Histoire de▶ Monsieur de Contamine, et ◀d’▶Angélique.
Pour vous faire bien comprendre toute ◀la▶ disproportion qu’il y a dans ce mariage, dit Des Ronais, il est à propos de vous faire souvenir ◀de▶ ce qu’ils étaient tous deux, avant que ◀le▶ sacrement ◀les▶ eût égalés. Il faut commencer par lui. Il est fils ◀d’▶un homme ◀de▶ robe extrêmement riche ◀de▶ lui-même, et qui outre cela, avait gagné des biens immenses dans des emplois très considérables qu’il avait eus pour ◀l’▶État, non pas dans ◀les▶ partis, ses biens, quoique très grands, viennent par des voies légitimes, c’est-à-dire par succession. Il avait ◀de▶ ◀la▶ qualité étant ◀d’▶une maison qui s’est toujours distinguée par son attachement à ◀la▶ personne ◀de▶ nos Rois, mais plus connue dans ◀la▶ robe que dans ◀l’▶épée, quoiqu’il en soit sorti ◀de▶ très braves gens, et qui ont servi dans ◀les▶ armées avec éloge. Avec ◀le▶ bien qu’il avait ◀de▶ son côté, il lui en vint encore ◀d’▶autre, par son mariage avec ◀la▶ fille ◀d’▶un partisan puissamment riche, duquel elle est restée seule héritière ; ses frères et sœurs étant morts avant père et mère, et après ◀le▶ mariage avec ◀le▶ père ◀de▶ notre héros, c’est à présent ◀la▶ belle-mère ◀d’▶Angélique. Quoiqu’elle ait vécu assez longtemps avec ◀le▶ père de Contamine dans une union parfaite, ils n’ont pourtant jamais eu qu’un seul enfant, qui est celui dont nous parlons. Elle était encore en âge ◀de▶ se remarier lorsqu’elle est restée veuve, n’ayant au plus que vingt-neuf ou trente ans, dont elle avait passé près de quinze avec son mari ; mais elle a préféré ◀le▶ veuvage et ◀le▶ plaisir ◀d’▶élever un enfant ◀de▶ six ans, qui lui restait ◀d’▶un homme qu’elle avait tendrement aimé à tous ◀les▶ partis qui lui ont été offerts, quoiqu’il s’en soit présenté, qui à juste titre, portaient ◀la▶ couronne sur leurs armoiries. Son fils et Angélique sa bru demeurent avec elle, et celle-ci a si bien su s’en faire aimer, que lorsqu’elle est partie pour aller à une terre proche d’ici, il n’y a pas longtemps, Contamine a été obligé ◀de▶ cacher sa femme, parce que ◀la▶ belle-mère ne peut plus s’en passer et qu’elle voudrait ◀l’▶avoir toujours avec elle ; en un mot, elle a cinq ou six fois dit en riant que si sa bru était en danger, elle s’y jetterait pour ◀la▶ sauver ou ◀le▶ partager avec elle, et que si c’était son fils, elle se contenterait ◀d’▶appeler du secours, et ◀de▶ crier sauve qui peut.
Il est ◀d’▶une taille un peu au-dessus ◀de▶ ◀la▶ moyenne, assez bien prise, mais embarrassée. Il a ◀les▶ yeux noirs comme ◀les▶ sourcils, ◀les▶ cheveux et ◀la▶ barbe ; ◀le▶ visage blanc, plein uni et vermeil, ◀le▶ front large, ◀la▶ bouche belle pour un homme, ◀les▶ dents bien blanches et bien rangées, ◀la▶ voix forte, ◀le▶ son agréable et ◀les▶ mains potelées et charnues ; enfin, on peut dire qu’il est ce qu’on appelle un bel homme. Pour ◀de▶ ◀l’▶esprit, il n’en manque pas ; mais il ◀l’▶a timide. Il est sincère, obligeant, bon ami, ◀d’▶une humeur fort douce, et pourtant capable ◀d’▶un grand attachement. Il pleure quand il veut, ce qui lui a été ◀d’▶un grand secours auprès de sa mère ; car ◀les▶ femmes se laissent toutes prendre par là. Il est honnête homme, ◀de▶ conscience, ◀de▶ probité et ◀de▶ parole, son mariage seul suffirait pour lui en attirer ◀la▶ réputation, quand même d’autres actions ne ◀l’▶auraient pas fait paraître tel. Il était, comme vous voyez, soit par ses biens, par sa personne, et par son esprit, en état ◀de▶ rendre une femme très heureuse, soit pour ◀l’▶abondance, ou pour ◀la▶ tranquillité ◀de▶ ◀la▶ vie, et pouvait lever ◀les▶ yeux aux premiers partis. Sa mère lui en a proposé plusieurs, qui ont fait depuis ◀le▶ bonheur ◀de▶ ceux qui ◀les▶ ont épousés, mais son fils ne seconda pas ses desseins, il ◀les▶ refusa, et jeta ◀les▶ yeux sur une fille qui paraissait infiniment au-dessous de lui.
Ce fut sur Angélique que vous venez de voir, et que vous avez connue dès ◀le▶ temps qu’elle demeurait chez Mademoiselle Dupuis ◀la▶ mère. Son père était un gentilhomme ◀d’▶Anjou, cadet des cadets, n’ayant que ◀la▶ cape et ◀l’▶épée et qui outre cela épousa une demoiselle ◀de▶ son pays qui n’en avait pas plus que lui. Son malheur voulut qu’il fût attaché [à] ◀la▶ fortune ◀de▶ Monsieur ◀le▶ maréchal ◀d’▶Hocquincourt, et qu’il fût tué dans un parti contraire à celui du Roi. Sa mort laissa sa veuve privée ◀de▶ tout secours, et chargée ◀d’▶une petite fille, qui est Angélique dont nous parlons ; et encore ◀le▶ maréchal ◀d’▶Hocquincourt ayant été tué lui-même peu de temps après, cette femme fut obligée ◀de▶ chercher une condition pour vivre, n’ayant pas ◀de▶ quoi subsister ; bien loin ◀d’▶en pouvoir donner à sa fille. Monsieur Dupuis obligea sa femme ◀de▶ prendre cet enfant, plutôt par charité que pour autre chose ; car dans ◀l’▶âge ◀de▶ sept ou huit ans où elle était, elle ne pouvait pas rendre ◀de▶ grands services. Mademoiselle Dupuis qui était charitable, en eut beaucoup de soin. Elle lui fit apprendre à lire et à écrire, pour en être soulagée dans ◀le▶ détail ◀de▶ son ménage, son mari n’étant pas ◀d’▶humeur ◀d’▶entrer dans quantité ◀de▶ menues dépenses, dont pourtant il voulait quelquefois, pour ◀la▶ chagriner, qu’elle lui rendît compte ; quoiqu’il n’ait jamais rien exigé ◀de▶ pareil ◀de▶ sa fille. Angélique y resta six à sept ans ; et Mademoiselle Dupuis étant morte, son mari voulut mettre Angélique dans ◀le▶ couvent où était votre commère ; mais dans ce moment une des bonnes amies ◀de▶ ◀la▶ défunte qui connaissait Angélique, ◀la▶ demanda à Monsieur Dupuis pour être auprès de sa fille qu’elle allait mettre fille ◀d’▶honneur auprès de Madame ◀la▶ princesse ◀de▶ Cologny. Dupuis qui connaissait cette femme pour femme ◀de▶ vertu, ◀la▶ lui accorda volontiers, et parla à Angélique comme s’il avait été son père : aussi y prenait-il intérêt, parce que son père à elle avait été cornette ◀de▶ la première compagnie ou ◀de▶ ◀la▶ mestre ◀de▶ camp du régiment ◀de▶ Dupuis, et qu’il ◀l’▶avait connu pour fort brave homme.
Voilà ◀le▶ fondement ◀de▶ ◀la▶ fortune ◀d’▶Angélique, qui au lieu d’aller dans un couvent avec votre commère, entra au service ◀de▶ Mademoiselle de Vougy, à peu près ◀de▶ son âge, laquelle Mademoiselle de Vougy fut reçue fille ◀d’▶honneur ◀de▶ ◀la▶ princesse de Cologny deux ou trois jours après. Elle n’avait pour lors qu’environ quinze à seize ans. Je n’ai que faire ◀de▶ vous en faire ◀le▶ portrait, vous venez de ◀la▶ voir. On ne peut être mieux faite pour une petite personne. C’est une beauté achevée et régulière ; en un mot c’est un raccourci ◀de▶ ce que ◀la▶ nature peut produire de plus beau et de plus accompli ; et il faut bien que cela soit, puisqu’elle a si bien engagé un homme, dont ◀l’▶esprit doux et modéré ne paraissait pas susceptible ◀d’▶un engagement si solide. Elle a ◀de▶ ◀l’▶esprit infiniment, et ◀le▶ tourne comme elle veut ; elle en a eu besoin pour parvenir où elle est. Elle a beaucoup de lecture, et une mémoire excellente ; elle chante à charmer, danse fort bien, peint fort joliment en miniature : enfin elle est universelle. Elle est sage, du moins il y a beaucoup ◀d’▶apparence que si elle ne ◀l’▶avait pas été, elle ne serait jamais parvenue où elle est. Contamine lui a offert toutes choses pour en triompher sans sacrement ; elle a tout refusé, et a mieux aimé risquer tout, que ◀d’▶en avoir une partie par un bout qui ne lui fît point ◀d’▶honneur. Elle a réussi, mais son bonheur s’en est mêlé ; car sans lui toute sa vertu et sa beauté ◀l’▶auraient laissée en chemin. Elle ne se méconnaît point ; c’est ce qui fait dire qu’elle est digne ◀de▶ sa fortune. Elle est fort pieuse, fort charitable, fort bonne amie, secrète, point médisante ni satirique ; peut-être que sa politique a part à ses vertus ; quoi qu’il en soit, si elle se contraint elle se contraint fort bien : car tout paraît en elle fort naturel et sans fard.
Elle était donc fille ◀de▶ chambre ◀de▶ Mademoiselle de Vougy, sa maîtresse apprenait à danser, à chanter, et d’autres choses qu’on fait apprendre aux filles ◀de▶ qualité. Angélique, qui était toujours auprès ◀d’▶elle, profita plus qu’elle des leçons qu’on lui donnait. Elle apprit en perfection tout ce qu’on enseignait à sa maîtresse, surtout ◀l’▶italien et ◀la▶ musique ; et cela sans avoir d’autres maîtres que les siens, qui ne lui parlaient que très peu.
Cette demoiselle fut obligée ◀d’▶aller chez Madame de Contamine, pour une affaire qu’un ◀de▶ ses parents avait avec elle, et qu’il lui avait recommandée. Elle y mena Angélique : Contamine ◀la▶ vit et en devint tout ◀d’▶un coup amoureux. Il ne lui parla point cette fois-là, il se contenta ◀de▶ ◀l’▶admirer. ◀L’▶affaire que Mademoiselle de Vougy avait entreprise pour son parent, était pour un chemin qui avait été reculé par un fermier ◀de▶ Madame de Contamine, et jeté sur ◀les▶ terres du cousin ◀de▶ cette demoiselle. Son prétexte était que ce chemin était plus court et plus droit : mais en effet c’était une entreprise ◀de▶ ce fermier, qui voulait chagriner ce gentilhomme, et augmenter ◀d’▶autant ◀le▶ revenu ◀de▶ sa terre. Cela faisait beaucoup de tort au parent ◀de▶ Mademoiselle de Vougy, dont ◀la▶ terre était ◀d’▶autant diminuée, et qui, à toutes choses près, n’était qu’un pauvre gentilhomme ◀de▶ campagne, en comparaison de Madame de Contamine. Et comme il ne voulait pas plaider contre elle, il avait prié sa cousine ◀de▶ faire en sorte que cette dame lui rendît justice à ◀l’▶amiable. ◀Les▶ raisons ◀de▶ ce fermier paraissaient bonnes, ainsi cette affaire ne put pas se terminer sitôt ; et pour en venir à bout, il était écrit dans ◀le▶ ciel qu’Angélique y prendrait part.
Sa maîtresse fut obligée ◀d’▶aller souvent chez Madame de Contamine, elle ◀l’▶y menait toujours avec elle ; et Contamine, qui ◀la▶ voyait toujours, en devenait toujours de plus en plus amoureux. Une fois que Mademoiselle de Vougy y alla, elle entra seule dans ◀le▶ cabinet ◀de▶ Madame de Contamine, et laissa Angélique seule dans ◀l’▶antichambre. Contamine y entra et s’approcha ◀d’▶elle. J’ai bien du plaisir, lui dit-il, ma belle fille, ◀de▶ vous voir ici bien souvent. Il y paraît Monsieur, répondit-elle, par ◀la▶ nécessité où Madame votre mère et vous mettez Mademoiselle de Vougy ◀d’▶y venir tous ◀les▶ jours. En êtes-vous fâchée, dit-il ? Je n’en suis pas fort aise du moins, répondit-elle, non seulement parce que je prévois que Mademoiselle de Vougy perdra ses pas ; mais aussi parce qu’elle est obligée ◀de▶ faire bien souvent une figure indigne ◀d’▶elle. Ajoutez, reprit-il, que vous êtes fâchée vous-même, ◀de▶ rester à ◀l’▶attendre toute seule dans une maison, où vous ne connaissez personne, et où vous perdez un temps que vous emploieriez beaucoup mieux ailleurs avec votre amant. Je n’ai rien à vous répondre, Monsieur, lui dit-elle, ◀la▶ solitude ne m’épouvante pas dans une maison ◀d’▶honneur comme ◀la▶ vôtre, et surtout si proche de Madame votre mère ; et supposé que je regrettasse ici ◀la▶ compagnie ◀d’▶un amant, vous êtes ◀d’▶un ordre trop élevé, pour vous abaisser jusqu’au point ◀de▶ vous en faire confidence : mais soit par cette raison ou par une autre, si j’étais ◀la▶ maîtresse, je ne solliciterais pas davantage une bagatelle, après en avoir été refusée par des gens, qui n’ayant pas eu ◀l’▶honnêteté ◀de▶ ◀l’▶accorder dès la première demande qu’on leur en a faite, ne ◀l’▶accorderont assurément pas, quelque sollicitation qu’on emploie auprès ◀d’▶eux. Que savez-vous, dit-il, si on n’a pas quelque intérêt caché qui oblige ◀de▶ vous refuser, afin de vous obliger à venir demander ? Je dirais, répondit-elle, que ◀le▶ motif serait très peu honnête ; et qu’il faut que ◀les▶ gens qui ont envie ◀de▶ voir ici si souvent Mademoiselle de Vougy, ne ◀la▶ considèrent guère, puisqu’ils lui donnent toute ◀la▶ peine ◀de▶ ◀l’▶aventure, et qu’ils pourraient lui en épargner une partie en venant ◀la▶ voir à leur tour. Mais si c’était vous, et non pas elle, qu’on voulût voir, reprit-il, qu’en diriez-vous ? Je ne sais point répondre à un pareil compliment, dit-elle, ◀les▶ gens d’ici qui pourraient souhaiter ◀de▶ me voir, n’ont assurément point assez ◀de▶ crédit pour décider ◀de▶ ◀l’▶affaire qui nous y amène, et ne sont point assez considérables dans ◀le▶ monde pour croire faire tort à leur dignité en venant jusqu’à ◀l’▶hôtel. Et si c’était moi, reprit-il en rougissant, consentiriez-vous que j’allasse vous voir ? Non très assurément, répondit-elle. Et pourquoi, lui demanda-t-il ? Parce que, répliqua-t-elle, des visites ◀d’▶un homme comme vous à une fille comme moi, n’en feraient rien juger que ◀de▶ criminel ; et que je n’ai point envie ◀de▶ donner pied à ◀la▶ médisance ; mais, Monsieur, poursuivit-elle, n’allez pas plus loin. Un homme comme vous, croit faire honneur à une fille telle que je suis, quand il lui parle, et je vous assure que je n’ambitionne point cet honneur et que même il me chagrinerait. Ne vous étonnez donc pas, reprit-il, si j’empêche Madame de Contamine ◀de▶ vous rien accorder, puisque je n’ai que ce seul moyen ◀de▶ vous voir, en vous obligeant ◀de▶ venir ici. Ne poussez pas plus loin votre raillerie, Monsieur, lui dit-elle avec un peu de confusion, je suis par ◀la▶ bassesse ◀de▶ ma fortune obligée ◀de▶ souffrir tout ◀de▶ vous ; mais souvenez-vous qu’il est ◀d’▶un honnête homme ◀de▶ ne jamais insulter aux malheureux que ◀la▶ fortune a mis au-dessous de lui, et surtout au sexe. Ce n’est point, je crois, vous insulter, dit-il, que ◀de▶ vous dire que je ne puis me passer ◀de▶ vous voir, et que vous êtes ◀la▶ plus aimable fille que j’ai jamais vue. Je ne sais point, Monsieur, lui dit-elle, quelle différence vous mettez entre ◀l’▶insulte et ◀la▶ raillerie ; mais je m’aperçois que je suis ◀l’▶objet ◀de▶ l’un et ◀de▶ l’autre. Vous ne ◀l’▶êtes point, reprit-il, au contraire vous êtes ◀l’▶objet ◀de▶ mon admiration et ◀de▶ mes respects, et je serais au désespoir que vous prissiez ◀les▶ paroles sincères que je vous dis, pour une raillerie. Oui, ajouta-t-il, je vous ◀le▶ répète, vous me paraissez ◀la▶ fille du monde ◀la▶ plus aimable ; et vous êtes aussi ◀la▶ fille du monde que j’aime ◀le▶ plus. Trouvez un moyen qui me facilite votre vue, ne me réduisez point au terme ◀de▶ ne plus vous voir, et dès aujourd’hui je vous assure que vous ne serez plus obligée ◀de▶ venir ici, puisque cela commence à vous chagriner. Il faudrait, dit-elle, que je fusse folle pour donner là-dedans ; mais n’importe, il faut que je fasse semblant ◀de▶ ◀le▶ croire, puisque vous me promettez que nous ne serons plus obligées ◀de▶ faire tant de tours. Apportez, Monsieur, ◀le▶ papier que Mademoiselle de Vougy vous demande, donnez-◀le▶ lui à ◀l’▶hôtel, elle vous tiendra compte ◀de▶ votre civilité, et ne refusera pas vos visites, si vous lui demandez ◀la▶ permission ◀de▶ lui en rendre. Il est vrai, reprit-il, mais ce serait elle que je verrais et non pas vous ; et ce ne serait que vous que je chercherais. Je ne ◀la▶ quitte point, reprit-elle, et vous me verrez toujours en ◀la▶ voyant. J’en tombe d’accord, reprit-il, mais en vous voyant je ne pourrai pas vous parler. Si c’est une seconde condition, dit-elle, que vous ajoutez à la première, vous gagnerez moins ici qu’à ◀l’▶hôtel, car je vous déclare que je ne vous ouvrirai jamais ◀la▶ bouche chez vous, et qu’à ◀l’▶hôtel, je ne vous empêcherai point ◀de▶ profiter des occasions que ◀le▶ hasard fera naître : je vous tiendrai compte même des pas que vous nous aurez épargnés. Vous me jouez, dit-il, vous ne me faites ces belles propositions que pour m’obliger à travailler moi-même à m’ôter ◀les▶ moyens ◀de▶ vous voir ; et quand vous aurez ce que vous demandez, vous vous moquerez ◀de▶ moi. Non, reprit-elle ; mais puisque par votre propre aveu, vous êtes ◀le▶ maître ◀de▶ nous satisfaire, et que vous ne ◀le▶ faites pas pour nous obliger à venir, je vous jure que je n’y viendrai plus, et que dès aujourd’hui je prierai Mademoiselle de Vougy ◀de▶ me dispenser ◀de▶ ◀l’▶accompagner dans ◀les▶ visites qu’elle sera assez bonne pour vous faire. Si vous faisiez ce coup-là, lui dit-il, vous ne m’obligeriez assurément pas. Je ne cherche point à vous obliger, lui répondit-elle, puisque vous ne voulez point que nous vous ayons obligation. Mais quand vous m’aurez cette obligation, que ferez-vous, lui dit-il, pour me marquer votre reconnaissance ? Tout, dit-elle. On appelle cela, reprit-il, promettre tout pour ne rien tenir ; mais ne me promettez pas tant, et me tenez ce que vous me promettez. Eh ! que me demanderez-vous, dit-elle en riant ? Je vous demande, répondit-il, ◀d’▶un grand sérieux, que vous croyiez que je vous aime. Je ◀le▶ croirai, dit-elle. Quelle certitude m’en donnerez-vous, demanda-t-il ? Celle qu’il vous plaira, répondit-elle, pourvu qu’elle dépende ◀de▶ moi, et que je puisse vous ◀la▶ donner. Comme ils en étaient là, Mademoiselle de Vougy sortit du cabinet ◀de▶ Madame de Contamine, et remmena Angélique avec elle.
Celle-ci ne lui parla point ◀de▶ ◀la▶ conversation qu’elle avait eue avec ◀le▶ fils ◀de▶ ◀la▶ maison, elle lui tenait au cœur , et dès ce moment-là, il est certain qu’elle fonda ◀de▶ grandes espérances sur ce qu’il lui avait dit. Elle avait fort bien connu qu’il lui avait parlé ◀de▶ cœur ; mais pour voir si elle ne s’était point trompée, elle résolut ◀de▶ lui tenir ◀la▶ parole qu’elle lui avait donnée ◀de▶ ne plus aller chez lui. Elle trouva en effet un prétexte pour rester à ◀l’▶hôtel quatre jours après que Mademoiselle de Vougy fut obligée ◀de▶ retourner chez Contamine. Elle n’avança pas plus cette fois-ci que ◀les▶ autres, et revint fort scandalisée des refus que Madame de Contamine faisait. Angélique qui ◀l’▶entendit s’en plaindre, se flatta que son amant lui ferait avoir satisfaction en sa faveur. Elle n’avait garde ◀d’▶en rien témoigner ; mais elle ne se trompa pas. Il vint en effet ◀le▶ lendemain ; mais comme ce n’était pas Mademoiselle de Vougy qu’il demandait, il prit ◀le▶ temps qu’elle était sortie avec Madame ◀la▶ princesse ◀de▶ Cologny pour aller ◀la▶ voir. On lui dit qu’elle n’y était pas ; il ◀le▶ savait bien, et dit qu’il ◀l’▶attendrait. Il monta dans sa chambre, où il trouva Angélique seule, comme il ◀la▶ voulait.
Etes-vous satisfaite, ma belle fille, lui dit-il. Vous m’avez tenu parole en ne venant plus au logis avec Mademoiselle de Vougy ; me ◀la▶ tiendrez-vous dans ◀la▶ reconnaissance que vous m’avez promise si je vous donnais satisfaction ? ◀La▶ voilà, poursuivit-il en lui montrant un papier, nous accordons plus qu’on ne nous demande : quels remerciements m’en ferez-vous ? Je ne vous en dois aucun, répondit-elle en riant ; votre présent n’est pas ◀d’▶une générosité entière : vous y mêlez votre intérêt, et cela me fait défier des conditions du marché. Ne plaisantez point, reprit-il, je vous parle sérieusement, répondez-moi de même. Que voulez-vous, dit-elle, que je vous dise ◀de▶ sérieux sur un sujet tout bouffon ? Me croyez-vous assez simple pour croire qu’à ma seule considération vous accordez ce que vous avez refusé à Mademoiselle de Vougy ? Il faudrait que je fusse tout à fait ridicule pour ◀le▶ croire et mon sérieux là-dessus serait une des plus grandes folies que je pourrais jamais faire. Il n’est pourtant rien de plus vrai, reprit-il ; c’est vous qui avez tout fait, et sans vous, ni elle ni son parent n’auraient jamais rien obtenu, ni ◀de▶ ma mère ni ◀de▶ moi, et il est aussi certain que je vous aime plus qu’on n’a jamais aimé, qu’il est certain que je suis chrétien. Voyez si, après un pareil serment, vous seriez ridicule ◀de▶ prendre sérieusement ce que je vous dis. Ne doutez plus ◀de▶ ◀la▶ sincérité ◀de▶ mon amour, et répondez-moi comme en étant bien persuadée. Afin de vous parler sans témoins, sous prétexte ◀d’▶attendre Mademoiselle de Vougy, je ne suis venu que lorsque j’ai su qu’elle était sortie ; et un moment avant son retour, vous verrez venir un laquais me demander, afin que sous ◀le▶ même prétexte, je puisse encore vous voir et vous parler ; ainsi ne faites plus ◀de▶ difficulté, et répondez-moi sincèrement et sérieusement. En vérité, répondit-elle, ce que vous venez de me dire me surprend si fort que ma gaieté s’est évanouie, et a fait place au plus grand sérieux que j’aie jamais eu et je vais vous répondre ainsi que vous ◀le▶ demandez. Je crois que vous m’aimez puisque vous me ◀le▶ dites ; mais quel est votre but ? ◀De▶ vous aimer toujours, reprit-il, et ◀de▶ me faire aimer ◀de▶ vous. Supposé que vous ne soyez point aimé, que ferez-vous, dit-elle ? Je serais toujours malheureux, dit-il ; mais je ne cesserais pas ◀de▶ vous aimer. Et supposé que je vous aimasse à mon tour, ajouta-t-elle, quel parti prendriez-vous ? Je prendrais, répliqua-t-il, tel parti que vous voudriez pour vous rendre heureuse. Ce parti que je voudrais, répliqua-t-elle, ne vous conviendrait sans doute pas. ◀L’▶amour qu’un homme ◀de▶ votre rang a pour une fille du mien, ◀la▶ déshonore quand il est su, ou ◀le▶ déshonore lui-même quand il s’y abandonne jusqu’au point ◀de▶ donner tout à sa satisfaction. Songez à ce que je vous dis, ajouta-t-elle. J’aime mieux être toute ma vie pauvre, que ◀de▶ devenir riche par un moyen blâmable. Je n’ai pour tout bien que ma vertu, je ne ◀la▶ vendrai point. Ainsi vous ne devez rien espérer ◀de▶ moi qui puisse faire tort à mon honneur, et je ne prétends rien ◀de▶ vous qui puisse vous rendre méprisable devant ◀le▶ monde, par une démarche qui serait blâmée ◀de▶ toute ◀la▶ terre. Je ne suis point ◀de▶ fortune à vous épouser ; mais je ne suis point ◀de▶ naissance, et j’ai trop ◀de▶ cœur et ◀de▶ vertu, pour être jamais votre maîtresse. Vous m’avez priée ◀de▶ vous répondre sérieusement ; voilà, je crois, ◀l’▶avoir fait. Oui, dit-il, vous ◀l’▶avez fait. J’avoue que je m’étais attendu à une partie ◀de▶ votre réponse ; mais je ne ◀l’▶espérais pas si décisive. À l’égard de vous épouser, toute ◀la▶ terre me blâmerait, si j’épousais une fille telle… Je sais bien, interrompit-elle brusquement, que je ne suis qu’une simple suivante : il est inutile que vous preniez le soin de m’en faire souvenir ; mais je sais bien aussi que je ◀la▶ serai toute ma vie, si pour cesser ◀de▶ ◀l’▶être il faut faire une lâcheté. Vous n’êtes pas ◀le▶ seul qui m’ayez offert votre secours, d’autres en ont fait autant ; mais mon confesseur et mon sang, m’ont toujours dit, que ◀la▶ pauvreté n’était point un vice, et que devant Dieu et devant ◀les▶ hommes, une fille pauvre et sage, est plus estimable et mieux reçue, qu’une riche libertine. Voilà quels sont mes sentiments ; conformez-y les vôtres. Je ne vous parle point ◀de▶ m’épouser, je n’y prétends pas ; mais je vous supplie ◀de▶ ne me point importuner, et ◀de▶ me laisser en repos. Attendez Mademoiselle de Vougy, ou ne ◀l’▶attendez pas, cela m’est indifférent aussi bien que votre papier ; et afin de ne me point exposer à des discours ◀de▶ votre part, que je ne dois point entendre, je vous laisse en liberté. Elle voulut en effet sortir, mais il ◀la▶ retint. Arrêtez, lui dit-il, ma chère Angélique ; vous ne savez qu’une partie ◀de▶ ce que j’avais à vous dire : non, dit-elle, mais je sais tout ce que vous pensez, et je me ◀le▶ tiens pour dit, et ◀le▶ quitta malgré lui.
Il prit ◀le▶ parti ◀de▶ sortir aussi, sans voir Mademoiselle de Vougy. Il ne savait quelle résolution prendre ; car ◀de▶ ◀l’▶épouser, il n’y voyait point ◀d’▶apparence, et n’y songeait pas même encore ; ◀de▶ ◀la▶ quitter, c’était à quoi il ne pouvait consentir. Elle ◀de▶ son côté, qui avait remarqué dans ses yeux tout ◀l’▶amour qu’il avait pour elle, résolut ◀de▶ pousser sa fortune aussi loin qu’elle pourrait aller. Elle connaissait qu’il était trop bien pris pour pouvoir se dégager, et qu’avec ◀le▶ temps elle ◀l’▶amènerait au point ◀de▶ dire ◀les▶ grands mots ; ainsi elle résolut ◀de▶ paraître avec toute ◀la▶ vertu et ◀la▶ fierté qu’une fille peut avoir, sans pourtant ◀le▶ dégoûter par aucune incivilité ; et jamais fille ne s’est mieux tirée ◀d’▶un pas si difficile. Elle dit à Mademoiselle de Vougy qu’il était venu pour ◀la▶ voir, sans dire pourquoi, crainte ◀de▶ ◀le▶ commettre, ou qu’il n’eût voulu se dédire. Il revint ◀le▶ lendemain que cette demoiselle était encore sortie.
Angélique ◀le▶ voyant entrer dans sa chambre, lui fit une révérence fort modeste, sans lui rien dire ; et sans répondre à ce qu’il lui disait, elle alla chercher une autre fille qui vint avec elle. Elle lui parla pour lors, et lui dit que Mademoiselle de Vougy savait qu’il était venu ◀le▶ jour précédent. Elle ne sait pas, Monsieur, ajouta-t-elle, ◀le▶ sujet qui vous a amené. Si c’est pour lui donner ce qu’elle vous demande, ou si c’est pour autre chose. Elle sait seulement que vous êtes venu, et si elle n’était pas encore sortie aujourd’hui avec ◀la▶ princesse, elle vous aurait épargné ◀la▶ peine ◀de▶ revenir ; mais je ne doute pas qu’elle n’aille ce soir chez vous, quoique tard, parce qu’elle est à Luxembourg, et je ne vous conseille pas ◀de▶ ◀l’▶attendre. Si ce que j’ai à lui dire, reprit-il, était ◀d’▶assez grande conséquence pour m’obliger ◀d’▶attendre son retour, ne voudriez-vous pas bien me tenir compagnie. Je n’ai rien à vous dire, Monsieur, et je ne vois pas qu’il puisse y avoir entre vous et moi aucune conversation capable ◀de▶ vous désennuyer. Vous êtes assurément nécessaire ailleurs ; il vaut mieux qu’elle aille ce soir chez vous, comme elle y est résolue ; car après que vous ◀l’▶auriez attendue bien longtemps, il viendrait peut-être quelque laquais vous quérir, et vous sortiriez sans lui avoir parlé. Vous êtes malicieuse, reprit-il, avec votre laquais. J’entends ce que vous voulez dire : mais il n’est pas nécessaire que Mademoiselle de Vougy se donne ◀la▶ peine ◀de▶ venir au logis. Elle ◀la▶ prendra avec joie, reprit Angélique, pourvu que ce soit la dernière fois que vous ◀l’▶obligiez ◀de▶ ◀la▶ prendre. Il resta toute ◀l’▶après-midi, mais il ne put lui parler seul à seul ; cette fille ne ◀la▶ quitta point. Il sortit enfin, et ◀la▶ salua fort honnêtement ; elle lui rendit son salut, et ◀le▶ laissa aller.
Mademoiselle de Vougy alla chez lui ◀le▶ soir même, et ne ◀le▶ trouva pas. Elle parla à Madame de Contamine, et sut ◀d’▶elle qu’il avait leur consentement en bonne forme, et qu’il voulait ◀le▶ lui porter lui-même : en effet, il y alla ◀le▶ lendemain, et ◀le▶ lui donna avec mille civilités, s’excusant ◀de▶ ce qu’on avait été si longtemps à ◀la▶ satisfaire, et lui faisant voir que son parent obtenait plus qu’il n’avait demandé. Cette demoiselle ◀le▶ remercia fort honnêtement en présence d’Angélique, et ajouta qu’elle lui en avait une obligation toute particulière. Madame votre mère, poursuivit-elle, Monsieur, m’avait témoigné si peu de disposition, la dernière fois que je lui parlai ◀de▶ cette affaire, que je ◀la▶ croyais échouée ; mais elle m’a dit hier qu’elle n’avait pu refuser à vos instances un accord plus avantageux que je ne ◀l’▶espérais. Que même vous ◀l’▶aviez obligée ◀de▶ céder une pièce ◀de▶ terre plus à ◀la▶ bienséance ◀de▶ mon parent ; ainsi c’est à vous, Monsieur, à qui je dois rendre grâce ◀d’▶avoir réussi. Je vous en remercie et vous en ferai remercier par mon cousin, qui est un fort honnête homme, que vous ne serez pas fâché ◀d’▶avoir obligé. Il répondit à ce compliment avec toute ◀l’▶honnêteté possible, et ◀le▶ finit par ◀la▶ prier ◀de▶ souffrir qu’il lui rendît quelques visites ; elle y consentit fort honnêtement.
Il voulut en sortant donner une lettre à Angélique, elle ne ◀la▶ prit pas, et ne fit pas même semblant ◀de▶ ◀l’▶avoir vue, quoiqu’elle lui sût bon gré ◀de▶ sa persévérance, et ◀de▶ ◀la▶ satisfaction qu’il avait donnée à Mademoiselle de Vougy. Il revint ◀le▶ lendemain, et continua ses visites pendant plus ◀d’▶un mois, sans faire autre chose que ◀de▶ faire croire qu’il était amoureux ◀de▶ cette demoiselle. Chacun lui en fit ◀la▶ guerre ; Madame ◀la▶ princesse ◀de▶ Cologny elle-même lui dit que ce serait un bonheur très grand pour elle. Cette demoiselle ne s’en défendit point, elle avoua que ◀le▶ parti lui plairait fort, et qu’outre ◀le▶ bien et ◀la▶ fortune, Contamine était à son goût ; mais elle dit à ◀la▶ princesse, qui s’offrait ◀d’▶en entamer les premières paroles, qu’il ne s’était point encore expliqué, et qu’elle ◀la▶ suppliait ◀d’▶attendre qu’il eût parlé le premier. Cette demoiselle est assez belle, et aimable, ◀l’▶appui ◀de▶ ◀la▶ princesse aurait embarrassé Contamine, et aurait mis Angélique au désespoir. Elle en fut vivement alarmée, et cela fut cause qu’il ne fut plus rebuté, lorsqu’il voulut lui donner une lettre en cachette. Elle ◀la▶ prit en tremblant, comme si elle avait fait une mauvaise action, et étant seule, elle ◀la▶ lut et y trouva ces paroles.
LETTRE.
Voici la sixième lettre que je vous écris, belle Angélique, sans savoir si elle aura un sort plus heureux que ◀les▶ autres. Je ne vous dirai point que je vous aime, je me flatte que vous n’en doutez pas. Je ne demande point que vous vous confiiez à mes paroles, n’en croyez que mes actions. Je ne vous dirai point que je suis prêt à vous épouser, c’est ce que vous ne me conseilleriez pas vous-même lorsque vous en saurez ◀les▶ raisons. Je ne vous dis point aussi, que je renonce à vous par une possession légitime. J’en formerais vainement ◀le▶ dessein. ◀Le▶ trouble ◀de▶ mon cœur est inconcevable, sortez du malheureux état où vous êtes, retirez-vous dans votre particulier, éloignez-vous ◀d’▶un quartier où vous êtes trop connue, recevez mes présents pour me faire honneur, et ne vous engagez à rien avec moi. Si nous étions dans un pays où on ne vous connût pas, je n’hésiterais point ; vous seriez à moi si vous vouliez y consentir ; mais à Paris : mettons ◀les▶ charmes ◀de▶ votre personne à part, et ◀l’▶amour que j’ai pour vous, qui ne regarde que moi ; serais-je excusable devant ◀le▶ monde si je vous épousais telle que vous êtes ? Je ne borne point vos espérances ; mais épargnez-moi ◀la▶ honte ◀d’▶une si grande chute. Procurez-moi un moment ◀d’▶entretien seul à seul, vous débrouillerez ◀les▶ sentiments ◀de▶ mon cœur qui sont si confus que je ne puis ◀les▶ démêler moi-même. J’attends votre réponse comme ◀l’▶arrêt ◀de▶ ma vie, ou ◀de▶ ma mort ; c’est-à-dire avec la dernière impatience. Adieu.
Cette lettre était ◀d’▶un style à lui faire tout espérer, pourvu qu’elle sût se bien ménager ; elle ne s’oublia pas. Contamine revint ◀le▶ lendemain ; il croyait tout au moins qu’elle allait lui parler, ou lui donner un rendez-vous. Il se trompa, elle n’avait pas dessein ◀de▶ lui faire aucune avance. Il fut obligé ◀de▶ chercher à ◀la▶ voir lorsque Mademoiselle de Vougy serait sortie. Cela n’arriva que huit jours après ; et pendant ce temps-là, elle jouit ◀de▶ son trouble, ◀de▶ son impatience, et du triomphe ◀de▶ sa beauté. Enfin il ◀la▶ trouva seule, et elle en fut fort aise, parce que quelques paroles ◀de▶ ◀la▶ princesse avaient redoublé sa jalousie.
Qu’avez-vous donc résolu, belle Angélique, lui dit-il, avez-vous dessein ◀de▶ me mettre au désespoir ? Ne suis-je pas assez rendu ? Espérez-vous voir augmenter mon amour ? Il est impossible. Décidez ◀de▶ votre fortune et ◀de▶ la mienne ; voyez ce qu’il vous plaît que je devienne. Je veux, répondit-elle, que vous me laissiez en repos. J’approuve vos raisons pour ne me point épouser, approuvez les miennes pour ne vous voir jamais. Ne vous obstinez pas davantage, vous ne feriez que perdre votre temps, ou me rendre malheureuse, si j’étais assez crédule pour vous écouter. Mais, dites-moi, reprit-il, ce qu’il vous plaît que je fasse, je suis prêt à tout. Je veux, dit-elle, que vous songiez à épouser Mademoiselle de Vougy. Elle songe à vous, ◀le▶ parti vous convient ; et je ne vous conviens pas. Je ne songe point à elle, reprit-il, et plût à Dieu que vous en eussiez ◀de▶ ◀l’▶ombrage, ◀le▶ sacrifice que je vous en ferais vous assurerait ◀de▶ ce que je pense. Eh bien, dit-elle, faites-◀le▶ moi, ce sacrifice, et ne venez plus ici. Je ne vous verrais plus, dit-il. Vous m’en persuaderez mieux, interrompit-elle. C’en est assez, répondit-il, je suis ici à ma dernière visite. Vos ordres seront exécutés, et ◀le▶ sacrifice que je vous fais ne coûte rien à mon cœur : mais belle Angélique, ajouta-t-il, en se jetant à ses genoux, et en lui mouillant ◀les▶ mains ◀de▶ ses larmes, je ne puis vivre sans vous voir, et sans vous parler. Vous savez écrire, reprit-elle, je ne refuserai pas vos lettres. Cependant, dit-il, vous resterez dans un état qui me défendra ◀de▶ songer à vous ; sortez-en, je vous supplie, j’ai ◀de▶ quoi vous faire vivre ailleurs et plus honnêtement, et plus magnifiquement. Je ne puis plus vous voir obligée ◀d’▶employer à un service indigne ◀de▶ vous et ◀de▶ moi, un temps que je voudrais que vous n’employassiez qu’à songer à ma tendresse. Logez ailleurs, n’ayez pour maîtresse que vous-même, demeurez avec votre mère, ◀les▶ visites que je vous rendrai auront un prétexte plus honnête. Que dirait-on ici, si on savait, qu’assez bien dans ◀l’▶esprit ◀de▶ ◀la▶ maîtresse, il lui préfère une fille qui ◀la▶ sert ? Je n’y viendrai plus puisque vous me ◀le▶ défendez, je vous écrirai, puisque vous me ◀le▶ permettez ; mais vos réponses, qui me ◀les▶ rendra ? Qui mettre dans notre confidence capable ◀d’▶un secret qui nous est ◀de▶ si grande conséquence ? Si vous logiez dans un quartier éloigné d’ici, où vous ni votre mère ne fussiez point connues, vous pourriez en changeant ◀de▶ figure, faire oublier ce que vous êtes à présent ; et pourvu que vous vouliez sauver ◀les▶ apparences, je m’offre à faire ◀le▶ reste, consultez-en votre mère. Je ne vous demande aucune faveur qui puisse faire tort à votre vertu. Je ne vous demande pour toute reconnaissance des présents que je vous ferai, que ◀la▶ seule satisfaction ◀de▶ vous ◀les▶ faire, et ◀de▶ vous voir dans un état où je ne sois pas forcé ◀de▶ contraindre devant tout le monde ◀les▶ sentiments ◀de▶ mon cœur ◀les▶ plus tendres et ◀les▶ plus pressants. Vous n’approuveriez pas vous-même que je me déclarasse publiquement ◀l’▶amant ◀d’▶une fille ◀de▶ chambre. Je serai pourtant bientôt réduit à ◀le▶ faire, si vous-même ne me prêtez ◀la▶ main pour me soutenir sur ◀le▶ bord du précipice : mais si en changeant ◀d’▶état vous cachez ◀la▶ bassesse ◀de▶ votre fortune, je me ferai honneur ◀d’▶avouer toute ◀la▶ tendresse que j’ai pour vous.
◀Les▶ sentiments que vous me témoignez, répondit-elle, sont ◀d’▶un parfaitement honnête homme. Non sans doute, je n’approuverais pas que vous vous déclarassiez ◀l’▶amant ◀d’▶une simple servante, j’en aurais moins ◀d’▶estime pour vous ; mais approuveriez-vous que j’acceptasse ◀les▶ moyens que vous m’offrez ◀de▶ sortir ◀de▶ ◀l’▶état où je suis ? Ma vertu n’y serait-elle point intéressée ? Et ne serait-ce pas en effet me vendre que ◀de▶ recevoir ◀les▶ secours que vous me feriez ? Que dirait-on ◀de▶ me voir tout ◀d’▶un coup dans une autre figure ? Je serais reconnue, que n’en croirait-on pas à mon désavantage ? Vos visites passeraient-elles pour innocentes ? Vous conviendrez avec moi qu’il ne suffit pas à une fille ◀d’▶être sage et vertueuse ; c’est en effet ◀l’▶essentiel, mais il faut aussi qu’elle paraisse telle. ◀La▶ paraîtrais-je dans cet état que vous voulez que je prenne ? Tout le monde croirait-il que vous feriez tant pour moi par un pur motif ◀de▶ charité, et sans que j’achetasse vos présents par des faveurs criminelles ? Que deviendrais-je, si après avoir pris un état au-dessus ◀de▶ mes forces, j’étais abandonnée ◀de▶ vous ◀d’▶une manière ou ◀d’▶autre ? Je ne parle point du changement qui peut arriver dans vos intentions, je me flatte ◀de▶ votre constance, ou du moins ◀de▶ votre générosité ; mais vous n’êtes point immortel. Que ferais-je pour soutenir ◀l’▶état que j’aurais pris ? Moquée et raillée ◀de▶ tout le monde, faudrait-il que je fusse réduite à soutenir par un libertinage effectif, ◀l’▶ombre ◀d’▶un premier libertinage ? J’ai rendu justice à vos raisons, les miennes ne sont-elles pas justes, et ne ◀les▶ approuvez-vous pas ?
Oui, belle Angélique, lui répliqua-t-il, je n’avais jusques à présent adoré que votre beauté ; mais à présent je suis charmé ◀de▶ votre esprit et ◀de▶ votre vertu ; et puisque pour la première fois vous voulez bien entrer en explication avec moi, souffrez que je vous dise mes sentiments et ce que j’ai résolu. J’ai prévu...
Comme il allait continuer, Mademoiselle de Vougy entra. Il ne resta qu’un moment avec elle, et retourna chez lui dans ◀le▶ dessein ◀d’▶écrire à Angélique ce qu’il avait voulu lui dire. Il ◀le▶ fit, mais il ne put lui faire rendre sa lettre ce jour-là ni ◀le▶ lendemain. Il sut enfin que sa mère était malade, et qu’elle était allée lui rendre dans sa maladie, ◀les▶ services que sa pauvreté ◀l’▶empêchait ◀de▶ se faire rendre par d’autres. Il eut beaucoup de peine à déterrer ◀la▶ maison, mais enfin à force de perquisition, il ◀la▶ découvrit et y alla.
Angélique fut surprise au dernier point ◀de▶ ◀le▶ voir dans une maison où elle ◀l’▶attendait si peu ; mais il ◀le▶ fut bien davantage ◀de▶ voir ◀l’▶extrême pauvreté ◀de▶ ◀la▶ mère et ◀de▶ ◀la▶ fille. Il ◀les▶ jugea dignes ◀de▶ ses charités, et elles ◀l’▶étaient en effet. Il sortit presque aussitôt qu’il fut entré. Elle crut dans le moment qu’elle ne ◀le▶ reverrait ◀de▶ sa vie, et ce fut un rude coup pour elle ; mais après quelques réflexions, elle en jugea autrement. Il ne fut en effet qu’une demi-heure à revenir.
Vous n’êtes point ici en état ◀de▶ vous parler, belle Angélique, lui dit-il, je n’ose pas même y rester plus longtemps. Je vous quitte, mais je reviendrai tous ◀les▶ jours apprendre ◀de▶ vos nouvelles, et ◀de▶ celles ◀de▶ votre mère. Ayez-en soin, poursuivit-il, mais n’incommodez point votre santé, elle m’est trop précieuse pour n’y pas prendre ◀de▶ part. Je suis fâché ◀de▶ ◀l’▶état où elle est, et ◀de▶ vous voir vous-même dans un lieu si peu digne ◀d’▶une fille que j’adore. Je sors, prenez garde que personne ne touche à votre armoire ; je verrai demain si vous avez pour moi quelque considération. Il sortit aussitôt ; et elle alla ouvrir cette armoire. Elle y vit une fort belle bourse ; elle ◀la▶ prit sans réflexion. Elle était toute pleine ◀d’▶or, et ◀d’▶un billet qui en sortait, qu’elle lut. Il contenait ces mots.
BILLET.
Vous n’êtes point, belle Angélique, dans ◀l’▶état ◀de▶ refuser ◀les▶ secours qu’on peut offrir à votre mère. Celui où elle est m’oblige à ◀la▶ secourir du mien. Ce n’est point à vous que je prétends faire aucun présent, c’est à ◀la▶ nécessité qu’elle en a, et je vous rends responsable devant Dieu ◀de▶ ce qui pourra réussir ◀de▶ sa maladie, si par votre fierté vous refusez ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀la▶ soigner. Je ne prétends pas que vous m’ayez aucune obligation ◀de▶ ce que je fais ; c’est ◀la▶ charité seule qui m’y porte, et toute ◀l’▶obligation que je prétends vous en avoir, c’est ◀le▶ seul usage que vous ferez ◀de▶ ce que je vous laisse. Tâchez ◀de▶ changer ◀la▶ décoration ◀de▶ votre chambre, vous pouvez ◀le▶ faire sans bruit ; et je connaîtrai si vous avez quelque considération pour moi, par celle que vous aurez pour votre propre mère, tant pour ◀la▶ propreté ◀de▶ votre chambre, que pour ◀le▶ nécessaire à ◀la▶ vie et à sa santé.
Jamais Angélique n’avait été si embarrassée qu’elle ◀la▶ fut à ◀la▶ lecture ◀de▶ ce billet. Elle était dans une très grande nécessité ◀de▶ toutes choses. Sa mère courait risque faute de secours. On lui en offrait ; mais c’était son amant. Elle craignait ◀de▶ s’engager avec lui si elle s’en servait ; elle nous a avoué à Mademoiselle Dupuis et à moi, qu’elle n’avait su quel parti prendre, et qu’elle ne se serait pas déterminée sitôt, si un capucin, qui vint pour confesser sa mère, et dont elle prit ◀le▶ conseil, après lui avoir sincèrement déclaré sous ◀le▶ sceau ◀de▶ ◀la▶ confession, ◀les▶ termes où elle en était avec Contamine, ne lui eût dit qu’elle pouvait s’en servir en conscience, et suivre ◀les▶ termes du billet sans être engagée pour cela.
Elle s’en servit donc, et fut fort aise que ◀le▶ conseil ◀d’▶un homme ◀d’▶Église s’accordât avec son cœur : car dans ◀le▶ fond elle n’était pas fâchée ◀d’▶avoir obligation à un amant qu’elle aimait, et qui s’y prenait ◀d’▶une manière si honnête et si généreuse. Elle acheta une tapisserie, des sièges, et enfin rendit sa chambre sinon magnifique, du moins assez propre pour recevoir ◀d’▶honnêtes gens. Contamine alla ◀la▶ voir ◀le▶ lendemain, et lui sut bon gré ◀de▶ ce changement ; il ◀l’▶en remercia. Elle lui rendit grâce pour sa mère ◀de▶ sa libéralité, et lui avoua ingénument, qu’elle n’avait rien fait que par ◀le▶ conseil ◀d’▶un religieux. Il ◀la▶ blâma ◀de▶ cette précaution, mais en riant ; et lui dit qu’il ne prétendait pas qu’elle lui en eût aucune obligation en son nom : cependant, belle Angélique, poursuivit-il, il ne tient qu’à vous que je vous en aie une, en m’accordant une grâce que j’ai à vous demander, et qui regarde encore votre mère. Vous n’êtes point assez forte, ni assez faite à garder des malades, pour supporter ◀les▶ fatigues du jour et ◀de▶ ◀la▶ nuit, vous êtes trop jeune pour veiller ; il faut que vous preniez une garde ; que vous achetiez un petit lit, pour coucher seule dans ce cabinet, et non pas dans un air renfermé où vous n’êtes point accoutumée. Votre mère en sera mieux servie, et je ne tremblerai plus pour vous. Elle lui sut bon gré ◀de▶ prendre garde à tout ; et quoiqu’elle parût ne consentir qu’avec répugnance à ce qu’il lui demandait, elle y consentit pourtant avec plaisir.
Il lui envoya une aiguière, deux plats, deux assiettes, deux cuillères, deux fourchettes, deux flambeaux et un bougeoir ◀d’▶argent, et enfin tout ◀le▶ service qui pouvait servir à une femme malade. Il ne voulut pas en faire porter plus, crainte qu’Angélique ne ◀le▶ refusât absolument. Une si grande continuation ◀d’▶honnêtetés ◀la▶ rendit plus familière. Il lui demanda ◀la▶ permission ◀de▶ venir ◀la▶ voir tous ◀les▶ jours, elle y consentit avec peine ; mais à condition que pour que ses visites ne fussent point sues, crainte du scandale, il ne viendrait que ◀le▶ soir, si tard que tout le monde serait retiré ; et que surtout son carrosse ni ses gens n’approcheraient point ; je ne veux pas même qu’on soupçonne qui vous êtes, ajouta-t-elle. Vous voulez que je prenne une garde, je ◀la▶ prendrai pour vous satisfaire ; mais afin qu’elle ne trouve pas à redire sur vos visites ◀de▶ nuit, il est à propos que vous passiez pour mon cousin, neveu ◀de▶ ma mère. Je n’en ai aucun ; mais cette garde ne vous connaîtra pas. Nous lui dirons même, que ne dépendant pas ◀de▶ vous pendant ◀la▶ journée, vous venez quand vous pouvez. Elle croira sur ce pied-là, que vos visites seront ◀d’▶un bon parent ; et j’espère que vous vivrez avec moi aussi sagement que si j’avais en effet ◀l’▶honneur ◀d’▶être votre cousine. Il fit tout ce qu’elle voulut, et ne passa pas un jour sans y aller, et sans lui porter, ou lui envoyer quelque présent qu’elle était obligée ◀de▶ recevoir, en apparence malgré elle, mais dans ◀le▶ fond fort aise ◀de▶ voir un procédé si généreux. Il vivait devant cette garde, comme si il avait été en effet son cousin ; et comme il n’y allait que fort tard, il ne fut jamais ni vu ni connu ◀de▶ personne.
◀La▶ mère d’Angélique vint enfin à se mieux porter, il en eut autant ◀de▶ joie que si elle avait été la sienne. Angélique lui en sut bon gré. Il demanda à cette femme si elle pouvait manger. ◀La▶ garde répondit pour elle que oui, et que dès ◀le▶ lendemain elle lui donnerait un poulet à ◀la▶ broche à son souper. J’en serai, reprit-il promptement, ma bonne tante, je viendrai souper avec vous. Ne vous embarrassez point ◀de▶ ce que nous mangerons ; j’en aurai soin. Je serai demain des vôtres ma belle cousine, poursuivit-il, s’adressant à Angélique. Elle fut tellement surprise ◀de▶ ce transport, qu’elle ne dit pas un mot. Dès ◀le▶ lendemain matin il lui fit porter un coffre fermé, et un quart d’heure après il en envoya ◀la▶ clef avec un billet, par lequel il ◀la▶ priait ◀de▶ ◀l’▶ouvrir, sans que sa garde vît ce qui était dedans ; elle ◀l’▶ouvrit donc seule, et trouva tout ◀le▶ reste ◀d’▶un fort beau service ◀d’▶argent, auquel rien ne manquait. Il était soutenu par du coton fourré à force dans ◀les▶ intervalles. Elle fut surprise ◀de▶ ce présent, et ayant aperçu un billet qui était au haut ◀de▶ ce coffre, elle ◀l’▶ouvrit et lut.
BILLET.
Il serait honteux, ma charmante cousine, que votre table ne fût pas garnie, faute de vaisselle, et afin que votre garde ne puisse s’apercevoir qu’elle ait été apportée exprès pour ◀le▶ souper, retirez-◀la▶ ◀de▶ ce coffre, et ◀la▶ mettez dans le vôtre, ou dans votre armoire, il sera temps ce soir ◀de▶ lui faire prendre l’air. Je ◀l’▶attends, ce soir avec impatience ; si je m’étais attendu à votre civilité, je n’aurais point soupé avec vous. Je m’en suis prié moi-même, et je crois avoir bien fait.
On ne pouvait rien de plus honnête que ce présent et ◀la▶ manière ◀de▶ ◀le▶ faire en augmentait encore ◀le▶ prix. Il ne manqua pas ◀de▶ venir souper : il apporta lui-même ce qu’il avait acheté ; et comme il vint de bonne heure, il vint à pied, enveloppé dans un gros manteau, crainte ◀d’▶être connu. ◀La▶ garde tourna ◀la▶ broche et pendant ce temps-là, lui et elle restèrent seuls auprès du lit ◀de▶ ◀la▶ mère. Angélique voulait ◀le▶ remercier ◀de▶ son présent ; il ◀l’▶interrompit toujours, pour lui témoigner ◀la▶ joie qu’il avait ◀de▶ manger avec elle pour la première fois. ◀La▶ malade à qui Angélique, par ◀le▶ conseil ◀de▶ son confesseur et par ◀le▶ consentement ◀de▶ Contamine, avait dit qui il était, était étonnée ◀de▶ voir dans un homme ◀de▶ son rang, tant ◀d’▶amour pour sa fille, et ◀de▶ voir avec quelle joie il avait saisi ◀de▶ lui-même ◀l’▶occasion ◀de▶ manger avec elle ; honneur qu’elle n’aurait jamais espéré. Elle savait ses présents et sa charité pour elle, ce qui n’avait pas peu contribué au rétablissement ◀de▶ sa santé qui devint meilleure ◀de▶ jour en jour. Pour revenir à ce souper, jamais homme ne parut plus gai et plus content, et Angélique nous a dit que ce qu’elle lui avait vu faire, avait achevé ◀de▶ ◀la▶ persuader qu’il agissait avec elle avec toute sorte ◀de▶ sincérité.
Sitôt que cette femme fut en état ◀de▶ se lever, il s’adressa à elle pour obliger sa fille ◀d’▶accepter ce qu’il lui avait destiné. Il envoya ◀la▶ garde en ville sous quelque prétexte, et parla à ◀la▶ mère d’Angélique. Il est inutile, Madame, lui dit-il, ◀de▶ vous dire que [j’aime] ◀la▶ belle Angélique ; je ne doute pas qu’elle ne vous ◀l’▶ait dit, et que mes démarches ne vous en aient assurée. Je ne prétends ◀d’▶elle que des faveurs légitimes, c’est au mariage que je tends. Il y a du temps à attendre, car malgré ◀l’▶amour que j’ai pour elle, je ne me résoudrai jamais à manquer au respect que je dois à ma mère. Je lui ai trop ◀d’▶obligation pour hasarder ◀de▶ lui donner ◀le▶ moindre chagrin, et vous-même tomberez d’accord qu’il n’y a pas ◀d’▶apparence que je lui propose un mariage avec votre fille, et moins encore qu’elle y consente. Je sais qu’elle a résolu ◀de▶ me marier, je parerai ◀le▶ coup, et je ne serai jamais qu’à ma chère Angélique ; c’est sur quoi elle peut compter. D’un autre côté vous jugerez qu’il me serait extrêmement fâcheux ◀d’▶épouser une fille que tout le monde aurait vu servir. Ce qui est fait est fait, mais pour ◀l’▶avenir, je vous supplie toutes deux ◀de▶ prendre un autre train ◀de▶ vie. Je lui ai proposé ◀de▶ changer ◀de▶ quartier. Je vous ◀le▶ propose encore. Votre garde ignore qui vous êtes, qu’elle n’en sache jamais rien, et servez-vous ◀d’▶elle, jusques à ce que vous ayez une servante, et Angélique une fille ◀de▶ chambre et un petit laquais. J’aurai soin ◀de▶ vous fournir tout ce qu’il vous faudra pour vos meubles et vos vêtements ; et parce qu’il est vrai que je suis mortel, et que si Dieu disposait ◀de▶ moi, vous ne seriez plus en état ni l’une ni l’autre ◀de▶ soutenir une pareille dépense, voilà, poursuivit-il, en tirant ◀de▶ sa poche trois parchemins différents, une rente sur ◀l’▶Hôtel de Ville que j’ai acquise sous son nom et que je lui donne ; une autre rente sur une communauté ; et une maison proche de ◀la▶ porte ◀de▶ Bussy que je lui donne encore. Lorsque je ◀l’▶épous[er] ai cela me reviendra ; et si par ma mort je ne ◀l’▶épouse pas, elle aura toujours ◀de▶ quoi vivre ◀le▶ reste ◀de▶ ses jours dans un état assez honnête. Mais parce que, belle Angélique, continua-t-il, en s’adressant à elle, vous pourriez croire que mes libéralités seraient intéressées, et que j’espérerais ◀de▶ vous quelque faveur contraire à votre vertu, et au respect que j’ai pour vous, je prie devant vous votre mère ◀de▶ ne vous point quitter ◀de▶ vue lorsque nous serons ensemble ; et je vous jure dès à présent ◀de▶ n’aller vous voir chez vous, que lorsqu’il vous plaira me ◀le▶ permettre, si rarement que mes visites ne vous causeront aucun scandale, et ◀d’▶avoir pour vous autant ◀de▶ respect que si vous étiez élevée au-dessus ◀de▶ moi, autant que vous devriez ◀l’▶être, si votre fortune se rapportait à votre mérite.
Doutez-vous à présent ◀de▶ ◀la▶ pureté ◀de▶ mes intentions et qu’elles soient tout à fait honnêtes ? Je fais encore plus. Vous ne pouvez point répondre ◀de▶ votre cœur, si je suis assez malheureux pour que vous ne puissiez-vous donner à moi qu’avec répugnance, je vous rends à vous-même, vous pouvez disposer ◀de▶ vous, ce que je vous donne peut vous faire trouver un bon parti : pourvu que je vous sache heureuse et contente, il me semble que je ◀le▶ serai aussi ; et qu’au contraire je mourrais ◀de▶ chagrin et ◀de▶ désespoir, si en vous épousant, je ne faisais pas tout votre bonheur, comme j’espère que vous ferez tout le mien.
Angélique qui ne s’attendait point à ◀de▶ si beaux présents, ni à un compliment si honnête et si généreux, en fut tellement pénétrée, qu’elle ne put ouvrir ◀la▶ bouche pour lui répondre. Elle se jeta à ses pieds ◀les▶ larmes aux yeux et ◀le▶ cœur saisi. Vous vous moquez ◀de▶ moi, lui dit-il, belle Angélique, en ◀la▶ relevant et en lui baisant ◀les▶ mains qu’il tenait ; et elle, soit par un effet ◀de▶ sa reconnaissance ou ◀de▶ ◀l’▶amour qu’elle avait pour lui, ou par un autre mouvement dont elle ne fut pas maîtresse, se jeta tout ◀d’▶un coup à son cou, et ◀l’▶embrassa ◀de▶ toute sa force. Il lui rendit ses embrassements et ◀la▶ retint entre ses bras ◀le▶ plus qu’il put. Elle se retira enfin toute honteuse, et confuse ◀de▶ ce qu’elle venait de faire. Ne vous repentez point, lui dit-il, belle Angélique, ◀de▶ m’avoir fait voir que je ne vous suis pas tout à fait aussi indifférent que je ◀le▶ craignais. C’est la première faveur que vous m’avez accordée, mais je suis mille fois plus charmé ◀de▶ ce petit transport, que [◀de▶] tout ce que vous auriez pu me dire. Je ne sais, dit-elle toute honteuse, si j’ai bien ou mal fait ; mais quoique mon action soit trop libre, et qu’elle soit même effrontée, j’avoue que je ne m’en repens pas. Que je vous ai ◀d’▶obligations ! lui répliqua-t-il en lui serrant ◀les▶ mains, mais achevez, acceptez-vous ◀les▶ propositions que je viens de vous faire ? Je ferai tout ce qu’il vous plaira, répondit-elle. Votre procédé est trop beau, et me paraît trop franc pour m’en défier. Je recevrai vos présents pour paraître moins indigne ◀de▶ vous, et je crois que ma mère y voudra bien consentir. Vous me promettez donc ◀d’▶être mon épouse, lui dit-il en ◀l’▶embrassant ? Et moi je vous jure ◀d’▶être votre époux, sitôt que je pourrai ◀l’▶être sans nous commettre, et que je serai maître ◀de▶ moi. Acceptez, lui dit-il en riant, et en lui mettant au cou un fil ◀de▶ perles, ◀la▶ chaîne qui vous attache à moi, et cette bague qui vous assure ◀de▶ ma foi. Elle se laissa mettre l’une et l’autre sans aucune façon, il n’y avait plus à en faire. Souvenez-vous, lui dit-il, que je ne veux pas que ce soit cela qui nous attache l’un à l’autre, et que je vous prie que ce soit ◀le▶ cœur. Il ◀les▶ pria ensuite ◀d’▶acheter ◀de▶ beaux meubles et ◀de▶ se mettre proprement. Il lui porta ◀le▶ lendemain plus ◀d’▶argent trois fois qu’il ne leur en fallait, et dit à Angélique que sitôt qu’elle serait vêtue, il ◀la▶ mènerait à sa maison, dont il avait réservé le premier appartement pour elle, et ◀les▶ pria en sortant ◀de▶ quitter ◀le▶ plus tôt qu’elles pourraient ◀le▶ quartier où elles étaient.
Elles n’y restèrent pas longtemps, Angélique changea ◀de▶ figure la première et se mit fort proprement. Il eut soin ◀de▶ ◀la▶ fournir ◀de▶ beau linge, ◀de▶ coiffures, ◀de▶ dentelles, et enfin ◀de▶ tout ce qu’un homme peut acheter pour une fille ; et ◀le▶ tout étant très beau, cela lui donna un nouveau lustre. Il ◀la▶ conduisit à sa maison, elle en trouva ◀l’▶appartement fort agréable, et ◀la▶ maison très belle. Il ◀la▶ montra pour propriétaire à un homme ◀de▶ pratique qui en occupait ◀le▶ reste, et ensuite il fut quinze jours sans aller ◀les▶ visiter du tout, leur laissant ce temps-là pour se meubler et s’accommoder, sans qu’il parût y prendre part. Il fut content lorsqu’il y alla ; rien n’y manquait, ni pour ◀la▶ propreté, ni pour ◀la▶ commodité. Angélique avait une fille ◀de▶ chambre et un petit laquais, sa mère avait une servante qui faisait leur cuisine. Angélique avait une chambre magnifique et un cabinet très beau. Sa mère avait une grande chambre et une antichambre proprement meublées ; une autre chambre pour ◀la▶ fille ◀de▶ chambre et ◀la▶ cuisinière, et une cuisine fort grande, fort commode et bien garnie, où couchait ◀le▶ laquais. Tout cela faisait six pièces ◀de▶ plain-pied, et on entrait dans toutes ces chambres ◀de▶ l’une à l’autre par ◀l’▶antichambre, sans passer par ◀l’▶escalier ◀de▶ devant, Angélique ayant fait même murer ◀les▶ portes ◀de▶ son appartement qui y répondaient ; en sorte qu’il fallait monter par ◀l’▶escalier ◀de▶ derrière qui donnait sur ◀la▶ cour, qui était séparé ◀de▶ ◀l’▶allée par une porte ◀de▶ fer qui fermait toujours, et cette cour était aussi séparée du jardin que Contamine lui avait réservé par une grande balustrade ◀de▶ fer, et on descendait à ce jardin ◀de▶ son appartement, par une montée qui y répondait, sans être obligé ◀de▶ passer par ◀la▶ cour. Outre cela Contamine, ou plutôt elle, fit faire dans ce jardin deux salons couverts et peints, dans lesquels il y avait des tables et des sièges, et deux berceaux ◀de▶ verdure aux deux autres côtés. Ainsi ◀l’▶appartement qu’Angélique et sa mère occupaient, répondait sur ◀le▶ devant et sur ◀le▶ derrière, et ◀le▶ reste ◀de▶ ◀la▶ maison était occupé par un homme ◀de▶ plume, qui en louait lui-même à un marchand, et encore à d’autres ; si bien qu’Angélique fort bien logée, retirait encore deux mille francs du reste ◀de▶ sa maison. Il vous est facile ◀de▶ voir par là, que cette maison est belle et grande et ◀d’▶un grand prix, surtout dans ◀l’▶endroit où elle est située. Elle est encore aujourd’hui à elle, aussi bien que ◀le▶ reste, que Contamine lui a donné depuis leur mariage ; car ils sont mariés séparés ◀de▶ biens ; et qu’il meure quand il voudra, elle est en état ◀de▶ soutenir ◀l’▶air dont elle ◀le▶ porte à présent, quoiqu’elle ait toujours trois grands laquais derrière son carrosse, et ◀le▶ reste à proportion.
Tout ce que Contamine vit dans cette maison lui plut, surtout elle, qui bien loin de se ressentir des bassesses ◀de▶ sa fortune, prit toutes ◀les▶ manières ◀d’▶une fille ◀de▶ qualité bien élevée. Il ◀la▶ pria ◀d’▶achever ◀d’▶apprendre à chanter, à danser, à jouer des instruments, et d’autres choses propres à ◀la▶ perfectionner. Elle ◀le▶ fit et réussit ; et pour occuper ◀le▶ temps ◀de▶ son loisir, elle s’occupa à ◀la▶ lecture, et il lui prit envie ◀d’▶apprendre à peindre en miniature. Elle réussit encore, et fut en moins ◀d’▶un an ◀de▶ temps assez habile en ce dernier art pour faire ◀le▶ portrait ◀de▶ son amant, qui eut ◀la▶ complaisance ◀de▶ se laisser peindre par elle. Elle lui donna son portrait qu’elle avait fait elle-même devant son miroir. Elle lui fit présent ◀de▶ quantité ◀de▶ petites miniatures, qu’il recevait ◀d’▶elle comme des présents ◀de▶ très grande valeur. Elle devint ◀l’▶admiration ◀de▶ tous ceux ◀de▶ son voisinage qui ◀la▶ connurent. Elle sortait cependant fort peu, tant pour n’être point vue, qu’afin que Contamine ◀la▶ trouvât toujours chez elle. Il ne lui rendait pas ◀de▶ trop fréquentes visites, et ne donna jamais matière à ◀la▶ médisance. Lorsqu’il ◀la▶ trouvait en compagnie avec ◀les▶ gens du logis, il y restait sans aucun entretien particulier, et c’était ce qui empêchait qu’on en dît du mal. Je crois qu’il n’y en avait point, du moins il ne me paraît pas vraisemblable que Contamine ◀l’▶eût jamais épousée, s’il en fût venu à bout. Ce n’est pas qu’il ne lui ait fait quantité ◀de▶ propositions qui n’auraient pas été refusées par d’autres, mais ce fut inutilement ; au contraire plus elle lui avait ◀d’▶obligation, plus elle était réservée avec lui.
Elle avait, comme je vous ai dit, toutes ◀les▶ manières nobles, et ◀l’▶air ◀d’▶une fille ◀de▶ qualité ; il est vrai qu’elle avait été élevée dans des maisons qu’on pouvait appeler des écoles ◀de▶ civilité ; mais il n’en était pas de même ◀de▶ sa mère, qui ne changea pas comme elle : et comme Angélique appréhendait avec raison, que cette femme ne lâchât dans sa colère quelque parole qui n’eût pas été à propos, elle avait pour elle toutes sortes ◀de▶ complaisances, et ne ◀la▶ chagrinait en rien, quoiqu’elle en fût fort chagrinée, surtout lorsqu’elle voulait entrer ou sortir ◀de▶ sa chambre, parce qu’il fallait absolument passer par celle ◀de▶ sa mère, qui se couchait ◀de▶ meilleure heure qu’elle, qui passait dans son jardin une partie ◀de▶ ◀la▶ soirée avec ◀les▶ filles du logis, et d’autres du voisinage. Ce qui rendait sa mère chagrine, était ses maladies perpétuelles, son âge fort avancé, et ◀l’▶état malheureux où elle avait été réduite qui avait aigri son esprit, qui d’ailleurs ne pouvait pas être fort poli, n’ayant jamais vu que des paysans en province, ou des gens du tiers état à Paris. Angélique resta ainsi avec elle plus ◀de▶ deux ans. Au bout de ce temps elle mourut ◀d’▶une rechute, et tout ce qu’elle fit ◀de▶ remarquable, et ◀de▶ bon sens au lit ◀de▶ ◀la▶ mort, ce fut ◀de▶ remercier Contamine ◀de▶ toutes ◀les▶ bontés qu’il avait pour elle, ◀de▶ lui recommander Angélique qu’elle lui laissait, et ◀de▶ lui recommander à elle ◀d’▶être toujours sage, ◀de▶ se gouverner ◀de▶ telle sorte avec lui, qu’il eût toujours pour elle ◀la▶ même tendresse, et ◀le▶ même respect. Cette leçon lui était assez inutile ; elle connaissait toute ◀la▶ nécessité où elle était ◀de▶ se ménager, puisque sa fortune dépendait ◀de▶ ◀la▶ conduite qu’elle allait prendre ◀d’▶elle-même.
Angélique ◀la▶ fit enterrer fort honorablement, et considéra que si elle restait à elle, son amant pourrait venir ◀la▶ voir dans ◀de▶ certains moments qu’elle serait seule, où peut-être elle oublierait toutes ses leçons ◀de▶ sagesse et ◀de▶ vertu. Elle comprenait que ◀la▶ présence ◀de▶ sa mère avait plusieurs fois obligé Contamine ◀de▶ rester dans un respect qu’il n’aurait peut-être pas gardé, si elle était restée seule. Elle voulait ◀le▶ conserver dans ce même respect, et ce n’était pas ◀le▶ moyen ◀de▶ réussir que ◀de▶ n’avoir point ◀de▶ compagnie. Sa fille ◀de▶ chambre n’était pas pour tenir contre ◀les▶ présents ◀d’▶un homme aussi libéral que Contamine, et ne ◀la▶ pas laisser tête-à-tête avec lui au premier signe qu’il lui en ferait. Elle voyait ◀le▶ hasard où elle s’exposait, soit ◀de▶ lui accorder quelque faveur qui ◀l’▶aurait ruinée, à quoi elle n’avait que trop ◀de▶ penchant, comme elle nous ◀l’▶a avoué, parce qu’elle ◀l’▶aimait autant qu’elle en était aimée, soit ◀de▶ ◀le▶ perdre par des refus qui auraient senti ◀le▶ mépris, et qui auraient pu ◀le▶ rebuter. Tout cela ◀l’▶obligea ◀de▶ se précautionner contre elle-même, et ◀de▶ chercher quelque secours étranger, pour mettre sa sagesse en sûreté.
Dans ce dessein elle pria son amant ◀de▶ trouver bon qu’elle se mît dans un convent. Elle n’avait aucun dessein ◀de▶ s’y mettre ; mais elle savait bien qu’il n’y consentirait pas, et elle ne demandait ◀le▶ plus, que pour obtenir ◀le▶ moins. En effet il frémit à cette proposition, et lui refusa son consentement, et lui dit pourtant, qu’il ne ◀la▶ contraignait point, et qu’elle était maîtresse ◀de▶ ses actions. Comme elle n’avait proposé ce parti que pour ◀l’▶obliger ◀de▶ consentir à un autre, elle n’insista pas dessus, et ◀le▶ pria ◀de▶ vouloir bien lui donner ◀la▶ permission ◀de▶ ne plus tenir un ménage dont elle était embarrassée, qu’elle se défît ◀de▶ sa cuisinière, et qu’elle se mît en pension chez cet homme ◀de▶ pratique qui demeurait dans ◀la▶ maison, et qui en occupait ◀le▶ deux et troisième étage. Il sourit à sa proposition dont il pénétra ◀le▶ motif, et lui laissa là-dessus ◀la▶ liberté ◀de▶ faire tout ce qu’elle voudrait. Quoiqu’il vît que ce changement ne lui était pas avantageux, il n’en eut que plus ◀d’▶estime pour elle. Il ◀le▶ lui témoigna en riant, disant qu’il voyait bien qu’il n’était pas tout à fait si peu à craindre qu’il avait cru, puisqu’il lui donnait sujet ◀de▶ craindre ◀le▶ tête-à-tête. Elle se mit donc en pension, et ce fut là ◀la▶ cause ◀de▶ son bonheur, comme vous allez voir ; car si elle ne s’y était pas mise, votre commère n’aurait jamais entendu parler ◀d’▶elle, et n’aurait pas fait ◀les▶ pas qu’elle a faits.
Angélique fit encore plus, que ◀de▶ se mettre en pension ; car pour avoir toujours quelqu’un auprès ◀d’▶elle qui pût répondre ◀de▶ ses actions elle prêta ◀la▶ chambre qui était à côté de la sienne, et qui avait été occupée par sa mère, aux deux filles du logis chez ◀le▶ père desquelles elle mangeait, et ◀les▶ obligea ◀d’▶y coucher. Cet homme était, comme je vous ◀l’▶ai dit, un homme ◀de▶ pratique qui demeurait dans cette maison ◀de▶ tout temps. Il était fort honnête homme, et sa femme une très honnête femme. Il n’avait pour tous enfants qu’un grand garçon son fils aîné, qui avocassait et travaillait à son étude, et deux filles à peu près ◀de▶ ◀l’▶âge ◀d’▶Angélique, assez belles, bien faites et fort sages. Ce fut avec ces deux filles qu’Angélique avait sa plus particulière connaissance ; elles ne se quittaient point. ◀L’▶aînée ◀de▶ ces filles avait été pensionnaire dans ◀le▶ convent où Mademoiselle Dupuis avait été élevée. Elles se connaissaient et avaient lié une espèce ◀d’▶amitié. Elles se rencontrèrent au Palais, et une petite pluie qui survint leur fit lier conversation. Mademoiselle Dupuis sut ◀de▶ l’autre qu’elle prenait ◀le▶ chemin du faubourg Saint-Germain. Elle lui offrit une place dans son carrosse. Cette fille ◀l’▶accepta, et lui fit en allant un portrait si avantageux ◀de▶ ◀la▶ beauté, ◀de▶ ◀l’▶esprit et ◀de▶ ◀la▶ magnificence ◀d’▶Angélique sans ◀la▶ nommer, que votre commère eut envie ◀de▶ ◀la▶ voir. Elle mit pied à terre dans cette maison, qui était dans son chemin ; elle ◀la▶ vit et ◀l’▶examina ; cherchant à se souvenir ◀de▶ ◀l’▶endroit où elle ◀l’▶avait vue. Angélique ◀la▶ reconnut d’abord ; mais n’en fit aucun semblant devant ◀les▶ autres. Mademoiselle Dupuis crut se méprendre ; mais ◀le▶ nom ◀de▶ ◀la▶ Bustelière, dont on ◀la▶ nomma, qui était ◀le▶ nom ◀de▶ son père, lui fit voir qu’elle ne se trompait pas. Elle rappela ses idées, et ne douta plus que ce ne fût ◀la▶ même jeune fille qu’elle avait vue chez sa mère.
Elle retourna deux jours après dans cette maison, elle y dîna et y passa une partie ◀de▶ ◀l’▶après-midi ; et comme j’allai ◀l’▶y joindre, je vis Angélique, sa maison et ses meubles. Nous montâmes dans son appartement, où ◀la▶ richesse que votre commère y vit, ◀la▶ jeta dans la dernière surprise. Angélique s’en aperçut et lui dit qu’elle voulait lui faire voir autres choses. Elle ouvrit en même temps un cabinet, où nous ne vîmes que bijoux ◀d’▶une valeur excessive. Il est constant que Contamine avait dessein ◀de▶ ◀l’▶épouser ; il n’aurait jamais tant enrichi une maîtresse. Son cabinet seul et ses pierreries valaient un des plus riches mariages. Je voudrais bien vous parler un moment, lui dit votre commère toute étonnée. Je sais ce que vous voulez me dire, répondit Angélique en riant, très volontiers : je vous demande ◀le▶ secret, et ce que je viens de vous faire voir n’est que pour vous préparer à ce que je veux vous dire, et que vous voulez savoir. Mademoiselle Dupuis ◀le▶ lui promit. Elles changèrent ◀de▶ propos devant nous, et étant tous descendus, elles se promenèrent toutes deux seules dans ◀le▶ jardin.
Il est inutile ◀de▶ vouloir me cacher ◀de▶ vous, lui dit Angélique. Vous me reconnaissez, et vous m’avez promis ◀le▶ secret, et sur cette assurance, je vais vous dire ce que je suis présentement ; car je suis sûre que vous avez déjà fait ◀de▶ moi plusieurs jugements contraires à ◀la▶ vérité. Non, répondit votre commère, je n’ai fait ◀de▶ vous aucun jugement téméraire : tout ce que j’en pense, c’est que vous êtes avantageusement mariée, sans que personne en sache rien. Je vous promets ◀le▶ secret si vous me jugez digne ◀de▶ votre confidence. Je suis encore fille, reprit Angélique, aussi sage et aussi entière que ma mère m’a mise au monde, et cependant c’est un homme qui m’a mise dans ◀l’▶état où vous me voyez. Ensuite elle lui conta toute son histoire qui ◀la▶ surprit étrangement, comme vous pouvez croire. Il est certain qu’elle ne crut pas d’abord qu’elle fût aussi sage qu’elle se disait ; elle lui promit pourtant ◀le▶ secret, et s’informa exactement ◀de▶ sa manière ◀de▶ vivre, et des gens qui lui rendaient visite. Elle n’apprit rien qui ne cadrât à ce qu’elle lui avait dit. Elle sut qu’elle ne sortait jamais que pour aller à ◀l’▶église ou promener, et jamais seule ; toujours avec ◀les▶ deux sœurs, et ◀le▶ plus souvent avec leur mère, que qui que ce soit ne ◀la▶ venait voir que Contamine, qui ne lui parlait jamais hors de ◀la▶ vue, et fort peu en particulier ; que même il n’y allait que rarement. Qu’elle vivait fort sagement et fort retirée ; que sa fille ◀de▶ chambre couchait avec elle, et ◀les▶ deux sœurs dans ◀la▶ chambre par où il fallait passer pour entrer dans la sienne, et qu’on ne pouvait entrer dans son appartement sans être aperçu des gens du logis qui ouvraient lorsqu’on frappait à ◀la▶ porte ◀de▶ fer qui donnait sur ◀la▶ cour, par laquelle seule on pouvait entrer, et qui était toujours fermée, se fermant ◀d’▶elle-même ◀de▶ chute. Votre commère me conta cela, je crus que c’était un beau dehors, et que ◀l’▶intérieur en était criminel ; elle me pria ◀de▶ garder ◀le▶ secret, je ◀le▶ lui promis et lui ai tenu parole. Je me trompais cependant ; car il est certain qu’elle est trop sage. Elle vécut encore fille près de deux ans après ◀la▶ mort ◀de▶ sa mère ; et vraisemblablement elle ◀le▶ serait encore, si ◀la▶ fortune n’avait travaillé pour elle, et c’est ce qui me reste à vous dire.
Un jour Madame ◀la▶ princesse ◀de▶ Cologny alla à ◀la▶ Foire Saint-Germain. Mademoiselle de Vougy qui demeurait toujours près ◀d’▶elle, lui tenait compagnie. Cette dame avait marchandé deux lustres ◀de▶ cristal chez un miroitier, et ne s’était pas accordée ◀de▶ prix avec ◀le▶ marchand. Elle n’avait pour toute compagnie que sa demoiselle, son écuyer, un page, et deux valets ◀de▶ pied. Elle passa chez un faïencier, dont ◀la▶ boutique était vis-à-vis de celle du miroitier. Dans ◀le▶ temps qu’elle était sortie, Angélique entra chez ce même marchand avec ◀les▶ deux sœurs, chez lesquelles elle demeurait. Elle voulait avoir un miroir ◀de▶ poche pour donner à Contamine, elle s’en fit montrer. Il est à propos de vous dire qu’elle était magnifiquement vêtue, toute en broderie ◀d’▶or, collier, croix ◀de▶ diamants, boucles, bagues, pendants ◀d’▶oreilles, agrafes, rien n’y manquait, et tout fin. ◀Les▶ dentelles ◀les▶ plus fines et ◀les▶ plus belles que Contamine avait pu trouver, rien n’y était épargné, c’était un présent qu’il lui avait fait aux étrennes. Elle ◀le▶ portait ◀de▶ cet air, parce que lui-même ◀le▶ voulait, et qu’il ◀l’▶en avait mille fois priée ; car si elle avait suivi sa volonté, elle ◀l’▶aurait porté bien moins leste ; et cette fois-là elle s’était mise ◀le▶ plus magnifiquement qu’elle avait pu, parce qu’il devait se trouver à ◀la▶ Foire avec ◀de▶ ses parents, à qui il était bien aise ◀de▶ ◀la▶ faire voir comme par rencontre, et qu’il ◀l’▶avait priée ◀d’▶y venir sous ◀les▶ armes. Son laquais ◀la▶ suivait, et sa fille ◀de▶ chambre était derrière elle. ◀Le▶ marchand qui ne regardait que ◀l’▶apparence ◀l’▶appelait Madame. ◀Le▶ miroir qu’elle marchandait était ◀le▶ plus beau ◀de▶ sa boutique. Dans ce moment ◀la▶ princesse de Cologny elle-même revint sur ses pas, pour offrir au miroitier plus qu’elle ne lui avait déjà offert ◀de▶ ses lustres.
◀Les▶ miroirs lui frappèrent ◀la▶ vue, elle s’en approcha et ◀les▶ considéra, elle s’informa du prix, Angélique qui ◀la▶ reconnut voulut sortir ; mais elle ne put ◀le▶ faire sans être remarquée ◀de▶ ◀la▶ princesse, qui malgré son changement, et ◀la▶ différence ◀de▶ ◀l’▶état où elle ◀l’▶avait vue, à celui où elle ◀la▶ voyait, ◀la▶ reconnut tout ◀d’▶un coup, malgré un intervalle ◀de▶ quatre ans. Angélique lui paraissant surprise, et par là achevant ◀de▶ se faire connaître, cette princesse ne put s’empêcher ◀de▶ lui parler. Vous êtes dans un état bien magnifique, Madame, lui dit-elle. Vous avez bien changé depuis que vous êtes sortie ◀de▶ chez moi : quel est votre mari, poursuivit-elle, sans lui donner ◀le▶ temps ◀de▶ se remettre ? Quand vous m’auriez fait part ◀de▶ votre bonne fortune, comme il me semble que vous ◀le▶ deviez, nous ne ◀l’▶aurions pas détruite, au contraire Mademoiselle de Vougy, tout ◀l’▶hôtel et moi en aurions eu la dernière joie ; mais quel est votre mari pour vous ◀le▶ faire prendre si haut ? Ces paroles ◀la▶ jetèrent dans un désordre qui ne se peut exprimer. Je suis encore fille, Madame, poursuivit-elle, ◀d’▶un air fort embarrassé. Vous êtes encore fille, reprit cette princesse ◀d’▶un air dédaigneux ? Vous êtes jolie, ajouta-t-elle, en lui tournant ◀le▶ dos et en ◀la▶ regardant avec le dernier mépris ; car elle crut qu’elle était une fille perdue, à qui ◀la▶ débauche fournissait ◀le▶ moyen ◀de▶ ◀le▶ porter si leste.
Angélique resta comme morte dans ◀le▶ moment. Elle était au désespoir ◀d’▶avoir été reconnue, et que cette princesse ◀la▶ prenait pour ce qu’elle n’était pas. C’était ce qu’elle avait toujours appréhendé. Elle se remit pourtant en apparence, et sortit ◀de▶ ◀la▶ boutique du miroitier, dont elle prit ◀le▶ miroir à tel prix qu’il voulut, n’ayant pas ◀le▶ temps ◀de▶ marchander. ◀Les▶ deux sœurs qui étaient avec elle, étaient fort scandalisées du compliment bref ◀de▶ cette dame, qu’elles ne connaissaient point. Elles ne savaient qu’en penser, surtout ◀de▶ ◀la▶ confusion où leur paraissait Angélique, qui n’avait pas eu ◀le▶ temps ◀de▶ leur donner quelque défaite en paiement. Elle était effectivement dans un état qu’elle a avoué depuis, que ◀le▶ mépris que cette princesse avait fait ◀d’▶elle, lui avait fait souhaiter ◀de▶ mourir dans ◀le▶ moment. Elle sortir promptement ◀de▶ ◀la▶ Foire, sans chercher Contamine. Elle remonta en carrosse, et dans ◀le▶ chemin elle chercha son excuse auprès de ces filles. Elle leur dit qu’elle avait été demoiselle ◀d’▶honneur ◀de▶ cette dame, qui était ◀la▶ princesse de Cologny, qu’elle était sortie ◀de▶ chez elle malgré elle, sous prétexte de se marier ; qu’elle n’avait pas osé ◀le▶ porter beau sous ses yeux, parce que c’était une princesse fort réformée ; mais depuis qu’elle en était sortie, s’étant trouvée assez riche pour ◀le▶ porter ◀d’▶un autre air, et n’étant plus responsable ◀de▶ ses actions à personne, elle avait changé ◀de▶ manière et obéi à sa vanité ; que sa confusion venait de ce que cette dame ◀la▶ croyait mariée, et qu’elle ne ◀l’▶était pas, ce qui lui faisait connaître que ce n’était qu’une défaite qu’elle lui avait donnée pour ◀la▶ quitter. Comme il y avait là beaucoup de vraisemblance, et que cela cadrait avec ◀les▶ paroles ◀de▶ Madame de Cologny, ces filles ◀la▶ crurent ◀de▶ bonne foi, et ne s’en mirent pas plus en peine.
Contamine vint ◀la▶ voir ◀le▶ soir même ; mais elle ne lui donna pas ◀le▶ temps ◀de▶ lui demander pourquoi il ne ◀l’▶avait point trouvée à ◀la▶ Foire. Elle lui donna ◀le▶ miroir qu’elle avait acheté : elle en fut remerciée : tout ce qui lui venait de cette fille lui était cher. Il lui demanda si elle se trouvait mal, qu’il voyait beaucoup ◀d’▶ardeur dans ses yeux, et beaucoup ◀d’▶altération sur son visage. Elle lui répondit que ◀le▶ sujet était léger, et lui dit ◀la▶ rencontre qu’elle avait faite ◀de▶ ◀la▶ princesse de Cologny. Elle n’oublia ni ◀le▶ compliment, ni ◀la▶ réplique, ni ◀l’▶adieu. Il en eut un chagrin mortel, ◀d’▶autant plus qu’il vit bien qu’elle se contraignait pour ne pas pleurer devant ◀les▶ gens qui ◀l’▶écoutaient. ◀L’▶affaire méritait bien qu’ils se parlassent en particulier : ils ◀le▶ firent dans ◀le▶ jardin où ils entrèrent malgré ◀le▶ froid qu’il faisait.
Vous voyez, Monsieur, lui dit-elle avec un torrent ◀de▶ larmes, que ce que j’ai prévu est arrivé. Je suis déshonorée, je ne me consolerai jamais ◀de▶ ◀la▶ mauvaise opinion que Madame de Cologny a pour moi. Je vous aime, Monsieur, ◀l’▶amour que j’ai pour vous vous est trop bien dû pour ◀le▶ cacher ; c’est un amour ◀de▶ reconnaissance et ◀d’▶inclination. Je vous dois tout, vous m’êtes plus cher que tout ◀le▶ reste du monde ensemble ; mais vous ne m’êtes point si cher que ma réputation. J’y sacrifierai tout, je ne veux point passer pour une fille ◀de▶ joie ; je veux justifier ma conduite dans ◀l’▶esprit ◀de▶ cette princesse. Je veux vous rendre tout ce que je tiens ◀de▶ votre libéralité. Je renonce à toutes ◀les▶ espérances que vous avez eu ◀la▶ bonté ◀de▶ me donner, mais souffrez que je rétablisse ma réputation. J’irai chez elle dès demain ; j’aime mieux lui découvrir toute ma vie et tout perdre que ◀de▶ passer pour une infâme. Contamine fut frappé ◀de▶ cette résolution comme ◀d’▶un coup de foudre. C’est donc là, belle Angélique, lui dit-il, ce que vous avez résolu ? Vous voulez donc me perdre pour jamais et quatre ans ◀de▶ constance réciproque ne tiendront point dans votre cœur contre un moment ◀de▶ chagrin ? Ce moment ◀de▶ chagrin, reprit-elle, durerait tout ◀le▶ temps ◀de▶ ma vie. Il est même ◀de▶ votre honneur qu’une fille que vous destinez à votre lit, soit ◀d’▶une vertu qui ne soit point soupçonnée ; puisque c’est tout ◀le▶ bien qu’elle peut vous apporter. Hélas ! ajouta-t-elle, en redoublant ses pleurs et en ◀l’▶embrassant, c’est vous qui avez voulu notre malheur. Si vous ne m’aviez pas obligée ◀d’▶être si magnifique, ◀la▶ princesse ne m’aurait pas distinguée du commun ; je n’en aurais pas moins été à vous, et ma réputation serait aussi entière que mon innocence ? Il n’importe, reprit-elle, j’y suis résolue, et quand je devrais être toute ma vie ◀la▶ plus malheureuse des créatures, et retourner à ma première fortune, je ne souffrirai pas qu’on fasse ◀de▶ moi des jugements qui me sont si injurieux. Je suis trop vivement touchée ◀de▶ celui que ◀la▶ princesse fait ◀de▶ moi pour ne me pas sacrifier moi-même, plutôt que ◀de▶ ◀la▶ laisser dans une pensée qui me fait horreur. Tout ce que vous pouvez me dire est inutile ; je mourrais ◀de▶ douleur si je ne ◀la▶ désabusais pas ; je mourrai ◀de▶ vous perdre, mais mourir pour mourir, souffrez du moins que je meure justifiée et innocente dans ◀l’▶esprit ◀de▶ tout le monde.
Contamine fit tout ce qu’il put pendant plus ◀de▶ deux heures qu’il resta avec elle pour lui faire changer ◀de▶ résolution, ou du moins pour ◀l’▶obliger à différer ◀d’▶un jour ; mais il ne gagna rien sur son esprit. Elle voulut suivre sa pointe, au hasard ◀de▶ tout ce qui pourrait en arriver, et ne pas remettre plus loin qu’au lendemain. Si je différais plus longtemps, dit-elle, ◀la▶ princesse de Cologny qui n’aura pas manqué ◀de▶ dire à Mademoiselle de Vougy, et à son écuyer, ◀l’▶état où elle m’a vue, et ce qu’elle en pense ; et ceux-ci qui ◀le▶ diront à d’autres, donneront pied à une médisance publique qui viendrait me déshonorer jusqu’ici, et qui me rendrait tout à fait indigne ◀de▶ vous : au lieu qu’en prenant ◀le▶ devant cela ne sera pas tout à fait divulgué, et ◀le▶ bruit pourra s’en assoupir sans me faire du tort. Mais, lui dit Contamine, croyez-vous qu’elle vous en croira à votre parole ? Je vous nommerai, répliqua-t-elle, je n’hésiterai point, et vous êtes trop honnête homme pour me dédire. Eh ! si on ne nous croit ni vous ni moi, que ferez-vous, ajouta-t-il ? Ah ! répondit-elle en redoublant ses larmes, voilà mon désespoir. Si nous ne sommes point crus, et que vous vouliez bien me donner ◀le▶ peu qu’il me faudra, ma résolution est prise, je me jetterai dans un convent pour ◀le▶ reste ◀de▶ mes jours. Mais pour rester dans ◀le▶ monde, après ◀la▶ perte ◀de▶ mon honneur et ◀de▶ ma réputation, y rester dans un état qui puisse faire soupçonner que je m’y gouverne mal, c’est ce que je ne ferai assurément pas.
Vous ne m’aimez guère, reprit-il. Au contraire, dit-elle, si je vous aimais moins, je n’aurais pas tant de soin ◀de▶ votre honneur, qui est attaché à celui ◀d’▶une fille que vous aimez assez pour vouloir épouser, et je cesserais ◀de▶ vous estimer et ◀de▶ vous aimer, si vous étiez assez peu sensible sur ce point-là, pour vouloir faire votre compagne ◀d’▶une fille perdue ◀de▶ réputation devant ◀le▶ monde, quelque innocente qu’elle soit en effet.
Il n’en put jamais tirer ◀d’▶autre raison, et cette obstination me fait croire qu’elle avait véritablement vécu sage avec lui ; car s’il avait eu quelque pied sur elle, elle n’aurait eu garde ◀de▶ faire une démarche ◀de▶ cette conséquence malgré lui. Elle n’aurait eu intérêt que ◀de▶ ◀le▶ ménager, et pourvu qu’il eût été satisfait, elle aurait dû être contente ; mais en faisant ce qu’elle voulait faire, c’était ◀le▶ sacrifier lui-même à sa vertu. Il est certain que cette sensibilité qu’elle lui témoignait sur sa réputation, ◀la▶ lui fit admirer et qu’il ◀l’▶en aima et ◀l’▶en estima davantage. Il en était pourtant au désespoir, et se jeta vingt fois à ses pieds pour ◀l’▶empêcher ◀d’▶en venir là. Il n’y gagna rien, et il était écrit que ◀le▶ même coup, qui suivant toutes ◀les▶ apparences devait ◀les▶ séparer pour jamais, serait ce qui ◀les▶ unirait.
Elle se coucha sitôt que Contamine fut parti, et rêva à ce qu’elle avait à faire. Elle était résolue ◀de▶ se déclarer ; mais ◀les▶ moyens lui en paraissaient difficiles. Elle craignait qu’on ne ◀la▶ fît pas parler à ◀la▶ princesse, si elle y allait elle-même. Elle craignait encore quelque insulte de la part des domestiques, qui pouvaient ne ◀la▶ regarder que comme ◀la▶ princesse ◀l’▶avait regardée elle-même. Dans ce moment, elle se ressouvint ◀de▶ Mademoiselle Dupuis, et résolut ◀de▶ ◀la▶ prier ◀de▶ lui rendre service. Elle voulait aller chez elle ; mais elle se trouva si mal, qu’il lui fut impossible ◀de▶ se lever. À peine fut-il jour qu’elle envoya son laquais lui chercher un carrosse propre, et écrivit ce billet à votre commère.
BILLET.
Une aventure qui m’arriva hier, et que je ne prévoyais pas, m’oblige ◀d’▶avoir recours à votre bonté pour prévenir ◀les▶ suites qu’elle peut avoir. ◀L’▶état où je suis vous fera connaître ◀le▶ coup dont je suis frappée ; et vous saurez qu’il ne tiendra qu’à vous ◀de▶ me sauver ce que j’ai de plus cher, après mon salut. Je ne puis écrire davantage. Venez au nom de Dieu ◀le▶ plus promptement que vous pourrez.
Elle envoya ce billet et ◀le▶ carrosse qu’il n’était pas plus ◀de▶ sept heures du matin ; mais comme elle savait que Mademoiselle Dupuis vivait avec toute sorte ◀de▶ liberté, elle ne douta pas qu’il ne lui fût rendu dans ◀le▶ moment. Il ◀le▶ fut aussi : ◀le▶ laquais lui dit que sa maîtresse avait pensé mourir ◀la▶ nuit, et qu’elle ◀l’▶attendait avec beaucoup ◀d’▶impatience. Vous connaissez votre commère, elle n’a jamais plus ◀de▶ plaisir que lorsqu’elle en fait à quelqu’un. Elle ne se donna que ◀le▶ temps ◀de▶ mettre une simple robe de chambre, et monta dans ◀le▶ carrosse qu’on lui avait amené. Elle trouva Angélique dans un abattement extrême, ayant une grosse fièvre, et des maux ◀d’▶estomac si vifs, qu’à peine pouvait-elle parler.
Elle fit sortir, quand elle ◀la▶ vit, tout le monde ◀de▶ sa chambre, jusqu’au médecin et au chirurgien qu’on avait été quérir. Elle lui dit, ◀les▶ larmes aux yeux, ce qui lui était arrivé, et ◀l’▶état où elle était. Elle poursuivit par lui dire, que si elle avait assez ◀de▶ force pour se lever, elle ◀le▶ ferait uniquement pour se jeter à ses pieds, afin d’obtenir ◀d’▶elle qu’elle allât à ◀l’▶hôtel de Cologny s’informer [◀de▶] ce qu’on y disait. Vous connaissez particulièrement Mademoiselle de Vougy, ajouta-t-elle, elle est votre parente et votre amie ; au nom de Dieu sachez ce qu’on pense ◀de▶ moi. Je ne demande pas que vous me justifiiez, si vous ne ◀le▶ pouvez pas faire ; faites en sorte seulement que ◀la▶ princesse et elle suspendent leur jugement pour aujourd’hui. Qu’elles me permettent ◀de▶ me justifier, et pour cela qu’elles ne dédaignent pas ◀de▶ m’entendre. Qu’elles me fassent ◀la▶ grâce ◀de▶ souffrir que je me jette à leurs pieds, et que je leur rende un compte exact ◀de▶ ma vie. ◀L’▶accueil que ◀la▶ princesse me fit hier, est un coup qui me perce ◀le▶ cœur, je n’y puis survivre, et il dépend ◀de▶ vous ◀d’▶y apporter ◀le▶ remède. Ne ◀le▶ différez pas, au nom de Dieu, ◀la▶ plaie deviendrait incurable par ◀le▶ retardement. Allez-y, ajouta-t-elle, et sauvez-moi ce que je tiens plus cher que ◀la▶ vie. Ses paroles furent toujours entrecoupées ◀de▶ sanglots, ◀de▶ soupirs et ◀de▶ larmes, et votre commère ne put en refuser à ◀l’▶état où elle ◀la▶ voyait. Elle en eut pitié, et sans perdre en consolations inutiles un temps précieux, elle remonta en carrosse, et se fit conduire à ◀l’▶hôtel de Cologny.
Elle y arriva justement au lever ◀de▶ Mademoiselle de Vougy, qui fut étonnée lorsqu’elle ◀la▶ vit si matin, et plus encore lorsqu’elle en sut ◀le▶ sujet. Voulez-vous sauver ◀la▶ vie à Angélique, Mademoiselle, lui dit-elle en entrant, elle dépend ◀de▶ vous. Elle est dans un état digne ◀de▶ compassion. Que voulez-vous que je fasse pour une fille perdue, répondit-elle ? Lui rendre votre estime, reprit votre commère, et ◀la▶ remettre bien dans ◀l’▶esprit ◀de▶ Madame ◀la▶ princesse ◀de▶ Cologny. Je vous ◀la▶ certifie sage et vertueuse, et si elle ne ◀l’▶était pas, je n’aurais pas ◀le▶ front ◀de▶ m’intéresser pour elle. ◀L’▶air méprisant dont ◀la▶ princesse ◀la▶ traita hier, ◀l’▶a si vivement pénétrée, qu’elle en est au lit fort malade. Voilà ◀le▶ billet qu’elle m’a écrit, je n’ai pu refuser à ses empressements et à sa douleur, ◀l’▶entremise qu’elle m’a demandée, et pour se justifier dans ◀l’▶esprit ◀de▶ ◀la▶ princesse et le vôtre, elle vous demande en grâce ◀la▶ permission ◀de▶ venir se jeter à vos pieds. Je sais son innocence… Mademoiselle, interrompit Mademoiselle de Vougy, comment accordez-vous ◀l’▶état ◀de▶ fille aussi pauvre qu’elle, avec ◀la▶ magnificence dont elle était hier ? ◀Le▶ bien ne vient point si promptement par des voies innocentes. C’est ce qu’elle vous expliquera elle-même, reprit votre commère, quand il vous plaira ◀de▶ ◀l’▶entendre ; cependant puis-je vous demander ce que ◀la▶ princesse en dit ? ◀La▶ princesse, reprit cette demoiselle, n’en a dit qu’un mot, mais ce mot donne lieu ◀de▶ penser ◀le▶ reste, et tout ◀l’▶hôtel à ◀l’▶heure qu’il est, en est imbu. Tant pis, reprit votre commère, Angélique ne s’en consolera jamais. Mais, poursuivit-elle, ne pourrait-on pas empêcher que cela ne sortît ◀de▶ ◀l’▶hôtel ? Sauvez-lui sa réputation, elle mérite ◀d’▶être conservée, et ce qu’elle demande ◀de▶ ◀la▶ princesse et ◀de▶ vous, doit par avance vous assurer que sa conduite est sage. Tout le monde ◀la▶ croira criminelle sur ◀la▶ foi ◀de▶ ◀la▶ princesse, et bonne et généreuse comme elle est, elle aurait assurément du regret ◀d’▶avoir terni ◀la▶ réputation ◀d’▶une fille dont ◀l’▶honneur ne lui doit pas être indifférent, puisqu’elle a été à vous, et qu’elle a presque été élevée dans ◀l’▶hôtel. ◀La▶ princesse, reprit Mademoiselle de Vougy, va être extrêmement étonnée ◀de▶ ◀la▶ savoir si sensible sur ◀le▶ point ◀d’▶honneur. Elle ◀l’▶est pourtant, dit votre commère, plus que vous ne pensez, elle est très sage, je vous ◀le▶ répète encore ; et si vous m’acceptez pour caution, je me rends garante ◀de▶ sa vertu. C’est tout dire, reprit Mademoiselle de Vougy, sur votre seule assurance, je ◀la▶ crois présentement tout autre que je ne ◀la▶ croyais encore ce matin. Je vais parler à ◀la▶ princesse, il n’est pas encore jour pour elle ; mais je crois qu’elle me pardonnera mon indiscrétion dans un pareil sujet.
Elle alla en effet ◀la▶ trouver, et lui dit ce que Mademoiselle Dupuis lui avait dit. Cela parut si peu vraisemblable à ◀la▶ princesse, qu’elle fit entrer votre commère. Celle-ci, comme vous avez vu, avait pris ◀l’▶affirmative autant qu’elle avait pu. Elle fit encore plus auprès de ◀la▶ princesse. Elle lui conta tout ce qu’elle savait ◀d’▶Angélique, mais comme en étant persuadée elle-même, elle ajouta qu’on en saurait davantage ◀de▶ sa propre bouche ; que cependant elle ◀la▶ suppliait ◀de▶ ne ◀la▶ point condamner sans ◀l’▶avoir entendue. Cette princesse lui permit ◀de▶ venir, et ajouta qu’elle était très satisfaite ◀de▶ ◀la▶ savoir si sensible sur ◀le▶ chapitre ◀de▶ ◀l’▶honneur ; que cela lui faisait présumer qu’elle s’était toujours gouvernée sagement, et pour lui marquer, dit-elle, que sur votre seul rapport je n’en doute pas, dites-lui ce que vous allez voir.
En même temps elle fit appeler dans sa chambre tous ses officiers et ses domestiques, et lorsqu’ils furent assemblés, écoutez, leur dit-elle, je parlai mal hier au soir ◀d’▶Angélique que plusieurs ◀de▶ vous autres ont connue ici ; je n’étais pas instruite comme je ◀la▶ suis à présent ; je me dédis, et lui fais réparation ◀de▶ tout ce que j’ai dit qui n’était pas à son avantage, parce que je ◀la▶ reconnais pour une fille très sage, et ◀d’▶une conduite sans reproche ; ainsi que ce que j’ai dit ne fasse aucune impression sur votre esprit. J’en sais ◀le▶ contraire, et je serais fâchée ◀de▶ lui faire tort par un soupçon mal fondé.
Je n’ai pas besoin, poursuivit Des Ronais, en s’interrompant lui-même, ◀de▶ vous faire réfléchir sur cette action. Tout le monde connaît Madame ◀la▶ princesse ◀de▶ Cologny pour un exemple ◀de▶ toutes ◀les▶ vertus chrétiennes, et je ne crois pas qu’on puisse voir une plus belle action que celle-là, eu égard à sa qualité, envers une servante telle qu’Angélique lui avait toujours paru : car elle ne savait point encore qu’elle fût née demoiselle. Elle fit encore plus, car elle obligea Mademoiselle de Vougy ◀d’▶aller ◀la▶ voir, et ◀de▶ lui faire elle-même ◀le▶ récit ◀de▶ ce qui venait de se passer à ◀l’▶hôtel, ◀l’▶assuran[t] qu’elle pourrait venir sitôt qu’elle voudrait, et qu’elle ◀la▶ recevrait fort bien. Cette demoiselle monta donc en carrosse avec votre commère, et elles allèrent ensemble chez Angélique, qui n’était pas seule.
Contamine qui était sorti ◀le▶ soir ◀d’▶auparavant ◀de▶ chez elle très édifié ◀de▶ sa vertu, et très mal satisfait ◀de▶ sa complaisance, y était revenu dès ◀le▶ matin, dans ◀le▶ dessein ◀de▶ savoir à quoi elle se serait enfin déterminée. Il voulait faire encore ses efforts pour s’opposer à une résolution, qui suivant ◀les▶ apparences, devait ◀les▶ séparer pour jamais. Son dessein même était ◀d’▶affecter ◀de▶ ◀l’▶indifférence pour se faire rechercher à son tour ; mais ◀l’▶état où il ◀la▶ trouva lui fit oublier ◀la▶ dureté qu’il avait préméditée. ◀La▶ fièvre qu’elle avait ◀le▶ fit trembler ; il devint plus mort que vif, et sans proférer une seule parole, il tomba à ses genoux devant son lit. Ils pleurèrent tous deux sans parler. Il tenait une des mains ◀de▶ sa maîtresse, qu’il mouillait ◀de▶ ses larmes. Ils furent plus ◀d’▶une heure dans cet état, et ils y étaient encore, lorsque Mademoiselle Dupuis et Mademoiselle de Vougy entrèrent.
◀Le▶ cri que fit Angélique en ◀les▶ voyant retira son amant ◀de▶ ◀la▶ tristesse où il était abîmé ; il se leva et salua ces deux demoiselles avec toute ◀la▶ civilité dont il était capable dans ◀le▶ désordre où il était. Mademoiselle de Vougy et lui furent embarrassés un moment ; mais votre commère ne leur laissa pas ◀le▶ temps ◀de▶ se défaire davantage. J’ai réussi, belle Angélique, lui dit-elle : ◀la▶ visite ◀de▶ Mademoiselle par ◀l’▶ordre ◀de▶ Madame ◀la▶ princesse, en est une preuve certaine. Il ne tiendra qu’à vous ◀de▶ vous faire connaître pour ce que vous êtes : ◀la▶ princesse est prête à vous entendre. Mademoiselle de Vougy a ordre ◀de▶ vous en assurer, et ◀de▶ vous répéter ce que cette princesse a fait pour vous, qui est assurément ◀l’▶action ◀d’▶une sainte, et qui mérite ◀l’▶admiration ◀de▶ toute ◀la▶ terre. Après cela elle lui fit ◀le▶ récit ◀de▶ tout ce qui s’était passé chez Madame de Cologny, et des bontés qu’elle lui avait témoignées pour elle. Mademoiselle de Vougy ajouta que cette princesse avait été surprise ◀de▶ ◀l’▶état où Angélique lui avait paru, qu’elle ◀l’▶avait cru mariée ; mais qu’elle ne lui avait pas semblé excusable étant fille. Que pourtant elle avait donné son libertinage, non pas à ◀l’▶inclination, ◀l’▶ayant connue pour une fille très sage ; mais à ◀la▶ nécessité qui ◀l’▶avait contrainte ◀d’▶étouffer dans son cœur ◀les▶ sentiments ◀de▶ vertu qu’elle devait avoir puisés dans ◀les▶ maisons où elle avait été élevée, et où elle avait demeuré.
Angélique ◀la▶ remercia ◀de▶ ses bons sentiments, lui demanda pardon ◀de▶ s’être cachée ◀d’▶elle, et lui raconta toute son histoire devant Contamine même, qui en certifia ◀la▶ vérité. Elle finit par dire, que toutes ◀les▶ apparences étant contre elle, elle ne s’étonnait point que Madame de Cologny ◀l’▶eût soupçonnée, mais qu’elle croirait mériter ses soupçons, si elle n’avait pas pris soin ◀de▶ ◀les▶ faire cesser. En effet, Mademoiselle, ajouta-t-elle, pouvais-je faire moins pour un homme que j’aime, et à qui je dois tout ? Et pouvais-je lui refuser ◀la▶ simple complaisance qu’il me demandait ◀de▶ me mettre en état ◀de▶ paraître plus digne ◀de▶ lui ? Je suis charmée ◀de▶ ce que je viens ◀d’▶entendre, reprit cette demoiselle. Un[e] autre que moi pourrait se fâcher, ajouta-t-elle en riant, ◀d’▶avoir servi ◀de▶ prétexte aux visites ◀de▶ Monsieur de Contamine : mais non, ◀l’▶ardeur, ◀la▶ constance et ◀la▶ sagesse ◀de▶ vos amours, me mettent tout à fait dans vos intérêts, et si je puis vous être utile à quelque chose, je m’offre à vous rendre tous ◀les▶ services dont vous me jugerez capable. Je vous demande votre amitié à tous deux, vous pouvez compter sur la mienne. Je vais parler à ◀la▶ princesse, et je me promets ◀de▶ ◀la▶ mettre ◀de▶ votre côté ; ayez ◀l’▶esprit en repos ◀de▶ ce côté-là. Il est nécessaire que vous ◀la▶ voyiez, je n’ai que faire ◀de▶ vous dire que ce doit être votre première visite dès que vous pourrez sortir ; je serai votre introductrice. Ces deux amants ◀la▶ remercièrent ◀de▶ ses bontés, et lui firent mille amitiés. Contamine lui demanda pardon ◀d’▶avoir autrefois abusé ◀de▶ son nom pour voir Angélique. Elle n’en fit que rire ; et lui dit agréablement que ◀les▶ mariages étaient arrêtés au ciel avant qu’on se connût sur ◀la▶ terre ; et qu’outre cela, ◀les▶ mouvements ◀de▶ notre cœur ne dépendaient pas ◀de▶ nous. À un signe que Contamine fit à Angélique, elle ◀la▶ pria ◀d’▶accepter un diamant qu’elle lui présenta ; et ils ◀l’▶en pressèrent tous deux avec tant ◀d’▶instance, qu’elle ne put s’en dispenser.
Angélique revenue ◀de▶ son chagrin, ◀les▶ pria ◀de▶ déjeuner chez elle. Mademoiselle Dupuis accepta sans façon ◀le▶ parti, Mademoiselle de Vougy en fit autant. ◀Les▶ deux filles et ◀la▶ mère du logis qui étaient montées peu de temps auparavant, et ◀de▶ qui on ne s’était point caché, en furent aussi. Ce déjeuner fut court ; mais sans mélancolie. Il se fit auprès du lit ◀d’▶Angélique. Mademoiselle Dupuis et sa parente s’en retournèrent ensemble : Contamine et ◀les▶ deux sœurs restèrent. Angélique ◀les▶ pria ◀de▶ passer dans l’autre chambre ; et comme ◀le▶ chagrin qui ◀l’▶avait rendue malade avait fait place à ◀la▶ joie ◀de▶ s’être satisfaite avec fruit, elle s’endormit tranquillement, et après un sommeil ◀de▶ six heures, elle se réveilla sans fièvre, mais fort faible. Elle passa ◀le▶ reste ◀de▶ ◀la▶ journée dans son lit ; et ◀les▶ deux sœurs qui pour lors savaient ses aventures, et qui avaient rendu témoignage ◀de▶ sa conduite, lui tinrent compagnie avec Contamine.
Mesdemoiselles Dupuis et ◀de▶ Vougy y retournèrent dès ◀le▶ lendemain. Elles furent réjouies ◀de▶ trouver Angélique en bonne santé. La dernière lui dit que ◀la▶ princesse avait toutes ◀les▶ envies du monde ◀de▶ ◀la▶ voir. Angélique lui répondit qu’elle irait ◀le▶ lendemain, et n’y manqua pas. Elle était modeste, mais propre. Contamine lui avait prêté son carrosse, elle charma tous ceux qui ◀la▶ virent. Elle se jeta aux pieds ◀de▶ ◀la▶ princesse, et lui baisa ◀le▶ bas ◀de▶ sa robe. ◀La▶ princesse ◀la▶ releva, et resta seule avec elle plus ◀de▶ trois heures. Elle se fit conter par elle-même jusqu’à ◀la▶ moindre circonstance ◀de▶ son histoire, qu’Angélique poursuivit par lui faire comprendre qu’elle n’avait pu en user autrement, à moins que ◀de▶ vouloir rester toujours malheureuse, et renoncer sans retour au bonheur qui semblait ◀la▶ venir chercher ; car Madame, ajouta-t-elle, pouvais-je refuser ◀les▶ présents qu’il me faisait, et qu’il m’avait destinés ◀de▶ longue main, à moins que ◀de▶ vouloir rompre avec lui ? ◀La▶ protestation qu’il me faisait devant ma mère ◀de▶ vivre toujours avec moi dans ◀le▶ respect ; ◀la▶ prière qu’il lui faisait ◀de▶ ne me point quitter ; ◀la▶ compagnie des filles avec qui je mange, qui ne m’ont point quittée depuis sa mort ; ◀le▶ soin que j’ai pris ◀de▶ ne rester jamais seule avec lui, ni dans ma chambre, ni dans aucun autre endroit hors de vue : tout cela ne dit-il pas publiquement, que j’ai toujours bien vécu ? Et ◀les▶ raisons que j’avais ◀de▶ me ménager et ◀de▶ n’avoir aucune faiblesse, qui sans doute m’aurait coûté ma fortune en ◀le▶ dégoûtant ◀de▶ moi, ne doivent-elles pas persuader que je n’en ai point eu ? Si je lui avais donné prise sur ma vertu j’aurais été dans sa dépendance, il n’aurait jamais souffert que j’eusse osé tromper Votre Altesse par une fausse exposition du fait, à cause de ◀l’▶éclat que cela aurait pu faire. Il n’aurait cherché que sa propre satisfaction sans aucun égard à ma justification. Je n’aurais osé rien faire qu’il n’y eût consenti ; mais grâce à Dieu je me justifie malgré mon amant. Je ◀le▶ sacrifie lui-même à ◀la▶ crainte ◀de▶ ◀le▶ perdre, et pourtant je ◀le▶ conserve et plus amoureux, et plus persuadé ◀de▶ ma vertu, qui n’a pu souffrir ni ◀l’▶ombre ◀d’▶un crime, ni ◀le▶ moindre soupçon injurieux. ◀La▶ princesse avoua que tout parlait pour elle ; elle entra dans ses sentiments, elle se réjouit ◀de▶ sa bonne fortune ; elle lui témoigna du chagrin ◀de▶ lui avoir fait ◀de▶ ◀la▶ peine ; et par une bonté toute extraordinaire, lui promit ◀de▶ s’employer pour lui rendre service. Elle ◀la▶ fit dîner à ◀l’▶hôtel ; ◀le▶ carrosse fut renvoyé à Contamine, parce que ◀la▶ princesse lui promit ◀de▶ ◀la▶ remener chez elle. Elles eurent encore après ◀le▶ dîner une fort longue conversation, où elle apprit qu’Angélique était née bien demoiselle : elle envoya chez Monsieur Dupuis s’en informer. Votre commère vint de ◀la▶ part ◀de▶ son père dire qu’il avait connu ◀d’▶origine celui ◀d’▶Angélique, qu’il était ◀d’▶une très ancienne maison ◀d’▶Anjou, et qu’il avait été un des principaux officiers ◀de▶ son régiment.
◀La▶ princesse en témoigna sa joie à Angélique, lui dit que ◀la▶ vertu était ◀de▶ tous ◀les▶ états, mais qu’elle avait tout un autre lustre dans ◀la▶ noblesse, et peut-être projetant ◀de▶ là, ce qu’elle fit deux jours après, elle obligea Angélique ◀de▶ lui promettre qu’elle mènerait ◀le▶ lendemain Contamine ◀la▶ voir. Elle monta en carrosse ensuite, et y fit monter Angélique, votre commère, et Mademoiselle de Vougy. Elle ◀les▶ conduisit chez la première, elle eut ◀la▶ curiosité ◀de▶ monter dans sa chambre, où elle examina tout. Elle ◀les▶ y laissa, questionna ◀la▶ maîtresse et ◀les▶ filles du logis, et vint reprendre ◀le▶ soir Mesdemoiselles Dupuis et ◀de▶ Vougy. À son retour ◀de▶ Luxembourg, elle répéta encore à Angélique, qu’elle voulait absolument parler à son amant et qu’elle ◀les▶ attendrait tous deux ◀le▶ lendemain après-midi.
Il vint ◀la▶ voir [◀le▶ soir] même, pour savoir ◀de▶ quelle manière tout s’était passé chez ◀la▶ princesse de Cologny. Elle lui en fit ◀le▶ récit, il fut ravi ◀de▶ tant de bontés. Ce n’est pas tout, lui dit Angélique, elle veut vous voir, et m’a fait promettre ◀de▶ vous mener demain après-midi à ◀l’▶hôtel : voyez si vous m’en dédirez ? Non, belle Angélique, lui dit-il, je prends trop ◀d’▶intérêt dans ce qui vous touche, pour n’avoir pas une joie parfaite ◀de▶ tout ce qu’une si grande princesse peut faire pour vous. Je joindrai avec plaisir mes remerciements aux vôtres, et j’accepte ◀le▶ rendez-vous. Je viendrai vous prendre demain dans mon carrosse, nous irons ensemble. Écrivez un billet à Mademoiselle Dupuis, je ◀la▶ prierai ◀d’▶être des nôtres : mais, belle Angélique, poursuivit-il, quoique vous soyez dans votre négligé ◀d’▶une beauté qui me charme, donnez au public tout ce que ◀l’▶art pourra vous prêter. Je vous entends, dit-elle, je tâcherai ◀de▶ ne vous point faire ◀de▶ honte, et vous me verrez dans un état que vous ne m’avez point encore vue.
Elle écrivit à Mademoiselle Dupuis ◀le▶ billet que Contamine lui avait demandé. Il ◀le▶ porta lui-même, et votre commère qui lui donna sa parole pour ◀l’▶heure qu’il lui marqua, me dit ◀les▶ termes où ils en étaient. J’admirai ◀la▶ conduite ◀de▶ ◀la▶ princesse, et je me doutai qu’elle n’avait pas entièrement ajouté foi aux paroles ◀d’▶Angélique, et qu’elle voulait ◀le▶ faire expliquer. Votre commère ◀le▶ crut comme moi ; ainsi nous regardâmes cette visite comme ◀la▶ décision ◀de▶ ◀la▶ fortune ◀de▶ cette fille, et j’eus impatience qu’elle en fût ◀de▶ retour pour en savoir ◀la▶ réussite, et ce qu’il en pourrait arriver.
Contamine vint à ◀l’▶heure marquée, je ◀le▶ priai ◀de▶ me conduire dans ◀la▶ rue Dauphine, j’avais intention ◀d’▶aller voir sa maîtresse, je me satisfis. Nous ◀la▶ trouvâmes dans un état capable ◀d’▶éblouir, tant par elle-même, que par ◀les▶ diamants dont elle était parée, je ◀les▶ laissai, et ils allèrent où on ◀les▶ attendait.
Mademoiselle de Vougy ◀les▶ conduisit dans ◀l’▶appartement ◀de▶ ◀la▶ princesse qui ◀les▶ reçut ◀le▶ plus honnêtement du monde. Elle leur parla quelque temps en général, et ensuite elle fit entrer Contamine seul dans son cabinet. Elle lui fit répéter tout ce qu’Angélique lui avait déjà dit. Il ◀le▶ fit avec un air si passionné, qu’il acheva ◀de▶ gagner cette princesse. Elle lui demanda pourquoi il n’épousait point Angélique, puisqu’il était en âge, et qu’il n’avait besoin du consentement ◀de▶ personne. Cela, poursuivit-elle, me laisse ◀de▶ grands soupçons ◀de▶ vos vues. Vous avouez vous-même avoir fait plusieurs propositions à cette fille qui me paraissent fort gaillardes. Il faut que vous espériez qu’à ◀la▶ fin elle y succombera. Ce n’est point là ce que je pense, reprit-il, Madame, et pour vous assurer que je n’ai que des vues fort innocentes, si j’osais, je supplierais Votre Altesse ◀de▶ ◀la▶ retirer dans son hôtel, elle serait sûre ◀de▶ nos actions à l’un et à l’autre. Si je ne ◀l’▶épouse pas en secret, et que je ne lui ai pas même proposé, c’est uniquement comme je vous ◀l’▶ai dit, Madame, ◀le▶ profond respect que j’ai pour ma mère qui m’en empêche. Mille incidents que toute ◀la▶ prudence humaine ne peut pas prévoir, lui découvriraient mon mariage. Ce n’est point ◀la▶ peur ◀d’▶être déshérité qui m’en empêche, ce sont ◀les▶ bontés qu’elle a toujours eues pour moi qui me retiennent. C’est cette tendresse qu’elle m’a toujours témoignée, qui me force à un respect dont j’aime trop ◀l’▶habitude pour ◀le▶ violer, et qui serait trop mal récompensée, si je lui donnais ◀le▶ moindre chagrin. J’aimerais mieux me priver ◀d’▶être jamais heureux, que ◀de▶ n’y pas répondre. Je lui sacrifie ma satisfaction, mais mon cœur est à Angélique. Elle m’a proposé plusieurs partis pour mon établissement, qui tous m’étaient avantageux, je ◀les▶ ai refusés sous divers prétextes. Cela lui a fait croire que j’avais ◀le▶ cœur occupé, je lui ai avoué ; mais j’avoue à Votre Altesse que je n’ai jamais osé lui en nommer ◀la▶ maîtresse. Je ◀l’▶ai suppliée ◀de▶ vouloir bien ne point approfondir mon secret, elle me ◀l’▶a accordé. Je lui ai juré ◀de▶ ne me point engager au sacrement à son insu ; elle m’a promis ◀de▶ son côté ◀de▶ ne me point violenter, elle me tient parole, et je suis résolu ◀de▶ lui tenir la mienne ; ◀de▶ peur même que mes assiduités ne fissent connaître Angélique, je me suis banni longtemps ◀de▶ chez elle. J’ai passé des mois entiers sans y aller. J’aime avec toute ◀l’▶ardeur imaginable, mais j’aime sans espérance. Je n’espère pas ◀l’▶épouser du consentement ◀de▶ ma mère, que je ne lui demanderai jamais, et je ◀l’▶aime trop pour former quelques vœux contraires à mon devoir, et au respect que je lui dois. ◀La▶ princesse admira son procédé, et lui dit que son dessein était ◀d’▶en parler elle-même à Madame de Contamine. Ah, Madame, reprit-il se jetant à ses pieds, je vous supplie ◀de▶ n’en rien faire. Elle y donnera son consentement sans doute, votre entremise exigera tout ◀d’▶elle ; mais ce serait un consentement forcé, et je ne serais qu’imparfaitement heureux, si ma mère consentait à mon bonheur avec ◀la▶ moindre répugnance. Vous êtes bon fils et bon amant, lui dit ◀la▶ princesse, et outre cela vous me paraissez fort honnête homme. Reposez-vous sur moi, je ne vous commettrai pas mal à propos. Si je réussis vous m’en aurez ◀l’▶obligation, et si je ne réussis pas, ou si je m’aperçois qu’on ne me donne pas gain ◀de▶ cause de bon cœur, il n’y aura rien ◀de▶ perdu, et je vous mettrai hors de blâme. Ce fut inutilement qu’il voulut s’opposer à sa volonté, elle y était résolue ; et il se retira incertain ◀de▶ ce qu’il pensait, et s’il devait avoir ◀de▶ ◀la▶ joie ◀d’▶avoir une si puissante médiatrice, ou s’il devait être chagrin ◀de▶ ce que sa mère apprendrait enfin son secret.
En quittant ◀la▶ princesse de Cologny il revint trouver Angélique, à qui il dit dans quelle résolution il ◀l’▶avait laissée. Elle en eut une joie sensible, et ne put s’empêcher ◀de▶ ◀la▶ lui témoigner avec mille petites caresses. Il lui en fit voir aussi, ils se félicitèrent l’un l’autre ◀de▶ ◀l’▶appui ◀de▶ cette princesse, à qui Madame de Contamine ne pourrait rien refuser. Quelle joie pour des amants ! Ils se voyaient sur ◀le▶ point ◀d’▶être l’un à l’autre ! Ils firent part ◀de▶ leur bonheur à Mademoiselle Dupuis et à Mademoiselle de Vougy qui n’y furent pas insensibles, et ◀les▶ embrassements ◀les▶ larmes aux yeux se mirent ◀de▶ ◀la▶ partie. Madame de Cologny fit appeler Angélique, à qui elle dit qu’elle se rendait à ◀la▶ prière que Contamine lui avait faite, ◀de▶ ◀la▶ retirer auprès ◀d’▶elle ; qu’elle mangerait et coucherait dans ◀l’▶hôtel, où elle lui donnerait une chambre. Angélique lui rendit mille grâces ◀de▶ ses bontés, et Contamine ne lui parla plus en particulier ◀de▶ cette journée. Il ramena votre commère chez elle, où son père et moi ◀l’▶attendions à souper.
Ces deux amants s’étaient quittés tout remplis ◀d’▶espérance ◀de▶ voir enfin une heureuse conclusion à leur aventure ; mais sitôt qu’ils ne se virent plus, ils ne furent plus si tranquilles. Ils regardèrent cette espérance comme une chimère qui ◀les▶ avait abusés, Angélique ne pouvait se flatter que Madame de Contamine, ambitieuse comme elle était, consentît jamais qu’elle épousât son fils. Elle ne voyait plus pour elle, après ce refus, que ◀le▶ parti du convent, ou ◀de▶ servir ◀de▶ fable à tous ceux qui auraient connaissance ◀de▶ ◀l’▶espérance dont elle se serait flattée. Contamine ◀de▶ son côté n’était pas plus tranquille. Pendant qu’il avait été en présence de sa maîtresse ◀l’▶amour ne lui avait promis que des idées flatteuses. ◀La▶ possession ◀de▶ cette belle personne était tout ce qu’il envisageait ; mais lorsque ◀la▶ solitude ◀l’▶eut livré à d’autres réflexions, il envisagea que c’était une violence qu’il faisait à sa mère, ◀de▶ lui faire demander son consentement par une personne à qui il savait bien qu’elle n’oserait pas ◀le▶ refuser. Il connut que ce consentement forcé ne ◀le▶ rendrait pas moins criminel aux yeux ◀d’▶une bonne mère, à qui il avait mille et mille obligations. Il craignit que ce coup ne fût trop sensible à celle qui lui avait donné ◀la▶ vie, et eut horreur ◀de▶ payer si mal tant de tendresse. Tout ◀le▶ bon fils fit taire ◀l’▶amant, et sans renoncer à son amour, il se livra tout entier à son devoir.
Il rentra chez sa mère si changé par ces cruelles réflexions, qu’elle s’en aperçut. Elle lui demanda s’il était incommodé ; et elle prit tant de part à sa santé, qu’elle ◀le▶ détermina à se vaincre. C’en est fait, dit-il tout haut, je n’y veux plus songer. Cette dame crut que ◀la▶ fièvre avait attaqué tout ◀d’▶un coup ◀le▶ cerveau ◀de▶ son fils, et qu’il était extrêmement mal : elle se mit en devoir ◀de▶ ◀le▶ faire soulager. Arrêtez vos bontés Madame, lui dit-il, je n’ai point ◀de▶ maladie corporelle, mon esprit seul est inquiété ; mais je vous demande pardon ◀d’▶avoir pu pour un moment consentir à vous déplaire. Donnez ordre qu’on nous laisse seuls, je vous apprendrai tous mes crimes, en vous en témoignant mon repentir.
Cette dame fit sortir tout le monde : il se jeta à ses pieds, et y resta malgré tous ◀les▶ efforts qu’elle fit pour ◀le▶ faire lever. Il ne lui cacha rien ◀de▶ son amour ; il lui en fit voir toute ◀la▶ force. Il lui dit tout ce qu’il avait fait pour sa maîtresse ; par quel hasard il était venu à ◀la▶ connaissance ◀de▶ Madame de Cologny, ce qui s’était passé chez elle, et ◀la▶ promesse qu’elle avait faite ◀de▶ lui faire avoir son consentement. Il lui avoua qu’il n’avait pu d’abord se refuser aux plaisirs qui s’étaient présentés à son esprit. Il lui témoigna ◀le▶ remords qu’il en avait eu ; et que c’était ce qui ◀le▶ mettait dans ◀l’▶état où elle ◀le▶ voyait. Il acheva son récit tout baigné ◀de▶ larmes ; il demanda pardon à sa mère ◀de▶ ce que cette princesse lui ferait un compliment si peu recevable. Il lui promit ◀de▶ n’y plus songer, ou du moins ◀de▶ ne lui en parler jamais, et ◀de▶ s’éloigner, si elle ◀le▶ voulait, pour donner ◀le▶ temps à ◀l’▶absence ◀de▶ déraciner ◀de▶ son cœur un amour si peu digne ◀de▶ son approbation. Il avoua que c’était ◀l’▶unique cause des refus qu’il avait faits des partis qu’elle lui avait offerts depuis quatre ans. Enfin il lui fit voir en même temps ◀l’▶amour ◀le▶ plus tendre et ◀le▶ plus passionné pour une fille, et ◀le▶ plus profond respect pour une mère.
Cette dame avait tous ◀les▶ sujets imaginables ◀d’▶être satisfaite ◀de▶ lui. Excepté ◀le▶ mariage il avait toujours été soumis à ses volontés. Il n’avait jamais abusé ◀de▶ ses bontés, et avait toujours réciproqué par une piété sincère, ◀la▶ tendresse qu’elle avait pour lui. Elle ◀le▶ laissa achever sans ◀l’▶interrompre : ◀l’▶état où il était lui faisait pitié ; elle ◀le▶ consola elle-même, et ◀l’▶envoya reposer. Elle se coucha dans ◀l’▶incertitude ◀de▶ ce qu’elle avait à faire, mais avant qu’elle s’endormît, elle prit sa résolution.
Elle fut éveillée par sa femme de chambre, qui lui dit qu’un gentilhomme demandait à lui parler de la part de Madame ◀la▶ princesse ◀de▶ Cologny. Elle ◀le▶ fit entrer. Il lui dit qu’il venait savoir ◀d’▶elle à quelle heure ◀la▶ princesse pourrait venir ◀la▶ voir, pour une affaire qu’elle ne pouvait communiquer qu’à elle-même. Elle pria ce gentilhomme ◀d’▶entrer un moment. Elle se fit promptement habiller, ayant su ◀de▶ lui que Madame de Cologny était visible, elle monta en carrosse avec ce gentilhomme et se fit conduire à ◀l’▶hôtel. Il y avait longtemps qu’elle aurait voulu voir son fils marié, et ◀la▶ personne dont il s’agissait étant demoiselle ◀de▶ bonne maison, elle avait résolu ◀de▶ passer sur ◀le▶ bien. Elle était pénétrée ◀de▶ ◀l’▶amour que son fils lui avait découvert, et très satisfaite ◀de▶ son respect. Elle avait envoyé savoir en s’habillant, dans quel état il se trouvait. On lui avait rapporté qu’il avait très mal passé ◀la▶ nuit ; qu’il n’avait fait que soupirer, et qu’il ne faisait que ◀de▶ s’assoupir. Elle ne voulut pas interrompre son repos, et partit avec défense de lui dire où elle était allée, crainte ◀de▶ redoubler son inquiétude et son agitation.
◀La▶ princesse, ayant été avertie qu’elle venait, lui sut bon gré ◀de▶ sa civilité. Elle alla au-devant ◀d’▶elle et ◀la▶ rencontra sur ◀l’▶escalier. Elle ◀l’▶embrassa, et elles se retirèrent seules dans ◀le▶ cabinet ◀de▶ ◀la▶ princesse. Au bout de deux bonnes heures, elles rentrèrent dans ◀la▶ chambre ; et Madame de Cologny envoya quérir Angélique, qui pendant ce temps-là avait été, comme vous pouvez croire, sur des épines. On ◀l’▶avait, presque malgré elle, mise par ◀l’▶ordre ◀de▶ cette princesse, dans ◀l’▶état magnifique, où elle était venue ◀la▶ veille. Elle fut surprise ◀de▶ se voir appeler, quoiqu’elle s’y attendît. Elle y alla avec une certaine pudeur sur ◀le▶ visage qui acheva ◀de▶ gagner ◀le▶ cœur ◀de▶ Madame de Contamine. Approchez, Angélique, lui dit Madame de Cologny en ◀la▶ prenant par ◀la▶ main, voilà Madame, poursuivit-elle, en ◀la▶ présentant à Madame de Contamine, ◀la▶ demoiselle que vous avez demandée. Voyez si Monsieur votre fils pouvait faire un plus beau choix : vous ◀l’▶aimerez et vous ◀l’▶estimerez, quand avec ◀la▶ beauté ◀de▶ son corps, ◀la▶ vertu et ◀la▶ beauté ◀de▶ son âme vous seront connues.
Angélique, pendant ce temps-là était dans un désordre si grand, qu’elle ne se connaissait pas. Elle n’entendit point ce qui se disait, et ce n’est que ◀de▶ Mademoiselle de Vougy que nous savons ◀le▶ commencement ◀de▶ cette scène. J’avoue, dit Madame de Contamine, en embrassant Angélique, que si mon fils est condamnable, il a du moins une belle excuse. Je ne connais guère ◀de▶ filles à Paris plus belles, ni mieux faites. Ce n’est pourtant pas à ces beaux dehors, ajouta-elle en parlant à Angélique, que vous devez ◀le▶ consentement que je donne à votre mariage avec mon fils. C’est premièrement à ◀la▶ recommandation ◀de▶ Madame ◀la▶ princesse ◀de▶ Cologny, à votre vertu, et à votre sagesse, dont elle m’a assurée. Rendez-lui en toutes ◀les▶ grâces qui vous seront possibles. Je ◀l’▶accorde encore à ◀la▶ soumission et au respect que mon fils a toujours eus pour moi. J’espère que vous en aurez autant, et que je ne me repentirai jamais ◀de▶ vous avoir reçue dans ma famille. Angélique ne répondit devant ◀la▶ princesse que par ses pleurs et une profonde révérence.
Madame de Contamine conta ce que son fils lui avait dit ◀le▶ soir, et ce qu’il avait fait. Cette vénération ◀d’▶un bon fils pour sa mère fut admirée. ◀La▶ princesse entra un moment dans son cabinet pour y prendre un reliquaire. Angélique restée seule avec ◀la▶ mère ◀de▶ son amant et Mademoiselle de Vougy, ne perdit point ◀le▶ temps ◀de▶ faire ce qu’elle n’avait osé faire en présence de ◀la▶ princesse. Elle se jeta aux genoux ◀de▶ sa future belle-mère, lui baisa ◀les▶ mains, lui fit mille remerciements ◀de▶ sa bonté, et ◀l’▶assura ◀d’▶une vénération et ◀d’▶un respect égal à celui ◀de▶ son fils. Cette dame avait fait et faisait encore tout ce qu’elle pouvait pour ◀la▶ faire lever. ◀La▶ princesse qui sortit dans ce moment ◀de▶ son cabinet, lui sut bon gré ◀de▶ son action. J’aime, lui dit-elle, en ◀la▶ relevant et en ◀la▶ baisant, à voir que vous savez vivre. Je suis très satisfaite ◀de▶ cette démarche, qui me persuade que vous méritez ◀les▶ bontés que Madame a pour vous. Elle obligea Madame de Contamine ◀d’▶accepter son reliquaire qui était un présent ◀de▶ princesse. Elle avait su ◀de▶ Mademoiselle de Vougy que Contamine ◀l’▶avait forcée ◀d’▶accepter un diamant, elle avait pris ◀la▶ dette sur elle, et ne voulut pas demeurer en reste. Elle leur témoigna ensuite ◀la▶ véritable joie qu’elle avait ◀d’▶avoir contribué à ◀la▶ satisfaction ◀de▶ l’une, et à ◀la▶ fortune ◀de▶ l’autre. Elle dit qu’elle voulait faire ◀le▶ mariage, et qu’elle ne voulait pas qu’elle découchât ◀de▶ ◀l’▶hôtel, que pour aller chez son époux. Elle ne lui portera point ◀de▶ dot, ajouta-t-elle, en parlant à Madame de Contamine ; mais je me flatte ◀de▶ lui en tenir compte, soit par mon crédit, soit par celui ◀de▶ mes amis. Il peut compter sur ma protection, et peut-être en sentira-t-il des effets plus tôt qu’il ne pense.
Cette princesse ◀les▶ retint toutes à dîner, où votre commère qui arrivait, se trouva ; et depuis ce jour-là, jusques à son mariage, Angélique n’eut point ◀d’▶autre table ; honneur que cette princesse n’accordait qu’à des gens ◀d’▶une vertu reconnue, et ◀d’▶un mérite distingué.
◀L’▶après-midi Madame de Contamine mena elle-même Angélique, avec Mesdemoiselles Dupuis et ◀de▶ Vougy, dans ◀la▶ chambre ◀de▶ son fils. Il était encore au lit très mal, et ce fut ce qui recula son mariage qui ne se fit que deux mois après. Angélique ne ◀le▶ quittait point, qu’aux heures du repas, et y restait toute ◀la▶ journée, lorsque ◀la▶ princesse ne dînait point à ◀l’▶hôtel. Elle en usa fort bien avec Madame de Contamine, et se fit surtout tellement aimer ◀de▶ cette dame, qu’elle ne supportait qu’impatiemment ◀le▶ retard ◀de▶ ◀la▶ cérémonie. Ils furent enfin mariés, il y eut deux ans à Pâques. Ils demeurent toujours chez ◀la▶ belle-mère, à moins qu’il ne soit obligé ◀de▶ sortir ◀de▶ Paris pour plus ◀de▶ deux jours ; car pour lors il faut qu’elle ◀le▶ suive. Elle a déjà eu deux enfants, et est encore grosse, et suivant toutes ◀les▶ apparences, sa famille sera très nombreuse ; car elle n’attend pas ◀l’▶année juste pour accoucher. Elle est adorée ◀de▶ sa belle-mère, et ◀de▶ son mari, qui ne peuvent pas ◀la▶ perdre ◀de▶ vue. Elle est toujours avec sa belle-mère, ou avec Madame de Cologny, qui va ◀la▶ prendre presque tous ◀les▶ jours pour aller se promener ensemble, et qui ◀la▶ retient ◀le▶ plus souvent à coucher avec elle, lorsque Contamine n’est point à Paris. Elle visite très souvent Mademoiselle Dupuis, qui est presque tous ◀les▶ jours chez elle. Tout ce que je puis vous en dire, c’est qu’elle est ◀la▶ plus heureuse ◀de▶ toutes ◀les▶ femmes, qu’elle a ◀le▶ secret ◀de▶ se faire aimer ◀de▶ tout le monde, et que qui que ce soit qui sait son histoire, ne porte envie à sa fortune, parce qu’il est constant qu’elle ◀la▶ mérite. Je vous laisse à penser si elle ne bénit pas ◀la▶ confusion qu’elle a eue au faubourg Saint-Germain à ◀la▶ Foire ; puisque c’est ◀de▶ là que vient tout son bonheur et son établissement, aussi bien que ◀l’▶appui que son mari a encore : car il est certain, que quand il aurait ◀l’▶honneur ◀d’▶être du sang ◀de▶ ◀la▶ princesse, elle ne prendrait pas plus hautement ses intérêts.
Voilà poursuivit Des Ronais, ce que vous vouliez savoir ◀de▶ Madame de Contamine, sur quoi je vous laisse ◀la▶ liberté ◀de▶ moraliser. Je voudrais bien savoir moi, ◀de▶ quelle manière Mademoiselle Dupuis se tirera ◀d’▶affaires. Elle s’en tirera bien, reprit Des Frans, ne vous en embarrassez pas, je vous ai dit que ◀l’▶heure est prise pour demain, serez-vous ◀d’▶humeur ◀d’▶y venir ? Je n’en sais rien, répondit Des Ronais. Vous n’en savez rien, répliqua Des Frans en riant ? ◀La▶ réponse est honnête ! Mais sachez que si vous ne me promettez pas ◀d’▶y venir, et si vous ne venez pas en effet, je romprai tout commerce avec vous. À quoi bon tant de façons, poursuivit-il, en tournant ◀la▶ tête : vous faites plus ◀le▶ fâché que vous n’êtes. Vous voudriez déjà être raccommodé, il n’y a que ◀la▶ honte qui vous retienne. Répondez juste, viendrez-vous ? Que vous êtes pressant, reprit Des Ronais en riant ! Je ne veux pas rompre avec vous, et demain vous ferez ◀de▶ moi tout ce que vous voudrez.
Dupuis entra dans ce moment ; il venait ◀les▶ quérir pour ◀les▶ mener souper chez lui. J’ai fait ce que j’ai pu pour y faire rester ma cousine, dit-il ; mais Madame de Contamine avec qui elle était, me ◀l’▶a enlevée. Elle m’a pourtant prié ◀d’▶être demain à dîner au logis, elles m’ont assuré que vous en seriez, poursuivit-il, en parlant à Des Frans, et que vous y amèneriez un ◀de▶ vos amis ◀de▶ ma connaissance ; ne serait-ce point par hasard Monsieur Des Ronais ? Vous ◀l’▶avez deviné, répondit Des Frans. Vous serez donc enfin mon cousin, reprit Dupuis parlant au conseiller ? Je ne sais ce qui en sera, dit celui-ci, en riant ; mais votre cousine veut que cela soit. Il est beau ◀d’▶être recherché des dames, reprit Dupuis sur ◀le▶ même ton ; et plus encore ◀de▶ s’en vanter ! Mais sera-ce malgré vous que vous serez mon cousin ; devinez, répondit Des Ronais en riant. Je devine que non, dit Dupuis, me trompé-je ? Laissez Monsieur Des Ronais en repos, interrompit Des Frans ; ne voyez-vous pas bien que ◀le▶ pauvre garçon ne sait pas ce qu’il veut lui-même. Après cela ces trois amis sortirent, et allèrent souper chez Dupuis qui ◀les▶ régala splendidement. Ils parlèrent ◀d’▶affaires, Des Frans ◀les▶ informa ◀de▶ ce qu’il avait fait avec ses parents, et ◀de▶ ◀la▶ résolution où il était ◀de▶ s’établir. Dupuis lui indiqua une charge telle qu’il ◀la▶ souhaitait. Ils résolurent ◀de▶ voir si on en pourrait traiter, et se séparèrent fort tard.
Ils allèrent ◀le▶ lendemain matin voir si on pourrait traiter ◀de▶ cette charge ; et comme ◀d’▶un côté on voulait vendre, et que ◀de▶ l’autre on voulait acheter, ◀le▶ marché fut bientôt conclu. Ils restèrent pourtant jusqu’à une heure après midi, que Des Ronais ◀les▶ fit souvenir qu’ils devaient aller dîner chez Mademoiselle Dupuis. J’aime ce soin ◀de▶ votre part, lui dirent Des Frans et Dupuis en même temps, et en riant.
Ils trouvèrent bonne compagnie, on ◀les▶ gronda ◀de▶ s’être fait attendre. Dupuis, au lieu de s’excuser, dit que ce n’était pas ◀la▶ faute de Monsieur Des Ronais ; car, poursuivit-il, en ◀le▶ montrant à sa cousine, nous ne serions point encore venus, si Monsieur ne nous avait fait souvenir qu’il ne peut plus vivre brouillé avec vous, et c’est ce qui nous a fait hâter. Des Ronais rougit, et sourit à ces paroles ; mais sans lui donner ◀le▶ temps ◀de▶ répondre, Madame de Contamine ◀le▶ prit par ◀le▶ bras. Venez ici fantasque, lui dit-elle en riant, allons à genoux devant votre maîtresse, et demandez-lui pardon ◀de▶ toutes vos folies. Ah ! Madame reprit Des Frans en riant, ce n’est pas là exécuter ◀de▶ bonne foi ◀le▶ traité ; je ◀l’▶ai amené pour entendre une justification, et non pas pour demander pardon. Il est en bonne main, reprit cette dame sur ◀le▶ même ton, j’en rendrai bon compte ; mais je veux qu’il obéisse. Allons vite, poursuivit-elle, en s’adressant à lui, on est près de vous pardonner, mais il faut demander pardon, faites ◀les▶ choses ◀de▶ bonne grâce. Où vous ai-je amené, mon pauvre Monsieur Des Ronais, lui dit Des Frans, en haussant ◀les▶ épaules et en riant. Dans un coupe-gorge, répondit celui-ci. He oui, Madame, poursuivit-il, s’adressant à Madame de Contamine, je demande pardon ◀de▶ tout mon cœur. C’est ◀de▶ vous, ajouta-t-il, parlant à ◀l’▶aimable Dupuis, que je veux ◀l’▶obtenir ; je vois votre innocence dans vos yeux, je suis au désespoir ◀de▶ mes égarements… Vous êtes tout pardonné, reprit cette belle fille, en ◀l’▶embrassant ◀les▶ larmes aux yeux. Ce n’est point avec vous que je veux faire ◀la▶ renchérie, mais en consentant ◀d’▶oublier tout ce que vous m’avez fait, je vous prie pour ◀l’▶avenir ◀de▶ ne plus vous abandonner aux apparences qui sont très souvent fort trompeuses ; mon cœur devait vous être connu. Venez, continua-t-elle, en ◀le▶ prenant par ◀le▶ bras, mettez-vous là et dînons, après cela on vous parlera. Ce sera moi, Monsieur, dit un homme parfaitement bien fait, qui vous désabuserai. Je suis ◀le▶ Gauthier supposé dont vous avez tant pris ◀d’▶ombrage. Il est juste qu’après avoir mis ◀le▶ divorce entre Mademoiselle Dupuis et vous, j’y rétablisse ◀la▶ concorde et ◀l’▶union. Je ne trouverais pas Mademoiselle Dupuis fort blâmable, Monsieur, reprit Des Ronais, je me mettrais volontiers ◀de▶ son côté. Un homme aussi bien fait que vous, peut facilement faire une infidèle. Doucement, Monsieur, dit en riant une fort belle femme qui n’avait point encore parlé, ne galantisez point tant mon mari sur sa bonne mine, vous me rendriez bientôt jalouse si vous étiez femme, et je ne veux pas ◀la▶ devenir, vous en avez trop souffert. Contentez-vous ◀de▶ savoir que ◀la▶ lettre qui vous a rendu fou à courir ◀les▶ champs, était pour moi. Il était pour lors mon amant, il est à présent mon époux ; et pour vous ôter tout scrupule, nous consentons à vous dire pourquoi Mademoiselle Dupuis recevait des lettres qui n’étaient pas pour elle. Et comme cela ne se peut faire qu’en vous disant ce qui s’est passé entre Monsieur de Terny et moi, nous en remettrons ◀le▶ discours après avoir dîné, s’il vous plaît.
On se mit donc à table, ◀les▶ deux amants proche l’un ◀de▶ l’autre. Des Frans se mit entre Madame de Contamine, et une autre dame qu’il n’avait point encore envisagée, et qui n’avait point encore ouvert ◀la▶ bouche. Il s’aperçut que cette dame avait voulu sortir, et que sans Madame de Contamine, elle serait sortie en effet. Il remarqua qu’elle ne tournait point ◀la▶ tête ◀de▶ son côté ; il ◀la▶ regarda et ◀la▶ reconnut pour une ◀de▶ ses anciennes connaissances, à laquelle même il avait autrefois fait semblant ◀d’▶en vouloir. Ah ! Madame s’écria-t-il, en ◀l’▶embrassant tout ◀d’▶un coup, quelle heureuse aventure vous conduit ici ? Cette dame surprise, lui répondit que c’était à Mademoiselle Dupuis qu’il devait sa rencontre ; et si j’avais su poursuivit-elle, que vous eussiez dû y être, Monsieur, je n’y serais pas venue ; mais j’ai été trompée. Êtes-vous fâchée ◀de▶ m’y voir, Madame, reprit-il ◀d’▶un grand sérieux ? Non, Monsieur, dit-elle, puisque c’est vous qui avez amené Monsieur Des Ronais.
Ce n’est pas ◀le▶ temps ◀d’▶entrer en matière, interrompit Madame de Contamine, une autre fois vous vous éclaircirez ensemble ; présentement dînons, et sachons ◀les▶ aventures ◀de▶ Monsieur de Terny ; celles ◀de▶ Monsieur Des Frans et ◀de▶ Madame de Mongey auront leur temps. On suivit ce conseil et on dîna fort bien. Ils parlèrent pendant ◀le▶ dîner des ombrages que ◀les▶ amants prenaient assez souvent ◀de▶ ◀la▶ conduite l’un ◀de▶ l’autre. Ils avouèrent que ◀les▶ querelles qui en provenaient étaient un nouveau sel au raccommodement, mais ils convinrent que quelque plaisir qu’on eût ◀de▶ se raccommoder, il n’égalait pas ◀les▶ peines qu’on souffrait quand ◀la▶ brouillerie était sincère. Par exemple, ajouta Monsieur de Terny, voilà Monsieur Des Ronais et Mademoiselle Dupuis qui goûtent tout ◀le▶ plaisir du raccommodement, après avoir été fort longtemps brouillés, (et en effet ils se faisaient mille caresses) mais quels chagrins et quelles peines n’ont-ils pas soufferts pendant qu’ils ont été en querelle ? Quels maux ne se sont-ils pas faits à plaisir ? Et dans quel état étaient-ils tous deux ? Mais afin de lui donner toute ◀la▶ satisfaction qui dépend ◀de▶ nous, poursuivit-il, en lui montrant toute ◀l’▶innocence ◀de▶ Mademoiselle, il est juste ◀de▶ lui tenir parole, et ◀de▶ lui raconter ◀le▶ sujet qui a donné lieu à sa jalousie.
Oui, Monsieur, interrompit Madame de Contamine, cela est juste ; mais il est juste aussi que tout le monde vous écoute, et pour cela, poursuivit-elle, s’adressant à Des Ronais, passez s’il vous plaît, auprès de moi à la place de Monsieur Des Frans ; et vous Monsieur Des Frans, ajouta-t-elle, prenez place s’il vous plaît entre votre commère et moi. Dussé-je passer pour indiscrète, il faut que je vous sépare tous. Vous, Monsieur Des Ronais, parce qu’il faut que vous soyez attentif à ce que Monsieur de Terny va dire ; et vous, Monsieur Des Frans, pour me venger ◀de▶ vous, qui pendant tout ◀le▶ dîner n’avez pas eu ◀la▶ civilité ◀de▶ me dire deux mots, et n’avez fait que parler bas à Madame de Mongey. Ah ! Madame, reprit Des Frans, vous faites prendre garde à des choses dont on ne se serait point aperçu sans vous. Il est vrai, dit-elle en riant, il n’y a que moi qui ai ◀de▶ bons yeux ; mais vous pourriez interrompre Monsieur de Terny, dont il n’y a que son épouse qui vous sépare ; et moi je pourrais prêter ◀l’▶oreille à quelque chose que vous voulez qui soit secrète. Non, Madame, répondit Des Frans en rougissant, nous n’interromprons personne, je vous ◀le▶ jure. Soit, dit-elle en riant ; ◀la▶ place où vous êtes vous plaît, achetez-◀la▶ par votre silence, ou comptez que vous n’y resterez pas longtemps. Vous pouvez commencer, Monsieur, poursuivit-elle, parlant à Monsieur de Terny, tout le monde est prêt à vous donner audience. Il voulut adresser ◀la▶ parole à Des Ronais, qui lui dit qu’il n’avait plus aucun soupçon, et qu’il ◀le▶ dispensait ◀de▶ son récit. Je ne ◀l’▶en dispense pas moi, reprit ◀la▶ belle Dupuis, et je ◀le▶ prie ◀de▶ ◀le▶ faire. Il ◀le fit donc en ces termes.