Chapitre XXXVI.
Suite de▶ ◀l’▶histoire ◀de▶ Silvie et ◀de▶ Sainville.
J’en suis resté sur une partie ◀de▶ jeu, qui comme je vous ai dit, Madame, ne nous servait que ◀de▶ prétexte ; cette amie qui jouait avec nous, ne nous était point suspecte, parce qu’outre qu’elle savait ◀les▶ termes où nous en étions Silvie et moi, c’était ◀la▶ même Phénice, dont elle ne se défiait pas. Nous jouions fort tranquillement, en effet, nous ne regardions notre jeu que comme notre rendez-vous, n’y ayant ◀d’▶autre application que celle ◀de▶ nous parler des yeux, et ◀d’▶y remarquer toute ◀la▶ tendresse que nous avions l’un pour l’autre. Nous nous dîmes adieu Silvie et moi avec ◀les▶ plus tendres transports qui se puisse[nt] jamais ressentir : car, Madame, il faut enfin vous avouer tout, puisque vous m’avez défendu ◀de▶ vous rien déguiser, j’aimais Silvie plus encore que je ne m’en croyais aimé ; elle m’avait fait connaître que son plus ardent souhait était ◀de▶ passer sa vie avec moi, et que je ne ◀la▶ désobligerais pas ◀d’▶en faire ◀la▶ proposition à sa mère. Je vous ai dit, Madame, que ◀le▶ parti était très avantageux ; ainsi voyant ma fortune tout à fait d’accord avec mon cœur, j’étais dans un ravissement que je ne comprenais pas moi-même, et qui me mettait hors de moi.
Nous avions quitté ◀le▶ jeu en même temps que ◀les▶ autres, et en sortant je demandai à Silvie un moment ◀d’▶entretien particulier, afin de prendre ensemble des mesures justes pour faire en sorte que sa mère consentît à me rendre heureux ; et pour cela je ◀la▶ priai ◀de▶ me permettre ◀de▶ venir chez elle avant ◀l’▶heure du jeu, et ◀de▶ se trouver seule dans son cabinet, où je me rendrais ; elle me ◀le▶ promit, avec une petite rougeur qui acheva ◀de▶ me charmer.
J’avais trop ◀d’▶impatience pour y manquer. A peine eus-je dîné ◀le▶ lendemain, que j’allai à mon rendez-vous. Je trouvai Silvie à son clavecin ; figurez-vous tout ce que peuvent se dire deux personnes qui s’aiment, et qui n’ont point ◀de▶ temps à perdre. Je ◀l’▶aimais trop pour lui manquer ◀de▶ respect ; en effet, on en conserve beaucoup plus pour une personne qu’on veut épouser, que pour une autre ; outre que je craignais ◀de▶ lui déplaire par un emportement que je me figurais qu’elle interpréterait mal. Nous nous dîmes cependant tout ce qu’on se peut dire pour s’assurer l’un et l’autre ◀d’▶un amour réciproque et éternel, et nous nous fîmes toutes ◀les▶ caresses innocentes qui peuvent accompagner ces sortes ◀d’▶assurances. Elle me rassura contre ◀la▶ peur que j’avais ◀de▶ ◀l’▶avarice ◀de▶ sa mère, et me jura ◀de▶ n’être jamais qu’à moi. J’étais à ses pieds, et ne me relevai qu’au bruit que j’entendis dans ◀la▶ chambre ; elle m’embrassa, et m’ordonna ◀de▶ rester, ne voulant pas que ◀l’▶on me vît sortir ◀de▶ son cabinet avec elle, après y avoir été si longtemps seul à seul. Je fis ce qu’elle voulut, et un moment après être sortie, elle revint, et m’ayant dit ◀de▶ revenir ◀le▶ lendemain prendre une lettre qu’elle laisserait pour moi sous ◀la▶ housse du dernier siège ◀de▶ ◀la▶ salle du côté du miroir, elle me fit sortir ◀de▶ son cabinet par ◀l’▶entresol où couchait sa femme de chambre, qui répondait sur ◀le▶ grand escalier.
J’étais dans un tel transport ◀de▶ joie, que je craignis qu’on n’en découvrit ◀l’▶excès, et ◀de▶ peur qu’il ne parût, je n’entrai point dans ◀l’▶appartement où il y avait du monde ; je me retirai chez moi ◀l’▶esprit rempli ◀de▶ mille idées agréables ; j’y passai ◀le▶ reste ◀de▶ ◀la▶ journée et toute ◀la▶ nuit entière à rêver à mon bonheur, qui ne fut pas ◀de▶ longue durée.
J’allai ◀le▶ lendemain chez Silvie pour prendre ◀la▶ lettre qu’elle avait promis ◀de▶ m’écrire ; sa mère ni elle n’étaient point au logis ; elles étaient allées dîner et passer ◀l’▶après-midi chez cette dame dont je vous ai parlé, où elles allaient très souvent. Au lieu d’une lettre que j’espérais, je ne trouvai qu’un billet ◀de▶ deux lignes, qu’elle m’écrivait pour me faire excuse ◀de▶ ne m’avoir point tenu parole, sa mère ne ◀l’▶ayant point quittée. Je ne m’en mis pas plus en peine, et ◀la▶ remerciai dans mon cœur ◀de▶ m’avoir du moins tiré ◀d’▶inquiétude.
Je retournai chez elle ◀le▶ lendemain, et trois autres jours ◀de▶ suite, sans pouvoir lui parler, parce qu’on me dit qu’elle était malade ; mais je restai dans la dernière surprise, lorsque j’appris qu’elle n’était indisposée que pour moi. Je ◀la▶ vis enfin quelques jours après dans ◀l’▶appartement ◀de▶ sa mère, où ◀l’▶on jouait, mais elle ne fit pas semblant ◀de▶ me voir ; je ◀la▶ saluai néanmoins, et tâchai ◀de▶ lui dire un mot en particulier ; mais bien loin de vouloir concerter avec moi, elle me rebuta par des airs ◀de▶ mépris auxquels je n’étais point fait. Elle fit plus ; je m’aperçus qu’elle se faisait un plaisir ◀de▶ caresser Deshayes, et ◀de▶ lui faire des avances à mes yeux. Il me parut que ma présence ajoutait un nouveau lustre au sacrifice, et ne voyant là que des objets chagrinants, je n’en soutins pas longtemps ◀la▶ vue ; je pris ◀le▶ parti ◀de▶ me retirer, bien en peine ◀de▶ ce qui pouvait causer un si prompt changement. Je lui écrivis plusieurs fois ; elle me renvoya mes lettres cachetées sans ◀les▶ lire. J’allai trouver Phénice, pour savoir ◀d’▶elle en quoi j’avais offensé son amie. Elle ne put, ou plutôt elle ne voulut me rien dire, et me promit seulement ◀de▶ s’en expliquer avec elle. J’y retournai pour savoir ce qu’elle en aurait pu apprendre ; elle me dit que Silvie n’avait jamais voulu s’expliquer sur ce qui me regardait, et qu’elle lui avait fait promettre ◀de▶ ne lui jamais parler ◀de▶ moi. J’appris ◀de▶ tous côtés que partout où elle se trouvait avec sa mère et ses tantes, elle me déchirait, et disait ◀de▶ moi tout ce qu’on peut dire ◀d’▶un fourbe et ◀d’▶un très malhonnête homme. Je n’en fus point surpris pour ce qui était ◀de▶ ses tantes, mais il n’en fut pas de même ◀d’▶elle, dont ◀le▶ procédé me déconcerta. Enfin j’appris du bruit commun qu’elle allait épouser Deshayes, et que ◀le▶ contrat ◀de▶ mariage était signé.
Vous avouerai-je tout mon faible pour cette fille ? j’en fus au désespoir ; je me figurai qu’on ◀l’▶avait ensorcelée ; je ◀la▶ plaignis ◀de▶ son aveuglement ; je me persuadai qu’on ◀la▶ trompait ; ◀l’▶amour que j’avais pour elle ◀la▶ justifiait encore dans mon cœur ; je redoublai tous mes efforts pour ◀la▶ désabuser, et pour avoir un éclaircissement avec elle j’épuisai inutilement mon imagination ; je tentai toute sorte ◀de▶ moyens, mais son obstination fut plus forte que mes soins ; elle ne voulut jamais entendre parler ◀de▶ moi, ni lire mes lettres. Je n’avais plus ◀d’▶autre moyen pour empêcher ce fatal mariage, que ◀d’▶en venir aux mains avec Deshayes ; j’en cherchai ◀les▶ occasions ; je ne sais s’il s’en douta, mais il me fut impossible ◀de▶ ◀le▶ rencontrer dans un lieu commode. Enfin ◀le▶ chagrin, ◀la▶ fatigue, et surtout mon désespoir, me firent effectivement tomber malade.
Ma maladie fut longue, et ◀l’▶abattement où elle me mit ayant tempéré ◀les▶ ardeurs ◀de▶ ma rage, j’appris sans désespoir, mais avec beaucoup de surprise et ◀de▶ douleur, qu’elle avait épousé Deshayes. J’accusai son inconstance ; je me persuadai qu’elle ne m’avait jamais aimé, et que ◀l’▶amour que j’avais cru qu’elle avait pour moi, n’était qu’un ◀de▶ ces feux passagers si communs aux jeunes gens. Je crus que c’était un assez grand malheur pour elle ◀d’▶avoir épousé Deshayes, pour me croire encore trop vengé ◀de▶ son infidélité ; ainsi je bornai toute ma vengeance à ◀les▶ laisser vivre ensemble, à ◀les▶ mépriser également tous deux, et surtout à ne lui parler ◀de▶ ma vie.
Cette résolution rétablit ma santé. Je sortis environ un mois après leur mariage, et par cas fortuit, j’allai me promener à Luxembourg, où elle se trouva aussi. Je m’aperçus qu’elle me regardait avec attention, et même avec des yeux humides ; elle me parut fort changée et son teint extrêmement terni. Phénice était avec elle. Je ne sais si ◀l’▶amour propre me fit voir ◀les▶ objets autrement qu’ils n’étaient, mais je crus m’apercevoir qu’elles auraient souhaité me parler ; je ne fis pas semblant ◀de▶ ◀la▶ voir, et je revins chez moi agité ◀de▶ mille différentes pensées. Depuis ce temps-là, c’est-à-dire depuis environ trois mois que Deshayes était allé à ◀la▶ campagne, ou qu’elle était maîtresse ◀d’▶elle-même, elle est venue dans tous ◀les▶ lieux où elle sait que je vais ◀d’▶ordinaire ; elle a toujours tâché ◀de▶ me parler, et je ◀l’▶ai toujours évitée avec soin, sans affectation pourtant et sans incivilité. Enfin au retour ◀de▶ son mari, depuis environ un mois, elle s’est séparée d’avec lui, et leur divorce, dont ◀la▶ cause m’est inconnue, fait un fort grand ; éclat dans ◀le▶ monde ; et pour accomplir votre souhait, Madame, je vous dirai que c’est elle que j’ai sauvée, et à qui vous avez donné retraite, et que c’est son mari qui voulait ◀la▶ faire enlever, à ce que ◀La▶ Roque m’a dit en mourant. Je n’ai pu me dispenser ◀de▶ lui parler chez vous ; il m’a paru qu’elle se repent du change, du moins elle m’a assuré qu’elle m’a toujours aimé, et qu’elle avait été surprise par des impostures effroyables ; je ◀les▶ ignore, mais mon indignation pour elle est trop bien fondée pour renouer jamais aucun commerce avec elle. Voilà, Madame, ce que vous avez voulu savoir ◀de▶ moi, et je sais bien encore que vous seule pouvez me convaincre qu’il y a dans ◀le▶ monde des femmes sans faiblesses.
Je vous plains, mon pauvre Sainville, lui dit obligeamment ◀la▶ marquise après qu’il eut fini, et je vous plains ◀d’▶autant plus que je vois bien que vous ◀l’▶aimez encore. Je ne sais si c’est ◀la▶ seule curiosité qui m’occupe, ou si c’est ◀l’▶intérêt que je prends dans votre commun malheur, mais il me semble que vous auriez dû vous instruire avec elle des impostures qu’elle dit vous avoir été faites, quand ce ne serait qu’afin de prendre des mesures pour ◀l’▶avenir : car je suis fort trompée si ◀l’▶aventure n’est poussée plus avant, et elle ne me paraît pas aux termes ◀d’▶en demeurer où elle en est. — Je ◀le▶ crains comme vous, lui répondit tristement Sainville. Deshayes sait que je ◀l’▶ai aimée, et que je ne lui étais pas indifférent ; il aura su que c’est moi qui ◀l’▶ai arrachée ◀de▶ ses mains, et cela aura redoublé son acharnement contre elle. Je vous avoue que quoiqu’elle n’ait que ce qu’elle mérite, je ne laisse pas ◀d’▶être sensiblement touché ◀de▶ son infortune, et que je voudrais ◀la▶ voir plus heureuse. — Elle sait vivre, reprit ◀la▶ marquise, et je ne doute pas qu’elle ne me rende visite, quand ce ne serait que pour me remercier ◀de▶ ◀la▶ retraite que je lui ai donnée. Lorsqu’elle sera ici, je ◀l’▶obligerai à me parler ◀de▶ vous à fond, et je ne crois pas qu’elle me refuse ◀de▶ s’expliquer, surtout après m’avoir dit qu’elle avait mille choses à m’apprendre, qui ne peuvent, ou je serais trompée, regarder que vous, et je vous promets ◀de▶ vous redire tout ce qu’elle m’aura dit. Jusqu’à ce temps-là ne vous chagrinez point, songez que j’ai besoin ◀de▶ vous, et que votre tranquillité ◀d’▶esprit m’est absolument nécessaire dans ◀l’▶état où je suis.
Deux jours après cette conversation Silvie vint chez ◀la▶ marquise, où était Sainville, et qui en sortit après quelques civilités. ◀La▶ marquise voulait ◀le▶ rappeler, mais Silvie ne fit voir aucun dessein ◀de▶ ◀le▶ retenir ; ◀la▶ marquise ne s’obstina pas à ◀le▶ faire revenir, voyant d’ailleurs que sa présence donnait ◀de▶ ◀la▶ confusion à Silvie, qui était toute défaite. Elle lui fit donner un fauteuil, et ◀la▶ laissa remettre ◀de▶ son trouble. Après quelques moments ◀de▶ silence Silvie prit ◀la▶ parole la première. Elle remercia ◀la▶ marquise des bontés qu’elle avait eues pour elle ; et celle-ci qui avait son dessein, fit insensiblement tomber ◀la▶ conversation sur Sainville, et ◀la▶ pria ◀de▶ se souvenir ◀de▶ ◀la▶ parole qu’elle lui avait donnée.
◀Les▶ larmes vinrent aux yeux de Silvie, et quoiqu’elle ne fût venue que dans ◀le▶ dessein ◀de▶ décharger son cœur, elle parut tout à coup dans un état digne ◀de▶ pitié. ◀La▶ marquise ◀la▶ consola du mieux qu’elle put. ◀Le▶ coup est là, Madame, lui dit Silvie, en mettant ◀la▶ main à ◀l’▶endroit du cœur, mais du moins avant que de mourir, aurai-je ◀la▶ triste satisfaction ◀d’▶inspirer à Sainville autant ◀de▶ pitié que ◀de▶ haine. — Il ne vous hait point, Madame, lui dit ◀la▶ marquise. — Quand il me haïrait, Madame, reprit tristement Silvie, sa haine m’est trop due pour m’en plaindre ; mais je puis dire qu’il y a dans mon procédé pour lui plus ◀de▶ faiblesse que ◀d’▶inconstance et ◀de▶ malice ; on a surpris ma jeunesse ; on m’a inspiré une fierté hors de saison ; et ◀de▶ ◀la▶ plus heureuse ◀de▶ toutes ◀les▶ femmes que je serais à présent, si j’avais suivi ◀les▶ mouvements ◀de▶ mon cœur, on m’en a rendu ◀la▶ plus infortunée. Je vais, Madame, vous instruire ◀de▶ tout. ◀L’▶estime que Sainville a pour vous, m’est un garant certain du secret que je vous demande pour tout autre que pour lui, et vous ne lui direz que ce [que] vous jugerez à propos qu’il sache ◀de▶ ce que vous allez apprendre. Je ne me suis point empressée ◀de▶ ◀le▶ retenir, parce que sa présence m’aurait gênée dans ce que j’ai dessein ◀de▶ vous dire, et qu’il m’a semblé qu’en n’avouant mes faiblesses qu’à une personne ◀de▶ mon sexe, elle aura plus ◀d’▶indulgence pour tous mes égarements, et moi plus ◀de▶ liberté et moins ◀de▶ confusion à ◀les▶ expliquer.
Après un moment ◀de▶ silence elle reprit ◀la▶ parole en ces termes : Si jeune que j’ai été, j’ai aimé Sainville, et à peine me suis-je connue, que j’ai connu que je ◀l’▶aimais plus que moi-même. J’ai été fort longtemps à lui faire des avances inutiles ; il ne ◀les▶ interprétait que comme des marques ◀d’▶une amitié ◀d’▶enfant. J’obligeais ma mère ◀d’▶aller nous promener partout où je savais qu’il allait, et ◀d’▶aller jouer chez ◀les▶ gens où je savais que nous ◀le▶ trouverions ; je ◀l’▶y voyais avec plaisir, et quoiqu’il ne jouât seulement qu’un fort petit jeu, je prenais part à ses pertes, et ◀le▶ gain qu’il faisait me réjouissait.
Je sais, interrompit ◀la▶ marquise, tout ce qui vous est arrivé à l’un et à l’autre jusqu’au jour que vous lui donnâtes rendez-vous dans votre cabinet, et que vous promîtes ◀de▶ lui écrire ; je sais qu’il ne trouva pas votre lettre, mais seulement un billet, qui ◀l’▶instruisait que vous n’aviez pas pu lui tenir parole, et qu’après cela vous ne voulûtes plus du tout entendre parler ◀de▶ lui, et que peu de temps après vous épousâtes Monsieur Deshayes ; et ce n’est que depuis deux jours qu’il m’en a fait ◀le▶ récit.
Il ne pouvait pas vous en dire davantage, Madame, reprit Silvie, lui-même ignore encore ◀les▶ fourberies qu’on nous a faites, et qui nous ont séparés. Je ne sais, continua-t-elle, s’il vous a dit que dans cette conversation nous nous dîmes tout ce qu’on se peut dire ◀d’▶engageant l’un l’autre ; mais quoique je me fusse expliquée plus que je ne devais, il ne me parut pas lui en avoir assez dit. Il est vrai que je me sentais une espèce ◀de▶ confusion ◀de▶ lui dire ◀de▶ bouche ce que je voulais qu’il sût, et étant persuadée que ◀le▶ papier ne rougissait pas, je me fis un vrai plaisir ◀de▶ lui écrire, pour lui découvrir tout mon cœur. Je n’eus pas ◀le▶ front ◀de▶ lui donner ma lettre en main propre, ◀la▶ honte m’en empêcha, et je me contentai ◀de▶ lui indiquer ◀l’▶endroit où il ◀la▶ trouverait ◀le▶ lendemain. Je ◀l’▶y mis en effet, mais elle fut prise par une autre main que la sienne ; et ◀le▶ billet qu’il trouva n’était qu’un billet supposé, qu’il ne put pas reconnaître, parce qu’outre que je ne lui avais jamais écrit, il ne connaissait point mon écriture, n’en ayant jamais vu.
Puisque c’est cette fatale lettre qui a causé tous mes malheurs, il faut, Madame, que vous sachiez ce qu’elle contenait, afin que vous connaissiez parfaitement ◀le▶ désespoir où je devais être lorsque je crus qu’elle avait été sacrifiée. Pardonnez à ma jeunesse et à mon amour pour Sainville, ◀la▶ force des expressions ; mais plus elles sont vives, plus vous pénétrerez au fond ◀de▶ mon cœur. En voici une copie qui m’a été remise en main, et que je vous supplie ◀de▶ lire. ◀La▶ marquise ◀la▶ prit et lut.
Vous avez eu raison ◀de▶ me dire qu’il n’y a point ◀de▶ plaisir plus sensible dans ◀le▶ monde, que celui que goûtent deux cœurs unis. Vous ne sauriez concevoir ◀la▶ vivacité des transports agréables qui m’agitent depuis que vous m’avez persuadée que vous êtes tout à moi. Je ◀le▶ souhaite trop pour vouloir en clouter ; cette incertitude me donnerait ◀la▶ mort. Je crois votre tendresse pour moi telle que vous me ◀l’▶avez figurée, et quoique j’aie fait les premières démarches ◀de▶ notre intelligence, je ne m’en repens point ; au contraire je me fais un plaisir en moi-même ◀de▶ ne devoir votre cœur qu’à mes soins. Il me semble que sur ce pied il doit être plus à moi, parce qu’outre ◀le▶ droit ◀de▶ tendresse que j’ai sur lui, j’ai encore celui ◀de▶ conquête. Mais, mon cher amant, mettez tout en œuvre pour achever ◀d’▶unir deux cœurs qu’un penchant réciproque a déjà joints ; adressez-vous à Madame… elle peut tout sur ◀l’▶esprit ◀de▶ ma mère, elle m’aime, et vous estime infiniment. Si vous pouvez ◀la▶ mettre dans nos intérêts, vous pouvez être sûr ◀de▶ votre conquête. Je ferai de mon côté tout ce qui me sera possible ; vous êtes trop honnête homme pour exiger ◀de▶ moi quelque démarche contraire à ce que je me dois à moi-même ; à cela près soyez certain que rien ne me sera impossible pour être à vous, ou du moins pour n’être ◀de▶ ma vie à qui que ce soit. Adieu, pressez ◀le▶ temps ◀le▶ plus que vous pourrez, et soyez bien persuadé qu’en avançant votre bonheur, si comme vous me ◀l’▶avez juré, vous ◀l’▶attachez à ma personne, vous avancerez aussi celui ◀de
▶Silvie
Vous voyez, Madame, reprit Silvie, après que ◀la▶ marquise eut lu, qu’il m’était impossible ◀d’▶écrire en termes plus forts ; cependant il est vrai que si j’en avais su de plus expressifs, je m’en serais servie sans scrupule. Mais, Madame, comme il vous est sans doute impossible ◀de▶ concevoir que ◀le▶ cœur ◀d’▶une jeune fille puisse être rempli ◀de▶ tant ◀d’▶amour, il vous est aussi impossible ◀de▶ concevoir ◀le▶ désespoir dont je fus saisie ◀le▶ lendemain, lorsque cette même lettre me fut rendue par une femme qui m’assura que Monsieur de Sainville ◀la▶ lui avait sacrifiée.
Cette femme était ◀la▶ baronne ◀de▶… dont ◀l’▶histoire a depuis peu fait trop ◀de▶ bruit dans ◀le▶ monde pour être ignorée ◀de▶ vous ; mais il n’est pas encore temps ◀de▶ vous dire ◀la▶ part que je fus obligée ◀de▶ prendre dans une des dernières aventures ◀de▶ sa vie. Sainville a dû vous parler ◀d’▶elle comme ◀d’▶une femme qu’on croyait en intrigue avec Deshayes.
Dès ◀le▶ lendemain que Sainville avait dû recevoir cette lettre, ◀la▶ baronne entra dans ma chambre, où je feignais ◀d’▶être malade, pour m’épargner ◀la▶ honte ◀de▶ paraître si tôt devant lui, après lui en avoir tant écrit. Elle me pria d’abord ◀de▶ faire sortir ma femme de chambre, parce qu’elle avait quelque chose ◀de▶ très grande conséquence à me dire en particulier. Sitôt que nous fûmes seules, à ce que je croyais, elle commença par me plaindre du mauvais choix que je faisais des gens que j’honorais ◀de▶ ma confiance et ◀de▶ mon amour.
Elle vit que ce mot m’alarmait, et me pria ◀d’▶écouter jusqu’au bout. Vous êtes jeune, Mademoiselle, poursuivit-elle ; c’est ◀la▶ plus belle qualité que puisse avoir une personne ◀de▶ notre sexe quand elle est jointe à autant ◀de▶ beauté et ◀d’▶esprit que vous en avez ; mais c’est celle aussi qui donne plus ◀de▶ moyen ◀de▶ ◀la▶ tromper, parce qu’à cet âge, où ◀l’▶expérience manque, on est rempli des illusions ◀de▶ ◀l’▶amour propre qui persuade que tout est, et sera en effet comme on ◀le▶ désire. Vous avez cru être aimée ◀de▶ Sainville ; vous lui avez abandonné votre cœur tout entier. Il serait trop heureux s’il en connaissait ◀le▶ prix, et c’est un bonheur pour vous qu’il ne ◀le▶ connaisse pas, parce qu’il est tout à fait indigne ◀de▶ ◀le▶ posséder. Ne m’interrompez point, ajouta-t-elle, j’ai bien d’autres choses à vous dire de plus grande conséquence, et vous connaîtrez quand vous m’aurez entendue qu’il faut vous aimer autant que je vous aime pour vous donner ◀le▶ chagrin que je vous donne, en vous découvrant et vous prouvant par des témoins irréprochables, ◀la▶ vérité ◀d’▶un secret que je voudrais pouvoir me cacher à moi-même.
Cette morale et ce préambule, que je n’attendais pas ◀d’▶une femme qui ne passait ni pour pédagogue, ni pour un exemple ◀de▶ vertu, m’obligèrent à lui donner toute ◀l’▶attention dont j’étais capable dans ◀la▶ surprise où j’étais. Il y a plus ◀de▶ deux ans, poursuivit-elle, que Sainville s’est attaché à moi avec une obstination ◀d’▶autant plus forte qu’il ◀la▶ cache à tout le monde à cause du mépris que j’ai pour lui ; je sais tous ◀les▶ tours ◀de▶ fourbe qu’il a faits à d’autres femmes, dont lui-même s’est vanté à moi. Je ne ◀le▶ regarde que comme ◀le▶ plus dissimulé et ◀le▶ plus indigne ◀de▶ tous ◀les▶ hommes. Quelque bonne mine et quelques honnêtetés qu’il fasse à vos tantes, il n’y a rien ◀d’▶injurieux qu’il ne m’en ait dit. Elles ont eu effectivement quelques affaires qui ont tourné à leur avantage. Il est certain que ◀le▶ bon droit était ◀de▶ leur côté, puisque ◀la▶ Justice a été pour elles ; mais il m’a mille fois dit qu’il n’y avait eu que ◀la▶ faveur qui leur avait fait gagner leur procès. Epargnez-moi, Madame, poursuivit Silvie en s’interrompant elle-même, ◀le▶ reste ◀de▶ ◀la▶ narration ◀de▶ ◀la▶ baronne qui regarde mes tantes, elle aurait mauvaise grâce dans ma bouche ; contentez-vous ◀de▶ savoir qu’elle me répéta tout ce qui avait été dit contre elles dans ◀les▶ tribunaux, à quoi elle ajouta mille histoires scandaleuses qui n’ont aucun fondement, mais dont elle faisait Sainville auteur pour ◀le▶ perdre dans ◀l’▶esprit ◀de▶ mes tantes qui écoutaient ce qu’elle me disait ; cette perfide ◀le▶ savait, mais elle n’en faisait pas semblant : mes tantes ignoraient qu’elle sût qu’elles fussent présentes, et furent extrêmement surprises ◀d’▶entendre ce qu’elles entendaient, surtout comme venant ◀d’▶un homme qui n’avait jamais passé pour médisant. Elles ne se montrèrent pourtant pas, et voulurent voir à quoi aboutirait ◀la▶ harangue ◀de▶ ◀la▶ baronne, qui pour ◀les▶ rendre tout à fait irréconciliables avec Sainville ◀les▶ déchira sous son nom ◀de▶ ◀la▶ manière du monde ◀la▶ plus cruelle.
Après en avoir dit tout ce qu’on pouvait en dire de plus outrageant, elle retomba sur moi. Madame votre mère, continua-t-elle, n’est pas plus exempte que ses sœurs ◀de▶ ◀la▶ satire ◀de▶ Sainville ; ses airs ◀de▶ dévotion ne sont, à ce qu’il dit, que des hypocrisies ; mais c’est vous, Mademoiselle, qu’il attaque ◀le▶ plus fortement ; il m’a dit que vous aviez fait auprès de lui ◀les▶ démarches ◀les▶ plus basses et ◀les▶ plus honteuses du monde, qu’il avait feint ◀de▶ vous aimer pour voir jusques où vous pourriez vous porter ; que sans doute vous iriez encore plus loin que vos tantes dans ◀le▶ pays des aventures, qu’il vous faisait croire que son but était ◀le▶ mariage, mais qu’il avait trop ◀d’▶horreur pour votre famille pour s’y allier, et pour vous trop ◀de▶ mépris, pour vous confier son honneur.
Je n’ai point voulu croire tout ce qu’il m’a dit ◀de▶ vous, Mademoiselle, ajouta-t-elle, je ◀l’▶ai toujours traité comme un fourbe ; mais enfin il m’a convaincue. Il vint me dire avec empressement avant-hier au soir qu’il sortait ◀de▶ votre cabinet, où vous lui aviez donné rendez-vous, et où vous lui aviez paru ◀la▶ plus emportée ◀de▶ toutes ◀les▶ filles. Là-dessus, Madame, cette fourbe me rapporta mot pour mot ◀la▶ conversation que nous avions eue, Sainville et moi ; mais elle m’y attribuait des paroles et me faisait faire des actions qui ne me convenaient point : elle en fit un prétexte pour ◀le▶ mystère ◀de▶ ◀la▶ sortie par ◀la▶ chambre ◀de▶ ◀la▶ fille qui me sert. J’étais, Madame, dans un désordre et dans une confusion épouvantable, mais je n’étais pas au bout : ◀l’▶état ◀de▶ compassion où j’étais ne fit qu’animer cette perfide, qui poursuivit en me disant qu’elle avait soutenu à Sainville que tout ce qu’il lui avait dit ◀de▶ moi était faux, mais que pour ◀la▶ convaincre qu’il ne lui avait rien dit que ◀de▶ vrai, il lui avait promis ◀de▶ lui apporter ◀la▶ lettre que je devais lui écrire, et qu’en effet il ◀la▶ lui avait apportée ◀la▶ veille. Que ce témoin convaincant ◀l’▶avait surprise au dernier point, qu’elle s’était servie ◀de▶ toute son autorité sur ◀l’▶esprit ◀de▶ Sainville, pour lui ôter cette lettre des mains, en lui promettant ◀de▶ ◀la▶ lui rendre ; mais qu’elle m’aimait trop pour lui laisser une preuve si forte ◀de▶ mon attachement pour lui.
Après cela, elle tira ◀de▶ son sein cette fatale lettre ; et comme elle voulait que mes tantes en fussent instruites, elle ◀la▶ voulut lire tout haut sous prétexte ◀d’▶en admirer ◀le▶ style : c’est pourquoi ◀la▶ surprise où j’étais ne me permit pas ◀de▶ ◀l’▶en empêcher. Imaginez-vous, Madame, ce que je devins à cette lecture ! il ne me resta ◀de▶ force que pour déchirer cette malheureuse lettre qu’elle me rendit ; je me levai toute nue, pour en aller jeter ◀les▶ morceaux dans ◀le▶ feu, et voulus ensuite regagner mon lit ; mais ◀la▶ vue ◀de▶ mes tantes que j’aperçus derrière mon paravent me fit tomber évanouie.
Je fus plus ◀de▶ trois heures sans connaissance, et lorsqu’elle me revint, je me trouvai entre deux draps entourée ◀de▶ ma mère, ◀de▶ mes tantes, et ◀de▶ cette perfide qui était restée.
Ma mère était instruite ◀de▶ tout ; ◀le▶ ressentiment ◀de▶ mes tantes était trop violent pour ne pas éclater dans ◀le▶ moment même. Figurez-vous ce qu’elles purent me dire : ◀la▶ confusion où j’étais ne me permit pas ◀d’▶ouvrir ◀la▶ bouche, et je n’expliquai mon désespoir que par mes larmes et mes soupirs. ◀La▶ baronne me fit assurer par mes tantes qu’elle ne savait pas qu’elles fussent en ma chambre lorsqu’elle m’avait parlé, et je ◀le▶ crus ◀d’▶autant plus que je ne me figurais pas que cette femme eût eu ◀le▶ front ◀de▶ parler ◀d’▶elles comme elle en avait parlé si elle avait cru en être entendue. Je ◀la▶ remerciai du service qu’elle m’avait rendu en me rapportant ma lettre, et en me désabusant, et je fus la première à ◀la▶ prier ◀de▶ se trouver ◀le▶ lendemain matin dans ma chambre pour m’aider par ses lumières à prendre mon parti sur ◀la▶ manière dont je devais me gouverner avec Sainville après son infâme et indigne procédé.
Si on mourait ◀de▶ douleur je n’aurais pas assurément passé ◀la▶ nuit qui suivit cette malheureuse aventure sans expirer. Quelles réflexions ne fis-je point sur mon malheur ! ◀L’▶amour que j’avais pour Sainville voulait prendre son parti dans mon cœur, parce qu’il me semblait que je voyais ◀de▶ ◀la▶ contrariété dans ce qu’il avait fait et dans ce qu’on m’avait dit, et que je n’y reconnaissais point ce caractère ◀de▶ droiture et ◀de▶ sincérité que j’avais toujours entendu louer dans lui ; mais je regardai ces apparences ◀de▶ retour vers lui comme une nouvelle trahison ◀de▶ ma tendresse, ◀le▶ sacrifice me paraissait certain, et c’est à quoi je m’arrêtais.
Il me fut impossible ◀de▶ fermer ◀l’▶œil, et ◀l’▶agitation ◀de▶ mon esprit ne fut divertie que par ◀l’▶arrivée ◀de▶ ma mère et ◀de▶ mes tantes dans ma chambre, qui me trouvèrent dans un état digne ◀de▶ leur compassion ; aussi bien loin de redoubler leurs reproches, elles tâchèrent ◀de▶ me consoler. ◀La▶ baronne arriva un moment après, et suivant ◀le▶ conseil qu’elles avaient tenu toutes quatre ◀le▶ soir précédent, ce fut elle qui me porta ◀la▶ parole ; elle me parla dans ◀les▶ termes ◀les▶ plus obligeants du monde, et sur ce que je lui dis que mon dessein était ◀d’▶aller cacher ma honte et mon désespoir dans ◀le▶ fond ◀d’▶un couvent, elle entreprit ◀de▶ m’en détourner, et y réussit.
Elle me fit comprendre que ce serait encore redoubler ◀la▶ vanité ◀de▶ Sainville, et lui faire croire que ce serait ◀le▶ seul dépit qui me ferait prendre ce parti, qu’outre cela étant fille unique, ma mère ne consentirait pas à me voir religieuse ; qu’il fallait oublier Sainville et ◀le▶ mépriser encore plus qu’il ne me méprisait ; que ne pouvant rien prouver contre moi, puisque je ne lui avais jamais écrit que cette seule lettre, qui était brûlée, tout ce qu’il pourrait dire ◀de▶ notre intelligence passerait pour des impostures ; que ◀le▶ seul parti qu’il y avait à prendre était ◀de▶ me marier promptement, qu’elle avait un parti en main qui me convenait mieux que lui, puisqu’il était plus riche et mieux établi, que cet homme savait que j’avais quelques égards pour Sainville, mais qu’il ◀les▶ avait toujours regardés comme des amusements ◀d’▶enfant, que ◀la▶ vertu et ◀le▶ devoir dissiperaient en un moment, qu’elle ne lui avait rien dit, et ne lui dirait jamais rien ◀de▶ ◀la▶ lettre que j’avais écrite à Sainville, et qu’elle m’avait rendue, ni ◀de▶ ces engagements où j’étais entrée ; que je pouvais compter sur un secret inviolable ◀de▶ sa part, et que ◀de▶ la sienne elle était certaine que Deshayes s’expliquerait dès qu’il saurait que j’aurais rompu avec Sainville.
Je vous ai dit, Madame, poursuivit Silvie, que ma mère et mes tantes avaient concerté ensemble ◀le▶ jour précédent ce qu’elles avaient à faire : ainsi ◀la▶ matière étant disposée, ma mère qui se laissait gouverner par ses sœurs, fut la première à donner sa parole pour Deshayes ; mes tantes ◀la▶ secondèrent, et je n’osai ni ne voulus ◀les▶ en dédire. Deshayes qui en fut averti, vint dès ◀l’▶après-midi même me rendre visite. Il eut ◀le▶ privilège ◀d’▶entrer malgré ma fièvre, et ce fut assez ◀d’▶être autorisé ◀de▶ ma mère, pour s’en faire ouvrir ◀la▶ porte. Pendant huit jours que je restai au lit, et qu’il vint continuellement me voir, je tâchai ◀d’▶oublier Sainville, et ◀de▶ m’accoutumer à voir et à aimer son rival : je crus avoir gagné ces deux points sur moi, et ma résolution étant prise, je n’eus plus ◀d’▶autre impatience que celle ◀d’▶être en état ◀de▶ sortir ◀de▶ ma chambre pour faire voir à Sainville tout ◀le▶ mépris que j’avais pour lui, et à Deshayes toute ◀la▶ complaisance qu’il pouvait exiger ◀de▶ moi dans ◀les▶ engagements où nous étions.
Je réussis ; Sainville me parut au désespoir des avances que je faisais en sa présence à son rival ; et comme je ne voulus point entrer avec lui dans aucune explication ni lire ses lettres, il s’adressa vainement à Phénice pour me faire demander en quoi il était coupable, je crus que c’était ◀l’▶effet ◀de▶ ses trahisons qu’il continuait, et je fus la première à presser mon infortuné mariage.
◀Le▶ contrat en fut signé sitôt que je fus en état ◀de▶ recevoir des visites avec bienséance. Je n’appris plus rien ◀de▶ Sainville ni je ne ◀le▶ vis plus : son indifférence apparente m’anima encore contre lui ; j’avais néanmoins tort, Madame, parce que j’ai appris depuis qu’il était malade ; mais dans ◀la▶ situation où j’étais à son égard, j’aurais tourné contre lui tout ce qu’il aurait pu faire. Ses soins à me faire expliquer ◀la▶ quantité ◀de▶ lettres qu’il m’avait écrites, et qu’on m’avait dit qu’il était ◀de▶ mon honneur ◀de▶ lui renvoyer toutes cachetées, et que je lui renvoyai en effet, me paraissaient des suites ◀de▶ ses trahisons, et son absence me parut ◀la▶ confirmation du mépris et ◀de▶ ◀l’▶indifférence qu’on m’avait persuadée qu’il avait pour moi.
Que puis-je vous dire de plus, Madame ? ◀Le▶ dépit et ◀le▶ désespoir m’ont jetée entre ◀les▶ bras ◀de▶ Deshayes ; je crus me venger ◀de▶ Sainville, et je n’ai fait que ◀le▶ venger sur moi-même ◀de▶ ma facilité à croire ce qu’on me disait ◀de▶ lui, malgré mon cœur qui ◀le▶ justifiait. Quoique ce soit ◀le▶ plus grand des malheurs qui puisse arriver à une femme qui a ◀de▶ ◀la▶ vertu que ◀de▶ se voir entre ◀les▶ bras ◀d’▶un homme, ◀le▶ cœur tout rempli ◀d’▶un autre, mon infortune ne s’y est pas bornée. A peine ai-je été mariée que ◀les▶ manières ◀de▶ Deshayes, si opposées à ◀la▶ politesse ◀de▶ Sainville, ont commencé à me dégoûter ◀de▶ lui. Je ne lui en ai pourtant jamais rien témoigné, et j’aurais supporté avec constance ◀le▶ malheur où je m’étais moi-même précipitée, si je n’avais en même temps appris ◀la▶ justification ◀de▶ Sainville, et qu’outre ◀les▶ fourberies que Deshayes m’avait faites, il était absolument indigne ◀de▶ moi. J’avoue, Madame, que ◀les▶ termes sont forts, et qu’ils ne s’accordent pas avec ◀le▶ respect qu’une honnête femme doit à son époux tel qu’il soit ; mais, Madame, suspendez votre jugement, et ne me condamnez pas ◀d’▶outrer ◀les▶ choses que vous n’ayez entendu ce qui me reste à vous dire.
◀La▶ baronne était presque toujours chez moi ; c’était ma confidente et mon oracle. ◀La▶ tristesse dans laquelle j’étais abîmée ne me permettait pas ◀de▶ voir ◀d’▶autre compagnie ; je ◀la▶ regardais comme une parfaitement honnête femme, et sur ce pied-là je fus extrêmement surprise ◀d’▶apprendre qu’elle venait ◀d’▶être arrêtée à ma porte et conduite à ◀la▶ Conciergerie, sans qu’on en sût ◀le▶ sujet. J’étais à table dans ce moment avec Deshayes, à qui cette nouvelle causa une prodigieuse inquiétude. Comme il me parut dans une appréhension terrible, je fis tous mes efforts pour ◀le▶ rassurer ; mais il quitta brusquement ◀la▶ table, et sans dire un seul mot il monta à cheval sur-le-champ, quelques efforts que je fisse pour ◀l’▶en empêcher. Quoique j’aie dit qu’il était à une maison de campagne, il est pourtant vrai que je n’ai jamais su où il était allé. Je fus à ◀la▶ Conciergerie pour parler à ◀la▶ baronne, mais on refusa ◀de▶ me ◀la▶ faire voir.
◀L’▶emprisonnement ◀de▶ cette femme, ◀le▶ secret du motif, ◀la▶ défense de ◀la▶ laisser parler à qui que ce fût, et ◀le▶ prompt départ ◀de▶ Deshayes me causèrent une terrible peine ◀d’▶esprit, qui fut encore augmentée ◀le▶ lendemain au soir que je reçus ◀de▶ sa part ◀le▶ billet que voici ; elle tira en même temps un billet qu’elle donna à ◀la▶ marquise qui ◀le▶ lut.
Mon départ a dû vous surprendre, mais quand vous en saurez ◀le▶ sujet vous jugerez bien que j’ai dû vous ◀le▶ taire. Ayez soin ◀de▶ ◀la▶ baronne, et lui rendez tous ◀les▶ services que vous pourrez ; ne vous informez point où je suis, et si on vous ◀le▶ demande, dites que je suis à une ◀de▶ mes terres en province. Adieu, je suis tout à vous.
Deshayes
Tant ◀d’▶incidents coup sur coup, reprit Silvie, et qui semblaient avoir quelque rapport ensemble, redoublèrent mon étonnement et mes soupçons, et je n’en fus retirée que trois jours après par d’autres sujets ◀d’▶inquiétude et ◀de▶ chagrin. Je reçus un billet ◀de▶ ◀la▶ baronne qui me priait ◀d’▶aller ◀la▶ voir seule, et qu’elle avait ◀de▶ grands secrets à me communiquer. Je volai à sa prison, j’entrai où elle était, et nous fûmes enfermées à ◀la▶ clef. Quoique je ne me sentisse coupable en rien, j’avoue, Madame, que ces clefs et ces serrures m’épouvantèrent. ◀La▶ baronne me remit autant qu’elle put en me disant que c’était ◀la▶ coutume ◀de▶ ces lieux-là, et en m’obligeant, pour me raffermir ◀le▶ cœur, à prendre un peu de biscuit et ◀de▶ vin ◀d’▶Espagne.
Je vis bien qu’elle était faite à ces sortes ◀d’▶aventures, mais je ne lui en dis mot, et outre cela j’avais trop ◀d’▶impatience ◀d’▶en être dehors pour lui faire des compliments. Je me contentai ◀de▶ ◀l’▶assurer ◀de▶ mes services, et j’ajoutai que je n’étais venue que dans ◀la▶ seule intention ◀de▶ savoir en quoi je pouvais lui être utile. Je lui appris que mon mari n’était point à Paris, et lui dis en même temps qu’il me ◀l’▶avait recommandée. — Il a eu tort, dit-elle, ◀de▶ craindre ma langue, mais il a eu raison ◀de▶ me recommander à vous, puisqu’en effet mes intérêts sont les siens. En un mot, Madame, poursuivit-elle, ma vie est en danger ; et si je ◀la▶ perds, la sienne n’est pas en sûreté.
Imaginez-vous, Madame, ◀la▶ surprise que ces terribles paroles me causèrent ; elle est au-dessus ◀de▶ mes expressions. Ne vous effarouchez pas, Madame, continua-t-elle, je n’ai besoin que ◀de▶ protection ; on ne m’a arrêtée que sur des ouï-dire et ◀de▶ faibles conjectures ; j’ai été interrogée, et j’ai répondu juste ; mais si on m’interroge encore, peut-être me couperai-je. En ce cas il est certain que je périrai, mais je ne périrai pas seule, et votre époux me tiendra compagnie ; c’est à vous à voir si vous voulez m’abandonner à mon malheur, ou si vous voulez faire agir vos amis. C’est Monsieur… qui m’a interrogée, et qui est mon rapporteur, et c’est Monsieur le Président… qui est mon juge. Ils sont tous deux parents et intimes amis ◀de▶ Sainville ; il peut tout sur eux, et vous pouvez tout sur lui.
Moi, Madame, lui dis-je toute étonnée, je ne puis rien sur Sainville ; vous savez qu’il ne m’a jamais aimée, et ◀de▶ votre propre confession il vous aime jusqu’à ◀la▶ fureur, ainsi mon intercession ne vous est nullement nécessaire auprès de lui. Il suffit que vous lui fassiez savoir ◀l’▶état où vous êtes pour qu’il vous en tire ; du moins sur ce que vous m’en avez dit je suis certaine qu’il fera tout pour vous sauver.
Il n’est plus temps ◀de▶ feindre, Madame, répliqua-t-elle ; il n’est pas nécessaire que vous sachiez ce qui me retient ici ; mais vous allez savoir autre chose que ◀la▶ crainte ◀de▶ ◀la▶ mort m’oblige ◀de▶ vous dire, et qu’il est ◀de▶ votre intérêt ◀de▶ savoir.
J’admirais ◀la▶ hardiesse, ou plutôt ◀l’▶effronterie ◀de▶ cette femme qui sur le point de souffrir une mort infâme parlait avec tant ◀d’▶audace et ◀d’▶assurance. Ce qu’elle me fit voir m’a parfaitement convaincue, que ◀les▶ gens à qui ◀le▶ crime ne fait point ◀d’▶horreur, ont ◀le▶ secret ◀de▶ se faire un front incapable ◀de▶ rougir. Elle m’avoua avec une sincérité effrontée tout ce qu’elle avait fait avec Deshayes avant mon mariage, et j’appris qu’ils avaient ensemble un commerce criminel depuis longtemps. Dispensez-moi, Madame, ◀de▶ vous dire jusques à quel point ils avaient poussé leur intrigue ; contentez-vous ◀de▶ savoir que ◀la▶ justice humaine ◀les▶ en aurait punis l’un et l’autre, si ◀le▶ fond et ◀l’▶excès lui en avaient été connus.
Vous voyez présentement, Madame, poursuivit-elle, qu’il est ◀de▶ ◀l’▶intérêt ◀de▶ votre époux que ma vie soit en sûreté ; cependant vous ne savez pas encore tout, et ce qui me reste à vous apprendre va mettre votre vertu à une des plus rudes épreuves où celle ◀d’▶une femme puisse être jamais mise. Il faut que vous sauviez un homme non seulement criminel à l’égard du public, mais que vous sachiez encore qu’il est criminel envers vous ◀de▶ ◀la▶ plus lâche et ◀de▶ ◀la▶ plus cruelle des trahisons. Je ne vous dirai rien, ajouta-t-elle, pour me justifier ◀de▶ vous avoir trahie ; je suis certaine que vous êtes trop bien née pour dégénérer jamais ◀de▶ ◀la▶ vertu ◀de▶ vos ancêtres. Il n’en est pas de même ◀de▶ ceux qui comme Deshayes et moi ont franchi ◀les▶ bornes ◀de▶ ◀l’▶honneur et ◀de▶ ◀l’▶innocence ; un crime leur en fait faire un autre, et ◀l’▶intérêt réciproque qu’ils ont à se ménager fait qu’ils épousent aveuglément leurs passions mutuelles, et que toutes leurs mauvaises actions leur deviennent communes.
◀Le▶ bien ◀de▶ Deshayes autrefois fort ample est tout à fait dissipé par ses débauches et par son jeu. Nous nous étions promis ◀de▶ nous épouser ; mais comme il ne me cache rien ◀de▶ toutes ses affaires, et qu’il sait toutes les miennes, nous nous sommes rendus notre parole sans cesser notre commerce. En effet qu’aurions-nous fait ensemble que nous craindre et nous haïr éternellement ? Une union qui n’est fondée que sur ◀le▶ crime ne coûte que des remords et une confusion ◀d’▶enfer, et il n’y a que ◀l’▶innocence qui puisse y faire trouver ◀la▶ tranquillité. Ainsi, Madame, toute réflexion faite, nous avons résolu ensemble ◀de▶ lui trouver un bon parti avant que ◀le▶ désordre ◀de▶ ses affaires parût, tant pour rétablir sa maison que pour fournir à nos plaisirs, car nous n’avons point pour cela renoncé l’un à l’autre.
Comme vous êtes jeune et héritière ◀d’▶un gros bien, nous avons cru ne pouvoir jeter ◀les▶ yeux sur d’autres que sur vous pour ◀l’▶accomplissement ◀de▶ nos desseins. Toute ◀la▶ difficulté était ◀de▶ vous brouiller avec Monsieur de Sainville pour qui nous avons connu ◀le▶ penchant que vous avez toujours eu ; nous en avons longtemps cherché ◀le▶ moyen, et nous commencions à désespérer ◀de▶ ◀le▶ trouver lorsque ◀l’▶occasion me ◀l’▶offrit. Il vous pria un soir en me quittant ◀de▶ lui accorder un rendez-vous ◀le▶ lendemain dans votre cabinet ; vous ◀le▶ lui promîtes, et quoique vous parlassiez fort bas, je ne perdis pas un mot ◀de▶ vos paroles, parce que je vous examinais avec soin. J’en informai Deshayes et lui fis comprendre qu’avant toutes choses il était nécessaire ◀de▶ savoir ce que vous résoudriez ensemble, et ◀les▶ termes où vous en étiez ; et après avoir consulté ce qu’il pouvait faire pour vous entendre et vous voir dans votre tête à tête, nous nous arrêtâmes à ce qu’il fit.
Il alla chez vous ◀le▶ lendemain et prit pour cela ◀l’▶heure que vous étiez à table avec Madame votre mère. Il s’adressa à votre femme de chambre, et lui dit qu’il avait passé toute ◀la▶ nuit à jouer, qu’il était accablé ◀de▶ sommeil, et qu’en voulant rentrer chez lui il avait vu à sa porte deux carrosses ◀de▶ ses amis qui ◀l’▶attendaient, et qu’il avait évités, parce que c’était encore pour faire ◀la▶ débauche. Il ◀la▶ pria ◀de▶ souffrir qu’il se jetât une heure ou deux sur son lit, et cette fille qui n’y entendait aucune finesse lui ouvrit librement sa chambre, qui, comme vous savez, n’était séparée ◀de▶ votre cabinet que par une cloison fort mince ; il ◀la▶ pria ◀de▶ fermer ◀la▶ fenêtre et sa porte, mais en emportant ◀la▶ clef ne ◀la▶ point fermer à double tour, afin qu’il pût sortir quand il voudrait. Lorsque cette fille fut sortie, il entra dans votre cabinet par ◀la▶ porte ◀de▶ communication, fit joindre votre tapisserie à ◀la▶ cloison, et y fit un trou par où il pouvait ◀de▶ ◀la▶ chambre ◀de▶ cette fille voir tout ce que vous feriez et entendre tout ce que vous diriez.
A peine avait-il achevé que vous entrâtes, et vous mîtes à votre clavecin. Sainville ne vous fit pas longtemps attendre. Vous savez ce que vous dîtes ensemble ; car pour ce qui est ◀de▶ ce que vous fîtes, Deshayes m’a dit qu’il n’y pouvait rien avoir de plus sage entre des gens qui s’aiment, et que vous ne sortîtes point des bornes ◀de▶ ◀la▶ modestie. Vous promîtes ◀de▶ lui écrire, et lui dîtes ◀l’▶endroit où vous mettriez votre lettre, et vous ◀le▶ fîtes sortir par ◀la▶ même chambre où était Deshayes, que vous n’aperçûtes point tant à cause de ◀l’▶obscurité, que parce qu’il s’était caché sous ◀le▶ rideau du lit.
Deshayes au désespoir ◀de▶ voir une si forte intelligence entre vous et Sainville, vint me dire tout ce qu’il avait entendu. Je ◀le▶ rassurai, et nous jetâmes notre plomb sur cette lettre que je me chargeai ◀de▶ prendre. Je mis ◀le▶ lendemain un laquais en sentinelle pour savoir quand vous seriez sortie, afin d’aller aussitôt chez vous, où sous prétexte ◀d’▶accommoder quelque chose à ma coiffure, j’approchai du miroir pour prendre votre lettre, et y mis ◀le▶ billet que Sainville a dû y trouver. Comme par votre conversation Deshayes avait appris qu’il ne connaissait point votre écriture, il nous fut aisé ◀de▶ ◀le▶ tromper.
Je redoublai son chagrin en ◀la▶ lui faisant voir, et il me promit dix mille écus si je pouvais venir à bout ◀de▶ rompre votre commerce, et ◀de▶ vous mettre entre ses bras. Vous savez ce que je fis ◀le▶ lendemain que j’allai vous trouver, mais vous ignorez que je savais que vos tantes écoutaient ce que je vous disais, que Deshayes et moi avions résolu ◀de▶ perdre Sainville dans votre esprit et ◀le▶ leur, et ◀de▶ vous attirer à vous ◀la▶ colère ◀de▶ toute votre famille, si vous ne vous rendiez pas ◀de▶ vous-même, et que c’était dans ce dessein que nous avions gardé une copie ◀de▶ votre lettre, que voilà, et que je vous rends. Nous avions encore résolu Deshayes et moi, qu’il ne ferait pas semblant ◀de▶ rien savoir ◀de▶ votre lettre ni ◀de▶ votre engagement ◀de▶ parole, afin que vous n’eussiez ni répugnance ni mépris pour un homme qui voulait vous épouser malgré ◀la▶ certitude où il était que vous en aimiez un autre.
Après vous avoir dit tout ce que je vous dis, qui avait été concerté entre Deshayes et moi, et sur ses mémoires, Madame votre mère, vos tantes et moi, tînmes une espèce ◀de▶ conseil, où je ◀les▶ tournai si bien, qu’elles me prièrent les premières ◀de▶ proposer Deshayes. Vous savez sur cela ce qui s’est passé, et comment enfin il est devenu votre époux. C’est à vous à voir à présent s’il vous est plus avantageux ◀d’▶être bientôt veuve ◀d’▶un mari mort avec infamie, que ◀de▶ porter longtemps ◀le▶ nom ◀d’▶un homme d’avec qui vous pouvez vous séparer quand vous voudrez. Vous voyez que Sainville est pour vous ◀le▶ même qu’il a été, c’est pourquoi ◀la▶ moindre avance ◀de▶ votre part ◀le▶ regagnera, parce que vous pouvez tout sur lui. C’est à vous à vous consulter, vous savez tous mes crimes, mais vous connaissez mon complice.
◀L’▶étonnement où j’étais ◀de▶ ce que je venais ◀d’▶entendre, n’était égalé que par ◀l’▶indignation que j’avais ◀de▶ voir devant moi une si méchante créature, et ◀de▶ voir son effronterie à me tout avouer avec si peu de retenue. Je demeurai du temps immobile ; mais enfin quoique Dieu m’ait fait naître ◀d’▶une humeur assez douce, je fus saisie ◀d’▶une telle fureur, que si j’avais trouvé ◀de▶ quoi armer ma main, je me serais sacrifié cette misérable dans ◀le▶ moment. Perfide, lui dis-je, ◀de▶ quel front osez-vous m’avouer que vous êtes ◀la▶ cause ◀de▶ tous ◀les▶ malheurs qui me sont arrivés, et qui m’arriveront encore ! Je lui dis tout ce que ◀la▶ colère me mit à ◀la▶ bouche, et mon emportement s’étant fait entendre par toute ◀la▶ prison, on vint m’ouvrir. Je sortis toute baignée ◀de▶ pleurs, sans ouvrir davantage ◀la▶ bouche, et je revins chez moi plus agitée que cette malheureuse ne ◀l’▶était elle-même.
J’envoyai chercher Phénice, et lui demandai pardon ◀d’▶avoir refusé son entremise pour m’éclaircir avec Sainville. J’ai une parfaite confiance dans cette fille, et m’étant impossible ◀de▶ ne pas répandre mes douleurs dans ◀le▶ sein ◀de▶ quelque amie fidèle, je lui appris tout ce que je viens de vous dire. Elle en frémit, mais en même temps elle me fit comprendre que je n’étais point en état ◀de▶ perdre inutilement ◀le▶ temps à pleurer et à me plaindre, qu’il fallait payer ◀de▶ force ◀d’▶esprit, et agir, et surtout ne me fier pas à toute sorte ◀de▶ gens, et ne prendre conseil que ◀de▶ personnes extrêmement secrètes, et absolument dans mes intérêts.
Je fus surprise ◀d’▶une grosse fièvre, et me mis au lit dans ◀le▶ moment, encore plus accablée ◀de▶ chagrin que ◀de▶ fatigue. J’envoyai prier ma mère ◀de▶ venir chez moi, où étant arrivée, elle fut toute étonnée ◀de▶ me trouver si malade ; et elle-même se trouva très mal lorsqu’elle en apprit ◀le▶ sujet. Je ◀la▶ fis déshabiller et mettre dans mon lit, où nous passâmes ensemble ◀la▶ plus cruelle nuit que j’aie passée ◀de▶ ma vie. Tout ◀le▶ conseil qu’elle me donna ce fut ◀de▶ n’avoir jamais ◀de▶ commerce avec Deshayes, et ◀de▶ ne rien dire ◀de▶ ses actions à personne, pas même à mes tantes, dont elle appréhendait ◀l’▶indiscrétion. Du reste elle me dit ◀de▶ faire tout ce que je jugerais à propos ; qu’elle n’avait rien à me prescrire, et que pourvu que je ne m’éloignasse pas ◀de▶ ◀la▶ vertu, toutes ◀les▶ autres démarches m’étaient permises dans ◀l’▶état violent où j’étais.
Je n’eus donc, Madame, ◀d’▶autre conseillère que moi-même. Je me bornai à ne me confier qu’à Sainville ; ce fut à quoi je me déterminai ; mais quoique sa probité me fût connue, une timidité naturelle et ma pudeur ne me permirent pas ◀d’▶aller chez lui. C’est pourquoi je ◀le▶ fis épier, et on vint me dire deux jours après qu’il était à Luxembourg. Quoique j’eusse une fièvre très forte, je sortis avec Phénice, qui ne me quittait point, pour ◀l’▶aller chercher, et ◀l’▶ayant trouvé j’allai vers lui. Aussitôt qu’il nous eut aperçues, il s’en alla sans faire semblant ◀de▶ nous voir. J’étais si faible qu’il me fut impossible ◀de▶ ◀le▶ joindre, et je ne fus pas assez hardie pour ◀l’▶appeler.
Ce mépris fut un nouveau coup ◀de▶ poignard pour moi ; mais comme je me rendais justice, je ne me rebutai point. Je continuai pendant plus ◀de▶ quinze jours à ◀le▶ chercher partout pour lui parler, et sauver en même temps ◀les▶ apparences ; mais il m’évitait avec soin, quoique sans affectation. Je n’avais point sujet ◀de▶ me plaindre ◀de▶ lui ; sa fuite n’avait rien ◀de▶ méprisant, et il conservait toujours pour moi ces dehors ◀de▶ civilité qui siéent si bien à un honnête homme pour notre sexe ; il n’y avait que Phénice et moi qui reconnussions son indifférence.
Enfin rebutée ◀de▶ mes peines infructueuses, je cherchai d’autres moyens ◀d’▶avoir accès auprès de lui ; je connaissais ◀de▶ réputation un homme vertueux, son intime ami, qui depuis peu s’était retiré du monde. J’allai ◀le▶ trouver, et sans lui dire que Deshayes eût rien ◀de▶ commun avec ◀la▶ baronne, je ◀la▶ lui recommandai comme ◀la▶ meilleure ◀de▶ mes amies, et comme une dame ◀de▶ qualité digne ◀de▶ pitié et accusée à tort, et ◀le▶ suppliai ◀d’▶employer en sa faveur tout ce qu’il avait ◀d’▶amis.
Cet homme ◀de▶ vertu n’envisagea là-dedans que ◀la▶ charité ◀de▶ secourir une dame innocente, et me promit ◀d’▶aller ◀la▶ voir pour savoir ◀d’▶elle-même ce qu’il pouvait faire pour son service. Je ◀le▶ prévins, et malgré ma répugnance et mon horreur pour cette indigne créature, je retournai ◀la▶ voir, et ◀l’▶instruisis ◀de▶ ce que j’avais fait pour elle.
◀Les▶ honnêtes gens seront toujours ◀la▶ dupe des fourbes, comme ils ◀l’▶ont toujours été. Elle se fit si blanche aux yeux de cet homme vertueux, qu’il alla ◀la▶ voir ◀le▶ même jour qu’il entreprit ◀de▶ ◀la▶ tirer ◀d’▶affaire. Il remua pour cet effet tant de ressorts, et fit agir ses amis avec tant de vivacité, et Sainville lui-même, qui ne savait pas qu’il travaillait pour sa plus mortelle ennemie, que cette malheureuse sortit ◀de▶ prison environ six semaines après y être entrée. Elle ne porta pourtant pas loin ◀l’▶impunité ◀de▶ ses crimes ; car environ quinze jours après être sortie ◀de▶ prison, elle fut trouvée morte dans son lit, avec beaucoup ◀d’▶apparence ◀d’▶avoir été empoisonnée ◀la▶ veille, dans un endroit où elle avait soupé, et qu’on ignore encore.
J’avais oublié ◀de▶ vous dire, Madame, que sitôt que ma santé me ◀l’▶avait pu permettre, je m’étais retirée chez ma mère. Deshayes qui revint à Paris trois ou quatre jours après ◀la▶ mort ◀de▶ ◀la▶ baronne, vint m’y trouver ; mais ayant fortement résolu ◀de▶ n’avoir jamais ◀de▶ commerce avec un si méchant homme, je refusai non seulement ◀de▶ retourner avec lui, mais même ◀de▶ lui parler et ◀de▶ ◀le▶ voir. Vous ne sauriez croire jusqu’à quel excès il a porté ses violences contre ma mère, qu’il accuse ◀de▶ mettre ◀le▶ divorce entre nous. J’ai cependant encore eu assez ◀de▶ considération pour lui pour empêcher ma mère ◀de▶ porter ses plaintes en Justice des insultes qu’elle en a reçues. Mes tantes qui ne savent point ◀les▶ raisons ◀de▶ ◀l’▶obstination ◀de▶ ma mère ni ◀de▶ la mienne, s’en étonnent, et si je puis ◀le▶ dire, ◀le▶ public en est surpris.
Deshayes, à qui notre discrétion donne gain ◀de▶ cause, et qui peut-être ignore que je sache toute sa vie, et ◀les▶ sujets que j’ai ◀de▶ me plaindre ◀de▶ lui, est avoué ◀de▶ tout ce qu’il fait contre nous ; et voyant que ◀les▶ voies ◀de▶ ◀la▶ douceur lui ont été jusqu’ici inutiles, il a recours à ◀la▶ violence. Il entreprit l’autre jour ◀de▶ me faire arrêter, et sans ◀le▶ secours ◀de▶ Sainville, et ◀la▶ retraite que vous eûtes ◀la▶ bonté ◀de▶ me donner, je serais présentement à sa disposition partout où il aurait voulu me mener, et peut-être au hasard ◀de▶ ma vie avec ◀le▶ plus violent ◀de▶ tous ◀les▶ hommes. Mais, Madame, ce n’est pas là ce qui m’épouvante ◀le▶ plus, puisque je suis résolue à mourir mille fois plutôt qu’à me revoir jamais dans ses bras ; mais c’est ◀la▶ mort ◀de▶ ma mère que je crains, parce que cette nouvelle persécution ◀de▶ Deshayes ne manquera pas ◀de▶ ◀la▶ mettre aux abois. Je vais rester sans appui et sans secours ; ainsi pour ne pas voir dans ◀le▶ monde tant ◀d’▶objets ◀d’▶horreur, j’emporte mes pierreries et quelque argent, dans ◀le▶ dessein ◀de▶ me jeter dans un couvent inconnu à Deshayes, où je puisse pleurer à jamais mes malheurs et mes infidélités pour Sainville, qui en sont ◀la▶ seule source.
Silvie ne finit son triste récit que ◀les▶ larmes aux yeux, et ◀la▶ marquise ne put refuser les siennes à ◀l’▶état où elle ◀la▶ voyait ; elle ◀la▶ consola du mieux qu’elle put, et lui voyant ◀l’▶esprit un peu plus tranquille, elle lui demanda quel couvent elle avait choisi. Silvie lui répondit qu’elle n’avait encore jeté ◀les▶ yeux sur aucun ; et pour lors ◀la▶ marquise lui offrit une retraite auprès ◀d’▶une ◀de▶ ses sœurs abbesse ◀d’▶un couvent fort éloigné ◀de▶ Paris. Silvie accepta son offre sur-le-champ, et ◀la▶ marquise lui ayant donné une lettre ◀de▶ recommandation pour cette sœur, à qui elle écrivit dans ◀le▶ moment, elles se séparèrent après s’être promis une correspondance secrète, et s’être fait l’une à l’autre mille amitiés. Silvie partit ◀le▶ lendemain à ◀la▶ pointe du jour, sans dire à personne qu’à sa mère ◀l’▶endroit où elle allait, n’emmenant avec elle pour toute compagnie qu’une fille pour ◀la▶ servir, et Madame sa tante, que sa mère a prié ◀de▶ ◀l’▶accompagner, qui en partant ◀de▶ Paris ne savait pas elle-même où sa nièce allait, ni où elle ◀la▶ laisserait.
Sainville vint ◀le▶ soir même chez ◀la▶ marquise, qui ne lui cacha rien ◀de▶ tout ce qu’elle avait appris, ni ◀de▶ ce qu’elle avait fait ; ce qui lui fit changer en pitié ◀le▶ ressentiment qu’il avait contre Madame Deshayes. Il avoua ingénument à ◀la▶ marquise qu’il s’était intéressé dans ◀le▶ procès ◀de▶ ◀la▶ baronne uniquement pour faire plaisir à cette dame qu’il savait y prendre intérêt.
◀L’▶agréable Française interrompit elle-même sa narration dans cet endroit, pour faire connaître à ses auditeurs qui était ◀la▶ marquise, et ◀le▶ péril où était son époux à Naples, et ◀la▶ reprit pour dire que dans ◀le▶ temps même que Sainville était avec elle il lui mandait qu’on ◀l’▶avait ◀de▶ nouveau resserré, et qu’il n’y avait point ◀de▶ temps à perdre pour ◀le▶ tirer du danger où il était. Cette nouvelle, continua-t-elle, obligea ◀la▶ marquise ◀de▶ partir ◀la▶ nuit même avec Sainville, pour aller à Saint-Germain où était ◀la▶ Cour. Elle y resta deux jours sans satisfaction, et enfin elle vit bien que ◀le▶ seul parti qu’elle avait à prendre, était ◀de▶ partir pour ◀l’▶Espagne avec ◀les▶ recommandations qu’on lui offrait. Elle s’y résolut, et pria Sainville ◀de▶ ne ◀la▶ point abandonner, et lui qui n’avait rien à faire à Paris, dont ses chagrins lui rendirent même ◀le▶ séjour odieux, s’offrit avec plaisir à ◀l’▶accompagner. Ils revinrent à Paris pour faire ◀de▶ ◀l’▶argent et mettre ordre à leurs affaires ; et ◀la▶ marquise, dont j’ai ◀l’▶honneur ◀d’▶être parente ◀de▶ fort proche, m’ayant fait connaître qu’elle souhaitait que je fusse ◀de▶ ◀la▶ partie, et y ayant consenti, nous montâmes en carrosse quatre ◀de▶ compagnie, c’est-à-dire ◀la▶ marquise, Sainville, une femme de chambre et moi, et nous partîmes quatre jours après ◀le▶ départ ◀de▶ Silvie.
Cependant Deshayes sut que son épouse était sortie ◀de▶ Paris ; mais suivant ◀les▶ apparences, il n’apprit pas sitôt quelle route elle avait tenue ; cela ◀l’▶obligea ◀d’▶avoir recours à ◀l’▶autorité du Roi pour se ◀la▶ faire rendre, ou pour ◀la▶ reprendre partout où il ◀la▶ trouverait. Il demanda pour cet effet une lettre ◀de▶ cachet, et ◀les▶ amis qu’il avait en Cour, qui ignoraient ◀les▶ justes sujets que Silvie avait ◀de▶ s’en séparer, ◀la▶ sollicitèrent si vivement, qu’il ◀l’▶obtint trois jours après ◀le▶ départ ◀de▶ sa femme, et ◀la▶ veille du nôtre. Nous en fûmes avertis une heure avant notre départ ◀de▶ Saint-Germain, par un commis du Conseil qui dînait avec nous, et qui nous ◀le▶ dit comme une nouvelle indifférente par manière ◀de▶ conversation.
◀La▶ marquise ne dit rien à Sainville ◀de▶ ce qu’elle voulait faire ; mais sitôt qu’elle fut à Paris, elle écrivit à sa sœur", et ◀la▶ pria ◀d’▶avertir une dame qui lui rendrait une lettre ◀de▶ sa part, que ◀l’▶asile qu’elle lui avait promis auprès ◀d’▶elle, n’était pas sûr par ◀les▶ raisons qu’elle lui manda. Elle écrivit aussi à Silvie que Deshayes avait obtenu une lettre ◀de▶ cachet, qui lui donnant pouvoir ◀de▶ ◀la▶ suivre ou ◀de▶ ◀la▶ faire suivre partout, il pourrait arriver par quelque contretemps que toute ◀la▶ prudence humaine ne peut pas prévoir, qu’il découvrirait sa retraite, et qu’étant muni des ordres du Prince, ◀le▶ tort lui serait toujours donné à elle seule, à quelque violence que cet homme se portât contre elle ; et qu’ainsi elle n’avait qu’un seul conseil à lui donner, qui était ◀de▶ sortir du royaume, et que si elle voulait passer en Espagne avec elle, elle lui offrait une retraite certaine, auquel cas elle pouvait ◀la▶ venir joindre à Toulouse dans une hôtellerie qu’elle lui marqua. Silvie reçut cette nouvelle ◀le▶ jour même qu’elle arriva à ce couvent, et au lieu d’y entrer, elle reprit sur ◀la▶ main droite, et se rendit à Toulouse, où nous arrivâmes ◀le▶ lendemain.
Jamais homme ne fut plus étonné que ◀le▶ fut Sainville lorsqu’il vit Silvie et sa tante ; mais sa surprise fut encore ◀de▶ beaucoup augmentée quand ◀la▶ marquise lui dit ce qu’elle avait fait, et ◀la▶ résolution qu’elles avaient prise ◀de▶ faire tout ◀le▶ voyage ensemble.
Nous résolûmes ◀de▶ prendre ◀la▶ route ◀de▶ Madrid dès ◀le▶ lendemain ; et afin de faire plus ◀de▶ diligence, nous changeâmes ◀les▶ deux petits carrosses contre un grand, où nous pouvions tenir tous, afin de nous épargner ◀le▶ trop grand nombre ◀de▶ chevaux ◀de▶ relais ; cependant comme il nous en fallait tous ◀les▶ jours six, et quatre chevaux ◀de▶ main pour Sainville, son valet de chambre et deux hommes ◀d’▶escorte, nous perdîmes bien du temps, qui donna à Deshayes celui ◀de▶ nous joindre. Nous ne savons point par quel moyen il a su ◀la▶ route que prenait son épouse, mais enfin il ◀l’▶a su, puisqu’il ◀l’▶a suivie et trouvée.
Il arriva hier au soir environ une heure après nous dans ◀l’▶hôtellerie où nous étions. Silvie en pensa mourir ◀de▶ frayeur ; mais on ◀la▶ remit, en lui faisant connaître que nous étions dans un pays à couvert ◀de▶ ses violences, et outre cela en état ◀de▶ nous défendre contre lui. Nos conducteurs eurent ordre ◀de▶ se tenir sur leur garde, aussi bien que ◀les▶ laquais tous bien armés. Nous fîmes semblant ◀de▶ vouloir passer ◀la▶ nuit dans ◀l’▶hôtellerie ; en effet nous nous couchâmes, et sitôt que nous crûmes que Deshayes était endormi, nous nous remîmes en chemin. Cependant Silvie ne voulant pas que Deshayes qui ◀la▶ suivait, ◀la▶ trouvât dans ◀la▶ compagnie ◀de▶ Sainville, ◀la▶ marquise et elle ◀l’▶ont forcé ◀de▶ prendre une autre route pour aller nous attendre à Madrid, et ç’a été notre bonheur.
Pour nous, nous faisions ◀le▶ plus ◀de▶ diligence qu’il nous était possible afin de pouvoir aller réclamer ◀l’▶autorité ◀de▶ Monsieur ◀le▶ duc ◀de▶ Médoc, gouverneur ◀de▶ cette province, contre ◀les▶ entreprises ◀de▶ Deshayes. On nous avait dit que nous n’avions que pour quatre bonnes heures ◀de▶ chemin, et que nos chevaux ◀les▶ feraient bien sans repaître ; mais à deux lieues d’ici, nous avons trouvé des bandits qui ont obligé notre cocher et notre postillon ◀de▶ se détourner et ◀d’▶entrer dans ◀la▶ forêt. Lorsqu’ils se sont vus assez avant, ils ont voulu en venir aux dernières violences, et sans doute nous nous serions vues ◀les▶ victimes ◀de▶ leur avarice et ◀de▶ leur brutalité, si Sainville, qui heureusement avait pris un chemin détourné, ne fût venu à nos cris, et n’eût ramené à notre secours nos deux hommes ◀d’▶escorte et nos laquais que ◀la▶ peur avait écartés. Nous avons vu commencer leur combat, et notre postillon profitant du temps pour nous mettre en sûreté, a poussé ses chevaux à toute bride, et nous a menés proche de votre château où ◀les▶ coupe-jarrets nous ont laissés, n’ayant pas osé passer plus loin. J’ai su qu’outre que Sainville est bien blessé, son valet de chambre a été tué en combattant vaillamment à côté de son maître, qu’un des hommes ◀de▶ notre escorte a été encore bien blessé aussi bien qu’un laquais ◀de▶ ◀la▶ marquise que nous avons laissé dans ◀l’▶hôtellerie ◀d’▶où vous avez eu ◀la▶ générosité ◀de▶ nous retirer.
Vous savez, Monsieur, continua-t-elle en parlant toujours au duc d’Albuquerque, que j’ai été assez hardie pour vous demander votre protection contre ◀les▶ bandits dont nous pouvons encore être insultés, mais Silvie en a encore bien plus ◀de▶ besoin contre ◀les▶ persécutions ◀de▶ son époux qui est celui qu’on apportait lorsque nous sortions ◀de▶ ◀l’▶hôtellerie, et qui est à présent dans ce château aussi bien que nous. Il a aussi apparemment été trouvé et maltraité des bandits qui ◀l’▶ont mis hors ◀d’▶état ◀d’▶inquiéter Silvie ◀de▶ quelque temps ; mais comme il peut en revenir, trouvez bon que je vous prévienne en faveur de son épouse qui n’est pas seule à réclamer votre crédit. ◀La▶ marquise qui est avec elle est une dame ◀d’▶un vrai mérite, ◀de▶ très grande qualité, et en un mot digne ◀de▶ vos soins. Elle vous ◀les▶ demande, Monsieur, et ◀l’▶honneur ◀de▶ votre appui à ◀la▶ Cour en faveur de son époux que ◀le▶ vice-roi ◀de Naples retient en prison avec beaucoup de dureté et fort peu de justice.