Chapitre LIV.
Départ de▶ ◀la▶ compagnie. Comment Sancho fit taire ◀le▶ curé. Aventures diverses arrivées à cet infortuné chevalier.
On partit ◀le▶ lendemain pour aller au château du duc de Médoc, et avant que de monter en carrosse et à cheval on dîna. ◀Le▶ curé en fut, et comme cette fois-là il était instruit ◀de▶ ◀la▶ qualité ◀de▶ nos deux aventuriers, il ne se mit pas sur ◀le▶ pied ◀d’▶avoir pour Sancho autant ◀de▶ considération qu’il en avait eu ◀la▶ veille. En effet il n’avait été empêché ◀de▶ ◀le▶ relancer que par ◀la▶ présence des ducs et des autres ; et parce que sur ◀la▶ foi ◀de▶ son habit il ◀l’▶avait cru un homme ◀de▶ conséquence ; sans cela il n’aurait pas souffert si tranquillement ses brusqueries. Notre chevalier qui était à table, mangeait et buvait si vite et si dru, si j’ose me servir ◀de▶ ce terme, qu’un morceau n’attendait pas l’autre. ◀Le▶ curé fut choqué ◀de▶ sa gourmandise, et lui en dit quelque chose. Sancho lui répondit en glouton, et comme il était jour ◀de▶ jeûne, et que malgré lui il était à jeun, il n’en mangea ni plus modérément ni avec moins ◀d’▶avidité. ◀Le▶ bon curé lui dit que ce n’était point jeûner que ◀de▶ se remplir comme il faisait ; qu’on ne devait jamais manger et boire que pour vivre ; mais qu’on devait ◀les▶ jours ◀de▶ jeûne se priver ◀d’▶une partie ◀de▶ sa subsistance ordinaire, et non pas manger et boire dans un seul repas autant qu’on buvait et mangeait dans deux ; qu’en un mot, pour bien jeûner il fallait dérober quelque chose à ◀la▶ nature. Sancho, après avoir écouté en mangeant et buvant ◀la▶ morale du bon curé sans ◀l’▶interrompre, prit ◀la▶ parole à son tour. — Doucement, Monsieur ◀le▶ curé, dit-il, personne ne court après nous. Il semble que vous me gardiez votre sermon comme des œufs après Pâques. Chacun a deux rangées ◀de▶ dents, et personne ne veut mâcher à vide. Je ne veux pas prendre ◀le▶ paradis par famine ; ◀les▶ austérités ne sont pas pressées ; il y a du temps pour tout ; ne précipitons rien, et n’usons point imprudemment ◀la▶ vie que Dieu nous a donnée. Il y a plus ◀d’▶un jour à ◀la▶ semaine, et plus ◀d’▶une semaine au mois. Peu manger et mal nourrir, font bientôt ◀l’▶homme mourir. Tout bien compté et bien rabattu, je jeûne plus que ceux qui prêchent ◀le▶ jeûne aux autres. Il en est ◀de▶ cela comme des autres vertus chrétiennes ; ◀les▶ gens ◀d’▶Eglise ◀les▶ prêchent, et en laissent ◀la▶ pratique aux autres ; témoin ◀la▶ charité, au diable ◀le▶ liard qu’ils donnent aux pauvres ; témoin ◀la▶ paix et ◀l’▶union, on ne voit qu’eux plaider ; et pour ◀les▶ jeûnes, ne trouvent-ils pas toujours des prétextes pour s’en dispenser ? Tenez, poursuivit-il, je ne suis pas plus savant qu’un novice augustin ; mais ne réveillons point ◀le▶ chat qui dort ; ◀les▶ gens maigres comme des clous à crochet, n’entrent pas plus tôt dans ◀le▶ paradis que ◀les▶ autres, et je ◀le▶ sais ◀de▶ certitude ; car tous ◀les▶ chanoines que je connais, gens remplis ◀de▶ doctrine et ◀de▶ sagesse, sont pourtant tous gras à lard, ◀les▶ moines tout de même ; témoin ◀le▶ proverbe, il est gras comme un moine ; et ils ont raison puisque ◀le▶ paradis est un lieu ◀de▶ plaisir, où ◀l’▶on ne doit voir que des visages contents, riants et fleuris, et non pas des faces décharnées et maigres, qui par leurs figures hideuses inspireraient ◀de▶ ◀la▶ tristesse aux autres. Pour moi, si je fais quelquefois bonne chère, il ne faut pas me ◀le▶ reprocher, cela ne m’est pas aussi ordinaire qu’aux gens ◀d’▶Eglise, qui se nourrissent comme des poulets ◀de▶ grain, moi, qui ◀le▶ plus souvent couche et dors à ◀la▶ belle étoile, ◀le▶ ventre creux comme un tambour, après avoir mangé un morceau ◀de▶ pain bien dur, et bu ◀de▶ ◀l’▶eau telle que je ◀l’▶ai trouvée. Après tout, Monsieur ◀le▶ curé, ventre affamé n’a point ◀d’▶oreilles ; il souvient toujours à Robin ◀de▶ ses flûtes ; ne remuez point ce qui est dans mon pot, ◀l’▶odeur vous en ferait éternuer jusqu’aux larmes ; laissez-moi tel que je suis, et demeurez tel que vous êtes, à mon tour je prêcherais ◀les▶ prédicateurs, et chacun le sien ce n’est pas trop. Toute ◀la▶ compagnie riait ◀de▶ ◀la▶ colère et des proverbes ◀de▶ Sancho, et ◀le▶ curé qui ne s’attendait pas à tirer ◀d’▶un fou une pareille réponse, ne jugea pas à propos de lui répliquer, crainte ◀de▶ lui faire dire encore d’autres sottises, et sitôt qu’on fut sorti ◀de▶ table, il prit congé ◀de▶ ◀la▶ compagnie, qui se disposait à partir.
Avant que de ◀la▶ conduire au château du duc de Médoc, et ◀de▶ ◀la▶ mettre en chemin pour y aller, il est à propos de dire ce qui s’était passé à ◀la▶ Ribeyra, dont nos aventuriers n’avaient aucune connaissance, quoique cela ne regardât qu’eux. On a dit que ◀le▶ duc de Médoc était un fort honnête homme, aussi bien que ◀le▶ duc d’Albuquerque ; ◀le▶ comte Valerio et ◀le▶ comte du Chirou, et tous, comme on ◀l’▶a vu, avaient obligation à Don Quichotte, tant par rapport à eux-mêmes, qu’à cause de leurs épouses, surtout ◀le▶ duc et ◀la▶ duchesse de Médoc, ◀le▶ comte de la Ribeyra, Eugénie son épouse et ◀le▶ comte du Chirou, qui tous lui devaient ◀la▶ vie, et ◀les▶ femmes leur honneur ; et comme ◀la▶ reconnaissance est ◀le▶ propre des bons cœurs, ils avaient résolu ◀de▶ faire paraître ◀la▶ leur dans toute son étendue, et ◀de▶ renvoyer notre héros chez lui dans un état à ne lui rien laisser à souhaiter pour ◀la▶ vie ; mais ils avaient résolu ◀de▶ lui faire recevoir leurs présents comme venant ◀de▶ ◀la▶ main ◀d’▶un enchanteur, parce qu’ils étaient bien persuadés qu’il était trop généreux pour ◀les▶ accepter ◀de▶ main à main. Sur ce fondement ils avaient résolu ◀de▶ finir leurs enchantements, afin de faire évanouir ◀les▶ visions que ◀le▶ pauvre gentilhomme avait là-dessus, en ôtant ◀la▶ cause qui ◀les▶ produisait, et en tirant ◀de▶ lui tout ◀le▶ plaisir qu’ils en pourraient tirer, sans ◀le▶ jeter dans aucun danger, ni dans aucune raillerie visible, mais seulement en ◀le▶ traitant suivant ses idées chimériques, après quoi ils comptaient ◀de▶ lui remettre ◀l’▶esprit peu à peu, en lui procurant ◀la▶ santé par tous ◀les▶ meilleurs aliments qu’on pourrait lui fournir, et ◀de▶ ◀le▶ renvoyer mourir chez lui en repos. En effet, ç’aurait été une chose digne ◀de▶ pitié, qu’un aussi honnête homme que notre héros fût mort dans ses imaginations ; mais avec ces favorables sentiments pour ◀le▶ maître, ils étaient bien résolus ◀de▶ fatiguer son malheureux écuyer ◀de▶ toutes manières, et ◀d’▶en tirer tout ◀le▶ divertissement qu’un misérable paysan tel que lui, et avec cela fou à lier, peut donner à des gens ◀de▶ qualité.
Dans ce dessein ◀le▶ duc avait envoyé quérir ◀le▶ curé du village ◀de▶ Don Quichotte, ◀le▶ bachelier Samson Carasco, ◀le▶ barbier, ◀la▶ nièce et ◀la▶ gouvernante ; ils étaient tous venus, et avaient amené avec eux ce jeune officier neveu du curé, qui était chez son oncle lorsque nos aventuriers étaient partis ◀de▶ leur village, et qui s’y trouva encore quand on alla ◀les▶ prier ◀de▶ venir à ◀la▶ Ribeyra. ◀Le▶ capitaine Bracamon, ce Bohème qui avait le premier fait ◀le▶ personnage ◀de▶ Parafaragaramus, et qui déguisé en ermite, avait dérobé ◀le▶ cheval ◀de▶ Don Quichotte, et ◀le▶ lui avait renvoyé chez Basile, se trouva chez Valerio. Ces sortes ◀de▶ gens cherchent leur profit, et il avait espéré en trouver à ◀la▶ Ribeyra, où il avait appris qu’il y avait beaucoup de gens ◀de▶ qualité. ◀Le▶ hasard voulut que Ginès de Passamont, autrement Ginesille de Parapilla, ce fameux filou que Don Quichotte avait délivré des galères, avait été surpris en vol dans ◀le▶ château ◀de▶ Médoc, où on ◀l’▶avait retenu, et on en avait averti ◀le▶ duc, qui avait envoyé ordre ◀de▶ ◀le▶ retenir jusqu’à son retour, étant bien persuadé qu’il lui serait utile dans ses desseins. Par ◀le▶ moyen du curé et ◀de▶ Samson Carasco, ◀le▶ duc avait découvert ◀l’▶endroit où demeurait pour lors Alonza Lorenço, que Don Quichotte, sans lui avoir jamais parlé, avait fait dame ◀de▶ ses pensées, et maîtresse ◀de▶ son cœur, et qu’il avait rendue fameuse sous ◀le▶ nom ◀de▶ Dulcinée du Toboso, qu’il lui avait donné ; on ◀l’▶avait envoyé quérir, et elle était venue avec son mari, qui, quoique assez fâcheux, n’était pas néanmoins fâché ◀de▶ trouver occasion ◀de▶ rire. ◀La▶ vérité est qu’elle était fort jolie, fort sage, et avait beaucoup ◀d’▶esprit. Elle fut extrêmement surprise ◀de▶ ◀la▶ folie du pauvre gentilhomme, et ne voulait point se résoudre à faire ce qu’on voulait qu’elle fît ; mais tout le monde lui ayant représenté que c’était ◀le▶ seul moyen ◀de▶ lui rendre son bon sens, et son mari lui-même s’en mêlant, elle promit ◀de▶ faire ce qu’on voudrait, pourvu qu’elle ◀le▶ pût, et que ce fût selon ◀les▶ règles ◀de▶ ◀la▶ bienséance ; ce qu’on lui promit, et ce qu’elle fit aussi, comme on ◀le▶ verra par ◀la▶ suite.
◀Les▶ Français, ◀les▶ Espagnols et ces nouveaux venus, qui n’avaient point paru aux yeux de nos aventuriers, tinrent conseil sur ce qu’ils avaient à faire pour parvenir aux fins qu’ils s’étaient proposées. Nos chevaliers, comme on voit, étaient en bonne main, surtout Sancho, qui était bien recommandé. Sitôt que tout fut résolu, ◀le▶ duc ◀les▶ fit partir pour son château, avec ordre ◀de▶ mettre tout en état ◀de▶ bien recevoir ◀les▶ aventuriers errants. ◀Le▶ duc de Médoc avait dit au curé ◀les▶ obligations que tous tant qu’ils étaient avaient à Don Quichotte, et lui avait fait récit ◀de▶ ◀la▶ bravoure qu’il avait fait paraître tant en ◀la▶ défense ◀d’▶Eugénie et du comte du Chirou, qu’en ◀la▶ défaite des voleurs dans ◀la▶ forêt. Celui-ci n’en avait point été surpris, parce qu’il ◀le▶ connaissait pour un homme intrépide et tout à fait infatué ◀de▶ ses Chevaleries. Il avait pris prétexte ◀de▶ là ◀de▶ louer toutes ses bonnes qualités, et surtout son bon esprit, qui n’avait été gâté que par ses ridicules visions ; il s’était étendu sur sa probité et sur sa droiture, qui ◀le▶ faisait généralement estimer ◀de▶ tout le monde ; il avait poursuivi par ◀le▶ plaindre du ridicule où sa folie exposait un des plus honnêtes hommes ◀d’▶Espagne, et sans faire semblant ◀de▶ vouloir taxer qui que ce soit, il avait fortement blâmé ceux qui ◀l’▶entretenaient dans ses imaginations ; il avait fait entendre que c’était une action contraire à ◀la▶ charité ◀de▶ se divertir aux dépens ◀d’▶un cerveau démonté, qu’on pouvait facilement remettre dans une assiette tranquille, en lui donnant du repos, au lieu d’entretenir et ◀de▶ fomenter ses égarements. ◀Le▶ duc et ◀les▶ autres voyant bien que ◀la▶ morale ne regardait qu’eux, avouèrent qu’au commencement ils ◀l’▶avaient regardé comme un fou sans espérance ◀de▶ retour, mais qu’ensuite ayant eu ◀de▶ ◀l’▶estime pour son esprit, et ◀de▶ ◀l’▶admiration pour sa bravoure, cela avait attiré leur pitié, et que c’était pour lui faire prendre tout un autre train ◀de▶ vie qu’ils avaient imaginé ce qu’ils allaient exécuter, et que ce n’était qu’à ce dessein qu’ils ◀l’▶avaient envoyé quérir lui, sa nièce, sa gouvernante et ◀les▶ autres ; et leur donnèrent parole à tous ◀de▶ ne se plus divertir ◀de▶ lui sitôt que ce qu’ils avaient concerté aurait été exécuté ; mais qu’il n’en était pas ainsi ◀de▶ Sancho, à qui bien loin de faire aucun quartier, on était au contraire fortement résolu ◀de▶ faire payer tant ◀l’▶argent qu’il avait, que celui qu’on lui destinait encore. Tous lui passèrent condamnation sur cet article, surtout ◀la▶ gouvernante, qui ◀les▶ aurait incités à ce dessein si elle ne ◀les▶ y avait pas vus portés ◀d’▶eux-mêmes. Après cela tous ces nouveaux venus prirent congé et allèrent au château ◀de▶ Médoc faire tout mettre en état pour ◀la▶ réception qu’on avait préméditée.
C’était après leur départ que Sancho s’était battu contre un enchanteur pour regagner ses armes, et que Don Quichotte avait été si maltraité ◀de▶ paroles par ◀le▶ méchant Fres-ton, après s’être battu contre Sancho à coups de poings. Tout étant disposé pour partir, Sancho chargea Rossinante et Flanquine ◀de▶ tout ◀le▶ bagage ◀de▶ son maître et du sien, et se chargeant lui ◀de▶ ◀l’▶argent qu’il avait pris aux bandits, il attacha ◀les▶ deux chevaux ◀de▶ voiture au derrière ◀d’▶un fourgon. Tout le monde monta en carrosse, excepté nos aventuriers, qui armés comme des Amadis, montèrent sur leurs bons chevaux. On avait mis ◀de▶ petits clous fort pointus sous ◀les▶ sangles ◀de▶ celui ◀de▶ Sancho, de sorte qu’il fit tant de bonds sous lui, que ◀le▶ pauvre écuyer ne put se tenir en selle. On lui fit croire qu’un nécromancien avait enchanté son cheval, et on lui conseilla ◀d’▶en changer. ◀Le▶ malheureux qui avait ◀le▶ corps roué des saccades ◀de▶ sa monture, mit pied à terre du mieux qu’il put, transporta son bagage sur son bon cheval, et monta sur Flanquine, qu’on délia sitôt qu’il fut dessus. On avait laissé cette bête pendant deux jours au râtelier avec ◀de▶ ◀l’▶avoine, et on ne ◀l’▶avait point menée boire, de sorte qu’elle enrageait ◀de▶ soif. A peine son écuyer eut ◀la▶ bride en main, qu’elle prit à toutes jambes ◀le▶ chemin ◀d’▶une petite rivière qui était tout proche, et où on avait coutume ◀de▶ ◀la▶ mener abreuver. Elle s’y jeta si promptement, et s’arrêta si court, que son cavalier sauta dans ◀l’▶eau ◀la▶ tête la première, et par-dessus celle ◀de▶ sa monture, qui s’était baissée pour boire ; ainsi quoiqu’il n’y eût pas deux pieds ◀d’▶eau, ◀la▶ peur et ◀la▶ chute ◀l’▶avaient si bien étourdi, qu’il lui aurait été impossible ◀de▶ se lever, et qu’il se serait assurément noyé si ◀l’▶on n’avait point été à son secours pour ◀le▶ retirer, après néanmoins ◀l’▶avoir laissé boire un peu plus que sa soif. Entre ceux qui lui rendirent ce pieux office, fut un petit Bohème ◀de▶ ◀la▶ compagnie ◀de▶ Bracamont, qui s’était vêtu ◀d’▶un justaucorps des livrées du duc, et qui passait pour un des valets ◀de▶ pied ◀de▶ ◀la▶ duchesse. Celui-ci, qui avait ses ordres, et qui n’avait été retenu que pour cela, fouilla Sancho, et lui prit son trésor avec tant de subtilité, que personne ne s’en aperçut, et qu’on crut qu’il avait manqué son coup. Il ◀l’▶apporta au duc, qui ◀le▶ lui rendit, avec ordre ◀d’▶aller ◀les▶ attendre ◀de▶ l’autre côté du même ruisseau, à un détour où il fallait encore passer, ◀de▶ se cacher derrière un arbre, ◀d’▶attacher ◀la▶ bourse à une petite ficelle, et ◀de▶ ◀la▶ laisser en vue du côté où ils étaient, afin que Sancho ◀la▶ vît, et ◀de▶ ◀la▶ retirer lorsqu’il voudrait ◀la▶ reprendre. Ce qui fut exécuté ◀de▶ ◀la▶ manière qu’on va voir.
Sancho fut rapporté plus mort que vif ; et après avoir demeuré quelque temps sur ◀le▶ fourgon, il revint à lui, et son premier soin fut ◀de▶ chercher son argent. Il faudrait une plume plus éloquente que la mienne pour exprimer ◀de▶ quel désespoir il fut saisi quand il ne ◀le▶ trouva plus. Comme il s’était déshabillé pour faire sécher ses hardes, il ◀les▶ tourna et retourna ◀de▶ tous côtés, avec des cris et des regrets si perçants, qu’il en aurait attendri tout autre que ceux qui s’en divertissaient. Cid Ruy Gomez dit que ◀la▶ douleur acheva ◀de▶ ◀le▶ faire devenir fou, et que si ◀l’▶effusion du sang ne lui avait pas fait peur, il se serait passé son épée dans ◀le▶ corps, mais qu’il n’avait différé sa mort que jusqu’à ce qu’il eût trouvé une corde et un arbre pour s’y pendre. Don Quichotte y perdit son latin, et toute ◀la▶ compagnie sa rhétorique, en ◀le▶ voulant consoler, et comme on lui voulut persuader qu’il ◀l’▶avait laissé tomber dans ◀la▶ rivière, il se serait jeté dedans si on ne ◀l’▶en eût empêché. Il pestait contre son bon cheval, contre Flanquine, et contre ◀les▶ magiciens qui ◀les▶ avaient enchantés. Il invoquait ◀les▶ saints ◀les▶ meilleurs et ◀les▶ plus fréquentés ◀de▶ son pays. Marchand qui perd ne peut rire, disait-il, toutes vos consolations sont ◀de▶ ◀la▶ moutarde après dîner ; ◀les▶ messes ne servent ◀de▶ rien aux damnés, quand ◀le▶ pape même y ferait ◀l’▶office ; tout ce que vous dites est bon, mais mon argent valait mieux ; quand ◀la▶ bourse est lâche ◀le▶ cœur est serré ; ◀de▶ me venir dire des fariboles, c’est chercher magnificat à matines, et midi à quatorze heures. Hélas ! continuait-il en pleurant, pourquoi faut-il que je dise autant ◀de▶ gagné, autant ◀de▶ perdu ; il est entré par une porte et sorti par l’autre ; il n’était pas venu au son ◀de▶ ◀la▶ flûte, et pourtant il retourne au son du tambour. Il réclamait à haute voix ◀le▶ bon et ◀le▶ sage Parafaragaramus, et il criait avec plus ◀de▶ désolation qu’une mère qui aurait vu poignarder son enfant entre ses bras. ◀La▶ compagnie, et surtout ◀la▶ duchesse, n’avaient jamais ri ◀de▶ si bon cœur. Il aurait toujours continué si on ne fût venu dans un vallon où ◀le▶ même ruisseau faisait un coude bordé ◀d’▶arbres des deux côtés.
◀La▶ vue ◀de▶ ce ruisseau renouvela ◀les▶ douleurs ◀de▶ Sancho ; il y alla néanmoins, mais ce fut dans ◀le▶ dessein ◀de▶ lui chanter pouille, et ◀de▶ ◀le▶ bien battre avec un gros bâton, qu’il avait été chercher pour cet effet. Cid Ruy Gomez a avoué qu’il lui avait été impossible ◀de▶ peindre ◀le▶ désespoir ◀de▶ Sancho lorsqu’il s’aperçut ◀de▶ sa perte, non plus que ◀les▶ transports ◀de▶ sa joie lorsqu’il aperçut au bord de ce ruisseau ◀la▶ même bourse qu’il regrettait tant. Comme il voulut se jeter dessus à corps perdu, et qu’elle s’échappa ◀de▶ ses mains et sauta dans ◀l’▶eau, il s’y jeta brusquement après elle ; mais ce fut inutilement, car ◀l’▶agitation ◀de▶ ◀l’▶eau lui en fit perdre ◀la▶ vue et ◀la▶ trace. Il ◀la▶ chercha et rechercha, et fut plus ◀de▶ deux heures à faire ◀le▶ plongeon à la vue de toute ◀la▶ compagnie, qui s’était assise sur ◀l’▶herbe, et qui y faisait collation, avec ◀le▶ plus grand plaisir qui se puisse imaginer.
Quoique ◀la▶ nuit approchât, Sancho ne se rebutait pas, et aurait passé toute sa vie dans cette recherche s’il n’avait pas été retiré ◀de▶ son embarras par ◀la▶ voix du sage Parafaragaramus, qui vint de l’autre côté du ruisseau lui faire une belle remontrance sur ◀le▶ peu ◀d’▶attache qu’un honnête homme doit avoir pour ◀les▶ biens ◀de▶ ce monde, et surtout un chevalier errant. Quoique Sancho fût fort attentif à ce qu’on lui disait, ◀la▶ morale ne lui en plaisait nullement, et il ne ◀l’▶écoutait même qu’avec chagrin, et n’en aurait pas tant laissé dire à ◀l’▶enchanteur sans lui répondre, s’il ne ◀l’▶eût accoutumé à un grand respect. Celui-ci lui rendit enfin sa joie en lui disant que ◀la▶ rivière où il avait perdu sa bourse, répondait aussi bien que ◀le▶ ruisseau où il était, à ◀la▶ caverne ◀de▶ Montésinos ; que c’était Freston qui ◀la▶ lui avait volée, et qu’il ◀l’▶avait portée à Merlin, pour se payer ◀de▶ tout ce que ◀la▶ princesse Dulcinée lui devait ; que ce sage enchanteur n’avait point voulu se satisfaire ◀de▶ ◀l’▶argent ◀d’▶autrui, et qu’il avait promis ◀de▶ ◀la▶ rendre lorsque cette princesse serait désenchantée. Je ◀l’▶ai prié, continua Parafaragaramus, ◀de▶ me ◀la▶ prêter uniquement pour te ◀la▶ faire voir, afin que tu ne soupçonnes plus qui que ce soit ◀de▶ ◀la▶ compagnie ◀de▶ te ◀l’▶avoir volée ; mais comme il ne me ◀l’▶avait confiée qu’à la condition de ◀la▶ lui rendre, je viens de ◀la▶ lui renvoyer. Reprends cœur, ajouta-t-il, elle te sera rendue en peu de temps, puisque ◀le▶ brave chevalier des Lions rompra dans quatre jours ◀l’▶enchantement ◀de▶ son incomparable Dulcinée. Prépare-toi à cette aventure, qui sera pour toi ◀la▶ plus glorieuse et ◀la▶ plus laborieuse, mais aussi ◀la▶ plus lucrative ◀de▶ ta vie ; va reprendre tes armes et tes habits, et ne monte sur aucun cheval, parce que ◀les▶ tiens sont enchantés. Sancho tout remis et tout réjoui du gain qu’on lui promettait, ne se ◀le▶ fit pas répéter, et reprit son équipage, puis rejoignit ◀la▶ troupe. Qui perd pèche, dit-il, en demandant pardon ◀de▶ ses soupçons, me voilà gai comme Pierrot, un bon tien vaut mieux que deux tu ◀l’▶auras ; mais ce qui est différé n’est pas perdu. Courage, mon Maître, dit-il à Don Quichotte, ◀le▶ diable n’est pas toujours à ◀la▶ porte ◀d’▶un pauvre homme ; dans quatre jours vous aurez Dulcinée, et moi mon argent ; ◀d’▶un échelon on vient à deux, et ◀de▶ deux au haut ◀de▶ ◀l’▶arbre ; attendons seulement, et ◀les▶ alouettes nous tomberont toutes rôties dans ◀la▶ bouche ; nous n’aurons qu’à tirer, ◀la▶ vache est à nous ; ◀le▶ terme ne vaut pas ◀l’▶argent ; quand j’y serai vous verrez ◀de▶ quel bois je me chauffe ; il ne faut pas jeter ◀le▶ manche après ◀la▶ cognée ; car quand on est mort on ne voit goutte ; n’est pas marchand qui toujours gagne ; mais ◀le▶ bon est qu’il n’y aura rien ◀de▶ perdu. On ◀le▶ félicita ◀d’▶avoir eu une si bonne nouvelle, et on lui mit en main une bouteille, qu’il vida ◀d’▶un seul trait ; cela acheva ◀de▶ ◀le▶ remettre en bonne humeur, et on se remit en chemin.
Comme on entendit un cor en arrivant au château, nos aventuriers crurent que c’était un nain qui en sonnait. Tout ◀le▶ domestique vint au-devant ◀de▶ ◀la▶ compagnie avec des flambeaux, et entre autres Altisidore, qui fit semblant ◀de▶ se pâmer à la vue de Don Quichotte, lequel poursuivant son chemin sans faire semblant ◀de▶ ◀la▶ voir, fut arrêté par ◀les▶ deux duchesses ; et comme ◀la▶ comtesse et ◀les▶ Françaises leur demandèrent ce que c’était que cet accident, ◀la▶ duchesse de Médoc leur dit que cette demoiselle mourait ◀d’▶amour pour ◀l’▶incomparable chevalier des Lions, dont elle n’avait pu ébranler ◀la▶ fidélité qu’il avait promise à ◀la▶ princesse Dulcinée. Elles plaignirent toutes cette pauvre fille, et blâmèrent ◀la▶ cruauté du chevalier. Pardi, dit effrontément Sancho, pourquoi aussi s’y obstine-t-elle ? Je lui ai offert mon service, et lui ai dit qu’elle trouverait en moi un coq qui chanterait autrement que mon maître. Altisidore, qui parut revenir dans ce moment, regarda Don Quichotte avec fureur, et Sancho ◀d’▶un air tout attendri ; elle lui tendit ◀la▶ main, et il ◀la▶ prit sans façon ◀de▶ la sienne et ◀la▶ baisa. Elle lui serra celle qu’elle tenait, et ◀le▶ regarda languissamment, comme voulant lui dire quelque chose. Cela donna au brutal écuyer ◀l’▶effronterie ◀de▶ lui dire tout bas des paroles qui ◀la▶ firent rougir, et ensuite elle ◀le▶ regarda en souriant.
Dès ◀le▶ soir même elle lui fit présent en cachette ◀de▶ deux chemises parfumées, ◀de▶ deux fraises et ◀d’▶un bouquet ◀de▶ plumes pour mettre à son chapeau, et lui dit quelques douceurs. Sancho crut tout ◀de▶ bon que cette fille ne pouvant rien avancer auprès de son maître, se rabattait sur lui. Il eut ◀le▶ front ◀de▶ lui demander ◀la▶ permission ◀d’▶aller ◀la▶ trouver seule dans sa chambre. Elle lui répondit qu’elle ne ◀le▶ pouvait pas cette nuit-là, parce qu’elle ne couchait pas seule ; mais que s’il voulait venir ◀le▶ lendemain dans une chambre qu’elle lui indiqua au bout du château, où elle irait coucher sans compagne, sous prétexte de maladie, elle ◀le▶ recevrait ◀de▶ son mieux, et qu’il lui ferait plaisir ; elle ajouta qu’elle pourrait y monter sitôt que tout le monde serait retiré ; ce qu’il connaîtrait lorsqu’elle ouvrirait sa jalousie, et lui recommanda surtout ◀le▶ secret, et ◀de▶ ne point faire ◀de▶ bruit. ◀Le▶ brutal qui brûlait dans son âme, ◀la▶ remercia, bien résolu ◀de▶ profiter ◀de▶ ses avances, et se mit ◀le▶ lendemain sur son propre, sans non plus songer aux aventures, que s’il n’avait point été chevalier errant.
Cyd Ruy Gomez dit qu’il eut assez ◀de▶ délicatesse pour attendre avec impatience ◀l’▶heure du rendez-vous, et que quoiqu’il passât ◀la▶ journée à boire, il ne laissa pas ◀de▶ ◀la▶ trouver fort longue. Don Quichotte qui avait entendu que Parafaragaramus avait dit que dans quatre jours il délivrerait Dulcinée ◀d’▶enchantement, était dans ◀l’▶impatience ◀de▶ voir ◀la▶ fin du terme ; mais comme on n’avait pas encore tout préparé, il fallut malgré lui qu’il attendît. ◀Les▶ Français et ◀les▶ autres passèrent cette première journée à visiter ◀le▶ château du duc de Médoc, et à se promener dans son jardin. Il était beau et vaste, et ils n’eurent pas plus ◀de▶ temps qu’il ne leur en fallait pour ◀le▶ parcourir jusqu’au souper, pendant lequel on parla ◀d’▶Alti-sidore, et après ◀l’▶avoir plainte ◀d’▶une passion si mal reconnue, ◀la▶ duchesse de Médoc ajouta, que cette pauvre fille s’était séparée ◀de▶ toute compagnie, et ◀l’▶avait priée ◀de▶ souffrir qu’elle se retirât seule dans une chambre, pour y pleurer en repos son malheur, et qu’elle n’avait pas cru lui devoir refuser cette grâce. Je laisse à penser au lecteur quels étaient pour lors ◀les▶ sentiments du héros ◀de▶ ◀la▶ Manche et ceux ◀de▶ son écuyer.
Chacun s’étant retiré, Sancho qui avait ◀la▶ puce à ◀l’▶oreille, laissa coucher son maître, et sortit ◀de▶ ◀la▶ chambre sitôt qu’il ◀le▶ vit endormi. Il alla se promener dans ◀le▶ parc jusqu’à ◀l’▶heure du rendez-vous ; il voyait toujours ◀de▶ ◀la▶ lumière dans ◀la▶ chambre ◀d’▶Altisidore, et comme il en vit enfin ouvrir ◀la▶ jalousie, il courut à ce signal ; mais il ne put ◀le▶ faire si doucement qu’il ne fût entendu ◀de▶ deux gros chiens qu’on avait lâchés exprès pour lui faire les premières civilités. Ceux-ci ◀le▶ saisirent aux fesses et aux jambes ◀d’▶une cruelle manière : il commençait à se repentir ◀de▶ son incontinence, et allait crier au secours, si Altisidore, qui était descendue au-devant ◀de▶ lui, et qui était connue ◀de▶ ces chiens, ne leur avait fait lâcher prise, et ne ◀l’▶eût prié ◀de▶ ne faire aucun bruit crainte ◀d’▶exposer sa réputation. Il ◀la▶ suivit dans sa chambre, où il trouva qu’elle lui avait préparé une collation fort propre. ◀Le▶ brutal voulait d’abord venir à ◀la▶ conclusion ; mais ◀la▶ belle Altisidore lui dit que ce ne serait qu’après qu’il aurait bu et mangé. Il se mit donc à table, où il dit à Altisidore mille effronteries, et fit mille railleries ◀de▶ ◀la▶ sagesse ◀de▶ son maître qu’il traitait ◀de▶ ridicule et ◀de▶ bêtise. Enfin Altisidore se jeta sur son lit, et Sancho qui croyait ◀de▶ bonne foi y aller prendre sa place se mit en devoir ◀de▶ ◀la▶ suivre ; mais ◀le▶ lit fut tout ◀d’▶un coup élevé au haut du plancher où il se perdit, et Sancho qui était à moitié dessus lorsqu’on ◀l’▶avait enlevé avait été poussé à terre, où il avait fait une rude chute dont il fut relevé par quatre figures ◀d’▶anges vêtus ◀de▶ blanc et ◀de▶ bleu, ayant des ailes de même couleur. Ils ◀le▶ lièrent comme un criminel, lui mirent un bâillon, après quoi ils lui ôtèrent ◀de▶ dessus ◀le▶ corps ◀l’▶habit et ◀la▶ chemise, et à grands coups ◀de▶ verge dont ils ◀le▶ frappaient par mesure, ils ◀le▶ mirent en un moment tout en sang. Après ◀l’▶avoir si bien étrillé, ils ◀le▶ portèrent dans ◀les▶ fossés du château, où après ◀l’▶avoir assis sur une pierre, ils ◀le▶ lièrent à un pieu et ◀le▶ laissèrent dans ◀l’▶eau jusques au col ; afin, lui dirent-ils, ◀d’▶éteindre ◀les▶ feux ◀de▶ ◀la▶ concupiscence. ◀Le▶ malheureux pécheur y demeura jusqu’à ce que son maître réveillé par ses imaginations sortit pour prendre l’air à son ordinaire, et alla par hasard du côté où était son malheureux écuyer tout transi ◀de▶ froid. Il ◀le▶ reconnut, ◀le▶ délia, lui ôta ◀le▶ bâillon et lui demanda qui ◀l’▶avait mis là, et lui avait si bien moucheté ◀le▶ corps et ◀les▶ épaules. Sancho plus mort que vif ◀le▶ prit quelque temps pour un fantôme, mais ◀l’▶ayant enfin reconnu il se rassura, et avec des soupirs très vifs, ou plutôt un cliquetis ◀de▶ dents extraordinaire, il lui conta toute son aventure.
Notre héros qui était ◀la▶ continence même, ne ◀le▶ plaignit que fort peu, et lui dit au contraire qu’il n’avait que ce qu’il méritait, qu’il devait se souvenir ◀de▶ ce que leur avait attiré ◀l’▶envie qui avait pris à Rossinante ◀de▶ faire ◀l’▶amour, et ◀de▶ quelle manière ◀les▶ Yangois avaient châtié sur leurs personnes ◀l’▶incontinence ◀d’▶un cheval, et conjecturer par là que ce serait bien pis quand ils voudraient eux-mêmes se laisser aller aux tentations ◀de▶ ◀la▶ chair. Tu devais prendre exemple sur moi, ajouta-t-il, quand tu as vu avec quelle froideur j’ai rebuté ◀les▶ marques ◀d’▶amour ◀de▶ cette fille. Ne sais-tu pas qu’un chevalier errant doit être chaste du corps et du cœur ? Mais, mon enfant, il faut prendre ton mal en patience, et ne faire semblant ◀de▶ rien, parce qu’on se moquerait ◀de▶ toi, et que Monsieur ◀le▶ duc et Madame ◀la▶ duchesse seraient choqués, s’ils savaient que tu eusses voulu souiller leur château par tes impuretés. Ne sais-tu pas bien qu’il y a des démons qui gardent tous ◀les▶ trésors, et devais-tu douter qu’il n’y en ait ◀de▶ commis à ◀la▶ garde ◀de▶ ◀l’▶honneur ◀d’▶Altisidore que tu voulais ravir ? Tu en es quitte pour des coups ◀de▶ verge et pour avoir été rafraîchi ; tout cela ne peut que te faire du bien, pourvu que tu en fasses un bon usage. Je te conseille seulement ◀de▶ te tenir couché pour toute ◀la▶ journée, sous prétexte ◀d’▶indisposition, aussi bien ne vois-je pas que tu te portes trop bien.
Sancho qui n’en pouvait plus, et qui se repentait ◀d’▶avoir voulu faire une mauvaise action, convenait par son silence que son maître avait raison, et contre son ordinaire n’osait ouvrir ◀la▶ bouche. Don Quichotte alla lui quérir du linge et son habit qui avait été rapporté dans sa chambre par art ◀de▶ nécromancie, et ◀le▶ ramena avec lui plus honteux qu’il n’avait été ◀de▶ sa vie. En entrant ils entendirent ◀de▶ grandes acclamations, et virent tous ◀les▶ gens du château qui firent ◀les▶ étonnés. Ils voulurent passer outre sans en demander ◀la▶ cause ; mais ◀la▶ duchesse ◀les▶ retint malgré eux. Ah, Seigneur chevalier, dit-elle au héros ◀de▶ ◀la▶ Manche, nous avons besoin ◀de▶ vous pour ◀la▶ pauvre Altisidore ; elle a été emportée cette nuit ◀de▶ son lit jusque dans ◀l’▶étang du château où elle a pensé mourir ◀de▶ frayeur et ◀de▶ froid : ◀les▶ enchanteurs qui ◀l’▶ont persécutée sans doute à cause qu’elle vous aime, ◀l’▶ont traitée avec la dernière rigueur, elle est toute déchirée ◀de▶ coups ◀de▶ fouet, et on vient de ◀la▶ remettre dans sa première chambre plus morte que vive. Est-il possible que vous ne vengerez pas une fille qui vous aime tant ? — Madame, répondit Don Quichotte avec un air froid à glacer, et ◀d’▶un ton tout magistral, si Altisidore avait été bien sage dans son cœur, ◀les▶ enchanteurs qui ◀l’▶ont maltraitée auraient été ses défenseurs, et non pas ses bourreaux ; elle n’a que ce qu’elle mérite, et elle a tort ◀de▶ me demander vengeance ◀d’▶eux, puisque j’aurais fait moi-même ce qu’ils ont fait ; Dieu bénit ◀les▶ bonnes intentions et punit toujours ◀les▶ mauvaises ; permettez-moi ◀de▶ ne vous en pas dire davantage ; elle peut s’expliquer elle-même. Notre chevalier passa outre après ce discours avec son triste écuyer, qui crut tout ◀de▶ bon qu’Altisidore avait eu ◀le▶ même sort que lui, dans ◀la▶ pensée qu’elle avait eu ◀la▶ même mauvaise intention.
Ceci fut encore une nouvelle matière ◀de▶ sermon, que ◀le▶ triste et fustigé Sancho écoutait avec plus ◀de▶ docilité qu’il n’avait fait ◀de▶ sa vie ; mais enfin son maître ayant cessé ◀de▶ parler, parce qu’il n’en pouvait plus ◀de▶ ◀la▶ gorge, Sancho reprit ◀la▶ parole et avoua qu’il avait tort ◀d’▶avoir tenté Altisidore, qu’il savait bien qu’il suffisait pour perdre une fille ◀de▶ lui dire une fois qu’on ◀l’▶aime, parce qu’après cela ◀le▶ diable ◀le▶ lui répète sans cesse ; et ma foi, Monsieur, poursuivit-il, toutes ◀les▶ filles et ◀les▶ femmes en sont là logées ; elles font toutes là-dessus ◀les▶ saintes mitouches ; mais ◀les▶ brebis du bon Dieu ont beau être gardées et comptées, ◀le▶ diable trouve toujours ◀le▶ secret ◀d’▶en tondre quelqu’une s’il ne ◀l’▶emporte pas tout à fait ; en un mot une étincelle fait un grand brasier, et fille qui jase avec un amant enfile ◀la▶ mère Gaudichon, comme un aveugle son oraison ; mais ◀le▶ jeu n’en vaut pas ◀la▶ chandelle, et s’il ne faut qu’un petit caillou pour faire verser une charrette, un fromage n’est pas longtemps entier quand on ◀le▶ laisse guigner au chat, et ◀de▶ nuit tous chats sont gris. — Tu seras toujours farci ◀de▶ proverbes, lui dit son maître. — Oh bien, reprit Sancho, je consens ◀d’▶aller rôtir des châtaignes en enfer si j’ai jamais rien ◀de▶ commun avec aucune fille ni femme que la mienne, et je recevrai Altisidore en fille ◀de▶ bonne maison, si elle me vient davantage rompre ◀la▶ tête.
Son maître ◀le▶ laissa ; et comme il avait passé une fort mauvaise nuit après avoir bien mangé et bien bu, il se mit dans son lit et s’endormit aussi tranquillement que s’il ne lui fut rien arrivé. ◀Les▶ prétendus esprits qui ◀l’▶avaient si bien régalé étaient ◀le▶ bachelier Samson Carasco, ◀le▶ barbier, ◀le▶ capitaine Bracamont et Ginès de Passamont, qui avaient inventé ◀la▶ manière ◀d’▶enlever ◀le▶ lit ◀d’▶Altisidore. Sancho se leva ◀le▶ soir et vint souper avec toute ◀la▶ compagnie qui ◀le▶ questionna sur son absence ; mais il n’eut garde ◀de▶ rien dire, et on ne parla pas plus ◀d’▶Altisidore que si elle n’avait jamais été au monde. Notre héros, qui profondément enseveli dans ses rêveries ne disait pas un mot, en fut retiré par ◀les▶ félicitations qu’on lui adressa sur ◀le▶ désenchantement ◀de▶ ◀la▶ princesse Dulcinée, et sur ◀le▶ plaisir qu’il aurait ◀de▶ rendre au jour une personne si belle et si parfaite. ◀Le▶ duc dit qu’il en voulait faire ◀les▶ noces, et que pour cet effet il ferait publier un tournoi avec ◀le▶ plus ◀de▶ magnificence qu’il se pourrait, tant pour rendre ◀la▶ fête plus belle, que pour honorer en même temps une beauté incomparable, ◀la▶ fleur et ◀l’▶élite ◀de▶ toute ◀la▶ Chevalerie errante. Tout le monde lui applaudit, et chacun ◀le▶ pria ◀de▶ donner ◀les▶ ordres pour ◀l’▶accomplissement ◀d’▶un hyménée si illustre. Notre héros ne se sentait pas ◀d’▶aise, et Sancho qui avait toujours sa bourse en tête, dit qu’il voudrait que ◀la▶ chose fût déjà faite et avoir rattrapé son argent. On passa ◀la▶ soirée fort agréablement ; après quoi nos deux chevaliers se retirèrent dans leur appartement, non pour dormir, car ils ne purent fermer ◀l’▶œil ◀de▶ toute ◀la▶ nuit, mais pour s’entretenir des grandes choses qui devaient bientôt arriver. ◀Le▶ lendemain ils sortirent avec ◀les▶ autres pour aller à ◀la▶ chasse. On leur demanda à quel dessein ils s’étaient armés, puisqu’ils n’allaient faire ◀la▶ guerre qu’à des perdrix et à des lapins. Don Quichotte répondit pour tous deux, que des gens ◀de▶ leur profession devaient toujours être en état ◀de▶ mettre à fin ◀les▶ aventures, et que peut-être ◀l’▶enchanteur Freston était là autour, qui ne cherchait qu’à leur faire pièce. On ne leur en demanda pas davantage, et toute ◀la▶ compagnie, c’est-à-dire ◀les▶ ducs et ◀le▶ comte espagnols, et ◀les▶ deux Français prirent ◀le▶ chemin ◀de▶ ◀la▶ plaine ; on ◀chassa▶ tout ◀le▶ matin avec assez ◀de▶ bonheur, et ◀le▶ soleil commençant à être ardent, on prit ◀le▶ chemin ◀d’▶un petit bois pour se mettre à ◀l’ombre.