Des tristes et agréables choses que Parafaragaramus apprit au chevalier de la Manche. […] Parafaragaramus prit un siège le premier, et les obligea de s’asseoir. […] Don Quichotte paraissait tout pensif ; mais Parafaragaramus le retira de ses rêveries en lui montrant son livre, et en le forçant à lire le décret du destin. […] Sancho aurait continué ses impertinences si Parafaragaramus ne se fût retourné vers Balerme et son amant Durandar. […] Parafaragaramus ne vaut pas mieux que les autres ; autant fait celui qui tient le pied que celui qui écorche.
Quelques éclairs ayant éclaté, un coup de tonnerre se fit entendre, et ces nuages s’ouvrirent et firent voir le sage enchanteur Parafaragaramus sur un char doré tiré par deux cygnes. […] Perfide, lui dit Parafaragaramus après qu’il fut descendu, est-ce ainsi que tu exécutes les ordres de Pluton ton maître ? […] Voyez, leur dit Parafaragaramus, quelle puanteur et quelle infection les habitants d’enfer laissent après eux, mais il faut la faire dissiper. […] Notre héros le releva fort honnêtement, et Parafaragaramus les fit tous passer dans la première salle où Merlin était disparu. […] Parafaragaramus lui dit qu’il n’y avait rien là de surprenant, et que des gens qui avaient été huit cents ans sans rien prendre, devaient avoir besoin de se remplir, et le convia de se mettre à table.
Don Quichotte voulut voir à quel endroit le faux enchanteur était disparu, mais un homme vêtu en satyre se présenta à lui, et lui défendit de la part de Parafaragaramus d’avancer davantage. […] Toute la compagnie fit semblant d’être étonnée de cette vision, excepté Eugénie qui les rassura en disant qu’elle le connaissait, et que c’était un des satyres de la forêt, qui servait de valet de pied à Parafaragaramus son bon ami. […] Parafaragaramus a de bon vin et ne l’épargne pas, et dans l’état où je suis après un rude combat, j’ai besoin de repaître ; trois verres de vin avisent un homme, et quand j’en aurai bu dix j’en raisonnerai bien mieux, car le bon vin aiguise l’esprit. […] Il fut prié de dire où il avait fait connaissance avec le sage enchanteur Parafaragaramus, et d’où il connaissait le satyre Rebarbaran, et surtout de ne rien déguiser, parce que l’un et l’autre écoutaient. […] Parafaragaramus est comme vous voyez intime ami de Madame la comtesse ; il n’a pu souffrir que vous ne vous acquittassiez pas d’une promesse dont l’honneur devait lui revenir, et c’est assurément pour la venger et vous punir qu’il vous a abandonné à tous les accidents qui vous sont arrivés.
Du tour ridicule et malin que fit Parafaragaramus au chevalier Sancho, et des événements tristes qui le suivirent. […] Parafaragaramus qui n’avait point dormi et avait toujours écouté lorsque la Française fut interrompue, se tourna du côté de Sancho, et voyant sa belle posture, il lui prit envie de lui jouer une pièce. […] lui dit-il. — Ma foi, répondit Sancho, je m’y suis mis moi-même ; mais c’est ce diable de Parafaragaramus qui m’y a attaché par enchantement, car je n’en ai rien senti. — Et où est-il ? […] Monsieur le chevalier, reprit l’officier, Parafaragaramus est de nos amis ; vous l’avez pris pour un autre, ou quelque autre a pris son nom. […] Ne voyez-vous pas bien que ce maudit Parafaragaramus jaloux de l’honneur que j’aurais gagné, et vous aussi, m’a lâché un démon qui m’a fait déjeuner par enchantement ; et de peur que je ne le battisse bien, pour sa récompense, il m’a emmené dans l’endroit où vous m’avez vu, où il m’a endormi et lié ; mais patience, tout vient à point à qui peut attendre.
Des armes enchantées que les deux chevaliers reçurent de Parafaragaramus, avec des chevaux infatigables. […] Je suis l’enchanteur Parafaragaramus, le plus grand et le meilleur de tes amis, à cause du service que tu as rendu à la comtesse Eugénie, à qui je donne bien souvent à boire et à manger ; c’est par mon art que tu t’es trouvé aux occasions de lui être utile. […] Tu vois, ami Sancho, dit Don Quichotte, que les bonnes actions ne sont pas sans récompense. — Eh pardi, reprit Sancho, Parafaragaramus est bon homme, il aime à rire et à boire, et je l’aime à cause de cela. […] Il connaissait assez la bravoure et l’intrépidité de notre héros, pour savoir jusques où son courage le porterait dans la forêt ; il prévoyait bien aussi que Sancho ne le quitterait pas d’un pas ; il aurait bien voulu ne les point exposer contre des bandits ; mais dans le fond, outre que Don Quichotte n’aurait pas trouvé bon que l’affaire se fût passée sans lui, le duc voyait bien qu’il lui serait d’un grand secours, et qu’après tout c’était la mort la plus glorieuse qui pût arriver à deux fous, que de perdre la vie en servant le public ; d’un autre côté il voyait bien que l’occasion serait chaude et de fatigue, et que les chevaux de nos aventuriers n’étaient point assez forts pour la supporter, ni leurs armes assez bonnes pour résister au mousquet et au pistolet ; ainsi il avait jugé à propos de les armer par cette voie étant bien persuadé que l’estime qu’ils feraient de leurs armes et de leurs chevaux, qu’ils croiraient tenir de la main d’un enchanteur, leur ami, les animerait davantage, et relèverait le courage, surtout de Sancho, qui lui paraissait abattu par la conversation qu’il avait eue avec Don Quichotte, et que lui et Parafaragaramus avaient écoutée.
Parafaragaramus entreprit sa défense. […] Je conviens, dit Plutus, que l’argent appartient au chevalier Sancho, puisque le sage Parafaragaramus dit que Cardénio le lui a donné. […] lui demanda Pluton. — Il n’y répliquera rien, dit Parafaragaramus en prenant son parti, et en effet ce n’est qu’une accusation en l’air où il n’y a rien à répondre. […] Parafaragaramus leur dit de le suivre, et pour cet effet ils le prirent par la main, et étant dans la même salle où ils avaient vu Dulcinée en paysanne, il parut tout d’un coup de la lumière, et au lieu du spectacle affreux du tribunal de Pluton, il ne se présenta rien à leurs yeux que d’agréable à la vue. […] Il en sortit huit avec Parafaragaramus qui se chargea du soin de les conduire.
Ce coup étant fait, il alla avec les Espagnols et les Français, qui le suivirent au même endroit où il avait déjà fait le personnage de Parafaragaramus, et où il le contrefit encore de la même manière. […] — Prends courage, mon enfant, lui dit Don Quichotte, tous ceux de notre profession ont toujours eu des traverses, et tu dois être bien aise que Parafaragaramus ne t’impose point d’autre peine que celle d’un combat. — Mardi, Monsieur, lui répondit Sancho, vous parlez toujours le mieux du monde, vous n’avez rien à craindre, et vous ne voulez pas me laisser démanger où il me cuit ; que diable ferai-je contre un enchanteur, sur qui une épée ne fera rien, et qui me va percer de la sienne comme un crible ? […] L’enchanteur qui gardait ces armes, était encore le maître d’hôtel même qui avait toujours joué le personnage de Parafaragaramus ; c’était un homme extrêmement grand, fort et robuste ; il était vêtu d’une grande simarre rouge, qui le prenait depuis le sommet de la tête jusques à la plante des pieds, ce qui le faisait paraître encore plus grand qu’il n’était. […] Son maître ne cessait de l’animer de la voix, et la présence de tant de spectateurs lui remettant le cœur au ventre, et outre cela Parafaragaramus, qui avait ordre de se laisser vaincre, lui faisant beau jeu, Sancho se releva, et l’enchanteur lui donnant le temps de se jeter sur lui, il ne le perdit pas. […] Les ducs et tous les assistants prièrent notre héros d’aller délivrer le chevalier Sancho des mains de ce démon, mais il le refusa, leur disant que c’était un combat égal de corps à corps, et qu’outre les ordres de la Chevalerie, qui lui défendaient de le secourir, il lui avait aussi été défendu par Parafaragaramus de le faire.
La défense que Parafaragaramus lui avait faite de chercher de nouvelles aventures, avait aussi quelque part à sa tristesse. […] Le chevalier de la Manche à ces paroles sortit de la profonde rêverie où il était, pour demander ce que c’était que cette aventure. — Pardi, Monsieur, lui répondit Sancho, c’est un lapin que je viens de déchirer à belles dents dans les offices ; le maître d’hôtel qui est un bon vivant m’a fait manger tout mon saoul, et je n’ai pas fait un repas de chèvre, non ; car il m’a fait boire des rasades à la santé de toutes les dames qui sont ici et du seigneur Parafaragaramus, que le ciel veuille confondre plutôt que de souffrir qu’il m’arrive aucun des malheurs dont il m’a menacé. […] Parafaragaramus au contraire n’est-il pas le meilleur de nos amis ? […] Comme on ne voulait pas contraindre Don Quichotte, et que d’ailleurs on le connaissait pour un homme incapable d’aller contre les ordres de Parafaragaramus, on consentit à son départ.
Le capitaine Bracamon, ce Bohème qui avait le premier fait le personnage de Parafaragaramus, et qui déguisé en ermite, avait dérobé le cheval de Don Quichotte, et le lui avait renvoyé chez Basile, se trouva chez Valerio. […] Il réclamait à haute voix le bon et le sage Parafaragaramus, et il criait avec plus de désolation qu’une mère qui aurait vu poignarder son enfant entre ses bras. […] Quoique la nuit approchât, Sancho ne se rebutait pas, et aurait passé toute sa vie dans cette recherche s’il n’avait pas été retiré de son embarras par la voix du sage Parafaragaramus, qui vint de l’autre côté du ruisseau lui faire une belle remontrance sur le peu d’attache qu’un honnête homme doit avoir pour les biens de ce monde, et surtout un chevalier errant. […] Je l’ai prié, continua Parafaragaramus, de me la prêter uniquement pour te la faire voir, afin que tu ne soupçonnes plus qui que ce soit de la compagnie de te l’avoir volée ; mais comme il ne me l’avait confiée qu’à la condition de la lui rendre, je viens de la lui renvoyer. […] Don Quichotte qui avait entendu que Parafaragaramus avait dit que dans quatre jours il délivrerait Dulcinée d’enchantement, était dans l’impatience de voir la fin du terme ; mais comme on n’avait pas encore tout préparé, il fallut malgré lui qu’il attendît.
On lui persuada de suivre les ordres de Parafaragaramus et de quitter les exercices de la Chevalerie errante. […] Nous parlerons de cela une autre fois, lui dit le duc en riant ; Parafaragaramus n’en a point parlé, commençons par exécuter ses ordres et ne songeons qu’à nous divertir. […] Après que nos aventuriers furent couchés, et lorsque Sancho allait éteindre la bougie, Parafaragaramus qui s’était caché derrière le rideau du lit, se présenta tout d’un coup à ses yeux. […] Nous l’avons laissé avec l’officier qui avait fait le personnage de Parafaragaramus, à qui il contait tout ce qui lui était arrivé en enfer, dans le palais de Merlin et dans la caverne de Montésinos ; cet officier contrefit si bien l’étonné que tout autre que Sancho en aurait été la dupe. […] Les ducs, les comtes et les dames arrivèrent en ce moment, et la duchesse d’Albuquerque remontrant à Sancho qu’il était indigne d’un chevalier de battre sa femme, que cela était infâme à un honnête homme, et qu’à peine le pardonnait-on à un crocheteur, et que Monsieur le duc était en droit de s’en offenser, cela s’étant passé dans son château et à ses yeux, celui-ci lui répondit qu’il n’avait fait que ce qui lui avait été commandé par les juges d’enfer, et par le sage Parafaragaramus, et de plus, qu’entre le bois et l’écorce il n’y faut pas mettre le doigt.
Lorsque le duc crut avoir assez donné de temps à Parafaragaramus pour exécuter ce qu’il lui avait ordonné, il laissa aller nos chevaliers, qui se rendirent en diligence à l’endroit qui leur avait été marqué, où ils trouvèrent chacun leur affaire attaché en trophée avec des écriteaux chargés des noms de celui à qui chaque armure était destinée. […] Tout beau, Chevalier, dit-il à son maître, prenons toujours, nous ne savons qui nous prendra ; un bon tien vaut mieux que deux tu l’auras ; ceci mérite bien que nous nous arrêtions un peu, notre bon ami Parafaragaramus est trop civil pour nous laisser partir à jeun, et si cela est aussi bon qu’il a bonne mine, nous ne ferons pas mal de boire un coup à sa santé. […] dit Sancho, Parafaragaramus me donne les armes d’un larron pour en aller défaire d’autres, pardi je n’en veux point, elles me porteraient gui-gnon. — Eh !
Là-dessus il conta à son maître tout ce qui lui était arrivé, avec son ingénuité ordinaire, confessant qu’il avait éloigné le combat avec Parafaragaramus, parce qu’ils avaient fait la paix, mais que ce n’était assurément pas lui, mais que celui qui avait pris son nom lui avait joué ce vilain tour. — Je n’ai jamais lu, reprit Don Quichotte, que pareille aventure soit arrivée à chevalier errant ; mais mon enfant, il arrive tous les jours des choses nouvelles et surprenantes, aussi ne devais-tu pas entrer dans l’hôtellerie, ni quitter le champ de bataille, non plus que ton cheval, parce qu’un bon chevalier doit toujours être en état. — Ah pardi je vous tiens, interrompit Sancho, la pelle se moque du fourgon ; médecin guéris-toi toi-même ; t’y voilà, laisse-t’y choir ; à bon entendeur salut. — Que veux-tu dire, lui demanda Don Quichotte, avec tes proverbes entassés l’un sur l’autre ? […] Par exemple ; mon cher maître, étiez-vous sur votre cheval quand Parafaragaramus vous l’a pris, et vous l’a renvoyé dans la poche d’un nain chez Basile, où vous fûtes obligé de revenir à pied ?
C’était eux qui avaient attaqué et blessé Sainville, qu’on avait apporté dans l’hôtellerie, à la vue de Sancho et de Parafaragaramus. […] L’officier de Valerio qui faisait le personnage de Parafaragaramus, les avait fait avertir du lieu où ils étaient Sancho et lui, pour leur en donner la comédie.
Il ne craignait que la soif et la faim ; mais il se flatta que Parafaragaramus y pourvoirait, et sur cette croyance il sortit avec un air si délibéré qu’il fit croire à Don Quichotte qu’il y aurait de la peine à le vaincre ; il s’en réjouit néanmoins, parce qu’il se figura que la gloire en serait plus grande. […] Je suis Parafaragaramus votre protecteur et votre ami.