames que tu viens de dire, mais aussi plus belle que la plus belle de toutes les belles dames du monde. —  Chevalier, reprit Sancho, j’ai eu la courtoisie de vous nommer la dame pour qui je suis en champ, nommez-moi aussi la vôtre, s’il vous plaît. —  Tu verras son portrait sur mon cœur, lui répondit le chevalier aux armes noires ; mais pour son nom tu ne mérites pas de le savoir de ma bouche, quoiqu’il ne te soit pas inconnu. —  Discourtois chevalier, lui dit Sancho, vous n’êtes qu’un incivil, et ne savez pas les règles de la Chevalerie. —  Je les sais mieux que toi, veillaque, lui repartit le furieux Don Quichotte. —  C’est ce que nous allons voir, lui répliqua Sancho ; faisons les conditions de notre combat. —  Je n’en veux point avec toi que celle de la mort, répondit-il. […] Chevalier, dit-il à Sancho, un enchanteur qui me persécute m’empêche de tirer mon épée. —  Et moi aussi, dit Sancho. —  Comment donc terminerons-nous notre combat ? demanda le chevalier aux armes noires. —  Vous n’avez qu’à avouer ce que je vous ai dit, répondit Sancho, et passer votre chemin. —  J’avouerais plutôt que je suis Turc, répondit Don Quichotte. —  Eh mardi ! […] Arrêtez-vous, leur cria-t-il sitôt qu’il fut à portée de la voix, indiscrets Chevaliers, tous deux également indignes de mon affection, et des peines que je me donne pour vous. […] Pour toi, Chevalier Sancho, poursuivit l’enchanteur après que le chevalier aux armes noires fut parti, tu n’as fait que ce que tu as dû faire, et je te pardonne avec plus de facilité qu’au chevalier qui s’en va ; assure-toi désormais de ma protection, et sois bien sûr qu’elle ne te manquera pas partout où mon pouvoir pourra s’étendre.

3. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLVII. Suites agréables de la victoire remportée par le chevalier Sancho, et du projet que forma Don Quichotte pour le faire repentir de son indiscrétion. »

Suites agréables de la victoire remportée par le chevalier Sancho, et du projet que forma Don Quichotte pour le faire repentir de son indiscrétion. […] Tout le monde l’en félicita, on l’arma avec cérémonie ; et les dames y ayant mis la main lui firent plus d’honneur que jamais chevalier errant n’en avait eu. […] Vous aviez promis tout cela, Seigneur chevalier, vous en convenez vous-même, et pourtant vous n’en avez rien fait. […] La beauté de Madame la comtesse vous donnera la victoire sur tous les chevaliers comme elle l’a sur toutes leurs dames à ce que vous dites. […] Il se résolut pourtant de faire dédire le téméraire écuyer, et pour cela de le combattre sous le nom d’un chevalier inconnu.

4. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LV. Don Quichotte et Sancho vont à la caverne de Montésinos. Ce qu’ils y virent, et comment se fit le désenchantement de Dulcinée. »

Viens, dit-il au chevalier, si tu oses descendre à armes égales, je pourrai te satisfaire, et mon écuyer se battra contre le tien. […] Il s’arrêta dans un espace assez large à plus de huit cents pas de l’entrée de la caverne, et y fit face à notre chevalier qui allait à lui l’épée à la main avec beaucoup de résolution. […] Il t’avait permis d’attaquer ce chevalier sur terre à armes égales, et quand il est en disposition de combattre contre toi, tu te rends invisible, de peur d’en être vaincu. […] Seigneur chevalier, s’écria Montésinos, voilà la princesse Dulcinée qui n’est point encore désenchantée, et qui ne vous reconnaît pas. […] Notre chevalier se rendit à ces raisons, parce qu’en effet la mort remet au même niveau ceux que la naissance ou la fortune avaient distingués.

5. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLVI. Pourquoi Sancho perdit ses armes enchantées, et du terrible combat qu’il eut à soutenir pour les recouvrer. »

Sitôt que l’officier les crut endormis, il monta au grenier, et sans faire le moindre bruit, enleva les armes du chevalier Sancho. […] Tu t’es rendu digne des armes que je t’ai données, et je te les laisse ; mais pour le chevalier Sancho, je suis animé contre lui, pour avoir touché des armes infernales, qui souillent les mains d’un chevalier errant, et pour lesquelles tout ce qu’il y a de braves chevaliers, surtout ceux que je protège, doivent avoir de l’horreur. J’aurais bien pu le garantir de la brûlure si j’avais voulu ; mais il ne mérite pas mes soins, n’étant pas digne du nom même de chevalier. […] contre qui l’animez-vous, Seigneur chevalier ? […] Relevez-vous, Chevalier, lui dit l’épouvantable figure ; je ne veux point avoir d’avantage sur vous.

6. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXIV. De l’arrivée de plusieurs personnes dans l’hôtellerie. Qui étaient ces personnes. Nouvel exploit de Don Quichotte. Sanglants combats. »

A moi, veillaques, à moi, s’écria-t-il, vous n’êtes que des lâches d’attaquer un seul chevalier avec tant d’avantage. […] Don Pedre se tourna en effet, et voyant encore un homme qu’il croyait avoir assommé, fit face à notre chevalier, après avoir dit à ses gens d’emmener Eugénie. […] Les bandits voyant encore notre chevalier à leurs trousses, s’enfuirent ; mais notre héros n’était pas pour en rester là. […] Ils reconnurent notre intrépide chevalier, et s’approchèrent d’Eugénie qui était évanouie et sans mouvement. […] s’écria-t-il, vous fuyez, infâmes, devant un seul chevalier qui a défait toute votre armée, mais je vous irai chercher jusques au fond des abîmes malgré Mahom, et vos faux enchanteurs.

7. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXIX. Du grand projet que forma le duc de Médoc, et dans lequel Don Quichotte entra avec plus de joie que Sancho. »

Quelque lecteur a sans doute déjà trouvé à redire qu’on n’ait point parlé des civilités que notre chevalier avait faites à ce duc, et s’imagine peut-être qu’il ne lui en fit point. […] Ce ne fut pas sans élever la valeur de notre chevalier au-dessus de celle de Roland et de Renaud. […] On arrêta sa fougue, et le duc, après l’avoir assuré qu’on ne ferait rien sans lui, lui fit promettre qu’il ne sortirait point du château ; ce qu’il jura foi de loyal chevalier. […] Mais, ami Sancho, lui dit Don Quichotte, il me semble que tu n’y viennes qu’à contrecœur. —  Ma foi, Monsieur, répondit le sincère chevalier, je n’y vais pas de trop bon cœur ; si c’était des chevaliers, passe ; mais des gens que l’on veut faire pendre, cela me sent l’alguazil, et franchement c’est un vilain métier. —  Tu te trompes, ami Sancho, lui dit Don Quichotte, un chevalier et un sergent, ou un homme de justice, sont en tout différents ; l’un n’y va qu’attiré et poussé par la vue d’un gain sordide ; mais un chevalier errant n’y va qu’en vue de l’honneur, et pour délivrer les bons et les innocents des torts que ces bandits leur font. —  Eh bon, bon, reprit Sancho, dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es. Tenez, Monsieur, ajouta-t-il, faites-en telle différence qu’il vous plaira, dans le fond c’est toujours le même métier, et les mêmes membres de justice qui y gagnent autant d’honneur que les chevaliers, ont encore du profit que les autres n’ont pas.

8. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LVI. De ce qui suivit le désenchantement de Dulcinée. »

Grande divinité, dit-il à Pluton, vous sévère Minos, et vous équitable Rhadamanthe, souverains juges des enfers, vous venez d’entendre l’accusation qui vient d’être intentée par Plutus contre le chevalier Sancho. […] Il a su que le chevalier Sancho l’avait trouvé, et puisqu’il ne lui a pas redemandé, n’était-ce pas consentir qu’il le gardât, et le lui donner tacitement ? […] Je conviens, dit Plutus, que l’argent appartient au chevalier Sancho, puisque le sage Parafaragaramus dit que Cardénio le lui a donné. […] Celle du chevalier a été de retenir cet argent à l’insu du propriétaire, et par conséquent de faire un vol. […] Là-dessus Minos présenta aux démons une grande mandille d’un beau brocard blanc, dont ils vêtirent le chevalier qui se laissa faire de son bon gré, et qui fut rendu à son maître.

9. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LVIII. Des tristes et agréables choses que Parafaragaramus apprit au chevalier de la Manche. »

Des tristes et agréables choses que Parafaragaramus apprit au chevalier de la Manche. […] A cette parole la musique recommença à célébrer les louanges du chevalier des Lions, qui s’était vaincu lui-même. […] Le chevalier le regarda de travers à cette insolence ; mais Sancho soutenant la gageure : Un bon aventurier en vaut deux, dit-il. […] Ah, Seigneur chevalier ! […] Le chevalier le prit après quelque difficulté en lui baisant la main et en mettant un genou à terre.

10. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLI. Don Quichotte et Sancho s’arment pour aller combattre les brigands. Ces deux chevaliers font des actions de valeur inouïes. »

Ces deux chevaliers font des actions de valeur inouïes. […] Quand le jour fut grand, le duc sous prétexte de visiter tout son monde, descendit dans la cour, où il fit semblant d’être surpris de voir nos deux chevaliers à pied et désarmés. […] Seigneurs chevaliers, leur dit-il, renoncez-vous à la profession, et le péril vous fait-il peur ? […] Notre intrépide chevalier, sans affecter aucune troupe, se jeta dans le premier chemin qu’il trouva, et ne suivant que ses visions, allait le plus vite qu’il pouvait. […] Ce grand bruit acheva de faire revenir nos chevaliers de l’étourdissement où ils étaient.

11. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXV. Du tour ridicule et malin que fit Parafaragaramus au chevalier Sancho, et des événements tristes qui le suivirent. »

Du tour ridicule et malin que fit Parafaragaramus au chevalier Sancho, et des événements tristes qui le suivirent. […] Il n’en est pas de même du chevalier Sancho Pança. […] La Française parlait français, et Sancho ne le savait pas : il douta quelque temps s’il était effectivement chevalier, parce qu’il n’entendait pas ce que disait la Française, et qu’il avait ouï dire à son maître que les chevaliers errants entendaient toutes sortes de langues. […] Eh Monsieur le chevalier, qui vous a mis là ? […] Monsieur le chevalier, reprit l’officier, Parafaragaramus est de nos amis ; vous l’avez pris pour un autre, ou quelque autre a pris son nom.

12. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LIV. Départ de la compagnie. Comment Sancho fit taire le curé. Aventures diverses arrivées à cet infortuné chevalier. »

Aventures diverses arrivées à cet infortuné chevalier. […] Notre chevalier qui était à table, mangeait et buvait si vite et si dru, si j’ose me servir de ce terme, qu’un morceau n’attendait pas l’autre. […] Nos chevaliers, comme on voit, étaient en bonne main, surtout Sancho, qui était bien recommandé. […] Elles plaignirent toutes cette pauvre fille, et blâmèrent la cruauté du chevalier. […] Ne sais-tu pas qu’un chevalier errant doit être chaste du corps et du cœur ?

13. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LIII. Belle morale du seigneur Don Quichotte. »

Il serait à souhaiter pour nous, Seigneur chevalier, lui dit en riant la duchesse de Médoc, que nos maris fussent chevaliers errants, ou qu’ils eussent vos sentiments, nous en serions mille fois plus heureuses. — Ils en seraient plus heureux aussi devant Dieu et devant les hommes, reprit Don Quichotte ; devant Dieu, puisqu’ils lui tiendraient la promesse qu’ils lui ont faite à la face de ses autels de garder la fidélité à leurs épouses, comme ils veulent que leurs épouses la leur gardent ; et devant les hommes, parce qu’on ne verrait point parmi eux ces harpies invétérées qui passent de père en fils, et qui semblent être éternelles, contre les exprès commandements de Dieu. […] On ne peut pas disconvenir que les anciens chevaliers errants n’aient été des hommes parfaits et des modèles de vertu ; qu’on m’en cite quelqu’un qui ait manqué de fidélité à sa maîtresse ou à son épouse. […] L’Ecriture Sainte même élève l’homme au-dessus de la femme, lorsqu’elle dit qu’il en est le chef, et qu’elle ordonne aux femmes d’être sujettes à leurs maris. — Tout beau, Monsieur, répliqua notre chevalier, laissez-moi vous répondre. […] Monsieur le chevalier, lui dit le curé, il faut que vous vous désabusiez. […] Le chevalier Sancho a raison, dirent en même temps les ducs et le comte, toutes les femmes ne sont bonnes qu’à faire désespérer leurs maris. — C’est ce que je disais l’autre jour, reprit Sancho, ravi que les gens mariés fussent de son parti. — Mais, Chevalier Sancho, lui dit Eugénie, il faut prendre en patience les contradictions de votre femme, et croire que c’est Dieu qui vous l’a donnée telle qu’elle est pour vous faire faire pénitence. — Non, non, Madame, lui dit-il, ce n’est pas le bon Dieu, c’est le Démon qui me la laisse. — Voilà de terribles paroles que vous lâchez, lui dit le curé. — Oh !

14. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLIII. De l’accident qui arriva au chevalier Sancho, en tirant une arme à feu. Remède pire que le mal. »

De l’accident qui arriva au chevalier Sancho, en tirant une arme à feu. […] Otez-moi ces armes infernales, Chevalier, dit-il à son maître, je suis mort. […] C’est ici, mon pauvre Sancho, lui dit-il d’un ton de compassion, qu’il nous faudrait du baume de Fiera-bras. —  Non, non, Monsieur, lui dit un des gens de la duchesse, il y a d’autres remèdes qui à la vérité ne font pas un effet si prompt, mais qui peuvent soulager le seigneur Sancho. —  Dites-le promptement, je vous supplie, lui dit le pitoyable chevalier. —  Il ne faut que de l’urine, répondit l’autre, et en laver les plaies, cela emportera à coup sûr le venin et la douleur. […] Il fut question de ramasser de l’urine ; mais Don Quichotte et Sancho ne se ressouvinrent pas du gobelet ; en sorte que la duchesse leur tournant le dos, et s’éloignant d’eux, leur dit qu’ils fissent comme ils l’entendraient, et elle abandonna le pauvre chevalier Sancho à leur discrétion, ou plutôt à leur malicieuse charité. […] Ruy Gomez dit que malicieusement ils lui en lâchèrent quelque portion dans la bouche, que le chevalier avala malgré lui.

15. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LXI. Comment Don Quichotte et Sancho sortirent du château pour s’en retourner chez eux ; de ce qui leur arriva sur la route. Mort de Don Quichotte ; et ce qui s’ensuivit. »

Le chevalier Sancho parfaitement rétabli, continuait à divertir les dames par ses saillies et ses proverbes. […] Les chevaliers tournèrent la tête du côté qu’ils entendaient le murmure de l’eau, et eurent d’autant plus de joie d’apercevoir une fontaine, qu’ils se sentaient extraordinairement altérés. […] Nous sommes ici, mon fils, dans la forêt des Ardennes, et la fontaine que tu vois est l’ouvrage du sage Merlin ; cet enchanteur l’a faite exprès pour guérir un chevalier de ses amis de la passion qu’il avait pour une princesse ; car il faut que tu saches que cette eau a la vertu de changer en haine le plus violent amour. — Quoi, Monsieur ! dit Sancho, un chevalier amoureux n’a qu’à boire de cette eau pour cesser d’aimer ? […] Les deux chevaliers, après avoir d’autant plus bu qu’ils s’imaginaient que chaque goutte ajoutait un nouveau degré de haine à leurs sentiments, se reposèrent sur l’herbe, et commencèrent à s’entretenir de la tranquillité qu’ils venaient de se procurer.

16. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XL. Des armes enchantées que les deux chevaliers reçurent de Parafaragaramus, avec des chevaux infatigables. »

Des armes enchantées que les deux chevaliers reçurent de Parafaragaramus, avec des chevaux infatigables. […] Ecoute-moi, brave Don Quichotte, vrai miroir de la Chevalerie errante, honneur de la Manche, modèle de tous les chevaliers passés, présents et futurs. […] Le chevalier Sancho trouvera aussi un cheval, des armes et l’épée de Pinabel. […] Cette effroyable voix cessa à ces paroles, et laissa notre chevalier transporté de joie. […] Dame de mes pensées, s’écria-t-il, illustre Dulcinée du Toboso, votre chevalier aura donc le bonheur de rompre l’enchantement qui vous retient.

17. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXVII. Des offres obligeantes que fit le duc d’Albuquerque aux dames françaises ; de la reconnaissance de Valerio et de Sainville, et de la conversation particulière que Don Quichotte eut avec Sancho. »

Il n’est pas encore temps de songer à leur départ, Seigneur chevalier, lui dit le duc ; nous ferons tous le voyage ensemble : nous vous prions de ne vous point impatienter jusques à ce temps-là ; vous savez que vous êtes nécessaire ici. —  Comment donc, ajouta Eugénie en riant et en s’adressant à notre héros, vous m’avez promis de ne nous point abandonner que je ne vous donnasse congé, et vous êtes tout prêt à partir ! […] Là-dessus il conta à son maître tout ce qui lui était arrivé, avec son ingénuité ordinaire, confessant qu’il avait éloigné le combat avec Parafaragaramus, parce qu’ils avaient fait la paix, mais que ce n’était assurément pas lui, mais que celui qui avait pris son nom lui avait joué ce vilain tour. —  Je n’ai jamais lu, reprit Don Quichotte, que pareille aventure soit arrivée à chevalier errant ; mais mon enfant, il arrive tous les jours des choses nouvelles et surprenantes, aussi ne devais-tu pas entrer dans l’hôtellerie, ni quitter le champ de bataille, non plus que ton cheval, parce qu’un bon chevalier doit toujours être en état. —  Ah pardi je vous tiens, interrompit Sancho, la pelle se moque du fourgon ; médecin guéris-toi toi-même ; t’y voilà, laisse-t’y choir ; à bon entendeur salut. —  Que veux-tu dire, lui demanda Don Quichotte, avec tes proverbes entassés l’un sur l’autre ? […] Don Quichotte embarrassé de ce que le nouveau chevalier venait de lui dire, prit un ton plus bas que celui de pédagogue ; Eh bien, San-cho, lui dit-il, il faut t’en consoler, puisqu’il n’a pas tenu à toi de faire autrement. —  Je m’en console aussi, reprit Sancho ; mais… —  Quoi, mais… ? […] Je suis pourtant chevalier aussi bien que vous, et il me semble qu’on devrait bien faire à tous seigneurs tous honneurs. —  Il est vrai, répondit Don Quichotte, que j’ai été surpris que tu n’aies point soupé avec nous ; mais, Sancho, tu dois en avoir de la joie, puisque c’est signe qu’on respecte ici la vertu, et qu’on regarde les gens par leurs actions, et non pas par leur qualité.

18. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LVII. Du repas magnifique où se trouva Don Quichotte, et du beau et long discours qu’il y tint. »

Merlin, qui parut être le maître des cérémonies, fit mettre Don Quichotte et Dulcinée à côté l’un de l’autre dans des fauteuils si bien dorés, qu’ils paraissaient être d’or effectivement ; Durandar et Balerme furent mis vis-à-vis d’eux dans des sièges moins magnifiques, et Sancho et Montésinos furent mis, celui-ci entre Durandar et Don Quichotte, et Sancho entre Dulcinée et Balerme, et cela, parce que Dulcinée avait absolument voulu se placer entre nos deux aventuriers, et donner la droite à son chevalier. […] Elle parut toute rêveuse, et pria notre chevalier de réserver leur conversation jusqu’après le souper, où il promit de lui dire bien des choses en présence de Durandar et de Montésinos. […] Les lois simples et intelligibles étaient interprétées par des chevaliers l’épée au côté, qui suivaient toujours les voies que la raison et l’équité leur suggéraient. […] Les seuls chevaliers errants restaient armés, et allaient par le monde défaisant les torts, et réparant les dommages.

19. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LX. De l’aventure qui arriva au malheureux Sancho peu de temps après qu’il fut hors de chez le duc de Médoc, et de plusieurs autres choses qui ne sont pas de grande importance. »

Un des parents de la défunte entre autres, s’approcha de l’indiscret consolateur, et lui porta un coup de poing dans le ventre, dont il se fit à lui-même plus de mal qu’à Sancho, parce qu’il avait frappé sur le corselet dont le chevalier était armé. […] Alors les autres assistants s’armèrent de ce qu’ils purent trouver ; les uns se saisirent des chandeliers, les autres des flambeaux, les autres prirent les bâtons qui servaient à porter le cercueil, et tous tombant en même temps sur le misérable chevalier, lui firent bientôt vider les arçons, et se mirent à travailler sur lui comme à l’envi l’un de l’autre ; de manière qu’ils l’auraient bientôt expédié si les gens que le duc avait envoyés après lui ne fussent arrivés assez à temps pour lui sauver la vie. […] Il ne resta au château que les duchesses de Médoc et d’Albuquerque, la comtesse Eugénie et les deux chevaliers.

20. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLII. Comment Don Quichotte sauva la vie à la duchesse de Médoc. Nouveaux exploits des deux chevaliers. »

Nouveaux exploits des deux chevaliers. […] Notre héros reprit sa fureur, en même temps qu’il reprit connaissance, et joignit les bandits l’épée à la main, qui surpris de se voir sur les bras un homme qu’ils croyaient mort, se défendirent avec tout le désespoir de gens qui n’attendent que la roue, et Don Quichotte les attaquait avec toute la témérité d’un chevalier errant. […] Notre héros lui dit, qu’il était le plus heureux de tous les chevaliers, de ce que la fortune lui avait fourni l’occasion de lui rendre service.

21. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre L. Dissertation sur la différente manière d’aimer des Espagnols et des Français. »

Nos chevaliers le savaient et se disposaient aussi à partir. […] L’on a dit plusieurs fois, qu’excepté les visions sur les chevaliers errants, le héros de la Manche n’avait rien que de raisonnable, ainsi il était appelé dans leurs conversations, ou du moins y était souffert, et sa présence n’y apportait point d’autre circonspection que celle de ne point parler du tout de lui que par les beaux endroits, et jamais sur rien qui fût propre à redoubler ses accès, à moins que cela ne fût nécessaire pour le divertissement que la société avait prémédité d’en tirer.

22. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LIX. De ce qui se passa chez le duc de Médoc après le départ de Dulcinée, et comment Sancho reçut sa femme que la duchesse fit venir au château. »

Ce fut ainsi qu’en s’accommodant aux visions du chevalier on lui ôta de l’esprit l’idée de l’enchantement et de la conquête de l’imaginaire Dulcinée. […] Don Quichotte, dit-il à notre chevalier, je viens te rendre la dernière visite que tu recevras de moi de ta vie. […] Les ducs, les comtes et les dames arrivèrent en ce moment, et la duchesse d’Albuquerque remontrant à Sancho qu’il était indigne d’un chevalier de battre sa femme, que cela était infâme à un honnête homme, et qu’à peine le pardonnait-on à un crocheteur, et que Monsieur le duc était en droit de s’en offenser, cela s’étant passé dans son château et à ses yeux, celui-ci lui répondit qu’il n’avait fait que ce qui lui avait été commandé par les juges d’enfer, et par le sage Parafaragaramus, et de plus, qu’entre le bois et l’écorce il n’y faut pas mettre le doigt.

23. (1690) Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales (tome 1)

L’Oiseau est commandé par M. le chevalier d’Aire, fils de M. d’Aire, qui a été intendant à Rouen. […] Tant mieux : nous en vivrons mieux ; et si la concorde est troublée, ce ne pourra être que par un nommé M. de Bouchetière, qui se fait nommer le chevalier. […] Il était enseigne sur l’Oiseau avec M. de Vaudricourt, lorsque M. le chevalier de Chaumont alla ambassadeur à Siam et que M. l’abbé de Choisy l’accompagnait. […] Cela posé pour fondement certain, comme il l’est en effet, le chevalier de Bouchetière jugea à propos de se servir du temps de mon absence et de celle de M. […] Le chevalier de Bouchetière ne peut pas dire qu’il fût prévenu, puisque nous entrâmes tous en même temps.

24. (1691) Journal du voyage des Indes orientales (à monsieur Raymond)

Les autres navires sont l’Oiseau, qui est commandé par Monsieur le chevalier d’Haire ; le Florissant par Monsieur Le Joyeux qui a aussi été aux Indes, et qui commandait la Maligne qui accompagnait Monsieur le chevalier de Chaumont que le Roi envoyait ambassadeur à Siam en 1685 ; l’Ecueil, commandé par Monsieur Hurtain ; le Lion, par Monsieur de Chamoreau et le Dragon par Monsieur de Quistilly. […] Mais puisque nous sommes sous la Ligne, il n’est pas mal à propos de vous dire que le Sr. des Brosses, secrétaire de Monsieur le chevalier de Chaumont, ambassadeur du Roi à Siam, s’est fort blousé en disant dès le commencement de son livre (qui est imprimé et donné au public sous le titre de Relation de l’ambassade de monsieur le chevalier de Chaumont à la Cour du Roi de Siam) que l’eau du fond de cale était aussi fraîche que si on fût venu de la tirer de la fontaine. […] Ce sont là des endroits que Monsieur le chevalier de Chaumont n’aurait point oubliés s’il avait écrit lui-même, mais il s’en est Fié à son secrétaire qui au commencement de son écriture s’est donné carrière, et qui a épargné le papier à la fin. […] Nous avons été dîner à bord du Gaillard, au sortir de là nous avons été à 1’Oiseau où nos capitaines ont dîné, Monsieur le chevalier d’Aire les ayant régalés aujourd’hui. […] Notre commandant, qui est à présent Monsieur le chevalier d’Haire, a fait signal pour faire approcher les navires du sien ; on y a été.

25. (1691) Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales (tome 2)

Qu’un homme de qualité en Europe ait plusieurs enfants, l’aîné soutient la dignité de la famille, le second est destiné à l’épée, c’est un chevalier de Malte, & le troisième est monsieur l’abbé. […] M.le chevalier d’Aire a eu un coup bien favorable. […] Le chevalier de Bouchetière n’est point heureux. […] La blessure du chevalier de Bouchetière ne sera rien, ce n’est qu’une contusion, mais il faut qu’il reste couché : c’est son plus grand mal. […] Ce n’est pas depuis peu que cette brouillerie subsiste ; & voici ce que M. le chevalier de Chaumont, ambassadeur à Siam, en dit dans sa Relation, page 110.

26. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXIII. Comment on a découvert ces nouvelles aventures qu’on donne au public. »

Quoique l’Espagnol crût avoir pris le Français pour dupe, celui- ci ne se crut point trompé ; et en effet, s’il l’a été, ce n’est pas de beaucoup ; du moins, supposé qu’il ait fait une folie, le public lui en aura obligation, étant très certain que sans lui les mémorables aventures de l’incomparable Don Quichotte, et celles du chevalier Sancho Pança, ci-devant son écuyer, seraient restées dans l’oubli, quoiqu’elles soient dignes de la curiosité des gens qui n’ont rien de meilleur à faire que d’employer leur temps à une lecture fort inutile, sans en excepter la morale du savant Don Quichotte, dont personne ne profite, ou du moins très peu de gens.

27. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLIV. Ce qui se passa dans le château après cette expédition. »

On ne voulut pas défendre davantage la négative crainte d’irriter notre chevalier, qu’on ne contredisait en rien, et pour qui on avait toute sorte de complaisance sur les sujets qui avaient quelque rapport à la Chevalerie errante, et pour ne pas en avoir de sujet chacun prît le chemin de sa chambre.

28. (1721) Mémoires

Clément V, pape sans pitié ni sans religion, résolut pour subsister avec honneur de s’emparer du bien des chevaliers templiers, et pour cela de leur faire accroire qu’ils étaient sodomites et dignes du feu, et en effet les fit brûler sans miséricorde. […] MM. de Beauregard et le chevalier de Château-Regnault et moi, qui venions à Paris par le messager, sortîmes de notre auberge, et entendîmes la querelle et le sujet. […] Ainsi que Crozat prenne garde à leurs atteintes ; sa croix de chevalier de l’ordre du Saint-Esprit ne l’exemptera pas, non plus que les siens, des griffes de pareils diables. […] J’y ai vu ce chevalier qui, sous le nom de Haute-feuille, avait une compagnie d’infanterie, et qui était regardé comme le dernier des malhureux. […] Il en fut fâché, et Monsieur le chevalier de Grammont lui proposa pour second M. 

29. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur Des Frans et de Silvie. »

Je suis pourtant fort aise que votre diamant leur ait échappé ; puisque sans lui vous auriez été en peine de vous-même, et le véritable Chevalier de la Triste-Figure ; mais je n’ai de regret au reste qu’ils vous ont pris qu’à cause que vous n’avez point été en état de vous rendre auprès de moi. […] Que c’était une fille de grande qualité qui s’était laissé aller au chevalier de Buringe depuis marquis du même nom, sous une promesse de mariage.

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