Chapitre XXXVIII.
De▶ ◀l’▶arrivée du duc de Médoc, et ◀de▶ ◀la▶ mort touchante ◀de▶ Deshayes.
◀Le▶ lendemain matin Eugénie envoya prier ◀le▶ duc et ◀la▶ duchesse d’Albuquerque et Don Quichotte ◀de▶ passer dans ◀le▶ jardin du château où elle ◀les▶ attendait. Ils y allèrent, et elle leur représenta ◀de▶ nouveau ◀l’▶étrange situation où elle était, à cause des entreprises et ◀de▶ ◀la▶ mort ◀de▶ ses beaux-frères. Elle continua par leur dire qu’elle ne savait ◀de▶ quelle manière s’y prendre pour en instruire Valerio, qui ne pouvait pas ◀l’▶ignorer longtemps, à cause du prodigieux éclat que cela allait faire dans ◀le▶ monde, et elle leur demanda conseil sur ce qu’elle avait à faire. ◀Le▶ duc d’Albuquerque lui dit qu’il y avait pourvu ; que ◀l’▶histoire que ◀la▶ Française leur avait racontée ◀le▶ soir, lui avait donné ◀l’▶idée ◀de▶ ce qu’il avait à faire ; c’est-à-dire ◀de▶ mander au duc de Médoc qui était son parent, ◀l’▶état ◀de▶ toutes choses, et ◀le▶ prier ◀de▶ venir lui-même sur ◀les▶ lieux mettre ordre à tout par son autorité ; ce qu’il pouvait facilement, étant gouverneur ◀de▶ ◀la▶ province ; qu’il ne doutait pas qu’il ne lui accordât sa demande, et que quand il y serait, on prendrait avec lui des mesures pour faire en même temps tout savoir à Valerio, et ne rendre public que ce qu’on voudrait bien qui fût su pour mettre ◀l’▶honneur ◀d’▶Octavio et ◀de▶ Don Pedre à couvert, et que jusqu’à son arrivée, on ne devait faire autre chose que tâcher ◀de▶ divertir ◀le▶ comte Valerio, et avoir soin des Français qui étaient dans ◀le▶ château.
A peine y furent-ils retournés qu’on vint ◀les▶ prier ◀de▶ monter promptement dans ◀la▶ chambre ◀d’▶un des Français, qui se mourait. C’était Deshayes, qui se sentant proche de sa fin, avait voulu se réconcilier avec Silvie, et lui demander pardon ◀de▶ tout ce qu’il avait fait contre elle ; en un mot, lui faire une réparation entière. Il ◀l’▶avait demandée avec tant ◀d’▶instance, qu’elle n’avait pu se dispenser ◀d’▶y aller ; et afin que ce qu’il allait dire fût public, il pria qu’on fît entrer dans sa chambre tous ceux qui pouvaient rendre témoignage ◀de▶ ses dernières volontés, et surtout ◀les▶ gens ◀de▶ distinction. Il demanda au maître d’hôtel ◀de▶ Valerio, qui parlait bon français, s’il écrivait, et ayant appris que oui, il ◀le▶ pria ◀d’▶écrire ce qu’il allait lui dicter. ◀La▶ maîtresse ◀de▶ ◀l’▶hôtellerie, qui avait été charmée du récit que Mademoiselle de la Bastide avait commencé à faire devant elle, était venue pour s’informer ◀de▶ sa santé, et lui offrir ses services ; et comme elle apprit qu’elle était dans ◀la▶ chambre ◀d’▶un Français qui se mourait, elle y monta, et fut présente au récit que fit Deshayes devant plus ◀de▶ vingt personnes.
Il parla fort longtemps pour un homme aussi bas qu’il paraissait être ; il avoua toutes ◀les▶ fourberies qu’il avait faites à Silvie et à Sainville, et leur en demanda pardon, aussi bien qu’à ◀la▶ tante de Silvie, qu’il pria ◀d’▶obtenir son pardon ◀de▶ ses deux autres soeurs, qu’il avait trompées les premières ; il confessa que ◀la▶ baronne n’avait rien dit contre elles en leur présence dont il ne fût ◀l’▶inventeur, et non pas Sainville, qui n’avait jamais parlé qu’avec vénération ◀de▶ Silvie et ◀de▶ sa famille ; il avoua son commerce criminel avec cette femme, et fit entendre en termes obscurs qu’il ◀l’▶avait empoisonnée. En un mot, il déclara toute sa vie, au grand étonnement ◀de▶ tous ses auditeurs, surtout ◀de▶ ◀la▶ tante de Silvie, qui en fut extrêmement surprise. Il finit en ordonnant à sa femme par tout ◀le▶ pouvoir qu’il avait sur elle, ◀d’▶épouser Sainville aussitôt qu’il serait mort, et il fit écrire cette volonté avec ◀le▶ don qu’il leur faisait à tous deux ◀de▶ tout son bien, pour en quelque façon ◀les▶ dédommager des peines qu’il leur avait causées. Il dit qu’il mourrait content s’il pouvait embrasser Sainville, et ◀le▶ demanda avec tant ◀d’▶empressement, qu’on fut obligé ◀de▶ ◀le▶ faire apporter. Celui-ci y vint de bon cœur, et lui pardonna de même ; et enfin Deshayes s’étant réconcilié avec tout le monde, et après avoir fait signer son testament par tous ◀les▶ assistants comme témoins, et ◀l’▶avoir mis entre ◀les▶ mains ◀de▶ Silvie, qui fondait en larmes, pria tout le monde ◀de▶ sortir, et ◀de▶ ◀le▶ laisser seul avec un confesseur qui ne ◀l’▶avait point quitté depuis ◀le▶ soir du jour précédent.
◀La▶ duchesse et Eugénie emmenèrent ◀la▶ marquise et Silvie dîner avec ◀le▶ reste ◀de▶ ◀la▶ compagnie auprès du lit ◀de▶ Valerio. ◀Le▶ duc d’Albuquerque assura ◀la▶ marquise qu’elle n’avait rien à craindre pour ◀la▶ vie ◀de▶ son époux, ◀le▶ Conseil ◀d’▶Espagne ayant trop ◀de▶ lenteur pour décider rien sur une première lettre, et sans avoir fait des informations exactes, surtout s’agissant ◀d’▶un homme ◀de▶ qualité, avoué ◀de▶ son roi ; et qu’avant qu’on pût en rien résoudre, il se faisait fort que ◀le▶ duc de Médoc écrirait en sa faveur au marquis de Pécaire, vice-roi ◀de▶ Naples, son beau-frère ; qu’il ◀l’▶attendait ◀le▶ jour même, et que ce serait par là qu’il ◀l’▶obligerait ◀de▶ commencer aussitôt qu’il serait arrivé, et que dans ◀le▶ moment on ferait partir un courrier pour Naples.
◀La▶ marquise tout à fait remise par des assurances si obligeantes, reprit sa gaieté ordinaire ; insensiblement ◀la▶ conversation tomba sur Silvie et Deshayes. Valerio dit à ◀la▶ marquise qu’il avait trop ◀d’▶obligation à Sainville pour ◀l’▶abandonner ; qu’il avait beaucoup ◀d’▶amis en France, et qu’il ◀les▶ ferait joindre aux siens, pour faire connaître qu’il était faux qu’il eût enlevé Silvie, et pour faire exécuter ◀le▶ testament ◀de▶ Deshayes.
On alla dans ◀la▶ chambre ◀de▶ Sainville, auprès de qui on se mit, et où ◀les▶ civilités qui recommencèrent, ne furent interrompues que par ◀l’▶arrivée du duc de Médoc. Il vint seul, n’ayant pas voulu dire à son épouse où il allait, de peur de ◀l’▶exposer, au cas qu’elle eût voulu ◀le▶ suivre dans un lieu qu’il se figurait plein ◀de▶ troubles et ◀de▶ confusion. Il était suivi ◀de▶ ses gardes et ◀de▶ plusieurs hommes ◀de▶ main en cas ◀de▶ besoin. On eut toute ◀la▶ joie possible ◀de▶ ◀le▶ voir, et après les premiers compliments, avant que de se mettre à table, ◀le▶ duc d’Albuquerque s’acquitta ◀de▶ ◀la▶ promesse qu’il avait faite à ◀la▶ marquise. Il dit au duc de Médoc ce qu’elle lui avait confié, et ◀le▶ pria ◀de▶ lui rendre service. Dorothée, Valerio et Eugénie se joignirent à lui, et ◀le▶ duc qui avait ◀l’▶âme toute généreuse, et qui se faisait un plaisir ◀de▶ rendre service aux gens ◀de▶ qualité, fit non seulement ce que ◀le▶ duc avait promis qu’il ferait en écrivant à son beau-frère, mais il écrivit encore aux premiers du Conseil ◀de▶ Madrid. Il montra ses lettres avant que de ◀les▶ cacheter, qui étaient écrites avec tant de zèle, qu’il n’aurait pas pu se servir ◀de▶ termes plus pressants quand il aurait été question ◀de▶ ◀la▶ vie ◀de▶ son propre fils ; et enfin il acheva ◀de▶ mettre en repos ◀l’▶esprit ◀de▶ ◀la▶ marquise, qui fit partir deux courriers dans ◀le▶ moment même, pour ◀les▶ porter à leur adresse.
Ils se mirent à table où ils soupèrent fort bien, et ne furent interrompus que par ◀la▶ prière qu’on vint leur faire ◀de▶ remonter dans ◀la▶ chambre ◀de▶ Deshayes qui demandait à voir Silvie pour la dernière fois. Mademoiselle de la Bastide avait dit au duc de Médoc ce que c’était que ce Français et lui en avait succinctement raconté ◀l’▶histoire. Il alla ◀le▶ voir aussi bien que ◀les▶ autres, et fut aussi témoin des pardons qu’il demanda derechef à Sainville et à son épouse, ◀de▶ ◀l’▶ordre qu’il leur donna ◀de▶ s’épouser, et du don ◀de▶ son bien qu’il leur réitéra ; après quoi ayant prié sa femme qu’elle ◀l’▶embrassât pour la dernière fois, il mourut entre ses bras avec toutes ◀les▶ dispositions ◀d’▶un bon chrétien, et un repentir sincère.
◀Les▶ sentiments qu’il marqua dans ses derniers moments ◀le▶ firent regretter surtout ◀de▶ Sainville et ◀de▶ Silvie, dont ◀le▶ cœur était bon et bien placé. Il fallut ◀l’▶arracher ◀d’▶auprès de lui, et ◀la▶ duchesse Dorothée ◀l’▶emmena avec ◀les▶ deux autres Françaises dans son appartement. Elle fut bientôt consolée ; et en effet elle ne faisait pas une assez grande perte pour ◀la▶ regretter longtemps. Sa tante lui avoua que croyant bien faire, et ignorant ◀les▶ sujets qu’elle avait ◀de▶ fuir Deshayes, c’était elle qui ◀l’▶avait averti du chemin qu’elle prenait, et qu’elle lui avait écrit pendant qu’elle parlait à ◀l’▶abbesse du couvent où elle avait voulu entrer, qu’enfin elle lui avait écrit ◀de▶ Toulouse même qu’elles partaient pour Madrid ; mais qu’elle ne s’en repentait point, puisqu’en cela elle n’avait fait que lui procurer ◀le▶ moyen ◀de▶ faire une fin plus belle que celle que ses actions pouvaient lui attirer. Pour ne plus parler davantage ◀de▶ Deshayes, il fut enterré ◀le▶ lendemain matin avec peu de faste, mais pourtant ◀le▶ plus honnêtement qu’il se put.
Silvie n’ayant plus sujet ◀d’▶observer ses démarches dont elle ne devait plus rendre compte à personne, écrivit à sa mère tout ce qui lui était arrivé, et surtout ◀la▶ mort ◀de▶ Deshayes et ce qui ◀l’▶avait précédée, et s’engagea ◀d’▶accompagner ◀la▶ marquise pendant qu’elle serait en Espagne : ce qu’elle fit non seulement pour lui témoigner ◀le▶ ressentiment qu’elle avait des retraites qu’elle lui avait données, mais encore pour ne plus s’éloigner ◀de▶ Sainville, qu’elle savait bien ne ◀la devoir plus abandonner.