là-bas là-bas Les jeunes filles qui passent sur le pont léger portent dans leurs mains le bouquet de demain Et leurs regards s’écoulent Dans ce fleuve à tous étranger Qui vient de loin qui va si loin Et passe sous le pont léger de vos paroles O Bavardes le long du fleuve O Bavardes o folles le long du fleuve GUILLAUME APOLLINAIRE
Allons plus vite Et le soir vient et les lys meurent Regarde ma douleur beau ciel qui me l’envoyes une nuit de mélancolie Enfant souris ô sœur écoute Pauvres marchez sur la grand route O menteuse forêt qui surgis à ma voix Les flammes qui brûlent les âmes Sur le Boulevard de Grenelle Les ouvriers et les patrons Arbres de mai cette dentelle ne fais donc pas le fanfaron Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite Tous les poteaux télégraphiques Viennent là-bas le long du quai Sur son sein notre République A mis ce bouquet de muguet qui poussait drû le long du quai Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite La bouche en cœur Pauline honteuse Les ouvriers et les patrons Oui-dà oui-dà belle endormeuse Ton frère Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite GUILLAUME APOLLINAIRE
Un tout petit bouquet, flottant à l’aventure, Couvrit l’Océan, d’une immense floraison. Il aurait voulu ce bouquet, comme la gloire, Jouer dans d’autres mers parmi tous les dauphins, Et l’on tissait, en sa mémoire, Une tapisserie sans fin Qui figurait son histoire.
Un tout petit bouquet, flottant à l’aventure, Couvrit l’Océan, d’une immense floraison. Il aurait voulu ce bouquet, comme la gloire, Jouer dans d’autres mers parmi tous les dauphins, Et l’on tissait, dans sa mémoire, Une tapisserie sans fin Qui figurait son histoire.
Chevaux de frise Pendant le blanc et nocturne novembre Alors que les arbres déchiquetés par l’artillerie Vieillissaient encore sous la neige Et semblaient à peine des chevaux de frise Entourés de vagues de fils de fer Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps Un arbre fruitier sur lequel s’épanouissent Les fleurs de l’amour Pendant le blanc et nocturne novembre Tandis que chantaient épouvantablement les obus Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient Leurs mortelles odeurs Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine La neige met de pâles fleurs sur les arbres Et toisonne d’hermine les chevaux de frise Que l’on voit partout Abandonnés et sinistres Chevaux muets Non chevaux barbes mais barbelés Et je les anime tout soudain En troupeau de jolis chevaux pies Qui vont vers toi comme de blanches vagues Sur la Méditerranée Et t’apportent mon amour Rose lys ô panthère ô colombes étoile bleue ô Madeleine Je t’aime avec délices Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches Si je pense à ta bouche les roses m’apparaissent Si je songe à tes seins le Paraclet descend O double colombe de ta poitrine Et vient délier ma langue de poète Pour te redire je t’aime Ton visage est un bouquet de fleurs Aujourd’hui je te vois non Panthère mais Toutefleur Et je te respire ô ma Toutefleur Tous les lys montent en toi comme des cantiques d’amour et d’allégresse Et ces chants qui s’envolent vers toi M’emportent à ton côté Dans ton bel Orient où les lys Se changent en palmiers qui de leurs belles mains Me font signe de venir La fusée s’épanouit fleur nocturne Quand il fait noir Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses De larmes heureuses que la joie fait couler Et je t’aime comme tu m’aimes Madeleine Novembre 1915
J’aime aussi le côté poétique et touchant de ses ouvrages, la fraîcheur de ses bouquets, la simplicité des fruits, des fleurs et des feuilles.
D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes, Où d’ardents bouquets rouaient, Aux yeux d’une mûlatresse qui inventait la poésie, Et les roses de l’électricité s’ouvrent encore Dans le jardin de ma mémoire. […] Voici mon bouquet de fleurs de la passion, Qui offrent tendrement deux couronnes d’épines.
La Victoire Un coq chante je rêve et les feuillards agitent Leurs feuilles qui ressemblent à de pauvres marins Ailés et tournoyants comme Icare le faux Des aveugles gesticulant comme des fourmis Se miraient sous la pluie aux reflets du trottoir Leurs rires amassés en grappes de raisin Ne sors plus de chez moi diamant qui parlais Dors doucement tu es chez toi tout t’appartient Mon lit ma lampe et mon casque troué Regards précieux saphirs taillés aux environs de Saint-Claude Tes joues étaient une pure émeraude Je me souviens de toi ville des météores Ils fleurissaient en l’air pendant ces nuits où rien ne dort Jardins de la lumière où j’ai cueilli des bouquets Tu dois en avoir assez de faire peur à ce ciel Qu’il garde son hoquet On imagine difficilement A quel point le succès rend les gens stupides et tranquilles A l’Institut des jeunes aveugles on a demandé N’avez-vous point ici de jeune aveugle ailé O Bouches l’homme est à la recherche d’un nouveau langage Auquel le grammairien d’aucune langue n’aura rien à dire Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir Que c’est vraiment par habitude et manque d’audace Qu’on les fait encore servir à la poésie Mais entêtons-nous à parler Remuons la langue Lançons des postillons On veut de nouveaux sons de nouveaux sons de nouveaux sons On veut des consonnes sans voyelles Des consonnes qui pètent sourdement Imitez le son de la toupie Laissez petiller un son nasal et continu Faites claquer votre langue Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle consonne Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours claironnants Habituez-vous à roter à volonté Et quelle lettre grave comme un son de cloche A travers nos mémoires Nous n’aimons pas assez la joie De voir de belles choses neuves O mon amie hâte-toi, Crains qu’un jour un train ne t’émeuve Plus Regarde-le vite pour toi Ces chemins de fer qui circulent Sortiront bientôt de la vie Ils seront beaux et ridicules Deux lampes brûlent devant moi Comme deux femmes qui rient Je courbe tristement la tête Devant l’ardente moquerie Ce rire se répand Partout Parlez avec les mains faites claquer vos doigts Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour O paroles Elles suivent dans la myrtaie L’Eros et l’Antéros en larmes Je suis le ciel de la cité Ecoutez la mer La mer peiner au loin et crier toute seule Ma voix fidèle comme l’ombre Veut être enfin l’ombre de la vie Veut être ô mer vivante infidèle comme toi La mer qui a trahi des matelots sans nombre Engloutit mes grands cris comme des dieux noyés Et la mer au soleil ne supporte que l’ombre Que jettent des oiseaux les ailes éployées La parole est soudaine et c’est un dieu qui tremble Avance et soutiens-moi je regrette les mains De ceux qui les tendaient et m’adoraient ensemble Quelle oasis de bras m’accueillera demain Connais-tu cette joie de voir des choses neuves O Voix, je parle le langage de la mer Et dans le port la nuit les dernières tavernes Moi qui suis plus têtu que non l’hydre de Lerne La rue où nagent mes deux mains Aux doigts subtils fouillant la ville S’en va Mais qui sait si demain La rue devenait immobile Qui sait où serait mon chemin Songe que les chemins de fer Seront démodés et abandonnés dans peu de temps Regarde La victoire avant tout sera De bien voir au loin Et de tout voir De près Et que tout Ait un nom nouveau Guillaume APOLLINAIRE.