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2. (1914) Mille regrets « Mille regrets »

Du dicke Du L’amour revient en boumerang L’amour revient à en vomir le revenant Ils ont demandé tant de ces bouteilles longues Comme les longs cyprès d’un grand jardin rhénan Un phonographe énamouré pour dix pfenings Chanta l’amour à quatre voix de chanteurs morts Des châtrés enrhumés en métal ces ténors Qui n’ont jamais connu la vie ce féminin La noce de la ville en face à l’autre rive Et les cigares à deux gros et blonds wie du La mienne aussi mon vieux était blonde aux yeux doux Mais pas d’ici Seigneur que votre règne arrive Mangez les tartines comme du pain béni Que la mariée soit soûle comme une grive Je me souviens Amour que votre règne arrive On ne respire plus Bonsoir la compagnie Bonsoir la compagnie j’entends un bruit de rames Dans la nuit sur le Rhin et le coucou chanter Puis j’ai jasé d’amour de l’amour regretté Avec tous les sapins changés en bonnes femmes.

3. (1916) Chant de l'horizon en Champagne « Chant de l’horizon en Champagne »

Chant de l’horizon en Champagne à Monsieur le substitut Granié Voici le tétin rose de l’euphorbe verruquée Voici les nez des soldats invisibles Horizon invisible je chante Que les civils et les femmes écoutent les chansons Et voici d’abord la cantilène du brancardier blessé              Le sol est blanc la nuit l’azure              Saigne la crucifixion              Tandis que saigne la blessure              Du soldat de Promission              Un chien jappait l’obus miaule              La lueur muette a jailli              A savoir si la guerre est drôle              Les masques n’ont pas tressailli              Mais quel fou rire sous le masque              Blancheur éternelle d’ici              Où la colombe porte un casque              Et l’acier s’envole aussi Je suis seul sur le chant de bataille Tranchée blanche bois vert et roux L’obus miaule                Je te tuerai Animez vos fantassins à passepoil jaune Les grands artilleurs roux comme des taupes Bleu de roi comme les golfes méditerranéens Veloutés de toutes les nuances du velours Ou mauves encore ou bleu comme les autres Ou déteints Venez le pot en tête Debout fusée éclairante Danse grenadier en agitant tes pommes de pin Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous Sculptez les profondeurs Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les avettes Moi l’horizon je fais la roue comme un grand paon Ecoutez renaître les oracles qui avaient cessé Le grand Pan est ressuscité Champagne viril qui émoustille la Champagne Hommes faits jeunes-gens Caméléons des autos-canons Et vous classe 15 Craquements des arrivées ou bien flottaison blanche dans les cieux J’étais content pourtant ça brûlait la paupière Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms Œil du Breton blessé couché sur la civière Et qui criait aux morts aux sapins aux canons Priez pour moi Bon Dieu ! je suis le pauvre Pierre                Boyaux et rumeur du canon                Sur cette mer aux blanches vagues                Fou stoïque comme Zénon                Pilote du cœur tu zigzagues                Petites forêts de sapins                La nichée attend la becquée                Pointe-t-il des nez de lapins                Comme l’euphorbe verruquée                Ainsi que l’euphorbe d’ici                Le soleil à peine boutonne                Je l’adore comme un Parsi                Ce tout petit soleil d’automne                Un fantassin presque un enfant                Pur comme le jour qui s’écoule                Pur comme mon cœur triomphant                Disait en mettant sa cagoule                Tandis que nous n’y sommes pas                Que de filles deviennent belles                Voici l’hiver et pas à pas                Leur beauté s’éloignera d’elles                O lueurs soudaines des tirs                Cette beauté que j’imagine                Faute d’avoir des souvenirs                Tire de vous son origine                Car elle n’est rien que l’ardeur                De la bataille violente                Et de la terrible lueur                Il se fait une muse ardente Il regarde longtemps l’horizon Couteaux tonneaux d’eaux Des lanternes allumées se sont croisées Moi l’horizon je combattrai pour la victoire Je suis l’invisible qui ne peut disparaître Je suis comme l’onde Allons ouvrez les écluses que je me précipite et renverse tout Guillaume Apollinaire.

4. (1917) Le palais du tonnerre « Le palais du tonnerre »

Le palais du tonnerre Par l’issue ouverte sur le boyau dans la craie En regardant la paroi adverse qui semble en nougat On voit à gauche et à droite fuir l’humide couloir désert Où meurt étendue une pelle à la face effrayante à deux yeux réglementaires qui servent à l’attacher sous les caissons Un rat y recule en hâte et j’avance en hâte Et le boyau s’en va couronné de craie semée de branches Comme un fantôme creux qui met du vide où il passe blanchâtre Et là-haut le toit est bleu et couvre bien le regard fermé par quelques lignes droites Mais en deçà de l’issue c’est le palais bien nouveau et qui paraît ancien Le plafond est fait de traverses de chemin de fer Entre lesquelles il y a des morceaux de craie et des touffes d’aiguilles de sapin Et de temps en temps des débris de craie tombent comme des morceaux de vieillesse A côté de l’issue que ferme un tissu lâche qui sert généralement aux emballages Il y a un trou qui sert d’âtre et ce qui y brûle est un feu semblable à l’âme Tant il tourbillonne et tant il est inséparable de ce qu’il dévore et fugitif Les fils de fer se tendent partout servant de sommier supportant des planches Ils forment aussi des crochets et l’on y suspend mille choses Comme on fait à la mémoire Des musettes bleues des casaques bleues des cravates bleues des vareuses bleues Morceaux du ciel tissus des souvenirs les plus purs Et il flotte parfois en l’air de vagues nuages de craie Sur la planche brillent des fusées détonateurs joyaux dorés à tête émaillée Funambules qui attendent leur tour de passer sur les trajectoires Et font un ornement mince et élégant à cette demeure souterraine Ornée de six lits placés en fer à cheval Six lits couverts de riches manteaux bleus Sur le palais il y a un haut tumulus de craie Et des plaques de tôle ondulée Fleuve figé de ce domaine idéal Mais privé d’eau car ici il ne roule que le feu jailli de la mélinite Le parc aux fleurs de fulminate jaillit des trous penchés Tas de cloches aux doux sons des douilles rutilantes Sapins élégants et petits comme en un paysage japonais Le palais s’éclaire parfois d’une bougie à la flamme aussi petite qu’une souris O palais minuscule comme si on te regardait par le gros bout d’une lunette Petit palais où tout s’assourdit Petit palais où tout est neuf rien rien d’ancien Et où tout est précieux où tout le monde est vêtu comme un roi Une selle est dans un coin à cheval sur une caisse Un journal du jour traîne par terre Et cependant tout paraît vieux dans cette neuve demeure Si bien qu’on comprend que l’amour de l’antique Le goût de l’anticaille Soit venu aux hommes dès le temps des cavernes Tout y était si précieux et si neuf Tout y est si précieux et si neuf Qu’une chose plus ancienne ou qui a déjà servi apparaît                                          Plus précieuse Que ce qu’on a sous la main Dans ce palais souterrain creusé dans la craie si blanche et si neuve Et deux marches neuves                           Elles n’ont pas deux semaines Sont si vieilles dans ce palais qui semble antique sans imiter l’antique Qu’on voit que ce qu’il y a de plus simple de plus neuf est Ce qui est le plus près de ce que l’on appelle la beauté antique Et ce qui est surchargé d’ornements Ce qui a des ornements qui ne sont pas nécessaires A besoin de vieillir pour avoir la beauté qu’on appelle antique Et qui est la noblesse la force l’ardeur l’âme l’usure De ce qui est neuf et qui sert Surtout si cela est simple simple Aussi simple que le petit palais du tonnerre Août 1915

5. (1916) Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne « Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne »

Le rossignol garrule et l’Amour renouvelle Ce pendant que l’obus rapace en miaulant Abat le sapin noir ou le bouleau si blanc.

6. (1916) Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne « Epître à Léo Larguier, caporal-brancardier, en réponse à la sienne »

Le rossignol garrule et l’Amour renouvelle Cependant que l’obus rapace en miaulant Abat le sapin noir ou le bouleau si blanc.

7. (1901) Les Femmes « Les Femmes »

à présent grand-mère dit son chapelet » — « Il me faut du sucre candi, Leni, je tousse. » — « Pierre mène son furet chasser les lapins » Le vent faisait danser en rond tous les sapins.

8. (1902) L'Ermite « L’Ermite »

Mes kilomètres longs, mes tristesses plénières, Les squelettes de doigts terminant les sapins Ont égaré ma route et mes rêves poupins Souvent et j’ai dormi au sol des sapinières.

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