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2. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur de Terny, et de Mademoiselle de Bernay. »

Toute ma raison cède au désespoir où votre départ me jette ; je ne me connais plus ; quelle vie vais-je mener ! […] Je rends la dureté de mon père responsable devant Dieu de toutes les démarches que mon désespoir peut me faire faire. […] Je suis au désespoir de ce qui lui en coûte, mais un simple éclaircissement guérira son amant. […] Votre idée me donne vers le monde des retours qui flattent mon désespoir, sans le faire cesser. […] Adieu mon cher amant, conservez chèrement mon souvenir ; n’imitez point mon désespoir, conservez-vous, c’est la seule grâce que je vous demande.

3. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre LI. Le jaloux trompé »

La fantaisie qu’il avait dans la tête ne lui avait point ôté l’amour qu’il avait pour elle ; on peut dire même que plus il la persécutait, plus il l’aimait, ou pour parler plus juste, il ne la persécutait que parce qu’il l’aimait ; ainsi il ne la vit pas plutôt hors de danger que son désespoir parut par toutes les marques qu’on peut en donner ; jusque-là que sa femme ayant eu une crise, et quelqu’un ayant crié mal à propos qu’elle venait d’expirer, il voulut se passer son épée au travers du corps ; mais en ayant été empêché par ceux qui étaient dans la chambre de sa femme, il en sortit et alla se jeter par une fenêtre, disant qu’il ne voulait pas lui survivre. […] On alla au plus vite le retirer de cette charrette où il était tout étourdi de cette chute ; il en revint, et ce fut pour faire encore un autre coup de désespoir, en se frappant contre la muraille, où il se donna un si grand coup de la tête qu’on le crut mort. […] Ces paroles l’ayant mis au désespoir, il se jeta presque à ses pieds ; et l’officier qui s’en donnait la comédie, n’aurait pas sitôt cessé, s’il n’eût craint de le rebuter. […] ne voyez-vous pas, répliqua-t-il avec emportement, que si vous sortiez elle aurait ses coudées franches et que j’en mourrais de désespoir ? […] On la chercha vainement de tous côtés pendant plus de trois mois, que son mari toujours idolâtre d’elle, furieux et jaloux, resta en vie : enfin ne pouvant plus résister au chagrin de sa perte, ni au désespoir d’être l’objet des railleries publiques, il mourut comme il avait vécu les dix-huit derniers mois de sa vie, dans les agitations d’une fièvre chaude qui l’emporta.

4. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur de Jussy, et de Mademoiselle Fenouil. »

Non, lui dis-je, si mon cœur était tranquille, je ne chercherais pas à l’occuper si cruellement pour moi : ce n’est que le désespoir où je suis de ne pouvoir être jamais à vous, qui me jette entre les bras d’une autre, et me force à recourir à un remède si violent. Et sur quoi fondez-vous ce désespoir, dit-elle ? […] Je la fis pleurer ; je la picotai et la brutalisai encore de nouveau, et lui en dis tant, qu’elle ne put s’empêcher de me dire qu’elle était au désespoir que les choses fussent si avant, et qu’après ce que je venais de lui dire, elle ne m’épouserait qu’avec répugnance. […] Je n’en ai pourtant pas changé, reprit-elle ; mais puisque vous avez assez d’indifférence et de dureté pour m’abandonner dans l’état où je suis, à tout ce que mon désespoir peut me suggérer, je veux tout d’un coup vous délivrer de vos inquiétudes, et me punir d’avoir aimé un homme qui ne m’a aimée que pour son seul plaisir, sans attache à ma personne. […] J’en fus au désespoir, mais je n’étais point en état de la venger que par ma douleur.

5. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur Dupuis, et de Madame de Londé. »

Que j’en étais au désespoir et prêt de faire telle réparation qu’il lui plairait, enfin je lui fis voir un véritable et sincère repentir. […] Tout ce que vous faites ici auprès de moi, ajouta-t-elle, n’est qu’une comédie ; car dans le fond vous seriez au désespoir d’être pris au mot. […] Je la suppliais de s’en souvenir, et de ne me jeter pas dans le désespoir en se donnant à Alaix. […] Je mourrais de rage et de désespoir si une clôture me défendait présentement d’abandonner mon cœur aux tendres mouvements dont il est agité. […] L’action de désespoir que je faisais, dissipa toutes les frayeurs de Madame de Londé.

6. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur de Contamine, et d’Angélique. »

Cette demoiselle est assez belle, et aimable, l’appui de la princesse aurait embarrassé Contamine, et aurait mis Angélique au désespoir. […] Qu’avez-vous donc résolu, belle Angélique, lui dit-il, avez-vous dessein de me mettre au désespoir ? […] Elle était au désespoir d’avoir été reconnue, et que cette princesse la prenait pour ce qu’elle n’était pas. […] répondit-elle en redoublant ses larmes, voilà mon désespoir. […] Il en était pourtant au désespoir, et se jeta vingt fois à ses pieds pour l’empêcher d’en venir là.

7. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLII. Comment Don Quichotte sauva la vie à la duchesse de Médoc. Nouveaux exploits des deux chevaliers. »

Notre héros reprit sa fureur, en même temps qu’il reprit connaissance, et joignit les bandits l’épée à la main, qui surpris de se voir sur les bras un homme qu’ils croyaient mort, se défendirent avec tout le désespoir de gens qui n’attendent que la roue, et Don Quichotte les attaquait avec toute la témérité d’un chevalier errant. […] Elle fut remarquée par un de ces scélérats, qui, poussé de son désespoir vint à elle, et l’aurait tuée si Don Quichotte ne se fût aperçu de son dessein.

8. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur Des Frans et de Silvie. »

J’en suis au désespoir, non pas qu’elle n’ait point réussi, mais parce que j’ai manqué de sincérité pour vous. […] Vous ne savez que trop quels étaient mes sentiments ; et j’étais au désespoir de voir Garreau mieux reçu que moi. […] Je le suivis un soir, et j’appris avec désespoir, que c’était Monsieur Des Frans. […] Quel désespoir ! […] L’envie que j’avais de trouver la mort, me fit passer pour un déterminé ; on donna à une valeur surnaturelle, des actions qui n’étaient dues qu’à mon désespoir.

9. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur Des Ronais, et de Mademoiselle Dupuis. »

Sa fille en pleura ; j’en fus au désespoir ; mais il n’y avait point de remède. […] Vous n’avez de moi qu’un portrait qui n’est qu’une idée et de simples couleurs ; je suis au désespoir de vous l’avoir donné, vous le comparez avec vos belles, elles vous plaisent, et il ne vous plaît plus. […] Du Pont le père ne savait qu’en penser, le fils était au désespoir de voir ses espérances évanouies ; Mademoiselle Dupuis sortit toute en pleurs ; mais moi qui connus pour lors toute la fourberie, je ne pus me taire. […] Il faut être moi, pour bien concevoir ma rage et mon désespoir : je ne pouvais soupçonner qu’il y eût aucun tour là-dessous. […] Avouez tout, interrompit-elle, et convenez qu’il est un extravagant, au désespoir à présent de n’avoir pas accepté les moyens que je lui ai donnés de s’éclaircir.

10. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « ChapitreLII. Le mari prudent »

L’amour se nourrit et s’augmente par l’espérance, mais il ne meurt pas par le désespoir. […] Je suis au désespoir, Monsieur, dit-il à Cléon, de vous faire voir un objet aussi désagréable et pour vous et pour moi que celui que je vous présente ; mais ayez la bonté de vous souvenir que vous m’avez dit que vous ne croiriez jamais rien au désavantage de la vertu de votre fille que vous ne le vissiez de vos propres yeux ; il a fallu vous convaincre, et je n’ai pu me dispenser de le faire.

11. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LIV. Départ de la compagnie. Comment Sancho fit taire le curé. Aventures diverses arrivées à cet infortuné chevalier. »

Il faudrait une plume plus éloquente que la mienne pour exprimer de quel désespoir il fut saisi quand il ne le trouva plus. […] Cid Ruy Gomez a avoué qu’il lui avait été impossible de peindre le désespoir de Sancho lorsqu’il s’aperçut de sa perte, non plus que les transports de sa joie lorsqu’il aperçut au bord de ce ruisseau la même bourse qu’il regrettait tant.

12. (1713) Les illustres Françaises « Histoire de Monsieur Des Prez, et de Mademoiselle de l’Épine. »

Cela me mettait au désespoir ; mais je me trompais, c’était tout le contraire. […] J’étais au désespoir de l’avoir commise si mal à propos ; et qu’elle eût été vue par un autre que moi dans l’état où elle était et surtout par un coquin de paysan. […] Cela aurait continué jusques après ses couches, sans le malheur qui arriva, dont mon imprudence fut cause, qui lui a coûté la vie, qui cause le désespoir où je suis, et qui outre cela, donne de moi de si mauvaises impressions dans le monde. […] Elle de son côté, qui à ce qu’elle m’a dit, n’avait fait ce qu’elle avait fait que par une politique damnable, pour se conserver auprès de mon père, était au désespoir d’en être venue si avant ; et ne l’avait envoyée à l’Hôtel-Dieu, que pour lui faire connaître le peu d’intérêt qu’elle y prenait ; mais dans l’intention d’aller la requérir aussitôt, et de la faire conduire dans sa chambre. […] Ce fut là que je regrettai ma liberté, parce que je ne pouvais pas me venger par un coup de main, ni périr au gré de mon désespoir.

13. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre L. Dissertation sur la différente manière d’aimer des Espagnols et des Français. »

Les Espagnols ne s’inscrivirent point en faux contre un si bon auteur, mais ils prétendirent encore que l’amour des Français n’était point si violent que celui des Espagnols, parce que, disaient-ils, on ne voyait point de Français se jeter, pour l’infidélité de leurs épouses, dans le dernier désespoir, comme on le voyait souvent en Espagne, surtout en Portugal, où un mari trompé se venge sur lui-même, et attente à sa vie de rage et de dépit.

14. (1713) Les illustres Françaises « Préface. »

Celle de Dupuis fait voir qu’un libertin se retire de son libertinage, lorsqu’il s’attache à une femme de vertu : on y voit tout l’excès d’un amour au désespoir, tant par ce qu’il dit de Gallouin en justifiant Silvie ; et ce qu’il dit de Gallouin montre, que si un homme est capable de tout pour ses plaisirs, lorsqu’il se livre à des réflexions chrétiennes, il n’en fait que de bonnes et de profitables.

15. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XXXV. Du tour ridicule et malin que fit Parafaragaramus au chevalier Sancho, et des événements tristes qui le suivirent. »

Don Quichotte les avait laissés aux mains ensemble, et n’étant plus que seul à seul, ils avaient fait voir toute la valeur, ou plutôt toute la fureur dont sont capables des gens possédés par la jalousie, l’amour, le désespoir et la haine.

16. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLI. Don Quichotte et Sancho s’arment pour aller combattre les brigands. Ces deux chevaliers font des actions de valeur inouïes. »

. —  Monseigneur, lui répondit Don Quichotte, je serais au désespoir qu’un autre allât plus avant que moi contre les ennemis, et si vous voulez vous en reposer sur moi seul, je me charge de l’aventure, et de purger la forêt des brigands qui s’y cachent.

17. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XLVI. Pourquoi Sancho perdit ses armes enchantées, et du terrible combat qu’il eut à soutenir pour les recouvrer. »

Cid Ruy Gomez assure, que ce fut plutôt le désespoir de Sancho, qui le détermina à se faire assommer, que les exhortations de son maître, et qu’il voulait jouer à quitte ou à double ; et comme le temps s’avançait, il enfonça son chapeau dans sa tête, et sans dire une seule parole, sortit de la chambre dans une fureur que son maître ne lui avait point encore vue, et dont il tira un bon augure.

18. (1713) Les illustres Françaises « Les Illustres Françaises. Histoires Véritables. »

Il se fit prendre la mesure, et lui laissa de l’argent pour lui faire un habit à la mode et riche pour le lendemain, et un autre à son valet, après quoi il sortit en disant au conseiller qu’il était au désespoir de le quitter si tôt ; car, ajouta-t-il, outre le plaisir que j’ai d’être avec vous, ce que vous m’avez dit de Gallouin me donne une envie de m’instruire de tout ce qui le regarde, que vous ne pouvez pas comprendre, parce que vous en ignorez le sujet, que je vous apprendrai moi-même.

19. (1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre quatrième) « Chapitre LVIII. Des tristes et agréables choses que Parafaragaramus apprit au chevalier de la Manche. »

Pardonnez-moi ce vœu, que le désespoir m’a fait faire ; je suis mille fois plus à plaindre que vous ; vous ne perdez dans moi qu’une princesse malheureuse et infortunée, et je perds en vous la fleur de la Chevalerie, le miroir de la vraie valeur, le prototype de la fidélité, et un parfait modèle de toutes les vertus.

20. (1690) Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales (tome 1)

Je suis persuadé qu’il en ferait autant, quoique le roi ait dit au sujet de ce marquis qu’il était très aise que ses officiers fissent voir leur bravoure et leur intrépidité, mais qu’il n’approuvait point cette férocité qui tenait du désespoir. […] Leurs confesseurs, quoique rigides, ne leur prêchaient que la miséricorde infinie de Dieu pour les arracher à leur désespoir, et ne leur parlaient point de pénitence, comme ils auraient fait si le temps avait été moins précieux. […] Notre premier pilote, qui la lui montrait, est au désespoir de sa mort. […] Je suis au désespoir de voir M. […] Que ses conclusions lui auraient été adjugées si le Conseil n’avait sagement réfléchi que tous messieurs les lieutenants en auraient été au désespoir, et que Mme la marquise de Maintenon trouverait peut-être mauvais qu’on eût traité à la dernière rigueur une de ses créatures, tout indigne qu’elle était de sa protection ; que si le soldat mourait, on reconduirait Bouchetière en France, toujours aux arrêts, et qu’on le mettrait dans les prisons royales de la ville où on arriverait avec son procès, dont on envoierait copie en cour ; et que si ce soldat ne mourait pas, Bouchetière était assez puni par ce qui venait de se passer.

21. (1691) Journal du voyage des Indes orientales (à monsieur Raymond)

Le maître et les pilotes sont au désespoir de n’avoir pas pris garde de plus près à leur almanach pour savoir le saint d’aujourd’hui. […] Quel désespoir de voir son navire, de voir venir à son secours et, faute d’être aperçu et faute peut-être de deux pater de vie ou de force davantage, mourir par la plus cruelle de toutes les morts, d’autant plus horrible qu’on la combat longtemps avant que d’en être la victime. […] Je ne crois pas qu’il y en puisse avoir à l’épreuve de cette mort-ci : on la voit venir sans y être préparé, on voit les autres s’intéresser pour sa vie, on en conçoit quelque espérance qui peut-être se convertit en désespoir, Dieu seul sait ce qui en réussit. […] Le désespoir de se pouvoir défendre l’avait obligé à se brûler lui-même ; nous vîmes éloigner la chaloupe dans laquelle il se sauvait, mais nous la perdîmes bientôt de vue. […] C’est ainsi qu’a péri le Philippe Harbert de Londres, un des plus beaux et des plus forts navires qui fussent à la mer, et cela par l’intrépidité de son capitaine, digne assurément d’une meilleure fortune s’il avait suivi le parti de son prince légitime, mais homme à jamais condamnable non seulement par sa rébellion, mais aussi par la cruauté qu’il a eue d’abandonner aux flammes les mêmes hommes qui venaient de si bien seconder son courage ou son désespoir.

22. (1721) Mémoires

Ce qui fait qu’une infinité de malhureux languissent, et ont le désespoir et la rage de voir leur bien injustement ravi, et possédé par des gens riches et puissants des mains desquels ils ne peuvent le retirer, n’ayant pas le moyen de payer les procureurs, les avocats, les greffiers, les rapporteurs et les épices, et mille autres maltôtes qui par les formes donnent le démenti à la justice du fond. […] Ce malhureux dont tout était saisi ne se trouvait pas assez d’argent comptant pour rassasier tant de loups à la fois, et tout était vendu à vil prix, et outre tous les frais de justice que ce malhureux était obligé de payer, il avait le désespoir de voir son bien vendu pour rien ; c’est à dire que ces fripons se faisaient adjuger pour vingt francs un bœuf qui aurait été vendu cinquante écus au marché, et ainsi de tout le reste. […] Il faut ajouter que le père était au désespoir de la chute de Monsieur] Fouquet, et que plus de vingt années n’avaient ni éteint ni même assoupi le dessein de le venger, parce que, par la prison et la disgrâce de ce ministre, il avait été exclu des dignités et des emplois qu’il croyait lui être dus. […] Malgré la pauvreté publique, les impôts augmentaient de jour en jour, et le peuple était réduit au désespoir. […] Cette femme, que le désespoir possédait, alla acheter de la corde, et rentra chez elle par l’autre bout de la rue ; et le lendemain, que n’étant point revenue on ouvrit sa chambre, on la trouva pendue et étranglée, et on trouva le billet dont j’ai parlé.

23. (1691) Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales (tome 2)

Il a si bien relevé l’avantage des brutes & des connaissances infuses que la nature leur donne & qu’elle refuse à l’homme qui ne sait rien de lui-même, & a si bien exalté le bonheur des animaux de n’être point frappés des terreurs de la mort, terreurs si fortes & si pressantes qu’elles font souvent mourir dans le désespoir un homme prêt d’aller rendre compte de ce que la raison lui a fait faire ; il a si bien défini cette prétendue raison humaine & mondaine qui ne sert qu’à nous rendre plus criminels par la préférence que nous lui donnons & la supériorité que nous lui laissons prendre, non seulement sur la morale naturelle & la médiocrité que la nature nous inspire, mais aussi sur nos devoirs réciproques comme hommes, & sur les commandements du Sauveur, & de notre religion ; il a si bien fait connaître l’abus que nous faisons de notre raison, qui ne sert qu’à nous rendre malheureux dans nous-mêmes & à aggraver le malheur de ceux qui dépendent de nous, au contraire des animaux qui ne s’écartent jamais de l’instinct que la nature a attaché à leur espèce ; en un mot, il a tellement relevé les animaux au-dessus de l’homme par rapport à la vie présente, & tellement humilié & avili l’homme & sa prétendue raison par rapport à l’éternité, que j’en vois plusieurs ici qui voudraient être nés brutes, & qui disent comme le fameux Des Barreaux : Je me dégrade de raison, Je veux devenir un oison, Je renonce à toute science, En buvant toujours du meilleur. […] Enfin, réduit au désespoir, & ne pouvant s’accommoder d’une vie si triste, il se présenta à messieurs de la Compagnie d’Orient ; & comme il a autant d’esprit qu’un homme en peut avoir & qu’il entend parfaitement le change & rechange, les calculs & les livres de marchandises, il fut retenu pour les tenir à parties doubles. […] Il apprit de lui que le désespoir de cette infâme avait été inexprimable à la vue du déménagement de sa maison, où elle avait passé la nuit sur le carreau ; que qui que ce soit d’honnêtes gens n’avait voulu ni la recevoir ni entretenir commerce avec elle ; qu’elle avait nettement refusé d entrer dans un couvent, où ses parents à lui s’étaient offert de l’entretenir pour sauver leur nom de l’infamie où elle le précipitait ; qu’ils avaient voulu agir d’autorité, & par assemblée de parents ; mais qu’ils n’avaient pas pu réussir, parce que, le mari ne s’étant pas plaint, ils n’avaient aucun droit de le faire, & qu’il leur en avait coûté des dommages & intérêts ; que sa beauté lui avait suscité des protecteurs, & qu’elle était actuellement publiquement entretenue par un homme tellement élevé qu’il doutait qu’il osât lui-même la redemander quand il serait assez fou & assez ridicule pour vouloir la reprendre & lui pardonner, après l’éclat que son affaire avait lait dans tout Paris.

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