Chapitre XXXIII.
Comment on a découvert ces nouvelles aventures qu’on donne au public.
Cid Ruy Gomez, l’▶ami à qui Zulema, ou Henriquez de la Torre, avait confié ce qu’il avait pu ramasser ◀de▶ ◀l’▶histoire admirable ◀de▶ Don Quichotte, et qu’il avait prié ◀de▶ ◀la▶ continuer, était un ◀de▶ ces hommes particuliers, qui ne sont bons que pour eux- mêmes, ou tout au plus pour quelques-uns ◀de▶ leurs amis, et qui ne comptent pour rien ◀le▶ reste du monde, surtout ◀le▶ public, qu’ils regardent, sinon avec mépris, du moins avec beaucoup ◀d’▶indifférence. De sorte qu’Henriquez étant mort dans son voyage des Indes, Ruy Gomez, qui n’avait suivi Don Quichotte que pour rendre compte à son ami, ne se trouva pas ◀d’▶humeur à faire part à qui que ce fût des découvertes qu’il avait faites. On dit même que son dessein était ◀de▶ tout jeter au feu, et qu’il n’en fut empêché que par ◀la▶ mort qui ◀le▶ surprit. Ses héritiers, gens plus attachés au commerce qu’à toute autre chose, songèrent à recueillir sa succession, et traitèrent ◀les▶ papiers qui regardaient ◀les▶ héritiers ◀de▶ ◀la▶ Manche, avec ◀le▶ plus grand mépris du monde.
Mais un valet, qui avait lu une partie ◀de▶ ◀l’▶histoire, ◀les▶ ramassa ; et ◀de▶ celui-ci ils sont passés à un autre, qui vint avec son maître au-devant ◀de▶ Philippe V ci-devant duc d’Anjou, et à présent roi d’Espagne.
Un des Français qui avait suivi ce prince, se trouva dans un festin avec des Espagnols ; on y parla des héros des deux nations. ◀Le▶ Français nomma Don Quichotte, et demanda avec une simplicité ◀de▶ badaud, s’il avait véritablement vécu, et si ◀les▶ aventures qu’on en lisait lui étaient effectivement arrivées. Quelques Espagnols lui jurèrent ◀l’▶affirmative, et ◀le▶ maître ◀de▶ celui qui avait ◀la▶ suite ◀de▶ ◀l’▶histoire, dit au Français, que tout ce qu’on en avait écrit, et qui était devenu public, n’était que des bagatelles en comparaison du reste. Cela piqua ◀la▶ curiosité du Français, qui demanda avec empressement à voir ◀la▶ suite. Pour ◀la▶ lui faire trouver meilleure, on lui en fit mille difficultés ; et enfin ◀le▶ Français ardent comme un Français, offrit un si beau présent, que ◀le▶ valet espagnol ◀le▶ prit au mot, et crut assez gagner au change, en lui donnant en même temps ◀les▶ mémoires ◀de▶ Ruy Gomez et ceux ◀d’▶Henriquez.
Quoique ◀l’▶Espagnol crût avoir pris ◀le▶ Français pour dupe, celui- ci ne se crut point trompé ; et en effet, s’il ◀l’▶a été, ce n’est pas ◀de▶ beaucoup ; du moins, supposé qu’il ait fait une folie, ◀le▶ public lui en aura obligation, étant très certain que sans lui ◀les▶ mémorables aventures ◀de▶ ◀l’▶incomparable Don Quichotte, et celles du chevalier Sancho Pança, ci-devant son écuyer, seraient restées dans ◀l’▶oubli, quoiqu’elles soient dignes ◀de▶ ◀la▶ curiosité des gens qui n’ont rien ◀de▶ meilleur à faire que ◀d’▶employer leur temps à une lecture fort inutile, sans en excepter ◀la▶ morale du savant Don Quichotte, dont personne ne profite, ou du moins très peu de gens.
Comme ◀l’▶idiome espagnol est devenu à ◀la▶ mode en France, et que tout le monde en veut savoir un peu, un ◀de▶ mes amis, qui ◀l’▶apprend, m’a fait voir quelques endroits qu’il a traduits ◀de▶ ◀la▶ suite ◀de▶ Don Quichotte ; ce que j’en ai lu m’est resté dans ◀la▶ tête, et ne m’a pas déplu ; et, sans doute aussi fou que ◀le▶ Français qui ◀l’▶a achetée, j’ai fait en sorte ◀de▶ ◀l’▶avoir ◀de▶ ses mains, et comme je ◀le▶ lui ai promis, je ◀l’ai traduite.