Etoile Je songe à Gaspard ce n’est certainement pas Son vrai nom il voyage il a quitté la ville Bleue Lanchi où tant d’enfants l’appellaient papa Au fond du golfe calme en face des sept îles Gaspard marche et regrette et le riz et le thè La voie lactée La nuit car naturellement il ne marche Que la nuit attire souvent ses regards Mais Gaspard Sait bien qu’il ne faut pas la suivre
Fagues [Fagnes] Tant de tristesses plénières Prirent mon cœur aux fagues désolées Très las j’ai déposé dans les sapinières Des kilomètres pendant que râlait Le vent d’ouest J’avais quitté les jolis bois Les écureuils y sont restés Ma pipe essayait de faire des nuages Au ciel Qui restait pur obstinément Je n’ai confié aucun secret Aux tourbières où de l’eau croupissait Les bruyères fleurant le miel Attiraient les abeilles Et mes pieds qui riaient Foulaient les myrtilles et les airelles Savamment mariées Nord Nord La vie s’y tord En arbres forts Et tors La vie y mord La mort A belles dents Quand bruit le vent.
Fagnes de Wallonie Tant de tristesses plénières Prirent mon cœur aux fagnes désolées Quand las j’ai reposé dans les sapinières Le poids des kilomètres pendant que râlait Le vent d’ouest J’avais quitté le joli bois Les écureuils y sont restés Ma pipe essayait de faire des nuages Au ciel Qui restait pur obstinément Je n’ai confié aucun secret sinon une chanson énigmatique Aux tourbières humides Les bruyères fleurant le miel Attiraient les abeilles Et mes pieds endoloris Foulaient les myrtilles et les airelles Tendrement mariée Nord Nord La vie s’y tord En arbres forts Et tors La vie y mord La mort A belles dents Quand bruit le vent GUILLAUME APOLLINAIRE
Ombre Vous voilà de nouveau près de moi Souvenirs de mes compagnons morts à la guerre L’olive du temps Souvenirs qui n’en faites plus qu’un Comme cent fourrures ne font qu’un manteau Comme ces milliers de blessures ne font qu’un article de journal Apparence impalpable et sombre qui avez pris La forme changeante de mon ombre Un indien à l’affût pendant l’éternité Ombre vous rampez près de moi Mais vous ne m’entendez plus Vous ne connaîtrez plus les poèmes divins que je chante Tandis que moi je vous entends je vous vois encore Destinées Ombre multiple que le soleil vous garde Vous qui m’aimez assez pour ne jamais me quitter Et qui dansez au soleil sans faire de poussière Ombre encre du soleil Ecriture de ma lumière Caisson de regrets Un dieu qui s’humilie GUILLAUME APOLLINAIRE
Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés, Deux matelots qui ne s’étaient jamais parlé, Le plus jeune en mourant tomba sur le côté. […] Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés : L’aîné portait au cou une chaîne de fer, Le plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse.
Et tous bras dessus, bras dessous, Fredonnant des airs militaires, (Oui, tous vos péchés sont absous) Nous quittâmes le cimetière. […] Quelques-uns nous quittèrent Devant une boucherie canine Pour y acheter leur repas du soir.
Et tous bras dessus, bras dessous, Fredonnant des airs militaires, (Oui, tous vos péchés sont absous) Nous quittâmes le cimetière. […] Quelques-uns nous quittèrent Devant une boucherie canine Pour y acheter leur repas du soir.