Chapitre XLIV.
Ce qui se passa dans le▶ château après cette expédition.
On se mit à table sitôt qu’on eut eu soin des blessés, et qu’on se fut assuré des prisonniers, et comme ◀la▶ journée avait été fatigante, on se coucha de bonne heure ; ◀le▶ lendemain on fit enterrer ◀les▶ morts fort honorablement, surtout ◀le▶ gentilhomme qui avait été assassiné dans ◀le▶ carrosse ◀de▶ ◀la▶ duchesse. ◀Les▶ dix-sept bandits qui avaient été tués dedans et dehors ◀la▶ forêt, furent par provision envoyés sur ◀les▶ roues en attendant que ◀le▶ reste leur fût envoyé pour compagnie. Après cela ◀le▶ lieutenant partit, et emmena son gibier, ayant reçu ◀de▶ bons ordres sur ◀la▶ manière dont il devait tourner ◀les▶ informations, et sauver celui qui avait indiqué ◀les▶ retraites des autres, comme ◀le▶ duc ◀le▶ lui avait promis.
◀Le▶ lieutenant revint trois jours après, et fit voir au duc ◀les▶ informations et ◀les▶ interrogatoires des bandits ; ◀le▶ duc ◀les▶ trouva comme il ◀l’▶avait souhaité, et ◀les▶ communiqua à Valerio, qui eut lieu ◀d’▶en être satisfait. Ce lieutenant et son greffier, après avoir été amplement récompensés ◀de▶ leur peine par ◀le▶ comte, eurent encore ◀le▶ butin des bandits qu’ils retournèrent chercher dans ◀la▶ caverne, où ils ◀l’▶avaient laissé, sans parler ◀de▶ leurs chevaux, sur lesquels ces malheureux n’avaient pas eu ◀le▶ temps ◀de▶ monter. Pour ne plus parler ◀d’▶objets si affreux, justice fut faite ◀d’▶eux tous, et ils furent envoyés border ◀les▶ grands chemins, excepté celui à qui ◀le▶ duc de Médoc avait promis ◀la▶ vie, et à qui non seulement il donna ◀la▶ liberté, mais encore une somme ◀d’▶argent suffisante pour ◀le▶ conduire hors ◀d’▶Espagne, et mener ailleurs un train ◀de▶ vie plus honnête ; on ◀l’▶avait mis exprès dans un endroit ◀d’▶où il lui fut facile ◀de▶ se sauver, et on dressa un procès-verbal ◀de▶ son évasion pour ◀la▶ décharge du geôlier et des autres qui pouvaient en être inquiétés. Ainsi ◀le▶ comte eut ◀l’▶esprit en repos ◀de▶ tous côtés, et ne songea plus qu’à rétablir ses forces. ◀Les▶ informations furent envoyées en Cour, où ◀les▶ sentences furent depuis confirmées.
Cela donna lieu à ◀la▶ duchesse de Médoc ◀de▶ dire à son époux en présence des autres Espagnols et des Français, qu’il avait eu tort ◀de▶ se tant exposer, et que ces informations, en lui faisant connaître ◀le▶ péril qu’il avait personnellement couru ◀d’▶être assassiné, devaient lui faire faire une bonne résolution ◀de▶ ne plus se hasarder contre des gens déterminés, si ◀le▶ malheur du pays voulait qu’il fût encore infecté ◀de▶ cette canaille. ◀Les▶ Françaises lui dirent ◀la▶ même chose, et ajoutèrent que ◀la▶ quête ◀de▶ ces malheureux était indigne ◀de▶ gens ◀d’▶honneur et ◀de▶ qualité, que ◀les▶ personnes considérables en France ne s’y commettaient pas, et laissaient ce soin à des gens destinés à cet emploi ; et qu’on regarderait en France avec horreur un officier ◀de▶ qualité distinguée, qui aurait seulement livré un malfaiteur, bien loin de ◀l’▶avoir poursuivi et arrêté lui-même. ◀Le▶ duc de Médoc, qui avait un très grand fond ◀de▶ probité et ◀d’▶honneur, écouta tout ce qu’on lui dit avec une patience admirable, et sans répondre un seul mot ; mais après qu’on eut achevé ◀de▶ lui dire tout ce qui se pouvait dire sur cette matière, il prit ◀la▶ parole, et après avoir remercié toute ◀la▶ compagnie en général du soin que chacun en particulier avait témoigné pour sa personne, il ajouta que s’agissant ◀de▶ rendre service au comte de Valerio, et ◀de▶ sauver ◀l’▶honneur ◀d’▶une des meilleures maisons ◀d’▶Espagne, il n’aurait pas eu ◀l’▶esprit en repos si lui-même n’y avait été ; que de plus, chacun se faisait dans ◀le▶ monde un point ◀d’▶honneur et ◀de▶ probité selon son humeur ; qu’il avouait que ◀la▶ recherche qu’on faisait ◀de▶ gens qu’on destinait au gibet, offrait à ◀l’▶esprit quelque chose ◀de▶ bas et ◀de▶ rebutant, qu’ainsi il ne blâmait point ◀les▶ Français ◀de▶ ne s’y pas commettre, parce qu’ils croyaient que cela était indigne ◀d’▶un grand cœur ; mais que pour lui il était ◀d’▶un autre sentiment et qu’il ne croyait pas qu’il fût plus indigne ◀d’▶un prince ◀de▶ faire ◀la▶ guerre à des voleurs et à des bandits qui désolaient toute une province et ses propres compatriotes, que ◀de▶ ◀la▶ faire à des étrangers ; qu’il croyait même que c’était plus utilement servir sa conscience et ◀le▶ public dans une guerre ◀de▶ cette nature, que dans une guerre réglée, parce que ◀les▶ ennemis qu’on combat dans celle-ci, ne sont pas des ennemis particuliers ni domestiques, puisqu’on peut s’en défaire par un traité ◀de▶ paix ; mais que ◀les▶ autres sont des ennemis ◀d’▶autant plus cruels, qu’ils ne sont retenus par aucune digue ; de plus que ◀la▶ guerre avait ses lois inconnues aux scélérats, et que ◀les▶ ennemis qu’on combattait dans une guerre ◀de▶ prince à prince, étaient presque toujours des ennemis contraints par ◀la▶ volonté et par ◀l’▶ambition ◀de▶ leur souverain, avec qui ◀la▶ vie était sauve, ou du moins ne courait pas tant de risque, qu’avec ◀les▶ autres, qui non seulement n’épargnaient personne, mais ◀de▶ qui même leurs propres amis et ◀les▶ gens ◀de▶ leur connaissance avaient plus à craindre que des étrangers ; qu’enfin dans une guerre ouverte on était en état ◀d’▶attaquer et ◀de▶ se défendre, et que ◀l’▶on n’était jamais surpris qu’on ne dût s’attendre à ◀l’▶être ; mais que ◀les▶ voleurs ◀de▶ grands chemins étaient des gens qui mettaient leur sûreté dans ◀les▶ surprises qu’ils faisaient aux gens qui ne se défiaient nullement ◀d’▶eux ; et qu’en un mot c’était des ennemis ◀d’▶autant plus dangereux qu’ils empêchaient ◀le▶ commerce et ◀la▶ sûreté, et qu’il n’y avait avec eux ni paix ni trêve à espérer que par leur mort ; enfin des gens universellement regardés avec exécration ; ce qui était si vrai, qu’en France même, où ◀les▶ gens ◀de▶ distinction tenaient cette chasse si indigne ◀d’▶eux, ◀les▶ bandits et ◀les▶ voleurs ◀de▶ grand chemin étaient punis du plus long et du plus rude des supplices, et privés même ◀de▶ ◀la▶ sépulture.
Don Quichotte qui n’avait garde ◀de▶ demeurer en si beau chemin, reprit ◀la▶ parole après ◀le▶ duc, et après avoir répété une partie ◀de▶ ce qu’il avait dit, il ajouta que ◀l’▶emploi ◀de▶ délivrer son pays ◀de▶ malfaiteurs et ◀de▶ brigands, était non seulement honorable, mais encore digne ◀d’▶un roi ; que c’était par là qu’Hercule, Thésée et plusieurs autres héros s’étaient rendus fameux ; que c’était le premier devoir ◀de▶ ◀la▶ Chevalerie errante, puisque c’était délivrer ◀les▶ faibles des torts et des violences que ◀les▶ méchants leur faisaient, et que quand il serait roi, il ne tiendrait point cette recherche au-dessous de lui. On ne voulut pas défendre davantage ◀la▶ négative crainte ◀d’▶irriter notre chevalier, qu’on ne contredisait en rien, et pour qui on avait toute sorte ◀de▶ complaisance sur ◀les▶ sujets qui avaient quelque rapport à ◀la▶ Chevalerie errante, et pour ne pas en avoir ◀de▶ sujet chacun prît ◀le▶ chemin ◀de▶ sa chambre.
Comme Sancho en confiant son butin à son bon maître ◀de▶ peur qu’on ne lui prît pendant son sommeil, ◀l’▶avait prié ◀de▶ ◀le▶ compter ; Don Quichotte ◀l’▶avait déjà fait, et lorsque Sancho commença ◀d’▶ouvrir ◀les▶ yeux il ◀le▶ lui rendit, et lui dit qu’il y avait dedans plus ◀de▶ huit cents pistoles. Ceux qui connaissent ◀le▶ caractère ◀de▶ Sancho peuvent s’imaginer que sa joie fut au-dessus ◀de▶ toute expression. En effet cette bonne nouvelle pensa lui faire perdre ◀le▶ peu de raison qui lui restait ; mais ◀la▶ tranquillité et ◀le▶ repos dont il jouissait dans son lit, lui aidèrent à calmer ses transports ; et comme sa mâchoire se raccommoda, et qu’il buvait et mangeait tout son saoul, il se releva avec un embonpoint qui ne cédait en rien à celui où on ◀l’▶avait vu auparavant ; il ne faut cependant pas ◀le▶ lui envier, car il en aura besoin pour soutenir ◀les▶ rudes assauts que ◀les▶ ducs, ◀le▶ comte, leurs épouses, ◀les▶ Français et ◀les▶ Françaises lui préparent. Laissons-◀le▶ se reposer, et rendons compte ◀d’▶un ◀de nos acteurs.