Suite de l’histoire de Silvie et de Sainville. […] Je trouvai Silvie à son clavecin ; figurez-vous tout ce que peuvent se dire deux personnes qui s’aiment, et qui n’ont point de temps à perdre. […] Deux jours après cette conversation Silvie vint chez la marquise, où était Sainville, et qui en sortit après quelques civilités. La marquise voulait le rappeler, mais Silvie ne fit voir aucun dessein de le retenir ; la marquise ne s’obstina pas à le faire revenir, voyant d’ailleurs que sa présence donnait de la confusion à Silvie, qui était toute défaite. […] Après quelques moments de silence Silvie prit la parole la première.
Verville, c’était le nom du cavalier, soupira donc inutilement pour Silvie, et Silvie soupira inutilement pour lui, n’étant pas nés pour être joints par les nœuds de l’hyménée, quoique l’amour les unît. […] Silvie apprit sa maladie avec une douleur d’autant plus violente qu’elle fut obligée de la cacher. […] Silvie s’en aperçut, en ce que Verville ne parla plus de partir, et qu’au contraire il voulut rester pour jouir de sa conquête. […] Après cela il voulut sortir, et conduire Silvie dans le moment même entre quatre murailles. […] Justin peu de temps après alla trouver Cléon, et le pria de lui rendre Silvie.
Pourquoi la maîtresse d’une hôtellerie voisine du château venait souvent demander des nouvelles de Sainville et de Silvie. La maîtresse de l’hôtellerie voisine du château de la Ribeyra, où Sainville et Silvie avaient été premièrement portés, ne manquait pas de venir les voir tous les jours, et de s’informer de leur santé, surtout de celle de Silvie et de Sainville, mais avec tant d’empressement et d’assiduité, qu’on en soupçonna une autre cause que la civilité ; aussi y en avait-il une. Nous avons dit que le valet de Deshayes y était resté blessé ; que ce valet était un officier déguisé qui s’était mis à sa suite pour sauver la vie de Silvie et la faire perdre à Sainville. […] Ce conseil étant le seul à prendre et le meilleur à suivre, Silvie s’y arrêta, mais elle n’eut pas longtemps à garder le secret. […] Il ne faisait aucun mystère de sa naissance ni de sa qualité, quoique sa maison fût trop considérable en France pour n’être pas connue de Sainville, de la marquise et de Silvie.
C’était Deshayes, qui se sentant proche de sa fin, avait voulu se réconcilier avec Silvie, et lui demander pardon de tout ce qu’il avait fait contre elle ; en un mot, lui faire une réparation entière. […] La duchesse et Eugénie emmenèrent la marquise et Silvie dîner avec le reste de la compagnie auprès du lit de Valerio. […] La marquise tout à fait remise par des assurances si obligeantes, reprit sa gaieté ordinaire ; insensiblement la conversation tomba sur Silvie et Deshayes. […] Ils se mirent à table où ils soupèrent fort bien, et ne furent interrompus que par la prière qu’on vint leur faire de remonter dans la chambre de Deshayes qui demandait à voir Silvie pour la dernière fois. […] Les sentiments qu’il marqua dans ses derniers moments le firent regretter surtout de Sainville et de Silvie, dont le cœur était bon et bien placé.
Comme ils sortaient de l’hôtellerie, on y apportait un homme mourant que Silvie n’eut pas plutôt regardé qu’elle fit un grand cri qui obligea le duc d’Albuquerque à faire arrêter. Cet homme qu’on apportait tendait faiblement les bras à Silvie : Je ne suis plus votre ennemi, Madame, lui dit-il d’une voix mourante, et en même temps tomba en faiblesse. […] Ce valet était un officier déguisé qui aimait Silvie depuis longtemps, et qui croyant, comme beaucoup d’autres, que Sainville l’avait enlevée, s’était mis avec Deshayes pour courir après, dans la résolution de venger sur son rival son amour méprisé, et pourtant de sauver la vie de sa maîtresse en la dérobant à la rage de son mari qui était parti dans la résolution de la poignarder partout où il pourrait la trouver. […] Il revint au même endroit où il avait laissé Deshayes qu’il trouva nageant dans son sang ; il l’étancha le mieux qu’il put, et à force d’appeler au secours, il fut entendu de l’hôtellerie, et ceux qui y allèrent l’y portèrent, lorsqu’il fut reconnu par Silvie qui en sortait et qui suivait le duc d’Albuquerque pour aller au château du comte Valerio. […] Ainsi elle recommença l’histoire de Silvie et de Sainville comme elle l’avait déjà racontée dans l’hôtellerie ; et lorsqu’elle fut dans l’endroit où elle avait été interrompue, elle poursuivit en ces termes, en faisant parler Sainville en personne.
Le duc d’Albuquerque à qui l’agréable Française avait adressé la parole, la remercia au nom de toute la compagnie de la peine qu’elle s’était donnée ; il l’assura de faire ses efforts et d’employer toutes choses pour ne point tromper la bonne opinion qu’elle, la marquise, et Silvie avaient de lui. Ensuite il voulut s’étendre sur ses louanges en particulier, et surtout sur la bonne grâce qu’elle avait à raconter quelque chose ; mais Don Quichotte prit la parole, et dit qu’il laissait le soin à Monsieur le duc des affaires de la marquise et de Silvie auprès du roi d’Espagne, mais qu’il se chargeait de les garantir des bandits, et qu’il irait les accompagner jusqu’à Madrid. […] Toute la compagnie alla voir la marquise, Silvie et les malades ; ils trouvèrent la première auprès du lit de Sainville, où elle reçut les offres de service qu’on lui fit en femme de qualité, et les charma par son esprit et ses civilités. […] Dorothée, Eugénie, la marquise et Silvie se firent mille civilités, admirèrent la beauté l’une de l’autre, s’embrassèrent et lièrent une amitié étroite : ils allèrent tous dans la chambre de Deshayes où la tante de Silvie les avait devancés, et le trouvèrent très mal. […] Chacun se retira donc : la marquise coucha avec sa parente qui avait raconté l’histoire de Silvie, et que nous nommerons désormais Mademoiselle de la Bastide, Silvie coucha avec sa tante, le duc et la duchesse d’Albuquerque eurent le plus bel appartement ; et comme le château de Valerio était vaste et parfaitement bien meublé, tout le monde fut logé commodément et sans embarrasser le maître ni la maîtresse.
Silvie a écrit à Gallouin, reprit Des Frans tout surpris ! […] Silvie la lui écrivait de son convent, et lui mandait qu’elle avait pris ce parti, sans l’instruire du lieu. Quoi, interrompit encore Des Frans, joignant les deux mains, Silvie a encore été assez perfide pour écrire à Gallouin qu’elle était religieuse ! […] Non, répondit Des Frans, la mort de Silvie a été naturelle. […] Je n’aurais jamais soupçonné que vous eussiez rien eu de commun avec Gallouin et Silvie ; ni que c’eût été pour elle, que vous vous fussiez battu avec lui.
Celle de Dupuis fait voir qu’un libertin se retire de son libertinage, lorsqu’il s’attache à une femme de vertu : on y voit tout l’excès d’un amour au désespoir, tant par ce qu’il dit de Gallouin en justifiant Silvie ; et ce qu’il dit de Gallouin montre, que si un homme est capable de tout pour ses plaisirs, lorsqu’il se livre à des réflexions chrétiennes, il n’en fait que de bonnes et de profitables. […] Je fais chanter à Silvie sur le boulevard de la Porte Saint-Antoine un air de l’opéra de Proserpine, et je pose la scène à Paris plus de dix ans après : cependant je dis que le quai Pelletier n’était point encore bâti. […] Les vers de Dupuis mourant ; les lettres de sa fille ; celles de Madame de Terny, et celles de Silvie, ces deux dernières dans un couvent, ne sont point de ma façon, et sont en effet des gens dont je veux parler. […] Comme je n’ai interrompu le récit d’aucune, n’ayant voulu laisser au lecteur aucune impatience de trouver la fin d’un récit, après en avoir vu le commencement, il y a eu des gens qui ont trouvé mauvais que j’aie reculé la justification de Silvie, jusques à ce que Dupuis racontât ses aventures. Il faut remarquer là-dessus, que Des Frans raconte son histoire en présence de Madame de Londé, et que Dupuis aurait eu mauvaise grâce de dire en la présence de cette dame, que le frère se serait servi des secrets de la magie la plus noire, pour triompher de Silvie.
Je revins chez Silvie et brouillai cette composition dans une fricassée de poulets que je savais que cette femme aimait, et dont elle mangea beaucoup ; et en badinant, j’empêchai Silvie d’en manger, les domestiques mangèrent le reste. […] Je ne dis point à Silvie, ni ce que j’avais fait pour triompher de sa vertu, ni la mort de Madame Morin. […] Silvie y fut pleurée par tout le monde. […] Il ne s’informa point du tout de Silvie, on le lui avait expressément défendu. […] Suite de l’Histoire de Silvie.
Sancho avait repris toutes ses forces lorsque les ducs de Médoc et d’Albuquerque, le comte de la Ribeyra, la marquise, la belle La Bastide, le comte du Chirou, Sainville et Silvie partirent pour Madrid.
Il n’est plus question, reprit Des Ronais, de cette autre passion, puisque Silvie est morte, (car c’est d’elle dont vous voulez parler) il est question de reconnaître toutes les bontés de Madame de Mongey. […] Il est mort dans un habit de pénitence en odeur de sainteté, ne réveillons point ses cendres : cependant, malgré le respect que j’ai pour la présence de Madame de Londé sa sœur que voilà, et pour sa mémoire à lui, je ne puis m’empêcher de vous dire pour la justification de Silvie, qu’il y a dans votre histoire des endroits que vous n’entendez pas vous-même. Je vous ai dit que Gallouin n’a pas cru que Silvie fût votre épouse, qu’ainsi il n’a pas cru vous faire aucune insulte ; et pour Silvie, elle a peut-être été poussée par une force, à qui toute la nature humaine, et toute la vertu d’une femme ne peut pas résister : en un mot, Gallouin avait de terribles secrets, et même dangereux. […] Silvie, quoique criminelle en apparence, pouvait être innocente dans le fond.
Nous avons vu de quelle manière fut interrompue la demoiselle française qui racontait l’histoire de Sainville et de Silvie.
Les auditeurs, et surtout les Français, en riaient comme des fous, particulièrement Sainville et Silvie, qui étaient les inventeurs du tour qu’on venait de lui jouer.
Sainville ne voulait pas non plus abandonner Silvie qui avait résolu de lui tenir compagnie, et toute cette belle troupe fixa son départ à quatre jours de là, n’étant pas dans la nécessité de faire une plus grande diligence.
Les uns disaient que vous étiez retourné dans les troupes ; les autres disaient que vos parents appréhendant que vous fissiez à Gallouin une querelle plus funeste que la première, vous avaient fait mettre en lieu de sûreté ; les autres, qui apparemment visaient plus juste, disaient que vous étiez allé avec Silvie, qui disparut au même temps que vous, ou peu après : enfin chacun en disait ce qui lui en semblait, et faisait passer ces conjectures pour des faits certains ; vos seuls parents ne s’expliquaient pas. […] Tout cela cache un mystère dont vous devriez déjà être éclairci ; et je suis sûr qu’il y a du malentendu, ou du moins de la précipitation de votre côté, et du hasard du sien, ou bien elle est la plus fourbe, et la plus scélérate fille qui soit au monde, puisque Silvie est morte.