Chapitre XLI.
Don Quichotte et Sancho s’arment pour aller combattre les▶ brigands. Ces deux chevaliers font des actions ◀de▶ valeur inouïes.
A peine ◀le▶ point du jour paraissait que ◀le▶ héros ◀de▶ ◀la▶ Manche se leva, et fit lever Sancho. Ils s’habillèrent, et voulurent sortir à pied et sans armes, mais il était encore trop matin, et ◀le▶ pont-levis n’étant pas baissé, ni ◀les▶ chevaux prêts, il fallut prendre patience. Quand ◀le▶ jour fut grand, ◀le▶ duc sous prétexte de visiter tout son monde, descendit dans ◀la▶ cour, où il fit semblant ◀d’▶être surpris ◀de▶ voir nos deux chevaliers à pied et désarmés. Eh quoi ! Seigneurs chevaliers, leur dit-il, renoncez-vous à ◀la▶ profession, et ◀le▶ péril vous fait-il peur ? Personne n’a ici dessein ◀de▶ vous contraindre, mais avant que de vous en aller, il me semble que vous auriez dû prendre honnêtement congé. — Monseigneur, lui répondit Don Quichotte, je serais au désespoir qu’un autre allât plus avant que moi contre ◀les▶ ennemis, et si vous voulez vous en reposer sur moi seul, je me charge ◀de▶ ◀l’▶aventure, et ◀de▶ purger ◀la▶ forêt des brigands qui s’y cachent. Au reste nous avons des raisons pour sortir comme nous sommes ; mais ce n’est point pour fuir ni pour éviter ◀d’▶en venir aux mains. — Eh ! qui sont-elles ces raisons ? demanda ◀le▶ duc avec beaucoup de douceur. — Bouche close, interrompit Sancho, en parlant à son maître, et en se serrant ◀les▶ deux lèvres ◀de▶ ses deux doigts. — Eh quoi ! Chevalier Sancho, lui dit ◀le▶ duc, c’est vous que je croyais ◀de▶ mes bons amis, et vous empêchez ◀le▶ seigneur Don Quichotte ◀de▶ me découvrir vos secrets. — Oui, Monseigneur, répondit Sancho, il y a temps ◀de▶ parler et temps ◀de▶ se taire ; trop parler nuit, et trop gratter cuit. — Si cela est ainsi, leur dit ◀le▶ duc, je ne m’en informerai pas davantage, mais du moins avant que de sortir venez avec moi pour décider des moyens ◀de▶ ◀l’▶attaque et des marques que nous prendrons pour nous reconnaître. Don Quichotte et Sancho ◀le▶ suivirent, et pendant ce temps-là on fit sortir leurs chevaux et leurs armes, qu’on alla attacher à des arbres au même endroit où Eugénie avait été sauvée, et des gens montèrent sur des arbres prochains pour ◀les▶ garder, crainte ◀d’▶accident, jusqu’à ◀l’▶arrivée ◀de▶ nos braves. On mit encore avec ◀les▶ armes un bon pâté, deux grosses bouteilles ◀de▶ cuir pleines ◀de▶ vin, un pain, et un gobelet ◀d’▶argent ciselé sans aucune armoirie.
Lorsque ◀le▶ duc crut avoir assez donné ◀de▶ temps à Parafaragaramus pour exécuter ce qu’il lui avait ordonné, il laissa aller nos chevaliers, qui se rendirent en diligence à ◀l’▶endroit qui leur avait été marqué, où ils trouvèrent chacun leur affaire attaché en trophée avec des écriteaux chargés des noms ◀de▶ celui à qui chaque armure était destinée. Ils furent charmés ◀de▶ ◀la▶ beauté des armes, qui étaient si polies et dorées si proprement, que rien n’y manquait. Tout ce que Sancho y trouva ◀de▶ mal, c’est qu’elles étaient extrêmement pesantes, comme elles ◀l’▶étaient en effet, parce que pour ◀les▶ mettre tout à fait à ◀l’▶épreuve des armes à feu, ◀le▶ duc avait fait couler entre ◀le▶ fer et ◀le▶ cuir qui ◀les▶ doublait des mains ◀de▶ papier bien battues en double ; mais leurs chevaux, qui étaient deux forts allemands faits au feu, et accoutumés aux coups ◀de▶ mousquets et ◀de▶ pistolets, étaient assez forts pour n’en être pas surchargés.
Ils s’armèrent promptement, et allaient monter à cheval lorsque Sancho prenant son écu, vit dessous tout ◀l’▶apprêt ◀d’▶un déjeuner qu’on y avait mis. Tout beau, Chevalier, dit-il à son maître, prenons toujours, nous ne savons qui nous prendra ; un bon tien vaut mieux que deux tu ◀l’▶auras ; ceci mérite bien que nous nous arrêtions un peu, notre bon ami Parafaragaramus est trop civil pour nous laisser partir à jeun, et si cela est aussi bon qu’il a bonne mine, nous ne ferons pas mal ◀de▶ boire un coup à sa santé. En disant cela il s’assit sur ◀l’▶herbe, et obligea Don Quichotte ◀d’▶en faire autant. Il parla encore pendant ◀le▶ repas ◀de▶ ◀la▶ pesanteur ◀de▶ ses armes. Tu ne dois pas t’en étonner, lui dit son maître, ◀les▶ hommes ◀d’▶autrefois étaient bien plus forts et plus grands que ceux ◀d’▶à présent ; ◀la▶ nature dépérit tous ◀les▶ jours, et outre cela Pinabel était un larron extrêmement vigoureux, comme je te ◀le▶ dirai une autre fois. — Quoi ! dit Sancho, Parafaragaramus me donne ◀les▶ armes ◀d’▶un larron pour en aller défaire d’autres, pardi je n’en veux point, elles me porteraient gui-gnon. — Eh ! mon enfant, lui dit Don Quichotte, ne sais-tu pas bien qu’on ne combat jamais mieux ◀les▶ méchants qu’avec leurs propres armes ?
Ils auraient plus longtemps parlé et mangé, car ◀la▶ station plaisait fort à Sancho, si ◀le▶ duc ne fût arrivé suivi ◀de▶ toute sa troupe au nombre de plus ◀de▶ cent hommes. Il contrefit ◀l’▶étonné ◀de▶ ◀les▶ voir si bien armés. Don Quichotte, qui mourait ◀d’▶impatience ◀de▶ se signaler, voulait brusquement entrer dans ◀la▶ forêt, mais ◀le▶ duc lui dit qu’il fallait qu’une partie ◀de▶ son monde en fît ◀le▶ tour, afin que qui que ce fût ne pût s’échapper, et qu’on se reconnaîtrait au son du cor que chaque troupe aurait. Pendant cette manière ◀de▶ conseil ◀de▶ guerre, Sancho avait plié bagage, et avait mis ◀le▶ pâté et ◀le▶ pain ◀d’▶un côté à ◀l’▶arçon ◀de▶ ◀la▶ selle ◀de▶ son cheval, et ◀la▶ bouteille ◀de▶ l’autre. ◀Le▶ duc ◀les▶ questionna sur leurs armes et leurs chevaux qui étaient en bon ordre, et leur dit qu’il soupçonnait là-dedans ◀de▶ ◀la▶ nécromancie. Pardi, Monseigneur, lui dit Sancho tout gaillard, tant de ◀l’▶état où il se voyait, que ◀d’▶une bouteille qu’il avait presque vidée seul, il fait bon avoir des amis partout, et en enfer comme ailleurs. Il y a ◀de▶ maudits enchanteurs qui nous piquent comme guêpes, mais il y en a aussi qui sont ◀de▶ nos amis. Patience, nous ◀les▶ reconnaîtrons ; laissez-nous seulement aller, et vous verrez beau jeu. — Allez à ◀la▶ bonne heure, dit ◀le▶ duc qui avait divisé sa troupe en quatre, afin d’entrer ◀de▶ quatre côtés.
Notre intrépide chevalier, sans affecter aucune troupe, se jeta dans le premier chemin qu’il trouva, et ne suivant que ses visions, allait ◀le▶ plus vite qu’il pouvait. Sancho ◀le▶ suivit, et comme ils étaient tous deux parfaitement bien montés, ils furent bientôt éloignés et hors de vue. Ils allèrent longtemps dans ◀la▶ forêt sans trouver personne ; mais enfin étant arrivés dans un fond où ils virent deux ou trois petits chemins frayés, ils en suivirent un qui ◀les▶ conduisit à ◀l’▶entrée ◀d’▶une caverne, qui servait ◀de▶ retraite aux bandits qu’ils cherchaient. On doit se ressouvenir que ces bandits étaient ◀les▶ diables forgerons que notre héros avait mis en fuite, et qui s’étaient joints aux coupe-jarrets que Don Pedre et Octavio avaient rassemblés. Don Quichotte et son écuyer voulurent entrer ◀l’▶épée à ◀la▶ main dans cette caverne, mais ils furent aussitôt salués ◀d’▶une décharge ◀de▶ coups ◀de▶ mousquets et ◀de▶ pistolets. Heureusement pour eux ◀les▶ coups étaient tirés ◀de▶ trop près, et outre cela n’avaient pas assez ◀de▶ force pour percer leurs armes, qui étaient à ◀l’▶épreuve. Elles furent néanmoins extrêmement faussées, et ◀la▶ violence ◀de▶ cette charge fut si forte, que nos deux chevaliers en perdirent ◀la▶ respiration, et furent renversés sur ◀la▶ croupe ◀de▶ leurs chevaux, et ◀de▶ là glissèrent à terre. ◀La▶ croyance qu’eurent ◀les▶ bandits ◀de▶ ◀les▶ avoir tués, fut ce qui leur sauva ◀la▶ vie. Il est pourtant certain qu’ils se seraient très mal trouvés ◀de▶ leur témérité, si une des troupes attirée par ◀le▶ bruit ne fût venue à leur secours. Elle arriva justement dans ◀le▶ temps qu’il fallait, puisque c’était dans le moment que nos aventuriers reprenaient connaissance.
Cette troupe étant à ◀l’▶ouverture ◀de▶ ◀la▶ caverne fit feu bien vivement, et ◀les▶ voleurs y répondirent en gens désespérés. Ce grand bruit acheva ◀de▶ faire revenir nos chevaliers ◀de▶ ◀l’▶étourdissement où ils étaient. Ils se relevèrent, et ne se sentant point blessés, et voyant encore leurs chevaux qui n’avaient pas branlé, ils crurent effectivement que leurs armes étaient enchantées, et n’hésitèrent pas ◀de▶ se jeter dans cette caverne avec beaucoup de résolution. On ◀les▶ y suivit à pied, ◀l’▶épée ◀d’▶une main et ◀le▶ pistolet ◀de▶ l’autre. Ceux des bandits qui n’avaient point été tués à cette charge, voyant bien qu’il leur était impossible ◀de▶ résister à tant de gens, quittèrent ◀la▶ partie, et se sauvèrent par ◀de▶ petites routes souterraines par lesquelles cette caverne avait des issues inconnues à ceux qui auraient entrepris ◀de▶ ◀les▶ y attaquer. Don Quichotte et Sancho après ◀l’▶avoir parcourue toute malgré ◀l’▶obscurité qu’il y faisait, étaient prêts ◀de▶ revenir sur leurs pas lorsqu’ils entendirent une voix qui ◀les▶ appelait. Ils y allèrent, et trouvèrent un homme lié et couché sur ◀de▶ ◀la▶ paille. Ils ◀le▶ délièrent, et ◀l’▶amenèrent à un plus grand jour, où il fut reconnu par des gens du château ◀de▶ Valerio qui étaient ◀de▶ ◀la▶ troupe pour ce même gentilhomme qui s’en était fui, lorsque Don Pedre et Octavio avaient voulu la première fois emmener Eugénie.
Ils furent présentés au duc de Médoc, qui arriva dans ◀le▶ moment, attiré aussi par ◀le▶ bruit ◀de▶ ◀la▶ mousqueterie. Celui-ci ne lui reprocha point sa lâcheté, ◀d’▶avoir abandonné sa maîtresse, et il se contenta ◀de▶ lui demander ce qu’il faisait là. Il répondit, qu’après avoir quitté ◀la▶ comtesse, ◀la▶ peur ne lui avait pas permis ◀de▶ voir quel chemin il prenait, et qu’il était venu justement s’enfourner dans cette même caverne, où ◀les▶ voleurs s’étaient rassemblés peu de temps après. Qu’il avait appris là qu’Octavio avait été dévoré par un ours, Valerio tué, Eugénie sauvée, et Pedraria arrêté. Que Don Pedre qui avait reconnu son cheval, ◀l’▶avait fait chercher, et qu’on ◀l’▶avait trouvé dans ◀l’▶endroit où il s’était caché. Que d’abord Don Pedre avait voulu ◀le▶ tuer, mais que peu après il avait changé ◀de▶ sentiment, et lui avait fait promettre, que sitôt qu’il serait guéri des blessures qu’il avait reçues à ◀la▶ cuisse et au bras, il retournerait chez Valerio, et faciliterait ◀l’▶entrée du château à lui et aux siens pour poignarder ◀le▶ comte, ◀la▶ comtesse et tous leurs gens, et piller toutes ◀les▶ richesses qui étaient chez eux. Qu’il lui avait tout promis pour éviter ◀la▶ mort présente ; mais que quatre jours après, plusieurs ◀de▶ ces bandits, qui étaient allés chercher des vivres, étaient revenus bien blessés, et qu’il avait appris ◀d’▶eux, qu’ayant voulu attaquer un carrosse plein ◀de▶ femmes et ◀l’▶amener, pour avoir ◀les▶ chevaux dont ils manquaient, ils s’étaient battus à deux reprises contre des Français, et un démon sous ◀la▶ figure ◀d’▶un homme qui leur avait repris ◀le▶ carrosse, ôté Eugénie qu’ils tenaient encore, et tué huit ◀de▶ leurs camarades, et entre autres Don Pedre. Que n’ayant plus ◀de▶ chef, et se doutant bien qu’ils seraient bientôt attaqués, ils avaient résolu ◀d’▶aller chez Valerio, tuer tout ce qu’ils y trouveraient, piller ◀le▶ château, et après cela se retirer en France, ou se joindre aux bandits et miquelets des Pyrénées. Et qu’ils auraient exécuté leur résolution dès ◀la▶ veille, s’ils n’avaient pas appris par ceux qui avaient été aux provisions, que ◀le▶ duc d’Albuquerque y était resté avec son monde, joint à cela qu’ayant su, que vous,
Monseigneur, y étiez arrivé dès avant-hier avec un gros cortège, ils n’avaient différé leur dessein que jusques à votre départ ◀de▶ l’un ou ◀de▶ l’autre : qu’au reste ils étaient encore vingt-huit hommes, tous gens ◀de▶ sac et ◀de▶ corde, bien résolus, et tellement fermes dans leur résolution, qu’ils avaient envoyé un des leurs vers ◀le▶ fameux Roque, pour lui demander sa jonction, et lui offrir ◀de▶ partager ◀le▶ butin avec lui et ses gens ; mais qu’heureusement celui qui y était allé, était revenu ◀la▶ nuit même leur dire, que Roque avait été vendu et livré à ◀la▶ sainte Hermandad, et tous ses gens dissipés.
◀Le▶ duc de Médoc ayant entendu cette relation, renvoya chez Valerio ce gentilhomme et ceux des siens qui avaient été blessés, et fit compter ◀les▶ bandits qui avaient été tués. On en trouva huit roides morts et deux hommes ◀de▶ justice : reste à vingt, dit-il, qu’il faut avoir morts ou vifs ; allons, Messieurs, ajouta-t-il, poursuivons notre quête.
Nos deux chevaliers, qui, sans attendre ses ordres, avaient remonté à cheval, étaient déjà bien loin, et avaient trouvé quatre ◀de▶ ces bandits qui s’échappaient, lesquels se voyant poursuivis, firent volte-face, dans ◀la▶ résolution ◀de▶ se bien vendre. Ils donnèrent dessus ◀l’▶épée au poing ◀d’▶estoc et ◀de▶ taille. Sancho, bien persuadé qu’il était invulnérable, imita son maître ◀le▶ mieux qu’il pût, de sorte que, quelque résistance que ces hommes pussent faire, nos aventuriers en mirent deux sur ◀la▶ place, et des gens du lieutenant étant venus aux coups ◀de▶ pistolets, notre héros leur abandonna ◀les▶ deux autres, et ◀les▶ pria ◀de▶ leur sauver ◀la▶ vie. Eh bon, bon, dit Sancho, plus ◀de▶ morts et moins ◀de▶ mangeurs ; tuez, tuez, Messieurs, ou je m’en vais ◀les▶ pendre tout à ◀l’▶heure. En disant cela il mit pied à terre, alla à eux, et s’approchant ◀d’▶un dont ◀l’▶épée était cassée, lui passa la sienne dans ◀le▶ corps. L’autre voyant qu’il n’y avait point ◀de▶ quartier à espérer, aima mieux se faire tuer que ◀de▶ se rendre, et se battit avec tant de résolution, que malgré ◀le▶ nombre des assaillants, il en mit deux hors de combat.
Sancho qui vit que ◀les▶ gens ◀de▶ justice dépouillaient et fouillaient ◀les▶ morts, ◀les▶ imita, et heureusement pour lui, celui à qui il s’adressa, était ◀le▶ trésorier ◀de▶ ◀la▶ troupe, et avait tout ◀l’▶argent que Don Pedre et Octavio lui avaient confié ; en sorte que Sancho trouva un sac plein ◀d’▶écus ◀d’▶or et ◀de▶ pis-toles ◀d’▶Espagne. Il ◀le▶ mit promptement dans sa poche sans ◀le▶ montrer à personne, crainte ◀d’▶être obligé ◀de▶ partager son butin. Cette bonne aventure ◀le▶ mit encore en goût et augmenta sa bonne humeur. Il remonta à cheval et suivit son maître qui était déjà assez éloigné. Sancho ◀l’▶ayant rejoint lui fit rapport ◀de▶ sa bonne fortune, et il lui dit, qu’il ne savait pas combien il y avait ◀d’▶argent dans ◀le▶ sac : mais qu’il était bien lourd. — J’en ai ◀de▶ ◀la▶ joie, lui dit Don Quichotte, cela t’appartient ◀de▶ bonne guerre. — Non pas à moi seul, Monsieur, lui dit ◀le▶ fidèle écuyer, car c’est celui que vous avez tué. — Nous parlerons ◀de▶ cela une autre fois, ami Sancho, lui dit-il, toujours puis-je te dire, que je te sais bon gré ◀de▶ ton bon cœur, et je te donne ◀le▶ tout, à condition que tu ne me diras plus que nous faisons ◀le▶ métier ◀d’▶archers ou ◀de▶ sergents : , cependant donne-moi à boire un coup, je t’avoue que j’ai soif. — Et moi faim et soif, reprit Sancho ; mettons pied à terre, mon cher maître. — Non, non, dit Don Quichotte, il faut voir ◀la▶ fin ◀de▶ ◀l’▶aventure. Us burent donc seulement un coup à cheval, et Sancho qui avait ◀le▶ cœur gai, ne put s’empêcher ◀de▶ parler selon son naturel glouton. Tenez, Monsieur, dit-il, j’aime mieux cet argent-là que tous ◀les▶ gouvernements du monde, et surtout ceux des îles Barataria ; car avec mon argent je trouverai ◀de▶ quoi vivre, à boire et à manger tout mon saoul, et dans mon gouvernement ◀le▶ docteur Pedro Rezio de Tirtafuera me voulait faire mourir ◀de▶ faiM. Mais à propos, mon cher maître, ce n’est pas une grande peine quand on a des armes enchantées, ◀de▶ tuer des gens qui ne peuvent vous faire aucun mal. Don Quichotte lui promit ◀de▶ lui répondre là-dessus une autre fois, ce que ◀le▶ temps présent ne lui permettait pas ◀de▶ faire ; ensuite ayant assez repu, ils continuèrent leur quête.
Cependant ◀les▶ autres troupes étaient toutes rassemblées, après avoir chacune ◀de▶ son côté traversé une partie ◀de▶ ◀la▶ forêt sans rien trouver ; et comme ◀le▶ jour était déjà fort avancé, ◀le▶ duc avait fait résoudre qu’on arrêterait le premier bandit qu’on trouverait sans lui faire aucun mal, et qu’on ◀l’▶assurerait même ◀de▶ lui sauver ◀la▶ vie, pourvu qu’il découvrît ◀les▶ retraites des autres, et en facilitât ◀la▶ prise. Ce conseil réussit tout à propos ; parce que, comme on en eut aperçu deux montés au haut ◀d’▶un arbre, on alla à eux ; mais ◀la▶ peur dont ils furent saisis en fit tomber un ◀de▶ si haut, qu’il se brisa tout ◀le▶ corps et resta mort sur ◀la▶ place. ◀Le▶ duc parla à l’autre avec tant de douceur, qu’il se laissa gagner aux promesses qu’il lui fit, et étant descendu, conduisit ◀la▶ troupe dans tous ◀les▶ endroits ◀de▶ ◀la▶ forêt où ils se retiraient ; on y en trouva huit dont il n’y en eut que deux qui se défendirent et qui se firent tuer, ◀les▶ six autres étant hors de combat par ◀les▶ blessures qu’ils avaient reçues, tant à ◀l’▶assaut ◀de▶ ◀la▶ caverne, que par ◀les▶ actions où ils s’étaient trouvés contre Sainville et Deshayes. ◀La▶ longue traite qu’ils avaient faite pour se sauver, et ◀le▶ sang qu’ils avaient perdu ayant tout à fait épuisé leurs forces, ils furent pris vifs et remis entre ◀les▶ mains des gens du lieutenant, qui, avec du vin leur raffermirent ◀le▶ cœur, et après cela ◀les▶ firent porter dans une charrette, qu’on envoya quérir à ◀la▶ même prison où était Pedraria.
Il ne restait plus que six ◀de▶ ces malheureux à trouver, mais il fut impossible ◀d’▶en venir à bout dans ◀la▶ forêt. Ils étaient tous six ensemble, bien résolus ◀de▶ se défendre jusques à la dernière goutte ◀de▶ leur sang. Ils avaient reconnu ◀les▶ couleurs et ◀les▶ bandolières du duc de Médoc, sur ◀le▶ corps ◀de▶ ceux qui étaient venus au secours ◀de▶ notre héros qui ◀les▶ avait attaqués le premier dans leur caverne ; et ils ne doutaient pas que ce ne fût lui qui leur avait dressé cette partie ; et comme ils ne croyaient pas qu’il eût osé entrer dans ◀la▶ forêt, ni se commettre avec des gens comme eux, ils avaient résolu ◀de▶ venger leur mort par la sienne ; ainsi au lieu de se cacher dans leurs retraites ordinaires, ils avaient quitté ◀le▶ bois, et s’étaient jetés du côté du chemin du château ◀de▶ Valerio, et en tournant ◀le▶ dos à ceux qui ◀les▶ cherchaient, ils croyaient trouver ◀le▶ duc seul, ou du moins peu accompagné et hors ◀d’▶état ◀de▶ leur résister ; mais au lieu de lui, ils trouvèrent ◀la duchesse son épouse.