(1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XL. Des armes enchantées que les deux chevaliers reçurent de Parafaragaramus, avec des chevaux infatigables. »
/ 33
(1715) Continuation de l’histoire de l’admirable Don Quichotte de La Manche (livre troisième) « Chapitre XL. Des armes enchantées que les deux chevaliers reçurent de Parafaragaramus, avec des chevaux infatigables. »

Chapitre XL.
Des armes enchantées que les deux chevaliers reçurent de Parafaragaramus, avec des chevaux infatigables.

Ils avaient déjà tous deux les yeux fermés lorsqu’ils furent réveillés par une voix de tonnerre, qui par ces paroles les retira tous deux des premières douceurs du sommeil.

Ecoute-moi, brave Don Quichotte, vrai miroir de la Chevalerie errante, honneur de la Manche, modèle de tous les chevaliers passés, présents et futurs. Je suis l’enchanteur Parafaragaramus, le plus grand et le meilleur de tes amis, à cause du service que tu as rendu à la comtesse Eugénie, à qui je donne bien souvent à boire et à manger ; c’est par mon art que tu t’es trouvé aux occasions de lui être utile. Fie-toi sur ma parole, tu délivreras dans peu la princesse Dulcinée du Toboso, et tu la reverras dans sa première beauté, l’aventure t’en est réservée, et je t’en ouvrirai les chemins, mais le moment n’est pas encore venu. C’est par mon art de nécromancie que ton épée s’est cassée lorsque tu as délivré la comtesse ; laisse celle que tu portes, et j’aurai soin de te pourvoir d’une autre. Tu trouveras demain à l’entrée de la forêt, au même endroit où tu as retiré la comtesse des mains de ses ravisseurs, un cheval que je te destine, que monta autrefois le fameux Largail, des armes dont se servit Rodomont, et l’épée de Roger ; elles te serviront contre tous les enchantements, et par elles tu seras toujours victorieux dans les plus grandes aventures de ta vie. Le chevalier Sancho trouvera aussi un cheval, des armes et l’épée de Pinabel. Sortez tous deux à la pointe du jour, à pied, et sans épée, et donnez-vous de garde de dire votre secret à personne, car tout disparaîtrait.

Cette effroyable voix cessa à ces paroles, et laissa notre chevalier transporté de joie. Pour Sancho, il fut du temps à se remettre de la peur qu’il avait eue, mais enfin il reprit ses sens. Tu vois, ami Sancho, dit Don Quichotte, que les bonnes actions ne sont pas sans récompense. —  Eh pardi, reprit Sancho, Parafaragaramus est bon homme, il aime à rire et à boire, et je l’aime à cause de cela. Mais, Monsieur, poursuivit-il, il y a donc aussi d’honnêtes gens en enfer ? Don Quichotte ne sut que répondre, ou ne le voulut pas. Ah ! Dame de mes pensées, s’écria-t-il, illustre Dulcinée du Toboso, votre chevalier aura donc le bonheur de rompre l’enchantement qui vous retient. Sancho ne savait que penser de cet article, c’est pourquoi il ne voulait pas tout à fait s’expliquer, et commençait même à croire qu’elle était effectivement enchantée. Il s’endormit sur cette pensée, et notre héros passa toute la nuit à songer à son bonheur.

Le lecteur est déjà dans l’impatience de savoir quelle était cette voix, il faut l’en retirer, et lui dire que le duc de Médoc avait questionné l’officier sur tout ce qui était arrivé à Don Quichotte et à Sancho ; celui-ci lui avait dit tout ce qu’il en savait, et là-dessus le duc avait imaginé, et en même temps résolu d’exécuter deux choses ; l’une, au sujet du désenchantement de Dulcinée, que nous verrons dans la suite ; et l’autre, au sujet du combat du lendemain.

Il connaissait assez la bravoure et l’intrépidité de notre héros, pour savoir jusques où son courage le porterait dans la forêt ; il prévoyait bien aussi que Sancho ne le quitterait pas d’un pas ; il aurait bien voulu ne les point exposer contre des bandits ; mais dans le fond, outre que Don Quichotte n’aurait pas trouvé bon que l’affaire se fût passée sans lui, le duc voyait bien qu’il lui serait d’un grand secours, et qu’après tout c’était la mort la plus glorieuse qui pût arriver à deux fous, que de perdre la vie en servant le public ; d’un autre côté il voyait bien que l’occasion serait chaude et de fatigue, et que les chevaux de nos aventuriers n’étaient point assez forts pour la supporter, ni leurs armes assez bonnes pour résister au mousquet et au pistolet ; ainsi il avait jugé à propos de les armer par cette voie étant bien persuadé que l’estime qu’ils feraient de leurs armes et de leurs chevaux, qu’ils croiraient tenir de la main d’un enchanteur, leur ami, les animerait davantage, et relèverait le courage, surtout de Sancho, qui lui paraissait abattu par la conversation qu’il avait eue avec Don Quichotte, et que lui et Parafaragaramus avaient écoutée.

Ainsi quand nos aventuriers cessèrent de parler, le duc se retira à son appartement. Il fit prendre à l’officier de Valerio un entonnoir, qu’il fit attacher à une sarbacane, et par un trou de fenêtre qui répondait sur une jalousie, cet officier criant à pleine tête dans l’entonnoir, avait dit ce qu’on vient de lire.