Journal
du voyage des indes orientales
A Monsieur Raymond
Conseiller Secrétaire du Roy
Receveur général des finances du Bourbonnois
Monsieur,
Après toutes les▶ obligations que je vous ai, et desquelles je ne puis avoir ◀d’▶autre reconnaissance que mes remerciements, je ne vois aucun moyen qui puisse m’acquitter envers vous. Tout ce que je puis est ◀de▶ vous témoigner ma juste reconnaissance et mon zèle dans mon obéissance et ma ponctualité. Vous avez souhaité ◀de▶ moi une relation sincère et véritable ◀de▶ mon voyage aux Indes, je ◀la▶ commence dès aujourd’hui que nous partons ◀de▶ Groye, et vous promets que, si Dieu me conserve et me continue ◀la▶ santé, je ne me coucherai point que je ne vous aie écrit tout ce qui me sera arrivé ◀de▶ remarquable dans ◀la▶ journée.
N’attendez point ◀de▶ moi ◀de▶ ce style pompeux et fleuri qui rend recommandables toutes sortes ◀de▶ relations, car outre que me proposant ◀d’▶écrire au jour ◀la▶ journée, ce sera un style sans correction, mon plus grand talent est celui ◀de▶ ne savoir dire que ce que je sais et ◀de▶ ne rien écrire dont je ne sois sûr moi-même. Ainsi, Monsieur, vous pourrez avec assurance croire tout ce que vous lirez dans ◀la▶ suite, et être bien certain que ◀le▶ proverbe est faux à mon égard qui dit qu’il fait bon mentir à qui vient de loin. Je vous abandonne cette relation, à vous, Monsieur, et à vos particuliers amis, mais je vous supplie très humblement qu’elle ne passe pas outre, et ne devienne point publique. J’espère que vous me répondrez du succès puisque je ne ◀la▶ fais que pour vous, et pour satisfaire en partie à ◀l’▶inclination que j’ai ◀de▶ vous prouver combien je suis pénétré des bontés que vous avez toujours eues pour moi sans discontinuer, quoique je vous aie plusieurs fois donné, par ma mauvaise conduite, toutes sortes ◀de▶ sujets ◀de▶ ne me regarder que comme un homme qui en était indigne. A présent, Dieu merci :
[Février 1690]
Du vendredi 24e février 1690
Il y a fort longtemps que nous sommes prêts, mais ◀les▶ ordres ◀de▶ ◀la▶ Cour et ◀de▶ ◀la▶ Compagnie que nous attendions, et ensuite ◀les▶ vents contraires qu’il a fait, nous ont retenus à Groye jusques à ce jour. Enfin nous avons appareillé cette après-midi sur ◀les▶ cinq heures par un assez bon vent ◀de▶ Nord-Est. C’est avec beaucoup de chagrin que je pars sans vous avoir écrit pour prendre congé ◀de▶ vous. Nous sommes six navires, qui sont ◀le▶ Gaillard, commandé par Monsieur du Quesne-Guitton qui est ◀le▶ général ◀de▶ ◀la▶ flotte. Il est neveu du grand Monsieur du Quesne, et on joint à son nom celui ◀de▶ Guitton, qui est ◀le▶ nom ◀de▶ Madame sa femme, petite-fille du grand Guitton, maire ◀de▶ ◀La▶ Rochelle, qui défendit si bien et si longtemps cette ville lorsque Louis XIII y mit ◀le▶ siège et ◀la▶ prit en 1628. Il a déjà fait deux voyages aux Indes ; outre cela, il a été pris une fois des Hollandais desquels il a été assez maltraité, et dont il conserve du ressentiment ; ainsi nous avons lieu ◀d’▶espérer que s’il en tombe quelqu’un sous sa main ou sous ◀la▶ nôtre, on ne leur fera pas trop bon parti. Il était ◀l’▶année passée au combat que Monsieur de Châteauregnault gagna sur ◀les▶ Anglais en Irlande. C’est un fort honnête homme, fort brave, bon soldat, bon matelot, et ◀de▶ beaucoup de conduite. Tout le monde en dit du bien, et c’est une joie très grande ◀d’▶avoir à obéir à un homme dont ◀la▶ réputation est si bien établie. ◀Les▶ autres navires sont ◀l’▶Oiseau, qui est commandé par Monsieur ◀le▶ chevalier ◀d’▶Haire ; ◀le▶ Florissant par Monsieur Le Joyeux qui a aussi été aux Indes, et qui commandait ◀la▶ Maligne qui accompagnait Monsieur ◀le▶ chevalier ◀de▶ Chaumont que ◀le▶ Roi envoyait ambassadeur à Siam en 1685 ; ◀l’▶Ecueil, commandé par Monsieur Hurtain ; ◀le▶ Lion, par Monsieur de Chamoreau et ◀le▶ Dragon par Monsieur de Quistilly. Tous ces navires sont assez forts : ◀le▶ Gaillard a 50 pièces ◀de▶ canon et 230 hommes ; ◀l’▶Oiseau, ◀le▶ Florissant et ◀l’▶Ecueil, chacun 38 pièces ◀de▶ canon et 170 hommes, et ◀le▶ Lion et ◀le▶ Dragon chacun 26 pièces ◀de▶ canon et 100 hommes ◀d’▶équipage, non compris ◀les▶ passagers dispersés sur toute ◀l’▶escadre.
Du samedi 25. [février]
◀Le▶ vent a tourné cette nuit bout pour bout, tout à fait contraire à notre route. Nous retournons à Groye, et si je puis trouver quelqu’occasion ◀de▶ vous envoyer ◀de▶ mes nouvelles vous en aurez, car mes lettres sont prêtes dès cette après-midi, tant pour vous que messieurs vos frères et ma mère, outre ce que vous trouverez dans ◀la▶ vôtre, que j’espère que vous ferez tenir à son adresse.
Du dimanche 26 février à 5h du matin
Je ◀l’▶ai bien prévu, nous ne sommes pas partis ; je vais à Lorient, j’emporte mes lettres avec moi : vous aurez ◀la▶ vôtre qui vous dira adieu ◀de▶ ma part.
Du lundi 27. [février]
J’allai hier à Lorient ; je ne parlai point à Monsieur Céberet, il était allé à Quimperlay. Mais puisque je parle ◀de▶ lui, il est à propos d’en dire un mot. Vous savez ◀les▶ faussetés qu’on avait dit ◀de▶ moi ◀l’▶année passée ; je vous avoue que je craignais sa vue en arrivant ici, parce qu’il pouvait être prévenu contre moi ; et comme je songeais à ◀l’▶abord que je lui ferais, je tombai par hasard sur un passage des Fastes ◀d’▶Ovide, Livre 4, qui dit :
Conscia mens recti. famae mendacia ridet.Sed nos ad vitium credula lurba sumus.
J’ai voulu voir si je me souviendrais à ◀la▶ mer ◀de▶ faire des vers ; cette pensée-là m’a paru si belle et si chrétienne que j’étais presque fâché qu’elle se trouvât dans un poète païen. Je ◀l’▶ai habillée à ◀la▶ française ◀le▶ mieux que j’ai pu. Je ne crois pas avoir réussi, n’importe, ◀la▶ voilà telle qu’elle est :
Quand on a bonne conscienceEt sur quelque bon droit qu ’un innocent se fonde
Si le premier vers ◀d’▶Ovide me consolait, le second me faisait appréhender. Quoi qu’il en soit, je me résolus, ◀d’▶autant plus que ◀le▶ tout gissait en fait. J’en suis bien sorti, Dieu merci, vous ◀le▶ savez. Vous connaissez Monsieur Gouault : je ◀le▶ regrettais, je n’espérais pas trouver en Monsieur Céberet ce que j’avais perdu, j’ai été agréablement trompé. C’est sans contredit un des plus honnêtes hommes du monde, expéditif, qui va droit au but, qui écoute tout le monde, finit tout et rend raison ◀de▶ tout sur ◀le▶ champ sans rien remettre au lendemain, enfin, un homme tel que je ◀le▶ voudrais pour maître ◀le▶ reste ◀de▶ mes jours. Je suis sûr que rien ◀de▶ ceci ne vous apprendra rien ◀de▶ nouveau, car je suis persuadé que vous ◀l’▶aurez remercié pour moi ◀de▶ ses bontés, comme je vous en ai prié, et qu’ainsi vous ◀le▶ connaîtrez avant que de lire ce que je vous écris à présent. A propos ◀de▶ Monsieur Gouault, vous avez une lettre pour lui, je ne m’en mets point en peine : elle est entre vos mains, ainsi elle est bien ; je suis sûr qu’elle sera rendue. Faites-lui bien mes compliments, je vous supplie.
Au retour ◀de▶ Lorient j’ai passé au Port-Louis, où j’ ai trouvé ◀de▶ mes amis qui m’ont obligé ◀de▶ souper avec eux pour prendre congé l’un ◀de▶ l’autre, espérant tous nous embarquer ◀le▶ lendemain, qui est aujourd’hui. Nous avons soupé en bons amis, c’est à dire que nous avons bu tant de santés que la mienne en était encore fort incommodée ce matin. Je me suis levé avant jour, malgré ◀l’▶envie ◀de▶ dormir qui me tenait, et j’ai justement trouvé Monsieur Du Quesne que je ne cherchais pas, qui m’a demandé si je n’embarquais pas, que ◀le▶ vent était bon, qu’il allait s’embarquer et n’attendrait personne. Il n’y a point ◀de▶ raillerie avec lui : il est homme à ◀le▶ faire comme il ◀le▶ dit. Quel malheur ! notre déjeuner nous attendait : il a fallu ◀le▶ quitter. Je me suis vite jeté dans la première chaloupe que j’ai trouvée, qui était celle ◀de▶ ◀l’▶Oiseau, laquelle m’a mis à bord avec Messieurs Charmot et Guisain, tous deux missionnaires, qui passent aux Indes dans notre navire. Nous avons trouvé ici tout le monde qui travaillait. ◀Le▶ vent est bon, nous allons partir, il est trois heures après midi.
Avant que de me coucher, je reprends ◀la▶ plume pour vous dire qu’à quatre heures après midi, nous étions par delà ◀l’▶île de Groye, que ◀le▶ vent est toujours Nord-Est, c’est à dire qu’il vient du levant ◀d’▶été, et que nous allons au Sud-Ouest, qui est ◀le▶ couchant ◀d’▶hiver et que nous faisons plus ◀de▶ deux lieues par heure.
Du mardi 28 et dernier [février]
C’en est fait nous sommes assurément partis, ◀le▶ vent continue, nous allons bien. Dieu nous donne un pareil vent pendant dix jours, nous serons dans ◀les▶ vents alizés. Je vous dirai ce que ce sera quand nous y serons.
Mars 1690
Du mercredi Premier mars
◀Le▶ vent s’est jeté cette nuit à ◀l’▶Est : nous avons bien roulé et par conséquent avons bien été, car ordinairement tout vaisseau qui roule beaucoup avance de même. ◀Les▶ pilotes disaient à midi que nous étions par ◀le▶ travers du Cap de Finisterre. ◀Le▶ vent est revenu Nord-Est après avoir calmé ; ◀le▶ ciel se couvre et a remis ◀le▶ vent à ◀l’▶Est ; Dieu veuille qu’il ne vienne pas plus Sud.
Du jeudi 2e. [mars]
◀Le▶ vent s’est remis au Nord et bon frais. Mon cornet est tombé à minuit par ◀le▶ roulis. Mon justacorps est tout plein ◀d’▶encre car il est tombé dessus ; ◀la▶ perte n’est pas grande, et dans un navire, on n’est pas sur ◀le▶ qui-vive pour ◀les▶ habits.
Du vendredi 3e. [mars]
Toujours bon vent : nous allons bien, ◀le▶ Cap de Finisterre est dépassé, nous allons chercher ◀les▶ Canaries.
Du samedi 4e [mars]
Toujours vent à souhait. Dieu veuille que je ne change point ◀de▶ style.
Du dimanche 5e. [mars]
◀Le▶ vent a un peu varié aujourd’hui, mais enfin il s’est remis au Nord et nous allons bien. ◀La▶ hauteur ◀de▶ Lisbonne est dépassée.
Du lundi 6e. [mars]
◀Le▶ vent est toujours bon et nous allons bien. Je vous écris sur ◀les▶ neuf heures du matin, ◀les▶ voiles carguées sans avancer. Nous ne savions pas quelle manœuvre voulait faire notre amiral ◀de▶ venir vent devant, mais son canot, qu’on vient de mettre à ◀l’▶eau, nous fait connaître qu’il faut que quelqu’un ◀de▶ son bord, matelot ou autre, soit tombé à ◀la▶ mer. Dieu veuille qu’on puisse ◀le▶ sauver. Nous allions ◀d’▶une si grande force que tout le monde doute ici qu’on puisse ◀le▶ retrouver et qu’on ne ◀l’▶ait point perdu ◀de▶ vue, ou que lui-même ne manque ◀de▶ force. Nous avons cependant parlé à Messieurs du Dragon : Monsieur Du Quesne est homme ◀de▶ parole, et bien m’en prend ◀de▶ ◀l’▶avoir cru tel. Il n’a attendu personne, comme il me ◀l’▶a dit au Port-Louis : ◀l’▶écrivain du Roi du Dragon et un lieutenant ◀d’▶infanterie nommé Monsieur de Rançonne sont restés à terre et ne feront point ◀le▶ voyage. ◀Le▶ peu de temps que nous avons perdu et que ◀le▶ canot du Gaillard a été à sa quête nous fait croire que son homme est sauvé. On s’est remis en route et nous allons bien.
Du mardi 7e [mars]
Toujours bon vent. Tous ne sommes plus dans ◀les▶ mers ◀d’▶Europe puisque ◀la▶ hauteur ◀de▶ Gibraltar est dépassée, nous sommes dans ◀les▶ mers ◀d’▶Afrique. Si ce temps-ci continue huit jours, je vous donne rendez-vous à Saint-Iago pour boire du vin ◀d’▶Espagne. Nous commençons à quitter ◀les▶ climats froids et à entrer dans ◀les▶ pays chauds. Nous avons vu ce matin trois tortues qui ont passé le long de bord, on en aurait pris quelqu’une si nos arpons avaient été prêts. Tout le monde dit ici que c’est mauvais signe ◀de▶ ◀les▶ voir de même : tout le monde a raison, car, pour un bon signe, il faudrait qu’elles fussent entre ◀les▶ mains ◀de▶ notre cuisinier.
Du mercredi 8e. [mars]
Toujours bon vent ; quand nous ◀le▶ ferions nous-mêmes, il ne serait pas meilleur qu’il est. Dieu nous protège assurément. Il n’est que sept heures du matin : nos pilotes disent que nous voirons aujourd’hui ◀les▶ terres ◀de▶ Madère.
Du jeudi 9e [mars]
Nous ne vîmes point hier ◀la▶ terre ◀de▶ Madère comme nous ◀l’▶espérions, mais nous avons vu aujourd’hui à midi deux îles qu’on dit être inhabitées, qui sont dans ◀le▶ nord des Canaries. Ainsi toujours bon vent et nous voirions demain ◀le▶ Pic que nous pourrions voir dès aujourd’hui si ◀le▶ temps était fin et clair, car on dit qu’on ◀le▶ voit de plus ◀de▶ quarante lieues.
Du vendredi 10e [mars]
Nous n’avons pas vu ◀le▶ Pic des Canaries, cependant nous n’en sommes pas à quinze lieues : il est vrai que ◀le▶ temps n’est pas fin et qu’il s’élève sur ◀l’▶horizon un certain brouillard qui empêche ◀les▶ yeux ◀de▶ pénétrer. Notre apothicaire est mort cette nuit ; nous ◀l’▶avons jeté ce matin à ◀la▶ mer, c’est dommage, c’était un bon garçon ; il s’appelait Jacques Vinent ; il avait été aux Indes avec Monsieur ◀le▶ marquis ◀de▶ ◀La▶ [R**] Lubère et Monsieur Céberet. Je crois qu’il est lui-même ◀l’▶auteur ◀de▶ sa mort et qu’il aurait vécu davantage s’il avait fait comme ◀les▶ médecins ◀de▶ Rabelais et ◀de▶ Molière, qui donnaient leurs drogues aux autres et ne s’en servaient jamais. ◀Le▶ vent a calmé ce matin, mais ce soir il a rafraîchi et toujours bon.
Du samedi 11e. [mars]
Ce matin, une heure et plus avant soleil levé, nous avons vu ◀le▶ Pic des Canaries : c’est une montagne qui s’élève au milieu de ◀l’▶île de Ténérif ; elle nous paraissait dans ◀le▶ Sud-Est, nous ◀l’▶avons vue toute ◀la▶ journée. Je croyais avoir vu des montagnes aussi hautes qu’il y en puisse avoir dans ◀le▶ monde, ayant vu dans ◀le▶ Canada ◀les▶ montagnes ◀de▶ Notre-Dame dans mon voyage ◀de▶ Chedabouctou à Québec par terre, mais ce n’est rien en comparaison de celle-ci. Elle paraît élevée trois fois plus que ◀les▶ nues, qui semblent n’être qu’à son pied. On dit ici que qui que soit n’y a jamais pu monter. Pour moi, si j’y étais, je tenterais ◀l’▶aventure ; du moins ai-je quelque idée ◀d’▶avoir lu autrefois dans quelque relation, et je crois que c’est celle ◀de▶ Jean Hugues de Linschot Hollandais, que quelqu’un en était venu à bout, et que ◀l’▶on voyait ◀de▶ son sommet une île nommée San Porandon, laquelle de temps en temps paraît et dans d’autres temps ne paraît plus ; et c’est ◀de▶ celle-là assurément que Mons. [Des Marets] de Comberville a tiré ◀le▶ sujet ◀de▶ son roman ◀de▶ Polexandre. Quoi qu’il en soit, si j’étais à terre, quelque peine et quelque hasard qu’il y ait je ferais mes efforts pour y monter. On dit que nous n’en sommes qu’à six lieues, pour moi tout bien observé je crois que nous en sommes à plus ◀de▶ douze. ◀Le▶ sommet en est blanc, toujours couvert ◀de▶ neiges : on m’a voulu soutenir ici que cette blancheur n’est autre chose que du gravier dont cette roche est couverte, ou bien que c’est ◀la▶ roche même blanchie par ◀l’▶ardeur du soleil. Il est vrai qu’on n’a pas soutenu longtemps cette opinion, et qu’enfin on est tombé d’accord avec moi que c’est ◀de▶ ◀la▶ neige, on ◀l’▶a même prouvé par ◀les▶ exemples du mont Etna ou Gibel, des Alpes et des Pyrénées. Je voudrais bien savoir à mon tour pourquoi il se conserve toujours ◀de▶ ◀la▶ neige sur une montagne beaucoup plus haute que ◀les▶ nues. Je dis là-dessus : ◀La▶ neige n’est aussi bien que ◀la▶ pluie qu’une simple exhalaison ◀de▶ ◀la▶ terre ou ◀de▶ ◀la▶ mer, qui ne s’élève pas plus haut que ◀la▶ moyenne région ◀de▶ ◀l’▶air, comment donc a-t-elle pu monter deux fois plus haut que ne sont ◀les▶ nues ? On répond à cela que ◀le▶ soleil par sa chaleur raréfiant ces exhalaisons, elles s’élèvent plus que celles qui se distillent en pluie, et s’attachent au premier endroit qui leur font (sic) obstacle, où elles se congèlent et condensent. Je réplique là-dessus que ◀le▶ soleil par sa chaleur raréfiant ◀les▶ exhalaisons peut en attirer à lui ◀les▶ vapeurs ◀les▶ plus subtiles, mais qu’il ◀les▶ tire perpendiculairement et en ligne directe ; qu’ainsi, elles ne doivent point trouver aucun endroit qui leur fasse obstacle et où elles puissent s’attacher puisqu’elles doivent aller droit au soleil suivant leur attraction. On me répond là-dessus que c’est ◀l’▶impulsion des vents qui pousse ces vapeurs tantôt ◀d’▶un côté, tantôt ◀de▶ l’autre. Je demeure muet là-dessus, mais non pas sur ◀la▶ congélation perpétuelle ◀de▶ ces vapeurs, et demande pourquoi ce sommet ◀de▶ montagne qui est beaucoup plus proche du soleil que nous conserve-t-il assez ◀de▶ fraîcheur pour entretenir cette neige et ◀l’▶empêcher ◀de▶ se fondre à ◀la▶ chaleur ◀de▶ cet astre, vu que nous, qui en sommes bien plus éloignés, sentons une chaleur excessive ? On me répond là-dessus que ◀le▶ soleil ressemble au feu élémentaire qui ne garde sa chaleur qu’autant qu’il a ◀d’▶aliment pour ◀l’▶entretenir, et que ces vapeurs ou exhalaisons ne montant pas plus haut que ◀la▶ moyenne région ◀de▶ ◀l’▶air, et par conséquent ne lui servant plus ◀d’▶aliment, il n’a plus ◀la▶ même force depuis ◀la▶ moyenne région ◀de▶ ◀l’▶air jusques à lui, qu’il a depuis ◀la▶ moyenne région ◀de▶ ◀l’▶air jusques à nous. Mais si il n’a plus cette même force, répliqué-je, et s’il est vrai que tout ce grand espace soit froid qui est entre lui et ◀la▶ moyenne région ◀de▶ ◀l’▶air, où prend-il cette nouvelle chaleur pour raréfier ces vapeurs et en couvrir cette montagne, vu que c’est ◀le▶ propre du froid ◀de▶ tout conglober et ◀de▶ tout resserrer ? Et pourquoi, si ◀le▶ soleil a assez ◀de▶ force pour attirer à lui toutes ces exhalaisons, n’en a-t-il pas assez pour ◀les▶ empêcher ◀de▶ se geler sur une montagne directement opposée à ses rayons et à sa chaleur, car c’est un axiome généralement reçu en philosophie que Qui potest instituere, potest destituere, c’est-à-dire que « qui peut élever, peut abattre » ? On demeure court à son tour, ou on me donne des raisons qui ne me satisfont point du tout. J’ai remarqué que toutes ◀les▶ îles qui sont ici sont toutes embrumées et que ◀le▶ temps paraît fin à ◀la▶ mer quoiqu’il ne ◀le▶ soit pas beaucoup. Je crois que c’est que ◀la▶ mer étant un corps fluide donne des vapeurs beaucoup plus subtiles que celles ◀de▶ ◀la▶ terre qui étant un corps grossier n’en peut envoyer que ◀de▶ grossières, et c’est pourquoi ces dernières paraissent bien plus que les premières. Vous vous ferez dire et expliquer tout par quelqu’un qui ◀l’▶entende mieux que moi ; vous avez chez vous ◀la▶ source des sciences, et n’aurez pas beaucoup de peine à trouver une solution juste sans sortir ◀de▶ votre maison.
Du dimanche 12e. [mars]
Nous avons encore vu ce matin ◀le▶ Pic des Canaries quoique nous en soyons à plus ◀de▶ trente lieues, nous ◀le▶ laissons derrière nous. Nous avançons bien, ◀le▶ vent est bon. Nous sommes dans ◀les▶ vents alizés il y a fort longtemps. On appelle vent alizé, un certain vent ◀d’▶Est-Nord-Est qui souffle toujours ici, et qui conduit souvent par-delà ◀la▶ Ligne. Je ne me suis point aperçu du temps ni du jour que nous y sommes entrés, car grâce à Dieu nous avons toujours eu même vent et ainsi toujours bon et frais. Quel plaisir, ◀la▶ mer n’est pas plus grosse que ◀la▶ Seine ◀l’▶est en été. Jamais voyage ne m’a semblé si heureux. Nous allons mieux que qui que ce soit ◀de▶ ◀l’▶escadre, et quoique nous ne soyons que le quatrième navire ◀de▶ ◀l’▶escadre en ordre, et que nous portions moins ◀de▶ voiles que ◀les▶ autres, nous tenons pourtant toujours ◀la▶ tête. Tant mieux, il vaut mieux que nous ◀les▶ attendions que ◀d’▶en être attendus, et outre cela c’est une espèce ◀de▶ préjugé pour nous que nous serons détachés ◀de▶ ◀l’▶escadre pour donner cache à quelque Anglais ou Hollandais. ◀Les▶ mains me démangent, je serais si aise ◀d’▶avoir du drap ◀d’▶Angleterre ou ◀de▶ ◀la▶ toile ◀de▶ Hollande qui ne me coûtât rien.
Du lundi 13e.[mars]
Toujours bon vent et si Dieu nous ◀le▶ continue dans quatre jours je boirai du vin ◀d’▶Espagne à Saint-Iago à votre santé. Nous passons ◀le▶ tropique à ◀l’▶heure que je vous écris : il est sept heures du soir. C’est bien aller depuis que nous sommes partis ◀de▶ France, mais Dieu nous protège ; en effet ◀la▶ Compagnie a trop perdu ◀l’▶année passée pour que sa justice ne nous donne pas tout à souhait pendant ◀le▶ voyage que nous faisons pour elle.
Du mardi 14e. [mars]
Toujours bon vent. ◀Le▶ tropique est passé, nous allons à Saint-Iago. ◀Le▶ vent a un peu calmé cette nuit, mais il est bon frais à présent.
Du mercredi 15e. [mars]
◀La▶ hauteur est ◀de▶ 20 degrés quelque[s] 12 ou 13 minutes. ◀La▶ chaleur commence à être grande, mais Dieu merci ◀le▶ vent est assez bon frais, et nous rafraîchit. Nous sommes dans ◀l’▶Est des îles du Cap Vert ; nous allons à ◀l’▶Ouest, ainsi nous espérons ◀les▶ trouver bientôt. Nous croyions être beaucoup plus à Ouest que nous ne sommes, mais ◀les▶ courants nous ont été contraires.
Du jeudi 16e.[mars]
Que j’ai souffert cette nuit ! Je ne crois pas en avoir jamais passé une si mauvaise pour ◀le▶ corps, mais ◀le▶ vent qui est bon me console ◀de▶ tout. Nous allions vent arrière, et pour attendre ◀les▶ autres nous étions obligés ◀de▶ ne porter que nos quatre grandes voiles. Nous avons roulé et nous roulons encore tellement, que je ne puis écrire que par intervalle. Notre amiral a tiré ce matin cinq coups ◀de▶ canon : trois coup sur coup et deux autres à un peu de distance. Il était derrière nous ; il n’a point fait ◀de▶ signal pour nous faire attendre, ainsi nous avons cru que c’était un officier major qui s’était laissé mourir, et qu’on avait jeté à ◀la▶ mer. Nous nous sommes trompés ; nous lui avons parlé sur ◀les▶ deux heures après midi, c’est un mandarin à qui on a donné sépulture qui était mort ◀le▶ soir auparavant. Cinq coups ◀de▶ canon pour un mandarin, c’est beaucoup, mais Monsieur Du Quesne leur fait autant ◀d’▶honneur qu’il veut en recevoir ◀d’▶eux, et outre cela, on croit ici que ◀la▶ présence du Père Tachard lui en a valu plus ◀de▶ deux.
Du vendredi 17e. [mars]
Nous sommes encore par ◀la▶ hauteur des îles du Cap Vert, nous ◀les▶ cherchons toujours. On espérait arriver à Saint-Iago aujourd’hui, et nous en verions ◀les▶ terres, à ce qu’on dit, si ◀le▶ temps était fin. ◀Le▶ Lion est allé devant, à ◀la▶ découverte.
Du samedi 18e [mars]
C’est ce matin que nous avons vu ◀l’▶île de Mai, et sur ◀le▶ midi ou une heure, nous avons mouillé devant Saint-Iague. Nous conduisions tout parce que notre premier pilote, qui s’appelle Jean Lenard de La Barque, et qui est fort habile homme, était seul ◀de▶ ◀l’▶escadre qui y eût été sur lequel on pût faire fond ; Monsieur Du Quesne ainsi nous avait fait signal ◀d’▶aller le premier. C’était une confusion ◀de▶ voix enragée, on ne savait à qui obéir ; notre pilote en était étourdi, et quelque chose qu’on dise des navires du Roi pour lesquels nous passons, je me suis aperçu que ◀la▶ subordination n’est pas observée comme elle était ◀l’▶année passée que nous avions ici Monsieur ◀le▶ commandeur ◀de▶ Combes pour capitaine, et que nous étions dans ◀l’▶armée du Roi. Tout le monde ici se mêlait aujourd’hui ◀de▶ commander et personne n’obéissait.
Pour moi si j’avais été pilote j’aurais tout abandonné aux risques ◀de▶ ceux qui auraient voulu faire mon emploi. Cette confusion a fait qu’il s’est mépris et que nous avons été jusques à une portée ◀de▶ fusil ◀de▶ terre, dans une anse qui est dans ◀le▶ Sud-Sud-Est ◀de▶ ◀l’▶île, quoiqu’il soutînt fortement que ◀le▶ véritable mouillage présentait un îlot dans ◀l’▶ouest. Si ◀la▶ terre n’était pas saine, si ◀le▶ navire n’avait pas bien gouverné, ou si ◀le▶ vent n’eût pas été bon pour nous relever, il est très constant que nous étions perdus et que ◀l’▶Ecueil aurait achevé là son voyage des Indes. Enfin nous sommes mouillés : ◀la▶ terre me paraît remplie ◀de▶ montagnes et ◀de▶ roches. Si je mets demain pied à terre comme je ◀l’▶espère, je vous dirai ce qui en est. Je trouve notre pilote fort habile, et que tout autre à sa place se serait mépris, y ayant ici des maisons, une anse et des cocotiers, comme à ◀l’▶endroit où il voulait aller. Il est vrai que ◀les▶ maisons sont ici dans ◀l’▶Est et ◀les▶ cocotiers dans ◀l’▶Ouest, et que là ◀les▶ maisons sont dans ◀l’▶Ouest et ◀les▶ cocotiers dans ◀l’▶Est, mais ◀la▶ confusion qu’il y avait pouvait faire perdre ◀la▶ tramontane à tout|[e] autre, et il est encore vrai que ceux qui sont ici ◀d’▶un caractère à pouvoir imposer silence aux autres, étaient les premiers à leur montrer ◀l’▶exemple ◀de▶ crier par cent sortes ◀de▶ commandements qui se contredisaient ◀les▶ uns ◀les▶ autres.
Du dimanche 19e. [mars], jour ◀de▶ Pâques fleuries
Je vais à terre. J’écris ◀le▶ matin, je vous dirai demain ce qui en est ou ce qui m’en aura paru.
Du lundi 20 [mars]
◀L’▶île de Saint Iague ou Saint Iago est une ◀de▶ celles qu’on appelle ordinairement ◀les▶ îles du Cap Vert, parce qu’elles sont par sa même latitude. Elle est située à 14 degrés 40 minutes latitude Nord, et 353 degrés 12 minutes ◀de▶ longitude. ◀Les▶ vaisseaux qui vont ou qui viennent des Indes et qui veulent y faire ◀de▶ ◀l’▶eau mouillent dans ◀le▶ sud-ouest ◀de▶ ◀l’▶île, dans ◀l’▶Est ◀d’▶un îlot qu’on ne peut distinguer ◀de▶ ◀la▶ terre à moins qu’on en soit fort proche. Ce mouillage est dans une anse appelée ◀La▶ Vinate, qui forme une espèce ◀de▶ port dont ◀la▶ tenue n’est pas fort bonne, ce que nous avons connu au Gaillard, qui a ◀chassé▶ sur son ancre et a été obligé ◀d’▶affourcher. ◀Le▶ fond est ◀de▶ petit gravier et ◀de▶ coquillage. ◀L’▶île appartient aux Portugais, qui y entretiennent deux gouverneurs, l’un à ◀la▶ ville qui porte ◀le▶ nom ◀de▶ ◀l’▶île, et l’autre à cette anse. Celui-ci dont je ne sais point ◀le▶ nom peut être âgé ◀de▶ 22 à 23 ans au plus, assez bien fait ◀de▶ sa personne, et fort civil. Il n’est point Portugais ◀de▶ naissance, car ils ne sont pas ordinairement si basanés : il a ◀le▶ teint olivâtre et ◀le▶ regard mal assuré. Il y a une manière ◀de▶ fort, si on peut appeler ainsi une simple élévation ◀de▶ terre où il y a quatre pièces ◀de▶ canon ◀de▶ fer ◀de▶ 8 à 12 livres ◀de▶ balle. On descend à terre sur ◀le▶ dos ◀d’▶un matelot, qui vous porte environ douze ou quinze pas, depuis ◀la▶ chaloupe jusques sur ◀la▶ grave, parce que ◀les▶ chaloupes ne peuvent point approcher ◀de▶ terre qu’à cette distance, à cause du peu de fond. Cette grave n’est que sable fort fin à peu près comme celui ◀d’▶Etampes. Vous marchez sur ce sablon environ 80 pas du côté du soleil levant, ayant à main droite ◀la▶ mer, et à gauche un parc ◀de▶ cocotiers plantés dans un juste alignement en échiquier, si bien que cette vue vous présente une assez agréable perspective. Ce chemin vous conduit jusques au pied ◀d’▶une montagne fort escarpée, haute ◀de▶ cent pas ou environ, sur laquelle est bâti ◀le▶ village et une église dont je parlerai bientôt. En allant à gauche, vous passez devant un des deux puits où ◀l’▶on fait ◀de▶ ◀l’▶eau, qui est environ à six-vingt pas ◀de▶ ◀la▶ rive. Ce premier puits-là ne vaut rien, outre qu’il avait été tari par ◀l’▶eau que trois navires hollandais y avaient faite deux ou trois jours avant notre arrivée ; par parenthèse ces navires-là sont bien heureux ◀d’▶avoir échappé nos griffes. Environ à 200 pas ◀de▶ là on trouve le second puits qui est ◀le▶ meilleur ou plutôt ◀le▶ moins méchant, ◀l’▶eau n’en valant rien ou peu de chose, et qui donne beaucoup de peine à conduire jusques à ◀la▶ rive, à cause du chemin qui est étroit, tortu et sans uniformité. A 200 autres pas, on trouve ◀la▶ maison du gouverneur, qui est sur une petite colline. Ce n’est à proprement parler qu’une masure blanchie ◀de▶ chaux. Il n’y a qu’une seule salle, point ◀d’▶étage au-dessus. Elle est couverte ◀de▶ feuilles ◀de▶ cocos ou palmes, assez bien jointes l’une à l’autre ; et quand cela ne serait pas, ne pleuvant que fort peu dans cette île, ils ne doivent pas craindre ◀l’▶humidité ◀la▶ chaleur y étant excessive. Cette salle est pavée ◀de▶ gros gravier ou cailloux, ◀d’▶un pouce ◀de▶ diamètre par échiquier, étant coupée en carré par des lignes ◀de▶ cailloux blancs, remplis ◀de▶ cailloux noirs. Cette salle ou maison n’a qu’une porte et une fenêtre, percée à ◀l’▶opposite afin d’y donner ◀de▶ ◀l’▶air lorsqu’il fait du vent. Elle peut avoir trois toises ◀de▶ long sur deux ◀de▶ large, et c’est dans ce trou qu’est ◀le▶ lit du seignor gubernador. Lorsque je ◀le▶ vis, il était habillé à ◀la▶ française mais contraint dans son harnois. Il avait des bas gris ◀de▶ perle, un escarpin long ◀d’▶un demi-pied plus qu’il ne fallait, couleur ◀de▶ noisette, un justacorps ◀de▶ drap gris ◀de▶ souris, une veste ◀de▶ satin brodée ◀de▶ fleurs ◀de▶ soie ◀de▶ toutes sortes ◀de▶ couleurs mais fort fanées, une culotte ◀de▶ damas cramoisi, une épée ◀de▶ six pieds ◀de▶ lame, et une canne fort belle avec une chaîne ◀d’▶argent, si bien que dans un besoin, en y ajoutant une rhingrave, il aurait assez bien représenté ◀le▶ marquis de Mascarille de Molière. Il y a devant ◀le▶ superbe palais que je viens de dépeindre une autre maison aussi somptueuse où sont ◀les▶ cuisines. Je ne sais ce qu’ils y font cuire n’y ayant rien vu, ni feu ni bête morte ou vivante, mais oui bien des négresses, qui m’ont présenté aux yeux Tisiphone,
Alecto et Erennis. Il y a là une espèce ◀de▶ hangar ouvert ◀de▶ tous côtés, seulement pour se mettre à couvert du soleil ; il ressemble à nos remises ◀de▶ carrosse excepté qu’il est élevé ◀de▶ deux marches, et qu’il y a des bancs ◀de▶ terre et ◀de▶ pierre. Revenons au village : j’ai satisfait à ◀la▶ civilité en parlant du gouverneur le premier. Il est sur une hauteur comme j’ai déjà dit. ◀Les▶ maisons sont séparées ◀les▶ unes des autres sans aucun alignement, très mal bâties, et ressemblent plutôt à des casemates ◀de▶ soldats bâties pour deux ou trois jours qu’à des demeures permanentes ; cependant c’en est assez pour ◀les▶ gens qui y demeurent. Ce sont tous noirs dont nous parlerons par ◀la▶ suite ; il y a seulement un fidalgue ou gentilhomme portugais qui est blanc, duquel ◀la▶ femme que j’ai entrevue est blanche aussi : c’est je crois ◀le▶ plus honnête homme qui soit dans cette île, du moins ses manières n’ont rien ◀de▶ barbare. Il a quatre enfants, deux garçons et deux filles ◀de▶ six à dix ans : j’en ai vu deux beaux en perfection, ◀les▶ cheveux du plus beau blond qu’on puisse voir. Il nous donna des goyaves, qui est un fruit qui croît dans ◀l’▶île, gros comme une petite orange, mais plein ◀d’▶une graine et ◀d’▶une chair vermeille fort agréable au goût quand il est mûr ; et ◀de▶ belle eau claire dans une grande tasse avec une soucoupe ◀d’▶argent, l’un et l’autre armoriés. Je crois qu’il est major ◀de▶ ◀l’▶île et se nomme Dom Francisco de Valesco. ◀L’▶église est fort éloignée ◀de▶ ces maisons ; il n’y a qu’un seul prêtre entretenu ; elle m’a paru pauvre. ◀Le▶ prêtre est noir aussi bien que tous ◀les▶ autres ◀de▶ ◀l’▶île, n’y ayant vu ◀d’▶ecclésiastique blanc que ◀l’▶Evêque dont je parlerai en parlant ◀de▶ ◀la▶ ville. ◀Le▶ tableau ◀de▶ ◀l’▶autel représente une Assomption, aussi bien que celui ◀de▶ ◀la▶ cathédrale. ◀La▶ sacristie est du côté de ◀l’▶Epître, en dehors du chœur, et n’est qu’une salle détachée ◀de▶ ◀l’▶église, et a une sortie sur une grande lande du côté des maisons. On voit ◀de▶ là tout ◀le▶ port, ◀la▶ vue étant libre du côté de ◀la▶ mer à cause de ◀la▶ hauteur ◀de▶ cet endroit. J’avais entendu ◀la▶ messe à bord, ainsi je me contentai ◀de▶ voir et ◀d’▶assister à ◀la▶ procession, car c’était hier ◀le▶ dimanche des Rameaux. ◀Les▶ palmes qu’ils avaient dans ◀les▶ mains me firent souvenir du proverbe qui dit ◀de▶ trois Portugais, deux Juifs, car c’était avec des palmes que ◀les▶ Juifs allèrent au devant du Messie, lorsqu’il entra dans Jérusalem, dont ◀l’▶Eglise célébrait hier ◀la▶ commémoration. Vous saurez de plus que si ◀le▶ respect que j’ai pour ma religion ne m’en avait empêché, je me serais éclaté de rire deux ou trois fois, étant un assez plaisant spectacle ◀de▶ voir un prêtre et deux paysans qui lui servaient ◀d’▶acolytes, tous trois noirs comme beaux diables aussi bien que ◀le▶ porte-croix, revêtus ◀d’▶aubes blanches comme neige. Il me semblait voir quatre figures comme ◀le▶ Maure ◀de▶ ◀l’▶horloge du Marché-Neuf, à qui on aurait mis des chemises blanches. Raillerie à part ◀l’▶office s’y fait bien dévotement, et il serait à souhaiter que ◀l’▶intérieur répondît à ◀l’▶extérieur. C’est assez là-dessus, il est temps ◀d’▶aller à ◀la▶ ville.
Comme j’avais envie ◀de▶ ◀la▶ voir et que je ne pus trouver ◀de▶ chevaux, je fus obligé ◀de▶ me servir ◀d’▶un âne : ce n’est pas qu’ils n’en aient ◀de▶ très beaux, mais en petite quantité. Celui que ◀le▶ P. Tachard montait était un cheval ◀d’▶Espagne qui vaudrait en France soixante pistoles au moins ; il appartenait au gouverneur. ◀Le▶ P. Tachard avait si bien fait qu’il ◀l’▶avait eu ; en effet un Espagnol ou un Portugais refuser quelque chose à un Jésuite ! surtout à un Jésuite ambassadeur du Roi de Siam ! cela serait inouï. On dit pourtant qu’il n’a pas eu ◀de▶ ◀l’▶Evêque ce qu’il en espérait. Mais on n’a pas tout ce qu’on demande dans ◀le▶ monde, et outre cela ce ne sont point mes affaires. Il partit et alla bien monté. Pour moi j’eus mille pensées bouffonnes sur ◀le▶ hasard qui me donnait un âne pour monture ◀le▶ propre jour des Rameaux pour aller dans une ville pleine ◀de▶ Juifs. Il y a trois grandes lieues ◀de▶ ce village à ◀la▶ ville ; ◀les▶ terres ici ne valant rien, ◀les▶ habitants ont raison ◀de▶ ne ◀les▶ pas mesurer juste. Nous avons été cinq heures en chemin ; ajoutez à cela ◀la▶ chaleur qu’il faisait qui nous mettait tout en eau, et ◀le▶ mauvais chemin, et vous avouerez que nous n’avions pas tout ◀le▶ tort ◀de▶ ◀le▶ trouver long et ennuyeux. Ce ne sont que montagnes et précipices, pas cent pas ◀de▶ chemin uni. On voit toujours ◀la▶ mer à gauche en allant, un pays aride et stérile où je n’ai rien trouvé ◀de▶ vert, ni arbre ni herbe, si ce ne sont quelques calebasses et pommes ◀de▶ coloquinte qui rampent à terre sans feuilles et quelques cocotiers ; étant obligés ◀de▶ mettre pied à terre ◀de▶ quart d’heure en quart d’heure pour monter ou descendre ◀les▶ roches, étant impossible que ni cheval ni âne y monte ou en descende chargé, et faisant ainsi à pied ◀les▶ deux tiers presque du chemin ◀le▶ plus difficile et ◀le▶ plus tuant. Il y a, à un quart ◀de▶ lieue du village en allant à ◀la▶ ville, un champ qui peut avoir un quart ◀de▶ lieue en carré, par un coin duquel on passe, lequel paraît avoir autrefois été labouré et semé ◀de▶ seigle, mais il n’a point été cultivé depuis trois ans qu’ils disent qu’il n’a plu dans ◀l’▶île. A côté ◀de▶ ce champ que ◀l’▶on laisse à droite, et à votre gauche en allant à ◀la▶ ville, il y a une espèce ◀de▶ lit ◀de▶ rivière qui est tout tari et sec, parce que n’ayant point plu depuis si longtemps ◀l’▶eau a cessé ◀de▶ courir, n’étant autre chose qu’un torrent formé des eaux qui s’épandent après ◀la▶ pluie des montagnes dont cette île est pleine, et qui ne coulent qu’après qu’il a plu. A moitié chemin, on trouve un ruisseau qui peut avoir trois pieds ◀de▶ large sur deux ◀de▶ haut, dont ◀l’▶eau est très bonne, qui vient de source et par conséquent qui ne tarit jamais, et afin que cette eau ne se perdît pas, ◀les▶ noirs y ont fait des levées qui ◀la▶ font courir dans un lit droit et uni. Elle coule avec rapidité et se décharge dans ◀la▶ mer, qui n’est pas éloignée ◀de▶ cent pas au plus ◀d’▶où j’ai passé. Je ne sais point pourquoi ce n’est pas là que ◀les▶ navires vont faire ◀de▶ ◀l’▶eau : on en ferait tant que ◀l’▶on voudrait en peu de temps, et fort bonne. Il faut apparemment que cette anse dans laquelle cette eau se joint à ◀la▶ mer soit pleine ◀de▶ roches qui en empêchent ◀l’▶abord : je n’en ai pourtant point vu ; il est vrai qu’il faisait calme tout plat et qu’il n’y avait point du tout ◀de▶ vent, cependant ◀la▶ mer brise toujours proche de terre. C’est peut-être plutôt qu’il n’y a point ◀de▶ fond, ou qu’il est si haut qu’on ne peut y mouiller. ◀Le▶ soleil se coucha plus ◀de▶ trois heures avant que nous fussions arrivés à ◀la▶ ville ; je voyais de temps en temps du feu paraître et s’éteindre en tombant, et qui ne paraissait que ◀la▶ longueur ◀de▶ trois pater au plus. Je crus que c’était quelque météore comme on en voit assez souvent dans ◀les▶ pays chauds, mais je me trompais : c’est un feu effectif que vomit une montagne qui est dans ◀l’▶Ouest-Sud-Ouest à quinze lieues d’ici que ◀l’▶on appelle à cause de cela ◀l’▶Ile de Feu. Enfin nous arrivâmes à ◀la▶ ville, fort fatigués ◀de▶ ◀la▶ chaleur et du chemin, et après ◀l’▶avoir cent fois donnée au diable ; et vîmes en entrant une muraille ◀de▶ moellons et ◀de▶ gros cailloux forte et bien faite, revêtue ◀de▶ cinq bastions réguliers et ◀de▶ quelques pièces ◀de▶ canon. Elle entoure toute ◀la▶ ville depuis une extrémité ◀de▶ ◀la▶ mer jusques à l’autre, du Nord au Sud du côté de ◀l’▶Est, ◀le▶ côté ◀de▶ ◀l’▶Ouest étant en partie fortifié naturellement par ◀les▶ roches qui bordent ◀la▶ mer et par une petite muraille dont je parlerai dans ◀la▶ suite. Je ne vis point cela hier au soir, ne voyant que peu, quoique ◀la▶ lune fût belle, mais ce matin que je me suis promené partout j’ai tout observé. On ne voit point ◀la▶ ville qu’on n’ait passé ◀la▶ seule porte qu’il y a à cette muraille du côté de terre, n’y en ayant que deux, celle-ci et une autre qui donne sur ◀le▶ quai faite à une muraille qui prend depuis ◀le▶ palais ◀de▶ ◀l’▶Evêque dans ◀le▶ Sud-Ouest jusques au rocher dans ◀le▶ Nord-Est. Après avoir passé cette porte ◀la▶ ville paraît à peu près comme Suresnes au sortir de ◀l’▶église du Mont Valérien, mais plus bas. Elle est ou paraît être toute neuve ; ◀les▶ rues sont dans un juste alignement, ◀les▶ maisons bien percées, et presque toutes ◀d’▶un ou ◀de▶ deux étages, couvertes ◀de▶ tuiles comme celles ◀de▶ Paris. ◀Le▶ chemin qui conduit ◀de▶ cette porte à ◀la▶ ville est brut[e] sans aucun travail, mais seulement pratiqué dans ◀le▶ rocher. ◀Le▶ palais ◀de▶ ◀l’▶Evêque, qui est ◀la▶ maison ◀la▶ plus proche de ◀la▶ mer, est ◀le▶ lieu ◀le▶ plus élevé ◀de▶ ◀la▶ ville et ◀le▶ plus beau. ◀Le▶ château du Gouverneur est en haut environ à cent pas dans ◀le▶ nord ◀de▶ ◀la▶ porte par laquelle on entre ; il n’y a rien ◀de▶ beau que ◀les▶ quatre murs qui sont bien blanchis, mais il est logeable tant pour lui que ◀la▶ garnison. Je ne sais point pourquoi on a bâti ◀la▶ ville dans ◀l’▶endroit où elle est, ◀le▶ havre n’étant pas capable ◀de▶ grands vaisseaux, mais seulement ◀de▶ barques qui amarrent proche de terre, et qui seraient bientôt emportées par ◀le▶ vent si elles étaient au large. ◀La▶ ville s’étend du Sud au Nord, mais bien plus habitée du côté du Sud et plus belle qu’au Nord. Il peut y avoir en tout six cents hommes au plus, assez bien faits ◀de▶ leurs personnes, mais remplis ◀d’▶une certaine férocité barbare qui ne cadre point avec ◀les▶ manières honnêtes ◀de▶ notre Europe. Ils sont remplis ◀de▶ présomption et ◀de▶ vanité. Ils ne se connaissent point. Je n’ai jamais vu ◀de▶ peuples plus malheureux que ces gens-là sans en excepter même ◀les▶ sauvages du Canada. Pour ◀les▶ femmes blanches on ne ◀les▶ voit point suivant ◀la▶ manière des Portugais ; à l’égard des femmes noires, j’en ai vu ◀de▶ parfaitement bien faites. Celle chez qui nous logions à ◀la▶ ville est ◀de▶ ce nombre : elle a ◀les▶ traits fort beaux et même délicats, ◀l’▶humeur fort agréable et douce. Son mari est blanc, Portugais européan ; il ne ◀l’▶a pas quittée ◀de▶ vue. Elle a toute ◀la▶ peine, elle distribue tout pendant que ◀le▶ seignor, assis sur son cul, une pipe ◀de▶ tabac à ◀la▶ gueule, est à ◀la▶ regarder faire et à observer tout le monde. Ce qui m’en semble, c’est que ◀les▶ Portugais qui sont misérables chez eux viennent ici ou ailleurs, et à coup sûr y épousent des femmes qui leur gagnent leur vie et qu’ils rossent bien. Ces femmes n’ont rien au-dessus ◀de▶ ◀la▶ tête, mais seulement autour un bandeau qui leur ceint ◀le▶ front. ◀Les▶ unes ◀l’▶ont blanc, ◀les▶ autres ◀l’▶ont noir, et ◀les▶ autres ◀d’▶une autre couleur ; elles ont une espèce ◀de▶ petit corset qui ne leur va qu’à moitié du sein, ainsi toute ◀la▶ gorge et ◀la▶ moitié du sein est découverte. Elles ont une manière ◀de▶ jupe qui leur descend jusques à mi-jambe ; pour des bas et des souliers, elles n’en connaissent point ◀l’▶usage ; et avec ce bizarre attirail elles ne laissent pas ◀d’▶être assez agréables. Il y en a comme j’ai dit qui sont assez bien faites et d’autres aussi qui sont ◀de▶ véritables remèdes ◀d’▶amour, surtout ◀les▶ vieilles, dont ◀le▶ sein ou tétasses n’étant point soutenu et noir et ridé ressemble assez à une vieille besace ◀de▶ capucin renversée. ◀Les▶ deux tiers des soldats ◀de▶ ◀la▶ garnison que j’ai vus sont noir[e] s ou maures (ce sont deux mots synonymes), et ◀les▶ officiers au nombre ◀de▶ dix sont blancs. On ne trouve rien dans ◀les▶ cabarets, et on est obligé ◀d’▶envoyer ailleurs chercher ce qu’on mange ; je ne dis pas ce qu’on veut manger, mais ce qu’on peut trouver. ◀Le▶ vin ◀de▶ Madère qu’ils ont ici est fort bon et bien cher, et ressemble assez pour ◀le▶ goût à notre vin ◀de▶ Reims. J’en ai bu de bon cœur et ◀de▶ très grand appétit, et soit dit en passant votre santé n’a pas été oubliée, et je ◀l’▶ai fait boire à tel qui ne vous sera jamais connu. Pour éviter ◀les▶ querelles qui viennent dans ◀le▶ vin il y a toujours un sergent ◀de▶ ◀la▶ garnison qui vous observe à table. Il n’empêche point ◀de▶ boire, au contraire il vous y anime, parce qu’il y profite doublement, car outre quelque coup ◀de▶ vin qu’il attrape de temps en temps ◀l’▶hôte ou ◀l’▶hôtesse lui doivent ◀le▶ quart ◀de▶ tout, c’est à dire que si on dépense vingt sols il en a cinq. Quoiqu’il soit rude ◀de▶ se voir examiner ◀de▶ si près, il est pourtant vrai que ◀la▶ police en est très louable et qu’elle empêche bien des noises, car sans façon on campe ici ◀les▶ gens in tenebris, quand ◀la▶ bouteille se ressent ◀de▶ ◀la▶ liqueur qui ◀l’▶emplit ; cela se pratiquait de même en France, il n’y aurait ni tant de meurtres ni tant ◀d’▶ivrognes. Je vous dirai à ◀la▶ fin ◀le▶ régal que nous avons fait.
◀L’▶église parochiale qui est ◀l’▶Evêché, assez éloignée du palais épiscopal, est assez belle, ◀le▶ chœur séparé ◀de▶ ◀la▶ nef par une balustrade élevée ◀de▶ trois degrés. J’y ai vu quatre fort beaux chandeliers ◀d’▶argent, une tapisserie ployée dans ◀la▶ sacristie qui me paraissait ◀de▶ Bruges, surtout j’y ai vu un soleil ◀d’▶or ou ◀de▶ vermeil doré enrichi ◀de▶ pierreries qui sont ◀d’▶un grand prix si elles sont fines. ◀L’▶Evêque est blanc, ◀de▶ ◀l’▶ordre ◀de▶ saint François, et cordelier, du moins son habit ◀le▶ dit ainsi, âgé environ ◀de▶ quarante ans, parlant fort bon latin, bien fait ◀de▶ sa personne et ◀d’▶un abord fort agréable. Il m’a fait ◀la▶ grâce ◀de▶ me donner sa bénédiction, que je lui ai demandée en particulier. ◀Les▶ autres ecclésiastiques sont tous noirs. J’ai parlé à trois ou quatre qui parlent un latin très mauvais quoique bien articulé, peu poli, point élégant ; je crois que c’est qu’ils suivent plutôt ◀les▶ phrases et élocutions des nègres avec qui ils sont toujours que ◀la▶ phrase latine qu’on leur enseigne en classe. Quoi qu’il soit vous pouvez juger ◀de▶ leur latin puisque ◀le▶ sacristain à qui je citai Cicéron me demanda quel homme c’était. Pour ce qui est du gouvernement, je ne puis dire au juste ce qui en est ne m’en étant point informé ; cependant si ◀l’▶on peut juger sur ◀les▶ apparences, ◀le▶ gouverneur est ici absolu, n’ayant affaire qu’aux Européens qui sont en fort petit nombre, et à qui par conséquent il importe ◀de▶ maintenir son autorité puisque c’est elle qui fait leur sûreté contre ◀les▶ noirs, qui sont bien plus ◀de▶ monde qu’eux, mais à ◀la▶ vérité ◀d’▶un esprit abject et servile, et qui ainsi sont peu à craindre. Il semble que ces noirs n’ont que ◀la▶ figure humaine qui ◀les▶ distingue ◀de▶ ◀la▶ bête, une férocité dans leurs actions qu’on ne peut exprimer. ◀Le▶ gain fait sur eux ce que fait un morceau ◀de▶ pain sur un chien affamé. Quand ils ont affaire ◀de▶ vous ils vous flattent ; ont-ils ce qu’ils demandaient ils disparaissent. J’ai eu pendant près de deux jours un nègre à moi pour demi-quart ◀de▶ patate, qui font sept sols et demi ◀de▶ notre monnaie : il s’est nourri, a eu soin ◀de▶ mon âne et m’a suivi comme un barbet. Si je lui avais donné son argent lorsqu’il me ◀le▶ demanda, j’aurais couru risque ◀de▶ revenir à pied ; du moins on me ◀l’▶avait fait craindre, et je crois qu’il en eût été ainsi, car je ne ◀l’▶ai point vu depuis ◀le▶ moment que je ◀l’▶ai payé. Je ne sais quelle est ◀la▶ vie ◀de▶ tous ces gens-là, tant Européens que noirs : point ◀de▶ pain, point ◀de▶ poisson faute de chaloupe, car ◀la▶ mer autour de ◀l’▶île en est pleine ◀les▶ navires en ayant péché beaucoup, peu de viande, point ◀de▶ fruits, si ce ne sont des oranges, des limons, des cocos et des goyaves, encore ne sais-je où ils ◀les▶ prennent car je n’ai vu ni dans ◀la▶ route ni autre pan aucun arbre vert tel soit-il, si ce ne sont des cocotiers et cotonniers et palmiers. Ils vivent misérablement ; leur nourriture ordinaire est une espèce ◀de▶ fayolles ou fèves noires qui croissent sans culture, et dont ◀la▶ vue seule suffit pour rassasier ; et il est très vrai que ceux qui sont venus nous voir, je ne dis pas nègres seulement, mais même Européens, ne demandaient point à boire ni à manger, leur orgueil naturel ne ◀le▶ permet pas, mais dévoraient des yeux ce que nous avions, et lorsqu’on leur en présentait ils ◀le▶ prenaient non seulement sans civilité, mais avec une avidité féroce dont j’étais confus moi-même. ◀La▶ religion ◀de▶ ces peuples est ◀la▶ nôtre, catholique romaine ; mais ◀l’▶intérieur ne répond point à ◀l’▶extérieur, et preuve ◀de▶ cela, c’est que celui qui portait ◀la▶ croix à ◀la▶ procession avait déjeuné avec nous avant ◀la▶ messe ; malgré ◀la▶ solennité du jour et ◀l’▶édification qu’il devait à des étrangers étant dans ◀les▶ ordres sacrés et à demi prêtre, après ◀le▶ déjeuner il alla à ses nécessités, et ne se lava pas même ◀les▶ mains avant que de toucher ce sacré mémorial ◀de▶ notre rédemption, et aima mieux s’amuser à jaser avec moi qui ne ◀le▶ quittai pas ◀d’▶un pas quoi qu’il y eût plus ◀d’▶une grande demi-heure ◀de▶ distance. ◀La▶ misère est ici fort grande, il faut y être accoutumé pour y résister. Nous étions quatre Français ensemble, fatigués, brûlés du soleil, lassés du chemin, altérés par ◀la▶ chaleur et affamés comme des chasseurs, nous espérions bien faire un bon repas pour nous remettre mais nous comptions sans notre hôte : en effet nous ne trouvâmes rien. ◀Le▶ plus chétif cabaret ◀de▶ France aurait eu ◀de▶ quoi donner à souper et à coucher à quatre hommes : ce n’est pas de même ici, on ne trouve que du vin, pour du pain ce n’est pas ◀l’▶usage du pays. Nous en avons eu pourtant à trente sols ◀la▶ livre, et c’était ◀le▶ gouverneur qui ◀le▶ vendait, n’y ayant que lui qui en eût. Pour souper et rafraîchissements, nous avons mangé un morceau ◀de▶ pain, une fricassée ◀de▶ sardines salées dont ◀l’▶huile sortait ◀de▶ ◀la▶ boutique ◀d’▶un cardeur, car on ne connaît pas ◀le▶ beurre dans ce pays-ci, un morceau ◀de▶ fromage que j’avais porté et puis c’est tout. Je ne parle point ◀de▶ linge, il n’y en a pas. Il y avait sur ◀le▶ coffre qui nous servait ◀de▶ table un pouce ◀de▶ crasse ◀d’▶épaisseur, mais ventre affamé n’a ni yeux ni oreilles. Nous avons couché dans notre fourreau* sur une natte qui nous servait ◀de▶ matelas et ◀de▶ paillasse ; nous avions pour couverture celle ◀de▶ ◀la▶ maison, qui n’est pas ◀la▶ même que celle où nous avons soupé, ◀les▶ Portugais sont trop jaloux pour cela. Peut-être aussi que notre hôte n’avait pas tout ◀le▶ tort ◀de▶ ◀l’▶être, il y en avait parmi nous à qui ◀l’▶hôtesse ne déplaisait pas, et qui lui plaisait assez. Il n’y avait que ◀le▶ vin qui nous conviât, et comme il était bon, nous fîmes comme dit ◀le▶ proverbe à petit manger bien boire. Ce n’est qu’après ◀l’▶écot qu’on est comptable, dit ◀la▶ chanson, nous ◀l’▶avons éprouvé, mais c’était ◀le▶ diable à confesser que ◀le▶ quart* d’heure ◀de▶ Rabelais. Vingt-huit francs en vin, un écu en pain, trente sols en sardines, et autant pour ◀la▶ bonne chère et ◀le▶ coucher ; avions-nous beau jeu ? Rendez-moi Paris, c’est un paradis auprès de ceci. Nous bûmes bien effectivement et ne mangeâmes guière, ◀la▶ chère qu’on nous faisait nous rassasiant. C’était pourtant cela qui faisait envie à nos Portugais et qu’ils dévoraient en gens mangeant aux dépens ◀d’▶autrui. Je ◀le▶ répète encore : je n’ai jamais vu ◀de▶ peuples plus misérables, quoique j’aie vu huit nations ◀de▶ sauvages dans ◀le▶ Canada. Et avec cela ceux-ci se traitent entre eux et nous ◀les▶ traitions nous-mêmes ◀de▶ seignors gros comme ◀le▶ bras. Voilà je crois Saint-Iago et ses dignes habitants naturellement peints. Il ne me reste qu’à vous dire qu’ils sont plus intéressés que peuple du monde et qu’ils dameraient ◀le▶ pion, même aux fripiers ◀de▶ Paris, si ce qu’on en dit est vrai, quoiqu’ils passent pour ◀la▶ quintessence ◀de▶ ◀l’▶usure et ◀de▶ ◀la▶ juiverie.
Du Mardi 21. [mars]
Nous avons en vain attendu tout ◀le▶ jour des rafraîchissements. Mrs. Hurtain et Charmot m’ont même dit qu’on s’en prenait à moi, et que Monsieur Du Quesne croyait sur ◀le▶ rapport du Commissaire que j’étais allé pour en acheter. J’avais assuré ◀le▶ Commissaire du contraire, il ne ◀l’▶a pas dit de même à Monsieur Du Quesne ; je n’en sais point ◀la▶ raison, mais je crois que c’est qu’étant bon serviteur ◀de▶ ◀la▶ Compagnie il n’a rien voulu acheter au prix excessif que ◀les▶ Portugais voulaient vendre, ◀d’▶autant plus que ◀les▶ vaisseaux ne manquent encore ◀de▶ rien. Il a raison, je ◀l’▶aurais fait de même à sa place. Monsieur Hurtain a pourtant acheté six cabris et des oranges. ◀Le▶ vent est toujours bon et nous venons de mettre à ◀la▶ voile ce soir sur ◀les▶ sept heures.
Du Mercredi 22e [mars]
Toujours bon vent. Nous voyons du poisson, nous n’en prenons point, ce n’est pas notre faute, il ne tient pas à nous ◀de▶ lui faire voir notre cuisine.
Du Jeudi 23e [mars]
Toujours bon vent. On vient de prendre un thon, nous saurons demain s’il est bon car nous dînerons ensemble.
Du vendredi saint 24e [mars]
Il a fallu jeûner aujourd’hui, et jeûner à ◀la▶ mer et dans ◀la▶ chaleur, c’est se tuer. J’en suis revenu, ◀le▶ Vendredi saint est passé. Il n’est sauce que ◀d’▶appétit : ◀le▶ thon frais est un pauvre manger, mais nous étions à jeun à dîner, il n’a pas tenu contre nos dents. Il fait calme presque tout plat et une chaleur excessive. Il ne nous faudrait presque rien pour nous faire passer ◀la▶ Ligne. On dit qu’on trouve ici quelquefois des calmes qui durent des trente et quarante jours : Dieu nous en veuille préserver.
Du samedi 25e [mars]
Toujours calme. Messieurs ◀de▶ ◀l’▶Oiseau sont venus ici à confesse à notre aumônier pour faire demain leurs Pâques. Ils disent que n’ayant chez eux que des jésuites, ils ne peuvent pas par une répugnance naturelle se découvrir à des gens avec qui ils sont tous ◀les▶ jours. Je ◀les▶ en crois pieusement, car venant ◀de▶ confesse, ils ne voudraient pas mentir.
Du dimanche, jour ◀de▶ Pâques 26. [mars]
Calme tout plat, messe ◀de▶ couvent, bon déjeuner, bon vin, bon appétit. Il ne nous manque que du vent. Il a fait si chaud que ◀la▶ fièvre chaude a saisi un ◀de▶ nos matelots qui s’est lui-même jeté à ◀la▶ mer ; il s’est noyé. Il se nommait René Canevet. Une chose m’a surpris, on ◀l’▶a vu sur ◀l’▶eau, on ◀l’▶a rattrapé, il était mort, et n’allait point à fond.
Du lundi 27 [mars]
Du mardi 28 [mars]
Même chose, tant pis.
Du mercredi 29e [mars]
Même chose. Il a plu pour la première fois depuis notre départ ◀de▶ France. ◀La▶ chaleur nous tue, Monsieur Hurtain s’en trouve incommodé.
Du jeudi 30e. [mars]
Encore calme. ◀Le▶ vent est mort, chaleur enragée ; nous ne voyons point notre ombre, Nous avons ◀le▶ soleil à pic, c’est-à-dire qu’il est directement à notre zénith.
Du vendredi 31 [mars]
Du poisson à toute ligne mais point ◀de▶ vent. ◀La▶ chaleur du pont brûle ◀les▶ pieds à travers souliers et bas.
Avril 1690
Du samedi premier avril
Que cette Ligne est difficile à écorcher ! Point ◀de▶ vent, nous sommes toujours en même endroit.
Du dimanche 2e. [avril]
◀Le▶ vent ne vient point. Que ce calme-ci m’ennuie ! Mr Hurtain a gardé ◀le▶ lit aujourd’hui.
Du lundi 3e. [avril]
Même chose : point ◀de▶ vent, beaucoup de poisson. Je voudrais bien beaucoup de vent et point ◀de▶ poisson.
Du mardi 4e. [avril]
Pluie très forte, un peu de vent qui n’a pas duré. ◀La▶ tête tourne pour peu qu’on travaille dans ces chaleurs-ci. Je n’ose m’appliquer à rien ; moi qu’on n’a jamais accusé ◀d’▶avoir beaucoup de génie, j’ai peur ◀de▶ perdre si peu que j’en ai. Mon plus grand travail est celui des chanoines ◀de▶ Boileau, boire, manger, et dormir. Ces pluies-ci ne sont autre chose que ce qu’on appelle à Paris guillées ◀de▶ mars. Monsieur Hurtain a ◀la▶ fièvre bien fort.
Du mercredi 5e [avril]
◀Les▶ gens ne peuvent s’aider dans ces chaleurs-ci, on n’a pas ◀la▶ force ◀de▶ se remuer. Il vient de mourir un matelot à qui j’ai parlé il n’y a pas une heure. ◀Le▶ pauvre garçon vint hier au gouvernail. ◀Le▶ chaud est si étouffant qu’on ne peut respirer. Monsieur Hurtain est bien mal ; on ne lui a pas parlé ◀de▶ cette mort crainte ◀de▶ lui donner ◀de▶ mauvais pressentiments sur sa fièvre.
Du jeudi 6. [avril]
Du vendredi 7 [avril]
Il a beaucoup plu cette nuit et il fait un petit vent qui nous mène petit à petit.
Du samedi 8e. [avril]
Même vent, chaleur très grande. Je ne puis presque respirer. Je ne sais comment peuvent faire ◀les▶ autres qui sont ici, ils sont pétris ◀d’▶autre pâte que moi : ils portent des habits, ma chemise m’est ◀de▶ trop. Si je pouvais ou si j’osais j’irais tout nu. Nous avons toujours un peu de poisson. Nos pilotes disent que si ◀le▶ petit vent qu’il fait continue, nous passerons demain ◀la▶ Ligne. Il y a longtemps que nous voyons ◀le▶ soleil à ◀l’▶envers sans pouvoir attraper ◀le▶ milieu ◀de▶ ses maisons.
Du dimanche 9e. [avril]
Toujours bon petit vent, beaucoup de poisson. Nous avons passé ◀la▶ Ligne enfin à deux heures après midi. ◀Le▶ soleil va vous voir et nous nous en éloignons. S’il plaît à Dieu ◀la▶ chaleur ne continuera pas et je vous écrirai plus au long. Mais puisque nous sommes sous ◀la▶ Ligne, il n’est pas mal à propos de vous dire que ◀le▶ Sr. des Brosses, secrétaire ◀de▶ Monsieur ◀le▶ chevalier ◀de▶ Chaumont, ambassadeur du Roi à Siam, s’est fort blousé en disant dès ◀le▶ commencement ◀de▶ son livre (qui est imprimé et donné au public sous ◀le▶ titre ◀de▶ Relation ◀de▶ ◀l’▶ambassade ◀de▶ monsieur ◀le▶ chevalier ◀de▶ Chaumont à ◀la▶ Cour du Roi de Siam) que ◀l’▶eau du fond ◀de▶ cale était aussi fraîche que si on fût venu de ◀la▶ tirer ◀de▶ ◀la▶ fontaine. ◀La▶ nôtre est tiède et notre fond ◀de▶ cale est si échauffé qu’il est presque impossible ◀d’▶y rester un quart d’heure. Je me suis informé ◀de▶ notre maître d’hôtel si cela était vrai, il a été maître d’hôtel ◀de▶ Monsieur de Vaudricourt dans 1’Oiseau qui était ◀le▶ navire dans lequel Monsieur de Chaumont a été à Siam, et a fait ◀la▶ même campagne que lui. Il m’a répondu qu’elle était comme celle que nous buvons présentement, qui comme je vous ai dit est tiède ; et que si Monsieur ◀le▶ chevalier ◀de▶ Chaumont quitta ◀l’▶eau des jarres pour boire ◀de▶ celle ◀de▶ fond ◀de▶ cale, c’est que celle des jarres était trouble et que l’autre était claire. Il est certain que ce secrétaire qui écrit au nom de son maître lui fait dire beaucoup de choses que son maître aurait supprimées, et en passe sous silence beaucoup dont Monsieur de Chaumont se serait souvenu. Par exemple il lui fait prendre dans un endroit ◀les▶ Jésuites pour ◀les▶ Missionnaires lorsqu’il lui fait dire : « Je ne dirai rien des grandes qualités ◀de▶ Monsieur ◀l’▶évêque ◀de▶ Metellopolis, non plus que des progrès ◀de▶ Messieurs des Missions Etrangères dans ◀l’▶Orient, puisque suivant leur coutume ils ne manqueront pas ◀de▶ donner au public une relation exacte touchant ce qui concerne ◀la▶ religion dans ce pays-là. » J’ai demeuré fort longtemps à Paris sans autre occupation que ◀la▶ lecture. Je crois avoir lu toutes ◀les▶ relations qui ont été imprimées, tant sur ◀les▶ terres que sur ◀la▶ religion, mais je ne me souviens point ◀d’▶en avoir jamais lu ◀de▶ Messieurs des Missions Etrangères, mais oui bien des R. P.Jésuites qui en donnent toutes ◀les▶ années ◀de▶ très exactes et circonstanciées. ◀Le▶ silence des premiers et ◀la▶ publication des derniers sont également bons, ◀les▶ uns se contentent ◀de▶ faire ◀de▶ bonnes actions sans se mettre en peine ◀d’▶en informer ◀le▶ monde, ◀les▶ autres en font ◀de▶ bonnes aussi, et ◀les▶ publient pour ◀l’▶édification du prochain. Il n’y a rien ◀de▶ si chrétien que l’un et l’autre. Mais pour revenir à cette Relation, ◀l’▶auteur fait oublier à son maître ◀la▶ réception qui lui fut faite à Siam, au séminaire établi par Messieurs ◀les▶ missionnaires, et qui en aurait fait un des plus beaux articles. En effet y aurait-il rien eu de plus beau dans cette relation, qu’une exacte description ◀d’▶une quantité ◀de▶ quatre-vingts Siamois au moins qui vinrent au-devant ◀de▶ lui en procession tous vêtus comme des ecclésiastiques dans un chœur, et qui sont tous étudiants, ◀les▶ uns en philosophie, ◀les▶ autres en théologie, et dont partie même sont dans ◀les▶ ordres sacrés, mais tous destinés à ◀l’▶Eglise, convertis, élevés, enseignés et instruits par ◀les▶ Missionnaires, y en ayant même un d’entre eux qui soutint devant Monsieur de Chaumont une thèse en théologie, et qui depuis étant venu en France en a soutenu une en Sorbonne à Paris qu’il avait dédiée au Roi, avec ◀l’▶approbation de plus ◀de▶ trente prélats qui se trouvèrent présents à ◀l’▶action ? Ce sont là des endroits que Monsieur ◀le▶ chevalier ◀de▶ Chaumont n’aurait point oubliés s’il avait écrit lui-même, mais il s’en est Fié à son secrétaire qui au commencement ◀de▶ son écriture s’est donné carrière, et qui a épargné ◀le▶ papier à ◀la▶ fin. Mais je m’aperçois que je fais plutôt une critique qu’un journal, j’y retourne. Monsieur Hurtain est plus mal que jamais, et ◀le▶ malheur est qu’il ne veut point croire notre chirurgien qui lui prêche ◀la▶ diète. Il a toujours faim et veut toujours manger. On vient de prendre un marsouin, je vous dirai une autre fois ce que c’est. ◀La▶ chaleur est si forte que je ne puis plus écrire, ◀l’▶encre même sèche au bout de ma plume.
Du lundi 10e. [avril]
Monsieur Hurtain se portant toujours de plus mal en plus mal a envoyé aujourd’hui à bord de ◀l’▶Amiral et du Florissant afin d’avoir ◀le▶ sentiment des chirurgiens sur ◀les▶ accès ◀de▶ sa fièvre et qu’ils consultassent avec le nôtre des remèdes qui lui sont propres. Non seulement ◀les▶ chirurgiens mais aussi Messieurs Du Quesne et Joyeux sont venus à bord. On dit ici que ce ne sera rien ; Dieu veuille que cela soit ! Pour moi, je n’en espère rien ◀de▶ bon. C’est peut-être ◀l’▶amitié particulière que j’ai pour lui qui me donne cette crainte ; ainsi soit-il ! Je souhaite être trompé dans mes conjectures mais ◀la▶ violence ◀de▶ sa fièvre, ◀la▶ chaleur qu’il fait qui seule abat ◀les▶ plus robustes, et outre cela son âge de plus ◀de▶ soixante ans ne me donne guère lieu ◀d’▶espérer rien que ◀de▶ funeste. Messieurs du Quesne et Joyeux sont sortis fort affligés ◀de▶ sa maladie. Monsr. Blondel, commissaire, est resté à dîner ; on a fait ce qu’on a pu pour ◀le▶ régaler. Il en a paru fort content. C’est un fort honnête homme, point façonnier, bon serviteur ◀de▶ ◀la▶ Compagnie, c’est un plaisir ◀d’▶avoir affaire avec des gens ◀de▶ cette humeur, ◀les▶ choses s’en font mieux et à moins ◀de▶ bruit. Quoique j’en dise du bien, j’ai pourtant sujet ◀de▶ m’en plaindre. Il n’y a que ◀l’▶intérêt ◀de▶ ◀la▶ Compagnie qui puisse m’empêcher ◀de▶ lui vouloir du mal, il m’a enlevé ◀le▶ sieur Du Hamel, ◀le▶ plus intime ami que j’eusse ici, pour ◀le▶ mettre sur ◀le▶ Dragon, à la place de ◀l’▶écrivain du Roi ◀de▶ ce navire, qui comme je vous ai dit est resté à terre. J’ai tant ouï faire ◀de▶ louange ◀de▶ Monsieur de Quistilly qui en est capitaine que je suis en quelque sorte consolé ◀de▶ sa perte parce qu’il sera bien. Cependant ◀la▶ présence ◀d’▶un bon ami dans ◀le▶ sein duquel on décharge son cœur est beaucoup. Notre R. P.aumônier à qui je n’ai jamais rien caché aura seul ◀la▶ confidence qu’ils partageaient. C’est un honnête homme : vous ◀l’▶aimeriez si vous ◀le▶ connaissiez et cela sera, car il ira à Paris au retour du voyage, et je ◀l’▶accompagnerai ou lui donnerai ce journal-ci pour vous ◀le▶ mettre entre ◀les▶ mains.
Du mardi 11e. [avril]
Je vous promis avant-hier ◀la▶ description ◀d’▶un marsouin : je vais vous tenir parole car je viens ◀d’▶en manger. C’est un animal amphibie, si on peut appeler de même un poisson ; il est vrai qu’il n’en a que ◀la▶ figure. Il y a autant ◀de▶ chair qu’au plus gros poisson ◀de▶ France. Il a donné à souper à tout notre équipage, c’est-à-dire à 180 hommes, et 180 matelots, ou soldats à ◀la▶ mer, mangent plus que 300 hommes à terre. Vous ne ◀le▶ croirez peut-être pas ; il est pourtant vrai, on mange plus ici qu’ailleurs, et ◀les▶ matelots ont toujours faim. Ce poisson n’a point ◀d’▶écailles mais bien une espèce ◀de▶ peau, qui si elle était velue, pourrait passer pour ◀de▶ ◀la▶ couenne ◀de▶ lard. Elle est fort dure, et lorsqu’elle est cuite, il est impossible ◀d’▶y mettre ◀la▶ dent. Il a ◀les▶ testicules en dehors du corps comme ◀les▶ animaux ◀de▶ terre, séparées et longues. Il a entre cuir et chair un bon doigt ◀d’▶épaisseur ◀de▶ lard plus ferme que celui ◀de▶ nos cochons. Il n’est point composé comme ◀les▶ autres poissons, ce ne sont point des érêtes, ce sont des os effectifs. ◀Le▶ dedans du corps est composé de même que celui ◀d’▶un cochon, mais plus long trois fois ; il a des veines qui portent ◀le▶ sang par tout ◀le▶ corps et qui répondent au cœur. Ce sang est chaud et caille en froidissant. Il a ◀la▶ chair fort vermeille lorsqu’elle est crue, mais noirâtre lorsqu’elle est cuite. Nos matelots disent qu’il fait ◀de▶ fort bonne soupe. Ils en ont mangé. Je ne me fie point à leur goût ; il est dépravé ; tout leur est bon, ce sont des gouffres que leurs ventres. Pour nous, nous en avons mangé en pâté et je puis vous dire que c’est un très méchant régal. Il a ◀le▶ goût ◀d’▶un cochon qui commence à sentir et qui n’a point été salé. ◀La▶ chair en est, comme je vous ◀l’▶ai dit, noirâtre et désagréable à ◀la▶ vue et très sèche sous ◀la▶ dent malgré ◀l’▶assaisonnement du pâté. Enfin ce serait un régal pour ◀le▶ diable et qui conviendrait à sa couleur, que du marsouin pour manger, du café pour boisson et une pipe ◀de▶ tabac pour dessert. Monsieur Hurtain se porte toujours mal et nous n’allons guère.
Du mercredi 12e. [avril]
Il a plu extrêmement cette nuit et ◀le▶ vent a calmé tout plat ; je crois que nos matelots veulent prendre toutes ◀les▶ bonites ◀de▶ ◀la▶ mer ; ils en attrapent autant qu’ils en souhaitent, c’est-à-dire beaucoup, et malgré cela vivent au jour ◀la▶ journée, faisant tout cuire et jetant ce qui leur en reste, religieux observateurs ◀de▶ ◀la▶ coutume. J’ai demandé à un matelot pourquoi il n’en gardait pas pour ◀le▶ lendemain que peut-être il n’en pourrait point prendre, j’ai eu pour réponse que ce n’était pas ◀la▶ mode. Chez eux vie ◀de▶ cochon, bonne et courte.
C’est ce que dit Pyrrhus dans 1’Andromaque ◀de▶ Monsr. Racine, c’est ◀le▶ moyen ◀de▶ vivre content. Ce poisson est gros pour sa longueur, il pèse environ dix livres plus ou moins ; on ◀le▶ pêche ◀de▶ dessus une vergue en faisant sauter un hameçon où il y a pour appât une représentation ◀de▶ poisson volant. Comme il en est friand, il s’élance hors de ◀l’▶eau pour ◀le▶ dévorer, et ◀l’▶hameçon ◀l’▶arrête. Il est bon à en manger une fois ou deux frais, mais après cela on s’en dégoûte, car il est extrêmement sec, mais lorsqu’il est mariné il est excellent. Pour ce qui est ◀de▶ ◀la▶ pluie qu’il fait ici, il semble que Dieu pour tempérer ◀l’▶ardeur du soleil, et pour éteindre ◀la▶ soif ◀de▶ ceux qui viennent dans ces chaleurs-ci, ait ◀de▶ toute éternité par un ordre immuable ◀de▶ sa providence destiné ◀de▶ leur donner ◀de▶ ◀l’▶eau pour se rafraîchir. En effet ◀les▶ pluies ici sont fort fréquentes et si grosses qu’en moins ◀de▶ trois heures nous avons fait, ◀de▶ notre dunette, quatre tonneaux ◀d’▶eau qui sont seize feuillettes ◀de▶ Paris et plus. Cette eau est fort bonne excepté qu’elle sent un peu ◀d’▶amertume à cause du goudron sur lequel elle tombe et passe avant que ◀d’▶être recueillie. Cela ne diminue guère ◀la▶ chaleur, mais cela étanche ◀la▶ soif. On garde cette eau pour ◀les▶ bestiaux et on donne à ◀l’▶équipage ◀de▶ celle du fond ◀de▶ cale. Si j’en étais cru, ◀la▶ Compagnie ferait ◀la▶ dépense ◀d’▶une trentaine ◀d’▶aunes ◀de▶ toile cirée sur chacun ◀de▶ ses navires pour ◀la▶ recueillir, ◀la▶ cire ne contractant aucun mauvais goût et ainsi n’en donnant point, cette eau serait parfaitement bonne. J’en ai fait remplir trois bouteilles ◀de▶ celle qui tombait sur ◀de▶ ◀la▶ toile blanche, je ◀l’▶ai trouvée très bonne ; elle est aussi claire que celle ◀de▶ roche, aussi saine que celle ◀de▶ rivière, elle blanchit fort bien, et tout le monde a savonné ou fait savonner son linge. Je me suis baigné, c’est-à-dire que j’ai été en chemise et en caleçon une bonne heure sur ◀le▶ pont. Je m’en trouve fort bien, cela réveille ◀l’▶appétit que ces chaleurs-ci diminuent. ◀La▶ mer est toute couverte ◀de▶ poissons volants, qui est un animal fait à peu près comme un hareng, excepté qu’il est camus et qu’au-dessous des ouïes il a deux nageoires presque aussi longues que lui, qui lui servent ◀d’▶ailes pour échapper aux bonites qui en sont fort friandes. Ce poisson est fort malheureux, et il n’a pas plus ◀de▶ sûreté dans ◀l’▶air que dans ◀l’▶eau, car il y a des oiseaux que ◀les▶ matelots nomment frégates légères, lesquels fondent sur lui lorsqu’il paraît avec autant ◀d’▶impétuosité que ◀les▶ faucons sur ◀les▶ perdrix. Cela nous a divertis pendant quelque temps. J’en ai parlé à un ◀de▶ nos missionnaires qui m’a dit qu’il regardait cet animal que Dieu faisait naître pour ◀la▶ nourriture des autres du même œil qu’il regardait ◀les▶ insectes des campagnes qui servent aussi à ◀la▶ nourriture des oiseaux. J’ai fait une réflexion là-dessus qu’il faut que je vous dise. Je crois que c’est un avertissement que Dieu donne aux voyageurs pour ◀les▶ faire sérieusement songer à eux et leur faire connaître que sur mer ils sont toujours près du péril soit du côté du monde soit du côté de Dieu, et ainsi ◀les▶ obliger à se préparer à tout événement.
Du jeudi 13e. [avril]
Il vient de se lever un petit vent Sud variable. Il n’importe, nous irons un peu.
Du vendredi 14. [avril]
Même vent. Monsieur Hurtain empire à vue ◀d’▶œil. Ces chaleurs-ci sont plus tuantes que sous ◀la▶ Ligne et sous ◀le▶ soleil : elles étouffent quand on respire. Je crois que c’est que ◀le▶ soleil a laissé ◀l’▶air d’ici échauffé lors de son passage, et non pas ce qu’on dit communément que ◀la▶ chaleur du soleil est plus forte lorsqu’elle darde ses rayons obliquement, que lorsqu’il ◀les▶ darde perpendiculairement, car si cela était ainsi nous aurions trouvé ◀la▶ chaleur aussi forte il y a un mois que nous ◀la▶ trouvons à présent.
Du samedi 15. [avril]
◀Le▶ vent s’est rafraîchi, nous allons assez bien, pas tout à fait à ◀la▶ route, nous tirons au court bâton avec lui. Monsieur Hurtain est fort mal.
Du dimanche 16. [avril]
Même chose pour ◀le▶ vent, mais je viens ◀d’▶en voir une qui contredit ◀la▶ nature. On dit ordinairement qu’il n’y a point ◀d’▶animal qui ne tende à ◀la▶ propagation ◀de▶ son espèce et qui n’aime ses petits. On a raison pour le premier, mais ◀la▶ règle n’est pas générale pour le dernier. Une truie que nous avons ici et qui avait mis bas il y a un mois dix petits cochons, en a tué trois et mangé cinq autres grandelets, dont elle a ce matin mangé le dernier, c’était ◀le▶ plus gras des trois qui lui restaient. Nous ferons en sorte qu’elle ne mangera pas ◀les▶ deux autres, nous lui en épargnerons ◀la▶ peine. Mr. D.P. ne savait pas comme ◀les▶ bêtes en usent entre elles quand il a écrit :
Jamais contre un renard chicanant un poulet
Il a raison, il n’y a point ◀de▶ tribunal, et sans formalité ◀le▶ plus fort dévore ◀le▶ plus faible, car sans parler ◀de▶ ◀la▶ truie d’ici, ◀le▶ lapin ne mange-t-il pas ses petits lorsqu’il peut ◀les▶ trouver où ◀la▶ femelle ◀les▶ cache ? ◀Les▶ poissons ne se mangent-ils pas l’un l’autre, non seulement ceux ◀de▶ différente, mais aussi ceux de même espèce ? Telle est ◀la▶ morue. ◀La▶ guerre est-elle pas aussi grande entre ◀les▶ animaux ◀de▶ terre, je ne dis pas seulement ◀les▶ plus féroces mais même ◀les▶ plus doux ? Il ne se passe point ◀de▶ jour qu’il n’y ait quelqu’une ◀de▶ nos poules tuée et mangée par ◀les▶ autres. Après cela, qu’il traite ◀l’▶homme ◀de▶ bête et ◀le▶ mette en parallèle avec un âne parce qu’il se fait ◀la▶ guerre ! Il faut ◀le▶ lui pardonner, il n’avait encore rien vu que ◀le▶ clocher ◀de▶ sa paroisse et ◀la▶ chicane en fureur, et puis, ce n’est pas ◀la▶ seule chose qu’il ait dite en bonne rime mais sans raison. Vous allez dire que je décharge ma bile sur Boileau comme s’il était cause ◀de▶ ◀la▶ mort du goret, je vous répondrai que cela me chagrine. C’est une race ◀de▶ cochons des Indes, qui sont meilleurs et plus délicats que ◀le▶ marcassin, et perdre un bon repas n’est pas peu de chose à ◀la▶ mer, où n’ayant pas tout à souhait on regrette très amèrement ◀les▶ choses sur lesquelles on comptait.
Du lundi 17 [avril]
Nous allons un peu ; ◀le▶ vent s’est rangé du côté qu’il nous ◀le▶ faut, mais Monsieur Hurtain empire toujours.
Du mardi 18 [avril]
Même vent. Monsieur Hurtain est plus mal, j’aurai deviné malheureusement : je ne crois pas qu’il en réchappe On avait pris un requin, on n’a pas pu ◀l’▶embarquer parce qu’on s’y est mal pris. Il a cassé ◀la▶ ligne et emporté ◀l’▶appât et ◀l’▶hameçon. Nous en avons pris ◀d’▶autre, ainsi je vais vous dire ce que c’est. C’est un poisson ◀d’▶environ huit pieds ◀de▶ longueur, dont ◀la▶ peau sans écailles et ◀les▶ nageoires sont comme ce qu’on appelle à Paris ◀le▶ chien ◀de▶ mer dont ◀les▶ tourneurs se servent à polir leurs ouvrages. Nous n’en avons point mangé parce qu’il ne vaut rien, mais ◀les▶ matelots ne leur font point ◀de▶ quartier. Je crois qu’ils mangeraient ◀le▶ diable s’il tombait entre leurs mains. Cet animal a ◀la▶ tête plate, ◀les▶ yeux aux deux côtés ◀de▶ ◀la▶ tête et aux extrémités, en sorte qu’il voit haut et bas, ◀la▶ gueule fort avancée en dessous, et pour avaler, il faut qu’ il se tourne presque sur ◀le▶ dos ou qu’il s’élève en haut. Il a quatre rangées ◀de▶ dents en haut et autant en bas ; elles sont plates et pointues et coupent comme un couteau, de sorte qu’après ◀l’▶avoir examiné, je ne suis plus surpris ◀de▶ ce que Mr. Bergier de La Rochelle me dit une fois qu’un pareil animal avait coupé ◀la▶ cuisse ◀d’▶un chirurgien qu’il avait et qui était tombé hors de bord. Je crois que cela est vrai parce que je suis persuadé que cela se peut. C’est ◀le▶ plus terrible poisson ◀de▶ ◀la▶ mer, qui seul ose prêter ◀le▶ collet aux caïmans ou crocodiles.
Du mercredi 19 [avril]
Toujours même vent ◀d’▶Est. Nous allons à ◀la▶ route, guière effectivement, mais c’est toujours autant ◀de▶ pris. Monsieur Hurtain décline. Messieurs Du Quesne et Joyeux sont venus ◀le▶ voir : le premier s’en est retourné aussitôt, l’autre a dîné ici. Nos rafraîchissements s’en vont bien vite, ◀la▶ maladie ◀de▶ Monsieur Hurtain a mis ◀la▶ mortalité sur nos moutons et nos poules. Il y a ordre ◀d’▶une flamme au bâton ◀d’▶enseigne en cas que Monsieur Hurtain empire et ◀d’▶un pavillon au beaupré s’il se porte mieux. Je crains fort que nous ne fassions jamais le dernier signal.
Du jeudi 20e. [avril]
Nous avons dès ◀le▶ matin fait ◀le▶ signal ◀de▶ ◀l’▶augmentation ◀de▶ ◀la▶ maladie ◀de▶ Monsieur Hurtain. Monsr. Joyeux est venu à bord et y a dîné. Il s’en est retourné bien affligé du péril manifeste où il laisse son ami. Nous avons dit peu après ◀les▶ prières des agonisants ; il n’y a point ◀d’▶apparence qu’il en revienne, ◀les▶ chaleurs et sa fièvre ne promettent rien que ◀de▶ funeste. On lui a donné ce soir ◀l’▶extrême-onction qu’il a reçue avec beaucoup de zèle pour ◀la▶ religion catholique apostolique et romaine, qu’il avait embrassée depuis ◀l’▶Edit du mois ◀d’▶octobre 1685.
Du vendredi 21 [avril]
Toujours de même pour ◀le▶ vent et ◀le▶ chemin. Monsieur Hurtain est à ◀l’▶agonie.
Du samedi 22e. [avril]
On m’a réveillé cette nuit qu’il n’était pas encore une heure, Monsr. Hurtain venait de rendre ◀l’▶âme. J’en suis plus affligé que je ne puis ◀l’▶exprimer, c’était un fort honnête homme, qui me faisait ◀la▶ grâce ◀de▶ m’aimer. Je ◀le▶ connaissais il y a plus ◀de▶ six ans.
Je perds en lui non seulement un bon ami, mais un homme que j’honorais comme mon père. J’ai scellé ses coffres et armoires, ◀la▶ fenêtre et ◀la▶ porte ◀de▶ sa chambre, et Monsr. ◀de▶ Bouchetière lieutenant ◀les▶ a contrescellés. Nous avons fait connaître sa mort au reste ◀de▶ ◀l’▶escadre par ◀le▶ pavillon à poupe, à mi-mât, et par onze coups ◀de▶ canon tirés à demi-heure ◀de▶ distance l’un ◀de▶ l’autre depuis ◀le▶ point du jour jusques à ◀l’▶heure qu’il a été jeté à ◀la▶ mer. Monsr. du Quesne et Monsieur Blondel commissaire sont venus à bord. Ils seront présents à ◀l’▶inventaire. Ils ont jeté ◀de▶ ◀l’▶eau bénite sur ◀le▶ corps et ensuite sont retournés ensemble. Après leur sortie on a chanté une grande messe des morts, ◀le▶ corps présent dans une bière, une croix dessus, ◀l’▶épée hors du fourreau, attachés ensemble en croix ◀de▶ saint André ou en sautoir. A ◀la▶ fin ◀de▶ ◀la▶ messe notre aumônier ◀le▶ R. P.Querduff, religieux dominicain, a fait un sermon qui était une espèce ◀d’▶oraison funèbre. Il avait pris pour texte ces paroles ◀de▶ saint Luc : Ecce mortuus afferebatur. Il a dit entre autres choses que Dieu avait deux fois tiré ◀le▶ défunt ◀d’▶esclavage, la première en ◀le▶ tirant ◀de▶ ◀la▶ main des Turcs où il languissait depuis quatre ans, et la seconde en ◀le▶ tirant ◀de▶ ◀l’▶esclavage du démon par une conversion sincère, ayant jusques au dernier moment ◀de▶ sa vie persisté dans ◀la▶ religion catholique apostolique et romaine qu’il avait embrassée depuis environ quatre ans, ayant abjuré ◀les▶ erreurs ◀de▶ Calvin. Il a fini en ◀le▶ recommandant aux prières des assistants dont partie avaient ◀les▶ yeux mouillés. Il a fort bien fait et tout le monde en a été fort content. Après cela ◀l’▶aumônier du Florissant son frère, qui était venu à bord avec ◀le▶ commissaire et qui y était resté, a fait ◀la▶ sépulture. Nos soldats étaient en haie sur ◀le▶ pont quand ◀le▶ corps a passé, tenant leurs mousquets ◀la▶ gueule en bas, et ◀le▶ tambour frappant un seul coup de temps en temps. Ils se sont mis ensuite le long de bord, et après ◀les▶ prières et aspersions ordinaires ont fait trois décharges ◀de▶ mousqueterie à la dernière desquelles on a laissé tomber ◀le▶ corps à ◀la▶ mer. Après cela chacun s’est retiré ; je suis entré dans ma chambre où je vous écris dans une fort grande douleur et ◀les▶ larmes aux yeux.
Du dimanche 23 [avril ]
Monsieur du Quesne et Monsieur Blondel sont venus ce matin à bord, et y ont amené Monsieur ◀le▶ commandeur ◀De▶ Porrières. Ils ont fait assembler tout ◀l’▶équipage à qui Monsieur Du Quesne a parlé ainsi : Je suis fâché, mes enfants, ◀de▶ ◀la▶ mort ◀de▶ Monsieur Hurtain. Vous avez fait une grande perte. Mais Monsieur, que je vous donne pour remplir sa place ◀la▶ réparera, a-t-il poursuivi en présentant Monsieur de Porrières. Ne promettez-vous pas à Monsieur, a-t-il ajouté, ◀la▶ même obéissance que vous aviez pour ◀le▶ défunt ? A quoi tout ◀l’▶équipage a répondu à haute voix Oui ! Levez-en ◀la▶ main a repris Monsieur Du Quesne, ce que ◀l’▶équipage a fait, avec un grand cri ◀de▶ Vive ◀le▶ Roi. Après quoi, Monsieur du Quesne se retournant devers ◀les▶ officiers qui étions derrière lui : Je ne vous dis point Messieurs, nous a-t-il dit, ◀la▶ considération que vous devez avoir pour Monsieur, vous devez ◀la▶ savoir. A quoi nous n’avons répondu que par une grande révérence à l’un et à l’autre. J’avais cru qu’un lieutenant succédait ◀de▶ plein droit à son capitaine, mais venant ◀de▶ voir ◀le▶ contraire je suis persuadé que Monsieur de Porrières n’était dans ◀le▶ Gaillard que jusques à ce qu’il se présentât une place vacante. Cependant c’est une espèce ◀d’▶injustice qu’on fait à Monsieur de Bouchetière qui est un fort honnête homme. Un ◀de▶ mes amis du Gaillard m’écrit que je ne perdrai point au change : ainsi soit-il ! Nous avons fait ◀l’▶inventaire ◀de▶ Monsieur Hurtain, et cela m’a occupé toute ◀la▶ journée. ◀Les▶ inventaires à ◀la▶ mer ne se font pas avec tout ◀le▶ tracas ◀de▶ Paris et que ◀la▶ chicane a inventé ; mais en récompense, ◀l’▶équité et ◀le▶ bon droit y sont observés avec une intégrité admirable. En effet tout le monde est dans ◀le▶ même cas, on se tient à ◀la▶ mer dévoués à ◀la▶ mort, et qui voudrait, sur ce pied-là, intéresser sa conscience pour une chose dont peut-être on ne jouirait pas à terre ? Monsieur de Porrières me paraît fort honnête homme, et c’est une consolation pour moi, après avoir perdu un capitaine que j’aimais et qui m’aimait, ◀d’▶en trouver un avec qui vraisemblablement je vivrai bien. ◀Le▶ vent est bon, nous n’allons pas mal.
Du lundi 24e. [avril]
Monsieur de Porrières me paraît aimer ◀la▶ paix et ◀la▶ concorde entre ses officiers, et a l’air ◀de▶ se faire bien obéir. Tant mieux, cela empêchera mille petites brouilleries qui arrivaient tous ◀les▶ jours à bord du temps ◀de▶ Monsieur Hurtain. Ce n’était pas effectivement des querelles, mais des semences qui dans ◀la▶ suite auraient pu produire quelque mauvais fruit. Monsieur Hurtain se contentait ◀de▶ ◀les▶ pallier ; il était trop bon, c’était son défaut, prêtant ◀l’▶oreille aux flatteurs, et ainsi sans nulle résolution fixe, et n’avait pas comme notre nouveau capitaine cet air ◀d’▶autorité et ◀de▶ commandement qui sied si bien à un homme qui commande à tant d’autres. Nous allons fort peu car il n’y a presque point ◀de▶ vent.
Du mardi 25. [avril] jour ◀de▶ saint Marc
◀La▶ maladie ◀de▶ Monsieur Hurtain avait fait différer ◀la▶ cérémonie qui se fait sous ◀la▶ Ligne et que ◀les▶ matelots nomment baptême. On demanda hier à Monsieur le Commandeur ◀la▶ permission ◀de▶ ◀la▶ faire. Il ◀l’▶a accordée pour aujourd’hui, à ◀l’▶issue du dîner, et on ◀l’▶a faite ainsi. Premièrement ◀les▶ matelots avaient préparé dès ◀le▶ matin des baquets pleins ◀d’▶eau pour y plonger ◀les▶ nouveaux catéchumènes, ou ceux qui n’avaient point encore passé ◀la▶ Ligne et qui ne donneraient rien pour leur passage. Comme ils étaient persuadés que ◀les▶ officiers étaient honnêtes et généreux, aussi bien que ◀les▶ passagers qui sont ◀de▶ ◀la▶ Chambre, nous avons été mouillés sur ◀la▶ dunette, c’est-à-dire qu’une goutte ◀d’▶eau dans ◀la▶ main, une promesse ◀de▶ faire observer ◀la▶ même cérémonie par ceux qui ne seraient jamais venus ici et un écu chacun dans ◀le▶ bassin nous en ont acquittés. Pour ◀l’▶équipage chacun a fait ce qu’il a pu et donné selon ses forces. Il n’y a eu que quatre matelots mouillés, tout ◀le▶ reste a payé son passage, jusques aux mousses ou valets qui ainsi n’ont point été fouettés comme on dit que c’est une coutume incontestablement établie et que par là finit ◀la▶ fête. ◀Le▶ bassin s’est trouvé riche ◀de▶ vingt-cinq écus et ◀de▶ deux barils ◀d’▶eau-de-vie, outre ◀le▶ baptême du navire qui n’était jamais venu sous ◀la▶ Ligne. C’est là ce qu’on peut appeler ◀les▶ épingles des matelots, et ce qui est à leur égard comme ◀le▶ cure-dent ◀d’▶un cocher ou messager en route. Ceux qui avaient été sous ◀la▶ Ligne et qui ont fait cette bizarre cérémonie, étaient vêtus ◀le▶ plus grotesquement qu’ils avaient pu pour faire rire ◀les▶ autres et rire eux-mêmes. ◀Les▶ ustensiles ◀de▶ ◀la▶ cuisine leur servaient ◀d’▶armes ; ils s’étaient barbouillés avec ◀le▶ noir du cul ◀d’▶une poêle. Il y en avait un qui marquait au front ◀les▶ nouveaux baptisés afin que personne n’en fût exempt. Il aurait assez bien servi ◀de▶ prêtre ◀de▶ Bacchus dans une bacchanale, et selon ◀le▶ plus ou ◀le▶ moins ◀de▶ bonne volonté qu’il avait pour celui qui lui tombait entre ◀les▶ mains, il ◀le▶ marquait et ◀le▶ confirmait en même temps, c’est-à-dire qu’il ◀le▶ noircissait tant et plus. Notre contremaître était vêtu en pèlerin ◀de▶ Saint Jacques, ayant pour chapelet un racage ◀de▶ perroquet autour du col dont ◀les▶ grains sont plus gros que ◀les▶ deux poings. Celui qui écrivait ce qu’on promettait avait une toile noire cirée qu’il avait accommodée en bonnet à corne ◀le▶ mieux qu’il avait pu, un rabat ◀de▶ papier, un capot brun le long du corps, deux planches pour bureau, un bassin devant lui pour recevoir ◀les▶ offrandes et enfin ne ressemblait pas mal à un paysan marguillier ◀de▶ quelque confrérie gravement assis dans son œuvre ◀le▶ jour ◀de▶ son saint, et c’est celui qui a ◀le▶ mieux fait son rôle. Après ◀le▶ baptême fini, il faut songer à se cacher, car sans distinction on mouille tout le monde, c’est un plaisir ◀de▶ voir ◀les▶ matelots se coiffer l’un l’autre ◀de▶ seilleaux ◀d’▶eau : cela nous a divertis plus ◀de▶ trois heures. Tout le monde profite ◀de▶ cet argent car on en achète des rafraîchissements pour ◀les▶ gens à la première terre où on descend, et ◀l’▶eau-de-vie sert pour faire boire un coup de temps en temps après ◀le▶ travail. Nous avons bien été toute ◀la▶ journée, ◀le▶ vent s’est rafraîchi mais ◀la▶ pluie qu’il a fait ce soir ◀l’▶a fait calmer. J’ai appris qu’il y a quarante malades au Gaillard, Dieu merci nous n’en avons que cinq. Mais aussi il y a bien ◀de▶ ◀la▶ différence. Il y a tant ◀d’▶hommes sur ce navire, volontaires, matelots et soldats, qu’il est impossible que ◀l’▶air ◀de▶ ◀l’▶entre-deux-ponts ne se corrompe par tant ◀d’▶haleines différentes, jointes à ◀la▶ chaleur qu’il a fait et qu’il fait encore, joint qu’il ne faut qu’un seul malade pour infecter ceux qui couchent auprès de lui dans un air renfermé.
Du mercredi 26. [avril] jour ◀de▶ ma fête.
Personne ne ◀l’▶a su, tant mieux autant ◀d’▶épargné. Nous allons bien. ◀Le▶ vent s’est remis, nous sommes à 18 degrés 50 minutes au sud ◀de▶ ◀la▶ Ligne, nous serons bientôt sous ◀le▶ Tropique du Capricorne. ◀Les▶ chaleurs diminuent, elles sont comme à Paris au mois ◀de▶ juillet ; peut-être que ◀le▶ vent y contribue. Quoi qu’il en soit nous serons bientôt dans ◀la▶ zone tempérée, où nous trouverons ◀de▶ ◀la▶ fraîcheur. ◀Le▶ maître et ◀les▶ pilotes sont au désespoir ◀de▶ n’avoir pas pris garde de plus près à leur almanach pour savoir ◀le▶ saint ◀d’▶aujourd’hui. C’est leur faute, je ne ◀les▶ empêche pas ◀de▶ ◀le▶ regarder tous ◀les▶ jours.
Du jeudi 27. [avril]
Nous allons fort bien, ◀le▶ vent est bon et frais, et ◀la▶ chaleur n’est pas trop forte ; ◀l’▶air est fort grossier ici, et donne des maux ◀de▶ cœur et ◀d’▶estomac qui m’étaient jusques ici inconnus. Il est venu un grain ce soir, nous ◀l’▶avons salué ◀de▶ nos huniers. Notre civilité ◀l’▶a satisfait mais il a emmené ◀le▶ vent, ainsi calme depuis cinq jusques à sept heures que ◀le▶ vent est revenu.
Du vendredi 28. [avril]
◀Le▶ tropique du Capricorne est passé, ◀le▶ vent est bon et s’est rafraîchi depuis hier. Vous écrirai-je toujours quelque chose ◀de▶ funeste ? Comme il ventait trop ce matin sur ◀les▶ huit heures, on a voulu serrer nos perroquets. Un ◀de▶ nos matelots qui montait aux haubans pour cette manœuvre s’est malheureusement laissé tomber à ◀la▶ mer : on lui a jeté un banc, il ◀l’▶a pris, on a mis un canot à ◀l’▶eau avec toute ◀la▶ diligence possible, Monsieur de Porrières faisant lui-même tout faire, et montrant par son ardeur qu’il est ◀le▶ père ◀de▶ son équipage. Mais comme il faut du temps, que ◀le▶ vent était fort et ◀la▶ mer un peu agitée, ◀le▶ pauvre garçon été englouti avant que ◀le▶ canot ait pu ◀le▶ joindre. C’était un des plus hardis ◀de▶ notre équipage ; il était ◀de▶ Saint-Malo, âgé ◀de▶ 18 à 19 ans, et se nommait François Nicole. Cela m’a donné occasion ◀de▶ demander au valet de chambre ◀de▶ Monsieur le Commandeur, qui est venu du Gaillard avec lui, si ◀le▶ matelot qui tomba à ◀la▶ merle six mars dernier fut sauvé : j’ai appris que non. Quel désespoir ◀de▶ voir son navire, ◀de▶ voir venir à son secours et, faute ◀d’▶être aperçu et faute peut-être ◀de▶ deux pater ◀de▶ vie ou ◀de▶ force davantage, mourir par ◀la▶ plus cruelle ◀de▶ toutes ◀les▶ morts, ◀d’▶autant plus horrible qu’on ◀la▶ combat longtemps avant que ◀d’▶en être ◀la▶ victime. Car enfin, comme dit Ovide (Libro I De Tristibus) :
Est aliquid fatoque suo, ferroque cadentem,In solida moriens ponere corpus humo !Et mandare suis aliqua, et sperare sepulchrum,Et non aequoreis piscibus esse cibum..
Voilà ◀la▶ traduction ou plutôt ◀la▶ paraphrase que j’en ai faite :
C’est quelque chose au moins à qui finit son sortDans une guerrière aventureOn parle à ses amis, on parle à ses parents.Cela console en quelque sorteMais se voir dévorer par des gouffres vivants !Hélas ! dans ces cruels moments
En effet plus j’envisage cette sorte ◀de▶ mort et plus je ◀la▶ trouve horrible. Chausson avant que ◀d’▶être brûlé vif disait à ses juges qu’ils ◀le▶ damnaient par avance et qu’il n’y avait point ◀de▶ constance ni ◀d’▶âme à ◀l’▶épreuve du feu. Je ne crois pas qu’il y en puisse avoir à l’épreuve de cette mort-ci : on ◀la▶ voit venir sans y être préparé, on voit ◀les▶ autres s’intéresser pour sa vie, on en conçoit quelque espérance qui peut-être se convertit en désespoir, Dieu seul sait ce qui en réussit.
Du samedi 29. [avril]
◀Le▶ vent est toujours Sud-Est avec qui nous tirons au court bâton, et nous portons au Sud-Sud-Ouest. Cela commence à nous chagriner, car nous allons à ◀l’▶Ouest plus que nous ne voudrions. Mais nos pilotes disent qu’il ne nous faut que huit jours pour nous faire trouver ◀les▶ vents ◀d’▶Ouest qui nous mèneront à Amzuam en six semaines. Nous n’allons pas trouver ◀le▶ Cap de Bonne-Espérance : ◀les▶ Hollandais ne sont pas assez ◀de▶ nos amis pour leur faire ◀la▶ civilité ◀d’▶aller ◀les▶ voir chez eux. Nous ne cherchons point leurs maisons, mais seulement quelques-uns ◀de▶ leurs bâtiments.
Du dimanche 30e. [avril]
◀Le▶ vent est venu à ◀l’▶Est, ainsi nous allons au Sud-Sud-Est, qui est notre droite route. On ne m’a point trompé, Monsieur ◀le▶ commandeur ◀de▶ Porrières est un fort honnête homme avec lequel on a toutes sortes ◀de▶ libertés honnêtes. Chacun fait son emploi. Il a mis un si bon ordre à tout que personne ne se mêle plus ◀de▶ ◀la▶ fonction ◀d’▶autrui. Tout le monde en est mieux, ◀les▶ choses se font avec plus ◀d’▶économie et ◀de▶ vigilance, ◀la▶ tranquillité en est plus grande, et ◀le▶ plaisir règne ici plus qu’il n’a jamais fait. Nous avons à bord un certain Monsieur de La Chassée capitaine ◀d’▶infanterie qui toute sa vie a été dans ◀le▶ service : il entend raillerie mieux qu’homme du monde. Nous sommes lui et moi ◀les▶ deux antagonistes, et ◀le▶ champ de bataille est ordinairement ◀la▶ table à dîner et à souper. Nous faisons rire ◀les▶ autres, et nous rions aussi. Nous parlons quelquefois ◀d’▶affaires sérieuses : il me fait ◀la▶ grâce ◀de▶ m’en entretenir. Il a ◀de▶ ◀l’▶esprit beaucoup et parle des affaires du monde en politique raffiné, enfin c’est un homme au poil et à ◀la▶ plume. Quand ◀le▶ sérieux nous ennuie nous avons bientôt trouvé matière comique, et tout se termine par un petit coup ◀d’▶eau-de-vie ou ◀d’▶autre liqueur, car soit dit en passant, nous en avons qui n’est pas mauvaise. Enfin il n’y a personne ici ◀de▶ mélancolique, car personne n’a sujet ◀de▶ mélancolie. Nous nous divertissons plus que jamais, et j’espère que cela sera toujours de même, car je compte sur ◀le▶ proverbe ◀de▶ Virgile qui dit :
Regis ad exemplum lotus componitur orbis
c’est-à-dire en bon français
En effet Monsieur le Commandeur met ◀les▶ autres en train. Notre R. P.Aumônier et nos Missionnaires sont ◀de▶ fort honnêtes gens qui n’empêchent point ◀de▶ rire, et outre cela, nous ne disons rien qui puisse choquer ◀la▶ vertu même par une équivoque sale et basse, mais seulement ◀de▶ ces railleries innocentes qui sont ◀le▶ sel des conversations.
Mai 1690
Du Lundi Premier ◀de▶ Mai
Il me remet en mémoire ◀la▶ mort ◀de▶ défunt mon père qui est mort à pareil jour, devant Dieu soit son âme. Monsr. ◀le▶ Commandeur a été donner ◀le▶ mai à Monsieur Du Quesne et a bien voulu que j’y allasse avec lui. Notre réputation n’était pas trop bien établie chez ◀le▶ commandant à ce que j’ai pu voir, mais ◀la▶ vérité témoignée par un homme aussi digne ◀de▶ foi que Monsieur le Commandeur ◀l’▶a pleinement rétablie. Il a dit sans façon qu’il ne croyait pas trouver dans ◀l’▶Ecueil des gens aussi honnêtes qui sussent aussi bien vivre et avec tant de concorde que nous ; que nous ne demandions tous qu’amour, joie et simplesse, et dit enfin à Monsieur Du Quesne qu’il était très content ◀de▶ ses officiers ; j’en suis très aise et j’espère qu’il ◀le▶ sera toujours. ◀La▶ conversation avait été en partie sur mon chapitre, du moins j’en ai vu quelques effets qui me ◀le▶ font croire. Lorsque je suis passé devant Monsieur Du Quesne, je ◀l’▶ai trouvé à table avec Monsieur le Commandeur faisant ensemble ◀le▶ prélude du dîner. D’abord que Monsieur Du Quesne m’a aperçu, il m’a appelé et m’a dit avec un air jovial et enjoué : Monsr. C., Monsieur le Commandeur que voilà se plaint fort ◀de▶ vous, mais j’ai fait votre paix avec lui, et à ma considération il veut bien tout oublier pourvu que vous buviez à sa santé, a-t-il poursuivi en me présentant un grand verre plein ◀de▶ vin. Je ◀l’▶ai pris ◀de▶ sa main sans façon et lui ai dit : Mais Monsieur, afin que ◀la▶ réconciliation soit sincère, ne serait-il pas à propos que Monsieur bût aussi à ma santé ? Très volontiers, a repris Monsieur le Commandeur en riant, et en même temps s’est fait apporter un verre, sur quoi Monsieur du Quesne a ajouté : Parbleu je veux faire le troisième, et s’est aussi fait donner à boire. Ils m’ont fait ◀l’▶honneur, l’un et l’autre, ◀de▶ boire à ma santé et moi j’ai salué ◀la▶ leur. Mais comme nous voulions nous divertir aussi ◀de▶ notre côté ◀l’▶écrivain du Gaillard et moi, nous avons fait table à part afin d’être plus libres. Il n’y avait avec nous qu’un enseigne, deux mandarins siamois et un marchand. Monsieur Du Quesne m’a fait ◀la▶ grâce ◀de▶ m’envoyer pour dessert des figues confites fort excellentes dont je ◀l’▶ai remercié. Vous voyez bien par tout ce que je vous écris que je ne suis pas tout à fait mal : je ne m’aperçois point ◀d’▶avoir ◀d’▶ennemis, et je tâche à me faire aimer ◀de▶ tout le monde ◀l’▶intérêt ◀de▶ mon emploi à part. Nous allons toujours un peu, ◀le▶ vent nous chicane, mais s’il plaît à Dieu nous en aurons ◀d’▶autre ; ◀la▶ chaleur n’est pas bien forte.
Du mardi 2e. [mai]
Il a calmé tout plat ce matin et toute ◀la▶ journée, ◀la▶ mer est encore unie comme une feuille ◀de▶ papier, n’y ayant point eu ◀de▶ vent ◀la▶ chaleur a été très grande aujourd’hui. Il vient une petite fraîcheur du côté de ◀l’▶Ouest qui nous donne bonne espérance. Nous avons vu ce soir à ◀l’▶issue du chapelet c’est-à-dire vers ◀les▶ huit heures un phénomène dans ◀la▶ moyenne région ◀de▶ ◀l’▶air. Il a éclairé environ deux pater, ensuite a fondu dans une nuée qu’il a toute illuminée. Il paraissait gros comme une lune et a laissé sa trace marquée ◀de▶ feu pendant tout son cours, qui a duré depuis ◀le▶ Sud-Sud-Ouest jusques à ◀l’▶Ouest. Sa dernière illumination a été ◀d’▶environ cinq pater, et ensuite a disparu tout à fait.
Du mercredi 3e. [mai]
Il a encore fait calme toute ◀la▶ nuit, mais vers ◀le▶ lever du soleil, ◀le▶ vent est venu Ouest, bien faible, mais s’est rafraîchi sur ◀les▶ neuf heures du matin ; nous avons bien été toute ◀la▶ journée et en bonne route.
Du jeudi 4e ◀l’▶Ascension [mai]
Il a plu beaucoup cette nuit et toute ◀la▶ matinée. ◀Le▶ vent s’est calmé et enfin s’est rejeté à ◀l’▶Est, assez bon frais pour nous faire trouver ◀la▶ mer dure. Nous commençons à sentir ◀les▶ mers du Cap de Bonne-Espérance où on dit qu’elles sont furieuses : nous ◀les▶ trouvons plus rudes qu’aucune ◀de▶ celles que nous avons passées depuis France. ◀La▶ chaleur s’évanouit, ◀le▶ froid se fait sentir.
Du vendredi 5e [mai]
◀Le▶ vent s’est remis à Ouest bon frais, c’est ce qu’il nous faut, nous allons fort bien. ◀Le▶ vent est en poupe et nous faisons plus ◀de▶ deux lieues par heure, mais nous roulons tellement que je ne puis presque écrire.
◀Le▶ vent s’est rafraîchi, nous faisons plus ◀de▶ trois lieues par heure, ◀la▶ mer est haute et rude, mais vent arrière ◀la▶ fait trouver belle au roulis près.
Du dimanche 7 [mai]
Même vent, même route, même chemin.
Du lundi 8 [mai]
◀Le▶ vent s’est encore renforcé. Nous n’avons que deux pafis ou basses voiles, et nous faisons quatre lieues par heure : on roule que cela n’est pas concevable, on ne peut se tenir debout. Il est arrivé au Florissant ◀le▶ même malheur qui est arrivé au Gaillard et à nous : un ◀de▶ ses hommes est tombé à ◀la▶ mer. Il a donné vent devant, mais n’a point mis ◀de▶ canot dehors, il eût été inutile. Avant qu’un vaisseau ◀de▶ ◀la▶ force dont ◀le▶ vent nous chasse ail perdu son erre, il est à plus ◀d’▶une lieue, et ◀la▶ mer est trop agitée pour que son homme n’ait pas été englouti d’abord.
Du mardi 9e. [mai]
Même chose pour ◀le▶ vent, on ne peut dormir on roule trop. ◀Le▶ vent fait ce que ◀les▶ poètes disent du violon ◀d’▶Orphée, il fait danser ◀les▶ choses inanimées ; tout saute ici, et ◀les▶ plats sur notre table donnent ◀de▶ ◀la▶ sauce à tel qui voudrait bien manger sec, on fait en buvant ◀les▶ plus plaisantes contorsions du monde.
Du mercredi 10e. [mai]
◀Le▶ vent a changé cette nuit, il s’est jeté au Sud-Sud-Est, gros vent ; tant pis il nous est contraire.
Du jeudi 11e [mai]
Même vent, nous reculons au lieu d’avancer. Ce vent commença hier qui était le premier ◀de▶ ◀la▶ lune, il pourrait bien nous chagriner.
Du vendredi 12e. [mai]
Vent variable toute ◀la▶ nuit et toute ◀la▶ journée. Il est venu ce soir Sud-Ouest, c’est ce qu’il nous faut s’il continue.
Du samedi 13 [mai]
Même vent, mais Sud ce soir. On a retranché ◀l’▶eau du matin à ◀l’▶équipage : il fait froid, on ne leur donne que ◀de▶ ◀l’▶eau-de-vie.
Du dimanche 14. ◀La▶ Pentecôte [mai]
Même chose, ◀le▶ vent commence à calmer, tant mieux il en viendra de meilleur. Nous sommes à ◀la▶ hauteur du Cap de Bonne-Espérance, quatre ou cinq jours ◀de▶ bon vent nous mettraient dans ◀les▶ mers des Indes. On a raison ◀de▶ dire que ◀les▶ vents sont ici fort variables et qu’on ne doit compter sur aucun qui soit certain.
Du lundi 15 [mai]
◀La▶ mer a été fort agitée toute ◀la▶ journée des vents qui ont soufflé ci-devant, et comme il a fait calme tout plat et qu’aucun vent ne nous soutenait, ◀le▶ navire a autant et plus travaillé que dans une tempête.
Du mardi 16. [mai]
◀Le▶ vent s’est jeté au Nord-Ouest : Dieu veuille qu’il y reste c’est ce qu’il nous faut.
Du mercredi 17. [mai]
◀Le▶ vent a changé cette nuit et s’est jeté au Sud-Est, justement contraire à ◀la▶ route. ◀Le▶ froid qu’il fait tue si peu qu’il nous reste ◀de▶ volailles et nous jeûnerons assurément sans aucun mérite devant Dieu si ◀le▶ vent continue à nous chagriner. C’est aujourd’hui ◀les▶ Quatre-Temps, ◀les▶ jours maigres nous tuent à ◀la▶ mer, nous ne voyons pas un poisson bien loin ◀d’▶en prendre. Je ne vous ai point dit que nous voyions des oiseaux ni où ni quand, car sauf ◀le▶ respect que je dois à ceux qui ont fait des relations avant moi, ce n’est point une chose assez rare pour en parler, on en voit par toute ◀la▶ mer tant dans celle ◀d’▶Afrique que celle ◀de▶ ◀l’▶Amérique. Ces oiseaux sont ◀de▶ différentes espèces. Si j’en tenais quelqu’un je vous ◀le▶ décrirais, et je ne crois pas que personne en puisse faire une bonne et juste description à ◀la▶ mer, n’étant pas assez privés pour venir nous voir, à moins que ce ne soit quelque oiseau ◀de▶ terre que ◀le▶ vent pousse à ◀la▶ mer et qui fatigués se viennent poser sur ◀les▶ haubans ou autre part, où on ◀les▶ prend à ◀la▶ main. Mais n’y ayant rien ◀d’▶extraordinaire je n’en parlerai pas.
Du jeudi 18 [mai]
Toujours même vent ; cela nous ennuie, nous sommes à ◀la▶ porte et ne pouvons pas entrer.
Du vendredi 19. [mai]
◀Le▶ vent a calmé Dieu merci, peut-être viendra-t-il bon. En tous cas ◀de▶ quelque part qu’il vienne il ne peut pas nous être plus contraire qu’il était.
Du samedi 20 [mai]
◀Le▶ vent est Nord, par conséquent bon ; quand il prendrait un peu de ◀l’▶Ouest il serait meilleur. Nous n’allons pas mal.
Du dimanche ◀de▶ ◀la▶ Trinité 21 [mai]
◀Le▶ vent est toujours Nord et s’est rafraîchi hier au soir ◀d’▶une telle force que personne n’a pu clore ◀l’▶œil ; à peine avons-nous eu ◀la▶ messe ce matin, et si ce n’avait pas été aujourd’hui une très grande fête on ne ◀l’▶aurait point dite crainte des inconvénients. Elle n’a point été célébrée au lieu où elle se célèbre tous ◀les▶ jours qui est tout à découvert, mais dans ◀la▶ chambre ◀de▶ Monsieur Charmot un ◀de▶ nos missionnaires, lequel soutenait notre aumônier célébrant, à peu près je crois comme Aaron soutenait ◀les▶ mains ◀de▶ Moïse pendant que Josué combattait ◀les▶ Philistins. ◀Le▶ temps a été couvert toute ◀la▶ nuit et presque tout aujourd’hui, et nous a donné ◀de▶ ◀la▶ pluie de temps en temps. Nous avons tellement roulé que notre marmite sur ◀le▶ feu a jeté ◀la▶ viande et ◀le▶ bouillon à tous ◀les▶ diables, ainsi très pauvre dîner. Ce n’est pas que ◀la▶ mer fût extrêmement grosse, mais c’est que comme nous allons mieux qu’aucun ◀de▶ ◀l’▶escadre et que nous étions fort loin devant eux, nous avons été obligés ◀de▶ nous mettre sous nos deux basses voiles pour attendre ◀les▶ autres et leur donner moyen ◀de▶ nous joindre en ne portant pas tant de voiles qu’eux, et c’est ce qui a fait que nous avons tant roulé n’ayant point ◀de▶ voiles hautes pour nous soutenir contre ◀le▶ vent. Il a calmé ce soir et ◀le▶ vent s’est jeté à Ouest-Nord-Ouest bon petit frais ; c’est ce qu’il nous faut.
Du lundi 22. [mai]
Même vent ◀d’▶Ouest-Nord-Ouest jusques sur ◀les▶ six heures du soir qu’il a renforcé, ◀la▶ pluie est venue qui n’a pas duré longtemps mais elle a fait changer ◀le▶ vent qui n’est plus que Sud : il n’est pas tout à fait mauvais mais n’est pas trop bon. Ce que nous avons eu ce soir est une bourrasque, qui, comme je crois ◀l’▶avoir déjà dit, n’est autre chose que ce que nous appelons à Paris guillées ◀de▶ mars, et qui ne dure pas plus longtemps.
Du mardi 23. [mai]
◀Le▶ vent est toujours Sud. ◀Le▶ froid se fait sentir, nous avons trouvé ce matin, dans ◀le▶ parc des bestiaux, deux cochons morts : nos rafraîchissements s’en vont bien vite, et quoique nous n’ayons que peu de malades à bord grâce à Dieu, comme il peut y en avoir dans ◀la▶ suite surtout si nous avons quelque rencontre ◀d’▶Anglais ou ◀de▶ Hollandais, on ne mange plus à ◀la▶ chambre ni moutons ni poules, parce que nous n’en avons plus que fort peu, et que Monsieur le Commandeur, qui est effectivement ◀le▶ père des matelots, aime mieux se priver ◀de▶ son nécessaire que ◀de▶ voir son équipage manquer ◀de▶ quelque chose. Nous faisons donc très pauvre chère. Il nous est mort encore aujourd’hui un matelot du Port-Louis. ◀Le▶ changement ◀de▶ climat dévoie ◀le▶ tempérament, je vous assure qu’il faut ◀l’▶avoir bien robuste pour soutenir tant de différentes températures sans en être incommodé.
Du mercredi 24. [mai]
Toujours même vent ◀de▶ Sud variable vers ◀l’▶Est, et ainsi contraire à ◀la▶ route : nous lauvayons bord sur bord.
Du jeudi ◀de▶ ◀la▶ Fête-Dieu 25 [mai]
Toujours même vent, tant pis, Dieu nous en veuille donner ◀d’▶autre. ◀Les▶ vents sont bien inconstants, nous ne sommes point à cent lieues du Cap et nous ne pouvons y arriver.
Du vendredi 26. [mai]
Vent toujours variable. ◀La▶ mortalité s’est mise sur nos cochons : il en est encore mort deux cette nuit, et ◀les▶ malades consomment bien des poules. Nous jeûnerons assurément ◀d’▶aussi bon cœur que ◀les▶ paysans paient ◀la▶ taille si ce vent-ci continue. Messieurs Du Quesne, ◀de▶ Quistilly et ◀de▶ Chamoreau sont venus dîner ici et y ont amené plusieurs officiers et ◀de▶ mes amis en partie. Nous avons tous mis ◀le▶ vent dans nos bouteilles : c’est un grand secret à ◀la▶ mer pour faire changer ◀le▶ vent que ◀d’▶enfermer celui qui souffle dans des bouteilles vidées de bon cœur. Dieu veuille qu’il réussisse !
Du samedi 27. [mai]
Parbleu si ◀l’▶on veut me croire, quand ◀le▶ vent ne sera pas bon nous boirons quatre coups ◀de▶ chaque main pour hausser ◀le▶ temps. Nous fourrâmes hier ◀le▶ vent ◀de▶ Sud dans nos bouteilles, il en est venu ◀d’▶autre cette nuit, mais bon, c’est du Nord-Ouest. Nous allons à merveille depuis deux heures du matin.
Du dimanche 28. [mai]
◀Le▶ vent est bon. Nos pilotes disent que nous passerons ◀le▶ cap de Bonne-Espérance cette nuit s’il vente toujours aussi bon frais qu’il fait. Messieurs du Gaillard ont sondé et se font apparemment à plus ◀de▶ soixante lieues ◀de▶ ◀l’▶avant que nous ne sommes. Ils n’ont point trouvé ◀de▶ fond. Si notre maître-pilote a tiré juste, il sondera demain matin sur ◀le▶ banc des Aiguilles ; en tous cas, il faut qu’il soit bien sûr ◀de▶ son fait puisqu’il se déclare hautement contre ◀la▶ coutume des pilotes qui ne disent jamais qu’à leur capitaine ◀l’▶endroit où ils croient être, et encore cette déclaration se fait-elle en secret.
Du lundi 29. [mai]
Nos pilotes sont habiles gens : nous avons passé cette nuit ◀le▶ Cap de Bonne-Espérance environ à dix lieues au large. Nous n’avons pourtant point vu terre. Nous avons sondé ce matin et on a trouvé six-vingts brasses ◀d’▶eau, ainsi nous sommes sûrs ◀d’▶être sur ◀les▶ accores du banc des Aiguilles, environ vingt lieues du Cap de Bonne-Espérance dans ◀l’▶Est. ◀Le▶ vent est toujours Nord-Ouest, très bon frais vent arrière. Nous allons mieux que qui que ce soit, et quoique nous ayons perdu plus ◀d’▶une heure ou trois lieues ce matin à sonder, nous avons bientôt eu rattrapé ◀les▶ autres et étions à ◀la▶ tête avant midi. Nous voici enfin dans ◀les▶ mers des Indes et nous sommes assurément bien favorisés ◀de▶ Dieu ◀de▶ passer ce cap-ci avec un bon vent car assurément ◀la▶ mer y est fort haute et cruelle, et s’est rendue fameuse par quantité ◀de▶ naufrages qu’y ont faits des vaisseaux ◀de▶ toutes sortes ◀de▶ nations, ◀la▶ description ◀d’▶une partie desquels fait horreur dans ◀la▶ relation des voyages ◀de▶ Jean Hugues de Linschot Hollandais. Je reprends ◀la▶ plume pour vous dire que comme j’achevais ◀d’▶écrire à soleil couchant on m’est venu dire qu’on voyait ◀la▶ terre. J’en viens, elle nous paraît dans ◀le▶ Nord jusques au Nord-Est, à dix lieues ◀de▶ nous ou environ. ◀Le▶ banc est dépassé et ◀la▶ mer n’est pas si grosse qu’elle a été toute ◀la▶ journée. Comme cette terre appartient aux Hollandais qui y ont un fort nous n’y allons pas ; ainsi je ne vous en dirai rien, sinon que ◀les▶ trois navires qui étaient partis ◀de▶ Saint-Iago trois jours avant que nous y arrivassions, sont bien heureux ◀de▶ n’être point tombés entre nos mains. Si ◀les▶ autres vaisseaux ◀de▶ ◀l’▶escadre étaient aussi bons voiliers que ◀l’▶Ecueil, peut-être n’en auraient-ils pas été si bons marchands mais ce qui est différé n’est pas perdu. Quoique ◀le▶ vent soit bon et que ◀la▶ mer soit belle, nous ne portons que nos basses voiles, parce que ◀le▶ Dragon a démâté ◀de▶ son mât ◀de▶ hune aujourd’hui ; ainsi nous sommes obligés ◀de▶ ◀l’▶attendre et ◀de▶ ne point aller plus vite l’un que l’autre, afin de nous tenir comme dit ◀la▶ chanson bonne et douce compagnie.
Du mardi 30 [mai]
Toujours bon vent cause du Dragon qui ne peut remâter que ◀d’▶un temps plus calme et ◀d’▶une mer plus tranquille. Nous roulons plus que jamais.
Du jeudi 31 et dernier mai 1690.
Toujours même vent. On ne peut se tenir tant ◀le▶ navire roule et fatigue. Il craque ◀d’▶une telle force que si nous n’étions pas accoutumés à une pareille musique nous ne saurions qu’en penser. ◀Le▶ Dragon nous a déjà fait perdre plus ◀de▶ cent lieues, et est cause que nous roulons si fort. ◀Le▶ navire a tant fatigué cette nuit qu’il a fait ◀de▶ ◀l’▶eau à stribord en avant de ◀l’▶artimon, ◀de▶ laquelle ◀le▶ pain ◀de▶ notre grande soute est tout mouillé et n’est plus propre qu’aux bestiaux : c’est là ◀le▶ pis ◀de▶ ◀l’▶aventure que ◀le▶ pain perdu. Nous jeûnerons avant que ◀d’▶être ◀de▶ retour en France ou me je trompe bien fort, ainsi soit-il. Aussi est-il vrai qu’il faudrait que ◀le▶ navire fût plus fort que du fer pour ne pas larguer dans ◀les▶ fatigues qu’il a souffertes depuis deux jours, et surtout cette nuit que ne se voyant pas l’un l’autre, et que ◀l’▶amiral qui portait ◀le▶ feu faisait peu de voiles de peur de laisser ◀le▶ Dragon derrière, nous oui ◀le▶ suivions et qui allons mieux qu’eux tous, étions obligés crainte ◀de▶ ◀les▶ abandonner ◀de▶ porter encore moins ◀de▶ voiles que ◀le▶ Gaillard, et ainsi ◀d’▶avoir moins ◀de▶ quoi nous soutenir contre ◀le▶ vent et ◀la▶ mer ; aussi avons-nous roulé ◀d’▶une telle force que quand tous ◀les▶ diables eussent été au bout de nos vergues pour se brandiller ils n’auraient pas fait un autre opéra. Notre pain gâté me désole ; encore sommes-nous bien heureux ◀de▶ passer ces mers-ci vent arrière.
Juin 1690
Du jeudi premier. jour ◀de▶ juin 1690 octave ◀de▶ ◀la▶ Fête-Dieu.
◀Le▶ vent a varié toute ◀la▶ journée et a fait presque tout ◀le▶ tour du compas, ainsi nous avons toujours roulé et fatigué ◀la▶ mer étant fort émue.
Du vendredi 2e. [juin]
Toujours même vent. Nous commençons à être à plaindre, Nous passons ◀les▶ jours maigres pitoyablement comme ◀les▶ matelots aux fèves et aux pois ; plus ◀de▶ poisson, beaucoup de vin a coulé, notre beurre est puant, nous faisons un triste carême ; nos jours maigres ressemblent aux vendredis-saints qu’on fait à Paris dans ◀les▶ bonnes maisons, si ce n’est que nous n’avons point ◀de▶ légumes fraîches ; nous ne mangeons rien qui ait eu vie faute ◀d’▶en avoir.
Du samedi 3e. [juin]
Vent Sud-Ouest fort bon Dieu merci. Nous arriverons s’il plaît à Dieu à Amzuam à ◀la▶ fin ◀de▶ nos rafraîchissements. Nos volailles se meurent ◀d’▶elles-mêmes : je dirais volontiers que c’est ◀le▶ scorbut qui ◀les▶ tue, plusieurs ◀de▶ nos gens en sont attaqués. Nous avons parlé à Messieurs du Gaillard qui disent qu’ils viendront dîner ◀d’▶aujourd’hui en huit jours avec nous : ◀le▶ terme est long. Que leur donnerons-nous, nous qui n’avons rien pour nous-mêmes ? Ils se vengeront sur ◀le▶ vin ◀de▶ ◀la▶ méchante chère qu’on leur fera, tant pis. Il s’en va assez vite sans leur aide.
Du dimanche 4e. [juin]
◀Le▶ vent s’est jeté ce matin à ◀l’▶Est-Nord-Est et par conséquent contraire. Dieu veuille qu’il ne dure pas ! C’est le dernier quartier ◀de▶ ◀la▶ lune, il pourrait bien continuer jusques à ◀la▶ nouvelle et cela ne nous accommoderait pas.
Du lundi 5e [juin]
◀Le▶ vent a changé ce matin et est venu au Nord et a pris ◀de▶ ◀l’▶Ouest petit à petit si bien qu’il est Nord-Ouest à présent, c’est ce qu’il nous faut. Quinze jours au plus ◀de▶ ce temps-ci nous mettront à Amzuam. Nous avons besoin ◀de▶ voir terre, ◀le▶ nombre des malades augmente, nous avons plusieurs soldats attaqués du scorbut qui pourraient bien infecter ◀les▶ matelots ; nous n’avons que peu de rafraîchissements, notre beurre ne vaut rien, beaucoup de notre vin s’est perdu dans ◀le▶ fond ◀de▶ cale soit par ◀les▶ roulis soit que ◀les▶ fûts ne valussent rien. ◀Les▶ jambes faute ◀d’▶exercice s’engourdissent ; quatre ou cinq jours à terre nous remettraient. Enfin tout bien et dûment considéré nous sommes mal si ◀le▶ vent ne continue. J’oubliais à vous dire que notre eau est fort rousse, qu’elle sent, et qu’il y a des vers dedans.
Du mardi 6. [juin]
Toujours bon vent. Il avait un peu calmé ◀la▶ nuit, mais ce matin il est revenu meilleur. Pour ne pas aller plus vite que ◀les▶ autres nous avons serré ◀les▶ ris ◀de▶ nos huniers. Si nous avions été seuls, nous serions bien loin ◀d’▶où nous sommes. Ce n’est point à moi à trouver à redire aux navires que ◀la▶ Compagnie envoie aux Indes mais il me semble qu’il eût été ◀de▶ son honneur et ◀de▶ son intérêt ◀de▶ n’y envoyer que des vaisseaux bons voiliers.
Du mercredi 7. [juin]
◀Le▶ vent a encore calmé cette nuit et est revenu bon Sud ce matin, ainsi vent largue qui vaut mieux que vent arrière. Nous allons droit à Madagascar autrement à ◀l’▶île de Saint-Laurent, afin de pouvoir connaître juste où nous serons et aller ensuite en droite route à Amzuam.
Du jeudi 8 [juin]
◀Le▶ vent est bon Sud-Ouest vent arrière bon chemin. Si ce vent-ci continue nous voirons lundi Madagascar, en cas que ◀les▶ courants ne nous aient point été contraires. On dit qu’ils sont ici terribles et qu’ils emportent ◀les▶ navires avec tant de rapidité que quelquefois on croit avoir fait cent lieues qu’on n’en a pas fait vingt, et que quelquefois aussi, on croit n’avoir fait que vingt lieues, qu’on en a fait plus ◀de▶ cent. Tout cela fait bien connaître que ◀la▶ navigation est établie sur des principes bien incertains, puisque ◀les▶ marées étant inconnues, ◀les▶ pilotes qui ont ◀le▶ malheur ◀de▶ se perdre et leurs vaisseaux trouvent leur excuse prête sur ◀les▶ courants qui ◀les▶ auront portés ◀d’▶un côté dans ◀le▶ temps qu’ils voulaient aller ◀de▶ l’autre. Malheureux ceux à qui pareille aventure est arrivée. Dieu nous en veuille préserver : ce qu’il garde est bien gardé.
Du vendredi 9e, [juin]
◀Le▶ vent est toujours ◀le▶ même, mais bien petit : nous allons toujours un peu. Nous commençons à sentir ◀le▶ chaud, ◀le▶ froid s’évanouit petit à petit et nous retournons trouver ◀le▶ soleil. Nous commençons à voir du poisson qui passe ◀la▶ nuit le long de bord mais nous n’en prenons point quoique nous en ayons bon besoin, car ◀les▶ jours maigres sont ici fort rudes. Ajoutez à cela que nous nous conformons à nos bons missionnaires, et n’osons rien manger ◀de▶ gras ◀les▶ jours maigres crainte ◀de▶ scandale. Pour moi franchement, si j’en étais cru, nous n’observerions point tant de dehors, et ◀le▶ dedans s’en trouverait mieux. Il est bon ◀d’▶être catholique romain par toute terre, ◀le▶ salut éternel y est attaché, mais je crois qu’à ◀la▶ mer nous n’offenserions point Dieu si, avec une âme toute romaine, nous avions ◀le▶ corps un peu calviniste. ◀Le▶ vent vient de calmer ce soir.
Du samedi 10. [juin]
Il a fait calme toute ◀la▶ nuit, mais vers ◀le▶ jour il s’est levé un petit vent Sud qui n’est pas mauvais. Nous étions embarrassés ◀de▶ ce que nous donnerions à dîner à Monsieur Du Quesne s’il venait dîner ici comme il nous ◀le▶ dit il y a huit jours, Dieu y a pourvu, on a pris ce matin une dorade qui leur a donné à manger quoiqu’ils fussent bonne compagnie. Ce poisson est fort beau à voir et encore meilleur à manger. Il est doré, plat à peu près comme nos brêmes en France, mais plus camus et beaucoup plus long, ayant trois pieds et demi ; c’est ◀le▶ meilleur poisson ◀de▶ ◀la▶ mer. Messieurs Du Quesne, ◀de▶ Chamoreau, ◀de▶ Quistilly et ◀les▶ autres ◀de▶ ◀la▶ grande table ◀l’▶ont trouvé si bon qu’à peine en puis-je dire des nouvelles. Sa nageoire du dos qui s’étend depuis ◀la▶ tête jusques à ◀la▶ queue à un pouce près, est marquetée ◀de▶ diverses couleurs, plus belles et plus vives que celles ◀de▶ nos truites saumonées. Il est bon et délicat à quelque sauce qu’on ◀le▶ mette et sa tête a fait ◀de▶ fort bonne soupe. Nous allons bien peu.
Du dimanche 11. [juin]
◀Le▶ vent est revenu Sud-Est, nous n’allons pas mal. Il nous est aussi revenu un quartier ◀de▶ vache qui avait été porté par mégarde à bord du Lion et que Monsieur Du Quesne nous envoyait. Ne croyez que ce soit une reconnaissance ni un présent gratis pour ◀la▶ bonne chère qu’on lui a faite, ou qu’on a tâché ◀de▶ lui faire. Quelque générosité que ◀l’▶on ait, on n’est point à ◀la▶ mer si libéral. ◀Le▶ proverbe ◀de▶ Primo mihi secundo tibi n’y est point infâme. C’est le second quartier ◀de▶ vache qu’il nous devait pour ◀la▶ restitution ◀d’▶une moitié que nous lui avions donnée tout ◀d’▶un coup, ainsi nous voilà quittes.
Du lundi 12 [juin]
Nous allons toujours un peu. Monsieur ◀le▶ commandeur ◀de▶ Porrières a été dîner chez Monsieur Du Quesne qui régale aujourd’hui, et m’a fait ◀la▶ grâce ◀de▶ me rapporter des papiers que Monsieur Du Quesne avait emportés ◀de▶ ma chambre samedi dernier sans m’en avertir ◀l’▶ayant trouvée ouverte, seulement pour me mettre en peine, et c’était ◀le▶ brouillon ◀de▶ ce journal-ci sur lequel j’écris lorsque ◀la▶ mer est trop agitée pour pouvoir écrire une écriture lisible à tout autre qu’à moi. ◀Le▶ vent s’est fait Sud-Ouest, Dieu ◀le▶ fasse augmenter car il est bien faible.
Du mardi 13 [juin]
◀Le▶ vent est mort. Il a calmé dès hier au soir, point ◀de▶ vent ni cette nuit ni toute ◀la▶ journée. ◀L’▶air s’est couvert cette après-midi et il y avait apparence ◀de▶ mauvais temps, mais tout s’est évanoui par une petite pluie ◀d’▶un demi quart d’heure et sans vent. Nous ne sommes pas à quarante lieues ◀de▶ Madagascar, douze heures ◀de▶ bon vent nous feraient voir terre mais nous ne ◀les▶ avons pas, Dieu sur tout ! Nous commençons à sentir ◀le▶ chaud bien fort, ce sont ces calmes-ci qui en sont cause. ◀Les▶ grands jours sont en France à présent, et nous en avons ◀de▶ petits.
Du mercredi 14. [juin]
Calme tout plat, point ◀de▶ vent, ces calmes-ci chagrinent tout le monde. Nous avons été dîner à bord du Gaillard, au sortir de là nous avons été à 1’Oiseau où nos capitaines ont dîné, Monsieur ◀le▶ chevalier ◀d’▶Aire ◀les▶ ayant régalés aujourd’hui. Il s’est levé sur ◀les▶ trois heures un petit vent ◀de▶ Sud ; s’il continue cette nuit, nos pilotes disent que nous voirons demain Madagascar.
Du jeudi 15 [juin]
◀Le▶ vent a rafraîchi cette nuit, et ce matin à ◀la▶ pointe du jour nous avons vu terre et c’est celle ◀de▶ Madagascar, qui est dit-on ◀la▶ plus grande île du monde et ◀la▶ plus peuplée. Messieurs ◀de▶ ◀la▶ Compagnie y ont eu autrefois une habitation et un fort qu’on appelait ◀le▶ Fort Dauphin. Ils ◀l’▶ont abandonné à cause des guerres continuelles qu’on avait contre ces insulaires, ◀de▶ leur cruauté et ◀de▶ leurs trahisons. Monsieur de Flacourt qui y a été longtemps gouverneur pour Messieurs ◀de▶ ◀l’▶ancienne Compagnie et pour Monsieur le Maréchal de La Meilleraye en a fait une relation fort exacte et se plaint fort ◀de▶ leur peu de bonne foi. Il croit que ces peuples sont venus des anciens Juifs, et que depuis environ trois cents ans il y est aussi abordé des Mahométans qui s’y sont habités et ◀la▶ raison qu’il en donne c’est qu’ils retiennent quelques noms juifs et beaucoup de cérémonies ◀de▶ ◀l’▶ancienne loi, mais mêlées ◀de▶ mahométismes. Monsieur de Choisy semble être du même sentiment dans ◀la▶ Vie ◀de▶ Salomon qu’il a donnée au public depuis son retour ◀de▶ Siam, avec Monsieur ◀le▶ chevalier ◀de▶ Chaumont ambassadeur du Roi, fondé sur ◀le▶ plus court chemin que cette nation prenait pour aller aux Indes chercher ces bois odoriférants, ces parfums, et ce précieux métal ◀de▶ cuivre plus recherché que ◀l’▶or dont on se servait à ◀l’▶édification du temple que Salomon faisait bâtir à Hiérusalem, et à ◀l’▶entretien des sacrifices qui s’y faisaient journellement, et dit que ce n’est que dans ◀les▶ Indes que se fait ce métail que ◀les▶ Siamois appellent encore aujourd’hui tembach, et duquel ◀le▶ Roi de Siam a envoyé ◀de▶ si beaux vases au Roi. Et là-dessus Monsieur ◀l’▶abbé ◀de▶ Choisy trace à ces navires des Juifs une route par ◀la▶ mer ◀d’▶Ormuz, par laquelle il ◀les▶ fait courir toutes ◀les▶ Indes en homme non seulement très savant dans ◀la▶ géographie mais aussi en navigateur expérimenté, et croit que c’est quelques-uns ◀de▶ leurs vaisseaux qui ont fait naufrage, et dont ◀les▶ matelots et autres faute de commodité pour retourner dans leur patrie ont été obligés ◀de▶ s’y établir. Mais sans entrer dans un détail ennuyeux pour savoir ◀d’▶où sont venues ◀les▶ femmes qui ont multiplié leur espèce, et si ◀les▶ Juifs en menaient avec eux dans des voyages ◀de▶ long cours - car à l’égard des bestiaux à corne qui y sont en très grande quantité, ◀les▶ Juifs en pouvaient avoir dans leurs vaisseaux puisque nous, qui venons de bien plus loin, en avons bien -, je trouve une raison qui, malgré ◀le▶ respect et ◀la▶ déférence que je dois avoir et que j’ai pour un homme si savant et ◀de▶ si grande qualité, me laisse une difficulté qui me paraît très forte pour prouver ◀le▶ contraire, et c’est qu’au rapport ◀de▶ tous ◀les▶ Européens qui ont été dans cette île et au rapport même ◀de▶ Monsieur de Flacourt, ces insulaires exposent à ◀la▶ fureur des bêtes fauves et laissent mourir misérablement leurs enfants d’abord qu’ils sont nés lorsque ◀l’▶horoscope qu’ils en ont fait tirer dès ◀le▶ moment ◀de▶ leur naissance ne leur est pas favorable. Ce qui est une cruauté horrible particulière à ces peuples, ◀les▶ autres nations si barbares soient-elles ayant un très grand soin ◀de▶ nourrir et ◀d’▶élever leurs enfants, ce qui particulièrement était observé en Judée, où ◀la▶ femme stérile passait pour impure et maudite, et où ◀la▶ multiplicité des enfants faisait honneur. Et si cela avait été autrement, ◀la▶ postérité serait privée ◀de▶ ce jugement si équitable et qu’on appelle encore aujourd’hui ◀le▶ jugement ◀de▶ Salomon, qui est ◀le▶ même prince sous ◀le▶ règne duquel Monsieur ◀l’▶abbé ◀de▶ Choisy prétend que ces naufrages ont été faits. ◀Les▶ Juifs n’ont donc pas pu apporter ◀de▶ leur patrie cette exécrable coutume, non plus que celle ◀de▶ consulter ◀les▶ devins, ce qui leur est expressément défendu par leur loi ; ◀d’▶autant plus qu’ils avaient encore devant ◀les▶ yeux ◀la▶ mort malheureuse ◀de▶ leur roi Saül auquel David père ◀de▶ Salomon avait succédé, lequel Saül avait été abandonné ◀de▶ Dieu et sa postérité exterminée non seulement pour avoir épargné ◀les▶ dépouilles des ennemis et deux ◀de▶ leurs rois vaincus, mais aussi pour avoir osé, contre ◀les▶ défenses ◀de▶ ◀la▶ loi, évoquer des Enfers par ◀le▶ ministère ◀d’▶une pythonienne ou devineresse ◀l’▶ombre du prophète Samuel. Il ne sert ◀de▶ rien ◀de▶ dire que ◀le▶ long temps qu’il y a a pu ◀les▶ porter à ce dérèglement, car outre que cette maudite coutume est établie parmi eux ◀de▶ temps immémorial, c’est une maxime constante que, quelque changement qui arrive dans ◀les▶ mœurs, il ne va jamais contre ◀les▶ lois ◀de▶ ◀la▶ nature, quoiqu’il puisse par une volupté criminelle aller contre celles ◀de▶ ◀la▶ religion et ◀de▶ ◀la▶ loi : et ◀la▶ raison en est que ◀la▶ dépravation des mœurs n’est jamais causée que par ◀le▶ plaisir ou ◀l’▶utilité qu’on en tire, et ni l’un ni l’autre ne se rencontre dans ◀l’▶exposition ◀de▶ ces enfants. Nous voyons en France et partout ailleurs en Europe des mères exposer et quelques-unes tuer même leurs enfants pour cacher leur déshonneur, parce que c’en est un à une fille ◀d’▶avoir eu des enfants avant son mariage. ◀L’▶infidélité ou ◀la▶ bassesse ◀d’▶un amant, ◀l’▶indignation des parents, ◀la▶ crainte ◀de▶ passer pour infâmes peuvent pousser ces malheureuses à une si criminelle extrémité, laquelle est punie ◀de▶ mort lorsque ◀les▶ coupables sont découvertes ; mais ici cela n’est pratiqué que par une cruauté inouïe et qui est publiquement avouée, tolérée et suivie. Car bien loin qu’une fille y ait honte ◀d’▶avoir eu des enfants avant son mariage, elle s’en glorifie, et ◀la▶ plus abandonnée est ◀la▶ plus estimée. Bien plus, ce ne sont pas seulement ◀les▶ filles qui en viennent à ces excès, ce sont ◀les▶ femmes mariées du consentement ◀de▶ leurs maris qui s’en font un point ◀de▶ religion. Mais pour revenir à leur origine, ne serait-ce point plutôt une race ◀de▶ ces Amalécites qui comme dit Flavius Josèphe ayant été vaincus par ◀les▶ Juifs furent obligés ◀d’▶accepter ◀la▶ circoncision pour sauver leur vie, et qui s’étant ensuite rebellés furent encore vaincus et obligés par ◀le▶ peuple ◀d’▶Israël ◀d’▶abandonner leur pays et ◀de▶ se disperser par tout le monde à peu près comme ◀les▶ Juifs ◀le▶ sont présentement ? Ce qui me persuaderait que je vise assez juste, c’est que j’ai quelque idée ◀d’▶avoir lu autrefois que ces ennemis du peuple ◀de▶ Dieu immolaient à leurs idoles des victimes humaines, et qu’ainsi ils auraient pu apporter dans cette île une religion mixte des cérémonies ◀de▶ ◀l’▶ancienne loi et ◀de▶ leurs sanglants sacrifices, qui par succession ◀de▶ temps et par ◀l’▶instigation du diable qui pousse toujours du mal au pis, et par ◀la▶ persuasion ◀de▶ leurs prêtres, qui, dans un peuple au commencement si peu nombreux, auraient voulu éviter ◀les▶ querelles qui se seraient infailliblement élevées entre ◀les▶ pères pour savoir lequel des enfants serait sacrifié le premier, un chacun voulant défendre le sien, leur auraient persuadé que c’était une action pieuse et méritoire ◀d’▶immoler des enfants ; laquelle cruauté leur serait tournée en coutume et en loi. En quoi ◀l’▶intention ◀de▶ leurs premiers prêtres n’aurait point été suivie parce qu’ils auraient seulement voulu empêcher ◀les▶ pères ◀de▶ se tuer ◀les▶ uns ◀les▶ autres afin de multiplier et conserver ◀la▶ colonie, et c’est aussi peut-être par ◀la▶ même raison qu’afin de multiplier promptement il a été permis aux filles ◀de▶ s’abandonner, coutume qu’elles gardent encore inviolablement, ◀la▶ maxime étant certaine :
Ne fit jamais cruelle fille
Et ce que je vous dis du libertinage ◀de▶ ces filles est tellement certain qu’il faudrait donner un démenti à Monsieur de Flacourt et à tous ◀les▶ Français qui y ont été pour ne pas croire que ce sont elles-mêmes qui s’offrent à quiconque leur paraît leur fait, et qu’outre cela, plaise ou non, on n’en est jamais refusé. Bien plus, ◀les▶ pères et mères se font un divertissement ◀de▶ voir leurs enfants ◀de▶ huit, neuf et dix ans s’accoupler ensemble et ◀les▶ y animent. C’est assez sur Madagascar, finissons par une matière tout[e] opposée. Nous avons chanté ◀le▶ Te Deum pour remercier Dieu ◀de▶ notre heureuse navigation et ◀Le▶ prier ◀de▶ vouloir bénir ◀le▶ reste ◀de▶ notre voyage. ◀Le▶ vent est bon et s’il continue quatre jours nous serons à Amzuam. Nous faisons plus ◀de▶ trois lieues par heure, ◀le▶ Tropique est doublé. Nous avons vu Madagascar toute ◀la▶ journée et ◀la▶ laissons à droite.
Du vendredi 16 [juin]
◀Le▶ vent a continué toute ◀la▶ nuit et si fort qu’il nous a crevé[s] deux huniers. Nous avons été et nous allons encore à merveille. Je me console ◀de▶ ◀la▶ mauvaise chère que nous faisons parce que j’espère manger bientôt ◀de▶ ◀la▶ salade, du gibier, ◀de▶ bon bœuf, ◀de▶ bon poisson, des oranges, des citrons et d’autres fruits que vous ne connaissez point en France et que je ne connais point encore. J’oubliais à vous dire que par un vent fort comme celui-ci ◀la▶ vue ◀de▶ ◀la▶ terre fait craindre quelque roche au large, ainsi cette nuit nous avons fait route au Nord-Nord-Ouest, et que nous avons perdu ◀la▶ terre ◀de▶ vue.
Du samedi 17. [juin]
Nous avons eu toujours même vent, mais comme on appréhende ◀d’▶aller donner sur ◀les▶ écueils ◀de▶ Juida, ou sur ◀l’▶île de Jean de Nove, nous ne portons que peu de voiles ◀la▶ nuit afin d’aller toujours bride en main. Ces endroits-ci sont connus par ◀de▶ vilains endroits qui sont ◀les▶ fréquents naufrages qui s’y sont faits. Il y a ici des matelots et d’autres qui sont déjà venus où nous sommes dans ◀le▶ navire ◀Le▶ Coche, appartenant aussi à Messieurs ◀de▶ ◀la▶ Compagnie, qui disent qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu pour trouver cette île de Jean de Nove, sans pouvoir ◀la▶ voir. C’est qu’ils ne naviguaient pas juste, car il n’est pas vraisemblable qu’il y ait une île flottante fameuse par des naufrages seulement. Si ◀le▶ vent continue nous serons mardi à Moali ou à Amzuam : ce sont deux îles à neuf lieues ◀de▶ distance l’une ◀de▶ l’autre.
Du dimanche 18. [juin]
Peu de voiles cette nuit, ◀le▶ vent est bon, Jean de Nove est dépassé, nous porterons cette nuit toutes nos voiles.
Du lundi 19. [juin]
◀Le▶ vent a calmé beaucoup mais nous ne laissons pas ◀d’▶aller un peu. ◀Le▶ chaud se fait sentir bien fort, ◀les▶ chaleurs ◀de▶ ◀la▶ Ligne m’épouvantent. J’ai eu deux jours ◀de▶ fièvre, je n’en ai point aujourd’hui grâce à Dieu.
Du mardi 20 [juin]
Il a calmé ce matin, mais ◀le▶ vent est revenu sur ◀le▶ midi. Nous avons vu ce soir ◀l’▶île de Moali, et s’il plaît à Dieu nous y arriverons demain de bonne heure.
Du mercredi 21. [juin]
Nous sommes arrivés aujourd’hui sur ◀les▶ dix heures à Moali. Nous sommes mouillés par ◀les▶ 45 brasses. ◀La▶ terre me paraît fort montueuse et hachée ; comme notre pilote était seul qui y eût été, il pilotait Monsieur Du Quesne et nous ◀le▶ suivions. Mais comme nous n’avons point trouvé ◀de▶ fond lorsqu’il a mouillé, nous avons approché ◀de▶ terre beaucoup plus que lui.
Du jeudi 22. [juin]
Il est venu aujourd’hui aussi bien qu’hier des Noirs à bord, qui ont apporté des cabris et des poules. Cette terre me paraît beaucoup plus belle que Saint-Iago. J’irai aujourd’hui pour y faire nos rafraîchissements, et au retour vous saurez ce qui m’en aura paru. Nous allons mouiller autre part, ◀l’▶endroit où nous sommes n’étant pas bon.
Juillet 1690
Du samedi premier. juillet
Je revins hier au soir ◀de▶ terre où j’ai resté depuis jeudi 22e du dernier, et dont j’ai rapporté une fort grosse fièvre avec un si grand mal ◀de▶ côté qu’à peine puis-je me soutenir, j’espère que ce ne sera rien. Cette île est marquée sur ◀les▶ cartes par onze degrés quarante-cinq minutes ◀de▶ latitude Sud, et par ◀les▶ soixante-trois degrés trente minutes ◀de▶ longitude, et comme j’ai resté dix jours à terre, je vais vous dire ce que j’en ai pu connaître. Il est déjà très certain que ◀l’▶endroit où on fait ◀de▶ ◀l’▶eau n’est pas commode si ce n’est pour un navire seul ou deux au plus, parce qu’étant impossible ◀de▶ monter ◀les▶ barriques dans ◀la▶ montagne dont cette eau descend, et étant obligés ◀de▶ ◀la▶ recueillir dans un endroit où ◀la▶ mer monte quand elle est pleine, elle contracte un goût saumate fort désagréable à ceux qui n’y sont point accoutumés. Ajoutez à cela qu’on ne peut y aller que ◀de▶ marée à demi haute, et encore faut-il faire un grand circuit parce qu’il y a un lit ◀de▶ roche qui en empêche presque toute ◀l’▶entrée, et où ◀la▶ mer brise tellement qu’il serait absolument impossible ◀de▶ se sauver si on donnait dessus. Pour ce qui est ◀de▶ ◀la▶ terre elle est pleine ◀de▶ montagnes fort hautes, mais toutes couvertes ◀de▶ bois ◀de▶ différentes espèces et ◀d’▶arbres fruitiers. Un perpétuel printemps, été et automne règnent ici, ◀l’▶hiver seul y est inconnu. Cette île abonde en toutes sortes ◀de▶ fruits : oranges, citrons, limons, bananes, cerises sauvages, cocos, grenades, et mille autres qui me sont inconnus. Beaucoup ◀d’▶herbes et simples aromatiques y croissent, et nos chirurgiens en ont fait leurs provisions pour leurs scorbutiques. ◀Le▶ sucre, ◀le▶ safran, ◀le▶ gingembre, ◀l’▶esquine, ◀l’▶iris et mille autres y sont fort communs. ◀La▶ terre y est très bonne et très grasse. Ils y cultivent du riz, et je suis persuadé que ◀le▶ froment et ◀la▶ vigne y viendraient à merveille, puisque j’y ai vu non seulement ce qu’on appelle en France des épis bâtards, mais aussi des pampres sauvages plus beaux que ceux ◀de▶ Canada. ◀Le▶ gibier y est en quantité ◀de▶ toutes sortes : pigeons, ramiers, tourtres, tourterelles, poules pintades, perdrix rouges, perroquets, et d’autres dont je ne sais point ◀les▶ noms, seulement sais-je qu’ils sont fort beaux et fort bons à manger. Mais comme ◀les▶ noirs ne ◀les▶ peuvent point avoir, n’ayant pas ◀d’▶armes à feu, ils ne s’en soucient point et ◀les▶ montrent volontiers à ceux qui sont avec eux, ce qui m’est arrivé lorsque j’ai voulu aller à ◀la▶ ville. ◀Les▶ bestiaux y sont en abondance, ils ne connaissent point ◀l’▶argent ◀de▶ France, ils ne veulent que ◀de▶ celui ◀d’▶Espagne, et donnent leurs bœufs pour un écu, un écu et demi, et deux écus ◀les▶ plus beaux. Il est vrai qu’ils sont petits, mais en récompense ils sont gras, dodus et fort bons, et ◀d’▶un goût plus savoureux que ceux ◀de▶ France. Il est impossible ◀de▶ ◀les▶ garder morts du jour au lendemain, cette viande se corrompt d’abord à cause, je crois, qu’étant nourris dans un pays fort gras et ne mangeant que des herbes fort spongieuses, ils contractent une fort grande humidité, qui se corrompt facilement à ◀la▶ chaleur qui est ici fort grande ; et c’est peut-être à cause de ◀la▶ même chaleur qu’ils ne font point ◀de▶ beurre, ◀le▶ lait ne pouvant y crémer, ni cailler, leurs œufs même étant corrompus en très peu de jours. Leurs cabris sont fort beaux et bons, et leurs poules et poulets tout de même qu’en France. Au commencement que nous y sommes arrivés, ils nous donnaient des cabris pour un couteau et des poules pour des aiguilles ou des feuilles ◀de▶ papier en nombre égal. Mais comme il est vrai que ◀les▶ Français ne sont bons qu’à ruiner un pays parce qu’ils vont tous à ◀l’▶enchère l’un sur l’autre, à peine donnaient-ils à ◀la▶ fin un cabri pour une chemise et trois poules pour demi-piastre ou demi-écu. Nous leur avons traité beaucoup de bagatelles, surtout des morceaux ◀de▶ fer pour plusieurs drogues absolument nécessaires, comme citrouilles, potirons, riz, oranges, citrons, bananes, lait et autres menues nécessités, qui tous ◀les▶ jours enchérissaient. Nos matelots et tous ◀les▶ autres ◀de▶ ◀l’▶escadre ont fait leurs provisions ◀de▶ cabris : il y en a présentement plus ◀de▶ quatre-vingts sur notre pont tant à nous qu’à eux, et je suis persuadé que Monsieur Du Quesne aimant ◀l’▶ordre comme il ◀l’▶aime, s’il avait prévu ◀les▶ enchères que ◀les▶ Français ont mises l’un sur l’autre, aurait fait défense à tout le monde ◀de▶ rien traiter, et aurait commis ◀le▶ commissaire pour acheter tout lui seul et fournir tant à chaque navire. Cela aurait empêché ◀les▶ matelots ◀de▶ se défaire ◀de▶ leur linge, et chacun aurait eu son nécessaire à moins ◀de▶ frais. ◀Les▶ noirs ◀de▶ ce pays-ci me paraissent fort à leur aise : ils ont un Roi et il y en a plusieurs qui ont des esclaves. Je ne m’aperçois pas qu’il leur manque rien, ayant ◀de▶ ◀la▶ viande, des légumes, et du poisson ◀de▶ mer et ◀d’▶eau douce en abondance, nous ayant apporté vendre ◀de▶ l’un et ◀de▶ l’autre. Ils étaient dans un temps ◀de▶ jeûne pour eux, c’est-à-dire qu’ils ne mangeaient ni ne buvaient tant que ◀le▶ soleil était sur ◀l’▶horizon, ne sortaient ◀de▶ chez eux qu’à soleil levé et y rentraient avant soleil couché. Ils sont superstitieux là-dessus, m’ayant été absolument impossible ◀de▶ leur faire rien ni boire ni manger, ◀de▶ quelque manière que je m’y sois pris. Un Français m’avait dit qu’il ◀les▶ avait vus à leurs prières et m’avait assuré qu’ils adoraient une tête ◀de▶ bœuf en squelette. Je ne ◀l’▶ai pas cru d’abord, mais je ◀l’▶ai vu, et voici ce qui en est. Ils ont une espèce ◀de▶ grange bâtie ◀de▶ pierres assez bien liées revêtues ◀de▶ chaux, à ◀l’▶entrée ◀de▶ laquelle sont étendus des tapis ◀de▶ nattes fort propres, à côté de laquelle [sic] il y a une grosse coquille pleine ◀d’▶eau ◀de▶ laquelle ils se lavent ou se frottent ◀les▶ doigts et ◀le▶ front. Au fond ◀de▶ cette grange est un creux qui a tout ◀l’▶air ◀d’▶un four et je crois que c’en a été un autrefois. Au côté droit ◀de▶ ce creux il y a une coquille pareille à celle qui est à ◀la▶ porte, dans ◀le▶ fond ◀de▶ ce creux il y a une pierre laquelle ne tient à rien sur laquelle ils mettent une tête ◀de▶ bœuf ou ◀de▶ vache lorsqu’ils font leurs prières en commun. Je ◀les▶ ai vus assis sur leurs talons marmottant je ne sais quoi, et de temps en temps parlaient haut tous ensemble. Ils ne se retournent point, quelque bruit qu’on fasse, mais ce qui m’a paru ◀d’▶assez plaisant c’est que pendant leurs prières j’ai vu des souris qui se promenaient sur leur tête ◀de▶ bœuf et qui buvaient ◀de▶ ◀l’▶eau ◀de▶ ◀la▶ coquille : tout cela ne ◀les▶ distrait point. Après une demi-heure ou environ ◀de▶ pareille cérémonie, ils s’en vont et un ◀d’▶eux emporte ◀la▶ tête ◀de▶ bœuf, et verse à terre ◀l’▶eau qui reste tant dans ◀la▶ coquille du trou que dans celle ◀de▶ ◀la▶ porte. Voilà tout ce que je sais ◀de▶ leur religion, n’ayant pu en apprendre davantage. Je ne sais ni leurs cérémonies ◀de▶ mariage ni aucune autre. Ils sont bien faits ◀de▶ leur personne, forts et robustes, ◀les▶ traits du visage assez beaux, ◀le▶ nez fort élevé ; quelques-uns même ◀l’▶ont aquilin, mais peu ◀l’▶ont plat, et ils ne sont séparés des Européens que par ◀la▶ couleur seulement, ayant ◀les▶ cheveux longs et non pas crépus comme ◀les▶ Cafres qu’on mène en France. On m’a dit qu’ils ne se font point ◀de▶ tort ◀les▶ uns aux autres, et qu’ils ne prennent rien sur ◀les▶ terres qui ne leur appartiennent pas ; si cela est, ils ont tort ◀de▶ ne point observer cette loi ◀de▶ nature envers ◀les▶ étrangers comme ils ◀l’▶observent entre eux car il est très certain que leurs mains ne sont pas sûres. Il y en a eu un entre autres qui est venu à ◀la▶ cabane pendant que j’y étais seul ◀d’▶officier. Il m’a fait dire qu’il voulait venir en France avec nous et qu’il me demandait passage ; et m’a dit même que ◀l’▶heure étant indue pour retourner à sa cabane il me priait ◀de▶ ◀le▶ faire embarquer aussitôt, parce que si il était attrapé, ◀les▶ noirs qui se douteraient ◀de▶ son dessein ◀le▶ tueraient comme déserteur, ◀d’▶autant plus qu’il leur est défendu ◀de▶ demeurer dehors ◀la▶ nuit et qu’il avait exprès choisi ce temps-là pour me parler sans témoin. J’avais avec moi ◀le▶ coq ◀de▶ notre navire natif ◀de▶ Goa, noir aussi, qui entend assez bien leur langue, et qui me servait ◀d’▶interprète. Il m’avait averti ◀de▶ ne me Fier à ces gens-là que ◀de▶ bonne sorte, mais, quoiqu’il ne fît que rire des protestations ◀de▶ mon fripon, je fus crédule, et fus ◀la▶ dupe ◀d’▶une crainte et ◀d’▶une sincérité apparente. C’était un drôle ◀de▶ trente ans ou environ, bien fait, et qui me paraissait fort propre à travailler. Ainsi je lui fis dire que n’étant pas officier assez considérable sur ◀le▶ navire pour ◀l’▶y faire embarquer ◀de▶ mon autorité, tout ce que je pouvais faire était ◀d’▶en écrire à notre capitaine ; que je ne doutais pas ◀d’▶obtenir sa permission, et que jusqu’à ce que je ◀l’▶eusse il pouvait rester à ◀la▶ cabane, et que je saurais bien empêcher que ◀les▶ autres Noirs ne lui fissent insulte. C’était ce que ◀le▶ coquin demandait : il s’y accorda. Un moment après, Monsr. ◀de▶ Bouchetière notre lieutenant allait s’embarquer. Il tomba dans mon sens quand je lui eus parlé et me promit ◀d’▶en parler à Monsieur de Porrières. Enfin je pris pour être friponné toutes ◀les▶ mesures qu’un autre aurait prises pour ne ◀l’▶être pas. En effet ◀le▶ lendemain matin ◀le▶ coquin ne se trouva plus et je fus convaincu que je n’étais qu’une bête ◀de▶ m’être fié à lui malgré ◀les▶ avis ◀de▶ mon nègre, et je ne doutais plus que ce ne fût un tour ◀de▶ souplesse quand on me dit qu’on trouvait une hache à dire, et que moi-même ne trouvai plus quelque chose que j’avais ◀le▶ soir dont il est inutile ◀de▶ parler, et que je ne doute pas qu’il n’ait emportée. Une autre manière ◀de▶ friponner dont ces coquins se servent et qui pour être plus visible n’en est pas moins subtile, c’est que lorsqu’ils vendent du bétail, ils ◀le▶ vendent dans ◀le▶ bois, et lorsqu’on ◀l’▶a acheté ils ◀le▶ conduisent eux-mêmes aux lieux qu’on leur montre où ils ◀l’▶attachent avec des cordes ◀de▶ bois ◀les▶ plus faibles qu’ils ont, afin que ces animaux extrêmement sauvages et méchants se délient plus facilement, et retournent à leurs pacages ordinaires et ainsi qu’ils aient ◀l’▶argent et retrouvent leurs bestiaux. Comme mon nègre m’avait informé ◀de▶ cette subtilité, je n’ai point été leur dupe ◀de▶ ce côté-là mais d’autres ◀l’▶ont été et ont perdu des bœufs beaux et bons faute de ◀les▶ avoir fait bien lier. Pour ce qui est des femmes et des filles il est impossible ◀d’▶en parler parce qu’ils ne souffrent point qu’on ◀les▶ voie, et afin que ◀les▶ Français, qui sont assez familiers ◀d’▶eux-mêmes ne ◀les▶ vissent point, ils ont déserté ◀le▶ village ◀le▶ plus proche de nos cabanes, fort habité lorsque nous y sommes arrivés. J’ai eu envie ◀de▶ voir ◀la▶ ville qui est ◀la▶ demeure ◀de▶ leur Roi. Je me mis en chemin pour y aller jeudi dernier jour ◀de▶ ◀la▶ Saint-Pierre accompagné ◀de▶ mon nègre et ◀de▶ deux Français. J’allai une bonne lieue dans ◀le▶ bois sans rencontrer personne, enfin je rencontrai une troupe ◀de▶ Noirs qui me demandèrent où j’allais ; ◀le▶ nègre leur dit que j’allais à ◀la▶ ville, que mon dessein n’était pas ◀de▶ leur faire du mal mais seulement ◀de▶ trouver des bœufs et des poules dont j’avais besoin. Ils me firent dire que si j’y allais ◀les▶ Noirs fuiraient dans ◀le▶ bois et n’apporteraient plus rien au camp et qu’ils me priaient ◀de▶ retourner. Je poursuivis mon chemin, l’un ◀d’▶eux coupa à travers ◀le▶ bois et un demi-quart ◀d’▶heure après amena avec lui plus ◀de▶ quarante Noirs armés ◀de▶ longs bâtons pour me boucher ◀le▶ chemin. J’avais avec moi un caporal brave garçon qui aurait bien voulu passer outre. Je ne savais quel parti prendre, car je n’étais point ◀d’▶humeur à cédera une poignée ◀de▶ gens de même. ◀D’▶en venir à ◀la▶ violence, j’aurais assurément été blâmé ◀de▶ Monsieur Du Quesne, cependant ne voulant qu’ils pussent dire qu’ils avaient ◀de▶ force fait retourner des Français en arrière je poursuivis mon chemin. Mais voyant qu’après m’avoir côtoyé ils approchaient ◀de▶ moi, j’en couchai un en joue, qui était ◀le▶ plus apparent ◀de▶ ◀la▶ troupe, pour lui faire peur mon fusil n’étant pas chargé, venant ◀de▶ tuer une tourtre. Il se jeta promptement derrière un arbre, et ◀les▶ autres aussi. Ils me Firent signe et crièrent à mon nègre qu’ils voulaient me parler. Je ◀les▶ écoutai. Ils me dirent que si j’allais à leur ville tout le monde gagnerait ◀le▶ bois, qu’ils me priaient ◀de▶ n’y point aller et qu’ils me promettaient ◀de▶ m’amener tout ce que je voudrais. Ainsi je trouvai moyen ◀de▶ sortir à ma satisfaction ◀d’▶un si vilain pas où ma curiosité m’avait engagé. Je leur fis dire que s’ils m’amenaient des bœufs ◀le▶ soir même je n’irais point à leur ville, mais que s’ils ne m’en amenaient pas, j’irais ◀le▶ lendemain si bien accompagné que j’emmènerais malgré eux ce qu’ils me refuseraient ◀de▶ bon gré. Ils me promirent tout ce que je voulus, et me tinrent parole, car ◀le▶ soir même ils m’amenèrent sept bœufs qu’ils ne voulurent point vendre au commissaire, et je ◀les▶ eus pour un écu et demi l’un portant l’autre quoique très beaux. Vous pouvez voir par là combien ces gens craignent ◀les▶ armes à feu. Il n’y avait que moi qui en eût, et comme j’avais tiré trois coups justes devant eux, ceux qui revinrent avec moi se faisaient un plaisir ◀de▶ me montrer du gibier, ce qui me servit fort bien à dîner et souper ◀le▶ vendredi, n’ayant point ◀de▶ poisson parce qu’on ◀l’▶avait envoyé aux navires et qu’outre cela j’avais une grosse fièvre. C’est ◀la▶ jalousie qu’ils ont ◀de▶ leurs filles et ◀de▶ leurs femmes qui ne leur permet pas ◀de▶ souffrir qu’on ◀les▶ voie. Cette île qui n’a pas plus ◀de▶ huit lieues ◀de▶ tour, est fort peuplée : ◀les▶ habitants assez agréables, du moins point hideux. Ils n’ont pour tout habit qu’un linge qui leur ceintre ◀le▶ corps depuis ◀le▶ nombril jusques aux genoux ; ◀les▶ esclaves n’ont qu’un simple brayer qui leur couvre ◀les▶ parties. Il y en a quelques-uns qui ont des vestes des Indes, mais peu. Je n’ai vu que ◀le▶ fils du Roi couvert ◀d’▶un turban, tous ◀les▶ autres vont nu[e] -tête. Ce fils du Roi écrivit devant moi à ses gens pour me faire amener ce que je demandais. Ils estiment fort ◀le▶ papier et ne ◀le▶ prodiguent pas. Nous écrivons ◀de▶ gauche à droite, eux ◀de▶ droite à gauche, mais fort vite et plus que nos clercs ◀de▶ procureurs à Paris. Leurs plumes sont un morceau ◀de▶ bois coupé au couteau et leur encre ◀le▶ noir du cul ◀de▶ leur pot délayé assez bien pour s’en servir. J’en ai écrit moi-même un brouillon ◀de▶ ce que j’avais acheté pendant ◀la▶ journée pour m’en souvenir, je n’ai trouvé ni l’un ni l’autre ◀de▶ difficile usage. Cette terre a été autrefois habitée par des Européens : ce qui me ◀le▶ persuade, c’est ◀l’▶endroit où ils font leurs prières, et plusieurs autres masures qui sont autour bâties ◀de▶ pierres à chaux et à ciment, leurs logements ordinaires n’étant que des cabanes fort propres séparées en plusieurs petites chambres assez commodes, car ces gens-ci ne couchent point à plat ◀de▶ terre comme ◀les▶ autres sauvages que j’ai vus, leurs lits sont élevés ◀d’▶un bon pied et couverts ◀d’▶une natte fort fine et fort belle : cela est fort propre et fort frais. J’en ai acheté une sur laquelle je coucherai désormais tant que je serai dans ◀les▶ chaleurs. ◀L’▶île est coupée par plusieurs canaux, ruisseaux et étangs ◀d’▶eau douce très bonne ; j’y vu ◀de▶ fort belles plaines. ◀Les▶ habitants sont Arabes ◀d’▶origine, et ainsi mahométans ; il y en a pourtant ◀d’▶idolâtres desquels je vous ai parlé au sujet de ◀la▶ tête ◀de▶ bœuf ; il y en a aussi qui font leurs prières à une espèce ◀de▶ chapelle à vingt pas ◀de▶ ◀la▶ masure dont je vous ai parlé, laquelle sert ◀de▶ tombeau à un Anglais qui y est mort et que ◀l’▶idolâtrie ◀de▶ ces peuples a sanctifié à peu de frais, et selon toutes ◀les▶ apparences c’était dans cette chapelle que ◀les▶ Européens chrétiens ou hérétiques faisaient leurs assemblées pour louer Dieu. Notre premier pilote qui est déjà venu ici m’a dit qu’il avait vu un ◀de▶ leurs mariages, où, dit-il, ils ne font d’autres cérémonies que ◀de▶ conduire ◀le▶ marié et ◀la▶ mariée qui ne se sont jamais vus à un lit élevé ◀de▶ trois pieds ◀de▶ terre et couvert ◀de▶ cannes ◀de▶ sucre fort propre à ce qu’on dit où ils se voient pour la première fois, et où on ◀les▶ couche l’un auprès de l’autre et ◀d’▶où ils se relèvent sans se toucher, et se frottent ◀le▶ visage l’un à l’autre de quelque couleur pour se reconnaître, et c’est ◀le▶ marié qui se lève le premier et relève sa mariée, peut-être, dit notre pilote, pour lui faire connaître qu’une femme ne doit point s’élever aussi haut que son mari si lui-même ne ◀la▶ relève ◀de▶ son abaissement. Après quoi ils vont faire leurs festins qui durent trois jours. Comme je n’ai point vu ceci, vous en croirez ce qu’il vous plaira : notre pilote est habile et capable ◀d’▶examiner ◀les▶ choses. Voilà tout ce que je puis dire sur ◀l’▶île de Moali, puisque c’est tout ce que j’en sais, seulement ajouterai-je qu’ils ont du vin ◀de▶ palme qu’ils appellent tary, ◀de▶ couleur du petit lait, ◀d’▶un goût piquant, agréable, fort rafraîchissant et fort sain. J’ajouterai aussi qu’un des R. P. jésuites ◀de▶ ◀l’▶Oiseau a cassé à coups ◀de▶ pierres un grand pot ◀de▶ terre ◀de▶ Bordeaux qui était dans une niche au-dessus ◀de▶ ◀la▶ porte ◀de▶ ◀la▶ chapelle ou tombeau ◀de▶ ◀l’▶Anglais dont je vous ai parlé. Je ne sais pour quel usage il y était, mais ◀les▶ Arabes n’ont pas trouvé cette action ◀de▶ leur goût. En effet, comme dit Bérénice dans Corneille le Jeune :
Aux zélés indiscrets tout paraît légitime
Peut-être si ◀les▶ autres avaient été en état ◀de▶ s’en venger ◀le▶ R. P. n’en serait pas bien sorti. En effet, ce n’est pas ◀le▶ lieu ◀de▶ sa mission et outre cela, c’est très mal se prendre à convertir ◀les▶ païens que ◀de▶ ◀les▶ brusquer d’abord, j’y étais et j’en peux répondre. Nous avions mis ce matin à ◀la▶ voile, mais faute de vent nous sommes obligés ◀de▶ mouiller à trois lieues ou environ ◀d’▶où nous sommes partis, crainte que ◀les▶ courants ne nous jouent quelque mauvais tour.
Du dimanche 2e. ou du lundi 3e, [juillet]
Je n’écrivis point hier, et quand vous aurez lu ce qui suit, vous voirez bien que mon empêchement était légitime. Nous [nous] partîmes hier matin ◀de▶ Moali où nous avions remouillé. ◀Le▶ vent était petit, mais sur ◀le▶ midi il affraîcha ; nous faisions route pour Amzuam où nous avions appris qu’il y avait trois Anglais. Nous arrivâmes au mouillage sur ◀les▶ cinq heures du soir, et aperçûmes un navire qui ne nous parut pas gros quoiqu’il ◀le▶ fût beaucoup : ◀la▶ terre ◀le▶ mangeait. ◀Le▶ vent cessait petit à petit. Notre amiral mit pavillon hollandais au grand mât et nous, nous mîmes même pavillon à poupe afin de ne point épouvanter ◀les▶ oiseaux. ◀Les▶ quatre autres navires ◀de▶ notre escadre étaient à plus ◀de▶ deux grandes lieues ◀de▶ nous. Pendant que nous avancions, nous voyions aller et venir de terre des chaloupes, mais il était impossible ◀de▶ ◀les▶ joindre. Notre amiral avait trop arrivé au vent, et nous nous ◀l’▶avions tenu : ainsi nous v[în] mes tomber au vent du vaisseau anglais qui nous parut grand pour lors. Nous mouillâmes sur sa bouée ◀d’▶ancre et lui demandâmes ◀d’▶où était ◀le▶ navire. Il nous répondit ◀de▶ Londres. Nous lui criâmes ◀d’▶envoyer à bord sa chaloupe, il répondit qu’il allait ◀l’▶envoyer, mais n’en faisant rien nous lui tirâmes notre bordée ◀de▶ canon. Nous n’étions pas éloignés l’un ◀de▶ l’autre ◀de▶ ◀la▶ portée ◀d’▶un pistolet, ainsi je vous donne à penser ◀le▶ fracas que nous lui fîmes. Tout son monde se mit à crier Miséricorde et Nous nous rendons. Nous criâmes Vive ◀le▶ Roi, mais nous nous trompions aussi bien que son équipage : nous n’avions ni l’un ni l’autre consulté ◀le▶ capitaine qui commandait ce navire. En effet si nous ◀l’▶avions attaqué vigoureusement il nous répondit de même. ◀La▶ mousqueterie cependant faisait feu ◀de▶ part et ◀d’▶autre, et nous n’entendions dans ◀l’▶air que ◀le▶ sifflage des boulets ◀de▶ canon et des balles ◀de▶ mousquet, nous fîmes feu continuellement sur lui et lui sur nous ◀La▶ mer était calme et unie comme une feuille ◀de▶ papier, et à tirer ◀de▶ si près à près, il est certain que l’un ◀de▶ nous aurait coulé l’autre à fond sur son ancre s’il n’avait pas coupé son câble. Il passa auprès de nous et notre feu continuait toujours, aussi bien que le sien. Nous ne pouvions nous distinguer à cause de ◀la▶ fumée que par ◀le▶ feu que nous faisions mutuellement l’un sur l’autre. Nous coupâmes notre câble comme lui ne voulant pas ◀le▶ quitter, mais comme il avait coupé le sien avant nous nous ne pûmes plus ◀le▶ rejoindre parce que ◀les▶ courants ◀l’▶avaient tellement drivé qu’il passa tout proche du Gaillard, et si proche que [que] leurs vergues se touchèrent. Notre amiral avait mis trois feux à poupe et un au beaupré, et nous afin de nous faire connaître en mîmes un aussi à poupe et l’autre au beaupré. Ils tirèrent l’un sur l’autre fort vigoureusement et tandis que nous tâchions à rejoindre ◀l’▶ennemi, nous entendîmes crier du côté de terre A moi. Français, à moi ! Monsieur de Porrières sachant que c’était un Français qui s’échappait du bord ◀de▶ ◀l’▶Anglais et qui s’était jeté à ◀la▶ nage envoya sa chaloupe au plus vite, et on ◀le▶ sauva à ◀la▶ voix. Nous apprîmes ◀de▶ lui lorsqu’il fut à bord que c’était un vaisseau anglais parti ◀de▶ Londres depuis plus ◀de▶ six mois ; qu’il allait de la part du prince d’Orange porter des nouvelles et des soldats à Bombay ; qu’il avait deux cent cinquante hommes dans son navire outre ◀les▶ malades qui étaient à terre et ceux qui étaient morts ; qu’il portait soixante pièces ◀de▶ canon, dont il y en avait cinquante-quatre ◀de▶ montées. Qu’il était chargé ◀de▶ draps ◀d’▶écarlate, ◀d’▶argent, ◀de▶ fer et ◀de▶ clous, et ◀de▶ vin qu’il avait pris aux Canaries ; que c’était un homme fort résolu qui ◀le▶ commandait dont il ignorait ◀le▶ nom, ◀les▶ Anglais n’appelant jamais leur capitaine par son nom, mais seulement Ser Capitan ; que ce capitaine avait dit que si nous étions français, il se ferait plutôt brûler que ◀de▶ se rendre ; et que ◀le▶ navire se nommait ◀le▶ Philippe Harbert. Monsieur Charmot qui a été dedans dit que c’était un navire ◀de▶ neuf cents tonneaux, et plus beau que ◀le▶ Florissant. Mais retournons trouver ◀le▶ Gaillard qui est aux mains avec lui. Ils se battaient, comme j’ai dit, fort vigoureusement à leur tour : nous y fûmes bientôt aussi. Je ne sais s’il nous craignait plus qu’aucun ou si c’était à cause que nous avions eu affaire avec lui le premier qu’il nous en voulait, mais il lira sur nous autant qu’il put, et nous sur lui. Cette seconde charge-ci fut aussi vivement poussée et soutenue que la première. Se voyant attaqué ◀de▶ deux navires en même temps, il fit ◀la▶ manœuvre ◀d’▶un homme habile, qui était ◀de▶ se mettre entre ◀le▶ Gaillard et nous, afin de nous empêcher ◀de▶ tirer, crainte ◀de▶ nous offenser l’un l’autre, et lui cependant faire feu ◀de▶ tous côtés. Cette manière ◀de▶ combattre tantôt contre ◀le▶ Gaillard et tantôt contre nous, qui dura environ deux heures, avec une bonne heure et demie que nous avions été attachés seul à seul, donna temps aux autres navires ◀de▶ nous joindre, lesquels comme je vous ai dit étaient au commencement ◀de▶ notre combat à plus ◀de▶ deux grandes lieues derrière nous, et ◀le▶ Florissant fut le premier qui parut sur ◀la▶ scène. Pour nous, nous ne fûmes plus alors que spectateurs du combat, et entendions ◀les▶ balles qui frappaient ◀les▶ navires ◀de▶ part et ◀d’▶autre ◀d’▶une cruelle force. Tout le monde admirait ◀l’▶opiniâtreté ◀de▶ cet homme qui avait reçu tant de coups sans être coulé à fond. ◀Le▶ vent était presque tout calme, ◀la▶ mer fort unie et personne ne tirait à coup perdu. ◀Les▶ courants ◀les▶ séparèrent et il alla tomber sous ◀le▶ feu du Lion qui se battit fort bien, mais ◀de▶ loin, n’étant pas assez fort pour ◀l’▶aller affronter ◀de▶ près. ◀L’▶Oiseau parut ensuite, qui ne pouvant aller faute de vent, se faisait touer par sa chaloupe. A tous venants beau jeu il fut reçu aussi gaillardement que ◀les▶ autres et chauffé à bouche que veux-tu. Nous tâchions à rejoindre ◀l’▶ennemi et allions ◀le▶ plus vite qu’il nous était possible lorsqu’il arriva à bord une chaloupe de la part de Monsieur Du Quesne pour nous dire ◀de▶ ne plus tirer ; que dans ◀l’▶obscurité qu’il faisait nous nous incommodions ◀les▶ uns ◀les▶ autres ; et qu’il fallait remettre ◀la▶ partie à ◀la▶ pointe du jour, et cependant observer ◀l’▶ennemi. On ne tira donc plus et on se contenta ◀de▶ ◀le▶ garder à vue. Soit dit en passant. ◀le▶ Gaillard raison car il s’était mépris et nous avait envoyé une bordée ◀de▶ canon et nous allions essuyer la seconde si Monsieur d’Auberville lieutenant n’eût reconnu que nous n’étions pas ◀l’▶Anglais, lequel employa terriblement ◀les▶ deux heures ◀de▶ repos qu’on lui donna, comme vous allez voir. Environ sur ◀les▶ deux heures après minuit il s’éleva un petit vent ◀de▶ Sud : il mit toutes voiles dehors afin de lâcher ◀d’▶échapper. Mais Monsieur de Porrières qui voulait lui donner ◀l’▶aubade le premier comme il lui avait donné ◀la▶ sérénade fit donner dessus, et comme ◀l’▶Ecueil va fort bien, nous ◀l’▶eûmes bientôt joint. Nous avions déjà cargué nos voiles pour faire jouer nos violons lorsqu’il tira sur nous et nous sur lui, nous entendîmes un grand bruit comme ◀de▶ mousqueterie dans son entre-deux-ponts dont il lut tout éclairé, et vîmes en un moment ce navire en feu. ◀Le▶ désespoir ◀de▶ se pouvoir défendre ◀l’▶avait obligé à se brûler lui-même ; nous vîmes éloigner ◀la▶ chaloupe dans laquelle il se sauvait, mais nous ◀la▶ perdîmes bientôt ◀de▶ vue. Nous nous éloignâmes ◀de▶ son vaisseau ◀le▶ plus vite qu’il nous fut possible crainte ◀de▶ quelque éclat qui aurait pu mettre ◀le▶ feu au nôtre. Quelle horreur ◀de▶ voir un navire en feu, en un moment ce ne fut que flamme. Quelle horreur ◀d’▶entendre ◀les▶ cris du reste ◀de▶ son équipage que ce malheureux avait abandonné à une mort certaine, quelle horreur ◀d’▶entendre ◀le▶ meuglement des bestiaux consommés tout en vie ! Ce navire fut plus ◀de▶ trois heures qu’il semblait un charbon ardent, ◀le▶ fer qui sort ◀de▶ ◀la▶ fournaise n’est pas plus éclatant. Je ne crois pas qu’on puisse voir au monde un spectacle plus horrible surtout lorsque ◀le▶ feu cul pris aux poudres ; il semblait un enfer vomissant feu et flamme contre ◀le▶ ciel, ◀l’▶air en fut tout en feu pendant plus ◀d’▶un quart d’heure, ensuite succéda une épaisse et noire fumée qui fut plus ◀de▶ demi-heure à se dissiper, après quoi nous ne vîmes plus rien ◀le▶ reste du navire étant coulé à fond. C’est ainsi qu’a péri ◀le▶ Philippe Harbert de Londres, un des plus beaux et des plus forts navires qui fussent à ◀la▶ mer, et cela par ◀l’▶intrépidité ◀de▶ son capitaine, digne assurément ◀d’▶une meilleure fortune s’il avait suivi ◀le▶ parti ◀de▶ son prince légitime, mais homme à jamais condamnable non seulement par sa rébellion, mais aussi par ◀la▶ cruauté qu’il a eue ◀d’▶abandonner aux flammes ◀les▶ mêmes hommes qui venaient de si bien seconder son courage ou son désespoir. Quelque peine qu’il puisse souffrir à Amzuam où il s’est retiré, il n’est point encore tant à plaindre que ◀la▶ femme ◀d’▶un ◀de▶ ses officiers qu’il avait laissée à terre avec deux enfants à elle, dont il y en a un à ◀la▶ mamelle. Je ne compte plus ◀les▶ matelots morts, mais ceux qui restent ne sont pas moins à plaindre et peut-être plus. Cette perte est fort considérable, ce navire était tout neuf et ce n’était ici que son second voyage : ◀le▶ corps seul du navire agréé et armé valait plus ◀de▶ deux cent mille écus, et il portait pour plus ◀de▶ quinze cent mille livres ◀de▶ marchandises outre ses provisions. Quoique ◀le▶ Roi ni ◀la▶ Compagnie ne profitent pas ◀de▶ sa perte, et qu’au contraire il nous ait fait beaucoup de mal, c’est toujours un très grand avantage pour nous non seulement ◀de▶ nous être défaits ◀d’▶un si rude ennemi qui dans ◀les▶ Indes nous aurait pu faire bien du mal s’il avait été secondé, mais aussi ◀de▶ ce que ◀les▶ Anglais ne recevront par cette voie ni secours ni nouvelles. Si ◀les▶ coups qu’il a reçus ◀de▶ nous ◀l’▶ont obligé à se brûler, ceux que nous avons reçus ◀de▶ lui donnent à présent du travail à nos charpentiers ; notre mât ◀de▶ civadière est percé ◀de▶ part en part, notre mât ◀d’▶artimon est coupé au tiers, toute notre mâture ◀de▶ rechange qui était élongée par ◀les▶ porte-haubans est absolument hors de service ; nous avons reçu trois coups à fleur ◀d’▶eau. ◀L’▶endroit où ◀le▶ navire est ◀le▶ plus incommodé est notre derrière. ◀Les▶ boulets ◀de▶ 18 livres ◀de▶ balle[s] qu’il nous a envoyés nous ont percé ◀de▶ part en part. Notre grande chambre est toute crevée aussi bien que celle ◀de▶ Monsieur Charmot. Nous avions mis dans la première tous nos bestiaux, bœufs, vaches, cabris et moutons au nombre de plus ◀de▶ six-vingts ; ◀la▶ boucherie en a été horrible, ◀les▶ entrailles percées et crevées ont envoyé ◀le▶ sang et ◀le▶ fien ◀de▶ tous côtés : c’était une puanteur horrible et un spectacle affreux. Grâce à Dieu nos seuls bestiaux ont payé ◀de▶ leur vie, et c’est un miracle tout particulier, ◀de▶ ce que dans un feu aussi rude que celui que nous avons essuyé nous n’ayons eu personne ◀de▶ tué. Bien est vrai que nous avons des blessés : Monsieur de Bouchetière notre lieutenant a reçu trois balles dans ◀la▶ jambe qui lui découvrent ◀l’▶os, un éclat au genouil, un autre au col et au visage, mais cela ne sera rien Dieu aidant. ◀Le▶ même caporal qui est venu avec moi à Moaly a deux doigts ◀de▶ ◀la▶ main droite coupés, voilà ◀les▶ plus blessés, ◀les▶ autres n’ont eu que quelques contusions ◀d’▶éclats ◀de▶ canon, moi-même en ai eu un au coude gauche. Tout le monde ici a bien fait son devoir : Monsieur Du Quesne nous a fait ◀la▶ grâce ◀de▶ dire à Monsieur de Porrières qu’il était content ◀de▶ nous et effectivement nous avons fait tout ce que nous pouvions humainement faire, et nous ne pouvions pas manquer en suivant ◀les▶ ordres ◀de▶ Monsieur de Porrières à qui est assurément dû tout ◀l’▶honneur que notre navire a pu acquérir ◀de▶ ◀l’▶action ◀d’▶aujourd’hui ; ◀les▶ officiers ayant pour eux celui ◀de▶ ◀la▶ ponctualité ◀de▶ ◀l’▶exécution. Entre ceux qui se sont ici ◀le▶ plus signalés après notre digne capitaine, il faut mettre Monsieur de Bouchetière notre lieutenant qui tout blessé qu’il était n’a pas voulu quitter son poste et a toujours fait sa fonction s’étant fait panser à trois reprises, et ayant plutôt obéi à ◀la▶ faiblesse que ses blessures lui causaient qu’à ◀la▶ nécessité qu’il avait ◀de▶ remèdes. ◀Le▶ petit Monsieur Le Mayer, fils ◀de▶ Monsieur Le Mayer directeur des affaires ◀de▶ Messieurs ◀de▶ ◀la▶ Compagnie à ◀l’▶Orient, qui n’a pas plus ◀de▶ treize ans et demi, n’a pas branlé ◀de▶ son poste, et a fait feu continuellement avec un fusil aussi lourd que lui, sans s’étonner du sifflement des balles et boulets. C’est un jeune homme ◀de▶ beaucoup de cœur, et quelque chose qu’on ait pu lui dire, se faisant une conscience ◀d’▶exposer un enfant ◀de▶ cet âge-là, on n’a jamais pu gagner sur son esprit ◀d’▶aller se mettre en sûreté dans ◀la▶ fosse du chirurgien. Vous vous étonnerez peut-être ◀de▶ ce que je vous rapporte tant de particularités, moi dont ◀le▶ poste naturel était dans ◀la▶ soute aux poudres, mais ◀le▶ maître-canonnier et moi étions ◀d’▶intelligence et Monsieur de Porrières a bien voulu que je visse pour la première fois tirer du canon à ◀la▶ mer autrement que pour ◀les▶ saluts. Il faut que ◀l’▶occasion ait été vigoureuse, puisque Monsieur le Commandeur lui-même qui n’en est pas à son apprentissage dit que nous nous sommes fort bien chauffés. Pour moi je n’avais jamais ouï pareille musique. ◀Le▶ Gaillard a eu sept hommes ◀de▶ tués et trois blessés ; ◀le▶ contre-maître du Florissant a été tué ; Monsieur du Quesne lui-même a été blessé ; c’est tout ce que je sais, et que Monsieur ◀le▶ chevalier ◀d’▶Haire élevant ◀le▶ bras pour faire quelque commandement a eu ◀la▶ manche ◀de▶ son justacorps emportée ◀d’▶un coup ◀de▶ canon. Nous avons tâché ce matin ◀de▶ rattraper ◀le▶ mouillage pour en retirer notre ancre, mais ◀l’▶armée étant à plus ◀de▶ trois lieues ◀de▶ nous sous ◀le▶ vent qui est bon, nous avons mieux aimé laisser notre ancre que ◀de▶ nous exposer à perdre ◀l’▶escadre. Nous avons tiré ◀de▶ notre seul navire quatre cent quatre-vingts coups ◀de▶ canon et avons été attachés avec ◀l’▶ennemi seul à seul plus ◀de▶ trois heures et demie, à deux reprises. Nous allons chercher ◀les▶ Maldives. ◀Le▶ vent est Sud et bon frais.
Du mardi 4e. [juillet]
Toujours même vent et nous n’allons pas mal. ◀L’▶agitation du combat, et ◀le▶ travail ◀d’▶hier, m’ont fait si bien dormir cette nuit que ma fièvre est fort diminuée et que je ne me sens plus ◀de▶ mon mal ◀de▶ côté. On tient ici pour constant que si ce navire avait pu se défendre plus longtemps et n’eût pas coulé bas, il ne se serait point brûlé.
Du mercredi 5e. [juillet]
Toujours même vent ◀de▶ Sud mais bien faible, nous étions à midi par onze degrés et demi, au sud ◀de▶ ◀la▶ Ligne.
Du jeudi 6. [juillet]
Toujours même vent ◀de▶ Sud, nous allons bien car il fait bon petit frais. Nous commençons à être faits à ◀la▶ chaleur, nous ne ◀la▶ trouvons plus si forte. Je n’ai point eu ◀de▶ fièvre aujourd’hui
Du vendredi 7 [juillet]
Monsieur Du Quesne a donné aujourd’hui à dîner, on en est retourné de bonne heure parce que ◀le▶ vent est bon. Il a reçu trente coups ◀de▶ canon mais moins dangereux que les nôtres. Il a sept hommes tués. ◀La▶ chambre du R. P Tachard a été sacrée aux boulets, aucun n’y a donné. Il n’en est pas de même ◀de▶ celle ◀de▶ Monsieur Charmot notre missionnaire, la sienne a été crevée. Je voudrais bien savoir pourquoi il a été plutôt incommodé que ◀le▶ Père Tachard ce n’est pas ◀la▶ sainteté qui en est cause, mais c’est que Dieu éprouve les siens quelquefois, et que ◀le▶ feu n’épargne rien.
Du samedi 8e. [juillet]
Toujours bon vent, nous allons bien grâce à Dieu. Nous ne sommes qu’à quatre degrés ◀de▶ ◀la▶ Ligne, deux jours de même nous ◀la▶ doublerons.
Du dimanche 9. [juillet]
Toujours bon vent : nous allons trouver quelque Anglais qui ne sera pas si diable que l’autre et qui souffrira que ◀les▶ chrétiens lui mettent ◀la▶ main dessus.
Du lundi 10. [juillet]
Toujours bon vent. ◀La▶ Ligne est doublée et nous ne voirons plus guière ◀le▶ soleil à ◀l’▶envers.
Du mardi XI. [juillet]
Toujours vent arrière : dans douze ou quinze jours au plus nous serons à Pondichéry lieu ◀de▶ notre destination si ce vent-ci continue à moins que nous ne trouvions sur ◀la▶ route ◀de▶ quoi jouer ◀de▶ ◀la▶ griffe, bien résolus ◀de▶ nous venger à la première occasion du point-n’en-tâte ◀d’▶Amzuam.
Du mercredi 12e. [juillet]
Bon vent. Nous étions à midi à soixante lieues ◀de▶ ◀la▶ Ligne vers Paris, mais il faudra retourner ◀d’▶où nous venons avant que de voir ◀les▶ clochers ◀de▶ Notre-Dame. En tout cas ce ne sera pas ◀les▶ mains vides, car j’ai appris que Monsieur Du Quesne est fort résolu ◀de▶ rester ici plutôt deux ans que ◀de▶ s’en retourner sans proie. Tant mieux chacun y aura part, et je ne suis pas assez sot pour m’oublier.
Du jeudi 13e. [juillet]
Que nous sommes heureux ◀d’▶avoir toujours bon vent, car outre qu’il nous avance, il modère ◀la▶ chaleur qui sans lui serait excessive. Nos matelots ne peuvent revenir ici ◀de▶ ◀l’▶Anglais ◀d’▶Amzuam : ils se mettent dans ◀la▶ tête que c’est un vol public qu’il leur a fait ◀de▶ ne s’être pas laissé prendre. Malheur à ◀l’▶Anglais qui leur tombera entre ◀les▶ mains il payera pour tout.
Du vendredi 14e. [juillet]
Toujours bon vent, nous sommes à cinq degrés ◀de▶ ◀la▶ Ligne et plus, nous allons à merveille. On dit ici et je crois qu’il est vrai que chemin faisant nous irons visiter ◀les▶ comptoirs que ◀les▶ Hollandais ont à ◀l’▶île de Ceylan : tant mieux si nous y trouvons quelque chose.
Du samedi 15. [juillet]
Toujours vent arrière. C’est un plaisir ◀d’▶aller comme nous allons au roulis près. Il achève ◀de▶ tuer nos bestiaux ◀de▶ Moaly que ◀l’▶Anglais avait épargnés et qui ne sont point accoutumés à être bercés.
Du dimanche 16. [juillet]
Nous étions à midi par six degrés 54 minutes au Nord de la Ligne et par 74 degrés 20 minutes ◀de▶ longitude : c’est-à-dire que nous allons toujours bien. J’avais résolu ◀de▶ ne vous point parler pilote, mais je ne m’en suis point souvenu. En effet à quoi sert à ceux qui lisent des relations ◀de▶ savoir où ◀les▶ navigateurs étaient en mer un tel jour, après que ◀le▶ voyage est achevé ?
Du lundi 17. [juillet]
◀Le▶ vent est toujours bon, nous allons à souhait, vers ◀le▶ passage des Maldives ◀le▶ plus au Nord ; il y en a un autre au Sud, un navire seul pourrait hasarder ◀d’▶y aller, mais Monsieur Du Quesne ne donne rien à ◀la▶ fortune. Il a raison : pour nous qui allons sous ses auspices, nous sommes en repos sur sa prudence et sa bonne conduite qui nous assurent.
Du mardi 18 [juillet]
Toujours bon vent ◀la▶ battologie m’en plaît. Nous roulons terriblement, mais nous allons bien.
Du mercredi 19e, [juillet]
Même vent et bon. Il a plu un peu cette nuit ; dans ◀la▶ chaleur où nous sommes quand ◀le▶ soleil donne sur nos cordages mouillés ◀de▶ ◀la▶ pluie, c’est autant ◀de▶ pourri.
Du jeudi 20e. [juillet]
Même chose excepté que nous n’allons pas si bien, car ces pluies-ci font calmer ◀le▶ vent.
Du vendredi 21. [juillet]
Il nous est mort cette nuit un matelot : ◀la▶ chaleur ne donne pas ◀le▶ temps ◀de▶ respirer, et lorsque ◀la▶ fièvre s’en mêle, ◀la▶ maladie ne dure guière. Afin de n’être point si incommodés au premier combat que nous rendrons que nous ◀l’▶avons été à Moaly et afin que notre entre-deux-ponts soit plus libre, on a fait jeter à bas ◀les▶ coffres ◀de▶ nos matelots. Il est inutile ◀de▶ nous prêcher ◀l’▶obéissance qui se pratique dans ◀les▶ couvents, elle n’est pas plus grande que celle qui s’observe à ◀la▶ mer, nos matelots ont eux-mêmes au premier commandement mis ◀la▶ hache dans leurs coffres. ◀Les▶ pauvres sont toujours à plaindre, ◀la▶ perte n’est jamais que pour eux, dans quelque état qu’on soit quand on est riche on se tire ◀d’▶affaires ; cela me fait dire avec Ovide :
Pauper ubique jacet
En effet ceux d’ici qui pourraient perdre avec ◀le▶ moins ◀d’▶incommodité ont tout conservé, on n’en dit pas même un mot. Il nous est mort un matelot comme je vous ai dit, et il en est tombé un autre du Gaillard à ◀la▶ mer. Ils travaillent beaucoup au hasard ◀de▶ leur vie, mal nourris en comparaison des ouvriers à terre, peu soignés et avec cela quelquefois bien battus. Sont-ils moins hommes que ceux qui leur commandent ? leur âme aussi bien que ◀la▶ leur est-elle pas un élixir ◀de▶ ◀la▶ divinité ? Que ceux qui sont nés bien pourvus des biens ◀de▶ fortune ont ◀de▶ grâces à rendre à Dieu ! Non fecit taliter omni nationi.
Du samedi 22e [juillet]
Il a un peu calmé ce matin, mais heureusement est revenu ce soir. ◀L’▶habitude est une seconde nature, je commence à être fait à ◀la▶ chaleur, je ne m’en trouve plus tant incommodé.
Du dimanche 23e, [juillet]
Monsieur Joyeux a régalé aujourd’hui. Tout y a été propre et magnifique surtout ◀le▶ dessert, tout le monde en est fort content.
Du lundi 24e. [juillet]
Toujours en joie, point ◀de▶ chagrin. Nous avons dîné chez Monsieur Du Quesne, dont ◀la▶ vue seule est un régal, ne témoignant que ◀de▶ ◀la▶ joie. C’est un très honnête homme, et qui fait fort bien tout ce qu’il fait. Comme ◀le▶ vent est bon, nous en sommes revenus de bonne heure. Nous avons vu ce soir six îles, et ce sont celles du nord des Maldives. Nous croyions en être fort éloignés dans ◀l’▶Est, mais ◀les▶ courants nous ont été apparemment contraires. Quoique nos pilotes soient aussi habiles qu’il puisse y en avoir au reste du monde, ils ont été surpris ◀de▶ ce revers qu’ils n’attendaient pas ; et en effet, ils ont donné assez ◀de▶ preuves ◀de▶ leur savoir pour qu’on soit sûr que ce ne soit pas une méprise faite par négligence ou par ignorance. Sur qui donc en faut-il rejeter ◀la▶ faute ? Il faut convenir que ◀la▶ navigation est établie sur des principes bien incertains, ou plutôt bien faux puisque ◀les▶ plus expérimentés en sont ◀la▶ dupe.
Du mardi 25. [juillet]
Toujours bon vent. Autre diable à confesser, nous avons vu une île ce matin, laquelle est-ce ? ◀Les▶ courants sont extraordinaires ou ◀les▶ cartes sont fausses, car il est certain que suivant ◀la▶ roule où nous avons présenté cette nuit, nous ne devions point en trouver ◀de▶ si proche sur ◀le▶ chemin. Où sommes-nous ? On n’ en sait rien, ◀les▶ pilotes sont partagés.
Du mercredi 26. [juillet]
Nous allons toujours vent arrière pendant ◀le▶ jour, mais bride en main ◀la▶ nuit, crainte ◀de▶ trouver en chemin ce que nous ne cherchons pas. Car ç’a été effectivement un grand bonheur ◀de▶ ce que nous vîmes lundi ◀les▶ Maldives ◀de▶ jour, car assurément deux heures plus tard nous donnions dessus à pleines voiles par ◀la▶ roule que nous tenions. J’en reviens toujours à mon avis, ◀la▶ prudence est plus nécessaire dans ◀la▶ navigation que ◀la▶ science. Nous faisons route pour aller trouver ◀la▶ pointe ◀de▶ ◀l’▶île de Ceylon qui regarde ◀le▶ plus ◀le▶ Sud.
Du jeudi 27. [juillet]
Nous avons fort bien été toute ◀la▶ journée, et nous allons fort bien encore, mais cette nuit nous n’irons pas si vite.
Du vendredi 28. [juillet]
Notre premier pilote jurait ce matin contre ◀les▶ courants et jurait en homme ◀de▶ mer, et se donnait à plus ◀de▶ diables qu’il n’y a ◀de▶ pommes en Normandie que sans ◀les▶ courants on voirait terre. Sa colère a tenu bon contre ◀les▶ pieuses exhortations ◀de▶ nos missionnaires, c’était ◀de▶ ◀l’▶huile sur ◀le▶ feu. Il avait raison, car sur ◀les▶ huit heures du matin, ◀l’▶Oiseau a mis pavillon à poupe qui est ◀le▶ signal ◀de▶ terre, et nous ◀l’▶avons vue un moment après ; ◀l’▶horizon était embrumé. C’est ◀l’▶île de Ceylon. Il est venu de terre deux chaloupes pour nous reconnaître, nous avons mis pavillon anglais pour ◀les▶ faire venir à bord. ◀L’▶appât était trop grossier, elles n’ont pas voulu y mordre, au contraire elles ont retourné à voile et à rames, on leur a donné cache, mais inutilement. Ils ont des signaux, desquels ils sont convenus, pour se reconnaître, et comme nous ne ◀les▶ savons pas, nous passerons toujours pour ce que nous sommes, et nos finesses seront cousues ◀de▶ fil blanc. On dit qu’on voit un navire mais bien loin. Tant pis, car on ne voit presque goutte. Il vaudrait mieux qu’il parût ◀le▶ matin, on aurait ◀la▶ journée à soi.
Du samedi 29. [juillet]
Grande joie à bord dès ◀le▶ matin. A la première pointe du jour, nous avons aperçu ◀le▶ même navire que nous vîmes hier au soir il ne se méfiait point ◀de▶ nous, car il aurait pu s’échapper parce que nous avons resté toute ◀la▶ nuit à ◀l’▶ancre. Nous lui avons donne cache : il a été mouiller dans une anse à une portée ◀de▶ fusil ◀de▶ terre. Il nous avait paru grand, il ◀l’▶était aussi ; on ◀le▶ croyait fort mais quand nous en avons été proche, nous avons vu que ce n’était qu’une flûte ◀de▶ peu de défense. Nous avons mouillé auprès à ◀la▶ portée du canon. Monsieur de Porrières y a envoyé son canot, et un moment après sa chaloupe, tous deux pour en prendre possession et empêcher sa chaloupe ◀de▶ gagner terre. ◀Le▶ canot y a été, mais lorsqu’il a été près de bord [sic] on a aperçu que Monsieur Du Quesne lui faisait signal pour ◀l’▶appeler. Il a été à bord de ◀l’▶amiral, et pendant ce temps ◀la▶ chaloupe ◀de▶ ◀l’▶Ecueil, commandée par Monsieur de La Chassée dont je vous ai parle ci-devant a enlevé celle ◀de▶ ce navire. Tous ◀les▶ Hollandais étaient fuis à terre où ils espéraient mettre en sûreté ◀l’▶argent qu’ils emportaient, mais se voyant vivement poursuivis, ils en avaient jeté une partie à ◀la▶ mer et abandonné ◀le▶ reste, qui a tout été pillé. Lorsque ◀le▶ canot a été à bord de ◀l’▶amiral, il a été commandé pour suivre Monsieur d’Auberville lieutenant ◀de▶ Monsieur Du Quesne. Ils sont arrivés à ◀la▶ flûte sans nulle résistance. Chacun s’est mis à piller : on ne voyait que coffres cassés, que porcelaine rompue, enfin toute ◀la▶ confusion et ◀le▶ désordre que ◀l’▶avarice et ◀l’▶avidité peuvent causer dans un navire pris ◀de▶ force. Je ne veux point parler des autres ; pour moi, ◀la▶ confusion même m’a rendu confus, et je n’y ai rien profité qu’un couteau et un mirouer qui peuvent bien valoir trente sols chacun au plus, et du reste je me suis fait un plaisir ◀de▶ regarder ◀les▶ autres. Cette flûte est de plus ◀de▶ quatre cents tonneaux et a douze petites pièces ◀de▶ canon : elle a été bâtie à Cerdam à une lieue ◀d’▶Amsterdam en Europe. Elle n’a que cinq ans, ayant été faite en 1684. Celui qui ◀la▶ commandait est un Hollandais, nommé Hiérosme Ricouart qui avait quatre-vingt-dix hommes ◀d’▶équipage, dont douze sont aux fers c’est-à-dire gens esclaves pour toute leur vie, lesquels ont gagné ◀la▶ corde à Batavie, et qu’on ne punit pas ◀de▶ mort afin d’avoir toujours des gens prêts pour servir ◀les▶ autres. Elle s’appelle ◀le▶ Monfort de Batavie, elle était chargée ◀de▶ riz qui est ◀la▶ provision qu’elle portait aux comptoirs ou habitations que ◀les▶ Hollandais ont à cette île de Ceylon à la vue de partie desquels elle a été prise. Elle avait quelques coffres ◀d’▶armes, beaucoup de médicaments pour ◀les▶ mêmes endroits, et beaucoup ◀d’▶argent pour payer ◀les▶ gens que ◀la▶ compagnie hollandaise y emploie. Je ne vous dit mot ◀de▶ ses richesses, ◀le▶ commissaire en a fait ◀l’▶inventaire sauf ◀le▶ droit ◀de▶ présence.
Du dimanche 30e. [juillet]
Nous avons resté toute ◀la▶ journée à ◀l’▶ancre et je n’ai point sorti ◀de▶ 1’Ecueil, Dieu merci.
Du lundi 31 [juillet]
Nous avons appareillé ce matin : on emmène ◀la▶ flûte à Pondichéry qui est ◀le▶ lieu où nous allons et où il n’y a que pour peu de temps ◀de▶ chemin. Nous avons ici trois Hollandais, dont l’un servait ◀de▶ ministre dans ◀la▶ flûte prise avant-hier. Il ne sait pas un mot ◀de▶ latin, cela me surprend, car ◀les▶ Hollandais sont naturellement studieux et surtout ceux qui sont destinés à ◀la▶ prédication ◀de▶ ◀l’▶évangile ◀de▶ Calvin. Il me paraît aussi beaucoup ivrogne, tant pis pour lui, il faudra qu’il soit sobre. ◀Les▶ autres sont ouvriers qui nous serviront, et gagneront leur pain. Nous avons donné trois Français pour faire partie ◀de▶ ◀l’▶équipage ◀de▶ cette flûte que nous emmenons. Dieu nous veuille donner des prises, J’en tirerai ma part, car assurément je n’aurai plus ni ◀la▶ tranquillité ni ◀l’▶obéissance hors ◀d’▶œuvre que j’ai eue pour ◀le▶ commissaire pendant que ◀les▶ autres faisaient leurs mains. Il m’avait promis un présent ; il ne ◀l’▶a pas fait, bien au contraire il m’a retenu avec lui et m’a fait travailler gratis. J’étais novice, je tâcherai à ne plus ◀l’▶être.
Août 1690
Du mardi premier août
Nous avons assez bien été toute ◀la▶ journée, et nous avons mouillé ce soir.
Du mercredi 2e[août]
Nous nous apercevons que ◀les▶ courants nous sont tout à fait contraires, et ◀de▶ peur qu’ils ne nous mènent où nous n’avons que faire nous avons encore mouillé ce soir.
Du jeudi 3e. [août]
Nous ne mouillerons plus parce que ceci est plein ◀de▶ roches ou ◀de▶ mauvaise tenue. ◀Les▶ courants nous ont emmenés à plus ◀d’▶une demi-lieue du reste ◀de▶ ◀l’▶escadre, et ◀le▶ Lion a perdu un ancre, son câble ayant été coupé sur ◀les▶ roches. Nous ne quittons point Ceilon ◀de▶ vue. Ce pays doit être bien malsain car il paraît toujours couvert ◀de▶ nuages et ainsi il doit y pleuvoir beaucoup. On dit communément que quand ◀le▶ vent vient de cette île on sent à plus ◀de▶ dix lieues au large ◀l’▶odeur ◀de▶ ◀la▶ cannelle dont elle abonde, pour nous nous n’en sentons rien moins. Il a calmé tout ce matin et ◀le▶ vent est revenu cette après-midi. Ce qui est bon à prendre est bon à rendre dit ◀le▶ proverbe. J’ai été à bord de ◀l’▶amiral où j’ai appris que Monsieur du Quesne avait ôté à son écrivain ce qu’il avait pris à ◀la▶ flûte. C’est bien fait car bien loin de piller un écrivain doit empêcher ◀le▶ pillage. Je suis à couvert ◀d’▶un pareil réméré, mais Monsieur Du Quesne dit que si je n’ai pas pillé j’ai fait autre chose ; il veut parler ◀de▶ son capitaine ◀d’▶armes sur qui j’ai mis ◀la▶ main. J’en suis fâché mais je n’en suis pas cause, s’il avait été moins insolent il ne porterait pas ◀de▶ mes marques.
Du vendredi 4e. [août]
Calme tout ◀le▶ jour, un peu de vent ce soir. Nous faisons très pauvre chère ◀les▶ jours maigres, et notre vin est aigre.
Du samedi 5e. [août]
C’est ◀l’▶ordinaire dans ces endroits-ci ◀de▶ calmer ◀le▶ matin et que ◀le▶ vent revienne ◀le▶ soir. Nous voyons des éclairs ◀de▶ tous côtés, ◀le▶ ciel est tout en feu. Nous aurons ◀de▶ ◀la▶ pluie, tant mieux elle adoucira ◀l’▶air étouffant que nous respirons.
Du dimanche 6e. [août]
Il a plu cette nuit pendant six heures au moins, ◀les▶ éclairs éclataient ◀de▶ tous ◀les▶ côtés. Je me suis baigné étant resté plus ◀d’▶une heure à ◀la▶ pluie ; je m’en étais bien trouvé je m’en trouve bien encore. Nous avons vu ce matin un navire, mais comme nous en étions fort éloignés, nous ◀l’▶avons cru gros et quand nous ◀l’▶avons eu approché nous avons connu que ce n’était qu’un engin ◀de▶ trente-cinq tonneaux. Monsieur Du Quesne lui a tiré un coup ◀de▶ canon, il a amené son pavillon hollandais et on ◀l’▶a emmené sans coup férir. C’est un des petits bâtiments qui servent aux Hollandais à aller ◀de▶ comptoir en comptoir le long de ◀la▶ côte porter et rapporter des marchandises et des nouvelles. Celui-ci venait de Trinquemalé à dix lieues d’ici et venait à Capello qui est justement ◀l’▶endroit où nous ◀l’▶avons pris à une lieue ◀de▶ terre ou environ. Il venait chercher du riz et du bois et était chargé ◀de▶ roches ; ils n’étaient que douze hommes dedans deux desquels sont à présent à bord, et nous avons donné deux Français à leur place pour emmener cet engin avec nous. Il va bien à ◀la▶ voile, et ces petits bâtiments-ci sont ◀d’▶un grand secours quand ce ne serait que pour porter et rapporter des nouvelles. Je vous écris ceci plutôt par ponctualité que pour ◀la▶ conséquence, ne valant pas ◀la▶ peine qu’on en parle. Ce qu’il y a ◀de▶ bon c’est que nous avons appris que le long de ◀la▶ côte ◀de▶ Coromandel où nous allons et où nous sommes presque il y a six gros navires hollandais bien chargés. Tant mieux nous donnerons des lettres ◀de▶ naturalité à quelques-uns ; Monsieur Du Quesne entend fort bien à franciser ◀les▶ étrangers et nous ne ◀l’▶en dédirons pas. Voici ◀le▶ plus vilain pays du monde, il pleut ◀de▶ ◀l’▶heure que je vous écris ◀d’▶une force extraordinaire, et ◀la▶ pluie n’est pas prête à finir suivant toutes ◀les▶ apparences. Il vente avec cela beau frais, mais Dieu merci, ◀le▶ vent est bon.
Du lundi 7. [août]
Nocte pluit tota, redeunt spectacula mane.
Il a fait toute ◀la▶ nuit un temps ◀de▶ diable mais vers ◀la▶ pointe du jour il s’est éclairci. ◀Les▶ courants nous ont été absolument contraires, nous avons reculé au lieu d’avancer, et comme ◀le▶ vent n’est point assez fort pour nous soutenir contre leur violence, nous avons mouillé cette nuit devant un endroit où ◀l’▶on voit ◀de▶ loin un grand bâtiment qui paraît neuf. On dit ici que c’est une pagode ou si vous voulez un temple des idolâtres, mais moi après ◀l’▶avoir observé autant que ◀la▶ distance des lieux ◀le▶ peut permettre, je crois que c’est un magasin hollandais nouvellement bâti.
Du mardi 8. [août]
Nous avons remis ce matin à ◀la▶ voile deux heures avant soleil levé, nous avons été toute ◀la▶ journée à une lieue ◀de▶ terre au plus, par ◀le▶ plus beau temps et ◀le▶ meilleur vent du monde. Nous avons passé devant une forteresse hollandaise nommée Trinquemalle Elle est sur ◀le▶ bord ◀de▶ ◀la▶ mer dans une péninsule, à ce qui m’a paru ; elle borde toute ◀la▶ terre qui forme ◀l’▶isthme, et bouche du côté de terre ◀le▶ chemin ◀de▶ ◀la▶ montagne qui ◀la▶ couvre du côté de ◀la▶ mer. ◀L’▶ouvrage m’en paraît régulier et neuf, bien flanqué et ◀les▶ bastions bien placés. Il faut passer sous son feu pour aller au mouillage, qui est ◀l’▶embouchure ◀de▶ ◀la▶ rivière qui vient de Candy, capitale ◀de▶ cette île de Ceilon et ◀la▶ résidence du Roi du pays. Monsieur Du Quesne dit que s’il était dans ce mouillage avec un vaisseau ◀de▶ cinquante pièces il en empêcherait ◀l’▶entrée à une armée royale ; aussi cela paraît-il extrêmement fort. Il y a été et je ◀l’▶en crois ; cependant ◀les▶ Français ont autrefois possédé cette terre et n’ont pu s’y conserver. Ils ont été obligés ◀de▶ ◀l’▶abandonner avec cinquante pièces ◀de▶ canon. ◀Les▶ Hollandais n’ont pas laissé échapper une si belle proie quand ils ont su que ◀les▶ Français ◀l’▶avaient quittée, ils s’y sont établis et y sont en état ◀de▶ s’y maintenir. Effectivement j’ai toujours ouï dire à ◀la▶ honte ◀de▶ ◀la▶ nation qu’elle est bonne pour tout entreprendre, mais a trop ◀de▶ volubilité pour rien achever. ◀La▶ terre est belle et unie, et on dit qu’elle est fort saine.
Du mercredi 9e, [août]
Si nous n’attrapons rien ce n’est pas notre faute car nous sommes fort bien intentionnés. Nous mouillâmes hier au soir afin de ne pas aller plus loin que ◀de▶ besoin. On disait, et cela peut être, qu’il y a une flûte à ◀l’▶entrée ◀de▶ ◀la▶ côte ◀de▶ Coromandel, et comme Monsieur Du Quesne voudrait ◀l’▶avoir, cela nous a empêché ◀d’▶aller cette nuit. Nous avons bien été toute ◀la▶ journée et sommes à présent mouillés à la vue de ◀la▶ côte, et si ◀le▶ temps était fin au lieu qu’il est embrumé, nous verrions cette flûte si elle y est effectivement et laquelle est cause que nous n’avançons pas. Nous ne sommes qu’à douze heures ◀de▶ chemin ◀de▶ Pondichéry, ainsi nous comptons y être demain. Il y a si longtemps que nous devons arriver que je n’ose plus rien assurer, Dieu veuille que notre retard nous soit profitable. J’ai à vous dire que Monsieur le Commandeur m’a fait un présent pour me dédommager du profit que je devais faire et que je n’ai pas fait à ◀la▶ flûte prise, non pas tel qu’il aurait voulu mais tel qu’il a pu, et j’estime infiniment plus ◀la▶ manière dont il me ◀l’▶a donné que ◀le▶ présent même. Je tâcherai à la première occasion ◀de▶ me rendre digne ◀d’▶un plus considérable. Ce n’est pourtant pas ma faute de n’avoir rien profité par moi-même.
Du jeudi 10e. [août]
Nous avons remis ce matin à ◀la▶ voile ◀de▶ fort bonne heure, et dès que ◀le▶ jour a été grand nous avons vu sept navires à ◀l’▶ancre.
Nous avons donné dessus, et nous espérions bien en prendre quelqu’un, nous nous trompions. En voici ◀la▶ raison. Ces navires étaient mouillés devant Négapatan, qui est le premier fort que ◀les▶ Hollandais ont sur cette côte, et étaient en sûreté sous son canon, excepté une flûte seule qui s’y est allé mettre lorsqu’elle a vu que nous tâchions ◀de▶ ◀l’▶approcher. Nous avons cru qu’elle s’était échouée, mais un quart d’heure après elle a reparu dans son mouvement ; elle avait simplement touché. Monsieur Du Quesne a fait venir à son bord tous ◀les▶ capitaines. Ils ont tenu conseil ensemble dont ◀le▶ résultat a été ◀de▶ poursuivre ◀la▶ route, et cela par plusieurs bonnes raisons qui sont que nous n’avons point ◀de▶ pilotes qui connaissent ◀le▶ havre ; que ces navires étaient mouillés sous ◀le▶ feu du fort, qui nous choisirait si nous approchions ◀de▶ ◀la▶ portée ◀de▶ son canon dont il a soixante-dix pièces ; et enfin que pour y aller, il fallait passer sur des basses où nous pourrions échouer ou toucher aussi bien que ◀la▶ flûte ; que si cela arrivait nous ne pourrions pas nous en relever comme elle parce que nos navires étant beaucoup plus forts et plus lourds tirent beaucoup plus ◀d’▶eau, outre que nous ne pourrions que très difficilement manœuvrer parce que ◀les▶ ennemis qui nous verraient dans ◀l’▶embarras ne manqueraient pas ◀de▶ nous fatiguer. En effet ◀la▶ terre est tellement basse ici que, quoique nous fussions fort éloignés ◀de▶ terre, nous n’avions sous nous que quatre brasses et demie ◀d’▶eau. Ce fort des Hollandais me paraît fort beau, et c’est un carré irrégulier, mais bien fortifié et bien situé. Nous avons vu autour de là plusieurs barques ◀de▶ noirs qui trafiquent le long de ◀la▶ côte, mais comme ce n’est point à eux que nous en voulons nous ne leur avons rien dit. Nous avons donc poursuivi notre route, et à cinq lieues ◀de▶ là au plus nous avons passé devant un autre fort grand et beau qui se nomme Trinquebar et qui appartient aux Danois. Il y avait trois ◀de▶ leurs navires mouillés devant, mais n’ayant rien à démêler avec eux nous ne nous sommes point arrêtés. Ce fort me paraît un pentagone régulier. ◀De▶ nos gens qui y ont été disent que ◀les▶ Danois y ont plus ◀de▶ cent pièces ◀de▶ canon et plus ◀de▶ huit cents hommes. Environ sur ◀les▶ cinq heures du soir nous avons découvert à terre un pavillon blanc qui nous a fait connaître qu’il y avait des Français. Pour lors nous avons serré ◀le▶ pavillon anglais que nous avions eu à poupe toute ◀la▶ journée, et leur avons montré même pavillon. Il est venu à bord un Français, nommé Monsr. Cordier par lequel nous avons appris que ◀l’▶endroit où nous sommes mouillés à présent, et où il est établi, se nomme Gigeripatan ; que c’est un nouvel établissement fait par Monsieur Martin directeur général du commerce ◀de▶ ◀la▶ Compagnie dans ◀les▶ Indes ; et qu’il n’y avait plus que seize lieues d’ici à Pondichéry. Nous avons appris aussi que ◀les▶ Français qui étaient à Siam sont heureusement revenus à Pondichéry et qu’il y avait à présent beaucoup de monde. Quand j’y serai, je vous en écrirai plus amplement. Cependant vous saurez toujours que ◀l’▶usurpateur du royaume ◀de▶ Siam qui avait fait mourir ◀le▶ Roi notre allié a été poignardé par ◀l’▶ambassadeur que celui-ci avait envoyé en France et qui était revenu, lequel s’est mis ◀la▶ couronne sur ◀la▶ tête. Cette nouvelle-ci nous réjouit tous parce que ce nouveau Roi qui a reçu en France plus ◀d’▶honneurs qu’il n’en était légitimement dû à son caractère traite favorablement ◀les▶ Français, ayant fait mettre en liberté dès ◀le▶ commencement ◀de▶ son règne tous ◀les▶ ecclésiastiques et Français qui avaient été mis aux fers et dont ◀les▶ prisons étaient pleines à son avènement à ◀la▶ couronne. Si sur ce pied-là Dieu lui donne un bon et heureux règne on peut justement espérer que ◀la▶ Religion et ◀les▶ Français y auront ◀le▶ même établissement qui leur avait été promis. Si tous ◀les▶ usurpateurs étaient aussi promptement punis que celui ◀de▶ Siam, ◀la▶ Chrétienté jouirait ◀d’▶une paix profonde et toute ◀la▶ terre ne serait pas partagée, comme elle ◀l’▶a été du temps ◀de▶ César et ◀de▶ Pompée, sur ◀les▶ intérêts du beau-père et du gendre. Nous avons encore appris que ◀les▶ Hollandais n’ont pas en tout deux cents Européans sur tous ◀les▶ navires qu’ils ont dans ces mers-ci : tant mieux nous en aurons meilleur marché.
Tempora labuntur tacitisque scenescimus annisMalheureux que je suis, j’en compte déjà trente
En effet c’est à pareil jour que je suis né, et que ma mère à ce qu’elle m’a dit plusieurs fois souffrit beaucoup pour rien qui vaille. Dieu me fasse plus honnête homme que par ◀le▶ passé.
Du vendredi 11e. [août]
Nous avons remis ce matin à ◀la▶ voile et sur ◀le▶ midi nous sommes passés à ◀la▶ vue ◀d’▶un endroit où il y a quatre pagodes l’une proche de l’autre. Nous avons vu Portenove où ◀les▶ Portugais ont un fort. Il y avait trois navires à ◀l’▶ancre qui ont arboré pavillon danois : nous ◀les▶ avons crus tels et avons poursuivi notre chemin sans leur faire plus au long décliner leur nom. Peut-être ce sont des ennemis. Quoi qu’il en soit, il n’y a guière ◀d’▶apparence qu’ils osassent se dire Danois à ◀la▶ vue des Portugais si ils en étaient connus pour anglais ou hollandais : ce serait une lâcheté dont l’une et l’autre nation est incapable ; outre que nous avons ici assez ◀d’▶ennemis sur ◀les▶ bras sans en aller encore chercher d’autres, étant une insulte que nous eussions faite aux Portugais ◀d’▶aller enlever à leur barbe des gens qui se seraient retirés dans leur rade. Cette terre-ci me paraît parfaitement belle, unie et plate et pleine ◀de▶ verdure. On ne voit ◀de▶ tous côtés que des pagodes ou temples ◀d’▶idoles. Ce malheureux peuple-ci est bien à plaindre et ◀le▶ diable y est bien puissant puisqu’il se fait adorer en plus ◀d’▶endroits que ne ◀l’▶est ◀le▶ vrai Dieu dans ◀les▶ endroits mêmes où ◀la▶ véritable religion est établie. Nous avons mouillé ce soir parce que ◀le▶ vent a calmé et ◀la▶ nuit est proche. Nous voyons Pondichéry et n’en sommes qu’à deux lieues.
Du samedi 12e. [août]
J’écris sur ◀les▶ dix heures du matin pour vous dire que nous sommes à ◀l’▶ancre devant Pondichéry. ◀L’▶endroit me paraît beau, mais je n’y vois point ◀de▶ fort. Quand j’aurai été à terre vous saurez comme celui qui y est fait, car si j’ai quelque temps à moi, j’en lèverai ◀le▶ plan. J’irai voir ◀les▶ pagodes et j’obéirai à ma curiosité ◀le▶ plus qu’il me sera possible. On nous a salué ◀de▶ neuf coups ◀de▶ canon, et Monsieur Du Quesne a rendu coup pour coup Nous avons chanté ◀le▶ Te Deum à ◀l’▶issue ◀de▶ ◀la▶ messe, Dieu veuille que nous en fassions autant en France avec autant ◀de▶ joie. ◀La▶ mer est couverte ◀de▶ nègres qui pèchent sur des rats-d’eau, n’étant que trois bûches jointes ensemble avec des cordes ◀de▶ bois. Ils nous apportent du poisson qu’on leur paye. Le premier qui est venu à bord avait amarré son rat à un anneau et était monté en haut. Soit par ◀la▶ malice ◀de▶ quelque matelot, soit que ◀la▶ corde ne valût rien, elle a cassé et ◀le▶ rat allait à vau-l’eau ; un Français aurait été étonné, mais ◀le▶ noir a pris son parti à l’instant même. Il s’est jeté à ◀la▶ nage ◀la▶ pipe à ◀la▶ bouche, laquelle ne s’est point éteinte, il a rejoint son rat et est revenu à bord. ◀La▶ manière délibérée dont il s’y est pris me fait déjà connaître que ce sont ici aussi bien que ◀les▶ sauvages ◀de▶ ◀l’▶Acadie des animaux qu’on peut nommer amphibies, c’est-à-dire moitié chair et moitié poisson.
Du jeudi 24e. [août]
Je ne vous ai point écrit depuis ◀le▶ 12e. du courant parce que j’ai toujours resté à terre, ou tellement occupé à bord que je n’ai pas eu un moment à moi, mais à présent que nous sommes à ◀la▶ voile, je vais vous écrire ◀d’▶un seul article tout ce qui me paraît et que j’ai appris ◀de▶ ce pays-ci.
Premièrement je vous ai dit vrai en vous disant que cette terre-ci est fort basse : ◀les▶ vaisseaux, faute de fond, mouillent à une demi-lieue, et ◀les▶ chaloupes ne peuvent point approcher ◀de▶ terre plus près qu’à une grande portée ◀de▶ fusil, parce que ◀la▶ mer brise tellement que ce serait vouloir se perdre absolument que ◀d’▶en approcher davantage. ◀Les▶ noirs du pays viennent prendre ceux qui y vont et ◀les▶ marchandises qu’on y porte dans ◀de▶ grands bateaux plats qu’on appelle chelingues qui sont faits ◀de▶ planches non pas clouées mais cousues ensemble avec des cordes ◀de▶ bois, et qui par conséquent font ◀de▶ ◀l’▶eau de toutes parts en si grande quantité, que j’ai pensé deux fois y être noyé étant une fois tombé à ◀la▶ mer. Je ne sais pas pourquoi ◀la▶ Compagnie n’y fait pas faire un quai, cela épargnerait ◀le▶ coût ◀de▶ ces chelingues et assurerait ◀la▶ vie des Français, et empêcherait que ◀les▶ marchandises ne fussent mouillées comme elles ◀le▶ sont presque toujours, ces chelingues étant si peu sûres qu’il faut qu’il y ait toujours deux hommes occupés à jeter ◀l’▶eau avec des seilleaux ◀de▶ cuir, un au gouvernail et six à nager, ainsi neuf hommes dans chacune dont ◀la▶ dépense serait épargnée. C’est ici du sable mouvant. On dit vulgairement qu’il est impossible ◀de▶ bâtir sur un fondement si peu solide, cependant ◀la▶ digue que ◀le▶ cardinal de Richelieu a fait faire à ◀La▶ Rochelle subsiste encore et il est certain que ◀la▶ chose n’est point impossible et qu’on réussirait si on ◀l’▶entreprenait, ◀le▶ pays fournissant tout ce qui serait nécessaire ; ◀la▶ dépense ne serait pas fort grande. C’est sur ◀le▶ bord ◀de▶ ◀la▶ mer qu’on met ◀les▶ barriques pour faire ◀de▶ ◀l’▶eau, et ce sont ◀les▶ femmes qui ◀les▶ emplissent. Elles vont quérir cette eau à deux puits qui sont à cent pas ou environ ◀de▶ ◀la▶ mer, et ◀l’▶apportent sur leur tête dans des pots ◀de▶ terre de même que ◀les▶ laitières apportent leur lait à Paris. ◀Le▶ fort est bâti à deux cents pas ◀de▶ ◀la▶ mer, des maisons et cabanes entre deux, qui empêchent qu’on ne puisse ◀le▶ discerner ◀de▶ ◀la▶ rade. Ce n’est qu’un carré barlong irrégulier, n’y ayant que quatre tours rondes, et qui par conséquent n’est point flanqué que du côté du jardin où il y a un bastion régulier. Il n’y a en tout que trente-deux pièces ◀de▶ canon ◀de▶ 4, ◀de▶ 6 et ◀de▶ 8 livres ◀de▶ balles, et ainsi ◀de▶ peu de défense et qui ne peuvent incommoder ◀les▶ vaisseaux qui seraient en rade. Il est seulement bâti pour mettre à couvert des entreprises que ◀les▶ ennemis pourraient faire du côté de terre. Mais ils n’ont rien à craindre, ni du côté de ◀la▶ mer ◀les▶ vaisseaux ne pouvant approcher, ni même ◀les▶ chaloupes aborder, ni du côté de terre étant sous ◀la▶ protection du roi du pays qui a défendu aux Anglaise aux Hollandais ◀de▶ leur faire aucun tort ni insulte. Ce fort parait neuf et ◀l’▶est aussi ; il est bâti ◀de▶ brique couverte ◀d’▶une espèce ◀de▶ chaux plus belle que celle que nous avons en France, et qui en vieillissant contracte une couleur vive et un éclat uniforme qui ◀la▶ ferait prendre pour du marbre blanc, ce que j’ai connu à ◀de▶ vieux réservoirs qui sont dans des maisons particulières ◀de▶ Français qui y sont établis. ◀Le▶ jardin est derrière ◀le▶ fort, bordé ◀d’▶un marais qui lui conserve son humidité. C’est proprement un potager bien entretenu, fort propre pour ◀le▶ pays mais une gueuserie pour ◀l’▶Europe. ◀Le▶ directeur et ◀les▶ principaux officiers logent dans ◀le▶ fort dont tous ◀les▶ bâtiments ne sont pas achevés, particulièrement ◀l’▶église des Capucins, qui y sont établis, et qui y font ◀les▶ cures parochiales. ◀Les▶ Capucins ont une autre église en dehors du fort, qui est fort propre mais basse et ressemble assez à ◀l’▶église ◀de▶ Sainte-Geneviève dessous terre qui est à Pans. Ces Pères ont fait bâtir cette église à ◀la▶ place ◀d’▶une maison qui leur avait été donnée par un nommé Mazeron, Maure ◀de▶ ◀la▶ côte ◀de▶ Malabar, lequel ces Pères avaient converti, et qui était marchand ◀de▶ ◀la▶ Compagnie. Comme elle est fort à ◀la▶ bienséance des Jésuites ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour s’en emparer, ◀d’▶autant plus qu’ils n’ont aucun établissement à Pondichéry. Mais les premiers se sont maintenus dans leur droit et ont fait faire une muraille tout autour qui enferme cette église, et ce n’est que par leur permission que ◀les▶ derniers y célèbrent ◀la▶ messe. Il y a quelques maisons françaises en dehors du fort, assez commodément bâties, mais ◀d’▶un seul étage, toutes enduites ◀de▶ ◀la▶ chaux dont je vous ai parlé, ce qui fait une vue assez agréable. ◀Les▶ maisons ou plutôt ◀les▶ cahutes des Noirs sont éparses ça et là sans aucun alignement, et ne sont autre chose que ◀de▶ ◀la▶ terre soutenue par des branches ◀d’▶arbres. ◀Les▶ Français y sont environ deux cents personnes officiers et soldats. On y fait garde ponctuelle comme en Europe. Ils y vivent fort chrétiennement, du moins ont-ils devant ◀les▶ yeux quantité ◀de▶ bons exemples, y ayant outre ◀les▶ Capucins, des Missionnaires et des Jésuites, et un frère Cordelier, enfin, autant ou plus ◀de▶ pasteurs qu’il n’en faut pour un si petit troupeau. Tous ◀les▶ officiers que j’ai vus me paraissent choisis, tous gens ◀d’▶esprit, ponctuels et intelligents. C’est ◀d’▶eux que nous avons appris qu’une partie ◀de▶ ce que ◀le▶ Sr. Cordier nous dit ◀le▶ dix du courant est faux ; que ce bruit avait couru, mais que ◀la▶ vérité est que ◀l’▶usurpateur Oprapitrachard est roi absolu, que ◀le▶ roi de Siam, notre allié, est mort ◀d’▶un genre ◀de▶ mort inconnu, que Monsieur Constance est mort dans ◀les▶ tourments aussi bien que sa femme et ses enfants qui ne lui ont survécu que huit jours. Que ◀les▶ catholiques sont toujours persécutés particulièrement ◀les▶ Missionnaires qui sont toujours aux fers, et qui souffrent des tourments que Phalaris et Busiris son ingénieur n’auraient jamais inventés, surtout un nommé Monsieur Poquet qui est forcé toutes ◀les▶ nuits plus ◀de▶ vingt fois à lécher avec ◀la▶ langue ◀les▶ parties ◀d’▶un infâme bourreau que ◀la▶ bienséance défend ◀de▶ nommer. ◀Les▶ autres au nombre ◀de▶ quatorze ne sont pas traités plus favorablement, leurs écoliers et leurs élèves dispersés, enfin toute ◀la▶ religion en pitoyable état et véritablement militante. Monsieur de l’Estrille capitaine ◀de▶ vaisseau du Roi en a porté ◀la▶ relation en France, et ne doutant pas que vous ne ◀l’▶ayez vue je ne vous en ferai pas un plus ample détail. ◀Les▶ Anglais n’y ont pas mieux été traités que ◀les▶ Français. ◀Les▶ R. P. Jésuites seuls y ont été à couvert ◀de▶ ◀la▶ persécution, et leur politique y a si bien réussi que bien loin ◀d’▶y avoir été tourmentés on leur a donné à chacun cinquante écus pour se retirer ; sur quoi on dit assez, plaisamment que ce nouveau roi de Siam ne connaît guère son monde, ◀de▶ prétendre se défaire des missionnaires à force de tourments, et des Jésuites par ◀de▶ ◀l’▶argent ; que c’est bien plutôt ◀le▶ véritable moyen ◀de▶ ◀les▶ y attirer ◀les▶ uns et ◀les▶ autres, puisque chacun y trouvera ce qu’il cherche. Encore dit-on qu’il pourrait réussir à l’égard des Jésuites si ◀l’▶argent ◀de▶ Siam portait ◀la▶ croix, mais il ne représente que des figures ◀de▶ diables, et c’est justement ce que ◀les▶ Jésuites cherchent et dont ils veulent défaire ◀les▶ idolâtres. On en fait cent petits contes ◀de▶ pareille nature qui valent mieux dans ◀le▶ discours que sur ◀le▶ papier. Quoi qu’il en soit ◀le▶ R. P.Tachard ne veut point aller demander au roi régnant ◀la▶ confirmation du caractère ◀d’▶ambassadeur ◀de▶ Siam en France dont ◀le▶ défunt ◀l’▶avait revêtu, et son voyage ◀de▶ Siam est fait et sa légation imparfaite si ◀les▶ choses ne changent ◀de▶ nature. Monsieur Channot revient avec nous, mais il est certain que ◀le▶ regret ◀d’▶abandonner aux tourments ◀de▶ nouveaux convertis sans pouvoir ◀les▶ secourir ni ◀les▶ fortifier dans leur foi, peut-être encore chancelante, lui a tiré et lui tire encore des larmes des yeux. En effet si son zèle ◀le▶ portait à tout braver pour ◀l’▶amour ◀de▶ Dieu, ◀l’▶intérêt ◀de▶ ◀la▶ Mission ◀le▶ rappelle en France, et c’est à quoi il obéit.
Il est temps ◀de▶ retourner à Pondichéry et ◀de▶ vous dire ce qui reste. Il y a des Français qui y sont mariés avec des filles portugaises qui ne sont pas tout à fait noires, mais qui sont ce que nous appelons à Paris mulâtres et qu’on nomme ici métis. Il ne me paraît pas qu’il croisse rien du tout dans ce pays que du riz et des herbes potagères. Ils ont des poules comme celles ◀de▶ France, mais il y en a aussi ◀d’▶une certaine espèce dont ◀le▶ sang, ◀les▶ os et ◀la▶ chair sont noirs comme ◀de▶ ◀l’▶encre, et ce sont celles qui sont ◀de▶ meilleur goût, ◀les▶ autres étant insipides et couriaces. Leurs canards sont assez bons et gras, leurs cochons sont fort petits et ◀d’▶assez bon goût, et c’est ce qu’ils ont ◀de▶ meilleur. Leur mouton n’y vaut rien du tout, et n’est pas même fait comme les nôtres si ce n’est par ◀la▶ tête et ◀les▶ jambes ; ◀le▶ poil ◀de▶ tonsure en est comme celle des chèvres ◀de▶ France ; on jette ◀le▶ tête ◀de▶ cet animal parce qu’elle est pleine ◀de▶ vers, ◀le▶ reste est bon pour des matelots à qui tout est propre ; ◀la▶ chair en est longue, mollasse et sans goût. J’y ai vu des bœufs, mais je n’en y ai point mangé et je crois qu’ils n’en abattent que rarement. J’ai vu ◀de▶ fort beaux chevaux qui appartiennent à ◀la▶ Compagnie, petits effectivement mais bien faits et portant ◀le▶ feu à toutes ◀les▶ extrémités, ◀l’▶étoile nette, ◀la▶ tête haute et petite, et bien courjointés. J’ai vu aussi des bœufs qui servent à traîner ◀le▶ carrosse du Directeur et en font ◀l’▶attelage : ils sont ◀de▶ Surate côte ◀de▶ Malbare. Vous ne sauriez vous imaginer leur grosseur ; ils ont neuf pieds et demi ◀de▶ haut jusques à ◀la▶ croupe, leur tête élevée ◀de▶ dix pieds et plus, ◀les▶ cornes grandes, larges et plates, et pour leur servir ◀de▶ bride on leur passe une corde entre ◀les▶ deux narines et ce sont des Noirs qui ◀les▶ gouvernent. Ces sortes ◀d’▶attelage sont communs dam cette côte et celle ◀de▶ Malbare, et je crois que cela pare un carrosse beaucoup plus que des chevaux. Quand ◀le▶ Directeur va quelque part en pompe, il ne va qu’avec un nombreux cortège ◀de▶ pions, ou si vous voulez ◀de▶ valets noirs, qui lui servent ◀de▶ gardes et ◀d’▶estafiers, outre ◀les▶ Français qui ◀l’▶accompagnent, et quand même il ne sortirait pas du tort, il y a toujours plusieurs Noirs à sa suite dont il y en a un qui lui tient un parasol élevé d’abord qu’il se présente à ◀l’▶air et au soleil. ◀Le▶ seul Directeur n’a pas ce train, ◀les▶ autres officiers en ont aussi à proportion ◀de▶ leur rang, et il est ◀de▶ ◀la▶ dignité ◀de▶ ◀la▶ Compagnie ◀de▶ ◀l’▶augmenter bien loin de ◀le▶ diminuer, ◀les▶ Orientaux ne jugeant ◀de▶ tout que sur ◀l’▶éclat et ◀l’▶apparence. Il y avait table ouverte à ◀la▶ loge ou maison du Directeur : j’y ai mangé plusieurs fois. Tout y est très proprement servi en vaisselle ◀d’▶argent, mais avec une grande frugalité. ◀Le▶ directeur se nomme Monsieur Martin, Parisien à ce qu’on m’a dit, je ne sais ◀de▶ quelle famille. Il peut avoir quelque cinquante-six ou cinquante-huit ans, homme ◀d’▶ordre, bon sujet ◀de▶ ◀la▶ Compagnie, honnête, affable, tenant tout son monde dans ◀le▶ devoir, sachant se faire obéir, et aussi bon soldat que bon marchand. Tout le monde s’en loue, et personne n’en dit ◀de▶ mal. Madame ◀la▶ directrice sa femme nie paraît avoir été une très belle femme. Elle sait son monde, et deux conversations particulières que j’ai eues avec elle m’ont fait connaître qu’elle a infiniment ◀d’▶esprit. Elle peut avoir quelque quarante-cinq à quarante-huit ans, elle est bien faite et ◀d’▶une très grande blancheur, et a encore ◀la▶ gorge fort belle et ◀le▶ port fort majestueux.
◀Le▶ trafic d’ici consiste en toile, poivre et autres marchandises qui viennent de Bengale où nous allons. ◀La▶ mer y est pleine ◀de▶ poissons, et ◀la▶ terre ne produit point ou peu de bêtes venimeuses, mais bien des animaux inconnus dans notre Europe. Lorsque nous étions au fort on y avait apporté une espèce ◀d’▶insecte dont on n’avait jamais vu ◀de▶ pareil. Il était attaché au milieu de ◀la▶ cour en vie. Il avait ◀la▶ tête faite comme un lézard, ◀les▶ pieds comme ceux ◀d’▶un crocodile, ◀le▶ corps couvert ◀d’▶écailles dures, larges ◀de▶ deux pouces, ◀la▶ queue comme celle ◀d’▶une écrevisse, et lorsqu’il était retiré en lui il ressemblait parfaitement à un escargot dont on aurait cassé ◀la▶ coque. Il pouvait avoir environ trois pieds et demi ou quatre pieds ◀de▶ longueur. Je ne me souviens plus du nom qu’on lui donnait ; avant que de sortir du fort je vous dirai qu’outre ◀le▶ corps de garde qui est à ◀la▶ grande porte, il y en a un autre à ◀la▶ maison du Directeur et des sentinelles posées à ◀la▶ maison du trésorier, et aux magasins. Enfin tout est réglé et si bien exécuté qu’il n’y manque rien ◀de▶ ce qui se pratique dans une place ◀de▶ guerre. Monsieur Martin directeur qui est lui-même gouverneur a mis ◀les▶ choses sur ◀le▶ pied qu’elles sont et par là vous pouvez voir que c’est un homme ◀de▶ mérite et propre aux armes comme à ◀la▶ plume.
Pour ◀les▶ habitants naturels du pays il faut ◀les▶ diviser en trois classes. La première des Gentils qui commandent aux autres, la seconde des Maures qui sont mahométans et sont circoncis, la troisième des Noirs ou esclaves qui sont circoncis aussi et qui suivent pourtant ◀la▶ religion des Gentils qui leur commandent à baguette. Mais parlons ◀de▶ tout séparément.
[Gentils rubrique marginale] Pour ce qui est des Gentils on ne fait point ◀d’▶autre mystère, lorsqu’ils sont nés, que ◀de▶ ◀les▶ porter dans une pagode ou temple ◀d’▶idoles où on ◀les▶ lave dans ◀de▶ ◀l’▶eau telle qu’on ◀la▶ trouve. Pour leur mariage ◀les▶ pères et mères amènent chacun ◀de▶ son côté ◀les▶ accordés qui ne se connaissent point, ◀les▶ filles ne sortant jamais ◀de▶ ◀la▶ case. On ◀les▶ fait toucher dans ◀la▶ main l’un ◀de▶ l’autre, ils se donnent du riz mutuellement, après quoi un bramène leur fait quelque discours et ◀les▶ reconduit jusques à ◀la▶ porte ◀de▶ ◀la▶ pagode. ◀Le▶ marié prend ◀la▶ mariée sous ◀le▶ bras comme pour ◀la▶ soutenir, ◀l’▶emmène chez lui et y régale ◀les▶ parents et amis pendant trois jours. Il faut savoir que par parents et amis j’entends ◀les▶ gens de même famille qu’ils appellent castes* ne leur étant pas permis ◀de▶ s’allier dans une autre ; et ainsi ils sont distingués entre eux par familles de même que ◀les▶ Juifs par tribus. ◀Le▶ cours ◀de▶ ◀la▶ vie ◀de▶ ces gens-ci est assez aisé ne faisant que commander, et c’est avec eux que ◀les▶ Européens font leur négoce. Ils ne travaillent point car ils dégénéreraient, ils font seulement travailler ◀les▶ autres. C’est dans cette première classe qu’il y a des bramènes ou prêtres ◀de▶ leurs idoles. Quand ils meurent on ◀les▶ brûle. J’ai vu un corps brûlé à cinq ou six cents pas du fort. Il y avait deux pots ◀de▶ terre auprès du feu dont l’un était plein ◀de▶ riz et l’autre ◀d’▶eau : Je ◀les▶ ai cassés tous deux ; ces misérables s’imaginent que ◀les▶ morts y viennent manger et boire, et c’est pour cela qu’ils y laissent cette provision. ◀Le▶ corps était tout à fait consommé, si ce n’était un reste ◀de▶ ◀l’▶épine du dos et ◀le▶ crâne qui ne ◀l’▶étaient point encore ; ◀le▶ feu était fort ardent, fait dans une fosse ◀d’▶un bon pied ◀de▶ profondeur, et il n’y avait qui que ce soit auprès, ◀de▶ peur sans doute ◀d’▶empêcher ◀le▶ défunt ◀de▶ venir souper. Pour leurs filles ou femmes on ne ◀les▶ voit point. ◀Les▶ femmes du commun peuvent se remarier, ou vivre dans ◀le▶ célibat après ◀la▶ mort ◀de▶ leurs maris, mais ◀les▶ femmes des bramènes, à moins que ◀de▶ vouloir perdre leur réputation, sont obligées ◀de▶ se brûler dans ◀le▶ même feu qui consomme ◀le▶ cadavre. Je n’ai point vu celui-ci, mais ◀l’▶ayant oui dire par plusieurs Français qui ◀l’▶ont vu, je ne fais point ◀de▶ difficulté ◀de▶ vous ◀le▶ donner pour vrai, et voici ◀la▶ manière dont cela se pratique.
Premièrement il ne faut pas que ◀la▶ femme pleure, car si elle versait une larme, elle serait indigne ◀d’▶aller se joindre à un esprit bienheureux. Secondement il faut que, dès ◀le▶ moment ◀de▶ ◀la▶ mort ◀de▶ son mari, elle déclare qu’elle veut se brûler avec lui, et qu’elle en avertisse un des bramènes des plus anciens qui est celui qui fait ou doit faire ◀la▶ cérémonie. Troisièmement il faut qu’elle persévère, lui étant libre ◀de▶ se dédire quand elle ◀le▶ veut. Pour ◀le▶ reste je vais vous rapporter mot pour mot ◀le▶ récit qu’un Français, qui en a été spectateur, m’en a fait.
Il y a environ quatre mois au plus, m’a-t-il dit, que quatre Français officiers que nous étions sans notre suite, arrivâmes à un village où nous apprîmes qu’il y avait un bramène mort qui devait être brûlé ◀le▶ jour même, et que sa femme devait se brûler avec lui. ◀L’▶envie nous prit ◀de▶ voir cette cérémonie, et voici comme elle se fit. ◀L’▶on porta ◀le▶ corps dans un champ environ à cent pas ◀de▶ ◀la▶ maison où il était mort. Il était assis dans une espèce ◀de▶ chaire fort bien couvert ; on lui fit faire trois tours autour ◀d’▶un amas ou foyer ◀de▶ bois élevé environ ◀de▶ deux pieds ◀de▶ terre, on ◀l’▶y coucha ◀de▶ son long. ◀Les▶ bramènes firent ensuite trois autres tours en jetant des heurlements effroyables, et enfin se rangèrent autour du corps. ◀La▶ femme parut ensuite vêtue ◀de▶ ses plus beaux ornements, pleine ◀de▶ colliers et ◀de▶ bracelets et enfin parée comme si elle allait à sa noce, et non pas à ses funérailles. Elle était âgée ◀de▶ vingt-six ou vingt-sept ans ; elle avait ◀le▶ visage riant, ◀la▶ démarche assurée, et rien ne témoignait dans sa personne que ◀le▶ supplice qu’elle allait endurer lui fit aucune horreur. Elle était accompagnée ◀de▶ plusieurs femmes et filles et suivie ◀de▶ plusieurs bramènes qui tous ◀l’▶exhortaient à braver une mort passagère pour aller retrouver un homme au bonheur duquel elle devait participer ; on lui fit faire trois toursautour ◀de▶ ce lit funeste où ◀le▶ corps ◀de▶ son mari était étendu. On lui demanda autant ◀de▶ fois si elle voulait effectivement se brûler avec lui : elle répondit toujours oui avec beaucoup de résolution Nous à qui un pareil spectacle faisait horreur, lui dîmes que si c’était ◀la▶ pauvreté qui ◀l’▶obligeait à se faire mourir, nous lui promettions ◀de▶ ◀l’▶en mettre à couvert ; nous lui promîmes ◀d’▶avoir soin ◀d’▶elle, et ◀de▶ ◀la▶ mettre dans un état à ne rien désirer pour sa vie et à ne rien craindre pour sa réputation, nous fîmes enfin tout ce que nous pûmes pour lui faire changer ◀de▶ résolution, car effectivement, elle nous faisait pitié. Elle était fort belle, blanche comme ◀les▶ Françaises, parfaitement bien faite et jeune, mais notre peine fut inutile, sa constance alla jusques au bout ; elle monta sur ◀le▶ bûcher, baisa et embrassa ◀le▶ cadavre ◀de▶ son mari, se releva, donna aux filles et aux femmes qui ◀l’▶avaient accompagnée ses vêtements, ses colliers, ses bracelets et enfin tout ce qu’elle avait, excepté une paigne ou pièce ◀de▶ toile qui ◀la▶ couvrait depuis ◀le▶ nombril jusques aux genouils ; ensuite elle s’assit auprès du corps du mort, ◀le▶ prit par ◀la▶ tête, qu’elle nul dans son giron ; ensuite ◀de▶ quoi, un bramène, funeste exécuteur ◀d’▶une si cruelle exécution, lui lia ◀le▶ bras droit avec celui du mort, et se retira ; après quoi, on ◀les▶ couvrit tous deux ◀de▶ bois, sur lequel on jeta ◀de▶ ◀l’▶huile et ◀d’▶autre matière combustible, en laissant toutefois une ouverture du côté du soleil couchant, par laquelle on pouvait voir tout ◀le▶ corps ◀de▶ cette femme et ◀la▶ tête ◀de▶ son mari dans son giron, elle étant assise sur son séant, après quoi ◀les▶ bramènes mirent ◀le▶ feu au bûcher. Mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que quoique ◀le▶ feu fût plus ◀d’▶un gros quart d’heure avant que ◀d’▶être assez fort pour étouffer cette femme, et qu’elle fût tout ce temps-là dans ◀les▶ douleurs qu’un petit feu peut causer et qu’il est facile ◀de▶ s’imaginer, elle ne changea jamais ◀de▶ situation, et ne donna jamais ◀la▶ moindre marque ◀d’▶impatience. Voilà Monsieur ce qui m’a été bien certifié, et si ◀l’▶on obligeait en Europe ◀les▶ femmes à se brûler après ◀la▶ mort ◀de▶ leurs maris on n’entendrait point tant parler ◀de▶ morts subites. Il est pourtant faux ce que disent toutes ◀les▶ relations des voyageurs, que c’est un roi qui ordonna que ◀les▶ femmes se brûleraient avec ◀le▶ cadavre, et cela, disent-ils, parce que ◀les▶ femmes empoisonnaient leurs maris. Je m’en suis informé à fond comme vous verrez bientôt, et cela est absolument faux, car outre que cette loi n’aurait pas été faite pour ◀les▶ femmes des bramènes seules, ◀les▶ autres hommes mourant aussi dru, si j’ose me servir ◀de▶ ce terme, c’est qu’il n’y a que ◀les▶ bramènes seuls que ces malheureux-ci croient saints, et qu’il n’y a que leurs femmes seules qui se font un point ◀d’▶honneur et ◀de▶ religion ◀d’▶aller prendre part à leur béatitude, après avoir partagé ensemble ◀les▶ malheurs qui accompagnent ◀la▶ vie mortelle.
[Mores rubrique marginale] Pour ce qui est des Maures, ils suivent ◀la▶ religion ◀de▶ Mahomet et autant que j’en ai pu savoir c’est ◀la▶ secte ◀de▶ Hali, sans doute à cause de ◀la▶ proximité ◀de▶ ◀la▶ Perse. Ils brûlent aussi ◀les▶ corps morts, et leur religion est tellement confuse qu’ils ne peuvent pas ◀la▶ débrouiller eux-mêmes.
[Noirs ou esclaves rubrique marginale] Pour ce qui est des noirs ou esclaves, ◀le▶ terme porte leur condition ; en effet il n’y a qui que ce soit au monde plus malheureux qu’eux. Ils obéissent aux autres avec une humiliation inconcevable, ce sont eux qui servent ◀de▶ pions ou ◀de▶ valets, tant aux autres noirs qu’aux Européens. Pour une roupie qui est trente sols ◀de▶ notre monnaie, on en a un pour un mois qui s’entretient, se nourrit, et sert avec une fidélité exacte. Ceux qui travaillent au fort sont payés, ◀les▶ uns plus et ◀les▶ autres moins, et il y en a tel qui ne gagne que deux doudous ou deux liards ◀de▶ notre monnaie par jour, et qui ne laissent pas ◀de▶ se nourrir. Ces malheureux vendent leurs enfants à qui ◀les▶ veut acheter. Dieu permet sans doute ce peu ◀d’▶attachement pour leur sang afin que ces enfants en passant par ◀les▶ mains des chrétiens soient éclairés ◀de▶ ◀la▶ lumière ◀de▶ son Evangile ; peut-être est-ce aussi qu’ils ne sont pas sûrs que ces enfants soient à eux, car leurs femmes sont communes à tous ◀les▶ autres Gentils ou Maures, et c’est dans leur ordre que se prennent ◀les▶ filles ◀de▶ mauvaise vie dès ◀l’▶âge ◀de▶ douze ans. Par toute ◀l’▶Europe, ce sont ◀les▶ femmes qui sont marchandes en gros ◀de▶ filles faciles ; ici ce sont ◀les▶ hommes qui font cet infâme commerce, et il n’y a aucun ◀d’▶eux qui pour une roupie ne prostitue sa fille, sa femme ou sa sœur, qui ◀de▶ leur côté se donnent très volontiers aux blancs ou Européens. Je ne croyais pas que cet abandon allât jusques à cet excès, mais je ◀l’▶ai vu et je ◀le▶ crois, et si je n’appréhendais ◀de▶ vous offenser, je vous dirais des choses que vous ne croiriez pas. Ne me soupçonnez pas surtout, vous feriez un jugement téméraire, ◀la▶ seule curiosité m’y a porté, mes yeux ont vu, mes mains ont touché, mon esprit s’est contenté et c’est tout. Si elles avaient été blanches peut-être y en eût-il eu davantage, mais elles sont noires et trop emportées, et ainsi n’ont aucun agrément pour un homme ◀de▶ bon sens et aussi rebuté des femmes que je ◀le▶ suis, ◀de▶ qui vous savez que je n’ai pas lieu ◀d’▶être content. Pardonnez-moi cette digression, et revenons à nos Noirs, qui sont plus malheureux qu’on ne peut ◀le▶ dire, et ce sont eux qui véritablement se ressentent encore ◀de▶ ◀la▶ malédiction que Noé donna à Cham, l’un ◀de▶ ses enfants, duquel on tient qu’ils sont descendus. Ils n’ont pour tout vêtement qu’une corde qui leur ceintre ◀le▶ ventre, où est attaché un méchant morceau ◀de▶ linge qui cache simplement ce que ◀la▶ pudeur défend ◀de▶ laisser voir et qui se retrousse sur ◀le▶ derrière. ◀Les▶ Gentils et Maures sont couverts ◀de▶ fort belles toiles indiennes et ont comme des jupes qui leur descendent jusques aux talons ; ◀la▶ tête couverte ◀de▶ bonnets, et des agrafes ou boucles ◀d’▶or à leurs oreilles. Pour souliers une simple semelle qui n’a qu’une courroie qui passe sur ◀le▶ cou du pied et s’attache au derrière, et au devant un bouton qui passe entre ◀le▶ gros doigt du pied et le second. Cette chaussure est commune aux Portugaises qui sont ici avec ◀les▶ Français qu’elles ont épousés, mais puisque ◀l’▶occasion revient ◀d’▶en parler, je ne puis m’empêcher ◀de▶ vous dire que ce sont ◀de▶ très dégoûtantes madames : il semble qu’elles aient toujours une dent cassée et ◀la▶ bouche pleine ◀de▶ sang, à cause de leur bétel et arec qu’elles mâchent incessamment et crachent à tout moment. Faut avoir bien envie ◀de▶ se marier pour ◀l’▶être ici. Si je restais seul dans ◀le▶ monde avec des salopes de même Dieu n’aurait que faire ◀de▶ Déluge pour faire périr ◀la▶ race humaine, j’en ferais assurément ◀l’▶épitaphe, et ◀l’▶épitome. Mais retournons à Pondichéry.
◀La▶ religion des Gentils et des Noirs est ◀la▶ même, excepté ◀la▶ circoncision que ces derniers n’ont pas et que ◀les▶ autres gardent. Leur mariage se fait de même, si ce n’est que ◀les▶ Noirs ou esclaves après avoir donné du riz à leurs épousées leur en versent trois fois sur ◀la▶ tête et en jettent sur ◀le▶ chemin par où ils doivent passer l’un et l’autre en sortant ◀de▶ ◀la▶ pagode. ◀L’▶adultère est puni ◀de▶ mort parmi ◀les▶ Gentils et ◀les▶ Maures, mais parmi ◀les▶ Noirs ou esclaves on n’en tient point ◀de▶ compte. ◀La▶ fornication chez les premiers est suivie du mariage, chez ◀les▶ derniers passe pour une bagatelle ; une femme qui après ◀la▶ mort ◀de▶ son mari convole en seconde noce perd sa renommée, mais ne ◀la▶ perd pas pour être simplement entretenue et avoir un amant, pourvu qu’il soit plus que n’était son mari. Cette coutume-ci n’étend point son indulgence jusques sur ◀les▶ femmes des bramènes qui quelquefois et ◀le▶ plus souvent sont accordées dès ◀l’▶âge ◀de▶ deux ou trois ans, et dont ◀le▶ mariage se consomme lorsque ◀le▶ mari et ◀la▶ femme sont tous deux en âge ◀de▶ se joindre. Que ◀les▶ femmes ◀de▶ ceux-ci meurent avant ou après ◀la▶ consommation du mariage, ◀les▶ maris cherchent parti ailleurs ; mais il n’en est pas ainsi des femmes, car si ◀le▶ mariage est consommé, elles sont obligées ◀de▶ se brûler comme je vous ai dit, à moins que ◀de▶ vouloir passer pour infâmes ; mais si ◀le▶ mariage n’est point consommé elles sont obligées ◀de▶ vivre dans un perpétuel célibat, ◀la▶ fréquentation des hommes leur étant absolument défendue. On m’a dit et assuré qu’à cinq lieues ◀de▶ ◀la▶ mer ◀les▶ Maures et Gentils sont blancs comme ◀les▶ Européens, et que j’en verrais à Bengale. Surtout je suis certain par mes yeux que ceux qu’on appelle esclaves sont noirs comme noir à noircir, et que ◀les▶ Maures ou Gentils que j’ai vus sont seulement basanés et ont ◀les▶ traits fort beaux et ◀les▶ cheveux longs et plats, ce que n’ont pas ◀les▶ autres dont ◀la▶ tête ressemble plutôt à ◀la▶ toison ◀d’▶un mouton noir qu’à ◀la▶ chevelure ◀d’▶un homme, et lesquels ont outre cela ◀le▶ nez plat et camus, ◀le▶ front petit et étroit, et ◀les▶ lèvres fort grosses. Vous voyez bien par cette remarque-ci que qui dit more ou maure, car je ne sais comme il s’écrit, ne dit pas un homme ◀de▶ couleur noire, mais seulement un gentil ou mahométan, car il y en a ◀de▶ l’une et ◀de▶ l’autre secte.
J’avais envie ◀de▶ voir une pagode, et je me mis en chemin pour cela avec trois autres Français dont un qui nous servait ◀de▶ guide me trompa, et me fit inutilement marcher presque toute ◀la▶ nuit. Je crois quelque raillerie qu’on en ait faite qu’il ne nous conduisit pas plutôt parce qu’il n’aurait pas eu ◀le▶ pouvoir ◀de▶ nous y faire entrer, que par envie ◀de▶ me jouer un tour ◀de▶ Normand, car enfin il marcha autant que moi et en fut du moins aussi fatigué, ou il devait ◀l’▶être, car j’ai ◀les▶ jambes bonnes grâce à Dieu, et lui est boiteux.
En tous cas je ne perdis pas tout à fait ma peine puisque c’est dans ce pèlerinage nocturne que je vis ◀le▶ corps mort brûlé dont je vous ai parlé ci-dessus, et dont je jetai au feu ◀la▶ provision après avoir cassé ◀les▶ plats. A ◀l’▶égard des pagodes, ◀les▶ idolâtres ne souffrent point qu’on y entre que ◀le▶ moins qu’ils peuvent ; encore dit-on qu’il y faut entrer nu-pieds, et c’est dit-on ce qu’un chrétien ne doit pas faire. Pour moi, je me serais conformé à ◀l’▶exemple que nous en ont laissé Messieurs Crusius et Brugman, ambassadeurs ◀de▶ Monsieur ◀le▶ duc ◀de▶ Holstein en Perse, qui suivant ◀la▶ relation du Sr Olearius, secrétaire ◀de▶ cette ambassade, ne firent aucune difficulté ◀de▶ se déchausser et désarmer pour entrer dans ◀le▶ tombeau ◀de▶ Sich Sephy, roi de Perse, que ◀les▶ gens du pays regardent comme un saint, et pour contenter ma curiosité, j’aurais ôté non seulement mes souliers mais ma chemise aussi, et j’y aurais entré très volontiers en état ◀de▶ pure nature
Justement comme on peint nos deux premiers parents et je ne croirais point par celte démarche avoir fait aucun tort à ma religion. Quoique je n’y aie point entré, je ne laisserai pas ◀de▶ vous dire ce qui en est ◀le▶ tenant ◀de▶ bonne main. C’est un grand bâtiment ◀de▶ belle pierre, bien unie et bien jointe, fort élevé, bâti en rond, qui finit en pointe par ◀le▶ haut, à peu près comme un pain ◀de▶ sucre. ◀L’▶idole qu’ils y adorent a ◀le▶ corps ◀d’▶un homme, assis comme ◀les▶ tailleurs sont en France. Il a plus ◀de▶ quatre toises ◀de▶ hauteur et est posé sur un cube ◀de▶ trois toises en carré. Cet idole a deux bras et deux mains, ◀la▶ tête ◀d’▶un éléphant, et sur ◀la▶ poitrine une Figure ◀de▶ diable pareille à celle que ◀les▶ peintres font pour faire peur aux femmes et aux petits enfants. Il a à côté de lui quatre-vingts figures semblables ◀de▶ ◀la▶ hauteur ◀d’▶un homme chacune, et ce sont là comme ses garde-corps. C’est devant cet idole que ◀les▶ Gentils et esclaves se prosternent et c’est cette belle figure que je voudrais bien avoir vue. ◀La▶ raison que ◀les▶ idolâtres donnent ◀de▶ ce que cet idole-ci a une tête ◀d’▶éléphant (car toutes leurs idoles en ont ◀de▶ différentes, ◀les▶ unes ◀d’▶hommes, ◀les▶ autres ◀de▶ bêtes), c’est disent-ils que Coinda et Mado étants tous ◀les▶ deux sur terre vivants, Coinda revenant ◀de▶ ◀la▶ chasse et rentrant chez lui trouva que Mado baisait sa femme, sur quoi ◀le▶ dépit lui prit ◀de▶ voir qu’un autre faisait sa besogne. Il lui coupa ◀la▶ tête et ◀l’▶alla jeter dans ◀la▶ rivière. Sa colère étant passée et sa vengeance assouvie, il revint chez lui sans montrer ◀de▶ ressentiment à sa femme. Elle, ◀le▶ voyant ◀d’▶un esprit tranquille et rassis, lui représenta qu’il avait tort ◀d’▶avoir tué un dieu comme lui. Coinda à cette remontrance sort et trouve un éléphant à qui il coupa ◀la▶ tête et ◀la▶ vint mettre sur ◀le▶ corps ◀de▶ Mado, qui depuis ce temps-là n’en a point eu ◀d’▶autre, la sienne n’ayant pu être trouvée où Coinda ◀l’▶avait jetée. Voilà leur croyance sur cet idole, et qui est sûre me ◀l’▶ayant fait expliquer par un esclave idolâtre. Accordez cela, si vous pouvez, avec leur coutume ◀de▶ punir ◀l’▶adultère ◀de▶ mort, et voyez ◀la▶ patience ◀de▶ Coinda ◀de▶ n’avoir pas puni sa femme plutôt que ◀le▶ galant, car pour moi je vous avoue que je n’y vois goutte. Leur religion est pleine ◀de▶ pareilles sottises, et ils donnent à tous leurs idoles des histoires différentes. Rendons-leur pourtant justice : il est très vrai qu’ils ne regardent point leurs idoles comme un Dieu premier être ◀de▶ tout, et que ce sont seulement des hommes ◀d’▶une vertu éminente, qu’ils prétendent avoir été déifiés par leurs belles actions, et positivement ce que dit Virgile :
Quos ardens evexit ad aethera virtus
A peu près comme ◀les▶ anciens Romains déifiaient leurs Empereurs ; sur quoi ◀la▶ réflexion ◀de▶ Sévère dans ◀le▶ Polieucte de Monsr. Corneille me paraît fort juste :
◀L’▶oserais-je dire sans impiété ? Il me paraît que leurs idoles sont parmi eux ce que ◀les▶ saints sont parmi nous. En effet ne reconnaissons-nous pas pour sanctifiés ◀les▶ martyrs et ◀les▶ autres grands personnages chrétiens dont ◀la▶ vie nous paraît avoir été toute sainte ? ne leur rendons-nous pas un culte tout religieux, et cela sur ◀la▶ bonne foi des procès-verbaux ◀de▶ leur vie dont bien souvent on ne voit que ◀le▶ dehors, Dieu seul s’étant réservé ◀la▶ connaissance du secret des cœurs, et sur ◀la▶ foi des miracles souvent mal avérés ? Il est inutile ◀d’▶entrer dans ◀le▶ détail des abus qui y ont été reconnus, par lesquels on abusait ◀de▶ ◀la▶ bonne foi des peuples. Je poursuis avec Monsr. Corneille :
Si je n’étais pas né catholique, apostolique et romain par ◀la▶ bonté ◀de▶ Dieu, si je n’étais pas connu pour aussi zélé pour ma religion que je ◀le▶ suis, vous pourriez croire que ceci sent un peu ◀le▶ libertinage et ◀le▶ calvinisme, mais ce n’est qu’une simple comparaison que je fais, sans y prétendre ◀de▶ conséquence et seulement pour faire connaître que, puisque nous, qui sommes éclairés sur ◀la▶ religion et ◀la▶ divinité plus que peuple du monde, reconnaissons dans ◀le▶ ciel des esprits bienheureux qui ont été hommes comme nous, nous ne devons pas nous étonner si des peuples abîmés dans ◀les▶ ténèbres ◀de▶ ◀l’▶ignorance adorent des figures ◀d’▶hommes qu’ils disent avoir été parmi leurs ancêtres ◀d’▶une vertu toute héroïque. Bien est vrai que parmi nous ◀la▶ moindre faute apparente ou soupçonnée, empêche ◀la▶ sanctification, et que ◀l’▶adultère ◀de▶ Mado nous aurait fait détester sa mémoire surtout mourant flagrante delicto ; mais ce qui est un crime parmi nous, et qui en est un présentement parmi eux, peut n’avoir été autrefois chez leurs ancêtres qu’une chose blâmable mais tolérable. Je ◀le▶ répète encore, dans tout ce discours, je n’ai prétendu que vous faire comprendre quel est ◀le▶ sentiment des idolâtres sur leurs idoles et cela par une comparaison que je n’attends pas tirer à conséquence et qui selon mon sens ne renferme aucun venin. Je vous ◀la▶ donne dans cet esprit et vous prie ◀de▶ ◀la▶ prendre de même.
Il faut absolument que ces peuples-ci aient eu autrefois quelque teinture du christianisme et ◀de▶ ◀la▶ naissance ◀de▶ Jésus-Christ, et c’est sans doute saint Thomas, comme dit Monsieur Godeau dans son Histoire ◀de▶ ◀l’▶Eglise, qui est venu dans ce pays-ci, qui leur en avait donné connaissance en y prêchant ◀l’▶Evangile, mais dont il ne leur reste plus qu’une idée fort confuse. Je fonde cela sur ce que vers Surate sur ◀la▶ côte ◀de▶ Malabare ils adorent une autre idole qu’ils appellent Cita Maria, qui tient un enfant dans ses bras, qu’ils nomment Christon. Notez s’il vous plaît que ◀le▶ mot ◀de▶ Cita dans leur langue signifie vierge ou pucelle ; voici ce qu’ils en disent : Que cette Cita Maria devint grosse ; qu’elle accoucha ◀d’▶un enfant qui fut nommé Christon ; qu’on disait que cet enfant devait être ◀le▶ Roi des Rois ; que ◀les▶ rois voisins en prirent ◀l’▶alarme ; qu’ils firent mourir beaucoup ◀d’▶enfants, et que Cita Maria pour sauver le sien fut obligée ◀de▶ sortir ◀de▶ son pays et ◀de▶ ◀l’▶emporter. Cela tient fort ◀de▶ ◀la▶ naissance du Messie et ◀de▶ ◀la▶ persécution ◀d’▶Hérode. J’aurais bien voulu en savoir davantage, mais ◀le▶ noir ou esclave, que je faisais interroger par un Portugais qui m’expliquait tout en latin, n’en savait pas davantage, n’étant pas ◀de▶ cette côte ◀de▶ Malabare mais ◀de▶ celle ◀de▶ Coromandel où nous sommes. C’est ◀de▶ lui que je sais ce que je vous ai dit ◀de▶ Coinda, Mado, ◀de▶ leurs coutumes et ◀de▶ leur pagode et ◀de▶ ◀l’▶idole ; et comme il est lui-même idolâtre, et qu’il doit être instruit ◀de▶ tout ce qui regarde ◀l’▶idolâtrie, je ne fais point ◀de▶ difficulté ◀de▶ croire ce qu’il m’en a dit et que je vous ai écrit.
Ces gens-ci sont fort adonnés à leurs malheureuses superstitions et y sont entretenus par des scélérats qui profitent ◀de▶ leur faiblesse ; et à qui ◀le▶ diable même donne ◀le▶ pouvoir ◀de▶ faire des choses surnaturelles. Il faut vous dire ce qu’un Français a vu et qui s’est fait en sa présence, à Pondichéry même.
Il y avait fort longtemps qu’il n’avait plu et ◀les▶ gentils et esclaves avaient besoin ◀de▶ pluie pour leur riz. Leurs prêtres ou bramènes ◀les▶ Firent assembler. Un Français, dont je sais ceci, nommé Monsr. ◀de▶ Saint-Paul officier ◀de▶ ◀la▶ Compagnie, s’y trouva ; sa présence ne ◀les▶ empêcha pas ◀de▶ poursuivre. Ils prirent un poulet noir, en coupèrent ◀la▶ tête, jetèrent ◀le▶ corps, mirent cette tête sur une pierre, au pied ◀d’▶un arbre, se prosternèrent tous devant cette tête, et, après plus ◀d’▶un gros quart d’heure ◀de▶ heurlements et ◀d’▶imprécations pour lui demander ◀de▶ ◀la▶ pluie, ils ◀la▶ prièrent ◀de▶ leur faire signe qu’elle en envoierait. ◀La▶ tête remua trois fois, et dans ◀les▶ vingt-quatre heures ◀la▶ pluie vint. Il est inutile ◀de▶ dire que c’était ◀les▶ esprits vitaux qui s’exhalaient, un si long espace ◀de▶ temps devait ◀les▶ avoir assoupis, et pour moi je n’en puis rien dire sinon que ◀le▶ diable y avait part et s’en mêlait.
Ces peuples sont charitables et hospitaliers : ils entretiennent sur ◀les▶ chemins des hôpitaux qu’ils appellent chandrys, où ◀les▶ passants et pèlerins trouvent ce qui leur est nécessaire suivant leurs fondations, c’est-à-dire qu’il y en a qui donnent du riz et ◀de▶ ◀l’▶eau, d’autres du bois, d’autres des œufs, d’autres des poules, d’autres ◀le▶ couvert et enfin ce qu’ils doivent donner suivant ◀l’▶intention ◀de▶ leurs fondateurs.
◀Les▶ Maures et ◀les▶ Gentils surtout donnent à ◀l’▶apparence, et lorsqu’ils régalent quelques étrangers ils ◀le▶ font avec ◀le▶ plus ◀de▶ magnificence qu’il leur est possible. ◀La▶ chair et ◀le▶ poisson n’y sont point épargnés, ◀la▶ boisson non plus, telle qu’ils ◀l’▶ont. Pour dessert ils font entrer des courtisanes tantôt plus tantôt moins, toutes blanches. Ces infâmes n’ont pour tout habillement que des pagnes ou pièces ◀de▶ toile qui leur couvrent depuis ◀le▶ nombril jusques à moitié ◀de▶ ◀la▶ cuisse, ont ◀les▶ bras pleins ◀de▶ colliers et ◀le▶ col aussi, et ◀les▶ doigts et ◀les▶ oreilles chargés ◀d’▶anneaux et ◀de▶ bagues ◀d’▶argent, ◀d’▶or ou ◀de▶ cuivre, et du reste elles sont toutes nues. Elles portent à ◀la▶ main gauche une espèce ◀de▶ tambour ◀de▶ basque, et dansent tant que ◀les▶ conviés veulent. Si un des conviés veut faire à son hôte toute sorte ◀d’▶honneur il faut qu’il prenne une ◀de▶ ces infâmes, qu’il ◀la▶ mène dans un endroit retiré, et que là il en fasse à sa volonté ; ensuite ◀de▶ quoi il revient comme s’il venait de faire une bonne action. Ces sortes ◀de▶ régals se pratiquent presque par tout ◀l’▶Orient, ◀les▶ peuples étant ici ◀les▶ plus impurs et ◀les▶ plus corrompus qu’ il y ait dans ◀le▶ monde. Voilà tout ce que j’ai pu apprendre ◀de▶ ces peuples-ci, et j’ai vu quelque chose qui va vous surprendre, et que je ne sais ◀de▶ quelle manière je pourrai exprimer en termes honnêtes*. C’est qu’au coin ◀d’▶un étang qui n’est pas à deux cents pas du fort, il y a un morceau ◀de▶ bois élevé ◀de▶ deux pieds et demi ou environ, qui représente au naturel ◀la▶ racine du genre humain, auquel ces peuples obligent ◀les▶ femmes qui sont stériles ◀d’▶aller se frotter jusques à ◀la▶ pollution certain endroit ◀de▶ leur corps que ◀la▶ bienséance défend ◀de▶ nommer, parce, disent-ils, que cela ◀les▶ rend fécondes. Ce ne sont point ◀les▶ femmes seules qui vont rendre hommage à ce priape, ils y mènent aussi leurs bestiaux pour ◀les▶ faire multiplier. J’ai vu ce digne instrument ; j’aurais bien voulu voir aussi quelque femme après, je suis persuadé que ◀les▶ figures ◀d’▶Arétin n’ont rien de plus infâme.
◀Les▶ esclaves qui travaillent ici sont fort adroits à quelque chose qu’ils s’adonnent. Ils cousent bien et font des habits aussi justes pour ◀la▶ personne que peut faire ◀le▶ meilleur tailleur ◀de▶ ◀la▶ Cour. Pour leurs toiles et étoffes ◀la▶ France en est pleine, et nos tisserands et nos férandiniers ◀de▶ Tours ne réussissent pas mieux. Ils font tout, jusques aux ouvrages même ◀les▶ plus délicats. J’ai une garniture ◀de▶ boutons ◀d’▶argent ◀de▶ filagrame qu’ils ont faite, que nos meilleurs orfèvres auraient bien ◀de▶ ◀la▶ peine à imiter, et j’ai vu entre ◀les▶ mains ◀d’▶un Français un vase ou boîte ◀de▶ filagrame ◀d’▶argent qui est assurément ◀le▶ mieux et ◀le▶ plus délicatement travaillé que j’aie vu ◀de▶ ma vie, et si j’en ai vu ◀de▶ très beaux. Ce pays-ci dépendait autrefois du Grand Mogol, et a été usurpé sur lui par un nommé Sauvagy dont ◀le▶ fils nommé Rem-raja règne à présent, mais dont ◀l’▶autorité n’est pas tout à fait absolue à cause de sa jeunesse, et qu’il ne vient pas ◀d’▶une longue suite ◀de▶ rois. ◀Les▶ princes ◀de▶ ce pays-ci obligent assez souvent ◀les▶ Européens ◀de▶ faire des dépenses excessives quoique ridicules et inutiles, mais dont on ne peut pas se dispenser quand ce ne serait que ◀l’▶honneur ◀de▶ ◀la▶ nation qui y oblige. Un des principaux officiers ◀de▶ ◀la▶ Compagnie dans ce pays-ci m’a dit que son devoir et ◀l’▶intérêt ◀de▶ ses maîtres ◀l’▶ayant obligé ◀d’▶aller à ◀la▶ Cour du roi de Golconde, il y était arrivé dans ◀le▶ temps qu’il y était deux capitaines étrangers, l’un anglais, l’autre hollandais. Que ◀le▶ roi de Golconde leur avait donné à manger à sa table, où ◀le▶ Français qui m’a conté ceci fut aussi convié. Qu’à ◀l’▶issue du repas entre ◀la▶ poire et ◀le▶ fromage ce prince avait piqué ◀d’▶honneur ces deux capitaines sur ◀les▶ prérogatives ◀de▶ l’une et l’autre nation et ◀les▶ richesses ◀de▶ leurs maîtres, et leur avait dit enfin qu’il en jugerait par un achat qu’il voulait leur faire faire, et voir celui qui y mettrait ◀le▶ plus ◀d’▶argent. Sur quoi il avait fait entrer une fille fort jeune et parfaitement belle, et leur avait déclaré que ◀la▶ marchandise dont il s’agissait était ◀le▶ pucelage ◀de▶ ◀la▶ personne qu’ils voyaient. ◀L’▶endroit était tentatif ; il s’en fallait tirer à quelque prix que ce fût. ◀L’▶Anglais promit mille écus, ◀le▶ Hollandais deux mille, et ils se piquèrent si bien l’un l’autre que ◀le▶ pucelage fut vendu à l’encan sept mille écus dont ◀le▶ Hollandais demeura adjudicataire son concurrent ayant quitté ◀la▶ partie. Mais ◀le▶ Hollandais sage et prudent et qui craignait ◀d’▶être blâmé ◀de▶ ses maîtres si son plaisir leur coûtait si cher, se contenta ◀de▶ donner ◀l’▶argent, et comme ◀le▶ pucelage en question était à lui, ◀l’▶ayant payé tout ce qu’il pouvait valoir, et qu’il était en droit ◀d’▶en disposer, il mit ◀la▶ fille entre ◀les▶ mains ◀d’▶un commis qu’il avait avec lui qui ne fut point si scrupuleux que lui. Ceci est un peu ◀d’▶un roi barbare, mais ce sont des fossés qu’il faut franchir quand on s’y trouve. Je vous ai écrit ceci pour vous faire connaître ◀le▶ génie des nations orientales et ◀de▶ leurs rois, qui malgré leurs richesses et leur faste ne se font pas une affaire ◀de▶ passer pour accoupleurs. Mahomet ◀le▶ connaissait bien ce génie quand il a fait consister son paradis dans ◀le▶ plaisir des sens. Je ne vous parle point ◀de▶ ◀la▶ monnaie du pays : je vous en porte et ◀la▶ vue vous fera mieux connaître ce que c’est que tout ◀le▶ discours que je pourrais vous en faire. Voilà tout ce que je sais et que j’ai appris des Indes : à nouvelle connaissance, écriture nouvelle.
Nous avons remis à ◀la▶ voile sur ◀le▶ midi par un petit vent qui est bon ; nous allons à Madras, à dix lieues d’ici. On dit que nous y trouverons des ennemis, et que comme c’est demain ◀la▶ Saint-Louis, nous tirerons du canon sous ◀les▶ auspices ◀de▶ ce saint protecteur ◀de▶ ◀la▶ France, et à ◀l’▶honneur ◀de▶ notre grand Roi qui en est ◀l’▶âme.
Du vendredi 25e. [août]
On nous dit hier que nous tirerions du canon, on ne nous a pas trompés. Nous sommes arrivés à la vue de Madras sur ◀le▶ matin, mais comme ◀le▶ vent était faible nous n’avons pu en approcher que sur ◀le▶ midi. Nous y avons vu quatorze navires tant gros que petits partie anglais partie hollandais. Ils étaient tous mouillés sous ◀le▶ canon ◀de▶ ◀la▶ forteresse qui est ◀la▶ plus belle et ◀la▶ plus forte que ◀les▶ Anglais aient aux Indes. Elle a six-vingt pièces ◀de▶ canon ◀de▶ 36 et 40 livres ◀de▶ balle. Monsieur Du Quesne ◀les▶ voyant avantageusement mouillés a mis pavillon ◀de▶ conseil pour faire venir tous ◀les▶ capitaines à son bord. Ils y ont été et ont tenu conseil dans lequel Monsieur Du Quesne a proposé que si nous allions ◀les▶ attaquer par ◀le▶ vent qu’il faisait, nous nous mettrions en proie au feu du fort qui nous incommoderait beaucoup, outre que nous ne pourrions prendre ces navires que par ◀le▶ travers, qui étant aussi grands que nous et en bien plus grand nombre, nous donneraient autant ◀de▶ peine que nous pourrions leur en donner sans compter ◀le▶ feu du fort, et que pour obvier à tout cela, son sentiment était ◀d’▶attendre ◀le▶ vent ◀de▶ ◀la▶ mer qui nous serait bon pour ◀les▶ prendre par ◀le▶ derrière, qu’ainsi ils ne pourraient pas faire feu sur nous, ou que s’ils voulaient en faire ils seraient obligés ◀de▶ couper leurs câbles et ◀de▶ se mettre à ◀la▶ voile ; qu’en ce cas ◀le▶ vent ◀les▶ pousserait à terre infailliblement, et où ils échoueraient, et même dans leur manœuvre s’incommoderaient l’un l’autre par ◀la▶ quantité qu’ils étaient ; que pour gagner ◀le▶ large, ◀le▶ vent qui leur serait debout et nous qui leur boucherions ◀le▶ passage ◀les▶ empêcheraient ◀d’▶y songer ; qu’ainsi c’était un coup sûr et qu’assurément par un vent ◀de▶ mer nous ◀les▶ coulerions à fond sur leurs ancres, ou nous ◀les▶ ferions échouer sous ◀les▶ voiles. Il n’y avait rien ◀de▶ si sage et ◀de▶ si prudent que cet avis, et s’il avait été suivi il est constant que ces navires étaient perdus pour ◀les▶ ennemis. Mais ◀la▶ bravoure des Français et leur impatience ◀les▶ empêchera toujours ◀de▶ prendre leurs avantages. Un des capitaines qui devait opiner le second, à qui ◀les▶ mains démangeaient et qui aurait déjà voulu être aux coups, dit qu’en attendant ce vent ◀de▶ ◀la▶ mer nous leur donnerions ◀le▶ temps ◀de▶ prendre leurs mesures pour se touer, et ◀de▶ se mettre en état ◀de▶ nous recevoir également ◀de▶ tous côtés ; que ces navires, étant des navires marchands, n’avaient que peu de canons et peu ◀d’▶hommes ; que par conséquent leur nombre n’était pas considérable ; qu’à l’égard du feu ◀de▶ ◀la▶ forteresse, nous serions si peu de temps à nous emparer ◀de▶ ces navires qu’il ne pourrait pas nous faire grand tort ; et qu’enfin si on ne voulait pas y aller en corps il offrait ◀d’▶y aller seul ; qu’il avait vu d’autres périls en sa vie et que celui-là ne ◀l’▶épouvantait pas. Ni moi non plus a repris Monsieur Du Quesne, je ne crains pas plus pour ma peau qu’un autre. Allons Monsieur, a-t-il poursuivi, mon sentiment était selon moi ◀le▶ plus sage, mais le vôtre est ◀le▶ plus brave, suivons-◀le▶, et allons au nom de Dieu. Et là-dessus, il a été résolu qu’on irait à eux à ◀l’▶issue du dîner et que ◀le▶ Lion et ◀le▶ Dragon iraient les premiers pour attacher ◀la▶ partie. ◀La▶ résolution était française pour ne ◀la▶ pas baptiser autrement. Voici comme nous nous en sommes tirés.
◀Le▶ Dragon a été le premier ◀le▶ plus proche de terre qu’il a pu, ◀le▶ Lion ◀le▶ suivait, et cependant qu’ils ont été à ◀la▶ voile, on leur a tiré du fort quantité ◀de▶ volées dont ◀les▶ houlets donnaient souvent plus loin que nous, et ne ◀les▶ touchaient pas, parce que ◀les▶ navires étant[s] à ◀la▶ voile et dans un mouvement continuel, ◀le▶ coup ne pouvait pas porter juste. Ils n’ont point tiré sur ◀les▶ ennemis qu’après avoir été mouillés fort proche ◀d’▶eux. Nous allions nous cependant à petite voile, et la première chose que Monsieur de Porrières a faite, ç’a été ◀de▶ défendre aux canonniers ◀de▶ tirer que nous ne fussions tout proches des ennemis, et ◀de▶ ne tirer qu’à coup sûr. C’est une maxime certaine que ◀l’▶on fait toujours feu sur ◀les▶ plus gros navires afin de ◀les▶ désemparer et ◀d’▶en venir à bout les premiers, parce qu’après cela on a bon marché des autres. ◀Les▶ Anglais et ◀les▶ Hollandais ne ◀l’▶ont point oubliée. D’abord que ◀l’▶Ecueil a été à ◀la▶ portée ◀de▶ leur canon, nous avons essuyé tout leur feu et ils n’ont tiré que sur nous, qui avons demeuré pacifiques jusques à ce que nous ayons été à ◀l’▶ancre. Alors, à beau jeu, beau retour, nous ◀les▶ avons chauffés ◀le▶ mieux qu’il nous a été possible. ◀Le▶ Florissant nous a suivis et s’est battu assez bien pendant quelque temps. ◀Le▶ Gaillard est venu ensuite, et 1’Oiseau a tenu ◀la▶ queue. Nous avons resté ainsi une bonne heure à nous canonner ◀d’▶une furie tout extraordinaire. Mais comme nous avons aperçu que ◀les▶ courants nous avaient jetés sur ◀le▶ Lion et que nous ◀le▶ prenions par ◀le▶ derrière, nous avons filé ◀de▶ notre grélin afin de nous parer ◀de▶ lui et qu’il n’incommodât plus notre feu, et dans ce même moment-là, ◀les▶ courants jetèrent ◀le▶ Florissant sur nous, lequel nous prit tout à fait par ◀le▶ travers et nous mit justement entre lui et ◀les▶ ennemis ; ainsi nous lui faisions plastron ◀de▶ notre corps, et quoiqu’il fût par notre travers, il ne laissait pas ◀de▶ tirer sur ◀les▶ ennemis par nos entre-mâts et ainsi à coup perdu. Il nous a incommodés beaucoup et ◀de▶ telle sorte que nous lui avons crié ◀de▶ ne plus tirer. Il s’est remis ◀le▶ mieux qu’il a pu, mais non pas dans son ordre ◀de▶ combat, car il ne ◀l’▶a point observé du tout. Nous avons resté ainsi entre ◀le▶ Florissant et ◀les▶ ennemis environ deux horloges ou une heure, et nous en avons bien encore resté deux autres à toujours nous canonner avec ◀les▶ ennemis, dont il y avait sept gros vaisseaux et un autre plus petit qui faisaient un feu tout extraordinaire en sorte qu’un coup n’attendait pas l’autre, particulièrement ◀l’▶amiral hollandais qui paraissait tout en feu tant son canon était promptement servi. Pendant que nous étions dans ◀le▶ feu, Monsieur Du Quesne a fait signal au brûlot ◀d’▶aller s’attacher à cet amiral hollandais (c’était ◀le▶ même petit bâtiment que nous avions pris ◀le▶ six, du courant, qu’on avait accommodé en brûlot à Pondichéry). Monsieur d’Auberville lieutenant ◀de▶ Monsieur Du Quesne ◀le▶ commandait, et a fait là ◀l’▶action ◀la▶ plus intrépide qu’on puisse jamais faire à ◀la▶ mer. Il y a été malgré ◀les▶ coups ◀de▶ canon qu’il a fallu essuyer sur ◀la▶ route, il a abordé ◀le▶ navire hollandais, et n’a point mis ◀le▶ feu à son brûlot qu’il n’ait été bord à bord, car c’est ◀l’▶ordinaire ◀de▶ tirer sur un brûlot lorsqu’on ◀le▶ voit avancer préférablement aux autres navires afin de tâcher ◀de▶ ◀le▶ couler à fond avant qu’il puisse faire son effet ; ainsi on faisait feu sur lui ◀de▶ tous côtés. Mais tout cela ne ◀l’▶a point empêché ◀d’▶aborder et ◀le▶ brûlot aurait assurément brûlé ◀le▶ Hollandais si ◀les▶ grappins eussent été grappins ◀de▶ brûlot et ◀d’▶abordage, lesquels auraient eu plus ◀de▶ force et ◀de▶ tenue ; mais ce n’étaient que des cercles ◀de▶ fer ◀de▶ barriques attachés ensemble lesquels ont largué et ◀le▶ brûlot a été inutilement consommé. Il serait à souhaiter pour lui ◀d’▶avoir fait cette belle action à ◀la▶ vue ◀d’▶une armée royale, elle serait bientôt récompensée ; mais tout le monde au moins ici ◀l’▶a admirée, et Monsieur Du Quesne est bon pour en porter témoignage et lui procurer ◀la▶ justice qui lui en est due. Il est certain que ◀de▶ ◀l’▶effet ◀de▶ ce brûlot dépendait ◀la▶ réussite ◀de▶ ◀l’▶entreprise et ◀la▶ perte totale des Anglais et des Hollandais, parce que s’il avait mis ◀le▶ feu au Hollandais, ◀les▶ autres navires auraient été obligés ◀de▶ s’en éloigner crainte ◀de▶ se brûler, et pour lors c’eût été pour eux une nécessité ou ◀de▶ s’échouer ou ◀de▶ gagner ◀le▶ large, et par conséquent ◀de▶ nous tomber entre ◀les▶ mains, ou ◀de▶ se perdre eux-mêmes.
Après quatre bonnes heures ◀de▶ combat, où tout le monde fit assurément ◀de▶ son mieux, Monsieur Du Quesne, voyant que nous ne pouvions rien gagner avec ces gens-ci et qu’ils nous rendaient poids pour poids, a fait signal ◀de▶ faire cesser ◀le▶ combat et s’est retiré. Nous étions tellement acharnés que nous n’avons point pris garde à ce signal et ne ◀l’▶avons reconnu que lorsque ◀le▶ Gaillard a été sous ◀les▶ voiles. Nous ◀l’▶avons suivi et ◀le▶ Florissant dans ◀le▶ même temps, ◀le▶ Lion et ◀le▶ Dragon sont venus ensuite, et ◀l’▶Oiseau a été le dernier qui a quitté ◀la▶ partie. ◀Les▶ ennemis nous ont reconduits tant qu’ils ont pu, et sitôt que nous avons été hors de ◀la▶ portée ◀de▶ leur canon, ils ont mis à ◀la▶ voile. Je croyais qu’ils venaient nous trouver à leur tour, mais je me trompais : ils se sont approchés plus près de terre et se sont mis plus à couvert qu’ils n’étaient, sous ◀le▶ feu ◀de▶ leur fort. Nous avons mouillé environ à un quart ◀de▶ lieue ◀d’▶eux, chacun sous notre pavillon. Voilà ◀le▶ combat que nous venons de rendre. Il est très vrai que tout ◀l’▶avantage nous en serait demeuré et que ces vaisseaux étaient perdus si ◀le▶ sentiment ◀de▶ Monsieur Du Quesne avait été suivi. Nous avons pourtant battu ◀les▶ ennemis, et ◀la▶ marque ◀de▶ cela, c’est ◀la▶ retraite qu’ils ont faite sous leur fort crainte que nous n’allions une seconde fois ◀les▶ visiter. Tout le monde ici dit qu’on ne s’est jamais si bien ni si opiniâtrement battu : il est constant que ◀les▶ coups ◀de▶ canon passaient sur notre tête comme ◀la▶ grêle. Nous étions trop éloignés l’un ◀de▶ l’autre pour en venir à ◀la▶ mousqueterie, ainsi j’étais simplement spectateur, et n’étant occupé à rien, cette inutilité où j’étais m’a fait regarder ◀le▶ péril dans toute son étendue. J’étais bien où j’étais puisque j’en suis revenu, mais je ne m’en cache pas, ◀les▶ boulets passaient si près à près au-dessus ◀de▶ ma tête et à côté de moi que je me suis recommandé à Dieu ◀d’▶aussi bon cœur que j’aie fait ◀de▶ ma vie. Cependant ◀la▶ peur que j’avais n’a été connue qu’à moi seul, et je puis dire qu’on ne m’en a vu changer ◀de▶ couleur ni ◀de▶ place, dont bien m’a pris, car ◀l’▶endroit où j’étais a été ◀le▶ seul qui n’ait point été incommodé. Je suis persuadé que qui que ce soit au monde ne pourrait se voir dans une pareille occasion sans songer qu’il est mortel, et que tout ce que ◀la▶ plus belle générosité puisse faire dans ◀de▶ pareils moments est ◀de▶ cacher aux yeux des autres ce que ◀le▶ cœur en pense, surtout ayant vu devant soi ce que vous lirez dans ◀la▶ suite. Si j’avais été occupé à quelque chose, ◀la▶ dissipation que ce que j’aurais fait m’aurait causée, m’eût fait regarder ◀le▶ tout avec moins ◀d’▶attention, et je puis dire que ◀la▶ crainte que j’ai eue a été ◀la▶ crainte ◀d’▶un honnête homme qui a toute été renfermée dans moi et dont aucune action extérieure n’a donné ◀de▶ marque ; et que si je me suis recommandé à Dieu de bon cœur, ç’a été en bon chrétien qui ne regarde point ◀la▶ mort brutalement, et pour ◀le▶ salut ◀de▶ mon âme et non pas pour ◀la▶ conservation ◀de▶ mon corps, que je serai toujours prêt ◀de▶ sacrifier lorsque ma religion, ◀le▶ service ◀de▶ mon Roi et ◀de▶ ma patrie ◀le▶ désireront. ◀Le▶ style même dont je vous écris peut vous faire connaître que ◀l’▶esprit n’était pas fort préoccupé : il n’y a pourtant pas plus ◀d’▶une heure que nous sommes hors des coups. Il est temps ◀de▶ finir mon apologie et ◀de▶ vous dire...
Que j’ai vu dans ce combat-ci non pas seulement une fois mais plusieurs, ce que je ne croyais pas possible. On dit qu’avant que ◀le▶ coup ◀de▶ canon éclate, ◀la▶ balle est rendue où elle doit aller : cela est faux. J’ai vu des balles passer par-dessus ma tête dont ◀le▶ coup avait éclaté avant qu’elles fussent à notre bord. Monsieur ◀le▶ chevalier ◀d’▶Haire ◀l’▶a échappé belle à Amzuam, j’ai eu ici un coup plus favorable : j’ai vu venir un boulet à moi, j’ai baissé ◀la▶ tête bien vite comme vous pouvez croire, ◀le▶ boulet a frisé ◀la▶ forme ◀de▶ mon chapeau, et emporté un morceau du bord derrière ◀la▶ tête. Monsieur ◀le▶ commandeur ◀de▶ Porrières a été blessé à ◀la▶ joue et à ◀l’▶épaule, mais légèrement grâce à Dieu ; j’étais auprès de lui lorsqu’il a été frappé, et c’étaient des éclats qui sont toujours plus dangereux que ◀la▶ balle. Nous avons eu trois matelots tués, nommés Jacques Le Roux, Olivier Le Quartier et Pierre Roué. Le premier ◀d’▶une balle qui lui a emporté ◀la▶ tête et ne lui a laissé que ◀le▶ corps ; le second ◀d’▶un éclat ◀de▶ canon qui ◀l’▶a crevé ; et l’autre ◀d’▶un éclat aussi qui lui a coupé tout ◀le▶ ventre et ◀la▶ cuisse. C’était une horreur ◀de▶ voir ◀les▶ entrailles des deux derniers sortir ◀de▶ leurs corps. Nous avons eu beaucoup de blessés mais s’il plaît à Dieu ce ne sera rien. Monsieur de Porrières est toujours lui-même, c’est-à-dire intrépide, et ses officiers ◀l’▶ont fort bien secondé.
Notre navire nous fait pitié, toutes nos manœuvres sont coupées, nos voiles et nos pavillons percés comme des cribles, et ◀le▶ pis ◀de▶ tout, notre mâture hachée. Nous avons trente-un coups ◀de▶ canon portant dans ◀le▶ corps du navire et neuf dans notre mâture. Il n’y a que notre seul mât ◀d’▶avant qui n’a point été incommodé, ◀les▶ autres sont très mal. Monsieur d’Auberville a eu ◀la▶ main brûlée dans son brûlot en y mettant ◀le▶ feu, et plusieurs matelots des autres navires ont été tués et blessés. Tout le monde a fort bien fait, mais tous conviennent que c’est nous qui sommes ◀les▶ plus incommodés et qui avons essuyé ◀le▶ plus grand feu des ennemis parce qu’excepté ◀le▶ Lion et ◀le▶ Dragon, nous en étions ◀le▶ plus proche, et qu’on ne tirait pas sur eux mais oui bien sur un gros navire comme nous.
Personne ne pouvait comprendre comment des navires, qu’on dit marchands et qu’on disait n’avoir pas beaucoup ◀d’▶équipage, pouvaient faire un feu si beau et si prompt ; mais on a cessé ◀de▶ s’étonner quand on a appris (par ◀les▶ matelots français qui étaient dans ◀le▶ brûlot, deux desquels étaient des nôtres) que ces navires avaient toute leur batterie du même côté et qu’ils avaient transporté leur batterie ◀de▶ stribord à bâbord, et que pour être servis promptement, ils avaient pris sur leurs navires des soldats du fort ◀de▶ Madras.
Nous sommes présentement à ◀l’▶ancre où nous avustons nos manœuvres qui sont toutes coupées, et où nous remettons d’autres voiles que celles que nous avions, parce qu’elles sont toutes crevées, jusques à ce que ◀le▶ temps nous permette ◀de▶ ◀les▶ raccommoder. Nous ne savons point encore ce que nous deviendrons, c’est-à-dire si nous recommencerons demain ◀le▶ branle ou si nous poursuivrons notre route. ◀Le▶ fort nous a beaucoup incommodés et je ne vois pas ◀d’▶apparence qu’en ◀l’▶état où nous sommes nous retournions ◀l’▶affronter de plus près. Il a été tiré aujourd’hui tant de notre côté que ◀de▶ celui des ennemis plus ◀de▶ sept mille coups ◀de▶ canon, à ne mettre ◀les▶ navires qu’à cinq cents coups chacun, l’un portant l’autre, qui est ◀le▶ moins qu’il ait été assurément tiré. Pour nous, nous n’en avons tiré que trois cent quatre-vingt-dix-sept, parce que dès ◀le▶ commencement nous avons eu deux canons démontés et mis hors de service. Nous voyons d’ici un navire justement sur ◀le▶ chemin que nous devons tenir : si nous ne retournons pas voir Messieurs ◀de▶ Madras et que ce navire reste où il est il pourrait bien changer ◀de▶ maître.
Du samedi 26. [août]
Nous avons resté toute ◀la▶ nuit à ◀l’▶ancre, et ce matin Messieurs ◀les▶ capitaines ont été à ◀l’▶amiral tenir conseil, où il a été résolu que nous poursuivrions notre route, parce que ces navires sont hors de prise et que nous n’y aurions gagné que des coups. Nous avons donc appareillé sur ◀les▶ dix heures par un vent qui est bon et qui nous mène fort bien. Il n’est plus question ◀de▶ Pondichéry ni ◀de▶ Madras, c’est ◀la▶ côte ◀de▶ Bengale que nous allons chercher. Il est certain que ◀les▶ ennemis furent hier battus. Ce qui nous ◀le▶ persuade c’est qu’ils ont souffert sans branler que nous ayons pris à leur vue ◀le▶ navire que je vous dis hier que nous voyions, et lequel était sur notre route. C’est un bâtiment anglais dans lequel on n’a trouvé qui que ce soit, tous ses gens s’étant enfuis à terre où ils ont eu ◀le▶ temps ◀de▶ porter toutes leurs marchandises, si ils en avaient, car on n’y a rien trouvé du tout. Ces scélérats avaient laissé dans ◀la▶ soute un baril ◀de▶ poudre ◀de▶ deux cents livres avec deux mèches croisées par-dessus, allumées par ◀les▶ quatre bouts, afin de ◀le▶ faire sauter et faire périr quelques Français, et même mettre ◀le▶ feu à quelque navire qui s’en serait trop approché. Dieu merci ni l’un ni l’autre n’a réussi.
Du dimanche 27e. [août]
Toujours bon vent nous allons bien grâce à Dieu. ◀Le▶ navire anglais que nous prîmes hier aurait été métamorphosé en brûlot si il avait été bon voilier, mais n’allant point du tout on y a mis ◀le▶ feu aujourd’hui.
Du lundi 28 [août]
Toujours bon vent nous allons bien. J’ai vu dans ◀le▶ bord des balles ◀de▶ canon qui y sont engravées ◀de▶ notre combat ◀de▶ Madras et qui servent ◀d’▶emplâtre aux trous qu’elles avaient faits en nous frappant.
Du mardi 29e. [août]
Toujours bon vent, nous allons bien, tout ceci nous avance.
Du mercredi 30 [août]
Nous avons vu ce matin un navire, nous avons donné dessus, il a été impossible ◀de▶ ◀le▶ joindre. Il a donné à terre où il s’est échoué. Il y avait dans ◀le▶ même endroit trois autres bâtiments échoués et fort élevés sur ◀la▶ grave ; on croit ici que ce sont des
Anglais, mais ces bâtiments ne me paraissant pas mâtés, je crois que ce sont des navires maures.
Du jeudi 31. [août]
Nous avons bien été toute ◀la▶ journée : nous avons vu ce soir un navire, nous lui avons donné cache, Il s’est rallié à terre. Nous sommes à ◀l’▶ancre et ◀le▶ gardons pour voir demain ce qu’il en sera.
Septembre 1690
Du vendredi Premier septembre.
Nous ne sommes point heureux ◀de▶ n’avoir pas pris ◀le▶ navire que nous vîmes hier et que nous voyons encore. On a envoyé ◀les▶ chaloupes armées pour ◀le▶ prendre : qui que ce soit n’a paru, mais ◀la▶ mer brise tellement ceci étant une terre basse, que ◀les▶ chaloupes n’ont pu aller jusques à lui qui s’est échoué sans apparence ◀de▶ s’en relever jamais. Il s’en est sauvé trois esclaves ou Lascaris sur un rat, lesquels ont été menés à bord de ◀l’▶amiral, et qui ont été renvoyés à bord du Lion où j’étais lorsqu’ils y sont arrivés. Ils ont dit que ce navire appartenait à un Anglais marchand particulier ; qu’il était chargé ◀d’▶argent, ◀de▶ draps et ◀de▶ cuivre ; qu’il avait mis à terre toute ◀la▶ nuit ◀le▶ plus ◀de▶ ballots qu’il avait pu s’étant servi ◀de▶ ses vergues pour faire des rats ; que ◀les▶ noirs ◀de▶ ◀la▶ côte avaient pillé ◀le▶ reste et pillaient encore. Ils étaient vêtus comme ceux ◀de▶ Pondichéry, c’est-à-dire tout nus, et la première chose qu’ils ont demandée en portugais qu’ils parlent fort bien et que Monsieur de Pressac lieutenant du Lion expliquait, c’est qu’ils priaient qu’aucun Français ni autre chrétien ne touchât à leur manger ni à leurs plats. Je me suis fait expliquer pourquoi : ces misérables nous tiennent impurs, et se laisseraient plutôt mourir ◀de▶ faim que ◀de▶ manger ◀de▶ ce que des chrétiens auraient touché et ne vivent que ◀de▶ légumes et jamais ◀de▶ viandes. Nous en avons trois à bord, qui viennent de ◀la▶ flûte qui ne mangent que du riz et ne boivent que ◀de▶ ◀l’▶eau.
Du samedi 2e. [septembre]
Nous avons remis à ◀la▶ voile dès hier au soir, et avons remouillé aujourd’hui parce que ◀les▶ courants nous ont reculés plus ◀de▶ trois lieues quoique ◀le▶ vent fût bon.
Du dimanche 3e. [septembre]
Nous avons remis ce matin à ◀la▶ voile, nous avons assez bien été et avons encore vu ◀le▶ même navire ◀d’▶avant-hier, grand signe que nous n’avançons guère.
Du lundi 4e. [septembre]
Nous avons vu un navire ce matin, on ◀l’▶a joint ; mais il n’est pas ◀de▶ prise, c’est un navire qui appartient au Grand Mogol, on ◀l’▶a laissé aller.
Du mardi 5e. [septembre]
Douze heures ◀de▶ bon vent et ◀de▶ bon temps nous mettront à Bengale, mais comme il fait ◀de▶ ◀la▶ brume, nous avons mouillé ce soir. Ce pays-ci ne me plaît guère, car il y pleut presque toujours, et ◀le▶ navire est tellement ébranlé tant par ◀les▶ coups qu’il a reçus que par ceux que nous avons tirés, qu’il fait ◀de▶ ◀l’▶eau par tout son haut.
Du mercredi 6e. [septembre]
Nous avons resté toute ◀la▶ journée à ◀l’▶ancre à cause du temps embrumé et du vent qui ne vaut rien.
Du jeudi 7e. [septembre]
Nous avons remis ce matin à ◀la▶ voile, nous avons assez bien été toute ◀la▶ journée ◀le▶ vent étant revenu bon, et nous avons mouillé ce soir devant Balassor qui est la première terre ◀de▶ Bengale où ◀les▶ Français aient un établissement. Cette terre-ci est encore plus basse que celle ◀de▶ ◀la▶ côte ◀de▶ Coromandel quoiqu’elle nous paraisse pleine ◀de▶ montagnes. Nous sommes à plus ◀de▶ six lieues ◀de▶ terre, et n’avons sous nous que six brasses ◀d’▶eau. Monsieur du Quesne a tiré trois coups ◀de▶ canon, ce qui est apparemment un signal pour faire venir des Français ; ils ont meilleure oreille que moi si ils ◀les▶ ont entendus ◀de▶ six lieues.
Du vendredi 8e. [septembre]
Nous sommes toujours à ◀l’▶ancre. Monsieur du Quesne a envoyé sa chaloupe à terre ; celles du Florissant, ◀de▶ ◀l’▶Oiseau et du Lion ◀l’▶ont suivie. ◀Les▶ maringouins nous mangent, il ne fait point ◀de▶ vent, c’est une chaleur insupportable. ◀Le▶ soleil est couvert dont bien nous prend, car s’il nous donnait sur ◀la▶ tête, Encore un tour ◀de▶ broche, nous serions cuits...
Du samedi 9e, [septembre]
Toujours à ◀l’▶ancre en attendant ◀la▶ bénédiction du Seigneur. Même temps.
Du dimanche 10. [septembre]
Toujours même temps et resté en rade. Ce diable ◀de▶ pays-ci me déplaît bien fort, il est bien vilain aussi.
Du lundi 11e. [septembre]
◀Le▶ sieur Pellé directeur ◀de▶ ◀la▶ Compagnie à Balassor est arrivé ici à midi avec ◀les▶ chaloupes et nous a apporté quelques légumes comme concombres et limons, qui sont fort petits mais fort bons. ◀Les▶ bestiaux sont dans une barque et un bot qui sont restés a deux grandes lieues d’ici n’ayant pu venir à cause du vent et des courants contraires.
Du mardi 12 [septembre]
Nous avons appareillé ce matin et avons été joindre ◀la▶ barque et ◀le▶ bot. ◀La▶ barque est comme celles ◀d’▶Europe, et ◀le▶ bot comme ◀les▶ chelingues ◀de▶ Pondichéry, mais plus grand et plus élevé ◀de▶ bord. ◀Les▶ gens qui commandent cette barque nous ont un peu scandalisés sur ◀la▶ civilité : ils ont salué Monsieur Du Quesne et sa flamme ◀de▶ sept coups ◀de▶ canon, cela était bien ; mais ils ont salué ◀le▶ commissaire ◀de▶ trois quand il en est sorti, et c’est ce qu’ils ne devaient pas faire. Nous y avons eu des bestiaux comme cochons, quelques cabris, quelques canards, et entre autres des vaches qui disent par leur vieillesse, leur poil blanc et leurs tétines pendantes qu’elles pourraient bien compter chacune cinq cents animaux ◀de▶ leur espèce provenant ◀de▶ leur estoc.
Du mercredi 13e. [septembre]
Nous avons aujourd’hui déchargé toute ◀la▶ marchandise que nous avions à bord de ◀l’▶Ecueil, et sommes à présent en véritable vaisseau ◀de▶ guerre. Dieu nous envoie quelque Anglais qui nous charge, ◀de▶ bons ballots j’entends, non pas ◀de▶ coups. Nous resterons deux mois à ◀la▶ mer plus que Messieurs ◀de▶ ◀la▶ Compagnie ne croyaient. Du moins ◀les▶ écrivains ont donné au commissaire, par ◀l’▶ordre ◀de▶ Monsieur Du Quesne, un état des vivres nécessaires à leurs équipages pendant ce temps-là, lesquels vivres Messieurs ◀de▶ Balassor ont promis ◀de▶ fournir. Ils sont à présent sous ◀les▶ voiles pour retourner chez eux, et nous nous venons ◀d’▶appareiller pour aller attendre au passage quatre navires hollandais qui viennent de Batavia, et que leurs compatriotes attendent ici depuis longtemps ◀de▶ jour en jour. Dieu nous ◀les▶ fasse tomber entre ◀les▶ mains :
Irus erit subito, qui modo Croesus erat
Nous rendrons pauvre comme un esclave, celui qui, peu de temps auparavant était riche comme Crésus.
Du jeudi 14e. [septembre]
Nous avons été toute ◀la▶ journée sous ◀les▶ voiles inutilement, il ne fait point ◀de▶ vent, nous avons mouillé ce soir à six heures, nous avons remis à ◀la▶ voile à neuf par un petit vent. On dit que nous irons à Mergui : qu’y faire ? Peut-être chercher des coups, n’importe, nous en donnerons aussi.
Du vendredi 15. [septembre]
Nous avons encore remouillé cette nuit. Il ne fait point ◀de▶ vent du tout, ◀la▶ mer est unie comme une feuille ◀de▶ papier, et ◀la▶ chaleur est insupportable ; nous avons resté sur notre ancre.
Du samedi 16 [septembre]
Toujours à ◀l’▶ancre, pas un souffle ◀de▶ vent, chaleur excessive. Nous faisons maigre, et par conséquent très mauvaise chère, malgré nous, car il y a autour de notre navire une très grande quantité ◀de▶ poissons dont nous ne prenons aucun parce qu’il ne mord point à ◀l’▶hameçon, et nous ne ressemblons pas mal à Tantale que ◀les▶ poètes représentent dans ◀l’▶eau jusques au col sans pouvoir étancher sa soif. ◀Les▶ maringouins me désespèrent, et je voudrais être tout autre part qu’ici.
Du dimanche 17 [septembre]
Du lundi 18 [septembre]
Nous avons mis cette nuit à ◀la▶ voile, mais ◀le▶ vent a calmé, nous voyons encore ◀la▶ maudite terre ◀de▶ Balassor.
Du mardi 19e. [septembre]
Nous mouillâmes hier au soir parce qu’il n’y avait point ◀de▶ vent. ◀La▶ lune était dans son plein ; elle a souffert une éclipse jusques à ◀la▶ moitié ◀de▶ son disque, et cette éclipse a duré depuis son levé jusques à ce qu’elle ait attrapé ◀le▶ Sud-Est, c’est-à-dire environ trois heures. Cela ne peut point avoir paru chez vous, parce que suivant ◀la▶ supputation que j’en ai faite par ◀les▶ degrés ◀de▶ longitude, il n’était qu’environ midi lorsqu’elle a commencé, et trois heures lorsqu’elle a fini ◀de▶ ◀la▶ même journée ◀d’▶hier, y ayant entre vous et nous environ six heures ◀de▶ différence au méridien. Je ne sais si cette éclipse nous a amené ◀le▶ mauvais temps que nous avons eu toute ◀la▶ journée et qui dure encore. Nous étions à ◀l’▶ancre, nous y sommes encore et y serons jusques à minuit, qu’on espère que ◀le▶ vent calmera. Il a fait tout ◀le▶ jour tourmente ◀de▶ vent ◀de▶ Sud-Est. ◀L’▶Oiseau a fait voile sur ◀le▶ midi, apparemment parce qu’il dérivait ; ◀le▶ Gaillard a fait ◀la▶ même chose parce que son câble a cassé. Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour ◀les▶ suivre mais ◀le▶ vent et ◀la▶ marée sont trop forts, il nous a été impossible ◀de▶ lever notre ancre. Avec ◀le▶ vent il pleut beaucoup. Nos matelots fatigués et mouillés comme des barbets ne peuvent plus travailler, et ◀le▶ pis ◀de▶ tout cela, c’est que nous ne voyons pas à un quart ◀de▶ lieue ◀de▶ nous tant ◀le▶ temps est sombre, et que ◀le▶ vent nous est tout à fait contraire et qu’il nous pousse à terre dont nous sommes fort proches. Enfin, nous sommes mal, Dieu veuille nous en tirer.
Du mercredi 20e. [septembre]
Toujours même vent et même temps. Nous avons mis à ◀la▶ voile à minuit que ◀le▶ vent avait un peu calmé comme on ◀l’▶espérait. Nous avons été toute ◀la▶ journée ◀la▶ sonde à ◀la▶ main à cause du vent contraire et que nous sommes proche de terre. Nous étions six navires hier ◀de▶ compagnie ; nous ne sommes plus que deux, ◀le▶ Florissant et nous. Nous savons ◀le▶ rendez-vous en cas ◀de▶ séparation, mais entre ci et là nous pourrions bien trouver des loups qui dévorassent ◀le▶ troupeau dispersé : ce ne serait pas sans coup férir, mais nous n’en serions pas mieux.
Du jeudi 21 [septembre]
◀Le▶ vent a calmé, ◀le▶ temps est toujours sombre et pluvieux. Nous ne voyons point encore ◀d’▶autre navire que ◀le▶ Florissant. Nous lui avons parlé ce soir. ◀Le▶ vent est toujours contraire à ◀la▶ route, et ainsi nous n’avons pas beau jeu.
Du vendredi 22. [septembre]
◀Le▶ vent a toujours été contraire jusques à ce matin dix heures qu’il est venu assez favorable mais inconstant, ◀le▶ ciel toujours couvert, et ◀de▶ ◀la▶ pluie de temps en temps. ◀Le▶ mauvais temps que nous avons eu depuis cinq jours nous a coûté du vin en dames-jeannes, qui ont été cassées et accablées par un quartaut ◀de▶ vin ◀d’▶Espagne que ◀le▶ roulis a jeté dessus. Nous avons aussi trouvé du pain gâté dans une soute toute mouillée. Je ne m’en étonne point, ◀le▶ navire fait ◀de▶ ◀l’▶eau de toutes parts.
Du samedi 23. [septembre]
◀Le▶ vent est toujours contraire à notre route ; nous ◀le▶ tenons ◀le▶ plus que nous pouvons, et tirons avec lui au court bâton. Notre vin est aigre, notre eau est puante et pleine ◀de▶ petits vers, enfin nous commençons à être à plaindre.
Du dimanche 24e. [septembre]
On m’a réveillé cette nuit sur ◀les▶ onze heures pour me dire qu’on voyait deux navires, mais ayant appris qu’on se contenterait ◀de▶ ◀les▶ suivre et ◀de▶ ◀les▶ garder jusques au jour, je me suis tenu dans mon lit et me suis rendormi tranquillement. Sur ◀les▶ deux heures après minuit, ◀le▶ Florissant a viré ◀de▶ bord pour venir à nous et nous a demandé si nous voyions ces deux navires, on lui a répondu que oui. Poursuivez votre route, a-t-il dit, je vais revirer ◀de▶ bord. C’est notre commandant, nous avons obéi et suivi notre route, qui nous portait sur ces deux navires. Pour lui il s’en est éloigné plus ◀d’▶une grande demi-lieue, et a laissé ◀l’▶Ecueil seul à tout hasard à démêler ◀la▶ fusée. Nous avons donc donné sur ces deux navires, qui après s’être parlé l’un à l’autre, se sont séparés à dessein de nous mettre entre eux deux. On voyait passer du feu dans leur entre-deux-ponts, grand signe qu’ils se préparaient au combat. On voyait deux navires qui ne paraissaient point craindre ◀le▶ choc, et avec cela, on voyait ◀le▶ Florissant nous quitter : c’était assez pour faire penser à soi. Monsieur de Porrières n’en a point été étonné : il a tout fait préparer pour ◀le▶ combat et s’est allé jeter vigoureusement entre ◀les▶ deux, bien résolu ◀de▶ montrer au Florissant ◀de▶ quelle manière il fallait s’y prendre. Il est certain que nous nous fussions battus en braves gens si c’eussent été des ennemis, et que nous étions prêts ◀de▶ leur répondre en même temps bâbord et stribord. Mais en ayant approché ◀de▶ ◀la▶ voix et ayant demandé ◀d’▶où est ◀le▶ navire ? ◀le▶ Dragon a répondu ◀De▶ Rouen, et nous, ◀De▶ Versailles, ainsi on a rengainé.
Ces deux navires sont ◀le▶ Dragon et ◀le▶ Lion, que nous avons rejoints grâce à Dieu. Plaise à sa bonté que nous rejoignions bientôt ◀le▶ Gaillard et ◀l’▶Oiseau. Tout le monde est fort scandalisé du procédé du Florissant. On croyait que ◀la▶ fausse manœuvre qu’il avait faite à Madras avait été un effet du hasard, mais ◀l’▶action ◀de▶ cette nuit ◀la▶ fait baptiser ◀d’▶un autre nom. Monsieur de Porrières ◀le▶ voyant s’éloigner à une si grande distance, et par conséquent sinon éviter tout à fait ◀le▶ choc, du moins échapper aux premiers coups qui sont toujours ◀les▶ plus à craindre, dit en plaisantant : J’ai envie ◀d’▶aller sur lui et ◀de▶ lui crier que nous avons revu ces deux navires. Et il est certain qu’il est homme à lui avoir fait ce tour si il avait su que ces deux navires eussent été des nôtres ; mais croyant que c’étaient des ennemis, et outre cela ne voulant pas qu’on puisse donner à ses actions un autre visage que celui que ◀l’▶apparence montre, il a poursuivi sa route et a donné au Lion et au Dragon, quoique seul, autant ◀de▶ peur que s’il avait été bien accompagné. Après ◀la▶ reconnaissance faite, un des officiers d’ici a crié au Dragon qu’ils paraissaient bien méchants ◀la▶ nuit puisqu’ils faisaient fuir ◀le▶ Florissant. J’ai été dîner aujourd’hui à bord de ce navire ; on m’a dit que ◀l’▶air résolu et hardi dont ◀l’▶Ecueil avait été cette nuit se jeter entre lui et ◀le▶ Lion leur avait donné bien à penser. S’il y a eu ◀de▶ ◀la▶ crainte ◀de▶ côté ou ◀d’▶autre j’en ai été exempt car comme je vous ai dit je dormais fort tranquillement. ◀Le▶ vent n’est pas bon, mais il n’est pas fort ; il n’a point plu aujourd’hui, miracle !
Du lundi 25e. [septembre]
Pendant tout ◀le▶ jour fort beau temps, peu de vent, et fort chaud. Nous avons vu ce soir beaucoup de gros poissons, thons, marsouins et dorades. Nous n’en avons point pris, et cela par ◀l’▶incivilité ◀de▶ Messieurs ◀de▶ Madras, qui nous ont cassé à coups ◀de▶ canon nos fouesnes et nos arpons. Il ne plut point hier, mais ◀le▶ ciel vient de nous payer pour hier et pour aujourd’hui. Cette pluie nous fait plaisir, car elle a changé ◀le▶ vent qui est bon à présent. ◀Les▶ vaches que nous avons eues ◀de▶ Bengale, qui sont assurément ◀les▶ doyennes du pays, sont plus dures que nos dents, on ◀les▶ donne aux matelots ; c’est un plaisir ◀de▶ ◀les▶ voir tirer après. ◀La▶ chair ◀de▶ ces animaux fait ce qu’elle peut pour n’être pas dévorée et se défend durement, mais inutilement. ◀Le▶ diable même rôti ou bouli, passerait ◀le▶ pas. Je me souviens ◀d’▶avoir entendu une pauvre femme se plaindre à ma mère du trop ◀d’▶appétit ◀de▶ son mari. Madame, lui disait-elle, ce malheureux heume ◀le▶ pain comme ◀le▶ vent. Je me sers ◀de▶ ses propres termes. Il en est de même ◀de▶ nos matelots, ils avalent en morceaux ce que leurs dents ne peuvent pas mâcher.
Du mardi 26e. [septembre]
Bon petit vent toute ◀la▶ nuit et toute ◀la▶ journée, nous allons bien. Monsieur de Porrières a été dîner à bord du Lion ; je n’y ai point été, n’y connaissant personne. Leur aumônier qui est un missionnaire est venu dîner ici et voir Monsieur Charmot. Il me paraît fort pieux, tel qu’ils sont tous. On peut lui donner ces six petits vers-ci ◀de▶ Monsieur Scarron :
Il porte une barbe en crépine.Car si vermine s’y fourraitTrop souvent il se gratterait,Dont pourrait souffrir du dommage
Effectivement il a une barbe crépue qui lui descend jusques à ◀l’▶estomac, et quelque chose ◀de▶ vénérable qu’ait une barbe, c’est pour moi un objet fort peu ragoûtant à moins qu’elle ne soit aussi blanche que ◀l’▶était celle ◀de▶ Monsieur L’Empereur à Paris.
Du mercredi 27. [septembre]
J’avais clos ◀l’▶article ◀d’▶hier, mais je n’avais pas songé que ◀l’▶heure ◀de▶ ◀la▶ pluie n’était pas passée, il a plu beaucoup. ◀D’▶où peuvent venir ◀les▶ pluies qu’il fait ici tous ◀les▶ soirs, car il pleut encore à ◀l’▶heure que je vous écris ? Je n’en sais rien, si ce n’est que ◀la▶ chaleur du soleil dissipe elle-même ◀les▶ exhalaisons qu’elle attire pendant ◀la▶ journée, mais que ◀le▶ soir ◀le▶ soleil qui s’éloigne n’ayant plus tant de force ne laisse pas ◀d’▶en attirer quantité, mais ne peut ◀les▶ dissiper, ce qui fait qu’elles sont résolues ou dissoutes en pluies par ◀la▶ chaleur dont ◀la▶ moyenne région ◀de▶ ◀l’▶air est échauffée. Il a fait presque calme toute ◀la▶ journée, et quoique si peu de vent qu’il a fait nous ait été bon, nous n’avons guère avancé. Monsieur Joyeux a envoyé cet après-midi son lieutenant à bord pour prier Monsieur de Porrières ◀d’▶aller demain dîner chez lui. Mais comme Messieurs ◀de▶ Quistilly et ◀de▶ Chamoreau doivent venir ici, Monsieur de Porrières ◀l’▶a remercié, et lui a fait dire que s’il voulait venir ici il serait ◀le▶ bienvenu, et cela ◀d’▶un certain air qui nous a fait connaître qu’il se souvient ◀de▶ ◀la▶ nuit ◀de▶ samedi à dimanche.
Du jeudi 28e. [septembre]
Calme presque tout plat. Tous ces messieurs sont venus dîner ici aujourd’hui, et j’ai été au Florissant où ils doivent aller dimanche prochain. Il faut que ◀la▶ discorde ait soufflé ◀de▶ son venin dans ce navire, car ils sont toujours en guerre intestine. Je ne veux pas dire que ce soit par ◀la▶ faiblesse ◀de▶ leur capitaine, mais il est constant qu’un homme qui sait bien se faire obéir tient tous ses gens dans ◀le▶ respect et ◀l’▶union.
Si licet exemplis. in parvo grandibus uti
S’il est permis ◀de▶ se servir ◀d’▶un grand exemple dans une chose ◀de▶ peu de conséquence, ◀la▶ France ne serait pas au point ◀de▶ grandeur où elle est, ◀les▶ factions n’auraient point été assoupies, ◀l’▶hérésie n’en aurait pas été extirpée, et ◀la▶ tranquillité ne régnerait pas dans toutes ◀les▶ provinces comme elle y règne si ◀le▶ Roi n’avait su se faire obéir par tout le monde sans distinction.
Du vendredi 29e. [septembre]
Vent tout à fait contraire mais faible Dieu merci, chaleur très forte.
Du samedi 30e. et dernier [septembre]
Il ne vente que très peu et tout à fait contraire pour aller à Mergui ; nous lauvoyons bord sur bord pour tâcher ◀de▶ ne nous point éloigner puisque nous ne pouvons avancer.
Ceci nous vaut autant que si nous croisions exprès, parce que s’il nous tombait quelque navire entre ◀les▶ mains, nous lui ferions décliner son nom. Nous en avons vu deux ce soir, mais à une très grande distance ; nous avons reviré ◀de▶ bord pour aller à eux, mais ◀le▶ vent quoique bon est bien faible.
Octobre 1690
Du dimanche premier. octobre
Toujours même vent. Nous n’avons point revu ◀les▶ deux navires ◀d’▶hier.
Du lundi 2 [octobre]
◀Le▶ vent continuant toujours contraire pour Merguy ; et ◀les▶ vaisseaux commençant à manquer ◀d’▶eau, et ne voyant point ◀d’▶apparence ◀de▶ pouvoir y arriver ◀de▶ longtemps ; et que même nous ne savons si nous y serions bien reçus, Messieurs ◀les▶ capitaines ont tenu conseil ce matin à bord du Florissant, où tout bien pesé, ◀la▶ nécessité ◀de▶ rejoindre ◀le▶ Gaillard et ◀l’▶Oiseau, ◀le▶ besoin que nous avons ◀d’▶eau, ◀la▶ quantité ◀de▶ malades qui sont dans ◀les▶ navires qui ont besoin ◀de▶ repos et ◀de▶ rafraîchissements, et ◀l’▶incertitude où nous sommes si nous serions bien reçus à Merguy ; et outre cela, que ◀les▶ vents ayant toujours été contraires pour y aller, ◀le▶ Gaillard et ◀l’▶Oiseau n’auraient pas pu y atteindre non plus que nous, et qu’ainsi ils pouvaient s’être rendus à Négrades, qui est ◀le▶ rendez-vous en cas qu’on ne pût aller à Mergui ou qu’on y fût mal reçu, il a été résolu ◀d’▶aller à Négrades, dont nous ne sommes qu’à soixante lieues. ◀La▶ guerre civile est plus allumée que jamais dans ◀le▶ Florissant. Pour nous, grâce à Dieu, et au bon ordre établi par Monsieur de Porrières, nous vivons dans une paix profonde. Comme il s’est rendu seul maître ◀de▶ tout, chacun n’ayant à répondre qu’à lui fait ce qu’il doit faire. Effectivement ◀la▶ qualité ◀la▶ plus requise dans un commandant après ◀le▶ bon sens et ◀la▶ prudence est celle ◀de▶ savoir bien se faire obéir.
Du mardi 3e. [octobre]
Calme tout plat et chaleur très forte.
Du mercredi 4e. [octobre]
Encore calme tout plat, chaleur excessive. Il a plu ce soir et ◀la▶ pluie nous a amené un petit vent ◀de▶ Nord-Est qui nous était bon, mais qui n’a pas duré.
Du jeudi 5e. [octobre]
Calme presque toute ◀la▶ journée ; il vient de se lever un vent ◀de▶ Sud qui ne vaut rien.
Du vendredi 6e. [octobre]
Ce matin nous avons vu proche de nous à deux portées ◀de▶ canon un petit navire. ◀Le▶ Florissant n’a fait aucun signal pour lui donner cache, et nous avons poursuivi notre route fort longtemps, et ainsi il a eu celui ◀de▶ se tirer ◀de▶ nos mains. Enfin ◀le▶ Florissant a donné dessus, mais trop tard car il était trop loin. Nous nous sommes tous remis en route ; ce bâtiment est revenu sur nous pour nous reconnaître ; on croit ici avec toute sorte ◀d’▶apparence que c’est un espion que ◀les▶ ennemis ont envoyé pour découvrir notre route, et savoir où nous sommes et où nous allons. Il est certain que nous ◀l’▶aurions pris si nous avions donné dessus sitôt qu’on ◀l’▶a vu. ◀L’▶obscurité qu’il a fait cette nuit nous ◀l’▶avait donné, notre négligence nous ◀l’▶a ôté. On est fort étonné du procédé ◀de▶ Monsieur Joyeux, et sur ce pied-là on regrette ◀le▶ Gaillard et ◀l’▶Oiseau qui ◀l’▶auraient enlevé assurément s’ils avaient été ici. Monsieur de Porrières ne dit pas ce qu’il en pense, mais je crois que s’il avait été ◀le▶ maître, et que ◀le▶ Florissant ne fût pas notre amiral, ce petit navire aurait décliné son nom et celui ◀de▶ ses maîtres. Je ne veux point dire que Monsieur Joyeux fasse ces sortes ◀de▶ contretemps ◀de▶ lui-même, j’aime mieux en rejeter ◀la▶ faute sur ◀le▶ peu de concorde qu’il y a dans son navire. Cependant il me semble qu’il devrait être ◀le▶ maître dans son bord comme Monsieur de Porrières ◀l’▶est ici, et outre cela quoique je sois certain qu’il fait cette campagne-ci malgré lui puisqu’il ne s’en est point caché à Lorient, je ne hésiterai point ◀de▶ dire qu’il devait ne ◀la▶ pas faire, ou que puisqu’il y est engagé et qu’il ◀la▶ fait, il serait ◀de▶ son honneur ◀de▶ s’en acquitter comme ◀la▶ faisant de bon cœur. Car enfin, pour dire ◀les▶ choses comme elles sont, tout ceci ◀le▶ perd ◀de▶ réputation, et il ne se lavera jamais des accusations qu’on lui pourra faire ◀d’▶une négligence volontaire, ou ◀d’▶une lâcheté dont on ne ◀l’▶a jamais cru capable.
Je vous ai dit que nous faisions très pauvre chère ◀les▶ jours maigres. J’ai tant fait qu’il a été résolu aujourd’hui que dorénavant nous ferions gras ◀le▶ samedi, et qu’il n’y aurait plus que ◀le▶ vendredi qui serait pour nous un jour ◀de▶ carême.
Du samedi 7 [octobre]
Toujours temps couvert et toujours vent près. Il a extrêmement plu ce soir et ◀le▶ vent est venu bon, mais comme nous croyons être proche des îles qui avoisinent Merguy, nous ne ferons point ◀de▶ voiles cette nuit.
Du dimanche 8. [octobre]
Nous avons resté toute ◀la▶ nuit à ◀la▶ cape, c’est-à-dire que nous n’avons point été du tout quoique ◀le▶ vent fût bon, crainte ◀de▶ trouver ce que nous ne cherchons pas. ◀Le▶ vent s’est remis ce matin à son trou ordinaire, c’est-à-dire contraire pour Négrades. Cette obstination du vent nous fait changer ◀de▶ dessein, et nous allons à Merguy, qui est le premier rendez-vous. Dieu veuille que nous y trouvions ◀le▶ Gaillard et ◀l’▶Oiseau.
Du Lundi 9e.[octobre]
Toujours même vent c’est-à-dire bien près. ◀La▶ brume est si épaisse que nous ne voyons pas cent pas devant nous ; il pleut presque toujours et ◀le▶ temps ne s’éclaircit point.
Du mardi 10. [octobre]
Calme tout plat toute ◀la▶ journée, pas un souffle ◀de▶ vent, pas une nuée en ◀l’▶air, et chaleur excessive.
Du mercredi 11e. [octobre]
◀Le▶ ciel se couvrit hier au soir ; il a plu toute ◀la▶ nuit, et aujourd’hui jusques sur ◀les▶ trois heures après-midi que ◀le▶ temps a éclairci. Nous n’avons point vu terre, et cependant nous en sommes très proches. ◀Le▶ temps a été si sombre et si couvert que des oiseaux ◀de▶ terre qui avaient été apparemment poussés au large par ◀le▶ vent n’ont pu ◀la▶ retrouver, et se sont venus percher sur nos vergues et nos manœuvres. Nos matelots en ont pris plusieurs à ◀la▶ main, entre autres ◀de▶ petits faits comme nos terrains ◀de▶ France excepté qu’ils ont ◀le▶ bec comme celui ◀d’▶une fauvette, un autre comme une bergeronnette, et une tourterelle et une bécasse, semblables à celles ◀de▶ France. ◀La▶ tourterelle était bonne, j’en viens de goûter ; nous mangerons demain au soir ◀la▶ bécasse. Bien des gens qui sont déjà venus ici et qui sont avec nous disent que cela est extraordinaire pour ◀la▶ tourterelle et pour ◀la▶ bécasse, mais non pas pour ◀les▶ autres oiseaux, et il est constant qu’on trouve fort souvent à ◀la▶ mer des oiseaux ◀de▶ terre égarés qui sont tellement fatigués qu’ils ne peuvent se soutenir, et se laissent facilement prendre. Cela nous est un signe certain ◀de▶ ◀la▶ proximité ◀de▶ ◀la▶ terre, nous nous en défierons. Il a calmé ce soir et ◀le▶ temps est beau.
Du jeudi 12 [octobre]
Il a venté cette nuit un petit vent qui nous a servis. ◀Le▶ temps était sombre et couvert, heureusement il a éclairci. Je dis heureusement, car nous donnions à pleines voiles sur une île nommée Priparis, qui est sur ◀les▶ côtes ◀de▶ Siam, ◀de▶ laquelle nous croyions être bien loin dans ◀l’▶Est, tous ◀les▶ pilotes se faisant proches ◀de▶ Merguy. A qui en est ◀la▶ faute ? On dit que ◀les▶ courants nous ont été contraires ; ces courants ont bon dos, ils portent tout. Cette île de Priparis est marquée mal sur ◀les▶ cartes hollandaises qui ◀la▶ mettent à 16 degrés ◀de▶ latitude Nord. ◀Les▶ cartes françaises, qui ◀la▶ mettent à 15 sont plus justes. Quelle soit où elle voudra, nous avons bien des grâces à rendre à Dieu ◀de▶ nous ◀l’▶avoir fait découvrir, car nous ne nous y attendions point du tout, ◀la▶ croyant derrière nous.
◀Les▶ navires n’ayant plus ◀d’▶eau ni ◀de▶ bois, et notre gouvernail étant fort incommodé, et ◀le▶ vent étant bon pour aller à Négrades et ne valant rien pour aller à Merguy, nous faisons route pour le premier dont nous ne sommes qu’à vingt lieues.
Du vendredi 13e. [octobre]
Nous avons vu terre ce matin sur ◀les▶ dix heures. Nous en avons fait ◀le▶ signal ; ◀le▶ Florissant a poursuivi sa route jusques à midi, que nous lui avons fait une seconde fois ◀le▶ signal et que nous avons mis en panne pour ◀l’▶attendre. Il était à plus ◀de▶ deux lieues au vent à nous ; enfin il a arrivé, nous lui avons parlé. Monsieur de Porrières lui a dit que son gouvernail étant en pitoyable état, c’était son sentiment ◀d’▶aller à Négrades. Qu’en deux jours ◀de▶ travail il serait en état ◀d’▶aller à Merguy, et que Monsieur du Quesne pourrait être aussi bien au premier qu’au dernier. Monsieur Joyeux lui a dit ◀d’▶aller, que pour lui il allait encore croiser deux jours, et que s’il ne trouvait point Monsr. du Quesne, il viendrait nous rejoindre. ◀l’▶Ecueil a donc fait route pour Négrades, qui est ◀la▶ terre que nous voyons, mais Monsr. ◀de▶ Joyeux nous a suivis contre notre attente. Nous en avons été tout proches, et lorsque nous allions mouiller, ◀le▶ Florissant a viré ◀de▶ bord, et ne nous faisant aucun signal pour nous faire rester, nous avons été obligés ◀de▶ ◀le▶ suivre parce qu’il est notre commandant. Ainsi contre vent et marée nous reprenons ◀la▶ route ◀de▶ Merguy.
Du samedi 14e. [octobre]
Nous fîmes mal hier ◀de▶ ne point mouiller : nous aurions été à ◀l’▶abri des terres pendant ◀le▶ vent ◀de▶ cette nuit, et nous serions dès midi en lieu où nous pourrions raccommoder notre gouvernail et faire ◀de▶ ◀l’▶eau, au lieu que nous sommes très mal présentement. Un vent ◀d’▶Est-Sud-Est qui a soufflé épouvantablement toute ◀la▶ nuit nous rejette au large. Il faisait une pluie et des grains si forts que nous n’osions porter que nos pafis, et ce même vent qui souffle encore très bon frais nous empêche ◀d’▶attraper ni Merguy ni Négrades, et voilà à quoi nous sommes réduits par ◀le▶ peu de solidité qu’a notre amiral dans ses résolutions. Nous avions été tellement dispersés cette nuit que nous avons été obligés ◀de▶ mettre ce matin à ◀la▶ cape et ◀d’▶y rester plus ◀de▶ deux heures pour attendre ◀les▶ autres.
On a fait aujourd’hui justice à bord, mais comme on ◀la▶ doit faire encore demain, je remets à vous dire tout quand tout sera fait.
Du dimanche 15e. [octobre]
Toujours vent contraire et il pleut de temps en temps. Je vous promis hier ◀de▶ vous dire ce que c’est que ◀la▶ justice des navires et comme elle s’y exécute. Il en faut savoir ◀le▶ sujet. Deux ◀de▶ nos soldats avaient volé deux ◀de▶ nos matelots, l’un en lui coupant ◀la▶ poche ◀de▶ son haut-de-chausse en dormant, et l’autre en fouillant dans son coffre. Quoique ◀le▶ crime fût pareil, ils n’étaient point pourtant ◀de▶ part ni ◀de▶ société. L’un avait attrapé huit écus, l’autre vingt-cinq. Nos matelots savaient et connaissaient ◀les▶ voleurs ; ils leur ont demandé plusieurs fois leur argent, offrant même ◀d’▶y perdre et ◀de▶ n’en point parler s’ils voulaient leur rendre ◀de▶ bonne foi ce qu’ils en avaient ◀de▶ reste. Point ◀de▶ nouvelles. Ils ont toujours dénié. Enfin ◀le▶ sergent qui est un fort honnête garçon et que j’aime à cause de cela, a fait en sorte ◀de▶ découvrir toute ◀la▶ mèche, ◀d’▶autant plus facilement que ces misérables jouaient cet argent aux cartes, et qu’on savait bien qu’ils n’en avaient point - ou n’en devaient point avoir. Sur ◀la▶ plainte des matelots et ◀la▶ découverte du sergent, ils furent mis aux fers il y a environ quinze jours. Comme ils avaient joué cet argent et qu’ils en avaient perdu, ils n’en ont rendu environ que la cinquième partie, ainsi ◀le▶ reste a été perdu pour ceux à qui il appartenait, mais qui s’en sont rudement payés par leurs mains. On n’a point fait ◀d’▶autre cérémonie que ◀de▶ ◀les▶ amarrer ou lier l’un hier et l’autre aujourd’hui, ◀le▶ ventre sur un canon, ◀les▶ bras bien étendus, et en cet état ◀les▶ abandonner chacun à ◀la▶ miséricorde ◀de▶ celui qu’il avait volé, lesquels avec une corde grosse comme ◀la▶ moitié du bras leur ont chatouillé ◀le▶ corps à trois reprises, toutes ◀les▶ trois fois à perte ◀d’▶haleine, et ◀les▶ ont tapés en matelots volés et perdants. Ce sont ◀de▶ terribles frappeurs que ◀les▶ matelots, surtout lorsqu’ils sont piqués au jeu et qu’ils se vengent. ◀Le▶ dos ◀de▶ ces deux soldats se souviendra longtemps ◀de▶ ◀la▶ méchante action ◀de▶ leurs mains, surtout celui ◀de▶ ce matin, car il avait affaire malheureusement pour lui, à un matelot qui sait mieux et plus vigoureusement frapper que celui ◀d’▶hier, et qui. outre cela, avait fait ◀la▶ plus grande perte : aussi ◀l’▶a-t-il accommodé en chien renfermé. Il n’en est pourtant pas quitte car il ne veut pas avouer comment il a pris cet argent, et il n’y a que ◀la▶ confession qui puisse ◀l’▶en tirer. On ◀l’▶a remis aux fers. Je ne sais comment ◀le▶ corps ◀d’▶un homme peut souffrir tant de coups, si bien et si vigoureusement appliqués, sans être écrasé ; apparemment que ◀le▶ corps ◀d’▶un fripon est plus dur que celui ◀d’▶un honnête homme, et Monsieur Racine n’a pas mal rencontré dans ses Plaideurs quand il fait dire à ◀l’▶Intimé métamorphosé en sergent :
Je ne sais, mais enfin
Pour moi, qui regarde ◀les▶ fripons avec des yeux pitoyables et qui ◀les▶ aime ◀de▶ tout mon cœur, j’ai donné au matelot qui a si bien épousseté celui-ci un bon coup ◀d’▶eau-de-vie pour ◀le▶ remettre ◀de▶ ◀la▶ fatigue qu’il venait de prendre, car il a bien fait son devoir à ma fantaisie. C’est un plaisir pour moi qu’une pareille exécution ; s’il y a à bord d’autres gens capables ◀de▶ jouer ◀de▶ ◀la▶ griffe, ◀l’▶exemple est pathétique et palpable.
Du lundi 16e. [octobre]
◀Le▶ vent a calmé mais il est toujours contraire, et nous commençons à manquer ◀d’▶eau.
Du mardi 17. [octobre]
Il a fait calme tout ◀le▶ jour et ainsi une chaleur excessive. ◀Le▶ vent est venu Nord-Ouest ce soir, et est bon pour rattraper Négrades. Que ◀le▶ Florissant vienne ou non, c’est une nécessité pour nous ◀d’▶y aller ; nous ne pouvons nous en dispenser et nous en tenons ◀la▶ route.
Du mercredi 18. [octobre]
Toujours bon vent. Nous sommes mouillés à la vue de Négrades, où nous n’avons pas pu entrer à cause des courants qui sont extrêmement forts ici. Demain, Dieu aidant, nous irons.
Du jeudi 19. [octobre]
Nous sommes aujourd’hui entrés à Négrades tous ◀les▶ quatre navires ensemble. Nous avons salué ◀le▶ Pégu en touchant, parce que nous avons voulu éviter ◀de▶ tomber sur ◀le▶ Florissant qui a fait une méchante manœuvre en revirant trop tôt dans ◀le▶ canal, et qui nous a obligés ◀d’▶en faire une aussi, crainte ◀de▶ nous incommoder l’un l’autre. Nous voyons des cerfs courir à terre, tant mieux nous en voirons quelqu’un dans ◀le▶ plat.
Novembre 1690
Du mardi 14e.novembre
N’ayant rien presque à vous dire jour par jour, j’ai remis à vous écrire tout ce que je sais ◀de▶ ce pays-ci lorsque nous en serions partis, et comme nous avons mis ce soir à ◀la▶ voile, je vais vous dire ce qui en est ou qui m’en a paru.
Négrades ou Négerades est par cent seize degrés ◀de▶ longitude, et seize degrés ◀de▶ latitude Nord. Ce sont deux îles qui peuvent avoir l’une douze lieues et l’autre trois ◀de▶ tour. Elles sont contiguës au Royaume ◀de▶ Pégu et en sont ◀les▶ dernières terres dans ◀le▶ Sud-Ouest, et n’en sont séparées que par un bras ◀de▶ mer qui n’a pas plus ◀de▶ demi-lieue ◀de▶ large au plus, du moins du côté que j’ai vu et où j’ai été. Nous avons mis nos malades à terre dans ◀la▶ petite, et je n’ai été que deux fois dans ◀la▶ grande. Ce pays est très malsain, inculte, inhabité, tout couvert ◀de▶ bois ◀d’▶espèces qui me sont inconnues, et toujours humide par ◀la▶ grande quantité ◀de▶ pluies qui y tombent, et qui y sont si fréquentes que quoique ◀le▶ soleil ait ici une chaleur excessive et brûlante ◀la▶ terre n’y est jamais sèche ; elle est grasse et me paraît bonne si elle était cultivée. On dit qu’autrefois des Portugais s’y étaient établis, mais qu’ils ont été massacrés par ◀les▶ Pégouans. Ces îles-ci sont pleines ◀d’▶étangs et ruisseaux qui nourrissent du canage et du poisson à prendre à ◀la▶ main comme quelques-uns ◀de▶ nos gens en ont pris. Ils nourrissent aussi quantité ◀d’▶insectes et ◀de▶ monstres qui ne sont point connus dans notre Europe, et qui sont produits ici par ◀l’▶humidité ◀de▶ ◀la▶ terre et ◀la▶ chaleur du soleil. ◀La▶ terre est pleine ◀de▶ couleuvres et ◀de▶ serpents ◀d’▶une grandeur prodigieuse, et ◀les▶ eaux ◀de▶ caïmans, qui est un animal long ◀de▶ 20 à 24 pieds, fait comme ◀les▶ crocodiles, excepté qu’il n’a point ◀de▶ petites cornes aux deux côtés ◀de▶ ◀la▶ tête, et qu’il a ◀la▶ queue coupée par intervalles à peu près comme une crémaillère ; et qu’il a ◀la▶ langue en fer ◀de▶ lance, ce que n’a pas ◀le▶ crocodile qui a la sienne large et plate. Cet animal est fort beau à voir, mais dangereux à approcher. Il a ◀le▶ corps, ◀la▶ tête et ◀la▶ queue couverte ◀d’▶écailles larges ◀d’▶un pouce et demi[e] en carré relevées comme un diamant à facettes. Ces écailles sont marquetées ◀de▶ noir, ◀de▶ blanc et ◀de▶ jaune, mais ◀d’▶un fort bel éclat. ◀La▶ tête est faite comme celle ◀d’▶un lézard, et remue comme ◀le▶ crocodile et ◀le▶ perroquet ◀la▶ mâchoire supérieure aussi bien que ◀l’▶inférieure. Il a trente-deux dents en bas et trente-six en haut, fort pointues et plates. ◀Le▶ dessous du corps est couvert ◀d’▶écailles larges ◀d’▶un pouce en carré, plates et blanches, et qui se replient l’une dans l’autre. Il a quatre pattes griffées dont il se sert dans ◀l’▶eau pour nager, et dont il rampe à terre assez lentement, ce qui fait qu’on ◀l’▶évite avec assez ◀de▶ facilité. Elles sont couvertes ◀de▶ petites écailles noires et blanches qui font un très bel effet aux yeux. Nos matelots en ont pris un qu’ils avaient écorché, ◀l’▶avaient fait cuire et 1’allaient manger sans Monsieur de Porrières qui ◀le▶ fit jeter à ◀la▶ mer. Soit dit en passant, ◀le▶ diable ne se tirerait pas bragues nettes ◀de▶ leurs mains s’il y tombait sous quelque figure que ce fût.
Je me souviens ◀d’▶avoir vu et lu quelque part que ◀le▶ lion fait fuir ◀le▶ tigre, et que ◀l’▶antipathie est si grande entre ces animaux qu’ils ne se rencontrent jamais ensemble dans ◀le▶ même pays. Je ne me suis point aperçu que cela fût vrai, car il y en a ici en quantité ◀de▶ l’une et ◀de▶ l’autre espèce. Il y a des éléphants et des buffles faits comme ceux ◀d’▶Italie. J’ai été à ◀la▶ chasse avec un matelot seul ; nous en rencontrâmes une troupe, il voulait que je tirasse dessus, mais je jugeai à propos de ◀les▶ laisser passer sans leur rien dire, ◀d’▶autant plus qu’il n’y avait que moi qui eût un fusil, et sachant que ◀les▶ buffles ◀d’▶Italie sont animaux insociables, j’appréhendai que ceux-ci leur ressemblant tout à fait ◀de▶ corps ne fussent aussi de même humeur. Nos chasseurs en ont tué, nous en avons mangé, et je puis vous dire que c’est un très excellent manger à quelque sauce qu’on ◀le▶ mette, et qu’il fait ◀de▶ ◀la▶ soupe excellente. ◀Les▶ sangliers, ◀les▶ cerfs et ◀les▶ biches y vont par troupeaux ◀de▶ cent et deux cents, et pendant vingt-quatre jours que nous y avons été nos chasseurs nous en ont amplement fourni, tant pour nous que pour nos malades, et même pour partie ◀de▶ notre équipage. ◀Le▶ sanglier est bon quand il a été salé quelque temps. Pour ◀le▶ cerf, il est assez délicat mais maigre et on s’en dégoûte facilement ; et il s’en faut ◀de▶ beaucoup qu’il ne vaille ◀le▶ cerf ◀de▶ France. Nous en avons mangé en toutes sauces, au pot, à ◀la▶ broche et en pâte, et je commençais à en être dégoûté ◀de▶ toutes. Cette viande veut être promptement mangée parce qu’elle se corrompt ◀d’▶un jour à l’autre ; peut-être comme on ◀le▶ dit à cause que ne perdant pas tout son sang par ◀les▶ trous des balles, ce qui en reste dans ◀le▶ corps s’empuantit facilement à ◀la▶ chaleur qu’il fait ici. Si cela est ainsi, ◀les▶ bestiaux que nous avons eus ◀de▶ Moali, qui étaient bien saignés, se fussent gardés plus longtemps n’y faisant pas plus chaud qu’ici : ils ne se gardaient pourtant pas davantage. Un mouton ◀de▶ France qui avait été blessé il y a trois jours, et qu’on tua aussitôt s’est gardé bon jusques à aujourd’hui que ◀l’▶on ◀l’▶a mangé ce soir. Ce n’est donc ni ◀le▶ sang qui peut rester dans ◀le▶ corps ni ◀la▶ chaleur qui en est ◀la▶ seule cause, quoiqu’elle y contribue : c’est donc ◀l’▶humidité que ces animaux contractent par leur nourriture dans une terre grasse et humide où ils ne vivent que ◀d’▶herbes fort spongieuses.
Il y a dans une petite île à une lieue ◀d’▶où nous étions mouillés une quantité prodigieuse ◀de▶ tortues. Ce ne sont pas ◀de▶ celles dont on fait des couvertures, des peignes et d’autres ouvrages lorsque nos artisans ◀les▶ mettent en œuvre ; c’est une autre espèce ◀de▶ tortue qu’on nomme caret et dont ◀la▶ maison n’est que ◀d’▶une seule pièce, qui n’est propre à rien. ◀Le▶ corps est adhérent à cette maison et en fait partie. Il y en a qui pèsent quatre et cinq cents livres. Ce ne sont que ◀les▶ femelles qui viennent à terre, ◀le▶ mâle restant toujours à ◀l’▶eau. Cet animal ne fait que se traîner assez lentement parce que ses pattes ou plutôt ses nageoires sont extrêmement faibles pour un si grand faix, et lorsqu’il est sur ◀le▶ dos, il est impossible qu’il se retourne sur ◀le▶ ventre, et par conséquent qu’il marche. Il ne vient à terre que pour se décharger ◀de▶ ses œufs qu’il porte en très grande quantité jusques au nombre ◀de▶ quatre et cinq cents. Ces œufs sont parfaitement ronds et faits comme une bille à jouer au billard. Ils ne sont point séparés ◀les▶ uns des autres dans ◀le▶ corps ◀de▶ ◀la▶ mère par une séparation particulière, mais tous à côté ◀les▶ uns des autres dans un boyau ◀de▶ leur grosseur fort mince et tendre, à peu près comme des crottes ◀de▶ mouton dans ◀le▶ corps ◀de▶ ◀l’▶animal avant que ◀d’▶être jetées dehors. ◀Le▶ jaune n’est point séparé du blanc quoiqu’il en soit distingué, et ce blanc ne durcit jamais quelque temps qu’il reste sur ◀le▶ feu. Ces œufs ne valent rien du tout quoique ◀les▶ matelots ◀les▶ mangent, mais que ne mangent-ils pas ? Ils sont couverts non pas ◀d’▶une coque mais ◀d’▶une pellicule blanche et tendre comme du parchemin mouillé, en sorte qu’on peut ◀les▶ laisser tomber sans qu’ils se cassent, parce que cette peau obéit sans se crever. Il semble que Dieu ait donné à cet animal ◀la▶ connaissance ◀de▶ ◀l’▶impossibilité où il est ◀de▶ faire éclore ses œufs par lui-même, et qu’il connaisse qu’outre qu’un fardeau aussi lourd que son corps portant sur ces œufs ◀les▶ écraserait, ◀la▶ chaleur naturelle qu’il leur pourrait communiquer à travers sa maison ou son plastron ne serait pas assez forte pour ◀les▶ faire éclore. Et ◀la▶ nature pour ne point tromper ◀l’▶ardeur ◀de▶ cet animal dans ◀la▶ propagation ◀de▶ son espèce, lui a donné ◀l’▶instinct ◀de▶ faire un trou dans ◀le▶ sable sur ◀le▶ bord ◀de▶ ◀la▶ mer et où elle ne monte point, et ◀de▶ s’y décharger ◀de▶ son fardeau au nombre ◀de▶ cinq ou six cents œufs, ◀de▶ recouvrir ◀le▶ tout ◀de▶ sable, et ◀de▶ ◀les▶ confier ainsi à ◀la▶ chaleur du soleil qui par son influence bénigne achève ce que ◀la▶ nature a commencé, en donnant ◀la▶ vie à ces œufs, et ◀les▶ faisant éclore. Et à peine ◀les▶ petits sont-ils hors de ◀la▶ coque qu’ils cherchent naturellement ◀l’▶eau. Et c’est lorsque ◀les▶ mères viennent à terre pour y mettre bas que ◀les▶ matelots ◀les▶ prennent. Cet animal a encore une autre propriété, c’est qu’il reste en vie tourné sur ◀le▶ dos vingt et vingt-cinq jours sans manger, en ◀le▶ lavant tous ◀les▶ matins ◀d’▶eau ◀de▶ ◀la▶ mer. ◀La▶ chair en est assez bonne mais longue, ◀de▶ couleur ◀de▶ celle du bœuf ; elle fait ◀de▶ bonne soupe, et ◀d’▶assez bonnes fricassées lorsque ◀les▶ épices y dominent. Elle est purgative, et par conséquent excellente pour un équipage qui a été longtemps nourri ◀de▶ bœuf et ◀de▶ lard salés ; mais il ne faut point en manger ni trop à la fois ni trop longtemps, parce qu’elle incommode. En effet, nous avons beaucoup plus ◀de▶ malades à présent que nous n’en avions avant que ◀d’▶arriver à Négrades et j’en rejette ◀la▶ cause sur ◀la▶ tortue qu’ils ont mangée avec trop ◀d’▶avidité, outre qu’effectivement ◀la▶ fatigue que tout le monde a eue ici y peut beaucoup contribuer.
Je vous ai dit que ces îles-ci sont inhabitées, cependant nous y avons trouvé des têtes et des os ◀d’▶hommes morts qui étaient hors de terre. Mais je ne crois point que ce soit des corps ◀d’▶hommes originaires du pays, oui bien ◀de▶ quelques matelots ou autres des navires européens qui y sont venus hiverner comme nous, et qui y ont enterré comme nous ceux des leurs qui y sont morts, et que ◀les▶ bêtes féroces, tigres, lions ou autres ont déterrés. ◀Les▶ navires ◀de▶ ◀l’▶escadre y ont laissé plusieurs ◀de▶ leurs gens, entre autres ◀l’▶Oiseau (car grâce à Dieu nous sommes tous réunis à présent) y a laissé Monsieur de La Ville-aux-Clercs, son lieutenant. On dit ici qu’il était fils naturel ◀d’▶un prince français qu’on m’a nommé, mais je n’y vois point ◀d’▶apparence, car il faudrait qu’il ◀l’▶eût eu dès ◀le▶ berceau, étant à peu près de même âge ; pour son frère naturel, cela se peut, car défunt Monsieur ◀le▶ duc ◀de▶ Nemours a été un des plus galants hommes ◀de▶ son temps, et si on en croit ◀la▶ chronique scandaleuse, il a eu plusieurs bonnes fortunes et amourettes dont celui-ci pourrait bien avoir été une échappée. Quoi qu’il en soit pour revenir aux morts ◀l’▶Ecueil n’en a point laissé.
Mais avant que de sortir du Pégu, il faut que je vous en dise une chose que j’en ai apprise par Monsieur de Quemener missionnaire qui revient en France après dix ans ◀de▶ séjour dans ce pays-ci. C’est qu’un roi du Pégu, voyant que son royaume se dépeuplait par ◀le▶ peu de commerce que ◀les▶ hommes avaient avec ◀les▶ femmes qu’ils méprisaient pour s’adonner au crime qui attira ◀le▶ feu du ciel sur Sodome et Gomorrhe, ordonna que ◀les▶ femmes pour ◀les▶ inciter à ◀la▶ lubricité iraient désormais nues, excepté une écharpe qui leur prendrait ◀de▶ ◀l’▶épaule gauche sous ◀l’▶épaule droite, et qu’elles ne porteraient pour tout autre vêtement qu’un linge qui ◀les▶ couvrirait depuis ◀le▶ dessous du nombril jusques à ◀la▶ moitié ◀de▶ ◀la▶ cuisse, lequel s’ouvrirait sur ◀le▶ devant au mouvement que ces femmes feraient en marchant, afin que ◀la▶ vue ◀de▶ ◀l’▶objet pût réveiller, dans ces hommes infâmes, ◀les▶ sentiments que ◀la▶ nature seule inspire. Cela se pratique encore aujourd’hui ; ainsi ◀les▶ femmes et ◀les▶ filles y sont communes, et ressemblent à des troncs publics, toujours prêtes à recevoir ◀les▶ offrandes du premier venu. Cela me fait souvenir ◀de▶ ◀l’▶axiome du droit qui dit :
Omnis justicia habet in se aliquid ex iniquo, quod utilitate publicarependitur.
C’est-à-dire que toute sorte ◀d’▶action ◀de▶ justice a en soi quelque chose ◀d’▶injuste qui est récompensé par ◀l’▶utilité publique. En effet depuis ◀l’▶exécution ◀de▶ cet ordre ◀le▶ pays se repeuple, et ◀le▶ crime contre nature s’abolit insensiblement. Pour cette communauté des femmes elle ne doit point étonner, puisqu’elle était autrefois établie dans plusieurs parties ◀de▶ ◀l’▶Europe avant qu’elles eussent été disciplinées par ◀les▶ lois, et éclairées par ◀les▶ lumières ◀de▶ ◀l’▶Evangile. Jules César dans ses Commentaires dit que ◀les▶ femmes étaient communes ◀de▶ son temps dans ◀la▶ Grande-Bretagne qui est aujourd’hui ◀l’▶Angleterre, et qu’ils n’en avaient point ◀de▶ particulières, lorsqu’il y alla.
Je ne finirais jamais si je vous écrivais tout ce que je sais par ouï-dire ◀de▶ ◀l’▶Asie. Je ne puis pourtant me dispenser ◀de▶ vous parler du royaume ◀d’▶Achem dont nous sommes proches. ◀Les▶ peuples ne souffrent point que ◀le▶ fils succède au père, à moins que ce ne soit ◀d’▶une reine qu’il ◀l’▶ait eu, et ◀la▶ couronne n’y est jamais possédée par deux hommes ◀de▶ suite ; ils sont si jaloux du sang auquel ils obéissent qu’afin d’être sûrs qu’ils ne s’abusent point ils n’ont recours qu’à celui des femmes, c’est-à-dire qu’une reine d’Achem ayant du mari qu’elle aura épousé un garçon et une fille, ce garçon lui succède, mais non pas ses enfants à lui, et ce sont ceux ◀de▶ sa sœur, et toujours ainsi. Et ce que je trouve ◀d’▶assez étonnant dans cette coutume, c’est que ce sexe doit ◀la▶ couronne au peu de confiance que ses propres sujets ont en sa continence et à sa chasteté conjugale. Voilà tout ce que je crois vous devoir dire ◀de▶ ces pays-ci, ne jugeant pas à propos de vous rien écrire sur des ouï-dire. Je vous dirai seulement que notre hivernement a été plus fatigant que ◀la▶ campagne même, et que nos matelots étaient presque tous sur ◀les▶ dents par ◀le▶ travail continuel ◀de▶ ◀l’▶eau, du bois et du navire. Dieu merci nous en sommes dehors, et chaque pas que nous ferons désormais nous rapprochera ◀de▶ notre patrie.
Je vous ai dit que grâce à Dieu nos vaisseaux étaient tous rejoints. ◀Le▶ Gaillard et ◀l’▶Oiseau arrivèrent à Négrades ◀le▶ mercredi 25e du passé, et vinrent ◀le▶ lendemain mouiller proche de nous. Ils étaient accompagnés ◀d’▶un petit navire portugais, qui partit ◀le▶ 28 qui fut ◀le▶ même jour que Monsieur Du Quesne envoya nos chaloupes armées pour prendre un Anglais qui était à deux lieues ◀de▶ nous. Elles revinrent ◀le▶ trente, n’ayant point pris ce navire et ne ◀l’▶ayant pas même approché ◀de▶ ◀la▶ portée ◀de▶ son canon dont il avait dix-huit pièces. ◀Le▶ huit du courant nous avons vu au large un autre navire, ◀le▶ Lion a donné dessus ; ◀le▶ Dragon y alla ◀le▶ dix, et sont revenus ◀le▶ douze avec un petit bâtiment qui était à Madras lors de notre combat ; c’est un Portugais. Nous avons appris par lui que ◀les▶ ennemis ont perdu beaucoup de monde dont ils ne veulent pas dire ◀le▶ nombre. Que ◀le▶ capitaine ◀de▶ ◀l’▶amiral hollandais a eu ◀la▶ tête emportée ◀d’▶un boulet ◀de▶ canon, et que celui ◀de▶ ◀l’▶amiral anglais a eu ◀le▶ nez coupé ◀d’▶un éclat. Que ces Messieurs ont fait courir ◀le▶ bruit que nous y avions perdu plus ◀de▶ cent hommes dont on avait trouvé partie des corps sur ◀le▶ bord ◀de▶ ◀la▶ mer, et que nous avions été à Saint-Thomé à deux lieues ◀de▶ là faire enterrer ◀le▶ reste, et faire ◀les▶ obsèques ◀de▶ Monsieur Du Quesne qu’ils assurent avoir été tué, et qui Dieu merci n’y a seulement pas été blessé, qui est en très bonne santé et en état ◀de▶ leur faire voir qu’il est en vie et toujours lui-même. ◀Le▶ Portugais, qui vint avec lui ◀le▶ 25 du passé assura qu’on avait trouvé sur ◀la▶ côte plusieurs cadavres que ◀la▶ mer y avait jetés. Je ne fais point ◀de▶ difficulté ◀de▶ ◀le▶ croire, mais je crois aussi que ce sont ◀les▶ gens du bâtiment anglais que nous prîmes ◀le▶ lendemain ◀de▶ notre combat, dans lequel il ne s’était trouvé personne. Ces gens crainte ◀de▶ tomber entre nos mains auront voulu se sauver ◀la▶ nuit, et dans leur fuite ne conservant pas tout ◀le▶ jugement nécessaire, auront donné sur quelque rocher où leur chaloupe se sera brisée, ou même auront été coulés à fond par ◀les▶ brisants qui sont là tels qu’à Pondichéry, et par conséquent auront bu plus que leur soif, et auront été poussés à terre par ◀la▶ mer. Cela me paraît si vraisemblable que je ◀le▶ crois.
Il y a un marchand aux Iles ◀de▶ ◀l’▶Amérique, nommé Monsieur Roy qui est présentement riche de plus ◀d’▶un million, lequel a autrefois été troqué pour un âne. Pendant que nous avons été à Négrades, il y a eu un des capitaines ◀d’▶infanterie qui a été troqué pour une barrique ◀de▶ vin. Il faut en savoir ◀le▶ sujet. Je vous ai dit ci-devant que ◀la▶ discorde était fort grande dans ◀le▶ Florissant ; on disait que cela était produit par un nommé Monsr. ◀de▶ ◀La▶ Ragotterie dont on dit que ◀l’▶esprit est incompatible avec qui que ce soit. Monsieur Joyeux désirant ◀d’▶ôter ◀de▶ son bord cette pierre ◀d’▶achoppement, si je puis nommer ainsi un obstacle à ◀la▶ tranquillité publique, s’est accommodé avec Monsieur ◀le▶ chevalier ◀d’▶Aire pour lui donner sur son navire ce Monsieur de La Ragotterie et prendre ◀de▶ lui M. Du Mont. Mais comme Monsieur Daire a perdu beaucoup de vin, il n’a pas voulu faire ◀le▶ troc sans y gagner, et pour cela a demandé une barrique ◀de▶ vin ◀de▶ retour, ce que Monsieur Joyeux lui a facilement accordé. Cela ne fait aucun tort à Mr. Dumont qui est un fort honnête homme, mais oui bien à ce M r. ◀de▶ ◀La▶ Ragotterie qui voit qu’on n’a cherché qu’à se défaire ◀de▶ lui à quelque prix que ç’ait été du côté du Florissant, et que du côté de ◀l’▶Oiseau, on n’a pas jugé qu’il en valût un autre à une barrique ◀de▶ vin près, qui est beaucoup dans ce pays-ci puisqu’on ◀l’▶y vend cent écus. Pour Monsr. Dumont, il est plus honnêtement qu’il n’était, car il n’a point embarqué sur ◀le▶ Florissant, et Monsieur Du Quesne a voulu ◀l’▶avoir, parce qu’il est un fort brave homme et un bon officier. Ce troc-là nous a fait rire, et il y en a assurément du sujet car ◀le▶ Florissant perd en même temps un bon officier en ◀la▶ personne ◀de▶ ce Monsieur Dumont et une barrique ◀de▶ vin ; mais aussi il a une bouche ◀de▶ moins, et plus que tout cela, il n’a plus personne pour brouiller ◀les▶ cartes. Nous verrons s’ils vivront plus tranquillement à ◀l’▶avenir que par ◀le▶ passé.
Du mercredi 15. [novembre]
Nous mîmes hier à ◀la▶ voile par un assez bon vent, mais qui s’est mis contraire ce matin. ◀Le▶ peu de rafraîchissements que notre équipage a eu à Négrades fait que nous tâcherons ◀d’▶attraper une île qui n’est qu’à trente lieues d’ici, où ◀le▶ pilote côtier qui est à bord du Gaillard dit que nous trouverons ◀de▶ tout ce qu’il nous faut. J’ai appris aujourd’hui que j’ai fort bien fait à Négrades ◀de▶ ne rien dire aux buffles que je trouvai à ◀la▶ chasse : un seul ◀de▶ ces animaux a terrassé ◀le▶ maître et ◀le▶ capitaine ◀d’▶armes ◀de▶ ◀l’▶Oiseau, dont le dernier a ◀le▶ ventre crevé à coups ◀de▶ cornes et est fort en danger ◀de▶ sa vie.
Du jeudi 16e. [novembre]
Toujours vent bien près. Nous côtoyons ◀la▶ terre du Royaume ◀d’▶Aracan.
Du vendredi 17e. [novembre]
Nous faisons route pour Balassor, ◀le▶ vent n’est ni bon ni mauvais. Nous avons plus ◀de▶ cinquante hommes hors de service qui sont tombés malades depuis mardi. ◀Le▶ capitaine ◀de▶ ◀la▶ flûte hollandaise qui est ici dit que c’est ◀l’▶ordinaire, et que ceux même qui sont accoutumés à ce climat-ci évitent rarement ◀les▶ fièvres chaudes qui y sont fort communes dans ◀la▶ saison où nous sommes.
Du samedi 18e. [novembre]
Calme tout plat et grande chaleur.
Du dimanche 19e. [novembre]
Même chose, il nous tombe toujours des malades, et ◀les▶ autres navires n’en manquent pas.
Du lundi 20e. [novembre]
Il s’est levé cette nuit un petit vent qui est bien près ; nous tirons avec lui au court bâton. Nous avons à présent plus ◀de▶ soixante ◀de▶ nos gens malades, et presque tous ◀de▶ fièvres chaudes, lesquels font des discours dans leurs accès dont on ne se peut empêcher ◀de▶ rire, malgré ◀la▶ compassion qu’on en a.
Du mardi 21e. [novembre]
Il fait peu de vent, mais il n’est pas mauvais. On tâche ◀d’▶attraper cette île, qui sera pour nous ◀l’▶Ile Fortunée, si nous y trouvons ◀les▶ rafraîchissements que nous en espérons, car en vérité nous sommes fort mal. Notre navire ressemble plutôt à un hôpital qu’à un vaisseau ◀de▶ guerre : lieutenant, sous-lieutenant, aumônier, missionnaire, maître-canonnier, maître-pilote, tout est malade ; il n’y a pas ◀la▶ moitié ◀de▶ nos gens en parfaite santé.
Du mercredi 22e. [novembre]
Nous avons vu terre ce matin, et c’est ◀l’▶île de Chadube que nous cherchons. Monsieur Du Quesne y a envoyé trois chaloupes, Dieu veuille qu’elles en reviennent bien chargées car toute ◀l’▶escadre a besoin ◀de▶ viande fraîche, tous ◀les▶ vaisseaux ayant autant ◀de▶ malades que nous au moins. Il y a assurément sur ◀l’▶escadre outre ◀les▶ morts plus ◀de▶ trois cents hommes hors de service.
Du jeudi 23e. [novembre]
◀Les▶ chaloupes sont revenues ce soir sans rien apporter, malgré ◀le▶ besoin qu’on en a, et cela par une bonté dont ◀les▶ Français seuls sont capables. ◀Les▶ habitants ◀de▶ ◀l’▶île ont été maltraités des Anglais, et ◀la▶ crainte ◀d’▶un pareil traitement ◀les▶ a fait fuir dans ◀les▶ bois à la vue de nos chaloupes. Ils ont abandonné leurs maisons ou cabanes, dans lesquelles nos gens ont trouvé quantité ◀de▶ bœufs, ◀de▶ cabris, ◀de▶ cochons, ◀de▶ poules, ◀d’▶œufs et ◀de▶ légumes.
Plusieurs ◀de▶ nos gens qui y étaient voulaient qu’on en emportât ce qu’on pourrait, ou du moins ◀le▶ nécessaire, en laissant grassement et en bonne conscience ◀la▶ valeur en argent. Mais ◀les▶ gens ◀de▶ ◀l’▶amiral ont craint ◀d’▶être blâmés ◀de▶ Monsieur Du Quesne s’ils en enlevaient rien que ◀de▶ gré à gré, et ainsi leur avis a prévalu sur celui des autres, et ◀les▶ chaloupes sont revenues vides comme elles étaient allées.
Du vendredi 24e. [novembre]
Nous poursuivîmes dès hier au soir notre route pour Balassor. Il tombe tous ◀les▶ jours ◀de▶ nos gens malades. Pour moi qui ai eu quatre petits accès ◀de▶ fièvre, et qui en suis plus que content, pour obvier au cinquième, je me suis réduit au cangé. C’est un bouillon seulement composé ◀de▶ riz et ◀d’▶eau qu’on fait cuire ensemble fort clair, sans sel, sans sucre et sans autre chose.
Du samedi 25e. [novembre]
Toujours bon petit vent. Nous ne sommes qu’à quatre-vingts lieues ◀de▶ Balassor, nous avons aujourd’hui quitté ◀de▶ vue ◀les▶ dernières terres du Royaume ◀d’▶Aracan. C’était peu ◀d’▶avoir des malades, ◀la▶ mort s’en mêle à ◀la▶ fin. Nous avons jeté à ◀la▶ mer un ◀de▶ nos charpentiers. ◀Les▶ autres malades sont accablés ◀de▶ fièvres chaudes, lesquelles sont en partie accompagnées ◀d’▶espèce ◀de▶ charbons ◀de▶ peste qui me donnent plus à penser que je n’en dis. Il y a un ◀de▶ nos vaisseaux, qui pourtant devrait être ◀le▶ mieux ◀de▶ tous, qui n’a plus ◀de▶ rafraîchissements du tout, et qui est aux emprunts. Grâce à Dieu nous ne sommes point au pareil état, Monsieur de Porrières ayant mieux aimé faire pauvre chère que ◀d’▶exposer son équipage à manquer ◀de▶ quelque chose dans ◀la▶ suite. ◀Les▶ Hollandais qui sont ici, et qui nous viennent des bâtiments que nous avons pris, souhaitent fort que leurs compatriotes viennent, et se disent ◀les▶ uns aux autres : ◀Les▶ voilà tous malades, si nos gens pouvaient venir ils en auraient bon marché. Je vous jure pourtant qu’ils ne connaissent pas ◀les▶ Français et que dans un combat ◀le▶ cœur surmonte bientôt ◀l’▶abattement du corps.
Du dimanche 26e [novembre]
Pour achever ◀le▶ nombre ◀de▶ nos malades notre chirurgien ◀l’▶est à son tour, et il est mort ce matin encore un ◀de▶ nos charpentiers.
Du lundi 27. [novembre]
◀Le▶ nombre ◀de▶ nos malades et ◀le▶ genre ◀de▶ ◀la▶ maladie augmentant, et notre aumônier et Monsieur Charmot étant l’un et l’autre hors ◀d’▶état ◀d’▶agir, Monsieur de Porrières a envoyé à bord du Lion quérir Monsieur de Quemener qui est ◀le▶ missionnaire dont je vous ai parlé au sujet du Pégu, afin de donner à nos matelots ◀le▶ salut ◀de▶ ◀l’▶âme si on ne peut leur donner ◀la▶ santé du corps. Sitôt qu’il a été à bord, il n’a point manqué ◀d’▶occupation. ◀La▶ confession ◀d’▶un côté, ◀l’▶extrême-onction ◀de▶ l’autre, ◀l’▶ont employé tout ◀le▶ jour et ◀l’▶occupent encore. En vérité ◀l’▶état où nous sommes nous fait pitié à nous-mêmes. Tout le monde est triste soit pour soi-même, soit pour ◀l’▶intérêt des autres. Je ne sais sur qui rejeter ◀la▶ faute et ◀la▶ cause ◀de▶ tant de malades : ce ne doit point être sur ◀les▶ vivres, car ils sont très bons. ◀Le▶ climat peut y contribuer, mais ◀la▶ tortue me revient en tête, ◀d’▶autant plus qu’il est constant que ◀les▶ gens ◀de▶ ce pays-ci n’en mangent point et aiment mieux se passer ◀de▶ riz et ◀de▶ poisson sec, que ◀d’▶user ◀d’▶une viande qu’ils ont apparemment reconnue malsaine. ◀Les▶ matelots mangent tout, et si on peut ◀le▶ dire sans insulter à leurs souffrances, ◀les▶ malheureux avalent leur mort en s’emplissant ◀le▶ ventre.
Du mardi 28 [novembre]
Nous avons eu ici aujourd’hui beaucoup de communiants tant malades que convalescents et sains, et Monsieur de Quemener qui ne nous a point quittés a fait ici une petite mission. Il est encore mort cette nuit un ◀de▶ nos matelots qui reçut hier ◀l’▶extrême-onction. ◀Le▶ cangé est bon, il a emporté ma fièvre, Dieu veuille qu’elle ne revienne pas. ◀Le▶ vent est assez bon mais nous n’allons que peu, parce que ◀le▶ ciel qui est couvert ne permet pas ◀de▶ distinguer fort loin devant nous, et qu’il y a des écueils sur notre route que nous appréhendons, ◀d’▶autant plus que nous ne savons pas positivement par quel degré nous sommes, n’ayant point pris hauteur depuis longtemps et ◀les▶ courants ayant pu nous porter tout aussi bien au Sud qu’au Nord. Nous avons sondé ce soir et avons trouvé 45 brasses ◀d’▶eau.
Du mercredi 29e [novembre]
Nous avons été toute cette nuit à ◀la▶ cape à cause des écueils dont je vous parlai hier. Monsieur de Quemener est retourné à bord du Lion, bien édifié ◀de▶ ◀la▶ dévotion ◀de▶ notre équipage, et nous a laissés fort édifiés aussi ◀de▶ la sienne. Nous sommes à ◀l’▶ancre à présent, mais sans voir aucune terre quoique nous en soyons fort proches.
Du jeudi jour ◀de▶ saint André 30e. [novembre]
Nous avons été toute ◀la▶ journée et avons vu terre ce soir, c’est ◀la▶ pointe des Palmiers. Si ◀le▶ temps était bien clair, nous verrions Balassor, qui n’est qu’à dix lieues d’ici, et où ne serons peut-être pas sitôt, car ◀le▶ vent nous est justement contraire et bon frais, et ◀les▶ marées sont ici bien fortes. J’ai été ce soir au Florissant où j’ai soupé en partie, me réservant pour chez nous. Ils n’ont plus du tout ◀de▶ viande fraîche telle soit-elle, et ◀les▶ officiers se nourrissent ◀de▶ bœuf et ◀de▶ lard salés faute ◀d’▶autre chose. Ils se sont fait des mardis gras ◀le▶ plus qu’ils ont pu, ils sont présentement aux mercredis des Cendres. Je ne sais comment ils traitent leurs malades, mais il ne me paraît pas qu’ils soient bien ; du moins ◀la▶ demande que ◀le▶ commissaire m’a faite m’en fait très mal augurer, et me fait connaître qu’ils manquent ◀de▶ tout.
Décembre 1690
Du vendredi 1er [décembre]
Nous mîmes hier soir à ◀l’▶ancre et y avons resté toute ◀la▶ journée parce que ◀le▶ vent a toujours été contraire et trop fort pour nous laisser dériver au courant.
Du samedi 2e. [décembre]
Nous avons mis ce matin à ◀la▶ voile à ◀la▶ pointe du jour pour avancer en nous laissant entraîner au flot ou à ◀la▶ marée montante ; ◀le▶ vent était fort calme. Nous avons mouillé sur ◀les▶ onze heures, à cause du jusant ou reflux.
Du dimanche 3e. [décembre]
Même manœuvre qu’hier : à ◀la▶ voile ce matin et à ◀l’▶ancre à midi. Nous avons aujourd’hui perdu deux hommes qui sont morts : ce matin, un Lascaris ou esclave ◀de▶ ceux que nous avions eus ◀de▶ ◀la▶ flûte, et ce soir un ◀de▶ nos matelots, nommé Henri Couriou ; Monsieur Du Quesne a envoyé à Balassor.
Du lundi 4e. [décembre]
Nous sommes à présent mouillés en rade, ayant fait encore aujourd’hui ◀la▶ même chose qu’hier et avant-hier, et nous attendons des rafraîchissements en ayant bon besoin.
Du mardi 5e. [décembre]
Il nous est aujourd’hui venu des rafraîchissements, peu de chose effectivement ; mais ◀le▶ meilleur est qu’il y a ordre ◀d’▶envoyer ◀les▶ malades à terre, ils y recouvreront leur santé mieux qu’à bord.
Du mercredi 6e. [décembre]
Nous avons envoyé nos malades à terre, et nous allons prendre des marchandises ; comme il faut absolument que j’aille à terre je ne vous écrirai plus que je n’en sois ◀de▶ retour.
Du samedi 30e [décembre]
Je ne vous ai rien écrit depuis ◀le▶ 6e du courant parce que j’ai toujours été extrêmement occupé tant à terre qu’à bord, à terre pour demander ce qui nous était nécessaire, et à bord pour recevoir ◀les▶ marchandises que nous devons porter en France. Mais ayant mis à ◀la▶ voile ce matin dès devant jour je vais vous dire ce que je sais d’ici, après vous avoir dit qu’un emploi ◀d’▶écrivain est une bagatelle à ◀la▶ mer où il ne faut que deux lignes ◀d’▶écriture et ◀de▶ ◀la▶ ponctualité, mais qu’à terre c’est ◀l’▶emploi ◀le▶ plus tuant et ◀le▶ plus fatigant qu’un homme puisse avoir lorsqu’il est ◀d’▶humeur à s’en acquitter par lui-même sans s’en reposer sur personne.
Je commencerai par ce qui nous regarde et vous dirai que ◀le▶ 19e notre second canonnier, Mathurin Le Cocq est mort à terre où il avait été envoyé pour sa maladie. C’est dommage, il était brave homme et ◀de▶ service et s’était trouvé dans plusieurs occasions et on pouvait se reposer sur lui. Je ◀l’▶ai vu deux fois dans ◀l’▶action, et je puis vous dire qu’il agissait avec autant ◀de▶ sang-froid et ◀de▶ tranquillité que s’il n’avait été simplement que spectateur ◀d’▶un orage ◀de▶ coups ◀de▶ poing. Monsieur Le Vasseur notre sous-lieutenant ne lui a survécu que quatre jours étant mort ◀le▶ 23e. J’avais reçu son testament et j’ai fait son inventaire, c’était un bon garçon. Il était frère de Monsieur Le Vasseur avocat au Conseil à Paris. Il est mort tout à fait chrétiennement et a donné tout ce qu’il avait à bord aux pauvres et pour faire prier Dieu pour lui.
◀L’▶endroit où nous étions mouillés et ◀les▶ terres qui ◀l’▶environnent font partie du royaume ◀de▶ Bengala ou Bengale, c’est une grande anse dans laquelle se viennent décharger plusieurs rivières entre autres ◀le▶ Gange si fameux par ◀les▶ conquêtes ◀d’▶Alexandre, et ◀la▶ rivière ◀de▶ Bengale qui donne son nom au royaume qu’elle lave et traverse ; mais n’y ayant point été, je n’en dirai rien. Il y a une rivière dont ◀l’▶eau est douce à un quart ◀de▶ lieue ◀de▶ son embouchure qui se nomme Balassor laquelle donne son nom à ◀la▶ ville qui est à deux bonnes lieues dans ◀les▶ terres. On ne peut y aller que ◀de▶ flux ou ◀de▶ marée montante parce que ◀le▶ courant est trop fort pour pouvoir ◀le▶ vaincre. Cette rivière ne fait que serpenter ; elle est creuse et profonde mais son eau est malsaine, pesante et ◀de▶ méchant goût. ◀Les▶ navires ◀de▶ sept et huit cents tonneaux peuvent y monter jusques à ◀la▶ ville. Cette ville n’est autre chose qu’un assemblage confus ◀de▶ maisonnettes ◀de▶ nègres, bâties ◀de▶ terre glaise déliée avec ◀de▶ ◀la▶ paille hachée et enduite de même terre brune, et comme ils ont soin ◀d’▶en laver tous ◀les▶ jours ◀les▶ dehors, cela rend ces maisonnettes fort propres à ◀la▶ vue. ◀Les▶ Maures sont fort nombreux ici et dépendent du Mogol. ◀Le▶ trafic y est grand et riche, y ayant par ◀l’▶industrie des Bengalais toutes sortes ◀d’▶étoffes et ◀de▶ toiles ◀d’▶or, ◀d’▶argent, ◀de▶ soie et ◀de▶ coton. A ◀l’▶impureté près ils vivent sous des lois, policés et civilisés comme ◀les▶ Européens, ◀les▶ criminels y sont punis et ◀la▶ vertu reconnue. ◀L’▶or ni ◀l’▶argent n’y manquent point. Ils ont à souhait tout ce qu’il faut pour ◀la▶ vie ; leurs bœufs sont durs aussi bien que toutes ◀les▶ autres viandes, mais n’ont point ◀de▶ mauvais goût. Ils ont des moutons à peu près faits comme ceux ◀d’▶Europe, plus petits, pas si bons, mais meilleurs que ceux ◀de▶ Pondichéry ; ◀les▶ oies, ◀les▶ poules, ◀les▶ canards, ◀les▶ pigeons y sont en très grande quantité. Un bœuf pour deux roupies, quinze poules pour une, cinquante pigeons pour une, et ◀la▶ roupie vingt-huit sols ◀de▶ notre monnaie : je ne vois pas qu’on doive se plaindre ◀de▶ ◀la▶ cherté. Ils ont ◀de▶ ◀la▶ cire et du miel en quantité, et c’est ◀d’▶eux que nous vient ◀la▶ laque dont on fait en Europe ce que nous appelons cire ◀d’▶Espagne. Leurs légumes sont très bonnes, leur riz excellent, leur blé pas tout à fait si nourrissant ni si savoureux que le nôtre, mais en récompense plus léger, et ◀le▶ pain est ◀d’▶assez bon goût. Leur boisson ordinaire est ◀de▶ ◀la▶ raque, qu’ils font avec du tary ou vin ◀de▶ palmier ; elle a ◀la▶ force ◀de▶ ◀l’▶eau-de-vie ◀de▶ France, mais ◀de▶ mauvais goût et pas si saine. Enfin à cela près tout y est bon et à bon prix et je ne vois pas qu’ils manquent ◀de▶ rien. Cependant comme ceci est éloigné de plus ◀de▶ trois cents lieues ◀d’▶Agra demeure ordinaire du Mogol, ◀les▶ gouverneurs qu’il y envoie ◀le▶ regardent comme un lieu ◀d’▶exil quoiqu’ils y fassent fort bien leurs affaires. Lorsque nous y étions, il y était arrivé depuis peu un gouverneur qui avait envoyé son prédécesseur au Grand Mogol sous bonne garde attendu qu’il lui devait plus ◀de▶ deux cent mille piastres et qu’il avait fait quelques malversations. Ce gouverneur est fort bien accompagné et peut mettre sous ◀les▶ armes autant ◀de▶ monde que bon lui semble ou qu’il y a ◀d’▶hommes capables ◀de▶ ◀les▶ porter. Il y a dans cette ville plusieurs maisons bâties par des Européens fort belles, une entre autres qu’on dit appartenir aux Anglais, qui ressemble plutôt à un palais qu’à une maison ou comptoir ◀de▶ compagnie ; mais elle commence à tomber en ruine faute ◀d’▶être entretenue à cause de ◀la▶ guerre dont je vous parlerai dans ◀la▶ suite. ◀Les▶ habitants sont affables mais intéressés. Ils sont bien faits et fort industrieux. Leur religion est mahométane et idolâtre. Il y a une église catholique dont un augustin a ◀la▶ direction : il se nomme Padre Bernard et est portugais. Il y a plusieurs Bengalais catholiques qui y viennent entendre ◀la▶ messe. J’y ai assisté. Ils sont fort dévots mais adonnés à ◀la▶ superstition ; on n’en fera jamais ◀de▶ bons catholiques si ce que dit Corneille Tacite est vrai : Gens superstitioni obnoxia, religionibus adversa. Qu’une nation attachée à ◀la▶ superstition est contraire à toute religion. Leurs signes ◀de▶ croix avec ◀les▶ deux mains jointes qu’ils lèvent par dessus leur tête, qu’ils conduisent jusques au bas du ventre et aux épaules, ressemblent bien plutôt à une bénédiction qu’ils donnent aux autres, que non pas à eux-mêmes en particulier, et me paraît encore tenir ◀de▶ leur manière ◀d’▶adorer leurs idoles.
Mais enfin il est impossible ◀de▶ ◀les▶ défaire tout ◀d’▶un coup ◀de▶ leur coutume, et il faut ◀de▶ nécessité leur en souffrir quelque reste ◀de▶ peu de conséquence pour gagner sur eux ◀le▶ principal et ◀l’▶essentiel, et cela paraît ◀d’▶autant plus nécessaire et permis que partie des Apôtres même consentaient ◀d’▶observer quelques-unes des cérémonies légales des Juifs afin de ◀les▶ attirer plus facilement au christianisme. Et qui voudrait tout ◀d’▶un [coup] défaire ◀les▶ idolâtres ◀de▶ leurs superstitions ne pourrait jamais rien gagner sur leur esprit, c’est leur génie comme Plutarque ◀l’▶a remarqué :
Inclinant nalura ad superstitionem Barbari.
Il y a parmi eux des danseurs et des sauteurs qui font des tours si surprenants qu’il faudrait que les nôtres missent pavillon bas devant eux si ce qu’on m’en a dit est vrai. On m’en a rapporté des choses si peu vraisemblables que je me dispenserai ◀de▶ vous en parler, étant impossible ◀de▶ ◀les▶ croire à moins que ◀de▶ ◀les▶ voir soi-même.
◀La▶ terre est ici belle et bonne, et bien arrousée, unie et ◀d’▶un grand rapport. Elle fournit abondamment non seulement aux nécessités ◀de▶ ◀la▶ vie, mais même à ◀la▶ délicatesse. ◀Le▶ sucre, ◀le▶ gingembre, ◀le▶ tamarin, ◀la▶ casse, ◀la▶ réglisse, ◀l’▶oseille, ◀la▶ laitue, ◀le▶ pourpier, ◀la▶ chicorée, ◀les▶ choux, ◀le▶ persil, ◀les▶ raves, ◀les▶ navets, ◀l’▶oignon, ◀l’▶ail, ◀la▶ ciboulette, ◀les▶ pois, ◀les▶ fèves, ◀les▶ citrouilles, ◀les▶ concombres, ◀les▶ melons, ◀les▶ oranges, ◀les▶ citrons, ◀la▶ banane, ◀l’▶ananas, ◀le▶ coco et mille autres fruits et légumes y viennent en abondance. Je vous ai parlé ◀de▶ ◀la▶ viande, ◀le▶ poisson y est bon et en très grande quantité, faisant presque lui seul ◀la▶ nourriture des deux tiers du peuple. Ce qu’il y a ◀de▶ fâcheux c’est que leurs rivières sont pleines ◀de▶ crocodiles et malheur à ceux qui s’y baignent ou qui s’y laissent tomber. Il ne fait pas sûr non plus ◀d’▶aller par terre que bien accompagné, parce qu’il y a des tigres, des buffles et des éléphants qui ne sont point privés et qui ne font aucun quartier à ceux qui sont assez malheureux pour se rencontrer sur leur chemin sans être en état ◀de▶ leur résister ; ◀les▶ tigres font bien plus, ils viennent jusques au cœur ◀de▶ ◀la▶ ville en enlever des enfants, ce qui est arrivé encore il n’y a pas plus ◀de▶ trois mois. Si on en croit ce qu’on en dit, ces animaux sont ici plus grands que deux veaux ◀de▶ six mois. Pour achever ◀de▶ parler des bêtes malfaisantes ◀de▶ ce pays-ci, ◀le▶ pauvre capitaine ◀d’▶armes ◀de▶ ◀l’▶Oiseau qui fut abattu à Négrades par un buffle en restera eunuque toute sa vie.
◀Les▶ Français, Anglais et Hollandais ont là des établissements qu’on appelle loges ou comptoirs ; il y a même des Portugais qui y sont habitués*. ◀La▶ guerre ◀d’▶Europe empêche ◀la▶ Compagnie française ◀de▶ faire à présent aucun négoce par mer, parce qu’elle n’est pas si forte dans ◀les▶ Indes que ◀les▶ autres nations à beaucoup près ; elle ne commerce que par terre ou sous pavillon et passeport portugais. Il y a dans ◀la▶ rivière devant ◀la▶ loge un navire qui a été bâti à Siam et qu’on appelle ◀Le▶ Siam. Il est plus grand et plus fort qu’aucun ◀de▶ notre escadre ; il paraît ◀de▶ huit cents tonneaux au moins, mais on n’ose ◀l’▶exposer à ◀la▶ mer crainte ◀d’▶accident. C’est dommage qu’un aussi beau navire que celui-là reste à pourrir dans ◀l’▶eau douce. ◀Les▶ autres nations y en ont aussi et ont autant de peur de nous présentement malgré toutes leurs forces qu’ils en peuvent donner à un navire seul dans un autre temps. ◀Les▶ loges des Anglais et Hollandais ne sont pas éloignées ◀de▶ celle des Français que ◀d’▶une petite portée ◀de▶ canon, cependant ils ne se visitent plus. Pendant ◀la▶ paix ◀d’▶Europe ils étaient toujours ensemble bons amis et se régalaient tous ◀les▶ jours, à présent chacun se tient chez soi et il n’y a plus ◀de▶ visites. Ils voudraient bien se faire pièce ◀les▶ uns aux autres et ne manquent pas ◀de▶ bonne volonté, mais s’ils en venaient à quelque excès ils ne s’en trouveraient pas bien, car outre que ◀le▶ Grand Mogol donnerait congé à celle des nations qui aurait tort, son commerce serait interrompu sur ◀le▶ reste des terres qui dépendent ◀de▶ ce prince, lequel obligerait ◀les▶ infracteurs ◀de▶ ◀la▶ paix ◀de▶ restituer à ceux qui auraient été vexés ◀le▶ centuple ◀de▶ ce qu’on leur aurait pris, ce qui est déjà arrivé ; étant son intention que ◀les▶ Européens ne venant chez lui que pour ◀le▶ commerce, ils observent exactement entre eux ◀la▶ paix et ◀la▶ tranquillité que demande ◀le▶ négoce sans se faire aucun tort ◀les▶ uns aux autres par voie ◀de▶ fait.
Je n’ai point vu ◀les▶ loges des nations étrangères, j’ai seulement vu celle des Français qui est aussi bien que ◀les▶ autres à un quart ◀de▶ lieue ◀de▶ ◀la▶ ville où se tient ◀le▶ bazar ou marché. C’est un bâtiment carré sans force, sans canon que celui du Siam qui est devant ◀la▶ porte mais qui n’est point monté, sans garnison. Il y a cinq ou six Français et c’est tout, ◀le▶ principal comptoir étant à Ougly à soixante lieues dans ◀les▶ terres, qui est une ville où ◀les▶ Français ont ◀le▶ plus bel établissement sur ◀les▶ terres du Mogol, n’y ayant que fort peu de temps que celui-ci est établi. Il est inutile qu’il soit fortifié, car outre comme je vous ◀l’▶ai dit que ◀le▶ Mogol prétend que ◀les▶ étrangers vivent en paix chez lui, il ne trouve pas bon qu’ils fassent des bâtiments assez forts pour se mettre en état ◀de▶ lui tenir tête ainsi qu’il ◀l’▶a fait voir à l’égard des Anglais, lesquels sont à présent en pourparler ◀de▶ paix avec lui, ayant perdu un fort qu’ils avaient fait fortifier et munir ◀de▶ canon et ◀de▶ garnison, lequel ◀le▶ Mogol a jeté par terre à coups ◀de▶ canon après une très vigoureuse défense de ◀la▶ part des Anglais. C’est un nommé Monsr. Pellé qui est directeur à Balassor, et Monsieur Des Landes, gendre ◀de▶ Monsieur Martin directeur général aux Indes, est directeur à Ougly qui est comme je vous ◀l’▶ai dit ◀le▶ plus bel endroit des terres du Mogol.
Pendant que nous avons été ici on y a reçu des nouvelles ◀de▶ Pondichéry par terre qui disent que ◀le▶ Grand Mogol est en guerre avec Remraja et que son armée est de plus ◀de▶ quatre-vingt mille hommes. Comme nous retournons à Pondichéry je ne vous dirai rien à présent ◀de▶ cette guerre, me remettant à vous dire tout ce que j’en apprendrai sur ◀les▶ lieux étant persuadé que j’en saurai là plus qu’ici et que je ferai mieux ◀de▶ n’en faire qu’un seul article. Nous sommes à ◀la▶ voile dès ◀le▶ matin comme je vous ◀l’▶ai dit mais nous n’allons presque pas à cause du peu de vent.
Du dimanche 31 [décembre]
Il a fait ◀de▶ ◀la▶ brume ce matin, à midi ◀le▶ temps est revenu beau, mais point ◀de▶ vent.
Année 1691,
Janvier
Du lundi premier [janvier]
Je viens ◀d’▶entendre ◀la▶ messe et après avoir donné à Dieu les premiers moments ◀de▶ ◀l’▶année, je vous donne les seconds à vous, Monsieur, et à toute votre famille et à la mienne. Je souhaite que tout le monde s’y porte aussi bien que moi ; et marque que je suis en bonne santé c’est que je vais déjeuner et boire à ◀la▶ vôtre.
Il n’a point fait ◀de▶ vent du tout aujourd’hui, ◀le▶ calme nous a pris ; méchant commencement ◀d’▶année, Dieu nous veuille conserver celle-ci comme ◀les▶ précédentes.
Du mardi 2e. [janvier]
Toujours même temps, calme tout plat.
Du mercredi 3e. [janvier]
Même chose, toujours calme.
Du jeudi 4e. [janvier]
Du vendredi 5e. [janvier]
Même chose encore, tant pis.
Du samedi 6. [janvier]
Calme encore. ◀L’▶Oiseau est tellement éloigné ◀de▶ nous que nous ne ◀le▶ voyons qu’à peine, ◀les▶ courants ◀l’▶ont entraîné, Dieu veuille que nous ne nous séparions point.
Du dimanche 7 [janvier]
◀Le▶ vent est venu cette nuit bon et bon frais, mais nous ne portons point toutes nos voiles parce qu’il vient avec nous un bot qui porte à Pondichéry des canons et des boulets, nous lui servons ◀d’▶escorte et il ne pourrait pas nous suivre si nous forcions ◀de▶ voiles, cela a donné ◀le▶ temps à ◀l’▶Oiseau ◀de▶ nous rejoindre. Ce navire est ◀le▶ plus méchant voilier ◀de▶ toute ◀l’▶escadre et va moins qu’aucun des autres ◀de▶ quelque vent que ce soit.
Du lundi 8e. [janvier]
Même chose, toujours bon vent et rafraîchi.
Du mardi 9e. [janvier]
Même chose encore.
Du mercredi 10e. [janvier]
Même vent et bon frais mais nous avons mis à ◀la▶ cape ce soir afin de ne point tant avancer, parce que nous ne sommes pas à quarante lieues ◀de▶ Pondichéry et qu’il vaut mieux être sous ◀les▶ voiles à ◀la▶ mer ◀d’▶un gros vent, qu’à ◀l’▶ancre dans un lieu tel que Pondichéry où il n’y a aucun abri.
Du jeudi xie. [janvier]
Nous avons remis ce matin en route et nous avons passé devant Madras à qui nous avons montré nos pavillons. Ils nous ont aussi montré ◀le▶ leur sans nous faire ◀d’▶autre mal ◀les▶ uns aux autres. Nous avons vu un navire sous ◀le▶ vent à nous, nous lui avons donné chasse ◀de▶ notre mieux. C’était un Anglais qui voyant qu’il ne pouvait pas nous échapper est allé mouiller dans un port nommé Sadraspatan entre Pondichéry et Madras. ◀L’▶Ecueil lui bouchait ◀le▶ chemin ◀de▶ ◀la▶ mer, ◀le▶ Lion et ◀le▶ Dragon ◀le▶ suivaient et en étaient fort proche. Nous couvions ce navire des yeux et comptions dessus comme sur un acquis[t] certain, mais Monsieur Du Quesne n’a point fait ◀de▶ signal pour faire donner dessus, et cela par ◀la▶ crainte ◀d’▶offenser ◀le▶ Mogol qui aurait pu se scandaliser si à la vue de ses troupes qui bordent ◀la▶ terre on avait pris un navire qui s’était retiré dans une ◀de▶ ses rades. Nous ◀l’▶aurions pris sous ◀les▶ voiles, mais à ◀l’▶ancre non. Autant que nous étions joyeux ◀d’▶une prise que nous croyions sûre, autant sommes-nous étonnés ◀de▶ ne ◀l’▶avoir pas faite. C’est un plaisir ◀de▶ voir nos matelots se regarder l’un l’autre, ◀la▶ bouche ouverte sans rien dire. ◀Les▶ pauvres diables mâchent à vide, cela ◀les▶ fait enrager et moi aussi qui espérais bien me récompenser ici ◀de▶ ◀la▶ flûte. Nous avons mis ce soir à ◀l’▶ancre afin de ne point arriver ◀la▶ nuit à Pondichéry.
Du vendredi 12e. [janvier]
Nous avons remis ce matin à ◀la▶ voile, et sommes arrivés à Pondichéry sur ◀le▶ midi. Il paraît plus ◀de▶ trois mille âmes sur ◀la▶ rive. J’irai demain à terre, vous saurez tout à mon retour.
mercredi 24e. [janvier]
Nous venons de remettre ce matin à ◀la▶ voile pour notre retour en France ; Dieu nous ◀l’▶accorde bon s’il lui plaît ! Nous avons entendu ◀la▶ messe bien dévotieusement et chanté ◀le▶ Te Deum et ◀le▶ Miserere pour remercier Dieu ◀de▶ nous avoir conservés jusques au retour et nous recommander à sa bonté pour ◀le▶ reste du voyage d’ici en France.
◀Le▶ vent est bon mais n’est pas fort. Voici ce que j’ai vu ou appris à Pondichéry pendant que j’y ai resté, tant de ◀la▶ guerre du Mogol et ◀de▶ Remraja que d’autres choses.
Pour ce qui est ◀de▶ ◀la▶ guerre du Mogol et ◀de▶ Remraja il faut ◀la▶ prendre de plus haut, et savoir qu’il y a environ vingt ans que ◀le▶ gouverneur des royaumes ◀de▶ Marsingue et ◀de▶ Visapour qui dépendaient du Mogol se révolta contre lui. ◀Le▶ Mogol pour ◀le▶ remettre dans ◀le▶ devoir y envoya un général avec une fort belle armée. Ce général nommé Sauvagy battit ◀le▶ rebelle, reprit sur lui tout ce qu’il avait pris sur ◀le▶ Mogol, et ◀l’▶obligea à se tuer lui-même ou à se cacher, car sans savoir ce qu’il est devenu on n’en a point entendu parler depuis. Sauvagy ne reçut pas du Mogol ◀les▶ récompenses que méritait un si grand service, et soit qu’il prît cela pour prétexte ◀de▶ sa rébellion ou soit que ◀la▶ dignité ◀de▶ roi flattât son ambition, il se rebella ouvertement, et fit rebeller avec lui ◀la▶ même armée qui ◀l’▶avait servi à reprendre sur le premier rebelle ◀les▶ royaumes dont il s’était mis en possession, depuis ◀la▶ côte ◀de▶ Malbare vers Surate jusques à ◀la▶ côte ◀de▶ Coromandel vers Pondichéry. ◀Le▶ Mogol vint en personne pour ◀le▶ punir ◀de▶ sa trahison, mais Sauvagy qui était soldat et expérimenté et qui en même temps faisait ◀la▶ guerre en lion et en regnard, a toujours ruiné ◀les▶ armées du Mogol soit qu’il ◀les▶ ait commandées en personne ou qu’il ◀les▶ ait fait commander par ses lieutenants ; et lorsqu’on croyait Sauvagy éloigné de plus ◀de▶ trente lieues, c’était lors qu’il venait donner ◀la▶ chemise blanche à ◀l’▶armée du Mogol. Il a plusieurs fois ruiné Surate, qui est ◀la▶ ville ◀la▶ plus marchande des Etats du Mogol. Lorsqu’il y venait il obligeait tout ◀le▶ peuple ◀d’▶en sortir, et il y restait quatre ou cinq jours lui et son armée à piller à discrétion sans avoir jamais fait aucun tort aux Européens, après quoi il se retirait dans ◀le▶ fond ◀de▶ son pays et attendait que Surate se fût remise ◀de▶ son pillage pour y en venir faire un autre. Enfin il a tant fait que ◀le▶ Mogol désespérant ◀de▶ tirer rien ◀de▶ ses mains pendant sa vie, ◀l’▶a laissé en repos. Il est mort roi paisible et tranquille, aimé ◀de▶ ses sujets, craint et redouté du Mogol qui était son ennemi seul, et a changé ◀le▶ nom des terres ◀de▶ son obéissance qu’on n’appelait plus que ◀les▶ terres ◀de▶ Sauvagy. Après sa mort son fils aîné, nommé Sombagy, est monté sur ◀le▶ trône, prince faible et jeune. ◀Le▶ Mogol sachant ◀la▶ mort ◀de▶ Sauvagy a voulu rentrer dans ses anciens droits et a envoyé dans ◀le▶ royaume ◀de▶ Visapour une nouvelle armée. ◀La▶ faiblesse ◀de▶ ce jeune Roi lui donnait beau jeu : il a repris sur Sombagy tout ce que Sauvagy avait pris sur lui à ◀la▶ côte ◀de▶ Malbare, pendant que Sombagy passait son temps à se divertir avec des courtisanes sans faire beaucoup ◀d’▶état ◀de▶ sa perte et sans se mettre en peine ◀de▶ s’opposer aux conquêtes du Mogol. Il est mort enfin il y a environ dix-huit mois. Son jeune frère nommé Remraja a pris tout ◀le▶ contre-pied et sans vouloir goûter les premiers plaisirs ◀de▶ ◀la▶ royauté, il s’est mis en état ◀de▶ faire tête à son ennemi et se montre digne fils ◀de▶ Sauvagy. Il a levé environ trente mille chevaux et s’est allé opposer à ◀l’▶armée victorieuse du Mogol, qui ravageait ◀le▶ royaume ◀de▶ Visapour, que Sombagy son frère avait laissé prendre sans tirer ◀l’▶épée. ◀Le▶ Mogol sachant ◀la▶ mort ◀de▶ Sombagy, a cru qu’il aurait aussi bon marché ◀de▶ Remraja qu’il avait eu ◀de▶ son frère, et pour ◀le▶ ruiner tout à fait il a envoyé dans ce pays-ci une armée ◀de▶ quarante mille chevaux et ◀de▶ cinquante mille hommes ◀de▶ pied avec ◀l’▶attirail ◀de▶ canon nécessaire à une si grande armée pour faire une expédition considérable. Il semblait que Remraja allait succomber sous une puissance si grande, ◀d’▶autant plus qu’étant jeune et sans expérience, il ne pouvait pas encore être fort autorisé ni avoir gagné ◀l’▶affection des peuples. Cependant, jusques ici, il a soutenu sans perte ◀les▶ efforts des troupes du Mogol. Son frère avait laissé prendre ◀le▶ Royaume ◀de▶ Visapour : il a été sur ◀les▶ frontières ◀de▶ ce qui lui reste vers ◀les▶ confins ◀de▶ ce Royaume pour empêcher son ennemi ◀d’▶entrer plus avant dans ses terres ; il a couvert ◀la▶ campagne ◀d’▶un nombre innombrable ◀de▶ partis, tant pour être instruit ◀de▶ ◀la▶ contenance et des mouvements ◀de▶ ◀l’▶armée ennemie que pour faire tête aux partis que ◀le▶ général du Mogol envoie ◀de▶ tous côtés à ◀la▶ guerre. Il a défendu longtemps ◀l’▶entrée ◀de▶ son pays, mais n’étant pas assez fort pour tenir tête à une armée victorieuse et forte comme celle du Mogol, il a été obligé ◀de▶ se retirer après être venu plusieurs fois aux mains avec ◀les▶ ennemis sans perte considérable, ◀la▶ fortune étant tantôt pour lui tantôt contre. Enfin ◀l’▶armée du Mogol est allée se jeter devant Gingy qu’elle a assiégé. C’est une ville bien fortifiée et bien munie pour ◀les▶ Indes, et imprenable aux Orientaux, mais qui ne tiendrait pas longtemps devant des Européens. Elle est bâtie sur ◀le▶ haut ◀d’▶une montagne et une forteresse au milieu, et ne peut être prise que ◀l’▶épée à ◀la▶ main ou faute de munitions. Mais Remraja n’étant pas en état ◀de▶ hasarder une bataille décisive dans son pays, il a fait en capitaine sage ◀la▶ même chose qu’a fait ◀le▶ Grand Scanderberg lorsque ◀le▶ Sultan Amurat assiégeait Croye, capitale ◀d’▶Epire : il ne s’est point renfermé dedans sachant qu’elle était commandée par un gouverneur fidèle, il est resté aux écoutes dehors et a toujours tenu avec trente mille chevaux ◀l’▶armée ◀de▶ son ennemi en suspens ◀de▶ ses desseins et ◀l’▶a perpétuellement fatiguée et harassée par des attaques imprévues, et afin que cette armée se ruinât ◀d’▶elle-même tant sur sa marche que dans ◀le▶ siège, il a fait faire un dégât général de plus ◀de▶ trente lieues le long de ◀la▶ côte et de plus ◀de▶ quatre-vingts lieues dans ◀les▶ terres, a fait tuer ◀les▶ bestiaux, coupé et brûlé ◀le▶ riz, et enfin tout ce qui pouvait servir à ◀la▶ nourriture afin que son ennemi fût obligé ◀de▶ quitter ◀le▶ pays faute ◀d’▶y pouvoir subsister. Il a défendu Gingy si vigoureusement, quoique ◀l’▶armée ◀de▶ son ennemi soit formidable en comparaison de la sienne et que ◀le▶ Mogol ait plus ◀de▶ quatre-vingts pièces ◀de▶ canon ◀de▶ fonte ◀de▶ cent et six-vingt livres ◀de▶ balle, qu’il ◀l’▶a obligé ◀de▶ quitter ses lignes et ses retranchements et enfin ◀l’▶a contraint ◀de▶ lever ◀le▶ siège et ◀de▶ ◀l’▶abandonner tout à fait. ◀Le▶ dégât que Remraja a fait faire partout a fait renchérir ◀les▶ vivres à Pondichéry. ◀Les▶ partis dont lui et ◀le▶ général du Mogol ont couvert ◀la▶ campagne rendent ◀les▶ chemins mal sûrs, et leurs naires ou cavaliers viennent jusques aux portes de Pondichéry et traitent assez mal tout ce qu’ils rencontrent. C’est ◀la▶ raison qu’on m’a donnée et qui m’a empêché ◀d’▶aller cette fois-ci à ◀la▶ pagode ◀de▶ Villenove, quelqu’envie que j’eusse ◀d’▶y aller, crainte ◀de▶ tomber entre ◀les▶ mains ◀de▶ l’un ou ◀de▶ l’autre parti. Comme Pondichéry est des dépendances ◀de▶ Remraja, mais que ◀les▶ gens ◀de▶ guerre du Mogol venaient jusques à ses portes et massacraient et pillaient ◀les▶ noirs qui en sont proches, Monsieur Martin directeur général a si bien fait tant par ◀les▶ négociations que par ◀les▶ lettres qu’il a écrites à l’un et à l’autre, que ◀les▶ Français et ◀les▶ noirs ◀d’▶autour du fort sont dans une espèce ◀de▶ neutralité et sont à couvert ◀de▶ leurs insultes. Cependant comme ces noirs sont extrêmement craintifs, ils se sont retirés auprès du fort ◀le▶ plus qu’ils ont pu, et c’est ◀la▶ cause pourquoi en arrivant ici nous avons vu tant de monde sur ◀la▶ rive. Il serait étonnant en Europe qu’une armée ◀de▶ près de cent mille hommes et ◀de▶ tant de canons fût obligée ◀de▶ lever honteusement ◀le▶ siège ◀de▶ devant une ville et ne fît rien ◀de▶ considérable pendant toute une campagne, mais il faut savoir aussi que ◀les▶ Asiatiques ne se battent pas comme ◀les▶ Européens : d’abord qu’ils voient un des leurs tué, ils prennent ◀la▶ fuite et ne savent ce que c’est que ◀de▶ se battre ◀de▶ pied ferme. Ils sont pourtant capables ◀de▶ discipline s’ils étaient bien commandés, et on tient pour constant que si ◀les▶ officiers ne quittaient pas ◀la▶ partie les premiers, ◀les▶ soldats ne ◀la▶ quitteraient pas non plus et qu’ils n’abandonneraient pas un homme qui se batt[e] rait résolument à leur tête. Cependant il est constant que ◀les▶ Asiatiques ne sont pas braves, et que si leurs ancêtres ne ◀l’▶étaient pas plus qu’eux, Alexandre le Grand n’a pas eu beaucoup de peine pour s’acquérir une réputation qui ne finira jamais. Je ne suis pas assez versé dans ◀la▶ géographie ancienne pour savoir où était positivement situé ◀le▶ royaume ◀de▶ Porus, à qui Monsieur Racine fait dire en parlant des Persans et ◀d’▶Alexandre :
Ennemis du repos qui perdit ces infâmes,
Mais j’ai assez entendu parler ◀de▶ ◀la▶ bravoure des peuples ◀d’▶Orient pour assurer qu’ils ne sont pas difficiles à vaincre et qu’ils sont tous abâtardis par leur propre mollesse, et par une bassesse servile qui semble leur être naturelle. Pour revenir à ◀la▶ guerre du Mogol et ◀de▶ Remraja, on disait que ◀le▶ Mogol lui-même en personne commandait son armée. Il n’en est rien, c’est un ◀de▶ ses généraux qui ◀la▶ commande. Un ◀de▶ ses partis était venu jusques aux portes de Pondichéry, et en se retirant en emmenait avec lui quelques hommes et femmes et plus ◀de▶ trois mille bestiaux tant bœufs que cochons. ◀Les▶ noirs des environs se vinrent plaindre à Monsieur Martin, qui leur avait moyenné une neutralité et ◀les▶ avait pris sous sa protection. Il envoya au plus vite un lieutenant avec dix soldats français et quelques lascaris ou maquois courir après ◀les▶ pillards, lesquels d’abord qu’ils ◀les▶ virent se mirent à fuir à toute bride sans oser ◀les▶ attendre, quoique, incomparablement plus forts en nombre étant cinquante cavaliers. Et ce lieutenant nommé Monsieur de La Touche eut ◀l’▶honneur ◀de▶ ramener tout sans que ◀les▶ autres osassent lui faire tête ni se défendre quoiqu’en état ◀d’▶attaquer, étant armés ◀de▶ sabres, ◀de▶ zagaies ou flèches, ◀de▶ carquois et ◀d’▶écus ou ◀de▶ boucliers. Il fut reçu par ◀les▶ noirs et autres comme ◀le▶ Messie ◀le▶ serait des Juifs s’il revenait dans toute sa gloire une seconde fois au monde pour ◀l’▶amour ◀d’▶eux. Voilà tout ce que je sais ◀de▶ ◀la▶ guerre du Mogol et ◀de▶ Remraja, et que Gingy qui est ◀la▶ ville qui a été assiégée par ◀le▶ Mogol n’est qu’à trente lieues ◀de▶ Pondichéry.
Un peu avant que nous en partissions on y avait reçu des lettres ◀de▶ Surate venues par terre, par lesquelles on a appris que notre combat ◀d’▶Amzuam avait jeté ◀les▶ Anglais dans une très grande consternation, et que celui ◀de▶ Madras avait causé partout une telle épouvante que des marchands arméniens et autres, qui voulaient passer ◀de▶ Surate et ◀de▶ Bombay en Perse avec beaucoup de marchandises, avaient fait tout débarquer ◀de▶ dessus ◀les▶ navires anglais et hollandais, et n’avaient pas osé s’exposer au trajet, ne ◀les▶ voyant pas en état ◀de▶ résister à six navires ◀de▶ guerre français qu’on fait passer là pour six diables. Il est constant que nous avons jeté partout ◀la▶ terreur et ◀l’▶épouvante et que si nous restions deux ans aux Indes en guerre, nous ruinerions absolument ◀le▶ commerce des Anglais et des Hollandais et ◀les▶ perdrions tous ◀de▶ réputation. On a encore appris qu’ils équipent quatorze navires pour venir nous trouver. Si cela est, nous ◀le▶ saurons et nous nous voirons ◀de▶ près, mais on ne ◀le▶ croit pas. On ne doute pas qu’ils n’en fassent courir ◀le▶ bruit, plus pour conserver leur réputation, que pour aucune envie ◀de▶ se venir faire chauffer.
On a aussi reçu des nouvelles ◀de▶ Siam par ◀la▶ voie des Portugais, et on a appris que ◀le▶ roi est devenu plus traitable envers ◀les▶ ecclésiastiques, et c’est tout ce que j’en ai appris. En tous cas Monsieur Charmot en est bien sûr puisqu’il reste à Pondichéry en attendant ◀l’▶occasion ◀de▶ passer dans ce royaume, car il n’est point homme à s’exposer à ◀la▶ mort par un zèle indiscret. J’ai aussi appris par des officiers qui sont revenus ◀de▶ Siam à Pondichéry que ni ◀la▶ femme ni ◀les▶ enfants ◀de▶ Monsieur Constance ne sont point morts, mais sont seulement esclaves du roi régnant, étant ◀la▶ coutume ◀de▶ ce pays que ◀les▶ parents ◀d’▶un criminel ◀d’▶Etat sont faits esclaves du prince après que leur parent a payé ◀de▶ sa vie, si ce n’est qu’ils soient impliqués dans son crime, auquel cas ils perdent aussi ◀la▶ vie.
J’ai aussi appris par ◀les▶ mêmes officiers qu’il se contracte à Siam des mariages fort aisés : c’est que ◀le▶ père et ◀la▶ mère ne donnent point ◀de▶ dot à leurs filles, au contraire ils ◀les▶ vendent à qui leur plaît pour un prix dont on convient, et ◀les▶ filles autorisées ◀de▶ ◀la▶ volonté ◀de▶ leurs parents se tiennent bien mariées et sont fidèles ; et si elles ne ◀l’▶étaient pas elles ne seraient plus ◀les▶ femmes, mais seulement ◀les▶ esclaves ◀de▶ ceux qui ◀les▶ auraient achetées, et outre cela ◀les▶ parents seraient obligés ◀de▶ rendre à leur prétendu gendre ◀l’▶argent qu’ils en auraient reçu. Et un homme qui est marié ◀de▶ cette manière-là, peut, quand bon lui semble, rendre sa femme à ses parents qui ◀la▶ reprennent sans difficulté, et avec elle ◀les▶ filles qu’elle aurait pu avoir, ◀les▶ garçons restant au père. Ce n’est pas ◀le▶ simple peuple qui fait ces sortes ◀de▶ mariage, ce sont aussi ◀les▶ plus considérables du Royaume. J’en trouve ◀la▶ manière fort commode, et si cette coutume était établie en France, je me marierais deux jours après mon arrivée, car je crois qu’une femme ressemble au poisson qui n’est bon que frais et qui pue et dégoûte quand on ◀le▶ garde plus ◀de▶ deux-jours.
J’ai aussi appris que Monsieur Godeau dit vrai dans son troisième siècle ◀de▶ ◀l’▶Histoire ◀de▶ ◀l’▶Eglise, quand il dit au sujet du différend qui était entre saint Cyprien et ◀le▶ pape saint Etienne, que ◀les▶ saints qui sont encore sur ◀la▶ terre sont hommes et que ◀le▶ zèle fait souvent faillir ◀les▶ plus sages. En effet ◀l’▶amour ◀de▶ Dieu est assez fort pour brouiller ensemble Messieurs des Missions Etrangères et ◀les▶ R. P. jésuites. ◀Les▶ conquêtes que ◀les▶ uns font sur ◀l’▶ennemi du genre humain en convertissant des idolâtres, déplaisent aux autres : chacun voudrait se réserver tout pour soi, être ◀le▶ seul métayer dans une si ample moisson, et pour cela ils sont ici dans une perpétuelle mésintelligence. ◀Les▶ R. R jésuites ont fait exiler ◀les▶ missionnaires ◀de▶ ◀la▶ Chine, ceux-ci ◀les▶ autres du Tonquin ; et ◀les▶ jésuites qui ne sont à Siam que depuis ◀les▶ missionnaires ont si bien fait que loin ◀d’▶y être maltraités, leur maison a été un lieu ◀de▶ refuge et ◀d’▶asile, et on leur a même donné ◀de▶ ◀l’▶argent dans ◀le▶ temps qu’on persécutait ◀les▶ autres. Cette cruelle distinction ne plaît guère à Messieurs ◀les▶ missionnaires ; ils sont trop discrets pour dire ce qu’ils en pensent, mais pour peu qu’on sache connaître ◀les▶ secrets du cœur par ◀le▶ mouvement des yeux et du visage on ◀le▶ connaît assez. Ce n’est pas depuis peu que cette brouillerie subsiste, et voici ce que Monsieur de Chaumont en dit dans sa relation, p. 110 :
Dans une audience que ◀le▶ Roi me donna, je lui dis que j’avais amené avec moi six Pères Jésuites qui s’en allaient à ◀la▶ Chine faire des observations ◀de▶ mathématique et qu’ils avaient été choisis par ◀le▶ Roi mon maître comme ◀les▶ plus capables en cette science. Il me dit qu’il ◀les▶ verrait et qu’il était bien aise qu’ils se fussent accommodés avec Monsieur l’Evêque de Metellopolis. Il m’a parlé plus ◀d’▶une fois sur cette matière.
Cet accommodement des jésuites avec Monsieur de Metellopolis chef des missionnaires suppose une brouillerie précédente, et il est fâcheux qu’un Roi idolâtre (qu’on veut éclairer des lumières ◀d’▶un Evangile qui n’est que douceur et qui ordonne non seulement ◀de▶ pardonner à ses ennemis mais aussi ◀de▶ ◀les▶ aller chercher quand même on n’aurait rien contre eux sur ◀le▶ cœur) soit informé des mésintelligences qui sont entre ◀les▶ prédicateurs ◀de▶ ce même Evangile, et il est même à craindre que ◀les▶ idolâtres n’augurent mal du reste ◀de▶ ce même Evangile, et qu’ils ne soient mal édifiés ◀d’▶en voir ◀les▶ ministres exécuter si mal eux-mêmes ce qu’au péril ◀de▶ leurs vies, sans compter ◀les▶ fatigues du voyage, ils disent qu’ils viennent enseigner aux autres. Il serait à souhaiter pour lever tout sujet ◀de▶ dispute entre eux et ◀de▶ scandale aux idolâtres, qu’ils eussent chacun leurs départements et qu’ils n’allassent plus sur ◀les▶ brisées ◀les▶ uns des autres, car assurément leurs brouilleries font un mauvais effet non seulement auprès des gentils, mais même scandalisent ◀les▶ catholiques et leur font lâcher plusieurs railleries piquantes qui donnent lieu ◀de▶ croire que ◀l’▶intérêt temporel a du moins autant ◀de▶ part à leurs missions que ◀le▶ zèle ◀de▶ ◀la▶ propagation en ◀la▶ foi ; et si cela était autrement dit-on, sans aller chercher si loin dans ◀la▶ Chine, dans ◀le▶ Tonquin et dans ◀le▶ Japon, qui sont des pays abondants en or et en pierreries, et si il est vrai comme ils ◀le▶ disent qu’ils ne cherchent que ◀le▶ salut des âmes, ils peuvent sans sortir ◀de▶ Pondichéry même trouver un champ propre à être défriché, ◀l’▶impiété et ◀l’▶idolâtrie étant assez grande pour mériter leur attention s’il est vrai que ◀le▶ seul amour ◀de▶ Dieu ◀les▶ inspire. Au moins ils auraient ◀la▶ consolation ◀d’▶avoir leurs compatriotes mêmes pour témoins ◀de▶ leur zèle et ◀de▶ leurs travaux, et ◀d’▶en recevoir toutes ◀les▶ assistances dont ils auraient besoin. Il est vrai qu’ils ne seraient point élevés aux dignités temporelles ; mais ◀la▶ pureté ◀de▶ leurs intentions en paraîtrait mieux. ◀Le▶ R. P.Tachard est aussi resté à Pondichéry et a été salué par Monsieur Du Quesne à sa sortie du Gaillard ◀de▶ cinq coups ◀de▶ canon, et ◀les▶ mandarins ◀d’▶autant lorsqu’ils ont été mis à terre à Bengale.
Je n’ai rien à vous dire ◀de▶ nouveau sur ◀les▶ mœurs des Noirs d’ici n’en ayant rien appris autre chose que la première fois. Mais sur leur religion et leur coutume j’ai appris ◀le▶ comble ◀de▶ ◀l’▶impureté et ◀de▶ ◀l’▶idolâtrie que j’ai horreur ◀d’▶écrire. C’est que ◀les▶ Gentils, d’abord qu’ils sont mariés avant que de toucher à leurs femmes ◀les▶ obligent ◀d’▶aller sacrifier leur virginité aux idoles des pagodes. ◀L’▶idole ◀de▶ Villenove qui est Coinda dont je vous ai parlé au sujet de sa tête ◀d’▶éléphant, a une nature ◀d’▶homme ◀d’▶une grosseur et ◀d’▶une longueur plus qu’humaine : c’est à cela que ◀les▶ nouvelles mariées sont obligées ◀de▶ s’attacher jusques à ◀la▶ pollution, de même qu’au priape ◀de▶ Pondichéry pour devenir fécondes, malgré ◀les▶ douleurs qu’elles souffrent tant par ◀la▶ grande ouverture que cela leur cause que par ◀l’▶agitation ◀de▶ leur corps ◀l’▶idole étant immobile. Il y a bien plus : c’est que ◀les▶ filles des bramènes qui passent dix-huit ans sans être mariées sont mises dans une pagode et servent au divertissement ◀de▶ ◀l’▶idole que ces misérables y adorent, et qu’ils croient trouver dans ◀l’▶attouchement ◀de▶ ces malheureuses un plaisir digne ◀d’▶un dieu ; et elles sont obligées pour ◀le▶ divertir ◀de▶ s’y joindre tant de fois par jour ou tant de fois par semaine selon leur âge, et c’est là toute ◀l’▶occupation ◀de▶ leur vie. Il y a présentement plus ◀de▶ cinquante filles renfermées dans ◀la▶ pagode ◀de▶ Villenove et autant dans ◀les▶ autres à proportion. Je me serais bien empêché ◀de▶ vous écrire ces saletés, qui me font horreur à moi-même, si je n’avais résolu ◀de▶ vous informer ◀de▶ tout ce que j’apprendrais ◀de▶ certain. Si vous dites qu’on n’a jamais entendu parler ◀d’▶une chose si étonnante que celle-ci, je vous donnerai ◀la▶ même raison qu’on m’en a donnée, qui est que ◀la▶ chose ne paraissant pas croyable, personne ne s’était donné ◀la▶ peine ◀de▶ ◀l’▶écrire, non plus que plusieurs autres choses, qui quoique vraies sont encore moins vraisemblables, de crainte de passer pour imposteur. Et moi-même si je vous disais tout ce que j’en sais, vous seriez plus scandalisé ◀de▶ ◀la▶ chose même que du style dont je vous ◀l’▶écrirais quelque impur qu’il pût être. Voilà ce que je crois à propos de vous dire, et voici ce que j’ai vu. C’est ◀le▶ brûlement ◀d’▶un noir.
Il était expiré environ sur ◀les▶ six heures du soir précédent. Pendant toute ◀la▶ nuit ce n’avait été que cris et hurlements effroyables. J’y allai ◀le▶ matin sur ◀les▶ dix heures et vis dans une cabane un corps mort couché ◀de▶ son long sur une natte et couvert ◀de▶ toile ◀de▶ coton belle et bien blanche, ◀le▶ visage découvert. Sa femme était au chevet, ses enfants à ses pieds et ses parents à ses côtés, tous assis sur leurs talons sans dire une seule parole, et dans un silence morne et lugubre qu’ils avaient observé depuis ◀le▶ levé du soleil. Un quart d’heure après que j’y fus arrivé ◀la▶ femme se leva la première, ◀les▶ parents ensuite et ◀les▶ enfants après. Ils firent leurs harangues au corps lesquelles on m’a expliquées ainsi. Celle ◀de▶ ◀la▶ femme était telle en substance : Pourquoi m’as-tu voulu quitter mon cher mari ? Réponds-moi, ai-je pas fait pour toi tout ce que j’ai pu et dû faire ? Qu’est-ce qu’il te manquait ? Ton négoce n’allait-il pas bien ? N’avais-tu pas assez ◀de▶ riz pour vivre ? Et mille autres demandes ◀de▶ pareille nature, après quoi elle sortit. ◀Le▶ fils aîné lui fit sa harangue à son tour, et après presque ◀les▶ mêmes interrogations, il ◀le▶ pria ◀de▶ lui dire dans quel corps son âme allait passer ; et si elle quittait sa famille. Notez, s’il vous plaît, qu’ils croient ◀la▶ métempsycose ◀de▶ Pilagore et qu’ils tiennent pour certain que ◀la▶ même âme qui est sortie ◀d’▶un corps mort va animer celui ◀d’▶un enfant naissant. Mais retournons trouver ◀le▶ fils qui questionne son père mort. Après quantité ◀de▶ demandes impertinentes, il se laisse tomber à terre et demeure avec ◀les▶ parents dans un silence et un repos qui ◀les▶ ferait plutôt prendre pour des figures ◀de▶ sculpture que pour des hommes vivants. Ils restent ainsi environ un quart d’heure après lequel temps ils se lèvent tous, présentent à manger au corps et ensuite ◀le▶ conduisent à son bûcher, ce qui se fait ainsi.
Pendant ◀les▶ regrets et ◀les▶ pleurs ◀de▶ ◀la▶ nuit et du matin on prépare une espèce ◀de▶ brancard qui est porté par huit hommes, deux devant, deux derrière, et deux à chaque côté. Il y a au milieu du brancard une niche qui ressemble fort bien à ce qu’on appelle à Paris un soufflet ou une brouette qu’un homme tire. Cela est couvert ◀de▶ beau linges et ◀de▶ pagnes et ◀de▶ rameaux verts et finit en dôme. Ils mettent là-dedans ◀le▶ corps assis comme leurs pagodes et comme sont nos tailleurs en France, et pendant qu’on ◀l’▶y met il y a un vieillard qui est apparemment un bramène qui semble marmotter quelque chose. Cela dure environ un quart d’heure, après quoi on marche. Premièrement deux hommes qui portent deux espèces ◀de▶ clairons ou trompettes droites et longues de plus ◀de▶ quinze pieds qu’ils sonnent de temps en temps avec un fort grand bruit ; après ceux-là d’autres avec des tambours ◀de▶ Basques et autres instruments qui font un charivari ◀de▶ diable. Après ceux-ci ◀les▶ parents, après ◀les▶ parents ◀le▶ corps porté comme je vous ai dit par huit hommes et suivi du vieillard ou bramène qui fait ◀la▶ cérémonie, après lui quelques femmes et enfants. Ils marchent ainsi, ◀le▶ corps ayant ◀le▶ visage tourné vers ◀le▶ chemin, jusques à environ vingt ou trente pas du foyer, où ils s’arrêtent. Là ◀le▶ bramène, ◀le▶ visage tourné vers celui du mort, récite quelques prières, fait trois tours autour du brancard et y jette un peu de riz. Cela fait on fait faire volte-face au brancard, et pour lors ◀le▶ corps va à reculons et est précédé par ◀le▶ vieillard au lieu qu’auparavant il en était suivi. Lorsqu’ils sont arrivés au bûcher ils posent ◀le▶ corps à terre, cassent ◀le▶ brancard et couvrent ◀le▶ corps des mêmes toiles et pagnes dont ◀le▶ brancard était orné. Pendant ce temps ◀le▶ bramène continue toujours ses prières à voix basse, et fait trois tours autour du corps en jetant un peu de riz dessus. Ensuite on relève ◀le▶ corps ◀de▶ terre et on ◀le▶ pose sur ◀le▶ foyer étendu tout ◀de▶ son long sur ◀le▶ dos, ôtent ◀les▶ pagnes et ◀le▶ couvre (sic) tout ◀de▶ toile blanche, ◀les▶ pagnes étant ◀de▶ couleur. ◀Le▶ bramène fait encore trois autres tours autour du foyer et recommence ses prières. On lui apporte alors deux pots ◀de▶ terre, l’un plein ◀de▶ riz cru et l’autre ◀d’▶eau. On lui jette ◀de▶ ◀l’▶eau sur ◀les▶ mains, et c’est un Noir qui ◀le▶ sert, lui et ◀les▶ autres qui viennent ensuite. Ce Noir pose ◀les▶ pots à terre, prend ◀de▶ ◀l’▶eau avec ses deux mains et ◀la▶ laisse tomber sur celle des autres. ◀Le▶ vieillard, ayant ◀les▶ doigts lavés, prend avec ◀les▶ trois premiers doigts ◀de▶ ses deux mains du riz à trois reprises, qu’il jette aussi à trois fois sur ◀le▶ corps mort justement au droit de ◀la▶ bouche, un linge entre deux ; après quoi pour lui laver ◀les▶ mains ◀le▶ même Noir lui jette encore ◀de▶ ◀l’▶eau dessus comme la première fois. Tous ◀les▶ assistants tant parents qu’autres font ◀la▶ même chose que ◀le▶ vieillard et sont servis de même, et le dernier qui vient jeter ◀le▶ riz sert à son tour celui qui a servi tous ◀les▶ autres. ◀Le▶ bramène cependant se retire et va allumer du feu à un petit monceau ◀de▶ bois proche du foyer. Lorsque cela est fini ils ôtent ◀de▶ dessus ◀le▶ corps ◀le▶ linge qui y était et ◀le▶ riz, et retournent ◀le▶ corps sur ◀le▶ ventre. Ils lui élongent ◀les▶ deux bras le long du corps et lui accommodent ◀les▶ cuisses et ◀les▶ jambes tout de même que nos cuisiniers accommodent celles ◀d’▶un lièvre qu’ils mettent en pâte. Ils couvrent ce corps ◀de▶ linge et y jettent du bois aromatique, et même quelques-uns ◀de▶ ◀l’▶argent et ◀de▶ ◀l’▶or. Ils couvrent ◀le▶ tout ◀de▶ bousées ◀de▶ vache sèches, et par-dessus cette bousée ◀de▶ vache ils font un lit ◀de▶ terre glaise toute mouillée, en sorte qu’on peut dire que ◀le▶ corps est là comme en pâte. Pendant que cela se fait ◀le▶ bramène continue toujours ses prières. On apporte ensuite du feu allumé : ce sont trois petits bâtons qui brûlent comme des chandelles. C’est ◀le▶ fils qui ◀les▶ met au bûcher ; après lui y porte du feu qui veut pour faire prendre ◀le▶ bois plus vite, et fourrent dans ◀le▶ bûcher ◀de▶ petits morceaux ◀de▶ bois ◀de▶ senteur tel qu’ils ◀l’▶ont. D’abord que ◀le▶ feu est pris, un des parents prend ◀le▶ pot à ◀l’▶eau, y fait trois trous par où cette eau coule comme par trois robinets, et versant ◀le▶ reste ◀de▶ ◀l’▶eau par ces trois trous il fait trois tours autour du foyer ; après quoi il élève ce pot au-dessus ◀de▶ sa tête et ◀le▶ jette à terre ◀de▶ toute sa force où il se casse en mille pièces, il en fait autant du pot ◀de▶ riz, et s’il reste ◀de▶ ces pots quelque morceau un peu grand lui et ◀les▶ autres ◀les▶ cassent à coups de pied en marchant dessus. Ils mettent ensuite au bûcher ◀le▶ reste du petit monceau ◀de▶ bois allumé, pour augmenter ◀le▶ feu qui est déjà pris. Cela fait ◀le▶ bramène s’en va, et ◀les▶ autres restent quelque temps auprès du feu à déplorer leurs malheurs et à se jeter dans ◀les▶ bras ◀les▶ uns des autres et à s’embrasser ◀les▶ larmes aux yeux comme des gens accablés ◀de▶ tristesse. Ensuite chacun s’en retourne, et on porte ce même riz, qu’on a ôté ◀de▶ dessus ◀le▶ corps du mort, à ◀la▶ femme du défunt ou à sa plus proche parente, qui ◀le▶ fait cuire et ◀le▶ renvoie avec ◀de▶ ◀l’▶eau dans deux pots neufs auprès du foyer, afin que ◀l’▶âme du mort y vienne prendre sa réfection, comme je vous ai dit que j’en avais vu et que j’avais cassé ces pots la première fois que je vins à Pondichéry, en voulant aller voir ◀la▶ pagode et ◀l’▶idole ◀de▶ Villenove.
Voilà tout ce que j’ai vu ◀de▶ nouveau à Pondichéry, et plus ◀de▶ dix mille Noirs tout ◀d’▶un coup, qui fut ◀le▶ seize du courant, au bazar ou marché qu’ils tiennent derrière ◀le▶ fort tous ◀les▶ mardis. On trouve là avec abondance ◀de▶ tout ce que ◀le▶ pays produit et même ◀de▶ ce qui vient d’ailleurs. Ils se vendent comme parmi nous argent comptant ou à crédit ou par troc. ◀L’▶or et ◀l’▶argent y roulent comme dans nos foires et nos marchés. Ceux qui vendent à crédit savent écrire. Je ne vous parlerai point ◀de▶ leur encre ni ◀de▶ leur papier, je vous en porte : ce sont ◀de▶ simples feuilles ◀de▶ canne sèches, qu’ils gravent avec ◀la▶ pointe ◀d’▶une aiguille ◀de▶ fer longue ◀de▶ demi pied qu’ils manient ◀de▶ ◀la▶ main droite et leur passe entre ◀le▶ trois et quatrième doigt, ◀le▶ pouce appuyé sur ◀l’▶extrémité qui donne ◀le▶ mouvement à ◀la▶ pointe, laquelle est appuyée contre ◀l’▶ongle du pouce ◀de▶ ◀la▶ main gauche, leur feuille ◀de▶ canne étant élongée sur le second doigt ◀de▶ ◀la▶ même main, sans autre appui, écrivant debout mais ◀d’▶une si grande vitesse et si juste que cela surprend. Voilà tout ce que je puis vous dire ◀de▶ Pondichéry, si ce n’est qu’ils ont fait faire sur ◀le▶ bord ◀de▶ ◀la▶ mer une batterie ◀de▶ six pièces ◀de▶ canon ◀de▶ chasse[s] qui peut battre en rade, et qu’ils vont y faire encore d’autres fortifications et d’autres travaux ayant à présent plusieurs pièces ◀d’▶artillerie qu’on leur a apportées tant de France que ◀de▶ Bengale.
Nous sommes à ◀la▶ voile ◀de▶ ce matin, comme je vous ai dit. Il ne fait que fort peu de vent, mais il n’importe ◀le▶ plus fort est fait, nous avons, grâce à Dieu, pris congé ◀de▶ ◀la▶ terre des Indes, nous ne respirons plus que ◀les▶ Iles ◀de▶ ◀l’▶Amérique pour ◀de▶ là nous rendre en France. On compte ici cinq mois avant que ◀d’▶être à ◀la▶ Martinique, c’est beaucoup de temps sans voir terre, Dieu nous ◀le▶ donne beau et bon. Nous n’avons pas besoin ◀de▶ trouver ◀d’▶ennemis, car nous ne sommes guère en état ◀de▶ nous battre étant chargés ◀de▶ marchandises comme ◀de▶ roches, et toute notre batterie ◀de▶ bas étant hors ◀d’▶état ◀de▶ service par ◀la▶ quantité ◀de▶ ballots que nous avons tant dans ◀l’▶entre-deux-ponts que dans ◀la▶ sainte-barbe. Ainsi notre fortune est faite du côté de ◀la▶ guerre pour cette année et votre neveu n’en reviendra pas plus riche.
Du jeudi 25e. [janvier]
◀Le▶ vent a tout à fait calmé, il n’en a pas fait un souffle aujourd’hui.
Du vendredi 26e. [janvier]
Calme encore tout plat, méchant commencement ◀de▶ voyage ! On a réglé ◀l’▶eau aujourd’hui à cause de ◀la▶ longueur du voyage et ◀de▶ ◀la▶ quantité ◀de▶ bestiaux que nous avons, notre pont étant une véritable basse-cour : bœufs, cabris, moutons, cochons, canards, oies et poules. Tout cela en consomme plus qu’on ne peut croire.
Du samedi 27. [janvier]
◀Le▶ vent est revenu du bon côté mais il est bien petit. Il n’est que Nord et nous portons au Sud-Est pour parer ◀les▶ terres ; nous passerons dans ◀l’▶est ◀de▶ Madagascar fort au large crainte ◀d’▶accident. On ne sait point si nous irons à Mascaray qui est une île dans ◀l’▶Est à vingt-cinq lieues ◀de▶ l’autre, laquelle appartient à ◀la▶ Compagnie et dans laquelle ◀le▶ Roi entretient un gouverneur.
Du dimanche 28 [janvier]
◀Le▶ vent s’est rafraîchi et nous allons bien, grâce à Dieu.
Du lundi 29 [janvier]
Toujours bon vent. Nous avons aujourd’hui mangé la dernière vache ◀de▶ celles que nous avons apportées ◀de▶ France et c’est celle qui nous a donné plus des deux tiers ◀de▶ ◀la▶ campagne du lait.
Du mardi 30e [janvier]
Toujours bon vent.
Du mercredi 31 [janvier]
Toujours bon vent. Nous commençons à retrouver ◀les▶ pluies ◀de▶ ◀la▶ Ligne, il a plu beaucoup ce soir et nous avons recueilli beaucoup ◀d’▶eau pour nos bestiaux.
Février 1691
Du jeudi premier. [février]
Beau temps bon vent arrière, nous commençons à sentir ◀les▶ chaleurs ◀de▶ ◀la▶ Ligne ; nous n’en sommes pas loin mais ce sera bien pis sous ◀le▶ soleil.
Du vendredi 2e. ◀La▶ Chandeleur [février]
Toujours beau temps et bon vent.
Du samedi 3e. [février]
Toujours bon vent ◀de▶ Nord et nous allons au Sud. Il pleut beaucoup, nous recueillons toujours ◀de▶ ◀l’▶eau. Je ne sais si je m’accoutume à ◀la▶ chaleur mais celle-ci me paraît assez supportable au prix de celle ◀de▶ ◀l’▶année passée.
Du dimanche 4e. [février]
Fort peu de vent, je ne m’accoutume point à ◀la▶ chaleur car celle ◀d’▶aujourd’hui me paraît fort étouffante ; si ce n’était pas de même hier c’est qu’il y avait du vent et qu’il n’en a point fait aujourd’hui. Nous sommes presque sous ◀la▶ Ligne.
Du lundi 5e. [février]
Il ne fait presque point ◀de▶ vent et une chaleur excessive. Nous avons doublé ◀la▶ Ligne aujourd’hui sur ◀les▶ cinq heures du soir ; ◀le▶ soleil n’est pourtant pas encore entre vous et nous.
Du mardi 6e. [février]
Peu de vent, beaucoup de pluie, et chaleur immodérée et étouffante ; on ne peut presque pas respirer et on sue toujours, cela affaiblit beaucoup.
Du mercredi 7e. [février]
Même temps.
Du jeudi 8. [février]
Toujours même temps.
Du vendredi 9e. [février]
Du samedi 10e. [février]
◀Le▶ vent est revenu bon mais bien faible ; il y a apparence qu’il affraîchera. Il a fait beau toute ◀la▶ journée, mais beaucoup de pluie ce soir.
Du dimanche 11e. [février]
Il a plu toute cette nuit et ce matin, mais cette après-midi ◀le▶ temps est devenu beau, ◀le▶ vent est toujours bon et bon frais, et nous allons parfaitement bien Dieu merci.
Du lundi 12 [février]
Du mardi 13e. [février]
◀Le▶ vent n’est point mauvais, mais il n’est pas trop bon. Nous avons viré ◀de▶ bord pour la première fois depuis notre départ, nous allons au Sud. Il pleut presque toujours.
Du mercredi 14. [février]
Calme tout plat pas un nuage en ◀l’▶air, et chaleur excessive.
Du jeudi 15. [février]
Fort beau temps mais peu de vent.
Du vendredi 16. [février]
J’ai remarqué une chose cette nuit, qui est que ◀la▶ lune étant justement à notre zénith ne nous éclairait que ◀d’▶une lumière fusque et sombre ; et lorsqu’elle était à ◀l’▶Est et qu’elle a été à ◀l’▶Ouest ◀de▶ nous, sa lumière était belle et claire. Je voudrais bien savoir pourquoi ◀les▶ rais ◀de▶ ◀la▶ lune sont plus clairs obliques que perpendiculaires ? ◀Le▶ temps est beau, ◀le▶ vent bon frais et nous allons fort bien. Nous ne sommes qu’à quarante-cinq lieues du soleil.
Du samedi 17 [février]
◀Le▶ soleil est entre vous et nous, nous ◀l’▶avons dépassé aujourd’hui. Il a plu beaucoup et ◀le▶ vent a été bien fort.
Du dimanche 18 [février]
Toujours bon vent mais calmé ce soir, tant pis.
Du lundi 19e. [février]
Calmé toute ◀la▶ journée, ◀le▶ vent est revenu ce soir grâce à Dieu, s’il affraîchait nous en serions mieux car il est bien faible et nous n’avançons que fort peu.
Du mardi 20e. [février]
Notre hunier a crevé cette nuit, non pas par ◀la▶ force du vent qui était bien faible, mais par vieillesse. ◀Le▶ vent a rafraîchi ce matin. ◀Les▶ courants ont été pour nous car nous avons avancé plus qu’on ne croyait, nous étions à midi à seize degrés au sud ◀de▶ ◀la▶ Ligne.
Du mercredi 21 [février]
Toujours beau temps et bon vent. Nous sommes à dix-sept degrés et demi[e] au sud ◀de▶ ◀la▶ Ligne. Nous n’allons point à Mascaray, les premières terres que nous voirons seront ◀les▶ Iles.
Du jeudi 22e [février]
Toujours beau temps et bon vent. ◀La▶ fièvre commence à me tenir à mon tour ; j’en ai été accablé toute cette nuit, et toute ◀la▶ journée j’ai eu un si grand mal ◀de▶ tête que je ne vois goutte. Nous étions à midi à dix-neuf degrés justes au sud ◀de▶ ◀la▶ Ligne et nous faisons ◀le▶ Sud-Ouest.
Du vendredi 23e. [février]
Toujours bon vent et beau temps. Je suis si faible que je ne puis écrire ; ces changements ◀de▶ climats-ci tuent ◀le▶ corps. J’ai eu du frisson, mais point ◀de▶ fièvre Dieu merci.
Du samedi 24e. [février]
Toujours bon vent. Nous sommes à 21 degrés ◀de▶ ◀la▶ Ligne ; nous allons à merveille. ◀La▶ diète m’a tiré ◀d’▶affaires, je n’ai eu aujourd’hui ni frisson ni fièvre.
Du dimanche 25e. [février]
◀Le▶ vent est toujours bon ; nous passerons demain ◀le▶ Tropique, car nous étions à midi à 22 degrés au sud ◀de▶ ◀la▶ Ligne.
Du lundi gras 26 [février]
◀Le▶ Tropique est doublé et passé. ◀Le▶ vent est toujours fort bon, et sans être au bal comme on est à présent en France nous dansons au roulis à merveille.
Du mardi gras 27. [février]
◀Le▶ vent nous donne toujours ◀le▶ bal et si fort qu’on ne se peut tenir, on est toujours en cadence. Nous avançons Dieu merci bien vite et bien fort.
Du mercredi des Cendres 28 [février]
◀Le▶ vent est toujours bon et malgré ◀le▶ Carême ◀le▶ vent nous donne toujours ◀le▶ bal. ◀Le▶ soleil a paru éclipsé ce matin sur ◀les▶ sept heures environ ◀de▶ ◀la▶ moitié ◀de▶ son disque, mais comme ◀le▶ temps était couvert, on n’a pas pu ◀l’▶observer. Cette éclipse n’a point paru à Paris parce que ◀le▶ soleil n’y était point encore levé, y ayant environ 73 degrés ◀de▶ longitude ◀de▶ différence, qui sont près de cinq heures qu’il est ici plus qu’en France ; ainsi il n’était que deux heures du matin chez vous.
Mars 1691
Du jeudi premier [mars]
Je ne sais si ◀l’▶éclipse ◀d’▶hier a fait renforcer ◀le▶ vent, mais c’est un vent ◀de▶ diable : notre misaine a été toute emportée. ◀L’▶éclipse ◀de▶ lune qui arriva ◀le▶ 18e septembre ◀de▶ ◀l’▶année passée nous amena un très mauvais temps, celui-ci commence à lui damer ◀le▶ pion.
Du dimanche 4e. [mars]
Je n’écrivis point ni hier ni avant-hier parce que je ne ◀l’▶ai pas pu. Nous avons essuyé jeudi, vendredi et samedi ce qu’on appelle un ouragan, c’est-à-dire un coup de vent terrible accompagné ◀d’▶une très grosse pluie et ◀d’▶une brume fort épaisse. Je me souviens ◀d’▶avoir lu dans ◀le▶ Journal du règne ◀de▶ Henri trois que ◀les▶ huguenots disaient qu’il avait fait bon mourir ◀la▶ nuit que mourut ◀le▶ Cardinal de Lorraine, qu’il fit ◀le▶ plus vilain temps qu’on eût vu ◀de▶ mémoire ◀d’▶homme, parce disaient-ils que tous ◀les▶ diables étaient en ◀l’▶air qui attendaient ◀l’▶âme ◀de▶ ce prélat, et ne songeaient point à celles des autres agonisants. Si cela est ainsi, il a fait bon mourir en Europe ces trois derniers jours-ci, car assurément ce n’était pas ◀le▶ vent qui soufflait, c’étaient tous ◀les▶ diables ◀d’▶enfer qui étaient venus tenir leur assemblée générale aux extrémités des Indes et ◀de▶ ◀l’▶Afrique. On n’a jamais vu ◀de▶ vent si furieux. Nous nous sommes vus cinq fois en deux jours dans un péril éminent, notre barre ◀de▶ gouvernail s’étant cassée autant ◀de▶ fois, et notre gouvernail ne tenant à rien, donnant ◀de▶ si furieux coups dans notre étambot que nous avons cru cent fois que ◀le▶ derrière ◀de▶ notre navire allait être emporté. Une ◀de▶ nos soutes a toute été gâtée et nous avons perdu plus ◀de▶ trois milliers ◀de▶ pain, ce qui me fait fort craindre que nous serons obligés ◀d’▶en retrancher un tiers par repas. Ajoutez à cela notre riz et nos légumes pourries, ◀le▶ tiers ◀de▶ nos poudres mouillé et en boue, ◀les▶ deux tiers ◀de▶ nos bestiaux morts et emportés par ◀les▶ coups ◀de▶ mer qui entraient et sortaient à tout moment ◀de▶ dessus ◀le▶ tillac du navire, nos galeries crevées et emportées par ◀la▶ mer dont ◀les▶ vagues éclataient plus haut que notre dunette notre fanal en ayant été emporté et tout ◀le▶ derrière du navire ébranlé. Notre gouvernail n’est point encore raccommodé et ne peut ◀l’▶être ◀de▶ longtemps, et nous sommes assurément très mal si Dieu n’a pitié ◀de▶ nous. Nous faisions ◀de▶ ◀l’▶eau de toutes parts par notre haut pendant ◀le▶ mauvais temps ; Dieu veuille que notre salpêtre n’en ait point été gâté, mais nous avons des ballots ◀de▶ marchandises qui sont tout à fait mouillés. Grâce à Dieu, ◀le▶ vent a calmé cette nuit et ◀le▶ temps s’est éclairci dès ◀le▶ matin. Nous vîmes hier un mât ◀d’▶hune à ◀l’▶eau : Dieu veuille qu’il ne soit point arrivé ◀de▶ malheur à qui que ce soit, et que ce ne soit qu’un mât ◀de▶ rechange qu’on ait volontairement jeté à ◀la▶ mer pour soulager ◀le▶ côté ◀d’▶un navire. Nous en avons vu quatre ce matin, qui sont ◀l’▶Oiseau, ◀le▶ Florissant, ◀le▶ Lion et ◀le▶ Dragon : nous n’avons point vu ◀le▶ Gaillard. Notre commandant, qui est à présent Monsieur ◀le▶ chevalier ◀d’▶Haire, a fait signal pour faire approcher ◀les▶ navires du sien ; on y a été. ◀L’▶Oiseau est encore à ce qu’ils disent plus mal que nous ; il a perdu du pain, son gouvernail a fait comme le nôtre, ses bestiaux aussi, et plus que tout cela, c’est que ◀l’▶eau ne tarit point chez lui et qu’il est obligé ◀de▶ pomper à quatre pompes, et que son navire a tant souffert pendant ◀le▶ mauvais temps qu’il a été obligé pour ◀le▶ soulager ◀de▶ jeter à ◀la▶ mer quatre pièces ◀de▶ canon. Nous avons parlé ce soir à Messieurs du Lion qui sont comme par gageure dans ◀le▶ même état que nous et qui comme nous ont fait un vœu ◀de▶ bien bon cœur. Leur éperon a été emporté outre cela, et ils ont comme vous pouvez croire extrêmement souffert. Je ne sais dans quel état sont ◀le▶ Florissant et ◀le▶ Dragon, car nous ne leur avons pas parlé. ◀Le▶ vent est faible et contraire et ◀la▶ mer fort émue, elle était trop agitée pour se calmer si promptement.
Du lundi cinqe, [mars]
Toujours même vent, faible et contraire et ◀la▶ mer unie. ◀Le▶ navire est déguisé en friperie, chacun ayant mis ses hardes à ◀l’▶air parce que tout a été mouillé dans ◀l’▶entre-deux-ponts où ◀les▶ coffres nageaient comme s’ils avaient été dans ◀la▶ mer même. Nous n’avons pas encore tout essuyé ◀le▶ mauvais temps : ◀le▶ cap de Bonne-Espérance est encore à passer, et je désespère presque ◀de▶ retourner en France s’il en faut autant souffrir là que nous en avons souffert ici.
Du mardi sixe. [mars]
Même temps et même vent.
Du mercredi 7e [mars]
Calme tout plat tant mieux, ◀le▶ vent changera et redeviendra bon s’il plaît à Dieu.
Du jeudi 8e. [mars]
Bon vent, mais bien faible. ◀Le▶ temps est toujours couvert et embrumé et il fait une petite pluie fort incommode, on ne voit pas à une lieue.
Du vendredi 9e. [mars]
◀Le▶ vent s’est renforcé mais toujours contraire à ◀la▶ route. ◀Le▶ temps embrumé qu’il a fait hier et ◀l’▶obscurité ◀de▶ cette nuit, nous ont fait perdre ◀le▶ Lion ◀de▶ vue : nous ne voyons que ◀l’▶Oiseau, ◀le▶ Florissant et ◀le▶ Dragon.
Du samedi 10e. [mars]
◀Le▶ vent est venu contraire tout à fait, et bien gros vent dès cette nuit et si fort que nous avons extrêmement fatigué et que notre soute au pain a encore fait ◀de▶ ◀l’▶eau, notre grand mât a couru risque ◀de▶ casser, et enfin si on pouvait se parler en esprit je me recommanderais à vos prières.
Du dimanche onze [mars]
◀Le▶ vent calma dès hier au soir, et ce matin il est revenu assez bon ou du moins point mauvais. ◀Le▶ temps a un peu éclairci cette après-midi mais nous ne voyons toujours que trois navires avec nous, Dieu veuille nous conserver ! Si ◀le▶ troupeau se disperse ainsi, gare du loup.
Du lundi 12e. [mars]
Il a fait aujourd’hui fort beau temps, et nous avons revu ◀le▶ Lion que ◀la▶ brume nous cachait. Il fait calme tout plat.
Du mardi 13e. [mars]
◀Le▶ vent est venu bon mais bien faible, ◀le▶ ciel s’est couvert.
Du mercredi 14e, 2[mars]
Toujours petit vent et toujours temps couvert. Monsieur de Porrières à ◀l’▶issue ◀de▶ son dîner a été à bord de ◀l’▶Oiseau et m’y a mené avec ◀les▶ principaux ◀de▶ ses officiers mariniers. Il m’a fait lire devant Monsr. ◀d’▶Haire ◀le▶ procès-verbal qu’il m’a fait faire ◀de▶ ◀l’▶état dans lequel ◀le▶ mauvais temps nous a mis, après quoi il lui a dit qu’attendu ◀le▶ mauvais état où nous sommes, toutes nos légumes généralement et beaucoup de pain pourris et jetés à ◀la▶ mer, ◀la▶ disette ◀de▶ vivres dont nous sommes menacés, ◀le▶ peu ◀d’▶eau que nous avons, en ayant déjà consommé ◀le▶ tiers, et plus que tout cela notre gouvernail étant en très mauvais état, son dessein était ◀de▶ se séparer du reste ◀de▶ ◀l’▶escadre pour gagner ◀les▶ devants, lui étant impossible ◀de▶ tenir longtemps ◀la▶ mer sans se raccommoder et qu’un navire seul fait beaucoup plus ◀de▶ chemin que lorsqu’il est en corps, parce qu’il suit toujours sa route sans attendre qui que ce soit. A cela Monsieur d’Haire a répondu que M. de Porrières ne devait pas douter qu’il n’eût aussi bien que lui beaucoup de choses gâtées, qu’il avait même beaucoup plus souffert ayant été obligé ◀de▶ jeter quatre grosses pièces ◀de▶ canon à ◀la▶ mer pour soulager son navire dans ◀le▶ fond ◀de▶ cale duquel il y avait cinq pieds ◀d’▶eau et trois dans ◀l’▶entre-deux-ponts. Que son gouvernail n’était pas en meilleur état que le nôtre. Après quoi il a ajouté, en parlant à M. de Porrières : Vous êtes ◀le▶ maître Monsieur ◀de▶ faire ce qu’il vous plaira, mais ce ne sera point ◀de▶ mon consentement que nous nous séparerons ; il est encore à présent ◀de▶ la dernière conséquence ◀de▶ ne nous point quitter et plus même qu’en venant. Nous pouvons trouver vers ◀le▶ Cap une escadre ◀de▶ vaisseaux anglais ou hollandais venant ◀d’▶Europe qui feraient un méchant parti à un navire seul, mais qui auront ] es trois quarts ◀de▶ ◀la▶ peur s’ils nous rencontrent tous ensemble. Pour ce qui est ◀de▶ votre gouvernail, prenez mes charpentiers si vous en avez besoin, comme je prendrais les vôtres si je n’avais pas fait faire au mien tout ce qu’on y peut faire à ◀la▶ mer. Pour vos vivres, pourvu que nous en ayons assez pour gagner ◀les▶ Iles ◀de▶ ◀l’▶Amérique, nous en trouverons là pour nous conduire en France. Pour votre eau si vous en manquez avant moi je vous en donnerai autant que je ◀le▶ pourrai faire, car il n’est plus question ◀de▶ dire que c’est ◀de▶ ◀l’▶eau ◀d’▶un tel navire, il est question seulement que celui qui en a en aide celui qui en manque Ce n’est pas seulement par ◀le▶ travers du Cap que nous devons craindre ◀de▶ trouver des ennemis, c’est bien plus que tout cela à notre atterrage des îles ◀de▶ ◀l’▶Amérique. En y allant nous passerons devant ◀l’▶Ile de l’Ascension, nous y trouverons une bouteille que Monsr. Du Quesne y aura laissée en cas qu’il y ait passé avant nous. Nous saurons là où il sera et nous pourrons ◀l’▶aller joindre. Si au contraire nous y passons les premiers, nous y en laisserons une qui ◀l’▶instruira ◀de▶ ◀la▶ route que nous prendrons et du lieu où il pourra nous retrouver. En tous cas Monsieur a-t-il poursuivi, je compte sur vous comme je suis persuadé que vous me rendez ◀la▶ justice ◀de▶ compter sur moi, et je suis certain que vous me défendrez bien, soyez certain aussi qu’il ne vous arrivera aucun mal que je ne ◀le▶ partage avec vous. Enfin, M. d’Haire a parlé Evangile et a dit tout ce qu’un honnête homme doit et peut dire à un autre. Cela a tempéré ◀l’▶humeur pétulante ◀de▶ M. de Porrières, et ◀le▶ résultat ◀de▶ ◀la▶ conférence a été que notre maître-charpentier qui était présent a promis ◀d’▶accommoder notre gouvernail assez bien pour pouvoir servir ; que nous ne nous quitterons point et que nous nous secour[e] rons mutuellement ◀La▶ quantité ◀d’▶eau que ce navire a fait a fondu tout leur salpêtre, et par leur propre confession, ils ont fait aussi bien que nous un vœu ◀de▶ bien bon cœur.
Du jeudi 15e. [mars]
◀Le▶ ciel est toujours couvert et nous donne ◀de▶ ◀la▶ pluie de temps en temps, ◀le▶ vent est venu bon cet après-midi. Mr d’Haire a tiré un coup ◀de▶ canon pour faire arriver sur lui ◀le▶ Lion qui était fort éloigné : cela marque qu’il ne veut pas qu’on ◀le▶ quitte, il a raison.
Du vendredi 16e. [mars]
Calme tout plat dès hier au soir et toute ◀la▶ journée, il a fait fort beau temps.
Du samedi 17. [mars]
◀Le▶ vent vint hier au soir bien petit et variable, nous avançons un peu et nous espérons avec ◀la▶ grâce ◀de▶ Dieu passer ◀le▶ Cap avant ◀la▶ fin du mois.
Du dimanche 18e. [mars]
Peu de vent et contraire, et beau temps.
Du lundi 19e. [mars]
Toujours beau temps et méchant vent. ◀Le▶ chirurgien du Florissant est venu à bord voir le nôtre qui est fort mal. Je vous ai tant parlé des affaires ◀de▶ Siam que je suis honteux ◀de▶ vous en parler encore, mais je ne puis m’en dispenser. Il repasse avec nous en France un nommé M. de La Touche lieutenant qui était dans ce royaume pendant tous ◀les▶ troubles, et qui même a été fait prisonnier. Il a fait une Relation ◀de▶ tout et j’ai fait en sorte ◀de▶ ◀l’▶avoir : vous ◀la▶ trouverez à ◀la▶ fin ◀de▶ ce Journal-ci. J’en avais vu d’autres que je vous destinais, mais celle-ci étant selon moi ◀la▶ plus régulière, je ◀la▶ préfère à toutes ◀les▶ autres sans y avoir changé un seul mot. Vous saurez seulement pour son intelligence que opra est une qualité qui répond à celle ◀de▶ connétable ◀de▶ France, jointe à celle ◀de▶ grand-maître ◀de▶ ◀la▶ maison du Roi. Pitrachard est ◀le▶ nom particulier ◀de▶ ◀l’▶usurpateur. Cangue est une fourche qu’on met au col traversée par ◀le▶ devant ; en sorte que cela fait comme un triangle équilatéral ; qu’à ◀l’▶angle du devant il y comme une mortaise ◀de▶ charpentier, dans laquelle on passe ◀les▶ deux mains, et ainsi un patient est comme s’il était au pilori mais bien plus gêné. Rotin sont des cannes fort menues dont ◀les▶ Siamois se servent au lieu de verges. Bras peints sont leurs bourreaux, qui ont effectivement ◀les▶ bras peints ◀de▶ diverses couleurs et ◀de▶ diverses figures. J’ai été surpris ◀de▶ ce que dans aucune relation ◀de▶ celles que j’ai lues, on ne parlait point ◀de▶ ◀la▶ princesse de Siam. Je m’en suis informé à ce M. de La Touche qui m’a dit qu’il ne savait pas positivement ce qu’elle était devenue, mais que ◀le▶ bruit était que Pitrachard avait voulu ◀l’▶épouser et qu’elle ◀l’▶avait refusé ; que cependant il faudra qu’elle prenne ◀le▶ parti ◀de▶ ◀l’▶épouser lui, son fils, ou ◀la▶ mort, car ce n’est pas ◀la▶ coutume des Orientaux ◀de▶ garder des vestales, et Pitrachard est trop politique pour souffrir que cette princesse épouse un homme capable ◀de▶ faire valoir ses droits.
Du mardi 20e. [mars]
Calme tout plat, ◀la▶ mer est unie comme une feuille ◀de▶ papier.
Du mercredi 21e. [mars]
◀Le▶ vent est revenu ce matin variable, qui n’est pas tout à fait bon mais qui n’est pas mauvais aussi.
Du jeudi 22e [mars]
Calme tout plat pendant toute ◀la▶ journée Ce n’est pas là ◀le▶ moyen ◀de▶ passer ◀le▶ Cap dans ce mois-ci. ◀Le▶ vent est venu ce soir, pas mauvais mais bien faible.
Du vendredi 23e. [mars]
◀Le▶ vent est bon et bon frais, nous allons bien et en bonne route, dix jours de même ◀le▶ Cap sera dépassé. C’est ◀le▶ seul endroit qui nous reste à craindre pour ◀le▶ mauvais temps. ◀Le▶ ciel est embrumé et il tombe un peu de pluie par intervalle, on ne peut avoir ◀de▶ vent ici sans qu’il pleuve.
Du samedi 24e. [mars]
Il a fait beau toute ◀la▶ journée cette après-midi surtout. ◀Le▶ vent a un peu calmé, mais nous allons bien.
Du dimanche 25 [mars] jour ◀de▶ ◀l’▶Annonciation
Il a encore un peu calmé, mais nous allons encore assez bien vent arrière, ◀la▶ mer belle et unie et ◀le▶ plus beau temps du monde.
Du lundi 26e. [mars]
Il a tout à fait calmé cette nuit et ◀le▶ vent est venu contraire.
Du mardi 27. [mars]
Encore vent contraire si peu qu’il en fait, car il a calmé, on n’avance point.
Du mercredi 28 [mars]
◀Le▶ vent a presque toujours été calme, ou il a si peu fait ◀de▶ vent que rien. Enfin il est venu bon ce matin et a rafraîchi cette après-midi et nous allons fort bien, vent en poupe. Si ◀le▶ vent était plus fort, nous irions encore mieux. Nous ne sommes qu’à deux cent cinquante lieues du Cap, et c’est ◀le▶ seul pas qui nous reste à franchir pour être assurés ◀de▶ notre retour en France.
Du jeudi 29e [mars]
C’était hier le premier ◀de▶ ◀la▶ lune, ◀le▶ vent a rafraîchi, c’était bon signe. Il a encore augmenté et nous avons fort bien été.
Quatre jours de même, ◀le▶ Cap sera derrière nous. Je vous avoue que ce trajet m’épouvante, car enfin tant de gens qui en ont écrit et qui en ont fait des relations si horribles, ne se sont pas tous donné parole ◀de▶ mentir sur ◀le▶ même sujet.
Du vendredi 30e. [mars]
Dès cette nuit vers une heure du matin ◀le▶ vent a changé bout pour bout, ainsi contraire tout à fait. Il n’est que Ouest et si bon frais que nous avons mis à ◀la▶ cape. Il a plu, brumé, venté, et tonné bien fort. ◀Les▶ navires se sont encore dispersés, nous ne sommes plus que trois, on ne sait où sont ◀les▶ deux autres. Pour ceux que nous voyons, ils sont trop loin de nous pour dire quels ils sont.
Du samedi 31e. [mars]
◀Le▶ vent est venu bon cette nuit, on a fait bonne route. ◀De▶ dessein ou autrement nous nous sommes séparés du reste ◀de▶ ◀l’▶escadre. Je ne sais si on a bien fait, mais je sais bien qu’il n’a tenu qu’à nous ◀de▶ nous rallier aux autres parce que ◀les▶ deux navires que nous vîmes hier qui sont ◀l’▶Oiseau et ◀le▶ Florissant paraissaient encore ce matin au vent à nous, et qu’au lieu de ◀les▶ attendre, nous avons forcé ◀de▶ voile pour avancer malgré ◀la▶ résolution prise avec Monsieur d’Haire ◀de▶ ne nous point séparer, Dieu veuille qu’il ne nous en arrive pas ◀de▶ mal, à mon égard je suis résolu à tout événement. Si nous sommes assez malheureux pour tomber entre ◀les▶ mains ◀de▶ quelque escadre ennemie, nous tâcherons ◀de▶ nous vendre tout ce que nous pouvons valoir, et peut-être même que comme ◀l’▶Anglais ◀d’▶Amzuam nous nous ensevelirons sous nos propres ruines. Dieu nous en préserve.
Avril 1691
Du dimanche premier [avril]
◀Le▶ vent est encore revenu contraire dès minuit et a été toujours de même depuis, on voit encore ◀l’▶Oiseau et ◀le▶ Florissant.
Du lundi 2e. [avril]
Toujours vent contraire jusques à midi qu’il a calmé tout à fait. Nous avons encore vu ◀les▶ deux mêmes navires ◀d’▶hier ◀Les▶ courants nous en ont éloignés durant ◀le▶ calme, en sorte que ce soir on ne ◀les▶ voyait plus. ◀Le▶ vent est revenu bon sur ◀les▶ six heures, on pourrait ◀les▶ attendre car ils sont au vent et on sait où ils sont, mais nous faisons route pour avancer sans nous mettre en peine ◀d’▶eux. ◀Le▶ vent est bon mais bien faible.
Du mardi 3e. [avril]
◀Le▶ vent a été bon jusques à neuf heures du matin, après cela, il est venu tout à fait contraire, et il a calmé ce soir.
Du mercredi 4e. [avril]
Toujours méchant vent. ◀L’▶Oiseau et ◀le▶ Florissant sont absolument perdus pour nous et suivant toutes ◀les▶ apparences nous ne ◀les▶ reverrons qu’au rendez-vous. ◀Le▶ temps est sombre et couvert et il pleut par intervalle. ◀Les▶ vents sont toujours variables ici et inconstants. Il fait un froid fort grand et que nous trouvons ◀d’▶autant plus sensible que nous ne faisons que sortir des chaleurs. Cette diversité ◀de▶ climats et ◀de▶ température nous cause des malades. Il nous est mort même ce soir un matelot.
Du jeudi 5e. [avril]
Toujours mauvais vent ou du moins bien près. Cependant nos pilotes ayant assuré que nous étions sur ◀le▶ banc des Aiguilles, on a sondé ce soir et on a trouvé quatre-vingt-cinq brasses ◀d’▶eau. Ainsi nous ne sommes qu’à quatorze lieues ◀de▶ terre et environ à trente du cap de Bonne-Espérance. J’admire ◀l’▶habilité ◀de▶ nos pilotes, lesquels après ◀le▶ gros vent du mois passé, ◀la▶ contrariété et ◀la▶ diversité perpétuelle des vents qui ont soufflé depuis ce temps-là, sans avoir vu terre depuis Pondichéry se trouvent justes dans ◀l’▶endroit où ils se font.
Du vendredi 6e. [avril]
On a encore sondé ce matin et on a trouvé soixante-quinze brasses ◀d’▶eau. Il n’a point venté cette nuit, et fort peu ce matin. On a vu terre dès midi, mais on n’en était pas sûr parce qu’elle était tellement confondue dans ◀l’▶horizon qu’on ne pouvait pas bien ◀la▶ distinguer. Elle a paru fort distinctement ce soir à soleil couché. Ce sont ◀les▶ terres du cap des Aiguilles, dont nous sommes encore fort loin.
Du samedi 7e. [avril]
◀Le▶ vent est venu bon cette nuit. On voyait encore ◀la▶ terre ce matin et nous ne nous en sommes point éloignés : on ◀l’▶a toujours côtoyée et si ◀le▶ vent continue, demain matin ◀le▶ Cap sera dépassé. Nous ne sommes qu’à cinq lieues ◀de▶ terre au plus.
Du dimanche 8e. [avril]
◀Le▶ vent a calmé, cependant nous avons toujours avancé sans nous éloigner ◀de▶ terre : nous ◀l’▶avons toujours vue, et ◀le▶ Cap de Bonne-Espérance que nous voyons n’est pas à plus ◀de▶ sept ou huit lieues ◀de▶ nous. Si ◀le▶ vent était un peu plus fort ce serait du chemin pour jusques à minuit, mais j’espère que demain matin nous chanterons ◀le▶ Te Deum à ◀l’▶issue ◀de▶ ◀la▶ messe. Du calme au Cap de Bonne-Espérance ! Cela me paraît si peu vraisemblable que j’accuserais volontiers ◀de▶ vanité et ◀de▶ mensonge tous ceux qui nous en ont écrit des choses si horribles. ◀Les▶ Hollandais savent que nous sommes ici car ils ont des gens sur trois différentes montagnes qui font du feu lorsqu’il paraît quelque navire. Que pensent-ils ? Je crois qu’ils enragent ◀de▶ n’être pas en état ◀de▶ venir au-devant ◀de▶ nous ou ◀de▶ nous couper ◀le▶ chemin, surtout ◀les▶ scélérats qui après avoir dit Credo en France se sont retirés parmi eux où ils ont en même temps renié Dieu, ◀la▶ véritable religion et leur patrie. On dit qu’il y en a là plus ◀de▶ trois cents.
Du lundi 9e. [avril]
C’est ce matin, grâce à Dieu, que nous avons doublé et dépassé ◀le▶ cap de Bonne-Espérance, ◀d’▶une belle mer et ◀d’▶un bon vent arrière. Nous ◀l’▶avons perdu ◀de▶ vue sur ◀le▶ midi, mais ◀le▶ vent, qui est venu contraire sur ◀les▶ deux heures nous empêche ◀de▶ quitter ◀de▶ vue ◀les▶ terres ◀d’▶Afrique. S’il plaît à Dieu il redeviendra bon. En tous cas ◀le▶ plus fort est fait puisque nous ne sommes plus dans ◀les▶ mers des Indes et que nous sommes sûrs ◀de▶ ne point relâcher. Nous avons chanté ◀le▶ Te Deum à gorge déployée ; Dieu nous conserve jusqu’en France nous ◀l’▶y chanterons encore ◀de▶ meilleur cœur.
Du mardi xe. [avril]
Il a calmé tout plat cette nuit, et pas un souffle ◀de▶ vent pendant toute ◀la▶ journée. Nous voyons encore ◀les▶ terres ◀d’▶Afrique.
Du mercredi xie , [avril]
Nous avons enfin perdu ◀de▶ vue ◀les▶ terres ◀d’▶Afrique ; ◀le▶ vent qui est venu bon cette nuit nous a fort avancés et nous avance encore à merveille. Quinze jours de même nous serons à ◀l’▶île de l’Ascension, que nous allons chercher. Nous sommes seuls, et un vaisseau seul fait beaucoup plus ◀de▶ chemin que lorsqu’il est en compagnie car il fait route directe sans attendre personne. Et avec cela nous allions mieux que pas un ◀de▶ ◀l’▶escadre.
Du jeudi 12e. [ avril]
Toujours bon vent, nous allons à plaisir.
Du vendredi saint 13e. [avril]
Toujours bon vent et nous allons bien. Dieu sait ce qu’il nous faut, car assurément nous avons besoin ◀d’▶être bientôt à quelque bon endroit, car nous commençons à être bientôt près de nos pièces.
Du samedi 14. [avril]
◀Le▶ vent s’est mis justement contraire cette nuit, il n’est plus que Nord-Ouest. Tant pis, mais comme ◀la▶ bordée est longue il ne laissera pas ◀de▶ nous servir.
Du jour ◀de▶ Pâques 15e. [avril]
Il a fait calme toute ◀la▶ journée et ◀le▶ vent a un peu changé. Il fait aussi beau et pas plus chaud ni froid qu’il fait en France.
Du lundi 16e. [avril]
Toujours calme. Il faut dire à ◀la▶ louange des Bretons qu’ils sont fort dévots, presque tout notre équipage a fait ses Pâques. C’est dommage que ◀les▶ Bretons soient ivrognes, leur dévotion m’édifie. Tous nos matelots et soldats sont gens ramassés ◀d’▶un côté et ◀d’▶autre ; il y a parmi eux beaucoup de voleurs et ◀de▶ fripons. Je vois quantité ◀de▶ communiants et pas une restitution.
Du mardi 17 [avril]
Calme tout plat, cet après-midi : un petit vent bien près.
Du mercredi 18e. [avril]
Toujours calme, point ◀de▶ vent, ◀la▶ chaleur commence à se faire sentir. On dit que ◀les▶ courants sont pour nous : tant mieux si cela est car autrement nous serions toujours au même état. Il se lève pourtant ce soir un petit vent qui me donne bonne espérance.
Du jeudi 19e. [avril]
Mon espérance ne m’a point trompé, ◀le▶ vent a rafraîchi et nous avons fort bien été aujourd’hui.
Du vendredi 20e[avril]
Toujours bon vent et nous allons bien, nous sommes mal pour ◀le▶ reste et notre pain est bien court.
Du samedi 21 [avril]
◀Le▶ vent a fort calmé et nous n’avons que fort peu avancé, nous sommes à moitié chemin du Cap de Bonne-Espérance à ◀l’▶Ile de l’Ascension.
Du dimanche 22e. [avril]
Toujours même vent et beau temps. Nous allons bien car grâce à Dieu ◀le▶ vent a rafraîchi.
Du lundi 23e. [avril]
Toujours même temps. On a fait aujourd’hui ◀l’▶anniversaire ◀de▶ M. Hurtain notre défunt capitaine, que ◀la▶ solennité du jour ◀d’▶hier dimanche ◀de▶ Quasimodo ne permit pas ◀de▶ faire. ◀Le▶ chaud nous accable et nous donne des malades.
Du mardi 24e. [avril]
Toujours bon petit vent.
Du mercredi 25. [avril]
Toujours de même, un peu plus calme, mais nous allons bien, et notre pain s’en va bien vite.
Du jeudi 26. [avril]
Toujours de même.
Du vendredi 27. [avril]
◀Le▶ vent s’est rafraîchi et s’il continue tel qu’il est on espère que nous serons mercredi à ◀l’▶Ascension.
Du samedi 28. [avril]
◀Le▶ vent a un peu calmé mais nous avons toujours été. ◀La▶ chaleur commence à être insupportable.
Du dimanche 29e. [avril]
Toujours bon vent et on va fort bien.
Du lundi 30e [avril]
Toujours de même pour ◀le▶ vent et ◀la▶ chaleur qui commence à être excessive. Nous sommes par ◀la▶ hauteur ◀de▶ ◀l’▶Ile de l’Ascension, nous faisons ◀l’▶Ouest pour ◀l’▶atteindre ; nous voyons beaucoup ◀d’▶oiseaux qui nous donnent bonne espérance car c’est un signe certain que nous n’en sommes pas fort éloignés.
Mai 1691
Du mardi premier [mai]
Toujours même chose.
Du mercredi 2e. [mai]
On ne voit point encore ◀l’▶Ile de l’Ascension : elle est différemment marquée sur ◀les▶ cartes pour sa longitude, car dans toutes elle est par huit degrés ◀de▶ latitude Sud.
Du jeudi 3e [mai]
Notre équipage commence à désespérer ◀de▶ voir ◀l’▶île de l’Ascension. Deux ◀de▶ nos pilotes s’en font dépassés, et l’autre se fait dessus. Ces sortes ◀d’▶erreurs-là à des pilotes aussi habiles que les nôtres, ne sont-elles pas capables ◀de▶ faire accuser ◀de▶ vanité ceux qui nous assurent que ◀la▶ navigation est établie sur des principes certains ? Et n’est-il pas plus raisonnable ◀de▶ dire que ◀la▶ prudence est ◀le▶ plus assuré fondement ◀d’▶une longue navigation ? Nos pilotes cependant ne perdent point courage et assurent qu’ils trouveront cette île, et que ◀l’▶erreur ◀de▶ leur estime vient de ce que ◀les▶ courants nous ont été contraires ; et c’est là leur unique excuse, ayant tous trois dépassé ◀de▶ bien loin tous ◀les▶ degrés ◀de▶ longitude par lesquels cette île est marquée sur ◀les▶ différentes cartes qu’ils ont.
Du vendredi 4e [mai]
On a cargué des voiles cette nuit pour ne point trop avancer, crainte ◀d’▶aller donner debout au corps sur cette île. Notre équipage est au désespoir n’ayant aucun rafraîchissement à espérer ◀de▶ ce côté-là. ◀Les▶ officiers sont dans un chagrin mortel, parce qu’on ne saura presque quel parti prendre, ni où dresser ◀la▶ route pour rejoindre notre escadre si nous manquerons cette île qui est notre rendez-vous et où nous devons trouver ◀l’▶indication ◀d’▶un autre pour nous rassembler, en cas comme on ◀le▶ croit que Monsieur Du Quesne y ait passé. ◀Les▶ pilotes cependant ne perdent point encore espérance, et ont obtenu que nous poursuivrons ◀la▶ route jusques à demain midi. Ils sont dans sa véritable latitude, Dieu veuille qu’ils ne soient pas dans ◀l’▶Ouest ◀de▶ sa longitude.
Du samedi 5e. [mai]
Nos pilotes ont eu raison ◀de▶ rejeter leur erreur sur ◀les▶ courants, car nous avons vu ce matin ◀l’▶Ile de l’Ascension et y avons mouillé vers ◀le▶ midi. Je vous dirai ce qui m’en aura paru quand nous en serons sortis, mais je ne puis m’empêcher ◀de▶ dire encore que ces courants, contre lesquels ◀le▶ meilleur vent ne peut pas prévaloir, me font toujours revenir à mon sentiment que ◀la▶ prudence fait à ◀la▶ mer autant que ◀la▶ science.
Du lundi 7e. [mai]
Nous avons mis ce soir à ◀la▶ voile pour aller aux îles ◀de▶ ◀l’▶Amérique et avons quitté ◀l’▶Ascension où nous avions mouillé samedi vers ◀le▶ midi. Elle est par huit degrés justes ◀de▶ latitude Sud, et marquée sur différentes cartes par cinq, six, sept et huit degrés ◀de▶ longitude du méridien. Elle n’a au plus que cinq lieues ◀de▶ tour ; elle est inculte et inhabitée, et ce n’est qu’un rocher coupé en montagnes, brûlé par ◀l’▶ardeur du soleil et miné par ◀la▶ mer. Il n’y a aucune eau ◀de▶ source mais seulement ◀de▶ pluie, laquelle coule avec rapidité lorsqu’il a plu, mais qui est bientôt tarie tant par sa propre violence que par ◀la▶ chaleur et ◀l’▶altération du rocher. J’y en ai trouvé qui s’était arrêtée dans des creux, et soit que ◀la▶ soif me ◀la▶ rendît plus précieuse, ou soit qu’elle soit effectivement bonne, je ◀l’▶ai trouvée très excellente. Ce n’est comme je vous ai dit qu’une roche hachée, il n’y a pas cent pas ◀de▶ chemin droit et uni. C’est dans ◀le▶ lit où coule ◀l’▶eau qui s’épand des montagnes après ◀la▶ pluie que ◀l’▶on trouve du pourpier abondamment, tout pareil à celui ◀de▶ France, mais plus sain et ◀de▶ meilleur goût parce qu’il est plus naturel. Cette herbe est un très grand rafraîchissement pour des gens qui n’ont point vu terre depuis près de quatre mois. Cette île est couverte ◀d’▶un nombre infini ◀d’▶oiseaux que ◀les▶ matelots nomment fous et frégates. Ils ont ◀le▶ corps gros comme une macreuse et ne sentent point tant ◀l’▶huile et sont meilleurs à mon goût. Ces animaux sont si familiers qu’ils viennent à bord, se perchent sur ◀les▶ vergues et ◀les▶ matelots ◀les▶ prennent à ◀la▶ main. A terre on ◀les▶ tue à coups ◀de▶ pierre et ◀de▶ bâton, ce qui m’est arrivé à moi-même en ayant tué plusieurs à coups ◀de▶ canne, fatigué ◀de▶ ◀les▶ voir passer devant mon nez si proches. Lorsqu’il y en a un ◀d’▶abattu, ◀les▶ autres ne fuient point, au contraire ils viennent autour en si grande quantité qu’ils dérobent ◀la▶ lumière du soleil et c’est là qu’on en fait boucherie. Il est impossible ◀de▶ dire ◀la▶ quantité que nos matelots en ont pris et tué, et ◀la▶ plus grande preuve que je puisse vous donner pour vous faire connaître que ◀le▶ nombre en est infini, c’est qu’ils en ont encore ◀de▶ reste qu’ils ont salés et qu’ils font sécher contre leur coutume ◀de▶ ne rien garder pour ◀le▶ lendemain et ◀de▶ vivre au jour ◀la▶ journée. Il en est de même du poisson, qui y est en très grande abondance et très bon ; nous en avons fait ◀d’▶excellents repas et nos matelots en ont encore ◀de▶ salé. ◀Le▶ meilleur que j’y aie vu et mangé est fait comme une petite carpe, ◀l’▶écaille, ◀la▶ peau et ◀la▶ tête rouge, et sa chair ressemble pour sa blancheur, sa coupe et ◀le▶ goût à celle ◀de▶ nos brochets ◀d’▶Europe, mais plus exquise. Tout cela n’est pourtant point encore ◀le▶ meilleur rafraîchissement que ◀l’▶on trouve à cette île. C’est ◀la▶ tortue qui y vient, dit-on, en très grande quantité. Nous n’en avons pris que quatorze mais ◀la▶ moindre pèse pour ◀le▶ moins cinq cents livres. Elle n’est pas faite comme celle ◀de▶ Négerades (sic), sa maison n’est pas tout ◀d’▶une pièce, mais par écailles, maillée et marbrée comme celle que nos artisans travaillent ; cependant elle n’est pas propre à être travaillée car elle blanchit en vieillissant, et ce n’est que ◀la▶ maison du mâle qui ne perd point sa beauté et son lustre, n’étant que ◀les▶ femelles qu’on prend lorsqu’elles viennent à terre confier leurs œufs à ◀la▶ chaleur du soleil tout de même que celles ◀de▶ Négerades. ◀La▶ chair ◀de▶ cet animal est très bonne, bienfaisante, et semblable pour ◀le▶ goût et ◀la▶ couleur à celle ◀d’▶un jeune bœuf ; elle fait ◀de▶ très bonne soupe, ◀de▶ très excellentes fricassées et est fort saine, ce que n’est pas celle ◀de▶ Négerades ; du reste il n’y a point ◀de▶ différence. On mouille devant ◀l’▶anse où ◀l’▶on prend cette tortue, ce n’est que du sable fort blanc et fort fin, et pour en reconnaître ◀l’▶endroit ◀les▶ Portugais ont élevé une croix sur une montagne fort haute, et c’est cela qui indique ◀le▶ véritable mouillage. Excepté cette anse qui n’a pas plus ◀d’▶une demi-lieue, tout ◀le▶ reste ◀de▶ ◀l’▶île est bordé ◀de▶ roches minées et mangées par ◀la▶ mer lesquelles jointes au reste ◀de▶ ◀l’▶île brûlé par ◀le▶ soleil représentent à vos yeux partout un champêtre naturel et des grottes sauvages que ◀l’▶art ne peut point imiter, et qui m’ont rappelé dans ◀l’▶idée ◀la▶ décoration ◀de▶ ◀l’▶opéra ◀de▶ Bellerophon, dans ◀la▶ scène où Amisodar chante :
Que ce jardin se change en un désert affreux,Noirs habitants du séjour ténébreux &c...
En effet cela n’en approche pas mal. Je vous ai dit que cette île est inhabitée. Beaucoup de nos gens disent y avoir vu des bœufs et des chèvres, pour moi, je n’y en ai point vu, mais oui bien des crottes et ◀de▶ ◀la▶ fiente ◀de▶ ces sortes ◀d’▶animaux ; ainsi je suis assuré qu’il y en a, contre ce qu’en disent tous ◀les▶ navigateurs qui assurent qu’il n’y a aucun autre animal que des oiseaux. J’ai été jusques au milieu de cette île pour voir ◀d’▶où pouvait provenir ◀l’▶eau qui me paraissait y courir, et c’est comme je vous ai dit un torrent qui se précipite des montagnes après ◀la▶ pluie. ◀La▶ plus haute ◀de▶ ces montagnes qui est au milieu de ◀l’▶île et qui paraît ◀de▶ ◀la▶ mer toujours couverte ◀de▶ nuées, est couverte ◀de▶ verdure ; mais ◀le▶ peu de temps qui me restait ne m’a pas permis ◀d’▶en approcher ◀d’▶assez près pour distinguer ce que c’était que cette verdure. J’en suis revenu très satisfait ◀de▶ ma curiosité, mais sensiblement convaincu par ma lassitude que ◀les▶ plaisirs des yeux sont toujours des plaisirs fatigants.
Nous n’y avons trouvé aucune lettre, comme nous ◀l’▶espérions, mais seulement une seule bouteille entière, entre plus ◀de▶ deux cents autres flacons et bouteilles cassées, sur laquelle il y a un I et un B gravés au couteau. Cette bouteille a été apportée à bord, et je crois que c’est quelque Anglais qui a passé ici qui donne avis à quelqu’autre qu’il va à ◀l’▶Ile Barboude qui appartient à cette nation ; ce ne peut pourtant être ◀de▶ cette année, car aucun Anglais ni Hollandais n’a osé partir des Indes crainte ◀de▶ nous rencontrer dans ◀le▶ chemin. Monsieur de Porrières n’y a laissé ni lettre ni adresse, je n’en sais point ◀la▶ raison. Il est fort en peine du Gaillard et croit qu’il lui est arrivé quelque accident, puisqu’il n’est point arrivé à ◀l’▶Ascension avant nous. Beaucoup de gens qui sont ici et qui pour lui complaire donnent très mal à propos dans son sens, font semblant ◀de▶ ◀le▶ croire comme lui et ◀l’▶attristent encore davantage. Ils ◀le▶ font même souvenir que ◀les▶ gens du Dragon nous ont dit que ◀le▶ Gaillard avait pensé ◀les▶ aborder dans ◀le▶ mauvais temps du commencement ◀de▶ mars, et que lorsqu’il démâta à leur vue ◀de▶ son hunier, ils avaient entendu un grand cri ◀de▶ tout ◀l’▶équipage. Que ◀la▶ brume ◀les▶ avait empêchés ◀de▶ pouvoir voir ce qui lui était arrivé de plus et qu’ils ne ◀l’▶avaient pas vu depuis. Tout cela qui est très vrai chagrine extrêmement Monsieur de Porrières, et je suis presque seul ici qui soit ◀d’▶opinion contraire et qui soutiens qu’assurément ◀le▶ Gaillard est derrière nous et même derrière tous ◀les▶ autres navires. Dieu veuille que cela soit ! En tous cas, je ne vois pas comment il aurait pu arriver à ◀l’▶Ascension avant nous ; car premièrement il lui a fallu beaucoup de temps pour étancher ses voies ◀d’▶eau et surtout pour se remâter, ce qui nous aura donné ◀le▶ temps ◀de▶ ◀le▶ devancer ; secondement parce que, outre que nous n’avons pas perdu beaucoup de temps nous allons bien mieux que lui et que nous ◀l’▶aurions rattrapé quand même il eût été devant nous, nous étant toujours servi du vent ◀le▶ mieux qu’il nous a été possible depuis ◀le▶ mauvais temps, ce qu’il n’aura pas pu faire, attendu ◀la▶ perte ◀de▶ ses mâts qui ◀l’▶aura retardé beaucoup. Et cette diligence que nous avons faite depuis notre séparation du reste ◀de▶ ◀l’▶escadre est assurément ◀la▶ raison qui nous a fait arriver ici le premier ; et c’est celle-là même qui nous a fait devancer ◀les▶ autres navires tout aussi bien que ◀le▶ Gaillard, car je vous avoue que je ne puis me mettre dans ◀la▶ tête qu’il soit arrivé aucun malheur au Gaillard qui ◀l’▶ait fait périr. ◀La▶ perte en serait assurément très cruelle, non seulement pour ◀les▶ richesses qu’il rapporte, mais plus que tout ◀le▶ reste pour ◀les▶ hommes, Monsieur du Quesne et ◀les▶ autres étant tous ◀de▶ très honnêtes gens et ◀de▶ mérite distingué. Nous faisons route à présent pour ◀les▶ îles ◀de▶ ◀l’▶Amérique, et vraisemblablement nous trouverons à qui parler avant que ◀d’▶être en terre française ; et si je puis dire mon sentiment sur ce qui me paraît ici, je m’aperçois qu’on commence à se repentir ◀d’▶avoir quitté ◀le▶ reste ◀de▶ ◀l’▶escadre. Quoi qu’il en soit c’est une faute sans remède, chacun est ici pour son compte et s’il faut périr, il est certain que nous boirons tous au même gobelet, car notre capitaine est ◀d’▶humeur à se faire couler à fond ou à ramener ◀le▶ navire en France.
Du mardi 8e. [mai]
Toujours bon vent, nous allons parfaitement bien ; nos tortues et notre pourpier sont ◀d’▶un très grand secours et fort excellents.
Du mercredi 9e. [mai]
Toujours parfaitement bon vent, mais chaleur excessive.
Du jeudi Xe. [mai]
Toujours même chose.
Du vendredi xie. [mai]
◀La▶ chaleur qu’il fait nous tue. Il nous est mort encore ce matin un matelot, et un canonnier qui mourut dimanche dernier à ◀l’▶Ascension. Toujours bon vent.
Du samedi 12e. [mai]
Toujours bon vent et nous allons bien.
Du dimanche 13e. [mai]
Toujours bon petit vent, nous ne sommes qu’à douze lieues Sud ◀de▶ ◀la▶ Ligne.
Du lundi 14e. [mai]
C’est cette nuit grâce à Dieu que nous avons passé ◀la▶ Ligne pour la quatrième et dernière fois depuis notre départ jusques à notre retour en France. Nous ne respirons plus que ◀les▶ îles ◀de▶ ◀l’▶Amérique. ◀Le▶ vent est toujours bon, et nous étions à midi à quinze lieues Nord de la Ligne.
Du mardi 15e. [mai]
Chaleur excessive, ◀le▶ vent a fort calmé, mais nous avons toujours un peu avancé : nous étions à midi à 35 lieues ◀de▶ ◀la▶ Ligne vers Paris.
Du mercredi 16e. [mai]
Toujours bon petit vent, nous espérons être aux Iles dans quinze jours. Il fait extrêmement chaud, mais ◀l’▶espérance ◀de▶ respirer bientôt notre air natal nous donne des forces.
Du jeudi 17. [mai]
Toujours bon vent, temps couvert et nous allons bien.
Du vendredi 18 [mai]
Chaleur étouffante, pluie et calme. Il nous est mort ce soir un soldat.
Du samedi 19e. [mai]
Toujours même temps calme, pluie, et vent par intervalle.
Du dimanche 20e. [mai]
Même chose.
Du lundi 21e. [mai]
Toujours même temps.
Du mardi 22. [mai]
Toujours de même.
Du mercredi 23e. [mai]
Du jeudi 24. [mai]
Du vendredi 25e. [mai]
Toujours bon vent, s’il continue six jours tel qu’il est, nous serons aux Iles.
Du samedi 26. [mai]
Toujours bon vent et beau temps. Il nous est encore mort cette nuit un ◀de▶ nos matelots.
Du dimanche 27. [mai]
Toujours bon vent et beau temps.
Du lundi 28. [mai]
Toujours bon vent. Nous avons vu ce soir toute nuit [sic] vers ◀les▶ huit à neuf heures un feu, et entendu tirer un coup ◀de▶ canon. Ce sont apparemment des navires qui viennent de Guinée et qui vont aux Iles, ou bien une escadre ennemie qui croise, ou peut-être des nôtres. Quoi qu’il en soit, n’étant point en état seul avec beaucoup de malades, chargé et sale comme nous sommes ◀d’▶aller affronter plusieurs navires dont nous ignorons ◀la▶ force, nous poursuivons notre route.
Du mardi 29e. [mai]
Toujours bon vent ; nous sommes par ◀la▶ latitude ◀de▶ ◀La▶ Martinique, nous cinglons dessus. ◀Le▶ ministre hollandais, ou ser prédicant comme ils ◀l’▶appellent que nous avions ici il y a près ◀d’▶un an et un Lascaris ou esclave qui nous venaient de ◀la▶ flûte prise à Ceylon, sont allés cette après-midi ◀de▶ compagnie à l’autre monde, l’un hérétique, l’autre idolâtre, belles âmes devant Dieu !
Du mercredi 30e. [mai]
Toujours bon vent et bonne route. Il nous est encore mort un matelot cette après-midi.
Du jeudi 31e. et dernier [mai]
Toujours bon vent.
Juin 1691
Du vendredi premier juin 1691
Toujours bon vent.
Toujours bon vent et cargué cette nuit nous faisant proche de ◀La▶ Martinique.
Du dimanche 3e. [juin]
Toujours bon vent et cargué, on se fait à terre.
Du lundi 4e. [juin]
Nous avons vu terre à ◀la▶ pointe du jour, et c’est celle ◀de▶ ◀La▶ Martinique. Nous ◀l’▶avons côtoyée toute ◀la▶ journée, et nous avons mouillé bien avant dans ◀la▶ nuit devant ◀le▶ Fort-Royal par un beau clair de lune. Monsieur de Porrières vient ◀d’▶aller au fort.
Du mardi 5e. [juin]
Nous nous sommes encore plus rapprochés ◀de▶ terre que nous n’étions. Je vais au fort Saint-Pierre à sept lieues d’ici où sont Monsieur le Général et Monsieur l’Intendant. Monsieur ◀le▶ général est Monsieur ◀le▶ marquis ◀d’▶Eragny, ◀le▶ même que ◀le▶ Roi avait destiné pour capitaine des Gardes du Corps du roi de Siam et pour général des troupes françaises dans ce royaume. Je ◀l’▶ai vu à Lorient prêt à s’embarquer, mais ◀les▶ nouvelles certaines ◀de▶ ◀la▶ mort du Roi de Siam et des révolutions arrivées dans ce royaume ◀l’▶ayant rappelé à Paris, ◀le▶ Roi ◀l’▶a envoyé ici général des Iles à la place de Monsieur ◀le▶ comte ◀de▶ Blénac qui y a été fort longtemps, et qui a demandé au Roi son congé pour passer dans ◀le▶ repos ◀le▶ reste ◀de▶ ses jours étant à ce qu’on dit dans un âge fort avancé. Il a laissé ici une réputation très glorieuse ◀d’▶être aussi bon guerrier et bon justicier, que bon serviteur du Roi ; tout le monde en parle avec une estime et une vénération particulière. Monsieur d’Eragny qui lui a succédé dans ◀le▶ généralat, a déjà ◀la▶ réputation ◀d’▶aimer ◀la▶ justice et ◀le▶ peuple confié à son gouvernement, c’est déjà beaucoup. Pour guerrier il a été capitaine aux gardes et on n’en voit point que ◀de▶ fort braves dans cet illustre corps. Il a toujours passé pour tel, et il n’a pas tenu à lui qu’il n’ait fait voir ce qu’il sait faire : ◀la▶ force et ◀les▶ moyens lui ont
Juillet 1691
Du mardi 3e. [juillet]
Quand j’aurais voulu vous écrire jour par jour, je ne ◀l’▶aurais pas pu, non seulement à cause de ◀l’▶occupation que j’avais, mais aussi parce que j’ai été fort mal. Je suis à présent grâce à Dieu en bonne santé à une grande faiblesse près. Nous sommes arrivés au Fort-Royal ◀le▶ 4e du mois passé, et ◀les▶ cinq autres vaisseaux ◀de▶ notre escadre des Indes arrivèrent au Fort Saint-Pierre à ◀la▶ même île de La Martinique ◀le▶ 8e du même mois, quatre jours après nous. Ils s’étaient tous rejoints vers ◀le▶ cap de Bonne-Espérance et sont venus jusques ici ◀de▶ compagnie. Il faut être ce que nous sommes ◀les▶ uns aux autres pour bien comprendre ◀la▶ joie que nous avons tous ◀de▶ nous être enfin rassemblés. Ils ont passé à ◀l’▶île de l’Ascension ◀le▶ lendemain que nous en partîmes ; ils ont trouvé à leur atterrage une flotte anglaise, et c’est apparemment ◀la▶ même dont ◀le▶ commandant tira un coup ◀de▶ canon et dont nous vîmes ◀le▶ feu ◀le▶ lundi vingt-huit ◀de▶ mai dernier ◀la▶ nuit. Il y a eu quelque difficulté au Fort Saint-Pierre pour ◀la▶ flamme. Monsieur ◀le▶ chevalier ◀d’▶Herbouville capitaine ◀de▶ vaisseau du Roi qui commande ◀le▶ Mignon, voyant venir dans ◀la▶ rade où il était mouillé cinq navires qu’il ne connaissait pas dont un portait ◀la▶ flamme, fit tirer un coup ◀de▶ canon à balle. Monsieur du Quesne envoya son canot qui déclina son nom, et comme chef ◀d’▶escadre et capitaine plus ancien il ◀l’▶a emporté et c’est lui qui a eu ici ◀les▶ honneurs du commandement. Nous avons parti ◀de▶ devant ◀le▶ Fort-Royal ◀le▶ 20e du dernier, et avons rejoint ◀le▶ même jour sur ◀les▶ deux heures après midi ◀les▶ autres vaisseaux venant des Indes, tous mouillés devant ◀le▶ Fort Saint-Pierre.
◀Les▶ Iles ◀de▶ ◀l’▶Amérique ou ◀les▶ Antilles sont si connues et on en a tant fait ◀de▶ relations que n’ayant rien ◀de▶ nouveau à vous en dire je ne vous en parlerai point du tout si ce n’est ◀de▶ ce qui leur est arrivé depuis ◀la▶ guerre.
◀Les▶ Anglais ont fait ici des ravages inouïs. ◀La▶ plus belle et ◀la▶ plus florissante des îles françaises qui est Saint-Christophle a été prise et pillée, et toute ruinée ; ◀les▶ habitants dispersés ◀de▶ côté et ◀d’▶autre, et on dit ici que c’est en partie par leur faute, et que s’ils s’étaient défendus comme ils ont fait du temps ◀de▶ Monsieur de La Barre, lorsqu’ils avaient pour gouverneur Monsieur de Saint-Laurent, ◀les▶ Anglais n’y auraient encore gagné que des coups, mais que ◀la▶ discorde qui était entre eux a donné moyen aux ennemis ◀de▶ s’en rendre ◀les▶ maîtres, parce que ◀les▶ sucriers qui tiraient tout ◀le▶ profit et ◀le▶ gain ◀de▶ ◀l’▶île traitaient avec tant de dureté ◀les▶ gens qui dépendaient ◀d’▶eux que cela leur a ôté toute volonté ◀de▶ se défendre. Vous croirez ◀de▶ ceci ce qu’il vous plaira, mais je crois qu’on peut dire là-dessus avec ◀le▶ proverbe que ◀le▶ malheureux a toujours tort.
◀Les▶ Anglais ne peuvent pourtant pas s’établir tranquillement dans cette île parce que ◀les▶ noirs plus fidèles à leurs maîtres que ◀les▶ Français mêmes ◀les▶ harassent perpétuellement et en assomment autant qu’ils en trouvent. ◀La▶ fidélité ◀de▶ ces noirs est très considérable : ils ne veulent point reconnaître ◀les▶ Anglais, ils font plus, ils s’embarquent avec joie dans des barques qui y vont et qui leur font voir un pavillon blanc, et cela dans ◀l’▶espérance ◀de▶ venir retrouver leurs anciens maîtres comme on ◀le▶ leur promet. Des barques ◀de▶ marchands qui y ont été en ont tiré un très grand nombre, sous ◀la▶ parole qu’ils leur donnaient ◀de▶ ◀les▶ amener à ◀La▶ Martinique ou ailleurs où ◀les▶ Français ◀de▶ cette île se sont retirés. Mais ces scélérats par une bassesse indigne du nom français, et par une infidélité criminelle et punissable, ont été vendre ces malheureux qui à Saint-Domingue qui ailleurs, et leurs maîtres légitimes ont en même temps perdu et leurs noirs et ◀l’▶espérance ◀de▶ ◀les▶ retrouver jamais. Ces habitants ◀de▶ Saint-Christophle sont encore bien plus mal traités : il y en a plusieurs qui ont reconnu ici des noirs qui leur appartenaient et qui y avaient été amenés par ces marchands, ils ◀les▶ ont redemandés mais inutilement : ◀les▶ autres prétendent que ce soit une prise justement faite sur ◀les▶ ennemis, et ces mêmes maîtres sont obligés ◀d’▶acheter des mains ◀de▶ leurs compatriotes un bien qui leur appartient légitimement. Ainsi on peut dire que leur malheur enrichit non seulement ◀les▶ ennemis ◀de▶ ◀l’▶Etat, mais aussi des gens qui loin ◀d’▶en profiter devraient leur aider ◀de▶ tout leur pouvoir à se rétablir. Monsieur d’Eragny ayant enfin eu avis ◀d’▶un commerce si infâme s’y est enfin opposé, et si on ◀le▶ continue ce n’est plus ◀de▶ sa connaissance.
◀Les▶ Anglais ont encore pris sur nous ◀les▶ îles ◀de▶ Saint-Martin, Saint-Eustache et Marie-Galante, dans la dernière desquelles, contre ◀le▶ droit ◀de▶ ◀la▶ guerre, ils ont pendu beaucoup de Français. Ils ont assiégé ◀la▶ Gadelouppe (sic) et ◀l’▶ont presque toute ruinée, mais cette île ayant été secourue par huit vaisseaux, savoir quatre du Roi et quatre marchands armés en guerre par ◀les▶ habitants ◀de▶ ◀La▶ Martinique, ils ont levé ◀le▶ siège, quoiqu’ils fussent quatorze navires ◀de▶ guerre.
C’est dommage ◀de▶ ◀la▶ perte ◀de▶ Saint-Christophle, c’était celle ◀de▶ toutes ◀les▶ îles qui faisait ◀le▶ plus beau sucre et ◀le▶ meilleur, et où il y avait ◀les▶ établissements ◀les▶ plus considérables. ◀Les▶ habitants ne s’en relèveront jamais, car, quand bien même on leur rendrait leurs terres comme ils ◀l’▶espèrent à ◀la▶ paix, ◀la▶ guerre ne pouvant pas être immortelle, leur rendra-t-on leurs maisons bien meublées garnies comme elles ◀l’▶étaient ? leurs sucreries en état ◀de▶ service ? et leurs noirs qu’ils ont perdus ? Ce sera encore pour eux un nouvel établissement à faire.
◀Les▶ habitants ◀de▶ ◀La▶ Martinique n’espèrent pas un plus heureux sort qu’eux, mais ils ont un refuge que n’ont pas eu ◀les▶ autres, c’est que cette île-ci est toute couverte ◀de▶ bois et ◀de▶ montagnes où ils espèrent se retirer en cas qu’ils ne se puissent pas défendre, étant tous résolus ◀de▶ se faire plutôt hacher en pièces que ◀de▶ tomber vifs entre ◀les▶ mains ◀d’▶ennemis si cruels. Il semble même que leur crainte ait un fondement légitime parce qu’ils ont trois sortes ◀d’▶ennemis domestiques, qui sont ◀les▶ noirs des sucriers qui n’étant pas bien traités ne se soucient point ◀de▶ changer ◀de▶ maîtres, plusieurs nouveaux convertis et des Anglais habitués lesquels ayant toujours entretenu commerce avec ◀les▶ Anglais malgré ◀les▶ défenses, continuent encore à présent à leur faire savoir des nouvelles ◀de▶ tout ce qui se passe, sans qu’on ait encore jusques ici pu découvrir ceux qui sont coupables ◀d’▶une pareille trahison, et cela parce que ◀de▶ terre à terre et ◀de▶ pointe en pointe il n’y a pas plus ◀de▶ sept lieues ◀d’▶une île à l’autre, et que des canots en font facilement ◀le▶ trajet.
Il avait été résolu dans ◀le▶ conseil que ◀les▶ six navires des Indes et trois navires ◀de▶ guerre qui sont ici iraient trouver ◀les▶ Anglais où ils sont. On dit que c’est à Nièves à six lieues ◀de▶ Saint-Christophle. Il est impossible ◀de▶ comprendre ◀la▶ joie qu’en avaient ◀les▶ habitants et surtout ◀les▶ réfugiés ◀de▶ Saint-Christophle. Chacun voulait être du détachement qui devait venir avec nous ; ils espéraient se venger des Anglais et ◀les▶ ruiner ◀de▶ fond en comble. Mais leur espérance a été vaine, et n’a servi qu’à faire voir leur émulation pour ◀la▶ gloire et ◀la▶ vengeance. Une résolution prise depuis a cassé la première. Je n’en sais point ◀la▶ raison, si ce n’est que nos navires sont trop maltraités pour se jeter dans ◀le▶ feu ◀de▶ gaieté ◀de▶ cœur, qu’ils sont trop sales par-dessous pour aller à ◀la▶ voile aussi bien que ◀les▶ ennemis, et qu’ils sont trop chargés pour se servir librement ◀de▶ leur batterie ◀de▶ bas, et que si on avait voulu ◀les▶ décharger il y aurait eu une perte ◀de▶ salpêtre très considérable, outre ◀la▶ longueur du temps qu’il aurait fallu employer tant à ◀la▶ décharge qu’à ◀la▶ recharge. Pour du monde, nous en eussions pris ici autant et plus qu’il ne nous en eût fallu, et bons enfants, bien faits, et qui paraissent bien résolus et bons soldats.
Tant qu’on a espéré que nous irions voir ◀les▶ Anglais tout le monde nous faisait bonne mine, mais sitôt qu’on a su ◀le▶ contraire chacun s’est plaint que nous n’étions venus que pour ◀les▶ affamer sans leur rendre aucun service (effectivement nous avons pris beaucoup de leurs vivres) ; que ◀les▶ Anglais sachant que nous étions venus ici sans aller à eux se mettront dans ◀la▶ tête qu’on ◀les▶ craignait, et en deviendront plus insolents et plus cruels ; que nous abandonnions ◀les▶ Iles à une perte certaine, et qu’enfin ils prévoyaient qu’ils seraient réduits en peu de temps à courir ◀les▶ bois comme ◀les▶ bêtes pour sauver leurs vies, ne comptant ◀le▶ reste pour rien.
On m’a fait remarquer à ◀La▶ Martinique une chose assez particulière, c’est que toutes ◀les▶ femmes et ◀les▶ filles qui sont revenues ◀de▶ Saint-Christophe et qui en sont créoles ou natives ont toutes ◀les▶ dents belles et bien blanches, et que toutes celles ◀de▶ ◀La▶ Martinique ont ◀la▶ bouche gâtée par des dents qui leur manquent.
◀Les▶ Caraÿbes sont ◀les▶ sauvages ou ◀les▶ anciens habitants du pays. Ils vont tout nus excepté un brayer qui leur cache ◀les▶ parties comme aux Noirs des Indes. Ils ne sont pas noirs comme eux, mais rouges, bien faits et charnus. Il n’y en a plus qu’une famille à ◀La▶ Martinique, ◀les▶ autres sont retirés à ◀la▶ Dominique et autres îles inhabitées. Ils ont guerre perpétuelle avec ◀les▶ Anglais et ◀les▶ mangent. Il n’y a pas longtemps qu’un ◀de▶ leurs canots qui avait été à Monsarrat appartenant aux Anglais, en avait amené une petite Anglaise ◀de▶ sept à huit ans qu’ils avaient prise et qu’ils destinaient pour en faire un festin. Monsieur Du Casse, capitaine ◀de▶ vaisseau du Roi qui était à ◀La▶ Martinique lorsque ce même canot y arriva et qui y est encore, en eut avis et fit en sorte ◀de▶ retirer cet enfant ◀de▶ leurs mains pour ◀de▶ ◀l’▶eau-de-vie et d’autres denrées, et ainsi lui sauva ◀la▶ vie. Cette petite fille est à ◀La▶ Martinique et je ◀l’▶ai vue. Ils font bien plus que ◀de▶ manger ◀les▶ Anglais, ils ◀les▶ distinguent au fleuré ◀de▶ toute autre nation. Ils nous mangeaient aussi autrefois, mais leur appétit s’est jeté sur ◀les▶ Anglais, qu’ils trouvent ◀de▶ meilleur goût que ◀les▶ Français, qui sont salés, à ce qu’ils disent. Ils ont une joie inexprimable ◀de▶ ce que nous avons guerre avec leurs ennemis. Ces gens n’ont pour armes que ◀la▶ zaguaye ou flèche, et un coup de fusil ◀les▶ fait fuir comme des étourneaux. Il est pourtant fort difficile ◀de▶ se sauver ◀de▶ leurs mains quand ils sont piqués au jeu parce qu’ils font ◀la▶ guerre comme ◀les▶ sauvages du Canada, c’est-à-dire qu’ils restent des trois à quatre jours dans un buisson plutôt que ◀de▶ manquer leur coup.
Je ne sais si ce pays-ci n’est pas sain, mais je me suis aperçu qu’on ne s’y ruine pas à mourir dans ◀les▶ formes, car plus ◀de▶ vingt personnes ◀de▶ ma connaissance, officiers, matelots et autres, qui semblaient avoir une santé capable ◀d’▶enterrer ◀le▶ genre humain, n’y ont été malades que trois ou quatre jours, et pas un n’y a passé le cinquième. Ainsi on fait peu de dépense en remèdes.
Nous sommes partis du Fort Saint-Pierre vers ◀les▶ dix heures du matin vingt-trois bâtiments ◀de▶ compagnie tant gros que petits. Il y en a huit ◀de▶ guerre, qui sont ◀les▶ six des Indes, Monsieur ◀le▶ chevalier ◀d’▶Herbouville et un corsaire malouin nommé ◀Le▶ Saint Esprit commandé par ◀le▶ capitaine Lajona. ◀Les▶ autres quinze sont des marchands qui viennent jusques au Tropique sous notre escorte, et des prises que Lajona a faites. Ce capitaine n’a que vingt-six canons et si il a fort bien fait ses affaires à croiser ici. Nous avons vu ce soir ◀la▶ Dominique et ◀le▶ vent a calmé. Voilà tout ce que je puis vous dire des îles ◀de▶ ◀l’▶Amérique, et que tous ◀les▶ Français que j’y ai vus, créoles ou natifs ◀de▶ l’un et ◀de▶ l’autre sexe, sont fort résolus et braves, et ◀d’▶un teint fort uni, et tous en général sont honnêtes ; et que suivant toutes ◀les▶ apparences ◀les▶ Anglais n’auront pas si bon marché ◀de▶ ◀La▶ Martinique si ils y viennent, qu’ils ont eu ◀de▶ Saint-Christophle.
Du mercredi 4e. [juillet]
Nous sommes toujours à la vue de ◀La▶ Dominique, nous voyons ◀la▶ Guadeloupe. Nous avons ce soir changé ◀de▶ bord. Il a calmé toute ◀la▶ journée. Notre second pilote André Chavitteau est mort aujourd’hui ; il paraissait encore il n’y a que quatre jours avoir une santé parfaite. C’était un gros garçon vermeil, rougeaud et ◀de▶ joie, capable et savant, âgé ◀de▶ 28 ans au plus, habile et bon matelot. ◀Le▶ Gaillard et ◀le▶ Lion ont eu aussi des morts, que nous avons vu jeter à ◀la▶ mer. J’en rejette ◀la▶ faute sur ◀la▶ limonade qui ne vaut rien du tout dans un pays chaud ; pour moi j’en suis à couvert car je n’aime ni douceur ni sucrerie. Monsr. Ranché, secrétaire ◀de▶ Monsieur Du Maïst de Goimpy intendant aux Iles, nous avait avertis que ◀les▶ citrons, ◀les▶ oranges et ◀la▶ limonade ne valaient rien pour ◀la▶ santé, tant pis pour ceux qui en ont pris avec trop ◀d’▶avidité.
Du jeudi 5e. [juillet]
Toujours calme.
Du vendredi 6e. [juillet]
Presque calme tout plat. Nous sommes à la vue de Monsarat île anglaise.
Du samedi 7e. [juillet]
Nous allons un peu, pas beaucoup. Notre second contremaître est mort ; il se nommait Pierre Hervé, il y avait longtemps qu’il était malade.
Du dimanche 8e. [juillet]
Bon vent. Nous avons passé sous ◀le▶ vent ◀d’▶Antibe autre île anglaise. Il y avait un navire à ◀l’▶ancre qui a mis au plus vite à ◀la▶ voile. ◀L’▶Ecueil, ◀le▶ Lion et ◀le▶ Saint Esprit lui ont donné cache, il va mieux que nous et s’est sauvé.
Du lundi 9e. [juillet]
Nous sommes débouqués enfin, c’est-à-dire que nous sommes sous ◀le▶ vent des îles, et comme il n’y a plus rien à craindre des ennemis, nous nous sommes séparés des autres vaisseaux, c’est-à-dire que nous ne sommes plus que huit, savoir notre escadre, un Provençal et une quèche qui vont aussi bien que nous. Monsieur d’Herbouville convoie ◀les▶ autres. Monsieur de Quistillic, capitaine du Dragon, est fort mal ; notre chirurgien ◀l’▶a été voir.
Du mardi 10e [juillet]
Nous avons eu aujourd’hui ◀le▶ soleil qu’il était justement au-dessus ◀de▶ nous. Nous ◀l’▶avons dépassé et s’il plaît à Dieu nous aurons bientôt ◀de▶ ◀la▶ fraîcheur.
Du mercredi xie , [juillet]
◀Le▶ Tropique du Cancer est aussi dépassé aujourd’hui et nous sommes enfin dans ◀la▶ zone tempérée. Mais ◀le▶ soleil est bien près de nous. Il nous est mort un passager qui était malade dès Pondichéry ; je ne sais comment il a subsisté si longtemps.
Du jeudi 12 [juillet]
Nous allons toujours assez bien. Monsieur de Quistillic est mort. On ◀l’▶a jeté à ◀la▶ mer ce soir, et Monsieur d’Auberville lieutenant ◀de▶ Monsieur Du Quesne a été remplir sa place ◀de▶ capitaine du Dragon ; c’est ◀le▶ même qui commandait ◀le▶ brûlot à Madras.
Du vendredi 13e. [juillet]
Toujours bon petit vent bien près, mais nous ne laissons pas ◀d’▶avancer et ◀la▶ chaleur diminue.
Du samedi 14e. [juillet]
Du dimanche 15e. [juillet]
Du lundi 16. [juillet]
Même chose.
Du mardi 17. [juillet]
Toujours même chose jusques à midi qu’il a calmé tout plat, ◀la▶ chaleur est excessive. Je perds un bon ami nommé Monsr. Desquadrelle lieutenant ◀d’▶infanterie qui était sur ◀le▶ Dragon et qui est mort aujourd’hui. Je ◀le▶ regrette parce qu’outre qu’il m’aimait il était fort honnête homme.
Du mercredi 18. [juillet]
Toujours calme et très grande chaleur, ce n’était que ◀le▶ vent qui ◀la▶ tempérait.
Du jeudi 19e. [juillet]
Toujours calme ; il s’est levé ce soir un petit vent qui est bon, mais qui est bien faible.
Du vendredi 20e. [juillet]
◀Le▶ vent a un peu augmenté, nous allons assez bien mais nous sommes mal d’ailleurs, car on dit que ◀la▶ peste est à bord. Il nous est effectivement mort cette après-midi un matelot qui en avait trois charbons, et dont ◀le▶ corps dans un demi-quart ◀d’▶heure ◀de▶ temps est devenu verdâtre et plombé. J’ai lu grâce à Dieu ◀les▶ Mémoires ◀de▶ Monsieur de Bassompierre, et me sers très volontiers ◀de▶ son remède allemand, c’est-à-dire que je me mets sur ◀le▶ cœur deux ou trois verres ◀de▶ bon vin pour empêcher ◀le▶ mauvais air.
Du samedi 21 [juillet]
◀Le▶ vent s’est renforcé, et nous allons à merveille. Nous avons encore quantité ◀de▶ matelots attaqués à ce qu’on dit du même mal dont il en mourut un hier. On ne dit pas cela publiquement ◀de▶ crainte que personne ne s’en alarme car il est constant comme disent ◀les▶ Essais ◀de▶ Montaigne et ◀la▶ Sagesse ◀de▶ Charron que ◀la▶ plus grande partie du mal consiste dans ◀l’▶opinion. Pour moi à qui ◀les▶ maladies des autres sont fort indifférentes, et qui ne suis pas ◀d’▶humeur à fatiguer mon esprit ◀d’▶une ridicule appréhension aux dépens de ma santé, j’espère m’en bien tirer par mon remède ordinaire, ayant beaucoup plus ◀de▶ confiance à Bacus qu’à Hipocrate, Gallien et ◀les▶ autres insectes du genre humain.
Du dimanche 22e. [juillet]
◀Le▶ vent a tellement renforcé cette nuit que ◀la▶ barque qui nous suivait a démâté. Monsieur Du Quesne, qui apparemment ◀l’▶a prise en sa protection, lui a donné tout ◀le▶ secours imaginable ; il ◀la▶ mène présentement en toue c’est-à-dire qu’il ◀la▶ traîne après lui. Cela nous a empêchés et nous empêche encore ◀de▶ faire bien plus ◀de▶ chemin que nous ne faisons. Ceux qui ont impatience ◀de▶ voir bientôt leur patrie en ont murmuré et en murmurent encore, et il est certain que si cette barque était où on ◀la▶ souhaite nous ne ◀la▶ voirions ◀de▶ longtemps. Mais Monsieur Du Quesne est ◀le▶ commandant, et comme dit Garreau, C’est à li à faire et à nous à nous taire.
Du lundi 23e. [juillet]
◀Le▶ vent a encore renforcé cette nuit ◀d’▶une telle force que ◀le▶ grélin du Gaillard, qui touait ◀la▶ barque qui démâta hier, a cassé et cette barque est restée derrière, et n’ayant présentement plus rien qui nous retarde, nous allons parfaitement bien.
Du mardi 24e. [juillet]
Toujours bon vent presque tourmente et nous allons autant bien qu’on puisse aller, quinze jours de même je me compte en France.
Du mercredi 25e. [juillet]
Toujours de même et nous allons à plaisir.
Du jeudi 26 [juillet]
Toujours bon vent, beau temps, chaleur tempérée, et bon appétit.
Du vendredi 27. [juillet]
Toujours de même.
Du samedi 28 [juillet]
◀Le▶ vent a un peu changé et ne vient que par bouillarts. Cela a donné lieu à des gageures qui se sont faites ; ◀les▶ uns ont parié que nous serions à ◀La▶ Rochelle où nous allons dans ◀le▶ quinze du prochain, ◀les▶ autres que non.
Du dimanche 29. [juillet]
◀Le▶ vent varie et s’affaiblit ; tant pis, nous n’allons plus ni si bien ni si vite que nous allions.
Du lundi 30e. [juillet]
Du mardi 31e. [juillet]
◀Le▶ vent n’est que Sud et a changé, mais quoiqu’il ne soit pas fort bon, il n’est pas tout à fait mauvais aussi.
Août 1691
Du mercredi per.
◀Le▶ vent a calmé beaucoup et s’est jeté au Sud-Est, tant pis car il n’est pas bon.
Du jeudi 2e. [août]
Petit vent pas trop bon, mais pas mauvais.
Du vendredi 3e. [août]
Même temps, nous ne sommes pas à plus ◀de▶ quatre cents lieues ◀de▶ France, et j’espère si bien y arriver dans ◀le▶ quinze du courant que j’ai gagé à mon tour. Il me semble que je commence à respirer ◀l’▶air ◀de▶ ma patrie.
Du samedi 4e. [août]
Nous allons assez bien et nous approchons des endroits où nous devons trouver des navires. Nous en avons vu un à midi et un autre ce soir : on leur a donné cache* mais inutilement, nos navires ont contracté tant de saleté que nous n’allons pas.
Du dimanche 5e. [août]
◀Le▶ vent a changé cette nuit bout pour bout, il est venu au Nord-Ouest fort bon et nous allons à merveille.
Du lundi 6e. [août]
◀Le▶ vent a calmé ce matin et s’est [jeté] enfin rejeté au Ouest-Sud-Ouest, bon frais et meilleur qu’hier, nous allons fort bien et j’espère gagner ◀la▶ gageure.
Du mardi 7e. [août]
◀Le▶ vent continue toujours et nous allons bien. Notre vergue ◀de▶ hunier ◀d’▶avant s’est cassée par ◀la▶ force du vent.
Du mercredi 8e. [août]
Toujours beau temps et bon vent, notre vergue est remise. Il semblait par ◀l’▶activité ◀de▶ nos charpentiers qu’ils étaient intéressé[s] dans ma gageure ; nous allons à merveille et quatre jours de même nous serons en France.
Du jeudi 9e. [août]
Toujours bon vent. Il est venu ce matin un corsaire nous tâter, nous avons donné dessus. Il est venu proche de nous, mais il n’y avait rien à gagner ni pour nous ni pour lui, c’est un Algérien avec qui nous avons paix et qui cherche des Espagnols et non pas des Français.
Du vendredi 10e. [août]
◀Le▶ vent a changé bout pour bout et ne vaut rien à présent.
Du samedi xie. [août]
◀Le▶ vent est toujours contraire, nous avons vu ce matin ◀le▶ cap de Finisterre, et nous avons parlé ce soir à un Portugais qui s’en retourne à Lisbonne. Il nous a appris des nouvelles qui nous réjouissent fort, entre autres ◀la▶ prise ◀de▶ Mons par Monseigneur, et ◀la▶ terreur que notre armée navale, composée ◀de▶ cent quarante voiles, donne à celle des ennemis qui n’osent sortir ◀de▶ leurs havres.
Du dimanche 12 [août]
◀Le▶ vent calma hier au soir et est revenu bon ce matin, mais j’augure mal ◀de▶ ma gageure car il est bien faible et je n’ai plus que trois jours.
Du lundi 13 [août]
J’ai assurément perdu, ◀le▶ vent est calme et ◀les▶ courants nous sont contraires. ◀L’▶Oiseau en a été dérivé à plus ◀de▶ deux lieues derrière nous, nous ◀l’▶avons attendu jusques à près de trois heures après midi que nous avons remis en route. Nous sommes toujours à ◀la▶ vue des terres ◀d’▶Espagne.
Du mardi 14e. [août]
Point ◀de▶ vent, brume fort épaisse, proche de terre et courants contraires.
Du mercredi 15e jour ◀de▶ Notre-Dame [août]
◀Le▶ vent a rafraîchi, il est bon, et beau temps, nous ne voyons plus ◀les▶ terres ◀d’▶Espagne, et j’ai perdu ma gageure.
Du jeudi 16. [août]
Bon vent et bon frais on ne sait si on doit aller à Groix, à Belle-Ile ou à ◀La▶ Rochelle. Nous ne sommes qu’à quarante-cinq lieues ◀de▶ France, et ces parages-ci sont toujours remplis ◀de▶ corsaires. Nous avons vu deux navires ce matin, nous leur avons donné chasse, mais inutilement, ils vont mieux que nous. Un des deux qui a bien vu qu’il nous échapperait si nous n’étions pas ce qu’il cherchait et qui se fiait sur ses jambes, est revenu à nous. Notre amiral a tiré un coup ◀de▶ canon sans balle, sous pavillon français. Nous lui avons parlé, c’est un corsaire ◀de▶ Provence qui rôde par ici depuis peu de temps. Il a pris trois Anglais et un Hollandais, et ◀le▶ navire qui suit est une ◀de▶ ses prises.
Du vendredi 17e. [août]
Toujours bon petit vent, mais calmé. ◀Le▶ corsaire provençal a 42 canons, et fait route avec nous. Nous voyons trois navires fort éloignés, ◀le▶ corsaire donne dessus. Il va fort bien et nous fort mal, étant fort sales et chargés. Nous ne sommes qu’à 16 ou 17 lieues ◀de▶ Belle-Ile et nous donnons dessus.
Du samedi 18. [août]
Nous ne voyons plus ◀les▶ navires que nous vîmes hier. ◀Le▶ Provençal nous a rejoints, ◀les▶ ayant perdus ◀de▶ vue dans ◀la▶ brume ; nous faisons route pour Belle-Ile par un vent bien faible.
Du dimanche 19e [août]
Nous avons vu ce matin Belle-Ile et Groye, et [157] après quelques mouvements pour aller vers ◀La▶ Rochelle, enfin ◀le▶ commandant a viré ◀de▶ bord et a fait route pour Groye, où par ◀la▶ grâce ◀de▶ Dieu nous avons mouillé sur ◀les▶ deux heures après midi. Nous avons chanté ce soir un Te Deum ◀de▶ bien bon cœur.
Du lundi 20e. [août]
C’est aujourd’hui Dieu merci que mon Journal finit. Nous sommes en rade, mouillés devant ◀l’▶Orient. Je vais à terre fort réjoui ◀d’▶être ◀de▶ retour ◀d’▶un si long voyage en aussi bonne santé que je suis.
Voilà, Monsieur, ce que je vous avais promis. D’autres peuvent être plus élégants et mieux dictés, mais ils ne peuvent pas être plus ponctuels. Je me réfère à vous écrire sur ceci lorsque je vous ◀l’▶envoyerai. Ce n’est que pour vous que ce journal-ci est fait et dans ◀la▶ seule intention ◀de vous prouver que je suis très véritablement,
Monsieur,
Votre très humble très obéissant et très affectionné serviteur.
[Paul Lucas]