ChapitreLII.
Le▶ mari prudent
Histoire
Cléon fut un des premiers ◀d’▶une des plus riches provinces ◀de▶ France ; son bien égalait sa naissance, et ses emplois étaient dignes ◀de▶ l’un et ◀de▶ l’autre. Il a passé pour un des plus beaux génies ◀de▶ son temps, ◀d’▶une sagesse et ◀d’▶une prudence consommée. Il avait épousé une fille fort riche qui mourut trois ans après son mariage, et ne lui laissa qu’une petite fille que je nommerai Silvie. Pénétré du regret ◀de▶ ◀la▶ mort ◀d’▶une épouse qu’il avait parfaitement aimée, il ne voulut plus se marier et borna son plaisir à élever ◀l’▶enfant qu’il avait eu ◀d’▶elle. Cette petite fille se vit croître, et en même temps ◀les▶ honneurs ◀de▶ son père et son bien qui était déjà fort ample. Elle devint une puissante héritière, et son père qui ◀l’▶aimait autant qu’elle était aimable, songea sérieusement à ◀l’▶établir sitôt qu’elle eut atteint sa quinzième année. Elle était grande pour son âge, parfaitement bien faite et très belle. Son esprit cultivé par tout ce qui peut former celui ◀d’▶une fille ◀de▶ naissance, éclatait à se faire admirer et enchantait tous ceux qui ◀l’▶écoutaient ; en un mot c’eût été une fille parfaite si elle eût été plus maîtresse ◀de▶ son cœur.
Un homme ◀de▶ qualité entreprit ◀de▶ lui plaire, et y réussit ; mais comme il était ◀d’▶une Maison que Cléon n’aimait pas, ou plutôt parce qu’il n’avait pas un bien égal à celui ◀de▶ Silvie, on ne lui conseilla pas ◀d’▶en faire ◀la▶ demande ◀de▶ crainte ◀d’▶être refusé, comme ◀le▶ fut un autre ◀de▶ sa famille et ◀de▶ son nom, quoiqu’il fût plus riche et plus établi qu’il n’était. Verville, c’était ◀le▶ nom du cavalier, soupira donc inutilement pour Silvie, et Silvie soupira inutilement pour lui, n’étant pas nés pour être joints par ◀les▶ nœuds ◀de▶ ◀l’▶hyménée, quoique ◀l’▶amour ◀les▶ unît. Cléon trouva pour sa fille un parti qu’il crut mieux son fait. Il ne ◀l’▶aurait cependant pas obligée à ◀l’▶accepter, si elle lui eût déclaré qu’elle ne pouvait vivre heureuse qu’avec Verville ; mais outre ◀la▶ pudeur qui s’opposait à une telle déclaration, elle craignit que son père n’approuvât pas d’autres vues que les siennes. Elle savait que parmi ◀les▶ gens ◀de▶ sa qualité, ce sont ordinairement ◀le▶ bien et ◀les▶ dignités qui règlent ◀les▶ alliances, sans aucun égard aux inclinations des gens qu’on lie ensemble, qui à proprement parler ne sont que ◀les▶ victimes ◀de▶ ◀l’▶ambition ◀de▶ leurs parents ; ainsi elle regrettait Verville dans ◀le▶ fond ◀de▶ son cœur ; mais elle laissait à son père ◀le▶ pouvoir ◀de▶ disposer ◀de▶ sa main. Il ◀la▶ destina à un des plus honnêtes hommes du monde, parfaitement bien fait et ◀d’▶un vrai mérite, en un mot à un homme capable ◀de▶ se faire aimer ◀de▶ tout autre que ◀d’▶un cœur prévenu.
◀L’▶amour dont Silvie était prévenue pour Verville ne ◀l’▶empêcha pas ◀de▶ rendre justice à Justin, c’était ◀le▶ nom ◀de▶ son mari, parce qu’elle vit en lui un homme tout aimable. ◀Les▶ fréquentes conversations qu’elle eut avec lui, lui découvrirent tout son mérite ; mais son cœur était trop rempli pour lui accorder autre chose que ◀de▶ ◀l’▶estime. Cependant bien persuadée qu’il était digne ◀d’▶elle, elle obéit à Cléon, sinon avec plaisir, du moins sans répugnance. Elle fit ses efforts pour lui livrer son cœur, mais elle n’en eut pas ◀le▶ pouvoir, parce que Verville en était trop ◀le▶ maître.
◀L’▶amour se nourrit et s’augmente par ◀l’▶espérance, mais il ne meurt pas par ◀le▶ désespoir. Verville pensa mourir ◀de▶ douleur et ◀de▶ rage, lorsqu’il ne put plus douter ◀de▶ ce fatal mariage. Il justifiait Silvie, sachant qu’elle n’avait pas pu se dispenser ◀d’▶obéir à son père ; et comme il était entièrement persuadé que tout son cœur était à lui, qu’il en était aimé, mais qu’elle n’en était pas moins perdue pour lui, ces pensées firent dans son esprit une telle impression qu’il en tomba malade. Silvie apprit sa maladie avec une douleur ◀d’▶autant plus violente qu’elle fut obligée ◀de▶ ◀la▶ cacher. Elle lui envoya dire qu’elle prenait part à sa santé, et qu’elle ◀le▶ priait ◀de▶ faire ses efforts pour ◀la▶ rétablir. Il fut ponctuel à exécuter cet ordre, et parut peu de temps après aux yeux de Silvie, qui voyant avec étonnement un si prodigieux changement dans sa personne pour une si courte maladie, ne put s’empêcher ◀d’▶en avoir pitié. Dans ◀le▶ temps qu’elle tâchait ◀d’▶étouffer dans son cœur ◀les▶ tendres sentiments qu’elle sentait pour lui, elle reçut une lettre ◀de▶ sa part, par laquelle il lui mandait, que ne voyant que des objets ◀de▶ douleur et ◀de▶ rage, il était résolu ◀de▶ quitter ◀le▶ pays et ◀le▶ royaume pour aller chercher une mort qui ◀le▶ délivrât tout ◀d’▶un coup des supplices éternels où il était exposé dans ◀le▶ lieu ◀de▶ sa naissance, et ◀la▶ suppliait ◀de▶ lui donner un moment ◀d’▶entretien particulier pour prendre congé ◀d’▶elle ; après quoi, disait-il, il n’aurait plus ◀de▶ regret à sa vie.
A quoi s’expose une femme lorsqu’elle écoute ses sentiments, ou qu’elle n’est pas en garde contre les premiers mouvements ◀de▶ son cœur ? Silvie fit réponse à Verville, et ne fit aucune difficulté ◀de▶ lui accorder ◀l’▶entretien qu’il lui demandait ; et sans prévoir quelle en serait ◀la▶ réussite, elle ◀le▶ pria elle-même que ce fût dans un endroit qui ne lui fût point suspect ; parce que son dessein n’était pas ◀d’▶en venir aussi avant qu’elle en vint. ◀La▶ peur ◀de▶ faire connaître à son époux qu’elle avait eu quelque considération pour Verville, ni même qu’elle connaissait sa personne, lui fit faire ◀la▶ plus grande faute qu’une femme puisse faire, qui est ◀d’▶accepter un rendez-vous dans un lieu où un amant peut être ◀le▶ maître. Verville prévit tout ◀d’▶un coup ce qu’il en pouvait espérer, et ne se crut pas malheureux. Il lui indiqua une maison écartée, où elle se rendit sans en prévoir ◀la▶ conséquence, et seulement dans ◀l’▶intention ◀de▶ recevoir ses adieux et ◀de▶ lui faire les siens ; mais sa faiblesse ◀la▶ trompa aisément. Elle trouva Verville au commencement respectueux, et peu à peu entreprenant ; ce qu’il lui avait dit ◀l’▶avait attendrie, ◀l’▶ardeur qu’il lui témoigna ◀l’▶anima, elle changea ◀de▶ couleur, il s’en aperçut, il ◀la▶ poussa, et enfin après quelque résistance qu’elle fit pour honorer sa défaite, elle succomba. Elle avait dû ◀le▶ prévoir, mais son peu ◀d’▶expérience, et ◀la▶ droiture ◀de▶ ses intentions ne lui avaient pas permis ◀de▶ rien craindre sur sa démarche, ni ◀de▶ faire réflexion qu’une femme présume trop ◀de▶ sa vertu, lorsqu’elle compte ◀de▶ se retirer entière ◀d’▶un rendez-vous qu’un amant lui a donné dans un lieu où rien ne s’oppose à ses vœux, et où au contraire ◀le▶ silence et ◀la▶ solitude ◀le▶ favorisent et donnent tout lieu à ses entreprises.
Une femme qui accorde ◀les▶ dernières faveurs devient esclave ◀de▶ son amant favorisé. Silvie s’en aperçut, en ce que Verville ne parla plus ◀de▶ partir, et qu’au contraire il voulut rester pour jouir ◀de▶ sa conquête. Leurs entrevues néanmoins furent rares, mais elles furent tendres.
Justin s’apercevant enfin des dissipations ◀de▶ son épouse, résolut ◀d’▶en découvrir ◀le▶ sujet, et ◀la▶ surprit un jour qu’elle écrivait une lettre. C’est encore ce qu’une femme ne doit pas faire, parce que ce sont des témoins convaincants qui ne meurent jamais, et qui ne peuvent être récusés. Il ◀la▶ prit, mais n’y ayant point ◀de▶ nom, elle eut ◀la▶ présence ◀d’▶esprit ◀de▶ prendre tout ◀d’▶un coup son parti, et ◀de▶ dire qu’elle écrivait à un parent. Cette lettre n’avait rien ◀d’▶essentiel, n’étant pas achevée, ainsi il ne put faire dessus aucun fondement, mais il ◀l’▶éclaira ensuite ◀de▶ si près, qu’il apprit qu’elle allait dans une maison empruntée où il se trouvait un homme parfaitement bien fait, qu’on ne connaissait pas. Il y alla, et ◀les▶ surprit tous deux tête à tête ; mais ne voyant aucun vestige ◀de▶ ce qui se passait entre eux, et cet époux sage et prudent voulant bien lui-même ne pas s’apercevoir du tour, il leur fut facile ◀de▶ justifier leur surprise sur ◀l’▶étonnement où sa présence ◀les▶ mettait. Justin ◀le▶ crut, ou fit semblant ◀de▶ ◀le▶ croire, et sans se hausser ni se baisser, il n’en fit pas plus mauvais visage à sa femme, et se contenta ◀de▶ ◀la▶ prier ◀de▶ n’entretenir plus ◀de▶ commerce avec Verville, et ◀de▶ cesser ◀de▶ ◀le▶ voir. Elle ◀le▶ promit, et n’en fit rien. Justin en fit ses plaintes à Cléon, qui bien loin de donner dans ◀le▶ sens ◀de▶ son gendre, lui dit que sa fille était sage, qu’il ◀la▶ certifiait telle, qu’elle avait été trop bien élevée pour rien faire ◀d’▶indigne ◀de▶ sa naissance, et qu’il ne ◀la▶ croirait jamais criminelle qu’il ne ◀le▶ vît ◀de▶ ses propres yeux. Il ajouta en parlant à Justin, que dans ◀la▶ figure qu’il faisait dans ◀le▶ monde, il devait se mettre au-dessus ◀de▶ ces faiblesses ; qu’il prît garde à ce qu’il allait faire, afin de ne se pas donner lui-même en spectacle à toute ◀la▶ France ; que sans doute ◀la▶ jeunesse ◀de▶ Silvie était cause qu’elle s’engageait dans des parties dont elle ne prévoyait pas ◀les▶ conséquences ; mais qu’il était très certain que ses actions étaient innocentes ; et il finit son discours en lui citant ces vers :
Justin était trop persuadé ◀de▶ ◀la▶ vérité ◀de▶ cette morale pour ne s’y pas rendre, et outre cela il souhaitait trop que sa femme fût sage, ou du moins qu’elle parût telle, pour contredire son beau-père. Il se rendit ou plutôt feignit ◀de▶ se rendre à ses raisons ; il eut même ◀la▶ prudence ◀de▶ ◀le▶ prier ◀de▶ ne point parler à Silvie ◀de▶ ce qu’il lui avait dit, et cependant continua ◀d’▶examiner et ◀de▶ faire examiner ses actions, et ◀le▶ hasard lui en fit connaître plus que ses soins n’auraient découvert.
Il revenait un jour avec un ◀de▶ ses amis où il avait été dîner, et ◀d’▶où il sortait avec lui dans son carrosse ; en passant dans une rue détournée, et dans laquelle il ne demeurait que du menu peuple, il vit entrer sa femme déguisée dans une maison ◀de▶ peu ◀d’▶apparence, il eût eu ◀de▶ ◀la▶ peine à ◀la▶ reconnaître, et aurait cru s’être trompé, s’il n’avait pas vu sa femme de chambre avec elle. Ce déguisement lui étant suspect, il retourna dès ◀le▶ lendemain matin dans cette rue déguisé lui-même, et s’informa des gens qui demeuraient dans ◀la▶ maison où il avait vu entrer Silvie, et en apprit des choses qui redoublèrent ses soupçons. Il sut que c’était un fripier qui ◀l’▶avait louée et meublée, qu’il ◀la▶ remplissait ◀de▶ gens qu’on ne connaissait pas ; et que pour ◀la▶ garde des meubles, il y faisait loger une femme âgée, qui nettoyait tout. Il alla trouver cette femme, et s’informa ◀d’▶elle si elle avait quelque chambre vide ; et comme elle lui dit que la seconde était à louer, ◀le▶ marché en fut bientôt fait ; il pria cette femme ◀de▶ lui dire quels étaient ◀les▶ autres gens qui logeaient chez elle, parce que, poursuivit-il, comme j’ai beaucoup de nippes et ◀d’▶argent que j’ai apportés ◀de▶ ◀la▶ campagne, je suis fort aise ◀de▶ savoir avec qui je demeurerai ; et si ce sont ◀d’▶honnêtes gens. — Vous n’avez rien à craindre, lui dit cette femme, je loge dans ◀la▶ salle en bas, ◀la▶ porte ferme toujours, et personne ne sort ni ne monte que je ne ◀le▶ voie ; outre cela, il n’y a pas grand monde ici. La première chambre est occupée par un homme ◀de▶ qualité, qui s’est marié en secret, et qui ne vient ici que deux ou trois fois ◀la▶ semaine ; et ◀la▶ femme, qui n’est qu’une simple demoiselle, n’y vient jamais qu’il n’y soit, et ils sont environ une heure ou deux ensemble. Pour ◀les▶ autres, ce sont des gens qui sortent dès ◀le▶ matin, et qui ne reviennent que ◀le▶ soir. — Je ferai tout au contraire, reprit Justin, lorsque je serai dans cette ville. Je viendrai ici ◀le▶ matin et en ressortirai ◀le▶ soir, parce que j’ai quelques affaires qui ne me permettent pas ◀de▶ paraître pendant ◀le▶ jour, ni ◀de▶ rester chez un parent où je couche ; ainsi, dit-il, je ne vous incommoderai pas beaucoup, que pour aller me faire apporter à manger, et dès demain matin je viendrai prendre possession ◀de▶ votre chambre ; et en même temps il lui donna ◀de▶ ◀l’▶argent pour arrhes. Il ne manqua pas dès ◀le▶ lendemain ◀d’▶aller seul dans ce nouveau logis. Il avait dit chez lui qu’il ne reviendrait que ◀le▶ soir, qu’on ne ◀l’▶attendît pas à dîner. Il s’était déguisé comme ◀la▶ veille, et avait renvoyé ses gens en entrant chez un ami. Sitôt qu’il fut arrivé, il chercha ◀le▶ moyen ◀de▶ voir ce qui se passerait dans ◀la▶ chambre qui était sous la sienne, et n’en trouva point ◀d’▶autre que ◀de▶ lever un carreau ◀le▶ plus proprement qu’il put. Après cela, en s’amusant à lire pour soulager son inquiétude, il attendit ◀l’▶arrivée ◀de▶ sa femme et ◀de▶ son amant jusque vers ◀les▶ cinq heures du soir ; il ◀les▶ vit faire collation seul à seul, et tout ce qu’un homme et une femme peuvent faire ensemble.
Messieurs qui m’écoutez, je suis certaine qu’il n’y en a pas un parmi vous qui n’eût joué ici des couteaux, et qui ne fût venu poignarder dans ◀le▶ moment ◀la▶ dame et ◀le▶ monsieur. Justin fut plus sage que vous n’auriez été, et s’il ne s’en mit pas en fait, ce ne fut pas faute de courage ; car ses actions ont témoigné en d’autres occasions, que ◀le▶ fer et ◀le▶ feu ne ◀l’▶épouvantaient pas ; mais ce fut uniquement par prudence, que sans paraître, ni faire aucun bruit, il vit tout ce qu’un homme trahi peut voir de plus injurieux et de plus accablant ; il ◀les▶ entendit se donner un rendez-vous à deux jours ◀de▶ là pour aller se promener ensemble à une maison ◀de▶ plaisance qui était à deux lieues.
Il ne sortit ◀de▶ cette maison que fort tard et longtemps après eux ; et ayant rêvé longtemps au parti qu’il avait à prendre, il commença, sous prétexte ◀d’▶incommodité, à faire lit à part ; mais sa plus grande mortification fut ◀les▶ caresses dont sa femme ◀l’▶accabla. Il lui laissa ◀la▶ liberté ◀d’▶aller à son rendez-vous, où il ◀l’▶y suivit encore déguisé ; et comme ◀les▶ amants n’avaient aucune défiance ◀de▶ lui, ni ◀de▶ qui que ce soit, il lui fut facile ◀de▶ remarquer toutes leurs actions ; il entra même dans ◀l’▶endroit où ils firent collation, et remarqua tout ce qui s’y passait, qui n’était qu’une suite ◀de▶ leur intelligence.
Il revint chez lui où elle arriva peu après ; ils se mirent à table et soupèrent sans qu’il lui dît rien du tout qui pût lui donner matière ◀de▶ soupçon devant ◀les▶ domestiques ; mais après qu’ils furent retirés, il lui demanda où elle avait passé ◀l’▶après-midi. Elle ne lui répondit pas juste ; c’est pourquoi il se fit un plaisir ◀de▶ ◀la▶ faire couper derechef dans ses défaites. Ne continuez pas vos impostures davantage, Madame, lui dit-il avec un ris moqueur, elles me font peine à moi-même ; que n’avouez-vous tout ◀d’▶un coup que vous avez été seule avec Verville vous promener à tel endroit. Après cela il lui particularisa si bien tout, qu’elle connut bien qu’il en était parfaitement instruit. Il ne lui parla nullement ◀de▶ ◀la▶ chambre, ayant ses raisons pour se taire sur cet article ; mais du reste il ◀la▶ mit dans ◀l’▶impossibilité ◀de▶ rien nier. Elle se jeta aux pieds ◀de▶ son mari, et lui fit toutes ◀les▶ protestations imaginables. Il se contenta ◀de▶ ◀l’▶écouter, et ◀de▶ lui dire qu’il ne s’y fiait plus après avoir été une fois trompé ; que désormais elle pouvait agir à sa manière, et qu’il ne ◀la▶ considérait plus assez pour prendre part par ◀la▶ suite à ses actions ; que tout ce qu’il lui demandait était ◀de▶ faire ◀l’▶amour sans conséquence, et ◀de▶ sauver sa conduite par ◀les▶ apparences ; qu’en son particulier pour éviter ◀l’▶éclat et ◀le▶ scandale, il ne prendrait point ◀d’▶autre vengeance ◀d’▶elle que ◀de▶ ◀la▶ mépriser comme une malheureuse. Il ne parla pas même ◀de▶ ◀l’▶aventure à son beau-père, et depuis ce temps-là il n’eut rien ◀de▶ commun avec Silvie que ◀la▶ table, et peu à peu, sans affectation et sur des sujets qu’il fit naître, il lui changea tout son domestique.
Jamais femme n’a été plus mortifiée que celle-là ◀le▶ fut du mépris que son mari faisait ◀d’▶elle ; elle se jeta vingt fois à ses pieds, mais inutilement, pour obtenir son pardon ; il ne voulut jamais revenir, afin, lui disait-il ◀d’▶un air dédaigneux, ◀de▶ ne pas servir ◀de▶ manteau à autrui. Verville s’était éloigné, et elle paraissait n’avoir plus ◀de▶ commerce avec lui ; mais son époux n’en fut pas plus indulgent, et soutint plus ◀de▶ six mois son rôle ◀d’▶époux implacable et sans retour. Il avait ◀d’▶autant plus ◀de▶ sujet ◀de▶ ne se point démentir, qu’il savait que ◀la▶ chambre qu’ils avaient louée dans ◀la▶ même maison où il en avait loué une autre, était toujours payée par ◀les▶ gens prétendus secrètement mariés ; ce qui avait été cause qu’il avait aussi toujours retenu la sienne.
Après plus ◀de▶ six mois ◀d’▶absence Verville revint, et Justin qui ◀le▶ sut, observa ◀de▶ si près sa femme, qu’il apprit qu’elle allait dans ◀la▶ maison en question. Il ne fut plus maître ◀de▶ lui ; cette intrigue soutenue si longtemps par sa femme, lui fit connaître qu’elle ne méritait plus ses ménagements. Il alla trouver Cléon, lui fit un rapport sincère ◀de▶ toute ◀la▶ conduite ◀de▶ sa fille, ◀de▶ ce qu’il en avait vu lui-même, et ◀de▶ tout ce qu’il en avait souffert, et conclut par offrir à son beau-père ◀de▶ lui faire voir ◀les▶ choses à lui-même ◀de▶ ses propres yeux, et ◀le▶ pria que cela fût ; faute de quoi il lui protesta ◀de▶ ◀le▶ faire voir à d’autres, pour s’en faire rendre justice malgré tout ◀l’▶éclat que cela pourrait faire, au lieu que s’il voulait en être convaincu seul, et servir ◀de▶ juge à sa fille, cet odieux secret ne passerait pas sa famille, et n’en serait point diffamée.
Ce parti était trop juste et trop prudent pour n’être pas suivi. Cléon connaissait son gendre pour homme incapable ◀d’▶ajouter une syllabe à ◀la▶ vérité ; cependant tout certain par là du désordre ◀de▶ sa fille, il ne laissa pas ◀de▶ lui dire qu’il voulait tout voir ◀de▶ ses yeux, et qu’il n’en croirait point d’autres témoins. C’était ce que son gendre demandait, et ne ◀le▶ remit pas plus tard qu’au jour même, ◀de▶ peur ◀d’▶accident. Il résolut ◀de▶ ne point du tout quitter son beau-père, et écrivit chez lui qu’on ne ◀l’▶attendît point à dîner, ni même à souper, ayant des affaires qui ◀le▶ retiendraient chez Cléon toute ◀la▶ journée.
Sitôt qu’ils eurent dîné ils allèrent ensemble dans cette chambre ; où ils ne furent pas longtemps sans entendre ouvrir celle ◀de▶ dessous. Ce fut Verville qui entra le premier enveloppé dans un gros manteau gris, sous lequel il y avait un panier rempli ◀de▶ tout ce qu’il fallait pour faire collation ; il couvrit lui-même ◀la▶ table, et tout étant fait, il but un coup et se mit auprès du feu un livre à ◀la▶ main. Une demi-heure ou environ après, Silvie entra enveloppée dans une cape telle qu’on en portait en ce temps-là, une jupe retroussée, et enfin si bien déguisée, que Cléon ne put ◀la▶ reconnaître que lorsqu’elle eut ôté sa cape, et laissé tomber sa jupe. Il ne put pour lors en douter. Elle était coiffée en cheveux, et n’avait qu’une simple robe sans corps. Cléon vit ◀les▶ caresses qu’ils se firent en s’abordant, et enfin voyant qu’ils se joignaient ◀de▶ fort près, il descendit promptement en tirant son gendre après lui ; ils entrèrent tous deux dans ◀la▶ chambre en même temps, et surprirent ◀les▶ deux amants.
Justin qui s’était armé leur porta à chacun un pistolet à ◀l’▶estomac, en menaçant ◀de▶ tuer le premier des deux qui branlerait. Je suis au désespoir, Monsieur, dit-il à Cléon, ◀de▶ vous faire voir un objet aussi désagréable et pour vous et pour moi que celui que je vous présente ; mais ayez ◀la▶ bonté ◀de▶ vous souvenir que vous m’avez dit que vous ne croiriez jamais rien au désavantage ◀de▶ ◀la▶ vertu ◀de▶ votre fille que vous ne ◀le▶ vissiez ◀de▶ vos propres yeux ; il a fallu vous convaincre, et je n’ai pu me dispenser ◀de▶ ◀le▶ faire. ◀Le▶ bonheur qu’elle a ◀d’▶être votre fille lui a sauvé ◀la▶ vie, que je pouvais me sacrifier sans en craindre ◀les▶ suites ; je vous ◀la▶ remets pour en faire tout ce qu’il vous plaira, vous assurant que je n’y prends plus aucune part. Pour son amant, je lui pardonne ◀de▶ tout mon cœur, et ne lui demande pour toute reconnaissance ◀de▶ ◀la▶ vie que je lui laisse, qu’un secret inviolable sur ce qui s’est passé. Monsieur, ajouta-t-il en adressant ◀la▶ parole à Verville, retirez-vous ; mais comptez que la première indiscrétion vous coûtera ◀la▶ vie.
Verville, qui aurait voulu être bien loin, gagna ◀la▶ porte ; mais il ne sortit pas sitôt qu’il ◀l’▶aurait voulu, parce qu’il fut arrêté par Cléon qui était resté immobile sur un siège ◀les▶ larmes aux yeux, tant ◀l’▶état où il avait vu sa fille lui avait été sensible. Monsieur, lui dit-il en ◀le▶ retenant, et en lui montrant Justin, rendez grâces à Monsieur ◀de▶ ◀la▶ vie qu’il vous sauve ; car si vous aviez eu affaire à moi, ou qu’il ne vous eût pas accordé votre pardon, vous ne sortiriez d’ici que par ◀la▶ fenêtre avec cent coups ◀de▶ poignard dans ◀le▶ cœur. Il vous a demandé ◀le▶ secret, et moi je vous ordonne de plus ◀de▶ sortir ◀de▶ ◀la▶ province dans vingt-quatre heures, et ◀de▶ n’y jamais remettre ◀le▶ pied ; sinon comptez que vous êtes perdu ; je n’ai rien à vous dire davantage, retirez-vous.
Après cela Verville sortit, et dans ◀la▶ crainte où il était que Cléon et Justin ne changeassent ◀de▶ sentiment, il ne passa chez lui que pour prendre ◀de▶ ◀l’▶argent et monter à cheval ; et depuis ce temps-là il n’a pas remis ◀le▶ pied dans ◀la▶ province, et n’a eu garde ◀de▶ ◀l’▶y remettre tant qu’il a vécu. Pour vous, malheureuse, poursuivit Cléon en parlant à Silvie, je me réserve votre punition ; j’aurai soin ◀de▶ vous faire faire pénitence. Je vous rends grâces, Monsieur, continua-t-il en s’adressant à son gendre, ◀de▶ ◀la▶ bonté que vous avez eue ◀de▶ ◀l’▶épargner et ◀de▶ sauver ◀l’▶honneur ◀de▶ toute ma famille, et le mien en particulier. Vous avez raison ◀de▶ croire que le vôtre y était intéressé ; mais que ce soit à lui que je doive le mien, je vous promets ◀de▶ n’être point ingrat ◀de▶ votre discrétion. Je vous regarde toujours comme mon fils, et n’ayant pour tous enfants que cette misérable indigne ◀d’▶être ma fille, et que je destine à une prison éternelle, vous pouvez compter sur tout mon bien, dont je vous fais présent dès maintenant, et dès demain je vous en passerai ◀la▶ donation.
Après cela il voulut sortir, et conduire Silvie dans ◀le▶ moment même entre quatre murailles. Non, Monsieur, lui dit Justin en ◀l’▶arrêtant, nous n’avons jusqu’ici fait aucun éclat, n’en faisons point encore ; si vous ◀la▶ meniez présentement, on chercherait ◀le▶ sujet ◀d’▶une absence si prompte, et cela donnerait matière à soupçon. Prétextons son éloignement, et reculons-◀le▶ du moins jusqu’à demain ; vous pourrez ◀d’▶un esprit rassis me demander en présence de mes domestiques ◀la▶ permission pour elle ◀d’▶aller passer quelque temps à ◀la▶ campagne ; j’y consentirai, et vous ◀la▶ mènerez où il vous plaira.
Pendant tout ce temps-là Silvie resta aux pieds tantôt ◀de▶ son époux, tantôt ◀de▶ son père, dans un état digne ◀de▶ compassion. Ils ne jetèrent seulement pas ◀les▶ yeux sur elle ; enfin elle tomba en faiblesse sur ◀le▶ carreau. ◀Le▶ père qui sentit à cette vue ◀les▶ mouvements ◀de▶ ◀la▶ nature, tomba comme elle ; de sorte que c’était un triste spectacle que cette scène. Justin en fut attendri, mais il eut assez ◀de▶ force sur lui-même pour cacher son trouble et son émotion ; il secourut Cléon, et ◀le▶ voyant remis il ◀le▶ laissa avec sa fille qu’il renvoya chez elle, en lui défendant ◀de▶ rien faire voir ◀de▶ sa tristesse, et lui ordonnant ◀de▶ se contraindre si bien que qui que ce soit ne pût s’apercevoir qu’il lui fût rien arrivé ◀d’▶extraordinaire.
◀Le▶ lendemain étant à table tous trois avec encore d’autres gens ◀de▶ leur connaissance, elle demanda elle-même à Justin ◀la▶ permission ◀d’▶aller passer quelque temps à une terre ◀de▶ son père, à plus ◀de▶ vingt lieues ◀de▶ là. Elle lui fut accordée, et Cléon se chargea ◀de▶ ◀l’▶y conduire. Ils partirent en effet ◀le▶ lendemain dans une chaise ◀de▶ poste avec deux domestiques, que Cléon congédia avant son retour, afin que personne ne sût où elle était. Il ◀la▶ mit dans un couvent où elle est restée plus ◀de▶ dix-huit mois à demander pardon au ciel des désordres ◀de▶ sa vie, et à ◀le▶ prier ◀de▶ fléchir ◀l’▶esprit ◀de▶ son mari, à qui elle écrivait très souvent.
Ses prières furent enfin exaucées. Justin peu de temps après alla trouver Cléon, et ◀le▶ pria ◀de▶ lui rendre Silvie. ◀Le▶ pauvre vieillard ne put cacher ◀la▶ joie que cette demande lui donnait. Eh bien, Monsieur, lui dit-il en ◀l’▶embrassant, vous êtes-vous bien consulté ? Je suis prêt à vous ◀la▶ rendre, et j’espère que dans ◀la▶ suite elle vous donnera tous ◀les▶ sujets du monde ◀de▶ vous louer ◀d’▶elle. Je suis charmé ◀de▶ ◀la▶ demande que vous m’en faites. Je ne vous cache pas que c’est ◀la▶ joie ◀la▶ plus sensible que j’aie ressentie ◀de▶ ma vie ; je mourrai content si je vous vois réunis ; comme au contraire je mourrai ◀de▶ douleur si ◀la▶ réunion n’est pas parfaite. Pardonnez, Monsieur, à sa jeunesse ◀les▶ injures qu’elle vous a faites ; oubliez tout ce qui s’est passé, et ◀la▶ regardez comme une autre femme, puisqu’en effet vous ◀la▶ retrouverez toute autre. Promettez-moi cela, Monsieur, et nous irons ◀la▶ requérir ensemble.
Justin ◀le▶ lui ayant promis, ils montèrent tous deux en carrosse pour aller au couvent où elle était. Cléon ne prit que ◀le▶ temps ◀d’▶écrire à ◀la▶ Supérieure ◀de▶ ce couvent qu’ils partaient, et ◀de▶ quelle manière elle devait ◀la▶ faire sortir pour qu’elle vînt ◀les▶ trouver dans ◀l’▶hôtellerie qu’il leur indiqua. Il fit partir un homme exprès avec ordre ◀d’▶aller plus loin, afin qu’il ne se doutât ◀de▶ rien, et ne ◀les▶ rencontrât pas comme il aurait fait s’il était revenu sur ses pas ; après quoi ils partirent. Pendant ◀le▶ chemin, ◀le▶ beau-père félicita son gendre ◀d’▶avoir eu ◀la▶ prudence ◀de▶ ne point faire éclater ses chagrins domestiques, et blâma ceux qui ◀le▶ faisaient, parce qu’outre qu’ils se rendaient ◀la▶ risée du public, ils se mettaient hors ◀d’▶état eux-mêmes ◀de▶ suivre des sentiments plus doux lorsque leur cœur était changé. Ce fut là ◀le▶ sujet ◀de▶ leur conversation, qui ne finit que lorsqu’ils arrivèrent à ◀l’▶hôtellerie. Ils n’y furent pas longtemps, que Silvie y arriva aussi dans un carrosse ◀de▶ voiture, comme si elle venait de plus loin, et ce carrosse fut renvoyé sitôt qu’elle eut mis pied à terre.
Ils descendirent, et allèrent au-devant ◀d’▶elle, pour toujours sauver ◀les▶ apparences, et défendirent à leurs gens ◀de▶ remonter qu’on ne ◀les▶ appelât ; de sorte qu’ils n’entrèrent qu’eux trois dans ◀la▶ chambre. Sitôt qu’elle y fut, elle se jeta aux pieds ◀de▶ son époux, qui ◀la▶ releva ; elle en fit autant à son père, qui ◀la▶ laissa à ses pieds tout ◀le▶ temps qu’il fut à lui faire une fort sévère réprimande, qu’il finit par lui dire ◀de▶ demander pardon à Dieu pendant toute sa vie des fautes qu’elle avait faites, et ◀de▶ supplier son époux ◀de▶ ◀les▶ oublier, et ◀d’▶y contribuer elle-même par une conduite toute opposée à celle qu’elle avait tenue. Tenez, Monsieur, continua ce bon vieillard en ◀la▶ relevant, et en ◀la▶ présentant à son gendre, voilà votre femme que je vous rends, et quoique vous ne ◀la▶ repreniez qu’à ma prière, oubliez que je suis son père, et n’ayez pour elle aucune considération qu’elle ne s’en rende digne.
Et vous, misérable, lui dit-il, comptez qu’après avoir trouvé dans moi un père trop bon et trop facile, vous n’y trouverez qu’un ennemi irréconciliable et un juge sévère, si vous donnez jamais ◀le▶ moindre soupçon ou ◀le▶ moindre sujet ◀de▶ plainte. Enfin il ◀la▶ remit entre ◀les▶ mains ◀de▶ Justin, aux pieds ◀de▶ qui s’étant jetée une seconde fois, il ◀la▶ releva ◀les▶ larmes aux yeux, et ◀l’▶embrassa. ◀Le▶ beau-père se mit ◀de▶ ◀la▶ partie, si bien qu’ils restèrent tous trois quelque temps dans ◀les▶ bras l’un ◀de▶ l’autre. Je vous reprends, Madame, lui dit enfin son époux, je consens ◀d’▶oublier tout ce qui s’est passé, et je ◀l’▶oublie bien sincèrement, oubliez-◀le▶ de même, et tâchons vous et moi, ◀de▶ ne nous donner jamais l’un à l’autre sujet ◀de▶ nous en souvenir. Elle ne répondit que par ses larmes, et son père qui n’en attendit pas ◀d’▶autre réponse, ◀la▶ tira ◀de▶ ◀l’▶embarras où elle était en s’adressant à Justin : C’est une nouvelle femme que vous prenez, lui dit-il, il est juste qu’elle vous apporte une nouvelle dot ; et puisque vous n’avez point voulu accepter ◀le▶ don ◀de▶ tout mon bien pendant ma vie, il sera à vous après ma mort ; cependant en voici des arrhes que je vous donne, vous m’offenseriez ◀de▶ ◀les▶ rebuter, je vous supplie ◀de▶ ◀les▶ accepter comme ◀le▶ gage ◀d’▶une réconciliation sincère. Justin qui connaissait ◀le▶ génie ◀de▶ Cléon, accepta ce qu’il lui présentait ; et enfin ils revinrent ◀de▶ compagnie dans leur demeure ordinaire. ◀Le▶ beau-père ◀les▶ obligea peu de temps après à venir demeurer avec lui, tant pour avoir ◀la▶ consolation ◀de▶ ◀les▶ voir, que pour être toujours à portée ◀d’▶examiner ◀les▶ actions ◀de▶ sa fille. Comme elle était véritablement changée, elle fut ravie ◀de▶ demeurer dans un endroit qui pût lui servir auprès son époux ◀de▶ caution ◀de▶ sa conduite ; elle n’avait pas plus ◀de▶ dix-neuf ans lorsque cette réconciliation se fit ; ainsi on ne peut pas dire que ce fût ◀l’▶âge qui ◀l’▶eût retirée ; on ne peut pas dire non plus que ce fût ◀le▶ regret ◀de▶ ◀la▶ mort ◀de▶ son amant, puisqu’il ne fut tué à ◀l’▶armée que dix ans après, et depuis ce temps-là, c’est-à-dire depuis plus ◀de▶ vingt-cinq ans, elle a vécu et vit encore ◀d’▶une manière toute sainte ; en sorte qu’on ◀la▶ regarde comme un modèle ◀de▶ perfection ; tous ◀les▶ gens qui ◀la▶ connaissent ◀la▶ regardent avec admiration. Elle est une des plus honnêtes et des plus vertueuses femmes qu’il y ait en France ; du moins elle est ◀la▶ plus retirée dans son domestique.
Voilà, Messieurs, continua ◀la▶ marquise, ◀l’▶histoire que je vous avais promise, et à laquelle je n’ai ajouté aucune circonstance ◀de▶ mon invention. ◀La▶ morale qu’on peut en tirer est qu’un honnête homme qui a ◀le▶ malheur ◀d’▶avoir une femme infidèle, doit se contenter ◀de▶ ◀la▶ mépriser, et sauver ◀les▶ apparences, supposé que ◀le▶ désordre ◀de▶ cette femme soit secret ; mais s’il est public, il doit ◀la▶ quitter pour toujours. On en peut inférer encore que ◀les▶ pères et ◀les▶ mères devraient consulter ◀l’▶inclination ◀de▶ leurs enfants avant que de ◀les▶ engager pour toute leur vie dans un état tel que celui du mariage ; mais ◀la▶ meilleure instruction qu’on en peut retirer, c’est qu’une femme ne doit jamais mettre sa vertu à ◀l’▶épreuve.
Vous m’avouerez, s’il vous plaît, Messieurs ◀les▶ Espagnols, que cette modération ◀de▶ Justin est bien plus chrétienne et bien plus à louer que cet usage du poignard et du poison, si familier en Italie et parmi vous.
Puisque Madame et ces Messieurs, reprit ◀le▶ duc de Médoc après que ◀la▶ marquise eut cessé ◀de▶ parler, nous ont avoué avec sincérité ◀le▶ génie ◀de▶ leur nation, il est juste ◀de▶ leur rendre ◀le▶ change, et ◀d’▶avouer qu’il est bien plus chrétien ◀de▶ pardonner que ◀de▶ se venger, et qu’ainsi leurs maximes sont préférables aux nôtres ; cependant nous ne sommes pas ◀les▶ seuls qui nous servions du poignard lorsque nous surprenons nos femmes en flagrant délit, ◀les▶ Français aussi bien que nous s’en servent assez souvent, et quoique cela soit absolument condamnable, il semble qu’il soit permis ◀de▶ ◀le▶ faire, parce qu’on suppose qu’un homme n’a pas pu résister aux mouvements impétueux ◀de▶ ◀la▶ nature, ni à ◀la▶ rage qu’un pareil objet lui a inspiré. Il est vrai que quand ce meurtre est prémédité, il est sans excuse. Cependant ◀l’▶usage s’en est introduit parmi nous, et s’est rendu non seulement tolérable, mais encore familier, et cette vengeance odieuse semble être autorisée par ◀l’▶impunité. ◀La▶ maxime des Français me paraît bien plus sage que ◀la▶ nôtre ; elle pardonne ◀le▶ meurtre dans ◀le▶ moment en faveur des premiers mouvements ◀de▶ colère ; mais elle punit ◀le▶ poison et ◀le poignard comme un assassinat, puisque c’en est un en effet.