Chapitre LX.
De▶ ◀l’▶aventure qui arriva au malheureux Sancho peu de temps après qu’il fut hors de chez ◀le▶ duc de Médoc, et ◀de▶ plusieurs autres choses qui ne sont pas ◀de▶ grande importance.
Il n’alla pas fort loin sans trouver plus qu’il ne cherchait. ◀Le▶ hasard voulut qu’à ◀l’▶entrée ◀d’▶une petite ville à une lieue ◀de▶ là, il rencontra un enterrement. Il demanda ce que c’était, et on lui répondit que c’était une femme qu’on allait enterrer dans ◀le▶ cimetière à cent pas ◀de▶ là, et on lui montra ◀le▶ mari qui accompagnait ◀le▶ corps. Sancho, qui était encore animé ◀de▶ colère contre Thérèse, ne fut pas maître ◀de▶ lui : Il est bienheureux celui-là, s’écria-t-il, plût à Dieu que je fusse à sa place. A peine eut-il lâché ◀la▶ parole, que ◀le▶ mari qui paraissait fort affligé, redoubla ses larmes et poussa des soupirs à toucher ◀les▶ cœurs ◀les▶ plus insensibles. Sancho trop pitoyable crut devoir ◀le▶ consoler. Il s’approcha ◀de▶ lui, et ne consultant que ◀la▶ raison : Il faut, lui dit-il, que vous soyez fou pour pleurer comme vous faites. Il semble que vous ayez perdu père et mère et toute votre postérité jusqu’à la vingtième génération. Quoi ! faut-il tant se désoler pour une femme ? Pardi pour une ◀de▶ morte mille retrouvées. Allez, allez, ◀la▶ perte n’est pas grande, je voudrais bien qu’il m’en fût arrivé autant ; ma foi, j’enterrerais la mienne en chantant plus haut que ◀les▶ gens ◀d’▶Eglise quand ils enterrent un trésorier. Dieu vous a ôté ◀la▶ vôtre, c’est une grâce qu’il vous a faite, et qu’il ne fait pas à mille honnêtes gens qui ◀la▶ lui demandent tous ◀les▶ jours ; vous devez ◀l’▶en remercier, plutôt que ◀de▶ ◀la▶ porter en terre avec tant de chagrin. Vous mériteriez pour votre pénitence qu’elle ressuscitât, et vous fît enrager comme ma mauricaude.
Des gens ◀d’▶un esprit tranquille auraient regardé Sancho comme un fou ; mais ceux qui ◀l’▶écoutaient étaient trop abîmés dans leur tristesse pour songer à plaisanter. Un des parents ◀de▶ ◀la▶ défunte entre autres, s’approcha ◀de▶ ◀l’▶indiscret consolateur, et lui porta un coup de poing dans ◀le▶ ventre, dont il se fit à lui-même plus ◀de▶ mal qu’à Sancho, parce qu’il avait frappé sur ◀le▶ corselet dont ◀le▶ chevalier était armé. Il s’en aperçut bien, et voulut recourir à une autre arme, mais Sancho ne lui en donna pas ◀le▶ temps, et poussa son cheval sur ◀l’▶agresseur, et ◀le▶ lui fit passer sur ◀le▶ corps, après ◀l’▶avoir blessé et terrassé ◀d’▶un coup ◀de▶ lance. Alors ◀les▶ autres assistants s’armèrent ◀de▶ ce qu’ils purent trouver ; ◀les▶ uns se saisirent des chandeliers, ◀les▶ autres des flambeaux, ◀les▶ autres prirent ◀les▶ bâtons qui servaient à porter ◀le▶ cercueil, et tous tombant en même temps sur ◀le▶ misérable chevalier, lui firent bientôt vider ◀les▶ arçons, et se mirent à travailler sur lui comme à l’envi l’un ◀de▶ l’autre ; ◀de▶ manière qu’ils ◀l’▶auraient bientôt expédié si ◀les▶ gens que ◀le▶ duc avait envoyés après lui ne fussent arrivés assez à temps pour lui sauver ◀la▶ vie. Ils se firent connaître, et arrêtèrent ◀la▶ grêle ◀de▶ coups qui tombaient dru et menu sur ◀l’▶infortuné Sancho. Ils ◀le▶ portèrent au château si moulu ◀de▶ coups, qu’il ne pouvait remuer ni pieds ni pattes ; il jetait ◀le▶ sang ◀de▶ tous côtés, et avait ◀la▶ tête fracassée en plusieurs endroits ; de sorte que ◀les▶ chirurgiens qui ◀le▶ visitèrent dirent d’abord que sa vie était en danger. ◀La▶ fièvre chaude dont il fut bientôt attaqué lui faisait dire mille impertinences dont on ne pouvait s’empêcher ◀de▶ rire, quelque pitié qu’on eût d’ailleurs ◀de▶ ◀l’▶état où il était. Il disait en parlant des femmes, car il retombait toujours sur leur article : Mardi, ces créatures m’ont toujours porté guignon ; celles qui sont en vie m’ont fait enrager, m’ont battu et m’ont fait battre, et celles qui sont mortes me font assommer. Je ne m’étonne pas si je n’en ai point vu en enfer, ◀les▶ diales ont trop ◀d’▶esprit pour en souffrir parmi eux. Ils ◀les▶ tiennent éloignées, et ma foi ils ont raison, car elles ne sont bonnes qu’à… Dieu m’entend bien.
Sitôt que Thérèse vint à paraître devant ses yeux : Ote-toi ◀de▶ là, lui dit-il, et me laisse en repos. — Eh mon pauvre mari, lui répondit-elle, je vous demande pardon, mourez en paix. — Tu n’as donc qu’à t’en aller, lui repartit Sancho, car une femme et ◀la▶ paix, c’est ◀le▶ feu et ◀l’▶eau. Quand je serai dans l’autre monde, je ferai amitié avec quelque démon, que je prierai ◀de▶ te venir emporter, et puis je te verrai de bon cœur ; jusque-là serviteur aux orgues.
On lui retrancha ◀l’▶usage du vin, et on ne lui donnait que ◀de▶ ◀la▶ tisane, breuvage qui n’était point ◀de▶ son goût. On eut tant de soin ◀de▶ lui, que ses blessures, quoique dangereuses, furent bientôt guéries. Comme ◀les▶ chirurgiens ◀le▶ voyant hors ◀d’▶affaire lui permirent ◀l’▶usage du vin pour hâter son rétablissement, il demandait incessamment à boire, et trompant sa garde, qui n’osait en cela acquiescer à ses volontés, crainte ◀d’▶une rechute plus dangereuse que ◀la▶ maladie, lorsqu’il pouvait s’emparer ◀d’▶une bouteille ◀de▶ vin, il ◀la▶ suçait jusqu’à la dernière goutte.
Sancho avait repris toutes ses forces lorsque ◀les▶ ducs ◀de▶ Médoc et ◀d’▶Albuquerque, ◀le▶ comte de la Ribeyra, ◀la▶ marquise, ◀la▶ belle ◀La▶ Bastide, ◀le▶ comte du Chirou, Sainville et Silvie partirent pour Madrid. ◀Le▶ curé et son neveu, ◀le▶ bachelier Samson Carasco, ◀le▶ barbier, ◀la▶ nièce et ◀la▶ gouvernante ◀de▶ Don Quichotte, s’en retournèrent au Toboso. Il ne resta au château que ◀les▶ duchesses ◀de▶ Médoc et ◀d’▶Albuquerque, ◀la▶ comtesse Eugénie et ◀les▶ deux chevaliers. Thérèse et sa fille y demeurèrent aussi, parce que ◀les▶ dames ◀les▶ voulurent retenir pour s’en divertir. Ces deux paysannes n’avaient jamais été si aises qu’elles ◀l’▶étaient ◀de▶ se voir bien nourries et bien entretenues ; elles commençaient à se croire des gens ◀de▶ conséquence, et ◀la▶ duchesse ne trouvait pas un plus grand plaisir que celui ◀de▶ ◀les▶ faire jaser. Elle dit à Thérèse qu’elle voulait marier sa fille avec ◀le▶ fils ◀de▶ son défunt fermier. — Est-il riche, Madame ? demanda Thérèse, car quand une femme apporte ◀de▶ quoi dîner, il est juste que ◀le▶ mari apporte ◀de▶ quoi souper. Outre cela sait-il gagner sa vie ? Il vaut mieux un gendre pauvre qui sache parler, qu’un riche qui ne sache qu’avaler. Il faut encore qu’il soit bon ménager ; celui qui dépense prudemment ne fait point ◀de▶ mauvaise emplette ; mais ceux qui achètent ce dont ils n’ont que faire sont souvent obligés ◀de▶ vendre celles dont ils ont besoin. Quand on vend pour vivre, on ne mange pas de bon cœur, et ◀le▶ rire et ◀la▶ faim ne sont pas bien ensemble. ◀La▶ duchesse, après ◀l’▶avoir assurée que ◀le▶ mari qu’on destinait à sa fille était tel qu’il ◀le▶ fallait, ◀le▶ lui fit voir, et elle en fut contente ; mais elle dit qu’il fallait que Sanchette ◀le▶ fût aussi, puisque c’était pour elle. On fit venir ◀la▶ petite fille. Ecoute, Sanchette, lui dit sa mère en présence de toute ◀la▶ compagnie, Madame ◀la▶ duchesse veut te marier avec ce jeune homme-là ; si c’était moi, j’aurais bientôt dit oui, mais c’est pour toi, fais comme tu voudras, au moins si dans ◀la▶ suite il te frotte un peu ◀l’▶échine, ne me viens pas étourdir ◀les▶ oreilles, car je ne te force pas ; si tu dis oui, à ◀la▶ bonne heure ; si tu dis non, tant pis pour toi, il a ◀la▶ mine ◀de▶ ne pas manquer ◀de▶ femmes. Sanchette qui ne savait que répondre, demeura confuse. ◀La▶ duchesse de Médoc voyant son embarras, dit à sa mère qu’il ne fallait pas ◀la▶ presser, et qu’il était juste ◀de▶ donner aux parties ◀le▶ temps ◀de se connaître. Cependant ce mariage ne tarda guère à s’achever, et peu de temps après, son gendre et Sanchette s’en retournèrent au Toboso.