Chapitre LVIII.
Des tristes et agréables choses que Parafaragaramus apprit au chevalier de▶ ◀la▶ Manche.
Notre héros allait continuer son chemin et sa morale s’il n’avait pas été interrompu par Parafaragaramus, qui parut sortir du mur à ses yeux et devant lui. Tous se levèrent à ◀l’▶aspect ◀de▶ ce sage enchanteur, qui était toujours vêtu ◀de▶ blanc, et tenait pour lors à ◀la▶ main un autre livre que celui qu’il avait coutume ◀de▶ porter. Il s’approcha ◀de▶ Don Quichotte avec un visage assez triste. J’ai beaucoup de choses à te dire, lui dit-il, dont quelques-unes te seront agréables, et ◀les▶ autres te chagrineront ; mais ton courage te ◀les▶ doit faire prendre ◀d’▶un visage égal. Je commencerai par ce qui peut te plaire, et ◀la▶ princesse Dulcinée m’aidera dans ◀le▶ reste.
Voici un livre où toute ta destinée est écrite ; je viens de faire en sorte ◀de▶ ◀l’▶avoir ◀de▶ Pluton, à qui ◀le▶ destin a bien voulu ◀le▶ prêter. ◀Les▶ souverains juges des enfers sont charmés ◀de▶ ce qu’il ne s’est présenté aucune accusation contre toi. Comme ils savent punir ◀les▶ crimes, ils savent aussi récompenser ◀la▶ vertu. Ils ne peuvent disposer ◀de▶ rien en ta faveur que ◀de▶ ce qu’ils ont eux-mêmes en leur pouvoir. Ils te font présent ◀de▶ toutes ◀les▶ richesses que tu vois sur ce buffet, et te recommandent seulement ◀d’▶en garder quelques pièces pour te ressouvenir ◀d’▶eux, et ◀de▶ troquer ◀le▶ reste contre le premier qui te ◀le▶ demandera, tu ne perdras rien au change ; assure-moi donc que tu ◀les▶ reçois, afin que j’en sois sûr moi-même.
Je n’ai jamais été attaché au bien, lui dit Don Quichotte, mais puisque cela m’est donné ◀de▶ si bonne part, je ◀le▶ reçois de bon cœur, et vous offre ◀le▶ tout pour reconnaissance ◀de▶ votre protection. — Je t’en rends grâce, lui répondit Parafaragaramus, parce que j’en ai autant et plus qu’il ne m’en faut ; reçois ce qui t’est donné ◀de▶ ◀la▶ main des puissances, infernales. Ils avaient résolu ◀de▶ te faire roi ; mais tes mœurs sont trop simples pour gouverner des hommes aussi corrompus qu’ils ◀le▶ sont à présent ; reste dans le premier endroit où tu te trouveras sur terre, et n’y pense qu’à te divertir, à te promener, et à te bien nourrir ; en un mot, vis dans un état tranquille, et abandonne pour toujours ◀la▶ Chevalerie errante, parce qu’elle te serait désormais infructueuse et déshonorable, et que tu verrais ternir ◀l’▶éclat ◀de▶ tes grandes actions en périssant mal. Tel est ◀l’▶ordre du destin que voilà écrit dans mon livre.
Voilà ce que j’ai à te dire qui peut te plaire ; ◀le▶ reste, qui ne sera pas ◀de▶ ton goût, doit t’être expliqué par ◀la▶ princesse du Toboso. Quoique tes grandes actions et tes glorieuses entreprises semblent te ◀la▶ devoir acquérir, elle ne peut cependant être à toi, pour ◀les▶ raisons qu’elle pourra t’en dire elle-même, afin que tu y ajoutes plus ◀de▶ foi.
A peine ◀l’▶enchanteur eut achevé, que Dulcinée se jeta aux pieds du franc chevalier, qui ◀la▶ releva malgré ◀les▶ efforts qu’elle fit pour y rester. Parafaragaramus prit un siège le premier, et ◀les▶ obligea ◀de▶ s’asseoir. Seigneur Chevalier, lui dit Alonza Lorenço, ◀les▶ yeux tout humides, je sais ce que je vous dois pour tous ◀les▶ pénibles et glorieux travaux que vous avez entrepris pour m’acquérir ; je ne ◀les▶ méritais nullement, mais votre bon cœur a suppléé à mon peu de mérite ; vous n’avez paru à mes yeux que comme j’ai paru aux vôtres ; nous étions enchantés tous deux, vous pour moi, et moi pour vous. Plût à Dieu, poursuivit-elle, que je vous eusse parfaitement connu comme je vous connais à présent, je n’aurais jamais fait ◀le▶ vœu que ◀les▶ cruels traitements du méchant Freston m’ont arraché. Ce traître prenait si juste ◀le▶ temps ◀de▶ ◀l’▶absence du sage Parafaragaramus pour me déchirer, qu’il m’a cent fois traînée parmi ◀les▶ ronces et ◀les▶ épines ; mon faible corps succombait sous ses coups, et n’attendant ma liberté que ◀de▶ Dieu, j’ai fait vœu pour sortir ◀de▶ ma captivité et ◀de▶ ◀l’▶enchantement qui me retenait, ◀de▶ me faire religieuse sitôt que je serais retournée au monde. Pardonnez-moi ce vœu, que ◀le▶ désespoir m’a fait faire ; je suis mille fois plus à plaindre que vous ; vous ne perdez dans moi qu’une princesse malheureuse et infortunée, et je perds en vous ◀la▶ fleur ◀de▶ ◀la▶ Chevalerie, ◀le▶ miroir ◀de▶ ◀la▶ vraie valeur, ◀le▶ prototype ◀de▶ ◀la▶ fidélité, et un parfait modèle ◀de▶ toutes ◀les▶ vertus.
A peine Dulcinée put-elle achever cette triste harangue, et interrompue par tant de sanglots. Don Quichotte paraissait tout pensif ; mais Parafaragaramus ◀le▶ retira ◀de▶ ses rêveries en lui montrant son livre, et en ◀le▶ forçant à lire ◀le▶ décret du destin. Il ◀le▶ prit donc, et y lut qu’il était arrêté que cette princesse serait religieuse. Après quoi on lui montra ◀le▶ résultat du destin en cas qu’il n’y voulût pas consentir, et qui était conçu en ces termes : Et si ◀le▶ chevalier des Lions n’y consent pas, elle ne sera pourtant jamais à lui, parce qu’elle tombera morte à ses pieds devant ◀le▶ prêtre qui voudra ◀les▶ marier ; ainsi ◀la▶ vie et ◀la▶ mort ◀de▶ cette princesse seront entre ses mains. C’en est trop, dit-il en rendant ◀le▶ livre ; oui, belle Princesse, continua-t-il, c’en est trop, vous êtes libre ◀de▶ vos actions, et je vous encourage moi-même à soutenir votre vœu ; je n’ai rien fait pour vous que ce que tout autre que moi aurait pu faire, et sans doute plus heureusement et plus promptement ; je ne prétends avoir acquis aucun droit sur vous, ou j’y renonce pour vous rendre toute à vous-même.
A cette parole ◀la▶ musique recommença à célébrer ◀les▶ louanges du chevalier des Lions, qui s’était vaincu lui-même. Après quoi Dulcinée lui promit ◀d’▶aller ◀le▶ remercier sur terre partout où il serait, et notre héros lui promit ◀de▶ ◀la▶ conduire dans tel endroit qu’elle voudrait se retirer.
Sancho plus qu’à demi ivre remercia ◀l’▶enchanteur ◀de▶ lui avoir servi ◀d’▶avocat en enfer, et ◀le▶ pria ◀de▶ lui dire aussi sa bonne aventure. Parafaragaramus s’en mit en colère, et lui demandant s’il ◀le▶ prenait pour un Bohème, lui dit : Ne sais-tu pas qu’il y a des choses à dire et d’autres à celer ? Vois-tu que j’aie dit quelque chose à ton maître touchant ◀l’▶avenir ? Et crois-tu que Pluton s’intéresse autant à un malheureux pécheur comme toi, qu’à un aussi honnête homme que lui ? Tu sais bien ce qu’il t’en a coûté pour tes médisances, tes menteries et ton avarice ; et ce qu’il en doit coûter à ta femme, que tu dois payer sitôt que tu ◀la▶ verras, sous peine ◀d’▶être étrillé encore en chien renfermé ; souviens-t’en bien ; on a sans doute oublié exprès ◀la▶ gloutonnie, mais prends-y garde, tu t’en sentiras dans peu de temps, si tu ne songes à te réformer. ◀La▶ robe blanche que tu portes prouve que tu es sorti innocent ◀de▶ ◀l’▶enfer, pense donc à te corriger, ou bien compte que la seconde punition sera plus rude que la première. Mais toi, poursuivit-il, qui prétends m’interroger, qu’as-tu fait ◀de▶ ton argent ? — Je sais bien, lui dit Sancho, que ◀les▶ richesses sont dommageables aux uns et profitables aux autres, mais je n’en abuserai pas ; je ne suis pas homme à prêter à usure, et il n’y a point ◀d’▶argent mieux employé qu’à un ange gardien ; dites-moi donc vous-même ce qu’il faut que j’en fasse ? — Voilà parler en honnête homme, lui répliqua Parafaragaramus ; eh bien, remets tout entre ◀les▶ mains du curé ◀de▶ ton village, sans en parler à ta femme ; il est homme ◀d’▶honneur, et aura soin ◀de▶ marier ta fille, et ◀de▶ t’empêcher ◀de▶ jamais tomber en nécessité. — Pardi, reprit Sancho tout réjoui en se frappant ◀de▶ ◀la▶ main droite dans ◀la▶ gauche, tenez, nous aurions fait un pape, car nous sommes tous deux de même avis. Eh, non, non, ma mauricaude n’en saura rien ; un secret n’est plus secret quand une femme ◀le▶ sait, et une femme ne sait ◀le▶ secret ◀de▶ son mari que pour ◀le▶ trahir ; ce sont des importunes à demander et des diables à rendre. Thérèse n’en croquera que ◀d’▶une dent ; ◀la▶ bonne pièce a fait ◀de▶ l’autre comme des choux ◀de▶ son jardin ; mais patience, à bon chat bon rat ; découvre ton trésor aux voleurs, et dors tranquillement si tu es une bête ; à bon entendeur salut ; chacun est maître à son tour, et qu’elle ne m’échauffe pas ◀les▶ oreilles, car je redoublerais ◀la▶ dose ; vous savez bien ce que je veux dire. Sancho aurait continué ses impertinences si Parafaragaramus ne se fût retourné vers Balerme et son amant Durandar.
Rien ne s’oppose à votre mariage, leur dit-il, et vous serez mariés quand vous voudrez. Là-dessus ils se donnèrent la main, et ◀la▶ joie recommença de plus belle. Merlin et Parafaragaramus y prirent part ; et comme on avait dessein ◀de▶ griser tout à fait Sancho pour ◀le▶ faire mieux dormir, et ◀d’▶endormir aussi Don Quichotte, Merlin leur dit qu’avant que de sortir ◀de▶ son palais, il fallait solemniser ◀les▶ noces des amants. Là-dessus il se mit le premier à table, et convia tous ◀les▶ autres ◀d’▶en faire autant ; en sorte que Sancho n’eut plus besoin que ◀d’▶un lit. Pour son maître, comme il était extrêmement sobre, et qu’il ne buvait qu’en honnête homme, Dulcinée y perdit sa peine, et on fut obligé ◀de▶ mêler dans ce qu’il mangeait et dans son verre des compositions assoupissantes. Sitôt qu’on ◀le▶ vit bâiller on parla ◀d’▶aller se reposer. ◀La▶ princesse Dulcinée fut conduite dans ◀la▶ chambre qui lui était destinée ; et Balerme, Durandar, Montésinos, Merlin et Parafaragaramus conduisirent nos aventuriers dans celle qu’on leur avait préparée, et qui était ◀d’▶une magnificence achevée : ◀l’▶or et ◀l’▶argent y brillant partout ; ◀les▶ glaces, qui en faisaient ◀la▶ tenture, rendaient ◀la▶ lumière qu’elles recevaient ◀de▶ deux lustres ◀d’▶argent, chargés ◀de▶ vingt-quatre bougies, dont ◀la▶ réflexion était si vive qu’il était impossible ◀d’▶y jeter ◀les▶ yeux sans être ébloui ; deux lits ◀de▶ brocard ◀d’▶or avec leurs housses traînantes jusqu’à terre, garnies ◀d’▶une grosse frange ◀d’▶or à campanes, en faisaient ◀l’▶ornement, et étaient accompagnés ◀de▶ deux fauteuils dorés, garnis comme ◀les▶ lits, et ◀d’▶une table qui paraissait ◀d’▶argent massif, qui tout ensemble faisaient à ◀la▶ vue un effet tout agréable. Ils croyaient être dans ◀le▶ palais enchanté ◀de▶ Circé ou ◀d’▶Alcine, ne leur semblant pas vraisemblable qu’un enchanteur dût être si curieux dans ses meubles. Ils en admirèrent ◀la▶ beauté, et remettaient à leur réveil à ◀l’▶examiner de plus près ; mais leur étonnement fut extrême lorsqu’à ce réveil ils se trouvèrent dans ◀la▶ même chambre où ils couchaient ordinairement.
◀Le▶ désolé Sancho malgré ◀les▶ douleurs qu’il ressentait dans tout son corps, crut que tout ce qui lui était arrivé n’était qu’un rêve. Il chercha au plus vite son trésor, et ne ◀le▶ trouvant pas sur lui, c’est-à-dire sur son estomac, où il ◀l’▶avait mis : Eh oui, oui, s’écria-t-il, fiez-vous aux promesses des démons ? Notre curé a raison ◀de▶ dire que ce sont des trompeurs. Parafaragaramus ne vaut pas mieux que ◀les▶ autres ; autant fait celui qui tient ◀le▶ pied que celui qui écorche. Il se leva tout en jurant ; mais il aurait bien voulu retenir ses paroles à ◀la▶ surprise agréable qu’il eut ◀de▶ voir aux pieds ◀de▶ son lit ses armes en bon état, ses habits ordinaires, deux autres habits fort propres, sa robe blanche, et par-dessus ◀le▶ tout, un petit coffre ◀d’▶ébène garni ◀de▶ lames ◀d’▶argent, et ◀la▶ clef à ◀la▶ serrure. Il alla promptement ◀l’▶ouvrir, et trouvant ses deux bourses dedans, et tout son argent, qu’il compta pièce à pièce, ◀l’▶esprit acheva ◀de▶ lui en tourner ◀de▶ joie qu’il en eut.
Ah mon cher Maître ! cria-t-il en courant ouvrir ◀les▶ rideaux du lit à Don Quichotte, vivat, ◀le▶ diable n’est pas toujours à ◀la▶ porte ◀d’▶un pauvre homme ; je ne me changerais pas pour ◀l’▶archidiacre ◀de▶ Tolède ; j’ai mon pain gagné, au pis aller je n’aurai qu’à me faire moi-même, ◀la▶ pitance est assurée. Retournons à notre village, pierre remuée n’amasse point ◀de▶ mousse ; je ne mériterai rien que ◀le▶ bât du plus grand âne ◀de▶ ◀la▶ Manche, si je ne me fais suivre comme un barbet, à présent que j’ai ◀le▶ vent en poupe. Adieu, je m’en vas marier Sanchette, et trouver un gendre avec qui je ferai gaudeamus. — Qu’y a-t-il donc ◀de▶ nouveau ? lui dit Don Quichotte, qui n’avait encore rien vu, parce que ◀les▶ rideaux du pied ◀de▶ son lit étaient fermés, et cachaient ◀les▶ richesses qu’on lui avait données. — Levez-vous, levez-vous promptement, lui dit Sancho. Vive Dieu, vous êtes aussi riche que Crésus, et moi aussi à mon aise. Troussons nos bras jusqu’au coude, ◀la▶ huche est grande, et il y a suffisamment ◀de▶ ◀la▶ pâte pour faire des galettes et des miches ; on ne jouit ◀de▶ ◀l’▶argent que lorsqu’on ◀l’▶emploie ; nous n’avons qu’à vivre à gogo ; vie ◀de▶ cochon courte et bonne. Nous n’avons dans ce monde qu’aujourd’hui et demain, et ◀le▶ reste ◀de▶ notre vie ; ◀l’▶habit ne fait pas ◀le▶ moine, ni ◀la▶ soutane ◀l’▶habile homme, trois pas sur ◀le▶ pavé en découvrent ◀la▶ sottise ; un âne chargé ◀d’▶or est toujours un âne ; mais n’importe, chacun lui ouvre ◀la▶ porte, il est bien reçu partout, et trouve des parents où il n’en cherchait pas ; nul n’a honte ◀de▶ parents vicieux pourvu qu’ils soient riches. Bref, tant y a que je veux m’en aller, car on pétrit ◀de▶ bon pain partout.
Pendant que Sancho s’épuisait en proverbes, son maître s’était levé, et vit toutes ces richesses sans aucune émotion. Je m’y étais bien attendu, ami Sancho, lui dit-il ; mais qu’est devenue ◀l’▶illustre princesse Dulcinée du Toboso ? Ne ◀l’▶ai-je retrouvée que pour ◀la▶ perdre ! Astres ennemis, s’écria-t-il, fallait-il me montrer cette merveille pour me ◀l’▶ôter sitôt ! Il continua pendant une demi-heure toutes ◀les▶ imprécations qu’il avait lues dans ses romans ; et Cid Ruy Gomez dit qu’il ◀les▶ faisait de bon cœur, parce qu’il croyait avoir senti pour Alonza Lorenço une douceur ◀de▶ cœur et des émotions qui jusque-là lui avaient été inconnues.
Il est constant que cette femme était fort aimable, et ◀l’▶art joint à ◀la▶ magnificence des habits ajoutant du lustre à ◀la▶ nature, il ne faut pas s’étonner si notre chevalier, qui n’avait jamais rien aimé, s’était trouvé sensible, surtout ayant ◀le▶ cœur préparé à ◀l’▶amour par ◀les▶ sottises qu’il avait lues dans ses romans, et dont il avait encore ◀la▶ mémoire et ◀la▶ tête remplies.
Il pesta donc d’abord contre ◀les▶ astres et ◀les▶ destins, mais se ressouvenant qu’elle avait fait vœu ◀d’▶être religieuse, et qu’il y avait consenti, il se calma aussitôt. Son écuyer ◀l’▶obligea ensuite ◀de▶ faire ◀la▶ revue du présent qu’on lui avait fait, qu’il trouva ◀d’▶une magnificence qui ◀le▶ surprit, aussi était-il effectivement très riche et digne des Espagnols et des Français qui ◀le▶ faisaient en commun, et qui s’étaient cotisés pour cela ◀les▶ uns et ◀les▶ autres. ◀Les▶ Français cependant qui n’avaient pas été fâchés ◀de▶ trouver une occasion ◀de▶ témoigner leur générosité, et ◀de▶ reconnaître en quelque façon ◀les▶ honnêtetés des Espagnols, y avaient contribué plus abondamment, sous prétexte de reconnaître ◀les▶ services que ◀le▶ héros ◀de▶ ◀la▶ Manche leur avait rendus, surtout ◀le▶ comte du Chirou qui était puissamment riche, et qui avouait qu’il lui devait ◀la▶ vie aussi bien que Valerio, Eugénie et ◀la▶ duchesse de Médoc. Don Quichotte trouva dans sa revue trois habits complets et superbes, du linge très beau et très fin, une grande bourse dans laquelle il y avait cinq cents pistoles ◀d’▶or et pour plus ◀de▶ dix mille écus ◀de▶ vaisselle ◀d’▶argent, mais il ne trouva point ses armes.
Quoiqu’il ne fût nullement taché ◀d’▶avarice, il ne laissa pas ◀d’▶avoir ◀de▶ ◀la▶ joie ◀de▶ se voir si riche en si peu de temps ; mais il est certain que cette joie fut celle ◀d’▶un honnête homme, c’est-à-dire qu’elle fut modérée. Il en était occupé lorsque ◀le▶ duc de Médoc entra dans sa chambre, qui contrefaisant ◀l’▶étonné ◀d’▶y voir toute cette vaisselle étendue, et ◀d’▶en admirer ◀la▶ fabrique et ◀l’▶art, demanda à notre héros si c’était à lui, et qui ◀la▶ lui avait apportée. Don Quichotte se contenta ◀de▶ lui dire que tout lui appartenait, et ◀la▶ lui offrit. Il allait lui dire ◀de▶ quelle manière cela lui avait été donné lorsque ◀le▶ duc lui demanda s’il voulait troquer sa vaisselle contre son pesant ◀d’▶argent monnayé et le dixième de plus pour ◀la▶ façon. Don Quichotte qui se souvenait ◀de▶ ◀l’▶ordre qu’on lui avait donné accepta ◀l’▶offre sur-le-champ, et excepta seulement une paire ◀de▶ flambeaux ◀de▶ vermeil qu’il voulait, disait-il, garder par des raisons qu’il lui dirait. ◀Le▶ troc fut fait dans ◀le▶ moment, et quelque instance que lui pût faire ◀le▶ duc, il ne voulut jamais être présent aux pesées, et s’en rapporta à ◀la▶ bonne foi ◀de▶ ceux qui voulurent s’en mêler. Il voulut de plus obliger ◀les▶ officiers du duc ◀de▶ recevoir ◀de▶ lui quelques présents ; mais comme ils avaient des ordres contraires ils ◀le▶ remercièrent, et pour ◀l’▶empêcher ◀de▶ ◀les▶ en presser davantage, ◀le▶ duc fut obligé ◀de▶ lui dire, que le premier qui prendrait ◀de▶ lui ◀la▶ moindre chose ne resterait pas une heure à son service.
Pendant qu’on avait fait ◀le▶ troc, Don Quichotte avait été habillé par ◀les▶ officiers du duc qui leur en avait donné ordre, sans que notre héros s’y opposât, parce qu’espérant que Dulcinée viendrait lui rendre visite, et qu’il était naturel ◀de▶ vouloir plaire à ce qu’on aime, il s’était laissé accommoder plus magnifiquement qu’il n’avait jamais été. Sancho lui-même, qui se comptait un gros seigneur, s’était mis sur son propre, et commençant à se donner des airs ◀de▶ conséquence, il eut ◀l’▶effronterie ◀de▶ dire aux gens du duc en présence de leur maître, et en leur montrant ◀les▶ richesses ◀de▶ Don Quichotte et les siennes : Tenez, Messieurs, quand vous viendrez ici faites comme dans un jardin où il est permis ◀d’▶avoir des yeux, mais point des mains. ◀Le▶ chevalier ◀le▶ regarda ◀de▶ travers à cette insolence ; mais Sancho soutenant ◀la▶ gageure : Un bon aventurier en vaut deux, dit-il. ◀Le▶ duc qui ne voulait plus donner à notre héros aucun sujet ◀de▶ se fâcher, ne fit pas semblant ◀de▶ prendre garde à ce que Sancho disait, et ◀l’▶ayant pris par ◀la▶ main, il ◀l’▶emmena dîner où tout ◀le▶ reste ◀de▶ ◀la▶ compagnie ◀les▶ attendait, et Sancho ◀les▶ suivit.
Ce fut là qu’ils furent questionnés sur ce qu’ils étaient devenus ◀la▶ veille et sur ce qui leur était arrivé. Don Quichotte ◀le▶ raconta sans en oublier ◀la▶ moindre circonstance, et Sancho ◀le▶ certifia par des preuves incontestables ◀d’▶une manière à faire étouffer ◀de▶ rire. On feignit ◀de▶ ne pas croire que Dulcinée fût effectivement désenchantée : car, disait-on, elle serait déjà venue vous voir pour vous remercier. Ils allèrent après ◀le▶ dîner faire un tour dans ◀les▶ jardins du château, où après avoir continué longtemps ◀la▶ même conversation, tout le monde s’éloigna insensiblement ◀de▶ Don Quichotte, qui ◀de▶ sa part ne fut pas fâché ◀d’▶aller seul entretenir ses rêveries environ une heure, après quoi ◀les▶ deux ducs, ◀le▶ comte Valerio et ◀les▶ deux Français allèrent ◀le▶ trouver avec beaucoup ◀d’▶empressement en apparence.
Ah, Seigneur chevalier ! lui dit ◀le▶ duc de Médoc en ◀l’▶abordant, il vient ◀d’▶arriver au château une dame qui paraît ◀d’▶une qualité éminente, tant par sa personne que par son train ; et qui est ◀la▶ plus belle créature que j’aie jamais vue. Elle n’a point voulu dire qui elle est, mais elle a promis qu’on ◀le▶ saurait en votre présence, et elle vous demande avec beaucoup ◀d’▶impatience. Je ◀l’▶ai conduite dans ◀l’▶appartement ◀de▶ ◀la▶ duchesse mon épouse, où Madame d’Albuquerque et ◀les▶ autres dames lui tiennent compagnie et ◀l’▶admirent. Don Quichotte qui avait ◀l’▶idée remplie ◀de▶ sa Dulcinée ne douta pas un moment que ce ne fût elle, et suivit ◀le▶ duc et ◀les▶ autres qui ◀l’▶emmenaient comme en triomphe, en publiant ◀la▶ beauté ◀de▶ cette dame inconnue.
Sitôt qu’ils parurent, Dulcinée (car c’était en effet elle-même) alla au-devant ◀d’▶eux, et voulut encore se jeter aux pieds du tendre chevalier, qui ◀l’▶en empêcha, et qui ne put voir ◀la▶ perte qu’il faisait ◀d’▶une si belle personne sans répandre des larmes. Elle ◀le▶ remercia encore ◀de▶ ◀la▶ liberté qu’il lui avait procurée, et ◀le▶ pria ◀de▶ trouver bon qu’elle allât accomplir son vœu. ◀Le▶ chevalier consentit à tout ce qu’elle voulut, et lui dit qu’il était prêt ◀de▶ ◀la▶ conduire partout où elle avait dessein ◀d’▶aller. — Non, Seigneur, répondit-elle en faisant semblant ◀de▶ pleurer, ◀les▶ sentiments que j’ai pour vous ne cadrent point avec ◀les▶ vœux que je vais faire ; n’entretenons point une blessure que nous devons l’un et l’autre tâcher ◀de▶ fermer, notre séparation en est ◀le▶ seul moyen. Si je vous voyais plus longtemps je ne ferais que me rendre malheureuse, ainsi permettez-moi ◀de▶ prendre ◀de▶ vous un congé éternel. ◀Les▶ chemins sont sûrs, et mon équipage est assez grand pour me garantir ◀de▶ toute mauvaise aventure ; gardez cette bague pour ◀l’▶amour ◀de▶ moi, je vous ◀la▶ donne. Et en même temps elle lui présenta un fort beau diamant. ◀Le▶ chevalier ◀le▶ prit après quelque difficulté en lui baisant ◀la▶ main et en mettant un genou à terre. Après cela Dulcinée embrassa toutes ◀les▶ dames et se couvrit ◀le▶ visage en passant devant Don Quichotte comme pour lui cacher ses pleurs. ◀Le▶ duc de Médoc lui présenta ◀la▶ main et ◀la▶ conduisit jusqu’à son carrosse, ◀d’▶où elle regarda encore ◀le▶ désolé chevalier et lui défendit ◀de▶ ◀la▶ suivre. Il ◀la▶ vit partir dans son carrosse traîné par six chevaux, et plus ◀de▶ vingt cavaliers ◀la▶ suivaient. C’était ceux qui avaient si bien fait ◀les▶ juges ◀d’▶enfer, ◀les▶ enchanteurs et ◀les▶ démons, tous ◀de▶ ◀la▶ bande ◀de▶ Bracamont et ◀de▶ Ginès de Passamont, qui s’en retournaient fort bien récompensés du divertissement qu’ils s’étaient donné à eux-mêmes. Elle avait fort bien joué son personnage, et son mari qui avait fait celui ◀de Merlin s’en était aussi bien acquitté.