Chapitre LI.
Le▶ jaloux trompé
Histoire
Pour ne point causer ◀de▶ scandale, vous me permettrez ◀de▶ vous cacher ◀le▶ nom des gens à qui ◀l’▶aventure que je vas dire est arrivée, et même ◀le▶ lieu et ◀la▶ province où elle s’est passée, il suffit que ce soit en France et que ◀le▶ héros soit français. Je ◀le▶ nommerai Sotain.
C’était un homme qui avait ◀de▶ ◀la▶ qualité, beaucoup de bien et sans contredit du mérite, si ◀la▶ jalousie ne ◀l’▶eût jeté dans ◀le▶ ridicule. Il avait pendant plus ◀de▶ dix ans porté ◀les▶ armes, et acquis ◀la▶ réputation ◀d’▶un fort brave homme ; il était ◀d’▶une des premières Maisons ◀de▶ ◀la▶ province, bien fait ◀de▶ sa personne, ◀d’▶une conversation fort aisée et agréable, et n’avait pas plus ◀de▶ trente ans lorsqu’il se retira chez lui et quitta ◀le▶ service. Il renouvela ses anciennes connaissances avec ◀la▶ noblesse des environs, et comme il parut résolu ◀de▶ se fixer en province et ◀de▶ s’y établir, on lui proposa plusieurs partis. Pour peu que ◀l’▶ambition ◀de▶ sa femme eût été modérée, il était en état ◀de▶ ◀la▶ rendre heureuse ; ainsi il ne chercha pas tant ◀le▶ bien que ◀la▶ vertu, et pour me servir ◀de▶ ses propres termes, il chercha une femme qui pût lui faire des enfants dont il fût lui-même ◀le▶ père. Il en trouva une ◀de▶ son goût, ◀d’▶une beauté achevée, parfaitement bien faite, ◀d’▶un esprit et ◀d’▶une douceur ◀d’▶ange, ◀d’▶une famille égale à la sienne, et qui avait toujours été élevée sous ◀les▶ yeux ◀d’▶une mère, qui passait dans ◀la▶ province pour un exemple ◀de▶ vertu et ◀de▶ sagesse ; en un mot c’était une femme capable ◀de▶ ◀le▶ rendre heureux lui-même, s’il avait su jouir ◀de▶ son bonheur.
Il ◀la▶ demanda en mariage, et ◀l’▶obtint. Il eut même ◀le▶ secret ◀de▶ s’en faire aimer autant qu’il ◀l’▶aimait. ◀Les▶ deux premières années ◀de▶ leur mariage passèrent comme un songe tant elles leur durèrent peu, et deux enfants aussi beaux que ◀la▶ mère qui leur vinrent en si peu de temps, furent ◀les▶ témoins convaincants ◀de▶ leurs ardeurs réciproques. Leur mariage était regardé et cité comme ◀le▶ modèle ◀d’▶une union parfaite sur laquelle ◀le▶ Ciel s’épuisait en bénédictions ; tout y prospérait, et si ◀le▶ mari, par son indiscrétion, n’en eût point troublé ◀la▶ tranquillité, cela aurait toujours continué par ◀la▶ tendresse, ◀la▶ complaisance et ◀le▶ respect ◀de▶ sa femme pour lui ; mais il était écrit que cet homme deviendrait malheureux par sa faute. Tout ce qu’il y avait ◀d’▶honnêtes gens distingués dans leur voisinage, étaient ravis ◀d’▶avoir chez eux ◀le▶ mari et ◀la▶ femme, qui ◀les▶ recevaient à leur tour ◀le▶ plus honnêtement du monde. Ils étaient ◀le▶ but ◀de▶ ◀l’▶amitié et ◀de▶ ◀l’▶admiration ◀de▶ tous ceux qui ◀les▶ connaissaient ; toutes ◀les▶ femmes enviaient ◀le▶ bonheur ◀de▶ ◀l’▶épouse, et ◀les▶ hommes celui du mari ; en un mot on ne voyait chez eux régner que ◀l’▶amour, ◀la▶ joie et ◀la▶ concorde ; lorsque tout ◀d’▶un coup il prit au mari un chagrin noir et une taciturnité qui ne lui était nullement ordinaire, son esprit ayant toujours paru auparavant jovial et amusant. Il commença à chercher ◀la▶ solitude, et à picoter sa femme sur ◀la▶ moindre chose, et ◀le▶ plus souvent sur rien ; il voulait ◀la▶ rendre responsable ◀de▶ mille bagatelles qui arrivaient tous ◀les▶ jours chez lui et qui arrivent ◀d’▶ordinaire dans une maison de campagne dont elle tenait ◀le▶ détail au-dessous ◀d’▶elle et dont en effet elle ne s’était jamais mêlée.
Quoiqu’il fût changé pour elle, elle ne changea pas pour lui, et plus il lui disait ◀de▶ duretés, plus elle lui répondait ◀d’▶honnêtetés, et croyant que cette mauvaise humeur provenait ◀de▶ quelque maladie interne, elle fit son possible pour ◀l’▶obliger à consulter des médecins ; il ◀la▶ traita ◀de▶ folle, ◀de▶ vouloir lui persuader qu’il était malade ◀d’▶imagination, et bien loin de répondre à ses caresses et à ses avances, comme il avait coutume, il ◀la▶ repoussait et ◀la▶ regardait avec un certain air ◀de▶ mépris qui lui mettait ◀la▶ mort au cœur. Comme elle ◀l’▶aimait véritablement, elle fut si vivement pénétrée ◀de▶ ces manières qu’elle en devint effectivement malade. Il eut ◀d’▶elle tous ◀les▶ soins imaginables, et devant ◀le▶ monde et sa famille il ◀la▶ traitait comme il ◀l’▶avait toujours traitée, mais dans ◀le▶ particulier il était toujours enseveli dans son humeur sombre ; ce qui fit que bien loin de recouvrer sa santé, elle courut risque ◀de▶ ◀la▶ vie.
◀La▶ fantaisie qu’il avait dans ◀la▶ tête ne lui avait point ôté ◀l’▶amour qu’il avait pour elle ; on peut dire même que plus il ◀la▶ persécutait, plus il ◀l’▶aimait, ou pour parler plus juste, il ne ◀la▶ persécutait que parce qu’il ◀l’▶aimait ; ainsi il ne ◀la▶ vit pas plutôt hors de danger que son désespoir parut par toutes ◀les▶ marques qu’on peut en donner ; jusque-là que sa femme ayant eu une crise, et quelqu’un ayant crié mal à propos qu’elle venait ◀d’▶expirer, il voulut se passer son épée au travers du corps ; mais en ayant été empêché par ceux qui étaient dans ◀la▶ chambre ◀de▶ sa femme, il en sortit et alla se jeter par une fenêtre, disant qu’il ne voulait pas lui survivre. ◀Le▶ bonheur voulut qu’un charretier ◀de▶ son fermier, ayant laissé sous cette fenêtre une charrette pleine ◀de▶ gerbes qu’il conduisait à ◀la▶ grange, et étant entré dans ◀la▶ cour du château, Sotain tomba sur ces gerbes, qui sans cela se serait brisé sur ◀le▶ pavé. On alla au plus vite ◀le▶ retirer ◀de▶ cette charrette où il était tout étourdi ◀de▶ cette chute ; il en revint, et ce fut pour faire encore un autre coup ◀de▶ désespoir, en se frappant contre ◀la▶ muraille, où il se donna un si grand coup ◀de▶ ◀la▶ tête qu’on ◀le▶ crut mort. Il fut en un moment tout couvert ◀de▶ son sang, et ◀le▶ chirurgien qui fut appelé pour ◀le▶ panser eut une très mauvaise opinion ◀de▶ sa blessure ; on ◀le▶ mit au lit toujours gardé à vue, et lui toujours prévenu ◀de▶ ◀la▶ mort ◀de▶ sa femme, fit en sorte en se tourmentant ◀de▶ défaire ◀les▶ ligatures ◀de▶ sa tête, et ne voulut jamais qu’on y remît ◀la▶ main qu’après qu’on lui eut dit que sa femme se portait mieux. Comme il ne voulut pas ◀le▶ croire, on fut obligé ◀de▶ ◀le▶ porter auprès ◀d’▶elle, il ◀l’▶accabla ◀d’▶embrassements, et se laissa panser sans peine.
Elle, dont ◀la▶ maladie n’était causée que par ◀la▶ peur ◀d’▶avoir perdu ◀le▶ cœur ◀de▶ son mari, étant pour lors certaine du contraire, revint la première en santé, et eut ◀de▶ lui tous ◀les▶ soins qu’une honnête femme, et prévenue ◀d’▶amour, peut avoir ◀d’▶un mari qu’elle idolâtre. Sa blessure était si grande qu’on fut sur le point de ◀le▶ trépaner ; cependant ◀le▶ mal ne fut pas jusque-là, et il en fut quitte pour garder ◀le▶ lit plus ◀de▶ deux mois, avec des transports de temps en temps qui approchaient ◀de▶ ◀la▶ fièvre chaude, pendant lesquels il avait perpétuellement ◀le▶ nom ◀de▶ sa femme à ◀la▶ bouche, avec des transports ◀d’▶amour si vifs, et qui donnaient à connaître un dessein si formé ◀de▶ mourir avec elle si elle mourait, que qui que ce soit ne put douter que ce ne fût ◀d’▶amour qu’il fût malade. Cela parut extraordinaire dans un mari, surtout en France ; mais enfin c’était ◀la▶ vérité, et je doute que jamais Espagnol ait donné des marques plus sincères ◀d’▶un amour effectif. Elles étaient trop naturelles pour être étudiées, et c’est en cela qu’elles en sont plus croyables. Tout le monde était donc convaincu que jamais femme n’avait été autant aimée ◀de▶ son époux que celle-là ◀l’▶était du sien ; elle ◀le▶ crut aussi, et ce fut son malheur, parce que cela ◀l’▶obligea à en avoir pour lui plus ◀d’▶égards et plus ◀de▶ complaisance dans ◀les▶ ridicules démarches que cet esprit incorrigible lui fit faire.
Peu après que sa santé fut rétablie, sa première humeur sombre ◀le▶ reprit, et elle croyant que leur union réciproque lui donnait ◀le▶ privilège ◀d’▶entrer dans ses secrets, ◀le▶ supplia mille et mille fois ◀de▶ lui dire ◀d’▶où pouvaient lui provenir ces distractions ◀d’▶esprit et cet assoupissement dans lequel il paraissait toujours plongé. Il lui répondit pendant plus ◀de▶ trois mois que ce n’était rien, et enfin persécuté tous ◀les▶ jours par sa femme, il ne se put faire davantage ◀de▶ violence. Il lui dora ◀la▶ pilule ◀le▶ plus qu’il put et lui avoua son extravagance et sa jalousie. Il lui dit que son cœur et sa possession faisait tout son bonheur, et qu’elle lui était tellement chère qu’il ne connaissait point ◀d’▶homme plus heureux que lui, et que ◀l’▶état où elle ◀le▶ voyait ne provenait que ◀de▶ ◀la▶ peur ◀de▶ ◀la▶ perdre, ou ◀de▶ ◀la▶ partager avec un autre aussi heureux et peut-être plus heureux que lui. Sa femme, bien loin de lui reprocher ◀le▶ peu ◀d’▶estime qu’il faisait ◀d’▶elle et ◀de▶ sa vertu, reçut sa déclaration comme une preuve ◀de▶ son amour, ◀le▶ remercia ◀de▶ ◀l’▶avoir tirée ◀de▶ son inquiétude, et lui demanda ◀le▶ plus honnêtement du monde, si elle avait eu ◀le▶ malheur ◀de▶ lui donner par quelques-unes ◀de▶ ses actions quelque sujet ◀de▶ soupçon, lui protesta qu’elle n’avait jamais aimé que lui, et qu’elle sentait bien qu’elle n’en aimerait jamais ◀d’▶autre ; mais que pour lui mettre tout à fait ◀l’▶esprit en repos, elle allait prendre un autre train ◀de▶ vie.
Après cela elle ◀l’▶embrassa et ◀le▶ supplia ◀de▶ vouloir bien lui prescrire ◀les▶ compagnies qu’il voulait bien qu’elle vît, ◀l’▶assurant que toutes lui étaient également indifférentes, et qu’elle n’avait ◀d’▶amitié ni ◀de▶ liaison ◀de▶ société avec personne qu’autant qu’il en avait lui-même ; que tous ◀les▶ vœux ◀de▶ son cœur se terminaient à ◀l’▶aimer, à lui plaire et à n’avoir point ◀d’▶autre volonté que la sienne. Une manière si honnête parut remettre un peu ◀l’▶esprit démonté ◀de▶ son mari, qui ne lui prescrivit point ◀d’▶autre manière ◀de▶ vie que celle qu’elle avait jusque-là pratiquée ; mais elle se ◀le▶ tint pour dit, et sur des défaites honnêtes elle se dispensa peu à peu ◀de▶ rendre des visites et se retira des compagnies qui venaient chez elle, en sorte qu’elle se retrancha dans son seul domestique, et ne sortait plus du tout ◀de▶ chez elle que pour aller à ◀l’▶église, encore était-ce avec lui, et outre cela elle eut ◀l’▶honnêteté ◀de▶ ne dire à qui que ce fût ◀les▶ chimériques visions ◀de▶ son époux, et rejeta sur elle-même ◀la▶ cause ◀de▶ ◀la▶ vie retirée qu’elle menait, sans faire connaître que c’était ◀le▶ fruit des chimères ◀de▶ Sotain.
Elle ne visitait même que fort rarement son père et sa mère, qui plusieurs fois lui en demandèrent ◀la▶ raison, sans en pouvoir tirer ◀d’▶autre que celles qu’elle donnait à tout le monde. Une conduite si sage et si retirée aurait remis ◀l’▶esprit ◀de▶ tout autre que ◀d’▶un jaloux ; mais ◀la▶ jalousie est ◀la▶ maladie ◀de▶ ◀l’▶esprit ◀la▶ plus cruelle et ◀la▶ moins curable. Quoique cette femme fût toute enterrée dans sa maison, ne voyant pas même ses parents ◀les▶ plus proches, c’est-à-dire son père et sa mère, et une sœur ( car ses frères étaient dans ◀le▶ service et aux études), son mari n’en eut pas ◀l’▶esprit plus tranquille, et comme il n’y a que la première déclaration ou la première dureté qui coûte, il lui dit brutalement que ses domestiques étaient trop grands. Cela ◀l’▶obligea à congédier ◀les▶ serviteurs, et à ne retenir à son service que des filles et des femmes ; et comme elle allait quelquefois se promener dans ◀les▶ granges et ◀la▶ basse cour, et qu’il lui dit qu’elle se prodiguait trop parmi ◀les▶ valets ◀de▶ ◀la▶ ferme, elle n’y alla plus du tout. Enfin ayant trouvé à redire qu’elle allât se promener dans ◀le▶ jardin, et lui ayant dit deux ou trois paroles ironiques sur ◀le▶ jardinier, elle se détermina à ne sortir plus du tout ◀de▶ sa chambre.
Quoique cette prudente femme eût pris toutes ◀les▶ précautions possibles pour s’accommoder au caprice ◀de▶ son mari, et qu’elle eût beaucoup sur ◀le▶ cœur ◀les▶ soupçons qu’il avait conçus ◀d’▶elle à ◀l’▶occasion des laquais, des valets, et du jardinier, elle tint néanmoins bon, et ne découvrit son malheur à personne ; et pour toujours sauver ◀la▶ réputation ◀de▶ son indigne époux, elle prit tout sur elle-même ; mais à ◀la▶ fin il ◀l’▶obligea ◀de▶ faire une chose si indigne ◀d’▶elle, que cela lui donna occasion ◀de▶ commencer à ◀le▶ mépriser, et ◀de▶ faire éclater à ◀la▶ honte ◀de▶ son mari ◀la▶ chimère extravagante qu’il s’était formée dans ◀l’▶esprit.
Il eut ◀de▶ ◀l’▶ombrage du propre père ◀de▶ sa femme, et eut ◀le▶ front ◀de▶ ◀le▶ lui découvrir, et ◀de▶ ◀la▶ prier ◀de▶ faire en sorte ◀de▶ lui interdire ◀l’▶entrée ◀de▶ chez eux, sans qu’il parût que cela vînt de lui. Pour ◀le▶ coup elle ◀le▶ supplia ◀de▶ ◀la▶ dispenser ◀de▶ lui obéir, lui disant qu’elle avait trop ◀d’▶obligation à son père, et qu’elle avait été élevée dans un trop grand respect pour lui faire un pareil compliment. — Ah ! lui dit-il avec la dernière fureur, ce n’est pas par respect que vous ◀le▶ ménagez, j’en sais une cause plus forte et qui devrait vous faire mourir ◀de▶ honte ; et là-dessus il s’emporta à mille extravagances et à mille paroles outrageantes, en ne ◀les▶ menaçant pas moins l’un et l’autre que du poignard et du poison.
Cette femme, pour éviter ◀les▶ malheurs que ◀la▶ fureur ◀d’▶un fou lui faisait prévoir, fut obligée ◀de▶ faire malgré elle ◀les▶ démarches qu’il en exigeait. Elle prit pour cet effet ◀le▶ temps que son père vint dîner chez elle, et en présence de sa mère et ◀de▶ son mari, elle dit quelques duretés à son père. Celui-ci qui était un des plus honnêtes hommes du monde tomba ◀de▶ son haut, et en bon père, pour éviter ◀le▶ bruit tourna tout ce qu’elle lui dit en plaisanterie, si bien que cette pauvre femme malgré sa répugnance fut obligée ◀de▶ redoubler ses duretés, et terminer ce qu’elle lui dit ◀de▶ choquant par ◀le▶ supplier ◀de▶ ne plus revenir chez elle. ◀Le▶ père choqué pour lors, comme il ◀le▶ devait être, ◀le▶ prit sur un ton fier, et après lui avoir dit qu’elle était trop heureuse ◀d’▶avoir pour mari un aussi honnête homme que le sien et aussi endurant, il ajouta qu’elle abusait ◀de▶ ◀l’▶amour qu’il avait pour elle ; et si, poursuivit-il, ma femme que voilà présente en avait dit à son père en ma présence ◀la▶ centième partie ◀de▶ ce que vous venez de me dire, je ◀l’▶aurais fort bien remise dans son devoir malgré toute ◀la▶ tendresse que j’ai pour elle. Vous n’êtes qu’une insolente, continua-t-il, que je regarde à présent comme une folle indigne ◀d’▶être ma fille. Je ne remettrai jamais ◀le▶ pied chez vous, mais votre mauvaise humeur ne m’empêchera pas ◀de▶ voir votre mari. Celui-ci fut assez fourbe pour prendre contre sa femme ◀le▶ parti ◀de▶ son beau-père ; et cette pauvre créature qui avait ses ordres précis ◀de▶ jouer ce personnage, fut obligée ◀de▶ soutenir ses premières duretés par d’autres plus fortes, jusques à dire à son mari, qu’elle ◀le▶ suppliait ◀de▶ n’avoir plus aucun entretien particulier avec son père, et ajouta en parlant à lui-même, qu’il n’était capable que ◀de▶ mettre ◀le▶ divorce et ◀la▶ discorde dans leur ménage. Elle sortit ◀de▶ table après ce bel exploit, autant pour cacher ◀les▶ larmes qu’elle répandait du regret ◀d’▶avoir manqué pour la première fois ◀de▶ respect à son père, que pour s’épargner ◀la▶ honte ◀d’▶avoir eu une obéissance si aveugle pour son indigne mari.
Elle laissa son père outré contre elle, et bien résolu ◀de▶ ne ◀la▶ regarder ◀de▶ sa vie. ◀La▶ mère qui n’avait rien dit, et qui connaissait ◀le▶ caractère ◀de▶ sa fille incapable ◀d’▶une pareille action, y soupçonna quelque mystère. Elle ◀l’▶avait nourrie et élevée dans une douceur achevée et dans un trop grand respect pour son père pour ◀la▶ croire capable ◀d’▶en avoir agi ◀de▶ cette sorte par son propre mouvement ; ainsi sur ce sage fondement elle remarqua ◀les▶ acteurs, et aperçut ◀de▶ ◀la▶ contrainte et quelque chose ◀de▶ forcé dans sa fille, et une maligne joie dans ◀les▶ yeux ◀de▶ son gendre, avec un sens froid hors ◀d’▶œuvre dans une pareille occasion. Ainsi elle ne douta plus que cela ne vînt de lui, et résolut ◀de▶ s’en éclaircir sans faire part ◀de▶ ses soupçons qu’après ◀les▶ avoir éclaircis.
A quelques jours ◀de▶ là son mari étant obligé ◀d’▶aller dans une ville à cinq lieues ◀de▶ chez lui, elle lui persuada ◀d’▶y mener avec lui son gendre, puisque c’était une affaire ◀de▶ famille qui lui était commune avec eux. Cet homme qui ne savait point ◀le▶ dessein ◀de▶ sa femme, et qui ne croyait pas qu’elle en eût ◀d’▶autre que ◀de▶ faire solliciter leurs intérêts avec plus ◀de▶ vigueur, lui en parla, et il consentit ◀de▶ ◀l’▶y accompagner. Il n’avait garde ◀de▶ soupçonner, que sa belle-mère voulût lui jouer un tour, elle qui avait toujours refusé ◀de▶ retourner chez lui, quoiqu’il ◀l’▶en eût plusieurs fois priée et qu’il continuât ◀d’▶aller ◀la▶ voir à son ordinaire ; au contraire elle lui avait toujours témoigné qu’elle ne voulait jamais voir une fille qui avait traité son père avec tant ◀d’▶indignité, et qui se ressentait si peu de son éducation, et elle avait si bien dissimulé ses vues, que Sotain qui croyait que tout commerce était absolument ruiné entre son beau-père, sa belle-mère et sa femme, s’applaudissait ◀d’▶avoir si bien réussi, et ◀d’▶avoir fait en sorte que sa femme ne vît plus personne et ne parlât plus à ◀d’▶autre homme qu’à lui.
Je ne sais, continua Sainville interrompant ◀le▶ fil ◀de▶ son discours, si ◀les▶ dames espagnoles pourraient s’accommoder ◀d’▶une jalousie pareille ; mais je sais bien qu’il y a très peu de Françaises qui ◀la▶ trouvassent ◀de▶ leur goût. Célénie tint bon cependant, et ne se serait point démentie si son mari n’eût poussé plus avant. Sitôt que ◀la▶ belle-mère vit son mari et son gendre partis, sachant bien qu’ils seraient toute ◀la▶ journée dehors, alla voir sa fille qu’elle trouva dans une mélancolie profonde, et dans un abattement terrible. Elle lui en demanda ◀le▶ sujet, et comme Célénie voulait encore lui donner des défaites en paiement : Non, non, ma fille, lui dit-elle, je vois plus clair que vous ne pensez ; je ne vous fais point ◀de▶ reproches ◀de▶ ce que vous dîtes dernièrement devant moi à votre père, parce que votre personnage était étudié, et qu’assurément vous ne parliez pas ◀de▶ vous-même. Je vis parfaitement bien ◀d’▶où provenait votre brusquerie, et par ◀l’▶ordre ◀de▶ qui vous agissiez ; mais je veux absolument savoir ce qui a pu y donner sujet. Votre mari vient tous ◀les▶ jours au logis, il nous montre toujours un visage égal, et nous à lui, cependant il y a là-dessous quelque chose ◀de▶ caché, vous avez ◀le▶ choix ◀de▶ me ◀le▶ déclarer ou non ; si c’est ◀la▶ crainte ◀de▶ découvrir un mystère que vous vouliez tenir secret qui vous empêche ◀de▶ me ◀le▶ déclarer, je vous jure là-dessus un perpétuel silence ; mais si vous ne me ◀le▶ dites pas et que je ◀le▶ devine, outre que j’en ferai part à d’autres, vous pouvez compter qu’assurément je ne vous regarderai ◀de▶ ma vie. Après cela elle prit sa fille entre ses bras, et à force de caresses, elle lui arracha une partie ◀de▶ son secret et devina ◀le▶ reste.
Comme je vous ai déjà dit que c’était une parfaitement honnête femme, vous pouvez juger ◀de▶ là quelle horreur elle eut des sentiments ◀d’▶un tel gendre, qui soupçonnait ◀le▶ père et ◀la▶ fille ◀d’▶un crime si exécrable. Elle ◀la▶ consola néanmoins ◀le▶ mieux qu’elle pût, ou pour parler plus juste, elle s’affligea avec elle, et lui offrit ◀de▶ s’employer pour ◀la▶ faire séparer d’avec un homme si peu digne ◀d’▶elle ; mais celle-ci qui aimait son mari, et qui se serait sacrifiée pour lui, ◀la▶ remercia ◀de▶ ses offres, et ne prit point ◀d’▶autre résolution que ◀de▶ pleurer en secret son malheur et ◀de▶ ◀le▶ souffrir.
Comme il y avait longtemps que ◀la▶ mère n’avait vu sa fille, elle ne s’ennuya point avec elle, et elle y était encore lorsque Sotain arriva. Quoiqu’il ◀l’▶eût plusieurs fois priée ◀de▶ venir chez lui, il ne trouva pas bon cependant qu’elle y fût venue. Elle descendit sitôt qu’elle ◀l’▶entendit et ◀le▶ rencontra sur ◀l’▶escalier, où il ◀l’▶aborda avec trop ◀d’▶embarras pour bien cacher ce qu’il pensait. ◀La▶ belle-mère ne fit pas semblant ◀de▶ s’en apercevoir, et ◀la▶ chose en fût sans doute demeurée là s’il avait reconduit sa belle-mère jusques à ◀la▶ porte, ou qu’il lui eût fait ◀la▶ moindre civilité ; mais n’étant guidé que par sa jalousie, il monta tout ◀d’▶un coup dans ◀la▶ chambre ◀de▶ sa femme, et avec tant de précipitation, qu’il laissa sa belle-mère où il ◀l’▶avait trouvée, sans lui faire ◀la▶ moindre honnêteté, s’étant contenté ◀de▶ ◀la▶ saluer seulement du chapeau. Celle-ci qui savait pour lors ce qu’il avait sur ◀le▶ cœur, voulut savoir ce qu’il pourrait dire à sa femme, et remonta après lui pour ◀l’▶apprendre. Elle ◀l’▶entendit qui s’emportait à des jurements horribles en lui demandant si sa mère ◀l’▶avait bien instruite à boucher ◀les▶ yeux ◀d’▶un mari, à quelle heure elle lui avait fait prendre rendez-vous, avec qui, et en quel endroit, afin qu’il ne s’y trouvât pas, crainte ◀de▶ troubler ◀la▶ fête. Sa femme lui répondit que sa mère était trop vertueuse pour lui donner ◀de▶ semblables conseils, et trop sage pour avoir ◀la▶ moindre pensée criminelle. Il redoubla ses emportements et dit ◀de▶ cette dame tout ce que sa fureur lui mit à ◀la▶ bouche. ◀La▶ fille qui avait supporté sans murmurer tous ◀les▶ mauvais traitements ◀de▶ son mari, n’eut pas tant de patience sur ◀le▶ chapitre ◀de▶ sa mère, et ne put se passer ◀de▶ ◀la▶ défendre, et ce brutal se voyant contredit en vint jusques à ◀la▶ frapper.
Ces sortes ◀de▶ caresses sont, à ce qu’on dit, du goût des dames espagnoles, mais elles ne ◀le▶ sont nullement ◀de▶ celui des dames françaises, qui n’aiment pas qu’on leur fasse ◀l’▶amour à coups ◀de▶ poing. Cette pauvre femme se mit à pleurer ; mais sa mère qui avait tout écouté à ◀la▶ porte ne fut pas si tranquille. Elle perdit toute patience, entra brusquement dans ◀la▶ chambre, et prit à son tour ◀le▶ parti ◀de▶ sa fille. Sa vue redoubla ◀la▶ colère ◀de▶ Sotain, qui voulut ◀la▶ mettre dehors par ◀les▶ épaules, mais elle se défendit ◀de▶ manière que ◀le▶ bruit qui se faisait dans cette chambre s’étant fait entendre en bas y fit monter toutes ◀les▶ femmes qui y étaient, c’est-à-dire celles qui avaient ◀le▶ privilège ◀d’▶entrer dans ◀l’▶appartement ; car outre qu’il n’y entrait jamais ni homme ni garçon, toutes ◀les▶ femmes mêmes n’y étaient pas bienvenues ; elles entendirent une partie des sottises que ◀le▶ gendre dit à sa belle-mère, et des reproches que ◀la▶ belle-mère faisait à son gendre ; et comme ils étaient trop animés pour examiner leurs paroles, ◀le▶ secret ne lut plus caché, puisqu’il fut su ◀de▶ tant de femmes. Elles eurent ordre pourtant ◀de▶ n’en rien dire, et en effet elles n’en dirent mot tant qu’elles restèrent au logis, mais lorsqu’elles en furent dehors ce ne fut plus ◀la▶ même chose. On envoya chercher ◀le▶ beau-père, et sa présence ayant tout calmé, il emmena sa femme et sa fille avec lui, quoique celle-ci voulût rester ; mais ◀la▶ mère ne voulut absolument pas ◀la▶ laisser à ◀la▶ discrétion ◀d’▶un furieux.
Quand sa colère fut passée, il reconnut ◀l’▶injustice ◀de▶ son procédé, et alla ◀le▶ lendemain chez ◀le▶ beau-père, à qui il demanda pardon ; il fit à sa belle-mère mille satisfactions, jusqu’à se jeter à ses pieds, et autant à sa femme, qui avait passé toute ◀la▶ nuit à pleurer, et qui lui sauta au col sitôt qu’elle ◀le▶ vit. Il ◀la▶ ramena chez lui dans ◀la▶ meilleure intelligence du monde. Quoiqu’il connût bien ◀le▶ ridicule ◀de▶ sa propre conduite, il ne pouvait ◀la▶ réformer, et quelque résolution qu’il fît ◀de▶ changer ◀de▶ manière, il revenait toujours à son penchant. Sa femme en souffrait tout avec une constance digne ◀d’▶admiration ; mais enfin comme il ne se corrigeait pas, elle commença à ne ◀le▶ plus regarder avec des yeux si prévenus en sa faveur, sans changer néanmoins ◀de▶ conduite, et n’en aurait assurément point changé s’il ne ◀l’▶eût poussée à bout.
Une des femmes qui avait été témoin ◀de▶ ce qui s’était passé dans ◀la▶ chambre entre sa mère, elle et son mari, sortit ◀de▶ leur service quelque temps après. Ce fut encore un effet ◀de▶ ◀la▶ jalousie ◀de▶ Sotain, qui maltraita cette femme assez pour ◀l’▶obliger ◀de▶ s’en plaindre. Elle en conta ◀de▶ toutes sortes ◀de▶ manières sur ◀le▶ chapitre des extravagances ◀de▶ Sotain ; si bien que cet homme se trouva à ◀la▶ fin perdu ◀de▶ réputation, et devint ◀la▶ fable et ◀la▶ risée ◀de▶ toute ◀la▶ province, où ◀l’▶on aime assez à gloser sur autrui, surtout dans ◀le▶ canton. Cette femme en déchirant son maître, parlait ◀de▶ sa maîtresse avec toute ◀la▶ vénération et ◀l’▶admiration possible, et comme ◀de▶ ◀la▶ plus belle et ◀de▶ ◀la▶ plus malheureuse personne du monde. ◀La▶ France est fertile en cavaliers qui cherchent à consoler ◀les▶ belles malheureuses. Il s’en rencontra un jeune, qui n’avait pas plus ◀de▶ vingt-deux à vingt-trois ans, qui passait son quartier ◀d’▶hiver dans ◀le▶ voisinage ◀de▶ Sotain. Il entendit parler comme ◀les▶ autres ◀de▶ cette dame, et il en fut si vivement touché, que sans déclarer son secret à personne, il résolut ◀de▶ tenter ◀l’▶aventure. Il fit en sorte ◀de▶ s’aboucher avec cette femme qui était sortie ◀de▶ chez Célénie, et qui en ◀la▶ plaignant en disait tant de bien. Il lui demanda si effectivement cette dame était aussi belle qu’on disait. Celle-ci lui répondit que sa beauté était au-dessus des expressions. Il lui demanda s’il était impossible ◀de▶ ◀la▶ voir, et elle lui répondit qu’elle ne sortait point du tout ◀de▶ chez elle, parce que son mari faisait même dire une messe dans une chapelle du château, sous prétexte qu’il était fort éloigné ◀de▶ ◀la▶ paroisse, mais en effet pour empêcher sa femme ◀de▶ sortir.
◀Le▶ cavalier, que ◀les▶ difficultés animaient, chercha ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀les▶ vaincre. Il se déguisa en abbé, et alla ◀le▶ dimanche dès ◀la▶ pointe du jour se mettre sur ◀le▶ chemin qui conduit ◀de▶ ◀la▶ paroisse au château ◀de▶ Sotain. Il y attendit ◀le▶ prêtre qui devait y aller, et sitôt qu’il ◀le▶ vit paraître il alla à lui, et lui demanda ◀l’▶aumône, lui disant qu’il était un pauvre ecclésiastique qui revenait ◀de▶ Rome solliciter inutilement des bulles. Ce prêtre lui demanda s’il voulait venir servir sa messe qu’il allait dire à un château qu’il lui montra, et lui promit qu’au retour il lui donnerait à déjeuner, et quelque chose pour se conduire. C’était justement ce que ◀le▶ cavalier cherchait, aussi s’y accorda-t-il volontiers. Il eut ◀le▶ plaisir ◀de▶ voir ◀la▶ dame du logis, et fut charmé ◀de▶ sa beauté ; il ne put que ◀l’▶admirer, sans tenter autre chose, crainte ◀d’▶être connu, et s’en alla avec ce prêtre, fortement résolu ◀d’▶employer, comme on dit, ◀le▶ vert et ◀le▶ sec pour s’introduire dans ◀le▶ château.
Il sut que Sotain, qui avait fort longtemps servi en Italie, entendait parfaitement ◀l’▶italien, et il ne douta point que sa jalousie ne fût une maladie contractée dans ◀le▶ pays, et comme il avait dupé quelques Italiens, il se flatta ◀de▶ duper aussi un Français attaqué du même mal. Toute ◀la▶ difficulté consistait à avoir accès dans sa maison. Il roula mille inventions dans sa tête, et tenta trois ou quatre moyens qui manquèrent ; mais enfin celui-ci lui réussit. Il s’arracha ◀le▶ peu de barbe qu’il avait, et s’habilla en Italienne, mais pauvrement. Il se mit à ◀la▶ porte ◀de▶ ◀la▶ paroisse ◀de▶ Sotain à demander ◀l’▶aumône en italien ◀le▶ propre jour ◀de▶ Noël, ne doutant pas que Sotain ne vînt à ◀l’▶office, à cause de ◀la▶ solennité du jour. Aussi n’y manqua-t-il pas. Sotain, à qui cette fausse Italienne demanda ◀l’▶aumône en italien, lui demanda ◀d’▶où elle venait. Elle lui répondit qu’elle venait de Florence, et allait trouver une dame ◀de▶ qualité qu’elle lui nomma, au service ◀de▶ qui elle était, et qui s’était sauvée des mains des bandits qui couraient ◀les▶ Alpes, où elle qui parlait était demeurée avec ◀le▶ reste du train, parce qu’elle n’était pas si bien montée que sa maîtresse ; elle ajouta qu’elle espérait que cette dame aurait soin ◀d’▶elle, parce que son mari était mort en ◀la▶ défendant ; ou que du moins ◀les▶ parents ◀de▶ son mari, qui étaient à Paris, ne ◀la▶ laisseraient manquer ◀de▶ rien, dans un pays où elle ne connaissait personne. — Vous êtes donc veuve, lui dit Sotain. — Oui, Seigneur, lui répondit-elle, et veuve ◀d’▶un Français que j’aimais beaucoup, et dont ◀la▶ mémoire me sera toujours chère, parce que c’est à ses soins que je dois ◀la▶ conservation ◀de▶ mon honneur, que ◀les▶ bandits m’auraient ravi, si lui-même ne ◀l’▶avait pas mis à couvert ◀de▶ leur violence. — C’est donc en vous défendant qu’il a été tué ? repartit Sotain. — Non, Seigneur, répondit-elle, il avait été tué avant que ◀les▶ bandits fussent victorieux. — Et comment donc, reprit Sotain, a-t-il pu mettre votre honneur à couvert ◀de▶ leur violence ? — Dispensez-moi ◀de▶ vous ◀le▶ dire, répliqua-t-elle, ces sortes ◀de▶ secrets-là doivent demeurer entre ◀le▶ mari et ◀la▶ femme. Sotain, qui n’ignorait pas ◀les▶ précautions que ◀les▶ Italiens prennent, se douta ◀de▶ ce que c’était, et crut que ◀le▶ Français en avait voulu prendre ◀de▶ pareilles ; dans ce sentiment il demanda à cette fausse veuve avec un ris forcé, si son mari lui avait fait présent ◀d’▶une ceinture ◀de▶ chasteté. Elle ne répondit rien à cette demande, et se contenta ◀de▶ baisser ◀les▶ yeux, avec une honte qu’elle affecta si naturellement, que notre homme fut convaincu qu’il avait tiré juste ; et ravi ◀de▶ savoir qu’il y eût un Français capable ◀de▶ porter son extravagance jusqu’à ce point, il se mit en tête ◀de▶ ◀l’▶imiter, et ◀d’▶avoir à quelque prix que ce fût cette digne ceinture, que cette prétendue Italienne disait avoir, pour en faire à sa femme un présent digne ◀de▶ lui.
Il donna libéralement ◀l’▶aumône à cette fausse Italienne, lui en promit encore davantage à ◀l’▶issue ◀de▶ ◀la▶ messe, et lui fit promettre ◀de▶ ◀l’▶attendre. Tout ce beau dialogue si peu respectueux à ◀la▶ porte ◀d’▶une église n’avait point scandalisé ses auditeurs malgré ◀la▶ matière qu’on y traitait, parce qu’il s’était fait en italien, et qu’il n’y avait personne qui ◀l’▶entendît.
◀La▶ messe qui parut extrêmement longue à notre jaloux finit enfin, et il retrouva à ◀la▶ porte ◀de▶ ◀l’▶église ◀l’▶officier déguisé, qui ◀l’▶attendait avec autant ◀d’▶impatience que lui, et qui était ravi ◀de▶ voir un si bon commencement. ◀Le▶ mari lui dit ◀de▶ ◀le▶ suivre, et ◀l’▶Italienne ◀l’▶ayant suivi, il ◀la▶ fit entrer chez lui ; et après ◀l’▶avoir bien fait manger en sa présence même, il ◀la▶ mena dans son jardin tout au bout, afin de n’être entendu ◀de▶ personne, où lui ayant demandé si elle voulait rester chez lui, il lui répondit que son honneur y serait en sûreté, et qu’il lui procurerait un parti qui ◀l’▶empêcherait ◀de▶ regretter ◀la▶ dame qu’elle allait chercher, et ◀les▶ parents ◀de▶ son mari. ◀L’▶Italienne accepta promptement ◀le▶ parti, louant Dieu, ◀d’▶un air hypocrite, ◀de▶ lui avoir fait trouver un seigneur si charitable, et qui ◀la▶ retirait du malheur et ◀de▶ ◀la▶ honte ◀de▶ demander sa vie dans un pays où on ne ◀l’▶entendait pas. Après cela Sotain lui avoua ◀la▶ maladie dont il était travaillé, et lui offrit toutes choses au monde pour avoir ◀d’▶elle ◀la▶ ceinture qu’elle portait. ◀La▶ feinte Italienne ne se fit pas presser sur ◀le▶ prix, mais elle fit mille difficultés sur ◀la▶ manière ◀de▶ ◀l’▶ôter ◀de▶ dessus son corps, où elle ne voulait pas, disait-elle, qu’aucun homme ne portât ni ◀les▶ mains ni ◀les▶ yeux. Elle fut plus ◀de▶ deux heures à se résoudre, et ne se rendit qu’aux serments extraordinaires qu’il lui fit, qu’il n’attenterait rien sur sa vertu. Enfin elle se défendit avec tant de pudeur, que ◀le▶ jaloux ◀la▶ prenait pour une véritable vestale, et des plus sévères.
Ils se retirèrent dans un endroit extrêmement obscur, où ◀l’▶Italienne lui demanda une lime ; et comme elle ne put pas venir à bout elle-même ◀de▶ limer ◀le▶ tenon du cadenas, elle renonça à ◀l’▶ouvrage, et lui dit résolument qu’il fallait qu’il restât où il était. Ces paroles ◀l’▶ayant mis au désespoir, il se jeta presque à ses pieds ; et ◀l’▶officier qui s’en donnait ◀la▶ comédie, n’aurait pas sitôt cessé, s’il n’eût craint ◀de▶ ◀le▶ rebuter. Il fit semblant ◀de▶ se laisser vaincre, et ayant mis une serviette en double entre son corps et cette ceinture, il donna ◀la▶ lime à Sotain, qui coupa lui-même ◀le▶ fer du cadenas ; mais comme il n’était pas bon serrurier, il eut toutes ◀les▶ peines du monde ◀d’▶en venir à bout sans blesser ◀l’▶Italienne, qui faisait ◀la▶ honteuse à merveille. Il ◀la▶ récompensa au-delà ◀de▶ ce qu’elle en avait attendu, et ◀de▶ ce qu’il lui avait promis ; et celle-ci faisant semblant ◀de▶ se laisser tout à fait gagner à cette libéralité excessive, consentit à sa prière, ◀de▶ rester chez lui pour servir ◀d’▶Argus à sa femme.
Notre jaloux lui fit comprendre qu’il se fierait plus à elle qu’à tout autre ; mais il ne lui en disait pas ◀la▶ raison, qui était que sa femme ne pourrait pas se faire entendre à cette Italienne ; que celle-ci par conséquent ne pourrait pas non plus se laisser corrompre, et que n’y ayant que lui qui pût entendre sa langue, il pourrait en présence même ◀de▶ sa femme, lui donner tous ◀les▶ ordres qu’il voudrait, et celle-ci lui répondre sur tout ce qu’il lui demanderait sans que sa femme y pût rien comprendre.
◀Le▶ seul embarras qui se trouva, fut ◀d’▶avoir un cadenas pour remplacer celui qui avait été limé, car sans cela ◀la▶ ceinture et rien était ◀la▶ même chose. Ces sortes ◀d’▶instruments ne sont pas tout à fait inconnus en France, mais ils y sont en exécration, et il n’y a aucun ouvrier qui veuille y prêter publiquement son ministère ; avec cela il faut un cadenas fait exprès, et malheureusement Sotain n’osait se fier à personne. ◀La▶ fine Italienne s’offrit à ◀le▶ tirer ◀de▶ peine ; il ◀la▶ prit au mot, et lui confia ◀le▶ cadenas rompu pour servir ◀de▶ modèle, avec tout ◀l’▶argent qu’elle voulut.
Elle sortit ◀de▶ cette maison ◀le▶ jour même, et elle alla à la première ville, qui était celle ◀de▶ son quartier ; elle y reprit ses habits ◀de▶ cavalier, ne se découvrit à personne ; et comme à force ◀d’▶argent on vient en France, comme ailleurs, à bout de tout, elle trouva un serrurier habile homme, qui lui donna toute satisfaction, en lui faisant un cadenas tout neuf et deux clefs. Après avoir employé deux jours tant à cela, qu’à donner quelques ordres jusqu’à son retour, qu’elle jugeait bien ne devoir pas être fort prompt, elle revint chez Sotain, qui ◀la▶ reçut avec une joie qui ne se peut pas comprendre.
Celui-ci, qui se serait donné à Satan que c’était une femme telle qu’il lui fallait pour son dessein, ◀le▶ présenta à la sienne comme une nouvelle domestique, et Célénie à qui il était indifférent par qui elle fût servie, ◀la▶ reçut sans répugnance. Ce fut ainsi que ◀la▶ jalousie ◀de▶ Sotain mit dans sa maison celui qui aurait dû lui faire trouver ce qu’il craignait, si sa femme eût été moins sage. Comme il croyait que cette fausse Italienne n’entendait pas ◀le▶ français, il ne se contraignit pas pour parler à Célénie devant elle, et lui dire en sa présence mille extravagances sur sa jalousie, qu’il lui étalait comme si c’eût été ◀la▶ preuve ◀la▶ plus obligeante ◀de▶ son amour, et lui dit enfin ◀le▶ secret qu’il avait trouvé pour se guérir ◀de▶ ses soupçons. Sa femme ne put s’empêcher ◀de▶ jeter un ris moqueur, et ◀de▶ lever ◀les▶ épaules, et consentit néanmoins à tout ce qu’il voulut, espérant qu’après cette ridicule précaution il ne ◀la▶ chagrinerait plus tant. Il fut en effet quelques jours sans lui rien dire ◀de▶ fâcheux ; mais un jaloux est un animal qui par ◀la▶ suite des temps ne se fierait pas à ◀l’▶anneau ◀de▶ Hans Carvel, il lui faudrait tous ◀les▶ jours quelque chose ◀de▶ nouveau qui piquât et qui réveillât sa folie. Sotain revint donc à son naturel ordinaire, et recommença à persécuter sa femme de plus belle, sans rime ni raison.
Cependant Julia, c’est ◀le▶ nom que ◀l’▶officier avait pris, se gouvernait ◀d’▶une manière conforme à ses desseins, et acquit par des moyens différents ◀la▶ bonne grâce du maître et ◀de▶ ◀la▶ maîtresse. Il ne disait jamais un mot ◀de▶ français devant lui, et n’avait pour elle que des airs assez froids et assez indifférents ; mais lorsqu’il était seul avec elle il en avait ◀d’▶empressés, et faisant semblant ◀d’▶apprendre peu à peu ◀le▶ français, il lui disait des choses qui ◀la▶ divertissaient, et par ◀de▶ petits soins prévenants il ◀la▶ disposait à lui vouloir du bien. C’était beaucoup ; mais ce n’était pas assez pour lui, qui voulait se découvrir, et qui ne ◀l’▶osait sans voir absolument jour à ◀le▶ faire sans risque. ◀Le▶ jaloux lui en ouvrit lui-même ◀les▶ moyens.
Sa femme qui était absolument rebutée ◀de▶ ses manières injurieuses et choquantes, n’avait plus aussi pour lui cet amour violent qu’il ne méritait pas, et ne recherchait plus ses caresses avec autant ◀d’▶empressement qu’elle ◀les▶ avait autre-fois recherchées. Il s’en aperçut, et prétendit qu’elle avait tort, et que bien loin de se chagriner des persécutions qu’il lui faisait, elle devait ◀l’▶en aimer davantage, puisque ce n’était que des marques ◀de▶ ◀l’▶amour qu’il avait pour elle. Bien loin de goûter sa morale, elle ◀le▶ tourna en ridicule, et pour la première fois ◀de▶ sa vie elle ◀l’▶obstina, et lui dit qu’elle lui aurait eu beaucoup plus ◀d’▶obligation ◀de▶ sa haine, puisqu’il n’aurait pas pu ◀la▶ pousser plus loin, que ◀de▶ ◀la▶ retirer non seulement du monde, mais encore ◀de▶ ◀la▶ faire brouiller avec toute sa famille, ◀la▶ retenir dans une prison éternelle, et ◀la▶ mettre dans ◀les▶ fers.
Ce fut là une nouvelle douleur pour lui. Il crut qu’elle regrettait ◀la▶ liberté que cette ceinture lui avait fait perdre, et croyant être vulcanisé en idée, s’il ne ◀l’▶était en chair et en os, il s’emporta ◀d’▶une manière terrible. Sa femme, dont ◀la▶ patience était épuisée, lui ayant répondu contre sa coutume avec assez ◀de▶ liberté, il ◀la▶ frappa, et sans Julia il aurait poussé plus loin ses mauvais traitements. Il sortit ◀de▶ chez lui après cette infâme brutalité, et Célénie se renferma dans son cabinet, où elle versa un torrent ◀de▶ larmes.
Julia ayant pris ses précautions pour n’être point surprise par qui que ce fût, entra dans ce cabinet, et se jeta aux pieds ◀de▶ sa maîtresse, et avec une ardeur extraordinaire dans une femme, elle lui embrassa ◀les▶ genoux, lui offrit sa vie et tout ce qu’elle possédait pour ◀la▶ venger ◀d’▶un époux si indigne ; et enfin voyant que Célénie ne ◀l’▶interrompait pas, elle ◀l’▶embrassa avec des transports que sa maîtresse n’avait point encore remarqués, et qui ◀la▶ surprirent ; mais elle fut encore bien plus étonnée quand ◀la▶ fausse Italienne parlant bon français se fit connaître à elle pour un amant tendre et passionné. ◀La▶ surprise ◀de▶ Célénie ne lui permit pas ◀de▶ ◀l’▶interrompre, ainsi ◀le▶ cavalier eut ◀le▶ temps ◀de▶ lui dire qui il était, et tout ce qu’il avait fait pour avoir accès auprès ◀d’▶elle, et pour gagner ◀la▶ confiance ◀de▶ son époux. Il lui parla ◀de▶ cette ceinture comme du plus vif affront que son mari lui pouvait faire ; et enfin lui peignit son indigne époux avec des couleurs si naturelles, qu’elle cessa ◀de▶ ◀l’▶aimer. Il finit par lui offrir ◀de▶ ◀la▶ tirer ◀de▶ captivité si elle voulait se fier à sa conduite ; il ajouta que sa vie était entre ses mains ; qu’il savait bien qu’il était mort pour peu que son mari ◀le▶ soupçonnât ; qu’elle pouvait ◀le▶ livrer à sa vengeance ; mais il ◀la▶ supplia aussi ◀d’▶examiner si Sotain méritait ce sacrifice, et si elle était résolue ◀d’▶user sa jeunesse et sa vie dans toutes ◀les▶ douleurs et ◀les▶ amertumes que ◀la▶ folie ◀de▶ cet homme pouvait et devait lui faire prévoir. Il ◀la▶ tourna ◀de▶ tant de côtés qu’il en arracha des larmes, ce qui lui fit redoubler ◀l’▶ardeur ◀de▶ ses caresses et ◀de▶ ses protestations, ◀de▶ manière qu’il ◀la▶ persuada, et ◀la▶ laissa convaincue ◀de▶ son amour, et outrée contre Sotain.
◀Le▶ cavalier n’en demanda pas davantage pour cette fois-là, espérant que ◀le▶ temps ferait ◀le▶ reste ; mais il se trompa, il avait à faire à une femme à qui ◀la▶ mauvaise conduite ◀de▶ son mari ne donnait aucun privilège ; elle pouvait bien être rebutée ◀de▶ ses manières, et ne ◀le▶ regarder qu’avec indifférence, et même avec horreur ; mais elle avait trop ◀de▶ vertu pour se venger ◀de▶ ses soupçons autrement qu’en ◀les▶ méprisant.
Sotain fut obligé ◀de▶ s’éloigner ◀de▶ chez lui, et ◀de▶ faire un voyage ◀de▶ quinze jours ou trois semaines. Il n’en avait point du tout parlé à sa femme, et ne lui en parla que dans le moment qu’il allait monter à cheval. Celle-ci qui ne lui avait pas dit un mot depuis sa dernière brutalité et qui ne s’était point encore déterminée sur ◀la▶ manière dont elle en devait user avec son amant, prit tout ◀d’▶un coup ◀le▶ parti que sa vertu lui conseilla. Elle ◀le▶ supplia ◀de▶ ◀la▶ défaire ◀de▶ Julia avant son départ. Notre fausse Italienne frémit à cette proposition, et se résolut ◀de▶ vendre chèrement sa vie ; mais elle fut rassurée par ◀le▶ refus absolu que Sotain en fit. Celui-ci crut que c’était un Argus que sa femme voulait éloigner ◀d’▶elle, et cette pensée qui ◀le▶ frappa vivement, lui fit regarder cette femme comme une personne plus nécessaire à son repos qu’elle ne lui avait jamais paru. Il répondit à Célénie avec fureur et un ris moqueur, qu’elle ne savait pas bien déguiser ses vues, et qu’il voulait non seulement que Julia restât auprès ◀d’▶elle, mais qu’il voulait encore qu’elle couchât dans sa chambre et ne ◀la▶ quittât pas plus que son ombre. Il expliqua sa volonté avec tant ◀d’▶emportement, que ◀la▶ pauvre Célénie vit bien qu’il n’y avait rien à gagner pour elle, à moins que ◀de▶ lui dire ◀la▶ véritable raison qu’elle avait ◀de▶ ◀la▶ vouloir éloigner ; mais comme elle était toute étourdie ◀de▶ ses injures, et que ◀la▶ promptitude ◀de▶ son départ ne lui laissait pas ◀le▶ temps ◀de▶ se déterminer, elle ne lui découvrit point ◀le▶ mystère, et peut-être que quand elle ◀l’▶aurait fait, ◀la▶ prévention ◀de▶ Sotain lui aurait bouché ◀les▶ yeux. Quoi qu’il en soit, il fit lui-même apporter un lit pour Julia dans ◀la▶ chambre ◀de▶ Célénie, et sans vouloir ni lui parler, ni qu’elle ouvrît ◀la▶ bouche, il emmena avec lui ◀la▶ fausse Julia, à qui il fit encore ◀de▶ nouvelles leçons ◀de▶ vigilance, et partit.
Il fut plus ◀d’▶un mois à son voyage, et pendant tout ce temps-là Célénie fut exposée à toutes ◀les▶ attaques qu’un amant ardent et passionné peut livrer à ◀la▶ vertu ◀d’▶une femme. ◀Le▶ cavalier avait cru que Sotain étant éloigné, sa femme, dans ◀la▶ chambre ◀de▶ qui il devait coucher, se rendrait enfin a ses poursuites, à ◀l’▶occasion et à ◀la▶ facilité, puisqu’il n’y avait rien à craindre ayant une clef du cadenas, mais il ◀la▶ trouva toujours inébranlable. Elle lui avoua qu’elle était charmée ◀de▶ sa persévérance et ◀de▶ ◀l’▶amour qu’il lui témoignait, et qu’ayant en partie banni ◀de▶ son cœur ◀l’▶amour qu’elle avait eu pour son indigne époux, elle ◀l’▶aimerait, si elle était capable ◀de▶ se démentir ; mais que sa vertu lui était plus chère que toutes choses ; qu’elle convenait que Sotain ne méritait pas une femme fidèle, mais qu’aussi ce n’était pas pour ◀l’▶amour ◀de▶ lui, mais uniquement pour ◀l’▶amour ◀d’▶elle-même qu’elle rebutait ses empressements ; qu’elle voulait encore essayer ◀de▶ faire rentrer son mari dans son bon sens, pour faire un meilleur ménage qu’ils n’avaient fait jusqu’alors ; et que si elle n’en pouvait venir à bout, elle ferait avec lui un éternel divorce.
Un jour qu’il ◀la▶ pressait avec la dernière ardeur, il remarqua que son teint était plus vif qu’à ◀l’▶ordinaire, qu’elle ne parlait qu’avec distraction et que ses yeux pleins ◀de▶ feu, et néanmoins abattus, ◀le▶ regardaient avec langueur. Il crut avoir trouvé ◀le▶ moment ◀de▶ se servir ◀de▶ sa clef, il ◀l’▶embrassa et voulut entreprendre ◀le▶ reste ; mais elle ◀le▶ remit dans ◀le▶ respect par ◀l’▶air ◀de▶ fierté dont elle s’arma, après quoi elle entra dans son cabinet, ◀d’▶où elle ressortit un moment après avec un visage tranquille et modeste ; et comme elle ◀l’▶avait laissé sur une chaise dans le dernier abattement et la dernière douleur, elle ◀l’▶en retira en ◀le▶ prenant par ◀le▶ bras et en ◀l’▶emmenant se promener dans ◀le▶ jardin.
Elle lui ouvrit là son cœur, et ◀le▶ supplia ◀de▶ s’éloigner ◀d’▶elle et ◀d’▶en trouver lui-même ◀le▶ prétexte pour ne ◀la▶ point brouiller avec son mari. Elle lui dit en riant qu’elle savait bien que sa vertu était en sûreté, non seulement par ◀l’▶innocence et ◀la▶ pureté ◀de▶ ses intentions, mais aussi par ◀la▶ précaution ◀de▶ son époux ; mais que cependant il n’était ni ◀de▶ son honneur ni ◀de▶ son devoir ◀de▶ rester dans un état ◀de▶ tentation continuelle, à laquelle quand bien même elle ne succomberait pas, elle se reprocherait toujours ◀la▶ présence ◀d’▶un homme déguisé auprès ◀d’▶elle, qui pouvait être reconnu par mille contretemps que toute ◀la▶ prudence humaine ne pouvait prévoir et laisser une tache à sa réputation.
C’est-à-dire, reprit-il, que ce n’est pas assez pour vous ◀de▶ nous rendre tous deux malheureux, vous voulez encore que je meure ! Qui peut vous empêcher, poursuivit-il, ◀de▶ vous livrer à mon amour ? Je passe pour une femme étrangère, et je suis en effet étranger dans ce pays ici où je ne suis connu que ◀de▶ deux vieux officiers du régiment où je suis incorporé depuis peu. Votre mari a cru avoir pris, et a pris en effet toutes ◀les▶ précautions qu’il pouvait prendre. J’ai ◀de▶ quoi ◀les▶ rendre inutiles, et vous mettre ◀l’▶esprit en repos. Pouvez-vous espérer un jour heureux avec un homme comme lui ? et ne devriez-vous pas vous dédommager avec moi des chagrins qu’il vous donne ? Ce n’est pas assez pour lui qu’il vous insulte par ◀l’▶endroit ◀le▶ plus sensible à une femme, vous en êtes encore maltraitée. Songez à vous et tirez-vous ◀de▶ ◀la▶ tyrannie ◀d’▶un homme indigne ◀de▶ posséder tout ce que ◀l’▶univers a de plus beau. Je ne dépends que ◀de▶ moi, j’ai des établissements plus considérables que les siens. Je vous sacrifie tout, n’en croyez que mes actions et non pas mes paroles, dites-moi que vous voulez bien me suivre, et je vous mettrai entre ◀les▶ mains plus ◀d’▶argent et ◀de▶ pierreries qu’il ne vous en faudra pour vous faire vivre ailleurs ◀le▶ reste ◀de▶ vos jours plus magnifiquement et plus heureusement que vous ne vivez ici. Vous dites que je fais toute votre consolation, quelle cruauté voulez-vous donc exercer contre vous-même en m’éloignant ? et pourquoi m’accabler ◀de▶ toutes vos rigueurs dans ◀le▶ moment même que vous êtes prête à recevoir dans vos bras ◀le▶ plus malhonnête homme du monde ? Si vous ne ◀le▶ quittez pas pour ◀l’▶amour ◀de▶ moi, quittez-◀le▶ pour ◀l’▶amour ◀de▶ vous ; ◀l’▶usage autorise ◀les▶ séparations, et mille femmes ◀de▶ vertu se sont séparées ◀de▶ corps et ◀de▶ biens d’avec leurs maris pour des raisons mille fois plus légères que celles que vous pouvez alléguer. Votre patience à souffrir ne servira qu’à ◀le▶ rendre plus intraitable et à ◀l’▶aigrir ; et ce ne sera pas par cette voie-là que vous ◀le▶ remettrez dans son bon sens ; plaignez-vous une fois en public, faites connaître à toute ◀la▶ terre ses extravagances, et vous en serez délivrée : Madame votre mère vous ◀l’▶a conseillé, toute ◀la▶ terre vous ◀le▶ conseillera, et toute ◀la▶ terre vous prêtera ◀la▶ main pour cela ; pouvez-vous prévoir à quelles extrémités sa folie ◀le▶ portera ? Elle dégénère souvent en fureur, vos jours ne sont point en sûreté, et vous avez tout à craindre ◀d’▶un homme ◀de▶ ce caractère. Ne vous donnez pas à moi, mais arrachez-vous à lui ; retirez-vous dans ce moment, et du moins si je n’ai pas ◀le▶ bonheur ◀de▶ vous posséder j’aurai ◀le▶ plaisir ◀de▶ vous y aller voir et ◀de▶ ne plus trembler pour votre vie ; en un mot, si vous ne voulez pas être heureuse entre ◀les▶ bras ◀d’▶un homme qui vous adore, ne vous obstinez pas à rester malheureuse.
Telle est ma destinée, interrompit-elle ◀les▶ larmes aux yeux, je ne suis pas née pour être heureuse ; mais du moins je ne mériterai jamais mon malheur. Si vous m’aimiez autant que vous voulez me ◀le▶ persuader, continua-t-elle, me proposeriez-vous un parti comme celui ◀de▶ vous suivre ? cette démarche ne serait-elle pas blâmée ◀de▶ tout le monde, et vous-même ne perdriez-vous pas ◀l’▶estime que vous avez pour moi ? aimeriez-vous longtemps ce que vous n’estimeriez plus ? Cessez ◀de▶ me faire ◀de▶ pareilles propositions, ou ne me voyez jamais ; je ne vous souffre auprès de moi que parce que ◀les▶ précautions que mon mari a prises me mettent moi-même à couvert des faiblesses que je pourrais avoir, et s’il ne dépendait que ◀de▶ moi et qu’il me fût facile ◀d’▶y succomber je me serais mise en garde contre moi-même ; et au hasard ◀de▶ tout ce qu’il en aurait pu arriver, je vous aurais sacrifié à mes craintes et je ne vous verrais jamais. Pour me séparer d’avec lui, je sais que plusieurs femmes m’en montrent ◀l’▶exemple ; mais je sais aussi que c’est un exemple odieux, et que ◀les▶ hommes ne doivent point séparer ce que Dieu a uni. Je souffre autant et plus que femme du monde ; je vois moi-même toute ◀l’▶horreur ◀de▶ ◀la▶ situation où je suis ; mais puisque Dieu ◀le▶ veut ainsi, je n’ai point ◀d’▶autre parti à prendre que ◀de▶ m’y résoudre ; à quoi servirait ◀la▶ patience des bons si elle n’était pas éprouvée par ◀la▶ malice des méchants ? Je ne vous dirais pas ce que je vous dis si mon malheur ne vous était parfaitement connu. C’est à vous à m’aider à ◀le▶ supporter, à ◀l’▶adoucir par votre présence, à ◀le▶ dissiper par vos bonnes consolations si vous m’aimez pour moi-même ; mais si vous ne m’aimez que pour vous, épargnez-moi par votre retraite ◀les▶ rudes combats où vous m’engageriez ; soutenez ma patience si vous voyez qu’elle s’affaiblisse, n’attaquez plus ma vertu, ou souffrez que je me défasse ◀de▶ vous à quelque prix que ce soit, puisque je ne regarderais plus en vous qu’un nouveau persécuteur.
C’étaient là leurs entretiens et leurs conversations ordinaires, qui se terminaient par ◀les▶ promesses qu’il lui faisait ◀de▶ ne jamais lui rien témoigner ni par ses paroles ni par ses actions, qui pût alarmer sa vertu ni ◀la▶ choquer. ◀Les▶ conversations et ◀la▶ sagesse ◀de▶ cette femme ◀la▶ lui faisaient regarder avec admiration et vénération ; mais ◀l’▶amour qu’il avait pour elle était trop violent pour en pouvoir modérer ◀les▶ transports ; et il y retombait tous ◀les▶ jours. Elle en avait ri au commencement, mais ◀la▶ suite ◀l’▶importuna, et quoique Sotain fût enfin revenu chez lui, Julia qui avait promis à Célénie ◀de▶ changer ◀de▶ conduite, n’en devint pas plus sage, au contraire il devenait plus hardi et plus entreprenant ◀de▶ jour en jour, de sorte que cette femme craignant qu’il ne manquât enfin ◀de▶ respect pour elle, et que ◀la▶ trouvant seule, comme il en avait à tout moment ◀le▶ privilège, il ne se portât aux dernières violences, elle voulut ◀le▶ prévenir et lui dit plusieurs fois qu’elle se plaindrait à Sotain ◀de▶ sa conduite.
◀Le▶ cavalier qui vit qu’elle n’en avait encore rien fait, et qui effectivement ne crut pas qu’elle fût ◀d’▶humeur à en rien faire, redoubla ses importunités et lui marqua une jalousie terrible ◀de▶ son mari. Elle rit quelque temps ◀de▶ sa bizarrerie et des termes dont il ◀l’▶exprimait ; mais voyant qu’il continuait, elle ◀le▶ pria tout ◀de▶ bon ◀de▶ se retirer ; mais bien loin de ◀le▶ faire, il se mit sur ◀le▶ pied ◀de▶ fomenter quelque froideur qui était entre Sotain et elle, de sorte que Célénie qui s’en aperçut jugea à propos de prévenir ◀les▶ suites qu’une pareille correspondance pouvait avoir, et enfin supplia son mari ◀de▶ vouloir bien tout ◀de▶ bon faire sortir Julia ◀de▶ chez elle.
◀L’▶empressement avec lequel elle lui fit cette prière fut ce qui lui attira un refus. Sotain fut assez fou pour s’imaginer que sa femme était devenue amoureuse ◀de▶ quelqu’un, et que c’était ◀l’▶Italienne seule qui lui rompait en visière : dans cette injuste prévention il ◀la▶ traita avec des termes infâmes et ◀le▶ plus injurieux mépris, et en sortant ◀d’▶auprès ◀d’▶elle il emmena ◀la▶ fausse Italienne qu’il questionna sur ◀la▶ conduite ◀de▶ sa femme, sur tout ce qu’elle avait fait pendant son absence, et sur ses occupations ordinaires dans sa chambre ; si elle n’avait point écrit, si elle n’avait point sorti, et enfin il s’en fit rendre un compte exact. Julia ne lui dit rien que ◀d’▶avantageux, et ◀l’▶assura que depuis qu’il était parti elle ne ◀l’▶avait point quittée ◀de▶ vue, qu’elle avait tous ◀les▶ soirs fermé leur porte en dedans aux verrous et à double tour, qu’elle en avait ôté ◀la▶ clef, qu’elle n’avait ni écrit, ni parlé à qui que ce fût ◀de▶ dehors, et en un mot, qu’elle ne s’était point aperçue qu’elle eût aucun commerce avec personne ; mais qu’elle ne savait point aussi par quel endroit elle avait pu mériter sa haine, ◀d’▶autant moins qu’elle avait fait son possible pour s’en faire aimer ; que tout ce qu’elle en pouvait croire était que son assiduité commençait à lui déplaire.
C’est une folle, répondit Sotain, qui ne cherche qu’à éloigner ◀d’▶elle tous ceux qui peuvent veiller sur ses actions ; mais elle n’y gagnera rien, et quand elle devrait mourir ◀de▶ chagrin, je veux que vous y restiez. — Ah ! Seigneur, lui dit ◀la▶ fausse Italienne, il vaudrait bien mieux que je sortisse ◀de▶ chez vous que ◀de▶ lui causer ◀la▶ mort. — Hé ! ne voyez-vous pas, répliqua-t-il avec emportement, que si vous sortiez elle aurait ses coudées franches et que j’en mourrais ◀de▶ désespoir ? Laissez-◀la▶ telle qu’elle est, poursuivit-il, continuez et ne craignez rien ◀de▶ sa haine, c’est moi qui veux que vous restiez ; je suis maître chez moi, et si elle vous chagrine, vous n’aurez qu’à me ◀le▶ dire, et je vous en rendrai justice. Venez, continua-t-il en ◀la▶ reconduisant dans ◀la▶ chambre ◀de▶ Célénie, voilà Julia que je ramène, Madame, lui dit-il, nous sommes étonnés ◀de▶ votre empressement à ◀la▶ faire sortir ; vous ◀la▶ haïssez, et c’est assez pour qu’elle reste malgré vous, puisque je ◀le▶ veux ; et si par vos airs rebutants vous ◀l’▶obligez à se retirer, comme elle en a dessein, comptez qu’une chambre bien fermée me vengera ◀de▶ vous comme ◀d’▶une bête féroce. Songez-y, Julia, poursuivit-il en parlant au cavalier, passez pour ◀l’▶amour ◀de▶ moi sur toutes ses duretés, mais pourtant avertissez-m’en, je vous assure que j’y mettrai bon ordre. Après ces paroles brutales il sortit ◀de▶ ◀la▶ chambre ◀de▶ Célénie et y laissa ◀la▶ fausse Italienne qui se jeta à ses pieds sitôt qu’il fut dehors. Vous jouez à vous perdre, Madame, lui dit ◀l’▶amoureux cavalier ; au nom de Dieu ayez pitié ◀de▶ vous-même. — C’est vous qui causez ma perte, reprit-elle en pleurant, sortez ◀d’▶auprès de moi, je vous ◀le▶ répète encore, si vous n’en prenez ◀la▶ résolution aujourd’hui, comptez que demain mon mari saura que vous êtes un homme, et mourir pour mourir j’aurai du moins ◀la▶ satisfaction ◀d’▶avoir fait mon devoir ; c’est à quoi je me résous ; tous vos efforts ne me feront pas changer. En achevant ces paroles elle entra dans son cabinet et en tira ◀la▶ porte sur elle.
◀Le▶ cavalier resté seul, craignait tout ◀de▶ bon que Célénie n’exécutât sa menace, et après avoir bien combattu en lui-même et admiré ◀la▶ vertu scrupuleuse ◀de▶ cette femme, il se résolut à lui obéir. Il entra dans son cabinet et se jeta à ses genoux. C’en est fait, Madame, lui dit-il, je me suis vaincu, votre vertu triomphe, je n’ai plus pour vous que ◀de▶ ◀l’▶amour, ◀de▶ ◀l’▶admiration, ◀de▶ ◀la▶ compassion et ◀de▶ ◀l’▶obéissance ; vous voulez que je sorte ◀d’▶auprès de vous, je n’y resterai pas demain ; mais avant que je vous quitte, daignez considérer à quels périls ma sortie va vous laisser exposée, et ce que vous devez craindre des fureurs ◀de▶ votre époux, qui se figurera tout un autre sujet ◀de▶ mon éloignement que ◀le▶ véritable. Je sors ◀de▶ chez vous, Madame, continua-t-il, mais j’en sors dans ◀le▶ dessein ◀d’▶en arracher votre indigne époux ◀d’▶une manière ou ◀d’▶une autre. J’ai assez ◀d’▶amis en Cour pour ◀le▶ rengager malgré lui dans ◀le▶ service ; et si je ne puis en venir à bout, je périrai par sa main ou je vous vengerai par la mienne ; vos souffrances me mettent au désespoir, je ne pourrais pas vivre éloigné ◀de▶ vous et toujours dans la crainte de vous voir périr par ◀la▶ main ◀d’▶un brutal. — Plaignez-moi, lui dit-elle ◀les▶ larmes aux yeux, aimez-moi ou du moins laissez-moi ◀le▶ croire, c’est ◀la▶ seule consolation que je vous demande ; mais ne vous avisez pas ◀de▶ rien entreprendre contre lui, je vous ◀le▶ défends, sous peine de ne vous plus jamais voir ; et si vous m’obéissez en cela, il se pourra arriver des changements qui me permettront ◀d’▶avoir pour vous ◀de▶ ◀la▶ reconnaissance. Pour ce que j’ai à craindre ◀de▶ lui, Dieu en est ◀le▶ maître, j’espère qu’il ne m’abandonnera pas ; il faut attendre un ◀de▶ ces revers qu’il sait faire naître lorsqu’on ◀les▶ espère ◀le▶ moins. — Je ne vous promets rien, Madame, répliqua-t-il, ◀l’▶état où je suis est trop douloureux pour ne pas m’engager à chercher ◀les▶ moyens ◀d’▶en sortir. Vous m’aimez et vous me ◀chassez▶ ! Je vous aime et je vous laisse malheureuse ! C’en est trop pour conserver une assiette tranquille. A ces mots ils tombèrent tous deux dans ◀les▶ bras l’un ◀de▶ l’autre, et ne purent prononcer que des paroles entrecoupées ◀de▶ sanglots que leur amour leur mettait à ◀la▶ bouche ; mais malgré leur douleur réciproque et tout ce que ◀le▶ cavalier put dire, Célénie ne se rendit pas et s’obstina toujours à vouloir qu’il se retirât ; et tout ce qu’il en put obtenir, fut encore quatre jours qu’elle lui permit ◀de▶ rester auprès ◀d’▶elle.
Ces quatre jours devaient être employés à se faire leurs adieux, et à tâcher ◀de▶ découvrir quelque moyen pour se donner ◀de▶ leurs nouvelles l’un à l’autre ; et c’était à quoi il trouvait mille difficultés, parce que Célénie ne pouvait parler à qui que ce fût ◀de▶ dehors, et qu’il ne lui était pas permis ◀d’▶écrire. Ils étaient pourtant en partie convenus ◀de▶ quelque correspondance lorsqu’ils virent arriver ◀le▶ dénouement ◀de▶ leur aventure. ◀La▶ fausse Italienne avait résolu ◀de▶ faire une querelle en ◀l’▶air à un domestique ancien que Sotain aimait, afin de se faire un prétexte ◀de▶ sortir ◀de▶ chez lui sans lui dire adieu et sans qu’il en put savoir mauvais gré à sa femme. Il y avait déjà deux jours écoulés des quatre, que Célénie lui avait accordés ; et comme ils ne comptaient pas ◀de▶ se revoir ◀de▶ très longtemps, ils se disaient tout ce que des gens qui s’aiment peuvent se dire de plus tendre et de plus passionné. Célénie qui voyait ◀la▶ perte qu’elle allait faire s’abandonnait à sa douleur, et son amant qui n’était pas moins affligé qu’elle ◀la▶ secondait ◀de▶ tout son cœur. Ils étaient presque pâmés entre ◀les▶ bras l’un ◀de▶ l’autre, et jamais leur tendresse n’avait été si vive et si touchante ; mais leurs caresses furent interrompues par un grand bruit.
Sotain s’était aperçu que depuis quatre ou cinq jours Célénie et Julia étaient abîmées dans un très grand chagrin, et comme il avait en même temps remarqué qu’ils avaient ◀les▶ yeux humides, il se figura que cela provenait ◀de▶ ◀la▶ haine ◀de▶ sa femme et du dégoût ◀de▶ ◀la▶ fausse Italienne. Fort résolu ◀de▶ lui rendre justice, il avait voulu voir ◀de▶ quelle manière sa femme ◀la▶ traitait en particulier, et pour cet effet il s’était caché en un endroit où il ◀les▶ pouvait voir, et entendre tout ce qu’ils disaient ; de sorte qu’ayant appris par leurs paroles que Julia était un homme, et que sa femme ◀l’▶aimait, il crut qu’elle ne ◀l’▶avait prié ◀de▶ ◀le▶ congédier que pour ◀le▶ faire rester plus sûrement. Sa jalousie ne lui permit pas ◀d’▶écouter assez longtemps pour avoir ◀l’▶intelligence ◀de▶ tout, et sitôt qu’il ◀les▶ vit entre ◀les▶ bras l’un ◀de▶ l’autre, il se découvrit. Tu mourras, perfide, cria-t-il en venant à Célénie ◀l’▶épée à ◀la▶ main ; mais ◀le▶ cavalier furieux comme un amant qui voit ce qu’il aime en danger, se jeta à lui et ◀le▶ terrassa, et Célénie s’étant échappée il ne ménagea plus Sotain, et étant aussi animé et moins troublé que lui, il ◀le▶ désarma et lui portant à ◀la▶ gorge ◀la▶ pointe ◀de▶ sa propre épée, il ◀le▶ menaça ◀de▶ ◀le▶ tuer s’il faisait ◀le▶ moindre bruit. Tue-moi, lui dit ce furieux mari, tu ne feras que me prévenir ; Julia n’en voulant point à sa vie, fit en sorte ◀de▶ se tirer ◀de▶ ses mains aux dépens ◀d’▶une jupe qu’il y laissa, ◀de▶ ◀la▶ poche ◀de▶ laquelle ◀la▶ double clef du cadenas tomba. Cette vue acheva ◀de▶ désespérer Sotain. Pour ◀le▶ cavalier, il suivit ◀les▶ pas ◀de▶ Célénie qui fuyait hors du château sans savoir où ; il ◀la▶ conduisit dans un couvent où il ◀la▶ laissa en sûreté, et se retira à sa garnison.
◀Le▶ mari furieux et troublé avait conté aux premiers qui étaient entrés dans sa chambre ◀les▶ choses telles qu’il se ◀les▶ était figurées, et avait produit ◀la▶ clef pour témoin irréprochable. Ceux-ci qui ◀l’▶avaient dit à d’autres avaient donné lieu à mille railleries ; tout le monde lui donnait ◀le▶ tort et plaignait sa femme dont ◀l’▶évasion faisait un bruit terrible. On ◀la▶ chercha vainement ◀de▶ tous côtés pendant plus ◀de▶ trois mois, que son mari toujours idolâtre ◀d’▶elle, furieux et jaloux, resta en vie : enfin ne pouvant plus résister au chagrin ◀de▶ sa perte, ni au désespoir ◀d’▶être ◀l’▶objet des railleries publiques, il mourut comme il avait vécu ◀les▶ dix-huit derniers mois ◀de▶ sa vie, dans ◀les▶ agitations ◀d’▶une fièvre chaude qui ◀l’▶emporta.
Il n’avait fait aucune plainte en justice, et tout le monde ◀le▶ regardait comme un fou, ainsi on voulut bien en faveur de Célénie croire que tout ce qu’il avait dit n’était arrivé que dans son imagination. Elle parut dans ◀le▶ monde plus belle que jamais, et se livra toute à son Italienne, avec qui elle fut mariée au retour ◀de▶ ◀la▶ campagne dernière. Il ne connaît point ◀de▶ bonheur que dans ◀la▶ possession ◀d’▶une femme si belle et si vertueuse, et elle est aussi heureuse avec lui qu’elle était infortunée avec son jaloux.
Puisque nous sommes sur ◀le▶ pied ◀de▶ parler avec sincérité, dit ◀la▶ marquise, après que Sainville eut fini, je vous avouerai que ◀la▶ vertu ◀de▶ Célénie me charme ; mais quoique je doive être du parti des femmes, et dire qu’il n’y en a pas une qui n’en eût fait autant qu’elle, j’avouerai pourtant que je ne crois pas que ◀de▶ cent il y en eût eu vingt qui se fussent si bien et si longtemps soutenues. Il n’importe, cette histoire prouve toujours deux vérités ; l’une qu’une femme n’est jamais mieux gardée que par elle-même, et l’autre que quelques précautions qu’un jaloux puisse prendre, quelques clefs et quelques serrures qu’il emploie, sa femme trouvera toujours ◀les▶ moyens ◀d’▶être infidèle sitôt qu’elle aura envie ◀de▶ ◀l’▶être.
Je dois une histoire, poursuivit-elle, je vais m’en acquitter et vous parler ◀d’▶un homme qui s’est fait plaindre et admirer par ◀le▶ petit nombre ◀de▶ gens qui ont su ce qui lui est arrivé, et qui n’a point donné aux autres matière ◀de▶ rire à ses dépens. J’imiterai ◀la▶ discrétion ◀de▶ Monsieur de Sainville, et ne nommerai point ◀les▶ masques ni leur pays. Je leur donnerai des noms tels qu’ils me viendront à ◀la▶ bouche. Ensuite elle commença dans ces termes ◀l’histoire qu’elle voulait conter.