Histoire de▶ Monsieur de Terny, et ◀de▶ Mademoiselle de Bernay.
Je ne suis point ◀de▶ cette ville, mais j’y suis venu si jeune, que je me regarde comme un ◀de▶ vos compatriotes. Je suis ◀d’▶une assez bonne maison ◀d’▶une province fort éloignée. Mon nom est fort connu dans ◀le▶ lieu ◀de▶ ma naissance, mais peu ailleurs, si ce n’est par ◀le▶ moyen ◀de▶ quelques parents que j’ai eus, qui ◀l’▶ont porté chez ◀les▶ voisins ◀de▶ ◀la▶ France, chez qui ils ont eu des emplois, et même des établissements. J’étais fort jeune lorsque mon père m’envoya ici apprendre mes exercices, ◀les▶ fortifications, et tout ce qui peut servir à un jeune homme qu’on destine aux armes. ◀La▶ France était dans un calme et dans une tranquillité profonde, dont ses voisins ne ◀la▶ laissèrent pas jouir longtemps. À peine savais-je monter à cheval, et peu d’autres choses convenables au parti que j’embrassais, que je suivis ◀les▶ autres plus âgés que moi. Nous allâmes en Flandres, je ne vous dirai point ce qui s’y passa, ce n’est point une relation que vous attendez ◀de▶ moi, c’est mon histoire particulière et celle ◀de▶ ma femme. Je fus blessé et me fis porter à Calais, tant pour être mieux soigné, que parce que j’avais des parents en Angleterre, dont je recevais des secours plus promptement que ◀de▶ chez moi. J’y trouvai un Parisien, officier blessé comme moi, un peu âgé. Nous y fîmes connaissance, et y liâmes une amitié qui n’a fini qu’avec sa vie. Il s’appelait ◀de▶ Bernay, et était fils ◀d’▶un homme puissamment riche, voilà sa sœur, poursuivit-il, en montrant sa femme. Nous revînmes ensemble à Paris, je retournai à ◀l’▶académie, et ◀la▶ campagne suivante j’entrai dans ◀les▶ Mousquetaires. Je revins encore passer ◀l’▶hiver à Paris. J’y trouvai Bernay, notre amitié se redoubla. Je quittai ◀les▶ Mousquetaires, et pris une compagnie dans ◀le▶ même régiment que lui, et nous fîmes deux campagnes ensemble ; en un mot, nous étions inséparables. Son père même à qui j’eus ◀le▶ bonheur ◀de▶ ne pas déplaire, me témoigna autant ◀d’▶amitié, que depuis il m’a témoigné ◀de▶ haine, c’est-à-dire ◀le▶ plus qu’il put.
Bernay devint amoureux ◀d’▶une très belle femme, cela ne s’opposa point à notre amitié : au contraire il m’en aima davantage, parce que je lui devins nécessaire. Je me raillais quelquefois ◀de▶ lui et ne trouvais pas bon qu’il s’amusât à courir toute ◀la▶ nuit comme il faisait fort souvent. Il voulait me persuader que ◀le▶ seul plaisir ◀de▶ ◀la▶ vie était ◀d’▶avoir une maîtresse, et ◀d’▶en être aimé. Je me moquais ◀de▶ sa morale, et m’en serais moqué longtemps, si je n’avais pas vu sa sœur. J’avais dans ce temps-là vingt-six à vingt-sept ans. Il me dit un jour qu’il avait fait partie pour aller avec Madame d’Ornex sa sœur, voir deux cadettes qu’ils avaient pensionnaires dans un convent à quelques lieues ◀de▶ Paris, qu’ils iraient ◀le▶ lendemain et reviendraient ◀le▶ jour même, et que si je voulais être des leurs, je leur ferais plaisir. Je connaissais Madame d’Ornex, mais je n’avais point encore entendu parler ◀de▶ ses deux autres sœurs, et voulant connaître toute ◀la▶ famille ◀de▶ mon ami, je me mis volontiers ◀de▶ ◀la▶ partie avec ◀d’▶autant plus ◀de▶ plaisir qu’il aimait ◀l’▶aînée ◀de▶ ces deux filles que nous allions voir, parce qu’il en parlait avec feu.
Je n’avais jamais rien aimé, je ◀la▶ vis, j’en fus charmé, et en effet elle était dans ce temps-là parfaitement belle. Suis-je si changée, dit Madame de Temy en ◀l’▶interrompant ? Si tu n’es pas changée aux yeux des autres, reprit-il, tu ◀l’▶es aux miens ; surtout depuis environ deux mois que nous sommes mariés. Quoique ma femme soit laide à présent, continua-t-il en riant, elle me parut belle, et comme elle est changée il faut vous en faire ◀le▶ portrait. Nous voyons ◀l’▶original, dit Madame de Contamine, venez au fait. J’aime dans une belle femme comme vous, Madame, reprit-il, cette charmante impatience, elle témoigne que vous êtes curieuse ◀de▶ ◀la▶ conclusion et des bons endroits. ◀L’▶habit modeste qu’elle avait me ◀la▶ fit paraître un ange en habit noir. Elle portait ◀le▶ deuil ◀de▶ sa mère, j’eus compassion ◀de▶ son malheur. J’avais appris en venant que son père ◀la▶ destinait à être religieuse, aussi bien que son autre sœur. Ses yeux trop peu recueillis pour un couvent, et qui me paraissaient aller à ◀la▶ petite guerre, un air fin et éveillé, des manières dissipées, tout cela me mit en colère ◀de▶ voir si peu de disposition au parti qu’on ◀la▶ forçait ◀de▶ prendre. Je ne pus m’en taire.
Quoi, dis-je à Bernay, vous m’avez parlé en venant ici ◀de▶ vos deux sœurs, comme ◀de▶ deux filles qui n’étaient propres que dans un couvent ; et vous ne m’aviez pas dit que Mademoiselle est belle comme un ange ? Ce ne sont que ◀les▶ laides et ◀les▶ contrefaites qu’il faut séquestrer, poursuivis-je ; mais une fille belle, bien faite, et aussi spirituelle que Mademoiselle paraît ◀l’▶être, c’est un sacrilège tout pur. Je ne conviens pas, Monsieur que je sois belle, reprit Clémence ; mais quand je ◀la▶ serais, je ne vois pas que ce fût un sacrilège, au contraire c’en est un ◀de▶ n’offrir à Dieu que ◀le▶ rebut du monde. Non, Mademoiselle, repris-je avec précipitation, ne vous flattez pas qu’on ne vous offre à Dieu, que parce que vous êtes belle, d’autres intérêts y ont part, et ◀la▶ piété n’y entre pas pour beaucoup. Ce n’est point à Dieu qu’on vous sacrifie, c’est à ◀la▶ fortune ◀de▶ Monsieur et ◀de▶ Madame, poursuivis-je en lui montrant Bernay et Madame d’Ornex, et si vous étiez née ◀l’▶aînée des filles ou ◀d’▶un autre sexe, ◀le▶ couvent ne vous serait jamais ◀de▶ rien, et ne vous sera même ◀de▶ rien, si vous en êtes crue, ou je suis mauvais physionomiste. Avouez-◀le▶ ◀de▶ bonne foi, ajoutai-je, vous vous ferez religieuse, mais ce seront ◀les▶ vœux ◀de▶ votre famille que vous offrirez à Dieu, et non pas les vôtres. Ma sœur est trop raisonnable, reprit Madame d’Ornex fort scandalisée ◀de▶ mes paroles, pour embrasser un état où elle ne serait point appelée. Celui ◀de▶ religieuse veut ◀de▶ ◀la▶ vocation, et je ne crois pas que qui que ce soit voulût ◀la▶ violenter. Si Mademoiselle est maîtresse ◀de▶ ses actions, répliquai-je, elle sera religieuse comme vous, du moins si elle veut m’en croire. J’en croirai là-dessus ◀la▶ raison, dit-elle. J’avoue que j’ai eu quelque peine à me résoudre ◀de▶ passer ici ma vie ; mais enfin je m’y suis déterminée. ◀Le▶ peu que j’ai vu du monde, qui ne m’a pas trop plu et ◀les▶ religieuses qui m’en ont entretenue, m’ont si bien fait voir ◀la▶ différence qu’il y a ◀de▶ ◀la▶ tranquillité où elles vivent, aux désordres et aux embarras qu’on y voit, que j’en suis dégoûtée. Vous ont-elles fait voir aussi, vos religieuses, repris-je, ◀la▶ différence qu’il y a entre ◀la▶ douceur qu’une femme trouve dans ◀les▶ bras ◀d’▶un honnête homme, et ◀la▶ piqûre ◀de▶ vos disciplines ? Ce que vous dites là n’est pas sage, reprit Madame d’Ornex, en rougissant ◀de▶ colère. Je m’en rapporte à vous Madame, lui répliquai-je. Je voudrais bien savoir si vous voudriez être à présent religieuse ? Oui, me dit-elle en soupirant, et je m’aperçus que ses yeux étaient humides. Je ne ◀la▶ pressai pas ◀de▶ me répondre, et Bernay me dit peu de jours après, ◀le▶ sujet ◀de▶ ses pleurs et ◀de▶ sa langueur continuelle.
Cette conversation fut poussée fort loin, et ◀de▶ telle sorte que je crus n’avoir pas fait ma cour à cette dame, et que j’avais dérangé une bonne partie des résolutions ◀de▶ Clémence. Pour mon ami il ne me parut pas y prendre beaucoup de part ; au contraire, il me dit en particulier qu’il n’approuvait point ◀la▶ tyrannie ◀de▶ son père, qui voulait cloîtrer une partie ◀de▶ ses enfants pour avantager ◀les▶ autres. Je restai au parloir ◀le▶ plus longtemps que je pus, et je m’aperçus que ◀les▶ yeux ◀de▶ Clémence me regardaient sans haine. Pendant ◀le▶ chemin ◀de▶ là à Paris, je tins à peu près ◀le▶ même style qu’au parloir, mais plus effrontément, parce que n’étant plus écouté que par un homme et une femme mariée, je ne craignais plus ◀de▶ blesser ◀les▶ oreilles chastes. Madame d’Ornex me dit que je ne ferais pas plaisir à son père ◀de▶ donner ◀de▶ pareilles leçons à ses sœurs. Je n’irai jamais à leur convent, répondis-je, (quoique je ne ◀le▶ pensasse pas de même, mais j’étais bien aise ◀de▶ donner ◀le▶ change à cette femme que je trouvais trop pénétrante) c’est à faire, poursuivis-je, à leurs directeurs ◀de▶ leur parler ◀de▶ dévotion, et à un homme comme moi ◀de▶ leur témoigner du regret ◀de▶ leur clôture. Suis-je ◀d’▶un âge et ◀de▶ profession à être catéchiste ? Il me ferait beau voir parler ◀d’▶extases, ◀d’▶illuminations, ◀de▶ retraites, et d’autres termes ◀de▶ ◀l’▶art que j’ignore, j’en laisse ◀le▶ soin aux autres, mais pour lui parler du monde, c’est mon fait. J’aurais parlé à une autre comme à elle, et encore mieux, car je n’aurais pas eu à ménager ◀l’▶intérêt que vous avez tous deux dans ◀la▶ continuation ◀de▶ son dégoût pour ◀le▶ siècle. Je fis ce que je pus pour ôter ◀de▶ ◀l’▶esprit ◀de▶ cette femme, toutes ◀les▶ impressions qu’elle pouvait avoir ◀de▶ m’avoir entendu parler avec tant de feu ; mais je ne réussis pas. Elle fut cause que je ne fus pas mis ◀d’▶une autre partie qui se fit peu après.
Pour Bernay, je ne lui cachai rien ◀de▶ ce que je pensais. Je fus satisfait ◀de▶ sa réponse, où il me déclara tous ◀les▶ secrets ◀de▶ sa famille. Je ne suis point surpris, me dit-il, en m’embrassant, ◀de▶ ◀la▶ déclaration que vous me faites ; je m’y suis attendu dès que nous sommes sortis du couvent ◀de▶ ma sœur. Si je puis vous y rendre quelque service, je ◀le▶ ferai ◀de▶ tout mon cœur ; mais vous aurez ◀de▶ grands obstacles à surmonter, dont ◀le▶ plus considérable est ◀la▶ volonté absolue ◀de▶ mon père, qui veut qu’elles soient toutes deux religieuses, surtout elle, qu’il n’a jamais aimée, et que ma mère haïssait, parce qu’elle n’a jamais voulu se soumettre à mille complaisances qu’on voulait exiger ◀d’▶elle. Je ◀l’▶ai toujours fort aimée, et je suis sûr qu’elle m’aime bien ; mais que faire pour elle, puisque nous dépendons tous ◀d’▶un père qui ne suit que son caprice, sans s’embarrasser ◀de▶ ◀l’▶inclination ◀de▶ ses enfants ? Ma sœur, Madame d’Ornex, est mariée malgré elle, non pas qu’elle ne voulût point se marier ; mais elle ne voulait pas épouser ◀d’▶Ornex, et mon père ◀la▶ fit choisir tout ◀d’▶un coup entre lui et ◀le▶ couvent, pour ◀le▶ reste ◀de▶ ses jours. Elle est malheureuse avec lui : ce n’est qu’un brutal qui ◀la▶ traite très mal. Elle ne porte point ◀de▶ santé, et ◀la▶ pauvre femme n’a nul crédit ; au contraire père et mari ◀la▶ font désespérer, et ◀la▶ rendent garante ◀de▶ ◀la▶ résistance ◀de▶ ses cadettes à faire leurs vœux. Elles sont toutes deux dans ◀le▶ couvent ◀d’▶aussi bon cœur qu’un oiseau sauvage est en cage ; et quoiqu’elles ne veuillent pas être religieuses ◀de▶ leur bon gré, il faut qu’elles ◀le▶ soient par nécessité : car mon père et ma mère pour marier Madame d’Ornex, ◀l’▶ont tellement avantagée par son contrat ◀de▶ mariage, qu’elle et moi, qui me suis fait faire justice presque ◀le▶ pistolet à ◀la▶ main, et par une force majeure, pour n’être pas sacrifié comme nos cadettes, emporterons tout ◀le▶ bien ◀de▶ ◀la▶ famille. Ce n’est pas, poursuivit-il, que je ne me dépouillasse volontiers en votre faveur ; mais je ne vois pas qu’il y ait rien à espérer du vivant de mon père qui est ◀l’▶homme du monde ◀le▶ plus entier et ◀le▶ plus emporté.
Vous me connaissez mal, lui dis-je, si vous croyez que ◀la▶ considération du bien m’empêche ◀de▶ rechercher votre sœur. Je suis, grâce à Dieu, assez riche pour elle et pour moi, et je dois ◀l’▶être encore un jour davantage : ainsi je vous jure dès à présent ◀de▶ ne jamais vous faire ◀de▶ peine ◀de▶ ce côté-là, et ◀de▶ vous laisser ◀la▶ possession tranquille ◀de▶ tout ◀le▶ bien, y en eût-il vingt fois plus. Vous avez encore à combattre, reprit-il, ◀l’▶esprit ◀de▶ ma sœur, qui est ◀la▶ fille du monde ◀la▶ plus fière, et ◀la▶ plus résolue ; rien n’est capable ◀de▶ ◀la▶ faire démordre. Elle est dans ◀le▶ couvent malgré elle. Il n’y a pas encore longtemps que mon père n’en voulait pas faire une religieuse. Il ne ◀l’▶y laissait que parce qu’il ne voulait pas avoir ◀de▶ filles chez lui. Madame d’Ornex n’en est sortie que pour faire faire ses habits ◀de▶ noce, et pour recevoir avec plus ◀de▶ bienséance ◀les▶ visites qu’on lui rendait. Mon père voulait ◀les▶ marier toutes deux en même temps, son aînée se rendit, mais elle qui a une tête ◀de▶ diable, bien loin ◀d’▶imiter sa sœur et ◀d’▶obéir à mon père, ◀le▶ traita comme un tyran ◀de▶ ses enfants, et conclut par dire qu’elle voyait bien qu’elle était destinée à être malheureuse dans ce monde, soit en épousant un homme qui lui déplaisait, soit en restant dans ◀le▶ couvent malgré elle, et damnée par conséquent dans l’autre monde, n’ayant pas pu faire son salut dans celui-ci ; mais que du moins elle aurait ◀la▶ satisfaction ◀de▶ n’entrer pas toute vive dans ◀les▶ bras du démon. Ce fut ainsi qu’elle baptisa ◀l’▶homme que mon père lui destinait, qui était en effet un très dégoûtant monsieur ; mais ma sœur est une sotte : outre que c’eût été un manteau, il pouvait mourir le premier, et ◀la▶ laisser veuve. Je perdis mes prières pour ◀la▶ faire changer ◀de▶ résolution. Elle fit encore pis, car elle ne voulut jamais dire adieu à mon père quand il s’en alla, et pour ma mère elle lui dit, que si ◀le▶ joli monsieur qu’elle voulait lui faire épouser lui plaisait tant, elle pouvait ◀le▶ garder ; qu’on n’en soupçonnerait jamais du mal, étant bâti ◀d’▶une manière à mettre ◀la▶ réputation ◀d’▶une femme à couvert ◀de▶ ◀la▶ médisance. Enfin elle porta son emportement et son manque ◀de▶ respect si loin, que mon père et ma mère sortirent dans une si grande colère contre elle, qu’ils ◀l’▶ont presque déshéritée. Peut-être en enragera-t-elle, mais il n’est plus temps. Ma mère est morte il n’y a qu’un mois, elle a témoigné du regret à ◀la▶ mort ◀de▶ ◀l’▶avoir si rudement traitée, aussi bien que ◀d’▶avoir forcé ◀l’▶aînée ; mais ce qui était fait ne pouvait pas se rétablir. Malheureuse pour malheureuse, je crois que Madame d’Ornex voudrait être encore dans ◀le▶ convent, et en avoir fait autant qu’elle ; ainsi je ne vois pas que rien se dispose en votre faveur. Si pourtant vous voulez tenter ◀l’▶aventure, je vous donnerai tous ◀les▶ secours qui dépendront ◀de▶ moi.
J’acceptai ses offres et j’allai voir Clémence. Elle me répondit comme une fille mise dans ◀le▶ couvent ◀de▶ son bon gré aurait pu faire ; mais ses yeux me disaient ◀le▶ contraire. Je lui dis tout ce que je sentais pour elle ; je lui montrai mon désespoir ◀de▶ ◀la▶ voir renfermée ; et lui promis que pourvu qu’elle voulût y consentir, je trouverais ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀l’▶en tirer malgré grilles, serrures, murailles et parents. Elle me répondit toujours du même style, et me faisait des signes ◀d’▶yeux que je ne comprenais pas. J’en étais surpris aussi bien que ◀de▶ ses réponses : mais je fus éclairci ◀de▶ tout ; car après m’avoir fait un dernier signe, s’être mordu ◀la▶ lèvre et levé ses yeux au ciel, elle me quitta brusquement, en me disant que je lui ferais plaisir ◀de▶ revenir ◀l’▶après-midi quérir une lettre qu’elle allait écrire à son frère. Je vis sortir une soeur ◀d’▶un coin qui avait entendu tout ce que j’avais dit, et dont ◀la▶ présence avait empêché ◀la▶ sincérité des réponses.
Je sortis pis qu’enragé, je revins ◀l’▶après-midi, je lui donnai un billet par lequel je ◀l’▶assurais ◀d’▶un amour éternel ; et que j’étais préparé à tout événement pour ◀la▶ tirer ◀d’▶où elle était. Je ◀l’▶assurais que je viendrais dans trois jours quérir ◀la▶ réponse que je lui demandais, et ◀la▶ priais ◀de▶ m’indiquer ◀les▶ moyens qu’elle jugerait à propos que je prisse, pour ◀la▶ tirer ◀de▶ prison. Je ◀l’▶instruisais en peu de mots ◀de▶ ce que son frère et moi avions dit. Elle me donna ◀la▶ lettre qu’elle avait écrite, qui fut pour son frère un galimatias. Elle ◀le▶ priait ◀de▶ ne souffrir plus que j’allasse ◀la▶ voir, parce que je lui avais tenu des propos indécents, dont ◀la▶ religieuse qui m’écoutait, était scandalisée. Qu’elle avait eu toutes ◀les▶ peines imaginables à ◀l’▶empêcher ◀de▶ rapporter à ◀la▶ Supérieure ce qu’elle avait entendu. Qu’elle ◀le▶ lui avait pourtant promis, mais à condition qu’elle ne souffrirait plus mes visites. Que pour elle, elle n’avait rien trouvé à redire à mes discours, ayant pris son parti, mais qu’il n’en était pas de même ◀de▶ cette fille. Elle ◀le▶ priait ◀de▶ ◀l’▶aller voir, comme il ◀le▶ lui avait promis.
Ce fut là ce qui nous fit connaître que cette lettre était pour moi, et qu’elle ◀l’▶avait écrite devant cette sœur écoute, à qui elle ◀l’▶avait montrée, et c’était en effet ◀la▶ vérité. Je ◀le▶ priai ◀de▶ n’en rien déclarer, il me ◀le▶ promit, et ◀de▶ me rendre tous ◀les▶ services qui dépendraient ◀de▶ lui, pourvu que cela ne lui fît point ◀de▶ tort auprès de son père, qui ne ◀le▶ lui pardonnerait jamais. J’acceptai ◀les▶ conditions qu’il voulut mettre dans ◀le▶ marché, résolu ◀de▶ pousser ma pointe, et ◀de▶ mettre plutôt ◀le▶ feu au convent que ◀d’▶y laisser Clémence malgré elle. J’y retournai trois jours après, mais ◀la▶ sœur n’avait pas été secrète ; car lorsque j’allai ◀la▶ demander, cette fille vint au parloir, qui m’ayant reconnu, me dit sans façon, que je ne verrais assurément pas Clémence. Je reçus ce compliment comme un effet ◀de▶ ses soins, et je ◀la▶ remerciai si bien, qu’elle en fut scandalisée ; ◀la▶ Supérieure qui vint, ne fut pas mieux traitée, et me traita moi comme un démon, et fut prête à me faire jeter ◀de▶ ◀l’▶eau bénite.
Je revins donc comme j’étais allé. Je priai mon ami ◀d’▶y aller ou ◀d’▶y envoyer. Il me dit qu’il ne pouvait pas quitter son père, et qu’il y envoierait un laquais quand je voudrais. Que je prisse garde à mes actions plus que jamais, parce que ◀les▶ religieuses lui avaient écrit qu’il avait été un homme du monde ◀la▶ voir, qui avait tâché ◀de▶ ◀la▶ dégoûter du couvent. Que cet homme était bien fait, et qu’il était à craindre qu’elle ne s’en laissât persuader. Que même depuis ses visites, elle paraissait avoir plus ◀d’▶indévotion et des distractions plus fréquentes que jamais.
Il écrivit à sa sœur une lettre ◀de▶ créance en particulier pour ◀le▶ porteur, par laquelle il lui mandait, qu’elle pouvait lui donner tout ce qu’elle voudrait m’envoyer. J’y ajoutai un mot ◀de▶ ma main qui disait ◀la▶ même chose. Cette lettre-ci devait être secrète. Il en écrivit une autre, par laquelle il lui mandait qu’il était surpris des plaintes que son couvent faisait ◀d’▶elle, qu’elle souffrait un homme avec scandale ; que cela n’était pas bien, qu’il ne savait qui était cet homme, et qu’il ne voulait point ◀l’▶apprendre, parce qu’il en arriverait trop ◀de▶ malheur. Qu’il fallait que ce fût un homme ◀de▶ qualité, puisqu’il était assez hardi pour brusquer son père et lui, et s’exposer à leur ressentiment ; et qu’afin qu’il ne pût pas corrompre ◀le▶ laquais qu’il y envoierait, s’il se servait toujours du même, il lui envoierait toujours des visages nouveaux. Enfin il ne lui écrivit rien que ◀d’▶un pédagogue, parce que ne doutant pas que cette lettre ne fût vue ◀de▶ son père, il n’était pas fâché ◀de▶ lui faire sa cour, et qu’outre cela, cette manière lui ouvrait mille moyens ◀de▶ nous servir.
Nous envoyâmes donc ce laquais, qui fut un des miens que je connaissais pour habile. Je ◀l’▶instruisis, et lui ayant fait prendre un justaucorps des livrées ◀de▶ Bernay, il me rapporta réponse telle que je ◀la▶ souhaitais… On avance bien plus ses affaires ◀d’▶amour avec une cloîtrée, qu’avec une fille du monde. ◀La▶ raison en est, que tous ◀les▶ hommes sont pour une renfermée matière à tentation, et outre cela, ◀le▶ papier ne rougissant pas, elles s’expliquent bien plus hardiment qu’elles ne parleraient, et s’engagent bien davantage. Elles se font même une espèce ◀d’▶habitude des paroles ◀de▶ tendresse ◀les▶ plus expressives ; et lorsqu’après cela un amant ◀les▶ voit en particulier, il n’a que fort peu de peine à ◀les▶ faire soutenir par des effets, ce qu’elles ont promis par écrit. Je fus convaincu ◀de▶ cette vérité par ◀la▶ lettre que je reçus et que voici.
Madame de Terny voulut en cet endroit empêcher son époux ◀de▶ lire cette lettre, et n’en vint pas à bout. Au contraire elle ne fit qu’augmenter ◀la▶ curiosité ◀de▶ ◀la▶ compagnie ; et comme cette lettre était un peu forte et qu’elle avait honte ◀d’▶en avoir tant écrit, elle se retira. Tant mieux, dit Terny, sa présence me gênait. J’en parlerai avec plus ◀de▶ liberté, et ne vous cacherai pas quelques circonstances que j’aurais tues devant elle. Je ◀les▶ ai apportées toutes sur moi, elles sont longues ; mais ◀les▶ religieuses n’épargnent ni ◀le▶ temps ni ◀le▶ papier, donnent carrière à leur passion, qui seule ◀les▶ occupe faute de dissipation. Et comme elles ne m’ont point ennuyé, je crois qu’elles ne vous ennuieront pas non plus. Tenez, Monsieur, poursuivit-il, en ◀la▶ présentant à Des Ronais, lisez-◀la▶. Il ◀la▶ prit, et lut ce qui suit.
LETTRE.
Je suis extrêmement embarrassée ◀de▶ ◀la▶ manière dont je dois vous répondre. Je crains ◀de▶ vous en dire trop pour mon honneur ; je crains ◀de▶ ne vous en pas dire assez pour exciter votre compassion. Je crains, si je refuse vos offres, ◀de▶ ne retrouver jamais ◀les▶ moyens ◀de▶ sortir d’ici ; outre que je voudrais bien ne devoir ma liberté qu’à vos soins. Mais si je ◀les▶ accepte, j’appréhende ◀de▶ me faire auprès de vous une mauvaise réputation. Je ne sais quel parti prendre ; je voudrais bien sortir d’ici ; je voudrais bien que vous fussiez persuadé que ce n’est qu’à cause de vous que j’en voudrais sortir ; mais je voudrais bien ne vous paraître pas si facile : car, à ce que j’ai ouï dire, ◀les▶ hommes ne mesurent ◀le▶ prix ◀de▶ leurs conquêtes qu’au plus ou moins ◀de▶ facilité qu’ils ont trouvé à ◀les▶ faire. Dès la première fois que vous m’avez vue, vous avez lu dans mes yeux toute ◀l’▶aversion que j’ai pour ◀le▶ convent, n’y auriez-vous point vu aussi ◀les▶ troubles que votre présence excitait dans mon cœur ? Je n’ai aucune expérience du monde ; ce que je dis me paraît trop fort et trop hardi pour une fille : il me paraît en même temps trop faible et trop timide, pour bien exprimer ce que je sens. Je crains ◀de▶ ne pas compatir avec ◀les▶ embarras du monde, si ce qu’on m’en a dit est vrai ; mais je ne puis me résoudre à ◀la▶ retraite, parce que je ne vous verrais pas. Il faut pourtant que je renonce à vous voir, tout ◀le▶ couvent est scandalisé des propos que vous m’avez tenus. On vous regarde comme un démon que ◀l’▶enfer a déchaîné pour me venir tenter. Il n’y a que moi qui approuve tout ce que je vous ai entendu dire. Mon cœur n’écoute que ses raisons, il vous justifie ◀de▶ sa propre autorité, et s’en tient à son jugement. Vous m’avez dit, et vous m’avez écrit que vous m’aimiez : je crois que vous dites aussi vrai que moi, quand je dis que je vous aime. Je n’accepte point vos offres, on ne me presse point ◀de▶ faire mes vœux. Tant qu’on ne me pressera pas ◀de▶ prendre un engagement, je resterai dans ◀les▶ termes où j’en suis ; mais si on veut me forcer, je vous ferai souvenir ◀de▶ votre parole. Ne souhaitez point qu’on me force, mes désirs peut-être s’accorderaient avec les vôtres, et ce serait trop ◀de▶ vouloir tous deux ◀la▶ même chose en même temps. Par quel dessein êtes-vous venu dans mon couvent ? Pourquoi prendre si généreusement mon parti ? Pourquoi me dégoûter ◀de▶ ◀la▶ clôture ? Je comptais sur tous ◀les▶ chagrins que ma famille m’a donnés, ils me faisaient regarder ◀le▶ convent comme ◀l’▶unique port aux malheurs que je prévoyais dans ◀le▶ monde. ◀L’▶amant qu’on m’avait offert, m’avait inspiré ◀de▶ ◀l’▶horreur pour tous ◀les▶ autres. Je n’avais jamais vu que des gens ◀d’▶Église trop âgés et trop dégoûtants pour inspirer ◀de▶ ◀la▶ tendresse. Ils ne me parlaient que des troubles ◀de▶ ◀la▶ vie. Je n’avais jamais rien vu qu’un père injuste et violent. Je n’avais jamais vu ◀d’▶homme capable ◀de▶ se faire aimer que mon frère. ◀La▶ nature et ◀le▶ devoir m’avaient défendue contre lui. Tout cela m’avait fait trouver mon état supportable. Je vous ai vu, mes réflexions se sont évanouies. ◀Le▶ mariage infortuné ◀de▶ ma sœur ne me fait plus trembler. Mon couvent me paraît une prison affreuse ; et je ne crains plus ◀les▶ embarras du monde. Entretenez toujours ◀l’▶amitié ◀de▶ mon frère ; elle ne nous sera pas inutile. Engagez-◀le▶ à vous faire tenir mes lettres, et à me faire rendre les vôtres. Notre commerce est contre ses intérêts, peut-être suis-je folle pour croire qu’il y voudra prêter ◀les▶ mains ; cependant il est honnête homme, et je compte sur son amitié. Agissez à cet égard, avec prudence ; ◀les▶ occasions ◀de▶ nous voir ne dépendent point ◀de▶ moi. Si vous en tentez quelqu’une, vous me ferez resserrer plus que jamais, si vous n’en tentez point, vous me désespérerez, faites encore là-dessus ce qu’il vous plaira. N’envoyez ici que des laquais bien instruits, et toujours une lettre dévote, parce que je suis obligée ◀de▶ ◀les▶ faire voir à ◀la▶ Supérieure. Qu’on me donne ◀les▶ réponses de même. Adieu, je ne vois pas que je suis trop longue ; mais pardonnez cela à ◀l’▶inutilité où je suis dans un couvent, peut-être à présent plus occupée que je ne voudrais des troubles ◀de▶ mon cœur, des espérances et des craintes qui m’agitent.
Je montrai cette lettre à Bernay. C’est aller bien vite, dit-il en riant ; et c’est en savoir beaucoup à dix-huit ans, sans avoir vu ◀le▶ monde : on appelle cela faire bien du chemin en peu de temps. Effectivement, poursuivit-il, ◀les▶ pères et ◀les▶ mères exposent terriblement ◀la▶ vertu ◀de▶ leurs enfants, lorsqu’ils ◀les▶ obligent ◀d’▶embrasser une vie renfermée sans aucune vocation ! Mais dites-moi sincèrement à quelles démarches voulez-vous engager ma sœur ? Je vois bien qu’elle ne sera jamais religieuse ; je ◀la▶ connais, elle fera tout ce que vous voudrez, j’en suis persuadé ; mais que voudrez-vous qu’elle fasse ? Je ne veux pas, répondis-je, rien exiger ◀d’▶elle qui puisse lui faire tort, ni devant Dieu, ni devant ◀les▶ hommes ; mais très assurément, j’empêcherai qu’elle soit religieuse. Je me soucie là-dessus ◀de▶ ◀la▶ colère ◀de▶ votre père, comme du vent qui soufflait il y a mille ans. Je ne demande qu’à ◀l’▶épouser ; et pour cela je vous demande ◀de▶ ne nous être pas contraire. Écoutez, je m’engagerai, me dit-il, par tous ◀les▶ serments que vous voudriez exiger ◀de▶ moi, que je vous servirai en tout et partout, envers et contre tous, que je vous garderai un secret inviolable, que je faciliterai son enlèvement, s’il est nécessaire ◀d’▶en venir jusque-là, pour vous ◀la▶ mettre entre ◀les▶ bras ; mais je veux que vous me juriez aussi ◀de▶ ne ◀l’▶engager à rien sans ma participation ; car ◀de▶ ◀l’▶humeur entreprenante comme elle est, si vous étiez assez fourbe pour ◀la▶ tromper, vous en viendriez facilement à bout (et cela ne se terminerait que par ma vie ou ◀la▶ vôtre.) Je lui jurai tout ce qu’il voulut, et nous nous engageâmes si bien l’un à l’autre, que depuis ce moment nous nous sommes regardés comme frères.
Il était attaché à Paris par une amourette, et moi par sa sœur. Nous aurions bien voulu y rester quelque temps ; mais ◀le▶ Roi ne nous consulta pas ; nous eûmes ordre ◀de▶ partir dès ◀la▶ fin ◀de▶ janvier, temps mal propre pour faire ◀la▶ guerre ; mais ◀le▶ Roi qui ne se ménageait pas plus que ◀le▶ moindre volontaire, avait insensiblement désaccoutumé ◀les▶ troupes ◀d’▶attendre ◀la▶ saison ; il fallut donc se résoudre à partir. Je ne voulus pas faire ◀la▶ campagne sans voir Clémence. J’y allai avec son frère, il ◀la▶ vit et lui parla ; mais on me refusa ◀la▶ porte, quelque colère qu’il en montrât, ◀le▶ père qui avait été instruit ◀de▶ ce qui s’était passé, et qui avait enfin su que c’était moi, avait expressément défendu ◀de▶ ◀la▶ laisser voir à qui que ce fût, qui ne fût ◀de▶ sa famille. Mon ami m’en témoigna son chagrin, j’en fus au désespoir : mais je ne me rebutai pas, et je cherchai tant de moyens, qu’enfin j’en trouvai un tout à fait extraordinaire.
J’avais un valet de chambre nommé Gauthier, ◀le▶ même qui a tant donné ◀de▶ jalousie à Monsieur Des Ronais ; je ◀l’▶ai encore, il sait un peu peindre : j’ai toujours eu ◀de▶ ◀la▶ confiance en lui. Je lui fis part ◀de▶ mon embarras, nous cherchâmes quelque invention pour me satisfaire, et nous nous arrêtâmes à celle ◀de▶ me déguiser si bien, qu’on ne pût pas me reconnaître. Je demandai à Bernay s’il n’irait plus voir sa sœur, il me dit que non, mais qu’il devait lui envoyer des livres qu’elle lui avait demandés. Je ◀les▶ pris avec un habit ◀de▶ ses livrées. Mon valet de chambre me peignit ◀le▶ visage avec une certaine composition, que ◀les▶ peintres nomment pastel ; et me changea tellement ◀les▶ traits et ◀la▶ couleur, que je ne me reconnus plus moi-même. J’allai voir mon ami ainsi déguisé, je lui donnai un billet ◀de▶ moi, par lequel je ◀le▶ priais ◀de▶ me faire réponse. J’avais pris un justaucorps ◀d’▶un ◀de▶ mes gens, il ne me reconnut pas ; mais comme il connaissait tous mes domestiques, il me demanda depuis quand j’étais au service ◀de▶ Monsieur de Terny. Je ne pus m’empêcher ◀de▶ rire, et ma voix me découvrit. Il admira ◀l’▶invention, et s’en servit ◀le▶ même jour, pour aller dire adieu à sa maîtresse, dont ◀le▶ mari jaloux avait découvert une partie ◀de▶ ◀l’▶intrigue, et pensé faire un mauvais parti, depuis peu de temps, à l’un et à l’autre.
Vous riez, poursuivit ◀de▶ Terny, en s’interrompant soi-même, vous croyez que ce déguisement est un incident ◀de▶ roman purement inventé, il n’est pourtant rien de plus vrai, et j’en puis répondre, puisque c’est moi-même qui m’en suis servi. Ma femme et mon valet de chambre sont tous deux pleins ◀de▶ vie, et… Poursuivez, interrompit en riant Madame de Contamine, ◀le▶ pastel est venu fort à propos, ◀les▶ yeux et ◀la▶ voix ne tiennent point contre.
Je sois damné, reprit-il, si j’impose ◀d’▶un mot. Ne craignant donc plus ◀d’▶être découvert, je pris ◀le▶ chemin du couvent, et je demandai Clémence de la part de son frère. Il y avait une lettre ◀de▶ lui et une autre ◀de▶ moi, par laquelle je ◀l’▶instruisais que j’en étais ◀le▶ porteur. Je lui donnai ◀le▶ tout, et déguisai ma voix ◀le▶ plus qu’il me fut possible. Je lui dis que je reviendrais ◀l’▶après-midi quérir ◀la▶ réponse. Je ne restai qu’un moment crainte ◀de▶ donner du soupçon ; j’affectai même toutes ◀les▶ manières ◀d’▶un idiot. Elle me parut abattue et changée, et sa sœur que je vis aussi, me parut bien plus propre à faire figure dans un bal que dans un couvent. Elle n’y a pas été longtemps, je croyais ne travailler que pour en faire sortir Clémence, et par succession ◀de▶ temps, j’ai été cause que ◀la▶ cadette en est sortie. Quoiqu’elle me haïsse ◀de▶ tout son petit cœur, elle m’a pourtant ◀l’▶obligation ◀d’▶être décloîtrée.
Je retournai dans ce couvent ◀l’▶après-midi : ◀les▶ deux sœurs me donnèrent leurs lettres, et toujours avec mes airs ◀de▶ niais, nous nous dîmes Clémence et moi bien des choses que nous seuls entendions. J’en partis chargé ◀de▶ lettres et ◀de▶ compliments pour mon ami, et voici celle que Clémence m’écrivait ; lisez-◀la▶ s’il vous plaît. Des Ronais ◀la▶ prit et lut ce qui suit.
LETTRE.
Votre visite m’expose aux risques ◀de▶ ◀la▶ pénitence du couvent, quoiqu’elle ne me cause qu’une joie imparfaite. Je n’ai point reconnu dans vous des traits si vivement gravés dans mon cœur. Votre déguisement me passe ; comment des indifférents vous auraient-ils reconnu, puisque je m’y suis trompée ? Venez me voir encore si vous pouvez, puisque vous partez demain, je ne m’y attends plus. Que vais-je devenir ? Ne vous ai-je vu que pour vous perdre ? Vous m’aviez promis ◀de▶ me tirer d’ici, vous partez et vous m’y laissez ! Ne deviez-vous pas me mettre dans ◀la▶ nécessité ◀de▶ vous suivre ; vous m’auriez déguisée près de vous, autant que vous ◀l’▶avez été près de moi. Que dis-je ? Toute ma raison cède au désespoir où votre départ me jette ; je ne me connais plus ; quelle vie vais-je mener ! Et vous quelle sûreté me donnez-vous ◀de▶ ne me point oublier ? Dois-je en croire vos lettres et vos serments ? Votre départ ne ◀les▶ dément-il pas ? Quelle sûreté pour ◀l’▶avenir ? Ou plutôt quelle certitude ◀de▶ votre peu de sincérité ? Je ne vous ressemble pas, je tiendrai mieux ce que je vous ai promis. Je ne vous oublierai jamais ; et dans toutes ◀les▶ amertumes qui vont empoisonner ma vie, vous serez ◀le▶ seul que je réclamerai. Hélas ! c’est à présent que je regarde mon couvent comme mon asile ! Quel plaisir ai-je à espérer dans ◀le▶ monde ? C’est assez pour vous ◀de▶ m’avoir tout à fait vaincue, vous méprisez votre victoire. J’ai refusé un homme qu’on m’offrait, celui à qui je me suis offerte m’abandonne ! Malheureuse ! J’abandonne tout à mon tour. Adieu Monsieur, votre départ m’apprend à ne plus compter sur vous, et tout ◀le▶ reste du monde ne m’est ◀de▶ rien. Ne vous opposez plus à ◀la▶ tranquillité ◀de▶ ma vie que je vais chercher. Mais non, je ne pourrai jamais calmer ◀les▶ troubles que votre seule idée conservera dans mon cœur. Votre lettre, votre déguisement me parlent en votre faveur. ◀L’▶amour-propre me dit que vous m’aimez encore. Votre éloignement m’en veut désabuser, lequel croirai-je ? Je me rends à vos raisons. Je crois que vous m’aimez ; mais est-ce bien me ◀le▶ prouver, que ◀d’▶aller ◀de▶ gaieté ◀de▶ cœur exposer votre vie pour des intérêts, où mon amour ne veut point prendre ◀de▶ part ? ◀L’▶honneur vous ◀l’▶ordonne, ◀l’▶amour ne vous ◀le▶ défend-il pas ? Vous me sacrifiez à tout ; et moi je ne regarde plus rien que par rapport à vous. J’exécuterai vos ordres, je me conformerai à ◀la▶ nécessité où je suis ◀de▶ ne me plus faire ◀d’▶ennemis. Je tâcherai ◀de▶ regagner ◀la▶ confiance ◀de▶ mon père, vous me ◀l’▶ordonnez cela me suffit. Mais si ◀l’▶on en vient jusques au point ◀de▶ m’obliger à renoncer tout à fait à vous, adieu ◀le▶ déguisement, je reviendrai moi-même. Je vous instruirai ◀de▶ tout ce qui m’arrivera, ◀l’▶amour m’en donnera ◀les▶ moyens ; ce sera à vous ◀d’▶y chercher du remède. Mais si vous ne me secourez pas, assurez-vous que ◀la▶ mort me délivrera ◀de▶ ◀la▶ nécessité ◀de▶ faire des vœux contraires à ceux que je fais ◀d’▶être à vous ◀de▶ quelque manière que ce puisse être. Je sors des bornes que ma pudeur me devrait prescrire je ◀le▶ sens bien, mais ma passion m’accable et triomphe ◀de▶ ma raison. Adieu, ayez soin ◀de▶ mon frère, soyez toujours bons amis ; instruisez-moi ◀de▶ tout ce que vous ferez, et revenez ◀le▶ plus tôt qu’il vous sera possible.
Nous partîmes ◀le▶ lendemain, Bernay et moi, reprit Terny. Nous allâmes ensemble jusqu’à Fribourg. Je vins avec Monsieur de Turenne jusqu’à Strasbourg ; et lui, il fut ◀d’▶un détachement commandé par Monsieur de Duras : je ne vous parlerai point ◀d’▶une des plus glorieuses campagnes ◀de▶ ce grand homme que nous perdîmes peu après. Nous repoussâmes ◀les▶ Allemands, nous ◀les▶ poursuivîmes, et lorsque je crus aller me rejoindre à Bernay, j’appris qu’il avait été tué trois jours auparavant dans une rencontre proche ◀d’▶Offembourg. Je ne vous dirai point quel regret j’eus ◀de▶ sa perte, elle me fut trop sensible pour en renouveler ◀la▶ douleur. J’eus des nouvelles ◀de▶ Paris toutes différentes, Clémence m’écrivit que Madame d’Ornex sa sœur était morte, maudissant père et mari, qu’elle n’avait jamais voulu voir qu’une heure avant sa mort, et qu’elle qu’on avait envoyé quérir dans son couvent, était chez son père. Je regrettai cette dame, parce qu’elle m’avait toujours paru fort vertueuse. J’espérai que Monsieur de Bernay frappé ◀d’▶un exemple si récent et si funeste, ne contraindrait plus ni Clémence, ni sa sœur, qui étaient devenues deux riches héritières. J’espérai qu’il ◀les▶ laisserait maîtresses ◀d’▶elles-mêmes, ou du moins qu’il ne ◀les▶ violenterait pas. Je m’abandonnai au plaisir ◀de▶ savoir que Clémence n’était plus renfermée. Je crus avoir tout lieu ◀d’▶espérer qu’elle serait à moi du consentement même ◀de▶ son père, et je revins à Paris dans cette pensée qui me trompa.
Je trouvai sa fille chez lui, il était très malade, non pas du chagrin ◀de▶ ◀la▶ mort ◀de▶ ses enfants, il était trop dur pour en prendre, mais malade ◀de▶ ◀la▶ fatigue qu’il s’était donnée à faire enrager ◀d’▶Ornex, pour retirer ◀de▶ lui ◀la▶ dot qu’il avait donnée à sa fille. Comme ces deux hommes sont de même pâte, leur union s’était rompue par ◀le▶ partage ◀de▶ leur intérêt. ◀Le▶ beau-père chicanait ◀le▶ gendre, qui ◀de▶ son côté ne ◀l’▶épargnait pas, chacun ayant trouvé un homme capable ◀de▶ lui tenir tête, ce fut un plaisir ◀de▶ ◀les▶ voir plaider. ◀Le▶ procès, à force ◀d’▶être civil, devint enfin criminel, ils s’accusaient l’un l’autre ◀d’▶être ◀la▶ cause ◀de▶ ◀la▶ mort ◀de▶ ◀la▶ défunte. ◀Le▶ beau-père cita tous ◀les▶ mauvais traitements du gendre à sa femme, il ◀les▶ peignait ◀de▶ toutes ◀les▶ couleurs ◀les▶ plus touchantes. Son avocat ◀l’▶avait cité ◀de▶ son caractère, et pour lui faire plaindre sa fille avec plus ◀d’▶emphase, il ◀le▶ revêtait ◀de▶ toute ◀la▶ tendresse ◀d’▶un bon père, et ◀de▶ ◀la▶ pitié ◀la▶ plus vive.
◀D’▶Ornex ◀de▶ son côté montrait ◀la▶ mauvaise foi ◀de▶ Bernay, et en déclarant qu’il avait épousé sa femme malgré elle, il se couvrait lui-même ◀de▶ confusion ; mais il voulait faire voir ◀la▶ dureté que son père avait eue pour elle, aussi bien que pour ses sœurs, dont ◀le▶ peu de vocation fut cité. Il déclamait contre lui, sur tout ce qu’il avait fait à sa fille, qu’il avait même frappée depuis son mariage. Enfin ces deux hommes donnèrent à rire à tout le monde. Leurs amis communs firent cesser ce scandale public en ◀les▶ accommodant peu de temps après ; mais ◀le▶ beau-père avait pris ◀l’▶affaire tellement à cœur, et s’était tellement fatigué à ◀la▶ poursuivre, qu’il en était tombé malade, autant ◀de▶ ◀l’▶esprit que du corps. J’espérais qu’il en mourrait, je demandais tous ◀les▶ jours à Dieu ◀la▶ fin ◀de▶ sa vie. Je ne fus point exaucé ; il revint ◀de▶ cette maladie, après avoir gardé ◀le▶ lit près de quatre mois, pendant lesquels je vis tous ◀les▶ jours Clémence, sans qu’il ◀le▶ sût ; car aussitôt qu’il avait su mon retour, il lui avait défendu ◀de▶ me voir et ◀de▶ me parler.
Il avait été instruit que ç’avait été moi qui avais si bien dégoûté sa fille du couvent. Je n’ai jamais su que ce seul endroit qui ait pu m’attirer sa haine, et je suis persuadé que si sa fille et moi ne nous fussions point aimés l’un l’autre, il aurait consenti à notre mariage. C’est son humeur, il ne peut voir sans chagrin ◀l’▶union ◀de▶ personne, et pour lui plaire, il faut être dans un perpétuel désordre. Ne sachant point cette défense, j’allai chez lui ; il me reçut assez mal, je crus que c’était un effet ◀de▶ sa maladie. Je vis sa fille qui voulant se bien remettre dans son esprit, s’abaissait à des services indignes, non seulement ◀d’▶une fille ◀de▶ naissance, mais même ◀d’▶un domestique, à moins qu’il n’ait été pris exprès. Je n’ai jamais vu ◀de▶ malade plus brutal. Il eut assez peu de considération pour ma présence, pour ◀la▶ frapper devant moi, et lui jeter au visage un verre qu’elle lui avait donné pour boire. Ma visite fut courte, je souffrais trop pour ◀la▶ faire longue. Je sortis ◀de▶ sa chambre, et j’attendis sa fille à côté. Elle vint, nous descendîmes dans une salle. Ce fut là que nous nous fîmes toutes ◀les▶ caresses dont nous pûmes nous aviser, et que nous nous parlâmes pour la première fois seul à seul. Je ◀la▶ plaignis, elle me dit que je ne voyais pas tout ; et qu’il n’y avait pas ◀de▶ fille plus malheureuse qu’elle. Nous prîmes des mesures pour nous voir tous ◀les▶ jours. Comme aucun des domestiques n’approuvait ◀la▶ conduite dure et barbare du père, qui leur faisait horreur, et que chacun ◀d’▶eux était fâché ◀de▶ voir leur jeune maîtresse traitée si cruellement, tous lui prêtaient ◀la▶ main et ◀l’▶aimaient. Je ◀la▶ voyais donc tous ◀les▶ jours, et tous ◀les▶ jours j’apprenais quelque nouvelle extravagance ◀de▶ son père. Il faut que je lui rende ◀la▶ justice qui lui est due, quelque plainte qu’elle m’en fît, elle ne sortit jamais du respect qu’une fille doit à son père, tel soit-il. Elle me témoigna qu’elle aurait voulu être encore dans son couvent, et qu’elle ne restait chez lui qu’à cause de ◀la▶ facilité qu’elle avait à me voir.
Etant dans ces sentiments, je n’eus pas beaucoup de peine à ◀la▶ résoudre ◀de▶ se laisser enlever ; mais afin de donner prétexte à cette démarche, je ◀la▶ fis demander en mariage avec ◀le▶ consentement ◀de▶ mes parents, qui eurent assez ◀de▶ peine à me ◀le▶ donner, quoique j’eusse pu m’en passer. Je puis dire, sans ostentation, que par toutes sortes ◀d’▶endroits Clémence ne pouvait pas mieux trouver que moi. Tous ◀les▶ gens à qui j’en parlai, crurent ◀l’▶affaire faite, elle ni moi ne ◀le▶ crurent pas. Il savait que j’aimais sa fille, et qu’elle ne me haïssait pas, c’en fut assez pour me ◀la▶ refuser. Il répondit que sa fille n’était point pour moi, et que je ne lui plaisais pas. Il était vrai, on disait que j’étais honnête homme, c’était ◀le▶ moyen ◀de▶ n’être pas ◀de▶ ses amis. Il ne donna aucune raison ◀de▶ son ridicule refus, qu’il consentirait plutôt que sa fille épousât ◀le▶ diable que moi. Nous nous étions attendus à cette réponse qui ne nous surprit pas, et nous prîmes tout ◀de▶ bon ◀le▶ parti ◀de▶ ◀l’▶enlèvement, et ◀d’▶aller nous épouser hors de France, ce que nous ne pouvions pas faire à Paris incognito pour plusieurs raisons très considérables, dont ◀la▶ religion n’était pas ◀la▶ moindre ; car en ce temps-là j’étais encore du troupeau égaré, comme vous ◀l’▶appelez, et que nous appelions nous ◀le▶ troupeau réformé. Cela n’avait point empêché que Clémence ne m’aimât, et que son frère n’eût été mon intime ami ; ce n’était point une des raisons du refus ◀de▶ son père, car il me croyait catholique comme lui.
Quoi qu’il en soit, nous fîmes dessein ◀de▶ passer en Angleterre, où j’aurais trouvé ◀de▶ ◀l’▶appui et ◀de▶ ◀la▶ protection. ◀La▶ vérité est que j’étais bon catholique dans ◀l’▶âme, mais j’étais retenu ◀de▶ me déclarer à cause ◀d’▶une vieille tante que j’avais, dont je devais hériter, et qui m’aurait exhérédé aussi bien qu’un ◀de▶ mes cousins. Son bien était très considérable, ainsi je me ménageais auprès ◀d’▶elle, et je comptais sur son appui. Elle me ◀l’▶avait promis, lorsque je lui avais mandé plus ◀d’▶un an auparavant, que mon dessein était ◀d’▶empêcher une fille ◀d’▶être religieuse malgré elle. Elle m’avait répondu que c’était une action ◀de▶ charité, et s’était déchaînée ◀d’▶une terrible manière contre ◀les▶ couvents. Je voudrais avoir sa lettre ici, pour avoir ◀le▶ plaisir ◀de▶ vous faire voir ses expressions. Elle pouvait, sans scandale, en dire tout ce que bon lui semblait. ◀Les▶ vœux ◀de▶ chasteté qu’on y pratique étaient pour elle des vœux horribles. Elle avait si peu aimé cette vertu, que ◀la▶ mort ◀de▶ son quatrième mari, dont elle était restée veuve à plus ◀de▶ cinquante-deux ans, lui en avait fait chercher un cinquième. ◀Le▶ bien qu’elle avait, lui en avait fait trouver ; mais ◀le▶ consistoire et ◀les▶ ministres s’étaient opposés à ce scandale. Je ne doutais pas qu’elle ne m’appuyât fortement, je lui écrivais dans ce sentiment, et pour ◀l’▶engager à tout faire, je lui mandais que ◀la▶ fille en question, qui était ◀la▶ même dont je lui avais déjà écrit, était prête ◀de▶ passer avec moi en Angleterre, et ◀d’▶y embrasser ◀la▶ religion réformée. Je ◀la▶ piquais ◀de▶ ◀l’▶honneur ◀de▶ sauver une âme à Dieu en ◀la▶ retirant ◀de▶ ◀la▶ religion du pape ; en un mot, ma lettre était ◀d’▶un véritable huguenot. Elle aurait assurément donné dedans, et vendu pour m’envoyer ◀de▶ ◀l’▶argent, tout ce qu’elle aurait pu vendre ; mais grâce à Dieu, ma lettre n’arriva que deux jours après sa mort, et j’en reçus ◀la▶ nouvelle dans ◀le▶ temps que je préparais tout pour ◀l’▶entreprise.
Je montrai ces nouvelles à Clémence ; je ◀la▶ priai ◀de▶ souffrir encore quelque temps ◀la▶ mauvaise humeur ◀de▶ son père. Je lui remontrai qu’il m’était ◀de▶ la dernière conséquence ◀d’▶aller recueillir cette succession. Je lui promis ◀d’▶être bientôt ◀de▶ retour avec tout ◀l’▶argent comptant que je pourrais faire. Nous changeâmes ◀le▶ dessein que nous avions eu ◀d’▶aller en Angleterre, en celui ◀d’▶aller à Avignon sur ◀les▶ terres du pape, où j’espérais faire des connaissances, puisque j’allais m’en approcher. Je lui avais juré ◀de▶ me faire catholique, je lui tins parole, et j’allai faire mon abjuration chez Messieurs ◀de▶ ◀l’▶Oratoire, l’un desquels avait beaucoup travaillé à mon instruction il y avait plus ◀de▶ quatre ans ; ainsi je satisfis en même temps ma conscience et ma maîtresse. Nous prîmes des mesures pour ◀la▶ sûreté ◀de▶ nos lettres, parce que son père était tout puissant auprès des directeurs ◀de▶ ◀la▶ poste, qui étaient ◀de▶ ses intimes.
Clémence connaissait Mademoiselle Dupuis ◀de▶ longue main. Elles avaient été fort longtemps pensionnaires et bonnes amies ensemble. Elle lui confia notre secret, et ◀la▶ pria ◀de▶ vouloir bien lui rendre toutes ◀les▶ lettres qui lui seraient écrites par moi sous ◀le▶ nom ◀de▶ Gauthier, et ◀d’▶en faire tenir ◀les▶ réponses au même nom. Nous nous servîmes du nom ◀de▶ mon valet de chambre qui est du pays où j’allais, où son nom ◀de▶ famille est connu, et nullement son nom ◀de▶ guerre, qui n’est connu qu’ici. Je voudrais, poursuivit-il, parlant à Des Ronais, que Mademoiselle nous eût refusé son entremise, parce que votre brouillerie en provient, et que nous en sommes ◀la▶ cause innocente. Voilà ◀le▶ mystère ; mais vous en allez être encore mieux éclairci. Je partis ◀de▶ Paris ◀le▶ lendemain ◀de▶ mon abjuration. J’arrivai chez ma tante à Grenoble peu de temps après, parce que je pris ◀la▶ poste comme vous ◀la▶ prîtes ensuite. Mes parents furent étonnés ◀de▶ trouver dans moi un bon catholique au lieu d’un zélé huguenot ; mon changement ◀de▶ religion fit diligenter mes affaires. Je revins à Grenoble pour ◀les▶ terminer tout à fait. Ce fut là que je reçus une lettre ◀de▶ Clémence. Je vous prie ◀de▶ ◀la▶ lire, dit-il, en parlant à Des Ronais, c’est celle qui a donné lieu à ◀la▶ réponse que vous avez vue qui vous a tant chagriné.
LETTRE.
Je vous avais promis ◀de▶ souffrir jusqu’à votre retour tous ◀les▶ mauvais traitements ◀de▶ mon père ; depuis plus ◀de▶ deux mois qu’il sait que vous n’êtes point à Paris, il ◀les▶ a redoublés. Je ne vous dirai point ce qu’il m’a fait, vous savez ◀de▶ quoi il est capable. Il est étonnant qu’il m’ait regardée plutôt comme une servante que comme sa fille. Il ne pouvait souffrir que personne ◀le▶ servît que moi ; je mettais ◀la▶ main à tout ; je faisais tout ce qu’il voulait, et pour toute récompense j’en étais maltraitée. Je vous aurais pourtant tenu parole, je m’étais à votre considération insensiblement accoutumée à ses duretés, je ◀les▶ supportais assez patiemment ; mais je n’ai pu supporter qu’il ait voulu nous séparer. Une nouvelle persécution a commencé avec sa santé ; c’est celle ◀de▶ me marier à son choix. Il a mis en deux jours ◀de▶ temps ◀les▶ choses sur ◀le▶ pied ◀d’▶épouser le troisième. Il m’a voulu obliger ◀de▶ signer un contrat ◀de▶ mariage, avec un homme ◀d’▶armée, qui d’abord ne recherchait son alliance que pour ◀le▶ bien ; mais après m’avoir vue, ◀l’▶amour s’en est mêlé, et ◀la▶ persécution a redoublé. Cet homme est ◀de▶ qualité ; mais assez malhonnête homme, pour vouloir m’épouser, après ◀l’▶aveu sincère que je lui ai fait ◀de▶ ◀l’▶état ◀de▶ mon cœur, je vous aime trop pour être infidèle. J’ai été deux jours enfermée, on voulait à force de rigueurs exiger ◀de▶ moi mon consentement, grâce à mon amour, j’ai tenu bon, bien résolue ◀de▶ mourir plutôt, que ◀d’▶être jamais à un autre que vous. ◀Le▶ maître d’hôtel ◀de▶ mon père a eu pitié ◀de▶ ◀l’▶état où j’étais réduite, il m’a donné ◀les▶ moyens ◀d’▶en sortir. J’ai passé deux nuits chez Mademoiselle Dupuis, après quoi je me suis mise dans un couvent que mon père ignore, et non pas dans celui où j’étais, parce qu’il y a trop ◀d’▶amis. J’ai déguisé mon nom, on ne m’y connaît pas, et je ◀l’▶ai fait afin de pouvoir en sortir sitôt que vous serez ◀de▶ retour ; hâtez-vous ◀de▶ venir m’en retirer. Adressez toujours vos lettres à Mademoiselle Dupuis, tâchez pourtant ◀de▶ m’apporter ◀la▶ réponse ◀de▶ celle-ci. Ne mettez point ◀d’▶enveloppe, ◀le▶ nom lui fera connaître à qui elles seront destinées : elle y mettra une enveloppe ◀d’▶écriture ◀de▶ fille, et me ◀les▶ fera tenir. Je n’attends que vous, sitôt que vous serez arrivé, je me jetterai entre vos bras ; je suis prête à tout. Je rends ◀la▶ dureté ◀de▶ mon père responsable devant Dieu ◀de▶ toutes ◀les▶ démarches que mon désespoir peut me faire faire. Sa cruauté pour moi me dispense ◀de▶ lui demander, ni ◀d’▶attendre aucun consentement ◀de▶ sa part. Je ne ◀le▶ regarde plus que comme mon bourreau et mon tyran. ◀Le▶ désespoir où je suis est tel, que si votre secours me manquait, je terminerais assurément par une mort volontaire et précipitée, tous ◀les▶ malheurs qui m’ont jusqu’ici poursuivie. Venez promptement, je ne puis m’empêcher ◀de▶ vous ◀le▶ répéter. Adieu, je suis votre fidèle
Clémence de Bernay.
Je revins à Paris, poursuivit Terny, ◀le▶ plus promptement qu’il me fut possible. J’allai descendre à mon auberge ordinaire. Bernay qui ne savait où était sa fille, et qui se douta que j’en serais informé, avait mis des gens en garde. Il fut averti ◀de▶ mon retour et me fit suivre. Ma première visite fut chez Mademoiselle Dupuis que je trouvai toute en pleurs, à cause de ◀l’▶équivoque ◀de▶ ma lettre qu’elle me conta. J’en fus au désespoir, je voulus vous désabuser, vous n’étiez point à Paris, j’écrivis à Grenoble une lettre pour vous, qu’on m’a renvoyée, je n’ai pu vous joindre depuis, parce que je n’ai point resté à Paris, où il n’y a que trois jours que ma femme et moi sommes ◀de▶ retour.
Mademoiselle, poursuivit-il, montrant ◀la▶ belle Dupuis, m’ayant dit dans quel couvent Clémence s’était retirée, j’y allai. Je ◀la▶ trouvai plus résolue que je ne ◀l’▶espérais ; et ◀le▶ jour fut pris pour en sortir, et partir ◀le▶ lendemain. Si je ◀l’▶avais emmenée dans ◀le▶ moment, ◀le▶ rapt était avéré ; mais Dieu fait tout pour ◀le▶ mieux. Cela suffit Monsieur, interrompit Des Ronais, je suis très persuadé ◀de▶ ◀l’▶innocence ◀de▶ ma belle maîtresse, et ce n’était point tant ◀le▶ dessein ◀d’▶entendre votre histoire, et sa justification, qu’un véritable repentir qui m’a amené ici. Vous verrez bientôt ◀la▶ conclusion ◀de▶ nos amours, si elle ◀le▶ veut bien ; car pour celle des vôtres, je crois ◀les▶ voir à votre retour. Ce ne fut que près de six mois après, reprit-il, ◀les▶ plus rudes traverses n’étaient point essuyées. Pourrait-on ◀les▶ savoir, dit ◀la▶ belle Madame de Contamine, je vous avoue que j’en ai envie ; car je vois bien que vous n’avez jamais été marié du consentement ◀de▶ Monsieur de Bernay, qui est encore en vie, et que vous n’aimez guère, ◀de▶ ◀la▶ manière dont vous venez ◀d’▶en parler. — Il est vrai, Madame, répondit Terny, que ç’a été malgré lui que nous nous sommes donnés l’un à l’autre, quoique ce fût en sa présence. Il n’est point encore ◀de▶ nos amis, je suis assez content qu’il ne nous chagrine point. Ma femme et moi ne ◀l’▶avons pas vu depuis que nous sommes mari et femme ; si pourtant il voulait se réconcilier ◀de▶ bonne foi, nous y prêterions volontiers ◀la▶ main, nous irions même au-devant ; mais suivant toutes ◀les▶ apparences, nous n’aurons justice que ◀de▶ sa succession, ou il ne nous ◀la▶ rendra lui-même, que lorsqu’il sera prêt ◀d’▶aller se présenter à celle ◀de▶ l’autre monde ; et encore serions-nous bienheureux, parce qu’il éviterait une source inépuisable ◀de▶ procès ; mais nous ne nous y attendons pas, lui qui se plaît dans ◀la▶ désunion, en laissera des semences après sa mort. Cependant puisque vous voulez savoir ◀le▶ reste, je vais vous satisfaire.
Il sut, en me faisant suivre, dans quel couvent était sa fille. Il y vint ◀le▶ lendemain matin, et ◀la▶ recommanda ◀de▶ bonne sorte : il se servit ◀de▶ mon nom pour parler à elle. Je vous laisse à penser ce qu’elle devint lorsqu’elle ◀le▶ vit, elle ne lui dit pas un mot, et se retira dans ◀l’▶instant même, il eut donc tout ◀le▶ temps ◀de▶ parler à ◀la▶ Supérieure et ◀d’▶empêcher ◀la▶ sortie ◀de▶ Clémence.
J’arrivai avec un carrosse. Je tombai ◀de▶ mon haut, lorsque je vis ◀le▶ changement ◀de▶ scène. Nous n’étions pas assez bons amis lui et moi, pour nous faire bon visage. Nous nous regardâmes ◀d’▶un air à faire peur. Tout père ◀de▶ ma maîtresse qu’il était, nous en fussions venus aux prises, s’il avait été ◀de▶ ma profession et ◀de▶ mon âge ; mais n’étant qu’un homme ◀de▶ plume, je me contentai ◀de▶ ◀le▶ traiter comme un scélérat. Il me répondit du même ton. Je levai ma canne, et assurément je me serais fait des affaires dont je me repentirais encore, si mon valet de chambre plus sage que moi, ne m’eût arrêté. Je reconnus ma faute, et je revins sur mes pas, sans avoir pu voir Clémence. Bernay revint aussi ; je sus qu’il avait voulu me faire un procès pour rapt, mais il ne pouvait ◀le▶ prouver, et ◀la▶ volonté ne se punit point : on ne ◀le▶ lui conseilla pas. Comme sa vengeance manquait ◀de▶ ce côté-là, il voulut se venger autrement par ◀le▶ moyen ◀de▶ son prétendu gendre, à quoi il réussit très mal.
Étant à Paris je revins voir Mademoiselle Dupuis. Je ◀la▶ consolai ◀le▶ mieux qu’il me fut possible, et je m’attristai avec elle. Je lui contai mon malheur, elle me plaignit, et heureusement ◀le▶ lendemain elle me donna une lettre ◀de▶ Clémence ; ◀la▶ voici encore, Des Ronais ◀la▶ prit et lut ces mots.
LETTRE.
N’admirez-vous point notre malheur, mon cher amant ? Vous auriez toujours été heureux si vous ne vous étiez point attaché à moi. Mes malheurs se répandent sur tout ce qui m’approche. Je suis plus gardée ici qu’une prisonnière, cependant il me sera permis ◀de▶ vous écrire, car pourvu que je n’entreprenne point ◀de▶ sortir du couvent, on ne me défend point ◀le▶ reste. Je me servirai toujours ◀de▶ ◀la▶ même voie ◀de▶ Mademoiselle Dupuis, pour vous faire tenir mes lettres, demandez-lui ◀la▶ continuation ◀de▶ ses bontés. Je suis au désespoir ◀de▶ ce qui lui en coûte, mais un simple éclaircissement guérira son amant. Nos malheurs sont bien plus cruels, ◀l’▶amie qu’elle a ici m’a assurée ◀d’▶un secret inviolable, servez-vous ◀de▶ ◀la▶ même voie. On m’assure que mon père ne sera pas ◀le▶ maître ◀de▶ me retirer d’ici, et j’y resterai malgré lui ; mais ayez tout à fait pitié ◀d’▶une malheureuse, ma bourse est épuisée, payez ma pension vous-même, non seulement pour obliger ◀le▶ couvent à me retenir et à me considérer, mais aussi afin que je ne sois point obligée ◀de▶ rien demander à Monsieur de Bernay, que je ne regarde plus comme mon père. Quand je serai à vous, vous pourrez lui faire rendre compte ◀de▶ mon bien ; il ne peut plus m’ôter celui ◀de▶ ma mère. Jusqu’à ce temps-là, je ne vois rien à espérer, et ce bienheureux temps n’arrivera pas sitôt ; ce sont ◀les▶ plus belles années ◀de▶ ma vie que je passe dans ◀les▶ douleurs. Il n’importe, mon amour est à l’épreuve de tout. Tout ce que je crains, c’est que ◀les▶ chagrins et ◀le▶ temps ne vous rebutent, et ne ternissent ◀l’▶éclat ◀de▶ beauté et ◀de▶ jeunesse que je vous ai vu vanter. Je crains ◀de▶ n’être pas toujours aimable à vos yeux, c’est ◀le▶ seul soin qui m’occupe. Pour ◀le▶ reste, je ◀le▶ tiens au-dessous de moi ; et si vous m’êtes fidèle, vous me verrez mépriser tout ce qui pourrait faire trembler un[e] autre. Si vous cessez ◀de▶ m’aimer, je finirai moi-même mes malheurs. Je me punirai du crime ◀de▶ mon père et du temps qui m’auront enlevé tout ce que vous aimiez. Je vais passer tout ce temps-là uniquement occupée ◀de▶ vous ; écrivez-moi ◀le▶ plus souvent que vous pourrez.
Je fis réponse à cette lettre et quoique je lui envoyasse bien plus ◀d’▶argent qu’il ne lui en fallait, je ne lui en envoyai point assez pour un coup que vous saurez bientôt. Je me résolus donc ◀d’▶attendre du temps, ou ◀la▶ mort ◀de▶ Bernay, ou ◀la▶ majorité ◀de▶ Clémence. Je lui promis une fidélité éternelle. Je ne songeais plus du tout à ◀l’▶enlever, tous ◀les▶ moyens en étaient fermés. Je me préparais à prendre une charge dans ◀la▶ Maison du Roi, telle que celle où je vais me faire recevoir. Je traitai ◀d’▶une, mais je n’eus pas ◀le▶ temps ◀de▶ conclure.
Je crois vous avoir dit que Bernay ne se plaisait que dans ◀le▶ désordre, et que son plus grand plaisir était ◀de▶ susciter des querelles, il ne ◀l’▶oublia pas. ◀Le▶ gendre qu’il s’était choisi était effectivement un homme ◀de▶ guerre, qui avait acquis quelque réputation. ◀Les▶ biens ◀de▶ Bernay ◀l’▶auraient fort accommodé pour rétablir sa maison ruinée ; outre cela Clémence avait trouvé sans ◀le▶ chercher, ◀le▶ secret ◀de▶ lui plaire. Il était enragé ◀d’▶avoir manqué son coup. Il savait que j’en étais cause et me connaissait ◀de▶ nom. Bernay lui parla ◀de▶ moi comme ◀d’▶un enfant à donner ◀le▶ fouet ; celui-ci ◀le▶ crut. Il eut envie ◀de▶ me faire querelle. Il me chercha, et comme je ne me cachais pas, il me trouva bientôt.
Il me parla devant quantité ◀de▶ monde sans dire son dessein ; mais ◀d’▶un air à faire peur aux petits enfants. Il me demanda si je voulais que nous allassions nous promener quelque part ensemble. J’étais fort aise ◀de▶ ◀le▶ faire expliquer en bonne compagnie, ainsi je lui dis sans façon que j’avais des affaires qui demandaient ma présence en France, et que je ne voulais pas me mettre au hasard ◀de▶ quitter ◀le▶ royaume, ou ◀de▶ porter ma tête sur un échafaud. Il crut alors que ce que Bernay lui avait dit était vrai ; et que je n’avais recours à cette défaite que pour éviter ◀d’▶en venir aux prises. Il se mit si fort en colère qu’il en perdit ◀le▶ sang-froid ; il me brutalisa, c’était ce que je demandais, afin de mettre ◀les▶ témoins de mon côté. Lorsque je vis qu’il avait tout à fait perdu ◀les▶ gonds, je vous supplie très humblement, Monsieur, lui dis-je fort doucement, ◀de▶ vouloir bien me laisser en repos, ou ◀de▶ vous défâcher ; car je commence à me fâcher moi ; et si nous sommes tous deux fâchés en même temps, l’un ◀de▶ nous deux n’en sera pas bien aise. ◀L’▶air froid et tranquille dont je parlais fit rire ◀les▶ gens qui écoutaient. Mon rival en rougit ◀de▶ fureur et mit ◀l’▶épée à ◀la▶ main ; et avant que j’eusse tiré la mienne il me pointa au bras. ◀La▶ vue ◀de▶ mon sang me mit en fureur à mon tour ; et quoi qu’on pût faire pour nous séparer, je lui portai deux coups dans ◀le▶ corps dont le dernier ◀le▶ terrassa.
Comme c’était un homme ◀d’▶une maison puissante, il fallut songer à m’éloigner. On prit ◀les▶ dépositions des témoins qui tous m’étaient favorables. J’avais ◀de▶ bons amis à Paris qui se chargèrent ◀de▶ travailler pour moi. Je ne pris que ◀le▶ temps ◀d’▶écrire à Clémence un mot, me remettant à lui écrire de plus loin ce qui s’était passé. Ces nouvelles ◀la▶ rendirent malade, je ne ◀le▶ sus qu’après mon éloignement, qui ne me fut pas fort sensible. Je ◀la▶ laissais en sûreté, et je me flattais que n’étant plus à Paris, son père ◀la▶ traiterait plus humainement. Je me trompais, il ne pouvait pas vivre sans faire ◀de▶ mal.
Je ne fus point poursuivi, je m’embarquai à Calais et passai en Angleterre auprès ◀d’▶un parent assez proche qui fait une fort belle figure. J’y demeurai peu ; je repassai en Hollande pour me promener par ce beau pays, que j’avais envie ◀de▶ voir. Il faisait un froid si grand que toutes ◀les▶ eaux étaient glacées ; et qu’on allait partout à pied sec. J’écrivis ◀de▶ là à Clémence, et à des parents que j’avais qui sollicitaient ma grâce. La première réponse me fit revenir à Paris, où tout s’était passé à ma satisfaction. Je fis entériner mes lettres ◀de▶ grâce ; et j’y reçus des lettres ◀de▶ Clémence, qui me mandait que son père ne lui disait rien ◀de▶ fâcheux ; qu’elle s’était réconciliée avec lui ; qu’il venait souvent ◀la▶ voir, sans lui proposer aucun parti ; qu’elle lui avait inutilement parlé ◀de▶ moi : et qu’à cela près elle était assez tranquille. Je lui écrivis que je retournais en Angleterre passer une partie du temps qu’elle devait rester dans son couvent : je retournai en effet auprès de mon parent. J’y fus plus ◀de▶ trois mois sans avoir aucune ◀de▶ ses nouvelles. Cela m’inquiéta, et j’étais prêt ◀de▶ repasser en France pour savoir ◀la▶ cause ◀d’▶un si long silence, lorsqu’un homme assez mal vêtu, mais en courrier, et que je reconnus pour avoir été ◀de▶ ma compagnie, m’en instruisit. Il me donna ◀la▶ lettre que voici ; mais avant que de ◀la▶ lire, il faut savoir ce qui s’était passé.
Sitôt après mon dernier départ, Bernay avait retiré Séraphine cadette ◀de▶ Clémence, du couvent où elle avait toujours été ; et parce qu’on ◀la▶ regardait comme fille unique, et que c’était en effet son dessein qu’elle devînt telle, il lui trouvait un grand parti. Elle n’est ni belle ni laide : elle a ◀de▶ ◀l’▶agrément et est fort bien faite ; mais du reste ◀le▶ plus mauvais cœur ◀de▶ fille qu’on puisse voir, et ◀l’▶esprit tourné comme celui ◀de▶ son père ; c’est-à-dire, qu’elle est fourbe et dissimulée, et plus intéressée qu’un juif. Bernay était venu au couvent de Clémence à qui il avait fait mille amitiés. ◀La▶ pauvre fille ◀le▶ croyait sincère. Il avait promis à ◀la▶ communauté ◀de▶ ◀la▶ faire bienfaitrice, si on pouvait ◀l’▶obliger à se faire religieuse. Il avait offert pour elle une dot si forte, que ces bonnes dames pour ne pas laisser échapper un si grand fonds, ◀l’▶avaient persécutée et enfin ◀l’▶avaient obligée ◀de▶ prendre ◀l’▶habit. Sa sœur qui n’attendait que ses vœux pour être mariée, et Bernay qui aurait déjà voulu que c’en eût été fait, lui avaient fait mille caresses.
On avait découvert qui était ◀la▶ religieuse qui facilitait notre commerce, on ◀l’▶avait mise dans une chambre particulière. Clémence croyait, comme beaucoup d’autres que cette fille était sortie du couvent pour aller dans un autre, comme on en faisait courir ◀le▶ bruit. Il n’y avait que ◀les▶ vieilles qui fussent ◀de▶ ◀la▶ conspiration ; et cela s’était fait avec tant de promptitude et ◀de▶ secret qu’elle n’avait pas pu m’en informer par ◀la▶ voie ◀de▶ Mademoiselle Dupuis, qui alla pour ◀la▶ voir, et à qui on dit qu’elle était dans un autre couvent où son père ◀l’▶avait menée : en un mot, on ne ◀la▶ laissait parler à personne du tout.
Elle se confia à une autre religieuse qui ◀la▶ trahit. On lui dit que j’étais marié en Angleterre où je m’étais retiré, elle ne ◀le▶ crut pas ; et cela joint à ◀l’▶abandon général ◀de▶ tout le monde ◀la▶ fit douter ◀de▶ tout ; ◀d’▶autant plus que père, sœur, religieuses, directeur et confesseur ◀la▶ persécutaient opiniâtrement ◀de▶ faire ses vœux : et ◀de▶ telle sorte, qu’ils voulurent lui faire signer une requête à Monseigneur ◀l’▶archevêque, par laquelle elle suppliait sa charité paternelle ◀de▶ lui permettre ◀de▶ faire ses vœux trois mois après sa prise ◀d’▶habit, attendu sa grande vocation, et qu’elle avait sucé ◀les▶ maximes du couvent, y ayant été élevée, et d’autres raisons qui ne me font rien, et toutes également fausses. Cette dernière attaque lui fit prendre un parti qui nous sauva.
Elle offrit ◀de▶ signer cette requête, mais elle dit qu’elle devait beaucoup ◀d’▶argent dans ◀le▶ monde qu’elle avait emprunté, et qu’elle voulait ◀le▶ payer avant que de se donner à Dieu. Elle demanda trois cents louis ◀d’▶or. On lui dit qu’elle ne se mît en peine ◀de▶ rien, et qu’on paierait toutes ses dettes. Elle dit qu’elle ne voulait pas nommer ses créanciers, à qui elle voulait envoyer cet argent par son confesseur, ou tel autre qu’elle croirait secret ; et que même, afin d’être maîtresse ◀de▶ cet argent, et qu’on ne s’informât pas à qui, ni par qui elle ◀l’▶envoierait, elle ne voulait signer que trois jours après ◀l’▶avoir reçu, et qu’elle en eût disposé, crainte qu’on ne ◀le▶ lui ôtât, et qu’après elle signerait tout ce qu’on voudrait ; mais que si on tardait encore deux jours à lui donner cet argent, elle ne signerait rien du tout. On ◀la▶ connaissait pour un esprit ferme et entier dans ses volontés : on lui donna cet argent ◀d’▶autant plus librement, qu’il n’y avait plus que trois semaines jusques au jour ◀de▶ ◀l’▶échéance ◀de▶ ses vœux, et qu’on ne croyait pas qu’en si peu de temps je pusse recevoir ◀de▶ ses nouvelles et [y répondre, après toutes] ◀les▶ précautions qu’on avait prises pour rompre tout commerce entre elle et moi ; et en effet peu s’en fallut qu’elle ne fût ◀la▶ dupe du temps. Grâce à Dieu cela n’arriva pas. Voici ce qu’elle fit ◀de▶ cet argent par une résolution déterminée, digne ◀de▶ notre amour réciproque.
Il y avait dans ce couvent une tourière, ou sœur converse qui ne paraissait pas à Clémence avoir plus ◀de▶ vocation qu’elle. Ce fut à cette fille qu’elle se découvrit. Elle se jeta à ses pieds, lui promit ◀de▶ lui donner dans ◀le▶ monde autant qu’il lui faudrait pour être bien mariée, si elle pouvait me faire rendre une lettre, et pour arrhes ◀de▶ sa reconnaissance, elle lui donna ◀le▶ tiers ◀de▶ son bien. Celle-ci charmée ◀de▶ ◀l’▶éclat ◀de▶ cent louis, et ◀de▶ ◀l’▶espérance ◀d’▶un mari, qui sont deux grands points pour une fille que ◀la▶ seule nécessité retient dans un couvent, se rendit et lui promit toute sorte ◀d’▶assistance. Elle avait un frère artisan à Paris, elle alla ◀le▶ quérir, et lui promit monts et merveilles s’il voulait aller en Angleterre porter une lettre, et en rapporter ◀la▶ réponse. ◀Le▶ présent ◀de▶ deux cents louis que Clémence lui fit tout ◀d’▶un coup, ◀le▶ persuada bien mieux que toutes ◀les▶ paroles. On ◀l’▶instruisit ◀de▶ tout ce qu’il avait à me dire, et ◀de▶ ◀l’▶endroit où il pourrait me trouver. Il eut ordre ◀d’▶aller partout où on lui dirait que je serais, si je n’étais point à Londres. Il jura ◀de▶ ne point perdre ◀de▶ temps et partit en effet ◀le▶ même jour. Heureusement il avait été sergent dans ma compagnie, et comme il m’aimait, il agit ◀de▶ cœur ; mais n’étant pas grand courrier il ne fit pas grande diligence. Il arriva cependant, et me trouva chez mon parent, il me dit ce que je viens de vous dire en me donnant ◀la▶ lettre que je viens de vous mettre entre ◀les▶ mains, et que vous pouvez lire à présent.
LETTRE.
Je vous écris celle-ci, Monsieur, sans espérance ◀de▶ réponse. Je ne m’emporterai point contre vous dans des plaintes inutiles, ◀le▶ peu de soin que vous avez eu ◀de▶ moi depuis trois mois que vous ne m’avez pas même fait savoir ◀de▶ vos nouvelles, m’a jeté dans ◀le▶ désespoir où je suis. Je vous ai écrit plus ◀de▶ vingt lettres, on m’a assuré que vous ◀les▶ avez reçues, et que vous n’en avez fait aucun état. Je ne me flatte plus ◀de▶ vous être chère, tout est fini pour moi, où sont vos serments ? Dans ◀la▶ résolution où je suis ◀de▶ me percer ◀le▶ cœur, il faut que je me donne ◀la▶ triste consolation ◀de▶ vous éclaircir des derniers moments ◀d’▶une vie, dont vous savez ◀le▶ malheureux commencement. Je n’ai vécu que pour vous. C’est vous qui m’avez fait prendre soin ◀de▶ ma vie, je ne ◀l’▶ai considérée que parce que j’ai cru que vous y preniez intérêt. Vous n’y en prenez plus, je consens à ◀l’▶arrêt que votre indifférence me prononce. Je ◀le▶ répète encore, tout est fini pour moi ! On m’a fait craindre votre infidélité, votre oubli m’en a convaincue. On m’a fait voir ◀le▶ peu de fondement que je devais faire sur ◀les▶ promesses des hommes. ◀Le▶ seul point qu’on n’a pas pu gagner sur moi est ◀de▶ vous haïr, on m’a seulement dégoûtée du monde. Ma sœur est dans ◀la▶ maison ◀de▶ mon père : elle m’est venue voir plusieurs fois. Elle dit qu’elle est malheureuse, peut-on ◀l’▶être quand on a ◀la▶ liberté ? Je voudrais ◀l’▶avoir cette liberté, j’irais vous reprocher votre inconstance. On a profité ◀de▶ ma faiblesse, on m’a fait faire ce qu’on a voulu, on m’a résolue ◀d’▶être religieuse, on m’en a fait prendre ◀l’▶habit, on a approché ◀le▶ temps ◀de▶ ma profession, j’ai donné ◀les▶ mains à tout. Mais non, je me trompe, on a voulu m’abuser, on en a trop fait pour me faire croire qu’on agissait sans passion. ◀L’▶ardeur dont on a exigé ◀de▶ moi tant de consentements coup sur coup, m’a fait défier du reste. Je n’en doute plus, vous m’êtes toujours fidèle ; mais pourtant vous me perdrez. J’ai consenti à vous quitter, vous pouvez m’en punir. Il n’y a cependant que ma bouche et ma main qui sont criminelles, mon cœur ne vous a point trahi. J’étais obsédée ◀de▶ tous côtés par toutes ◀les▶ religieuses, qui s’intéressaient à ma perte. Je n’ai pu résister à leurs adulations et à leurs flatteries. Elles ne m’ont donné aucun relâche ; j’ai donné tout à leur importunité et à celle ◀de▶ ma famille. Je me suis engagée à tout ce qu’ils ont voulu exiger ◀de▶ moi ; leurs feintes caresses m’ont surprise. Tant ◀d’▶obstination ◀de▶ tous côtés pour me faire faire des vœux que j’abhorre, m’[a] réveillée ◀de▶ ma léthargie, en me faisant voir un déchaînement général, j’ai résolu ◀de▶ ◀les▶ jouer à mon tour. Ils ont voulu me faire signer une requête aux puissances ecclésiastiques pour me faire faire ma profession trois mois après ma prise ◀d’▶habit, à cause, disent-ils, ◀de▶ ma vocation. Quelle fourbe ! Mon père a dépouillé ◀la▶ peau ◀de▶ tigre pour revêtir celle ◀d’▶agneau ; tigre déguisé mille fois plus à craindre. Il m’a fait mille caresses, ma sœur a renchéri par-dessus, ◀les▶ religieuses s’en sont mêlées. Que faire n’étant plus soutenue ◀de▶ vous, contre tant de tentations éternelles ? J’ai promis ◀de▶ signer cette requête, à condition de me donner ◀l’▶argent que je leur ai demandé. Quelle peine pour ◀l’▶avoir ! Je ◀l’▶ai enfin, et je vais signer tout ce qu’on voudra. Je dois faire mes vœux ◀le▶ lendemain ◀de▶ ◀la▶ Trinité. Il n’y a pas un mois d’ici là. Je me suis flattée que mes lettres ne vous avaient point été rendues. Je me sers ◀de▶ cet argent pour vous envoyer un exprès qui je suis sûre vous donnera celle-ci en main propre. Voilà ce que j’ai fait, et voici ce que je ferai. Je vais jusques au jour ◀de▶ ma profession maudire ◀l’▶heure ◀de▶ ma naissance, m’étudier au mépris ◀de▶ ◀la▶ vie, et à ◀la▶ cruauté contre moi-même, et me percer ◀le▶ cœur aux yeux de tous ◀les▶ assistants, et aux pieds ◀de▶ mon cruel père. J’ai un poignard tout prêt que je porte toujours sur moi, crainte qu’il ne soit découvert ailleurs. Je me sacrifierai à mon malheur, et ne ferai point ◀le▶ sacrilège ◀d’▶offrir à Dieu une victime involontaire. Je vous ai dit que je ne me plaindrais point ◀de▶ vous, je ne m’en plains point ; je serais doublement malheureuse : au contraire, je ne veux que m’en louer, afin de vous faire connaître que ce n’est qu’à vous que je me sacrifie. Si je vous savais certainement infidèle, je vous accuserais ◀de▶ ma mort, et je veux pouvoir dire en mourant, que je ne meurs que parce que je ne puis vous appartenir. Hélas ! si ◀le▶ temps n’était point si court, je me flatterais ◀de▶ vous voir et ◀de▶ ne mourir pas ! Votre idée me donne vers ◀le▶ monde des retours qui flattent mon désespoir, sans ◀le▶ faire cesser. Mais non, ◀le▶ jour fatal est trop proche, on en prépare déjà ◀les▶ magnificences. Malheureuse ! À quoi bon tant ◀d’▶apprêts et ◀de▶ faste, pour conduire à ◀la▶ mort une victime ◀d’▶ambition et ◀de▶ haine. Je quitterai ◀la▶ vie sans chagrin, elle a été trop infortunée pour ◀la▶ regretter. ◀La▶ mort me mettra à couvert ◀d’▶un orage ◀de▶ maux plus cruels qu’elle-même. Que ferais-je dans un couvent ? Suis-je digne ◀d’▶être au nombre des épouses ◀d’▶un Dieu pur, moi qui ne respire qu’un mortel ? ◀La▶ sainteté du lieu n’est-elle pas même profanée par ma présence ? Non, ◀la▶ véritable sainteté n’y règne pas. Je ne vois dans ◀l’▶intérieur du couvent que ◀de▶ ◀l’▶ambition, ◀de▶ ◀l’▶avarice, et ◀de▶ ◀l’▶envie. On me dit que n’ayant plus ◀d’▶espérance ◀de▶ retourner au monde après mes vœux, je m’en détacherai tout à fait. Quelle philosophie ! N’est-il pas nécessaire pour être bonne religieuse, ◀d’▶être au contraire tout à fait dégagée du monde, avant que ◀d’▶y renoncer ? Et ne vaut-il pas mieux dire, qu’ayant été malheureuse, et étant née pour ◀l’▶être toujours, il est plus généreux ◀de▶ finir moi-même tant de malheurs, que ◀d’▶y rester davantage, et ◀de▶ ◀les▶ combattre plus longtemps sans espérance ◀de▶ ◀les▶ vaincre ? Adieu mon cher amant, conservez chèrement mon souvenir ; n’imitez point mon désespoir, conservez-vous, c’est ◀la▶ seule grâce que je vous demande.
Cette lettre et ◀le▶ récit qu’on m’avait fait, m’épouvantèrent, poursuivit Terny. Je n’avais plus que huit jours devant moi, je ne fis point ◀d’▶adieux, je partis dans ◀le▶ moment même ; et pour surcroît à mon impatience, ◀le▶ vent trop fort et contraire, et ◀la▶ mer extrêmement émue, me retinrent trois jours à Douvres. Je passai enfin à Calais, et me rendis à Paris ◀le▶ jour ◀de▶ ◀la▶ Trinité même ; c’est-à-dire ◀la▶ veille que se devait faire ◀la▶ profession ◀de▶ Clémence, ou plutôt que se devait jouer le dernier acte ◀de▶ ◀la▶ comédie. Je n’allai point cette fois-ci descendre à mon auberge, je craignais ◀les▶ espions ◀de▶ Bernay ; je restai au faubourg Saint-Denis jusqu’à ◀la▶ brune. J’envoyai mon courrier que j’avais amené avec moi avertir sa sœur que j’étais arrivé. Je lui donnai un billet pour Clémence, par lequel je ◀la▶ priais ◀de▶ faire en sorte auprès de cette tourière que je pusse lui parler ◀le▶ soir même ; et je recommandai ◀la▶ même chose à mon agent auprès de sa sœur. Une bonne demi-heure après qu’il fut parti, je remontai sur un cheval frais, je pris ◀le▶ chemin du couvent, et attendis au lieu marqué ◀la▶ réponse qu’on devait me faire. Je ◀la▶ reçus ◀de▶ bouche telle que je ◀la▶ souhaitais. On me fit entrer dans ◀la▶ cour, et ◀de▶ là dans ◀la▶ chambre ◀de▶ ◀la▶ tourière avec qui je commençai par un présent fort honnête, et une assurance ◀d’▶avoir soin ◀d’▶elle toute sa vie. Clémence ne tarda pas à venir ; elle fut une demi-heure entre mes bras sans pouvoir ouvrir ◀la▶ bouche : enfin elle parla, et je vous laisse à penser ce que nous pûmes nous dire.
Bernay a été assez scélérat pour dire que sa fille était devenue ma femme dès ce soir-là, et que nous avions profané ◀le▶ couvent. ◀La▶ tourière qui est à présent sa fille ◀de▶ chambre, ne ◀la▶ quitta pas. Clémence était émue, et ce n’était pas un plaisir ◀d’▶un moment que j’étais venu chercher. Ce fut en effet à quoi nous ne songeâmes seulement pas : nous songeâmes à quelque chose de plus sérieux ; ce fut aux mesures pour exécuter ce que nous résolûmes ◀de▶ faire ◀le▶ lendemain. Je sortis ◀de▶ ce couvent bien résolu ◀d’▶en enlever Clémence, malgré tout ◀le▶ monde, à ◀la▶ barbe ◀de▶ son père, ◀de▶ sa sœur, ◀de▶ son amant, ◀de▶ toute sa famille et des religieuses. Si j’avais voulu ◀la▶ croire, je ◀l’▶aurais emmenée dès ◀le▶ moment même, mais ◀la▶ tourière s’y opposa ; et je lui fis comprendre, qu’il valait mieux, pour éviter mille accidents et des procès, qu’elle se donnât publiquement à moi, que ◀de▶ sortir seul à seul comme elle ◀le▶ voulait. Elle eut ◀de▶ ◀la▶ peine à s’y résoudre, mais elle se rendit à mes prières. Voici ◀de▶ quelle manière ◀le▶ tout se passa.
Au sortir du couvent je remontai à cheval et j’allai à toutes jambes chez Monsieur ◀le▶ duc ◀de▶ Lutry à cinq grandes lieues ◀de▶ là. J’avais ◀l’▶honneur ◀d’▶être son parent et ◀d’▶en être fort considéré. Quoiqu’il ne fût que deux heures du matin, je me fis introduire dans sa chambre. Je lui contai mon aventure et mon dessein, et ◀le▶ priai ◀de▶ me donner asile. Il me ◀l’▶accorda, et fit même plus ; car il me promit ◀d’▶aller dans ce couvent avec des gens capables ◀de▶ me prêter main forte si j’en avais besoin. Il y vint en effet sous prétexte ◀d’▶entendre ◀la▶ messe en passant, et ◀d’▶y rester pour ◀la▶ cérémonie. Cela fait, je revins sur mes pas à Paris, je m’assurai ◀d’▶un carrosse avec huit bons chevaux, et j’y mis un cocher et un postillon sur qui je me fiais. Je connaissais ◀de▶ fort braves gens capables ◀de▶ me rendre service en cas ◀d’▶occasion, j’allai ◀les▶ voir, ils me jurèrent ◀de▶ se sacrifier pour moi. Je ◀les▶ menai dans ◀l’▶endroit où était ◀le▶ carrosse ; je leur déclarai là mon secret, et leur donnai des chevaux pour aller à ce couvent ; leur allégresse à me suivre, me répondit du succès ◀de▶ ◀l’▶entreprise.
Nous prîmes un chemin écarté ◀de▶ celui qu’il fallait tenir pour aller ◀de▶ Paris à ce couvent, afin de n’être point découverts, et nous arrêtâmes à cinq cents pas. Il n’était pas plus ◀de▶ huit heures du matin lorsque nous y arrivâmes, et il ne nous parut pas que personne nous eût prévenus. Je n’avais pas perdu ◀de▶ temps, comme vous voyez. J’étais si las et si fatigué, que je ne pouvais me soutenir ; mais ◀la▶ colère et ◀la▶ passion me donnaient des forces. Nous déjeunâmes gaillardement en attendant ◀le▶ moment ◀de▶ ◀l’▶exécution, qui n’arriva qu’à près de midi ; et nous restâmes cachés tout ce temps-là. J’avais envoyé Gauthier, ◀le▶ seul des miens que j’avais ramené ◀d’▶Angleterre, dans ◀l’▶église ◀de▶ ce couvent, afin de m’avertir lorsqu’il serait temps ◀de▶ paraître. Il s’était si bien déguisé que ◀le▶ diable ◀l’▶aurait pris pour un autre, et outre cela il était vêtu en pauvre ; pour être sûr ◀de▶ tout, j’avais envoyé huit hommes ◀de▶ résolution et bien armés dans cette église avec ordre ◀d’▶empêcher que Clémence ne rentrât dans ◀le▶ cloître, quand elle en serait une fois sortie, bien sûr que ◀le▶ reste ◀de▶ ◀la▶ troupe leur prêterait main forte au moindre bruit. ◀Le▶ reste ◀de▶ mes amis voltigeait autour de ce couvent, pour se saisir ◀de▶ ◀la▶ porte au premier signal, bien résolus ◀de▶ faire main basse sur quiconque ferait résistance, sans exception.
◀Les▶ choses étant ainsi disposées, j’attendis ◀le▶ moment ◀de▶ paraître. Gauthier m’avertit dans ◀le▶ temps qu’il ◀le▶ fallait ; c’est-à-dire peu de temps avant celui des grands mots. Je fis avancer ◀le▶ carrosse, et ◀les▶ chevaux ◀de▶ mes amis, et ceux ◀d’▶eux qui étaient dehors montèrent à cheval, se saisirent ◀de▶ ◀la▶ porte et empêchèrent que qui que ce fût n’entrât après moi. On remarqua que Clémence fut toujours triste et pensive jusqu’à mon arrivée ; mais elle changea ◀de▶ couleur au bruit que je fis. Je parus en courrier, c’est-à-dire avec ◀le▶ même habit que j’avais apporté ◀de▶ Londres, plus crotté que si je m’étais vautré dans un bourbier, botté, éperonné, une perruque nouée, une barbe ◀de▶ huit jours, et un fouet ◀de▶ postillon à ◀la▶ main. ◀Le▶ bruit que je fis en marchant fit tourner tête. Je fus reconnu par Bernay, qui vit bien que ◀la▶ cérémonie ne se passerait pas si tranquillement qu’elle avait commencé, puisque j’en étais sans qu’il m’en eût prié ; mais elle était trop avancée pour ◀la▶ rompre : outre cela j’étais en état ◀de▶ faire expliquer sa fille devant toute ◀l’▶assemblée, et nous avions pris ◀de▶[s] mesures elle et moi, pour empêcher qu’on ne ◀la▶ remît à un autre jour.
Je fendis ◀la▶ presse. Monsieur ◀le▶ duc ◀de▶ Lutry qui m’avait tenu parole et qui y était dans une place distinguée, qui n’était séparée ◀de▶ Clémence que par un espace vuide, me fit ◀l’▶honneur ◀de▶ m’embrasser comme s’il y avait eu longtemps qu’il ne m’eût vu et me fit mettre à côté de lui vers ma maîtresse. Je ne restai qu’un moment à genoux, je me relevai, et sans regarder toute ◀la▶ digne assemblée, je saluai fort bas ◀la▶ prétendue religieuse qui ne branla pas, et ne leva pas même ses yeux. ◀Le▶ vermillon ◀de▶ ses joues, et un certain air content qui se répandit en un moment sur toute sa personne, fut remarqué par Monsieur de Lutry, qui me dit à ◀l’▶oreille en riant, qu’elle n’avait pas été toujours de même, et qu’il croyait qu’elle m’avait déjà accusé plus ◀d’▶une fois entre cuir et chair ◀de▶ négligence et ◀de▶ crainte. Je ne pus m’empêcher ◀de▶ rire, Bernay qui s’en aperçut, rougit, et autant que je pus m’y connaître, il enrageait ◀de▶ tout son cœur. ◀La▶ cérémonie fut poursuivie ; j’y pris trop peu de part pour vous en faire ◀le▶ récit. Je ne songeais et je ne regardais que Clémence, qui lorsqu’on lui demanda ce qu’elle voulait, répondit fort résolument, comme nous en étions convenus, je demande Monsieur ◀le▶ comte ◀de▶ Terny pour mon époux, s’il veut bien ◀de▶ moi pour sa femme, et en même temps elle se jeta à corps perdu dans mes bras, mes amis et ◀les▶ gens ◀de▶ Monsieur de Lutry qui avaient apparemment ◀l’▶ordre, nous entourèrent et écartèrent ◀la▶ presse.
◀Le▶ père, ◀la▶ fille, ◀le▶ prétendu gendre et toute ◀l’▶honorable assemblée furent extrêmement étonnés ◀de▶ cette réponse, à laquelle ils ne s’attendaient pas. ◀Les▶ religieuses en furent terriblement scandalisées, et tout ◀le▶ clergé surpris. Il se fit un murmure très grand et très peu respectueux devant ◀le▶ Saint Sacrement qui était exposé. J’avais reçu Clémence entre mes bras, je ◀l’▶avais baisée et embrassée devant tout le monde en pleine église. ◀Le▶ prêtre qui faisait ◀la▶ cérémonie était tellement étonné, qu’il ne pouvait pas dire un mot. Il nous regardait avec ◀de▶ grands yeux, et ◀la▶ bouche ouverte sans branler. Il paraissait immobile ou en extase ; dans un autre temps sa figure m’aurait fait rire, mais j’avais autre chose à faire.
◀Le▶ murmure continuant toujours, ◀l’▶impatience me prit ; je m’adressai à Bernay ◀d’▶une voix assez haute pour être entendu ◀de▶ tout le monde. À peine eus-je prononcé la première parole, que chacun me prêta silence. Monsieur, lui dis-je, Dieu ne veut que des hosties volontaires, et vous profanez ici sa présence par un sacrilège. Il n’a pas voulu que votre crime fût consommé, parce que des innocents en auraient souffert. Il s’est réservé ◀la▶ connaissance du secret des cœurs, et c’est à vous à voir ce qui se passe dans le vôtre, et à faire pénitence ◀de▶ votre mauvaise intention. Voilà votre fille que j’accepte pour ma femme en présence de Dieu même, qui repose dans ◀le▶ plus auguste ◀de▶ nos sacrements. Je ◀la▶ prends pour telle devant toute ◀l’▶assemblée. M’acceptez-vous pour votre époux, Mademoiselle, continuai-je parlant à elle ? Oui, Monsieur, me répondit-elle. Parlez haut, lui dis-je, que personne n’en doute. Oui, Monsieur, reprit-elle, je vous accepte pour mon époux. Je vous épouse Mademoiselle, poursuivis-je, en lui mettant une bague au doigt, et ◀l’▶embrassant une seconde fois devant tout le monde ; après quoi sans cesser ◀de▶ parler, et adressant toujours ◀la▶ parole à Bernay : vous voyez, Monsieur, lui dis-je, que ◀la▶ volonté ◀de▶ Mademoiselle votre fille n’est ni forcée, ni contrainte, votre opposition serait inutile. Vous tombez d’accord qu’elle est en âge ◀de▶ disposer ◀d’▶elle pour ◀le▶ reste ◀de▶ ses jours, puisque vous consentez qu’elle en dispose pour ◀le▶ couvent. Je suis ◀d’▶une maison à vous faire honneur, elle se donne à moi sans s’arrêter à votre choix ; elle me fait plaisir, je ne me soucie pas qu’elle ne vous en fasse point. Je ne vous demande rien pour sa dot, je serais en droit pourtant ◀de▶ vous demander tout au moins ce que vous vouliez donner au couvent ; mais ce sont des intérêts dont nous parlerons dans un autre temps. Elle, ni moi ne renonçons pas à ce qui lui appartient du côté de sa mère ; du reste, Monsieur, nous espérons que quand vous serez prêt ◀d’▶aller rendre compte à Dieu ◀de▶ vos actions, vous rendrez à votre fille ◀la▶ part qui lui reviendra ◀de▶ votre héritage, si vous voulez que Dieu ne vous prive pas du sien. Voulez-vous nous donner ◀la▶ bénédiction ◀de▶ mariage, Monsieur, continuai-je, en parlant à celui qui faisait ◀la▶ cérémonie, si vous ◀le▶ voulez-vous nous ferez plaisir ; sinon nous protestons, Mademoiselle et moi, ◀de▶ nous en passer. Parlez, Monsieur, ajoutai-je, n’hésitez pas. Non Monsieur, me répondit-il, je ne ◀le▶ puis pas. Nous nous en passerons, repris-je. Allons, Mademoiselle, continuai-je, m’adressant à Clémence, prenez congé ◀de▶ ◀la▶ compagnie. Elle ◀le▶ fit par une fort grande révérence. Je veux ◀la▶ baiser, dit ◀le▶ duc de Lutry, en lui prenant ◀la▶ main. Très volontiers, lui dis-je en riant. Il ◀la▶ baisa, et lui dit à ◀l’▶oreille qu’il lui savait bon gré ◀de▶ son action, qu’elle allât hardiment, et qu’il saurait bien empêcher qu’on ne nous troublât.
Elle vint ◀d’▶un pas assuré et ferme, et ◀l’▶agitation et ◀la▶ chaleur ◀de▶ ◀l’▶action ◀la▶ faisaient paraître à tout le monde ◀la▶ plus belle personne qu’on eût jamais vue. Elle me parut telle, j’en étais charmé. Ni elle ni moi ne regardâmes qui que ce soit en sortant. Mes amis nous firent faire place, nous montâmes elle et moi en carrosse au plus vite. On ferma ◀la▶ porte ◀de▶ ◀l’▶église pour que nous ne fussions point si promptement suivis. Nous emmenâmes ◀la▶ tourière avec nous ; nos amis montèrent à cheval, et nous prîmes à toutes jambes ◀le▶ chemin ◀de▶ Lutry. Sitôt que nous y fûmes je me retirai avec elle dans ◀la▶ chambre qui nous avait été préparée ; et là ◀les▶ habits qu’elle avait sur son corps ne m’empêchèrent point ◀d’▶en faire ma femme. Je ◀le▶ déclarai tout haut ensuite, afin que qui que ce fût n’en pût douter ; et je ◀le▶ fis, parce que j’appréhendais encore quelque accident. Nous passâmes ◀le▶ reste du jour assez bien pour ne point porter ◀d’▶envie aux plaisirs qu’on pouvait prendre ailleurs.
Nous ne fûmes point suivis. Monsieur de Lutry et d’autres gens ◀de▶ bon sens, qui se déclarèrent pour nous, calmèrent un peu ◀les▶ transports ◀de▶ Bernay, qui fulmina terriblement au commencement. Ils mangèrent ◀le▶ festin qui avait été préparé pour ◀la▶ profession, et qui fut pour Madame de Terny un festin ◀de▶ noce, quoiqu’elle n’y assistât pas. Elle fit ◀de▶ son côté ◀les▶ choses ◀de▶ fort bonne grâce, et me donna à table en présence de mes amis et ◀de▶ ◀la▶ tourière, un poignard qu’elle avait effectivement sur elle, et que je n’avais point aperçu, quoique je ◀l’▶eusse approchée ◀de▶ fort près, et que sans faire semblant ◀de▶ rien je ◀l’▶eusse cherché partout sur elle, où je croyais qu’elle pouvait ◀l’▶avoir mis.
Nous restâmes à Lutry quinze jours, en attendant que ma femme eût un train et eût changé ◀de▶ figure. J’envoyai deux fois pendant ce temps-là, comme je fis encore hier, savoir, du beau-père, s’il voudrait souffrir que nous lui rendissions nos devoirs. Il a toujours répondu non. Je me ◀le▶ tiens dit pour toujours. J’ai emmené ma femme en province à une terre que j’ai, dont nous ne sommes revenus qu’avant-hier, afin de me faire recevoir à une charge que mes amis m’ont négociée.
Voilà, Madame, poursuivit Terny, s’adressant à Madame de Contamine, ce que vous avez souhaité ◀de▶ savoir ◀de▶ Madame de Terny et ◀de▶ moi. Pour ce qui s’est passé depuis, c’est à elle à vous dire si elle est mécontente. Si elle était ici, je ne dirais peut-être pas ce que je pense ; mais puisqu’elle ne m’entend point, je vous avouerai sincèrement, que je ne crois pas qu’il y ait un homme au monde plus heureux que moi dans son mariage. Sa tendresse à elle, ne s’est point démentie ; et mettant à part ◀les▶ caresses privées ◀d’▶un mari et ◀d’▶une femme, ◀le▶ reste est encore entre nous sur ◀le▶ pied ◀d’▶amant et ◀de▶ maîtresse. Je suis très content ◀d’▶elle : si son père veut enfin se raccommoder avec nous, j’en serai fort aise ; pourvu que cela nous rapporte du profit, car pour ◀de▶ ◀l’▶honneur je ◀l’▶en quitte. S’il lui laisse du bien, tant mieux. S’il ne lui en laisse pas, tant pis ; mais ma femme n’ayant pas mérité ses duretés, je ne ◀l’▶en aimerai pas moins. Eh ! pourquoi ne dirais-tu pas cela devant moi, reprit Madame de Terny, en ◀le▶ prenant par ◀la▶ tête, et en ◀le▶ baisant. Ah, ha ! dit-il en se retournant, c’est donc toi. Tu sais bien que je ne ◀le▶ pense pas de même, et que ce que j’en dis n’est que pour sauver ◀les▶ apparences, et pour me faire croire mieux que je ne suis en effet.
Cette histoire donna matière à ◀la▶ compagnie ◀d’▶une assez longue, et fort bonne conversation, parce qu’elle se faisait entre gens ◀d’▶esprit ; et comme il commençait à être tard, et que Monsieur et Madame de Terny devaient aller souper à Versailles, ils prirent congé ◀de▶ ◀la▶ compagnie, et partirent.
En vérité, dit Madame de Contamine, après qu’ils furent sortis, une constance réciproque est bien louable. Elle triomphe toujours des obstacles qu’on lui oppose, quand elle a ◀la▶ vertu et ◀la▶ raison ◀de▶ son côté. Vous ◀le▶ savez par expérience, Madame, reprit Dupuis, qui ne faisait que ◀de▶ rentrer ; n’ayant point entendu ce que Terny avait dit, parce qu’il savait tout ce qu’il avait à dire. Vous me répondez, Monsieur, lui dit-elle, comme intéressé dans ◀le▶ parti contraire, je ne m’en étonne pas. Vos infidélités ont assez fait ◀de▶ bruit pour vous obliger à ne pas convenir qu’on ne saurait donner trop ◀de▶ louanges à ◀la▶ constance. Il en a, Madame, reprit Des Frans, son mariage avec Madame de Londé en est une preuve. Je ne croyais pas, Monsieur, lui dit-elle, que vous prêtassiez ◀l’▶oreille à ce que nous disions. Vous m’avez paru avoir jusques ici une si grande indifférence pour notre conversation, et vous avez été tellement occupés, Madame de Mongey et vous, à parler ensemble, que je suis surprise ◀de▶ vous voir parler à nous ; c’est sans doute une distraction que vous faites à quelque soin plus pressant. En vérité, Madame, reprit Des Frans sur ◀le▶ même ton railleur, vous êtes une femme bien dangereuse. Vous prétendez approfondir ce que Madame de Mongey et moi avons dit ensemble, et nous tourner en ridicule devant ◀la▶ compagnie ; mais… Je ne ◀le▶ prétends pas, reprit cette dame en ◀l’▶interrompant, au contraire, j’allais vous citer l’un et l’autre pour des exemples ◀de▶ constance. Nous parlions ◀de▶ constance aussi, dit-il, mais sans aucun rapport, ni à Madame, ni à moi, et seulement parce que je voulais lui persuader une réconciliation avec Monsieur de Jussy.
À propos de lui, dit Des Ronais, un laquais qui vient du logis, m’a dit qu’il était encore venu vous chercher. Vous nous avez promis, poursuivit-il, ◀de▶ nous conter son histoire à Monsieur Dupuis et à moi. Vous avez même souhaité que Madame de Mongey fût présente ; ◀la▶ voilà, nous serions fort aises ◀de▶ ◀la▶ savoir. ◀L’▶occasion ne peut pas être plus belle, reprit Dupuis, cela nous entretiendra jusques au souper, et Madame de Contamine aura ◀le▶ plaisir ◀de▶ ◀l’▶entendre. Très volontiers, reprit cette dame. Monsieur de Contamine ne reviendra que fort tard avec Madame de Cologny, et ma belle-mère est à sa maison de campagne ; ainsi je n’ai rien à faire au logis que pour souper. Si ce n’est que cela qui puisse vous y faire retourner de bonne heure, reprit Dupuis, j’y ai donné ordre. Ma cousine vous a donné à dîner à ◀l’▶occasion ◀de▶ Monsieur Des Ronais, et je vous donnerai à souper, s’il vous plaît. Madame de Mongey n’a que faire non plus ; elle couchera même avec ma cousine. Cela est vrai aussi, reprit ◀l’▶aimable Dupuis. Puisque personne, reprit Des Frans, n’a aucune affaire pressée, je vais vous donner satisfaction : mais vous, notre ami, poursuivit-il en riant, parlant à Dupuis, n’en coûtera-t-il rien à votre amour pour faire ◀les▶ honneurs ◀de▶ chez vous ? Que dira Madame de Londé si vous passez un jour sans aller chez elle ? Que cela ne vous embarrasse pas, reprit Dupuis, vous ◀la▶ verrez ce soir, elle est dans ◀l’▶appartement ◀de▶ ma mère, et toutes deux m’ont congédié. Nous sommes donc votre pis-aller, reprit en riant Madame de Contamine ; ◀la▶ déclaration est galante ! Adieu, poursuivit-elle en faisant semblant ◀de▶ se lever, je vais montrer ◀l’▶exemple à ◀la▶ compagnie ◀de▶ ne pas servir ◀de▶ prétexte au souper que vous donnez à votre maîtresse. Eh ! morbleu, Madame reprit-il, en affectant comme elle un air ◀de▶ colère, et en ◀la▶ faisant rasseoir, vous êtes aujourd’hui en train de quereller. Monsieur Des Ronais a été le premier. Monsieur Des Frans et Madame de Mongey ne s’en sont point sauvés, et à présent vous vous jetez sur moi. Oui, ajouta-t-il, vous êtes mon pis-aller ; et à cause de cela je ne vous dirai pas qu’on fait plus pour moi dans ◀la▶ chambre ◀de▶ ma mère, que si j’y étais ; car vous diriez que je serai marié dans cinq ou six jours, et qu’en faveur de mon mariage ma mère me fait des avantages très considérables. Eh bien, reprit cette dame, parce que vous êtes en colère, on vous dira qu’on n’y veut point prendre ◀de▶ part, et qu’en un autre temps, on en aurait toute ◀la joie possible : mais pour vous dire ce qu’on en pense, il faut attendre que vous soyez défâché. Commencez donc, Monsieur, poursuivit-elle en s’adressant à Des Frans.